Relations internationales contemporaines: Mythes, manipulations et réalités
 2343121885, 9782343121888

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Mythes, Manipulations et Réalités

Michel-Cyr Djiena Wembou et Daouda Fall

contemporaines

Etudes africaines

Série Droit

Michel-Cyr Djiena Wembou et Daouda Fall

Relations internationales contemporaines Mythes, Manipulations et Réalités

© L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-12188-8 EAN : 9782343121888

Relations internationales contemporaines Mythes, Manipulations et Réalités

Collection « Études africaines » dirigée par Denis Pryen et son équipe

Forte de plus de mille titres publiés à ce jour, la collection « Études africaines » fait peau neuve. Elle présentera toujours les essais généraux qui ont fait son succès, mais se déclinera désormais également par séries thématiques : droit, économie, politique, sociologie, etc. Dernières parutions Patrice MOUNDZA, Le quotidien des artères urbaines du Congo, 2017. Jean-Emery ETOUGHÉ-EFÉ, Les bars populaires de Libreville. Des construits de sociabilités, 2017. Guy MVELLE et Laurent ZANG (Dir.), L’Union africaine quinze ans après, Tome 2, 2017. Guy MVELLE et Laurent ZANG (Dir.), L’Union africaine quinze ans après, Tome 1, 2017. Joachim Emmanuel GOMA-THETHET, Marcel IPARI, Raymond Timothée MACKITHA, Introduction à l’histoire et aux civilisations des peuples de la Lékoumou (Congo), 2017. Alhousseini MOULOUL, L’intégration économique et juridique en Afrique, 2017. Martial JEUGUE DOUNGUE, La garantie des droits fondamentaux au Cameroun, 2017. Mamadou Billo BARRY, Gouvernance et coopération internationale en éducation, Le cas de la Guinée, 2017. Christine THÉODORE, Objets d’initiation. Rencontre avec un chasseur dozo. Échanges d’objets d’initiation et modifications des interactions, 2017. Pierre GIGUÈRE, L’accès à l’habitat dans l’Afrique des villes. Un toit pour l’Afrique, 2017. Daniel MULENDA LOMENA EMAMBA, La gestion de l’intégration des entreprises par la préservation des écosystèmes naturels, 2017. Christelle BELPORO, La responsabilité des entreprises multina-tionales pour les violations des droits de l’homme en Afrique, 2017. Jean-François NGANDU KAMUNGA, Les baluba d’hier et d’aujourd’hui, permanences, ruptures, transformations et extinctions des traditions africaines, 2017. Firmin AHOUA, Benjamin OHI ELUGBE, Typologie et documentation des langues en Afrique de l’Ouest, 2017. Alphonse MAKENGO NKUTU, Les partis politiques de la République démocratique du Congo. Analyse faite à partir de différents textes légaux portant organisation et fonctionnement des partis politiques (1990 à nos jours), 2017. Pierre-Flambeau NGAYAP, Le droit parlementaire au Cameroun, 2017. Hygin Ignace AMBOULOU, Code des investissements et des activités économiques. Première édition, 2017. Hygin Ignace AMBOULOU, Traité de fiscalité des entreprises. Première édition, 2017. Hygin Ignace AMBOULOU, La problématique du conflit de normes et de compétences dans la situation de coexistence des juridictions communautaires, 2017.

Michel-Cyr DJIENA WEMBOU et Daouda FALL

Relations internationales contemporaines Mythes, Manipulations et Réalités

Ouvrages du professeur DJIENA WEMBOU L’ONU et le développement du droit international, Berger-Levrault International, Paris, 1991, 250 pages The law of the sea: practice of states at the time of entry into force of the united nations convention on the law of the sea, United Nations, 1994, (Collective work) L’OUA à l’aube du XXIè siècle : Bilan, diagnostic et perspectives, LGDJ, Paris, 1995, 411 pages Mise en œuvre du droit international humanitaire en Afrique, CICR, Abidjan, 1998, 184 pages Droit international humanitaire, Théorie générale et réalités africaines, L’Harmattan, Paris, 2000 (en collaboration avec Pr. Daouda FALL), 431 pages Le droit international dans un monde en mutation, essais écrits au fil des ans, L’Harmattan, Paris, 2003, 400 pages

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Remerciements Nous remercions sincèrement Mesdames Angéline KOUTOU, Christine BERINGAR et Nadia SAKAL pour leur précieuse assistance tout au long de la phase finale de ce travail. Nous exprimons notre gratitude à Madame Delphine BARRET pour la relecture de l’ouvrage et la finalisation du manuscrit. Nos vifs remerciements vont également à nos collègues de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Ndjamena (Tchad) et à nos étudiants de Licence et de Maitrise pour les échanges que nous avons eus dans le cadre des cours de Droit International Public et de Relations Economiques Internationales. Nous dédions ce travail à nos familles respectives.

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Principales abréviations A.C.P.

: Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique

B.A.D.

: Banque Africaine de Développement

B.D.E.A.C.

: Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale : Banque Mondiale

B.M.

C.E.D.E.A.O. : Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest C.E.M.A.C.

: Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale

C.I.J.

: Cour Internationale de Justice

C.N.U.C.E.D. : Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement C.S.C.E. : Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe C.S.S.D.C.A. : Conférence sur la Sécurité, la Stabilité, le Développement et la Coopération en Afrique F.M.I.

: Fonds Monétaire International

F.A.O. G.A.T.T.

: Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture : Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce

N.E.P.A.D.

: Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique

O.A.C.I.

: Organisation de l’Aviation Civile Internationale

O.C.D.E. O.C.I.

: Organisation de Coopération et de Développement Economique : Organisation de la Conférence Islamique

O.I.T.

: Organisation Internationale du Travail

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O.M.C.

: Organisation Mondiale du Commerce

O.M.S.

: Organisation Mondiale de la Santé

O.N.U.

: Organisation des Nations Unies

O.T.A.N.

: Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

O.U.A.

: Organisation de l’Unité Africaine

U.A.

: Union Africaine

U.E.

: Union Européenne

U.E.M.O.A

: Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine

U.N.E.S.C.O. : Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture R.C.A.D.I.

: Recueil des Cours de l’Académie de Droit International de La Haye

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INTRODUCTION Les relations internationales déterminent aujourd’hui le cours de l’histoire et façonnent à divers titres le destin de tous les peuples. Les grands évènements qui ont marqué la vie internationale, comme le krach boursier, les deux conflits mondiaux, la guerre froide, la décolonisation, la désintégration de l’empire soviétique de même que la dynamique de la mondialisation qui a précédé la fin de l’antagonisme EstOuest constituent autant d’événements qui bouleversent l’ordre du temps et la vie des sociétés. Les relations internationales ont profondément évolué avec la disparition de l’ordre bipolaire. Cette évolution se fonde sur une dialectique entre les forces d’intégration et de fragmentation de la société ou de la communauté internationale. Définies comme étant « l’ensemble des relations et communications susceptibles d’avoir une dimension politique et s’établissant entre des groupes sociaux en traversant les frontières1 » les relations internationales ont, sans aucun doute, acquis une importance sans précédent rendant nécessaire une réflexion systématique sur cette matière complexe. Le besoin d’une telle réflexion se fait d’autant plus sentir qu’elle permet d’éclairer les processus internes à nos sociétés en raison de l’influence directe qu’a sur ces dernières l’environnement international. L’étude des relations internationales a connu, au fil des décennies un développement rapide marqué par une croissance exponentielle des analyses et des recherches.

1

Voir Philippe Braillard et Mohammad-Reza Djalili, Les relations internationales, Que saisje ? PUF Paris 1997 P5 et s.

Cette croissance de l’étude des relations internationales est en partie la conséquence de l’importance prise par les questions internationales au cours du siècle passé et en ce début du XXIème siècle2.

§1 Les relations internationales à l’ère de la mondialisation En effet, le monde a changé, de même que les clés de sa compréhension : nouveaux défis, nouveaux acteurs, nouvelles formes de domination, nouvelles techniques de communication. Quels sont les rapports de force qui se déroulent sous nos yeux sur la scène internationale ? A l’heure où la politique internationale et les stratégies développées par les grandes puissances ont une influence directe sur le vécu quotidien de tous les peuples, notamment des pays en développement, il est un impératif fondamental d’aider à mieux comprendre le monde, de favoriser l’éveil des consciences et le refus de la manipulation. Aujourd’hui les questions internationales envahissent les rayons des librairies, les écrans de télévision, les pages de journaux et diverses radios internationales. Démocratie, transparence du processus électoral, terrorisme, alternance au pouvoir dans le tiers-monde, axe du mal, islamistes, droit international, accord de partenariat économique, changement climatique, prolifération nucléaire, justice internationale, droit ou devoir d’ingérence humanitaire, que signifient exactement ces mots aujourd’hui ? Comment établir la frontière entre la vérité et la manipulation dans l’analyse des phénomènes internationaux ? Par ailleurs, depuis quelques années, la société internationale, sous l’impulsion des Etats les plus puissants, est engagée dans la recherche d’un nouvel ordre mondial qui serait plus juste et plus équitable pour tous. Mais force est de constater que cette recherche d’un nouvel ordre international est alimentée essentiellement par les inquiétudes résultant de nouvelles turbulences. L’affaissement des régimes socialistes ou communistes dans les Etats d’Europe centrale et orientale et la mondialisation de l’économie libérale et capitaliste sont les manifestations les plus visibles de changements qui remettent fondamentalement en question l’ordre international ancien3. La mondialisation est devenue le concept le plus utilisé pour décrire l’état du monde contemporain : elle apparait même comme le critère dominant dans l’analyse des relations internationales. La question est de savoir si cette mondialisation est source de prospérité pour la communauté des Etats dans

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Voir Pierre de Senarclens, Yohan Ariffin, La politique internationale. Théories et enjeux contemporains. Armand Colin Paris 2007 P.2 3 Voir Max Gounelle, Relations internationales, op. cit., p. 53 et s. ; Daouda Fall, « Le conflit du Golfe 1990-1991 : de l’ordre ancien au nouvel ordre mondial », op. cit., p 473 et s ; Marcel Merle, La crise du Golfe et le nouvel ordre international, Economica, Paris, 1991, 112p.

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son ensemble, ou si elle est le vecteur d’un nouvel accroissement des inégalités ? De même, la perception des menaces à la sécurité internationale a évolué, même si certains Etats cherchent toujours à fixer l’agenda international et à imposer leurs vues aux autres pays. En raison de l’avènement de nouvelles nations émergentes, le monopole occidental de la puissance qui a duré plus de cinq siècles est en train de se modifier lentement, mais sûrement. En plus des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), près d’une cinquantaine de nations émergentes, qui sont de véritables géants démographiques et économiques, veulent tirer le meilleur profit de l’économie internationale et avoir leur mot à dire sur l’ordre international. Mais la possession de la puissance militaire et économique, et le contrôle des moyens de communication permettent encore et toujours au monde occidental de dicter sa vision, d’imposer ses priorités aux autres pays et de tirer les ficelles du jeu. Le terrorisme est devenu aujourd’hui, notamment pour les Etats occidentaux, la première menace à la paix et à la sécurité internationale. En quelques années, le terrorisme est venu occuper une place centrale dans les relations internationales. Véritable obsession pour la principale puissance de la planète et pour bon nombre d’autres Etats, il occupe le premier rang dans l’activité des Nations-Unies, du G8 et de plusieurs organisations internationales. Il convient néanmoins de souligner que de nombreux pays demeurent persuadés qu’il existe d’autres problèmes aussi, voire plus importants que le terrorisme, comme l’accroissement de la pauvreté et du chômage, le sousdéveloppement, la malnutrition de millions d’êtres humains, la dégradation rapide de l’environnement, le changement climatique. En réalité, les groupes terroristes perpétuent des attentats spectaculaires qui retiennent forcément l’attention des gouvernants et de la presse internationale. Mais le phénomène du terrorisme n’est pas une caractéristique nouvelle et inédite des relations internationales. Par ailleurs, la frontière entre la vérité et la manipulation est toujours difficile à établir dans l’analyse des attentats terroristes et des guerres qui s’en suivent. Comme l’avait relevé le Sénateur américain Hiram Johnson en 1917 « la première victime d’une guerre c’est la vérité » et ce, malgré l’émergence de la démocratie et la liberté de la presse. Le 11 septembre 2001, les télévisions de la planète ont relayé des scènes d’horreurs que désormais nous avons tous le sentiment d’avoir « vécues ». En 2003, lors de la guerre d’Irak qui était censée être celle du bien contre le mal, une guerre « juste » contre le terrorisme, les informations parvenaient à chaud sur les téléviseurs du monde entier, à l’heure du diner. Plus proche de nous, des reportages ont occupé des télévisions entières sur les attentats de Madrid, de Nice, de Paris, de Ouagadougou, de N’Djamena, de Maroua. Mais toutes les informations diffusées nous apportaient-elles l’essentiel, à

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savoir la compréhension des faits relayés ? Que sait-on réellement de ces conflits, des belligérants, des fanatiques et des terroristes ? Comme on le sait, la vérité est la qualité de ce qui est conforme à la réalité. Mais lorsque les images s’enchainent les unes aux autres et nous montrent la réalité telle que voulue par les puissants, ainsi que la « vérité » du monde, lorsque des bombardements ou des actes terroristes sont programmés pour se déclencher à l’heure des journaux télévisés, l’on est en droit de se demander où est la vérité. Les journalistes ne se retrouvent-ils pas souvent entrain de jouer le rôle de simples relais de transmission d’idées fausses et de luttes faussées ? Les guerres médiatiques et la lutte contre le terrorisme se déroulent désormais en direct ; elles révèlent des « vérités » multiples et des « vérités » diamétralement opposées, selon que l’on suit Al Jazeera ou France 24. Les télévisions transmettent, relaient, diffusent sans interruption des images qui n’expliquent pas grand-chose, et ce, au détriment d’une masse de faits qui ensanglantent quotidiennement la planète et dont on ignore l’essentiel. La confusion est d’autant plus grave et regrettable que les Etats manipulent les images et utilisent parfois le terrorisme dans leur quête de puissance sur la scène internationale. Il importe donc que chacune et chacun puisse se faire une idée des enjeux liés au terrorisme, à la géostratégie, en un mot, aux réalités internationales que cet ouvrage tente de présenter et d’analyser. Lorsque Gérard Chaliand a publié en 1984 un Atlas stratégique avec des cartes montrant l’URSS, la Chine et les Etats-Unis au centre du monde, cela a frappé l’opinion française parce que cette carte modifiait la perception à laquelle avaient été habitués de nombreux français pendant pratiquement toute leur vie. La carte géographique officielle réalisée en 1569 selon la projection dite de Mercator est fausse. Lorsqu’il a fallu trancher pour utiliser la carte géographique de Galle ou celle de Peter, plus proche de la réalité, le gouvernement américain a choisi celle de Mercator à laquelle nous sommes tous habitués aujourd’hui et qui place l’Europe au cœur du monde. Cette carte fait la part belle à l’Occident et réduit de manière inexplicable la taille de l’Afrique, de l’Amérique Latine et de l’Asie. Sur cette carte, le Groenland apparait plus grand que l’Afrique alors que cette dernière est 14 fois plus grande dans la réalité. Le Cameroun semble avoir la même superficie que la Suisse, alors qu’en réalité, le Cameroun est 11,5 fois plus grand que la Suisse, qui avec ses 41.277 km² n’atteint pas la dimension de l’une des 10 régions du Cameroun qui totalise en fait 475.400 km². La France semble avoir la même dimension que le Mali. Pourtant dans la réalité, avec ses 1.241 238 Km², le Mali a une superficie double de celle de la France qui n’en compte que 640.843 Km². L’Allemagne semble le double du Mozambique, alors que dans la réalité, l’Allemagne avec ses 357.114 Km² n’atteint même pas la moitié du Mozambique qui a 801.590 16

Km².La Chine semble deux fois plus petite que les Etats unis d’Amérique alors qu’en réalité, les deux pays ont pratiquement la même superficie, soit 9 596 560 Km2 pour la Chine et 9 631 420 Km2 pour les Etats-Unis. Autre malignité de cette carte : l’Amérique du Sud semble plus petite que l’Amérique du Nord. Sa taille a été réduite comme celles de l’Afrique et de l’Asie au profit de celle de l’Europe et de l’Amérique du Nord. La Finlande avec ses 338 424 Km2 parait plus grande que l’Inde (3 287 263 Km2) alors qu’en réalité, elle est dix fois plus petite. L’idée communément répandue et acceptée par les Africains eux-mêmes est que l’Afrique est un petit continent composé de petits Etats pauvres : un continent balkanisé qui souffre de la division, des maladies, de la corruption et qui vit de l’aide étrangère. Dans la réalité, le continent africain est un continent immense, avec ses 30,4 millions de Km² représentant 7% de la surface terrestre et 20,3% des terres émergées ; l’Afrique est 4,4 fois plus grande que l’Europe. Les 46 pays de l’Europe entière, du Portugal à l’Ukraine, totalisent une superficie de 5,9 millions de Km². C’est une vérité qui mérite d’être proclamée et enseignée dans toutes les universités du monde. Ce qui est vrai, c’est qu’il faudrait mettre bout à bout, la Chine avec ses 9,59 millions de Km², le Mexique avec 1,96 million de Km², l’Inde avec 3,28 millions de Km², les Etats-Unis d’Amérique avec 9,37 millions de Km², le Japon avec 0,37 million de Km², l’Europe avec 5,9 millions de Km² pour arriver à la superficie du continent africain que l’on dit petit et pauvre. Mis ensemble, ces pays ont une superficie totale de 30,47 millions de Km². Il faudrait les réunir tous pour atteindre la superficie de l’immense continent africain. Les géostratèges occidentaux ont décrété qu’il existe un Nord situé audessus de l’Afrique et évidemment, le Sud en dessous de la méditerranée. Or, la notion de Nord et de Sud du monde est complètement fallacieuse et fausse. Lorsqu’on regarde la fameuse carte actuelle du monde, on a l’impression que le monde est plat. Elle nous fait croire qu’il existe un Nord en haut et un Sud en bas. Ce qui est évidemment faux. Comme l’ont démontré Bruno et Galilée, il existe bien sûr un Nord et un Sud, mais pas un Nord en haut et un Sud en bas. La terre est suspendue dans le vide et tout dépend de l’angle d’observation. Dans l’univers, la notion de Nord et de Sud n’a qu’une valeur purement d’orientation puisque le monde n’est pas debout. Ceci est très bien illustré par la carte Peters, qui est une projection cylindrique équivalente avec deux parallèles fondamentaux (45° latitude nord et sud) et dont le grand intérêt est que l’on peut comparer les surfaces sur tout le planisphère (Voir ces différentes cartes en annexe de cet ouvrage)4.

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Tous ces développements sont tirés de l’ouvrage de Pougala (J.P.).- Géostratégie africaine. Institut d’études géostratégiques, Douala, 2015.

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Comme on le voit, au cœur des phénomènes de puissance qui affectent l’histoire des relations internationales, les plus puissants chercheront toujours à imposer leur « vérité » et leurs priorités, au besoin en procédant à la manipulation de la science et de l’histoire, en en profitant du peu d’intérêt des populations pour les questions internationales qui, de toutes les façons, n’interviennent pratiquement pas dans les débats électoraux dans les pays développés. Or, contrairement à ce que pensent les leaders politiques et certaines élites, les questions internationales ne sont pas réservées aux spécialistes, aux diplomates, aux officiers supérieurs, aux gouvernants qui seuls détiennent le confort intellectuel et les connaissances nécessaires pour en comprendre les arcanes. Tout citoyen du monde est en droit de rechercher la vérité, de mieux comprendre les affaires mondiales qui de toutes les façons ont une influence sur le vécu de son peuple. Tout esprit qui n’est pas informé sur les grands défis globaux à relever, sur la place de son pays dans les relations internationales, sur les conséquences de la politique menée à l’étranger par son pays et les réactions violentes et parfois terroristes que celle-ci peut entrainer en retour, devient un agent de sa propre domination, un simple spectateur de sa propre histoire et parfois, un observateur silencieux des dérives des hommes politiques manipulés par les firmes multinationales et les groupes du crime organisé.

§2 Objectif de l’ouvrage et méthodologie Cet ouvrage poursuit deux ambitions principales. Il se propose de mettre à la disposition des enseignants, des étudiants et des chercheurs, un manuel permettant de dispenser les enseignements fondamentaux de la discipline des relations internationales, tout en procédant à l’éveil des consciences face aux grands défis globaux, aux menaces auxquelles faire face, aux débats d’idées à l’échelle internationale et aux stratégies de puissance et de domination qui déterminent souvent la politique nationale dans chaque pays. Il se propose également de mettre à la disposition de tous, les clés de compréhension du monde contemporain face notamment à un flux d’informations pas toujours évidentes En effet, après chaque attaque terroriste, les leaders politiques et les journalistes proches des pouvoirs politiques affirment que leurs pays sont « en guerre », qu’ils subissent des attaques asymétriques et qu’il s’agit d’un conflit armé international. Sur toutes les chaines de télévision internationales des pays occidentaux en particulier, hommes politiques, « experts » en tous genres, éditorialistes manipulateurs et affabulateurs, commentateurs souvent ignorants et adeptes de la pensée unique, utilisent abusivement les concepts de conflit international, conflit planétaire, lutte antiterroriste, hyper terrorisme, cyber guerre, choc de civilisation, guerre civile, etc.

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Les mêmes experts reviennent à la charge dès lors qu’il s’agit d’expliquer une crise économique, la chute du prix du pétrole, la survenance d’un coup d’Etat dans un pays en développement, l’intervention légale de la Russie en Syrie, la négociation des accords internationaux de commerce, le recours souvent injustifié et illégal à la force effectué par les grandes puissances à l’encontre des petits pays, le refus des puissances industrialisées, dont certaines sont pourtant de grandes démocraties (Etats Unis d’Amérique, Inde, Russie, Chine, Israël) de ratifier les Statuts de la Cour pénale internationale. Face à ce tintamarre journalistique générateur de confusions sémantiques qui finissent par embrouiller le citoyen ordinaire et contribuent à légitimer les objectifs inavoués des stratégies militaires, politiques et économiques des grandes puissances dans leur ferme volonté de dominer le monde et d’imposer leurs vues et leurs hommes partout, il importe de clarifier au regard du droit international les principes fondamentaux des relations internationales, les règles de base des relations diplomatiques et les principes qui gouvernent les relations économiques et commerciales, de même que les concepts de base que sont le conflit international, la guerre civile ou conflit armé non international et le conflit armé. La conception de ce manuel est fort simple et participe de notre ambition didactique qui consiste à donner une présentation claire, concise et précise des aspects théoriques et pratiques d’une discipline complexe consacrée à l’étude de la société internationale dans laquelle le mythe côtoie souvent les manipulations orchestrées par les différents acteurs et les dures réalités de la vie internationale. Un manuel n’est pas un ouvrage spécialisé ; il n’est pas non plus, un traité théorique consacré aux considérations doctrinales ou aux analyses savantes. Sa principale ambition, qui découle de notre souci de vulgarisation – même si la quête de l’érudition demeure toujours présenteest celle d’enseigner à travers un exposé simple et accessible. Ces considérations générales nous ont dicté les trois grandes parties de cet ouvrage : La première partie traite du cadre et des facteurs des relations internationales. Elle présente en trois chapitres les caractéristiques et l’évolution de la communauté internationale, les facteurs qui déterminent le comportement et le jeu des acteurs dans la vie internationale, et la mondialisation qui apparait aujourd’hui comme le critère dominant dans l’analyse des relations internationales. La deuxième partie est consacrée à l’étude des acteurs des relations internationales, qu’il s’agisse des acteurs traditionnels, comme les Etats, les organisations internationales, les firmes multinationales et les ONG, ou des nouveaux acteurs légaux (G8 et G20) et même illégaux (groupes terroristes et groupes du crime organisé), qui influencent concrètement les relations internationales et qui animent les rapports de force internationaux qui se jouent sous nos yeux. 19

La troisième partie donne un aperçu concret de la vie internationale et analyse les trois principaux types de rapports qui se déroulent aujourd’hui entre les acteurs des relations internationales : les relations diplomatiques et consulaires ; les relations économiques et commerciales et les relations conflictuelles.

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Première partie Le cadre et les facteurs des relations internationales

Le monde a changé, de même que les caractéristiques de la communauté internationale contemporaine : nouveaux défis, nouveaux acteurs, nouvel ordre mondial et nouvelles formes de domination. Il importe donc, d’entrée de jeu, de s’interroger sur l’existence, les caractéristiques et l’évolution de la communauté internationale (Chapitre 1), puis sur les facteurs qui déterminent le comportement et le jeu des acteurs dans les relations internationales (Chapitre 2). Par ailleurs, la mondialisation en cours a-t-elle véritablement changé la face de la planète ? Quels sont les véritables fondements des relations internationales contemporaines ? (Chapitre 3).

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CHAPITRE 1 LE CADRE DES RELATIONS INTERNATIONALES : LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE

La communauté internationale se caractérise, à la différence des sociétés étatiques nationales, par une absence d’organes centralisés de décision et de contrainte. Cette communauté présente donc des caractères originaux (section 1) ; elle a longtemps été relativement homogène (du moins entre la paix de Westphalie en 1648 et la fin du XIXe siècle), avant de connaitre des bouleversements historiques avec la Première Guerre mondiale, la révolution soviétique de 1917, la Seconde Guerre mondiale, la création de l’ONU, la guerre froide et la disparition du bloc socialiste en 1991 (section 2).

SECTION 1 LES CARACTERISTIQUES DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE §1 La notion de communauté internationale L’expression société internationale est employée par de nombreux auteurs pour désigner la collectivité internationale, ou l’ensemble des Etats qui, de toute évidence, entretiennent des relations multiformes et de plus en plus denses entre eux. D’autres auteurs par contre la récusent, car, à leurs yeux, l’humanité n’est pas encore parvenue au stade d’organisation et d’intégration qui justifierait l’emploi d’une telle expression.

Il faut également noter que de nombreux documents internationaux et des auteurs de renom emploient une expression encore plus forte : celle de communauté internationale. Mais cette dernière expression ne fait pas, elle aussi, l’unanimité dans la doctrine. Comme le remarque le Professeur René-Jean DUPUY dans un ouvrage célèbre5, il faudrait distinguer trois groupes d’auteurs : certains qui, se fondant sur le développement du volume des relations internationales et de la solidarité qu’elles traduisent entre les peuples, au-delà de l’hétérogénéité des sociétés nationales qu’ils forment, admettent l’existence d’une communauté internationale ; d’autres, au contraire, qui mettent l’accent sur la teneur essentiellement conflictuelle des relations internationales et considèrent la notion de communauté internationale comme inacceptable ; enfin, un troisième groupe qui est constitué d’auteurs qui tentent de réaliser une synthèse entre les deux écoles de pensée. Selon le Professeur DUPUY, le premier groupe d’auteurs se fonde sur la structure des relations entre les peuples, sur une théorie du processus de création des normes juridiques ou encore sur l’accroissement de la coopération internationale pour affirmer l’existence de la société internationale. De nombreux auteurs se situent dans cette tendance. L’on pourrait par exemple mentionner les travaux des Professeurs Georges SCELLE, Roberto AGO, GUILLIANO et notamment Wilfried JENKS, qui dans une étude parue en 1960, avait clairement exposé que : « La volonté de la communauté internationale est le background sociologique dont le droit est l’expression ; le droit se cristallise spontanément par des procédures reconnues, parce que telle est la volonté de la communauté internationale ; la conscience individuelle reconnait la force d’obligation de droit acceptée par cette communauté6 ». Pour ce groupe d’auteurs, il n’y a aucun doute sur l’existence de la communauté internationale ; par contre, le second groupe d’auteurs part d’une analyse des réalités concrètes des rapports internationaux, qui sont marqués par les phénomènes de violence et de puissance, pour souligner l’inexistence de la communauté internationale. Dans cette seconde école de pensée, il faudrait regrouper les auteurs qui insistent sur la permanence de l’état de nature dans la vie internationale (H. Morgenthau, Raymond Aron) et ceux qui, se fondant sur les analyses

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DUPUY (R.J) – La communauté internationale entre le mythe et l’histoire, Economica/Unesco, Paris, 1986 6 Voir sa contribution « Hommage d’une génération de juristes au Président J. BASDEVANT », Paris, 1960

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marxistes, soutiennent que l’accord est l’élément central des relations juridiques internationales, et non un quelconque « lien communautaire. » Dès 1947, le Professeur KRYLOV avait déclaré dans un cours à l’Académie de la Haye7 qu’en raison de l’inviolabilité de la souveraineté des Etats, l’on ne pouvait concevoir un droit supranational ; les règles existant entre Etats à « systèmes » différents ne pouvaient découler que d’un accord entre les divers Etats. Le Professeur Gregory TUNKIN reprendra cette même idée dans son cours donné à l’Académie en 1975. Toutefois, l’analyse la plus remarquable de cette école de pensée aura été présentée par le Professeur Charles CHAUMONT dans son cours à l’Académie en 19708 ». Dans ce cours, le Professeur Charles CHAUMONT démontre que l’on ne saurait parler de communauté internationale alors que trois grandes antinomies travaillent le monde : « celle de la coopération et des indépendances nationales, celle de l’ordre juridique et de la révolution, celle du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et des zones d’influence9 ». Par conséquent, il n’y a pas de communauté internationale, mais seulement des accords divers et multiples conclus entre Etats. Comme on le voit, les positions de ce second groupe d’auteurs sont fort éloignées de celles du premier groupe. Entre les deux, certains auteurs comme le Professeur REUTER10 ont tenté de jeter les ponts, en reconnaissant l’irréductible souveraineté des Etats, notamment dans un monde profondément divisé, mais en relevant aussi l’institutionnalisation progressive de la coopération dans tous les domaines entre les Etats. Dans cet ouvrage, nous utiliserons selon le cas, l’expression société internationale ou celle de communauté internationale, car chacune désigne et décrit une réalité bien précise. Il existe en effet des Etats souverains, qui sont, et doivent demeurer les principaux acteurs des relations internationales, si l’on veut que les rapports entre les Etats soient des relations de coopération et non de domination. Et il faut reconnaître que même s’il y a extension du domaine de coopération entre Etats, le conflit demeure latent ; ce que nous entendrons par société internationale, tout au long de nos développements, c’est (pour reprendre l’expression du Professeur VIRALLY), une société au second degré, une société de sociétés, la société des Etats11. Toutefois, le concept de communauté internationale sera lui aussi utilisé, car il traduit le mieux la notion de solidarité introduite par les Etats du tiersmonde dans le droit international, notamment à la Conférence de Vienne de 1969 où il leur a permis d’imposer des normes impératives plus fortes. La 7

KRYLOV (S.B) – « Les notions principales du droit des gens », RCADI, 1947, Tome 70 CHAUMONT (C) – voir son cours général de 1970 9 Ibid, p. 348 10 REUTER (P) – « Cours général de droit international public », RCADI, 1961, tome 103 11 VIRALLY (M) – « Panorama….. » cours général, cité, p. 28 8

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communauté internationale est une stratégie12 et quelles que soient les contradictions qu’elle comporte, elle trouve sa place dans le droit international contemporain et dans la stratégie juridique de tous les Etats. Comme le rappelle le Professeur VIRALLY, « l’ordre juridique international est une composante de l’ordre politique international, c'est-àdire du système de rapports interétatiques qui prévaut à une époque donnée13 ». Or, la société internationale dans laquelle se déroulent les relations internationales est profondément divisée et en pleine mutation. Elle est une société hétérogène, dominée par le capital privé et le savoir-faire technologique et industriel des pays développés.

§2 Communauté internationale et société nationale Par rapport aux ordres juridiques nationaux, la communauté internationale présente des caractéristiques spécifiques : les sujets internationaux sont différents des individus, sujets primaires de l’ordre juridique interne, et des personnes morales (sociétés, associations, etc.). Il s’agit essentiellement de sujets de droit international public dont certains, à l’instar de l’Etat, sont souverains et indépendants. Alors que dans les ordres juridiques nationaux, la responsabilité est essentiellement individuelle, elle devient collective dans le système juridique international, même si depuis la fin du siècle dernier, la responsabilité individuelle s’est progressivement développée en droit international, notamment dans le cadre de la répression des graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Par ailleurs, la société internationale ne connait pas d’organes centralisés de décision et de contrainte, malgré les efforts d’institutionnalisation des relations internationales avec la création de diverses organisations internationales. Dans la communauté internationale, le pouvoir est fragmenté et dispersé. Point de parlement pour procéder à la création des règles juridiques s’imposant aux Etats, de tribunaux pour constater les violations de ce droit et de gendarmerie ou de police pour contraindre les Etats, les organisations internationales et les autres acteurs des relations internationales à les mettre en œuvre. Ces trois fonctions sont décentralisées dans la société internationale dont les règles d’organisation sont à un stade très embryonnaire. Le caractère original de la communauté internationale transparait aussi à travers la liberté d’action des Etats, qui est beaucoup plus large que celle des individus dans l’ordre interne. Certes, les individus jouissent d’une grande 12 Voir à ce sujet DUPUY (RJ) – La communauté internationale entre le mythe et l’histoire, op.cit., chapitre 1 et 2è partie de l’ouvrage. 13 VIRALLY (M) – « Panorama…..cours général, cité, p. 31

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liberté dans la conclusion des contrats, la création des sociétés, et la réalisation de toutes leurs transactions privées. Mais, cette liberté contractuelle est soumise aux restrictions légales imposées par la législation nationale. Inversement, en droit international, les sujets de la communauté internationale jouissent d’une liberté d’action quasi-illimitée. Celle-ci était même absolue, avant l’adoption du Traité de la SDN puis de la Charte de l’ONU, qui ont introduit des principes juridiques fondamentaux limitant le libre arbitre des Etats. Parmi ces principes figurent notamment l’interdiction de l’usage de la force qui est devenue l’une des pierres angulaires du droit international contemporain. Il convient enfin de préciser que la communauté internationale est un monde divisé et multipolaire, travaillé par la dialectique entre les égoïsmes nationaux et les manifestations de solidarité. Depuis 1917, la communauté internationale a perdu son homogénéité. Elle s’est diversifiée en 1960 avec l’apparition de nombreux pays en développement. A présent, elle est divisée en deux groupes d’Etats : au centre, les Etats-Unis avec les pays industrialisés ; à la « périphérie », tout le reste des Etats. Les divers acteurs des relations internationales, qu’il s’agisse des Etats, des organisations internationales, des organisations non gouvernementales ou même des firmes multinationales, déterminent leurs objectifs politique, économique (voire militaire) sur la scène internationale, en tenant pleinement compte non seulement du caractère original de la communauté internationale, mais aussi et surtout, des réalités du pouvoir dans la communauté internationale. L’analyse approfondie de la vie internationale fait ressortir des faits marquants qui ont durablement structuré les relations internationales contemporaines, et qui doivent être examinés avant l’étude de l’histoire des relations internationales.

§3 Les traits majeurs de la société internationale contemporaine Quatre faits politiques majeurs marquent les rapports internationaux contemporains et, finalement, la société internationale dans son ensemble : ce sont l’apparition d’une superpuissance impériale, les contraintes de l’interdépendance, les inégalités entre les Etats et un retour timide de la multipolarité. Ces faits ne sauraient être ignorés, car ils dominent, dans une large mesure, la façon dont les Etats définissent leurs intérêts (politiques, économiques, militaires, etc.) et la politique qu’ils suivent pour les protéger et les promouvoir14. 14

VIRALLY (M). – « Panorama… » cours général cité, p. 36

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A. L’hégémonie américaine Les relations internationales sont aujourd’hui dominées par les Etats-Unis qui dictent leur volonté à tous les autres acteurs de la vie internationale. Leur puissance s’exerce sur les plans diplomatique, économique, militaire et culturel. Le monde entier observe. Les journalistes relatent et commentent ; le malaise s’installe ; l’Amérique est devenue le véritable maitre du monde, et le principal centre de décision, malgré la récente montée en puissance de la Russie, de la Chine et de nouveaux pays émergents (Brésil, Inde, Afrique du Sud, Turquie) sur la scène internationale. L’Amérique est désormais une puissance impériale mondiale. Elle l’était sans doute depuis longtemps, mais elle n’est véritablement entrée dans ce rôle que depuis vingt ans, après sa victoire sur l’URSS, au terme de la guerre froide, et de son succès spectaculaire dans la guerre du Golfe. Les rêves d’empire de l’administration américaine ont durablement pris corps dans la société internationale. Comme le proclamait le sénateur Jesse Helms en 1996, l’Amérique est au centre, et doit y rester. « Les États-Unis doivent diriger le monde en portant le flambeau moral, politique, et militaire du droit et de la force, et servir d’exemples à tous les peuples15 ». C’est du reste cette volonté impériale que rappelait Charles KRAUTHAMMER en 1999 lorsqu’il affirmait, sans détour, que l’Amérique enjambe le monde comme un colosse (…). Depuis que Rome détruisit Carthage, aucune autre grande puissance n’a atteint les sommets où nous sommes parvenus16 ». Ces odes à la puissance traduisent le triomphe éclatant de l’unilatéralisme américain qui a effacé le multilatéralisme et installé le monde dans l’unipolarité de 1990 à 2011. En effet, depuis 1991, les Etats-Unis occupent une position singulière, sans équivalent dans l’histoire moderne. Avec la disparition de l’URSS, ils n’ont aucun adversaire susceptible, dans un avenir prévisible, de remettre en cause les grands équilibres du monde. Contrairement à l’Empire britannique, qui au XIXe siècle devait affronter en Europe l’émergence du rival allemand, ils n’ont à faire face à aucune puissance montante. Leurs concurrents économiques principaux, européens et nippons, sont des alliés stratégiques. L’Amérique dit le droit, fixe les normes économiques, pilote la mondialisation, délimite la frontière entre le bien et le mal : « Parvenue au pinacle de la gloire militaire, désormais seule hyperpuissance, elle domine calmement le monde comme nul autre pays dans l’histoire17 ». Sur le plan militaire, la puissance américaine est écrasante et impressionnante. Les Etats-Unis sont à la fois la première puissance 15

HELMS (J). – « Entering the pacific Century » Heritage Foundation, Washington D.C. 1996 16 Voir « The second American Century », Time Magazine, New York, 27 December 1999. 17 Ignacio RAMONET, « L’Amérique dans les têtes », in Le Monde diplomatique, N° 554, Mai 2000, p. 1.

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nucléaire, spatiale et maritime. Ils disposent d’une flotte de guerre pratiquement dans chacun des océans et des principales mers du globe. Au cours des dix dernières années, les Etats-Unis ont dépensé près de 40% de ce que toutes les nations du monde consacrent chaque année à leurs armées et sensiblement plus que l’ensemble des dix pays qui viennent après eux dans ces dépenses. Le Pentagone dépense, au titre de la seule recherche militaire, environ 31 milliards de dollars, soit le budget total de la défense française. Il possède en matière d’armement, plusieurs générations d’avance : la guerre d’Afghanistan, comparée à celle du Golfe, a montré aux spécialistes l’étendue des progrès réalisés en si peu de temps. Comme l’Irak hier, la menace « terroriste » permet aujourd’hui à la superpuissance américaine de procéder à une mobilisation militaire sans précédent, « ce qui devrait porter les budgets du Pentagone à 370 milliards de dollars par an, soit plus que les budgets militaires de tous les « adversaires » potentiels des Etats-Unis réunis, alors que tous les autres budgets, surtout sociaux, sont mis en cause pour financer une nouvelle réduction d’impôts18 ». Sur le plan diplomatique, l’hyperpuissance américaine s’efforce de régenter la politique internationale. Non seulement elle souhaite être seule à décider de l’implication ou non de la communauté internationale dans le règlement d’un conflit, mais elle exerce une influence prépondérante au sein de toutes les instances multilatérales dont les décisions déterminent la marche du monde : ONU, G.8, FMI, Banque mondiale, OMC, OTAN, OCDE, etc. Aujourd’hui, en Afghanistan, comme hier en Yougoslavie, en Irak ou en Bosnie, l’ONU joue les utilités, s’effaçant quand les États-Unis décident de se passer d’elle, revenant sur le devant de la scène lorsqu’il s’agit de donner une façade de légalité à une action militaire décidée et mise en œuvre sous d’autres auspices. La manière dont les guerres du Kossovo, d’Afghanistan, d’Irak et de Libye ont été menées en dehors du cadre de l’ONU démontre que le mécanisme de sécurité collective prévu par la Charte de l’ONU sera désormais ignoré lorsque les intérêts des occidentaux sont directement en cause dans un conflit armé, le Conseil de sécurité devenant un mécanisme producteur de légitimité pour des actions confiées à un pays, à un groupe de pays, ou à un une organisation comme l’OTAN. Dans le domaine économique, les Etats-Unis exercent également une indiscutable suprématie. L’Amérique est la première cyber-puissance. Elle maitrise les autoroutes de l’information, le Web et la « nouvelle économie ». Son produit intérieur brut en 2011 (9683,4 milliards de dollars) représente plus de six fois celui de la France et près de huit fois celui de l’Italie. 18

Voir l’article de Philip S. GOLUB, Rêves d’empire de l’Administration américaine. Le Monde diplomatique, juillet 2001, p.5

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Sur le plan culturel, l’Amérique s’est aussi assuré une suprématie écrasante, avec ses centres de recherche prestigieux et les productions de ses immenses créateurs dans tous les domaines artistiques ; « Partout, on adopte son modèle rénové. Ses méthodes de management, ses dispositifs juridiques, ses techniques commerciales, ses conseils en communication et, bien sûr, ses passions, ses stars et ses mythes. Dans tous les domaines, des firmes américaines – de Microsoft à Yahoo, de Walt Disney à Monsanto – étalent leur fascinante réussite. Et, grâce aussi à d’habiles offensives d’intoxication publicitaire, reconquièrent le monde19 ». Pérenniser l’unipolarité est devenu depuis 1991 l’objectif premier de toute la politique extérieure américaine. D’où la volonté de privilégier l’action unilatérale et le refus de se soumettre aux traités multilatéraux et au droit international qui, selon M. John BOLTON, ancien assistant de M. Colin POWEL aux affaires étrangères, « n’existe pas » : remise en cause du traité antibalistique ABM de 1972 par la décision de relancer la guerre des étoiles ; rejet du protocole de Kyoto sur l’environnement ; refus du traité portant création de la Cour pénale permanente internationale ; refus des conclusions de l’OCDE sur le contrôle des paradis fiscaux, etc. L’unilatéralisme est un élément de la stratégie dite « de primauté et de contrôle des relations internationales » articulée au Pentagone en 1992 dans un rapport confidentiel intitulé Defense Policy Guidance 1992-1994. C’est cette stratégie délaissée par l’Administration Clinton que la droite américaine a tenté de mettre en œuvre de manière implacable entre 1981 et 2011. Ce texte préconisait « d’empêcher toute puissance hostile de dominer des régions dont les ressources lui permettraient d’accéder au statut de grande puissance », de « décourager les pays industrialisés avancés de toute tentative visant à défier notre leadership ou à renverser l’ordre politique et économique établi » et de « prévenir l’émergence future de tout concurrent global20 ». Cette stratégie, dont les points saillants avaient été établis dès 1991 par M. CHENEY, alors secrétaire à la défense21, a été rédigée par ceux-là mêmes qui ensuite ont été chargés de sa mise en œuvre22, justifiant aussi les décisions unilatérales prises dès le 11 septembre 2001 par le gouvernement américain. En effet, la guerre contre le terrorisme, déclenchée dès le 12 septembre 2001, était en réalité une guerre américaine. La coalition dont on a tant parlé 19

Ignacio RAMONET, article cité, p.1 Cité par Paul-Marie de la Gorce, « Washington et la maitrise du monde », in le Monde diplomatique, avril 1992. 21 Déclaration devant la commission de la défense du Sénat, le 21 février 1991 22 Ce texte avait été rédigé par Paul WOLFOWITZ et I. LEWIS LIBBY, devenus respectivement Secrétaire adjoint à la défense et Conseiller aux questions de sécurité du viceprésident DICK CHENEY 20

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n’en était que le paravent. Et les Nations Unies, le FMI, ou la Banque mondiale n’ont été que les instruments des États-Unis23, comme l’a si bien démontré Béchir BEN YAHMED. Les États-Unis ont décidé et agi seuls. Ni la France, ni la GrandeBretagne, ni l’Allemagne, ni l’Italie n’ont aidé les Américains à faire ce qu’ils ont réalisé en Afghanistan. Ils ont montré leur puissance au monde entier, pulvérisé les talibans dont ils ont fini par tuer les chefs et leurs complices. Tous les Etats du monde leur ont manifesté leur soutien et nul n’a osé se dissocier de leur action. Le Président George W. BUSH avait clairement affirmé à la télévision américaine, le 12 septembre 2001, « qui n’est pas avec nous est contre nous, avec les terroristes ». La guerre américaine contre le terrorisme prenant l’allure d’une entreprise impériale, des voix se font entendre, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, qui traduisent l’inquiétude. L’essayiste français GUY SORMAN interroge : « Nous poursuivons les terroristes ? Très bien. Mais qui est terroriste ? Qui ne l’est pas ? Par quel critère distinguer la résistance légitime du terrorisme ? La République ne l’emporte-t-elle pas sur la morale ? L’alliance avec POUTINE et MUSHARAF conduit à s’interroger : sommes-nous réellement contraints de renoncer à l’universalité des droits de l’Homme au nom de la lutte contre le terrorisme ? Si oui, notre combat antiterroriste perd beaucoup de sa légitimité24 ». Evgueni Primakov avait lancé une mise en garde dès le 19 septembre 2001, mais bien évidemment, il n’avait pas été entendu à Washington. « Seules les situations de désespoir total, disait-il alors, produisent des fanatiques capables de se muer en kamikazes. S’attaquer aux racines du mal suppose une politique de développement économique plus équilibrée, et il n’y a pas de temps à perdre25 ». La politique unilatérale menée par le gouvernement américain, entre 1991 et 2011, a conduit à l’insécurité généralisée dans les rapports internationaux et à la destruction des bases du droit international. En effet, sur quelle base un Etat peut-il arrêter des combattants, les armes à la main, les transférer dans des conditions calamiteuses à la base de Guantanamo à Cuba et refuser en même temps de leur reconnaître le statut de prisonnier de guerre pourtant établi par la troisième Convention de Genève de 1949 ? En vertu de quelle règle de droit international, le gouvernement américain s’arroge-t-il le droit de décider quel Etat peut s’armer, quel Etat ne peut acquérir tel type d’armes, alors que lui-même procède à un surarmement sans précédent dans l’histoire ? Quelle disposition de la Charte autorise-t-elle ce gouvernement à décider qu’un Etat représente 23

J.A/ l’intelligent, N° 2134, du 4 au 10 décembre 2001, p.4 Cité par BECHIR BEN YAHLED, Jeune Afrique l’intelligent, N° 2128-2129 du 23 octobre au 5 novembre 2001, p.7 25 Voir article de B. BEN YAHMED déjà cité p.7 24

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une menace pour « la communauté » internationale et donc qu’il peut faire l’objet d’une attaque militaire ? Comme l’ont rappelé de nombreux juristes, y compris en Occident, la Charte des Nations Unies est très claire sur ces questions : le pouvoir de constatation appartient au Conseil de sécurité et à lui seul, et non à un Etat. Aux termes de l’article 39 de la Charte, « le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». Aucune disposition de la Charte ne confie un tel pouvoir à un Etat. Mais, l’on assiste pourtant au recours unilatéral à la force dans les relations internationales, même lorsqu’il n’y a eu aucune attaque préalable pouvant justifier la légitime défense prévue à l’article 51 de la Charte, et en violation flagrante du principe de l’interdiction de la force inscrit à l’article 2 de la Charte d’une organisation qui avait été créée en 1945 « afin d’épargner les générations futures du fléau de la guerre ». L’apparition d’une hyperpuissance constitue à n’en point douter un des traits majeurs des relations internationales contemporaines. Mais il n’est assurément pas le seul fait majeur. Tous les Etats, même les plus puissants, doivent tenir compte des contraintes résultant de l’interdépendance dans laquelle ils se trouvent les uns par rapport aux autres. B. Les contraintes de l’interdépendance La société internationale actuelle, à cause des développements technologiques et industriels, de la révolution dans les transports et de l’intensification des relations internationales, est devenue un « village planétaire ». Les Etats sont placés dans des relations d’interdépendance les uns avec les autres. Comme le relève le Professeur CASSESE, « bien qu’indiscutablement chaque Etat souverain constitue une monade, il dispose cependant « de portes et de fenêtres » : il entre quotidiennement en communication avec les autres Etats, pour la simple raison que cela lui est nécessaire26 ». Même les Etats les plus puissants ne sauraient s’extraire des relations internationales, car ils doivent pouvoir protéger leurs nationaux à l’étranger, acheter et vendre des biens et des produits, conclure des accords prévoyant le stationnement de leurs troupes à l’étranger, etc. L’interdépendance est inévitable entre Etats vivant sur une même planète, malgré l’existence des intérêts divergents et opposés qui entrainent une compétition politique, commerciale, militaire, etc. 26

CASSESE (A). – op. cit, p. 343

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A cause de cette situation objective, les Etats recherchent l’établissement de normes qui puissent consolider les convergences d’intérêts qui apparaissent, et faciliter le développement d’une coopération plus ou moins poussée. Il ne faut pas perdre de vue que dans une société internationale « finie », les problèmes globaux ne sauraient avoir que des solutions communes. Les périls nucléaire et écologique visent l’humanité tout entière. De même, la paupérisation croissante de millions d’êtres humains représente une situation explosive à long terme, susceptible de ruiner la sécurité des plus nantis. Il est donc de l’intérêt de chaque Etat de rechercher un aménagement de l’interdépendance, de contribuer à l’élaboration de règles qui puissent prendre en compte les intérêts des uns et des autres, afin de faire prévaloir les convergences et de réduire les oppositions. C’est à cette tâche que se consacrent les organes politiques de l’ONU qui tentent de dépasser le cadre régional comme celui que régit les accords UEACP par exemple, pour élaborer des normes susceptibles d’aménager au niveau de la société internationale, l’interdépendance véritable entre les Etats. L’œuvre normative de l’ONU est d’autant plus nécessaire aujourd’hui, « que les contraintes de l’interdépendance se trouvent considérablement aggravées par les caractères de la société internationale contemporaine27 ». En effet, en tant que société « finie », - car elle comprend désormais toutes les sociétés humaines – et société conflictuelle et hétérogène, la société internationale n’a plus d’environnement extérieur. Ne pouvant donc exporter les conflits internes en son sein, elle doit donc les assumer entièrement28. Comment aménager l’interdépendance entre Etats d’inégal niveau de développement ? La réciprocité a-t-elle un sens entre partenaires inégaux ? Que signifie l’égalité des Etats pour un Etat qui ne peut exercer sa souveraineté économique ? Assurément peu de choses. Comme l’a si bien démontré le Professeur CHAUMONT, « la coopération qui se fait en dehors des indépendances nationales n’est plus de la coopération, mais elle est de la domination29 ». L’aménagement de l’interdépendance entre les Etats dans le respect des droits de chacun constitue l’une des principales caractéristiques de la société internationale dans la communauté internationale. C. Les inégalités entre les Etats De nombreuses inégalités existent entre les Etats et/ou groupes d’Etats qui constituent la société internationale, et on ne saurait prétendre les 27

VIRALLY (M). – « Cours général… », cité, p. 38 MERLE (M). – Sociologie des relations internationales, A. Collin, Paris, 1974, p. 187 29 CHAUMONT ©. – « Cours général… », cité, p.349 28

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exposer toutes. Toutefois, nous en analyserons quelques-unes, qui nous semblent particulièrement significatives et qui reflètent bien ce fait politique majeur de la société internationale contemporaine. Il s’agit d’abord de l’inégalité dans les « moyens de puissance30 » : de grandes différences existent entre les Etats quant à l’étendue de leur territoire, le volume de leur population, l’importance des ressources naturelles, etc. De même, « il existe de très grandes différences de vulnérabilité entre les Etats, suivant leur situation géostratégique et le degré de leur stabilité ou instabilité interne (qu’il s’agisse de l’instabilité constitutionnelle ou du manque de cohésion)31 ». C'est-à-dire qu’il existe des différences naturelles importantes entre les Etats. Mais comme le relève le Professeur FLORY, « c’est l’inégalité de développement, en constante aggravation depuis un demi-siècle, qui constitue l’un des problèmes majeurs de notre époque32 ». En effet, le mouvement de décolonisation des années 1950-60 a non seulement amené de nouveaux Etats, mais il a révélé une nouvelle dimension de l’inégalité entre les Etats : le sous-développement. Comme Albert NEMMI l’avait déjà relevé33, le développement et le sousdéveloppement ne sont que les deux faces d’une même réalité ; les deux processus sont liés dans la mesure où ils sont les manifestations de la division internationale du travail opérée par les forces économiques du centre qui maintiennent les économies de la périphérie dans la dépendance. Le processus d’extraversion avait commencé dans les pays du tiersmonde bien avant les indépendances, par l’imposition de politiques commerciales conçues par les puissances européennes, lesquelles politiques ont contribué progressivement et de manière déterminante à façonner l’économie de ces derniers en fonction des besoins des puissances coloniales. C’est d’ailleurs ce qu’observe le Doyen Colliard lorsqu’il écrit : « L’histoire des relations internationales montre tout d’abord que certains Etats ont affirmé l’existence d’un principe politique selon lequel nul Etat ne pourrait se fermer au commerce international34 ». Nous ne pouvons revenir ici sur le lien intime qui existe entre le développement du Nord et l’appauvrissement du Sud. Le problème ne consiste ni à faire le procès d’une époque, ni à laver de tout soupçon les dirigeants du tiers-monde. Ce que l’on constate, c’est que le sousdéveloppement constitue l’une des manifestations les plus frappantes de 30

L’expression est du Professeur VIRALLY, voir « Panorama du droit international… », Cours général, cité, p. 40 31 VIRALLY (M). – Ibid, p.40 32 FLORY (M). – Droit international du développement, PUF, Paris, 1977, p. 14 33 Cité par BENNOUNA (M). _ rp. Cit, p.14 34 COLLIARD (RJ). - Institutions des relations internationales, Dalloz, Paris, 1978, 1eédition, p. 74

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l’inégalité entre les Etats dans la société internationale contemporaine ; et elle détermine la stratégie juridique et économique des Etats, dans la mesure où les Etats doivent prendre position en face des stratégies proposées pour corriger l’inégalité de développement. De l’avis des pays sous-développés, le droit international doit être transformé, afin de contribuer à son tour à la transformation de la société internationale ; parce que celui-ci « repose sur la notion de loi générale et impersonnelle… » et qu’il « considère les Etats…de façon abstraite…et n’édicte pas de règles spécifiques, fondées sur la prise en compte de situations particulières35 », le droit international doit être profondément révisé, pour intégrer des règles destinés à accélérer le développement des pays sous-développés. Par contre, comme le relève le Professeur Maurice FLORY, « les pays riches n’étaient guère disposés initialement à reconnaitre leur responsabilité dans le sous-développement ; soit que communistes, ils en rejettent la responsabilité sur l’impérialisme occidental ; soit qu’anciennes puissances coloniales ils ne soient pas préparés, au lendemain d’une pénible décolonisation, à se reconnaitre de nouvelles obligations à l’égard de leurs anciennes dépendances36 ». L’attitude des pays développés s’explique aussi par le fait que les nouveaux Etats et les Nations Unies estimaient que pour corriger l’inégalité de développement, il fallait nécessairement « s’attaquer au système qui porte une responsabilité certaine dans cette situation, c’est-à-dire au libéralisme économique dans lequel vit la société internationale actuelle37 ». Autrement dit, qu’il fallait combattre l’ordre international économique mis en place par les pays occidentaux depuis la fin du second conflit mondial. Or, ce groupe de pays ne saurait accepter la remise en cause des fondements d’un système qui sert ses intérêts. D. Un retour timide à l’équilibre des pouvoirs Suite à la crise économique née aux Etats Unis en 1990 et qui affecte directement les monnaies européennes et le commerce international, l’on assiste à la montée en puissance du FMI, de l’Union Européenne, de la Chine et des pays émergents tels que le Brésil, l’Inde, la Turquie et la Corée du Sud. Même les agences internationales de notation ont voix au chapitre et se permettent de dégrader la note AAA d’Etats industrialisés, y compris de pays membres du Conseil de sécurité des Nations Unies. De nouveaux centres de pouvoir s’affirment sur la scène internationale, à côté des Etats-Unis : le G.8 et le G.20 sont devenus, avec le sommet de

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DUPUY (RJ). – op. cit, p. 107 FLORY (M). – op. cit, p. 28 37 FLORY (M). – op. cit, p. 26 36

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Davos, de véritables centres de décision pour la conduite des relations économiques internationales. Sur le plan politique, il convient de relever le retour de l’influence de la Russie et de la Chine au Conseil de Sécurité, qui n’hésitent plus à utiliser leur droit de veto contre les résolutions fortement soutenues par les EtatsUnis d’Amérique et les principales puissances occidentales. L’exemple le plus frappant de ces dernières années est celui de la Syrie : élaboré par quelques pays arabes et les puissances occidentales, un projet de résolution a été soumis le 4 février 2012 au vote des quinze pays membres du Conseil de sécurité ; la Chine et la Russie ont utilisé leur droit de veto pour s’y opposer, ce qui a bloqué toute action du Conseil de Sécurité sur ce dossier. Craignant que l’adoption d’une telle résolution soit le début d’un processus d’intervention militaire et de changement de régime en Syrie, et, au-delà, en Iran, à l’instar du précédent libyen, Moscou et Pékin ont bloqué les ambitions des auteurs de la résolution, signifiant par là même, au monde entier, que le monopole occidental sur les affaires du monde avait assez duré. Certes, cette décision de la Russie et de la Chine a déclenché contre ces deux pays, une campagne occidentale de stigmatisation violente relayée par les puissants organes de presse. Mais, il convient de rappeler que le 18 février 2011, les Etats-Unis avaient opposé leur veto à l’adoption d’un projet de résolution sur l’illégalité des colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien, alors que ce projet de résolution avait été préparé par la totalité des vingt-deux pays membres de la Ligue Arabe et qu’il bénéficiait du parrainage de plus de cent autres pays sur les cinq continents. Les Etats-Unis avaient alors été les seuls à voter « non » et cette attitude n’avait soulevé aucun tollé dans les grands médias américains et européens. Comme on le sait, le droit de veto a été utilisé vingt fois depuis le début du XXIe siècle. Les Etats-Unis l’ont exercé à eux-seuls dix fois, dont neuf pour Israël. La Russie en a fait usage six fois et la Chine ne l’a utilisé que quatre fois. La décision de recourir ou non à la force dans les relations internationales était donc, depuis le début de ce siècle, aux mains des EtatsUnis et des principales puissances occidentales. La décision de la Russie et de la Chine de recourir à leur droit de veto le samedi 4 février 2012, de même que l’influence diplomatique croissante de certaines puissances régionales dans leur zone d’influence, comme la Turquie, l’Inde ou le Pakistan, démontrent l’existence de nouveaux centres de décision politique et économique sur la scène internationale, et sapent les bases de l’hégémonie américaine dans la gestion des affaires du monde contemporain.

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Après avoir cerné les principales caractéristiques de la société internationale contemporaine, il importe à présent d’examiner l’évolution historique de la communauté internationale de 1948 à nos jours.

SECTION 2 L’EVOLUTION DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE Pour retracer l’évolution historique de la communauté internationale, il faut distinguer trois phases importantes : la première phase commence avec les traités de Westphalie en 1648 et prend fin avec la Première Guerre mondiale. La seconde phase débute en 1918 et s’achève en 1991 avec la disparition du bloc socialiste. La troisième phase, qui a commencé en 1991, est marquée par le triomphe de l’unipolarité38.

§1 La première phase : des traités de paix de Westphalie en 1648 à la Première Guerre mondiale. L’origine de la communauté internationale, dans sa structure actuelle, remonte au Traité de Westphalie (1648) qui a mis fin à la guerre de Trente Ans. Certes, les relations entre cités et nations n’ont pas commencé à cette date. En Afrique comme en Asie, les royaumes ont toujours entretenu des relations tantôt pacifiques, tantôt conflictuelles ; ils connaissaient bien les traités de paix et des traités d’alliance. Mais, il n’existait pas encore d’Etats pleinement constitués au sens moderne. L’Etat moderne, avec une administration centrale qui se transforme progressivement en départements ministériels ne devient une réalité, en Europe, qu’après 1450. L’origine de la communauté internationale telle que nous la connaissons aujourd’hui se situe au XVe siècle, avec l’avènement des Etats nationaux modernes, suivie de la découverte de l’Amérique (1492), de la diffusion du protestantisme après la réforme et de l’émergence de plusieurs Etats puissants luttant contre l’autorité du Pape et l’Empereur Chef du SaintEmpire romain : l’Angleterre, l’Espagne, la France, puis les Pays-Bas et la Suède à l’ouest ; l’Empire ottoman, la Chine et le Japon à l’Est. Les traités de paix de 1648, signés dans les villes westphaliennes de MÜNSTER et OSNABRUCK, devaient cristalliser une nouvelle distribution politique du pouvoir en Europe, qui perdura pratiquement un siècle : La France et les Pays-Bas étaient reconnus comme puissances émergentes, tandis que la Suisse recevait le statut de pays neutre. L’église catholique perdit son pouvoir absolu et le Saint-Empire fut disloqué. 38

Pour de plus amples informations sur l’évolution historique de la communauté internationale, voir GASSESE (A). op. cit., p. 36-72

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La communauté internationale qui nait après les traités de Westphalie est donc dominée par des Etats européens, rejoints par les Etats-Unis en 1783 et par les pays latino-américains entre 1811 et 1821. Tous ces Etas avaient une racine religieuse commune (le christianisme) et pratiquaient l’économie de marché. La révolution industrielle, qui s’est développée en Europe à la fin du XVIIIe siècle, creusa davantage le fossé entre les puissances d’Asie (toutes les entités étatiques des Indes orientales, ainsi que la Perse, la Birmanie et le Siam), le Japon, les royaumes et empires d’Afrique, et l’Empire ottoman. Durant toute la première phase de l’évolution de la communauté internationale, aucun Etat ne devint suffisamment puissant pour étendre sa domination à tous les autres. Il s’agissait d’un système international basé sur une pluralité d’Etats indépendants, ne reconnaissant aucune suprématie à l’un d’entre eux. D’où la nécessité d’instaurer une concertation institutionnalisée ente les grandes puissances (France, Royaume-Uni, Espagne, Portugal, Etats-Unis, Russie, Prusse, Pays-Bas), afin de maintenir l’équilibre des pouvoirs. Mais le concert européen ne résista pas aux rivalités entre puissances européennes. Dans ce contexte général, l’émergence des Etats-Unis avec la doctrine Monroe formulée dans le fameux message au congrès du 2 décembre 1823, a marqué un frein à l’expansionnisme européen : non seulement cette doctrine interdisait aux Européens d’effectuer des conquêtes territoriales sur le continent américain, mais elle consacrait également la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats d’Amérique. C’est au cours de la période considérée qu’ont été élaborés la plupart des principes fondamentaux du droit international contemporain, et notamment les principes de la souveraineté, de l’égalité et de la liberté des Etats, qui traduisent la philosophie du laisser-faire et du « libre-marché » en vigueur à l’époque en Occident. Ces normes internationales avaient été élaborées par les grandes puissances pour soutenir leur propre développement industriel et l’expansion du capitalisme dans le monde. Aucune règle n’était donc consacrée à l’échange inégal, et aucune restriction juridique ne limitait le recours à la menace ou à l’usage de la force. Il convient néanmoins de relever que deux initiatives majeures furent prises par des Etats d’Amérique latine, pour tenter de limiter la domination des grandes puissances : il s’agit tout d’abord de la clause Calvo, du nom du juriste argentin Calvo, introduite dans les contrats de concession avec les étrangers par les pays d’Amérique latine, afin de limiter la protection diplomatique exercée par les Etats européens en faveur de leurs nationaux ; il s’agit ensuite de la « Doctrine Drago », contenue dans la note diplomatique que le Ministre argentin Luis Drago envoya au Département d’Etat américain le 29 décembre 1902, et dans laquelle il affirmait que le droit illimité des Etats de recourir à la force ne devrait plus s’appliquer à leur 40

droit de recouvrement des sommes d’argent dues à leurs nationaux par les Etats étrangers. Malgré ces deux initiatives remarquables et en dépit de la signature de la Convention Drago-Porter le 18 octobre 1907, les efforts des pays latinoaméricains pour limiter la légitimation internationale de la force demeurèrent vains. Par contre, l’interdiction du commerce des esclaves fit l’objet de divers accords internationaux autorisant en haute mer les visites et inspections des bateaux suspectés de se livrer à ce commerce. De telle sorte que le droit international contribuera, dans une large mesure, à la proscription de l’esclavage. Comme on le voit, l’existence de profondes inégalités de fait et de rapports de subordination entre les membres de la communauté internationale constitue la caractéristique la plus importante de cette communauté dans la première phase de son développement. Après les horreurs de la Première Guerre mondiale, les Etats prirent conscience non seulement de la nécessité de limiter l’usage de la force, mais aussi et surtout, de l’importance d’une organisation au sein de laquelle ils pouvaient régler les différends tout en développant la coopération internationale. C’est dans ce contexte qu’en 1917, l’URSS proclama une idéologie et une philosophie politique radicalement différentes de celles soutenues par tous les autres Etats, consacrant ainsi une scission de la communauté internationale et le début d’une ère nouvelle.

§2 La deuxième phase : de 1918 à l’avènement d’un monde unipolaire en 1991 Deux évènements majeurs constituent le point de départ de cette nouvelle ère : la Première Guerre mondiale (1914-1918) et la Révolution soviétique de 1917. Ces deux évènements ont scellé la fin de l’ère européenne et engendré un nouveau système international qui sera marqué par l’ascension de deux superpuissances, les États-Unis et l’URSS, l’avènement de Hitler en Allemagne, la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945), l’adoption de la Charte des Nations Unies le 26 juin 1945, la guerre froide (1948-1991), la décolonisation (1960), l’extension du multilatéralisme, le développement des ONG et, enfin, la chute du mur de Berlin en 1989 et la disparition du bloc communiste en 1991. Au cours de la période sous revue, la physionomie de la communauté internationale changera de manière radicale avec l’apparition, à côté des Etats occidentaux, de deux nouveaux groupes d’Etats très actifs sur la scène internationale : le groupe des pays socialistes (RDA, Pologne, Bulgarie, Hongrie, Roumanie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie) qui avaient rejoint l’URSS dans sa lutte idéologique et politique avec les Occidentaux, et le 41

groupe des Etats non-alignés, composé essentiellement des Etats du tiersmonde qui tentait de se tenir à égale distance des deux blocs rivaux. Dans le même temps, le phénomène des organisations internationales connut une ampleur sans précédent, ce qui favorisa la participation massive des nouveaux Etats indépendants à la vie de la communauté internationale. Ce sont ces pays en voie de développement qui allaient susciter, dès 1958, le processus de relecture du droit international classique afin de produire des règles plus équitables, tenant compte des inégalités de puissance et de développement. Avec les indépendances africaines en 1960, les pays du tiers-monde constituèrent la majorité de la communauté internationale. Mais le pouvoir politique, économique et militaire demeurait aux mains de la minorité occidentale qui contrôle le Conseil de sécurité et les principales institutions financières et commerciales internationales (FMI, OMC, Banque mondiale, etc.). Trois principaux groupes d’Etats ont cohabité dans la communauté internationale de 1919 à 1991 : les pays occidentaux, les Etats socialistes et les Nations du tiers-monde. Certes, ces groupes sont plutôt disparates, car ils sont constitués par des Etats dont les conditions politiques et historiques sont parfois dissemblables. Mais cette classification demeure valable, car les Etats eux-mêmes utilisent ces appellations et identifient les familles d’Etats avec l’une ou l’autre. Au cours de la même période, la compétition entre l’Est et l’Ouest s’intensifie : c’est la course aux armements qui finira par épuiser l’URSS. Des négociations fort délicates sur le désarmement nucléaire se poursuivent entre l’URSS et les États-Unis dont l’implication dans les conflits régionaux bloque toute initiative significative du Conseil de sécurité. Mais l’avènement de la « Perestroïka » en URSS avec Mikhaïl Gorbatchev va bouleverser cet « équilibre de la terreur » entre les deux superpuissances et entrainer la dislocation du groupe des Etats socialistes. Après sa nomination en 1985 comme Secrétaire Général du Parti communiste soviétique, l’intéressé lança la « Perestroïka », qui signifie restructuration au plan interne et la « glasnost » qui est définie comme la transparence dans la gestion des affaires publiques et la levée des tabous. C’est ainsi qu’en juillet 1986, Gorbatchev annonce de nouvelles relations avec la Chine et les pays d’Asie. Le 10 décembre 1987, il inaugure sa politique de rapprochement avec l’Ouest avec la signature du traité sur le démantèlement des forces nucléaires intermédiaires (FNI) avec le Président Reagan. Suivent l’amélioration des relations avec le Vatican, le renforcement des Nations Unies, le soutien à la démocratie et aux droits de l’homme sur le plan international et le retrait des troupes soviétiques des pays de l’Est. Ces réformes dues à la Perestroïka vont engendrer le réveil des nationalismes : dès 1986, les pays Baltes (Lettonie, Estonie et Lituanie) 42

réclament leur indépendance. Puis, l’Arménie et l’Azerbaïdjan se soulèvent en 1987. A partir de cette année, c’est la fin du monolithisme au sein du bloc de l’Est. La Pologne, puis la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la RDA renoncent au communisme, et adoptent l’économie de marché. La chute du Mur de Berlin en 1989 et la désintégration de l’URSS en 1991 conduisent à la dislocation du bloc socialiste et l’avènement d’une seule superpuissance, l’Amérique triomphante. La communauté internationale entre alors dans la troisième phase de son développement.

§3 La troisième phase : un monde unipolaire depuis 1991 Cette troisième phase, qui coïncide pratiquement avec le début d’un nouveau siècle, le XXIe de l’ère chrétienne, est marquée par le triomphe de l’unipolarité et de la pensée unique. Comme nous l’avons déjà expliqué dans la section précédente, il n’existe plus qu’un seul centre de décision sur la scène internationale : c’est l’hyperpuissance américaine. Cette nouvelle ère semble d’ores et déjà s’inscrire dans la durée, compte tenu de l’extraordinaire puissance militaire, économique, culturelle et technologique des Etats-Unis. Certes, comme le déclare un grand capitaliste, Jeffrey R. Immelt, le nouveau patron de General Electric39, l’on assistera certainement à l’émergence de pays du sud, l’Inde et la Chine, dont il n’est pas inutile de rappeler qu’elles totalisent, à elles deux, 2,3 milliards d’habitants, soit 40% de la population mondiale. Ces deux pays seront alors les vrais rivaux des États-Unis. Mais la puissance de ce pays demeurera inégalée. Face à cet avènement programmé de deux pays du Sud, la seule question qui mérite d’être posée, de l’avis de l’ancien Secrétaire d’Etat Henry KISSINGER40, est celle de savoir si les États-Unis ont intérêt à attendre, pour les affronter, qu’ils soient devenus capables de les défier, ou s’il faut agir tout de suite, notamment dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». En attendant la réponse des stratèges du pentagone et du Département d’Etat américain à cette lancinante question, il convient de relever que la Communauté internationale comporte aujourd’hui trois grands groupes d’Etats : au centre, les États-Unis, les pays industrialisés et leurs alliés ; à la périphérie, le reste des Etats du Sud et entre les deux groupes, la Russie, la Chine et les nouveaux pays émergents tels que le Brésil, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Sud, l’Afrique du Sud et la Turquie. Tous ces Etats définissent leur politique extérieure et agissent sur la scène internationale en tenant compte d’un certain nombre de facteurs qu’il importe à présent d’examiner.

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Cité par Béchir Ben Yahmed, Jeune Afrique l’Intelligent, N° 2143, p. 6 Cité par BECHIR BEN YAHMED, Jeune Afrique l’Intelligent, N° 2143, du 4 au 10 février 2002, p. 6

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CHAPITRE 2 LES FACTEURS DES RELATIONS INTERNATIONALES Les facteurs se distinguent des acteurs des relations internationales. Ils ont pour effet de conditionner la vie internationale et l’action des entités qui l’animent. En d’autres termes, les facteurs influencent le fonctionnement de la société internationale et commandent le comportement des acteurs. Il s’agit pour l’essentiel de la géographie, de la géostratégie, de la démographie, de l’économie, de la technologie, de l’idéologie, des médias, du droit et de la personnalité des leaders politiques.

SECTION 1 LA GEOGRAPHIE §1 Une donnée importante des relations internationales Au sens lato sensu, la géographie est une science qui a pour objet l’étude des phénomènes physiques, biologiques, humains localisés à la surface du globe terrestre. C’est également l’étude de leur répartition, des forces qui les gouvernent et de leurs relations réciproques. D’un point de vue pratique, l’espace géographique fait l’objet d’un compartimentage. Les acteurs privilégiés des relations internationales, c'està-dire les Etats, se partagent l’essentiel de l’espace terrestre. Comme le montre à juste raison le Professeur Max Gounelle41, l’occupation du sol a toujours été une ambition des Etats, des gouvernants, l’objectif des batailles, la matérialisation ou la consécration des victoires. Le sentiment de propriété sur l’espace qu’ont les Etats fait de l’occupation du sol un enjeu des relations internationales42. Les contraintes de la géographie ont pour effet de retentir sur la politique étrangère des Etats et, par conséquent, à certains égards, sur les relations internationales. En effet, la situation géographique d’un Etat ouvre ou ferme l’éventail des choix de politique étrangère. 41

Les relations internationales, op. cit., p. 75. Il faut souligner que dans de rares cas, l’espace ne fait pas l’objet d’appropriation, d’affectation. Il en est ainsi des fonds marins, de l’Antarctique, des territoires à statut internationalisé. V. Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit., p. 1142 et s. 42

Dans le même contexte, c’est la position de l’Etat sur le globe comme par exemple son accès à la mer, sa position insulaire, sa capacité de contrôler les grandes voies de communication terrestre et maritime qui permet de relever des affinités entre la géographie et la politique internationale de l’Etat43. Cette donnée a permis la conceptualisation d’une nouvelle science des relations internationales : la géopolitique.

§2 La géopolitique Fondée à la fin du XIXe siècle par le géographe allemand Frederic Ratzel44, la géopolitique est une science qui entend étudier les rapports entre la géographie et la politique. En d’autres termes, la géopolitique prétend expliquer la politique internationale des Etats par le déterminisme des facteurs naturels, c'est-à-dire la géographie45. C’est en quelque sorte un instrument et une méthode d’analyse des relations internationales. Selon les géo politologues, la puissance d’un Etat dépend de sa relation avec l’espace envisagé sous le triple angle de la dimension, de la situation et de la configuration. Plusieurs thèses sont développées. Dans son ouvrage « Géographie politique46 », le géo politologue Ratzel développe une théorie de l’Etat qui, par référence à la biologie, est fondée sur l’expansion nécessaire. Il a déterminé des axiomes universels, fondements du pangermanisme et de la projection coloniale de l’Allemagne. Sir Halford J. Mackinder47 va élaborer, en 1919, une théorie de l’évolution de l’humanité fondée sur les variations climatiques et sur l’affirmation du caractère déterminant d’une zone centrale (Heartland) située sur les steppes de l’Asie centrale, de la Sibérie. Plus spécifiquement, sa thèse 43 A contrario, le relief ou l’hydrographie ne constitue pas un déterminant mécanique de la politique internationale de l’Etat. Il en est de même du climat. Malgré la thèse de Montesquieu (Esprit des lois, 1748, livre XVII) selon laquelle le climat froid procure l’indépendance, le climat chaud, la servitude, et le climat tempéré façonne des comportements humains modérés, favorables à des régimes libéraux, le déterminisme climatique n’a jamais été catégoriquement démontré. 44 Il faut dire que le concept même de géopolitique a été utilisé pour la première fois en 1905 par le juriste suédois Rudolf Kjellen. 45 Pour le géographe Yves Lacoste, la géopolitique désigne en fait tout ce qui concerne les rivalités de pouvoirs ou d’influences sur des territoires et les populations qui y vivent. Voir son ouvrage : La géopolitique, la longue histoire d’aujourd’hui », Larousse, 2006, Paris, p. 8. Le Professeur Max Gounelle la considère comme une méthode explicative qui met en relation les facteurs de la puissance étatique, la politique internationale et l’environnement géographique. Voir son Mémento, Relations internationales, op. cit., p. 97. 46 Fayard, Paris, 1986. 47 V. « Democratic ideals and reality », New-York, Holt, 1919. En 1943, il va rééditer l’ouvrage ; voir aussi Mackinder J. Halford, « Le Pivot géographique de l’histoire », in Stratégique, n° 55, Paris, FEDN, « Espaces stratégiques », 3e trimestre 1992.

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réitérée en 1919 et en 1943 porte sur le contrôle de la zone pivot ou la masse eurasienne. Il considère l’Europe, l’Asie et l’Afrique comme un seul bloc dénommé « l’île du monde ». Dans ce bloc continental existe une zone stratégiquement importante d’où l’ensemble peut être dominé qu’il appelle le Heartland. Ce heartland ou cœur est situé en territoire russe, d’où sa célèbre formule « qui tient l’Europe centrale commande au heartland, qui tient le Wheatland commande l’île du monde et qui tient l’île du monde commande au monde ». C’est Karl Haushofer48 qui va conceptualiser une théorie géopolitique fondée sur la nécessité de l’espace vital et sur l’hégémonie nécessaire de l’Allemagne en Europe orientale. Sa thèse va justifier la politique extérieure d’expansion et de conquête de l’Allemagne Nazie. Se préoccupant de la stratégie américaine dans la politique internationale, Nicholas J. Spykman49 fonde sa thèse sur l’importance d’un rimland qui englobe toute la périphérie du heartland. Ce rimland est constitué par l’Asie méridionale et le sous-continent indien, le Moyen et le Proche-Orient, l’Europe occidentale. Il est évident que l’espace joue un rôle dans les relations internationales. Il conditionne la puissance des Etats. L’histoire des relations internationales enseigne que les Etats n’hésitent pas à entrer en compétition pour contrôler, pour des raisons stratégiques ou économiques, les espaces situés en dehors de leurs territoires. Battue en brèche pendant des décennies, la géopolitique connaît aujourd’hui un regain d’intérêt50.

SECTION 2 LA GEOSTRATEGIE §1 Géostratégie et Relations internationales La géostratégie est la détermination d’une stratégie à partir des données géographiques. Elle a une influence déterminante sur les relations internationales. C’est une discipline intellectuelle qui non seulement permet 48

V. De la géopolitique, Paris, Fayard, 1986. V. « America’s Strategic in world politics », New-York, Harcourt, Brace, 1944. 50 Il y a eu, en effet, une désaffectation générale de la géopolitique au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Des raisons morales, politiques, scientifiques ou militaires sont évoquées pour justifier ce rejet. La fin de la guerre froide, l’avènement de l’ère nucléarospatiale favorisent le recours à l’analyse géopolitique. V. Max Gounelle, Relations internationales, op. cit., p. Au surplus, à côté de la géopolitique existent la géostratégie, la géo-économie, géo démographie et la géo finance. La géostratégie qui est considérée comme la sœur cadette de la géopolitique par H. Mackinder a pour objet l’étude des rapports entre les problèmes stratégiques, militaires ou autres, et les facteurs géographiques. 49

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de comprendre le monde, mais peut tout aussi bien constituer un projet politique de domination de certains peuples. Aujourd’hui, la géostratégie envahit les rayons des librairies, les écrans de télévision, les pages de journaux et diverses radios internationales. Tout devient géostratégique. Les débats portent aussi bien sur les rivalités des grandes puissances pour le contrôle des positions stratégiques et des richesses, que sur les matières premières, les nouvelles technologies de l’information, le changement climatique, le terrorisme, la prolifération nucléaire, la promotion de la démocratie, la montée en puissance de la Chine, l’ingérence humanitaire, etc. Les questions telles que les religions, la justice internationale, le secteur privé, sont à l’ordre du jour. Il importe donc, pour toute analyse crédible des relations internationales, de s’interroger sur la création des nouveaux concepts et sur l’analyse des situations telles que présentées et développées par chaque groupe d’Etats, car les intérêts de l’Europe ne sont pas forcément ceux de l’Afrique, de l’Asie ou de l’Amérique Latine. L’étude de la géostratégie doit donc être un sujet important, notamment dans les pays en développement, car l’éducation n’est pas seulement l’acquisition de la connaissance, mais aussi la capacité de comprendre le monde, de distinguer ses propres intérêts et de protéger sa culture et son histoire dans un monde en mutation. Comme on le sait, le monde occidental domine la planète et « impose sa loi » depuis ce qu’on a appelé, de façon occidentalo-centrée, « les grandes découvertes ». Certes, cet ordre-là qui dure depuis cinq siècles est en train de se modifier lentement, mais sûrement, en raison notamment de la montée en puissance d’autres nations. Mais le monde reste encore sous la domination de l’occident qui a su élaborer et mettre en œuvre des stratégies d’ordre politique, militaire, culturel et technique lui permettant de fixer l’agenda international et d’imposer ses valeurs, ses règles et sa culture aux autres pays. Tout l’art des professionnels de la géostratégie consiste, depuis la nuit des temps, à fabriquer des concepts et à présenter des analyses pseudoscientifiques des situations internationales en y faisant adhérer les autres peuples du monde, même lorsque ceux-ci sont maintenus dans la domination. La géostratégie devient alors un puissant instrument politique aux mains des Etats puissants et notamment de l’Occident, avec des relais dans les anciennes colonies d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique.

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§2 La Géostratégie comme instrument politique et de domination Les civilisations connaissent, comme toute réalité humaine, naissance, apogée et décadence. Le monde occidental qui règne aujourd’hui ne peut échapper à cette évolution. Toute civilisation dominante, avec les Etats qui en font partie, se drape toujours du manteau des doctrines pour couvrir la réalité d’ambitions ordinaires. L’occident qui domine les relations internationales contemporaines et le processus décisionnel aussi bien à l’ONU que dans les Institutions financières internationales, cherchera toujours à démontrer qu’il se consacre au bien de l’humanité et au développement international, et fera l’effort nécessaire pour obtenir l’adhésion de tous les peuples à sa vision du monde. Au cœur de ces phénomènes de puissance qui affectent l’histoire des Relations Internationales, il y aura toujours des doctrinaires, de nouveaux philosophes, d’experts en tous genres, pour parler de « fin de l’histoire », de « valeurs éternelles », d’ingérence « humanitaire » ou de justice internationale. Il ne manquera pas non plus dans la périphérie du centre impérial, des peuples soumis et de collaborateurs acceptant une dépendance confortable51. L’histoire des relations internationales enseigne que c’est cette subordination acceptée, voire sollicitée, qui assure les fondements et la pérennisation des empires. Tout esprit qui n’est pas formé à la géostratégie ne peut pas comprendre les Relations internationales et devient un agent de sa propre domination. En effet, l’histoire se renouvelle sans cesse et de tout temps, les puissants ne laissent qu’une part congrue au plus grand nombre. C’est ce qu’avait observé La Boétie au XVIe siècle dans son Discours sur la servilité volontaire : « Les hommes naissant sous le joug et puis nourris et élevés dans le servage, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés, et ne pensent point à voir autre bien, ni autre droit que ce qu’ils ont trouvé, ils prennent pour leur naturel l’état de leur naissance 52 ». Seul l’enseignement de la géostratégie permet un éveil des consciences et le refus de la manipulation. A ce titre, elle devrait être largement enseignée en Afrique pour conscientiser les enfants africains à la fierté d’être Africains dans un continent immense et plein d’avenir. Comme l’a relevé Jean-Paul Pougala « Sans la prise de conscience de l’éducateur, de la nécessité et de l’urgence de la géostratégie, les programmes scolaires sont très souvent des copier-coller des systèmes scolaires occidentaux réalisés avec une conception d’une Afrique soumise et du coup, sans s’en rendre compte, on 51

Charvin (R).- Relations internationales, droit et mondialisation, L’Harmattan, Paris, 2000, p. 291 52 La Boétie. Discours de la servilité volontaire. 1574. Présentation par S. Goyard-Fabre. Flammarion. 1983. p. 143.

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enseigne aux enfants africains l’intériorisation et l’acceptation de leur position de servitude, de résignation et de souffre-douleur pour les autres peuples. Ce qui devient dévastateur en termes de manque de patriotisme, une fois ces enfants devenus grands53 ». En occident, tout comme au Japon, l’école n’est pas uniquement l’espace de transmission de la connaissance, mais également l’endroit idéal pour renforcer l’idée de sa propre supériorité et assurer la préparation ou l’anticipation des guerres du futur. L’école est en fait un maillon essentiel de la géostratégie de l’avenir d’une nation, d’un peuple, d’un continent ou d’une civilisation. C’est en maitrisant la géostratégie que l’on peut mieux comprendre la géographie, la science politique et les divers concepts diffusés à longueur de journée sur les écrans de télévision et les ondes radio qui participent subrepticement au maintien de la domination de l’occident sur le reste du monde. Quelques exemples peuvent illustrer notre propos : A. La géographie comme instrument politique Lorsque Gérard Chaliand a publié en 1984 un Atlas stratégique avec des cartes montrant l’URSS, la Chine et les Etats-Unis au centre du monde, cela a frappé l’opinion française parce que cette carte modifiait la perception à laquelle avait été habitués de nombreux français pendant pratiquement toute leur vie. En effet, on considère que la géographie est une matière qui présente de manière objective l’étude de l’espace et de ses habitants. Ceci n’est pas toujours exact. Comme l’a écrit Giordano Bruno dès 1584 dans son livre intitulé « De l’infinito l’Universo e i Mondi » : « La mathématique ment, la géométrie ment plutôt qu’elle ne mesure (…) c’est à l’intellect qu’il appartient de juger et de rendre compte des choses que le temps et l’espace éloignent de nous (…) le ciel n’existe pas parce qu’il existe d’innombrables soleils et un nombre infini de terres tournant autour de ce soleil à l’instar de notre système solaire ». La géographie comme la mathématique ment elle aussi. La carte géographique officielle réalisée en 1569 selon la projection dite de Mercator est fausse. Lorsqu’il a fallu trancher pour utiliser la carte géographique de Galle ou celle de Peter, plus proche de la réalité, le gouvernement américain a choisi celle de Mercator à laquelle nous sommes tous habitués aujourd’hui et qui place l’Europe au cœur du monde. Cette carte fait la part belle à l’Occident et réduit de manière inexplicable la taille de l’Afrique, de l’Amérique Latine et de l’Asie. Sur cette carte, le Groenland apparait plus grand que l’Afrique alors que cette dernière est 14 fois plus grande dans la réalité. Le Cameroun semble avoir la même superficie que la Suisse, alors qu’en réalité, le Cameroun est 11,5 fois plus grand que la Suisse, qui avec ses 41.277 km² n’atteint pas la 53

Pougala (J.P.).- Géostratégie africaine. Institut d’études géostratégiques, Douala, 2015, p. 3

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dimension de l’une des 10 régions du Cameroun qui totalise en fait 475.400 km². La France semble avoir la même dimension que le Mali. Pourtant dans la réalité, avec ses 1.241 238 Km², le Mali a une superficie double de celle de la France qui n’en compte que 640.843 Km². L’Allemagne semble le double du Mozambique, alors que dans la réalité, l’Allemagne avec ses 357.114 Km² n’atteint même pas la moitié du Mozambique qui a 801.590 Km².La Chine semble deux fois plus petite que les Etats unis d’Amérique alors qu’en réalité, les deux pays ont pratiquement la même superficie, soit 9 596 560 Km2 pour la Chine et 9 631 420 Km2 pour les Etats Unis. Autre malignité de cette carte : l’Amérique du Sud semble plus petite que l’Amérique du Nord. Sa taille a été réduite comme celles de l’Afrique et de l’Asie au profit de celle de l’Europe et de l’Amérique du Nord. La Finlande avec ses 338 424 Km2 parait plus grande que l’Inde (3 287 263 Km2) alors qu’en réalité, elle est dix fois plus petite. L’idée communément répandue et acceptée par les Africains eux-mêmes est que l’Afrique est un petit continent composé de petits Etats pauvres : un continent balkanisé qui souffre de la division, des maladies, de la corruption et qui vit de l’aide étrangère. Dans la réalité, le continent africain est un continent immense, avec ses 30,4 millions de Km² représentant 7% de la surface terrestre et 20,3% des terres émergées ; l’Afrique est 4,4 fois plus grande que l’Europe. Les 46 pays de l’Europe entière, du Portugal à l’Ukraine, totalisent une superficie de 5,9 millions de Km². C’est une vérité qui mérite d’être proclamée et enseignée dans toutes les universités du monde. Ce qui est vrai, c’est qu’il faudrait mettre bout à bout, la Chine avec ses 9,59 millions de Km², le Mexique avec 1,96 million de Km², l’Inde avec 3,28 millions de Km², les Etats-Unis d’Amérique avec 9,37 millions de Km², le Japon avec 0,37 million de Km², l’Europe avec 5,9 millions de Km² pour arriver à la superficie du continent africain que l’on dit petit et pauvre. Mis ensemble, ces pays ont une superficie totale de 30,47 millions de Km². Il faudrait les réunir tous pour atteindre la superficie de l’immense continent africain. Les spécialistes de géostratégie occidentaux ont décrété qu’il existe un Nord situé au-dessus de l’Afrique et évidemment, le Sud en dessous de la méditerranée. Or, la notion de Nord et de Sud du monde est complètement fallacieuse et fausse. Lorsqu’on regarde la fameuse carte actuelle du monde, on a l’impression que le monde est plat. Elle nous fait croire qu’il existe un Nord en haut et un Sud en bas. Ce qui est évidemment faux. Comme l’ont démontré Bruno et Galilée, il existe bien sûr un Nord et un sud, mais pas un Nord en haut et un Sud en bas. La terre est suspendue dans le vide et tout dépend de l’angle d’observation. Dans l’univers, la notion de Nord et de Sud n’a qu’une valeur purement d’orientation puisque le monde n’est pas debout. Ceci est très bien illustré par la carte Peters, qui est une projection cylindrique équivalente avec deux parallèles fondamentaux (45° latitude

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nord et sud) et dont le grand intérêt est que l’on peut comparer les surfaces sur tout le planisphère (Voir ces différentes cartes en annexe de cet ouvrage). Une autre idée largement répandue, c’est que le continent africain comporte trop d’Etats qui sont trop petits. En réalité, c’est l’Europe qui est un continent relativement petit, avec de tout petits Etats. Avec ses 30,4 millions de Km², l’Afrique compte 54 pays. L’Europe, avec 5,9 millions de Km² compte 46 pays. La superficie moyenne d’un pays en Afrique est de 551.881 Km², en Europe, celle-ci tombe à 118.143 Km², presque cinq fois moins. On voit bien que le continent balkanisé, ce n’est pas l’Afrique. B. Le dividende démographique comme instrument politique Face à l’évolution de la population du monde et à la rareté des ressources, certains géo-stratèges ont affirmé que l’Afrique en tant que continent surpeuplé se devait absolument de contrôler puis limiter les naissances afin de poursuivre un développement harmonieux, d’où la naissance par la suite du concept de dividende démographique qui établit un lien de causalité entre le taux de naissance et le taux de croissance économique. En réalité, l’Afrique n’est pas un continent surpeuplé. Dans les pays de superficie équivalente, la population est près de 3,5 fois plus importante qu’en Afrique. Avec une population de 1.355 692 576 habitants pour une superficie de 9,59 millions de Km², la densité par habitant au Km² en Chine est de 141. Au Mexique, celle-ci est de 61. On enregistre 376 habitants au Km² en Inde, 102 habitants au Km² en Europe, 336 habitants au Km² au Japon, et enfin 33 habitants au Km² aux Etats-Unis, et 35 habitants au Km² en Afrique. L’Afrique a donc la même densité que les Etats-Unis et se retrouve loin derrière l’Europe, le Mexique, la Chine, l’Allemagne, etc… mais c’est l’Afrique qui est pointée du doigt comme étant un continent surpeuplé qui n’arrive pas à nourrir ses enfants. La forte densité au Km² en Europe ou sur d’autres continents ne fait l’objet d’aucun commentaire négatif. La réalité, c’est qu’il y a une confusion voulue sur les causes de la malnutrition dans certains Etats africains. Ce n’est pas le nombre de la population qui cause problème. C’est d’abord la spéculation sur les prix des produits agricoles et l’incapacité des dirigeants africains à concevoir des politiques agricoles cohérentes respectueuses de la croissance verte et orientées vers la satisfaction des besoins nationaux. S’ajoute à cet état de fait, l’incurie dans la gestion de l’Etat, le népotisme, la répartition inéquitable des fruits de la croissance, et un manque évident de volonté des leaders pour investir dans le monde rural. Aujourd’hui, les graves crises alimentaires et la famine ne sont plus à l’ordre du jour en Chine et en Inde et il est bien connu que cela est le résultat de la révolution agricole et des transformations structurelles dans les économies de ces pays.

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Comme l’ont démontré les experts de la FAO, il faudrait s’assurer une augmentation de 40% de la production agricole d’ici à 2030, pour que la moyenne actuelle par habitant de ressources alimentaires soit maintenue dans le monde. La révolution verte qui a permis l’augmentation de la production agricole et les surplus de l’agriculture américaine s’est faite grâce à une agriculture intensive qui suscite dans certaines conditions, des menaces écologiques. Mais il est démontré qu’en investissant intelligemment dans l’agriculture et le monde rural, en développant des politiques agricoles autocentrées et en créant de la valeur ajoutée dans l’agro-industrie, la satisfaction des besoins alimentaires est possible en Afrique. S’il y a un problème de manque de ressources alimentaires, c’est plus par une production rationnelle de celles-ci que par le niveau démographique qu’on le résoudra. En tant que telle, la croissance démographique prévue et prévisible n’est pas une menace pour le progrès économique et social en Afrique. Dans cinquante ans, l’Afrique sera le continent le plus peuplé au monde, voyant sa population passer de 1 à 2,5 milliards d’habitants. Avant 2050, la population africaine sera supérieure à celle de la Chine ou à celle de l’Inde et trois fois supérieure à celle de l’Europe. Et jeune en plus ! Avec une classe moyenne de près de 600 millions de personnes. Déjà deux Africains sur trois ont moins de 25 ans. Un chiffre qui illustre encore la situation : en 2050, il y aura sur terre plus de Nigérians (340 millions) que d’Américains (315 millions), et deux fois plus d’Ethiopiens que de français. D’ici à 2050, l’explosion des prix des matières premières et les besoins des économies des pays émergents feront de l’Afrique un formidable lieu pour les investissements. En d’autres termes, le lieu de concentration des capitaux avec un potentiel de 300 millions de consommateurs aisés, tous avec un portable dans la main et jouissant d’infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires construites pour l’essentiel par la Chine, la Turquie ou l’Inde. Il va s’en dire que cette explosion démographique est perçue dans certaines capitales occidentales et dans certaines institutions internationales comme une mauvaise nouvelle pour le système de domination en place, comme source d’une forte capacité de nuisance, et enfin, comme une possibilité d’autonomie et d’exigence de partenariat équitable et véritablement égalitaire. Or, dans aucun système, les Etats dominants n’acceptent la perte du pouvoir et du contrôle de la situation. Ce qui expliquerait sans doute la mobilisation suspecte en faveur de la promotion du dividende démographique en Afrique et dans le tiers-monde, alors que dans certains pays occidentaux, et même en Chine, on assiste plutôt à une relance de politiques natalistes par le biais de multiplication des crèches et d’augmentation d’avantages divers en faveur de couples ayant un troisième enfant. Lorsqu’en Afrique des enseignants transmettent aux jeunes des informations fausses sur l’évolution de la population de leurs pays respectifs 53

ou celles découlant d’une carte géographique faite sur mesure pour empêcher l’émergence d’une fierté africaine, ils ne commettent pas seulement une faute scientifique : il s’agit d’une faute éthique grave, et d’une manipulation éhontée de l’histoire. Le jeune Africain qui regarde cette fausse carte du monde, est convaincu qu’il vit sur un petit continent, pauvre de surcroit, avec de tous petits Etats, qu’il dispose de moins d’espace vital que les Européens, que son continent est dix fois plus petit que l’Europe et qu’il ne lui reste qu’à immigrer en Europe. C’est qu’en fait le système dominant a fait de la jeunesse africaine une victime désignée et la propagande distillée contre elle avec les relais locaux prend des chemins insoupçonnables. Et c’est ici qu’une meilleure connaissance des enjeux de la géopolitique pourrait contribuer à la renaissance d’une jeunesse capable de se former, de se cultiver à outrance, hors des sentiers tracés par le système dominant et de prendre en main son destin. C. La lutte contre la prolifération nucléaire La lutte contre la prolifération des armes nucléaires est présentée comme un objectif géostratégique prioritaire des puissances nucléaires. Il s’agit d’un objectif légitime visant à rendre le monde plus sûr. Ces Etats pensent que leur monopole nucléaire n’est pas un danger pour la planète du fait de leur caractère démocratique et des valeurs universelles qu’ils incarnent. Le Traité sur la Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP) signé en 1968 consacre le statut des cinq puissances nucléaires officielles (Etats-Unis, Union Soviétique, Royaume-Uni, France et Chine) et celui du reste des Etats de la planète qui renoncent pour l’avenir à disposer d’armes nucléaires. Trois Etats n’ont pas signé le TNP, à savoir Israël, l’Inde et le Pakistan, et ne peuvent donc pas être accusés de violation quelconque dudit Accord. Par contre, la Corée du Nord, signataire du traité, l’a dénoncé par la suite et est devenue une puissance nucléaire. Il convient cependant de relever une certaine contradiction dans l’attitude des puissances nucléaires. En même temps qu’elles affirment combattre la prolifération des armes nucléaires, elles font pourtant dépendre leur propre sécurité de la possession d’un arsenal nucléaire. Comme le souligne Pascal Boniface, la lutte contre la prolifération des armes nucléaires et des armes dites de destruction massive est perçue comme une priorité stratégique de la communauté internationale, principalement dans le monde occidental, qui y voit une possible remise en cause de sa suprématie militaire. La possession de l’arme qualifiée de suprême est donc un privilège. « Les possesseurs refusent naturellement le partage. Il y a chez eux une certaine contradiction. Ils disent devoir assurer leur sécurité par la possession d’arme nucléaire en vertu du concept de dissuasion, mais estiment que l’accession par d’autres pays à cette arme compromettrait la sécurité internationale. Ce

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sont les pays les plus puissants qui justifient pour leur besoin de sécurité le fait de pouvoir avoir le monopole d’une arme qui vient accentuer les différences de statuts54 ». Certes la multiplication du nombre d’Etats possédant l’arme nucléaire pourrait multiplier les risques d’utilisation malencontreuse ou accidentelle de cette arme, mais en bonne logique juridique, comme l’ont fait valoir de nombreux experts, si la dissuasion était un gage de sécurité, alors chaque pays devrait avoir l’arme nucléaire pour que la paix mondiale soit assurée. Une analyse fine de la géostratégie de la puissance militaire en cours sur le globe permet de relever la politique du deux poids deux mesures appliquée par les puissances nucléaires. En effet, les pays occidentaux ont aidé Israël à se doter de l’arme nucléaire et n’ont pas déclenché de guerre pour empêcher le Pakistan et l’Inde de s’en approprier. Par contre, il est loisible d’observer que les programmes nucléaires de l’Iran ou simplement les programmes d’armement de l’Irak, du temps de Saddam Hussein, ont été vécus comme des violations du TNP, des violations de la « légalité » internationale et des « menaces contre la paix et la sécurité internationale » alors qu’il s’agit en fait de situations vécues comme menaces par les occidentaux, certains pays arabes, et Israël et non l’écrasante majorité des Etats du monde. S’agissant particulièrement de la guerre d’Irak, menée officiellement pour lutter contre le programme d’armes de destruction massive de ce pays, il s’est avéré ensuite que l’existence de telles armes en Irak n’était pas fondée, comme l’a reconnu le Général Colin Powell lui-même, après avoir pris sa retraite politique. Bien avant le 11 septembre, les néoconservateurs américains travaillaient pour renverser le régime de Saddam Hussein. Les attentats du 11 septembre leur avaient seulement donné un argument nouveau pour détruire l’Irak qui dès janvier 2002 avait été placé dans l’axe du mal par le Président George W. Bush dans son discours sur l’état de l’Union. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni durent alors fabriquer de fauxsemblants de preuves d’un programme irakien clandestin de production d’armes de destruction massive pour justifier le lancement de la guerre contre l’Irak qui fut rapidement gagnée, mais se transforma aussi rapidement en cauchemar. Et c’est justement l’échec de cette guerre, qui devait apporter un ordre nouveau et la démocratie au Moyen-Orient, qui a amené les EtatsUnis à renoncer à l’option militaire à l’égard de l’Iran. L’Irak vit aujourd’hui une situation chaotique et le terrorisme y demeure présent malgré l’intervention militaire américaine. Pratiquement à la même période, c’est-à-dire en 2002, après la dénonciation par le Président des Etats-Unis de l’axe du mal incluant l’Irak, la Corée du Nord et l’Iran, la Corée du Nord fut accusée formellement d’avoir violé le TNP et de posséder l’arme nucléaire. La Corée du Nord 54

Boniface (P).- La géopolitique ; Eyrolles, Paris, 2014, p. 47

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revendiqua très clairement en 2003 la possession de cette arme et procéda même à un essai nucléaire en 2005. De manière tout à fait paradoxale, la Corée du Nord n’a jamais fait l’objet d’une intervention militaire, elle qui a toujours admis posséder l’arme nucléaire, contrairement à l’Irak qui n’en avait pas et n’était même pas prête de la fabriquer. L’on comprend donc aisément l’acharnement de certaines puissances occidentales à empêcher que d’autres pays ne puissent posséder l’arme nucléaire, car la possession de celle-ci « sanctuarise » le territoire national et dissuade toute velléité d’attaque de l’extérieur. En effet, face à l’Etat détenant l’arme nucléaire, on ne peut pas faire la balance des coûts et avantages qu’il peut en retirer avant de se lancer dans un conflit. Les coûts sont forcément plus grands, car le risque est celui de la destruction partielle ou totale du pays qui s’attaque à une puissance nucléaire. Rien ne peut contrebalancer une telle perspective. C’est ici qu’il convient de relever les efforts diplomatiques des pays occidentaux qui dans les années 1991 et 1992 ont permis à l’Argentine et au Brésil de rejoindre le TNP, et ont facilité la prorogation illimitée dans le temps de ce traité en 1995, par 178 pays non nucléaires et les cinq puissances nucléaires. En ce qui concerne le programme nucléaire iranien, il convient de relever qu’alors que celui-ci est présenté comme ayant une finalité civile par Téhéran, il est soupçonné d’être à vocation militaire par les occidentaux. C’est ainsi qu’Européens et Américains vont mettre en place une politique de sanction à l’égard de Téhéran. Pour les occidentaux, le défi nucléaire de Téhéran est grave : il peut remettre en cause le régime général de nonprolifération ; bien plus, c’est un défi à leur autorité et crédibilité internationales. Mais il n’en demeure pas moins vrai que l’une des raisons majeures est que ce programme nucléaire est une source d’anxiété porteuse de danger pour leurs alliés israéliens. Dans divers discours aux Nations-Unies, d’importants dirigeants du monde ont réaffirmé que la menace balistique iranienne était à la base de la décision de déployer un système de défense anti-missile par les pays de l’OTAN en décembre 2010. Sans se prononcer sur cette argument, l’on ne peut s’empêcher de relever avec Pascal Boniface que « Pour autant la menace de rétorsion par les occidentaux contre l’Iran en cas d’attaque de ce dernier, vue la disproportion des forces, est de nature à dissuader l’Iran de toute attaque balistique contre le territoire européen55 ». La lutte contre la prolifération au Moyen-Orient se justifierait également en raison des menaces de l’ancien Président iranien de rayer Israël de la carte, ce qui peut être mis en relation avec la volonté iranienne de posséder l’arme nucléaire. Cet argument est également mis en avant par l’Etat hébreux qui à juste titre est soucieux de sa sécurité. Il importe néanmoins de 55

Boniface (P).- Op. cit. p. 84

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souligner que suivant plusieurs rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Téhéran ne possède pas d’arme atomique et n’est même pas en mesure d’en fabriquer pour les prochaines années. Avec ses 200 armes nucléaires, Israël n’est donc pas sous la menace stratégique réelle iranienne. Comme le souligne Pascal Boniface « même si l’Iran se dotait d’arme nucléaire – ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui -, Israël serait très largement en mesure de dissuader Téhéran de toute menace d’attaque sur son territoire. Avant même qu’un seul missile iranien atteigne les territoires d’Israël, c’est bien l’Iran qui serait rayé de la carte. Ce qui est inadmissible pour Israël et ses alliés, c’est la perspective d’un équilibre régional avec un allié ayant un esprit non conformiste et que l’Occident ne contrôle pas. Car, comme on le sait, le but d’un éventuel programme nucléaire serait en effet de sanctuariser le pays contre toute menace extérieure et d’en faire un acteur militaire puissant et incontournable au Moyen-Orient56 ». D. Une justice internationale à deux vitesses La création du Tribunal Pénal International en 1998 constitue une étape déterminante dans la lutte contre l’impunité pour trois principales raisons : tout d’abord, la Cour Internationale de justice établie en 1945 comme organe principal de l’ONU n’est compétente que pour juger les Etats et à condition qu’ils acceptent de lui déférer leurs litiges ; ensuite, les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo avaient été accusés d’appliquer « la justice du vainqueur sur les vaincus », puisqu’ils n’avaient jugé que les criminels de guerre allemands et japonais. Enfin, les tribunaux spéciaux créés pour la Yougoslavie en 1993, puis successivement pour le Rwanda, la Sierra Leone et le Liban, notamment pour juger les assassins de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, ont été perçus comme des organes répressifs n’ayant en réalité aucun pouvoir dissuasif. Il importait donc d’établir une juridiction pénale internationale ayant un caractère permanent et global lui permettant d’avoir à la fois un rôle préventif et punitif. La Cour pénale internationale est compétente pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le crime de génocide et le crime d’agression ; elle peut être saisie par tout Etat partie au traité de création de ladite Cour, par le Conseil de Sécurité des Nations Unies ou par le procureur de la Cour. Le problème est que l’universalité de la Cour semble être mise en cause, car de grands pays, parmi lesquels figurent des pays démocratiques, ne sont pas parties au traité portant création de la Cour : Etas Unis, Chine, Russie, Inde, Israël, la plus part des pays arabes, etc. Il s’en suit donc que la Cour ne peut juger les nationaux de ces pays pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou crime de génocide. 56

Boniface (P).- Op. cit. p. 85

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Par ailleurs, l’on se doit de relever que les pays qui insistent le plus pour traduire certains dirigeants africains ou arabes devant cette Cour, en raison de la nécessité d’assurer la justice internationale, ne sont pas eux-mêmes parties au Traité de Rome qui porte création de la Cour. Depuis sa création, la Cour a lancé des mandats d’arrêts essentiellement contre les leaders africains et arabes. Elle a été saisie pour crimes de guerre en RDC, en Côte d’Ivoire, au Darfour, au Kenya, en Ouganda. En 2009, la Cour a été saisie par le Conseil de sécurité de l’ONU qui a lancé un mandat d’arrêt à l’encontre du Président soudanais Omar El Béchir pour les crimes commis au Darfour depuis 2003. L’Union Africaine et les Etats arabes ont dénoncé cette décision de la Cour prise à la demande d’un organe dont certains membres permanents ne sont même pas parties à la Cour. Par ailleurs, les crimes de guerre commis par Israël lors de la guerre de Gaza n’ont pas fait l’objet de la même attention par le Conseil de Sécurité qui n’a même pas été en mesure d’inscrire à son ordre du jour la question des crimes collatéraux commis par les Américains en Irak ou par la France et les autres puissances occidentales en Libye, en raison de l’opposition des occidentaux. Manifestement, la politique du « deux poids deux mesures » qui caractérise la justice internationale limite son efficacité et l’empêche de contribuer véritablement à la répression des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Face à cet échec de la Cour pénale internationale, et au refus évident des principales puissances d’en faire partie, divers groupes d’Etats tentent de constituer des tribunaux pénaux régionaux ou même sous régionaux pour punir les auteurs des crimes les plus graves commis contre la personne humaine : c’est le cas de l’Union Africaine avec la création du tribunal spécial chargé de juger l’ancien président tchadien Hissène Habré à Dakar. Même les pays qui avaient adopté des législations reconnaissant le principe de la juridiction universelle, permettant de poursuivre les auteurs de certains crimes quels que soient le lieu où le crime a été commis et la nationalité des auteurs et des victimes ont été amenés à réviser lesdites législations. En effet, suite aux nombreuses plaintes déposées devant les Tribunaux belges, pour ne prendre que cet exemple, à l’encontre d’Américains pour les crimes de guerre commis en Irak, d’israéliens pour le massacre de Sabra et Chatilia, de rwandais pour les massacres commis au Nord-Kivu, les tribunaux belges n’ont pu juger les auteurs de ces crimes, car la loi belge portant sur la compétence universelle a subitement été modifiée, en raison de fortes pressions américaines et israéliennes. De même, l’on a assisté à une forte levée de boucliers des capitales occidentales et des mass medias dominés par les lobbies occidentaux, dès lors que l’Autorité Palestinienne a évoqué la question de son adhésion au traité de la CPI, alors que ce sont par ailleurs les mêmes Etats qui prêchent le « respect de la démocratie, des droits de l’homme et de la justice internationale ».

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E. La création de nouveaux concepts juridiques destinés à garantir le maintien de la domination de l’occident Dans leur discours à l’Assemblée Générale de l’ONU en septembre 199057, les Présidents BUSH, MITTERAND et GORBATCHEV avaient proclamé l’avènement d’un nouvel ordre international sur de nouvelles bases juridiques et politiques. C’est ainsi que l’ordre nouveau devrait être fondé sur le plan du droit, sur l’ingérence humanitaire et le recours à la force pour défendre le droit, principes appelés à combler les lacunes d’un droit international indifférent à l’injustice et bloquant les initiatives nouvelles, en raison notamment de la souveraineté des Etats désormais décriée et considérée comme une notion désuète. En réalité, sous le couvert d’intervention humanitaire aux buts forts louables, il fallait créer et promouvoir de nouveaux concepts juridiques destinés à perpétuer la domination de l’occident sur le monde en donnant une base légale aux ingérences dans les affaires intérieures des Etats en développement. Le premier des principes « nouveaux » créés en 1990 fut le droit d’ingérence humanitaire, qui devait justement limiter le principe de l’égalité souveraine des Etats consacré pourtant par le droit international. Force est de constater que non seulement ce droit s’est révélé comme un droit aux fondements incertains et au contenu imprécis, mais encore, il n’a pas connu une mise en œuvre cohérente par ceux-là même qui l’ont créé, et les efforts de codification relancés par la résolution 794 du Conseil de Sécurité n’ont pas abouti à une refonte du droit international. Comme on le sait, suite à la guerre du Golfe, le droit d’ingérence humanitaire a fait apparition dans le vocabulaire de l’ONU. Et comme tout phénomène à la mode, les médias s’en sont emparés, utilisant sans aucune rigueur juridique des notions voisines, mais distinctes telles que le devoir d’ingérence, le droit d’intervention, le droit d’assistance humanitaire, etc. Par ailleurs, certains pays ont cherché à ériger ce principe en une norme impérative de droit international. Face à ce tintamarre journalistique générateur de confusions conceptuelles et aux déclarations non moins dénuées d’arrières pensées des leaders politiques, il convient peut-être de procéder à un effort de clarification sémantique et juridique et de se poser les seules questions qui importent, d’un point de vue juridique : le droit d’ingérence humanitaire existe-t-il ? Si oui, quels en sont les titulaires et les prestataires ? Et comment le met-on en œuvre ? Certes des représentants de pays membres du Conseil de sécurité ont déclaré à l’ONU que « les interventions d’humanité étaient reconnus depuis la nuit des temps »58 ou même, à l’instant de Jean-Marc Rochereau de la 57 58

Documentation de l’Assemblée générale de l’ONU E/CN 4/1990 Discours du Délégué américain au Conseil de Sécurité, le 5 avril 1991.

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Sablière parlant au nom de la France, que « les violations des droits de l’Homme deviennent d’intérêt international lorsqu’elles prennent de telles proportions, atteignant la dimension de crime contre l’humanité59 ». Dans le même ordre d’idées, il convient de relever, qu’un grand homme politique de la fin du vingtième siècle, « voyant l’ingérence sur le point de se pratiquer et la voulant comme arme nouvelle pour son camp (l’occident)60» a cru nécessaire de préciser que « c’est la France qui a pris l’initiative de ce nouveau droit assez extraordinaire dans l’histoire du monde, qui est une sorte de droit d’ingérence à l’intérieur d’un pays, lorsqu’une partie de sa population est victime d’une persécution61 ». Ces prises de position ont du reste été justifiées par la doctrine, en particulier certains auteurs français62, qui, hier, refusaient toute valeur juridique aux résolutions de l’Assemblée Générale de l’ONU, car aux termes de la Charte, elles ne sont que des « recommandations », mais qui n’hésitent pas à écrire aujourd’hui que les principes du droit d’ingérence humanitaire ont été posés « par les résolutions d’origine française adoptées par l’ONU » qui les auraient ainsi introduits dans le droit positif. Or, l’examen minutieux de la pratique récente du Conseil de Sécurité, des dispositions pertinentes de la Charte de l’ONU, du contenu des résolutions de l’Assemblée Générale de cette Organisation ainsi que des déclarations de l’écrasante majorité des Etats membres de l’Organisation mondiale révèle que le prétendu droit d’ingérence humanitaire, qui serait désormais reconnu tant aux organisations non gouvernementales qu’aux Etats et aux organisations intergouvernementales, apparaît plutôt comme un droit aux fondements incertains, un droit au contenu imprécis et à géométrie variable. Devant l’impossibilité de clarifier la définition du droit d’ingérence humanitaire et face aux réserves de nombreux Etats, les promoteurs de ce droit ont contribué à l’adoption de la résolution 794 (1992) du Conseil de Sécurité qui, à leur avis, devait constituer une étape supplémentaire dans la consécration de cette nouvelle norme juridique. Mais une lecture plus fine de ladite résolution permet de constater que celle-ci n’a pas apporté grandchose au processus de codification du droit d’ingérence humanitaire. L’adoption de la résolution 794 du Conseil de Sécurité de l’ONU marque un tournant historique dans l’évolution du droit humanitaire ; pour la première fois en effet, le Conseil de Sécurité décide de recourir à la force armée pour garantir la distribution de l’assistance humanitaire. Mais il convient du reste, tout en se félicitant de la dimension humanitaire et de la référence à la conscience universelle que comporte l’opération militaire menée en Somalie, de s’interroger, sur un plan 59

Le monde, 8 avril 1991 Jeune Afrique, n°1623, 13-19 février 1992 61 Allocution du président François Mitterrand, 14 juillet 1992 62 Voir notamment Mario Bettati, Un droit d’ingérence humanitaire, in Revue Général de Droit International Public, CNRS, 1991, pp 639-670 60

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strictement juridique et politique, sur la validité de la résolution 794 au regard du droit positif, ainsi que sur ses motivations, ses finalités et sur la portée qu’elle peut avoir. La résolution 794 tient compte des préoccupations exprimées par de nombreux auteurs63 et par les pays non alignés membres du Conseil de Sécurité64 en ce qui concerne le mandat, le contrôle et la supervision de toute action coercitive internationale menée par les Nations Unies ou sous leurs auspices. Il importe toutefois de relever que certaines de ses dispositions sont indiscutablement en contradiction avec la lettre de la Charte, et d’abord de manière flagrante avec les articles 43, 45, 46 et 47. Par ailleurs, la résolution 794 est en opposition avec la lettre et l’esprit du préambule et du Chapitre VII qui prévoit notamment, en ses articles 39 et 42, que « c’est l’Organisation elle-même (et non le Secrétaire Général et les Etats concernés65), qui non seulement décide de recourir à la force, mais la met en œuvre66 ». L’adoption de la résolution 794 ne constitue pas une étape significative dans la codification du droit d’ingérence humanitaire. Cette résolution complète les résolutions 43/131, 45/100, et 688 de l’ONU sur l’assistance humanitaire, notamment au niveau de la détermination des titulaires et des prestataires du prétendu droit d’ingérence humanitaire, mais elle manque, de manière dramatique, d’éléments juridiques fondamentaux qui auraient pu contribuer à l’introduction de ce nouveau concept dans le droit positif. Il ressort en effet de la résolution 794 que le droit d’ingérence a trois titulaires : les victimes, les ONG humanitaires et le Secrétaire Général de l’ONU. Les résolutions antérieures de l’Organisations avaient déjà précisé que le droit d’ingérence humanitaire est à la fois le droit des victimes d’être secourues et le droit des organisations humanitaires internationales d’accéder librement aux mêmes victimes pour leur apporter la nourriture, les médicaments ou les soins médicaux dont elles ont besoin. La résolution 794 apporte deux éléments nouveaux : tout d’abord le Secrétaire Général apparaît désormais comme le troisième titulaire du droit d’ingérence humanitaire. Ensuite, le droit d’ingérence humanitaire se

63 Voir par exemple Pr Djiena Wembou, MC, le Droit d’ingérence Humanitaire, un droit aux fondements incertains, au contenu imprécis et à géométrie variable, in 4 RADIC (1992), Londres, pp 570-591 et Afrique 2000, Revue Africaine de Politique Internationale, N°11, 1992, pp 5-24 ainsi que Réflexions sur la validité et la portée de la résolution 678 du Conseil de Sécurité, in Revue juridique et politique indépendante et coopération, n°4, octobre, décembre 1992, pp 438-457 64 Ces positions ont été exprimées par les Représentants de l’Inde, de Zimbabwe, du Cap vert, du Maroc et du Venezuela, voir doc. S/PV.3145 du 3 décembre 19922 65 C’est nous qui soulignons 66 Nguyen, Daillier et Pellet, Droit international public, Paris, 1976, p859

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présente aussi comme le corollaire du droit international humanitaire, dont la violation engage désormais la responsabilité pénale des intéressés. Comme on le voit, la résolution 794 apporte quelques précisions supplémentaires dans la définition du droit d’ingérence humanitaire. Mais elle ne réussit pas à introduire cette construction intellectuelle dans le droit positif, non seulement parce que les résolutions des organes politiques de l’ONU ne sont pas des sources formelles du droit international, mais aussi parce que cette résolution ne contribue ni à clarifier les fondements du devoir d’ingérence humanitaire, ni même à en fixer le contenu. Malgré tout le soin que les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont mis dans la rédaction de la résolution querellée, l’on ne peut que constater qu’elle demeure muette sur les fondements du droit d’ingérence humanitaire. L’on ne sait toujours pas sur quelle source du droit international se fonde l’intervention pour cause d’humanité. L’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice, qui comporte les sources du droit international applicable, mentionne les conventions internationales, la coutume, les principes généraux du droit et, sous certaines conditions, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés de différentes nations. Or, le droit d’ingérence humanitaire, comme nous l’avons démontré, ne trouve son fondement juridique ni dans la Charte de l’ONU, ni dans la coutume, ni, à proprement parler dans les résolutions de l’ONU ou même dans la jurisprudence de la Cour internationale de justice. La résolution 794 ne précise pas à quel moment précis apparaît « le risque de mettre en péril la sécurité internationale », ni même quelle est la signification du droit d’ingérence ou encore quels en sont les titulaires et les prestataires ainsi que les modalités et les critères selon lesquels l’intervention peut être déclenchée. Bien plus, elle ne permet pas de connaître le moment précis à partir duquel l’ingérence humanitaire peut justifier l’illicite. Personne ne saurait contester la nécessité d’actions humanitaires d’urgence, comme dans le cas de la Somalie. Mais au-delà de ces initiatives louables, il convient de s’attaquer résolument aux racines du mal, c’est-àdire aux menaces non militaires qui pèsent sur la sécurité et la survie des pays du sud, et qui ont pour nom la pauvreté, la fluctuation des prix des matières premières, la maladie, la corruption, le manque de démocratie et de liberté. L’humanitaire ne peut et ne saurait se substituer à la relance du dialogue nord-sud, à la démocratisation des relations internationales et à l’application correcte du droit par tous les Etats et dans tous les domaines de la vie internationale. Comme le souligne le Professeur Chemillier-Gendrau : « il est paradoxal et malsain d’organiser des opérations très voyantes de charité sous haute protection militaire alors que leur nécessité découle, en partie, d’injustices provenant de la non-application du droit par ceux-là mêmes qui 62

s’approprient la charité. Ces injustices ont pour nom : dette, marché des matières premières, industrie et commerce des armes, corruption généralisée dans les affaires internationales67 ». L’œuvre de codification du droit d’ingérence humanitaire entreprise aux Nations Unies par certains Etats puissants n’a pas été menée à son terme, puisqu’elle n’a point permis l’incorporation d’un nouvel ordre juridique dans le droit positif. Il en est de même d’un autre prétendu « nouveau » principe, celui du « recours à la force pour défendre le droit international ». Le second principe « nouveau » qui devait servir de pierre angulaire au nouveau droit international construit sur les ruines de l’ordre ancien est celui du « recours à la force pour défendre le droit ». Dans le cadre du nouvel ordre mondial, les puissances occidentales ont cherché à imposer une norme nouvelle, pourtant contraire aux principes inscrits à l’article 2 de la Charte de l’ONU, à savoir, le droit et même le devoir de certains Etats puissants de recourir au besoin à la force pour garantir l’application du droit international dans la société internationale. Mais cette entreprise de transformation des bases juridiques fondamentales des relations internationales a rencontré l’hostilité de l’écrasante majorité des Etats et n’a pas prospéré. La guerre du Golfe a donné aux tenants du nouvel ordre mondial l’occasion de créer et d’expérimenter un nouveau « principe » du droit international, le recours à la force pour défendre le droit international violé par l’Irak en envahissant le Koweït. Dès le 2 août 1991, date de ladite invasion, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté diverses résolutions visant à marquer la réaction de la « communauté internationale devant les actes illicites de l’Irak68 », notamment dans le cadre du Chapitre 7 de la Charte. Le plus important de ces textes, la résolution 678 (1990) du 29 novembre 1990 autorise pour la première fois un groupe d’Etats à recourir à la force contre un Etat membre pour le contraindre à respecter les décisions du Conseil. S’agissant donc d’un précédent grave et historique qui mérite un examen attentif, il convient d’étudier aujourd’hui, avec le recul que permet le temps, les conditions dans lesquelles la résolution 678 a été adoptée, ainsi que sa validité et ses implications socio-politiques. Mais comme nous le verrons, cette résolution n’a réussi ni à masquer le caractère illicite des autorisations du recours à la force données à l’ONU, ni à fonder en droit un nouveau principe juridique. L’examen des conditions dans lesquelles les résolutions mentionnées cidessus ont été adoptées par le Conseil de Sécurité est important, parce qu’il 67

Chemillier-Gendrau, M, Ingérence, charité et droit international, in le Monde Diplomatique, janvier 1993, p5 68 Voir à cet effet l’analyse de Pierre Salinger et Eric Laurent dans leur ouvrage, Guerre du golfe, le dossier secret, paru aux Editions Olivier Orban à Paris en 1991

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permet de comprendre comment et pourquoi les objectifs définis dans la résolution 660 ont été progressivement abandonnés et à quel point l’Organisation aura été manipulée par la seule superpuissance de ce temps. L’objectif recherché par le Conseil de Sécurité en adoptant diverses résolutions sur le conflit du Golfe était de libérer le Koweït, c’est-à-dire de faire cesser l’agression irakienne qui constituait, manifestement, une grave violation du droit international. Trois jours après le déclenchement des bombardements alliés sur l’Irak, d’autres buts de guerre, sensiblement différents de ceux de l’ONU, ont été définis par les responsables des pays membres de la coalition, sans consultations avec l’Organisation et en violation du mandat reçu : dès le 19 janvier, les autorités américaines déclaraient que « l’Irak doit être détruit militairement, indépendamment du fait qu’il se retire du Koweït69 ». Dans son discours sur l’état de l’Union, le Président des Etats-Unis réaffirmait que son pays cherchait à détruire la capacité de l’Irak à soutenir une guerre et à l’occasion d’une rencontre avec la presse, le Président de la République Française admit « qu’il faut naturellement détruire le potentiel militaroindustriel de l’Irak70 ». Au lendemain du déclenchement des hostilités, l’objectif fixé par la Maison Blanche n’était plus le respect du droit international et des résolutions de l’ONU, mais la destruction des « infrastructures militaires, des usines d’armements, de sites de missiles et autant de tanks, d’avions et de pièces d’artillerie que possible »… afin de « rendre ce pays incapable de projeter sa force au-delà des frontières dans les prochaines années71 ». Il y a là un détournement manifeste des buts de l’action, pourtant autorisée par l’ONU, au profit des objectifs de politique étrangère d’un seul pays puissant et de ses alliés. L’usage excessif et démesuré de force brute effectué dans le Golfe par les Etats Unis visait en fait sous couvert de la défense du droit international, à écraser l’Irak et à asseoir le rôle futur de l’Amérique dans le monde. C’est ce que confirme clairement le Secrétaire à la défense de ce pays : « Nous pensons que les Etats-Unis ont des exigences durables. Nous devons maintenir notre capacité à contrôler les océans du monde, à remplir nos engagements en Europe et dans le Pacifique, à être capables de déployer des forces, que ce soit en Asie du SudOuest ou au Panama, pour faire face aux imprévus afin de défendre les vies et les intérêts américains72. 69

New York Times, 20 janvier 1991 Voir le Monde Diplomatique, n°443, février 1991, p 10 71 Friedman T.I. When War is over : Planning For Peace and US Role in Enforcing it. International Herald Tribune, 21 janvier 1991 72 Voir la Déclaration de M. Dick CHENEY Y, citée par le Monde Diplomatique, 6 février 1991 70

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On ne saurait être plus clair sur le sens à donner à l’impressionnante démonstration de force dans le golfe ; il s’agissait comme le souligne Ignacio Ramonet « d’un message d’ambition hégémonique73 ». C’est d’ailleurs ce qui explique, selon l’Amiral Sanguinetti, qu’au prétexte de limiter les pertes américaines, les militaires aient poursuivi, pendant plus d’un mois, et au risque d’un anéantissement de l’Irak, une campagne de bombardements dévastateurs, quand la libération du Koweït suggérait l’application, d’emblée, de la doctrine « Air-Land Battle », une guerre-éclair moins coûteuse74 ». Soulignons enfin que deux documents importants permettent de mieux comprendre les enjeux de la guerre et les véritables buts poursuivis par les pays de la coalition anti-irakienne. Il s’agit tout d’abord du rapport final d’un groupe d’études de haut niveau : le « Continent Combat 2002 Project », qui a été réuni en mai 1990 par le centre d’Etudes stratégiques internationales75 pour examiner les objectifs de politique étrangère des Etats-Unis dans les prochaines années et suggérer les meilleurs moyens de les atteindre. Ce document s’inspire par ailleurs des conclusions d’un autre rapport intitulé Discriminate Deterence (Dissuasion sélective) rédigé en 1998 par la commission sur la stratégie intégrée à long terme76 et qui jetait les base de ce que Michael Klare appelle « la nouvelle doctrine d’intervention américaine77 » et qui a été mise en œuvre, pour la première fois, dans le Golfe, sous le couvert des Nations Unies. Après avoir noté « qu’au cours des prochaines années, beaucoup de petites puissances disposeront d’arsenaux d’envergure… » qui « rendront beaucoup plus risquées et complexes les interventions des grandes puissances dans les guerres régionales », le document de 1998 préconisait le renforcement des moyens américains de mener des guerres de haute technicité dans les zones du tiers-monde situées hors du champ couvert par l’OTAN. Se situant dans la même logique, le groupe d’experts de haut niveau réuni en 1990 à Washington commence par relever que : « Le déclin des ambitions impériales soviétiques et de la menace de type conventionnel soviétique en Europe ne signifie pas la fin de l’histoire, mais seulement la fin d’une étape de l’histoire… La 73

Ramonet 1, article cité p.1 Sanguinetti A. Voir son article paru dans le Monde Diplomatique, n°444 mars 1991, p. 3 75 Continental Combat Priorities : An Approach for the New Strategic Era. Centre for Strategic and International Studies, rapport final for Conventional Combat 2000 project, Washington, mai 1990. 76 Ce document a été commenté par Michael K., dans un article au Monde Diplomatique en mai 1988. 77 Lire Michael K, la nouvelle doctrine d’intervention militaire américaine, le Monde Diplomatique, 03/1986 74

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prochaine étape sera sans doute centrée sur des conflits de moyenne intensité78 ». La pérennité du statut de grande puissance, d’après le groupe d’études, repose sur les capacités des Etats-Unis à affronter et défaire les puissances hostiles dans le tiers-monde79. Cette doctrine, approuvée par les plus hautes autorités américaines, a été développée par le Président Bush dans son discours à la US Coast Guard Academy à New London le 24 mai 1989. Les défis à la sécurité auxquels nous faisons face aujourd’hui, déclarait alors le Président américain, ne viennent pas seulement de l’Est. L’Emergence de puissances régionales modifie rapidement le paysage stratégique. Les Etats-Unis se doivent donc de réagir, en luttant contre la dissémination des armes modernes et, si nécessaire, en allant « à l’encontre des ambitions agressives de régimes renégats ». En d’autres termes, il s’agit pour les Etats-Unis, auto-proclamé gendarme international, de se préparer à défaire – et non à négocier – toute puissance du tiers-monde susceptible de menacer les intérêts américains ou de remettre en question l’ordre établi. Dans cette stratégie, le droit international ou les sanctions économiques qui pourraient réduire un agresseur n’ont pratiquement pas de place. L’essentiel, comme l’avait écrit le Général Carl E. Vuono, Chef d’État-major de l’armée de terre américaine, c’est qu’étant donné que « les Etats-Unis ne peuvent ignorer la puissance militaire croissante des pays en développement qui menacent leurs intérêts et parfois, leurs alliés, l’armée de terre doit demeurer à même de vaincre des dangers potentiels où qu’ils se situent. Ce qui pourrait signifier un conflit avec une armée bien équipée du tiers-monde80 ». Le deuxième texte qu’il convient de mentionner ici est un document étrange remontant au 22 novembre 1989, et qui apporte un éclairage surprenant sur la crise du Golfe. Ce document, découvert par les Irakiens, n’a fait l’objet d’aucun démenti du gouvernement Koweitien ni du gouvernement américain. Il s’agit d’un compte-rendu de mission adressé au Ministre de l’intérieur du Koweït par le Brigadier Fahd Ahmad Al Fahd, Directeur de la Sûreté Nationale. Le Paragraphe 5 de ce mémorandum est libellé ainsi qu’il suit : Nous sommes tombés d’accord avec la partie américaine pour estimer qu’il était important de profiter de la détérioration économique de l’Irak afin de mettre la pression sur le gouvernement de ce pays dans le but de provoquer une tension sur la frontière commune. La CIA nous a formulé son point de vue sur les meilleurs moyens de maintenir cette pression. Ses

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Conventional Combat Priorities, doc. Cité, pp 23 et 35 Klare, M., article cité, p.9. 80 Carl E. Vuono, Versatile, lethal, Sea Power, avril 1990 79

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responsables nous ont dit qu’une large coopération devrait être instaurée à la condition que ses activités soient coordonnées au plus haut niveau81. Le Directeur de la Sécurité d’Etat sollicitait de son ministre, dans la même note, des instructions sur les points principaux qu’il avait traités avec le juge William Webster, Directeur de la CIA américaine, au cours de leur entretien privé du mardi 14 novembre 1989. Ces documents confidentiels mettent en relief les véritables buts de guerre des puissances alliées contre l’Irak en même temps qu’ils expliquent pourquoi et comment l’action du Conseil de Sécurité a été détournée par une superpuissance. Comme le relève à juste titre Ignacio Ramonet, « en lançant l’offensive terrestre le 24 février, à l’heure où le Conseil de Sécurité poursuivait (pourquoi à huis-clos ?) ses délibérations en vue d’un cessez-le-feu, les Etats-Unis et leurs alliés ont infligé à l’ONU un infligeant camouflet82 » administrant par là même la meilleure preuve que dans cette affaire, les buts et principes de l’ONU n’ont joué qu’un rôle secondaire, par rapport aux buts de guerre définis par les Etats-Unis conformément à leurs intérêts nationaux. Quel que soit l’argument utilisé, comme nous venons de le démontrer, il est difficile de soutenir que le contenu de la résolution 678 est conforme à la lettre et à l’esprit de la Charte de l’ONU. La procédure d’adoption de ce texte souffre de l’abstention de la Chine. Son Contenu viole les articles 42 et 47 de la Charte et ignore les principes, buts et objectifs que cette même Charte confère à l’Organisation. Une telle situation illustre l’incapacité de certains membres permanents du Conseil de Sécurité à créer et promouvoir de « nouvelles » normes fondamentales du droit international, y compris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

SECTION 3 L’ECONOMIE Il ne fait aucun doute que l’économie demeure un facteur majeur des relations internationales. L’histoire des relations internationales donne de nombreux exemples de conflits motivés par des rivalités économiques : luttes pour le contrôle des matières premières, pour la conquête des débouchés commerciaux ou pour la domination des marchés. Dans une perspective purement économique, la Banque mondiale et à sa suite la CNUCED et l’OCDE utilisent le critère du PNB par habitant pour classer les pays en cinq catégories. Il s’agit :

81 Voir le texte intégral de ce mémorandum « ultra secret et privé » dans l’ouvrage de Pierre Salinger et Eric Laurent, Opeit, pp. 291-21 82 Nguyen, Dailler et Pdlet, Droit International public, op.cit, p.538

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Des pays à faibles revenus c'est-à-dire inférieur à 450 dollars par habitant et par an. Ces pays sont désignés sous le vocable de pays moins avancés ou PMA. Ils se situent pour l’essentiel en Afrique et ont la particularité d’être faiblement industrialisés ; Des pays à revenus intermédiaires (entre 450 et 800 dollars) qualifiés encore de nouveaux pays industrialisés ou NPI. Ils sont localisés essentiellement en Amérique Latine et en Asie ; Des pays exportateurs de pétrole à revenu très élevé comme le Koweït, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis ou la Libye ; Des pays développés à économie de marché dont le revenu par tête est au-dessus de 800 dollars ; Des pays industriels à économie planifiée.

Au-delà de cette catégorisation, il faut souligner que l’importance de l’économie comme facteur explicatif de la puissance d’un Etat a fait l’objet de plusieurs thèses. Pour certains auteurs, les relations politiques internationales sont autonomes par rapport aux relations économiques. Cette tendance majoritaire au cours du XIXe siècle est actuellement devenue minoritaire. A l’inverse pour la doctrine marxiste, il y a une subordination des premières aux secondes. Le facteur économique conditionne, selon les marxistes, l’évolution de tous les rapports de production. Enfin pour les réalistes, il faut considérer que tous les facteurs se combinent et rétroagissent les uns, les autres. Aussi, selon le Professeur Daniel Colard83, il faut se garder d’un monisme explicatif qui prétendrait tout expliquer à partir d’un facteur unique. Le déterminisme économique n’est pas plus explicable que le déterminisme géographique ou démographique. En tout état de cause, l’économie occupe une bonne place dans la Charte des Nations Unies. En vertu de la Charte, les Etats membres de l’ONU ont l’obligation de recourir aux institutions et à la coopération économique internationale pour favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande. Dans la perspective de la Charte, il y a manifestement une relation entre la paix et le développement comme garantie de la sécurité internationale. Le préambule, l’article 1 paragraphe 3, l’article 13 paragraphe 1 b, les articles 55, 56 et 62, de même que le Chapitre IX l’abordent à différents niveaux84. 83

Relations internationales, de 1945 à nos jours, op. cit., p. 59. Il faut souligner ici, que par rapport à la Charte, les dispositions relatives au développement de la coopération dans les domaines économique et social étaient reléguées à l’arrière plan dans le Pacte de la Sociétés des Nations. En effet, soucieux de prévenir la guerre en imposant des obligations d’abstentions, les rédacteurs du Pacte avaient retenu à travers les articles 24 et 25 une conception précaire et élémentaire dans ce domaine. De ce point de vue, le développement était essentiellement conçu comme un appoint destiné à éloigner le spectre de la guerre dans une société où les Etas se considèrent comme des « centres de puissances avant 84

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A cet effet, la promotion de la paix par le développement à travers les mécanismes des institutions spécialisées de l’ONU fut conçue dès l’origine comme un moyen de créer, conformément à l’article 55 de la Charte, « les conditions de stabilité et de bien-être pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales85 ». C’est dans cette perspective qu’il faudrait situer la thèse de Mr. Boutros Boutros Ghali, ancien Secrétaire général de l’ONU, sur « l’indivisibilité de la paix et de la prospérité », qu’il a transposée ensuite dans les relations internationales86.

SECTION 4 LA DEMOGRAPHIE §1 Généralités Comme pour le facteur géographique, la démographie peut avoir une influence sur les relations internationales. Une photographie de la démographie du monde montre une croissance de la population mondiale. Cette croissance est due principalement à la chute du taux de mortalité consécutive à la diffusion de l’hygiène et aux progrès de la médecine. La démographie mondiale n’est pas homogène ; comme nous l’avons expliqué dans nos précédents développements, il existe de nombreuses disparités. Les pays développés de l’hémisphère nord connaissent une unification démographique caractérisée par une baisse de la fécondité et une faible croissance démographique. Cette situation contraste en revanche avec la structure démographique des pays sous-développés. L’hémisphère sud sous-développé est marqué par une forte croissance démographique résultant de taux de natalité très élevés. Mais cette croissance démographique doit être mise en rapport avec la superficie des pays du sud et les richesses naturelles dont ils disposent. Les aspects qualitatifs de la démographie ne peuvent par conséquent être négligés. D’un pays à l’autre, la pyramide des âges diffère. Dans les pays de l’hémisphère sud, la population est jeune, alors que dans ceux de

d’être des sujets de droit ». V. Les commentaires de l’article 56 par Lazhoum Bouany et de l’article 55 par le Professeur Alain Pellet in Charte des Nations Unies ; op. cit., p. 841-863 et s. 85 V. Daouda Fall « Le conflit du Golfe 1990-1991 : de l’ordre ancien au nouvel ordre mondial », op. cit., p. 536 et s. 86 C’est le premier principe qu’il a développé lors du dixième sommet des non alignés à Djakarta, en Indonésie, en septembre 1992 dans ce qu’il a appelé « le carré des indivisibles ». Les trois autres sont l’indivisibilité de la sécurité politique et de la sécurité économique internationale, l’indivisibilité de la démocratie et du développement durable ; enfin l’indivisibilité de la protection de l’environnement et du développement durable.

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l’hémisphère nord, le pourcentage des personnes du troisième âge est de plus en plus élevé. A l’intérieur d’un même pays, la pyramide des âges fait ressortir la prédominance de la jeunesse ou de la vieillesse, celle des hommes ou des femmes. Cette donnée peut constituer une force pesant sur la politique intérieure ou extérieure de l’Etat. Dans tous les cas, le nombre de population a toujours été un facteur de richesse et de puissance. Dans le même ordre d’idée, il est possible de considérer que le degré d’homogénéité de la population d’un Etat au point de vue ethnique, religieux, social ou politique est un facteur non négligeable pour la gouvernabilité ou la stabilité d’un Etat, qui à son tour module l’influence et le rôle de celui-ci au sein du système international. Il importe de souligner que les théories relatives à la démographie ne sont pas neutres et ne peuvent pas être neutres, car, comme nous l’avons démontré, ces diverses théories, notamment celle relative au dividende démographique, ne sont qu’une reprise moderne des thèses que Platon et Aristote soutenaient déjà à leur époque. En effet, ces philosophes avaient développé la théorie selon laquelle l’accroissement excessif de la population provoquerait des troubles sociaux et politiques graves, ainsi que des déséquilibres sur la scène internationale. Les polémologues, comme Gaston Bouthoul, ont conceptualisé une thèse fondée sur la fonction régulatrice des guerres en cas de surpopulation. Dans son essai sur « le principe de la population », publié en 1798, Thomas-Robert Malthus, a développé une célèbre loi sur la pression démographique. Selon Malthus, la population tend à s’accroitre en proportion géométrique, tandis que les subsistances tendent à augmenter selon une proportion arithmétique. Par conséquent, pour Malthus, le seul moyen d’empêcher la catastrophe réside dans la limitation des naissances par la continence, le célibat et le mariage tardif. Prise à l’échelle du globe, cette thèse n’a jamais été vérifiée scientifiquement. Sans doute, la pression démographique peut être à l’origine de l’accroissement des besoins alimentaires et autres dans la société. Mais, comme nous l’avons amplement démontré dans nos développements sur le dividende démographique, la malnutrition dans de nombreux pays du sud n’est pas liée à l’accroissement de la population. Elle résulte simplement de l’incapacité des dirigeants politiques du tiers-monde à concevoir et à mettre en œuvre des politiques agricoles orientées vers la satisfaction des besoins des populations. Le problème, c’est le manque de rigueur dans la gestion des Etats concernés, et l’absence de financement innovants dans le milieu rural.

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§2 Les flux migratoires et sur les relations internationales

leurs

conséquences

Les migrations sont un phénomène aussi ancien que l’humanité. La naissance des Etats modernes l’a amplifié. Avec la mondialisation, les flux migratoires connaissent un accroissement sans précédent et sont appelés encore à s’intensifier87. Plusieurs causes l’expliquent : l’évolution démographique, l’échec des politiques de développement, la libéralisation économique, l’effondrement du bloc de l’Est, le pillage des ressources naturelles des pays du Sud par les firmes multinationales, la crise économique, les conflits, l’ouverture des frontières, le développement des moyens de communication, des transports et des technologies qui a pour conséquence l’émergence d’un espace migratoire international. Dans des Etats comme la France ou les Etats-Unis, les conflits antiimmigrés ont représenté une constante ces dernières années88. La crise économique aggrave le rôle de bouc-émissaire imposé aux immigrés. Le marché de l’emploi peu qualifié entrant en crise, ces pays referment les portes de l’immigration et renforcent les aspects répressifs de la législation sur les étrangers, tout en continuant d’envoyer leurs nombreux experts et conseillers en tout genre vivre grassement dans les pays en développement, notamment en Afrique où le nombre de techniciens étrangers dans les administrations nationales, dans les entreprises parapubliques, dans l’armée et surtout dans le secteur économique et commercial n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Par ailleurs, les immigrés sont traités avec mépris et condescendance et doivent supporter les attitudes teintées de racisme de la part de divers fonctionnaires de douane ou de police aux portes de l’Union Européenne ou sur la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Ces propos racistes ont même été intégrés dans le vocabulaire des dirigeants politiques et des journalistes : ainsi, un Européen ou un Américain qui se trouve en Afrique par exemple, même sans visa, sans qualification et sans domicile fixe est forcément un expatrié. Mais l’Africain qui vit en France est toujours considéré dans l’imagerie populaire comme un immigré. Il s’en suit donc une contradiction flagrante entre les politiques d’immigration mises en œuvre par les Etats du nord et le combat qu’ils prétendent mener pour amener les Etats du sud à respecter les droits de l’homme alors qu’eux-mêmes sont engagés dans une répression sévère de l’étranger, déniant ainsi aux ressortissants du sud la liberté d’aller et de 87

On estime qu’environ 192 millions de personnes se trouvent aujourd’hui hors de leur pays de naissance, ce qui représente environ 3% de la population mondiale. En d’autres termes, une personne sur 35 dans le monde est migrante. Entre 1965 et 1990, le nombre de migrants internationaux s’est accru de 45 millions, à raison d’une croissance annuelle de 21% l’an. Actuellement, le taux de croissance annuel est d’environ 2,9% 88 V. Justine Faure Yannick Prost, Relations internationales. Histoire, Questions régionales, Grands enjeux, Ellipses 2008, Paris, p. 555 et s.

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venir. L’on voit bien, à l’analyse des discours des hommes politiques occidentaux, notamment ceux engagés dans la campagne électorale dans leurs pays que le soi-disant humanisme qui en principe sous-tend les valeurs démocratiques tend à céder le pas aux détournements du droit d’asile, à la diabolisation de l’étranger, à l’effacement du droit du sol dans les législations nationales. La mer méditerranée est devenue aujourd’hui le plus grand cimetière du monde. En l’espace de trois ans, entre 2012 et 2015, près de douze mille personnes ont perdu la vie dans cette mer. Ce qui constitue une des plus grandes catastrophes de l’humanité, sans qu’aucune mesure rigoureuse ne soit prise pour arrêter l’hécatombe. Certes, les Nations-Unies et les grandes nations démocratiques se sont réunies de sommet en sommet pour traiter cette question humanitaire, mais en réalité, tous les grands pays, à l’exception de l’Allemagne, ont très peu ouvert leurs frontières, en prétextant ainsi respecter les quotas fixés par l’Union Européenne. La seule personnalité politique qui n’a pas eu peur d’affronter l’opinion publique et l’extrême droite dans son pays est la chancelière allemande, Madame Merkel, qui pour des raisons humanitaires et autres, a accueilli plus de 1 million d’immigrés clandestins entre 2015 et 2016. L’on ne peut s’empêcher de relever que les grandes nations des droits de l’homme ont tourné le dos aux migrants y compris aux femmes et aux enfants en détresse. Bien plus, les Etats européens ont préféré refiler le bébé à la Turquie en signant avec elle un accord historique leur permettant de renvoyer migrants et clandestins sur le territoire d’une Turquie avide de reconnaissance internationale, soucieuse de son adhésion probable ou future à l’Union Européenne, et désireuse de bénéficier de l’aide financière de l’occident. Il convient de relever que l’immigration des populations sub-sahariennes vers l’Europe à travers la méditerranée n’est pas un phénomène nouveau. Les pays d’Afrique du nord ont toujours contrôlé ces flux migratoires, ce qui leur a valu le soutien ferme des pays occidentaux. La brutalité des moyens utilisés dans le désert du Sahara ou dans la zone sahélienne pour bloquer les migrants ainsi que les jeunes femmes et enfants désœuvrés désireux de se rendre en Europe, en passant par la mer méditerranée n’a jamais soulevé de protestation dans la presse occidentale ou dans les conférences internationales relatives aux droits de l’homme. Il a suffi que la Lybie soit plongée dans un chaos indescriptible, suite à l’intervention militaire française qui a couté la vie au Président Kadhafi, pour que le verrou saute et que des centaines de milliers d’Africains s’engouffrent dans des embarcations de fortune en partance vers l’Europe, à partir des ports libyens. Ce déferlement de migrants, de clandestins, de réfugiés vers l’Europe a été renforcé par l’afflux des populations syriennes cherchant refuge en Europe pour échapper à la guerre civile dans leur pays.

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Si l’on peut comprendre l’émotion suscitée dans la presse occidentale par des dirigeants politiques et des populations qui se sont sentis « envahis », l’on se doit tout de même de relever le peu de respect et d’humanisme accordés aux migrants, surtout lorsqu’ils proviennent de l’Afrique subsaharienne. Aucun respect des droits de l’homme en ce qui les concerne. Les mesures prises en occident ont surtout porté sur la fermeture des frontières, l’instauration de patrouilles en méditerranée, le refoulement des clandestins vers les côtes libyennes, les expulsions massives des sans-papiers et le refus du droit d’asile.

SECTION 5 LA SCIENCE, LA TECHNOLOGIE, L’IDEOLOGIE ET LES MEDIAS §1 Le facteur scientifique et technologique Selon le professeur Marcel Merle89, « le progrès technique affecte sous toutes ses formes (politique, militaire, culturelle et économique) le jeu des relations internationales. Il accentue l’interdépendance des éléments constitutifs du système et favorise l’unification du champ d’action de tous les acteurs. Mais, en même temps, il accentue les contrastes et les écarts de puissance entre les acteurs et introduit de nouvelles sources de tension et de nouveaux facteurs de domination ». Il est évident que le progrès technologique et scientifique a des avantages et des inconvénients. C’est un facteur d’aggravation des inégalités dans la mesure où il accroît la productivité et la compétitivité des sociétés qui en bénéficient. En d’autres termes, comme le montre le Professeur Max Gounelle90, la maîtrise de nouveaux matériaux (alliages, céramiques, superplastiques), le développement de l’intelligence artificielle (robotique industrielle, traitement d’images médicales, reconnaissance de la parole et de l’écriture..), l’explosion des télécommunications (satellites, fibres optiques) donnent aux Etats qui favorisent l’innovation un avantage global dans la compétition économique et politique internationale. Il est également perçu comme producteur de dégâts et générateur de risques nouveaux. Il favorise une surexploitation des ressources naturelles, ouvre de nouveaux champs à la compétition internationale en vue de l’appropriation ou du partage des ressources extracontinentales, génère des transformations, des bouleversements dans les domaines classiques des relations internationales. 89 90

Sociologie des relations internationales, Dalloz, Paris, 1982, p. 185. Relations internationales, op. cit., p. 87.

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Dans ce contexte, la diplomatie a connu une évolution considérable. Le rôle de liaison, joué par le diplomate, entre les gouvernants de son pays et les autorités étrangères, a décru avec les facilités de communication permettant des contacts directs. L’ambassade devient souvent une agence de promotion en matière de commerce et de services, une agence de relations publiques. Dans le domaine militaire, la révolution technologique (lasers, antimissiles, armes intelligentes), bouleverse également toutes les données de stratégie classique91. La révolution dans les moyens de communication rapproche les hommes et rend le monde plus solidaire. Avec le cybermonde, l’humanité s’étale désormais sur un champ magnétique. Avec les techniques radio-visuelles, la fin de l’espace national est un acquis. Grâce au développement de l’électronique, le monde est passé de la réception passive à l’interactivité. L’internet est aujourd’hui le symbole et l’agent d’une civilisation qui tend à remplacer l’écrit par l’écran. Il permet dans l’instantanéité et au plan universel, l’échange de tous les messages, comme de toutes les images. C’est ce qui créé un espace virtuel déterritorialisé. Cette planétarisation des réseaux communicationnels favorise la planétarisation des échanges.

§2 Le facteur idéologique L’idéologie est définie comme un « système global d’interprétation du monde historico-politique92 ». Pour le Professeur Max Gounelle93, c’est un système global d’explication de l’évolution du monde et des sociétés humaines, produit et diffusé par un groupe restreint en vue de le faire partager pour d’autres. Elle a pour fonction principale de légitimer une société ou la critique de celle-ci sur la base d’un système de valeurs de référence considéré comme universel. Au sein de chaque société, de chaque Etat, il existe une pluralité d’idéologies. Les idéologies sont généralement produites par des institutions qualifiées d’appareils idéologiques. Dans le cadre de l’Etat, il s’agit pour l’essentiel des institutions d’information officielle, du système éducatif, des appareils idéologiques, production artistique et culturelle, des institutions juridiques et judiciaires ainsi que des institutions religieuses lorsqu’elles sont alliées au pouvoir temporel. Du point de son évolution historique, il faut souligner que jusqu’au 19e siècle, le système international était caractérisé par une relative unité idéologique de l’Europe autour des principes de la monarchie de droit divin 91

V. infra. V. Raymond Aron, « Trois essais sur l’âge industriel » ; voir également Encyclopædia Universalis, Vol. 12, 2008, p. 194. 93 Relations internationales, op. cit., p. 91. 92

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et des principes juridiques et politiques consacrés par le Traité de Westphalie de 1648. Il s’agit en l’occurrence de la souveraineté territoriale, de la liberté d’appropriation des territoires, du libre usage de la haute mer, des immunités diplomatiques, de la force obligatoire des traités, du droit de faire la guerre, de l’équilibre des puissances. Cette unité idéologique sera remise en cause à la suite de la guerre d’indépendance des Etats-Unis (1775-1782) et de la Révolution française. En effet, l’indépendance des Etats-Unis, ancienne colonie, la proclamation des Droits de l’Homme, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la volonté d’affirmer la République et d’exporter la révolution déstabilisent l’ordre international et rompent l’unité idéologique de l’Europe monarchique. Au XIXe siècle avec le principe des nationalités, la réunification imposée par le Congrès de Vienne est altérée. Au XXe siècle, la révolution bolchévique de 1917 a introduit un nouveau principe idéologique qui, sur la base des conceptions de Lénine, va modifier les fondements des relations internationales. A la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, à la chute du mur de Berlin en novembre 1989, deux idéologies dominantes, le capitalisme et le communisme tentent d’étendre leur influence à l’ensemble des Etats et structurent l’évolution politique des relations entre les Etats. Entre les deux périodes, la décolonisation marque l’entrée de nouveaux Etats à l’ONU et conduit à l’apparition d’une nouvelle idéologie tiersmondiste des relations internationales qui dispute son influence au capitalisme et au communisme. Centrée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sur la souveraineté permanente, sur les ressources naturelles et sur le droit au développement, elle s’est plus ou moins imposée comme une idéologie à vocation universelle. Le déclin de l’URSS et la perte de l’influence du tiers-monde marque le déclin des idéologies marxistes-léninistes et tiers-mondistes. Ce déclin a pour conséquence une relative réunification idéologique fondée sur le capitalisme, la démocratie libérale comme forme de gouvernement de l’humanité. Cette évolution des relations internationales a vite amené certains spécialistes à prophétiser la fin de l’histoire94.

94 Dans un article « The end of history » publié dans la revue The National interest, février 1989, Francis Fukuyama montre que cette évolution marque la fin de l’histoire en tant que telle. En d’autres termes, c’est le point final de l’évolution idéologique de l’esprit humain et l’universalisation de la démocratie libérale occidentale en tant que forme final de gouvernement. Voir son ouvrage : La fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992. Pour une synthèse des réactions, voir Le trimestre du monde, 1991, n° 76, pp. 16 -87.

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§3 Le facteur médiatique Il est difficile de mesurer le poids et le rôle des médias dans la société internationale. Cependant, les spécialistes des relations internationales reconnaissent que l’influence des médias sur l’opinion publique nationale et internationale est considérable. Aujourd’hui, la médiatisation des relations internationales est une révolution qui fait que les Etats ne peuvent plus se recroqueviller à l’intérieur de frontières hermétiques. La médiatisation de la guerre du Viêt-Nam a obligé les Etats-Unis à quitter la péninsule indochinoise. Inversement, l’absence de médiatisation de la guerre des Malouines a permis au Royaume-Uni de conduire les opérations militaires dans cette région sans problèmes. D’un point de vue politique, le pouvoir des médias peut avoir pour effet d’accélérer un processus de décomposition ou de déstabilisation, comme ce fut le cas de l’URSS, de conforter la légitimité d’un pouvoir, de rendre perméables des frontières imperméables (par exemple le cas des Pays de l’Est avant la chute du mur de Berlin), ou d’internationaliser une crise ou un conflit régional ou local (il en est ainsi par exemple de l’intifada dans les territoires occupés par Israël). Le pouvoir des médias peut également permettre de renforcer la solidarité internationale et l’assistance humanitaire, comme à Haïti à la suite du tremblement de terre, d’isoler tel ou tel régime politique comme ce fut le cas de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid ou enfin, de pousser à la démocratisation des régimes de dictature, à la promotion de l’Etat de droit et la protection des Droits de l’Homme. Le monde est entré dans l’ère des sociétés d’information et de communication et la société internationale en subit les effets. Dans ce contexte, la médiatisation des relations internationales pose un problème de communication à l’échelle du globe transformé en « village planétaire », d’autant plus que les possibilités de manipulations de la vérité demeurent nombreuses et dangereuses pour la paix dans le monde.

SECTION 6 LA CULTURE, LE DROIT ET LA PERSONNALITE DES HOMMES D’ETAT §1 Le facteur culturel Selon le Professeur Max Gounelle95, la culture est définie comme l’ensemble cohérent et coordonné des systèmes de valeurs, des représentations et des croyances, des règles de conduite, des techniques

95

Relations internationales, op. cit., p.89.

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matérielles et intellectuelles caractéristiques d’une société ou d’un groupe social, permettant l’affirmation de son identité. Dans le cadre des relations internationales, les cultures peuvent être appréciées, selon l’auteur, à plusieurs niveaux. Il y a les cultures nationales qui sont celles des Etats souverains, unités sociales de base de la société internationale, des sous-cultures propres à des groupes sociaux intérieurs à l’Etat qui peuvent être, selon le cas, des facteurs de fragilisation de l’Etat ou de rapprochement entre Etats et populations, des contre-cultures, lesquelles lorsqu’elles sont affirmées au sein de l’Etat, constituent un facteur déstabilisateur. Il faut également ajouter, comme une composante des relations internationales, les super-cultures qui correspondent globalement à des aires géopolitiques. Le monde arabo-musulman, le sous-continent latinoaméricain et l’Afrique subsaharienne offrent des exemples de cultures supraétatiques. Il existe également des éléments intra-culturels, comme les croyances et les idéologies, qui jouent un rôle important dans la perception des relations internationales et donnent, in fine, une explication globale du monde. Ils ont un impact important sur les relations internationales. La question de l’influence des facteurs culturels sur les relations internationales a fait l’objet de plusieurs théories. Dans la perspective de la théorie culturaliste, la culture est un facteur décisif pour l’évolution de la société internationale. Selon le Professeur Marcel Merle96, c’est le facteur déterminant pour expliquer le comportement des acteurs internationaux. Selon le Professeur Hans Morgenthau97, la culture n’est qu’un épiphénomène pour la science anthropologique. Elle est marginale dans l’explication globale des relations internationales. En revanche pour les Professeurs Pierre Renouvin et Jean Baptiste Duroselle98, le facteur culturel est relativement autonome, certains aspects des relations internationales peuvent être expliqués par « des corrélations culturelles », mais l’ensemble des rapports internationaux n’est pas déterminé par des « causalités de nature culturelle ».

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Sociologie des relations internationales, 3e édition, Paris, Dalloz 1981 « Politics among Nations. The struggle for power and peace », New-York, Alfred A. Knopf, 1948. 98 « Toute empire périra. Une vision théorique des relations internationales ». Paris, Publications de la Sorbonne, 1981. 97

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§2 Le facteur juridique Il est évident que le droit joue un rôle dans les relations internationales. Il est perçu comme un instrument d’organisation des rapports entre les hommes, entre les sociétés, entre les Etats. Le droit se fait et se défait au carrefour des rivalités, des conflits ou des coopérations99. Pourtant, le droit tend à être perçu comme une norme absolue, demeurant identique, quelles que soient les époques ou les latitudes. Cette perception est la résultante de plusieurs phénomènes d’ampleur différente comme l’européanisation de la planète, la multiplication des interdépendances, la victoire du modèle libéral fondé sur le marché, la démocratie et l’individu. Dans la perspective des relations internationales, le poids du droit se manifeste, avant tout, dans les rapports entre Etats. Ceci s’est particulièrement vérifié au XXe siècle où les relations internationales ont été marquées à la fois par des violences extrêmes, des guerres totales et aussi par une « juridicisation » des rapports interétatiques : codes de bonne conduite ; droit de la guerre ; accords de désarmement. Sous ce rapport, le droit apparaît comme un moyen et un enjeu, mais également comme un mode de redéfinition du système international. Le poids du droit se manifeste également sur le plan économique. En effet, l’explosion des échanges a entraîné la formation d’espaces autonomes de droit ou de quasi-droit. Ainsi, l’internationalisation des entreprises s’opère juridiquement par des contrats, pouvant susciter des contentieux soumis à des procédures d’arbitrage. Dans ce domaine économique, le droit est l’une des composantes des grands affrontements entre le monde développé et les Etats du tiers-monde. Par ailleurs, les Droits de l’Homme, sont eux-aussi l’une des marques du développement du droit. Dans ce contexte, le droit devient de plus en plus le terrain d’opposition entre l’Etat, soucieux de préserver sa cohésion, l’individu, affirmant son droit au bonheur, et les minorités, revendiquant leur identité. Ici, aussi, le droit n’est pas un bloc et les textes ne sont parfois qu’une tentative de conciliation de l’inconciliable. En ce début du XXIe siècle, le droit international est marqué par une crise. Il est bafoué, vidé de sa substance ou contesté. Le monde assiste, passivement, au règne du droit de la force. Le recours à la force, comme moyen de règlement des différends, en dépit de son interdiction par la Charte des Nations Unies100 , sévit dans plusieurs régions du monde comme en Irak, en Afghanistan, en Libye ou en Syrie.

99 Voir Rapport annuel mondial sur les systèmes et les stratégies (RAMSES), Dunod, Paris, 1993, p.306 et s. 100 V. infra.

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Comme le souligne avec raison le Professeur Daniel Colard101 , la géopolitique du désordre l’emporte sur celle de l’ordre, l’instabilité sur la stabilité et l’insécurité juridique sur la sécurité normative.

§3 La personnalité des hommes d’Etat Elle constitue aussi un facteur des relations internationales. L’histoire montre qu’il existe une variété dans les tempéraments et les caractères des gouvernants. Chaque responsable politique est un cas particulier. La prise de décisions des dirigeants étatiques s’explique en partie par la personnalité des gouvernants. Dans ouvrage « Psychopatology and politics » publié en 1930, le politologue américain Harold Lasswell a tenté la synthèse entre science politique et psychanalyse freudienne pour aboutir à une classification, à une typologie des hommes d’Etat. Selon l’auteur, parmi les politiciens, il faut distinguer trois catégories : les agitateurs qui accordent une haute valeur à la réaction émotionnelle du public ; les administrateurs qui sont les coordinateurs des efforts dans une activité qui se poursuit et, les théoriciens qui font dériver leurs convictions de motifs privés et inconscients. Soucieux de tenir compte des recherches effectuées dans les différentes branches des sciences humaines autres que l’histoire, J. B. Duroselle propose une classification psychophysiologique et psychologique en évoquant les travaux de Lasswell. Il va déterminer ensuite une classification caractérologique représentant un effort de synthèse plus vaste que ceux des spécialistes de psychophysiologie et de la psychiatrie. Pour Duroselle, tout homme est soit émotif ou non émotif, actif ou non actif, primaire ou secondaire selon qu’il vit dans le présent ou vit dans le passé et l’avenir102. Prenant comme exemple, Roosevelt et Mussolini, il a démontré comment l’un et l’autre, en présence d’opinions publiques hostiles à la guerre, se sont fait ou non suivre par elles. Ainsi donc, c’est dans la volonté de l’homme d’Etat ou de quelques personnalités influentes que se trouve l’élément essentiel d’explication des relations internationales. Les facteurs économiques ou financiers, les sentiments collectifs de masse, ne constituent, selon l’auteur que des supports de l’action politique.

101

V. Relations internationales de 1945 à nos jours, op. cit., p. 70. V. Pierre Renouvin et Jean Baptiste Duroselle, Introduction à l’histoire des relations internationales, Paris, Armand Collin, 4e édition, 1991, rééd. Pocket, coll. Agora », 1997, p. 284 et s. Cet ouvrage est à juste titre considéré comme un classique de l’historiographie contemporaine. 102

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CHAPITRE 3 LA MONDIALISATION : NOUVEAU FONDEMENT DES RELATIONS INTERNATIONALES ? De prime abord, force est de constater que la recherche d’un nouvel ordre international est alimentée par les inquiétudes résultant de nouvelles turbulences. L’affaissement des régimes socialistes ou communistes dans les Etats d’Europe centrale et orientale et la mondialisation de l’économie libérale et capitaliste sont les manifestations les plus visibles de changements qui remettent fondamentalement en question l’ordre international ancien103 . La mondialisation est devenue aujourd’hui le concept le plus utilisé pour décrire l’état du monde contemporain : elle semble être devenue le critère dominant dans l’analyse des relations internationales. La question est de savoir si cette mondialisation est source de prospérité pour la communauté des Etats dans son ensemble, ou si elle est le vecteur d’un nouvel accroissement des inégalités ?

SECTION 1 DEFINITION ET EVOLUTION DE LA MONDIALISATION §1 Le concept de la mondialisation A. Définition Il faut noter d’entrée de jeu que l’existence d’un ordre international n’est pas dans la nature des choses. La situation de désordre est même la plus courante, si bien que la société internationale est qualifiée d’anarchique, malgré l’existence de facteurs d’organisation et d’institutionnalisation. Le

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Voir Max Gounelle, Relations internationales, op. cit., p. 53 et s. ; Daouda Fall, «Le conflit du Golfe 1990-1991 : de l’ordre ancien au nouvel ordre mondial », op. cit., p 473 et s ; Marcel Merle, La crise du Golfe et le nouvel ordre international, Economica, Paris, 1991, 112,p.

monde est caractérisé par le désordre, la crise et le chaos. Dans ce contexte, le désir d’ordre est lié au désir de sécurité. A cet effet, les gouvernants, les diplomates et les analystes alimentent et structurent cette demande d’ordre international fondé sur des valeurs, des règles et des codes qui rendent les comportements des partenaires internationaux plus prévisibles. Ainsi, comme le souligne à juste raison le Professeur Max Gounelle104, un ordre international, quel qu’il soit, permet de mieux prévoir et de mieux anticiper les comportements des partenaires : il accroît la prévisibilité, et donc la commodité du système. De manière générale l’ordre international est constitué par l’ensemble des principes politiques, institutionnels et juridiques qui régissent les relations entre les acteurs, en l’occurrence les Etats, les organisations internationales, les ONG, les individus... Théoriquement, dans sa formulation première, la mondialisation s’applique à un univers international : elle oblige les Etats à dépasser les horizons du voisinage, à prendre conscience de leurs responsabilités dans l’organisation de leurs rapports sur un plan mondial. Elle se double de la globalisation, laquelle exige le transfert, au plan universel, de problèmes qui, jusque-là, semblaient pouvoir être résolus par des accords conclus entre partenaires spécialement intéressés. Comme le souligne le Professeur René Jean Dupuy, « Les Etats passent aujourd’hui de l’interdépendance à la commune dépendance qui les englobe dans une problématique d’ensemble105 ». En effet, la doctrine la plus répandue admet une définition neutre et descriptive : la mondialisation est définie comme un « phénomène complexe d’interdépendance économique résultant des échanges de marchandises, des services et des flux de capitaux106 ». Certes, de nombreux auteurs anglo-saxons identifient mondialisation et « avancée de la modernité107 » en insistant sur le fait que celle-ci permet « la diffusion planétaire des modes de production et de consommation capitalistes108 ». Mais en réalité, l’expression « planétaire » est excessive, car le nouvel ordre mondial est géographiquement limité puisque l’Afrique et certains pays d’Amérique Latine et d’Asie ne sont pas concernés. Par ailleurs, celui-ci n’englobe pas systématiquement tous les marchés des biens et des services.

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Relations internationales, op.cit p.54 « Le dédoublement du monde » RGDIP, 1996-2, pp. 313-314 106 Voir définition du Directeur Général du BIT (1997) in « l’action normative de l’OIT à l’heure de la mondialisation » BIT, 1997, p.3. 107 Voir Giddens (A).- Sociology Cambridge, Polity Press, 1993, p.528 108 Voir p. de Fenaclens.-Mondialisation, souveraineté et théories des Relations internationales A. Colin, Paris, 1998, p.71 105

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Deux traits majeurs apparaissent dans les définitions proposées par la majorité des économistes : l’ouverture croissante des économies nationales et la construction d’un marché financier mondial. Mais la mondialisation ne peut se limiter à l’aspect économique, puisqu’elle comporte les aspects aussi bien politiques, économiques que sociaux. Il s’agit d’un phénomène global comme l’a expliqué le professeur Ted Levitt de la Harvard Business School qui fut le premier à utiliser le terme de globalisation en 1983 pour désigner la convergence des marchés financiers. Dans le même ordre d’idée, le Fonds monétaire international définit la mondialisation comme « l’interdépendance économique croissante de l’ensemble des pays du monde, provoquée par l’augmentation du volume et de la variété des transactions transfrontalières des biens et des services, ainsi que des flux internationaux de capitaux, en même temps que par la diffusion accélérée et généralisée de la technologie ». Le Bureau International du Travail quant à lui, caractérise la mondialisation par une vague de libéralisation des échanges, des investissements et des flux de capitaux, ainsi que par l’importance croissante de tous ces flux et de la concurrence internationale dans l’économie. Il apparait donc clairement que la mondialisation est l’alignement idéologique, politique et économique des gouvernements et organismes mondiaux vers un système unipolaire dirigé par les Etats-Unis. B. Conditions d’un nouvel ordre international ou mondial La doctrine s’accorde à considérer qu’un ordre international, pour exister, doit remplir trois conditions : i) Les acteurs politiques doivent être identifiés. Ainsi, comme on le constate, aujourd’hui, les ONG, les firmes multinationales, les individus concurrencent les Etats, les acteurs traditionnels et privilégiés des relations internationales. Aussi le nouvel ordre international ne peut être effectif que s’il régule le statut de ces nouveaux acteurs non étatiques et s’il définit leur position respective. ii) Les règles du jeu sont reconnues par les acteurs. Autrement dit, les normes juridiques et règles de base du jeu politique, diplomatique et stratégique doivent constituer un ensemble de prescriptions auxquelles se réfèrent habituellement ceux qui parlent et agissent au nom des acteurs. iii) Les problèmes et enjeux politiques à traiter sont repérés. En effet, les mécanismes institutionnels doivent avoir pour fonction et pour résultat d’identifier les contours des grands problèmes politiques internationaux comme par exemple la sécurité, l’environnement, le partage des richesses, la démographie, le terrorisme, et de permettre, par le dialogue pacifique et la négociation, la mise au point de solutions collectives. En conclusion, un ordre international n’est viable, durable et stable que s’il fait l’objet d’une approbation quant à sa légitimité. Celle-ci est d’abord le fait des Etats. Toutefois, la désapprobation des peuples, des opinions

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publiques peut créer un déficit ou un vide de légitimité de l’ordre international : sa pérennité et sa stabilité deviennent alors douteuses, voire problématiques.

§2 Origine et fondements de la mondialisation La fin de la guerre froide marque l’éclipse de l’ordre mondial bipolaire et la naissance de la mondialisation ayant pour caractère principal le statut prépondérant des Etats-Unis. Mais si la mondialisation est la formule souvent employée par la doctrine et les Etats pour qualifier l’époque actuelle, il sied de préciser qu’elle n’est pourtant pas un phénomène totalement nouveau. A. Historique et évolution Une première forme de mondialisation a eu lieu à partir de 1492 avec les grandes découvertes qui avaient permis à différentes parties du monde qui n’étaient pas liées entre elles, d’entrer en contact. Les expéditions des grands navigateurs ont permis l’établissement de relations de diverses natures entre des mondes et des civilisations qui, jusqu’alors s’ignoraient. Ces découvertes ont également entrainé la domination du monde par les Européens et la quasi-disparition des civilisations amérindiennes. Dès le 16ème siècle, Amsterdam puis Londres allaient devenir les capitales de réseaux commerciaux et financiers s’étendant à l’échelle mondiale. La seconde mondialisation a eu lieu au 19ème siècle avec la révolution industrielle et les découvertes technologiques qui ont favorisé la croissance économique, l’expansion coloniale, le développement économique et commercial, le développement des télécommunications et surtout, un bouleversement du transport maritime et aérien. Dès 1935, Paul Valéry avait relevé dans Regard sur le monde actuel que « le temps du monde fini commence. » En effet, avec l’établissement d’un système mondial de télégraphie et l’invention du cinéma et de la radio, la circulation des idées et de l’information est devenue exponentielle. Les progrès de la médecine, du commerce international et des techniques du transport aérien ont contribué à créer le village planétaire décrit en 1960 par le sociologue canadien Marshall Mc Luhan. Grâce à la seconde mondialisation, tout se sait, tout peut se savoir et l’on peut partir en moins de 12 heures d’un continent à l’autre, le monde ressemblant dès lors à un village. Tout citoyen du monde, qu’il soit du Nord ou du Sud, peut voir simultanément et immédiatement les évènements mondiaux, qu’il s’agisse du déclenchement d’un conflit, d’un sommet de Chefs d’Etats, de la Coupe du monde de football, de l’intronisation d’un Pape ou même de la mort d’une star mondiale comme Michael Jackson. L’activité économique est

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marquée par l’effacement de l’espace et des frontières nationales, le cadre national étant supplanté par les firmes multinationales. La troisième mondialisation, celle que nous vivons aujourd’hui est caractérisée par une forte libéralisation des échanges, des investissements et des flux de capitaux, et « par la formidable contraction du temps et de l’espace que procurent les moyens nouveaux de communication et l’abaissement de leurs coûts109 ». Le processus actuel de mondialisation comporte deux éléments fondamentaux : la constitution d’un marché financier mondial et la déconnection de l’économie financière de l’économie réelle productive, bien que les phénomènes financiers aient toujours eu un certain impact sur les variables réelles. A ces deux éléments constitutifs s’ajoutent le commerce mondial qui a connu une accélération sans précèdent. Les échanges mondiaux qui représentaient 12% du PIB mondial dans les années1960 en constituaient 24% en 2000. Dans la seconde moitié du 20ème siècle, les échanges internationaux ont été multipliés par 20, la richesse mondiale par 6 et les flux financiers sont devenus cinquante fois supérieurs aux flux de biens et de services. La mondialisation actuelle est portée par la prospérité des marchés découlant des déréglementations opérées dans les années 1980 sous l’impulsion des Etats-Unis et des pays occidentaux. Elle a aussi consacré l’ouverture des frontières et l’explosion des flux financiers qui représentent près de 20% du PIB mondial aujourd’hui, alors qu’ils n’étaient qu’à 5% du même PIB en 1990. Comme le souligne Pascal Boniface, « on ne peut résumer la mondialisation à l’ouverture des frontières et des marchés. Elle n’est pas seulement économique ; elle comporte également une dimension humaine grâce au développement des échanges et des flux entre les peuples, par les médias, le tourisme, les réseaux sociaux et les migrations. Cela débouche sur une meilleure connaissance des autres, sur l’établissement de références culturelles ou sociétales, de loisirs ou de consommations universelles110 ». B. Les fondements du nouvel ordre mondial Les fondements du Nouvel ordre mondial s’analysent sur les plans politiques, économiques et juridiques. 1. Le fondement politique Il découle des valeurs du système libéral, lesquelles pour tendre à l’universalité, se fondent sur la coopération entre les grandes puissances et

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Boniface (p).-La géopolitique Eyrolles, Paris, 2014, p.165 Boniface (p).- Comprendre le monde, les relations internationales pour tous, A. Colin, Paris, 2013, p.26 110

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sur la réhabilitation des mécanismes du système de sécurité collective prévu par la Charte des Nations Unies. Dans ce dispositif, l’ONU devient par essence le pilier ou l’instrument de ce nouvel ordre dirigé par les Etats-Unis. a. L’universalité des valeurs du système libéral Il s’agit des valeurs qui sont garanties dans la plupart des Etats occidentaux. Ces valeurs se fondent sur l’idée de liberté qui est l’essence même de leur système politique et dont le respect conforte la démocratie libérale et assure la paix sociale. On peut citer la liberté d’expression, de circuler, d’élire ses dirigeants, la tolérance, l’acceptation de la différence, etc. L’universalité du système dominant est le résultat de la fin de la confrontation Est-Ouest, de sa reconnaissance par l’URSS, par les anciennes démocraties populaires et par les Etats d’Afrique ou d’Amérique Latine autrefois soumis à la discipline des blocs111 . Cette intériorisation des valeurs du système libéral, reflète la nouvelle orientation de l’aide au développement conditionnée par les nécessaires réformes démocratiques. b. Le rôle prépondérant des Etats-Unis La définition du Nouvel ordre mondial précise le rôle prépondérant des Etats-Unis. Aujourd’hui les Etats-Unis jugent utile et nécessaire d’exercer leur leadership au sein de la Communauté internationale afin de chercher un nouvel équilibre se substituant à celui de la période de la guerre froide. Il s’agit en quelque sorte, comme le souligne le Professeur Alfredo Valladao, « de donner une preuve d’autorité spectaculaire intronisant les Etats-Unis seuls héritiers putatifs de l’ancien ordre planétaire soviétoaméricain112 ». Cette volonté de puissance est affirmée, dès le 15 août 1990 en pleine crise du Golfe, par le Président Georges Bush en ces termes : « Nous sommes parvenus à une ère nouvelle pleine de promesses. Mais les évènements des quinze derniers jours nous rappellent que rien ne peut se substituer à l’autorité morale des Etats-Unis, et que

111 En Afrique, par exemple, c’est dans le cadre des conférences nationales que vont être adoptées de nouvelles Constitutions visant à l’institution ou au renforcement de l’Etat de droit. Ces conférences nationales résultent d’une conjonction de facteurs internes et externes comme l’effondrement du bloc de l’Est, le durcissement de la conditionnalité démocratique, les plans d’ajustement structurel de la Banque Mondiale, la crise économique et sociale et un effet d’entraînement consécutif à la conférence béninoise. L’expérience est reprise au Gabon, au Congo, au Niger, au Mali, au Togo, au Tchad et au Zaïre, actuelle République Démocratique du Congo. Voir Fabien Eboussi Boulaga, Les conférences nationales en Afrique noire - Une affaire à suivre, Karthala, 1993, pp. 65-67. 112 « Vers un Nouvel ordre mondial ? », in Projet, été 1991, n° 226, p. 112.

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cette autorité ne peut être efficace sans puissance113 ». Et le 11 novembre 1990, devant le congrès, il souligne : « Pour que les EtatsUnis exercent un rôle dirigeant, ils doivent demeurer forts. Notre leadership mondial et notre force nationale se complètent et se renforcent ; ils constituent une toile qui s’entrelace, aussi solidement tissée que le drapeau américain114 ». Dans le rapport du Pentagone115 établi en 1992, il est précisé que les Etats-Unis, pour maintenir leur statut de superpuissance unique, doivent élaborer une politique étrangère et développer une force militaire suffisante pour dissuader n’importe quelle nation, ou groupe de nations, de défier la superpuissance américaine. Ce rapport reprend, pour l’essentiel, l’esprit du discours prononcé, un an plus tôt, par Georges Bush devant le Congrès sur l’état de l’Union où il précise que, dans ce « monde en évolution rapide » et qui « se cherche, le leadership des Etats-Unis est indispensable » afin « de conduire le monde hors des ténèbres et du chaos de la dictature, vers la promesse des jours meilleurs116 ». Ce discours ne s’adresse pas seulement aux Etats du tiers-monde, il est aussi destiné à l’Europe et au Japon, principaux alliés des Etats-Unis, mais sérieux concurrents économiques disposant depuis la fin de la guerre froide d’une autonomie de décision en matière de sécurité et de politique étrangère. Une bonne illustration est conférée par le contrôle géopolitique du pétrole par les Etats-Unis rendu possible par la dislocation de l’URSS et le désordre instauré dans la région du Golfe persique à la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak. Les arrangements de la sécurité régionale dans le Golfe persique fondés sur la pax americana permettent aux Etats-Unis de s’octroyer un droit de regard sur la gestion des prix et le nombre de barils de pétrole produits par les Etats pétroliers. A cet égard, ils disposent d’un levier économique, d’un instrument de pression sur les pays consommateurs. Cette prépondérance de la puissance des Etats-Unis n’est pas sans difficultés d’autant plus qu’en l’absence d’un pouvoir régulateur, elle devient source d’arbitraire. c. La réhabilitation de l’ONU Elle se manifeste à travers l’extension du concept de sécurité collective qui englobe des domaines qui n’étaient pas perçus comme susceptibles d’engendrer une rupture de la paix, encore moins, une menace contre la 113

Documents d’actualité internationale n° 21, novembre 1990, p. 392. V. Documents d’actualité internationale n° 22, novembre 1990. 115 « Rapport Wolfowitz » du nom du sous-secrétaire à la défense américain révélé par le New-York Times du 8 mars 1992. 116 V. documents d’actualité internationale, n° 6, mars 1991, p. 105. 114

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paix117. Ainsi, par exemple, l’exode massif des populations civiles est perçu comme portant atteinte à la sécurité internationale ; le terrorisme aérien est considéré comme non conforme à l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies. Cette interprétation extensive de la perception de la menace a pour corollaire l’élargissement du champ d’intervention du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui se manifeste par la multiplication des opérations de maintien de la paix. Ces opérations changent de nature en fonction des circonstances118 . Dans ce cadre, l’ONU apparaît parfois, comme objet du Nouvel mondial : c’est le cas par exemple, lorsqu’une opération militaire décidée par une puissance est couverte par l’Organisation mondiale119. Dans d’autres cas, elle est perçue comme une actrice principale du nouvel ordre mondial : il en est ainsi lorsque l’opération est essentiellement onusienne, mais soutenue par les grandes puissances120. Dans ces différentes hypothèses, l’action de l’ONU s’inscrit dans le cadre des valeurs du système dominant. 2. Le fondement juridique Dès l’origine les grandes puissances ont vite pensé que le Nouvel ordre mondial repose sur l’idée de défense du droit international. A tort ou à raison, elles ont estimé que la fin du XXème siècle est marquée par le triomphe du droit international dans les relations internationales. Dans ce contexte, la décennie 1990 a été proclamée par les Nations Unies « décennie du droit international ». Le retour du droit est la résultante de plusieurs phénomènes d’ampleur différente : l’européanisation de la planète, la multiplication des interdépendances, la victoire d’un monde libéral fondé sur le marché, la démocratie et l’individu. L’affirmation ou la reconnaissance explicite ou tacite de la supériorité des droits fondamentaux de la personne humaine sur tout intérêt étatique est à l’origine d’un prétendu droit à l’ingérence humanitaire. Cette idée du devoir ou du droit d’ingérence humanitaire est présentée comme un facteur destiné à réformer profondément le droit des gens et à le

117

V. Maurice Torrelli, «Le Conseil de Sécurité : un directoire mondial ? », in Le Trimestre du Monde, IV, 1992, p. 30 et s. 118 V. Victor-Yves Ghebali, «le développement des opérations de maintien de la paix de l’ONU depuis la fin de la guerre froide », ibid., p. 67 et s. ; Georges Abi-Saab, « La deuxième génération des opérations de maintien de la paix », ibid., p. 87 ; Serge Labaude, « L’assemblée générale et les forces de maintien de la paix : le rôle du Comité 34 », ibid., p. 107 et s. 119 C’est le cas par exemple des opérations menées sous le couvert des Nations Unies en Somalie, en Sierra Leone, ou en Côte d’Ivoire. 120 On peut citer par exemple les opérations onusiennes au Liban, au Cambodge, en Yougoslavie ou en Somalie (première phase).

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mettre en concordance avec les données nouvelles des relations internationales121. Le droit d’ingérence vise, dans ce cadre, à assurer un respect effectif et universel des droits de la personne les plus fondamentaux. Cette constatation qui synthétise les débats controversés sur la validité juridique du devoir d’ingérence dans les relations internationales, reflète l’orientation nouvelle de la diplomatie des puissances occidentales pour la promotion et la protection des Droits de l’Homme universellement admis122. 3. La dimension économique du nouvel ordre mondial Elle est d’inspiration essentiellement anglo-américaine. Il faut souligner ici, que ce n’est pas une nouveauté. Les chartes fondatrices de ce nouvel ordre remontent à la Seconde Guerre mondiale et immédiatement après123. Le Nouvel Ordre Economique Mondial (NOEM) répudie le protectionnisme, affirme le voisinage économique qui fait pendant à la coopération économique, consacre la création d’un libre échange organisé. Il est mû par trois principes majeurs qui constituent le substrat du multilatéralisme : liberté des échanges et des paiements, égalité de traitement et réciprocité des échanges. Avec le nouveau partenariat économique, on assiste, dans le cadre des échanges Nord-Sud, à la fin des préférences généralisées, de la dualité des normes juridiques, des fonds de compensation124. C’est la remise en cause fondamentale du nouvel ordre économique international théorisé dans le cadre des Nations Unies au début des années 1970. Ce sont donc les valeurs libérales qui fondent le NOEM marqué par le retrait progressif de l’Etat de la sphère de l’économie et par conséquent de la consolidation de l’économie de marché. Il en découle, sur le plan des relations internationales et du fait des interdépendances économiques, une explosion des échanges entraînant la

121

V. Olivier Corten et Pierre Klein, « Droit d’ingérence ou obligation de réaction non armée », in RBDI, 1990, 2, p. 369 ; Nasser Eddine Ghozali, « Heurts et malheurs du devoir d’ingérence », in Relations internationales et stratégiques, n° 3, 1991, p. 77 et s. 122 Pour la synthèse des critiques, voir Michel-Cyr Djiena Wembou, Daouda Fall, Droit international humanitaire, théorie générale et réalités africaines, op. cit. ; Daouda Fall, « Le conflit du Golfe : 1990-1991 : de l’ordre ancien au nouvel ordre mondial », op. cit. p. 487. 123 On peut citer ici, la Charte de l’Atlantique du 14 août 1941, laquelle servit de base à la Déclaration des Nations Unies, signée le 1er janvier 1942 par les représentants de vingt-six pays en guerre contre l’Allemagne, ainsi qu’à la Charte des Nations Unies, signée le 26 juin 1945 à San Francisco, les accords de Bretton Woods, à l’origine de la création, le 22 juillet 1944, de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le développement ou Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, de la Charte de la Havane de 1947 à l’origine de l’Organisation Internationale du Commerce ou encore du Traité de Bruxelles du 17 mars 1948, etc. 124 Voir infra.

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formation d’espaces autonomes de droit ou de quasi droit, enjeux des nouvelles confrontations entre l’Occident et le tiers-monde125 .

SECTION 2 LE NOUVEL ORDRE MONDIAL : UN ORDRE JUSTE OU UN ORDRE DE PUISSANCE ? Il faut rappeler que la disparition de l’URSS, caractérisant la fin de la guerre froide, a pour conséquence de remodeler les relations internationales. Elle a libéré les Etats-Unis des lourdes contraintes du maintien de l’équilibre entre les deux blocs. Dotés de la puissance militaire, de la puissance économique et de la capacité à produire et à diffuser de l’information en direction de l’opinion mondiale, ils apparaissent comme une hyper puissance. La conjoncture internationale nouvelle conjuguée à cette position hégémonique, a donné l’occasion aux Etats-Unis d’imposer un projet d’ordre international fondé sur les valeurs essentielles et indissociables de la démocratie libérale et du capitalisme, qui seraient à leur avis, les seules valeurs capables d’apporter la paix, la sécurité et la prospérité à l’humanité. Cette vision des relations internationales qui façonne le nouvel ordre mondial est fortement contestée : le nouvel ordre mondial s’analyse dans les faits comme un ordre de puissance à l’origine du désordre mondial.

§1 Un ordre de puissance Tel qu’il s’affiche, le nouvel ordre mondial placé sous l’empire du droit et sur les principes de justice, de liberté et démocratie, ne fait pas l’unanimité. Il est contesté. Cette contestation a pour conséquence l’émergence de pôles de puissance qui annoncent la naissance d’un monde multipolaire. A. La contestation du nouvel ordre mondial Elle est non seulement le fait des Etats mais aussi des mouvements transnationaux et de la doctrine. 1. Par les Etats Le schéma du nouvel ordre mondial, marqué par l’unilatéralisme, est contesté non seulement par la Russie et la Chine, mais aussi par des Etats membres de l’Union Européenne et par les Etats du tiers-monde. Comme à l’accoutumée, la France est, par tradition, une alliée rétive à l’hégémonie américaine ; des Etats comme la Belgique, l’Allemagne qui ont 125

V. infra

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une tradition atlantiste, contestent la politique étrangère américaine, notamment dans le cadre de leur politiques économiques et commerciales vis-à-vis de la Russie et de l’Asie du Sud-Est, et manifestent clairement leur volonté de voir appliquer le droit international et de donner à l’ONU un rôle prééminent dans les relations internationales. La défiance du nouvel ordre mondial est encore plus marquée en Amérique Latine. Dans le domaine commercial, certains Etats du MERCOSUR, avec comme tête de file le Brésil, rechignent à signer un traité de libre échange avec les Etats-Unis et préfèrent négocier des arrangements commerciaux avec l’Union Européenne. Dans le domaine politique ou militaire, des Etats, à l’image du Honduras, de la République Dominicaine, sont plus proches de l’Espagne. D’une manière générale, les Etats du tiers-monde contestent l’hégémonie de l’Occident sur les pays pauvres et critiquent l’ingérence humanitaire ou les guerres humanitaires. Ces guerres sont perçues comme des guerres pour le contrôle des richesses, une guerre des civilisations126 . Et, dans les Etats du Golfe, les valeurs de la démocratie libérale sont récusées. En dépit de la pression des Etats-Unis, on assiste par exemple dans les Emirats Arabes Unis à un blocage des réformes des institutions, tandis que l’Arabie Saoudite réaffirme que les pratiques démocratiques occidentales ne conviennent pas au Royaume wahhabite et que l’Islam est le fondement de son système politique, social et économique. 2. Par les mouvements transnationaux Le nouvel ordre mondial est fortement remis en cause par des forces transnationales notamment par les altermondialistes et par des mouvements religieux fanatisés. a. Les mouvements altermondialistes Ils regroupent des acteurs divers qui s’opposent à ce qu’ils qualifient de « mondialisme néolibéral127 ». Ces mouvements que des auteurs qualifient de mouvances s’enracinent, à l’origine, dans les mouvements de contestation émergeant au début des 126

Voir infra. Parmi ces acteurs, il y a des communistes ou marxistes qui s’opposent à la mondialisation économique capitaliste et prônent la mondialisation de l’action des peuples ou prolétariat fondé sur le modèle social et solidaire ; les antilibéraux, qui critiquent le libre échangisme, souhaitent une réforme des principes de la logique économique sur la base de critères sociaux et moraux ; les écologistes qui ont pour objectif la protection de l’environnement contre les destructions et les prédations des ressources communes causées par les multinationales animées par le seul souci d’accaparer des profits à court terme au mépris de l’intérêt général ; on peut citer aussi les souverainistes qui visent la protection de la nation contre le néolibéralisme des marchés au profit de mesures protectionnistes d’intérêt national ou régional en matière d’économie. Ces mouvements sont, donc, loin d’être homogènes. Ils sont, dans leur essence même, très hétérogènes. 127

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années 1980 dans les pays du Sud avec la lutte, d’abord, contre la dette du tiers-monde et les plans d’ajustement structurel du FMI, puis contre l’OMC. Ces mouvements ne constituent pas une organisation, mais plutôt un réseau au fonctionnement horizontal. Leur particularité réside dans l’internationalité des réseaux à travers des forums mondiaux, comme le forum social mondial, qui permettent de développer des synergies entre les mouvements des différents pays128 . Les altermondialistes mettent en relief des valeurs comme la démocratie, la justice économique et sociale, la protection de l’environnement et les Droits de l’Homme. Ils ont pour objectif de concevoir et d’œuvrer à une mondialisation maîtrisée et solidaire, par opposition à la mondialisation telle que définie par les grandes puissances. A cet effet, ils contestent l’organisation interne, le statut et les politiques mises en œuvre par la Banque mondiale, le FMI, l’OMC, l’OCDE ou le G8, critiquent la surexploitation des ressources, les inégalités croissantes entre les pays développés et les pays en voie de développement, la libération des flux financiers et monétaires mondiaux129, les paradis fiscaux, les multinationales pharmaceutiques130 et recherchent une ou des alternatives globales et systémiques, à l’ordre international de la finance et du commerce. De manière globale, la pensée altermondialiste veut faire prendre conscience des méfaits de la mondialisation trop centrée sur l’économie. Si la diversité du mouvement s’avère efficace en tant que front de contestation, il n’en demeure pas moins que son hétérogénéité l’empêche de produire une stratégie politique claire et lisible. Toutefois, une orientation commune se dégage des thèmes abordés lors des forums mondiaux. Elle porte sur la lutte pour le développement durable, la souveraineté alimentaire, les droits fondamentaux, la paix, voire sur la démocratie et la justice internationale. b. Par les mouvements extrémistes ou religieux Le nouvel ordre mondial se traduit paradoxalement par le réveil des identités particulières. Il y a une exacerbation de ces identités, qu’elles soient religieuses, nationales ou ethniques. Source de déception et de frustration, le nouvel ordre mondial a suscité ou revivifié des mouvements religieux fanatisés.

128 Plusieurs forums se sont tenus ; on peut citer le Forum social mondial de Porto Alegre (2001 à 2003), le Forum économique mondial de Davos, de Gênes (2001) contre le sommet du G8, à Bombay (2004), à Florence avec le premier Forum social européen (2002) pour s’opposer à la guerre contre l’Irak et revendiquer l’institution d’un autre monde ; en 2007 s’est tenu également à Atlanta le Forum social des Etats-Unis. 129 Pour les altermondialistes, cette libération est la cause de la crise économique argentine, du sud-est asiatique, à la fin des années 1990. 130 Ils dénoncent l’action de ces firmes qui empêche les pays pauvres d’avoir accès aux soins.

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L’irruption brutale de ces mouvements sur la scène internationale a pour effet la remise en cause du nouvel ordre mondial. Ces mouvements manifestent un dévouement absolu et exclusif à une cause qui les pousse à l’intolérance religieuse ou politique et les conduit à des actes de violence, de terrorisme. Ils visent l’instauration d’un nouvel ordre religieux dans le monde. Ces mouvements, tout en contestant l’essence même du nouvel ordre mondial, profitent des avantages que confère celui-ci, notamment la libre circulation des personnes, les transferts de fonds, les échanges de savoirs et de techniques et la diffusion des moyens de l’information, pour mondialiser leur action. Comme le souligne le sociologue Edgard Morin131 , la mondialisation du terrorisme constitue de nos jours un stade de réalisation de la société-monde. Prenant l’exemple de Al-Qaïda, il souligne que ce mouvement « terroriste » n’a ni centre étatique, ni territoire national : il ignore « les frontières, transgresse les Etats, et se ramifie sur le globe ; sa puissance financière et sa force armée sont transnationales. Il dispose mieux que d’un Etat, d’un centre occulte mobile et nomade. Son organisation utilise tous les réseaux déjà présents de la société monde. Sa mondialité est parfaite ». Il va sans dire que la mondialisation des forces du mal et des mouvements obscurantistes peut permettre de transformer le terrorisme en menace mondiale. Cette mondialisation est en effet connotée d’une inquiétude née de l’ubiquité géographique des menaces et son insertion dans une gamme de risques adjacents. Dans ce contexte, la complexification du monde est désormais source de désordre et de conflits armés asymétriques qui menacent la paix et la sécurité mondiales. 3. La controverse doctrinale Le phénomène de la mondialisation est au centre d’une controverse entre divers internationalistes. Pour certains, la mondialisation est source de progrès et devrait permettre l’accès de tous aux marchés des biens et services, au progrès économique et social et à la démocratie. Pour d’autres, il s’agit essentiellement d’un projet politique tendant à maintenir la suprématie américaine et occidentale, à effacer les identités nationales, à concentrer les richesses aux mains des multinationales et donc, à augmenter le fossé entre riches et pauvres. Ce qui est certain, c’est que si la mondialisation a accru la richesse mondiale, elle n’a pas pour autant apporté la justice sociale ; elle n’a pas réduit la fracture sociale dans de nombreux pays, ainsi que les injustices, la corruption des élites, les frustrations, les inégalités, le pillage des ressources des pays en développement par les multinationales et les troubles et guerres 131

Voir son article, « Guerre éclair, doute persistant », in Le Monde, 22 novembre 2001.

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qui en découlent. 1% de la population mondiale continue de détenir 39% de la richesse mondiale. 1,2 milliards de personnes continuent de vivre avec 1,25 dollars par jour. La production des hydrocarbures dans le monde continue d’être contrôlée par les sept puissants majors du pétrole qui continuent de polluer territoires, mers et océans ; les groupes agroalimentaires jouent toujours avec la santé publique tandis que les entreprises pharmaceutiques internationales demeurent toujours insensibles aux maladies dites tropicales. Par ailleurs, la fracture numérique s’est substituée à la fracture Nord-Sud. La planète s’est rétrécie, mais les rivalités et les conflits demeurent, et le droit international n’est souvent mis en œuvre que lorsqu’il arrange les Etats puissants qui n’hésitent pas à recourir à la force dans les relations internationales, en violation manifeste des principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies. Si la mondialisation a fortement contribué au progrès économique, elle n’a pas permis l’avènement des règles équitables de jeu acceptées et respectées par tous sur la scène internationale. Elle n’a pas fait perdre sa pertinence à la notion de territoire, de frontières et les rivalités qui s’exercent pour le contrôle du leadership mondial et des richesses n’ont pas disparu. B. L’émergence de pôles de puissance La définition d’un nouvel ordre mondial marqué par l’hyper puissance des Etats-Unis a eu pour conséquence l’affirmation corrélative de pôles de puissance. Ces pôles de puissance sont la manifestation du rejet du monde unipolaire. Ils couvrent l’Asie du Sud et du Sud-est, la Russie, l’Europe et les BRICS. 1. Les puissances de l’Asie du Sud et du Sud-est Trois grandes puissances s’affirment dans cette partie du monde. Il s’agit du Japon, de l’Inde et de la Chine. a. Le Japon, qui n’est sans doute pas une puissance globale132 , cherche néanmoins à renforcer son rôle sur la scène internationale. Il aspire à être membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. A ce titre, il participe effectivement aux opérations de maintien de la paix. La Chine et l’Inde, du fait de leur superficie, de leur démographie, de leur dynamisme économique, de leurs richesses naturelles et leur puissance nucléaire, jouent un rôle important dans les relations internationales. Ils prétendent rivaliser avec les Etats-Unis. 132 Depuis sa défaite en 1945, le Japon n’aspirait pas à jouer un rôle mondial. Il est placé sous le parapluie nucléaire des Etats-Unis qui lui assure sa sécurité, alors que sa Constitution de 1947 lui interdit d’intervenir dans les conflits armés internationaux ou non internationaux. Cette posture du Japon est remise en cause, à la fin de la guerre froide. Depuis 1992, le Japon participe aux opérations de maintien de la paix sous l’égide des Nations Unies. Il essaie de se soustraire de la tutelle américaine.

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b. Ayant perdu son influence sur la scène internationale avec la marginalisation du mouvement des non-alignés à la fin de la guerre froide, l’Inde a développé une stratégie visant à rattraper son retard économique et à s’intégrer à la mondialisation. Elle souhaite un monde multipolaire. Dans ce contexte, elle multiplie les initiatives diplomatiques pour se rapprocher de l’Union Européenne, et renforce ses relations de coopération avec la Russie qui lui fournit l’essentiel de son armement et la soutient dans le dossier du Cachemire. La Russie appuie également la candidature de l’Inde à un siège permanent au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies. c. La Chine, deuxième puissance économique mondiale133 derrière les Etats-Unis, s’est engagée dans un effort de modernisation de ses armées afin de répondre à une menace de ces derniers. Elle s’est lancée dans la conquête de l’espace134 perçue par les Etats-Unis comme un défi. La montée en puissance de la Chine s’inscrit, également, dans un grand dessein, le minzu fuxing ou « régénération nationale ». Ce concept ou idée qui date de Sun Yat Sen, renvoie à une Chine impériale qui était toute puissante avant d’être malmenée par les puissances occidentales et le Japon. C’est ainsi que depuis 1978, grâce aux réformes introduites par Deng Xiaoping, la production de la Chine a été multipliée par 10, le revenu par habitant par 7 et les exportations par 45. La Chine est la première destination mondiale des investissements étrangers et l’on estime que cet essor spectaculaire la conduira à rattraper puis dépasser les Etats Unis dans quelques années. Pour contrecarrer l’influence culturelle américaine, la Chine a puissamment investit dans l’éducation, et elle est devenue aujourd’hui une puissance scientifique et technologique dont le programme spatial et le classement de ses universités parmi les meilleures au monde ne sont que la partie visible de l’iceberg. Face aux Etats-Unis, la Chine dispose d’atouts non négligeables, qui lui permettent de renforcer son leadership mondial et de contester 133

Cet essor économique exceptionnel de la Chine est le résultat de sa politique économique fondée sur le concept « d’économie socialiste de marché ». Cette politique oriente la Chine vers l’économie de marché. Les statistiques montrent que la Chine connaît une croissance exponentielle à deux chiffres, elle contrôle 80% du marché mondiale des lecteurs dvd, ses entreprises multinationales pénètrent le marché mondial, à ce titre on peut citer la société TLC devenue le leader mondial après avoir absorbé les téléviseurs de Thomson. Pour toutes ces questions, v. Questions internationales, n° 3, septembre-octobre 2003, La Documentation Française, p. 11. 134 Dans cette conquête, la Chine souhaite prendre l’avantage. Son ambition c’est d’assembler en 2020 une station arbitrale. Les recherches effectuées depuis cette station devrait lui permette de progresser vers un autre objectif : la lune. Il est prévu aussi le lancement d’une sonde sur Mars et sur Venus. Déjà en 2003, la Chine a été le troisième pays à envoyer un homme dans l’espace, et en 2008 un taïkonaute a effectué sa première sortie dans l’espace. Voir Le Monde, « Bilan géostratégique », 2011, p. 29.

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progressivement la suprématie des Etats-Unis : elle occupe un siège de membre permanent aux Nations Unies, possède l’arme nucléaire et d’importantes capacités militaires, dispose de formidables réserves en devises qui autorisent une diplomatie économique autonome et engagée en Asie et en Afrique notamment, où elle est devenue un partenaire économique incontournable, d’autant plus qu’elle investit massivement dans les infrastructures et que son aide n’est pas conditionnée par la politique des droits de l’homme. Compte tenu de ce qui précède, la Chine relance aujourd’hui nombre de ses revendications territoriales pour recouvrir des droits anciens, violés à une époque où elle était en position de faiblesse. Dans cette perspective, l’expansion économique et le potentiel militaire de la Chine requièrent des Etats de la région de nouvelles orientations stratégiques, politiques et économiques. 2. La Russie Elle a hérité des principaux attributs qui ont fait la puissance de l’URSS. C’est une puissance militaire et nucléaire disposant d’un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. Tiraillée par des conflits internes, liés aux conséquences de la disparition de l’empire soviétique, la Russie connaît une sorte de renaissance impériale avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Cette renaissance s’accompagne d’une contestation de l’ordre mondial dominé par les EtatsUnis. Comme la Chine, la Russie souhaite l’établissement d’un ordre mondial multipolaire. Elle s’est rapprochée de la Chine, joue un rôle actif dans l’Organisation de Coopération de Shanghai135 qui constitue pratiquement une nouvelle alliance eurasienne entre la Russie et la Chine et d’autres Etats asiatiques.

135 Organisation intergouvernementale, elle a été créée le 15 juin 2001. Elle regroupe, outre la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. La Mongolie, l’Iran et le Pakistan ont statut d’observateur. Ce statut a été refusé aux Etats-Unis et au Japon. La Biélorussie et le Sri Lanka sont des partenaires de discussion de cette organisation. Le secrétariat de l’Organisation est à Pékin, alors que sa Structure Anti-terroriste Régionale (RATS) est basée à Tachkent. L’Organisation de Coopération de Shanghai a pour but : de renforcer la confiance mutuelle et des relations de bon voisinage entre Etats membres ; de faciliter la coopération entre ces Etats dans les domaines économiques et commerciaux, scientifiques et techniques, culturels et éducatifs ainsi que dans les domaines de l’énergie, des transports, du tourisme et de l’environnement ; de sauvegarder la paix, la sécurité et la stabilité régionale ; d’œuvrer à la création d’un nouvel ordre politique et économique international, plus juste et démocratique.

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Lors de son discours à la Conférence de Munich sur la sécurité136 , le Président Poutine a remis en cause les aspirations des Etats-Unis à créer un ordre mondial dirigé par un seul Etat. Il a critiqué la militarisation de la politique étrangère américaine et préconisé le respect du droit international, l’usage de la force n’étant légitime que sur la base d’un mandat des Nations Unies. Il s’est opposé au projet des Etats-Unis de créer un système de défense antimissile en Pologne et en République tchèque. En dénonçant la politique de l’OTAN et l’unilatéralisme des Etats-Unis, le Président Poutine met en scène le retour d’une Russie, puissante capable de s’opposer à ces derniers et de peser sur le cours des relations internationales. Le conflit armé en Ukraine est une illustration de la confrontation entre la Russie et les Etats-Unis, la Russie et l’Occident de manière générale. Sur le plan nucléaire et militaire, la Russie entend conserver la parité nucléaire avec Washington dans le cadre des négociations sur la réduction des armes nucléaires stratégiques. En effet, l’arsenal nucléaire russe est estimé en 2005 à 3800 têtes nucléaires stratégiques et 3000 têtes tactiques. Grâce aux formidables recettes tirées de l’exportation du pétrole et du gaz, elle a entrepris une modernisation rapide de son armée, notamment la marine et les missiles intercontinentaux. 3. L’Europe et les BRICS a. L’UE se présente comme un pôle de puissance susceptible de concurrencer les Etats-Unis. C’est une puissance économique, commerciale, culturelle, démographique et monétaire. S’il est vrai, qu’il manque à la construction européenne une véritable dimension militaire, politique et diplomatique, il n’en demeure pas moins que l’UE cherche à développer une politique commune en matière de politique étrangère et de sécurité ou PESC. Sans doute l’Europe de la défense semble lointaine, dans la mesure où la sécurité de la plupart des Etats membres de l’UE est assurée par les EtatsUnis et par l’OTAN. Cependant, elle exerce une influence mondiale dans les domaines du commerce et de l’environnement. Les relations avec les Etats-Unis constituent un enjeu majeur dans l’affirmation d’une Europe autonome et influente sur la scène internationale comme l’a montré la seconde guerre du Golfe. Cette crise avait donné à l’Union Européenne et certains de ses Etats membres, l’occasion de jouer un rôle majeur au Conseil de Sécurité des Nations Unies, empêchant par là même les Etats-Unis de recevoir le soutien

136 Elle s’est tenue du 9 au 11 février 2007 sur le Thème « A crises mondiales, Responsabilités mondiales ». Pour le commentaire du discours voir Libération du 12 février 2007.

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total qu’ils attendaient de la communauté internationale pour leur expédition en Irak. Comme on le voit, si l’Europe n’a pas les capacités d’empêcher une action des Etats-Unis, il reste qu’elle peut la gêner, la retarder ou la stigmatiser. De ce point de vue, la concertation et la coopération entre les Etats-Unis et l’Europe s’imposent au détriment de l’unilatéralisme américain. b. Le BRICS est un groupe de cinq pays en l’occurrence, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud137. Ces Etats sont considérés comme de grandes puissances émergentes. Ils comptent 40% de la population mondiale et devront, selon les projections du FMI, assurer 61% de la croissance mondiale138. Ce groupe n’a pas de politique étrangère bien définie ; il recherche l’équilibre stratégique et politico-économique dans les relations internationales ainsi que la protection de la souveraineté des Etats. A cet effet, il s’est opposé à la reconnaissance du Kosovo, aux interventions armées en Libye, et en Côte d’Ivoire. Il plaide pour une réforme du Conseil de Sécurité des Nations Unies, du FMI et de la Banque mondiale, pour mieux refléter l’émergence de nouvelles puissances et le caractère multipolaire du monde du XXIème siècle. Dans ce contexte, les BRICS veulent renforcer leurs poids dans les négociations économiques internationales notamment au G 20, au FMI et à l’OMC. Les BRICS constituent, de nos jours, une réalité géopolitique certaine.

§2 Le désordre mondial Les relations internationales sont fortement marquées du sceau du conflit sous toutes ses formes, particulièrement du conflit armé. En effet, en dépit des progrès dont se targuent les superpuissances, les conflits armés n’ont jamais été aussi violents et meurtriers. De nouvelles menaces pèsent aujourd’hui sur le monde et mettent en péril la paix et la stabilité internationales. Il est possible de parler de désordre mondial. La persistance de la violence dans les relations internationales s’accompagne, cependant, de la recherche de nouveaux mécanismes de régulation des conflits dans le monde.

137 Il a été créé en 2001, et l’Afrique du Sud a intégré ce groupe en 2011. Le concept même est apparu pour la première fois dans les « Global Economics Papers » du Département de recherche de Goldman Sachs avec l’article « Building better global economic BRICS », publié le 30 novembre 2001. L’acronyme BRICS offre aujourd’hui un nouveau cadre conceptuel pour comprendre la mondialisation au XXIe siècle. 138 Voir Le Monde 15 avril 2014.

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A. La persistance de la violence dans les relations internationales 1. Les facteurs explicatifs de la violence La doctrine a toujours essayé de dégager une perspective dans la réflexion sur les conflits armés. Cette perspective se fonde sur une démarche sociologique qui met l’accent sur les causes des processus conflictuels et sur les facteurs qui les déterminent. Parallèlement sur le « pourquoi » des conflits, cette approche met également en lumière les diverses formes de conflits et les éléments dynamiques qui leur sont propres139. Dans la perspective des relations internationales de l’après-guerre froide, la pratique montre une multitude de facteurs explicatifs des conflits. On distingue les facteurs socio démographiques, politiques, économiques, psychologiques et cognitifs. i) Les facteurs socioéconomiques se fondent sur la pauvreté ou sur la démographie. Il est évident que si les richesses possédées ne peuvent en soi être déterminantes pour comprendre les logiques de guerre, nombreux sont les conflits armés qui reposent sur des inégalités économiques insupportables. Sans doute, la pauvreté n’est pas en soi le moteur de conflictualité, mais les inégalités conduisent souvent à des soulèvements violents. Par ailleurs, sur le plan de la démographie, la pratique montre qu’il existe un lien entre la densité de la population et la guerre. La densité démographique peut fortement encourager la violence lorsqu’elle s’accompagne de paramètres comme le manque d’accès aux ressources élémentaires comme l’eau ou la nourriture, par exemple au Darfour ou au sud Soudan.

139 Voir Philippe Braillard et Mohammad-Reza Djalili, Les relations internationales, op. cit., p. 105 et s. Ces auteurs reprennent l’étude faite par Kenneth Waltz, dans son ouvrage : Man, The state and War. A theorical analysis », New York, Columbia University Press, 1959, pour expliquer les causes de conflits. Ces causes sont d’actualité. Il s’agit de l’individu, de l’Etat et du système international. Dans le premier cas on estime que l’origine des conflits est dans la nature humaine ou dans certains processus psychologiques. L’auteur s’inspire ici, de diverses théories comme la théorie de l’instinct de Freud, la théorie de la frustration-agression de John Dollar, la théorie de l’agressivité de Korand Lorenz, la théorie de l’image de Kenneth Bolding. Pour ce qui est du deuxième cas de figure liant les conflits aux acteurs étatiques, il relève la situation géographique, l’existence ou l’absence de ressources naturelles, la structure géographique. Ainsi, la régulation des pressions démographique est, selon le polémologue Gaston Bouthoul, une des causes des guerres, des aventures impérialistes. Enfin, pour ce qui concerne le troisième cas de figure relatif au système international comme facteur explicatif des conflits, on estime que sa structure favorise l’éclatement et le développement des conflits. En effet, la non intégration de ce système, son caractère anarchique, la possibilité qu’ont les acteurs étatiques de recourir légitimement à la violence pour défendre leurs intérêts, favorisent l’éclosion de conflits violents.

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ii) Les facteurs politiques apparaissent aujourd’hui dominants pour comprendre la dynamique de la violence conflictuelle. L’accès au centre de décision, l’orientation des politiques publiques ou le partage inéquitable du pouvoir constituent souvent les moteurs de conflits armés ; on peut citer par exemple, le cas de la Côte d’Ivoire, de la République Démocratique du Congo, etc. Lorsque l’Etat est généralement perçu comme un outil de privatisation des ressources et de renforcement d’une communauté au dépend des autres, la violence armée constitue souvent la seule réponse, notamment lorsque le processus électoral est manipulé et bloqué par des régimes politiques corrompus et tribalistes soutenus par les capitales occidentales et leurs multinationales. La guerre civile en Algérie après l’interruption du processus électoral ou le conflit armé en Côte d’Ivoire attestent cette tentation de faire la politique par la guerre. Les conflits armés résultent également de la répression massive ou ciblée, toujours perçue comme injuste par ceux sur qui elle s’exerce. Le terrorisme en Algérie, en Tchétchénie, ou l’intifada en Palestine, se fonde dans cette dialectique politique répressive et résistance armée. Il faut aussi ajouter un autre facteur explicatif des conflits : la mise en œuvre de la doctrine du chaos constructeur140 reprise par les néo conservateurs américains141 . Il résulte, grosso modo, de cette théorie que le pouvoir politique ne s’exerce pas dans l’immobilisme, mais par la destruction de toute forme de résistance. C’est en plongeant les masses dans le chaos que les élites peuvent aspirer à la stabilité de leur position. Autrement dit, pour les théoriciens du chaos constructeur, il est nécessaire de créer l’instabilité, le chaos sur les cendres 140 Cette doctrine est expliquée par Corey R, dans son ouvrage : La peur histoire d’une idée politique, Armand Colin, Paris, 2006, p. 127. Elle se fonde sur la pensée de Leo Strauss selon laquelle le peuple est divisé en « nombreux communs », « vulgar-many » et « peu de sages », « wise-few ». Les sages ont pour tâche de maintenir l’ordre et, pour atteindre leur but, peuvent user de « nobles mensonges », « noble lies ». Si les « nombreux communs » sont laissés à l’individualisme, au libéralisme et au relativisme, il ne peut en résulter que le chaos. Un mythe inventé par les dirigeants servira à contrôler le peuple. En inventant ou en entretenant une « guerre perpétuelle », le peuple pourra être mené pour son propre bien. 141 Le néo-conservatisme est un courant de pensée politique d'origine américaine apparu à la fin du XXe siècle. Il s'agit d'une conception qui a émergé aux États-Unis par opposition au relativisme culturel et à la contre-culture de la Nouvelle Gauche (« New Left ») des années 1960. Cette philosophie a influencé les politiques menées par le Président Georges W. Bush, signifiant un réalignement de la politique américaine, et le passage de quelques libéraux sociaux à la droite du spectre politique, d'où le terme qui fait référence aux « nouveaux » conservateurs. A l'origine, le terme néo-conservateur était utilisé pour critiquer les sociauxlibéraux qui sont passés du côté du Parti républicain. Michael Harrintong un socialdémocrate, a forgé l'usage du mot néo-conservateur en 1973 dans Dissent un magazine sur les politiques de protection sociale. Selon E. J. Dione, le néo-conservatisme est né sur le principe que le social-libéralisme a échoué. Le premier théoricien néo-conservateur à avoir adopté ce mot et qui est considéré comme le fondateur de cette idéologie est Irving Kristol.

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duquel naîtront l’ordre, la stabilité et les structures d’Etats viables afin d’exploiter leurs richesses naturelles. A cet effet, au Moyen-Orient et au Proche-Orient il s’agit de substituer aux États hérités de l’effondrement de l’Empire ottoman des entités plus petites à caractère mono ethniques, et neutraliser ces mini-États en les dressant en permanence les uns contre les autres. C’est dans ce prisme qu’il faut analyser les nouvelles générations de conflits qui se manifestent en Lybie, en Syrie, en Irak, au Liban ou au Yémen. iii) Les facteurs économiques sont souvent perçus comme dominants dans les conflits. L’accumulation de richesses ou la prédation sont les moteurs de la conflictualité des organisations criminelles, de mouvements politiques aux finalités floues et soucieux de perdurer sur la scène publique, comme les FARCS en Colombie, le RUF en Sierra Leone, etc. En outre, les guerres interétatiques comportent également une ambition prédatrice visant non seulement les territoires de l’Etat combattu, mais aussi ses richesses. Ainsi les interventions armées des Etats-Unis en Irak, de l’OTAN en Libye, sont motivées par des raisons économiques. iv) Les facteurs psychologiques et cognitifs constituent également une des causes des conflits. Nombre de conflits armés, comme le terror on war décrété par les Etats-Unis, reposent sur la peur de l’autre qui justifie le retour de la guerre préventive. Par ailleurs, le sentiment d’une méconnaissance culturelle ou d’une négation de son identité en tant que peuple ou communauté explique les conflits identitaires au Sri Lanka. De même, la force de référentiels fondés sur l’idée d’une suprématie religieuse, justifie tous les excès violents et alimente les conflits armés. 2. Le désordre mondial Le nouvel ordre international annoncé n’a pas apporté « la paix perpétuelle » entre les nations ou la « fin de l’histoire ». Désormais superpuissance unique, les Etats-Unis imposent leur modèle au monde, mais ils ne contrôlent par pour autant les conflits qui prolifèrent partout. A peine un cessez-le-feu est-il obtenu ici qu’une nouvelle crise s’amorce là. Des Balkans au Caucase, de l’Afrique des Grands Lacs au Mexique, de l’Afghanistan à l’Irlande du Nord, du sahel au Moyen-Orient en passant par la Corne de l’Afrique, la crainte des embrasements trouble la sérénité des puissances. A cela, s’ajoutent les rivalités en mer de Chine ou en mer Rouge, les guérillas latino-américaines, les tensions entre l’Occident et la Russie à propos de l’Ukraine. D’un bout à l’autre de la Méditerranée, on peut citer les guerres civiles en Algérie et en Libye, les combats au Kurdistan, les tensions gréco-turques. L’échec du processus de paix entre Israël, les Palestiniens et les pays arabes 101

accroît les tensions, au Proche et au Moyen-Orient. La Corée du Nord poursuit inexorablement son programme nucléaire et la Chine n’hésite pas à occuper militairement des îles sous souveraineté japonaise dans le pacifique. Les attentats terroristes en France, au Mali, au Cameroun, en Tunisie, en Somalie et au Kenya démontrent que le monde est entré dans une spirale de violences. Le choc des civilisations théorisé par Samuel Huntington, encourage la xénophobie et accrédite, à tort, l’idée selon laquelle l’Islam est le « nouvel ennemi » de l’Occident. On assiste à une spirale de la violence dans le monde arabo-musulman, au Sahel, en Syrie, en Irak, en Palestine, au Yémen, au Pakistan, etc. Ces violences qui remettent en cause l’existence même des Etats s’inscrivent dans le cadre des conflits asymétriques. Les cartes suivantes donnent une idée du planisphère des conflits qui se manifestent dans le monde.

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B. La recherche de mécanismes de régulation des relations internationales. L’analyse des relations internationales montre que la fin de la guerre froide marque l’éclipse de l’ordre mondial bipolaire et la naissance d’un monde en conflits perpétuels. Ces conflits armés se manifestent le plus souvent au sein des Etats. Ils ont la particularité d’échapper aux règles classiques de la polémologie. Face à ces conflits, l’ONU semble impuissante : les acteurs de ces conflits sont soustraits à tout contrôle. Pourtant, des théories ont été élaborées, des propositions sont faites pour instituer un nouveau mécanisme de règlement des conflits armés. Ces propositions portent sur la réforme du Conseil de Sécurité des Nations Unies, la réactivation des institutions de développement142, la réforme des institutions financières internationales, la fin des relations incestueuses entre certaines puissances occidentales et les pays africains, qui entretiennent la corruption des élites, le népotisme, le pillage des ressources de l’Etat, la persistance des conflits armés et de l’immigration clandestine vers l’Europe. L’accent est mis sur la dialectique de la paix et du développement, sur la complémentarité de l’ordre politique et de l’ordre économique. Il demeure évident qu’un nouvel ordre mondial ne peut être viable voire effectif, que s’il intègre la dimension économique de la paix. Cette évidence n’est pourtant pas occultée. Il y a une prise de conscience sur le fait que les menaces, les conflits trouvent leur source dans l’instabilité qui existe dans les domaines économique, politique, social, humanitaire, écologique voire idéologique. Il ne saurait, par conséquent, y avoir de paix et de stabilité durables, sans une véritable coopération internationale en vue d’éliminer la pauvreté, les injustices sociales, politiques et d’assurer une vie meilleure à tous les hommes dans une plus grande liberté. Cette conception de la paix traduit l’idée de la sécurité coopérative, l’antithèse de la sécurité collective au centre du dispositif actuel de la Charte des Nations Unies143.

142 143

V. supra. V. supra.

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Deuxième partie Les acteurs des relations internationales

La désignation des acteurs représente une étape importante pour l’étude de la vie internationale. Il s’agit d’identifier les entités, institutions dont les activités ont une influence réelle sur la scène internationale, et qui déterminent en quelque sorte le vécu quotidien aussi bien des peuples que des Etats et des individus. Selon le dictionnaire des relations internationales, on considère comme acteur « toute entité dont les actions transfrontalières affectent la distribution des ressources et la définition des valeurs à l’échelle planétaire144 ». La question des acteurs permet de mieux comprendre les affaires mondiales, ce qui demeure du reste un impératif majeur pour tout être vivant dans ce monde, quelle que soit sa nationalité, sa condition humaine et sa position sociale. Il importe donc de se demander qui influence concrètement les relations internationales et surtout quels sont les acteurs, légaux et même illégaux, qui animent les rapports de force internationaux qui se jouent sous nos yeux ? Les Etats ont longtemps été considérés comme les seuls acteurs des relations internationales. En effet, de la signature du traité de Westphalie (1648) jusqu’au début du XXe siècle, l’Etat était considéré comme l’acteur quasi unique des relations internationales. Mais ce n’est plus le cas, depuis d’autres acteurs non étatiques, des firmes multinationales aux individus en passant par les organisations non gouvernementales, les collectivités locales et les médias, ont montré leur influence sur la scène internationale. A côté de ces acteurs exerçant leurs activités internationales de manière publique, l’on note l’existence d’acteurs illégaux, tels les mafias et les groupes terroristes, qui s’inscrivent aussi dans la mondialisation et dont les capacités de nuisance ne sauraient être négligées. L’étude des acteurs doit donc permettre de décrypter une scène internationale devenue, depuis quelques décennies, plus complexe. Dans l’ordre international, on distingue aujourd’hui les acteurs « traditionnels » du jeu international, c’est-à-dire ceux qui jouaient un rôle prépondérant sur la scène internationale jusqu’à l’avènement d’une seule superpuissance dans les années 1990, des « nouveaux » acteurs qui, à l’instar du G8, exercent une domination certaine sur tous les secteurs de la vie internationale.

144 SMOUTS (M.C) et BATTISTELLA (D) et VENESSON (P). Dictionnaire des relations internationales, Dalloz, Paris, 2003, P.1

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Titre I Les acteurs traditionnels

Les Etats constituent l’épine dorsale de la communauté internationale. Dès son apparition au XVIe siècle en Europe, l’Etat moderne a pris une part importante dans la détermination des fondements des relations internationales et l’élaboration des normes qui le régissent. En fait, les Etats sont les sujets « traditionnels » de la communauté internationale en ce sens qu’ils sont, avec les insurgés, les dramatis personae de la scène internationale, depuis son origine. Après la Seconde Guerre mondiale, d’autres centres d’intérêts et d’activités ont acquis un statut international. En effet, les Etats ont institué des entités chargées de mettre en œuvre collectivement l’action internationale pour le compte des Etats membres : c’est l’apparition des organisations internationales gouvernementales, qui jouent depuis lors un rôle important sur la scène internationale. Et dans le contexte de l’après-guerre, dominé par la montée en puissance de l’économie libérale, les firmes multinationales, bien qu’ignorées du droit, sont devenues, progressivement, des acteurs incontournables des relations économiques internationales. C’est ainsi qu’avant la chute du Mur de Berlin en 1989, la disparition de l’URSS, la dislocation du bloc de l’Est et l’avènement d’un monde unipolaire, quatre groupes d’acteurs « traditionnels » contrôlaient le jeu politique, diplomatique, économique et militaire sur la scène internationale : les Etats, les organisations intergouvernementales, les personnes privées et les acteurs régionaux, en particulier l’OTAN, dont on a assisté à un brusque réveil depuis la guerre du Kosovo.

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CHAPITRE 1 LES ETATS Les Etats sont les acteurs originaires et principaux des relations internationales. L’Etat se définit comme une entité indépendante, dotée d’un territoire déterminé, d’une population et d’un gouvernement145. Il est donc une personne morale souveraine, jouissant de la personnalité juridique internationale. C’est en fait le seul sujet du droit qui bénéficie de l’attribut fondamental qu’est la souveraineté ou l’indépendance. A ce titre, l’Etat prétend conserver une place prépondérante dans la conduite des relations internationales. Cette prépondérance s’exerce aussi bien sur les autres sujets de droit international que sont les organisations internationales, que sur les acteurs ne bénéficiant pas de la personnalité juridique internationale (ONG, firmes multinationales, personnes privées). Il convient néanmoins de préciser ici que la prépondérance de l’Etat est fortement contestée aujourd’hui par d’autres acteurs traditionnels des relations internationales (firmes multinationales et ONG) et même par de nouveaux acteurs pourtant ignorés par le Droit international (Mafia et groupes terroristes), mais qui peuvent saper les fondements même de l’Etat. Nous procéderons tout d’abord à la définition du concept d’Etat, avant d’examiner le rôle qu’il joue dans la vie internationale.

SECTION 1 DEFINITION ET CARACTERISTIQUES DE L’ETAT L’Etat est avant tout une collectivité humaine pouvant invoquer à son profit le principe de souveraineté. Il importe donc d’examiner les éléments constitutifs de l’Etat avant de préciser ses caractéristiques et les conditions d’exercice de cette souveraineté

§1 L’existence de l’Etat Les éléments constitutifs de l’Etat sont le territoire, la population et le gouvernement. Ces trois éléments conditionnent l’existence de l’Etat. Mais pour agir sur la scène internationale, l’Etat doit être reconnu par les autres 145

Voir NGUYEN et autres, op. cit. p. 373

Etats. D’où la nécessité de l’étude de la reconnaissance d’Etat considérée ici comme un élément essentiel pour l’exercice de la souveraineté de l’Etat et non comme une condition supplémentaire de son existence. A. Territoire Il n’existe pas d’Etat sans territoire. Le principe est fermement établi par la coutume internationale. Le territoire est l’espace où l’Etat exerce l’ensemble des compétences déduites de la souveraineté. Le droit international n’impose pas de largeur à la dimension des Etats. C’est ainsi que les micro-Etats ont toujours été reconnus sur la scène internationale et leur existence n’est pas contestée. Le territoire étatique comprend l’ensemble du territoire terrestre, y compris les voies d’eau, ainsi que l’espace maritime et l’espace aérien. L’espace aérien est constitué par la couche atmosphérique surplombant le territoire terrestre et maritime de l’Etat. Quant-au territoire maritime, il comprend les espaces marins soumis à la juridiction nationale, à savoir les eaux intérieures et la mer territoriale. Les espaces où l’Etat n’exerce que « des droits souverains » ou une « juridiction fonctionnelle », ne font pas partie du territoire étatique : il s’agit du plateau continental, de la zone contiguë, et de la zone économique exclusive. Le territoire apparait donc clairement comme un élément de la personnalité de l’Etat. Le Doyen Hauriou parle d’Etat – corporation territoriale, car il considère l’Etat comme un phénomène essentiellement spatial. Quant à Carré de Malberg, il affirme très clairement que « le territoire ne fait pas partie de l’avoir de l’Etat, mais de son être146 ». De l’avis de tous ces auteurs, le territoire est donc la zone spatiale dans laquelle les gouvernements sont habilités à prendre souverainement des décisions. Mais au-delà de ces analyses juridiques, le territoire « demeure un symbole de l’idéal national pour les populations qui l’habitent, un lieu de concentration des richesses nationales, un support pour la population et pour la défense nationale147 ». B. La population S’il n’y a pas d’Etat sans territoire, on imagine mal un Etat sans population, car la population constitue le groupement humain qui est à la base de l’Etat. La population comprend toutes les personnes qui vivent et travaillent sur le territoire d’un Etat, qu’il s’agisse des nationaux ou des étrangers.

146

CARRE DE MALGERG (R). – Contribution à la théorie générale de l’Etat, Sirey, Paris, 1920. 147 OWONA (J). – Droit constitutionnel et régimes politiques africains, Berger – Levrault, Paris, 1985, p. 10

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Les nationaux sont rattachés à l’Etat par un lien juridique, le lien de la nationalité. La nationalité fonde la compétence personnelle de l’Etat. Elle crée une allégeance personnelle de l’individu envers l’Etat national. La population de l’Etat peut être constituée d’une nation unique ou d’un groupe de nationalités. Le droit international n’interdit pas qu’un Etat englobe plusieurs nations, dont tous les membres auront la même nationalité. L’Etat et la nation ne coïncident pas toujours. De fait, plusieurs conceptions de la nation s’affrontent. La doctrine dominante en Allemagne d’avant-guerre donnait la primauté à la race, à la langue et au sol. La population était considérée comme une communauté tribale de dimension nationale, fondée sur le sang. Pour d’autres auteurs, en particulier RENAN, la nation nait plutôt du besoin de vivre en commun ; elle est « une âme, un principe spirituel » et par conséquent l’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa religion, ni de sa langue. Comme on le sait, la conception de la « nation race » est dangereuse et scientifiquement fausse. Non seulement il n’existe pas de race pure, mais les recherches récentes sur l’ADN ont démontré l’unité biologique du genre humain. C. Le Gouvernement L’Etat est une institution. C’est une collectivité humaine dotée d’une personnalité juridique autonome et souveraine. En tant que tel, l’Etat a besoin d’organes pour le représenter et exprimer sa volonté. Le pouvoir politique « est institutionnalisé, c'est-à-dire fondé en droit, permanent en ce qu’il se détache des individus qui exercent le pouvoir organisé, et articulé en structures propres et spécialisées148 ». Le concept de « Gouvernement » comprend ici l’Exécutif, le législatif, les tribunaux, et toute l’Administration. Un territoire sans gouvernement ne peut être reconnu comme un Etat, au sens du droit international. Toutefois, le droit international ne va pas jusqu’à dicter aux Etats une forme de gouvernement, car cela relève du droit constitutionnel de chaque pays. Le gouvernement doit avoir une autorité effective c'est-à-dire, « la capacité réelle d’exercer toutes les fonctions étatiques, y compris le maintien de l’ordre et de la sécurité intérieure, et l’exécution des engagements extérieurs149 ». Le territoire, la population et le gouvernement sont les trois éléments constitutifs de l’Etat. Mais dès que l’Etat accède à la souveraineté internationale, il va chercher à établir des relations diplomatiques avec les

148 149

OWONA (J). – op. cit. p. 11 NGUYEN (O. D.) et autres, op. cit. p. 381

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autres membres de la communauté internationale. D’où l’intérêt de l’étude de la reconnaissance d’Etat. D. La reconnaissance d’Etat L’existence d’un Etat est une réalité dès lors que ses trois éléments constitutifs sont réunis (territoire, population, gouvernement). Mais son insertion dans la vie internationale dépend de la réaction des autres Etats face à son apparition. En effet, le nouvel Etat ne devient membre de la communauté internationale que dans la mesure où il est reconnu par les autres Etats. 1. Définition et modalités de la reconnaissance La reconnaissance d’un nouvel Etat est « l’acte unilatéral par lequel un ou plusieurs Etats admettent, explicitement ou tacitement, qu’ils considèrent la nouvelle entité juridique comme un Etat, et qu’ils admettent en conséquence que cette entité possède la personnalité juridique internationale – autrement dit, qu’elle est capable d’acquérir des droits et de contracter des obligations internationales150 ». La reconnaissance est un acte unilatéral et facultatif. Il n’existe pas dans le droit international une obligation de reconnaitre les nouveaux Etats : la reconnaissance est un acte libre, politique par nature. Cela ne veut pas dire que la reconnaissance soit un acte arbitraire. La pratique montre en effet que les Etats ne reconnaissent pas un nouvel Etat si celui-ci ne réunit pas les conditions requises par le droit international pour être considéré comme tel. Il convient en outre de préciser que la reconnaissance d’Etat ne peut être assortie de conditions. La reconnaissance dite « conditionnelle » est illicite, dans la mesure où un nouvel Etat est reconnu non parce qu’il aura satisfait les conditions posées par un autre Etat, mais parce qu’il remplit les critères imposés par le droit international. En principe, la reconnaissance est expresse ; c’est une déclaration adressée au nouvel Etat pour lui communiquer la décision de le considérer comme un membre de la communauté internationale. Mais la reconnaissance peut aussi être tacite. Dans ce cas, elle découle d’actes qui indiquent clairement une telle volonté de la part de l’Etat qui les a effectués. Par exemple, l’établissement des relations diplomatiques est une forme de reconnaissance implicite. La reconnaissance peut aussi être effectuée dans le cadre des organisations internationales. Comme on le sait, tout nouvel Etat cherche à participer à la vie internationale et donc à prendre part au processus décisionnel dans les organisations internationales. C’est ainsi que le nouvel 150

RUDA (J.M). – Reconnaissance d’Etats et de gouvernements in droit international, Bilan et perspectives (Dir : M. BEDJAOUI) op. cit. p. 472

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Etat va demander son admission à diverses organisations régionales et internationales, et en particulier, à l’ONU. L’admission d’un Etat ne suppose ni la reconnaissance individuelle par les autres Etats membres, ni l’existence d’une obligation de reconnaitre à la charge de ces Etats. Seuls les Etats ayant voté en faveur de l’admission du nouvel Etat peuvent être considérés comme l’ayant reconnu. Le vote négatif émis par les autres Etats peut être assimilé à un refus de reconnaitre. Mais cela n’empêchera pas la nouvelle entité de continuer à faire partie de l’organisation internationale concernée, si telle est la volonté de la majorité des Etats membres. Il importe enfin de souligner que la reconnaissance est irrévocable. En principe, un Etat ne peut « retirer » la reconnaissance accordée à un autre Etat, sauf si cet Etat disparait, par exemple lorsque son territoire est annexé à un autre Etat ou partagé entre plusieurs Etats. Dans ce cas, il n’y a plus rien à reconnaitre car l’Etat en question a cessé d’exister. 2. Les effets de la reconnaissance d’Etat Les effets juridiques de la reconnaissance ont fait l’objet d’une vive controverse entre les tenants de la théorie dite constitutive et ceux de la théorie « déclarative ». Mais, en réalité, les deux théories ont des points communs, car la reconnaissance possède à la fois un effet déclaratif et un effet constitutif. C’est ce qu’exprime Charles de Visscher lorsqu’il écrit : « la reconnaissance est déclarative en ce sens qu’elle constate l’effectivité d’une situation ou d’une prétention. Elle a une portée constitutive du fait qu’elle met fin à un état de choses politiquement incertain pour y substituer une situation de droit définie151 ». Aujourd’hui, l’acte de reconnaissance a d’abord une portée politique : il témoigne de la volonté de l’Etat, auteur de la reconnaissance, d’inaugurer des relations internationales avec le nouvel Etat. Certes, cette position ne lie pas les autres Etats. Mais l’acte de reconnaissance peut renforcer le capital de sympathie du nouvel Etat et faciliter son insertion dans la communauté internationale.

§2 Les caractéristiques de l’Etat Ce sont les attributs par lesquels l’Etat peut être identifié dans la société internationale ; il s’agit de l’indépendance et de la souveraineté, de la personnalité juridique internationale, des compétences spécifiques qu’il exerce et des immunités qui lui sont reconnues.

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DE VISSCHER C. – Problèmes d’interprétation judiciaire en droit international public, 1963, p. 191

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A. La personnalité juridique La personnalité juridique, c’est le fait d’être capable d’avoir des droits et des obligations juridiques dans un système de droit donné ; en d’autres termes, c’est la capacité d’être titulaire de droits et d’obligations. La notion de personnalité juridique est commune à tous les systèmes de droit, qu’il s’agisse des droits nationaux ou du droit international. Par « personnalité juridique internationale », l’on désigne simplement la personnalité juridique dans l’ordre juridique international. Affirmer que l’Etat jouit de la personnalité juridique internationale, cela revient à dire que l’Etat a la capacité de recevoir des droits et de contracter des obligations en droit international. L’Etat est donc un sujet originaire et principal du droit international. Comme le montre l’affaire relative aux droits et ressortissants des EtatsUnis d’Amérique au Maroc152 , la possession de droits et devoirs découlant du droit international et la capacité soit de les exercer, soit d’en être responsable, dénotent la personnalité juridique internationale. La cour affirme en effet que « le Maroc, même sous protectorat, a conservé sa qualité d’Etat en droit international ». L’Etat, en tant que sujet de droit international jouissant de la personnalité juridique internationale peut ester en justice et être attrait devant les juridictions dans le cadre de la responsabilité. C’est le seul sujet du droit international qui peut prétendre à une effectivité complète, internationale autant qu’interne, en raison notamment de sa souveraineté et de son indépendance. B. La souveraineté de l’Etat Seules les collectivités humaines dont le gouvernement est indépendant et souverain constituent des Etats. 1. Définition de la souveraineté Le principe de la souveraineté étatique est solidement ancré dans le droit positif. Il est à la base des relations entre Etats, dans la mesure où il est inscrit pratiquement dans toutes les chartes constitutives des diverses organisations internationales et régionales, à commencer par l’article 2 paragraphe 1 de la Charte de l’ONU qui dispose que « l’organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres. » La souveraineté apparait donc comme le critère même de l’Etat. Elle est la source des compétences que l’Etat tient du droit international. C’est un attribut fondamental de l’Etat. Le droit international et même la jurisprudence internationale assimilent systématiquement indépendance et souveraineté. Mais la souveraineté 152

CIJ, Recueil, 1952, p. 185

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n’implique nullement que l’Etat peut s’affranchir des règles du droit international. Au contraire, l’Etat est souverain parce qu’il est soumis directement, immédiatement au droit international. C’est ce qu’a rappelé la CPJI dans l’affaire du Wimbledon (Série A, n° 1, p. 25) : « la faculté de contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de l’Etat ». Les Etats sont juridiquement égaux entre eux. Tous les Etats ont les mêmes droits et obligations internationaux. Ce qui ne signifie pas qu’il n’existe pas entre les Etats des inégalités de puissance et de richesses ! Cette vision de l’égalité souveraine, tout comme celle de la souveraineté absolue, ont été remises en cause par les changements intervenus sur la scène internationale, notamment depuis la fin de la guerre froide. Il va de soi qu’en raison des impératifs de la coopération internationale, aucun Etat ne peut prétendre à une souveraineté absolue. De même, l’on admet aujourd’hui que l’on ne peut maintenir le principe de nondiscrimination dans les relations économiques et commerciales entre pays industrialisés et ceux du Sud, en raison de la nécessité de renforcer la lutte contre la pauvreté, la maladie, l’analphabétisme et la misère. Enfin, les débats en cours au sein de l’OMC, montrent le souci des Etats de moduler la mise en œuvre du principe de réciprocité des droits et avantages, qui devrait découler en toute logique du principe de l’égalité souveraine. Parce que l’égalité souveraine peut conduire à négliger l’inégalité de développement, les Etats du Sud ont toujours demandé aux Nations Unies et aux institutions financières et économiques internationales, d’envisager des régimes différenciés d’exercice des droits et obligations internationaux des Etats. D’où l’apparition dans les années 1970 de la théorie de l’inégalité compensatrice et des nouveaux principes du droit international de développement élaborés par l’ONU tels la dualité des normes, la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, etc.. Malheureusement, la lutte contre le sous-développement ne semble plus à l’ordre du jour des Nations Unies, du G.8 ou des institutions de Bretton Woods qui privilégient désormais la mondialisation, la privatisation généralisée des facteurs de production, la réduction des dépenses dites non productives, ce qui conduit à l’accroissement de la richesse des multinationales et à l’aggravation de la pauvreté dans le monde et en particulier, dans l’hémisphère sud. 2. Les effets de la souveraineté La première conséquence de la souveraineté est l’absence de toute subordination organique des Etats à d’autres sujets de droit international. Comme l’a rappelé la Résolution 2625 (XXV), « les Etats sont juridiquement égaux » et « chaque Etat a le devoir de respecter la personnalité des autres Etats. »

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Il n’existe pas de structure organique supérieure aux Etats. Les organisations internationales sont autonomes, et certaines sont parfois plus puissantes que de nombreux Etats. Mais aucune d’elle ne constitue un superEtat, pas même l’ONU. Les Etats demeurent indépendants dans leurs rapports avec ces organisations. La seconde conséquence de la souveraineté est la présomption de régularité des actes accomplis par l’Etat, notamment sur le territoire national. Le comportement de l’Etat est réputé licite, notamment dans les domaines qui ne sont pas réglés par le droit international. La troisième conséquence de la souveraineté c’est l’autonomie constitutionnelle de l’Etat. C’est ce qu’a rappelé la CIJ dans l’affaire de la Namibie : « Aucune règle de droit international n’exige que l’Etat ait une structure déterminée comme le prouve la diversité des structures étatiques qui existent actuellement dans le monde153 ». Chaque peuple a le droit de choisir son régime politique, économique et social. La seule restriction porte sur les régimes politiques ouvertement fondés sur la discrimination raciale. La communauté internationale et en particulier l’Assemblée Générale de l’ONU a fermement rejeté de tels régimes. Il importe néanmoins de préciser que la souveraineté de l’Etat n’implique pas une totale liberté d’action, car les Etats doivent pouvoir coexister dans la communauté internationale. C’est ainsi que les Etats doivent respecter le droit international. Ils ne doivent pas s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres Etats. « L’interdiction de l’ingérence dans les affaires intérieures et la prohibition des recours à la force sont d’abord la garantie et la contrepartie de l’exclusivité des compétences de l’Etat sur son territoire154 ». La souveraineté de l’Etat ne signifie pas qu’il a le droit de recourir à la force dans les relations internationales. Seules deux exceptions sont prévues par la charte de l’ONU : la légitime défense (article 51) et le recours à la force décidé par le Conseil de Sécurité sur la base du Chapitre 7. L’interdiction du recours à la force a pour but de limiter l’interventionnisme des grandes puissances et de protéger la souveraineté des nations les moins puissantes. Mais avec l’apparition d’une seule superpuissance, la réalité semble toute autre aujourd’hui : c’est la raison du plus fort qui l’emporte et non la force du droit. Il convient enfin de relever que deux autres principes limitent la liberté d’action des Etats : il s’agit de l’obligation de règlement pacifique des différends, qui est le corollaire de l’interdiction du recours à la force, et du devoir de coopération, qui prolonge en fait, le principe d’autonomie constitutionnelle. 153 154

Avis de 1971, Rec. 1971, p. 43 NGUYEN (Q.D). – et autres, op. cit, p. 392

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La souveraineté apparait donc comme l’une des caractéristiques fondamentales de l’Etat. Avec la personnalité juridique, elle fonde et justifie les compétences de l’Etat, et notamment la compétence territoriale. C. Les compétences de l’Etat Il convient ici de distinguer les compétences territoriales, que l’Etat exerce en souverain sur son territoire, de celles que le droit international lui reconnait en dehors de son territoire. 1. Les compétences territoriales Ces compétences découlent de la souveraineté de l’Etat sur son territoire. Ce sont les compétences les plus vastes, les plus importantes que le droit international reconnait à l’Etat. Il s’agit de compétences législatives, administratives et juridictionnelles. Le droit international reconnait à l’Etat le droit d’exercer, de manière souveraine, toutes les fonctions étatiques sur l’étendue de son territoire et sur tout ce qui s’y trouve ou s’y rattache. Comme l’avait relevé Marx Hubert dans sa célèbre sentence de 1928 à propos d’un différend entre les Etats Unis et les Pays-Bas sur l’île des Palones, « la souveraineté, dans les relations entre Etats, signifie l’indépendance. L’indépendance relativement à une partie du globe est le droit d’y exercer, à l’exclusion de tout autre Etat, les fonctions étatiques » (RSA, vol. II, p. 281). Il s’en suit donc que deux éléments fondamentaux caractérisent la souveraineté territoriale : la plénitude de son contenu et l’exclusivité de son exercice. Chaque Etat exerce librement sur son territoire et par le biais de ses organes, les pouvoirs de législation, d’administration et de contrainte. Ce qui implique que l’Etat a le droit d’interdire l’accès de son territoire. Tout acte de contrainte en territoire étranger est illicite, à moins qu’il n’ait été autorisé par le souverain territorial. L’Etat a donc le monopole des compétences sur son territoire. Mais dans l’ordre international, son pouvoir d’agir entre en concurrence avec celui d’autres Etats. 2. Les compétences internationales Ce sont les compétences exercées par l’Etat hors de son territoire. Il s’agit des compétences personnelles, des compétences relatives aux services publics à l’étranger et des compétences territoriales dites mineures parce qu’elles sont exercées sur des espaces qui n’appartiennent pas au territoire national. Les compétences personnelles sont celles que l’Etat exerce à l’égard de ses nationaux, en vertu du droit international positif qui autorise l’Etat à réglementer les activités de ses ressortissants en quelque endroit qu’ils se trouvent et à protéger leurs intérêts.

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Les compétences relatives aux services publics sont celles que l’Etat exerce au titre des services publics nationaux dans un Etat étranger, aux fins de les organiser, de les faire fonctionner et de les défendre. D. Les immunités des Etats Tout Etat jouit de l’immunité de juridiction, de l’immunité des mesures de contraintes sur ses biens, des immunités de procédure et de l’immunité contre toute mesure coercitive lui imposant d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte déterminé sous peine de sanctions pécuniaires, dans le cadre de toute procédure engagée devant un tribunal d’un autre Etat. L’immunité juridictionnelle a trait à l’immunité de l’Etat à l’égard de la compétence juridictionnelle d’un autre Etat, et à l’immunité des biens de l’Etat à l’égard des mesures d’exécution ou de saisie ad fundaudam juridictionem. La règle de l’immunité juridictionnelle peut être exprimée ainsi : « Tout Etat jouit, pour lui-même et pour ses biens, de l’immunité de juridiction des tribunaux d’un autre Etat ». Il convient de préciser que cette immunité des Etats n’est pas absolue : Dans les cas d’actes attribuables à l’Etat, ou acta jure imperii, c'est-à-dire des actes se rapportant manifestement à l’exercice des prérogatives de la puissance publique, l’immunité est invariablement admise et accordée. Mais dans les cas où l’Etat intervient dans des activités qui ne relèvent pas de la puissance publique, par exemple, les transactions commerciales, l’Etat pose des actes appelés acta jure gestionis ou jure privatorum pour lesquels il ne peut invoquer l’immunité de juridiction. De nos jours, la théorie de l’immunité de l’Etat est admise par l’ensemble des Etats. Certains lui confèrent néanmoins un caractère absolu, alors que d’autres lui imposent de sérieuses limites. Mais la pratique montre bien qu’elle est relative, puisqu’elle dépend de la volonté des Etats. En effet, des pays comme l’Italie, la Belgique ou la France155 par exemple, n’accordent l’immunité que dans le seul cas des actes attribuables à un Etat agissant dans l’exercice des prérogatives de la puissance publique, ou aux organes de cet Etat agissant à ce titre, alors que les pays de la Common Law156 ainsi que les Etats socialistes et ceux du tiers-monde ont toujours montré leur préférence pour la doctrine de l’immunité absolue. Ce qu’il importe de souligner, c’est que l’immunité juridictionnelle des Etats est une règle de droit international. A ce titre, elle constitue une exception au principe fondamental de la souveraineté ou de la territorialité de l’Etat. Elle s’applique, sans aucun doute, lorsque la procédure engagée 155

Voir le quatrième rapport présenté à la CDI sur cette question, Annuaire CDI, 1978, vol. II, 2è partie, pp. 7-23 156 Voir, par exemple, SUCHARITKUL (S). – State Immunities and Trading Activities in International Law, Londres, Steven and Sons, 1959, pp. 53-71

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porte sur un acte accompli par l’Etat dans l’exercice des prérogatives de la puissance publique. Elle ne s’applique pas lorsque la procédure ne met pas en cause l’exercice des prérogatives de la puissance publique, ou lorsqu’il y a eu de la part de l’Etat l’expression d’un consentement ou un comportement équivalent à un consentement. En plus de l’immunité de juridiction, les Etats jouissent des immunités de procédure : nul Etat ne peut être tenu par exemple de produire une pièce ou de divulguer une information aux fins d’une procédure intentée devant un tribunal d’un autre Etat. Les Etats jouissent enfin de l’immunité de contrainte sur leurs biens, et de l’immunité contre toute mesure coercitive, leur imposant, dans le cadre d’une procédure devant un tribunal d’un autre Etat, d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte déterminé sous peine de sanction pécuniaire157. Après la définition de l’Etat et l’étude de ses caractéristiques, il convient à présent d’examiner le rôle que celui-ci joue dans les relations internationales.

SECTION 2 L’ETAT DANS LA SOCIETE INTERNATIONALE L’Etat en tant qu’entité souveraine, conçoit et met en œuvre une politique étrangère qui, en principe, consacre son indépendance parmi tous les acteurs des relations internationales. Mais, à l’analyse du jeu d’influence et des pouvoirs sur la scène internationale contemporaine, il y a lieu de s’interroger en fin de compte sur la place réelle de l’Etat, dont certains auteurs ont même prédit l’effacement progressif et une disparition programmée.

Sous-section 1 : La politique étrangère des Etats La politique étrangère d’un Etat est définie et mise en œuvre par des autorités dont les actes sont imputés à la personne morale qu’est l’Etat. Si les gouvernants sont les seuls acteurs officiels qui interviennent dans le processus d’élaboration de la politique étrangère, la fiction juridique apparait dès lors qu’on envisage les conditions concrètes qui président au processus de décision en politique extérieure. Celle-ci n’échappe pas aux tensions et aux bouleversements qui constituent la trame de la politique aussi bien intérieure qu’internationale. La structure et le fonctionnement des divers organes chargés de la conception et de la mise en œuvre de la politique étrangère de l’Etat relèvent 157 Pour de plus amples détails sur les immunités des Etats, se reporter à l’étude de SOMPONG SUCHARITICUL, l’immunité des Etats in Droit international, Bilan et perspectives, tome 1, op. cit. pp 347-363

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essentiellement de l’organisation et de la réglementation constitutionnelle ou administrative interne. Mais, le droit international « ne peut se désintéresser complètement des institutions qui gèrent, au niveau le plus élevé, les relations internationales quotidiennes de l’Etat, de même qu’il ne peut faire abstraction des modalités internes de conclusion des traités158 ». L’analyse des processus institutionnels d’élaboration et de mise en œuvre de la politique étrangère des Etats révèle une constante : la prépondérance de l’Exécutif dans l’élaboration et le rôle privilégié du Ministère des Affaires étrangères dans la mise en œuvre.

§1 Primauté de l’Exécutif dans l’élaboration de la politique étrangère Les constitutions attribuent généralement un rôle prépondérant à l’Exécutif dans la « détermination et la conduite » de la politique de la Nation. Cette prérogative est reconnue au Chef de l’Etat dans le système semi-parlementaire français, au Chef du gouvernement dans les régimes parlementaires, au Président de la République dans la plupart des systèmes présidentiels du tiers-monde. Certes, les parlements nationaux interviennent de plus en plus dans les relations internationales, notamment à travers le débat sur la ratification des traités signés par l’exécutif, la participation aux assemblées parlementaires créées par des traités instituant des organisations régionales d’intégration, etc. Et l’évolution de l’économie internationale marquée par la mondialisation implique l’établissement et/ou le renforcement des relations entre les chambres consulaires des pays appartenant soit à une zone d’échanges préférentiels ou encore à une communauté économique. Mais dans la plupart des cas, la prérogative importante de négocier les traités et accords internationaux est reconnue au Chef de l’Exécutif et non aux parlements ou aux chambres consulaires, même si le contrôle du parlement est aménagé par la constitution. Et l’exécutif conduit la politique étrangère de l’Etat par le canal du Ministère des affaires étrangères qui, malgré l’implication croissante des ministères techniques dans les relations extérieures, demeure l’instrument privilégié des rapports internationaux de l’Etat.

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NGUYEN (Q.D), DAILLIER et PELLET, op. cit. , p. 645

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§2 Le Ministère des Affaires Etrangères, instrument irremplaçable des rapports internationaux de l’Etat En raison de la complexité des affaires internationales, les ministères techniques participent à la vie internationale et peuvent de ce fait concurrencer le Ministère des Affaires étrangères. Jadis limitée aux problèmes politiques et militaires, la diplomatie traite à présent les problèmes économiques, culturels, scientifiques et monétaires. Cette évolution est rendue nécessaire par la complexité croissante des problèmes techniques examinés et réglés dans le cadre des relations bilatérales, régionales et universelles. Du fait de cette complexité, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de confier à un seul ministère l’exclusivité des relations extérieures d’un Etat. Comme l’écrit Maurice BOURQUIN, « le Ministère du Travail, celui des chemins de fer et de l’éducation nationale, les fonctionnaires des finances, de l’agriculture, des assurances participent à l’action internationale ; la diplomatie ne peut plus se passer d’eux ; ils l’entourent et parfois le submergent. Le mur qui se dressait jadis entre les deux domaines est en ruine…159 ». Le Ministère des affaires étrangères est certes un organe politique, mais il ne saurait être tenu à l’écart des relations extérieures dans les domaines non politiques. C’est qu’en effet, les positions prises par les instances internationales ou par les négociateurs d’accords bilatéraux ou multilatéraux dans les domaines économiques, financiers, culturels ou autres, ont très souvent des incidences politiques ou tout au moins débordent du technique. Il est par ailleurs difficile de prétendre que les institutions spécialisées traitent uniquement de « questions techniques ». En effet, certaines institutions spécialisées sont très loin d’avoir une activité purement technique : cela est évident pour l’UNESCO et l’OIT ; il faut enfin noter que les délibérations d’institutions aussi techniques que l’OMS, l’OACI portent dans bien des cas sur des matières qui mettent en jeu l’ensemble des intérêts moraux, économiques ou culturels des différents Etats. Ceci rend donc nécessaire le contrôle et la coordination des relations extérieures de l’Etat. Et c’est le rôle du Ministère des affaires étrangères qui est généralement aidé par un comité interministériel pour les relations extérieures présidé par le Chef de l’Etat ou par le Ministre des affaires étrangères lui-même, suivant l’organisation administrative de chaque pays. En réalité, le Ministère des affaires étrangères demeure l’instrument privilégié des rapports internationaux de l’Etat. Sa primauté dans la conduite des relations diplomatiques est établie et reconnue par l’article 41 §2 de la 159

Cité par BELINGA (M). – Introduction au droit et à la pratique diplomatique, cours donné à l’institut des Relations internationales du Cameroun (IRIC), Yaoundé, 1980, p.25

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Convention de Vienne du 18 avril 1961 qui dispose que « toutes les affaires officielles traitées avec l’Etat accréditaire, confiées à la mission par l’Etat accréditant, doivent être traitées avec le Ministère des affaires étrangères de l’Etat accréditaire, ou par son intermédiaire, ou avec tel autre ministère dont il aura convenu ». Le Ministère des affaires étrangères est le représentant de l’Etat à l’étranger et, comme l’a reconnu la CPJI dans l’affaire du Groenland oriental (série A/B, N° 53, 1933), « il s’exprime en son nom » et bénéficie à ce titre de privilèges et immunités diplomatiques, sur la base du droit coutumier et de la courtoisie internationale. En raison de son rôle dans la négociation des accords et traités, c’est vers le Ministère des affaires étrangères que se tournent les tribunaux internes pour connaitre l’interprétation des traités soumis à leurs juridictions ou certains faits juridiques internationaux. C’est également à ce ministère que s’adressent les autres gouvernements et les tribunaux étrangers pour confirmer la ratification d’un traité par l’Etat. A ces deux titres, le Ministère des affaires étrangères contribue à l’application du droit international conventionnel dans l’ordre juridique interne. Il est donc tout à la fois « un rouage essentiel des relations diplomatiques et un acteur décisif dans la formation du droit international160 ».

Sous-section 2 : Le rôle incontournable de l’Etat dans la vie internationale Aujourd’hui, le rôle de l’Etat dans les relations internationales, et parfois même son existence sont remis en cause. Une partie de la doctrine estime que « la notion d’Etat est dévaluée sous le triple effet de l’arrivée de nouveaux acteurs internationaux, qui viennent directement le concurrencer sur la scène internationale, du phénomène de mondialisation, qui affaiblit la notion de territoire, et de l’essoufflement du modèle de l’Etat- Nation161 ». Mais en réalité, l’Etat demeure l’acteur prépondérant des relations internationales. Certains Etats n’ont pas les moyens de la souveraineté. Ils n’exercent pas la plénitude des compétences sur tout le territoire national en raison soit de la déliquescence de l’Etat, soit des guerres civiles qui se déroulent sur le territoire national ou même de l’irrédentisme de certaines régions. Or comme le disait Max Weber, « Le monopole de la violence légitime » appartient normalement aux Etats et constitue même leur essence. En Afrique et même en Amérique Latine, l’Etat a abandonné les zones frontalières qui sont parfois occupées par des bandits armés, des mouvements de sécession ou diverses mafias. C’est généralement à l’occasion de la découverte de matière 160 161

NGUYEN (Q.D). et autres, op. cit., p.647 Boniface (Pascal). – Comprendre le monde, Armand Colin, Paris, 2013, p. 52

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première et notamment du pétrole, que l’Etat réinvestit la frontière et s’engage dans des opérations délicates de délimitations avec les pays voisins. La question de l’exercice de la souveraineté ne concerne pas seulement le territoire terrestre : certains Etats n’ont manifestement pas les moyens ni parfois même la volonté d’exercer leurs responsabilités dans les espaces maritimes et aériens qui relèvent de la souveraineté nationale. Aujourd’hui, on note que les micro-Etats sont utilisés pour le blanchiment d’argent sale et la protection d’activités illicites. Parfois, les Etats accordent le droit d’utiliser leur pavillon national à des compagnies maritimes qu’ils ne peuvent ni contrôler, ni protéger. C’est ainsi que les Iles Caïmans avec 55.000 habitants connaissent la plus forte densité d’établissement financier au monde avec 80.000 sièges de société et 600 banques. Près d’une centaine de bateaux dans le monde bâtent le pavillon du Libéria. Et selon Pascal Boniface, « Les centres financiers Offshore représentent 1% de la population mondiale, 3% du PNB mondial, et 31% des bénéfices des sociétés multinationales américaines162 ». Il importe de relever que dans bien des cas, les appels identitaires viennent également défier l’Etat, notamment depuis la disparition de l’ordre bipolaire. C’est ainsi qu’en Europe, l’on a vu divers Etats être remis en cause par des communautés nationales, ce qui a conduit à des divorces par consentement mutuel comme entre Tchèques et Slovaques ou à des séparations non consensuelles doublées de guerres civiles (Bosnie, Kossovo, Crimée, etc.). Les nationalistes séparatistes d’Europe Occidentale continuent de réclamer ouvertement la sécession (Ecosse, Pays de Galles, Pays Basque, Catalogne) tandis que dans le tiers-monde, les mouvements sécessionnistes sont alimentés dans divers Etats par le népotisme, le tribalisme et les injustices que les tenants du pouvoir infligent à certaines tribus et ethnies qui en sont écartées. Comme on le voit, de nombreux Etats dans le monde sont menacés dans leur propre existence, ce qui pourrait réduire le rôle de l’Etat sur la scène Internationale où il est concurrencé par les organisations internationales, les ONG et les firmes multinationales Par ailleurs, la mondialisation et la régionalisation contribuent également à la remise en cause de l’Etat. La mondialisation à travers l’universalisation progressive du libéralisme économique, accroit l’incapacité de l’Etat à contrôler les multiples flux transnationaux économiques et financiers qui pénètrent sur son territoire. L’Etat se voit ainsi retirer une partie des moyens et des pouvoirs de décision sur ce qui se passe sur son territoire. Quant aux processus de régionalisation, ils dépouillent les Etats de leurs pouvoirs régaliens en ce qui concerne la réglementation communautaire ou la gestion des défis communs (construction de l’union économique, gestion d’une monnaie commune, protection de l’environnement, lutte contre des 162

op. cit., p.53

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épidémies). On assiste également à l’avènement d’acteurs puissants telles les firmes multinationales et certaines ONG dont la puissance financière est de loin supérieure à celle de nombreux Etats dans le monde. Ces nouveaux acteurs ont leurs propres volontés, leurs propres intérêts et surtout leur propre stratégie politique qui ne sont pas forcément définis en accord avec les Etats. Il s’en suit donc que les réseaux et les flux créés par ces nouveaux acteurs ignorent souvent la souveraineté de l’Etat ainsi que les frontières nationales dans la mise en œuvre de leur propre stratégie. Enfin il arrive que des firmes multinationales décident d’intervenir dans les affaires internes de l’Etat, soit pour soutenir des forces politiques et permettre leur accession au pouvoir, soit pour défaire voire même renverser avec la complicité des services secrets et de l’armée, des régimes politiques, selon leurs propres intérêts. C’est ainsi par exemple que la firme américaine ITT et les services secrets américains et chiliens avaient agi de concert en 1973 au Chili pour renverser le Président Allende. Face à la remise en cause de l’Etat longtemps considéré comme acteur unique des relations internationales, peut-on considérer comme l’ont annoncé à tort certains auteurs, que le monde est désormais « Un monde sans souveraineté163 » qui tend vers « la fin des territoires164 »? Assurément non, car l’Etat demeure « la référence finale, l’interlocuteur le plus important, celui vers lequel on se dirige pour obtenir une décision 165 ». Comme l’a rappelé Bertrand Badié, confirmant ainsi la pertinence de l’acteur étatique, « Ni les analyses en terme de gouvernance, ni même celles qui se veulent critiques ne professent la fin de l’Etat ; aucunes ne récusent le rôle de puissance dans les relations internationales166 … » même si cette dernière peut être quelque peu malmenée167. En effet, l’Etat est le seul acteur des relations internationales qui jouit de la souveraineté et dispose d’un territoire. Tous les autres acteurs, fussent-ils puissants, ont besoin de l’Etat car c’est sur le territoire national qu’ils exercent leurs activités. Si certains Etats faibles (Afghanistan, Libéria, Somalie, etc.) connaissent une érosion de leur souveraineté, de nombreux autres pays notamment les puissances occidentales ne cèdent en rien sur le principe de leur propre souveraineté : les Etats-Unis par exemple ne s’engagent qu’exceptionnellement dans les différentes conventions internationales pourtant ratifiées par les autres Etats. Ils sont les premiers de la société internationale à refuser toute obligation limitant leur volonté 163

B. Badie, La fin des territoires, Paris, fayard, 1995 ; B. Badie, Un monde sans souveraineté, Paris, fayard, 1999. 164 A. Dieckoff, Ch. Jaffrelot, “De l’Etat nation au post-nationalisme?” 165 Boniface (P) - Comprendre le monde op. cit., p.55 166 B. Badie, « Les grands débats théoriques de la décennie », La revue internationale et stratégique, n°41, printemps 2001, p.49 167 Cf. un ouvrage postérieur de B. Badie, l’impuissance de la puissance, Essai sur les nouvelles relations internationales, Paris, fayard, 2004.

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politique. Les Etats membres de l’Union Européenne conservent un noyau très important de souveraineté notamment en matière de politique étrangère et de défense et ne cèdent à la Commission que les compétences qu’ils veulent bien lui concéder. En raison de la prédominance des intérêts nationaux dans les relations internationales, l’Etat continue d’en demeurer un acteur prépondérant. Tous les autres acteurs doivent traiter avec l’Etat : c’est à lui que s’adressent les multinationales pour leur conférer un statut juridique, pour obtenir des subventions, des commandes publiques et des avantages fiscaux et pour adopter des législations internationales et nationales facilitant le développement de leurs activités. C’est aux Etats que les ONG s’adressent pour la protection de leurs agents répartis à travers le monde, pour la libération des prisonniers politiques, pour la lutte contre les changements climatiques, ou pour l’interdiction ou la limitation de certaines armes de destruction massive. Certes les organisations intergouvernementales peuvent exercer la protection fonctionnelle, car elles sont des sujets dérivés du droit international, mais cette protection fonctionnelle est limitée aux seuls agents de l’organisation tandis que la protection diplomatique exercée par l’Etat s’étend à toute personne liée à l’Etat concerné par le lien de la nationalité. Même les Etats les plus pauvres demeurent des acteurs importants des relations internationales en ce sens qu’ils restent maitres de leur territoire national. C’est ainsi que le survol des avions doit être soumis à autorisation et qu’aucune incursion ne se fait dans leur mer territoriale sans leur accord. L’absence d’une marine nationale équipée n’autorise pas les pays étrangers à faire accoster à leur guise leurs bateaux de guerre dans les ports des pays en développement. L’autorisation est toujours demandée même si c’est parfois de pure forme. La taille du territoire national ne peut pas être considérée comme un frein à l’influence d’un Etat sur la scène internationale. Certains pays disposant d’une superficie réduite tels le Vatican, Israël, Singapour, sont parmi les plus puissants et même pour Singapour, le Koweït ou les Emirat Arabes Unis, parmi les plus riches du monde. Le Qatar est un exemple d’Etat actif et visible malgré un territoire exigu. Pas plus que la taille du territoire, l’importance en terme quantitatif de la population ne constitue pas toujours un facteur important dans la détermination du rôle de l’Etat sur la scène internationale. En réalité, dès lors que l’Etat est constitué et qu’il bénéficie de la reconnaissance internationale, il devient une entité souveraine à la fois émettrice et réceptrice d’un flux de relations de diverses natures qui s’exercent sur son territoire et sur celui des autres Etats. Cette suprématie de l’Etat sur la scène internationale avait été admise depuis les traités de Westphalie qui, en 1648, mirent fin à la guerre de 30 ans en Europe. Elle a été consacrée ensuite par le droit international. L’Etat souverain a la compétence de sa compétence et ne peut être subordonné à 129

aucun autre membre de la communauté internationale. En vertu du paragraphe 1 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, les Etats sont souverains et égaux. Bien évidemment tous les Etats du monde n’ont pas la même puissance et les exemples d’inégalité de puissance ou de fait sont bien connus, mais l’Etat, quelle que soit sa puissance, demeure un acteur majeur des rapports internationaux.

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CHAPITRE 2 LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES L’apparition des organisations internationales sur la scène internationale, universelle ou régionale, est un phénomène tout à fait récent. Ces nouveaux acteurs qui envahissent le champ des relations internationales marquent l’institutionnalisation du multilatéralisme et manifestent, par là même, le souci des Etats de se regrouper. Si, du point de vue historique, les premières organisations sont apparues à la fin du XIXème siècle, il reste que l’origine du phénomène est plus lointaine. Il convient, dans le cadre de ce chapitre, de procéder tout d’abord à la définition du concept d’organisation internationale, avant d’examiner le rôle qu’elles jouent sur la scène internationale.

SECTION 1 L’IRRUPTION DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES SUR LA SCENE INTERNATIONALE §1 A l’origine L’idée d’organiser politiquement la société internationale est née en réaction à l’anarchie qui résultait des conflits internationaux et à l’insuffisance de la doctrine de l’équilibre168 . De nombreux auteurs rêvaient, dès lors, d’un gouvernement mondial. Leurs projets avaient pour ambition d’intégrer dans un système unitaire tous les Etats du monde, système comprenant un certain nombre d’institutions capables de prévenir et de résoudre les conflits d’intérêts entre leurs membres à l’image des structures de la société étatique. Trois grandes étapes marquent la création et le développement des organisations internationales.

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V. Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, LGDJ, Paris, 1999, p. 69 et s. ; Charles Zorgbibe, Les organisations internationales, Que Sais je ?, PUF, Paris, 1986, p. 3 et s.

A. La période 1815-1914 Cette ère se caractérise par le désir des Etats européens de trouver les moyens d’établir la paix en Europe. Toutefois, cette période est marquée par l’unification technique et économique de la terre, d’où l’institution de normes pour faciliter les échanges interétatiques. La volonté des Etats d’instaurer la paix se manifeste par la création des deux premières formes d’organisation de la société internationale. Il s’agit de la Sainte Alliance signée à Paris le 20 novembre 1815, à la suite des guerres napoléoniennes, entre l’Autriche, la Prusse et la Russie, rejoints par la suite par le Royaume-Uni. La France sera admise lors du Congrès d’Aix-La-Chapelle de 1818. Le traité de Paris institue un Directoire européen à qui sont confiées de véritables fonctions gouvernementales qui doivent être mises en œuvre afin d’assurer le maintien de l’ordre monarchique169. Il donne aussi aux grandes puissances européennes de l’époque un rudiment d’organisation et des moyens d’action qui vont jusqu’à l’intervention militaire. Le Concert européen prendra le relais à partir de 1830 avec les mêmes partenaires. Ces deux organismes ont des objectifs similaires : concertation entre puissances, préservation de l’équilibre et de la paix en Europe. Il faut souligner ici que, dans la perspective du droit international, la Sainte Alliance et le Concert européen ne sont pas de véritables organisations internationales. Ils n’ont pas d’organes permanents. Seules sont prévues des réunions de concertation entre Etats sous forme de conférence, et sans périodicité dans le cas du concert européen. Néanmoins, ils préfigurent les organisations internationales à caractère politique comme la Société des Nations (SDN) et l’Organisation des Nations Unies (ONU). Contrairement au souhait des précurseurs, les premières véritables organisations internationales ne sont pas des organisations politiques, mais des organisations à caractère technique. En effet, la longue période de paix (1815-1914), conjuguée aux progrès techniques et au développement des moyens de communications, est caractérisée par l’émergence de toutes sortes d’organisations internationales qualifiées « d’embryon de services publics internationaux ». Il s’agit des Commissions fluviales internationales et des Unions administratives aux compétences techniques. 169 Selon l’article 6 du Traité de 1856, « Pour faciliter l’exécution du présent Traité et consolider les rapports intimes qui unissent aujourd’hui les souverains pour le bonheur du monde, les hautes parties contractantes sont convenues de renouveler à des époques déterminées, soit sous les auspices immédiats des souverains, soit par leurs ministres respectifs, des réunions consacrées aux grands intérêts communs et à l’examen des normes qui, dans chacune de ces époques, seront jugées les plus salutaires pour le repos et la prospérité des peuples et pour le maintien de la paix en Europe ». V. Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit., p. 66.

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Pour les Commissions fluviales, on peut citer : -

-

la Commission centrale pour le Rhin établie par la Convention de Mayence de 1831. Cette Commission est le résultat de l’Acte final du Congrès de Vienne du 9 juin 1815 qui consacre la liberté de navigation sur les fleuves internationaux ; la Commission Européenne du Danube créée par le Traité de Paris de 1856 ; en Afrique, on relève la Commission du Bassin du Congo et celle du bassin du Niger suite à l’Acte de Berlin de 1885 ; en Amérique, la Commission Saint-Laurent instituée par un Traité entre les Etats-Unis et le Canada.

Pour les Unions administratives, elles ont été créées pour faciliter la coopération dans certains domaines techniques. Il en est ainsi de l’Union télégraphique internationale (UIT) établie par le Traité du 17 mai 1865. Cette Union est devenue, depuis 1947, une institution spécialisée des Nations Unies ; du Bureau international des poids et mesures (1875) ; de l’Union pour la protection de la propriété industrielle (1883) ; de l’Union postale universelle (1878) devenue institution spécialisée des Nations Unies depuis 1947 ; de l’Union pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (1886) ; de l’Union sur les Chemins de fer (1890) ou de l’Union radiotélégraphique internationale (1906). Au niveau régional, il convient de noter l’exemple du Bureau commercial créé par la Conférence de Washington en 1899 et de l’Union panaméricaine créée en 1910. B. La période 1914-1945 Le choc de la Première Guerre Mondiale permet d’envisager une véritable révolution par l’institution d’un pouvoir de droit supérieur aux Etats. Sous l’impulsion des mouvements pacifistes, on assiste à une institutionnalisation de la société internationale plus puissante que durant la période précédente. Il sera créé pour la première fois, conformément au discours en quatorze points du Président des Etats-Unis Harold Wilson, une organisation politique à vocation universelle : la Société des Nations (SDN) dont le Pacte est annexé au Traité de Versailles du 29 avril 1919. Installée à Genève, la SDN a pour but de maintenir dans la période de paix la solidarité des peuples démocratiques afin d’empêcher, ce que le Professeur Georges Scelle appelle « La guerre civile internationale ». La SDN se présente également comme un premier essai de fédéralisme administratif dans la mesure où elle a pour mission aussi de favoriser le regroupement et la coordination de l’ensemble des Unions administratives préexistantes. Elle n’y réussira que très imparfaitement.

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Par ailleurs, le fait marquant durant cette période est l’institutionnalisation de la fonction juridictionnelle avec la création de la Cour permanente de justice internationale (CPJI), et de la fonction sociale confiée à l’Organisation Internationale du Travail (OIT) en vertu de la Partie XII du Traité de Versailles. C’est durant la période que se développent les aspirations régionalistes. C. La période 1945 à nos jours L’échec de la SDN et le second conflit mondial entraînent une véritable prise de conscience de la nécessité d’une coopération internationale plus accrue pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre qui, deux fois en l’espace d’une vie humaine, a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances170 ». La grande vague de création d’organisations internationales date de l’après-guerre. La Charte de Francisco du 26 juin 1945 crée l’Organisation des Nations Unies (ONU). Les plus importantes organisations à caractère technique sont groupées au sein du système des Nations Unies. Des Institutions spécialisées voient le jour. Ces organisations internationales indépendantes, mais reliées à l’ONU par des accords couvrent, à peu près, tous les aspects techniques et culturels de la vie sociale171 . A côté de ces institutions, il faut ajouter les nombreux organismes ou organes subsidiaires créés par l’ONU elle-même, comme le Fonds international de secours à l’enfance (FISE), la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) ou le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). De nouvelles organisations ont été créées sous l’impulsion des Etats du tiers-monde. Ces organisations ont pour objectif de résoudre les problèmes du sous- développement. C’est le cas, par exemple, de l’Organisation pour le

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V. Préambule de la Charte des Nations Unies. Il s’agit, entre autres, du Fonds Monétaire International (FMI), de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD appelée encore Banque Mondiale) créés par les Accords de Bretton Woods du 22 juillet 1944 ; de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) créée par la Convention de Chicago du 7 décembre 1944 ; de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (OAA ou FAO) créée par le Traité du 16 octobre 1945 ; de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) du 16 novembre 1945 ; de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) créée par un Traité du 22 juillet 1946 ; de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) du 11 octobre 1947 ; de l’Organisation intergouvernementale consultative de la navigation maritime (OMCI) créée par le Traité du 6 mars 1948 devenue depuis 1975 Organisation maritime internationale ou OMI. 171

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développement industriel (ONUDI)172, du Fonds international de développement agricole créé par le Traité du 17 décembre 1976173 . Ces organisations restent le symbole et une première approche d’une communauté politique institutionnalisée. Là où les promoteurs de l’organisation avaient pêché par sous-estimation des besoins de solidarité en matière économique, l’époque contemporaine a été le témoin d’une véritable floraison d’institutions. Le niveau régional n’est pas épargné. Les solidarités régionales se sont renforcées dans tous les continents. En Europe, il est possible de noter les Communautés Européennes, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ou l’OTAN ou l’Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). En Amérique, l’Organisation des Etats américains (OEA), l’Association de libre-échange nord-américaine ALENA ou NAFTA)174 ou le Marché commun latino-américain ou Mercosur175. En Afrique aussi des modèles d’organisations sont expérimentés comme par exemple l’Union Africaine, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)176 ou la Communauté de Développement de l’Afrique du Sud ou SADC177 . De même, en Asie, il existe également des exemples d’organisations internationales comme l’Association sud-asiatique de coopération régionale (ASACR)178 ou l’Association des Nations d’Asie du Sud-est (ANASE)179. Dans le monde arabe et musulman on peut citer

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A l’origine, c’est un organe subsidiaire devenu depuis 1976 une institution spécialisée des Nations Unies. 173 D’autres exemples peuvent être cités comme le Fond commun chargé de financer les stocks régulateurs des produits de base (1980), l’Autorité des fonds marins prévus par la Convention de Montego Bay (1982) ou de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement durable de Rio de Janeiro du 12 juin 1992. 174 Créée le 1er janvier 1994, cette Association regroupe les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. 175 Le Mercosur ou Marché commun de l’Amérique du sud conçu en 1991, est entré en vigueur depuis le 1er janvier 1995, et associe le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay. 176 La CEDEAO regroupe quinze Etats situés en Afrique de l’Ouest. Cette Communauté créée en 1975 a pour finalité l’intégration économique des Etats membres, voir infra. 177 Cette Communauté, fille de l’ancienne Southern African Development Coordination Conference (SADCC), créée en 1979, a été établie en 1994 à la suite de l’adhésion de l’Afrique du Sud. Elle regroupe en plus de cet Etat, l’Angola, Botswana, Lesotho, Malawi, Mozambique, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe, Namibie, Maurice, RDC, Madagascar et Seychelles. Elle est destinée à promouvoir un développement commun des Etats de l’Afrique Australe. 178 Elle a été créée en 1985 à l’initiative du Bengladesh. Elle regroupe, outre le Bengladesh, le Bouthan, l’Inde, les Maldives, le Népal, le Pakistan, l’Afghanistan et le Sri Lanka. L’ambition de l’ASCR est d’édifier entre les Etats membres une zone d’intégration économique et Politique. 179 Cette Association a vu le jour le 8 aout 1967 à Bangkok. Elle regroupe, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, Thaïlande, Brunei, Viêt-Nam, la Birmanie, le Cambodge

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toute une série d’organisations régionales ou sous-régionales comme la Ligue des Etats arabes (LEA)180 , le Conseil de coopération du Golfe (CCG)181, l’Union du Maghreb arabe (UMA)182 ou l’Organisation de la Conférence islamique (OCI)183. Faut-il s’inquiéter ou se féliciter du développement du régionalisme ? Comme l’illustre l’expérience de l’Union Européenne, il est possible d’atteindre, dans un cadre plus réduit et sans que soient réellement concurrencées les organisations universelles, un degré d’intégration beaucoup plus élevé et un domaine de coopération plus étendue qu’au niveau mondial. De ce point de vue, les organisations régionales sont un « banc d’essai » utile. A contrario, des expériences régionales peuvent paraître dangereuses à long terme dans la mesure où elles favorisent la tentation du repli et de la spécificité au détriment du rôle fédérateur des organisations universelles. Au-delà de ces considérations, il convient de souligner que l’ampleur actuelle du phénomène s’explique par une très grande diversification géopolitique et/ou fonctionnelle des organisations internationales. Ce qui rend difficile la recherche d’une définition globalisante.

§2 Définition de l’organisation internationale Selon le Professeur Mario Bettati184, l’expression « Organisation internationale » au singulier désigne à la fois l’agencement de la société internationale, sa structure, sa configuration, la manière dont s’articulent les activités de ses membres suivant un certain ordre, un certain régime juridique ou certains rapports de force, et l’organisme institutionnel international ayant une individualité propre, doté de services, affecté à une tache ». et le Laos. L’ambition de l’ANASE est de se transformer en zone de libre échange (Association de libre échange asiatique ou Asian Free trade Area ou AFTA) d’ici 2008. 180 Créée le 22 mars 1945, la Ligue des Etats arabes regroupe tous les Etats du monde arabe et 4 Etats non arabes (Soudan, Mauritanie, Somalie, Djibouti, et Comores). L’Organisation de libération de la Palestine est devenue depuis 1975 membre à part entière. Voir infra. 181 Le CCG a été créé le 25 mai 1981. Il est constitué des Etats de la Péninsule Arabique : Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Koweït, Qatar, Oman et Arabie Saoudite. Il a pour objectif de mieux coordonner, dans tous les domaines, les Affaires des Etats membres. Voir infra. 182 Constituée le 17 février 1989, l’UMA regroupe, l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie, la Tunisie et la Libye. Elle a pour but d’édifier entre les Etats membres un marché commun à l’image de la Communauté Européenne. 183 L’OCI est une organisation œcuménique née à Rabat, au Maroc, le 22 septembre 1969. Elle regroupe cinquante et un membres, soit tous les Etats arabes, plus de vingt Etats africains, des Etats d’Asie du Sud-est (Brunei, Indonésie, Malaisie) enfin les Républiques musulmanes issues de l’ex-Union soviétique. L’OCI se veut l’instrument de la solidarité islamique. Voir infra. 184 Le droit des organisations internationales, Que Sais- je ?, PUF, Paris, 1987, p. 9.

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D’autres définitions ont été proposées. Elles varient selon la place que les auteurs accordent aux organisations internationales dans le système international. Pour certains, les organisations internationales sont des structures au sein desquelles, les Etats déploient leurs activités, manifestent leur rivalités. Pour d’autres, les organisations internationales sont la manifestation d’une véritable communauté internationale en devenir par la structuration de la société internationale. A cet effet, perçues comme des acteurs des relations internationales à côté des Etats, elles disposent d’une autonomie et d’une volonté propres. La doctrine est dans son ensemble favorable à une définition proposée au cours des travaux de codification du droit des traités. Cette définition a été proposée par le Professeur Sir Gerald Fitzmaurice185. Pour l’auteur, est une organisation internationale « une association d’Etats constituée par un traité, dotée d’une constitution et d’organes communs et possédant une personnalité juridique distincte de celle des Etats membres ». Cette définition est insuffisante dans la mesure où elle tend à écarter de la catégorie des organisations celles d’entre elles qui ne bénéficient pas de l’ensemble des critères retenus dans la définition. C’est la raison pour laquelle, elle n’est pas reprise par la pratique conventionnelle même si elle demeure satisfaisante d’un point de vue théorique en insistant sur le fondement conventionnel, ou la nature constitutionnelle de l’organisation. Aux termes de l’article 2 paragraphe i de la convention : l’expression « organisation internationale » s’entend d’une « organisation intergouvernementale ». Cette définition a sans doute le mérite d’insister sur un aspect important de la nature des organisations internationales, l’élément qui permet de les distinguer des organisations non gouvernementales. Toutefois, elle est insuffisante pour rendre compte du phénomène sur ses différents aspects. En effet, s’il est vrai que l’organisation internationale a une composition essentiellement interétatique, il n’en demeure pas moins qu’il existe quelques exceptions à cette règle. Des entités non étatiques ont pu ou peuvent faire partie d’une organisation. En définitive, l’organisation internationale apparait comme une association d’Etats, créée par traité, jouissant de la personnalité juridique internationale, disposant d’une administration et d’un budget propres et chargée d’une mission spécifique. Cette définition a l’avantage de faire ressortir les cinq caractéristiques fondamentales d’une organisation internationale : sa composition tout d’abord : ses membres sont des Etats ; son fondement conventionnel : elle doit être créée par un traité ; sa personnalité juridique internationale : il s’agit d’une personnalité juridique fonctionnelle, distincte de celle des Etats membres ; son autonomie constitutionnelle et financière : celle-ci n’est soumise qu’à sa Charte 185

V. Art. 3 Annuaire de la Commission de droit international, 1956, II, p. 106.

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constitutive et dispose des ressources humaines, matérielles et financières qui lui sont propres ; enfin, l’organisation internationale est créée par les Etats membres en vue de remplir une mission spécifique. C’est le principe de la spécialisation, même si certaines institutions internationales, notamment les organisations universelles, se voient confier des missions complexes par les Etats membres.

SECTION 2 LE CONCEPT D’ORGANISATION INTERNATIONALE Dans l’analyse du jeu politique sur la scène internationale et de la géopolitique mondiale, les organisations internationales sont présentées parfois comme des acteurs impuissants, lorsque l’ONU par exemple n’arrive pas à jouer son rôle dans le règlement d’un conflit, parfois comme des acteurs arrogants, lorsque l’OTAN par exemple se permet de recourir à la force sans l’autorisation expresse du Conseil de Sécurité. Les analystes et les commentateurs utilisent ce concept pour désigner aussi bien les organisations internationales non gouvernementales que les firmes multinationales. Pour la clarté de notre travail, il convient donc de présenter, très brièvement, la nature juridique et les caractéristiques essentielles de l’organisation internationale, entendue au sens d’organisation intergouvernementale.

Sous-section 1 : Création de l’organisation internationale L’organisation internationale, à la différence de l’Etat, est un sujet dérivé du droit international. Elle n’existe que par un traité. Il s’agit d’un traité multilatéral, c’est-à-dire d’un accord conclu entre plusieurs parties contractantes et qui obéit au droit commun des traités186 . Son origine est donc purement conventionnelle. La base juridique de l’organisation est constituée par un accord international appelé acte constitutif. Il s’agit d’un accord à caractère interétatique auquel ne peuvent être parties que des Etats ou d’autres organisations internationales. Le traité multilatéral est la forme habituelle de l’acte constitutif des organisations internationales187. Comme le souligne le Professeur Nguyen Quoc Dinh188, cette pratique est la manifestation de la souveraineté des Etats 186

V. article 5 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le Droit des traités. V. CIJ, avis du 20 juillet 1962. Sur les particularités du traité. V. CIJ, Avis du 8 juillet 1996, Licéité de l’utilisation des armes nucléaires (Avis OMS), Rec., p.75. Il faut souligner, par ailleurs, que le nom de l’acte constitutif diffère selon les organisations internationales, par exemple Charte pour l’ONU, Pacte pour la SDN, Constitution pour l’OIT, etc. 188 Droit international Public, op.cit., p. 573. 187

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d’exprimer leur consentement à l’apparition d’une personne juridique dont le fonctionnement a des incidences sur le contenu ou l’exercice de leurs propres compétences. L’initiative de la création de l’organisation internationale peut revenir à un groupe d’Etats intéressés. Ainsi par exemple, la Chine, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’URSS ont pris l’initiative de la Conférence de San Francisco en vue de l’élaboration, en 1945, de la Charte des Nations Unies. Un Etat peut aussi prendre l’initiative. Ce fut le cas de l’Italie pour la Conférence de 1905 qui allait adopter la Charte de l’Institut international d’agriculture, ancêtre de la FAO. L’initiative peut également émaner d’une organisation internationale. Cette solution n’est pas nouvelle. L’ONU a joué un rôle fondamental pour la création d’organisations internationales universelles. Ainsi, l’OMCI et l’OMS furent établies à l’issue des Conférences de New-York en 1946 et de Genève en 1948. Ces organismes ont été créés respectivement à la suite d’une initiative du Conseil économique et social des Nations Unies et du Secrétariat. De même, en 1956, l’Assemblée générale a pris l’initiative de la création de l’AIEA. L’élaboration et l’adoption de l’acte constitutif s’effectuent dans le cadre de Conférences internationales qui sont des réunions plénipotentiaires dotées d’un règlement intérieur qui, comme son nom l’indique, réglemente l’organisation de la conférence, le débat, le vote, etc. La détermination de l’autorité compétente pour négocier relève du droit constitutionnel de chaque Etat. En règle générale, c’est l’autorité qui est investie par la Constitution de l’Etat de la compétence de négociation qui détient le pouvoir de désigner les plénipotentiaires et de leur délivrer les pleins pouvoirs. La conclusion et l’entrée en vigueur de l’acte constitutif sont soumises aux règles générales du droit des traités telles qu’elles sont codifiées dans les articles 6 à 25 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités. Elles s’en distinguent cependant par la nature particulière de la Constitution de l’organisation internationale qui contient à la fois, comme le souligne le Professeur Mario Bettati189, des dispositions normatives et des dispositions constitutionnelles mettant en place des organes investis de fonctions internationales elles-mêmes génératrices de normes dérivées. L’acte constitutif organise souvent sa supériorité ou sa primauté vis-à-vis d’autres traités, conclus par les Etats membres ou par l’organisation ellemême. Pour les traités conclus par les Etats membres de l’ONU, la supériorité de la Charte est explicitement annoncée par son article 103. Aux termes de cet article : « En cas de conflit entre les obligations des membres des Nations

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Le droit des organisations internationales, op. cit. p. 22.

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Unies, en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ». Cette primauté des obligations résultant de la Charte a été réaffirmée avec force par la CIJ dans son ordonnance relative à l’affaire « question d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 » résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Libye/ Etats-Unis et RoyaumeUni)190. La supériorité de l’acte constitutif sur les accords conclus par l’organisation internationale vise à interdire aux Etats membres et aux organes de réviser indirectement l’acte. En outre, à l’égard des actes unilatéraux adoptés par l’organisation internationale, la primauté de l’acte constitutif tente de garantir la hiérarchie normative interne propre à chaque organisation. Ce principe est du reste à la base du contrôle de légalité exercé par certaines organisations internationales191.

Sous-section 2 : Classification, structure et fonctionnement des organisations internationales La nature exclusivement interétatique qui résulte de la définition de l’organisation internationale constitue sans doute, pour la doctrine, l’élément fondamental d’identification des organisations internationales par rapport aux organisations non gouvernementales. Cette conception large est, du reste, à la base de la classification des organisations internationales qui sont régies par des règles de fonctionnement spécifiques192 . 190

Ord. 14 avril 1992, Rec. 1992, p.3 et 113. La CIJ y admet prima facie l’obligation pour les Etats de respecter la décision incluse dans la Résolution 748 du Conseil de Sécurité - en vertu de l’article 103 de la Charte sur tout autre engagement conventionnel. 191 V. article 230 CE, voir Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit., p. 576. 192 Voir W. J. Feld et R. S. Jordan, « International Organisation, a comparative approach », New-York 1983, pp .9- 31 ; Michel Virally, « Définition et classification des organisations internationales, approche juridique », in Le concept d’organisations internationales, UNESCO, Paris 1982, p. 3 ou H. K. Jacobson, « International Organization and the Global political system », 1984, pp. 3-13. C’est la position adoptée par le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) en vertu de sa Résolution 288 (X) du 27 février 1950 complétée par la Résolution 1296 (XLIV) du 25 juin 1968. Il faut souligner que certains auteurs, tout en se fondant sur cette classification bipartite, distingue les organisations internationales publiques pour désigner les organisations gouvernementales et les organisations privées, en référence aux organisations non gouvernementales. Voir H.G Schermers, International institution Law, Tome 1, 1973, p. 5. Cette pratique est confirmée par la Charte des Nations Unies en son article 71, mais aussi par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le Droit des Traités (art. 2.i), la Convention de Vienne du 14 mars 1975 sur la représentation des Etats dans leurs relations avec les organisations internationales de caractère universel (art. 1er), la Convention de Vienne du 21 mars sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations internationales (art. 2.i). Ces différentes Conventions insistent sur la nature

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§1 La typologie des organisations internationales La doctrine établit sur la base de trois critères de distinction, trois principales classifications. De ce point de vue, elle distingue, les organisations universelles ou à vocation universelle et les organisations régionales ; les organisations générales et les organisations spécialisées ou sectorielles, et enfin, les organisations de coopération et les organisations d’intégration193. A. Les organisations internationales universelles et les organisations internationales régionales Cette classification se fonde sur le degré d’extension du membership de l’organisation. Ce critère ne porte pas sur le nombre de membres composant l’organisation internationale, mais plutôt sur la manière dont l’acte constitutif perçoit leur adhésion en son sein. Ainsi, si l’organisation internationale est ouverte à l’adhésion ou à l’admission de tous les membres de la société internationale, alors elle est de caractère universel. En revanche, si elle est fermée ou si l’adhésion est limitée à ceux qui réunissent certaines conditions préétablies, dans ce cas elle est qualifiée d’organisation régionale restreinte ou partielle. La coexistence de ces deux catégories d’organisations internationales qui découle de cette classification exprime deux tendances dualistes profondes qui agitent la société internationale : la tendance vers la réalisation de l’unité de cette société, et par conséquent de son universalisme, et celle qui consacre sa division du point de vue politique, économique, social, culturel, idéologique, géographique, etc., et par contrecoup, son régionalisme géopolitique194 . Par ailleurs, il convient de souligner que l’existence de ces organisations répond également à des besoins de solidarité. Cette solidarité peut exprimer l’unité d’intérêts de l’ensemble des Etats composant la société internationale et justifier la création d’organisations internationales à vocation universelle. Elle peut exprimer, également, l’unité d’intérêts d’une partie des membres de cette société, et constituer en même temps une manifestation de sa division, de son hétérogénéité, en suscitant la création d’organisations régionales ou restreintes. 1. Les organisations internationales à caractère universel Le concept de l’universalisme de l’organisation internationale renvoie à l’idée que celle-ci est destinée à admettre en son sein la totalité des Etats intergouvernementale de l’organisation internationale. Ce qui permet de les distinguer des ONG. 193 Voir Faez Anjak, « Les organisations internationales », in Jurisclasseur « Droit international », Vol. 1, 1990, Fascicule 111, p .4 . 194 Ibid.

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membres de la société internationale. C’est le cas par exemple de l’O.N.U et de ses institutions spécialisées. Il faut souligner ici, que la chute du nombre des Etats membres composant l’organisation n’affecte pas son caractère universel195. Pourtant, certaines sources mettent en relief le lien entre le caractère universel de l’organisation internationale et son effectivité. Ils confondent ces deux aspects en mettant en œuvre des critères à caractère numérique196. Le problème de l’effectivité ne peut être occulté cependant. En effet, comme le souligne le Professeur Schermers197 , « l’effectivité constitue en fait un des éléments de l’efficacité de l’action de l’organisation, car plus celle-ci se rapproche de l’universalisme effectif, plus grands seraient son prestige et son efficacité. En revanche, le manque d’efficacité de l’organisation constitue pour elle un facteur de faiblesse, et pourrait parfois présager de sa disparition ». 2. Les organisations internationales à caractère régional A la différence des organisations universelles, les organisations régionales n’acceptent en leur sein que des Etats présélectionnés sur une base géographique (O.E.A, C.E.E, U.A) correspondant à un continent ou à un sous-continent. L’appartenance géopolitique ou géoéconomique peut être également un critère déterminant. Dans cette hypothèse, le critère géographique est associé avec un critère politique ou économique qui limite encore davantage l’adhésion de nouveaux membres198. L’histoire récente du régionalisme européen montre que des bouleversements d’ordre politique, économique et social peuvent permettre l’accroissement des critères d’adhésion à une organisation régionale, des pays appartenant à une même aire géographique, par suite de l’homogénéisation politique engendrée par ces bouleversements. En effet, les transformations intervenues dans les Pays de l’Est ont eu pour effet l’adhésion de certains de ces pays à l’Union Européenne et au Conseil de l’Europe.

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Ainsi, par exemple, dans son étude sur les organisations internationales, op. cit., p. 5, Mr. Faez Anjak montre que l’effectif des membres de la SDN avait oscillé entre 42 membres à ses débuts et 58 vers le milieu des années trente, pour chuter finalement avant la guerre à 44 seulement, sans que sa nature universelle soit contestée. 196 Ainsi, l’Union des Associations internationales confère le caractère universel aux organisations ayant au moins 60 Etats membres, ou aux organisations ayant 30 Etats membres à condition que leur répartition soit équilibrée. V. Annuaire des Organisations Internationales, 1989, Annexes 5, n° 3.1.2. 197 Cité par M. Faez Anjak, op.cit., p.5. 198 La lecture des articles 3 et 4 du Statut du Conseil de l’Europe montre « que ne peuvent être membres de cette organisation que les Etats européens qui se réclament des idéaux politiques de l’Europe occidentale ».

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L’intéressant résulte également du fait que le critère géographique ne joue pas, parfois, un rôle déterminant. Il est perçu de ce point de vue comme la résultante de l’application d’autres critères199. La création des organisations régionales à côté des organisations universelles a fait l’objet de controverses doctrinales. Certains auteurs y ont vu un facteur de divisions, de tensions et même de désordre mondial. Pour ces auteurs, l’organisation universelle, expression de l’indivisibilité des problèmes mondiaux, est mieux à même de les résoudre, qu’il s’agisse du maintien de la paix et de la sécurité internationales, des problèmes de l’environnement, du sous-développement et plus globalement de promouvoir la paix, la prospérité et le bien-être dans le monde. Pour d’autres auteurs en revanche, l’hétérogénéité même de la société internationale constitue un obstacle majeur à l’efficacité des organisations universelles. Ainsi, seules les organisations régionales, constituées sur des bases homogènes pourraient défendre les intérêts de leurs membres, assurer leur sécurité et constituer probablement les piliers de l’ordre mondial en devenir200 . Soulignons néanmoins que l’existence de ces organisations est acceptée par la Charte des Nations Unies. En effet, la Charte de l’ONU prévoit dans son Chapitre VIII que les organismes régionaux peuvent contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales201. Cette reconnaissance est cependant subordonnée à leur compatibilité avec les buts et les principes des Nations Unies. B. Les organisations générales et les organisations spécialisées Cette classification se fonde sur le degré d’extension du domaine d’activité de l’organisation. Si l’activité de l’organisation a un caractère multiple et extensif couvrant l’ensemble des domaines, alors on sera en 199 Ces critères peuvent être l’appartenance économique ; dans ce cas on peut avoir une organisation regroupant des Etats ne se situant pas dans la même aire géographique, c’est le cas par exemple de l’OCDE qui comprend, en plus des Etats de l’Europe occidentale, les Etats-Unis, le Canada et le Japon ; l’appartenance politique, par exemple les mouvements non alignés ; l’appartenance nationale, par exemple la Ligue des Etats arabes ; l’appartenance religieuse, par exemple l’OCI ; l’appartenance politico-militaire, par exemple l’OTAN ou l’appartenance à une catégorie de pays producteurs de pétrole, par exemple l’OPEP. Ces différents cas montrent, comme le souligne le Professeur Faez Anjak, que le cadre géographique de l’organisation dépend du critère d’extension du membrariat. Celui-ci pourrait s’étendre, selon la nature du critère, à tous les échelons géographiques possibles : sous-régional, régional, interrégional, continental et intercontinental. 200 Voir Faez Anjak, op. cit., p. 7 ; Voir aussi, Mme Suzanne Bastid, « Les problèmes juridiques posés par les organisations internationales ». Les Cours de droit 1971-1972 ; M. Michel Virally, « Les relations entre organisations régionales et organisations universelles », SFDI, Colloque de Bordeaux, « Régionalisme et universalisme dans le droit international contemporain », 1976, pp. 147 et 165 ; René-Jean Dupuy, « Le droit des relations entre organisations internationales », RCADI, 1960, T. 100, pp. 457- 588. 201 Voir articles 52, 53 et 54 de la Charte de l’ONU.

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présence d’une organisation générale. En revanche, si cette activité est spécifique et particulière, limitée à un domaine déterminé, on sera en présence d’une organisation spécialisée ou sectorielle. 1. Les organisations générales Elles sont apparues, pour la plupart, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale202. Ces organisations peuvent avoir une compétence omnifonctionnelle élargie aux questions politiques, militaires, économiques, sociales, culturelles, etc. C’est le cas, par exemple, de l’ONU. Elles peuvent, également, avoir une compétence multifonctionnelle. Dans ce cas, leur domaine d’action est étendu, mais limité par le traité constitutif. Il en est ainsi de la Communauté européenne203. La création de ces organisations se manifeste non seulement sur le plan universel, mais aussi sur le plan régional. L’un des traits essentiels des organisations générales réside dans leur vocation à assurer un rôle de coordinateur à l’égard des organisations spécialisées, en formant avec elles un ensemble organisationnel appelé système ou famille, et même parfois de fédération204. Cette fonction de coordination a pour fonction d’harmoniser l’action de ces organisations afin de la rendre plus cohérente205 . Il en est ainsi sur le plan universel du système des Nations Unies qui regroupe l’ONU, les Institutions spécialisées et les organisations subsidiaires autonomes. Au niveau régional, des systèmes comparables se sont noués autour de l’OEA, de l’Union Africaine, de la LEA et du Conseil de l’Europe206 . 2. Les organisations spécialisées Elles sont apparues avant les organisations générales. Leur création découle de l’internationalisation croissante des problèmes nationaux et de l’extension continue des domaines des relations internationales. Grâce aux progrès techniques et scientifiques et avec le développement des moyens de communication, on voit apparaître l’émergence d’organisations spécialisées telles que, par exemple l’UIT, l’UPU, l’OACI, ou l’OMI. De même, l’internationalisation progressive des économies et l’interdépendance des Etats, conséquence de la division internationale du 202

Si l’on excepte, l’OEA créée en 1890 sous forme de l’Union panafricaine, qui ne sera du reste consolidée qu’en 1948 avec l’adoption de la Charte de Bogota, les autres organisations générales sont postérieures à la Seconde Guerre Mondiale. C’est le cas de l’ONU créée en 1945 et qui a succédé a la SDN créée en 1919 ; du Conseil de l’Europe apparu en 1949, de la Ligue des Etats arabes créée en 1945 ou de l’OUA créée en 1963, etc. 203 Il peut arriver que l’acte constitutif d’une organisation générale lui interdise d’exercer des compétences dans un domaine déterminé. C’est le cas du Conseil de l’Europe pour les questions touchant la défense (art. 1.d du Statut). 204 V. Annuaire des organisations internationales, Annexe 5, n. 3.1.1, 1989. 205 V. Faez Anjak, Les organisations internationales, op.cit., pp. 8-9. 206 Ibid.

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travail et du développement des échanges internationaux, a eu également pour conséquence le développement d’organisations spécialisées dans les domaines économiques, commercial, financier et social. C’est le cas par exemple, du GATT, de l’OMC, du FMI, de la BIRD, de l’OCDE ou de l’OIT. Tous les domaines de la vie internationale sont couverts. Le besoin d’une coopération internationale institutionnalisée se manifeste aussi dans les domaines culturel, sanitaire, scientifique, énergétique ou spatial, d’où la création de l’UNESCO, de l’OMS, de l’AIEA et de l’Agence spatiale européenne (ASE). Ces organisations sont la plupart unifonctionnelles. Elles se voient assigner un secteur d’activité spécifique. En d’autres termes, elles sont dominées par un principe de spécialité qui sert de référence pour l’interprétation des compétences de l’organisation internationale207. 3. Les organisations de coopération et les organisations d’intégration Comme le montre le Professeur Max Gounelle208, l’organisation internationale peut être créée en vue d’institutionnaliser et de donner un caractère permanent à une coopération interétatique. C’est le cas, par exemple, des institutions spécialisées des Nations Unies. Elle peut aussi naître, en vue de faire émerger à moyen terme, une nouvelle unité politique, économique et sociale ayant vocation à se substituer largement aux Etats membres : c’est le cas de la Communauté Européenne, et à certains égards de la CEDEAO ou de l’UEMOA. L’organisation d’intégration est généralement présentée comme une organisation supranationale. Au sein de ces organisations coexistent des organes délibérants qui sont exclusivement des organes intergouvernementaux et des organes indépendants composés exclusivement de personnes choisies à raison de leur compétence, et possédant des pouvoirs étendus, y compris le pouvoir de décision. En outre, l’existence d’un organe représentatif composé de représentants élus au suffrage universel direct (cas du Parlement Européen) ou indirect (cas des Parlements de la CEDEAO et de l’UEMOA) renforce la supranationalité de l’organisation. Les décisions de l’organisation d’intégration sont prises, sauf exception, à la majorité des Etats membres présents et votants ; elles bénéficient de l’immédiateté et de l’applicabilité directe209. Elles possèdent une force exécutoire directe y compris la possibilité du recours à l’exécution forcée210. 207

Voir Max Gounelle, Relations internationales, 4ème édition, Dalloz, Paris, 1998, p. 139. Les relations internationales, op.cit., p. 139. 209 Voir infra. 210 V. L’article 187 du Traité de Rome relatif à l’exécution des arrêts de la Cour de Justice ; les articles 191 et 192 relatif à l’exécution des décisions du Conseil et de la Commission ou 208

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L’organisation d’intégration dispose généralement d’un mode de financement direct qui réduit sa dépendance financière à l’égard des Etats membres211. Sans doute, ces éléments de supranationalité se retrouvent également dans les organisations de coopération212. Cependant, comme la note, à juste titre, le Professeur Fadez Anja213 , deux éléments décisifs de supranationalité paraissent inaccessibles à l’organisation de coopération. D’abord, selon l’auteur, les relations de l’organisation de coopération s’établissent exclusivement avec les gouvernements des Etats membres. De ce point de vue, les décisions de l’organisation de coopération, même obligatoires, ne sont applicables à l’intérieur du territoire de l’Etat membre qu’avec le consentement de celui-ci et par son intermédiaire. Enfin, fait remarquer l’auteur, dans le cas de l’organisation d’intégration, les décisions sont applicables et exécutoires directement au sein des territoires des Etats membres. Du point de vue de leur finalité, l’organisation de coopération, comme son nom l’indique, vise la réalisation de la coopération entre ses Etats membres et la coordination de leurs activités, en vue d’atteindre des objectifs communs. En revanche, l’organisation d’intégration vise délibérément l’intégration ou l’unification de ses Etats membres dans le domaine d’activité rentrant dans sa compétence. Aussi certains auteurs, comme le Professeur Michel Virally214 , notent que ces organisations ne sont pas de véritables organisations internationales dans la mesure où elles s’apparentent de par leur nature spécifique au phénomène étatique ou fédéral. Elles sont qualifiées parfois « d’organisations préfédérales » ou « fédération partielle215 ».

§2 Structure et composition de l’organisation internationale La nature exclusivement interétatique qui résulte de la définition de l’organisation internationale constitue sans doute pour la doctrine l’élément fondamental d’identification des organisations internationales. Ainsi, donc, l’interétatisme est consubstantiel à la notion d’organisation internationale. de l’article 24 du Protocole additionnel du 19 janvier 2005 relatif à la Cour de justice de la CEDEAO, portant sur l’exécution des arrêts de la Cour de Justice. 211 V. infra. 212 V. Chapitre VII de la Charte des Nations Unies; les règlements techniques de l’OMS, de l’OMM ou de l’OACI. Partant de ce fait, certains auteurs pensent qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre ces deux types car il s’agit plutôt d’une différence de degré et non de nature. Voir M.S. Korowiz, Organisations internationales et souveraineté des Etats membres, 1961, pp. 283-286. 213 Les organisations internationales, op. cit., p. 9. 214 « Panorama du droit international contemporain », RCADI, 1983, T. 183, p. 255. 215 Voir E. B. Haas, « The uniting of Europe », London, 1958, p. 32-34.

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Cependant, la grille de lecture que confère l’étude des organisations internationales conduit à tempérer ce caractère exclusif et à accepter quelques exceptions que l’on peut justifier par des circonstances politiques, historiques ou par des nécessités pratiques216 . En créant l’organisation internationale, les membres fondateurs l’ont dotée d’organes propres destinés à atteindre les buts assignés dans l’acte constitutif. A. Les membres de l’organisation internationale Comme le souligne le Professeur Mario Bettati dans son étude217 , il faut différencier lorsque l’on analyse l’accès à l’organisation, trois séries de problèmes qui s’articulent autour de la qualité de membre à part entière, de la qualité de membre partiel et la qualité de membre ayant un statut d’observateur. 1. La qualité de membre à part entière Il faut noter que les règles régissant l’accès en qualité de membre à part entière concilient deux exigences contradictoires. D’une part, l’universalité de l’organisation qui exige des règles d’admission souple, d’autre part l’homogénéité de la composition pour préserver la similitude entre les membres qui implique des règles d’admission sélectives. Les premières sont propres aux organisations dites ouvertes ; c’est le cas par exemple de l’ONU et de ses Institutions spécialisées218. Les secondes concernent les organisations fermées219. Il faut remarquer que certaines règles concilient partiellement les deux exigences en fixant des règles relatives à l’élargissement de l’organisation internationale. C’est le cas des Communautés Européennes. L’analyse de la catégorie de membres à part entière amène à distinguer les membres originaires des nouveaux membres de l’organisation internationale.

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Ainsi, par exemple, au sein des Nations Unies, à la demande expresse de Staline, la Biélorussie et l’Ukraine ont bénéficié de la participation à l’organisation dès l’origine. De même, le droit de participation à l’UPU est réservé aux territoires postaux ne coïncidant pas nécessairement avec le territoire d’un Etat. 217 Le droit des organisations internationales, op.cit., p. 33. 218 Ainsi, l’article 3 de l’Acte constitutif de l’OMS dispose: « La qualité de membre de l’Organisation est accessible à tous les Etats ». 219 Il en est ainsi, par exemple, de l’OPAEP. Ne peuvent être membres de cette Organisation que les pays arabes exportateurs de pétrole et pour lesquels le pétrole constitue une source importante de leurs revenus bruts. Voir art. 7 de l’Acte constitutif de l’Organisation. En Afrique, ne peuvent être membres de l’Union Africaine, selon l’article 29 paragraphe 1 de son Acte constitutif, que les Etats africains.

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a. Les membres originaires Il s’agit des Etats qui ont participé à la Conférence d’élaboration de la Charte constitutive de l’Organisation et qui ont signé et ratifié celle-ci à l’issue de la Conférence. En d’autres termes, ils ont pris l’initiative ou sont responsables de la création de l’Organisation. Ils ne sont soumis à aucune procédure d’admission220. En vertu de l’article 3 de la Charte des Nations Unies : « Sont membres originaires des Nations Unies, les Etats ayant participé à la Conférence des Nations Unies pour l’Organisation internationale à San Francisco ou ayant antérieurement signé la Déclaration des Nations Unies en date du 1er janvier 1942, signent la présente Charte et la ratifient conformément à l’article 110221 ». Les qualifications diffèrent selon les organisations. Ainsi ils sont désignés « membres d’origine » à la FAO, « membres originaires » à l’ONU ou au FMI, « membres fondateurs » à l’AIEA ou à l’OPAEP. Les membres originaires bénéficient parfois, dans certaines organisations internationales, de privilèges particuliers, notamment d’un droit de veto sur l’admission d’un nouveau membre222. Mais cette situation n’est pas la même dans toutes les organisations internationales. Ainsi, par exemple, les Etats parties à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer de 1982, signataires initiaux ou adhérents ultérieurs, sont ipso facto membres de l’Autorité internationale des fonds marins223. En général, membres originaires et membres admis ont les mêmes droits et devoirs. b. L’admission de nouveaux membres La participation de nouveaux membres oblige les postulants à soumettre leur candidature selon les modalités prévues par l’acte constitutif. Si l’adhésion ne comporte en réalité qu’une procédure formelle, il reste que

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Il peut arriver qu’un Etat ne confirme pas sa participation et reste en dehors de l’Organisation comme ce fut le cas des Etats-Unis pour la SDN dont le Président Wilson avait pourtant été l’un des initiateurs. Voir Charles Zorgbibe, « Wilson, un croisé à la Maison Blanche », Paris, Presse de Sciences Po, 1998. 221 Dans le cadre de l’ONU, les membres originaires sont donc les Etats alliés dans la lutte contre les puissances de l’Axe. Soucieuse d’universalité et désireuse aussi de faire respecter certaines valeurs, la Conférence de San Francisco a imposé une sélection « afin de sauvegarder entre les membres de l’Organisation une communauté d’idéaux et de principes politiques » V. Conférence des Nations sur les Organisations internationales, UNCIO, VII, p. 20, doc. 202. Les membres originaires sont au nombre de 51 : 26 signataires de la Déclaration de 1942, 21 Etats qui y ont adhéré ultérieurement et 4 Etats invités en plus à San Francisco : Argentine, Biélorussie, Danemark et Ukraine. 222 Art. 7, alinéa b 3 de l’Acte de l’OPAEP, art. 7, OTAN. 223 Voir article 156, paragraphe 2 de la Convention.

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l’admission résulte d’un véritable contrôle de forme et de fond de la part d’un ou plusieurs organes de l’organisation internationale en cause224 . De ce point de vue, les règles d’admission varient selon les organisations. Le fait d’accepter l’acte constitutif constitue rarement une condition suffisante d’admission. Des conditions de fonds et des procédures de contrôle des candidatures sont généralement prévues par l’Acte constitutif. Les conditions sont déterminées par l’acte constitutif. Elles définissent ce que le Professeur Mario Bettati appelle le profil du candidat. Dans le silence des textes, les conditions sont posées par les organes délibérants compétents pour apprécier l’opportunité d’admettre tel ou tel candidat. A l’analyse, ces conditions peuvent se fonder sur des critères géographiques et économiques comme c’est le cas prévu par l’article 7 de l’Acte constitutif de l’OPAEP225. Elles peuvent être de nature géopolitique, ainsi par exemple, l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe exige de ses membres le respect de l’Etat de droit226. En outre, ces conditions peuvent aussi être politiques et fonctionnelles. A la SDN par exemple, et selon l’article 2 paragraphe 1 du Pacte, l’admission était possible pour « tout Etat, Dominion, colonie se gouvernant librement » offrant « des garanties effectives de son intention sincère d’observer ses engagements » et acceptant le règlement établi en ce qui concerne les forces et armements militaires, navals et aériens 227. De même, à l’ONU, l’article 4 de la Charte dispose que ne peuvent devenir membres que « tous les Etats pacifiques qui acceptent les obligations de la Charte et qui, au jugement de l’Organisation, sont capables de les remplir et disposés à le faire ». 2. La qualité de membre partiel A côté des Etats membres, d’autres entités sont autorisées à participer, pour des raisons politiques, techniques, économiques, à certaines activités de l’organisation sans qu’elles se voient conférer le statut de membre à part entière. Il s’agit des entités étatiques, paraétatiques, pré-étatiques ou interétatiques. 224

V. André Lewin, « Principes communs aux organisations internationales. Eléments constitutifs », in Jurisclasseur, op. cit., Fasc. 112 – 20, p. 4. 225 V. supra 226 Le Conseil de l’Europe créé en 1949 regroupe les démocraties européennes. Il est un lieu d’échanges, de concertation et de coopération internationale. Plusieurs Accords ont visé à rapprocher et à harmoniser les législations nationales. Le Portugal et la Grèce n’ont été admis respectivement en 1976 et en 1977 au sein du Conseil qu’après le rétablissement de la démocratie dans ces pays. 227 Dans ce contexte, les Etats Baltes et l’Albanie ont dû souscrire des Déclarations relatives au sort des minorités, la Hongrie s’engager à ne plus rétablir sur le Trône la dynastie des Habsbourg, l’Ethiopie à abolir l’esclavage et à prohiber le commerce des armes ; l’Irak, encore sous mandat britannique, dût démontrer l’existence d’une administration autonome. V. André Lewin, « Principes communs aux organisations internationales », op. Cit. p. 4.

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Deux types de participation limitée ou partielle peuvent être organisés à leur intention. a. Les Etats associés Cette catégorie d’Etats constitue, selon le Professeur Mario Bettati228, un régime intermédiaire entre la qualité de membre et celle de tiers. L’Etat associé participe avec des droits et des obligations réduits aux activités de certains organes principaux229. Le statut d’associé est conféré par certaines organisations internationales à des Etats, soit en vertu des Chartes constitutives230 , soit dans le silence des textes, en vertu de décisions spéciales des Etats membres231. Les associés n’ont généralement pas le droit de vote dans les organes pléniers. b. Les territoires associés Dans son ouvrage cité en référence, le Professeur Mario Bettati232 souligne aussi que le statut de membre associé peut être accordé à tout territoire ou groupe de territoires n’ayant pas la responsabilité de la conduite de ses relations internationales. Le statut est accordé sur demande de l’Etat membre ou de l’autorité qui assure cette responsabilité233. Le régime juridique est analogue à celui de l’association d’Etats et se distingue parfois difficilement de celui accordé aux entités bénéficiaires du statut d’observateur. 3. La qualité d’observateur Il s’agit du ou des représentants d’Etats, d’Organisations internationales ou de mouvements de libération nationale autorisés par une autre organisation internationale à participer aux travaux de certains organes de celle-ci. A la différence des associés, les observateurs ont des droits plus limités et ne peuvent en général prendre part aux activités de l’Organisation internationale que lorsqu’ils sont directement concernés. D’une manière générale, les règles concernant le statut d’observateur sont de sources diverses. Elles ont un fondement coutumier234 ou conventionnel235.

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Le droit des organisations internationales, op.cit., p. 38. Ne rentre pas dans cette catégorie les Etats associés à la CE, lesquels demeurent à l’extérieur des institutions communautaire. Ils n’appartiennent pas à la Communauté et ne participent pas au fonctionnement de ses organes principaux. 230 Voir Conseil de l’Europe, art.5, ou l’AELE, art.42. 231 Voir OCDE, pour le cas de la Yougoslavie. 232 Op. cit., p. 38. 233 Voir FAO, art. II, par. 2 ; OMS, art 8 ; OIT, art. 3, par. 3, 4 et 5 ; UNESCO, art. II, par. 3; OMCI, art. 9. 229

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L’octroi du statut d’observateur vise plusieurs finalités. De prime abord, le statut est accordé à des Etats non membres d’une organisation internationale comme substitut à l’universalité afin de donner une audience plus vaste à celle-ci, tout en rehaussant la situation diplomatique du bénéficiaire. Ensuite, il a constitué très souvent à l’ONU, une sorte de « stage préalable à l’admission pour certains Etats236 ». En outre, accordé à d’autres organisations internationales, il a des fonctions d’ouverture237. Enfin, à ces fonctions s’ajoute actuellement une fonction de légitimation et de promotion pour certains mouvements de libération nationale238. B. La perte de qualité de membre de l’organisation internationale La participation d’un Etat à une organisation internationale est un acte de souveraineté. Cependant le volontarisme qui marque la majeure partie des actes relatifs à son accès à l’organisation (dépôt de candidature, acceptation du statut, adhésion, etc.) est absent de certaines formes d’achèvement de sa participation. Sa liberté de sortir d’une organisation est limitée par les règles de droit qui s’appliquent aux actes constitutifs des organisations internationales239. En dehors des cas de succession ou de fusion d’Etats, où l’Etat membre lui- même disparaît et est remplacé par un autre dans ses droits et devoirs au sein de l’organisation internationale, c’est au retrait, à la suspension ou à l’exclusion que s’attachent les règles de droit des organisations internationales240. D’une manière générale, en vertu des articles 54 et 56 de la Convention de Vienne de 1969, le retrait d’une partie à un traité ne peut intervenir que conformément aux dispositions de ce traité ou par consentement de toutes les parties. 234 Ainsi, dans le cadre de l’ONU, la Charte est muette sur la question du statut d’observateur. C’est une pratique de l’Assemblée Générale acceptée comme étant le droit qui s’y est établie. 235 Certains actes constitutifs, actes dérivés ou traités multilatéraux prévoient le statut d’observateur. C’est le cas par exemple de la FAO, art. 3 ; de l’OMS, art. 5 ; de l’UNESCO, art. 67 ; du Règlement de la Conférence générale, de l’OIT, art. 2, para. 2 du règlement de la Conférence, de la Convention de Vienne du 14 mars 1975 sur la Représentation des Etats dans leurs relations avec les Organisations internationales, art. 1, par. 14, art. 71 et 72. 236 Ce fut le cas par exemple de l’Autriche, de l’Italie, de l’Espagne, du Japon, du Bengladesh, des deux Allemagnes, des deux Vietnam, de la Guinée-Bissau. 237 Ont ainsi obtenu un statut à l’ONU, l’OEA en 1948, la LEA en 1950, l’OUA en 1965, la CEE en 1974, l’OCI en 1975 ; le Secrétariat du Commonwealth, l’ACCT, etc. 238 Mais l’octroi du statut est conditionné par la reconnaissance du MLN par une organisation internationale régionale comme la LEA ou l’OUA aujourd’hui l’Union Africaine. Voir l’exemple de l’OLP ou de la SWAPO. N’étant pas reconnus, les mouvements de libération du Biafra, de l’Erythrée, du Kurdistan ou de l’Afghanistan n’ont pas pu bénéficier du statut d’observateur. 239 V. Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op.cit. pp. 582-583. 240 V. Mario Bettati, Le droit des organisations internationales, op.cit., p. 39.

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L’exercice de ce droit est assimilable à « une compétence liée » en tant qu’il obéit à des règles explicites prévues par l’acte constitutif de l’Organisation. C’est dire que l’Etat qui se retire doit se conformer à la procédure prévue par l’acte constitutif de l’Organisation. Sa décision peut perdre sa validité s’il ne s’y conforme pas. En tout état de cause, le retrait est généralement assorti de conditions de forme : l’obligation de notifier la décision de retrait au dépositaire de l’acte constitutif ou au Secrétaire de l’Organisation internationale qui doit la porter à la connaissance des autres membres. Cette notification s’effectue par un préavis lorsqu’est prévu un délai d’effet justifié par des considérations administratives, financières ou techniques. Ce délai est soit unique241, soit variable242. Il existe une faculté de retrait à échéance qui caractérise des organisations de durée fixe. Sous ce rapport, la possibilité de dénonciation de l’acte constitutif ne peut intervenir qu’après une certaine période de fonctionnement243. Au-delà de ces développements, il faut souligner que l’Etat qui se retire d’une Organisation internationale pose un acte de sécession. Le Professeur Charles Rousseau le qualifie « d’Etat sécessionniste ». Pour le Professeur Charles Chaumont, l’Etat qui suspend sa participation à une Organisation internationale est un « Etat absent », c’est-à-dire un Etat membre qui entend manifester son mécontentement en gênant de l’intérieur le fonctionnement de l’Organisation.

§3 Les organes de l’organisation internationale Il faut éviter ici toute analogie avec la structure de l’Etat même s’il existe quelques similitudes apparentes. Ainsi, comme le montrent de manière remarquable les Professeurs Hubert Thierry, Serge Sur, Jean Combacau et Charles Vallée244 , l’Assemblée Générale n’est pas, dans le cadre de l’ONU, un parlement doté d’un pouvoir législatif, pas davantage que le Conseil de Sécurité qui n’est pas un gouvernement disposant d’un pouvoir exécutif, tout comme la CIJ ne constitue pas la Cour suprême du système. Si l’Etat est organisé autour d’un principe de légitimité qui donne la structure et la mesure des pouvoirs, il n’en est pas de même pour les organisations internationales.

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Dans le système de l’ancienne CAEM, il fallait un préavis de six mois, à l’Union Africaine ou à l’OCDE, un an ; à l’OEA ou à l’OIT, deux ans. 242 Par exemple à l’UNESCO, il est de 12 mois et un jour à 24 mois. 243 Par exemple, dans le cadre de l’OTAN, il faut 20 ans, au BENELUX, 50 ans (art.99). 244 V. Droit international public, op. cit., p. 687.

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L’organisation internationale est créée dans un but, pour remplir un certain nombre de fonctions, qui sont en principe limitées. Elle est dotée de structures fonctionnant selon des règles de procédure et une répartition des compétences également régies par des règles, par un droit propres à l’ordre juridique de chaque Organisation. Selon le Professeur Mario Bettati, ces règles sont difficiles à amender d’autant plus que le contenu de l’acte stabilise les rapports de forces que les rédacteurs ont protégés par des verrous procéduraux245. D’une manière générale, la structure de l’organisation internationale est plus ou moins perfectionnée et complexe selon les cas. Elle peut comprendre plusieurs types d’organes, ce qui pose bien souvent, des problèmes de coordination ou de fonctionnement. Il existe un faisceau de critères, une batterie de critères pour classer les organes de l’Organisation internationale. Les critères de classification peuvent être combinés pour fixer les caractéristiques de chaque organe. Ils ne relèvent pas tous du droit. En se fondant exclusivement sur des critères comportant des fondements ou des conséquences juridiques, il est possible de classer les organes de l’Organisation en référence à leur origine, à leur composition ou à leur fonction. A. La typologie fondée sur l’origine et la composition des organes 1. Suivant l’origine des organes Il faut distinguer ici, en se fondant sur la terminologie des Nations Unies, les organes principaux et les organes subsidiaires. a. Les organes principaux ou constitutionnels Ces organes sont directement créés par l’Acte constitutif. Ils constituent la structure originaire de l’Organisation internationale. L’ONU comprend ainsi, aux termes de l’article 7 paragraphe 1, six organes principaux 246. Les conséquences de cette origine conventionnelle concernent surtout leur éventuelle modification. Ils ne peuvent, en effet changer de composition, de pouvoirs, de fonctions que par une révision de l’Acte constitutif247. Cette révision exige, à l’évidence, une procédure d’amendement parallèle à celle utilisée pour l’adoption du traité initial comportant donc négociation, rédaction, signature et ratification248. 245

V. Le Droit des organisations internationales, op. cit. p. 49. Il s’agit, en l’occurrence, de l’Assemblée Générale, du Conseil de Sécurité, du Conseil économique et social, du Conseil de tutelle, de la Cour internationale de Justice et du Secrétariat. 247 Il faut exclure ici, la petite révision prévue à l’article 95 paragraphes 2 et 3 du Traité de la CECA. 248 Pour l’ONU, v. les amendements aux articles 23 et 27 du 17 décembre 1963; à l’article 61 du 20 décembre 1971. V. Mario Bettati, Le droit des organisations internationales, op. cit., p. 50. 246

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b. Les organes subsidiaires Ils tirent leur origine du droit dérivé ou droit conventionnel subséquent249. Ces organes sont créés par les organes principaux, dans le cadre des pouvoirs dont ils disposent250. La structure de l’Organisation n’étant pas figée, il existe, en effet, un dynamisme institutionnel qui peut, dans une certaine mesure, compenser la rigidité de l’Acte constitutif. Ainsi, sans procéder à la révision de l’Acte constitutif de l’Organisation, on parvient, en créant de nouveaux organes, à développer certaines fonctions voire à adapter l’Organisation à une nouvelle hiérarchie des objectifs251. Du point de vue juridique, leur caractère subsidiaire n’implique pas, loin s’en faut, que les organes subsidiaires soient chargés de tâches secondaires. Ils jouent, en réalité, dans la plupart du temps, un rôle aussi important que les organes principaux252 . Il peut arriver, lorsqu’ils y sont habilités, que les organes subsidiaires créent d’autres organes subsidiaires, ce qui engendre ce que le Professeur Mario Bettati appelle « une structure organique pyramidale à plusieurs degrés » et parfois une prolifération bureaucratique253. En tout état de cause, l’organe subsidiaire ne dispose pas, en vertu des principes généraux de droit, de compétences dont serait dépourvu l’organe qui le crée ou l’organe hiérarchiquement supérieur. Au surplus, l’organe subsidiaire n’est qu’un organe d’exécution ; il ne saurait, par conséquent, modifier la répartition des compétences instituée par l’Acte constitutif254 . 2. Suivant la composition des organes Il faut différencier, dans ce cadre, les organes interétatiques et les organes intégrés. a. Les organes interétatiques Ils sont constitués par les représentants des Etats membres. Ils expriment juridiquement la volonté de l’Organisation, et politiquement les positions collectives des membres. Les Etats peuvent y être représentés aussi bien par des membres du Gouvernement que par des agents délégués par ces gouvernements ou encore par des parlementaires.

249

Ibid. Par exemple, en vertu de l’article 7 paragraphe 2 de la Charte des Nations Unies, « Les organes subsidiaires qui se révéleraient nécessaires pourront être crées conformément à la présente Charte ». 251 La pratique internationale montre que l’orientation des Nations Unies vers les problèmes économiques et le développement s’est accompagnée de la création de divers organes subsidiaires comme la CNUCED, le PNUD, l’ONUDI, le PNUE, etc. 252 On peut citer par exemple le rôle déterminant que joue le TANU dans le contentieux de la fonction publique onusienne et dont les décisions s’imposent à l’Assemblée Générale. 253 Le droit des organisations internationales, op. cit., p. 51. 254 V. CJCE, Meroni, aff. 9/56, 13 juin 1958. 250

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Certains organes sont exclusivement composés de parlementaires255. Ce sont les populations qui y sont représentées, mais en leur qualité d’éléments composants des Etats. Par ailleurs, divers intérêts peuvent être représentés comme c’est le cas avec la composition tripartite de l’OIT256 . Ces organes sont rarement exclusifs et l’autonomie du système est concrétisée par l’existence parallèle d’organes intégrés. b. Les organes intégrés Ces organes sont composés d’agents de l’Organisation. Ceux-ci ne dépendent, dans l’exercice de leurs fonctions, que de l’Organisation ellemême pour le compte de laquelle ils agissent. Ils doivent en principe conserver une totale indépendance à l’égard des Etats membres257. Cette indépendance résulte des règles de leur recrutement qui s’effectue en fonction de leur qualification technique et non de leur appartenance nationale, sauf à respecter une certaine représentation géographique équitable. Il peut s’agir des agents des organes juridictionnels (CIJ, TANU, CJCE, CJ CEDEAO, TAOIT, etc.), il peut s’agir des fonctionnaires recrutés, en principe, uniquement sur des critères de compétence et de représentation géographique, notamment dans certains organes techniques : Commission de Droit international (CDI), Conférence des Nations Unies pour le Droit commercial international (CNUDCI), organe de contrôle des stupéfiants pour ce qui concerne l’ONU. B. La typologie fondée sur l’extension et les fonctions des organes 1. Selon l’extension des organes On distingue dans ce domaine deux catégories d’organes : les organes pléniers, les organes restreints et les Assemblées parlementaires. Ils sont considérés comme étant les organes délibérants de l’Organisation internationale. a. Les organes pléniers Selon les organisations internationales, les organes pléniers sont qualifiés différemment. On les appelle parfois « Assemblée » ou « Assemblée Conférence générale » ou « Conférence des Générale258 », plénipotentiaires259 », et exceptionnellement « Congrès260 ». Les organes pléniers sont composés de l’ensemble des Etats membres. Ils reflètent fidèlement l’extension géographique de l’Organisation 255

C’est le cas du Parlement européen ou du Parlement de la CEDEAO. V. infra. La particularité de l’OIT réside dans le fait qu’elle est composée de représentants de gouvernements, de représentants des employeurs et de représentants des employés. 257 V. infra. 258 V. ONU, art. 9, parag.1 de la Charte; OACI, art.48 (b). 259 V. OIT, art. 3 ; FAO, art. III ; UNESCO, art.4. 260 V. OMM, art.7. 256

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internationale. La participation des Etats aux travaux des organes pléniers est assurée soit par des missions permanentes accréditées auprès de l’Organisation, installées dans la ville où celle-ci a son siège, et dirigées par un ambassadeur, soit par des délégations ponctuelles. Dans ce dernier cas, il s’agit des délégations spécifiquement désignées à cette fin qui viennent assister aux réunions. Elles peuvent être dirigées par un ministre, par un Chef d’Etat ou de gouvernement, mais elles sont en général composées de diplomates et fonctionnaires des ministères techniques concernés et peuvent également inclure des personnalités éminentes, des parlementaires, des universitaires261 . Dans le cas de l’OIT, comme le montre Mr. André Lewin, le tripartisme (représentant des gouvernements, des organisations patronales et des organisations syndicales ouvrières) est de règle pour la Conférence internationale du Travail. Certains actes constitutifs prévoient des formules particulières. Ainsi, par exemple, dans le cadre de l’OMM, le Directeur des services météorologiques doit siéger au Congrès262 . D’une manière générale, les organes pléniers ont pour fonction d’orienter la politique générale de l’Organisation internationale, de convoquer des Conférences diplomatiques sous son égide, de contrôler le fonctionnement de l’Organisation internationale sur les plans politiques et administratifs, de régler les questions financières et d’adopter le budget de l’Organisation. Leurs sessions varient. Elle est annuelle pour l’Assemblée générale de l’ONU, pour les Conseils des Gouverneurs de la BIRD, du FMI ou du FIDA ; quinquennal pour la Conférence des plénipotentiaires de l’UIT, biannuel pour les Conférence générales de l’UNESCO, de la FAO. A l’Union Africaine, il y a chaque année deux conférences de Chefs d’Etat et de Gouvernement, précédées d’un Conseil ministériel qui tient également deux Sessions dans l’année, et d’une réunion des ambassadeurs ; à l’OEA, une Assemblée Générale annuelle et un Conseil des ministres en cas de besoin. Des sessions extraordinaires ou des sessions extraordinaires d’urgence, par définition exceptionnelle, sont parfois organisées. Si les organisations comportent généralement un organe plénier, il n’en reste pas moins que, pour des raisons diverses, elles comportent, également, un ou plusieurs organes restreints.

261

V. André Lewin, « Principes communs aux organisations internationales » dans JurisClasseur, op. cit., p. 14. 262 Ibid, voir aussi E. V. Hambro, « Permanent representatives to international organization », Year Book of World affairs, 1976, p. 30-46.

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b. Les organes restreints Les raisons de leur création sont d’ordre politique et d’ordre technique. Ces organes ont, en effet, un double caractère aristocratique et fonctionnel. Il s’agit de donner à certains Etats une responsabilité particulière dans certains domaines, en raison de leur intérêt et/ou de leur compétence spéciale. Il est créé ici une inégalité fonctionnelle entre les membres, justifiée par l’inégalité réelle qui existe entre eux dans le domaine d’action de l’organe considéré. Les organes restreints présentent certaines qualités techniques par rapport aux organes pléniers, notamment la périodicité rapprochée de leur réunion, leur caractère permanent, l’efficacité des débats. En outre, ils peuvent favoriser une composition spécialisée et assurer une meilleure représentation des compétences ou des intérêts dès lors que ceux-ci sont inégalement répartis entre les Etats membres. Par ailleurs, ces organes sont également qualifiés différemment : Conseil de Sécurité à l’ONU263, Conseil d’Administration à l’OIT264 , Conseil Exécutif à l’UNESCO, ou Autorité Internationale des Fonds marins265, etc. Les membres de ces organes sont élus, souvent à la majorité qualifiée, par les organes pléniers à l’exception notable des membres permanents du Conseil de Sécurité266. Lors de leur élection, il est tenu compte de la répartition géographique équitable. En effet, les groupes géographiques cherchent par des consultations préalables à présenter un nombre de candidats correspondant au nombre de sièges à pourvoir, ce qui permet le plus souvent leur élection par consensus ou par acclamation. Mais il sied de préciser qu’à défaut d’accord, il est fait recours au vote, pour départager les concurrents. Un système de cooptation existe au Conseil de l’AIEA où 23 membres sont élus par la Conférence générale et 12 choisis par le Conseil lui-même267 . Par rapport aux organes pléniers, l’égalité des membres n’est pas respectée au sein des organes restreints. Les actes constitutifs prévoient 263

V. art 23 de la Charte. V. art 7, parag. 2 . 265 V.art. 161 de la Convention de Montego Bay de 1982. 266 Le nombre des membres des organes restreints est décidé par l’Acte constitutif de l’Organisation. Toute modification du nombre des membres doit, en principe, entraîner un amendement de l’Acte constitutif comme ce fut le cas de l’amendement de l’article 23 de la Charte des Nations Unies en 1965 pour porter le nombre du Conseil de Sécurité de 11 à 15, de l’article 61 concernant l’ECOSOC en vue d’accroître le nombre de ses membres, d’abord de 18 à 27, en 1965, enfin de 27 à 54 en 1973. La composition des organes restreints est variable, selon les cas. Ainsi, le Conseil de tutelle de l’ONU doit comporter en nombre égal des membres administrant des territoires sous tutelle et des membres n’en administrant pas. Les membres du Conseil de Sécurité n’administrant pas de territoires en font partie de droit, et les autres membres non administrants doivent être élus par l’Assemblée Générale. Souvent mis en veilleuse, le Conseil a pu lever la tutelle sur la Micronésie, les Iles Marshall et les Iles Mariannes en 1990, les Iles Palau en 1994, toutes devenues indépendantes. 267 V. André Lewin, « Principes communs aux organisations internationales », op.cit., p.15. 264

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parfois une catégorie de membres auxquels sont attribués des droits particuliers comme les membres permanents du Conseil de Sécurité qui disposent d’un droit de veto leur permettant de bloquer le processus décisionnel de l’organe restreint de l’ONU. Cette exception au principe d’égalité souveraine des Etats fait l’objet de nombreuses critiques. La revendication actuelle de « démocratisation » du fonctionnement des organisations internationales vise à la suppression des organes restreints ou à l’institution de nouveaux sièges de membres permanents268 . Par leur nature, ces organes ont le défaut majeur, selon les Etats en voie de développement, d’interdire le jeu de « l’égalité avantageuse », selon l’expression du Professeur G. De Lacharrière, que leur procure leur nombre dans les organes pléniers. Les organes restreints ont des attributions très précises et parfois exclusives. Dans le cadre de l’ONU, le Conseil de Sécurité a, en théorie et en vertu de l’article 24 paragraphe 1 de la Charte, la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales269 . Ce qui en pratique ne semble plus être le cas de nos jours, face à l’unilatéralisme pratiqué par les USA et leurs alliés. c. Les Assemblées parlementaires Plusieurs organisations internationales sont dotées d’assemblées représentatives de type parlementaire : c’est le cas du Conseil de l’Europe, de l’Union Européenne, de la CEDEAO, de l’OEA, de l’OSCE de la CEI, etc. A l’exception du Parlement européen élu au suffrage universel direct, les parlementaires des autres assemblées sont élus par les parlements nationaux des pays membres. Un principe de proportionnalité en fonction des populations respectives des pays est respecté dans leur composition. En outre, à la différence du Parlement européen, les autres assemblées ont des attributions essentiellement consultatives. Sans doute, pour beaucoup d’organisations internationales, le parlement européen semble être le modèle de référence. Toutefois une démocratisation de ces organisations impliquera l’introduction d’une dose de supranationalité et la conscience affirmée de l’appartenance à une même communauté ou Union ; elle supposerait aussi, comme l’indique du reste Mr. André 268

Pour l’ONU, v. supra. Il faut souligner que la tendance actuelle est à l’accroissement du nombre des membres des organes restreints et non de leur suppression. Ainsi le nombre des membres du Conseil de l’Administration de l’OMI a été porté de 24 à 40 en 1993 ; de celui du Conseil de l’Exécutif de l’UNESCO de 18 à 58 en 1995, celui du FMI de 12 à 24, dont 5 pour les principaux actionnaires, l’Arabie Saoudite en raison de l’importance de ses engagements envers le Fonds, 6 élus par les autres gouverneurs. 269 Cette disposition a été battue en brèche par la Résolution Dean Acheson qui confère à l’Assemblée Générale des prérogatives en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. V. infra.

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Lewin270, que les organisations internationales cessent d’être intergouvernementales et deviennent davantage l’émanation des peuples. 3. Selon les fonctions des organes En référence aux fonctions, il est possible de distinguer les organes politiques ou délibérants, des organes administratifs, des organes juridictionnels et des organes consultatifs. a. Les organes politiques ou délibérants Ce sont ceux dans lesquels s’exerce la « diplomatie multilatérale ». Cette diplomatie se manifeste dans les organes pléniers ou restreints de l’Organisation. Le mode de fonctionnement de ces enceintes délibérantes s’apparente à celui d’une assemblée parlementaire271. Du reste, les règlements intérieurs de ces organes l’organisent en ce sens. Les organes délibérants de la plupart des organisations internationales sont gouvernés par le principe de l’égalité des Etats qui disposent chacun d’une voix ou d’un nombre égal de voix272 . Les fonctions des organes délibérants ne se différencient pas suivant les catégories législatives et exécutives. Dans les Communautés Européennes, le pouvoir normatif dérivé est exercé aussi bien par la Commission et par le Conseil avec prépondérance de l’un d’eux suivant l’organisation internationale considérée : la Commission à la CECA, le Conseil à la CE ou la Commission exerce également un pouvoir d’initiative important. Ce schéma est également reflété au sein de la CEDEAO. A l’ONU, l’Assemblée Générale et le Conseil de Sécurité disposent d’un pouvoir normatif spécialisé. De surcroît, un même organe peut être investi à la fois des fonctions exécutives et normatives. La Commission de la CE exécute les actes du Conseil, mais dispose aussi d’un pouvoir normatif subordonné lui permettant d’édicter des textes d’application. b. Les organes administratifs Les organisations internationales disposent d’organes administratifs permanents qui agissent sous l’autorité et selon les directives des organes délibérants273. Ils ont des fonctions diverses selon les institutions. Ils sont 270

« Principes communs aux organisations internationales », op.cit.,p.18. Plusieurs éléments en témoignent le rôle du Président de l’organe, celui du bureau, celui des rapporteurs, la composition et les compétences des commissions, l’adoption de l’ordre du jour, l’examen des pouvoirs des délégués, la négociation des projets de résolutions et des amendements, le choix des parrainages pour les textes, l’utilisation de la procédure pour faire aboutir ou pour faire échouer certaines initiatives, la recherche d’une majorité ou d’un consensus, l’importance des manœuvres de couloirs, les suspensions de séance, les modalités du vote lui-même, etc. 272 Pour les exceptions à ce principe, v. infra. 273 Il y a une évolution. Auparavant, au début du système multilatéral, il revenait à l’Etat de siège de faire fonctionner l’organisation sur le plan administratif. Ce fut le cas, par exemple de la Suisse pour l’UPU ou pour certaines unions de l’OMPI, l’Autriche pour INTERPOL, la 271

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chargés d’assurer le fonctionnement régulier de l’organisation en veillant au déroulement technique des réunions, à la préparation du budget, à l’entretien du matériel de l’organisation. Ils participent également à la préparation des décisions et des délibérations et à leur exécution, à la fourniture de renseignements, rapports, etc. Agissant sous l’autorité des organes politiques, leur part d’initiative est en principe limitée : pour l’essentiel, ils assurent des taches d’exécution opérationnelles mettant en jeu des moyens matériels et humains. Les organes administratifs comportent un responsable principal qui est désigné, le plus souvent par l’un des organes délibérants ou parfois par les deux274 et une administration dont la nomination lui incombe, composée pour l’essentiel de fonctionnaires internationaux275. i) Le chef du Secrétariat Le chef du Secrétariat est désigné par l’un ou l’autre des organes délibérants, exceptionnellement par l’acte constitutif276, parfois à la suite d’un accord entre les Etats membres de l’organisation277 . Pour les organes subsidiaires, le pouvoir de nomination incombe souvent au Secrétaire général des Nations Unies (FISE/UNICEF, PNUD, HCR et dans ce dernier cas avec confirmation par l’Assemblée générale). Lors du choix du chef du Secrétariat, il est tenu compte du principe de la rotation géographique278. Les appellations de ce très haut fonctionnaire diffèrent selon les organisations internationales279 ; il en est de même pour ce qui est la durée de son mandant280. Le plus souvent, il est rééligible au moins une fois. Le Chef de l’Organe administratif dispose des pouvoirs de direction de l’administration et des pouvoirs propres dans le fonctionnement et dans la vie extérieure de l’organisation internationale. Certains actes constitutifs confèrent au chef du Secrétariat des attributions spécifiques importantes. Ainsi dans le cadre de l’ONU, outre les déclarations qu’il peut faire au cours des réunions des organes délibérants ou subsidiaires, le Secrétaire Général France pour l’Organisation internationale de Météorologie, le Royaume-Uni pour la Commission baleinière internationale, etc. 274 Par exemple, le cas du Secrétaire Général des Nations Unies qui est désigné à la fois par l’Assemblée Générale et le Conseil de Sécurité. 275 V. André Lewin, « Principes communs aux organisations internationales », op. cit., p. 19 ; V. SFDI, « Les agents internationaux », Colloque D’Aix-en Provence, Pédone, 1985. 276 Comme le cas du Secrétaire général de la Ligue des Etats arabes. 277 Il en est ainsi du Secrétaire général de l’OTAN. 278 Il faut souligner cependant que des organisations y échappent ; c’est le cas de la BIRD et des Banques régionales de développement qui ont presque toujours des Présidents venant de l’un des principaux contributeurs, Etats-Unis pour la Banque mondiale, le Japon pour la Banque asiatique, le FMI a par principe un Directeur général issu d’un Pays d’Europe occidentale. 279 Secrétaire général pour le cas de l’ONU, Directeur exécutif pour l’UNESCO, Directeur général pour le FMI, Président pour la BIRD, etc. 280 La moyenne varie selon les organisations de 3 à 6 ans.

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peut, en vertu de l’article 99 de la Charte, attirer l’attention du Conseil de Sécurité sur toute question qui lui paraît de nature à menacer la paix et la sécurité internationales. Le chef du Secrétariat peut voir sa responsabilité engagée dans l’exercice de ses fonctions. En dehors des démissions forcées très rares, les seules véritables sanctions à son encontre sont le strict contrôle et la limitation de son budget, et la non-réélection au terme de son mandat. Les organisations régionales d’intégration comme l’Union Européenne ou la CEDEAO ne disposent pas d’un organe comparable à un chef de Secrétariat. Toutefois, la Commission remplit dans une certaine mesure cette fonction, en même temps, et surtout dans le cas de l’Union Européenne, que celle d’un « quasi-gouvernement » et les commissaires ont un statut semblable à celui des très hauts fonctionnaires internationaux. ii) Les fonctionnaires et les agents internationaux Dans son avis consultatif du 11 avril 1949281 , la CIJ définit l’agent international comme : « quiconque, fonctionnaire rémunéré ou non, a été chargé par un organe de l’organisation d’exercer ou d’aider à exercer l’une des fonctions de celle-ci. Bref, toute personne par qui l’organisation agit ». Il résulte de cette définition que l’exercice d’une activité au sein de l’organisation et qui lui est imputable est le critère déterminant. L’agent international est recruté par l’organisation internationale ; ce sont les fonctions de l’organisation qu’il exerce, et c’est au nom de l’organisation qu’il agit. Cette définition est large. Comme l’indique la CIJ282 , elle inclut, outre les fonctionnaires internationaux, des personnalités aussi diverses que les membres des juridictions rattachées à l’organisation, les membres des forces armées mises à la disposition de l’organisation, des intermédiaires diplomatiques chargés de tâches de conciliation ou de bons offices, des consultants ou des experts en mission. Parmi, les agents internationaux, seuls sont fonctionnaires internationaux ceux qui sont au service de l’organisation « d’une façon continue et exclusive ». En effet, comme le précise le Professeur Prosper Weil283, le fonctionnaire international est défini comme « un agent exerçant de manière continue et exclusive, une fonction publique au service d’une organisation internationale et soumis à un régime juridique d’origine internationale ».

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Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, Rec., 1949, p. 177. Avis consultative 15 décembre 1989, Applicabilité de la Section 22 de l’article VI de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, Rec.1989, p. 194. 283 V. La nature juridique du lien de fonction publique dans les organisations internationales » dans RGDIP, 1963, pp. 273-290. 282

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La jurisprudence, tout comme une partie de la doctrine, refuse de distinguer les hauts fonctionnaires des autres agents de l’organisation internationale284. Si jadis, le caractère permanent de la fonction publique était de règle, aujourd’hui, il fait l’objet de nombreuses restrictions fondées sur des considérations techniques, politiques et économiques. Selon le Professeur Louis Dubois285 , il convient de distinguer une fonction « publique ouverte » dont les membres ont un lien contractuel avec l’organisation qui les engage pour une courte durée et une fonction publique « fermée » dont les membres sont soumis à un statut et sont engagés sans limitation de durée286 . D’une manière générale, les fonctionnaires travaillent pour le compte de l’organisation internationale. Ils bénéficient de certains privilèges et immunités dont l’étendue est variable selon leur hiérarchie287 . Les Etats membres s’engagent à respecter le caractère exclusivement international des agents de l’organisation et à ne pas tenter de les influencer dans l’exécution de leurs tâches288. Les fonctionnaires ou agents internationaux sont recrutés selon une procédure particulière289 ; ils trouvent dans des actes juridiques internationaux les éléments principaux de leur régime juridique et ne doivent pas leur emploi à leur Etat d’origine. En outre, ils bénéficient d’un Statut adopté par l’organe délibérant. Le système des Nations Unies s’est efforcé, grâce au Comité administratif de Coordination et au Comité de la fonction publique internationale, d’instaurer une relative uniformisation des conditions de recrutement, de carrière, de rémunération et de retraites. 284

V. TAOIT, jugement n° 580 du 20 décembre 1983 dans l’affaire Tevoedjre c/OIT et Blanchard et A. Lewin « Les hautes fonctions internationales » in SFDI, « Les agents internationaux », Colloque d’Aix-en-Provence, Pédone, Paris, pp. 37-81, voir aussi Louis Dubois, « La condition juridique des agents internationaux », ibid., pp. 12-13. 285 Ibid., p.36. 286 V. M. Bedjaoui, Fonction publique internationale et influences nationales, Pédone, Paris, 1958 ; A. Plantey, Droit et pratique de la fonction publique internationale, 1977. 287 V. infra. 288 Ainsi la tentative du Gouvernement de la République Islamique de Mauritanie, en 1998, de traduire en justice, une fois son mandat terminé, le Secrétaire exécutif, de nationalité mauritanienne, de l’Organisation de Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) pour ne pas avoir défendu les intérêts de son pays, a été vouée à l’échec grâce aux tribunaux mauritaniens qui ont, à juste raison, mis en avant le caractère international des fonctions exercées par l’intéressé, qui ne pouvait recevoir d’instructions de son gouvernement ni faire preuve de partialité en faveur de son pays d’origine. V. André Lewin, « Principes communs aux organisations internationales », op. cit., p. 20. 289 Il se fait sur concours, rarement sur dossier. Les critères de compétence, d’intégrité et d’impartialité vis-à-vis d’instructions éventuelles d’un gouvernement (un serment ou une déclaration écrite sont souvent exigés des fonctionnaires lors de leur recrutement) se combinent avec des préoccupations diverses : équitable répartition géographique par groupes ou par Etat, place accordée aux femmes, représentation des grands systèmes juridiques (comme à la CIJ), etc.

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Au sein des institutions européennes, chacune des institutions dispose de son propre personnel qui relève, pour la plupart, du statut des fonctionnaires des Communautés Européennes290 . A la CEDEAO, les fonctionnaires sont soumis au règlement du personnel de la Communauté et du Statut du personnel de la Communauté291. Détachés des ordres juridiques nationaux, les fonctionnaires bénéficient des procédures de recours dans l’ordre juridique interne des organisations internationales. Le plus souvent, il s’agit d’une procédure en deux temps, d’abord devant des organes consultatifs, après un recours gracieux auprès du supérieur hiérarchique, puis par l’introduction d’un recours devant un organe juridictionnel292. c. Les organes juridictionnels Ils sont de deux types : d’une part, les juridictions internationales et d’autre part, les juridictions administratives des organisations internationales. Il faut souligner que les juridictions internationales n’existent pas dans toutes les organisations internationales. Ces juridictions sont souvent des organes principaux institués par les traités constitutifs ou par des documents annexes qui en font partie ou y sont attachés. Ils sont ouverts aux Etats et aux organes des organisations internationales et exceptionnellement aux particuliers ressortissants des Etats, comme par exemple, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la Cour de Justice de la CEDEAO, celle de l’UEMOA, la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, la Cour de Justice des Communautés Européennes ou la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme. Les juridictions administratives sont pour l’essentiel des organes subsidiaires, sauf pour les juridictions d’organisations d’intégration créées par des traités communautaires. Elles sont en général compétentes293 pour 290

V. Règlement n° 259/68 du Conseil, JOCE n° L 56, 4 mars 1968, modifié à plusieurs reprises. En réalité, dans le cadre européen, il faut distinguer trois catégories d’agents : les fonctionnaires qui relèvent d’un statut unique, ils sont recrutés sur concours et font carrière au sein des institutions, les agents sous statuts particuliers, notamment les agents temporaires, les agents locaux qui sont soumis à un régime particulier, le RMA (régime applicable aux autres agents) et les personnels externes qui ne relèvent ni du Statut ni du RMA, comme les experts pour des missions d’assistance technique dans des pays tiers et les spécialistes pour des opérations humanitaires. 291 Ces textes établissent 3 catégories de fonctionnaires : les fonctionnaires statutaires qui bénéficient d’un contrat à durée déterminé de 4 ans non renouvelable, les fonctionnaires professionnels qui ont des contrats à durée indéterminée et enfin les fonctionnaires locaux qui bénéficient également de contrats à durée indéterminée. 292 V. Nguyen Qu’oc Dinh, Droit international public, op.cit., p. 625. Il faut cependant relever la particularité de la procédure de la CEDEAO. Ici, après le recours gracieux, le fonctionnaire non satisfait est amené à introduire un recours auprès du Conseil des ministres avant le recours juridictionnel. 293 Pour une analyse détaillée de ces juridictions, voir infra.

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connaître des litiges entre les agents d’une organisation internationale et l’administration de ladite organisation. d. Les organes consultatifs La complexité croissante de la vie internationale et le caractère de plus en plus technique des travaux menés au sein des organisations amènent celles-ci à s’entourer fréquemment d’avis d’experts ; certains d’entre eux sont recrutés à titre de consultants par les organes administratifs, d’autres sont nommés par le chef du Secrétariat ou désignés par les gouvernements pour faire partie de comités ad hoc ou pour devenir membres de commissions permanentes, créées comme organes subsidiaires de l’organisation. Suivant leur statut, ces experts peuvent être des représentants des gouvernements ou au contraire exercer leurs fonctions en toute indépendance. Le travail des organes consultatifs est juridiquement marginal. Ils n’ont pas l’initiative ni la liberté de définir le domaine de leurs travaux. Ces organes sont subordonnés à d’éventuelles directives des organes principaux. Cependant, ils peuvent exercer une influence décisive sur le contenu des décisions prises par les organes compétents. L’illustration typique de cette situation est fournie par la Commission du droit international qui est considérée comme le moteur de l’Assemblée Générale en matière de codification et de développement progressif du droit international294.

§4 Le fonctionnement de l’organisation internationale L’analyse du fonctionnement de l’organisation amène à apprécier son ordre juridique, l’origine des normes qui la caractérisent et leur articulation. Au-delà de cet aspect, il convient également de s’interroger sur la substance de ces normes qui concernent la représentation des membres et le mode de votation au sein des organes. A. Les normes de fonctionnement de l’organisation Ces normes sont soit conventionnelles295, dans la mesure où elles sont prévues par l’acte constitutif, soit produites par l’organisation elle-même en vertu de l’habilitation que lui ont consentie ses fondateurs. Sous ce rapport, elles sont dérivées de l’acte constitutif. Les normes de fonctionnement des organisations internationales peuvent être formées de deux manières : par l’organisation elle-même, ou par une procédure de concertation avec d’autres sujets de droit international, en vertu de normes d’habilitation contenues dans l’acte constitutif. L’organisation est soumise au droit international général, autrement dit au droit des traités, au droit de la responsabilité, aux règles relatives aux 294 295

V. Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op.cit., pp.628-629. V. Mario Bettati, Le Droit des organisations internationales, op.cit., p. 61.

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privilèges et immunités diplomatiques, etc. Toutefois, chacune de ces catégories fait l’objet d’une codification particulière en vue de déterminer les spécificités de ces règles dans leur application par les organisations internationales. Par ailleurs, le droit interne des Etats membres s’applique aussi aux actes de la vie de l’organisation comme les contrats de location, d’acquisition des biens mobiliers et immobiliers, d’emprunts, de louages de services, actes de la procédure judiciaire liés à son droit d’accès aux tribunaux internes, etc. B. La composition des représentations et les modes de votation et de délibération 1. La composition des représentations Quel que soit leur caractère, plénier ou restreint, les organes sont composés, pour la plupart, de membres désignés par les gouvernements des Etats membres. Ils sont comparables aux Conférences diplomatiques traditionnelles. Les représentants doivent suivre strictement les instructions de leurs gouvernements respectifs comme ils le feraient au sein d’une réunion diplomatique296. Ceci montre que les Etats membres conservent l’initiative de l’action au sein des organisations internationales, limitant ainsi leur autonomie même si cette tendance est contrebalancée dans les organisations régionales d’intégration. Le nombre des représentants est fixé par certains actes constitutifs297 et précisé par des règles de droit dérivé notamment pour tout ce qui concerne les suppléants, les conseillers et autres personnes qualifiées pouvant siéger dans les organes298 . Comme dans toutes les Conférences diplomatiques, les représentants gouvernementaux dans les organes de l’organisation sont soumis à la procédure de vérification des pouvoirs. Il s’agit, en l’occurrence, d’établir la conformité des lettres de créance avec les règles établies par l’organisation internationale299. Cette vérification purement formaliste a pour but de s’assurer que les individus présents sont bien habilités à représenter un Etat au nom duquel ils vont délibérer et voter. En règle générale, c’est un organe subsidiaire de l’organe, comme la Commission de vérification des pouvoirs établie par l’Assemblée Générale de l’ONU, qui procède à la vérification des pouvoirs des représentants. Cette opération dissimule parfois des enjeux diplomatiques importants. Elle est en effet, dans certains cas, l’occasion d’une véritable reconnaissance 296

V. Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit., p. 616. Pour l’ONU, voir l’art.9, parag.2; pour la FAO, l’art.III parag. 1 ; pour l’OMS, l’art.11. 298 Voir. Art. 25 Règlement de l’Assemblée générale de l’ONU, art. 19 du Règlement de l’Assemblée de l’OMS, l’art. III du Règlement général de la FAO, etc. 299 Voir art. 27 du Règlement de l’Assemblée Générale. 297

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ou non d’un Gouvernement de la part de l’organisation internationale300. C’est une opération soumise à des considérations dont le droit est moins l’objet que l’instrument. Selon la Résolution 396 (V) du 14 décembre 1950, la vérification à laquelle procède l’Assemblée Générale s’effectue « en tenant compte des buts et des principes de la Charte et des circonstances de l’espèce ». L’appréciation de cette disposition a été souvent le prétexte et l’occasion de contester la représentativité internationale des gouvernements qui octroient les pleins pouvoirs301. 2. Les modes de votation et de délibération Ils sont déterminés par les actes constitutifs, complétés par des actes de droit dérivé, comme le règlement de chaque organe, ou par des pratiques acceptées comme étant le droit, c’est-à-dire par la voie coutumière. Ces modes sont l’expression des rapports de forces au sein de l’organisation. Ils expriment également une conception juridique dominante, parfois un souci d’efficacité. Ils se caractérisent par leur diversité : on distingue en effet le système unanimitaire, le système majoritaire et enfin le consensus. a. Le système de l’unanimité Il est caractéristique des organisations internationales classiques issues de la technique des Conférences diplomatiques. La règle de l’unanimité était applicable à l’Assemblée et au Conseil de la SDN (sauf pour les votes de procédure et l’admission de nouveaux membres, où la majorité des deux tiers était exigée). Elle est souvent considérée comme le corollaire de la souveraineté et de l’égalité des Etats. C’était la règle la plus courante avant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, le recours à la règle de l’unanimité tend à s’estomper dans le droit positif contemporain. Le mécanisme s’est révélé trop rigide et a été tenu pour l’une des causes de l’échec de la SDN. Sans doute, la règle de l’unanimité est requise pour l’adoption de certaines résolutions de certaines institutions comme l’OCDE, la Ligue des Etats arabes, l’OTAN, ou au Conseil des Communautés européennes pour les questions d’intérêt important. Au sein de l’ONU, en vertu de l’article 27 de la Charte, l’unanimité est requise, pour les membres permanents du Conseil de Sécurité, pour les délibérations portant sur des questions de fond. Selon une pratique coutumière, l’abstention d’un membre permanent ne fait pas obstacle à l’adoption de la résolution prise dans le cadre du Chapitre VII.

300

Voir Mario Bettati, Le droit des organisations internationales, op.cit. Voir les discussions relatives à la représentation de la Chine, du Kampoutchea Démocratique (ex Cambodge) ou le rejet systématique des pouvoirs de la délégation sudafricaine par la Commission. 301

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b. Les systèmes majoritaires i) Le système de la majorité simple, de la majorité absolue et de la majorité qualifiée Il tend à constituer la règle de référence dans les organisations internationales. Le vote majoritaire est considéré comme le mode le plus démocratique pour l’adoption de décisions dans un « corps organisé et institutionnalisé »302 . Le système majoritaire se caractérise par sa diversité. Comme dans tous les systèmes délibératifs, on distingue la majorité simple, la majorité absolue et la majorité qualifiée. Dans le calcul des majorités, le principe général du droit des organisations internationales est que chaque Etat dispose d’une voix. Ce système met sur le même plan les superpuissances ou les Etats très peuplés et les micro-Etats ce qui produit des déséquilibres de représentation des populations303. Le calcul de la majorité se fait en général sur la base des membres présents et votants, c’est-à-dire exprimant un vote pour ou contre. Dans ce cas de figure, les membres qui s’abstiennent de voter sont considérés comme non votants304 . Lorsque la majorité absolue est requise, elle est calculée sur la base du nombre des membres de l’organe plus un305. A l’ONU, comme dans la plupart des institutions spécialisées, le système de la majorité simple ou de la majorité qualifiée- les 2/3 le plus souvent, les 3/4 ou même les 4/5- combiné avec le principe de l’égalité des Etats, a permis l’adoption d’un nombre considérable de résolutions, de recommandations, ou de décisions306 . La multiplication de votes concordants a conduit les groupes minoritaires à dénoncer l’usage abusif de la majorité dont disposent les plus nombreux. A l’ONU, entre 1946 et la fin des années 50, les Etats occidentaux bénéficiant 302

V. Raymond Ranjeva, Charles Cadoux, Droit international public, op.cit., p.114. Plusieurs auteurs se sont interrogés sur l’équilibre que le droit international pourrait établir entre l’égalité juridique des Etats petits et grands et l’inégalité de fait de leur puissance. V. Wolfgang Friedman, « De l’efficacité des organisations internationales », Armand Colin, Paris, 1970, p. 59. Aux Nations Unies, le problème s’est posé à l’occasion de la crise financière de l’ONU, d’où les propositions de pondération en fonction de la population et de la contribution à l’organisation internationale. V. André Lewin, « La triade contraignante, une nouvelle proposition de pondération des votes aux Nations Unies », RGDIP, 1984, pp. 349359. 304 V. Règlement de l’Assemblée Générale, Nations Unies, art. 88. 305 V. art 10 du Statut de la Cour. 306 Si l’on s’en tient à l’exemple de l’ONU, on constate que l’Assemblée Générale vote à la majorité des 2/3 des membres présents et votants sur les questions importantes : maintien de la paix, élection des membres non permanents du Conseil de Sécurité, des membres de l’ECOSOC, l’admission, la suspension et l’exclusion de membres, les questions budgétaires, à la majorité simple sur les autres questions, y compris la détermination des catégories nouvelles de questions à trancher à la majorité des 2/3 ( Art. 18, paragraphe 2 et 3 de la Charte). 303

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d’une position assez confortable et l’URSS dénonçait les « majorités mécaniques ». A partir des années 60, ce sont les occidentaux qui critiquent l’usage de la « majorité automatique », en faveur des pays en voie de développement auxquels s’étaient associés les pays de l’Est. La tentation naturelle pour les minoritaires, en vue de se protéger des délibérations majoritaires, consiste à invoquer la légalité par une lecture stricte de la Charte qui n’attribue pas de portée juridique externe obligatoire aux textes adoptés par l’Assemblée générale. En revanche, les majoritaires se fondent sur leur légitimité numérique pour tenter de rehausser la valeur légale de ces textes au rang de règle de droit exécutoire. La Résolution « Union pour le maintien de la paix » ou Résolution Dean Acheson, illustre le phénomène dans une période de majorité occidentale ; les textes relatifs au nouvel ordre économique international ont la même signification dans une période « de majorité tiers-mondiste »307 . ii) Le système de la majorité pondérée Le principe est d’attribuer à un Etat un nombre de voix ou à affecter les voix qui lui sont attribuées d’un coefficient proportionnel à son importance. Il évoque le système censitaire. S’il est, comme le souligne le Professeur Mario Bettati, « une source d’efficacité » pratique et de sécurité pour les Etats intéressés par une question308 », il n’en demeure pas moins que le système est dans son essence même anti-démocratique pour les pays en voie de développement. Le coefficient est établi selon plusieurs critères : -

-

une pondération en fonction du montant de la souscription au capital. Dans les institutions financières, chaque Etat dispose d’un nombre fixe de voix, plus une voix par part du capital309 ; dans certaines institutions, la proportionnalité est tempérée ou inversée au nom du principe d’inégalité compensatrice comme dans l’accord portant création du Fonds commun du programme intégré pour les produits de base du 27 juin 1980310 ; la pondération peut être fonction du poids économique d’un Etat sur le marché d’un produit. Le coefficient est établi relativement à la production, la consommation, l’exportation ou l’importation du produit311 .

307

V. Mario Brettait, Droit des organisations internationales, op.cit., p. 68. Ibid., p.69. 309 V. BIRD, art. V, paragraphe 3 ; SFI, art. 4, paragraphe 3 ; AID, art. VI, paragraphe 3, FMI, art. XII, paragraphe 5 ; FIDA, art.6, paragraphes 3 et 6. 310 V. Annexes A et D. 311 Voir le nouveau traité simplifié 308

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Il existe une pondération en fonction de coefficients complexes négociés et combinant des critères divers. C’est le cas des Communautés Européennes pour les délibérations qui requièrent une majorité qualifiée. c. Le consensus C’est pour éviter que ne se multiplient les affrontements et le vote de résolutions agressives, mais sans suite pratique, que fut généralisée la pratique du consensus312. La majeure partie des résolutions adoptées aujourd’hui dans les organes pléniers et restreints le sont à la suite d’un consensus et non plus d’un vote. Le consensus ne figure pas dans les actes constitutifs ; il est plutôt mentionné dans le règlement intérieur des organes313 ou de certains traités314 . Il s’agit d’une procédure de prise de décision sans vote, faute d’objection de caractère formel d’un Etat membre formulée à l’encontre du contenu énoncé par une autorité convenue. Le consensus n’exprime pas la décision de la majorité, mais l’absence d’objections fondamentales de la part de la minorité. Il consiste à mener la négociation sur les termes d’un projet de résolution jusqu’au point où celuici ne soulève plus d’objection majeure de la part d’aucun des pays membres ; il n’est plus nécessaire dès lors de recourir au vote et le Président de l’organe constate simplement qu’il n’y a plus d’opposition au texte présenté et qu’il peut être déclaré adopté par consensus. Les délégations qui n’approuvent pas entièrement le texte n’insistent pas pour recourir au vote, n’objectent pas à son adoption par consensus et se contentent de faire connaitre leurs réserves et de les consigner dans le procès-verbal ou dans le rapport de l’organe intergouvernemental. En cas d’échec des efforts des délégations pour atteindre un consensus, la procédure de vote reprend ses droits. Le consensus est perçu par une partie de la doctrine comme un moyen permettant de détendre l’atmosphère des discussions multilatérales, d’obliger les groupes en présence à prendre davantage de temps pour négocier et à rechercher des formules acceptables pour toutes les parties en présence. Cette méthode consensuelle est sans doute plus adaptée à des Conférences diplomatiques de caractère politique.

312

Utilisé par l’OIT et par les Institutions de Bretton Woods, il sera étendu aux institutions spécialisées des Nations Unies. A l’ONU même il fut utilisé d’abord au Conseil, l’Assemblée Générale n’y a recours qu’en 1964 lorsqu’il s’agissait de résoudre le problème du retard accusé par l’URSS pour contribuer au budget de fonctionnement de l’organisation mondiale afin d’éviter d’appliquer l’article 19 de la Charte. Le consensus a été utilisé au cours des Conférences diplomatiques de codification ou de développement progressif du droit international : Conférence de Vienne de 1969 sur le Droit des traités, la troisième Conférence sur le Droit de la mer, 1973-1982. 313 Le Règlement de l’Assemblée Générale le prévoit dans l’une de ses annexes. 314 V. par exemple l’art. II, paragraphe 22 du Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires.

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Il faut souligner malgré tout, que le consensus présente l’inconvénient de traduire en général, un compromis sur un désaccord. L’unanimité de façade qu’il préserve cache le plus souvent une coalition d’insatisfaits au point que le consensus est assorti de réserves qui amoindrissent la portée réelle des textes adoptés315 . Du point de vue juridique, les décisions ou les résolutions adoptées par consensus ou par vote ont la même valeur juridique. Le consensus n’engendre pas une nouvelle catégorie d’actes juridiques. En effet, il est constant que le caractère obligatoire ou non obligatoire d’un texte émanant d’une organisation internationale ne dépend pas de son mode d’adoption, mais de son origine organique et statutaire et des dispositions pertinentes de l’acte constitutif316 .

SECTION 3 L’ORGANISATION INTERNATIONALE : UN ACTEUR PRINCIPAL DES RELATIONS INTERNATIONALES Avec les Etats, les organisations internationales apparaissent comme les principaux acteurs des relations internationales, en raison de la personnalité juridique internationale qui leur est reconnue, des compétences qui leur sont attribuées par leurs chartes constitutives, des nombreuses activités qu’elles mènent dans tous les domaines de la coopération internationale et des ressources humaines, militaires et financières mises à leur disposition. L’organisation est une association d’Etats, créée par traité, et qui dispose de la personnalité juridique internationale qui lui est reconnue en vue d’atteindre les buts qui lui sont assignés. En ce sens, l’organisation est un sujet dérivé du droit international. Le droit international lui reconnaît donc une personnalité juridique internationale comportant la capacité d’être titulaire de droits et d’obligations dans ses relations avec d’autres sujets de droit international (statut de droit international) ou à l’occasion de l’exécution de ses fonctions sur le territoire des Etats (statut de droit interne).

§1 La personnalité juridique de l’organisation internationale A. Les sources La consécration de la personnalité des organisations internationales s’est effectuée de manière progressive. Cette consécration découle de la pratique 315 316

V. Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit., p.621. Sur la valeur juridique des actes de l’organisation internationale, cf. supra.

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des Accords de siège, de la jurisprudence interne et internationale et des nombreux actes constitutifs317. L’article 3 de l’annexe 1 de la Convention du 20 mai 1875 portant création de l’Union internationale des Poids et Mesures invitait déjà le Gouvernement français à conférer au Bureau de l’organisation la qualité « d’établissement d’utilité publique ». Il en est de même du Traité de Rome de 1907 portant création de l’Office international de l’Hygiène publique. Une loi italienne de 1908 va doter l’Institut international d’agriculture de la capacité juridique. Par ailleurs, l’accord du 18 septembre 1926, qui confirme la Déclaration du gouvernement suisse en date du 28 juillet 1921, proclame solennellement que la SDN dispose de la personnalité juridique internationale et de la capacité juridique. La capacité juridique internationale n’est pas prévue par la Charte. C’est le résultat d’une construction jurisprudentielle. En effet, à la suite de l’assassinat par un groupe armé, de M. Folke Bernadotte, diplomate suédois envoyé par l’ONU comme médiateur en Palestine, la CIJ a été saisie pour avis par l’Assemblée Générale sur la question de savoir si l’ONU (dont la Charte est, comme le Pacte de la SDN, muette sur ce point) avait qualité pour présenter, contre le Gouvernement de jure ou de facto responsable d’un dommage subi, une réclamation internationale en vue d’obtenir réparation. La CIJ va répondre par l’affirmative. Employant une méthode d’interprétation téléologique, la Cour a estimé que les membres de l’ONU, « en lui assignant certaines fonctions, avec les devoirs et les responsabilités qui les accompagnent, l’ont revêtue de la compétence nécessaire pour lui permettre de s’acquitter effectivement de ses missions ». Autrement dit, selon la Cour, l’Organisation est destinée « à exercer des fonctions et à jouir des droits qui ne peuvent s’expliquer que si elle possède dans une large mesure la personnalité internationale et la capacité d’agir sur le plan international318 ». Dans tous les cas, la Cour a posé les limites fonctionnelles de cette personnalité en la comparant à celle de l’Etat. Pour la Cour, la reconnaissance à l’organisation mondiale de la personnalité internationale « n’équivaut pas à dire que l’organisation soit un Etat, ce qu’elle n’est certainement pas, ou que sa personnalité juridique, ses droits et ses devoirs soient les mêmes que ceux d’un Etat. Cela signifie simplement que l’organisation est un sujet de droit international, qu’elle a la capacité d’être titulaire de droits et de devoirs internationaux et qu’elle a la capacité de se prévaloir de ses droits par voie de réclamation internationale319 ». 317

V. André Lewin, Faez Anjak, « Principes communs aux organisations internationales », Statut juridique. Jurisclasseur, op. cit., p. 3. 318 Avis consultatif sur la réparation des dommages subis au service des Nations Unies, 11 avril 1949, Rec., 1949, p. 174. 319 Ibid.

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La Cour va conclure à la possession par l’ONU d’une personnalité juridique objective opposable même aux Etats non membres320 . Contestée par une partie de la doctrine321 , la personnalité internationale sera consacrée ensuite, pratiquement, par tous les actes constitutifs d’organisations internationales322. B. La personnalité juridique de l’O.I. lui permet d’accroitre son rôle sur la scène internationale La personnalité internationale, tout comme la personnalité juridique interne de l’Organisation internationale, confère à l’organisation internationale une certaine autonomie par rapport aux Etats qui la composent. Elle lui confère les privilèges et immunités, le droit d’ester en justice, le droit de légation active et passive. 1. Les privilèges et les immunités de l’organisation internationale Comme les Etats, l’organisation internationale bénéficie de privilèges et immunités nécessaires à garantir le respect de sa personnalité juridique. Ces privilèges et immunités consistent en différents moyens juridiques destinés à assurer l’indépendance de l’organisation et l’égalité entre tous les Etats membres y compris les Etats de siège. Ils sont définis dans les limites imposées par les compétences implicites et explicites de l’organisation internationale. Ils sont également organisés soit par des textes conventionnels323 , soit par la coutume324 qui prescrivent leur contenu. 320

Ibid., p. 185 V. La doctrine soviétique, avec M. Krylov, RCADI, 1947, I, p. 439 ; l’Ecole de Naples, avec M. Quadra, RCADI, 1964, III, p. 372 et s. 322 Par exemple, voir l’article 176 de la Convention sur le droit de la mer du 10 septembre 1982 relatif à la personnalité internationale de l’Autorité de la mer, UNESCO, art. XII ; FIDA, art.10 ; CEDEAO, art. 88 parag.1 du Traité révisé de 1993, en vertu duquel la Communauté ouest africaine a la personnalité internationale. Il faut noter que bien avant l’avis consultatif, certains actes constitutifs reconnaissaient explicitement la personnalité juridique comme par exemple l’article 39 de l’OIT, l’art. 6 du Traité de Paris de 1951 instituant la CECA, l’art. 210 de la CEE, l’art. VII, section 2 de la BIRD. En outre, dans son avis n° 14, du 8 décembre 1927, la CPJI a confirmé implicitement la personnalité internationale spécifique à la Commission Européenne du Danube de 1881. De même, en reconnaissant l’immunité de juridiction de l’Institut international d’agriculture, la Cour de Cassation italienne confirmait implicitement sa personnalité internationale. V. Aff. Profili, 26 février 1931. La Convention du 21 novembre 1947 sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées (art I, section 3) reprenant les dispositions de la Convention du 13 février 1946 sur les privilèges et immunités de l’ONU (art. I, section 1) affirme que l’Organisation possède la personnalité juridique. Elle est confirmée par divers accords de siège (ONU - Etats - Unis, 26 juin 1947, ONU - Suisse, 19 avril 1947. 323 Il faut distinguer ici, trois catégories de traités: - les actes constitutifs, ainsi par exemple, l’article 105 de la Charte des Nations Unies selon lequel, l’ONU « ses fonctionnaires et les représentants des Etats membres doivent jouir des privilèges nécessaires à la réalisation de ses buts et à l’exercice de leurs fonctions ». Cet 321

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L’organisation internationale jouit de l’immunité de juridiction et de l’inviolabilité. Celles-ci couvrent aussi bien l’organisation, les représentants des Etats membres que les agents internationaux. Pour ce qui est de l’organisation internationale, l’immunité de juridiction s’applique à tous les actes accomplis à l’occasion d’une procédure devant les autorités nationales, judiciaires, exécutives ou administratives , que l’organisation soit assignée en justice ou qu’elle soit appelée à fournir des renseignements325. Sans doute, l’organisation n’est pas soustraite à tout mode de règlement des différends326. L’immunité de juridiction n’est pas absolue ; elle trouve sa limite dans la volonté de l’organisation, qui peut y renoncer. La renonciation peut être expresse, en vertu d’une déclaration du chef de l’administration. Elle peut être tacite, si l’organisation participe à une action en tant que demanderesse327. La pratique générale va toutefois dans le sens contraire. Ainsi c’est le Secrétaire Général des Nations Unies qui décide, dans chaque cas d’espèce, si l’immunité de l’organisation doit être levée ou pas328 . Par ailleurs sous un autre registre, l’organisation jouit, pour ses correspondances, des mêmes immunités que les courriers et les valises diplomatiques : elle a le droit d’employer des codes ou chiffres pour ses télégrammes329 . Elle bénéficie également d’une immunité d’exécution qui est absolue. Elle ne peut faire l’objet d’une renonciation. Seule l’organisation article sert de modèle de référence pour les autres actes constitutifs : voir art. 4, parag. 4 et 5 de la SDN, art. 19 du Conseil de l’Europe ; art.40 de l’OEA, etc., - les accords subséquents ou spécifiques, lesquels sont conclus en même temps que l’acte ou de manière différée et dont l’objet est de définir, de préciser et de mettre en œuvre les privilèges et immunités accordés, lorsque les actes constitutifs renvoient à un texte distinct ou en l’absence de dispositions de ceux-ci ; c’est le cas par exemple de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies du 13 février 1946 (CPINU) ; de la Convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées, du 12 septembre 1949, ou du Protocole sur les privilèges et immunités des Communautés Européennes du 8 avril 1965 ; - enfin il y a les accords de sièges conclus bilatéralement entre l’Organisation internationale et l’Etat où elle installe son Secrétariat et ses organes, voir l’accord entre l’ ONU et les EtatsUnis du 26 juin 1947 pour le siège de New-York ; ou les accords particuliers entre l’organisation internationale et les Etats sur le territoire desquels sont installés les établissement décentralisés de l’organisation et où se déroulent certaines de ses activités, par exemple les accords ONU-Suisse, pour les bureaux de Genève ; ONU-Kenya pour le PNUE ; ONU-Ethiopie pour la Commission économique pour l’Afrique, etc. 324 En générale, les règles relatives aux privilèges et immunités des Nations Unies sont de nature coutumière. Elles s’imposent à tous les Etats, y compris les Etats non membres. V. AJNU, 1967, p. 346. 325 V. CPINU, section 2. 326 V. CPINU, section 29. 327 V. J. F. Lalive, « L’immunité de juridiction des Etats et des organisations internationales », Rec., Cours de La Haye, 1963, III, t. 84, pp. 239-240. 328 V. ACDI, 1967, II, p. 245. 329 V. CPINU, section 10.

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est juge des modalités d’exécution d’une décision rendue contre elle. Il existe cependant une exception concernant les institutions financières : elles bénéficient de l’immunité d’exécution « tant qu’un jugement définitif n’aura pas été prononcé contre elles330 ». Pour les Communautés Européennes, leurs biens et avoirs peuvent faire l’objet de mesures de contrainte administrative ou judiciaire, sous condition d’une autorisation de la CJCE331. Comme toute personne morale, elle a le droit de posséder un nom distinctif, souvent exprimé par ses initiales sous forme de sigle. Elle peut même adopter d’autres signes distinctifs comme l’emblème, le sceau ou le drapeau. L’inviolabilité de l’organisation consiste en une exemption de toute forme de contrainte exécutive (perquisition, réquisition, confiscation, ou expropriation) à l’égard de ses locaux et de ses biens332. Cette inviolabilité est le complément nécessaire de l’immunité de juridiction. Elle comporte aussi, en vue d’assurer la liberté des réunions de l’organisation et l’exercice normal de ses fonctions, l’interdiction faite aux agents de l’Etat hôte, qu’ils soient administratifs, judiciaires ou de police, de pénétrer à l’intérieur des locaux de l’organisation et dans leurs dépendances, sans le consentement de l’autorité compétente de cette organisation333 . L’inviolabilité s’étend même à la signification d’une ordonnance de saisie-arrêt sur salaires ou pensions334. Une autorisation de l’organisation est en outre nécessaire pour la saisie de biens privés appartenant à des agences de voyage, des banques et autres services installés dans les bâtiments. D’une manière générale, les locaux de l’organisation ainsi que les activités qui s’y déroulent sont placés sous l’autorité et le contrôle de celleci335. Ainsi l’organisation est en droit d’adopter des règlements organisant la vie à l’intérieur de son siège et qui l’emportent sur le droit national de l’Etat hôte336. Les lois de ce dernier ne s’appliquent qu’en cas d’absence de règles de l’organisation337 . L’inviolabilité de l’organisation amène cette dernière à assumer par son service de sécurité la responsabilité du maintien de l’ordre et de l’exercice des fonctions générales de police à l’intérieur de son siège. Les agents de l’Etat hôte ne peuvent y intervenir que sur demande de l’organisation ou 330

V. statut BIRD, art. VII, sect. 3. Le FMI a même reconnu la compétence des tribunaux nationaux pour connaître des mesures d’exécution en vertu d’une disposition d’un accord d’emprunt. A/CN.4/L add. 2, 1985, p. 20. 331 V.art 1, Protocole de 1965. 332 V. CPINU, section 3. 333 V. Convention 1946, 1947, sect. 3 et 5 ; OTAN, art. 6 ; OEA, art. 4, etc. 334 A/CN.4/L 383, add. 1, 1985, p.39 et s ; AJNU, 1976, pp. 230-231; Accord de siège EtatsUnis-ONU sect.9a, Italie –FAO, sect. 7 a ; France- UNESCO, art. 6, par. 2, etc. 335 V. Accord de siège France-UNESCO, art. 5-1, Accord Suisse-OMS, art 7 ; Etats-Unis – ONU, sect. 7 a, etc. 336 V. A/CN.4 /L 383, 1985, p. 22. 337 V. Accord de siège Italie-FAO, art. 6 ; Accord Etats-Unis-ONU, sect. 7 et 8, etc.

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avec son autorisation. De ce point de vue, l’Etat hôte a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour empêcher que les locaux de l’organisation soient envahis ou endommagés et pour préserver la tranquillité et la dignité de l’organisation338 . En tout état de cause, la pratique récente fait apparaître un assouplissement du caractère quasi-absolu de l’inviolabilité, en cas de nécessité, par exemple en cas d’incendie, d’imminence d’un crime, d’activités dangereuses, etc339 . De même, les locaux de l’organisation ne peuvent devenir un lieu d’asile pour les personnes recherchées par la justice340. Pour les agents internationaux, l’immunité couvre la faute de service et non la faute personnelle. En réalité, l’immunité ne joue que pour les actes accomplis pour le compte et sous le contrôle de l’organisation. En effet, l’acte accompli par l’agent en sa qualité officielle s’identifie à l’acte de l’organisation341. Le fonctionnaire ne peut comparaître comme témoin si cette comparution conduit à révéler des renseignements concernant le fonctionnement de l’organisation internationale, ou provenant des dossiers de l’organisation342. L’inviolabilité ne couvre que les activités accomplies en rapport avec ses fonctions officielles, y compris leurs paroles et écrits343. Il bénéficie d’une protection fonctionnelle de l’organisation344. Les fonctionnaires et les agents jouissent d’une indépendance dans l’exercice de leur fonction. Cette indépendance est essentielle. Elle est rappelée par les actes constitutifs eux-mêmes345, tout comme par la jurisprudence346 . L’indépendance des agents internationaux a également un fondement coutumier, ce qui a pour effet d’atténuer la portée des différences éventuelles de formulation dans les actes constitutifs347. Ils sont exonérés de tout impôt

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V. ACDI-II, 1967, p. 250. V. Accord Canada-OACI, sect. 4-2 ; Accord Autriche-AIEA, sect. 8-c, etc. 340 Voir par exemple, Accord France-UNESCO en son article 6. 341 A/CN.4/L. 388, add.1, 1985, p.67 et s. 342 Keeney/ Vs Etats-Unis, Court of appeal, District of Columbia, 26 août 1954. 343 V. Convention 1946, sect. 18 ; Convention 1947, sect. 19. 344 V. infra, v. D. Ruzie, « La condition juridique des fonctionnaires internationaux », JDI, 1978, pp. 868 et s. Cette protection fonctionnelle est exercée par l’organisation internationale en faveur de ses agents, à côté de la protection diplomatique dont bénéficient les Etats en faveur de leurs nationaux. 345 V. Art. 100 de la Charte des Nations Unies, art. 9 de la Constitution de l’OIT, art. 36 du Statut du Conseil de l’Europe, art. 20 du Traité révisé de la CEDEAO, 124 de la Charte de l’OEA, 17 de l’Acte constitutif de l’Union Africaine, etc. 346 V. CIJ, Demande de réformation du jugement n° 333 du Tribunal administratif des Nations Unies, même si la question de l’Independence a été éludée dans son avis consultatif du 27 mai 1987, Rec., 1987, p. 18. 347 V. Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit., p. 624. 339

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sur les traitements et émoluments versés par l’organisation348 . Cette exonération s’applique à toute forme d’imposition nationale y compris les cotisations de la sécurité sociale349. Par ailleurs, ils bénéficient également de facilités de change et de rapatriement dans les mêmes conditions que les missions diplomatiques. Ils peuvent importer en franchise leurs mobiliers et leurs effets, y compris généralement leurs véhicules à l’occasion de leur première installation350 . Les privilèges et immunités sont accordés aux fonctionnaires uniquement dans l’intérêt de l’organisation et non à leur avantage personnel351 . Ainsi, ils n’autorisent pas le fonctionnaire à se soustraire aux lois et règlements en vigueur et ne le dispensent pas de s’acquitter de ses obligations privées. Le pouvoir de lever l’immunité est détenu par l’organisation internationale elle-même, en cas d’infraction à l’ordre juridique de l’Etat de siège afin que ce dernier puisse traduire l’agent devant les juridictions locales352 . En pratique, l’organisation internationale est peu encline, en matière pénale, à lever l’immunité dont bénéficient ses fonctionnaires, ce qui n’est pas le cas en matière civile. En tout état de cause, la règle de la persona non grata ne s’applique pas aux fonctionnaires internationaux, soit pour refuser leur entrée, soit pour obtenir leur départ. Selon le TANU, ils sont des diplomates dont la désignation est soumise à un agrément353 . Dans ce contexte, l’organisation apprécie en toute liberté les motifs présentés par l’Etat hôte pour justifier sa position, et décider en conséquence, tenant compte de l’intérêt de l’organisation.

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V. Convention de 1946 et 1947, sect. 18- b et 19-b. Certains Etats refusent de s’y confirmer. Par exemple, les Etats-Unis ont formulé une réserve à ce propos lors de leur adhésion, en avril 1970, à la Convention de 1946. Pour résoudre cette différence de traitement des fonctionnaires, la plupart des organisations internationales remboursent ceux-ci du montant des impôts perçus par leur gouvernement. De même, pour remédier à l’inégalité qui en découle pour les Etats membres, l’ONU a instauré un mécanisme (le système contributions du personnel et fonds de péréquation) qui aboutit à augmenter la contribution au budget de l’organisation de l’Etat qui impose ses nationaux du montant des impôts remboursés. 350 V. Conv. 1946 et 1947, al. 5 g et f. 351 V. Conv. 1946, sect. 20; Conv. 1947, sect. 22. 352 Tribunal du Canton de Vaud, 14 mars 1975, AJNU, 1975, p.223. La levée de l’immunité est du ressort du chef de l’administration. La levée de l’immunité de ce dernier est du ressort d’un organe principal de l’organisation. Dans le cadre de l’ONU, c’est le Conseil de Sécurité qui dispose de la prérogative de lever l’immunité du Secrétaire Général. 353 11 octobre 1974, Aff. Levcik, n° 192, AFDI, 1974, p. 386. 349

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2. Le droit de légation active et passive La personnalité juridique internationale permet à l’organisation de jouir du droit de légation active354 et passive. Autrement dit, elle dispose du droit d’accréditer un représentant auprès d’autres sujets du droit international (Etats ou autres organisations) et de recevoir les représentants de ces derniers. Ainsi, il existe auprès de l’ONU des missions permanentes installées à New-York et qui constituent de véritables ambassades composées généralement de diplomates professionnels. Ces missions permanentes bénéficient, comme les agents diplomatiques, de privilèges et immunités définies par les textes internationaux. 3. La capacité de conclure des traités Il est admis que l’organisation a le pouvoir de traiter, c’est-à-dire le pouvoir de conclure des conventions internationales soit avec des Etats, soit avec d’autres organisations internationales. Cette capacité découle de la Convention de Vienne du 21 mars 1986 sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations internationales355. La convention confirme, d’une manière générale, l’existence en droit international d’un droit commun des traités applicables différemment, sur la base du principe de l’égalité des parties, aux Etats et aux organisations. Les articles 2-1-j et 6 montrent que cette capacité est régie par les règles de l’organisation, c’est-à-dire les actes constitutifs, les décisions et résolutions adoptées conformément à ces actes, ainsi que la pratique bien établie de l’organisation356.

354 Certains auteurs contestent même l’existence de ce droit de légation active. Selon eux, l’organisation n’exerce qu’une activité fonctionnelle à caractère représentatif. V. André Lewin, Faez Anjak, « Principes communs aux organisations internationales », op. cit. p., 8. 355 V. le texte dans RGDIP, 1986, n° 2, pp. 501-543. 356 En règle générale, la convention prévoit une procédure particulière de conclusion des traités par les organisations internationales. L’organe chargé de conclure varie selon les organisations. De nombreux actes adoptent le principe de la pluralité de compétence. A l’ONU, la compétence est partagée entre les organes principaux, V. Art. 43 et 63 de la Charte ; A la FAO, c’est l’organe plénier et le Directeur général qui sont chargés de conclure des accords ; v. Art. 13, etc. Certaines institutions ne font pas mention de l’organe compétent comme c’est le cas à l’OMS. Dans ce cas, la pratique montre que la capacité de conclure des accords est réservée au chef de l’administration permanente de l’organisation. L’adoption du texte s’effectue conformément à la procédure dont sont convenus les participants à la Conférence internationale (art. 9, paragraphe 2). L’entrée en vigueur du traité conclu par l’organisation implique un acte de confirmation formelle par laquelle l’organisation exprime son consentement à être lié par le traité (art. 2 1b bis ; art.11- 2, etc.) Cet acte formel de confirmation correspond à la ratification qui est l’expression du consentement de l’Etat à être lié par un traité. Enfin, en ce qui concerne le règlement des différends résultant de l’application ou de l’interprétation des traités conclus par l’organisation, la convention prévoit une procédure de saisine de la CIJ par la voie

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Cependant, à la différence des Etats qui disposent d’une capacité uniforme, pleine et entière, la diversité des buts, des fonctions et, par conséquent du domaine des organisations internationales, implique une capacité différenciée, qui s’exprime pour chaque institution par ses règles propres. Cette différenciation est synthétisée par le paragraphe 1 du Préambule qui confère à cette capacité un caractère fonctionnel357. La convention ellemême s’applique à deux catégories de traités conclus par l’organisation : les traités entre organisations internationales et Etats et les traités entre organisations internationales. Les premiers ont pour but de garantir non seulement le bon fonctionnement et la protection de l’organisation internationale,358 mais également d’assurer la mise en œuvre de ses compétences359 . Les seconds visent à assurer la coopération interinstitutionnelle360 . A l’instar de la Convention de 1969 sur le droit des traités, la Convention de 1986 exclut de son champ d’application les accords auxquels sont parties des entités non étatiques ou des organisations comme le CICR, ainsi que les accords non écrits. En outre selon l’article 73, la Convention ne régit pas les relations entre Etats parties à un traité conclu avec une ou plusieurs organisations. Ces relations sont couvertes par la convention de 1969361.

consultative, en conférant à ses avis un caractère obligatoire (art. 66- 2 b et e). La procédure contentieuse de la Cour n’est pas ouverte aux organisations internationales. Les organisations non autorisées ne peuvent saisir la Cour par la voie consultative que par le biais d’un Etat membre ou par le canal de l’Assemblée Générale, du Conseil de Sécurité, ou de l’organe d’une organisation autorisée. En cas refus de la demande d’avis direct ou indirect, l’article 66-2 f de la Convention dispose que toute partie au différend peut le soumettre par notification unilatérale au tribunal arbitral constitué en vertu des dispositions de l’annexe à la convention. Les différends qui ne relèvent pas du champ d’application des articles 53 et 64 de la convention de 1969 (conflit entre un traité et une norme impérative de droit international ou « jus cogens », peuvent être soumis à la procédure de conciliation (art. 66- 4). 357 En vertu du paragraphe 11 du Préambule : « Les organisations internationales jouissent de la capacité de conclure des traités qui leur est nécessaire pour exercer leurs fonctions et atteindre leurs buts ». 358 Rentrent dans cette catégorie, les accords de siège, les conventions multilatérales sur les privilèges et immunités des organisations internationales, etc. V. S. Bastid, Les traités dans la vie internationale, Economica, Paris, 1985, p. 225 et s. 359 On peut citer par exemple, les accords relatifs aux opérations de maintien de la paix conclus entre l’ONU, les Etats de stationnement de ces forces et les pays qui fournissent des contingents ou des prestations ; les accords de prêts conclus par les institutions financières, les accords de contrôle de l’AIEA, etc. 360 Il s’agit, pour l’essentiel, des accords de coordination conclus entre l’ONU et chacune des institutions spécialisées en vertu des articles 57 et 63 de la Charte, ou entre les institutions spécialisées et les organisations intervenant dans leur domaine de compétence. 361 V. André Lewin, Fadez Sanjak, « Les principes communs aux organisations internationales », op. cit., p. 4.

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4. La responsabilité de l’organisation internationale Bénéficiant de la personnalité juridique, l’organisation internationale doit supporter les obligations corrélatives. La responsabilité de l’organisation est admise par la jurisprudence, par le droit conventionnel et par la majorité de la doctrine362. La responsabilité de l’organisation ne peut être qu’occasionnelle. Le régime de responsabilité des organisations comporte quelques similitudes avec celui des Etats. Le principe repose sur le fait que la responsabilité internationale de l’organisation sera engagée en cas d’exercice irrégulier et dommageable de ses compétences, ou du fait des comportements qui lui sont imputables. i) Le droit de l’organisation internationale d’obtenir réparation d’un dommage subi Dans son Avis consultatif du 11 avril 1949363, la CIJ reconnaît à l’organisation le droit de mettre en cause la responsabilité d’un sujet du droit international (un Etat ou une autre organisation internationale) dont le comportement actif ou passif lui a directement causé un dommage. Elle peut mettre en cause cette responsabilité en recourant aux méthodes habituelles admises par le droit international comme la protestation, la demande d’enquête, l’arbitrage, la solution judiciaire ou présenter une réclamation internationale en vue d’obtenir la réparation des dommages qu’elle a subis du fait du manquement de cet Etat à ses obligations internationales. L’organisation peut également en exerçant la protection fonctionnelle, demander réparation d’un dommage subi par elle en la personne de l’un de ses agents. Selon la Cour, en exerçant cette protection fonctionnelle, l’organisation fait valoir son propre droit de voir respecter les obligations contractées envers elle. Les organisations régionales d’intégration comme l’UE, l’UEMOA ou la CEDEAO peuvent de leur côté mettre en cause la responsabilité d’un Etat membre devant leur organe judiciaire principal364. Dans un autre domaine, la Convention du 29 mars 1972 sur la responsabilité internationale pour dommages causés par des objets spatiaux reconnaît à toute organisation se consacrant à des activités spatiales, le droit de recevoir une indemnité pour les dommages qu’elle pourrait subir. Cependant, elle confie le soin de présenter la demande d’indemnisation à un Etat membre de l’organisation, partie à la Convention365 .

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V. P. Reuter, « Sur quelques limites du droit des organisations internationales », Mélanges Bindscheidler, 1980, p. 506. 363 Rec., 1949, pp. 177-181. 364 V. Supra. 365 V. art. XII.

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ii) L’obligation de l’organisation de réparer les dommages causés La responsabilité de l’organisation internationale peut être engagée lorsqu’un manquement au droit international engendre un dommage qui lui est imputable. De telles situations ne se rencontrent qu’en cas d’activités opérationnelles de l’organisation internationale. Dans ce contexte, si les Nations Unies ont refusé d’indemniser les victimes d’actes commis par les forces de maintien de la paix résultant des nécessités militaires, il n’empêche qu’elles ont reconnu leur responsabilité pour les actes de pillage et de violence commis par ces forces en dehors des opérations militaires366. L’Institut du droit international admet également la responsabilité de l’ONU pour les dommages que ses forces pourraient causer en violation des règles humanitaires ou non relatives aux conflits armés, sans préjudice de son recours éventuel à l’égard d’un Etat dont le contingent aurait causé un tel dommage367. La responsabilité de l’organisation peut être concurrente avec celle de l’Etat bénéficiaire de l’opération ou de l’Etat national d’un membre des forces de maintien de la paix, selon leur degré de participation au contrôle de cette opération. Elle peut être concurrente avec les Etats membres, en vertu d’une disposition conventionnelle368 . Selon le Professeur Paul Reuter, cette responsabilité solidaire se justifie par le souci de remédier au cas d’incapacité financière de l’organisation369. C’est la raison pour laquelle les demandes d’indemnité doivent être dirigées d’abord contre l’organisation et à titre subsidiaire contre ces Etats. Certains accords de siège prévoient expressément la mise en cause éventuelle de la responsabilité de l’organisation370. De même, l’article XXII de la Convention sur la responsabilité de l’organisation pour les dommages causés par les objets spatiaux admet la possibilité d’une responsabilité des organisations suivant « des conditions de fond analogues à celles des Etats ».

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V. AJNU, 1965, p. 41. V. Les articles 8 et 6 des Résolutions adoptées en 1971 et 1975 ; V. Michel-Cyr Djiena Wembou et Daouda Fall, Droit international humanitaire. Théorie générale et réalités africaines, op. cit., p… 368 Ainsi l’article XXII de la convention du 1972 sur la responsabilité pour dommages causés par des objets spatiaux établit une responsabilité solidaire et conjointe entre l’organisation et les Etats membres parties à cette Convention pour des faits imputables pourtant à l’organisation. 369 Op.cit., p.505. 370 V. Accord de siège AIEA-Autriche. En vertu de l’article 11 de l’accord « le fait que l’AIEA soit sur le territoire autrichien ne fera encourir à l’Autriche une quelconque responsabilité internationale pour les actions ou omissions des agents de l’AIEA dans l’exercice de leurs fonctions ». Des clauses similaires figurent dans certains accords relatifs au maintien de la paix. Voir, par exemple, l’Accord de l’ONU avec le Congo du 27 novembre 1961 ou celui de l’ONU et Chypre du 31 mars 1964. 367

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En ce qui concerne la réparation des dommages, elle se fonde sur le droit international371. Dans le cadre du régionalisme européen ou africain, l’UE, la CEDEAO et l’UEMOA peuvent avoir à répondre de leur responsabilité extracontractuelle devant leur juridiction respective372. Cette action en indemnité est largement ouverte dans la mesure où toute personne physique ou morale peut intenter un recours. Elle est fondée soit sur la faute de service des agents de ces organismes, soit sur l’illégalité de comportement de leurs institutions.

§2 L’accroissement du rôle des organisations internationales en raison des compétences qui leur sont attribuées et des activités qu’elles mènent A. Les compétences et le rôle de l’organisation internationale sur la scène internationale Les organisations internationales sont devenues les acteurs incontournables des relations internationales contemporaines ; pratiquement tous les aspects de la vie internationale sont couverts par leurs activités : la diplomatie préventive, la coopération politique, le maintien de la paix, le règlement pacifique des différends, l’agriculture, la santé, la météorologie, le transport maritime, la protection des droits de la femme et des enfants, la promotion de l’éducation, de la science et de la culture, la sécurité alimentaire, la propriété intellectuelle, le commerce international, le développement industriel, le droit de la mer, l’énergie atomique, etc. L’organisation internationale dispose de toutes les compétences nécessaires à la réalisation de ses buts en vertu du principe de spécialité qui qualifie, selon le Professeur Nguyen Quoc Dinh, la personnalité des organisations373 . 371

Ainsi, par exemple, à la suite des dommages causés par les forces des Nations Unies au Congo, deux accords ont été conclus l’un avec le Congo, prévoyant le recours à la négociation ou à l’arbitrage, l’autre avec la Belgique relatif au versement d’une indemnité forfaitaire. V. J. A. Salmon, « Les accords Spaak-Uthan sur la réparation des dommages », AFDI, 1965, pp. 476-497 et l’accord ONU-Congo-Léopoldville, RGDIP, 1964, n° 1. Il faut noter aussi que des règles relatives à la réparation des dommages causés par l’organisation internationale figurent également dans certains contrats (comme les accords conclus par la BIRD) ou dans certains traités (l’article XXII de la Convention du 29 mars 1972, pour les dommages causés par des objets spatiaux lancés par une organisation internationale). 372 V. infra. 373 Du reste, dans son Avis consultatif « OMS » du 8 juillet 1996, Rec., 1996, p. 78, la CIJ note que « les organisations internationales sont des sujets de droit international qui ne jouissent pas, à l’instar des Etats, de compétences générales. Les organisations internationales sont régies par « le principe de spécialité », c’est-à- dire dotées par les Etats qui les créent, de compétences d’attribution dont les limites sont fonction des intérêts communs que ceux-ci leur donnent pour mission de promouvoir. Il faut souligner également que les compétences de

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Les compétences de l’organisation ne sont pas toutes définies par les textes constitutifs. Elles peuvent être déduites d’une interprétation libérale, dynamique des compétences expresses et des objectifs assignés à l’organisation internationale. Sous ce rapport, les compétences implicites se distinguent des compétences fonctionnelles de l’organisation internationale. 1. Les compétences fonctionnelles de l’organisation et les activités qui en découlent Elles renvoient aux finalités des activités de l’organisation internationale. En général, l’organisation internationale a pour finalité d’harmoniser, de coordonner les politiques étatiques. La doctrine oppose ici les fonctions de coopération qui ont pour but de rapprocher des politiques qui restent de la responsabilité des Etats, et les fonctions d’intégration, lesquelles tout en englobant les premières, les dépassent en permettant le développement de politiques communes définies et gérées par l’organisation en cause. C’est ce qui explique la distinction entre organisation de coopération et organisation d’intégration. a. Les activités normatives de l’organisation C’est sur la base de ses compétences normatives que l’organisation internationale adopte des règles juridiques ou financières de portée générale ou individuelle. i) Dans le cadre des organisations universelles Les organes des organisations universelles peuvent adopter des résolutions, des recommandations, des décisions ou rendre des arrêts ou des jugements. Il est possible de donner un sens générique aux dénominations en distinguant les actes autonormateurs des actes hétéronormateurs. Les premiers s’adressent à l’organisation elle-même ou aux Etats en tant qu’éléments de l’organisation et sont soumis à son droit propre alors que les seconds sont dirigés vers des sujets de droit autonomes vis-à-vis de l’organisation. La compétence normative d’une organisation comprend également le droit de participer à des conventions internationales. Cette capacité est régie par les règles pertinentes de la Convention de Vienne du 21 mars 1986374. l’organisation sont bornées par le principe de spécialité à l’intérieur de chaque organisation internationale. En vertu de l’article 5 du Traité de Maastricht : « la Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui lui sont assignés par le présent Traité ». Le principe de spécialité se distingue du principe de subsidiarité. Ce principe est introduit en droit communautaire en matière de protection de l’environnement par l’Acte unique de 1986. Il a été par la suite généralisé par le Traité de Maastricht. Dans le cadre de l’UE, la subsidiarité ne joue que dans les matières qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’Union. V. supra. 374 V. supra.

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Cette Convention se présente comme le prolongement de la Convention de Vienne de 1969 sur le Droit des traités. Les Chartes prévoient fréquemment les procédures de conclusion des différents types d’accord qui intéressent l’organisation internationale. Toutefois, si l’adoption du texte, l’authentification, l’expression du consentement à être lié sont régies par des règles analogues à celle de la Convention de 1969, il reste qu’elles sont adaptées aux particularités institutionnelles caractéristiques des organisations internationales375. En tout état de cause, chaque organisation internationale possède une capacité individualisée selon une physionomie juridique qui lui est propre et qui varie suivant que l’on est en présence d’une organisation omnifonctionnelle aux compétences vastes et générales ou d’une organisation internationale technique assurant de modestes activités opérationnelles. ii) Dans le cadre des organisations régionales : le cas particulier des actes communautaires Le pouvoir d’adopter des décisions unilatérales obligatoires est la règle dans les organisations d’intégration comme les Communautés Européennes ou avec quelques nuances, l’UEMOA. Les actes pris, par exemple les règlements, par ces organisations, méritent d’être qualifiés de législatifs376. Il y a ici des facteurs de supranationalité qui facilitent aux organisations communautaires l’exercice de leur fonction d’intégration. On retrouve cette fonction législative dans le régime juridique d’amendement ou de révision de certains actes constitutifs des institutions spécialisées. Ainsi pour la société financière internationale, les amendements entrent directement en vigueur pour les Etats membres dès lors qu’une décision a été adoptée par le Conseil des gouverneurs à la majorité des troiscinquièmes des membres représentant quatre-cinquièmes des voix ; aucune exigence de ratification ou d’acceptation du texte amendé n’est prévue377 . b. Les compétences opérationnelles Elles constituent l’un des traits novateurs de l’extension du rôle des organisations internationales contemporaines. Ces fonctions se sont développées considérablement au lendemain de la Seconde Guerre 375

V. art. 8 à 17 de la Convention de 1986. V. supra. 377 La même procédure est applicable à certains amendements ou révision dans trois autres institutions spécialisées dès lors qu’ils ont été adoptés à la majorité des 2/3 : pour la FAO (art XX) et l’OMM (art 27), il s’agit de ceux qui n’impliquent pas de nouvelles obligations pour les Etats membres ; pour l’UNESCO (art. XIII), de ceux qui ne portent pas atteinte aux buts fondamentaux et n’aggravent pas les obligations des Etats membres. De même, la Convention de Montego Bay confère à l’autorité de la mer d’élaborer des règlements obligatoires portant par exemple sur le partage des avantages financiers et autres tirés des activités menées dans la zone, sur la réglementation de la prospection, de l’exploration et de l’exploitation dans cette zone. 376

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mondiale378. Elles portent pour l’essentiel sur les opérations de maintien de la paix et de la sécurité internationales379, sur l’assistance technique, économique et humanitaire380, sur la représentation diplomatique381 sur la gestion de certaines activités comme le contrôle de la régularité d’opérations électorales, sur l’action en justice y compris devant une juridiction internationale, etc. Dans le domaine de l’assistance technique, économique ou humanitaire, certaines organisations internationales déploient une activité opérationnelle intense. La mise en œuvre d’activités opérationnelles d’assistance n’est pas prévue par les actes constitutifs. Elle a été conçue et développée initialement par la pratique de l’ONU et des institutions spécialisées pour répondre aux besoins des pays en développement, à la suite de leur accession à l’indépendance. Ces activités se déroulent sur le territoire des pays bénéficiaires de l’assistance382. Cette assistance consiste dans l’envoi de techniciens et d’experts pour conseiller et orienter ces pays dans l’exécution des projets de développement, et même de s’intégrer dans l’opération d’exécution. Aujourd’hui, c’est le PNUD qui se charge d’assurer la direction de cette entreprise en vue d’établir, d’approuver et de financer les projets d’assistance. L’exécution de ces projets est confiée aux institutions spécialisées et à d’autres organisations, en vertu d’accords conclus avec celles-ci et avec les pays bénéficiaires. Par ailleurs, il faut noter que les institutions spécialisées possèdent également leurs propres activités opérationnelles qui se traduisent par l’exécution de projets d’assistance d’une manière indépendante du PNUD. Il en est de même des programmes exécutés par la FISE, l’UNICEF, le HCR, le PAM, etc. Sur le plan régional, la Communauté Européenne exerce aussi des activités opérationnelles dans le cadre de l’assistance technique, par le biais

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Il faut souligner que ces fonctions ne datent pas d’aujourd’hui dans la mesure où plusieurs organisations internationales créées au XIXe siècle ont exercé des activités opérationnelles. C’est le cas des commissions fluviales, comme par exemple la Commission Européenne du Danube, qui était chargée, conformément à son acte additionnel de 1881, de gérer des services de navigation, de pilotage et de remorquage, d’exécuter par ses propres moyens de grands travaux sur le cours et le bassin du Danube. 379 V. infra. 380 V. supra. 381 V. supra 382 V. André Lewin et Faez Anjak, « Principes communs aux organisations internationales », op. cit., Fascicule 112-2, p. 9, dont nous empruntons les développements qui suivent et qui portent sur l’assistance technique.

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du Fonds Européen de Développement ou FED, aux pays en voie de développement de l’espace ACP383. Dans un autre domaine, il est intéressant de mentionner également l’assistance technique financière fournie par les institutions financières internationales comme la BIRD, la SFI, l’AID, le FMI, la BAD aux pays en voie de développement en vue de l’exécution de projets de développement économique. Elle constitue une forme de gestion financière à caractère opérationnel. En outre, dans le domaine scientifique, l’Organisation Européenne de recherche nucléaire (CERN) crée des installations et effectue des recherches dans le domaine nucléaire. De son côté l’Agence spatiale européenne s’occupe de l’élaboration et l’utilisation des satellites et autres systèmes spatiaux, ainsi que la réalisation des opérations relatives aux moyens de lancement et aux systèmes de transports spatiaux384. De même, l’Autorité de la mer est habilitée, en vertu des articles 153 et 170 de la Convention du 10 décembre 1982, à mener dans la zone, par l’intermédiaire de son organe, l’Entreprise, une activité d’exploration et d’exploitation des ressources de cette zone. c. Les compétences liées à un territoire Il ne s’agit pas de compétences territoriales, mais du droit de réglementation et de contrôle étendu de l’organisation dans le périmètre de ses installations. Il en est ainsi des compétences relatives au siège de l’organisation internationale, c’est-à-dire le lieu de son établissement dont le régime juridique est fixé par une convention dite « accord de siège » conclue entre l’organisation et l’Etat hôte. En vertu de l’accord du siège du 26 juin 1947 entre l’ONU et les EtatsUnis, « le District administratif sera sous le contrôle de l’ONU » conformément à ses dispositions. « L’ONU aura le droit d’édicter des règlements exécutoires dans le district administratif et destiné à y créer, à tous les égards, les conditions nécessaires au plein exercice de ses attributions... Les lois ou règlements fédéraux des Etats-Unis, d’Etats fédérés ou locaux des Etats-Unis ne sont pas applicables à l’intérieur du district administratif, dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des règlements que l’ONU a le droit d’édicter... » ; Ces compétences liées au siège sont fonctionnelles parce que limitées aux exigences du bon fonctionnement de l’Organisation. Elles ne portent pas atteintes à la souveraineté territoriale de l’Etat dans la mesure où celui-ci

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V. G. Feuer et H. Cassan, Doit international du développement, Dalloz, Paris, 1985, pp. 321-324 ; V. A. Pellet, Le droit international du développement, Que sais-je ? PUF, Paris, 1987. 384 V. J. Chappez, « La Création de l’Agence spatiale européenne », AFDI, 1975, p. 810.

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renonce seulement à son monopole de l’exclusivité dans l’exercice de compétence sur son territoire. Par ailleurs, l’organisation peut être amenée à contrôler l’exercice par certains Etats de compétences territoriales. Ainsi, la SDN s’était vue confier par le Traité de Versailles des responsabilités dans la Sarre et à Dantzig. Il en est de même de l’ONU en ce qui concerne Trieste (Italie). Les compétences sur ces territoires sont établies par un Traité. Elles peuvent l’être aussi, en vertu d’une décision de l’Organisation internationale, comme par exemple la décision adoptée par l’Assemblée Générale, le 27 octobre 1966, à propos du Sud-ouest africain. L’Assemblée Générale avait décrété que « le Sud-ouest africain relève directement de l’ONU » et créé le Conseil des Nations Unies pour la Namibie chargée de son administration. d. Les compétences personnelles de l’organisation Cette compétence n’est pas fondée sur le lien d’allégeance, sur le lien de nationalité qui rattache l’Etat à des personnes physiques et morales, mais il s’agit plutôt d’une compétence rattachée à un territoire ou qui résulte d’un lien de fonction publique. En fait, les agents internationaux, tout en étant rattachés à leur Etat d’origine, dépendent de l’organisation qui les emploie pour tout ce qui touche à leurs activités professionnelles. L’organisation exerce en leur faveur une protection fonctionnelle opposable aux Etats. Du reste, comme déjà spécifié, la CIJ en 1948, dans l’affaire de la Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, a reconnu l’existence d’un droit de protection fonctionnelle, opposable même aux Etats non membres385. Au-delà de cette compétence personnelle, les organisations peuvent exercer des compétences sur des engins, c’est-à-dire faire naviguer des navires sur leur propre pavillon, ou procéder, conjointement avec des Etats à l’immatriculation d’aéronefs ou d’engin spatiaux. Elles en supportent par là même des responsabilités comparables à celles de l’Etat du pavillon ou d’immatriculation386. e. Le contrôle de la mise en œuvre des compétences fonctionnelles de l’organisation internationale L’organisation internationale est soumise à un système de contrôle comme les Etats. Les cas d’excès de pouvoir, de détournement de pouvoir résultant de la méconnaissance par l’organisation du principe de spécialité dépendent essentiellement de l’interprétation de son acte constitutif et des textes subséquents lui attribuant des compétences387. Ce contrôle découle, par conséquent, de l’exactitude de l’interprétation.

385

V. Rec. 1949 p. 183 V. supra 387 V. Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op.cit., p. 606. 386

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D’une manière générale, les conflits entre interprétations contradictoires sont soumis à une instance juridictionnelle. Il faut noter cependant que la saisine d’une juridiction internationale n’est pas toujours évidente, voire imposée388. Les organisations internationales ne peuvent saisir la CIJ que selon la procédure consultative, pour lui demander un avis qui, en principe n’est pas obligatoire. En fait, la Cour ne statue par la procédure contentieuse, aboutissant à une décision obligatoire, que si les Etats membres prennent l’initiative de la saisine et que si la Cour admet la recevabilité de la requête389. Le système de contrôle atteint son plus haut degré de perfectionnement dans les organisations d’intégration ou supranationales qui disposent d’une juridiction chargée de faire respecter les dispositions de la Charte constitutive. Dans le cadre des Communautés Européennes, la CJCE peut être saisie indifféremment par les Etats membres et les organes décision (la Commission, le Conseil des ministres), et, plus restrictivement, par des personnes privées. Le contentieux peut opposer des organes de l’organisation, ces organes et les Etats membres, les Etats membres entre eux, des particuliers aux organes des Communautés. On retrouve le même schéma à la CEDEAO et à l’UEMOA. Par ailleurs, en tant que sujets de droits titulaires de droits, les organisations internationales supportent les obligations corrélatives. Sous ce rapport, leur responsabilité internationale sera engagée en cas d’exercice irrégulier et dommageable de leurs compétences. Toutefois, la transposition des règles du droit international de la responsabilité internationale doit tenir compte des particularités des statuts des organisations et de l’attitude des Etats non membres à leur égard390. Le contrôle juridictionnel n’est qu’un des moyens de contrôle dont peuvent disposer les organisations internationales. Ce contrôle peut également être administratif. Ainsi l’AIEA peut envoyer sur place des inspecteurs chargés de vérifier l’application du Traité relatif à la nonprolifération des armes nucléaires (TNP). Le contrôle peut également être exercé par les organes délibérants des organisations internationales. Sur ce point, l’OIT a montré la voie. Ainsi les Etats doivent, naturellement, appliquer les conventions qu’ils ont ratifiées. Pour s’en assurer, l’OIT exige des Etats un rapport annuel pour chaque convention ratifiée. Ces rapports sont examinés par une Commission d’experts et sont communiqués pour observations aux organisations 388

V. Ch. Dominice, « Le règlement juridictionnel du contentieux externe des organisations internationales », Mél. Virally, pp. 225-238, « Le contentieux des organisations internationales et de l’Union Européenne », Bruylant, Bruxelles, 1997, xiii- 828 p. 389 V. CPJI, arrêt du 10 septembre 1929, Commission internationale de l’Oder, Série A, n° 23. 390 V. Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit., p. 608.

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syndicales. Il appartient, après l’examen des rapports annuels par la Commission, à la Conférence internationale du travail de désigner ensuite une commission tripartite qui étudie les rapports des experts et entend les représentants des gouvernements exposer les mesures qu’ils ont prises pour assurer l’application des conventions internationales. La pratique a montré que cette forme de contrôle est très efficace. Le mécanisme de l’OIT a inspiré le système de contrôle prévu par de nombreuses organisations internationales, notamment celles qui concernent les Droits de l’Homme. 2. Les compétences implicites de l’organisation internationale La compétence implicite est une compétence reconnue à l’organisation sans lui être expressément attribuée par un texte, mais comme une conséquence nécessaire d’une compétence expresse391 . Conçue aux EtatsUnis, transposée par la suite dans les relations internationales, la théorie des compétences implicites n’est pas absolue. Elle est juridiquement encadrée. a. La théorie des compétences implicites La théorie des compétences implicites a été élaborée aux Etats-Unis, en 1819, sous l’impulsion du juge Marshall dans l’affaire Mc. Culloc c/ Maryland. La Cour suprême, à propos de la répartition des compétences entre l’Etat Fédéral et les Etats Fédérés a reconnu à l’Etat Fédéral le droit d’adopter des actes qui n’étaient pas expressément prévus et autorisés par la Constitution fédérale. Cette théorie a été transposée dans les relations internationales par la CPJI dans son Avis consultatif du 23 juillet 1926392 . La CIJ l’a confirmée dans son Avis du 11 avril 1949393 . Pour la CIJ : « Selon le droit international, l’Organisation doit être considérée comme possédant ces pouvoirs qui, s’ils ne sont pas expressément énoncés dans la Charte sont, par une conséquence nécessaire, conférés à l’organisation en tant qu’essentiels à l’exercice des fonctions de celle-ci ». La Cour a réitéré, ultérieurement, cette théorie dans plusieurs de ses avis394. Elle fait de cette théorie une application constante, en tant

391 V. Dictionnaire de droit international public. Sous la direction de Gilbert Guillaume, Bruylant/ AUF, Bruxelles, 2001, p. 216. 392 Compétences de l’OIT, Série B, n° 13, p. 18. 393 Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, Rec., 1949, p. 182. 394 V. Avis consultatif Sud-ouest africain, Rec.,1950, p. 120 ; effets des jugements du Tribunal administratif des Nations Unies accordant une indemnité, Rec., 1954, p. 47 où la Cour estime « que le pouvoir de créer un tribunal chargé de faire justice entre l’Organisation et les fonctionnaires était essentiel pour assurer le bon fonctionnement du Secrétariat et pour donner effet à cette considération dominante qu’est la nécessité d’assurer les plus hautes qualités de travail, de compétence et d’intégrité. La capacité de ce faire est nécessairement

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qu’institution juridictionnelle. Ainsi dans l’affaire des Essais nucléaires395, elle se reconnaît « un pouvoir inhérent » qui l’autorise à prendre toute mesure voulue, d’une part pour faire en sorte que, si sa compétence au fond est établie, l’exercice de cette compétence ne se révèle pas vain, d’autre part pour assurer le règlement de tous les litiges ainsi que le respect des « limitations inhérentes à l’exercice de la fonction judiciaire ». Cette théorie n’est pas spécifique à la CI J; elle vaut pour toute organisation et pour toute juridiction internationale. Ainsi la CJCE, dans ses fonctions d’interprétation théologique, s’appuie à la fois sur la recherche de l’effet utile de l’objet et du but des traités communautaires et sur la théorie des pouvoirs implicites396 . Selon la CJCE : « ... il est de jurisprudence constante que la compétence de la Communauté pour prendre des engagements internationaux peut non seulement résulter de dispositions explicites du traité, mais également découler de manière implicite de ces dispositions. La Cour a conclu notamment que, chaque fois que le droit communautaire avait établi, dans le chef des institutions de la Communauté, des compétences sur le plan interne en vue de réaliser un objectif déterminé, la Communauté était investie de la compétence pour prendre les engagements internationaux nécessaires à la réalisation de cet objectif, même en l’absence d’une disposition expresse à cet égard397 ». Ce concept de pouvoirs implicites joue un rôle déterminant dans le droit communautaire. Bien avant même la CJCE, le Traité de Rome l’avait formellement officialisé dans son article 235398 . b. Les limites de la théorie des compétences implicites Directive d’interprétation des Chartes des organisations internationales, cette théorie ne peut être absolue. Déjà dans l’Affaire Mc Culloc c/ Maryland, la Cour suprême des Etats-Unis avait souligné que l’Etat fédéral était habilité à prendre des actes non prévus par la Constitution américaine, pourvu que les « fins soient légitimes, qu’elles soient dans la sphère de la impliquée par la Charte » ; certaines dépenses des Nations Unies, Rec., 1962, p. 151 ; Namibie, Rec., 1971, p.16. 395 Rec., 1974, pp. 259 et 463. Voir le commentaire par Serge Sur, RGDIP, 1975, p. 982. 396 V. CJCE, 16 juillet 1956, Aff. 8/55, Fedecher, Rec., 1955, p. 199 où la Cour développe une conception étroite des pouvoirs impliqués ; 21 mars 1971, Aff. 22/70, Commission c/ Conseil (AETR), Rec., 1971, p. 263 où elle conçoit une conception extensive des pouvoirs implicites. 397 Voir Avis 2/91 du 19 mars 1993, Rec., p. I-1061, point 7 (CJCE, avis rendu en vertu de l’article 228 du traité CE devenu l’article 300 CE- Avis 2/94 du 28 mars 1996, Rec., p. I-23 parag. 26). 398 Aux termes de l’article 235, « si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du Marché commun, l’un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d’action requis à cet effet, le Conseil statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation de l’Assemblée, prend des dispositions appropriées ».

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Constitution ; tous les moyens qui sont appropriés à ces fins, qui ne sont pas interdits, mais qui sont compatibles avec la lettre et avec l’esprit de la Constitution, sont constitutionnels ». Selon le Juge Hackworth, « la doctrine des pouvoirs implicites a pour rôle de donner effet dans des limites raisonnables aux pouvoirs explicites et non de les supplanter ou de les modifier »399 . L’interprétation doit se référer à l’objet et aux buts des textes constitutifs qui coïncident avec l’objet et les buts de l’Organisation. L’acte constitutif constitue, en dernière analyse, une limite constitutionnelle à l’extension des compétences de l’organisation en cause. Sans doute, au-delà de ces considérations, il peut y avoir des phénomènes de capture ou de glissement des compétences. Ainsi par exemple, à l’ONU, l’Assemblée Générale s’est arrogé les pouvoirs du Conseil de Sécurité en cas d’impossibilité pour ce dernier de statuer400 . Dans les Communautés, ce sont les compétences externes de la CEE, c’est-à- dire l’aptitude de la Communauté à conclure des traités internationaux, qui ont été en cause. L’organe représentant les gouvernements (le Conseil) ayant prétendu exercer dans ce domaine une compétence que la CJCE a reconnue communautaire, autrement dit relevant des attributions de la Commission401. B. Crise financière internationale et réduction des activités et du rôle de l’organisation internationale Le fonctionnement de l’organisation internationale implique le financement de ses multiples activités. L’Organisation doit donc disposer des ressources financières pour les couvrir. Or de nos jours, l’on ne peut s’empêcher de noter que les grandes organisations politiques traversent une crise financière révélatrice de problèmes plus profonds qui affectent parfois leur raison d’être et réduisent leur influence sur la scène internationale. 1. Considérations générales sur le budget de l’organisation internationale L’organisation internationale est dotée d’un budget qui est l’acte juridique par lequel sont autorisés la perception des recettes et le mandatement ou l’ordonnancement des dépenses par l’organisation pour une période donnée. Le budget est adopté selon les règles de procédures financières propres à chaque organisation. Le projet de budget est préparé par le secrétariat, souvent avec l’assistance d’un comité spécial composé de 399

Rec., 1954, Opinion dissidente du juge réitérée par Sir Gérald Fitzmaurice, dans l’Affaire de la Namibie, Rec., 1971, p.280. 400 V. infra. La contestation de cette évolution des pouvoirs de l’Assemblée est à l’origine de l’Avis de la CIJ relatif à certaines dépenses des Nations Unies, Rec., 1962, p. 162 et s. 401 Voir affaires précitées AERTR; Commission c/ Conseil Rec. 1971 p.263.

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quelques Etats membres402 . Il est ensuite examiné par des experts gouvernementaux élus403, discuté le cas échéant par la commission, en plénière ou non, chargée des questions financières404, voté et adopté par l’organe plénier de l’organisation. Le vote requiert en général la majorité qualifiée prévue par l’acte constitutif405. Le principe de l’annualité est de plus en plus abandonné. En 1972, par une Résolution 3043 (XXVII), l’ONU a adopté la budgétisation par programme et un cycle budgétaire biennal. Elle a inspiré la plupart des institutions spécialisées. Il reste cependant que certaines institutions ont adopté un cycle plus long406 . Dans le cadre du régionalisme européen, il est établi un système où interviennent le Parlement Européen et le Conseil des ministres. La Commission agit sur le plan technique pour établir et présenter le projet de budget à l’approbation. Le parlement peut accepter ou refuser le projet dans son ensemble. Il peut également négocier avec le Conseil le montant global et la répartition des dépenses et même imposer des amendements, dans la limite d’un plafond, par des votes à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. La Commission, pour sa part, joue un rôle d’arbitre et de conciliation qui peut se révéler essentiel quand il y a, comme cela est fréquent, conflit entre les deux organes décisionnels. En revanche, dans le contexte de la CEDEAO, le budget des institutions de la Communauté ouest-africaine est présenté par la Commission à l’approbation du Comité administratif et financier avant son adoption par le Conseil des ministres de la Communauté. Le Parlement ne joue aucun rôle dans le processus de l’adoption du budget de la Communauté. Son avis n’est même pas sollicité. D’une manière générale, l’exécution du budget relève de la compétence des chefs des secrétariats internationaux assistés, pour l’essentiel, d’un ou plusieurs départements chargés des affaires budgétaires, financières et comptables. Le contrôle de l’exécution est effectué par l’organe plénier lorsqu’il vote la régularisation du budget de l’exercice précédent. Il a généralement recours au rapport du commissaire aux comptes. A l’ONU, le contrôle est encore renforcé par le Corps commun d’inspection. Elle peut faire appel à des 402

Par exemple à la FAO, c’est un comité composé de 9 membres. A l’ONU, le comité consultatif pour les questions administratives et budgétaires examine pour avis à l’Assemblée générale le budget de l’ONU mais aussi celui des institutions spécialisées. 404 A l’ONU c’est la cinquième commission. 405 Pour l’ONU, l’article 17 de la Charte prévoit une majorité des deux tiers pour l’adoption du budget. 406 Ainsi pour l’UIT, le budget est adopté pour une période de 5 ans; l’OMM 4 ans ; l’OACI 3 ans tandis que l’AIEA est restée a un budget annuel. 403

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juridictions nationales pour inspecter et vérifier le fonctionnement de certaines activités. A la CEDEAO, le contrôle est exercé par le commissaire externe aux comptes alors que dans le cadre de l’UEMOA ou de la CE, c’est la Cour des comptes qui procède au contrôle de l’exécution du budget. Les ressources servant à alimenter le budget ordinaire proviennent, pour l’essentiel, des contributions des Etats membres. Il s’agit de contributions obligatoires prévues par les actes constitutifs407. Un système de répartition des contributions est généralement déterminé par l’acte constitutif ou, à tout le moins, par l’organe délibératif plénier et révisé périodiquement, selon les circonstances, notamment en cas d’admission ou de retrait de membres ou pour tenir compte des variations de la capacité contributive de chaque Etat membre, par exemple en fonction du revenu national tempéré par divers facteurs (capacité de se procurer des devises) au cours d’une période précédant celle du choix (les trois dernières années à l’ONU). Les barèmes sont parfois établis à l’entrée de l’Etat dans l’organisation sous forme de quotes-parts importantes versées pour constituer le capital de l’organisation avec des révisions périodiques408. Les résolutions votées à ce titre sont considérées comme des décisions exécutoires s’imposant aux Etats membres. A côté des contributions obligatoires, figurent également des contributions volontaires qui alimentent des fonds spéciaux créés pour une action spécifique. Ces contributions volontaires sont destinées à fournir, au gré des gouvernements intéressés, les crédits relatifs à un ou plusieurs programmes particuliers et/ou des organes subsidiaires jumelés à un accord international409. Les versements s’effectuent auprès d’un Fonds d’affectation spéciale extra budgétaire des Nations Unies ou d’une institution spécialisée chargée de son exécution après une conférence informelle d’appels de contributions. La réticence des Etats membres à assurer par des contributions obligatoires le financement des dépenses administratives et opérationnelles toujours croissantes des organisations internationales et les nombreux retards de paiement enregistrés de la part de certains contributeurs, ont conduit à rechercher d’autres sources régulières de financement. Certaines organisations disposent de ressources propres liées à leur activité spécifique. C’est le cas de l’OMPI dont le budget reçoit une grande partie de taxes d’enregistrement international des brevets, marques, dessins et modèles industriels ou appellations d’origine perçues par les Unions de 407

V. art. 17 parag.2 Charte des Nations Unies ; art. 9 UNESCO ; art. 13 parag. 2 et 3 OIT ; art. 17 parag. 2 FAO ; OMI art. 39 ; OCDE art. 20, etc. 408 C’est le cas par exemple au FMI, la BIRD, à la SFI, à l’AID ou au FIDA. 409 Voir les cas du PNUD, du PAM, du FISE ou de l’UNWRA

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Paris, de Bern et autres. L’ensemble représente près de la moitié du budget de cette institution. Toutefois, c’est la Commission Européenne qui est allée plus loin dans le financement de ses activités par des ressources propres. La décision du 21 avril 1970 attribue à la CE trois types de ressources : les prélèvements agricoles et les cotisations à la production et au stockage de sucre, ressources provenant du Marche commun, les droits de douanes, conséquence de l’Union douanière et de l’établissement d’un tarif douanier extérieur commun ; une recette fondée sur une assiette commune de la TVA et qui sert de complément aux autres ressources propres. Ce mécanisme a permis de doter la Communauté Européenne de véritables recettes fiscales dont le produit varie en fonction de l’activité économique des pays membres. Il convient de relever que certaines organisations perçoivent la contribution des fonctionnaires sous forme de retenue sur leur traitement. Elle est de 6% à l’ONU et son produit permet de réduire la contribution de chaque Etat au prorata du nombre de ses ressortissants employés. Cette procédure permet également de compenser les impôts nationaux que certains Etats exigent de leurs fonctionnaires internationaux lorsqu’ils n’admettent pas l’exemption fiscale des traitements versés par ces organismes. Toutefois, les institutions financières comme la BIRD ou le FMI, réalisent des profits substantiels utilisés non seulement pour couvrir leurs frais de gestion, mais également pour être réinvestis dans des activités de prêt ou pour constituer des réserves. La rémunération de services, la vente de publications diverses constituent parfois une source non négligeable de ressources. Soulignons enfin que deux catégories de dépenses peuvent être relevées : les dépenses de fonctionnement et les dépenses portant sur les activités opérationnelles. Les dépenses de fonctionnement englobent les dépenses immobilières (lesquelles couvrent les frais de construction, d’entretien ou de location des bâtiments du siège et des bureaux régionaux ou locaux), les frais du personnel, les dépenses portant sur le déroulement des réunions régulières, les frais de mission du personnel, du chef de l’institution, les frais de correspondances ou de communication, etc. Ces dépenses sont généralement financées par les contributions obligatoires des Etats membres. Elles sont prévues dans le budget ordinaire de l’organisation. Les dépenses portant sur les activités opérationnelles portent en général sur les missions de la paix, l’assistance technique, l’assistance humanitaire, sur les actions de développement, etc. En principe, ces catégories de dépenses sont financées par les contributions volontaires. Dans le budget de l’Union Européenne, on note aussi les dépenses administratives, les dépenses qui couvrent la politique agricole commune, la 193

politique régionale et les transports, la politique de recherche, l’industrie et l’énergie, la coopération avec les pays en voie de développement, les remboursements aux Etats membres, la politique sociale et l’éducation. 2. La crise du financement de l’organisation internationale Si la masse budgétaire des organisations internationales n’a cessé de croître, il n’en demeure pas moins que l’on constate aujourd’hui que la plupart des organisations traversent une crise financière. Cette crise s’explique entre autres par les refus ou les retards de paiement des quotesparts de certains Etats membres. Par ailleurs, les budgets libellés en dollars subissent les effets négatifs des variations en hausse et surtout en baisse de la monnaie des Etats-Unis ce qui, dans ce dernier cas, dégrade son pouvoir d’achat opérationnel. En outre, les fonds alimentés par des contributions volontaires voient la bonne volonté de certains gouvernements diminuer. Dans le même temps, certains contributeurs marquent leur mécontentement en s’acquittant avec retard, ce qui a pour effet d’handicaper sérieusement les organisations lorsqu’il s’agit de contributions importantes. Dans le cas des pays à revenus modestes, les retards peuvent être dus tout simplement à des difficultés financières réelles. Il s’en suit donc que la capacité d’intervention des organisations internationales tend à se réduire, non seulement en raison des problèmes politiques entre les Etats membres, mais aussi en raison de la faiblesse des moyens d’actions desdites organisations, au regard notamment des budgets colossaux des firmes multinationales et même de certaines organisations non gouvernementales.

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CHAPITRE 3 LES AUTRES ACTEURS TRADITIONNELS

Sans doute, l’universalisation de la société internationale a entraîné, non seulement la multiplication des échanges économiques, culturels, techniques, scientifiques, l’accroissement des relations commerciales, mais aussi et surtout, le développement d’une coopération et d’une solidarité internationales410. Pendant longtemps, la coopération et la solidarité internationale se sont institutionnalisées dans le cadre des organisations internationales sous l’impulsion des Etats, acteurs principaux des relations internationales. Aujourd’hui, les individus créent des formes de coopération et de solidarité transnationales, qui échappent à l’Etat. Le développement de l’économie de marché a donné naissance aux sociétés multinationales, alors que la solidarité est à la base de la création des organisations non gouvernementales ou ONG sans but lucratif. En outre, grâce à la mondialisation de l’information, la mobilisation des individus peut parfois créer, au-delà des Etats, une véritable opinion publique internationale, laquelle rentre dans la catégorie des acteurs potentiels des relations internationales.

SECTION 1 LES FIRMES MULTINATIONALES Les firmes multinationales, appelées aussi entreprises multinationales ou sociétés transnationales, ont connu un développement fulgurant au cours du XXème siècle. Elles sont aujourd’hui les principaux opérateurs du système des relations économiques internationales411. Depuis le milieu des années quatre-vingt, les fusions – acquisitions se sont multipliées à un rythme intense. Cette stratégie de conquête de marchés se réalise de plus en plus sous forme de « multinationale globale » (W. Andreff) qui permet de réduire les coûts et de maximiser les taux de profit. C’est ainsi que les firmes multinationales structurent aujourd’hui l’essentiel du commerce international et des flux financiers et ont acquis un rôle 410

Voir Brice Soccol, Relations internationales, 13e édition, Paradigme Orléans, 2008, p. 127. V. Dominique Carreau, Thiébaut Flory, Patrick Julliard, Droit international économique, LGDJ, Paris, 3éme édition, 1990, p.72 411

politique déterminant notamment dans le cadre de la mondialisation. Pour illustrer la montée en puissance de ces opérateurs économiques transnationaux, le Président Bill Clinton n’avait pas hésité à déclarer qu’ils ont pratiquement un droit de veto sur les politiques économiques américaines412. Vu l’importance de ce phénomène dans les relations internationales, il convient, dans cette section, de donner une définition de ces firmes multinationales, de préciser leur typologie, leur origine, leur statut et leur rôle, avant d’analyser les critiques formulées à leur égard et les tentatives de réglementation de leurs activités.

§ 1 Définition, typologie et origine des firmes multinationales A. Le concept de firmes multinationales En règle générale, les firmes multinationales sont définies comme des entreprises dont le siège social se trouve dans un pays déterminé et qui exercent leurs activités dans un ou plusieurs autres pays, par l’intermédiaire de succursales ou de filiales dont la stratégie et la gestion sont conçues au niveau d’un centre de décision unique ; ce centre de décision coordonne et dirige l’ensemble en vue de maximiser le profit du groupe413 . Les firmes multinationales se caractérisent donc par leur but lucratif, par leur champ d’activité couvrant plusieurs pays dans lesquels sont installées des filiales. Elles exportent leur savoir-faire et leur technologie, toujours dans un souci de profit et de rentabilité. Assurant des fonctions de production dans plus d’un Etat, les firmes multinationales sont le vecteur principal des investissements internationaux. Elles ont parfois une puissance économique et financière supérieure à celle des Etats sur le territoire desquels elles localisent leurs investissements et leurs activités. La définition des firmes multinationales sus-évoquée fait donc ressortir trois éléments essentiels : le premier concerne la taille de l’entreprise, son implantation dans plusieurs pays et sa puissance financière. Le second critère est relatif au caractère national des firmes transnationales. En 2008 sur les dix plus grandes entreprises mondiales, cinq étaient américaines : Wal-Mart Stores (distribution), Exxon Mobil (pétrole), General Motors (automobile), Ford Motors (automobile), General Electric (services financiers) ; deux britanniques : BP (pétrole) et, en association avec les Pays-Bas, Royal Dutch/Shell (pétrole) ; une allemande : Daimler Chrysler (automobile) ; une japonaise : Toyota Motor (automobile) ; une française : Total (pétrole)414. 412

Voir S. Paquin. Economie Politique internationale, Paris, Montchrestien, 2005, p.64 Voir Max Gounelle, Relations internationales, op.cit p. 156 414 Fortune, 26 juillet 2008, cité in Le Monde 2.4 septembre 2008.p20 413

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D’autres firmes non moins importantes provenaient des pays émergents comme la Chine, la Corée du Sud, Singapour, l’Inde, la Turquie ou le Brésil. C’est dire la firme multinationale est d’abord un centre de décision national unique même si ses activités se déploient au niveau international. Il convient afin de souligner l’importance du troisième élément de la définition des firmes multinationales généralement admise par la doctrine qui est l’internationalisation des activités. En effet, l’installation des filiales dans plusieurs pays est généralement motivée par les avantages procurés par une implantation multiple : proximité des matières premières, code des investissements attractifs, régimes fiscaux éloignés intéressants, faiblesse des coûts des salaires et de la protection sociale, faiblesse de l’appareil étatique dans les pays d’installation, etc. B. Les catégories de firmes multinationales Divers essais de typologie ont été proposés. Ils sont autant d’objets de controverses. Howard V. Perlmutter prend pour critère le comportement des dirigeants415 : il distingue les entreprises ethnocentriques dont les activités et les décisions stratégiques sont subordonnées aux intérêts de l’Etat d’origine, les entreprises polycentriques, qui sont au contraire, orientées vers les Etats d’accueil, les entreprises géocentriques, totalement dénationalisées. Richard Robinson entend éclairer un processus en quatre étapes, qui mènerait des formes élémentaires au plus avancées. Il différencie l’entreprise internationale et l’entreprise multinationale, l’entreprise transnationale et l’entreprise supranationale. L’entreprise internationale regroupe ses opérations internationales au niveau de sa direction, et envisage toutes les stratégies possibles de pénétration des marchés internationaux, jusqu’à l’investissement direct. En revanche, l’entreprise multinationale est prête à répartir ses ressources sans souci des frontières nationales et considère ses opérations à l’extérieur comme aussi importantes que celles qu’elle mène sur le marché national ; cependant, l’influence de l’Etat d’origine reste forte, car la propriété et la direction restent uni nationales. Par contre, l’entreprise transnationale est gérée et possédée par des personnes d’origines nationales différentes, ses décisions échappent totalement à l’optique nationale ; mais ce stade est rarement atteint. En ce qui concerne l’entreprise supranationale, elle serait juridiquement dénationalisée ; elle est enregistrée auprès d’un organisme international qui la contrôle et auquel elle paie des impôts. D’autres auteurs retiennent comme critères de classification les structures financières de l’entreprise : filiales à l’étranger, étroitement contrôlées par la 415

Cité par Charles Zorgbibe, Les organisations internationales, Que sais-je ? PUF Paris 1986 p. 115

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société mère qui détient la majorité de leur capital ; filiales autonomes incitées à recourir au financement local ; groupes totalement internationalisés, les actions et obligations de la société mère étant commercialisées sur les marchés financiers des principaux pays étrangers416 . Selon le professeur Max Gounelle417 , il faut distinguer : - les firmes qui utilisent des matières premières qui n’existent pas ou peu sur le marché national, comme les firmes pétrolières. Elles exploitent un avantage technologique non maîtrisé par l’Etat de localisation ; - celles qui exploitent un avantage de position sur plusieurs marchés nationaux, dû au départ à une percée technologique, puis à la consolidation de parts des marchés (secteur électronique ou chimique) ; - les entreprises qui recherchent seulement des débouchés sur les marchés extérieurs, en évitant les coûts les plus lourds de l’innovation, et en s’infiltrant sur des marchés déjà explorés avec une gamme restreinte de produits, comme par exemple les firmes pharmaceutiques. Si pendant longtemps, les firmes multinationales ont été des firmes privées, on assiste depuis quelques années à l’expansion rapide de firmes multinationales d’Etat, publiques ou semi-publiques. Elles sont la conséquence directe de politiques industrielles contemporaines des Etats développés, qui privilégient l’exportation comme méthode et facteur de croissance. Au-delà de ces efforts de clarification, il faut reconnaître avec le professeur Charles Zorgbibe418, qu’il existe une différence de nature entre la firme multinationale et l’entreprise nationale. Pour celle-ci, la politique économique, financière, sociale des pouvoirs publics nationaux est une contrainte ; pour celle-là, une simple variable dont elle tiendra compte, dans l’implantation de ses centres de production ou l’élaboration d’une stratégie active de ses capitaux. C. L’origine des firmes multinationales L’émergence des firmes multinationales n’a pas été spontanée. Les plus anciennes, comme Nestlé ou Unilever, sont nées dans de petits Etats européens dont l’économie est dynamique, en l’occurrence la Suisse et les Pays-Bas. L’exiguïté de leur marché national a contraint les entreprises multinationales à rechercher le marché mondial.

416

Pour toutes ces questions voir Charles Zorgbibe, Organisations internationales, op.cit p. 116 417 Relations internationales, op.cit p. 156 418 Les organisations internationales, op. cit., p.116 et s.

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La génération suivante est celle des firmes d’origine américaine. Plusieurs raisons ont incité les firmes américaines à conquérir le marché international. On peut citer la législation antitrust qui limite leur concentration dans l’espace national, leur avance technologique et l’importance des taux de rentabilité de leurs investissements à l’étranger. L’Europe occidentale et le Japon vont également encourager la création de firmes internationales. Une analyse géopolitique des firmes multinationales montre qu’elles sont largement originaires des pays développés. Les Etats Unis, la GrandeBretagne, l’Allemagne, le Japon, la France et le Canada abritent l’essentiel de ces entreprises. A partir des années 1980, l’on a assisté à la création de firmes multinationales originaires d’autres aires géopolitiques. Des multinationales sont en effet apparues dans les pays émergents, brisant ainsi le monopole occidental. Selon le classement Forbes paru en 2012, 398 des 2000 plus grandes entreprises mondiales proviennent aujourd’hui de nouveaux pays industriels tels que la Chine, Singapour, l’Inde ou le Brésil. Comme on le sait419 , le processus de multinationalisation d’une entreprise est fortement conditionné par l’Etat d’origine. Celui-ci procure d’abord à certaines firmes nationales des avantages qui permettent de conquérir le marché interne, puis d’exporter et de devenir, par paliers successifs, des entreprises multinationales. Les politiques coloniales (1880-1950), puis les nouvelles politiques industrielles (depuis 1960) des Etats occidentaux illustrent ce processus d’internationalisation de certaines entreprises qui à l’origine n’avaient qu’un statut national. Les entreprises multinationales ont largement bénéficié de la libéralisation de l’économie mondiale globalement développée depuis 1945, à l’initiative des Etats occidentaux industrialisés. Grâce à la mondialisation, elles ont pu maximiser le taux de profit en réduisant le coût de production et en réalisant des économies d’échelle. Ainsi, pour une Pontiac de la General Motors, le moteur est fabriqué en Allemagne, la carrosserie à Taïwan, les petits composants en Irlande ou aux Barbades, le montage étant effectué en Corée du Sud420.

419

Relations internationales, op. cit., p. 157. Exemple donné par J.P. Chagnollaud, Relations internationales contemporaines : un monde en perte de repères, op. cit., p22

420

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§2 Le Statut et la Réglementation des activités des firmes multinationales A. Un acteur non reconnu par le droit international Les firmes multinationales ne sont ni des sujets ni des quasi-sujets du droit international421. Elles sont en général organisées autour d’une sociétémère et ont des établissements dispersés sur le territoire de plusieurs Etats, chacun de ces établissements étant régi par le droit local. Ces firmes mettent en lumière plusieurs réalités majeures des relations internationales. Il existe des tensions entre le droit et le fait. Quelle est la véritable nationalité de ces sociétés ? Le droit leur confère à la limite autant de nationalités que d’implantations dans des Etats différents. Au-delà de la nature juridique, se pose en filigrane la détermination de cette nationalité. Est-ce la composition du conseil d’administration ? La répartition du capital ? La distribution des investissements ou des emplois ? B. La réglementation des activités des firmes multinationales 1. Les termes du problème L’implantation des firmes multinationales a, sans aucun doute, des conséquences sur le marché, sur les échanges, mais aussi et surtout sur l’équilibre économique, social et culturel de l’Etat d’accueil. Comme le souligne à juste raison le Professeur Brice Soccol422 , « La logique de croissance, de concurrence et de profit, établie rapidement, peut parfois remettre en cause les équilibres et les mécanismes économiques traditionnels, entraîner un déclin du service public de l’Etat d’accueil, développer un système de corruption et aller jusqu’à remettre en cause la souveraineté économique ». Au niveau international, la puissance et les stratégies des firmes multinationales les conduisent souvent en situation de quasi-monopole ou d’oligopole dans un secteur d’activité. Ce qui a pour conséquence de porter atteinte à la concurrence et de fausser les bases du système économique international. Pour toutes ces différentes raisons, les firmes multinationales suscitent les critiques, l’hostilité d’une frange importante de l’opinion publique. Ces critiques sont souvent exprimées, plus particulièrement, dans les pays en voie de développement. Pour certains Etats du tiers-monde, qui s’inspiraient alors d’une vision marxiste des relations internationales, les multinationales apparaissent 421

Voir François Rigaux, « Les sociétés transnationales », dans Mohammed Bedjaoui, op. cit., p. 138. 422 Relations internationales, op. cit., p. 128.

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comme un moyen privilégié de l’exploitation impérialiste du tiers-monde à l’heure de la décolonisation. D’autres leaders politiques fondent leurs critiques sur les effets négatifs de l’activité des entreprises multinationales, aussi bien dans les pays du tiersmonde que dans les pays industrialisés. Les critiques les plus virulentes contre les sociétés multinationales proviennent de la doctrine, des leaders politiques et même de la société civile au motif que ces dernières profitent de la mondialisation pour écraser les faibles et maximiser leurs revenus au détriment de l’intérêt général. Il en est ainsi des pétroliers qui polluent les mers et les sites de production, des groupes agroalimentaires qui jouent avec la santé publique, des entreprises pharmaceutiques accusées d’être insensibles aux souffrances du tiers-monde, des compagnies pétrolières tel Total qui s’immisce dans la politique interne des pays francophones ou Shell accusé d’avoir fourni des armes à la police du Nigéria, de Nike accusé de faire travailler les enfants en Chine, etc... En effet, grâce à leur implantation internationale et à leur capacité d’échapper au contrôle des Etats, ces entreprises porteraient atteinte à l’indépendance économique des pays d’accueil. En dehors même de la sphère économique, elles pourraient, du fait leur pouvoir occulte, s’immiscer dans la sphère politique et opérer des pressions sur les gouvernements étrangers. En réalité, les relations entre firmes multinationales et Etats d’accueil ont connu une histoire mouvementée et parfois dramatique en ce qui concerne les pays en développement. A diverses occasions, elles ont imposé leur volonté aux nations non développées notamment lors des négociations portant sur l’installation ou la fermeture d’une filiale. Elles n’ont pas hésité à étendre leur contrôle sur les gouvernements entiers (les Républiques bananières de l’United Fruit) et même à participer au renversement d’un régime défavorable à l’entreprise ITT comme ce fût le cas au Chili en 1973 avec le régime de Salvador Allende. Aujourd’hui les Etats en développement ont presque tous abandonné les politiques de nationalisation et n’hésitent pas à se livrer une concurrence rude pour attirer les flux d’IDE, en adoptant des mesures fiscales et douanières extrêmement libérales. Ces Etats se contentent de prélever les taxes et de toucher les royalties et n’osent plus entrer en confrontation avec les firmes multinationales qui rapatrient à souhait capitaux et bénéfices dans les pays d’origine, en entretenant au passage une bureaucratie nationale corrompue et complice. Compte tenu de ces critiques, les Etats comme la Communauté internationale se sont préoccupés du pouvoir grandissant des entreprises multinationales et ont cherché à réglementer l’activité de ces entreprises en leur imposant des limites.

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2. Les solutions proposées a. Par les Etats Face au phénomène des firmes multinationales, les Etats ont adopté des normes législatives ou réglementaires pour limiter les effets négatifs découlant de leur implantation. Ces mesures sont parfois d’ordre financier, comme l’obligation de réinvestissement sur place, du paiement d’impôt, de taxes, ou l’interdiction d’exporter les bénéfices réalisés. Très souvent, les Etats ont recours à la nationalisation des multinationales423. De même, les Etats soumettent souvent au droit national, les contrats conclus avec les firmes multinationales ou avec leurs filiales. Mais il importe de souligner que cette panoplie de mesures est d’efficacité variable. En effet, l’analyse des normes nationales applicables en la matière constitue un des éléments du risque entourant tout investissement, que les entreprises multinationales tentent, en général, de mesurer avant de prendre une décision d’investissement, puis de minimiser, une fois l’investissement réalisé. b. Par la Communauté internationale i) Une réglementation internationale timide La Communauté internationale a tenté, sans succès majeur, de réglementer les activités des sociétés multinationales. Le désaccord entre les Etats d’origine des firmes multinationales, pour la plupart des pays développés capitalistes, et les Etats du tiers-monde, est à l’origine de l’absence d’une réglementation internationale universelle des firmes multinationales. Face à cette situation, les organisations internationales et notamment les Nations Unies ont essayé de promouvoir un code de conduite des multinationales, à défaut de leur imposer des règles contraignantes. C’est ainsi que le Conseil économique et social a créé en 1974, une Commission des sociétés transnationales pour étudier les problèmes posés par les firmes multinationales. Rebaptisée, au début des années 1990, Commission de l’investissement international et des sociétés transnationales, elle est à l’origine de l’adoption du projet de code de conduite pour les sociétés transnationales. 423 On peut citer des cas récents de nationalisation, en 2010, d’entreprises multinationales opérant au Venezuela dans les secteurs pétrolier, énergétique, sidérurgique et des télécommunications. De même, en 2012, la Bolivie a procédé à la nationalisation du réseau de transport d’électricité, des infrastructures détenues par une filiale de l’Espagnol Rel Electrica. Auparavant, elle a procédé à des nationalisations dans les secteurs des hydrocarbures (Repsol en 2006, Air BP, en 2009), de l’électricité (GDF Suez), des télécommunications (Telecom, en 2008) ou des mines (en 2010). On peut citer également, la nationalisation de la compagnie pétrolière IPF, contrôlée par le groupe espagnol Repsol par l’Argentine en 2011.

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Le 16 novembre 1977, a été adoptée, dans le cadre de l’OIT, la Déclaration tripartite sur les principes concernant les entreprises multinationales et la politique sociale. Cette Déclaration, plusieurs fois complétée, notamment en 2006, a pour destinataires les gouvernements, les entreprises multinationales et les organisations syndicales. Sur le plan régional, il est intéressant de relever le code de conduite à l’intention des entreprises multinationales, adopté par l’OCDE, qui édicte des principes directeurs pour lesdites entreprises. Il importe de relever ici que les divers instruments adoptés au niveau international fixent pour la plupart, les droits, les devoirs et les obligations des firmes multinationales. Du point de leurs obligations par exemple, ces firmes sont tenues de respecter les normes internationales, notamment la liberté syndicale, les négociations collectives. Elles doivent également respecter la souveraineté de l’Etat d’accueil, particulièrement, la souveraineté sur les ressources naturelles, la noningérence dans les affaires politiques intérieures, les objectifs de politique générale fixés par les gouvernements. Dans le cadre de leurs activités, elles doivent aussi protéger l’environnement, promouvoir l’innovation et assurer des transferts de technologie. Au surplus, l’Union européenne interdit les ententes concertées et les abus de positions dominantes. En 1986 déjà, la Commission européenne a, dans ce contexte, infligé des sanctions pécuniaires à trois multinationales : Unilever, Henkel et Oleafina qui, détenant 60% du marché des acides gras, avaient conclu un accord afin de pouvoir ajuster leur production par rapport à leurs ventes respectives. ii) Vers l’institutionnalisation d’une responsabilité juridique des firmes internationales ? L’analyse de la pratique internationale montre de plus en plus l’implication des sociétés multinationales dans les violations des Droits de l’Homme et notamment du droit international humanitaire dans les conflits internes424. Ces violations posent le problème de la responsabilité de ces sociétés. 424

L’histoire des relations internationales relève le cas de la firme Tesch et Stabenow, qui a vendu du gaz «Zyklon B» au régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale, qui a été utilisé pour exterminer les prisonniers des camps de concentration. En outre, les entreprises opérant dans des pays en guerre ou dans des zones sous tension utilisent fréquemment différents acteurs (militaires, entreprises privées de sécurité, milices, etc.) pour assurer la sécurité de leur personnel et de leurs infrastructures, en sachant que ces auxiliaires violent les DDH et le DIH dans l’accomplissement de leur tâche. Ainsi, par exemple, Nestlé en Colombie est souvent accusé d'avoir utilisé des paramilitaires colombiens afin de garantir le bon fonctionnement de ses usines sur place, notamment en empêchant tout mouvement syndical. Kraft, le géant belge de l'agroalimentaire (qui produit entre autre le chocolat Côte

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Au niveau international, la question de la responsabilité juridique des sociétés transnationales, pour leur participation à des violations du Droit International Humanitaire et des Droits de l’Homme, est encore à un stade embryonnaire. Il n’existe pas encore un corps de règles universel qui serait directement contraignant pour ces entreprises. En 2003, la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies a adopté les « Normes sur les responsabilités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales en matière de Droits de l’Homme ». Sans doute, ces normes ne sont pas contraignantes pour les sociétés transnationales. Néanmoins, le fait qu'elles soient largement reconnues comme reflétant le droit international, leur confère un effet indirect sur ces entités. En effet, en tant que sujet de droit international, les États ont l'obligation de veiller à ce que le comportement des sociétés transnationales relevant de leur compétence soit conforme auxdites normes.

§3 Les firmes internationales, un acteur majeur des relations internationales Les firmes multinationales jouent un rôle déterminant dans les relations économiques internationales. De par leur capacité d’action, les firmes participent à la constitution d’un système économique transnational. Ce système, qui tend à devenir autonome par rapport aux Etats, a pour conséquence de perturber l’ordre économique international interétatique. Les firmes multinationales ont tendance à ignorer les frontières, à jouer des différences d’intérêts entre Etats, ce qui a pour effet aussi, de remettre en cause l’ordre politique des relations internationales425 . Les firmes multinationales sont devenues un acteur puissant et incontournable sur la scène internationale. La société Sud-Coréenne Daewoo par exemple a un chiffre d’affaires de 72 milliards de dollars. La fusion de Morgan Stanley avec Dean Witter a donné naissance à l’une des plus grandes firmes de l’investissement, d’une valeur de marché de plus de 34 milliards de dollars. Boeing, encouragé par le Pentagone a absorbé Mac Donnel Douglas et détient 54 % de parts de marché et 61,7 milliards de dollars de revenus donc 40 % proviennent de commandes publiques. Le d'Or) est accusé par Oxfam d’utiliser du cacao récolté par des enfants esclaves dans la composition de bon nombre des chocolats qu'il produit (tout comme 99,5% du chocolat belge vendus dans les grandes surfaces). Des blood diamonds en Sierra Leone, des diamants récoltés illicitement, sous l’impulsion de firmes multinationales, par des populations asservies dans des zones de conflits. Un autre exemple fréquemment cité est celui de la compagnie pétrolière Unocal, associée au gouvernement de Birmanie pour la construction d’un pipeline. Ce projet a été réalisé grâce au travail forcé d’individus mis à disposition par le gouvernement birman. 425 Max Gounelle, Relations internationales, op. cit., p.160.

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chiffre d’affaires de la General Motors était supérieur en 2010 au PNB des pays comme l’Arabie Saoudite, la Turquie ou la Pologne pour ne pas parler des Etats africains. La pratique montre, en outre, que les firmes multinationales ont intérêt à la consolidation du libéralisme économique international qui mondialise les marchés. Elles contribuent également à promouvoir la croissance économique dans le monde, même si celle-ci n’est pas toujours accompagnée d’un développement durable, notamment dans les Etats du Sud où l’on a pu parler de croissance sans développement. Au-delà de l’économie, les firmes peuvent jouer un rôle propre dans la vie internationale. Elles ont une influence politique directe sur les gouvernements et sur la politique des pays dans lesquels elles sont établies, notamment lorsqu’elles apportent parfois l’essentiel des ressources financières de ces Etats. Dans la mesure où cette influence s’exerce sans passer par le canal du gouvernement du pays dans lequel la multinationale a son siège, elle peut être assimilée à une forme de diplomatie privée426 . Par ailleurs, la firme multinationale peut, aussi, jouer un rôle instrumental au service de la politique étrangère de l’Etat dans lequel elle a son siège. En effet, comme le soulignent les Professeurs Philippe Braillard et Mohammad-Reza Djalili427 , les gouvernements des Etats de siège peuvent utiliser à leur profit le pouvoir qu’ont les multinationales du fait de leur champ d’opération qui traverse plusieurs frontières nationales. Il en est ainsi, par exemple, des sociétés fruitières américaines dans les pays d’Amérique centrale, de même que des grandes sociétés pétrolières occidentales au Moyen-Orient et en Afrique. En tout état de cause il existe un lien inexplicable entre la politique d’expansion des firmes multinationales et la politique étrangère des Etats d’origine. Le Leadership des Etats Unis par exemple coïncide avec les intérêts globaux des firmes américaines ; il en est de même que pour le Japon ou les Etats membres de l’Union Européenne comme l’avait reconnu le Professeur A. Lake, conseiller spécial du Président Clinton : « Nous devons promouvoir la démocratie et l’économie de marché dans le monde parce que cela protège nos intérêts et notre sécurité, et parce qu’il s’agit du reflet des valeurs qui sont à la fois américaines et universelles428 ». Sous l’influence du G8 et de l’OCDE, le concept de bonne gouvernance économique passe aujourd’hui par le recours au seul contrat établi librement par les parties qui en déterminent le contenu. Ces contrats ne sont pas définis 426 On peut citer ici l’exemple du rôle joué par ITT dans la chute du régime de Salvadore Allende au Chili. 427 Relations internationales, Que Sais-je ?, op. cit., p.53. 428 Voir Discours du 21 septembre 1993 prononcé à l’Université Johns Hopkins, à Washington, cité par J. Decornoy. « La démocratie c’est… le commerce », in Manière de Voir 31. 1996

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par le droit international et seules les pratiques des firmes multinationales en dégagent quelques principes directeurs. Le contrat international devient ainsi un document ayant une qualité intrinsèque supérieure aux traités conclus entre les Etats ! Et l’on a vu qu’en cas de conflit entre une firme et un Etat notamment pour l’interprétation des contrats pétroliers, la décision d’arbitrage est presque toujours favorable aux firmes multinationales429. Il importe néanmoins de souligner qu’en dépit de leur puissance financière et de leur capacité indéniable d’influence aussi bien sur le plan politique qu’économique, les firmes multinationales ont besoin des Etats d’origine pour abriter leur siège et du territoire d’autres Etats pour exercer leurs activités lucratives. C’est encore les Etats qui bien souvent leur accordent protection et sécurité en cas de conflits armés et qui dans tous les cas créent et maintiennent tout l’arsenal juridique, douanier et fiscal favorable à leur expansion dans le monde. De ce qui précède, force est de constater que les firmes multinationales sont un acteur important des relations internationales. Mais on ne saurait leur attribuer un rôle d’acteur comparable à celui des Etats. En dépit de leur capacité d’échapper au contrôle des Etats, et d’imposer leur propre volonté, leur existence même et leurs activités s’inscrivent bien dans un cadre façonné par les Etats.

SECTION 2 LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES Les ONG ont connu un développement rapide tout au long du XXème siècle compte tenu de la nécessité d’établir et de renforcer les échanges et la coopération entre groupes ou entre individus dans les domaines scientifiques, techniques, juridiques ou humanitaires. Perçues comme l’émanation des sociétés démocratiques et pluralistes, les ONG se sont développées d’abord en Europe, puis en Amérique du Nord et dans le reste du monde. Leur création dépend de la volonté de l’Etat d’accueil. Elles ne peuvent mener des activités au niveau international que si les Etats l’autorisent. Comme le souligne le Professeur Max Gounelle430 , l’accroissement rapide des échanges, des communications et des informations a donné, dans les dernières décennies, une grande vitalité au phénomène des ONG. En effet, l’impossibilité des Etats à intervenir dans tous les secteurs de la vie économique et sociale et les mutations des relations internationales 429

Voir les affaires BP/Libye, 1973, Revue arb.1980 p. 117 et s. ou Aminoil/Koweït, 1982, J.D.I 1982. P.869 et s. 430 Relations internationales, op. cit., p. 161.

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marquées par l’effondrement du bloc de l’Est et « l’affaiblissement diplomatique » du tiers-monde ont largement contribué au renforcement du rôle des ONG. L’histoire des ONG peut être présentée en trois étapes. La première remonte au début du XIXème siècle avec l’apparition de la London Peace Society en 1815, de l’Association pour la Paix en 1830, du Comité international de la Croix Rouge en 1863. La seconde étape date des années 1960 avec l’avènement des indépendances et la nécessité d’apporter l’aide privée au développement. C’est dans cette phase que des ONG religieuses (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement), laïques (OXFOM, Terre des Hommes) ou même anti-impérialistes (Peuple Solidaire) verront le jour. La troisième étape date d’une vingtaine d’années avec une tentative de substitution de l’action humanitaire aux activités des organisations internationales et des gouvernements des pays en développement jugés parfois peu efficaces. Le phénomène des ONG a connu une augmentation exponentielle à la fin du XXème siècle. Leur nombre est estimé à plusieurs milliers voir des dizaines des milliers. En dépit de l’extrême diversité des ONG, il est possible de donner une définition, d’en dégager quelques caractéristiques par rapport aux organisations internationales et d’analyser leur rôle dans les relations internationales contemporaines.

§1 Définition et particularités des ONG A. Définition de l’ONG L’ONG peut être définie comme une « structure de coopération dans un domaine spécifique, rassemblant des institutions non étatiques ou des individus provenant de plusieurs pays431 ». Pour le Professeur Nguyen Quoc Dinh432, « Une organisation non gouvernementale, ou une association internationale, est une institution créée par une initiative privée ou mixte (Etats et personnes privées) à l’exclusion de tout accord intergouvernemental, regroupant des personnes privées ou publiques, physiques ou morales ». Et, selon le Professeur Marcel Merle433 , l’ONG est « tout groupement, association ou mouvement constitué de façon durable par des particuliers appartenant à différents pays en vue de la poursuite d’objectifs non lucratifs ».

431

Philippe Braillard et Mohammad-Reza Djalili, Les relations internationales, op. cit., p. 47. Droit international public, op. cit., p. 684. 433 Sociologie des relations internationales, op.cit 432

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Comme on le voit, toutes ces définitions des organisations non gouvernementales insistent sur le caractère international de sa composition, et l’absence de traité constitutif. Les Etats ne considèrent pas les ONG comme des entités transnationales. Elles n’existent qu’en tant qu’association de droit interne434. Contrairement aux Etats et aux organisations internationales, elles ne jouissent pas de la personnalité juridique internationale. En effet, les ONG relèvent du droit national de l’Etat où se trouve leur siège. Elles constituent simplement une manifestation du phénomène associatif à l’échelle des relations internationales. B. Typologie des ONG Diverses classifications des ONG ont été proposées. Elles sont autant d’objets de controverses. Pascal Boniface distingue les ONG internationales ou même transnationales qui déploient leurs activités au niveau mondial, du reste des autres ONG dont le rayon d’action dépasse rarement le cadre national. Les premières sont des gigantesques et richissimes organisations dont le champ d’action est la planète ; les secondes sont des modestes organisations nationales peu connues435. Le professeur Philippe Marchesin estime que l’on pourrait envisager une classification en fonction des buts des ONG : humanitaire (CICR, Médecins du Monde, Handicap International), religieux (Eglises, Conseil œcuménique des églises), politique (Internationale socialiste, communiste, Union libérale mondiale, ATTAC), syndical (Fédération syndicale mondiale, à orientation communiste, Confédération internationale des syndicats libres, libérale), scientifique (Association internationale de science politique, Institut de droit international), sportif (Comité international olympique, FIFA pour le football), écologique (Greenpeace), de protection des droits de l’homme (Amnesty international)436. L’on pourrait également distinguer les ONG très spécialisées qui s’illustrent dans les thèmes très particuliers (transparency international pour la lutte contre la corruption), San Egidio pour la prévention des conflits et les ONG que le professeur Robert Charvin qualifie de sociales et humanitaires (Amnesty International, FIDH, Handicap International, Greenpeace, Médecins du Monde etc.) qui sont particulièrement nombreuses et se présentent comme constituant une « société civile » transnationale en concurrence avec la société des Etats437 .

434

Voir Philippe Moreau Defarges, Les organisations internationales contemporaines, op. cit., p. 9. 435 Voir Pascal Boniface, op. cit. p42 436 Voir Philippe Marchesin, op.cit p.102 437 Cf. Charvin (R.)-op.cit P. 204

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C. Caractéristiques de l’ONG Comme le relève le Professeur Mario Bettati438, trois critères cumulatifs permettent de distinguer les ONG d’autres organismes plurinationaux ou transnationaux : le caractère international de leur composition et de leurs objectifs, le caractère privé de leur constitution, le caractère bénévole de leurs activités. Par définition, l’acte constitutif d’une ONG ne peut être un traité ou un accord interétatique. Dans son essence même, l’ONG est créée par des individus, des associations et non par des Etats. Mais au-delà de ces considérations, il est difficile d’isoler complètement les ONG des Etats. En effet, celles-ci peuvent être créées pour défendre les intérêts des personnes physiques et morales face au pouvoir étatique. C’est le cas par exemple des ONG vouées à la promotion et la défense des Droits de l’Homme comme Human Rights Watch, Amnesty International, la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme en Afrique, etc. Inversement, la création d’ONG peut être suscitée par les Etats pour remplir des missions qu’ils ne veulent pas ou ne peuvent pas accomplir. C’est le cas par exemple de la Ligue Islamique. Parfois, pour des raisons de légitimation et d’efficacité, les ONG cherchent à entrer dans le jeu des relations internationales. C’est ainsi que de nombreuses ONG ont obtenu le statut d’observateur ou consultatif auprès des organisations internationales.

§2 Participation des ONG aux relations internationales Sur la scène internationale, les ONG entretiennent aujourd’hui de multiples rapports, non seulement avec les Etats, mais aussi avec les organisations internationales. A. Les ONG, complément de l’activité diplomatique des Etats et des Organisations internationales Les ONG jouent parfois un rôle de substitution aux Etats439. Il en est ainsi lorsqu’au sein de la communauté internationale, certaines activités, comme l’assistance humanitaire, seraient certainement gérées de manière impartiale par les ONG que par les Etats, notamment en cas de conflit armé. Ce rôle de substitution est justifié par la carence ou l’indifférence des Etats. A ce rôle s’ajoute la capacité des ONG de compléter l’activité diplomatique des Etats, lorsque par exemple une action internationale 438

Voir « La contribution des organisations non gouvernementales à la formation et à l’application des normes internationales » in Les ONG et le droit international, sous la direction de Mario Bettati et Pierre –Marie Dupuy, Paris, Economica, 1986, pp1-21 439 Relations internationales, op. cit., p. 162.

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implique la recherche d’informations ou la diffusion de faits graves mal connus. Dans beaucoup de domaines, les ONG incitent à l’action. Elles sont parfois à l’origine de l’élaboration de nouvelles règles internationales440. Cela se manifeste surtout lorsque les équilibres diplomatiques, les interprétations égoïstes de l’intérêt national conduisent les Etats à l’immobilisme. Il est incontestable que le CICR est à l’origine de la plupart des grandes conventions de droit humanitaire et des conférences de suivi de la mise en œuvre desdites conventions. De même, ce sont les ONG qui fournissent à la Commission des droits de l’homme l’essentiel des informations sur la violation des Conventions et des Déclarations protectrices des droits de l’homme. Par ailleurs, le rôle d’Amnesty international et de la Commission Internationale des Juristes est bien connu dans l’élaboration de la Convention contre la Torture. Enfin, les ONG sont perçues parfois comme les sentinelles du droit, s’agissant particulièrement du droit international humanitaire. C’est ainsi que les Conventions de Genève leur octroient la capacité de vérifier que les Etats respectent leurs obligations internationales et d’attirer l’attention de l’opinion publique internationale en cas de violation grave et continue de ces obligations. B. L’établissement de relations de coopération avec les organisations internationales L’article 71 de la Charte des Nations Unies dispose : « Le Conseil économique et social peut prendre toutes dispositions utiles pour consulter les organisations non gouvernementales qui s’occupent de questions relevant de sa compétence ». Le statut consultatif conféré à l’ONG par l’Organisation internationale permet à celle-ci de bénéficier de plusieurs formes de participation. Elle peut envoyer des observateurs, présenter des exposés écrits, parfois prendre la parole ou demander l’inscription d’une question à l’ordre du jour. Cette collaboration des ONG avec les Organisations internationales leur permet de recevoir des informations et de transmettre leurs opinions. Les ONG participent ainsi à la préparation des documents et parfois même des décisions des Organisations internationales à travers un véritable lobbying informel. Le statut d’Observateur leur permet de participer à la formation de l’agenda de la politique internationale et d’influencer les Gouvernements en faisant remonter les revendications des mouvements locaux en vue de promouvoir des objectifs collectifs. Les récentes avancées en matière de développement social, d’environnement ou de renforcement de la Justice internationale leur sont en grandes parties redevables. Mais il convient 440

Voir la pression des ONG pour la consécration du droit d’ingérence humanitaire.

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toutefois de relever que cette participation aux travaux des organisations internationales ne leur confère aucunement le droit de vote. Il est évident que la reconnaissance des ONG par les organisations internationales n’est pas automatique. Des critères de sélection sont imposés aux ONG comme la qualification, la représentativité, l’implantation internationale, le caractère démocratique du fonctionnement ou la transparence dans la gestion des ressources financières. Le statut consultatif accordé par l’organisation internationale peut être retiré si l’ONG ne remplit plus les conditions d’octroi. C. Les ONG : un rôle important, mais limité Les ONG interviennent dans plusieurs domaines de la vie internationale. Il en est ainsi de l’action humanitaire avec le Comité International de la Croix Rouge ou CICR ; de la coordination internationale des syndicats et des partis politiques, avec la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) ou l’Internationale Socialiste ; de la diffusion des croyances et des valeurs religieuses avec les fondations islamiques, le Conseil œcuménique des églises ; de la structuration du mouvement sportif avec le Comité International Olympique (CIO), les Fédérations internationales sportives reconnues ou non par le CIO ; de la promotion et de la protection internationale des Droits de l’homme avec Amnesty international, la Commission Internationale des Juristes ou la Fédération Internationale des Droits de l’Homme. Assurément, les ONG sont aujourd’hui des acteurs puissants et à la mode. Leurs activités sont relayées par la plupart des grandes chaînes de télévision dans le monde. Le budget annuel de ces organismes est parfois comparable à celui de certaines firmes multinationales. Médecins sans frontières dispose d’un budget annuel de 525 millions d’Euros ; Handicap international de 117 millions d’Euros ; OXFAM (Royaume-Uni) fonctionne annuellement sur la base d’un budget de près de 1 milliard d’Euros soit 998 millions d’Euros tandis que Greenpeace qui dispose d’une flotte de plusieurs navires et de 40 bureaux dans le monde, affiche un budget de 200 millions d’Euros. C’est dire que certaines ONG sont particulièrement riches et n’ont rien à envier au budget de certains pays pauvres. Par ailleurs, l’aide économique internationale qui transite par les ONG en direction des pays les plus pauvres est désormais plus importante que celle de la Banque mondiale. Ce qui renforce la capacité d’action et -malheureusement parfois- de manipulation de ces ONG. Dans le cadre du système onusien, les grandes ONG tendent à devenir des sortes d’organes subsidiaires de l’ONU pour la mise en œuvre du programme humanitaire. Diverses institutions internationales les utilisent pour la mise en œuvre de leurs programmes. C’est ainsi que l’Union Européenne et le HCR ont utilisé le service de Médecins Sans Frontières

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pour les assister sur la question kurde. La Banque mondiale associe certaines ONG à la mise en œuvre de ses programmes de développement. De même, on assiste à la montée en puissance des ONG religieuses du Nord et notamment des Etats-Unis qui financent ouvertement les églises dites renouveau chrétien dans les pays en développement. Les ONG jouent un rôle très important dans la vie internationale dans la mesure où en plus de leurs activités normatives elles mènent également une importante activité tribunicienne et ont en outre une action de nature opérationnelle. Il s’agit particulièrement des missions de sous-traitance confiée par les Etats et les organisations interétatiques aux ONG. Les ONG proposent également à ces derniers leur expertise technique sous forme de distribution d’aide, de montage et de réalisation des projets sur le terrain. Il importe de préciser que malgré la forme nouvelle de cet acteur international et la générosité des militants, les ONG ne sont pas à mesure de bouleverser la situation internationale même si elles contribuent à certaines mutations. Leur rôle est limité non seulement en raison de la prééminence des Etats dans la vie internationale, mais aussi parce qu’en réalité elles ne sont pas toujours apolitiques comme elles le prétendent. L’Etat demeure l’acteur principal des relations internationales. C’est sur son territoire que se déploient les activités des ONG. C’est encore et toujours l’Etat qui fournit le cadre légal de fonctionnement des ONG et assure la protection du personnel déployé sur son territoire. Certes, les ONG peuvent influencer les décisions étatiques ou même celles des organisations internationales, mais le pouvoir de légiférer sur le plan national appartient aux Etats et le pouvoir de décision dans les institutions interétatiques relève de la compétence souveraine des Etats membres. Les ONG ne sont pas apolitiques, car elles ne peuvent pas l’être. Même celles qui ne prennent pas de position politique ou qui se déclarent comme des « techniciens de l’humanitaire » doivent tenir compte des rapports de pouvoir entre les Etats. En effet, la compassion n’est pas neutre. L’assistance internationale est toujours portée sur les crises humanitaires qui intéressent les Etats les plus puissants et c’est sur de telles zones de crise que se concentrent les activités des principales ONG, les autres étant oubliées ou négligées. Même l’aide alimentaire n’échappe pas aux choix partisans et à la logique des intérêts dominants, celle du donateur441. En effet, l’aide alimentaire est sélective. Toutes les famines ne sont pas bonnes à secourir, de même que toutes les violations de droits de l’homme ne sont pas dénoncées de la même manière. La situation déplorable de droits de l’homme dans les monarchies du Golfe et l’existence de véritables dictatures familiales ne gênent en rien le commerce florissant des armes avec les puissances occidentales pourtant championnes de droits de l’homme lorsqu’il s’agit des pays d’Afrique noire. 441

Voir Robert Charvin op.cit p.208

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La tendance à la distribution des bons et mauvais points par les ONG qui coopèrent avec la Commission des droits de l’homme n’échappe pas aux rapports de force globaux : Cuba, la Lybie ou le Venezuela peuvent être condamnés pour certaines atteintes aux droits de l’homme, mais la Chine, Israël ou les Etats-Unis ne le sont pas et ne peuvent pas l’être. Nul ne peut contester la dimension caritative qui caractérise l’approche des problèmes internationaux développée par des ONG. Mais en voulant imposer la prééminence de l’humanitaire sur le droit international, les ONG cherchent en fait à consacrer à leur profit un droit d’ingérence humanitaire. Mais un tel droit, comme nous avons eu à le démontrer ailleurs, ne peut être qu’un droit au fondement incertain, au contenu imprécis et à géométrie variable442. Les ONG se veulent à l’avant-garde de l’opinion publique, mais elles n’en sont pas forcément les porte-paroles légitimes. Certaines poursuivent des idéaux généreux, mais d’autres peuvent être instrumentalisées par des Etats ou par leurs services secrets. D’autres encore s’affranchissent de toutes règles éthiques au nom de la morale, de l’urgence et de la compassion, comme on l’a vu avec l’affaire de l’Arche de Zoé où cette ONG prétendait amener en France des enfants censés être des orphelins du conflit du Darfour, alors qu’en réalité ils étaient des enfants tchadiens. Il importe également de relever que les ONG ne peuvent être l’incarnation de la globalité de situation et des périls qui pèsent sur l’humanité entière. Bien souvent, comme on le voit, le sort des baleines ou des chimpanzés suscite plus d’activités ou de mobilisation de leur part que la misère dans les bidonvilles du tiers-monde. De même, la question de l’homosexualité et la protection des droits des homosexuels fait plus de bruit que le rapatriement illicite des devises dans leur pays d’origine par les firmes multinationales, ainsi que la détérioration des termes de l’échange qui prive des millions d’êtres humains dans le tiers-monde des moyens financiers dont ils ont besoin pour vivre.

SECTION 3 LES ACTEURS POTENTIELS Il s’agit pour l’essentiel des mouvements de libération nationale (MLN), des collectivités locales ou régionales et, subsidiairement, de l’opinion publique.

442

Voir Djiena Wembou, le Droit International dans un monde en mutation op.cit P.

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§1 Les mouvements de libération nationale (MNL) A. Définition Le Dictionnaire de droit international public443 définit le mouvement de libération nationale comme « un mouvement politique structuré représentatif d’un peuple soumis à une domination coloniale, à une occupation étrangère ou à un régime raciste, qui lutte y compris par les armes, pour réaliser le droit de ce peuple à l’autodétermination ». Cette définition permet de distinguer les mouvements de libération nationale des mouvements de résistance. Ces derniers, appelés aussi « partisans », sont constitués de groupes d’individus ne faisant pas partie de l’armée régulière qui prennent volontairement les armes pour combattre des forces d’invasion ou d’occupation étrangères. Depuis l’adoption des articles 43 et 44 du Protocole additionnel I de 1977, le terme de mouvement de résistance n’est plus utilisé ; il est englobé dans l’expression « forces armées444 ». Le mouvement de libération nationale se distingue également du mouvement insurrectionnel, c’est-à-dire de ces groupes d’individus qui se soulèvent contre un régime établi en vue de remplacer le gouvernement ou de créer un nouvel Etat, et qui jouissent d’une autorité effective sur une partie du territoire. Les mouvements de libération nationale ont donc pour finalité de libérer des territoires sous occupation étrangère, sous domination coloniale ou de lutter contre un régime raciste. Ils s’inscrivent dans le processus de décolonisation, alors que les mouvements insurrectionnels se situent clairement dans une dynamique irrédentiste ou séparatiste. Il faut souligner que seuls les premiers sont reconnus par la Communauté internationale. Les mouvements irrédentistes ou séparatistes ont toujours été dénoncés et condamnés, même par ceux des Etats qui les arment et les soutiennent en sous-main. En réalité, de tels mouvements constituent des éléments déstabilisateurs susceptibles de porter atteinte à l’intégrité et aux prérogatives des Etats membres de la Communauté internationale. L’une des particularités des mouvements de libération nationale, c’est leur capacité reconnue en droit international de recourir à la force armée pour libérer les territoires sous domination coloniale, sous occupation

443

Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 717. Il faut noter que les résistants font partie des forces armées d’un Etat s’ils sont reconnus par lui, s’il y a une reconnaissance implicite ou une représentativité réelle de la population : il faut un lien de rattachement effectif avec l’une des composantes essentielles de l’Etat. Dans la perspective du droit des conflits armés, les résistants doivent être soumis à un commandement responsable et à un régime de discipline interne. C’est dans ces conditions qu’ils sont considérés comme des combattants légitimes. 444

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étrangère ou pour renverser un régime raciste. Ce qui est une exception à l’interdiction de recourir à la force armée dans les relations internationales. B. La représentativité des mouvements de libération nationale Il appartient à chaque membre préexistant de la Communauté internationale d’apprécier les conditions nécessaires à la représentativité d’un MLN. Les MLN peuvent être représentatifs des peuples sous domination coloniale, étrangère ou raciste. Dans ce contexte, le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est le fondement de leur légitimation. Les peuples oppressés par de telles dominations ont droit à l’autodétermination politique. En réalité, les MLN ont une fonction d’unification nationale. Ils contribuent à faire émerger une conscience nationale contre l’Etat oppresseur, comme on l’a vu avec le processus de décolonisation en Asie ou en Afrique. Il faut souligner que le contrôle d’un territoire par le MLN n’est pas une condition de sa représentativité internationale. Comme l’ont démontré de nombreux internationalistes445, il représente seulement une perspective pour un MLN qui entend constituer à terme un Etat indépendant. Il reste toutefois que la maîtrise territoriale est indispensable lorsque le mouvement décide, pour accélérer le processus d’indépendance, d’établir un nouvel Etat446. Il peut arriver que les MLN soient représentatifs d’autres peuples. Il en est ainsi des peuples opprimés au sein d’un Etat par un gouvernement tyrannique ; des peuples exprimant leur refus de vivre en tant que minorité dans le même ensemble étatique qu’un autre peuple447 ; ou ceux qui sont opprimés au sein d’un Etat souverain par une élite despotique bénéficiant du soutien économique, diplomatique, militaire d’un Etat étranger ; ou encore des mouvements séparatistes européens448. C. Les mouvements de libération nationale dans les relations internationales Pour atteindre leurs objectifs, les MLN ont besoin d’une politique étrangère pour pouvoir influer sur l’opinion publique internationale, mais aussi pour acquérir une aide matérielle de l’extérieur ainsi qu’une certaine légitimité. 445

Relations internationales, op. cit., p. 135. Voir la Proclamation de l’Etat palestinien le 15 novembre 1988 par l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). 447 Comme exemple, on peut citer Erythrée/Ethiopie, Biafra/Nigeria ou Azerbaïdjan, Arménie/URSS 448 Exemple les cas de L’ETA, FLNC, l’IRA, etc. 446

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Leur action se situe dans l’espace international où ils cherchent la reconnaissance des Etats, laquelle consacre leur statut international. Dans ce contexte, les organisations internationales jouent un rôle important comme cadre de cette reconnaissance. La reconnaissance des MLN constitue un moment décisif. Elle prend la forme d’un processus de légitimation collective. L’admission des MLN au sein des organisations internationales comme membres ou comme observateurs a plusieurs conséquences. Elle permet aux MLN de prendre part aux travaux des principaux organes, de bénéficier de la documentation, de s’exprimer sur invitation ou de participer à des conférences internationales. Les MLN se voient aussi conférer la capacité pour conclure des engagements internationaux. Cependant, cette capacité est fonctionnelle, car elle est limitée aux traités qui répondent à leur vocation, c'est-à-dire l’acheminement du peuple qu’ils représentent à la pleine souveraineté. En pratique, les MLN participent à trois catégories de traités : les accords d’indépendance449 , les traités relatifs à la conduite de la lutte armée450 et certains actes constitutifs d’organisations internationales451. Dans le cadre du droit des conflits armés, les combattants des MLN bénéficient d’un statut internationalisé. Le statut de combattant et de prisonnier de guerre leur est accordé, sauf violation flagrante de l’obligation de port ouvert des armes. La reconnaissance des MLN implique également la possibilité de recevoir le soutien et l’assistance des organisations internationales. Ce soutien est multiforme. Au-delà de l’aide logistique, les organisations internationales peuvent être amenées à prendre des mesures de rétorsions, de sanctions à l’encontre de l’Etat oppresseur combattu par les MLN452 . Par ailleurs, il faut noter que la reconnaissance des MLN par les Etats est modulée par rapport au statut accordé par les organisations internationales. Cette reconnaissance fondée souvent sur des motivations politiques a une 449 Par exemple, le traité conclu entre la Mauritanie et le Front Polisario le 5 août 1979 ; de même que les Accords entre Israël et l’OLP conclus à Washington, les 13 septembre 1993 et 28 septembre 1995 ; le Caire, le 4 mai 1994. 450 Voir les Accords conclus par l’OLP avec le Liban, la Jordanie ou la Tunisie en 1969, 1970 et 1982, ou l’article 96 paragraphe 3 du Protocole (I) aux Conventions de Genève sur le droit humanitaire de 1977 aux termes duquel l’autorité représentant un peuple en lutte contre une domination coloniale, une domination étrangère ou un régime raciste « peut s’engager à appliquer les conventions de 1949 et le présent Protocole relativement à ce conflit en une déclaration unilatérale au dépositaire » ; voir aussi l’article 7 paragraphe 4 de la Convention sur l’interdiction et la limitation de l’emploi de certaines armes classiques de 1981. 451 C’est le cas par exemple de l’OLP en ce qui concerne la Ligue des Etats Arabes, de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) dirigée par le Polisario pour ce qui est de l’Union Africaine. 452 On peut citer l’exemple de l’embargo décrété par l’ONU, en 1977, contre l’Afrique du Sud.

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contrepartie. Le MLN doit tenir compte des intérêts des Etats qui l’assistent. Parfois, il n’est qu’un instrument de la politique internationale d’un Etat qui lutte, par mouvement interposé, contre un autre Etat.

§2 Les collectivités territoriales A. Définition Il s’agit d’institutions administratives décentralisées territorialement, dotées d’une personnalité juridique de droit interne distincte de celle des Etats et jouissant des prérogatives de la puissance publique453. Selon les cas, il peut s’agir de communes, provinces, régions, cantons, départements, Etats membres d’un Etat fédéral, territoires non autonomes, etc. Relevant de l’organisation interne des pouvoirs publics, les collectivités territoriales peuvent concerner le droit international public par les relations qu’elles nouent entre elles d’un pays à un autre454. En effet, le développement rapide des échanges et des communications amène les unités administratives situées dans les zones frontalières des Etats, plus particulièrement dans les pays industrialisés, à établir entre elles des contacts privilégiés découlant d’une convergence d’intérêts régionaux et de besoins locaux. Ainsi, se développent des liens et des structures de coopération qui chevauchent les frontières. Le développement de ce phénomène amène à s’interroger sur le rôle de ces collectivités dans les relations internationales. B. Les collectivités territoriales dans les relations internationales Dans le cadre des relations internationales, divers pouvoirs locaux (communes, régions, etc.) ont cherché à s’unir pour faire face aux défis régionaux, dans le cadre de divers organes inter-régionaux. Cette tendance à la désacralisation des frontières s’est surtout développée en Europe. Elle est même encouragée par le Conseil de l’Europe, ou l’Union Européenne. C’est ainsi que dès la fin des années 1970, l’Europe a adopté la Convention sur la coopération transfrontalière afin de faciliter la conclusion d’accords entre régions de part et d’autre des frontières, pour traiter de manière effective et efficace les problèmes régionaux. Les relations extérieures des collectivités territoriales se sont développées grâce aux pratiques des jumelages, à la concertation pour la gestion des 453

Pour la Convention de Madrid du 21 mai 1980 sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, article 2 paragraphe 2, « l’expression « collectivité territoriale » s’entend des collectivités, autorités ou organismes exerçant des fonctions locales ou régionales et considérées comme telles dans le droit interne de chaque Etat ». 454 Voir Dictionnaire de droit international public, op.cit p. 193

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problèmes transfrontaliers ou du fait de la coopération décentralisée avec les Etats du Sud. Les collectivités territoriales sont, de fait, de plus en plus actives sur la scène internationale grâce à la coopération décentralisée : ces collectivités mènent des actions pouvant relever de l’aide au développement, de l’action humanitaire, de la coopération culturelle et scientifique, mais aussi de la promotion de leurs intérêts bien compris. En effet, dans le cadre de la compétition économique internationale, les collectivités locales ou régionales ont intérêt à promouvoir les atouts et les capacités d’accueil de leurs régions respectives auprès des investisseurs étrangers et dans le même temps à aider les entreprises locales à conquérir les marchés étrangers455 . Si ces relations sont tolérées par les Etats, il n’en demeure pas moins que les collectivités territoriales sont tenues de respecter les compétences de l’Etat en ce qui concerne la conduite de la politique étrangère et la gestion des relations avec les Etats étrangers et les organisations internationales. Il faut souligner, toutefois, que les Etats fédérés ont acquis depuis longtemps le droit d’entretenir des relations internationales avec les Etats étrangers. Ils nouent de relations transfrontalières pour la gestion des moyens de communication, ou pour l’adoption de réglementations locales identiques ou concordantes avec celle des Etats limitrophes. En outre, ils se voient souvent reconnaître le droit de négocier et de conclure des traités, comme par exemple la Province de Québec au Canada ou les Cantons suisses. Ces traités ne peuvent être conclus, cependant, qu’à la suite d’une habilitation ou d’une approbation des autorités fédérales456 . Par ces accords, les autorités des Etats fédérés cherchent à jouer un rôle actif en matière de politique étrangère afin de défendre leurs intérêts propres. A cet effet, elles provoquent une « segmentation de la politique étrangère » de l’Etat fédéral457 . De même, la coopération entre les villes revêt une importante capitale par rapport à la coopération interétatique, car les populations se sentent directement concernées. Il s’agit d’une coopération plus souple que l’aide gouvernementale ou internationale et plus neutre, car elle s’attache principalement aux domaines techniques de la gestion urbaine. Elle est même perçue dans certains cas comme étant plus orientée sur le concret et sur le vécu quotidien des peuples contrairement à l’aide internationale des ONG qui n’est pas exempte d’arrière-pensées politiques.

455

Voir Pascal Boniface op.cit. p.46 Voir Max Gounelle, Les relations internationales, op. cit., p. 170. 457 Philipe Braillard, Mohammad-Reza Djalili, Relations internationales, op. cit., p 54. 456

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Cette diplomatie « sous-nationale »458 qui trouve ses racines en occident, n’épargne pas les pays du Sud, dont diverses communes et régions sont jumelées aujourd’hui avec leurs homologues du Nord et ont noué des partenariats efficaces. Dans tous les cas, il importe tout de même de bien préciser que quel que soit le degré de développement de cette diplomatie, les Etats fédérés ne sont guère admis à participer de manière autonome aux organisations intergouvernementales et aux conférences diplomatiques459.

§3 L’opinion publique L’étude de l’opinion publique dans les relations internationales amène à poser la problématique de sa définition, de son existence et du rôle qu’elle peut jouer sur la politique étrangère des Etats. A. Définition et existence d’une opinion publique « internationale » Il n’y a pas une définition unique de l’opinion publique. La difficulté de tracer des limites entre l’individualité des jugements et leurs composantes collectives, de même que l’interactivité incessante entre les opinions qui relèvent de réflexions personnelles et celles qui empruntent à l’héritage culturel, en font un objet trop mouvant et hétéroclite pour tenir dans une formule. La définition devient plus complexe du fait des divers rôles qu’on lui fait tenir dans les démocraties modernes, des nombreux miroirs médiatiques et institutionnels qui se disputent son incarnation, sa reconnaissance, voire son rejet. Certains auteurs ont néanmoins proposé des définitions pour cerner ce phénomène mouvant. C’est ainsi que l’opinion publique est entendue comme l’ensemble des convictions et des valeurs plus ou moins partagées, des jugements, des préjugés et des croyances de la population d’une société donnée. Le concept « publique » s’emploie tantôt comme adjectif par opposition au terme « privé », tantôt comme substantif de public. Dans ce cas, il tend à se confondre avec la foule. Ce concept peut aussi désigner un ensemble d’individus qui partagent une série de points et d’intérêts communs. En d’autres termes, c’est la réaction

458 Soldatos P., « La diplomatie sous-nationale. Vers un cadre d’analyse du rôle des unités fédérées en politique extérieure : Une perspective nord-américaine ». Symposium de politique étrangère, organisé à l’Université de Paris I, les 13 et 14 mai 1987. 459 Le cas de l’Ukraine et de la Biélorussie admises à l’ONU comme membres en 1945 est tout à fait exceptionnel. Ces deux Etats de l’Union Soviétique n’ont été admis à l’ONU que pour des motifs d’équilibre géopolitique.

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collective et instantanée d’un ensemble d’individus face à un évènement ou une situation donnée. L’opinion publique ne peut être confondue à la majorité. L’opinion publique est composite et animée de forces contradictoires comme par exemple les mouvements contestataires, les enquêtes d’opinion ou les consultations électorales. On évoque l’ « opinion publique » en général au niveau d’un pays, mais on parle aussi d’ « opinion publique locale » pour désigner des sensibilités indentifiables au niveau régional, et d’ « opinion publique internationale » à la faveur des prises de position simultanées d’acteurs internationaux. Dans la perspective des relations internationales, c’est la réaction des individus qui s’expriment sur des problèmes internationaux. Compte tenu du fait que les individus sont répartis entre les Etats soit comme nationaux, soit comme étrangers et du fait de la nature même de l’Etat, il est évident qu’il n’y a pas dans un Etat déterminé une seule opinion publique, mais plusieurs opinions sur un problème international donné. Les sondages d’opinions montrent d’ailleurs, dans le cadre des Etats, une fragmentation des opinions publiques. Ils renseignent sur leur perception des problèmes internationaux et sur leurs réactions. Ils s’attachent aussi aux conduites gouvernementales qui ont été ou devraient être suivies. En revanche, sur le plan international, les sondages demeurent peu fréquents460 . Dans le contexte des relations internationales, l’opinion publique officielle des gouvernants se forme par des consensus au sein des conférences et des organisations internationales. A cet effet, la condamnation de l’apartheid, du colonialisme en est la parfaite illustration. Elle est façonnée de manière inégale par les prises de position et la politique de communication des gouvernants, qui entendent persuader les masses de la justesse de leur choix, par l’ensemble des masses média qui souvent la modèlent et par les intellectuels dont le statut et la vocation, contribuent à développer les débats d’idées. B. Rôle de l’opinion publique dans les relations internationales Il existe une profonde controverse entre les internationalistes sur l’existence et le rôle de l’opinion dans les relations internationales. Les réalistes considèrent que l’opinion publique exerce une influence marginale sur la politique extérieure des Etats. En effet, il est établi que l’opinion publique, même dans les pays industrialisés, n’a pas les mêmes points de vue que les gouvernants. Même entre gouvernants et parlementaires, de profondes divergences existent, d’où le refus des chefs d’Etats ou de Gouvernement de solliciter l’accord des gouvernements avant de s’engager dans des conflits armés extérieurs, sauf lorsque ceci constitue une obligation d’ordre constitutionnel. Par ailleurs, on 460

Voir Serge Sur, Relations internationales, op. cit., p. 390.

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voit bien à la lecture des ouvrages et des journaux que les opinions publiques du Nord et celles des pays africains ou arabes n’appréhendent pas de la même manière les questions de justice pénale internationale, de paix ou de guerre entre nations. En outre, lorsqu’on lit les sondages d’opinion dans la presse européenne, il apparait très clairement que les opinions exprimées par les journalistes ne concordent pas, bien souvent, avec celles des personnes interrogées. Et de tout temps, l’on connait les capacités de manipulation des grandes chaines de télévision internationales qui bien souvent sont la voix de leurs propriétaires ou des gouvernements qui les contrôlent. Il est évident que l’on assiste aujourd’hui à une influence grandissante de l’opinion sur la conduite des relations internationales. En matière de choix entre la guerre et la paix, dans le domaine des Droits de l’Homme et de l’environnement par exemple, les gouvernants tentent de connaître les tendances de l’opinion et évitent de faire des choix de politique internationale ouvertement contraire à ces tendances. L’opinion publique mondiale peut donc avoir une certaine influence sur la politique étrangère des Etats461 . Inversement, l’opinion publique peut aussi être influencée ou façonnée par les Etats. En effet, l’opinion publique internationale est amenée, parfois, à réagir sur des événements préconstitués ou falsifiés par l’Etat pour conférer une certaine légitimité à sa politique étrangère462 . L’importance de l’opinion publique sur les relations internationales a amené certains auteurs à se demander s’il n’existe pas une démocratie d’opinion mondiale463 autonome des Etats, qui fonde une société civile internationale. Cette question se pose pour ce qui concerne le mouvement altermondialiste qui défend des valeurs fondamentalement distinctes de celles du marché ou des Etats du G8 ou du G20. Cependant, force est de constater que dans la mesure où elle est trop dépendante de l’actualité internationale dont elle ne maîtrise pas les mécanismes et qu’elle subit trop souvent les effets d’une presse souvent aux ordres des puissances mondiales, l’opinion publique internationale ne possède pas l’autonomie suffisante qui pourrait lui permettre de s’affirmer face aux Etats.

461

L’opinion publique mondiale a été déterminante dans le retrait des troupes américaines au Vietnam, dans la libération d’opposants chinois, en République Populaire de Chine, suite aux événements de la place de Tianan men en 1989. Au nom de la morale internationale elle a désapprouvé ou condamné l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979, le génocide au Rwanda en 1994, l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990, l’agression de l’Irak par les EtatsUnis en 2003, etc. 462 Il en est ainsi lors du conflit armé du Golfe, justifié par la présence d’armes de destruction massive en Irak. 463 Voir Brice Soccol, « Relations internationales », op. cit. ; p. 133.

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Titre II L’émergence de nouveaux acteurs

A côté des acteurs classiques des relations internationales, de nouveaux acteurs ont fait irruption sur la scène internationale, soit pour tenter de contrôler la société internationale, soit pour influencer le processus décisionnel au sein des Etats et des organisations internationales, et imposer leurs vues au besoin par la force. Mais il importe d’emblée de préciser que l’existence de systèmes hégémoniques ou même de groupes terroristes n’est pas un phénomène nouveau dans les relations internationales. Ce qui est nouveau ici, c’est l’accroissement spectaculaire de la capacité de nuisance de ces « nouveaux » acteurs, notamment les groupes terroristes, les mafias et les groupes du crime organisé. En effet, les saintes alliances ont toujours existé dans le monde. Jusqu’à l’avènement des Etats-Unis d’Amérique et de l’URSS en tant que grandes puissances à partir de 1945, les puissances européennes s’étaient concertées pour instaurer le système colonial dans un monde sur lequel elles régnaient sans partage. A travers les capitulations, traités inégaux conclus à partir du XVI è siècle et imposés aux Etats et aux princes non européens, les pays européens exerçaient un pouvoir absolu dans la société internationale, puisqu’ils jouissaient de la liberté de commerce, étaient exemptés des taxes et ne pouvaient subir de représailles. Le système de colonisation avait consacré clairement, à l’époque, l’occupation comme mode légal d’acquisition de droits souverains. Les autorités et les populations locales n’avaient qu’à se soumettre à l’issue de défaites militaires ou de la conclusion d’accords léonins avec les chefs locaux. Pour éviter l’autodestruction, les Etats européens, qui étaient en compétition pour la suprématie, vont créer le système de « concerts européens » qui viendra ainsi se substituer au système colonial. C’est ainsi que le premier « système » international s’articulera autour du saint Empire romain, en se fondant sur les traités de Westphalie de 1649 et les accords de paix conclus avec l’Empire Ottoman. La seconde « sainte alliance » est celle du Congrès de Vienne (1815) : issue de 23 années de guerres ininterrompues, elle sera dominée tour à tour par l’Autriche (1815-1848), puis la Prusse et l’Allemagne jusqu’en 1890. Le troisième système international ou système de la SDN, auquel a succédé celui de l’ONU avec les Etats Unis et l’URSS comme puissances dominatrices, a été institué en vue de permettre aux puissances de l’époque, bien que l’égalité souveraine des Etats ait été enfin reconnue, de détenir un droit de veto sur la gestion des affaires du monde, notamment sur le recours à la force dans les relations internationales. De nos jours, après la chute du Mur de Berlin et l’avènement de la mondialisation, les Etats puissants tentent toujours de promouvoir, à côté des organisations internationales qu’ils ont eux-mêmes créées en 1945, une nouvelle sainte alliance réservée à eux seuls. C’est dans ce contexte que le 225

G8 a été créé ; En réaction, les pays émergents ont cherché à élargir la composition de cette alliance et le G8 a donc donné naissance au G20. Dans le même temps, l’on a assisté au réveil des organisations régionales et à un accroissement remarquable des capacités de nuisance de divers acteurs illégaux (groupes terroristes) qui ont pris une importance particulière ces dernières années. Il convient donc d’étudier successivement : Chapitre 1 : Les groupes à vocation universelle Chapitre 2 : Le réveil des organisations régionales

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CHAPITRE 1 LES GROUPES À VOCATION UNIVERSELLE Il s’agit de groupes d’Etats, d’entreprises ou même de personnes qui veulent assurer une hégémonie durable sur la gestion des affaires du monde. Certains de ces groupes, notamment les groupes d’Etats, exercent leur rôle de façon publique, tels le G8 et le G20. D’autres par contre se caractérisent par la clandestinité de leurs activités.

SECTION 1 D’UNE SAINTE ALLIANCE A L’AUTRE : DU G8 AU G20 Nous examinerons d’abord le rôle du G8 dans les relations internationales, avant d’aborder l’étude du G20 qui est un nouvel acteur à vocation universelle, mais qui tarde à s’affirmer comme acteur majeur des relations internationales contemporaines, notamment en dehors de la sphère économique.

Sous-section 1 : Le G8 : Nouveau directoire mondial ? De la fin des années 1970 au début des années 2000, le G7, devenu G8 par la suite, avant de redevenir G7 aujourd’hui après l’expulsion de la Fédération de Russie en mars 2014 suite à l’annexion de la Crimée, était considéré comme l’une des principales instances de prise de décision à l’échelle internationale. Pour s’en convaincre, il suffit de relever l’extraordinaire couverture médiatique des sommets annuels, ainsi que le nombre croissant de manifestants, d’intervenants et de nations non membres qui y ont convergé durant toutes ces années. Mais le G8 n’a pas pu se substituer au Conseil de sécurité des Nations Unies et aux autres organisations régionales en charge de la paix et de la sécurité internationales. Malgré la forte influence qu’il exerce sur les affaires économiques à l’échelle mondiale, il n’est pas devenu un véritable directoire mondial.

§1 Historique, création et composition Dans les années 1970, certains pays occidentaux ont souhaité mettre en place, à côté des Groupes de concertation comme le Club de Paris ou le Groupe

Egmont, des mécanismes restreints de concertation à un haut niveau sur les problématiques plus générales du droit international économique. La création du G5, prédécesseur du G7/G8 résulte de cette dynamique. En effet, face au manque de représentativité du système de Brettons Wood, à l’abus des facilités accordées au dollar américain et au déséquilibre important des balances de paiement, les Etats s’étaient trouvés dans l’impossibilité d’assurer la stabilité des relations monétaires internationales à travers une organisation universelle. Pour remédier à ces difficultés, les Ministres des Finances de l’Allemagne, des Etats Unis, de la France, du Japon et du Royaume-Uni ont alors décidé de se concerter d’une manière informelle, donnant ainsi naissance au Groupe de cinq (G5)464. Le G5, dénommé par ailleurs « Library Group », par allusion à la bibliothèque de la Maison Blanche où il tenait ses réunions, n’arrivait pas à apporter des solutions adéquates à la crise économique de l’époque. D’où la nécessité d’un dialogue direct entre les dirigeants de ces cinq pays. L’idée de réunir un sommet informel annuel permettant un dialogue direct entre les Leaders des pays les plus industrialisés revient au Président français Valery Giscard D’Estaing qui avait engagé des consultations à cet effet avec les quatre autres Chefs d’Etats concernés lors de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe qui s’était déroulée à Helsinki du 30 juillet au 03 août 1975. Finalement, cette rencontre entre Chefs d’Etat et de Gouvernement se tint le 17 novembre 1975 à Rambouillet465. Ce fut la première fois que les Chefs d’Etat et de Gouvernement se réunissaient personnellement pour discuter des problèmes monétaires, identifier les problèmes à résoudre, fixer des directions à suivre466, eu égard à la stabilité de l’économie mondiale. Des réunions régulières furent instaurées entre les Ministres des Finances et les Directeurs des Banques Centrales pour assurer un dialogue continu entre Etats participants. Les Chefs d’Etats eux-mêmes se rencontraient régulièrement pour maintenir la cohésion du Groupe et tenter de donner une orientation à l’économie internationale, dans un contexte économique et financier particulièrement inquiétant du fait des effets de la fin de la convertibilité du dollar en or et du choc pétrolier de 1973. Le succès de ces réunions a conduit à un élargissement de la composition du G5, auquel se sont rapidement associés le Canada et l’Italie en 1976. La Russie est devenue membre du Groupe en 1997, qui a pris alors l’appellation de G8. Suite à l’annexion de la Crimée à la Fédération de Russie en mars 2014, les pays membres du G7 et l’Union Européenne qui participent aux travaux de ce Groupe ont exclu la Russie de leurs rencontres. Le Groupe est donc redevenu G7 en mars 2014 lors du Sommet exceptionnel tenu à la Haie au Pays-Bas. 464

Pour plus de détails sur la création du G5, Voir Delabie Lucie. Gouvernance mondiale : G8 et G20 comme modes de coopération interétatiques informels. In : Annuaire français de droit international, volume 55, 2009. pp. 629-663. 465 Voir G. de MÉNIL. Les sommets économiques : les politiques nationales à l’heure de l’indépendance, Paris, Economica, 1983, p.58 ; P.-J. HAJNAL, ibid., p.4 466 Voir la déclaration des Chefs d’Etats et de Gouvernements du 17 novembre 1975.

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Le Sommet de G8 en 2011 à Gênes (Italie), marqué par des émeutes opposant les forces de l’ordre et de nombreux manifestants, est le dernier sommet tenu au sein d’une grande ville, les membres du G8 ayant décidé, en raison des événements ainsi que des attentats du 11 septembre 2001, d’organiser désormais leurs réunions dans des endroits moins accessibles. En effet, tous les sommets du G7 ont toujours été contestés par des mouvements altermondialistes qui remettent en cause la légitimité de ce groupe et l’accusent de vouloir diriger le monde au mépris des autres pays, pour imposer selon eux, une politique d’inspiration néolibérale. Le G7 comprend à ce jour sept des plus grands pays industrialisés du monde à savoir l’Allemagne, le Canada, les Etats Unis, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni. Depuis 1977 l’Union Européenne participe aussi à ce groupe en tant qu’invitée spéciale en étant représentée par le Président de la Commission européenne auquel s’est ajouté par la suite le Représentant de la Présidence tournante de l’UE. Il importe de souligner que lors de leur sommet annuel les dirigeants du G7 invitent des Représentants d’autres pays, d’autres organisations internationales et d’autres continents à participer à leurs travaux en fonction des questions inscrites à l’ordre du jour. Le G7, qui à la prétention de discuter des affaires du monde en toute franchise et sans protocole, dans une ambiance décontractée, exerce une influence économique mondiale en raison de la puissance économique de ses membres. Déjà en 2013, le G7 comprenait 12,65 % de la population mondiale et produisait environ 49 % du PIB mondial. Population et PIB (2013) Population Millions d'habitant % 6 612 100 Monde 868 12,65 G7 302 4,51 Etats-Unis 142 2,02 Russie 128 1,81 Japon 82 1,13 Allemagne 64 0,93 France 63 0,9 Royaume-Uni 61 0,86 Italie 33 0,49 Canada

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PIB Milliards USD 74 899 36 583 16 800 2 096 4 901 3 634 2 734 2 521 2 071 1 826

% 100 48,8 22,4 2,8 6,5 4,8 3,7 3,4 2,8 2,4

Rang mondial 1 8 3 4 5 6 9 10

Le G7/G8 a été, au cours des trente dernières années, la principale enceinte d’orientation et d’impulsion au plan international dans des domaines de plus en plus larges au fil du temps : économie dès l’origine, mais aussi développement, paix et sécurité, environnement et changement climatique. Il a favorisé la mise en place d’un cadre collectif de régulation de la mondialisation. Mais depuis le Sommet de Pittsburgh en septembre 2009, qui a marqué une étape majeure dans la réforme de la gouvernance mondiale en faisant du G20 le « principal forum de coopération économique internationale » afin de refléter les nouveaux équilibres mondiaux et le rôle croissant des pays émergents, le G8 a redéfini son rôle. Le « nouveau G8 » se recentre sur les enjeux géopolitiques et de sécurité, sur le partenariat avec l’Afrique, dans sa double dimension politique et économique, et sur la discussion des sujets d’intérêt commun au pays du G8, qui sont confrontés à des défis propres.

§2 Fonctionnement du G7/G8 Le G7 s’illustre par un mode particulier de fonctionnement puisqu’il ne dispose ni de la personnalité juridique, ni d’un secrétariat permanent, contrairement aux organisations internationales. A. Présidence Le G8 est présidé à tour de rôle, du 1er janvier au 31 décembre d’une année donnée, par chacun des membres dans l’ordre suivant ; France, EtatsUnis, Royaume-Uni, Russie, Allemagne, Japon, Italie et Canada. L’Union européenne participe au G8 en tant qu’observateur ; elle est représentée au Sommet par le Président du Conseil européen et le Président de la Commission européenne. Le pays assumant la présidence organise et accueille le Sommet, et le prépare en convoquant en amont des réunions ministérielles, de hauts fonctionnaires et d’experts. La présidence est également responsable de la communication au nom du G8 et des relations avec les pays non membres du G8, les organisations internationales, les ONG et la société civile en général. B. Sommet Le Sommet offre l’occasion d’une discussion franche et informelle entre dirigeants sur les sujets clefs de l’agenda international. Il donne lieu à l’adoption d’une déclaration politique, éventuellement accompagnée de déclarations annexes, plans d’action sectoriels et autres documents. Le G8 a pris l’habitude, depuis une dizaine d’années, d’organiser lors du Sommet une rencontre avec des dirigeants africains. Traditionnellement, les pays fondateurs du Nouveau Partenariat avec l’Afrique (NEPAD) sont 230

invités –Afrique du Sud, Algérie, Egypte, Nigéria, Sénégal ainsi que le pays présidant l’Union Africaine (UA) et celui présidant le NEPAD. A certaines occasions, des dirigeants d’autres pays ont également été invités. C. Réunions préparatoires Le sommet est préparé par les « Sherpas », nom donné aux représentants personnels des Chefs d’Etat et de gouvernement. Ils se réunissent plusieurs fois avant le Sommet pour discuter de l’ordre du jour et négocier les textes. En France, le Sherpa est le conseiller diplomatique du Président de la République. En Allemagne, c’est le Conseiller Economique de la Chancelière. Les Sherpas sont assistés par les « Sous-Sherpas » Affaires étrangères et Finances, ainsi que par les Directeurs politiques des ministères des Affaires étrangères et les Représentants personnels pour l’Afrique des Chefs d’Etats et de Gouvernement. D. Réunions ministérielles La présidence organise des réunions ministérielles, qui préparent le Sommet, mais ont également leur propre ordre du jour et font l’objet de communiqués rendus publics. Les réunions ministérielles rassemblent des ministres compétents dans les domaines tels que l’économie et les finances, la santé, l’éducation, l’énergie, l’environnement, la justice, la sécurité nationale et la nutrition. Parfois, il s’agit de réunions conjointes de ministres en charge de plusieurs secteurs d’activités. En juin 2005 par exemple, les ministres de la justice et de l’intérieur avaient décidé de lancer une base internationale de données sur les pédophiles. La même année, les ministres en charge des finances, de la santé et de l’éducation avaient proposé au Sommet de Gleneagles, qui l’avait adopté, l’engagement de procurer à l’Afrique une aide supplémentaire de 25 milliards de dollars. Les Ministres des Affaires étrangères se réunissent une fois avant le Sommet et une deuxième fois en septembre à New York à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) pour discuter des questions de politique étrangère et de sécurité. Ces réunions sont préparées par les Directeurs politiques. D’autres réunions ministérielles peuvent être organisées. En 2011 par exemple s’est tenue une réunion ministérielle sur le trafic transatlantique de drogue et la criminalité qui l’accompagne, qui a rassemblé les pays du G8, mais également d’autres pays d’Amérique latine et d’Afrique concernés au premier chef par ce problème.

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E. Représentants personnels pour l’Afrique/ Forum pour le partenariat avec l’Afrique En 2002, un réseau de Représentants personnels pour l’Afrique des Chefs d’Etat et de gouvernement du G8 a été mis en place pour engager un dialogue avec le nouveau partenariat avec l’Afrique (NEPAD). En 2003, la France s’est appuyée sur ce réseau pour la préparation du Plan d’action du G8 d’Evian pour l’Afrique. Elle a élargi le cadre de ce groupe en créant le Forum pour le Partenariat avec l’Afrique, qui est ouvert aux principaux bailleurs bilatéraux et multilatéraux, notamment européens. Les Représentants personnels pour l’Afrique se réunissent plusieurs fois avant le Sommet avec les Représentants personnels des dirigeants des pays africains qui sont invités au Sommet pour préparer cette rencontre. Le Forum pour le partenariat avec l’Afrique se réunit au moins deux fois par an. Il est coprésidé en alternance par deux pays africains et deux pays partenaires au développement (le pays présidant le G8 et un pays de l’OCDE non membre du G8). Il est chargé depuis 2005 du suivi des engagements souscrits à l’appui du développement par les Etats africains et leurs partenaires au développement, dans le cadre d’un exercice de redevabilité mutuelle.

§3 Nature juridique du G8 Les saintes alliances et les clubs de puissances sont des groupes informels peu étudiés par la doctrine, qui privilégie l’analyse des organisations internationales et des organisations non gouvernementales, acteurs traditionnels des relations internationales. Mais il importe tout de même, à ce stade de notre étude, de s’interroger sur la nature juridique du G8, avant d’évaluer l’impact juridique des mesures adoptées en son sein. A. Nature et régime juridiques applicables Au vu de la pratique internationale, il est possible de distinguer trois types de groupes informels : les groupes d’influence, les groupes de contact et les groupes de concertation. Selon Lucie DELABIE, les groupes d’influence interviennent avant tout lors des négociations internationales pour y défendre les intérêts communs de leurs membres. Ces coalitions ont vocation à disparaître après l’adoption du texte de l’accord ou du document en négociation. Il peut aussi s’agir de coalitions plus pérennes qui interviennent au sein des organisations internationales, à l’exemple des groupes régionaux informels qui se sont progressivement formés au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies : groupe des Etats d’Afrique, Groupe des Etats d’Europe Occidentale, Groupe des Etats d’Asie, etc.

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Les groupes d’influence sont faiblement structurés et se caractérisent avant tout par leur fonction de défense des intérêts communs de leurs membres dans les arènes internationales (ONU, OMC, GATT) dans lesquelles s’élaborent des mesures et des conventions internationales sur des matières précises (environnement, commerce, agriculture, etc.). Les groupes de contact sont généralement mis en place en vue d’assurer une meilleure coopération dans le domaine de la paix et de la sécurité internationale, notamment lorsque les divergences entre les membres du Conseil de Sécurité sont de nature à bloquer son fonctionnement ou d’entraver la résolution d’un conflit. F. ATTAR les définit comme « un groupe informel d’Etats rassemblés sous l’égide de quelques membres du Conseil de sécurité des Nations Unies afin de coordonner la résolution d’un problème particulier467 ». A titre d’exemples, l’on pourrait citer le groupe de contact établi en 1977 et réunissant l’Allemagne, le Canada, les Etats Unis, la France et le Royaume qui avait pour objectif de faciliter le retrait sud-africain de la Namibie ; le groupe de contact réunissant l’Australie, les Etats Unis, le Japon dans les années 1990 pour faciliter l’accession à l’indépendance du Timor Oriental ; le groupe de contact créé en 1994 et réunissant les Etats Unis, la France et le Royaume-Uni, qui avait permis la négociation des accords de Dayton, etc. Les groupes de contact n’ont pas vocation à perdurer dans le temps ; ils travaillent indépendamment des organisations internationales et doivent disparaître après la résolution du problème traité, même si l’on observe aujourd’hui une tendance à la pérennisation de tels groupes, comme dans le cas du Quartet pour le Proche-Orient. Ils se distinguent des groupes d’influence en ce que les membres du groupe de contact n’ont pas pour but de défendre des intérêts communs : leur rôle est de rapprocher les positions des parties en présence pour prévenir ou mettre un terme à une situation portant atteinte à la paix et à la sécurité internationales. A côté de ces deux premières catégories de groupes informels ont été établis des groupes de concertation, notamment dans le domaine économique et financier, dont l’objectif est de susciter une « discussion informelle tendant à l’harmonisation des points de vue et au rapprochement des positions afin de parvenir à une attitude commune468 ». Contrairement aux groupes d’influence et aux groupes de contact, les groupes de concertation n’ont pas seulement pour objectif de défendre les intérêts de leurs membres ou de résoudre une crise ponctuelle, mais plutôt de

467

Voir ATTAR F. Dictionnaire des relations internationales de 1945 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2009, p.433 468 SALMON J. (dir). - Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p.268

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mettre en place un partenariat à long terme par l’obtention d’un consensus, afin d’assurer une cohésion des actions au plan international. Le G8 entre dans la catégorie des groupes de concertation dans la mesure où il est une enceinte de concertation légère et adaptée aux pays industrialisés dans la perspective de lutter contre la récession et de donner une direction concertée à l’économie mondiale. Il en est de même du G20, comme nous l’expliquerons dans nos futurs développements, créé en 1989 à l’initiative du G8. Assurément, le G8 n’est pas une organisation internationale entendue, d’après la Commission du Droit International, comme « toute organisation instituée par un traité ou un autre instrument régi par le droit international et dotée d’une personnalité juridique internationale propre469 ». En effet, le G8 n’est pas une association d’Etats créée par un traité ou tout autre instrument juridique conventionnel. C’est un communiqué qui est à l’origine de sa création. Le G8 ne comporte ni de structures propres, ni d’organes administratifs permanents agissant sous l’autorité et selon les directives des organes délibérants. Le G8 ne dispose pas d’un secrétariat ou d’une direction générale : le secrétariat de ses réunions est assuré par des fonctionnaires de l’Etat qui reçoit le sommet et non par des fonctionnaires internationaux. C’est également l’Etat hôte du sommet qui en assure le financement : ici, point de budget et de contributions statutaires. Enfin, le G8 tout comme les groupes d’influence et les groupes de contact ne jouit pas de la personnalité juridique internationale. Ce qui pose bien évidemment le problème de la capacité juridique et des privilèges et immunités de ces groupes. Car il s’agit en fait de groupes informels et les dispositions d’usage relatives au statut des organisations internationales et à leurs privilèges diplomatiques ne leur sont pas applicables, même si l’Etat qui accueille un sommet accorde généralement un traitement diplomatique à ses invités de marque. L’absence de personnalité juridique internationale et de personnalité juridique interne ôte au G8 toute autonomie par rapport aux Etats qui le composent. Il ne peut disposer ni du droit de légation active et passive, ni du droit et de la capacité de conclure des traités, ni même de compétences internationales propres puisque les compétences d’une organisation internationale doivent d’abord être définies par les textes constitutifs. Il s’en suit donc que les groupes informels, même s’ils réunissent les Etats les plus puissants, ne disposent ni de compétences fonctionnelles, ni de compétences implicites. Les communiqués et Déclarations adoptés à l’issue des sommets du G8 ne peuvent avoir une force juridique obligatoire, en dépit de toute la publicité orchestrée par les grands médias occidentaux qui les qualifient de « décisions ».

469

Voir le Rapport de la Commission du droit international, 61è session (2009) A/64/10 §50

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B. Portée juridique des mesures adoptées par le G8 Sur le plan juridique, les communiqués et les déclarations adoptés à l’issue des sommets du G8 s’apparentent à des actes concertés non conventionnels, c’est-à-dire, « des instruments issus d’une négociation entre personnes habilités à engager l’Etat et à encadrer les relations de ceux-ci, sans pour autant avoir un effet obligatoire470 ». Il s’agit assurément de recommandations et de simples invitations à coopérer. Certes à propos de certains conflits, les communiqués du G8 utilisent les termes « décident », « encouragent » « demandent » comme s’il s’agissait de décisions prises au même titre que celles adoptées par le Conseil de Sécurité aux termes du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies. Il s’agit d’un abus de langage et d’une volonté d’imposer ses vues au reste du monde sans aucune base juridique. Certains Etats, dont la France qui est elle-même à la base de la création du G8, résistent depuis les années 1980 à cette tendance à vouloir se substituer au Conseil de sécurité et s’ériger en directoire mondial471 . Certes, dans la vie internationale, il arrive fréquemment que les Etats puissent négocier des instruments qui ne sont pas des traités, mais n’en sont pas moins destinés à régir leurs relations mutuelles et à orienter leur conduite. Ce qui est contestable, c’est la volonté des Etats ayant participé à un forum restreint, de vouloir imposer aux autres Etats les résolutions et recommandations adoptées en leur absence. Les actes issus des concertations informelles restreintes comme les sommets du G8 ne sont pas soumis au droit des traités et, en particulier, à la règle fondamentale qui sous-tend celui-ci, le principe pacta sunt servanda. Leur non-respect n’engage pas la responsabilité internationale des Etats non membres et ne peut faire l’objet d’un recours juridictionnel. Lorsqu’à propos d’un conflit qui se situe en Afrique et dans le tiersmonde, le G8 se permet dans ses déclarations d’ordonner aux parties en présence d’adopter un comportement donné, prescrit des mesures, décide de sanctions diplomatiques, économiques, financières et même militaires, cela ne soulève aucune réaction majeure, ni de la doctrine, ni de l’opinion internationale ni même de la part des Etats africains concernés et de l’Union africaine, car ces Etats sont trop faibles pour résister à la puissance des membres de ce groupe. Aucune protestation n’est soulevée par le Secrétariat général des Nations Unies devant cette violation de la Charte, car c’est au seul Conseil de sécurité que la Charte a confié la décision de recourir à la force dans les relations internationales. La presse internationale elle –même s’empare des communiqués et déclarations du G8 qu’elle s’empresse de présenter comme des décisions de la « communauté internationale », avec l’appui de commentateurs et autres experts juristes choisis à dessein pour 470 471

P. DAILLIER, M. FORTEAU, A. PELLRET, op. cit. note 10, p. 424 Voir Boniface P. – op. cit. p. 89

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alimenter la campagne de désinformation sur toutes les chaines de télévision, dans un langage pseudo-scientifique généralement peu connu du grand public. Mais lorsqu’il s’agit d’un conflit qui concerne la Chine ou la Corée du Nord, les déclarations du G8 ont peu d’effets médiatiques et la réaction de ces pays est directe, obligeant les membres du G8 à modifier leurs positions et à revoir leurs copies dans les déclarations ultérieures. Puis, les choses rentrent dans l’ordre. Tout simplement, car c’est la puissance qui arrête la puissance et non le droit. En juin 1989, le Gouvernement chinois avait écrasé dans le sang le mouvement d’étudiants regroupés sur la place Tienanmen, en quête de démocratie, de liberté de pensée et de justice, face au pouvoir communiste. Dans la nuit du 3 au 4 juin, l’armée était intervenue massivement contre la foule et les étudiants réunis sur la place. Des milliers de personnes furent victimes de ce nettoyage et jusqu’à la fin du mois de juin, les condamnations et les exécutions se multiplièrent malgré les appels à la clémence de la communauté internationale. L’opinion internationale s’en était émue et les puissances occidentales avaient multiplié les sanctions. Lors du sommet du G7 de l’Arche à Paris, des sanctions très sévères furent « décidées » contre la Chine : sanctions commerciales, gel des avoirs dans les banques occidentales, ajournement de nouveaux prêts de la Banque mondiale, refus de livrer les commandes militaires déjà payées par la Chine, etc. Le Gouvernement chinois déclara très clairement qu’il ne pouvait reconnaitre les décisions d’un « club de riches qui voudrait diriger le monde sur la seule base de la puissance économique et sans être représentatif de l’ensemble des Etats du monde ». Dans une déclaration publique à Pékin, le Premier Ministre Li Peng ajouta même ce qui suit : « les hommes d’affaires et les capitalistes reviendront. Ce qui les intéresse, ce sont les profits et point l’idéologie (…) De plus il existe une concurrence internationale très forte. Si vos capitalistes ont envie de perdre le marché chinois, ils le peuvent. C’est leur affaire ; (…) par ailleurs, il faut oublier le passé (…) personne ne menacera plus jamais la Chine » L’année suivante, lors du sommet de Houston, le G7 modifia quelque peu sa position et s’était même dit prêt à réexaminer la situation en Chine, au fur et à mesure « des développements positifs en Chine ». Il avait rappelé qu’il n’y avait aucune menace militaire contre la Chine, mais la nécessité de « protéger les droits de l’Homme partout dans le monde ». Entre temps, les multinationales occidentales avaient repris leurs juteuses affaires en Chine et le Premier Ministre Li Peng avait eu raison de ne pas trop s’inquiéter des sanctions décidées par les membres du G7, tant que son pays dispose de l’arme atomique et d’un marché de plus d’un milliard trois cent millions d’habitants. En réalité, la Chine a besoin du G7 et surtout le G7 a besoin de la Chine. Cet état d’esprit a été illustré par la visite de M. Li PENG en France en Avril 236

1996. D’un côté, on avait un gouvernement soucieux de vendre ses produits, heureux d’avoir été choisi par la Chine, car conscient de la forte concurrence et donc de l’opportunité qui lui était ainsi offerte ; et de l’autre côté, il y avait la Chine qui peut tout se permettre, car on ne peut rien lui refuser, puisqu’elle pèse des milliards d’euros en parts de marchés. Les droits de l’Homme et les sanctions décidées par le G7 étaient oubliés ou passés sous silence. La presse internationale décida de braquer ses caméras ailleurs. Les décisions du G7, pompeusement qualifiées de « volonté de la communauté internationale », étaient oubliées. C’est ainsi qu’au sommet du G7 à Lyon la même année, la Chine fut associée à ce groupe par rapport au problème de la limitation des armements dans le pacifique sud. Le sommet fut marqué par la participation de la Russie et fit bon accueil à « l’accord récent de la Russie, du Kazakhstan, Kyrgyzstan, Tajikistan et de la Chine sur la réduction des forces militaires le long de leurs frontières » et à « la contribution importante de la Chine à la stabilisation de l’économie internationale ». En réalité, les membres du G7 n’ont aucune base juridique et aucune légitimité pour imposer leurs « décisions », aux autres pays, y compris aux Etats en développement. Les communiqués et autres déclarations du G8 ne contiennent que des engagements liant leurs auteurs. Cependant, nul ne peut nier que ces communiqués n’aient pas une portée pratique. En fait, ils contribuent indirectement au processus de juridicisation des relations internationales, dans la mesure où les Etats concernés se conforment plus facilement à ce type d’engagements.

§4 Le G8 dans les relations internationales Les activités menées par le G8 découlent des objectifs que s’étaient fixés les membres du groupe dès sa création à savoir assurer la direction collective de l’économie mondiale, gérer la mondialisation et surtout, assurer un véritable leadership politique dans les divers domaines des relations internationales. Les discussions et les mesures préconisées ont porté sur les questions clé relatives à la stabilité de l’économie mondiale, la réforme du système commercial international, la promotion du management économique et le fonctionnement des institutions de Bretton Woods. Les questions d’ordre politique ont été de plus en plus abordées par ce groupe : l’intervention soviétique en Afghanistan, l’intervention israélienne « paix en Galilée » au Liban, l’affaire des euromissiles, le terrorisme, la défense des principes démocratiques dans le monde. Deux sommets spéciaux ont été organisés sur l’emploi à Denver en 1994 et à Lille en 1996. Poursuivant la diversification de ses activités et leur extension à tous les sujets qui préoccupent la communauté internationale, le G8 a consacré son sommet tenu à Okinawa du

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21 au 23 juillet 2000, à l’examen du rôle des institutions internationales dans la gouvernance mondiale et sur les rôles respectifs du G8, des Nations Unies et des acteurs de la société civile. Il convient également de relever que les communiqués et déclarations adoptés par le G8 ont contribué quelquefois à l’adoption de conventions internationales. A ce titre, ils constituent des instruments préparatoires aux engagements conventionnels. La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée ou la Convention de Palerme de 2000 résulte de la concertation active des membres du G7. De même, la Convention sur la répression du financement du terrorisme a été adoptée en une année aux Nations Unies, grâce aux travaux préparatoires menés par les membres du G8, notamment lors de la réunion des experts organisée à Londres les 6 et 7 décembre 1998 par le Premier Ministre Tony Blair, en sa qualité de Président en exercice du G8. Le G8 a pris des initiatives importantes dans le domaine de la promotion du développement des pays du tiers-monde. C’est ainsi qu’il a lancé l’initiative pour les pays pauvres très endettés en 1996 dans le cadre du sommet de Lyon, laquelle initiative fut renouvelée lors du sommet de Cologne en 1999. Ce mécanisme a permis depuis lors, l’annulation de toute ou d’une partie de la dette de certains Etats, en collaboration avec le FMI, la Banque Mondiale et le Club de Paris. Au sommet d’Evian en 2003, le G8 et les dirigeants du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) avaient décidé d’élargir leurs relations et d’adopter une approche commune qui puisse jouer le rôle de catalyseur du développement de l’Afrique. Pour donner plus de force au processus, il fut également décidé de créer une unité de soutien implantée au siège de l’OCDE à Paris, qui assiste le Forum pour le partenariat avec l’Afrique dans la mise en œuvre de ses activités. Le G7/G8 a apporté une contribution déterminante à la mise en place de nouveaux mécanismes de coordination et de régulation, à l’instar du groupe d’action financière (GAFI), créé à l’issue du sommet de Paris de 1989, pour lutter contre le blanchiment des capitaux. Le GAFI est une organisation intergouvernementale chargée de concevoir et de contribuer à la mise en œuvre de politiques de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

§5 Le G8 : un acteur puissant, mais critiqué et fortement contesté De par sa composition, le G8 est assurément un club de puissance, car il regroupe les principales puissances industrielles du monde. C’est un acteur important des relations internationales non seulement parce qu’il est à l’origine des principales décisions prises dans les institutions financières 238

internationales, mais parce qu’il prépare également et inspire certaines résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, et contribue au développement du droit international par la mise en place de nouveaux mécanismes de coordination et de régulation et l’adoption de communiqués assurant la promotion de nouvelles normes juridiques dans divers domaines des relations internationales. Mais le G8 est un acteur fortement critiqué et contesté par de nombreux Etats et des acteurs de la société civile de par le monde. Non seulement ses engagements de procurer une aide supplémentaire de 25 milliards de dollars à l’Afrique n’ont pas été suivis d’effets, mais ceux en faveur de la réforme du système économique international ainsi que des institutions telles que la Banque Mondiale et le FMI tardent à être appliqués. Ces institutions demeurent toujours sous la coupe des pays occidentaux qui en contrôlent les conseils d’administration et les règles de fonctionnement. Les Etats et la société civile critiquent ce manque de résultats, en plus de la prétention de diriger le monde dans le cadre d’un club fermé de riches. C’est ainsi que le Président LULA du Brésil avait estimé que le G8 n’avait aucune prétention à gérer l’économie mondiale dans la mesure où l’on ne pouvait plus continuer à ignorer les pays émergents, notamment le Brésil, l’Inde, la Chine, le Mexique et l’Afrique du Sud. D’autres leaders ont estimé que l’argument tiré de la nécessité de promouvoir la démocratie ne tenait pas la route à partir du moment où la Russie avait été admise au G8 sans renoncer aux fondements idéologiques de son système politique. D’autres critiques portent sur le choix des questions inscrites à l’ordre du jour du G8, qui privilégie la mondialisation, la libéralisation du commerce international et néglige ostensiblement la promotion du développement économique et social dans le tiers-monde, la réglementation des activités des firmes multinationales, la lutte contre les grandes endémies, le changement climatique et le développement durable. Les grandes questions qui intéressent l’écrasante majorité des peuples du monde, telles que l’échange inégal, la spéculation sur les prix des matières premières, l’immigration clandestine, le commerce des armes et le financement des conflits internes ne semblent pas constituer une préoccupation majeure des sommets du G8. C’est ainsi que la société civile et les mouvements altermondialistes ont engagé des vives protestations à l’occasion des sommets du G7/G8 et depuis de nombreuses années, il n’y a pratiquement pas eu un sommet qui se soit déroulé sans heurts. Lors du sommet de Gênes, en 2001, un manifestant au nom de Carlo Guliani a été abattu dans des conditions obscures d’une balle dans la tête par un policier peu préparé et manifestement paniqué devant l’ampleur de la marche de protestation. A l’occasion du sommet d’Evian, un activiste, suspendu par une corde afin de bloquer sciemment la circulation a été précipitée dans le vide après qu’un policier suisse ait coupé la corde pour libérer le passage des véhicules officiels. C’est de justesse qu’il s’en était

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sorti après une chute de 23 mètres avec un pied broyé et des fractures lombaires. De même, les protestations ont été spectaculaires et fortes contre les rencontres du FMI à Prague puis à Berlin, et contre celle de l’OMC à Seattle. Ainsi, depuis les manifestations de Gênes en 2001, les dirigeants du monde, en dépit de leur puissance, ne peuvent plus prendre le risque d’organiser des sommets dans les métropoles. Leurs réunions se tiennent désormais dans des espaces difficilement accessibles et facilement contrôlables. Le sommet annuel du G8 qui s’est tenu en Allemagne s’est déroulé dans la ville d’Heiligendamm au Kempinski Grand Hôtel. Il s’agit d’une station balnéaire au bord de la mer baltique, située à 200 km de Berlin ; malgré cet éloignement de la capitale, 16 000 policiers et un millier de militaires furent déployés, pour faire face à près de 100 000 manifestants. Un mur de grillage d’une douzaine de kilomètres fut levé pour l’occasion pour faire rempart contre toute incursion. Le 21 mai 2011, un grand défilé fut organisé dans les rues du Havre pour protester contre la tenue du G8 à Deauville les 26 et 27 mai. La police estima le nombre des manifestants à plus de 10 000 personnes. De même, à l’occasion du sommet du G7 de juin 2014 à Bruxelles, le Gouvernement belge n’a pas hésité à réintroduire le contrôle aux frontières pour tenter de limiter l’accès dans son pays et réduire le nombre de manifestants. Face à toutes ces manifestations de la société civile et aux protestations des pays émergents, les pays membres du G8 ont envisagé d’associer les puissances émergentes à la promotion de la stabilité économique internationale, compte tenu notamment de leur poids économique sur la scène internationale, afin de prendre en compte leurs intérêts et leurs positions. Le G20 a ainsi été créé en 1989, à l’initiative du G8, avec pour principale fonction « d’établir un mécanisme de dialogue informel dans le cadre du système des institutions de Bretton Woods et d’élargir les discussions sur les principaux enjeux économiques et financiers entre économie des pays industrialisés et des pays émergents. Il s’agit de « favoriser la collaboration en vue d’atteindre une croissance économique mondiale stable et durable, qui profite à tous472 ».

Sous-section 2 : Le G20 Nous présenterons d’abord l’historique, la création et le fonctionnement du G20, avant d’examiner son rôle dans les relations internationales contemporaines.

472

Voir le Communiqué des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales des 15 et 16 décembre 1989, §2

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§1 Historique, création et composition Parallèlement au G7/G8 réunissant les principaux pays industrialisés, des groupements réunissant « les pays les moins avancés » ou des « pays en développement » tels que le G24, le G15 ou encore le G33 s’étaient constitués afin de promouvoir la coopération économique, de faire face aux pays industrialisés regroupés au sein de G8 et d’affirmer le poids des pays émergents sur la scène internationale. Il convient de rappeler que le G24 a été créé en 1971 par le groupe des 77 afin de coordonner les positions de ceux-ci devant la puissance du G8. Le 07 novembre 1989, le groupe des 15 fut mis en place afin d’assurer une meilleure coopération « Sud-Sud » entre les pays les moins avancés en particulier dans le domaine de l’investissement, du commerce et des nouvelles technologies. Ces groupes réunissaient l’Algérie, l’Argentine, le Brésil, le Chili, l’Egypte, l’Inde, l’Indonésie, la Jamaïque, le Kenya, la Malaisie, le Mexique, le Nigéria, le Sénégal, le Venezuela et le Zimbabwe473 . Face à l’option néolibérale du G8, les pays en développement décidèrent de la création du groupe des 33 qui avait essentiellement pour mission la protection de leur marché intérieur. Confrontés à la plus grave crise économique et financière depuis la Seconde Guerre mondiale, les pays du G7 s’étaient alors résolus à dialoguer aussi bien avec les membres du G24 que ceux du G15 ou encore du G33. C’est ainsi qu’au cours de leur sommet tenu à Cologne le 18 juin 1989, les pays membres du G7 avaient recommandé la création d’un mécanisme informel de dialogue parmi les principales économies du monde afin de faire face à la crise économique. Le problème qui se posait était celui de la détermination des pays à inviter. De même, il importait de clarifier dès le départ, les relations entre ce nouveau mécanisme de dialogue et les institutions de Bretton Woods. La France avec l’appui de l’Italie était opposée à la création du G20 parce qu’elle craignait que ce mécanisme ne puisse affaiblir l’autorité du FMI qui était dirigé par un français, Monsieur Michel Camdessus. Les Etats-Unis et le Japon étaient largement en faveur de l’instauration de ce nouveau mécanisme. La Grande-Bretagne, tout en appuyant l’idée de la création du G20, était toutefois réservée, car ce nouveau mécanisme pouvait réduire l’influence du nouveau comité monétaire et financier international dont la présidence avait été attribuée à son ministre des Finances, Gordon Brown. Quant au Canada, il était totalement en faveur de l’instauration du G20 conformément à sa politique étrangère qui milite pour le multilatéralisme et la réduction des pouvoirs des Etats-Unis sur la Banque mondiale et le FMI. 473 Voir K. KWAKWA « Regulating the international economy: What role for the state ? », pp.243-244, in M. BYERS, the role of law in international politics, Oxford, Oxford University Press, 1999, 376 p.

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Comme on le voit, derrière les déclarations généreuses des Etats membres du G7/G8, se cachaient des intérêts inavoués, même si ceux-ci étaient légitimes. C’est dans ce contexte que le Président Georges W. Bush invita à Washington les 14 et 15 novembre 2008 les leaders de 18 pays et de l’Union Européenne ainsi que les dirigeants du FMI et de la Banque mondiale en vue d’adopter une réponse globale à la crise financière mondiale qui était du reste partie des Etats Unis, avec la faillite de la Banque Lehman Brothers en 2008, pour gagner le monde entier. Au cours de ce Sommet, il fut convenu que le Canada devait accueillir le deuxième sommet du G20 en 2000 et que la présidence devrait être rotative et pour un mandant de deux ans. Le G20 comprend l’Union Européenne et 19 pays à savoir les membres du G7, la Russie et 11 autres pays que sont l’Argentine, l’Australie, le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud, la Corée et la Turquie. La composition du G20 tient compte des réalités géographiques du monde puisque tous les continents sont représentés même si ce n’est pas toujours sur les mêmes pieds d’égalité. L’Asie est présente avec la Chine, l’Australie, l’Inde, l’Indonésie, la Corée soit cinq membres tandis que l’Afrique n’en compte qu’un (Afrique du Sud) et le Moyen-Orient en compte deux (l’Arabie Saoudite et la Turquie). Durant les négociations qui avaient précédé le Sommet de Washington de 2008, divers critères avaient été utilisés pour le choix des 11 Etats suscités. Pour l’Afrique, par exemple, le principe du respect des droits de l’Homme avait permis l’élimination du Nigéria, de l’Ethiopie et de l’Algérie. Mais curieusement ce critère ne fut pas retenu en ce qui concerne la Chine alors que celle-ci n’avait cessé de répéter qu’elle n’accepte pas les valeurs de la démocratie occidentale. L’Arabie Saoudite fut sélectionnée bien qu’elle fasse peu de cas des valeurs démocratiques occidentales et que son régime politique soit fondé sur une véritable théocratie. En réalité le critère dominant était celui de la capacité financière des Etats et surtout la détention des réserves de matières premières stratégiques. Tout le reste n’était que manipulation et contres vérités pour justifier aux yeux de l’opinion internationale, des choix obéissant à des stratégies politiques bien pensées par les think tank occidentaux. Les membres du G20 représentent les 2/3 du commerce et de la population mondiale et 85 % du PIB mondial. Le G20 aurait dès lors une légitimité supérieure au G7 dont le poids économique ne dépassait pas 50 % du PIB planétaire. Cependant, bien que le G20 offre plus de multipolarité on remarquera que les pays pauvres n’y sont pas du tout représentés. Les membres du G20 peuvent décider chaque année d’inviter un nombre limité d’autres pays (5 en principe, dont l’Espagne qui est invité permanent) et d’organisations régionales à leurs sommets. Pour mener à bien ses travaux, le G20 s’appuie sur l’expertise technique d’organisations internationales, notamment du Fonds monétaire international 242

(FMI), de la Banque mondiale (BM), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de l’Organisation internationale du travail (OIT), de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et du Conseil de stabilité financière (CSF). Certes, le G20 regroupe les pays émergents et les Etats les plus puissants du monde. Il travaille avec les principales institutions financières internationales. Mais sa composition reste dominée par la présence massive des pays occidentaux, en plus des représentants de l’Union européenne. Il importe néanmoins de souligner que le G20 est le seul forum international où les leaders des pays industrialisés et ceux d’autres parties du monde peuvent se rencontrer et discuter sur une base égalitaire, du moins d’un point de vue formel. Ce qui n’est pas le cas avec le droit de Veto dont certains disposent au Conseil de Sécurité des Nations Unies ou les pouvoirs de vote au Conseil d’administration de la Banque mondiale ou du FMI. De ce point de vue, la composition du G20 reflète l’évolution de l’économie mondiale et consacre la montée en puissance des pays émergents notamment de la Chine et des dragons d’Asie qui sont acceptés comme des acteurs de la gouvernance économique globale. La composition du G20 reflète le point de vue de nombreux Chefs d’Etat et de Gouvernement, notamment celui de l’ancien Premier Ministre Paul Martin du Canada et du Secrétaire au Trésor des Etats Unis, Lawrence Summers, selon lequel dans un contexte de mondialisation croissante, les nations qui ont la capacité et le désir de contribuer à la gestion des problèmes transnationaux doivent être présentes à la table des négociations et des décisions. Les puissances émergentes seront plus enclines à assumer des responsabilités liées à la gouvernance mondiale et à mettre en œuvre les décisions adoptées par des organismes mondiaux si elles ont voix au chapitre en ce qui a trait au mode de gestion du système international 474. Il s’en suit donc que c’est le G20 qui a adopté, lors du sommet fondateur de Washington de novembre 2008, le plan d’action exceptionnel qui avait évité l’effondrement du système financier international. Depuis lors, le G20 s’est réuni régulièrement à Londres en avril 2009, à Pitttsburg en septembre 2009, à Toronto en juin 2010, à Séoul en novembre 2010, à Cannes les 3 et 4 novembre 2011, à Los Cahos au Mexique les 18 et 19 juin 2012, etc. Comme le G7/G8, le G20 n’est pas une organisation internationale, mais un forum informel de rencontres, qui a un mode de fonctionnement semblable à celui du G7. Il est devenu la principale enceinte de concertation et de coopération économique et financière pour assurer la croissance mondiale et proposer des solutions pour un développement durable et inclusif, notamment en Afrique. 474

Voir Gordon S. Smith. – G7 to G8 to G20 : Evolution in global governance, CIGI G20 Papers , n°.6 may 2011, p.4

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§2 Fonctionnement du G20 Le G20 repose sur un système de présidence tournante annuelle peu formalisé. Chaque année, un pays membre du G20 est chargé d’organiser et de faire progresser tout au long de l’année les négociations préparatoires des Sommets des Chefs d’Etat et de gouvernement. La France a eu l’honneur d’assumer cette responsabilité pour 2011, le Mexique pour 2012, la Russie à partir du 1er décembre 2012 et pendant les onze premiers mois de 2013, avant que vienne le tour de l’Australie (2014), puis de la Turquie (2015). Depuis le sommet de Cannes, la présidence en exercice associe la présidence sortante et la présidence suivante à la constitution de l’ordre du jour des réunions préparatoires et du sommet, selon le système de la « troïka ». La préparation des décisions des Chefs d’Etat et de gouvernement est assurée, d’une part, par leurs représentants personnels (« Sherpas »), d’autre part, par les Ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales ; Les Sherpas et les ministres de finances se réunissent régulièrement. Sherpas et ministres coordonnent aussi les travaux de plusieurs groupes thématiques (développement, lutte contre la corruption, sécurité alimentaire, etc.). Ces groupes de travail ne sont pas pérennes ; chaque présidence choisit ou non de les reconduire. Chacun des groupes est co-présidé par deux pays membres du G20. La présidence du G20 peut également organiser des réunions thématiques spécialisées. La France a ainsi organisé en 2011 un G20 des ministres du travail et de l’emploi et un G20 des ministres de l’agriculture. La présidence mexicaine a elle aussi réuni les ministres de l’emploi, et a organisé pour la première fois une réunion des ministres des affaires étrangères du G20, les 19 et 20 juin 2012. Au fil des présidences, plusieurs initiatives ont vu le jour pour compléter l’action des leaders et donner au G20 plus de visibilité et de retentissement dans la société civile. Ces initiatives sont usuellement désignées sous le nom d’outreach. Elles s’adressent à différentes catégories de populations : Youth G20 (Y20), rassemblant des étudiants des 20 pays et des pays invités, Business G20 (B20), rassemblant les entrepreneurs, G20 des ONG (NGO20), G20 des Think Tank (T20) G20 des régions et collectivités territoriales (R20). Les résultats de ces rencontres parallèles donnent généralement lieu à une remontée au niveau du sommet des leaders, que ce soit sous forme de rencontres, de compte-rendus ou de recommandations. La présidence a en outre toute latitude pour organiser des conférences, séminaires et rencontres de haut niveau sur les priorités du G20 dans l’année.

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§3 Statut juridique et activités du G20 Tout comme le G7, le G20 n’est pas une institution internationale ; c’est un forum informel de consultation entre les Chefs d’Etat et de Gouvernement des principales puissances économiques du monde contemporain. Les analyses portant sur la nature et le régime juridiques du G7/G8, ainsi que l’évaluation de la portée juridique de ses décisions, que nous avons faites dans la section précédente, s’appliquent mutatis mutandis au G20. Ce qu’il importe à présent d’examiner, c’est le rôle joué par ce regroupement d’Etats, en tant qu’acteur majeur des relations internationales. L’action concertée du G20 a permis d’amortir le choc de la crise sur la croissance et l’emploi, et de rétablir la confiance plus tôt que ne le prévoyaient les analystes. Les pays du G20 ont en effet déployé des moyens inédits pour soutenir l’économie mondiale : plans de relance budgétaire massifs et coordonnés, injections de liquidités par les banques centrales, mesures de soutien aux activités de crédit des banques, renforcement considérable des capacités d’aide des organisations internationales aux pays émergents ou en développement. Le G20 s’est également attaqué aux racines de la crise qui a une double origine : l’accumulation de déséquilibres macroéconomiques mondiaux et les défaillances de la régulation financière. Pour réduire les déséquilibres mondiaux, le G20 a créé un « cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée », afin de réorienter les stratégies macro-économiques nationales dans un sens plus favorable à l’économie mondiale. Ce cadre est suivi et réactualisé chaque année lors du sommet. Le G20 s’est accordé sur un plan de régulation financière sans précédent, à la mesure de l’ampleur de la crise financière. Le champ du contrôle et de la surveillance financière s’est élargi à des acteurs, à des produits, à des activités ou comportements à risque qui faisaient jusqu’ici l’objet de peu ou pas d’encadrement dans le secteur. D’abord consacré aux questions économiques et financières, l’ordre du jour du sommet du G20 a été élargi progressivement pour intégrer les discussions sur l’environnement, la sécurité ou même le terrorisme. En 2001, les ministres des finances et les gouverneurs de banques centrales ont par exemple proposé un « plan d’action » dans la lutte contre le terrorisme, à l’issue de leur réunion tenue à Ottawa475. De même lors du sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement organisé à Pittsburgh, les participants ont insisté sur la prise en considération des questions liées à l’environnement. Ils ont par ailleurs demandé aux banques de développement d’accroitre leur financement en matière de sécurité alimentaire. 475

Communiqué des ministres et des gouverneurs de banques centrales, Ottawa, Canada, 1617 novembre 2001

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Les Etats membres de G20 ont apporté une contribution déterminante au renforcement des structures juridiques institutionnalisées, tels que le FMI et les banques de développement. Les mesures prises par le G20 ont conduit à une revalorisation du FMI dans sa fonction de contrôle. La crise de 2008 est venue rappeler le rôle que joue cette institution dans le maintien de la stabilité économique internationale. C’est ainsi que les membres du G20 ont chargé le FMI d’engager un processus coopératif en matière d’évaluation mutuelle des cadres d’action des Etats, ce qui a contribué au renforcement du rôle de surveillance de cette institution. De plus la gouvernance du Fonds a été améliorée par les membres de G20 qui ont marqué leur accord pour une ratification urgente du quatrième amendement au statut du Fonds monétaire, officialisant ainsi une réforme assez profonde des cotes parts et de la représentation des pays membres476. L’entrée en vigueur subséquente du quatrième amendement le 10 août 2009, est l’un des exemples qui illustrent l’efficience de certaines mesures adoptées par le G20. Le G20 se présente aujourd’hui comme un centre de conception et d’impulsion en vue de la mise en œuvre de solutions concertées à la crise financière globale. Durant les six dernières années, ces Etats membres ont injecté des milliards de dollars pour sauver des banques, empêcher l’écroulement du système financier international et surtout contribuer à la création des emplois. Le Sommet de Londres en 2009 avait produit un plan de relance économique d’1,1 milliards de dollars et invité aussi bien les puissances occidentales que les nations émergentes à augmenter sensiblement les ressources du FMI et celles consacrées au financement du commerce international. C’est ainsi que les membres du G20 s’étaient engagés à tripler les ressources mises à la disposition du Fonds qui atteindraient désormais 750 milliards de dollars DTS. Le FMI serait également autorisé à émettre une nouvelle tranche de droits de tirages spéciaux pour un montant de 250 milliards de dollars. Outre le Fonds monétaire international, les banques de développement et en particulier la Banque mondiale ont été étroitement associées aux travaux du G20, qui ont renforcé leur intégration au processus de rétablissement de la stabilité économique internationale. Il importe néanmoins de souligner que bien que sa création consacre une évolution vers plus de multilatéralisme, celle-ci n’a pas répondu aux défis pressants qui interpellent la communauté internationale et notamment les pays les plus pauvres. Par ailleurs la répartition du travail entre le G8 et G20 n’a pas toujours été clarifiée, ce qui est source de confusion et réduit l’efficacité de chacun de ces deux regroupements. En effet, la mise en place du G20 n’a pas entraîné la disparition du G8. Même si son importance à l’échelle mondiale s’amenuise, le G8 existe toujours et a même repris de la vigueur puisqu’il 476

Voir D. Carreau, op.cit. p.17

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continue de traiter les affaires du monde notamment les questions liées à la paix et à la sécurité internationales. Quoiqu’il en soit, l’analyse des rapports entre le G8 et le G20 montre clairement que le second n’a pas vocation à remplacer le premier. Le G20 apparaît même comme une caisse de résonance du G8, servant essentiellement à légitimer les actions de celui-ci auprès d’instances plus larges. Les mouvements altermondialistes et de nombreux leaders politiques ont contesté sa légitimité et son manque de représentativité, car près des 4/5 des Etats n’en sont pas membres et personne n’a donné mandat au G20 pour s’exprimer au nom de la communauté internationale. D’autres critiques portent sur le fait que les membres du G20 ne consultent nullement les Etats non membres sur la détermination de l’ordre du jour de leurs réunions, et ne rendent compte à personne du résultat de leurs délibérations. Pour faire face à ces problèmes de représentation équitable de toutes les régions du monde et de légitimité des recommandations du G20, certains Etats membres de ce regroupement, à l’instar de la Corée, de la France, du Canada et du Brésil ont proposé un élargissement du G20, qui serait accompagné de l’institutionnalisation d’un secrétariat général, ce qui permettrait de disposer d’un organe chargé du suivi des décisions et recommandations des sommets, d’une organisation au sens classique du terme disposant d’un mandat clair et appelée à adopter des décisions fondées sur une base conventionnelle et donc s’imposant erga omnes. D’autres membres du groupe, à l’instar du Royaume-Uni et des Etats-Unis estiment qu’il ne faudrait ni institutionnaliser ce forum, ni augmenter le nombre de ses membres, car cela entrainerait la création d’une bureaucratie lourde et inefficace, des luttes incessantes pour le contrôle du processus décisionnel au sein de l’institution et l’incapacité de produire des résultats concrets à brefs délais. En réalité, quelle que soit la formule retenue, le problème du G20 est d’abord celui de son manque de crédibilité aux yeux des populations des divers Etats du monde. Les populations estiment que les réunions des leaders du G20 rassemblent des politiciens, des élites qui s’arrangent pour gagner des élections dans leurs pays et se maintenir au pouvoir, et qui sont loin des préoccupations quotidiennes des peuples. Le G20 comme les gouvernements qui en sont membres souffre de la désaffection des peuples vis-à-vis de la politique ainsi que de la méfiance généralisée à l’égard de la classe politique aussi bien au niveau national que sur la scène internationale. Sans des réformes profondes des systèmes politiques nationaux, les leaders apparaitront toujours aux yeux des populations comme des personnes soucieuses avant tout de protéger les intérêts des firmes multinationales, des partis politiques et parfois même, des groupes de pression qui dominent les Etats nations et qui les ont porté au pouvoir dans leurs pays respectifs. Et l’on comprend qu’il ne soit pas facile d’arriver à des accords qui prennent réellement en compte les besoins des 247

plus pauvres, ou qui apportent des solutions hardies aux problèmes d’emplois des jeunes, de détérioration des termes de l’échange, du contrôle des multinationales, de la réglementation des flux de capitaux, de la corruption dans l’attribution des marchés publics, de l’évasion fiscale, des transferts secrets et souvent illicites de sommes colossales vers les paradis fiscaux, de l’expropriation à grande échelle des terres pour les multinationales et les politiciens locaux, du financement occulte du terrorisme, etc.

SECTION 2 LES ACTEURS ILLEGAUX Il s’agit essentiellement des groupes terroristes et du crime organisé qui ont pris une importance particulière au cours des dernières années dans les relations internationales. Il n’est que de rappeler les conséquences des attentats perpétrés partout dans le monde ou l’importance prise par le crime organisé dans l’économie internationale.

Sous-section 1 : Les groupes terroristes Le terrorisme est devenu aujourd’hui, notamment pour les Etats occidentaux la première menace à la paix et à la sécurité internationale. En quelques années, le terrorisme est venu occuper une place centrale dans les relations internationales. Véritable obsession pour la principale puissance de la planète et pour bon nombre d’autres Etats, il occupe le premier rang dans l’activité des Nations-Unis, du G8 et de plusieurs Organisations internationales. Il convient néanmoins de souligner que de nombreux pays demeurent persuadés qu’il existe d’autres problèmes aussi, voire plus important que le terrorisme, comme la pauvreté, le sous-développement ou la dégradation rapide de l’environnement. En réalité, les groupes terroristes perpétuent des attentats spectaculaires qui retiennent forcement l’attention des gouvernants et de la presse internationale. Mais le phénomène du terrorisme n’est pas une caractéristique nouvelle et inédite des relations internationales. Par ailleurs, la frontière entre la vérité et la manipulation est toujours difficile à établir dans l’analyse des attentats terroristes et des guerres qui s’en suivent. Comme l’avait relevé le Sénateur américain Hiram Johnson en 1917 « la première victime d’une guerre c’est la vérité » et ce, malgré l’émergence de la démocratie et la liberté de la presse. Démocratie, terrorisme, axe du mal, islamistes, Droit international, lutte contre le terrorisme, que signifient exactement ces mots aujourd’hui ? Les images de guerre, les reportages sur les actes terroristes qui sont servis à la 248

majorité des habitants de la planète, que signifient-ils réellement à une époque où les actes terroristes et les guerres se déclenchent à des heures de grande écoute, devant un maximum de caméras ? Le 11 septembre 2001, les télévisions de la planète ont relayé des scènes d’horreurs que désormais nous avons tous le sentiment d’avoir « vécues ». En 2003, lors de la guerre d’Irak qui était censée être celle du bien contre le mal, une guerre « juste » contre le terrorisme, les informations parvenaient à chaud sur les téléviseurs du monde entier, à l’heure du diner. Plus proche de nous, des reportages ont occupé des télévisions entières sur les attentats de Madrid, de Nice, de Paris, de Ouagadougou, de N’Djamena, de Maroua. Mais toutes les informations diffusées nous apportaient-elles l’essentiel, à savoir la compréhension des faits relayés ? Que sait-on réellement de ces conflits, des belligérants, des fanatiques et des terroristes ? Comme on le sait, la vérité est la qualité de ce qui est conforme à la réalité. Mais lorsque les images s’enchainent les unes aux autres et nous montrent la réalité telle que voulue par les puissants, ainsi que la « vérité » du monde, lorsque des bombardements ou des actes terroristes sont programmés pour se déclencher à l’heure des journaux télévisés, l’on est en droit de se demander où est la vérité. Les journalistes ne se retrouvent-ils pas souvent entrain de jouer le rôle de simples relais de transmission d’idées fausses et de luttes faussées ? Les guerres médiatiques et la lutte contre le terrorisme se déroulent désormais en direct ; elles révèlent des « vérités » multiples et des « vérités » diamétralement opposées, selon que l’on suit Al Jazeera ou RFI. Les télévisions transmettent, relaient, diffusent sans interruption des images qui n’expliquent pas grand-chose et ce, au détriment d’une masse de faits qui ensanglantent quotidiennement la planète et dont on ignore l’essentiel. La confusion est d’autant plus grave et regrettable que les Etats manipulent les images et utilisent parfois le terrorisme dans leur quête de puissance sur la scène internationale. Il importe donc que chacune et chacun puisse se faire une idée de la réalité des enjeux liés au terrorisme. D’où la nécessité de préciser la définition du terrorisme et d’examiner le financement des groupes terroristes, la lutte contre ces groupes et surtout leur capacité de nuisance sur la scène internationale.

§1 Définition et historique Les groupes terroristes sont des groupes qui utilisent le terrorisme comme moyen d’action. Cette définition nous renvoie à celle du terrorisme. Il est extrêmement compliqué de trouver une définition simple qui puisse bien décrire la problématique. L’ONU aurait recensé à l’heure actuelle, près de 142 définitions du terrorisme. Selon la configuration politique, tel sera

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terroriste pour les uns, combattant de la liberté pour les autres. Rappelons par exemple, que le Département d’Etat américain considérait l’ANC sudafricaine comme une organisation terroriste, alors que pour Moscou et Pékin, l’ANC était composée de combattants de la liberté. De même, l’Etat d’Israël et les kamikazes palestiniens se renvoient ces qualificatifs l’un, l’autre. Autant les manifestations du terrorisme sont diverses, autant les causes du terrorisme et les buts recherchés sont difficiles à cerner. Même sur les éléments constitutifs du terrorisme, il n’existe aujourd’hui aucun accord dans la communauté internationale. Le caractère occulte de l’action, la préparation dissimulée, le soutien plus ou moins direct de certains gouvernements, la complicité ou la passivité de divers acteurs des relations internationales, et par-dessus tout, les possibilités réelles de financement de groupes terroristes souvent tolérées par certains Etats, font du terrorisme un phénomène complexe et multiforme. A la lecture des diverses définitions données aujourd’hui, six critères semblent prédominer, à savoir : violence ou force ; politique ; peur ou terreur ; menaces et manipulations ; effets psychologiques et réactions anticipées ; différenciation entre victimes et cibles. Le terrorisme englobe ainsi, non seulement l’usage d’une violence indiscriminée, mais aussi les attentats individuels. Cette définition permet également de cerner le terrorisme d’Etat, qui malheureusement continue d’exister, ainsi que les groupes terroristes privés qui généralement agissent dans la clandestinité. En réalité, le terrorisme n’est pas un phénomène nouveau. On a tendance parfois à penser que le terrorisme constitue la plus grande menace du 21ème siècle et qu’il est la nouvelle menace suprême contre la sécurité des Etats. Cette idée, pourtant largement répandue, est fausse. L’usage de la terreur, par les régimes en place ou par des groupes cherchant à s’emparer du pouvoir ou à déstabiliser un adversaire est presque aussi vieux que les luttes de pouvoir. Parmi les exemples les plus anciens, citons celui des icarii (ou Zélotes) au 1er siècle qui utilisent la technique du terrorisme pour tenter de repousser l’envahisseur romain. Plus célèbre, le cas de la secte des Assassins (ou Hashsahins) au Moyen Age démontre le potentiel de longévité d’un groupe terroriste qui, pourtant, n’a jamais réussi à s’octroyer le pouvoir politique recherché malgré plusieurs attentats retentissants. Le terrorisme moderne, né au 19e siècle, s’est manifesté sous une multiplicité de formes, avec plusieurs vagues d’attentats au moins aussi sérieuses que celle que nous connaissons aujourd’hui, et qu’illustre la liste impressionnante des Chefs d’Etats et têtes couronnées victimes d’attentats terroristes au tournant du 19e-20e siècle. Rappelons que c’est par un attentat terroriste, celui de Sarajevo en 1914, que s’est embrasée l’Europe. Aujourd’hui, le terrorisme laïc a cédé progressivement la place à une dominante religieuse d’origine moyen-orientale. Le terrorisme religieux le plus important se pratique au nom de l’islam (Hezbollah, Boko Haram, GIA, Al-Qaïda...). S’il n’est pas le seul en cause, l’islamisme radical caractérise le 250

mieux la prégnance des groupes terroristes – et la nouvelle dimension qu’ils acquièrent – dans la politique mondiale au début du 21e siècle. L’exemple le plus marquant est bien sûr celui d’Al-Qaïda et des attentats perpétrés par les membres du groupe terroriste Daesh un peu partout dans le monde. En conclusion, il est évident que le terrorisme n’est pas le seul fait de groupe infra-étatique. Les actes terroristes peuvent également être commis par des Etats. Les groupes terroristes, en fait, considèrent leurs activités comme des activités politiques qui s’exercent au moyen d’actes violents. Ils s’en prennent de façon indéterminée aussi bien aux civils qu’aux forces armées de l’adversaire. Pour lutter contre le terrorisme, certains Etats emploient des moyens qui bafouent le respect des Droits de l’Homme en mettant en place des mesures répressives. Certains estiment qu’il ne faut pas s’interroger sur les causes du terrorisme, car cela reviendra à lui trouver des excuses. Or, si l’on doit condamner les groupes terroristes, il convient, pour lutter efficacement contre eux, de réfléchir sur les causes du terrorisme, sur les complicités dont ces groupes bénéficient pour leur financement, et sur les mensonges et les manipulations qui ont toujours caractérisés la lutte contre le terrorisme.

§2 Financement des groupes terroristes Le financement du terrorisme international est devenu depuis les évènements du 11 septembre 2001, une préoccupation majeure des NationsUnies et des principales puissances mondiales477. L’idée selon laquelle le terrorisme international ne peut être combattu de manière efficace, que par une action tendant à limiter, voire éliminer les ressources financières à la disposition des groupes terroristes, est admise pratiquement par tous les Etats, ainsi que par les Organisations internationales. Le problème est celui de l’hypocrisie et des manipulations opérées par les Etats eux-mêmes dans le cadre de cette lutte. Lorsqu’Al-Qaïda combattait l’Union Soviétique en Afghanistan, il avait bénéficié d’un appui technique, logistique, et surtout financier des Etats-Unis et de certaines monarchies pétrolières du Golfe. Et c’est le même Al-Qaïda qui se retournera plus tard contre les Etats-Unis sous la direction de Ben Laden. De même, il est bien connu que de nombreuses mosquées au Tchad, au Nord Cameroun, au Nord-Est du Nigéria et dans les pays du Sahel sont dirigées par des imams extrémistes, financés par l’Arabie Saoudite ou le Qatar. Ce sont ces mosquées qui servent de centres de diffusion de l’extrémisme musulman et fournissent un cadre idoine pour les adeptes de Boko Haram et d’autres mouvements djihadistes. Dans le même temps, ces mêmes monarchies du Golfe négocient des contrats juteux avec 477 Parmi les travaux consacrés récemment au sujet, v. notamment Le droit international face au terrorisme – Après le 11 septembre 2001, Paris, Pedone, CEDIN-Paris I, Cahiers internationaux, n° 17, 2002, passim

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les pays occidentaux qui officiellement s’opposent pourtant au financement du terrorisme international. En effet, le financement du terrorisme international est essentiellement le fait des Etats et des groupes privés. Les sources utilisées par les groupes terroristes pour financer leurs activités sont multiples. Une étude menée par le GAFI pour combattre le blanchiment d’argent a énuméré ces sources de la manière suivante : « trafic de stupéfiants et d’armes, extorsion de fonds et enlèvement, vol avec violence, fraude, jeux de hasard, contrebande et trafic de contrefaçons, soutien direct de certains Etats, dons et contributions, vente de publications (légales et illégales), fonds provenant d’activités commerciales légitimes478 ». Il en ressort que le financement du terrorisme international, effectué souvent à travers la criminalité organisée transnationale, n’exclut pas pour autant un financement licite des activités. Les sources illicites de financement comprennent les fonds provenant du trafic de stupéfiants, des divers types de fraude (bancaire et financière, fiscale, taxe sur la valeur ajoutée, hypothèque), des circuits de la criminalité, du trafic d’armes et de drogue, ainsi que des divers circuits de blanchiment. Les sources licites de financement du terrorisme international comprennent notamment le financement étatique, les dons et contributions volontaires, ou tout type de contribution à des organismes à but non-lucratifs effectués pour des motifs caritifs, religieux, culturels, éducatifs, sociaux ou confraternels. Compte-tenu de ce qui précède, les Etats ont décidé de placer la coopération internationale au sein de la lutte contre le financement du terrorisme international. C’est ainsi qu’ils ont tout d’abord cherché à promouvoir des mesures à portée générale concernant essentiellement la prévention, l’incrimination du financement du terrorisme international et l’adoption de règles relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux. Les Etats ont également adopté des mesures individuelles, notamment à l’issue des évènements du 11 septembre 2001. Il s’agit du gel et de la confiscation de fonds appartenant à des groupements et entités ou à des individus soupçonnés de terrorisme, des enquêtes et déclarations de soupçon, des sanctions économiques à l’encontre d’Etats soupçonnés de terrorisme et enfin, des poursuites pénales engagées par des Etats contre des individus soupçonnés de terrorisme, en application des lois nationales incriminant le financement du terrorisme international. Au regard de l’ensemble des mesures qui ont été adoptées depuis le 11 septembre 2001, une première évaluation de la lutte contre le financement du terrorisme international permet de mesurer les résultats importants qui ont

478

GAFI, Rapport sur les typologies du blanchiment de capitaux, 2000-2001, 1er février 2001, p. 21

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été obtenus. Mais, cette lutte ne peut cependant être totalement efficace en raison du jeu trouble des grandes puissances. En effet, certains groupes terroristes ont pu opérer des levées de fonds sur le territoire de puissances occidentales en toute impunité. Selon le Daily Telegraph du 5 août 2012, le département du Trésor des Etats-Unis a autorisé ses citoyens à financer la rébellion syrienne via un « organisme à but non-lucratif », le Syrian Support Group (SSG), au motif que celui-ci luttait « pour la liberté et la démocratie ». Or, des études menées plus tard et confirmées par la Russie, viendront démontrer qu’il s’agit en fait d’une entité obscure, entièrement anonyme, liée à la rébellion armée, ainsi qu’au groupe terroriste Al-Nosra. Bien qu’elle ne permette pas au groupe d’acheter des armes directement, la licence du Trésor américain qu’a pu voir le Daily Telegraph permet au SSG d’approvisionner les rebelles sur le plan « financier, communicationnel, logistique » et de leur fournir ainsi des services interdits par des sanctions des Etats-Unis contre la Syrie. Cette licence du Trésor légalise donc, dans un non-sens ubuesque, le financement de groupes terroristes djihadistes affiliés à Al-Qaïda qui figurent pourtant sur la liste des groupes terroristes visés par des sanctions de ce même département du Trésor. Selon les combattants arrêtés suite aux bombardements effectués par la Russie en Syrie, la CIA et les services secrets occidentaux ont appuyé clandestinement la rébellion syrienne en lui fournissant des armes pour lui permettre de renverser le Président Assad. Ce qui revient à dire que les Etats-Unis financent indirectement des groupes terroristes en Syrie, alors qu’ils prétendent combattre le terrorisme dans le monde. Et, cela ne date pas d’hier, car ils ont contribué à la création de nombreux groupes terroristes, dont Al-Qaïda, dans la guerre d’Afghanistan contre les Soviétiques. De nombreux auteurs ont mis en évidence le jeu trouble des grandes puissances dans le financement du terrorisme international, notamment par des actions secrètes jamais assumées sur le moment par Washington, Paris, Moscou ou Londres. Comme l’a relevé le Président Poutine au Sommet du G20 qui s’est tenu du 14 au 16 novembre 2015 en Turquie, Daesh a bénéficié de financements provenant de 40 pays, y compris des pays membres du G20. Le Président russe avait mentionné les montants des flux financiers provenant de la vente illégale de pétrole en Irak et en Syrie au profit de Daesh et du groupe terroriste Al-Nosra. Répondant aux critiques faites à son pays au sujet de ces bombardements militaires en Syrie, Vladimir Poutine avait déclaré aux occidentaux qu’ils devaient cesser de manipuler l’opinion internationale et surtout, de critiquer son pays ; et il ajouta même : « Il est vraiment difficile de nous critiquer. Ils ont peur de nous donner des informations sur les territoires que nous ne devons pas frapper, craignant que cela devienne l’endroit exact de nos

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frappes futures et que nous allons les trahir. Il est évident que ce point de vue est basé sur leur propre conception de la décence humaine ». Comme on le voit, les pays riches sont en fait les premiers financiers de groupes terroristes, dès lors que ceux-ci s’engagent à renverser des régimes qui pour eux, ne sont plus en odeur de sainteté. Et malheureusement, le public occidental n’en est pas informé, victime de la censure pratiquée par les gouvernants, ainsi que des manipulations effectuées par les mass-médias, notamment l’audiovisuel. C’est en effet le principal paradoxe de la guerre en Syrie : les images sont l’inverse de la réalité. Selon les médias internationaux, le conflit oppose d’un côté, des Etats réunis autour de Washington et de Riyad qui prétendent défendre la démocratie et conduire la lutte mondiale contre le terrorisme, de l’autre, la Syrie et ses alliés russes qui sont présentés comme des dictatures manipulant le terrorisme. Or, dans la réalité, il n’en est rien. La situation n’est pas aussi claire. Les soi-disant rebelles syriens appartiennent pour la plupart au front Al-Nosra et à l’Emirat islamique d’Iraq et du Levant, qui en réalité sont deux organisations officiellement subordonnées à Al-Qaïda. Pour ne pas contredire la propagande contre le Président Assad, la presse occidentale n’évoque jamais ce fait troublant. C’est dire que terrorisme, manipulations et contre-vérités font bon ménage sur la scène internationale.

§3 Terrorisme et manipulations Il convient de bien préciser que l’EIIL est un produit dérivé des réseaux d’Al-Qaïda de la première guerre d’Afghanistan (1979-1989). Recrutés par les frères musulmans, financés par l’Arabie saoudite, armés essentiellement par les Etats-Unis, soutenus par le Pakistan, entrainés par les services secrets américains, anglais, français et pakistanais, les membres de cette organisation terroriste ont dans une première période constitué des bandes criminelles dans la guerre contre l’Union soviétique, puis installé l’Afghanistan dans la situation chaotique qui dure depuis trente ans. Il ne s’agit donc pas d’une opposition « modérée », comme le prétendent les pays occidentaux. C’est du moins ce qu’avait rappelé en décembre 2014, le Général de division Vincent Desportes, ancien Directeur des écoles de guerre et du centre de doctrine et d’emploi des forces armées françaises en précisant les origines de l’EIIL, rebaptisé Etat Islamique, puis Daesh : « Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les Etats-Unis. Par intérêt politique à court terme, d’autres acteurs – dont certains s’affichent en amis de l’Occident -, d’autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les Etats-Unis. Ce mouvement, à forte capacité

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d’attraction et de diffusion de la violence, est en expansion. Il est puissant, même s’il est marqué de profondes vulnérabilités. Il est puissant, mais il sera détruit. C’est sûr. Il n’a pas d’autre vocation que de disparaître (…) Quant à la question de rompre les flux qui en assurent le soutien, je pense, sans connaître le détail opérationnel en cause, qu’une part de la difficulté tient au fait que l’on frapperait là en territoire ami479 ». L’EIIL ne peut donc être considéré comme un groupe modéré luttant pour la destruction de la dictature en Syrie. En fait, non seulement certains groupes terroristes se sont constitués comme l’EIIL avec l’appui de grands pays occidentaux, mais les principaux activistes anti-syriens, présentés comme modérés et démocrates par les dirigeants politiques français, sont en fait impliqués dans les activités délictuelles et criminelles dans divers pays du Moyen-Orient. Jean-Loup Izambert480 dans son ouvrage « L’Etat français complice de groupes criminels », a fourni les noms et les curricula de tous les chefs rebelles et soi-disant démocrates syriens qui sont en fait des criminels, des comploteurs, des délinquants, des trafiquants recrutés par les organisations des Frères-musulmans. En fait, dès son élection en mai 2012, François Hollande a pris le relais de la guerre ouverte un an auparavant par l’ancien Président Nicolas Sarkozy. Pour justifier son action, il avait précisé qu’ « on ne pouvait pas laisser seuls les syriens qui préparaient la démocratie, qui voulaient utiliser les moyens du droit pour arriver à leur fin, être sans armes. ». Et pour Laurent Fabius, Ministre des Affaires étrangères de la France « les rebelles font un bon boulot sur le terrain481 ». Il s’agit là d’un aveu clair et net de l’implication directe de la France et des puissances occidentales dans le conflit syrien depuis le début, et de la reconnaissance sans équivoque du soutien militaire et financier apporté à des groupes terroristes, notamment Al-Nosra et l’EIIL dans le but de renverser le Président Assad, par tous les moyens, même si par ailleurs les motivations humanitaires d’un changement démocratique du régime pouvaient être légitimes. Or, nous avons vu précédemment qui sont les dirigeants de cette armée du crime des Frères musulmans, ces « Syriens qui préparent la démocratie » à coups d’attentats en filmant leurs assassinats. Nous avons vu également comment plusieurs de leurs principaux chefs sont liés au crime organisé et au terrorisme. A suivre le discours élyséen, on est donc en droit de s’interroger : faut-il voir dans les meurtres et atrocités en série de ces 479

Sénat, Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, 17 décembre 2014. 480 Jean-Loup Izambert.- L’Etat français complice de groupes criminels ; IS Edition Paris 2015 481 Pressions militaires et succès diplomatique pour les rebelles syriens, par Isabelle Mandraud et Gilles Paris, Le Monde, 13 décembre 2012 et Syrie : Les fanfaronnades et les contre-vérités de Fabius, www.comote-valmy.org, 4 juin2014.

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« modérés » ce que le président français appelle « les moyens du droit pour arriver à leur fin » ? L’on comprend donc les ambiguïtés de la soi-disante lutte contre le terrorisme, car bien souvent il s’agit en fait de soutenir le terrorisme en faisant semblant de le combattre. En effet, en janvier 2014, le Congrès des Etats-Unis avait voté au cours d’une séance secrète, le financement et l’armement jusqu’à septembre 2014 du front Al-Nosra et de l’EIIL, en violation des résolutions 1267 et 1373 du Conseil de Sécurité, alors qu’il s’agit de deux organisations classées comme terroristes par les Nations-Unies. Cette réunion, révélée par le journaliste Mark Hosenball dans cette longue dépêche de l’agence anglaise Reuters titrée Congress secretly approves U.S. weapons flow to « moderate » Syrian rebels (Le Congrès approuve secrètement les livraisons d’armes américaines pour les rebelles syriens « modérés ») ne sera reprise par aucun média américain ni, sauf erreur, occidental. Seul, le Réseau Voltaire y fera référence et développera cette information. Le financement du terrorisme par des monarchies du Golfe a également été confirmé, chiffres à l’appui, par Jean Comte, qui a affirmé dans le quotidien La Croix que l’EIIL a bénéficié du soutien actif de plusieurs Etats du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite et le Qatar, quand il a rejoint l’insurrection syrienne. Par ailleurs, il importe de relever l’appui logistique et militaire dont ont bénéficié les groupes rebelles en Syrie, en vue de contribuer à la défaite militaire du Président Assad. Un rapport déclassifié d’octobre 2012 de l’Agence de renseignement de la défense (DIA) dépendant du Département de la défense des Etats-Unis (référence 14-L-0552/DIA/2) indique à ce sujet que « dans la période de battement qui a suivi la chute du régime Kadhafi en octobre 2011 et jusqu’au début septembre 2012, les armes des anciens stocks militaires libyens de Benghazi ont été expédiées depuis le port de Benghazi en Lybie vers le port de Balian et de Borj Islam en Syrie ». A ce trafic d’armes s’ajoute celui opéré par les airs, essentiellement avec des avions qatari et saoudiens qui a permis la livraison de milliers de tonnes d’armes à des groupes criminels syriens, en violation de la Charte de l’ONU et des normes internationales régissant les ventes et transferts d’armes entre les Etats. Ce soutien financier, logistique et militaire dénoncé aussi bien par la Syrie que la Russie et l’Iran, a finalement pris une ampleur telle que le 15 août 2014, le Conseil de Sécurité avait fini par adopter une résolution visant à empêcher le financement du djihadisme en Syrie et en Irak. Il va s’en dire que l’instance onusienne tentait d’interdire tout échange commercial avec l’Etat islamique et le front Al-Nosra. Or, si le Front Al-Nosra et l’EIIL vendent du pétrole sur le marché international, c’est que Washington, Paris et Londres tolèrent ces ventes, et cela ne peut se faire que par les compagnies pétrolières occidentales. Signalons enfin que, lorsqu’en juin 2014, Washington a fait appel aux Européens et à quelques pays arabes pour former une coalition dite 256

« Coalition contre l’Etat islamique », le but n’était pas en réalité la destruction de l’EIIL contrairement aux déclarations officielles des dirigeants occidentaux, mais son affaiblissement. Pas d’engagement au sol, des frappes aériennes très sélectives et un écran de fumée médiatique pour faire croire que cette opération militaire à grande échelle était une entreprise humanitaire et une opération de contre-terrorisme. La réalité, c’est qu’elle permettait surtout aux Etats-Unis de revenir sur le terrain militaire en ouvrant un nouveau front à l’intérieur de la Syrie au motif du renforcement d’un soutien multiforme aux « modérés ». La violence terroriste est difficilement appréhendée par les régimes politiques contemporains. S’agissant particulièrement des sociétés occidentales, celles-ci tentent d’évacuer la violence politique tandis que les terroristes la réintroduisent de manière soudaine. Dans ce contexte, l’Etat cherche à occuper le terrain du discours public en devenant « la source » privilégiée des médias, en émettant un discours tellement prégnant que les médias peuvent difficilement échapper à sa terminologie. Se faisant, l’Etat cherche à faire croire ce qu’il considère comme « sa »vérité. Il veut obtenir le consensus de la population et de l’opinion public internationale contre ceux qui attaquent « son » système démocratique et « ses » valeurs. Dans le cadre des attentats du 11 septembre 2001, l’on a bien vu le lien entre la presse et les pouvoirs publics dans le soutien à la stratégie gouvernementale américaine qui visait à assimiler l’attaque terroriste à un acte de guerre et à préparer ainsi les guerres futures en Afghanistan et en Iraq. Face au mystère et à l’inquiétude suscitée par les attentats, les journaux construisent un certain nombre de discours centrés sur la peur ou la menace. Ce registre peut aussi bien recouvrir les craintes d’une récession économique (« Les craintes d’une récession forcément mondiale », Libération du 13 septembre 2001, p. 22) que celles d’autres formes d’attaques terroristes (« Le spectre grandissant du terrorisme biologique » ou « Inquiétude pour la sécurité des centrales nucléaires américaines », Le Monde daté du 14 septembre 2001, p.11). Ces récits rencontrent alors les inquiétudes exprimées par les dirigeants politiques (le ministre de la Défense, Alain Richard, évoque la « vulnérabilité des sociétés démocratiques ouvertes » tandis que Lionel Jospin estime que l’attentat est la résultante de « tensions qui viennent de forces obscures »). Ce vocabulaire de la menace participe certes d’une inquiétude réelle jusque-là peu perceptible, mais comporte aussi une part stratégique. La première décision prise par les dirigeants français a été de déclarer l’état d’urgence et de réactiver le plan Vigipirate afin de montrer sa réactivité et sa volonté de rassurer la population au-delà d’un réel effet dissuasif. Ici, perceptions de la menace et tentatives de résolution concrète se rejoignent dans une même décision politique. Ce discours menaçant et déstabilisant concourt à une action pratique et lisible du gouvernement afin d’« exister » politiquement, par exemple en renforçant les 257

mesures législatives sécuritaires au détriment des valeurs démocratiques et des libertés individuelles. A la confusion créée par les grandes puissances sur les modalités de la lutte contre le terrorisme, s’ajoutent les opérations de propagande et de désinformation montées par certains médias. Un exemple parmi tant d’autres : Le samedi 28 mai 2011, un rassemblement de soutien au gouvernement syrien a lieu à Paris sur le parvis des Droits de l’Homme, place du Trocadéro. Plusieurs centaines de personnes manifestent, brandissant des drapeaux syriens et protestent contre le traitement partisan des évènements en Syrie par les médias français. Dans son compte-rendu, le journaliste de l’Agence France Presse (AFP) transforme cette manifestation de soutien au Président Bachar el-Assad en manifestation… d’« opposants » ! Texte de la dépêche AFP diffusé sur TF1 : « Deux cents personnes se sont rassemblées samedi après-midi sur l’esplanade du Trocadéro à Paris pour une « Syrie démocratique » et pour réclamer des « sanctions internationales » contre le régime de Bachar elAssad », a constaté une journaliste de l’AFP482. Cette désinformation relève d’une malhonnêteté particulièrement pernicieuse si l’on visualise le nombre de portraits du Président Bachar el-Assad, les acclamations et les slogans de soutien au président syrien ainsi que les nombreux drapeaux syriens brandis par les centaines de participants à la manifestation. Dès lors, entre propos déformés, désinformation, propagande, manipulation, tout citoyen du monde devrait s’informer et se faire sa propre idée sur la nature réelle des groupes terroristes et l’ampleur de leur capacité de nuisance. Il devrait également pouvoir s’interroger sur le rôle des groupes du crime organisé dans les relations internationales contemporaines.

Sous-section 2 : Les groupes du crime organisé A l’instar du terrorisme, le crime organisé est présenté par les principales puissances mondiales comme une menace majeure pour le système international. Les organisations criminelles ont acquis aujourd’hui une formidable puissance financière qui leur confère une grande capacité de nuisance. Avant d’examiner l’influence de ces organisations illégales sur les relations internationales, il convient de cerner leur définition et de préciser la nature de leurs activités

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Syrie : L’AFP pris en flagrant de média mensonge, par www.geostrategie.com, 30 mai 2011. Rassemblement à Paris en soutien aux manifestants syriens, édité par Diane Heurtaut, TF1 news, le 29 mai 2011 à 17h31.

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§1 Définition et évolution A. Définition, typologie et évolution des groupes criminels Il existe au moins deux définitions internationalement reconnues de l’organisation criminelle. Pour le Conseil de l’Union européenne, l’organisation criminelle peut être définie comme « une association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps et agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions punissables d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’un minimum d’au moins quatre ans ou d’une peine plus grave, que ces infractions constituent une fin en soi ou un moyen pour obtenir des avantages patrimoniaux et, le cas échéant, influencer indûment le fonctionnement d’autorité politique483 ». La Convention des Nations Unies contre le crime organisé, dite Convention de Palerme, adoptée le 15 novembre 2000 à New York, définit l’organisation criminelle comme « un groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert en vue de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente Convention pour en retirer un avantage financier ou un autre avantage matériel. » Il convient également de souligner que diverses autres définitions ont été proposées dans le cadre des organisations régionales, notamment l’Organisation des Etats américains. Il ressort néanmoins de l’examen de ces définitions de la criminalité organisée un certain nombre de critères pouvant être retenus : caractère permanent et organisé du groupe ; recherche du profit et /ou du pouvoir ; recours à la violence, à la peur, à l’influence et la corruption au-delà des frontières ; spécialisation dans les activités illégales à dimension transnationale ; un enracinement socio-culturel qui confère à l’organisation une fonction de contrôle social et une dimension entrepreneuriale par la participation concomitante à la sphère économique légale484 . Suivant leur origine, les organisations criminelles portent différents noms : -

Le Cartel (Afghanistan, Colombie, Mexique) La Mafia (Italie) et particulièrement : la Costa nostra (Sicile), la Camorra (Naples) et la Ndrangheta (Calabre) Le Milieu et le crime organisé corse (France) L’Organizatsiya (Russie)

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Action commune 98/733/JAI relative à l’incrimination de la participation à une organisation criminelle dans les Etats-membres de l’Union européenne, Conseil de l’Union européenne, 21 décembre 1998, JOCE, L 351, 29.12.1998 484 Voir Philippe Marchesin, op.cit. p. 115

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Les Triades (Chine, Hong Kong) Les Yakuzas (Japon, Grèce) La Yiddish Connection, la « mafia juive » (Israël) Les gangs (International)

Un essai de typologie des groupes de criminalité organisée permet de classer les organisations criminelles en deux groupes : d’une part, les organisations classiques et en particulier les Mafias italiennes, les Yakuzas japonaises et les Triades chinoises qui existent depuis des siècles et dont les activités vont du détournement d’argent public aux trafics de drogues, à l’extorsion de fonds et à la prostitution. D’autre part, les nouvelles organisations qui comportent essentiellement les cartels latino-américains de la drogue, les mafias russes, celles implantées aux Etats-Unis ou en Asie du Sud-Est et qui ont diversifié leurs activités : piratage informatique, blanchiment d’argent, immigration clandestine, fraude aux cartes de crédits, trafic d’armes, trafic de matériels nucléaires, création de laboratoires ultrasophistiqués et de réseaux de distribution de l’héroïne et de la cocaïne, etc. B. Puissance des organisations criminelles Aujourd’hui, le poids des activités mafieuses dans l’économie mondiale est considérable. Certes, il est par définition difficile d’évaluer les gains et les pertes d’une économie cachée, mais il est évident que les différents trafics (narcotiques en particulier) mettent en jeu des sommes considérables. Les organisations criminelles fonctionnent désormais comme des entreprises modernes, diversifiées, tournées vers le profit. Contrairement à la Mafia Sicilienne qui privilégiait le contrôle de la société et le territoire, les nouvelles organisations criminelles sont de véritables entreprises puissantes transnationales qui ont même réussi à s’infiltrer dans l’économie mondiale en profitant notamment de la mondialisation. Les réseaux criminels sécrètent une forte accumulation de capitaux qui ne peuvent plus être absorbés par la seule économie criminelle. En effet, qu’il s’agisse de stupéfiants, d’armes, de fausses monnaies, d’êtres humains (enfants, immigration clandestine, prostitution, etc.), d’organes humains, d’espèces protégés, les profits tirés par les organisations criminelles s’élèvent à des sommes astronomiques que le FMI a estimé par exemple en 2000, à mille milliards de dollars. L’ONU notait alors que ce montant équivalait au PNB des « Pays à faible revenu » et de leurs trois milliards d’habitants. A cela s’ajoute les fraudes aux subventions de l’Union européenne (estimées parfois à plus de huit milliards d’euros par an), le détournement de l’aide au développement et de l’aide humanitaire. Grâce à la mondialisation, à l’ouverture des frontières et des marchés, à la déréglementation des circuits financiers et au déclin des contrôles publics, les organisations criminelles ont étendu leurs tentacules dans tous les circuits 260

financiers internationaux en procédant au blanchiment d’argent qui leur permet de réintégrer l’argent sale dans l’économie légale. En effet, le système financier est toujours en quête de capitaux nomades. C’est ainsi que les narcodollars ont en quelque sorte pris la place des pétrodollars. La question criminelle est devenue inextricablement liée à la question financière comme le montre le cas des paradis fiscaux et des zones franches des pays industrialisés. Comme on le voit, les organisations criminelles sont devenues de puissantes et redoutables institutions financières, même si elles fonctionnent dans l’illégalité. Maillard estime le seul chiffre d’affaires de la drogue à 400 milliards de dollars dont 180 servent à rémunérer les trafiquants et les professionnels de la sphère légale (politiciens, parlementaires, avocats, magistrats, policiers)485. Pino Arlacchi estime à 1 milliard de dollars par jour, le montant des profits criminels injectés dans les marchés financiers du monde entier486. Dans tous les cas, les chiffres du crime organisé donnent des vertiges et ont amené les états à s’engager dans la lutte contre les organisations criminelles : l’on relève en effet 290 milliards d’euros de pertes annuelles causées dans le monde par la cybercriminalité ; d’après l’ONU 3,6% du PIB mondial seraient liés aux activités illégales et 2,7% du PIB mondial proviendraient du flux de capitaux issu du blanchiment d’argent ; le coût de la corruption dans l’Union européenne est évalué par la commission à 120 milliards d’euros par an, soit 1% du PIB de l’Union ; par ailleurs, 5% du PIB mondial serait porté par la corruption, selon la Banque mondiale487. Si l’on se réfère à la partie la plus sombre et la plus importante des activités criminelles servant de fonds de retraitement du blanchiment des capitaux (le trafic de drogues), le GAFI estimait en 1990 déjà à 120 milliards de dollars la masse des profits annuellement par le système financier au niveau mondial. D’autres analystes financiers américains et européens ont évalué à 1 500 milliards de dollars US le flux d’argent illicite sur une année, provenant de toutes les activités illégales liées aux groupes du crime organisé. Ce chiffre fabuleux de 1500 milliards de dollars correspondrait en fait à près de 8% du PNB de la planète, soit 3 fois la production annuelle de richesse de l’Espagne et plus que celle de la France (- 1300 milliards de dollars). Chiffres surévalués, extrapolations hasardeuses ? Dans tous les cas, ce à quoi tous les experts professionnels du monde financier s’accordent néanmoins c’est que l’ensemble de ces fonds illégaux se trouvent quotidiennement injectés dans les circuits financiers 485

Jean de Maillard, Un monde sans loi, la criminalité financière en image, éd. Stock 1998 Pino Arlacchi, Les hommes du déshonneur, éd. Albin Michel, Paris, 1998 487 Chiffres cités Jean-François Boyer, La guerre perdue contre la drogue, éd. La Découverte, Paris, 2001. Voir également Charest M. – « Peut-on se fier aux délinquants pour estimer leurs gains criminels ? » Criminologie, Vol. 37, N°2, 2004, p. 64-87 486

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internationaux et que les volumes en jeux sont au final très alarmants pour la stabilité de l’économie internationale.

§2 Organisations criminelles et relations internationales Les organisations criminelles ne sont pas des acteurs légaux des relations internationales. Mais, de par leur puissance financière et leur intégration sournoise dans la finance et la politique mondiale, elles ont acquis une influence parfois redoutable sur les acteurs légaux que sont les Etats, les organisations internationales et même sur les hommes politiques et les partis politiques. A. L’influence des organisations criminelles Les organisations criminelles ont une influence sur les Etats, qu’il s’agisse de pays développés, notamment par le financement occulte des partis politiques ou qu’il s’agisse de pays faibles et souffrant généralement d’une instabilité institutionnelle chronique. En effet, les interactions Etats/Mafia doivent être étudiées sur un large spectre. L’Etat peut réprimer, tolérer une activité criminelle. Il peut aussi y participer, voire même l’organiser. Il n’est un secret pour personne qu’il existe des pays dans lesquels des membres de l’appareil d’Etat sont impliqués à titre individuel dans le trafic de drogue à tous les niveaux. On parle alors d’Etat sous influence488. Il existe également des « narco-Etats » dans lesquels l’Etat ou un secteur de l’appareil d’Etat est impliqué dans le trafic de drogues et utilise les profits dudit trafic. De même, dans les Etats du Nord, il importe de souligner que malgré le volontarisme affiché dans les discours de lutte contre les activités criminelles internationales, il apparait une contradiction liée au financement des partis politiques et au choix de l’ouverture libérale. Comment peut-on souhaiter une étroite surveillance des capitaux dans le cadre de la lutte antiblanchiment alors que l’on recommande en même temps leur circulation sans entraves ? Il est certain que si les paradis bancaires et fiscaux continuent de se porter si bien, comme l’a souligné De Maillard « C’est parce que tout le monde les protège en raison de ce qu’ils permettent de faire loin de chez soi, mais dans l’obscurité complice des Etats eux-mêmes. Chacun y trouve son compte489 ». L’opacité et la confusion dominent, dans la mesure où les fonds issus de la corruption et ceux utilisés pour le financement des partis politiques (ils se confondent souvent) empruntent les mêmes circuits financiers clandestins 488

Voir Alain Labrousse et Michel Koutouzis, Observatoire géopolitique des drogues, Etat des drogues, drogue des Etats, Hachette, Paris, 1991, p. 11 et suiv. 489 J. de Maillard, « Finance internationale : l’envers du décor », Entretien avec Ch. Chavagneux, Politique internationale, n°91, printemps 2001, p. 411.

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que les capitaux d’origine criminelle. Comme le démontre Philippe Broyer490 , la crédibilité des proclamations de certains responsables politiques se trouve fortement diminuée. Le juge Renaud Van Ruymbeke avait déjà exprimé la même préoccupation en déplorant le fait que nombre de partis politiques européens aient mis en place des circuits financiers parallèles pour se financer et, le cas échéant, pour favoriser l’enrichissement personnel de certains de leurs dirigeants : « Pourquoi voulez-vous que les dirigeants de cette Europe politique mettent de la bonne volonté à supprimer ces réseaux d’argent sale dont ils se sont servis pour asseoir leur pouvoir ? […]. Ils se protègent ; malheureusement, en se protégeant, ils protègent beaucoup d’autres choses. Lorsque vous entravez la coopération des juges en matière de corruption, vous l’entravez en tous domaines ; vous l’entravez sur les trafics de drogue, le proxénétisme, la mafia […]491 ». En dehors de la sphère politique nationale et internationale, les organisations criminelles ont réussi également à s’imposer dans l’économie internationale en suivant le mouvement de la mondialisation. Les capitaux issus de l’économie illégale circulent sans entraves tandis que les banquiers s’abritent derrière le secret bancaire. Les entreprises gérées par les organisations criminelles mêlent sans difficulté les filières illicites à des activités légales, en particulier les marchés financiers. Blanchiment et trafic ne sauraient d’ailleurs se dérouler sans un minimum de complicité, consciente ou non, de la part des acteurs de l’économie légale. Il faut bien affréter les navires qui transportent les clandestins. Ce qui suppose la délivrance de licences d’exploitation de navires et des autorisations administratives dûment délivrées par les administrations nationales compétentes. Et les avions qui transportent la drogue entre la Colombie et le Nord du Mexique ont été non seulement affrétés, mais bien souvent reçoivent des autorisations de survol parfaitement légales. L’argent qui finance les meetings des partis politiques provient de sociétés écrans légalement implantées dans les paradis fiscaux. Les fusions-acquisitions et même les recapitalisations d’entreprises nationales opérées par des groupes en provenance du Moyen-Orient sont faites avec des fonds issus parfois de trafics de pétrole ou de gaz. Et tout le monde le sait et se tait, car il s’agit d’opérations couvertes par une légalité de façade. En réalité, les organisations criminelles ne se contentent plus de mettre en œuvre des activités de façade. Elles intègrent activités légales et illégales selon les cas. Au Japon, l’on a pu relever que 24.000 affaires seraient sous le contrôle des Yakuzas. Pino Arlacchi explique que ces Yakuzas découragent 490 Philippe Broyer, « Le blanchiment de l’argent. Nouveaux enjeux internationaux », études 2002/5 (Tome 396), p. 611-621. 491 Propos cités dans D. Robert, La justice ou le chaos, Stock, 1996, p. 47.

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la concurrence par la violence. Leurs ressources financières occultes leur confèrent également un avantage décisif sur les concurrents. Pratiquement tous les secteurs de l’économie internationale sont aujourd’hui concernés par les activités des organisations criminelles. On les retrouve dans des activités aussi variées que le commerce et l'industrie du pétrole, l’industrie de l’armement et le trafic d’armes, l’orpaillage illégal, les cultures de transformation, le commerce issu de la pêche illégale qui contribue à la surpêche, le trafic d’espèces protégées qui menace l’environnement, la faune et la flore, le commerce illégal du bois qui contribue à renforcer et à accélérer la déforestation illégale, le trafic des déchets et notamment des déchets toxiques, le trafic des produits pharmaceutiques qui constitue un crime contre la santé publique des populations dans les pays en développement, etc.. Les criminels sont devenus des agents économiques presque normaux avec la complicité des Etats et des banques. L’industriel, l’avocat, le banquier, l’assureur, le policier, le magistrat, le fonctionnaire, qui mettent leurs savoirs, leurs pratiques ou leurs pouvoirs au service des mafias sont en réalité des criminels à temps partiel. L’économie criminelle a intégré et corrompu l’économie légale, d’où la nécessité de renforcer la lutte contre le crime organisé. B. La lutte contre les organisations criminelles Les Etats ont décidé depuis quelques années de réagir en commun avec plus de vigueur et d’efficacité face à la menace croissante d’un blanchiment général de l’économie. La lutte a véritablement commencé avec l’adoption à Bâle, le 12 décembre 1988, de la Déclaration de principe du Comité de réglementation des banques et des pratiques de contrôle (organisme professionnel privé) qui a fixé le fondement juridique de l’obligation de vigilance des banques à l’égard de l’argent sale. Puis la communauté internationale a pris la première initiative internationale importante visant à conférer au blanchiment le caractère d’infraction pénale, avec l’élaboration et l’adoption par 106 Etats, à Vienne, le 20 décembre 1988, de la Convention des Nations Unies y relative. C’est dans le même ordre d’idées que le G7 a créé le GAFI au sommet de l’Arche à Paris en juillet 1989 pour analyser le phénomène du blanchiment et formuler des recommandations d’action au niveau international et national. Et depuis la publication de son premier rapport en 1990 comprenant 40 recommandations, le GAFI a aider à instaurer les bases de nouvelles coopérations bilatérales et multilatérales entre autorités de surveillance des marchés et des intermédiaires financiers et il a permis également l’établissement de standards renouvelés et prospectifs en matière de veille des secteurs dits vulnérables aux opérations de recyclage d’argent.

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De nombreux congrès ont été organisés pour combattre la criminalité transnationale, à l’instar de la Conférence des nations Unies tenue à la Havane en septembre 1990 sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, qui a notamment établi des recommandations en vue d’établir les normes applicables pour faciliter la saisie et la confiscation des fonds criminels. Des décisions importantes ont été prises par les Etats Unis pour lutter contre le terrorisme et les organisations criminelles, notamment après les attentats du 11 septembre 2001. Les Etats Unis avaient alors décidé d’engager une guerre financière en vue de tarir toutes les sources de financement des terroristes et des groupes criminels. Il s’agissait de mettre un terme, partout dans le monde, à un certain nombre de pratiques habituellement considérées favorables au développement des circuits financiers clandestins : sociétés écrans, trusts, les facilités offertes par paradis réglementaires ou encore la circulation des capitaux entre les banques off-shore et le système financier on-shore. C’est ainsi que fut adopté le Patriot Act, entré en vigueur le 26 octobre 2001, qui comporte de nombreuses dispositions financières restrictives visant à renforcer très nettement la prévention et la répression du blanchiment d’argent et des autres pratiques liées à la circulation de capitaux d’origine suspecte. En ce qui concerne l’Union Européenne, il importe de préciser que ses Etats membres se sont engagés dans la lutte contre le blanchiment de l’argent sale avec détermination, même si l’attitude de certains gouvernements demeure hésitante et les déclarations peu suivies d’effets : adoption de la Convention du Conseil de l’Europe à Strasbourg le 8 novembre 1990 ; actualisation en novembre 2001 de la directive de la communauté européenne du 10 juin 1991 sur la prévention de l’utilisation des systèmes financiers aux fins de blanchiment ; adoption et mise en œuvre de diverses législations nationales au sein des Etats membres. A ce titre l’on pourrait citer les dispositions du Nouveau Code Pénal français à l’article 222-38, la loi du 12 juillet 1990, celle du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et celle du 13 mai 1996 concernant la lutte contre le blanchiment et le trafic des stupéfiants. Le G7 poursuit ses réflexions sur la question des paradis fiscaux ; en revanche, le problème posé par l’existence de véritables « enclaves financières off-shore » aux Etats-Unis (le Colorado et le Delaware) ou en Grande Bretagne (la place de Londres elle-même) reste en suspens. Ce qui démontre les limites des mesures adoptées. Mais l’existence de ces mesures constitue déjà un pas important dans la lutte contre les organisations criminelles. Certes, il est encore très tôt pour se prononcer de manière définitive sur l’impact réel de toutes ces lois et tous les règlements d’application, ainsi que sur l’efficacité opérationnelle des conventions internationales et des 265

directives européennes. Mais ce qui est le plus important à relever ici, c’est que l’adoption et la mise de ces mesures courageuses traduisent la volonté réelle de la communauté internationale de lutter contre les groupes criminels et les groupes terroristes, en leur menant une guerre financière pour les priver de leurs moyens financiers et supprimer ainsi leur capacité de nuisance.

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CHAPITRE 2 LE RÉVEIL DES ACTEURS RÉGIONAUX L’urgence d’une action internationale adaptée pour régler les crises régionales explique, en partie, la résurgence des acteurs régionaux dans le règlement des différends internationaux. C’est dans ce cadre que se situent les interventions de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), de l’Union africaine et de certaines organisations sous régionales comme la CEDEAO et la SADC.

SECTION 1 L’OTAN : NOUVEAU GENDARME MONDIAL L’OTAN est une organisation politique et militaire qui rassemble de nombreux pays occidentaux. Elle a initialement pour finalité, d’assurer leur défense commune contre les menaces extérieures ainsi que la stabilité du continent européen. Cette organisation a survécu à la guerre froide. Le rôle important qu’elle joue, de nos jours, dans le règlement de certains conflits internationaux amène à s’interroger sur les causes de sa création, sur son organisation, ses missions et sur ses transformations ou évolutions à la suite de la fin de la bipolarisation du système international.

§1 Les circonstances historiques de la création de l’OTAN A. A l’origine de la création de l’OTAN L’OTAN est née de la volonté des Etats-Unis de disposer d’un instrument privilégié de la stratégie de rechange pouvant être utilisé de manière rapide et optimale dès lors que les institutions multilatérales de type onusien, tels que l’ONU, le FMI, la BIRD et le GATT, pouvaient être paralysées par la loi de la majorité ou bloquées par les vetos de l’URSS ou de la Chine, notamment en cas d’intervention militaire urgente en Europe face aux visées expansionnistes du camp communiste. Le refus de l’URSS d’adhérer aux règles qui inspirent ce projet, comme les élections libres, l’ouverture du commerce, la protection des entreprises privées, de même que le recours quasi-systématique au veto au Conseil de sécurité de l’ONU par ce pays et l’incapacité de celle-ci à assurer la paix

mondiale ont constitué également des facteurs importants et des signes précurseurs de la naissance de l’OTAN. Il convient également de relever parmi les événements ayant conduit à la création de l’OTAN, la percée des communistes durant la guerre civile en Grèce, pendant l’hiver 1946-1947, la tension entre l’URSS et la Turquie du fait des revendications soviétiques sur les Détroits, et la crise économique en Grande-Bretagne, en France et en Italie où les communistes avaient fini par disposer d’une forte popularité. C’est dans ce contexte que les Etats-Unis vont élaborer, durant le printemps 1947, la doctrine de l’endiguement (containment) qui est devenue le fondement de la politique étrangère des Etats-Unis à l’égard de l’URSS et du communisme pendant la guerre froide. Conçue par le diplomate Georges Kennan492 , elle affirme que face à des « décideurs soviétiques, certes guidés par une idéologie expansionniste, mais conscients des limites de leurs moyens, les Etats-Unis ont tout intérêt à pratiquer une politique de fermeté, en vue de mettre à jour les contradictions internes et de favoriser ainsi une évolution à long terme du régime adverse493 ». La doctrine d’endiguement connaîtra, le 12 mars 1947, sa première application, avec la doctrine Truman en faveur d’une aide financière à la Grèce lors de la guerre civile suivie par le plan Marshall. Le coup de Prague en février 1948 va précipiter la création de l’Alliance. C’est ainsi que la signature du traité de l’Atlantique Nord est intervenue le 4 avril 1949 suivie de la décision de créer, en décembre 1950, une « armée atlantique intégrée », ce qui traduit un réel glissement de l’endiguement du domaine économique et financier vers le terrain stratégique. L’endiguement prendra définitivement une forme militaire à la suite de la partition de l’Allemagne, et après la guerre de Corée, avec une multiplication des traités d’alliance et l’escalade américaine au Vietnam, menée au nom de la théorie des dominos du Président Eisenhower.

492 Diplomate en poste à Moscou, il a élaboré cette doctrine d’abord dans son « long telegram » daté du 22 février 1946, puis dans son article signé « M.X » de juillet 1947 de la revue Foreign Affairs (The source of soviet conduct). 493 Pour Kennan, « Les Etats-Unis doivent s’attendre à ce que la politique soviétique exerce … une pression prudente et constante en vue de l’affaiblissement et de l’effondrement de toute puissance et influence rivale ; Ceci étant, la Russie est nettement plus faible que le monde occidental (…) et la société russe contient un nombre de déficiences qui finiront par affaiblir son potentiel (…) Les Etats-Unis peuvent donc s’engager en toute confiance dans une politique d’endiguement ferme, en vue d’opposer aux russes une contre-force inaltérable en tout point où ils montreront des signes de leur volonté d’empiéter sur les intérêts d’un monde pacifique et stable ». Voir Marie-Claude Smouts, Dario Battistella, Pascal Vennesson, Dictionnaire des relations internationales. 2ème édition, Dalloz, Paris, 2006, p. 193.

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B. La création de l’OTAN En Mars 1948, à la demande des Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni signent le traité de Bruxelles avec les Etats du Benelux, c'est-à-dire la Belgique, les Pays Bas et le Luxembourg. Peu de temps après, le Canada, le Royaume-Uni et les Etats-Unis entament à Washington, des pourparlers secrets sur un traité « de défense collective pour la zone de l’Atlantique nord ». Le 11 juin 1948, le sénat américain vote la Résolution Vadenberg, qui autorise les Etats-Unis à conclure, dès le temps de paix, des alliances hors du continent américain. Il importe de souligner ici que dans son essence même, cette résolution est une véritable révolution pour la tradition d’isolement des Etats-Unis. Plus expressément, elle préconise le soutien des Etats-Unis aux accords « régionaux et collectifs pour la légitime défense » et leur association « selon le processus constitutionnel avec ceux de ces accords (…) fondés sur une auto-assistance et sur une aide mutuelle permanente (…) dans la mesure où ils affectent leur sécurité nationale ». Le déclenchement du blocus de Berlin en juin 1948 hâte l’ouverture de négociations officielles entre les Etats-Unis, le Canada et les membres du Pacte de Bruxelles. D’autres pays sont invités à y adhérer. Le 4 avril 1949, est signé le Traité de l’Atlantique Nord par les représentants des douze premiers Etats membres494. La Grèce et la Turquie adhèrent au Traité le 18 février 1952, la République Fédérale d’Allemagne le 5 mai 1955 et l’Espagne le 30 mai 1982. L’importance croissante de l’Alliance s’explique par ses origines. Elle constitue en réalité un bloc diplomatique et militaire appelé à jouer le rôle de bouclier du système économique, monétaire et social des démocraties occidentales. Avec la guerre de Corée en 1950, perçue comme le prélude d’un affrontement planétaire, le Traité va engendrer une véritable organisation.

§2 L’organisation et les missions de l’OTAN La plupart des pays occidentaux ont adhéré à l’OTAN. La Finlande et la Suède ont préféré se tenir à l’écart, du fait de leur neutralité traditionnelle495. Dès l’origine, l’OTAN a été perçue comme une coalition de type traditionnel. Le traité va créer cependant, dès le temps de paix, un embryon d’organisation permanente. L’OTAN est dotée de structures, de missions qui ont fondamentalement évolué du fait des mutations des relations internationales. 494

Il s’agit, outre les Etats-Unis, le Canada et les cinq du Pacte de Bruxelles, le Danemark, l’Islande, l’Italie, la Norvège et le Portugal. 495 Pour la Suède, sa position peut être revue, si la neutralité de la Finlande est remise en question par la Russie.

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A. La structure de l’OTAN L’OTAN comprend deux types de structures : civiles et militaires. 1. La structure civile ou politique a. Le Conseil de l’Atlantique Nord On peut citer, par exemple, l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. b. Le Secrétaire général de l’OTAN Il est le premier fonctionnaire de l’OTAN. Il est responsable de la coordination des travaux de l’Alliance, préside le Conseil de l’atlantique Nord, dirige et représente l’OTAN à l’extérieur. 2. La Structure militaire : le Comité militaire et les organes connexes C’est le bras armé de l’OTAN. A l’origine, la structure de commandement militaire reposait sur une division géographique : une pour l’Europe, appelée commandement allié pour l’Europe ou ACE chargé de la sécurité de l’Europe, c'est-à-dire de la Norvège à la Turquie, et s’appuyant sur trois commandements géographiques (nord-ouest de l’Europe – AFNORTHWEST – centre de l’Europe – AFCENT – et sud de l’Europe – AFSOUTH-) ; une pour l’Atlantique, commandement allié pour l’Atlantique, responsable de la sécurité de l’océan Atlantique. Treize quartiers généraux étaient subordonnés à ces commandements. En 2003, toute la fonction opérationnelle est concentrée en un seul commandement, en l’occurrence le Commandement allié des opérations ou Allied Command for operations – ACO plus communément appelé Shape (Supreme Headquarters Allied Powers in Europe, ou quartier général suprême des puissances alliées en Europe) basé en Belgique, plus spécifiquement à Mons. Il dirige trois états-majors interarmées basés au Pays-Bas, au Portugal et en Italie et six états-majors des composantes air, mer et terre496 . Le Commandement allié pour la transformation (ACT, allied Command transformation) basé en Virginie aux Etats-Unis a remplacé le Commandement allié pour l’Atlantique. Il a pour mission de diriger les efforts militaires et d’adapter les forces de l’Alliance à un environnement en pleine mutation. Plusieurs comités à relents militaires ont été créés par le Conseil. Il s’agit pour l’essentiel du comité des plans de défense en charge de la planification de la défense collective ; des groupes des plans nucléaires qui s’occupent des questions politiques liées aux forces nucléaires et du Comité militaire lequel recommande aux autorités politiques de l’OTAN les mesures jugées 496

Les Etats-majors airs se trouvent en Turquie et en Allemagne, les Etats-majors terre, en Allemagne et en Espagne et les états-majors mer, en Italie et au Royaume Uni.

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nécessaires à la défense commune et établit des directives sur les questions militaires. Il revient, in fine, au Secrétariat international et à l’état-major militaire international d’apporter leur concours au Conseil et aux Comités. B. Les missions et l’évolution de l’OTAN L’OTAN aurait pu être gravement menacée par la fin de la guerre froide puisque sa raison d’être, la menace soviétique, a disparu. Pourtant l’OTAN a survécu. Trois éléments l’expliquent. Le premier est sa capacité à se trouver de nouvelles missions. Le deuxième facteur de sa survie découle des échecs des opérations militaires menées par l’ONU, l’UE notamment en Yougoslavie au début des années 1990 qui mettent, au grand jour, l’importance de l’OTAN dans les opérations de rétablissement de la paix. Enfin, le troisième élément d’explication réside dans son élargissement à l’ancienne sphère d’influence de l’URSS, c'est-à-dire l’Est, consolidant ainsi le pouvoir de décision des Etats-Unis. 1. Les nouvelles missions de l’OTAN La mission originelle de l’OTAN est précisée par l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Aux termes de cet article : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’un ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties et, en conséquence, elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles (…) assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. ». La lecture de l’article montre qu’il s’agit d’une alliance défensive. Le système de sécurité collective institué a pour finalité d’assurer la sécurité du continent européen après la Seconde Guerre mondiale, en prévenant d’une part, d’éventuels soubresauts de l’Allemagne vaincue et, d’autre part, en s’opposant à toute tentative expansionniste de l’URSS. Entre 1955 et 1991, l’adversaire désigné de l’OTAN est le Pacte de Varsovie, une organisation de sécurité collective sous obédience soviétique créée en réaction à l’intégration de la RFA au bloc de l’Ouest. Ce Pacte se présente sur les plans politique et économique comme symétrique à l’Alliance Atlantique. Depuis l’implosion de l’URSS, la fin du Pacte de Varsovie et la disparition des régimes fondés sur le marxisme-léninisme, l’OTAN fait face à de nouvelles menaces. Dans la nouvelle conception de l’Alliance, les ennemis se trouvent au Sud, il s’agit de l’explosion démographique, du

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terrorisme international, du cyberspace. Sur ce dernier point, il est spécifié que les attaques informatiques peuvent être des agressions. Cette nouvelle théorie demeure floue sur les aspects offensifs de la cyber-guerre, tout comme sur les mécanismes de solidarité qui peuvent être mis en œuvre. Lors du sommet de Rome en novembre 1991, un « Nouveau concept stratégique » a été adopté, lequel a été révisé en 1999. Désormais, à côté de sa mission historique d’assurer la protection de ses membres, l’alliance se fixe de nouveaux objectifs : la coopération avec les anciens adversaires du bloc soviétique et l’amélioration de la sécurité européenne. En outre, lors du sommet d’Oslo en 1992, les membres de l’OTAN décident de soutenir, au cas par cas, les opérations de maintien de la paix ou de gestion des crises entreprises sous la responsabilité de la Conférence pour la sécurité en Europe, aujourd’hui OSCE, ou de l’ONU. C’est dans ce cadre de réadaptation de ses missions au contexte des relations internationales que l’OTAN s’est déployée en Bosnie en 1994 (IFOR puis SFOR), au Kosovo en 1999 (KFOR), en Afghanistan en 2001 avec l’ISAF ou en Libye en 2011. L’échec de la Conférence de Rambouillet en 1999, lancée par la France et le Royaume-Uni pour contraindre la Serbie à stopper les exactions contre les Kosovars et éviter la déstabilisation de la région, conduit l’OTAN, en l’absence d’un mandat de l’ONU rendu impossible par l’opposition de la Russie, à mener une campagne de bombardements au Kosovo et en Serbie. Après dix semaines de bombardements, la Serbie se retire du Kosovo, qui a été par la suite placée de facto sous mandat des Nations Unies497 . Les problèmes posés par la campagne militaire en Serbie et les tensions entre membres de l’Alliance ont amené les Etats-Unis à ne pas solliciter l’aide de l’Alliance après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre le World Trade center et le Pentagone, malgré l’invocation, pour la première fois de l’histoire de l’OTAN, de l’article 5 du traité de Washington. C’est sur le fondement de la légitime défense, que les Etats-Unis, avec l’appui du Royaume-Uni, ont déclenché, le 7 octobre 2001, l’opération « paix immuable » ou « Enduring freedom » contre le régime des talibans au pouvoir en Afghanistan, qui abritait, de l’avis des occidentaux, les bases d’Al-Qaïda et ses principaux dirigeants. Ils sont rejoints plus tard par de nombreux pays dont le Canada, l’Australie, l’Allemagne, l’Italie, la France, etc. 497 Cette campagne militaire entreprise par l’Otan a mis en relief les divisions au sein de l’Alliance. Les tensions entre les Etats-Unis et leurs partenaires européens sont à l’origine de la mise à l’écart du quartier général de l’Otan en Europe dans la planification des opérations militaires en Serbie, lesquelles ont été conçues par le commandement des Etats-Unis en Europe. N’ayant pu contrôler les opérations, les Européens ont donc utilisé le canal du Conseil de l’Atlantique, l’organe diplomatique, pour s’opposer au choix de certaines cibles à bombarder. Cette interférence du politique sur les affaires militaires a été fortement critiquée par les Etats-Unis.

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Ce n’est qu’en octobre 2003, que l’OTAN se voit chargée du commandement de la force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS), coalition d’une trentaine de pays mandatée par le Conseil de Sécurité de l’ONU pour assurer le maintien de la paix et la reconstruction de l’Afghanistan498. Dans un autre contexte, en Libye, l’OTAN accepte, en mars 2011, d’assurer l’intégralité du commandement des opérations militaires. Elle s’est vue confier la responsabilité d’opérations visant à protéger les populations civiles en neutralisant les infrastructures militaires de la Libye et à faire respecter l’embargo sur les armes et la zone d’exclusion aérienne décrétés par l’ONU, respectivement à travers les résolutions du Conseil de sécurité 1970 du 26 février 2011, et 1973 du 17 mars 2011. L’intervention militaire de l’OTAN découle d’une conjugaison de facteurs. Les Etats-Unis qui ont eu à assurer le commandement des opérations de la coalition étaient pressés de passer le relais du fait de l’impopularité de l’opération dans cet Etat. Des pays membres comme le Canada, l’Italie et la Norvège hésitaient à s’engager en dehors de l’OTAN aux côtés de la France et du Royaume-Uni qui avaient déjà déclenché les hostilités en Libye soutenus par le Qatar et les Emirats Arabes Unis. Dans son essence même, l’intervention de l’OTAN en Libye, du point de vue de sa conception et de son déroulement, qui a abouti au renversement du Régime libyen et à l’assassinat de son guide Mouammar Kadhafi, est contraire non seulement à l’esprit, mais aussi à la lettre de la Résolution 1973. Certes la Résolution 1973 fixe le cadre de l’intervention en Libye. Elle a été adoptée en vertu de l’article 42 de la Charte des Nations Unies qui permet des mesures coercitives. Mais les puissances alliées ont délibérément violé le contenu du texte, car l’objectif final n’était plus le maintien de la paix et de la sécurité internationale, mais l’assassinat du Président Kadhafi. Cette résolution décide de l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne qui consiste à interdire tous vols dans l’espace aérien de la Libye à l’exception des vols dont l’objectif est d’ordre humanitaire. A cet effet, elle « autorise les Etats membres (…) à prendre toutes les mesures nécessaires (…) pour protéger les populations civiles et les zones peuplées par des civils sous la menace d’attaques y compris Benghazi, tout en excluant une force étrangère d’occupation sous quelque forme que ce soit, dans n’importe quelle partie du territoire libyen ». Mais quelques jours après le début des opérations, la coalition a rapidement privilégié une interprétation extensive de la résolution en menant des opérations militaires au-delà des zones de combat entre les forces armées libyennes et les rebelles. La résolution ne visait nullement le renversement de l’ordre constitutionnel établi en Libye. 498

Voir les Résolutions 1386 du 20 décembre 2001 et 1510 du 13 octobre 2003.

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Au total, le bilan de l’implication de l’OTAN dans la gestion des crises est mitigé. L’Alliance est devenue un réservoir de capacités à la disposition de ses membres. Elle a finalement montré sa capacité à agir, non pas dans le cadre initial des obligations incombant à ses membres en cas d’agression contre l’un d’entre eux, mais dans celui beaucoup plus large et diffus des opérations de maintien de la paix. Dans ce contexte, l’OTAN apparaît aujourd’hui comme le bras armé du Conseil de Sécurité de l’ONU, notamment lorsqu’il s’agit d’utiliser la force suivant la volonté des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni, et en l’absence des vetos russe et chinois. 2. L’élargissement de l’OTAN Avec l’effondrement du communisme et la dissolution de l’URSS, les Etats d’Europe centrale et orientale ont souhaité devenir membres, à part entière, de l’OTAN. Cette dernière, divisée face à une perspective d’élargissement, va imaginer dans un premier temps des dispositifs d’association pour intégrer ces pays. En 1991, est créé le Conseil de coopération nord-atlantique (COCONA) qui se fixe comme mission d’organiser des réunions périodiques entre l’OTAN et les anciens membres du Pacte de Varsovie, de même que les Républiques d’Asie centrale issues de la dissolution de l’URSS, sur des questions politiques et de sécurité de façon ouverte. Ce Conseil n’a pas de pouvoir de décision, c’est un simple cadre de concertations diplomatiques. Il n’a jamais été en mesure de répondre aux attentes des Etats membres. Ainsi, conscients de l’insatisfaction des Etats d’Europe centrale qui espéraient alors une relation étroite avec l’OTAN et les Etats-Unis, ces derniers ont initié, en 1993, le Partenariat pour la paix. Ce Partenariat avait pour objectif de conférer aux pays de l’ancien bloc soviétique, de même qu’aux pays européens neutres, comme la Finlande et la Suède, la possibilité de signer avec l’OTAN, sur le fondement de l’article 4 du Traité de l’Atlantique Nord, une déclaration cadre en cas de menace contre leur sécurité. Ayant une vocation principalement militaire, le Partenariat pour la paix, conçu au Pentagone, a permis ainsi à l’Alliance atlantique de proposer à tous les Etats européens de s’associer à elle. Dans ce contexte, il appartenait donc à chacun des Etats de choisir luimême l’intensité des relations qu’il souhaite établir avec l’OTAN. En effet, les accords de partenariat sont négociés individuellement entre l’Alliance et chacun de ses partenaires. Ces accords peuvent se limiter à des échanges d’informations et à des visites, ou aller jusqu’à la participation commune à des opérations militaires de gestion des crises, avec une grande variété de types de relations entre ces deux extrêmes. 274

Lors du sommet de Washington en avril 1999, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie furent admises comme membres de l’OTAN. Quelques années plus tard, en mars 2004, c’était au tour des pays Baltes, c'est-à-dire, la Lituanie, Lettonie et l’Estonie, de faire leur entrée à l’OTAN en même temps que la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Le processus d’élargissement s’est poursuivi lors du sommet de Bucarest, en avril 2008, où l’admission de la Croatie et de l’Albanie est décidée pour prendre effet l’année suivante, tandis que la Macédoine fait les frais du véto de la Grèce et que les candidatures de l’Ukraine et de la Géorgie sont provisoirement écartées du fait des réticences de la France et de l’Allemagne soucieuses de ménager la Russie. Cette dernière a toujours été réticente à l’égard de l’ouverture progressive de l’OTAN à l’Europe centrale et orientale. Pour la Russie, le maintien même d’une alliance pose de réels problèmes. Elle accepte mal l’adhésion à l’OTAN de ses anciens protégés d’Europe centrale. Par ailleurs, l’intervention de l’OTAN au Kosovo puis en Libye n’était pas de nature à créer des relations confiantes, permanentes et efficaces entre l’OTAN et la Russie, même si, au demeurant, celle-ci s’est finalement résignée à signer en 1995 le Partenariat pour la paix avec un statut spécial. Aujourd’hui l’OTAN est confrontée en son sein à un débat entre les tenants d’une stricte orthodoxie atlantiste et ceux qui souhaitent la constitution d’une capacité européenne en matière de politique étrangère et de défense. L’idée de l’émergence d’une identité européenne dans le domaine politique et militaire fait son chemin.

SECTION 2 L’UNION AFRICAINE : NOUVEAU GENDARME REGIONAL EN AFRIQUE ? Continent généralement présenté comme sinistré, voire marginalisé499, l’Afrique connaît depuis la fin de la guerre froide une résurgence des conflits. Ces conflits sont pour l’essentiel de nature intra étatique. Ils se déroulent au sein des Etats. Leurs causes sont diverses. Il peut s’agir de conflits pour la conquête du pouvoir (Côte d’Ivoire), pour le contrôle des richesses (République démocratique du Congo), de guerres de sécession (Sud-Soudan, Erythrée), de terrorismes, volontés séparatistes (Mali), etc.500 . 499 Voir P.F. Gonidec, « Démocratie et développement en Afrique : perspectives internationales et nationales », in Afrique 2000, n°14, juillet-août-septembre 1993, p. 49. 500 Ce ne sont que des exemples. Il faut noter que les conflits entre Etats sont très rares voire inexistants. Les Etats refusent généralement les confrontations directes et développent des stratégies indirectes, comme le soutien matériel ou non létal à des rebelles. C’est le cas, par exemple, de l’intervention indirecte du Rwanda en République Démocratique du Congo.

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La résurgence de ces conflits et leur mutation ont amené les chefs d’Etat africains à prendre conscience de la nécessité de changer radicalement leur approche du phénomène des conflits en Afrique, et de se donner les moyens de trouver des solutions africaines aux conflits qui se manifestent sur le continent africain. Dans ce contexte, après avoir fait l’état des lieux des conflits en Afrique et de leurs causes, ils ont conceptualisé le Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Ce mécanisme, fruit de la Déclaration du Caire du 30 juin 1993501, va être transcendé par l’Union Africaine. L’UA va innover en instituant le Conseil de paix et de sécurité (CPS). Ce conseil apparaît comme le pendant de la conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique (CSSDCA).

§1 Le Conseil de paix et de sécurité, clef de voûte du système du règlement des conflits en Afrique A l’origine, le CPS n’a pas été prévu par l’Acte constitutif de l’UA. Le CPS est créé en vertu du Protocole du 9 juillet 2002 adopté à Durban, en Afrique du Sud, par la première session ordinaire de la Conférence de l’UA. Les premiers traits de cette nouvelle institution ont été esquissés, un an auparavant, au sommet de Lusaka, sous la forme d’un Conseil de médiation et de sécurité. De toute évidence, il faut reconnaître avec le Professeur Albert Bourgi502 que le CPS marque fondamentalement une rupture avec l’ancien organe central du Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits de l’OUA auquel il se substitue503 . Il convient, dès lors, de s’interroger sur les missions et l’organisation du CPS avant de relever quelques exemples de son intervention dans le règlement des conflits.

L’intervention armée du Kenya en Somalie s’effectue dans un contexte particulier caractérisé par l’inexistence d’un Etat dans ce dernier pays. 501 Voir Déclaration AHG/décl. 3 (XXIX) adoptée le 30 juin 1993 par la 29ème Conférence au Sommet de l’OUA. Ce mécanisme a été bien analysé par le professeur Michel-Cyr Djiena Wembou dans son ouvrage : L’OUA à l’aube du XXIe siècle : bilan, diagnostic et perspectives, op. cit., p. 244 et s. Pour une meilleure compréhension du Mécanisme on peut, utilement, s’en référer. 502 Voir son article « L’Union Africaine entre les textes et la réalité », op. cit., p. 336. 503 En effet, le Protocole relatif à sa création dispose que ses dispositions remplacent « les résolutions et décisions de l’OUA relatives au Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits qui sont contraires au présent Protocole ».

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A. Les missions et l’organisation du CPS 1. Les missions ou fonctions du CPS De prime abord, il faut noter que les fonctions du CPS sont prévues par l’article 6 du Protocole. Elles couvrent des domaines variés allant de la prévention des conflits, avec l’instauration d’un système d’alerte, à la mise en œuvre d’opérations militaires dans les cas prévus par l’Acte constitutif, la reconstruction post conflit en passant par la promotion d’une politique de défense commune. A ce titre, l’article 7 dudit Protocole détaille ses prérogatives504. Le CPS constitue, selon le paragraphe 1 de l’article 2 du protocole « un système de sécurité collective et d’alerte visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de conflit en Afrique ». Il est, de ce fait, « l’organe de décision permanent pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits ». Les objectifs et les principes qui régissent le CPS sont identiques à ceux de l’Acte constitutif. Dans l’exercice de ses fonctions de prévision et de prévention des conflits, le CPS a recours au système continental d’alerte rapide505. En cas d’intervention, les opérations militaires sont menées par la force africaine pré-positionnée506 sous le commandement du comité d’Etat-major507. Le CPS collabore avec le Président de la Commission et le groupe des sages508 . Ce dernier est composé de cinq personnalités africaines désignées par le Président de la Commission après consultation des Etats d’une part, et le CPS d’autre part. Le nouveau mécanisme de l’Union s’intègre dans la mission de maintien de la paix des Nations Unies en vertu du Chapitre VIII de la Charte. Sur la suprématie des Nations Unies en la matière, le Protocole souligne sans ambiguïté que le CPS « coopère et travaille en étroite collaboration avec le 504

Voir le Protocole en annexe. Ce système est prévu par l’article 12 du Protocole. Il est appelé système d’alerte rapide. Il est composé d’un centre d’observation et de contrôle dénommé salle de veille chargé de la collecte et de l’analyse des données sur la base d’un module approprié d’indicateurs d’alerte rapide, d’unités d’observation et de contrôle des mécanismes régionaux liés à la salle de veille qui ont pour fonction de collecter, de traiter les données recueillies à leur niveau et de les transmettre à la salle de veille. 506 Selon l’article 13 qui le prévoit, cette force est composée de contingents multidisciplinaires en attente, avec des composantes civiles et militaires, stationnées dans leur pays d’origine et prêtes à être déployées rapidement, aussitôt que requis. 507 Prévu par l’article 13 paragraphe 8 du Protocole, le comité d’Etat major est composé d’officiers supérieurs des Etats membres du CPS. Il conseille et assiste le CPS pour tout ce qui concerne les questions d’ordre militaire et de sécurité en vue du maintien et de la promotion de la paix et de la sécurité en Afrique. 508 En vertu de l’article 11 paragraphe 3 du Protocole, le groupe des sages fournit des services consultatifs au CPS et au Président de la Commission sur toutes questions relatives au maintien et à la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique. 505

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Conseil de sécurité des Nations Unies, qui assume la responsabilité principale du maintien de la paix et de sécurité ». En tout état de cause, avec le nouveau schéma conceptualisé par l’UA, l’Afrique se donne comme ambition de trouver des solutions à des conflits dont se désintéresse de plus en plus la communauté internationale. Elle fait sienne l’idée de consolidation de la paix, qui implique, entre autres, des actions visant à promouvoir des réformes institutionnelles et économiques ainsi que des actions humanitaires509 . 2. L’organisation du CPS Du point de vue de son fonctionnement, le CPS se différencie de l’ancien organe central de par sa composition et les modalités de désignation de ses membres. Selon l’article 5 du Protocole, il est composé de quinze membres ayant des droits égaux et élus par la Conférence de l’Union, dont dix ont un mandat de deux ans et 5 un mandat de trois ans pour assurer la continuité. Lors de l’élection des membres du CPS, il est tenu compte d’une série de critères comme, par exemple, le principe de la représentation géographique et de la rotation, l’engagement à défendre les principes de l’Union, la contribution de l’Etat postulant à la promotion et au maintien de la paix et de la sécurité en Afrique, la capacité et l’engagement à assumer les responsabilités liées à la qualité de membre, la participation aux efforts de règlement des conflits, de rétablissement et de consolidation de la paix aux niveau régional et continental, la contribution au Fonds de la paix, le respect de la gouvernance constitutionnelle conformément à la Déclaration de Lomé ainsi que l’Etat de droit et des Droits de l’Homme, l’exigence pour l’Etat postulant d’avoir aussi des Missions permanentes aux sièges de l’Union et des Nations Unies suffisamment équipées pour leur permettre d’assumer les responsabilités liées à la qualité de membre ou l’engagement à honorer les obligations financières vis-à-vis de l’Union. Un membre sortant du CPS est immédiatement rééligible. Cette réélection n’est pas, cependant, automatique dans la mesure où la Conférence de l’Union se réserve le droit de procéder à une évaluation périodique pour déterminer si les membres du CPS continuent à remplir les critères et prendre, le cas échéant, toute action appropriée. Il faut rappeler que les décisions du CPS sont prises par consensus, à défaut à la majorité simple, pour les questions de procédure, ou à la majorité des deux tiers de ses membres votant pour les autres questions. B. L’implication de l’UA dans le règlement des conflits L’intervention de l’UA dans le règlement des conflits en Afrique a déjà fait l’objet d’une étude dans le contexte des violations des Droits de 509

Voir les articles 14 et 15 du Protocole.

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l’Homme, de la bonne gouvernance, des crises politiques dans certains Etats d’Afrique510. Il faut rappeler que depuis 2004, le CPS est intervenu dans les crises au Darfour511, au Comores, en Somalie512, en République Démocratique du Congo, au Burundi, en Côte d’Ivoire et dans d’autres Etats. Il a adopté des résolutions mettant en place les opérations de maintien de la paix de l’UA en Somalie et au Darfour et visant à imposer des sanctions contre les personnes remettant en cause la paix et la sécurité comme, par exemple, l’interdiction de voyager, le gel des avoirs. L’intervention des forces africaines a suscité des critiques portant, pour l’essentiel, sur l’inefficacité des opérations menées, du fait du manque des ressources financières, de personnel et d’expertise. Parfois, la taille des zones à contrôler, comme au Darfour, complique davantage l’intervention de l’UA. Ainsi l’UA est souvent amenée à solliciter l’implication des Nations Unies, de l’Union européenne, ou des puissances occidentales comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou la France. C’est du reste ainsi qu’en accord avec l’UA, ces Etats ont conceptualisé et adopté un schéma de coopération, de collaboration pour renforcer les capacités des forces africaines pour le maintien de la paix en Afrique 513. L’évolution ultérieure de la pratique africaine en matière de règlement des conflits montre une nouvelle vision de l’Afrique fondée sur la recherche de la paix par la résolution des problèmes du sous-développement du continent.

§2 L’institution d’un nouveau mécanisme de préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique : la CSSDCA L’institution de la Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique marque un tournant dans la recherche de la paix par les pères fondateurs de l’UA. Par ce nouveau mécanisme, l’Afrique prend conscience du lien qui existe entre la paix, la stabilité, le développement, l’intégration et la coopération. Il faut souligner que cette Conférence est l’aboutissement d’un processus historique. Dès l’origine, l’Afrique a tenu compte de la dimension

510

Cf. supra. En réponse au conflit au Darfour au Soudan, l’UA a déployé 7000 soldats de maintien de la paix ressortissant pour la plupart du Rwanda et du Nigéria. Cette mission de maintien de la paix va être fusionnée, en octobre 2007, avec les forces des Nations Unies. 512 En effet, dès mars 2007, l’UA a envoyé 8000 soldats pour le maintien de la paix en Somalie confronté à un conflit depuis le début des années 1990. 513 Cf. infra. 511

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économique de la paix, autrement dit de la relation de causalité entre la paix et le développement514. Il existe, en effet, des menaces à la paix, à la sécurité qui sont de nature non militaire et qui trouvent leur source dans l’instabilité qui existe dans les domaines économique, social ou humanitaire. La paix et la prospérité vont de pair ; il ne saurait y avoir de paix et de stabilité en Afrique sans une solidarité, une coopération régionale en vue d’éliminer la pauvreté et d’assurer une vie meilleure aux populations africaines. C’est cette conception de la paix que l’Afrique essaie de démontrer à travers la Conférence sur la sécurité, la stabilité, la coopération et le développement, laquelle est calquée sur le modèle de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe ou CSCE515 . La CSSDCA couvre quatre domaines principaux, appelés calebasses, portant respectivement sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération. A ce titre, la Conférence est articulée autour d’un certain nombre de principes, d’un plan d’action et d’un mécanisme de mise en œuvre. A. La déclaration de principes La CSSDCA se fonde sur des principes généraux et sur des principes spécifiques.

514

Déjà en 1980, dans le domaine du développement et la coopération, l’OUA a adopté le Plan d’action de Lagos ; en 1991, le traité instituant la Communauté économique africaine ; en 1995, le Plan d’action du Caire pour la relance du développement économique et social de l’Afrique ; en 1999, la Déclaration de Syrte qui comporte des dispositions sur l’accélération du processus d’intégration économique et pour le règlement du problème de la dette extérieure de l’Afrique. Dans le cadre de la promotion de la stabilité politique et le développement économique en Afrique, l’OUA a adopté, en 1990, la Charte africaine de la participation populaire au développement la Déclaration sur la situation politique et socioéconomique en Afrique et les changements fondamentaux qui se produisent dans le monde ; en 1981, la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples ; en 1998, le Protocole relatif à la création de la Cour africaine des Droits de l’Homme et des peuples ; en 1999, la Décision sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement afin de renforcer le respect de la démocratie et de l’Etat de droit, la bonne gouvernance et la stabilité, etc. Les idées qui sous-tendent ces différents instruments sont au cœur de la CSSDCA. 515 Aujourd’hui appelée Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe. C’est en juillet 1973 qu’a été lancée la CSCE réunissant une trentaine de pays. L’Acte final d’Helsinki, qui fonde cette Conférence, est signé le 31 juillet 1975. Les signataires se sont engagés sur trois corbeilles. La premières concerne la sécurité en Europe : elle garantit l’inviolabilité des frontières et fixe les règles des relations intra-européennes. La deuxième vise à renforcer la coopération économique entre l’Est et l’Ouest. La troisième est un engagement à respecter les Droits de l’Homme et à développer la circulation des idées et des personnes de part et d’autre du rideau de fer. La CSCE, s’est transformée en 1994 en OSCE, suite aux mutations des relations internationales.

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1. Les principes généraux Il s’agit pour l’essentiel des principes suivants : -

le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les Etats membres ; l’affirmation du principe selon lequel la sécurité, la stabilité et le développement de chaque pays africain sont indissociables de ceux des autres pays africains ; l’interdépendance des Etats africains ; le règlement des différends en privilégiant la recherche de solutions africaines aux problèmes de l’Afrique ; la création d’un environnement propice à la paix, la stabilité, la sécurité, le développement par la prévention, la gestion et le règlement des conflits ; la responsabilité des Etats africains dans les domaines de la sécurité, de la stabilité et du développement socio-économique du continent ; le respect de la démocratie, des Droits de l’Homme, la bonne gouvernance, le renforcement de la solidarité et du partenariat de l’Afrique ; la lutte contre le VIH/SIDA, le paludisme et les autres pandémies perçues comme une menace pour la sécurité des populations et pour la croissance durable en Afrique ; l’utilisation efficace des ressources de l’Afrique afin de répondre aux besoins des peuples africains et pour améliorer leur bien-être ; l’obligation des Etats membres à adhérer de bonne foi à tous les principes de la CSSDCA et à assurer leur mise en œuvre.

La particularité de l’UA réside dans le fait qu’au-delà de la proclamation de ces principes, l’organisation continentale a également développé des principes spécifiques, propres à chaque calebasse. 2. Les principes spécifiques Ces principes couvrent les quatre calebasses à savoir la sécurité, la stabilité, la coopération et le développement a- Dans le domaine de la sécurité, l’UA affirme les neuf principes suivants : -

La sécurité comme un des piliers du processus de la CSSDCA. A ce titre, l’UA met en évidence le lien organique entre la sécurité des Etats membres dans leur ensemble et la sécurité de chacun d’eux, sur la base de leur histoire, de leur culture, de leur géographie et de leur destin commun, ce qui implique des responsabilités individuelles et collectives exercées dans le cadre de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples et d’autres instruments internationaux permanents ; 281

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L’affirmation du caractère englobant de la sécurité qui couvre les dimensions économiques, politiques, sociales et environnementales de la vie de l’individu, de la famille et de la communauté aux plans local et national. Pour l’UA, la sécurité d’une nation doit être fondée sur la sécurité du citoyen qui doit vivre dans la paix et satisfaire ses besoins fondamentaux tout en participant pleinement à la vie de la société et en jouissant des libertés et des Droits fondamentaux de l’Homme ; la responsabilité collective et individuelle des Etats membres dans le domaine de la préservation de la sécurité conformément à la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples et des instruments internationaux pertinents ; l’interdiction et l’obligation de sanction par les Etats membres de l’intervention étrangère dans leurs affaires intérieures, en particulier dans les situations de conflit ; le renforcement de la capacité de l’Afrique en matière d’opérations de soutien à la paix, de préparation aux situations d’urgence et d’organisation des secours en cas de catastrophe naturelle au niveau sous-régional et continental ; l’élimination des causes profondes des problèmes des réfugiés et des personnes déplacées qui constituent une menace pour la paix et la sécurité en Afrique ; et enfin l’affirmation du principe selon lequel la prolifération des armes de petit calibre et des armes légères de même que les mines terrestres constituent une menace pour la paix et la sécurité du continent.

b- En ce qui concerne la stabilité du continent, l’UA souligne la nécessité pour les Etats membres d’adhérer à l’Etat de droit, à la bonne gouvernance, à la participation populaire à la gestion des affaires publiques, au respect des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales et à la création d’organisations politiques qui ne soient pas entachées de sectarisme ni d’extrémisme religieux, ethnique, régional et racial. A ce titre, l’UA réaffirme que : -

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les organes exécutif et judiciaire doivent respecter les Constitutions nationales ainsi que les dispositions des lois et des autres instruments législatifs adoptés par les assemblées nationales et que, nul ne peut être exempté de l’obligation de rendre compte ; les Etats membres doivent encourager et faciliter la participation active et réelle des citoyens de chaque pays au processus de prise de décision et à la gestion des affaires publiques ;

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les Etats membres doivent garantir la promotion et la protection de tous les droits et libertés des citoyens et ne doivent pas empêcher le pluralisme politique ; toutes les formes d’extrémisme et d’intolérance encouragent l’instabilité ; le terrorisme sous toutes ses formes est préjudiciable à la stabilité.

c- Dans le cadre du développement, l’UA prend conscience que la réalisation de l’autosuffisance, d’une croissance et d’un développement économique durable est facilitée par la diversification effective des ressources et de la base de production, et par la transformation sociale et économique rapide. Elle note aussi que la participation populaire, l’égalité des chances, la transparence dans la prise décision, le partenariat entre les gouvernements et les peuples sont nécessaires à la réalisation du développement. En outre, l’UA considère que l’accès accru aux ressources et aux marchés pour les exportations de l’Afrique, ainsi que l’annulation de la dette et le renforcement des capacités dans tous les domaines de l’activité humaine, sont cruciaux pour l’Afrique. A travers cette profession de foi, l’UA affirme que le développement économique doit être au centre des politiques nationales des Etats membres. Ces derniers sont invités à prendre conscience que la croissance et le développement économique sont fondés sur l’autosuffisance et la diversification de la politique de base de production des économies africaines. Ils doivent également considérer que l’imposition unilatérale de sanctions et de blocus économiques est injuste et constitue une sérieuse entrave au développement. L’UA fait de l’intégration économique à travers la Communauté économique africaine et les communautés économiques régionales, le fondement du redressement et du développement de l’Afrique. Elle réaffirme le droit souverain et inaliénable des Etats membres à contrôler leurs ressources naturelles. d- Enfin, dans le cadre de la coopération, perçue comme la quatrième calebasse de la CSSDCA, l’UA met en exergue la nécessité d’élaborer et d’harmoniser les politiques macro-économiques, de renforcer les institutions d’intégration régionale et de mettre en place des réseaux régionaux d’infrastructures, en particulier dans les secteurs des transports et des communications. Compte tenu de l’interdépendance croissante du monde, l’UA réaffirme que les Etats membres doivent chercher à explorer davantage les possibilités de relations de coopération avec les autres pays en développement et les pays industrialisés. 283

Dans cette perspective, la promotion de la coopération nord-sud doit être perçue comme une stratégie importante dans le cadre des efforts de développement de l’Afrique, en particulier pour les questions relatives à l’aide publique au développement (APD) ou aux investissements étrangers directs (IED), à la dette extérieure et aux termes de l’échange qui affectent le développement de l’Afrique. La déclaration de ces différents principes s’accompagne d’un plan d’action et d’un mécanisme de mise en œuvre. B. L’élaboration d’un plan d’action et d’un mécanisme de mise en œuvre des principes L’UA ne s’est pas contentée d’annoncer des principes. Elle se donne les moyens de les réaliser. A cet effet, elle a établi un plan d’action qui couvre les quatre calebasses et un mécanisme de mise en œuvre. 1. Le plan d’action de la CSSDCA a- Pour les deux premières calebasses, la sécurité et la stabilité, le plan d’action vise, entre autres, à : -

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renforcer la capacité de l’Afrique dans le domaine de la prévention, de la gestion et du règlement des conflits, arrêter les modalités de coopération, de coordination et d’harmonisation des actions de l’UA et des Nations Unies dans les domaines de la consolidation, du rétablissement et du maintien de la paix, adopter des mesures propres à rétablir un climat de confiance basé sur la transparence, le bon voisinage, le respect de l’intégrité territoriale et des préoccupations sécuritaires des Etats et la noningérence en tant que fondement des relations inter-Etats, approuver le système d’alerte précoce, éliminer les causes profondes du problème des réfugiés et des personnes déplacées, combattre et sanctionner les infiltrations armées dans les camps de réfugiés, l’impunité, les crimes contre l’humanité, l’utilisation d’enfants soldats, la toxicomanie, œuvrer à l’élimination de la prolifération et du trafic illicite des armes légères et des armes de petit calibre, renforcer le processus de démocratisation en Afrique, encourager la participation de la société civile, l’éducation civique à la bonne gouvernance ainsi que la promotion des valeurs africaines dans les institutions et les établissements scolaires en Afrique, combattre le racisme, l’ultranationalisme, l’extrémisme religieux et les tendances xénophobes,

284

-

promouvoir le respect des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la cohésion sociale et l’identité nationale au sein des sociétés africaines, garantir la répartition équitable des recettes et des richesses nationales, la transparence dans l’exploitation des ressources du continent, assurer le partage du fardeau pour faire face au problème des réfugiés en Afrique, condamner le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre sur le continent, et coopérer avec les institutions compétentes créées pour juger les auteurs de ces crimes.

b- Dans la perspective du développement et de la coopération, les deux dernières calebasses de la CSSDCA, l’UA, dans son plan d’action, convient, entre autres : -

d’accélérer le processus de mise en œuvre du Traité d’Abuja instituant la Communauté économique africaine, de mettre en œuvre le plan d’action du Caire pour la relance du développement économique et social de l’Afrique, d’adopter des programmes pour l’éradication de la pauvreté et l’amélioration du niveau de vie des peuples africains, d’enrayer la fuite des cerveaux, de mettre en valeur les ressources humaines du continent, de renforcer le partenariat entre l’Etat et le secteur privé et de créer un environnement propice au développement et à l’expansion des économies africaines, de promouvoir la co-entreprise entre les Etats membres et les programmes de coopération régionale, de renforcer le pouvoir des femmes afin de leur permettre de participer de façon active et indépendante au développement économique, d’élaborer des programmes visant à développer les compétences des jeunes afin de faciliter leur emploi et de renforcer leur rôle dans le développement, de promouvoir la coopération financière et l’intégration des marchés financiers, d’améliorer l’accès aux technologies de l’information et de la communication.

2. Le mécanisme de mise en œuvre Pour mettre en œuvre les principes de la CSSDCA, l’UA a créé une conférence permanente. Cette conférence se réunit tous les deux ans en marge de la session ordinaire de la Conférence de l’Union.

285

Les parlementaires africains, à travers le parlement panafricain et les représentants de la société civile, ont la possibilité de transmettre leurs recommandations à la Conférence permanente par le canal de la Commission de l’UA. Entre les sessions de la Conférence permanente, il est prévu des réunions d’évaluation des plénipotentiaires et des représentants des Etats membres de l’UA pour suivre la mise en œuvre des décisions de la CSSDCA. En outre, l’UA prévoit d’appliquer les principes et les lignes directrices de la CSSDCA au niveau des institutions nationales qui sont chargées du suivi des activités de celle-ci. Dans ce dispositif de mise en œuvre, le Président de la commission de l’UA se voit confier la charge de prendre les dispositions administratives pour désigner, au sein de la Commission, une unité chargée de coordonner les activités liées à la CSSCDA. Il coordonne les consultations en vue de la convocation des réunions sur les calebasses. Ses rapports sont examinés par la Conférence de l’Union. Il faut noter, au-delà de cette présentation descriptive, que l’UA a eu à tester, dans la région des Grands Lacs, ce nouveau mécanisme en matière de gestion des conflits. La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, organisée conjointement par l’UA et les Nations Unies, a eu pour objectif de répondre aux défis spécifiques auxquels font face les Etats de cette région d’Afrique. Cette conférence qui a reconnu l’inter-connectivité des questions liées aux différentes populations, aux problèmes sécuritaires et économiques de la région et de la nécessité d’y apporter des solutions régionales, a abouti à la signature par 11 Etats516 du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs517.

SECTION 3 L’INTERVENTION DES ORGANISATIONS SOUS-REGIONALES DANS LA RESOLUTION DES CONFLITS : L’EXEMPLE DE LA CEDEAO ET DE LA SADC D’entrée de jeu, il faut souligner que les organisations sous-régionales ont également développé des mécanismes de résolution de conflits dans les espaces géographiques placés sous leur juridiction. 516

Il s’agit de : Angola, Burundi, République Centrafricaine, République Démocratique du Congo, République du Congo, Kenya, Rwanda, Soudan, Tanzanie, Ouganda, et Zambie. 517 Plus connu sous le nom de Pacte des Grands Lacs, il a été ratifié par les 11 Etats. Il est entré en vigueur en juin 2008. En fait, la Conférence sur les Grands Lacs a adopté 10 protocoles qui englobent tous les aspects des problèmes de sécurité dans cette région.

286

L’élaboration de ces mécanismes et l’adaptation des structures de ces organisations pour pouvoir répondre aux situations conflictuelles ou de crise résultent, en grande partie, du peu d’intérêt de la Communauté internationale pour la gestion des conflits en Afrique. Le génocide au Rwanda, le fiasco de l’intervention des Etats-Unis en Somalie en 1993, et son corollaire caractérisé par le désengagement de la Communauté internationale des questions africaines, obligent les Etats africains à développer des mécanismes propres à assurer le maintien de la paix et de la sécurité en Afrique. Dès lors, la prévention, la gestion et le règlement des conflits en Afrique font l’objet d’un intérêt grandissant et d’un nombre croissant d’initiatives. C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’intervention des organisations sous-régionales dans le processus de résolution des conflits. Au regard de l’importance du rôle de ces organisations dans la recherche de la paix, il convient d’examiner les mécanismes de règlement des conflits institués par la CEDEAO et la SADC.

§1 La CEDEAO et la résolution des conflits en Afrique de l’Ouest C’est en 1975 que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a été créée518 . Du point de vue du droit des organisations internationales, la CEDEAO est perçue comme une organisation régionale d’intégration. Elle a pour finalité l’intégration des économies des Etats membres. Elle s’est progressivement transformée, sous la pression des évènements politiques, en une organisation chargée de trouver des solutions aux conflits armés et aux crises politiques qui mettent en péril la paix et la sécurité dans l’espace communautaire. Il s’agit, dans le cadre de cette section, d’analyser les mécanismes de résolution des conflits en Afrique de l’Ouest mis en œuvre par la CEDEAO, avant d’étudier des cas pratiques d’intervention de cette organisation régionale et leurs insuffisances pour la restauration et la consolidation de la paix dans certains de ses Etats membres, en l’occurrence au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée-Bissau. 518 En effet, c’est le Traité du 28 mai 1975 adopté à Lagos, au Nigeria, qui fonde la CEDEAO. Ce Traité a été révisé successivement le 29 juillet 1993 et le 14 juin 2006 pour accélérer le processus d’intégration en Afrique de l’Ouest. La CEDEAO couvre une superficie de 5.112.903 km2 pour une population estimée à peu près à 300 millions d’habitants et un produit intérieur brut de 389 milliards de dollars US. Elle regroupe 15 Etats situés en Afrique de l’Ouest, en l’occurrence, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Benin, Niger, Togo, Ghana, Sénégal, Guinée, Guinée Bissau, Cap Vert, Nigeria, Sierra Leone, Liberia, et Gambie. La Mauritanie s’est retirée de la CEDEAO en 2002.

287

A. Les mécanismes de résolution des conflits institués par la CEDEAO Ces mécanismes seront envisagés sur les plans normatif et institutionnel. 1. Le cadre normatif de résolution des conflits Il fixe le fondement juridique de l’intervention de la CEDEAO dans le règlement des conflits. a. Le Protocole de non-agression du 22 avril 1978 Il faut remonter au 22 avril 1978 pour voir la CEDEAO adopter le Protocole relatif à la non-agression. Ce Protocole détermine les normes ou principes devant régir les relations entre les Etats membres de la CEDEAO. A cet effet, en vertu de l’article 1, les Etats membres s’abstiennent dans leurs relations de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat ou de tout autre moyen contraire à la Charte des Nations Unies ou à celle de l’OUA 519. Chaque Etat membre s’engage, selon l’article 2, à s’abstenir d’encourager ou de tolérer tout acte de subversion, d’hostilité ou d’agression contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique des autres Etats membres. En outre, aux termes de l’article 3 du Protocole susvisé, tout Etat membre doit empêcher que son territoire soit utilisé par des résidents étrangers pour commettre des actes contre la souveraineté et l’intégrité territoriale des autres Etats membres. L’article 5 du Protocole pose le principe du règlement pacifique des différends entre Etats membres. A défaut, il appartient à un comité établi par la Conférence de régler le différend. Le différend est porté à la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO si le Comité se trouve dans l’impossibilité de résoudre pacifiquement le conflit. Ce cadre fixé par le Protocole de 1978 montre une prévalence du mode pacifique de règlement des conflits entre Etats. Ne sont pas pris en compte la résolution des conflits au sein des Etats membres, en d’autres termes les différends intra-étatiques ou les guerres civiles. Cette lacune a justement été corrigée par le Protocole d’assistance mutuelle en matière de défense adopté à Freetown, en Sierra Leone, le 29 mai 1981. b. Le Protocole d’assistance mutuelle en matière de défense du 29 mai 1981 Entré en vigueur en 1986, le Protocole dispose d’entrée de jeu, en son article 2, que toute menace d’agression armée ou toute agression armée dirigée de l’extérieur contre l’un quelconque des Etats membres constitue une menace ou une agression contre l’ensemble de la Communauté. 519

Aujourd’hui, la nouvelle appellation de l’OUA est l’Union Africaine.

288

Ce Protocole institue un système de défense collective. Il prévoit une réaction collective dans l’hypothèse où un Etat membre est victime d’un conflit armé intérieur fomenté et soutenu de l’extérieur, qui met en danger la paix et la sécurité des autres Etats membres520. Il institue donc une assistance mutuelle en matière de défense521 . Dans ce contexte, il est prévu la création des forces armées alliées de la Communauté (FAAC). Au-delà de ces considérations et dans un contexte plus global, d’autres instruments ont été adoptés par la CEDEAO pour sécuriser l’espace communautaire522. c. Le Protocole du 10 décembre 1999 relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité Sur le plan normatif, le Protocole énonce une série de principes523 et d’objectifs524 afin de prévenir les conflits en Afrique de l’Ouest et de faire de cette région d’Afrique un espace de paix et de sécurité. Au niveau des principes, les Etats membres de la CEDEAO réaffirment leur attachement aux principes contenus dans la Charte de l’ONU et de l’OUA, dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, ainsi que dans la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples. Par ailleurs, le Mécanisme a pour finalité la prévention, la gestion et le règlement des conflits internes, mais aussi des conflits entre Etats. Il vise, de ce point de vue, l’application effective des Protocoles relatifs à la nonagression, à l’assistance mutuelle en matière de défense, à la libre circulation des personnes, au droit de résidence et d’établissement. Le Mécanisme a également pour effet le renforcement de la coopération dans les domaines de la prévention des conflits, de l’alerte précoce, des opérations de maintien de la paix, de la lutte contre la criminalité transfrontalière, le terrorisme international, la prolifération des armes légères et les mines anti-personnelles. De même, il préconise la protection de l’environnement, la sauvegarde du patrimoine culturel des Etats membres, la formulation et la mise en œuvre de politiques de lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et la circulation illégale des armes légères.

520

Voir article 4.b Voir art. 3. 522 On peut citer la Convention du 29 juillet 1992 pour l’assistance mutuelle pour les affaires criminelles, la Convention du 6 août 1992 relative à l’extradition, la Déclaration du 31 octobre 1998 sur le moratoire sur l’importation, l’exportation et la fabrication des armes légères, le programme pour la sécurité et le développement (PCASED) adopté le 24 mars 1999 à Bamako, la Convention du 14 juin 2006 sur les armes légères et de petit calibre, leurs munitions et autres matériels connexes, 523 Voir article 2. 524 Article 3. 521

289

Le mécanisme est présenté comme la pierre angulaire du système de sécurité collective établi par la CEDEAO, susceptible de garantir une paix et une stabilité durable, conditions sine qua non pour la croissance et le développement de l’Afrique de l’Ouest. C’est l’article 25 du protocole qui détermine les conditions de mise en œuvre du Mécanisme dans les cas de conflits interétatiques ou intraétatiques. Le mécanisme est déclenché, dans le premier cas, en cas d’agression ou de menace d’agression, de conflit armé entre deux ou plusieurs Etats membres. Dans l’hypothèse d’un conflit interne, le Mécanisme est mis en œuvre si un tel conflit menace de déclencher un désastre humanitaire ou constitue une menace à la paix et à la sécurité dans la sous-région ouest-africaine. En outre, les cas de violations graves et massives des Droits de l’Homme, la remise en cause de l’Etat de droit, tout comme le renversement ou la tentative de renversement d’un gouvernement démocratiquement élu ou toute autre situation déterminée par le Conseil de médiation et de paix, sont des causes justificatives du déclenchement du Mécanisme. d. Le Protocole du 21 décembre 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance Ce protocole a été adopté le 21 décembre 2001 à Dakar, au Sénégal, pour promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique de l’ouest. Il complète le Protocole du 10 décembre 1999 sur la prévention des crises intérieures, la démocratie, la bonne gouvernance, l’Etat de droit et les Droits de l’Homme. Dans le même temps, il améliore le Mécanisme relatif à la prévention, la gestion, le règlement des conflits, au maintien de la paix et de la sécurité. Ce Protocole établit donc un lien entre le respect des normes démocratiques et de bonne gouvernance dans les Etats membres et les perspectives de paix et de sécurité. De ce point de vue, il revêt une importance particulière dans la recherche et la sauvegarde de la paix et de la sécurité dans l’espace communautaire ouest-africain. De manière générale, le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance définit des principes constitutionnels communs à tous les Etats membres de la CEDEAO525 comme la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, la valorisation et le renforcement des parlements, l’indépendance de la justice, l’interdiction de tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir.

525

V. art. 1.

290

Il définit également une série de dispositions relatives aux élections dans les Etats membres526, l’observation et l’assistance de la CEDEAO en matière électorale527. Dans ce contexte, le Protocole interdit toute modification substantielle de la loi électorale six mois avant les élections, sans le consentement de la majorité des acteurs politiques. Par ailleurs, il affirme la neutralité et l’indépendance des organes chargés des élections. Il fixe aussi le rôle de l’armée et des forces de sécurité et dispose que celles-ci sont soumises aux autorités civiles régulièrement constituées. Le Protocole prohibe l’usage des armes pour la dispersion de réunions ou de manifestations non violentes de même que les recours aux traitements cruels, inhumains et dégradants. Il n’autorise que les recours à la force minimale et ou proportionnée en cas de manifestation non violente528 . Il préconise, pour ce faire, la formation des personnels des forces armées, et ceux des forces de sécurité publique. A cet effet, selon le protocole additionnel, ils doivent recevoir, dans le cadre de leur formation, une éducation aux principes et règles de la CEDEAO, aux Droits de l’Homme, au droit humanitaire et aux principes de la démocratie 529. Le Protocole définit, en dernière analyse, un régime de sanction que la Conférence de chefs d’Etat et de gouvernement peut prendre à l’encontre d’un Etat en cas de rupture de la démocratie et en cas de violation massive des Droits de l’Homme. Le mécanisme est déclenché par le Conseil de médiation et de sécurité530. 2. Le mécanisme institutionnel Le mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité défini par le Protocole de 1999 complété et amendé par le Protocole additionnel de décembre 2001, permet à la CEDEAO de structurer, sur le plan institutionnel, ses interventions dans les crises ou conflits qui se manifestent dans les Etats membres. Le mécanisme institutionnel est prévu à l’article 4 du protocole susmentionné. Il s’articule autour de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement, du Conseil de médiation et de sécurité, de la Commission et de toute institution créée par la Conférence, mais également autour d’organes d’appui à ces institutions. En outre, dans le cadre de la diplomatie préventive, la CEDEAO a institué un système d’observation de la paix et de la sécurité sous-régionales.

526

Art. 2 à 10. Art. 11 à 18. 528 V. Section 4 du Protocole additionnel. 529 V. Art. 45. 530 V. infra. 527

291

a. Les Institutions prévues i) La Conférence Elle est la plus haute instance de décision du Mécanisme. Elle est composée des Chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres conformément à l’article 7 du Traité révisé du 24 juillet 1993 qui fonde la CEDEAO. Dans le cadre de la gestion des crises ou des conflits, la Conférence se réunit aussi souvent que nécessaire. Elle est habilitée à prendre toute décision dans le cadre des questions se rapportant à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits, au maintien de la paix et de la sécurité, à l’assistance humanitaire, à la consolidation de la paix, à la lutte contre la criminalité transfrontière et la prolifération des armes légères, ainsi que toutes les autres questions couvertes par le mécanisme. En vertu l’article 7 du protocole sur le Mécanisme, la Conférence peut déléguer ses pouvoirs au Conseil de médiation et de sécurité. La Conférence a été amenée à se prononcer sur les processus électoraux dans un certain nombre de pays membres ainsi que sur les modes anticonstitutionnels d’accession au pouvoir comme au Togo, au lendemain du décès du Président Gnassingbé Eyadema ou, plus récemment, en République du Mali. L’éclatement du conflit en Côte d’Ivoire, la guerre civile au Libéria, en Sierra Leone, la détérioration de la situation politique et économique en République de Guinée, la permanence des tensions politiques et militaires en Guinée Bissau sont autant d’exemples d’implication de la Conférence dans la gestion de ces crises531 . ii) Le Conseil de médiation et de sécurité Il est composé, selon l’article 8 du Protocole sur le Mécanisme, de neuf (9) Etats membres dont sept (7) sont élus par la Conférence. Les deux autres membres que sont la Présidence de la Conférence et la Présidence immédiatement précédente sont membres de droit du Conseil de médiation et de sécurité. Les membres du Conseil ont un mandat de deux ans renouvelable. Il a pour fonction de prendre, au nom de la Conférence, des décisions sur des questions liées à la paix et à la sécurité de la région. Il décide donc de toutes les questions relatives à la paix et à la sécurité, met en œuvre les politiques de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Il lui revient également d’autoriser toutes les formes d’intervention et de décider du déploiement des missions politiques et militaires, d’approuver et

531

Voir infra.

292

de réviser les mandats et les termes de référence de ces missions en fonction de l’évolution de la situation532 . Le Conseil se réunit et ne délibère valablement que si au moins les deux tiers de ses membres sont présents533. Il peut se réunir au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, au moins deux fois par an, en session ordinaire534 . Le Président en exercice peut, en cas de besoin ou à la requête de la majorité simple des membres du Conseil, convoquer des sessions extraordinaires. Les réunions du Conseil peuvent également se tenir au niveau ministériel au moins une fois tous les trois mois pour examiner la situation politique générale et la sécurité de la sous-région ou aussi fréquemment lorsque la situation l’exige535. Ses recommandations sont soumises aux Chefs d’Etat et de gouvernement siégeant au sein du Conseil de médiation et de sécurité. Enfin, il peut se réunir également au niveau des ambassadeurs des Etats membres de la CEDEAO accrédités auprès de la Commission de la CEDEAO ou auprès de la République Fédérale du Nigéria 536. Il se réunit une fois par an pour procéder à l’examen des questions relatives à la paix et à la sécurité de la sous-région. Ses rapports et recommandations sont transmis aux Etats membres du Conseil et aux Etats concernés. Ils sont également soumis à l’examen lors de la réunion des Ministres du Conseil de médiation et de sécurité. D’une manière générale, les décisions du Conseil sont prises à la majorité des deux tiers537. iii) La Commission La Commission intervient également dans la résolution des conflits en Afrique de l’Ouest par l’intermédiaire de son Président. Ce dernier est habilité, en effet, à prendre des mesures visant la prévention, la gestion, le règlement des conflits, le maintien de la paix et de la sécurité dans la sous-région. Ces mesures peuvent prendre, selon l’article 15 du Protocole sur le Mécanisme, la forme de missions d’enquête, de médiation, de facilitation, de négociation et de réconciliation des parties en conflit. A cet effet, et en vertu du paragraphe 2 de l’article 15 du Protocole, il est chargé : -

de recommander la nomination du Représentant spécial et du commandant de la force au Conseil de Médiation et de sécurité ; de nommer les membres du Conseil des sages ;

532

Voir Article 10 du Protocole sur le Mécanisme. Voir article 9 paragraphe 1. 534 Art. 12. 535 Art. 13. 536 Art. 14. 537 Article 9 paragraphe 2. 533

293

-

de superviser les activités politiques, administratives, opérationnelles ; d’assurer la logistique des missions, d’élaborer à l’intention du Conseil de médiation et de sécurité et des Etats membres des rapports périodiques sur les activités du mécanisme ; d’envoyer sur le terrain, sur la base de son évaluation, des missions d’enquête et de médiation ; de convoquer, en consultation avec le Président de la Conférence, toutes les réunions du Conseil de médiation et de sécurité, du Conseil des sages et de la Commission de défense et de sécurité ; de mettre en œuvre toutes les décisions du Conseil de médiation et de sécurité.

Par ailleurs, le Président de la Commission fournit les services d’appui au Conseil de médiation et de sécurité et à la Commission de défense et de sécurité. Il est assisté dans ses fonctions par le commissaire chargé des affaires politiques, de défense et de sécurité. Plusieurs départements contribuent également à la résolution des conflits comme le département des affaires politiques, celui des affaires humanitaires, le département des affaires de défense et de sécurité et le centre d’observation et de suivi. b. Les organes d’appui aux Institutions du Mécanisme Il s’agit pour l’essentiel de la commission de défense et de sécurité, du Conseil des sages, du groupe de contrôle du cessez-le-feu de la CEDEAO ou de l’ECOMOG538 . i) La commission de défense et de sécurité Elle est composée des chefs d’Etat-major général des armées, des responsables des ministères de l’intérieur et de la sécurité, des experts du ministère des affaires étrangères de chaque Etat membre. Et, selon les matières inscrites à l’ordre du jour, des responsables de l’immigration, des douanes, de la lutte contre la drogue et les stupéfiants, de la sécurité des frontières et de la protection civile539. La commission de défense et de sécurité a pour fonctions la formulation du mandat de la force de maintien de la paix, l’élaboration des termes de référence de la force et la détermination de la composition des contingents. Elle examine les rapports produits par le centre d’observation et de suivi et fait des recommandations. La commission se réunit une fois par trimestre et chaque fois que de besoins540.

538

Art. 17 du Protocole sur le Mécanisme. Ibid, Art. 18. 540 Ibid, Art. 19. 539

294

ii) Le Conseil des sages Les membres proviennent d’une liste d’éminentes personnalités, proposée chaque année par le Président de la Commission au nom de la CEDEAO, qui peuvent user de leurs bons offices et de leur compétence pour jouer le rôle de médiateur, de conciliateur et d’arbitre541 . Cette liste est approuvée par le Conseil de médiation et de sécurité au niveau des Chefs d’Etat et de gouvernement. Le Conseil est constitué « des personnalités éminentes provenant de diverses couches sociales y compris les femmes, les responsables politiques, les chefs traditionnels et religieux ». iii) L’ECOMOG542 C’est une structure composée de plusieurs modules polyvalents, civils et militaires, en attente dans leurs pays d’origine et prêts à être déployés dans les meilleurs délais543 . L’ECOMOG est chargé entre autres, de la mission d’observation et de suivi de la paix, du maintien et du rétablissement de la paix, de l’action et de l’appui aux actions humanitaires, de l’application de sanctions y compris l’embargo, du déploiement préventif, des opérations de consolidation de la paix, de désarmement et de démobilisation, des activités de police, notamment la lutte contre fraude et le crime organisé544. c. Le système d’observation de la paix et de la sécurité sous régionales institué par la CEDEAO En vertu de l’article 22 du Protocole sur le Mécanisme, le système est établi dans le cadre de la diplomatie préventive, de la prévention effective des conflits. Il comporte un centre d’observation et de suivi, basé au siège de la Commission, et des zones d’observation et de suivi dans la sous-région. i) Le centre d’observation et de suivi Il est chargé de la collecte des informations, de leur traitement et de l’élaboration des rapports qu’il adresse au Président de la Commission. Il est chargé également d’établir des liens de coopération avec l’ONU, l’Union Africaine, les centres de recherche et avec toutes autres organisations internationales, régionales et sous-régionales pertinentes545. ii) Les zones d’observation et de suivi Dans le cadre de la CEDEAO, les Etats sont répartis en zones sur la base de la proximité, de la facilité de communication et de l’efficacité. Chaque zone est identifiée par un numéro et a un siège.

541

Ibid, art. 20 Il faut noter que le concept a changé au profit de « mission de la CEDEAO ». 543 Art. 21 du Protocole sur le Mécanisme. 544 Ibid, art. 22. 545 Art. 23. 542

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Les zones sont au nombre de quatre546. Les zones peuvent être modifiées en cas de nécessité par la Conférence. Pour rendre efficaces celles-ci, les Etats membres s’engagent à garantir la liberté de fonctionnement des bureaux des zones et à leur accorder les privilèges, immunités et la sécurité de leurs biens, des patrimoines et du personnel, des bureaux, tels que prévus par la Convention générale sur les privilèges et immunités et l’Accord de siège de la CEDEAO. Les bureaux collectent les données dans chaque Etat membre et, au jour le jour, sur la base d’indicateurs susceptibles d’affecter la paix et la sécurité de la zone et de la sous-région. Ils sont chargés, également, de rassembler les données collectées et d’élaborer des rapports qu’ils communiquent au centre d’observation et de suivi. A cette fin, chaque bureau est directement relié par des moyens appropriés audit centre. Avec l’adoption, le 18 janvier 2008, du Règlement définissant le cadre de prévention des conflits en Afrique547, la CEDEAO, dispose d’une stratégie claire de mise en œuvre des principes contenus dans les protocoles de 1999 et 2001. Ce cadre est perçu pour être une stratégie complète et opérationnelle de prévention des conflits et d’édification de la paix. Cela permet au système de la Communauté et aux Etats membres de mobiliser les ressources humaines et financières à l’échelle régionale et internationale dans les efforts orientés vers la résolution des conflits. C’est aussi une référence pour le développement basé sur les processus avec les parties prenantes régionales et internationales, y compris le secteur privé, la société civile, les communautés économiques régionales, les systèmes de l’Union Africaine, et des Nations Unies ainsi que les partenaires au développement en vue d’assurer la prévention des conflits et les interventions concrètes de construction de la paix. Constitué de quatorze composantes articulées, entre autres, autour de l’alerte précoce, la diplomatie préventive, la démocratie et gouvernance politique, Droits de l’Homme et règle de droit548 , le cadre pour la prévention 546

Il s’agit de : la Zone n° 1 qui regroupe le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée-Bissau et le Sénégal, Banjul est sa capitale ; la zone n° 2 constituée du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Mali, et du Niger ; sa capitale est Ouagadougou ; la zone n° 3 composée du Ghana, de la Guinée, du Liberia et de la Sierra Leone ; sa capitale est Monrovia et, la Zone n° 4 qui regroupe le Bénin, le Nigéria et le Togo, avec comme capitale Cotonou. 547 Règlement MSC/REG. 1/01/08, Commission de la CEDEAO, janvier 2008. 548 Les autres composantes sont : médias, gouvernance des ressources naturelles, initiatives transfrontalières, désarmement pratique, femmes, paix et sécurité, promotion de la jeunesse, force de maintien de la paix de la CEDEAO, assistance humanitaire, éducation à la paix.

296

des conflits de la CEDEAO constitue le document principal sur lequel s’appuie la Commission de la CEDEAO pour mobiliser l’assistance de ses partenaires extérieurs dans le domaine de la paix et de la sécurité. Au-delà de ces considérations, il faut souligner que l’architecture institutionnelle de la CEDEAO, en matière de résolution, de gestion des conflits, n’est pas exclusive de celle de l’Union Africaine. En vertu de l’article 12 du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité, « Les mécanismes régionaux font partie intégrante de l’architecture de sécurité de l’Union, qui assume la responsabilité principale pour la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique ». Ainsi donc, cette disposition pose l’exigence de coopération, de coordination entre les mécanismes de prévention et de règlement des conflits de la CEDEAO, de l’Union Africaine et même de l’ONU présente à travers ses missions de maintien ou de consolidation de la paix et son Bureau pour l’Afrique de l’Ouest549. B. Le recours à la force armée comme moyen de règlement des conflits en Afrique de l’Ouest Il faut remonter à 1990 pour voir la CEDEAO, sous l’impulsion du Nigeria, intervenir bien au-delà du terrain diplomatique traditionnel en envoyant des soldats pour restaurer la paix au Liberia, en Sierra Leone et, plus timidement, en Guinée-Bissau. Ces différentes interventions ont eu pour but de mettre fin à des situations de guerre civile mettant aux prises un ou des groupes armés rebelles et le gouvernement d’un Etat membre légalement reconnu. Dans ce contexte, la CEDEAO a connu, certes, des difficultés à atteindre ses objectifs de pacification là où elle est intervenue, mais son engagement militaire et diplomatique a joué un rôle fondamental permettant de sortir du cycle des conflits qui ont dévasté la région du Bassin du Fleuve Mano entre 1990 et 2003. 1. Au Liberia Le Liberia a été fondé en 1822 par une société philanthropique américaine de colonisation, l’American Colonization Society, pour y installer des esclaves noirs libérés. Il devient indépendant en 1847. Le suffrage censitaire permet aux libériens d’origine américaine de conserver le pouvoir durant un siècle. Déjà en 1931, la Société des Nations condamne les conditions de travail forcé imposées aux autochtones par les américano-libériens pour le compte de multinationales de l’industrie du caoutchouc. Le travail forcé est interdit en 1936. Cependant les autochtones restent des citoyens de seconde zone. Ce 549

La situation en République du Mali offre une parfaite illustration de la coopération entre ces trois organisations internationales.

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n’est qu’en 1945 que le droit de vote leur est reconnu par le Président William Tubman. A la suite du décès de ce dernier en 1971, William Tolbert, Viceprésident depuis 1951, accède à la présidence. La politique économique qu’il mène accentue les clivages entre américano-libériens et autochtones. Il est renversé le 12 avril 1980, lors d’un coup d’Etat mené par Samuel Doe, un autochtone qui prend le pouvoir et instaure une dictature. En 1989, un groupe d’opposition appelé National Patriotic Front of Liberia, s’organise sous l’autorité de Charles Taylor. Il déclenche une révolte qui gagne rapidement l’ensemble du pays sans rencontrer de résistance sérieuse des forces gouvernementales. La guerre civile déclenchée embrase tout le pays. C’est dans ce contexte, que la CEDEAO décide, en 1990, l’envoi d’un groupe d’observateurs militaires, chargé de surveiller l’application du cessez- le feu, ECOMOG550. Un désaccord au sein du NPLF conduit Prince Johnson à faire sécession, et à créer l’Independent National Patriotic of Liberia (INPFL). Le 9 septembre 1990, le Président Samuel Doe est assassiné par Prince Johnson lors d’une visite aux troupes de l’ECOMOG. Des chefs de guerre créent de nouvelles factions dissidentes551 , ce qui rend vaines les tentatives de résolution du conflit par la CEDEAO. 550 Face aux atrocités et aux conséquences éventuelles de la guerre civile au Liberia dans la sous région, le Président du Nigeria obtient de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO, la mise en place d’un comité permanent de médiation (connu sous l’acronyme EMSC, Ecowas mediation standing comittee) pour trouver une solution à ce conflit. Ce Comité est composé de cinq Etats membres, le Ghana, le Mali, le Nigeria, le Togo et la Gambie. Ce sont ces Etats qui ont décidé au cours d’une réunion tenue à Banjul, en Gambie, du 6 au 7 août 1990, de créer l’ECOMOG. Sa mission consistait à contrôler le respect du cessez-le-feu que les belligérants ont signé. L’ECOMOG a débarqué à Monrovia le 24 août 1990, huit mois après le déclenchement de la guerre civile. Il était composé de troupes provenant du Nigeria, du Ghana, de la Guinée, de la Sierra Leone et de la Gambie. Le Sénégal va rejoindre le groupe, sous l’impulsion du Nigeria. Il s’en retire en 1992 à l’approche de l’élection présidentielle. La force d’interposition est constituée en 1994 de 20 000 soldats et officiers dont la quasi-totalité sont des nigérians. Les motivations de l’intervention de l’ECOMOG sont nombreuses ; on peut citer l’afflux de réfugiés qui modifie les données sociologiques dans certains Etats membres, comme en République de Guinée ou au Ghana, la maltraitance, le kidnapping, l’exécution des ressortissants de la CEDEAO au Liberia par le NPFL, les répercussions ethniques éventuelles de la guerre civile dans les Etats de la sousrégion, l’appel du Président Samuel Doe à la Communauté. 551 On peut citer, la création de l’United Liberation Movement for Democracy in Liberia, ULIMO, par d’anciens membres des forces armées du Liberia, et du gouvernement de Samuel Doe en exil. Ce groupe dissident va se scinder en deux branches, une branche Krahn dirigée par Roosvelt Johnson (ULIMO-J) et une branche Mandingue commandée par Alhaji Kromah ; la naissance du Liberian Peace Council (LPC) de Georges Boley, de la Lofadefense Force (LDF) dirigée par François Massaquoi, etc. Chacun de ces groupes rebelles a une assise extérieure qui lui permet de survivre et d’être associé à la gestion du pouvoir. Ils étaient soutenus par des Etats comme la Côte d’Ivoire, la République de Guinée, le Burkina Faso, la Libye ou les Etats-Unis.

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En effet, dès le début du conflit, la CEDEAO a pris diverses initiatives en vue de parvenir à un règlement pacifique du conflit. Elle a été soutenue en ce sens par les Nations Unies. Dès l’origine, l’ECOMOG a pour mission de surveiller l’application du cessez-le-feu. Ce groupe de supervision est vite devenu une force d’interposition entre les belligérants. Parfois, accusées de soutenir une des parties belligérantes, les forces de l’ECOMOG ont mené de véritables opérations de guerre causant souvent des dommages collatéraux suscitant les critiques des organisations de la société civile, des Droits de l’Homme. Du point de vue du droit international, l’intervention armée de l’ECOMOG a été considérée comme illégale552 . Cependant, en dépit de ces critiques, force est de reconnaître que grâce à la CEDEAO, l’ensemble des factions a accepté en 1996, la tenue, sous son égide, de l’élection présidentielle. Et, le 19 juillet 1997, Charles Taylor est élu Président de la République du Liberia avec 75% des voix, malgré la mise en cause de la validité de l’élection par les observateurs étrangers dépêchés par des organisations internationales. En 1998, l’ECOMOG quitte le Liberia avec le sentiment d’une mission bien accomplie. L’évolution ultérieure de la situation au Liberia est marquée par l’adoption par le Conseil de sécurité de la Résolution 1497 (2003) autorisant la mise en place d’une force multinationale au Liberia et d’une force de stabilisation de l’ONU. La Mission des Nations Unies au Liberia est créée, et son avènement coïncide avec la démission de Charles Taylor. Après le départ de ce dernier, une transition politique débute par la tenue d’élections législatives et présidentielles remportées par Ellen Johnson Sirleaf, première femme africaine à être élue Chef d’Etat. Réfugié au Nigeria, Charles Taylor est arrêté et transféré à la Haye pour être jugé pour l’armement et le soutien aux rebelles de Sierra Leone. 2. En Sierra Leone La guerre civile en Sierra Leone est le prolongement du conflit libérien. Elle a été déclenchée le 23 mars 1991 par le Front Uni révolutionnaire (FUR) dirigé par Alfred Foday Sankoh, ancien caporal des forces armées Sierra Léonaises553 . Dans le contexte du conflit Sierra Léonais, la première intervention de l’ECOMOG date de 1991, lorsqu’elle a apporté son aide à l’armée régulière pour défendre le gouvernement de Joseph Momo aux prises avec la rébellion menée par le FUR. 552

Voir Meledje Djedjro, « La guerre civile du Liberia et la question de l’ingérence dans les affaires intérieures des Etats », RBDI, 1993, pp. 411-413. 553 Il faut souligner que Foday Sankoh a joué un rôle important dans la guerre civile au Liberia. Il a soutenu Charles Taylor ce qui explique le soutien de ce dernier au RUF.

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Joseph Momo est finalement renversé par sa propre armée, au cours de l’un des nombreux coups d’Etat que connaît le pays. En effet, le 25 mai 1997, un coup d’Etat renverse le Président démocratiquement élu provoquant une nouvelle intervention de l’ECOMOG. Cette intervention est approuvée par une décision du 29 août 1997 de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO554 . A la suite de la CEDEAO, le Conseil de Sécurité des Nations Unies proclame le 8 octobre 1997, par la Résolution 1132, un embargo sur les armes et les produits pétroliers à destination de la Sierra Leone et autorise la CEDEAO à veiller à sa mise en œuvre. Sous la pression de cette dernière, la junte au pouvoir signe, le 23 octobre 1997, un accord de cessez-le-feu. En février 1998, la violation du cessez-le-feu entraîne une riposte de l’ECOMOG qui finit par renverser la junte militaire et favorise le retour du Président Kaba. Ce changement de régime ne met pas fin aux opérations militaires ; de nouveaux combats opposent le FUR à l’ECOMOG en 1998 et en 1999. Un accord de paix est signé le 7 juillet 1999 à Lomé, lequel prévoit la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. Cet accord permet à l’ONU d’autoriser le déploiement de la Mission des Nations Unies en Sierra Leone (MINUSIL) le 22 octobre 1999, en remplacement de la Mission d’observation des Nations Unies en Sierra Leone et de l’ECOMOG. Toutefois, il a fallu attendre l’intervention armée du Royaume-Uni suite à la prise d’otages par le FUR de cinq cents soldats de la MINUSIL pour stabiliser la situation en Sierra Leone. La mission de l’ECOMOG prend fin le 2 mai 2000 avec l’intégration de certains de ses éléments à la MINUSIL. 3. En Guinée-Bissau La Guinée-Bissau est, avec le Cap-Vert, une des deux seules colonies portugaises de la région ouest-africaine. Elle fut indépendante en 1974, quatorze ans après la plupart des autres Etats de la région. La CEDEAO joue un rôle important dans ce pays depuis la guerre civile de 1997-1998 qui a impliqué aussi les forces armées de deux autres de ses membres, en l’occurrence le Sénégal et la République de Guinée. Ces deux Etats sont intervenus, sans mandat de la CEDEAO555 , aux côtés des forces loyales pour soutenir le Président Vieira. L’accord d’Abuja a permis plus tard la cessation des hostilités et conduit au déploiement des premiers contingents de l’ECOMOG556. 554

Voir Décision A/Dec/7/8/97. Ces deux Etats sont intervenus à la suite de la demande du Président Nino Vieira. Le Sénégal a fait jouer l’accord de défense qui le lie avec la Guinée-Bissau. 556 Pour une vue détaillée du conflit, ses différentes interactions voir Gilles Olakounlé Yabi « Le rôle de la CEDEAO dans la gestion des crises politiques et des conflits : cas de la Guinée et de la Guinée-Bissau », Friedrich Ebert Stiftung, 2010. 555

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Avec la reprise des combats ayant entraîné le départ du Président Vieira, la CEDEAO va rapatrier sa force de paix et se désengager du dossier de la Guinée Bissau, au profit de l’ONU présente à partir de 1999 à travers le Bureau d’appui pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau, BANUGBIS. Entre 2006 et 2008, la CEDEAO s’implique à nouveau dans la résolution définitive du conflit interne en Guinée-Bissau avec l’envoi d’une mission d’information sur la situation dans ce pays, dans les domaines sécuritaire, social, humanitaire et politique. Cette mission va aboutir à la création, par décision de la Conférence des Chefs d’Etats et de gouvernement de la CEDEAO, du Groupe international de contact sur la Guinée-Bissau, considéré comme un forum de coordination et d’harmonisation des interventions des partenaires de cet Etat. L’objectif de ce Groupe est la stabilisation politique et la relance de l’économie de cet Etat membre de la Communauté. Cet objectif s’était avéré difficile à réaliser. En effet, la difficulté à mobiliser des financements résultait de l’incapacité du gouvernement bissauguinéen à proposer des projets et programmes à financer du fait du déficit de ressources humaines qualifiées au sein de l’administration publique. A cela s’ajoutaient les réticences des bailleurs de fonds à intervenir dans un pays considéré comme la plaque tournante du trafic de drogue. En tout état de cause, la CEDEAO a maintenu son soutien à ce pays : elle a apporté un soutien constant à la réforme du secteur de la sécurité. Sous son impulsion, la deuxième réunion du Groupe de contact à Lisbonne557 a permis de mettre l’accent sur les menaces sécuritaires liées au trafic, aux flux d’armes illégaux et au trafic de drogue et appelé le gouvernement bissauguinéen à mettre en œuvre la Convention sur les armes légères, et salué les offres de l’Angola et du Nigéria de participer à la formation des militaires et des forces de sécurité de Guinée-Bissau. Comme on le voit, l’impact des interventions de la CEDEAO dans le règlement des crises en Afrique de l’Ouest est donc réel et doit être apprécié à sa juste valeur. Cependant, des criques ont été formulées à l’égard de cette organisation régionale. Elles portent le plus souvent sur l’incapacité de celle-ci à mettre en œuvre des actions concrètes, sur la faiblesse du soutien direct aux organisations de la société civile, sur l’absence d’une stratégie à long terme lui permettant d’anticiper sur les évènements et d’agir véritablement de manière préventive plutôt que de réagir simplement aux dégradations de la situation sécuritaire.

557 Ont participé à cette réunion, l’Angola, le Brésil, le Cap-Vert, l’Espagne, la France, le Ghana, le Nigeria, le Portugal et le Sénégal, de même que la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), les Nations Unies et l’UEMOA.

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§2 Le rôle de la SADC et les limites des opérations militaires africaines dans la gestion des conflits en Afrique A. L’expérience de la SADC dans la gestion des conflits Comme déjà spécifié558 , la SADC est issue de la Conférence de coordination et de développement de l’Afrique australe (CCDAA) établie en 1980 par les Etats de la ligne de front559 . A l’origine, l’objectif de cette organisation consistait à réduire la dépendance des membres à l’égard du régime d’apartheid en Afrique du Sud et à soutenir la lutte de la Namibie pour son indépendance. Elle était essentiellement une organisation de nature politique. La prise en compte des aspects sécuritaires dans la perspective de la SADC est donc récente. C’est au début des années 1990, avec l’évolution de la région vers la stabilité et la paix, que la CCDAA a redéfini sa mission et ses objectifs560 . Aujourd’hui, le traité de la SADC impose à ses Etats membres d’adopter des systèmes de valeurs et des institutions communes et de promouvoir et développer leur coopération dans les domaines de la paix et de la sécurité. En 1996, la SADC a créé un organe chargé de la politique, de la défense et de la sécurité, lequel est régi par le nouveau Protocole sur la coopération en matière de politique, de défense et de sécurité adopté en 2001. En août 2004, les Etats membres ont élaboré et adopté le plan stratégique indicatif561 qui identifie les principaux défis politiques, et en matière de défense et de sécurité et propose des stratégies devant servir de cadre pour la mise en œuvre du Protocole. La structure de la SADC comprend un Comité inter-Etats de politique et de diplomatie562 composé des ministres des affaires étrangères et un Comité inter-Etats de défense et de sécurité563 lequel est constitué des ministres de la défense et de la sécurité. Un Pacte de défense a été signé en 2003. Il vise à rendre opérationnels les mécanismes de la SADC destinés au renforcement de la coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité564 . Il prévoit un engagement institutionnel en matière de légitime défense et de la sécurité collective565. 558

Voir supra. En l’occurrence, il s’agit de l’Angola, du Botswana, du Mozambique, de la Tanzanie et de la Zambie. Ce groupe est dissout en juillet 1994 à la suite de l’adhésion de l’Afrique du Sud à la SADC, en août 1994. 560 En effet, cette évolution est rendue possible par la fin du régime d’apartheid en Afrique du Sud, l’indépendance de la Namibie, la fin de la guerre civile en Angola et au Mozambique. 561 Ou SIFO, Strategic Indicative Plan for the SADC Organ. 562 Connu sous le vocable anglais ISPDC, Interstate Politics and Diplomacy Committee. 563 Appelé encore ISDSC, Inter Defense and Security Committee. 564 Voir art. 2 du P.rotocole. 565 Art. 6, ibid. 559

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Ce pacte met l’accent sur la non ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat membre sauf dans les conditions énoncées dans le Protocole et sur décision du sommet de la SADC566 , interdit aux Etats membres de lancer ou de soutenir des actions de déstabilisation à l’encontre d’un Etat membre567. L’engagement des Etats membres à coopérer dans le domaine de la défense et à faciliter la coopération entre les forces armées et leurs secteurs liés à la défense568 constitue un aspect important du Protocole. Il renforce les initiatives de la SADC dans le domaine de la sécurité collective. Par ailleurs, la SADC organise régulièrement des exercices de formation au maintien de la paix, qui contribuent au développement de procédures opérationnelles permanentes à composantes militaires et civiles. Sur le plan pratique, certains Etats membres de la SADC ont eu à entreprendre, en dehors du cadre de l’organisation, des opérations militaires en RDC, en 1998569, puis en 1998 au Lesotho570. Ces initiatives montrent l’engagement de ces Etats pour le maintien de la paix en Afrique. L’Afrique du Sud, joue, au-delà de cet espace régional, un rôle majeur en matière de médiation et de maintien de la paix, notamment au Burundi ; parfois elle a agi en solitaire pour soutenir un régime comme ce fut le cas en République Centrafricaine. Au-delà même des problèmes posés par leur légalité, les opérations entreprises ont créé souvent des tensions entre les Etats membres de la SADC. Certains Etats, comme l’Afrique du Sud, sont accusés soit de défendre leurs intérêts nationaux, soit d’hégémonie régionale. A cela s’ajoutent, les tensions et les rivalités entre cet Etat et le Zimbabwe. Sur le plan institutionnel, les organes de sécurité et de défense ne se sont pas révélés efficaces pour renforcer le rôle de la SADC dans la gestion et le règlement des conflits. Au-delà de ces critiques, force est de reconnaître que la SADC est sans doute l’organisation sous régionale africaine qui dispose de la plus importante capacité de déploiement. Néanmoins, comme la plupart des organisations sous-régionales africaines, elle est confrontée à des problèmes financiers et opérationnels.

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Art. 7, ibid. Art. 8. 568 Art. 9. 569 C’est le cas de l’Angola, de la Namibie et du Zimbabwe qui ont participé à la force interafricaine qui est intervenue dans ce pays. 570 Le Botswana et l’Afrique du Sud sont intervenus dans cet Etat en 1998-1999. 567

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B. Les limites de la gestion des conflits par les organisations sousrégionales africaines 1. Les facteurs entravant les capacités opérationnelles des organisations africaines Le conflit armé au Mali est symptomatique des limites des capacités opérationnelles des organisations régionales ou sous-régionales africaines dans la résolution des crises, des guerres en Afrique571. Le commandant militaire américain pour l'Afrique (AFRICOM), le général Carter F. Ham, lors d'un briefing accordé le 3 décembre 2012 au Homeland Security Policy Institute, s'est montré très sceptique sur les capacités d'une force conjointe africaine à mener seule une telle action. Mais il importe de souligner que les problèmes structurels dont souffrent les armées subsahariennes ne doivent pas occulter leurs qualités ou les progrès accomplis au cours des dix dernières années par certaines d'entre elles572. Depuis des années, de nombreuses armées africaines ont été entraînées et équipées pour participer à des opérations de maintien de la paix ; mais comme toutes les autres armées dans le monde, elles éprouvent des difficultés à lutter contre le terrorisme et à mener des actions offensives dans le contexte des conflits armés asymétriques. 2. Les initiatives extra-africaines visant à renforcer les capacités africaines en matière de gestion des conflits armés en Afrique Face à la nécessité de résoudre les conflits qui se manifestent en Afrique par les Etats africains eux-mêmes, la France, le Royaume-Uni et les EtatsUnis ont développé et proposé des modèles visant à renforcer les capacités opérationnelles des armées du continent. a. Le mécanisme français de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP) Etabli en 1996, le RECAMP est articulé autour des axes suivants : -

La formation destinée aux forces armées et de police de plus de trente Etats africains francophones ou non. Elle prend la forme de

571

Les armées souffrent généralement de sous équipements, de manque de ressources financières, d’un besoin de renforcement de leur capacité, etc. C’est ce qui limite leur capacité d’action. C’est ici qu’il faut trouver la justification de la déroute de l’armée malienne, chassée de Kidal, Gao et Tombouctou en moins de trois mois, après avoir abandonné armes, bagages et munitions aux mains des insurgés. Cette explication vaut aussi pour une bonne partie de l'Afrique francophone : cinquante ans après les indépendances, aucune armée ou presque n'est en mesure de défendre son propre territoire national. Ce qui affecte également les capacités d’intervention des organisations régionales et sous-régionales africaines. 572 Les critiques citent généralement, les forces armées de l’Afrique du Sud, du Kenya, de l’Ouganda, de l’Angola, etc.

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cours dispensés en France et dans plus d’une dizaine d’écoles militaires en Afrique soutenues par la France. Bien que ces écoles militaires soient nationales, situées pour la plupart en Afrique francophone, il n’en demeure pas moins, qu’elles ont une vocation régionale. Une formation de terrain, à vocation régionale qui se traduit par des exercices militaires multinationaux auxquels participent des Etats de toutes les régions d’Afrique subsaharienne573. Dans ce cadre, des exercices organisés par des organisations sous régionales sont appuyés par la France sous forme de soutien financier et logistique. Le pré positionnement de matériel574 pour appuyer les forces africaines participant aux initiatives de maintien de la paix dans la région.

La France soutient les organisations régionales et sous-régionales d’Afrique subsaharienne. Elle a établi des liens avec certaines organisations régionales comme la CEDEAO, l’IGAD, la CEEAC et l’Union Africaine en accréditant ses attachés de défense auprès de celles-ci. Elle est intervenue à plusieurs reprises aux côtés d’organisations régionales africaines ou de l’ONU pour le rétablissement de la paix en RDC, en Côte d’Ivoire, ou au Mali575. b. Le modèle du Royaume-Uni Dans le courant de l’année 2001, le Royaume-Uni a lancé une initiative pour appuyer les opérations de maintien de la paix engagées par les Nations Unies en Afrique ou dirigées par des Etats africains eux-mêmes. Ce pays a institué deux fonds de prévention des conflits : le Fonds pour la prévention des conflits en Afrique ou Africa Conflict Prevention Pool, ou Initiative pour la prévention des conflits en Afrique (Conflict Prevention Iniatiative for Africa), qui concerne l’Afrique subsaharienne et le Fonds 573

On peut citer par exemple les manœuvres militaires de Guidimakha au Sénégal et en Mauritanie en 1998 (avec 8 Etats d’Afrique de l’Ouest et 4 Etats non africains, les Etats-Unis et 3 Etats européens), Gabon en 2000 (avec 8 Etats d’Afrique centrale et 8 Etats non africains), Tanzanie en 2002 avec 14 Etats membres de la SADC, le Kenya, Madagascar et une dizaine d’Etats non africains. 574 Il s’agit, entre autres, de véhicules blindés légers, de véhicules blindés de transport de troupes, de jeeps, camions et ambulances, de matériel de communication de matériel non létal, c'est-à-dire des uniformes, des générateurs, des tentes, des installations de purification d’eau. Ils sont pré positionnés à Dakar, Libreville et Djibouti. Il faut noter que le matériel pré positionné est destiné en général à équiper et soutenir un contingent de six cents personnes. 575 On peut citer l’opération Artémis menée sous son commandement par l’Union Européenne, en Côte d’Ivoire avec l’opération Licorne, au Mali avec l’opération Serval. Il faut souligner que ces opérations ont été fortement critiquées. La France est parfois perçue par certaines parties au conflit comme partie prenante plutôt que comme médiatrice ou force neutre de maintien de la paix.

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commun pour la prévention des conflits mondiaux (Global Conflict Prevention Pool). Comme dans le cadre du Recamp, les activités du Royaume-Uni visent à soutenir et à renforcer les capacités africaines de maintien de la Paix. A cet effet, l’accent est mis sur l’enseignement, la formation des militaires au maintien de la paix dispensée en Afrique par des équipes militaires britanniques de conseil et de formation connues sous le vocable British military advisory and training team. L’enseignement et la formation militaires comprennent souvent un volet portant sur les Droits de l’Homme. Ce programme de formation et de renforcement des capacités n’inclut pas de manœuvres militaires sur le terrain. Le Royaume-Uni fournit souvent des troupes, des instructeurs et du matériel de transport aux exercices multilatéraux et régionaux dirigés par des pays africains. Il est parfois intervenu en soutien aux opérations de l’Ecomog au Liberia, en Sierra Leone. c. L’initiative de réponse aux crises africaines (ACRI) des Etats-Unis Les Etats-Unis n’ont manifesté une volonté résolue de renforcer les capacités africaines en matière de gestion des situations de conflit qu’à la fin des années 1990, donc à la suite du génocide au Rwanda. L’ACRI a été instituée en 1997 ; elle prévoit une formation sur le terrain, des exercices de poste de commandement et des exercices assistés par ordinateur ainsi que la fourniture de matériel non létal similaire à celui du Recamp. Elle a pour objectif de former des soldats africains au maintien de la paix576. En 2000, lors du conflit armé interne en Sierra Leone, les Etats-Unis ont répondu à l’appel de la CEDEAO en lançant l’opération Focus Relief qui a consisté à former et à équiper sept bataillons issus des Etats membres de la CEDEAO577 en vue de leur participation à la MINUSIL. Cette politique américaine de formation et de soutien aux armées africaines a été renforcée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Dans la perspective des Etats-Unis, l’Afrique apparaît comme une source pétrolière et gazière de substitution, leur permettant de réduire leur dépendance énergétique vis-à-vis des Etats du Golfe. En outre les Etats-Unis considèrent que l’Afrique est devenue une région problématique dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Elle est perçue comme le terrain de prédilection pour la préparation d’attentats terroristes, le recrutement de terroristes, la collecte de fonds et le blanchiment d’argent.

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Ainsi par exemple, en 2002, 9000 soldats ont été formés dans huit pays : Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Malawi, Mali, Sénégal et Ouganda. L’objectif de l’ACRI étant de former 12 000 soldats africains sur une période. 577 Cinq bataillons provenaient du Nigeria, un du Ghana et un du Sénégal.

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C’est ce qui explique le lancement de l’initiative contre le terrorisme en Afrique orientale (East Africa counterterrorism Initiative) qui vise à renforcer les capacités régionales de lutte contre le terrorisme à Djibouti, en Erythrée, en Ethiopie, au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda. Au terme de l’ACRI en 2002, les Etats-Unis ont adopté un nouveau programme de formation et d’assistance aux opérations d’urgence en Afrique (African contingency operations training and assistance, ACOTA), ainsi que d’autres programmes de moindre envergure et à orientation régionale qui, à l’instar du programme de l’ACOTA et de l’ACRI, visent surtout à renforcer les capacités africaines à lutter contre les groupes terroristes et à maintenir la stabilité régionale. Ces programmes devraient permettre de former et d’équiper les militaires africains afin qu’ils puissent répondre eux-mêmes aux obligations de soutien de la paix et aux besoins humanitaires, mettre en place un commandement et un contrôle efficaces, assurer une communauté d’approche et une interopérabilité, combattre efficacement les trafics de tous genres et l’immigration irrégulière, et renforcer la lutte contre les groupes terroristes islamiques en Afrique. D’une manière globale, au-delà de ces considérations, presque tous les Etats européens et de nombreux Etats non européens ont d’une manière ou d’une autre apporté leur soutien à des missions de maintien de la paix en Afrique. Ils ont, soit soutenu directement les Nations Unies, soit fourni une aide immédiate aux troupes africaines participant aux missions de maintien de la paix sur le continent et ne disposant pas des capacités nécessaires. Ces différentes interventions - et l’expérimentation de modèles qui s’entrechoquent- posent le problème de leur coordination et de leur harmonisation aussi bien entre elles qu’avec les intérêts bien compris des Africains eux-mêmes. La multiplicité des interventions, de modèles est un facteur entravant l’efficacité des opérations de maintien de la paix en Afrique. Dans certains cas, elles constituent même une ingérence inadmissible dans les affaires intérieures d’un Etat comme on l’a vu en Libye où la disparition de Kadhafi était le véritable motif de guerre et non le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Et c’est la destruction de l’Etat Libyen qui a permis aux terroristes et autres djihadistes de disposer d’armes les plus sophistiquées ; c’est encore elle qui a favorisé l’immigration irrégulière de milliers d’Africains à travers la méditerranée, dont l’Occident cherche aujourd’hui à s’en prémunir par tous les moyens.

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Troisième partie Les rapports internationaux

Les principaux acteurs des relations internationales entretiennent entre eux des relations de diverses natures : diplomatiques, consulaires, économiques et commerciales, militaires, culturelles et scientifiques. Il peut s’agir également de rapports conflictuels pouvant avoir de graves conséquences sur la paix et la sécurité internationale selon la nature juridique et l’ampleur du conflit : différend juridique ; conflit international ; conflit armé non international ; troubles et tensions politiques internes ; conflit armé international. La politique étrangère apparait comme l’un des piliers des relations internationales, même si elle n’est plus l’apanage des seuls Etats, puisque d’autres acteurs influents voisinent avec ceux-ci sur la scène internationale. Elle est déterminée par chaque acteur en fonction des moyens dont il dispose et des choix qu’il décide d’effectuer pour peser sur le jeu international. Elle a été définie à juste titre comme « l’art de faire avancer les intérêts nationaux par l’échange continu d’informations entre les peuples et les nations ». C’est dire que les relations diplomatiques et consulaires se trouvent au cœur de la vie internationale. Par ailleurs, en raison de l’évolution technologique, du progrès scientifique et de la mondialisation, les questions économiques et financières occupent aujourd’hui une place prépondérante dans l’agenda international. Enfin, l’on ne peut s’empêcher de noter la persistance des conflits et du recours à la force armée dans les relations internationales, malgré l’existence d’institutions et de mécanismes chargés du maintien de la paix dans le monde. Nous consacrerons la troisième partie de cet ouvrage à l’étude des trois principaux types de rapports qui se déroulent aujourd’hui entre les acteurs des relations internationales : les relations diplomatiques et consulaires (Chapitre 1), les relations économiques et commerciales (Chapitre 2) et les relations conflictuelles (Chapitre 3).

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CHAPITRE 1 LES RELATIONS DIPLOMATIQUES ET CONSULAIRES Les relations diplomatiques sont aussi anciennes que les peuples euxmêmes. Paul FAUCHILLE précise du reste que « l’institution est aussi vieille que l’apparition des Etats dans la vie du monde578 ». Et le préambule de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques affirme que « depuis une époque récente, les peuples de tous les pays reconnaissent le statut des agents diplomatiques ». La diplomatie est donc une pratique très ancienne entre les Etats. Ses motivations ont d’abord été économiques et commerciales, avant d’être politiques. Dans la codification du droit des relations diplomatiques et consulaires, il convient de relever trois étapes essentielles : le Congrès de Vienne de 1815 où furent adoptées quelques règles, notamment celles de la préséance, et les deux conférences tenues dans la même ville en 1961 et en 1963 qui ont permis l’adoption de la Convention sur les relations diplomatiques du 18 avril 1963 et celle du 24 avril 1963 sur les relations consulaires.

SECTION 1 LES RELATIONS DIPLOMATIQUES Il convient de distinguer les relations diplomatiques traditionnelles, menées par les Etats, de celles qui sont conduites par les organisations internationales.

Sous-section 1 : Les relations diplomatiques entre Etats L’article 2 de la Convention de Vienne de 1961 dispose que « l’établissement de relations diplomatiques entre Etats et l’envoi de missions diplomatiques permanentes se font par consentement mutuel ». En d’autres termes, les relations diplomatiques sont des relations officielles

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FAUCHILLE (P). – Traité de droit international public, Paris, Arthur Rousseau, 1925, T. 1, 3è partie, p. 28.

entre deux sujets de droit international ; elles s’exercent par l’intermédiaire de missions permanentes (Ambassades ou légations).

§1 L’établissement des relations diplomatiques En vertu du droit de légation, passif et actif, les Etats ont le droit d’envoyer des agents diplomatiques à d’autres Etats et de recevoir leurs représentants. La Convention de 1961 établit à son article 2 le principe du consentement mutuel, et précise ensuite, à l’article 3, les fonctions diplomatiques. A. Le principe du consentement mutuel L’établissement des relations diplomatiques entre les Etats se fait par consentement mutuel. En tant qu’entités souveraines, les Etats sont libres d’établir ou non des relations diplomatiques, y compris avec des mouvements de libération nationale. L’article 2 de la Convention de Vienne de 1961 traite à la fois de l’établissement des missions diplomatiques et de l’établissement des relations diplomatiques. L’établissement des relations diplomatiques précède l’ouverture d’une ambassade ou d’une légation. En effet, l’existence de relations diplomatiques est possible même s’il n’y a pas échange de missions permanentes. B. Les fonctions diplomatiques Les fonctions de la mission diplomatique sont définies par l’article 3 de la Convention de 1961. Celles-ci ont pour missions de : -

représenter l’Etat accréditant auprès de l’Etat accréditaire ; protéger les intérêts de leur Etat et de leurs ressortissants dans l’Etat de séjour ; négocier avec l’Etat accréditaire ; s’informer par tous les moyens licites des conditions et de l’évolution des évènements dans l’Etat accréditaire et de faire rapport au gouvernement de l’Etat d’envoi.

La convention de Vienne mentionne aussi la coopération économique, culturelle et scientifique comme une fonction diplomatique. C. Les catégories de missions diplomatiques Les Etats sont représentés auprès d’autres Etats par des Ambassades ou des légations. Les ambassades des Etats auprès des organisations internationales sont appelées représentations permanentes. De nombreuses représentations permanentes existent aujourd’hui auprès des Nations Unies, de diverses institutions spécialisées (FAO, UNESCO) et même auprès de 314

certaines organisations régionales (OUA). Leur statut et leurs missions ont été précisés par la Convention de Vienne du 14 mars 1975 sur la représentation des Etats dans leurs relations avec les organisations internationales. Il existe cependant des situations particulières découlant de certaines traditions ou de conventions spécifiques : c’est ainsi que les Etats membres du Commonwealth échangent entre eux des Hauts commissaires, et que le Saint-Siège est représenté auprès des Etats par les nonciatures apostoliques.

§2 Le personnel diplomatique L’Ambassade comprend diverses catégories de diplomates, placés sous l’autorité du Chef de mission diplomatique. A. Les catégories de diplomates La Convention de 1961 distingue, en ses articles 1 et 37, trois catégories de diplomates : les membres du personnel diplomatique, les membres du personnel administratif et technique et les membres du personnel de service. Les membres du personnel diplomatique sont les membres du personnel de l’ambassade ayant la qualité de diplomate. Les membres du personnel administratif et technique sont les employés de la mission, à l’exception du personnel affecté au travail domestique de la mission qui rentre dans la catégorie du personnel de service. B. Nomination des membres du personnel diplomatique Il s’agit ici du personnel autre que le chef de mission. L’article 10 de la Convention indique la conduite à tenir en la matière. L’Etat d’envoi doit communiquer à l’Etat d’accueil les noms des personnels affectés à sa mission. Dans les faits, c’est le chef de mission qui annonce au Ministère des affaires étrangères dans une note verbale, l’arrivée de ces personnels. Il n’est pas nécessaire pour ces personnels d’obtenir l’accord de l’Etat d’accueil comme c’est le cas pour les Chefs de mission. Toutefois, l’Etat d’accueil peut s’opposer à la nomination d’un individu qu’il considère indésirable, avant son arrivée dans l’Etat d’accueil. La liberté de nomination de l’Etat d’envoi connait cependant des limites. L’Accord de l’Etat accréditaire est requis dans les situations suivantes : 1- Le cas des attachés militaires. En raison de la nature particulièrement sensible de leurs activités, l’Etat d’accueil peut insister pour que son accord soit obtenu avant leur nomination (article 7). 2- L’Etat d’accueil peut refuser de reconnaitre à certaines catégories de personnel le statut de diplomate (art. 11). Cette disposition, tout à

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fait nouvelle en Droit diplomatique, visait les attachés militaires. Cependant, il convient de préciser que selon la Convention de Vienne, l’Etat d’accueil ne doit pas prendre des mesures discriminatoires contre un Etat donné dans ce domaine. S’il exige son accord préalable pour la nomination d’une catégorie de personnels, ceci doit être valable pour toutes les missions accréditées auprès de lui. Les dispositions relatives à la non-discrimination permettent d’éviter des abus. 3- La nomination des ressortissants d’un Etat tiers. Après avoir, conformément à la pratique courante, affirmé que les membres d’une mission doivent avoir la nationalité de l’Etat d’envoi, la Convention exige l’accord de l’Etat d’accueil pour la nomination d’un de ses nationaux ou d’un ressortissant d’un Etat tiers (art. 8). Cet accord est aussi exigé si l’Etat d’envoi nomme dans une de ses missions le national d’un Etat tiers. Ceci est une innovation. Le fait que l’Etat d’accueil refuse d’accepter la nomination de ses nationaux dans une ambassade étrangère peut s’expliquer pour une double raison : d’abord à cause de la crainte d’un conflit de loyauté ; ensuite par crainte du déni de justice. Mais ces raisons ne sont pas valables pour le national d’un Etat tiers. Si cette mesure se comprend en cas de conflit ou de détérioration de relations entre l’Etat d’accueil et l’Etat tiers, elle pose néanmoins des problèmes aux jeunes Etats qui disposent d’un petit nombre de personnels qualifiés. C. Le Chef de mission diplomatique Les dispositions de la convention, relatives au chef de mission, ont essentiellement trait à la classification, aux préséances et à la nomination. 1. Classification La convention de 1961 s’est inspirée de celle de 1815. L’article 14 prévoit 3 catégories de chefs de mission : a- Les Ambassadeurs et Nonces accrédités auprès du Chef de l’Etat et autres Chefs de mission de rang équivalent. b- Les Envoyés Spéciaux, Ministres, Internonces accrédités auprès du Chef de l’Etat. c- Les Chargés d’affaires accrédités auprès du Ministre des Affaires étrangères. Par rapport à la Convention de 1815, il y a deux changements notoires : les envoyés spéciaux du Pape ou Légats et les Ministres résidents ne sont plus mentionnés. Le dernier membre de phrase au petit a) « autres Chefs de mission » a été ajouté à la demande du Ghana, du Royaume Uni et de la France, qui voulaient que les hauts commissaires et les hauts Représentants fussent assimilés aux Ambassadeurs. (cf. Actes de la Conférence vol. II, 316

P.26 et vol II p. 115, 116, 120). Il se pose cependant la question de savoir si cette expression couvre aussi les Chefs des missions permanentes auprès des organisations internationales accréditées auprès des Etats. C’est en tout cas douteux pour certains auteurs, tel Philippe Cahier. En effet, en se limitant à la formulation de l’article 14 (1), la Conférence a perdu la chance qui s’offrait à elle de contribuer au développement du droit diplomatique. Si on examine la pratique internationale actuelle, il est clair qu’il n’y a plus de légations c'est-à-dire des missions diplomatiques dirigées par un Ministre. Bien plus, la catégorisation de l’al.1. de l’article 14 peut apparaître tout à fait sans objet puisque l’al. 2 stipule qu’il n’y aura pas de différenciation entre les chefs de mission en raison de leurs classes si ce n’est pour les préséances et l’étiquette. Il ne saurait du reste en être autrement, car ainsi que l’a déclaré le représentant Suisse, cette catégorisation semble être en opposition avec le principe de l’égalité des Etats si fortement exprimé dans la pratique internationale. Il est cependant regrettable que les amendements proposés par la Suisse, le Mexique et la Suède, qui se référaient uniquement aux Ambassadeurs et Chargés d’affaires, n’aient pas été retenus par la Conférence (cf. Actes Vol. II p. 13, 18). 2. Préséance La convention de Vienne détermine clairement le moment à partir duquel un chef de mission est censé avoir pris ses fonctions. L’article 13 permet aux Etats de choisir entre deux méthodes : soit la présentation des lettres de créance au Chef de l’Etat, soit la présentation des copies figurées au Ministre des affaires étrangères. L’Etat est libre de choisir entre l’une et l’autre solution. Mais une fois l’option prise, il doit s’y tenir. Le moment à partir duquel un Chef de Mission assume ses fonctions est important, puisque c’est lui qui permet, à l’intérieur de chaque classe, de régler les questions de préséance. L’article 16, al.3. précise à cet égard que cet article ne porte pas préjudice à la pratique en vigueur dans l’Etat d’accueil en ce qui concerne l’ordre de préséance du Représentant du Pape. Ceci se réfère à la pratique suivie par des Etats catholiques qui font du nonce apostolique le doyen du Corps diplomatique. Ceci a été étendu au HautCommissaire britannique dans les pays Commonwealth et à l’Ambassadeur de France dans certains pays africains francophones. 3. Nomination et accréditation Avant de nommer une personne comme Ambassadeur, l’Etat accréditant doit obtenir l’agrément de l’Etat accréditaire. Selon l’article 14 de la Convention, l’Etat accréditaire peut librement refuser l’agrément sans être tenu de justifier sa position. L’Etat a le droit d’accréditer un ambassadeur auprès de deux ou plusieurs Etats en même temps. L’on parle alors d’accréditation multiple qui peut 317

s’expliquer par un souci d’économie, par un manque de personnel qualifié ou en raison du volume peu important de relations entre les deux Etats. L’Etat accréditaire peut, à tout moment et sans avoir à modifier sa décision, informer l’Etat accréditant que le Chef de mission diplomatique ou tout autre membre du personnel de la mission est personae non grata. Dans ce cas, l’Etat accréditant doit prendre les dispositions urgentes pour le retour au pays de l’ambassadeur ou du diplomate concerné.

§3 Privilèges et immunités diplomatiques A. Privilèges et immunités de la mission diplomatique Les principaux privilèges et immunités reconnus directement à la mission diplomatique sont les suivantes : -

Inviolabilité des locaux de la mission ; Inviolabilité des archives et de la correspondance officielle ; Immunité de juridiction ; Exemption fiscale et douanière

L’inviolabilité de la mission diplomatique est aujourd’hui la plus importante immunité diplomatique. L’Etat accréditaire a l’obligation non seulement de ne pas porter atteinte aux locaux de la mission et aux biens qui s’y trouvent, mais encore, il doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour les protéger et pour prévenir toute atteinte à ces locaux. La CIJ a réaffirmé cette règle fondamentale dans son arrêt du 24 mai 1980 en l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats Unis à Téhéran (Rec. 1980, p.30). Les locaux de la mission sont inviolables. Les agents de l’Etat accréditaire ne peuvent y pénétrer qu’avec le consentement du Chef de Mission. Quant aux biens meubles, ils ne peuvent faire l’objet d’aucune réquisition, saisie ou mesure d’exécution. L’inviolabilité des archives et de la correspondance officielle de la mission est une immunité traditionnelle. Elle se traduit par l’inviolabilité de la valise diplomatique, qui ne peut être ni ouverte ni retenue, et par le droit reconnu à la mission d’employer « tous autres moyens de communication appropriés ». L’exemption fiscale et douanière est prévue aux articles 23 et 36 de la Convention. Les missions diplomatiques sont exemptées de tous impôts ou taxes nationaux, régionaux, communaux, à l’exemption des taxes dues en rémunération des services particuliers rendus. En outre, l’Etat accréditaire accorde l’entrée et l’exemption des droits de douane, taxes et autres redevances connexes autres que les frais d’entreposage ou de transport pour tous les objets destinés à l’usage officiel de la mission.

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B. Privilèges et immunités des agents diplomatiques 1. L’inviolabilité La personne de l’agent diplomatique est inviolable. Sa sécurité doit être totale sur le territoire du pays d’accueil. L’article 29 de la Convention de 1961 précise même que « l’Etat accréditaire le traite avec le respect qui lui est dû, et prend toutes les mesures appropriées, pour empêcher toute atteinte à sa personne, sa liberté et sa dignité. En adoptant l’article 79 de la Convention, la Conférence de 1961 entendait réaffirmer, devant les violations répétées de privilèges et immunités diplomatiques, une règle traditionnelle de droit international selon laquelle les diplomates jouissent de l’inviolabilité personnelle et ne peuvent de ce fait être soumis à aucune forme d’arrestation ou de détention. Comme l’avait fait observer FAUCHILLE dès 1925 dans son Traité de Droit international public, « le principe de l’inviolabilité des agents diplomatiques domine toute la matière – c’est une des plus anciennes manifestations du droit international- ; c’est le privilège fondamental : les autres en découlent comme des corollaires, ou s’y rattachent comme des accessoires579 ». En effet, de l’inviolabilité personnelle de l’agent diplomatique découlent l’immunité de juridiction et l’exemption fiscale et de droits de douane. 2. L’immunité juridictionnelle L’agent diplomatique jouit de l’immunité de juridiction pénale, civile et administrative. Selon l’article 31 de la Convention, l’immunité pénale est absolue, que l’agent soit ou non dans l’exercice de ses fonctions. L’immunité de juridiction civile et administrative de l’agent diplomatique est également consacrée par l’article 31 de la Convention, sauf lorsqu’il s’agit d’une action réelle concernant un immeuble privé situé sur le territoire de l’Etat accréditaire, d’une succession ou d’un procès concernant une activité professionnelle ou commerciale exercée par l’agent diplomatique en dehors de ses fonctions officielles. Aucune mesure d’exécution ne peut être prise à l’égard des agents diplomatiques, sauf dans les trois exceptions énumérées ci-dessus, pour ce qui est de l’immunité de juridiction civile et administrative. 3. Exemption fiscale et franchises douanières Les agents diplomatiques, dans l’exercice de leurs fonctions, jouissent d’exemptions en ce qui concerne les impôts personnels directs et les impôts sur les biens meubles. L’article 34 de la Convention de 1961 consacre l’immunité fiscale tout en créant certaines exceptions parmi lesquelles figurent notamment les impôts et taxes sur les revenus privés qui ont leur 579

FAUCHILLE, op. cit., p. 63

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source dans l’Etat accréditaire et des impôts et taxes perçus en rémunération des services particuliers. Conformément à l’article 36 de la Convention, l’Etat accréditaire accorde l’entrée et l’exemption des droits de douane sur les objets destinés à l’usage personnel de l’agent diplomatique ou des membres de sa famille qui font partie de son ménage, y compris les effets destinés à son installation. L’agent diplomatique est exempté de l’inspection de son bagage personnel ; les bagages des diplomates ne peuvent être ouverts à la douane que si l’Etat accréditaire évoque des motifs ayant trait à sa sécurité ou à la violation de sa législation. Dans ce cas, l’inspection des bagages ne doit se faire qu’en présence de l’agent diplomatique ou de son représentant autorisé. 4. Privilèges et immunités des membres de la famille des diplomates et des autres personnels de la mission Les membres de la famille de l’agent diplomatique qui font partie de son ménage bénéficient des mêmes privilèges et immunités que ceux prévus en faveur de cet argent, pourvu qu’ils ne soient pas ressortissants de l’Etat accréditaire. L’article 37 de la Convention dispose que les membres du personnel administratif et technique de la mission bénéficient des privilèges et immunités reconnus aux agents diplomatiques à l’exception de l’immunité de juridiction civile et administrative et à condition qu’ils ne soient pas ressortissants de l’Etat accréditaire. Ils bénéficient aussi des franchises douanières pour ce qui est des objets importés lors de leurs fonctions. Cette immunité ne s’étend pas aux membres de leurs familles. Les domestiques privés des membres de la mission sont exemptés des impôts et taxes sur leurs salaires. Pour le reste, ils sont à la discrétion de l’Etat accréditaire qui, en vertu de l’article 37 de la Convention de 1961, détermine librement les privilèges et immunités qu’il est disposé à leur accorder.

Sous-section 2: Les relations des organismes internationaux

internationales

Avec l’institutionnalisation de la diplomatie multilatérale par la création de nombreuses organisations internationales, l’on observe que les Etats entretiennent auprès de ces institutions des missions permanentes qui bénéficient de privilèges et immunités, de même que les membres de leurs délégations participent aux travaux des organes statutaires. Par ailleurs, on relève que les organisations internationales désignent les représentants résidents auprès des Etats membres. Lorsqu’un Etat décide d’abriter le siège d’une organisation internationale régionale, il signe un accord de siège avec ladite institution. L’Accord de 320

siège précise les privilèges et immunités de l’institution et de ses fonctionnaires. La pratique montre que dans les accords de siège, les chefs des organes d’exécution (secrétariat Général de l’ONU et de l’OUA, Direction Générale à la FAO ou à l’UNESCO et au FMI) sont assimilés aux chefs de missions diplomatiques. Les fonctionnaires internationaux sont assimilés aux membres du personnel diplomatique tel que défini par la convention de Vienne de 1961 et jouissent des mêmes privilèges et immunités. Les fonctionnaires recrutés sur le plan local bénéficient des privilèges et immunités reconnus dans la Convention de 1961 au personnel administratif et technique, pourvu qu’ils ne soient pas ressortissants de l’Etat de siège. Les privilèges et immunités d’une représentation permanente créée par une organisation internationale auprès d’un Etat membre sont également précisées et réglées dans le cadre d’un accord de siège conclu par le Ministère des affaires étrangères de l’Etat concerné et les responsables du Bureau régional ou national de l’organisation. La pratique des Etats en la matière est tellement variable qu’il est difficile de partir des règles générales. Mais l’on peut néanmoins affirmer que dans la négociation et la conclusion d’un accord de siège, les Etats et les organisations internationales concernées s’inspirent toujours de la Convention de Vienne de 1961 qui est ratifiée à présent, par la quasi-totalité des cent quatre-vingt-treize Etats membres de l’ONU. Les relations entre les Etats et les organisations internationales sont des relations entre sujets de droit de nature très différente. Il importe de relever que le fondement juridique des privilèges et immunités reconnus aux représentants des Etats et des organisations internationales ne saurait rigoureusement être le même. Les organisations internationales ne sont pas souveraines comme les Etats. Par conséquent, le fondement des privilèges et immunités de leurs représentants ne se situe ni dans la théorie du « caractère représentatif », ni dans celle de la territorialité ; ils ne peuvent avoir qu’une base fonctionnelle. C’est cette « nécessité fonctionnelle » que confirme l’article 105 §2 de la Charte de l’ONU qui stipule que « les représentants des membres des Nations Unies » et les fonctionnaires de l’ONU jouissent également des privilèges et immunités qui leur sont nécessaires pour exercer en toute indépendance leurs fonctions en rapport avec l’organisation ». Cet article est complété, en ce qui concerne les missions permanentes auprès des Nations Unies, par la Convention sur les privilèges et immunités adoptée par l’Assemblée générale le 4 août 1947 entre le Gouvernement des Etats Unis et l’ONU. Il importe en outre de souligner que les organisations internationales ne se contentent pas d’établir des représentants auprès de leurs propres membres (coordinateurs résidents du PNUD, Représentants résidents de diverses institutions spécialisées de l’ONU dans les pays en développement, 321

etc.). Il arrive de plus en plus qu’une organisation internationale ouvre une mission de représentation auprès d’une autre. C’est le cas par exemple pour la mission permanente de l’OUA auprès des Nations Unies à New York ou du Bureau de la Ligue Arabe auprès des Nations Unies. Les privilèges et immunités reconnus à de telles missions et à leurs personnels relèvent d’un accord entre l’organisation d’envoi, l’organisation auprès de laquelle la mission est créée et l’Etat sur le territoire duquel celuici a son siège. Dans tous les cas, il est nécessaire que les membres du personnel de ces missions bénéficient d’un statut permettant leur participation effective aux travaux. C’est pourquoi les règles relatives aux représentants des Etats s’appliquent mutatis mutandis. Par ailleurs, les représentants de l’organisation internationale sont toujours des agents de celle-ci, même s’ils sont affectés dans une mission permanente ou dans une mission d’observation établie auprès d’une autre organisation. Il s’agit de fonctionnaires internationaux qui bénéficient en tant que tels des privilèges et immunités attachés à leur fonction. Les privilèges et immunités ne sont pas seulement reconnus aux agents diplomatiques et aux fonctionnaires internationaux. Les agents consulaires bénéficient aussi de privilèges et immunités, même s’ils sont moins consistants que ceux des diplomates.

SECTION 2 LES RELATIONS CONSULAIRES Les relations consulaires ont préexisté aux relations diplomatiques. Les villes commerçantes de l’Italie, telles Venise et Pise avaient nommé, dès l’époque des croisades, des fonctionnaires chargés de veiller à la défense de leurs intérêts économiques et de ceux de leurs citoyens. Cette pratique a ensuite été reprise et développée par les Etats modernes, avec l’accroissement des échanges commerciaux. Depuis leur origine, les relations consulaires ont été régies par des conventions bilatérales entre Etats intéressés. Certains Etats ont également adopté des réglementations nationales applicables par leurs tribunaux. De ces conventions et réglementations sont nées des coutumes générales et des règles constantes progressivement acceptées par l’ensemble des Etats. C’est ainsi que l’Assemblée générale a décidé en 1961 de convoquer une conférence de codification à Vienne en 1963. Celle-ci a adopté le 24 avril de la même année la Convention sur les relations consulaires qui détermine les conditions et les modalités d’établissement et de rupture des relations consulaires, et précise en même temps les privilèges et immunités accordés aux postes consulaires et aux agents consulaires.

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§1 Etablissement et rupture des relations consulaires A. Le principe du consentement mutuel A l’instar des relations diplomatiques, les relations consulaires se font par consentement mutuel. Le consentement donné à l’établissement de relations diplomatiques entre deux Etats implique le consentement à l’établissement de relations consulaires. Il importe toutefois de préciser que la rupture des relations diplomatiques n’entraine pas automatiquement la rupture des relations consulaires. En effet, les relations consulaires ont un caractère essentiellement administratif. Leur établissement est donc indépendant de celui des relations diplomatiques. B. Classification des consuls Les postes consulaires comprennent, en plus du chef de poste consulaire, les fonctionnaires consulaires, les employés consulaires et les membres du personnel de service. L’expression « chef de poste consulaire » s’entend de la personne chargée d’agir en cette qualité : les consuls de carrière affectés à un consulat général ou à un consulat. Les employés consulaires sont les personnes employées dans les services administratif ou technique d’un poste consulaire. Quantaux membres du personnel de service, ce sont les personnes affectées au service domestique d’un poste consulaire. La convention de Vienne de 1963 distingue deux catégories de fonctionnaires consulaires : les consuls de carrière, qui sont des ressortissants de l’Etat d’envoi et bénéficient de tous les privilèges et immunités prévus par la Convention et les consuls honoraires qui peuvent être des ressortissants de l’Etat de résidence et qui ne bénéficient pas des mêmes privilèges et immunités que les consuls de carrière. Ces deux catégories de fonctionnaires consulaires exercent néanmoins les fonctions prévues à l’article 5 de la convention. C. Les fonctions consulaires Les fonctions consulaires revêtent un caractère essentiellement administratif. Les consuls ne sont pas chargés de fonctions politiques. Tandis que les fonctions diplomatiques peuvent se résumer en cinq ou six rubriques, la convention de 1963 mentionne à son article 5 treize fonctions consulaires. Les consuls sont principalement chargés de protéger dans l’Etat de résidence les intérêts de l’Etat d’envoi et de ses ressortissants ; favoriser le développement des relations commerciales, économiques, culturelles et scientifiques ; de délivrer des passeports et des documents de voyage aux ressortissants de l’Etat d’envoi, ainsi que des visas aux étrangers désirant s’y rendre ; d’agir en qualité de notaire et d’officier d’état civil ; d’accorder

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l’assistance judiciaire et parajudiciaire aux nationaux se trouvant dans l’Etat de résidence. D. Le poste consulaire Selon l’article 1er de la Convention de 1963, « l’expression poste consulaire s’entend de tout consulat général, consulat, vice-consulat ou agence consulaire. » Comme pour les missions diplomatiques, la circonscription d’un poste consulaire est le ressort territorial du poste consulaire. Alors qu’un Etat ne peut ouvrir qu’une seule ambassade dans un même Etat accréditaire, l’Etat peut installer plusieurs postes consulaires dans le même Etat de résidence, sous la seule condition du consentement exprès et préalable de l’Etat de résidence pour l’ouverture d’un bureau faisant partie d’un consulat existant, en dehors du siège de celui-ci. E. Le Chef de poste consulaire et les membres du poste consulaire La convention de 1963 comporte des règles relatives à la détermination de la classe des consuls, à leur nomination et à la préséance. Selon l’article 9 de la convention, les chefs de poste consulaires se répartissent en quatre classes : -

Consuls généraux ; Consuls ; Vice-consuls ; Agents consulaires.

Le chef de poste consulaire est pourvu par l’Etat d’envoi d’une lettre de provision et non d’une lettre de créance comme pour les ambassadeurs et les représentants permanents. Il ne peut entrer en fonction qu’après avoir reçu l’autorisation de l’Etat de résidence, dénommée « exequatur ». L’Etat qui refuse de délivrer l’exequatur n’est pas tenu de communiquer à l’Etat d’envoi les raisons de son refus. Dès qu’un Etat délivre l’exequatur à un consul désigné, il est tenu d’en informer les autorités administratives compétentes de la circonscription consulaire, et de prendre toutes les mesures nécessaires afin que le chef de poste consulaire puisse s’acquitter de ses fonctions et bénéficier du respect et de la protection qui lui sont dus. D’après les articles 16 et 21 de la convention de 1963, l’ordre de préséance entre les chefs de poste consulaire est déterminé dans chaque classe de fonction par la date de l’octroi de l’exequatur. Au sein d’un poste consulaire, l’ordre de préséance est fixé par l’Etat d’envoi. Il doit être communiqué par le chef de poste consulaire au Ministère des affaires étrangères de l’Etat de résidence ou à l’autorité désignée par ce ministère. Sont également notifiés au Ministère des affaires étrangères la nomination, 324

l’arrivée et le départ définitif des fonctionnaires consulaires et des membres de la famille. En principe, les fonctionnaires consulaires ont la nationalité de l’Etat d’envoi. Il peut arriver que l’Etat d’envoi désigne un ressortissant de l’Etat de résidence pour assumer les fonctions consulaires. Dans ce cas, l’accord exprès et préalable de l’Etat de résidence est exigé (article 22 de la convention). Mais dans la pratique, cette situation ne se présente pas souvent, car la plupart des Etats disposent aujourd’hui d’un personnel diplomatique en nombre suffisant pour s’occuper des fonctions consulaires. Pratiquement tous les fonctionnaires consulaires sont à présent des diplomates de carrière affectés dans des postes consulaires. Il convient enfin de préciser que l’Etat de résidence peut décider à tout moment de déclarer personae non grata tout membre de poste consulaire. Comme pour les ambassades, l’Etat de résidence n’est pas tenu de donner les raisons pouvant expliquer sa décision. L’Etat d’envoi doit alors procéder au rappel de la personne en cause. Mais tant que le fonctionnaire consulaire est en poste, il jouit des facilités, privilèges et immunités consacrés par la convention de Vienne de 1963.

§2 Privilèges et immunités consulaires Il convient de distinguer les privilèges et immunités concernant le poste consulaire de ceux qui sont accordés aux fonctionnaires consulaires de carrière et aux autres membres d’un poste consulaire. A. Facilités, privilèges et immunités des postes consulaires Il s’agit de l’inviolabilité des locaux consulaires, de la liberté et de la protection des communications officielles et de l’exemption fiscale et des droits de douane. D’une manière générale, le régime des privilèges et immunités contenu dans la convention de 1963 s’inspire largement des privilèges et immunités diplomatiques prévus par la convention de 1961. Mais il s’agit d’un régime réduit à l’essentiel, car les consuls se voient reconnaitre moins de privilèges que les diplomates. L’inviolabilité des locaux consulaires est proclamée par l’article 31 de la convention. Mais uniquement « dans la partie des locaux consulaires que le poste consulaire utilise exclusivement pour les besoins de son travail ». Elle ne couvre pas la résidence du chef de poste consulaire. Comme pour les ambassades, le consentement préalable du chef de poste consulaire doit être sollicité par les autorités de l’Etat de résidence avant de pénétrer dans la partie des locaux consulaires évoquée ci-dessus. En outre, les locaux consulaires, leur ameublement et les biens consulaires ne peuvent faire l’objet d’aucune forme de réquisition. 325

La Convention de 1963 affirme l’inviolabilité des archives consulaires, considérée tant par la doctrine que par la pratique des Etats, comme une règle de droit international. Elle maintient le principe de la liberté et de la protection des communications officielles, déjà développé dans la convention de 1961, pour des raisons d’ordre pratique, reposant sur une exigence fonctionnelle. La valise consulaire bénéficie toutefois d’une protection moins absolue que celle de la valise diplomatique (article 35). Selon l’article 50 de la convention, les postes consulaires jouissent pratiquement des mêmes privilèges que les missions diplomatiques à l’égard de l’exemption de douane. Le principe de base est le même : l’Etat de résidence autorise l’entrée et accorde l’exemption de tous droits de douane, taxes et autres redevances connexes autres que les frais d’entrepôt ou de transport, pour tous les objets destinés à l’usage officiel du poste consulaire. B. Privilèges et immunités des fonctionnaires consulaires L’inviolabilité personnelle du fonctionnaire consulaire est reconnue, mais avec les restrictions clairement énoncées par la convention de Vienne de 1963. Cette inviolabilité n’est pas absolue comme dans le cas des diplomates. L’article 41 de la convention prévoit que les fonctionnaires consulaires peuvent être mis en état d’arrestation ou de détention préventive en cas de crime de guerre et à la suite d’une décision de l’autorité judiciaire compétente. Dans ce cas, la procédure doit être conduite avec les égards qui leur sont dus en raison de leur position officielle. L’immunité juridictionnelle n’est pas non plus absolue. Elle porte uniquement sur les « actes accomplis dans l’exercice des fonctions consulaires » (article 43). Les fonctionnaires consulaires sont justiciables « en cas de crime grave ». S’agissant de l’immunité de juridiction civile des consuls, il importe de préciser que la pratique des Etats démontre l’existence d’un accord sur le fait qu’ils ne sont pas justiciables, sauf pour les actes qui n’ont pas de relation avec leurs fonctions consulaires. La Convention de 1963 confirme, à son article 49, la règle traditionnelle selon laquelle le traitement, le salaire, les émoluments et les indemnités des consuls de carrière sont exempts de tous impôts et taxes dans le pays de résidence. Les seuls impôts et taxes dont le paiement est obligatoire sont les impôts indirects, ainsi que ceux sur les biens et les immeubles privés. Comme pour les diplomates, l’exemption douanière est accordée aux fonctionnaires consulaires. Mais contrairement à ce qui est prévu dans la convention de 1961, la Convention de 1963 prend soin de préciser que l’exemption douanière est accordée « suivant les dispositions législatives et réglementaires que l’Etat de résidence peut accorder ». Et comme en la matière les législations des Etats sont presque toujours restrictives, il s’en

326

suit donc que la portée de l’exemption douanière reconnue aux consuls peut être fortement réduite par certains Etats. Les Etats n’entretiennent pas seulement des relations diplomatiques avec les autres sujets de droit international public. Ils participent également aux activités économiques et commerciales qui se déroulent au sein de la communauté internationale. D’où l’intérêt de l’étude des relations économiques et commerciales internationales.

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CHAPITRE 2 LES RELATIONS ECONOMIQUES ET COMMERCIALES Bien que le système international soit marqué par le conflit et caractérisé par une certaine anarchie fondée sur la possibilité qu’ont les Etats de recourir à la force armée, il contient néanmoins une dimension coopérative dont l’importance est loin d’être négligeable. En effet, la présence d’un grand nombre d’entités politiques engendre certes le conflit, mais en même temps, créé certains besoins de coopération, en raison même de la nécessité de survie. Dans le cadre de la diplomatie bilatérale ou multilatérale, elles développent des relations qui se manifestent, entre autres, sur le plan économique ou commercial. Dans ce contexte se tissent des règles de jeu dont le corpus fonde le droit international économique. Ce droit se caractérise par son émiettement. Il est marqué par une tension entre une tendance unificatrice découlant de l’idéologie libérale et qui se traduit par la globalisation ou la mondialisation des échanges et une tendance à la diversification, à la pluralité des normes caractéristiques de ce droit580.

SECTION 1 LES RELATIONS ECONOMIQUES INTERNATIONALES Sous-section 1 : Les acteurs des relations économiques internationales Les acteurs de ces relations sont principalement les Etats, les organisations internationales à vocation économique, les firmes multinationales, les 580 Voir Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit p. 994 et s. Cette particularité le distingue du droit international public général relativement par son caractère exécutoire. Il a été fortement critiqué en doctrine du point de vue de ses sources, de son fondement. Il est perçu, à tort, comme un « droit déjuridisé, déjuridictionnalisé ». Voir le débat sur ce droit synthétisé par les Professeurs P. F. Gonidec et R. Charvin dans leur ouvrage : Relations internationales, op. cit., p. 292 et s.

entreprises publiques internationales et dans une certaine mesure les ONG. Nous avons déjà abordé ces divers acteurs dans le cadre de la deuxième partie de cet ouvrage. Nous nous limiterons dans le présent chapitre à l’étude des acteurs dans la perspective des relations économiques internationales.

§1 Les Etats Il s’agit en premier lieu des Etats que le droit international du développement classe en deux catégories : les Etats industrialisés et les pays du tiers-monde. A. Les Etats industrialisés ou développés Situés essentiellement dans l’hémisphère nord, ils sont regroupés au sein de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)581 . Ce groupe d’Etats se caractérise par son hétérogénéité tant du point de vue démographique, de la puissance économique, financière que du point de vue diplomatique. Leurs intérêts peuvent diverger. Ainsi par exemple, les Etats scandinaves ont tendance dans les grandes négociations à adopter des positions proches du groupe des 77 ou à jouer en tout cas, le rôle de médiateur. D’autres Etats entretiennent des relations privilégiées, à caractère contractuel, avec les pays en voie de développement, c’est le cas par exemple, des Etats membres de l’UE avec les Etats ACP582. Des considérations géostratégiques, sécuritaires peuvent aussi amener des Etats développés à entretenir des relations spéciales avec un groupe d’Etats en développement. On peut citer à ce propos le cas des Etats-Unis vis-à-vis de l’Afrique, des relations entre le Japon et l’Afrique ou celles entre la France et ce continent. En tout état de cause, au-delà de ces considérations, il faut noter que ce groupe d’Etats, défenseurs du système économique établi, est solidaire dans la résistance aux revendications des pays en développement. 581 Elle a été instituée en 1960 pour succéder à l’Organisation européenne de coopération économique. Elle regroupe l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne, les Etats-Unis, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, le Pays Bas, le Portugal, le Royaume Uni, la Suède, la Suisse et la Turquie. Ces Etats sont à l’origine de la création de l’OCDE. Ils sont rejoints en 1964 par le Japon, la Finlande en 1969, l’Australie en 1971, la Nouvelle Zélande en 1973. Avec les progrès de la mondialisation, l’OCDE a accueilli à partir des années 1990, de nouveaux membres, pays émergents, en l’occurrence, le Mexique en 1994, la Corée du Sud en 1996, des pays anciennement communistes d’Europe centrale et orientale, convertis à l’économie de marché, il s’agit de la République tchèque en 1995, de la Hongrie et de la Pologne en 1996, et enfin de la Slovaquie qui a rejoint l’Organisation en 2000. La Commission Européenne participe aux travaux de l’Organisation. Elle a son siège à Paris. 582 Voir infra.

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B. Les pays en développement Ils forment, grosso modo, le tiers-monde583. L’expression même a longtemps évoqué la communauté de destins et d’intérêts des jeunes nations d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie libérées du joug colonial et situées hors du monde communiste. Cette communauté va trouver son expression dans le mouvement des non-alignés créé en 1961 dans le prolongement de la conférence afro asiatique de Bandung en 1955584 . A la suite de la seconde guerre mondiale, la réussite du plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe occidentale et les succès économiques affichés par les pays de l’Est font espérer à un développement accéléré du tiers-monde en suivant les mêmes modèles d’économie planifiée, quelles que soient leurs variantes capitaliste ou socialiste. Aujourd’hui, la réalité du sous-développement recouvre une situation si contrastée au point que la doctrine est amenée à parler non plus du tiersmonde mais des tiers-mondes585. Ce groupe de pays en développement est très hétérogène. La Banque mondiale a procédé à leur classification. Elle distingue, les pays à faible revenu, c'est-à-dire dont le revenu national brut (RNB) est inférieur à 905 dollars US586 ; les pays à faible revenu intermédiaire dont le RNB est situé entre 906 et 3595 dollars US et les pays à haut revenu intermédiaire, c'est-àdire compris entre 3596 et 11 115 dollars US587 ; et enfin les pays à haut revenu, autrement dit supérieur ou égal à 11 116 dollars US588 . 583

Le concept a été inventé par Alfred Sauvy en 1952 en référence au tiers état de la révolution française. Il faut souligner que l’empli même du terme de développement est relativement récent. Il résulte des travaux des Nations Unies sur le sous-développement. L’ONU a renoncé à l’expression de pays sous développés pour adopter celle de pays en voie de développement (developing countries en anglais). 584 Voir supra. 585 Voir Denis Cogneau et Sylvie Lambert, leur étude sur « développement et sousdéveloppement des tiers-mondes » in Encyclopaedia Universalis, Paris 2011, p. 675. Il faut souligner d’ailleurs que la notion devient moins pertinente en raison de l’éclatement du tiersmonde, de sa différenciation interne et de la fin de la guerre froide qui supprime l’opposition des deux blocs (Occident et les pays de l’Est). 586 Dans ce groupe figurent, si l’on se réfère à la classification faite en 2006 : les Etats d’Afrique au sud du Sahara, moins l’Angola, le Cap-Vert, Djibouti, le Lesotho, la Namibie, le Gabon, le Congo et le Cameroun. Y figurent également les pays d’Asie à l’exception du Japon, de la Malaisie, de la Chine, de l’Indonésie, de la Thaïlande, et de la Corée du Sud. Et Haïti, seul Etat du continent américain. Il s’agit d’un groupe de 53 Etats englobant 3 milliards d’habitant. 587 Ces deux groupes de pays à revenu intermédiaire comprennent les Etats du Maghreb, les autres Etats d’Afrique au Sud du Sahara, les Etats du Moyen Orient, sauf les émirats pétroliers, le reste de l’Asie et la presque totalité de l’Amérique Latine, l’Europe Centrale, et orientale. Ces deux groupes représentent à peu prés 1 milliard d’habitants. Les Etats les moins riches de ce groupe ont un revenu cinq fois supérieur à celui des Etats à faible revenu. 588 Il s’agit essentiellement des Etats pétroliers du Moyen Orient.

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Il faut souligner que c’est une classification parmi tant d’autres. Les critères de classification sont variables. Parfois il est tenu compte du produit intérieur brut (PIB), indicateur de mesure de la puissance économique nationale, du produit national brut (PNB) ou de l’indice de développement humain (IDH). Un autre critère fondé sur la nature et le degré d’insertion des Etats ou des économies dans la mondialisation est utilisé. Ces critères variables dans leur essence même impliquent de facto des dénominations concurrentes. En se fondant sur l’IDH, on constate que les pays en développement peuvent être classés en plusieurs catégories : -

nouveaux pays industrialisés et pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Mexique, etc. ; pays exportateurs d’hydrocarbures comme l’Arabie Saoudite, Qatar, Iran, etc. ; pays en situation intermédiaire : les pays du Maghreb ; et Pays moins avancés (PMA) composés en majorité de pays africains situés au sud du Sahara.

Cette dernière catégorie de pays constitue « la périphérie de la périphérie » du système international. Elle rassemble les plus défavorisés sur le plan économique. Certains d’entre eux sont géographiquement désavantagés. Sur les trente-deux pays les moins avancés, seize n’ont pas de littoral et cinq sont insulaires. Les pays insulaires sont pour la plupart des micros Etats de faible superficie et peu peuplés. En général ces pays réclament, compte tenu de leur situation géographique, des avantages spécifiques.

§2 Les organisations internationales à vocation économique Il s’agit des organisations internationales de coopération par lesquelles les Etats mettent une structure au service des objectifs communs et pour exercer ensemble certaines fonctions. La remise en cause du système économique mondial né de l’après-guerre a suscité une réflexion critique sur les organisations internationales créées à la même époque, dans l’optique des valeurs dominantes. Leur inadéquation était devenue évidente par rapport à l’aspiration de l’écrasante majorité de leurs membres en développement. Sous l’impulsion des Etats du tiers-monde, il a fallu réadapter ces organisations internationales en vue de l’instauration d’un nouvel ordre économique international. Cette réadaptation a été aussi accompagnée par la

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création, au niveau universel et régional, de nouvelles organisations internationales plus aptes à l’exercice de tâches inédites589. A. Au plan universel 1- L’effort des Etats en développement a consisté, sur le plan normatif, à recentrer l’action de l’ONU sur les problèmes du sous-développement, en mettant en relief l’article 55 de sa Charte590. Longtemps négligé par les Etats développés, les pays en développement vont faire de cet article le fondement de leurs revendications contre les inégalités de développement, le support à leur quête d’un développement durable porté par un partenariat global dans le cadre de la mondialisation. Ce recentrage de l’article 55 autour de la notion de développement est perçu comme la clef de voûte de l’idéologie mondiale et la principale source d’inspiration de l’action effective de l’ONU pour le développement591. Comme le fait remarquer le Professeur Alain Pellet, dans la perspective de la Charte, la coopération économique et sociale, dont l’article 55 définit les grandes lignes, est un élément du dispositif du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il y a une prise de conscience que le développement est une condition de la paix et qu’il n’y a pas non plus de paix, sans développement durable. Il y a une dialectique de la paix et du développement que les pères fondateurs de la Charte n’ont pas occultée. La recherche de la paix, son maintien, son rétablissement, sa pérennité ou sa durabilité reposent non seulement sur l’interdiction du recours à la force, mais aussi sur le développement économique social et culturel et la préservation de l’environnement humain seuls remparts véritables contre les facteurs belligènes592 . Sous l’impulsion des pays en développement, les Nations Unies ont, sinon inversé les priorités définies à San Francisco, du moins procédé à un rééquilibrage entre celles-ci. Pour les Nations Unies, donc, « la route de la paix et de la justice passe par le développement593 ». 589 Voir Mohammed Bennouna, Droit international du développement. Tiers-monde et interpellation du droit international, Berger-Levrault, Paris 1983 p. 66 et s. 590 V. commentaire de l’article 55 alinéas a et b de la Charte des Nations Unies, dans la Charte des Nations Unies. Commentaire article par article » 3e édition Volume II, Economica 2005 p.1451 et s 591 Voir Michel Virally, L’Organisation mondiale, op.cit., p 300 et s. 592 Voir Georges Abi-Saab, « Cours général de droit international », RCADI, 1987, VII, t. 207, p. 448 et s 593 Voir A/RES/2626 (XXV), Stratégie internationale du développement pour la deuxième décennie des Nations Unies pour le développement, 24 octobre 1970. Le lien Paix et développement est encore affirmé par le « Plan de campagne pour la mise en œuvre de la Déclaration du Millénaire, rapport du Secrétaire général, A/56/326, 6 septembre 2001. Voir aussi le rapport du 1er décembre 2004, « Un monde plus sûr : notre affaire à tous », A/59/565,

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Le développement est devenu une priorité des Nations Unies. On assiste à une multiplication des conférences internationales portant sur les différents éléments du développement à l’issue desquelles sont adoptées des résolutions ou déclarations sur l’environnement, la dette, le développement économique et social, etc. L’Assemblée générale considère ces conférences organisées sous l’égide des Nations Unies comme interdépendantes. Elles contribuent « à l’élaboration d’un cadre intégré pour l’application des objectifs de développement convenus au niveau international…594 ». L’ONU consacre ainsi une obligation de coopérer qui gagne en juridicité 595. Les pays en développement, forts de la majorité mécanique dont ils disposent au sein de l’Assemblée, vont remettre en cause les conceptions classiques du droit international. Ils vont élaborer de nouvelles normes ou préciser le sens qu’ils entendent donner à certains concepts de ce droit. Sont théorisés les concepts de souveraineté économique et d’échanges inégals. C’est sous leur impulsion que les Nations Unies vont adopter, en 1974, l’importante Charte des droits et des devoirs économiques des Etats596. Adoptée par résolution, cette Charte donne aux Etats une base juridique permettant de réglementer les investissements étrangers, de réglementer et de surveiller les activités des sociétés transnationales dans les limites de leur juridiction nationale et de prendre des mesures pour veiller à ce que ces activités se conforment à leur lois, leurs règles et règlements et soient conformes à leurs politiques économiques et sociales. L’adoption de cette Charte par l’ONU leur confère également le fondement juridique pour nationaliser, exproprier ou transférer la propriété p.13. Dans ce rapport les personnalités de haut niveau chargées de réfléchir sur les menaces, les défis et le changement à la suite de la Déclaration du Millénaire, notent que « tout système de sécurité collective fondé sur la prévention part du développement. 594 V. A/RES/57/270 A, 20 décembre 2002 ; A/RES/S-24/2, 1er juillet 2000, portant Nouvelles initiatives de développement social. 595 Voir les Déclarations et résolutions du Sommet de Rio sur l’environnement et le développement A/CONF.151/26 ;A/ RES/48/190, 21 décembre 1993 et A/RES/49/113, 19 décembre 1994, Diffusion des principes de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement ; de Copenhague pour le développement social, A/CONF.166/9, 19 avril 1995 ; A/RES/50/161, 22 décembre 1995, suite donnée au Sommet mondial pour le développement social et les résolutions ultérieures, annuelles et rituelles sur la question du Millénaire, A/RES/55/2, 8 décembre 2000 « Déclaration du Millénaire adoptée par les Chefs d’Etat et de gouvernement de 191 Etats membres des Nations Unies à l’occasion du « Sommet du Millénaire » ; de Johannesburg sur le développement durable A/CONF/.199/2mbre 20020, A/RES/57/253, 20 décembre 2002 ; sur le Consensus de Monterrey sur le financement du développement, A/CONF/198/11, 22 mars 2002, A/RES/56/210, 9 juillet 2002. 596 C’est la résolution 3281 (XXIX). En vertu de l’article 2 §1 de la Charte « Chaque Etat détient et exerce librement une souveraineté entière et permanente sur toutes ses richesses, ressources naturelles et activités économiques, y compris la possession et le droit de les utiliser et d’en disposer ».

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des biens étrangers contre versement d’une indemnité adéquate conforme à leurs lois et règlements et compte tenu des circonstances qu’ils jugent pertinentes. Dans le même ordre d’idées, les Etats tiers-monde vont faire adopter des résolutions sur le système de préférences généralisées597 ou sur la dualité des normes598. 2- Sur le plan institutionnel, les pays en développement ont revendiqué naturellement une valorisation du statut du Conseil économique et social et ont contesté la composition du Conseil de Sécurité et, surtout, les privilèges dévolus aux cinq grandes puissances. Ils ont également contesté les statuts des institutions spécialisées des Nations Unies. Cette remise en cause concerne d’une part les modalités de désignation des organes restreints, véritables exécutifs dotés de compétences étendues et statuant de façon permanente, et, d’autre part les systèmes de votation qui tendent à conférer à quelques puissances industrielles, très minoritaires en nombre, une véritable majorité automatique dans le fonctionnement d’institutions importantes de développement. Parallèlement, on assiste à la création, par les Nations Unies, de plusieurs organes ou organismes qui interviennent directement dans les activités économiques et sociales des pays en développement. A ce titre, il faut souligner ici le rôle joué par l’Assemblée générale et le Conseil économique et social. Sous la pression des pays en voie de développement, les institutions classiques comme le FMI, le GATT, l’OIT, se sont adaptées en s’ouvrant aux nouveaux Etats et en répondant à leurs revendications mieux que ne l’aurait laissé supposer la lettre de leurs Statuts élaborés à une époque où la décolonisation était à peine amorcée. Diverses Institutions sont créées pour répondre au mieux aux aspirations du monde en développement. Il en est ainsi de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), etc. Créée en 1964, la CNUCED constitue pour les pays en développement, un forum de concertation en matière commerciale plus apte que le GATT à élaborer un ordre normatif correspondant à leurs besoins. En revanche, ils ont institué l’ONUDI en 1966 pour promouvoir leur industrialisation. L’ONUDI est depuis le 8 avril 1996 une institution spécialisée des Nations Unies. D’autres Institutions spécialisées599 et organes subsidiaires600 ont été créés. Ils interviennent dans le domaine de l’aide ou de l’assistance 597

Voir infra Voir infra 599 Il en est ainsi, à coté de la FAO, du Fond International de Développement Agricole (FIDA) créé le 13 juin 1976. 600 Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) par exemple. 598

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technique en faveur des pays en développement et posent par là même le problème de coordination de leurs activités. B. Au niveau régional Il faut souligner ici, que le sentiment de solidarité, le facteur de proximité géographique, la similitude des niveaux de développement et des modèles économiques des Etats d’une même région expliquent la création des organisations régionales601 . Les organisations régionales sont également des acteurs des relations économiques internationales. Elles interviennent généralement dans le domaine du développement. A ce titre on pourrait citer l’OEA avec son Alliance pour le progrès, l’OUA, aujourd’hui Union Africaine (UA) avec son Plan de Lagos. Du point de vue pratique, ces organisations se sont révélées plus fragiles que celles des pays à économie de marché comme l’OCDE. Toutefois, comme le souligne le Professeur Mohammed Bennouna602 , la création d’un espace économique unifié entre Etats en développement, sur la base d’affinités culturelles, géopolitiques ou de complémentarités économiques, a toujours été perçue comme le meilleur moyen d’accélérer l’autonomie collective et le développement des différentes entités participantes ainsi que leur pouvoir de négociation face à leurs interlocuteurs du monde industrialisé. Comme la coopération, l’intégration est un mode particulier des relations internationales. L’intégration internationale se différencie de la simple coopération qui sauvegarde l’indépendance des partenaires et qui n’aboutit jamais à transférer aux institutions de coopération un pouvoir de décision autonome603. 601

Voir Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit., p. 1003. Droit international économique, op. cit., p. 315. 603 Les deux termes sont généralement confondus. Pourtant il y a nuance, entre coopération et intégration. Le concept d’intégration est entendu comme étant « à la fois un processus et une situation qui, à partir d’une société internationale morcelée en unités indépendantes les unes des autres, tendent à substituer de nouvelles unités plus ou moins vastes dotées au minimum du pouvoir de décision soit dans un ou plusieurs domaines déterminés, soit dans l’ensemble des domaines relevant de la compétence des unités intégrées, à susciter, au niveau des consciences individuelles, une adhésion ou une allégeance et à réaliser, au niveau des structures, une participation de tous au maintien et au développement de la nouvelle unité ». Voir P. F., Gonidec et R. Charvin, Relations internationales, op. cit., p. 435. Comme le reconnaissent ces auteurs, la coopération est quelque chose de plus que la simple concertation occasionnelle à propos d’un problème déterminé. Elle est quelque chose de moins que l’intégration. Elle est entendue comme « un mode de relations internationales qui implique la mise en œuvre d’une politique (donc d’une stratégie et d’une tactique) poursuivie pendant une certaine durée de temps et destinée à rendre plus intimes, grâce à des mécanismes permanents, les relations internationales dans un ou plusieurs domaines déterminés, sans mettre en cause l’indépendance des unités concernées ». Pourtant Karl Deutsch, dans son ouvrage : Political 602

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Dans le cadre des relations internationales, plusieurs regroupements d’Etats se sont manifestés. C’est le cas en Europe avec l’Union européenne, qui regroupe des pays industrialisés. Cette expérience se fonde sur l’intégration par le marché, la libéralisation des barrières douanières (zone de libre-échange) et l’établissement d’un tarif extérieur commun (union douanière), l’institution d’une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) entre autres604. Le modèle européen de l’intégration est expérimenté en Afrique de l’Ouest avec la CEDEAO, l’UEMOA, en Afrique centrale avec la CEMAC, et la CEEAC. L’Amérique expérimente aussi un mode de relations poussées avec l’ALENA, le Mercosur, etc. Il en est de même en Asie, avec l’ASEAN605. De grands espoirs ont été placés dans ces organisations régionales. Si le modèle européen peut être considéré comme une exception dans le panorama de ces organisations, il reste que la pratique montre qu’il n’est pas transposable tel quel aux pays en développement. L’unique lien entre pays en développement étant leur sousdéveloppement parfois inégal, ils ne peuvent pratiquer avec succès le modèle européen d’intégration faute de marché national. Le Professeur Bennouna écrit à juste raison que « L’imitation pure et simple du modèle (…) est l’un des facteurs explicatifs des résultats fort décevants des expériences d’intégration entre pays en développement606 ». Cependant, les obstacles sociopolitiques restent déterminants. La promotion en commun du développement nécessite un consensus préliminaire sur les choix fondamentaux de société, impliquant la redistribution des revenus et du pouvoir. Or les élites des pays en voie de développement qui bénéficient de privilèges exorbitants et incontestables, n’entendent pas les sacrifier, même partiellement, sur l’autel de l’intégration régionale. Community and North Atlantic area, 1957, p. 6, affirme le contraire. Il distingue en réalité deux sortes d’intégration : l’intégration amalgamée et l’intégration pluralistique. Dans le premier cas, il y a fusion, en bonne et due forme, de deux ou plusieurs unités antérieurement indépendantes en une seule unité plus large dotée d’un certain type de gouvernement commun. En revanche, l’intégration pluralistique laisse subsister l’indépendance des unités de base. Dans la perspective du droit communautaire, seule l’intégration amalgamée constitue une véritable intégration. Le second cas manifeste en réalité un phénomène de coopération qui peut être à l’origine d’un processus d’intégration mais qui ne peut déboucher effectivement sur l’intégration que si, les parties à plus ou moins long terme, envisagent une telle solution. La coopération est ici un moyen, l’intégration le but ultime. 604 Ce modèle, coexistait jusqu’à la fin de la guerre froide, avec la CAEM qui regroupait les Etats socialistes et fondait l’intégration par la planification des productions et leur spécialisation par pays. Ce modèle socialiste de l’intégration a disparu avec la fin de la bipolarisation du système international, conséquence de la dislocation du bloc soviétique. 605 Voir supra. 606 Op. cit., p. 316.

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Au surplus, l’une des conditions primordiales de l’intégration régionale est l’existence d’économies nationales ayant un certain degré d’industrialisation et un degré d’homogénéité. Enfin, il convient de relever qu’en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale, la coexistence de deux organisations de même type pose des problèmes de compatibilité, et d’articulation des espaces économiques qu’elles couvrent.

§3 Les sociétés transnationales et les ONG A. Les sociétés multinationales Elles sont considérées comme étant les agents principaux de l’investissement direct privé à l’étranger. Comme nous l’avons déjà expliqué, elles jouent un rôle d’acteur économique de premier plan en raison de leurs moyens, de leurs dimensions, de leur non dépendance de l’étroitesse d’une économie nationale. Les pratiques commerciales restrictives sont la principale préoccupation des Etats face à ces sociétés puisque, de par leur puissance et leur dissémination géographique, elles se livrent à un commerce captif ramenant les flux commerciaux aux relations entre sociétés mères et filiales, ou entre ces dernières. Cette situation pénalise généralement les pays en développement dans la mesure où les investissements industriels des sociétés transnationales y sont prépondérants. Elle a comme effet pervers de placer ces pays sous l’emprise de la stratégie des firmes poursuivant le profit maximum sans considération pour l’intérêt national de l’Etat d’accueil. La nécessite de contrôler l’activité de ces sociétés avait déjà amené le Conseil économique et social des Nations Unies à analyser les effets des transnationales sur le développement et leurs incidences sur les relations internationales607. Les travaux de la Commission créée à cet effet ont abouti à la rédaction d’un code de conduite pour ces sociétés. Ils marquent le début d’une réglementation internationale, timide sans doute, des activités des multinationales608. B. Les ONG L’étude a déjà montré qu’elles constituent un phénomène associatif privé609 . Pour l’essentiel, leur personnalité est régie par l’ordre interne.

607

Voir le rapport du groupe de personnalités établi à cet effet, E/5500, part. I. Voir supra. 609 Cf. supra. 608

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L’article 71 de la Charte des Nations Unies leur confère la possibilité d’avoir un statut consultatif. L’Union européenne et l’OCDE, leur attribuent le même statut. Il faut noter que dans le cadre des relations économiques internationales, les ONG jouent un rôle non négligeable comme « groupes de pression » au sein des organisations internationales opérationnelles comme l’Union européenne, l’Union africaine. Elles agissent aussi au niveau de la Banque mondiale ou celui des banques régionales de développement

Sous-section 2 : Le cadre économiques internationales

juridique

des

relations

§1 Généralités sur le droit international du développement et sur le droit international économique A. Le droit international du développement Dans son ouvrage « Droit international du développement610 », le Professeur Mohammed Bennouna constate que le droit international du développement est une des approches du droit international, une manière de l’interpeller, de le questionner sur l’une des réalités fondamentales des relations internationales contemporaines. Il ne se confond pas au droit international économique qui se fixe pour objectif l’organisation internationale des échanges économiques. Selon l’auteur, le droit international du développement ne peut être considéré comme une discipline autonome ayant un objet, des méthodes, des sources complètement distinctes du droit, sur le plan scientifique, de ceux du droit international général, conçu comme l’ensemble des règles régissant les relations transfrontalières. Il est assimilé à une branche du droit international s’attachant à l’étude, sous l’angle juridique, de l’un des aspects ou des secteurs des relations internationales, tels que le droit de l’espace ou le droit de la mer. Il ne se limite pas non plus aux aspects juridiques des relations économiques internationales ; son optique s’oppose en effet à celle du droit international économique qui se présente comme un « droit de l’ordre international économique », c'est-à-dire, un droit de l’ordre établi611. 610

Op. cit., p. 17 et s D. Carreau, P. Julliard, Th. Flory, Droit international économique, Paris, LGDJ, 1980, 2e édition, pp. 9 et 11. Il faut souligner que le concept de « droit international du développement » a été utilisé pour la première fois par A. Philipe, représentant de la France à la première CNUCED. Il sera conceptualisé par Michèle Virally. Voir son article « Vers un droit international du développement ». AFDI, 1965, pp. 3-12. Initié par les Etas industrialisés, le droit international du développement va rencontrer l’opposition du tiers611

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B. Le droit international économique Fruit des mutations des relations internationales, le droit international économique porte, aussi, l’empreinte des pays en voie de développement. Son existence n’est plus contestée même si, par ailleurs, l’accord ne se fait pas toujours sur sa définition. Il est tantôt entendu comme « cette branche du droit international qui règlemente, d’une part l’installation sur le territoire des Etats des différents facteurs de production en provenance de l’étranger et d’autre part, les transactions internationales portant sur les biens, les services et les capitaux », tantôt comme « le droit des relations économiques internationales612 ». Autrement dit c’est l’ensemble des règles qui régissent les relations économiques internationales. C’est un droit qui trouve sa source dans les actes que prennent les Etats et les organisations internationales, mais aussi, dans certaines conditions, dans les actes qui émanent des sociétés transnationales. Ce droit a pour objectif d’ordonner les phénomènes économiques, de fournir un cadre réglementaire aux relations économiques internationales. C’est un droit cadre pour les agents économiques. La plupart de ses règles sont assez souples. Elles prennent en compte les écarts de développement entre pays et se construisent à partir des inégalités de développement. Le droit international économique couvre divers domaines portant sur l’indépendance économique des Etats, le système monétaire international, le commerce international, le financement des investissements, le transfert de technologie, la prestation de service, le droit d’établissement, les relations économiques, etc. Il met l’accent sur les politiques économiques des Etats et leurs effets sur l’ensemble de la société internationale.

monde. Cette opposition va s’amplifier au fur et à mesure de l’élargissement du champ d’action du droit international. Pour le Professeur M. Benchikh, le droit international du développement est la somme des exceptions des règles existantes plutôt qu’un corpus de règles existantes et autonomes. Il estime que ce droit a l’inconvénient de ne pas être relié aux problèmes de développement et de suggérer que « le développement peut se faire par le droit international ». Voir Préface aux Actes du Colloque d’Alger sur « Droit international et développement » 1978, p. 3. 612 Voir D. Carreau, TH. Flory, P. Juillard, Droit international économique, 3é édition, Paris, LGDJ, 1990, p. 45.

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§2 L’élaboration et les sources du droit international économique A. Les sources Il s’agit ici principalement des sources formelles du droit, autrement dit, des modes ou des procédés par lesquels sont établies les règles dans les relations entre les sujets de droit international. Les sources sont, à quelques nuances près, communes à celles du droit international public général. Il s’agit en l’occurrence des sources visées à l’article 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice annexé à la Charte des Nations Unies, c’est à dire des traités, de la coutume, des principes généraux de droit et des actes unilatéraux émanant des Etats ou des organisations internationales. S’y ajoutent la jurisprudence et la doctrine des publicistes les plus qualifiés comme moyen auxiliaire de détermination du droit. C’est en se fondant sur ces catégories de sources que les Etats vont prendre les actes ayant pour finalité la production et la circulation des richesses. Toutefois ces sources subissent, lorsque s’effectue le passage du droit international général au droit économique international, des inflexions qui témoignent des distinctions existant entre les deux disciplines. Si le droit international public général continue de privilégier les traités et la coutume, le droit international économique tend à attribuer un champ plus large aux actes unilatéraux des Etats et des organisations internationales. Les sources du droit international économique se classent, en effet, selon leur ordre juridique de rattachement, interne ou international. Les sources nationales sont à l’évidence constituées par les actes unilatéraux des Etats, qui peuvent être des actes du pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire à partir du moment où ceux-ci peuvent avoir des incidences sur les relations économiques internationales. Ainsi, la publication par un Etat d’un code d’investissement, par exemple, plus ou moins incitatif ou dissuasif pour attirer les investissements ou repousser les investissements étrangers reflète un choix souverain de l’Etat. Cependant une telle publication est destinée à avoir des effets sur l’orientation des flux financiers. Les actes unilatéraux des Etats pris dans le cadre de leur ordre interne sont dès lors considérés comme des sources du droit international économique en raison de leurs objectifs et de leurs prolongements économiques internationaux. Toutefois, d’une manière générale, les traités et la coutume constituent le noyau dur du droit international économique. De nombreux traités sont conclus, par exemple pour créer des organisations internationales à vocation économique. C’est le cas des accords de Bretton Woods qui fondent le FMI

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et la Banque mondiale, ou des accords de Marrakech à l’origine de la création de l’OMC. Ce qui fait la particularité du droit international économique, par rapport au droit international public général, réside aussi dans les sources de « tiers ordre ». Ces sources sont difficiles à cerner, car elles relèvent d’un « troisième ordre juridique », qui ne se rattache pas à l’ordre juridique international, ni aux ordres juridiques internationaux. Ces sources naissent des actes pris par les sociétés transnationales au cours de leurs activités et des contrats qu’elles concluent avec les Etats. L’influence de ces sociétés dans les relations économiques internationales n’est plus à démontrer. La pratique internationale montre que c’est l’entente, à une certaine époque, entre sept principales compagnies pétrolières américaines et européennes, appelées les « seven sisters », qui a donné naissance à une Lex Petroléa, laquelle a réglementé, durant trois décennies, l’exploitation et la distribution des hydrocarbures à l’échelle planétaire. Ces sociétés ont également conclu avec les Etats des marchés de fournitures ou encore des contrats relatifs à l’exploitation des ressources naturelles. Il s’agit de contrats de concession qui ont pris de l’ampleur depuis quelques décennies, notamment dans le domaine des investissements internationaux. La question de la détermination de la nature et du régime juridique de ces contrats d’Etat est à l’origine d’une vive controverse en droit international économique. Pendant longtemps, ces contrats ont été considérés comme échappant au droit international public. Ils relevaient exclusivement du droit interne. Au fil du temps, la jurisprudence comme la doctrine ont admis que ces contrats sont soumis au droit international public. En effet, ils sont, en raison de leur contenu et de leurs caractéristiques, internationalisés. Et progressivement une nouvelle branche du droit international s’est formée, désignée sous l’expression « droit des contrats internationaux ». Ce droit a été défini comme l’ensemble des règles de droit international relatives aux contrats conclus entre un Etat et un ressortissant étranger. En tout état de cause, les droits et les obligations des parties à de tels contrats ne peuvent pas par définition, avoir un contenu identique aux droits et obligations résultant des traités internationaux. Par définition, ces traités ne peuvent lier que des sujets de droit international et leur objet est de régir leurs relations, dans des domaines qui ne peuvent relever que des transactions économiques et commerciales avec des entreprises, à l’exception bien évidemment des relations diplomatiques, des relations maritimes ou de la délimitation des frontières.

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En d’autres termes, l’internationalisation d’un contrat et sa soumission au droit international, n’en font pas un traité. Sa nature juridique est différente613 . Dans tous les cas, il reste que, quelque soit le régime juridique envisagé, des règles fondamentales, reconnues par la Communauté internationale, s’appliquent aujourd’hui aux contrats internationaux. Il est en effet consacré la règle de la force obligatoire de ces contrats, celle de l’interdiction des modifications unilatérales et la règle de l’exonération de responsabilité en cas de force majeure. D’autres sources peuvent être relevées, in fine. Il s’agit des principes généraux, de la doctrine et de la jurisprudence. Ici comme ailleurs, ces principes ne peuvent se confondre à la coutume. Bien que se fondant sur la pratique des Etats, ces principes ont un fort contenu juridique. Ils constituent une sorte de droit commun des divers droits nationaux. On peut citer le principe de la bonne foi, le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre faute ou turpitude, le principe en vertu duquel la violation d’un engagement comporte l’obligation de réparer le préjudice, le principe du respect des droits de l’homme, de l’autorité de la chose jugée ou encore la règle « pacta sunt servanda ». Il faut noter que ces principes ne sont pas assimilés aux principes de la coexistence pacifique qui sont dans leur essence même de nature politique, même s’ils peuvent comporter, parfois, des aspects à la fois politiques et juridiques614 . La doctrine et la jurisprudence sont perçues comme des sources subsidiaires du droit international. La doctrine, constituée des articles publiés par les chercheurs dans le monde entier de même que les travaux des sociétés savantes, ne créée pas une règle de droit. Elle est un moyen de détermination du droit, conventionnel ou coutumier. Perçue comme étant l’ensemble des décisions juridictionnelles ou arbitrales nationales ou internationales, la jurisprudence renforce l’autorité de la chose jugée. C’est une source subsidiaire du droit. Elle joue également, en pratique, un rôle effectif de détermination du droit.

613

Dans l’affaire Texaco-Calasiatic c/Libye, le tribunal arbitral souligne : « Dire que le droit international régit les rapports contractuels d’un Etat et d’une personne privée étrangère ne signifie nullement que celle-ci soit assimilée à un Etat, ni que le contrat soit assimilé à un traité ». S.A R. J. Dupuy, 19 janvier 1977, JDI, 1977, p. 161. 614 Voir supra, les principes de la coexistence pacifique « Punch Shila » du Traité entre la Chine et l’Inde du 29 avril 1954.

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B. Le processus d’élaboration des normes du droit international économique Comme le souligne le Professeur Nguyen Quoc Dinh615 , la « réglementation internationale des questions économiques fait appel à toutes les sources du droit international. Mais la place de chacune d’elle ne correspond pas à son importance relative en droit international général ». La coutume joue un rôle de moindre importance616, le règlement juridictionnel des différends n’entraîne pas l’émergence d’un ensemble cohérent de principes généraux de droit, alors que la convention y est perçue comme un instrument rigide, complexe, de création de normes juridiques617 . Dès lors, les pays en voie de développement vont privilégier la technique de création de droit par voie de la résolution. Si bien que dans la perspective du droit international économique, les résolutions tout comme les actes concertés non conventionnels, tendent à occuper une place importante du fait de leur souplesse. Et cette souplesse répond au souci de malléabilité souvent recherché en matière économique. Ils sont considérés en effet, comme un procédé souple et dynamique de création de normes internationales, face aux insuffisances des traités et de la coutume, à l’incapacité de ceux-ci à promouvoir les changements voulus par les pays en voie de développement. L’adoption de ces nouvelles sources de droit, reflète, dans les organisations à vocation économique, la prise en compte des rapports de force entre les acteurs des relations internationales. Disposant d’une large majorité au sein des organisations internationales, les Etats du tiers-monde ont, grâce au procédé de la résolution, bouleversé les chapitres classiques du droit international public, posé les nouveaux fondements juridiques de leurs relations économiques avec les Etats industrialisés développés.

615

Droit international public général, op. cit., 1006. Dans son ouvrage « L’OUA, à l’aube du XXIe siècle : Bilan, diagnostic et perspectives », op. cit. p. 161, le Professeur Michel-Cyr Djiena Wembou souligne que la coutume exige un murissement lent et qu’elle est, dans bien des cas la consécration sur le plan juridique, des pratiques ayant cours entre les vieux pays. Aussi parce qu’elle est tournée vers le passé et qu’elle évolue lentement, la coutume s’est révélée inapte à répondre aux défis économiques et politiques de la société internationale. 617 Il est en effet reproché au procédé conventionnel de poser de nombreux problèmes relatifs à la longueur, à la lourdeur des mécanismes de son adoption. Il lui est reproché aussi de couvrir l’inégalité. En effet dans son opinion individuelle dans l’affaire des pêcheries norvégiennes, Royaume Uni c/ Norvège, CIJ, 18 décembre 1951, Recueil 1951, p .148, le Juge Alvarez souligne que « l’égalité théorique des parties contractantes dissimule bien souvent une inégalité réelle de leur capacité effective de marchandage (bargaining power), particulièrement flagrante dans les négociations bilatérales ». 616

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Ils ont, par le procédé résolutoire, réhabilité « la norme juridique du droit international en tant qu’expression des besoins de la communauté internationale toute entière618 ». Ainsi, le processus d’élaboration des normes juridiques par le moyen de la résolution a constitué pour les pays en développement, une technique d’interprétation des chartes constitutives des organisations internationales, de réaffirmation du droit international et de création des normes de droit, dont la validité juridique ne peut être contestée. Pour adopter les normes, les acteurs acceptent aussi le système de pondération du vote. Il en est ainsi dans les organisations à vocation financière et monétaire comme la BIRD, le FMI, l’UE, dans les associations de pays exportateurs de pétrole, dans les organisations découlant des accords de produits de base, de même qu’au sein du Fonds commun pour les produits de base, du FIDA, etc. Bien souvent, ils ont recours à la majorité simple ou qualifiée ou au consensus comme à l’ONU, à la CEDEAO, à l’UEMOA, à l’OMC, ou à l’unanimité : il en est ainsi à l’OCDE, à l’AELE. Quel que soit leur mode d’adoption, le droit résolutoire a été qualifié de soft law ou « droit mou ». On a tenté, à ce titre, d’expliquer la notion de « soft law » par référence à la catégorie juridique de « l’acte règle » qui présente un contenu normatif aux doubles plans, des finalités et des principes, dont le respect doit permettre de les atteindre ; il en résulte encore, au niveau des moyens, des formules trop vagues, susceptibles d’interprétation, divergentes et impuissantes par elles-mêmes à dicter des actions concrètes619 . Il en est ainsi en matière d’aide publique financière aux pays en développement ; les Etats industrialisés s’engagent généralement à porter le niveau de cette forme d’assistance à un pourcentage donné de leur produit intérieur brut (0,7%). On peut citer aussi la partie IV de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) adoptée en 1964 et intégrée dans le GATT de 1994 et en vertu de laquelle « les Parties contractantes devront dans toute la mesure du possible (…) accorder une haute priorité (…) » à tel problème ou à telle action. Très fréquentes en matière commerciale, de telles formules le sont également dans le domaine monétaire620, dans les accords d’assistance technique ou dans ceux relatifs aux produits de base621. Comme le souligne le Professeur Nguyen Quoc Dinh, les politiques économiques sont une composante essentielle de la souveraineté de l’Etat 618 Voir Ghozali (N.E), « Les fondements du droit international public, approche critique du formalisme classique », cité par Michel-Cyr Djiena Wembou, op. cit., p. 162. 619 Voir R. J. Dupuy, « Droit déclaratoire et droit programmatoire : de la coutume sauvage à la « soft law » », dans L’élaboration du droit international public, Paris, Pedone, 1975, p. 143. 620 Voir article IV des statuts du FMI 621 Voir Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit., p. 1007.

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moderne. A cet effet, l’accent mis sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles et les activités économiques ne peut qu’encourager cette tendance à adopter des règles souples, laissant aux Etats une grande marge d’appréciation, une liberté de manœuvre pour faire face à tout moment aux pressions des acteurs économiques nationaux dont ils dépendent au plan politique. Cependant, il faut reconnaître que le droit international économique manifeste un grand souci de concrétisation. Ce souci de concrétisation s’exprime en effet, dans le caractère précis, circonstancié, des nombreuses normes économiques. Les normes relatives au traitement préférentiel comportent par exemple des obligations de résultat appréciées périodiquement. Il en est de même du système des préférences tarifaires instituées dans le cadre de la CNUCED pour les produits manufacturés et les produits semi-manufacturés.

Sous-section 3 : L’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie de développement des pays en voie de développement §1 Le Nouvel ordre économique international (NOEI) La notion de NOEI s’intègre dans l’aspect réformateur voire révolutionnaire du droit du développement, dont les finalités économiques investissent les principaux acteurs de la société internationale de la tâche de la transformer radicalement. Cette mutation passe par la substitution au droit international économique qui s’appliquait immédiatement après la seconde guerre mondiale, d’un droit interventionniste contrastant avec la neutralité du droit issu des conceptions libérales du XIXe siècle, codificateur de leurs pratiques, et produit de l’idéologie capitaliste développée. Il convient de retracer la genèse de ce NOEI, de s’interroger sur sa substance qui finalement a été remise en cause du fait des bouleversements des relations internationales, du triomphe de l’unilatéralisme et de la mondialisation. A. La genèse du NOEI Les signes du renouvellement des relations internationales classiques remontent au début des années 70 au cours desquelles les pays en voie de développement arrivent à la conclusion que l’ordre économique mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale a été institué à leur détriment et qu’il est vain de tenter des aménagements pour le rectifier.

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L’alternative qui s’impose donc, pour ces pays, est l’instauration sur des bases nouvelles, d’un modèle de relations internationales adapté au clivage nord-sud. Cette redéfinition des relations du tiers-monde avec le monde développé s’est concrétisée dans un contexte particulier des relations internationales marqué par la fin de la guerre du Vietnam entraînant par la même le recul de l’hégémonie des Etats-Unis, l’ébranlement du système monétaire résultant de la décision des Etats-Unis de suspendre le 16 octobre 1971 la convertibilité du dollar. Avec la crise de l’énergie622, et sous l’impulsion des pays en développement, la problématique du développement n’est plus posée en termes d’aide matérielle, financière ou d’assistance commerciale. Elle passe désormais par la « restructuration » de l’ensemble du système économique international. C’est dans ce contexte que s’inscrit le quatrième sommet des non-alignés réuni à Alger du 5 au 9 septembre 1973. Ce sommet marque un tournant dans les relations internationales. C’est durant cette réunion des non-alignés, dominée par les questions économiques et la récupération des ressources naturelles et des activités économiques623, que l’expression de NOEI fut consacrée pour la première fois dans un document officiel624. A Alger, les pays non alignés avaient manifesté non seulement leur volonté de mettre fin aux traités, aux accords et aux conventions qui leur ont été imposés par la force, mais aussi et surtout de renforcer la solidarité des pays en développement afin de « renverser la tendance à la dégradation de leur situation et de garantir l’instauration d’un nouvel ordre économique international conforme aux impératifs d’une réelle démocratie ». A cet effet ils ont décidé de mettre tout en œuvre pour qu’une approche globale pour l’application des objectifs ci-dessus énoncés soit admise par la Communauté internationale. Le NOEI visait donc, principalement deux objectifs : d’une part, la démocratisation des relations internationales par une grande participation du tiers-monde au processus de décision au sein des organismes internationaux et, d’autre part l’approche globale par une action solidaire des pays en développement portant sur l’ensemble des problèmes du développement. 622

Cette crise tire son origine de la décision des pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) de recourir aux moyens appropriés, y compris les mesures unilatérales et les sanctions collectives, pour obtenir des grandes compagnies pétrolières la fixation du prix de leur pétrole par voie de négociations permanentes avec les grandes sociétés multinationales. Voir résolution XX-II 131 du 4 février 1971 adoptée à Téhéran. Ce processus va aboutir le 16 octobre 1973, conséquences de la guerre de Kippour, avec la fixation par les pays de l’OPEP du prix du pétrole. 623 Voir G. Fisher, « La conférence des non alignés d’Alger », AFDI, 1973, pp. 9-33. 624 Voir point VII sur la Déclaration économique.

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Dès lors, pour les pays non alignés, les Nations Unies, du fait de leurs larges compétences dans le domaine socio-économique, offrent le cadre privilégié de leur offensive en faveur du NOEI. Cette idée novatrice du NOEI va être entérinée en 1974 par la sixième session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies qui s’est réunie pour étudier, pour la première fois de son histoire, le problème des matières premières et du développement. Ses travaux ont pris fin le 1er mai 1974 par l’adoption d’un document fondamental qui allait jeter les bases d’un « Nouvel ordre économique international625 ». Le 12 décembre de la même année, elle va adopter lors de sa 29e session ordinaire la Charte des droits et économiques des Etats. Ces deux textes fondamentaux, qui forment un tout, se situaient clairement au centre des rapports Nord-Sud, avant l’effondrement du système bipolaire626. B. La substance du NOEI 1. La Déclaration et le Programme d’action du 1er mai 1974 L’analyse de ces deux instruments627 permet d’avoir une vue globale sur la substance du NOEI. La Déclaration proclame la détermination des membres des Nations Unies de travailler d’urgence à l’instauration du NOEI, lequel est fondé sur l’équité, l’égalité souveraine, l’interdépendance et la coopération entre tous les Etats membres des Nations Unies indépendamment de leur système économique et social. a- Le NOEI vise, selon la Déclaration, à corriger les inégalités et rectifier les injustices du système international, à corriger le fossé croissant entre les pays développés et les pays en voie de développement et d’assurer, dans la paix et la justice, aux générations présentes et futures un développement économique et social qui va en s’accélérant. La Déclaration relève les contradictions entre l’ordre international classique et l’évolution des relations internationales marquée par l’émergence du tiers-monde et demande une « participation active des pays en voie de développement » à l’élaboration et la mise en œuvre de toutes les décisions qui intéressent la communauté internationale. Ayant conscience de l’interdépendance entre pays développés et pays en voie de développement, la résolution-déclaratoire fait de la coopération internationale l’objectif et le devoir communs de tous les Etats membres.

625

Voir point VII sur la Déclaration économique. V. Daniel Colard, Les relations internationales de 1945 à nos jours, op. cit., p. 282. 627 V. A/RES/3201 [S-VI] pour la Déclaration sur le NOEI et 3202 [S-VI] le programme d’action sur le NOEI, 626

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Elle affirme, en outre, l’équité dans les échanges internationaux afin de rompre les entraves extérieures au développement d’une part, la souveraineté économique en vue de la maîtrise des potentialités nationales d’autre part. Comme le souligne le Professeur Daniel Colard628 , en mettant l’équité au cœur des rapports commerciaux avec le monde développé, les pays en voie de développement lui ont conféré une double fonction. Elle a d’abord une fonction harmonisatrice en ce sens qu’elle « doit présider à l’organisation de l’interdépendance en vue d’harmoniser les intérêts des producteurs et des consommateurs de matières premières et d’énergie ». Elle a par ailleurs une fonction compensatrice, dans la mesure où elle tend « à corriger les déséquilibres du commerce international par un traitement préférentiel et un principe de non réciprocité au profit des pays en voie de développement ». Dans ce contexte, la Déclaration prévoit une clause relative aux rapports justes et équitables entre les prix des matières premières, des produits primaires, des articles manufacturés et semi-finis exportés par les pays en voie de développement et les prix des produits de biens d’équipement et de matériels importés par eux. Dans le même temps, elle encourage les « associations de producteurs », à l’image le l’OPEP. Cependant l’intéressant dans la Déclaration résulte de la consécration de la souveraineté économique en vertu de laquelle chaque Etat a la souveraineté permanente intégrale sur ses ressources naturelles et sur toutes ses activités économiques. Il a aussi le droit de sauvegarder ses ressources, d’exercer un contrôle efficace sur celles-ci et sur leur exploitation par des moyens propres à sa situation particulière, y compris le droit de nationaliser ou de transférer la propriété à ses ressortissants. b- Le programme d’action adopté en 1974 accompagne la Déclaration. Il vise plusieurs objectifs communs à des négociations futures entre les pays en voie de développement et les pays développés dans les divers secteurs où elles vont s’exercer. Comme par exemple le commerce, l’industrialisation, l’alimentation, les questions monétaires et financières, le transfert de technologie, les matières premières, la réglementation des activités des sociétés transnationales, la charte sur les droits et les devoirs des Etats, l’aide à l’exercice de la souveraineté permanente des Etats sur les ressources naturelles, etc. 2. La Charte des droits et devoirs économiques des Etats du 12 décembre 1974 S’inspirant de la Déclaration du 1er mai 1974, la Charte des droits et devoirs économiques des Etats adoptée par l’Assemblée générale des 628

Relations internationales de 1954 à nos jours, op. cit, p. 283.

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Nations Unies629 est perçue comme un instrument efficace pour la mise place d’un nouveau système international fondé sur l’équité, l’égalité souveraine et l’interdépendance des Etats. C’est le Président du Mexique, Mr. Luis Echevera, qui a été à l’initiative de l’adoption de cette Charte630 . La Charte énonce entre autres, des principes fondés sur la souveraineté, la non-discrimination et l’égalité avantageuse ou l’inégalité compensatrice au profit des Etats en voie de développement. Elle réitère le droit souverain et inaliénable de chaque Etat, de choisir son système économique. Elle dispose également, en son article 2 paragraphe 1, que « Chaque Etat détient et exerce librement une souveraineté entière et permanente sur toutes ses richesses, ressources naturelles et activités économiques, y compris la possession et le droit d’en disposer ». Sous ce rapport, elle pose le principe fondamental selon lequel, dans l’exercice de cette souveraineté, le droit national a la primauté sur le droit international, qu’il s’agisse d’expropriation, de nationalisation ou de la réglementation des activités des sociétés transnationales. En outre, elle consacre, également, le principe de la non-discrimination. Ce principe s’applique en matière commerciale, de même que dans le cadre de la coopération sous régionale et interrégionale et au niveau des décisions à prendre pour restructurer les régimes des échanges internationaux, y compris tout ce qui concerne les questions financières et monétaires. Par ailleurs, la Charte, en ses articles 18 et 19, met en relief un nouveau principe devant régir les relations entre pays développés et pays en voie développement. Il s’agit du principe de la dualité des normes. Ce principe signifie qu’à un corps unique de règles régissant uniformément tous les rapports interétatiques, se substitueront désormais deux corps de règles. D’une part celui qui régit les rapports entre pays développés ; d’autre part celui qui régit les rapports entre ceux-ci et les pays en voie de développement, ainsi que les rapports entre pays en voie de développement. Désormais donc, dans la perspective de la Charte des droits et des devoirs économiques des Etats, les règles devant régir les rapports entre pays développés ne peuvent être identiques à celles qui président aux relations entre pays développés et pays en voie de développement. La Charte va également poser le principe de la participation des pays en voie de développement à l’entreprise du développement. Son préambule note, d’entrée de jeu, que « la responsabilité du développement de chaque Etat incombe au premier chef à ce pays lui-même », mais qu’une « action internationale concomitante est essentielle pour qu’il atteigne pleinement ses 629

V. Res. 3281 (XXIX). Voir son discours du 19 avril 1972 lors de la troisième CNUCED tenue à Santiago-du Chili. V Daniel Colard, op. cit., p. 285. 630

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buts en matière de développement ». Et l’article 7 dispose que chaque Etat est responsable « du progrès économique, social et culturel de son peuple ». Il est, donc, libre de choisir ses objectifs et moyens de développement. Il en résulte qu’une aide ne peut être apportée aux PVD que sur leur requête et ne peut être perçue que comme un complément de l’effort national. D’une manière générale, il découle de ce principe que « toute action internationale pour le développement doit s’intégrer dans les plans et programmes nationaux à l’initiative des PVD ». La Charte dispose par ailleurs, en son article 5, que les Etats ont le droit de se grouper en organisation de producteurs de produits de base en vue de développer leur économie nationale. Et l’article 28 de préciser le droit de ceux-ci d’ajuster ou d’indexer le prix des matières premières sur les produits industriels. In fine, les articles 29 et 30 consacrent respectivement le principe de la responsabilité commune des Etats envers la Communauté internationale en matière d’exploration, d’exploitation des fonds marins et de la protection de l’environnement. En adoptant ces instruments qui instituent le NOEI, les pays en voie de développement ont voulu révolutionner l’ordre économique mondial. Ils avaient la conviction qu’un changement fondamental du système économique international était indispensable. Et cette transformation ne pouvait être possible qu’en y introduisant plus d’équité et de justice, par un processus de négociations globales. L’ambition des Etats du tiers-monde était d’entreprendre avec le monde développé des négociations portant aussi bien sur tous les aspects des questions économiques et financières, en vue d’assurer leur croissance et leur développement intégré, que sur la réforme du système économique international. Ceci devait donc impliquer la refonte du système des Nations Unies et la rupture avec les négociations sectorielles du passé au profit de solutions globales, compte tenu de l’interdépendance de tous les secteurs de la vie économique internationale. Assurément, le NOEI tel que défini et conceptualisé est dans son essence même révolutionnaire. Cependant, la remise en cause de l’ordre économique international classique par les pays en voie de développement, et leur revendication pour un ordre économique international nouveau plus juste et équitable vont heurter les intérêts des pays développés peu disposés à adhérer à ce processus révolutionnaire d’inspiration tiers-mondiste.

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§2 La mise en œuvre du NOEI A. Le bilan mitigé de la mise en œuvre du NOEI Assurément, le NOEI a contribué à la mise en forme de certaines valeurs telles que l’indépendance, l’égalité, la justice. Par ce projet, les pays en voie de développement ont permis à la Communauté internationale de prendre conscience que la paix ne peut pas être, seulement, assurée par le droit. Elle peut l’être aussi par le développement, pour lequel le droit a un rôle à jouer. Par ce biais, les PVD ont permis à l’ONU de recentrer ses activités sur les problèmes de développement économique. Ses principes ont inspiré plusieurs conventions. On peut citer la Convention de Lomé, en ce qui concerne par exemple le principe de la dualité des normes. Ce qui est une illustration fondamentale du poids de l’économie sur le droit du développement. Les pays en développement ont également réussi à imposer une nouvelle conception de l’égalité souveraine, laquelle n’est plus seulement perçue en termes juridiques, mais encore et surtout dans le sens d’une aspiration à l’égalité de développement. C’est dans ce sens qu’il faut lire l’introduction par la deuxième CNUCED du système de préférences généralisées, sans réciprocité, en faveur des PVD631 . Sans doute c’est dans le domaine de l’expression par les PVD de leur souveraineté économique que l’on observe des résultats notoires notamment avec les nationalisations des sociétés ou de concessions pétrolières étrangères632 . Le bilan du NOEI est, sur le plan de la réalisation de ses objectifs, somme toute mitigé. La mise en œuvre des principes et déclarations du NOEI n’a été que partielle : elle n’a pas eu les effets attendus, notamment la transformation profonde du système économique international.

631

Il faut noter que le principe de non réciprocité a déjà été affirmé par la première CNUCED en 1964. Il a été transcrit à la même époque dans l’article XXXV, § 8, du GATT. En outre, les engagements pris lors des « cycles Kennedy en 1967, de l’Uruguay round en 1994 par les Etats développés l’ont été sans réciprocité de la part des pays en développement. Dans le cadre des conventions de Lomé entre la CEE et les Etats ACP, la CEE renonce à demander aux ACP de lui consentir des avantages comparables à ceux qu’elle leur accorde. C’est aussi un des principes de système généralisé des préférences mis en œuvre par la CNUCED en 1970 et appliqué par les pays développés et la CEE. 632 V. Aff Texaco–Calasiatic, op. cit. ; S.A 12 avril 1977, Liamco c/Libye, Revue de l’arbitrage, 1980, p. 134 ; M. Ch. Boutarde-Labarde, « Nationalisations imposées, nationalisations négociées », PUF, 1984, 157 p. ; R.B .Von Mehren et P.N. Schrijver, « The taking of foreign property under international law : A new Legal perspective ? ». N. Yb.I.L, 1984, pp. 9-96 ; B. Stern, « 3 arbitrages, un même problème, 3 solutions », Rev. Arbitrage, 1980, pp. 3-191.

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Plusieurs auteurs633 ont largement expliqué les causes de l’échec du tiersmonde à transformer le système économique mondial instauré au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ils relèvent que le NOEI reposait sur une confusion entre les vertus formelles du vote majoritaire, expression du principe de l’égalité de droit, et l’inégalité de fait. En fait, selon ces auteurs, le NOEI, adopté grâce à la force du nombre, n’a fourni que l’illusion du pouvoir dès lors que, dans la réalité économique internationale, l’application des résolutions reposait sur les Etats de la minorité, les pays industrialisés à économie de marché. Dans les faits, ceux-ci ont fait valoir que l’inégalité de puissance économique à l’égard des PVD n’autorisait pas ceux-ci à réformer le système économique mondial sans leur participation et sans leur consentement. Ils ont ainsi bloqué toute réforme visant à réformer les institutions financières internationales ou à aménager les principes économiques et financiers issus du Consensus de Washington. B. La fin du NOEI et la recherche d’un nouvel ordre économique mondial 1. Le dialogue Nord-Sud, substitut du NOEI Sans doute la mise en œuvre du NOEI impliquait, dès l’origine, un dialogue entre les pays du Nord et ceux du Sud. Ce dialogue Nord-Sud, initié par la France634 et auquel les pays socialistes n’ont pas souhaité participer635, n’a pas abouti. Il faut souligner que la guerre froide a eu une répercussion négative sur le dialogue Nord –Sud. Face aux Etats du tiers-monde, plus proches du bloc soviétique, les Etats-Unis ont cherché à en réduire l’influence. Cette volonté s’est manifestée dans le domaine énergétique : après le premier choc pétrolier et le poids grandissant de l’OPEP, les Etats-Unis vont organiser, dès 1974, une conférence sur l’énergie qui aboutit à la création de l’AIEA, mieux contrôlable. 633 Voir, par exemple, Daniel Colard, Les relations internationales de 1945 à nos jours, op.cit. p. 286 634 C’est sous l’impulsion du Président Giscard D’Estaing, et pour résoudre le problème de l’énergie, que va se tenir du 7 avril au 14 avril 1975 la première réunion préparatoire au dialogue Nord/Sud. Il faut dire que ce dialogue Nord-Sud a été récusé par les Etats-Unis. Le dialogue Nord-Sud a comporté différentes phases ente 1975 et 1977, le dialogue se noue mais n’aboutit pas. Entre 1977-1980, il est bloqué du fait de la crise économique. Ente 1980 et 1981, il est relancé grâce au Sommet de Cancun. Cependant, comme les précédents dialogues, il va connaître un échec. 635 Les pays socialistes ont estimé ne pas être intéressés par ce Dialogue dans la mesure où ils n’ont aucune responsabilité dans la situation du sous développement du tiers-monde, ils n’exploitent pas, ils ne pillent pas non plus ses richesses comme les Etats capitalistes. Il n’y a ni colonialisme, ni impérialisme des Etats socialistes.

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Par ailleurs, l’échec du dialogue Nord-Sud découle également des divergences fondamentales existant entre les deux parties. Tout les opposait dans le cadre des négociations, même le choix du lieu devant abriter les sommets entre les deux mondes. Les PVD voulaient discuter aux Nations Unies de la coopération économique internationale pour le développement du fait qu’ils y sont majoritaires, tandis que les Occidentaux souhaitaient privilégier les institutions spécialisées pour des raisons analogues. Ils possèdent, en effet, la majorité du capital au FMI et à la Banque mondiale. L’aggravation de la crise économique636 qui se manifeste non seulement dans les Etats développés, mais dans les PVD, la perte d’influence de l’OPEP, la révolution en Iran, l’effondrement du bloc soviétique accompagné par le rapprochement des anciens Etats socialistes du monde occidental, tout comme le reflux du tiers-mondisme vont amener certains dirigeants, comme Mr. Julius Nyerere, le Président de la République de Tanzanie, à considérer « que le dialogue Nord-Sud n’existe plus, que la revendication du tiers-monde n’est plus à l’ordre du jour637 ». Il faut, cependant, souligner que ces critiques doivent être nuancées et reconnaître avec le Professeur Daniel Colard, que l’on ne peut parler d’échec dans la mesure où « dix ans de dialogue économique international n’ont pas été sans conséquence. Les idées ont évolué ; certains éléments du NOEI ont été mis en place. La restructuration du système économique international est une opération qui exige de la part des Etats : temps, durée et volonté politique. On ne saurait donc s’étonner de la lenteur de ce dialogue devant pareille mutation. L’essentiel est d’avancer638 ». Du reste grâce à « la politique des petits pas », il y a eu des résultats concrets. C’est par le biais du dialogue Nord-Sud qu’est institué le « Nouvel ordre alimentaire » avec le FIDA et le Conseil Mondial de l’Alimentation. Une Déclaration sur les principes et sur un programme d’action pour l’emploi a été adoptée dans le cadre de l’OIT. Dans la même veine, un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication a été défini sous l’égide de l’UNESCO et, sous les auspices de la CNUCED est conclu, le 5 juin 1980, un accord portant sur la création d’un Fonds commun pour les produits de base, tandis que l’OMS a approuvé par une résolution du 19 novembre 1981 la stratégie mondiale de la santé pour tous. Et deux ans plus tard, l’ONU va adopter la Convention de Montego Bay qui pose les fondements d’un Nouvel Ordre maritime international. Cette convention adoptée le 10 décembre 1982, fait du fond des mers et des océans 636

Cette crise se caractérise par la montée du chômage, la récession, l’inflation, la stagflation, les déficits monétaires, le déséquilibre des balances commerciales et des balances de paiement, la détérioration des termes de l’échange, la crise de l’endettement, etc. 637 Cité par Daniel Colard, Les relations internationales de 1945 à nos jours, op. cit., p. 291. 638 Ibid. p. 292.

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le patrimoine commun de l’humanité dont l’exploration et l’exploitation obéissent à un régime juridique spécifique. Ce concept de patrimoine commun de l’humanité a été étendu, entre autres, à l’espace, l’Antarctique, la science et la technique, la biosphère et à l’environnement. L’évolution des relations internationales est marquée aussi par la prise de conscience par le tiers-monde de la nécessité de renforcer la coopération Sud/Sud. Cette coopération internationale ayant pour finalité le développement des PVD, dans le cadre de l’interdépendance globale, se fonde sur un nouveau principe : le principe de l’autonomie collective des pays en développement639 . Parallèlement, on assiste au renforcement de la Coopération économique régionale, de l’intégration. Dans ce contexte, en Afrique a été adopté, le 19 avril 1980, le Plan d’action de Lagos, lequel confirme la Déclaration de Monrovia de juillet 1979640. Par ces différents instruments propres à l’Afrique, les Etats africains s’engagent à édifier au niveau national, sous-régional et régional, une économie africaine dynamique et interdépendante, prélude à l’établissement d’un marché commun, fondement d’une communauté économique africaine. Il s’agit de sortir l’Afrique du sous-développement par le biais de la coopération économique. C’est dans ce contexte que s’inscrit la création de nombreuses organisations sous-régionales d’intégration en Afrique. On peut citer la CEDEAO, l’UEMOA, en Afrique de l’Ouest, la CEMAC et l’UDEAC en Afrique centrale, ou la SADC en Afrique Australe etc.641. En dépit de ces évolutions positives, force est de constater que le développement des Etats en voie de développement est loin d’être atteint. Les pays les plus pauvres régressent, les pays en transition sont confrontés à d’immenses difficultés, les pays industrialisés affrontent de nouveaux problèmes économiques, sociaux et écologiques qui les rendent réticents à maintenir le niveau de leur aide. Dans ce contexte de crise, l’ONU tente de développer une nouvelle stratégie de développement en faveur des PVD.

639

Voir la Déclaration de Mexico du 22 septembre 1976 ; le programme d’Arusha pour l’autonomie collective de février 1979, élaboré lors de la Ve CNUCED ; la Déclaration sur l’Autonomie collective des pays non alignés et autres pays en voie de développement, adoptée lors du VIIe Sommet des pays non alignés de New Delhi. 640 Voir Michel-Cyr Djiena Wembou, L’OUA, à l’aube du XXIe siècle : bilan, diagnostic et perspectives, op. cit., p. 195 et s. 641 Voir supra.

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2. La recherche d’une nouvelle Stratégie de développement : L’agenda pour le développement Depuis la fin de la guerre froide, les Nations Unies se sont engagées dans un processus de réforme qui vise à adapter l’Organisation aux bouleversements géopolitiques, économiques et sociaux de l’ère post communiste. C’est dans ce contexte de restructuration et de revitalisation de la coopération pour le développement que plusieurs instruments ont été adoptés exprimant un consensus mondial sur le développement. Il s’agit, faut-il le rappeler, de la Déclaration sur la coopération économique internationale, de la Stratégie pour la quatrième décennie de développement, des Déclarations et du programme d’action de Paris sur les pays les moins avancés, de Rio sur le développement durable, de Vienne sur les Droits de l’Homme, de Copenhague sur le développement social, de Pékin sur la promotion des femmes. En adoptant l’Agenda pour le Développement642, les Nations Unies ont voulu rééquilibrer leur action au profit de la coopération pour le développement, sur la base du droit au développement qui est un droit fondamental des Droits de l’Homme, et du principe selon lequel il ne saurait y avoir de paix sans développement. Cet Agenda pour le Développement qui consolide les engagements antérieurs dans les domaines économique, social et écologique a également pour objectif d’établir « un partenariat renouvelé et renforcé en faveur du développement, fondé sur des impératifs de l’avantage mutuel et d’une authentique interdépendance ». Au-delà de l’économie, du social et de l’écologie, l’Agenda pour le Développement exprime un consensus mondial sur les valeurs communes du modèle libéral. La démocratie pluraliste fondée sur l’économie de marché semble être aujourd’hui, le seul paradigme crédible du développement. Ainsi, se trouvent consacrés, en tant que valeurs universelles, la démocratie, le respect des Droits de l’Homme, notamment le droit au développement et l’exigence d’une bonne administration, selon un standard moins controversé que la bonne gouvernance, assurant la transparence, et la responsabilité dans la gestion des affaires publiques et la participation effective de la société civile. Ce sont ces valeurs qui fondent le nouvel ordre mondial643 .

642 643

Voir Résolution 51/240 du 20 juin 1997. Voir supra.

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SECTION 2 LES RELATIONS COMMERCIALES Dans son arrêt du 12 décembre 1996 relatif à l’affaire des plates-formes pétrolières, Iran c/ Etats-Unis, exceptions préliminaires, § 45, la CIJ644 note : « (…) le mot « commerce », dans son acception usuelle, ne se limite pas aux seules activités d’achat et de vente ; il a des connotations qui dépassent le simple fait d’acheter et de vendre, et comprend « l’ensemble des transactions et arrangements, etc., nécessaires à cette fin (…) ». De même l’expression « commerce international » désigne, dans son sens propre « l’ensemble des transactions à l’importation et à l’exportation, des rapports d’échange, d’achat, de vente, de transport, des opérations financières, entre nations » et, parfois même, « l’ensemble des rapports économiques, politiques, intellectuels entre Etats et entre leurs ressortissants » (Dictionnaire de la terminologie du droit international) (établi sous l’autorité du Président Basdevant), Sirey, 1960, p.126. (…) Ainsi, que le mot « commerce » soit pris dans son sens le plus commun ou au sens juridique, au plan interne ou international, il revêt une portée qui excède la seule référence aux activités d’achat et de vente ». Le commerce international est perçu comme un pur fait, mais un fait qui a donné naissance au droit international tout entier645 . Il faut rappeler que dès le XIXe siècle, l’histoire économique a été marquée par un développement rapide du commerce international. Plus généralement, les périodes d’expansion ont toujours été associées à des périodes d’intensification des échanges internationaux. Inversement, les périodes de crise majeure, comme la première et la Seconde Guerre mondiale, ou la grande crise des années 30, sont également des périodes de contraction des échanges. La rapide progression des échanges a été présentée comme un phénomène contemporain. Pourtant, ce phénomène est ancien, récurrent et réversible. En réalité, ce sont les modalités et la nature des échanges qui ont évolué. Et cette évolution a été, jusqu’aux années 1980, guidée plus par des choix politiques, comme l’ouverture multilatérale et l’intégration, que par des progrès techniques (la baisse des coûts de transports et de transmission de l’information). S’il y a mondialisation, ce phénomène s’inscrit tout autant dans l’activité des firmes multinationales que dans les échanges proprement dits646.

644

Rec. 1996, p. 818. A. Pellet, « Recherches sur les droits fondamentaux des Etats dans l’ordre des rapports internationaux et sur la solution des conflits qu’ils font naître », RDGIP, 1898, p. 72. 646 Voir Mathieu Crozet, « Commerce international », Encyclopaedia, op. cit., vol. 6, p. 445. 645

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§1 L’encadrement juridique du commerce international La signature, le 15 avril 1994, de l’Accord de Marrakech, qui est l’Acte final du cycle de l’Uruguay, marque le début d’une novation assez fondamentale du système commercial international. Il est l’aboutissement des efforts déployés pour encadrer juridiquement le commerce international. Il convient, ici, de retracer le processus historique de cette évolution fondamentale des relations économiques internationales. A. L’expérience avortée de la Charte de la Havane A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, parmi les axes du nouvel ordre international que veulent édifier les Etats-Unis, figurait la liberté des échanges. Comme dans d’autres domaines, par exemple la paix et la monnaie, il s’agissait de bâtir un dispositif institutionnel organisant cette liberté. Dans ce but, les Etats-Unis ont proposé, dans le sillage des accords monétaires de Bretton Woods de juillet 1944, un accord international sur la réduction des obstacles aux échanges. C’est dans ce contexte que, du 21 novembre 1947 au 24 mars 1948, des négociations vont se dérouler à la Havane à Cuba sous les auspices du Conseil économique et social des Nations Unies647 et aboutir à l’adoption de la Charte de La Havane instituant « une Organisation internationale du Commerce » ou OIC648 . Dans son principe, cette Charte s’oppose aux principes du libre-échange tel que véhiculé aujourd’hui par l’OMC. Elle propose une approche différente des conceptions actuelles du commerce international. En effet, dans la perspective de la Charte, le développement de chaque pays est fondé sur la coopération et non sur la concurrence. La Charte préconise, par ailleurs, l’intégration du plein emploi dans ses objectifs649, l’équilibre de la balance des paiements650, le renforcement de la coopération entre les Etats membres, avec l’ECOSOC, avec l’OIT ainsi qu’avec les autres organisations intergouvernementales compétentes afin de faciliter et de favoriser le développement industriel et le développement économique général ainsi que la reconstruction des pays dont l’économie a été dévastée par la guerre651, l’adoption de normes de travail équitables652 . 647

La Conférence de la Havane a été convoquée à la suite de la résolution de l’ECOSOC du 18 février 1946 appelant à la tenue d’une « Conférence internationale sur le commerce et l’emploi en vue de favoriser le développement de la production, des échanges et de la consommation des marchandises ». 648 Cette Charte a été signée par 53 Etats 649 Art. 1. 650 Art. 3 et 4. 651 Art. 10. 652 Art. 7.

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En outre, la Charte va instituer un contrôle des mouvements des capitaux653 . Elle autorise les aides de l’Etat pour faciliter l’établissement, le développement ou la reconstruction de certaines branches d’activité industrielle ou agricole. Et l’octroi de cette aide sous forme de mesures de protection est justifié654. Il faut noter aussi que la Charte de La Havane aménage un cadre coopératif pour la conclusion d’accords préférentiels655 . Elle autorise les mesures de subvention dans certaines circonstances, les Etats membres étant invités à prendre en considération les intérêts des Etats exportateurs en vue d’éviter leurs effets préjudiciables656, de même que le recours à des restrictions quantitatives pour éviter, par exemple, une « pénurie grave de produits alimentaires ou d’autres produits essentiels pour un Etat membre exportateur ou pour remédier à cette pénurie657 ». Elle prohibe le dumping658 et considère les produits de base comme une catégorie particulière659 . Ce texte fort ambitieux ne va pas être mis en œuvre. L’échec de la Charte de la Havane est dû au refus du Sénat américain d’en autoriser la ratification, du fait de sa tradition protectionniste. Ce refus va entraîner les autres Etats parties à ne pas l’appliquer. Toutefois, cette Charte va produire des effets. Sa substance va être reproduite partiellement par le GATT en ce qui concerne la partie relative au Code du commerce international. B. La pérennisation des principes du GATT et l’émergence de l’OMC Parallèlement à la négociation de la Charte de la Havane, fut signé, le 30 octobre 1947, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce ou General Agreement on Tarifs and Trade (GATT). Cet accord qui se traduit, pour les vingt-trois Etats signataires, par une réduction substantielle des droits de douane, était provisoire. Il a pris fin à la suite de l’institution de l’OMC.

653

Art. 12. En vertu de l’article, tout Etat membre de l’OIC a le droit de prendre des mesures appropriées de sauvegarde pour assurer que les investissements étrangers ne « serviront pas de base à une ingérence dans ses affaires intérieures ou sa politique nationale » ; de déterminer « s’il autorisera ou non, à l’avenir, les investissements étrangers, et dans quelle mesure et à quelles conditions, il les autorisera ». 654 Art. 13. 655 Art. 15. 656 Art. 18. 657 Art. 20. 658 Art. 26. 659 Art. 27 et 28.

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1. Les différents cycles du GATT Le GATT se fonde sur un constat qui caractérise le pragmatisme anglosaxon : le commerce international est fondamentalement bon, dans la mesure où il encourage la division internationale du travail, la spécialisation de chacun dans les activités où il est le plus doué ; ce but de multiplication des échanges doit être atteint par des négociations quasi-permanentes entre les Etats signataires, se concluant par des concessions mutuelles660 . Le principe fondamental du GATT est la non-discrimination, concrétisé par deux clauses : la clause de la nation la plus favorisée, c'est-à-dire que les avantages accordés par un Etat signataire à un autre sont automatiquement étendus à tous les autres Etats signataires ; ensuite, la clause du traitement national ; ainsi tout Etat doit, sur son territoire, appliquer un régime juridique fiscal identique, à tous ses nationaux (produits, services…). Il prévoit aussi l’abaissement général et progressif des tarifs douaniers, la prohibition des restrictions quantitatives, l’interdiction du dumping et des subventions à l’exportation. Le GATT, dans sa conception, se caractérise par sa flexibilité. Il établit en effet, toutes sortes de dérogations, ou d’aménagements. En vertu de l’article 24, les Etats signataires sont autorisés à conclure entre eux des unions douanières ou des zones de libre-échange, à la condition, cependant, que les Etats tiers ne soient pas pénalisés et que, dans le cas contraire, ils bénéficient de compensations. Le GATT, est entré en vigueur le 1er janvier 1948. Comme spécifié, il a été conçu à l’origine pour une durée provisoire. Le caractère provisoire du GATT qui a tendu à se pérenniser661 a donné lieu à des négociations multilatérales organisées en cycles (Rounds). C’est ainsi que les négociations commerciales multilatérales (NCM) qui, de plusieurs mois au départ, se sont mises à durer plusieurs années. Les premiers cycles portent sur le domaine tarifaire et sur les produits manufacturés. L’agriculture est donc exclue à ce stade. a. Du Cycle de Genève 1947 au Dillon Round 1961-1962 Les Cycles de Genève d’avril 1947 et du Dillon Round 1961-1962 marquent un tournant dans les méthodes de négociations. Du schéma de négociation produit par produit dans un cadre strictement bilatéral qui met en jeu fournisseurs et acheteurs du produit, on évolue vers un mécanisme de réduction linéaire des droits de douane sauf pour les produits dits sensibles pour lesquels il y a des discussions effectives.

660

Voir Philippe Moreau Defarges, «Les organisations internationales contemporaines », op. cit., p.44. 661 Le Gatt a pris fin le 31 décembre 1994 à la suite de l’institution de l’Organisation Mondiale du Commerce ou OMC, le 1er janvier 1995. L’OMC s’est substituée au Gatt.

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Les conséquences de la mise en œuvre de ce mécanisme sur les échanges mondiaux furent limitées662. Cela s’explique par le comportement des nouveaux acteurs qui ont eu souvent recours aux clauses de sauvegarde et dérogations prévues par le GATT. b. Le cycle de Kennedy ou Kennedy Round, mai 1964-juin 1967 Avec le cycle de Kennedy est appréhendé le domaine non tarifaire. Il faut souligner que cette période est marquée par une forte croissance des économies des pays industrialisés, ce qui a pour effet de dynamiser les échanges des produits manufacturés, mais aussi par les rivalités entre les Etats-Unis et la Communauté Européenne devenue en 1962 le premier commerçant du monde. On assiste également durant cette période à une évolution conceptuelle de la politique commerciale américaine qui accorde la priorité aux exportations des Etats-Unis, sur la défense du marché domestique. Les soixante-deux Etats qui ont participé au Kennedy Round ont pris la décision de réduire de 35% les droits de douane sur les produits manufacturés, alors que des négociations se sont déroulées sur quelques produits agricoles. Ils ont également adopté un code anti-dumping et un code de normalisation. Ils ont abordé les questions sur les obstacles non tarifaires et aménagé, pour la première fois, des mécanismes préférentiels pour les pays en voie de développement. La partie IV du GATT, ajoutée en 1964, admet entre autres qu’il n’y ait pas réciprocité complète des concessions à leur bénéfice. c. Le cycle de Tokyo ou Tokyo Round septembre 1973 novembre 1979 Ce cycle a porté sur les domaines tarifaire et non tarifaire et sur la réforme du système juridique du GATT. Il intervient dans un contexte de récession économique, de modification des rapports de force dans les relations économiques internationales avec la place importante prise par la Communauté européenne et le Japon, mais également par le nombre croissant de pays participants aux négociations, dont la majorité sont des pays en voie de développement. Avec le Tokyo round, on assiste à une réduction de 34 % des protections tarifaires. Neuf accords ont été conclus portant sur les domaines non tarifaires. Le code anti-dumping est révisé, des décisions sont aussi prises

662

On peut relever qu’avec le premier cycle de Genève octobre 1947-juin 1948, les décisions prises concernaient 45 000 réductions tarifaires ; avec le cycle Annecy avril-août 1949, 5000 nouvelles réductions ; le cycle Torquay septembre 1950-avril 1951, une réduction de 25 % par rapport au niveau de 1948 ; le cycle de Genève janvier-mai 1956, nouvelles concessions tarifaires et le cycle Dillon septembre 1960-juillet 1962, 4 400 concessions tarifaires.

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portant sur les subventions, sur les obstacles techniques au commerce, sur la valeur en douane, sur les procédures en matière de licences d’importation. Un accord sectoriel sur l’industrie aéronautique civile est conclu, de même que deux arrangements en matière agricole portant sur les produits laitiers et la viande bovine. Pour les Etats-Unis, ces accords signés par une minorité d’Etats, constituent pour eux des normes communes dont le nonrespect justifie des contre-mesures unilatérales de protection. Un mécanisme préférentiel est en outre aménagé au bénéfice essentiel des pays en développement. En dépit de ces accords, il y a eu des entorses au multilatéralisme et la tentation protectionniste est allée crescendo. Les accords multifibres en sont la parfaite illustration. Ils permettent la limitation des importations de textile en provenance des pays en voie de développement et servent de couverture à la conclusion d’accords bilatéraux d’autolimitation. Ces accords ont pour conséquence de saper les disciplines communes. d. Le cycle de l’Uruguay ou Uruguay Round septembre 1986avril 1994 En plus de la reprise des négociations sur les thèmes qui avaient fait l’objet d’accords ou d’arrangements lors du cycle de Tokyo, de nouveaux domaines sont explorés dans le cadre de l’Uruguay Round. Il s’agit de l’agriculture, des services, de la propriété intellectuelle, des politiques d’investissement liées au commerce, des droits de douanes, de l’audiovisuel… D’où des accords de plus en plus longs et complexes. Les Etats ont convenu de trouver des solutions aux obstacles à la libéralisation des échanges et de trouver un accord global et simultané sur toutes les questions, avec la conséquence évidente qu’un blocage même sur un point mineur peut empêcher ou retarder la conclusion des négociations. C’est le cas par exemple de la politique agricole commune de l’Europe qui a longtemps paralysé les négociations entre cette dernière et les EtatsUnis. Leur aboutissement en décembre 1993 a permis l’adoption d’un ensemble de 28 accords signés à Marrakech le 15 avril 1994 et entrés en vigueur le 1er janvier 1995. L’accord de Marrakech marque la naissance de l’OMC qui va se substituer au GATT. L’histoire a montré que la transformation du GATT est le résultat de deux facteurs au moins. Il s’agit d’une part, du nombre croissant d’Etats participant aux négociations et, d’autre part de l’élargissement du champ des négociations. Le premier cycle du GATT a réuni 23 Etats et, lors du Kennedy Round, ils sont 62 Etats, puis 99 au Tokyo Round. L’Uruguay Round s’ouvre avec 92 Etats ; et les accords de Marrakech seront signés par plus d’une centaine d’Etats.

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En outre, le GATT a toujours été dénoncé durant les années soixante-dix (70) - quatre-vingt (80) par les Etats du tiers-monde et par les Etats socialistes. Les pays en voie développement, dans leur majorité, ne se sont ralliés au GATT qu’à partir du cycle de l’Uruguay. Ils ont pris conscience de l’importance du commerce pour leur développement qui passe nécessairement par l’ouverture de leur marché. Si les premiers cycles du GATT ont porté essentiellement sur la réduction des droits de douane, il n’en demeure pas moins que le champ des négociations va s’élargir au fur et à mesure que progresse la libéralisation des échanges, pour couvrir, entre autres, l’agriculture, les services, la propriété intellectuelle, l’audiovisuel, etc. L’Uruguay Round marque la fin d’un cycle des échanges mondiaux et annonce un nouveau chapitre des relations économiques internationales avec l’OMC. 2. La réglementation des échanges internationaux dans le cadre de l’OMC Fondée par les Accords de Marrakech, l’OMC est entrée en fonction le 1er janvier 1994. Elle compte 160 membres au 26 juin 2014663 . L’OMC est chargée d’administrer le GATT, mais également les nouveaux accords sur les services (GATS), sur la propriété intellectuelle (TRIPS), sur les investissements liés au commerce (TRIMS). L’élargissement des compétences de l’OMC est complété par le renforcement de ses pouvoirs en matière de règlement des différends. De nouveaux axes sont explorés comme l’environnement, l’investissement, les normes de travail, la concurrence, les investissements directs. L’OMC a pour finalité d’accélérer la mondialisation tout en assurant la maîtrise de ses conséquences. Elle veille à préserver un certain équilibre entre les nations et à rendre compatibles la souveraineté des Etats et l’interdépendance des économies. Dans les nouveaux accords gérés par l’OMC, le traitement de la nation la plus favorisée est réaffirmé. Mieux, l’accord de Marrakech maintient le caractère plurilatéral des accords relatifs aux aéronefs civils, aux marchés publics, au secteur laitier, à la viande bovine. Les dispositions relatives au dumping et aux subventions couvrent désormais l’ensemble des pays. Il y a en quelque sorte une généralisation des principes du GATT. Dans la nouvelle institution, le GATT demeure présent en retrouvant du reste son sens d’origine, celui d’un accord commercial, administré par l’OMC au même titre que les nouveaux accords négociés pendant l’Uruguay 663

La Chine a adhéré à l’OMC le 11 décembre 2001, la Russie le 22 août 2012. On peut citer aussi le fait notable de l’adhésion de l’Arabie Saoudite, le 11 décembre 2005.

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Round, sur les services, sur la propriété intellectuelle, etc. Et du point de vue sémantique, les pays quittent la dénomination de Partie contractante au GATT pour devenir membres de l’OMC. Avant même l’entrée en vigueur des accords de Marrakech, des négociations se sont poursuivies avec l’ouverture, en novembre 2001, d’une nouvelle conférence ministérielle ayant pour objet la libéralisation des échanges. Les premières réunions de l’OMC se sont tenues dans une atmosphère tendue entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement. Les points de désaccords ont porté sur l’accès au marché, la réduction des droits de douane, la réduction des subventions aux exportations, l’agriculture, les services, les produits industriels et sur le secteur des médicaments. Mais les positions se sont surtout cristallisées sur les subventions accordées à l’agriculture. Les PVD souhaitent l’abandon de cette pratique de la part des pays industrialisés et ils en font même un préalable à toute discussion. Ils estiment que les tarifs douaniers sur les produits agricoles sont si élevés que les réductions proposées par l’Union Européenne ne permettent pas aux exportateurs du tiers-monde de pénétrer à l’intérieur du marché européen. Sans doute, les Etats s’accordent sur la nécessité de libéraliser le commerce international. Cependant, les différences de développement, dans les orientations de leurs économies, freinent la possibilité de trouver un accord, d’où la nécessité de continuer les négociations. C’est dans ce contexte que se sont déroulées les négociations du cycle de Doha. Comme précédemment, les négociations ont achoppé sur le problème de l’agriculture. Il était en effet difficile de trouver un accord sur la libéralisation progressive des marchés agricoles, l’Europe s’opposant à la remise en cause de son Programme agricole commun (PAC). La Chine, ellemême, a toujours refusé de baisser ses droits de douane sur trois produits clés : le riz, le coton et le sucre. En conséquence, les négociations ont donc échoué le 28 juillet 2008.

§2 L’encadrement institutionnel des relations commerciales Dans la conception traditionnelle, le libre commerce est perçu comme un moyen d’entraîner un gain de prospérité pour les participants. Cette perception se fonde sur la théorie des avantages comparatifs qui est à la base de tous les efforts entrepris pour créer un libre système du commerce mondial multilatéral.

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Selon cette théorie, tous les Etats vont maximiser leur profit s’ils commercent entre eux, chaque Etat se spécialisant dans la production de biens pour lesquels il peut produire aux coûts les plus bas. En conséquence, la mission la plus importante de la politique internationale du commerce est la création d’un cadre institutionnel pour le commerce mondial. Jusqu’à la fondation de l’OMC, les Etats membres ont négocié les conditions du cadre multilatéral pour le commerce mondial. Dans ce contexte, le caractère provisoire du GATT, lui a conféré, au fil du temps, un statut juridique et institutionnel. A. Le GATT Il ressort des développements précédents que le GATT est essentiellement fondé sur un système normatif. Progressivement, ce système s’est institutionnalisé pour se transformer en une sorte d’organisation internationale de coopération commerciale entre les Etats signataires664. Si le GATT ne peut être considéré, du point de vue de la théorie du droit des organisations internationales, comme une organisation internationale, il n’en demeure pas moins que dans les faits, il a fonctionné comme telle. La dimension institutionnelle du GATT est surtout révélée par la pratique collective des Parties contractantes et l’action spécifique des organes subsidiaires. 1- Les Parties contractantes ont considéré le GATT pendant de nombreuses années, comme une véritable institution, chargée de veiller au respect de la liberté commerciale. Dans ce système, elles étaient investies d’un pouvoir d’interprétation des dispositions du GATT. Certes, les litiges qui donnent lieu à cette interprétation pouvaient être portés devant la CIJ mais il importe de relever que l’organe judiciaire principal de l’ONU ne peut connaître des décisions des Parties contractantes. Ces dernières avaient le pouvoir d’adopter des décisions interprétatives soit sur la demande d’un délégué, soit sur l’initiative du Président de session. Dans le système du GATT, des opinions dissidentes peuvent être émises et, dans certains cas, un avis juridique peut être donné par le Directeur général du GATT. A l’issue des négociations commerciales, les Parties contractantes procèdent à la signature d’accords relatifs à l’interprétation de quelques articles de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Elles disposent, en ce sens, d’un pouvoir quasi-législatif. 664

Voir l’excellent ouvrage de Mr. Jean Maurice Djossou dont nous empruntons quelques passages pour étayer certaines analyses : «L’Afrique, le GATT et l’OMC. Entre territoires douaniers et régions commerciales », L’Harmattan. Les Presses de l’Université Laval, 2000, p. 59 et s.

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En juin 1960 est créé le comité des représentants qui a un rôle d’intersession. Il est composé de représentants de toutes les Parties contractantes qui sont disposées à accepter les responsabilités de membres. Il est compétent pour traiter des questions urgentes et de faire rapport aux Parties contractantes. Le Conseil dispose de toutes les compétences des Parties contractantes à l’exception du pouvoir d’accorder des dérogations. Il est devenu, au fur et à mesure du développement des échanges, le principal organe du GATT de 1947 à la création de l’OMC en 1994. 2- Les organes subsidiaires constituent les instruments de travail des Parties contractantes et du conseil qui les créent et en désignent les membres selon les circonstances et les tâches à accomplir665. Il convient de distinguer les comités et les sous-comités, les groupes de travail et les panels ou groupes sociaux d’experts. a- Les comités et les sous-comités sont créés pour l’étude et le suivi de questions spécifiques entrant dans le champ d’application du GATT. Ils peuvent avoir un caractère permanent suivant l’importance et la nature des questions dont ils sont chargés. On peut citer le comité du commerce et du développement créé en vertu de l’article XXXVIII paragraphe 2, le sous-comité des pays les moins avancés666, le comité de la balance des paiements. Les Comités de négociations commerciales présidés par le Directeur général du GATT siègent seulement lors des négociations. Des groupes de travail sont également établis avec un caractère provisoire. Ils sont créés par le Conseil pour étudier et faire un rapport sur une question spécifique soulevée par une ou plusieurs Parties contractantes. C’est le cas du groupe de travail sur l’environnement créé en 1971. Il a été réactivé en 1991 pour étudier les liens entre le commerce international et la protection de l’environnement. Les membres des groupes de travail siègent en tant que représentants de leur Etat. Cette caractéristique les rapproche des comités, mais les distingue des panels composés d’experts indépendants. b- Etablis par le Conseil des représentants, les groupes spéciaux interviennent dans la procédure de Règlement des différends définie par les articles XXII et XXIII du GATT667. Ils sont composés de trois ou quatre 665

Voir O.Long, Law and its limitations in the GATT multilateral trade system, Dordrecht Martinus Nijhof Publisher, 1985, p.67. 666 Ce dernier comité s’est penché sur les questions portant, par exemple, sur l’examen de l’évolution du commerce international relatif aux aspects qui intéressent les pays les moins avancés, sur les mesures prises en faveur des pays les moins avancés, sur les intérêts à l’exportation des pays les moins avancés et sur l’aide du secrétariat. 667 Il faut rappeler ici, qu’en vertu des règles énoncées dans l’article XXIII du GATT de 1947, les Parties contractantes, agissant conjointement, doivent elles-mêmes régler tout différend surgissant entre certaines d’entre elles. De ce fait, pendant les toutes premières années du

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experts, indépendants sans lien avec les parties au différend. Ces groupes spéciaux établissent des rapports indépendants assortis de recommandations et de décisions pour régler le litige et les transmettent au Conseil du GATT. Ce n’est qu’après avoir été approuvé par le Conseil du GATT que ces rapports deviennent juridiquement contraignants pour les parties au différend. Les Parties contractantes du GATT ont progressivement codifié et parfois aussi modifié les nouvelles pratiques en matière de procédures pour le règlement des différends668. Certains principes fondamentaux sont restés inchangés jusqu’au cycle de l’Uruguay, le plus important étant la règle du consensus positif nécessaire pour renvoyer un différend à un groupe spécial. Ce consensus postule qu’aucune partie au différend ne doit s’opposer à la décision. L’intéressant résulte du fait que les parties au différend ne sont pas exclues du processus de prise de décision. Autrement dit, le défendeur peut bloquer l’établissement d’un groupe spécial. En outre, il faut aussi un consensus positif pour adopter le rapport du groupe spécial et pour autoriser l’application de contre-mesures à l’égard d’un défendeur qui ne procède pas à la mise en œuvre. Ici aussi, ces mesures peuvent être bloquées par le défendeur. Le système établi comporte dans son essence des insuffisances susceptibles de paralyser son fonctionnement. Pourtant, il ressort d’études empiriques que le système a permis de dégager des principes satisfaisant les parties. Les Parties contractantes impliquées dans des différends en tant que défendeurs se sont abstenues pour la plupart de bloquer des décisions par consensus et ont permis que les procédures suivent leurs cours, même si c’est à leur détriment à court terme. Elles ont pris conscience que le recours excessif au droit de veto peut amener les autres parties à agir de même. Toutefois, force est de constater, qu’un nombre important d’affaires n’ont pas été portées devant le GATT du fait du risque de véto. Ce véto a effectivement été utilisé, en particulier dans les domaines économiquement importants ou politiquement sensibles comme le dumping. Ceci a pour effet d’affaiblir le système du règlement du GATT. Ce modèle s’est dégradé dans les années 1980 lorsque les Parties contractantes GATT, les différends sont tranchés par voie de décision du Président du Conseil du GATT. Par la suite, ils ont été renvoyés à des groupes de travail composés de représentants de toutes les Parties contractantes intéressées, y compris les parties au différend. Ces groupes adoptent leurs rapports par consensus. Ils ont été remplacés par les groupes spéciaux. 668 En ce sens, des décisions et mémorandums d’accord ont été adoptés avant le cycle de l’Uruguay. On peut citer la décision du 5 avril 1966 sur les procédures d’application de l’article XXIII, le Mémorandum d’accord sur les notifications, les consultations, le Règlement et la surveillance, adopté le 28 novembre 1979, la décision sur les procédures de règlement des différends, figurant dans la déclaration ministérielle du 29 novembre 1982, ou la décision sur les procédures de règlement des différends du 30 novembre 1984.

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ont de plus en plus bloqué l’établissement des groupes spéciaux et l’adoption de leurs rapports. Des accords plurilatéraux issus des négociations commerciales multilatérales du Tokyo Round, appelés « codes du Tokyo Round », comme par exemple le code antidumping, ont énoncé leurs propres procédures de règlement des différends. In fine, il faut relever aussi que si les pays développés ont considéré le GATT comme le principal forum de discussions de leurs problèmes commerciaux, et de ce fait y étaient fortement représentés, les pays du tiersmonde étaient beaucoup plus présents à la CNUCED, pour faire valoir leurs intérêts. Par ailleurs, ils n’étaient pas membres du Conseil. Beaucoup d’Etats ACP ne s’étaient même pas fait représenter au GATT, d’autant plus que les sujets qui y étaient débattus occultaient notoirement les problèmes posés par le commerce des produits de base. B. La CNUCED C’est l’un des organes subsidiaires des Nations Unies. Elle aborde les questions relatives au commerce et au développement. Son objectif est d’intégrer les PVD dans l’économie mondiale. Dans ce contexte, elle fournit une assistance technique aux gouvernements afin de faciliter les investissements étrangers, l’aide financière nécessaire à leur développement. La CNUCED contribue également au renforcement du cadre juridique du commerce international. Elle agit comme une tribune, un cadre pour les négociations entre les PVD et les grandes puissances pour aboutir à un consensus dans la réglementation des échanges internationaux. Elle collabore avec les Institutions spécialisées des Nations Unies, comme le FMI ou la Banque mondiale, tout comme avec des organisations internationales n’appartenant pas à la famille de l’Organisation mondiale, par exemple l’OMC. Elle contribue, en outre, à atteindre les principaux objectifs de la Déclaration du millénaire adoptée par les Nations Unies, comme par exemple, la réduction de moitié de la pauvreté en Afrique d’ici 2015. Elle s’efforce de sensibiliser les Etats sur les problèmes qui concernent l’Afrique notamment sur leur développement économique, et sur les mesures à prendre tant au niveau national qu’international pour accélérer le développement de l’Afrique. Sur le plan structurel, la CNUCED est constituée d’une Conférence, qui est l’organe suprême. Elle se réunit tous les quatre ans. Entre chaque conférence, le Conseil du commerce et du développement surveille les activités de la CNUCED. Il se réunit une fois par an en session ordinaire à Genève.

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Il traite des questions spécifiques d’ordre administratif et structurel. Les Etats membres, les organisations internationales ou les ONG peuvent y être présents. Le Conseil est composé de trois commissions. Il s’agit de la Commission du commerce des biens et des services et des produits de base, de la Commission de l’investissement, de la technique et des questions financières connexes et de la Commission des entreprises, de facilitation du commerce et du développement. Ces commissions sont chargées d’examiner les questions de politique générale dans des domaines spécifiques afin d’orienter les travaux du Secrétariat de la CNUCED. Les travaux de ces commissions s’appuient sur les travaux d’experts spécialisés afin de faciliter les débats entre les Etats portant sur les questions de politique générale et permettre une articulation des politiques nationales et les mesures prises sur le plan international. Le Secrétariat, dirigé par un secrétaire général, fournit les services fonctionnels et techniques aux organes inter gouvernementaux de la CNUCED. C. L’OMC 1- Comme déjà spécifié, l’OMC a été créée en 1994. Elle marque l’avènement d’une ère nouvelle pour le commerce mondial669. L’OMC remplace le GATT fondé en 1947 et, contrairement à celui-ci, elle est une organisation internationale. Son objectif est de favoriser l’harmonie, la liberté, l’équité et la prévisibilité des échanges internationaux. Par conséquent, elle sert de cadre aux négociations commerciales et au règlement des différends commerciaux. Elle examine les politiques commerciales nationales et aide les pays en voie de développement dans le domaine commercial par le biais de l’assistance technique et des programmes de formation. Dans cette perspective, elle coopère aussi avec d’autres organisations internationales. Depuis sa création, l’OMC est devenue un véritable acteur de la mondialisation, de la gouvernance mondiale. Sous ce rapport, elle occupe une place essentielle dans les relations internationales. Comme le GATT auparavant, l’OMC s’abreuve abondamment de la philosophie libre-échangiste. 669

Voir paragraphe 2 de la Déclaration de Marrakech du 15 avril 1994. Pour un aperçu global des textes juridiques relatifs à l’OMC, voir l’ouvrage édité par le Secrétariat du GATT, « Résultats des négociations commerciales multilatérales du Cycle de l’Uruguay : textes juridiques » Genève, GATT, 1994. Cet ouvrage contient la Déclaration de Marrakech, l’Acte final reprenant les négociations commerciales multilatérales du Cycle de l’Uruguay, l’Accord instituant l’OMC, et les autres accords annexes, l’Accord général sur le commerce des services…

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L’intégration dans l’économie globale de tous les Etats membres est perçue comme la panacée du développement et de la croissance. Si l’OMC ne s’intéresse en théorie qu’au commerce, il n’en reste pas moins que, du point de vue pratique, ses compétences couvrent également des secteurs non marchands liés au commerce comme la santé, l’éducation, la culture, l’environnement. Son intégration dans l’architecture institutionnelle mondiale est néanmoins incomplète. Elle n’est pas une institution spécialisée des Nations Unies et sa complémentarité avec le FMI, l’OMS, ou l’OIT demeure insuffisante. L’OMC se situe, sans véritablement une rupture, dans le prolongement des accords et de la philosophie du GATT. Elle est perçue comme un cadre institutionnel renforcé pour le commerce international670 . Sans doute, l’OMC n’est pas une juridiction qui garantit un ordre juridique mondial. Cependant, elle consacre l’émergence d’un droit mondial du commerce, d’une consolidation d’un processus de juridictionnalisation du droit international des échanges établi par les accords de Marrakech. Ce processus avait déjà été envisagé par la Charte de la Havane de 1947 qui avait prévu la création de l’Organisation internationale du commerce qui n’a finalement pas vu le jour. 2- Sur le plan institutionnel, et comme déjà indiqué, l’OMC est une organisation internationale. Sa Structure est pyramidale671 . a- Au sommet se trouve la Conférence ministérielle, qui est l’Instance suprême de décision. Elle est composée de représentants de tous les pays membres, généralement le ministre du commerce ou de l'économie. Elle a les pleins pouvoirs. La Conférence décide des cycles de négociation, de l’admission de nouveaux membres, de la conclusion d’accords nouveaux… Elle se réunit au moins une fois tous les deux ans. b- En dessous, il y a le Conseil général, également composé des représentants de tous les Etats membres. Il exerce les fonctions de la Conférence ministérielle pendant les intersessions. Il se réunit tous les deux mois en tant qu’Organe d’examen des politiques commerciales et en tant qu’Organe de Règlement des différends. Il traite les affaires courantes et chapeaute les Comités et les Souscomités. Le Conseil est assisté de divers conseils et comités. Il s’agit en l’occurrence du Conseil du commerce des marchandises, du Conseil du commerce des services, du Conseil des aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, connu également sous le

670

Voir Olivier Blin, L’Organisation mondiale du commerce, Paris, Ellipses, 2014, p. 13. Voir Annie Krieger-Krynicki, L’Organisation Mondiale du Commerce. Structures juridique et politique de négociations, Paris, Vuibert, 2005, p. 91. 671

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vocable Conseil des ADPIC et de plusieurs Comités spécialisés, groupes de travail et groupes d’experts, qui présentent des rapports au Conseil général. c- Tous les organes sont assistés par le Secrétariat, lequel est géré par le Directeur général nommé par la Conférence ministérielle. Il est assisté de quatre directeurs adjoints. Il est à la tête de l’administration et du personnel de l’OMC. Le directeur joue un rôle de conciliateur et de négociateur. Il peut, à cet effet, disposer de réels pouvoirs d’orientation dans les discussions entre Etats. Le secrétariat établit, entre autre, un rapport dans le cadre d’évaluation régulière des politiques commerciales des pays membres. Le pays évalué établit un deuxième rapport. Ces rapports sont discutés par l’ensemble des membres qui adressent au pays concerné des recommandations. Les décisions au sein du Conseil sont prises, en général, par consensus. Un vote à la majorité est possible. Les accords de l’OMC sont ratifiés par les parlements de tous les Etats membres. Le principe de l’OMC est l’égalité des Etats membres, quels que soient leur richesse, leur taille, leur population ou leur poids dans le commerce mondial. Chaque Etat dispose d’une voix. L’accord de l’OMC prévoit, toutefois, quatre domaines dans lesquels le principe de l’égalité juridique des Etats membres est remis en cause : -

sur l’interprétation obligatoire des accords commerciaux multilatéraux, la décision se prend à la majorité des ¾ des membres de l’OMC ; la Conférence ministérielle peut libérer un membre de ses obligations des accords commerciaux multilatéraux avec une majorité des ¾ des membres de l’OMC ; pour un changement des accords multilatéraux, une majorité des ¾ des membres de l’OMC est nécessaire ; et enfin la Conférence ministérielle décide de l’adhésion des nouveaux membres avec une majorité des 2/3 des membres de l’OMC.

Objet de vifs commentaires, l’OMC est tantôt vantée pour son multilatéralisme, tantôt décriée pour sa gestion néolibérale des affaires du monde. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le libéralisme tant prôné par l’OMC a surtout profité aux grandes puissances, accentuant les inégalités entre pays développés et pays en voie de développement672 .

672

Voir Dani Rodrik, « Le commerce des illusions », Carnegie Endowment International Peace, 2001.

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SECTION 3 LES RELATIONS MONETAIRES La monnaie est une condition essentielle de l’activité économique. Son histoire est aussi ancienne que le commerce, les transactions. Elle est tantôt perçue comme un moyen de change, une unité de compte, tantôt comme une réserve de valeur673. La monnaie est au centre de tous les échanges internationaux et des relations économiques internationales. L’idée d’organiser les relations économiques et monétaires internationales est née au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les accords de Bretton Woods de 1944 vont fonder le système monétaire international qui régule les relations financières internationales. Il convient non seulement ici de s’interroger sur ce système, mais aussi de voir comment se manifeste, au niveau régional, la coopération monétaire, avant d’analyser la crise financière internationale.

§1 Le système monétaire international A. Définition et caractéristiques du système monétaire international 1. Le concept de système international monétaire Il est perçu comme un ensemble de règles et de mécanismes entre agents économiques de pays différents. Ces règles résultent des traités internationaux et de la pratique des achats internationaux. Il est également connu sous le vocable système financier international défini comme un ensemble d’institutions et de règles qui régulent et développent les flux financiers internationaux en faveur des Etats674. Les Institutions financières sont considérées comme des organisations internationales. Elles sont créées par des traités, dotées de la personnalité juridique internationale et fonctionnent sous le régime du droit international public. Par conséquent, elles se distinguent des banques privées transnationales, des institutions d’aide bilatérale ou des organismes publics internationaux dotés de moyens d’aide financiers, lesquels ne sont pas considérés comme des organisations internationales. Sans doute, l’intervention de ces banques ou organismes a un impact sur les financements internationaux. Cependant, comme le souligne à juste 673

Voir Paul R. Krugman, Maurice Obstfeld, Economie internationale, Editions De Boeck, Université Bruxelles, 2006, p. 416 et s. 674 Voir Philippe Saunier « Organisations internationales universelles à compétences monétaire et financière » in Jurisclasseur « Droit international » op.cit fascicule 135-1

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raison le Professeur Philippe Saunier, dans la mesure où ils relèvent d’intérêts nationaux ou privés, ils ne peuvent être considérés comme participant d’un système international public régissant le crédit dans l’intérêt commun. 2. Les particularités du système monétaire international De prime abord, il faut souligner que le système monétaire international est formé par adjonction d’organisations spécialisées dans le financement du développement des Etats. Ces organisations déploient leurs activités dans les pays du tiers-monde, à la différence, par exemple, de la Banque Européenne d’Investissement (BEI), de la Banque Nordique d’Investissement (BNI), et de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement qui financent des opérations dans des pays industrialisés. Le système financier international est à la fois centralisé et décentralisé. La centralisation procède des capitaux internationaux qui circulent librement, aux conditions résultant de l’équilibre du marché. En revanche, la décentralisation du système est aménagée par les organisations financières régionales qui relaient les organisations universelles auprès des pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine. Il s’agit des organisations de coopération. D’autres organisations proposent une approche différente du développement quand les standards universels sont inadaptés à la réalisation des objectifs des Etats membres. Fort de sa diversité, l’ensemble du système financier international s’ordonne autour de la croissance dans le cadre d’économies régies par les lois du marché. La cohérence du système résulte de trois volets complémentaires. Un volet bancaire qui consiste à mobiliser les capitaux publics ou privés sur les marchés financiers. Un volet paiement qui assure l’équilibre du système financier par le contrôle de la solvabilité des banques et l’établissement des règles prudentielles. Et enfin un volet économique qui consiste à optimiser les financements internationaux en proposant aux Etats des réformes de structure. 3. Les fonctions du Système monétaire international D’une manière générale, le système monétaire international assure, d’une part l’échange des monnaies nationales et, d’autre part l’alimentation en liquidités internationales. La première fonction renvoie au problème de la convertibilité des monnaies nationales entre elles, c'est-à-dire la possibilité ou non d’échanger une monnaie nationale contre une autre. Elle renvoie aussi à la question de change, opération par laquelle une monnaie nationale est échangée contre

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une autre, ce qui aboutit à la détermination du taux de change exprimant la valeur des monnaies nationales entre elles. Le taux de change peut être fixe, c'est-à-dire ne pas varier tant que les autorités monétaires de chaque pays ne l’ont pas décidé. Il peut être flottant, autrement dit fluctuer en fonction de l’offre et de la demande des devises (monnaies étrangères convertibles) sur les marchés des changes. Ce marché est le lieu où se réalisent ces transactions sur les devises. La seconde fonction vise l’ajustement des balances des paiements et le financement des transactions internationales. Ici, le système monétaire international doit permettre un approvisionnement en liquidités internationales (les moyens de paiement internationaux). Pendant longtemps, l’or a constitué l’essentiel de ces moyens de paiement. De nos jours, la plus grande partie de ces liquidités est formée de réserves internationales, c'est-à-dire des devises détenues par les banques centrales (réserves officielles) et les banques commerciales. A celles-ci s’ajoutent les droits de tirages spéciaux ou DTS qui sont constitués d’un panier de monnaies des pays membres et servent à distribuer des crédits (droit de tirage) aux pays qui en ont besoin. B. L’évolution du système monétaire international 1. Le système de Bretton Woods Il faut rappeler que les accords de Bretton Woods (Etats-Unis) sont des accords économiques qui dessinent les grandes lignes du système financier international en 1944. Ces accords ont eu pour objectif de mettre en place une organisation monétaire mondiale et de favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la seconde guerre mondiale. Ils ont été signés le 22 juillet 1944 après trois semaines de négociations entre 730 délégués représentant l’ensemble des 44 Etats alliés. Lors de cette conférence, l’URSS avait envoyé un observateur. Deux propositions se sont opposées lors de cette conférence : la proposition de l’économiste anglais John Maynard Keynes qui dirigeait la délégation britannique et celle de Harry Dexter White, assistant au Secrétaire au Trésor des Etats-Unis. Le plan Keynes ébauché dès 1941 suggérait la création d’un système monétaire mondial fondé sur une monnaie internationale, le bancor. Pour White il fallait absolument créer un fonds de stabilisation construit sur les dépôts des Etats membres et une banque de reconstruction de l’après-guerre. Cette proposition va l’emporter, organisant ainsi le système monétaire mondial autour du dollar américain, mais avec un rattachement nominal à l’or. Deux organismes furent donc créés par la conférence :

374

-

la Banque mondiale formée de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) et de l’Association Internationale de Développement (IDA) ; le Fonds monétaire international.

Comme déjà spécifié, un troisième organisme chargé du commerce international aurait dû être créé. Mais, en l’absence d’accord, il ne verra le jour qu’en 1995 avec la création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) après les cycles de négociations du GATT675 . Dans la perspective des Accords de Bretton Woods, l’or doit conserver un rôle important. Et comme les Etats-Unis disposaient des trois-quarts du stock mondial d’or, le dollar est devenu ipso facto le centre du système. Ainsi, la conférence de Bretton Woods a débouché sur la mise en place d’un système de change fixe, dans lequel chaque monnaie est convertible en dollar avec une marge de fluctuation de plus ou moins 1%, le dollar étant luimême convertible en or, au taux de 35 dollars pour une once. Ce système a garanti pendant de nombreuses années une relative stabilité monétaire internationale. Mais la viabilité du système va dépendre en grande partie de la confiance qu’ont les autres pays dans le dollar, donc du degré de rareté de cette monnaie au niveau international. Cette absence de confiance va entraîner la crise du système. 2. La crise du système de Bretton Woods La stabilité du système implique l’absence de déficit de la balance commerciale des Etats-Unis. Or, celle-ci est devenue déficitaire à partir des années soixante, du fait de la baisse des importations européennes. Les Etats-Unis utilisant le dollar pour régler leur déficit, la quantité de dollars détenue à l’extérieur augmente également. En outre, du fait de la multiplication des échanges internationaux, de nombreuses banques non résidentes aux Etats-Unis avaient accordé des crédits en dollars à des nonrésidents américains. La multiplication de ces euro dollars va amplifier l’abondance de dollars qui finira par remettre en cause la confiance dans cette monnaie. Le système va dépérir à partir de 1971. Après une dévaluation du dollar par rapport à l’or et un élargissement des marges de fluctuation à plus ou moins 2,25 %, les monnaies flottent progressivement avant que les accords de Jamaïque, du 8 janvier 1976, ne décrètent officiellement que l’or n’est plus liquidité internationale. Les accords de Jamaïque vont donc remettre en cause le système conçu à Bretton Woods. Les monnaies convertibles ne sont plus définies par un poids d’or ou une parité fixe (les autorités monétaires ne sont plus obligées de

675

Voir supra.

375

veiller au respect de cette parité), mais par le seul marché (système de changes flottants). En conséquence, le FMI n’a plus pour tâche de veiller au respect de cette obligation, mais de promouvoir la stabilité des changes et la liquidité du système monétaire international. Depuis des années, on constate que le système monétaire international est instable, malgré les efforts en vue d’une gestion concertée des parités cherchant à limiter les fortes fluctuations des cours du dollar. Cette monnaie reste toujours le moyen de paiement international le plus utilisé. Elle est néanmoins concurrencée par le yen et l’Euro. L’Euro s’impose progressivement comme une monnaie forte, du fait de la politique monétaire restrictive de la BCE.

§2 La coopération monétaire régionale et l’assistance financière internationale Il faut rappeler que la coopération régionale s’est imposée au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les Etats ont manifesté leur volonté de dépasser les systèmes bilatéraux de compensation qui ont été mis en place. Dès lors se développent, par exemple en Europe, des cadres de concertation destinés à stabiliser les parités de change qui ne sont plus assurées par le FMI et à favoriser une assistance mutuelle contre les fluctuations temporaires des balances des paiements676. Ce nouveau mécanisme se manifeste également dans le cadre des organisations régionales d’intégration où l’on assiste à la création de zones monétaires. A. Le cadre régional 1. Le système européen : de l’Ecu à l’Euro L’ECU, Unité de compte européenne ou European currency unit, a été l’unité de compte de la Communauté Européenne avant l’adoption du nom de l’Euro, lors du Conseil européen de Madrid en décembre 1995. Cette devise internationale a été créée en 1979, avec le système monétaire européen ou SME dans le but de donner aux pays membres de la CEE une zone de stabilité monétaire en limitant les fluctuations des taux de changes entre les pays membres. L’ECU n’est pas dans son essence une monnaie, c’est un panier de valeurs et la valeur de l’Ecu est par définition plus stable que celles des monnaies qui le composent. La faiblesse éventuelle d’une monnaie du panier est compensée par la force des autres monnaies. 676

Voir Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op. cit., p. 1034.

376

L’ECU a été utilisé comme une unité de compte pour les institutions européennes et les banques centrales des pays membres, ainsi que comme monnaie de placement et d’endettement sur les marchés financiers. Le concept a été abandonné le 1er janvier 1999 avec la création de l’Euro. Cette dernière, à la différence de l’ECU, est une monnaie : l’Euro a un cours et est matérialisé par des pièces et des billets. Il est considéré comme la monnaie officielle unique des Etats européens de la Zone euro. La stabilité monétaire en Europe est aujourd’hui définie par rapport à une référence interne à l’instar de l’ECU, et non plus par rapport à l’or ou au dollar. 2. Les zones monétaires La zone monétaire est considérée comme un espace constitué par les pays qui ont la même monnaie ou qui adoptent entre eux un étalon de changedevise677. Les pays qui utilisent cet étalon établissent une relation fixe entre leur monnaie et une devise, appelée monnaie centre, considérée comme un moyen international de règlement. Dans cette hypothèse, la gestion des réserves de change des différents pays membres est assurée par le pays centre. Pour fonctionner, le système exige la convertibilité et la transférabilité totale des monnaies des Etats constituants et suppose d’uniformiser la réglementation des changes. Selon le Professeur P. Schaeffer678, la constitution d’une zone monétaire se fonde sur l’existence de liens étroits entre le pays centre, pays économiquement fort et stable, et les pays satellites. Dans le monde actuel, les zones monétaires les plus connues ou les plus importantes sont la zone euro, la zone dollar, la zone franc suisse et la zone franc679 . a. La zone Euro Elle est créée dans le cadre de l’Union économique et monétaire. Cette zone monétaire regroupe les pays de l’Union Européenne qui ont adopté l’euro comme monnaie unique.

677

La doctrine relève un système intermédiaire de zone monétaire caractérisé par la double circulation monétaire où à la fois la monnaie locale et la monnaie de référence sont admises dans des transactions internes, ou du moins, pour certains types d’opération interne. La monnaie de référence est alors commune, mais pas unique. Pour la doctrine, ce système ne peut être que transitoire, dans la mesure où il pose des problèmes de stabilité, l’une des deux monnaies tendant à prendre le dessus. 678 « Zone monétaire », www. universalis.fr/encyclopédie/zone-monétaire/ 679 Il faut rappeler que l’histoire montre que des modèles de zones monétaires ont été expérimentés. On peut citer l’union monétaire latine 1865-1927 ; la zone monétaire scandinave 1873-1914 ; l’union économique belgo-Luxembourg 1921-2002 ; la zone sterling.

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Au 1er janvier 2015, 19 Etats sur les 28 que compte l’Union Européenne utilisent l’Euro. Ces Etats représentent plus de 334 millions d’habitants et constituent la zone euro680. L’adhésion d’un Etat de l’Union à la zone euro est conditionnée. L’Etat doit se conformer aux critères suivants : un déficit public inférieur à 3% du PIB, une dette publique inférieure ou égale à 60% du PIB, une inflation maîtrisée, une indépendance de la banque centrale et une devise nationale stable pendant au moins 2 ans au sein du marché commun européen. Le taux directeur de la zone euro est fixé par la Banque centrale européenne. Il est en général fixé à 1%. La banque centrale est l’organe central de l’euro système681 et du système européen des banques centrales682. Elle s’est vue confier les missions autrefois dévolues aux banques nationales, c'est-à-dire l’émission de monnaie et la politique monétaire. Depuis 2009, avec l’adoption du Traité de Lisbonne, la Banque centrale européenne dispose de la personnalité juridique. Son objectif principal est de maintenir la stabilité des prix ; elle apporte aussi un soutien aux objectifs de l’Union et agit conformément au principe d’une économie de marché ouverte. C’est la BCE qui décide du design et de l’émission des billets de banque et des pièces en euro. Il faut noter que les banques centrales des Etats membres qui ne participent pas à la zone euro jouissent au sein du système européen des banques centrales d’un statut particulier. Elles sont, certes, habilitées à conduire une politique monétaire nationale autonome, mais elles ne participent pas à la prise de décisions sur la politique monétaire de la zone euro ni à sa mise en œuvre. A partir du début de l’année 2010, avec le déclenchement de la crise de la dette publique grecque, puis de la crise irlandaise, portugaise, espagnole voire française, la zone euro est entrée dans une période de turbulences. Au cours de nombreuses réunions du Conseil européen et de nombreux sommets européens, l’architecture globale de la zone euro va connaître de profondes évolutions. Avec le plan conjoint FMI-UE du 10 mai 2010, la BCE permet aux banques centrales de la zone euro d’acheter de la dette publique et de la dette privée sur les marchés secondaires. Moins d’un an plus tard, elle autorise

680 Ces Etats sont : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Grèce, Slovénie, Chypre, Malte, Slovaquie, Estonie, Lettonie et Lituanie. 681 L’euro système regroupe la Banque centrale et les banques centrales nationales des Etats membres de l’Union Européenne qui ont adopté l’euro. 682 En revanche, le système européen des banques centrales comprend la Banque centrale européenne et les banques centrales de l’UE. En d’autres termes, il comprend en plus les banques centrales nationales des pays qui n’ont pas adopté l’euro.

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aux banques d’emprunter des montants illimités pour une durée de trois ans. Et, dans le même temps, elle accorde des prêts à 800 banques sur trois ans. Sous ce rapport, elle accepte d’être traitée en cas de défaut de paiement comme les autres créanciers. Un Pacte de stabilité et de croissance est mis en œuvre. Il est perçu comme l’instrument dont se dotent les pays de la zone euro afin de coordonner leur politique budgétaire et d’éviter les déficits publics excessifs. Ce pacte impose aux Etats de la zone euro d’avoir à terme des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. A ce mécanisme s’ajoute la mise en place d’institutions de gestion des crises, comme le fonds européen de stabilité financière, le mécanisme de stabilité européen. Ce dernier mécanisme a pour objet d’accorder, sur la base d’un accord unanime des pays, des prêts ou d’acheter de la dette primaire des Etats dans le cadre de strictes conditionnalités. Les Etats bénéficiaires s’engagent, en contrepartie, à prendre des mesures qui conditionnent l’octroi du prêt ou l’intervention sur le marché primaire de la dette. En outre, les prêts du mécanisme bénéficient du statut de créances privilégiées qui ne peut être inférieur qu’à celui du FMI. In fine, un pays insolvable doit négocier un plan de restructuration global avec ses créanciers privés dans le cadre de clauses d’action collective afin de revenir à un endettement supportable, la question de solvabilité d’un Etat étant examinée sur la base d’analyses de la Commission Européenne, du FMI et de la BCE. b. La zone Dollar Elle regroupe les pays qui lient leur monnaie aux Etats-Unis. C’est la zone d’influence directe du dollar américain à travers le monde. Il s’agit donc d’un espace bien plus vaste que les seuls Etats-Unis. La zone s’étend naturellement sur les pays ayant décidé de corréler leur monnaie au dollar. Cette zone large couvre des pays d’Amérique latine, des pays asiatiques et du Moyen-Orient683. Cette zone a la particularité d’être stabilisante. Elle se caractérise en effet par une balance commerciale excédentaire, un taux d’épargne assez élevé, des gains de productivité et de croissance potentielle forts et une forte compétitivité des prix. c. La zone Franc CFA Elle rassemble une quinzaine de pays d’Afrique et des territoires du Pacifique répartis en quatre groupes. Huit pays de l’Afrique de l’Ouest

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On peut citer le Panama, l’Equateur, le Venezuela, l’Arabie saoudite, le Qatar, Oman, les Emirats Arabes Unis, la Chine depuis 2008.

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forment l’UEMOA684 avec comme institut d’émission la Banque Centrale de l’Afrique de l’Ouest. Ce groupe de pays utilise le franc CFA685. La même monnaie est utilisée également par six Etats d’Afrique centrale qui constituent la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale686 . Donc, le franc CFA est le nom de deux monnaies communes à plusieurs pays d’Afrique qui constituent en partie la zone franc d’Afrique centrale (CEMAC) et la zone d’Afrique de l’Ouest (UEMOA). Ces deux espaces constituent des espaces monétaires et économiques. Ils sont issus de l’évolution et des transformations de l’ancien empire colonial français et d’Etats qui n’étaient pas des colonies françaises comme le Cameroun ou le Togo, d’abord colonies allemandes, la Guinée équatoriale, colonie espagnole et la Guinée Bissau, colonie portugaise. Après l’accession à l’indépendance, ces nouveaux Etats ont choisi de rester structurés par un système homogène, dont le cadre institutionnel a été rénové et articulé autour d’un système de change commun. Leurs devises sont des contrevaleurs à parité fixe avec l’euro, dont la valeur est garantie par le Trésor public français dans le cadre du Traité de Maastricht. Bien que les devises XOF et XAF soient désignées par le même nom de franc CFA et aient la même valeur, elles ne sont ni interchangeables ni convertibles entre elles. Il ne s’agit pas d’une zone monétaire commune, mais de deux zones juxtaposées. Dans ces zones, la banque de France participe au fonctionnement de leurs institutions communes. Cette coopération permet aux pays de ces zones d’avoir une monnaie stable. Cependant, le lien entre les cours du franc CFA et l’euro ne permet pas aux membres de faire varier le cours de leur monnaie. Ils subissent les aléas économiques de l’Europe, de l’euro. Si l’euro s’apprécie, la quantité de monnaie par rapport au DTS augmente, et les banques centrales créditent le compte d’opérations auprès 684

Il s’agit de : Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo 685 Le sigle CFA, signifie ici Communauté financière d’Afrique. En Afrique de l’Ouest le code de cette monnaie est XOF. 686 Ces pays sont : Cameroun, République Centrafricaine, République du Congo, Guinée équatoriale, Gabon et Tchad. Dans cette zone, le sigle CFA désigne la Coopération financière d’Afrique centrale avec comme code XAF. Il faut souligner que beaucoup d’autres pays utilisent le franc comme monnaie. Il s’agit de l’Union des Comores qui utilise le franc comorien, la Guinée avec le franc guinéen, du Rwanda, Burundi et de la République Démocratique du Congo qui utilisent respectivement le franc rwandais, le franc burundais et le franc congolais. Ces pays ne font pas partie de la zone CFA, ils n’ont pas été colonisés par la France. Ils doivent leur monnaie au Franc belge car ils ont été sous domination belge avant leur indépendance. L’Ile de la Réunion a utilisé le FCFA entre 1945 et 1975 et Mayotte de 1946 à 1976, avant d’adopter toutes deux le Franc français. Et enfin, les trois collectivités françaises du Pacifique, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle Calédonie utilisent le franc pacifique.

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du trésor public français. Ce qui a pour effet de diminuer leurs réserves et de pénaliser le mécanisme de crédit. Dans le cas d’un euro faible, c’est le trésor français qui débite ce compte pour créditer les banques centrales, ce qui engendre une augmentation de la quantité de monnaie. Et avec un euro fort, les Etats membres sont handicapés pour exporter leurs produits vers d’autres destinations que l’Europe, même si, par ailleurs, ils peuvent importer à moindre coût les biens d’équipement hors zone. L’arrimage du franc CFA à l’Euro permet aux pays de la Zone d’avoir une monnaie stable en jugulant la tentation de la « planche à billet », mais elle autorise officiellement la France à continuer à avoir un droit d’intervention dans les économies africaines qui demeurent indirectement sous le contrôle du Trésor français qui dispose d’un véritable droit de veto dans les deux banques centrales, la BEAC et la BCEAO. Pour s’en convaincre, il suffit de voir le traitement réservé aux ministres africains des Finances lors des réunions de la Zone franc CFA, où ils discutent non avec leur homologue français, mais avec le Directeur général du Trésor et son équipe. La même attitude condescendante est observée dans les réunions des conseils d’administration de la BEAC et de la BDEAC où les délégués français veulent absolument contrôler le mécanisme des avances exceptionnelles aux Etas africains, les privant ainsi de la gestion de leur propres ressources financières notamment pour faire face aux crises exogènes comme le choc pétrolier ou les dépenses extraordinaires que les gouvernements victimes d’actes terroristes sont obligés d’engager. Comme on l’a vu dans la zone Euro, la France a été autorisée à augmenter ses dépenses de sécurité suite aux attentats terroristes du 13 novembre 2015. Mais lorsque le Tchad a fait recours aux avances exceptionnelles de la BEAC ou a sollicité un appui budgétaire auprès des bailleurs de fonds en raison de la chute drastique des prix du pétrole et des dépenses effectuées dans la lutte contre Boko Haram, la réaction de certains pays occidentaux a été très mitigée. Ils n’ont pas hésité à mobiliser leurs administrateurs au FMI, à la Banque mondiale ou à la BAD et parfois même leurs citoyens qui travaillent au sein desdites institutions, pour bloquer le processus d’instruction des appuis budgétaires à ce pays. La France est aujourd’hui la seule ancienne puissance coloniale qui continue à s’impliquer dans la gestion des politiques monétaires des Etats africains à travers la zone CFA. Cela n’empêche pas aux Etats d’Afrique francophone d’avoir des économies moins robustes que celles des pays anglophones, alors que ces pays ne sont nullement embrigadés dans une zone monétaire avec le Royaume-Uni ou l’Espagne et qu’ils arrivent à gérer leur monnaie nationale sans trop de heurts. La question de l’existence même de la zone franc CFA devrait être posée au regard de la nécessité de respecter la souveraineté nationale des pays africains membres de ladite zone, et de leur donner la gestion souveraine de 381

la monnaie qui joue un rôle central dans la mise en œuvre des politiques économiques et commerciales nationales susceptibles de mieux protéger les intérêts supérieurs de leurs nations. B. Les mécanismes de l’assistance financière et la crise financière internationale 1. Les mécanismes institutionnels de l’assistance financière Le système financier international assure les financements multilatéraux, les paiements internationaux et l’ajustement économique. Dans ce contexte, le financement du développement nécessite la mise en commun des moyens financiers au sein d’organisations chargées d’apporter une assistance technique et financière à long terme aux pays en voie de développement et même aux pays industrialisés. Les institutions de financement sont nombreuses. Leur structure et leur fonctionnement sont déterminés par l’origine de leurs capitaux investis dans les pays emprunteurs. En revanche, les banques multilatérales de développement se caractérisent par leur capital souscrit par les Etats membres et par le pouvoir d’emprunter sur les marchés internationaux. Les Fonds internationaux par contre, sont alimentés exclusivement par les contributions des Etats donateurs. a. L’action de la Banque mondiale Il faut d’entrée de jeu constater que le groupe de la Banque mondiale se compose de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD), de le Société Financière Internationale (SFI), de l’Association Internationale de Développement (AID) et de l’Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI). Bénéficiant de l’antériorité, des moyens financiers inégalés et d’un champ d’action planétaire, la Banque mondiale s’est imposée comme modèle de banque multilatérale de développement. Elle a soutenu la création des banques interaméricaine, africaine et asiatique de développement. Elle est la seule banque multilatérale à composition universelle. Selon ses statuts, seuls peuvent être membres, les membres du FMI687 . Cette imbrication institutionnelle lie l’obtention de crédits multilatéraux à l’acceptation de la surveillance du FMI sur les politiques des Etats membres. Il s’ensuit qu’un retrait d’un membre du Fonds entraîne, ipso facto, la cessation de sa participation à la Banque, sauf disposition contraire du Conseil des gouverneurs adoptée à la majorité des trois quarts des voix. Le pouvoir de décision de chaque Etat, dans les institutions de Bretton Woods, c'est-à-dire Banque mondiale et FMI, est proportionnel à sa contribution au capital. Cette pondération du pouvoir consacre l’inégalité de 687

Voir article II, section 1, a et b.

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puissance économique et financière des Etats membres, tout en assurant l’effectivité des décisions. La Banque mondiale n’est pas une organisation caritative. Face à l’immensité des besoins des PVD, le groupe de la Banque mondiale rapproche les intérêts des détenteurs de capitaux et ceux des pays démunis. Le financement du développement est un enjeu politique que la Banque appréhende de deux manières. La première consiste à drainer des capitaux publics et privés vers les pays en développement ou en transition. La seconde consiste à consolider la croissance par une réforme en profondeur des structures économiques, juridiques, politiques et sociales. C’est dans cette perspective qu’ont été lancées les politiques d’ajustements structurels au début des années 1980. L’aide multilatérale est désormais subordonnée à des réformes internes, d’autant plus draconiennes que, depuis la fin de la guerre froide, il n’y a plus d’opposition au dogme du libéralisme comme seul facteur de croissance. Les politiques d’ajustements économiques sont financées selon des conditionnalités imposées. Les premières politiques ont fondé les privatisations afin de modifier les flux économiques internes pour privilégier les activités à forte croissance. Ces privatisations sont accompagnées par des réformes sectorielles qui concernent des pans stratégiques de l’économie. Dans le même temps, les PVD sont amenés à se doter de systèmes fiscaux pour alimenter les caisses publiques autrement que par des crédits multilatéraux. Les secondes politiques d’ajustements structurels consistent à privilégier les activités exportatrices et à réduire le train de vie de l’Etat afin d’équilibrer la balance des paiements et d’améliorer la solvabilité. Les Etats ont été incités, dans la perspective de la mise en œuvre de l’OMC, à réduire les tarifs douaniers et à se doter des instruments juridiques permettant de rassurer les investisseurs étrangers. La conjonction de ces deux orientations a produit des effets négatifs sur les économies des PVD mais également sur les populations, et suscite de très nombreuses critiques. b. L’action du FMI Comme la Banque mondiale, le FMI est une institution spécialisée des Nations Unies. Elle est exclusivement composée d’Etats. Le Fonds dispose de pouvoirs normatifs et financiers considérables. Sous le contrôle des principales puissances économiques du monde, il fixe les principes et les règles régissant l’ordre monétaire international. Sa mission première est d’instaurer un système monétaire international. Institution financière, le FMI met ses ressources à la disposition de ses membres. La seconde mission du Fonds consiste à financer leurs politiques économiques. 383

Le FMI cherche aussi à parvenir à la mise en place d’un système généralisé de régimes de change reposant sur des parités stables, mais ajustables. Avec le Fonds, l’architecture du système monétaire international se dessine progressivement autour de principes et de procédures qui garantissent la stabilisation des régimes de change, la liberté des paiements et la surveillance des politiques monétaires. Au-delà de ces missions, le Fonds a mis en place un mécanisme de financement d’urgence qui permet de renforcer ses capacités d’intervention rapide en faveur des Etats confrontés à des crises financières graves qui nécessitent des programmes d’ajustement macro-économiques. En outre, il a initié un plan d’aide d’urgence pour catastrophe naturelle ou situation d’urgence. Il s’agit, ici, moins d’une aide supplémentaire que d’une accélération de l’assistance financière au bénéfice de l’Etat bénéficiaire d’un accord de confirmation ou d’un accord élargi et confronté à une catastrophe naturelle ou qui se trouve dans une situation post conflictuelle. Il faut noter que, pour être éligible, les Etats doivent disposer d’une armature administrative et institutionnelle suffisante pour mettre en œuvre et rendre compte des politiques économiques. Les financements servent à équilibrer les balances des paiements. Les ressources du Fonds s’ajoutent à d’autres sources de financements. Par ailleurs, le Fonds a institué un Fonds de stabilisation des monnaies pour aider les Etats qui connaissent une inflation importante et sont soumis à de fortes fluctuations de change. A cet égard, les Etats bénéficiaires s’engagent à maintenir leur monnaie dans une marge de fluctuation étroite et préfixée. Depuis 1989, le FMI participe à l’effort en faveur de la réduction de la dette des Etats membres engagés dans des réformes structurelles liées à des accords de confirmation, des accords élargis ou dans le cadre de la facilité d’ajustement structurel renforcée. L’objectif est de contribuer à l’amélioration de la situation de la balance des paiements en réduisant le service ou l’encours de la dette. Les financements du Fonds s’ajoutent à la mobilisation de flux de capitaux privés et publics en faveur de l’Etat bénéficiaire. Il y a également le mécanisme pétrolier mis en place par le Fonds pour atténuer les effets de la hausse du prix du pétrole sur les balances des paiements des Etats membres. Dans le même temps, des facilités sont mises en œuvre. On peut citer : -

la facilité de réserve supplémentaire créée le 17 décembre 1997 dans le contexte de la crise asiatique pour aider à surmonter les difficultés exceptionnelles affectant la balance des paiements et l’épuisement des réserves de changes des Etats confrontés à une crise de

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confiance des marchés. Des Etats comme la Corée du Sud, l’Indonésie ou la Thaïlande en ont bénéficié ; la facilité de financement compensatoire et de financement pour imprévus, laquelle est destinée à faire face à une diminution temporaire des recettes d’exportation, à une augmentation du prix des céréales importées et, pour les Etats engagés dans des programmes d’ajustement structurel appuyés par le Fonds, à tout élément extérieur obérant la poursuite des politiques d’ajustement structurel ; la facilité de transformation systémique pour appuyer les pays en transition économique confrontés à des difficultés commerciales ou à des problèmes de paiements internationaux ; la facilité de financement des stocks régulateurs ; il ne s’agit pas ici, pour le Fonds, de financer les accords sur les produits de base, ce qui ne relève pas de ses compétences, mais plutôt de financer la contribution d’un Etat membre à un stock régulateur. Avec cette facilité, l’Etat qui déclare que la situation de sa balance des paiements rend l’assistance du Fonds nécessaire, peut financer les charges inhérentes aux accords de produits de base ainsi que la construction des hangars où sont conservés les stocks ; Et la facilité d’ajustement structurelle renforcée qui est l’instrument permettant au Fonds de fournir une aide concessionnelle aux Etats à faibles revenus qui ont engagé des processus de réforme structurelle propres à assurer la croissance économique et à stabiliser les paiements extérieurs. Les conditionnalités découlant de cette facilité et leur mise en œuvre ont engendré des troubles sociaux, conséquence de la réduction brutale du niveau de vie des populations. Suites à ces troubles, le FMI a été obligé d’approuver des programmes s’attachant à la protection sociale, à la santé et à l’éducation des populations défavorisées.

D’une manière générale, le FMI, tout comme la Banque mondiale, voient leur légitimité mise en cause ; la raison est l’extrême difficulté pour ces deux Institutions à se réformer et à s’adapter à un univers de l’après-guerre froide en pleine mutation. Face à la crise, des propositions de réforme de ces Institutions ont été faites par les dirigeants du G20 en 2007. En décembre 2010, le conseil des gouverneurs du Fonds a même approuvé une réforme des pouvoirs afin de renforcer les droits de vote des pays émergents, en particulier la Chine, première puissance financière mondiale. La réforme n’a pas abouti du fait des réticences des Etats-Unis.

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Aujourd’hui, il est reproché au Fonds le poids trop important des Etats européens dans la gestion des affaires et son implication financière dans les Etats en crise comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne. Sur un plan plus global, des débats ont été suscités, déjà en 2001, sur la nécessité de réformer l’ordre financier mondial688. La réforme du SMI vise à : -

améliorer le fonctionnement des marchés financiers par une régulation renforcée et une plus grande transparence des opérations ; renforcer la prévention et la surveillance ; placer la notion de « gouvernance » au centre des missions des institutions financières internationales ; améliorer la capacité d’action du FMI ; mieux conseiller les pays émergents dans leurs choix monétaires et financiers, notamment en matière de régime des changes.

c. Le rôle des banques régionales Il faut relever ici, qu’il s’agit de banques créées dans le cadre d’organisations régionales d’intégration. Elles sont des modèles pour les banques internationales destinées à financer les intégrations économiques. Fondées en principe sur une étroite solidarité entre leurs membres engagés dans un processus de zone de libre échange ou d’unions douanières, ces banques évoluent dans des espaces économiques fermés. On peut citer la BCEAO, la BIDC, la Banque européenne d’investissement689. L’étroitesse des liens entre ces banques et les traités généraux d’intégration permettent de réduire leurs accords constitutifs aux seules dispositions nécessaires à l’exercice de leurs attributions financières. La liaison entre les banques et les organismes d’intégration est parfois moins précise. Les statuts de la Banque des Etats des Grands Lacs (BDEGL) disposent par exemple que « tout Etat membre qui se retire de la Communauté Economique des Pays des Grands lacs ne cesse pas forcément d’être membre de la BDEGL ». De même, l’accord constitutif de la Banque de Développement des Etats d’Afrique Centrale (BDEAC) prévoit la participation « des Etats de la région qui en font la demande, même s’ils n’appartiennent pas à l’Union douanière des Etats d’Afrique centrale ». Ces décalages font que ces banques présentent une certaine fragilité.

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Voir Cahiers Français, n° 301, mars 2001. Les banques régionales ne se limitent pas seulement à celles-là. Il y a une prolifération de banques régionales dans chaque région du monde. On peut citer par exemple la Banque Asiatique de Développement ; la Banque Africaine de Développement ; la Banque Centre Américaine d’Intégration Economique ; la Banque de Développement des Caraïbes ; la Banque Est africaine de Développement ; la Banque Interaméricaine de Développement ; la Société Andine de Développement, etc.

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Les banques régionales d’intégration admettent exceptionnellement des pays non régionaux. C’est le cas de la BDEAC, qui accueille la France, le Koweït et l’Allemagne comme membres ; de la BDEGL avec la Belgique comme membre ou de la Banque Ouest Africaine de développement (BOAD) avec la France et l’Allemagne comme membres également. Les pays non régionaux fournissent des capitaux et ouvrent leurs marchés financiers aux PVD. A côté de ces Banques, coexistent des Fonds comme le Fonds Africain de Développement. Ce Fonds constitue avec la Banque Africaine de Développement, le Groupe de la Banque Africaine de Développement. Le Fonds permet d’accéder à l’aide étrangère. Depuis l’ouverture de la Banque à des pays non africains, la participation de ces derniers au Fonds conditionne leur participation à la Banque. L’entrée dans le capital de la Banque est subordonnée au versement d’aides à long terme aux membres les plus défavorisés. Les Etats africains ne sont pas membres du Fonds, le continent y est représenté par la Banque elle-même. La nécessité pour les banques multilatérales d’accéder aux ressources de l’aide publique au développement explique le nombre important et la diversité des fonds spéciaux qu’elles administrent. La plupart des fonds spéciaux sont créés par des groupes de donateurs et confiés à l’administration des banques. Au-delà de ces considérations, il faut mettre en relief le cas particulier de la Banque Islamique de Développement. Elle est alimentée par les contributions des Etats membres de l’Organisation de la Conférence Islamique. Elle déploie ses crédits en faveur des pays ou des communautés musulmanes. Les prêts octroyés sont sans intérêt. De même, la Banque Arabe de Développement Economique en Afrique, créée dans le cadre de la Ligue des Etats arabes, intervient dans le financement de projets des populations musulmanes. 2. La crise financière internationale Déjà entre 1981 et 1983, l’économie mondiale a été entraînée dans une forte récession qui avait créé une crise résultant de l’incapacité des PVD de rembourser les dettes étrangères contractées. En 1992, le Mexique avait annoncé l’épuisement des réserves étrangères de sa banque centrale et qu’il se trouvait donc dans l’impossibilité de payer ses dettes. Face à la crise de l’endettement qui va avoir un effet d’entraînement dans les grands pays débiteurs d’Amérique latine, comme l’Argentine, le Brésil et le Chili, les banques des pays industrialisés avaient alors décidé de réduire leurs risques en suspendant les nouveaux crédits et en exigeant le remboursement des anciens prêts.

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Cette crise de l’endettement va atteindre le bloc soviétique, particulièrement la Pologne en raison des emprunts contractés auprès des banques européennes, mais également les Etats africains endettés auprès du FMI et de la Banque mondiale. Si la plupart des Etats asiatiques ont été capables de maintenir leur croissance économique, et par conséquent d’éviter le rééchelonnement de leurs dettes, il n’en reste pas moins que plus d’une quarantaine de pays se sont trouvés confrontés à des problèmes de financement extérieur. Au début des années 1990, le flux du capital privé vers les PVD avait repris, y compris les pays fortement endettés d’Amérique latine. Des réformes furent entreprises pour stabiliser le système du financement international. Et la baisse des taux d’intérêt aux Etats-Unis favorisa une nouvelle impulsion de ces flux de capital. Cependant, si les pays asiatiques ont échappé à la crise des années 1980, leur situation devait changer à partir de 1997. Cette année est marquée par la dévaluation de la monnaie thaïlandaise, le bath. La forte chute de cette monnaie est accompagnée par une spéculation contre les monnaies des pays voisins, comme la Malaisie, l’Indonésie avant de s’étendre à la Corée du Sud. Les investisseurs étrangers ont pris conscience du risque d’insolvabilité de ces Etats. Ils ont mis en cause la sur évaluation de leur monnaie, mais aussi la chute de l’exportation de leurs produits industrialisés. Ils se sont retirés de ces marchés, ce qui a eu pour effet le retrait massif de leurs capitaux et l’effondrement des monnaies de ces pays sur le marché des changes. Les monnaies vont perdre 30% à 50% de leur valeur, les banques sont confrontées à la dévalorisation des immobilisations et des titres à cause de la crise boursière. De même, les engagements libellés en monnaie locale avaient augmenté parce que la plupart des dettes étaient libellées en dollar. Et comme le cours de la monnaie s’est effondré, les dettes ont fortement augmenté. La crise asiatique va entraîner la chute du prix du pétrole et des matières premières. La Russie est directement affectée par la baisse du cours des matières premières. Le cours du rouble s’effondre sur le marché des changes, le taux d’inflation dans ce vaste pays atteint 80% en 1998, son PIB en volume baisse de 10% et le taux de chômage atteint des proportions importantes. Plusieurs mesures ont été prises pour apporter des remèdes à la crise. Pour l’essentiel, ces mesures s’articulent autour des points suivants : le contrôle des banques, des mouvements des capitaux, de sorties et des entrées des capitaux et la détermination d’un régime de change. Avec le contrôle des banques, il a été consacré le concept de ratio prudentiel lequel postule un rapport strict entre les fonds propres des banques et leurs engagements.

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L’endettement des PVD vis-à-vis des pays extérieurs ne doit plus excéder 15 à 20% de leur PIB. Des mesures sont également été prises pour éviter les retraits massifs des capitaux. Sur toutes les transactions de change, il est effectué un prélèvement de l’ordre de 0,1 à 0,25 %. L’idée est de décourager les mouvements incessants de capitaux spéculatifs. Un contrôle des changes est institué pour les sorties de capitaux. Désormais, les transferts des capitaux sont soumis à autorisation. Le contrôle ne couvre pas le règlement des achats faits à l’étranger. En outre, pour les entrées des capitaux, un contrôle est exercé pour sélectionner à l’entrée les bons de capitaux spéculatifs placés à court terme. L’objectif est de limiter le risque d’un retrait banal pouvant provoquer une crise. Pour le choix d’un régime de change, il est adopté une stratégie d’ancrage. Ici, l’Etat retient l’option de rattachement et définit dans ce cadre sa monnaie par rapport à une grande devise. Il faut par ailleurs, souligner que certains Etats comme le Panama, l’Equateur et le Salvador ont abandonné leur monnaie au profit du dollar des Etats-Unis qui est devenu leur monnaie officielle. Ce choix les met à l’abri de toute crise monétaire. Pourtant, au-delà des efforts fournis par les Etats pour réguler la crise, le monde va entrer en récession durant l’année 2008. Cette récession fait suite au krach boursier de l’autonome 2008 lui-même consécutif de la crise des subprimes de 2006-2007690 . Les Etats-Unis furent les premiers à entrer en récession en décembre 2007, suivis par plusieurs pays européens au cours de l’année 2008, ainsi que la zone euro dans son ensemble. La France entre en récession en 2009. Cette crise est marquée par une forte hausse des prix du pétrole et des produits agricoles. La montée exorbitante des prix de l’immobilier et celle associée de la demande sont considérées comme la conséquence d’une période de crédit facile, de régulation et de supervision inadéquates ou d’inégalité croissante. Avec la baisse des actions et des prix des maisons, de grandes banques américaines et européennes perdent beaucoup d’argent. L’éclatement de la bulle immobilière dans de nombreux pays comme aux Etats-Unis, en Espagne au Royaume-Uni ou en France, a pour effet de réduire l’activité dans le secteur de construction entraînant un effet négatif sur le PIB. Et en dépit des aides massives accordées par les Etats pour pallier les menaces de faillite et de crise bancaire systémique, il en a résulté une récession mondiale qui a conduit à un ralentissement du commerce 690

Les subprimes ont été inventées pour donner à la classe moyenne un pouvoir d’achat qu’elle ne peut retirer de son travail.

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international, à une hausse du chômage et à une baisse des prix des produits de base. Avec les plans de relance adoptés, la plupart des Etats touchés par la récession semblent s’en sortir. Cependant pour le FMI, la crise est loin d’être terminée. La récession laisse, en effet, place à une croissance voire une stagnation économique, les plans de sauvetage et de relance ont fait exploser les dettes publiques, le chômage continue d’augmenter, d’importants déséquilibres dans les balances des transactions courantes demeurent. En Europe, face à la crise d’explosion de leur dette publique, les Etats mettent en place des politiques pro-cycliques d’austérité conjuguant hausse d’impôts et baisse des dépenses publiques. Si ces dernières parviennent à freiner l’augmentation de l’endettement des Etats, elles accentuent encore davantage la progression du chômage.

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CHAPITRE 3 LES RELATIONS CONFLICTUELLES Les Etats peuvent avoir des rapports conflictuels pour des raisons politiques, économiques, stratégiques, idéologiques et militaires. Cette opposition entre acteurs des relations internationales est souvent allée jusqu’à la lutte armée entre deux ou plusieurs peuples. En effet, la guerre peut être considérée comme le phénomène social le plus constant. Elle est la plus importante des relations entre les peuples. Les historiens ont pu constater que sur trois mille cinq cents ans d’histoire connue, il n’y a eu que deux cent cinquante ans de paix générale691. Aussi, en dépit de sa mise hors la loi par l’article 2 paragraphe 4 de la charte des Nations Unies692 , qui a retiré aux Etats leur jus ad bellum assimilé dans l’ordre interne à la justice privée illicite693, le recours à la force comme moyen de règlement des différends au sein des Etats ou dans les relations entre les Etats a survécu694. On a vite pensé que la fin de la guerre froide avait engendré un monde de paix caractérisé non plus, comme au passé, par le droit de la force, mais à présent, par la force du droit. En réalité, le nouveau monde qui émerge est avant tout marqué par les conflits. L’incertitude et le désordre sont devenus des paramètres forts pour mesurer la nouvelle architecture de ce monde unipolaire où la pauvreté, l’analphabétisme, la violence et les maladies ne cessent de progresser. Aujourd’hui notre monde est même plus difficile à 691

V. Maurice Torrelli. Le Droit international Humanitaire, Que sais-je ? PUF Paris 1985 P.3 En vertu de l’art 2. Par. 4 de la Charte de l’ONU « les membres de l’organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. » De même on peut citer l’art 1. Par. 1 de la même Charte qui définit le premier but des Nations Unies qui est de « maintenir la paix et la sécurité internationale et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou règlement de différends ou de situations, de caractère international susceptible de mener à une rupture de la paix. » 693 V. Christiane Alibert « Du droit de se faire justice dans la société internationale depuis 1945 » LGDJ, 1988, P. 15 694 Dans leur étude « After the cold war : Emergency patterns of armed conflict 1985-1994» Peter Wallimiteen et Margareta Sallenberg relèvent par exemple, durant la période considérée, une cinquantaine de conflits se déroulant dans l’ensemble de la planète du Sri Lanka au Soudan, du Timor oriental à la Sierra Leone. 692

gérer que durant la guerre froide, car l’opposition idéologique de jadis masquait la complexité des données et simplifiait la règle du jeu international. En Afrique, en Europe balkanique ou en Asie Centrale et au MoyenOrient, les conflits sont d’autant plus menaçants qu’il s’agit, entre autres, de conflits internes qui touchent aux ressorts profonds des sociétés et se déroulent dans un contexte où l’Etat-nation est en crise. Ces conflits d’un genre nouveau ont la particularité de mobiliser tous les hommes et tous les moyens, d’effacer la distinction du front de l’arrière, du combattant et du civil. A côté des différends de toutes natures qui existent entre les acteurs des relations internationales, l’on relève également les conflits armés internationaux, les conflits armés non internationaux ainsi que les situations de tensions politiques et de troubles internes. Dans cette étude consacrée aux relations internationales contemporaines, l’accent sera mis sur le jeu politique des divers acteurs dans la naissance et l’évolution des conflits sur la scène internationale, étant donné que les causes et les conséquences des conflits armés internationaux, ainsi que le droit applicable font déjà l’objet de nombreux traités de Droit International Public et de Droit international humanitaire. Pour les mêmes raisons, nous limiterons également nos développements à l’examen des systèmes appliqués dans les organisations internationales pour le règlement des conflits internationaux, en laissant de côté l’analyse des deux modes de règlement pacifique des conflits (règlement non juridictionnel et règlement juridictionnel).

SECTION 1 DEFINITION ET EVOLUTION DES CONFLITS INTERNATIONAUX Après chaque attaque terroriste, les leaders politiques et les journalistes proches des pouvoirs politiques affirment que leurs pays sont « en guerre », qu’ils subissent des attaques asymétriques et qu’il s’agit d’un conflit armé international. Sur toutes les chaines de télévision internationales des pays occidentaux en particulier, hommes politiques, « experts » en tous genres, éditorialistes manipulateurs et affabulateurs, commentateurs souvent ignorants et adeptes de la pensée unique, utilisent abusivement les concepts de conflit international, conflit planétaire, lutte antiterroriste, hyper terrorisme, cyberguerre, choc de civilisation, guerre civile, etc. Face à ce tintamarre journalistique générateur de confusions sémantiques qui finissent par embrouiller le citoyen ordinaire et contribuent à légitimer les objectifs inavoués des stratégies militaires, politiques et économiques des grandes puissances dans leur ferme volonté de dominer le monde et 392

d’imposer leurs vues et leurs hommes partout, il importe de clarifier au regard du droit international les concepts de base que sont le conflit international, la guerre civile ou conflit armé non international et le conflit armé international.

§1 Le concept de conflit international Comme le souligne le professeur Tran van Minh695 , le concept de conflit met en concurrence plusieurs termes : litige, différend, crise, tension, antagonisme, situation, etc. Cette profusion de concepts pourrait rendre difficile la recherche d’une définition admise universellement. Ainsi par exemple, la Charte des Nations Unies, tout en spécifiant leur différence, mentionne en ses articles 12, 34, 35 et 36 à côté des différends, les « situations » qui pourraient ‘’ entraîner un désaccord entre Nations ou engendrer un différend’’ sans pour autant les définir696 . Le concept de conflit est même parfois utilisé pour désigner à la fois les différends et les situations697. Il importe de relever ici qu’en droit positif seul le mot différend a fait l’objet d’une définition précise. En effet, dans l’affaire des concessions Mavrommatis698 , la CPJI définit le différend comme « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes ». Cette définition a été reprise par la CIJ dans l’affaire du sud-ouest africain699.

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V. « Les conflits », in Encyclopédie juridique de l’Afrique. Tome 2 Droit international et Relations Internationales, Les Nouvelles Editions Africaines, Abidjan-Dakar- Lomé, 1982, p. 311. 696 V. Hubert Thierry, Serge Sur, Jean Combaccau, Charles de Vallée, Droit International Public, Editions Montchrestien, Paris, 1982, p. 592. 697 Cette acception extensive est admise par la plupart des auteurs notamment P. F. Gonidec et R. Charvin, Relations Internationales, Ed. Montchrestien, Paris, 1981, p. 397 ; Michel Virally, L’Organisation Mondiale, Ed. Armand Colin, Paris, 1972, p. 433. Du point de vue juridique, on peut utiliser le concept de conflit à la place du concept traditionnel de guerre perçu « comme une lutte armée entre Etats voulue par l’un d’entre eux au moins et entreprise en vue d’un intérêt national ». Le concept de conflit armé international correspond mieux à la réalité contemporaine. En effet, la notion de guerre est incluse dans celle plus large de conflit armé international consacré par le Protocole I du 18 juin 1977 Additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 qui portent sur le Droit humanitaire stricto sensu. V. Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier, Alain Pellet, Droit International Public, LGDJ, Paris, 1999, p. 920 et s. V. Michel-Cyr Djiena Wembou, Daouda Fall, Droit International Humanitaire. Théorie générale et Réalités africaines, L’Harmattan, Paris, 2000, p. 30. 698 Arrêt du 26 mars 1925, Série A n° 3 P. 35. 699 Exceptions préliminaires, 21 décembre 1962, Rec. 1962, p. 328. Pour une étude critique de la définition, V. Charles de Vischer, « Aspects récents du droit procédural de la CIJ », Pédone, 1966, p. 31 et s.

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Au-delà de ces aspects, le règlement pacifique des différends ou des conflits internationaux pose le problème de la différenciation entre différends politiques et différends juridiques. Les différends politiques ont été définis comme étant « ceux pour lesquels une partie demande la modification du droit existant700 » ou ceux qui portent sur le changement ou la révision du droit701. En revanche, les différends juridiques sont ceux dans lesquels les parties sont en désaccord sur l’application ou l’interprétation du droit existant702 . Du point de vue de la doctrine, cette définition fondée sur l’attitude des parties à l’égard du droit international existant est erronée. En dépit de sa consécration par de nombreux instruments conventionnels703, le caractère artificiel de la distinction a souvent été critiqué. Ainsi selon le professeur Hans Lauterpacht, « la distinction différends politiques et différends juridiques est juridiquement insoutenable, logiquement erronée et pratiquement inutile704 ». En réalité, tout différend a un aspect politique et tout différend politique peut être formulé en termes juridiques. Dès lors, comme le souligne le professeur Hans Morgenthau « le politique et le juridique ne forment pas un couple antithétique. Ils vivent en symbiose et se pénètrent mutuellement705 ». Cette affirmation est partagée par la Cour Internationale de Justice. Selon cette Cour, « Aucune disposition du Statut ou du Règlement ne lui interdit de se saisir d’un différend pour la simple raison que ce différend comporterait d’autres aspects, si importants soient-ils ». Ainsi pour l’organe judiciaire principal des Nations Unies, « Nul n’a cependant jamais prétendu que, parce qu’un différend juridique soumis à la Cour ne constitue qu’un aspect d’un différend politique, la Cour doit se refuser à résoudre dans les intérêts des parties les questions juridiques qui les opposent... ». Dès lors, « si la Cour, contrairement à sa jurisprudence constante, acceptait une telle conception, il en résulterait une restriction 700

V. L. Déliez, Les principes généraux du droit international public, LGDJ, 1964, p. 470. V. Hubert Thierry, Serge Sur, Jean Combaccau, Charles de Vallée, Droit International Public, op.cit. p. 567. 702 V. J. Westlake, International Law, Cambridge University Press, 1904, vol. I, p. 340 et s.; Charles Rousseau, Droit international Public, Sirey, 1954, p. 447 et s. 703 Voir notamment dans le cadre universel les articles 16 et 38 des Conventions de la Haye de 1889 et de 1907; l’article 13 paragraphe 2 du Pacte de la Société des Nations ; l’article 36 paragraphe 3 de la Charte des Nations Unies. Dans le cadre régional on peut citer l’article 1 de la Convention Européenne pour le Règlement pacifique des différends du 29 avril 1957, le Traité américain du règlement pacifique des différends du 30 avril 1948 ; la Déclaration de Manille sur le règlement des différends adoptée sur la base de la résolution 34/102 de l’Assemblée Générale de l’ONU du 14 décembre 1979, etc. Cette distinction différends politiques et différends juridiques n’est pas consacrée par l’Acte Constitutif de l’Union Africaine du 11 juillet 2000. 704 V. RCADI 1930 IV n° 34, p. 649. 705 « La notion du politique et la théorie des différends internationaux », in Annuaire de l’IDI, vol 44, Tome I, 1952, p. 32 et 33. 701

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considérable et injustifiée de son rôle en matière de règlement pacifique des différends internationaux706 ». Il s’en suit donc qu’un conflit international est un différend de nature politique ou juridique qui oppose deux ou plusieurs sujets de droit international, et qui pourrait être porté devant une juridiction internationale. Une attaque terroriste, fusse-t-elle spectaculaire, ne peut être assimilée à un conflit international.

§2 Typologie des conflits armés Le droit des conflits armés comporte depuis 1949 deux régimes distincts, l’un majeur applicable aux conflits internationaux et l’autre, plus limité, applicable aux conflits armés non internationaux. Le régime est précisé par les deux protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949. Il résulte des protocoles additionnels trois types de situations : les conflits armés internationaux, les conflits armés non internationaux et enfin les situations de tensions internes ou de troubles intérieurs. A. Les conflits armés internationaux L’expression « conflit armé international » s’applique à différents types d’affrontements notamment ceux qui peuvent se produire entre deux ou plusieurs entités étatiques ou entre une entité étatique et une entité non étatique (mouvement de libération nationale). Dans le premier cas, il s’identifie à la guerre. Cependant, il faut souligner que le conflit armé international se différencie de manière générale de la guerre, selon le droit des gens, sur deux points essentiels… D’abord l’Etat qui déclenchait une guerre par le passé invoquait légitimement son jus ad bellum, en d’autre terme, son droit de faire la guerre, et aucune entité ne pouvait prétendre que l’exercice de ce droit constituait une violation de l’ordre international, tandis que tout Etat qui déclencherait aujourd’hui les hostilités contre un membre de la communauté internationale commettrait une grave violation du droit en vertu de l’article 4 paragraphe 2 de la charte des Nations Unies. Ensuite, une guerre classique avait toujours lieu entre deux ou plusieurs Etats, tandis que tout conflit international entraînerait actuellement la participation de l’ONU par l’intermédiaire d’une force de police ou d’une armée internationale, en

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V. Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, Rec. 1980, pp. 19-20 ; Activités militaires au Nicaragua, Rec. 1984, p. 1984, p. 439 ; Actions armées frontalières et transfrontalières, Rec. 1989, p. 91 ; Application de la Convention sur le crime de Génocide, Rec. 1993, p. 325.

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principe conformément au Chapitre VII de sa charte707. Le concept de guerre est inclus dans celui plus large de conflit armé international consacré par le Protocole I de 1977 additionnel aux quatre conventions de Genève de 1949. La reconnaissance du second cas est une contribution substantielle du Protocole I à la définition extensive du concept de conflit armé international. Cette contribution est le résultat d’un long processus. Posé d’abord dans le cadre de l’Assemblée Générale des Nations Unies, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes s’est affirmé dans la perspective de la décolonisation. Sous l’impulsion des pays du tiers-monde, l’objectif de la pression de l’ONU en faveur de la décolonisation a été de reconnaître aux mouvements de libération nationale la compétence de guerre et l’application à leur profit du droit de la guerre708. En d’autres termes, les pays du tiers-monde ont fait admettre que le droit de la guerre s’applique non seulement aux conflits interétatiques, mais aussi aux autres conflits dans lesquels les peuples luttent contre une domination coloniale, une occupation étrangère ou contre un régime raciste. Cette évolution va être consacrée par le Protocole I de 1977. Aussi, renvoyant aux conventions de 1949, l’article 1 Paragraphe 3 dudit protocole inclut désormais les situations que celles-ci prévoyaient dans leur article 2 commun en l’occurrence tout conflit interétatique y compris la guerre et toute forme d’occupation. L’article 1 paragraphe 4 y ajoute « les conflits armés dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes consacré dans la charte des Nations Unies et dans la Déclaration relative « aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la charte des Nations Unies ». Cette définition extensive a été reprise par l’article 1er de la convention de 1980 sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques. Cet aboutissement du droit aux peuples à disposer d’eux-mêmes n’a pas été obtenu sans mal face aux objections des Etats favorables au maintien du statut quo et aux revendications en faveur d’une définition plus extensive du conflit armé international, assimilé à la lutte contre toute forme d’agression armée et contre toute domination contraire au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En tout état de cause, dans la perspective du droit humanitaire, la protection des victimes des conflits armés internationaux (tels que le définit le Protocole I) a pour base les quatre conventions de Genève de 1949 707

V. infra, V. Hubert Thierry, Serge Sur, Jean Combacau, Charles Vallée, Droit International Public, op. cit. P 518 et 5, V. Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier, Alain Pellet, Droit International Public, op. cit P 822 708 V. infra

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complétées par le Protocole I de 1977. Ce qui n’est pas le cas des conflits armés non internationaux. B. Les conflits armés non internationaux Ils se distinguent des conflits armés internationaux, malgré des ressemblances de plus en plus marquées. Les deux formes de conflits diffèrent sur un nombre important de points. Les caractères essentiels des conflits armés internationaux en général sont : -

Une lutte prolongée dans l’espace et le temps ; Cette lutte intéresse des entités juridiques, possédant la pleine capacité internationale, en d’autres termes des sujets de droit international.

Dans un conflit armé non international, seule l’une des parties constitue, au moins au début du conflit, un sujet intégral du droit des gens. Ce qui revient à dire que les actes terroristes ou des attaques menées à l’intérieur de l’espace national par des bandes armées ne peuvent pas être qualifiés de conflits armés internationaux, de guerres de civilisations ou plus curieusement, de conflits planétaires ! En outre, la distinction entre ces deux catégories de conflits armés découle du fait que la personnalité juridique du parti insurgé change constamment à partir du moment où son existence est consacrée par le droit positif, tandis que la personnalité juridique des deux parties dans un conflit armé international reste toujours la même. Ainsi, en cas d’occupation, même totale, l’exercice d’un grand nombre de prérogatives souveraines devient impossible ou est limité, mais la personnalité souveraine de l’Etat occupé ne disparait jamais. Les différences ainsi spécifiées, il est possible de considérer le conflit armé non international comme un affrontement armé opposant des forces armées d’un Etat à des forces armées dissidentes ou rebelles. Le droit applicable dans ce type de conflit a longtemps été considéré comme étant une question purement interne aux Etats. Certes, l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève avait permis de dégager pour la première fois, certains principes fondamentaux devant être respectés dans ce genre de conflit. Cependant, cet article ne définissait pas la notion même de conflit armé non international. L’article 1 du Protocole II de 1977 a partiellement comblé cette lacune. Aux termes de celui-ci, est réputé conflit armé non international tout conflit qui se déroule sur le territoire d’un Etat, entre ses forces armés et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permettra de mener des opérations militaires continues

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et concertées et d’appliquer le droit international établi pour ce type de conflit. Aussi, un conflit qui éclate sur le territoire d’un Etat entre deux ethnies distinctes, pour autant qu’il réunisse les caractéristiques nécessaires d’intensité, de durée et de participation, peut être qualifié de conflit armé non international. Le conflit armé non international peut s’internationaliser dans les hypothèses suivantes : -

-

L’Etat victime d’une insurrection reconnait les insurgés comme des belligérants ; en accordant à un parti insurgé la reconnaissance de ses droits de belligérance, l’Etat victime crée un nouveau sujet de droit international dont les droits et les devoirs se limitaient strictement au domaine du droit de la guerre à l’exclusion de tous les autres domaines du droit des gens. La deuxième hypothèse de l’existence d’un conflit armé interne internationalisé réside dans l’intervention militaire d’un ou plusieurs Etats tiers en faveur d’une des parties ; Enfin, la troisième hypothèse c’est le cas ou deux Etats tiers interviennent avec leurs forces armées respectives chacun en faveur d’une des parties.

Les problèmes découlant de ces situations ne peuvent pas trouver une réponse simple et sans équivoque, eu égard à leurs nombreuses implications juridiques et à l’absence de dispositions internationales spécifiques à cette forme de conflit. Dans tous les cas, les conflits non internationaux donnent lieu à l’application de l’article 3 des conventions de 1949 et des dispositions du protocole II. C. Les situations de tensions internes ou de troubles intérieurs Selon une définition donnée par le CICR en 1971, à l’occasion d’une consultation d’experts gouvernementaux, il s’agit de situations qui peuvent se caractériser par : -

Un grand nombre d’arrestations ; Un grand nombre de détenus politiques ou de sécurité ; De probables mauvais traitements infligés aux détenus ; La déclaration de l’état d’urgence ; Des allégations de disparitions.

Contrairement aux situations de troubles intérieurs où les rebelles sont suffisamment organisés et identifiables, en cas de tensions internes, l’opposition est rarement composée, de façon visible, d’unités combattantes.

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S’il est vrai que les tensions internes ou des troubles intérieurs ne relèvent pas du droit des conflits armés, il n’en demeure pas moins qu’ils n’échappent pas aux obligations qui résultent des dispositions générales du droit international concernant la protection des droits de l’Homme. En effet, selon le préambule du Protocole II, seuls les instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme offrent une protection fondamentale aux victimes des situations de tensions ou de troubles intérieurs. Le paragraphe 2 de l’article premier du Protocole II stipule que le Protocole II ne s’applique pas « aux situations de tensions internes, de troubles intérieurs comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues qui ne sont pas considérés comme des conflits armés ». En conclusion, on peut affirmer que le droit des conflits armés est une réalité. Cette évidence remet en cause l’idée développée selon laquelle dans le concept de guerre totale, le principe de l’anéantissement de l’adversaire dans un conflit nucléaire ferait que le droit de la guerre serait dépassé. Dès le déclenchement des hostilités, les rapports entre les belligérants sont soumis à un régime juridique d’exception. Les relations normales entre les parties sont rompues pour faire place à des rapports de belligérance709. Le régime de belligérance concilie, dans la mesure permise par l’évolution des techniques, les nécessités militaires et les exigences humanitaires élémentaires. Comme on le voit, les concepts de conflit international, de conflit armé international, de conflit armé non international, de troubles et de tensions internes recouvrent des réalités juridiques et politiques très différentes et ne sauraient être galvaudés ni utilisés de manière émotionnelle ou intentionnelle à des fins politiques dans le but de manipuler l’opinion publique

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En principe, en cas de guerre stricto sensu, les relations diplomatiques qui sont exclusivement pacifiques sont rompues. Chaque belligérant désigne un Etat tiers pour défendre ses intérêts sur le territoire de son adversaire. L’inviolabilité des missions diplomatiques est un principe fondamental du Droit international. Elle impose une double obligation, d’une part l’obligation de ne pas porter atteinte aux locaux des missions et aux biens qui s’y trouvent, et d’autre part l’obligation de protéger et de prévenir les atteintes qui pourraient y être portée par des éléments incontrôlés. Cette double obligation a été rappelée par la CIJ dans son arrêt du 24 mai 1980 relatif au personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis cf. Iran rec 1980 p. 309. Par ailleurs, un terme est également mis aux relations juridiques par l’application de la règle de caducité de tous les traités bilatéraux du fait de la guerre. Sur le plan économique, les échanges sont interrompus. Chaque belligérant ayant le droit de saisir les biens privés des Etats ennemis. De même, les nationaux de chaque belligérant perdent le droit de commercer avec l’ennemi. Les biens des ressortissants ennemis peuvent être mis sous séquestre. Ils peuvent être expulsés. Les traités de 1947 ont entériné ces mesures résultant de l’état de belligérance. Les rapports de belligérance n’excluent pas les accords militaires qui peuvent être conclus pour régler des problèmes qui naissent des combats comme le transport des blessés par exemple.

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internationale ou de justifier des politiques stratégiques adoptées par certains Etats. Dans tous les cas, l’obligation de règlement pacifique des conflits s’impose à tous, quel que soit le type de conflit.

§3 L’obligation du règlement pacifique des conflits Depuis 1945, le recours à la force dans les relations internationales a été mis hors la loi par la Charte des Nations Unies. En effet, l’Organisation des Nations Unies a retiré aux Etats leur jus ad bellum710 assimilé dans l’ordre interne à la justice privée illicite711 . Aujourd’hui donc, le jus ad bellum est construit sur la base, non pas du droit, mais de l’interdiction du recours à la force. Cette interdiction ne s’est pas imposée sans problèmes dans la mesure où le droit international classique n’a jamais cherché à limiter l’usage de la guerre. Jusqu’en 1919, la guerre était même considérée comme une manifestation normale de la souveraineté des Etats. Aux XVIème et XVIIème siècles, les théologiens fondateurs du droit international avaient tenté de valoriser la distinction canoniste entre la guerre juste et la guerre injuste712. Mais ce n’est qu’au début du XXème siècle que l’on assistera à une première tentative de limitation de la guerre avec la deuxième convention de la Haye de 1907 ou la Convention Drago Porter. Cette convention concernant la limitation de l’emploi de la force pour le recouvrement des dettes contractuelles consacre en effet la doctrine Drago selon laquelle le recouvrement coercitif des dettes publiques est contraire au droit international. Avec le Pacte de la SDN, les Etats vont accepter une « amputation » de leur compétence de guerre. Mais le Pacte n’interdit pas la guerre. Il distingue les guerres illicites comme la guerre d’agression, interdite par l’article 10 et 710

Ainsi, l’article 1 paragraphe 1 de la Charte définit le premier but des Nations Unies qui est de « maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international susceptibles de mener à une rupture de la paix ». En vertu de l’article 2, paragraphe 4, « les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». 711 Christiane Alibert, Du droit de se faire justice dans la société internationale depuis 1945, LGDJ, Paris, 1988, p. 15. 712 V. Maurice Torrelli, « La guerre juste », Arès, 1987 / 2 p. 71-92 ; Jean Bethke Elshtain, « Just wartheory », Blackwell, Oxford, 1992 ; voir aussi Victoria et Suares, « Contribution des théologiens au droit international moderne », Pédone, Paris, 1929, p. 88 ; Jean Michel Dumay, « jamais plus la guerre », Le Monde, p. 27, décembre 1990.

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les guerres licites justifiées par la défense d’un droit ou entreprise dans l’exercice du droit de légitime défense, lesquelles sont autorisées par l’article 15 paragraphe 8. C’est la Convention de Paris du 26 août 1928 ou Pacte Briand-Kellog qui va mettre hors la loi la guerre. L’évolution sera menée à son terme par la charte de l’ONU. Sur le plan normatif, la prohibition dictée par l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies vise non seulement la guerre qui est interdite, mais aussi l’usage de la force dans les relations internationales et même sous la forme d’une simple menace. De ce point de vue, le jus ad bellum disparaît totalement, dans la perspective du droit international, comme attribut de la souveraineté en même temps que le droit de recourir à la force. L’intervention militaire sous toutes ses formes est prohibée en droit international. La CIJ dans son arrêt du 27 juin 1986 a fourni des précisions sur le seuil de ce que l’on peut qualifier comme une intervention armée. Selon la Cour : « Cet élément de contrainte, constitutif de l’intervention prohibée et formant son essence même, est particulièrement évident dans le cas d’une intervention utilisant la force, soit sous la forme directe d’une action militaire soit sous celle, indirecte, du soutien à des activités armées subversives ou terroristes à l’intérieur d’un autre Etat713 ». Cette interdiction totale ne connaît que deux exceptions établies par la Charte : la légitime défense visée par l’article 51 et les mesures militaires autorisées par le Conseil de Sécurité des Nations unies en vertu du Chapitre VII et par extension pour les organismes régionaux en vertu du Chapitre VIII714. Le principe de la prohibition du recours à la force est d’ordre général. Il lie tous les Etats y compris les Etats non membres de l’ONU715 . Il a été spécifié par la Cour Internationale de Justice sur le triple plan des normes conventionnelles, coutumières et de jus cogens716 . 713

Rec., p. 108. Ne sont pas consacrés en droit international l’intervention préventive et la légitime défense préventive, concepts auxquels se réfèrent, aujourd’hui certains Etats comme les Etats-Unis ou Israël pour justifier leur recours à la force armée contre des entités étatiques ou non étatiques. Cf. Supra. 715 V. Hubert Thierry, Jean Combaccau, Droit international Public, op. cit. p. 482. 716 Déjà dans l’affaire du Détroit de Corfou, le principe de la souveraineté des Etats et son corollaire le principe de non intervention a été précisé par la CIJ. Ceci a contribué à déterminer certains aspects de ce droit. La Cour avait souligné le caractère illicite du « prétendu droit d’intervention qui ne peut être envisagé que comme la manifestation d’une politique de force qui dans le passé a donné lieu à des abus les plus graves et qui ne saurait, quelles que soient les déficiences présentes de l’organisation internationale trouver aucune place dans le droit international » et rappelle qu’entre « Etats indépendants le respect de la souveraineté territoriale est l’une des bases essentielles des rapports internationaux », V. Rec. 1949, p. 35. Quelques années plus tard, en 1986, dans l’affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, la Cour réaffirmera ce principe en reprochant aux Etats-Unis d’avoir violé l’obligation que leur impose le droit international coutumier de ne pas intervenir » dans les 714

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Dans le cadre de l’Assemblée Générale de l’ONU, les normes sus évoquées ont été affirmées dans différentes résolutions717. L’interdiction totale du recours à la force est le résultat d’un long processus historique718. Elle est hissée aujourd’hui au niveau d’une norme impérative de droit international public719. Parallèlement, l’obligation de résoudre les conflits par des moyens pacifiques qui en est le corollaire acquiert, selon la CIJ, le même caractère impératif720. La Charte des Nations Unies rappelle cette obligation en ses articles 2 (paragraphe 3) et 33. De même, l’Assemblée Générale l’a réitérée, en termes identiques, à travers plusieurs de ses résolutions et plus particulièrement la Résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 sur les principes de droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats. Dans tous les cas, ces différents instruments confèrent une obligation positive à la charge des Etats de rechercher des solutions pacifiques aux différends qui les opposent et non pas seulement un devoir de s’abstenir comme il en va de l’emploi de la force en vertu de l’article 2 paragraphe 4 de la Charte. Les modalités de règlement pacifique font elles-mêmes l’objet de normalisation par le biais de conventions multilatérales ou de modèles de règles721 . Il faut souligner que le droit international ne contient pas affaires d’un autre Etat, de ne pas recourir à la force contre un autre Etat... ou de porter atteinte à la souveraineté d’un autre Etat.... », Rec. 1986 ; voir le dispositif notamment les paragraphes 3 à 6. Pour E. J. Arechega, ce principe est « une règle générale du droit international », RCADI, 1978, I, Vol 159, p. 87 ; « la pierre angulaire des relations pacifiques entre les Etats » selon le Comité Spécial sur les relations amicales entre les Etats. Doc A/ 6799, 1967, p. 29. 717 Notamment les résolutions 2131(XXV) du 21 décembre 1965; 2160 (XXV) de 1966 qui proclame l’interdiction du recours à la force ; 2625 ( XXV) adoptée le 24 octobre 1970 sur les relations amicales ; 31/9 de 1976 relative à la conclusion d’un traité mondial sur le non recours à la force dans les relations internationales ; 4248 du 18 novembre 1987 portant « Déclaration des Nations Unies sur le renforcement de l’efficacité du principe du non recours à la force ». Pour cette dernière résolution, v. Trèves, « La déclaration des Nations Unies sur le renforcement de l’efficacité du principe du non recours à la force armée », AFDI, 1987, p. 379. 718 V. Nguyen Quoc Dinh, Droit International Public, op. cit., p. 893 et s. 719 La norme impérative de droit international ou jus cogens est définie par l’article 53 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités comme « une norme acceptée et reconnue par la Communauté internationale des Etats dans son ensemble, en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ». 720 V. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci. Arrêt du 27 juin 1986, Rec. 1986, Paragraphe 145. Pour une analyse détaillée voir l’ouvrage de C. Lang, L’affaire Nicaragua / Etats-Unis devant la CIJ, LGDJ, Paris, 1990, XIX, 301 p. 721 On peut citer par exemple, les Conventions de la Haye de 1899 et 1907 ; le manuel de l’ONU sur le règlement pacifique des différends ; le Pacte de Bogota du 30 avril 1948 révisé par le Protocole de Buenos Aires de 1967 ; la Convention de Strasbourg du 29 avril 1957, du Mécanisme de l’OUA de prévention de gestion et de règlement des conflits de 1993 ; le Pacte

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d’obligations pour les Etats de faire usage de telle modalité de règlement plutôt que telle autre. L’article 33 de la Charte met à leur disposition une panoplie de moyens pacifiques de règlement des différends. A cet égard, ils peuvent rechercher la solution de leurs différends par la négociation, la médiation, la conciliation, par l’enquête, l’arbitrage, par le règlement judiciaire, par le recours aux organisations ou accords régionaux ou par tout autre moyen de leur choix. Cette liberté de choix des moyens de résolution des conflits peut être limitée lorsque les Etats, par exemple, s’engagent à l’avance à se soumettre à une procédure spécifique de règlement. Il en est de même aussi, lorsque le Conseil de Sécurité des Nations Unies indique aux parties la procédure à suivre pour régler pacifiquement leur différend. Au surplus, le recours aux divers modes de règlement pacifique des différends doit se faire de bonne foi et avec la volonté d’aboutir. En tout état de cause, la liberté de choix des moyens est au centre de la Déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends approuvée par l’Assemblée Générale des Nations Unies dans sa Résolution 37/10 du 5 novembre 1982. Aux termes de son point 1 paragraphe 3 : « Les différends internationaux doivent être réglés sur la base de l’égalité souveraine des Etats et en accord avec le principe du libre choix des moyens conformément aux obligations découlant de la Charte des Nations Unies et aux principes de la justice et du droit international ». La liberté de choix des Etats les amène souvent à combiner de manière discrétionnaire les différents modes de règlement pacifique. Toutefois, comme le souligne le Professeur Nguyen Quoc Dinh, les Etats utilisent plus volontiers les procédés politiques que les procédés juridiques. S’ils ont recours aux procédés juridiques, ils accordent la priorité au règlement non juridictionnel dont les résultats ont une portée peu contraignante plutôt qu’aux procédures arbitrales et juridictionnelles722. Il est donc clair qu’aucun Etat ne peut invoquer aujourd’hui un prétendu droit d’ingérence humanitaire ou un quelconque droit de légitime défense préventive pour lancer de manière unilatérale ou en association avec ses alliés, des attaques militaires contre un autre Etat indépendant, de surcroît membre des Nations Unies. Le droit ou devoir d’ingérence humanitaire n’existe pas. Comme nous avons déjà eu à le démontrer, c’est un droit aux fondements incertains, au contenu imprécis et à géométrie variable. De même, un Etat ne saurait intervenir de manière clandestine sur le territoire de la Ligue des Etats Arabes du 22 mars 1945 ou la Charte de Paris pour une Nouvelle Europe de 1990. 722 Droit International Public, op. cit., p. 789.

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d’un autre pour financer, entrainer, équiper des groupes rebelles au motif que ceux-ci seraient des rebelles « modérés » en lutte pour l’avènement de la démocratie. Il s’agit-là d’actes d’agression et d’ingérence intolérables dans les affaires intérieures des Etats, doublés d’un recours illicite à la force dans les relations internationales qui malheureusement, ne fait souvent l’objet d’aucune condamnation ferme, ni pas les démocraties occidentales, ni par les Nations Unies, ni par la presse du monde dit « libre », ni même par les pays du tiers-monde qui n’osent pas exprimer publiquement des positions contraires aux politiques hégémoniques des grandes puissances.

SECTION 2 LE REGLEMENT DES CONFLITS INTERNATIONAUX DANS LE CADRE DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES De création récente, les organisations internationales plongent leurs racines dans une évolution qui a caractérisé le 19e siècle et qui est celle de la « multilatéralisation de la diplomatie723 ». Leur apparition a manifestement ouvert la voie aux concertations diplomatiques et juridiques multilatérales qui permettront la codification des procédures de règlement pacifique des différends724. En raison de leur nombre, de leur diversité, et de leur dynamisme, les organisations internationales sont devenues les éléments caractéristiques structurant du système international725. En contribuant à la production de normes, elles tendent à modifier les règles du jeu international et créent pour les Etats de nouvelles contraintes notamment dans le domaine du règlement des conflits internationaux. Dans ce contexte, l’intervention des organisations internationales a aujourd’hui une portée considérable du fait des facilités que procure leur cadre à des négociations permanentes, mais aussi, en raison de l’avantage de leur neutralité dans les différends entre Etats et par conséquent, de leur position d’arbitre. Leurs modes de règlement pacifique s’appliquent non seulement aux différends entre Etats membres d’une organisation politique, mais aussi aux conflits opposant des membres d’organisations internationales économiques et techniques. Il importe donc de présenter l’état du droit positif en la matière, afin que le lecteur puisse se faire sa propre idée, sur les modalités et 723

Nguyen Quoc Dinh, Droit International Public, op. cit., p. 568 et s. Philippe Brailland Mohamed Reza Djalili, Les Relations Internationales, PUF, Paris, 1997, p. 37 et s. 725 Sur la diversité des fonctions de l’organisation internationale, v. supra ; v. Pentland Charles, « International Organization », in World Politics ; An introduction, ed. By James N. Rosenau, Kenneth W. Thompson, Gavin Boyd, New-York, The Free Press, 1976, pp. 624 659. 724

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procédures de règlement de conflits prévues par le droit international, sur le jeu politique et stratégique des grandes puissances dans les organisations internationales, sur le choix d’un mode de règlement des conflits ou même sur les tentatives de contrôle de l’ensemble du processus engagé.

Sous-section 1 : Le règlement des conflits entre Etats membres d’une organisation internationale politique La plupart des organisations internationales politiques sont investies de pouvoirs spécifiques de règlement des différends. C’est le cas de l’ONU et des organisations régionales.

§1 Le règlement des conflits entre Etats membres de l’ONU Sans doute, la suppression de la compétence de guerre des Etats par l’ONU constitue une révolution juridique même si le recours à la force persiste dans les relations internationales726 . L’ONU ne s’est pas contentée d’enlever aux Etats leur jus ad bellum, elle a aussi mis en place un système de règlement pacifique des conflits et développé un mécanisme de sécurité collective, théoriquement plus efficace que celui de la SDN. A. L’institution d’une panoplie de moyens de règlement pacifique des conflits C’est le Chapitre VI de la Charte qui détermine les modes de règlement pacifique des différends entre Etats membres des Nations Unies. Comme il a été déjà spécifié727, l’article 33 énumère les diverses procédures pacifiques qui sont à la disposition des membres de l’ONU pour trouver une solution à leurs différends. Le Conseil de Sécurité peut inviter les parties à régler leurs différends par les moyens de l’article 33. Il peut aussi procéder à une enquête en vertu de l’article 34, ou recommander telle ou telle méthode particulière de résolution des différends conformément à l’article 35. En outre, le Conseil de Sécurité peut, selon l’article 37 de la Charte, recommander les termes d’un règlement qu’il juge approprié728. 726

V. infra. V. supra. 728 Il est des cas où le Conseil de Sécurité s’est référée au Chapitre VI pour inciter les parties à choisir tel ou tel moyen. C’est le cas par exemple du recours à la médiation dans l’affaire du Cachemire en 1948, à la conciliation dans l’affaire du Congo en 1960. Dans l’affaire du Timor Oriental, il a poussé les Pays-Bas et l’Indonésie à accepter une mission de bons offices, tout comme il a pu recommander une procédure ou une méthode d’ajustement qu’il a jugé appropriée dans l’affaire du Détroit de Corfou en 1947 où il a demandé au Royaume-Uni et à l’Albanie de porter leur différend devant la CIJ. 727

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Il faut souligner que dans le domaine du règlement des différends entre Etats membres de l’ONU, l’action du Conseil de Sécurité a été jugée peu efficace durant la période de glaciation des relations internationales du fait du jeu du veto. Ce qui n’est, apparemment, plus le cas aujourd’hui729. Si le Conseil de Sécurité a agi de manière classique par des moyens pacifiques en vertu du Chapitre VI, il demeure aussi qu’il a eu à recourir aux mesures coercitives prévues par le Chapitre VII de la Charte de L’ONU. B. Le développement d’un mécanisme coercitif de règlement Le règlement coercitif des différends entre membres de l’ONU amène à analyser le système de la sécurité collective prévue par la Charte, son évolution à la lumière des mutations des relations internationales. 1. Le système de sécurité collective de l’ONU De prime abord, il faut noter avec le Professeur Daniel Colard730 que l’idée d’assurer la « paix par le droit et la sécurité collective » est née avec la Première Guerre Mondiale, avec la création de la SDN, de la CPJI et de l’OIT. L’échec de la SDN va permettre l’expérimentation d’un mécanisme de sécurité collective dans le cadre de l’ONU731 . Le concept de sécurité collective a connu au fil des temps une fluctuation non seulement dans sa dimension, mais aussi dans sa signification732. A l’origine, la sécurité collective a été décrite comme reposant sur la proposition selon laquelle la guerre peut être prévenue par l’effet de la dissuasion. A cet égard, elle est identique au système d’équilibre des puissances comprenant les alliances défensives733. 729 V. Daniel Colard, Les Relations Internationales de 1945 à nos jours, 8ème édition, Armand Colin, Paris, 1999, p. 359. 730 Ibid.p. 358. 731 Le système de la SDN était dans son origine limité par le fait que la guerre n’était pas interdite mais réglementée. Le Pacte de la SDN distingue en effet les guerres licites et les guerres illicites. Les hypothèses de guerre illicites sont principalement la guerre d’agression interdite par l’article 10, la guerre entreprise avant que les différends qui la justifient aient été soumis à une procédure pacifique comme l’arbitrage, le règlement juridictionnel ou l’examen par le Conseil de la SDN (art. 12 paragraphe 1), de même que la guerre dirigée contre un Etat qui se conforme à une décision arbitrale ou juridictionnelle (art. 13 paragraphe 4), ou de la guerre contre un Etat qui respecte les recommandations contenues dans un rapport unanime du Conseil de la SDN (art.15 paragraphe 6). En dehors de ces hypothèses, la guerre est tolérée par le Pacte. Dans ce cas, les membres de la SDN se réservent le droit d’agir comme ils le jugent nécessaire « pour le maintien du droit et de la justice » (art. 15 paragraphe 7). Ce qui signifie qu’ils recouvrent le droit de recourir à la guerre. 732 V. Leon Gordenker et Thomas G. Weiss (ed), « Collective Security in a Changing world », Boulder, Lynne Rienner Publishers, Inc. 1993, p.3; voir aussi Mohammed Ayoob «Squaring the circle: security in a system of States », ibid, pp. 45-62. 733 Cette conception a été formulée explicitement dans les Traités de Westphalie de 1648. La politique d’équilibre repose sur l’idée de réaliser entre les Etats une répartition des forces

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Cette définition de la sécurité collective a été jugée pernicieuse dans la mesure où elle légitime une configuration des forces qui ne peut satisfaire tous les acteurs du système et suscite beaucoup plus la suspicion et la méfiance que la bonne foi et la confiance734. Les inconvénients de cette définition amènent à préférer la formule du Professeur Nguyen Quoc Dinh735 selon laquelle la sécurité collective est « l’engagement pris par chaque Etat d’apporter son appui à une décision collective de s’opposer à tout Etat coupable, au jugement de la majorité, d’une agression ou d’une menace à la paix736 ». En d’autres termes, c’est le procédé par lequel l’ensemble de la collectivité des Etats se ligue contre celui auquel est imputable une menace contre la paix ou une rupture de celle-ci ou acte d’agression. Chaque Etat agit alors dans l’intérêt général de la communauté internationale et se trouve garant de l’ordre international qu’il contribue à défendre737 . Cette action de « tous contre tous et de tous avec tous », selon l’heureuse formule du Professeur Michel Virally738, est dans son essence même défensive. Elle se distingue des alliances de défense, lesquelles supposent l’identification préalable d’un ennemi présomptif et la constitution d’un collectif d’Etats dans le but de dissuader toute velléité d’attaque ou de se défendre d’une éventuelle agression de la part de cet ennemi. Le concept de sécurité collective est inclus dans la notion extensive de sécurité internationale entendue comme « l’ensemble des mesures qui sont destinées à prévenir ou à faire cesser l’emploi de la force armée dans les relations internationales739 ».

telles qu’elles s’équilibrent. Le but est d’empêcher qu’aucun d’eux ne devienne assez puissant pour déclencher une guerre qu’il serait sûr de gagner. La paix est ainsi maintenue. En même temps, la protection des Etats faibles est garantie, car aucun Etat n’accepte qu’un autre Etat rompe l’équilibre en s’emparant d’un petit Etat. Selon Thiers, « le principe de l’équilibre, c’est le principe de l’indépendance des Nations ». Cette conception a le mérite de sauvegarder la puissance des Etats. Elle n’a pas permis d’instaurer la paix, au contraire elle a encouragé les guerres défensives pour rétablir l’équilibre rompu et les guerres préventives contre un Etat dont la puissance en progrès pouvait menacer l’équilibre. V. Nguyen Quoc Dinh, Droit International Public, op.cit., p. 52 et s. 734 V. Serge Sur, « La sécurité internationale et l’évolution de la sécurité collective », in Trimestre du Monde, n° 20, 1990, Paris, pp. 121-134. Sur la question du rapport entre la légitimité d’un ordre international d’équilibre des puissances et le sentiment de justice, V. Henry Kissinger, « A world restored », Cambridge. The Revised Press, 1957, pp.1- 6 ; sur les limites de la théorie de l’équilibre des puissances entant que composante de la théorie de la sécurité collective, V. Ernest B. Haas, « Obscurities Enshrines : The balance of power as an analytical concept », In Paul R. Viotti and Mark V. Kaupi, International Relations Theory, New-York, Mac Millan, 1987, pp. 105-114. 735 Droit International Public, op. cit., p. 948. 736 Nguyen Quoc Dinh, Droit International Public, op. cit., p. 570 737 V. Max Gounelle, Relations Internationales, 4e édition, Dalloz, Paris, 1998, p. 150. 738 Cité par Nguyen Quoc Dinh, Droit International Public, op. cit., p. 948. 739 Hubert Thierry, Serge Sur, Jean Combacau, Droit International Public, op. cit., p. 502.

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Dans le cadre du maintien de la paix et de la sécurité internationale, le Conseil de Sécurité joue un rôle prépondérant par rapport à l’Assemblée Générale et au Secrétaire Général des Nations Unies. a. Le Conseil de Sécurité, pierre angulaire de la sécurité collective C’est l’article 24 de la Charte qui fait du Conseil de Sécurité, organe restreint de l’ONU740, le gendarme du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Aux termes de l’article 24, les membres de l’ONU confèrent au Conseil de Sécurité « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité, le Conseil de Sécurité agit en leur nom ». A ce titre le Conseil se voit doté de pouvoirs coercitifs. i) Les pouvoirs de sanction du Conseil Le Chapitre VII de la Charte prévoit la possibilité d’une action coercitive en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression. C’est l’une des novations de la Charte, par rapport au Pacte de la SDN, qui confère au Conseil de Sécurité un pouvoir de décision, une mission de police internationale. L’adoption de mesures coercitives succède à la qualification de la situation par le Conseil. Le pouvoir de qualification de la situation se fonde sur les dispositions de l’article 39 de la Charte aux termes duquel : « Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Il appartient donc au Conseil, saisi par tout Etat membre, en vertu de l’article 35 de la Charte ou encore par le Secrétaire général, conformément à l’article 99, de procéder à la qualification des différentes situations visées par l’article 39.

740 Par rapport à l’Assemblée Générale, organe plénier des Nations Unies, le Conseil de Sécurité est composé de 15 membres -cinq permanents et dix non permanents-. Les membres permanents du Conseil de Sécurité sont : les Etats-Unis, le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, la République Fédérative de Russie, la France et la République Populaire Chine. Les membres non permanents sont élus pour une période de deux ans par l’Assemblée Générale qui tient compte, à l’occasion, de la contribution des Membres de l’Organisation au maintien de la paix et de la sécurité internationales et aux autres fins de l’organisation, et aussi d’une répartition géographique équitable. Chp V. article 23 paragraphe 1 de la Charte. Pour une étude détaillée de la composition, des pouvoirs et fonctions du Conseil, voir le commentaire des articles 23 et 24 réalisé respectivement par Madjid Benchikh et René DegniSegui in « La Charte des Nations Unies » commentaire articles par articles sous la direction de Jean Pierre Cot et Alain Pellet, Economica, Paris, 1985, pp. 441- 469.

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C’est la première décision que le Conseil de Sécurité doit prendre et qui détermine tout le développement ultérieur de sa mission. Au préalable, il peut procéder à l’enquête prévue à l’article 34. Cependant, il ressort de l’article 40 de la Charte que le Conseil peut, avant toute constatation ou qualification, préconiser les mesures conservatoires qu’il juge nécessaires ou souhaitables afin d’empêcher la situation de s’aggraver. Dans ce contexte, le Conseil ne dispose, selon l’article 40, que d’un pouvoir de recommandation. Les mesures préconisées ne comportent aucune condamnation et selon l’article 40 « ne préjugent en rien les droits, les prétentions ou la position des parties intéressées741 ». Une fois établie la matérialité des faits, le Conseil les qualifie742. Ainsi dans sa Résolution 232 du 16 décembre 1966 concernant la Rhodésie du Sud, le Conseil y relève une menace à la paix due au fait que l’indépendance déclarée unilatéralement par la seule minorité blanche ne respectait pas le principe d’autodétermination. De même, par ses Résolutions 713 (1991) et 757 (1992), il a aussi qualifié de menace contre la paix la situation conflictuelle en Bosnie Herzégovine. Dans le cas du Soudan, il a également qualifié, dans ses Résolutions 1054 et 1070 1996), les actes de terrorisme international comme étant des menaces contre la paix… Dans d’autres cas, il a qualifié certaines situations de rupture de la paix. Il en est ainsi de la Résolution 660 du 2 août 1990 à propos de l’invasion du Koweït par l’Irak743. 741

Il existe des cas où le Conseil a pris des mesures provisoires ; c’est le cas lors du conflit entre l’Iran et l’Irak -Résolution 598 (1987)-, de l’invasion du Koweït par l’Irak -Résolution 660 (1990)-. Pour l’analyse de ces mesures provisoires, v. Daouda Fall, « Le conflit du Golfe 1990-1991 : De l’ordre ancien au nouvel ordre mondial », Thèse IDPD, Nice, 1994, p. 99 et s. A priori la question qui consiste à se demander si les mesures prévues à l’article 40 doivent précéder la constatation prévue par l’article 39, ne se pose pas dans la mesure où l’interprétation de l’article 40 milite en faveur d’une obligation pour le Conseil de Sécurité de « constater l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’acte d’agression » avant de pouvoir indiquer les mesures provisoires. C’est du reste ce qui résulte de l’intervention du Conseil dans l’affaire de la Palestine S/ Res/54 du 15 juillet 1948 (S/102) de la Corse avec la Résolution S /Res 82 du 25 juillet 1950, dans l’affaire des Malouines ou encore dans celle de l’invasion du Koweït par l’Irak. La justification de l’article 40 est de permettre au Conseil de prendre des mesures d’urgence afin d’éviter l’aggravation de la situation. Le déroulement de l’article 40 n’est juridiquement possible que dans les situations correspondant aux circonstances qui justifient le recours au Chapitre VII. V. Jean Combaccau, « Le pouvoir de sanction de l’ONU. Etude théorique de la coercition non militaire », Pédone, Paris, 1974, p.166 ; v. aussi D. Simon, Le commentaire de l’article 40 « La Charte des Nations Unies ; commentaire article par article », op. cit. pp. 668 à 676. 742 Il peut arriver cependant, que le Conseil exclut la référence préalable à l’article 39. Par exemple dans les situations relatives à la plainte du Guatemala S/ Res/ 104 du 30 juin 1954, au problème de Chypre Res. 353 du 20 juillet 1974 ou à l’affaire de l’Ambassade américaine à Téhéran, Res. 461 du 31 décembre 1979, le Conseil a entendu se prononcer sur l’opportunité d’actions conservatoires sans être lié par une obligation préalable de qualification. 743 Il avait déjà aussi considéré l’invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord comme une rupture de la paix, V. résolution 82 du 25 juin 1950.

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Par ailleurs, le Conseil de Sécurité s’est référé au concept d’agression pour qualifier certaines situations. C’est le cas par exemple des interventions armées de l’Afrique du Sud en Angola, en Zambie et au Lesotho744 , ainsi qu’une action de mercenaires au Bénin745. Le Conseil a toujours hésité d’utiliser le concept d’agression pour qualifier des situations. Cette hésitation peut se comprendre en période de tension au sein du Conseil entre les membres permanents746 . Dans les cas de l’Afrique du Sud et du Bénin, l’utilisation du concept a été rendu nécessaire ou possible par l’accord entre l’URSS et les Etats-Unis soucieux de ne pas indigner le groupe des 77747 . Le Conseil a été guidé par la définition de l’agression consacrée par l’Assemblée Générale des Nations Unies dans sa Résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974. Selon l’article 1 de la résolution : « L’agression est l’emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre Etat ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies ». Cette définition a été saluée comme le résultat d’une évolution satisfaisante qui remonte à la SDN748 . La Résolution 3314 (XXIX) permet d’éclaircir les situations nées du recours à la force en énumérant en son article 3 les faits constitutifs d’agression. Il s’agit de « l’invasion ou l’attaque du territoire d’un Etat par les forces armées d’un autre Etat ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d’une invasion ou d’une telle attaque ». Elle prévoit aussi l’annexion, même temporaire, d’un territoire, le bombardement, le blocus des ports, etc. C’est donc dire que l’agression couvre par conséquent toutes les hypothèses de recours illicites à la force, sans aucune exception. Dans son arrêt rendu le 27 juin 1986 relatif aux activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci749, la CIJ s’est référée à la 744

V. Résolutions 387, 393, 527 de 1976 et 1982. V. Résolution 405 du 14 avril 1977. 746 Selon du reste le Professeur René-Jean Dupuy, à partir du moment où « l’on a fait de l’agression le crime suprême… les big five ne peuvent la dénoncer dans une affaire, que si aucun de leurs alliés ou clients ne s’y trouve impliqué ». V. son article « Les Malouines entre l’ONU et l’OEA », AFDI, 1982, p. 314, note 13. 747 A contrario, à propos de l’intervention armée soviétique en Afghanistan, le Conseil a implicitement constaté l’existence d’une agression imputable à l’URSS, en déplorant la « récente intervention armée en Afghanistan qui est incompatible avec le principe de l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de ce pays ». Cette périphrase qui faisait référence à l’article 1 de la Résolution 3314 (XXIX) s’est heurtée au veto soviétique. Par la Résolution 462, le Conseil transmit l’affaire à l’Assemblée Générale qui allait demander le retrait des forces armées soviétiques de l’Afghanistan. Cependant, le Conseil a constaté dans sa Résolution 573 comme un « acte d’agression armée » l’attaque par Israël du quartier général de l’OLP à Tunis. Cette résolution sans référence au Chapitre VII de la Charte a été adoptée par 14 voix pour et une abstention, celle des Etats-Unis. 748 V. J. Zourek, « Enfin une définition de l’agression », AFDI, 1974, pp. 9-30. 749 Op. cit. v. paragraphes 227 à 230. 745

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définition de l’agression sus-évoquée, pour admettre que l’envoi de bandes armées sur le territoire d’un autre Etat peut constituer une agression armée. En tout état de cause, par-delà cette définition, une fois la situation qualifiée, le Conseil est amené à prendre des mesures coercitives. ii) L’adoption de mesures coercitives Le Conseil peut prendre deux catégories de mesures : des mesures non militaires et des mesures impliquant l’usage de la force armée. iii) Les mesures non militaires Il s’agit de mesures exclusives de l’emploi de la contrainte armée, prévues par l’article 41 de la Charte. Elles peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et tout autre moyen de communication ainsi que la rupture des relations diplomatiques. Ces sanctions économiques ou politiques doivent être appliquées par les Etats membres. Elles s’imposent à ces derniers en vertu des articles 25, 48 et 49 de la Charte. Le caractère exécutoire de ces mesures a été spécifié par le Conseil de Sécurité dans l’affaire de la Rhodésie. La Résolution 232 du Conseil exigeait des Etats membres sa mise en œuvre en rappelant que « le fait pour l’un quelconque d’entre eux de ne pas appliquer ou de refuser d’appliquer la présente résolution constituera une violation de l’article 25 ». Dans son avis consultatif du 21 juin 1971 sur les conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie nonobstant la Résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, la CIJ a précisé le caractère contraignant de l’article 25, mais aussi des articles 48 et 19 de la Charte750 . La combinaison des articles 48, 49 et 50 permet aux Etats de respecter effectivement les mesures coercitives décidées par le Conseil. L’article 49 prévoit une assistance mutuelle des Etats membres de l’ONU dans l’application des sanctions prises par le Conseil et l’article 50 la consultation du Conseil par les Etats dont l’économie souffre de l’exécution des décisions des Nations Unies751 . 750

V. Rec. 1971, p.53. En effet, les sanctions prises par le Conseil peuvent affecter des Etats tiers. Ainsi se pose généralement le problème de concilier la mise en œuvre des sanctions et les conséquences que celles-ci peuvent avoir sur les économies des pays tiers. Ainsi dans le cas de la Rhodésie, le Conseil avait adopté en 1968 la Résolution 253 pour demander aux membres des Nations Unies d’assister la Zambie afin de l’aider à « résoudre les problèmes économiques spéciaux qu’elle risque de rencontrer du fait de l’application des décisions du Conseil de Sécurité ». Le même problème a été posé aussi lors de l’invasion du Koweït par l’Irak. En l’espèce, le Conseil par la Résolution 669 du 24 septembre 1990 demande au Comité des sanctions établi par la Résolution 661 d’examiner les demandes d’assistance des Etats qui font face à des difficultés particulières liées aux sanctions contre l’Irak. Il s’agissait entre autres du Soudan, du Yémen et surtout de la Jordanie. 751

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En pratique, le conseil a eu à prendre des sanctions contre plusieurs Etats. La Rhodésie a été le premier cas d’application des mesures coercitives dans le cadre du Chapitre VII de la Charte752 . Par sa Résolution 232, il a pris des séries de sanctions sélectives visant certaines importations et exportations de la Rhodésie comme les matières premières, les armes et munitions, le pétrole. Ces sanctions seront aggravées plus tard en mai 1968 avec la Résolution 253 complétée par les Résolutions 277 du 18 mars 1970 concernant la rupture de toutes relations avec le régime illégal et la fin de toute représentation dans le territoire Rhodésien, 338 du 6 avril 1976 portant sur les assurances, les noms commerciaux et les franchises commerciales et 409 du 27 mai 1977 touchant les transferts de fonds. Les sanctions contre la Rhodésie présentent une double originalité. D’une part, elles visent non un Etat membre de l’ONU, mais une entité territoriale à laquelle est déniée, du point de vue du droit international classique, toute qualité étatique. D’autre part, elles interviennent dans un conflit présentant tous les caractères d’une affaire interne à la Rhodésie, dans la mesure où le 11 novembre 1964 le Gouvernement de Ian Smith a proclamé unilatéralement contre la volonté du Royaume Uni, l’indépendance de la Rhodésie du Sud. Les sanctions contre la Rhodésie du Sud seront levées par la Résolution 460 du 21 décembre 1979 à la suite des accords de Lancaster House prévoyant la constitution d’un Zimbabwe libre et indépendant. C’est l’Afrique du Sud qui sera le premier Etat membre de l’ONU à se voir appliquer les mesures de l’article 41 du fait de son système politique fondé sur l’apartheid et de ses actes d’agression contre des Etats indépendants. Par la Résolution 418 du 4 novembre 1977, le Conseil de Sécurité a décidé un embargo sur les armes contre l’Afrique du Sud753. Ces deux cas appellent une double remarque. D’abord les sanctions prononcées frappent autant sinon plus une illégalité que la menace à la paix qu’elle engendre. Dans ces cas, le Conseil a étendu son pouvoir de contrainte du domaine de la sécurité au domaine général de la sanction du droit. Enfin dans les deux cas, le Conseil a été conduit à créer un comité chargé de suivre le respect des sanctions ; mais, sans pouvoir d’investigation et de contrainte, il ne pouvait que procéder à des recoupements statistiques imparfaits754 ; même lorsque des violations étaient clairement établies, elles ne conduisirent qu’à de rares et platoniques condamnations par le Conseil755.

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A titre de comparaison, en 1935 la SDN avait pris, au titre de l’article 16 du Pacte, des sanctions économiques contre l’Italie pour avoir envahi l’Ethiopie. 753 V. P.M. Eisemann, « La Charte des Nations Unies ; commentaire article par article », op. cit., p. 700. 754 V. par exemple, la Résolution 318 du 28 juillet 1972. 755 V. Charles Leben, « Les contre-mesures interétatiques et les réactions à l’illicite dans la société internationale », AFDI, 1982, pp. 9-77 ; Elisabeth Zoller, « Peacetime Unilateral

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Le système a mieux fonctionné dans le cas de l’Irak. A la suite de l’invasion du Koweït, le Conseil a adopté, le 6 août 1990, la Résolution 661 qui décide des sanctions économiques contre l’Irak. Les mesures visées par la résolution et que tous les membres ou non de l’ONU sont tenus d’appliquer ont porté sur tous les secteurs de l’activité économique de l’Irak ; ainsi par exemple, les importations, les exportations des produits de base et toutes marchandises, y compris les armes ou tout autre matériel militaire, les transferts de fonds sont gelés. Le Conseil va instituer, par la Résolution 665 du 25 août 1990, un mécanisme de contrôle militaire maritime par les Etats. Ce dispositif terrestre et maritime va être étendu, avec la Résolution 670 du 25 septembre 1990, à l’espace aérien de l’Irak756. Dans l’affaire Yougoslave, le Conseil a aussi décrété des sanctions, par la Résolution 820 (1993) portant sur le gel des avoirs de la Yougoslavie, c’està-dire de la Serbie et du Monténégro, et des entreprises de ce pays et le blocus de ses ports. Il a également procédé, par les Résolutions 752, 757 et 787 (1992) à la suspension de toutes les transactions y compris le transport aérien et, décidé par la Résolution 781 (1992) l’interdiction de survol militaire de la Bosnie Herzégovine. Un embargo complet sur les armes à destination de la Yougoslavie a été décidé par le Conseil conformément à ses Résolutions 724 (1991) et 727 (1992). Un système de contrôle placé sous les auspices de l’Union de l’Europe Occidentale (U.E.O) et de l’Organisation sur la Sécurité et la Coopération en Europe (O.S.C.E.) a été établi par le Conseil avec la Résolution 992 (1995). Des sanctions économiques ont été décidées contre Haïti à la suite du coup d’Etat contre le Président démocratiquement élu Jean Bertrand Aristide. Ces sanctions prises par le Conseil -Résolution 841 (1993)- se résument en un embargo commercial, à l’interruption des relations aériennes et maritimes, à un gel des avoirs financiers. Ces différentes mesures ont été levées par la Résolution 948 (1993) à la suite de l’évolution politique constatée dans cet Etat. Des sanctions portant un embargo sur les livraisons d’armes, le matériel militaire ont été également décrétées par le Conseil contre la Somalie (Résolution 733 du 23 janvier 1992). En plus des armes, l’embargo couvre, parfois aussi, les produits pétroliers comme par exemple dans les cas du Libéria (Résolution 788 du 19 novembre 1992) ou du Rwanda (Résolutions 918 et 997 adoptées respectivement en 1994 et 1995). La pratique du Conseil montre aussi que l’Organe restreint de l’ONU a décidé aussi des sanctions contre des acteurs non étatiques. Ainsi, dans la Remedies : an Analysis of countermeasures», New- York, Transnational Publishers, 1984, XVIII, 196p. 756 Pour une étude détaillée des sanctions économiques décidées par le Conseil contre l’Irak ; cf. Daouda Fall, « La crise du Golfe 1990-1991 : De l’ordre ancien au nouvel ordre mondial », op. cit., pp. 101-129 ; Marcel Merle, « La crise du Golfe et le nouvel ordre international », op. cit.

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crise de la Sierra Leone, il a adopté la Résolution 1132 (1997) pour restreindre le déplacement des membres de la junte militaire. De même, il a aussi imposé, par la Résolution 864 (1993), un embargo sur les armes et les produits pétroliers vendus ou fournis à l’UNITA, mouvement rebelle impliqué dans la guerre civile en Angola. Comme on le voit, le Conseil ne prend pas seulement des sanctions économiques et diplomatiques, il peut être amené à décider des mesures militaires. iv) Le recours à la force armée Les mesures de caractère militaire sont prévues par l’article 42 de la Charte. Dans cette hypothèse, le Conseil, en vertu des pouvoirs que lui confère cet article, « peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ». Cette action coercitive de police internationale « peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de membres de l’ONU ». Selon l’article 46 de la Charte, il incombe au Conseil d’établir avec l’aide du Comité d’état-major les plans pour l’emploi de la force armée. Aux termes de l’article 47 paragraphe 2, le comité d’état-major est composé « des chefs d’état-major des membres permanents du Conseil de sécurité ou de leurs représentants ». Il est responsable, sous l’autorité du Conseil de sécurité, de la direction stratégique de toutes les forces armées mises à la disposition du Conseil. Le comité d’état-major est en quelque sorte le relais indispensable entre l’organe politique, en l’occurrence le Conseil, qui délibère et qui décide et l’outil militaire qui manœuvre sur le terrain. Il faut souligner que l’ONU n’a pas de forces armées. Il appartient en effet, et conformément à l’article 43 paragraphe 1 de la Charte, aux Etats membres « de mettre à la disposition du Conseil, sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des accords spéciaux, les forces armées, l’assistance et les facilités y compris le droit de passage, nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité internationales ». L’analyse de la pratique internationale montre que si l’on exclut les cas de la Rhodésie et de l’Afrique du Sud, le dispositif du Chapitre VII n’a pratiquement pas joué. Si l’usage de la force a été décidé dans les affaires de la Corée (1950), du Congo (1960), dans le Golfe (1991), et en Yougoslavie (1992), il reste que cet usage n’a pas toujours respecté les dispositions de la Charte. Dans le cas de l’affaire coréenne, d’un bout à l’autre du conflit, c’est-àdire entre juin 1950 et juillet 1953, c’est le commandement américain, donc le gouvernement des Etats-Unis qui garda le contrôle des opérations militaires. Par contraste, les opérations militaires au Congo furent placées 414

sous le contrôle direct du Secrétaire général des Nations Unies et conduites par un assemblage de contingents nationaux mis à la disposition de celles-ci par des Etats non concernés par le conflit. A défaut de la lettre, l’esprit de la Charte fut sans doute mieux respecté que dans l’affaire de Corée757. Le mécanisme de la Charte a également été violé par la Résolution 678 du 29 novembre 1990 qui « autorise les Etats membres qui coopèrent avec le gouvernement koweïtien, si au 15 janvier 1991, l’Irak n’a pas pleinement appliqué les résolutions sus mentionnées... à user de tous les moyens nécessaires pour faire respecter et appliquer la Résolution 660 (1990) et toutes les résolutions pertinentes ultérieures pour rétablir la paix et la sécurité internationales dans la région ». En effet, par cette résolution, qui ne se fonde d’ailleurs sur aucune disposition spécifique du Chapitre VII758 , il apparaît clairement que le Conseil a abandonné toute autorité au profit des Etats membres de la coalition. Cette sorte de délégation a été perçue comme le résultat d’un « processus de réglementation et de privatisation des activités essentielles du Conseil759 ». Cette critique montre que la résolution ne manque pas de susciter un certain nombre de problèmes relatifs à la nature juridique des moyens autorisés. La résolution 678, dont le contenu est vague et imprécis, tout en envisageant des mesures autres que celles prévues à l’article 41 de la charte, n’ordonne pas d’actions coercitives sous les auspices du Conseil, encore moins sous son commandement. Sous ce rapport, elle se distingue de la Résolution 665 qui plaçait « sous l’autorité du Conseil » les opérations menées par les Etats membres pour appliquer les décisions décrétant l’embargo. Tout au plus le Conseil demande-t-il aux Etats de le « tenir régulièrement au courant des dispositions qu’ils prendront en application des paragraphes 2 et 3, de la Résolution 678 ». La résolution 678 contredit l’esprit et même la lettre du Chapitre VII. La délégation de pouvoirs conférée par le Conseil n’est pas constitutive de l’usage de la force armée par l’organe restreint de l’ONU. En réalité, le Conseil est seul habilité à exercer ses prérogatives en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. La Charte n’a pas prévu une possible délégation des pouvoirs du conseil à un groupe d’Etats. 757 Pour une analyse détaillée de la crise coréenne, v. El DinAttia, « Les forces armées des Nations Unies en Corée et au Moyen Orient », Thèse, Paris, 1963. Cette thèse systématise l’ensemble de la doctrine sur la question lors de l’affaire coréenne. V. aussi Marie Françoise Furet, Commentaire de l’article 42, « La Charte des Nations Unies », op. cit., p.705 et s. 758 Il n’est pas usuel dans la pratique de voir le Conseil expliciter les bases dans lesquelles il entend agir. Le Professeur Jean Combacau constate d’ailleurs que « Les organes des Nations Unies omettent volontiers de préciser la base juridique de leur action et n’ont pas le souci de l’exactitude des formules », op. cit., p. 146. 759 V. Déclaration de Alarcon de Queseda, Représentant de Cuba au Conseil de Sécurité. P.V. Part 1, 13 /02/ 1991, p .36 – 2977e séance.

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En fait, l’autorisation donnée par la Résolution 678 peut être assimilée à ce que le Professeur Luigi Condorelli appelle une « lettre de course » délivrée au nom de l’ONU pour mandater la coalition regroupée autour des Etats-Unis, ou tout au moins, lui donner un blanc-seing afin de rétablir l’ordre international dans la région du Golfe760 . Par cette forme de renonciation unilatérale, qui est comprise comme un feu vert donné aux forces armées des Etats coalisés pour mener les opérations militaires à leur guise dès l’instant qu’est respectée la date butoir du 15 janvier 1991 et qui ne fixe aucune limite à la durée de celles-ci et aux moyens de destruction, le Conseil a outrepassé les pouvoirs que lui confère la Charte des Nations Unies761. En effet, la délégation prévue par le paragraphe 1 de l’article 24, qui fait du Conseil le responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationale, a pour objet de transférer la fonction primordiale du maintien de la paix de la sphère de compétence de chacun des Etats à celle du Conseil de Sécurité et non l’inverse762 . De ce point de vue, l’appréciation de la légalité de la résolution sur la base de la théorie des compétences implicites ne peut être fondée763. La lecture critique des dispositions de la résolution, autorisant une coalition de forces armées à entreprendre des opérations militaires en dehors de tout contrôle de l’ONU et selon les modalités définies librement par les Etats engagés, montre qu’elle constitue un précédent dans les relations internationales. Ce précédent préfigure la nouvelle stratégie du Conseil en matière de résolution des conflits764 . b. Le rôle subsidiaire de l’Assemblée Générale dans le règlement des conflits armés Comme organe plénier, l’Assemblée Générale est davantage un forum, une tribune politique qu’une instance de règlement. Dans le cadre du règlement des conflits, il est vrai que la Charte lui reconnaît des compétences 760 761

V. Pierre-Marie Dupuy, « Après la Guerre du Golfe », RGDIP, 1991, (3) p.626. V. Ralph Zacklin, « Les aspects juridiques de la crise et de la guerre du Golfe », op.cit. p.

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762 V. René Degni-Segui, Le commentaire de l’article 24, « La Charte des Nations Unies », op. cit., p. 451. 763 Sur la théorie des compétences implicites, cf. Supra. 764 Dans le cas de la Yougoslavie par exemple, plusieurs résolutions, calquées à quelques nuances près sur le modèle de la 678, ont été prises par le Conseil. Ainsi, par exemple, la Résolution 787 (1992) qui demande aux Etats et aux Organisations régionales de « prendre des mesures qui soient en rapport avec les circonstances du moment selon qu’il sera nécessaire, sous l’autorité du Conseil » ; les Résolutions 908 (1994) et 981 (1995) qui autorisent le soutien aérien de l’OTAN pour protéger les forces de la FORPRONU et l’assistance humanitaire ou la Résolution 1031 (1995) qui autorise l’OTAN et L’IFOR à prendre des mesures coercitives si nécessaire pour la mise en œuvre des Accords de Dayton et sa propre protection et pour prendre le commandement de toute la circulation aérienne civile et militaire.

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concurrentes à celles du Conseil de Sécurité. Toutefois, le rôle de l’Assemblée Générale dans le domaine du maintien de la paix et la sécurité internationales est limité par les articles 11 et 12 de la Charte. D’une part, elle ne dispose pas de pouvoir coercitif ou de décision. D’autre part, elle n’a pas le droit de faire des recommandations sur un différend ou une situation dont le Conseil est saisi. Cependant, les insuffisances du système de sécurité collective établi par la Charte et les difficultés rencontrées par le Conseil dans l’exercice de ses fonctions ont entraîné une extension des compétences de l‘Assemblée Générale. Cette extension a eu pour effet de soulever des controverses quant à sa compatibilité avec la Charte de l’ONU. i) Les compétences de l’Assemblée Générale En confiant la responsabilité principale du maintien de la paix au Conseil de Sécurité, la Charte n’a pas privé, pour autant, l’Assemblée Générale de tout pouvoir dans le domaine du règlement des conflits armés. L’assemblée peut se prononcer au sujet des situations conflictuelles en vertu des compétences générales qu’elle tient des articles 10, 11 et 14 de la Charte. En vertu de l’article 11 paragraphe 2, elle peut discuter et faire des recommandations sur « toute question intéressant le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Cette compétence générale est confirmée par l’article 35 de la Charte. Selon le paragraphe 3 de l’article 11, l’Assemblée Générale peut également, attirer l’attention du Conseil de Sécurité sur les situations dangereuses pour la paix. Aux termes de l’article 14, elle peut enfin et surtout recommander « les mesures propres à assurer l’ajustement pacifique de toute situation ». Les limites aux compétences de l’Assemblée Générale prévues par les articles 11 et 12 de la Charte ont pour effet d’une part, de pallier les inconvénients d’un parallélisme absolu des compétences de l’Assemblée Générale et du Conseil de Sécurité et, d’autre part de garantir, par là même, la prépondérance de ce dernier dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales. En fait, l’Assemblée Générale ne peut faire des recommandations que lorsque le Conseil lui demande expressément de prendre position, ou lorsqu’il a éliminé l’affaire de son ordre du jour. En outre, chaque fois que l’examen d’une affaire requiert une action coercitive régie par le Chapitre VII, elle doit, en vertu de l’article 11 paragraphe 2, la renvoyer au Conseil soit avant, soit après discussion. Le monopole du Conseil en matière coercitive implique, a priori, l’incompétence de l’Assemblée Générale de préconiser des mesures militaires. ii) Les fluctuations des compétences de l’Assemblée Générale Elles découlent de la paralysie du Conseil de sécurité. Face à la menace permanente de blocage de l’activité du Conseil par le veto de ses membres 417

permanents, l’Assemblée Générale a recherché les moyens de pallier l’inefficacité de la procédure prévue par la Charte. L’adoption de la Résolution 377 (V) du 3 novembre 1950 va consacrer le dépassement de la lettre et de l’esprit de la Charte. Bien que sa validité soit contestée, cette résolution a été appliquée. Elle va, du reste, constituer le point de départ d’une nouvelle pratique des Nations Unies en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. iii) La Résolution 377 (V) du 3 novembre 1950 Cette résolution appelée encore « Union pour le maintien de la paix » ou « résolution Dean Acheson » du nom du secrétaire d’Etat américain de l’époque qui en fut le promoteur a été adoptée au cours de l’affaire de Corée. Selon cette résolution l’Assemblée Générale est appelée à supplier le Conseil de sécurité, lorsque celui-ci manque de s’acquitter de sa responsabilité principale du maintien de la paix par suite de l’exercice du droit de veto765 . Lorsqu’il en est ainsi, l’Assemblée, aux termes de la résolution 377 (V) « examinera immédiatement la question afin de faire aux membres les recommandations appropriées, y compris, s’il s’agit d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression l’emploi de la force armée, en cas de besoin, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». Lorsque l’Assemblée ne siège pas, elle est appelée à se réunir en session extraordinaire d’urgence, soit à la demande du Conseil de Sécurité selon les modalités prévues par les votes ayant trait à la procédure (c’est-à-dire à la majorité et sans que le veto puisse s’exercer)766, soit à la majorité des membres de l’ONU. 765

Cette résolution est sans doute l’aboutissement d’une première tentative américaine de transposer les fonctions du Conseil de Sécurité à l’Assemblée Générale en cas de paralysie. La Résolution avortée 111 (II) est la première tentative en ce sens. Fondée sur l’article 22 de la Charte, relatif à la création des organes subsidiaires, elle établit « une commission intérimaire » de l’Assemblée Générale parfois qualifiée de « petite Assemblée » parce que tous les Etats membres pouvaient y désigner un représentant. Cette résolution répondait à une suggestion des Etats-Unis : mettre en place un organe qui assisterait l’Assemblée Générale dans l’intervalle entre deux sessions. Le but recherché était de permettre aux Etats intéressés de saisir sans retard l’Assemblée en cas d’impuissance du Conseil. Cette initiative s’est heurtée à l’hostilité de l’URSS et n’a jamais rendu les services attendus. La Commission a fini par s’ajourner sine die en 1952. 766 Le droit de veto ne joue, au niveau du Conseil, que pour les questions de fond. En effet, aux termes de l’article 27 paragraphe 1, « les décisions du Conseil sur des questions de procédure sont prises par un vote affirmatif de neuf membres » alors que sur toutes autres questions, donc de fond, le paragraphe 2 du même article dispose qu’elles sont prises « par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents… ». Pour les questions de fond, pour que la décision du Conseil de sécurité soit exécutoire, il faut un vote affirmatif de 9 de ses membres (qui sont au nombre de 15) y compris des membres permanents. L’abstention ou l’absence d’un membre permanent peut-elle entraver l’exécution d’une décision du Conseil quand bien même elle serait adoptée par 9 de ses membres sur les 15 ? Selon une pratique constante du Conseil attestée dès 1947, l’abstention ou l’absence d’un membre permanent n’est pas assimilée à un veto. V. Chemillier Gendreau, « Le droit confisqué par la politique », L’événement européen, 13 mars 1991, p.

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L’Assemblée peut adopter des sanctions non militaires éventuellement différentes de celles prévues par le Chapitre VII. La résolution met en place à cette fin une commission des mesures collectives chargées de définir des mesures plus souples par rapport à celles du Chapitre VII. L’Assemblée générale s’est attribuée en outre, le pouvoir de qualifier des situations dans les termes de l’article 39, soit pour engager le Conseil à adopter des mesures conformément au Chapitre VII, soit afin de fonder ses propres résolutions. Il en est ainsi de la Résolution A/Res 1473 (XV) du 19 décembre 1960 relative à l’Algérie767. Toutefois, ce pouvoir de qualification, faut-il le noter, ne s’impose pas au Conseil de Sécurité. Ce pouvoir de qualification est parfois exercé par l’Assemblée en dehors de toute référence à la résolution « Union pour le maintien de la paix » ou Résolution Dean Acheson. Il convient de souligner que cette résolution a été utilisée plusieurs fois depuis l’affaire de Corée par l’Assemblée comme base de départ pour qualifier certaines situations768. iv) La validité juridique de la résolution La résolution est sans aucun doute en contradiction avec les articles 11 paragraphe 2 et, 12 de la Charte. La validité de cette résolution a été justifiée par la théorie des compétences implicites. La CIJ dans son Avis du 20 juillet 1962, en l’affaire « certaines dépenses » ne s’est pas prononcée sur la valeur juridique de la résolution. Tout au plus elle a estimé que la responsabilité du 95. Voir aussi, commentaire de l’article 27 de la Charte par le Professeur Paul Tavernier, « La Charte des Nations Unies », op. cit., p. 505 et s. Dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie - Sud-ouest africain, nonobstant la Résolution 276 (1970) du Conseil de Sécurité, la CIJ s’est ralliée à l’interprétation souple de l’article 27. Selon la Cour, en effet, « l’abstention d’un membre permanent du Conseil de Sécurité ne signifie pas qu’il s’oppose à l’approbation de ce qui est proposé ; pour empêcher l’adoption d’une résolution exigeant l’unanimité des membres permanents, un membre permanent doit émettre un vote négatif. La procédure suivie par le Conseil de sécurité qui est demeurée inchangée après l’amendement apporté à l’article 27 de la Charte de 1945, a été généralement acceptée par les membres des Nations Unies et constitue une preuve d’une pratique générale de l’organisation, CIJ, Rec. 1971, p. 22, paragraphe 22. V. M. De Castro, ibid., pp.185-186. Ce dernier cite l’opinion dissidente de M. Bustamante qui parlait en 1962 d’un « amendement coutumier de la charte » à propos de l’article 27, CIJ, Rec. 1962, p. 291. Il faut rappeler que la Cour a repris le raisonnement présenté par M. Stravzopoulos, Conseiller juridique des Nations Unies, ce dernier s’inspirant des analyses qu’il avait développées dans son article « The practice of paragraphe 3, of The Charter of The United Nations », A.J.L., 1967, pp. 737-752. 767 V. Thierry Combaccau, Serge Sur, Charles Vallée, Droit International Public, op. cit., p. 521. 768 Ainsi par exemple, dans les événements d’Egypte et de Hongrie en 1956, dans le cas des plaintes du Liban et de la Jordanie en 1958 ; dans celui de Congo en 1960 ; lors du conflit indo-pakistanais en 1971 ; dans l’affaire d’Afghanistan en 1980 ; de la Palestine en 1980 ; de la Namibie en 1981 ou dans les situations dans les territoires occupés et au Golan. V. J.F Guilhaudis, « Considérations sur la pratique de l’Union pour le maintien de la paix », AFDI, 1981, p. 382.

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Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale était certes principale, mais non exclusive769. Si l’inconstitutionnalité originale de la résolution ne fait pas de doute, l’utilisation qui en a été faite à plusieurs reprises a pu couvrir ce vice et donner naissance à une « coutume modificative de la Charte ». En tout état de cause, les pouvoirs de l’Assemblée diffèrent de ceux exercés par le Conseil puisqu’elle ne peut que recommander et non décider des mesures collectives. c. Le rôle supplétif du Secrétaire Général Aux termes de l’article 97 de la Charte, le Secrétaire Général est le plus haut fonctionnaire des Nations Unies. A ce titre, la Charte lui confère des prérogatives notamment en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. i) Le fondement juridique La compétence du Secrétaire Général est déterminée par l’article 99 de la Charte. Aux termes de cet article « Le secrétaire général peut attirer l’attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Ainsi, le Secrétaire Général peut déclencher l’intervention du Conseil dans les cas où aucun Etat membre des Nations Unies ne prend l’initiative de le saisir. Le but de l’article 99 est de remédier à cette carence770. Le Secrétaire général a donc, un pouvoir d’appréciation sur l’opportunité de porter ou non personnellement une affaire devant le Conseil de Sécurité. De ce point de vue, les auteurs de la Charte ont tiré la leçon de l’expérience de la SDN dont le Secrétaire général, agent purement administratif, ne disposait pas d’une compétence semblable et restait souvent impuissant face à l’inertie volontaire et calculée des Etats membres771 . Le Secrétaire Général de l’ONU est par contre en mesure de donner l’alarme et de jouer le rôle d’une autorité internationale permanente, au moins morale, de sa propre initiative. Il faut noter en outre, qu’il peut exercer aussi ses fonctions sur la base non pas de sa propre initiative, mais sur le fondement d’un mandat qui lui est confié par l’Assemblée Générale ou le Conseil de Sécurité. C’est l’hypothèse prévue par l’article 98 de la Charte772 . La pratique des Nations Unies montre également, que même sans habilitation, ni texte, le Secrétaire Général est dans une position stratégique 769

Rec. 1962, p. 163 et s. V. PostwarForeign Policy préparation 1939 -1945, Département of State Publication, n° 3580, Washington, 1939, appendices 38-43. 771 V. David Ruzie, commentaire de l’article 99, « La Charte des Nations Unies », op.cit. p. 1317. 772 Pour le commentaire de l’article 98, v. Marie-Claude Smouts, « La Charte des Nations Unies », op.cit., pp. 1309-1316. 770

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au sein de l’ONU qui l’autorise souvent à jouer, de manière discrète, voire confidentielle, un rôle important pour le règlement des différends. ii) Les modalités d’intervention du Secrétaire Général Le Secrétaire Général peut mettre en mouvement les modes de règlement pacifiques comme la négociation, les bons offices, la médiation ou la conciliation. Cependant, force est de constater que les Secrétaires Généraux successifs n’ont fait qu’un usage modéré de leurs prérogatives. Par exemple, le recours à l’article 99 a été exceptionnel sous le règne de M. Dag Hammarskjöld. Ce dernier s’en est référé lors de la crise congolaise 773. De même en 1979, lors de l’affaire relative à la détention prolongée du personnel diplomatique américain en Iran, pour la seconde fois de son histoire, le Conseil de Sécurité fut réuni « à la requête urgente » du Secrétaire Général, M. Kurt Waldheim, sur la base de l’article 99774 . Les Secrétaires Généraux successifs ont utilisé en d’autres occasions, peu nombreuses sans doute, les dispositions de l’article 99 sans en faire état explicitement, pour attirer l’attention du Conseil de Sécurité et faire connaître leur point de vue sur des situations graves n’étant pas à l’ordre du jour du Conseil. Ce fut le cas par exemple du mémorandum de M. Uthan du 20 juillet 1971 dans le contentieux entre l’Inde et le Pakistan, de celui du Secrétaire Général M. Waldheim du 11 mai 1972 relatif au conflit du Vietnam. D’une manière générale, c’est Dag Hammarskjöld qui a été l’apologiste de la diplomatie secrète et de la diplomatie de réconciliation et surtout le concepteur de la diplomatie préventive qui allait donner au Secrétaire Général une dimension nouvelle pour justifier toutes ses initiatives personnelles dès lors qu’il s’agissait d’apaiser les conflits naissants et d’éviter qu’ils ne s’enveniment. Progressivement, sur la base d’une interprétation extensive des pouvoirs conférés par la Charte, s’est développé le concept de responsabilité politique et morale du Secrétaire Général dans la gestion des conflits. M. Perez de Cuellar tout comme Boutros Boutros Ghali et Kofi Annan ont montré qu’ils interprétaient leur rôle de façon tout aussi large. 2. L’échec du Système de la Charte Si l’on excepte les cas de la Rhodésie ou de l’Afrique du Sud, le Système de la Charte des Nations Unies n’a pratiquement pas fonctionné du fait de la paralysie du Conseil de Sécurité par le jeu du veto775. A cela s’ajoute

773

S/ 4381, 13 juillet 1960. S/ 13646, 25 novembre 1979. 775 V. Daniel Colard, Les relations internationales de 1945 à nos jours, op.cit., p. 360. 774

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l’absence de conclusion des accords spéciaux prévus par l’article 43 de la Charte, l’inaction du Comité d’état-major prévu par l’article 47776 . Les conflits régionaux qui apparaissent à la fin des années soixante-dix (Cambodge, Afghanistan, Iran-Irak, Angola et Mozambique) sont liés par des enjeux locaux ou régionaux, ce qui explique que les grandes puissances ne prennent partie ou n’agissent que lorsque leurs intérêts sont en jeu (Proche-Orient, Afghanistan, Chypre, Falklands, Tchad). L’ONU traverse alors sa plus grande crise à la fois politique et financière. Face à l’interventionnisme extérieur de l’URSS, les Etats-Unis durcissent leur politique étrangère au sein des institutions internationales : échec de la Conférence de Cancun en octobre 1981, retrait des négociations parrainées par l’ONU sur le droit de la mer, retrait de l’UNESCO, rejet des décisions de la Cour Internationale de Justice. Désenchantés par l’ONU en laquelle ils ne voient rien d’autre qu’un forum dominé par un tiers-monde hostile, une bureaucratie incontrôlée et de surcroît inefficace, les Etats-Unis qui financent l’Organisation à hauteur de 25 pour cent décident en 1985 de différer le versement de leur contribution jusqu’à ce que l’ONU réforme sa gestion. De son côté, l’URSS qui accumule les arriérés de paiement au budget ordinaire de l’ONU refuse, depuis la crise du Congo, de financer les opérations de maintien de la paix777. Pourtant, c’est durant « cette période de glaciation » des relations internationales que l’ONU a fait preuve de flexibilité en inventant des expédients non prévus par la Charte. Ainsi, par exemple, la guerre de Corée en 1950 a entrainé une modification de la répartition des compétences entre l’Assemblée Générale et le Conseil de Sécurité778 . De même c’est durant l’affaire de Suez en 1956 que les Nations Unies ont inauguré le mécanisme des opérations de maintien de la paix avec l’institution des casques bleus. a. Le recours à un expédient non prévu par la Charte : Les opérations de maintien de la paix (OMP) Les OMP trouvent leur origine dans l’affaire du Canal de Suez779. C’est sous l’impulsion du représentant du Canada Lester Pearson que le Secrétaire 776

Dans le cadre de l’ONU, les discussions en vue de créer un Comité d’Etats chargé des opérations militaires se sont toujours heurtées sur les questions de la composition et de la taille de la force devant être mise à la disposition du Conseil de Sécurité par les Etats. Au surplus, l’URSS a toujours manifesté sa méfiance vis-à-vis d’une force de l’ONU dominée par l’Occident et qui serait susceptible de se retourner contre elle. Le Comité ne s’est réuni par la suite que pour la forme. V. E. Grove, «UN armed forces and the military Staff Committee : a look back », International Security, vol. 17 (4), Spring 1993. 777 V. S. Duke, « The UN finance crisis : A history and analysis » International Relations vol. 11 (2) 1992. 778 V. Supra. 779 Pour une vue complète de l’affaire de Suez, voir Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op.cit. p. 968 ; Jean-Pierre Alem, Le Proche-Orient arabe, Que sais-je ? PUF, Paris,

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Général Dag Hammarskjöld fit entrer l’expression opération de maintien de la paix dans le vocabulaire international. Les OMP se sont diversifiées par la suite au fil des temps. L’importance de ces opérations amène à s’interroger sur leur fondement juridique, leurs caractéristiques et sur leur évolution ou mutation. i) Le fondement juridique Les opérations de maintien de la paix ou OMP ne sont pas prévues par la Charte des Nations Unies. Elles ne s’inscrivent pas sous le Chapitre VII de la Charte. Elles ne s’assimilent pas, également, aux moyens diplomatiques de règlement pacifique des différends prévus au Chapitre VI tels que la négociation, la médiation, ou l’arbitrage et qui relèvent du peacemaking ou rétablissement de la paix auxquels les peacekeeping ou maintien de la paix sont associés. Dans son « Agenda pour la paix780 », M. Boutros Boutros Ghali note que les OMP renvoient à une lacune de la Charte, à cette sorte de chaînon manquant entre le Chapitre VI, relatif au règlement pacifique, et le Chapitre VII qui porte sur les mesures coercitives. Aussi se demande-t-il s’il ne faut pas ajouter un Chapitre VI bis à la Charte ? Au-delà de cette interrogation et de la difficulté de définir leur régime juridique, les OMP ont donné lieu à d’amples controverses. Dans les années qui ont suivi les opérations du Congo, l’URSS et la France ont vivement critiqué cette technique en faisant valoir qu’elle n’était pas conforme à la Charte. Le refus de ces deux Etats de contribuer au financement des charges occasionnées par la Force d’urgence des Nations Unies (FUNU) et par l’Organisation des Nations Unies au Congo (ONUC) a provoqué une demande d’Avis consultatif adressée par l’Assemblée Générale à la CIJ. Il s’agissait, pour l’organe judiciaire principal de l’ONU, de déterminer si ces dépenses étaient « des dépenses de l’Organisation au sens de l’article 17 de la Charte », c’est-à-dire des dépenses auxquelles les Etats membres de l’ONU doivent contribuer selon la répartition fixée par l’Assemblée Générale. Dans son Avis consultatif du 20 juillet 1962 relatif à certaines dépenses des Nations Unies781, la Cour a admis que ces opérations qui ne constituaient pas des opérations coercitives prévues par le Chapitre VII, n’en étaient pas moins conformes aux buts des Nations Unies et que les dépenses qu’elles avaient occasionnées entraient en conséquence dans la catégorie des dépenses visées par l’article 17 de la Charte.

1977, p. 43 et s ; Charles Zorgbibe, Terres trop promises – Une histoire du Proche-Orient, La manufacture, Paris, 1990, 465 p. 780 Nations Unies A/ 47 / 1277; S/ 24111, 17 juin 1992. 781 Rec .1962, pp. 163-165.

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La Cour semble justifier les OMP par la théorie des compétences implicites. Plus spécifiquement, la Cour a estimé que la compétence exclusive du Conseil ne s’imposait que pour des actions coercitives lesquelles sont couvertes par l’article 11 paragraphe 2. En revanche, l’Assemblée Générale est autorisée à recommander toutes « les mesures propres à assurer l’ajustement pacifique de toute situation » et, par voie d’implication nécessaire, à recommander une « forme quelconque d’action » autre que coercitive. En dépit de cet avis, l’URSS a souvent refusé de participer au financement des OMP. L’hostilité de cet Etat, et aussi de la France, à leur égard s’est résorbée aujourd’hui. Ces Etats ne font plus obstacle au renouvellement et à la création d’une Force d’Urgence des Nations Unies de maintien de la paix. ii) Les caractéristiques et le statut juridique des OMP Du point de vue de leurs caractéristiques, les OMP constituent une action non coercitive. Sous ce rapport, elles se distinguent des forces armées prévues au Chapitre VII pour des actions en cas de menace ou de rupture de la paix ou d’acte d’agression contre un Etat. Elles s’en distinguent en ce qu’elles impliquent qu’il n’y ait aucune condamnation, même d’un Etat agresseur, ni usage de la force contre l’une des parties, caractéristique essentielle permettant de procéder à leur déploiement. Les OMP ont la particularité d’assurer, selon le Professeur Michel Virally782, la présence physique de l’ONU dans les lieux troublés par des combats. Elles sont placées sous l’autorité du Secrétaire Général agissant sous le contrôle de l’organe, Conseil de Sécurité ou Assemblée Générale, qui en a décidé la création. Organe subsidiaire du Conseil de Sécurité ou de l’Assemblée Générale, les Forces des Nations Unies, plus connues encore sous le vocable de casques bleus, sont déployées avec le consentement des parties au conflit et avec l’accord des pays hôtes. Leur statut est déterminé par la conclusion d’accords avec le ou les pays sur le territoire du ou desquels elles stationnent. Ils sont complétés par un règlement établi par le Secrétaire Général783. Les Etats qui fournissent les contingents sont déterminés par un accord entre l’organe compétent et les Etats membres sollicités. Etablies en principe pour une période temporaire, composées de contingents fournis volontairement par plusieurs pays, les OMP doivent s’assurer de préserver en tout temps leur impartialité et de préserver la souveraineté des Etats impliqués. Dans ce contexte, elles ne sont que 782 783

« L’organisation mondiale », op.cit., p.486. V. Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op.cit., p. 970.

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légèrement armées et n’ont le droit de faire usage de la force qu’en cas de légitime défense. Dans leur mission traditionnelle, elles n’ont d’autres objectifs que la cessation des hostilités et la création d’un climat favorable à la négociation. Ces opérations sont décidées par le Conseil de Sécurité, mais l’une d’entre elles, la première de toutes les forces d’urgence des Nations Unies a été créée par l’Assemblée Générale. iii) La diversité des OMP La première opération de maintien de la paix a pris la forme d’une mission d’observation de la trêve en Palestine (ONUST). Dès 1956, sous l’inspiration du Ministre des Affaires étrangères du Canada de l’époque, M. Lester Pearson et du Secrétaire Général Dag Hammarskjöld, une nouvelle formule a été imaginée, celle de force d’interposition784 . Le développement quantitatif de ces opérations rend difficile toute classification785. Faute de pouvoir rendre compte de leurs différents aspects qui s’entremêlent dans un processus évolutif, il semble préférable de s’en tenir au critère le plus simple qui conduit à distinguer deux grandes catégories : les missions d’observation et les forces de maintien de la paix. iv) Les missions d’observation Elles sont assurées par des observateurs militaires. Ces derniers sont chargés de contrôler un cessez-le-feu ; d’observer le retrait de combattants voire leur regroupement et leur désarmement ; de surveiller les élections ; de veiller au respect des Droits de l’Homme. Ils peuvent, aussi poursuivre des objectifs qui relèvent du PeaceKeeping mais aussi du PeaceBuilding. Il faut souligner que les effectifs de ces missions sont limités. Les missions des observateurs sont définies par l’Organe des Nations Unies qui crée la Force et le ou les Etats territorialement concernés. Elles prennent fin avec la décision de l’organe compétent d’arrêter les opérations ou avec le retrait exigé par l’Etat où stationne la force. Dans la catégorie des missions d’observation, il y a lieu, entre autres, de faire figurer : -

L’organisation des Nations Unies chargée de la surveillance de la trêve en Palestine ou ONUST créée par la Résolution 50 du Conseil de Sécurité du 29 mai 1948. Elle a eu pour objectif de superviser les

784

V. Francis Temman, « L’ONU, nouveau gendarme du monde ? », dans les Cahiers Français, « Quel type d’ordre international ? », n° 263, p. 83 et s. 785 Pour une bibliographie sur les opérations de maintien de la paix voir, entre autres, Michel Virally, « Les Nations Unies et l’affaire du Congo », AFDI, 1960, pp. 557-597 ; Maurice Flory, « L’ONU et les opérations de maintien de la paix », AFDI, 1965, pp. 446- 468 ; « Organisation des Nations Unies. Le maintien de la paix », dans Jurisclasseur « Droit international », vol. 1, 1995, p.33 ; Alain Henri Bonnaure, « Les opérations de maintien de la paix : Vue d’ensemble », dans Arès, « Paix et sécurité internationales », vol. XIV, 1, p. 84 ; voir aussi Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, op.cit., pp. 963.

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armistices intervenues entre Israël et ses voisins arabes lors de la première guerre israélo arabe (1948-1949) ; Le Groupe d’observateurs militaires des Nations Unies en Inde et au Pakistan ou UNMOGIP institué en janvier 1949 sur la base de la Résolution 14 du Conseil de Sécurité du 21 avril 1948 en vue de superviser l’application du cessez-le feu intervenu dans le conflit de Cachemire entre l’Inde et le Pakistan ; Le Groupe d’observateurs militaires des Nations Unies pour l’Iran et l’Irak ou GOMNUI. Formé en juillet 1987 en vertu de la Résolution 598 du Conseil de Sécurité dans le règlement du conflit entre l’IRAK et l’Iran (septembre 1980-aout 1988), il supervise le retrait des armées des deux Etats sur les frontières internationales à partir du mois d’aout 1988. Le mandat du GOMNUI s’est achevé en février 1991 ; La Mission d’observation des Nations Unies pour l’Irak et le Koweït ou MONUIK. C’est un cas de figure insolite, car imposée à l’une des parties en conflits, dans la mesure où elle a été instituée par la Résolution 687 fondée sur le Chapitre VII dont l’acceptation inconditionnelle fut exigée de l’Irak comme préalable à un cessez le feu entre l’Irak et le Koweït. En outre, la présence d’un contingent militaire important tend à la faire simultanément apparaître comme une force d’interposition.

v) Les forces de maintien de la paix Elles sont intégrées à l’ONU et ont pour principale fonction de s’interposer entre les belligérants. La composition des forces a le plus souvent respecté le principe posé en 1956 selon lequel aucun Etat membre permanent du Conseil de Sécurité ne doit fournir un contingent786. Il est possible de citer à titre d’exemples : -

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la Force d’urgence des Nations Unies ou FUNU I, sa mission a consisté à s’interposer entre les parties en conflit en toute indépendance, avec leur consentement tout en évitant de s’immiscer dans les affaires intérieures des belligérants et plus encore sans préjudice du règlement substantiel du fond du conflit. Cette force est la première du genre à être créée dans l’affaire de Suez. Elle est l’œuvre de l’Assemblée Générale selon la procédure Acheson ; la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre instituée en vertu de la Résolution 186 ou l’UNFICYP. Elle a pour objet de séparer les communautés grecques et turques de l’Ile. Elle assume diverses actions humanitaires ;

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Il y a eu une entorse à ce principe avec la participation de la France à la Force intérimaire des Nations Unies au Liban.

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la Force d’urgence des Nations Unies II. Créée après la guerre de Kippour par la Résolution 340 du Conseil de Sécurité du 25 octobre 1973, elle a eu pour objet d’observer le cessez le feu entre Israël et l’Egypte ; la Force intérimaire des Nations Unies au Liban ou FINUL. Elle a été constituée après la première invasion du Liban par Israël en mars 1978. Stationnée au Sud Liban, elle a pour rôle de confirmer le retrait d’Israël du Liban, de rétablir la paix et la sécurité et d’aider le gouvernement du Liban à restaurer son autorité ; la Force de protection des Nations Unies ou FORPRONU. Depuis le 22 septembre 1992 date de l’exclusion de la nouvelle Yougoslavie des Nations Unies, elle est la première force d’interposition entre Etat membres et non membres de l’ONU. Elle est fondée par les Résolutions 743 et 758 (1992). Elle apparait comme une force de consolidation de la paix par la mission humanitaire qui lui est conférée et même une force de police internationale avec le mandat que lui confie la Résolution 836 du Conseil de Sécurité.

Au total, par rapport au bilan négatif de la Société des Nations, laquelle, il est vrai, disposait de moins de pouvoir, l’action de l’ONU en matière de sécurité collective durant la période de la guerre froide apparait somme toute comme mitigée. L’ONU est demeurée impuissante chaque fois qu’elle a été appelée à traiter une crise mettant aux prises les deux superpuissances en l’occurrence les Etats – Unis et l’URSS. La politisation des débats, les affrontements idéologiques ont eu pour conséquence de discréditer « l’Organisation mondiale » perçue dès lors comme le lieu géométrique d’accumulation des impuissances des Etats. Sans doute, l’ONU a fait preuve de flexibilité en s’adaptant aux nouveaux défis internationaux. Elle a trouvé des solutions de remplacement au fur et à mesure des circonstances : vote de la Résolution Acheson pour contourner le droit de veto, création des opérations de maintien de la paix, non prise en compte des abstentions au Conseil de Sécurité et adoption de résolution par consensus. On ne peut s’étonner de cette évolution dans la mesure où une organisation internationale est d’abord une solution à un problème de solidarité. Sa longévité en dépend dans un univers en pleine mutation, ce qui n’est pas sans conséquences sur l’avenir du système de sécurité collective. b. La fin de l’ordre bipolaire et les mutations du système Aussi longtemps que le monde a vécu sous le condominium idéologique et nucléaire des Etats-Unis et de l’URSS, les risques d’extension des conflits locaux sont restés faibles et les dangers pour la dissémination nucléaire limités. Jusqu’en 1980, tout conflit dans le monde avait une double facette :

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c’était d’abord le heurt d’intérêts locaux, mais c’était aussi simultanément et de façon automatique un nouvel épisode du conflit Est-Ouest. Le règlement du conflit par un arbitrage international, ou par l’ONU était impossible. La sécurité collective paralysée, l’ONU réduite à l’expectative, il ne lui restait, comme le souligne M. Javier Perez de Cuellar, qu’à attendre que « le bon sens et la dynamique de la situation ramènent les affaires internationales dans la voie tracée par la Charte787 ». C’est le revirement ou le recentrage de la diplomatie globale de l’URSS qui va marquer, en fin de compte, la fin de la bipolarisation du système international. Le sommet de Reykjavik fut du reste l’occasion pour les grandes puissances d’arrêter non seulement les grandes lignes du Traité de Washington de 1987788, mais aussi et surtout d’affirmer leur volonté de mettre fin aux conflits régionaux par une coopération entre les Etats-Unis et l’URSS afin d’aider les parties au conflit à trouver des solutions qui fassent progresser leur indépendance, leur liberté et leur sécurité789 . Et cette volonté manifestée par les Etats-Unis et l’URSS d’œuvrer pour assurer la paix et la sécurité dans le monde va bénéficier à l’ONU790. C’est ainsi que l’URSS va décider de payer ses arriérés de contribution à l’égard de l’ONU, de se soumettre à la juridiction de la Cour Internationale de Justice, de développer une interprétation commune du droit international avec les puissances occidentales791 , et de préconiser un renforcement du rôle de l’ONU dans le règlement des conflits régionaux792. En réaction à cette nouvelle attitude de l’URSS, les Etats-Unis réaffirment leur volonté de faire avancer la paix et la liberté dans le monde et notent que les Nations Unies servent directement leurs objectifs à long terme793 . Ces grandes mutations du système international ont vite amené certains spécialistes des relations internationales à prophétiser « la fin de 787

V. son rapport annuel pour l’année 1989 consacré à l’activité de l’Organisation des Nations Unies. 788 Le traité porte sur les missiles à moyenne portée, des armements stratégiques, des forces conventionnelles et classiques. Il marque un grand tournant dans la mesure où il prévoit pour la première fois, la destruction de toute une catégorie d’armes tout en mettant en place un système de vérification du respect des engagements pris. 789 V. Le Monde des 11, 12, 13 décembre 1987. 790 V. Le Monde 25 aout 1988. 791 L’URSS avait une conception personnelle d’interpréter le droit qui servait parfaitement ses intérêts immédiats. Elle ne reconnaissait comme source de droit international que les Traités. Pour une vue générale de la conception communiste du droit international V. T.T. Hao, « Conception et pratique du droit international public en République Populaire de Chine », JDI, 1976, p. 883. 792 V. M. Gorbatchev, « Réalités et garanties d’un monde en sécurité », La Pravda, 17 septembre 1987. 793 V. Times, 20 septembre 1988.

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l’histoire794 ». Mais il n’en est rien, car l’histoire continue, avec d’autres acteurs et de nouveaux types de conflits. Certes, l’évolution de la diplomatie des Etats-Unis et de l’URSS montre que l’ONU n’est plus un enjeu de la rivalité bipolaire. L’effondrement du bloc de l’Est confirme ce constat. Toutefois, si le bloc de l’Est s’est effondré avec tout ce que cela peut représenter comme éminemment positif, il reste que l’absence de contrepouvoir sur la scène internationale, comme du reste sur le plan interne, peut donner lieu à l’instauration de politiques hégémoniques inquiétantes pour la gestion concertée des crises internationales. Au contraire, il convient de noter qu’avec l’apparition de nouveaux conflits, les missions de l’ONU se sont multipliées, impliquant même une extension de la notion de sécurité collective795. Dans le même temps, il faudrait aussi relever que les échecs multiples subis par « l’Organisation mondiale » dans l’ajustement des situations ou le règlement des différends intra-étatiques796 montrent les limites de son intervention et posent le problème de sa réforme. i) L’extension du système de la sécurité collective Sans doute, la fin de l’antagonisme Est-Ouest et l’avènement de la « perestroïka » ouvrent une ère nouvelle dans les relations internationales. En effet, avec l’avènement des conflits asymétriques, la perception de la sécurité et les réponses qu’elle appelle vont s’élargir aux préoccupations écologiques, aux Droits de l’Homme, des minorités, à l’afflux de réfugiés, de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre Etat, au terrorisme, etc. Qu’il s’agisse de la Libye, de l’ex-Yougoslavie, de l’Irak, il y a une tendance à l’incorporation progressive de nouvelles préoccupations dans une acception élargie de la sécurité. Cette nouvelle vision de la sécurité est partagée et soutenue par les membres du Conseil de Sécurité qui dans leur déclaration commune du 31 janvier 1992, adoptée à l’issue de la première réunion du Conseil au niveau des chefs d’Etat et de Gouvernement, avait clairement affirmé que : « la paix et la sécurité internationales ne découlent pas seulement de l’absence de guerre et de conflits armés. D’autres menaces à la paix et à la sécurité, de 794

Dans son article, « The end of History » publié dans la revue « The National Interest », février 1989, traduit en français dans la revue « Commentaire » n° 47, Francis Fukuyama constate : « Ce à quoi nous assistons n’est pas simplement la fin de la guerre froide... mais la fin de l’histoire en tant que telle. C’est le point final de l’évolution idéologique de l’esprit humain et l’universalisation de la démocratie libérale occidentale en tant que forme finale de gouvernement ». ; v. son ouvrage : La fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992. Pour une synthèse des réactions, voir « Le Trimestre du monde », 1991 n° 16, pp. 2187. 795 V. Serge Sur, « La sécurité internationale et l’évolution de la sécurité collective », Trimestre du monde, 1992, vol. IV, p. 122. 796 V. Patrick Daillier, « La fin des opérations de maintien de la paix », AFDI, 1996, pp. 6278.

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nature non militaire trouvent leur source dans l’instabilité qui existe dans les domaines économique, social, humanitaire et écologique797 ». Cet important texte officiel montre de façon explicite que le concept de sécurité ne comporte pas seulement des aspects militaires. Il est multidimensionnel. La Résolution 688 du 5 avril 1991, qui impose à l’Irak le respect des Droits de l’Homme, incorpore ainsi dans la perception de la sécurité ou dans la réponse adéquate en termes de sécurité, les mauvais traitements subis par les populations kurdes, et qui sont considérés par le Conseil comme une menace et un risque pour la sécurité des pays de la région. Il s’agit là d’une évolution notable, car le problème des Droits de l’Homme est traité ici dans le cadre du Chapitre VII. Ce qui veut dire qu’il se situe hors du cadre de l’article 2, paragraphe 7 de Charte, en d’autres termes, qu’il est désormais considéré comme un problème de sécurité, et non seulement comme une violation du principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. Les droits de l’Homme pénètrent ainsi le cœur des relations interétatiques. Ils franchissent la barrière du domaine réservé des Etats. Ainsi, face à l’arbitraire, l’individu bénéficie d’un statut privilégié, d’un régime de protection garanti par des mécanismes juridiques et institutionnels qui mettent théoriquement en évidence la supériorité des droits fondamentaux de la personne humaine sur tout intérêt étatique798 . C’est dans cette perspective que se situe désormais l’intégration des préoccupations humanitaires dans le système juridique des Nations Unies. Le vote des Résolutions 808 du 22 février 1993, 955 du 8 novembre 1994, relatives à la création de juridictions pénales ad hoc afin de juger, respectivement, les criminels de guerre serbes et les auteurs du génocide au Rwanda, marque, au même titre que les Résolutions 688, 770 et 794, un tournant, par la reconnaissance d’un droit d’assistance aux populations civiles en danger qui limite la souveraineté des Etats799 . Dans le même état d’esprit, il est possible de citer également la Convention de Rome du 17 juillet 1998 portant création d’une Cour Pénale Internationale Permanente pour juger les violations graves des Droits de l’Homme. Cette évolution est également perceptible dans le domaine du terrorisme international en général, aérien en particulier. Des résolutions coercitives ont été prises contre la Libye800 . Ces résolutions contrastent avec celles prises 797

S.C 5362, 31 janvier 1992. V. N. E. Ghozali, « Heurts et malheurs du devoir d’ingérence humanitaire », Relations internationales et stratégiques, n° 3, 1991, p.77. 799 V. Michel Djiena-Cyr Wembou, Daouda Fall, Droit international humanitaire. Théorie générale et réalité africaine, op. cit., p. 154 et s. 800 Il s’agit pour l’essentiel des Résolutions 731 (1992) portant embargo aérien et réduction du personnel diplomatique, 883 (1993) concernant le gel des fonds des entreprises et du gouvernement libyens. 798

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dans les années 1970 où le Conseil de Sécurité constatait avec beaucoup de regret ou déplorait les atteintes ou les interférences avec l’aviation civile régulière. Aujourd’hui, il rappelle avec beaucoup de fermeté que le terrorisme aérien est contraire à l’article 2 paragraphe 7 de la Chatre des Nations Unies. ii) De nouvelles missions assignées aux soldats de la paix L’originalité de l’intervention de l’ONU réside dans le fait qu’elle combine les forces d’interposition inspirées par le modèle de 1956 et les forces de consolidation de la paix. Le mandat de ces forces intègre désormais dans le cadre d’une seule et même opération, à la fois des programmes humanitaires et de relèvement des institutions politiques (Somalie avec l’UNUSOM II, Résolution 814 du 25 mars 1993), la cessation des hostilités et la sécurité ainsi que le processus de paix et de réconciliation nationale (Opération des Nations Unies au Mozambique ou UNUMOZ, Résolutions 782 et 797 de 1992), l’organisation et la surveillance d’élections (l’autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge ou l’APRONUC, Résolution 745 (1993)) voire la restauration d’un Etat ou de la légitimité constitutionnelle (en Haïti avec la Résolution 940 du 31 juillet 1994). L’appui électoral devient de plus en plus un volet important des mandats des OMP. Le déploiement des OMP sur certains théâtres de guerre a conduit à la stabilisation de la situation sur le terrain, facilitant ainsi la conclusion d’accords politiques comme on l’a vu au Burundi, en Côte d’Ivoire, au Liberia ou en République Démocratique du Congo. En outre, les forces des Nations Unies peuvent être amenées à rétablir la paix au besoin par la contrainte matérielle, par la force, voir même à intervenir dans le domaine de l’assistance humanitaire. C’est dans ce contexte que l’ONU a inauguré l’ère des zones de sécurité801. Sans doute, les missions assignées aux Nations Unies constituent un processus continu et permanent, allant bien au-delà de l’idée traditionnelle de paix conçue de façon négative comme l’absence de guerre. En effet, la diplomatie préventive, le rétablissement de la paix (peacemaking), le maintien de la paix (peacekeeping), la consolidation de la paix (peace building) constituent aujourd’hui les axes principaux des activités de l’ONU. Cependant, les échecs multiples subis par l’Organisation Mondiale dans l’ajustement des situations ou le règlement des différends intra étatiques en Somalie ou en Ex-Yougoslavie montrent les limites de l’aspect multifonctionnel des différentes interventions de l’ONU. Il faut reconnaître que la réussite, l’efficacité de l’ONU dans l’exercice de ses prérogatives de maintien de la paix et de la sécurité internationales dépendent des règles qui la structurent, mais aussi de la volonté politique des Etats qui la composent. 801

V. Maurice Torrelli, « Les zones de sécurité », RGDIP, 1995 (4), pp. 788-847.

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L’ONU est avant tout un miroir. S’y reflète le visage de la société des Etats. Elle est, au sens du terme, un instrument dont se dotent les Etats souverains et singulièrement les plus puissants d’entre eux pour tenter d’énoncer et de mettre en œuvre leur diplomatie multilatérale. L’ONU n’intervient et ne décide en réalité que par délégation des Etats membres. La crise financière qui l’affecte802, le refus des Etats de s’impliquer dans les conflits internationaux ou internes, leur manque de volonté pour conclure les accords spéciaux prévus à l’article 43 de la Charte, leur réticence d’activer le Comité d’Etat-major prévu à l’article 47 limitent les capacités de son intervention et amènent « l’Organisation Mondiale » à déléguer ses prérogatives803. Ainsi le problème de la réforme de l’ONU en général, du Conseil de Sécurité en particulier, se trouve-t-il posé. L’idée même de la réforme ou de l’adaptation de l’ONU aux profonds changements dans les relations internationales est à l’ordre du jour depuis longtemps. Les propositions de réforme ne sont pas donc le fait du hasard. Elles répondent aux nouvelles exigences de la société internationale. La lecture des projets de réforme montre qu’ils sont pour la plupart en relation avec le maintien de la paix. De ce point de vue, au regard des lourdes responsabilités du Conseil de Sécurité dans ce domaine, se posent les problèmes de l’ajustement et de l’identité de ses membres permanents, de l’amélioration de ses méthodes de travail, du contrôle interne du Conseil et de la transparence de ses activités. L’idée de base de ces projets de réforme est de faire en sorte que le Conseil devienne plus largement représentatif, plus performant et plus transparent afin de renforcer son efficacité et la légitimité de ses décisions804. Certes, toutes les propositions de réforme ne mettent pas en cause l’existence même de l’ONU qui demeure malgré tout un instrument indispensable dans un monde menacé d’autodestruction. Mais elles remettent en cause le système de sécurité conçu par la Charte, qui est fondé sur l’idée fausse selon laquelle la sécurité repose sur la force, la taille et la sophistication des armées. Il importe de relever qu’au sein des Nations Unies se développe actuellement le concept de sécurité coopérative qui est l’antithèse de la sécurité collective élaborée par la Charte. Cette notion de sécurité 802 Il ressort du rapport annuel du Secrétaire Général, A/ 60 /1/ 2005, que la situation financière de l’ONU est très précaire. Les Etats n’honorent pas leurs obligations financières, ce qui entraine une réduction du budget ordinaire de l’ONU et des tribunaux internationaux. Au titre des opérations de maintien de la paix, la Russie devait aux Nations Unies 418 millions de dollars US, les Etats-Unis 321 millions dollars. Au titre du budget général, les Etats-Unis demeurent en tête au palmarès avec une dette de plus 400 millions de dollars. La dette cumulée des Etats-Unis dont la quote-part représente 25 % du budget de l’ONU s’élève à 739. 4 millions de dollars, soit 90 % de ce qui est dû à l’ONU. 803 V. infra. 804 Pour une analyse complète de la réforme de l’ONU, voir infra.

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coopérative se fonde sur le fait que la paix n’est pas seulement une absence de guerre. Elle est aussi un processus dynamique basé sur le respect des libertés, des Droits de l’Homme, de l’indépendance, de la souveraineté nationale, de l’égalité ainsi que sur une juste et équitable répartition des ressources en vue de satisfaire les besoins des nations. Le concept de sécurité coopérative développe l’idée selon laquelle il existe en réalité une relation causale entre la paix et le développement. C’est en s’attaquant résolument aux causes profondes des conflits, c’est-à-dire les frustrations identitaires, l’ignorance, l’oppression, la misère, la détérioration des termes de l’échange, le pillage organisé des ressources minières et géologiques du tiers-monde par les multinationales, l’échange inégal, le népotisme et la corruption, qu’il existe de réelles chances d’instaurer la paix.

§2 Le règlement des conflits entre Etats membres d’organisations politiques régionales L’aptitude juridique des organisations régionales à résoudre les conflits armés entre les Etas membres est reconnue par le Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies. L’article 52 paragraphe 1 de la Charte consacre la compatibilité des actes constitutifs de ces organisations et celui de l’ONU 805. A. La subordination des organisations régionales par rapport à l’ONU Sans doute, dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales, le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies confère au Conseil de Sécurité un rôle prépondérant en matière de règlement des conflits et le monopole en matière de recours à la force armée. Il existe une hiérarchie dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales entre l’ONU et les organismes régionaux. Le pouvoir hiérarchique de l’ONU intervient a priori et a posteriori et s’exerce par voie d’instruction et de contrôle. 1. Le pouvoir d’instruction de l’ONU Il trouve son fondement dans l’article 53 de la Charte. D’une part, l’ONU peut faire exécuter par les organisations régionales les mesures coercitives qu’elle prend et d’autre part, elle peut donner l’autorisation de mener des actions coercitives. Dans les deux cas, l’ONU fixe en principe le champ d’application de ces mesures et le moment où elles doivent prendre fin ; ces opérations devant être menées sous son contrôle. 805

Sur le débat sur la compatibilité ou de l’incompatibilité des actes constitutifs des organisations régionales et la Charte de l’ONU, voir EdemKodjo, Commentaire de l’article 52, « La Charte des Nations Unies, commentaire article par article », op.cit., pp. 705-814 ; Nguyen Quoc Dinh, Droit International Public, op.cit., p. 961 et s.

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2. Le pouvoir de contrôle de l’ONU Ce pouvoir de contrôle n’a pas de base textuelle. Il découle des pouvoirs généraux de l’ONU, des moyens d’ordre public dont bénéficie le Conseil de Sécurité dans ses fonctions de maintien de la paix. Ainsi, le Conseil peut non seulement demander à l’organisation régionale d’entreprendre une opération de maintien de la paix, de l’informer sur le déroulement de celle-ci, mais également de lui faire des comptes rendus sur ses activités. Cette subordination connaît cependant des limites. B. La relative indépendance des organisations régionales par rapport à l’ONU Si l’ONU peut utiliser les organismes régionaux pour exécuter les mesures coercitives qu’elle décide de prendre, il faut cependant remarquer que ce pouvoir manque de prolongement juridique. Cette carence confère aux organismes régionaux une certaine autonomie, une marge de liberté et leur assure une relative indépendance par rapport à l’ONU. Par ailleurs, l’article 52 de la Charte de l’ONU prévoit des mécanismes différents de ceux de l’article 53 qui mettent les organisations régionales dans une situation de relative autonomie par rapport à l’ONU. Ainsi, dans le cas de règlement pacifique des différends à caractère local, l’organisation régionale constitue parfois une instance préalable à l’intervention du Conseil de Sécurité. En tout état de cause, cette autonomie est relative dans la mesure où le Conseil peut, à tout moment, faire des recommandations pour une résolution du différend en dépit de son caractère local, s’il estime qu’il peut menacer la paix et la sécurité internationales. Cependant, c’est surtout en matière de légitime défense prévue à l’article 51 que le pouvoir hiérarchique de l’ONU est réduit. Dans ce domaine, les organisations régionales échappent à l’absolutisme de l’Organisation mondiale. C. L’intervention des organisations régionales dans le règlement des conflits Le système de règlement des différends institué par les organisations régionales n’est pas, à quelques nuances près, différent de celui de l’ONU. Les organisations régionales ont des compétences qui leur permettent d’user discrétionnairement des divers modes de règlement pacifique des différends tels que la négociation, les bons offices, la médiation ou la conciliation. 1. En Amérique : L’OEA L’Amérique est le premier continent où s’est déployé le régionalisme, où sont conçues des formes d’organisation régionale. La charte de l’Organisation des Etats Américains (OEA) a été signée le 2 avril 1948. A l’origine, l’OEA est perçue comme étant le cœur d’un dispositif visant, sous 434

la conduite des Etats-Unis, à protéger le continent américain contre toute agression extérieure et d’abord contre la menace à l’époque de la guerre froide, du communisme et de l’Union Soviétique. Dans le même temps, ont été institués le Traité interaméricain d’assistance mutuelle avec le Pacte de Rio et le Traité américain de règlement pacifique des différends avec le Pacte de Bogota. Cette organisation regroupe les Etats des deux Amériques806. La structure de l’OEA évoque le système de l’ONU. L’OEA est composée d’une Assemblée Générale, organe suprême et plénier qui dirige la politique générale de l’OEA. Elle est assistée de deux Conseils : le Conseil permanent et le Conseil interaméricain pour le développement intégral807. Il y a également un Comité juridique interaméricain. L’OEA dispose enfin d’un Secrétaire général qui, depuis la réforme de l’OEA en 1985, a acquis une dimension politique notamment dans la recherche de solutions aux crises et aux conflits en Amérique. Dans le système antérieur de l’OEA institué en 1967, le Conseil permanent pouvait exercer ses bons offices à la demande des parties. Il avait également la possibilité d’effectuer une enquête, de recommander, en vertu de l’article 24, des procédures de règlement ou de saisir la Commission interaméricaine. Cependant, dans l’hypothèse où l’une des procédures politiques ou juridiques de règlement prévues à l’article 24 n’avait pas été mise en œuvre, alors une partie pouvait saisir unilatéralement le Conseil. Ce dernier devait alors déférer la requête à la Commission, laquelle avait le droit de procéder d’office à une enquête sur les faits. Aujourd’hui, avec le Protocole de Carthagène de 1985, la Commission interaméricaine a été supprimée. Toute partie à un différend peut saisir unilatéralement le Conseil permanent. Ce dernier peut créer des commissions ad hoc avec l’accord des parties. La réforme de 1985 a pour but de renforcer les capacités opérationnelles de l’OEA dans le domaine de la résolution pacifique des conflits entre Etats américains. 2. En Europe : De la CSCE à l’OSCE L’idée même de la création d’une institution de règlement des différends est née d’une proposition faite en 1954 par Molotov alors Ministre des Affaires étrangères de l’URSS. Cette idée visait la conclusion d’un « traité général sur la sécurité collective en Europe ». Ce traité consacrerait l’ensemble des modifications issues de la guerre, plus particulièrement la question allemande. Plus tard, en 1973 devait se tenir à Helsinki, en 806

Le Canada a adhéré à l’OEA en octobre 1990. Cuba est exclu de l’Organisation en 1969. Le régime de Fidel Castro étant déclaré incompatible avec le système américain. L’OEA est composée de 35 Etats. 807 Le Conseil interaméricain pour le développement intégral découle de la fusion du Conseil économique et social et le Conseil interaméricain pour l’éducation, la science et la culture.

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Finlande, la première conférence sur la sécurité et la coopération en Europe ou CSCE808. Cette conférence d’Helsinki du 1er aout 1975 va aboutir à l’adoption d’une Déclaration sans portée juridique fixant les principes de l’ordre européen dans la détente Est-Ouest. Ces principes s’articulent autour de l’égalité souveraine des Etats, du non recours à la menace ou à l’emploi de la force, de l’inviolabilité des frontières, etc. La Déclaration contient en outre des dispositions relatives à la coopération économique. Elle invite les Etats à faciliter les contacts entre les personnes des deux côtés du rideau de fer : réunions des familles, mariages entre citoyens d’Etats différents ainsi que l’amélioration des conditions de travail des journalistes809 . La Déclaration de Madrid du 6 septembre 1983 reste fidèle à la structure de la Déclaration d’Helsinki : sécurité en Europe, coopération dans les domaines de l’économie, de la science, de la technique et de l’environnement. Cette Déclaration va lancer la Conférence sur les mesures de confiance et de sécurité et sur le désarmement en Europe (17 janvier 1984-22 septembre 1986) s’achevant par l’accord de Stockholm. La CSCE va s’imposer comme une instance de dialogue, mais aussi d’affrontement entre l’Est et l’Ouest. A la suite des Accords d’Helsinki, émergent tant dans les pays occidentaux que dans les pays de l’Est, des mécanismes, des comités de surveillance des Droits de l’Homme faisant pression sur les régimes des Démocraties Populaires pour qu’ils respectent les engagements souscrits. Les régimes de l’Est refusant d’abord de se justifier au nom de la noningérence dans les affaires intérieures, assouplissent leur attitude à partir de l’expérience de M. Mikhaïl Gorbatchev (1985-1991) : il leur faut s’insérer dans les circuits internationaux et donc se soumettre aux exigences de l’occident. Les textes de la CSCE constituent bien un des points d’appui de la contestation du système socialiste. A la suite de l’effondrement du Bloc de l’Est, la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, adoptée le 21 novembre 1990, va fixer les principes du nouvel ordre européen. Elle met en particulier l’accent sur les Droits de l’Homme, la Démocratie et l’Etat de droit. La CSCE est institutionnalisée : 808

La Conférence va se réunir par la suite périodiquement entre 1973 et 1990 avec 35 participants y compris le Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin, le Saint-Siège. L’Albanie n’en faisait pas partie parce que proche de la République Populaire de Chine qui percevait cette structure comme une machine américano-soviétique, plus les Etats-Unis et le Canada. Cependant, le 3 octobre 1990 avec l’unification de l’Allemagne, la CSCE ne comprend plus que 34 Etats. En juin 1991, l’Albanie rejoint la CSCE. L’année 1992 marque l’adhésion des 15 Républiques de l’ex-Union Soviétique ainsi que la Slovénie et la Croatie. A la suite des exactions de l’armée yougoslave, la Serbie et la Monténégro sont suspendues. La CSCE rassemble 54 Etats. 809 La force de ces textes vient d’une part de leur utilisation, de leur appropriation par les dissidents de l’Est, et d’autre part de mécanismes de contrôle de l’occident.

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réunion tous les deux ans des chefs d’Etat et de Gouvernement ; réunion tous les deux ans des ministres des Affaires étrangères, etc. Le 20 juin 1991, un mécanisme de consultation et de coopération en ce qui concerne les situations d’urgence fut établi. Et lors du Sommet de Budapest des 5 et 6 décembre 1994, la CSCE s’est transformée en Organisation sur la Sécurité et la Coopération en Europe ou OSCE. L’OSCE est perçue maintenant comme une institution complexe avec notamment un Haut-Commissariat aux Minorités, une Cour de conciliation et d’arbitrage et un Forum de sécurité pour les négociations de désarmement. 3. Au Proche et au Moyen-Orient : Le système de la Ligue des Etats Arabes La Ligue des Etats Arabes ou LEA est née le 22 mars 1945 à l’initiative de l’Egypte. Elle a pour objectif l’unité du monde arabe810 . Du point de vue de sa structuration, la Ligue est composée d’un organe politique suprême : le Conseil de la Ligue constitué des représentants des Etats membres. Le Conseil se tient au niveau des Chefs d’Etat, c’est-à-dire des Rois et des Présidents. La Ligue est également constituée de nombreux organes : le Conseil de Défense commune, le Commandement arabe unifié, crée en 1964, et le Conseil économique et social ; elle comporte également des Commissions permanentes, des agences spécialisées, comme l’Organisation arabe pour l’éducation, la science et la culture, mais aussi des mécanismes de coopération économique, par exemple le Fonds arabe pour le développement économique et social (FADES) crée en 1973 et le Fonds monétaire arabe (FMA) fondé en 1977. Comme tous les organismes de coopération, la Ligue a affirmé de nombreux principes politiques et juridiques pour prévenir et résoudre les conflits entre les Etats membres afin d’assurer la paix et la sécurité dans le monde arabe, et de promouvoir et de développer la solidarité et la coopération entre les Etats de la Ligue. La lecture des principes qui président à la création de la Ligue montre leur conformité à la Charte de l’ONU. Dans le cadre de la Ligue, le principe du règlement pacifique des différends est posé par l’article 5 du Pacte. Selon les dispositions de l’article : « il est interdit de recourir à la force pour le règlement des conflits pouvant surgir entre les Etats membres de la Ligue. ».

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A l’origine, la Ligue des Etats Arabes est composée de l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen du nord. A ces Etats vont s’ajouter les pays arabes nouvellement indépendants, c’est-à-dire la Libye, le Soudan, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, les Etats de la Péninsule Arabique, le Koweït, le Yémen du Sud, Bahreïn, Emirats arabes Unis, Oman et Qatar, quatre Etats du Sud du Sahara, Mauritanie, Somalie, Djibouti et Comores. L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) est depuis 1975 membre à part entière de la Ligue.

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S’il s’élève entre Etats membres, un différend ne touchant pas à l’indépendance, à la souveraineté ou à l’intégrité territoriale des Etats et que les parties belligérantes recourent au Conseil pour le règlement de ce différend, la décision du Conseil sera obligatoire et exécutoire. En pareil cas, les Etats entre lesquels le différend a surgi ne participeront pas aux délibérations et aux décisions du Conseil. Le Conseil prêtera ses bons offices dans tout différend susceptible d’entrainer la guerre entre deux Etats membres ou entre un Etat membre et un Etat tiers. Les décisions d’arbitrage et de conciliation seront prises à la majorité des voix. Cet article 5 détermine les principes directeurs devant gouverner les relations entre les Etats membres de la Ligue des Etats arabes. Ces principes sont réaffirmés par la Convention sur la défense commune et la coopération économique entre les Etats membres de la Ligue, qui ne se contente pas seulement d’interdire le recours à la force armée, mais impose aux Etats parties d’emprunter des voies pacifiques pour le règlement de leurs différends. Au-delà des principes proclamés, il importe de souligner que le système de la Ligue semble inefficace pour résoudre les différends entre ses membres. Les Etats membres sont divisés. La lutte contre l’Etat d’Israël, prenant racine en Palestine, ne soude pas vraiment les Etats arabes, plusieurs se disputant le contrôle des réfugiés palestiniens. L’Egypte expulsée de la Ligue à la suite des accords de Camp David en 1979 ne l’a réintégrée qu’en 1987. Tant lors de la guerre entre l’Iran et l’Irak (1980- 1988), de l’invasion du Koweït par l’Irak (1990-1991) que de l’occupation de l’Irak par les forces armées des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l’Australie, ou face à la montée du fanatisme religieux, les Etats membres de la Ligue se montrent très partagés811 . Certains Etats arabes soutiennent les activités des opposants politiques et même des groupes armés dans d’autres Etats arabes, lorsqu’ils ne participent pas au financement de coalitions militaires montées par des puissances occidentales contre des pays arabes, en dehors même du Conseil de Sécurité des Nations Unies et en violation de la Charte. Et la solidarité arabe a éclaté lors des raids français et britanniques contre le régime de Kadhafi, où les chasseurs qataris se sont joints aux attaques aériennes sans compter les financements des monarchies du golfe. De même, dans la guerre de Syrie, l’on voit bien que c’est sur le territoire de la Jordanie, Etat arabe pourtant, que les experts militaires étrangers ont installé des bases militaires parfois secrètes où sont formés les membres de la soi-disant « armée syrienne libre » et d’autres groupes terroristes qui attaquent les troupes régulières de l’armée syrienne, qui est aussi un Etat arabe membre de la Ligue arabe.

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V. KoukiBoutheina, « La Ligue des Etats Arabes : crises et perspectives », Thèse, IDPD, Nice, 1993.

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L’échec de la Ligue a entrainé le regroupement des Etats arabes, sur des bases sous régionales, notamment dans le Maghreb ou le Moyen-Orient avec l’Union du Maghreb Arabe (UMA) ou avec le Conseil de Coopération du Golfe (CCG)812, mais le bilan de ces organes politiques dans le domaine du règlement des conflits entre Etats membres est mitigé, voire négatif. Aucune tentative de règlement de conflits n’a été un succès. Les dérives et les atrocités effectuées par certaines forces armées membres de la coalition conduite par le Royaume d’Arabie Saoudite dans la guerre contre les présumés djihadistes au Yémen sont bien documentées par les organisations des droits de l’Homme, et ont été dénoncées même par la Commission des Droits de l’homme. 4. En Afrique : De l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à l’Union Africaine (UA) La création de l’OUA, le 25 mai 1963, symbolise, in fine, une tentative de regroupement des Etats africains. Cette organisation a longtemps été perçue comme la forme la plus élaborée du régionalisme en Afrique malgré les crises et les tensions qu’elle a connues813 . Sans doute, l’OUA n’a pas été créée pour assurer l’unité politique du continent africain814. 812

Le CCG a été crée le 25 mai 1981. Il regroupe Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Koweït, Qatar, Oman et Arabie Saoudite. Le CCG a établi un système pour assurer la sécurité collective des Etats membres. Le bilan du CCG est maigre : Les Etats membres ne bénéficient pas du bouclier des Etats-Unis et préfèrent rester à l’abri de cette grande puissance lointaine. V. Samaan Boutros Farajallah, « The Golf and the west : strategic relations and military realities », Builder Colowest view Press, 1988, p. 154 et s. L’UMA créée le 17 février 1989 ne fait pas mieux. Elle regroupe l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, La Libye et la Mauritanie. Il faut remarquer que tous les membres de ces deux organismes font partie également de la Ligue des Etats Arabes. Pour toutes ces questions, voir Philipe Moreau Defarges, Les organisations internationales contemporaines, Editions du Seuil, Paris, p. 59 et s. On retrouve également ces Etats membres dans l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI). Créée à Rabat (Maroc) le 22 septembre 1969, l’OCI est une organisation œcuménique composée de cinquante et un membres, soit tous les pays arabes, plus de vingt Etats africains, des pays d’Asie du Sud-est (Brunei, Indonésie, Malaisie, et enfin les Républiques musulmanes de l’ex-Union Soviétique. L’OCI se présente comme l’instrument de la solidarité islamique. Du point de vue du règlement des conflits, l’OCI, au-delà des principes classiques de résolution des conflits, a arrêté en 1981 le principe d’une Cour de Justice Internationale Islamique, qui se substituerait, pour les Etats de l’OCI, à la Cour Internationale de Justice. Cette juridiction n’est pas encore mise en place. Aujourd’hui, l’OCI est traversée par de nombreuses divisions et rivalités. Elle est impuissante devant les conflits qui mettent aux prises ses propres membres. 813 Par exemple, l’adhésion, en 1984, de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) à l’OUA a entrainé une crise profonde au sein de l’organisation continentale. Cette affaire opposant partisans du Maroc et défenseurs de la RASD va mener l’OUA au bord de l’éclatement. Depuis, le Maroc s’est retiré de l’OUA. La question de la décolonisation du Sahara occidental est d’ailleurs toujours en suspens. 814 En effet, l’examen attentif des clivages idéologiques et des tensions entre les Etats africains, en mai 1963, montre clairement qu’ils ont empêché la création d’une organisation

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Les insuffisances structurelles et opérationnelles de l’OUA dans un univers en pleine mutation ont amené les Chefs d’Etat et de Gouvernement à réfléchir sur un nouveau modèle de regroupement des Etats d’Afrique. Ainsi, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’OUA réunie à Lomé au Togo, le 12 juillet 2000, va adopter l’Acte constitutif de l’Union Africaine. Cet acte est entré en vigueur le 26 mai 2001. L’UA ne s’est pas contentée de reprendre simplement les principes déjà énoncés dans la Charte de l’OUA. Elle a aussi innové en édictant de nouveaux principes devant fonder les relations entre les Etats membres. Il en est ainsi du principe de l’interdiction du recours à la force armée, des principes de participation aux activités de l’Union, de la mise en place d’une politique de défense commune, de l’intervention dans un Etat membre en cas de violation massive des Droits de l’Homme, du respect des principes de la démocratie, de la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes, de la justice sociale, du respect de la vie, de la condamnation et du rejet de l’impunité, des assassinats politiques, du terrorisme et des actions subversives et enfin de la condamnation et du rejet des coups d’Etat815. Ces principes tiennent compte de la spécificité du continent africain dans la mesure où ils permettent de prendre la mesure des préoccupations des Etats d’Afrique dans leurs relations entre eux ou avec le reste du monde, mais aussi et surtout ils posent les bases de résolution des conflits entre les membres de l’Union ou en leur sein. Dans la perspective du règlement des différends en Afrique, l’UA a jugé utile de préserver les acquis de l’OUA. Sans doute quelles que soient les critiques formulées à l’encontre de l’OUA816 , il demeure évident que l’œuvre qu’elle a accomplie entre 1963 et 2001 est tout à fait remarquable, comme nous l’avons démontré dans nos développement précédents (Bien vouloir se reporter au Titre 2 de la deuxième partie, en particulier au Chapitre 2 portant sur le réveil des acteurs régionaux).

continentale qui aurait permis la réalisation d’une union politique, économique et culturelle des Etats d’Afrique. V Kamto (M), Pondi (J.E) et Zang (L.), L’OUA, rétrospectives et perspectives africaines, Economica, Paris, 1990, p.25 et s. 815 Pour une analyse de ces principes, voir supra. 816 Par exemple, certains auteurs à l’instar du Professeur Mohamed Bennouna, l’ont considérée, de manière excessive, d’avantage comme un « lieu de rencontre, de discussions et de défoulement verbal qu’un centre de décision et d’action ». Cité par Kamto (M), Pondi (J. E.), Zang (L), L’OUA, rétrospective et perspectives africaines, op.cit. Pour d’autres auteurs, l’OUA n’est qu’un « arbre à palabres », un « syndicat de Chefs d’Etat » incapable de résoudre les problèmes qui se posent à lui. V. Charles Zorgbibe, Les organisations internationales, Que sais- je ?, PUF, Paris, 1997, p. 77.

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Sous-section 2 : Le règlement des conflits opposant des membres d’organisations internationales économiques et techniques Les contentieux résultant de l’application des normes du droit international économique sont généralement confiés, en raison de leur spécificité, à des organes propres des organisations spécialisées. Les acteurs préfèrent les soumettre à de tels organes plutôt que de recourir aux méthodes diplomatiques ou juridictionnelles. Les développements qui suivent portent successivement sur le règlement des conflits dans le cadre des organisations économiques et techniques.

§1 La résolution des conflits dans le cadre des organisations économiques A. Dans les organisations de coopération économique 1. Le système du GATT Au sein du GATT, par exemple, les Etats utilisent des procédures de règlement fondées sur la notification, les consultations et surtout sur la conciliation conformément à l’article XXIII paragraphe 2. A cet effet, des groupes spéciaux appelés encore panels composés d’experts sont chargés d’assister les Etats dans la procédure de conciliation. Dans ce système, lorsqu’un Etat considère que des mesures prises par une autre partie contractante vont à l’encontre des principes du GATT, l’article XXIII établit la procédure à suivre. Dans un premier temps, il doit y avoir des négociations bilatérales entre les parties concernées. En cas d’échec, les parties contractantes auront à trancher la question à la suite d’une investigation qui est confiée à un groupe de travail -qui comprend les parties concernées à côté d’autres nations- ou à un groupe d’experts ou panel. Ces experts sont choisis parmi des représentants de nations non concernées par le différend ou parmi des fonctionnaires spécialisés : ils instruisent la plainte pour obtenir un arrangement. En cas d’échec, un rapport est remis aux parties contractantes. Seules les parties contractantes peuvent alors prendre des mesures qui vont de simples recommandations à l’autorisation ; dans des cas graves, elles peuvent décider de suspendre les obligations du GATT à l’égard de la nation responsable du trouble. Dans la pratique, les conclusions du groupe du travail ou des experts sont presque toujours suivies par les parties contractantes. Une synthèse réalisée par Jackson montre qu’au milieu des années 1980, sur 117 cas ayant donné

441

lieu à la désignation d’un groupe d’experts, les recommandations des experts n’ont pas été suivies que huit ou dix fois au maximum817. 2. Le modèle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) Le système du GATT, en ce qui concerne la procédure de règlement par les panels a été pour l’essentiel repris par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) même si par ailleurs la nouvelle organisation a introduit une réforme profonde. Le mémorandum relatif au règlement des différends fixe les modalités d’instruction des plaintes et prévoit des mesures assurant l’efficacité des condamnations. En cas de différend, les Etats concernés doivent entamer la procédure de consultations. Si ces consultations n’aboutissent pas à une solution dans un délai de soixante jours, le plaignant peut demander la constitution d’un groupe spécial (panel) qui doit apprécier la plainte au regard des accords invoqués. Le groupe spécial est composé de trois experts extérieurs à l’administration de l’OMC en excluant les ressortissants des parties au différend : il doit, après consultation des parties au différend, fixer les délais de réponse aux communications écrites des parties. Dans le cas où aucune solution n’est trouvée, le groupe spécial élabore un rapport exposant ses constatations et ses recommandations dans un délai global d’au maximum six mois. Ce rapport est ensuite examiné par l’Organe de règlement des différends (ORD) dans un délai de soixante jours sauf en cas d’appel. S’il n’y a pas d’appel, le rapport est adopté sauf si l’Organe de règlement des différends décide par consensus de le rejeter. En cas d’appel, le rapport est soumis à l’organe d’appel. Cet organe d’appel, composé de sept personnes spécialistes en droit et en commerce international, doit rendre son avis sous forme d’un rapport dans les soixante jours. L’ensemble de ces procédures doit durer au maximum neuf mois en l’absence d’appel et, douze mois en cas d’appel. Contrairement au GATT, l’OMC a développé un système de suivi des décisions. L’Etat qui a été condamné doit informer, dans les trente jours suivant l’adoption du rapport, de ses intentions sur la mise en œuvre des recommandations. Il doit s’y conformer immédiatement ou dans un délai raisonnable. Dans le cas contraire, des mesures temporaires de rétorsion sont possibles. Il peut s’agir de la suspension des concessions dans le secteur des marchandises ou services objet du différend ou dans un autre secteur. Ces mesures temporaires sont levées dès que la mesure incriminée est éliminée.

817

V. Michel Rainelli, L’Organisation mondiale du commerce, La Découverte, Paris, 2002, p.

29.

442

B. Dans les organisations d’intégration économique Les actes constitutifs d’organisation d’intégration régionale à caractère économique prévoient des modes de règlement des conflits pouvant survenir entre les Etats membres. Ils associent généralement le règlement diplomatique et le règlement judiciaire. C’est le cas, par exemple, de l’Union Européenne, de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest818. Ainsi par exemple, selon l’article 76 du Traité Révisé de la CEDEAO du 24 juillet 1993, les différends portant sur les dispositions du Traité et des Protocoles y afférents sont réglés à l’amiable par un accord direct entre les parties. A défaut le différend est porté par l’une des parties, par tout Etat ou par la Conférence, à la Cour de Justice de la Communauté dont la décision est exécutoire et sans appel. L’intéressant résulte ici, de l’institution d’une procédure de sanction à l’égard de l’Etat récalcitrant. En effet, aux termes de l’article 77 du Traité Révisé, si un Etat membre n’honore pas ses obligations vis-à-vis de la Communauté, la Conférence peut adopter des sanctions à l’encontre de l’Etat membre. Ces sanctions peuvent comprendre la suspension de l’octroi de prêt, des programmes d’assistance ou le rejet de la présentation de candidature aux postes statutaires ou professionnels ou tout simplement encore la suspension du droit de vote et de toute participation aux activités de la Communauté.

§2 Le règlement des différends dans le cadre des organisations techniques A l’image des organisations économiques, les organisations à caractère technique prévoient également des mécanismes de résolution des conflits entre Etats membres. Au sein de l’OACI, la Convention de Chicago prévoit un mode original de règlement des conflits. Elle confère au Conseil de l’OACI des pouvoirs juridictionnels en cas de désaccord entre Etat contractant à propos de son interprétation ou de son application. La décision du Conseil peut faire l’objet d’un appel, selon l’article 84 de la Convention, devant un tribunal d’arbitrage ad hoc ou devant la Cour internationale de justice.

818

V. supra.

443

QUEL NOUVEL ORDRE MONDIAL ? La récession économique qui frappe tous les Etats du monde, l’accroissement spectaculaire de l’immigration clandestine vers l’Europe, la lutte contre le terrorisme, le développement du sous-développement et le recul de la démocratie et des libertés dans certaines parties du monde fournissent au Système des Nations Unies une occasion de jouer leur rôle non seulement dans les foyers de tension, mais aussi sur l’ensemble de la planète. Comme le remarque à juste titre Claude JULIEN, « l’imagination créatrice dont firent preuve en 1945 les auteurs de la Charte n’est pas moins nécessaire aujourd’hui819 ». Les Etats membres doivent saisir l’occasion offerte par la crise du Golfe pour « remettre en vigueur, dès maintenant et pour l’avenir, les mécanismes prévus par la Charte de l’ONU en vue d’assurer le maintien de la paix aux divers points du globe820 ». Pour que le nouvel ordre international annoncé par le Président BUSH dès 2001, soit crédible, il doit prendre en considération toutes les menaces à la paix et à la sécurité des Etats, qu’il s’agisse de menaces militaires ou de menaces non militaires que sont les famines, le poids de la dette, la misère, le manque de démocratie et de liberté, et un incroyable chaos économique. Un des grands mérites des auteurs de la Charte est d’avoir compris l’importance des menaces non militaires à la sécurité des Etats et de les avoir par conséquent évoquées au Chapitre IX qui parle des menaces qui peuvent surgir « dans les domaines économique, social, de la santé publique » comme « dans la violation des droits de l’homme ». C’est ainsi que le Chapitre X a institué le Conseil économique et social qui aurait pu veiller à ce que l’humanité ne parvienne à la situation actuelle, où une récession économique aggravée risque de devenir « la source directe de conflits entre Etats ou de conflits internes qui, à tout instant, peuvent se propager à travers les frontières821 ». Comme dans le Chapitre VII de la Charte, les Chapitres IX et X ont été victimes de la guerre froide, de l’uni-polarité, puis des dures réalités économiques et de la mondialisation : les pays industrialisés ont laissé s’éclipser le rôle de l’ECOSOC et la loi du plus fort s’est imposée dans les relations économiques internationales, à tel point, comme le souligne la 819

Claude JULIEN, le risque et la raison, le Monde Diplomatique, novembre 1990, p. 16 Ibid. 821 Voir l’article de Claude JULIEN déjà cité, Le Monde Diplomatique, novembre 1990, p. 16. 820

Banque mondiale, que les pays pauvres du sud ont fourni aux riches du nord la bagatelle de 126 milliards de dollars en 2006. Combien de conflits armés sont en germe dans cette gigantesque spoliation822 ? Par ailleurs, la réforme tant attendue des institutions de Bretton Woods n’a pas tenu la promesse des fleurs. Le processus décisionnel dans ces institutions est toujours contrôlé par les pays occidentaux. Alors que les ressources transférées dans les paradis fiscaux atteignent aujourd’hui des sommes colossales, la lutte contre l’argent sale et les groupes du crime organisé piétine, et le blanchiment d’argent continue de perturber les circuits financiers internationaux, d’alimenter les caisses des partis politiques et de développer la corruption des élites. Certes, des efforts remarquables sont déployés par les Nations Unies, le G7 et les Organisations régionales pour introduire plus de justice et de transparence dans la gouvernance mondiale, et pour contribuer de manière efficace au maintien de la paix dans le monde à travers les opérations de maintien de la paix et les initiatives hardies telles que la coalition internationale montée par les Etats-Unis pour lutter contre l’Etat Islamique en Irak. Mais, il importe toutefois de souligner que les principes susceptibles de permettre aux Etats de trouver une solution aux divers défis de la communauté internationale sont inscrits depuis 1945 dans la Charte qui, il faudrait le réaffirmer ici, n’est pas un « papyrus desséché823 ». La Charte a institué des organes et des mécanismes qui peuvent favoriser un développement économique et social pour tous les Etats. Elle permet en outre à l’Organisation « d’avoir le plein de contrôle de la riposte à la violation du droit international et d’encadrer efficacement la légitime défense collective de ses membres824 . La guerre froide, affirment les dirigeants de principaux pays industrialisés, est finie. Les accords prévus à l’article 43 qui permettraient la création d’une véritable armée de la paix constituée par des contingents mis par les Etats à la disposition de l’ONU devraient pouvoir enfin être négociés et signés. De même, il est temps de sortir le comité d’Etat-major de sa léthargie, comme l’avait du reste proposé le Ministre soviétique des Affaires Etrangères dans son discours à la quarante-cinquième session de l’Assemblée Générale, depuis 1990825. Pour que le Conseil de sécurité puisse pleinement assumer ses fonctions dans une Organisation des Nations Unies rénovée et fonctionnant selon les 822

Ibid. COT et PELLET, voir leur article déjà cité dans Le Monde Diplomatique, novembre 1990, p. 17 824 COT et PELLET, voir leur article déjà cité dans Le Monde Diplomatique, novembre 1990, p. 16 825 Voir Le Monde du 27 septembre 1990 ; voir également New York Times, numéros des 27 et 28 septembre 1990. 823

446

principes de la Charte, il doit offrir les garanties requises d’objectivité, « et c’est de cette exigence là que toute réforme devra tenir compte826 ». La réforme du Conseil de sécurité, affirme Madame CHEMILLERGENDREAU, « ne devra pas, en aucun cas, être seulement un réaménagement de la place des Occidentaux (sièges offerts à l’Allemagne ou à l’UE en tant que telle et au Japon) 827 ». En ce début du troisième millénaire, le moment n’est-il pas venu de prendre en considération les bouleversements et les changements importants intervenus depuis 1945, sur la scène internationale, dans la composition du Conseil de sécurité ? Peut-on continuer à ignorer les géants du Sud (Brésil, Inde, Nigéria) qui peuvent pourtant jouer un rôle irremplaçable dans la mise en œuvre des dispositions du Chapitre VIII de la Charte consacrées aux accords et aux organismes régionaux, et qui font en fait de ces institutions les relais des actions décidées par le Conseil de sécurité ? L’avènement du règne du droit suppose en outre que le Conseil puisse désormais éviter d’appliquer la maxime « deux poids, deux mesures » qui ternit le prestige de l’Organisation. Comme l’avait observé Claude JULIEN, « le rôle des Nations Unies ne peut se borner à recouvrir du manteau du droit la coalition déployée contre l’Irak. Le geste perdrait toute crédibilité s’il ne s’accompagnait d’initiatives destinées à imposer le respect d’autres résolutions, jusqu’à présent restées lettres mortes, et si l’ONU, conformément à la Charte, n’intervenait dans les domaines non militaires où se joue la paix entre les nations828 ». Pour éviter les blocages de diverses natures qui paralysent les Nations Unies et jette le doute sur la légitimité de l’action entreprise par celles-ci et les institutions financières internationales en vue de promouvoir la paix et le développement, les Etats membres se doivent de renouveler leur adhésion aux principes et objectifs inscrits dans la Charte, qui seuls peuvent leur permettre de construire un nouvel ordre juste et équitable, dont les éléments fondamentaux, comme l’a rappelé le Pape Jean-Paul II, devront être la paix et la justice829. Et cette action concertée de tous avec tous et pour tous, pour reprendre la belle formule du Professeur VIRALLY, doit être entreprise par les Nations Unies et elles seules, selon les mécanismes prévus par la Charte, car les intérêts d’un Etat ou d’un groupe d’Etats ne sont pas forcément ceux de la communauté internationale. On a bien vu dans la crise du Golfe, que la 826

CHEMILLIER-GENDREAU, M., voir son article cité, Le Monde Diplomatique, janvier 1991, p. 19 827 Ibid. 828 Claude JULIEN, voir son article déjà cité, Le Monde Diplomatique, novembre 1990, p. 829 Voir déclaration du Saint-Père en date du 4 mars 1991 à la réunion des Patriarches et Présidents des conférences épiscopales des pays du Moyen Orient qui s’est tenue au Vatican du 4 au 5 mars 1991.

447

tentation du recours à la force ou aux pressions de toutes sortes, comme l’avait déclaré le Saint-Père, existait bien avant les évènements d’août 1990. Seule l’action collective des Etats au sein de l’ONU pourra permettre au monde d’échapper à de rudes conflits armés, à l’accroissement de la pauvreté, au terrorisme et à la récession économique qui constituent de graves défis pour l’humanité.

448

ANNEXES

ANNEXE 1 : L’AFRIQUE DANS LE MONDE A ceux qui pensent que l’Afrique est petite : Superficie (en km2) Chine 9 596 560 Mexique 1 972 550 Inde 3 287 590 USA 9 631 420 Japon 377 835 Europe 5 907 135 Total 30 773 090 Afrique 30 353 470 •

451



A ceux qui pensent que les pays africains sont trop petits :

En km2 Superficie moyenne d'un pays Superficie du plus petit pays Superficie du plus grand pays Superficie médiane

Afrique 551 881 455 752 614 322 460

Europe 118 143 0,4 603 700 60 566

800 000 700 000 600 000 500 000 400 000

Afrique

300 000

Europe

200 000 100 000 Superficie moyenne d'un pays

Superficie du plus grand pays

Superficie médiane

• A ceux qui pensent que l'Afrique est trop peuplée : Dans ces pays de superficie équivalente, la population est près de 3,5 fois plus importante qu'en Afrique.

Chine Mexique Inde SA Japon Europe Total Afrique

Population 1 355 692 576 119 713 203 1 236 344 631 318 892 103 127 103 388 601 458 998 3 759 204 899 1 124 866 891

Sources : Statistiques Mondiales 2014

452

Densité (hab/km2) 141 61 33 336 102 122 35



Pour aller plus loin, comparons les projections cartographiques du monde : Mercator / Peter-Galls

Projection de Mercator Projection de la surface terrestre sur un cylindre tangent à l'équateur. Les coordonnées sont rectangulaires ; les parallèles sont de plus en plus espacés vers les latitudes croissantes. L'échelle varie selon la latitude. Elle présente des distorsions importantes, mais respecte les angles ce qui explique son utilisation en navigation. En effet, la carte de Mercator représente par des droites la route à cap constant des navigateurs (loxodromie). Si on veut aller du Havre à New York, la loxodromie sera la ligne droite joignant ces deux ports. Si on veut suivre la route la plus courte ou orthodromie, elle passe plus au nord avec 194 km de moins. Projection de Mercator

Elle augmente progressivement les surfaces de l'équateur vers les pôles. En théorie, on peut aller jusqu'à plus ou moins 21° par rapport à l'équateur sans trop de déformations (moins de 15 %). En réalité, elle ne peut être utilisée qu'entre 45° de latitude nord et 45° de latitude sud ; les autres parties de l'espace terrestre sont à exclure du fait de la distorsion trop importante qu'elles présentent, même si certains cartographes ne se privent pas d'aller plus loin ; par exemple, le Groenland, quatorze fois moins étendu que l'Afrique, apparaît sur la carte de taille identique. Les pôles ne sont plus représentés par des points, mais deviennent des régions immenses (car ils partent à l'infini).

453

En fait, la véritable projection de Mercator est peu utilisée (au contraire de sa variante, la projection UTM) : Cartes marines et aéronautiques ; planisphères ayant pour thème la direction des vents ou des courants océaniques, les fuseaux horaires ; cartes de l'Indonésie et des Philippines. Projection Mercator oblique d’Hotine : Il s’agit d’une rotation oblique de la projection Mercator. Développée pour la cartographie conforme des zones qui ne suivent pas une orientation Nord–Sud ou Est–Ouest, mais qui sont orientées en oblique. Projection de Peters ou plutôt de Gall-Peters : Projection cylindrique équivalente avec deux parallèles fondamentaux (45° latitudes nord et sud). On ne peut pas mesurer les longueurs, mais en revanche, son grand intérêt est que l'on peut comparer les surfaces sur tout le planisphère. La projection de l'historien allemand Arno Peters, « créée » en 1967, est une copie/variante de la projection orthographique de Gall de 1855. Les formes sont aplaties dans le sens des parallèles. Si l'hémisphère Nord et l'Arctique semblent écrasés, l'Amérique latine, l'Afrique et l'Australie s'allongent démesurément. On peut aller jusqu'à 22° par rapport à l'équateur sans trop de déformations (moins de 15 %). Sa création est originale : une ONG, lors d'une campagne mondiale contre la faim, organisa un appel d'offre pour la conception d'une nouvelle projection répondant à un cahier des charges précis : le lecteur devait voir l'Afrique et l'Asie beaucoup plus " maigres " que les pays occidentaux riches. C'est une projection " anti-Mercator " employée pour redonner aux pays intertropicaux leur taille réelle. Elle n'est plus guère à la mode. Projection de Peters :

Source : http://www.lethist.lautre.net/cylindriques.htm#UTM : Universal Transverse Mercator

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A ceux qui pensent que l’Afrique est le continent des conflits

Voici une carte conçue par une société néerlandaise qui matérialise 4000 ans de batailles. Elle met en évidence les lieux des batailles qui se sont déroulées pendant les quatre derniers millénaires.

Source : http://sciencepost.fr/2016/03/voici-carte-interactive-materialisant-4000-ans-de-batailles/

455

ANNEXE 2 : POPULATION, SUPERFICIE ET DENSITE PAR PAYS (AFRIQUE) Population

Superficie

Densité

Afrique du sud Algérie Angola Bénin Botswana Burkina Faso Burundi Cameroun Cap Vert Centrafrique Comores Congo-Brazzaville Congo-Kinshasa Côte d'Ivoire Djibouti Egypte Érythrée Éthiopie

48 375 645 38 813 722 19 088 106 10 160 556 2 155 784 18 365 123 10 395 931 23 130 708 538 535 5 277 959 766 865 4 662 446 77 433 744 22 848 945 810 179 86 995 099 6 380 803 96 633 458

1 219 912 2 381 740 1 246 700 112 620 600 370 274 200 27 830 475 440 4 033 622 984 2 190 342 000 2 345 410 322 460 23 200 1 001 450 121 320 1 127 127

40 16 15 90 4 67 374 49 134 8 350 14 33 71 35 87 53 86

Gabon Gambie Ghana

1 672 597 1 925 527 25 758 108

267 667 11 300 239 460

6 170 108

Guinée Guinée Équatoriale Guinée-Bissau Kenya Lesotho Libéria Libye Madagascar Malawi Mali

11 474 383 722 254 1 693 398 45 010 056 1 942 008 4 092 310 6 244 174 23 201 926 17 377 468 16 455 903

245 857 28 051 36 120 582 650 30 355 111 370 1 759 540 587 295 118 480 1 240 000

47 26 47 77 64 37 4 40 147 13

457

Maroc Maurice

Population 32 987 206 1 331 155

Superficie 446 550 2 040

Densité 74 653

Mauritanie Mozambique Namibie Niger Nigeria Ouganda Rwanda Sahara Occidental São Tomé e Principe Sénégal Seychelles Sierra Leone Somalie Soudan Sud Soudan Swaziland Tanzanie Tchad Togo Tunisie Zambie Zimbabwe TOTAL AFRIQUE

3 516 806 24 692 144 2 198 406 17 466 172 177 155 754 35 918 915 12 337 138 554 795 190 428 13 635 927 91 650 5 743 725 10 428 043 35 482 223 11 562 695 1 419 623 49 639 138 11 412 107 7 351 374 10 937 521 14 638 505 13 771 721 1 124 866 891

1 030 700 801 590 825 418 1 267 000 923 768 236 040 26 338 266 000 1 001 196 190 455 71 740 637 657 1 861 484 644 329 13 363 945 087 1 284 000 56 785 163 610 752 614 390 580 30 353 470

3 31 3 14 192 152 468 2 190 70 201 80 16 19 18 106 53 9 129 67 19 35 37

Nombre de pays Superficie moyenne des pays africains Superficie médiane en Afrique

458

55 551 881 322 460

ANNEXE 3 : POPULATION, SUPERFICIE ET DENSITE PAR PAYS (EUROPE) Population

Superficie en km2

Densité de population

Vatican Monaco

842 30 508

0 2

2 105 15 254

Saint-Marin

32 742

61

537

37 313 412 655 85 458 49 947 520 872 1 172 458 1 859 203 650 036 1 988 292 2 091 719 3 020 209 10 449 361 3 583 288 8 136 700 16 877 351 5 569 077 1 257 921 5 443 583

160 316 468

233 1 306 183 36 201 127 171 47 98 81 105 342 103 197 406 129 28 111

Liechtenstein Malte Andorre Féroé Luxembourg Chypre Kosovo Monténégro Slovénie Macédoine Albanie Belgique Moldavie Suisse Pays-Bas Danemark Estonie Slovaquie Bosnie-Herzégovine Croatie Lettonie Lituanie Irlande Serbie Tchéquie Autriche

3 871 643 4 470 534 2 165 165 3 505 738 4 832 765 7 209 764 10 627 448 8 223 062

459

1 399 2 586 9 250 10 877 13 812 20 273 25 713 28 748 30 528 34 843 41 290 41 526 43 094 45 226 49 035 51 129 56 542 64 589 65 200 70 280 77 484 78 866 83 870

76 79 34 54 69 93 135 98

Portugal Hongrie Islande Bulgarie Grèce Biélorussie Roumanie Royaume-Uni Italie Pologne Norvège Finlande Allemagne Suède Espagne France Ukraine Total Europe

Population

Superficie en km2

Densité de population

10 813 834 9 919 128 317 351 6 924 716 10 775 557 9 608 058 21 729 871 63 742 977 61 680 122 38 346 279 5 147 792 5 268 799 80 996 685 9 723 809 47 737 941 66 259 012 44 291 413 601 458 998

92 391 93 030 103 000 110 910 131 940

117 107 3 62 82 46 91 260 205 123 16 16 227 22 95 121 73 102

Nombre de pays Superficie moyenne des pays européens Superficie médiane en Europe

207 600 237 500 244 820 301 230 312 685 324 220 338 145 357 021 449 964 504 782 547 030 603 700 5 907 135

46 118 143 

460

Orientation bibliographique La présente bibliographie ne comporte pas tous les ouvrages auxquels nous avons fait référence dans le présent ouvrage. Elle se contente d’indiquer les principales publications dans lesquelles le lecteur pourra trouver des informations indispensables sur les relations internationales contemporaines, sur la mondialisation et sur le jeu politique complexe mené par divers acteurs sur la scène internationale. Ouvrages ALLISON (G.) et ZELIKOW (P.), Essence of Decision, Longman, New York, 2è éd., 1999. ARON (R.), Paix et guerre entre les nations, Calman-Lévy, Paris, 1962, nouvelle édition, 2004. BADIE (B.), Un monde sans souveraineté, Fayard, Paris, 1999. BADIE (B.), SMOUTS (M ;-C.), Le retournement du monde: sociologie de la scène internationale, Dalloz-Sirey, 3è éd. Paris, 1999. BATTISTELLA (D.), Théories des relations internationales, Presses de Sciences Po, Paris, 2003 (2è éd ; revue et augmentée, 2006). BONIFACE (P.), Comprendre le monde, A. Colin, Paris, 2010. BONIFACE (P.), Les relations internationales de 1945 à nos jours, Dalloz, 3è éd., Paris, 2010. BONIFACE (P.), La géopolitique, Eyrolles, Paris, 2014. BOUTHOUL (G.), Traité de polémologie : sociologie des guerres, Payot, Paris, 1991. BRAILLARD (Ph.) et DJALILI (M.-R.), Les relations internationales, Que sais-je ?, PUF, 2è éd., Paris, 1990. CHAGNOLAUD (J.P.), Relations internationales contemporaines : un monde en perte de repères, l’Harmattan, 2è éd., Paris, 1999. CHARVIN (R.), Relations internationales, droit et mondialisation, un monde à sens unique, l’Harmattan, Paris, 2000. CLAUSEWITZ (C. V.), De la guerre, édition de minuit, Paris, 1955 (réédité en 1984). COLARD (D.), Les relations internationales de 1945 à nos jours, Masson, Paris, 8è éd., 1999. DELMAS-MARTY (M.), Trois défis pour un droit mondial, Seuil, Paris, 1998.

461

DEVIN (G.), Sociologie des relations internationales, La Découverte, Paris, 2002 (Nouvelle édition, 2007). DJIENA WEMBOU (M.C.), L’OUA à l’aube du XXIème siècle, Bilan, Diagnostic, Perspectives, LGDJ, Paris, 1995. DJIENA WEMBOU (M.C.), Le droit international dans un monde en mutation, L’ harmattan, Paris, 2003. DJOSSOU (J.M.), L’Afrique, le GATT et l’OMC ; Entre territoires douaniers et régions Commerciales, l’ harmattan/ Les Presses universitaires de Laval, 2000. DUPUY (R.-J.), La communauté internationale entre le mythe et l’histoire, Economica/Unesco, Paris, 1986. DUROSELLE (J.B.), KASPI (A.), Histoire des relations internationales de 1945 à nos Jours, A. Colin, Paris, 2004. FALK (R.), On Human Governance. Toward a New Global Politics, Polity Press Cambridge, 1995. FOSSAERT (R.), Le monde du XXIème siècle. La théorie des systèmes mondiaux Fayard, Paris, 1991. GAUCHON (P. Dir.), Le monde : manuel de géopolitique et de géoéconomie, PUF, Paris, 2008. GLASER (A.), Africafrance, Fayard, Paris, 2014. GOUNELLE (M.), Le système politique des relations internationales, Dalloz, Paris, 2006. GUILHAUDIS (J.F.), Relations internationales contemporaines, Litec, 2è éd ; Paris, 2005. HUNTZINGER (J.), Introduction aux relations internationales, Seuil, Paris, 1987. KENNEDY (P.), Naissance et déclin des grandes puissances, Payot, Coll. « Documents » Paris, 2004. LACOSTE (Y.), Géopolitique ; la longue histoire d’aujourd’hui, Larousse, Paris, 2009 LAIDI (Z.), Un monde privé de sens, Fayard, Paris, 1994. LAROCHE (J.), Politique internationale, LGDJ, 2è éd. Paris, 2000. LAURENT (S.), Al-Qaïda en France, Seuil, Paris, 2014. MARCHESIN (Ph.), Introduction aux relations internationales, Karthala, Paris, 2008. MERLE (M.), Sociologie des relations internationales, Dalloz, Paris, 1988 (4è éd.). MOREAU DEFARGES (Ph.), Relations internationales, Seuil, coll. « Points essais » Paris, 2007. MORGENTHAU (H.J.), Politics Among Nations : The Struggle for Power an Peace, Knopf, 6è éd., New York, 1985. MOUSSA (P.), Caliban naufragé; Les relations Nord-Sud à la fin du XXème siècle, Fayard, Paris, 1994. NYE (J.), Bound to lead, Basic Books, New York, 1990. 462

PINTO (R.), Le droit des relations internationales, Payot, Paris, 1972. POUGALA (J.P.), Géostratégie africaine, Institut d’études stratégiques, Douala, 2015. REUTER (P.) et COMBACAU (J.), Institutions et relations internationales, PUF, Paris, 1998. ROCHE (J.-J.), Relations internationales, LGDJ, Paris, 2005. ROSENAU (J.N.), Turbulence in World Politics, A Theory of Change and Continuity, Princeton University Press, Princeton, 1990. SENARCLENS (P.), Mondialisation, souveraineté et théories des relations internationales, A. Colin, Paris, 1998. SENARCLENS (P. de), La mondialisation. Théorie, enjeux et débats, A. Colin, coll. « U » 4è éd., Paris, 2005. SHINDER (D.) et TOMAN (J.), Droit des conflits armés, CICR, Genève, 1996. SMOUTS (M.C.) Dir. Les nouvelles relations internationales, Presses de Sciences Po., Paris, 1998. STRANGE (S.), States and Markets, London Printer, London, 1994. SUR (S.), Relations internationales, Montchrestien, Précis Domat, Paris, 2006. TOFFLER (A. et H.), Guerre et contre-guerre. Survivre à l’aube du XXI è siècle Fayard, Paris, 1994. WEISS (P.), Les organisations internationales, Nathan, Paris, 1998. Périodiques Annuaire français de droit international Annuaire français de relations internationales Etudes internationales Foreign Affairs International Organization Politique étrangère Politique internationale Recherches internationales Relations internationales et stratégiques Revue africaine de droit international et comparé Revue de l’arbitrage

463

Index analytique Accords internationaux : 19, 41, 124. Accréditation : 317. Actes unilatéraux : 140, 341. Affaires étrangères : 32, 124-126, 231, 244, 255, 294, 302, 315-317, 324, 325, 435, 437. Agenda pour la paix : 423. Agression : 34, 57, 64, 272, 274, 288-290, 400, 404, 407-412, 418, 424, 435. Altermondialistes : 91-92, 221, 229, 239, 247. Amérique : 16, 17, 19, 30-32, 39-40, 43, 48, 50-51, 64, 68, 82, 86, 91, 118, 126, 133, 135, 205, 225, 231, 271, 331, 337, 373, 379, 387, 434, 454. Amnesty international : 208-211. Armes de destruction massive : 54, 55, 129. Axe du mal : 14, 55, 248. Banque africaine de développement (B.A.D.) : 185, 381, 387. Banque mondiale : 31, 33, 42, 92, 98, 211 ; 236-243, 261, 331, 339, 342, 354, 368, 375, 381-385, 446. Belligérants : 16, 249, 299, 398, 399, 426, 438. Blanchiment de capitaux : 127, 238, 252, 260-265, 289, 306, 446. Boko Haram : 250, 251, 381. Bretton Woods : 119, 228, 237, 240, 341, 358, 372-375, 382, 446. Charte de la Havane : 358, 359, 370. Charte des Nations Unies : 34, 41, 68, 78, 86, 88, 94, 103, 130, 139, 143, 148, 210, 235, 273, 288, 339, 341, 391-396, 400-403, 416, 421. Collectivités locales : 107, 213, 218. Combattants : 33, 216, 250, 253, 425. Conflits internationaux : 131, 267, 392-395, 404, 432. Conflits internes : 35, 96, 203, 239, 289, 392, 445. Conseil de paix et de sécurité (C.P.S.) : 276, 297. Conseil de sécurité : 31, 37-42, 57-67, 94-98, 120, 138, 152, 157-161, 166, 190, 227, 233, 235, 239, 243, 256, 267, 273, 278, 299, 335, 401-434, 446. Cour internationale de justice (C.I.J.) : 57, 62, 341, 394, 401, 422, 428, 443. Cour Pénale internationale (C.P.I) : 19, 57-58, 430. Crime contre l’humanité : 57-60, 284, 285. Crime de guerre : 57, 58, 285, 326. Cyber-guerre : 18, 272, 492. Cycle de Doha : 364. Cycle de Genève : 360. Cycle de Tokyo : 361, 362. Droit international humanitaire : 28 ; 62, 203, 204, 210, 392. Emirat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL) : 254-256. 465

Facteurs : 19, 21, 43-46, 67-88, 99-101, 119, 129, 142-143, 192, 198, 268, 271, 273, 304, 307, 333, 336-340, 362, 383. Financement du terrorisme : 238, 251, 253, 256. Firmes multinationales : 18, 19, 29, 83, 85, 107, 111, 113, 127-128, 138, 194-213, 239, 247, 329, 357. Flux migratoires : 71, 72. General Agreement on Tariffs and Trade (G.A.T.T.): 145, 233, 267, 335, 345, 359-370, 441. Génocide : 57, 285, 287, 306, 430. Géostratégie : 16, 45, 47-51. Groupe d’action financière (G.A.F.I.) : 238, 252, 264. Immigration : 71, 72, 103, 239, 260, 294, 307, 445. Immunité de l’Etat : 122. Immunité des biens : 122. Immunité juridictionnelle : 122, 319, 326. Inde : 15, 17, 19, 30, 37, 38, 40, 43, 51-57, 72, 94-95, 98, 197, 199, 239, 241, 242, 332, 421, 426, 447, 451. Juridiction universelle : 58. Jus ad bellum : 391 ; 395 ; 400, 401, 405. Jus cogens : 401. Légitime défense collective : 446. Manipulation : 14-19, 49, 54, 76, 211, 221, 242, 248, 250, 251, 254, 258. Mesure coercitive : 122, 123. Nouvel ordre mondial : 14, 23, 63, 82, 85-94, 103, 354, 356, 445. Opération de maintien de la paix (O.M.P.) : 88, 94, 184, 272, 274, 279, 289, 304-307, 422-427, 434, 446. Organisation des Nations Unies : 132, 134, 243, 335, 400, 423, 425, 446. Organisation Traité Atlantique Nord (O.T.A.N.) : 31, 56, 65, 97, 101, 111, 135, 138, 145, 166, 267-278. Pacta sunt servanda: 235, 343. Pacte Briand-Kellog : 401. Pays émergents : 30, 37, 43, 53, 197, 199, 226, 230, 235-249, 332, 385-386. Pays en voie de développement : 14, 19, 29, 42, 48, 66, 71, 92-93, 129, 168, 184-185, 194, 200-201, 207, 212, 241, 264, 283, 321, 330-352, 361-362, 371 383. Sainte alliance : 132, 225, 227. Saint empire romain : 225. Saint-Siège : 315, 436. Syrie : 19, 38, 72, 101-102, 253-258, 438. Tokyo Round : 361-362, 368. Union Africaine : 58, 135, 144, 156, 231, 235, 267, 275, 295-297, 305, 336, 339, 439-440. Union Européenne : 37, 71-72, 90-97, 129, 136, 142, 158, 193, 203-205, 211, 217, 228-230, 242, 259-61, 265, 279, 337, 339, 364, 377, 443. 466

Unipolarité : 30, 32, 39, 43. Valise consulaire : 326. Valise diplomatique : 318, 326. Venezuela : 213, 241. Veto : 38, 148, 158, 196, 225, 243, 267, 274, 367, 381, 406, 417-418, 421, 427. Vie internationale : 13, 19, 20, 26, 29, 30, 45, 62, 107, 113, 116, 125, 126, 145, 164, 181, 205, 211, 212, 235, 311. Westphalie : 16, 39, 40, 75, 107, 129. Wimbledon : 119.

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TABLE DES MATIERES

Principales abréviations ..................................................................................... 11 Introduction ......................................................................................................... 13 §1 Les relations internationales à l’ère de la mondialisation....................... 14 §2 Objectif de l’ouvrage et méthodologie ...................................................... 18 Première partie Le cadre et les facteurs des relations internationales Chapitre 1 Le cadre des relations internationales : la communaute internationale ..... 25 Section 1 Les caractéristiques de la communauté internationale ............... 25 §1 La notion de communauté internationale .................................................. 25 §2 Communauté internationale et société nationale ..................................... 28 §3 Les traits majeurs de la société internationale contemporaine .............. 29 A. L’hégémonie américaine .................................................................. 30 B. Les contraintes de l’interdépendance ............................................... 34 C. Les inégalités entre les Etats ............................................................ 35 D. Un retour timide à l’équilibre des pouvoirs ..................................... 37 Section 2 L’évolution de la communauté internationale ............................ 39 §1 La première phase : des traités de paix de Westphalie en 1648 à la première guerre mondiale. ................................................................................ 39 §2 La deuxième phase : de 1918 à l’avènement d’un monde unipolaire en 1991 ...................................................................................................................... 41 §3 La troisième phase : un monde unipolaire depuis 1991 .............................. 43 Chapitre 2 Les facteurs des relations internationales ........................................................ 45 Section 1 La géographie ............................................................................. 45 §1 Une donnée importante des relations internationales .............................. 45 §2 La géopolitique ............................................................................................. 46 Section 2 La géostratégie ........................................................................... 47 469

§1 Géostratégie et Relations Internationales .................................................. 47 §2 La Géostratégie comme instrument politique et de domination ............ 49 A. La géographie comme instrument politique .................................... 50 B. Le dividende démographique comme instrument politique ............. 52 C. La lutte contre la prolifération nucléaire .......................................... 54 D. Une justice internationale à deux vitesses ....................................... 57 E. La création de nouveaux concepts juridiques destinés à garantir le maintien de la domination de l’occident ............................................... 59 Section 3 L’économie ................................................................................ 67 Section 4 La démographie .......................................................................... 69 §1 Généralités ..................................................................................................... 69 §2 Les flux migratoires et leurs conséquences sur les relations internationales ..................................................................................................... 71 Section 5 La science, la technologie, l’idéologie et les médias ................. 73 §1 Le facteur scientifique et technologique ................................................... 73 §2 Le facteur idéologique ................................................................................. 74 §3 Le facteur médiatique................................................................................... 76 Section 6 La culture, le droit et la personnalité des hommes d’Etat .......... 76 §1 Le facteur culturel ......................................................................................... 76 §2 Le facteur juridique ...................................................................................... 78 §3 La personnalité des hommes d’Etat ........................................................... 79 Chapitre 3 La mondialisation : nouveau fondement des relations internationales ? .... 81 Section 1 Définition et évolution de la mondialisation .............................. 81 §1 Le concept de la mondialisation ................................................................. 81 A. Définition ......................................................................................... 81 B. Conditions d’un nouvel ordre international ou mondial .................. 83 §2 Origine et fondements de la mondialisation ............................................. 84 A. Historique et évolution ..................................................................... 84 B. Les fondements du nouvel ordre mondial ........................................ 85 1. Le fondement politique ................................................................. 85 a. L’universalité des valeurs du système libéral ........................... 86 b. Le rôle prépondérant des Etats-Unis ......................................... 86 c. La réhabilitation de l’ONU ....................................................... 87

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2. Le fondement juridique ................................................................. 88 3. La dimension économique du nouvel ordre mondial.................... 89 Section 2 Le nouvel ordre mondial : un ordre juste ou un ordre de puissance ? .................................................. 90 §1 Un ordre de puissance .................................................................................. 90 A. La contestation du nouvel ordre mondial......................................... 90 1. Par les Etats ................................................................................... 90 2. Par les mouvements transnationaux .............................................. 91 a. Les mouvements altermondialistes ........................................... 91 b. Par les mouvements extrémistes ou religieux ........................... 92 3. La controverse doctrinale.............................................................. 93 B. L’émergence de pôles de puissance ................................................. 94 1. Les puissances de l’Asie du Sud et du Sud-est ............................. 94 2. La Russie....................................................................................... 96 3. L’Europe et les BRICS ................................................................. 97 §2 Le désordre mondial ..................................................................................... 98 A. La persistance de la violence dans les relations internationales ...... 99 1. Les facteurs explicatifs de la violence .......................................... 99 2. Le désordre mondial ................................................................... 101 B. La recherche de mécanismes de régulation des relations internationales. .................................................................................... 103 Deuxième partie Les acteurs des relations internationales Titre I Les acteurs traditionnels .................................................................................. 109 Chapitre 1 Les Etats.............................................................................................................. 113 Section 1 Définition et caractéristiques de l’Etat ..................................... 113 §1 L’existence de l’Etat................................................................................... 113 A. Territoire ........................................................................................ 114 B. La population ................................................................................. 114 C. Le Gouvernement ........................................................................... 115 D. La reconnaissance d’Etat ............................................................... 116 1. Définition et modalités de la reconnaissance .............................. 116 471

2. Les effets de la reconnaissance d’Etat ........................................ 117 §2 Les caractéristiques de l’Etat .................................................................... 117 A. La personnalité juridique ............................................................... 118 B. La souveraineté de l’Etat ................................................................ 118 1. Définition de la souveraineté ...................................................... 118 2. Les effets de la souveraineté ....................................................... 119 C. Les compétences de l’Etat .............................................................. 121 1. Les compétences territoriales...................................................... 121 2. Les compétences internationales ................................................ 121 D. Les immunités des Etats................................................................. 122 Section 2 L’Etat dans la société internationale ........................................ 123 Sous-section 1 : La politique étrangère des Etats ........................................ 123 §1 Primauté de l’Exécutif dans l’élaboration de la politique étrangère ... 124 §2 Le Ministère des Affaires Etrangères, instrument irremplaçable des rapports internationaux de l’Etat.................................................................... 125 Sous-section 2 : Le rôle incontournable de l’Etat dans la vie internationale................................................................................. 126 Chapitre 2 Les organisations internationales .................................................................... 131 Section 1 L’irruption des organisations internationales sur la scène internationale ........................................................................ 131 §1 A l’origine .................................................................................................... 131 A. La période 1815-1914 .................................................................... 132 B. La période 1914-1945 .................................................................... 133 C. La période 1945 à nos jours ........................................................... 134 §2 Définition de l’organisation internationale ............................................. 136 Section 2 Le concept d’organisation internationale ................................. 138 Sous-section 1 : Création de l’organisation internationale ........................ 138 Sous-section 2 : Classification, structure et fonctionnement des organisations internationales .......................................................................... 140 §1 La typologie des organisations internationales ...................................... 141 A. Les organisations internationales universelles et les organisations internationales régionales ................................................................... 141 1. Les organisations internationales à caractère universel .............. 141 2. Les organisations internationales à caractère régional ............... 142

472

B. Les organisations générales et les organisations spécialisées ........ 143 1. Les organisations générales ........................................................ 144 2. Les organisations spécialisées .................................................... 144 3. Les organisations de coopération et les organisations d’intégration .................................................... 145 §2 Structure et composition de l’organisation internationale .................... 146 A. Les membres de l’organisation internationale ............................... 147 1. La qualité de membre à part entière............................................ 147 a. Les membres originaires ......................................................... 148 b. L’admission de nouveaux membres ....................................... 148 2. La qualité de membre partiel ...................................................... 149 a. Les Etats associés .................................................................... 150 b. Les territoires associés ............................................................ 150 3. La qualité d’observateur ............................................................. 150 B. La perte de qualité de membre de l’organisation internationale .... 151 §3 Les organes de l’organisation internationale .......................................... 152 A. La typologie fondée sur l’origine et la composition des organes .. 153 1. Suivant l’origine des organes ...................................................... 153 a. Les organes principaux ou constitutionnels ............................ 153 b. Les organes subsidiaires ......................................................... 154 2. Suivant la composition des organes ............................................ 154 a. Les organes interétatiques ....................................................... 154 b. Les organes intégrés.................................................................... 155 B. La typologie fondée sur l’extension et les fonctions des organes .. 155 1. Selon l’extension des organes ..................................................... 155 a. Les organes pléniers ................................................................ 155 b. Les organes restreints.............................................................. 157 c. Les Assemblées parlementaires .............................................. 158 3. Selon les fonctions des organes .................................................. 159 a. Les organes politiques ou délibérants ..................................... 159 b. Les organes administratifs ...................................................... 159 c. Les organes juridictionnels ..................................................... 163 d. Les organes consultatifs .......................................................... 164 §4 Le fonctionnement de l’organisation internationale .............................. 164 A. Les normes de fonctionnement de l’organisation .......................... 164 B. La composition des représentations et les modes de votation et de délibération ......................................................................................... 165 473

1. La composition des représentations ............................................ 165 2. Les modes de votation et de délibération.................................... 166 a. Le système de l’unanimité ...................................................... 166 b. Les systèmes majoritaires ..................................................... 1667 c. Le consensus ........................................................................... 169 Section 3 L’organisation internationale : un acteur principal des relations internationales .......................................................................................... 170 §1 La personnalité juridique de l’organisation internationale............................. 170 A. Les sources ..................................................................................... 170 B. La personnalité juridique de l’O.I. lui permet d’accroitre son rôle sur la scène internationale ......................................................................... 172 1. Les privilèges et les immunités de l’organisation internationale 172 2. Le droit de légation active et passive .......................................... 177 3. La capacité de conclure des traités ............................................. 177 4. La responsabilité de l’organisation internationale ...................... 179 §2 L’accroissement du rôle des organisations internationales en raison des compétences qui leur sont attribuées et des activités qu’elles mènent..... 181 A. Les compétences et le rôle de l’organisation internationale sur la scène internationale............................................................................. 181 1. Les compétences fonctionnelles de l’organisation et les activités qui en découlent .............................................................................. 182 a. Les activités normatives de l’organisation .............................. 182 b. Les compétences opérationnelles............................................ 183 c. Les compétences liées à un territoire ...................................... 185 d. Les compétences personnelles de l’organisation .................... 186 e. Le contrôle de la mise en œuvre des compétences fonctionnelles de l’organisation internationale .................................................. 186 2. Les compétences implicites de l’organisation internationale .... 188 a. La théorie des compétences implicites.................................... 188 b. Les limites de la théorie des compétences implicites ............. 189 B. Crise financière internationale et réduction des activités et du rôle de l’organisation internationale ............................................................... 190 1. Considérations générales sur le budget de l’organisation internationale ...................................................... 190 2. La crise du financement de l’organisation internationale ........... 194 Chapitre 3 Les autres acteurs traditionnels ...................................................................... 195 474

Section 1 Les firmes multinationales ....................................................... 195 § 1 Définition, typologie et origine des firmes multinationales .......................... 196 A. Le concept de firmes multinationales ............................................ 196 B. Les catégories de firmes multinationales ....................................... 197 C. L’origine des firmes multinationales ............................................. 198 §2 Le Statut et la Réglementation des activités des firmes multinationales .............................................................................. 200 A. Un acteur non reconnu par le droit international ........................... 200 B. La réglementation des activités des firmes multinationales ........... 200 1. Les termes du problème .............................................................. 200 2. Les solutions proposées ............................................................. 202 a. Par les Etats ............................................................................. 202 b. Par la Communauté internationale .......................................... 202 §3 Les firmes internationales, un acteur majeur des relations internationales ............................................ 204 Section 2 Les organisations non gouvernementales ................................. 206 §1 Définition et particularités des ONG ....................................................... 207 A. Définition de l’ONG ...................................................................... 207 B. Typologie des ONG ....................................................................... 208 C. Caractéristiques de l'ONG……………………………………...…209 §2 Participation des ONG aux relations internationales ............................ 209 A. Les ONG, complément de l’activité diplomatique des Etats et des Organisations internationales .............................................................. 209 B. L’établissement de relations de coopération avec les organisations internationales ..................................................................................... 210 C. Les ONG : un rôle important, mais limité...................................... 211 Section 3 Les acteurs potentiels ............................................................... 213 §1 Les mouvements de libération nationale (MNL) ................................... 214 A. Définition ....................................................................................... 214 B. La représentativité des mouvements de libération nationale ......... 215 C. Les mouvements de libération nationale dans les relations internationales ..................................................................................... 215 §2 Les collectivités territoriales ..................................................................... 217 A. Définition ....................................................................................... 217 B. Les collectivités territoriales dans les relations internationales ..... 217 475

§3 L’opinion publique ..................................................................................... 219 A. Définition et existence d’une opinion publique « internationale » 219 B. Rôle de l’opinion publique dans les relations internationales ........ 220 Titre II L’émergence de nouveaux acteurs .................................................................. 223 Chapitre 1 Les groupes à vocation universelle.................................................................. 227 Section 1 D’une sainte alliance à l’autre : du G8 au G20 ............................ 227 Sous-section 1 : Le G8 : Nouveau directoire mondial ? ................................. 227 §1 Historique, création et composition ......................................................... 227 §2 Fonctionnement du G7/G8 ........................................................................ 230 A. Présidence ...................................................................................... 230 B. Sommet .......................................................................................... 230 C. Réunions préparatoires ................................................................... 231 D. Réunions ministérielles .................................................................. 231 E. Représentants personnels pour l’Afrique/ Forum pour le partenariat avec l’Afrique ..................................................................................... 232 §3 Nature juridique du G8 .............................................................................. 232 A. Nature et régime juridiques applicables ......................................... 232 B. Portée juridique des mesures adoptées par le G8 ........................... 235 §4 Le G8 dans les relations internationales .................................................. 237 §5 Le G8 : un acteur puissant, mais critiqué et fortement contesté .......... 238 Sous-section 2 : Le G20 .................................................................................. 240 §1 Historique, création et composition ......................................................... 241 §2 Fonctionnement du G20 ............................................................................ 244 §3 Statut juridique et activités du G20 .......................................................... 245 Section 2 Les acteurs illégaux .................................................................. 248 Sous-section 1 : Les groupes terroristes ....................................................... 248 §1 Définition et historique .............................................................................. 249 §2 Financement des groupes terroristes ........................................................ 251 §3 Terrorisme et manipulations ..................................................................... 254 Sous-section 2 : Les groupes du crime organisé ......................................... 258 §1 Définition et évolution ............................................................................... 259 A. Définition, typologie et évolution des groupes criminels .............. 259 476

B. Puissance des organisations criminelles......................................... 260 §2 Organisations criminelles et relations internationales........................... 262 A. L’influence des organisations criminelles ..................................... 262 B. La lutte contre les organisations criminelles .................................. 264 Chapitre 2 Le réveil des acteurs régionaux ....................................................................... 267 Section 1 L’OTAN : nouveau gendarme mondial ................................... 267 §1 Les circonstances historiques de la création de l’OTAN...................... 267 A. A l’origine de la création de l’OTAN ............................................ 267 B. La création de l’OTAN .................................................................. 269 §2 L’organisation et les missions de l’OTAN ............................................. 269 A. La structure de l’OTAN ................................................................. 270 1. La structure civile ou politique ................................................... 270 a. Le Conseil de l’Atlantique Nord ............................................. 270 b. Le Secrétaire général de l’OTAN ........................................... 270 2. La Structure militaire : le Comité militaire et les organes connexes.................................... 270 B. Les missions et l’évolution de l’OTAN ......................................... 271 1. Les nouvelles missions de l’OTAN ............................................ 271 2. L’élargissement de l’OTAN ....................................................... 274 Section 2 L’Union Africaine : nouveau gendarme régional en Afrique ? 275 §1 Le Conseil de paix et de sécurité, clef de voûte du système du règlement des conflits en Afrique .................................................................. 276 A. Les missions et l’organisation du CPS .......................................... 277 1. Les missions ou fonctions du CPS .............................................. 277 2. L’organisation du CPS ................................................................ 278 B. L’implication de l’UA dans le règlement des conflits ................... 278 §2 L’institution d’un nouveau mécanisme de préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique : la CSSDCA ..................................... 279 A. La déclaration de principes ............................................................ 280 1. Les principes généraux ............................................................... 281 2. Les principes spécifiques ............................................................ 281 B. L’élaboration d’un plan d’action et d’un mécanisme de mise en œuvre des principes .......................................................... 284 1. Le plan d’action de la CSSDCA ................................................. 284

477

2. Le mécanisme de mise en œuvre ................................................ 285 Section 3 L’intervention des organisations sous-régionales dans la résolution des conflits : l’exemple de la CEDEAO et de la SADC ......... 286 §1 La CEDEAO et la résolution des conflits en Afrique de l’Ouest ........ 287 A. Les mécanismes de résolution des conflits institués par la CEDEAO .................................................................................. 288 1. Le cadre normatif de résolution des conflits ............................... 288 a. Le Protocole de non-agression du 22 avril 1978..................... 288 b. Le Protocole d’assistance mutuelle en matière de défense du 29 mai 1981 ..................................................................................... 288 c. Le Protocole du 10 décembre 1999 relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité.................................................................... 289 d. Le Protocole du 21 décembre 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance ................................................................................ 290 2. Le mécanisme institutionnel ....................................................... 291 a. Les Institutions prévues .......................................................... 292 b. Les organes d’appui aux Institutions du Mécanisme .............. 294 c. Le système d’observation de la paix et de la sécurité sous régionales institué par la CEDEAO ............................................ 295 B. Le recours à la force armée comme moyen de règlement des conflits en Afrique de l’Ouest .......................................................................... 297 1. Au Liberia ................................................................................... 297 2. En Sierra Leone .......................................................................... 299 3. En Guinée-Bissau ....................................................................... 300 §2 Le rôle de la SADC et les limites des opérations militaires africaines dans la gestion des conflits en Afrique ......................................................... 302 A. L’expérience de la SADC dans la gestion des conflits .................. 302 B. Les limites de la gestion des conflits par les organisations sousrégionales africaines ........................................................................... 304 1. Les facteurs entravant les capacités opérationnelles des organisations africaines................................................................... 304 2. Les initiatives extra-africaines visant à renforcer les capacités africaines en matière de gestion des conflits armés en Afrique ...... 304 a. Le mécanisme français de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP) ............................................. 304 b. Le modèle du Royaume-Uni ................................................... 305 478

c. L’initiative de réponse aux crises africaines (ACRI) des Etats-Unis ................................................................................. 306 Troisième partie Les rapports internationaux Chapitre 1 Les relations diplomatiques et consulaires .................................................... 313 Section 1 Les relations diplomatiques...................................................... 313 Sous-section 1 : Les relations diplomatiques entre Etats ........................... 313 §1 L’établissement des relations diplomatiques .......................................... 314 A. Le principe du consentement mutuel ............................................. 314 B. Les fonctions diplomatiques .......................................................... 314 C. Les catégories de missions diplomatiques ..................................... 314 §2 Le personnel diplomatique ........................................................................ 315 A. Les catégories de diplomates ......................................................... 315 B. Nomination des membres du personnel diplomatique ................... 315 C. Le Chef de mission diplomatique .................................................. 316 1. Classification .............................................................................. 316 2. Préséance .................................................................................... 317 3. Nomination et accréditation ........................................................ 317 §3 Privilèges et immunités diplomatiques.................................................... 318 A. Privilèges et immunités de la mission diplomatique...................... 318 B. Privilèges et immunités des agents diplomatiques ......................... 319 1. L’inviolabilité ............................................................................. 319 2. L’immunité juridictionnelle ........................................................ 319 3. Exemption fiscale et franchises douanières ................................ 319 4. Privilèges et immunités des membres de la famille des diplomates et des autres personnels de la mission............................................ 320 Sous-section 2 : Les relations internationales des organismes internationaux ....................................................................... 320 Section 2 Les relations consulaires .......................................................... 322 §1 Etablissement et rupture des relations consulaires ................................ 323 A. Le principe du consentement mutuel ............................................. 323 B. Classification des consuls .............................................................. 323 479

C. Les fonctions consulaires ............................................................... 323 D. Le poste consulaire ........................................................................ 324 E. Le Chef de poste consulaire et les membres du poste consulaire .. 324 §2 Privilèges et immunités consulaires ......................................................... 325 A. Facilités, privilèges et immunités des postes consulaires .............. 325 B. Privilèges et immunités des fonctionnaires consulaires ................. 326 Chapitre 2 Les relations économiques et commerciales .................................................. 329 Section 1 Les relations économiques internationales ............................... 329 Sous-section 1 : Les acteurs des relations économiques internationales . 329 §1 Les Etats ....................................................................................................... 330 A. Les Etats industrialisés ou développés ........................................... 330 B. Les pays en développement ........................................................... 331 §2 Les organisations internationales à vocation économique ................... 332 A. Au plan universel ........................................................................... 333 B. Au niveau régional ......................................................................... 336 §3 Les sociétés transnationales et les ONG ................................................. 338 A. Les sociétés multinationales .......................................................... 338 B. Les ONG ........................................................................................ 338 Sous-section 2 : Le cadre juridique des relations économiques internationales ................................................................................................... 339 §1 Généralités sur le droit international du développement et sur le droit international économique ................................................................................ 339 A. Le droit international du développement ....................................... 339 B. Le droit international économique ................................................. 340 §2 L’élaboration et les sources du droit international économique .......... 341 A. Les sources ..................................................................................... 341 B. Le processus d’élaboration des normes du droit international économique ...................................................... 344 Sous-section 3 : L’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie de développement des pays en voie de développement .................................. 346 §1 Le Nouvel ordre économique international (NOEI) .............................. 346 A. La genèse du NOEI ........................................................................ 346 B. La substance du NOEI ................................................................... 348 1. La Déclaration et le Programme d’action du 1er mai 1974 ......... 348 480

2. La Charte des droits et devoirs économiques des Etats du 12 décembre 1974 ...................................................................... 349 §2 La mise en œuvre du NOEI ....................................................................... 352 A. Le bilan mitigé de la mise en œuvre du NOEI............................... 352 B. La fin du NOEI et la recherche d’un nouvel ordre économique mondial ............................................. 353 1. Le dialogue Nord-Sud, substitut du NOEI.................................. 353 2. La recherche d’une nouvelle Stratégie de développement : L’agenda pour le développement .................................................... 356 Section 2 Les relations commerciales ...................................................... 357 §1 L’encadrement juridique du commerce international ........................... 358 A. L’expérience avortée de la Charte de la Havane ........................... 358 B. La pérennisation des principes du GATT et l’émergence de l’OMC ............................................................................................ 359 1. Les différents cycles du GATT ................................................... 360 a. Du Cycle de Genève 1947 au Dillon Round 1961-1962 ........ 360 b. Le cycle de Kennedy ou Kennedy Round mai 1964-juin 1967 ..................................... 361 c. Le cycle de Tokyo ou Tokyo Round septembre 1973 - novembre 1979................... 361 d. Le cycle de l’Uruguay ou Uruguay Round septembre 1986- avril 1994 ......................... 362 2. La règlementation des échanges internationaux dans le cadre de l’OMC .................................................................. 363 §2 L’encadrement institutionnel des relations commerciales ................... 364 A. Le GATT ........................................................................................ 365 B. La CNUCED .................................................................................. 368 C. L’OMC ........................................................................................... 369 Section 3 Les relations monétaires ........................................................... 372 §1 Le système monétaire international ......................................................... 372 A. Définition et caractéristiques du système monétaire international 372 1. Le concept de système international monétaire .......................... 372 2. Les particularités du système monétaire international ................ 373 3. Les fonctions du Système monétaire international ..................... 373 B. L’évolution du système monétaire international ............................ 374 1. Le système de Bretton Woods .................................................... 374 481

2. La crise du système de Bretton Woods ....................................... 375 §2 La coopération monétaire régionale et l’assistance financière internationale .................................................................................................... 376 A. Le cadre régional............................................................................ 376 1. Le système européen : de l’Ecu à l’Euro .................................... 376 2. Les zones monétaires .................................................................. 377 a. La zone Euro ........................................................................... 377 b. La zone Dollar ........................................................................ 379 c. La zone Franc CFA ................................................................. 379 B. Les mécanismes de l’assistance financière et la crise financière internationale ...................................................................................... 382 1. Les mécanismes institutionnels de l’assistance financière ......... 382 a. L’action de la Banque mondiale ............................................. 382 b. L’action du FMI ...................................................................... 383 c. Le rôle des banques régionales ............................................... 386 2. La crise financière internationale ................................................ 387 Chapitre 3 Les relations conflictuelles................................................................................ 391 Section 1 Définition et évolution des conflits internationaux .................. 392 §1 Le concept de conflit international........................................................... 393 §2 Typologie des conflits armés .................................................................... 395 A. Les conflits armés internationaux .................................................. 395 B. Les conflits armés non internationaux ........................................... 397 C. Les situations de tensions internes ou de troubles intérieurs ......... 398 §3 L’obligation du règlement pacifique des conflits .................................. 400 Section 2 Le règlement des conflits internationaux dans le cadre des organisations internationales .................................................................... 404 Sous-section 1 : Le règlement des conflits entre Etats membres d’une organisation internationale politique ............................................................. 405 §1 Le règlement des conflits entre Etats membres de l’ONU ................... 405 A. L’institution d’une panoplie de moyens de règlement pacifique des conflits ................................................................................................ 405 B. Le développement d’un mécanisme coercitif de règlement ........... 406 1. Le système de sécurité collective de l’ONU ............................... 406 a. Le Conseil de Sécurité, pierre angulaire de la sécurité collective .................................................................................................... 408 482

b. Le rôle subsidiaire de l’Assemblée Générale dans le règlement des conflits armés........................................................................ 416 c. Le rôle supplétif du Secrétaire Général................................... 420 2. L’échec du Système de la Charte ................................................ 421 a. Le recours à un expédient non prévu par la Charte : Les opérations de maintien de la paix (OMP) ................................... 422 b. La fin de l’ordre bipolaire et les mutations du système .......... 427 §2 Le règlement des conflits entre Etats membres d’organisations politiques régionales ........................................................................................ 433 A. La subordination des organisations régionales par rapport à l’ONU ............................................................................ 433 1. Le pouvoir d’instruction de l’ONU ............................................ 433 2. Le pouvoir de contrôle de l’ONU ............................................... 434 B. La relative indépendance des organisations régionales par rapport à l’ONU ............................................................................ 434 C. L’intervention des organisations régionales dans le règlement des conflits ............................................................. 434 1. En Amérique : L’OEA ................................................................ 434 2. En Europe : De la CSCE à l’OSCE ............................................ 435 3. Au Proche et au Moyen Orient : Le système de la Ligue des Etats Arabes ........................................ 437 4. En Afrique : De l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à l’Union Africaine (UA) ................................................................ 439 Sous-section 2 : Le règlement des conflits opposant des membres d’organisations internationales économiques et techniques ...................... 441 §1 La résolution des conflits dans le cadre des organisations économiques ...................................................................... 441 A. Dans les organisations de coopération économique ...................... 441 1. Le système du GATT .................................................................. 441 2. Le modèle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC)...442 B. Dans les organisations d’intégration économique.......................... 443 §2 Le règlement des différends dans le cadre des organisations techniques .......................................................................... 443 Quel nouvel ordre mondial ?............................................................................445 Annexes ............................................................................................................... 449 Orientation bibliographique ............................................................................ 461 Index analytique........................................................................................465 483

Politique aux éditions L’Harmattan

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pratiques d’imposture des puissants à l’encontre des peuples. Ce sont ces pratiques des puissants que cette analyse tente de mettre en lumière pour, si possible, permettre de les déjouer. (Coll. Questions contemporaines, 22.00 euros, 224 p.) ISBN : 978-2-343-04788-1, ISBN EBOOK : 978-2-336-36091-1 meR (la) Rouge ou l’épReuve du deux

Ramond Michèle

Le monde actuel nous alarme par ses divisions intolérables et criminelles. Injustices, inégalités, sexisme, misogynie, homophobie, haine de l’autre, meurtres et guerres tous azimuts imposent jour après jour le fantôme d’un Dieu Deux terrifiant et cruel. Cet essai examine l’état divisé de notre société mais il s’efforce aussi de trouver des remèdes à ses maux : dans ces moments de grâce il rencontre les propositions de la littérature et il se transforme parfois en une rencontre amoureuse sur les bords de la Mer Rouge. (Coll. Créations au féminin, 16.50 euros, 168 p.) ISBN : 978-2-343-04738-6, ISBN EBOOK : 978-2-336-36183-3 des états de facto abkhazie, somaliland, République turque de chypre nord...

Bonnot Maurice

Anomalies du système international, les États de facto, autoproclamés, non reconnus, existent malgré le vide juridique dans lequel ils sont relégués, tels l’Abkhazie, le Haut-Karabagh, le Kossovo, l’Ossétie du Sud, la République turque de Chypre nord, la Transnistrie, la RASD (République Arabe Sahraouie Démocratique). Nombre de leurs aspects sont d’une normalité avérée, loin des clichés de terres laissées à l’anarchie que certains se plaisent à opposer aux États souverains, ordonnés et stables. (27.00 euros, 264 p.) ISBN : 978-2-343-04074-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-36121-5 peuples autocHtones et industRies extRactives mettre en œuvre le consentement, libre, préalable, informé

Sous la direction de Cathal Doyle et Jill Carino.

Trois organisations britanniques de la société civile ont établi, avec des représentants autochtones, un consortium pour le développement d’un projet visant à rendre effectif, dans l’industrie minière, le consentement préalable, libre et informé (FPIC en anglais, CPLI en français). Le présent rapport doit servir de base pour le dialogue. Il comprend à la fois des éléments de droits, le point de vue des autochtones, des études de cas aux Philippines, Canada, Panama et identifie les principaux enjeux et perspectives. (Coédition GITPA / IWGIA France, Coll. Questions autochtones, 20.00 euros, 186 p.) ISBN : 978-2-343-04698-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-35993-9 océan aleRte Rouge chroniques d’un désastre annoncé

de Pompignan Nathalie, Albanel Constance – Préface de Bertrand de Lesquen

L’océan occupe 70% de la surface de notre planète. Vaste, on le croit indestructible. Il ne l’est pas. Désormais nous le savons, sa santé est en péril : immenses zones marines mortes, continent de plastique, disparition de récifs coralliens... A partir de données scientifiques et d’études reconnues, ce livre dresse un état des lieux des menaces, des risques et des actions collectives en cours sur le sujet. (26.00 euros, 258 p.) ISBN : 978-2-343-03817-9, ISBN EBOOK : 978-2-336-35675-4 fin (la) du capital pour une société d’émancipation humaine

Prone André – Préface de Samir Amin

L’interventionnisme militaire, l’accaparement par les grandes puissances internationales des terres et des ressources des pays tiers, la montée des néofascismes, la profondeur de la crise généralisée,

tout cela mène l’auteur à faire l’hypothèse de la fin du capital et de l’imminence d’une nouvelle phase historique. A partir de cette probabilité signifiante, il approfondit la matrice écomuniste dans le prolongement de la pensée marxienne, tout en recherchant le meilleur moyen d’ouvrir la voie à une société d’émancipation humaine. (Coll. Questions contemporaines, 15.00 euros, 154 p.) ISBN : 978-2-343-03950-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-35369-2 une nouvelle société solidaiRe par un nouveau contrat social

Pittet Ignace

Pour sortir de la crise morale, politique, économique et écologique mondiale, voici une proposition sérieuse d’un projet de société élaboré à partir du Solidarisme des années 1900. L’auteur nous convie à réaliser ensemble ce projet à l’image d’une construction de la maison de nos rêves, une maison solide, aux lignes harmonieuses et dans laquelle il fera bon vivre. (24.00 euros, 272 p.) ISBN : 978-2-343-03306-8, ISBN EBOOK : 978-2-336-35216-9 comment en finiR avec la faim en temps de cRises commençons dès maintenant !

Trueba Ignacio, MacMillan Andrew Texte traduit de l’anglais et édité par Mathias Maetz ; préface de José Graziano sa Silva

Parmi les sept milliards de personnes vivant au monde, plus de la moitié mange mal et un milliard n’a pas assez de nourriture, deux milliards sont en surpoids ou obèses. Près d’un tiers de la nourriture produite est gaspillée, dont une grande part est jetée par les consommateurs vivant en «Occident». Ceux qui ont le plus besoin de nourriture ne peuvent pas s’en procurer. Notre système alimentaire mondial est en désordre. Comment rendre meilleur le monde pour ses habitants ? (13.50 euros, 122 p.) ISBN : 978-2-343-03396-9, ISBN EBOOK : 978-2-336-35286-2 macHiavel ou l’illusion Réaliste

Bertrand Maurice

L’œuvre politique de Machiavel nous concerne aujourd’hui de façon directe parce qu’elle expose la théorie de l’asservissement des peuples et que nous sommes toujours asservis. Les formes de notre servitude ont changé, mais les méthodes qui permettent à une infime minorité de l’imposer sont toujours les mêmes. La vision du monde de Machiavel continue d’imposer une philosophie de résignation. Détruire le «faux réalisme» qui nous empêche d’y voir clair est une tâche très urgente. (Coll. Questions contemporaines, 14.00 euros, 156 p.) ISBN : 978-2-343-03664-9, ISBN EBOOK : 978-2-336-35215-2 déRaison d’état déshérence des villes

Lefebvre Jean-Pierre

Malgré sa dégénérescence au Nord, le capitalisme inégalitaire tire des milliards d’êtres humains du Sud du sous-développement. Mais la planète épuisée n’a plus les moyens de suivre cette voie. L’auteur relit Hegel, Proudhon, Henri Lefebvre, Bourdieu, Castoriadis, Onfray, Badiou, Laval, Dardot, Harribey... pour réenvisager les logiciels d’un après capitalisme viable. (Coll. Questions contemporaines, 39.00 euros, 400 p.) ISBN : 978-2-343-03599-4, ISBN EBOOK : 978-2-336-35285-5

L’HARMATTAN ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino [email protected] L’HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L’HARMATTAN KINSHASA 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala Kinshasa, R.D. Congo (00243) 998697603 ou (00243) 999229662

L’HARMATTAN CONGO 67, av. E. P. Lumumba Bât. – Congo Pharmacie (Bib. Nat.) BP2874 Brazzaville [email protected]

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L’HARMATTAN MALI Rue 73, Porte 536, Niamakoro, Cité Unicef, Bamako Tél. 00 (223) 20205724 / +(223) 76378082 [email protected] [email protected]

L’HARMATTAN CAMEROUN TSINGA/FECAFOOT BP 11486 Yaoundé 699198028/675441949 [email protected] L’HARMATTAN CÔTE D’IVOIRE Résidence Karl / cité des arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03 (00225) 05 77 87 31 [email protected] L’HARMATTAN BURKINA Penou Achille Some Ouagadougou (+226) 70 26 88 27

L’HARMATTAN ARMATTAN SÉNÉGAL SÉNÉGAL L’H 10 VDN en face Mermoz, après le pont de Fann « Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E BP 45034 Dakar Fann 45034 33BP825 98 58Dakar / 33 FANN 860 9858 (00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08 [email protected] / [email protected] www.harmattansenegal.com

Le monde a changé, de même que les clés de sa compréhension : QRXYHDX[ Gp¿V QRXYHDX[ DFWHXUV QRXYHOOHV IRUPHV GH GRPLQDWLRQ QRXYHOOHVWHFKQLTXHVGHFRPPXQLFDWLRQ4XHOVVRQWOHVUDSSRUWVGHIRUFH LQWHUQDWLRQDX[ TXL VH GpURXOHQW VRXV QRV \HX[ HW FRPPHQW \ IDLUH IDFH LQGLYLGXHOOHPHQWHWFROOHFWLYHPHQWHQWDQWTXHSD\VHWHQWDQWTXHFRQWLQHQWV DX[DPELWLRQVVRXYHQWGLYHUJHQWHV" ¬O¶KHXUHRODSROLWLTXHLQWHUQDWLRQDOHHWOHVVWUDWpJLHVGpYHORSSpHVSDU OHVJUDQGHVSXLVVDQFHVRQWXQHLQÀXHQFHGLUHFWHVXUOHYpFXTXRWLGLHQGH WRXVOHVSHXSOHVQRWDPPHQWGHVSD\VHQGpYHORSSHPHQWLOHVWXQLPSpUDWLI IRQGDPHQWDOG¶DLGHUjPLHX[FRPSUHQGUHOHPRQGHGHIDYRULVHUO¶pYHLOGHV FRQVFLHQFHVHWOHUHIXVGHODPDQLSXODWLRQ $XMRXUG¶KXL OHV TXHVWLRQV LQWHUQDWLRQDOHV HQYDKLVVHQW OHV UD\RQV GHV OLEUDLULHVOHVpFUDQVGHWpOpYLVLRQOHVSDJHVGHMRXUQDX[HWGLYHUVHVUDGLRV LQWHUQDWLRQDOHV'pPRFUDWLHWUDQVSDUHQFHGXSURFHVVXVpOHFWRUDOWHUURULVPH DOWHUQDQFH DX SRXYRLU GDQV OH WLHUVPRQGH D[H GX PDO LVODPLVWHV GURLW LQWHUQDWLRQDO DFFRUG GH SDUWHQDULDW pFRQRPLTXH FKDQJHPHQW FOLPDWLTXH SUROLIpUDWLRQ QXFOpDLUH MXVWLFH LQWHUQDWLRQDOH GURLW RX GHYRLU G¶LQJpUHQFH KXPDQLWDLUHTXHVLJQL¿HQWH[DFWHPHQWFHVPRWVDXMRXUG¶KXL"&RPPHQW pWDEOLU OD IURQWLqUH HQWUH OD YpULWp HW OD PDQLSXODWLRQ GDQV O¶DQDO\VH GHV SKpQRPqQHVLQWHUQDWLRQDX[" $XWDQW GH TXHVWLRQV DX[TXHOOHV OHV DXWHXUV RQW WHQWp G¶DSSRUWHU GHV UpSRQVHVFODLUHVHWSUpFLVHVGDQVOHSUpVHQWRXYUDJHD¿QGHPHWWUHOHVFOpV GHFRPSUpKHQVLRQGXPRQGHFRQWHPSRUDLQjODGLVSRVLWLRQGHWRXV Michel-Cyr DJIENA WEMBOU est diplomate, banquier, Professeur titulaire de Droit Public et de sciences politiques à l’UNITAR et à l’Université des Nations Unies et fonctionnaire international à la Banque africaine de développement. Il dirige la rédaction de langue française de la Revue Africaine de Droit International et Comparé. Il est l’auteur de six ouvrages et de nombreux articles parus dans des revues spécialisées africaines, françaises et suisse. Daouda FALL est diplomate, fonctionnaire international, conseiller juridique principal, chargé de Recherche à la Cour de justice de la CEDEAO, ancien chargé d’enseignement à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de Dakar, membre du corps professoral de l’Institut Européen des Hautes Études Internationales de Nice, chercheur associé au Centre d’Etudes et de Recherche sur la Sécurité et la Défense (Nice). Il est l’auteur d’un ouvrage et de plusieurs articles publiés dans des revues spécialisées africaine et française.

Etudes africaines Série Droit ISBN : 978-2-343-12188-8

43 €

Michel-Cyr Djiena Wembou et

Mythes, Manipulations et Réalités

Relations internationales

Relations internationales contemporaines