Les royaumes néo-hittites à l'âge du fer: Les Hittites et leur histoire 9782296992443, 2296992447

Ce livre présente l'époque dite néo-hittite et fait une conclusion globale sur l'histoire et la civilisation h

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Les royaumes néo-hittites à l'âge du fer: Les Hittites et leur histoire
 9782296992443, 2296992447

Table of contents :
SOMMAIRE
INTRODUCTION
CHAPITRE I LES DEBUTS DE L’AGE DU FER
CHAPITRE II LES TEMPS OBSCURS (XIIE-XE SIECLES AV. J.C.)
CHAPITRE III LES ROYAUMES HITTITES AVANT L’ENTREE EN SCENE DES ASSYRIENS
CHAPITRE IV LA REPRISE DES INCURSIONS ASSYRIENNES (883-824 AV. J.C.)
CHAPITRE V L’INTERLUDE ASSYRIEN (823-745 AV. J.C.)
CHAPITRE VI TIGLATPHALASAR III ET LES HITTITES
CHAPITRE VII LES PAYS HITTITES DE SARGON A NABONIDE (721-539 AV. J.C.)
CHAPITRE VIII LES DERNIERS DYNASTES HITTITES ET LA FIN DES INSCRIPTIONS HIEROGLYPHIQUES (FIN DU VIIIE-VIIE SIECLE AV. J.C.)
CHAPITRE IX POUVOIR ET SOCIETE DANS LES PAYS NEOHITTITES
CONCLUSION

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Les royaumes néo-hittites à l’âge du Fer Les Hittites et leur histoire

Reproductions de la couverture : la déesse KUBABA de Vladimir Tchernychev Archéologie 5 de Jean-Michel Lartigaud Directeur de publication : Michel Mazoyer Directeur scientifique : Jorge Pérez Rey Comité de rédaction Trésorière : Christine Gaulme Colloques : Jesús Martínez Dorronsorro Relations publiques : Annie Tchernychev, Sylvie Garreau Directrice du Comité de lecture : Annick Touchard Comité scientifique Sydney Aufrère, Marielle de Béchillon, Pierre Bordreuil, Nathalie Bosson, Dominique Briquel, Sylvain Brocquet, Gérard Capdeville, Jacques Freu, Michel Mazoyer, Paul Mirault, Dennis Pardee, Eric Pirart, Jean-Michel Renaud, Nicolas Richer, Bernard Sergent, Claude Sterckx, Patrick Voisin, Paul Wathelet Ingénieur informatique Patrick Habersack ([email protected]) Avec la collaboration artistique de Jean-Michel Lartigaud, et de Vladimir Tchernychev

Ce volume a été imprimé par © Association KUBABA, Université de Paris I, Panthéon – Sorbonne, 12 Place du Panthéon 75231 Paris CEDEX 05 © L'Harmattan, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-99244-3 EAN : 9782296992443

Collection KUBABA Série Antiquité

Jacques FREU et Michel MAZOYER

Les royaumes néo-hittites à l’âge du Fer Les Hittites et leur histoire

Bibliothèque Kubaba (sélection) http://kubaba.univ-paris1.fr/ CAHIERS KUBABA Barbares et civilisés dans l’Antiquité. Monstres et Monstruosités. Histoires de monstres à l’époque moderne et contemporaine. COLLECTION KUBABA 1. Série Antiquité Dominique BRIQUEL, Le Forum brûle. Jacques FREU, Histoire politique d’Ugarit. ——, Histoire du Mitanni. ——, Suppiliuliuma et la veuve du pharaon. Éric PIRART, L’Aphrodite iranienne. ——, L’éloge mazdéen de l’ivresse. ——, L’Aphrodite iranienne. ——, Guerriers d’Iran. ——, Georges Dumézil face aux héros iraniens. ——, La naissance d’Indra Michel MAZOYER, Télipinu, le dieu du marécage. Bernard SERGENT, L’Atlantide et la mythologie grecque. Claude STERKX, Les mutilations des ennemis chez les Celtes préchrétiens. ——, Mythes et Dieux Celtes Les Hittites et leur histoire en quatre volumes : Vol. 1 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, en collaboration avec Isabelle KLOCK-FONTANILLE, Des origines à la fin de l’Ancien Royaume Hittite. Vol. 2 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, Les débuts du Nouvel Empire Hittite. Vol. 3 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, L’apogée du Nouvel Empire Hittite. Vol. 4 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, Le déclin et la chute du Nouvel Empire Hittite. Sydney H. AUFRÈRE, Thot Hermès l’Égyptien. De l’infiniment grand à l’infiniment petit. Michel MAZOYER (éd.), Homère et l’Anatolie

Richard-Alain Jean et Anne-Marie Loyrette, La mère, l’enfant et le lait en Egypte ancienne. Daniel Gricourt et Dominique Hollard, Cernunnos, le dioscure sauvage. Michel MAZOYER et Olivier CASABONNE (éd.), Mélanges en l’honneur du Professeur René Lebrun : Vol. 1 : Antiquus Oriens. Vol. 2 : Studia Anatolica et Varia.

Remerciements Le volume 5, qui s’intègre dans de la série L’Histoire des Hittites, est l’aboutissement d’un travail de plusieurs années. Dans ce tome après avoir présenté l’époque dite néo-hittite, nous ferons une conclusion globale sur l’histoire et la civilisation hittite. Nous adressant à différents spécialistes et chercheurs, nous tentons de mettre en évidence quelques liens qui unissent cette civilisation aux civilisations périphériques. Nous remercions les chercheurs et les étudiants qui se sont associés à ce travail. Nous mentionnerons particulièrement Valérie Faranton, Jean-Pierre Levet, Louise Marie-L’Homme, Maria-Grazia Masetti-Rouault, Hugo Naccaro, Hélène Nutkowitz Jérôme Pace, Dennis Pardee, Raphaël Nicolle, Fred Woudhuizen. Nous remercions aussi le Musée des civilisations anatoliennes d’Ankara de nous avoir donné l’autorisation de reproduire les illustrations figurant dans cet ouvrage.

– Partie I – A la recherche des néo-hittites Jacques FREU

SOMMAIRE Jacques FREU A la recherche des néo-hittites

Pages

Introduction Chapitre I Les Débuts de l’Age du Fer 1) La coupe d’argent d’Ankara et la possible survie du royaume hittite (Tutḫaliya V ?) 2) La possible survie du royaume de Tarḫuntašša : les Grands Rois Mursili et Hartapu 3) Les inscriptions hiéroglyphiques de Mursili et de Hartapu a) Les inscriptions b) Chronologie et interprétations c) La stèle d’Elbistan d) La dynastie des rois de Tarḫuntašša (?)

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Chapitre II Les temps obscurs (XIIe-Xe siècles av. J.C). 1) Malatya (Melid) et Karkemiš (?) 2) Les Hittites et Tiglatphalasar I (1114-1076 av. J.C.) 3) Tell Ta’yinat, Alep et les Philistins au pays d’Amuq 4) L’extension du monde néo-hittite

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Chapitre III Les royaumes hittites avant l’entrée en scène des Assyriens 1) Karkemiš : des Grands Rois aux « Country Lords » a) Les Grands Rois b) La maison de Suhi 2) Melid 3) Gurgum (Marqasi/Maraş) 4) Les autres royaumes a) Le pays d’Unqi (Patin) b) Til Barsip/Masuwari (Tell Ahmar)

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Chapitre IV La reprise des incursions assyriennes (883-824 av. J.C.) 83 1) Aššurnaṣirpal II (883-859 av. J.C.) et les pays hittites 83 2) Salmanasar III (858-824 av. J.C.) et les pays hittites 85 3) Les pays hittites au IXe siècle avant notre ère 91 a) Karkemiš 91 b) Le pays de Kummuḫ 92 c) Le royaume de Gurgum 92 d) Le pays de Tabal et Ḫubušna 93 e) La Cilicie (Ḫilakku et Quē) 94 f) Le pays de Patin (Unqi) 95 g) Hamath 97 h) Le cas du pays de Sam’al et des rois Kilamuwa 100 Chapitre V L’interlude assyrien (823-745 av. J.C.) 1) Les successeurs de Salmanasar III et les Hittites a) Šamši-Adad I (823-811 av. J.C.) b) Adadnirari III (810-783 av. J.C. c) Salmanasar IV (782-773 av. J.C.), Aššurdan III (772-755), Aššurnirari V (754-745) d) Les interventions des rois d’Urartu en pays hittite 2) Les pays hittites à la fin du IXe siècle et dans la première partie du VIIIe siècle avant notre ère a) Karkemiš b) Les royaumes de Tabal, Melid et Kummuḫ c) Gurgum et les autres pays hittites Chapitre VI Tiglatphalasar III et les Hittites 1) Les campagnes de Tiglatphalasar III en pays hittite 2) Les pays hittites à l’époque de Tiglatphalasar III a) Les Grands Rois et les petits rois de Tabal b)Tyana (Tuḫana/Tuwana), Naḫita, Ḫubišna et Ištunda c) Melid, Gurgum, Kummuḫ et Karkemiš d) La Cilicie ( Ḫilakku et Quē) 12

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Chapitre VII Les pays hittites de Sargon II à Nabonide 1) Salmanasar V (726-722 av. J.C.) 2) Sargon II et la politique de conquête (721-705 av. J.C.) 3) Sennacherib (704-681) et Esarhaddon (680-669) 4) Aššurbanipal (668-627 av. J.C.) 5) Les Hittites et l’empire néo-babylonien Chapitre VIII Les derniers dynastes et la fin des inscriptions hiéroglyphiques (fin du VIIIe-VIIe siècle av. J.C. 1) Le pays de Tabal a) Les Grands Rois b) Un royaume vassal, Atunna/Tunna c) Autres inscriptions tardives de Kululu et du Tabal d) Les lames de plomb inscrites de Kululu (et d’Aššur) 2) Les autres royaumes et les inscriptions de Çineköy et de Karatepe a) Tyane et le fils de Wasusarma b) La Cilicie et l’inscription bilingue de Çineköy c) L’inscription bilingue de Karatepe Chapitre IX Pouvoir et société dans les royaumes néo-hittites 1) Grands Rois et tarwanis a) Les Grands Rois b) Les rois et les titres du REX c) Les reines d) Le tarwani (IUDEX) e) Les fonctions royales 2) Les dignitaires a) Les scribes b) Les prêtres c) Les cadres militaires 13

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d) Les autres dignitaires e) Les eunuques

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3) Population et économie

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Conclusion

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INTRODUCTION La fin, dramatique, de l’âge du Bronze Récent a été marquée par des bouleversements et des destructions qui ont affecté aussi bien la péninsule balkanique et le monde gréco-mycénien que l’Anatolie et divers pays du Proche-Orient. Une longue période de déclin a succédé à une époque brillante caractérisée par le développement de centres urbains dont les palais, les temples et les bâtiments administratifs abritaient une population de scribes capables de maîtriser les écritures mises au point depuis des siècles ou des millénaires, cunéiformes, hiéroglyphes (égyptiens et hittites) ou signes linéaires helladiques1. Des Balkans à la Syrie-Palestine des centaines de cités ont été pillées, ravagées par des incendies et détruites sans qu’il soit possible dans la plupart des cas de désigner de façon certaine les responsables de ces désastres. Les palais de l’Hellade mycénienne aussi bien que les temples et les palais de l’Anatolie hittite et de la Syrie ont disparu dans les flammes et, avec eux, l’usage de l’écriture dans les vieilles capitales et les centres provinciaux de ces régions. Seuls l’Egypte, l’Assyrie, la Babylonie et l’Elam, qui ont connu néanmoins un sensible déclin, ont échappé à la ruine qui a frappé les pays voisins. L’effondrement, vers 1185/1180 avant notre ère, du grand royaume de ঩atti qui avait dominé l’Anatolie et la Syrie du nord à l’âge du Bronze Récent est l’exemple le plus remarquable des événements qui ont bouleversé le monde oriental à cette époque. Il a été dû à des causes multiples et ne peut s’expliquer uniquement par l’attaque d’ennemis que les scribes du grand pharaon Ramsès III et de son fils ont caractérisés comme des « Peuples de la Mer », venus des confins du monde habité, dans les inscriptions et les bas-reliefs gravés sur les murs du temple de Medinet Habu ainsi que dans 1

Cf. en général W.A.Ward, M.Sharp Joukowsky (éds), The Crisis Years : the 12th Century B.C. From the Danube to the Tigris, Dubuque (Iowa), 1992.

le texte du Papyrus Harris. Les recherches archéologiques les plus récentes ont montré que la capitale des rois hittites, ঩attuša, avait été, semble-t-il, évacuée en bon ordre, selon un plan établi, et que son probable dernier souverain, le Grand Roi Šuppiluliyama (II) avait, à l’imitation de l’un de ses prédécesseurs, Muwatalli II, cherché à s’installer dans une localité mieux située, plus facile à défendre et à ravitailler, vers l’est ou le sud-est probablement de la péninsule anatolienne2. Il est certain que ce repli, à supposer qu’il ait bien eu lieu dans de bonnes conditions, n’a pas assuré la survie du royaume hittite. L’idée qu’un supposé fils de Šuppiluliyama (II), un dénommé *Tutপaliya V, ait prolongé la dynastie impériale après l’évacuation de ঩attuša et ait tenu sa cour pendant quelques années dans un centre provincial épargné par la tourmente n’est pas impossible et est même probable mais n’a pour appui qu’un seul document dont la compréhension reste incertaine3. Il est difficile de savoir quel dernier refuge aurait abrité le Grand Roi, sa cour et son administration si, du moins, ils avaient eu la possibilité de s’y installer et n’avaient pas succombé, au cours de leur repli, à des ennemis, les Gasgas des montagnes pontiques, les Muški ou d’autres « barbares », avant d’avoir pu rétablir un centre de pouvoir dans une province plus abritée, ou supposée telle, de l’Anatolie orientale. La destruction à la même époque de la grande majorité, sinon de la totalité, des sites archéologiques dispersés à travers toute l’Asie mineure qui avaient été des centres actifs au cours 2

3

J.Seeher, « Die Zerstorung der Stadt ঩attuša », IV IKH, StBoT 45, 2001, 623-634 ; « After the Empire : Observations on the Early Iron Age in Central Anatolia », in I.Singer (éd.), Luwian and Hittite Studies, Fs. J. David Hawkins, Tel Aviv 2010, 220-229 ; A.Bemporad, « Considerazioni sulla Fine dell’Impero Ittita », Kaskal 3, 2006, 69-80 ; S.de Martino, « Anatolia after the Collapse of the Hittite Empire », in E.Borgna, P.Cassola Guida (éds), From the Aegean to the Adriatic : Social Organisations. Modes of Exchange and Interaction in Postpalatial Times (12th-11th B.C.), Roma 2009, 21-28. J.Freu in J.Freu/ M.Mazoyer, Le Déclin et la Chute du Nouvel Empire Hittite (Hh4), Paris 2010, 215-270. Z.Simon, « Die ANKARA-Silberschale und das Ende des hethitischen Reiches », ZA 99, 2009, 247-269.

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de l’âge du Bronze Récent, de Troie à Tarse et à Mersin, en passant par Kaman-Kalehöyük, Maúat Höyük (Tapikka), Ortaköy (Šapinuwa), Alaca Höyük (Arinna ?), Aliúar Höyük (Ankuwa), Porsuk, Malatya et d’autres cités de la région de l’Euphrate (Pirot, Korucutepe, Norúuntepe, Tepecik, Lidar Höyük, etc.), montre l’ampleur du désastre qui a frappé le pays hittite et les pays voisins. La Syrie n’a pas été épargnée et deux royaumes vassaux du Grand Roi de ঩atti, Ugarit et l’Amurru, ont été, à côté d’autres, rayés de la carte alors que des destructions, plus ou moins sévères, affectaient les ports de la côte syro-phénicienne et le pays de Canaan qui étaient des dépendances de l’Egypte4. Malgré les doutes émis sur le rôle des mouvements migratoires dans les phénomènes observés5 il est certain que leur action n’a pas été négligeable à côté des disettes et de l’affaiblissement probable, bien que mal documenté, des structures administratives et sociales des royaumes orientaux à cette époque. Le texte le plus probant à cet égard est la mention, par le roi d’Assyrie, Tiglatphalasar I (1115-1076 av. J.C.), de l’arrivée, une cinquantaine d’années avant lui, donc vers 1165 av. J.C., de guerriers Gasgas, Muški, Urumu et « Hittites insoumis » qui avaient franchi le Taurus et l’Euphrate et s’étaient installés dans 4

5

K.Bittel, « Die Archäologische Situation in Kleinasien um 1200 vor Chr. und während der nachfolgen vier Jahrhundert » in S.Deger-Jalkotzy (éd.), Griechenland, die Ägäis und die Levante während der « Dark Ages von 12 bis 9 Jh.v.Chr. », ÖAW 418, Wien 1983, 25-47 ; J.Yakar, « Dating the Sequence of the Final Destruction/Abandonment of LBA Settlements : Towards a Better Understanding of Events that led to the Collapse of the Hittite Kingdom », Byzas 4, 2006, 33-51 ; S.de Martino, « Anatolia after the Collapse of the Hittite Empire », op.cit. (n.2), 2009, 21-28; T.Dothan, M.Dothan, « Invaders of the Sea » in Peoples of the Sea. The Search for the Philistines, New York 1992, 13-28 ; S.Gitin, A.Mazar, E.Stern (éds), Mediterranean Peoples in Transition. Thirteen to Tenth Centuries BCE. Fs Trude Dothan, Jerusalem, 1998; J.Seeher, op.cit. note 2. R.Drews, The End of the Bronze Age. Changes in Warfare and the Catastrophe ca. 1200 B.C., Princeton 1993.

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le pays de Subaru. Lui-même avait combattu 20000 Muški et leurs cinq rois qui tenaient les pays d’Alzi (=Alše) et de Purulumzu et avaient occupé le pays de Katmuপu, sur le haut Tigre. Il avait affronté dans la même région 4000 Gasgas et Urumu ainsi que de « Hittites insoumis »6. Il y a peu de doute que ces notations précises prouvent bien que les Gasgas des montagnes pontiques et les Muški, qui leur étaient sans doute apparentés (et n’ont rien à voir avec les Phrygiens à cette haute époque), avaient migré vers le sud-est dans la première moitié du XIIe siècle av. J.C. Ils étaient passés à travers le pays de ঩atti et étaient sûrement responsables d’une bonne partie des destructions observées à Bo÷azköy (঩attuša, la capitale hittite) et ailleurs dans le centre, l’est et le sud-est de l’Asie mineure. Au nord-ouest de l’Anatolie des populations d’origine européenne ont commencé à cette époque leur pénétration dans la péninsule au témoignage des poteries grossières, faites à la main (Knobbed ware, etc.) retrouvées à Troie VIIb et à Gordion7. Il s’agissait certainement d’avant-gardes des tribus phrygiennes (des Bryges) qui s’étendront peu à peu vers le centre de la péninsule, occuperont Bo÷azköy au début du VIIIe siècle av.J.C. et fonderont un puissant royaume que les Assyriens désigneront comme celui des Muški, preuve qu’une jonction s’était opérée, tardivement, entre ces derniers et les Phrygiens proprement dits. D’autres déplacements de populations ont eu certainement lieu. Des Lukka (Lyciens) ont sans doute poussé à cette époque vers l’est et « colonisé » la Lycaonie classique. A Bo÷azköy (঩attuša) toute vie n’a pas disparu. Des « squatters » se sont installés dans les ruines des temples et des palais, dont certains ont été incendiés. Les fouilles menées au 6

K.A.Grayson, The Royal Inscriptions of Mesopotamia/ Assyrian Periods, vol.2, Assyrian Rulers of the Early First Millenium BC (RIMA) II/1, A.O.87.II 62-88; II 89-III 6; cf. E.von Schuler, «Die Kaškäer und das Assyrerreich», in Die Kaškäer, Berlin 1965, 66-70. 7 K.Strobel, « Neues zur Geographie und Geschichte des alten Anatolien. Eine Einführung mit einem Beitrag zur hethitische Geographie des westlichen Anatolien », Eothen 16, 2008, 9-61, pp.10-11.

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Büyükkaya, au nord-est du site, ont révélé l’existence de trois strates archéologiques correspondant aux périodes ancienne et moyenne de l’âge du Fer, entre le XIIe et le Xe siècle avant notre ère. Les céramiques retrouvées là ont été pour les deux tiers faites à la main, pour un tiers façonnées au tour. Elles ont des formes simples proches de celles des vases pré-hittites ou proto-hittites du Bronze ancien et du Bronze moyen de l’Anatolie centrale. La grande homogénéité de la production dans tout le domaine hittite à l’âge du Bronze Récent a fait place à une fragmentation généralisée. Les vases retrouvés au Büyükkaya sont proches de ceux sortis de terre dans une zone limitée à la boucle du Kızılırmak (le Maraššantiya hittite) et s’étendant vers le nord-est jusqu’à Amasya et Samsun8. Ils sont la preuve de la survie d’un groupe qui mêlait probablement des éléments paupérisés de l’ancienne population hittite et de nouveaux venus, Gasgas avant tout et autres. Des phénomènes comparables ont été observés sur la haute vallée de l’Euphrate, à Norúuntepe comme à Tille Höyük9. Sur la côte méditerranéenne le site de Kinet Höyük, dans le Hatay, est passé d’une économie tournée vers la mer à des travaux purement agricoles, comme si la pêche et les autres activités maritimes avaient été interdites par un ennemi quelconque. Il semble difficile dans ce cas ne pas incriminer l’action des Peuples de la Mer qui étaient de redoutables pirates10. Une évolution comparable a marqué l’ensemble des 8

H.Genz, « Die Eisenzeit in Zentralanatolien im Lichte der keramischen Funde von Büyükkaya in Bo÷azköy/঩attuša », Tuba-Ar 3, 2000, 35-54 ; Büyükkaya. I. Die Keramik der Eisenzeit, Mainz 2004 ; St. de Martino, op.cit. (n.2), 2009, pp.22-24 ; J.Seeher, « After the Empire ...», Fs J.D.Hawkins, 2010, 220-229. 9 K.Bartl, « Some Remarks on Early Iron Age in Eastern Anatolia », Anatolica 21, 1995, 205-211, carte p.212 ; G.D.Summers, Tille Höyük 4, The Late Bronze and the Iron Age Transition, Br.Inst.Arch.Ankara, Monographs No 15, 1993. 10 M.H.Gates, « Dating the Hittite Levels at Kinet Höyük : A Revised Chronology », Byzas 4, 2006, 293-309 ; S.Ikram, « A Preliminary Study of Zooarcheological Changes between the Bronze and Iron Ages at Kinet Höyük, Hatay », in B.Fisher, H.Genz, E.Jean, K.Köro÷lu (éds), Identifying

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sites de la Cilicie dans lesquels les trouvailles de céramiques de l’Helladique Récent IIIC1 se sont multipliées11. Il est certain qu’avant même que soient parachevés les derniers épisodes de l’histoire du royaume hittite un certain affaiblissement du pouvoir central avait favorisé, après l’usurpation de ঩attušili III (c.1265 av. J.C.), l’ambition des représentants des deux branches de la famille impériale installées à Tarপuntašša et à Karkemiš, en principe vassaux du Grand Roi de ঩atti mais qui n’avaient pas hésité à prétendre eux-mêmes au titre suprême. Il est cependant assuré, malgré les conclusions qu’on a voulu tirer du texte du Südburg, que des relations pacifiques ont perduré jusqu’au bout entre les trois grands centres du pouvoir hittite au témoignage des textes d’Ugarit, d’Emar et de ঩attuša. La survie, probable dans le cas de Tarপuntašša, dont le site reste à découvrir, et quasiment certaine dans celui de Karkemiš, de lignées royales ayant des liens avec l’ancienne dynastie montre que l’histoire du royaume hittite, si elle a subi un coup d’arrêt brutal dans la seconde décennie du XIIe siècle avant notre ère, n’a pas été complètement brisée et qu’une transition a existé entre le grand empire de l’âge du Bronze et les royaumes dits « néo-hittites » ou « néo-louvites » présents au sud-est de l’Asie mineure et en Syrie du nord au cours de l’âge du Fer. Ces royaumes, Tabal, Tuwana, Melid, Karkemiš, Gurgum, QuƝ, ঩ilakku, Patin, Hamath, etc., émiettés mais formant une chaîne continue de la Cappadoce méridionale à la Syrie du nord nous sont connus par deux sources principales : 1) les inscriptions hiéroglyphiques en langue (néo)-louvite, des rois ou des dignitaires de ces états12.

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Changes : The Transition from Bronze to Iron Ages in Anatolia and its Neighbouring Regions, Istanbul 2003, 283-293. E.Jean, « From Bronze Age to Iron Age in Cilicia : The Pottery and its Stratigraphic Context », in Identifying Changes, 2003, 79-93. P.Meriggi, Manuale di Eteo Geroglifico (MEG) Roma 1966/1967/ 1975 ; A.M. Jasink, Gli Stati Neo-Ittiti Analisi delle fonte scritte e sintesi storica, StMed 10, 1995 ; J.D.Hawkins, Corpus of Hieroglyphic Luwian Inscriptions, I/2 Inscriptions of the Iron Age/ Assyrian Periods (toujours abrégé CHLI), Berlin/New York, 2000 ; F.C.Woudhuizen, Selected

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2) les annales des rois assyriens contemporains qui ont entretenu des rapports, souvent hostiles, avec eux. Les rois d’Aššur ont fini par soumettre et annexer l’ensemble du domaine néo-hittite, ce qui a entraîné la disparition de l’écriture hiéroglyphique et des structures étatiques qu’avaient instaurées les maîtres de ces petits royaumes. Sur l’Euphrate et en Syrie les « Hittites », comme les nomment les scribes assyriens et la Bible, ont été rapidement confrontés à la poussée de populations araméennes, de langue sémitique occidentale, qui ont utilisé l’alphabet phénicien pour transcrire leur idiome. On sait que la langue araméenne, devenue « langue officielle » de la partie occidentale de l’empire perse, se répandra largement et finira par éteindre l’usage des dialectes néo-louvites et, dans une large mesure, de l’hébreu13. Avant la fin du grand royaume hittite l’afflux de populations louvites avait répandu l’usage de leur langue indo-européenne, parente du nésite (hittite proprement dit), dans les régions centrales du ঩atti14. Après la disparition de l’empire hittite l’usage du nésite qui était le fait de l’administration et n’était sans doute plus parlé que par un cercle restreint de dignitaires et de citadins, a disparu alors que le louvite trouvait son moyen d’expression habituel dans les hiéroglyphes « hittites » dont les dernières grandes inscriptions impériales (Yalburt, Emirgazi, Südburg, etc.) montrent qu’ils étaient dès lors susceptibles de traduire de longs discours et n’étaient plus restreints, comme ils l’avaient été longtemps, à la gravure des sceaux ou à la

Luwian Hieroglyphic Texts (SLHT) 1-2, Insbr.Beitr.z.Kultur, 120/124, Innsbruck 2004/2005. 13 A.Dupont-Sommer, Les Araméens, Paris 1949. 14 I.Yakubovich, Sociolinguistics of the Luvian Language, Chicago, 2008; « Hittite-Luvian Bilingualism and the Development of Anato-lian Hieroglyphs », Acta Linguistica Petropolitana. Colloquia Classica et Indogermanica IV, Saint-Petersburg, 2008, 9-36.

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transcription de noms propres et de titres sur les bas-reliefs ou les inscriptions rupestres15. Il est cependant étonnant que l’usage des cunéiformes semble avoir totalement disparu en pays hittite à l’âge du Fer alors que de nombreux textes louvites avaient été transcrits dans cette écriture à l’époque impériale. Il semble difficile de conclure à une disparition totale de celle-ci dans le domaine néo-hittite tant que de nouvelles fouilles n’auront pas été lancées, à Karkemiš en particulier, d’autant plus que son usage est resté exclusif ou très prédominant pendant des siècles en Mésopotamie, aussi bien en Assyrie qu’en Babylonie. L’histoire des états « néo-hittites » a connu plusieurs phases qu’on peut résumer ainsi : 1) une période de formation, peu documentée, a été le prolongement de l’époque antérieure. Elle a été surtout marquée par la probable survie du royaume de Tarপuntašša et aussi par celle de la branche cadette de la famille des Grands Rois qui régnait à Karkemiš depuis le dernier quart du XIVe siècle av. J.C. 2) un « âge obscur », lui aussi peu documenté, de la fin du XIIe au milieu du Xe siècle avant notre ère. Une seule incursion assyrienne est signalée au cours de cette période. 3) l’âge d’or des royaumes néo-hittites qui a laissé un bon nombre de bas-reliefs, de statues monumentales (dont ne subsistent en général que des fragments) et d’inscriptions hiéroglyphiques. Il a été celui des contacts réguliers, souvent hostiles, avec les Assyriens et, secondairement, avec les rois d’Urartu, d’Israel et de Phrygie (IXe-VIIIe siècles av. J.C.) 4) la période finale et la conquête assyrienne, de la seconde moitié du VIIIe siècle à la fin du VIIe siècle av. J.C. qui a vu la disparition des états « hittites » sous les coups des rois d’Aššur alors que les Araméens étaient devenus le groupe dominant dans la plupart des principautés néo-hittites. La chute de Karkemiš, qui restait le grand centre de ce monde politique et 15

J.Freu, « Les Hittites : Un Peuple à Deux Ecritures », in R.Viers (éd.), Langues et Ecritures de la Méditerranée, Paris/Nice 2006, 105-158, pp.134-136.

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culturel, en 717 av. J.C., a été le début de la fin pour l’ensemble des petits états qui s’étaient constitués dans la région16. Les populations parlant des dialectes louvites de l’Anatolie occidentale, les Lyciens (du pays de Lukka à l’âge du Bronze) en particulier, ont adopté l’alphabet gréco-phrygien. Il en a été de même pour les Cariens et, surtout, les Lydiens dont la langue était aussi proche du nésite (hittite) que du louvite. Tous ces peuples ont, jusqu’à la conquête perse et après, tourné leurs regards vers le monde égéen et la Grèce. Ils ont développé des civilisations très différentes de celle des louvites orientaux, les seuls qui avaient gardé des liens étroits, de la Cappadoce méridionale à la Syrie du nord, avec le monde hittite de l’âge du Bronze, qui faisaient usage de l’écriture hiéroglyphique mise au point à cette haute époque et dont plusieurs inscriptions impériales prouvent que son usage était devenu courant pour écrire des textes ayant des thèmes divers, guerriers et religieux en particulier, et de longueur notable. La difficulté est de comprendre comment s’est faite la transmission de ces techniques scripturaires délicates au cours des âges obscurs de cette histoire au début de l’âge du Fer.

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Cf. pour l’ensemble J.D.Hawkins, « The Neo-Hittite States in Syria and Anatolia », CAH III/1, 1982, ch.9, 372-441 ; A.M.Jasink, Gli Stati NeoIttiti, StMed 10, 1995 ; F.Giusfredi, Sources for a Socio-Economic History of the Neo-Hittite States, TdH 28, 2010.

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CHAPITRE I LES DEBUTS DE L’AGE DU FER 1) La coupe d’argent d’Ankara et la possible survie de la dynastie impériale (Tutপaliya V ?) Un bol d’argent conservé au Musée des Civilisations Anatoliennes d’Ankara a été gravé de deux inscriptions hiéroglyphiques qui ont été publiées par J.D.Hawkins1. Le texte, révisé, de la première se présente ainsi : §1 zi/a-wa/i-ti CAELUM-pi *a-sa-ma-i(a) REGIO.HATTI VIR2 *273 i(a)-sa5-zi/a-tá REX ma-zi/a-kar-hu-ha REX PRAE-na §2 tara/i-zi/a-wa/i (REGIO) REL+ra/i MONS [tu] LABARNA+la hu-la-i(a)-tá §3 *a-wa/i-na *A-pa-ti-i(a) ANNUS- (a)-zi/a-tá Cette coupe Asamaya, le Hittite, l’a offerte au roi Mazi/a-Karhuha quand [Tuthaliya], le labarna, a vaincu le pays de Tara/i-wa/i-zi/a. En cette année il l’a faite.

La lecture et la signification de ce texte ont été très discutées. Sa date et l’identification du pays conquis par le Grand Roi ne sont pas évidentes et des solutions diverses ont été proposées pour résoudre le problème. Il faut d’abord remarquer que le nom du labarna (le Grand Roi hittite) en question est cassé. Seul subsiste l’idéogramme désignant un 1

J.D.Hawkins, «A Hieroglyphic Luwian Inscription on a Silver Bowl in the Museum of Anatolian Civilizations, Ankara », Anadolu Medeni-yetleri Müzesi 1996, Ankara 1997, 7-24 ; « A Hieroglyphic Luwian Inscription on a Silver Bowl », Studia Troica 15, 2005, 193-204 ; F.C.Woudhuizen, SLHT 1, 2004, 21 ; LHMI, 2004, 121-124.

relief montagneux ou un pic qui était utilisé pour caractériser les noms de ces entités géographiques et aussi ceux des personnes, rois en général, qui avaient repris ces oronymes divinisés comme noms personnels. Plusieurs Grands Rois hittites ont été dans ce cas, les trois Arnuwanda et les quatre Tutপaliya. Mais la restauration « MONS [tu(thaliya)] » est ici quasiment certaine2. La seconde inscription (Ankara 2), au revers du bol, portait la signature (mutilée) du scribe de second rang qui l’avait rédigée. Pour J.D.Hawkins il fallait rapprocher le texte inscrit sur le bol d’argent des événements guerriers rapportés par les annales du roi Tutপaliya I/II (en fait Tutপaliya II, CTH 142) et de la conquête du pays d’Aššuwa dont le dernier objectif avait été la cité de Taruiša, identifiée par lui à la Troie homérique. Les caractéristiques de l’inscription du bol d’Ankara présentaient pourtant des traits d’écriture et de « style » qui en faisaient un bel exemple des inscriptions de la fin de l’empire ayant un grand nombre de termes louvites écrits phonétiquement3. Il est donc certain que la date qui lui était attribuée par J.D.Hawkins doit être révisée. Le nom de Maza-Karhuha était celui d’un vassal vraisemblablement syrien. Karhuha était en effet une divinité de premier rang à Karkemiš mais aucun des descendants de Šuppiluliuma ayant régné sur cette cité n’a porté ce nom. Dans l’article consacré au bilinguisme hittito-louvite et au développement des hiéroglyphes anatoliens Ilya Yakubovich a rejeté l’idée que l’inscription puisse être attribuée à un souverain régnant au XVe siècle ou au début du XIVe siècle avant notre ère qu’il désigne comme Tutপaliya I (en fait Tutপaliya II, le conquérant de Taruiša). Pour lui l’inscription est récente et est implicitement attribuée à Tutপaliya IV bien que la

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J.Freu, « Les montagnes dans l’historiographie et la géographie hittites », RANT 3, 2006, 219-243, pp.239-242 (Les Rois-Montagnes). I.Yakubovich, op.cit. n.14, 2008, 14-16; C.Mora, « Three Metal Bowls », VITA. Fs. Belkis/Ali Dinçol, Istanbul 2007, 515-520.

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conquête du pays de Wiluša et de Taruiša/Tarwiza soit laissée à Tutপaliya I/II4. Un article récent de Zsolt Simon a repris la question et fait revivre l’hypothèse, qui avait déjà été avancée, de l’existence d’un nouveau et dernier Grand Roi, un *Tutপaliya V, ayant occupé le trône après l’évacuation de ঩attuša par son probable père, le Grand Roi Šuppiluliyama (II) ou par lui-même. La coupe d’argent, dont la provenance est inconnue, serait un témoin de la persistance d’une autorité royale installée probablement dans une nouvelle résidence d’une province orientale de l’Anatolie5. Pour cet auteur le nom de lieu Tarwiza ne peut être identifié, comme le supposait Hawkins, à celui de Taruiša, la cité conquise par Tutপaliya II dans l’Ouest lointain. Tarwiza serait plutôt à rechercher dans la partie orientale de l’Asie mineure6. C.Mora a rapproché les deux noms de Mazi-Karhuha et d’Asamaya des patronymes, Aš-mi-ya et Mazi-dU, présents à Emar et celui de Tarwiza du nom des mystérieux« TAR-WI ou TAR-PI » signalés comme des bandes de pillards et de redoutables ennemis dans les textes d’Emar7. La taille imposante du vase permet de penser qu’il s’agissait bien d’un présent fait à un roi vassal. Un dernier article publié en 2010 concernant ce document énigmatique rend plus difficile le choix d’une solution. Selon S.P.B.Durnford le texte gravé, de date postimpériale, témoignerait de la réminiscence d’événements anciens, la conquête des pays d’Aššuwa et de Troie par Tutপaliya II. Le bol serait un objet précieux conservé comme une relique, ce qui est peu vraisemblable. La traduction proposée du texte est la suivante : This bowl A-sa-ma-i(a), man of Hatti/Hattusa, forged? during the reign of? Ma-zi/a-Karhuha. 4

I.Yakubovich, Acta Linguistica Petropolitana IV/1, 2008, 14-16. Z.Simon, « Die ANKARA-Silberschale und das Ende des hethitischen Reiches », ZA 99, 2009, 247-269. 6 Z.Simon, ibid., 250-251. 7 C.Mora, VITA, Fs Dinçol, 2007, 518-519. 5

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The land of Tara/i-wa/i-zi/a when Tudhaliya labarna smote, it in that year he made

ce qui est moins acceptable que la version proposée par Z.Simon et suppose que les faits et gestes d’un ancien Grand Roi aient été commémorés après des siècles d’oubli !8. On peut conclure sur deux points : 1) L’inscription est récente et ne peut appartenir au Grand Roi Tutপaliya II (c.1420-1390 av. J.C.). Si la lecture est assurée seules deux solutions sont possibles : soit le vase d’argent a été offert, par l’intermédiaire du dénommé Asamaya « le hittite », au vassal Masa-Karhuha, de la part de Tutপaliya IV, ce qui est l’une des options envisagées par C.Mora, soit il a été offert au même prince par le fils supposé du roi Šuppiluliyama (II), un Grand Roi Tutপaliya V, installé ailleurs qu’à ঩attuša. 2) Une attribution à un roi Tutপaliya V est donc acceptable mais le texte de Ramsès III qui signale la disparition du royaume hittite montre que la survie de ce dernier n’a pas été longue après l’abandon de la vieille capitale, ঩attuša. Si on admet que l’inscription du pharaon date les événements catastrophiques qui ont amené la disparition de la puissance hittite de 1180 avant J.C. environ il faut laisser un certain laps de temps à la survie (hypothétique) du pouvoir impérial du Grand Roi de ঩atti dans une capitale autre que ঩attuša. De toute façon la durée du très probable règne de Tutপaliya V a dû être brève. 2) La possible survie du royaume de Tarপuntašša : les Grands Rois Mursili et Hartapu Le Grand Roi Muwatalli II avait, vers 1280 av. J.C., quitté la vieille capitale du royaume, ঩attuša, pour venir s’installer plus

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S.P.B.Durnford, « How old was the Ankara Silver Bowl when its inscriptions were added ? », AnSt 60, 2010, 51-70 ;

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au sud, à Tarপuntašša, dont le site reste inconnu9. Son fils et successeur, Muršili III/Urপi-Tešub était rentré à ঩attuša mais avait été renversé après quelques années de règne par son oncle, ঩attušili III (c.1265 av. J.C.). Ce dernier avait, peu de temps après, installé à Tarপuntašša un autre fils de Muwatalli, sans doute jeune, Ulmi-Tešub/Kurunta10 qui avait conclu avec le Grand Roi divers accords puis un traité solennel11qu’il avait renouvelé avec le fils de ঩attušili, le Grand Roi Tutপaliya IV, peu après l’avènement de ce dernier (c.1240 av. J.C.). Dans le texte de cet accord, gravé sur une tablette de bronze et publié par H.Otten, le roi de ঩atti a repris, et parfois modifié au profit de son cousin, Kurunta, les frontières du « pays de Tarপuntašša et de la rivière ঩ulaya » que son père avait définies, tout en octroyant de nouveaux avantages à son vassal dont le rang, égal à celui du roi de Karkemiš, le plaçait immédiatement après le Grand Roi, son épouse et l’héritier du trône, le tu‫ې‬kanti12. On a supposé, par une interprétation forcée du texte hiéroglyphique du Südburg (à Bo÷azköy) dû à Šuppiluliyama (II), qu’un conflit avait éclaté entre ce dernier et un successeur de Kurunta13. Il est vrai que Kurunta s’est proclamé « Grand Roi, Héros » sur une inscription rupestre gravée à la frontière de son apanage, à Hatip, 18km au sud de Konya (Ikkuwaniya hittite). Mais les déductions tirées de l’inscription du Südburg14 9

J.Freu, « Des Grands Rois de Tar±untašša aux Grands Rois de Tabal », RANT 2, 2005, 399-418. 10 L’identité des deux personnages est quasiment certaine ; cf. H.G.Güterbock, JNES 24, 1965, n.12 p.27 ; O.R.Gurney, AnSt 23, 1993, 136ss ; G.F. del Monte, EVO 14/15, 1991/1992, 123-128, etc. 11 CTH 106 (traité ঩attušili-Ulmi-Tešub) ; cf. Th. van den Hout, StBoT 38, 1995, passim. 12 H.Otten, Die Bronzetafel aus Bo÷azköy : ein Staatsvertrag Tutপalijas IV, StBoT, Beiheft 1, Wiesbaden 1988. 13 J.D.Hawkins, The Hieroglyphic Inscription of the Sacred Pool Complex at ঩attuša (Südburg), StBoT, Beiheft 3, Wiesbaden 1995. 14 J.D.Hawkins, ibid. ; contra F.C.Woudhuizen, JIES 22, 1994, 53-79, pp.7274 et passim ; LHMI 2004, 76-90 ; M. Craig Melchert, « Tar±untašša in the Südburg Hieroglyphic Inscription » in A.Yener (éd.), Recent Developments

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se sont révélées douteuses et la riche documentation découverte à Ras Shamra (l’antique Ugarit) prouve sans conteste que les relations sont restées pacifiques entre les rois de ঩atti et de Tarপuntašša jusqu’à la fin de l’empire et la destruction d’Ugarit. Le royaume hittite déclinant a été dirigé par une triarchie mais le Grand Roi de ঩atti est resté le primus inter pares incontesté au côté et au-dessus des rois de Karkemiš et de Tarপuntašša. Le vassal qui régnait dans cette dernière cité, un descendant de Kurunta probablement, a peut-être été chassé de sa capitale par les bandes guerrières qui ont balayé le sud de l’Asie mineure et Chypre au début du XIIe siècle avant notre ère et dont les mouvements sont bien documentés par les textes d’Ugarit15. On peut supposer que les inscriptions hiéroglyphiques découvertes au Kızılda÷ et au Karada÷ ainsi qu’à Burunkaya, dans le vilayet d’Aksaray, qui ont été l’œuvre des Grands Rois Mursili et Hartapu, ont été gravées, après la chute de l’empire hittite, par les héritiers des rois de Tarপuntašša. L’étude des frontières tracées par ঩attušili III et Tutপaliya IV à l’intention de leur parent montre que les inscriptions du Kızılda÷ et du Karada÷ se trouvaient à l’intérieur de celles-ci, dans la partie orientale de l’apanage d’Ulmi-Tešub/Kurunta alors que celle de Burunkaya, située très au nord-est, était extérieure au pays de Tarপuntašša. Il faut admettre qu’il y a eu un déplacement vers l’est et le nord-est du domaine qui avait été attribué à ce dernier. Le fait est encore plus évident si on joint à ces textes celui de la stèle d’Elbistan. On peut admettre en conclusion que la survie de la dynastie des rois de Tarপuntašša est une hypothèse raisonnable, pas une certitude.

15

in Hittite Archaeology and History in Memory of H.G.Güterbock, Winona Lake 2002, 137-143. M.C.Astour, « New Evidence on the Last Days of Ugarit », AJA 69, 1965, 253-258 ; J.Freu in J.Freu/M.Mazoyer, Hh 4, 2010, 242-263.

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3) Les inscriptions hiéroglyphiques de Mursili et de Hartapu a) Les inscriptions Découvertes en 1905, les inscriptions hiéroglyphiques du Grand Roi Hartapu et de son père, le Grand Roi Mursili, étaient gravées sur les pentes rocheuses des monts Kızılda÷ (le mont rouge) et Karada÷ (le mont noir), deux pitons volcaniques situés à 25km au nord de Karaman16. Le relief du roi Hartapu, assis sur son trône et tenant le sceptre, avec, placés devant sa figure, les hiéroglyphes lui donnant son nom et son titre, est gravé au Kızılda÷ (Kızılda÷ 1). Le signe hiéroglyphique L 18 (MAGNUS.REX) est répété avant et après le nom de Ha+r-tá-pu-s, ce qui donne à l’ensemble l’aspect d’un véritable cartouche17. Kızılda÷ 2 souligne que Hartapu est aimé du dieu de l’Orage alors que Kızılda÷ 3 précise qu’il est le fils du Grand Roi Mursili (URBS+li) et qu’il a bâti « cette cité »18, sans doute celle dont les ruines ont été repérées à proximité mais sûrement pas Tarপuntašša comme le proposait S.Alp. Kızılda÷ 4 est, historiquement, le texte le plus important : Le Soleil (SOL2), Grand Roi, Hartapu, Héros, bien aimé du dieu de l’Orage (et) de tous les dieux qui lui furent favorables, a conquis le pays 16

S.Alp, « Eine neue hieroglyphenhethitische Inschrift der Gruppe Kızılda÷Karada÷ aus der Nahe von Aksaray und die früher publizierten Inschriften derselben Gruppe », in K.Bittel et al. (éds), Anatolian Studies, Fs H.G.Güterbock, Leiden/Istanbul 1974, 17-27, pl.I-X ; K.Bittel, « Hartapus and Kızılda÷ », in J.V.Canby et al. (éds), Ancient Anatolia. Aspects of Change and Cultural Development, Fs. M.J.Mellink, 1986, 103-111 ; J.D.Hawkins, CHLI, 433-442 ; F.C.Woudhuizen, « On the Dating of Luwian Great Kings », Talanta 24-25, 1992/1993, 167- 219, pp.204-210 ; LHMI, 2004, 158-166 ; A.M.Jasink, « Il ‘gran re’ Hartapus », StMed 10, 1995, 14-18. 17 K.Bittel, op.cit., 1986, fig.1 p.103 ; J.D.Hawkins, CHLI, 437. 18 CHLI, 438-440.

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de Masa pour toujours. Le Grand Roi, tawana, a conquis tous les pays par (la grâce) du dieu de l’Orage du ciel.

P.Meriggi avait cru lire le nom du « pays de Muški » au §2c de l’inscription, ce qui semblait une première mention, insolite à cette date, des Phrygiens ou impliquait une date basse pour l’ensemble des textes hiéroglyphique de la région19. La bonne lecture, fournie par M.Poetto, renvoie au pays de Maša bien connu des textes de l’époque impériale, ce qui est compatible avec une datation haute des inscriptions des deux Grands Rois20. Karada÷ 1 reprend les mêmes expressions sans préciser le nom du ou des pays conquis par le Grand Roi alors que Karada÷ 2 se contente de reproduire le nom de Hartapu, avec son titre répété deux fois et encadrant son patronyme, comme à Kızılda÷ 121. Enfin Hartapu a fait graver son nom à Burunkaya, à 130km au nord des deux sites précédents, dans le vilayet d’Aksaray, précisant là aussi qu’il était le fils de Mursili, Grand Roi, Héros, et qu’il avait frappé des pays dont les noms ont disparu si, du moins, la formule n’avait pas une valeur générale22. Le père de Hartapu, le Grand Roi Mursili, avait lui-même laissé son empreinte à Kızılda÷ 5 mais il ne reste de l’inscription que « URBS [+li] MAGNUS.REX HEROS... ». Elle est néanmoins très importante car elle démontre que ce Mursili a régné dans cette région et fait graver le texte en question dont ne subsiste que son nom mutilé et son titre23. 19

P.Meriggi, « Una prima attestazione epicorica dei Moschi in Phrygia », Athenaeum 42, 1964, 52-59 ; F.C.Woudhuizen, LHMI, 161-162. 20 M.Poetto, « Traces of Geography in Hieroglyphic Luwian Documents of the Late Empire Period (Bo÷azköy-Südburg and Kızılda÷ IV : The Case of MAŠA », III ICH, Ankara 1998, 469-479. 21 J.D.Hawkins, CHLI, 438 et 440. 22 S.Alp, « Eine neue hieroglyphenhethitische Inschrift », Anatolian Studies, Fs H.G.Güterbock, 1974, 17-27 ; CHLI 437-438 et 442. 23 J.D.Hawkins, CHLI, 438 et 440 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 18.

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b) Chronologie et interprétations Le caractère archaïque des inscriptions de Mursili et de son fils Hartapu les rapproche, par leur ductus, des textes hiéroglyphiques de la fin de l’époque impériale, en particulier de ceux de Yalburt et du Südburg. J.D.Hawkins et, en général, les spécialistes de l’épigraphie, ont donc admis que ces textes reflétaient la situation de la région à la fin de l’empire ou appartenaient à la période qui lui avait succédé, au XIIe ou au XIe siècle avant notre ère. Il était tentant, dans ces conditions, d’admettre que le père de Hartapu, Mursili, se confondait avec le Grand Roi Muršili III/Urপi-Tešub, le fils de Muwatalli II, renversé par son oncle, ঩attušili III, vers 1265 av. J.C. et qui avait fini par trouver refuge à la cour de Ramsès II24. On sait que l’inscription du Grand Roi Šuppiluliyama (II) au Südburg a été interprétée par son éditeur, J.D.Hawkins, comme le récit des conquêtes qu’il avait réalisées, en particulier de celle du pays de Tarপuntašša25. I.Singer préférait y voir une action menée contre les Peuples de la Mer qui avaient envahi la région26. Il semble certain que ce texte ne parle pas de la conquête du pays de Tarপuntašša par ce Grand Roi27. Tarপuntašša et son prince ont suivi le destin commun et ont été balayés par des ennemis à la même époque que ঩attuša et Ugarit, cité avec laquelle leurs marchands, en compagnie de ceux du roi hittite, ont continué à 24

Hypothèse (avec un ?) d’I.Singer, « Great Kings of Tar±untašša », SMEA 38, 1996, 63-71 ; « New Evidence on the End of the Hittite Empire », in D.Oren, The Sea Peoples and their World : A Reassessment, Philadelphia 2000, 21-33, pp.26-27 et 31, reprise par T.Bryce, « The secession of Tar±untašša », Fs Koúak, DBH 25, 2007, 119-129. 25 J.D.Hawkins, The Hieroglyphic Inscription of the Sacred Pool Complex at Hattusa (Südburg), StBoT Beiheft 3, 1995. 26 I.Singer, SMEA 38, 1996, 63-71. 27 Cf. H.Craig Melchert, « Tar±untašša in the SÜDBURG Hieroglyphic Inscription » in A.Yener et al., Papers in Memory of H.G.Güterbock, Winona Lake 2002, 137-143 ; F.C.Woudhuizen, « The Late Hittite Empire in the Light of Recently Discovered Luwian Hieroglyphic Texts », JIES 22, 1994, 60-74 ; LHMI, 2004, 77-90 ; J.Freu in J.Freu/ M.Mazoyer, Hh 4, 2010, 201-209.

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trafiquer jusqu’à la fin. On a cependant proposé parfois de voir en Hartapu, fils supposé de Muršili III (Urপi-Tešup), l’adversaire du Grand Roi, laissé dans l’anonymat au Südburg. L’extension de son apanage jusqu’à Burunkaya aurait provoqué la « contre-offensive » de son suzerain. Le titre de ‘VIR’ qu’A.M.Jasink lit sur les inscriptions du Kızılda÷-Karada÷ serait pour elle l’équivalent du titre de CAPUT.VIR présent au Südburg et aurait été utilisé dans cette dernière inscription pour désigner Hartapu et non son adversaire supposé, le Grand Roi Šuppiluliyama (II)28. Les critiques apportées à la traduction proposée de ce texte difficile permettent de rejeter ces interprétations29. Il est encore plus invraisemblable de supposer, comme le soutient D.Sürenhagen, dans un article récent, que Hartapu soit le fils de Muršili II ( mort vers 1295 ou 1290 av. J.C.) sous prétexte que l’on peut lire au Ramesseum le nom d’un dignitaire de Muwatalli tombé lors de la bataille de Qadeš (1274 av.J.C.), Qrb3tws3, qu’il considère comme l’équivalent de Hartapu !30. La présence du cartouche d’un Grand Roi Mursili, gravé selon toute apparence sur son ordre, au Kızılda÷, exclut en effet toute attribution de cette inscription au roi Muršili III/UrপiTešub qui a parcouru de nombreuses contrées avant de se réfugier en Egypte au témoignage de la correspondance égyptohittite. Tutপaliya IV a cherché à « indemniser » ses fils (en Syrie). Il s’agissait, dans le cas de l’exilé, des pérégrinations d’un homme traqué et il est impossible de supposer qu’il ait pu s’installer dans une province du ঩atti et y fonder une dynastie. Toute notre documentation et, en particulier, les textes découverts à Ugarit, prouvent sans conteste que le royaume hittite est resté jusqu’à la crise finale un état unissant un 28

A.M.Jasink, « Šuppiluliuma and Hartapu: Two ‘Great Kings’ in Conflict ? », StBoT 45, 2001, 235-240. 29 Cf. n.43. 30 D.Sürenhagen, « Hartapus – Ein Sohn Mursilis II ? », SMEA 50, 2008, 729737, Tabelle 1 p.737 ; contra J.Freu in J.Freu/M.Mazoyer, Hh 4, 2010, 207 ; Z.Simon, ZA 99, 2009, n.30 p.263.

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« domaine royal » et des pays vassaux rassemblés sous l’autorité d’un même suzerain. Deux messages très tardifs retrouvés à Ras Shamra (Ugarit) prouvent que Šuppiluliyama (II) gardait, peu avant la crise finale, le contrôle des routes terrestres et maritimes en direction de la Syrie et du pays de Lukka et n’avait pas à redouter l’opposition d’un rival installé vers le Kızılda÷ plutôt qu’à Tarপuntašša31. Mais le problème archéologique posé par les inscriptions de Mursili et de son fils Hartapu rend difficile toute solution quant à leur date et à leur signification. Le relief rupestre représentant le roi Hartapu tenant un sceptre de la main gauche et un large bol à la main droite montre en effet un personnage à d’allure « assyrianisante », à la coiffure et à la barbe soigneusement tressées, en robe longue et assis sur un trône élevé. Son aspect est proche de celui de princes comme Kilamuwa de Sam’al (IXe siècle av. J.C.), Warpalawa de Tuwana ou le dieu de ce dernier représenté sur le relief d’Ivriz32. Le bol qu’il tient à la main ressemble en tout point aux bols ourartéens datés des rois Menua et Sarduri II (de la fin du IXe siècle au milieu du VIIIe siècle av. J.C.). E.Akurgal en avait même conclu que la stèle et, peut-être, les inscriptions formaient un ensemble monumental néo-hittite à classer parmi les plus récents33. Il est donc impossible de suivre H.Gonnet et d’attribuer une date haute à la fois au bas relief et aux textes de Mursili et de Hartapusa (lecture qu’elle préconise) au Kızılda÷ et au Karada÷34. 31

RS 942530//RS 942523 ; cf. S.Lackenbacher, F.Malbran-Labat, « Ugarit et les Hittites dans les Archives de la Maison d’Urtenu », SMEA 47, 2005, 230-240 ; I.Singer, « Ships Bound for Lukka : A New Interpretation of the Companion Letters RS 94.2530 and RS 94.2523 », AoF 33, 2006, 242-262. 32 K.Bittel, Fs M.Mellink, 1986, 105-106. 33 E.Akurgal, Späthethitische Bildkunst, Ankara 1949, p.3, n.18 et p.13. 34 H.Gonnet, « Nouvelles données archéologiques relatives aux inscriptions hiéroglyphiques de Hartapusa au Kızılda÷ » in R.Doncel/ R.Lebrun (éds), Anatolie et Religion de l’Anatolie Ancienne, Homo Religiosus 6, Louvainla-Neuve, 1984, 119-125 ; contra K.Bittel, Fs M.Mellink, 1986, n.15 p.110 ; cf. F.C.Woudhuizen qui admet une date entre la fin du XIIème siècle et le Xème siècle av. J.C. pour les inscriptions et le bas-relief, Talanta 24/25, 1992/1993, 206-207.

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J.D.Hawkins a donc proposé, avec d’autres, de séparer, en ce qui concerne la chronologie, les inscriptions, de date contemporaine ou de peu postérieure à la phase finale du royaume hittite et le relief, œuvre tardive d’artistes néo-hittites influencés par l’art rupestre assyrien35. Pour concilier ces données on est contraint de supposer qu’un monarque néo-hittite tardif a ordonné la réalisation de la stèle et a fait graver les hiéroglyphes nommant le personnage représenté à l’imitation des exemplaires de son cartouche qu’il avait sous les yeux. On peut admettre que ce souverain ait voulu se rattacher à un personnage ancien qu’il considérait peut-être comme un ancêtre. S’agissait-il de l’un des rois de Tabal qui avait repris le titre de Grand Roi ?36 Le ductus des signes utilisés et la mention du pays de Maša dans l’une des inscriptions rendent très vraisemblable une datation haute des textes hiéroglyphiques (mais pas de la stèle) de Hartapu et de son père. Les données abondantes fournies par les tablettes mises au jour à Bo÷azköy et à Ras Shamra (Ugarit) permettent de réfuter l’idée que ces personnages puissent être des contemporains des derniers Grands Rois hittites. Le nom de Hartapu est étranger à l’onomastique impériale mais celui de son père, Mursili, encourage à voir dans ces deux Grands Rois les héritiers du premier roi de Tarপuntašša qui avait lui-même pris ce titre et qui était le petit-fils de Muršili II. Mais il faut considérer qu’ils ont sans doute été les instigateurs d’une brève renaissance ayant suivi la période de troubles et de migrations qui avait marqué la fin du grand empire. Hartapu (ou son père) a étendu sa domination vers le nord-est (Burunkaya) et a combattu les gens du Maša, preuve que des groupes venant de l’ouest ou du nord-ouest avaient émigré, sous la poussée de tribus originaires d’Europe très probablement, jusqu’au centre de l’Asie mineure. Une datation vers le milieu du XIIe siècle av. J.C. semble raisonnable en ce qui concerne ces deux souverains, héritiers probables des rois de Tarপuntašša. L’existence de 35

J.D.Hawkins, « Les Inscriptions of the Kızılda÷ and the Karada÷ in the Light of the Yalburt Inscription », Fs S.Alp, 1992, 259-275. 36 J.Freu, RANT 2, 2005, 404-406.

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l’inscription du Grand Roi Mursili au Kızılda÷ et de celle de Hartapu à Burunkaya empêche de faire de ce dernier un contemporain de Šuppiluliyama (II). Son règne est certainement postérieur à la fin du royaume hittite au début du XIIe siècle avant notre ère et, sans doute, à l’époque de grande confusion qui a suivi l’abandon de ঩attuša, qu’on admette ou non l’existence d’un Tutপaliya V. c) la stèle d’Elbistan Il faut examiner dans ce cadre le cas de l’inscription hiéroglyphique de Karahöyük-Elbistan située plus au nord-est et qu’on pourrait, a priori, rattacher au groupe récent des textes de la région de Malatya37. Un certain Armanani « seigneur des hommes du pithos » (selon l’interprétation de J.D.Hawkins ; « chef magasinier (?) » pour A.M.Jasink) a dédié une stèle au dieu de l’Orage du pays de POCULUM.PES-*67, sans doute la conque d’Elbistan, qui était vide et y a fondé des cités qu’Armanani a édifiées et peuplées. Trois localités sont mentionnées dont le roi a, semblet-il fait don à Armanani : Lukarma, Hant...piya et Zu(wa)maka. Armanani termine sa péroraison en faisant appel au dieu de l’Orage pour qu’il persécute quiconque ferait du tort à sa maison et à sa cité. La parenté des signes de la stèle d’Elbistan avec ceux des inscriptions de Yalburt et du Südburg aussi bien qu’avec ceux du Kızılda÷/Karada÷ a fait penser à E.Laroche et à J.D.Hawkins que l’inscription datait du XIIe siècle av. J.C. Il est donc possible de la rattacher à ce dernier groupe et de voir dans le 37

E.Laroche, « Notes sur l’inscription hiéroglyphique de KarahöyükElbistan », RHA XI/52, 1950, 47-56 ; E.Masson, « La stèle de KarahöyükElbistan : nouvel examen », Flor.Anat. Fs E.Laroche, 1979, 225-241 ; H.Nowicki, « Bemerkungen zur hier.-luw. Inschrift von KarahöyükElbistan », ZvS 95, 1981, 252-273 ; J.D.Hawkins, « The Historical Significance of the Karahöyük (Elbistan) Stele », Fs N.Ozguç 1993, 273279 ; J.D.Hawkins, CHLI, 288-295 ; A.M. Jasink « Il « gran re » Ir(i)Tešub », StMed 10, 1995, 18-20 ; F.C.Woudhuizen, LHMI, 2004, 144-157. SLHT 2, 2004, 33-36 (« Karahöyük »).

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Grand Roi qui y est nommé un successeur, plus ou moins proche, de Hartapu. Il est beaucoup moins probable qu’il s’agisse d’un souverain de Karkemiš. La lecture problématique de son nom (MAGNUS REX i(a)+ra/i-TONITRUS MAGNUS REX) encadré par le signe redoublé « Grand Roi » peut être interprétée en louvite (Yara-Tarপunda) ou en hourrite (Ir/AriTešub). Il semble impossible par ailleurs de confondre Armanani avec le personnage homonyme connu par le sceau d’Emar MSK 73.26638. d) La dynastie des rois de Tarপuntašša (?) : 1) Kurunta/Ulmi-Tešub, fils de Muwatalli II, intronisé (jeune) vers 1260 av. J.C. par ঩attušili III, disparu vers 1230/1220 (?) 2) L’auteur de la lettre RS 34.129, adressée à Ammurapi, roi d’Ugarit (vers 1200/1190 av. J.C.). ....................................................................................................... 3) Mursili, Grand Roi (Kızılda÷ 5), mentionné par Hartapu, son fils ( Kızılda÷ 4, Burunkaya) 4) Hartapu (Kızılda÷, Karada÷, Burunkaya) ....................................................................................................... 5) Y(a)ra-Tarপunda/Ir-Tešub (Karahöyük-Elbistan)39

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D.Beyer, Emar I. Les sceaux, OBO SA 20, 2001, sceau A104 ; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 41 et n.50. 39 J.Freu, RANT 2, 2005, 408.

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CHAPITRE II E LES TEMPS OBSCURS (XII -XE SIECLES AV. J.C.) Il est quasiment impossible d’écrire l’histoire des «Hittites » au cours des premiers siècles de l’âge du Fer. Aucun texte, inscription hiéroglyphique ou texte cunéiforme, n’a été découvert qui nous renseigne sur la fondation des nouveaux royaumes qui se sont reconstitués sur les ruines de l’ancien empire hittite depuis la rive méridionale du Maraššantiya hittite (le Kızılırmak) jusqu’à la Syrie du nord et la boucle de l’Euphrate en passant par les pays de Tabal, de ঩ilakku (Cilicie Trachée), de QuƝ (Cilicie plane), de Karkemiš, etc. Ceci dit en mettant à part le cas des Grands Rois bien connus par les inscriptions du Karada÷, du Kızılda÷, de Burunkaya et de Karahöyük-Elbistan qui étaient vraisemblablement les héritiers des rois de Tarপuntašša. Il faut attendre la reprise des campagnes des rois d’Aššur en direction de l’ouest pour qu’un peu de lumière vienne éclairer la situation des régions où se maintenait une population « hittite », c’est-à-dire des groupes de langue louvite dont quelques rois font alors leur entrée dans l’histoire. La lumière ne viendra vraiment qu’avec la renaissance de l’usage des inscriptions hiéroglyphiques au milieu du Xe siècle avant notre ère. Cette renaissance suppose qu’une tradition s’était maintenue ici ou là, sûrement à Karkemiš où la reprise des fouilles pourrait apporter de précieux renseignements concernant la période obscure de cette histoire. Des efforts ont été tentés pour préciser la nouvelle situation de la Syrie à l’âge du Fer et souligner les nouveautés apparues et les continuités observées après la fin de l’âge du Bronze1.

1

Cf. G.Bunnens (éd.), Essays in the Syria in the Iron Age, ANES Supp.7, Louvain/Paris/Sterling 2000 ; « Syria in the Iron Age : Problems of Definition », ibid., 3-19 ; H.Klengel, « The ‘Crisis Years’ and the New

Ce sont les fouilles archéologiques qui ont fourni les renseignements les plus éclairants sur la situation de la région après l’effondrement du pouvoir impérial hittite. En particulier celles menées à Tell Ta‘yinat dans la plaine d’Amuq et à Tell Afis au sud-ouest d’Alep ont permis de mieux comprendre l’évolution de l’architecture et de la sculpture au début de l’âge du Fer dans toute la région. Alors qu’Ugarit, Emar et Alalaপ avaient disparu à jamais dans la tourmente qui a frappé toute la région la résidence princière de Tell Afis (sans doute l’antique Hazrak) a été rapidement rénovée ainsi que bien d’autres cités. Karkemiš et Hamath ont été sûrement les grands centres de ce renouveau du monde néo-hittite en Syrie. On peut ainsi distinguer un âge du Fer IA marqué par l’instabilité consécutive à la crise, une phase IB qui a été celle de la réurbanisation de la région et de la stabilisation des états néo-hittites ou araméens et enfin l’âge du Fer IC, au Xe siècle avant notre ère qui a vu le développement de tout le pays avant le début des grandes offensives assyriennes2. 1) Malatya (Melid) et Karkemiš (?) Lors des 34es rencontres assyriologiques internationales tenues à Istanbul en juillet 1987 J.D.Hawkins a présenté le résultat de ses recherches sur les inscriptions hiéroglyphiques de la région de Malatya qui semblaient, de son point de vue, montrer qu’une continuité dynastique avait uni les derniers rois de Karkemiš de la fin de l’empire, Talmi-Tešub et son fils, Kuzi-Tešub, aux monarques « néo-hittites » du début de l’âge du Fer. Son exposé a été publié dans le TTK de 19983.

2

3

Political System in Early Iron Age Syria : Some Introductory Remarks », ibid., 21-30. W.Orthmann, Untersuchungen zur Späthethitischen Kunst (USK), Bonn 1971, passim; S.Mazzoni, « Syria and the Periodization of the Iron Age. A Cross Cultural Perspective » in G.Bunnens, ANES Supp. 7, 2000, 31-59. J.D.Hawkins, « Hittites and Assyrians at Melid (Malatya) », TTK 1998, 6377; cf. A.M.Jasink, StMed 10, 55-62.

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Mais ses conclusions avaient été reprises par lui-même dans un article des Anatolian Studies dès 19884. La cité hittite de Malitiya/Malatya (Melid à l’époque néo-hittite), située près du haut Euphrate, est mentionnée à diverses reprises par les textes cunéiformes retrouvés à ঩attuša5 et les fouilles menées à Arslantepe, à quelques km de la ville moderne homonyme, ont permis de découvrir le site de la cité à l’âge du Bronze et à l’âge du Fer. Les textes assyriens montrent que Melid a été un royaume néo-hittite, ce que confirment les inscriptions hiéroglyphiques de la région. Pour J.D.Hawkins elles auraient le grand intérêt d’établir un lien de filiation entre les derniers rois de Karkemiš de l’ère impériale et les monarques qui leur ont succédé à l’âge du Fer. La découverte, à Lidar Höyük, sur la rive gauche du haut Euphrate de deux impressions du sceau de « Kuzi-Tešub, roi du pays de Karkemiš, fils de Talmi-Tešub, roi du pays de Karkemiš, reconnu par les dieux »6, l’a encouragé à reprendre l’étude des inscriptions hiéroglyphiques de la région de Malatya dont on supposait qu’elles nommaient ce personnage connu par quelques textes d’Emar et un petit fragment, mutilé, de Bo÷azköy (KUB XXI 7)7. A øspekçür un roi de Melid a fait graver une inscription que J.D.Hawkins interprète de la façon suivante : (Moi) Arnuwanti le roi, petit-fils de Kuzi-Tešub (ku-zi-TONITRUS, lecture de J.D.Hawkins), Héros, fils de PUGNUS-mili (lecture inconnue), Seigneur du pays (REGIO DOMINUS) de la cité Malizi8. 4

J.D.Hawkins, « Kuzi-Tešub and the Great Kings of Karkemiš », AnSt 38, 1988, 99-108; CHLI, 2000, 286-287. 5 RGTC 6, 257-258. 6 D.Sürenhagen, MDOG 118, 1986, 183-190; J.D.Hawkins, AnSt 38, 1988, 99-101. 7 F. di Filippo, « Notes on the Chronology of Emar Legal Texts », SMEA 46, 2004, 184-188 ; J.Freu, Hh 4, 2010, 196-199. 8 J.D.Hawkins, CHLI, 301-304 ; A.M.Jasink, StMed 10, 59-60.

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Le reste du texte, mutilé, mentionne de nouveau le roi Arnuwanti et parle d’un « petit-fils » (INFANS ha-ma-si-sa). Une situation comparable se retrouve à Gürün où la liste des grands dieux, le dieu de l’Orage, la déesse Hepatu (঩ebat) et Sarruma, est suivie par une généalogie du même style : Runtiya (CERVUS), petit-fils de Kuzi-Tešub (lecture de J.D.Hawkins), Grand Roi, Héros de Karkemiš, fils de PUGNUS-mili »9

et, de nouveau, à Kötükale où Runtiya se déclare le petit-fils de Kuzi-Tešub (idem)10. Il était donc le frère d’Arnuwanti, soit son prédécesseur, soit son successeur. A Darende, sur la vallée du Tohma Su, entre Gürün et Kötükale, un Arnuwanti II, fils de PUGNUS-mili, qui avait repris le nom de son grand-père et le titre de Seigneur du pays de Malizi, se glorifiait d’avoir bâti la ville de ...]-tumani et dédiait la stèle à son dieu. Grâce à lui on peut prolonger la dynastie de deux générations supplémentaires11. J.D. Hawkins proposait donc de reconstituer ainsi la généalogie de cette famille : Kuzi-Tešub, Grand Roi de Karkemiš, fils de Talmi-Tešub PUGNUS-mili (I), roi de Melid, son fils Arnuwanti (I), fils de PUGNUS-mili (I)/ Runtiya, son frère PUGNUS-mili (II), fils d’Arnuwanti (I) Arnuwanti (II), fils de PUGNUS-mili (II)12 Mais un problème difficile est posé par le style des inscriptions de Kötükale, de Gürün et d’øspekçur. Leur paléographie semble contredire une datation haute. Alors que celle de Karahöyük-Elbistan, due au Grand Roi Yara/AriTONITRUS, a toutes les caractéristiques des textes archaïques contemporains de la fin de l’empire ou de la période qui a suivi 9

J.D.Hawkins, CHLI, 295-299 ; A.M.Jasink, StMed 10, 58-59. CHLI, 299-301. 11 CHLI, 304-308 ; A.M.Jasink, StMed 10, 60-62. 12 J.D.Hawkins, AnSt 38, 1988, p.102 ; TTK 1998, p.75. 10

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sa chute, ceux de la vallée du Tohma Su, à l’ouest de Malatya, présentent celles des inscriptions hiéroglyphiques récentes13. Une solution serait d’admettre, ce que suggère J.D.Hawkins, que le terme « petit-fils » a ici le sens de descendant, ce qui est pourtant sans exemple, et que ces rois de Melid, du Xe ou du début du IXe siècle av. J.C., prétendaient simplement descendre des anciens rois de Karkemiš de l’époque impériale, TalmiTešub et son fils Kuzi-Tešub. Une autre solution a été avancée qui rejette la lecture KuziTešub à øspekçür, Gürün et Kötükale. F.C.Woudhuizen a proposé de lire à Gürün : Ruwas, grandson of great king Uratarhuntas (=Ura-TONITRUS), heros of Karkémiš, son (of) Tamilis (lecture alternative de PUGNUS-mili), country-lord of Malatya

et King Ar(nu)wantas , grandson (of) Uratarhuntas, son (of) Tamilis, country-lord (of) Malatya

à Darende14. Le grand-père, Ura-Tarhunza devrait alors être identifié au grand Roi de Karkemiš attesté par la stèle K-A4b : Grand Roi Ura-Tarhunza, Grand Roi, Héros, roi du pays de Karkemiš, fils de x-pa-ziti/Taparziti, Grand Roi, Héros15.

La lecture Kuzi-Tešup ne semble pas assurée sur les inscriptions de la région de Malatya et les petits-fils du Grand Roi de Karkemiš qui y sont nommés ont été très vraisemblablement les ennemis d’une nouvelle famille, celle de Suhi et des tarwanis, qui a chassé la lignée des Grands Rois et 13

J.D.Hawkins, AnSt 38, 1988, 105-106. F.C.Woudhuizen, « On the Dating of Luwian Great Kings », Talanta 24/25, 1992-1993, 167-219, pp.190- 196 ; Selected Luwian Hieroglyphic Texts (SLHT), Innsbruck 2004, 68-71. 15 J.D.Hawkins, CHLI, 80-82. 14

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donné des souverains à cette cité. Le plus connu d’entre eux, Katuwa, l’affirme dans l’inscription où il précise les événements qui ont précédé ou accompagné son avènement, KA11b-c. Cette solution a l’avantage de respecter la chronologie la plus probable des inscriptions néo-hittites de la région de Malatya16. Il ne reste plus alors qu’un seul texte archaïque retrouvé à Jerablus (Karkemiš) qui puisse appartenir à une époque antérieure à celle d’Ura-Tarhunza, le fragment d’une statue de lion sur lequel on lit le nom de « Huwa-Sarruma » (K-A18d)17. 2) Les « Hittites » et Tiglatphalasar I (1114-1076 av. J.C.) Après un siècle de déclin qui avait débuté à la fin du règne de Tukulti-Ninurta I (1233-1197 av. J.C.) le royaume d’Aššur a réaffirmé son rang de grande puissance au cours de celui de Tiglatphalasar I. Ce roi a repris la marche vers l’ouest et est ainsi entré en contact avec divers pays « hittites ». On sait que dès l’année de son avènement (reš šarruti) le « roi puissant, roi sans rival de l’univers, roi des quatre quartiers, etc. » a combattu les Muški qui depuis 50 ans tenaient le pays d’Alzu (=Alše hittite) et de Purulumzu sur le haut Tigre et avaient occupé le pays de Katmuপu dans la même région18. Ces notations qui éclairent la situation après la chute de l’empire hittite nous livrent les noms du roi de Katmuপu (et du pays de Papপu) et de son père, Kili-Tešub, fils de Kali-Tešub qui relèvent d’une onomastique hourrite typique du défunt royaume hittite19. La reprise des mêmes événements ou le récit d’une autre campagne mentionne la conquête du Subaru, dont les pays

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Corriger en ce sens J.Freu in J.Freu/M.Mazoyer, Hh 4, 198-199. J.D.Hawkins, CHLI, 83. 18 K.A.Grayson, RIMA II/1, A.O.87.1, I 62-88, repris en A.O.87.2, I 18-20 et A.O.87.4, I 18-19 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 155-159. 19 E.Laroche, NH, n° 578, p.93. 17

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d’Alzu et de Purulumzu, où le roi a combattu Kašku (=Gasgas), Urumu et « troupes de Hittites insoumis »20. Le pays d’Išua, c’est-à-dire la Sophène classique, jadis royaume vassal des rois hittites (=Išuwa), situé sur la rive gauche du haut Euphrate, est soumis à tribut21. L’ancien pays de ঩atti proprement dit est atteint lors de la campagne menée vers « Milidia au pays de ঩anigalbat (sic)» qui se soumet. La même indication est reprise ensuite avec d’intéressantes précisions : Milidia (=Malatya/Melid) est incluse dans le « grand pays de ঩atti » et soumise avec la cité d’Enzatu et le pays d’Išua. Son roi, devenu un tributaire, se nomme Allumaru ou Allumari, patronyme ignoré des inscriptions des rois de Melid et de Karkemiš. Il est certain qu’il a régné bien avant les personnages connus par les textes hiéroglyphiques22. La grande expédition menée jusqu’au mont Liban, à l’Amurru et aux rives de la mer supérieure a permis à Tiglatphalasar de soumettre à tribut les ports « phéniciens » de Gubla (Byblos), Sidon et Arwad, de naviguer sur la Méditerranée et de chasser le narval. A son retour le roi prétend être devenu le « seigneur de tout le pays de ঩atti ». Il avait imposé tribut à « Ini-Tešub, roi du pays de ঩atti »23. Il est très probable qu’il s’agit là d’un roi de Karkemiš et son patronyme plaide en faveur de cette solution. Il était l’héritier et sans doute le descendant du roi homonyme qui régnait sur la cité au XIIIe siècle avant notre ère et qui avait été le père de Talmi-Tešup et le grand-père de Kuzi-Tešup. Karkemiš est mentionnée par ailleurs à propos de la lutte menée par le roi d’Aššur contre les tribus des « AপlamuAraméens du pays de Suপu (sur le moyen Euphrate) jusqu’à la cité de Karkemiš au pays de ঩atti »24. Cette première mention 20

RIMA II/1, A.O.87.1, II 89-III 6//A.O.87.2, I 21-22//A.O.87.4, 2021//A.O.87.10, I 24-27. 21 RIMA II/1, A.O.87.1, III 88-91. 22 RIMA II/1, A.O.87.1, V 33-41// A.O.87.4, I 31-33. 23 RIMA II/1, A.O.87.4, I 24-30//A.O.87.10, I 24-35. 24 RIMA II/1, A.O.87.1, V 44-63.

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des Araméens, contre lesquels le roi mènera 28 campagnes en 14 ans et leur quasi-identification aux semi-nomades Aপlamu, dont les tribus, très mobiles, comme celles des ঩irana et des ঩asmi, menaçaient aussi bien le domaine assyrien en Subaru que les frontières du royaume de Karduniaš (Babylonie) au XIIIe siècle avant notre ère25, est d’une importance capitale pour comprendre la suite des événements. Les infiltrations de ces populations, parlant un idiome sémitique occidental, vont peu à peu, malgré la lutte incessante menée contre elles par les rois d’Assyrie, aboutir à une véritable symbiose entre celles-ci et les « Hittites »26. Des rois araméens feront graver leurs inscriptions en hiéroglyphes hittites. D’autres succéderont à des monarques aux noms hittites. Il ne semble pas que de graves conflits aient opposé les deux « peuples » dont les Assyriens ont toujours été l’ennemi commun. Les annales de Tiglatphalasar I permettent de dater du Fer I et du XIIe siècle avant notre ère la première phase de la pénétration araméenne en Syrie du nord. Même si les Araméens, comme on le soutient, étaient, non des envahisseurs mais les représentants des anciennes populations semi-nomades de la Mésopotamie du nord et de la Syrie, les Sutu (les Shasu des textes égyptiens), il est certain qu’il s’agissait de tribus très mobiles à l’origine dont les mouvements ont dû affecter les sédentaires du pays syrien. On ne sait quel crédit accorder aux annales du fils de Tiglatphalasar, AššurbƝlkala (1073-1056 av. J.C.) qui font état de campagnes menées tous les ans, semble-t-il, contre les Araméens. Il se vante d’avoir pillé le pays de ঩atti depuis « la rivière ঩abur jusqu’à Karkemiš » et d’avoir franchi l’Euphrate pour atteindre la Mer Supérieure et chasser le narval. On peut se 25

26

IM 51928 in O.R.Gurney, « Texts from Dur-Kurigalzu », Iraq 11, 1949, 131-142, pp.139-141 ; J.R.Kupper, Les Nomades en Mésopotamie au temps des rois de Mari, Paris 1957, 115 et n.1. Cf. P.E.Dion, Les Araméens à l’Âge du Fer. Histoire Politique et Structures Sociales, Paris 1997, 15-21 et passim ; E.LipiĔski, The Aramaeans. Their Ancient History, Culture, Religion, Leuwen/Paris/ Sterling, 2000, 25-51.

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demander quelle réalité ont eu ces exploits qui semblent de simples répliques de ceux de son père. Les pays hittites ont été peu affectés s’ils l’ont été27. 3) Tell Ta‘yinat, Alep et les « Philistins » au pays d’Amuq La plaine d’Amuq et la basse vallée de l’Oronte ont bénéficié d’actives campagnes de fouilles menées par l’Oriental Institute de l’université de Chicago28. Tell Ta‘yinat, le plus important « mound » de la région a vraisemblablement recouvert les ruines de l’antique Kunulua, la capitale du royaume néo-hittite d’Unqi ou de Patin. La première phase de l’âge du Fer est caractérisée sur ce site par l’abondance de la céramique mycénienne de l’Helladique Récent IIIC1 dont les liens possibles avec les « Peuples de la Mer » n’ont pas manqué d’être soulignés29. Or J.D.Hawkins propose maintenant de lire « pays de Pala/istin » ou de « Wala/istin » sur des inscriptions hiéroglyphiques retrouvées à Alep, Tell Ta‘yinat, Meharde et Shaizar30. Une vaste région de la Syrie septentrionale englobant 27

A.K.Grayson, RIMA 2, A.O.89.7 II 19b-24. R.J.Braidwood, Mounds in the plain of Antioch : An Archaeological Survey, OIP 48, Chicago 1937 ; R.J./L.S.Braidwood, Excavations in the Plain of Antioch, vol.1, The Earlier Assemblages/Phases A-J, OIP 61, Chicago 1960 ; S.Batiuk, T.P.Harrison, L.Pavlish, « The Ta‘yinat Survey, 1999-2002 in Surveys in the Plain of Antioch and Orontes Delta in K.A.Yener, The Amuq Valley Regional Projects, OIP 131, 2005, 171-192 ; T.P.Harrison, « Lifting the Veil on a « Dark Age » : Tell Ta‘yinat and the North Orontes Valley during tne Early Iron Age », in J.D.Schloen, Exploring the Longue Durée », Fs S.L.E.Stager, Winona Lake, 2009, 171184 ; « Neo-Hittites in the ‘Land of Palistin’. Renewed Investigations at Tell Ta‘yinat on the Plain of Antioch », Near Eastern Archaeology 72/4, 2009, 174-189. 29 B.Janeway, « The Nature and Extent of Aegean Contact at Tell Ta‘yinat and Vicinity in the Early Iron Age: Evidence of the Sea Peoples ? », Scripta Mediterranea 27/29, 2006-2007, 123-146. 30 J.D.Hawkins, « Cilicia, the Amuq and Aleppo: New Light on a Dark Age », Near Eastern Archaeology 72/4, 2009, 164-173, pp.171-172. 28

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Alep, Kunulua et la plaine d’Amuq ainsi que la basse-vallée de l’Oronte aurait formé un pays de Pala/istin englobant les anciens territoires des royaumes de Mukiš, de Nuপašše et d’Alep (঩alab) tels qu’ils existaient à l’âge du Bronze Récent. Il est impossible de ne pas faire le rapprochement qui s’impose entre cette nouvelle entité géographique et les philistins (Plst dans les inscriptions du pharaon Ramsès III à Medinet Habu), le plus connu des Peuples de la Mer, installé en définitive sur la côte de Canaan depuis Joppé jusqu’à Gaza, dans la Pentapole. Les fouilles entreprises sur la citadelle d’Alep ont en effet permis de dégager les ruines du temple du dieu de l’Orage de la cité dont la renommée s’étendait jusqu’au cœur du royaume hittite à l’âge du Bronze Récent. En 2003 une inscription hiéroglyphique intacte a été découverte confirmant que le monument mis au jour était dédié au dieu Tešub/Tarhunza31. Son auteur se présente comme « Taita, Héros et Roi du pays de Pala/istin ». J.D.Hawkins a rapproché cette dédicace, datée par lui, sur des bases paléographiques, de c.1100-1000 av. J.C., des deux stèles découvertes dans la vallée de l’Oronte, à Meharde et à Shaizar, près de Qal‘at al-Mudiq, au nord-ouest de Hama32 :

31

32

K.Kohlmeyer, Der Tempel des Wettergottes von Aleppo, Münster 2000 ; « The Temple of the Storm God of Aleppo during the Late Bronze and Early Iron Ages », Near Eastern Archaeology 72/4, 2009, 190-202 ; J.Gonnella, W.Khayyata, K.Kohlmeyer, Die Zitadelle von Aleppo und der Tempel des Wettergottes, Münster 2005 ; S.Aro, « Luwians in Aleppo? », Fs J.D.Hawkins, Tel Aviv, 2010, 1-9. J.D.Hawkins, « The Hieroglyphic Luwian Stele of Meharde-Sheizar », Florilegium Anatolicum, Fs E.Laroche, Paris 1979, 145-156, fig.1-2 pp.146-149 ; CHLI, 415-419 ; A.M.Jasink, StMed 10, 103-105.

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1) Meharde : Cette stèle (de) la divine reine du pays, Taita le Héros, le roi w/pala/isatinéen, l’a faite pour elle. Celui qui la [détournerait] pour lui-même que la reine divine du pays le persécute ! Et cette stèle, celui qui la renverserait à cet endroit que la reine divine du pays détruise sa [maison]/son [pays] ? ...Ahuza le bon scribe l’a gravée.

2) Shaizar : Je suis Kupapiya, l’épouse de Taita, le Héros du pays de W/Pala/istin(i). Du fait de ma justice j’ai vécu cent ans. Mes enfants l’ont placé sur ... et cette stèle mes petits-enfants et mes arrière-petits enfants (la respecteront). Celui qui [la détruirait] que la reine divine du pays le persécute. Pendatimuwa le bon scribe l’a gravée et son serviteur... était présent.

A Tell Ta‘yinat, la Kunulua néo-hittite, l’inscription n°1 mentionne le roi Halparuntiya, seigneur du pays de W/Pala/istin33. Il avait été admis que ce personnage se confondait avec le roi Qalparunda qui avait payé tribut au roi d’Aššur, Salmanasar III en 857 et 853 av. J.C. Les nouvelles données obligent à proposer deux solutions alternatives au problème posé par l’ensemble des textes évoquant un pays de W/Pala/istin en Syrie du nord. Soit le roi Halparuntiya de Tell Ta‘yinat est un ancêtre du contemporain de Salmanasar III qui aurait vécu au XIe ou au Xe siècle avant notre ère, ce qui est le plus probable, soit il est le partenaire de Salmanasar III vers le milieu du IXe siècle. La recherche archéologique reste malheureusement incapable de dater avec précision les six fragments de Tell Ta‘yinat qui sont associés à des contextes de la seconde période de construction

33

CHLI, 365-366 (lecture du toponyme : *Wadasatini).

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des bâtiments de la cité. Il est probable qu’ils appartiennent en fait à la première phase de l’édification de ces ouvrages34. La découverte de l’inscription d’Alep a modifié la signification des trouvailles faites à Meharde, Sheizar et Tell Ta‘yinat. Tout semble indiquer qu’un grand royaume connu sous le nom de Pala/istin ou Wala/istin a bien existé en Syrie du nord. Sa capitale était très probablement située à Tell Ta‘yinat/Kunulua, cité nouvelle, refondée après des siècles d’abandon non loin d’Alalaপ, l’ancienne capitale du Mukiš, dont elle a repris le rôle et élargi le domaine. Il semble qu’elle ait alors supplanté Alep, dont le rôle avait décliné dès la fin de l’âge du Bronze Récent, et dominé toute la région. Le nom maintenant lu W/Pala/istin avait été d’abord transcrit *Wadasatini (in CHLI). Si la seconde lecture proposée par J.D.Hawkins, en particulier pour la nouvelle inscription d’Alep, est adoptée il faut admettre qu’un vaste royaume couvrant la Syrie du nord avait gardé le souvenir de l’un des Peuples de la Mer, les Philistins, qui avait dû séjourner assez longtemps dans la région pour lui donner son nom avant d’aller s’installer définitivement dans la bande côtière du pays de Canaan. Les Philistins (Plst) auraient donc formé le gros des envahisseurs dont les derniers textes d’Ugarit, qui ne les nomment pas, signalent la progression, de la Cilicie à l’Amanus et au pays de Mukiš (la plaine d’Amuq), au début du XIIe siècle avant notre ère35. Il est remarquable que cette période soit celle qui a vu l’afflux des céramiques égéennes du HRIIIC1 dans toute la plaine d’Amuq et à Tell Ta‘yinat en particulier36. Cette nouvelle perspective confirme l’idée que les Philistins n’ont pas été installés en Canaan par Ramsès III immédiatement après leur défaite, celle d’une partie d’entre eux vraisemblablement, mais que ceux qui avaient échappé aux armées du pharaon ou qui formaient l’arrière-garde du 34

T.P.Harrison, Fs L.E.Stager, 2009, 174. Cf. J.Freu in J.Freu, M.Mazoyer, Hh 4, 2010,242-254. 36 T.P.Harrison, « Tell Ta‘yinat bowls », Near Eastern Archaeology 72/4, 2009, 180-183. 35

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mouvement ont séjourné pendant au moins un demi-siècle en Syrie du nord. Des populations « hittites », peut-être entrainées par eux, auront profité de leur départ vers Canaan pour reprendre en main la région qu’ils abandonnaient. Il semble en effet que l’attaque infructueuse menée contre l’Egypte en l’an VIII de Ramsès III (c.1180 av. J.C.) a été suivie de l’installation de Philistins prisonniers, et d’autres, dans les forteresses du Delta ou d’ailleurs mais que le pays de Canaan est resté aux mains des Egyptiens jusqu’au règne de Ramsès VI tout au moins37. Il est très probable que les Philistins ne se sont installés en définitive sur la côte de Canaan et dans les cités de la « pentapole », qu’à partir de 1130 avant notre ère environ. Si le gros de ce peuple a séjourné plus d’un demi-siècle en Syrie du nord on comprend qu’il ait légué son nom à la région. Les « Hittites », indigènes ou entrainés par eux, ont sans doute pris le contrôle du pays après leur départ mais lui ont gardé leur nom. Celui de Patin donné au royaume dont Kunulua était la capitale était sans doute une abréviation de celui de Palastin. Il était interchangeable avec celui de « pays d’Unqi ». La destinée d’Alep après cette époque a, semble-t-il, divergé de celle des pays hittites. La région a été occupée par la tribu araméenne de Bit-Agusi qui a fait d’Arpad sa capitale et appelé le pays Yahan. Les rois d’Aššur, Aššurna irpal II puis son fils Salmanasar III sont venus attaquer ses rois, Agusi puis son fils, Arame, entre 870 et 834 av. J.C. En 853, lors de sa campagne contre Hamath, Damas et Israel, Salmanasar a visité Halman, c’est-à-dire Alep, et sacrifié à son dieu de l’Orage. A la génération suivante Adadnirari III fera campagne en 805 contre le fils d’Adramu (=Arame) Ataršumki. Le successeur de ce dernier, son fils Mati’ilu a conclu un accord avec Aššurnirari V en 754 av. J.C. et un autre avec Bar-ga’ya de KTK, sans doute le roi (araméen) de Hamath (stèle araméenne de Sefire). Dans 37

I.Finkelstein, « Philistine Chronology: High, Middle or Low ? », in S.Gitin, A.Mazar, E.Stern (éds), Mediterranean Peoples in Transition (13th to 10th Cent. BCE), Jerusalem 1998, 140-147.

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les deux textes le dieu de l’Orage d’Alep est invoqué. L’alliance de Mati’ilu et de ses alliés hittites de Melid, Kummuপ et Gurgum, avec le roi d’Urartu a été vaincue par Tiglatphalasar III en 743 et Arpad prise par les Assyriens après un siège de trois ans. Il semble donc qu’Alep a perdu très tôt son appartenance au monde hittite et est devenue une dépendance d’un royaume araméen38. Il existe cependant, en dehors des trouvailles faites récemment sur la citadelle d’Alep lors de la mise au jour du temple dédié au dieu de l’Orage, des inscriptions hiéroglyphiques qui attestent de la persistance de l’appartenance de la cité au monde hittite au début de l’âge du Fer. La stèle trouvée à Babylone (Babylone 1) faisait sans doute partie du butin du roi Nabuchodonosor qui a conquis la région à la fin du VIIe siècle av. J.C. Elle avait été gravée par un tarwani, Lapariziti, qui fait don de sa « chère fille », Anasi, au dieu Tarhunza d’Alep, vraisemblablement en tant que prêtresse ou que hiérodule, ainsi qu’une part de ce qui lui appartenait, terres, vignoble et bâtiments. Il n’est pas certain que ce personnage était le maître d’Alep mais l’inscription est certainement antérieure à la mainmise de la tribu de Bit-Agusi sur la région39. La dédicace de bols à Tarhunza attestée par l’inscription Babylone 2 est sans doute plus récente40 4) L’extension du monde néo-hittite41 Les royaumes hittites de l’âge du Fer font leur entrée dans l’histoire à partir du Xe siècle avant notre ère, avec l’apparition d’inscriptions hiéroglyphiques en langue louvite sur les monuments, stèles ou orthostates, élevés par leurs maîtres ou les serviteurs de ces derniers. Or il est certain que les populations 38

CHLI, 388-390. Ibid., 391-394. 40 Ibid., 394-396. 41 Cf. J.D.Hawkins, « The Neo-Hittite States in Syria and Anatolia », CAH III/1, 1982, 372-441, carte p.374 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, cartes pp.228-229 ; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, cartes pp.278-281. 39

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qui parlaient la langue des inscriptions gravées sur la pierre ou inscrites sur des lamelles de plomb, comme celles retrouvées à Kululu, sur les bords du Maraššantiya42 ou, plus étonnant, à Aššur43, étaient installées depuis longtemps des rives du fleuve qui enserrait le vieux pays de ঩atti jusqu’à la boucle de l’Euphrate et à la Syrie du nord quand les textes assyriens et les inscriptions hiéroglyphiques permettent de les reconnaître. Pourtant il est avéré que la transmission de techniques délicates comme la maîtrise d’une écriture complexe, a été assurée par des intermédiaires entre la fin de l’empire hittite et le Xe siècle av. J.C. Seules de nouvelles découvertes sur des sites inexplorés ou insuffisamment fouillés et la reprise des travaux à Karkemiš seront susceptibles d’éclairer la période du Fer I qui n’est documentée que par les textes de quelques Grands Rois, Hartapu et autres, dont la date est indécise et l’ampleur très mince. Le pays de Tabal qui formera un royaume et aura des Grands Rois a regroupé une vingtaine de cités-états. Il était le plus proche du vieux pays hittite et s’étendait de la rive sud du Kızılırmak (Maraššantiya hittite) aux contreforts du Taurus (Pozanti Da÷), couvrant en gros les actuels vilayets de Kayseri et de Nevúehir44. Bien que le vieux centre paléo-hittite de Kaneš (Neša) ait été situé sur son territoire il n’a fait usage des hiéroglyphes que tardivement, sous la probable influence des pays « lettrés » situés plus à l’est. Au sud du Tabal plusieurs petits royaumes se partageaient le plateau jusqu’aux abords du Taurus : Tuwana (Tyane), ঩ubišna (Kybistra), Naপita (Ni÷de/Andaval). C’est là qu’on peut admirer l’un des plus spectaculaires bas-reliefs hittites, celui d’Ivriz45.

42

J.D.Hawkins, AnSt 37, 1987, 135-162 ; CHLI, 505-513. CHLI, 533-538. 44 M.Wafler, « Zu Status und Lage von Tabal », OR 52, 1983, 181-193, carte entre les pages 188 et 189. 45 K.Bittel, Les Hittites. L’Univers des Formes, Paris 1976, 286-287, fig. 327328. 43

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Sur la côte la Cilicie trachée (montagneuse), où se trouvait le principal débouché maritime de l’empire, le port d’Ura, est devenue le pays de ঩ilakku alors que la Cilicie plane, l’ancien Kizzuwatna hittite, le pays d’Adana et de Tarša (Tarse), qui avait une population louvite mêlée d’éléments hourrites, devenait le royaume de QuƝ (঩umƝ en néo-babylonien). C’est à l’est de la plaine, près des gorges du Ceyhan (Purana hittite, Pyramos classique) qu’a été découverte en 1947 la bilingue hittito-phénicienne qui est la plus longue et l’une des plus tardives inscriptions hiéroglyphiques. Son édition par H.Th.Bossert et les études qui ont suivi ont permis une avancée décisive dans le déchiffrement des textes hiéroglyphiques néolouvites46. Or l’inscription de Karatepe (due à un dénommé Azatiwata) et celle découverte plus récemment à Çineköy47, font du roi Awariku (Urikki dans les textes assyriens et auteur du texte de Çineköy), un descendant de Mukaša/Mukšu (Mpš en phénicien, Mopsos dans la légende grecque48), ou un membre de la maison de Mukšu qui régnait sur le pays de Hiyawa (Çineköy) ou sur la plaine d’Adana (Karatepe). Bien que ces inscriptions soient récentes (Urikki est attesté par les textes assyriens comme roi de QuƝ en 739/738, 734/732, 729/728 et 710/709) la mention de Mukšu et du pays de ঩iyawa renvoie à l’époque des « invasions », des « Peuples de la Mer » et des ressortissants du pays d’Aপপiyawa. Un dénommé Mukšu est mentionné par le réquisitoire prononcé contre Madduwatta par le roi Arnuwanda I (c.1400-1370 av. J.C.) et la légende de Mopsos, le fils d’Apollon et de Mentô et le rival du devin Calchas, est liée à 46

47

48

H.Th.Bossert, Oriens I, 1948, 171-173 ; Oriens II, 1949, 91-97 ; JKF 1, 1951, 270-272 ; JKF 2, 1952, 178-179 ; JKF 3, 1953, 306-308, etc. ; J.D.Hawkins, CHLI, 44-71 ; F.C.Woudhuizen, SLHT, 93-101. R.Teko÷lu, A.Lemaire, « La bilingue royale louvito-phénicienne de Çineköy », CRAI, 2000, 961-1006. J.Vanschoonwinkel, « Mopsos, Légendes et Réalité », Heth 10, 1990, 185211 ; N.Oettinger, « The Seer Mopsos (Muksas) as historical Figure » in J.B.Collins, M.R.Bacharova, I.C.Rutherford (éds), Anatolian Interfaces. Hittites, Greeks and their Neighbours, Oxford 2004, 63-66.

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celle de la guerre de Troie. Il est donc probable que la dynastie du royaume de QuƝ voulait se rattacher aux mouvements de peuples de la fin de l’âge du Bronze qui avaient amené des groupes venus de l’Anatolie occidentale ou de plus loin (pour N.Oettinger le nom Mukšu/Mopsos serait d’origine grecque) jusqu’en Cilicie et en Syrie du nord49. A l’ouest du haut Euphrate le pays de Til-Garimmu (Gürün), limité à l’est et au nord-est par le royaume de Milid était bordé au sud par celui de Kummuপ, la Commagène classique. Le Gurgum (capitale Marqasi, la moderne Maraú) s’interposait entre le Kummuপ et le pays de QuƝ. La grande forteresse de la boucle de l’Euphrate, Karkemiš, est restée à l’âge du Fer le plus important centre de la région et c’est là très certainement que régnait le roi Ini-Tešub, soumis à tribut par Tiglatphalasar I vers 1100 avant notre ère. La grande nouveauté, apparue vraisemblablement dès cette époque, l’installation de tribus araméennes non loin de la vieille cité hittite, en particulier dans le Bit-Adini situé à l’est de l’Euphrate mais qui avait une tête de pont sur la rive occidentale et le Bit Agusi sur la même rive, en aval de Karkemiš, a été effective. Dans leur avancée les Araméens ont occupé une grande partie de la Syrie jusqu’à Damas et au-delà. Une véritable symbiose les unira aux Hittites dans toute la région et en particulier à Hamath. L’ancien pays de Mukiš (capitale Alalaপ) dans la plaine d’Amuq et la basse-vallée de l’Oronte, est devenu le centre du royaume d’Unqi, appelé aussi Patin. Il semble très probable, comme on l’a vu, qu’il s’était d’abord appelé W/Pala/istin en souvenir de l’un des Peuples de la Mer (les Philistins) qui avait occupé la région après la fin du grand royaume hittite. Ces états, au vrai des principautés, faibles du fait de leur taille et de leurs divisions, ont pu se développer en profitant du déclin des grands royaumes qui les entouraient. Mais si l’Egypte, affaiblie puis dirigée à partir du milieu du Xe siècle avant notre ère par des « pharaons étrangers », libyens puis 49

J.D.Hawkins, «Cilicia, Amuq and Aleppo: New Light on a Dark Age », Near Eastern Archaeology 72/4, 2009, 164-173.

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éthiopiens, n’interviendra plus que rarement en Asie, l’Assyrie redeviendra, dès avant le milieu du IXe siècle av. J.C. la grande menace pour les royaumes aussi bien hittites qu’araméens de l’Anatolie orientale et de la Syrie septentrionale. Au nord et au nord-est le puissant royaume d’Urartu s’est organisé dans la vaste zone montagneuse correspondant à la « grande Arménie » et est devenu un redoutable adversaire de l’Assyrie à laquelle l’opposera une lutte à mort où il finira par succomber. Il interviendra dans le domaine néo-hittite pour contrer la poussée assyrienne, au Tabal et à Melid en particulier. Enfin la Phrygie, constituée peu à peu par l’arrivée à travers les Détroits de populations européennes (les Bryges) qui se sont mêlées au vieux fond indigène et qui ont occupé ঩attuša au début du VIIIe siècle av. J.C., a fini par devenir un grand royaume disposant de riches métropoles, Gordion et la « cité de Midas ». Son expansion vers l’est s’est heurtée à la poussée assyrienne dirigée vers l’ouest. Les rois d’Aššur ont appelé le roi phrygien Midas « Mita de Mušku (ou Muški) » dans la seconde moitié du VIIIe siècle avant notre ère. Cette confusion entre les Phrygiens occidentaux et les Muški sortis vraisemblablement de la partie orientale de la chaîne pontique (où subsisteront des MȠıȤȩȚ à l’âge classique) a probablement été due au ralliement d’une partie de ces derniers au nouveau pouvoir qui s’était étendu jusqu’à l’Anatolie centrale et était intervenu dans les affaires de certains états néo-hittites. Il semble impossible d’utiliser la documentation concernant les Muški pour affirmer que des Phrygiens ont traversé l’Anatolie dès la première moitié du XIIe siècle avant notre ère et pour y trouver des données susceptibles d’éclairer les obscures origines arméniennes. Celles-ci devraient être recherchées en pays phrygien si l’on en croit Hérodote mais la valeur de cette affirmation reste à prouver. Malgré les tentatives faites en ce sens, comme celle, récente, d’A.V.Kossian, il semble difficile

56

d’envisager que de tels mouvements de populations d’origine européenne en direction de la haute Mésopotamie et de l’Urartu aient pu avoir lieu dès cette haute époque50.

50

A.V.Kossian, « The Mushki Problem Reconsidered », SMEA 39, 1997, 253266.

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CHAPITRE III

LES ROYAUMES HITTITES AVANT L’ENTREE EN SCENE DES ASSYRIENS Après le règne de Tiglatphalasar I ses successeurs, sauf peutêtre brièvement son fils AššurbƝlkala, aux prises avec la poussée des Araméens et d’autres menaces, n’ont pas renouvelé les expéditions vers l’ouest et n’ont plus tenté de franchir l’Euphrate pour atteindre la Méditerranée. La relative tranquillité qui s’est instaurée dans le domaine néo-hittite a favorisé la renaissance des pratiques scripturaires et l’affermissement des royaumes qui s’étaient constitués dans le centre et le sud-est de l’Anatolie ainsi qu’en Syrie septentrionale après la fin de l’empire hittite. 1) Karkemiš : des Grands Rois aux « Country-Lords » a) Les Grands Rois Les fouilles menées à Jerablus (Karkemiš) n’ont mis au jour qu’une partie restreinte du site. Arrêtées en 1914 elles n’ont pas permis, malgré une brève reprise des travaux en 1921, d’atteindre les couches profondes du tell ni même de dégager complètement les bâtiments de la cité à l’âge du Fer1. On connaît donc très mal, ou pas du tout, la période ancienne du site, contemporaine des diverses phases de la préhistoire méso-potamienne puis des royaumes de Sumer, d’Akkad, de Mari, de Babylone, d’Aššur et de ঩atti. L’histoire de la cité qui contrôlait le passage de l’Euphrate et qui a joué un rôle 1

C.L.Wooley, T.E.Lawrence, Carchemish. Report of the Excavations at Djerablus on Behalf of the British Museum. I, Introductory by D.G.Hogarth, London 1914 ; II Town Defences by C.L.Wooley, 1921 ; III The Excavations in the Inner Town by C.L.Wooley and Hittite Inscriptions by R.D.Barnett, 1952.

important dès la haute époque, a été intimement liée à celle du royaume hittite après que Šuppiluliuma y a installé l’un de ses fils (c.1325 av. J.C.). Les textes découverts à ঩attuša, Ugarit et Emar permettent de suivre l’action de ses rois, de Piyaššili/Šarri-Kušuপ à Kuzi-Tešub pendant environ un siècle et demi (c.1325-1170 av. J.C.). Il est difficile de savoir qui a prolongé la lignée de ces rois. Si on admet que le roi de ঩atti mentionné par Tiglatphalasar I est bien celui de Karkemiš un Ini-Tešup aurait occupé le trône de la cité à la fin du XIIe et au début du XIe siècle avant notre ère. Son nom, hourrite, est le parfait décalque de celui du père de Talmi-Tešup et du grand-père de Kuzi-Tešup, qui régnait sur la cité et dans le pays au XIIIe siècle av. J.C. Parmi les textes archaïques découverts sur le site celui gravé sur la stèle de basalte noir K-A4b a été dédiée à un « Grand Roi », Ura-Tarhunza, sans doute un descendant de la famille de Šuppiluliuma : Ura-Tarhunza, Grand Roi, Héros, roi du pays de Karkemiš, fils de x-pa-ziti, Grand Roi, Héros. Contre lui du pays de Sura (CORNU+RA/I-ti (REGIO) un conflit s’est élevé et une armée s’est dressée. Tarhunza, le puissant dieu de l’Orage lui a donné un grand courage et grâce à ce grand courage il a réglé le différend. Cette stèle Arnu[wanti], fils du tarwani Suhi, le prêtre de Kubaba, l’a érigée2

Mais F.C.Woudhuizen lit différemment les premières lignes : Great king Uratarhuntas, great king, hero, king of the land of Karkamis, son of Taparzitis, great

2

J.D.Hawkins, CHLI, 80-82 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 14.

60

king, hero. Against him from the land of Assyria a dispute came forth...3.

La date de l’inscription est certainement antérieure aux grandes expéditions menées par Aššurna irpal II (883-859 av. J.C.) et il est donc très improbable que le roi d’Aššur soit l’ennemi dénoncé par Ura-Tarhunza. Mais le fait que la stèle a été élevée par un Arnu[wanti], fils du tarwani (IUDEX), Suhi, prêtre de Kubaba, permet d’établir un lien entre ces personnages et les « Seigneurs du pays » et tarwanis postérieurs. La stèle fragmentaire K-A16c, très abîmée, a été l’œuvre très vraisemblablement d’un « Grand Roi, Héros, roi du pays de Kar[kemi]š » (MAGNUS.REX MONS+t[u], MAGNUS REX HEROS kar-[ka-mi]-sa...REGIO REX...) du nom de Tutপaliya4. Ce « Grand Roi » est-il le roi Tutপaliya connu par la stèle de Kelekli5 qui était devenu l’époux de la « fille chérie » du « Seigneur du pays de Karkemiš » et tarwani (IUDEX), Suhi, fils d’Astuwatamanza ? Ou était-il plutôt son ancêtre (un grandpère ou un arrière-grand-père par exemple ?) Si on considère que les personnages qui ont conservé le titre de MAGNUS.REX voulaient se présenter comme les héritiers directs (et les descendants) de Talmi-Tešub et de Kuzi-Tešub il est certain qu’il faut les placer à une époque ancienne, sans doute au Xe siècle avant notre ère. Si le Suhi nommé par l’inscription K-A4b est identifié à Suhi II et celui qui, à Kelekli, fait d’un roi Tuthaliya son gendre, à Suhi I, on doit admettre que deux dynasties parallèles ont existé à Karkemiš, celle des Grands Rois et celle des « tarwanis (IUDICES) et CountryLords » qui était « vassale » de la première et qui a fini par l’évincer. En effet le fils de Suhi II, Katuwa, dont on possède plusieurs inscriptions relativement longues, se vante de s’être emparé du pouvoir par la force mais de ne pas avoir exilé tous 3

F.C.Woudhuizen, « On the Dating of Luwian Great Kings », Talanta 24/25, 1992/1993, 171-180 ; SLHT, 2004, 57. 4 J.D.Hawkins, CHLI, 82 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 14. 5 CHLI, 92-93 ; A.M.Jasink, ibid., 26.

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les « petits-fils d’Ura-Tarhunza »6. Des « maires du palais » ont-ils chassé l’ancienne famille royale qui avait régné depuis des siècles sur la cité ?7 La difficulté est de placer le ou les Grands Rois Tutপaliya. Celui connu par K-A16c est sans doute antérieur à Ura-Tarhunza mais le « roi » Tutপaliya, gendre de Suhi I (Kelekli), est vraisemblablement un successeur d’UraTarhunza. C’est lui-même ou son fils qui aurait été renversé par Katuwa. Trois ou quatre générations de Grands Rois connus par les inscriptions hiéroglyphiques se seraient succédé avant le triomphe des « Country-Lords » mais alors que des tarwanis, peut-être prêtres de Kubaba, exerçaient un pouvoir politique et religieux à Karkemiš et dans l’ensemble du royaume. Aucune indication précise n’est fournie par la documentation hiéroglyphique sur cette « cohabitation ». La liste des Grands Rois de Karkemiš et des tarwanis, leurs contemporains, a été établie ainsi par J.D.Hawkins : MAGNUS REX X-paziti Ura-Tarhunza Tuthaliya Katuwa

Tarwanis Suhi I Astuwatamanza Suhi II

Mais une trop longue cohabitation entre deux familles rivales semble difficile à admettre. F.Giusfredi a proposé de faire du Suhi de Kelekli, fils d’Astuwatamanza, le premier tarwani de ce nom, ce qui aboutit au tableau suivant : MAGNUS REX Tuthaliya (K-A16c) ........................... X-pa-ziti (K-A4b) Ura-Tarhunza (K-A4b) 6 7

Tarwanis Astuwatamanza (Kelekli) Suhi I (Kelekli, K-A4b)

CHLI, 101-108. Cf. F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 90-97 (tarwani), 97-101 (Country-Lords), avec références aux inscriptions.

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Tuthaliya (Kelekli)

Astuwatamanza (K-A14a) Suhi II (K-A14b) Katuwa (K-A11a, etc.)8

b) La maison de Suhi L’un des ensembles les plus anciens de stèles, de sculptures et d’inscriptions appartenant à des Seigneurs du pays de Karkemiš et tarwanis a été l’œuvre d’une famille dont le premier représentant connu, Suhi I est attesté par un texte de son fils, Astuwatamanza, gravé sur une croupe de lion (KA14a) : Je (suis) Astuwatamanza, le Seigneur du pays (REGIO DOMINUS) de Karkemiš, le fils du tarwani (IUDEX) Suhi. Ces portes...[je les ai construites]. Celui qui les effacerait que Karhuha et Kubaba le frappent !9

Il est probable que ce Suhi (I) a été le père du dénommé Arnu[wanti], qui a élevé une stèle (K-A4b) au Grand Roi UraTarhunza. Il était un tarwani (IUDEX) et le prêtre de Kubaba. L’inscription de son fils prouve qu’il n’était pas roi, ce qui pose, comme on l’a vu, le problème des rapports existant entre les Grands Rois et les tarwanis (IUDICES) qui vivaient à leur côté et dont les pouvoirs semblent avoir été considérables. Les études consacrées au titre tarwani montrent qu’il est presque toujours transcrit à l’aide du signe logographique L 371 suivi d’un complément phonétique (L 371-wa/i-ni). Ecrit phonétiquement à Karatepe il traduit le phénicien b‫܈‬dqy « pour ma justice ». Il est probable qu’il désignait à l’origine un important dignitaire et pas un simple juge mais la transcription

8

Cf. F.C.Woudhuizen, Talanta 24-25, 1992-1993, tableau p.179 ; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 47-50, tableau p.50. 9 J.D.Hawkins, CHLI, 84-86 ; A.M.Jasink, StMed 10, 25.

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IUDEX s’est imposée pour le hiéroglyphe L 37110. Dans le fragment A4b le dénommé Suhi, dont le fils a dédié la stèle au Grand Roi Ura-Tarhunza porte ce titre. Il semble donc que ce Suhi I ait été le représentant ou le fondateur d’une dynastie de « maires du palais » jouant un rôle de premier plan au côté du monarque. Il avait peut-être été précédé par un certain Pisamita dont le fragment K-A18a a conservé le nom et le titre : EGO-mi m Pi-sa-mi tá-sa tara/i-wa/i-ni ...11.

C’est Suhi I qui a sans doute fait graver la stèle de Kelekli qui précise, comme on l’a vu, la nature de ses relations avec un Grand Roi nommé Tuthaliya : « Je (suis) Suhi, le tarwani,..., Seigneur du pays (REGIO DOMINUS) de Karkemiš, [fil]s d’Astuwatamanza. Quand le roi Tuthaliya prit ma chère fille [en mariage]...»12. Bien que le Tuthaliya nommé ici ne soit pas désigné comme un MAGNUS REX il semble certain qu’il était le suzerain du pays de Karkemiš et le représentant de l’ancienne famille des Grands Rois descendants de Šuppiluliuma. Deux autorités exerçaient donc le pouvoir à Karkemiš. Il est remarquable qu’aucun membre de la famille de Suhi n’ait repris le titre de roi ou de Grand Roi et se soit toujours contenté de ceux de tarwani et de « Seigneur du pays » (REGIO DOMINUS)13. Le probable fils de Suhi (I), Astuwatamanza (frère d’Arnuwanti), a fait rédiger, comme on l’a vu, l’inscription KA14b14. Lui-même se proclame « Country-Lord » mais il est probable qu’il portait aussi le titre de tarwani.

10

F.Pintore, « Tarwanis », StMed 1, Fs P.Meriggi, 1979, 473-494 ; A.M.Jasink, « Tarwani- : A Title for Neo-Hittite Rulers », III ICH, Çorum, Ankara 1998, 341-356 ; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 90-97. 11 A.M.Jasink, ibid., p.343 ; CHLI, 193-194. 12 CHLI, 92-94 13 F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 49-50. 14 CHLI, 83-86 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 25.

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Une inscription, mutilée, de son fils, Suhi II, K-A14a, a perdu l’énumération de ses titres mais précise que [les dieux] lui ont assuré la succession paternelle et donné l’autorité. Les dieux n’avaient pas « exalté » son père et son grand-père alors qu’ils l’avaient personnellement exalté. Karhuha et Kubaba étaient appelés à poursuivre celui qui effacerait son nom sur ses stèles. La distinction opérée entre la position de son père et de son grand-père et la sienne, bien qu’habituelle, tendrait à prouver que c’est lui qui s’est affranchi de toute sujétion15. On peut conclure que le Tuthaliya nommé à Kelekli, qui n’est pas désigné comme un MAGNUS REX, était cependant le suzerain du pays de Karkemiš alors qu’un tarwani exerçait son autorité à côté de lui. Le Grand Roi était le premier personnage du royaume mais le tarwani était en passe de prendre l’avantage à ses dépens et de saisir le pouvoir16. Cette situation a été particulière à Karkemiš. Dans aucun autre royaume néo-hittite on n’a le témoignage d’une telle cohabitation entre deux familles suivie d’une usurpation. La preuve en est fournie par le fait qu’un texte qu’on doit attribuer à Suhi II servait d’illustration aux scènes magnifiant les œuvres et les exploits du Seigneur du pays. La reconstitution du « long mur des sculptures » proposé par J.D.Hawkins montre la procession des guerriers tenant les vaincus enchaînés suivie par l’inscription de Suhi puis par la parade des chars, le basrelief représentant l’épouse de Suhi, BONUS-ti ou Wa(s)ti (lecture Wati d’E.Laroche et de F.C.Woudhuizen), et enfin deux dieux et deux déesses menés par le dieu de l’Orage. Il faut lire l’ensemble de gauche à droite en faisant du dieu de l’Orage, Tarhunza, le premier personnage représenté17. Le texte hiéroglyphique, K-A1a, débutait par la dénonciation d’un homme qui avait offensé les dieux (un représentant de la 15

CHLI, 85-87 ; A.M.Jasink, ibid., 26. F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 50. 17 J.D.Hawkins, AnSt 22, 1972, 87-91 ; fig.4 représentant le long mur entre les pages 108-109 ; contra D.Ussishkin, AnSt 17, 1967, 181-190 ; AnSt 26, 1976, 105-112 ; cf. W.Orthmann, USK, 29-45. 16

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famille d’Ura-Tarhunza ?) et par un hommage à ces mêmes dieux avant d’en venir aux victoires de Suhi : J’ai frap]pé la cité d’Alatahana et devant lui j’ai dressé un trophée et à lui (le dieu) j’ai donné le neuvième (du butin). J’ai détruit la cité Alatahana et j’ai dédaigné ce dernier qui...pour le grand-père de ma cité...Et le dieu Tarhunza je l’ai mis devant. Et quand j’allai en avant tous les dieux allaient en avant avec moi.

Après avoir rappelé que sa chère épouse BONUS-ti (Wa(s)ti) et son cher fils Halpasulupi l’accompagnaient, il insistait sur le fait qu’il avait fait bâtir en haut (sur l’acropole ?) et en bas (dans la cité ?) des bâtiments non spécifiés et fait (représenter) l’assemblée des dieux, Tarhunza et les autres. Il avait aussi fait ériger sa statue. Tous étaient invités à l’honorer en lui faisant offrande d’un mouton, d’un pain ou d’une libation (selon leur rang). Il demandait que Tarhunza de Saparka frappe quiconque endommagerait sa statue, en particulier un dénommé Hatamana, un ennemi déjà mentionné dans le préambule18. Un bas-relief représentant son épouse complétait cet ensemble : Je (suis) Bonus-ti (Wa(s)ti), la chère épouse du Seigneur du pays, Suhi. Partout où mon époux honore son propre nom, il honore aussi le mien avec bienveillance. (K-A1b)19.

Il est difficile à la lecture de ces textes et, en particulier du plus circonstancié, K-A1a, de ne pas attribuer un pouvoir quasi royal au Seigneur du pays, Suhi II. Rien n’est sûr en ce domaine 18 19

J.D.Hawkins, CHLI, 87-91 ; A.M.Jasink, StMed 10, 26-27. E.Laroche, « Wati, reine de Kargamis », RHA XIV/59, 1956, 62-68 ; J.D.Hawkins, AnSt 22, 1972, 94-95 et fig.3 p.95 (lecture Wati) ; CHLI, 9192 (lecture BONUS-ti).

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mais tout laisse à penser que le chemin de Katuwa vers le pouvoir suprême a été largement ouvert par son père, Suhi II. Selon le schéma proposé par J.D.Hawkins en 1995, il faut sans doute admettre que Karkemiš a été soumise à deux pouvoirs, celui des Grands Rois et celui des tarwanis/IUDICES, leurs vassaux (ou leurs « maires du palais »)20.Un document gravé sur une paire d’orthostates formant un portail, K-A11 b+c, favorise cette option. Il émane de Katuwa, le fils et successeur de Suhi II : Je (suis) Katuwa, le tarwani (IUDEX), aimé des dieux, le Seigneur du pays de Karkemiš, le Seigneur du pays, fils de Suhi, le Seigneur du pays, petit-fils d’Astuwatamanza. La cité de mon père et de mon grand-père était Ninuwi (?). Il étendait (sa main ?) dans le vide... J’ai exilé les petits-enfants d’Ura-Tarhunza... Dans l’année au cours de laquelle j’ai amené les chars dans la cité de Kawa, –jusqu’à ces territoires mes pères, mes grands-pères et mes ancêtres n’avaient pas marché–, mais moi mon seigneur céleste Tarhunza (ainsi que) Karhuha et Kubaba m’aimèrent à cause de ma justice. Pour moi ils ont établi (habité ?) le HUHURPALI (sanctuaire ?). Ils ont marché devant moi et j’ai dévasté ces pays. J’ai mis cela sur des trophées et alors, glorifié par les pays, j’ai élevé ces étages supérieurs (?) que j’ai construits moi-même en cette (seule) année. J’ai assisté à la procession de mon seigneur Karhuha et de Kubaba, étant moimême assis sur un podium. J’ai sacrifié ceci pour eux : pour Karhuha un bœuf et un mouton, pour Kubaba un bœuf et un mouton ; pour le dieu

20

J.D.Hawkins, « Great kings and ‘Country-Lords’ at Malatya and Karkamiš », Studio Historiae Ardens, Fs Ph.Houwink ten Cate, 1995, 7385, généalogie p.83.

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Sarku un mouton et un KUTUPILI ; un mouton pour les dieux mâles, un mouton pour les déesses...

Suivaient des malédictions à l’encontre de ceux qui approcheraient les dieux ou les étages (du palais ?) avec de mauvaises intentions, qui renverseraient ces orthostates ou effaceraient son nom à leur surface. Tarhunza, Karhuha, Kubaba, le dieu de l’Orage du mont Arputa et les dieux du pays de la rivière Sakura devaient les poursuivre, affaiblir leur virilité ou leur féminité et ne pas leur accorder de descendance ! Katuwa terminait son discours en rappelant qu’il s’était emparé de la cité par la force aux dépens des petits-fils d’UraTarhunza mais demandait que les dieux l’entendent parce qu’il n’avait pas exilé l’un d’entre eux (?). Le bois destiné aux portes des « étages supérieurs » qu’il voulait bâtir en cette année pour Ana, son « épouse bien-aimée » était devenu disponible, sans doute grâce à la bienveillance des dieux à son égard21. Ce texte est le plus explicite en ce qui concerne « l’usurpation » du pouvoir au profit des tarwanis de la famille de Suhi et aux dépens de celle des Grands Rois de Karkemiš. Katuwa reconnaît explicitement l’acte de violence qui a permis à sa lignée de prendre le pouvoir mais se vante d’avoir épargné l’exil à l’un des membres de celle des « rois ». Il semble cependant que son père, Suhi II était déjà le maître de la situation. Les petits-fils d’Ura-Tarhunza se sont exilés à Melid où ils ont pu prolonger l’existence de leur dynastie au témoignage des inscriptions retrouvées aux environs de cette dernière cité qui avait donc été une dépendance de Karkemiš à l’époque antérieure. Un autre texte de Katuwa, K-A11a, reprend sa généalogie et rappelle que les dieux lui ont donné le pouvoir paternel et la force du fait de sa justice. Une révolte est évoquée ainsi que le fait que les pays de son père et de son grand-père avaient fait un MITASARI (?) pour lui. Les dieux du grain et de la vigne avaient délivré leurs biens au pays. Lui-même avait construit un 21

J.D.Hawkins, CHLI, 101-108 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 28-29.

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temple et l’avait orné pour Tarhunza de Karkemiš. Il avait fait dresser des orthostates aux portes de la ville, fait venir du bois et construit un appartement TAWANI pour Ana son épouse bien aimée et établi le dieu Atrisuha aux portes. L’inscription se termine par les malédictions habituelles contre quiconque renverserait ces orthostates ou effacerait son nom. Les dieux, Tarhunza, Karhuha et Kubaba le poursuivraient et le priveraient de pain et de boisson22. Une troisième inscription, K-A2+3, reprend l’antienne : Katuwa, fils de Suhi et Seigneur du pays de Karkemiš a été exalté par Tarhunza alors que son père et son grand-père ne l’avaient pas été (motif récurrent des inscriptions hiéroglyphiques). Les dieux du grain et de la vigne ont répandu leurs bienfaits sur le pays et en son temps un mouton a valu 10 mesures d’orge (ou d’une autre céréale). Il a construit les temples de Tarhunza et les a ornés. Quiconque distrairait les biens offerts au dieu serait poursuivi par Tarhunza et Kubaba23. La « dépréciation » du père et du grand-père de Katuwa que comporte ce texte semble la preuve que c’est bien lui qui a été le premier véritable souverain de sa dynastie après avoir éliminé la suprématie des Grands Rois. Mais il est remarquable qu’il se soit abstenu de reprendre le titre de ces derniers. Le fragment d’un bloc de basalte, K-A12, a conservé le récit des exploits de Katuwa qui, à la tête de ses chars, a atteint des pays que son père et son grand-père n’avaient jamais foulés (motif récurent !). Mais les dieux avaient marché devant lui. Il se vante d’avoir dévasté le « pays riverain de Sapisi » et d’avoir abattu les murailles de la cité d’Awayana avant d’évoquer son esprit de justice24. Une inscription gravée sur deux linteaux de porte, K-A20a1, revenait sur la construction dédiée à « ma souveraine Kubaba » alors qu’il était malade et qu’elle l’avait protégé25. 22

CHLI, 94-100 ; A.M.Jasink, ibid., 29. J.D.Hawkins, CHLI, 108-112 ; A.M.Jasink, StMed 10, 27-28. 24 CHLI, 112-114 ; A.M.Jasink, ibid., 30. 25 CHLI, 118-121. 23

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Un texte mutilé, K-A13d, parle des offrandes offertes aux dieux et des constructions réalisées en leur honneur par Katuwa26. Il n’est pas sûr que celui-ci ait été le dernier représentant de la lignée de Suhi mais les inscriptions retrouvées qui couvrent quatre générations permettent de formuler deux conclusions : 1) Cette époque a vu une renaissance de l’usage des hiéroglyphes qui n’avait sans doute jamais été oublié. L’élimination des Grands Rois qui étaient les héritiers de l’ancienne dynastie hittite, a amené alors une réunification des pouvoirs entre les mains des Seigneurs du pays (REGIO DOMINUS) et tarwani (IUDICES). 2) Les quelques opérations militaires décrites sont locales et montrent que les rois d’Aššur sont alors étrangers aux affaires des « rois hittites », antérieurement à c.880 av.J.C. 2) Melid Le style archaïque des sculptures retrouvées sur place, en particulier celles de la « porte au lion » et des petits orthostates à relief qui lui sont associés, rappelle celui des œuvres d’époque impériale. Les princes de la lignée des PUGNUS-mili/Tamili, Runtiya et Arnuwanti, qui se disaient les descendants d’un Grand Roi de Karkemiš, Kuzi-Tešub (selon J.D.Hawkins) ou Ura-Tarhunza (selon F.C.Woudhuizen) ont régné avant les incursions assyriennes qui ont débuté avec les rois Aššurna irpal II (883-859 av. J.C) et Salmanasar III (858-824 av. J.C.) Comme on l’a vu la lecture Kuzi-Tešub du nom du grandpère des rois de Melid Arnuwanti et Runtiya a fait croire qu’une continuité parfaite avait relié le dernier roi de Karkemiš de l’époque impériale aux seigneurs de Melid de l’époque néohittite. Le style « récent » des hiéroglyphes, très différend de celui des textes impériaux (Yalburt, Emirgazi, Südburg) obligeait à traduire « grand-père » par « ancêtre » dans ces 26

CHLI, 115-116 ; A.M.Jasink, ibid., 31.

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inscriptions27. Si avec F.C.Woudhuizen on lit Ura-Tarhunza, ce qui est le plus probable, le nom de l’aïeul, le problème ne se pose plus et le rattachement des rois de Melid à la dynastie des Grands Rois de Karkemiš d’époque néo-hittite cesse de faire problème. Quelle que soit la lecture adoptée il est avéré qu’Arnuwanti et Runtiya de Melid étaient les descendants d’un Grand Roi de Karkemiš. Leur « exil » à Melid s’explique pour le mieux si leur famille a été chassée de cette dernière cité, ce qui a été le cas des petits-fils d’Ura-Tarhunza. Il faut alors admettre que les souverains de Karkemiš tenaient Melid avant leur éviction de leur capitale par les tarwanis. Melid a été leur place-refuge. A l’époque de Tiglatphalasar I, au tournant du XIe siècle av. J.C., le roi de Melid s’appelait Allumaru ou Allumari et appartenait certainement à une autre famille alors que Karkemiš était dirigée par un Ini-Tešub d’ascendance impériale28. Plusieurs inscriptions des seigneurs de Melid s’alignent à l’ouest de Malatya le long de la vallée du Tohma Su. A øspekçür un roi de Melid a fait graver le texte suivant : « (Moi) Arnuwanti le roi (REX), petit fils de KuziTešub/Ura-Tarhunza, le Héros ( ku-zi-TONITRUS pour J.D.Hawkins, mais Ura-Tarhunza pour F.C.Woudhuizen), fils de PUGNUS-mili (lu Tamili par F.C. Woudhuizen), Seigneur du pays (REGIO DOMINUS) de la cité de Malizi ». Le reste de l’inscription est lacunaire29. Une généalogie comparable se retrouve à Gürün où la mention des grands dieux, le dieu de l’Orage, la déesse Hepatu (঩ebat) et Sarruma (Šarruma) est suivi par la phrase : « Runtiya (CERVUS), petit-fils de Kuzi-Tešub/UraTarhunza, Grand Roi (MAGNUS REX), Héros, fils de PUGNUS-mili/ Tamili, Seigneur du pays de Malizi ». Relatant ensuite son intervention à Taita (?) et sur les monts Zinapi (?) et

27

J.D.Hawkins, AnSt 38, 1988, 105-106 ; CHLI, 286-287. A.K.Grayson, RIMA II/1, A.O.87.1, V 33-41//A.O.87.4, I 31-33. 29 J.D.Hawkins, CHLI, 301-304 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 60-61. 28

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Naharasa et la fondation d’une cité il terminait en appelant la vengeance des dieux sur quiconque usurperait l’inscription30. A Kötükale Runtiya se déclare de nouveau le petit-fils de Kuzi- Tešub/Ura-Tarhunza, Grand Roi, le fils de PUGNUSmili/ Tamili et se vante d’avoir fait construire une route31. Il était donc le frère et le prédécesseur ou le successeur d’Arnuwanti. A Darende, dans la même vallée du Tohma Su, entre Gürün et Kötükale, un petit-fils d’Arnuwanti, fils de PUGNUS-mili/ Tamili, qui avait repris le nom de son grand-père et le titre de Seigneur du pays de Malizi se glorifiait d’avoir bâti la cité de ...]-tunami et dédiait la stèle à son dieu32. La généalogie de cette famille peut s’établir de deux façons selon les lectures adoptées mais il est certain que les inscriptions qui appartiennent à cette lignée sont beaucoup plus récentes que celles du Karada÷, du Kızılda÷, de Burunkaya et d’Elbistan, sans doute dues aux probables descendants des rois da Tarপuntašša. On peut proposer une généalogie qui tienne compte des propositions (contradictoires) des spécialistes : Kuzi-Tešub/Ura-Tarhunza, Grand Roi de Karkemiš. .................................................................................... PUGNUS-mili/Tamili (I), Seigneur de Melid, son « fils » Runtiya, son fils Arnuwanti (I), son frère PUGNUS-mili/Tamili (II), son fils Arnuwanti (II), son fils La lecture Ura-Tarhunza, qui est la plus probable, a l’avantage, comme on l’a vu, de rattacher les rois de Melid à un Grand Roi de Karkemiš dont on possède une inscription. Le premier membre de cette dynastie de rois de Melid aurait vécu à l’époque de Suhi II et de Katuwa de Karkemiš. Héritier des 30

CHLI, 295-299 ; A.M.Jasink, ibid., 58-59 ; F.C.Woudhuizen, SLHT, 2004, 69-70. 31 CHLI, 299-301; A.M.Jasink, ibid., 59. 32 CHLI, 304-306 ; A.M.Jasink, ibid., 61-62 et Tabella I. A, p.54, « I discendenti di Kuzi-Tešub ».

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Grands Rois de cette cité il aurait été exilé du pays de ses ancêtres et aurait prolongé à Melid l’existence de l’ancienne famille impériale en lieu et place des possibles successeurs d’Allumari/u. La mention par Tiglatphalasar I de ce seigneur de la cité à la fin du XIIe ou au début du XIe siècle avant notre ère montre qu’elle était alors indépendante de Karkemiš. Il est probable que le dénommé CRUS+RA/I (luTara ou Tata ?), « Héro et Seigneur du pays de Malizi », qui a fait édifier très loin de Malatya, à Izgin (9km à l’ouest d’Elbistan), une stèle en forme d’obélisque, a été un membre de cette famille. Avec l’appui du dieu Tarhunza il a élargi les frontières de son domaine, ajoutant des « pays de rivière à des pays de rivière ». Il a construit la cité de Taita (?) et deux autres localités où il a établi des gens de Malizi. Les neuf dieux l’ont continuellement exalté. Il mentionne, dans un passage mutilé, un Arnuwanti, ce qui prouve sa proximité avec la dynastie issue de Karkemiš. Son nom est le même que celui du grand-père de la généalogie (Malatya 1) inscrite avec la scène d’une chasse au lion par Halpasulupi, fils de Wasu(?)-Runtiya, petit-fils de CRUS+RA/I. L’épigraphe (Malatya 4) de la porte au lion de la cité nomme Halpasulupi le « puissant roi ». On a ainsi une seconde généalogie royale. Un lien étroit avec la lignée précédente est prouvé par le fait que PUGNUS-mili/ Tamili « puissant roi » a laissé l’inscription Malatya 5. Enfin la chasse au cerf qui l’accompagne est illustrée par une inscription gravée au même endroit sur l’ordre de Mariti, fils de Suwarimi (Malatya 3), sans doute un autre roi de Melid33. 3) Gurgum (Marqasi/Maraú) Le pays de Gurgum, situé au sud-ouest de Malatya et au nord-ouest de Karkemiš, a produit un orthostate en forme de lion (Maraú 1), trouvé sur la citadelle de Maraú, dû à son tarwani Halparuntiya (III), connu sous le nom de Qalparunda 33

J.D.Hawkins, CHLI, 287, 314-320 (Izgin), 318 (Malatya 1), 320 (Malatya 4), 321 (Malatya 3) ; A.M.Jasink, StMed 10, 62-66.

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dans les annales du roi d’Aššur Adadnirari III qui le mentionnent lors de la campagne menée par ce souverain en 805 av. J.C. Il nous révèle le nom de ses ancêtres, jusqu’à la 6e génération : Je (suis) Halparuntiya, le tarwani (IUDEX), le roi de Gurgum, fils du gouverneur Larama (Palalam dans les textes assyriens), petit-fils du Héros Halparuntiya, arrière-petit-fils du brave Muwatalli, arrière-arrière-petit-fils du tarwani Halparuntiya, arrière-arrière-arrière-petit-fils du Héros Muwizi, descendant du gouverneur Larama, le roi aimé par les dieux, reconnu par le peuple, renommé au dehors, le roi aimé, exalté,…, doux comme le miel. Les dieux m’aimaient et (aussi) mes pères et ils m’ont établi sur le trône de mon père. J’ai rétabli les places dévastées et les ai fait prospérer par l’autorité de Tarhunza et d’Ea.

La fin du texte, mutilée, citait un certain Runtiya du IPA, peut-être un ennemi(?)34. Ce texte est complété par le fragment de statue Maraú 4 et par celui de la stèle Maraú 8 qui permet de prolonger vers le haut de deux générations la généalogie de la famille35. Parmi les ascendants ainsi énumérés deux sont connus par les annales de Salmanasar III : Mutallu (=Muwatali) en 858 et Qalparunda/Halparuntiya (II) en 853 av. J.C. Il est donc assuré que le fondateur de la dynastie, Larama (I) a vécu au milieu du Xe siècle avant notre ère. J.D.Hawkins a proposé une reconstitution de la généalogie de cette famille tout en insistant sur le fait que seule une campagne de fouilles à Maraú, l’antique Marqasi, permettrait de savoir si les ancêtres de Halparuntiya 34 35

J.D.Hawkins, CHLI, 261-265 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995,75. R.M.Porter, « Dating the Neo-Hittite Kinglets of Gurgum- Maraú », Anatolica 29, 2003,7-15 ; W.Orthmann, USK, 203-204 datait le style assyrianisant du lion de Maraú 4 de la fin du IXème siècle.

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(III) avaient fait graver des inscriptions hiéroglyphiques dans leur capitale. Il faut compléter, comme on l’a vu, ce texte relativement tardif à l’aide de Maraú 8 qui donne très vraisemblablement les noms du père et du grand-père de Larama (I) : Astuwaramanza (c.1000 av. J.C.) Muwatali Larama I (c.950-930 av. J.C.), premier roi et tarwani Muwizi (c.930-910) Halparuntiya I (c.910-880) Muwatali (c.880-855) Halparuntiya II (c.855-830) Larama II (c.830-810) Halparuntiya III (c.810-790)36 Le père et le grand-père de Larama I ne sont pas désignés comme rois. C’est ce dernier qui a été le fondateur de la dynastie. Il faut par ailleurs remarquer qu’il est peu probable que sept générations se soient succédé dans le pays de .Gurgum sans que des collatéraux aient accédé au pouvoir. La liste est sans doute défective, pas les générations. Larama I a probablement été l’auteur de la stèle Maraú 8 où il est figuré : Je (suis) Larama, petit-fils d’Astuwaramanza, fils de Muwatali.

Après avoir rappelé le désastre (un incendie) qui s’était abattu sur la cité, il déclarait avoir trouvé « Gurgum, le pays du fleuve » dévasté. Il se vantait de l’avoir rétabli, d’avoir planté des vignes et rempli les greniers avant de lancer des malédictions habituelles contre celui, roi ou particulier, qui effacerait son nom37.

36 37

J.D.Hawkins, CAH III/1, 1982, 383 (Larama lu *Palalam). J.D.Hawkins, CHLI, 253-255 ; A.M.Jasink, StMed 10, 70-71.

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Il s’agit là d’affirmations répétées par ces petits rois. Tous se vantent d’avoir assuré un ravitaillement convenable à leur état et d’avoir été des entrepreneurs et des bâtisseurs. Si la pratique de l’écriture hiéroglyphique a bien été réinstaurée à cette époque le rôle du fondateur doit être considéré comme décisif pour le rétablissement de la culture hittite dans son pays. On n’a pas retrouvé d’inscriptions qu’on puisse attribuer aux successeurs immédiats de Larama I. 4) Les autres royaumes a) le pays d’Unqi (Patin) C’est le style, remarquablement uniforme, des sculptures et bas-reliefs, en général fragmentaires, retrouvés à Karkemiš, Melid et Marqasi, qui permet d’attribuer à cette haute époque les œuvres de même nature mises au jour dans d’autres centres néo-hittites. A Tell Ta‘yinat, l’antique Kunulua, capitale du royaume d’Unqi, appelé aussi Patin (Palistin), qui englobait l’ancien pays de Mukiš et dont le cœur était situé dans la plaine d’Amuq et sur le bas-Oronte, la période ancienne du site a livré les restes d’un grand temple dont la terrasse était ornée d’une frise de lions et de sphinx. Les murs extérieurs avaient conservé leur décor d’orthostates sculptés38. Les fouilles des autres sites de la plaine d’Amuq, Tell alJudaidah et Çatal Höyük ont permis de retrouver des édifices monumentaux de l’époque néo-hittite et de reconstituer la séquence des produits de la céramique locale ou importée depuis le Ve millénaire av. J.C (période de Halaf) jusqu’à l’âge du Bronze et l’âge du Fer39. 38 39

W.Orthmann, USK, 56-59 et 476-479. R.J.Braidwood, Mounds in the Plain of Antioch, OIP 48, Chicago 1937 ; R.C.Haines, Excavations in the Plain of Antioch II : sculptural remains of the later phases, OIP 95, 1971 ; A.Abu Assaf, Der Tempel von ‘Ain Dara, Dam.Forsch. 3, 1990.

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Malheureusement les colosses couverts d’inscriptions avaient été mis en pièces (par les Assyriens ?). Le nom de l’auteur de Tell Ta‘yinat 1, un trône de basalte, est perdu dans une lacune du fragment 1 du texte mais se confond sans doute avec le Halparuntiya qui apparaît dans le fragment 6. Il serait possible, a priori, qu’il soit le Qalparunda d’Unqi mentionné par Salmanasar III en 857 et 853 avant notre ère mais la lecture W/Pala/istin du nom du pays favorise plutôt l’idée que ce roi est un ancêtre de ce dernier et vivait à la fin du Xe ou au début du IXe siècle av. J.C. L’inscription est certainement antérieure à l’intervention assyrienne en Syrie du nord40. Les autres fragments retrouvés à Tell Ta‘yinat contiennent peu de passages lisibles et sont sans doute plus récents.41 Ceux découverts à Demir Köprü (Jisr el Hadid) et à Tuleil, localités proches de Tell Ta‘yinat et de la vallée de l’Oronte semblent relativement anciens (IXe-VIIIe siècles av. J.C.) mais leurs mutilations les rendent à peu près inutilisables42. b) Til Barsip/Masuwari (Tell Ahmar) Le site de Tell Ahmar, à 20km au sud de Karkemiš, sur la rive gauche de l’Euphrate, recouvre l’antique cité de Til Barsip, du nom que lui ont donné les Araméens et aussi celle qui l’avait précédée, la cité hittite de Masuwari, une ville que Šuppiluliuma avait donnée à son fils Piyaššili/Šarri-Kušuপ lorsqu’il avait fait de lui le roi de Karkemiš vers 1325 av. J.C. Lors des interventions assyriennes en 858 et 857 avant notre ère elle était devenue la capitale du Bit-Adini, un royaume araméen. Toutes les inscriptions hiéroglyphiques retrouvées sur le site sont donc en principe antérieures à cette époque et ont été l’œuvre de rois dont les noms semblent araméens mais qui avaient hérité des traditions hittites dans les domaines 40

J.D.Hawkins, CHLI, 365-368 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 81. CHLI, 368-378. 42 CHLI, 378-382 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 81-83. 41

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architecturaux et artistiques et qui faisaient rédiger leurs inscriptions en hiéroglyphes hittites43.Les fouilles françaises de 1929-1931 ont d’ailleurs retrouvé, sous les ruines du palais provincial assyrien deux bâtiments de style hittite comparables à ceux mis au jour à Karkemiš44. La large stèle Tell Ahmar 1, brisée en 7 morceaux fournit des détails sur la famille royale de la cité et permet de retracer son destin au cours de quatre générations. Il est remarquable que les noms des souverains soient vraisemblablement araméens alors qu’ils ont fait graver des inscriptions hiéroglyphiques en langue louvite. Un « roi du pays » (REGIO REX), dont le nom est en lacune se présente comme le « petitfils de Hapatila et le fils du IUDEX Ariyahina. Les dieux, Kuparma, Matili (?), Tešup, le dieu-Lune de Harran et Kubaba qui l’aimaient lui avaient transmis le pouvoir paternel. Son arrière-grand-père était un seigneur (DOMINUS) qui avait gouverné « l’est et l’ouest » mais lors de son décès au pays d’Ana, sur l’Euphrate, son père qui était alors un enfant avait été dépouillé de ses droits au trône. Le fils de l’usurpateur, Hamiyata, qui lui avait succédé avait été un grand souverain et l’avait « exalté plus que ses (propres) frères ». Lui-même avait alors invoqué Tarhunza, triomphé de son ennemi et de ses fils et fait de la fille de ce dernier une hiérodule (FEMINA.PURUS)45. A partir de ces données J.D.Hawkins a proposé une reconstitution des deux branches de la famille royale qui ont alterné au pouvoir. Bien que le texte retrouvé soit lacunaire on peut considérer qu’on dispose de la généalogie de deux lignées dont les membres avaient conservé leurs patronymes araméens et qui ont occupé le trône à tour de rôle : 43

D.Ussishkin, « Was Bit Adini a Neo-Hittite or Aramean State ? », OR 40, 1971, 431-437 ; G.Bunnens, A New Luwian Stele and the Cult of the Storm-God at Til-Barsip-Masuwari, Tell Ahmar II, Publication archéologique de l’Université de Liège en Syrie, Louvain, Paris, Dudley (MA), 2006 ; cf. A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 86-90. 44 F.Thureau-Dangin, M.Dunand, Til-Barsip, Paris 1936. 45 J.D.Hawkins, AnSt 30, 1980, 154-156 ; CHLI, 239-243 ; A.M.Jasink, StMed 10, 94-96.

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Hapatila (roi n°1) (Fils de Hapatila) Ariyahina (roi n°2) Le fils d’Ariyahina (roi n°6)

Père de Hamiyata (roi n°3) Hamiyata (roi n°4) Fils de Hamiyata (roi n°5)

La découverte récente d’une stèle de Hamiyata à Qubbah, sur la rive orientale de l’Euphrate, au sud-est de la cité, présente une image en pied bien conservée du dieu de l’Orage et fournit des précisions sur le règne de ce personnage : « Je (suis) Hamiyata, le roi Masuwaréen, le serviteur de Tarhunza. Je suis un enfant du céleste Tarhunza, d’Ea, du dieu du grain, du dieu Lune, du dieu Soleil, de Runtiya, de Karhuha, de Kubaba, de Hiputa et de Sauska de l’armée, de Teššub, de Sarruma, du Ciel et de la Terre, les dieux aimés qui m’ont donné la succession paternelle. Alors que mon père était vivant j’ai moi-même détruit les ennemis de mon père, ceux de l’est et ceux de l’ouest. Je les ai détruits avec l’aide de mon maître, ce Tarhunza de l’armée qui marcha devant moi »46. Hamatiya rappelle ensuite que les dieux l’avaient aimé plus que son père, selon le topos habituel, et qu’il avait établi pour eux un rituel complet. Il avait établi la frontière de ses états, détruit ses ennemis et dirigé une opération avec 500 chars grâce à l’aide de Tarhunza. Des malédictions étaient lancées contre quiconque menacerait la postérité de Hamiyata. Il est nécessaire de placer les quatre générations de ces rois araméens de culture hittite avant l’occupation de Til-Barsip par un chef de tribu (araméenne), bien connu des textes assyriens, qui a été très vraisemblablement le premier dynaste de TilBarsip, Aপuni mƗr Adini (c.870-856 av. J.C.). Hapatila a dû régner vers le milieu du Xe siècle. On ne sait rien sur la dévolution du pouvoir au chef de la tribu (araméenne) d’Adini. Ici comme ailleurs il ne semble pas qu’une violente hostilité ait opposé les Hittites et les Araméens. L’acceptation par les gens de Mazuwari d’un chef disposant d’une troupe aguerrie 46

J.D.Hawkins, « The Inscription », apud G.Bunnens, Tell Ahmar II, 2006, 11-31 ; F.C.Woudhuizen, « The Recently Discovered Luwian Hieroglyphic Inscription from Tell Ahmar », AWE 9, 2010, 1-19.

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capable de tenir tête au roi d’Aššur peut expliquer l’évolution de la situation dans cette cité. La dynastie « hittito-araméenne» de Mazuwari a été, en gros, contemporaine de celle de Suhi et de Katuwa à Karkemiš. La stèle Tell Ahmar 2 a été l’œuvre d’un « roi » (REX), ce même Hamiyata, le quatrième de la liste, qui se présente comme un souverain masuwaréen : Je suis Hamiyata, [ fils de ...], roi, serviteur de Tarhunza

Alors qu’il était enfant il a été protégé par les divinités, le céleste Tarhunza, le roi Ea, le dieu bon Matili ( ?), le dieu-Lune de Harran, le Soleil (?) et Kubaba, affirmations suivies par les malédictions lancées contre quiconque effacerait son nom, menacerait sa personne ou convoiterait sa femme47. La stèle du musée Borowski de Jérusalem qui montre la figure du dieu de l’Orage au revers a un texte qui débute comme le précédent. Hamiyata déclare qu’il a bâti la cite de Haruha et l’a placée sous l’autorité du dieu Tarhunza. Le dieu devait poursuivre quiconque voudrait l’enlever à lui-même ou à son fils ou effacer son nom48. Sur la stèle Tell Ahmar 5, découverte en 1994, Hamiyata précise que son père avait rempli d’orge les greniers placés sous la protection de « son (dieu) Tarhunza d’Alep » mais que, quand il était mort, le dieu (c’est-à-dire sa statue) avait été, semble-t-il descendu jusqu’au fleuve (?)49. Le frère et fidèle de Hamiyata, Arpa, lui a dédié une petite stèle (Aleppo 2) dans laquelle il appelle sur lui-même et sur son frère la faveur des dieux, le céleste Tarhunza et le dieu-Lune de Harran. Il évoque les échanges de cadeaux entre son frère et lui avant d’invoquer Kubaba et Ea contre celui qui le menacerait50. 47

J.D.Hawkins, CHLI, 227-230 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 92-93. J.D.Hawkins, CHLI, 230-231. 49 CHLI, 231-234. 50 CHLI, 235-238 ; A.M.Jasink, ibid., 93. 48

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Le fragment du Louvre, Tell Ahmar 3, peut appartenir à l’un ou l’autre de ces rois. Celui qui l’a fait graver précise qu’il a élevé la cité de Mazuwari jusqu’au ciel51. Les autres fragments, Tell Ahmar, fr.1-10, ne fournissent aucune information supplémentaire52. On peut conclure que les quelques inscriptions retrouvées qui peuvent être datées de la fin du Xe et du début du IXe siècle avant notre ère, bien que peu nombreuses, attestent d’une reprise de la pratique des inscriptions hiéroglyphiques et d’une renaissance de la « civilisation hittite » dans la région de l’Euphrate et en Syrie du nord. Le plateau anatolien, le pays de Tabal en particulier ainsi que la Cilicie (঩ilakku et QuƝ) sont absents du tableau que l’on peut tracer des royaumes hittites de cette époque bien que la présence de populations hittites de langue louvite dans ces régions ne fasse alors aucun doute. Le cas de Mazuwari/Tel Barsip montre que la poussée des Araméens a été forte dès cette haute époque, qui a vu disparaître l’un des royaumes « hittites » de la région de l’Euphrate, dirigé, il est vrai, par une dynastie araméenne mais qui conservait les traditions artistiques hittites et la pratique des hiéroglyphes.

51 52

CHLI, 243-244. CHLI, 244-246.

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CHAPITRE IV

LA REPRISE DES INCURSIONS ASSYRIENNES (883-824 AV. J.C.) La période de déclin qui a suivi la mort de Tiglatphalasar I (1076 av. J.C.) a duré près de deux siècles et a assuré une longue période de tranquillité aux petits royaumes hittites. Cette époque a été marquée par l’expansion des tribus araméennes aux dépens du pouvoir assyrien. Les rois d’Aššur, Aššurdan II (934-912 av. J.C.), Adadnirari II (911-891) et Tukulti-Ninurta II (890-884) ont rétabli leur autorité en haute Mésopotamie en soumettant les « états » araméens qui s’y étaient constitués. Après la conquête de ঩uzirina (Sultantepe) en 899 av. J.C. Adadnirari II a reçu un « don » du Bit-Adini, le royaume araméen installé sur les deux rives de l’Euphrate en aval de Karkemiš et dont la capitale, Til Barsip (Tell Ahmar) était l’ancienne cité hittite de Mazuwari. 1) Aššurna£irpal II (883-859 av J.C.) et les pays hittites Aššurna irpal II devenu roi a d’abord porté ses efforts contre le BƯt Adini et son roi, Aপuni, qui a été contraint de lui verser tribut en 876 av. J.C. Il a pu par la suite franchir l’Euphrate, traverser le BƯt Adini et atteindre le territoire de Karkemiš, dont le roi, Sangara, a dû se soumettre et livrer un lourd tribut : 20 talents d’argent, une chaîne d’or, un anneau d’or, 100 talents de bronze, 250 talents de fer, des vases, des bols et un brasier de cuivre ainsi que des objets sortis du palais, des lits de buis, des fauteuils de buis, des tables de buis incrustées d’ivoire, 200 jeunes filles, des vêtements de laine teints, des vêtements de lin, de la laine bleue et pourpre, des défenses d’éléphant et « un char magnifique »1. Sangara, dont la richesse était supérieure à celle des autres princes hittites et araméens, était un successeur, 1

K.A.Grayson, RIMA 2, A.O.101.1//101.2, 25-29//A.O.101.26.

direct ou indirect de Katuwa et de la « maison de Suhi » mais l’absence d’inscription hiéroglyphique appartenant indiscutablement à son règne et aux règnes suivants nous prive de tout moyen de recouper les informations fournies par les annales assyriennes2. Le roi d’Aššur, quittant le pays de Karkemiš, a alors traversé un second royaume araméen, le BƯt Agusi (Yaপan), pour atteindre ঩azazu (‘Azaz), une localité appartenant au hittite Lubarna (=Labarna), le roi du pays d’Unqi (ou Patin) situé dans la plaine d’Amuq et la basse vallée de l’Oronte. Il a poursuivi sa route jusqu’à la capitale du pays, Kunulua (Tell Ta‘yinat), après avoir franchi la rivière Apre (l’Afrin actuel). Lubarna a dû, lui aussi, payer un lourd tribut3. Aššurna irpal a continué son avance, traversé l’Arantu (l’Oronte) et atteint la forteresse située à la frontière du pays d’Unqi, Aribua, avant de ravager le pays de Luপuti (araméen L‘Š, l’ancien Nuপašše hittite), la steppe qui s’étend entre Alep et l’Oronte. De là le roi d’Aššur a traversé le mont Liban et soumis Sidon, Gubla (Byblos) et l’Amurru, trempé ses armes dans la mer, atteint Arwad (l’île de Ruad), escaladé le mont Amanus et fait un large butin dans les pays traversés. Le ঩atti n’est pas mentionné mais peut avoir été affecté par la marche de retour du monarque assyrien. Qatazilu (= ঩attušili), « l’homme de Kummuপ » (la Commagène) a dû livrer son tribut4. L’une des conséquences de cette incursion a été la déportation d’une nombreuse main-d’œuvre qui a été affectée à la construction du palais de Kalপu (Calah) qu’avait entreprise le roi d’Aššur. Parmi les 5000 « chefs et messagers » appelés à assister à son inauguration figuraient, à côté des hommes du BƯt Adini (des Araméens) et du ঩atti (Karkemiš), des sujets de Lubarna, roi du pays de Patin, des gens de Suপu, Hindanu, Tyr, Sidon, Gurgum, Melid et d’autres5, figurés sur les portes de 2

J.D.Hawkins, CHLI, 2000, 78. RIMA 2, A.O.101.30. 4 Ibid., A.O.101.1 II 85-91//A.O.101.2, 25b-31a. 5 RIMA 2, A.O.101.1 III 93 96-113a. 3

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bronze de Balawat6. Affirmant à nouveau qu’il avait conquis tout l’espace s’étendant du Tigre à la « grande Mer », le roi d’Aššur y comprenait « tout le pays de ঩atti »7. 2) Salmanasar III (858-824 av. J.C.) et les pays hittites Le fils d’Aššurna irpal, Salmanasar III, a repris la marche en direction de l’ouest et l’un des textes de ses annales fournit un récit des événements datés par ses années de règne8. Il raconte ainsi l’année qui a suivi le reš šarruti : Dans la première année de mon règne je traversai l’Euphrate en crue. Je baignai mes armes dans la mer (et) sacrifiai à mes dieux. J’escaladai le mont Amanus (et y) coupai des grumes de cèdres et de genévriers. J’escaladai le mont Lalar (et) y érigeai ma statue royale. Je rasai, détruisis (et) brûlai les cités du pays de Patin, celles de Aপunu, l’homme de BƯt Adini, (et) celles du BƯt-(A)gusi qui sont de l’autre côté de l’Euphrate9.

Un récit plus précis est fourni par un texte parallèle. L’offensive assyrienne est d’abord menée contre Aপunu, l’homme du BƯt Adini qui est vaincu et enfermé dans sa ville forte de TƯl Barsip, l’ancienne Masuwari hittite, alors que la cité de Burmar’ina qui lui appartenait est prise et détruite, ses défenseurs massacrés. Le roi et son armée franchissent alors l’Euphrate sur des outres et reçoivent le tribut de Qatazilu (=঩attušili) du Kummuপ, or, argent, gros et petit bétail et vin. 6

Ibid., A.O.101.23. Ibid., A.O.101.40 I 19b-21// A.O.101.41 et A.O.101.42 ; cf. E.Michel, « Die Assur-Texte Salmanassars III (858-824) », in WO 1, 1947-1952, WO 2, 1954-1959, WO 4, 1967-1968. 8 RIMA 3, A.O.102.6; cf. S.Yamada, The Construction of the Assyrian Empire : A Historical Study of the Inscriptions of Salmanesar III (859-824 B.C.) Relating to His Campaigns to the West, Leiden 2000. 9 RIMA 3, A.O.102.6 I 42-48. 7

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Après avoir pris Paqaraপubunu, une place d’Aপunu située à l’ouest du fleuve, Salmanasar obtient un tribut comparable de Mutallu (=Muwatalli) de Gurgum. Le roi fait ériger sa statue colossale aux sources de la Saluara, au pied de l’Amanus, et franchit l’Oronte pour attaquer Alimuš, une cité de Sangara, le roi de Karkemiš. Ce dernier avait regroupé autour de lui ses alliés, en particulier Aপunu, Katê de QuƝ (Cilicie plane), Piপirim de ঩ilakku (Cilicie trachée) et d’autres « rois » araméens. Salmanasar les disperse et s’empare des cités du Patin, soumet les ports de l’Amurru et fait retraite par l’Amanus et le mont Atalur, conquérant au passage les cités de Taiia, ঩azazu, Nulia et ButƗmu (en Amuq) appartenant au Patin10. L’année suivante (857 av. J.C.) le roi reprend l’offensive contre TƯl Barsip puis franchit l’Euphrate pour s’emparer de six forteresses d’Aপunu et de Sazabû qui dépendait de Sangara. Tous les rois de ঩atti sont effrayés et se soumettent. Qalparunda de Patin doit livrer un lourd tribut (dont 3 talents d’or, 100 d’argent et 300 de bronze). Chaque année il versera à Aššur un talent d’argent, deux de laine pourpre et cent troncs de cèdres. Sangara de Karkemiš se voyait imposer la livraison de 2 talents d’or, 70 d’argent, 30 de bronze, 20 de fer, 20 de laine pourpre, 500 bovins et 5000 moutons, 500 vêtements, sa fille avec son douaire et 500 filles nobles. Son tribut annuel était fixé à une mine d’or, un talent d’argent et 2 talents de laine pourpre, très supérieur à ceux des autres rois. Le tribut annuel de Qatazilu de Kummuপ était de 20 mines d’argent et 300 lots de bois de cèdre11. L’année suivante (856 av. J.C.) Salmanasar s’emparait de TƯl Barsip qui devenait une capitale provinciale assyrienne sous le nom de KƗr-Salmanasar. Elle était située sur la rive orientale de l’Euphrate à 20km en aval de Karkemiš. Ainsi disparaissait un état araméen dont la population était sans doute en grande partie hittite12. Ayant restauré (Ana)-Aššur-utƝr-a bat, une cité que les 10

RIMA 3, A.O.102.2 I 29b-II 13a. Ibid., A.O.102.2, II 13b-30a. 12 Ibid., A.O.102.2, II 30b-35a. 11

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Hittites appelaient Pitru sur la rivière Sagura, affluent de la rive droite de l’Euphrate et MutkƯnu sur la même rive, deux postes avancés qu’avait fondés son ancêtre Tiglatphalasar (I) et dont les Araméens s’étaient emparés, le roi a établi une solide tête de pont à l’ouest du fleuve. Lorsqu’il résidait à KƗr-Salmanasar il recevait les tributs des rois régnant sur « les bords de la mer » et de ceux installés le long de l’Euphrate : argent, or, étain, bronze, casseroles de bronze et de fer, bovins, moutons, étoffes teintes et vêtements de lin13. Ces succès et l’élimination définitive de l’araméen Aপunu ont encouragé Salmanasar à pousser vers le sud et à menacer Alep (঩alman). Ayant reçu à Ana-Aššur-utƝr-a bat (l’ancienne Pitru hittite) le tribut des princes soumis précédemment : Sangara de Karkemiš, Qalparunda de Patin, Kundašpi de Kummuপ et deux nouveaux tributaires, Qalparunda de Gurgum et Lalli de Melid, puis sacrifié au dieu de l’Orage d’Alep, Salmanasar a commencé son offensive en prenant d’assaut trois places appartenant à IrপulƝnu, le roi « hittite » de Hamath, Adennu, Pargâ (=Barga) et Arganâ. Mais il s’est alors heurté à une puissante coalition de 12 rois menée par Hadadezer (Adadidri), le maître araméen de Damas (le pays d’Aram) qu’il a dû affronter près de Qarqar, sur les bords de l’Oronte. Il a complaisamment fait la liste des armées ennemies qu’il prétendait, abusivement, avoir vaincues : « 1200 chars, 1200 cavaliers, 20000 hommes de troupe de Hadadezer (de Damas), 700 chars, 700 cavaliers et 1000 fantassins d’IrপulƝnu de Hamath, 2000 chars et 10000 hommes d’Aপabbu (Achab) d’Israel (Sir’alƗia), 500 hommes de Gubla (Byblos), 1000 de Mu ri (un pays du nord plutôt que l’Egypte à cette époque), 10 chars et 10000 hommes du pays d’Irqanatu, 200 hommes de Matinu-Ba’al d’Arwad, 200 du pays d’UsanƗtu, 30 chars et x000 hommes d’Adunu-Ba’al de Šianu, 1000 chameaux de Gindibu l’arabe, x000 hommes de Ba’asa de BƯtRuপubi l’ammonite (?)»14. 13 14

Ibid., A.O.102.2 II 35b-40a. Ibid., A.O.102.2 II 86b-102 et //.

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Bien que Salmanasar ait clamé bien haut sa victoire il est certain que la bataille de Qarqar (853 av. J.C.) a marqué un temps d’arrêt dans les offensives du roi d’Aššur menées contre Damas et Hamath. Il est remarquable que la Bible (le livre des Rois) ignore une bataille où s’est illustré le roi d’Israel et au cours de laquelle il a sans doute trouvé la mort15. La coalition damascène a duré plusieurs années et Salmanasar s’est tourné alors vers le nord et le pays de Naïri puis vers le pays de Karduniaš pour combattre le roi de Babylone et les Chaldéens (des tribus apparentées aux Araméens qui ont fini par dominer la Babylonie). Il a de nouveau franchi le fleuve au cours de sa XIe année de règne (848 av. J.C.) et prétend s’être emparé de 97 localités appartenant à Sangara de Karkemiš, qu’il a détruites, avant de franchir l’Amanus et de livrer bataille à IrপulƝnu de Hamath et Hadadezer de Damas sans obtenir de succès décisif. Au retour il a reçu le tribut de Qalparunda (d’Unqi)16. Il a dû cependant combattre les deux mêmes adversaires en l’an XIV (835 av. J.C.), preuve du peu d’efficacité de ses précédentes « victoires »17. L’année suivante marchant à l’Euphrate il a perçu le tribut de Lalla de Melid et fait ériger sa statue au bord du fleuve18 En l’an XVII il s’est fait livrer leur tribut par les rois de ঩atti alors qu’il se rendait sur le mont Amanus19. L’an XVIII (841 av. J.C.) a été marqué par la reprise de la guerre contre Damas et en l’an XXI le roi a conquis plusieurs cités de ce pays et reçu les tributs de Tyr, Sidon et Byblos sans que les « Hittites » soient mis en cause. L’an XX a été consacré à une expédition menée contre Katê le roi « hittite » de QuƝ, en Cilicie plane20. Les cités de Lusanda 15

N.Na’aman, « Was Ahab Killed by an Assyrian Arrow in the Battle of Qarqar ? », UF 37, 2005, 461-474. 16 RIMA 3, A.O. 102.6 II 68-III 15. 17 Ibid., A.O.102 6 III 24-33. 18 Ibid., A.O.102 6 III 46-57. 19 Ibid., A.O.102.16 116’-122’a. 20 Ibid., A.O.102.16 143’-151’

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(=Lawazantiya), AbarnƗnu et Kisuatnu (=Kizzuwatna/ Kummani) ont été conquises et des statues de Salmanasar y ont été élevées. L’année suivante a été marquée par la reprise de la lutte contre Damas et son roi Hazael mais Salmanasar ne manque pas de signaler qu’il a reçu au passage le tribut de « tous les rois du pays de ঩atti » et des cités phéniciennes (Tyr, Sidon, Byblos)21. En l’an XXII (837 av. J.C.) le roi d’Aššur va pour la première fois pénétrer profondément sur le plateau anatolien et dans le vieux pays hittite. Après avoir reçu le tribut du peuple de Melid il traverse le mont Timur pour attaquer les cités de Tuatti, le roi de Tabal qui est enfermé dans sa capitale d’Artulu. Kikki son fils se soumet. Les 20 (ou 24) « rois » de Tabal livrent leurs tributs. Le roi d’Assyrie et son armée escaladent le mont Tunni, le mont d’argent, et menace la cité de Puপame, le roi de ঩ubušna (Kybistra/Ere÷li) se soumet. De là il fait l’ascension du mont Mulû, la montagne d’albâtre, où il fait ériger sa statue22. C’est probablement sur le chemin de retour que Salmanasar a attaqué Paপri (classique Pagrai, au débouché d’un col de l’Amanus ?), une cité royale du roi de QuƝ, Katê23 Cette incursion dans des régions centrales et méridionales de l’ancien royaume hittite fournissent les premières attestations de l’existence du pays de Tabal dont les suzerains avaient repris, ou reprendront, le titre de Grand Roi. Mais au IXe siècle avant notre ère la région reste vide de toute inscription. Il est probable qu’elle ne renouera avec la pratique des hiéroglyphes qu’au cours du siècle suivant. En l’an XXIII (836 av. J.C.) le roi retraverse l’Euphrate pour la 21e fois et reçoit les tributs de Lalla, le roi de Melid et des 20 (ou 24) rois du Tabal24. En l’an XXVI (833 av. J.C.) le roi d’Aššur franchit l’Amanus pour la septième fois et marche, pour la quatrième 21

Ibid., A.O.102.16 152’-162’ RIMA 3, A.O.102.16 162’b-181’a. 23 Ibid., A.O.102.40. 24 Ibid., 3, A.O.102.16, 181’b-194’. 22

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fois contre les cités de Katê le roi de QuƝ. Il soumet Tullu le seigneur de Tanakum et assiège le mont Lamenaš où la population s’est réfugiée. Il massacre les défenseurs, s’empare des troupeaux et marche contre Tarse qui se soumet et verse un tribut d’or et d’argent. Il installe Kirrî, le frère de Katê, comme souverain du pays et, sur le chemin du retour, procède à de nouvelles coupes de bois de cèdres dans le mont Amanus25. En l’an XXVIII (831 av. J.C.), Salmanasar, alors qu’il résidait à Calah, apprend que le peuple du pays de Patin a tué son seigneur, Lubarna (II), son vassal, et installé sur le trône un « fils de personne », c’est-à-dire un usurpateur, nommé Surri. Il ordonne au « maréchal » DayƗn-Aššur de marcher contre le Patin. Ce dernier atteint Kunulua, déporte l’usurpateur et installe à sa place un certain SƗsi, « l’homme du pays de Kuru  â » qui s’empresse de verser un tribut d’argent, d’or, d’étain, de bronze et d’ivoire « sans mesure ». Une statue colossale de Salmanasar est élevée à Kunulua, la capitale du pays26. Dorénavant le roi d’Aššur ne mènera plus lui-même les expéditions dirigées contre ses ennemis mais en laissera la charge au commandant de ses armées (le turtƗnu), DayƗnAššur, qui va diriger plusieurs campagnes contre l’Urartu et d’autres contrées du nord et du nord-est. Les pays hittites, soumis et pacifiés n’étaient plus les objectifs premiers de l’armée assyrienne. Il est certain que les offensives renouvelées du roi d’Aššur et de ses généraux ont eu de graves conséquences dans les pays hittites et dans toute la région comprise entre l’Anatolie orientale et la Syrie. Les lourds tributs imposés aux vaincus ont certainement appauvri les royaumes hittites et araméens, en particulier Karkemiš et le Patin. Mais la résistance rencontrée par les armées de Salmanasar ont permis à certains royaumes aussi bien hittites qu’araméens (Hamath, Damas) de s’affirmer comme les centres de celle-ci alors que Karkemiš s’isolait et 25 26

Ibid., A.O.102.16, 216’b-227’. Ibid., A.O.102.16, 268’-286’a.

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évitait les attaques assyriennes en versant un lourd tribut au roi d’Aššur. Il est possible que sa situation de vassal tributaire ait duré jusqu’à la fin bien que les annales assyriennes ne mentionnent plus que rarement la cité et le royaume jusqu’à leur chute aux mains de Sargon II, en 717 avant notre ère. La succession de ses rois n’est pas assurée et les inscriptions hiéroglyphiques se font rares, sauf en ce qui concerne Yariri et Kamani, dans la dernière période de l’histoire du royaume qui avait dominé la Syrie hittite depuis l’installation de l’un de ses fils par Šuppiluliuma sur le trône de la cité (c.1325 av. J.C.). 3) Les pays hittites au IXe siècle avant notre ère Les annales et les autres textes d’Aššurna irpal II et de Salmanasar III sont les premiers qui permettent de tracer un large tableau des royaumes hittites à cette époque, aussi bien de ceux dont on possède des inscriptions hiéroglyphiques que de pays « illettrés » comme le Tabal. Pour la première fois, quelques inscriptions hiéroglyphiques viennent compléter les données fournies par les sources assyriennes. a) Karkemiš Le règne du roi de Karkemiš, Sangara, qui est mentionné par un texte d’Aššurna irpal II (c.870 av. J.C.) et cinq fois dans les annales de Salmanasar III (en 858, 857, 853, 849 et 848) n’a pas laissé d’inscriptions ou de sculptures qui puissent lui être attribuées avec certitude. Il est possible que cette situation ait été la conséquence des interventions assyriennes et de la lourdeur des tributs qui lui ont été imposés. On peut lui supposer un règne d’une trentaine d’années (c.875-845 av. J.C.) mais l’absence d’inscriptions hiéroglyphiques empêche de savoir à quel titre il gouvernait le pays de ঩atti, en tant que roi ou en tant que « Country-Lord » et tarwani et quels étaient ses liens, s’ils existaient, avec la dynastie de Suhi. Il est possible qu’il ait inauguré, après ses défaites, une prudente politique de « neutralité » envers l’Assyrie dont il se reconnaissait le tributaire, que continueront ses successeurs pendant plus d’un 91

siècle et qui explique la survie, jusqu’en 717 av. J.C., de son royaume. b) le pays de Kummuপ Le cas de Qatazilu (un ঩attušili) de Kummuপ (la Commagène) est comparable. Son royaume situé sur la rive droite du haut Euphrate avait une capitale du même nom située sans doute à l’emplacement de la classique Samosate, sur le grand fleuve27. Qatazilu s’était soumis à Aššurna irpal II en 866 av. J.C. et lui avait livré son tribut à ঩uzirina (Sultantepe) avant de renouveler son geste devant Salmanasar III qui traversait son royaume pour attaquer le Gurgum en 858 av. J.C. Son successeur, Kundašpu, suivra son exemple en 853. Une tradition de non-belligérance avec Aššur s’est ainsi établie. Aucune inscription ne peut être attribuée aux deux rois en question. Dans cette région l’usage de l’écriture avait été abandonné au cours des « âges obscurs » et ne sera réintroduit qu’au cours de la période suivante. c) Le royaume de Gurgum Le roi Halparuntiya II (Qalparunda pour le roi d’Aššur), fils de Muwatali et petit-fils de Muwizi s’est soumis à Salmanasar III en 853 av. J.C., renouvelant le geste de son père Muwatali (Mutallu dans les annales de Salmanasar) en 858. Il nous a laissé une inscription hiéroglyphique, Maraú 4 qui décrit ses victoires. Il est probable, s’il s’agit bien d’un texte gravé sur une statue funéraire par ordre de son héritier que les exploits qu’il mentionne aient été accomplis après la soumission du roi de Gurgum au monarque assyrien : « Je (suis) Halparuntiya, le tarwani, le roi de Gurgum, fils du tarwani Muwatali. En une année j’ai frappé la cité Hirika, en cette (même) année j’ai établi Tarhunza UPATITASI. J’ai conquis la cité Iluwasi et (escaladé ?) le mont Atursaliyanza et 27

J.D.Hawkins, CHLI, 330-331.

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ravagé (?) le pays Hirika... ». Ayant rappelé que ni son père, Muwatali, ni son grand-père, Muwizi, n’avaient accompli de tels exploits il affirmait les avoir exaltés ainsi que ses ancêtres. Quand il avait conquis la cité Iluwasi il avait fait couper les pieds des hommes et fait des garçons des eunuques28. d) Le pays de Tabal et ঩ubušna Salmanasar III a pénétré dans le vieux pays hittite en l’an XXII de son règne (837 av. J.C.), atteignant la partie centrale du plateau anatolien et fournissant ainsi les premières informations disponibles, après la chute du grand royaume, sur une région qui se confond en grande partie avec le « Bas-Pays » hittite. L’expédition qui l’a mené, de Melid jusqu’aux monts Tunni et Muli, dans le Taurus, lui a permis d’entreprendre le siège de la « capitale » du Tabal, Artulu, et d’obtenir la soumission de son roi, Kikki, fils de Tuatti et de 20 (ou 24) autres petits rois du pays. Le Tabal formait donc une sorte de confédération de cités-états mais le nom de Tuatte, qui réapparaîtra au cours des générations suivantes, était sans doute un titre dynastique. Lui et ses descendants, rois ou Grands Rois de Tabal, avaient une prééminence reconnue par les autres seigneurs de la région. De là le roi d’Aššur a poussé vers le sud et soumis Puhamme de ঩ubušna, la classique Kybistra (Ere÷li). Il est remarquable qu’aucune inscription hiéroglyphique n’ait été retrouvée dans cette zone datant de cette époque. C’est peut-être l’attaque assyrienne qui a poussé les petits rois de la région à réorganiser leur administration et à lui faire adopter l’usage de l’écriture hiéroglyphique déjà largement répandu plus à l’est29.

28 29

J.D.Hawkins, CHLI, 255-258 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 72-73. M.Wafler, « Zu Status und Lage von Tabal », OR 52, 1983, 181-193 ; J.Freu, RANT 2, 2005, 410-411.

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e) La Cilicie (঩ilakku et QuƝ/঩umƝ) La région de la Cilicie trachée où se trouvait le grand port hittite d’Ura est devenue après la fin de l’empire le pays de ঩ilakku, nom qu’il léguera à toute la Cilicie. L’ancien Kizzuwatna (la Cilicie plane) a été connu dorénavant comme le pays de QuƝ (঩umƝ pour les Babyloniens), ceci dès l’époque de Ramsès III (Qdy à Medinet Habu). Il a conservé ses vieilles métropoles, Tarse et Adana. Salmanasar III s’est heurté à Katê de QuƝ et Piপirim de ঩ilakku qui avaient adhéré à l’alliance formée contre lui par les rois syriens en 858 av. J.C. Plus tard, en 839, son offensive contre Katê lui a permis de s’emparer de Lusanda (hittite Lawazantiya), Abarnani et Kisuatni (=Kizzuwatna/ Kummani) et d’élever plusieurs de ses statues en divers points de la région. Le relief découvert à Uzuno÷lantepe, à 20km au nord-est de Kozan, le représente sans doute30. C’est probablement à son retour du Tabal, en 836, que le roi d’Aššur a attaqué la « cité royale » de Katê, Paপri. Il a ensuite mené trois raids contre ce pays, en 833, 832 et 831C av. J.C., s’emparant d’une autre résidence de Katê, Timur, puis de Tanakum, la ville d’un seigneur nommé Tulli et enfin de Lamena et de Tarzi (Tarse). La population s’est soumise et a reconnu comme souverain le frère de Katê, Kirri. Le roi de Sam’al, Kilamuwa, au nom louvite, qui accusait le « roi des Adanéens » (mlk dnnym), Katê vraisemblablement, de l’avoir opprimé, avait fait appel au roi d’Assyrie, certainement à cette occasion31. La publication de la bilingue louvito-phénicienne de Çineköy a donné, comme on l’a vu, de nouvelles indications sur les origines de la dynastie qui a gouverné le pays de QuƝ. Le texte hiéroglyphique, tardif, montre que le royaume portait aussi le nom de Hiyawa dérivé de celui du pays d’Aপপiyawa qui désignait sans doute le monde mycénien à l’âge du Bronze 30

O.A.Taúyürk, « Some New Assyrian Rock-Reliefs in Turkey », AnSt 25, 1975, 169-180, pp.169-172, fig.1-3 pp.170-171. 31 J.D.Hawkins, CHLI, 41.

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Récent32. La forme Hiyawa caractérisée par l’aphérèse propre aux parlers louvites se retrouve dès la fin de l’empire hittite dans deux lettres retrouvées à Ras Shamra (Ugarit), l’une du Grand Roi Šuppiluliyama (II), l’autre d’un dignitaire, PentiŠarruma33. Or le texte phénicien de Çineköy fait du pays de Hiyawa celui des DNNYM, les gens d’Adana. Dans l’inscription bilingue de Karatepe, plus tardive, le roi défunt du pays, Urikki, est désigné comme un descendant de Mopsos (Mukšu en hittite, MPŠ en phénicien). Il est donc probable que des éléments venus de l’ouest égéen et de l’Asie mineure occidentale ont, comme déjà vu, joué un rôle décisif dans la formation du royaume de QuƝ désigné comme le pays des (A)danéens. Ils amenaient avec eux des céramiques de l’Helladique Récent III C1, ce qui confirme ce que l’ont peut deviner de leurs origines34. f) Le pays de Patin (Unqi) Le nord de la Syrie a connu une évolution différente de celle des pays du plateau anatolien et de la Cilicie. L’usage des hiéroglyphes et de la langue louvite pour rédiger des inscriptions lors des incursions qui ont accompagné le rétablissement de la puissance assyrienne étaient des pratiques courantes dès le début du IXe siècle avant notre ère ou même auparavant. Les nouvelles lectures proposées des inscriptions de la citadelle d’Alep, de Ta‘yinat, l’antique Kunulua, de Meharde et de Shaizar montrent que cette région avait formé à l’origine un ensemble portant le nom de « pays de Palistin », en souvenir de 32

R.Teko÷lu, A.Lemaire, « La bilingue royale louvito-phénicienne de Çineköy », CRAI 2000, 961-1006. 33 S.Lackenbacher, F.Malbran-Labat, « Ugarit et les Hittites dans les Archives de la ‘Maison d’Urtenu’ », SMEA 47, 2005, 227-240 ; I.Singer, « Ships Bound for Lukka : A New Interpretation of the Companion Letters RS 94.2530 and RS 94.2523 », AoF 33, 2006, 242- 262 ; J.Freu in J.Freu, M.Mazoyer, Hh 4, 2010, 194-195. 34 A.M.Jasink, M.Marino, « The West-Anatolian origins of the Que kingdom dynasty », SMEA 49, 2007, 407-426.

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l’un des Peuples de la Mer, les Philistins, qui s’y était installé35. Plusieurs royaumes « hittites » ont prospéré ensuite dans le domaine abandonné par les Philistins, en particulier celui d’Unqi ou Patin installé dans la plaine d’Amuq et la basse vallée de l’Oronte, l’ancien pays de Mukiš (capitale Alalaপ). Aššurna irpal II a entrepris vers 870 av. J.C. une marche qui l’a mené de la région de Karkemiš au pays du roi Lubarna (un Labarna) de Patin qu’il a abordé à ঩azazu, la moderne ‘Azaz, avant de franchir la rivière Apre (l’Afrin) et d’atteindre sa capitale, Kunulua, où il s’est fait remettre un lourd tribut et des otages ainsi qu’une escorte de cavaliers et de fantassins. Traversant l’Oronte et la Sangura il a atteint Aribua, une forteresse de Lubarna et attaqué le pays de Luপuti, une dépendance de Hamath située plus au sud. Les envoyés de Lubarna ont assisté à l’inauguration de la cité de Kalhu et des déportés du Patin y ont été installés. Dès sa première année de règne (858 av. J.C.) Salmanasar III, venant du pays de Gurgum, a affronté une coalition formée par Hayanu de Sam’al, un araméen, Sapalulme (un Šuppiluliuma) de Patin, Aপuni du BƯt-Adini (un araméen) et Sangara de Karkemiš. Traversant l’Oronte il a dû affronter les mêmes adversaires auxquels s’étaient joints Katê de QuƝ et Pihirim du ঩ilakku ainsi que deux autres princes araméens, détruisant UrimƝ, « la cité fortifiée de Lubarna de Patin ». Le pays avait donc selon toute apparence deux souverains à cette date, un roi et un corégent (?), portant des noms caractéristiques de la dynastie impériale hittite. Mais en 857 et en 853 c’est un certain Qalparunda de Patin qui livre son tribut au roi d’Aššur. En 829, à la nouvelle que les Patinites avaient tué leur prince, Lubarna (II), et reconnu un usurpateur, Salmanasar envoie le tartanu, Dayan-Aššur. L’usurpateur est tué et les habitants reconnaissent un certain Sasi, le protégé du roi d’Aššur. Il est très probable que Qalparunda de Patin attesté en 857 et 853 se confonde avec le Halparuntiya connu par une inscription de Tell

35

J.D.Hawkins, « Cilicia, the Amuq and Aleppo : New Light in a Dark Age », Near Eastern Archaeology 72/4, 2009, 164-173.

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Ta‘yinat qui a été reconstituée à partir de six fragments. Lui ou un ancêtre homonyme y reçoit le qualificatif de Palis(a)tinéen36. Le royaume de Patin (ou d’Unqi) était donc lettré à cette époque mais on ne peut que déplorer la rareté des textes hiéroglyphiques qui ont survécu dans sa capitale et dans la région. g) Hamath La grande cité de la vallée de l’Oronte, la moderne Hama, est ignorée, tout au moins sous ce nom, par les textes de l’âge du Bronze Récent37. Dans les annales assyriennes le nom de Hamath désigne d’ailleurs un pays (KUR) plutôt qu’une ville (URU). Les fouilles menées à Hama par la Fondation Ny Carlsberg de Copenhague ont permis de préciser la stratigraphie du tell et de découvrir de nouveaux fragments de sculptures et d’inscriptions hiéroglyphiques qui sont venu compléter ceux découverts au début du XIXe siècle38. Il est difficile de savoir quelle valeur, sans doute illusoire, il faut attribuer aux passages de la Bible qui mentionnent un roi To‘i de Hamath (au nom hourrite ?) et son fils Joram, au nom hébreu (!)39. Le fait qu’une dynastie araméenne a fini par prendre le pouvoir à Hamath à la fin du IXe siècle avant notre ère semble montrer que très tôt éléments araméens et hittites se sont mêlés dans la vallée de l’Oronte. Aššurna irpal II, lors de sa marche le long de cette vallée, vers 870 av. J.C., a razzié le pays de Luপuti (araméen l‘š) qui était une dépendance du Hamath et qui correspondait vraisemblablement au pays de Nuপašše, la zone de steppe s’étendant d’Alep à l’Oronte, de l’âge du Bronze Récent40. 36

J.D.Hawkins, CHLI, 365-368 ; cf. A.M.Jasink, StMed 10, 79-83. M.Astour, « Tunip-Hamath and its Region », OR 46, 1977, 51-64. 38 Cf. J.D.Hawkins, CHLI, 398-400 et nn.5-12; références aux travaux et publications de H.Ingholt, P.J.Riis, etc. 39 A.Malamat, JNES 22, 1963, 6-8. 40 P.E.Dion, « L’incursion d’Aššurna irpal II au Luপutu », Or 69, 2000, 133138 ; sur l’extension du pays cf. P.E.Dion, « Le Hamath-Lu‘ush », Les 37

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Salmanasar III s’est heurté, quant à lui, à la grande alliance regroupée autour du roi de Damas en 853 av. J.C. qui comprenait aussi bien Achab d’Israel qu’Irপuleni de Hamath, cité en second dans la liste des ennemis. Il aurait capturé à cette occasion trois cités royales de ce dernier, Adennu, Barga et Argana avant de livrer l’indécise bataille de Qarqar. Le roi d’Aššur a dû faire face à la même coalition en 849 et 848, année de la capture d’Aštamaku, une dépendance de Hamath, et en 845. Le roi Irপuleni des textes assyriens n’est autre que le roi Urhilina dont on possède plusieurs inscriptions hiéroglyphiques certainement plus récentes que celles de Taita, « l’homme de Palistin » et de sa veuve centenaire, trouvées à Meharde et Shaizar, qui régnaient sans doute à la fois sur Kunulua, Alep et Hamath. L’inscription Hama 4, découverte en 1812, débute ainsi : Je (suis) Urhilina, fils de Parita, le roi hamathite.

Se vantant d’avoir établi le siège (le temple) de chaque dieu il insistait sur l’installation de celui de la déesse Ba‘alat (Pahalati) qu’il avait construit et sur lequel il avait fait graver son nom à côté de la représentation de la déesse (syrienne) alors qu’au temps de son père et de son grand-père le temple avait manqué de moyens pour subvenir à son entretien41. Les stèles de Restan et de Qal‘at el Mudiq (Apamée) ont conservé le nom du roi et confirment sa dévotion envers la déesse Ba‘alat : Je (suis) Urhilina, fils de Parita, le roi hamathite. Cette cité je l’ai construite pour Ba‘alat42.

Araméens, Paris 1997, 137-170 ; E.LipiĔski, « Hamath and Luƥath », The Aramaeans, OLA 100, 2000, 249-318. 41 J.D.Hawkins, CHLI, 403-408 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 99-100. 42 CHLI, 408-409 ; A.M.Jasink, ibid., 100.

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Hama 8 souligne qu’il a fait bâtir un grenier pour la même déesse43. Sept coquillages retrouvés en pays assyrien, à Nimrud, ont été gravés au nom de « Urhilina REX »44. La tranquillité relative qu’a connu le royaume de Hamath à la fin du règne de Salmanasar III et au cours de ceux de ses successeurs a assuré une longue période de paix à Urhilina et à son successeur Uratami qui a laissé de courtes inscriptions, exemple: Je (suis) Uratami, fils d’Urhilina, [le roi hamathéen. J’ai moi-même] construit cette forteresse que le pays de la rivière Hurpata a fait. Ce sont des gens de Halpa (Alep)45.

Les autres textes de ce roi reprennent la même expression mais en attribuant les travaux de construction des forteresses à d’autres responsables : les gens du « pays de la rivière Laka et du pays de Nikima » (Hama 2), ceux de la rivière Musanipa (Hama 3)46 ; ceux de Kusunala (Hama 6) ; ceux du mont Labarna (le Liban ?) et de Hamayara (Hama 7)47. Les contrées chargées de réaliser les travaux ordonnés par le roi sont parfois désignées par le nom d’une rivière, sans doute un affluent de l’Oronte. La présence des gens d’Alep laisse supposer que la ville, déchue, était devenue une simple dépendance de Hamath. Le caractère hittite du royaume de Hamath est assuré par les noms des trois rois qui se sont succédé sur le trône au IXe siècle avant notre ère, Parita, Urhilina et Uratami. Mais il est certain que ces personnages, bien qu’ils aient fait rédiger des inscriptions hiéroglyphiques en langue louvite, étaient profondément insérés dans le milieu syrien comme le montrent leurs alliances et leur dévotion envers Ba‘alat (Pahalati) une 43

CHLI, 409-410. CHLI, 410-411 ; A.M.Jasink, StMed 10, 100-101. 45 CHLI, 413-414 (Hama 1) ; A.M.Jasink, ibid., 101-102. 46 W.Röllig, RLA VIII, Berlin 1993-1997, 499b (Mušuni (pa). 47 CHLI, 413-415 (Hama 2-3, 6-7) ; A.M.Jasink, StMed 10, 102-103. 44

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divinité syro-phénicienne. Des éléments araméens étaient sans doute présents dans la région dès cette époque et c’est un araméen, Zakur, qui est devenu le maître du pays à la fin du IXe siècle avant notre ère. Son inscription araméenne trouvée à Afis le désigne comme le roi de « hmt et de l‘š », c’est-à-dire de Hamath et Luaš48. Le dernier roi de Hamath, Yau-bi’di, sera cependant appelé un « méchant hittite » par Sargon II. On a ici un bel exemple de l’évolution qu’ont connue plusieurs royaumes « hittites » de Syrie à cette époque. Bien que leur histoire soit connue insuffisamment et surtout par des sources étrangères il ne semble pas que des conflits violents aient marqué les relations entre Hittites et Araméens. Cependant l’infiltration progressive des tribus araméennes a entraîné un effacement progressif du caractère hittite de la région. Les inscriptions araméennes (ou phéniciennes) ont remplacé les textes hiéroglyphiques bien que des princes araméens n’aient pas hésité à faire graver de telles inscriptions ou à faire dresser des stèles dans le style néo-hittite. h) Le cas du pays de Sam’al et des rois Kilamuwa Le site fortifié de Zincirli Höyük, l’antique Sam’al, situé au pied du mont Amanus, à 110km au nord d’Antioche et à 120km à l’ouest de Karkemiš, a été fouillé à la fin du XIXe siècle par des archéologues allemands puis, à partir de 2006, par l’Oriental Institute de l’Université de Chicago. Les seigneurs du lieu donnaient à leur pays le nom de Y’DY, à lire sans doute YƗdiya, peut-être un nom louvite (?). Une dynastie, celle de Gabbar (au nom sémitique) y a régné de la fin du Xe à la fin du VIIIe siècle que l’on peut reconstituer ainsi49 :

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P.E.Dion, Les Araméens, 1997, 147-156 ; E.LipiĔski, The Aramae-ans, 2000, 254-255 ; cf. A.M.Jasink, StMed 10, 110-111. Cf. R.B.Wartke, Sam’al : Ein aramäischer Stadtstaats des 10. bis 8. Jhs. v. Chr. und die Geschichte seiner Erforschung, Mainz, 2005.

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GabbƗr (c.920/900 av. J.C.) ............ BNH (ou BMH)/BƗnihu ঩ayanu (défait par Salmanasar III en 858 av. J.C.) Ša’Ưl, son fils Kilamuwa, son frère ............. QRL (Qarli ?) Panamuwa I, fils de QRL Bar njr (tué avant son accession au trône, c.745 av. J.C.) Panamuwa II, fils de Bar njr, restauré par Tiglatphalasar III, tué à Damas dans les rangs assyriens en 733/732 av. J.C. Barrakib, son fils, vassal de Tiglatphalasar III50 La cité avait été refondée, après la chute de l’empire hittite, par des louvites et les reliefs sculptés sur les orthostates encadrant les portes de la cité sont de style hittite mais la succession de noms sémitiques et de noms louvites (en -muwa) dans la même lignée pose de difficiles problèmes d’interprétation. Il avait été admis en général que les noms étrangers à l’onomastique louvite présents dans cette liste étaient araméens et témoignaient d’une migration de tribus venues du moyen Euphrate en Syrie du nord51. Mais les textes sémitiques retrouvés à Zincirli présentent des particularités qui obligent à distinguer le « samal’ite » de l’araméen proprement dit. Il s’agissait peut-être de l’idiome parlé par des anciens habitants, des sémites occidentaux, de la région52. Sam’al deviendra pourtant araméenne, comme toute la 50

J.D.Schloen, A.S.Fink, « New Excavations at Zincirli Höyük in Turkey (Ancient Sam’al) and the Discovery of an Inscribed Mortuary Stele », BASOR 356, 2009, 1-13, pp.1-8 ; E.Masson, La stèle mortuaire de Kuttamuwa (Zincirli) : comment l’appréhender », Semitica et Classica 3, 2010, 47-58 ; cf. J.D.Hawkins, CAH III/1, 1982, 397-398 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 112-113. 51 Cf. en particulier P.E.Dion, Les Araméens, 1997, 99-112, pp.106-110 ; E.LipiĔski, The Aramaeans, 2000, 243-248. 52 J.Huehnergard, « What is Aramaic ? », ARAM 7, 1995, 261-282.

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Syrie, au témoignage des inscriptions tardives de KTMW et de Barrakib. L’étonnant est de voir apparaître des noms louvites parmi les successeurs de GabbƗr sans qu’un changement dans la lignée royale ait été signalé. Le père de Kilamuwa est le « ঩ayanu, fils de GabbƗr » mentionné par les annales de Salmanasar III comme un membre de la coalition anti-assyrienne en 858 av. J.C. puis comme un loyal tributaire en 857 et 853. Cependant Kilamuwa, le premier de cette lignée à prendre un nom louvite n’hésite pas à déclarer : « GabbƗr devint roi sur YƗdiya mais il ne fit rien ». De son frère et prédécesseur il dit de même : « Puis il y eut mon frère Ša’il et il ne fit rien »53. Il est possible que ces notations péjoratives (et habituelles) s’expliquent par le fait que Kilamuwa était le fils d’une princesse louvite et le demi-frère de son prédécesseur54. Il reconnaît dans son inscription que Sam’al était faible et menacée par le roi des Dnnym, c’est-à-dire le roi d’Adana qui tenait le pays de QuƝ, la Cilicie plane. Il avait fait appel au roi d’Aššur, son suzerain, contre ce péril et celui-ci l’avait protégé, sans doute au cours de ses campagnes menées contre le roi de QuƝ, Katê, en 839 et 834-833 (ou 833-831) av. J.C. Dans la seconde partie de son inscription Kilamuwa se vante de ses actions en faveur de son peuple et des efforts qu’il avait entrepris pour rapprocher les deux composantes de celui-ci, les mškbm et les b‘rrm, l’une représentant peut-être les louvites, l’autre les samal’ites (?). La découverte récente d’une stèle mortuaire appartenant à KTMW (Kattamuwa), serviteur de Panamuwa (II), montre un personnage comparable dans sa représentation au roi Barrakib, le fils de Panamuwa. Son cadavre avait été brûlé selon une pratique (d’origine indo-européenne) propre à de nombreux hittites et louvites mais contraire aux croyances des populations sémitiques pour lesquelles la crémation était une abomination que l’on réservait en principe à ses pires ennemis. 53 54

KAI 24=TSSI III, 13, 3-4 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 113-115. E.LipiĔski, The Aramaeans, 241-242.

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La stèle de Kattamuwa montre le personnage assis devant une table d’offrandes. Il porte un bonnet conique et son aspect est comparable à ceux des personnages royaux ou princiers montrés en procession dans le hilani III de Zincirli55. Un texte de 13 lignes est gravé devant la figure de Kattamuwa : Je suis KTMW/Kattamuwa, serviteur de Panamuwa, qui a commandé pour moi (cette) stèle alors que j’étais encore vivant. Je l’ai placée dans ma chambre d’éternité et établi une fête (à accomplir dans) cette chambre : un taureau pour Hadad QR/PDP/RL, un bélier pour Nikarawa/Nikaruha, un bélier pour le Soleil, un bélier pour Hadad du vignoble, un bélier pour Kubaba et un bélier pour mon âme (nbš) qui (résidera) dans cette stèle (seront sacrifiés). A l’avenir, celui de mes fils ou celui des fils de quelqu’un d’autre qui entrera en possession de cette chambre, qu’il prenne le meilleur de ce vignoble comme offrande année après année. Qu’il accomplisse aussi l’abattage (des victimes face) à mon âme et qu’on assigne pour moi une cuisse (de l’animal sacrifié)56

Il est remarquable et inattendu que Kattamuwa évoque la déesse de Karkemiš, Kubaba, ce qui est unique dans les textes retrouvés à Zincirli. Le nom louvite du personnage et l’inscription araméenne de la stèle montrent le degré d’interpénétration des éléments hittites et samal’ites ou araméens dans cette région de la Syrie à l’âge du Fer. Un autre exemple en est fourni par la bague en or de Barrakib retrouvée 55

E.J.Struble, V.Rimmer Herrmann, « An Eternal Feast at Sam’al : The New Iron Age Mortuary Stele from Zincirli in Context », BASOR 356, 2009, 1549, fig.3 p.18 ; fig.4 p.21. 56 D.Pardee, « A New Aramaic Inscription from Zincirli », BASOR 356, 2009, 51-71.

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dans le palais de Zincirli dont l’inscription bigraphe, montre le vivant usage que faisaient les petits souverains de Syrie du multilinguisme répandu dans toute la région. Il faut rappeler à ce propos la déclaration de Yariri, le régent (tarwani) de Karkemiš qui prétendait maîtriser 12 langues différentes, dont l’assyrien (K-A 15b, 18-19). On voit même à cette époque apparaître des rédactions trilingues d’un même texte comme l’épigraphe trilingue, louvite, araméen et assyrien gravé sur le lion du portail d’Arslan Tash57 et sur la stèle en basalte découverte en 1995 à Incirli, entre Maraú et Zincirli, qui montre une effigie royale et porte au revers trois versions, très effacées, d’un même texte transcrit en hiéroglyphes hittites, en araméen et en phénicien58.

57

58

G.Bunnens, « Hittites et Araméens à Til Barsip : a Reappraisal », Fs E.LipiĔski, OLA 65, 1995, 19-27. G.B.Lanfranchi, « A Happy Son of the King of Assyria : Warikas and the Çineköy Bilingual (Cilicia) », in M.Luuko et al. (éds), Neo-Assyrian and relative Studies in Honor of Simo Parpola, Studia Orientalia 106, Helsinki, 127-150, p.131 ; cf. E.Masson, Semitica et Classica 3, 2010, p.50.

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CHAPITRE V

L’INTERLUDE ASSYRIEN (823-745 AV. J.C.) 1) Les successeurs de Salmanasar III et les Hittites a) Šamši-Adad V (823-811 av. J.C.) Le long règne de Salmanasar III s’est terminé par des troubles et la révolte de l’un de ses fils qui aurait duré sept ans, de la fin de son règne aux premières années de son successeur (826-820). Celui-ci, Šamši-Adad V a été préoccupé en premier lieu par ses relations avec les pays du nord (Naïri) et la Babylonie. Les pays de l’Ouest ont connu une période de tranquillité au cours de son règne bien que son fils, Adadnirari III, ait affirmé que leurs rois s’étaient révoltés contre son père sous le direction de celui, araméen, d’Arpad. Les Assyriens ont gardé le contrôle de leur poste avancé sur la rive droite de l’Euphrate, face à Kar-Salmanasar/Til Barsip1. b) Adadnirari III (810-783 av. J.C.) Le nouveau roi, jeune lors de son avènement a laissé de grands pouvoirs à sa mère, Sammuramat, la légendaire Sémiramis, au cours des premières années de son règne. La chronique des éponymes (limu) donne un bref résumé de ses campagnes dirigées avant tout vers le nord et l’est (contre les Mèdes). Il est intervenu en Syrie entre 805 et 796 av. J.C., contre des rebelles désignés comme les « huit rois de ঩atti » (dont, sans doute, ceux de QuƝ, Unqi, Gurgum, Melid et Sam’al) et a soumis Ataršumki, le roi d’Arpad qui s’était révoltée contre son père. La victoire de Paqarপubuni lui a permis de briser la coalition. Le turtƗnu Šamši-ilu a arbitré un 1

J.D.Hawkins, CAH III/1, 1982, 399.

conflit frontalier entre Arpad et Hamath. Un règlement du même genre a permis de fixer les frontières entre le roi de Kummuপ, Ušpilulume (un Šuppiluliuma) et celui de Gurgum, Qalparunda, fils de Palalam (=Larama). Une expédition du roi à travers la Syrie lui a donné l’occasion d’atteindre la Méditerranée, d’imposer tribut à Damas, à Joash d’Israel, à Tyr et Sidon, d’élever une stèle dans l’île d’Arwad et d’abattre des cèdres sur le Liban. Le roi est aussi intervenu en Babylonie, contre les Chaldéens en particulier. Mais l’accroissement des pouvoirs des gouverneurs de province, devenus les maîtres de vastes domaines, a affaibli l’autorité royale2. c) Salmanasar IV (782-773 av. J.C.), Aššurdan III (772-755), Aššurnirari V (754-745) Ces trois règnes ont marqué une période de déclin de l’Assyrie et de montée en puissance de l’Urartu dont le roi, Šarduri II se vante d’avoir défait Aššurnirari V. Cependant Salmanasar IV prétend être allé jusqu’à la montagne des cèdres en 775 avant notre ère et le turtƗnu Šamši-ilu, a reçu le tribut de Damas et, à son retour, confirmé les frontières établies par Adadnirari III entre les pays de Kummuপ (du roi Ušpilulume) et de Gurgum3. En 772 av. J.C. Aššurdan III a mené campagne contre ঩atarika, près d’Alep, action qu’il a renouvelée en 765 et 755 selon la chronique des éponymes. La faiblesse du pouvoir assyrien et la montée en puissance de l’Urartu ont laissé une période de relative tranquillité aux royaumes hittites au cours des règnes de ces trois souverains. d) Les interventions des rois d’Urartu en pays hittite Le roi d’Urartu Menua (c.810-786 av. J.C.) a profité de l’affaiblissement de l’Assyrie pour étendre sa domination sur la 2

Stèle de Pazarcik : S .Ponchia, L’Assiria e gli stati transeufratici nelle prima meta’ dell’ VIII sec.a.C., Padova, 1991, 9ss ; A.K.Gray-son, CAH III/1, 271-276; J.D.Hawkins, ibid., 399-401. 3 Stèle der Pazarcik, verso in S.Ponchia.

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haute vallée de l’Euphrate et occuper le pays de Supa, l’ancien Išuwa hittite, face à Melid. Le roi de Melid a été contraint de lui rendre hommage et le roi d’Urartu a fait construire une série de forteresses à la frontière du « pays hittite ». Son fils, Argišti I (c. 786-764) a pénétré profondément à l’intérieur de l’Anatolie au cours de sa quatrième campagne (c.783), dans « le pays de Tuate », c’est-à-dire le Tabal, et s’est emparé du district de Niriba ainsi que de deux cités du roi de Melid, ঩elaruada, fils de Šaপu4. Mais la guerre menée en permanence contre les Assyriens et ses efforts pour étendre son territoire vers le nord ont limité l’impact de la puissance ourartéenne en pays hittite. Cependant ঩elaruada de Melid a été de nouveau attaqué par le fils d’Argišti, Sarduri II (c.764-735) qui, après avoir franchi l’Euphrate et s’être emparé de plusieurs localités, a obtenu la soumission du roi de Melid contraint de verser un tribut d’or, d’argent et de bétail. Après avoir guerroyé au nord et atteint la Mer Noire le roi s’est tourné de nouveau vers les pays hittites, imposant au roi de Kummuপ, Kuštašpi, de livrer un lourd tribut, 40 mines d’or raffiné, 800 mines d’argent, 500 vêtements, 2000 boucliers de cuivre, 1535 coupes de cuivre, témoignage de la richesse des pays hittites à cette époque (c.746 av. J.C.). Le roi d’Urartu a été capable de regrouper autour de lui une coalition anti-assyrienne comprenant les rois de Kummuপ, d’Arpad, de Melid et de Gurgum. L’avènement de Tiglatphalasar III à Aššur (745/744 av. J.C.) a marqué le tournant des relations entre l’Assyrie et l’Urartu. La défaite de Šarduri et de ses associés en 742 a obligé ce dernier à abandonner ses conquêtes et ses alliances en pays hittite5.

4 5

Cf. A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 66-67. R.D.Barnett, CAH III/1, 345-350.

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2) Les pays hittites à la fin du IXe et dans la première moitié du VIIIe siècle avant notre ère. a) Karkemiš L’absence de témoignages assyriens sur la situation de Karkemiš et de ses princes pendant plus d’un siècle pose un difficile problème alors que l’installation d’une place forte assyrienne à Kar-Salmanasar, l’ancienne Til Barsip, sur la rive gauche de l’Euphrate, à 20km en aval de la métropole hittite, constituait une grave menace pour la sécurité de celle-ci. Il ne semble pas que la poussée des rois d’Urartu ait menacé Karkemiš. L’apparente neutralité de ses rois dans les conflits qui ont affecté les autres états, hittites et araméens, de la région montre qu’un modus vivendi s’était instauré entre Karkemiš et Aššur, qu’aucune des deux parties n’avaient intérêt à rompre. Cette période de calme a favorisé le développement de la ville et la floraison des œuvres d’art, sculptures et bas-reliefs gravés sur les orthostates, en particulier le long du rempart de la cité. Les inscriptions mentionnent la construction de nouveaux bâtiments aussi bien que les travaux d’irrigation entrepris par les souverains du pays. Le roi Astiruwa semble avoir été le fondateur d’une nouvelle dynastie dans la seconde moitié du IXe siècle av. J.C. Il n’a laissé aucune inscription mais il est mentionné sur une stèle gravée au nom de l’un de ses serviteurs, Kazupi, fils d’Azini, retrouvée près de Körkün, à 20km au sud-est de Gaziantep. L’auteur du texte a donné une vigne, dans cette localité, à son épouse Nanasi et à l’enfant de celle-ci. Il déclare avoir établi à cet endroit le Tarhunza d’Alep alors que le roi Astiru(wa) y avait bâti lui-même des maisons. Son petit-fils et son arrièrepetit-fils sont chargés d’offrir des sacrifices au dieu. Une malédiction est lancé contre quiconque enlèverait cette vigne à Nanasi ou aux descendants de celle-ci6. Il est remarquable que dans ce texte Astiruwa soit désigné comme un roi (REX). Il 6

J.D.Hawkins, CHLI, 171-175 ; le roi est aussi mentionné dans des généalogies, cf. ibid. p.78 et n.72 ; A.M.Jasink, StMed 10, 32-33.

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avait peut-être disparu quand la stèle de Kazupi a été gravée et la jeunesse de son fils a alors permis à un « régent », Yariri (nom lu d’abord Arara), de diriger le pays et de prendre soin des enfants de son maître avant que le fils aîné d’Astiruwa, Kamani, puisse prendre le pouvoir. Il semble que Yariri ait été le commandant de la garde des eunuques chargés de protéger la famille royale. Lui-même était vraisemblablement un eunuque (wasinasi-)7. L’inscription gravée sur un orthostate du mur d’enceinte de la cité, publiée par Hogarth8, précise la position de Yariri : Je (suis) Yariri, le régent (IUDEX/tarwani)..., le prince réputé à l’Est et à l’Ouest, aimé des dieux...Mon nom, en témoignage de ma justice, Tarhunza et le Soleil l’ont fait monter jusqu’au ciel et les dieux l’ont répandu et les hommes ont entendu (parler) de moi jusqu’au pays de Mizra (Egypte ?), d’un côté jusqu’à Babylone (?) et d’un autre côté parmi (ceux) de Musa (URBS), Muska (URBS/la Phrygie ?) et Sura (URBS /Aššur très probablement)... Et quand j’ai construit cet édifice pour Kamani, le fils de mon seigneur il est accouru à cette enceinte. Je l’ai établi dans une situation élevée...bien qu’il fût un enfant. Et avec lui j’ai établi ses frères... Et bien que Kamani fut un enfant je les ai installés (lui et ses frères) ...trois fois, quatre fois et l’ai élevé face à Tarhunza, le Soleil, Kubaba et chaque dieu. Je lui ai fait dire : « O Kubaba toi-même les feras grands dans ma main. Quand il se rend à cette enceinte j’ai bâti pour lui cet édifice.

Si l’édifice passait à un autre roi les malédictions prononcées contre quiconque détruirait la stèle ou effacerait son nom (« que 7 8

CHLI, 78 ; A.M.Jasink, ibid., 33-34. Carchemish I, 1914, 28, pl. A6.

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les chiens de Nikarawa (?) mangent sa tête! ») terminaient l’inscription (K-A6)9. Yariri a fait rédiger des épigraphes sur les bas-reliefs représentant la famille royale : Celui-ci (est) Kamani et ceux-ci sont ses jeunes frères. Je l’ai pris par la main et je l’ai établi sur le temple alors qu’il était un enfant. Ceci est l’image de Yariri, celui-ci (est) Malitispa, celuici Astitarhunza, et celui-ci Tarnitispa, celui-ci Iskaritispa, celui-ci Sikara, celui-ci Halpawari, celui-ci Yahilatispa et celui-ci Tuwarsai... (KA7)10.

Il est remarquable que, parmi les dix frères trois portent des noms théophores formés avec celui (hourrite) du dieu de l’Orage, Tešup devenant ici ‘tispa-’. Dans l’inscription A15b « Yariri, le IUDEX, le prince aimé de Tarhunza, Kubaba, Karhuha et du Soleil », se vante d’avoir renforcé Karkemiš et exalté la maison de son maître. Il a détourné une rivière de son cours, construit le temple d’un dieu et fait sculpter sa propre image. Il a désigné Kamani comme son successeur et étendu sa protection à ses frères. Il a fait rédiger des textes en diverses écritures, celle de la cité (les hiéroglyphes) l’assyrienne (les cunéiformes), celle de Taimani (?) et déclare connaître 12 langues, ce qui lui a permis de rassembler autant de peuples, avant d’en venir à l’édification de sa statue11. L’inscription mutilée K-A24a mentionne une ville de Parnassa et parle du roi d’Aššur accusé, semble-t-il, d’avoir enlevé le dieu Tarhunza d’Alep. Mais son caractère fragmentaire empêche de conclure. On a ainsi la preuve, 9

J.D.Hawkins, « Who was Yariris ? », AnSt 29, 1979, 157-160 ; CHLI, 123126 (K-A6) ; A.M.Jasink, StMed 10, 35-36. 10 J.D.Hawkins CHLI, 126-129. 11 CHLI, 130-134 (K-A15b).

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semble-t-il, que les relations avec l’Assyrie étaient parfois tendues12. Un bol de pierre a conservé quelques lignes qui mentionnent Yariri : « Et ce HURI (?) de Kubaba, Moi, Yariri, je l’ai consacré par l’autorité de Kubaba (et) de Karhuha... »13. Au tournant du IXe au VIIIe siècle av. J.C. Karkemiš a été gouvernée par un homme fort, le « régent » Yariri, un eunuque, qui a profité de la mort prématurée du souverain du pays, Astiruwa, pour établir un gouvernement solide tout en protégeant les fils de son maître. Les réalisations artistiques qui ont caractérisé son époque sont la marque du haut degré de prospérité atteint par Karkemiš au cours de sa « régence »14. Les rares allusions faites à l’Assyrie montrent que des relations pacifiques dans l’ensemble existaient alors entre Karkemiš et son puissant voisin qui connaissait une phase de déclin. L’héritier légitime du trône, Kamani, est devenu le souverain de Karkemiš lors de la mort ou de l’effacement de Yariri (vers 780 ou 770 av. J.C. ?). Dans l’inscription K-A31+ « Kamani le IUDEX » déclare avoir construit un temple à Kubaba et avoir placé sa statue devant lui. Il a soumis la forteresse de Pinata et rétabli des enceintes, qui avaient été dévastées, en l’honneur de Kubaba « reine de Karkemiš », avant de lancer les malédictions habituelles contre ceux qui ne respecteraient pas les dieux ou ignoreraient ses paroles et que Kubaba poursuivrait15. Il est remarquable que lui aussi se contente du titre modeste de IUDEX/tarwani et ne prenne pas celui de roi ou de Grand Roi. La tradition établie par la famille de Suhi s’est donc maintenue sans qu’on puisse connaître la raison de cette « modestie ». Une stèle de basalte retrouvée à Cekke, à près de 70km au sud-ouest de Karkemiš, et ornée d’un bas-relief représentant le dieu de l’Orage tenant la foudre et dressé sur un taureau porte deux inscriptions. A l’avers, un dénommé DOMINUS-tiwara 12

Ibid., 134-139 (K-A24a2+3) Ibid., 139-140 (K-II.25a, Bible Lands Museum, Jerusalem). 14 Cf. W.Orthmann, USK, 29-45 ; S.Mazzoni, « Ricerche sul com-plesso dei rilievi neoittiti di Karkemish », RSO 51, 1977, 7-38. 15 J.D.Hawkins, CHLI, 140-143 ; A.M.Jasink, StMed 10, 38-39. 13

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déclare avoir élevé cette stèle en l’honneur de son maître Sastura. Des offrandes seront offertes à Tarhunza, un veau, un bœuf et un mouton. Au revers le texte principal a été dû au même auteur : Je (suis) DOMINUS-tiwara, le serviteur aimé de Sastura. Ce [LIGNUM.... ?] DOMINUS-tiwara l’a établi pour Sastura, son maître et cette stèle ce dernier l’a composée... Pour le céleste Tarhunza ils brûleront un veau et dans le futur lui offriront un bœuf et un mouton. Kamani le IUDEX, Seigneur du pays des cités de Karkemiš et Malizi (?), (et) Sastura, le premier serviteur de Kamani ont acheté la cité Kamana aux gens de Kanapuwa avec leurs...et ils ont donné 600 mules (disant) : ...3 mines d’argent (?) nous donnons aux fils de Warpata,...à Labarna et à Zaza nous donnons quatre mines d’argent (?) de la cité Nuhuza, ...dans chaque cité devant Ahali, le Seigneur de la rivière nous ferons un banquet (?)

D’autres transactions étaient ensuite énumérées. Des stèles seront gravées pour délimiter les diverses propriétés qui étaient transférées en tant que « donation pour les pères et les fils ». Ces transferts étaient réalisés en faveur de divers personnages, pères et fils, désignés par leur appartenance aux localités suivantes : Zilaparaha, Harawa, Lutapa (?), Apakuruta, Zarahanu, Sarmuta, Isata, Huhurata et Satarpa. Malédiction était lancée contre quiconque violerait les limites de ces domaines ou effacerait les paroles gravées sur la stèle. Les dieux, le céleste Tarhunza, Karhuha et Kubaba, le Dieu Bon et Ea, la Lune et le Soleil feraient de sa vie une pierre !16

16

CHLI, 143-151 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 39-41 ; F.C.Woud-huizen, SLHT 2, 2005, 11-21 ; F.Giusfredi, TdH 28, 252-259.

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Une inscription ayant un sujet comparable, K-A4a, fait référence à la vente de maisons (domaines) au roi Kamani qui les a revendues à un neveu, Parisarma, le petit-fils de Papitati. Des témoins sont nommés et un pressant appel est lancé à Tarhunza, Karhuha et Kubaba, le Soleil, la Lune et Parakara pour qu’ils poursuivent quiconque ne respecterait pas les propriétés de « mon fils, mon petit-fils et mon arrière-petitfils »17. Un texte mutilé (Tünp 1) se réfère à une transaction du même genre18. De même K-A25b qui mentionne Kamani19. Il est difficile de comprendre la suite des événements et la succession de Kamani20. Bien que ce dernier eût de nombreux frères il semble que ce sont les descendants de son « premier ministre » (hantili), Sastura, qui ont pris le pouvoir après sa mort. Le relief inscrit K-A 21+22 b+a a été l’œuvre du fils de Sastura, dont le nom a disparu. Il se présente comme le Héros et le Seigneur du pays de Karkemiš et de Ma(lizi) (?), aimé de Kubaba. Malheureusement la phrase « Pour me faire grand mon père Sastu(ra)... » est cassée et il n’est pas sûr que Kubaba l’ait fait asseoir sur le trône paternel. Sinon il faut admettre que Sastura avait occupé le trône après Kamani bien que l’auteur de l’inscription reconnaisse que ses pères avaient été des serviteurs21. Un petit fragment, K-20b1 a conservé le nom d’un Astiru(wa) qui pourrait se confondre avec le fils de Sastura et être considéré comme un Astiru(wa) II et comme le père de Pisiri, le dernier roi de Karkemiš déposé par le roi d’Assyrie, Sargon II, en 717 avant notre ère22. Toute cette reconstruction reste incertaine mais il est assuré que Karkemiš, longtemps épargnée par les offensives assyriennes en pays hittite, a connu un développement 17

CHLI, 151-154 ; A.M.Jasink, ibid., 41 ; F.Giusfredi, ibid., 261-263. CHLI, 154-156 ; F.Giusfredi, ibid., 264-266. 19 CHLI, 156-157. 20 J.D.Hawkins, « Kamanis and Sasturas », AnSt 29, 1979, 160-162. 21 J.D.Hawkins, CHLI, 157-162 ; A.M.Jasink, StMed 10, 43-44. 22 CHLI, p.79 et n.75. 18

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remarquable sous la dynastie d’Astiruwa, de Kamani et de Sastura. C’est la dernière période bien documentée de l’histoire du royaume de Karkemiš que les annales assyriennes ignorent en général au cours du dernier siècle de son existence. b) Les royaumes de Tabal, Melid et Kummuপ A la différence de Karkemiš les autres royaumes hittites sont avant tout connus pendant cette période par les annales des rois d’Aššur et, secondairement, par celles des rois d’Urartu, plutôt que par leurs propres inscriptions hiéroglyphiques. Le Tabal situé au cœur du vieux pays hittite avait été attaqué par Salmanasar III. Son roi Tuatte, (un titre plutôt qu’un nom ?) prétendait peut-être au titre de MAGNUS REX que prendront certains de ses successeurs. Chaque cité du Tabal avait une grande autonomie et un « roi » local mais tous reconnaissaient en principe l’autorité de Tuatte et de sa famille. Il est possible que les mines d’argent du mont Tunni et les carrières d’albâtre du mont Muli, sources de richesse pour le Tabal, toutes deux situées dans le Bolkar Da÷, au centre du Taurus, que Salmanasar se vantait d’avoir atteintes, aient été placées sous la dépendance directe de la dynastie de Tuatte23. Vers 780 av. J.C. le roi d’Urartu, Argišti I, devenu le suzerain du royaume de Milid a pénétré dans le « pays des fils de Tuatte »24. Aucune inscription hiéroglyphique n’est jusqu’à présent venu compléter les données fournies par les sources assyriennes et ourartéennes. Le Tabal, pourtant limitrophe du Milid à l’est semble être resté un pays illettré à cette époque. Le Milid dont le territoire s’étendait vers l’ouest et le nordouest jusqu’à Gürün (Tilgarimmu) et la conque d’Elbistan a 23

M.Wäfler, « Zu Status und Lage von Tabal », OR 52, 1983, 181-193, p.182 ; J.D.Hawkins, CAH III/1 ? 394-396 ; CHLI I/2, 427 ; J.Freu, « Des Grands Rois de Tarপuntašša aux Grands Rois de Tabal », RANT 2, 2005, 399-418, p.410. 24 M Wäfler, ibid., 189-190 ; J.D.Hawkins, CAH III/1, 406 ; J.Freu, ibid., 410411.

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subi les attaques aussi bien des rois d’Aššur que des souverains de l’Urartu. Du fait de sa situation, il a supporté le premier les conséquences de la montée en puissance des rois de ce pays. Le premier souverain du nouvel état ayant marché vers le sud, Menua (c.810-786 av. J.C.), a occupé le pays de Supa (hittite Išuwa, la Sophène classique), à l’est de Malatya et installé une forteresse au passage du fleuve à Izolu vers 800/790 av. J.C.25 Il a reçu l’hommage du roi de Melid. A la même époque le maître de la cité participait à la coalition menée contre Zakur de Hamath sous la direction du roi d’Arpad (796 av. J.C.). Le fils de Menua, Argišti I (c.786-764), a imposé tribut au roi de Melid, ঩elaruada, fils de Šaপu (c.780). Son successeur, Sarduri II (c.764-735) a fait de même (c.760) et ordonné de graver une inscription commémorant ses exploits sur un rocher dominant l’Euphrate à Izolu (Tumeški)26. Il est probable que le texte hiéroglyphique gravé sur un roc, à ùirzi, qui a été l’œuvre d’un certain Sa(?)tiruntiya, « Héro, Seigneur du pays de Malizi », fils de Sahwi (à identifier à Šaপu ?) est le témoin de l’action d’un membre de cette lignée soumise au roi d’Urartu27. Le contrôle du passage de l’Euphrate ouvrait au roi d’Urartu, qui avait conclu une alliance avec Arpad à laquelle Melid et son roi Sulumal, avait dû se joindre, la route de la Syrie. Le royaume de Kummuপ (Qumaha en ourartéen), correspondant à la Commagène classique avait une capitale portant le même nom que le pays. Elle doit se confondre avec la cité hellénistique de Samosate et avec la Samsat moderne. Soumis par le roi d’Aššur, Salmanasar III, le royaume « hittite » de Kummuপ est resté un fidèle vassal de l’Assyrie au cours de la période suivante. En 805 av. J.C. son roi Ušpilulume (Suppiluliuma) a fait appel à son suzerain, Adadnirari, III et à la reine Sammuramat (Sémiramis) contre l’araméen Ataršumki d’Arpad qui avait pris la tête d’une coalition de 8 rois28. Le roi 25

König, HChI 25, ll.7-17 ; J.D.Hawkins, CHLI 284-285. J.D.Hawkins, CAH III/1, 405 27 J.D.Hawkins, CHLI, 322-324. 28 Stèle de Pazarcik ; RIMA 3, A.O.104.3 ; V.Donbaz, ARRIM 8, 1990, 8-10 ; A.M.Jasink, StMed 10, 170-171. 26

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assyrien avait alors fixé favorablement la frontière entre le Kummuপ et le pays de Gurgum du roi Qalparunda, « fils de Palalam (=Larama) ». Suppiluliuma qui est attesté de 805 à 773 av. J.C. a eu un assez long règne et son fils Hattusili, connu lui aussi par une inscription, lui a succédé. Kuštašpi qui est monté ensuite sur le trône a été attaqué vers 750 av. J.C. par Sarduri II d’Urartu et a dû payer tribut à ce dernier qui avait menacé ses « cités royales ». Il s’est joint à l’alliance conclue entre les rois d’Urartu et d’Arpad qui a été défaite par Tiglatphalasar III en 743 avant notre ère29. L’inscription Boybeypinari 1/2 décrit la dédicace d’un trône et d’une table à la déesse Kubaba, faite par l’épouse de Suppiluliuma : Ce trône et cette table Moi Panamuwati, l’épouse du tarwani Suppiluliuma qui est le seigneur de la rivière Sukita je les ai dédiées. Je les ai dédiées (comme part) de sa dîme. Et Azami, le serviteur du tarwani Suppiluliuma les a placées.

Il est précisé que c’est Pedantimuwa le scribe et Asatarhunza, le KWANANALA (?) qui ont fait graver l’inscription. La reine était la fille du seigneur du fleuve Azami. Son fils, Hattusili, a succédé à son père 30. L’inscription gravée sur un rocher, à Malpınar (13km d’Adıyaman) a été l’œuvre d’un serviteur de Hattusili : Cette statue ( ?) Moi Atayaza, le serviteur du tarwani Hattusili, Seigneur du fleuve (FLUMEN.DOMINUS) des cités de Sarita ( ?) et Sukita, je l’ai faite.

29 30

J.D.Hawkins, CHLI, 333. Ibid., 334-340 ; A.M.Jasink, StMed 10, 1995, 46-48.

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Atayaza était donc un vassal de Hattusili et avait fait ériger sa statue à cet endroit. Il conviait le roi ou le seigneur de la rivière qui l’approcherait à lui offrir le sacrifice d’un mouton31. Le titre de Seigneur du fleuve, utilisé surtout en Commagène, semble avoir été réservé à un vassal du maître de ce pays32. c) Gurgum et les autres pays hittites Le roi Larama II de Gurgum (c.830-805 av. JC), fils de Halparuntiya II, a bénéficié du calme relatif qui a marqué la fin du règne de Salmanasar III en Assyrie et s’est prolongé sous ses successeurs. Il a été très probablement l’auteur de la dédicace d’un grenier (inscription d’Iskenderun d’origine inconnue) gravée sur un bloc de forme inhabituelle où son nom apparaît. Après avoir précisé les quantités de grain qu’on pouvait y entreposer il terminait par les malédictions habituelles contre quiconque effacerait son nom33 Le roi Qalparunda (Halparuntiya III) son fils, est entré dans l’alliance des « huit rois de ঩atti » groupés autour de l’araméen Ataršumki d’Arpad (avec Melid, Sam’al, QuƝ et Unqi à coup sûr) en 805/804 avant notre ère. Vaincu avec ses alliés à Paqarপubuni il a dû accepter une rectification de sa frontière au profit de l’allié des Assyriens, Ušpilulume (Suppiluliuma) de Kummuপ. Comme on l’a vu on peut l’identifier avec le roi Halparuntiya III, fils de Larama II qui a fait graver la généalogie de ses ancêtres sur un orthostate en forme de lion érigé à la porte de la cité (Maraú 1)34. Il se peut que l’inscription soit posthume et ait accompagné une statue colossale du roi juché sur un lion. L’inscription du chef eunuque Asiwassu, gravé sur un fragment de statue, Maraú 14 peut être datée de la même époque35. 31

CHLI, 340-344 ; A.M.Jasink, ibid., 48-49. F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 101-103 (FLUMEN.DOMINUS). 33 J.D.Hawkins, CHLI, 259-261 ; A.M.Jasink, StMed 10, 74. 34 CHLI, 261-265 ; A.M.Jasink, ibid., 74-76. 35 CHLI, 265-267 ; A.M.Jasink, ibid., 76. 32

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Les autres royaumes hittites sont connus avant tout par une stèle de Zakur, le souverain araméen de Hamath qui y dénonce l’alliance formée contre lui par Bar-Hadad (Ben-Hadad) de Damas, fils de Hazael, et Ataršumki d’Arpad, incluant les rois de QuƝ, d’Unqi, de Sam’al et de Melid. Les coalisés avaient assiégé le roi de Hamath à Hazrak, le centre de sa province septentrionale du Lu‘ash. Il est assuré que la « divine intervention » qui l’a sauvé a été celle des forces assyriennes. C’est le tout puissant gouverneur assyrien de Kar-Salmanasar (Till-Barsip), Šamši-ilu, qui se proclame le « gouverneur du pays de ঩atti », qui a dirigé la politique assyrienne en Syrie à cette époque et réglé au profit de Hamath la querelle de frontière qui l’opposait à Arpad. Ces deux royaumes étaient alors gouvernés par des Araméens, Hamath ayant perdu sa dynastie hittite, suite à la probable usurpation de Zakur36. Arpad avait été l’état le plus puissant de la région mais le fils d’Ataršumki, Mati’ilu a dû conclure un traité (de vassalité) avec le roi d’Aššur Aššurnirari V en 754 av. J.C. puis un autre accord avec le mystérieux Barga’ya du KTK qui apparaît comme le partenaire éminent dans la convention qui a réglé les rapports entre les deux princes. On a supposé que ce dernier était le successeur de Zakur à Hamath37. Mati’ilu a, par la suite, conclu une alliance avec Sarduri II, le roi d’Urartu. Adversaire résolu des Assyriens il sera l’une des premières victimes de l’offensive menée à l’ouest de l’Euphrate par un nouveau roi conquérant, Tiglatphalasar III, pour détruire l’alliance nouée entre l’Urartu et les royaumes hittites et Araméens de la Syrie et de l’Anatolie orientale à partir de l’année de son avènement (745/744 avant notre ère).

36 37

J.D.Hawkins, CAH III/1, 403-404. J.D.Hawkins, CAH III/1, 407-408.

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CHAPITRE VI TIGLATPHALASAR III ET LES HITTITES I. Les campagnes de Tiglatphalasar III en pays hittite Le second fils d’Adadnirari III est monté sur le trône en 745/744 av. J.C. à la faveur d’une révolution de palais. Il a restauré la puissance assyrienne et contré l’influence que l’Urartu avait acquise dans les pays hittites. Avec ce roi la politique assyrienne dans le domaine hittite est devenue plus agressive et les annexions de territoires accompagnées de déportations des populations, jusqu’alors limitées, ont marqué le début d’un processus qui aboutira à la disparition des royaumes hittites et araméens et à celle de l’écriture hiéroglyphique. Les rois de Melid (Sulumal), de Kummuপ (Kuštašpi) et de Gurgum (Tarপulara) avaient adhéré à l’alliance conclue entre le roi d’Urartu, Sarduri II et celui d’Arpad (le roi araméen de BitAgusi qui dominait la région d’Alep), Mati’ilu. Le roi de Karkemiš était apparemment resté à l’écart de la coalition. Tiglatphalasar a rencontré et vaincu Sarduri et ses alliés au pays de Kummuপ en 743 av. J.C. : « Sarduri, l’ourartéen s’était révolté contre moi et s’était allié avec Mati’ilu, fils d’Agusi. Entre Kištan et ঩alpi j’ai détruit la cité de Kummuপ (et) leur ai infligé une défaite »1. Le roi de Gurgum, Tarপulara, s’est soumis et a dû payer tribut mais la résistance tenace d’Arpad n’a été brisée qu’en 740 après trois ans de siège de sa capitale et son territoire a été transformé en province assyrienne2. 1

D.D.Luckenbill, ARAB I, 1926, §785 ; M.Astour, « The arena of Tiglatpileser III’s campaign against Sarduri II (743 B.C.) », Assur 2/3, 1979, 6991 ; H.Tadmor, The Inscriptions of Tiglat-pileser III, Jerusalem 1994, 5152 ; 101-103. 2 H.Tadmor, Scripta hierosolymitana 8, 1961,253ss.

Le roi d’Unqi, Tutammu, s’étant révolté ainsi que les districts septentrionaux du pays de Hamath (dont celui de ঩atarikka), le roi d’Aššur, sous prétexte que son vassal avait violé son serment d’allégeance, l’avait déporté en Assyrie ainsi que les gens de sa cour. Il avait placé son trône au cœur du palais du vaincu. Les habitants et les troupeaux avaient été distribués aux soldats à titre de butin alors que des déportés d’autres régions étaient installés à leur place. Un eunuque était devenu le gouverneur de la nouvelle province3. Les zones rebelles du pays de Hamath (঩atarikka et Njimirra) avaient formé, elles aussi, deux nouveaux districts de l’empire assyrien. Le processus ainsi entamé ne devait plus s’arrêter qu’aux frontières de l’Egypte et préluder à la conquête de ce dernier pays par les rois Esarhaddon et Aššurbanipal. A cette époque (en 738 av. J.C.) le roi d’Aššur a fait dresser une liste des pays tributaires qui inclut Israel, Tyr, Sidon, Hamath et Damas et qui fournit un tableau des rois hittites vassalisés et de leurs pays à cette époque: Kuštašpi de Kummuপ, Urikki de QuƝ, Pisiri de Karkemiš, Panammu (II) de Sam’al, Tarপulara de Gurgum, Sulumal de Melid, Dadilu de Kaška, Waššurme de Tabal, Urballa de Tuপana, Uškitti d’Atuna, Tuপamme d’Ištunda et Urimme de ঩ubišna (ainsi que la reine arabe Zabibe). De lourds tributs leur étaient imposés : or, argent, étain, fer, bois divers et toutes sortes de choses précieuses tirées des trésors royaux, vêtements de lin, laine teinté de pourpre bleue et rouge, bois de toutes sortes, moutons vivants dont la laine était teinte en pourpre rouge, oiseaux volants du ciel aux ailes peintes en bleu-pourpre, chevaux, mules, bovins et moutons, chameaux, etc.4. On a ainsi la preuve que Tiglatphalasar III est largement intervenu sur le plateau anatolien et a soumis des petits rois qui sont connus par 3 4

ARAB I, §769, §772 ; H.Tadmor, The Inscriptions..., 57-58. M.Weipert, « Menahem von Israel und seine Zeitgenossen in einer Steleninschrift des assyrischen Königs Tiglatpileser III aus Iran », ZDPV 89, 1973, 26-53, pp.33-34 ; L.D.Levine, « Two Neo-Assyrian Stelae from Iran », Royal Ontario Museum. Art and Archaeology. Occasional Paper 23, 1972, 14-15 ; H.Tadmor, The Inscriptions..., 1994, 69 ; 107-109.

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ailleurs grâce à leurs inscriptions hiéroglyphiques, les premières retrouvées dans le vieux pays hittite si on excepte celles, archaïques, du Kızılda÷, du Karada÷, de Burunkaya et de Karahöyük (Elbistan). La reprise de la lutte contre Damas a été accompagnée par des interventions en Israel, dont le roi Pekah a été déposé, en Juda devenu un pays vassal et dans le pays des Philistins. Damas, tombée en 732 après une longue résistance est elle aussi devenue la capitale d’une province assyrienne. Une série des rois vassaux, comparable à celle dressée quelques années plus tôt a été dressée à la suite de ce triomphe. Pisiri de Karkemiš devait y figurer ainsi que les rois de Kaška et de ঩ubišna mais leurs noms ont disparu dans les lacunes du texte. Panammu II de Sam’al, quant à lui, avait été tué dans les rangs assyriens au cours du siège de Damas5. En 729 av. J.C. Waššurme de Tabal, l’un des tributaires de ce pays, qui se présentait comme un « Grand Roi », a été accusé de s’être soustrait à ses engagements. Un haut officier, le rab ša reši, a été chargé de le déposer, d’installer à sa place un « fils de personne », ঩ulli, et de prélever sur le pays un tribut de 10 talents d’or, de 1000 talents d’argent et de 2000 chevaux6. Sur un tout autre terrain la lutte menée en Babylonie contre les Chaldéens, tribus proches des Araméens, a permis à Tiglatphalasar de conquérir la basse Mésopotamie et de monter sur le trône de Babylone en 729 av. J.C., parachevant ainsi la construction d’un vaste empire s’étendant de l’ancien pays de Karduniaš aux frontières de l’Urartu et du cœur de l’Asie mineure à la Palestine7. Tout le monde hittite et araméen a été englobé dans ce nouvel ensemble. La politique de vassalisation des pays situés à l’ouest de l’Euphrate a été systématiquement poursuivie et a préludé à la politique d’annexion qui sera mise en œuvre par les successeurs de Tiglatphalasar III, Sargon II en particulier. Un nombre important d’inscriptions hiéroglyphiques peuvent être datées du règne de Tiglatphalasar III alors que leur 5

A.K.Grayson, CAH, III/2, 1991, 77-79. ARAB I§802 7 A.K.Grayson, CAH III/2, 80-83. 6

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nombre va diminuer ensuite, en grande partie sous l’effet de la politique d’annexion poursuivie avec constance par ses successeurs immédiats. II) Les pays hittites à l’époque de Tiglatphalasar III a) Les Grands Rois et petits rois du Tabal L’examen des textes assyriens et des inscriptions hiéroglyphiques montre que le pays de Tabal s’étendait à l’âge du Fer du cours moyen du Maraššantiya (Kızılırmak) aux contreforts du Taurus (Pozanti Da÷), région correspondant aux actuels vilayets de Kayseri et de Nevúehir. Il est impossible d’y adjoindre le « southern group » défini par J.D.Hawkins (Tuwana, Nahita) qui n’appartenait pas au Tabal8. Le centre de ce dernier pays semble avoir été la région de Kululu qu’il faut vraisemblablement identifier à l’antique ‘(A)tuna souvent citée sur les lamelles de plomb inscrites retrouvées sur le site9. Les Grands Rois de Tabal, du fait de la situation de leur pays qui recouvrait des provinces de l’ancien royaume hittite ont pu vouloir faire revivre la tradition des Grands Rois de ঩atti dont quelques monuments étaient encore visibles dans la région (ex. Fraktin, Taúçi, Emirgazi, Karakuyu). Seuls, avec quelques rois de Karkemiš, ils ont repris le titre antique de « LUGAL.GAL/ MAGNUS REX ». Salmanasar III avait attaqué le Tabal en 837/836 av. J.C., assiégé son roi Tuatte dans sa capitale Artulu (?) et soumis son fils Kikki ainsi que les 20 (ou 24) « rois » du Tabal10. Vers 780

8

J.D.Hawkins, CHLI, 424 ; contra J.Freu, « Des Grands Rois de Tar±untašša aux grands Rois de Tabal », RANT 2, 2005, 409-410. 9 M.Forlanini, Fs S.Alp, 1992, 177-178, l’identifie à la cité d’Atunuwa des textes hittites et rejette l’équation Tunna=Tynna/Zeive, admise d’abord puis abandonnée ensuite par J.D.Hawkins. 10 M.Wäfler, « Zu Status und Lage von Tabal », OR 52, 1983, 181-193, p.182 ; J.D.Hawkins, CHLI, 427.

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le roi d’Urartu, Argišti I, devenu le suzerain de Melid, a pénétré dans le pays des « fils de Tuatte »11. Ces quelques indications montrent que le Tabal était une « confédération » de principautés sur laquelle Tuatte (un nom dynastique ou un titre ?) et ses descendants possédaient une sorte de prééminence. Ils étaient les « Grands Rois de Tabal » mais les nombreuses principautés ou cités-états qui le composaient gardaient leur autonomie. Aucune inscription hiéroglyphique datée du IXe siècle avant notre ère n’est venue compléter les données fournies par les sources assyriennes et ourartéennes. Il semble que le Tabal, pourtant limitrophe du Melid était « illettré » à cette époque. Il n’en était plus de même au milieu du VIIIe siècle. Les données fournies par les annales de Tiglatphalasar III peuvent être confrontées avec les textes hiéroglyphiques des princes du pays ou de leurs « serviteurs ». Il est probable que ce renouveau de l’usage de l’écriture a eu lieu dans la région sous l’influence des royaumes hittites situés à l’est et au sud-est, surtout Melid et Karkemiš. Dans la liste des tributaires fournie par les annales de Tiglatphalasar III pour l’année 738 figurent Dadilu de Kaška (?), Wassurme de Tabal, Ušপitti d’Atuna, Urballa de Tuপana (Tyane), Tuপamme d’Ištunda et U(i)rimme de ঩ubišna (Kybistra/Ere÷li). Atuna qui est mentionnée ici était certainement une des cités-états du Tabal, et son roi l’un des vassaux du « MAGNUS.REX Wasusarma », fils de Tuwati, dont on possède plusieurs attestations hiéroglyphiques. Son père est luimême nommé sur la stèle de Çiftlik retrouvée dans le vilayet de Kayseri. L’auteur du monument se présente ainsi : Je suis [...], le serviteur de Tuwati. Tuwati a construit cet [édifice]. Ni ses pères ne l’avaient [construit] ni ses grands-pères ne l’avaient construit mais Tuwati, le serviteur de Tarhunza l’a construit...

11

M.Wäfler, ibid., 189-190 ; CHLI, ibid.

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La suite du texte est une invocation aux dieux, Tarhunza, Hebat, Ea, Kubaba, Sarruma et Alasuwa afin qu’ils assurent à Tuwati nourriture, boisson et longue vie. Le texte est cassé après que son auteur, un dignitaire ou un vassal, ait indiqué qu’il avait construit sa maison12. Un second témoignage sur le roi Tuwati (II) est fourni par l’inscription de la stèle Kululu 1 : Je suis Ruwa, serviteur de Tuwati. Ces maisons qui furent détruites par Sahizi (NP ?), je les ai reconstruites et j’en ai fait des demeures. Que les dieux... Et moi-même j’ai établi ce Tarhunza ARATALI (?) et je lui ai offert chaque année un bœuf et trois moutons.

Ruwa invoquait les dieux pour qu’ils pourchassent celui qui voudrait prendre à Tuwati ces maisons ou le vignoble attenant. Les dieux devaient être favorables à Tuwati. Quand lui-même retournera en présence des dieux par la justice de Tuwati ces maisons seront (toujours) là13. Le même Ruwa, décédé, a été honoré par une stèle funéraire (Kululu 4) qui célèbre sa piété envers les dieux et la plénitude de sa vie : J’étais Ruwa, le tarwani, béni par le Soleil. Ma postérité est aussi bénie par le Soleil. Les dieux m’ont aimé et m’ont donné une âme aimable. Sous mes seigneurs (et) le Labarna (?) ... Je fus cher à mes seigneurs et ils ont fait de moi un gouverneur (?) et je fus seigneur de la maison dans la maison du seigneur.

Ayant honoré ses maîtres et étant devenu le père de chaque homme, il a été honoré, lui aussi, et le fils de son frère, Huli, lui a élevé une stèle14. Il est curieux que dans les deux textes qui le 12

J.D.Hawkins, CHLI, 448-451 ; A.M.Jasink, StMed 10, 131-132. CHLI, 442-444 ; A.M.Jasink, ibid., 131. 14 CHLI, ,445-447 ; A.M.Jasink, ibid., 130, n.31. 13

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nomment aucun titre ne soit donné à Tuwati alors que Ruwa est désigné comme un tarwani. Ce dernier était sans doute un prince vassal. Si la lecture Labarna est assurée à Kululu 4 elle serait la désignation du Grand Roi de Tabal Tuwati mais la lecture est problématique. Seul son fils, Wasusarma, lui donne le titre de Grand Roi (MAGNUS REX) dans ses inscriptions. Il se peut enfin que le neveu de Ruwa, Huli, se confonde avec le personnage homonyme, Hulli, placé à la tête du Tabal par le roi d’Assyrie qui a fait déporter Wassurme en 729 av. J.C. sous prétexte que ce dernier n’avait pas livré le tribut exigé15. Tuwati a régné avant les interventions de Tiglatphalasar III au pays de Tabal, vers 760-740 avant notre ère. La découverte récente d’une lettre écrite sur une lamelle de plomb et trouvée à Kirúehir donne peut-être un témoignage direct sur le roi Tuwati (II). Ses premières lignes, les seules clairement compréhensibles, se présentent ainsi : A Tuwati, mon seigneur (DOMINUS), ainsi parle ton serviteur Muwatali : (Que) mon seigneur Tuwati (soit) en vie et qu’il vive bien !

Le reste du texte est difficile à interpréter et un doute subsiste sur la personnalité du récipiendaire qui n’est qualifié ni de roi ni de Grand Roi16. Les stèles de Kululu semblent montrer que la cité était la capitale d’un royaume vassal dépendant du Grand Roi de Tabal. Il se peut qu’elle se confonde avec la cité d’Atuna ou Tuna qui est souvent mentionnée sur les lamelles de plomb trouvées à cet endroit qui citent à plusieurs reprises, avec d’autres localités, Tuna en distinguant la ville haute et la ville basse. Ces documents, sur lesquels il faudra revenir, intéressent avant tout l’histoire économique du pays de Tabal.17 15

Ibid., p.427 et n.37 (référence à la tablette de Nimrud, vo 14’-15’). R.Akdo÷an, J.D.Hawkins, AMMY 2007/2008, 7-14 ; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 236-239. 17 J.D.Hawkins, CHLI, 503-513 ; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 185ss. 16

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A Topada (Acigöl), c’est le Grand Roi Wasusarma qui se présente lui-même et présente son père comme des Grands Rois : [Je suis le r]oi Wasusarma, Grand Roi, Héros, fils de Tuwati, Grand Roi, Héros. En présence de Wasusarma Muwaziti fut... Contre moi, dans la cité de Parzuta, huit rois, plus ou moins importants, me furent hostiles et trois rois furent amicaux envers moi, Warpalawa, Kiyakiya et Ruwata ». Le roi, avec son royal étalon (c’est-à-dire avec sa cavalerie), a repoussé l’ennemi de Parzuta et ses escadrons, a envahi son pays, brûlé ses cités et réduit en esclavage femmes et enfants capturés. Après deux années puis trois années de guerre les dieux Tarhunza, Sarruma et les autres lui ont donné une grande victoire. A l’avenir les dieux frapperont les ennemis et les pays qui menaceraient Wasusarma. In fine le scribe, du nom de Las, précise que c’est lui qui a rédigé la stèle du Grand Roi Wasusarma18.

Certains paragraphes du texte sont difficiles à interpréter mais le site de l’inscription près d’Acigöl, entre Nevúehir et Aksaray fournit une précieuse indication sur l’extension du Tabal en direction de l’ouest à cette époque. L’ennemi de Parzuta est probablement le prince de l’ancienne Purušপanda, une importante cité hittite située sans doute à Acemhöyük au sud du Lac Salé (Tüz Göl)19. L’usage de signes archaïques et rares est l’une des caractéristiques de l’inscription de Topada. On peut penser que la reprise des pratiques scripturaires a encouragé les scribes à imiter les graphies des anciennes inscriptions d’époque impériale tout en innovant par ailleurs20. 18

CHLI, 451-461 ; A.M.Jasink, StMed. 10, 1995, 133-134 ; F.C.Woudhuizen, SLHT 2, 2005, 52-67. 19 RGTC 6, 323-324 ; 6/2, 128 ; cf. J.D.Hawkins, CHLI, 455. 20 Liste des signes rares ou non attestés ailleurs, CHLI, 460s.

126

Le titre « MAGNUS. REX HEROS » a été repris par des suzerains qui, à l’instar des rois de ঩atti de la grande époque disposaient de plusieurs vassaux (les 20 ou 24 rois du Tabal). Des frontières du Melid aux abords du Lac Salé ils étendaient leur pouvoir sur la rive sud du Maraššantiya et le large plateau de la Cappadoce dominé par le mont ঩arkiya (Argée classique, turc Erciyes), montagne sacrée mentionnée par quelques inscriptions21. Vers le sud-ouest les Melendez Da÷lari formaient la frontière avec le royaume de Tuwana (Tuপana/Tyane), qu’on ne peut annexer au Tabal, alors que vers le sud-est les limites du pays se confondaient avec les cimes des Ala Da÷lari et du Tahtali Da÷lari (le mont Timur des Assyriens). Le bassin supérieur du Zamanti Su (le Šamri hittite) appartenait au Tabal alors que la vallée du Tohma Su, à l’est, dépendait de la Mélitène. L’inscription d’un serviteur de Wasusarma, Sarwatiwara, gravée sur une stèle découverte à Sultanhan, fournit des précisions sur la vie économique du pays de Tabal au VIIIe siècle av. J.C.22: Je (suis) [Sarwatiwara], fils de..., serviteur du Héros Wasusar-ma. J’ai établi ce Tarhunza du vignoble (disant) : « Nous l’établirons après avec un bœuf et 9 moutons mensuels ». Quand je l’ai présenté il est venu avec une bonté entière et les tiges des grains ont poussé à son pied, et la vigne a été bonne ici. Et Tarhunza du vignoble a donné [à] Wasusarma ... le roi un puissant courage et pour lui il a mis ses ennemis sous ses pieds. Quand je l’ai établi et quand dans le pays 2 moutons valaient 80 (mesures) d’orge ensuite je l’ai présenté ici avec un oiseau-TAWANI. Aussi Tarhunza fournira son aide à Sarwatiwara, le

21

Hisarcik 1 §2 ; Hisarcik 2 ; Tekirbent 1/4’ (D.MONS ha+ra/i-ha+ra/i) ; cf. J.D.Hawkins, CHLI, 483-484 ; 496-497 ; 499. 22 CHLI, 463-472 ; A.M.Jasink, StMed 10, 134-135.

127

serviteur de Wasusarma, une pluie abondante descendra du ciel et les tiges d’orge sortiront de la terre ainsi que la vigne.

Quiconque craindra le dieu sera récompensé mais quiconque s’élèvera contre lui ou le négligera sera frappé. Tarhunza fera croître le vignoble et la vigne de son fidèle qui produiront 1000 TIWATALI (setiers ?) de vin. Pour lui il fera venir 9 bœufs et 100 (setiers) de vin qu’il fera croître dans le futur. Une dîme et le sacrifice annuel de deux bœufs seront offerts au dieu23. Des malédictions sont lancées contre un ennemi éventuel que le dieu Lune de Harran percera de sa corne et que Kubaba de Karkemiš attaquera. Les dieux du ciel et de la terre, mâles et femelles, frapperont quiconque menacerait le vignoble ou causerait des dommages à la cité de Sarwatiwara qui dispose du soutien de Wasusarma et peut compter sur sa bonté. Un prêtre de Sarruma, Sariya, le « majordome en chef devant Wasusarma, Grand Roi, Héros », a rendu hommage à son maître avec un graffito gravé sur un roc, à Suvasa, à 40km à l’ouest de Nevúehir (inscription B)24. Au même endroit un certain ...]-tawa, dont le nom est mutilé a honoré lui aussi le Grand Roi Wasusarma (inscription C)25. Une stèle découverte à Kayseri a été gravée sur ordre d’un serviteur de Wasusarma, le Héros, dont le nom a disparu dans une cassure. Les noms des dieux, dont Kubaba et le dieu Lune, sont les seuls termes compréhensibles de ce texte difficile et lacunaire. Le nom de Tuwati apparaît, isolé au §1926. Parmi les alliés du roi de Tabal mentionnés sur la stèle de Topada le premier nommé, Warpalawa, n’était autre que le souverain du pays de Tuপana (Tyane), l’auteur du relief d’Ivriz, connu des annales assyriennes sous le nom d’Urballa et inclus

23

§§10-29 in F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 247-251 J.D.Hawkins, CHLI, 462-463 ; A.M.Jasink, ibid., 136. 25 CHLI, ibid. ; A.M.Jasink, ibid. 26 CHLI, 472-475 ; A.M.Jasink, 135-136. 24

128

sur les listes de tributaires en 738 et en 732 av. J.C. Son alliance avec le roi de Tabal est certainement antérieure à l’intervention de Tiglatphalasar III dans la région. Le second allié, Kiyakiya se confond avec le roi de Šinuপtu (Aksaray) qui a laissé une inscription dédicatoire sur une stèle dont subsiste la moitié inférieure. On y lit que Tarhunza a assuré la prospérité à son pays. En son temps un mouton valait 30 mesures d’orge, 20 mesures d’huile, ...mesures de vin. Les Grands Rois (et) les rois étaient venus admirer sa cité. C’est Tarhunza qui avait octroyé cette position éminente à « Kiyakiya, le tarwani », un vassal sûrement du Grand Roi de Tabal27. La déportation de Wasusarma en 729 av. J.C. l’a libéré de la tutelle de ce dernier mais il a été à son tour déporté par Sargon II en 71828. Le texte assyrien l’appelle Kiakki de Šinuপtu (Aksaray). b) Tyane (Tuপana/Tuwana), Naপita, ঩ubišna et Ištunda Situé au sud du Tabal le pays de Tuwana avait lui aussi appartenu au grand royaume hittite de l’âge du Bronze (Tuwanuwa)29. Le roc où a été sculptée la statue colossale (6 mètre de haut) du dieu de l’Orage et celle du roi qui lui fait face, situé au pied du Toros-Bolkar Da÷ (le Taurus), comporte une inscription rédigée sur ordre d’un roi Warpalawa qui doit être identifié au dénommé Urballa, roi de Tuপana, mentionné par les textes de Tiglatphalasar III. : « Ceci (est) le grand Tarhunza de Warpalawa...(et) ceci (est) l’image de Warpalawa, le Héros. Tiyamartu, aimé de Warpalawa l’a gravée»30. La stèle de Bor précise de son côté: « Je (suis) Warpalawa, le roi de Tuwana, le tarwani, le héros, fils de Muwaharani. 27

J.D.Hawkins, CHLI, 475-478 ; F.Giusfredi, TdH 28, 243-245. ARAB II, §§ 7, 55, 80, 92, 99, 118, 137 ; CHLI, n.49, p.42. 29 RGTC 6, 447-449 (Bor/Kemerhisar). 30 CHLI, 516-518 ; A.M.Jasink, StMed 10, 139-140. 28

129

Comme j’étais moi-même le fils de la maison, j’ai planté cette vigne et [j’ai établi] ce Tarhunza du vignoble ». En son temps le prix des 100 mesures de grains (?) avaient valu... mesures de vin, ce qui était la reprise d’un lieu commun des inscriptions de cette époque, tous ces petits souverains se vantant de la situation de prospérité qui régnait en leur temps. L’année de son avènement Tarhunza avait mis ses ennemis sous les pieds de Warpalawa et lui avait accordé de « longs jours »31. La stèle Ivriz 2 qui comporte une inscription phénicienne à côté du texte hiéroglyphique et qui évoque le père (Muwaharani) et la mère de Warpalawa contient une dédicace au dieu de l’Orage local et mentionne les dieux du vin et du grain32. Un dénommé Tarhunaza, tarwani (IUDEX), un prince vassal, fils de Tarhuwara et serviteur de Warpalawa, REX, HEROS, IUDEX, a fait graver une inscription sur un rocher au pied du Toros Da÷, à Bulgarmaden, pour célébrer la générosité de son suzerain qui lui avait donné la divine montagne Muti que Tarhunza et Kubaba avaient fait prospérer. Par la faveur du dieu Runtiya il y avait chassé les bêtes sauvages pour son seigneur. Celui-ci l’avait fait gouverneur du mont Muti. Des moutons étaient offerts aux dieux de Tarhunza qui devaient frapper quiconque détruirait ce texte, le dieu Lune, Nikaruha et Ku(baba)33. Il est probable que le mont Muti se confonde avec le mon Muli, le mont d’albâtre, que Salmanasar III avait «visité» après avoir gravi le mont Tunni, la montagne d’argent, en 836 av. J.C. Le roi de Tuwana avait sans doute affermé l’exploitation du mont d’albâtre à l’un de ses vassaux. La taille impressionnante du relief d’Ivriz est un témoin de la richesse de ce petit royaume qui contrôlait les Pyles ciliciennes et du développement de l’art rupestre à cette époque34. 31

J.D.Hawkins, CHLI, 518-521 ; A.M.Jasink, StMed 10, 140 ; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 245-247. 32 CHLI, 526 ; A.M.Jasink, ibid., 142. 33 CHLI, 521-525 ; A.M.Jasink, ibid., 140-141. 34 K.Bittel, Les Hittites, Paris 1976, 286-287, fig.327-328.

130

Les royaumes voisins de Nahita (turc Ni÷de), d’঩ubišna et probablement d’Ištunda étaient sans doute vassaux du roi de Tyane. Soumis par Tiglatphalasar III. Ils ont laissé peu de traces. La stèle d’Andaval, à 9km au nord-est de Ni÷de, a été élevée par ordre du IUDEX, seigneur (DOMINUS) de la cité Nahitiya, Saruwani. Son auteur se vante d’avoir procuré, au delà de la plaine, des pâturages (de montagne) à ses troupeaux de chevaux et cite Warpalawa dans un passage mutilé. Il faut voir en lui un contemporain plutôt qu’un prédécesseur de ce dernier bien qu’il ne soit pas mentionné par le roi d’Aššur35.Aucune inscription n’a survécu du roi U(i)rimme de ঩ubišna (Kybistra) ni de Tuপamme d’Ištunda, mentionnés par le roi d’Aššur. Ištunda, située sans doute dans cette région n’a pas été localisée. c) Melid, Gurgum, Kummuপ et Karkemiš Peu d’inscriptions hiéroglyphiques datant de cette époque ont survécu dans ces quatre royaumes. Les trois premiers qui avaient fait alliance avec les rois d’Urartu et d’Arpad ont été vaincus par Tiglatphalasar III dès 743 av. J.C. Kunštašpi de Kummuপ s’est soumis et est redevenu un vassal de l’Assyrie de même que Sulumal de Melid et Tarপulara de Gurgum. Cette période, de Tiglatphalasar III à Sargon II, a été marquée par la floraison de la sculpture monumentale dans toute la région. Des figures colossales, mutilées, des rois de Melid ont été retrouvées à Arslantepe. D’autres, du même genre, à Sakça Gözü, près de Zincirli (Sam’al). Le roi araméen de Sam’al, fidèle vassal de l’Assyrie, Bar-Rakib, fils de Panammu II, a laissé une inscription qui donne des précisions sur la succession des rois araméens du pays mais n’intéresse pas directement l’histoire des pays hittites36. A Karkemiš il est probable que ce sont les descendants du vizir du roi Kamani, Sastura, qui ont occupé le trône après la 35 36

CHLI, 514-516 ; A.M.Jasink, ibid., 138. H.Donner, W.Röllig, Kanaanäische Wiesbaden, 21968, n° 215.

131

und

aramäische

Inschriften,

mort de ces deux personnages. Il semble que Sastura était allié (par mariage?) avec la famille de son suzerain. Son probable fils Astiru(wa) II a peut-être été le père et le prédécesseur du dernier souverain de la cité, Pisiri. Celui-ci a dû reconnaître la suzeraineté du roi d’Assyrie dès 738 av. J.C. et peut-être auparavant. Plusieurs des sculptures tardives retrouvées sur le site appartiennent vraisemblablement à son règne. La base d’une statue colossale de la porte sud de la cité peut être dans ce cas, K-B27a. Elle avait été apparemment mise en pièce par les Assyriens mais elle nommait le « fils d’A[s]tiru[wa] », sans doute Pisiri lui-même, fils d’Astiruwa II. Les nombreux fragments de sculptures, retrouvés à Karkemiš et proches des monuments de Zincirli III-IV, datés du règne du roi Bar-Rakib de Sam’al, doivent être donnés à Pisiri mais le manque d’inscriptions rend toute attribution incertaine. d) La Cilicie (঩ilakku et QuƝ) La Cilicie a connu une longue période de paix après le règne de Salmanasar III. Un roi de QuƝ a été accusé par Zakur de Hamath d’avoir été l’allié d’Arpad dans une coalition dirigée contre lui37. Mais les listes de tributaires incluent Urikki de QuƝ parmi les vassaux de Tiglatphalasar III en 738 et 732 av. J.C. Il est quasiment certain que ce personnage, qui a régné longtemps et est signalé une dernière fois en 710/709 av. J.C. se confond avec le roi Awariku désigné comme le souverain d’Adana et de la plaine cilicienne par l’inscription de Çineköy dont il a été le commanditaire et par l’auteur de l’inscription de Karatepe, Azatiwata38.

37 38

J.D.Hawkins, CHLI, 401, n.47. Ibid., 44.

132

CHAPITRE VII LES PAYS HITTITES DE SARGON A NABONIDE (721-539 AV. J.C.) 1) Salmanasar V (726-722 av. J.C.) Le fils de Tiglatphalasar III n’a pas laissé d’annales et la chronique des éponymes est perdue pour son règne. Son grand succès a été la prise de Samarie qui a mis fin au royaume d’Israel en 722 avant notre ère. On a supposé qu’il avait annexé les pays de Sam’al et de QuƝ mais le fait est incertain. A Sam’al, Bar-Rakib qui avait été installé par Tiglatphalasar III en 733/732 av. J.C. et avait profité de la tutelle assyrienne pour assurer la prospérité de son royaume, a fait construire de nombreux bâtiments, élever des statues colossales et graver de nombreuses inscriptions. Ensuite on ne sait rien de la destinée du pays jusqu’en 681 av. J.C., époque où un gouverneur assyrien occupait la place des anciens rois1. Il est possible par ailleurs que ঩ulli qui avait été installé sur le trône de Tabal par Tiglat-phalasar III ait été déporté en Assyrie par le roi Salmanasar V2. 2) Sargon II (721-705 av. J.C.) et la politique de conquête Il est probable que le nouveau Sargon (Šarrukin) était un usurpateur. Les troubles qui ont accompagné son avènement ont favorisé la révolte des pays de l’ouest, de Hamath et de son roi araméen, Yau-bi’di, le « méchant hittite » pour le roi d’Aššur,

1 2

J.D.Hawkins, CAH III/1, 415-416. A.G.Lie, The Inscriptions of Sargon II, King of Assyria. I. The Annals, Paris 1929, 32, ll.194-195 ; J.D.Hawkins, ibid., 416.

jusqu’à Gaza en passant par Damas. Les rebelles avaient l’appui de l’Egypte. Yau-bi’di a été capturé, la population déportée et 6300 « assyriens rebelles » installés dans le pays devenu une province dirigée par un gouverneur3. Les troubles qui agitaient la Syrie étaient graves mais surtout la situation avait changé en Asie mineure. Alors que la lutte interminable menée contre l’Urartu se poursuivait sur le front nord une nouvelle puissance était apparue à l’ouest, le royaume de Phrygie dont le roi Midas (Mita de Muški pour les Assyriens) est intervenu activement dans les affaires des royaumes hittites. Il est certain que le titre dont l’ont affublé les scribes assyriens tient au fait que le roi Midas (Mita en louvite) avait rallié à son autorité des éléments de la tribu montagnarde des Muški, originaires des chaînes pontiques, qui n’avaient à l’origine aucun rapport avec les Bryges/Phrygiens. Les tribus phrygiennes venues d’Europe à la fin de l’âge du Bronze et au début de l’âge du Fer avaient peu à peu progressé vers l’est, assimilé les populations autochtones de l’Anatolie centrale et fondé un royaume dont la capitale, Gordion, a livré une riche moisson d’objets et d’inscriptions aux recherches des archéologues4. Elles ont occupé ঩attuša, l’ancienne capitale hittite, et toute la boucle du Kızılırmak au début du VIIIe siècle avant notre ère, relevé les murailles de la cité et laissé diverses inscriptions rédigées en langue phrygienne au moyen d’une écriture dérivée de l’alphabet phénicien5 Elles ont pris contact avec les royaumes hittites situés sur le plateau, en particulier avec le Tabal et Tyane. L’alliance avec le roi Warpalawa de cette dernière cité ouvrait aux Phrygiens la router des Pyles ciliciennes et de la pleine d’Adana, ce qui devait entraîner un conflit avec le roi d’Assyrie. Un précieux témoin de cette poussée phrygienne vers le sudest est fournie par les fragments d’une stèle noire, probablement basaltique (aujourd’hui disparue), inscrite en phrygien et 3

J.D.Hawkins, CAH III/1, 416-417 M.Mellink, « The Phrygian Kingdom », CAH III/2, 1991, 622-643. 5 C.Brixhe, M.Lejeune, Corpus des Inscriptions Paléo-Phrygiennes I, Paris 1984, 225-251(Inscriptions de Ptérie). 4

134

trouvée à Kemerhisar, qui n’est que l’un des témoignages de la situation nouvelle qui s’était instaurée dans la Tyanitide6. La lettre de Sargon au gouverneur assyrien du pays de QuƝ, Aššur-šarra-u ur montre qu’en 709 av. J.C. un envoyé du « roi de Muški », Midas, avait accompagné l’envoyé d’Urballa, c’està-dire de Warpalawa, roi de Tyane, à la cour assyrienne7. La politique de bonne entente et même d’alliance inaugurée par cette ambassade succédait à une période d’hostilités dont on a plusieurs attestations. Ainsi, après avoir déporté en Hatti des prisonniers venus de l’est, du pays de Mannaï8, Sargon a lancé en 718 av. J.C. une campagne contre Kiakki de Šinuপtu (Aksaray) qu’il accusait d’avoir violé ses serments de fidélité et refusé de livrer son tribut. Il y avait été vraisemblablement incité par Midas. Le roi d’Aššur a déposé Kiakki, déporté 7350 personnes et donné sa cité à Kurti, le seigneur d’Atuna/Tuna (sans doute Kululu) qui se voyait imposer un lourd tribut de chevaux, de mules, d’or et d’argent9. En 717 avant notre ère Karkemiš et son roi Pisiri, rarement mentionnés par les annales assyriennes depuis 738 av. J.C., ont été accusés d’intriguer avec Midas (Mita de Muški) et d’avoir violé leurs serments. C’est du moins le prétexte avancé par Sargon pour s’emparer de la cité, déporter le roi et la famille royale ainsi qu’une grande partie de la population qui a été remplacée par des Assyriens placés sous l’autorité d’un gouverneur. Sargon confisquait et prenait à son service 50 chars, 200 cavaliers, 300 fantassins qui étaient joints à l’armée

6

Ibid., I, 260-262 (T-02) et pp.253-258 ; M.J.Mellink, « Mita, Mushki and Phrygians », JKF 4, 1965, 317-325 ; « Midas in Tyana », Florilegium Anatolicum, Fs. E.Laroche, 1979, 249-257. 7 J.N.Postgate, « Assyrian Texts and Fragments », Iraq 35, 1973, 21-34, pp.22-23 et 28 (Nimrud Letter XXXIX). 8 ARAB, II §6. 9 ARAB, II §7, 55, 137

135

royale. Ainsi disparaissait en tant que royaume indépendant le grand centre hittite de la vallée de l’Euphrate, après cinq siècles d’existence (c.1325-717 av. J.C.)10. L’avancée des Phrygiens qui avaient occupé, avec la complicité probable de Warpalawa, plusieurs districts du pays de QuƝ, sans doute des places situées au débouché des Pyles ciliciennes, a obligé le roi d’Aššur à lancer une expédition pour restaurer la domination assyrienne dans cette région, et reprendre à Mita les forteresses de ঩arrua et Ušnani. Le pays de QuƝ semble avoir été placé à cette époque sous l’autorité conjointe du roi Urikki (louvite Awariku, mentionné à Çineköy et à Karatepe) et d’un gouverneur assyrien (715 av. J.C.)11. Au pays de Tabal le « fils de personne » ঩ulli, installé par le roi Tiglatphalasar III, qui avait été déporté, vraisemblablement sur l’ordre de Salmanasar V, a été rétabli sur son trône par Sargon. A sa mort son fils Ambaris (ou Amris) lui a succédé et le roi d’Aššur a donné sa fille, AপƗt-abƯša, en mariage à ce dernier. La dot de la princesse était constituée par le pays de ঩ilakku, la Cilicie trachée, ce qui constituait un accroissement considérable du Tabal en direction du sud12. Le pays est appelé indifféremment à partir de cette époque Tabal ou Bît-Buruttaš. Son nouveau roi, Ambaris, est défini par un texte mutilé comme : m

Am-ba-ri-is LUGAL KUR T[a-bal-a DUMU Bu]-ri-ti-iš.

m

Le nom de l’ancêtre présumé doit être louvite malgré son apparence kassite13. Le Bît-Buruttaš avait dû correspondre à l’origine à la partie orientale du Tabal. Malgré les « bienfaits » de Sargon à son égard Ambaris a écouté les sirènes de Mita de Muški et du roi d’Urartu, Rusa. Une telle alliance était un réel 10

ARAB, II §8 ; H.Tadmor, JCS 12, 1958, 22-23 ARAB, II §§16, 92, 118. 12 M.Wäfler, OR 52, 1983, 184 ; J.D.Hawkins, CHLI. 428. 13 M.Wäfler, ibid., 184. 11

136

danger pour l’Assyrie. Une nouvelle intervention de Sargon en Tabal (713) a entraîné la déportation d’Ambaris et de sa famille mais il est possible que la fille du roi d’Aššur ait conservé pendant un temps le contrôle des deux pays, Tabal et ঩ilakku, au côté d’un gouverneur assyrien14. Dans le pays de Melid, vassal d’Aššur depuis longtemps, au roi Sulumal avait succédé un certain Gunzinanu que Sargon avait remplacé par un nouveau tributaire, Tarপunazi. Ce dernier avait lui aussi, prêté l’oreille aux appels de Midas. Melid et Kammanu avaient été ravagés par un général de Sargon. Tarপunazi qui avait fui à Til-Garimmu (Gürün) avait été capturé et déporté en Assyrie. Melid, annexée, avait été repeuplée avec les déportés d’autres régions15. Selon le prisme de Nimrud (V 41-73) Tarপunazi de Melid et le roi de Gurgum, Tarপulara de Marqasu (Maraú), avaient disparu en même temps16. En fait Sargon avait prétexté du meurtre de Tarপularu par son fils, Mutallu, pour déporter Mutallu, annexer le pays de Gurgum qui est devenu la province de Marqas, du nom de sa capitale (711 av. J.C.)17. Le seigneur du dernier royaume hittite indépendant situé à l’est du Taurus, Mutallu de Kummuপ (la Commagène), avait reçu la cité de Melid des mains de son suzerain en 712 av. J.C. Il a été cependant accusé par Sargon de ne pas livrer son tribut et d’intriguer avec le nouveau roi d’Urartu, Argišti II. Alors qu’il était à Babylone le roi d’Aššur a envoyé ses troupes ravager le pays, s’emparer de sa capitale et de 62 forteresses, déporter la population, la remplacer par des prisonniers venus du Bit-Yakin, en basse Mésopotamie, et le transformer en une nouvelle province assyrienne18.

14

ARAB II §§ 25, 55, 197, 206, 214 ; C.J.Gadd, « Inscribed Prisms of Sargon II from Nimrud », Iraq 16, 1954, 173-201, pp.182-183 ; M.Wäfler, OR 52, 184-185 ; CHLI, 428. 15 ARAB II §§ 79, 92. 16 C.J.Gadd, Iraq 16, 1954, 182-184. 17 ARAB II, §§29, 61 ; H.Tadmor, JCS 12, 1958, 92-93, 96. 18 ARAB, II §64.

137

La situation, alors que Sargon, devenu roi de Babylone, était préoccupé en premier lieu par la pacification de son nouveau royaume, avait été profondément modifiée en Anatolie par la fin du conflit avec les Phrygiens. La lettre du roi d’Aššur au gouverneur de QuƝ, Aššur-šarra-u ur, nous apprend que Midas et le roi de Tyane avaient saisi 14 messagers d’Urik (le prince de QuƝ ?) envoyés en Urartu par ce dernier19. Il est très probable que le geste du roi de Phrygie et de son allié était dicté par l’apparition d’une nouvelle et grave menace, celle des Cimmériens, une population guerrière chassée des steppes pontiques par les Scythes, passée par le Caucase et entrée en Asie mineure, région qu’elle va ravager pendant des décennies, se heurtant aux Assyriens aussi bien qu’aux Phrygiens, aux Lydiens et aux colonies grecques (Sinope et autres). Les Cimmériens avaient combattu en premier lieu le roi d’Urartu, soit Rusa I (734-714 av. J.C), soit Argišti II (714-680) avant que certains d’entre eux ne deviennent, plus tard, des mercenaires au service de Rusa II (680-640)20. La lettre au gouverneur de QuƝ montre que l’entente avec Mita de Muški a été considérée par Sargon comme très importante pour assurer la domination assyrienne sur le Tabal malgré les quelques troubles ayant affecté le Bit-Burutaš (BitParuta) provoqués par des attaques des cités-états d’Atuna et d’Ištuanda qu’avait dénoncées au gouverneur de QuƝ un certain Urballa qui se confond certainement le roi de Tyane Warpalawa21. C’est sans doute à la demande de Midas que Sargon est retourné au Tabal pour combattre les Cimmériens. Il a été tué

19

J.N.Postgate, IRAQ 35, 1973, 13-27. Cf. T.Sulimirski, T.Taylor, « The Cimmerians », CAH III/2,1991, 555-560 21 Nimrud Letter XXXIX, J.N.Postgate, IRAQ 35, 1973, 21-34 ; cf. A.Lemaire, « Aššur-šarra-uৢur gouverneur de Qué », NABU, 1987, 5s. 20

138

dans la bataille (705 av. J.C.), ce qui a permis aux pays de Tabal, Melid, Gurgum et Kummuপ de recouvrer leur indépendance22 3) Sennacherib (704-681 av. J.C.) et Esarhaddon (680669) Le fils et successeur de Sargon, Sennacherib, a été d’avantage préoccupé par les affaires babyloniennes, −il a fini par détruire la grande cité qui sera restaurée et donnée par Esarhaddon à son fils aîné, Šamaš-šumukin−, que par la situation en Anatolie où le roi de Phrygie, Midas, s’est suicidé après avoir été vaincu par les Cimmériens ou est mort dans la bataille (en 696 av. J.C. selon la chronique d’Eusèbe de Césarée). En 696 av. J.C., sans que la fin de Midas soit évoquée, le roi d’Aššur a envoyé une expédition contre le « gouverneur » (LÚ.EN.URU) de la cité d’Illubru en Cilicie qui avait fait alliance avec les rebelles du ঩ilakku, d’Ingira et de Tarzu (Tarse). Les Assyriens avaient élevé une stèle pour commémorer leur victoire et, selon Bérose, des Grecs installés en Cilicie avaient participé aux combats23. L’année suivante une attaque a été lancée contre Til-Garimmu (Gürün) dont un certain Gurdi s’était emparé. Sennacherib prétend avoir saccagé la ville et capturé son chef mais il semble qu’il n’a pas pu rétablir son contrôle sur les divers royaumes hittites qui avaient profité de la mort de Sargon pour se libérer de la tutelle assyrienne. Le fils de Sennacherib, Esarhaddon, le conquérant de l’Egypte, a été lui aussi peu actif en pays hittite mais il a dû répondre à la menace que les Cimmériens faisaient peser sur ses frontières en menant une campagne victorieuse contre le chef

22

M.Wäfler, OR 53, 1983, 185-186 ; A.K.Grayson, Assyrian and Babylonian Chronicles (ABC)/TCS 5, Locust Valley 1975, 76 II 6 ; H.Tadmor, JCS 12, 1958, 85 et n.267. 23 A. Goetze, « Cilicians », JCS 16, 1962, 51-52 et n.19.

139

ennemi, Teušpa, vers ঩ubišna (Kybistra), au sud du Tabal24. Il est probable que c’est au cours de cette campagne que le roi a vaincu les « Hittites » retranchés dans les monts du ঩ilakku25. Mais en Cilicie plane (QuƝ) un royaume indépendant s’était constitué sous la direction de Sanduarri, le maître de Kundu et Sissu (Sis/Kozan), capable de nouer des relations diplomatiques et maritimes avec le rebelle Abdi-Milkutti, roi de Sidon26. Esarhaddon a d’abord réglé l’affaire de Sidon, prise en 677 av. J.C., puis a opéré en Cilicie. Les deux rebelles ont été décapités et leurs têtes envoyées en Assyrie (676). Ces succès ont permis au roi de réinstaller un gouverneur dans le pays de QuƝ. En 675 il a entrepris une expédition contre le roi de Melid, Mugallu sans pouvoir le déloger27. Mugallu était vraisemblablement l’allié d’Iškallu de Tabal. Ces deux trublions menaçaient le pays de QuƝ avec l’aide des gens du ঩ilakku28. 4) Aššurbanipal (668-627 av. J.C.) Aššurbanipal, le dernier grand roi d’Aššur et le second conquérant de l’Egypte, a utilisé le terme de ঩atti pour désigner toute la partie occidentale de son empire. Les rois de Tabal, Mugallu, et de ঩ilakku Sandasarme (Santa-Šarruma ?), sont venus faire leur soumission au début du règne (663 av. J.C.). Mugallu avait uni les pays de Melid et de Tabal. Il est très vraisemblable que c’est la menace et les ravages des bandes cimmériennes à travers l’Anatolie qui les ont poussés à faire 24

R.Borger, Die Inschriften Asarhaddons Königs von Assyrien, AfO Bh.9, Graz 1956, 33 ; A.K.Grayson, Assyrian Royal Insciptions, Wiesbaden I/II, 1972-1976, II §66, l.23-24 ;A.K.Grayson, ABC, 125s. 25 P.Naster, L’Asie mineure et l’Assyrie, aux VIIIe et VIIe siècles av. J.C. d’après les annales des rois assyriens, Louvain 1938, 79-80 ; J.D.Hawkins, CHLI, 43. 26 A.K.Grayson, Assyrian and Babylonian Chronicles (ABC), Locust Valley, 1973, 85. 27 Le roi avait fait appel à l’oracle de Šamaš ; cf. J.A.Knudtzon, Assyrische Gebete an den Sonnengott, Leipzig 1895, nos 14-17. 28 M.Wäfler, OR 52, 1983, 187 ; J.D.Hawkins, CHLI, 428.

140

cette démarche que le roi Gygès (Gugu) de Lydie avait déjà accomplie. Mugallu avait envoyé un tribut de chevaux et sa fille au roi d’Assyrie29, lequel, préoccupé par la situation à Babylone, −qu’il a fini par reconquérir aux dépens de son frère Šamaš-šumukin−, et la lutte contre l’Elam, ne semble pas avoir fait beaucoup d’efforts pour soutenir ses nouveaux alliés anatoliens. Gygès a succombé sous les coups du chef cimmérien Lygdamis (Tugdamme) en 652. Mugallu, quant à lui, a été capable de transmettre son royaume à son fils ...]-ušši, lequel n’hésitera pas à s’allier à Lygdamis vers 640 avant notre ère, sans doute lassé par l’inaction des forces assyriennes dans la région30. Les sources classiques signalent que Lygdamis ayant attaqué les positions assyriennes a été tué en Cilicie31. 5) Les « Hittites » et l’empire néo-babylonien La révolte de Babylone et l’alliance de son souverain, chaldéen, Nabopolassar, avec les Mèdes conduits par Astyage ont abouti à la chute de Ninive (612 av. J.C.), événement qui a sonné le glas d’un empire qui avait dominé l’Orient pendant des siècles. Le nouvel empire chaldéen dirigé par les rois de Babylone a hérité de la plus grande partie du domaine contrôlé par les Assyriens (mais pas de l’Egypte émancipée depuis des décennies). Il a connu son apogée au cours du règne de Nabuchodonosor (604-562 av. J.C.), le conquérant de Jérusalem. Le roi de Babylone et le roi de Cilicie, Syennesis, qui avait uni le ঩ilakku et l’ancien pays de QuƝ, ont participé à la négociation de la paix entre le roi des Mèdes (Astyage) et celui de Lydie (Alyatte) en 585 av. J.C., laissant aux Médes le 29

M.Wäfler, ibid., 187 ; CHLI, 428. M.Wäfler, ibid., 188 ; CHLI, 428. 31 A.R.Millard, « Fragments of historical texts from Niniveh : Ashurbanipal », Iraq 30, 1968, 100-101. ; Ph.H.J. Houwink ten Cate, Luwian Population Groups in Lycia and Cilicia Aspera during the Hellenistic Period, DMOA X, Leiden 1961, 27 et n.6, 28 et n.1. 30

141

nord-est de l’Anatolie32. Bien que Nabuchodonosor ait prétendu avoir soumis le pays de ঩umƝ (=QuƝ), Piriddu (en ঩ilakku) et la Lydie il est probable que la Cilicie est restée indépendante à cette époque. Le second successeur du grand roi, Neriglissar (559-556 av. J.C.), a entrepris, pour répondre à un raid lancé par Appuwašu, le seigneur de Piriddu, contre le territoire syrien, une marche vers le pays de ঩umƝ (QuƝ), la Cilicie, dans la troisième année de son règne. Après avoir traversé la zone montagneuse du ঩ilakku les Babyloniens ont pris et saccagé sa capitale, Ura, le grand port de l’ancien empire hittite, situé vers Séleucie à l’embouchure du Calycadnos33. Puis ils ont remonté la vallée pour brûler Kiršu (Claudiopolis/Mut) avant de redescendre vers la côte et de capturer 6000 prisonniers dans l’île de Pitušu (classique Pityussa, moderne Manavat)34. Le dernier roi de Babylone, Nabonide (555-539 av.J.C.), a fait une campagne au pays de ঩umƝ en 55535 mais tout montre que la Cilicie est restée indépendante jusqu’à la victoire du roi des Perses, Cyrus, qui est entré à Babylone en 539 av. J.C. Ce dernier avait conquis l’Asie mineure et vaincu le roi de Lydie, Crésus, en 547. Il semble qu’il ait bénéficié à cette occasion du soutien du maître de la Cilicie, Syennesis, qui sera le fondateur d’une dynastie de satrapes. Le pays gardera ainsi une certaine autonomie et conservera en partie le caractère « hittite » de sa population dans l’empire perse. Dans le partage des dépouilles qui a suivi la destruction du royaume assyrien les Mèdes puis les Perses avaient obtenu la partie nord-orientale de l’Anatolie mais pas la Cilicie. La Cappadoce, c’est-à-dire le vieux pays hittite et l’ancien royaume de Tabal-Melid, sont ainsi devenus très tôt un pays iranien où la trace des principautés hittites et le souvenir du grand royaume de l’âge du Bronze ont disparu à jamais. Cyrus a soumis toute l’Asie mineure jusqu’à la côte égéenne, mettant 32

M.Mellink, CAH III/2, 1991, 649. RGTC 6, 457-458. 34 A.K.Grayson, ABC, 1975, 103-104 ; D.Wiseman, Chronicles of Chaldaean Kings (626-556 B.C.) in the British Museum, London 1956, 74-77. 35 A.K.Grayson, ABC, 1975, 1 33

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ainsi les pays louvites de l’ouest, Lycie, Carie et Lydie, sous sa domination. Des inscriptions rédigées au moyen de l’alphabet gréco-phrygien permettent de comparer la langue des « louvites occidentaux » à celle de leurs lointains cousins qui avaient gravé les hiéroglyphes des inscriptions retrouvées en Anatolie orientale et en Syrie. La trilingue de Xanthos a été la réplique tardive de l’inscription de Karatepe et, comme cette dernière, a fourni la clé de l’un des idiomes dérivés du louvite, le lycien.

143

CHAPITRE VIII

LES DERNIERS DYNASTES HITTITES ET LA FIN DES INSCRIPTIONS HIEROGLYPHIQUES (FIN DU VIIIE-VIIE SIECLE AV. J.C.) 1) Les pays de Tabal a) Les Grands Rois de Tabal La déposition de Waššurme (Wasusarma) sur ordre Tiglatphalasar III en 729 av. J.C. a mis fin très probablement à la prétention du prince de Tabal de se présenter comme un « Grand Roi » (MAGNUS.REX). Les Assyriens ont mis à sa place un « fils de personne », ঩ulli, qui n’a pas laissé d’inscriptions hiéroglyphiques. Il a lui-même été déporté, sans doute par Salmanasar V, puis rétabli sur son trône par Sargon, à la tête d’un royaume appelé Tabal ou Bît-Buruttaš. Son fils Ambaris lui a succédé et a épousé une fille du roi d’Aššur, ce qui ne l’a pas empêché d’intriguer avec Rusa d’Urartu et Midas. Après cette date le Tabal, sans doute libéré de la tutelle assyrienne par la mort de Sargon, n’est plus mentionné que rarement dans les annales assyriennes. En 675 av. J.C. Esarhaddon a envoyé une expédition contre Mugallu de Melid et Iškalu de Tabal, sans grands résultats puisqu’Aššurbanipal a dû reconnaître à Mugallu la possession du Tabal et de Melid (663 av.J.C.). Ce qui n’a pas empêché son fils ...]-ušši, le dernier souverain connu du Tabal de s’allier aux Cimmériens de Lygdamis vers 640 avant notre ère. Les rois de Tabal ont donc une histoire que l’on peut suivre sur environ deux siècles. Il est prudent de ne pas prendre au pied de la lettre le titre de « Grand Roi », repris par certains d’entre eux, titre que leurs vassaux ne leur donnaient pas toujours. L’idée de présenter ces personnages comme les héritiers des rois de Tarপuntašša et de leurs probables successeurs, Mursili, Hartapu et autres, selon la proposition

formulée par J.D.Hawkins, semble inacceptable et peut être ignorée. La succession des rois et Grands Rois qui ont dominé le pays de Tabal ne forme pas une série continue. Elle se présente de la façon suivante en tenant compte des données assyriennes et ourartéennes ainsi que des textes hiéroglyphiques relativement nombreux pour la dernière période de leur histoire : 1) Tuwati I (Tuate), c.850-830, mentionné en 837/836 av. J.C. 2) Kikki, son fils (c.830-810 ?) ................................................. 3) Tuwati II, Grand Roi, Héros (c.770-750) : inscriptions de Kululu I, Çiftlik, etc. 4) Wasusarma, son fils, Grand Roi, Héros, mentionné à Topada, Suvasa, Sultanhan, déporté en 729. 5) ঩ulli « fils de personne », déporté par Salmanasar V puis rétabli par Sargon II, vers 720. 6) Ambaris, son fils, gendre de Sargon, déporté en 713. ................................................. 7) Iškalu, allié de Mugallu de Melid en 675 8) Mugallu de Melid unit Tabal et Melid et se soumet à Aššurbanipal en 663. 9) ...]-ušši, son fils, s’allie aux Cimmériens vers 640. Il est peu probable, comme déjà vu, que les éphémères « Grands Rois » de Tabal aient été les héritiers des Grands Rois de Tarপuntašša et de leurs probables successeurs, Mursili, Hartapu et autres. Seuls deux rois de Tabal ont adopté, au témoignage des inscriptions hiéroglyphiques, la titulature « MAGNUS. REX HEROS » sans qu’aucun indice ne permette d’affirmer qu’ils prétendaient ainsi se rattacher aux rois de Tarপuntašša dont le territoire était distinct du leur. Il est possible que Wasusarma ait attribué le titre de Grand Roi à son père à titre posthume mais il est invraisemblable qu’il se soit inspiré du seul monument détaillant les titres de Hartapu qui se dressait à proximité de son territoire, à Burunkaya. Régnant sur 146

une partie du vieux pays hittite où se trouvait l’ancienne capitale des ancêtres des Grands Rois de ঩atti, Neša/Kaneš (Kültepe), il est probable qu’il a cherché à se rattacher, lui et son père, aux rois de ঩attuša de l’époque impériale plutôt qu’aux Grands Rois de Tarপuntašša1. Il se peut que l’inscription d’Aksaray du roi Kiyakiya, un allié de Wasusarma de Tabal, doive être datée de cette époque tardive. Elle a été mentionnée plus haut avec les textes de ce dernier. Kiaki de Šinuপtu a été déporté par Sargon II en 718 avant notre ère2. b) Un royaume vassal, Atuna/Tunna La dédicace de Kurti aux dieux Tarhunza et Runtiya inscrite sur la stèle de Bohça, dans une boucle du Maraššantiya (le Kızıl Irmak), au cœur du vieux pays hittite, est sûrement datée de la fin du VIIIe siècle avant notre ère. Son auteur, Kurti, se confondant sûrement avec Kurti, seigneur d’(A)tun(n)a, qui est mentionné par Sargon II en 718 et 713 av. J.C. Il a fait inscrire une stèle où il se présente ainsi : Je (suis) Kurti, fils du héros Ashwi(si), le roi à la tête de l’Ouest et de l’Est. Ici je suis bon pour Tarhunza (et) il m’a donné de prendre des territoires...Je suis bon pour Runtiya et il m’a donné des bêtes SAMAYA alors que ceux qui furent mes pères et mes grands-pères cependant Tarhunza ne les avait pas aidés du tout alors qu’il m’a aidé (et) m’a donné de prendre des territoires (topos habituel). Et quand mes pères et mes grands-pères montaient à cheval, alors Runtiya ne les avait pas aidés du tout comme il m’a aidé puisque dans ce pays j’ai pris 100 gazelles... »3.

1

J.Freu, « Des Grands Rois de Tar±untašša aux Grands Rois de Tabal », RANT 2, 2005, 399-417. 2 J.D.Hawkins, CHLI, 475-478. 3 CHLI, 478-480 ; A.M.Jasink, StMed 10, 148-149

147

Il est possible, si Atuna est identifiée à Kululu, localité qui a révélé la présence de textes « administratifs » gravés sur des lamelles de plomb, que les princes du lieu aient été les vassaux des Grands Rois de Tabal et aient été libérés de leur tutelle lors de la déportation du Grand Roi Wasusarma par le roi d’Aššur (729 av. J./C.). c) Autres inscriptions tardives de Kululu et du Tabal L’inscription sur roche de Karaburun, découverte plus à l’ouest, sur la rive nord du même fleuve, date de cette époque, fin du VIIIe ou début du VIIe siècle avant notre ère et est donc l’une des plus récentes inscriptions hiéroglyphiques. Son auteur était un prince local qui se présente ainsi : Cette forteresse les pères (et) les grands-pères l’avaient démolie. Maintenant Sipis est roi et Sipis, fils de Nis est gouverneur (et) ils ont (re)construit la forteresse et l’ont rendue compacte et ils...Si Sipis, le roi, souhaite le mal pour Sipis, fils de Nis, pour son fils ou son petitfils, pour Sipis le roi que (le dieu) de Harran (le dieu Lune) et Kubaba dévorent ses yeux et ses pieds ! Mais si Sipis, fils de Nis, souhaite le mal pour Sipis le roi, pour son fils ou son petit-fils, que pour Sipis, fils de Nis, (le dieu) de Harran et Kubaba dévorent ses yeux et ses pieds !

Une malédiction était ensuite lancée contre quiconque effacerait l’inscription et un appel était fait aux mêmes dieux. Wana, était le scribe qui avait écrit la stèle4. L’inscription n°1 d’Hisarcik, à 10 km au sud de Kayseri, est de la même époque : Je (suis) Warpiri aimé du Soleil... J’ai célébré la mont Harhara (঩arka/঩arkiya, l’Argée classique, 4

J.D.Hawkins, CHLI, 480-483 ; A.M.Jasink, StMed 10, 152-153

148

turc Erciyes) neuf fois avec une gazelle-irwa. Et au 9e (mois ?) de l’année j’ai (sacrifié ?) neuf fois avec la gazelle-irwa. J’ai fait ton SISARALI le serviteur de Kurti...5

La mention de Kurti semble montrer que Warpiri était un contemporain du roi d’Atuna/Tuna de ce nom, auteur de l’inscription de Bohça. Hisarcik 2, très lacunaire, où l’on retrouve le mont Harahara (l’Argée), semble, elle aussi, mentionner le roi d’Atuna, Kurti6. Il en est de même du bloc de Kirkerbent 1, trouvé près du mont Argée et qui est trop abîmé pour permettre une traduction. La montagne y est nommée. Kirkerbent 2 est aussi très lacunaire7. La stèle Kululu 5 comportait sans doute un texte de fondation qui, après avoir énuméré divers dieux, Tarhunza, Hiputa, [Ea], Sarma de Harran, Alasuwa, le dieu Lune de Harran et le dieu Soleil, en venait à la fondation de diverses maisons. Les dieux étaient chargés de détruire ceux qui les menaceraient. Selon le §3 ces demeures avaient été données (par les dieux ?) à Hulasaya, le prince (CAPUT) aimé du Soleil qui était vraisemblablement un vassal ou un haut dignitaire du roi d’Atuna8. La stèle Kululu 2, dont la date est voisine de celle des inscriptions précédentes, a été l’œuvre des enfants du prince (CAPUT) Panuni, béni par le Soleil mais « décédé par le dieu Santa » (mort à la guerre ?). Quiconque, grand ou petit la perturberait serait poursuivi par Santa et les dieux-marwainzi !9 Très comparable la stèle Kululu 3 qui est, elle aussi, une stèle funéraire élevée en l’honneur d’Ilali, le scribe du tarwani (IUDEX-ni). Le texte vantait la justice du défunt et rappelait 5

J.D.Hawkins, ibid., 483-485 ; A.M.Jasink, ibid., 150. CHLI, 496-497 ; A.M.Jasink, ibid., 149. 7 CHLI, 498-499. 8 Ibid., 485-487. 9 Ibid., 487-490. 6

149

que ses enfants avaient élevé cette stèle en son honneur avant d’en venir aux malédictions contre quiconque l’effacerait (passage largement détruit)10. Le fragment d’une troisième stèle funéraire, trouvée à E÷rek, était dédié à un certain Tarhuwari, fils bien aimé de Tarhuzarma, sans titre apparent, sans doute un dignitaire11. Les deux blocs de pierre inscrits, des mémoriaux, trouvés à Erkilet (nos 1 et 2), à 12km au nord-ouest de Kayseri se contentaient de nommer les deux personnages, Huhasarma et Astiwasu, qui les avaient élevés et de prescrire au passant éventuel de ne pas les renverser !12 La relative abondance des textes tardifs retrouvés dans le pays de Tabal s’explique par le fait qu’il a maintenu son existence et jusqu’à un certain point son indépendance plus longtemps que les autres royaumes hittites d’Anatolie orientale et de Syrie. d) Les lames de plomb inscrites de Kululu (et d’Aššur) Cinq lames de plomb inscrites ont été découvertes à Kululu, sans doute lors d’une fouille clandestine13. Il s’agissait de l’enregistrement de listes de biens et de noms d’individus portant sur des tributs, des dons divers et des inventaires de domaines. Deux textes sont presque complets (les nos 1 et 2). Les hiéroglyphes des lames de plomb de Kululu sont divisés en registres par des lignes horizontales. Ceux-ci sont euxmêmes subdivisés en petits compartiments par des traits verticaux. La tradition de l’agencement boustrophédon des signes a été abandonnée alors que ceux-ci adoptaient des formes cursives bien adaptées à des textes administratifs ou comptables inscrits sur d’autres matériaux que la pierre. A la veille de 10

Ibid., 490-491. Ibid., 492-493. 12 Ibid., 493-495. 13 T.Ozgüç, Kültepe and its Vicinity in the Iron Age, Ankara 1971, 60-61, 111112. 11

150

disparaître les « hiéroglyphes hittites » ont connu une dernière mutation, qu’on retrouve sur les plombs d’Aššur14. Le texte de la lamelle Kululu 1 comporte l’enregistrement d’entrées et de sorties d’un produit désigné par l’idéogramme énigmatique L 179, qu’on retrouve sur les plombs d’Aššur et qui signifie très vraisemblablement « grains », blé ou orge15. D’où l’idée avancée par F.Giusfredi que ce document était de nature publique, sans doute un registre de taxation, ce que confirme la mention d’un roi (REX-ti, « au roi ») qui en était le bénéficiaire sur la lamelle de plomb n°3. La lame n°2 mentionne 854 moutons distribués à 7 cités qui ne peuvent provenir d’un seul vendeur. Selon l’interprétation de F.Giusfredi la postposition CUM-ni présente sur la lamelle n°1 est à interpréter comme signifiant « de » (from) et non « pour » (for) comme l’admettait Hawkins, ce qui est conforme à l’hypothèse d’une taxation16. De toute façon ces documents sont uniques et n’ont pas de correspondants à l’époque de l’empire hittite. Le souverain assyrien ne semble pas en cause et c’est un prince local qui était le bénéficiaire des transactions enregistrées17. La plupart des noms de personnes sont louvites et les 19 cités mentionnées sont à l’évidence des localités du pays de Tabal comme Tuna, Haut et Bas, qui est peut-être Kululu18. 14

S.Ertem, « Le strisce di piombo di Kululu », StMed Piero Meriggi dedicata, 1, 1979, 143-164 ; P.Meriggi, M.Poetto, « Note alle strisce di piombo di Kululu », in E.Neu (éd.), Investigationes Philologicae et Comparativae. GS H.Kronasser, Wiesbaden 1982 ; J.D.Hawkins, « The Kululu Lead Strips. Economic Documents in Hieroglyphic Luwian », AnSt 37, 1987, 135-162 ; CHLI, 503-513 ; F.Giusfredi, « The Kululu lead strips », in Sources for a Socio-Economic History of the Neo-Hittite States, TdH 28, 2010, 185-217. 15 E.Laroche, Les Hiéroglyphes Hittites, Paris 1960, 94. 16 J.D.Hawkins, AnSt 37, 1987, 140 ; CHLI, 506-507 ; contra F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 186, n.373 p.192, 195-196. 17 F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 187-189. 18 L’identification de (A)tuna/Tunna avec la classique Tynna/Zeyve, au pied du Taurus (J.D.Hawkins, CAH III/1, p.377, carte 14 p. 374) doit être abandonnée ; cf. O.R.Gurney apud J.D.Hawkins, AnSt 29, 1979, 167 ;

151

Les premières lignes du Kululu « lead strip 1 » peuvent être traduites de la façon suivante : De la cité [Tiw]arali 400 (mesures de) grain...d’Ar(a)hwita 100 (mesures de) grain de Hapiyami,(fils de) [...]-rusa/i, de la cité Huwa/i 100 (mesures de) grain d’Uramuwa (?), de la cité Uramuwa 100 (mesures de) grain de Kwisai de la cité Uramuwa 100 (mesures de) grain de Mur(a)ki 30 (mesures de) grain de Nus, de la cité Uramuwa De la cité du Haut Tuna : 140 (mesures) de grain 120 (mesures de) grain de Kuli 100 (mesures de) grain de Tas, l’échanson (wa/itara/i) 100 (mesures de) grain de Tarhunaza, l’homme libre (arawani) 50 (mesures de) grain de Huliya, (fils de) Kukuwa/i, de la cité Tuna

Ces quelques exemples tirés des premières lignes du texte en définissent le caractère19. Personnes et institutions sont désignées comme les fournisseurs ou les récipiendaires des grains dont la quantité est indiquée. Les premiers personnages nommés sont des fournisseurs qui répondent aux réquisitions mais à partir du §35 (200 (mesures de) grain données à Haha) apparaissent des récipiendaires qui bénéficient de dotations. La cité de Tuna est elle-même une bénéficiaire de ces dons (§60).

19

M.Forlanini, « Am mittleren Kızılırmak », Fs S.Alp 1992, 171-179, qui fait d’Atuna/Tunna l’héritière de la ville hittite d’Atunuwa (KBo I 58 :2’) ; cf. RGTC 6, 57. J.D.Hawkins, AnSt 37, 1987, 138-146 ; CHLI, 506- 509 ; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 189-195.

152

Il est donc vraisemblable que les cités de Tiwarali et de Tuna (Haut et Bas) étaient les centres administratifs dont dépendaient les autres localités mentionnées dont aucune n’est connue par ailleurs, Ahatikukura, Aluwana, Arusali, Asahayalara, Asailara, Haruwa, Murati, Parzumina ; Sunawara, Tapa, etc. La seconde lamelle (Kululu strip 2) porte sur des livraisons de moutons dont sont indiqués le fournisseur et le bénéficiaire : §1 : 32 moutons (que) Muwahi donne à Nis §2 : 68 moutons (que) Lali donne à Par(a)sata... §3 : 140 moutons sont donnés à 7 statues, de la cité Asahayalara .............................................................................. §20 : 200 moutons d’Atiwarami, le SARKUNAL(L)A

Plusieurs des donations sont faites à des statues de bois (tarut-) qui sont des institutions, plutôt des temples que des administrations civiles. Plusieurs bénéficiaires ne sont pas nommés et sont désignés par leurs professions (dont un échanson). Les deux noms qui figurent en tête, Muwahi et Lali, devaient faire partie des agents du pouvoir chargés de contrôler les assignations de troupeaux aux bénéficiaires plutôt qu’à de simples marchands20. La lamelle de plomb 3 (+fr.2), très fragmentaire, donne une liste de patronymes suivie par des énumérations de biens qui toutes commencent par « une maison », suivie par la mention d’hommes et de femmes et, parfois, de bovins ; ex. les §§3-4 : (De ?) Nunu : 1maison, 1 homme, 2 femmes, 3 bovins (De) Hanu(wa) : 1 maison, 5 hommes, 2 femmes

20

J.D.Hawkins, AnSt 37 ; 146-151 ; CHLI, 510 ; F.Giusfredi, TdH 28, 198201.

153

Les noms des personnes ne sont pas au datif. Il est donc probable qu’on a affaire ici à un census21, comparable aux documents administratifs assyriens baptisés « Doomsday book » ou « Liber Censualis », plutôt qu’aux 22 Landschenkungsurkunden hittites . Le fragment 1 des lamelles de plomb consiste en une série de donations de moutons suivies par des dons non précisés, sans doute une liste de tributs. Exemples: §1 : 111 moutons (que) Masani donne §2 : 131 moutons (que) Aparaura donne §3 : 133 moutons (que) Kwarinazi donne §7 : 21 dons (de) Masani23

Les trois lignes conservées du fragment 3 portaient sur des livraisons d’orge à divers personnages dont la plus importante était destinée au roi et à une institution : §2 : 400 (mesures) d’orge au roi (REX), au HIRAN, doivent être données24.

C’est l’unique mention du roi dans ces documents. Le seul ensemble documentaire comparable aux « lead strips of Kululu » est constitué par une correspondance retrouvée à Aššur et inscrite de même sur des lamelles de plomb25. Les six 21

J.D.Hawkins, ibid., 154-157 ; CHLI, 511; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 202205. 22 Cf. F.M.Fales, J.N.Postgate, Imperial Administrative Records, SAA VII et XI, Helsinki, 1992/1995 ; R.Lebrun a rapproché, à tort, ces documents de la donation du roi hittite KBo V 7 in « TYNNA la Cappadocienne », Fs S.Košak, Tabularia Hethaeorum (DBH 25), 2007, 459-466 ; contra F.Giusfredi, TdH 28, 188 et n.370. 23 J.D.Hawkins, AnSt 37, 1987, 151-154 ; CHLI, 511; F.Giusfredi, TdH 28, 205-206. 24 J.D.Hawkins, AnSt 37, 154-155 ; CHLI, 511 ; F.Giusfredi, ibid., 207. 25 B.Hrozny, « Les inscriptions hiéroglyphiques sur plomb, trouvées à Assur. Essai de déchiffrement », ArOr 5, 1933, 208-242 ; P.Meriggi, « Die Bleibriefe in Hethitischen Hieroglyphen », AfO 10, 1935/1936, 113-133,

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messages appartenaient à l’archive d’un marchand, un dénommé Taksala, qui avait probablement organisé son trafic entre Karkemiš (qui est mentionnée dans la lettre A) et Aššur. Après des vœux adressés à son correspondant, Taksala réclamait l’envoi d’animaux, dont des chiens, ou des marchandises, textiles ou autres, dont il soulignait l’urgence. Malheureusement la plupart des produits demandés sont désignés par des mots intraduisibles. Ex., lettre D : Dis à Par[niwari] Taksala parle (ainsi)26 : Porte-toi bien ! Et (que) la paix (soit) avec toi ! N’avons-nous pas répondu ? N’avons pas écrit de lettre ? Maintenant envoie-moi de bons ATUTI. Et envoie-moi des MASARA/I. Et envoie-moi un bouclier-HARATI, un bon bouclier. Envoie au Seigneur (DOMINUS) un charrier expérimenté. Ne me (les) renvoie pas !

La longue lettre E est envoyée à un certain Pihami de Harran (Haranawiza), ce qui fournit un second nom géographique jalonnant le chemin entre Karkemiš et Aššur. Le « Seigneur » y est de nouveau mentionné ainsi que le Seigneur de la rivière (FLUMEN.DOMINUS) et le trafic porte en particulier sur des vêtements féminins. Dans cette lettre comme dans Aššur D, le « Seigneur » doit très vraisemblablement être considéré comme le commanditaire de l’entreprise, comparable à un ummiƗnum à l’époque des marchands cappadociens plutôt que comme une autorité politique27. 251-267 ; H.Bossert, « Zu den Bleibriefen aus Assur », Or 20, 1951, 7077 ; J.D.Hawkins, CHLI, 533ss ; F.C.Woudhuizen, SLHT 2, 22- 51 ; F.Giusfredi, ibid., 208-233. 26 F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 217-219. 27 F.Giusfredi, TdH 28, 219-225.

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Il est probable que les lamelles de plomb de Kululu, comme l’unique exemplaire découvert à Nevúehir, sont contemporaines des derniers rois du Tabal. Les lettres d’Aššur peuvent, au contraire, dater de la période de domination assyrienne, après la chute de Karkemiš en 717 avant notre ère. L’usage des hiéroglyphes, devenus cursifs et donc facilement utilisables, aurait pu persister et pas seulement dans les anciens pays hittites. On a la preuve qu’il y a eu des tentatives pour les adapter à une langue autre que le louvite. Les huit fragments de pithoi découverts à Altintepe, au nordest de l’Anatolie sont en effet inscrits en hiéroglyphes mais leur langue est l’ourartéen. Le contenu de chaque texte se limite à une seule ligne qui indique le contenu du vase. Il y a une exacte correspondance entre les mesures utilisées et celles employées pour les silos et les celliers du royaume d’Urartu dont l’administration utilisait l’écriture cunéiforme pour les textes religieux, annalistiques, administratifs et autres. Leur découverte au début des années 60 a démontré la souplesse du système hiéroglyphique et son adaptabilité à différents idiomes. Mais il faut aussi constater que cette tentative n’a pas eu de suite et que l’écriture hiéroglyphique et la langue louvite sont mortes avec ou après la disparition des états hittites d’Asie mineure orientale et de Syrie28. L’araméen et l’écriture alphabétique, leurs grands rivaux, ont, au contraire fait preuve d’une extraordinaire vitalité, ont même été utilisés par la chancellerie assyrienne au côté de l’akkadien et des cunéiformes et ont fini par être la langue et l’écriture des administrations perses dans les satrapies occidentales de l’empire achéménide.

28

T.Ozguç, « The Urartian Architecture on the Summit of Altintepe », Anadolu 7, 1963, 43-49 ; E.Laroche, « Les Hiéroglyphes d’Altintepe », Anadolu 15, 1971, 55-61 ; J.D.Hawkins, CHLI, 588-589 ; F.Giusfredi, TdH 28, 233-236 ; Cf. J.Freu, « Les Hittites : Un Peuple à deux Ecritures », in R.Viers (éd.), Langues et écritures de la Méditerranée, Paris/Nice 2006, 105-158, pp.142-143.

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2) Les autres royaumes et les inscriptions de Çineköy et de Karatepe a) Tyane et le fils de Warpalawa Au sud du Tabal le royaume de Tuপana (Tyane) était l’état le plus important et son roi, Warpalawa (Urballa pour les rois d’Aššur), l’auteur du relief d’Ivriz, a joué un rôle non négligeable lors de la poussée phrygienne en Anatolie orientale. Il semble qu’il a conclu une alliance avec Midas sans rompre avec le roi d’Aššur et qu’il a joué son rôle dans la réconciliation entre Midas et Sargon provoquée par l’invasion cimmérienne. L’affaire semble claire puisque c’est un émissaire d’Urballa qui a accompagné l’envoyé de Midas auprès de Sargon en 709 av.J.C. lors de la réconciliation des deux grands monarques face au péril cimmérien. Urballa (Warpalawas) est attesté pendant une longue période par les annales assyriennes, de 738 à 709 av. J.C. Il est probable qu’il a régné de c.740 à c.705 et a dû affronter les Cimmériens à la fin de sa vie29. Il a néanmoins pu laisser le trône à son fils, Muwaharanis (II), qui est connu par l’inscription gravée sur la stèle Ni÷de 2 accompagnant une représentation du dieu de l’Orage Tarhunzas : Ce Tarhunzas Muwaharanis l’a [fa]it, le Héros, le roi aimé par Tarhunzas et par les dieux, le fils de Warpalawas, le tarwani (IUDEX), le Héros 30.

Cette inscription, qu’on peut dater des dernières années du VIIIe siècle ou des premières années du VIIe siècle av. J.C. est certainement l’un des derniers textes hiéroglyphiques qui nous soit parvenu.

29 30

J.D.Hawkins, CHLI, 430-432 et n.63. Ibid., 526-527

157

Aucune inscription contemporaine n’est connue des derniers rois d’Ištunda (Tuপamme), de ঩ubišna (Uirimme) ou de Tabal (঩ulli, Ambaris, Iškallu et Mugallu). b) La Cilicie et l’inscription bilingue de Çineköy En Cilicie au contraire deux inscriptions bilingues (louvite et phénicien), de date tardive, celles de Çineköy et de Karatepe ont permis, la seconde surtout, retrouvée en premier lieu, de faire faire des progrès décisifs à la lecture, la traduction et l’interprétation des hiéroglyphes hittites, en partie grâce au texte phénicien. La Cilicie, à l’âge du Fer, comme aux époques hellénistique et romaine, était divisée en deux entités, la Cilicie trachée (঩ilakku) montagneuse, à l’ouest, où se trouvait le grand port d’Ura et la Cilicie plane (Cilicia Pedias) à l’est, correspondant au Kizzuwatna hittite qui englobait la plaine d’Adana, entre le Taurus et la Méditerranée. Cette dernière était devenue le pays de QawƝ/QuƝ (঩umƝ pour les Babyloniens) à l’âge du Fer. A Çineköy et à Karatepe les dnnym sont les habitants d’Adana et de la plaine et n’ont rien, à voir avec l’un des Peuples de la Mer, avec lequel on a voulu les confondre, les Danuna. Les inscriptions (hiéroglyphique et phénicienne) découvertes en 1997 à Çineköy, à 30km au sud d’Adana étaient gravées sur la base en basalte, portant un chariot tiré par deux taureaux, qui soutenait la statue (en calcaire) du dieu de l’Orage. Le texte hittite, le mieux conservé, était inscrit entre les pattes des deux taureaux, sur la surface et le flanc de la base. Il débutait en donnant la généalogie du roi Warika (Urikki dans les textes assyriens) et en poursuivant par le récit de ses œuvres: [Je suis] Wari[ka], fils de ..., descendant de [Muka]sa, roi hiyawé[en, serviteur de] Tarhunza, [homme béni par le Soleil]. [Moi], Warika, j’ai agrandi [Hiyawa] et [fait prospérer la plaine de [Hi]yawa par Tarhunza et mes dieux paternels.

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J’ai fait cheval sur cheval, j’ai fait armée sur armée. Alors le roi d’Aššur (su+ra/i-wa/i-ni-sa (URBS) REX) et toute la maison assyrienne sont devenus un père [et une mère] pour moi et Hiyawa et Aššur sont devenus une seule maison. Ainsi j’ai frappé de [puissantes] forteresses [et j’ai bâti] vers l’ouest 8 et l’est 7 forteresses. Ainsi ces lieux ont été... pour le palais du pays du fleuve. Moi, par ma personne, dans le pays [j’ai accompli toutes] les bonnes choses...31

Le texte phénicien gravé à l’avant du bloc de basalte n’est conservé que très partiellement. Il donne au roi des Dnnym le nom d’Urikki et en fait un « béni de Ba’al ». Il reprend la clause concernant l’alliance avec le roi d’Aššur et les autorités assyriennes et réaffirme qu’Urikki a fait bâtir des forteresses et assuré la prospérité de son pays32. La paléographie des signes du texte phénicien montre que celui-ci est plus ancien que celui de Karatepe, ce que confirme la comparaison des deux textes. A Çineköy on a affaire à l’œuvre d’Awariku/Urikki, roi de QuƝ/Adana, dont les annales assyriennes mentionnent l’existence depuis le règne de Tiglatphalasar III (de 739/738 à 729/728 av. J.C.) jusqu’à celui de Sargon II (710/709). Il semble qu’à la fin de son règne il cohabitait avec un gouverneur assyrien (de QuƝ), Aššur-šarrau ur. Une difficulté existe à ce sujet puisque la lettre de Sargon à ce dernier précise que Midas, le roi de Phrygie, a intercepté des messagers d’un dénommé Urik adressés au roi d’Urartu et les lui a renvoyés33. Si Urik est bien le roi Urikki de QuƝ il faut 31

R.Teko÷lu in R.Teko÷lu/A.Lemaire (avec le concours d’I.Ipek et K.Tosun), « La Bilingue Royale Louvito-Phénicienne de Çineköy », CRAI, 2000, 962-1006, pp.968-990, fig.7-26 ; G.B.Lanfranchi, « A Happy Son of the King of Assyria : Warikas and the Çineköy Bilingual (Cilicia) », Fs Simo Parpola, Studia Orientalia 106, Helsinki 2009, 127-150. 32 A.Lemaire, ibid., 990-1002, fig.26-27. 33 J.N.Postgate, Iraq 35, 1973, 13-27.

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admettre qu’il songeait à rompre avec le roi d’Aššur à cette date. Il aurait dû être déposé et déporté après un tel acte de rébellion. Pourtant Azatiwata, allié lui aussi vraisemblablement des Assyriens, évoque sa mémoire dans l’inscription de Karatepe sans aucune réticence. Il est difficile d’expliquer cette situation sauf à supposer l’existence d’un second personnage nommé Urik(ki). L’inscription de Çineköy due à Awariku, tardive, doit probablement être datée des années 715-710 avant notre ère. Deux inscriptions phéniciennes de la région mentionnent le nom de son auteur (’wrk) et sont d’autres témoins de la poussée de la langue phénicienne, au côté de l’araméen, dans le pays de QuƝ et les régions voisines à cette époque 34. Celle de Çebelireis Da÷ı a une grande importance historique puisqu’elle mentionne le nom d’un certain MTŠ qui peut se confondre soit avec le roi de Phrygie Midas dont on sait par les textes assyriens qu’il est intervenu à Tyane et en Cilicie à la fin du VIIIe siècle avant notre ère soit avec un autre personnage de ce nom . Le gouverneur Ašulaparna avait assigné des terres à Masana’zemis, son serviteur, d’autres à Mitas et à un certain Kulas dans Warikiya, cité dont le nom assure qu’elle a été une fondation du roi Urikki/Awariku comme Azatiwataya sera par la suite une fondation de son probable successeur Azatiwata. L’inscription mentionne ensuite le fait que Midas a donné des terres à un certain Kulas et expulsé Masana’zemis. C’est le roi Awariku/Urikki qui a restitué ses biens au proscrit auquel Midas avait enlevé sa fille pour la donner à Kulas. Urikki la rendait à son premier mari, Masana’zemis. L’absence de titre empêche de savoir qui est le Midas de l’inscription mais n’enlève rien à son importance historique35. 34

35

A.Lemaire, « L’inscription phénicienne de Hassan-Beyli reconsidérée », Rivista di Studi fenici 11,1983, 9-19; P.G.Mosca, J.Russel, « A Phoenician Inscription from Çebelireis Da÷i in Cilicia », Epigraphica Anatolica 9, 1987, 1-27. W.Röllig, « Zur phönizischen Inschrift von Cebelireis Da÷ı »,in C.Roche (éd.), D’Ougarit à Jérusalem. Fs P.Bordreuil, Paris 2008, 51-56 ; P.Bordreuil, « La ville de KR et l’expulsion de Masana’zemis dans l’inscription de Cebelireis Da÷ı », Semitica et Classica 3, 2010, 227-233.

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c) L’inscription bilingue de Karatepe Le site de Karatepe, isolé dans une gorge du Ceyhan (Puruna hittite, Pyramos grec), a été découvert en 194736. La petite cité fortifiée faisait face à un bourg, Domuztepe, qui a fourni, lui aussi, quelques inscriptions. Le style et la paléographie de l’inscription hiéroglyphique de Karatepe (et des sculptures) dénoncent son caractère tardif sans qu’une date précise (fin du VIIIe ou début du VIIe siècle av. J.C.) puisse lui être attribuée. Son auteur, Azatiwata, se réfère pourtant à un roi d’Adana, Awariku, qui se confond sûrement avec le roi Urikki de QuƝ, connu par les annales assyriennes, l’inscription de Çineköy et celle de Cebelireis Da÷ı. Ce dernier régnait en 738 et en 732 avant notre ère et était encore actif en 710/709 bien qu’un gouverneur assyrien de QuƝ ait, semble-t-il, cohabité avec lui à cette époque. Il avait été accusé d’avoir entrepris de correspondre avec le roi d’Urartu mais le seigneur de Tyane, Warpalawa, et Midas, le Grand Roi de Phrygie, avaient intercepté ses envoyés et avaient profité de cette circonstance pour faire la paix avec le roi Sargon d’Aššur37. Il est probable que l’inscription de Karatepe a été gravée après la mort de Sargon et l’expédition de Sennacherib contre les pays de QuƝ et de ঩ilakku en 702. Un royaume de QuƝ, vassal de l’Assyrie a pu exister au cours des années suivantes et jouir d’une réelle prospérité sous la tutelle de la puissance assyrienne avant la nouvelle incursion ordonnée par Sennacherib en 696 av. J.C., contre le seigneur d’Illubru qui avait suscité la révolte du pays de ঩ilakku et en accord avec les cités d’Ingira et de Tarzi (Tarse) bloqué la route de QuƝ (girri KUR QuƝ)38. Mais on peut se demander si Azatiwata n’a pas joué son rôle à cette occasion.

36

Cf. J.D. Hawkins, RlA V/5-6, 1980, s.v. Karatepe A., §2 ; P.Garelli, RA 75, 1985, 54-60. 37 J.N.Postgate, Iraq 35, 1973, 13-27 38 ARAB II, §§ 286-289.

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L’inscription hiéroglyphique d’Azatiwatas, l’une des plus longues et des plus tardives, est sans doute bien datée des premières années du VIIe siècle avant notre ère39. Les débuts des deux textes (hiéroglyphique et phénicien) donnent les mêmes indications : Je (suis) Azatiwatas, homme béni par le Soleil, le serviteru de Tarhunzas qu’Awariku, le roi d’Adana a promu (hiéroglyphes) // Je (suis) ’ZTWD, béni par Ba’al, le serviteur de Ba’al que ’WRK, roi des DNNYM a promu (phénicien) (§I). Tarhunzas (//Ba’al) a fait de moi un père et une mère pour Adanawa (//pour les DNNYM) et j’ai fait prospérer Adanawa (// J’ai fait vivre les DNNYM) et j’ai étendu la plaine d’Adanawa (//’DN) d’un côté vers l’ouest et de l’autre vers l’est (// du lever du Soleil jusqu’à son coucher) et, en mes jours, il y eut plein de bonnes choses, abondantes et riches et j’ai rempli les greniers de Pahar (classique Pagrai, au pied de l’Amanus ?) et j’ai fait cheval sur cheval et j’ai fait armée sur armée et j’ai fait bouclier sur bouclier,...tout par Tarhunza et les dieux (//par la grâce de Ba’al et des dieux) (§§ IIX)

Azatiwatas se vante ensuite d’avoir éliminé le mal dans le pays et accompli de bonnes choses pour la famille de son maître. Il prétend même avoir fait s’asseoir les membres de 39

H.Bossert, Oriens 1, 1948, 171-173 ; Oriens 2, 1949, 91-97 ; Symbolae Hrozný IV, 1950, 18-28 ; JKF 1, 1951, 270-272 ; JKF 2, 178-179 ; JKF 2, 1953, 306-308 ; MNHMHȈ XAPIN, Fs P.Kretschmer I, 1956, 41-44 ; P.Meriggi, Manuale II/1, 1967, n°24, 72-100 ; H.G.Güterbock, Eranos 47, 1949, 93-115 ; H.Çambel, Karatepe-Aslantaú, CHLI, vol. 2, 1998 ; J.D.Hawkins, A.Morpurgo Davies, « On the Problems of Karatepe : the Hieroglyphic Text », AnSt 28, 1978, 103-119 ; J.D.Hawkins, CHLI, 44-70.

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cette lignée sur le trône de leur père. Il a établi la paix avec chaque roi (texte phénicien, lacune dans le texte hiéroglyphique), et chaque roi a fait de lui son père à cause de sa justice, de sa sagesse et de sa bonté (§ XI-XVIII). Il a construit des forteresses sur les frontières (§XIX) afin que les mauvais hommes, les voleurs, qui n’avaient pas servi la maison de Muksa (MPŠ phénicien) soient mis sous ses pieds (§§ XXXXII). Il a construit des forteresses dans ces places afin qu’Adanawa repose en paix (§§ XXIII-XXIV). Il a frappé les forteresses (ennemies) à l’ouest et les a détruites, ce qu’aucun roi n’avait fait avant lui et en a établi sur sa frontière orientale (§§ XXV-XXXI). De son temps il a élargi les frontières d’Adana aussi bien vers l’ouest que vers l’est et écarté la crainte qu’éprouvaient les cités ou les hommes sur les routes (§ XXXII-XXXIV). En son temps les femmes peuvent se promener avec leur fuseau (§ XXXV). En ses jours il y a abondance, luxe et bonne vie et Adanawa ainsi que la plaine d’Adanawa sont en paix (phén. : la paix du cœur pour les Dnnym et toute la plaine de ’DN) (§ XXXVI-XXXVII). Il a bâti cette forteresse et lui a donné le nom d’Azatiwataya (’ZTWDY). Aussi Tarhunzas et Runzas (DEUS CERVUS) l’ont accompagné dans cette construction (phén. Ba’al et Rešeph-des boucs) (§§ XXXVIII-XL). Les paragraphes suivants sont fragmentaires dans le texte hiéroglyphique mais la version phénicienne bien conservée précise qu’il a construit cette forteresse pour assurer la protection de la plaine d’Adana (’DN) et de la maison de MPŠ (Mopsos) et y a logé Tarhunza (Ba’al KRNTRYŠ) (§§ XLI-XLVII). Chaque pays de rivière l’honorera en lui sacrifiant chaque année un bœuf, aux labours un mouton et à la vendange un mouton (§ XLVIII). Que Tarhunzas donne à Azatiwatas santé et vie et lui donne la prééminence sur les autres rois ; que lui et les dieux de la forteresse donnent à Azatiwata de longs jours, beaucoup d’années et l’abondance ainsi que la victoire sur les autres rois (§§ XLIX-LII). Que cette forteresse devienne celle du dieu du vin et du dieu de la vigne et que pour ses habitants elle devienne celle des moutons, des bovins, du dieu du grain et du dieu de la vigne, qu’elle soit grande au service d’Azatiwatas et de la 163

maison de Muksa par Tarhunzas et les dieux (§§ LIII-LVIII). Si un prince ou un homme déclare : « j’effacerai le nom d’Azatiwatas de cette porte et j’y inscrirai mon nom » ou s’il convoite cette forteresse ou en bloque les portes qu’a faites Azatiwatas, que le céleste Tarhunzas, le céleste Soleil, Ea et tous les dieux effacent ce royaume, ce roi ou cet homme ! (§§LIX-LXXIII). Que le nom d’Azatiwatas se maintienne à jamais comme les noms du Soleil et de la Lune (§§ LXXIV-LXXV). Trois courtes inscriptions complètent le texte principal. l’inscription Karatepe 2 réaffirme qu’Azitawata sa construit cette forteresse. Karatepe 3 mentionne un Seigneur de la rivière Sa[..., le Héros de la cité Zi[..., fils de (M)ukatala (?) Karatepe 4 mentionne les cités de Kurupiya et de Piyata et le nom des scribes qui l’ont gravée, Masanis et Masanazamis40. Les deux inscriptions de Domuztepe sont à peu près illisibles. La petite stèle Domuztepe 2 avait une représentation du dieu de l’Orage, portant un heaume à cornes et vêtu d’une tunique, maintenant brisée41. A lire l’inscription hiéroglyphique de Karatepe on a l’impression qu’Azatiwata est le régent du pays de QuƝ et que sa situation est comparable à celle de Yariri, le prince de Karkemiš, qui a longtemps exercé le pouvoir dans sa ville avant de le remettre à l’héritier légitime du trône. Mais si Azatiwata reconnaît que c’est Awariku, le roi d’Adana, qui l’a promu et s’il prétend avoir fait prospérer la maison de son maître et « fait monter sur le trône de leur père » (§XVI) les membres de la famille d’Awariku nous n’avons aucun témoignage d’une telle succession alors qu’elle est bien attestée dans le cas de Yariri. Il évoque aussi brièvement la « maison de Muksa » (phén. MPŠ, §LVIII) c’est-à-dire la dynastie à laquelle appartenait Awariku. Si le fait qu’il avait protégé ses représentants était véridique le nom du fils d’Awariku qu’il aurait, à l’en croire, intronisé devrait figurer dans l’inscription, comme ceux des jeunes protégés de Yariri dans les inscriptions de Karkemiš. 40 41

J.D.Hawkins, CHLI, 69-70. H.Çambel, Karatepe-Aslantaú, 94-95 ; J.D.Hawkins, CHLI, 71.

164

La comparaison avec l’inscription de Çineköy montre que la dynastie qui régnait à la fin du VIIIe siècle avant notre ère en Cilicie plane (pays de QuƝ, de Hiyawa ou d’Adana) voulait se rattacher à un glorieux ancêtre qui avait donné à son nouveau pays le nom de ঩iyawa, forme seconde du nom d’Aপপiyawa, désignant vraisemblablement le monde mycénien à l’âge du Bronze récent. Les villes de Mopsuhestia et de Mopsuchrène témoignent de cette implantation en Cilicie, au début de l’âge du Fer, de groupes d’Achéens qui ont été absorbés par la dense population « hittite », c’est-à-dire louvito-hourrite, de la région. A Karatepe Muksa/Mopsos est cité mais ঩iyawa a disparu. Plus étonnant encore est le fait que le roi d’Aššur et les Assyriens ne sont pas mentionnés explicitement à Karatepe alors qu’Awariku se faisait gloire d’être l’allié (en fait le vassal) du roi d’Aššur. Il paraît cependant assuré que, dignitaire d’Awariku, Azatiwata a maintenu de bonnes relations avec l’Assyrie. Ses victoires dans l’Ouest, c’est-à-dire dans la Cilicie trachée, le pays de ঩ilakku, ont sans doute quelque rapport avec l’expédition envoyée, en 696 av. J.C., par Sennacherib contre les rebelles du ঩ilakku qu’il accusait d’avoir fermé la route de QuƝ42. Tarse et Ingira avaient participé à la révolte. C’est vraisemblablement Azatiwata qui a profité de la victoire assyrienne, à laquelle il avait sans doute participé et grâce à laquelle il a pu unifier sous son autorité toute la plaine d’Adana. En 679 Esarhaddon déclare avoir soumis le peuple rebelle du ঩ilakku puis, en 675 capturé et fait décapiter Sanduarri, roi de Sissu (Sis) et de Kundi. Apparemment Azatiwata avait disparu à cette date et des gouverneurs assyriens ont ensuite administré le pays de QuƝ 43. Les interventions en Cilicie des rois chaldéens de Babylone, en particulier le raid de Neriglissar (559-556 av. J.C.) n’ont pas empêché la province de conserver son autonomie jusqu’à l’époque perse au cours de laquelle elle restera, sous l’autorité

42 43

ARAB II, § 383. J.D.Hawkins, CHLI, 43.

165

de satrapes-gouverneurs, les Syennesis, une fidèle vassale des Grands Rois achéménides et une province pacifiée et prospère. Mais les inscriptions bilingues de Çineköy et de Karatepe montrent que la civilisation de la région était soumise dès la fin du VIIIe siècle avant notre ère à des influences nouvelles, phéniciennes et, sans doute, araméennes, qui étaient en passe de faire disparaître la langue (louvite) et l’écriture des populations « hittites » de cette région comme des autres provinces où elles avaient prospéré.

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CHAPITRE IX

POUVOIR ET SOCIETE DANS LES PAYS NEOHITTITES 1) Grands Rois, Rois et tarwanis a) Les Grands Rois La tradition monarchique s’est maintenue dans les petits états « hittites » de l’âge du Fer mais l’idée impériale a été brisée. Aucun des souverains des différents royaumes, y compris ceux de Karkemiš, n’a cherché à reconstituer l’unité du monde néo-hittite et à se proclamer le maître du pays de ঩atti. De façon paradoxale ce sont les rois d’Aššur qui, parfois, parlent, comme s’il s’agissait d’une seule entité, du pays hittite Il semble cependant abusif, en insistant sur la nouveauté apparue avec la prolifération du titre de tarwani- dans les monarchies hittites à l’âge du Fer, de prétendre que la nouvelle situation traduisait une réaction consciente contre le système impérial de l’âge du Bronze Récent1. Partout la succession au trône a reposé, comme auparavant, sur l’hérédité. A plusieurs reprises les rois fournissent dans leurs inscriptions une généalogie, parfois longue, de leurs ancêtres pour affirmer avec force la légitimité de leur pouvoir2. La situation de crise survenue à Karkemiš lors de la mort prématurée du roi Astiruwa a été réglée par le « régent » et tarwani Yariri qui a scrupuleusement respecté les droits des enfants du défunt et assuré la succession au trône à son fils aîné, Kamani3. Les dieux sont souvent invoqués comme les garants de la transmission régulière du pouvoir du père au fils. Les cas 1

F.Pintore, « Seren, tarwanis, tyrannos », in O.Carruba (éd.), Studi orientalistica, Fs F.Pintore, StMed 4, 1983, 285-322, 301-302. 2 Ex. Maraú 1 §1a-g ; CHLI, 261-265. 3 Cf. K-A6, CHLI, 123-126.

d’usurpation sont peu nombreux, L’un des plus remarquables étant celui qui a affecté la famille royale de Mazuwari/Til Barsip (hittito-araméenne), encore qu’il s’agisse à cette occasion de rivalités à l’intérieur de la même famille princière4. L’autre a concerné les Grands Rois de Karkemiš qui ont été victimes de la montée en puissance de la famille des tarwanis dont le pouvoir était déjà considérable avant leur usurpation5. Le problème posé par la réapparition du titre de Grand Roi (MAGNUS.REX) pour des monarques de médiocre envergure est difficile à expliquer. Il faut distinguer le cas des successeurs, plus ou moins immédiats, des grands souverains de l’empire hittite de l’âge du Bronze et celui des rois plus récents, limité en fait à celui des rois de Karkemiš et de quelques suzerains du Tabal au IXe et au VIIIe siècle avant notre ère. Dès la phase ultime du grand royaume de ঩atti les rois, en principe des vassaux, de Tarপuntašša et, sans doute, de Karkemiš, qui représentaient des branches (aînée à Tarপuntašša, cadette à Karkemiš) de la famille impériale, ont prétendu au titre de Grand Roi. Comme on l’a vu on peut admettre que les Grands Rois Mursili et Hartapu, présents au Kızılda÷, au Karada÷ et à Burunkaya ainsi que celui connu par l’inscription de Karahöyük-Elbistan, Yara-TONITRUS, étaient les successeurs des rois de Tarপuntašša, ce qui justifiait le titre qu’ils s’attribuaient6. La réapparition de l’épithète MAGNUS.REX HEROS à Karkemiš est aussi compréhensible puisque ce titre éminent avait, semble-t-il, été revendiqué par l’héritier d’Ini-Tešub et probablement assumé par Kuzi-Tešub, le dernier rejeton connu de la lignée de Šuppiluliuma dans cette cité à la fin de l’âge du Bronze, qui a sans doute assisté à l’effondrement du royaume de ঩atti au cours de son règne. Ses lointains successeurs, et peut-être descendants, n’avaient donc aucune raison de ne pas prétendre à l’assumer à leur tour. 4

G.Bunnens, Tell Ahmar II, 2006, 86ss, 101 ; E.LipiĔski, The Arameans, 2000, 185. 5 J.D.Hawkins, CHLI, 76-78. 6 Cf. J.Freu, RANT 2, 2005, 399-408.

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Il est probable que le titre a été porté par Huwa-Sarruma dont le nom apparaît sur le fragment d’une statue de lion, KA18d bien que sur la seconde ligne conservée du texte ne soit lisible que : « hu-wa/i-SARMA REX ka+ra/i-ka-mi-sa-zi »7.

Il apparaît clairement sur la stèle K-A4b due à UraTarhunza : MAGNUS.REX IMAGNUS.TONITRUS MAGNUS.REX HEROS ka+ra/i-ka-mi-sà (REGIO) REX,

qui donne les mêmes titres à son père ...]-ziti8, ainsi que sur la stèle brisée d’un Grand Roi Tuthaliya, dont le nom est cassé mais restauré à coup sûr, K-A116c9. On sait que le dernier membre de cette famille a été chassé de sa cité par un tarwani, soit Suhi II, soit son fils Katuwa, et a, sans doute, trouvé refuge à Melid. Dans cette localité les « petits-fils » d’Ura-Tarhunza, (de Kuzi-Tešub selon J.D.Hawkins) ont laissé son titre à leur grand-père sans le reprendre pour eux-mêmes. Ainsi Runtiya dans l’inscription de Kötükale10. Arnuwanti, son frère, se contente de donner à son aïeul le titre de HEROS sur la stèle brisée d’Ispekçur11. Le Grand Roi de l’époque impériale avait des vassaux, ce qui ne semble pas avoir été le cas de celui de Karkemiš bien que son territoire se soit étendu relativement loin de sa capitale, jusqu’à Cekke, à 70km au sud-ouest de celle-ci. Au contraire les Grands Rois de Tabal (en fait un ou deux sont assurés) avaient en principe une vingtaine de rois vassaux. Mais, par 7

J.D.Hawkins, CHLI, 83. Ibid., 80-82. 9 Ibid., 82. 10 Ibid., 299-301. 11 Ibid., 301-304. 8

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ailleurs, le titre avait des implications internationales qui ont disparu à l’âge du Fer. Le « Grand Roi » de Karkemiš, et plus tardivement celui de Tabal, ne pouvait prétendre à une quelconque égalité avec les souverains d’Aššur, de Babylone, de l’Urartu, de la Phrygie ou de l’Egypte. Il était en fait un prince local. Ses successeurs deviendront des tributaires du roi d’Assyrie. Le cas des « Grands Rois » de Tabal est le plus remarquable. Les données fournies par Salmanasar III à l’occasion de sa campagne dans la région en 837/836 avant notre ère montrent que ce pays avait de nombreux « rois », 20 ou 24 selon ses dires, mais aussi un roi suprême, le dénommé Tuatte qu’il a assiégé dans sa capitale d’Artulu. Bien que le fils de ce dernier, Kikki, se soit soumis, l’un au moins de ses successeurs qui étaient vraisemblablement leurs descendants directs, a pris, ou repris, le titre de MAGNUS.REX HEROS, décision à laquelle on ne peut trouver qu’une seule explication, le fait qu’il régnait sur une sorte de confédération et avait une vingtaine de rois vassaux. En fait le titre suprême n’est véritablement attesté que pour Wasusarma mais ce dernier l’attribue régulièrement à son père Tuwati (II). Sur l’inscription de la stèle retrouvée à Topada on lit en effet : [MAGNUS.]REX Wasusarma, MAGNUS.REX HEROS, fils de Tuwati, MAGNUS.REX HEROS12.

Malgré l’archaïsme des signes il est certain que ce texte appartient au VIIIe siècle av. J.C. et au roi dont l’existence est signalée par Tiglatphalasar III en 738 av. J.C. La tentative de P.Meriggi pour dater son règne d’une époque antérieure du fait de l’archaïsme des signes hiéroglyphiques est inacceptable13.

12 13

J.D.Hawkins, CHLI, 451- 461. P.Meriggi, MEG II/1, 122-123.

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Il est vrai que l’on pourrait supposer que ce sont les victoires remportées contre le pays de Parzuta, inscrites sur la stèle de Topada, qui expliquent que Wasusarma se soit paré dans cette inscription du titre de Grand Roi et qu’il l’ait attribué à titre posthume à son père. Il est remarquable qu’un « petit roi », Kiyakiya, qui se dit tarwani et REX déclare, dans l’inscription d’Aksaray, que tous « les Grands Rois et les rois » venaient admirer sa cité, ce qui confirme qu’il était alors, avec une vingtaine d’autres « rois », le vassal du Grand Roi de Tabal14. Pour J.D.Hawkins le titre de MAGNUS.REX qui réapparaît dans les inscriptions tardives du Tabal serait la preuve que les Grands Rois de ce pays voulaient se rattacher aux Grands Rois de Tarপuntašša, Mursili et Hartapu, ce que rien ne justifie. Il est beaucoup plus probable qu’ils prétendaient ainsi faire revivre le souvenir des Grands Rois de ঩atti de l’âge du Bronze dont leur territoire avait conservé des monuments et des inscriptions hiéroglyphiques15. Le Grand Roi Wasusarma est qualifié d’homme (VIR= ziti en louvite) « heureux/ prospère » (LITUUS+AVIS) par l’un de ses serviteurs dans l’inscription de Suvasa C. Il est peu probable qu’il s’agisse là d’un titre. VIR est accompagné du signe L 74, de sens inconnu précédant MAGNUS.REX16. b) Les rois et les titres du REX Le terme REX est sans doute à transcrire *handawati à l’âge du Fer. Il se retrouve sur les inscriptions hiéroglyphiques de la plupart des royaumes néo-hittites17. Il est difficile de préciser la signification des titres divers que les « rois », ajoutaient au tout premier d’entre eux (« REX »). L’inscription Maraú 1 de Halparuntiya III donne un titre 14

CHLI, 475-478. CHLI, 430, n.69 ; contra J.Freu, RANT 2, 2005, 410. 16 CHLI, 462 ; F.Giusfredi, TdH 28, 138-141. 17 F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 82-88. 15

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différent à chacun de ses prédécesseurs qui étaient sûrement tous des « rois ». Lui-même se déclare tarwani en premier, puis roi Gurguméen, son père est qualifié de *TAPARIYALI, son grand père de HEROS, son arrière grand-père de WARPALI, puis les rois des générations précédentes de TARWANI, de HEROS et, enfin le premier nommé, Larama de *TAPARIYALI (Maraú1 §1a-g)18. Il est probable qu’une telle reconstruction, est artificielle, comme le suggère F.Giusfredi. Tous ces personnages portaient sans doute le titre de roi auquel ils ajoutaient un terme supplémentaire qui complétait celui de REX. L’exemple du terme « héros » est typique à cet égard. Il était inséparable, en principe, de celui de « roi » mais on le rencontre parfois seul19. Il semble que des vocables qui désignaient des dignitaires au temps de l’empire hittite ont été repris par les rois de l’âge du Fer. Le cas de *tapariyali (LEPUS+ra/i-ia-li) est exemplaire en ce domaine. Il s’agissait dans le royaume de ঩atti d’un titre militaire dérivé du verbe tapar ou tapariya- signifiant « gouverner, commander »20. Le titre warpali qui n’apparaît qu’à Maraú 1 (§2d), appliqué à l’arrière-grand-père de Halparuntiya III, Muwatali, très proche du terme louvite warpalla/i désignait un monarque tout « puissant »21. Il est plus difficile de déterminer la valeur du titre DOMINUS employé seul. Le « Seigneur » est souvent le roi ou le tarwani lui-même. Ainsi le tarwani et DOMINUS de la cité de Nahitiya, Saruwani22. A Karkemiš le DOMINUS est souvent le dieu (K- A25A1§6) mais dans les textes économiques il désignait l’entrepreneur qui était l’organisateur du trafic commercial23. 18

CHLI, 261-265 ; F.Giusfredi, ibid., 72. F.Giusfredi, ibid., 88-90. 20 F.Pecchioli-Daddi, Mestieri, professioni e dignità nell’Anatolia ittita, Roma1982, 437 ; F.Giusfredi, TdH 28, 104-107. 21 F.Giusfredi, ibid., 107-108. 22 J.D.Hawkins, CHLI, 515 ; F.Giusfredi, ibid., 127. 23 F.Giusfredi, ibid., 126-130. 19

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Plusieurs inscriptions donnent au souverain le titre de REGIO. DOMINUS, en particulier au seigneur de Karkemiš. Il correspond à celui, de caractère administratif à l’époque impériale, écrit en cunéiformes EN.KUR (-TI), « Seigneur du pays, gouverneur ». Il était de première importance aux yeux des maîtres de Karkemiš appartenant à la famille de Suhi, aussi bien à Astuwatamanza qu’à Katuwa qui se parent du titre de tarwani mais n’ont jamais porté celui de roi ou de Grand Roi. « Seigneur du pays » a été un titre prisé avant tout à Karkemiš et à Melid. Il est très souvent associé à celui de tarwani et semble avoir été considéré comme un élément principal de la titulature dans ces deux royaumes24. Il y a peu de doute que les membres de la famille de Suhi ont substitué REGIO.DOMINUS à MAGNUS. REX et à REX pour se différencier de leurs prédécesseurs de la famille des Grands Rois qu’ils avaient renversée. Mais tarwani apparaît toujours en première place dans leurs inscriptions25. Le FLUMEN.DOMINUS, le « Seigneur du pays de la rivière ou du fleuve » (FLUMEN.REGIO.DOMINUS à Alep 6) apparaît en particulier dans les inscriptions de la Commagène (le pays de Kummuপ) où il semble désigner un prince vassal. A Cekke (§10) il désigne le prince ou le gouverneur qui administrait une dépendance de Karkemiš : « En chaque cité devant Ahali le Seigneur de la rivière nous faisons une fête »26. A Hamath il est question aussi de FLUMEN.REGIO, ce qui est naturel pour un pays qui recouvrait la vallée de l’Oronte et de ses affluents27. Sur l’inscription de Palanga, un fragment de statue découvert à cet endroit, à 12km à l’ouest de Darende, le dénommé ...]-pisa, dont le nom est cassé, se déclare FLUMEN. DOMINUS mais fait référence à un roi qui était son suzerain, certainement un roi de Melid28. 24

J.D.Hawkins, « Great Kings and ‘Country-Lords’ at Malatya and Karkemis », Fs Houwink ten Cate, 1995, 73-85, pp.73-79. 25 F.Giusfredi, ibid., 97-101. 26 J.D.Hawkins, CHLI, 145 (§10). 27 Ex. Hama 1, J.D.Hawkins, CHLI, 413 ; F.Giusfredi, ibid., 101-103. 28 J.D.Hawkins, ibid., 325-326.

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c) Les reines La reine était, en principe, la MAGNUS.DOMINA, titre qui traduit le cunéiforme MUNUS.LUGAL, c’est-à-dire ‫ې‬aššušara, forme féminine de ‫ې‬aššu « roi » en nésite. Mais le terme est souvent utilisé pour désigner des déesses plutôt que les épouses du roi. Kubaba est la MAGNUS.DOMINA à Karkemiš (K-A23 §3) ; La stèle de Meharde était dédiée à la « reine divine du pays » (de Pala/istin). En général les souverains désignent leur épouse comme la « BONUS. FEMINA ». Ainsi Wa(s)ti (BONUS-ti), la femme de Suhi (K-A1B §1). Il en va de même pour Ana, l’épouse de Katuwa (K-A11A §19)29. Il est difficile de savoir quel était le rôle des souveraines. Seule Kupapiya, la veuve de Taita, roi de Pala/istin, qui se vante, sur la stèle de Meharde, d’avoir vécu plus de cent ans en récompense de sa justice peut avoir joué le rôle d’une régente à la mort de son mari mais la seule reine mentionnée dans le texte hiéroglyphique (DOMINA/hassusara) est là aussi la déesse du pays30. d) Le tarwani- (IUDEX) Ce titre énigmatique a été étudié sommairement au début de cet ouvrage. Il a été largement répandu et se retrouve aussi bien à Karkemiš que dans le pays de Patin (Tell Ta’yinat 2 §1)), à Maraú ou à Karatepe. L’exemple le plus ancien de son emploi a été le fait de Suhi (I) en K-A4B (§6) et il a été accompagné en général, comme on l’a vu, de celui de REGIO.DOMINUS. La dynastie de Suhi a montré une répugnance invincible à prendre le titre de roi, ou Grand Roi, du fait qu’elle s’est emparé du pouvoir à Karkemiš en renversant et en chassant (à Melid) la vieille dynastie des MAGNI.REGES qui régnait depuis des siècles sur la cité et sur le pays. Tarwani est très généralement écrit IUDEX-wa/i-ni-sa ou IUSTICIA-na-ti/na-ri, ce qui 29 30

F.Giusfredi, 108-114. J.D.Hawkins, Fs E.Laroche, 1979, 150-151 ; CHLI, 417.

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semblait impliquer, sans doute à tort, que le titulaire du titre avait un rapport avec la justice. La stèle K-A4B (§§4-6) a été érigée en l’honneur du roi Ura-Tarhunza par Arnu[wanti], prêtre de Kubaba, fils du tarwani (IUDEX-ni) Suhi . Rien ne nous indique que ce Suhi ait eu un rapport quelconque avec la justice. Son fils Astuwatamanza a fait bâtir les portes monumentales de la cité (K-A14B §§2-3). Il avait donc un pouvoir considérable au côté du Grand Roi qui était son contemporain. Le fils de ce dernier, Suhi (II) a reçu des dieux la succession de son père (K-A14A §3). Son héritier, le tarwani Katuwa, a exilé les petits-fils d’Ura-Tarhunza et rétabli l’unité du pouvoir à Karkemiš au profit des tarwanis (K-A11B+C §§24). Quelle qu’ait été le rapport de ces personnages avec la justice leur ascension fait penser à la lente montée, au cours de plusieurs générations, des « maires du palais » francs face aux derniers rois mérovingiens qu’ils ont fini par éliminer. Les princes francs ont pris le titre de roi après leur triomphe. Les tarwanis de Karkemiš s’en sont bien gardé. Il est donc possible, comme l’a soutenu F.Pintore, qu’ils aient défendu une nouvelle conception du pouvoir et que le terme de tarwani ait un certain rapport avec le grec IJȪȡĮȞȞȠȢ et un titre des chefs philistins, celui de seren31. Celui de tarwani s’est répandu dans tout le domaine néo-hittite accompagné de divers titres complémentaires, REGIO.DOMINUS, warpali et REX (Maraú 1) ou même simplement REX (Cekke)32. A Karkemiš apparaît le titre de warpasi DOMINUS (K-A3 §16). Comme celui de warpali porté par Muwatali de Gurgum il pourrait signifier « Seigneur de la force, de la puissance » mais le mot warpi signifiant « enceinte, clôture », il se peut que ce sens doive être retenu comme pour le WARPI.REX de l’inscription de Suvasa B33.

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F.Pintore, « Seren, tarwanis, tyrannos », StMed 4, 1983, 285-322 ; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 95-96. 32 Cf. F.Giusfredi, « The problem of the Luwian title tarwanis », AoF 36, 2009, 40-45. 33 F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 136-137.

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e) Les fonctions « royales » Les souverains des royaumes néo-hittites avaient hérité des fonctions religieuses de leurs prédécesseurs qui étaient les grands-prêtres de tous les dieux mais la documentation existante ne permet pas de se faire une idée claire de leur situation dans ce domaine. Presque toutes les inscriptions invoquent les dieux, Tarhunza, le dieu de l’Orage, en premier lieu dans la plupart des cas. Le texte de l’orthostate K-A1a, dû à Suhi II, est caractéristique à cet égard. Lors de ses victoires le tarwani a fait élever un trophée en l’honneur du dieu Tarhunza et lui a attribué une dîme (en fait un neuvième du butin). Libations et nourriture lui sont offertes et les malédictions finales font appel à la divinité pour qu’elle frappe l’ennemi du monarque ou celui qui effacerait son nom ou détruirait le monument qu’il a élevé34. Katuwa, de son côté, fait appel à la triade souvent évoquée, Tarhunza, Karhuha et Kubaba ainsi qu’au dieu du vin et à celui de la vigne qui ont assuré la prospérité du pays. Il a fait bâtir un temple luxueux à « Tarhunza le Karkamiséen » (K-A11a)35. Tarhunza, Karhuha et Kubaba qui l’aiment à cause de sa justice, marchent devant Katuwa lors de ses expéditions. Lui préside la procession en leur honneur et leur offre des sacrifices dont il précise l’importance36. Il n’y a donc rien d’original dans la relation entretenue par ces souverains avec les dieux et cette situation est générale dans tout le domaine néo-hittite. Katuwa semble avoir voué un culte particulier à « Kubaba, reine de Karkemiš » qu’il prétend avoir rétablie dans ses prérogatives et en l’honneur de laquelle il a fait bâtir (un temple)37.

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J.D.Hawkins, CHLI, 88-89. Ibid., 95-96. 36 Ibid., 103-104. 37 J.D.Hawkins, CHLI, 119-120. 35

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La situation est la même à Melid où le roi Arnuwanti dédie une stèle à « Hebat de la cité » et à Sarruma ; et où le Seigneur du pays, Tara, fait appel au dieu de l’Orage38. A Hama le roi Urhilina mentionne Tarhunza mais met en avant Pahalatis, c’est-à-dire la déesse syro-phénicienne Ba‘alat39. Après lui c’est un araméen, Zakur, qui s’installera à Hamath et mettra un terme à la dévotion envers les divinités « hittites ». Au contraire dans le pays de Gurgum le roi et tarwani Halparuntiya (III) s’adresse à Tarhunza, à Ea, une divinité d’origine sumérienne naturalisée depuis longtemps en pays hittite, et à Runtiya, le dieu cerf40. Au pays de Tabal on retrouve les mêmes énumérations de dieux qu’à Karkemiš. Un serviteur de Tuwati appelle, pour qu’ils assurent leur protection au Grand Roi, une série de dieux, Tarhunza, Hebat, Ea, Kubaba, Sarruma, Alasuwa41. Dans la stèle par laquelle il commémore son succès dans sa lutte contre Parzuta, le Grand Roi Wasusarma invoque la protection que lui ont apportée Tarhunza, Sarruma et deux autres divinités dont les noms ne sont pas lisibles42. On pourrait multiplier les exemples. Les rois hittites de l’âge du Fer avaient la même religiosité que leurs prédécesseurs et leurs contemporains. Les dieux les protégeaient, marchaient devant eux lorsqu’ils entraient en campagne et eux-mêmes répondaient à leur bienveillance en bâtissant leurs temples et en multipliant les prières, les offrandes et les sacrifices qui leur étaient dus. Cette sollicitude, intéressée, envers les dieux se traduisait, en particulier, par l’édification de temples mais tous les souverains néo-hittites se vantent par ailleurs de leurs actions comme bâtisseurs et réalisateurs dans tous les autres domaines. Ils font construire des maisons, des palais, élever les portes 38

Ibid., 305 (Darende) ; 315-316 (Izgin 1) Ibid., 405, 409, 410 (Hama 4, Restan, Hama 8). 40 Ibid., 262-263. 41 Ibid., 449 (Çiftlik). 42 Ibid., 452-454 (Topada). 39

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monumentales et les murailles de leur capitale, bâtir des forteresses pour protéger leurs frontières, tracer des routes et dévier des rivières. Il y a peu de doute que ces activités pacifiques étaient un élément important de leur pouvoir et de leur gloire posthume. Le « petit roi » de Šinuপtu (Aksaray) était si fier de ses réalisations qu’il prétend, comme on l’a vu, que Grands Rois et rois venaient tous admirer sa cité dont il avait sans doute assuré la restauration et l’embellissement43. Après la période de troubles qui a suivi l’effondrement de l’empire hittite la reconstruction des cités détruites ou l’édification de localités nouvelles a été une préoccupation des autorités installées à la place des anciens gouverneurs. La stèle de Karahöyük (Elbistan) a été l’œuvre d’un certain Armanani mais c’est le Grand Roi Yari-TONITRUS qui refonde la cité qui avait été dévastée, établit sanctuaires et habitations qu’Armanani a la charge d’administrer44 A son retour d’une expédition Katuwa, le Seigneur du pays de Karkemiš, a élevé des trophées et surtout a fait construire des « étages supérieurs » (DOMUS.SUPER), sans doute dans le palais, destinés en particulier à son épouse bien aimée, Ana45. Yariri, le régent de Karkemiš, a fait réaliser les magnifiques sculptures des orthostates de la muraille et a fait bâtir pour son protégé, le jeune héritier du trône, Kamani, un édifice princier (MENSA.SOLIUM) qui comprenait une aile réservée aux princes et une autre aux eunuques qui les servaient46. Plus tard, toujours à Karkemiš, le roi Astiru(wa) a fait construire un édifice-warpi, une enceinte, où il a installé le grand dieu Tarhunza d’Alep.

43

Ibid., 476 (Aksaray). J.D.Hawkins, CHLI, 289-290 ; F.C.Woudhuizen, SLHT 1, 2004, 33-36 (§§2-3 : « When great King Aritesup came (to) the land poculum-ti-*67. And he found the city devasted »). 45 CHLI, 103-104. 46 Ibid., 124-125. 44

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A Melid le Seigneur du pays, Tara, a construit la cité de Taita et y a établi des gens de Melid, ce qu’il a renouvelé dans deux autres localités dont les noms sont intraduisibles47. Au pays de Tabal le « roi » Sipis, un vassal, a trouvé la forteresse de ses ancêtres ruinée. En collaboration avec le gouverneur, Sipis, fils de Nis, il l’a fait reconstruire, sans doute à Karaburun, dans un site dominant le fleuve Maraššantiya48. A la fin de cette époque, à la veille de la disparition des dernières principautés néo-hittites, Azatiwata, le maître du pays de QuƝ, se félicite d’avoir établi la cité d’Azatiwatiya (Karatepe), à laquelle il a donné son nom et qui sera la forteresse protégeant la plaine d’Adana et ses habitants49. Il a aussi construit d’autres forteresses sur toutes les frontières (Karatepe § XIX). Il était non moins important pour ces princes de rangs divers d’assurer la prospérité de leurs peuples en développant les cultures, en remplissant les greniers et les celliers et en faisant croître les troupeaux. Katuwa a obtenu de Tarhunza, Karhuha et Kubaba ainsi que des dieux du grain et de la vigne que la prospérité du pays de Karkemiš soit telle que le prix d’un mouton soit fixé à un niveau convenable par rapport à celui d’un boisseau de grain afin qu’il assure à bon compte le ravitaillement du pays50. Ce type de notation se retrouve à maintes reprises sur des inscriptions d’origines diverses et d’abord sur un orthostate de Katuwa (K-A2+3). Il s’agissait de la reconnaissance d’une situation exemplaire de prospérité. Un serviteur du Grand Roi Wasusarma de Tabal a obtenu du dieu Tarhunza du vignoble que deux moutons aient la valeur de 8o mesures de grains et qu’épis et vignes sortent en abondance de la terre aux pieds du dieu, ce qui permettra de faire à celui-ci des sacrifices et des libations51. 47

Ibid., 315-316. Ibid., 481. 49 Ibid, 53-54, §§XXXVIII-XLVII. 50 Ibid., 95. 51 J.D.Hawkins, CHLI, 465-467. 48

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Une affirmation comparable se lit à Aksaray où Kiyakiya, le maître de Šinuপtu, peut se prévaloir du fait qu’en son temps on obtenait pour un mouton 30 mesures de grains et 20 d’huile52. Azatiwata affirme, de son côté, qu’il a été un père et une mère pour la population d’Adana qu’il a fait prospérer, assurant à tous une plénitude de bonnes choses, remplissant les greniers de Pahar (Pagrai au pied de l’Amanus ?) et faisant de sa cité la résidence du dieu du grain et du dieu du vin (Karatepe, passim). Mais si le prince des états néo-hittites était considéré comme le responsable de la prospérité du pays il était aussi un chef de guerre qui devait défendre son domaine et vaincre ses ennemis. Une dichotomie apparaît ici en pleine lumière. Tous les exploits dont se vantent les petits rois des pays hittites à l’âge du Fer sont des victoires locales remportées sur des princes voisins ou des localités (révoltées ?) peu éloignées de leur capitale. Pas une seule allusion n’est faite dans les inscriptions dont ils ont orné statues, bas-reliefs ou orthostates aux guerres menées contre la puissance assyrienne ou contre les rois d’Urartu ou de Phrygie. Leurs forces, infanterie et chars, étaient en nombre limité et leur résistance n’a été durable que grâce à l’obstacle qu’offrait aux armées ennemies la puissance de leurs forteresses, celle de leur capitale en premier lieu. Dès l’époque postimpériale le Grand Roi Hartapu se vante de ses victoires et de ses conquêtes contre les gens du Masa (pas du Muški !) et d’autres ennemis (Kızılda÷ 4 et Burunkaya). Les Grands Rois puis les tarwanis de Karkemiš ont suivi leur exemple. Le MAGNUS.REX Ura-Tarhunza a dû faire preuve de courage pour, avec l’aide du dieu de l’Orage et de Kubaba, résister à la menace du pays de Sura. Bien que le terme CORNU+RA/I-ti (REGIO) ait servi dans d’autres textes à désigner le royaume d’Aššur il semble qu’à l’époque d’UraTarhunza une telle traduction soit peu probable53.

52 53

Ibid., 476. Ibid., 80.

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Le tarwani Suhi a détruit la cité d’Alatahana mais c’est au dieu Tarhunza qu’il demande de frapper son ennemi Hatamana54. Katuwa quant à lui a conduit ses chars contre la cité de Kawa, ce que ses pères, grands-pères et ancêtres n’avaient jamais fait. La dernière affirmation était un lieu commun que ne manquent pas d’affirmer avec force les princes qui voulaient valoriser leurs succès, réels ou supposés55. Précédé de Tarhunza, Karhuha et Kubaba il a ravagé le pays riverain de la cité de Sapisi et détruit les murailles de la ville56. Kamani déclare avoir soumis la forteresse de Pinata à l’autorité de Karkemiš57. L’une des inscriptions les plus précises concernant le développement des actions guerrières est celle retrouvée à Topada qui a été l’œuvre du Grand Roi de Tabal Wasusarma. Huit « rois plus ou moins importants» s’étaient unis contre lui à Parzuta, sans doute la cité du chef de la coalition. Wasusarma avait lui-même trois alliés, Warpalawa (de Tyane), Kiyakiya (de Šinuপtu/ Aksaray) et Ruwata. Le rôle prépondérant attribué à la cavalerie (« le cheval royal ») est la grande originalité de cette affaire. Les frontières du Tabal ont été attaquées par les ennemis. Tarhunza, Sarruma et deux autres dieux (dont les noms sont illisibles) ont marché devant Wasusarma mais il semble qu’après trois ans de guerre l’ennemi a réussi à envahir le Tabal. Cependant Wasusarma assure que ce dernier n’a pu faire aucune conquête. Sa « victoire » semble donc avoir été très relative bien qu’il prétende avoir brûlé des installations ennemies et avoir capturé des femmes et des enfants dans le pays de Parzuta qui ont été réduits en esclavage58.

54

Ibid., 88-89. Ibid., 109-110. 56 Ibid., 113-114. 57 Ibid., 141-142. 58 J.D.Hawkins, CHLI, 452-454. 55

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Le seul texte qui donne une idée de la force que pouvaient mobiliser un roi hittite à cette époque est celui des annales assyriennes relatant la bataille de Qarqar en 853 avant notre ère. Dans la coalition dirigée par le roi araméen de Damas le roi hittite de Hamath est mentionné en second et est crédité d’une force non négligeable : 700 chars, 700 cavaliers et 1000 fantassins, cependant inférieure à celle alignée par le maître de Damas et par Achab d’Israel (qui dispose de 2000 chars). La véracité des chiffres est, évidemment, très suspecte59. L’une des inscriptions les plus récentes, celle de Karatepe, soucieuse avant tout de célébrer la situation de paix et de tranquillité que le sage gouvernement d’Azatiwata avait assurée au pays d’Adana n’insiste pas sur les opérations militaires qu’il avait dû entreprendre. Il évoque cependant le fait qu’il avait détruit de puissantes forteresses à l’ouest, c’est-à-dire dans le pays de ঩ilakku que, bien entendu, ses prédécesseurs n’avaient pu réduire, et étendu les frontières du pays aussi bien vers l’ouest que vers l’est. Il a fait « cheval sur cheval, armée sur armée, bouclier sur bouclier » pour qu’Adana repose en paix. Il est probable, comme on l’a vu, qu’Azatiwata a toujours agi en tant qu’allié et vassal du roi d’Aššur. Il est cependant remarquable qu’il ne mentionne pas son suzerain alors que son « prédécesseur », Awariku, insistait sur sa dépendance envers l’Assyrie. 2) Les dignitaires a) Les scribes Il est très difficile de se faire une idée précise de l’entourage des souverains néo-hittites et de l’importance de leur administration. Les titres que l’on peut glaner dans les inscriptions sont souvent connus par un seul ou, au mieux, par quelques textes qui ne précisent jamais les fonctions exactes que remplissaient les personnages ainsi désignés. Le cas des 59

A.K.Grayson, RIMA 2, A.O.102.2 II 86b-102.

182

scribes est un exemple remarquable de cette situation décourageante. Le logogramme SCRIBA se retrouve sur quelques inscriptions60 mais il ne semble pas que ce rouage essentiel de l’administration hittite à l’âge du Bronze ait joué un rôle comparable dans les royaumes néo-hittites. A Meharde c’est le « bon scribe » (BONUS2 SCRIBA) Ahuza qui a gravé l’inscription de la stèle, élevée en l’honneur de la déesse désignée comme la « reine divine du pays » (DEUS. REGIO-ni-sa MAGNUS.DOMINA ha-su-sa5+ra/i-sa), par Taita, le Héros, le roi du pays de Pala/istin. A Sheizar, c’est aussi un bon scribe, Pedantimuwa, qui a rédigé l’inscription funéraire de sa veuve, la reine centenaire Kupapiya. Dans un cas un serviteur (SERVUS), dont le nom est cassé, participait à la « cérémonie »61. Ces deux exemples qui montrent que le scribe (en chef ?) était sans doute un proche collaborateur du souverain ou de la reine a des répondants au second millénaire mais de pareilles notations sont très rares à l’âge du Fer. Il est pourtant certain que l’administration des royaumes qui avaient renoué avec une pratique régulière de l’écriture hiéroglyphique avaient besoin d’un personnel administratif lettré et relativement nombreux. Pourtant les témoignages concernant les scribes se comptent à peine sur les doigts des deux mains dans les inscriptions. A Boybeypınari un scribe nommé, lui aussi, Pedantimuwa et. un certain Asatarhunza le KWANALA, descendant de la famille de Suppiluliuma (le souverain local) ont gravé la stèle où la reine Panamuwati, épouse du tarwani Suppiluliuma (de Kummuপ), annonce qu’elle a fait la dédicace d’un trône et d’une table à Kubaba. On ne peut pas définir la fonction du second personnage désigné comme un kwanala (un haut dignitaire, membre de la maison de Suppiluliuma, le tarwani)62. Le terme est malheureusement un quasi-hapax qu’on retrouve cependant à Ivriz (fr.2). 60

F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 157-159. J.D.Hawkins, CHLI, 416-417. 62 J.D.Hawkins, ibid., 334, 529-531 ; F.Giusfredi, TdH 28, 152-153. 61

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Les autres mentions du logogramme SCRIBA sont rares et se présentent dans des contextes fragmentaires (Karaburun, Kululu 8, Çalapverdi 2, etc.)63. L’inscription Kululu 3 nomme le scribe du tarwani, Ilali64. A Karaburun (§14) le scribe Wana a été le responsable de l’inscription due au roi Sipis et au « gouverneur » Sipis, fils de Nis65. b) Les prêtres Les prêtres dont le rôle était certainement important ne sont pas mieux représentés. L’idéogramme SACERDOS (L.355) apparaît presque exclusivement à Karkemiš. L’une des stèles les plus anciennes retrouvées sur le site (K-A4b), appartenant au Grand Roi Ura-Tarhunza, a été élevée par Arnu[wanti], fils du tarwani Suhi, prêtre de Kubaba (DEUS ku+AVIS *355-sa)66. Dans le texte K-A2+3, qui date du règne de Katuwa, une série de malédictions sont dirigées contre ceux qui ne respecteraient pas les temples de Tarhunza qu’il avait édifiés. Elles visent tout roi, tout Seigneur du pays (REGIO DOMINUS) ou tout prêtre (L.355) qui commettrait un tel forfait. Il se peut aussi que le SAPATARI mentionné dans le même texte (§17a) soit un prêtre chargé des libations (cf. le terme išpant-/šipant- en langue nésite) faites pour honorer le dieu67. Le troisième exemple se trouve à Suvasa, au pays de Tabal, sur une inscription rupestre qui célèbre un dénommé « Sariya, prêtre de Sarruma le roi-WARPI, grand majordome (MAGNUS URCEUS) devant Wasusarma, Grand Roi, Héros68. Il est très vraisemblable, par ailleurs, que le terme kumazaattesté par une stèle de Kayseri, due à un serviteur du Grand Roi 63

F.Giusfredi, ibid., 157-159. CHLI, 490-491. 65 Ibid., 481. 66 Ibid., 80 ; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 122-123. 67 J.D.Hawkins, CHLI, 109-110 ; F.Giusfredi, TdH 28, 122-123. 68 CHLI, 462 ; F.Giusfredi, ibid. 64

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Wasusarma, et dérivé du louvite cunéiforme kumma-, « sacré », que l’on retrouve dans le lycien kumaza, « prêtre », désigne lui aussi le membre de la classe sacerdotale69. Il est certain que tous les grands dieux, Tarhunza, Sarruma, Kubaba, etc., avaient certainement un clergé qui était attaché à leur culte mais le roi ou le tarwani était sans doute considéré comme le « grandprêtre » de la divinité. L’association à Suvasa des fonctions de prêtre de Sarruma et de MAGNUS.URCEUS montre que ce dernier titre était celui d’un membre de l’entourage princier. Il se peut qu’il ait été l’héritier du SÌLA.ŠU.DU8.A, « l’échanson » de la cour hittite à l’âge du Bronze mais sa présence à Suvasa est malheureusement un hapax dans les inscriptions hiéroglyphiques70. Le dénommé Huhasarma, un prêtre du dieu Marutika, reçoit le titre de putiti- à Erkilet. Ce vocable était peut-être celui du serviteur d’une divinité mais il s’agit là aussi d’un hapax71. La seule femme qui est désignée par un terme sacerdotal est la fille d’un ennemi du roi Ariyahina (de Mazuwari) qui, après la défaite de son père est réduite à l’état de hiérodule subalterne (FEMINA. PURUS.INFRA)72. c) Les cadres militaires Les titres militaires ne sont pas mieux attestés. Un EXERCITUS MAGNUS a été le responsable d’une épigraphe retrouvée à Porsuk. Un certain Parhiwara, fils d’Atis et petit-fils de Nuna y rend hommage à Sarruma et au roi Masaurhisa avant de déclarer : « Je (suis) moi-même le commandant de l’armée » ; MAGNUS doit traduire ura « grand » (en nésite et en louvite) et EXERCITUS l’adjectif louvite kuliwanni-73. Cette notation d’un grand intérêt est malheureusement unique. 69

CHLI, 473 ; F.Giusfredi, ibid., 119-120. F.Giusfredi, TdH 28, 120-121. 71 CHLI, 494 ; F.Giusfredi, ibid., 121. 72 CHLI, 240-243 ; F.Giusfredi, ibid., 124-125. 73 CHLI, 528 ; F.Giusfredi, ibid., 130-131 70

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d) Autres dignitaires Le titre général de MAGNUS (=*uraya), « Grand » est un peu mieux attesté. Sur l’inscription de Cekke il désigne un groupe de notables ayant des fonctions locales et est précédé de celui d’un hazanu qui était le maire du lieu74. On a ainsi la preuve que la fonction de « maire », abondamment attestée dans le royaume hittite à l’âge du Bronze, a perduré, au moins à Karkemiš, à l’âge du Fer. Mais le titre écrit (LIGNUM) hazanin’est attesté qu’à Cekke, une dépendance de Karkemiš75. L’un des collaborateurs du Grand Roi à l’époque impériale, le « vizir » (sukkallu), dont on connaît mal la fonction et l’étendue de ses pouvoirs, n’est lui aussi présent qu’à E÷irköy (§3) où il se déclare le serviteur du tarwani76. Beaucoup mieux attesté est le terme CAPUT-ti-, précédé en général de l’idéogramme (DEUS) SOL, à transcrire *tiwadami/ *tiwarami, qui apparaît aussi bien à Karkemiš que dans les pays de Kummuপ, de Tabal ou de QuƝ (Karatepe). A Karatepe (§1) Azatiwata se présente ainsi : « Je (suis) Azatiwata, la personne *tiwadami », c’est-à-dire « béni par le Soleil (Tiwad) ». Qu’il s’agisse d’un titre, on peut en douter. C’était plutôt une épithète prisée par des souverains ou des régents, comme Azatiwata, et aussi par des personnages importants comme le FLUMEN.DOMINUS nommé Azami sur l’inscription de Boybeypınari (2 §5) ou une personne privée de premier plan comme le dénommé Ziti à Karkemiš (K-A18h)77. Plus curieusement il en est de même du terme suwani-, « chien ». A Karkemiš (K-A4A) un certain « Kumawari le chien » est cité avec d’autres dignitaires. On peut rapprocher cette mention du titre UR.GI7 qui appartenait à un officier de l’armée dans l’Ancien Royaume hittite (KBo I 11/CTH 7, ro 7ss)78. Il est certain que le nom du maître de la Cilicie à 74

CHLI, 145-146, §14 ; F.Giusfredi, ibid., 131-132 F.Giusfredi, ibid., 141-142 ; 76 CHLI, 495 ; F.Giusfredi, ibid., 132-133. 77 F.Giusfredi, ibid., 133-135. 78 Z.Simon, Kadmos 47, 2008, 20-30, pp.20, 27. 75

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l’époque achéménide, le ȈȣȑȞȞİıȚȢ, bien attesté par Hérodote et aussi par Xénophon, avait le même sens mais doit-on le considérer comme un titre ou comme un (sur-) nom ?79 e) Les eunuques Le rôle des eunuques dans l’entourage royal était important à la cour de ঩attuša, comme l’a montré J.D.Hawkins80. Il l’est resté dans les royaumes néo-hittites. Le titre qui se cache derrière le signe L.254 avait cette signification sur les sceaux de l’époque impériale81. Dans les inscriptions néo-hittites c’est le hiéro-glyphe L.474 qui détermine le terme wasinasi/usinasi qui désigne très certainement les « castrats »82. A Karkemiš (K-A6, §§25-30 les enfants d’Astiruwa que protège le régent Yariri disposent de l’aile d’un édifice et les wasinasis de l’autre. Le mot réapparait à Karkemiš A24a 2+3 §1. A Maraú le roi de Gurgum qui a capturé la cité d’Iluwasi fait couper les pieds des hommes et fait des garçons des « usinasi à notre service » (Maraú 4 §§12-15). A Malpinar des malédictions sont lancées contre quiconque effacerait l’image d’Atayaza, serviteur de Hattusili, que ce soit le Seigneur de la rivière de la cité de Sarita, une personne de rang inférieur, ou un usinasi. Le terme apparaît à Izgin (1, §17), à Kululu (4 §14) et à Ancoz (texte 4)83. A Maraú Astiwasu se vante d’être un « chef (MAGNUS) eunuque » du tarwani. Ces quelques indications montrent le rôle et l’importance de cette catégorie de dignitaires qui étaient en charge de la personne du souverain et de sa famille. L’exemple le plus éclatant de cette situation est celui de 79

F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 165-167. J.D.Hawkins, « Eunuchs among the Hittites », in S.Parpola, R.M.Whiting (éds), Sex and Gender in the Ancient Near East, XLVII RAI Helsinki 2001, Helsinki 2002, 217-233. 81 J.D.Hawkins, « The title L.254 (EUNUCHUS2) on the seals », ibid., 226229. 82 Id., « Late Hier. Luwian Evidence : wasinasi-/usinasi-», ibid., 229s. 83 J.D.Hawkins, ibid., 230-231. 80

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l’arrivée au pouvoir de Yariri, un eunuque, qui s’est imposé comme régent de Karkemiš et tarwani à la mort de son maître Astiruwa parce qu’il était le chef des serviteurs de cette catégorie. Il a protégé les fils de ce dernier, les a confiés aux eunuques du palais pendant leur jeunesse puis a transmis le pouvoir à l’aîné d’entre eux, le tarwani Kamani, fils d’Astiruwa84. 3) Population et économie Il est impossible de connaître, même avec une certaine marge d’erreur, la démographie des royaumes néo-hittites. Il est certain que les régions qui bénéficiaient d’une pluviosité convenable, au dessus de 400mm de précipitations par an, devaient avoir une densité de population relativement importante. Les vallées, de l’Oronte, de l’Euphrate, la plaine d’Amuq et la Cilicie plane étaient des pays privilégiés qui profitaient d’une agriculture et d’un élevage capables de nourrir une population importante. La situation était différente au nord du Taurus, montagne dont les richesses, minerais et albâtre, étaient exploitées. Le plateau anatolien, plus sec et au climat plus rude était sûrement moins densément peuplé et plus favorable à l’élevage extensif des moutons qu’à l’agriculture céréalière, sauf dans quelques vallées humides. Alors que la population paysanne, agriculteurs et éleveurs, formait très certainement la grande majorité de la masse humaine de ces pays, presqu’aucun renseignement n’est disponible à son sujet. Les inscriptions ne mentionnent que les têtes couronnées et leurs serviteurs et les lamelles de plomb d’Aššur ne s’intéressent qu’aux activités commerciales d’un petit groupe de marchands. Seules les lamelles de plomb de Kululu nous renseignent sur des transactions importantes portant sur des moutons et des grains (orge ou froment) qui étaient probablement enregistrées dans une archive publique, celle d’un royaume du Tabal. 84

Cf. pour l’ensemble F.Giusfredi, TdH 28, 138-139.

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Une autre source est constituée par les annales assyriennes qui donnent des détails sur les butins et les tributs soutirés aux pays vaincus ou conquis. Ovins et bovins sont les deux biens les plus souvent mentionnés, comme dans les autres pays de l’Orient ancien, par les textes ayant une connotation économique ou autre. Désignés par les idéogrammes OVIS et BOS ils étaient à la fois une richesse, un important élément de l’alimentation et source de biens nécessaires à la production artisanale, laine et cuir. Ils étaient aussi les animaux destinés aux sacrifices faits en l’honneur des dieux. Le mouton était apparemment considéré comme une véritable unité de prix et, sans doute, comme l’équivalent du sicle d’argent selon une tradition remontant au « code hittite » (II §179)85. Quatre ou cinq inscriptions fournissent des renseignements sur les biens qu’il était possible en théorie d’obtenir en échange d’un mouton : 30 mesures (tiwatali-) d’orge ou de blé (HORDEUM) et 20 mesures (tiwatali-) d’huile (Aksaray) 100 tiwatali- [d’orge] et 1000 tiwatali- de vin ? (Bor) 10 mesures (ASINUS) de grains (Karkemiš A2) 40 (tiwatali-) de grains (Sultanhan)

L’inscription Karkemiš A11a précise qu’au temps de Katuwa et grâce à la bienveillance des dieux du grain et de la vigne le prix d’un mouton équivalait à celui de [10] unités (ASINUS) de grains (orge ou froment ?)86. De tels chiffres paraissent irréalistes et contradictoires et ne peuvent s’expliquer que comme des effets de la propagande des 85

J.D.Hawkins, « Royal Statements and Ideal Prices : Assyrian, Babylonian and Hittite », Ancient Anatolia, Fs M.Mellink, 94-95 ; cf. H.A.Hoffner, The Laws of the Hittites, DMOA 23, 1997, 222. 86 J.D.Hawkins, CHLI, 94-100 ; F.Giusfredi, TdH 28, 263-264.

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autorités des divers royaumes. Tous les rois ou tarwanis des principautés, hittites ou araméennes, se vantaient de la prospérité qu’ils avaient su procurer à leur pays sans qu’il soit possible de distinguer les périodes qui avaient effectivement connu une réelle abondance et celles qui avaient souffert de mauvaises récoltes, de disettes ou de famines. Les ravages causés par les incursions assyriennes puis les déportations auxquelles ont procédé les rois d’Aššur ont certainement provoqué une série de crises économiques et démographiques, du IXe au VIIe siècle av. J.C., même si des colons, assyriens ou d’autres origines, ont été installés dans les pays annexés, dépeuplés par des déportations et transformés en provinces assyriennes87. L’unité baptisée tiwatali- semble avoir été utilisée uniquement dans les états du plateau anatolien, au Tabal en particulier. Elle semble avoir été équivalente au « PARƮSU léger» (c.30litres) utilisé à l’âge du Bronze. Mesure de capacité employée pour les solides (grains) et les liquides (vin ou huile) son nom semble dérivé de celui du soleil ou du jour, tiwatt-, ce qui pourrait indiquer qu’elle désignait en principe une quantité qui était consommée en un jour (par une famille ?) bien que les quantités mentionnées semblent démentir cette explication. L’unité appelée ASINUS était réservée aux pays syriens et était sans doute l’équivalent de l’unité néo-assyrienne appelée imƝru (=ANŠE, « âne »). Le poids d’argent était mesuré en mines (mina(SCALPRUM) mana) à Cekke, TÜNP 1 et Karkemiš A4a. La lettre de Kirúehir (§22) et l’inscription Tünp 1 (§6) mentionnent une autre unité de mesure appelée ARGENTUM désignant probablement le lingot d’argent pesant une mine (c. 470 gr.)88. L’inscription de Cekke a été due à DOMINUS-tiwara, un serviteur (SERVUS) de Sastura, le « premier ministre » de Kamani. Ce dernier, qui était le Seigneur du pays de Karkemiš 87 88

F.Giusfredi, ibid, 177-180. Ibid., 181-183.

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(et de Malizi ?) et Sastura avaient acheté la cité de Kamana aux gens de Kanapuwa auxquels ils donnaient 600 mules puis (après un passage incompréhensible) 3 mines d’argent (ARGENTUM) destinées aux fils de Warpata et 4 mines de la cité Nuhuza à Labarna et Zaza. Après avoir précisé que chaque cité devrait contribuer à un banquet en l’honneur du Seigneur de la rivière, le texte indiquait que la cité était responsable d’une donation en faveur de 20 pères (parents ?) et 10 enfants dont étaient garants le maire et les Grands. Suivait la liste d’une série de personnages de diverses cités (§§ 17a-17o) pour lesquels ou lesquelles des frontières délimitant leurs domaines avaient été établies (§19). La malédiction des dieux devait frapper quiconque les violerait89. La particularité du texte tient à ce que ce ne sont plus des propriétés mais tout le domaine d’une cité qui est acheté par le roi et Sastura. La cité est appelée KamanaURBS mais cette appellation a été sûrement postérieure à l’acte qui en faisait la propriété du roi Kamani et de Sastura. Parmi les témoins (liste §§14-17a-17o) qui sont tous un père et un fils de diverses cités on trouve un maire et un Grand. La propriété privée des maisons et des domaines est attestée par l’inscription Karkemiš A4a qui certifie que Kamani a acheté des immeubles (=domaines) à un personnage dont le nom est perdu dans une cassure du texte. Mais le roi les revend sur le champ au « fils du frère de Parisarma, petit-fils de Papitati » pour 22 (?) mines d’argent. Une fête est prévue en son honneur à cette occasion. Les témoins sont énumérés (§§7-10) dont un certain Kumawari « le chien ». Des malédictions sont lancées contre quiconque enlèverait ces maisons (domaines) à son fils, son petit-fils ou son arrière-petit-fils90. Il faut cependant remarquer que dans l’affaire de l’achat par Kamani et Sastura de l’ensemble des terres de « Kamana » la division en parcelles et la fixation de limites ne signifient pas l’établissement d’un cadastre précisant l’étendue des propriétés puisque toute la cité a été achetée par le souverain et son 89 90

J.D.Hawkins, CHLI, 143-152 ; F.Giusfredi, TdH 28, 252-259. CHLI, 151-154 ; F.Giusfredi, TdH 28, 261-263.

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ministre. Rien n’est dit sur le statut des exploitants des domaines. Il est remarquable que l’on ignore en particulier l’existence d’esclaves dans les royaumes hittites à l’âge du Fer. Il est pourtant certain qu’une population de statut servile existait alors puisque le terme hittite, bien connu à l’âge du Bronze, d’arawan(n)ni, signifiant « homme libre », est attesté deux fois, mais dans un seul texte, dans la lamelle de plomb Kululu 191. Curieusement le terme écrit, avec un idéogramme, SERVUS (*hudarli- ?), très fréquent, aussi bien à Karkemiš, Alep, Malatya et Tell Ahmar que dans les pays de Kummuপ et de Tabal, désigne avant tout les serviteurs du monarque, dignitaires, officiers ou même vassaux, et non l’esclave ou le serf92. Il en est de même de CAPUT-ti- ou de POST+ ra/i qui désignent une personne d’un rang inférieur, comme dans l’inscription Alep 6, §11 et le fragment d’Ankara93. L’inscription de Topada qui signale la capture de prisonniers de guerre, il est vrai des femmes et des enfants, qui sont apparemment réduits en esclavage (SERVUS au §25) montre que la servitude était un état sans doute assez fréquent aussi bien dans la cité et au palais que dans les campagnes94. Mais rien ne vient, dans les textes, préciser la situation des personnes de condition modeste. Les bas-reliefs montrent des personnages richement vêtus et les lettres d’Aššur parlent du trafic de vêtements, de femme en particulier, de paniers, de boucliers et de bien d’autres objets ou services dont les noms sont pour nous incompréhensibles. Un artisanat nombreux et des ateliers domestiques fournissaient les produits de luxe destinés aux besoins des cours princières dont la vie est représentée avant tout par les bas-reliefs de Karkemiš représentant la famille royale sous les règnes de Yariri et de Kamani. Les princes, richement vêtus sont entourés de leurs serviteurs (dont les eunuques), d’une nourrice portant un jeune 91

F.Giusfredi, ibid., 143-144. F.Giusfredi, ibid., 145-147. 93 F.Giusfredi, TdH 28, 2010, 77 94 J.D.Hawkins, CHLI, 458 (Topada §25). 92

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prince dans ses bras et de leurs gardes. Les fils du tarwani défunt s’amusent à des jeux d’enfant (pl. B.7b) 95. Des musiciens jouent de leurs instruments, des femmes vêtues de longues tuniques défilent alors que des serviteurs en « kilt » portent sur leurs épaules les animaux destinés aux sacrifices96. Malheureusement de tous les « métiers » dont il est loisible de supposer l’existence ne sont désignés de façon claire qu’un chasseur (hura/inal(l)i-) et des chasseurs ( lamelle de plomb Kululu 1 §7, Kululu 2 §3)97, peut-être un boucher (kukisati-)98, un boulanger (REL-is (PANIS)tura/ipasi), « celui du pain »99, un cordonnier (sarkunal(l)a-)100. Il existait à coup sûr bien d’autres professions, la plupart désignées dans les textes par un terme qui est pour nous un hapax. De nombreux artistes ou artisans, architectes, sculpteurs, graveurs et lapicides ont réalisé des œuvres, en grand nombre, dont les restes, souvent mutilés, ont été dégagés par les archéologues101. Une idée de la production artisanale et de la richesse des pays hittites à l’âge du Fer est fournie par la mention, dans leurs annales, des tributs prélevés par les rois d’Assyrie sur les royaumes hittites et araméens contraints de se soumettre. Il faut y adjoindre le produit du pillage et des déportations de populations. Une première phase de tels actes de spoliation est illustrée par les annales de Tiglatphalasar I (1114-1078 av. J.C.) qui signalent, sans donner de détails les tributs prélevés sur IniTešub, roi de ঩atti, certainement le roi de Karkemiš, et

95

C.L.Wooley, T.E.Lawrence, D.G.Hogarth, Carchemish. Report on the Excavations at Djerabis I, London 1914, planches B.1-8. 96 C.L.Wooley, T.E.Lawrence, P.L.O.Guy, Carchemish II, The Town Defences, London 1921, planches B 17-24. 97 F.Giusfredi, TdH 28, 149-150. 98 Ibid., 150-151 (K-A3 §17d), Dülük, Gaziantep, Kululu 1 §4) 99 Ibid., 155. 100 Ibid., 155-156. 101 Cf. K.Bittel, « Les Néo-Hittites, le Tabal » in Les Hittites. L’Univers des Formes, Paris 1976, 235-291, fig.269- 331.

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Allumari, le seigneur de Melid102. D’autres pillages de plus grande ampleur suivront. Après deux siècles d’accalmie, conséquence de l’affaiblissement de la puissance assyrienne confrontée à la poussée des Araméens et d’autres menaces, la reprise des raids en Syrie du nord et en Anatolie orientale, à partir du règne d’Aššurnaৢirpal II ( 883-859 av. J.C.) a entrainé son lot habituel de pillages et de levées de tributs sur les seigneurs de Karkemiš et des autres états hittites. Exemple le tribut de grumes de cèdres, d’argent, et d’or imposé à Qatazilu (Hattusili) de Kummuপ103. Sangara de Karkemiš a été le plus lourdement taxé. Il a dû livrer en une fois 20 talents d’argent, une chaîne et un anneau d’or, 100 talents de bronze, 250 talents de fer, des vases, des bols, un brasier de cuivre et une partie de l’ameublement du palais, en particulier des lits et des tables de buis incrustées de bronze, des vêtements de laine et de lin de diverses couleurs, des défenses d’éléphants et un char ainsi que 200 « filles »104. Salmanasar III (858-824 av. J.C.) a étendu le champ des opérations de l’armée assyrienne. Il a, en particulier, mené ses troupes sur le mont Amanus afin de se procurer les troncs de cèdres indispensables à la construction de ses palais. Au cours de sa 26e année de règne il a pénétré dans le pays de QuƝ et lui a imposé la livraison d’argent, d’or, de fer, de gros et de petit bétail105. On pourrait multiplier les exemples mais il faut distinguer les lourdes contributions réclamées lors d’une campagne au cours de laquelle l’adversaire hittite a été vaincu et a dû se soumettre aux exigences de son vainqueur et le paiement régulier et annuel d’un tribut. Sangara de Karkemiš après avoir été rançonné par Aššurna irpal II a dû consentir à Salmanasar III le versement d’un tribut de 2 talents d’or, 70 d’argent, 30 de bronze, 20 de fer, 20 tissus de laine pourpre, 500 bovins, 5000 moutons. La 102

Cf. A.M.Jasink, StMed 10, 157. Ibid., 160-161. 104 Cf. supra p.53. 105 A.M.Jasink, StMed 10, 164-166. 103

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livraison de sa propre fille et de 500 autres jeunes filles qui était prévue à cette occasion a été évidemment un acte unique106. La tranquillité relative de Karkemiš au cours des décennies suivantes, jusqu’à sa chute en 717 avant notre ère s’explique vraisemblablement par le fait que lui et ses successeurs ont continué à envoyer leur tribut, année après année à Salmanasar III et à ses successeurs. Il se peut que l’accusation de ne pas livrer son tribut, portée contre les rois vassaux que les souverains d’Aššur ont fait déporter, n’ait été qu’un prétexte à l’élimination de princes jugés indociles. La politique d’annexion qui va s’accentuer à partir du règne de Sargon a mis fin au régime de vassalité et remplacé les tributs par des « impositions » mises à la charge des populations de colons forcés installées par les vainqueurs dans les nouvelles provinces créées à l’emplacement des anciens « royaumes ».

106

Cf. supra p.55

195

CONCLUSION Après la chute de l’empire hittite dans la seconde décennie du XIIe siècle avant notre ère un voile épais s’est abattu sur les territoires de l’Asie mineure et de la Syrie qui avaient été les dépendances des rois de ঩attuša. Il se peut cependant qu’un dernier Grand Roi et tabarna, un Tutপaliya (V) ait réussi à maintenir son autorité sur l’Anatolie orientale et une partie de la Syrie. Il est certain que cet épisode ultime de l’histoire du grand royaume hittite n’a pas dû être bien long, si même il a eu une réalité concrète. Deux branches de la famille impériale ont sans doute maintenu leur pouvoir à Karkemiš et dans la partie orientale du royaume de Tarপuntašša. Les inscriptions hiéroglyphiques du Kızılda÷, du Karada÷, de Burunkaya et d’Elbistan ont été gravées après la fin des famines, des troubles, des calamités diverses et des mouvements de populations ayant accompagné la crise qui a marqué la fin de l’âge du Bronze. Mais cette renaissance a été éphémère et une obscurité à peu près complète a succédé aux règnes des Grands Rois Mursili, Hartapu et YaraTONITRUS en Anatolie orientale. Seules les fouilles archéologiques menées dans quelques endroits, en Cilicie, au Hatay et dans la plaine d’Amuq ont jeté des lueurs sur les « siècles obscurs » de cette histoire. L’arrivée de gens d’Aপপiyawa en Cilicie (pays de QuƝ et de Hiyawa) et des Philistins en Syrie du nord, devenue le royaume de Palistin, a été accompagnée d’une abondante céramique de l’Helladique Récent IIIC qui prouve que les mouvements de population qui ont joué un rôle décisif dans le bouleversement de la carte politique dans toute la région venaient bien de l’Ouest et des pays de la mer Egée. La récupération a été longue par la suite. De petits royaumes peuplés de Hittites parlant la langue louvite et utilisant l’écriture hiéroglyphique mise au point à l’époque du grand empire de l’âge du Bronze se sont organisés depuis la Cappadoce et les rives du Maraššantiya (Halys classique, Kızılırmak turc) jusqu’à la vallée de l’Euphrate (Karkemiš) et la Syrie du nord

(Hamath). Au total une dizaine d’entités politiques parfois divisées en plusieurs principautés, comme le Tabal, royaume qui occupait un large territoire au nord du Taurus ayant fait partie du royaume hittite. Il semble avoir formé une sorte de confédération ayant un « Grand Roi » à sa tête (tout au moins à une certaine époque). Les autres « royaumes » dirigés par des rois ou des tarwanis avaient une superficie assez modeste, comparable à celle des grands départements français et ne dépassant guère les 10000 Km2 pour les plus importants. La population de ces états devait s’établir entre 50 000 et 100 000 habitants, ce qui leur permettait de lever des armées et d’avoir des capitales peuplées de quelques milliers d’individus, où habitaient les artisans, les guerriers et le personnel de la cour, serviteurs et dignitaires. De nombreuses localités, des villages ou de petites agglomérations, y compris des forteresses, parsemaient le terroir. Les campagnes fournissaient les grains, le vin et l’huile ainsi que les produits de l’élevage sans qu’on sache quel était le statut des paysans, des bergers, des bouviers et des éleveurs de chevaux qui les habitaient. Les sources qui permettent d’entrevoir le déroulement de l’histoire des royaumes néo-hittites sont rares avant le début du IXe siècle avant notre ère et restent limitées après cette date, comme nous l’avons vu, aux inscriptions hiéroglyphiques, la seule source indigène, et aux annales des rois d’Aššur. Il est donc difficile d’écrire un récit de leur évolution. Le cas de Karkemiš est symptomatique à cet égard. Quelques inscriptions « archaïques » permettent d’entrevoir dans quelles circonstances le pouvoir est passé, au Xe siècle av. J.C., des Grands Rois, héritiers de la lignée de Šuppiluliuma, à des tarwanis, Seigneurs du pays qui les ont évincés. Mais rien n’est connu, contrairement à ce que pensait J.D.Hawkins, sur les deux siècles antérieurs au cours desquels l’ancienne dynastie a réussi à refonder un pouvoir stable dans la moyenne vallée de l’Euphrate. Seule la mention d’un roi Ini-Tešub de ঩atti par le roi d’Aššur, Tiglatphalasar I, au tournant du XIIe et du XIe siècle avant notre ère nous assure que la continuité du pouvoir hittite a été assurée dans la région par une même lignée au cours des temps obscurs des débuts de l’âge du Fer. 198

Après les incursions de Salmanasar III seules les inscriptions hiéroglyphiques nous renseignent sur la situation, brillante en apparence, de Karkemiš à l’époque du « régent Yariri et du « roi » Kamani. Les monuments les plus éclairants du point de vue de l’histoire et les plus remarquables par leurs caractères artistiques datent de cette époque alors que l’annalistique assyrienne est à peu près muette sur le sort du pays, sans doute resté tributaire de son puissant voisin. Puis plus rien. Aucun monument indigène et pratiquement aucune source assyrienne ne viennent nous renseigner sur le dernier siècle de la vie du royaume de Karkemiš jusqu’à sa brusque annexion par le roi Sargon II en 717 av. J.C. sous un mince prétexte. Un seul texte cunéiforme, postérieur à l’annexion du pays par le pouvoir assyrien a été retrouvé sur le site1. Il en a été de même dans les autres royaumes, du Tabal à Hamath en passant par Tuwana, Melid, les pays de Gurgum et de Kummuপ, de ঩ilakku, de QuƝ, et de Patin /Unqi. Il est curieux que dans les zones les plus proches des centres de l’ancien royaume, en particulier de ঩attuša, c’est à dire dans le royaume (ou la confédération) du Tabal aucune inscription hiéroglyphique antérieure au VIIIe siècle avant notre ère n’a été découverte. Seules quelques notations éparses dans les textes annalistiques assyriens et ourartéens nous fournissent de maigres renseignements sur ce pays au IXe siècle av. J.C. Les divers états « néo-hittites » qui s’étaient constitués en Anatolie et en Syrie ont dû faire face à deux périls, de caractère très différends. Le menace la plus grave et qui finira par se révéler mortelle était celle de l’impérialisme assyrien. Les rois d’Aššur, non contents d’obtenir la soumission des pays vaincus, ont pratiqué à grande échelle la déportation des populations, remplacées par des Assyriens ou des captifs de toutes origines. La seconde menace, insidieuse et, apparemment, souvent non violente a été constituée par l’infiltration progressive de 1

E.F.Campbell Thompson, in C.L.Wooley, T.E.Lawrence, P.L.O. Guy, Carchemish II, 1921, 135- 142 et fig.54 p. 136 ; J.N.Postgate, Taxation and Conscription in the Assyrian Empire, St Pohl, Series maior 3, Roma 1974, 360-362 ; F.Giusfredi, TdH 28, 271-273.

199

populations araméennes dans les territoires peuplés de Hittites dont la langue était le louvite et les inscriptions écrites en hiéroglyphes. Même si l’apparence des Aপlamu-Araméens a signifié l’émergence de populations semi-nomades indigènes plutôt que l’invasion de tribus étrangères il est certain que leur grande mobilité aux origines a été un facteur important de leur extension et de celle de leur langue sémitique occidentale. Les Araméens se sont mêlés aux Hittites et ont largement adopté les modèles artistiques développés par ces derniers. Mais ils ont rapidement adopté l’alphabet phénicien pour transcrire les divers idiomes de leur langue sémitique. Une véritable symbiose a uni, très tôt à Til Barsip/Mazuwari, plus tard à Hamath, les deux populations mais c’est toujours l’élément araméen qui a fini par l’emporter. L’influence phénicienne a aussi joué son rôle à la fin de cette histoire. Les inscriptions bilingues de Çineköy et de Karatepe sont les témoins de la pénétration des influences étrangères dans les pays hittites à la fin du VIIIe et au début du VIIe siècle avant notre ère. Malgré l’effort réalisé pour assouplir le système hiéroglyphique et l’adapter à d’autres supports que la pierre l’écriture alphabétique a triomphé. Les populations ayant des idiomes dérivés de la langue louvite ou proche des anciens parlers « hittites » (nésite) de l’âge du Bronze ont réussi à maintenir leurs langues, écrites au moyen de l’alphabet gréco-phrygien en Anatolie occidentale (Pamphylie, Lycie, Carie, Lydie) beaucoup plus longtemps, jusqu’à l’époque hellénistique, que les habitants des royaumes néo-hittites de l’Asie mineure orientale et de la Syrie. C’est dans le domaine artistique que l’influence de la civilisation néo-hittite a été la plus forte. Elle s’est combinée avec les apports de l’art monumental assyrien. Dans le domaine religieux une véritable symbiose a mêlée les cultes, les pratiques et les idées des différents peuples de l’Asie mineure et de la Syrie. Un exemple remarquable de cette évolution a été l’adoption de la déesse parèdre de Karkemiš, Kubaba, devenue Cybèle, par les Phrygiens et à travers eux par tout le monde hellénistique et romain. 200

– Partie II – Religion et idéologie à l’époque néo-hittite Michel MAZOYER

SOMMAIRE Michel MAZOYER Religion et idéologie à l’époque néo-hittite Pages Introduction Chapitre I Les dieux à l’époque néo-hittite Tarhunzas (le dieu de l’Orage du ciel) et Tiwad (le dieu Soleil) Le dieu de l’Orage du ciel Les autres dieux de l’Orage Les divinités associées au dieu de l’Orage L’association du dieu de l’Orage du ciel et de Sarruma L’association du dieu de l’Orage du ciel et de Runtiyas Le dieu Soleil du ciel L’association du dieu Soleil du ciel et de la Lune Runtiyas Šauška/Ištar Les divinités agraires Le dieu de l’Orage du vignoble, tentative d’interprétation Les divinités de la fondation La déesse Kubaba Les dieux Ataha et les dieux Armali Les dieux du combat Les éléments naturels divinisés Les Montagnes Les rivières Le Ciel et la Terre Les dieux paternels

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209 210 211 227 229 230 231 232 234 237 238 240 241 246 247 251 252 255 255 257 257 258

Les démons Les dieux males et les divinités femelles Le dieu Soleil de la terre La divine dame de la terre Le rôle des divinités Les dieux agraires garantissent la prospérité agricole Les dieux qui donnent la victoire

258 258 259 259 259 261 261

Chapitre II L’idéologie royale La titulature Les noms Quelques titres LE MAGNUS.REX LE REX LE JUDEX LE REGIO.DOMINUS LE FLUMEN.DOMINUS Les titres de femme MAGNA.DOMINA JUDEX.FEMINA Les épithètes SERVUS Le roi aimé des dieux Le scribe Les Héros L’expression de la souveraineté Le responsable des cultes Les fonctions économiques du roi L’agriculteur Le roi constructeur Le roi guerrier Les objets de la souveraineté Un roi en voie de divinisation

263 263 264 267 267 269 271 273 273 273 273 274 274 274 275 277 277 279 282 283 283 286 289 294 295

Chapitre II Les malédictions Les dieux qui écartent l’intrus

299 299

204

Les divinités vengeresses Les moyens utilisés pour punir les coupables Les fautes commises Commentaire

299 300 304 307

Chapitre IV Les activités publiques et privées Activités religieuses Quelques fonctions sociales Aspects de la vie privée

311 311 312 315

Conclusion du tome 5 Rupture ou continuité dans les royaumes néo-hittites

317

Conclusion générale à l’Histoire des Hittites

319

205

INTRODUCTION Alors que le second millénaire avait recours à deux types d’écriture, l’époque néo-hittite ne présente que des documents en écriture hiéroglyphique. Cette première singularité constitue pour nous une énigme. L’écriture cunéiforme aurait disparu à la suite de l’effondrement de l’empire, et seule l’écriture hiéroglyphique aurait été conservée. Mais on peut supposer aussi que l’écriture cunéiforme aurait été maintenue et qu’on ait eu recours alors à un support périssable pour la noter. L’écriture hiéroglyphique ne présente que quelques modifications par rapport au second millénaire. La plupart des inscriptions figurent sur des stèles. C’est au cours du règne de Tudhaliya IV, au second millénaire, qu’apparaît le goût pour des inscriptions sur la pierre. On mentionnera notamment l’inscription d’Emirgazi, celle du Südburg et du Yalburt. Le roi Šuppiluliuma II au Südburg évoque son activité dans le sud de l’Anatolie. Au premier millénaire, on relève un grand nombre d’inscriptions sur les stèles, qui présentent des caractères communs. Beaucoup de ces inscriptions sont en relation avec la fondation et évoquent la grandeur d’un roi ou d’un despote ; elles contiennent des malédictions contre toute personne qui causerait des dommages à la stèle érigée. Cet usage déjà présent à Emirgazi1 s’observe également dans les pays limitrophes, notamment en Phénicie ou en Lydie où l’on retrouve les formules utilisées au millénaire suivant. De même, les inscriptions lyciennes du Ve siècle dérivent manifestement de ces inscriptions. La finalité de ces inscriptions est de rendre éternel le contenu des exploits décrits et d’en fixer pour l’éternité le souvenir. Le temps est immobilisé grâce à l’inscription. On 1

L’inscription d’Emirgazi datent du règne de Tuthaliya IV (1240-1210 ; Hh 4, 2011, p. 13-175.

comprend dès lors la malédiction qui vise celui qui prétendrait détruire celle-ci. Il n’existe pas d’unité politique à l’époque néo-hittite. Le pouvoir est éclaté entre une quinzaine de villes. Malgré cet éclatement on trouve une unité linguistique et culturelle, qui remonte au second millénaire. Les divinités mentionnées dans les inscriptions sont celles du second millénaire. L’idéologie royale prolonge celle qui apparaît à l’époque du roi Télipinu (1550-1530). Elle est fondée sur la paix et la prospérité. Si l’on se fonde sur ces textes, on peut affirmer que l’idéologie des villes néo-hittites (1550-1530) prolonge celle de l’empire hittite. Par ailleurs, cette civilisation, qui avait disparu des mémoires à l’époque classique, semble avoir rayonné dans une partie du bassin méditerranéen.

208

CHAPITRE I LES DIEUX A L’EPOQUE NEO-HITTITE Le terme commun utilisé désigner un dieu est massana/i- . Nous trouvons également ce terme dans les noms de personnes par exemple à Karatepe 4 § 2 (Hawkins, 2000, p. 69) où figurent encore les noms des scribes Masani et Masanamazi ; dans les lamelles (Kululu lead strip), on trouve un certain Masani de la ville de Tunna (Hawkins, 2000, p.509). En hittite, le nom commun de dieu est šiuni qu’on trouve en louvite sous la forme Tiwad, qui désigne le nom du dieu Soleil. Mais curieusement les dieux louvites, à l’époque néo-hittite, ont des caractères proches des dieux hittites. En s’appuyant sur les textes hiéroglyphiques, on relève un petit nombre de divinités par rapport à l’époque hittite où le nombre des dieux était considérable1. Surtout, les textes ne nous sont pas connus dans le cadre d’un panthéon, comme c’est le cas à l’époque hittite. Nous n’avons pas l’équivalent des listes des dieux témoins qui fournissent des indications précieuses sur les caractères des divinités. Cependant, malgré le caractère lacunaire des textes, nous pouvons dégager un certain nombre d’éléments qui laissent supposer que la religion à l’époque néohittite s’inscrit dans le prolongement de la religion hittite du millénaire précédent. M. Hutter2 mentionne le nom d’une cinquantaine de divinités appartenant au panthéon louvite. Mais on relèvera le caractère hétérogène de cette liste. Rien ne permet d’affirmer que les dieux mentionnés sont tous spécifiquement louvites. On y trouve en particulier plusieurs divinités de Kaneš (Pirwa, Itali, Darawa, Aššiya, Kamrušepa). Kubaba, qui occupe une place 1

2

Les textes hittites parlent couramment des « mille dieux ». Au-delà du décompte des dieux, il s’agit d’affirmer la puissance du royaume. M.Hutter, « Aspects of Luwian Religion », in H.C. Melchert (ed.) The Luwians, HdO 68, (Luwian Religion infra), p. 218-219.

importante dans les inscriptions néo-hittites, est déjà mentionnée à Kaneš, sans qu’on détermine sa fonction. Certaines de ces divinités, comme Hapantaliya ou Kamrušepa, jouent un rôle important dans les mythes hittites du vieux royaume sans qu’on puisse déceler dans ces textes une influence louvite. L’importance considérable de Kamrušepa, par exemple dans la mythologie de cette époque, exclut qu’il puisse renvoyer à une divinité spécifiquement louvite. Son nom suggère une divinité hittite3. Il s’agirait littéralement de la « divinité du brouillard ». C’est elle, en effet, qui cache le brouillard et la fumée dans le Mythe de Télipinu. Il est peu probable que Hapantalia, qui apparaît dans la vieille mythologie hittite, soit d’origine louvite. Par ailleurs, on relève un certain nombre de divinités hourrites intégrées dans le panthéon hittite comme ঩epat, Nergal (U.GUR). Šarumma, qui est une divinité d’origine louvite, a été intégré au « panthéon hourrite », puis au panthéon hittite4. Tarhunzas (Le dieu de l’Orage du ciel) et Tiwad (le dieu Soleil) Le dieu de l’Orage du ciel (Tarhunzas) et le dieu Soleil (Tiwad) sont les deux divinités souveraines du second millénaire. Au premier millénaire, ces deux divinités gardent leur statut. On le voit par exemple dans l’inscription de Karatepe : « Je (suis) Azatiwatas, le souverain, aimé du dieu 3

Kamrušepa pourrait être mise en relation avec kamara « brouillard » et sepa/-nzepa « génie » (E. Laroche Recherches sur les noms des dieux hittites, RHA VII/46, Paris, 1946-47 : 67) et A.Goetze (The Theophorous Elements of the Anatolian Proper Names from Cappadocia, Language 29/3, 1953 : 266) ont proposé l’étymologie kam(ma)ru + -šepa « génie du brouillard ». kammaru- peut être rapproché de kammara- « le brouillard » ; le nom de la déesse est écrit kammarušepa en KBo IX 127 I 12 (Hutter, Luwian Religion, p. 230). Mais le passage de a > u fait difficulté (Kammenhuber, Nominalkomposition in den altanatolischen Sprachen des 2. Jahrtausends, KZ 77, 1961, p. 183-184). Dans le Mythe de Télipinu, Kamrušepa fait disparaître le brouillard. On l’opposera à Hašamili, qui fait tomber le brouillard. 4 M.Mazoyer, in J.Freu et M.Mazoyer, Hh 4, 2011, .p. 339-341.

210

Soleil et serviteur de Tarhunzas » (§ 1)5 . Pourtant, il semble qu’à l’époque néo-hittite le pouvoir du soleil était moins important que celui du dieu de l’Orage. L’affaiblissement du pouvoir du Soleil s’était manifesté dès l’époque vieux-hittite, ainsi qu’on le voit dans le Mythe de la Disparition du Soleil. En tant que dieux souverains, l’Orage et le Soleil confient l’administration du royaume au roi. Son autorité sur terre reflète donc la souveraineté cosmique. Les dieux indo-européens et les dieux sémitiques durent se côtoyer. Azatiwatas citant les divinités chargées d’écarter ceux qui tenteront de profaner l’inscription mentionne Baalsamin, El, le dieu soleil, et tous les dieux6. Le dieu de l’Orage du ciel Il est désigné généralement par le logogramme CIEL + TONITRUS. Derrière ce logogramme se trouve mentionné le dieu Tarhunzas dérivé de la racine verbale tarh- « avoir la force permettant de vaincre ». Le terme semble aussi pouvoir impliquer la puissance sexuelle et l’aptitude à la génération7. On a pu avancer l’idée que le dieu latin Mars, qui est un dieu de la guerre, était également associé à la fertilité8. A Topada, le dieu de l’Orage est évoqué sous la forme (DEUS)-TONITRUS-hu-sa § 30, (DEUS)TONITUS-hu-na § 31, qui présente le vieux thème d’adjectif, tiré du radical tarh-« vaincre » (Hawkins, 2000, pp. 454. De même à Tell Ahmar 1 (DEUS)TONITRUS– 5

EGO-mi LITUUS á-za-ti-wa/i-tà-sá DEUS-SOL-mi-sá DEUS TONITRUShu-ta-sa SERVUS-ta4-sá. LITUUS, qui peut être utilisé également à côté du dieu de l’Orage, souverain du cosmos (Babylone 2). (Hawkins, 2000, p. 48 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 105). 6 M.Gras, P.Rouillard, J.Texidor, L’univers phénicien, Paris, 1995 (Univers phénicien, infra), p. 41-42. 7 M.Mazoyer, Télipinu 2, p. 93. 8 Il semble plutôt chargé de protéger les champs ; c’est en ce sens qu’il contribue à la prospérité des champs. On trouve la même thématique chez les Hittites, Hašamili, dieu du combat, est couramment associé au cercle de Télipinu, dieu agraire et fondateur. Il est chargé d’assurer la protection de la nature civilisée (Caton, De l’agriculture, chapitre 141 ; G.Dumézil, La religion romaine archaïque, p.232)

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hu-sa (Hawkins, 2000, p. 240. A Bulgarmaden au § 4, (DEUS) DOMINUS-hu-za (Tarhunzas). Cette forme renforce l’hypothèse que tarhunza était primitivement un adjectif qui servait d’épithète et qu’il s’est substitué au terme employé primitivement pour le désigner au terme d’une antonomase. Il a été identifié avec Ba’al dans les pays où les louvites sont mêlés aux Sémites. C’est le cas dans l’inscription de Karatepe où Ba’al a les traits d’un dieu hittite (voir infra). L’idéogramme TONITRUS, qui représente le foudre, associe le dieu de l’Orage à la pluie et renvoie à l’aspect naturaliste du dieu observé au second millénaire. Le dieu de l’Orage du ciel joue le rôle le plus important dans les panthéons de l’époque néo-hittite. Au Tabal au début du 1e millénaire, sa place est éminente sous son appellation louvite tarhunza. Le dieu de l’Orage est de nature céleste. Les textes ont recours au hiéroglyphe CAELUM (Laroche 182) pour le désigner. Ainsi dans Babylone 2, qui contient une dédicace au dieu de l’Orage du ciel : « Ces bols, en tant que serviteur9, je les ai offerts ? au dieu de l’Orage du ciel, le souverain ». Les deux épithètes utilisées suggèrent des relations diversifiées avec les hommes. Le dieu Soleil est bon et généreux avec ceux-ci, le dieu de l’Orage du ciel détient l’autorité et s’affirme le plus souvent comme les dominant. Parfois le hiéroglyphe CAELUM est absent, mais on peut supposer, dans certains cas, compte tenu des caractères prêtés au dieu, que Tarhuntzas renvoie au dieu de l’Orage du ciel. Ainsi selon Kürtül IV, Tarhunzas descend du ciel et se rend à la maison du fils de Lara ( ?) (§ 2 ; Hawkins, 2000, p. 272). La place éminente du dieu Tarhunzas du ciel est mise en évidence par la place qu’il occupe dans les listes divines. Ainsi 9

Il est contraire à l’usage anatolien que le nom commun « serviteur » soit utilisé comme nom propre par le roi (cf. Hawkins, 2000, p. 395). Par ailleurs, la traduction par Midas selon le modèle phrygien nous semble anachronique. Le hiéroglyphe SERVUS est couramment utilisé pour définir les relations entre les dieux et le roi, entre le roi et ses vassaux. Dès lors la traduction « serviteur », en tant qu’apposé au souverain, est la plus probable.

212

à Karatepe le dieu de l’Orage du ciel placé avant le dieu Soleil du ciel, précède les autres divinités : « Puissent Tarhunzas céleste, le Soleil céleste, Ea et tous les dieux détruire le royaume, ce roi et cet homme » (Karatepe § LXXIII ; Hawkins, 2003, p.58). La complémentarité du dieu de l’Orage et du dieu Soleil est fortement soulignée ici. L’inscription indique qu’ils sont tous les deux des divinités célestes. Ils renvoient à deux états du ciel. Selon le schéma indo-européen, le dieu de l’Orage renvoie au ciel brumeux et à la pluie, le Soleil céleste au ciel lumineux10. Cette complémentarité est présente également au deuxième millénaire11. A cette époque, cet aspect est relevé sous la forme du dieu de l’Orage pihaššašši dérivé du louvite pihaš- « brillant », qui peut signifier également « puissant ». On se reportera au traité d’Ulmi Tešub (KBo IV 10 v. 53) ou à l’inventaire cultuel de Karahna (KUB XXXVIII 12 III 18 s.). Dans la Prière de Muwatalli au dieu de l’Orage de pihaššašši, l’orant s’adressant à Šeri fait la prière suivante : « Šeri, mon maître, taureau du dieu de l’Orage, défenseur du pays hittite, après t’être avancé, en mon nom fais part aux dieux des paroles que voici ». Šeri est donc l’intermédiaire entre les hommes et les dieux. Il est censé transmettre aux divinités la parole des hommes12. Dans la même prière, le Soleil du ciel doit transmettre la plaidoirie des hommes aux autres dieux. Au second millénaire, dans les textes provenant de Hattuša, Tešub est accompagné des taureaux sacrés Šeri et Hurri. Les taureaux tirent le chariot du dieu quand il entre dans la bataille. On estime souvent que cette thématique est un emprunt à la Mésopotamie. Mais le débat reste ouvert13. Pour le premier 10

Voir G.Dumézil, Mitra-Varuna - Essai sur deux représentations indoeuropéennes de la Souveraineté, Paris 1940. 11 R.Nicolle. Réflexions sur le dieu de l’Orage hittite et Jupiter aux époques archaïques, Mémoire de Master 2 sous la direction de C. Guittard, Université Paris X, Paris-Ouest-Nanterre, 2010, p. 37-60. 12 M.Mazoyer, in J.Freu, M.Mazoyer, Hh 3, 2008, p.317. 13 On peut voir dans cette association une référence à la soumission de l’Océan à l’autorité du dieu de l’Orage, le taureau étant associé dans plusieurs civilisations indo-européennes à l’Océan. On mentionnera en particulier les liens du taureau et de Poséidon (B.Sergent, L’Atlantide et la

213

millénaire on se reportera à la statue de Çinekoy qui représente le dieu de l’Orage (du ciel) dressé sur un chariot tiré par deux bœufs. La statue est dédicacée par le roi Urikki de Que14.

Char du dieu de l’Orage. Malatya. Relief d’orthostate (Xe –IXe siècle). Ankara Musée archéologique.

Le roi peut être associé au taureau comme à Ispekçur. Il s’agit clairement d’affirmer la souveraineté du personnage représenté. Mais, au premier millénaire, selon M. Hutter, les liens du dieu de l’Orage du ciel avec le cheval se substituent à ceux du dieu de l’Orage avec le taureau. Le cheval, qui est lié à la fonction royale dès le second millénaire, semble avoir une place plus importante qu’au millénaire précédent. On relève par ailleurs plusieurs textes où l’on souligne le rôle du cheval dans

14

mythologie grecque, Collection Kubaba, Paris, 2006, p. 199). Le taureau est également régulièrement associé aux pluies, que ce soit en Inde védique, en Grèce, en Hatti, en Lettonie…M.West, Indo-European Poetry and Myth, New-York, 2007, p. 184-185. F.C.Woudhuizen, Selected Luwian Hieroglyphic Texts, Innsbruck 204, (Selected Luwian infra, p. 92).

214

les opérations guerrières15. M. Hutter rapproche cette affinité du cheval et du dieu de l’Orage de celle de Zeus et du grec Pégasos16 (Hutter, Religion Luwian, p. 223). Les poètes grécoromains rapportent que Pélagos monte au ciel après sa naissance et se met au service de Zeus, le roi des dieux, qui le charge de lui apporter les éclairs et le tonnerre sur l’Olympe. Ami des Muses, Pégasos est le créateur de la source Hippocrène qu’il fait jaillir d'un coup de sabot. Il est capturé par le héros grec Bellérophon près de la fontaine de Pirène grâce à l'aide d'Athéna et de Poséidon. Pélagos permet au héros de le monter afin de vaincre un monstre, la Chimère, avant de réaliser de nombreux autres exploits. Son cavalier est toutefois victime de son orgueil et chute de son dos en tentant d’atteindre le mont Olympe. Pégasos retrouve Zeus qui finit par le transformer en constellation. Le dieu de l’Orage du ciel apparaît mentionné comme souverain du cosmos, ainsi que pourrait le souligner la présence du hiéroglyphe LITUUS (378) à côté du dieu de l’Orage du ciel. Dans Babylone 2 : « za-ia-wa/i SCALPRUM katina SERVUS-ta5-a-sa LITUUS +CAELUM-na DEUS.TONITRUSti-i i-zi-i-tà »17 « Ces bols, en tant que serviteur18, je les ai offerts ? au dieu de l’Orage du ciel, le souverain19 ». De fait, le dieu de l’Orage du ciel est mentionné régulièrement en tête des listes de divinités. Ainsi à Kululu 5 :

15

Voir Karatepe 1 § 8-10, « J’ai multiplié les chevaux, j’ai multiplié les armées, j’ai multiplié les boucliers », J.C.Hawkins, 2000, p. 49-50 ; F. C.Woudhuizen, Selected Luwian, p. 94. 16 M.Hutter, « Aspects of Luwian Religion », ed. Melchert, The Luwians, Leiden – Boston, 2003, p. 203. 17 Transcription de J.D.Hawkins, 2000, p. 395. Voir F.C.Woudhuizen, Selected Luwian, p. 106. 18 Voir note 6. 19 Représenté par le LITUUS, même formule à Bulgarmaden appliquée au vassal Tarhunazas : « je suis Tarhunazas, le souverain (LITUUS), le JUDEX » (cf. Hawkins, 2000, p. 522).

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Les dieux Tarhunzas, Hiputas, [Ea], Kubaba, Haranean Sarmas, Alasuwas, dans la cité Harmana, le dieu Lune de Harran, le dieu Soleil … (§ 1 Hawkins, 2000, p. 485). La présence de Hiputas à la suite de Tarhunzas permet d’affirmer que Tarhunzas mentionné ici est le dieu de l’Orage du ciel. Cette place prééminente du dieu de l’Orage du ciel est aussi mise en lumière par l’iconographie. Sur le relief de Malatiya, le roi Šumeli verse une libation devant quatre dieux, qui pourraient être les principaux dieux honorés à Malatiya : le dieu de l’Orage, le dieu Lune, le dieu Soleil, Ištar. Le foudre que porte le premier dieu dans la main droite, la massue qu’il tient dans la gauche, son épée à la ceinture, le chapeau à corne le désignent comme un dieu de l’Orage du ciel. Ces attributs sont analogues à ceux dont il dispose au deuxième millénaire20. A Malatiya également, la représentation du dieu de l’Orage en train de combattre le serpent confirme l’idée que la mythologie traditionnelle de l’époque vieille hittite était encore vivace au VIIIe siècle21 . La scène représente la lutte du dieu de l’Orage du ciel qui combat contre le serpent pour s’assurer la souveraineté sur la mer et sur le cosmos. Un parallèle peut être observé avec le Mythe de Baal, qui retrace la victoire du dieu souverain sur la mer. Mais le mythe sémitique présente des spécificités qui lui sont propres (voir infra).

20 21

J.Seheer, Hattusha Guide, 2006, nouvelle édition, Istanbul, p. 149, fig. 147. K.Bittel, Les Hittites, p.2 47 fig. 279.

216

Lutte du dieu de l’Orage du ciel contre le serpent. Malatya (Xe-IXe siècle). Ankara Musée archéologique.

Comme au second millénaire, le dieu de l’Orage du ciel et le Soleil du ciel confient au roi la souveraineté : c’est ce que semble confirmer le nom adopté par plusieurs souverains : Je (suis) Tarhunazas, le JUDEX22, le fils… de Tarhuwara, le serviteur de Warpalawas, le roi, le héros, le JUDEX. Moi j’étais cher à mon Seigneur Warpalawas et à moi il donna la divine montagne Muti. Et pour moi Tarhunzas et Kubaba la firent prospérer. » (cf. § 1-4 Hawkins, 2000, p. 522-523 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p.102).

Il en va de même du Grand Roi Ura-Tarhunzas, le roi du pays de Karkémis : (Le Grand Roi) Ura-Tarhunzas, Grand Roi, Héros, Roi du pays de Karkémis, le fils de x-pazi-ti, Grand Roi, Héros (Karkémis A 4 b, §1-2, Hawkins, 2000, p. 80).

De même à Cekke, le despote porte le nom du dieu Soleil, autre figure de la souveraineté : Je (suis) le Seigneur tiwaras, le serviteur bien aimé de Sasturas. Ce Seigneur tiwaras a dressé…pour le Seigneur Sasturas (§ 1-2, 22

Voir supra le paragraphe sur la titulature.

217

Hawkins, 2000, p. 145 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 11).

De façon analogue, à l’époque du grand empire hittite, les rois adoptent pour leur nom de règne des noms en relation avec la fondation. Le roi Télipinu porte le nom du dieu fondateur, Hattušili celui de la capitale hittite. Les noms de Tudhaliya et Ammuna renvoient à des Montagnes sacrées. On évoquera aussi l’expression « Mon Soleil » pour désigner le grand roi hittite, ainsi que l’assimilation iconographique entre le Soleil et le roi à Yazılıkaya par exemple. Ainsi, au premier millénaire, les rois portent souvent les noms des divinités souveraines grâce auxquelles ils détiennent leur autorité. Le pouvoir du roi repose sur la protection du dieu de l’Orage, comme on le voit : A Maraú 1 : J’ai fait prospérer ces endroits ? par l’autorité ? de Tarhunzas et d’Ea (5 Hawkins, 2000, p. 263 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 75). A Kultepe 1 : Tarhunzas m’a fait père et mère jour Adanawa (Kultepe I § III Hawkins, 2000, p. 49).

Les relations entre le roi et le dieu de l’Orage sont fondées sur l’amour et l’estime réciproques. Le dieu de l’Orage du ciel a des liens spécifiques avec le roi. C’est de lui que le roi détient sa souveraineté. Cependant ce sont ses ancêtres divinisés qui lui transmettent le trône (infra). Les dieux cautionnent son autorité. A Maraú par exemple le roi Halparuntiyas se déclare « aimé par les dieux (§ 4 h) ». De façon parallèle, au deuxième millénaire, Tarhunzas entretient des liens affectueux avec le roi. On se reportera à la geste d’Anitta (CTH 1) : Quand Pithana était le roi de Kuššar, il était aimé (aššu) du dieu de la tempête du ciel. Alors qu’il était aimé du dieu de la tempête, le roi de Neša s’en prit au dieu de Kuššar. Le roi de Kuššar vint

218

dans la cité avec une grande armée. Il prit Neša la nuit de force23.

De même à Bohça par exemple le roi est aimé de Tarhunzas24 (§ 2). En tant que dieu souverain, le dieu de l’Orage du ciel habite le lieu le plus élevé du territoire. La Montagne est donc clairement associée au dieu de l’Orage du ciel. A Burgarmaden, Tarhunzas associé à Kubaba fait prospérer la montagne Muti (voir supra § 1-4 Hawkins, 2000, p. 522-523 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 102). La même thématique se trouve au second millénaire dans les textes comme dans l’iconographie. Ainsi dans CTH 414 d’époque vieille-hittite, la Montagne est présentée comme la résidence du dieu de l’Orage. C’est sur la Montagne que se réunissent les dieux et le roi hittite au moment de la fondation d’un palais. C’est là que se situe l’Eden hittite, où règnent la paix et la prospérité, où les animaux antagonistes se côtoient sans violence. Les arbres poussent à l’écart de tout mal. Sur la Montagne, le roi hittite est régulièrement régénéré (CTH 414 : KUB XXIX 1, Ro II 50-54 ; Yazılıkaya25). Le dieu de l’Orage du ciel, outre ses fonctions liées à la souveraineté, est par ailleurs associé à la troisième fonction, en tant que dieu de la victoire. Ce caractère est suggéré dans l’épithète tarhunt « le vainqueur », attestée en hiéroglyphe, et utilisée dès le deuxième millénaire pour désigner le dieu de l’Orage du ciel. On retrouve ce caractère dans l’onomastique hellénistique. De ce caractère dérive l’hypostase « le dieu de l’Orage des armées » que mentionne par exemple Le Traité de Muwattali. Un des attributs du dieu de l’Orage du ciel en relation avec la troisième fonction chez les Hittites26 est la force à laquelle renvoient les termes muwattali /NIR.GAL, comme on 23

O.Carruba, Anittae Res Gestae, Studia Mediterranea 13, series Hethaea 1, Pavie, 2003 (infra Anitta), p. 18-21. 24 (BONUS)wa/i-su-wa/i-i. 25 M.Mazoyer, in J.Freu et M.Mazoyer, Hh 4, p. 327-335. 26 Deuxième fonction dumézilienne.

219

le voit par exemple dans KIZILDAG 227 et dans KARKÉMIŠ A4b. KIZILDAG 2 : bien aimé du puissant (= FORTIS) dieu de l’Orage, le Soleil, le Grand Roi Hartapus » (Hawkins, 2000, p. 438). Dès le deuxième millénaire, la force d’où découle la victoire est une des caractéristiques du dieu de l’Orage du ciel. Son activité guerrière se manifeste notamment autour des portes des villes qu’on tente d’investir, comme on le voit par exemple dans le Mythe de Télipinu. A l’époque néo-hittite, il départage les rois dans leurs affrontements. Il permet au roi de récupérer les territoires perdus. De façon analogue, au second millénaire, dans CTH 1, le roi Anitta souligne que le dieu de l’Orage du ciel a permis à son père de conquérir Neša (passage cité précédemment Carruba, 18-21). Le fait que Pithana, dans le même texte, s’empare de la ville la nuit est conforme au rôle du dieu de l’Orage du ciel, qui a recours à la ruse plus qu’à la force au cours des combats. Le dieu de l’Orage semble avoir un goût particulier pour la tactique ; il n’est pas le dieu du combat rapproché contrairement aux divinités de la fonction guerrière28. Manifestement, il est l’ingénieur de la guerre ; il demande à Hašamili, le dieu forgeron, de cacher les combattants dans le brouillard. Le dieu de l’Orage patronne particulièrement la guerre nocturne. Il vaincra le serpent Illuyanka grâce à la ruse de sa fille Inara. Ainsi, le dieu de l’Orage du ciel est à l’origine de l’ouverture des portes qu’on veut conquérir. Il est couramment associé aux constructions architecturales29 recevant diverses hypostases tels que « le dieu de l’Orage du É hamri- », le « dieu de l’Orage du Éšinapši », le « dieu de l’Orage du portail (du marché) », le « dieu de l’Orage du verrou », le « dieu de l’Orage de l’entrepôt militaire », le « dieu 27

J.D.Hawkins, 2000, p. 438. R.Nicolle, Réflexions sur le dieu de l’Orage hittite et Jupiter aux époques archaïques, Master 2, Université de Paris 2, sous la direction de Charles Guittard, 2010, p. 54-60 et 105. 29 Pour ces hypostases, voir M.Mazoyer, La vie cultuelle du dieu hittite Télipinu, Paris, 2011, p. 101-102. 28

220

de l’Orage du palais », le « dieu de l’Orage de la maison ». L’iconographie du premier millénaire conforte l’image du dieu de l’Orage combattant. Ainsi, sur la stèle de Babylone, le dieu de l’Orage présente le foudre dans la main gauche et une massue dans la main droite. A la ceinture on voit une courte épée30. Sur le relief bien connu de Malatiya il affronte Illuyanka portant une lance et une massue31. Il a une épée à la ceinture. A Cekke le dieu de l’Orage du ciel tient dans la main droite un trident et dans la main gauche une massue ; il est dressé sur un taureau32. Les autres divinités de l’Orage sont associées également à la force victorieuse au second millénaire. Ainsi les textes insistent sur la force de Télipinu, le fils préféré du dieu de l’Orage du ciel, lui-même dieu de l’Orage. Šarruma, le fils du dieu de l’Orage, assimilé à Télipinu, dès la fin du 2e millénaire, apparaît lui-même doté d’une force redoutable. Comme Apollon, qui est un autre dieu de l’Orage, Télipinu inspire l’effroi aux autres dieux, ainsi qu’il est indiqué dans le Mythe de Télipinu et de la fille de l’Océan ; il manipule le foudre, il frappe le sol et le monde souterrain dans le Mythe de Télipinu. Par ailleurs, dans La prière de Muršili II à Télipinu, le roi Muršili demande au dieu de lui confier l’arme victorieuse et de mettre ses ennemis à ses pieds.

30

K.Bittel, Les Hittites, p.282, fig. 322. K.Bittel, ibid., p. 246, fig. 279. La lance représentée semble destinée à être lancée. La massue souvent représentée n’a plus guère d’importance comme arme à l’époque historique. Mais elle est très souvent mentionnée dans les mythes. C’est l’arme spécifique d’Héraclès, de Bhima, d’Indra, de Thórr (sous la forme d’un marteau), voir B.Sergent, Les Indo-européens, Paris, 1995 (Les Indo-Européens infra) p. 286- 291. 32 J.D.Hawkins, Part 3, p. 133, plate 42-43. On peut voir dans ce dieu un dieu de l’Orage qui maîtrise l’Océan. Le foudre a la forme d’un trident, qui sera l’arme de Poséidon. Chez les Hittites cette souveraineté s’exerce grâce au mariage de Télipinu et de la fille de l’Océan, retracé dans le Mythe de Télipinu et de la fille de l’Océan. Dans les civilisations sémitiques le contrôle de l’Océan s’exerce à la suite d’un combat entre Océan et le dieu de l’Orage. 31

221

13’-14’ (Télipinu) donne-leur (au roi, à la reine et à leurs enfants) l’arme victorieuse et brandie de l’homme, ô dieu, et le pays ennemi 15’ place-le sous leurs pieds et le [ ]33.

On peut déduire du texte qu’il s’agit d’une lance de jet. De la même façon, le dieu de l’Orage du vignoble, qu’on peut assimiler à Télipinu (voir infra), confie au roi l’arme victorieuse, qui lui permettra de vaincre les ennemis. C’est en qualité de dieu de l’Orage qu’il manipule celle-ci. De façon analogue, à Sultanhan, Tarhunzas du vignoble a placé les ennemis de Warsusarmas sous ses pieds : Tarhunzas du vignoble donna à Wasusarmas [ ], le roi, un grand courage, et pour lui il plaça ses ennemis sous ses pieds (§ 8-9 Hawkins, 2000, 466)34. A Çinekoy, le roi Urriki de Que a étendu le territoire grâce à Tarhunt et à ses dieux paternels35. La double hache (ASCIA-napari) constitue l’arme symbolique du dieu de l’Orage selon les inscriptions néohittites. C’est avec sa hache qu’il frappe36 ses ennemis 33

nu-uš-ma-aš LÚ-aš tar-hu-u-i-li-in pa-ra-a ne- y[(a-an-ta-an)]14’ DINGIR GIŠTUKUL-in pé-eš-ki nu-uš-ma-aš KUR.KUR LÚKÙR 15’ ]. ŠA-PAL GÌRMEŠ-ŠU-NU zi-ik-ki na-at in-[ 34 a-wa/i tu-wa/i +ra/i-sà –sa DEUS TONITRUS-ha-za-sa [wa/i]-su-SARMA ma-[ia ?…] [ ]ti-i [mu-w-]a/i-i-ta-li-na-wa/i +ra/i -pi-ia-ta wa/i-tu-u á-runi-i-zi á-pa-si-iz-zi PES pa+ra/i-za SUB-na-na tu-wa/i-ta. 35 [à-wa-mu] wa+ra-ka-sà TASHUWAR la-ta+r-ha [hi-Ɨ-wa-naUMINA ] [ARHAha-wa-Ư-+la–nu-ha hi]-Ɨ-wa-i TASHUWAR-la-la-Ư-MASANATARHUNT-hu-ta4 –ti á-mi-Ɨ-ti-ha tá-ti-Ɨ-ti-h MASANA-na « [moi] Awarkas, j’ai étendu le territoire [Hiyawa]. Et j’ai fait revivre complètement la plaine de Akhaia grâce à Tarhunt et à mes dieux paternels » Transcription et traduction de Woudhuizen, Selected Luwian, p. 92. 36 (tupiti+í). Sergent fait remarquer que la hache, qui a tant d’importance dans l’archéologie, n’a qu’un rôle restreint dans la guerre. C’est une arme de prestige. Elle se confond sur le plan mythique avec la massue de jet, ou le marteau, arme de Thór et d’Indra (Sergent, Les Indo-Européens, p. 289290).

222

(Laroche, Les Hiéroglyphes hittites, Paris, 1960, [infra 1960] p.281). Ainsi à Kayseri : Tarhunzas devra [le] frapper avec sa hache (§ 7 Hawkins, 2000, p. 473).

La hache permet de réduire à néant celui qui a commis le sacrilège mentionné. A Karkémiš A 1 a § 3 : Tarhunzas a frappé avec sa hache (ASCIA) ka+ra/i –ma-li (cf. Hawkins, 2000, p. 88).

A Sultanhan, dans un passage analogue, mais fragmentaire, on demande au dieu de l’Orage de la vigne de frapper celui qui désirerait l’ARMA : Puisse-t-il le frapper avec sa hache.

Au deuxième millénaire, le sanctuaire de Yazılıkaya donne des indications sur les armes portées par les dieux souverains. Tous les dieux souverains portent à la ceinture une épée. Le dieu de l’Orage du ciel (42) porte également dans la main droite une massue ; le dieu de l’Orage du hatti ou Tasmisu ? (41) porte une massue dans la main droite, une lance dans la main gauche. Sarruma (44) est doté d’une double hache, Kumarbi (40) d’une lance. En revanche, le roi Tudhaliya IV (no 64), qui figure en face des divinités souveraines, est représenté en prêtre ; il porte un lituus, expression de la souveraineté. Il est représenté en tenue cultuelle. Comme les dieux souverains, il est dressé sur une montagne. A cette exception près, il a l’apparence du dieu Soleil (no 34). Ea, qui représente la fondation à Yazılıkaya, porte également une massue (no 39), ce qui tend à l’assimiler à un dieu de l’Orage. A la place de la massue figure parfois le foudre. Ainsi dans la stèle de Babylone, le dieu de l’Orage porte un marteau et le foudre. A sa ceinture, on discerne une épée37. 37

K.Bittel, Les Hittites, p. 282.

223

TudKaliya IV Yazılıkaya Outre ses fonctions qui relèvent de la souveraineté et du combat victorieux, le dieu de l’Orage du ciel entretient des relations étroites avec la fertilité. Du fait des conditions climatiques qui règnent en Anatolie, le dieu de l’Orage du ciel, pourvoyeur des pluies, joue un rôle prépondérant dans ce 224

domaine. Il est le dieu qui favorise l’épanouissement de la végétation dans le monde sauvage comme dans le monde civilisé. Sur la Montagne, il veille au développement des arbres, dont il écarte les maladies. Grâce à la fertilité des eaux il permet l’apparition des bourgeons au printemps et la richesse des pâturages. La végétation qui s’épanouit sur la Montagne est de son ressort. Les menuisiers qui viennent couper des arbres sur la Montagne commencent par demander l’autorisation du dieu de l’Orage du ciel. Mais la production agraire n’est possible que si le dieu envoie la pluie bienfaisante, qui peut être divinisée38. Il alimente en eau de pluie les eaux courantes grâce à sa victoire sur Illuyanka et au mariage de son fils Télipinu avec Hatépinu. On retiendra aussi que son mariage avec la déesse Solaire d’Arinna conforte ses liens avec les eaux souterraines. Au deuxième millénaire, il est le dieu de l’Orage du bétail, le dieu de l’Orage de la croissance, le dieu du mûrissement des vignes, le dieu de l’Orage des champs, le dieu de l’Orage des prairies, le dieu de l’Orage de la steppe. Toutefois, à la différence de Télipinu, son fils préféré, il ne manipule pas lui-même les instruments aratoires. De même, dans le cadre de la fondation, il ne creuse pas le sol et n’entretient pas de lien avec les fondations. Comme nous l’avons montré dans des travaux précédents, la famille du dieu de l’Orage du ciel s’est constituée progressivement au cours du deuxième millénaire39. A l’époque vieux-hittite, le dieu de l’Orage ne semble pas avoir de parèdre attitrée. Il a alors pour fils Télipinu, d’origine divine, mais sans qu’on puisse l’attribuer à une mère déterminée40. Par ailleurs, selon le Mythe d’Illuyanka, il s’unit avec une mortelle, qui lui donne un enfant. Celui-ci lui permettra de vaincre son ennemi. 38

Le dieu de la pluie, Ninga du verbe nink- « donner à boire » StBot 47, p. 152 et 156. Le dieu de la pluie est mentionné à côté de Tarhunt à Karahöyuk (ligne 15 Woudhuizen 2004a, p.155) et entre Sarruma et Muwa *206-pa4 à Topada § 30, 31, 33, 36, 38 Woudhuizen, 2005, p.58. 39 M.Mazoyer, in J. Freu et M. Mazoyer, Hh 3, p. 310-314. 40 Des éléments suggèrent qu’il s’agit de deux divinités gémellaires (Mazoyer, « Inara et Télipinu dans la mythologie hittite », en cours de parution).

225

C’est à l’époque du moyen-hittite que le dieu de l’Orage du ciel est flanqué d’une parèdre, la déesse Solaire d’Arinna41, assimilée plus tard à la déesse hourrite Hépat. On attribue alors au couple souverain une nombreuse descendance. En tant que parèdre du dieu de l’Orage, la déesse Solaire d’Arinna est pourvue alors de pouvoirs considérables. A l’époque néo-hittite, Tarhunzas est souvent mentionné seul, on pourrait entrevoir un retour à la situation de l’époque vieux hittite, mais Hépat est parfois placée à côté du dieu de l’Orage. Aucun texte ne fait mention de la déesse solaire d’Arinna, ce qui s’explique par la disparition de la ville d’Arinna. On observe que le culte de Hépat est mentionné également en dehors des villes néo-hittites. M.C. Trémouille fait remarquer que la déesse figure parmi les divinités honorées par le roi d’Assyrie Tukulti-Ninurta dans la ville de Kalhu. Par ailleurs le nom apparaît dans l’onomastique en Assyrie et à l’ouest42. Dans le texte de Çiflik, qui évoque la fondation d’un bâtiment par Tuwati, Tarhunzas se substitue à Tešub, comme c’est la règle à l’époque néo-hittite ; il est associé à Hépat (Hiputa). Le couple souverain précède les autres dieux, Kubaba, Ea, Sarrumas et Alasuwas43. Les divinités sont évoquées assises44. On peut imaginer qu’elles participent à une réunion divine. On demande aux dieux de donner à Tuwatis à manger et à boire, et de lui apporter les longues années. Il en va de même à Kululu 5, qui est également un texte de fondation : on mentionne les dieux Tarhunzas, Hiputas, [Ea], Kubaba, Sarmas

41

Si l’on se réfère au sumérogramme utilisé pour la désigner (PÚ), il s’agit d’une source et, à ce titre, elle est liée au ciel, en tant que divinité solaire, et au monde souterrain, en tant que source. Rappelons que tous les soirs le Soleil gagne le monde souterrain. La situation de la déesse solaire d’Arinna, d’un certain point de vue, peut être rapprochée de celle de Hatépinu, divinité source devenue parèdre du dieu de l’Orage Télipinu. 42 M.C.Trémouille, D.Hepat, une divinité syro-anatolienne, Eothen 7, (Hépat infra) p. 2. 43 J.D.Hawkins, 2000, p. 449. 44 Il pourrait s’agir d’une réunion divine.

226

de Haran, Alasuwas, le dieu Lune de Haran, le Soleil (§ 1 et 2)45. (Sur ces associations divines voir infra). Les autres dieux de l’Orage Les grandes villes du Nord de l’Anatolie ayant été détruites, le dieu de l’Orage de Zippalanda, le dieu de l’Orage de Nérik, le dieu de l’Orage de Lihzina, le dieu de l’Orage de Hattuša disparaissent au premier millénaire. En revanche le culte du dieu de l’Orage d’Alep est souvent mentionné dans les inscriptions. A Babylone 1, il court devant le roi, expression signifiant qu’il attribue sa protection et sa bienveillance au roi. Le dieu de l’Orage d’Alep, en tant que dieu de l’Orage, semble assurer la protection des limites, celles du pays, du vignoble et du palais ou du temple. A Tell Ahmar 5, le roi Hamiyatas fait dresser une statue du dieu de l’Orage d’Alep au-dessus des greniers, sans doute pour les protéger (§ 3; Hawkins, 2000, p. 232). A Körkun, quand le roi Astirus construit une warpa46, Kazupi ? place à cet endroit une statue du dieu de l’Orage d’Alep (Korkün, § 5 Hawkins, 2000, 172). Les divers dieux de l’Orage continuent à être considérés comme les fils du dieu de l’Orage du ciel47. Tarhunzas de Karkémiš continue a été honoré (KarkamišA2 + § 3), 11, 15, 20). Le dieu de l’Orage du pays de POCULUM est mentionné dans l’inscription de Karahöyük48. On sait ainsi qu’il avait une stèle et un culte à POCULUM. Si le culte de Télipinu des villes a disparu, le dieu Télipinu pourrait être honoré sous la forme de Tarhunzas (du vignoble). 45

J.D.Hawkins, 2002, p. 485-486. Le sens de ce mot fait problème. 47 On peut considérer qu’on mentionne un dieu de l’Orage et le (dieu) de l’Orage d’Alep, qui placé à côté du dieu de l’Orage son fils serait considéré dans un rapport filial. Hawkins et Payne ne discutent pas de la structure de cette phrase étonnante. 48 Pour la localisation de cette ville, voir J.D.Hawkins, 2000, p. 291. 46

227

Au second millénaire, Télipinu est la seule divinité de l’Orage, à l’exception du dieu de l’Orage du ciel, à avoir une fonction indépendante de ses villes cultuelles. Parallèlement la déesse solaire d’Arinna, associée à une ville, disparaît, ainsi que Mezulla et ses petites filles, la ville d’Arinna ayant cessé d’exister (voir supra). Tarhunzas de la Montagne Arpunta est mentionné dans la stèle de Katuwas (A 11bc § 25 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 67) : Puissent Tarhunzas du ciel, Karhuha, Kubaba, et Tarhunt- de la Montagne d’Arpunta, les divinités de la rivière de Sakur être irrités pour toujours contre cette (personne). On relève ici, comme au second millénaire, l’association de la Montagne et de la rivière. Tarhunzas de l’aratalli : Kululu 1 § V : J’ai moi-même érigé Tarhunt de ARATALLI. Kululu 1 § XI : Puisse pour lui le Tarhunzas de ARATALLI, causer49…cet ARATALLI (Hawkins, 2000, p.443). On se reportera à J.D. Hawkins et F. Starke, qui associent ARATALLI au louvite ariyatali « montagne », au hittite ariyaddali50. Cependant, si le dieu de l’Orage est couramment associé à la Montagne, on ne connaît pas par ailleurs un dieu de l’Orage de la Montagne sans autre précision. Le dieu de l’Orage de kuwappal pourrait être associé à un ustensile ou à un objet cultuel.

49

F.C.Woudhuizen traduit par « inonder, arroser abondamment ». En associant la traduction de Hawkins avec celle de Woudhuizen on arrive à un sens cohérent. Traditionnellement le dieu de l’Orage arrose la Montagne, qui lui sert de lieu de résidence. 50 F.Starke, KZ 93, p. 253 n. 27 ; J.D.Hawkins, 2000, p. 444.

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Les divinités associées au dieu de l’Orage Dans les textes, le dieu de l’Orage du ciel est couramment associé à certaines divinités. Ces associations peuvent s’expliquer du fait de liens familiaux (Hépat, Šarruma), ou du fait de liens fonctionnels : le dieu de l’Orage du ciel et le dieu Soleil du ciel sont associés, comme au second millénaire, à l’idée de souveraineté. A Karatepe : puissent Tarhunzas du ciel, le Soleil du ciel, Ea et tous les dieux détruire ce royaume là, ce roi et cet homme (qui tendent à nuire aux portes de la ville. (Karatepe, § LXXIII, Hawkins, 2000, p. 58 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 101). A Çiftlik : ici Tarhunzas et Hépat sont assis ; [et ici] Ea et Kubaba sont assis ; Sarrumas et Alasuwas sont assis. Et pour ? Tuwatis puissent tous les dieux… (Ciftlik § 8-10, Hawkins, 2000, p. 449). A Karkémiš : Et mon seigneur Tarhunzas, Karhuas et Kubaba m’ont aimé à cause de ma justice. (Karkémis A 4 11a § 7 ; Hawkins, 2000, p. 95). A Bulgarmaden : Et pour moi Tarhunzas et Kubaba l’ont fait prospérer (la montagne Muti) (§ 2-4 ; Hawkins, 2000, p. 523). A Kululu 5 : Les dieux Tarhunzas, Hiputas, [Ea], Kubaba, Haranean Sarmas, Alasuwas, dans la cité Harmana, le dieu lune de Harran, le dieu Soleil… ils les ont donnés à Hulasayas le prince béni par le Soleil ici (Kululu 5, § 1-3 Hawkins, 2000, p. 485).

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L’association du dieu de l’Orage du ciel et de Sarruma Šarruma, qui est initialement une Montagne divinisée, d’origine louvite mais intégré au panthéon hourrite en tant que fils du dieu de l’Orage, est entré dans le panthéon hittite à l’époque du Moyen-Hittite. Il y tient une place importante à l’époque de Tudhaliya IV, où il devient le dieu personnel du roi. A l’époque néo-hittite, il apparaît soit comme le fils du dieu de l’Orage, soit comme une divinité distincte. Šarrumas peut être placé à côté du couple souverain. Ainsi, à Topada, Sarrumas est associé à Tarhunzas : Mon Seigneur Tarhunzas, Šarrumas, dieu X, dieu Y ont couru devant moi » (§ 17, Hawkins, 2000, p. 453 ; Woudhuizen, Selected Luwian 2, p. 57).

Mais aussi, parfois, comme dans le panthéon hourrite, Šarruma est éloigné du dieu l’Orage. Il garde alors ses fonctions de dieu Montagne. On le voit en particulier par l’inscription MONS REX SARRUMA SERVUS « serviteur du roimontagne Šarruma » (Kululu 8 ; Malatya 7). A Kululu 5, qui est un texte de fondation, Šarruma est éloigné de Tarhunt et mentionné à côté d’Alasuwas (§ 1 et 2). Kululu 5 : Les dieux Tarhunzas, Hiputas, [Ea], Kubaba, Sarmas Haranean, Alasuwas, dans la cité de Harmana, le dieu lune de Haranean, le dieu Soleil (§ 1 ; Hawkins, 2000, p. 485).

Cette association est déjà attestée au second millénaire dans KUB 15.1 ou encore dans les listes d’offrandes pour les dieux d’Alep. Le nom de la déesse Allanzu a ensuite été effacée ; Allanzu pourrait être la version jeune de Hépat51. L’association avec Alasuwas (la dernière forme d’Allantu) se trouve aussi à Çiftlik. Alasuwas (Allantu) et Šarruma sont complémentaires : selon M.Cl. Trémouille les deux divinités jeunes seraient 51

M.C.Trémouille, Hépat, p. 191-193. Selon l’auteur, Allanzu serait la version jeune de Hépat.

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réunies. Mais cette hypothèse pose plus de questions qu’elle n’en résoud, puisque Hépat est la mère de Šarruma. L’association de Tarhunzas et Runtiyas se rencontre fréquemment. C’est le cas notamment à Bohça (Hawkins, 2000, p. 479 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 104) et à Karatepe (§ XL, Hawkins, 2000, p. 53). A Bohça, Tarhunzas donne au roi Kurtis des territoires, Runtiyas lui permet de s’emparer de 100 gazelles. Comme au second millénaire, c’est avec l’autorisation de la divinité de la steppe qu’on peut s’emparer des animaux sauvages. Cette association, qu’on observe à Bohça, entre Tarhunzas et Runtiyas montre la diversité et la complémentarité des deux divinités. La présence de Runtiyas à côté de Tarhunzas met en évidence l’importance de nature sauvage dans le fonctionnement de la royauté (Bohça, § 2 et 5). On se rappellera l’importance qu’elle joue dans sa genèse au cours du second millénaire. A Karatepe, Tarhunzas et Runtiyas sont derrière le roi quand il construit des forteresses. Runtiyas est associé à la construction, p. 479 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 104) et à Karatepe (§ XL, Hawkins, 2000, p. 53). A Bohça, Tarhunzas donne au roi Kurtis des territoires, Runtiyas lui permet de s’emparer de 100 gazelles. Comme au second millénaire, c’est avec l’autorisation de la divinité de la steppe qu’on peut s’emparer des animaux sauvages. Cette association qu’on observe à Bohça entre Tarhunzas et Runtiyas montre la diversité et la complémentarité des deux divinités. La présence de Rutilas à côté de Tarhunzas met en évidence l’importance de nature sauvage dans le fonctionnement de la royauté (Bohça, § 2 et 5). On se rappellera l’importance qu’elle joue dans sa genèse au cours du second millénaire. A Tell Ahmar 5, le roi Amiata fait dresser un statue du dieu de l’Orage d’Alep au dessus des greniers, sans doute pour les protéger (§ 3 ; Hawkins, 2000, p. 232).

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Dans Babylone 3 : Rutilas a placé ces bols devant Tarhunzas d’Alep (Hawkins, 2000, p. 397).

Le dieu Soleil du ciel Le nom louvite du Soleil Tiraz est associé à l’indo-européen *dyeu, qui désigne le ciel lumineux. Les Hittites, comme les Louvites, ont gardé deux types de ciels divinisés ; le ciel brumeux, associé à la pluie est représenté par Tarhunt -, le ciel lumineux - Tiwaz en louvite et Tiyad en palaïte - désigne le ciel lumineux. Tiwat, comme le dieu soleil du ciel à l’époque hittite, est un dieu male. Au deuxième millénaire, la divinité solaire joue un rôle important, même si son importance a diminué au profit du dieu de l’Orage et de Télipinu (voir en particulier Le Mythe de la Disparition du Soleil). Le dieu Soleil (du ciel) partage avec le dieu de l’Orage la souveraineté sur les dieux (il réunit les dieux après le départ de Télipinu) et sur les hommes. Il confie avec le dieu de l’Orage l’administration du royaume au roi hittite (CTH 414). Il est représenté comme un double de celui-ci, comme on le voit par exemple à Yazılıkaya. Il dispose de troupeaux divins sur lesquels veille Hapantalia. On voit dans le Mythe de Télipinu que Kamrušepa est susceptible de prélever des animaux de ces troupeaux. Kamrušepa est la parèdre de Tiwad et leur fils serait le dieu tutélaire (KAL de Tauriša ; KUB XL 43 23 rev. 35-37 ; Hutter, Luwian Religion, p. 231). Mais il s’agit sans doute d’une innovation récente. M. Hutter souligne que les divinités Ilaliyant, qui sont mentionnées dans le panthéon de Kaneš, appartenaient au cercle du Soleil. Dans le panthéon hittite, le Soleil a été utilisé pour définir certains traits de la déesse solaire d’Arinna. Le dieu Soleil se caractérise par sa générosité à l’égard de l’espèce humaine, comme le souligne le titre souvent mentionné de (DEUS)SOL-mi-sá CAPUT-ti-i-sá (Karatepe 1, § 1), traduit traditionnellement par « l’homme béni par le Soleil » ou l’homme dévoué au dieu Soleil »52. Ce titre se rencontre aussi 52

M.Hutter, Luwian Religion, p. 227.

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comme nom de personne SOL-wa/i +ra/i –mi-sá. On sait qu’au deuxième millénaire, le Soleil se signale par sa générosité à l’égard de l’espèce humaine. Il sert d’intermédiaire entre les dieux et les hommes. Le fait qu’il entre dans la titulature du roi confirme les liens de cette divinité avec la fondation. Ses liens s’expliquent de deux manières. D’une part le dieu Soleil confie l’administration du pays au roi, fonction qu’il partage avec Tarhunt- ; d’autre part, il protège les limites du territoire (La disparition du Soleil)53. Ces deux fonctions relèvent de son activité de dieu souverain. Le dieu Soleil du serment (hirutalliš tiwaz) est déjà mentionné au second millénaire (KUB 35.78). Dans les panthéons hourrites, on observe sa présence auprès de la Lune, qui est elle-même une divinité du serment. Chez les Hittites, le Soleil du ciel, est le juge universel, qui voit tout. On estime qu’il juge toutes les espèces vivantes (Voir la Prière au dieu de l’Orage pihaššašši54). Cette faculté a été étendue à la déesse solaire d’Arinna55. Il en va de même dans la religion louvite de la même époque ainsi que dans les textes hiéroglyphiques du premier millénaire (Hutter, 226). Comme au second millénaire, les liens sont particulièrement étroits entre le Soleil du ciel et l’espèce humaine. Le Soleil du ciel est couramment associé avec Tarhunzas, comme nous l’avons vu plus haut, à propos de l’inscription de Karatepe. Mais, dans le même texte, il peut être associé à la divinité Lune. Karatepe I LXXIII : puissent Tarhunzas du ciel, le dieu Soleil du ciel… détruire ce royaume, ce roi et cet homme (Hawkins, 2000, p. 58). 53

La déesse solaire d’Arinna établit les frontières du pays (Prière de Mursili II à la déesse Solaire d’Arinna, Mazoyer, Hh 3, p. 309). Le Soleil du ciel peut franchir régulièrement les limites qui séparent deux mondes. Ainsi il franchit naturellement les verrous du ciel et ceux du monde souterrain. 54 « Le Soleil des cieux, mon Maître, toi, le Soleil, ne cesse de prononcer quotidiennement un jugement sur l’humanité, le chien, le cochon, l’animal de la steppe » (Mazoyer, Hh 3, p. 318). 55 M.Mazoyer, ibid., p. 305.

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LXXV comme le nom du Soleil et de la Lune se dressent (Hawkins, ibid.). Le Soleil et la Lune sont placés sur un des lions de Malatiya. Dans la Prière d’un Mortel du début du nouvel empire, fortement marquée par une influence hourrite, le Soleil est considéré comme le fils de la lune et de Ningal56. Au deuxième millénaire, le dieu Soleil est associé au dieu de l’Orage ; en tant que dieu souverain, il est lié à la fondation. A ce titre, il permet d’atteindre les limites et de les franchir. Elles structurent l’espace, comme on le voit par exemple au Südburg. Mais il peut être associé au dieu lune57. C’est l’ordre courant dans le panthéon hourrite. Ainsi, au deuxième millénaire, dans le panthéon d’Alep, on peut lire : Tešub, variétés de Tešub, NINURTA, Ea, Kumarbi (NISABA), Lune, Soleil, Soleil d’Arinna, Hulla et Mezulla, Aštabi, KAL, KAL du Hatti, Ištar… L’association du dieu Soleil du ciel et de la Lune. On sait que cette association qui se rencontre occasionnellement est sans doute due à une influence hourrite. On la trouve en effet dans les panthéons « hourrites » trouvés à Bo÷azkoy58. Dans le panthéon hittite, le Soleil et la Lune sont nettement séparés. Le Soleil du ciel est rangé parmi les dieux souverains, tandis que la Lune est associée aux divinités du serment et suit immédiatement le kaluti de Télipinu, dieu de la nature civilisée. 56

« Ô dieu Soleil, le fils très vigoureux de Sin et de NINGAL » (Mazoyer, Hh 2, p. 324). L’idée est que le Soleil est issu du monde souterrain, et que la nuit précède le jour. 57 Par exemple dans le traité de Kültepe Kt. 00/k6 (GÜNBATTI, C., « Two treaty texts found at Kültepe », Fs Larsen, p. 250-255.) on a : dIM, DINGIR.MEŠ KUR Kanis KUR Askašipa, Suin (Sin), UTU, Kubaba. 58 E.Laroche, « Hourrites », Dictionnaire des Mythologies, Paris, 1981, p. 527-529.

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Ainsi, dans le Traité de Suppiluliuma et de Huqqana, on lit à la suite des dieux de la nature sauvage : Lelwani, Ea, Télipinu des villes (Tawiniya, Durmitta, Hanhana), Aškašepa, qui protège les portes, Ištar, Halki, dieu lune, dieu du serment, Hépat. Dans la mythologie, les deux divinités peuvent se retrouver conjointement (Quand la lune tombe du ciel, La Disparition du Soleil). Il en va de même dans les Prières (cf. La Prière du mortel, mentionnée plus haut). La divinité Lune occupe une place restreinte au second millénaire dans le panthéon hittite. E. Laroche, qui retrace l’apparition du dieu lune dans la religion hittite59, considère que c’est au XIVe siècle que les Hittites ont importé le dieu lunaire de leurs voisins hourrites60. Ils l’auraient emprunté à la Syrie qui l’avait emprunté elle-même au panthéon babylonien (SIN). A la même époque, le dieu Lune de Harran entre par le Mitanni. Cet emprunt correspond à un besoin précis : le dieu Lune et sa parèdre Nikkal sont les patrons du serment. Il se constituerait donc à l’époque vieux-hittite une triade formée d’Ishara, le dieu, le dieu Lune (Kušuh) et sa parèdre Nikkal. Le culte d’Arma semble se réduire à la religion louvite, dans le sud de l’Anatolie. Dans le Kizzuwatana, le dieu hourrite Kušuh et le dieu Lune de Harran étaient dominants. Le culte de la divinité Lune est destiné à faciliter la fertilité, mais on le mentionne pour provoquer un désastre, comme dans un passage mythologique 61 : Quand (une femme) est enceinte d’un enfant- [le ci]el s’est habillé en noir… Le dieu Lune s’est habillé de rouge sang. Il a sanglé ses peaux de sang, il a pris une flèche de sang, il a tenu 59

E.Laroche, « Asianiques (Religions). Définitions et problématique », in éd. Yves Bonnefoy, Dictionnaires des Mythologies, p. 97. 60 En fait la divinité Lune appartient à l’époque la plus ancienne ancienne du panthéon hittite. Elle est mentionnée parmi les divinités de Kultepe. Elle apparaît dans la Mythologie de l’époque vieille hittite. L’influence syrienne n’a fait que développer l’influence d’une divinité ancienne et donner une spécificité nouvelle. 61 G.Beckman, Hittite Birth Rituals, StBoT 29, p. 177.

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dans sa main le feu brûlant, dans l’autre main il a tenu tous les poignards. Il y a une connexion entre le dieu Lune et les mois de fertilité. Le texte précédent est mentionné lors d’un rituel de naissance. Un nombre important de noms contient le mot arma ; au premier siècle, le dieu Lune était honoré en Pamphylie, en Carie, en Cilicie. Mais il a perdu de son influence face au dieu lune Harran (KAYSERI § 16, SULTANHAN § 31). Dans l’iconographie, le dieu Lune est représenté comme la déesse hourrite Kušuh, avec des ailes et un couvre chef. La Lune de Harran a une grande popularité parmi différents peuples du Nord de la Syrie et des territoires adjacents. Le dieu Lune de Harran est populaire parmi les sémites. Dans son inscription, Barrakib de Samal l’appelle le Ba’al de Harran. Un admirateur de la Lune de Harran était le roi babylonien Nabonidus, le fils d’une prêtresse de ce dieu. Et on relève une tentative pour élever ce dieu à la tête du panthéon, à la place de Marduk (chute de Nabonide). La Lune de Harran est un exemple d’hénothéisme. Le culte du dieu Lune disparut seulement à l’époque de l’islam. A Kululu 5, le dieu Lune est associé au dieu Soleil. La Lune évoque donc la partie nocturne de la journée, le Soleil la partie diurne : Tarhunzas, Hipitas, [Ea], Kubaba, Sarrmas de Haran, Alasuwas, dans la cité de Harmana, le dieu Lune de Harran, le dieu Soleil (Hawkins,

2002, p. 485). Il en va de même à Tell Ahmar 2, où on lit : Tarhunzas du ciel, Ea, le Roi, le dieu Matilis, le dieu Lune de Harran, le Soleil très honoré, … (§ 2 Hawkins, 2000, p. 228).

Le dieu Lune peut également être associé à Tar hunzas comme à Alep 2, où Tarhunzas du ciel et le dieu Lune de Harran courent devant le roi, c’est-à-dire assurent sa protection. 236

Sa présence à côté du dieu de l’Orage céleste permet de penser qu’il renvoie au monde souterrain. Associé à Kubaba, il écrase les yeux de celui qui voudra du mal à Sipis et il dévore les pieds et les mains. Il peut aussi empaler le coupable : Le dieu Lune de Harran doit le poser sur sa corne, Kubaba de Karkémis doit l’attaquer par derrière, puissent les dieux de Atahha le manger totalement, les dieux du ciel et de la terre, les males et les femelles ! (Sultanhan, § 31-34, Hawkins, 2000, p. 466-467). Runtiyas Au deuxième millénaire, il existe deux grandes catégories de dieux KAL, les KAL de la nature sauvage, placés sous la direction d’Inara et les dieux de la nature civilisée sous l’autorité de Télipinu. Cette dernière catégorie comprend les dieux agraires et les dieux fondateurs. La divinité KAL est représentée sous les traits d’un homme avec des yeux d’or. Portant une lance et bouclier, elle se tient dressé sur un cerf. Au 1er millénaire, Savas a montré que le dieu de la nature sauvage est écrit avec le signe désignant le cerf ou l’antilope62. Il porte d’abord le nom de Kurunta, puis celui de Runtiyas. Le nom de personne de Runtiyas est fréquent ; il est porté notamment par ceux qui détiennent l’autorité. Le fait qu’un roi ou un despote porte ce nom suggère que Runtiyas, relevant de la nature sauvage, est associé à la fondation. Ainsi dans l’inscription de Karatepe 1, Tarhunzas et Runtiyas sont derrière le roi quand il a construit la forteresse. (§ XL ; Hawkins, 2000, p. 53; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 97-98). Si la présence du dieu de l’Orage du ciel bâtisseur est attendue, celle de Runtiyas est plus étonnante et rappelle qu’il n’existe pas de rupture entre le monde civilisé et le monde sauvage.

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Savaú, Anadolu (Hittit-luvi) hiyeroglif yazılarında geçen tanrı, úahııs ve co÷rafya adları. Divine, Personnal and geographical Names in the Anatolian (Hittite-Luwian) Hieroglyphic inscriptions, Istanbul, 1998, p. 29 s.

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Inversement, au second millénaire, Télipinu, le dieu de l’espace civilisé entretient des relations étroites avec le monde sauvage. Runtiyas, divinité du monde sauvage, fournit les animaux sauvages au chasseur (voir Inscription de Bohça § 4 f : « Je suis pieux à l’égard de Runtiyas, ici il me donne les animaux. »). Le dieu Runtiyas est souvent mentionné dans les textes. Curieusement de la part d’une divinité du monde sauvage, Runtiyas peut être en relation avec les lois, le monde agraire et la souveraineté63 : Runtiyas de la loi ? et Runtiyas des champs m’ont fait un JUDEX (Woudhuizen, Selected Luwian, p. 7564). D’autres divinités appartiennent à la catégorie de dieux KAL de la nature sauvage, sans qu’on puisse préciser leurs fonctions. La déesse Huwassana est aussi mentionnée, ainsi que la déesse tutélaire exaltée KAL sarlaimi. Šauška/Ištar Cette divinité de la campagne sauvage appartient aussi à cette catégorie. Elle est mentionnée au deuxième millénaire dans les panthéons hittites, parfois entre les groupes de Télipinu et les dieux du combat, parfois parmi les dieux de la nature sauvage ; cette divinité apparaît comme une divinité KAL associée à la fécondité. Ainsi, dans le panthéon « hourrite » de Yazılıkaya, Ištar, qui a les caractères d’une divinité masculine, est placée à côté d’Ea. En tant que divinité de la nature sauvage, elle est placée dans le cortège des divinités féminines. Dans le royaume de Melid (Malatiya), on honore les divinités Tešub et Šauška. Les Hourrites, grands éleveurs de chevaux, mettaient leur déesse Šauška en relation avec le cheval. A la suite, Kamrušepa, Aškasepa, Maliya et Pirwa sont en relation avec les chevaux. 63

A l’époque hellénistique et à l’époque romaine, on relève la même évolution de Dionysos, qui devient le dieu protecteur du roi (V.Faranton, « Réflexions sur un extrait d’Arrien traitant de Dionysos fondateur » Actes du colloque sur la fondation, Paris, mars 2011 (publication en cours). 64 Autre lecture de J.D.Hawkins, 2000, p. 263.

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A Malatiya, la reine est représentée devant la déesse Ištar montée sur des oiseaux. Il s’agit ici de la divinité de la campagne sauvage. Le roi Sumeli verse une libation devant quatre dieux. On distingue le dieu de l’Orage du ciel, le dieu Lune, le dieu Soleil, Ištar. A Karkémiš la déesse est représentée nue, debout, soutenant ses seins. Il s’agit de la divinité de la fécondité, avec un bonnet à corne et deux rubans tombant sur les côtés. On connaît aussi deux divinités dressées sur un lion accroupi. Une des divinités est pourvue d’ailes. Il peut s’agir d’Ištar mais plus probablement du dieu lune. L’association du Soleil et de la Lune traduit une influence hourrite.

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Les divinités agraires On peut distinguer d’abord : La divinité du vin DEUS VITIS (Karatepe § LIII ; Hawkins, 2000, p. 55 ; Woudhuizen Selected Luwian, p. 99 ; Karkémis A 2, § 7 ; Hawkins, 2000, p. 109 ; correspond à Tipariya selon Karkémis). La divinité du grain BONUS DEUS (Karatepe § LIII ; Hawkins, 2000, p. 55 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 99 ; Karkémis A 11a § 9 ; Hawkins, 2000, p. 95). Il s’agit de deux divinités liées au monde agraire. Elles appartiennent à la sphère de la nature civilisée. Elles sont associées à la fondation, car, traditionnellement chez les Hittites, la richesse agraire est l’expression de la légitimité du roi et sa fonction première consiste à permettre l’abondance agraire. On connaît également le dieu HORDEUM Matilis, qui a été interprété comme le « dieu de l’Orge », peut-être le compagnon du dieu du grain. L’association du dieu de l’Orage et du dieu du grain rappelle les liens entre Halki et Immarni et non celle de Maliya et de Télipinu (cf. Hawkins, 2000, p. 241). Curieusement, dans les inscriptions, elles sont associées au combat. Elles écartent les fléaux qui pourraient menacer le vignoble (Bor, § 11 ; Hawkins, 2000, 520). Elles remettent au roi la prospérité et la victoire. Sultanhan : Et Tarhunzas du vignoble a donné (à) Wasursamas, [ ] roi, un courage puissant, et pour lui il place les ennemis sous ses pieds (§ 8-9 ; Hawkins, 2000, p. 466 ; Woudhuizen Selected Luwian, p. 86 ; On connaît aussi un Tarhunzas de la vigne ou du vignoble, qui pourrait désigner le dieu Télipinu du second millénaire. Ainsi à Bor on mentionne un Tarhunzas de la vigne (Hawkins, 2000, p. 518-521) : Je (suis) Warpalawas, le roi de Tawana, le législateur, le Héros, [Muwa]ha [ranis ? le fils du législateur ?. Tandis que moi-même j’étais le fils de la maison, j’ai planté un vignoble et [j’ai dressé] ce Tarhunzas du vignoble. [Pour moi] il marchera très bien (il sera favorable) et ici, cette

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année, il viendra [pour moi]. A moi il donnera 100 mesures [de. et cent mesures] de vin. L’année où je suis devenu roi ?, [cette année] il a mis [les ennemis] sous mes pieds et Tarhunzas et à moi puisse-t-il me donner de longs jours !

A Sultanhan l’installation de la statue du Tarhunzas de la vigne est associée à la mise en place d’un rituel de fondation : J’ai dressé la statue de Tarhunzas de la vigne (§ 2 ; Hawkins, 2000, p. 465 ; Woudhuizen Selected Luwian, p. 86). Le dieu de l’Orage du vignoble Le dieu de l’Orage de la vigne est associé à la protection du royaume. Il fournit au roi l’arme qui permet de vaincre les ennemis. Le contexte indique clairement qu’il s’agit du dieu de l’Orage du vignoble. Le roi plante un vignoble, il dresse la statue du dieu de l’Orage du vignoble, le dieu apporte son aide au roi et lui fournit une bonne récolte ; il met sous ses pieds les ennemis, on lui demande de fournir au roi une longue vie. Ces différentes fonctions sont celles de Télipinu au second millénaire, comme on le voit par exemple dans la Prière de Muršili II à Télipinu. Toutefois, dans la même inscription, Tarhunzas peut désigner le dieu de l’Orage du ciel en raison de sa position en tête des divinités citées : (§ 30-35, Hawkins, 2000, p. 466-467) : Tarhunzas, Kubaba de Karkémis, le dieu Lune, les dieux de ATAHA, les dieux du ciel et de la terre, les dieux mâles et les dieux femelles puissent-ils attaquer celui qui volerait du vin dans le vignoble sacré L’établissement de la statue du dieu est associé à la fondation d’un culte comme à Sultanhan (§ 2 Hawkins, 2000, 465 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 86). Comme sacrifice annuel à lui (à Tarhunzas du vignoble) on fera le sacrifice de deux moutons (§ 29 ; Hawkins, 466, Woudhuizen, Selected Luwian, p. 88).

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A Maraú, on rencontre la même thématique appliquée à Tarhunzas : Et à lui (Tarhunzas) j’ai fait une statue et pour lui deux moutons gras j’ai brûlés ? et un bœuf à lui j’ai offert, et à lui comme sacrifice annuel… (Mars 3 § 3-6 ; Hawkins, 2000, p. 268).

A Sultanhan, la même divinité reçoit le nom de Tarhunzas sans hypostase : au § 22. Tarhunzas fera croître ce vignoble et il produira 1000 mesures de vin. Tarhunzas permet au roi de boire dans le vignoble. Inversement, il interdit l’accès de la vigne à toute personne hostile qui voudrait boire dans la vigne. Tarhunzas a pour propriété d’écarter de la vigne toute menace. Ces divinités ont été interprétées de différentes manières : Le fait que le dieu Tarhunzas du vignoble soit désigné par le terme Tarhunzas a conduit à voir en lui un dieu de l’Orage du ciel, qui aurait des attributions agraires. On sait qu’au deuxième millénaire, dans le Mythe du dieu de l’Orage, ce dernier remet au roi les biens agraires. Par ailleurs, plusieurs des hypostases du dieu de l’Orage mettent en évidence les liens de celui-ci avec le monde agraire : dieu de l’Orage du bétail, dieu de l’Orage de la croissance, dieu du mûrissement des vignes, dieu de l’Orage des champs. Mais il est, par ailleurs, le dieu de l’Orage des prairies et le dieu de l’Orage de la steppe. Ceci implique que son activité, associée sans cesse à la pluie qu’il répand, ne nécessite pas de sa part d’activités agricoles spécifiques propres au paysan. Par ailleurs, en tant que dieu souverain, il assure la fertilité du blé et de la vigne qui constituent les symboles de la civilisation agraire, donc de sa structure politique. Etant dieu souverain, il est naturel que le dieu de l’Orage du ciel soit associé au blé et à la vigne qui sont les symboles de la royauté. Toutefois, dans le contexte de Sultanhan par exemple, les caractères prêtés au dieu de l’Orage du vignoble relèvent de sa double nature. Il est le dieu du ciel, et à ce titre, dispense l’eau fécondante sur la terre. Il est un dieu chtonien et tire le vin et le 242

blé du sous-sol (§ 14-15 ; Hawkins, 2000, p. 465-467 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 87) : Aussi Tarhunzas a apporté son aide à Sarwatiwaras, le serviteur de Wasusarma, et avec bienveillance65 il (Tarhunzas) viendra du ciel et le blé sortira du sous-sol, et la vigne.

Par ailleurs, il semble que, dès le second millénaire, DU, DIM puissent être utilisés pour désigner le dieu agraire Télipinu. Dans ces conditions, le dieu de l’Orage de la vigne et du blé peut désigner le dieu agraire Télipinu. - On a pu voir aussi, dans le dieu de l’Orage du vignoble, une divinité souterraine, le dieu Santas. Mais ce dernier n’est ni un dieu chtonien, ni un dieu paysan. - L’hypothèse la plus vraisemblable consiste à voir dans le dieu de la vigne le dieu Télipinu. Le dieu de l’Orage de la vigne présente tous les caractères du dieu Télipinu, qui occupe une place essentielle au second millénaire : il s’agit d’un dieu de l’Orage, qui peut être désigné par l’appellation DU ou Tarhunt au second millénaire66. Il cultive la vigne et le grain, en tant que dieu de l’Orage et dieu protecteur, il fournit l’arme victorieuse au roi. On observe que cette particularité qui est mentionnée dans la Prière de Muršili II à Télipinu se retrouve dans le dieu de l’Orage de la vigne et qu’elle a été étendue au dieu de la vigne et au dieu du grain. L’examen du relief d’Ivriz semble confirmer que le dieu de l’Orage, qui porte ici le nom de Tarhunzas, est le dieu agraire et fondateur Télipinu. Il est associé à la production du blé et de la vigne, portant à la ceinture deux grappes de raisin, dans la main gauche une troisième grappe, et, dans la main droite, un épi de blé. La représentation du dieu de l’Orage d’Ivriz est conforme à la description du dieu de l’Orage de la vigne figurant à 65

F.C.Woudhuizen traduit « et la pluie viendra du ciel ». Nous préférons voir dans wasunata un adverbe dérivé de wasu/a « bon » 66 R.Nicolle, « A propos du dieu de l’Orage dans CTH 726.1, i, » Mélanges Freu (en cours de publication).

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Sultanhan. On peut donc en déduire que le dieu de l’Orage d’Ivriz est le dieu de l’Orage de la vigne67, assimilable en tout point à Télipinu. Comme dans le Mythe de Télipinu le dieu tend au roi les biens agraires nécessaires aux cultes et donc à la prospérité du royaume.

Ivriz Le roi Warapalawas reçoit du dieu Tarhunzas de la vigne (Télipinu) les biens agraires. Musée archéologique d’Istanbul.

La scène représentée figure sur un relief de six mètres de haut, qui est situé à la limite du Nord du Taurus, à côté d’une source jaillissante. On sait que l’eau courante est étroitement 67

Déjà relevé par J.D.Hawkins, 2000, p. 468.

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associée au dieu Télipinu. Le roi Warpalawas, roi de Tuwana (Tyane), est en tête à tête avec le dieu de l’Orage, placé sur un rocher, expression de la souveraineté68. La puissance du dieu est suggestive ; il porte une arme à la ceinture, qui constitue un des attributs traditionnels du dieu. Le roi Warpalawas est richement vêtu, en habit sacerdotal69, expression de la richesse du royaume. La dédicace est la suivante : « Ceci est le grand Tarhunza de Warpalawa, pour lui pose le grand SAHANA ?. Ceci (est) l’image de Warpalawa, le héros Tiyawartus a inscrit l’image de Warpalawa aimé ».

Tous les traits évoqués ici sont conformes à l’image de Télipinu et à ses relations avec le roi hittite au second millénaire. Le dieu plante la vigne d’où l’on tirera le vin destiné aux libations. Le dieu du vignoble remet au roi, comme Télipinu dans la Prière de Muršili II à Télipinu, l’arme qui permet de vaincre les ennemis. Cette fonction dépasse les fonctions spécifiques d’un dieu agraire. Elle relève de celles d’un dieu protecteur.Enfin, comme dans le Mythe de Télipinu, il enracine la fondation en donnant de longs jours au roi70. A l’appui de cette thèse on se reportera à Maraú 1 où le dieu Tarhyunzas pourrait être un Télipinu fondateur en raison du contexte et de la présence d’Ea : J’ai rétabli les emplacements dévastés. J’ai renforcé ( ?) les fondations ( ?) par l’autorité de Tarhunzas (=Télipinu) et d’Ea (Maraú 1 § 5 ; Hawkins, 2000, p. 263).

68

Voir Yazılıkaya. Les dieux souverains et le roi Tudhaliya se dressent sur un rocher. 69 Le roi apparaît sous le nom d’Urballa dans les Annales de Tiglatpileser III (5745-727). 70 Mythe de Télipinu, Première version, A IV 25-26.

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Les divinités de la fondation Outre les dieux souverains qui remettent le pouvoir au roi hittite et enracinent le royaume en donnant de longues années au roi (voir infra), on relève, dans les inscriptions néo-hittites, plusieurs divinités associées à la fondation. Nous examinerons tout d’abord la fonction de la divinité Ea, un des grands dieux mésopotamiens, créateurs du monde. En Mésopotamie il exerce des fonctions bien précises : il représente l’eau, la sagesse et la construction. Il fixe les proportions du temple, il jette les fondations (Falkenstein, 1964, p. 44-45 et 109 ; Bernhardt-Kramer, 1959-60, p. 231, 237-238, 245 ; Bottero-Kramer, 1989, p. 202). En Anatolie, les Hittites ont essentiellement fait de lui un dieu bâtisseur. On le voit construire les murs (CTH 413 : KBo IV 1+, Ro 32), en tant que dieu de la sagesse. Dans le monde anatolien, Ea est également une divinité des eaux, comme on le voit, par exemple, dans le texte intitulé Fête pour les dieux protecteurs de la rivière (CTH 684 : KUB LI 79 et dupl.; McMahon, 1991, p. 198-203). Dans ce texte, Ea et son cercle (Damkina, Mati, Nabu, Hazzizi, NISABA) sont honorés avec des divinités qui sont en relation avec les eaux courantes (rivières, sources, canaux d’irrigation). Introduit à Hattuša par l’intermédiaire des cultes hourrites, Ea est honoré dans quelques cultes de tradition hatti-hittite (Archi, 1993a : 31-32). Ea a été intégré en Anatolie dans le cercle de Télipinu fondateur, dès l’époque de Šuppiluliuma I jusqu’à la fin de l’empire hittite (Archi, ibid. : 28). L’intégration de Ea dans le cercle fondateur de Télipinu a sans doute été grandement facilitée par sa présence régulière à côté de Kumarbi (=Halki) dans les listes divines d’origine hourrite (Archi, ibid.: 30-31) par ses liens avec le monde souterrain dans la religion hourrite et aussi par ses affinités avec les eaux. Dieu fondateur, il se substitue à Télipinu dans les listes divines. Déjà à Yazılıkaya, c’est le dieu Ea qui représente le cercle fondateur du dieu. Au premier millénaire Ea joue un rôle important. Il semble être le dieu protecteur de la ville de Tell Ahmar où il est appelé

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le Roi. On peut aussi supposer que cette épithète traduit une influence mésopotamienne : Moi, comme un [enfant ?, le dieu céleste Tarhunzas] Ea, le Roi, Le dieu bienveillant, Matilis ?, le dieu Lune de Harran, le très ? honoré ? [dieu Soleil], le dieu [ ], Kubaba [ ], à moi ils ont donné mon pouvoir paternel (§ 2 ; Hawkins, 2000, p. 228).

On constate que, comme ici, il est fréquemment mentionné, à côté de Tarhunzas dans les textes.A Maraú 1§ 5, il est possible que le Tarhunzas mentionné soit le dieu Télipinu (voir précédemment). Mais Ea peut être aussi associé à Kubaba, une autre divinité de la fondation. Ainsi à Kululu 5, Ea et Kubaba sont placés à la suite du couple souverain Tarhunzas et Hiputas (Hépat), luimême suivi de [Ea], Kubaba, Sarmas de Harran, Alasuwas, le dieu Lune de Harran, le dieu Soleil (§ Hawkins, 2000, p. 485). Même à Çiftlik, Ea est associé à Kubaba : « Ici Tarhunzas et Hépat sont assis, ici Ea et Kubaba sont assis, Sarruma et Alsuwas sont assis » (§ 9, Hawkins, 2000, p. 449). Le fait qu’Ea soit dissocié de Tarhunzas suggère qu’il est doté ici de sa fonction traditionnelle de fondateur, ce que renforce la présence de Kubaba, elle-même divinité protectrice de Karkémis. La déesse Kubaba On estime souvent que la déesse a été empruntée à la Syrie à une date ancienne. De fait, Kubaba est déjà mentionnée dans les textes sumériens de la dynastie de Kish (2500-2320, sous le nom Kug-Bau. Kubaba est la seule reine dans la liste sumérienne des rois. Elle est déjà mentionnée dans les textes anatoliens de Kaneš, qui date du XVIIIe siècle). Kubaba était la déesse protectrice de Karkémis dès le second millénaire. Son nom apparaît pour la première fois dans Les Deeds de Šuppiluliuma. Elle joue un rôle secondaire dans le panthéon 247

d’Etat. Au premier millénaire, son culte se répand en Asie mineure en raison de la place que joue Karkémis à cette époque. Dans les inscriptions néo-hittites du premier millénaire, elle est souvent associée au dieu de l’Orage du ciel mais on doit écarter l’idée qu’elle est la parèdre de ce dieu71. C’est à l’époque phrygienne seulement qu’elle devient la déesse-mère. Elle est alors assimilée à la déesse Hépat72. Mais à l’époque néo-hittite, elle apparaît comme distincte de cette dernière. Kubaba apparaît souvent dans les textes comme une divinité poliade. En tant que divinité protectrice, elle protège la maison et la cité. Ainsi à Kayseri : Je suis le fils de PN1 PN2, le Héros, le serviteur de Wasusarmas. Ce dieu de l’enceinte. [ ] j’ai placé. Celui qui jette les yeux sur les [ ] maisons ou il [ ] la cité, que Tarhunzas le frappe avec sa hache, puissent les dieux Maruwanean et Nikaruha et pour lui [ ] et pour lui ils viendront de leur trône et Kubaba l’attaquera par derrière et puissent les dieux de ATALA le manger... Et pour lui puissent le dieu Lune de Harran TARPI avec son KIPURA... (Hawkins, 2000, p. 472473). Comme le dieu de l’Orage, elle intervient dans les conflits qui opposent les souverains et elle communique sa force à son protégé (Karkémis A 4 b) : Ura-Tarhunzas, le roi, le puissant Tarhunzas et Kubaba donnèrent un puissant courage et du fait de (son) puissant [courage] il résoud le litige (A 4b § 5-6 ; Hawkins, 2000, p. 80). A l’époque romaine, sa lointaine descendante, Cybèle, sera assimilée à Vesta, la divinité du foyer. A l’époque néo-hittite, la déesse Kubaba est chargée de veiller sur la maison et la cité. Mais, comme divinité du monde civilisé, elle peut recourir à la justice et faire un procès au coupable, comme Karhuhas (Karkémis A 14 b), ce qui est l’expression d’une société qui porte l’empreinte de la civilisation. 71 72

(contra R.Lebrun, RANT II, p. 422). Voir E.Laroche, « Koubaba, déesse anatolienne et les problèmes de l’origine de Cybèle », in Eléments orientaux de la religion grecque ancienne, Strasbourg, Paris, 1960, 117-125.

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Celui qui efface mon nom, contre lui puissent Karhuhas et Kubaba faire un procès (§ 9 Hawkins, 2000, p. 86) La déesse, dans ce cas, renonce à la violence qui la caractérise et la rattache au monde sauvage73. On connaît le jeune chien de Kubaba chargé de protéger l’enceinte. Kubaba frappe cruellement les coupables et, comme Tarhunzas, elle semble dotée d’une force exceptionnelle qu’elle joint à la ruse. Elle attaque par derrière. Son chien poursuit le coupable et le dévore. Elle peut elle-même dévorer également ses victimes (infra). Puissent le chien Hasami de Kubaba, le AMURA de Tuwati le poursuivre, puisse Hasami-Paratami le manger (lui) et sa propre personne (Kululu 1 § 11-12, Hawkins, 2000, p. 443). Karkémis A 13 a-c § 5 : (celui qui efface le nom) puisse Kubaba le dévorer » (Hawkins, 2000, p. 168). Comme divinité liée à la fondation, elle est associée à Karhuha, une divinité de la guerre. Dans un relief de Karkémis, elle est souvent représentée assise portant un miroir et une grenade. Son siège est placé sur un lion ou un léopard.

73

Un parallèle peut être établi entre Kubaba et Télipinu. Dieu fondateur, il entretient, lui aussi, des relations avec le monde sauvage.

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Karkémis, La déesse Kubaba assise sur un trône se trouvant sur le dos d’un lion ou d’un léopard, IXe siècle. Ankara, Musée archéologique.

Elle peut être représentée debout, dans une longue robe, son jeune compagnon Karhuha (divinité de la guerre) placé sur ses genoux. Le nom de celui-ci est écrit phonétiquement mais, dans une inscription, il reçoit le signe du dieu protecteur. Kubaba 250

semble appartenir à la catégorie des divinités KAL. Sur une stèle de Malatya, Kubaba est placée sur un cerf, ce qui dénote une divinité KAL, et Karhuha sur un lion, qui semble une divinité guerrière. L’association de ce dernier avec les dieux de la fondation rappelle la présence de Hašamili, une divinité du combat, dans le cercle fondateur de Télipinu au deuxième millénaire. A Maraú, Kubaba est assise. Sur ses genoux se trouve une divinité de petite taille, qui lui est subordonnée. Il s’agit peutêtre de Karhuha. Sur l’autel se trouvent des aliments destinés au sacrifice. A Berut, Karhuha et Kubaba sont associés à Santas, le dieu de la mort. Le dédicataire, qui porte le nom d’Iya (Ea), se présente comme le serviteur de Santas. Kubaba est représentée avec un miroir et une grenade, symbole du monde souterrain. On connaît les liens entre la fondation et le monde souterrain. Ainsi, au second millénaire, Télipinu est couramment associé à Lelwani. Le culte dont était dotée Kubaba était sans doute important. On évoque le prêtre de Kubaba dans Karkémis A 4 b § 6 (Hawkins, 2000, p. 80). Tous les caractères relevés précédemment rapprochent manifestement Kubaba à la grande déesse indo-européenne, qui se retrouve sous les traits de la déesse Athéna dans le panthéon grec74. Les dieux de ATAHA et les dieux ARMALI Ces dieux sont chargés de protéger une partie de la maison. Ils sont mentionnés à Kayseri (Hawkins, 2000, p. 473). Comme Kubaba, ils dévorent l’intrus - ils se comportent donc comme la déesse ou le chien de Kubaba dans Kululu 1. Mais ils agissent en groupe comme les Damnaššara ou les Šalawaneš au second millénaire : Le dieu Lune de Harran le posera sur sa corne, Kubaba de Karkémiš l’attaquera par derrière, puissent les dieux de Atahha le manger totalement, les dieux du ciel et de la terre, les males 74

R.Nicolle (communication personnelle, le 10 novembre, 2011).

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et les femelles ! (Sultanhan, § 30-34, Hawkins, 2000, p. 466467). Il s’agit de divinités chargées d’assurer la protection de la maison, probablement des divinités KAL, qui veillent avec bienveillance sur la maison75, puisqu’elles sont associées, comme d’autres divinités ailleurs, avec un verbe signifiant détruire ( le verbe ta-w/i-sa-a-na semble signifier détruire). A Kululu 5, ils sont associés au dieu Armali, chargé de la protection de la maison. Puissent les dieux de ATAHA manger son cœur ! Puissent le Armali le détruire ; … et lui qui protège la maison avec bienveillance (§ 1113 ; Hawkins, 2000, p. 486).

On soulignera qu’au second millénaire, comme au premier, les divinités de la fondation entretiennent des liens étroits avec le monde agraire et le monde souterrain. Ainsi, à Ivriz, le dieu de la vigne conforte l’autorité du roi Warpalawas en lui donnant une grappe de raisin. Il fait ainsi du roi le garant des sacrifices. Dans l’inscription de Karatepe, le dieu du grain et le dieu de la vigne sont dotés d’une forteresse. : « Que cette forteresse devienne celle du dieu grain et du dieu de la vigne » (§ LIII ; Hawkins, 2000, p. 55). En tant que dieu KAL, les dieux agraires protègent le bâtiment mentionné. Les dieux du combat Outre Karhuha, associé à la déesse Kubaba et chargé de protéger la fondation, on relève le dieu Santa. Le rituel de Zarpiya, au deuxième millénaire, met en évidence le fait qu’il s’agit d’un dieu guerrier. L’intitulé et le colophon précisent l’occasion du rituel76 : 75

76

Pour J.D.Hawkins les Armali sont des agents du culte (Hawkins, 2000, p. 487). Les traductions sont empruntées à E.Laroche, Un syncrétisme grécoanatolien : Sandas – Héraclès, Les syncrétismes dans les religions grecques

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Quand l’année est gâtée, et qu’il y a la peste dans le pays, on agit ainsi : On tente d’écarter le mal en adressant le sacrifice d’un bouc à Sandas et à ses acolytes les innarawantes.

Le passage le plus significatif est le suivant : On amène un bouc et le maître de la maison le sacrifie à Sandas, devant la table, avec une libation de vin. On brandit une hache de bronze et on parle ainsi : « Holà Sandas ! Et qu’avec toi, viennent aussi les Violents, ceux qui sont revêtus de robes sanglantes – ceux qui sont liés par des cordons de bédouins – ceux qui ont un poignard à la ceinture, qui tirent à l’arc et portent des flèches ! Venez manger ! ». E. Laroche en conclut que Santas est « un être belliqueux, maléfique, terroriste » ! Par ailleurs, comme le faisait remarquer l’auteur, son nom est issu de sai- « être en colère »77. Le terme signifie littéralement « avoir de la rancoeur ». Or, tous les dieux peuvent éprouver de la rancœur. C’est le cas de Télipinu dans son mythe. Mais dans le cas de ce dieu, la rancœur est occasionnelle et ne se traduit pas nécessairement par la violence. On sait que la première réaction du dieu est de s’éloigner de son temple. Il est le dieu du combat rapproché et s’oppose, de ce point de vue, à Kubaba, qui évoque le combat fondé sur la ruse. Il est associé à Iyarri et aux divinités Marwainzi « les divinités sombres », équivalant aux hittites innarawantaes mentionnées dans le Rituel de Zarpiya (Hawkins, 2000, p. 490). Au premier millénaire il semble qu’on n’ait pas retenu en priorité ce caractère maléfique. Santas protège ses fidèles. Il est terrifiant pour ses ennemis, mais généreux à l’égard de ses amis, au service desquels il met sa force protectrice. Cette faculté permettra le rapprochement entre Santas et Héraclès. A et romaines, série Strasbourg – Institut –Histoire des Religions, Paris, 1973 p. 103-14. Nous commentons cet article à plusieurs reprises dans la suite du texte. 77 Mazoyer, Télipinu, p. 95-96.

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KULULU 2, associé aux divinités Marwainzi, il est invoqué pour protéger la stèle d’un certain Panunis. L’évocation de la mort du dédicataire est destinée à mettre en évidence sa piété pour Santas : il est mort alors qu’il offrait un banquet cultuel à Santas. Ainsi, sa tombe est placée sous la protection de Santas et des Marwainzi. Kululu 2 : Je suis Panunis, le Prince béni du Soleil. Pour moi, mes enfants ont fait ici un document. Sur mon lit, en buvant et en mangeant à côté du dieu Santas je suis mort ; Et le ? de KAWARI m’a ZARUMATA… Celui qui me troublera qu’il soit un grand homme, ou un petit homme ou un homme, pour lui que les dieux Marwainzi de Santas s’emparent du mémorial et pour lui qu’ils installent leur sceau sur cette maison ». (La traduction de Hawkins par « attaquer » doit être corrigée ; § 6, Hawkins, 2000, p. 488). Beirut : Je (suis) Iras, le serviteur favori de Santas. Moi, mon seigneur S[antas… contre lui [puissent] les dieux Karhula et Kubaba et Santas [… (§ 1-3 ; Hawkins, 2000, p. 553).

Les deux textes montrent l’orientation nouvelle que semble prendre le dieu Santas, dont le roi est le serviteur favori et qui devient son compagnon lors d’un banquet convivial. Le fait que Santas ait survécu jusqu’à l’époque hellénistique est connu depuis longtemps. Cette divinité a été identifiée avec Héraclès par les Grecs et les Araméens, avec Baal de Tarse, avec Hata par les Lyciens. Santas et ses assistants Marwainzi étaient connus en Lydie. Les Marwainzi sont associés à Iyarri et

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assimilés à Héraclès à Tarse78. Chez les Hittites, il s’agit d’un dieu du combat. Ainsi se dégagent les grands traits qui définissent le dieu Santas ; il est un dieu de la troisième fonction (la deuxième fonction dumézilienne)79, il ne saurait être une divinité agraire ainsi qu’il apparaît à l’époque romaine80. Dès lors se pose la question de l’évolution apparente de cette divinité, qui a souvent été mal interprétée (infra). A ERKILET 2 (§ 1 ; Hawkins, 2000, p. 494) Santas se présente sous la forme Marutika. De façon analogue, Marduk est identifié avec Santas dans le rituel de Zarpiya du second millénaire (StBoT 30, p. 50, 53). Rien ne permet d’affirmer que Santas, dans ce cas, soit doté des caractères du dieu mésopotamien. Les éléments naturels divinisés La Montagne On connaît l’importance de la Montagne dans la religion hittite : Les Montagnes, comme il a été indiqué fréquemment, ont des liens étroits avec la royauté, dont elles assurent l’enracinement et la prospérité (Otten, 1967 : 238 ; Archi, 1975a : 93-94 ; Gonnet, 1992 : 202 n. 20). On connaît aussi la montagne sur le plan économique. Elle fournit un grand nombre d’éléments utiles à la fondation, notamment la charpente et le mobilier. La cueillette, la chasse et la pêche fournissent un apport essentiel à l’alimentation. La transhumance des animaux d’élevage représente aussi un élément fondamental de la vie économique. Par ailleurs, la montagne est étroitement associée aux eaux courantes. Quoi qu’il en soit, l’homme ne peut prélever les richesses de celle-ci qu’avec l’accord des dieux. La 78

M.Hutter, Luwian religion, p. 229 ; C.Melchert, « Tarhuntassa in the Südburg, Hieroglyhic Inscription », in Yener and Hoffner, 2002, 243 s. 79 Les dieux de la troisième fonction dumézilienne, la fonction économique, sont placés dans les listes divines connues par les textes hittites en deuxième position. 80 E.Laroche, « Sandas », p. 103-114.

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prospérité de la montagne est mentionnée à Bulgarmaden, où elle est garantie par Tarhunzas et Kubaba (§ 4. Hawkins, 2000, p. 523). Tarhunza qui envoie l’eau du ciel assure une végétation luxuriante. On le voit en particulier dans le Mythe du dieu de l’Orage et le Mythe de Télipinu au deuxième millénaire. Kubaba, en tant que divinité chasseresse, pourrait assurer la richesse de la montagne en animaux. A ce titre, la montagne a un aspect économique essentiel pour la fondation. C’est sur la montagne qu’on va chercher la pierre et le bois indispensables pour la fondation. Plusieurs rois du second millénaire portent des noms de Montagne, comme les rois Ammuna et Tudhaliya. A l’époque néo-hittite, les montagnes continuent de jouer un rôle important, comme dans l’inscription d’Hisarcik où la montagne Argée (Harhara) reçoit à 9 reprises le sacrifice d’une gazelle81. La même montagne est mentionnée à Tekirderbent 1, dans un contexte lacunaire (Hawkins, 2000, p. 498-499). La montagne Harga est fréquemment évoquée au 2e millénaire. Elle fait partie des montagnes sacrées. Ainsi, dans CTH 414, elle est mentionnée avec les montagnes Pentaya, Tudhaliya, Puškurunuwa (RGTC : 314, 88, 446 ; suppl. : 128) et peut-être à Hapid[duini ; Kellerman, 1980 : 105 ; RGTC : 82 ; suppl.: 27). La montagne Muti, qui est divinisée, joue un rôle important à Bulgarmaden (Hawkins, 2000, p.523). Warpalawas donne au tarwani Tarhunazas le mont Muti. La montagne est sacrée : « wa-mu-u DEUS.MOS-ti-na pi-ya-ta / et il me donna la montagne divine Muti. » Selon le texte, la montagne est florissante grâce à Tarhunzas et à Kubaba. La présence de ces divinités sur la montagne ne nous étonne pas. Tarhunza et Kubaba sont les deux divinités associées à la souveraineté. Le dieu Runtiya permet au roi de chasser sur la Montagne les animaux sauvages. Les textes connaissent également le dieu de l’Orage aratali. (Il s’agirait selon Melchert du dieu de l’Orage

81

Pour le deuxième millénaire on évoquera La fête d’automne de Télipinu, une fête de (re)fondation, qui se déroule également tous les neuf ans et dont une partie est célébrée sur une montagne sacrée (M. Mazoyer, La vie cultuelle du dieu hittite Télipinu, Paris, 2011, p. 25-74).

256

de la montagne82). Le dieu est évoqué dans Kululu 2 pour écarter un agresseur éventuel (§ 10 ; Hawkins, 2000, p. 443)83. Les rivières On connaît l’importance de l’eau courante dans la religion du 2e millénaire. Les temples sont construits près d’une source. La maîtrise des eaux courantes constitue un élément clef de la mythologie hittite. A l’époque néo-hittite, cette importance ne se dément pas, comme le montre le titre « Le Roi de la rivière (FLUMEN.DOMINUS-ia)84 » servant à désigner un potentat local. On relève, par ailleurs, la mention des divinités de la rivière de Sakur (Katuwas, A 11bc § 25 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 67). On évoquera enfin le relief d’Ivriz, bâti à côté d’une source jaillissante. Le relief étant associé à l’évocation des biens agraires et à leurs liens avec la fondation, on n’est pas étonné de trouver l’association du relief avec l’eau courante. Les mêmes analogies se rencontraient au millénaire précédent. Les pays des rivières sont mentionnés dans l’inscription de Karatepe I : Et chaque pays de rivière commencera par l’honorer : tous les ans un bœuf, à la moisson, à la vendange, un mouton (§ XLVIII ; Hawkins, 2000, p. 5). Le Ciel et la Terre Ils semblent divinisés dans Cekke § 25-26. Celui qui détruira l’inscription sera châtié par les divinités citées (Tarhunzas du ciel, Karhuhas et Kubaba, la divinité du grain ?, Ea, la Lune et le Soleil) qui ne lui donneront pas l’abondance du Ciel et de la Terre. Il s’agit de biens agraires, le ciel envoie la pluie, la terre, la fertilité et la reproduction des plantes. Par ailleurs, ces dieux transforment la vie du pays en pierre (Cekke, § 23-28 ; Hawkins, 2000, p. 146 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 15). On sait qu’au 2e millénaire les 82

C.Melchert Cuneiform Luwian Lexicon, Chapel Hill, p. 27. On connaît aussi l’épithète artalasi « de l’artali ». 84 Par exemple Assur E § 24 ou Cekke § 10. 83

257

éléments naturels sont couramment associés aux listes des dieux témoins. Les dieux paternels Il s’agit sans doute des ancêtres divinisés. Ils assurent la transmission du pouvoir : A Maraú 1 nous lisons : Les dieux paternels85 m’ont aimé et ils m’ont assis sur le trône de mon père. (4 § 2 ; Hawkins, 2000, p. 263 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 75).

Les dieux males et les dieux femelles Ils occupent une place importante au deuxième millénaire. Ils sont des divinités secondaires associées à de grandes divinités, qu’elles assistent dans leurs activités. Ils apparaissent incidemment dans les inscriptions du premier millénaire. Les démons Dans l’iconographie, ils jouent un rôle important. Ils peuvent avoir pour fonction, comme au second millénaire, d’écarter les menaces qui pèsent sur le territoire. On mentionnera à Karkémiš le sphinx, se présentant sous la forme d’un lion ailé à deux têtes (Bittel, Les Hittites, p. 251, fig. 284). Ces personnages sont proches des Damnašara du second millénaire, mais le motif se trouve déjà au second millénaire. Un griffon agenouillé entre deux lions sert de base à la statue de Tarhunzas, roi de Mélid (Bittel, Les Hittites, p. 249, fig. 282). Le lion est souvent représenté, soit pour affirmer la valeur héroïque d’un personnage, soit dans une intention protectrice. Ces deux thématiques existaient également au second millénaire.

85

tatinzi est ambiguë. Il peut être traduit par l’adjectif « paternel », c’est le sens que nous avons retenu, ou être un substantif et « le père » et signifier que les dieux sont assimilés à des pères (Payne, Hieroglyphic Luwian, Elementa Linguarum Orientis 3, Wiesbasen, 2004, p. 86.

258

Le dieu Soleil de la terre est une divinité courante au deuxième millénaire, dans le panthéon hittite comme dans le panthéon louvite (tiyammassis Tiwad). Dans ce dernier cas, on a pu supposer qu’elle était originaire du Kizzuwatna (Taracha). Dans le rituel de Kuwatttalla, le dieu soleil de la terre et le dieu Soleil du ciel sont évoqués en même temps. La déesse Solaire de la terre, comme Lelwani, à laquelle elle est assimilée, est compétente pour délivrer le patient de toute injure et juron, et de toutes sortes de maux. Elle est donc liée à la purification. En tant que déesse des Enfers, elle ouvre et ferme les portes, comme on le voit au 2e millénaire dans le Mythe de Télipinu. Tous ces caractères la rapprochent de Télipinu, dans le cercle duquel elle est intégrée. Dans le panthéon hourrite, la déesse a été assimilée à la divinité hourrite Allani. A Topada et à Çiftlik la déesse Alasuwas (dernière forme de Allanzu) est associée à Šarruma (voir supra). La divine dame de la terre Il s’agit, sans doute, de l’équivalent de la déesse solaire de la terre (Lelwani). A Karkémiš, elle protège la stèle de Zahananis (Karkémiš A5a § 12-14). Le rôle des divinités Comme c’est déjà le cas au second millénaire, la collaboration entre les dieux et les hommes est indispensable à l’équilibre du cosmos, à la prospérité des dieux et des hommes. Déléguant l’administration du royaume au roi hittite, les dieux obtiennent des hommes des sacrifices indispensables à leur survie et répandent la prospérité dans le royaume. Cette bienveillance repose sur des liens privilégiés avec celui qui détient le pouvoir. Dans les inscriptions hittites, la bénédiction des dieux se traduit par l’image de ceux-ci qui se déplacent devant le roi. Les exemples sont nombreux. On citera par exemple Kululu 5 ou Babylone 1, où le dieu bienfaiteur court devant le roi ou le despote. Cette image dérive du deuxième millénaire, où le dieu est souvent présenté comme courant devant l’armée hittite. L’activité des dieux est multiple. Il 259

existe, dans ces conditions, une relation amicale entre le dieu et le roi ou le despote. Les dieux choisissent le roi et fondent son autorité. Ainsi dans Kululu 4 nous lisons : Les dieux ont posé en moi une âme aimée… Et moi je suis cher à mes seigneurs et ils m’ont fait gouverneur (§ 3, Hawkins, 2000, p. 245). Une thématique voisine se trouve dans la Prière d’un Mortel d’époque impériale : De même que je suis né dans le ventre de ma mère, ô mon dieu, posez la même âme en moi. Que les âmes de ma mère, de mon père et de la famille deviennent votre âme ». (Mazoyer, Hittite 2, 325).

Tarhunzas et Runtiyas permettent au roi d’exercer son autorité sur le territoire. En tant que dieu de la victoire, Tarhunzas lui a permis de récupérer les territoires perdus. Runtiyas, le dieu de la nature sauvage lui donne l’autorisation de chasser. Ainsi, dans l’inscription de Boxa, le roi déclare : Je (suis) Kurtis, le Héros, le fils de Ashwis86 ; le roi écouté de l’est à l’ouest. Ici je suis bien vu de Tarhunzas. Et il m’accorde de reprendre les territoires. Je suis bien vu de Runtiyas et il m’accorde de tuer les animaux sauvages (Bohça ; Hawkins, 2000, p. 479 ; Woudhuizen, Luwian Selected, p. 104).

A Maraú, Tarhunzas, associé cette fois-ci avec Ea, la divinité de la fondation, assure la prospérité du royaume : Et j’ai fondé les (endroits) dévastés et j’ai fait prospérer ces endroits par l’autorité de Tarhunzas

86

Ou le fils du Héros Ashwis. Voir Freu supra.

260

et d’Ea (Maraú 1 § 4-5 Hawkins, 2000, p. 262263 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 75 ).

Les dieux agraires garantissent la prospérité agricole. On se reportera notamment à l’inscription de Bor mentionnée précédemment. Le dieu évoqué ici a tous les traits du dieu agraire et fondateur Télipinu du second millénaire. Il fournit en abondance le vin et les céréales, symboles de fécondité agraire. Il permet ainsi les sacrifices. Il veille à donner au roi de longs jours, c’est-à-dire de longues années, ce qui assure la pérennité du royaume. Il lui confie l’arme victorieuse. Ceci renvoie à un dieu de l’Orage qui donne la victoire. Tarhunt intègre tous ces biens dans le royaume en tant que dieu fondateur. Les dieux qui donnent la victoire Plusieurs divinités donnent la victoire au roi ou au despote. C’est une des fonctions fondamentales du dieu de l’Orage, du dieu de l’Orage de la vigne, qui équivaut au dieu fondateur Télipinu (voir supra) et de Kubaba, la divinité protectrice. Les textes indiquent comment ces divinités garantissent au roi la victoire. A Karatepe, les dieux et Tarhunzas rendent puissante l’armée d’Aztiwatas (Karatepe § IX et X Hawkins 50). A Karkemiš, le dieu de l’Orage et Kubaba donnèrent un puissant courage à Ura-Tarhunzas le roi le puissant (Karkémiš A 4 b§ 4-5). Tarhunzas (du vignoble) fournit l’arme victorieuse (Bor, § 9 ; Hawkins, 2000, p. 520).

261

CHAPITRE II

L’IDEOLOGIE ROYALE La titulature Quelques exemples. Kayseri Je (suis) de PN1 PN2 le fils ? le serviteur de Wasusarmas, le Héros (1 § 1 ; Hawkins, 2000, p. 473).

Sultanhan Je suis Sarwatiwaras, le fils de N, le serviteur de Warsusarmas (§ 1 Hawkins, 2000, p.465).

Bor (Je suis) Warpalawas, le roi de Tuwana, le JUDEX, le Héros (Muwa-]ha[ranis ? le fils du JUDEX (§ 1 Hawkins, 2000, p. 520).

Çiftlik Je suis [PN, titre/patronyme, le serviteur de Tu]watis § 1, Hawkins, 2000, p. 449).

Beirut Je (suis) Iyas, le serviteur aimé1 de Santas (§ 1 Hawkins, 2000, p. 558-559).

Bohça Je (suis) Kurtis le Héros, le fils de Ashwisis ; le roi écouté de l’est à l’ouest.. Ici je suis bien vu de Tarhunzas. Et il m’accorde de reprendre les territoires. Je suis bien vu de Runtiyas et il 1

AMPLECTI-mi-sa SERVUS-ta4 « embrassé » comme à KARKEMIS A 21 § 1 ;A 13 +a+b § b. Une épithète analogue appliquée à un serviteur BONUSmi (CEKKE). Voir aussi le verbe wasanu (Hawkins, p.559). Egalement LITUUS à Topada.

m’accorde de tuer les animaux sauvages (§ 1-4 ; Hawkins, 2000, p.478 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 104).

Porsuk Je (suis) Parhiwaras, le fils d’Atis, le petit-fils de Nuna. Pour moi mon seigneur Sarruma est bien WAMA, pour moi, les rois sont bien UZAMA, et pour moi Masaurhis le Roi est bien venu . Moi j’étais le commandement de l’armée (Hawkins, 2000, p. 528).

Il s’agit de la dédicace d’un commandant de l’armée. La titulature comprend le nom, la généalogie, la faveur divine et royale A travers ces quelques exemples, on constate que la titulature est constituée de plusieurs éléments dont certains peuvent être omis. L’ordre varie selon les inscriptions. On peut distinguer : Le nom Le titre La généalogie Les épithètes Héros Juge La titulature est le plus souvent placée au début de l’inscription mais elle peut être précédée par la mention d’un ou de plusieurs dieux (Darende, Gürün ; Hawkins, 2000, p. 305, 296 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 68, 69). Les noms Les rois et les despotes locaux sont couramment désignés par le nom des divinités de qui ils tiennent leur autorité, notamment de Tarhunzas, Tiwat et Runtiyas. Tarhunzas est le nom du dieu de l’Orage, le souverain du panthéon, et Tiwat, celui du Soleil. Les deux divinités sont des divinités souveraines, à la tête du panthéon, lequel présente une diarchie. Le nom divin est associé à la souveraineté que prétend 264

détenir le roi ou le despote dans son royaume. Elle semble suggérer que le roi est le substitut du dieu souverain dans le royaume. Le nom de Runtiyas peut sembler plus inattendu. Runtiyas est une divinité de la nature sauvage alors que le roi relève plutôt d’une nature civilisée et organisée. La présence de Runtiyas suggère la place importante de la nature sauvage dans la fondation à l’époque néo-hittite. Runtiyas porte le nom d’un dieu KAL. Il en va de même au deuxième millénaire. On sait, par exemple, que l’égide, qui symbolise la fondation, est à l’origine un sac de chasseur. La place qui lui est réservée peut s’expliquer par le rôle de la chasse à l’époque néo-hittite. On rappellera qu’au premier millénaire les scènes de chasse sont nombreuses dans les reliefs. Dès lors, on peut avancer l’hypothèse que la chasse constitue un complément économique important, voire vital. Je (suis) Kurtis, le Héros, le fils de Ashwis ; le roi écouté de l’est à l’ouest. Ici je suis bien vu de Tarhunzas. Et il m’accorde de reprendre les territoires. Je suis bien vu de Runtiyas et il m’accorde les animaux sauvages (Bohça, § 1-5 Hawkins, 2000, p. 479). Runtiyas a placé ces bols devant le dieu de la l’Orage, l’Orage de Halep (Babylone 3 ; Hawkins, 2000, p. 397).

Des emprunts analogues se retrouvent au second millénaire, notamment dans le sud de l’Anatolie, mais Tarhunt est remplacé par le nom Tesub du dieu de l’Orage (Ini Tesub roi de Karkémiš), Urhi Tesub est le GRAND ROI de l’empire hittite avant d’être chassé par Hattusili. Kurunta (Runtiyas) roi de Tarhuntassa jouera un rôle important à l’époque de Tudhaliya. Il portera le titre de GRAND ROI. Les liens avec le Soleil au second millénaire sont mis en évidence par l’épithète « Mon Soleil » auquel on substitue au premier millénaire le nom même du roi. Au second millénaire, les rois portent souvent des noms en relation avec la fondation : Télipinu, Tudhaliya (il existe un 265

Tudhaliya à l’époque néo-hittite), Hattušili « l’homme de Hattuša ». L’identité de Tudhaliya, reconnu comme roi par Suhis, est une énigme mais confirme que l’époque néo-hittite s’inscrit dans la continuité du second millénaire. Comme c’était le cas déjà au second millénaire, les souverains portent le nom d’une Montagne. A Kelekli, on mentionne le nom du roi Tudhaliya (MONS)-TÚ-sa [REX]-ti-sa (Hawkins, 2000, p. 93 § 2). Le patronyme. Dans le cas où le roi a reçu le royaume de ses aïeux, il le signale avec soin, soulignant ainsi sa légitimité. On sait que, traditionnellement, dès le second millénaire, le roi s’inscrit dans une lignée. Normalement, on mentionne le père avant le grand-père. A Karkémiš A 27, l’ordre est inversé (Hawkins, 2000, p. 165). Mais, afin de mettre en valeur l’importance de son règne, le roi ou le despote a soin de souligner fréquemment qu’il est supérieur à ses aïeux : Karatepe 1 Le roi détruit les forteresses alors que les rois précédents avaient échoué. Et j’ai frappé les forteresses situées à l’ouest que les rois précédents n’avaient pas frappées (Karatepe I XXV-XXVI ; Hawkins, 2000, p .52 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 96). Çiftlik Ni ses pères n’ont construit, ni ses grandspères n’ont construit. Mais Tawatis a construit. (§ 3-5 ; Hawkins, 2000, p. 449). Karkémiš 14 b Les dieux n’avaient pas exalté (leurs) personne(s) mais ils ont exalté la sienne (§ 6-7 ; Hawkins, 2000, p. 86). Bohça Et ceux qui étaient mes pères et mes grands-pères....à la vérité Tarhunzas ne les aida pas du tout, comme il m’aide » (Bohça § 6-8 ; Hawkins, 2000, p. 479 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 104-105). Karkémiš A 11 b : Je suis Katuwas, JUDEX, aimé par les dieux, Le Seigneur du pays de Karkémiš, le fils de Suhis, le petit-fils

266

d’Astumwatamanza, le Seigneur du pays (§ 1 ; Hawkins, 2000, p.103) idem en A 11 a.

Au second millénaire, on trouve un procédé analogue dans l’Edit de Télipinu. Télipinu avait tout intérêt à défendre la mémoire d’Ammuna, qui l’avait précédé puisque c’est de lui qu’il détenait sa légitimité. S’il donne à son fils le nom d’Ammuna, il n’en présente pas moins le règne de son prédécesseur comme catastrophique. Dans l’édit, il fait des quatre souverains qui l’ont précédé de mauvais rois. Il met en évidence le rôle qu’il a joué dans le rétablissement de la situation2. Quelques titres Le MAGNUS.REX. Ce titre disparaît après la fin des grands rois de Karkémiš, au début du Xe siècle3. Il est l’expression naturelle du pouvoir hérité du second millénaire. Le Grand Roi s’estime supérieur aux Rois des autres royaumes. Au deuxième millénaire, le terme MAGNUS.REX se trouve à Karkémiš pour désigner la première dynastie, mais aussi au Tabal et à Aksaray. Le terme JUDEX se substitue ensuite au titre de MAGNUS.REX pour désigner la nouvelle dynastie. A Karkémiš A 4 b § 6, au début du Xe siècle4, le terme JUDEX existe mais ne désigne pas encore un titre royal. Wa/-i-tá’za STELE AVIS-nu(-) *466 PONERE su-hi-sa (…) JUDEX-ni (INFANS)ni-mu-za (DEUS)ku + AVIS*355-sa La stèle Arnu… a érigée, le fils du tarwani Suhis, le prêtre de Kubaba.

2

J.Freu, Hh 1, p. 130-131. Voir J.Freu supra. 4 Voir F.Giusfredi, Source for a Socio-Economic History of the Neo-Hittite States, Heildelberg, 2010, (2010 infra) p. 91-97. 3

267

Dans A 4 b, le roi pour lequel la stèle est rédigée porte toujours le titre de MAGNUS REX. Le titre de JUDEX se réfère à un membre de la cour, Suhis, le père de la personne qui a composé le texte. La stèle K-A4B (§§4-6) a été érigée en l’honneur du MAGNUS.REX Ura-Tarhunzas par Arnu[wanti], prêtre de Kubaba, fils du tarwani (IUDEX-ni) Suhis. Karkémiš A 4 b : Grand Roi, Ura-Tarhunzas, Grand Roi, Héros, le roi du pays de Karkémiš, le fils de x-pa-zitis, Grand roi, Héros (§ 1 Hawkins, 2000, p. 80).

Le terme JUDEX se substituera ensuite à celui de MAGNUS.REX pour désigner la nouvelle dynastie. Tarwani est devenu un titre royal à partir de Suhis 1. Les descendants ont porté le même titre, accompagné de REGIO.DOMINUS. Karkémiš A 11 b : Je suis Katuwas, JUDEX, aimé par les dieux, Le Seigneur du pays de Karkémis, le fils de Suhis, le petit-fils d’Astumwatamanza, le Seigneur du pays (§ 1 ; Hawkins, 2000, p. 103) idem en A 11 a.

Curieusement le terme GRAND.ROI réapparaît à Topada. Sur l’inscription de la stèle retrouvée à Topada on lit en effet : [MAGNUS.]REX Wasusarmas, MAGNUS.REX HEROS, fils de Tuwati, MAGNUS.REX HEROS (Hawkins, 2000, p. 452). Nous renvoyons à ce sujet à ce que rapporte J. Freu plus haut : « Malgré l’archaïsme des signes il est certain que ce texte appartient au VIIIe siècle av. J.C. et au roi dont l’existence est signalée par Tiglatphalasar III en 738 av. J.C. La tentative de P.Meriggi pour dater son règne d’une époque antérieure du fait de l’archaïsme des signes hiéroglyphiques est inacceptable5. Il est vrai que l’on pourrait supposer que ce sont les victoires 5

P.Meriggi, MEG II/1, p. 122-123.

268

remportées contre le pays de Parzuta, inscrites sur la stèle de Topada, qui expliquent que Wasusarmas se soit paré dans cette inscription du titre de Grand Roi et qu’il l’ait attribué à son père ». A Aksaray, le roi Kiyakiyas ne s’attribue pas le titre de Grand Roi mais souligne que les Grands Rois admirent sa ville : Les Grands Rois (et) les rois tous admiraient la ville (§ 6 ; Hawkins, 2000 p. 476). La question soulevée précédemment est de savoir pourquoi des souverains de modeste envergure adoptaient le nom de Grand Roi. Dans le cas de Topada et de Karkémiš, le titre de GRAND ROI est combiné avec celui de Héros. Mais, comme J. Freu le fait remarquer, les GRANDS ROIS de Karkémis puis ceux de Tabal ne pouvaient se prévaloir d’une quelconque égalité avec les GRANDS ROIS d’Assur, de Babylone, d’Urartu, d’Egypte ou de Phrygie. Le REX. Le titre REX « roi » est attesté dans plusieurs textes ; il est combiné avec d’autres titres REX *462 (=puissant), REGIO.REX, REX.INFANS ou MONS.REX, WARPI.REX C’est le titre que les rois hittites portaient à l’origine. Il peut être associé à d’autres titres, comme Tarwani (JUDEX). Le titre REX se rencontre dans toute l’aire néo-hittite. Bohça : Je suis Kurtis le Héros, le fils de Ashwis ; le roi dont a entendu parler de l’est à l’ouest (Bohça § 1 ; Hawkins, 2000, p. 479). Malatiya 5 : Tuwatis REX.INFANS : [sa + US-ka]6 Tuwatis, le Prince (ou l’enfant du roi Tauwatis : Sauska (Hawkins, 2000, p. 308).

6

Ou « Le roi, l’enfant de Tuwati » (Hawkins, 2000, p. 306).

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Malatiya 8 : (DEUS)TONITRUS REX.*462, PUGNUSmili REX.*462 5 (Hawkins, 2000, p. 310). Malatiya 9 : (DEUS)TONITRUS POCULUM (CAPERE/ta (URBS (traces) 2 fois PUGNUS-mi-li (2 fois) REX. *462 Le dieu de l’Orage de la cité de POCULUM-ta PUGNUS mili, le Puissant ? Roi (Hawkins, 2000, p. 311). Malatiya 10 : (DEUS)TONITRUS MA.LI (URBS° (2 fois : PUGNUS-mili (deux fois) REX *462 Le dieu de l’Orage de la cité Malizi : PUGNUS-mili, le Puissant Roi (Hawkins, 2000, p. 312). Malatya 11 : REX.*462 PUGNUS-mili REX.*462 PUGNUS-mili, le Puissant ( ?) Roi (Hawkins, 2000, 312). Tell Ahmar 1 : [EGO PN,… s]a-ia-mi-i-sa REGIO REX-ti-issa Iha-pa-ti-la si-isia (INFANS NEPO[S) haI ma-su-ka]-la-[sa] a-ra/i-ia-hi-na-si-a-sa (JUDEX) tara/i-wa/i-ni-sa Je suis PN, titres ], le roi du pays, l’arrièrepetit-fils de Hapatalia, le fils du despote Ariyahinas (Hawkins, 2000, p. 240). Hama 6 : EGO-mi MAGNUS+ra/i-ta-misa u +ra/i-hi-linasa (INFANS) ni-za-sa [i-ma-tu-wa/i-ni REGIO REX Je (suis) Uratamis, le fils de Urilina [le roi Hamathite] (Hawkins, 2000, p. 413).

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Le JUDEX « tarwani » Comme nous venons de le voir, le terme apparaît pour la première fois à Karkémis A 4 B (§ 6) au début du Xe siècle7. Il n’était pas alors un titre royal. Le titre JUDEX est apparu avec Suhis I, dont les descendants ont porté le même titre, accompagné du titre REGIO.DOMINUS. Il apparaît donc que le terme JUDEX, qui définit une fonction, se substitue, à une époque, à Karkémis, au titre de Grand Roi, puis s’est étendu à d’autres villes. La raison de cette substitution reste entière et se résume ainsi : « Pourquoi les nouveaux maîtres de Karkémis, après leur accession au pouvoir, n’ont-ils pas repris à leur compte le titre de MAGNUS.REX et lui ont-ils substitué le titre de JUDEX ? » Le terme JUDEX est lui-même ambigu. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliciter l’utilisation de ce terme pour désigner le roi ou le despote8. Le terme JUDEX peut définir celui-ci comme un législateur. Mais rien dans les inscriptions ne met en évidence cette fonction du roi néo-hittite. On pourrait suggérer que le terme JUDEX souligne le rôle institutionnel du roi. Par exemple, Azatiwatiyas a bâti la ville de Adanawa et lui a donné une série de prérogatives : « Que cette ville soit propriétaire de blé et de vin ». Il a apporté la paix et la prospérité. L’ensemble est inscrit sur la pierre, qu’on protège par une série de malédictions. Les stèles mettent en évidence la place de l’écriture qui établit d’une façon indélébile les événements rapportés (voir infra). L’importance des scribes, déjà présente au second millénaire, est confirmée à cette époque. On se reportera particulièrement à la stèle de Zincirli qui montre un scribe face au roi Barrekab (Bittel, Les Hittites, 268, fig. 305). Mais, plus probablement, le terme de JUDEX fait référence au lien établi entre le roi et la Loi divine. Les textes mettent en évidence les qualités morales prêtées au roi. Celui-ci est présenté à plusieurs reprises dans les textes comme juste et 7 8

Voir F.Giusfredi, 2010, p. 91-97. M.Mazoyer, « La titulature à l’époque néo-hittite. Essai d’interprétation » (parution en cours).

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apprécié par les dieux. Le roi ou le despote vit lui-même conformément à l’ordre et à la justice divine ; il fait régner la Justice et le Droit dans son royaume, conformément aux directives des dieux (voir infra). Kululu 3 : Je (suis) Ilalis, le JUDEX, le Scribe (ou le Scribe du JUDEX). Du fait de ma justice mon [ (Hawkins, 2000, p. 490). Bulgarmaden : Je suis Tarhunazas, le JUDEX, le fils de…Tarhuwara, le serviteur de Warpalawas, le Roi, Héros, le JUDEX (§ 1 Hawkins, 2000, p. 521 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p.102).

On a pu voir ici l’expression de nouvelles relations entre le roi et ses sujets, le terme n’apparaissant dans les titulatures à l’époque impériale qu’en relation avec une fonction, comme celle de scribe, ou de maire du palais9. La place des lois suggère que le Roi est le porteur de la Loi divine. On s’aperçoit qu’au premier millénaire, le dieu est plus proche du roi qu’au second millénaire et qu’il intervient étroitement dans l’activité royale. Cette spécificité s’inscrit dans un processus de divinisation qui semble se mettre en place à cette époque10. Les tarwanis de Karkemiš se sont bien gardés de prendre le titre de MAGNUS.REX. L’importance de la Loi nous amène du côté des Achéménides, de l’Inde et de l’Egypte11. Au second millénaire, l’emploi de ce titre est relativement limité en raison du titre MAGNUS.REX. Il est l’équivalent de 9

F.Pintore, « Seren, tarwanis, tyrannos », StMed 4, 1983, p. 285-322 ; F.Giusfredi, TdH 28, 2010, p. 95-96. 10 Ces questions sont traitées dans le détail plus bas. 11 On se reportera aux analyses de J.P.Levet « La fusion du droit divin et du droit humain dans les inscriptions en vieux perse » (parution en cours) et l’analyse de V.Faranton « Agamemnon entre la force et le droit ? Nouvelles recherches relatives aux princes néo-hittites » (parution en cours). R.Nicolle attire notre attention sur le fait qu’ au Sud de la Mésopotamie à l'époque paléo-babylonienne, on trouve l'usage de shapitum « juge » plutôt que le mot akkadien dayyanum, pour signifier le chef, le roi. (inscription de Yahdun-Lim à Mari).

272

DUMU.LUGAL, utilisé une seule fois à l’époque néo-hittite12. Ce titre apparaît donc comme nouveau à l’âge du fer. LE REGIO.DOMINUS Le titre est déjà sporadique au second millénaire. Il correspond au cunéiforme EN.KUR « le seigneur du pays ». A Karkémis, la famille de Suhi porte le titre de REGIO.DOMINUS. C’est le titre d’Astuwatamanzas, le second membre de la dynastie. Il apparaît presque toujours dans les textes de Karkémis et de Malatiya. LE FLUMEN.DOMINUS - littéralement le « maître du fleuve » - est attesté dans deux inscriptions de Commagène. Le titre apparaît déjà dans l’inscription archaïque d’Alep 6. A Cekke § 10, il se réfère à un officier qui dirige la cité de Sukita, comme dans les inscriptions de Malpinar § 2 et Boybeypinari, ou encore dans les inscriptions d’Assur et à Karatepe 3. Le titre souligne la place des rivières dans l’idéologie néohittite (voir supra). Le taparriya(l)li (LEPUS+ra/i-ia-li). Le terme se trouve seulement dans quelques textes comme Maraú 1 § 1 b. Le verbe tapar ou tapariya « diriger » est attesté en louvite cunéiforme. Un verbe tariyala « faire de quelqu’un un chef » se rencontre à Kululu 4, §§6-7 ; Hawkins, 2000, p. 445. Et j’étais cher à mes seigneurs et ils me firent gouverneur Les titres de femme MAGNA.DOMINA était la transcription de MANUS.LUGAL/ hassusara dans l’écriture hiéroglyphique. On se reportera à l’inscription de Karkémis (A 23 § 3 ; Hawkins, 2000, 119). Et Kubaba, ma maîtresse, Reine de Karkémis (MAGNA.DOMINA-sa + ra/i –sa), me prit par la main.

12

Malatiya 6 : REX.INFANS (Hawkins, 2000, p. 308)

273

Le titre MAGNA.DOMINA « Grande Reine » appliqué généralement à l’épouse du roi est appliquée ici à Kubaba, il devient donc une épithète religieuse. Ce glissement pourrait impliquer que la fonction royale est en cours de divinisation (voir infra)13. JUDEX.FEMINA se rencontre à Boybeypinari 1 § 3 14 Le trône et la table, moi Punamuwatis, la femme JUDEX de Suppiluliuma j’ai dédicacé (Hawkins, 2000, p. 334). Autre titre BONA.FEMINA Je suis Wasutis, BONA.FEMINA de Suhis le REGIO.DOMINUS (Karkémis A1b § 1 ; Hawkins, 2000, p. 92).

Les épithètes SERVUS (*hudarli) Le titre SERVUS est attesté à l’âge de bronze dans les sceaux venant de Nisantepe. A l’époque néo-hittite, le terme se rencontre dans plusieurs inscriptions. Le despote est souvent le vassal d’un roi plus puissant. Il se définit volontiers comme le « serviteur » de son souverain. Nous reviendrons sur la nature de ce lien plus loin. Bulgarmaden : Je suis Tarhunasis… serviteur du roi Warpalawas, Héros, donneur de loi (§ 1 Hawkins, 2000, p. 522 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p.102). Lettre de Kirúehir : Parlant à Tuwatis, mon Seigneur, votre serviteur Muwatalis dit : Puisse mon seigneur Tawati être en vie (§ 1).

13 14

Hypothèse écartée par F.Giusfredi, 2010, p. 109. F.Giusfredi, 2010, p. 111.

274

A Çiftlik : Je suis [PN, titre/patronyme, le serviteur de Tu]watis. (§ 1, Hawkins, 449). Maraú 4: Je suis Halparuntiyas, le JUDEX, le roi de Gurgumean, le fils de Muwatalli, JUDEX (Maraú 4 § 1 ; Hawkins, 2000, p. 256 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 72). Sultanhan : Ainsi que Tarhunzas a apporté ces aides pour Sarwatiwaras, le serviteur de Wasusarmas (§ 13 ; Hawkins, 2000, p.466).

Le mot représenté par le logogramme SERVUS est un terme générique indiquant la subordination15. Nous verrons que ce terme n’est pas si neutre qu’il paraît. Il apparaît sur un sceau de Nisantepe et il est attesté dans beaucoup d’inscriptions à l’époque néo-hittite16. Le roi peut être serviteur d’un dieu, un despote serviteur d’un roi plus puissant que lui. Le roi « aimé » des dieux Le roi ou le despote est « aimé » d’une divinité, qui souvent l’a installé sur le trône et lui assure protection et aide durant son règne. L’amour du dieu pour le roi est à l’origine de la prospérité du royaume, comme il ressort de l’Edit de Télipinu au second millénaire. La contrepartie de l’affection divine est la piété du roi.

15 16

A.M.Jasink, « Titolature ufficiale in età neo-ittita, SMEA 40, p. 87-104. Pour la lecture, voir F.Giusfredi, 2010, p. 147.

275

Le roi est aimé de Tarhunzas Bohça : Je suis Kurtis le Héros, le fils de Ashwis ; le roi écouté de l’est à l’ouest. Ici je suis aimé de Tarhunzas (§ 1 Hawkins, 2000, p. 479 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p.104).

A Karkémiš Le roi est aimé de Kubaba (Karkémis A 21 +, Hawkins, 2000, p.160 § 1). La reine aimée des dieux Egriköy : [ ] Tatuhpa, la servante de Tarhunzas, aimée par les dieux. ]atalis, le ministre se tenait, la servante du JUDEX. La forteresse qui [ (Hawkins, 2000, p. 495). Le prince est aimé par le Soleil : Kululu 5 : Ils les ont donnés à Hulasayas, le prince béni du Soleil (Kululu 5 § 3 ; Hawkins, 2000, p. 485).

Le roi est aimé de Santas Beiru : Je (suis) Iyas, le serviteur bien aimé de Santas. Moi, mon seigneur S[antas… contre lui [puissent] les dieux Karhuhas et Kubaba et Santas [… (§ 1-3 ; Hawkins, 2000, 553).

L’épithète « aimé des dieux » peut être associée à celui de SERVITEUR comme à Beiru : L’expression « aimé des dieux » peut s’étendre aux aïeux du roi ou du despote : Mon père et ma mère étaient ses serviteurs (de Kubaba) et ils l’installèrent dans cette enceinte (§ 8, Hawkins, 2000, p. 160).

276

L’expression néo-hittite « aimé des dieux » pourrait être équivalente de l’épithète au deuxième millénaire. NA-RA-AM « favori des dieux ». Le scribe Kululu 3 : Je (suis) Ilalis, le JUDEX, le Scribe (ou le Scribe du JUDEX). Du fait de ma justice mon [ (§ 1 Hawkins, 2000, p. 490).

On peut associer ce titre avec la place que jouent les stèles à l’époque néo-hittite. L’ensemble est inscrit sur la pierre qu’on protège par une série de malédictions. L’importance des scribes, déjà réelle au second millénaire, est confirmée à cette époque. On se reportera particulièrement à la stèle de Zincirli qui montre un scribe face au roi Barrekab (Bittel, 268, fig. 305). Le Héros17 Le terme qui a, sans doute, une signification d’origne guerrière, s’inscrit dans la réalité des faits, mais il peut s’agir d’une épithète à caractère purement idéologique. Il n’évoque pas la double nature du roi ou de ses ancêtres, comme c’est le cas dans le monde grec. H. Gonnet souligne que cette épithète a été portée par les rois mésopotamiens depuis Isme Dagan (1953-1335). Les scribes hittites utilisent les termes mésopotamiens pour noter cette épithète18. On peut donc supposer avec vraisemblance que le terme, chez les Hittites, désigne l’activité guerrière du supposée ou réelle. Dans le 17

La lecture hittito- louvite *hastalli semble rendue implicite par la forme HEROS-li (Bor §§ 1-1b) ; Giusfredi, Neo-Hittite States, p. 80. 18 Il y a toute une panoplie d'épithètes qui concernent les qualités militaires et viriles des rois mésopotamiens (cf. par exemple, le titre qarƗdu, QRD, ou encore zikru etc) dans les inscriptions royales, qui sont aussi employés, dans la littérature mythologique, pour caractériser une série de divinités, surtout les « dieux de l'Orage », tous les rois divins, les dieux guerriers, et Ishtar aussi ; J.-M. Seux, Epithètes royales akkadiennes et sumériennes, Paris 1967. Communication de Maria Grazzia Masetti-Rouault.

277

cunéiforme on trouve l’expression à partir de Suppiluliuma I et tous les rois l’ont utilisée à l’exception d’Arnuwanda II et III. C’était le titre traditionnel des Grands Rois hittites19. Dans les textes hiéroglyphiques du deuxième millénaire, l’épithète est attachée à quatre rois20. L’expression est courante dans les inscriptions néo-hittites21. Elle est employée d’autant plus fréquemment que les rois néohittites ont besoin d’insister sur une légitimité, qui reste précaire. On se reportera aux analyses de Giufredi, qui examine l’aire d’extension de cette épithète dans le temps et dans l’espace22. A titre d’exemple voici un passage de la stèle de Bor : (Je suis) Warpalawas, le roi de Tuwana, le JUDEX, le Héros, (Muwa-]ha[ranis ? le fils du [JUDEX] (§ 1 Hawkins, 2000, p. 520).

Différents termes pourraient renvoyer à la puissance militaire du roi : FORTIS Karkémiš A 4 b : A Ura-Tarhunzas, le Grand Roi, le puissant (=FORTIS) dieu de l’Orage et Kubaba donnèrent un puissant (=FORTIS *273) courage. Hawkins, 2000, p. 80).

19

F.Giusfredi, Neo-Hittite States, p. 88. H.Gonnet mentionne Muwattali, Hattusili III, Tudhaliya IV, Suppiluliuma ; Gonnet, Titulature, p. 25. Kurunta s’est proclamé « Grand Roi, Héros » sur une inscription rupestre gravée à la frontière de son apanage, à Hatip, 18km au sud de Konya (Ikkuwaniya hittite). Hartapu se désigne comme Héros. Kızılda÷ 4 est, historiquement, le texte le plus important : « Le Soleil (SOL2), Grand Roi, Hartapu, Héros, bien aimé du dieu de l’Orage (et) de tous les dieux qui lui furent favorables, a conquis le pays de Masa pour toujours. Le Grand Roi, tawana, a conquis tous les pays par (la grâce) du dieu de l’Orage du ciel ». Cités par J. Freu. 21 F.Giusfredi, Neo-Hittite States, p. 88-90. 22 F.Giusfredi, ibid. 20

278

L’adjectif peut être appliqué à une divinité (voir supra). Dans l’expression FORTIS DEUS TONITRUS, FORTIS équivaut à muwatalli. Le substantif warpi et l’adjectif warpali renvoie au courage à la bravoure. Ainsi à Maraú 1 § 1-2 Je (suis) Halparuntiyas, le JUDEX, le roi de Gurgumean, le fils de Laramas, le gouverneur, le petit-fils du Héros Halparuntiyas, l’arrière-petitfils du brave Muwatalis l’arrière-petit-fils du JUDEX Halparuntiyas (Hawkins, 2000, p. 262).

L’adjectif PUGNUS-mi-li semble aussi renvoyer à la puissance militaire du roi Malatiya 9 : (DEUS)TONITRUS POCULUM (CAPERE/ta (URBS (traces) 2 fois PUGNUS-mi-li (2 fois) REX. *462 Le dieu de l’Orage de la cité de POCULUM-ta PUGNUS-mi-li, le Puissant ? Roi (Hawkins, 2000, p. 311).

L’expression de la souveraineté Les manifestations de la souveraineté reprennent les éléments déjà mentionnées dans le Mythe Télipinu au millénaire précédent, comme on le voit à Maraú 1, le roi est légitimé par les dieux, sa souveraineté est reconnue par le peuple, et par les autres rois ; glorifié, il assure la paix et la richesse économique dans le royaume :

279

Maraú 1 (§ 1 3 h-4 i ; Hawkins, 2000, p. 262) : (Je suis) le roi, aimé des dieux, reconnu par le peuple, écouté à l’extérieur, le roi aimé23, apportant le bien être, doux comme le miel.

Le prestige du roi auprès des autres rois constitue un élément retenu dans Karatepe où l’influence de celui-ci s’explique par ses qualités morales. Chaque roi a fait de moi son père, en raison de ma justice, de ma sagesse et de ma bonté (§ XXVIII, Hawkins, 2000, p. 51). Les textes du deuxième millénaire insistent plutôt sur la gloire du roi et la peur qu’il inspire. Le prestige du roi est considéré comme un facteur d’équilibre et de paix. C’est le cas, par exemple, du Mythe de Télipinu et du rituel de fondation CTH 414. Dans le texte de Karatepe mentionné, ce sont la justice du roi et sa bienveillance qui font naître des relations filiales entre le roi de Karatepe et les rois extérieurs. Il se profile ici l’image d’un roi justicier et bienveillant, qui se substitue au roi qui règne du fait de son autorité et de sa gloire (CTH 414 ; Mythe de Télipinu). Relevant de la justice et de l’équité le roi a les caractères d’un JUDEX. On peut attirer l’attention sur l’importance des alliés. Ainsi, Kamanis établit les frontières avec les autres rois (Cekke, Hawkins, 2000, p. 145-146). A Karkémiš les rois et les seigneurs se réunissent pour honorer les dieux dans le nouveau sanctuaire fondé par Kamnis (A 31 § 8 ; Hawkins, 2000, p. 142). Par ailleurs le roi, comme au second millénaire, a des liens privilégiés avec les dieux. Cette subordination implique une

23

(LITUUS)á-za-mis-sa pourrait suggérer la légitimité du roi tant auprès des dieux qu’auprès des hommes. L’expression (PANIS)ma-li-[ri+i+mi-is-sá pourrait mettre évidence la volonté du roi d’imposer la paix dans le royaume comme à l’extérieur. Cette thématique apparaît dès le Mythe de Télipinu.

280

amitié réciproque24 et des relations de nature paternelle et filiale. Ces liens privilégiés, comme nous l’avons vu, sont parfois affirmés dans la titulature néo-hittite par l’expression « bien aimé des dieux » Les liens entre le roi et ses sujets sont analogues à ceux qui unissent un père, une mère à ses enfants. Cette thématique, déjà en usage au millénaire précédent, est récurrente à l’époque néo-hittite. Tout au cours de sa vie, le roi bénéficie de la bienveillance des dieux. Ce sont les dieux notamment qui l’ont placé sur le Trône. A Karkémis A 11a, Katuwas souligne que Kubaba (ou les dieux) a placé le roi sur le trône de son père (Hawkins, 2000, p. 95). Les dieux ont assuré la transmission de la fonction royale : (Les dieux Tarhunzas, Karhuhas et Kubaba) ont fait le pays de mon père et de mon grand-père MITASARI- pour moi (Karkémis A11a § 8 ; Hawkins, 2000, p. 99). Les dieux confient les maisons au prince, par là-même, ils lui confient la responsabilité du royaume (Kululu 5 § 3, Hawkins, 2000, 485). De même, à Karkémiš 14 b, ce sont les dieux (sans doute Kubaba et Karhuha) qui ont accordé au roi la succession au trône (§ 3). Les portes peuvent être les symboles du royaume : Et les portes (de) mon grand-père m’ont été transmises (Karkémiš A 11a § 13 Hawkins, 2000, p. 95). Ces liens privilégiés, comme nous l’avons vu, sont affirmés dans la titulature par l’expression « le favori des dieux » Mais, dans les manifestations, on souligne le rôle bienveillant des dieux. Le prince est béni par le Soleil dans Kululu 5 : « Qu’ils les donnent à Hulasaya, le prince béni du Soleil » (Kululu 5 § 3 ; Hawkins, 2000, p. 485). 24

On se reportera au texte CTH 414 où le roi est présenté comme l’ami (ara) du roi. Cette réciprocité s’observe dans le terme assu « bon » qui souligne la bonté du roi à l’égard du dieu et donc sa piété, et la bonté du dieu à l’égard du roi, c’est-à-dire sa bienveillance.

281

Parfois, on explique la bienveillance du dieu : Karkémiš A11a § 7: Mon seigneur Tarhunzas, Karhuhas et Kubaba m’ont aimé à cause de ma justice (Hawkins, 2000, p. 95).

Il est associé à tous les actes positifs de son règne. Il permet au royaume de connaître la prospérité, la victoire. Il est un père pour son peuple ou encore à la fois un père et une mère. Ainsi à Kultepe I : Tarhunzas m’a fait père et mère pour Adanawa (Kultepe I § III Hawkins, 2000, p.49).

Le responsable des cultes Le roi honore les dieux et veille à ce que leur culte soit respecté. Bulgarmaden § 5 J’ai honoré Tarhunzas et Kubaba (Woudhuizen, Selected Luwian, p. 103).

Le roi en prière, à Tell Ahmar 1 : Mais j’[ai levé] les mains vers Tarhunzas céleste et à lui j’adresse ces mots (§ 21-22 ; Hawkins, 2000, p. 241).

Le dieu est accessible à sa prière : Tarhunzas céleste m’a entendu (§ 25, Hawkins, 2000, p. 241).

Le roi en prière est un thème récurrent au second millénaire. On sollicite le dieu pour qu’il tende l’oreille et prête attention à la prière royale. On mentionnera par exemple le début de La prière de Mursili II à Télipinu. 282

1 [(ki-i-m)]a-kán T[(UP-PI DUB.SAR A-NA DINGIRLIM)] an-da 2 [(UD-at U)]D-at me-mi-iš-ki-i[(z-zi nu DINGIRLAM)] wa-al-li-iš- ki-i[(z-zi)] _______________________________________ 3 [(dTe-li-p)]í-nu-uš šar-ku-uš n[(a-ak-ki-iš)] DINGIRLIM-iš zi-ik 4 u-i-[ya]-at-mu mMur-ši-li-iš L[(UGAL-uš tu)]e-el ARAD-KA 5 MUNUS.LUGAL-aš-ša tu-e-el GEME-KA [(ui-)]eer i-it-wa 6 dTe-li-pí-nu-un an-ze-el EN-NI DINGIRLAM 7 ŠA SAG.DU-NI mu-ga-a-i 1 Cette tablette, le scribe, pour le dieu, 2 (la) récite journellement et prononce l’hymne au dieu : _______________________________________ 3 « Toi, ô Télipinu, tu es un dieu puissant (et) vénérable, 4 Muršili, le roi, ton serviteur, 5 et la reine, ta servante, m’ont fait ve[n]ir et (m’ont dit) : ‘Va, 6 Télipinu, notre seigneur, 7 notre dieu principal, évoque-le.’

Dans ce texte le roi Muršili se présente comme le serviteur du dieu. Il en va de même à l’époque néo-hittite. Les fonctions économiques du roi L’agriculteur Le rôle du roi est d’assurer la prospérité économique de la ville ou de la région qu’il dirige. Cette fonction apparaît 283

particulièrement dans le texte de Karatepe, où les autres activités, activités guerrières et fondatrices ne sont destinées qu’à créer les conditions permettant d’apporter la prospérité. Il a fait prospérer Adanawa (§ 4, Hawkins, 2000, p. 49 ; Woudhuizen, Selected Luwian, 94). J’ai rempli les greniers, j’assure la reproduction des chevaux (Karatepe 1 § 7-8). Sous mon règne (litt. Sous mes jours), il y avait abondance, luxe, bonheur et la paix s’étendra sur Adanawa et la plaine d’Adanawa (Karatepe § 36 et 37 ; Hawkins, 2000, p. 53 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 97)25.

L’association du roi et de la grappe de raisin traduit bien le caractère agraire du roi. Cette scène est observable à Ivriz où le dieu de l’Orage de la vigne tend une grappe de raisin au roi et peut-être sur une stèle de Maraú où le personnage masculin, peut-être un roi, tient une grappe de raisin dans la main droite26. Cette époque bénie est suggérée par l’image des femmes qui filent la laine : Sous mon règne même les femmes se promènent avec leur fuseau (§ 34, Hawkins, 2000, p. 53 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 97). Cette image de la femme filant la laine se retrouve dans l’iconographie à Maraú où la fileuse est représentée assise en train de filer devant un scribe (Bittel, Les Hittites, p.274, fig. 313). Les textes soulignent la place qu’occupe la paix dans les préoccupations : A Karatepe I, on souligne qu’Azatiwatas est un père et une mère pour ses sujets ; il a installé la paix dans son royaume (Karatepe § 3, Hawkins, 2000, p. 49 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 94). 25

(CORNU + RA/I su-r/i sa LINGERE (-)ha-sa-s-ha-sa-sa-ha sa-na-wa/i-zasa-ha « abondance, luxe, bonheur ». 26 Ivriz, infra ; Pour la scène de Maraú, K. Bittel, 1976, p. 278.

284

Dans le même texte, il est affirmé : Et la paix régna à Adanawa et dans la plaine d’Adanawa (§ XXXVII ; Hawkins, 2000, p. 53 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 97). Cette vision d’une société fondée sur le bonheur, la paix et l’abondance remonte au second millénaire et s’inscrit dans la vision idéalisée de la société hittite. A la suite de la révolution idéologique mise en place par le roi Télipinu (vers 1545), le roi est présenté comme le protecteur de son peuple ou son berger, à l’image des dieux hittites, considérés comme des bergers. L’expression employée lors du retour de Télipinu « Le dieu rentre dans son pays » implique une refondation mais souligne aussi l’amour que le dieu porte à son pays. Il apparaît dans le Mythe de Télipinu que le roi et le dieu fondateur veillent sur le bonheur de la population. Trois termes sont utilisés pour définir celui-ci, la manitti, le salanthi et l’istariya. L’inscription de Maraú 8 souligne l’activité agricole du roi : Pour la cité j’ai planté des vignobles, j’ai rempli les greniers de grain (§ 6-7 ; Hawkins, 2000, p. 253). Il s’agit certainement de parcelles cultivées où l’on produit des biens agraires destinés aux sacrifices avant d’être des biens de consommation. Ces productions sont destinées à honorer les dieux et sont garants du bonheur de la ville. Le relief d’Ivriz et la stèle de Maraú confirment les liens du roi avec la vigne (Bittel, 1976, p.278)27. Le roi, comme à l’époque du roi Télipinu, devient celui qui écarte la guerre : J’ai élevé Kamanis en tant que successeur… j’ai étendu ma protection sur les enfants de d’Astiruwas (§ 13-17, Hawkins, 2000, p. 131). Le roi veille à assurer une succession pacifiée. Le roi de Kamluwa joue le rôle d’intermédiaire entre les différentes catégories sociales. Il se présente comme le défenseur des

27

La présence de la grappe raisin dans la main de l’homme semble bien indiquer que la stèle représente un souverain avec son épouse.

285

peuples28. Il s’agit manifestement d’une préoccupation qui remonte très loin dans l’histoire des Hittites et qui n’est pas spécifique à cette époque29 . Pourtant - et cela pourrait sembler contradictoire -, le roi se présente le plus souvent comme un roi guerrier. Il s’agit en fait d’un roi que la protection associe à la victoire et qui se rattache à la première fonction dumézilienne. Le roi constructeur Si l’on se réfère à l’importance du thème dans les inscriptions, il s’agit là de l’activité essentielle du roi à l’époque néo-hittite. Il aménage le territoire, l’organise et devient un urbaniste. Ainsi, la stèle de Karahöyük (Elbistan) a été l’œuvre d’un certain Armanani mais c’est le Grand Roi Yari-TONITRUS qui refonde la cité qui avait été dévastée, établit sanctuaires et habitations qu’Armanani a la charge d’administrer30. Précédemment, J. Freu a mis en relief l’activité des rois et des despotes hittites. Nous reproduisons son analyse : « A son retour d’une expédition Katuwa, le Seigneur du pays de Karkémiš, a élevé des trophées et surtout a fait construire des « étages supérieurs » (DOMUS.SUPER), sans doute dans le palais, destinés en particulier à son épouse bien aimée, Ana31. Yariri, le régent de Karkémiš, a fait réaliser les magnifiques sculptures des orthostates de la muraille et a fait bâtir pour son protégé, le jeune héritier du trône, Kamani, un édifice princier

28

J.C.L.Gibson, Textbook of Syrian Semitic Inscriptions, vol. I-III, 1971-1982 et W.W.Hallo – K.L.Younger éd. The Context of the Scripture vol. II, Monumental Inscriptions from the Biblical World, Leiden-Boston Köhn, 2000, p.158-160. 29 M.G.Masetti-Rouault, Mélanges Lebrun, p.124-125. 30 J.D.Hawkins, CHLI, p. 289-290 ; F.C.Woudhuizen, SLHT 1, 2004, 33-36 (§§2-3 : « When great King Aritesup came (to) the land poculum-ti-*67. And he found the city devasted »). 31 CHLI, p.103-104.

286

(MENSA.SOLIUM) qui comprenait une aile réservée aux princes et une autre aux eunuques qui les servaient32. Plus tard, toujours à Karkémiš, le roi Astiru(wa) a fait construire un édifice-warpi, une enceinte, où il a installé le grand dieu Tarhunzas d’Alep. A Melid, le Seigneur du pays, Tara, a construit la cité de Taita et y a établi des gens de Melid, ce qu’il a renouvelé dans deux autres localités dont les noms sont intraduisibles33. Au pays de Tabal le « roi » Sipis, un vassal, a trouvé la forteresse de ses ancêtres ruinée. En collaboration avec le gouverneur, Sipis, fils de Nis, il l’a fait reconstruire, sans doute à Karaburun, dans un site dominant le fleuve Maraššantiya34. A la fin de cette époque, à la veille de la disparition des dernières principautés néo-hittites, Azatiwatas se félicite d’avoir établi la cité d’Azatiwatiya (Karatepe), à laquelle il a donné son nom et qui sera la forteresse protégeant la plaine d’Adana et ses habitants35. Il a aussi construit d’autres forteresses sur toutes les frontières (Karatepe 1 § 19 ). Voici les principales activités du roi ou du despote néohittite dans le domaine de la fondation : Il délimite l’espace. Selon l’inscription de Topada, le Grand roi Wasusarmas établit des frontières et érige des murs à la frontière pour délimiter le territoire et établit son armée à la frontière. Il l’établit sur la montagne. Il bâtit des forteresses destinées à protéger le royaume (§ 6-9 ; Hawkins, 2000, p. 453 ; Woudhuizen Selected Luwian 2, p. 56). Il établit des surfaces cultivées. (Bor § 3 ; Hawkins, 2000, p. 520) Il bâtit des forteresses auquel il attribue des noms J’ai construit cette forteresse et je lui ai donné le nom d’Azatiwataya (Karatepe 1 § 38-39,

32

Ibid., p.124-125. Ibid., p.315-316. 34 Ibid., p.481. 35 Ibid, p.53-54, §§XXXVIII-XLVII. 33

287

Hawkins, 2000, p. 53 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 97).

Il bâtit des maisons J’ai construit moi-même une maison (Çiftlik § §22 ; Hawkins, 2000, p. 449).

Il rétablit des quartiers dévastés Les sanctuaires dévastés je les ai reconstruis (Karkémiš A 31+6-7, Hawkins, 2000, p. 142).

Il construit des temples et des bâtiments sacrés. On sait que depuis, le second millénaire, une des missions essentielles des rois est de construire des temples pour les dieux. C’est une façon de les retenir et de faire en sorte d’attirer leur bienveillance. Ainsi, le roi construit un temple à Tarhunzas : Karkémiš : Mais moi j’ai construit un temple luxueux à Tarhunzas de Karkémis (§ 11 Hawkins, 2000, p. 95). J’ai construit les parties sacrées du temple (§ 14, Hawkins, ibid.).

Il s’attache particulièrement à l’érection des portes et des orthostates : Ces portes je les ai décorées d’orthostate (§ 16). Le roi peut construire la maison de warpi : Quand le roi Astirus s’est construit une maison de warpi36 (§ 4-5 Hawkins, 2000, p. 172). 36

J.D.Hawkins propose de traduire la « maison de warpi- » par « crafthouses », « maisons d’artisanat ». Il s’agirait selon l’auteur de maison d’artisan se rattachant au temple. Ces maisons sont des endroits où on apprend et où l’on pratique l’artisanat. A Karkémiš A A 3 1. § 16 on lit « Les maîtres du warpi, que Katuwa le seigneur du pays a donné au

288

Il élève des statues consacrées aux dieux. A Sultanhan, l’érection de la statue de Tarhunt de la vigne s’accompagne d’un rituel de refondation (§ 2 Hawkins, p. 465 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 86). Quand la statue est replacée, on effectue un sacrifice. Nous avons alors un écho du Mythe de Télipinu. Le dieu vient avec tous les biens. Les plantes fleurissent à ses pieds et le vin est bon. Le dieu met les ennemis sous ses pieds. En cas de bonnes récoltes, on procède régulièrement à la refondation de la statue. Le dieu Tarhunt, assimilable ici au dieu Télipinu du second millénaire, envoie la pluie, plante la vigne et fait le vin du sol. Enfin il protège le vignoble de toute attaque qui viendrait de l’extérieur. Par ailleurs Tarhunzas du vignoble donne au roi Wasusarmas un warpa solide. A Körkün : j’ai établi là-bas cette statue de Tarhunzas d’Alep (§ 5 ; Hawkins, 2000, p. 172).

Le roi place sa propre statue à Karkémis A 31+ § 4, Hawkins, 2000, p. 141. Il place une image du Soleil à Alep 2 § 9 (Hawkins, 2000, p. 236) : Moi-même j’ai fait l’image du dieu Soleil. Je ne l’ai pas établi comme un autre dieu.

Erkilet 2, Astiwasus dresse une stèle : Cette pierre Astiwasus l’a érigée ; (Woudhuizen, Selected Luwian, p. 106).

Le roi guerrier Les titulatures insistent particulièrement sur l’aspect guerrier de la fonction royale, en utilisant le terme « Héros » pour le

Tarhunzas de Karkémiš. Les warpasi sont considérés comme des artisans. Warpi signifierait « adresse, artisanat » (Hawkins, 2000, p. 111).

289

désigner37. On peut voir dans ce terme une référence à la fonction guerrière du roi. Mais le roi néo-hittite ne se présente pas comme un conquérant, en tant que tel38. Le plus souvent, il ne fait que récupérer des territoires lui appartenant, ou ses conquêtes sont de peu d’importance. Ces victoires lui permettent toutefois d’asseoir son autorité. Karkémiš a 27 e Le seigneur du pays, le héros, le fils de Astirus (A 27 6 § 1 ; Hawkins 166). Il évoque souvent ses « hauts faits » militaires : Je suis], chef de la ville de Karkémiš et de Malatiya, aimé par Kubaba (Karkémiš A 20 b ; Hawkins, 2000, p. 160).

On observe ici un archaïsme tardif, ainsi que sur le fragment de généalogie Karkémiš A27e1+ 2 attribué à Kamanis (Hawkins, 2000, p. 160). A ce titre, le roi bénéficie de la protection du dieu de l’Orage, qui lui-même est associé à la fonction guerrière. Selon la stèle de Bohça, Tarhunzas permet à Kurtis de récupérer les territoires perdus : Je (suis) Kurtis, le Héros, le fils d’Ashwi(si)s, le roi dont on a entendu parler de l’ouest à l’est. Ici je suis bien vu de Tarhunzas. Il m’accorde de 37

38

Laroche 21. Le terme est couramment utilisé au second millénaire où il figure souvent dans la titulature des Grands Rois (Gonnet, Titulature royale hittite, p. 25-26). Pour le premier millénaire F.Giusfredi, 2010, p. 88-89. Il y a toute une panoplie d'épithètes qui concernent les qualités militaires et viriles des rois mésopotamiens (cf., par exemple, le titre qaradu, QRD, ou encore zikru etc.) dans les inscriptions royales, qui sont aussi employés, dans la littérature mythologique, pour caractériser une série de divinités, surtout les « dieux de l'Orage », tous les rois divins, les dieux guerriers, et Ishtar aussi. En ce qui concerne la titulature royale, on se reportera au livre de J.-M. Seux, Epithètes royales akkadiennes et sumériennes, Paris 1967. Pour voir l'usage « divin », Chicago Assyrian Dictionary, aux entrées correspondantes. A l’exception du souverain ou du dynaste évoqué dans l’inscription de Topada.

290

reprendre les territoires (Hawkins, 2000, p. 479 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 104).

Cette fonction est également dévolue au dieu de l’Orage du vignoble, qui est peut-être Télipinu, voir supra). A Sultanhan, Tarhunzas du vignoble a placé les ennemis de Wasusarmas sous ses pieds : Tarhunzas du vignoble donna [à] Wasusarmas, [[le r]oi, un puissant courage, et pour lui il plaça ses ennemis sous ses pieds (§ 8-9, Hawkins, 2000, p. 466 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p.86).

A Karkémiš 1 A 1, selon un rituel qui s’apparente à une evocatio et à une devotio, le roi affirme : J’ai détourné ces dieux pour moi (§ 4) Devant lui (Tarhunzas) j’ai apporté un trophée. J’ai détruit la ville d’Alatahana, et devant lui j’ai dressé un trophée et à lui j’ai donné un neuvième de la part. » (§ 7-12 ; Hawkins, 2000, p. 88). Et le puissant Tarhunzas (sa statue), je l’ai dressé et avec lui j’ai dressé tous ces dieux (les statues) (§ 26-28 ; Hawkins, 2000, p. 89).

Le roi assure la prospérité de l’armée, en hommes, en chevaux et en armement (le bouclier)39 Karatepe, § 8, 10 (Hawkins, 2000, p. 49-50 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 94). Il détruit les armées ennemies ou leurs fortifications. A Maraú : L’année où j’ai écrasé Hirika, cette année, j’ai établi Tarhunzas UPATITASIS. J’ai capturé la cité d’Uluwasi et j’ai… la montagne 39

Comme dans l’Iliade, la puissance du roi est liée aux forces militaires qu’il peut réunir, comme on le voit par exemple à propos d’Agamemnon. Par ailleurs le cheval dans le monde indo-européen est associé à la souveraineté.

291

Atatursaliyanza et j’ai piétiné ? (TARPA) le pays de Hiraka (Maraú 4, Hawkins, 2000, p. 256 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 73).

Le roi a organisé son armée et lui a fourni les ressources suffisantes. Ainsi à Karatepe : J’ai multiplié l’armée, j’ai multiplié les boucliers, tous… du fait de la protection de Tarhunzas et des dieux (Karatepe 1 § 9 et 10; Hawkins, 2000, p. 49-50 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 94).

Le roi se plaît à évoquer l’étendue de ses conquêtes : dans l’inscription de Karatepe 1, il souligne qu’il a étendu le territoire d’Adanawa du lever au coucher du Soleil (§ 5). D’une façon inattendue, il se plaît parfois à évoquer les sévices causés à la population : Quand j’ai capturé Alawasa, j’ai coupé les pieds des hommes, mais les enfants j’ai fait d’eux des esclaves pour nous40. Il s’agit peut-être là d’une influence assyrienne. En tant que conquérant, le roi est associé au cheval, ainsi à Topada : Il vint avec son cheval et son armée (§ 8 ; Hawkins, 2000, p. 453 ; Woudhuizen, Selected Luwian 2, p. 56) ; Moi, (je vins) avec mon cheval royal (§ 10)

Azatiwatas brise l’orgueil des ennemis, il écarte tout le mal du pays (Karatepe 1 § XI-XIII Hawkins, 2000, p. 50 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 94).

40

Autre traduction de J.D.Hawkins : « Des enfants, j’ai fait des eunuques pour nous » p.257. Le terme usanasa « esclave » pour Woudhuizen, « eunuque » pour Hawkins, 2000, p. 258. Voir KarkémišA 6 125, Akk. šaresi).

292

Il s’agit de récupérer un territoire perdu. (Karatepe 1 § XXVI1, Hawkins, 2000, p. 52 ; Woudhuizen, Selected Luwian 2, p. 58) à l’est et à l’ouest (Hawkins, 2000, p. 52). Il ne s’agit pas de raids mais d’une occupation du territoire, ce qui explique le grand nombre de fondations dont il parsème le territoire conquis (voir supra). Le roi peut racheter une ville sans avoir recours à la guerre. Ainsi à Cekke : Kamanis, le JUDEX, le seigneur du pays, des cités de Karkémis et de Malatiya et Sasturas, le premier serviteur de Kamanis, ont acheté la cité de Kamana aux Kanapuweans avec leur… et ils ont donné 600 mules (Cekke, § 6a-7 ; Hawkins, 2000, p. 145 ; Woudhuizen, Selected Luwian 2, p. 12)

On procède à des échanges de serments : Nous attachons ces villes (comme) une donation pour des pères et des fils (§ 16 s., Hawkins, 2000, p. 145 s. ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 21 s. ).

Le but qu’il cherche à atteindre est l’instauration de la paix. Ainsi à Karatepe : J’ai établi la paix sur tout (§ 17, Hawkins, 2000, p. 50); Woudhuizen, Selected Luwian 2, p. 95).

Il a vaincu les voleurs et les a placés sous ses pieds (Karatepe § 20 et 22 ; Hawkins, 2000, p. 51 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 96). Il a fait régner l’ordre dans ces régions dangereuses. Il sait établir des liens de fidélité mutuelle avec les autres rois. Ainsi, à Karatepe 1, chaque roi s’adresse à Azatiwatas en raison de sa sagesse et de sa justice (Karatepe § XVIII, Hawkins, 2000, p.51 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 95). Il sait s’entourer d’alliés fidèles :

293

J’ai établi la maison de mon Seigneur dans le bien. J’ai fait tout le bien pour sa famille. Je les ai placés sur le trône de leur père (Karatepe XV –XVI, Hawkins, 2000, p. 50). A Karkémiš, Kamanis confie la responsabilité d’un temple (Karkémiš A 7 ; Hawkins, 2000, p. 129). Les objets de la souveraineté Le Trône continue à évoquer la souveraineté, comme au second millénaire. On le voit dans Maraú. Le Trône divinisé constitue un élément important lié à la fonction royale au second millénaire, qui pourrait s’être maintenu au premier millénaire. Le roi est souvent représenté sur le Trône qui symbolise, dans ce cas, la souveraineté. Ainsi, à Zincirli, le roi Barrekab est représenté sur son trône devant son scribe. (Bittel, Les Hittites, p. 268, fig. 305). Il se dresse sur une base formée d’un homme agenouillé entre deux lions (ibid. 267 fig. 363). Le lituus et la robe de la prêtrise s’observent dans la représentation assyrisante du roi Katuwas (Bittel, 259, fig. 293). Le GIŠeya demeure le symbole du roi et de la fondation. Ainsi à Tell Halaf, une plaquette semi-ovale présente deux animaux, peut-être des cerfs, de part et d’autre d’un arbre qui pourrait être un GIšeya (Bittel, Les Hittites, p.270, fig 308). On le voit aussi à Karatepe, Bittel, ibid. p. 271, fig 311). A Tell Halaf, dans une autre scène, le GiŠeya est remplacé par un individu (le roi) placé sous un Soleil ailé, entouré des deux dieux-taureaux (Bittel, Les Hittites, p. 221, fig. 256).

294

Tell Halaf. Exemple d’association du GISeya et du soleil ailé, IXe siècle, Musée archéologique d’Ankara.

On rappellera que le hiéroglyphe 151 est utilisé au second millénaire pour écrire le nom de Télipinu. Il représente selon toute probabilité un GIŠeya. Un roi en voie de divinisation La question est sensible mais de nombreux éléments semblent montrer que le roi néo-hittite s’inscrit dans un processus de divinisation41. Plusieurs éléments pourraient se référer à ce phénomène :

41

Van den Hout a souligné que le processus de sacralisation voir de divinisation du vivant du roi apparaitrait dès la fin de l’empire hittite. Th.V.an Den Hout, « Tutপalija IV und die Ikonographie hethitischer Großkönige des 13. Jhs. » BiOr 52, 1995, p. 545-73; S. S. De Martino, « Symbols of Power in the Late Hittite Kingdom », Fs Singer, StBoT 51, 2010, p. 87-98. Voir l'étude sur l'inscription d'Emirgazi ; I.Singer, « ‘In Hattuša The Royal House Declined’. Royal Mortuary Cult in 13th Century Hatti », Studia Asiana 5, 2009, p. 169-191.

295

L’expression « serviteur » pour désigner son second pourrait traduire ce processus. L’inscription d’Egriköy met en évidence cette évolution : ] Tatuhupa, le serviteur de Tarhunzas, bien aimé des dieux. [ ] atalais (PN) le ministre se dressa, serviteur du dynaste (§ 1-3 ; Hawkins, 2000, p. 495).

La statue du roi peut être associée à celle des dieux, comme à Karkémis, où le roi dresse la statue de Tarhunzas, celles des dieux et sa propre statue : Et le puissant Tarhunzas j’ai dressé (sa statue), et avec lui tous les dieux j’ai dressé (leurs statues) et pour moi, j’ai (dressé) ma statue (Karkémiš A 1 a ; Hawkins, 2000, p.89).

Et, à l’époque néo-hittite, nous lisons, à Bohça : Je (suis) Kurtis…Ici je suis aimé de Tarhunzas. (§ 1-2 ; Hawkins, 2000, p. 479 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 104)42.

A Zincirli, on relève une différence dans la taille du roi araméen Barrekib et celle de son ministre, ce qui pourrait mettre en évidence la divinisation du roi. La diversité des tailles traduit souvent la nature -divine ou humaine- des acteurs représentés, comme c’est le cas à Ivriz43. Les rois se font représenter dressés sur un animal sacré, comme à Zinkirli, où l’on voit par ailleurs la disproportion entre la figure du roi et le mortel représenté (Bittel, ibid., 267, fig. 303).

42 43

Wa/i-ta DEUS TONITRUS-huti za-ri+I BONUS wa/i-suwa/i-i. K.Bittel, Hittite, p. 268 fig. 304-305 ; p.236 fig. 269. K.Bittel a souligné que cette différence de taille est un élément spécifique de l’époque néo-hittite, p. 289.

296

Les sentiments qui régissent les relations entre le roi et son « serviteur » sont du même ordre que ceux qui existent entre le dieu et le souverain. Ainsi, à Bulgarmaden, le despote Tarhanaza est bien vu de son seigneur. De même, au second millénaire, dans CTH 1, le roi Pithana est bien vu du dieu de l’Orage. Quand Pithana était le roi de Kuššar, il était bien vu (aššu) par le dieu de la tempête du ciel. Alors qu’il était cher au dieu de la tempête, le roi de Nesa s’en prit au dieu de Kuššar. Le roi de Kuššar vint dans la cité avec une grande armée. Il prit Neša la nuit de force (Carruba, Anitta, p. 18-21) Le roi est le père et la mère de son peuple. Le fait de réunir des éléments mâles et femelles est spécifique de certaines divinités du second millénaire ; tel est le cas, en particulier, de la déesse solaire d’Arinna. On relève également, dans la titulature, l’expression MAGNA.DOMINA appliquée à la reine et à certaines divinités : Kululu 5: Si c’est un roi ou si c’est une reine (§ 7a et b ; Hawkins, 2000, p. 485). Karkémiš : Et Kubaba, ma maîtresse, ma reine, me prend par la main. (Karkémiš A 20a1 § 3).

Déjà à Meharde : La stèle appartient à la divine reine ? de la région (Hawkins, 2000, p. 415s.).

297

CHAPITRE III

LES MALEDICTIONS Sur une grande partie des inscriptions on observe des dispositions qui contiennent des malédictions. Elles sont destinées à protéger les stèles sur lesquelles elles sont inscrites ou à protéger le territoire ou des parties du territoire. On observe deux catégories de divinités associées à la défense du territoire : les divinités liées à la souveraineté (Tarhunzas, Hépat le Soleil) et les divinités KAL (le dieu de l’Orage du vignoble =Télipinu, Ea, la Lune, Kubaba, Santas et Karhuhas assimilé à un dieu KAL). Les dieux qui écartent l’intrus A Sultanhan, Tarhunzas, qui peut être un Tarhunzas du vignoble, interdit qu’on entre et qu’on boive dans le vignoble car ce dernier appartient au dieu. Il protège donc les limites du vignoble, en tant que dieu KAL : Puisse Tarhunzas en aucune façon ne pas le laisser boire dans le vignoble (Sultanhan, § 36 ; Hawkins, 2000, p. 467 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 89) Il n’est pas précisé comment le dieu de l’Orage du vignoble procède pour écarter l’intrus. Mais en tant que dieu KAL, il a sans doute recours à la force pour protéger le vignoble dont il assure la prospérité. On sait que les divinités KAL ont traditionnellement recours à l’arc et à la lance pour écarter les menaces qui pèsent sur le territoire qu’il est chargé de protéger. Les divinités vengeresses A Topada, Tarhunzas est associé à Sarrumas (son fils). D’autres dieux participent à la punition du coupable. Certains dieux ne sont pas identifiés comme DEUS 198-na, (DEUS) BOS 206. Il s’agit de divinités dotées d’une force redoutable, qui écrasent le coupable et sa maison (hara/i-tu-u) à deux

reprises. Les dieux de ATAHA peuvent le manger. Il s’agit de divinités protectrices liées à la fondation (Kayseri, Hawkins, 2000, p. 274). Outre Karhuhas, associé à la déesse Kubaba, le dieu Santas est chargé de protéger la fondation. A Sultanhan, Tarhunzas (du vignoble) punit celui qui cause un dommage à la ville, au pays au vignoble. A Kululu 2, les dieux Marwainzi, qui sont les assistants de Santas, installent leur sceau sur la maison du coupable ( ?). Ils font ainsi peser une menace permanente sur sa faille et sur ses biens. Les moyens utilisés pour punir les coupables Les dieux recourent couramment à la force. Tarhunzas et Sarrumas associés à d’autres dieux (le dieu *198, le dieu BOS *206) écrasent (ARHA haratu)1.le coupable et sa maison à Topada. A Sultanhan, le dieu de l’Orage écrase le coupable par sa hache. De même Tarhunzas frappe le coupable avec sa hache à Kayseri § 7 (Hawkins, 2000, p. 475). Les dieux peuvent ne détruire qu’une partie du coupable : A Karaburun, le dieu Lune et Kubaba détruisent les yeux et les pieds du coupable (§ 8 Hawkins, 2000, p. 481). A Kayseri, le dieu Lune de Harran frappe le coupable avec son Kipira (sa corne?), (§ 16 ; Hawkins, 2000, p. 473).

1

J.D.Hawkins traduit ce verbe par « écraser » et rapproche le verbe du hittite hara- écraser », action analogue à mal- « moudre » (Hawkins, 2000, p. 460). On peut le traduire par « détruire complètement », l’idée est que sa défaite est complète et qu’il ne se relèvera pas. L’identité du dieu *198 et du dieu BOS *206 est discutée.

300

A Kululu 5, les dieux de ATAHA et les ARMALI détruisent le cœur du coupable (§ 11-12, Hawkins, 2000, p. 486). Comme dans la littérature du deuxième millénaire, la destruction d’une partie du corps d’un individu détruit son pouvoir et son énergie. Dans le Mythe du dieu de l’Orage, le souverain du panthéon perd l’usage de ses mains du fait du gel. Hupasiya lie les membres d’Illuyanka avant que le dieu de l’Orage ne lui porte le coup fatal. On sait que les prisonniers étaient couramment aveuglés avant d’être envoyés au moulin. Inversement, ranimer les parties immobilisées du corps permet de faire revivre les individus. Ainsi Télipinu dans son mythe retrouve l’usage de ses pieds et de ses mains du fait de la piqûre de l’Abeille. Le dieu « dévore » le coupable (Tête 7 « MANGER » lecture phonétique at-/ad- ; arha at/ad-). Kubaba, qui dispose d’un chien, attaque le coupable par derrière et lui dévore les yeux et les pieds (Karaburun, § 8 ; Hawkins, 2000, p. 481). Les dieux de ATAHA2 , les dieux du ciel et de la terre, les dieux mâles et les dieux femelles associées dévorent le coupable à Sultanhan (§ 33 ; Hawkins, 2000, p. 466). A Kululu 5, les dieux de ATAHA dévorent le cœur du coupable (Hawkins, 2000, p. 486). A Karkemiš A 6.9 : les chiens de Nikarawa dévorent la tête (du coupable) (§ 31 ; Hawkins, 2000, p. 125). On connaît, au deuxième millénaire, un texte se rapprochant de ces pratiques. Ishara et ses enfants doivent dévorer de l'intérieur les individus parjures (CTH 427, § 113). Les soldats portent une figurine pleine d'eau censée les représenter et qu’Ishara est censée absorber. Le dieu de l'Orage est présent, mais celui -ci n'attaque que la prospérité du traître : 2

Atala considéré par A.Kloekhorst comme un adjectif se rattachant à ed« dévorer », pour J.D.Hawkins « la chambre » cf. Kayseri § 12 ; Kululu 5, 11. 3 W.W.Hallo, The context of scripture, I, 2002, Leiden, p. 166.

301

Puissent ces divinités s’emparer de celui qui transgresse ces serments. Puissent ses entrailles être remplies d’eau. Puissent les enfants de Ishara demeurer à l’intérieur de ses entrailles.

On connaît en Egypte des divinités protectrices qui dévorent l’intrus ou une partie de celui-ci4. Les dieux « piétinent » le coupable. Karkémis A2+3 § 11, Laroche, que nous suivons, traduit (PES2.PES)tar/i-pi-t-u par « piétiner »5. Nous proposons pour (CORNU) kiputati de traduire par « chaussure ». Les chaussures hittites étaient en forme de demi-lune, ce que pourrait expliciter le déterminant CORNU. On se reportera à J.Puhvel qui traduit kiputi- par « hool » HED 3, p. 188. hatama pourrait signifier « ruine » ; *464 hatama « ruines/à l’état de ruine » (Hawkins, 2000, p. 111). Kayseri : Puisse le dieu Lune de Harran piétiner le coupable avec sa chaussure (Kayseri § 16 ; cf. Hawkins, 2000, p. 473).

Les divinités détruisent le nom du coupable dans Kululu 5 § 10. Le nom constitue l’essence de l’individu. Détruire le nom d’un individu consiste à le faire disparaître complètement. Cette action est comparable à celle qui consiste à effacer une stèle et à faire disparaître les faits relatés sur celle-ci. Au second

4

5

S.Aufrère, « La garnison divine postée à la défense de la porte du temple d’Horus, à Edfou. Remarques iconographiques », Remparts et fortifications, Collection Kubaba, séries Actes, Pairs, 2010, p. 19-35. Sultanhan (§ 31 Hawkins, p. 466). J.D.Hawkins propose une tout autre traduction.

302

millénaire, on purifie un individu en mentionnant son nom lors des rituels d’ablution6. Tarhunzas, qui symbolise la force, peut se tenir tarpa sur le coupable7. Tarpa implique une certaine agressivité (CORNU) tar/i pa CRUS-i, qui peut être le fait d’un dieu vengeur ou de celui qui commet le forfait. A Alep , on appelle Kubaba et Ea à être tarpa contre celui qui se tient tarpa contre Arpas d’Alep 2 § 25-26 ; Hawkins, 237. Kululu 5 : Puissent ces dieux se tenir tarpa (§ 7).

Il s’agit des dieux précédemment cités, les dieux de ATALLA et les dieux. Ces divinités sont peut-être chargées d’assurer la protection de la maison ; elles entrent probablement dans la catégorie des divinités KAL, elles veillent sur la maison8 ; les dieux viennent pour provoquer la perte du coupable. Le rôle du roi est de faire régner la piété avec l’aide des dieux, de réprimer les vices. Il assure ainsi le bonheur de son peuple. Les dieux sont évoqués comme réprimant l’impiété. Ainsi, dans Kululu 5, on demande aux dieux de venir pour causer la perte des coupables. La tournure s’oppose à l’idée de « venir » ou de « courir devant », action qui traduit concrètement la bienveillance du dieu. Cette morale s’adresse à tout individu sans distinction de sexe ou de classe sociale. Le roi est chargé de faire respecter une morale d’inspiration religieuse avec l’aide des dieux (Hawkins, 2000, p. 487).

6

Voir La Fête d’automne de Télipinu, No 7, Ro 4-10’ ; M.Mazoyer, La vie cultuelle dieu hitttie Télipinu, p.35. Au cours d’un rituel qui se déroule près de la rivière, on purifie un individu en purifiant son nom. 7 Tar(a/i)pa est déterminé par CORNU, SCALPRUM, PES2PES2 ou rien. 8 Pour J.D.Hawkins les Armali sont des agents du culte (Hawkins, 2000, p. 487).

303

Le recours à la justice : Karkémis A 14 b. Karhuhas et Kubaba font un procès à celui qui détruit les portes du bâtiment construit par Astuwatamanza. Kubaba qui sait utiliser la violence pour punir le coupable peut avoir recours à des formes pacifiées de violence. De même, dans A4a, le dieu Tarhunzas, Karhuhas, Kubaba, le dieu Lune, le Soleil et Parakaras font un procès à celui qui prendra les maisons mentionnées aux descendants de Kamanis. Mais le procès s’accompagne de violence puisque les mêmes dieux sont censés briser la tête de ces individus (A4a § 12-14 ; Hawkins, 2000, p.152). Dès le deuxième millénaire on connaît un procès de ce type, qui se substitue à la violence. Le dieu Zithariya, qui entretient des liens étroits avec l’égide, donc avec la fondation, plaide sa cause devant l’assemblée des dieux, sa ville ayant été détruite. On ruine le pays du coupable A Cekke (§ 2 ; Hawkins, 2000, p.146) les dieux viennent pour la perte du coupable : Contre lui, que Tarhunzas du ciel, Karhuhas et Kubaba, la bonne divinité, Ea, la Lune et le Soleil viennent pour sa perte.

Le coupable est privé de l’abondance du ciel, de la terre, l’abondance de Kubaba. Ces dieux transforment la vie du pays en pierre (Cekke, § 25-28 ; Hawkins, 2000, p. 146). Les fautes commises On soulignera la diversité des fautes commises Le coupable porte atteinte au pays ou la cité. C’est le cas à Kayseri et Sultanhan : Kayseri : Celui qui jette les yeux sur le [ ] maison ou il [ ] la cité (Kayseri § 3 ; Hawkins, 2000, p. 473).

304

Sultanhan : Si quelqu’un aspire à causer un dommage à la ville, si quelqu’un aspire à causer un dommage au pays (Sultanhan § 38-39 ; Hawkins, 2000, p. 467).

C’est une faute récurrente dans les prières du 2e millénaire. Par exemple dans la Prière d’Arnuwanda et d’Asmunikal : Nous continuerons sûrement à dire à vous, les dieux, comment les ennemis, ont attaqué le pays des Hattis, ravagé le pays, et l’ont enlevé9. L’inscription de Topada mentionne l’agression de plusieurs rois contre Wasusarmas. Elle peut prendre l’aspect de la rupture d’un pacte. Il s’agirait alors d’un parjure. On se reportera, par exemple, au deuxième millénaire, à la prière où les Gasgas sont accusés de ne pas respecter leur serment : Nous faisons venir les Gasgas et nous leur offrons de présents. Nous leur faisons prêter ce serment … Ils viennent, prennent les présents et font le serment. Mais quand ils retournent, ils brisent leurs serments et ne respectent pas leur parole. Prière d’Arnuwanda et d’Asmunikal (Mazoyer, Hittite 2, p. 329).

La destruction des maisons Les dieux Tarhunzas, Hiputas, [Ea], Kubaba, Sarmas de Harran, Alasuwas, dans la cité de Harmana, le dieu lune de Harran, the dieu Soleil … celui qui détruira ces maisons…ces dieux les détruiront et détruiront son nom. Ils viendront pour sa perte (Kululu 5, Hawkins, 2000, p. 485-486). L’agression contre la fondation (Karkémiš A 31 + 23-28 ; Hawkins, 2000, p. 146). L’agression contre les monuments funéraires : l’atteinte contre l’inscription elle-même. 9

M.Mazoyer, Hh 2, p. 327

305

Celui qui effacera ces inscriptions (Karaburun, Hawkins, 2000, p. 481). L’inscription est une parole consacrée vouant à l’éternité l’individu et les faits rapportés. Atteinte au monument funéraire. On efface et on fait disparaître celui pour qui est dressée la stèle funéraire. On renverse une stèle (Babylone 1 ; Hawkins, 2000, p. 392). Agression contre la fondation (Karkémiš A 31 + 23-28 ; Hawkins, 2000, p. 146). Altération des limites (Karkémiš 4) On s’approche de la cité avec malice (Karkémiš /Cekke § 20-23 ; Hawkins, 2000, p. 146). On ne respecte pas les frontières, on se tient avec agressivité contre la stèle, dont on efface l’inscription. La thématique de la destruction des vignobles est un élément courant dans les inscriptions néo-hittites. Quiconque porte atteinte au vignoble, porte atteinte au culte et commet une action impie. L’impiété On ne donne pas la nourriture et la boisson destinées au sacrifice (Karkémis 4). Pour celui qui ne [donne] pas le pain annuel, une vache et deux moutons, que Atrisuhas vienne pour sa perte (A4d ; Hawkins, p. 101). On a volé la nourriture des dieux. La thématique apparaît fréquemment à l’époque hittite. L’orant souligne souvent qu’il n’a pas détourné dans son intérêt la nourriture ou la boisson du dieu. Inversement, les individus impies volent systématiquement les biens des dieux. C’est le cas des Gasgas dans la prière d’Arnuwanda et d’Asmunikal10au deuxième millénaire : Ils ont partagé votre bétail et vos moutons. Ils ont partagé vos pays en jachère. La source de vos offrandes pain et vos vignobles § 36, Hawkins, 2000, p. 467 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 89). 10

M.Mazoyer, Hh 2, p. 325-336

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On se reportera par exemple à l’inscription de Sultanhan : Puisse Tarhunzas ne pas permettre qu’on boive dans le vignoble (Sultanhan § 36, Hawkins, 2000, 467 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 89).

Karaburun (§ 11-13 ; Hawkins, 2000, p. 481 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 91). L’agression peut concerner le monument funéraire luimême. On efface le texte inscrit sur celle-ci, on retourne la stèle (Babylone, 1, § 13-14 ; Hawkins, 2000, p.392). On peut aussi vouloir effacer les limites du territoire, porter atteinte à l’intégrité du royaume. (Cekke, § 20-23; Hawkins, 2000, p. 146). Commentaire La malédiction occupe une place déterminante dans les inscriptions néo-hittites. Elle constitue le moyen d’écarter toute menace contre un territoire ou contre un individu. Placée souvent un orthostate ou une stèle à un endroit déterminant et visible, elle protège le lieu même. Les agressions, qu’on tente d’écarter mettent en danger le territoire, les édifices, ou les cultes, l’existence même d’un l’individu dont on tenterait d’effacer le nom. Les textes accordent une place équivalente à la destruction des stèles ou de l’inscription elle-même. De fait, il s’agit d’un crime religieux de même nature que les crimes précédents. En réalité, il s’agit d’un crime religieux de même nature que les crimes précédents, qui entraînera la disparition du souvenir des hauts faits du roi et des dynastes concernés et donc la disparition de leur existence dans le futur. Tuer le souvenir et jusqu'au nom des intéressés est l’équivalent d’un meurtre ; c’est d’autant plus grave que la perte est définitive. Le rôle des dieux est essentiel dans la malédiction. Il ne s’agit pas de provoquer la crainte de l’agresseur éventuel mais de rendre la chose évoquée efficiente par la parole. On voit la place essentielle accordée au nom divin dans les malédictions. 307

Nous devons nous interroger sur le sens et la fonction originaire du nom du dieu dans la malédiction. Le nomen devient immédiatement le numen. Ainsi, à Topoda, le dieu de l’Orage est évoqué sous la forme tarhus, § 30, tarhun 31, le vieux thème adjectif, tiré du radical tarh-« vaincre ». Le dieu n’est pas le témoin de l’imprécation, il est l’événement même de l’acte de parole où l’acte s’identifie à la parole. Il en va de même dans le serment ou dans l’évocation. Pour souligner la puissance du dieu, on l’associe à d’autres divinités appartenant à son kaput. A Ku lulu, Targuant s’ajoute à Imputa, Eao, Sarma, le Soleil (Tirât). Les stèles permettent à l’individu de connaître une seconde vie marquée du sceau de l’éternité et de protéger celle-ci de toute agression éventuelle. Le rôle de la parole. Il ne s’agit pas de texte magique mais de la formulation d’expressions qui entraînent l’exécution du contenu des paroles pour l’éternité, la parole étant considérée comme se réalisant à partir du moment où elle est inscrite sur la pierre11. L’évocation des dieux rend indissoluble la malédiction, qui se rapproche ici de la peine mentionnée dans le code de loi. Par ailleurs le nom 11

J.Utrat-Milecki consulté mentionne les travaux de Michel van de Kerchove et de Gernet. Et il relève de ces travaux les citations suivantes: « Avant d’évoquer un vocabulaire qui renvoie à des mécanismes qui nous sont plus familiers aujourd’hui, on peut d’abord rappeler l’existence de la “malediction” ou acte de ‘maudire’,dont l’étymologie (mal-dire ou dire du mal) suggère clairement qu’il constitue ‘un mode de sanction qui fait appel à la toute puissance de la parole, son intention étant réalisée grâce à la médiation divine’. Même si cette ‘conception primitive du jugement’ a aujourd’hui disparu du monde occidental, on ne peut oublier qu’elle est ‘un phénomène social universel qu’on observe autant dans les religions monothéistes que dans les systèmes religieux animistes, dans les sociétés disposant d’institutions pénales que dans celles qui pratiquent une justice tribale’ ». Michel van de Kerchove, Quand dire, c’est punir, essai sur le jugement penal, Bruxelles, Publications des Facultes universitaires SaintLouis 2005, p. 30 cite Gernet qui constate : « De même que la supplication qui a des affinités avec elle, la malédiction est faite pour agir directement et a des fins positives sur des elements de la societe » (L.Genet, Droit et institutions en Grèce antique, Paris, Flammarion 1982, p.87).

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même d’un individu s’associe à son existence. Ainsi effacer un nom ou le texte d’une inscription équivaut à la destruction l’individu lui-même et la réalité qui le concerne. Le langage est toujours ici un événement mythico-religieux. Le nom du dieu n’est pas disponible, il est l’élément de base à partir duquel se forme la formule d’une malédiction. Il ne s’agit pas un élément extérieur préfiguré. Il constitue et organise la parole sacrée. On doit mettre entre parenthèses la définition traditionnelle de la malédiction qui voit une invocation adressée aux dieux afin qu’ils punissent le parjure12. Le nom du dieu exprime la force positive du langage qui établit un lien indélébile entre deux réalités. Le nom du dieu et l’évocation de son activité garantissent l’unité entre les mots et les choses. Parallèlement, le serment se transforme en malédiction si celui-ci n’est pas respecté13. Dans le cas de la malédiction, cette dernière est réalisée en cas de transgression, le dieu garantissant le passage de la parole à l’acte. Le serment est donc l’autre face de la malédiction. Il crée une réalité inaltérable. J.Utrat-Milecki fait remarquer que ces textes sont à la jonction des concepts de la peine et de la religion ; ils permettent de jeter une lumière sur les origines de la peine dans la culture occidentale14. Dans un ouvrage qui fait référence, Y. Jeanclos15 souligne que « Depuis l’Antiquité, l’Europe est traversée par des courants religieux, culturels, politiques et juridiques qui modèlent progressivement les consciences de ses habitants et forment les racines des institutions juridiques mises en place 12

Voir G.Agamben, Le sacrement du langage, Paris, 2009, p.57-58. Même thématique dans la Bible où la parole de Dieu est créatrice. 13 Voir G.Agamben, ibid. 14 J.Utrat-Milecki, Podstawy penologii. Teoria kary [les principes de la pénologie, La théorie de la peine], Warszawa, Warsaw University Press 2006, Voir aussi Kara [La peine] dans le lexicon de la sociologie de la religion (ed. Maria Libiszowska-Zóltkowska, Janusz MariaĔski, Warszawa, Verbinum 2004). 15 Y.Jeanclos, Droit pénal européen, dimension historique, Paris, Economica 2009.

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dans l’Antiquité biblique, grecque et surtout romaine » (p. 1). Dans cette perspective l’apport de la religion et du droit pénal hittites est très important pour comprendre l’origine de la peine dans la civilisation occidentale. Selon J. Outrât-Melenki, les textes de malédiction exigent des études anthropologiques et phénoménologiques, ainsi que des études purement juridiques. L’histoire des cultures pénales doit avoir une dimension interdisciplinaire et englober des analyses portant sur la vie et les mentalités de l’époque concernée. Il ne peut s’agir seulement d’une description des institutions. Ainsi la violence qui accompagne les malédictions néohittites peut-elle nous étonner au regard de la civilisation hittite tournée, au cours de son histoire, vers un adoucissement de la peine, et nous renvoyer à une symbolique du mal, qui n’a eu de cesse d’évoluer au cours de son histoire16.

16

Sur la symbolique du mal, voir notamment P.Ricoeur, La symbolique du mal, première édition, Paris, 1961, p. 1.

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CHAPITRE IV LES ACTIVITES PUBLIQUES ET PRIVEES

Activités religieuses Serments Karkemiš A6 Je confirmerai ces choses en face de Tarhunzas, le dieu Soleil, et Kubaba et chaque dieu1 Le roi s’engage devant les principales divinités de la ville et devant tous les dieux. Tarhunt et le dieu Soleil sont associés au serment dans d’autres religions indo-européennes. On se reportera au diu fides à Rome associé à Jupiter. Au second millénaire, la Lune et Ishara sont intégrés dans le panthéon en tant que divinités du serment. Mais tous les dieux, comme ici, seraient associés au serment, comme le montre les listes des dieux témoins, au second millénaire. Les sacrifices On évoque, à des nombreuses reprises, les sacrifices destinés aux dieux. Ils sont associés à l’institution d’un culte ; on relève comme au second millénaire, des sacrifices sanglants, constitués de bovins et d’ovins. Il s’agit d’animaux d’élevage, mais on connaît aussi des sacrifices d’animaux sauvages : J’ai célébré neuf fois le Mont Harhara avec une gazelle – irwa (Hisarcik 1 § 2 ; Hawkins, 2000, p. 483).

1

Traduction de F.C.Woudhuizen, p. 82. J.D. Hawkins traduit autrement le passage : « Je les lèverai en face de Tarhunzas, du Soleil, de Kubaba et de chaque dieu » (§ 20, Hawkins, 2000, p. 125).

Sultanhan (Comme) (sacrifice) annuel à lui (à Tarhunzas du vignoble) et pour lui (il y aura) deux moutons (§ 29 ; Hawkins, 2000, p. 466 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 88).

A côté des sacrifices sanglants, on offre du pain. Ainsi à Karkémis A 11a, nous lisons « Il établit des sacrifices de pain ARASI » (Karkémis A 11a § 11 ; Hawkins, 2000, p. 95). Des offrandes de vin sont également mentionnées dans les textes. La purification. Comme au second millénaire, le lavage des statues constitue un élément important du culte. On emmène les statues à la rivière et on les nettoie. Quelques fonctions sociales A côté des titres royaux, les textes néo-hittites nous fournissent nombre de titres dénotant une autorité mineure, un rôle religieux, un statut social ou une occupation. Nous n’évoquerons ici que les titres sacerdotaux. Nous renvoyons à ce sujet au travail de F.Giusfredi2. Kumaza « Prêtre » est attesté seulement à Kayseri. Le terme dérive du louvite cunéiforme kumma- « sacré » ; le terme ne peut pas renvoyer au hiéroglyphe louvite *355 SACERDOS qui reste le titre préféré de la prêtrise. Il présente le complément phonétique –li-sa (Karkémiš A 2 +3 § 14c ; Hawkins, 2000, p.109) : Dans le futur celui qui ANTA (-)TAPA- ces temples qu’il soit un REX, un REGIO DOMINUS (seigneur du pays) ou un prêtre (355-lisa). On voit l’importance du prêtre dans la hiérarchie sociale. Il est rangé parmi les plus hautes autorités de la cité, celles qui ont des relations privilégiées avec les dieux. MAGUS.URCEUS il est attesté dans l’inscription de Suvasa B ; il serait l’équivalent de SÌLA.ŠU.DU8A, qui semble désigner, au second millénaire, un prêtre de première importance. Le Prêtre de Sarruma est mentionné dans la même inscription : 2

F.Giusfredi, Neo-Hittite States, p. 119.

312

Sariyas, le prêtre de Sarrumas le roi WARPI, le chef échanson avant Wasursarmas, Grand Roi, Héros (Suvasa § 1 ; Hawkins, 2000, p. 462). SACERDOS (*355), qui se trouve dans documents de Karkémis, est associé à Kubaba et, dans le texte cité, il est associé à Sarrumas. (‘CAELUM.*286.X) s(a)pantari est associé à un prêtre en relation avec la libation.Il figure dans une liste comportant aussi kukisati, mizinalla tunikara/i. (FEMINA.PURUS.INFRA)taniti. Ce titre est porté par la sœur du fils du roi ennemi d’Ariyahina. Il correspond au titre hittite MUNUSdaniti. C’est le seul titre porté par une femme dans le domaine religieux. Et moi je ferai de la fille de mon ennemi une hiérodule pour lui (Tarhunzas céleste) (Tell Ahmar 1 §24 ; Hawkins, 2000, p. 241).

313

Aspects de la vie privée La ville quotidienne est évoquée dans quelques stèles. Elle semble avoir pour finalité d’exprimer le bonheur et la joie qui règnent dans une société vivant conformément aux lois morales et religieuses et inspirées par le respect des dieux. Ceux-ci sont à l’origine de l’autorité du roi : Ils ont fait (Tarhunzas, Karhuhas et Kubaba) le pays de mon père et de mon grand-père MITASARI- pour moi (Karkémiš A11a § 8, Hawkins, 2000, p. 95) On citera la stèle de Tilsevet. Les enfants ont dressé dans un sentiment d’amour filial une stèle en l’honneur de leur mère. On met en garde ceux qui s’en prendraient à la stèle (§ 5) : Cette stèle mes enfants l’ont élevée pour moi (Hawkins, 2000, p. 179). Peu d’éléments permettent de retracer la vie quotidienne. Mais, au détour d’une phrase, on peut cerner les relations entre les personnes. On peut voir dans ce passage un accent personnel : Quand je suis rentré, ma chère femme m’a bien… (Karkémis A1a § 21-22 ; Hawkins, 2000, p. 88). Les reliefs de Karkémis fournissent plusieurs scènes évoquant la vie familiale. Une de celles-ci représente Yariri et son fils Kamas (Bittel, Les Hittites, p.260, fig.294). Une autre épouse de Yariri tient dans ses bras un enfant (Bittel, Les Hittites, 262, fig. 296) ou encore les enfants d’Araras jouent aux dès (Bittel, ibid., 261, fig. 295). Quelques scènes évoquent les activités quotidiennes. On relève un guerrier à cheval à Zincirli ou encore la représentation d’un archer (Bittel, Les Hittites, 263, fig. 297, fig. 298) ; des scènes de banquet à Karatepe (Bittel, ibid. p.265, fig. 299) ; une fileuse face à un scribe, à Maraú (Bittel, ibid. p. 274, fig. 313). On sait que cette dernière activité est l’expression de l’activité harmonieuse de l’épouse dans plusieurs civilisations anciennes. A Rome c’est l’activité de Lucrèce, type de l’épouse légendaire. Ces images donnent une idée de la conception du bonheur à l’époque néo-hittite. Ethique, droit, politique et religion se

rejoignent pour assurer un équilibre et une harmonie plénière dans une société qui repose sur l’équilibre entre le droit divin et le droit humain.

Scènes de la vie quotidienne. Relief d’orthostae, Karkémis, Ankara, Musée d’archéologique.

316

CONCLUSION DU TOME 5

RUPTURE OU CONTINUITE DANS LES ROYAUMES NEO-HITTITES Nous avons vu que l’idéologie propre à l’époque néo-hittite est fortement marquée par la civilisation hittite du deuxième millénaire, et qu’elle s’inscrit dans une continuité. Les modifications qu’on observe ne peuvent pas être considérées comme entraînant une rupture radicale avec les siècles précédents. On relèvera la survivance de la double souveraineté et l’apparition du couple Tarhunt-Hépat, qui se substitue au couple Tešub-Hépat ; elle traduit la disparition de l’influence hourrite, la déesse Hépat étant sentie comme une divinité hittite. On observe la permanence du rôle d’Ea, en tant que dieu fondateur. Il en va de même du dieu Télipinu qui pourrait être mentionné sous l’appellation du dieu de l’Orage du vignoble ou simplement du dieu de l’Orage. La déesse Kubaba, qui joue désormais une place importante dans la vie religieuse, ainsi que les divers dieux lune ont une activité accrue à cette époque. Inversement la disparition des principaux dieux de l’Orage et de la déesse solaire d’Arinna va de pair avec celle des grandes villes anatoliennes. L’idéologie royale semble avoir connu une évolution, comme le traduisent les titulatures, mais on ne peut pas parler de rupture. Le terme JUDEX se substitue à celui de MAGNUS.REX ; il définit une façon de régner conforme à la Justice divine. On observe une évolution du statut royal, ce roi se rapprochant des dieux et semblant sur la voie de la divinisation. Inversement la présence des scènes de la vie quotidienne s’observe dans les textes et surtout dans l’iconographie.

CONCLUSION GENERALE A L’HISTOIRE DES HITTITES Les Néo-Hittites, les Hittites et les cultures périphériques Le rapprochement avec d’autres civilisations montrent que de nombreuses analogies existent entre la civilisation hittite et néo-hittite et les autres civilisations. L’idée d’un monde anatolien enfermé sur lui-même doit être rejetée. On sait qu’on retrouve les grands mythes anatoliens, les topoi de la culture hittite et certaines de ses divinités sur l’ensemble de la Méditerranée. Contrairement à l’usage qui tend à passer sous silence l’apport des civilisations hittite et néo-hittite dans le bassin méditerranéen et au Moyen-Orient, nous voudrions mesurer la part de cette influence. Plusieurs savants ont montré de l’intérêt pour ce sujet. On évoquera en particulier les travaux de J.Duchemin, qui a consacré une partie de son œuvre à l’apport oriental dans les mythes grecs1. De nombreux savants se sont efforcés, de façon souvent suggestive, de mettre en évidence le fait qu’on pouvait relever maintes analogies entre la civilisation hittite et les civilisations contiguës, indoeuropéennes et sémitiques. S’il n’est pas toujours facile de définir l’origine des analogies entre les thèmes communs qu’on trouve dans les civilisations, on relève des analogies surprenantes qui ne peuvent que nous inviter à de plus amples investigations. Dans la mesure où l’époque néo-hittite a conservé de nombreux aspects des croyances, des idéologies et des pratiques cultuelles traditionnelles, ainsi que nous l’avons vu, il est probable que l’époque néo-hittite a joué un rôle important dans la diffusion de cette civilisation dans le MoyenOrient et dans le bassin méditerranéen. L’Anatolie et l’Iliade 1

J.Duchemin, Mythes grecs et sources orientales, Les Belles Lettres, Paris, 1995.

On sait que le terme Ahhiya/Ahhawiya apparaît souvent dans les textes. Un large consensus s’est peu à peu dégagé pour voir, à la suite de Forrer, les Mycéniens derrrière les « gens de Ahhiyawa » et régulièrement, malgré les difficultés phonétiques, on assimile les « gens de Ahhiya/Ahhawiya » aux Achéens2. Il est clair que les Hittites ont eu des relations régulières avec les Grecs mycéniens. Par ailleurs, on a souligné de nombreuses analogies entre l’Iliade et la littérature anatolienne. Outre les ressemblances entre la langue homérique et les langues anatoliennes, on relève un certain nombre d’éléments qui permettent de rapprocher Homère et la tradition homérique des textes anatoliens. On a pu aussi rapprocher le départ du dieu Télipinu de celui d’Achille3. La similitude entre les funérailles de Patrocle, celles d’Hector et les funérailles royales hittites a été observée, il y a déjà longtemps4. On remarquera aussi qu’Apollon troyen a des ressemblances étroites avec Télipinu, le dieu fondateur anatolien5. Dans le premier tome consacré à Homère et l’Anatolie, D.Bouvier, C.Cousin, S.Rahmani, J-M.Renaud et P. Wathelet mettent en évidence l’interpénétration de la culture grecque et de la culture anatolienne6. De son côté C.Watkins a montré que le KUŠkurša, 2

Pour une synthèse de la question, voir Freu, (Mazoyer, éd.) Homère et l’Anatolie, Collection Kubaba, série Antiquité, Paris, 2008, (Homère infra), p.77-106. 3 V.Faranton, « Agamemnon, le roi impie » (parution en cours). 4 L.Christian-Franck, « Le rituel des funérailles royales hittites», RHA 29 (1971), p. 61-111. 5 Mazoyer, « Apollon à Troie », Homère et l’Anatolie, Collection Kubaba, série Antiquité, Paris, 2008 (Homère infra), p. 151-160. 6 M.Mazoyer (éd.), Homère, Paris, 2008. ; D.Bouvier, Glaucos ou l'identité complexe d'un Lycien dans l'Iliade ; S.Rahmani , galaktar et le parhuena : un parallèle avec la nekyomanteia, le nectar et l'ambroisie d'après la lecture d'Homère ; La thanatopraxie et les rites funéraires ; J.M.Renaud, L'influence de l'Anatolie sur la désignation des constellations d'Orion, du Scorpion et de la Grande Ourse ; P.Wathelet, Homère et l'Asie mineure : l'impact de la guerre de Troie sur la mythologie grecque et l'enseignement des comparaisons homériques. C.Cousin par exemple relève « une multitudes de parallèles entre les conceptions infernales hittites et

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qui joue un rôle si important dans la religion anatolienne du deuxième millénaire, et, peut-être, à l’époque néo-hittite, a des caractères communs avec l’égide mentionnée dans l’Iliade7. Le même auteur a montré le caractère louvite de certaines formules homériques. J.Puhvel souligne les affinités entre certaines conceptions de l’au-delà en Anatolie et en Grèce8. Des analogies s’observent aussi entre littérature hellénistique ou la littérature latine du siècle d’Auguste et la la littérature hittite (voir infra).

Quelques mythes anatoliens et quelques divinités. La diffusion du Mythe de Télipinu L’influence de Télipinu se maintient à l’époque néo-hittite sous le nom du dieu de l’Orage de la vigne. Le dieu semble avoir fourni un prototype qui a été couramment utilisé dans le bassin méditerranéen9. Tout se passe comme si, à partir d’un prototype unique, conservé dans le dieu hittite Télipinu, une diversification des fonctions s’était opérée. Dieu jeune, fils du souverain du panthéon, dieu agraire et fondateur, il semble avoir marqué la mythologie grecque et romaine. On observe

7

8

9

homériques ». L’auteur estime que les deux civilisations puisent dans une pensée commune indo-européenne (Homère, p. 65). Une influence hittite sur le monde homérique lui semble moins probable. C.Watkins, « Homer and Hittite Revisited II », in Recent Developments in Hittite Archaeology and History, Papers in Memory of Hans G. Güterbock, Winona Lake, Indiana, 2002, p. 167-176. Voir aussi « Homer and Hittite Revisited I », Fs W. Clausen, Stuttgart, Leipzig, 1998, p. 201-211. J.Puhvel, « Meadow of the Otherworld » in the Indo-European Tradition, KZ 83, p. 64-69 ; Catherine Cousin, Topographie infernale hittite et homérique, Homère p. 47-75. Autres travaux de Puhvel, Homer et Hittite, Inns.beit.Sper, Vor.kl.Schr., Innsbruck, 1991. M.Mazoyer, « Le mythe hittite de Télipinu et le mythe de Déméter, altérité et identité », Figure de l’étranger autour de la Méditerranée antique, Paris, 2009, p. 25-35.

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également des liens étroits entre le dieu Télipinu et la divinité celte Lugus ou Cernunnos10. Dans la religion grecque, par exemple, le découpage pourrait parfois sembler imparfait et les délimitations floues si l’on ne se souvenait pas que ces divinités procèdent d’un prototype unique. On sait qu’Apollon, malgré la toute-puissance de Déméter en tant que divinité agraire, garde des liens avec le monde agraire : il est lié manifestement aux pâturages et aux animaux d’élevage, intermédiaires entre le monde sauvage et le monde civilisé. De nombreux rituels soulignent les liens du dieu avec la fécondité et le renouvellement des générations11. Une situation analogue s’observe pour Dionysos. Lié au monde sauvage, il apparaît associé aux techniques agricoles et pourvu de la fonction de fondateur à l’époque hellénistique et à l’époque romaine12. L’inscription relative à la fondation du culte de Dionysos, et l’instauration de trois Thiases de ménades à Magnésie de Méandre a été souvent étudiée13. L’original de ce texte peut dater du IIIe siècle, époque qui fut sous influence des Attalides, marquée par un renouveau du dionysisme visant à la mise en valeur de la mythologie nationale. L’influence des Lagides a été également déterminante. Considéré dans son ensemble, ce texte présente des éléments traditionnels propres à la fondation : une catastrophe est perçue comme le point de départ d’une fondation et comme le résultat de la colère d’un dieu et de sa disparition. De façon analogue, à l’époque d’Arrien (IIe siècle Ap. J.C), Dionysos présente les traits d’un Télipinu agraire et fondateur. V.Faranton, qui commente un 10

B.Sergent, Celtes et Grecs 2/, Paris, 2004 ; D.Gricourt et D. Hollard, Cernunnos, Le dioscure sauvage, Collection Kubaba, série Antiquité, Paris, 2010. 11 J.Puhvel « Meadow of the Otherworld » in the Indo-European Tradition, KZ 83 (1969), p. 64-69. 12 Voir Ovide Les Fastes III, 713-790. 13 Voir I. Tassignon, « Dionysos et les rituels dendrophoriques de Magnésie du Méandre », éd. Michel Mazoyer et Olivier Casabonne, Studia Anatolica et varia, Mélanges offerts au Professeur René Lebrun, Paris, 2004, p.315-336.

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passage d’Arrien, nous montre un Dionysos très proche du Télipinu hittite et met en exergue l’archétype ancien du fondateur14. Par ailleurs, elle constate que les romans hellénistiques, qui se déroulent en grande partie en Anatolie, portent la marque des civilisations anatoliennes. On a rapproché parfois le Mythe d’Adonis avec celui de Télipinu. Quoique très différent -le dieu hittite ne meurt pas- on peut voir des analogies, qui pourraient laisser penser que le mythe sémitique a subi certaines influences hittites (voir infra). Le Mythe de Kumarbi15 Les relations entre le Mythe de Kumarbi et la cosmogonie hésiodique ont été relevées, il y a très longtemps. Rappelons que ce mythe a été transmis par les documents hittites. Ainsi que le remarque Ch. Penglase, dans le premier chapitre de son ouvrage sur les influences mésopotamiennes dans les hymnes et les mythes grecs16, la question des parallèles entre mythes proche-orientaux et grecs, ainsi que celle de l'influence de ceuxlà sur ceux-ci, est une thématique de recherche ancienne, dont les résultats connurent au fil du temps plus ou moins de succès, mais dont la réalité est aujourd'hui de tous reconnue17. L'étude de la Théogonie d'Hésiode, dans cette perspective, aura été l'une des sources de comparaison les plus fameuses de ce domaine de 14

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V.Faranton, « Réflexions sur un extrait d’Arrien traitant de Dionysos fondateur », Actes du colloque Fondation dans les langues indo-européennes : religion, droit et lingusitique », mars 2011, ENS (Publication en cours). Les analyses qui suivent sont celles de R.Nicolle (Communication personnelle, le 15 mars, 2011). Le dieu de l’Orage hittite et Jupiter, Thèse effectuée sous la direction de Ch.Guittard et M.Mazoyer, Université de Nanterre. Ch.Penglase, Greek Myths and Mesopotamia. Parallels and Influence in the Homeric Hymns and Hesiod, London: Routledge, 1994 (Myths infra). Voir Ch.Penglase ibid. ., « Foundations », p. 1-14, et West « Ancient Near Eastern Myths in Classical Greek Religious Thought », in J. Sasson (ed.), Civilizations of the ancient Near East, New York : Scribner, 1995, p. 33-42.

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recherche, ainsi qu'en témoigne la vaste bibliographie portant sur le sujet18. Cependant, si l'influence proche-orientale est manifeste, elle est pour la Théogonie hésiodique de deux origines différentes : d'une part, mésopotamienne, et plus particulièrement babylonienne, du fait de l'Enuma Elish avec lequel sont faits, au sein de cette sphère culturelle, les plus importants rapprochements ; d'autre part hittito-hourrite. L'importance de cette dernière influence se révéla, au fil des avancées de la recherche, de premier plan, si ce n'est majeure19. J. Haudry20 souligne que l’hypothèse d'une origine indoeuropéenne du motif de la « royauté dans les cieux » soutenue par Wikander dans les Cahiers du Sud de 1952 ne paraît pas acceptable. Le mythe iranien de Yima ne peut être comparé, car Yima n'est pas un dieu souverain. Dans le monde indo-iranien, il y a eu effectivement deux changements de dieu(x) souverain(s) : Dyau a cédé la place à (Mitra-)Varuna, devenu Ahura Mazda en Iran, et, dans le Rgveda récent, Varuna a cédé la place à Indra (RV 10, 124). Mais aucun de ces deux changements réels n'a fourni la matière d'un mythe parallèle à celui de Kumarbi. On remarque toutefois que la mythologie hittite fait allusion à des combats pour la royauté du cosmos (Mythe d’iIlluyanka, Mythe de disparition du dieu Soleil, Mythe de Télipinu et de la fille de l’Océan). L’influence anatolienne sur quelques divinités antiques. De nombreux passages de Virgile ou d’Ovide par exemple semblent s’enraciner dans la civilisation anatolienne21. On 18

Ch.Penglase, ibid., p. 2. Sur la question de cette double influence voir notamment G.Komoróczy « "The separation of sky and earth". The cycle of Kumarbi and the myths of cosmogony in Mesopotamia », Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 21, 1973, p. 21-45, et M.L. West, op. cit., ainsi que M.L. West., Indo-european Poetry and Myth, Oxford: Oxford university press, 2007, p. 162-163. 20 Communication personnelle le 17 mars 2011. 21 Voir récemment M.Mazoyer, « Aristée une divinité déchue », dans Homère et l'Anatolie, Paris, collection Kubaba, 2008, pp. 161-171 ; 19

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évoquera également un texte de Suétone qui semble se situer dans le cadre de la religion hittite22 : selon quelques vers qui circulèrent alors à Rome, Auguste organisa un banquet sacré où Auguste et ses invités se déguisèrent en douze dieux en présence de Mallia. Auguste lui-même prit l’apparence d’Apollon. Divus augustus Livre LXX : Cena quoque eius secretior in fabulis fuit, quae uulgo « dodekatheos » uocabatur; in qua deorum dearumque habitu discubuisse conuiuas et ipsum pro Apolline ornatum non Antoni modo epistulae singulorum nomina amarissime enumerantis exprobrant, sed et sine auctore notissimi uersus; Cum primum istorum conduxit mensa choragum, exque deos uidit Mallia sexque deas Impia dum Phoebi Caesar mendacia ludit. Dum noua diuorum cenat adulteria : Omnia se a terris tunc numina declinarunt, Fugit et auratos Iuppiter ipse thronos. On parla beaucoup aussi d’un dîner secret donné par Auguste et que tout le monde appelait le festin des « douze dieux » ; les convives y parurent, en effet, travestis en dieux ou déesses, et Auguste lui-même, déguisé en Apollon, à ce que leur reproche non seulement les lettres d’Antoine, qui énumère tous leurs noms avec une cruelle ironie, mais encore ces vers anonymes et bien connus : Dès que cette tablée sacrilège eut embauché le maître du chœur, et que Mallia vit six dieux et six déesses, Quand César, dans son impiété, osa parodier Phébus, quand il régala ses convives des nouveaux adultères des dieux, Alors toutes les « A propos des centaures dans les portes des enfers », dans Homère et l'Anatolie, Paris, Collection Kubaba, 2008, pp. 149-150. 22 Analyse de H.Nacarro (communication le 20 mars 2011).

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divinités s’éloignèrent de ce monde, Jupiter luimême s’enfuit loin de son trône doré23.

Plusieurs éléments suggèrent que nous sommes dans un contexte anatolien. On mentionnera en particulier la présence de Mallia. Citée dans deuxième vers du poème que Suétone transcrit dans le livre LXX de la vie d’Auguste, elle n’a jamais été clairement définie24. Tout porte à croire qu’il s’agirait en fait de la déesse hittite connue sous le même nom25. Il s’agit d’une déesse mère, mère de la vigne et du grain. Sa position en retrait est conforme à ce que l’on sait des déesses mères antoliennes. La place de Cybèle, la déesse mère, dans la religion romaine conforte cette hypothèse (voir supra). La présence de la déesse Mallia, dans des vers du Ier siècle avant notre ère, semble probable au vu des nombreux autres éléments anatoliens qui se retrouvent dans ces quelques vers : la présence des douze dieux, la thématique du banquet sacré, la disparition des dieux et de Jupiter à la suite de cet acte d’impiété, que constitue ce simulacre de banquet : le fait que les dieux offensés s’enfuient et quittent leurs places à la fin du poème appuie l’hypothèse d’une influence anatolienne, le thème de la fuite des dieux étant un des plus important de la religion hittite26.

23

Traduction des Belles lettres, Suétone, La vie des douze Césars, H.Ailloud, Henri (trad.), Paris, les Belles Lettres, 1954, tome 1 , p. 120) 24 Le commentateur le plus récent E.Courtney n’apporte pas de nouvelles explications, reprenant l’hypothèse traditionnelle que Mallia désigne l’hôtesse du banquet (E.Courtney, The Fragmentary latin poets, Oxford, 1993, pp. 473-474). 25 L’orthographe latine ne semble poser problème. Maliya étant une déesse de première importance dans les royaumes néo-hittite, son culte a perduré en Lycie classique M.Hutter, The Luwian, Melchert éd, 2003, pp.230-232 ; E.Laroche « Les dieux de la Lycie classique d’après les textes lyciens », dans Actes du colloque sur la Lycie antique, Istanbul 1977, Paris, 1980, p. 4). 26 KUB XVII 10 (M.Mazoyer, Télipinu 1).

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Par ailleurs, au livre XCII du même ouvrage, Auguste voit dans le fait d’inverser ses souliers un mauvais présage. On retrouve ici un autre thème de la mythologie hittite où suite à la colère du dieu les positions dans l’espace sont inversées27. Cybèle et Kubaba Le culte de la phrygienne Cybèle, elle-même dérivée de Kubaba hittite et néo-hittite, s’étend en Lydie et en Ionie. Les reproductions de Cybèle sont nombreuses dans la civilisation phrygienne et les inscriptions phrygiennes soulignent la place considérable que celle-ci joue dans la religion où elle est considérée comme une déesse mère. L’iconographie de la déesse Solaire Hépat a fortement influencé les représentations de la Cybèle phrygienne. Cybèle selon toute apparence s’ajoute à la religion grecque sans se fondre dans une ancienne divinité grecque. La Grèce de l'Est sera une région importante de production, généralement appelées « rhodiennes », de vases plastiques et de figurines souvent tirés du même moule. Il est difficile d'attribuer avec certitude un objet à un atelier précis. Rhodes et Samos, ainsi que les cités de Milet, Didymes et Clazomènes, pourraient avoir donné naissance à des ateliers. Les objets, largement diffusés dans le monde grec, seront assimilés et produits localement, particulièrement dans la Grande Grèce. Figurent parmi la production des divinités dont l’iconographie s’apparente à celle de la Cybèle phrygienne, une très belle reproduction de la déesse qui se trouve au musée d’Ankara.

27

Conformément au Mythe de Télipinu (M. Mazoyer, ibid.)

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Kubaba phrygienne, Musée d’archéologique d’Ankara

Milet aurait été un centre de fabrication et de diffusion de la statuaire de la déesse ; on trouve, par exemple, des reproductions de la déesse à Camirons de Rhodes, datées du Ve siècle. L’épithète « la mère » a certainement été empruntée au modèle phrygien, elle est donc secondaire. C’est sans doute sur la modèle de Hépat, représenté à Yazılıkaya avec sa descendance, que la divinité est devenue une divinité mère. Au départ Hépat est seulement la mère des enfants du dieu. Assimilée à Hépat, Kubaba deviendra, à l’époque phrygienne, la divinité mère de tous les dieux (matar kubile). La forme lydienne kufada attestée dans les inscriptions lydiennes pourrait représenter la forme intermédiaire entre Kubaba et Cybèle. 328

A l’époque romaine, Cybèle devient une divinité universelle. Son épithète « Mère des dieux » montre qu’il s’agit d’une divinité ancienne. Elle est alors assimilée à Rhéa. En Grèce, elle est souvent la « Mère » sans déterminatif. Ses temples sont appelés « metroa ». Les liens de la déesse avec la montagne semblent confirmés. Sur les représentations, elle est souvent escortée de lions. Cette représentation provient également de l’iconographie de la déesse souveraine Hépat. A Yazılıkaya cette dernière est associée à un léopard (no 43). L’Artémis éphésienne Le plus ancien sanctuaire d’Artémis se situe à Ephèse28. Le ville existait probablement au second millénaire et était connue comme la ville d’Apasa, la capitale d’Arzawa. L’archéologie confirme la présence des Mycéniens sur le site au deuxième millénaire. A cette époque, la région était habitée par les ioniens. Les Grecs plaçaient la naissance d’Apollon et d’Artémis à proximité d’Ephèse. Le culte d’Artémis à cet endroit prolonge certainement celui d’une vieille divinité indigène29. Il pourrait s’agir de la déesse Inara, qui possède un certain nombre de points communs avec la déesse grecque Artémis : elle est une déesse nourricière du monde sauvage, divinité jumelle du dieu fondateur, Télipinu30. L'Artémis éphésienne est très différente d'autres représentations connues de la déesse à l'époque classique, hellénistique ou 28

M.Popko, Religions of Asia Minor, p. 179. Voir S.P.Morris, « The Prehistoric Background of Artemis Ephesia. A Solution to the Enigma of Her “Breast” ? », in Ulrike Muss (ed.), Der Kosmos der Artemis von Ephesos (Österrreichisches Archäologisches Institut Sonderschrift Band 37), Vienna, p. 135151; Hutter, Luwian Religion, 268,-269. 30 M.Mazoyer, « Inara et Télipinu dans la Mythologie hittite, ou la gémellité dans ses relations avec la fondation », Actes du séminaire de Lille 3, Imaginaire mythologique des sociétés anciennes, mai 2007 (en cours de parution). 29

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romaine, telles la πότνια θερῶν (potnia théron), la dame à la lyre, la déesse drapée, la déesse nue, la déesse à l'épervier31. Le culte d'Artémis, introduit par les Grecs qui peuplèrent une partie de la côte au début du premier millénaire av. J.-C., s'est fortement transformé au contact des divinités autochtones auxquelles il s'est substitué32. A la différence d’Artémis, Inara est une divinité liée à la sexualité et à la fécondité ; comme la déesse IŠTAR, elle ne reste pas vierge et aspire à s’unir avec les mortels33. Comme son frère, elle est associée au cerf et armée de l’arc. Elle se plaît à la chasse dont elle régit les normes et semble, comme Artémis, entretenir des liens avec la fondation. La multiplication des seins qui ornent la statue de la déesse pourrait évoquer les liens de la déesse hittite avec la fécondité. Santas et Hercule E.Laroche qui étudie le syncrétisme entre Santas et Héraclès se demande comment un dieu violent a pu devenir une divinité agraire à l’époque gréco-romaine. Il se heurte à l’image d’un Santas Primitif, dieu de la violence et de la force. E. Laroche 31

Les dernières campagnes de fouilles archéologiques dans le Rhône ont permis de retrouver les vestiges d'une Artémis éphésienne aux environs d'Arles. Surmontée d'un polos sur lequel figure l'Artémision, le reste de sa couronne est orné de sphinx et de griffons. Les archéologues n'ont pas été surpris de découvrir en cet endroit une telle statue, car les textes des textes antiques - en particulier ceux du poète Avienus - mentionnent une légende selon laquelle les Phocéens, au moment de la fondation de Marseille, sont allés, suite à la demande d'un oracle, à Ephèse, chercher une statue d’Artémis pour implanter un Artémision. Ce culte est certainement venu s'ajouter à des pratiques déjà existantes, car Arles a longtemps été un emporion grec, Théliné, dans lequel un culte était rendu à Artémis (communication de V. Faranton, le 20 mai, 2010). 32 E.Laroche estime que l’Artémis éphésienne, avec son idole baroque, continue sûrement un vieux culte indigène » (Laroche, « Santas = Héraclès », p.107). 33 Ainsi le rapprochement entre la Vierge Mère du Nouveau Testament et la divinité Diane d’Ephèse n’a pas de place. La déesse hittite Inara, prototype de la déesse d’Ephèse n’est pas une divinité vierge.

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atteste l’identité de Santas et de Héraclès. Le savant se pose la question suivante : « Comment un dieu indigène, Santas, guerrier et archer, a-t-il pu être assimilé à Héraclès ? ». On remarque que les dieux du combat sont souvent assimilés à des dieux KAL au second millénaire. C’est le cas de Hasammili, placé régulièrement dans le kaluti de Télipinu. Les dieux KAL protègent avec leurs armes, et notamment avec l’arc, le territoire. Ils peuvent donc assurer la prospérité agraire. On rencontre la même thématique à l’époque romaine : Mars, protège et assure la prospérité des champs. Santas n’est pas une divinité agraire comme le prétend la doctrine de Frazer et Ramsay, qui font de lui un des nombreux représentants de l’archétype syro-phénicien, celui d’un dieu mourant et renaissant. Il n’est pas un Tammouz-Adonis d’Asie Mineure. Sa nature n’est donc pas agraire en premier lieu. Il n’est pas lié aux cycles saisonniers34. Il en va de même d’Héraclès qui purifie les territoires de ses monstres et garantit ainsi leur prospérité. A ce titre, il s’inscrit manifestement la continuité des dieux KAL du second millénaire. La question des sphinx On sait la place importante que jouent les Sphinx dans la Mythologie hittite. Assimilées aux Salawanes, elles assurent la protection des portes. Elles sont représentées dans les murailles de Hattuša à l’endroit nommé « la porte des sphinx ». Elles agissent en groupe, sont liées au roi et associées au chêne vert. Parallèlement, on observe que, dans les textes bibliques, le sphinx était le gardien de l’Arbre de vie, qui est l’expression de l’immortalité du royaume. Selon Th. Petit35, les Sphinxes dans la Bible, comme à Chypre ou encore en Grèce, sont également 34

Voir E.Laroche, Santas = Héraclès, p. 111. C’est encore l’hypothèse de Dalley, « Sanacherib and Tarsus », AnSt 49, 1999, p. 73-80., qui considère que le dieu à l’épi et à la grappe de raisins d’Ivriz. serait le dieu Santa. 35 Th.Petit, La question des sphinxes, OBO 248, Oedipe et le Chérubin. Les sphinx levantins, cypriotes et grecs comme gardiens d‘Immortalité, 2011. X-292 pp., 191 figs.

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associés à l’idée d’immortalité et à la protection des dynasties locales. Dans des contextes funéraires, ces représentations avaient, en fait, un sens eschatologique. D’après le même auteur, ces témoignages prouvent que ces croyances étaient transmises du Proche Orient (y compris l’Egypte) vers l’Egée où ils venaient se fondre dans des contextes dionysiens ou orphiques. Le monde hellénistique La monarchie hellénistique est personnelle. Cela signifie qu'est souverain celui qui, par son mérite individuel, ses actions - le plus souvent militaires - sa conduite peut aspirer à la royauté. Par conséquent, la victoire militaire est souvent l’acte qui légitime l’accession au trône et qui permet de régner sur une province ou un état. Cette thématique est constante dans les inscriptions néo-hittites. Le roi s’estime supérieur à ses ancêtres et il justifie de cette façon sa présence à la tête de l’Etat. Mais le roi hittite et néo-hittite s’inscrit dans une dynastie. Ses mérites militaires ne font que confirmer le choix des dieux et l’affection que ceux-ci lui portent. Comme à l’époque hittite ou néo-hittite, tout procède du roi, en particulier les lois. Ce caractère absolu et personnel est à la fois la force et la faiblesse de ces monarchies hellénistiques, puisque tout repose sur le caractère et la personnalité du souverain. La monarchie obéit donc à la volonté divine. Comme la monarchie hellénistique, la monarchie néo-hittite est essentiellement personnelle, même si elle s’intègre dans une dynastie, qui assure sa légitimité. Il est important de montrer l’image d’un roi justicier, qui assure la paix et qui se présente comme un bienfaiteur et est reconnu comme tel par ses sujets. C’est la notion d’évergétisme qui fait du monarque hellénistique le bienfaiteur de ses sujets. On peut se demander si cette image, qui remonte au monde indo-européen, n’est pas voisine de celle qui apparaît en Anatolie au XVIe siècle à l’époque du roi Télipinu. Le roi assure la prospérité économique de son peuple et le comble de richesses, en échange du respect et de l’obéissance que celui-ci lui témoigne. 332

De façon analogue, l’image du roi bienfaiteur et en retour aimé de son peuple apparaît avec force à l’époque néo-hittite. A ce sujet, dans l’inscription de Maraş 1, nous pouvons lire : Je suis le roi aimé des dieux, reconnu par le peuple, célèbre à l’extérieur, le roi aimé, exalté, doux comme le miel (Maraş 1, 3 h et 4 h-i, p. 263 ; Woudhuizen, Selected Luwian, p. 74)

Enfin, on a pu voir, à l’époque néo-hittite, la mise en route d’un processus de divinisation, d’autant plus important que les royaumes néo-hittites étaient fragiles. La légitimité du roi et son pouvoir étaient fragiles. La divinisation sera aussi un élément déterminant de la personnalité du roi à l’époque hellénistique. On remarquera par ailleurs les nombreux éléments convergents entre les romans helléniques et la littérature hittite36. On ne doit pas oublier que nombre d’entre eux se déroulent en Asie Mineure. Une conception parallèle de la femme, une organisation du cosmos, qui présente des liens manifestes entre les deux civilisations, se signalent à l’attention. On retrouve notamment dans la vision de la nature des convergences intéressantes qui mériteraient d’être étudiées. Par ailleurs, la religion semble avoir été marquée par l’Anatolie. On soulignera en particulier et l’évolution de la figure de ce dieu, par rapport à l’époque classique, qui, à l’époque hellénistique, se rapproche sur de nombreux points du dieu hittite Télipinu37. On évoquera à présent, à titre d’exemple, la continuité entre l’auberge à l’époque hittite et l’époque grecque

36

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V.Faranton, Images et représentations de la nature dans les romans grecs de l’antiquité, Thèse de l’Université de Limoges, sous la direction de Jean-Pierre Levet, Limoges, 2002. V.Faranton, « Réflexions sur un extrait d’Arrien traitant de Dionysos fondateur », Actes du colloque Fondation dans les langues indo-européennes : religion, droit et lingusitique », mars 2011, ENS (Publication en cours).

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Comme dans l’Anatolie hittite, l’auberge pourrait avoir eu, à l’origine, une connotation religieuse. A l’époque hittite, c’est un lieu où l’on se livre à la prostitution sacrée38. Les auberges dans le monde grec sont souvent placées à côté d’un temple. Plus tard, il semble que la confusion entre une auberge, une maison close ou une simple habitation privée était courante. Ainsi, Élien nous rapporte que Stratonicus, un joueur de cithare, pensant bénéficier d’une hospitalité amicale de la part de son hôte, s’est en fait retrouvé dans une auberge. Celui-ci décide alors de partir car c’est « un bordel au lieu d’une maison »39. Par ailleurs, dans l’empire byzantin, un pandocheion peut également servir de poste pour chevaux et des messagers impériaux y sont de passage40. L’auberge grecque classique, associée aux voyages religieux, est située près du temple, au cœur de la cité. Peu à peu, les voyages se diversifient, de même que les voyageurs. Les échanges commerciaux sont également de plus en plus importants. La fréquentation orientale, associée à la vision de l’étranger par les Grecs, fait de l’auberge un lieu de débauche et de crimes, car elle est ouverte à tous. Ce thème, repris par la littérature juive et chrétienne, n’empêche pas l’auberge d’être aussi un lieu de rencontres, mais surtout, un passage inévitable pour beaucoup de voyageurs d’origine diverse. L’institution connaît une large diffusion, avec de bons et de mauvais établissements. C’est un lieu de promiscuité et de mixité sociale. En Orient, elle peut être un lieu de communication entre le peuple et la communauté, ce qui se pratiquait déjà à l’époque classique. Il pouvait s’y tenir des discours politiques, ce que Rome associe à des réunions de troubles à l’ordre public.

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S.Dai, « A propos des chanteuses sacrées à l’époque hittite », in Mélanges Freu (publication en cours) ; M.Mazoyer « L’auberge en tant que centre de la vie cultuelle (parution en cours). 39 Élien, XIV, 14. 40 Anonyme, Vie de Théodore de Sykéon, I, 3 ; II, 7.

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La répartition des auberges permet également de mieux saisir l’aire d’influence hellénistique41. L’empire des Achéménides S’il ya peu de rapports entre la faiblesse des rois néo-hittites et celle des monarques séleucides, il existe toutefois des similitudes entre les mythologies hittite et iranienne, l’idéologie qui sert de socle à l’empire des Achéménides et aux royaumes néo-hittites présentant des analogies étroites. Comme nous l’avons vu précédemment, les rois néo-hittites portent régulièrement, à partir d’une certaine époque, le titre de JUDEX. Un terme analogue est utilisé pour désigner le roi Achéménide (framâtar)42. Parallèlement, il existe une étroite connexion entre la conception du pouvoir à l’époque néo-hittite et à l’époque Achéménide. La loi qui est imposée dans l’immense territoire des Achéménides est celle du souverain devenu roi et maintenu par la volonté du dieu Ahuramazda. De façon analogue dans les royaumes néo-hittites, l’autorité du roi repose sur la volonté divine. Celle-ci s’exprime couramment par l’expression « La dieu marche à côté », qui accompagne la description des activités royales. Ainsi, le roi néo-hittite, comme le roi Achéménide, transcrit dans les faits la volonté divine. La thématique de la refondation constitue l’assise sur laquelle repose l’idéologie qui imprègne les écrits de Darius. Darius pour obéir à la volonté d’Ahuramazda a reconstruit le royaume43. De la même manière, le roi néo-hittite se présente volontiers comme un fondateur ou un refondateur. Grâce à 41

M.-A.Schousboë « Les Auberges du Proche-Orient hellénistique et romain », Le Banquet de pharaon à Marc Ferreri, Cahiers Kubaba, Paris, 2011, p. 279-290. 42 Concernant l’idéologie Achéménide, nous reprenons ici quelques éléments de la communication de J.P.Levet au Colloque de Pau, mars 2011.Communication de J.P. Levet le 25 mars 2010. Nous renvoyons aussi P.Briant, Histoire de l’Empire Perse, Paris, 1996 ; S.Démarre-Laffont « datu sa sarri. La loi du roi dans la Babylonie achéménide et séleucide », Droit et cultures [en ligne], 52, 2006-2, 12 pages. 43 DNa32 s.

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l’assistance des dieux, il reconquiert les territoires perdus par ses ancêtres, reconstruit les bâtiments détruits, fixe les frontières définitives. Il se présente volontiers comme un roi qui a étendu les frontières de son royaume. L’ennemi est présenté comme un être impie contre lequel on invoque l’intervention des dieux. Mais le roi se définit comme un juge ou un guide pour son peuple, à qui il impose une morale. Le roi néo-hittite se présente comme celui qui a réussi à établir le bonheur et la prospérité dans son royaume grâce aux liens privilégiés qu’il entretient avec les dieux. C’est peut-être l’explication du titre de JUDEX dont est doté le roi dans sa titulature et auquel le roi achéménide peut avoir recours44. Le roi néo-hittite, reprenant les éléments de la philosophie mise en place à l’époque du grand roi Télipinu prétend assurer la richesse et le bonheur de ses sujets et inspirer les règles établies par les dieux. Le droit, la paix, la protection de ses sujets correspondent à la volonté divine (voir supra). Le désir de Darius se définit comme le règne du droit, qui désigne moins une vérité juridique qu’une idéologie politico-religieuse45. Le roi néo-hittite, recevant des dieux la justice divine dont il est lui-même pénétré46, garantit la

44

J.P.Levet, communication personnelle du 26, 3, 2010. A propos du terme framātar voici les informations que nous communique J.P.Levet. En DNa57, framānā désigne le « commandement » d’Ahuramazdā : « ne pas s’éloigner du chemin de la droiture, ne pas se rebeller » (ce qui coïncide avec la volonté de Darius). Le framātār peut être le « guide », « le juge suprême en tant qu’inspirateur des règles éthiques et juridiques », celui qui mesure (mā) avant et pour les autres (fra-) la vérité morale et juridique et qui la transmet aux autres, qui l’indique à ses sujets, « la source du droit et de l’éthique ». 45 P.Briant, Histoire de l’Empire Perse, Paris, 1996 ; S.DémareLaffont « datu sa sarri. La loi du roi dans la Babylonie achéménide et séleucide », Droit et culture [en ligne], 52, 2006, 12. Voir dernièrement, J.P.Levet, « La fusion du droit divin et du droit humain dans les inscriptions en vieux perse, » Acte du colloque de Pau, mars 2011 (publication en cours). 46 « Les dieux de la justice (…) et Runtiya de IPA ont fait de moi un JUDEX (Maraş 1 § 6, Hawkins, 2000, p. 263. Le roi lui même

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prospérité de son royaume47. Les inscriptions nous renseignent de façon claire sur les principes qui définissent le pouvoir royal mais elles ne disent pas un mot sur l’activité du roi en tant que législateur, malgré le terme JUDEX, qui figure dans la titulature. Il en va de même pour les inscriptions achéménides, qui restent au niveau des principes et qui ont une valeur pédagogique. Le monde hittite et néo-hittes et quelques civilisations civilisations anatoliennes Les Phrygiens Sur la stèle fragmentaire de Kemerhisar, on trouve une inscription en hiéroglyphes avec nom du Warpalawas. L’influence phrygienne, relevée à Ivriz, s’accompagne de liens politiques étroits entre le roi Warpalawa et le roi Midas (Voir Freu supra). Sur la stèle de Bor qui provient de la localité voisine de Kemeshisar -comme à Ivriz- le roi porte sur ses vêtements un certain nombre d’éléments qu’on retrouve également en Phrygie. Inversement, les villes de Phrygie présentent des représentations dont la forme ne peut s’expliquer sans le modèle de l’art néo-hittite. A Ankyra, fondé par les Phrygiens selon Pausanias, ont été retrouvés dix orthostates avec des sphinx, des lions, un cheval, un taureau et des êtres hybrides, dont la configuration est proprement néo-hittite. On relève également une Kubaba phrygienne, comme nous l’avons vu précédemment. Placée dans une naistos, elle est associée à deux créatures à tête de griffon et à corps d’homme, dont l’une celle de droite - soutient un soleil ailé. On voit là le passage d’un thème néo-hittite à un univers spécifiquement phrygien. En revanche à Gordion, à 80 kilomètres d’Ankara, on ne voit rien qui relève de l’influence néo-hittite. L’architecture ne laisse

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devient imprégné de la justice divine ; « et moi du fait de ma justice, ils… « Maraş 1 § 7 ; Hawkins, ibid.). Même thématique au second millénaire. Dans l’édit de Télipinu le bon roi, qui respecte les lois divines, garantit la prospérité à son peuple. Le roi impie provoque la ruine de celui-ci.

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pas déceler une influence hittite, même si la présence hittite est attestée sur le site au deuxième millénaire. Il semble donc évident que les Phrygiens ont été en relations étroites avec les néo-hittites. Il existe des preuves de l’alphabet phrygien, qui pourrait confirmer la présence phrygienne dans la région. La présence d’un tumulus funéraire à proximité, près de Kaynarca, trahit une coutume courante en Phrygie : la sépulture était accompagnée d’un abondant mobilier funéraire identique à celui de Gordion48. Les Lydiens Comme le souligne F. C. Woudhuizen49, il y a certainement une continuité entre le louvite et le lydien, même si dans le domaine archéologique, on observe un trou entre la fin de l’âge de bronze et les débuts du règne de la dynastie de Mermnad. Concernant l’épigraphie, on observe une discontinuité, le louvite hiéroglyphique du milieu de l’âge de bronze est remplacé par l’alphabet du début de l’âge du fer. Les textes lydiens ont conservé le nom de quelques divinités qui se trouvent dans les textes néo-hittites. Une de celle-ci est représentée par Cybèle, c’est-à-dire la divinité Kubaba, qui joue un rôle essentiel dans les royaumes néo-hittites et en particulier à Karkémis. Il n’est pas indispensable de supposer une influence de la culture phrygienne sur la culture lydienne même si celle-ci n’est pas exclue. On peut supposer une influence directe des royaumes néo-hittites sur la civilisation lydienne. Mais, dans les sources classiques, Cybèle est présentée comme la « Mère des dieux », épithète issue de la Phrygie et résultant sans doute d’une confusion de la part des Phrygiens ; la déesse est aussi la Mère des Montagnes, fonction qui apparaît à l’époque néo-hittite. Selon Hérodote, Cybèle est honorée à Sarde où elle dispose d’un temple. Les Lydiens l’appellent

48

O.Pelon, « Le site de Porsuk-Ulukişa en Capadocce méridionale », Studia Anatolica et varia, 195-20. Voir également Bittel, Les Hittites, p. 289-295. 49 Communication personnelle (le 15 mars, 2011).

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Kufad(a), Kufav(a) ou Kuvav(a). Le détail du culte de Kubaba est inconnu. Mais l’absence du culte d’Attis est remarquable. Artémis semble avoir été une divinité importante en Lydie. Elle était honorée comme Artémis Sardiane (Sfarda en Lydie). Mais on connaît aussi l’Artémis d’Ephèse avec l’épithète Ibśimsi, Artémis de Coloe avec l’épithète Kulumsi. Il est possible que ces appellations différentes répondent chacune à des représentations particulières. Les liens entre Artémis et Apollon Qλdan/Pλdan sont affirmés. Le culte d’Artémis d’Ephèse est attesté à Sarde dans les inscriptions. Le culte d’Artémis d’Ephèse est attesté en Lydie à partir du VIe siècle. L’Artémis d’Ephèse peut s’inscrire dans la continuité de la déesse anatolienne Inara; elle semble en effet très spécifique de l'Anatolie et ses caractères la rapprochent de la divinité du 2e millénaire (voir supra). Nous avons vu précédemment l’importance de Santa à l’époque néo-hittite. Le culte de cette divinité est bien attesté en Lydie. La présence du culte de Koré et de Déméter observable en Lydie s’inscrit dans la continuité anatolienne. Déméter présente de nombreux caractères qu’on a pu observer précédemment chez Télipinu, lequel continue à être honoré à l'époque néohittite (voir supra). La Lydie est pays d’origine de Baki, c’est-à-dire de Bacchus, le dieu de la vigne identifié à Dionysos. Son culte aurait été emprunté à la Lydie et exporté en Grèce vers le VIIe siècle. Les liens entre Baki et les divinités anatoliennes sont manifestes. On rappellera aussi que le Zeus lydien est étroitement associé à la montagne Tmolus. On retrouve ici une des caractéristiques du dieu de l’Orage du ciel propre à l’Anatolie. Concernant la langue lydienne, F.Woudhuizen nous apporte les précisons suivantes50. En ce qui concerne la relation entre Lydien et Louvite, il est tout d’abord pertinent de noter que l’âge du bronze précurseur du royaume de Lydie, celui de Arzawa ou Mira se trouve compris dans la zone de répartition des inscriptions 50

F.C.Woudhuizen, Communication personnel le 1 mars, 2010

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hiéroglyphiques. Les textes concernés ne se limitent pas aux légendes du célèbre sceau de Tarkondemos ou à l’inscription sur la roche à Karabel, qui sont tous les deux sont attribués au dirigeant de Mira dans la période tardive du XIIIe siècle avant J.C., lequel s’appelait Tarku(nt imu) was, mais il comprend aussi des sceaux remontant aux périodes antérieures. Cette correspondance qu’il est bon de mentionner (Louvre 20.138) qui provient du bronze moyen, a reçu sa légende sur le côté du rouleau qu’on peut lire ATIM MU TARKU-KURUNT « Je suis Tarku(ku)runtas ». Elle a été réutilisé au XVe siècle avant J.C., comme la séquence á–su-wi « Assuwiya » inscrite sur le côté de l’estampille. La ligue Assuwiya est une coalition de forces de courte durée située dans la partie occidentale de l’Anatolie, dirigée par la maison royale d’Arwaza51. Un autre sceau hiéroglyphique attribué à Arzawa ou Assuwa a été mis au jour à Thèbes en Béotie (Thèbes numéro 25). Selon sa légende, il appartenait à d’autres grands rois non authentifiés Tar untamuwas et Tar untalwas (le fait que Arzawa ait été dirigé par les grands rois pendant le XVe et XIVe siècles avant J.C. est prouvé historiquement en raison de la présence de Tar undar adus dans les lettres bien connues d’Armana) Dans ce contexte il est surprenant que la langue lydienne, allant du VIIe au IVe siècle, comme les inscriptions alphabétiques l’attestent, soit généralement considérée comme une branche à part du groupe des langues indo- européennes d’Anatolie, les plus proches peut-être du hittite.Ce point de vue a conduit l’indo- européaniste hollandais Robert S.P Beekes52 à soutenir que les ancêtres des Lydiens sont les colons de la région de l’Hellespont qui se sont installés en Lydie à l’époque des soulèvements des Peuples de la Mer, à la fin de l’âge du

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52

F.C.Woudhuizen, « Two Assuwian Royal Seals », Jaarbericht Ex Oriente Lux 40, (2006-7), p.125-129. R.S.P.Beekes, « The Prehistory of the Lydians, Origine of the Etruscans, Troy et Aenesa », Bibiliothecal Orientalis 59,3/4 (2002), p.205-239.

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Bronze. Toutefois, ceci est fondé sur la mauvaise lecture de trois signes lydiens53. Recherche sur les civilisations sémitiques et les civilisations hittites et néo-hittites. Les Araméens et les néo-hittites La dernière inscription araméenne déchiffrée et traduite par D. Pardee54 vient de Zincirli ; elle confirme l’assimilation de la culture araméenne, aussi bien dans le détail que dans l’ensemble : Je suis KTMW, le serviteur de Panamuwa, qui ai commandé pour moi-même (cette) stèle de mon vivant. Je l’ai fait placer dans ma (=cette) pièce ( ?) et j’ai instauré un festin (dans) cette pièce cette chambre (?) ; un taureau pour Hadad QR/DPD/RL, un bélier pour NGD/R SWD/RN, un bélier pour Šamš, un bélier pour Hadad des Vignes, un bélier pour Kubaba, un bélier pour mon ‘âme ‘qui sera dans cette stèle. Désormais (quant à celui) de mes fils ou (à) celui des fils d’un autre qui entra en possession de cette pièce?, qu’il prenne du meilleru de cette vigne (comme) offrande ( ?) année après année et qui’l abatte (les victimes nommées plus haut) à (proximité de) mon âme et qu’il m’attribue comme portion une hanche. TMW est un nom personnel d’origine louvite, de même que le nom pnmw. La liste des divinités, qui évoque le panthéon des rois de Sam’ al, la présence de Kubaba et de Hadad du vignoble (Télipinu) ainsi que les topoi sont significatifs de l’influence néo-hittite. La présence de la divinité Kubaba dans un contexte totalement araméen est remarquable.

53

54

F.C.Woudhuizen, Lydian : Separated from Luwian by three signs, Talanta Proceedings of the Dutch Archeological Society, p.16-17 (1984-85), p. 91-113. Voir aussi idem, Selected Luwian 2, p.119145. D.Pardee, « Une nouvelle inscription araméenne de Zincirli », Comptes rendus de l’académie des inscriptions, Paris 2011, p.799806.

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R. Bertolino55 souligne que, sur la base de quelques inscriptions du royaume de Sam`al en particulier, on peut dire que les Araméens ont beaucoup emprunté aux Néo-Hittites pour ce qui est de la pratique royale et administrative, bien que leur alphabet, d'origine phénicienne, reste incontestablement sémitique. Rappelons que, lors de la bataille de Qarqar (853 av. J.-C.) contre Salmanassar III, il y a eu une coalition entre rois néo-hittites et araméens, coalition qui a également inclus le roi Ahab d'Israël.Les premières inscriptions des rois araméens de la région datent en fait de cette époque mais malheureusement peu d'entre elles nous sont parvenues. Ces premières inscriptions sont en réalité phéniciennes, avec beaucoup d'éléments araméens : il suffit de voir par exemple la stèle royale de Kilamuwa56, trouvée à Zincirli en 1902, ou l'inscription de Panamu I mentionnant Hadad, ou encore celle de Panamu II, de la même dynastie, dont le commanditaire fut le fils Bar Rakkib. A partir de ce dernier, son royaume ne sera plus appelé « Ya`udi » mais « Sam`al », nom bien connu d'après les sources araméennes et assyriennes (Tiglat-Pileser III), et une nouvelle forme d'araméen d'empire semble avoir supplanté le dialecte de cette culture syro-anatolienne hybride. Les néo-hittites et les Phéniciens Les civilisations néo-hittites et phéniciennes se sont non seulement côtoyées, mais elles semblent avoir vécu, dans une certaine mesure, en osmose. On comprend, dès lors, que les inscriptions araméennes présentent de nombreux points communs avec les inscriptions néo-hittites. Inversement, dans la bilingue de Karatepe, Azatiwatas évoquant les divinités contre ceux qui oseront profaner les portes de la ville mentionne deux divinités sémitiques Baalshamîn (le Seigneur du ciel) et El (le créateur). Elles répondent aux divinités néo-hittites Tarhunza du ciel et le dieu Soleil du ciel. Les autres dieux sont évoqués de part et d’autre. Dans le texte phénicien, l’assemblée des fils des 55 56

R.Bertolino (communication le 10 février 2011). R.B. Wartke, Sam`al : Ein aramäischer Stadtstaat des 10. bis 8. Jhs.

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dieux - du côté hittite tous les dieux - est invitée à châtier le coupable, qu’il s’agisse d’un roi ou d’un simple particulier. Le texte phénicien ne donne pas d’équivalent à Ea signalé dans le texte hittite. Les deux textes formulent le vœu que le nom d’Azatiwatas apparaisse pour l’éternité, comme le nom du Soleil et de la Terre. Comme le font remarquer M. Gras, P. Rouillard et J. Teixidor57, cette inscription montre que le phénicien était devenu un moyen de communication indispensable et qu’Azatiwatas dut tenir compte des ressortissants de Tyr ou de Sidon qui habitaient dans sa ville58. Dans l’inscription d’Azatiwatas, on retrouve les topoi des inscriptions néo-hittites : Azatiwatas a bâti une ville et lui a donné une série de prérogatives qui sont associées à la fondation dès le deuxième millénaire : « Que cette ville soit propriétaire de blé et de vin. Que ce peuple qui l’habite soit propriétaire de bœufs, propriétaire de petit bétail, propriétaire de blé et de vin ». La prospérité de la ville est évoquée avec les mêmes accents que ceux du Mythe de Télipinu. Il s’agit de la vision d’une fondation prospère et qui bénéficie de la bienveillance des dieux. Le dieu Baal évoqué a toutes les caractéristiques d’un dieu de l’Orage anatolien. Le roi ajoute, dans la tradition anatolienne : « Moi, pour celui-ci, je fus un père, et pour celui-là, je fus une mère et pour cet autre, je fus un frère ». On peut penser que la substitution de Baal à Tarhuntest seulement d’ordre lexicographique. C’est le cas au second millénaire, où la déesse Solaire d’Arinna reçoit le nom de Hépat. La littérature, l’architecture et l’art sont fortement marqués par le passé impérial hittite59. L’inscription de Kilamuwa rédigée en bon phénicien de Tyr et de Sidon et gravée sur un 57

M.Gras, P.Rouillard et J.Teixidor, L’univers phénicien, Paris, 1995 (L’univers phénicien, infra), p. 40-42. 58 M. Gras et alii, L’univers phénicien, p .42. 59 J.D.Hawkins, « The neo-hittite States in Syria and Anatolia », The Cambrige Ancient History III/1, Cambrige 1982 et Writing in Anatolia : Imported and Indigenous Systems », World Archaeology 17, 1986, p.363-375.

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orthostate du palais, comme c’est souvent le cas dans les villes néo-hittites, célèbre les fastes du règne de Kilamuwa qui appartenait à une dynastie araméenne. Le texte évoque naturellement les textes néo-hittites : il souligne que le roi en place est infiniment supérieur aux souverains qui l’ont précédé. Comme au second millénaire dans la civilisation hittite, le roi se présente comme un père et comme une mère et il assure la prospérité matérielle de son peuple. Cette thématique peut être rapprochée de celle que nous trouvons au second millénaire dans la littérature hittite. L’inscription du sarcophage d’Ahiranm, roi de Byblos, vers l’an mille, contient tous les éléments que l’on trouve dans les inscriptions néo-hittites ultérieures. Itthobaal a fait un sarcophage pour son père Ahiron et y a inscrit un texte dans lequel plusieurs malheurs arriveraient à celui qui profanerait la sépulture. Si un roi parmi les rois, un gouverneur parmi les gouverneurs, un chef d’arme monte à Byblos et ouvre ce sarcohpage-ci, que le sceptre de son pouvoir soit brisé, que son trône royal soit effacé et que dans Byblos le calme disparaisse. Et quant à lui que son inscription disparaisse (Gras et alii, p. 45). L’inscription donne quelques indications sur la religion de Byblos, qui se trouvent également dans les inscriptions néohittites. Le roi de Byblos est présenté comme un roi fondateur, il a construit les temples des dieux. La Dame de Byblos et l’assemblée des dieux prolongent les jours du roi parce qu’il est juste. L’épithète divine Baalshamîn « Seigneur du ciel » devient le nom du dieu souverain dans le Moyen-Orient, très proche du dieu de l’Orage du ciel des Hittites du second millénaire60. Il désigne le dieu du ciel, sans être le dieu Soleil du ciel ou la lune. Quant au culte voué à la Dame de Byblos, il peut être mis en parallèle avec la place éminente que joue la déesse Kubaba dans plusieurs villes néo-hittites. Quelques siècles plus tard, une autre inscription mentionne un certain Yehomilk, qui fut roi de Byblos vers 500. Cette 60

M.Gras et alii, L’univers phénicien, p.45-46.

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inscription comporte des analogies frappantes avec la littérature néo-hittite. Selon un topos propre à la littérature hittite, après avoir énuméré tout ce qui a été offert à la divinité, on demande à celle-ci de donner au roi les longues années. La fin de l’inscription, comme il est courant sur les stèles néo-hittites, évoque la destruction de celui qui détruirait l’inscription ainsi que celle de sa descendance. On soulignera le caractère hétéroclite de l’ensemble. Le roi est habillé à la persanne. La dame de Byblos est déguisée en Hathor. Un disque ailé est placé au-dessus des deux figures et met en évidence la souveraineté. F.Briquel-Chatonnet et E. Gubel61 nous rappellent que dès le IXe et le VIIIe siècle, la culture phénicienne se fait de plus en plus le miroir d’une « internationalisation » précoce, adaptant les éléments des cultures étrangères et surtout favorisant leur diffusion. Aux nombreux emprunts égyptiens et hittites s’ajoutent des éléments égéens provenant des comptoirs phéniciens de Chypre et du monde grec, annonçant la phase orientalisante où les artistes grecs s’inspirent de modèles phéniciens. Les marchands phéniciens ont favorisé l’extension de la culture orientale dans le bassin méditerranéen et, sans doute, plus loin. On observe également d’étroites analogies dans les mythologies. Le premier millénaire est marqué par le développement de mythes liés à l’endormissement et au réveil du jeune dieu. Milquart à Tyr, Adonis à Byblos. Même si l’influence du mythe d’Osiris a marqué ces mythes, l’existence du Mythe de Télipinu dont l’influence est toujours perceptible dans les inscriptions néo-hittites, n’est sans doute pas étrangere à ce développement. Dans le cas de Baal-Haddu62, le dieu de l'Orage combat le dieu Yammu. Baal-Haddu doit s'y prendre à deux fois pour 61

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F.Briquel-Chatonnet et E.Gubel, Les Phéniciens. Aux origines du Liban, Paris, Phéniciens infra), p.121. Les analyses suivantes sont celles de Raphaël Nicolle (communication personnelle, le 20 mars 2011). Fronzaroli, « Les combats de Hadda dans les textes d'Ebla », MARI 8, 1997, 283-90.

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vaincre son adversaire, car celui-ci résiste à son premier coup. Le dieu obtient alors la royauté que lui disputait Yammu63, mais aussi la domination du monde terrestre64. Le véritable Dragon est éliminé par Anat'65. Dans les deux versions du Mythe d'Illuyanka66 , le dieu de l'Orage hittite est d'abord vaincu et isolé. Il a besoin de l'aide de tiers, c’est-à-dire d’un être humain, pour vaincre son ennemi qu'il exécute. Le serpent Illuyanka n'est pas le dieu Océan. C'est un être chthonien qui est, de fait, associé au monde souterrain constitué par les eaux. Par son élimination, le dieu de l'Orage accède aux eaux terrestres et souterraines67. La maîtrise des eaux est une caractéristique du couple Orage-Source des panthéons locaux hittites. Le mythe hittite est cosmique et naturaliste en plus d'être royal. Si Tarhunna tue le Serpent, en revanche, l'Océan est soumis par le dieu Télipinu lors du mythe de Télipinu et la fille de l'Océan. Océan devient un parent du dieu de l'Orage par le mariage de sa fille avec Télipinu. Les ennemis sont donc inversés par rapport au monde ouestsémitique. Le dieu de l'Orage hittite contrôle le cosmos grâce au mariage, Baal par le meurtre. Les deux mythes présentent des analogies mais la construction est différente. Les recherches comparatistes ont cependant montré une forte ressemblance tant dans la forme que dans le contenu avec des éléments indoeuropéens. On retrouve ces derniers dans le monde celte (breton L'auteur fait remonter au XXVème siècle le mythe du combat du dieu de l'Orage contre la Mer. Haddu était donc le premier dieu à combattre l'Océan. 63 P.Bordreuil et D.Pardee, « Le combat de Ba'lu avec Yammu d'après les textes ougaritiques », MARI 7, 1993, p.63-70. 64 A.Greeen, The storm-god in the Ancient Near East, Winona Lake, 2003, (The Storm-god infra), p. 187. 65 A.Greeen, The storm-god, p. 183-185. Cette divinité peut-être considérée comme une hypostase de Baal. 66 M.Mazoyer « Aperçu sur deux monstres de la mythologie hittite », Cahier Kubaba IX, 2004, p.235-250. 67 R.Nicolle, Réflexions sur le dieu de l'Orage hittite et Jupiter aux époques archaïques, Mémoire de Master 2 dirigé par Ch. Guittard, Université Paris X Paris-Ouest, 2009-2010, p.44-48

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et irlandais)68. Il est donc probable d'y voir un héritage commun entre les Hittites et les ancêtres des Celtes. Les dieux de l'Orage proche-orientaux ont été régulièrement comparés, du fait de la proximité de leurs mythes. Le mythologème du dieu de l'Orage rapporte le combat du dieu de l'Orage contre un ennemi océanique (et serpentin). Dès le deuxième millénaire on sait que des relations ont existé entre Ougarit et le monde Egéen69. La richesse de la documentation archéologique contraste avec la rareté des textes. Les gens d’Ugarit ont navigué sans doute au-delà de Chypre et de la côte lycienne, ne laissant à personne d’autres le soin d’assurer les échanges entre la Mésopotamie, l’Egypte et l’Egée. Dès l’époque babylonienne l’étain a circulé en direction de la Crète en passant par Ugarit. On se reportera aussi au trésor trouvé à Thèbes en Béotie. Dans les textes mythologiques ou littéraires, le dieu artisan (orfèvre et forgeron) Kothar-Kassis a deux résidences éloignées d’Ugarit, une en Crète et une en Egypte. Les marchands et les marins d’Ugarit ont connu la Crète, mais ils ont laissé à d’autres (les Cananéens), les futurs Phéniciens, les risques et les bénéfices des navigations vers la domination du monde terrestre70. La Bible et les néo-hittites Les auteurs bibliques ont utilisé le terme hittite pour désigner ceux que nous appelons les néo-hittites (voir Freu supra). Leur histoire est contemporaine de celle d’Israël. Dès lors une grande partie de la civilisation du deuxième millénaire ayant été conservée dans les textes néo-hittites, on comprend 68

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B.Sergent, « Le dragon hédoniste », Bulletin de la Société de Mythologie française 193, 1998, 15-45 ; C.Watkins, How to kill a dragon?, New-York, 1995, 441-447. Dans son ouvrage l'auteur associe également le formulaire du Mythe de l'Illuyanka avec d'autres mythes indo-européens. Les lignes suivantes sont empruntées au livre de Freu, Histoire politique du royaume d’Ugarit, Collection Kubaba, série antiquité, Paris, 2006, p.213-216. A.Greeen, The storm-god in the Ancient Near East, Winona Lake, 2003, p.187.

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qu’il existe un certain nombre de points communs entre la Bible et les civilisations hittite et néo-hittite et que le souvenir des néo-hittites ait été maintenu dans la Bible. La Bible et le monde hittite ont en commun divers aspects de leur culture. On trouve dans la Bible comme dans les textes phéniciens de nombreux topoi courant également dans la littérature hittite ou néo-hittite. Ainsi dans CTH 414 dans la série d’incantation qui clôt le rituel de fondation nous lisons : « On plante un cep de vigne. Et on parle ainsi : « De même que la vigne fait pousser des racines en bas et des serments vers le haut, que le roi et la reine poussent leurs racines en bas et leurs sarments vers le bas ! ». Nous retrouvons une image analogue dans la Bible et dans une malédiction phénicienne. On relèvera aussi la thématique du dieu disparu et de nombreux éléments qui portent l’empreinte de la civilisation anatolienne dans la construction du temple de Salomon, même si des différences fondamentales existent. A cet égard H. Nutkowitz écrit : « De rares allusions à la présence hittite en Palestine traversent les textes bibliques, dont la première affirme qu’elle est le pays des Hittites ! (Josué 1, 4). Ezéchiel (16, 3. 45) attribue à Jérusalem une mère hittite. Des îlots de cette population étaient probablement présents en Israël, comme l’atteste le personnage de Urie le Hittite, du temps de David (2 Samuel 11-12). Ils ont en commun divers aspects de leur culture. Ainsi, le code hittite est-il très voisin du recueil de lois israélites le plus ancien qu’est l’Exode. L’absence divine est évoquée par deux fois (1 Samuel 14, 37 ; 28, 6), et sa menace l’est également (Jérémie 15, 1). Hittites et Israélites partagent également la pratique de l’envoûtement (Ezéchiel 13, 18-20), des bénédictions et malédictions. Pour autant, tant leur conception divine que leur cosmogonie diffèrent. La Mésopotamie, les Hittites et les néo-hittites On rapportera à cet égard les travaux de J. Pace, qui travaille sur les liens entre la Mésopotamie et les Indo-Européens71. 71

J.Pace Mythes de royauté, de combat, de jugement, et d’organisation du cosmos en Mésopotamie : points de contact entre

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L'histoire des relations entre le peuple hittite et les Mésopotamiens est une question complexe qui ne pourrait être traitée ici même sous forme résumée, tant la période qui mit aux prises ces deux civilisations fut longue et riche de contacts en tout genre72. Bien que traditionnellement datés des débuts du IInd millénaire et l'instauration entre Assur et l'Asie Mineure d'un commerce régulier et pendulaire qui verra notamment l'installation des marchands assyriens dans près d'une trentaine de villes anatoliennes73, les premiers contacts entre les Anatoliens et les Mésopotamiens, en effet, semblent effectifs dès la dynastie d'Akkad (IIIe millénaire)74, et s’étendent jusqu’au Ier millénaire. « Trait d’union entre la Mésopotamie et l’Anatolie »75 du fait de sa position géographique, l’Assyrie le monde mésopotamien et les mondes indo-européens. Création/Fondation du royaume et prise de pouvoir : Ninurta ou le dieu à la croisée des chemins, Mémoire de Master 2 sous la direction de Maria-Grazia Masetti-Rouault, EPHE, 2010/2011. 72 Sur la question de l'histoire générale et religieuse des Hittites et de leurs contacts avec leurs voisins proche-orientaux, voir notamment, outre le présent volume : J.Freu J., M.Mazoyer, Hh 1 ; J.Freu, J., M.Mazoyer, Hh 2 ; Hh 3 ; Hh 4. 73 C.Michel, « Au-delà des frontières: le commerce des Assyriens en Asie-Mineure au début du IIe millénaire avant J.-C. », dans C.Kuhn Nobre, F.Vergara Cerqueira, K.M.Paim Pozzer (éds.), Fronteras et Etnicidade No Mundo Antigo. Anais do V Congresso da Sociedade Brasileira de Estudos Clássicos, Pelotas - 15 a19 de setembro de 2003, Canoas: Editora da Ulbra, 2005, p. 69-86. 74 Sur ce point voir entre autres, J.G.Westenholz, « Relations between Mesopotamia and Anatolia in the Age of the Sargonic Kings », dans H.Erkanal, V.Donbaz, A.Uguroglu (éds.), Relations Between Anatolia and Mesopotamia. XXXIV International Assyriology Congress 6- 10/VII/1987 Istanbul, Ankara, 1998, p. 5-22, ou H.Lewy, Anatolia in the Old Assyrian Period, Cambridge University Press, 1965. 75 M.G..Masetti-Rouault, S.Salmon., « L’Assyrie en Syrie et en Anatolie au début de l’empire. Cultures en conflit, cultures en contact », dans I.Klock-Fontanille, S.Biettlot, K.Meshoub (éds.), Identité et altérité culturelles : le cas des Hittites dans le ProcheOrient ancien. Actes de colloque, Université de Limoges 27-28 novembre 2008, Bruxelles, 2010, p. 133-148.

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joua un rôle majeur dans ces relations. Cependant, et si pour qui doit réduire l'ensemble des relations hittito-mésopotamiennes à leur quintessence événementielle, la prise de Babylone par Mursili Ier en 1595 (chronologie moyenne) d'une part, et les tensions fréquentes entre l'Empire hittite et l'Assyrie aux XIVe et XIIIe siècles d'autre part, sont les plus souvent mentionnées76, il serait pensé à tort que le seul aspect militaire ait pu constituer le cœur de ces dernières. En effet, force est de constater qu'un certain nombre de points culturels furent également partagés par ces deux brillantes civilisations, phénomène qu'on ne saurait expliquer autrement que par la question de l'influence qu'eurent l'une sur l'autre, et inversement, ces deux cultures. Ainsi que l'ont montré plusieurs auteurs77, l'influence mésopotamienne sur la religion hittite est incontestable. Mais l'on sait que tout emprunt des Hittites à une autre culture, notamment dans le domaine religieux, était toujours sujet à une réinterprétation lui permettant de s'intégrer parfaitement à leur idéologie. Ainsi l'on observe au second millénaire l’emprunt par les Hittites d'un certain nombre de divinités mésopotamiennes, telles Nisaba, Ea78, ou encore Assur79, certaines d'entre elles 76

B.Lion, « Hittites (rois) », dans F.Joannès (éd.), Dictionnaire de la Civilisation Mésopotamienne, Robert Laffont, Paris, 2001, p. 392. 77 Voir dernièrement M.Mazoyer, Hh 2, p. 385-387 ; M.Mazoyer, Hh 4, p. 275-282. Pour situer exactement les divinités mésopotamiennes dans les sources hittites, voir notamment : B.H.L. van Gessel, Onomasticon of the Hittite Pantheon 2, Brill, Leiden, 1998. 78 Sur la question de Ea en Anatolie, voir également : A.Archi, « The God Ea in Anatolia », dans M.J.Mellink, E.Porada, T.Özgüç (éds.), Aspects of Art and Iconography : Anatolia and its Neighbours. Studies in Honor of Nimet Özgüç, Ankara, 1993, p. 27-33. 79 cf. KUB 12.2: B.J.Collins, « A Note some local cults in the time of Tudhaliya IV », in Th.P.J. van Hout (éd.), The life and times of Hattushili III and Tudhaliya IV. Proceedings of a symposium held in honour of J. de Roos, 12-13 december 2003, Leiden, 2006, p. 3948. Voir également R.Nicolle, Les royaumes hittite et assyrien à la fin de l'âge du Bronze: relations et expansions, Mémoire de Master 1 dirigé par F.Joannès, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2008-2009.

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allant même jusqu'à entrer dans le panthéon d'Etat hittite80. Parmi les plus grandes divinités mésopotamiennes, Ea fut ainsi intégré dans le cercle fondateur de Télipinu, les Hittites ne retenant de ses nombreuses activités que celles qui concernent la fondation. Ea construit les murs élevés au dessus des fondations placées dans le sol par Télipinu. On voit donc que les activités de la divinité mésopotamienne sont considérablement réduites, adaptées et organisées en fonction de la cohérence propre du panthéon hittite81. Dans la même perspective, peut-être peut-on voir dans l'identification du dieu hittite Télipinu et du dieu mésopotamien Ninurta82, une réappropriation par les Hittites de la figure du fils d'Enlil. En effet, tous deux dieux de l'Orage, Télipinu et Ninurta, par leur jeunesse, leur violence, ou leur fonction agraire, ainsi que leur rôle de fondateur83 et protecteur du royaume, partagent un grand nombre de qualités significatives qui ne sont pas sans susciter l’interrogation quant à leur proche nature et parenté fonctionnelle84. Le fait toutefois que l'on puisse distinguer les deux divinités, invite à réflexion. En effet, se pose la question 80

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M.Mazoyer, Hh 1, p. 386. Ainsi notamment d'Ea et d'Ishtar. D'autres divinités, à défaut d'être directement empruntées aux Mésopotamiens, s'inspirent néanmoins de leurs dieux. Ainsi, le Soleil hittite puise-t-il en la personne d'Utu/Shamash. Sur cette question du rôle d'Ea dans la religion hittite voir M.Mazoyer, Hh 4, p. 278-279. M.P.Sterck, « Ninurta/Ningirsu », Reallexicon der Assyriologie 9, 2001, pp 520, §17: « In heth. Quellen wird Ninurta einerseits mit dem Landwirtshaftsgott Telipinu gleichgesetzt. » Sur la question de Ninurta fondateur, voir J.Pace, « Quand la violence se fait raison : Ninurta ou le guerrier devenu fondateur » (à paraître) et Mythes de royauté, de combat, de jugement, et d’organisation du cosmos en Mésopotamie : points de contact entre le monde mésopotamien et les mondes indo-européens. Création/Fondation du royaume et prise de pouvoir : Ninurta ou le dieu à la croisée des chemins, Mémoire de Master 2 sous la direction de Maria-Grazia Masetti-Rouault, EPHE, 2010/2011). Ainsi Ninurta remplace Télipinu dans certaines listes divines (H.G.Güterbock., « The god Shuwaliyat reconsidered », Revue Hittite et Asianique XIX, 68, 1961, p. 1-18).

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de savoir pourquoi Ninurta, à l'instar de Ea par exemple, n'a pas été adopté totalement par les Hittites. L'hypothèse de l'existence préexistante d'un modèle dont Ninurta et Télipinu seraient l'un et l'autre issus doit être considérée85. La présence d’autres éléments qui pourraient être empruntés à la Mésopotamie dans le Mythe de Télipinu et notamment dans les rituels, invite également à réfléchir sur les liens particuliers entre les Hittites et les Mésopotamiens. La question notamment du GIŠeya, ou chêne vert86, qui, symbolise la pérennité du royaume hittite, n'est pas sans rappeler "l'arbre de vie"87 ou "arbre sacré"88 mésopotamien. En effet, arbre symbole de Télipinu, le GIŠeya est intimement lié à la fondation et intervient dans un grand nombre de fêtes religieuses et autres rituels de 85

J.Pace, « Mythopoeia ou l'art de forger les "mythes", dans l'aire culturelle syro-mésopotamienne, méditerranéenne, et indoeuropéenne », thèse de doctorat sous la direction de Maria-Grazia Masetti-Rouault, EPHE (en cours). 86 Sur la nature du GIŠeya et son rôle précis dans la religion hittite, voir M.Mazoyer, « Le GIŠeya dans la religion hittite », 1ères Journées universitaires de Hérisson, L'Arbre: symbole et réalité, juin 2002, Actes des 1ères Journées universitaire de Hérisson, M.Mazoyer, J.Pérez Rey, F.Malbran-Labat, R.Lebrun (éds.), Collection Kubaba, Série Actes II, Paris, 2003, p. 73-79. 87 Sur la question de l'arbre de vie mésopotamien, voir notamment S.Parpola, « The Assyrian Tree of Life: Tracing the Origins of Jewish Monotheism and Greek Philosophy », JNES 52/3, 1993, p. 161-201 et A.Annus, op. cit., p. 156-162. Pour une synthèse générale de la question : M.Giovino, The Assyrian Sacred Tree. A History of Interpretations, Orbis Biblicus et Orientalis 230, Fribourg: Fribourg: Academic Press Fribourg, 2007; pour un résumé de la question Lapinkivi, P., The Sumerian Sacred Marriage. In the light of comparative evidence, State Archives of Assyria Studies, vol. 15, Helsinki : The Neo-Assyrian Text Corpus Project, 2004, p. 111-118. Voir également, C.Kepinski, L'arbre stylisé en Asie occidentale au IIe millénaire av. J.C., Paris: ERC, 1982. 88 S.Parpola, « The Assyrian Tree of Life: Tracing the Origins of Jewish Monotheism and Greek Philosophy », JNES 52/3, 1993, p. 161 + n° 5.

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fondation hittite89. Enracinant le royaume, qu'il rend éternellement jeune, il est le garant de sa stabilité et de sa durabilité. Autrement dit, il peut être considéré comme garant de l'équilibre primordial, et des rapports entretenus entre le roi et les dieux. Or, l'arbre sacré mésopotamien, dont la trace est décelable dès le IVe millénaire90, procède de la même idéologie. Lien entre le Ciel et la Terre, il symbolise le caractère éternel de la royauté, à laquelle il confère toutes ses qualités91. Il est dès la période sumérienne identifié avec la personne du roi92. De même, le dieu Ninurta, en sa qualité de modèle divin du roi, est également pensé comme un arbre à part entière (plus

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Sur cette question, voir, entres autres, M.Mazoyer, « Le GIŠeya dans la religion hittite », 1ères Journées universitaires de Hérisson, L'Arbre: symbole et réalité, juin 2002, Actes des 1ères Journées universitaire de Hérisson, M.Mazoyer, J.Pérez Rey, F.MalbranLabat, R.Lebrun (éds)., Collection Kubaba, Série Actes II, Paris, 2003, p. 73-79., et M.Mazoyer, « La fête sur la Montagne », dans M.Mazoyer, J.Pérez Rey, F.Malbran-Labat, R.Lebrun (éds.), La Fête, la rencontre des dieux et des hommes, Actes du 2e Colloque International de Paris, « La fête, la rencontre du sacré et du profane », 6 et 7 décembre 2002, Kubaba Série Antiquité, L’Harmattan, Paris, 2004, p. 83-91. S.Parpola, « The Assyrian Tree of Life: Tracing the Origins of Jewish Monotheism and Greek Philosophy », JNES 52/3, 1993, p. 161. Sur le lien entre l'arbre sacré mésopotamien et la royauté, voir surtout A. Annus, The God Ninurta in the Mythology and Royal Ideology of Ancient Mesopotamia, State Archives of Assyria Studies, vol. 14, Helsinki : The Neo-Assyrian Text Corpus Project, 2002, p. 156-162. Outre A.Annus, The God Ninurta in the Mythology and Royal Ideology of Ancient Mesopotamia, State Archives of Assyria Studies, vol. 14, Helsinki : The Neo-Assyrian Text Corpus Project, 2002, cf. note précédente, voir sur notamment ce point C.E.Suter, Gudea's Temple Building. The Representation of an Early Mesopotamian Ruler in Text and Image, Cuneiform Mongraph 17, Styx Publication, Groningen, 2000, p.291-292.

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précisément un cèdre)93. A. Annus, voit d'ailleurs un lien entre le tronc de ce dernier et la qualité de « responsable de l'équilibre de l'univers » (saaniq mithurti) de Ninurta94. Aussi, l'antériorité de certains rites mésopotamiens où intervient l'arbre sacré mésopotamien95 sur les rites hittites mettant en scène le GIŠeya, fait penser qu'il peut s'agir là d'un emprunt des Hittites à la Mésopotamie, ces derniers n'ayant pas manqué de le réadapter à leur propre idéologie et culture. Toutefois, l'hypothèse de l'existence préexistante d'un modèle idéologique dont seraient issus l'un et l'autre de ces symboles ne peut être, là encore, négligée. Le fait que ces derniers appartiennent à deux espèces d'arbre différentes, invite à la prudence et à la réflexion. En ce qui concerne les rituels proprement dit, il est également plusieurs exemples qui semblent s'inscrire dans une perspective de connexion entre les civilisations hittite et mésopotamienne. Ainsi, l’on peut remarquer un grand nombre de procédés identiques à ces deux cultures en ce qui concerne les procédés appelant un dieu à rentrer dans son temple96. Le 93

La relation singulière liant intimement les dieux Télipinu et Ninurta à un arbre, confirme les accointances particulières entre les deux divinités. 94 A.Annus, The God Ninurta in the Mythology and Royal Ideology of Ancient Mesopotamia, State Archives of Assyria Studies, vol. 14, Helsinki : The Neo-Assyrian Text Corpus Project, 2002, p. 158. 95 Ainsi, la mention par C.E.Suter (C.E.Suter., Gudea's Temple Building. The Representation of an Early Mesopotamian Ruler in Text and Image, Cuneiform Mongraph 17, Styx Publication, Groningen, 2000) d'une iconographie représentant le roi Gudéa portant une feuille de palmier dans la main droite, et de l'existence de certains rituels d'Urukagina mentionnant « a date palm on the right side » brought or planted (mu-DU) by the king ». Sur la question du rapport entre le palmier et l'arbre sacré mésopotamien : M.Giovino The Assyrian Sacred Tree. A History of Interpretations, Orbis Biblicus et Orientalis 230, Fribourg: Fribourg: Academic Press Fribourg, 2007, p.113-128. 96 Pour la sphère hittite, voir notamment M.Mazoyer, « Procédés divers pour faire rentrer les divinités hittites », dans M.Mazoyer (éd.), Rites et Célébrations, vol. 2, Kubaba, Paris, 2002, p.91-106.;

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rappel des hauts faits du dieu, le tracé d'un chemin d'huile menant au temple, la mise en place d'objets appartenant aux dieux, les offrandes d'objets et de nourritures pour attirer le dieu, le banquet organisé avec l'ensemble des dieux, la musique, la référence au lit du dieu, ou encore les femmes qui lui sont destinées, etc..., sont autant de points communs suscitant l’intérêt. Qui plus est, au même titre que Télipinu refonde le royaume en rentrant chez lui, l'entrée du dieu mésopotamien s'inscrit dans une perspective identique: après être rentré dans son temple et l'avoir accepté comme demeure, Ningirsu réaffermit non seulement la prospérité du royaume, mais également Gudéa en tant que roi, ce dernier voyant d'ailleurs sa vie prolongée97. Enfin, quand Télipinu et Ningirsu entrent dans leur temple, ils manifestent chacun une certaine violence98. Analysant le comportement de Télipinu, M.Mazoyer montre que la colère du dieu à retour est positive et symbolise « le retour des pluies qui pourrait indiquer la reprise du cycle agraire »99, arrêté du fait de l'absence du dieu. De la même façon peut être analysé le comportement de Ningirsu100.

Pour la sphère mésopotamienne, nous nous référerons ici au Cylindre B de Gudéa. (D.O.Edzard, Gudea and His Dynasty, The Royal Inscriptions of Mesopotamia 3/1, University of Toronto Press, Toronto, 1997) 97 D.O.Edzard., Gudea and His Dynasty, The Royal Inscriptions of Mesopotamia 3/1, University of Toronto Press, Toronto, 1997, p.100. 98 Ainsi Ninurta entre dans son temple comme « a storm roaring towards battle » (D.O.Edzard, Gudea and His Dynasty, The Royal Inscriptions of Mesopotamia 3/1, University of Toronto Press, Toronto, 1997, p. 91.) Pour Télipinu, cf. Mazoyer M., Télipinu 1. 99 M.Mazoyer, Télipinu 1, p. 149. 100 J.Pace Mythes de royauté, de combat, de jugement, et d’organisation du cosmos en Mésopotamie : points de contact entre le monde mésopotamien et les mondes indo-européens. Création/Fondation du royaume et prise de pouvoir : Ninurta ou le dieu à la croisée des chemins, Mémoire de Master 2 sous la direction de Maria-Grazia Masetti-Rouault, EPHE, 2010/2011.

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Outre les contacts directs entre les deux civilisations, plusieurs éléments permettent d’expliquer les différentes correspondances culturelles entre les mondes mésopotamien et hittite. Ainsi notamment du recrutement ou, plus probablement, de la déportation par les Hittites au XVIIe siècle, sous le règne de Hattušilli Ier101, de scribes originaires de Syrie ou de Mésopotamie, et de leur adoption de l’écriture cunéiforme102 qui implique nécessairement « the borrowing of an entire cultural tradition »103. La présence de textes akkadiens dans les « bibliothèques » de Hattuša et de Šapinuwa, entre autres, s’inscrit dans cette perspective104 . De même, la volonté des Hittites de maîtriser l’akkadien « d’usage courant et d’utilisation exclusive dans les échanges avec les cours étrangères »105, participe de ce processus. Les relations amicales entretenues par les Hittites et les Cassites peuvent également expliquer un certain nombre de correspondances entre les cultures mésopotamiennes et hittites. Établies lors du raid de Muršili Ier contre Babylone (1595), puis restaurées au XIVe siècle par le mariage de Šuppiluliuma avec 101

J.Freu dans Hh 4 p. 59. Voir également sur la présence d’écoles de scribes dirigées par des Syriens ou des Mésopotamiens dès l’Ancien royaume : idem, p. 163. 102 Il convient toutefois de préciser ici que l’écriture cunéiforme se retrouve en Anatolie centrale dès le début du IIe millénaire. En effet, ainsi que le remarque C.Michel, certains Anatoliens avaient adopté des marchands assyriens l’écriture cunéiforme et le paléoassyrien, « ce dialecte écrit constituant même la langue diplomatique en usage entre les différentes cours anatoliennes » (C.Michel, 2005, p. 77-78 ; sur ce sujet voir également K.Balkan K., 1957, Veehof, K.R., 1982, A.Ulshöfe, 2000). Cependant cette pratique semble se perdre dans le courant du XVIIIe siècle, ou du moins elle n’est pas documentée. 103 G.Beckman, « Mesopotamians and Mesopotamian Learning at Hattusa », JCS 35, 1983, p.98. 104 J.Freu, Hh 2, p. 304. 105 J.Freu , Hh 1, p. 59.

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la fille de Burnaburiaš II106, celles-ci furent à l’origine de nombreux échanges culturels, notamment dans le domaine des arts107 . Enfin, et bien que cela fût longtemps sujet à caution108 , l’on sait aujourd’hui le rôle essentiel joué par les Hourrites dans la transmission de la culture mésopotamienne en pays hittite109 . A ce titre, le royaume du Kizzuwatna, qui a « joué un grand rôle dans le processus de "hourritisation" du pays de Hatti »110 , apparaît comme l’un des intermédiaires fondamentaux entre les deux cultures. Ainsi, le culte de la divinité mésopotamienne Ea est entré dans la religion hittite par les Hourrites du Kizzuwatna111. Le royaume du Kizzuwatna, qui a « joué un grand rôle dans le processus de "hourritisation" du pays de Hatti »112, apparaît comme l’un des intermédiaires fondamentaux entre les deux cultures. Ainsi, le culte de la divinité mésopotamienne Ea est entré dans la religion hittite par les Hourrites du Kizzuwatna113 . 106

J.Freu, Hh 3, p.261. M.Trokay, « Relations artistiques entre Hittites et Kassites », dans : H.Erkanal, V.Donbaz, A.Uguroglu, (éds), Relations Between Anatolia and Mesopotamia. XXXIV International Assyriology Congress 6-10/VII/1987 Istanbul, Ankara, 1998, p. 253-261. 108 Voir notamment A.Kammenhuber, « Historisch-geographische Nachrichten aus der althurrischen Überliefurung, dem altelamischen und den Inschriften der Königen von Akkad für die Zeit vor dem Einfall der Gutäer (ca. 2200-2136) », 1974, p. 158. 109 G.Beckman, « Mesopotamians and Mesopotamian Learning at Hattusa », JCS 35, 1983. Voir également A.Archi., « Translation of Gods: Kumarpi, Enlil, Dagan/NISABA, Halki», Or 73, 2004, p. 319-336 et « Orality, Direct Speech and the Kumarbi Cycle », AF 36/2, 2009, p. 209-229. 110 J.Freu, Hh 2, p. 304. Sur l’influence kizzutwanienne dans la culture hittite, voir également M.Mazoyer, ibid, p. 384. 111 M.Mazoyer, Hh 2, p. 385. 112 J.Freu, Hh 2, p. 304. Sur l’influence kizzutwanienne dans la culture hittie, voir également M.Mazoyer, ibid, p. 384. 113 M.Mazoyer, Hh 2, p. 385. 107

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Inversement, un certain nombre de points, témoignant d'une influence de la culture hittite sur la culture mésopotamienne, peut être relevé. Ainsi, la rédaction des Annales royales assyriennes, dont l'inspiration semble devoir être recherchée du côté de l'Anatolie114, les Hittites ayant été, a priori, les premiers à s'adonner à ce genre littéraire115.

Royaumes néo-hittite Alexis Seydoux

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P.Clancier, « La Syrie du Nord entre Hittites et Assyriens », HALUKA 5, 1999, p. 8-12. 115 P.Villard, « Annales Royales », dans F.Joannès (éd.), Dictionnaire de la Civilisation Mésopotamienne, Bouquins, Robert Laffont, Paris, 2001, p. 53-55.

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USK : W.Orthmann, Untersuchungen zur Späthethitischen Kunst Bonn 1971 WO : Die Welt des Orients, Wuppertal/Göttingen ZA : Zeitschrift für Assyriologie und Vorderasien Archäologie, Leipzig/Berlin/New York ZDPV : Zeitschrift des Deutschen Palästina-Vereins, Leipzig/ Berlin ZvS : Zeitschrift für vergleichende Sprachforschung, Berlin/ Gütersloh/Göttinge

363

L'HARMATTAN, ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino L'HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA Faculté des Sciences sociales, politiques et administratives BP243, KIN XI Université de Kinshasa

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