Les "Deux nouvelles sciences" de Galilée: Une lecture moderne 9782759826681

« Discours et démonstrations mathématiques concernant deux nouvelles sciences » de Galilée est l’un des cinq ouvrages ma

182 113 9MB

French Pages 298 [299] Year 2022

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD FILE

Polecaj historie

Les "Deux nouvelles sciences" de Galilée: Une lecture moderne
 9782759826681

Citation preview

Les « Deux nouvelles sciences » de Galilée

Ce livre est dédié à la mémoire d'Antonio F avaro.

La connaissance de la réalité part de l'expérience et se termine en elle. Les mesures obtenues par des moyens purement logiques sont complètement vides en ce qui concerne la réalité. Ayant compris cela, et en particulier en ayant introduit ce principe dans le monde scientifique, Galilée est le père de la physique moderne – en fait, de la science moderne dans son ensemble. Albert Einstein, La méthode de la physique théorique, Oxford, 1933

Les « Deux nouvelles sciences » de Galilée Une lecture moderne

ALESSANDRO DE ANGELIS

SPOT Sciences Collection destine´e a` un large public qui invite le lecteur a` de´couvrir a` travers des essais toute une palette des sciences : histoire, origines, de´couvertes, the´ories, jeux… Dans la collection « La vie ailleurs : espe´rances et de´ceptions », J. Lequeux et T. Encrenaz, ISBN : 978-2-7598-2641-4 (2022) « Grandes controverses en astrophysique », S. Collin-Zahn, ISBN : 978-2-7598-2613-1 (2021) « Sexualite´, ge´ne´tique et e´volution des bacte´ries », J.P. Gratia, ISBN : 978-2 7598-2538-7 (2021) « La pense´e en physique – Diversite´ et unite´ », J.P. Pe´rez, ISBN : 978-2 7598 2481-6 (2021) « L’histoire du cerveau – Voyage a` travers le temps et les espe`ces », Y. Gahe´ry, ISBN : 978-2-7598-2479-3 (2021) « Les cle´s secre`tes de l’Univers – E´mergence de l’Univers, de la vie et de l’Homme », M. Galiana-Mingot, ISBN : 978-2-7598-2534-9 (2021) Original title: Discorsi e Dimostrazioni Matematiche Intorno a Due Nuove Scienze di Galileo Galilei per il lettore moderno, by Alessandro De Angelis, © 2021 Codice edizioni, Torino. This edition is published by arrangement with Codice Edizioni Srl in conjunction with its duly appointed agent Marotte et Compagnie Agence litte´raire, France. All rights reserved. Imprime´ en France ISBN (papier) : 978-2-7598-2667-4 – ISBN (ebook) : 978-2-7598-2668-1

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous proce´de´s, re´serve´s pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des aline´as 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement re´serve´es a` l’usage prive´ du copiste et non destine´s a` une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute repre´sentation inte´grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (aline´a 1er de l’article 40). Cette repre´sentation ou reproduction, par quelque proce´de´ que ce soit, constituerait donc une contrefac¸on sanctionne´e par les articles 425 et suivants du code pe´nal.

© EDP Sciences, 2022

SOMMAIRE

Pre´face de Telmo Pievani ...................................................................... 7 Pre´face d’Isabelle Grenier .................................................................... 13 Introduction ....................................................................................... 19 Les unite´s de mesure de Galile´e ........................................................... 27 Imprimatur ......................................................................................... 31 De´dicace de Galile´e au comte de Noailles ............................................ 33 Pre´face de l’e´diteur Lodewijk Elzevir ................................................... 35 1. Premie`re journe´e : premie`re nouvelle science, qui concerne la re´sistance des solides a la rupture ................................................... 39 2. Deuxie`me journe´e : quelle pourrait eˆtre la cause de la cohesion...... 143 3. Troisie`me journe´e : autre nouvelle science, sur le mouvement local.................................................................. 177 4. Quatrie`me journe´e : le mouvement des projectiles.......................... 215 5. Journe´e supple´mentaire : sur la force de la percussion ................... 245 Notes finales ..................................................................................... 269 Commentaire .................................................................................... .277 Remerciements ............................................................................... 282 Chronologie de l’e´poque de Galile´e .................................................... 283 Bibliographie .................................................................................... 291 Postface de Ugo Amaldi .................................................................... 295

5

Préface de Telmo Pievani

Selon Galilée, le livre de la nature est écrit en langage mathématique : plus précisément, ses « caractères sont des triangles, des cercles et d’autres figures géométriques ». Alessandro De Angelis, quatre siècles plus tard, traduit le livre de Galilée sur la nature en termes algébriques. Que vous l’observiez synthétiquement d’en haut ou analytiquement d’en bas, la matière révolutionnaire des Discours et démonstrations que vous vous apprêtez à lire ne change pas. Cependant, voici le pari, paraphraser ce livre le rend plus lisible, et sa structure argumentative devient plus claire. Bien sûr, mettre les mains sur le dernier chef-d’œuvre de Galilée et le traduire dans un langage moderne est une tâche difficile, mais ici, elle est abordée avec une attitude des plus sérieuses. Il y a un précédent. Le déchiffreur des secrets de l’évolution stellaire, le Prix Nobel de physique Subrahmanyan Chandrasekhar, dans les dernières années de sa vie, entre 1990 et 1995, s’était aventuré dans un travail similaire avec les Philosophiae Naturalis Principia Mathematica de Newton. Il avait réécrit une partie des Principia, également dans ce cas, remplaçant le raisonnement géométrique par une notation mathématique formelle, et exposant minutieusement les passages démonstratifs avec tous les détails nécessaires pour les comprendre dans un langage moderne. Les experts de Newton, tout en 7

PRÉFACE DE TELMO PIEVANI

applaudissant la tentative en elle-même, avaient cependant critiqué une série de distorsions interprétatives dues à une prise en compte insuffisante du contexte historique. Le problème sous-jacent réside en effet dans l’actualisation, dans l’infidélité résiduelle de chaque traduction, et dans le risque d’introduire des anachronismes. De Angelis ne s’est pas laissé dissuader par un tel précédent et a mené à terme un projet qu’il avait en tête depuis ses études juvéniles. Ici, il réécrit pour les lecteurs modernes les Discours et démonstrations mathématiques concernant deux nouvelles sciences liées à la mécanique et aux mouvements locaux par Galilée, qui précède les Principia newtoniens de cinquante ans et qui, par l’admission explicite de Newton, l’inspira profondément. Cependant, il existe quelques différences avec le travail de Chandrasekhar, toutes en faveur de l’esprit de finesse de De Angelis. Ici, la version est intégrale, sauf pour quelques petites réductions et additions : l’arbitraire de la sélection est évité et le lecteur est renvoyé à l’œuvre dans son intégralité, y compris la journée supplémentaire de dialogue sur la force de la percussion. On voit une attention notable à l’histoire de la critique, au contexte de l’époque et à la littéralité du texte, mais également dans l’utilisation des dessins originaux attribués à la main de Galilée lui-même, au moins pour ceux des trois premiers jours, ainsi que dans le choix de n’adopter que les outils mathématiques connus à l’époque en Europe. Cette version est d’une certaine façon une version des Discours comme Galilée lui-même aurait pu l’écrire, s’il n’avait pas fait des choix différents sur la base de ses connaissances. Par ailleurs, la langue est paraphrasée sur un ton informel et cordial, avec un ensemble de riches notes liées au style, au contenu, à l’histoire et à la bibliographie. Enfin, le mérite de De Angelis est de rendre transparents tous ses choix méthodologiques dans son Commentaire. Le résultat est une divulgation vraiment rigoureuse, qui a aussi l’intéressant effet de rendre les discours plus proches du Dialogue sur les deux grands systèmes du monde publiés par Galilée six ans plus tôt.

8

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PRÉFACE DE TELMO PIEVANI

En outre, ce livre fait également face à un autre défi. Nous savons que la prose de Galilée, modèle de Leopardi, fit dire à Italo Calvino en 1967 qu’il était le « plus grand écrivain de littérature italienne de tous les temps » en prose, « une combinaison de précision, de force démonstrative et de lyrisme. » Nous savons également que ce n’était pas qu’une question de style. Pour contrer l’obscurité et la verbosité des autorités académiques et ecclésiastiques, Galilée a mis en place une véritable stratégie de politique culturelle. Il a écrit en italien vernaculaire pour atteindre tous ceux qui étaient assez curieux pour s’ouvrir à la nouvelle vision du cosmos, et capables d’être excités par le déploiement d’un Univers ouvert et d’une carte du monde en grande partie encore à explorer. Les idées d’une nouvelle astronomie et d’une nouvelle physique devenaient ainsi un conte théâtral et un débat public. Pourtant, comme le souligne De Angelis, quand Galilée écrit, il n’est pas toujours clair et linéaire. Bien qu’étant également écrits sous forme dialogique et narrative, la version originale des Discours est présentée dans un étrange mélange hybride d’italien et de latin classique, presque un pas en arrière par rapport au Dialogue. Elle contient des phrases alambiquées, et des passages pas toujours explicites. La ruée des dernières années, ou les craintes de Galilée après son procès, rendent peut-être le livre difficile à lire. En plus, bien que les personnages soient les mêmes que dans le Dialogue, les rôles que les trois jouent sur scène sont moins intuitifs. Il n’y a plus le péripatéticien, le copernicien, et la figure de liaison entre les deux, mais les différentes phases de la pensée scientifique de Galilée est dramatisée, de la jeunesse à la maturité. Avec un choix génial, les Discours deviennent ainsi un théâtre intérieur, l’histoire d’une parabole intellectuelle, une succession d’hypothèses, de découvertes, d’expériences et de démonstrations qui sont transférées de la tête du scientifique aux voix des différents personnages. La révolution scientifique est vue en train de se dérouler, de l’intérieur. En effet, déjà dans le Dialogue, si relu aujourd’hui, Simplicio peut apparaître, plutôt que comme une caricature de l’adversaire (ou 9

PRÉFACE DE TELMO PIEVANI

une référence polémique aux aristotéliciens collègues de l’époque), comme un magnifique geste rhétorique pour se mettre dans la peau de l’autre : essayez de vous imaginer physicien ptolémaïque et voyez les absurdes conséquences. Le reste, au net du style, est la démarche bien connue de Galilée, rendue ici avec éclat : les exemples concrets, les récits d’expériences réelles, les arguments clairs, les cas extrêmes qui défient le bon sens. Ici vous allez lire au sujet de chats tombant de grandes hauteurs sans se blesser, d’accords musicaux entre cordes vibrantes, et bien sûr des plans inclinés, des balanciers, de la portée des projectiles. Il y a la physique de l’espace, du temps et du mouvement, le principe d’inertie, l’isochronisme des oscillations du pendule, l’accélération indépendante des masses en chute libre, et beaucoup d’intelligence et de beauté. Mais surtout, grâce à la paraphrase faite par De Angelis et à la traduction algébrique, la genèse des idées galiléennes est claire : pas seulement les résultats consolidés, presque comme s’ils étaient intemporels, mais aussi les processus de découverte, et le travail intellectuel concret qui a conduit à leur formalisation. Alors que les trois amis discutent aimablement, il y a un monde qui meurt, celui de la tradition des académies nationales de la Renaissance, et un monde qui émerge, celui de l’expérience, de la technique d’ingénierie, du travail utile de la « méchante mécanique ». Il y a encore une autre raison d’apprécier l’opportunité de ce travail. Les Discours et démonstrations que vous lirez ici exploitent les notes de cours et les cahiers expérimentaux datant de l’heureuse période de Galilée à Padoue, à partir de 1592 et jusqu’à 1610. La plupart des expériences mentionnées ici ont probablement été conçues et menées à Padoue. Les personnages de la fiction narrative galiléenne tournent dans différentes manières autour de l’université de Padoue et de son vivant environnement intellectuel. Le livre est dédié au comte de Noailles : grâce à son intercession décisive, quelques années après que le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde fut interdit, il fut néanmoins publié à Leyde par le typographe Lodewijk Elzevir. Le comte avait été élève de Galilée pendant sa période d’enseignement à 10

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PRÉFACE DE TELMO PIEVANI

Padoue. En bref, entre les lignes de ces dialogues cordiaux, l’université de Padoue, qui a accueilli Galilée et lui a donné une grande liberté dans la recherche scientifique, et qui fêtera en 2022 ses huit cents premiers ans, est omniprésente. Il est donc particulièrement significatif que cet excellent travail d’un scientifique et professeur de l’université de Padoue voit la lumière en conjonction avec cet anniversaire impressionnant. De la Padoue de Galilée à la Padoue d’aujourd’hui. Ludovico Geymonat a écrit que dans les Discours, avec le typique récit persuasif et défensif de Galilée, l’interpénétration des mathématiques et de l’expérience qui sera la base de toute science moderne est introduite à la perfection. Il y a des livres historiques et de racine ; le dernier ouvrage du « premier mathématicien et philosophe du grandduc de Toscane » fait partie de ceux-là, et est ici pour la première fois rendu entièrement accessible aux lecteurs curieux. Il en résulte donc qu’un savant scientifique d’aujourd’hui, physicien des particules et astrophysicien du XXIe siècle, conscient de l’importance de l’histoire des idées scientifiques, réussisse à nous transmettre cet impératif que Galilée lui-même, au quatrième jour de ces discours, décrit en écrivant que « la force des démonstrations telles que celles qui se produisent uniquement en mathématiques est source d’émerveillement et de délice ».

Telmo Pievani, Titulaire de la chaire de logique et philosophie des sciences Université de Padoue

11

Préface d’Isabelle Grenier

Sous le titre assez rébarbatif de « Discours et démonstrations mathématiques concernant deux nouvelles sciences touchant la mécanique et les mouvements locaux » se cache l’un des ouvrages majeurs de la pensée scientifique depuis Thalès, un ouvrage qui a fortement inspiré Descartes, Newton et Einstein. Entre ces pages sont couchés les principaux fondements de la science moderne, tant dans les lois du mouvement qui y sont exprimées que dans les méthodes utilisées pour les établir et dans l’usage d’arguments logiques et mathématiques pour convaincre de leur bien-fondé. Galilée pensait ouvrir la voie à deux nouvelles sciences sur la résistance des matériaux et les propriétés du mouvement. Il ne pouvait se douter que les lois et les pistes de réflexion qu’il proposait dans ce mémoire allait impulser une grande partie des formidables avancées que les sciences physiques ont connu de la Renaissance à nos jours, y compris les bouleversements de la relativité d’Einstein. Alors comment ne pas remercier Alessandro de Angelis d’avoir mis ses connaissances scientifiques au service de ce manuscrit pour tendre un pont entre le langage géométrique de Galilée et le langage algébrique de Descartes afin de rendre le texte beaucoup plus accessible aux lecteurs du XXIe siècle, tout en respectant le discours d’origine et les concepts 13

PRÉFACE D’ISABELLE GRENIER

mathématiques disponibles à l’époque ? Comment ne pas le remercier d’avoir mis à notre portée cet éblouissant testament que Galilée a mûrement réfléchi de 1590 à 1636 en s’appuyant sur plus de quarante ans de notes, d’expériences et de déductions, un testament qu’il souhaitait offrir aux générations futures pour, nous dit-il, ouvrir « la voie à une nouvelle et grande science dont ces démonstrations seront les éléments, grâce à laquelle des esprits plus perspicaces que le mien seront en mesure de pénétrer des parties plus cachées » ? Ouvrir ce livre n’est pas aborder un fastidieux manuel scolaire truffé de théorèmes et d’équations difficiles à suivre, mais c’est s’assoir auprès de Galilée et de ses étudiants sur une terrasse ombragée de Padoue ou de Florence et se laisser captiver par leur conversation qui se nourrit d’exemples familiers pour, disent-ils, « parler entre amis de choses futiles sur des sujets librement choisis, contrairement à traiter avec des livres dépassés, qui génèrent un millier de doutes sans résoudre aucun d’entre eux ». C’est entrer dans l’intimité des réflexions d’un libre penseur de génie qui s’attache à peser systématiquement le pour et le contre. C’est éclater de rire devant la redoutable efficacité d’un argument par l’absurde qui clôt l’impasse logique où il vous a sciemment entraîné pour mieux vous convaincre du contraire. C’est savourer la lumineuse clarté d’expression de phénomènes complexes. Car Galilée cherche à convaincre de manière vivante et ludique, avec « légèreté » comme il l’explique au détour d’une phrase du premier jour. Les trois amis qu’il emploie dans ce but, Simplicio, Salviati et Sagredo, les mêmes qui discutaient des systèmes géocentriques et héliocentriques du monde dans le Dialogue interdit par l’Eglise quatre ans auparavant, se promènent au fil des idées comme on le ferait dans une véritable conversation. Ils échangent arguments et contrearguments pour mieux révéler comment les préjugés ou l’absence d’esprit critique dans l’observation de la nature peuvent induire en erreur, alors que la vérité est flagrante à qui sait la regarder en suivant le fil de la logique jusqu’au bout, sans s’arrêter à mi-chemin comme trop souvent. Ils plongent souvent dans l’absurde avec une logique 14

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PRÉFACE D’ISABELLE GRENIER

implacable pour réfuter une croyance douteuse ou pour vérifier la cohérence du contraire. Aux détours de cette conversation, vous verrez comment faire sonner un verre avec son doigt dans une cuve d’eau pour montrer que les fréquences des sons doublent à chaque octave, ou comment faire sonner une énorme cloche en soufflant tout légèrement sur son battant au bon rythme, expliquant par là-même le phénomène de résonance. Vous apprendrez comment ajuster l’angle de tir d’un ballon pour allonger sa portée. Vous partagerez la perplexité des trois amis à diviser une ligne ou un objet en une infinité d’indivisibles, ou plus encore, comment imaginer d’y insérer une infinité de vides infiniment petits ou d’abouter des lignes infinies. Un tel débat aurait ravi Démocrite et son maître Leucippe deux mille ans plus tôt à Abdéra. Vous verrez aussi comment la notion de moment d’une force par rapport à un point fixe fournit toutes sortes d’applications sur la robustesse des poutres, la finesse du tronc des arbres, ou pourquoi les animaux démesurément grands doivent vivre dans l’eau plutôt que dans l’air. Au milieu de ce foisonnement d’idées, Galilée raisonne sur la vitesse énorme mais finie de la lumière, concept qu’il ne pouvait pas démontrer pleinement, mais qui s’avérera essentiel pour la physique moderne. Au cœur de ces conversations, Galilée démontre surtout deux lois contre-intuitives, qu’on appelle aujourd’hui le principe d’inertie et le principe d’équivalence. Ils marqueront l’histoire des sciences car toute la mécanique moderne et la théorie de la gravitation d’Einstein reposent sur eux. Tirant parti de simples boules, plans inclinés et poulies, Galilée montre par l’expérience et par le raisonnement qu’un corps en mouvement sur lequel on cesse d’agir ne ralentit pas pour revenir au repos comme on l’affirmait précédemment, mais que ce corps gardera toujours la même vitesse tant qu’on n’agit pas sur lui (grâce à son inertie). Galilée montre également que des objets de poids et de nature différents doivent arriver au sol au même instant s’ils tombent de la même hauteur et si le milieu qu’ils traversent n’offre pas de résistance au mouvement. Cette universalité de la chute 15

PRÉFACE D’ISABELLE GRENIER

des corps est si importante que l’astronaute David Scott d’Apollo 15 a pris la peine en 1971 de filmer la chute simultanée d’une plume et d’un marteau dans le vide à la surface de la Lune. Car cette universalité implique que la masse pesante d’un corps, celle qui répond à l’attraction gravitationnelle, équivaut à sa masse inertielle qui s’oppose à un changement de mouvement. La remarque de Galilée sur l’absence apparente de poids de l’eau lorsque celle-ci est uniformément accélérée en chute libre entre des seaux suspendus au bout d’une balance est prémonitoire. De ce constat Einstein conclura que la gravitation n’est pas une force s’exerçant à distance, mais une déformation de l’espacetemps autour des objets massifs, une déformation que les systèmes de localisation GPS prennent aujourd’hui en compte. Au-delà de réfléchir sur les causes et les effets des mouvements et, pour la première fois, des combinaisons de mouvement, Galilée établit dans ce livre les préceptes méthodologiques qui ont fait le succès de la science de la Renaissance à nos jours. Il souligne l’importance et l’efficacité de la confrontation permanente et rigoureuse entre raisonnement théorique et observation de la nature, tirant parti d’expériences de pensée aussi bien que d’expériences réelles, prenant soin de répéter les mesures pour estimer les limites et les incertitudes inhérentes à toute expérimentation, discutant de l’importance de la modélisation mathématique d’un phénomène pour, nous dit-il, « éveiller l’esprit de découverte » et formuler de nouvelles vérités à tester à leur tour par la logique et l’expérimentation. Tout collégien ou lycéen devrait avoir lu des passages des dialogues entre Simplicio, Sagredo et Salviati pour saisir comment les fondements théoriques et expérimentaux de la science s’enrichissent et se confortent mutuellement pour faire émerger les lois de la nature et de nouvelles applications. C’est chose possible grâce au présent ouvrage. Isaac Newton écrivait à Robert Hooke en 1675 « si j’ai vu plus loin, c’est en me tenant sur les épaules des géants », parmi lesquels figurait sans nul doute Galilée. Sur une note plus personnelle, j’ai à l’inverse ressenti sur mes épaules le poids du géant Galilée en présentant 16

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PRÉFACE D’ISABELLE GRENIER

le futur de l’astronomie multi-lumières à l’Union astronomique internationale en janvier 2010, dans l’amphithéâtre Aula Magna où il enseignait à Padoue, le jour anniversaire de sa découverte des satellites de Jupiter, 400 ans plus tard. Quel impressionnant héritage scientifique il a laissé sur tant de sujets ! Quelle influence il a encore sur les discussions scientifiques du XXIe siècle ! Comment ne pas rêver, à la lecture du présent ouvrage, de pouvoir replonger dans cet amphithéâtre, mais cette fois en 1610, sur le banc des étudiants, pour écouter parler cet esprit hors du commun. Isabelle Grenier, Astronome et professeure d’astrophysique à l’Université de Paris

17

Introduction

Les lecteurs modernes font face à des obstacles majeurs dans la lecture de Galilée, car son raisonnement géométrique, qui irradie la culture par déférence envers ses grands maîtres grecs, est complètement différent de la mathématique d’aujourd’hui, dominée par la notation. Ce fait rend ses démonstrations difficiles à suivre. En outre, Galilée utilise un langage riche et complexe, avec de longues périodes, doubles négations et plusieurs niveaux d’indentation. En conséquence, Galilée est extrêmement difficile à lire et à comprendre. a Mais rien de tout cela annule le fait qu’il soit parmi les pères de la science et de la culture modernes, ainsi que d’être à la fois plein d’esprit et drôle : tout le monde serait donc enrichi en étant exposé à un tel art, à une telle intelligence et à autant de beauté, ou, pour utiliser une expression galiléenne, à l’expérience d’une telle merveille. Ce travail est une traduction de « Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove Scienze » (Discours et démonstrations mathématiques concernant deux nouvelles sciences, en bref, Deux a. Malgré sa difficulté, la langue de Galilée, selon de nombreux écrivains italiens, établit un modèle admirable. Italo Calvino écrit que « [... en particulier en écrivant sur la Lune] Galilée, le plus grand écrivain italien de tous les siècles, élève sa prose à un degré d’exactitude et d’évidence combiné à une prodigieuse raréfaction lyrique. Et la langue de Galilée était l’un des modèles de Leopardi, grand poète lunaire. »

19

INTRODUCTION

nouvelles sciences), le livre fondamental de Galilée dédié à la mécanique, en français moderne et avec l’utilisation de formules algébriques. J’ai écrit ce livre dans le but de rendre Galilée compréhensible à ce que j’imagine être les lecteurs « modernes » tels que mes étudiants : curieux, passionnés par la science, mais, malheureusement, avec peu de temps pour creuser dans les antiquités lexicales, historiques et philosophiques. Une opération de ce genre avait été réalisé par Subrahmanyan Chandrasekhar avec les « Philosophiae Naturalis Principia Mathematica » (Principes mathématiques de la philosophie naturelle, souvent appelé simplement Principia) de Newton. Contrairement à l’approche de Chandrasekhar, je me suis borné au seul usage des mathématiques disponibles au temps de Galilée en évitant en particulier le calcul différentiel et en essayant autant que possible de suivre la ligne de la pensée de Galilée. J’ai choisi d’utiliser, à quelques exceptions justifiées dans le Commentaire, les images originales, extraites et reproduites numériquement ex novo à partir des dessins originaux, en raison de leur nature artistique, mais surtout parce que de nombreux historiens (dont Antonio Favaro, l’éditeur de l’édition nationale de l’Opera Omnia de Galilée, que nous appellerons simplement « l’édition nationale » dans ce qui suit) les attribuent à Galilée lui-même, qui était bien connu pour être doué dans l’art du dessin. b Grâce à l’utilisation des technologies modernes d’édition et grâce à la précision du personnel de la Bibliothèque nationale italienne de Florence, je suis convaincu que la reproduction des figures dans ce travail est plus fidèle aux originaux que dans toute autre édition publiée après l’époque de Galilée. Deux nouvelles sciences, publié en 1638, a été le dernier livre de Galilée (1564 –1642). Il présente un travail scientifique réalisé au cours de sa vie. La conception du livre débute en 1602 et implique une longue b. Mon opinion personnelle, justifiée par la comparaison stylistique avec les manuscrits galiléens conservés à la Bibliothèque nationale italienne de Florence et par la progression de l’aveuglement de Galilée, est qu’il est probable que les dessins des trois premiers jours soient attribuables à Galilée, alors que ceux de la quatrième journée et de la journée additionnelle ne le soient probablement pas.

20

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

INTRODUCTION

phase de méditation et de discussion avec de nombreux correspondants, Paolo Sarpi en particulier, sur les concepts d’espace, de temps et de mouvement. Galilée commence à écrire selon un premier projet en 1608 ; toutefois en 1609, une nouvelle inspiration le bouleverse : il vient à connaissance de l’invention du télescope et bientôt développe une passion pour ce nouvel instrument, qu’il va par la suite améliorer jusqu’à devenir totalement absorbé par les observations astronomiques pendant une période de plusieurs années. L’écriture de Deux nouvelles sciences devient à nouveau centrale dès 1633, après la publication du « Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo » (Dialogue sur les deux grands systèmes du monde). Deux nouvelles sciences recueille des sujets du De motu, écrit aux environs de 1590 et jamais publié, des notes datant de la période Padouane (de 1592 à 1610 : « les meilleures dix-huit ans de ma vie1 », selon Galilée), également jamais publiées auparavant, mais aussi un large matériel élaboré à Florence après la fuite de Padoue. Il représente le summum de sa pensée physique, tout comme le Dialogue est le summum de sa pensée cosmologique. Les deux nouvelles sciences auxquelles Galilée fait référence sont la science des matériaux (liée principalement à la science de la construction), discutée dans les deux premiers jours de la rencontre, et la mécanique, adressée dans le troisième et le quatrième jour. Dans ce travail, j’ai choisi d’inclure le jour additionnel de discussion sur la force de percussion et l’origine du mouvement, à savoir, la façon dont le mouvement est transmis à un corps. Galilée voulait inclure ce chapitre dans la première édition, comme il l’écrit plusieurs fois dans le texte et dans une lettre à l’éditeur. Au moment de la publication, cependant, Galilée avait conclu que ce matériel n’était pas encore suffisamment mûr, et reporta donc sa publication ; il ne verra le jour qu’après sa mort. Ayant choisi d’inclure ce matériel, j’ai également choisi de ne pas inclure l’appendice sur le centre de gravité des solides que Galilée avait composé dans sa jeunesse et qui n’avait pas été publié (éclipsé - comme le dit Galilée - par « De centro gravitatis solidorum » 21

INTRODUCTION

de Luca Valerio) jusqu’à ce qu’il soit ajouté à la première édition des Deux nouvelles sciences à la place de la journée manquante. Deux nouvelles sciences est l’un des plus importants travaux dans l’histoire des sciences : il a ouvert la voie aux Principia de Newton, publié un demi-siècle plus tard, et à la science expérimentale en général. Newton attribua à Galilée non seulement la paternité de la première loi de la dynamique, le principe d’inertie, mais aussi sa contribution à la seconde, qui établit la proportionnalité entre la force et l’accélération.2 Deux nouvelles sciences contient, entre autres, le principe d’inertie, la description du mouvement de la chute des corps, l’observation que des corps de poids différents tombent avec la même accélération dans le vide, une démonstration (correcte seulement au premier ordre) de l’isochronisme des oscillations du pendule, une démonstration du mouvement parabolique des projectiles, mais aussi des considérations innovatrices relatives à l’acoustique et à la musique. Pour la première fois, la physique, la science de la nature comme Aristote l’appelait, est exprimée en termes mathématiques. Pour la première fois, des expériences sont conçues et réalisées pour tester des hypothèses. Galilée était clairement conscient de l’important héritage qu’il laissait et écrit souvent à ce sujet dans le texte. Hawking a jugé ce livre parmi les cinq œuvres fondamentales dans l’histoire de la physique et de l’astronomie, et selon le mathématicien Alfred Renyi, c’est le travail mathématique le plus important en plus de 2 000 ans. Deux nouvelles sciences est écrit dans le même style que le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, avec les mêmes trois personnages (Simplicio, Sagredo et Salviati) engagés dans la discussion. Deux d’entre eux ont été inspirés par des personnages réels, amis de Galilée : le Florentin Filippo Salviati, comme Galilée membre de l’Académie dei Lincei, et le Vénitien Gianfrancesco Sagredo, autrefois élève de Galilée. Le troisième protagoniste est Simplicio, un personnage imaginaire dont le nom est identique à celui d’un ancien commentateur (VIe siècle av. J.-C.) d’Aristote. Son nom implique une certaine simplicité 22

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

INTRODUCTION

scientifique. Simplicio joue souvent le rôle d’un professeur aristotélique (un « péripatéticien », du nom de l’école d’Aristote), et, en tant que tel, pas particulièrement critique. Parfois, les arguments de Simplicio représentent les opinions du jeune Galilée, Sagredo représente son âge de maturité et Salviati est l’auteur dans ses dernières années.3 Dans leur discussion, les trois amis souvent commentent sur un texte écrit par un académicien qui a enseigné à Padoue, clairement Galilée lui-même ; ils se réfèrent souvent à lui simplement comme l’auteur, ou l’académicien, ou parfois même comme « notre ami ». Le texte original de l’auteur (assez formel, différent de la partie dialogique du livre) est en latin ; je l’ai transcrit en caractères italiques pour clarté. Dans le jour additionnel sur la force de la percussion, qui traite de la façon dont le mouvement est communiqué par une force impulsive à un corps, Simplicio est absent et est remplacé par Paolo Aproino de Trévise, qui avait été un étudiant de Galilée à Padoue et l’avait aidé dans certaines expériences sur le mouvement, avec Daniele Antonini d’Udine. En plus d’être plus convaincante qu’un traité, comme Platon l’avait déjà montré et comme indiqué dans de nombreux cours sur la rhétorique, la formule du dialogue permet de contourner le formalisme dans certaines démonstrations que Galilée n’était sans doute pas en mesure de développer de façon rigoureuse, souvent à cause de l’insuffisance des mathématiques avant l’invention du calcul différentiel. Contrairement à un traité mathématique, qui suit la règle que chaque proposition doit pouvoir être démontrée avant de passer à la suivante (et la partie du livre écrit en latin est, en effet, un traité mathématique), le dialogue permet à ses participants de renoncer à certaines démonstrations rigoureuses et de les remplacer par des hypothèses bien plausibles. C’est dans ce sens qu’intervient la signification ambiguë du mot latin demonstratio, qui avait déjà été utilisé par Cicéron pour spécifier à la fois l’acte de montrer, indiquer et présenter, mais aussi la preuve formelle ou la démonstration mathématique.4 Galilée montre ici sa profonde connaissance des dialogues de Platon et des outils et recettes prescrits dans les manuels de rhétorique classique 23

INTRODUCTION

d’Aristote et de Cicéron, pesant soigneusement la force, l’émotion et l’élégance comme ingrédients pour parvenir à la persuasion. Depuis que son livre précédent, le Dialogue, avait été interdit par l’Église, Galilée avait du mal à trouver un éditeur. Il réussit finalement avec Lodewijk Elzevir, un éditeur travaillant à Leiden, ville située en Hollande-méridionale. Il est fort probable que l’intercession du comte de Noailles, qui avait été un élève de Galilée durant sa période d’enseignement à Padoue, et à qui le livre est dédié, ait été décisive. Elzevir écrit une belle préface, pleine de culture. Environ 500 exemplaires du livre arrivèrent à Rome et furent rapidement vendus. Une copie parvint au mathématicien français Mersenne, qui écrit, l’année suivante, un livre intitulé Les nouvelles idées de Galilée. Une autre copie arriva à René Descartes, qui échangea immédiatement des lettres avec Mersenne, critiquant certaines des démonstrations de la quatrième journée. Galilée reçut ses propres copies seulement six mois plus tard, et il se plaignit de ce retard auprès de l’éditeur. Le mot « mathématiques » dans le titre du livre nécessite une clarification. Bien que ce livre parle de la nature en langage mathématique, Galilée, comme Newton, manipulait les formules algébriques de manière limitée, en utilisant la géométrie euclidienne à la place. Il écrivait que « [l’Univers] est écrit en langage mathématique,5 et que ses caractères sont des triangles, des cercles et d’autres figures géométriques, sans lesquelles il est impossible de comprendre le monde ; sans cela, nous errons dans un labyrinthe obscur.6 » Des formules comme F = ma et E = mc2 sont au cœur de la physique d’aujourd’hui, mais l’approche algébrique et analytique a été introduite par Descartes et d’autres dans le même siècle durant lequel Galilée et Newton écrivaient leurs œuvres fondamentales. Galilée, tout comme Newton, n’utilisa pas l’algèbre, la nouvelle langue : il utilisa la géométrie à la place, célébrant la tradition de la culture grecque au-dessus de la modernité de l’approche analytique. Le résultat de la structure mathématique, géométrique et littéraire complexe du livre est que, citant Plonitsky et Reed, « la quantité et le niveau d’argumentation mathématique sont 24

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

INTRODUCTION

suffisants pour dissuader les lecteurs peu enclins aux mathématiques de pénétrer profondément dans le texte. D’autre part, la nature du texte n’est en aucune manière purement mathématique, et les aspects non-mathématiques peuvent, de manière perverse, conduire le lecteur porté sur la mathématique à ne pas considérer le texte suffisamment sérieusement et de ne pas lui accorder une lecture attentive. Cette combinaison, bien que trouvée ailleurs dans les œuvres de Galilée, présente ici des complexités particulières, ce qui peut expliquer le niveau de lectorat relativement faible des Deux nouvelles sciences ». Quelques commentaires pour les lecteurs. Pour éviter de surcharger le texte, j’ai utilisé deux types de notes. Les notes identifiées par une lettre sont rapportées au bas de la page, et elles ne seront pas seulement d’aide aux lecteurs, mais peut-être vont-elles les amuser ou les surprendre ; ces notes sont également utilisées pour indiquer des erreurs (selon les théories physiques actuelles) faites par Galilée. Les notes identifiées par des chiffres arabes sont reportées à la fin de l’ouvrage, et sont des citations ou des commentaires qui peuvent être ignorés en première lecture. J’ai essayé de minimiser l’utilisation de symboles mathématiques pour garder ce livre à un niveau pré-bac ; parmi les symboles inhabituels dont je vais faire usage : « ∝ » (proportionnel à), « ≡ » (égal par définition), et le symbole logique « =⇒ » (implique que). J’indique par « | AB | » la longueur du segment AB. Enfin, pour rendre plus facile pour les lecteurs expérimentés le lien entre la traduction et l’original galiléen, des références à la pagination du vol. VIII de l’édition nationale sont fournies dans le texte, entre parenthèses carrées. Pour rendre Galilée facile à lire, j’ai bénéficié de la collaboration de nombreux amis et collègues, et j’ai fait des compromis ; je parlerai de tout cela dans le Commentaire final, qui décrit et justifie mes choix stylistiques et ceux liés à la sélection du matériel d’origine, et contient une brève bibliographie des précédentes interprétations de ce livre. Pour les lecteurs qui seront inspirés, je l’espère, par la lecture de ce livre, et qui souhaiteraient accéder à la pensée de l’auteur directement 25

INTRODUCTION

dans sa propre langue, je recommande la lecture de la merveilleuse édition nationale par Favaro, nimbée d’une culture qui je le crains n’existe plus de nos jours, mais par laquelle, heureusement, nous pouvons être éclairés grâce à l’éternité du mot imprimé. Ce livre est dédié à Antonio Favaro.

Alessandro De Angelis Titulaire de la chaire de physique expérimentale Université de Padoue

26

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

Les unités de mesure de Galilée

Pendant la vie de Galilée, la seconde était un standard astronomique, mais elle n’était pas une unité pratique pour les événements terrestres. Le grain de poids du pharmacien était pratiquement une norme dans toute l’Europe, mais il était trop petit pour les mesures ordinaires. La livre, une unité de poids, était employée presque partout, mais avait des valeurs différentes dans différents pays. Des unités de longueur telles que le pied, ou la coudée, en latin appelée cubitus, a en italien braccio, variaient encore plus : la coudée indiquait des longueurs différentes d’une ville à l’autre, et au cours des siècles parfois des valeurs différentes dans la même ville. Galilée n’employait pas les fractions décimales, mais calculait seulement des rapports de nombres entiers, ce qui rendait avantageuses les petites unités. Nous résumons ci-dessous les unités utilisées par Galilée dans ce livre, et leur conversion approximée en unités couramment utilisées aujourd’hui. a. La coudée, déjà utilisée par les Égyptiens (une coudée égyptienne correspondait à environ 45 cm), est l’une des plus anciennes unités de mesure de longueur ; c’est la distance entre le coude et le bout du doigt majeur.

27

LES UNITÉS DE MESURE DE GALILÉE

ESPACE Mile Lance Canne Coudée Pied Palme Pouce Doigt Point (punto)

1,6 km 3,6 m 4 coudées ≃ 2,3 m ; un peu plus qu’une toise 57 cm Une demi-coudée ≃ 28 cm Un tiers de coudée ≃ 19 cm 2,5 cm qualitatif λ ≃ 0,94 mm

Notez que le punto (point) est à peu près la plus petite distance que l’œil puisse apprécier.

POIDS Livre Once Drachme Monnaie Grain

340 g 28 g 3g 1,2 g (environ un scrupule) 52 mg

TEMPS Dans la plupart des démonstrations de Galilée, une mesure absolue du temps n’était pas nécessaire ; l’égalisation des temps, qui était probablement effectuée en utilisant le phénomène oscillatoire et acoustique des battements, était suffisante. En utilisant les battements, on peut comparer les temps avec une précision d’environ 1/25 de seconde. L’oreille de Galilée, grâce aussi à l’éducation musicale donnée par son père, était particulièrement sensible – il écrit le premier jour que dans la cinquième consonance il peut entendre la différence entre les instants où une seule des deux composantes est au maximum et celui où les deux le sont. Galilée utilise dans les Deux nouvelles sciences 28

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

LES UNITÉS DE MESURE DE GALILÉE

une unité de temps pas très précise, le pulse, mais aussi une plus précise, le nombre d’oscillations des pendules (et leurs battements). Dans ses notes, il fait une analyse quantitative plus précise, et il emploie le tempo (temps), défini en utilisant une horloge à eau plus précise que ce qu’il décrit dans le troisième jour de ce livre. Le tempo correspond à peu près au temps d’écoulement de 1/30 d’once (c’est-à-dire 16 grains) d’eau à travers son horloge à eau, ce qui était à peu près la plus petite quantité appréciable avec cette technique. Tempo

τ ≃ 1/92 de seconde.

Avec ces unités, si on mesure le temps en tempi et les distances en punti, on obtient pour l’accélération gravitationnelle à la surface de la Terre π2 g≃ , 8 qui rationalise la relation entre la longueur L et le carré de la période T dans les pendules. La calibration fine du tempo a probablement été effectuée de cette façon.

VITESSE Galilée ne concevait que des relations entre des quantités dimensionnellement homogènes. Par conséquent, le développement de sa théorie est, comme on pourrait dire de nos jours, « covariante à vue » par rapport au choix des unités. Cependant, il parle explicitement de « degrés de vitesse », vitesses reproductibles par différents expérimentateurs – par exemple la vitesse acquise par un corps tombant de la hauteur d’une lance.

29

Imprimatur

Par l’évêque d’Olmutz À la demande de Monseigneur Gio. Ernesto Platais, évêque élu d’Olmutz, j’ai lu ce traité, dans lequel je n’ai rien trouvé qui soit contre notre sainte romaine foi catholique, ou contre la bonne morale ; en effet, il me semble l’illustre et noble progéniture d’une ingéniosité heureuse et délicate, et à ce titre, je juge que la presse peut lui donner la lumière pour éclairer des lecteurs intelligents. Au couvent Saint-Michel d’Olmutz de l’Ordre des Prêcheurs, 18 novembre 1636 Père Gio. Tommaso Manca de Prado, professeur ordinaire de philosophie. Et moi, Giovanni, évêque élu d’Olmutz, étant donné que le susmentionné révérend Père n’a rien trouvé qui contredit la sainte foi catholique ou la bonne morale, j’exprime mon accord pour que le livre intitulé a ............... puisse être imprimé pour une bonne utilisation. À Olmutz, le 20 novembre 1636 Giovanni Ernesto, évêque élu de l’Église susmentionnée. a. Lorsque ce travail a été évalué, il n’avait pas encore de titre.

31

IMPRIMATUR

Par le recteur de l’université de Vienne7 J’ai étudié et analysé le livre en italien en commençant par les mots « Largo campo b ... », et je juge qu’il ne contenait rien de contraire à la foi et aux bonnes mœurs, et que, par conséquent, son impression peut être autorisée. Et ceci est précisément mon avis. À l’École académique césarienne de la Compagnie de Jésus, 29 avril 1637 Gualtiero Paullo s.J., docteur en théologie et doyen temporaire de la faculté. Je consens à l’impression de ce livre. Vienne, 29 avril 1637 Leo Mylgiesser, docteur en médecine, recteur de l’Université.

b. Ce sont les deux premiers mots de l’édition italienne originale.

32

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

Dédicace de Galilée au comte de Noailles

[43] Au comte de Noailles Conseiller de Sa Majesté Chrétienne, Chevalier de l’Ordre du Saint-Esprit, Maréchal et commandant, sénéchal et gouverneur du Rouergue et Lieutenant de Sa Majesté en Auvergne, mon seigneur et vénéré protecteur. Illustrissime Monsieur, Dans le plaisir que vous recevrez de mon travail, je reconnais votre magnanimité. Vous connaissez bien la déception et le désespoir que j’ai ressentis pour le malheureux sort de mon livre précédent ; par conséquent, j’avais décidé de ne plus publier aucun de mes travaux. Mais j’ai pensé qu’il était sage de sauvegarder ce manuscrit de l’oubli complet, au moins pour ceux qui comprennent intelligemment les problèmes auxquels j’ai été confronté. J’ai donc décidé tout d’abord de mettre mon travail entre vos mains, ne pouvant trouver un dépositaire plus digne, en espérant que, pour l’affection que vous ressentez pour moi, vous pourriez préserver mes études et mon travail. Quand vous êtes passé ici en revenant de l’ambassade romaine, j’ai voulu vous saluer personnellement comme je l’avais fait auparavant par lettre à de nombreuses 33

DÉDICACE DE GALILÉE AU COMTE DE NOAILLES

reprises, et lors de cette rencontre, je vous ai présenté une copie de ce travail. Le plaisir avec lequel vous l’avez reçu m’a convaincu que vous le sauvegarderiez. Le fait que vous l’ayez amené avec vous en France et que vous l’ayez montré à vos amis qui aiment ces sciences m’a prouvé que mon long silence ne serait pas interprété comme oisiveté. [44] Peu de temps après, alors que j’allais envoyer quelques exemplaires de plus en Allemagne, en Flandre, en Angleterre, en Espagne et dans certains endroits d’Italie, les Elzévirs m’ont dit qu’ils étaient prêts à imprimer ce travail et que je devrais écrire une dédicace et l’envoyer immédiatement. Cette nouvelle soudaine et inattendue m’a fait penser que c’était l’intérêt de votre éminence à faire revivre et répandre mon nom, ce qui a amené mon écriture entre les mains de ces éditeurs qui voulaient m’honorer avec une belle édition. Et ces écrits doivent avoir reçu une valeur ajoutée par la critique d’un excellent juge comme votre éminence, qui a gagné l’admiration de tous grâce à l’union de nombreuses vertus. Votre désir de magnifier la renommée de mon travail prouve votre générosité sans pareil, ainsi que votre souci de l’intérêt public. Je dois reconnaître avec gratitude, de manière très claire, la générosité de votre éminence, qui a donné des ailes à ma renommée et l’a amenée dans des régions bien plus vastes que j’aurais pu rêver. C’est pourquoi je dois vous dédier ce travail de mon esprit. Je suis obligé de le faire non seulement par le poids de la faveur que vous m’avez accordée, mais aussi, si je puis dire, par l’intérêt que j’ai dans la garantie que vous défendrez ma réputation contre des adversaires qui pourraient m’attaquer. Et maintenant, avançant sous votre drapeau et votre protection, je vous souhaite humblement que vous soyez récompensé pour votre gentillesse en atteignant le maximum de grandeur et de bonheur. Arcetri, 6 mars 1638. Votre serviteur le plus dévoué, Galilée 34

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

Préface de l’éditeur Lodewijk Elzevir

[45] Puisque la société est liée par les services que les humains se fournissent les uns les autres, et comme les arts et les sciences contribuent énormément à ce fait, les chercheurs dans ces domaines ont toujours été portés en la plus haute estime et ont été très appréciés par nos sages ancêtres. Plus l’invention est utile et excellente, plus grands sont l’honneur et les éloges reçus par l’inventeur. Parfois, les inventeurs ont été déifiés afin de perpétuer la mémoire du bien qu’ils ont fourni. L’appréciation et l’admiration sont également méritées par ces esprits privilégiés qui, en limitant leur attention aux choses connues, corrigent des affirmations incorrectes faites par des personnes célèbres et acceptées depuis longtemps comme vérité. Bien que ces personnes aient simplement indiqué des mensonges et ne les aient pas remplacés par la vérité, ils sont toujours dignes d’éloge. Et comme Cicéron, le prince des orateurs, s’est exclamé : « Je voudrais qu’il soit aussi facile de découvrir la vérité que de révéler des mensonges ». Les derniers siècles méritent cet éloge car ce n’est que maintenant que les arts et les sciences, découvertes par les anciens, ont été amenés à une perfection toujours croissante et améliorée de jour en jour grâce aux investigations et aux expériences des esprits clairvoyants ; un tel développement 35

PRÉFACE DE L’ÉDITEUR LODEWIJK ELZEVIR

est particulièrement évident pour les sciences exactes. Sans mentionner d’autres personnes qui ont réussi dans cette tâche, nous devons attribuer la première place, par le jugement unanime des chercheurs, à Galilée, membre de l’Académie des Lyncéens. [46] Galilée mérite cet honneur non seulement parce qu’il a révélé des erreurs dans beaucoup de nos croyances, comme le démontrent amplement ses ouvrages publiés, mais aussi parce qu’à travers le télescope – inventé dans ce pays, mais qu’il a énormément amélioré – il a découvert les quatre satellites de Jupiter, et il nous a montré la vraie nature de la Galaxie, les taches solaires, les parties rugueuses et nébuleuses de la surface lunaire, la triple nature de Saturne, a les phases de Vénus et la nature physique des comètes. Ces arguments étaient complètement inconnus aux anciens astronomes et philosophes, et donc nous pouvons dire qu’il a relancé la science de l’astronomie et qu’il l’a présentée au monde sous un œil nouveau. La sagesse, la puissance et la bonté du Créateur sont nulle part aussi bien exposées que dans le firmament et dans les corps célestes, et on doit reconnaître à Galilée le grand mérite de porter ces corps à notre connaissance en les rendant facilement visibles malgré leur distance presque infinie. En effet, selon le dicton commun, une image peut enseigner en un seul jour plus qu’un précepte, même s’il est répété mille fois ; ou, comme on pourrait dire, la connaissance intuitive suit le rythme de la définition précise. Les dons divins et naturels de Galilée sont clairs dans le présent travail où il montre avoir découvert, à travers de nombreux travaux et veillées, deux nouvelles sciences, et de les avoir démontrées de manière concluante, c’est-à-dire mathématique. Ce qui est encore plus remarquable dans ce travail est le fait que l’une des deux sciences traite d’un sujet très ancien, peut-être le plus important dans la nature, qui a engagé l’esprit de tous les grands philosophes et au sujet duquel beaucoup de livres ont été écrits. Je me réfère ici au mouvement, un phénomène présentant de nombreuses propriétés a. À cause des limites du pouvoir résolutif de son télescope, Galilée pensait que les anneaux de Saturne étaient deux corps à côté de la planète.

36

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PRÉFACE DE L’ÉDITEUR LODEWIJK ELZEVIR

merveilleuses, dont aucune n’avait jusqu’à présent été découverte ou démontrée par qui que ce soit. L’autre science qu’il a également développée à partir de ses fondements mêmes traite de la résistance que les corps solides offrent à la rupture par des forces extérieures, un sujet d’une grande utilité, en particulier dans les sciences et dans l’art de la construction, et également riche en propriétés et théorèmes non démontrés jusqu’ici. Ce livre traite pour la première fois de ces deux sciences, et regorge de conclusions auxquelles, avec le temps, d’autres seront ajoutées par de nouveaux penseurs. De plus, grâce à un grand nombre de démonstrations très claires, l’auteur ouvre la voie à de nombreux nouveaux théorèmes qui seront démontrés par des lecteurs intelligents.

37

1 Première journée : Première nouvelle science, qui concerne la résistance des solides à la rupture

INTERLOCUTEURS : SALVIATI, SAGREDO ET SIMPLICIO. [49] Salviati. Le travail que vous les Vénitiens faites dans votre célèbre arsenal suggère un vaste champ d’investigation, en particulier cette partie du travail qui implique la mécanique : des outils et des machines sont construits par de nombreux artisans, et parmi ceux-ci il doit y en avoir qui, en partie par expérience et en partie grâce à leurs propres observations et réflexions, sont devenus très expérimentés et intelligents. Sagredo. Tu as raison. En fait, moi-même, étant curieux de nature, je fréquente souvent l’arsenal pour mon plaisir et j’observe surtout le travail de ceux qui, en raison de leur supériorité par rapport aux autres artisans, sont appelés « maîtres ». Discuter avec eux m’a souvent aidé dans l’examen d’effets particuliers, dont certains étaient presque incroyables. Parfois, je tombais même dans la confusion et 39

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

j’étais désespéré de ne pas pouvoir expliquer les phénomènes que j’observais. Et je me demandais si en fait la réalité n’était pas facile, et si je n’étais pas comme ces ignorants qui compliquent un problème pour donner l’impression de savoir quelque chose sur des sujets qu’ils ne comprennent pas. [50] Salv. Tu te réfères peut-être à l’homme à qui nous avons demandé la raison pour laquelle ils utilisaient des échafaudages et des renforts de taille proportionnellement beaucoup plus grande pour le lancement d’un grand navire que pour un petit navire, et qui nous a répondu qu’ils l’ont fait pour éviter le danger que le navire ne s’effondre sous son propre poids, un danger auquel les petits bateaux ne seraient pas soumis ? Sagr. Oui, et je me réfère en particulier à sa dernière affirmation que j’ai toujours considérée comme une idée fausse, bien que commune, c’est-à-dire que pour ces machines et d’autres semblables, on ne peut pas simplement passer du petit au grand, car de nombreux appareils qui réussissent à petite échelle ne fonctionnent pas à grande échelle. Maintenant, étant donné que la mécanique a comme base la géométrie, je ne vois pas comment les propriétés des cercles, triangles, cylindres, cônes et autres formes solides pourraient se modifier avec la taille. Si une grande machine reproduit dans toutes ses parties les proportions d’une plus petite, je ne comprends pas comme il peut se passer que cette dernière soit solide et résiste aux efforts auxquels elle est soumise, alors que la plus grande, de son côté, ne sortirait pas intacte de sollicitations graves et destructrices. Salv. L’opinion commune est absolument fausse dans ce cas. En général, les machines peuvent être construites encore plus parfaitement à grande échelle qu’à petite échelle ; ainsi, par exemple, une grande montre peut être rendue plus précise qu’une petite. Certains affirment que la dégradation des performances sur une grande machine peut être due à des imperfections matérielles ; je pense que les imperfections des matériaux ne suffisent pas à expliquer les différences observées entre les machines grandes et petites. 40

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

[51] Même si les imperfections n’existaient pas et même si les matériaux étaient absolument parfaits, inaltérables et exempts de toutes variations accidentelles, et que l’échelle était parfaite, la structure ellemême de la matière a comme conséquence que la grande machine ne sera pas si robuste ou résistante : plus grande sera la machine, plus grande sera sa faiblesse. Puisque je suppose que la matière est immuable et toujours la même, nous pouvons traiter le problème sur la base de mathématiques pures et simples. Par conséquent, Sagredo, tu ferais bien de changer la fausse opinion que tu, et peut-être de nombreux autres étudiants en mécanique, avez sur la capacité des machines et des structures à résister aux sollicitations externes, en pensant que si elles sont construites avec le même matériau et maintiennent le même rapport entre les parties, elles sont tout aussi capables, voire même de manière proportionnelle à leurs dimensions, de résister à ces perturbations extérieures. Nous pouvons montrer sur une base géométrique qu’une grande machine n’est pas proportionnellement plus forte qu’une petite. On pourrait aussi dire que pour chaque machine et structure, qu’elle soit artificielle ou naturelle, il y a une limite que ni l’art ni la nature ne peuvent surmonter ; en supposant, bien sûr, que le matériau mais aussi les proportions soient les mêmes. Sagr. J’ai le cerveau en ébullition, mais j’entrevois peut-être la lumière. De ce que tu as dit, il s’ensuit qu’il est impossible de construire deux structures similaires faites du même matériau mais de [52] dimensions différentes, et de les rendre proportionnellement aussi solides ; s’il en est ainsi alors il ne sera possible de trouver deux poteaux de dimensions différentes, faits du même bois et avec toutes les dimensions proportionnelles, qui aient la même résistance. Salv. C’est cela. Et pour m’assurer qu’on se comprend, je te donne un exemple. Si nous prenons un bâton de bois d’une certaine épaisseur, fixé dans un mur à angle droit et parallèlement à l’horizon, de longueur maximale telle qu’il se soutient à peine (de sorte que, si on ajoute un cheveu à sa longueur, il se brisera sous son propre poids), il sera unique au monde. Tous les bâtons plus longs se briseront sous 41

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

leur propre poids tandis que les plus petits seront assez solides pour supporter plus que leur propre poids. Et ce que j’ai dit sur l’aptitude à se soutenir s’applique également à d’autres structures, de telle sorte que si un chevron supporte jusqu’à dix fois son propre poids, un chevron différent, ayant les mêmes proportions que le premier, ne pourra à peine pas soutenir dix chevrons égaux. Veuillez observer comment la vérité des faits qui à première vue semblent improbables devient claire et se distingue par sa beauté nue et simple. Qui ne sait pas qu’un cheval tombant d’une hauteur de trois ou quatre coudées se cassera les os tandis qu’un chien qui tombe de la même hauteur ou un chat d’une hauteur de huit ou dix coudées ne subira pas de fractures ? De manière similaire, la chute d’une sauterelle du haut d’une tour ou la chute d’une fourmi de la distance de la Lune seraient tout aussi inoffensives. Les enfants tombent sans conséquence de hauteurs qui coûteraient à leurs parents une jambe cassée ou le crâne fracturé. Et tout comme les petits animaux sont proportionnellement plus forts et plus robustes que les plus grands, les plus petites plantes sont plus robustes que les plus grandes. Je suis sûr que vous savez tous les deux qu’un chêne de deux cents coudées de hauteur ne pourrait pas supporter ses propres branches si elles étaient réparties comme dans un arbre de taille normale, et que la nature ne peut pas engendrer un cheval de la taille de vingt chevaux ordinaires ou un géant dix fois plus haut que [53] un homme ordinaire, sauf par miracle ou en altérant fortement les proportions des os. De la même manière, la croyance actuelle selon laquelle les machines artificielles grandes et petites sont également réalisables et robustes est une erreur évidente. Un petit obélisque ou une petite colonne peuvent certainement être érigés sans risque de casse, alors que les grands se décomposeront sous une sollicitation minimale, ou simplement à cause de leur propre poids. Je vais maintenant vous raconter un fait digne d’attention, comme le sont tous les événements qui se produisent contre toute attente, en particulier lorsqu’une précaution est démontrée être la cause d’une catastrophe. Une grande colonne de marbre fut posée 42

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

horizontalement de sorte que chacune de ses deux extrémités reposait sur un morceau de poutre. Il a ensuite été suggéré que, pour être plus sûr que la colonne ne se brise pas en son milieu à cause de son propre poids, il aurait été judicieux de poser un troisième support à mi-chemin. Cela apparut à tous une excellente idée ; ce fut en fait une grosse erreur, puisque quelques mois plus tard, la colonne se fissura et se cassa exactement au-dessus du nouveau support central. Simplicio. Un accident vraiment incroyable et tout à fait inattendu, surtout s’il a été causé par l’installation de ce nouveau support supplémentaire au centre de la colonne. Salv. C’est en effet dans ce fait que réside l’explication, et lorsque nous en comprendrons la cause, notre surprise disparaîtra. En fait, lorsque l’on posa les deux morceaux de marbre sur le sol, on constata que l’un des supports terminaux était détérioré, alors que le support central était resté dur et fort, ce qui mit la moitié de la colonne en porte-à-faux, et causa l’effondrement de celle-ci sous son propre poids. Dans ces circonstances, le corps se comporta différemment de ce qu’il aurait pu faire s’il n’avait été soutenu que par des supports placés aux extrémités : dans ce cas, l’extrémité serait restée solidaire de l’appui détérioré. De plus, cet incident n’aurait pas pu arriver à une petite colonne, faite de la même pierre et avec les mêmes proportions relatives à l’épaisseur et à la longueur. Sagr. [54] Je me fie à ce que tu nous dis, mais je ne comprends toujours pas pourquoi la force et la résistance ne sont pas proportionnelles à la quantité de matière ; et je suis des plus perplexe puisque, au contraire, j’ai remarqué dans d’autres cas que la force et la résistance à la rupture augmentent avec un rapport supérieur au rapport des quantités de matière. Par exemple, si deux clous similaires sont plantés dans un mur, un clou qui est le double de l’autre supportera non seulement deux fois le poids de l’autre, mais trois ou quatre fois plus. Salv. En fait, tu ne te trompes pas beaucoup si tu dis huit fois plus ; d’ailleurs ce phénomène ne contredit pas l’autre non plus, même si 43

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

en apparence ils semblent si différents. Sagr. Salviati, pourquoi ne nous donnes-tu pas une explication ? J’imagine que ce problème sur la résistance ouvre la voie à de nombreuses idées belles et utiles ; si tu veux bien discuter de ce sujet aujourd’hui, nous t’en serions reconnaissants. Salv. Je voudrais rappeler ce que j’ai appris de notre académicien qui a beaucoup réfléchi sur ce sujet, et qui selon son habitude a tout démontré en utilisant des méthodes mathématiques et géométriques, de sorte que cela pourrait être appelé une science nouvelle. Je peux vous convaincre avec une démonstration plutôt qu’avec des arguments spéculatifs. Je suppose que vous êtes suffisamment familiers avec la mécanique pour autant que nécessaire dans notre discussion. Tout d’abord, il faut considérer ce qu’il se passe quand un morceau de bois ou tout autre solide autrement cohésif est cassé ; c’est le premier principe que nous devons connaître. Pour le comprendre plus clairement, imaginez un cylindre AB, en bois ou en tout autre matériau solide. Fixons l’extrémité supérieure, A, de sorte que le cylindre soit verrouillé verticalement et, à l’extrémité inférieure B, attachons le poids C. Il est clair cependant que aussi grandes que soient la ténacité et la cohésion [55] entre les parties de ce solide, celles-ci peuvent être surmontées par la traction du poids C, un poids qui peut être augmenté indéfiniment jusqu’à ce que le solide se brise comme une corde. Et comme dans le cas de la corde dont nous savons que la résistance provient d’une multitude de fils de chanvre qui la composent, similairement, dans le cas du bois, nous observons des fibres courir longitudinalement qui le rendent beaucoup plus résistant qu’une corde de chanvre de même épaisseur. Dans le cas d’une pierre ou d’un cylindre métallique dont la cohésion semble plus grande encore, le ciment qui maintient les éléments ensemble doit être différent des fibres et des filaments ; pourtant, même ces matériaux peuvent être brisés par une forte traction. Simp. Si c’est comme tu dis, je peux bien comprendre que les fibres du bois, étant aussi longues que le morceau de bois lui-même, le 44

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

rendent résistant aux grandes forces qui tendent à le briser. Mais comment se fait-il qu’une corde de cent coudées de long et fabriquée avec des fibres de chanvre qui ne sont pas plus longues que deux ou trois coudées chacune, soit si robuste ? De plus, je serais heureux d’entendre ton opinion sur la façon dont les parties de métal, de pierre et d’autres matériaux qui ne présentent pas une structure filamenteuse restent liées ensemble ; car, si je ne me trompe pas, ils font preuve d’une ténacité encore plus grande. Salv. Pour résoudre les problèmes que tu soulèves, il faudra faire une digression sur des sujets qui semblent avoir peu de lien avec notre propos actuel. Sagr. Mais si grâce à ces digressions nous pouvons atteindre une nouvelle vérité, quel mal y a-t-il ? Une occasion comme celle-ci, une fois perdue, pourrait ne pas se reproduire ! Après tout, nous ne sommes pas attachés à un temps fixe et court, mais nous rencontrons exclusivement pour notre pur plaisir, et souvent en digressant on découvre quelque chose de plus intéressant et plus beau que la solution originale recherchée. [56] Je ne suis pas moins curieux que Simplicio et, comme lui, je veux savoir quel est le matériau de liaison qui maintient les parties des solides si serrées qu’elles peuvent à peine être séparées.

45

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. Puisque tu le souhaites, je vais te satisfaire. La première question est : comment est-il possible que des fibres ne dépassant pas deux ou trois coudées chacune soient si étroitement liées entre elles dans une corde de cent coudées qu’une force énorme soit nécessaire pour la briser ? Maintenant, dis-moi, Simplicio, ne peux-tu pas tenir une fibre de chanvre tellement fort entre tes doigts que, en tirant sur l’autre extrémité, elle se briserait avant même d’être emportée loin de toi ? Bien sûr que tu peux ! Et maintenant, quand des cordes en chanvre sont attachées non seulement à leurs extrémités, mais saisies sur toute leur longueur, n’est il pas plus difficile de les détacher de ce qui les fixe que de les briser ? Mais dans le cas de la corde, le fait que les fils soient torsadés les oblige à se lier de manière telle que lorsque la corde est étirée avec une grande force, les fibres se cassent plutôt que de se séparer les unes des autres. Au point de rupture de la corde, les fibres sont très courtes, pas même une coudée, comme elles le seraient si elles glissaient les unes sur les autres. Sagr. Pour confirmer cela, on peut remarquer que les cordes se cassent parfois non pas par une traction longitudinale mais par une torsion excessive. Ceci, il me semble, est un argument décisif, car les fils sont si bien entrelacés que les fibres ne peuvent pas s’allonger même par le peu qui serait nécessaire pour éviter la rupture.

46

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. Tu as raison. Maintenant, tu vois comment un problème peut en éclairer un autre. [57] Le fil tenu entre les doigts ne cède pas à la traction même lorsqu’il est tiré avec une force considérable, mais résiste parce qu’il est retenu par une double compression, vu que le doigt supérieur appuie aussi fort contre celui inférieur et l’inférieur contre le supérieur. Maintenant, si nous ne pouvions maintenir qu’une seule de ces pressions, sans doute seule la moitié de la résistance initiale subsisterait ; mais étant donné que nous ne sommes pas en mesure, en levant par exemple, le doigt supérieur, d’enlever une seule de ces pressions sans supprimer l’autre, il est nécessaire d’employer un nouveau dispositif qui presse le fil contre le doigt ou contre un autre corps solide sur lequel il repose ; et ainsi on se rend compte que la même force qui le tire pour l’arracher le comprime de plus en plus à mesure que la traction augmente. [58] Ceci peut être obtenu, par exemple, en enroulant le fil autour d’un cylindre en forme de spirale. Laissez-moi mieux m’expliquer avec l’illustration suivante. Soit AB et CD deux cylindres entre lesquels le fil EF est tendu ; pour être plus clair, nous pouvons imaginer ce fil être un petit cordon. Si ces deux cylindres sont fortement pressés l’un contre l’autre, le cordon EF, lorsqu’il est tiré par l’extrémité F, supportera sans aucun doute une traction considérable avant de glisser entre les deux solides en compression. Mais si on enlève l’un de ces cylindres, le cordon, tout en restant en contact avec l’autre, ne sera pas empêché de glisser librement. D’un autre côté, si on laisse libre le cordon sur la partie supérieure du cylindre A, et qu’on l’enroule selon la spirale AFLOTR, et qu’ensuite on le tire par l’extrémité R, il est évident que le cordon va rester solidaire du cylindre ; par une traction donnée, plus grand sera le nombre de spirales, plus fermement le cordon sera pressé contre le cylindre. Au fur et à mesure que le nombre de spires augmente, la ligne de contact deviendra plus longue et par conséquent plus résistante, et ainsi le câble résistera toujours plus à la force de traction. N’est-ce pas précisément le type de résistance que l’on rencontre dans le cas d’une corde de chanvre épaisse dont les fibres forment des milliers et des milliers 47

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

de spires similaires ? L’effet de ces tissages est si grand que peu de fils courts forment les cordes les plus solides. Sagr. Ton discours me rappelle deux choses que je ne comprends pas. La première est comment un frêle garçon peut non seulement soutenir une lourde charge grâce à une corde simplement enroulée deux ou trois fois autour d’un tambour, mais aussi la soulever s’il commence à rembobiner la corde sur elle-même. La seconde est liée à une manière astucieuse qu’un membre de ma famille a inventée pour sortir par la fenêtre avec une corde, en évitant de se blesser les paumes, comme cela lui était arrivé lors de ses premières tentatives. Pour faciliter la compréhension, je vais dessiner un petit croquis. Mon parent a utilisé un cylindre en bois AB à peu près de la même épaisseur qu’un bâton de marche et d’environ un pied de long. Sur ce cylindre, il a incisé une rainure en forme de spire, sur une longueur correspondant à un tour et demi maximum et d’une largeur suffisante pour faire glisser la corde qu’il voulait utiliser. Il a inséré la corde dans l’extrémité A et, après l’avoir fait passer à l’intérieur du sillon, l’a fait ressortir en B. Puis il a recouvert à la fois le cylindre et la corde avec un tube en étain ouvert sur le côté, afin qu’il puisse s’ouvrir et se fermer. Il a fixé une extrémité de la corde en haut sur un support sécurisé et il a saisi le tube avec les deux mains de manière à être suspendu par les bras. Le frottement entre la corde et le cylindre lui permit de ne pas tomber mais aussi de régler, en desserrant la corde, à quelle vitesse descendre.

48

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. Un appareil vraiment ingénieux ! [59] Cependant, je pense que pour une complète explication nous devons tenir compte d’autres considérations, mais je n’ai pas envie de faire une digression sur d’autres questions alors que tu attends encore d’entendre mon opinion au sujet de la résistance à la rupture des matériaux qui, à la différence de la corde et de la plupart des bois, semblent ne pas posséder une structure filamenteuse. La cohésion de ces corps est due, à mon avis, à deux causes : la première est que la nature craint le vide ; cette cause n’est pas suffisante, toutefois, et une force liante ou une colle ou une substance visqueuse est nécessaire pour unir les particules qui forment le corps. Je parlerai d’abord du vide, a identifiant avec des expériences appropriées la nature et l’ampleur de sa force. Si vous prenez deux plaques de marbre, métal, ou en verre bien polies et lisses et les placez face à face, l’une va facilement glisser sur l’autre, montrant qu’il n’y a pas de colle entre elles. Mais quand vous essayez de les séparer, elles présentent comme une forme de résistance à la séparation vu que la plaque supérieure va entraîner voire soulever celle inférieure même si cette dernière est grande et lourde. Si au contraire les deux plaques n’ont pas été soigneusement nettoyées, et que par conséquent le contact n’est pas uniforme, lorsque vous essaierez de les séparer lentement, la seule résistance offerte sera celle du poids ; si, cependant, la traction est soudaine, alors la plaque inférieure monte, mais retombe rapidement, après avoir suivi la plaque supérieure seulement pendant ce très court intervalle de a. La discussion sur l’existence du vide a été longue, et son début date de l’atomisme grec : le vide (kenòn) et les atomes étaient les constituants fondamentaux de la matière. Platon croyait que, pour être perceptible par les sens, le vide avait besoin de certaines propriétés incompatibles avec sa définition. Aristote pensait que le vide ne pouvait se produire naturellement, car il serait immédiatement comblé par le continuum de matériau environnant plus dense : c’est la « peur du vide » qui provoque la cohésion. Aristote a cependant admis l’existence du vide comme « remplissage » de la matière. La discussion était encore vivace à l’époque de Galilée, et elle deviendra bientôt centrale entre Pascal et Descartes. Elle redeviendra fondamentale dans le XXe siècle, avec la physique quantique.

49

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

temps nécessaire à l’expansion de la petite quantité d’air restante entre les plaques. Cette résistance entre les deux plaques est également présente entre les parties d’un solide ; elle est bien sûr, au moins en partie, une cause concomitante de leur cohésion. [60] Sagr. Permets-moi d’exprimer une considération qui m’est venue à l’esprit. En voyant la plaque inférieure qui suit la supérieure et se soulève avec un mouvement très rapide, on pourrait penser que le mouvement dans le vide n’est pas instantané, réfutant ainsi les thèses de nombreux philosophes dont Aristote. En effet, s’il était instantané, les deux plaques se sépareraient immédiatement sans résistance dans cet intervalle de temps nécessaire à l’air venant de l’extérieur pour remplir le vide.8 En suivant comment la dalle inférieure agit sur la supérieure on comprend que le mouvement n’est pas instantané dans le vide ; il est également clair qu’un certain espace vide persiste entre les deux dalles, même si seulement pour très peu de temps, égal à celui nécessaire à l’environnant pour combler le vide, parce que s’il n’y avait pas de vide, il n’y aurait pas besoin d’air pour le remplir. On doit alors admettre que le vide est parfois produit par un mouvement violent contraire aux lois de la nature (même si, à mon avis, rien ne se produit de contraire à la nature, sauf l’impossible, qui ne se produit pas). Mais je trouve ici une autre difficulté : bien que l’expérience me convainque de la justesse de cette conclusion, mon esprit n’est pas entièrement satisfait de la cause à laquelle cet effet doit être attribué. La séparation des plaques précède la formation de la dépression qui est produite en conséquence de cette séparation ; et comme il me paraît que, dans l’ordre de la nature, la cause doit précéder l’effet, même si elle paraît suivre dans le temps, et puisque tout effet positif doit avoir une cause positive, je ne vois pas comment l’adhésion de deux plaques et leur résistance à la séparation peut être expliquée par le vide lorsque ce vide doit encore être produit. Selon la thèse infaillible d’Aristote, l’inexistant ne peut produire aucun effet.9 50

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Simp. Puisque tu accordes cet axiome à Aristote, je ne pense pas que tu puisses en nier un autre qui est excellent et fiable : la nature ne commence pas à faire ce qui ne peut pas être fait.10 Et à partir de cet axiome, il me semble que tu peux résoudre ton doute. La nature ne conçoit pas le vide, ni ce qui en dérive, et donc la nature s’oppose à la séparation entre les deux plaques. Sagr. [61] Si l’on suppose que la solution à mon doute soit celle proposée par Simplicio, il me semble que cette même résistance à la création du vide devrait être suffisante pour maintenir ensemble les parties d’un solide comme celles d’une pierre ou d’un métal ou les parties de tout autre objet vu que la structure qui assure leur cohésion est plus importante que la force nécessaire pour les séparer. Si pour un effet il n’y a qu’une seule cause, comme je le crois, ou si, quand il y a plusieurs causes, on peut les réduire à une seule, pourquoi le vide, qui existe bien, ne suffit-il pas à expliquer tous types de résistances ? Salv. Pour l’instant, je ne veux pas participer à cette discussion sur la question de savoir si le vide peut maintenir ensemble les parties dissociées des corps solides, mais je vous dis que le fait que le vide maintienne les deux plaques ensemble ne suffit pas à expliquer la forte cohésion des parties d’un cylindre de marbre ou de métal qui, si elles sont soumises à d’importantes forces qui les tirent directement, finissent par se séparer et se diviser. Et quand je trouvai un moyen de distinguer la résistance déjà connue, celle qui dépend du vide, de toute autre résistance, je compris que toute résistance contribue à renforcer la cohésion des particules. Si j’arrive à prouver que la peur du vide ne suffit pas à expliquer cet effet, êtes-vous d’accord qu’il est nécessaire d’introduire une autre cause ? Simp. Il est clair que les doutes de Sagredo doivent être liés à autre chose qu’une démonstration aussi claire et logique. Sagr. Je pense que tu as raison, Simplicio. Je pense effectivement que, si un million en or chaque année est insuffisant à l’Espagne pour payer ses soldats, il est nécessaire d’ajouter quelque chose d’autre recueilli par de nombreuses petites taxes locales. Mais vas-y, Salviati, 51

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

et en supposant que j’accepte ce que tu dis, montre-nous comment la peur du vide n’est pas suffisante pour expliquer l’effet dont nous sommes en train de parler, mais aussi comment il est possible de distinguer la cause due au vide par rapport à d’autres causes. Salv. Je vais donc vous expliquer comment distinguer la force due au vide des autres causes mais aussi comment il est possible de la mesurer. À cet effet, examinons une substance continue dont les parties ont pour seule résistance la peur du vide, l’eau par exemple, comme l’a démontré notre académicien dans l’un de ses traités.11 [62] Chaque fois qu’un cylindre d’eau est soumis à une traction et offre une résistance à son écoulement, cela ne peut être attribué à aucune autre cause que celle de la peur du vide. Pour effectuer cette mesure, j’ai inventé un appareil que je vais illustrer avec un croquis explicatif.

Soit CABD la section transversale d’un cylindre en métal ou, de préférence, en verre, creux à l’intérieur et bien tourné. À l’intérieur de 52

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

ce cylindre, à deux ou trois doigts du fond, est inséré un bouchon en bois EGFH ; ce dernier doit être capable de se déplacer vers le haut et vers le bas. Un trou est percé au centre de celui-ci afin d’y faire passer un fil de fer, muni d’un crochet à l’extrémité K, tandis que l’extrémité supérieure du fil, I, forme une boucle conique. La partie supérieure du bouchon en bois est ciselée afin que la boucle conique I vienne s’y encastrer parfaitement, lorsque le fil IK est tiré vers le bas. On remplira ensuite le cylindre en verre avec deux ou trois doigts d’eau, précisément dans l’espace situé entre EF et AB, tout en maintenant le vase avec l’ouverture CD vers le haut et en poussant vers le bas sur le bouchon EFGH. L’air peut ainsi s’échapper le long du fil de fer. Une fois l’air expulsé et le fil de fer tiré en arrière pour assurer une fermeture hermétique, on renversera le récipient en dirigeant l’ouverture CD vers le bas, et on attachera au crochet K un récipient qui peut être rempli avec du sable ou tout autre matériel lourd en quantité suffisante pour séparer la surface supérieure du bouchon, EF, de la surface inférieure de l’eau à laquelle il était lié uniquement par la résistance créée par la peur du vide. Ensuite on pèsera ensemble le bouchon, le fil, le récipient et son contenu ; le poids total permettra de mesurer la force du vide. [63] Si on suspend à un cylindre de marbre ou de verre du même diamètre que le cylindre creux qui contenait l’eau, un poids qui, conjointement avec le poids du marbre ou du verre lui-même, est exactement égal à la somme des poids des objets ci-dessus mentionnés, et si la rupture se produit, nous pourrons affirmer que le vide est la seule cause qui assure la cohésion des différentes parties du marbre ou du verre ; mais si ce poids ne suffit pas et si la rupture ne se produit qu’après avoir ajouté, disons, quatre fois ce poids, on sera alors obligé de dire que le vide ne fournit qu’un cinquième de la résistance totale. Simp. Cette invention est astucieuse, mais je rencontre beaucoup de difficultés. Est-il certain que l’air ne puisse pas pénétrer entre le vase et le bouchon ? Afin d’adapter au mieux la boucle conique qui sert d’obturateur, il n’est peut-être pas suffisant de simplement l’enduire 53

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

avec de la cire ou de la résine. De plus, l’eau ne pourrait-elle se dilater et se raréfier ? Est-il exclu que l’eau, l’air ou autres exhalaisons ne puissent pas pénétrer dans la porosité du bois ou dans le verre luimême ? Salv. C’est avec une grande habileté que, d’une part tu nous montres les problèmes qui pourraient se poser, et d’autre part tu nous fournis en partie les solutions pour empêcher l’air de pénétrer dans le bois ou dans l’espace entre le bois et le verre. Mais maintenant laisse-moi souligner que, comme notre expérience augmente, nous apprendrons si oui ou non ces potentielles difficultés existent vraiment. Si, comme c’est le cas avec l’air, l’eau est par nature expansible, bien que sous une force importante, le bouchon devrait descendre ; et si l’on met une petite excavation dans la partie supérieure du récipient en verre, indiquée par V, l’air ou toute autre substance gazeuse qui pourrait pénétrer dans les pores du verre ou du bois, passerait à travers l’eau et serait recueillie dans ce réceptacle. Mais si ces choses ne se passent pas nous pouvons être assurés que notre expérience a été réalisée avec les précautions nécessaires, et nous découvrirons que l’eau ne se dilate pas et que le verre ne va pas permettre à une matière, si subtile soit-elle, de pénétrer. Sagr. Grâce à cette discussion, j’ai découvert la cause d’un certain effet que j’ai longtemps essayé de comprendre. J’ai vu une fois une citerne munie d’une pompe en supposant à tort que l’eau pouvait ainsi être puisée avec moins d’effort ou en plus grande quantité qu’au moyen d’un seau. Le fût de la pompe portait sa ventouse et sa valve dans la partie supérieure de sorte que l’eau était soulevée par attraction et non par une poussée comme c’est le cas des pompes dans lesquelles la ventouse est placée plus bas. [64] Cette pompe a parfaitement fonctionné tant que l’eau contenue dans la citerne était au-dessus d’un certain niveau ; lorsque la différence de niveau entre la pompe et l’eau est arrivée au-delà d’une certaine limite, la pompe n’a plus marché. Quand j’ai d’abord remarqué ce phénomène, je pensais que la machine était détériorée, mais 54

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

l’ouvrier que j’ai appelé pour la réparation m’a dit que le défaut n’était pas dans la pompe, mais dans l’eau qui était trop basse pour être soulevée à cette hauteur ; et il a ajouté qu’il n’était pas possible, soit par une pompe ou par toute autre machine qui travaille sur le principe de l’attraction, de soulever l’eau même d’un cheveu au-dessus de dixhuit coudées ; que la pompe soit grande ou petite, cette hauteur est une limite infranchisable. b Je savais qu’une corde ou une tige de bois ou de fer, si elle était suffisamment longue, se briserait par son propre poids lorsqu’elle était tenue par l’extrémité supérieure, mais je n’avais jamais pensé auparavant que la même chose se produirait, mais beaucoup plus facilement, avec une colonne d’eau. Et une pompe se compose juste d’une colonne d’eau attachée à l’extrémité supérieure ; si vous l’étirez de plus en plus, vous arriverez enfin à un point où elle se casse, comme une corde, à cause de son poids. Salv. C’est ainsi que cela fonctionne. Et puisque la hauteur de dixhuit coudées est la plus grande possible, quelle que soit la pompe, et quelle que soit la quantité d’eau, même mince comme une paille, nous pouvons dire que si on pèse l’eau contenue dans un tube de dix-huit coudées de long, quel que soit le diamètre, nous obtiendrons la valeur de la force du vide dans tout cylindre de quelque matériel que ce soit ayant le même diamètre. Il est facile de trouver jusqu’à quelle longueur différents cylindres de métal, de pierre, de bois, de verre, etc., peuvent être étirés sans se briser sous leur propre poids. [65] Prenons par exemple un fil de cuivre de n’importe quelle longueur et épaisseur ; fixons l’extrémité supérieure et attachons à l’autre un poids de plus en plus grand, jusqu’à le briser. Soit la charge maximale, disons, de 50 livres. Il est donc clair que si nous fabriquons un fil de même diamètre que ce dernier, à partir de 50 b. Galilei donne une interprétation naïve du phénomène, qui a été expliqué par son disciple Evangelista Torricelli (1608-1647). Ce n’est pas la pompe qui soulève l’eau, mais la pression atmosphérique qui la pousse, et cette pression correspond à celle d’une colonne d’eau d’environ 10,3 mètres (18 coudées) de hauteur.

55

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

livres de cuivre, plus le poids du fil lui-même, par exemple, égal à 1/8 d’once, nous obtiendrons un fil de la plus grande longueur possible capable de supporter son propre poids. Supposons que le fil qui se casse ait une longueur d’une coudée et un poids de 1/8 d’once ; puisque ce fil peut supporter une charge de 50 livres en plus de son propre poids, soit 4 800 huitièmes d’once, il en résulte que tous les fils en cuivre, indépendamment de leur taille, pourront soutenir eux-mêmes jusqu’à à une longueur de 4 801 coudées et pas plus. La partie de la résistance à la rupture qui dépend du vide est égale à la masse de la colonne d’eau, haute de dix-huit coudées et d’épaisseur égale à celle de la tige en cuivre. Si, par exemple, le cuivre est neuf fois plus lourd que l’eau, la résistance à la rupture de toute tige en cuivre à cause de la force du vide est égale à la masse de deux coudées de cette même tige (la longueur est inversement proportionnelle au poids). Avec la même méthode nous pouvons trouver la longueur maximale d’un fil ou d’une tige de tout matériau qui peut supporter son propre poids, et découvrir l’impact que la cohésion provoquée par la force du vide a sur la résistance à la rupture. Sagr. Il reste à comprendre de quoi exactement la résistance à la rupture dépend, autre que la résistance due à la peur du vide ; quelle est la substance gluante ou visqueuse qui cimente ensemble les différentes parties du solide ? Je ne peux pas imaginer une colle qui ne brûlerait pas dans un four très chaud en deux ou trois mois, ou a fortiori en dix ou en cent. Et pourtant, si l’or, l’argent et le verre sont maintenus à l’état liquide pour une longue durée et sont retirés du four, leurs parties, après le refroidissement, se rattachent ensemble immédiatement comme avant ; il en est de même pour le verre et le ciment. Qu’est-ce qui maintient ces parties ensemble si fermement ? Salv. [66] Étant donné la preuve que la crainte du vide empêche la séparation de deux plaques sauf si elles sont soumises à une forte force, de même, une force encore plus grande sera nécessaire pour rompre en deux morceaux une colonne en marbre ou en bronze. Je 56

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

ne vois pas pourquoi cette peur du vide ne pourrait pas être de la même manière la cause de la cohésion entre les plus petites particules qui composent ces matériaux. Puisque chaque effet doit avoir une cause vraie et suffisante et que je ne trouve pas d’autre ciment possible que la peur du vide, n’ai-je pas raison d’essayer de découvrir si le vide n’est pas une cause suffisante ? Simp. Mais tu as déjà montré que la résistance à la séparation de deux grandes surfaces en raison de la résistance au vide est très faible par rapport à celle qui tient de petites particules ensemble ; ne penses-tu pas qu’on a déjà démontré qu’il existe au moins deux causes différentes ? Salv. Sagredo a déjà répondu à cette question quand il a remarqué que chaque soldat espagnol est payé avec l’argent recueilli par de nombreuses petites impositions, étant donné qu’un million d’or ne serait pas suffisant pour payer toute l’armée. Et qui sait si de nombreux petits vides n’opèrent pas entre les petites particules ? Maintenant, je vais vous faire part d’une petite idée que j’ai eue et que je ne donne pas comme une vérité absolue, mais plutôt comme une hypothèse, encore immature et qui demande un examen prudent. Parfois, j’ai observé comment le feu se propage entre les plus minuscules particules d’un métal même si celles-ci sont solidement cimentées, et il finit par les séparer. Après que le feu s’est éteint, ces particules se réunissent avec la même ténacité qu’avant, sans aucune perte de quantité dans le cas de l’or et avec peu de perte dans le cas d’autres métaux, même si ces différents morceaux ont été séparés pendant un long moment. J’ai pensé que l’explication pourrait résider dans le fait que les très fines particules de feu, pénétrant les pores du métal (trop petits pour permettre l’accès même aux plus fines particules d’air ou de nombreux autres fluides), rempliraient les petits vides entre les particules du métal et les libéreraient de l’attraction que ces mêmes vides exerceraient sur les minuscules particules de métal et qui empêcheraient leur séparation. [67]

57

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Ainsi, les particules de métal sont en mesure de se déplacer librement de façon à ce que le matériau devienne fluide, et le reste aussi longtemps que les particules de feu restent à l’intérieur des minuscules pores. Si les particules de feu quittent les minuscules vides, l’attraction originale revient, et les différents éléments de métal sont à nouveau recollés ensemble. Et je répondrais à l’observation de Simplicio que, bien que de tels vides paraissent très petits, leur grand nombre multiplie les résistances. La nature et la quantité des forces qui résultent de la réunion d’un immense nombre de petites forces sont clairement illustrées par l’exemple suivant. Considérons un poids de millions de livres, suspendu par de grosses cordes, et imaginons qu’un vent du sud apporte d’innombrables atomes d’eau, suspendus dans une fine brume ; ces atomes s’infiltrent alors entre les fibres des cordes, et les élargissent malgré la force énorme du poids suspendu. Les atomes d’eau gonflent les cordes et donc les raccourcissent, et de telle sorte qu’une charge même très lourde peut être soulevée. c Sagr. Il est hors de doute que toute résistance finie peut être surmontée par une multitude de minuscules forces. Un grand nombre de fourmis peut transporter un bateau plein de grains : une fourmi peut facilement transporter un grain, et puisque le nombre de grains dans le navire n’est pas infini, si vous prenez un nombre suffisant de fourmis, par exemple quatre ou six fois plus grand, elles vont transporter à terre le grain et le bateau aussi. À mon avis c’est précisément le cas avec les vides qui lient ensemble les plus petites particules d’un métal. Salv. Et si cela demandait un nombre infini de particules, penses-tu que la chose serait impossible ? Sagr. Pas si la masse du métal était elle-même infinie, sinon... Salv. [68] Sinon quoi ? Puisque nous sommes arrivés aux paradoxes, c. Il semble que lors de l’élévation de l’obélisque de la place Saint-Pierre au Vatican en 1586 les cordes soutenant le monument avaient été mises sous tension en les humidifiant. L’histoire était bien connue à l’époque de Galilée.

58

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

voyons s’il n’est pas possible de démontrer que dans une étendue finie il est possible de découvrir un nombre infini de petits vides. En même temps, nous résoudrons un problème parmi les plus remarquables, qu’Aristote lui-même dans ses Problèmes mécaniques12 appelle merveilleux. d Cette solution pourrait être aussi concluante que celle qu’il accepte pour sa part, et différente de celle donnée par le savant seigneur évêque de Guevara13 . Tout d’abord, il est nécessaire d’envisager une nouvelle hypothèse qui n’a pas encore été envisagée par d’autres, mais dont dépend la solution au problème, et dont nous pourrons tirer de nouvelles et remarquables conclusions. Pour des raisons de clarté laissez-moi faire un dessin.

Considérons un polygone équilatéral et équiangle, avec un nombre quelconque de côtés, centré sur le point G, par exemple un hexagone ABCDEF, et dessinons un autre semblable et concentrique, mais plus petit, que nous appellerons HIKLMN. Prolongeons le côté AB du grand hexagone vers le point S, et de même le côté correspondant HI du petit hexagone dans la même direction vers le point P, de sorte que la ligne HT soit parallèle à AS ; tirons une troisième ligne GV parallèle d. Galilée utilise souvent ce mot (en italien meraviglioso). Il se réfère à quelque chose qui a l’effet d’éveiller l’émerveillement et l’étonnement.

59

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

à AS et HT et qui passe par le centre. Une fois cela fait, imaginons que le plus grand polygone s’enroule sur la ligne AS, entraînant avec lui le plus petit polygone. [69] Il est évident que lorsque le point B, à l’extrémité du côté AB, commence la rotation, le point A s’élèvera, et le point C s’abaissera en décrivant l’arc CQ jusqu’à ce que le côté BC coïncide avec le segment BQ, de longueur égale à BC. Mais pendant cette rotation, le point I du plus petit polygone s’élèvera au-dessus de la ligne IT et reviendra sur la ligne IT lorsque le point C atteindra la position Q. Le point I, ayant décrit l’arc IO au-dessus de la ligne HT, regagnera la position O, au moment où le côté IK prendra position en OP ; mais entretemps, le centre G aura quitté la ligne GV et n’y reviendra que lorsque l’arc GC sera complété. Après cela, le côté BC du grand polygone sera positionné sur le segment BQ, et le côté IK du petit polygone coïncidera avec le segment OP, après avoir passé toute la partie IO sans la toucher ; le centre G atteindra alors la position R en passant au-dessus de la ligne GV. Et enfin, toute la figure prendra une position semblable à la première ; donc si nous continuons la rotation et arrivons à la deuxième étape, le côté du grand polygone CD coïncidera avec le segment QX et le côté KL du petit polygone, ayant d’abord sauté l’arc PY, tombera sur le segment YZ, tandis que le centre, toujours au-dessus de la ligne GV, reviendra en R après avoir parcouru l’arc CR. Après une rotation complète, le plus grand polygone aura tracé au-dessus de la ligne AS, sans interruption, six lignes égales à son périmètre ; le petit polygone tracera de la même manière six lignes égales à son périmètre, mais séparées par l’interposition de cinq arcs, qui représentent les parties de HT non touchées par le polygone. Le centre G ne touchera pas la ligne GV, sauf en six points. Il est évident que la distance couverte par le petit polygone est presque la même que celle parcourue par le grand polygone majeur, c’est-à-dire que la ligne HT se rapproche de la ligne AS, dont elle ne diffère que par la longueur d’une corde de l’un des arcs intercalaires, compte tenu cependant que la ligne HT comprend également les cinq arcs en question.

60

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Ce que j’ai expliqué par l’exemple de ces hexagones se produit également avec tous les polygones, indépendamment du nombre de côtés, à condition qu’ils soient [70] semblables, concentriques, et connectés de manière rigide, de sorte que lorsque le plus grand polygone tourne, le plus petit tournera également. Il faut aussi comprendre que les lignes décrites par ces deux sont à peu près égales, pourvu que nous incluions dans l’espace traversé par le plus petit les intervalles qui ne sont touchés par aucune partie du périmètre du plus petit polygone. Un polygone de mille côtés, ayant effectué une rotation complète, dessine une ligne égale à son périmètre ; en même temps, un petit polygone semblable au plus grand décrira une ligne à peu près égale, mais composée de petits segments égaux à ses mille côtés avec l’interposition d’un millier d’espaces qui, par opposition aux segments qui correspondent aux côtés du polygone, peuvent être considérés comme des espaces vides. Jusqu’à présent, il n’y a pas de difficulté. Mais supposons maintenant qu’autour de n’importe quel sommet, disons A, nous traçons deux cercles concentriques et rigidement connectés ; considérons le rayon AB du grand cercle et sa tangente BF en B ainsi que le rayon AC du petit cercle et sa tangente CE en C. En outre, traçons la ligne parallèle AD passant par A. Si le grand cercle fait une rotation complète le long de la ligne BF, dites-moi ce que le plus petit cercle va faire et aussi ce que le centre A fera. Le centre va certainement se propager en touchant chaque point de la ligne AD tandis que la circonférence du plus petit cercle touchera chaque point de la ligne CE, tout comme cela a été fait par les polygones ci-dessus mentionnés. La seule différence est que la ligne HT n’était pas en contact en chaque point avec le périmètre du plus petit polygone, mais qu’en plus il y avait autant d’espaces vides que de segments qui coïncidaient avec les côtés. Mais ici dans le cas des cercles, la circonférence du plus petit ne quitte pas la ligne CE, de sorte que pas une partie de cette dernière est exclue, et que à tout instant, le cercle reste en contact avec la ligne droite. Comment le plus petit cercle peut-il alors parcourir

61

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

une longueur supérieure à sa circonférence s’il n’a pas effectué des sauts intercalaires ? Sagr. Peut-on dire que le centre du cercle, entraîné dans la rotation le long de la ligne AD, et constamment en contact avec elle, bien qu’il soit un seul point, fait comme les points de la circonférence du cercle plus petit, qui, portés le long du mouvement du plus grand cercle, glissent sur la ligne CE ? Salv. [71] Cela ne peut pas être vrai. Tout d’abord, je ne vois aucune façon que le point de contact, tel que celui en C, puisse glisser audessus de certaines portions de la ligne CE. Mais si on admet ces glissades le long de CE, elles seraient en nombre infini puisque les points de contact sont en nombre infini : un nombre infini de glissements finis ferait une ligne infiniment longue, tandis que la ligne CE est finie. L’autre raison est que, comme le plus grand cercle, dans sa rotation, modifie son point de contact en continu, le cercle plus petit doit faire de même parce que B est le seul point à partir duquel une ligne droite peut être tirée jusqu’à A et passer par C. De ce fait, lorsque la grande circonférence modifie son point de contact, le petit cercle le fait aussi ; ainsi chaque point du petit cercle ne touchera la ligne droite CE qu’en un seul point. En outre, aussi dans la rotation des polygones, aucun point sur le périmètre du plus petit polygone n’a coïncidé avec plus d’un point sur la ligne parcourue par ce périmètre. Ceci est à la fois clair quand vous rappelez que dans la rotation des polygones aucun point du périmètre du plus petit ne coïncide avec plus d’un point de la ligne traversée par ce même périmètre ; ce que l’on comprend aisément en remarquant que la ligne IK est parallèle à BC, et que par conséquent le segment IK demeurera au-dessus de IP tant que le segment BC se superposera au segment BQ, et que ce segment IP se superposera au segment IP à l’instant même où BC coïncidera avec BQ ; la ligne IK coïncidera alors toute entière avec OP, puis s’en séparera immédiatement en s’élevant. Sagr. La question a l’air très compliquée. Merci de mieux nous expliquer. 62

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. Revenons à la considération des polygones évoqués plus haut et dont on a déjà compris le comportement. Dans le cas des polygones à 100 000 côtés, la ligne traversée par les 100 000 côtés du périmètre du grand polygone est égale à la ligne tracée par les 100 000 côtés du plus petit, à condition d’intercaler 100 000 espaces vides. Dans le cas des cercles, qui sont des polygones ayant un nombre infini de côtés, la ligne traversée par les côtés en nombre infini et distribués en continu le long du grand cercle est égale à la ligne tracée par les côtés en nombre infini du plus petit cercle, sauf que ces derniers s’alternent avec des espaces vides ; et les côtés ne sont pas en nombre fini mais infini, donc même le nombre des espaces vides est infini. La ligne traversée par le cercle plus grand se compose alors d’un nombre infini de points qui la remplissent complètement, tandis que le chemin tracé par la circonférence du plus petit cercle se compose d’un nombre infini de points, qui ne remplissent la ligne qu’en partie, mais aussi d’un nombre infini d’espaces vides qui s’intercalent entre les points. Après avoir divisé une ligne en un nombre fini, c’est-à-dire en un nombre qui peut être compté, de segments, il n’est [72] pas possible de les arranger à nouveau de manière à obtenir une longueur supérieure à celle qu’ils occupaient lorsqu’ils formaient une ligne continue sans l’interposition d’autant d’espaces vides. Mais si nous considérons la ligne comme composée d’un nombre infini de segments infiniment petits et indivisibles, nous pourrons concevoir que la ligne soit étirée indéfiniment par l’interposition d’un nombre infini d’espaces vides indivisibles et infiniment petits. Or, ce qui a été dit à propos des lignes doit être vrai aussi dans le cas des surfaces et des corps solides, sachant qu’ils sont constitués d’un nombre infini d’atomes. Un corps, une fois divisé en un nombre fini d’éléments, est impossible à assembler de nouveau afin de lui faire occuper plus d’espace que précédemment, sauf si un nombre additionnel d’espaces vides est interposé. Mais si nous imaginons un corps fait d’un nombre infini d’éléments fondamentaux, alors nous pourrons les imaginer comme dispersés indéfiniment dans l’espace, avec 63

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

l’interposition d’un nombre infini d’espaces vides. Ainsi, vous pouvez facilement imaginer une boule d’or étendue à un très grand espace avec l’introduction d’un nombre infini d’espaces vides, à condition que l’or soit composé d’un nombre infini de parties fondamentales. Simp. Il me semble que tu te diriges vers la théorie des vides intercalaires, soutenue par Démocrite. Salv. Mais tu n’as pas ajouté, « niant la Divine Providence », une remarque inconvenante faite à ce propos par un certain antagoniste de notre académicien. e Simp. J’ai remarqué, non sans indignation, la rancune de ce mauvais adversaire ; d’autres références à ces affaires, j’omettrai, non seulement pour une question de bonne forme, mais aussi parce que je sais combien désagréables elles seraient à la bonne humeur de personnes si religieuses et pieuses, si orthodoxes et craignant Dieu, comme vous deux. Mais en revenant à notre sujet, les explications précédentes me donnent beaucoup de difficultés que je suis incapable de résoudre. Premièrement, si les circonférences des deux cercles sont égales aux deux droites CE et BF, cette dernière considérée comme un continu, mais la première CE comme interrompue par une infinité de points vides, je ne vois pas comment il est possible de dire que la ligne AD décrite par le centre, et composée d’une infinité de points, est égale à ce centre qui est un seul point. En outre, cette décomposition des lignes en points, du divisible en indivisibles, et de quantités finies en infinies, me semble un obstacle difficile à surmonter ; e. D’après une note écrite par Galilée (Tome III des Opere Astronomiche, Florence, 1843), il pourrait s’agir du jésuite Orazio Grassi (1583 – 1654). Grassi répondit par le traité Libra astronomica... (1619), sous le pseudonyme Lotharius Sarsius (une anagramme de Horatius Grassius), à l’opinion de Galilée que les comètes étaient faites de vapeur qui s’illumine lorsqu’elles sont chauffées par le Soleil. Galilée en 1623 répondit en rédigeant Il Saggiatore (L’Essayeur ; l’essayeur est une balance de précision, par opposition à la libra qui était la balance commune), dans lequel il réaffirma sa théorie, mais aussi en affirmant son appréciation pour l’atomisme, et en parlant de la nature corpusculaire de la lumière. Il Saggiatore fut reçu favorablement dans les cercles de la curie ; il paraît que Grassi, submergé par la colère et l’envie, déposa une plainte anonyme contre Galilée l’accusant de refuser la Divine Providence avec ses thèses atomistes.

64

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

et l’admission de l’existence du vide, si catégoriquement réfutée par Aristote, présente pour moi la même difficulté. Salv. [73] Il y a en effet des difficultés, mais rappelons-nous que nous parlons d’infinis et indivisibles, incompréhensibles à notre intelligence, les premiers pour leur grandeur, les derniers pour leur petitesse. Nous, les humains, ne pouvons cependant éviter de les affronter ; je vais donc fantasmer avec des idées qui ne sont certainement pas concluantes, mais au moins fascinantes pour leur nouveauté. Mais peut-être cela pourrait nous éloigner du premier problème et cela pourrait vous apparaître inapproprié et malvenu. Sagr. Nous sommes reconnaissants de profiter du bénéfice et du privilège de parler entre amis de choses futiles sur des sujets librement choisis, contrairement à traiter avec des livres dépassés, qui génèrent un millier de doutes sans résoudre aucun d’entre eux. Permettezmoi de partager les considérations qui me sont venues en cours du raisonnement, vu que nous en avons le temps et que notre emploi du temps nous le permet. J’espère qu’elles pourront aider à résoudre les autres problèmes qui ont émergé et, en particulier, les doutes soulevés par Simplicio, qui ne doivent pas être négligés. Salv. Accordé. La première question était : comment un point peutil être égal à une ligne ? Comme je ne peux pas faire plus pour l’instant, j’essaierai de supprimer, ou tout au moins d’atténuer, cette invraisemblance, en introduisant une autre comparable ou plus grande, comme parfois un ébahissement disparaît par miracle. Pour faire ceci, considérons deux surfaces égales, ainsi que deux solides égaux qui ont ces mêmes surfaces comme bases ; je vais vous montrer comment ces surfaces et ces volumes peuvent diminuer de façon continue et uniforme de telle manière que leurs parties résiduelles soient toujours égales entre elles jusqu’à ce que un solide et une surface dégénèrent en une très longue ligne, et l’autre solide et l’autre surface en un seul point (c’est-à-dire que ces derniers se réduisent en un seul point, alors que les premiers se réduisent en un nombre infini de points).

65

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Sagr. [74] Cela me semble un concept merveilleux, mais écoutons l’explication et la démonstration. Salv. Je dois faire un dessin.

Soit AFB un demi-cercle avec centre C, autour duquel nous traçons le rectangle ADEB. Du centre, nous dessinons les lignes droites CD et CE jusqu’aux points D et E respectivement. Faisons tourner toute la figure autour de l’axe de rotation CF, perpendiculaire à AB et DE. Il est clair que le rectangle ADEB est la section d’un cylindre, le demicercle AFB la section d’un hémisphère et le triangle CDE la section d’un cône. Imaginons de supprimer l’hémisphère, tout en maintenant le cône et le reste du cylindre, que, vu sa forme, nous appellerons un « bol ». Tout d’abord, nous allons prouver que le bol et le cône sont égaux en volume ; puis nous montrerons qu’un plan parallèle au cercle qui forme la base du bol et qui a pour diamètre la ligne DE et F pour centre – un plan comme GN par exemple – coupe le bol aux points G, I, O, N, et le cône aux points H, L, de sorte que la partie du cône indiquée par CHL soit toujours égale en volume à la partie du bol dont le profil est représenté par les triangles GAI et BON. En outre, nous montrerons que la base du cône CHL, à savoir le cercle de diamètre HL, est égale à la surface de la couronne qui constitue la base du bol à ce niveau et dont la largeur serait GI. (Notez en passant la nature des définitions mathématiques qui consistent en l’utilisation et 66

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

le choix de noms ou, si vous préférez, d’abréviations dans le simple but d’éviter un travail fastidieux. En effet, nous aurions pu appeler cette surface un « ruban circulaire » et le bord du bol « rasoir arrondi ».) [75] La conclusion apparaît comme un miracle : au fur et à mesure que le plan de coupe se déplace vers le haut et se rapproche de la ligne AB, les portions des solides qui sont coupées ont toujours le même volume, il en va de même des aires de leurs bases. Et comme le plan de coupe se rapproche de la partie supérieure, les deux solides (toujours d’égal volume) ainsi que leurs bases (toujours d’égales surfaces) ont tendance à disparaître. Dans le premier cas, ils se réduisent à la circonférence d’un cercle, qui est le bord supérieur du bol, et dans le deuxième en un seul point qui est le sommet du cône. Puisque ces solides sont égaux à chaque réduction, ils seront égaux jusqu’à la fin, et l’un ne sera pas infiniment plus grand que l’autre. Donc, il semble que nous pouvons assimiler la circonférence d’un grand cercle à un seul point. Et ce qui est vrai pour les solides est également vrai pour les surfaces qui forment leurs bases, parce que celles-ci maintiennent aussi l’égalité entre elles dans leur diminution et finalement se réduisent, les solides en la circonférence du cercle, les surfaces en un seul point. Pourquoi ne devrait-on pas alors les appeler égaux, dès qu’ils sont les derniers éléments d’une série d’éléments de même taille ? Notez que même si ces volumes étaient assez grands pour contenir les hémisphères célestes, leurs bords supérieurs et les pointes des cônes qui s’y trouveraient contenus, conservant toujours leur égalité, iraient se terminer, les premiers sous forme de circonférences égales aux plus grandes des orbites célestes, les secondes sous forme de simples points. Alors par analogie avec ce qu’on a prouvé, on peut dire que toutes les circonférences des cercles, si différentes soient-elles, sont équivalentes les unes aux autres, et sont à leur tour équivalentes à un seul point.14 Sagr. Ces considérations me semblent si intelligentes que, même si j’en étais capable, je ne voudrais pas m’y opposer, car cela me semblerait un sacrilège de ruiner une si belle construction. [76] Cependant, pour notre plus grande satisfaction, donne-nous la preuve 67

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

géométrique que l’égalité entre les solides et les surfaces se maintient jusqu’au bout, parce que je pense que ce sera très ingénieux, étant donné la subtilité de l’argument philosophique de ce résultat. Salv. Si on appelle r le rayon |CP|, la surface AC de la base du cône (qui est un cercle) est AC = πr 2 . La surface de la couronne est A S = π(|PG|2 − |PI|2 ) (différence entre les cercles de rayons PG et PI), mais puisque |PG| = |CI|, et (|CI|2 − |PI|2 ) = |CP|2 = r 2 , on obtient A S = π(|PG|2 − |PI|2 ) = πr 2 = AC , comme on voulait démontrer. Or, puisque le cône de rayon r et la couronne correspondante sont composés de surfaces égales (sections d’un plan générique compris entre 0 et r ) et ont la même hauteur, leurs volumes sont égaux.15 Sagr. La démonstration est ingénieuse et ses conséquences sont remarquables. Écoutons maintenant quelque chose concernant l’autre difficulté soulevée par Simplicio. Salv. Infinité et indivisibilité sont dans leur nature incompréhensibles ; imaginez alors ce que ces deux propriétés deviennent une fois combinées ! [77] Si nous voulons construire une ligne à partir de points indivisibles, nous devons prendre un nombre infini d’entre eux, et, par conséquent, comprendre l’infini et l’indivisible en même temps. J’ai beaucoup réfléchi à ce propos et de nombreuses idées me sont passées par esprit ; je pourrais ne pas toutes me les rappeler maintenant, et peut-être ai-je oublié les plus importantes. Mais dans le cours de notre discussion, il peut arriver que je réveille en toi, et surtout en Simplicio, des objections et des difficultés qui à leur tour pourront me remettre en mémoire ce qui, sans ce stimulus, aurait été 68

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

dormant dans mon esprit. Permettez-moi donc d’introduire certaines de nos fantaisies humaines, en se rappelant toutefois des doctrines théologiques qui représentent la seule lumière véridique et secourable dans nos controverses, et qui constituent le seul guide infaillible dans les chemins sombres et incertains de la pensée. f L’une des principales objections soulevées à ceux qui disent que le continu est décomposable en quantités indivisibles est que l’ajout d’un indivisible à l’autre ne peut pas produire un divisible, sinon l’indivisible deviendrait divisible. Ainsi, si deux indivisibles, deux points par exemple, peuvent être unis pour former une quantité divisible, disons une ligne, à plus forte raison une ligne divisible pourrait être formée par l’union de trois, cinq, sept, ou tout autre nombre impair de points. Toutefois, puisque les lignes peuvent être coupées en deux parties égales, il deviendrait possible de couper l’indivisible qui se trouve exactement dans le milieu de la ligne. En réponse à cette objection et d’autres du même genre, nous répondons qu’un divisible ne peut pas être construit à partir de deux ou dix ou cent ou mille indivisibles, mais seulement à partir d’un nombre infini d’indivisibles. Simp. J’ai un problème qui me semble impossible à résoudre : étant donné qu’une ligne droite peut être plus grande qu’une autre, et qu’elles contiennent toutes les deux un nombre infini de points, il faut admettre qu’à l’intérieur d’une droite on a quelque chose de plus grand que l’infini car les points infinis de la plus longue ligne seraient plus nombreux que les points infinis de la ligne plus courte. Cela signifierait que l’on devrait attribuer à une quantité infinie une valeur supérieure à l’infini. C’est une notion que je ne peux pas comprendre. Salv. Celles-ci sont quelques-unes des difficultés qu’on rencontre quand, avec nos esprits finis, nous essayons de discuter de l’infini en lui attribuant des épithètes que nous utilisons pour les choses finies et f. Ici Galilée est très prudent car l’idée qu’une lignée puisse être composée d’indivisibles, supposée par Épicure mais fortement combattue par Aristote, avait été condamnée comme hérétique en 1415 par le concile de Constance. Le cadavre de John Wyclif (1331-1384), théologien et professeur à Oxford, avait été exhumé et brûlé en 1428 en guise de punition pour cette doctrine et d’autres doctrines épicuriennes.

69

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

limitées ; ce qui, à mon avis, est incorrect, car j’estime que des relations comme « plus grand », « plus petit » et « égal » ne conviennent pas aux grandeurs infinies, dont il est impossible de dire que l’une est plus grande, plus petite ou égale à une autre. [78] Dans le but de prouver cela, je pense à un raisonnement que pour clarté je vais exposer sous la forme d’une question à Simplicio, qui a lui-même soulevé ce doute. Je tiens pour acquis que vous savez quels nombres entiers sont des carrés et lesquels ne le sont pas. Simp. Je sais qu’un nombre carré est le résultat de la multiplication d’un nombre par lui-même : par conséquent, 4, 9, etc., sont des nombres carrés, comme ils viennent de la multiplication de 2, 3, etc., par eux-mêmes. Salv. Très bien ; et vous savez aussi que puisque les produits sont appelés carrés, les facteurs sont appelés côtés ou racines. D’autre part, les entiers qui ne sont pas constitués de facteurs égaux ne sont pas des carrés. Par conséquent, si j’affirme que tous les entiers, y compris les carrés et non carrés, sont plus nombreux que les carrés seuls, dirais-je la vérité ? Simp. Bien sûr ! Salv. Cependant, je devrais plutôt demander combien il y a de carrés ; la réponse serait qu’il y a autant de carrés que de racines qui correspondent à ces derniers étant donné que chaque carré a sa propre racine et que chaque racine a son propre carré, chaque carré ne pourra pas avoir plus d’une racine et chaque racine ne pourra avoir plus d’un carré. Simp. C’est vrai ! Salv. Mais si je demande combien il y a de racines, on ne peut nier qu’elles sont aussi nombreuses que les numéros, parce que chaque numéro est la racine d’un carré et donc les nombres carrés sont aussi nombreux que tous les nombres ; et tous les nombres sont des racines. Mais au début, nous avions dit qu’il y avait beaucoup plus de nombres que de carrés, la plupart n’étant pas des carrés.

70

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

En outre, proportionnellement le nombre de carrés diminue quand on passe à des nombres plus grands. [79] Jusqu’à cent, il y a dix carrés, c’est-à-dire que les carrés constituent 1/10 de tous les nombres, tandis que dans dix mille la fraction des carrés est 1/100, et dans un million seulement 1/1 000. D’autre part, les carrés sont aussi nombreux que tous les nombres. Sagr. Quelle est la conclusion de tout cela ? Salv. Nous pouvons seulement conclure que la totalité des nombres est infinie, que le nombre de carrés est infini, et aussi que le nombre de leurs racines est infini. Le nombre de carrés n’est pas inférieur à celui de la totalité des nombres, ni ce dernier plus grand que le précédent. Enfin, les attributs « égal », « supérieur à » et « inférieur à » ne s’appliquent pas aux quantités infinies, mais uniquement aux quantités finies. Par conséquent, lorsque Simplicio introduit des lignes de longueurs différentes et me demande comment il est possible que les plus longues ne contiennent pas plus de points que les plus courtes, je lui réponds qu’une ligne ne contient pas plus, moins ou autant de points qu’une autre, mais chaque ligne contient un nombre infini de points. Ne puis-je pas faire comme pour les racines et les carrés et placer plus de points dans une ligne que dans l’autre en maintenant un nombre infini dans les deux ? Ceci répond donc à la première difficulté. Sagr. S’il te plaît arrête-toi un instant pour me laisser ajouter une idée qui me vient à l’esprit. Si ce que nous avons dit jusqu’à présent est correct, il me semble impossible non seulement d’affirmer qu’un nombre infini est plus grand qu’un autre nombre infini, mais aussi de dire qu’il est plus grand qu’un nombre fini. En effet si le nombre infini était supérieur, par exemple, au million, il s’ensuivrait que, passant du million aux nombres plus grands, on se rapprocherait de l’infini. Mais ce n’est pas le cas : au contraire, plus le nombre est grand, plus la distance à l’infini est grande puisque plus grand est le nombre moins il contient de carrés, tandis que dans le nombre infini les carrés ne sont pas moins que la totalité de tous les chiffres, comme nous avons 71

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

simplement convenu. En conséquence, plus le nombre est grand, plus on s’éloigne de l’infini. Salv. [80] Ainsi, de tes ingénieux arguments nous pourrions conclure que les attributs « plus », « moins » et « égal » n’ont pas de sens ni en comparant des quantités infinies, ni dans la comparaison des infinis avec des quantités finies. Je passe maintenant à une autre considération. Puisque les lignes et leurs prolongements sont divisibles en parties qui à leur tour sont divisibles à l’infini, je suis convaincu que ces lignes sont constituées d’un nombre infini de quantités indivisibles. Après tout, une division qui peut se poursuivre sans fin suppose que les parties soient infinies en nombre, sinon elle se terminerait ; et si les parties sont en nombre infini, nous pouvons conclure qu’elles ne sont pas de taille finie, car un nombre infini de quantités finies donnerait une grandeur infinie. Ainsi, une quantité continue est constituée d’un nombre infini de parties indivisibles. Simp. Mais si nous pouvons continuer indéfiniment la division en parties finies, pourquoi devrions-nous introduire des parties non finies ? Salv. Le fait qu’on puisse continuer, sans fin, la division en parties finies, oblige à considérer la quantité comme composée d’un nombre infini d’éléments démesurément petits. Mais je te demande : le continuum est-il la somme d’un nombre fini ou infini de parties ? Simp. Ma réponse est que leur nombre est à la fois infini et fini : potentiellement infini mais fini en réalité. Potentiellement infini avant la division, et effectivement fini après division, parce que les parties ne peuvent exister avant la division ou tout au moins avant qu’elles ne soient étiquetées ; celles-ci existent seulement en puissance. Salv. Ne pourrait-on donc pas dire qu’une ligne de vingt paumes contient vingt lignes d’une paume chacune si ce n’est qu’après la division en vingt parties égales ? Avant la division, elle ne les contient que potentiellement. Si nous admettons ce point de vue, pourraistu s’il te plaît répondre à cette question : quand la division est faite, 72

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

la longueur totale augmente-t-elle, diminue-t-elle ou reste-t-elle la même ? Simp. Elle n’augmente ni ne diminue. Salv. C’est mon avis aussi. Par conséquent, les parties finies d’un continu, qu’elles soient réellement ou potentiellement présentes, ne rendent la quantité ni plus grande ni plus petite ; mais il est clair que, si le nombre de parties finies réellement contenues dans le tout est infini en nombre, elles rendront la grandeur infinie. [81] Ainsi le nombre des parties finies, bien qu’existant seulement en puissance, ne peut être infini que si la grandeur qui les contient est infinie ; inversement, si la grandeur est finie, elle ne peut pas contenir un nombre infini de parties finies, ni réellement ni potentiellement. Sagr. Comment alors diviser un continu en parties elles-mêmes susceptibles d’être subdivisées à leur tour ? Salv. Cette distinction entre réel et potentiel rend possible ce qui semble être impossible. Mais je vais essayer de concilier ces différents points de vue et à la question de savoir les parties qui composent un continu fini sont en nombre fini ou infini, je répondrai exactement à l’opposé de Simplicio : elles ne sont en nombre ni fini ni infini. Simp. Cette réponse ne me serait jamais venue à l’esprit, puisque je ne pensais pas qu’il existait un juste milieu entre le fini et l’infini, de sorte que la division entre le fini et l’infini était incomplète ou incorrecte. Salv. C’est ce que je pense. Si nous parlons de quantités discrètes, je pense qu’il existe, entre les quantités finies et infinies, un terme intermédiaire qui correspond à chaque nombre assigné, de sorte que, à la question de savoir si les parties d’un continu sont finies ou infinies, la meilleure réponse est de dire qu’elles ne sont en nombre ni fini ni infini, mais correspondent à chaque nombre assigné. Pour que cela soit possible, il est nécessaire qu’elles ne soient pas contenues dans un nombre limité ; elles ne peuvent pas être non plus en nombre infini, vu qu’aucun nombre donné n’est infini : et donc, selon le choix personnel, on pourrait diviser une ligne en cent, mille, cent mille 73

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

parties finies, ou tout autre numéro qu’on aime, tant que ce n’est pas infini. J’accorde donc aux philosophes que le continu contient autant de parties finies qu’il leur plaît et j’admets aussi qu’il les contient, soit en réalité, soit potentiellement, selon leur propre désir ; mais je dois aussi ajouter que, comme une ligne de dix toises de longueur contient dix lignes d’une toise chacune, quarante lignes chacune d’une coudée ainsi que quatre-vingts lignes chacune d’une demi-coudée, etc., contiennent de même un nombre infini de points. Tu peux les appeler réels ou potentiels, comme tu préfères : sur ce détail, Simplicio, je me remets à ton opinion et à ton jugement. Simp. [82] J’admire ce que tu dis, mais je crains que ce parallélisme entre les points et les parties finies contenues dans une ligne ne soit pas cohérent en soi, et qu’il sera difficile de diviser une ligne donnée en une infinité de points ; je tiens même pour impossible d’effectuer une pareille division. Salv. Le fait que quelque chose ne soit réalisable qu’avec de gros efforts, ou en y passant beaucoup de temps, ne la rend pas impossible. Il ne serait pas facile de diviser une ligne en un millier de parties, et encore moins en 937 ou tout autre grand nombre premier. Mais si je pouvais rendre cette division aussi facile qu’il le serait pour une autre personne de diviser la ligne en quarante parties, alors accepterais-tu la possibilité d’une telle division ? Simp. J’aime vraiment ta méthode de traiter le sujet, souvent avec une grande ironie. À ta question, je réponds que cela me semble plus que suffisant, aussi longtemps que la division d’une ligne en points n’est pas plus laborieuse que la division en mille parties. Salv. Maintenant, je voudrais dire quelque chose qui peut-être t’étonnera au sujet de la possibilité de diviser une ligne en un nombre infini de points suivant la même procédure qui est utilisée pour la diviser en quarante, soixante ou cent parties, c’est-à-dire de la diviser en deux, par la suite en quatre, etc. Celui qui pense que, en suivant cette méthode, on peut atteindre un nombre infini de points, se trompe,

74

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

parce que si ce processus pouvait être répété pour l’éternité il y aurait encore un nombre fini de parties. En effet avec une telle méthode on est loin d’atteindre les indivisibles ; au contraire, on s’en éloigne, et même si quelqu’un pourrait croire que, en continuant à multiplier la multitude de parties on s’approche de l’infini, à mon avis, au contraire, nous nous en éloignons de plus en plus. Dans la discussion précédente nous avions conclu que, dans un nombre infini, il est nécessaire que les carrés et les cubes soient aussi nombreux que l’ensemble de tous les nombres, parce que les carrés et les cubes sont aussi nombreux que leurs racines, qui constituent la totalité des nombres. Nous avons vu que au fur et à mesure qu’on avance à conter les nombres, les carrés (1, 4, 9, 16, 25, 36, 49...) deviennent moins fréquents, et les cubes (1, 8, 27, 64...) encore moins fréquents. [83] Ainsi, il était clair que plus le nombre nous considérions était grand, plus nous nous éloignions de l’infini ; d’où il suit que, puisque ce processus nous emporte toujours plus loin de notre objectif, si un nombre doit être considéré comme infini, il ne peut être que l’unité. L’unité en effet satisfait toutes les conditions qui sont nécessaires pour un nombre infini ; en particulier l’unité contient en elle-même autant de carrés et de cubes qu’il y a de numéros qui y sont contenus. Simp. Je ne comprends pas comment interpréter cette affirmation. Salv. Cette affirmation ne laisse aucun doute, car le nombre 1 est un carré (le carré de 1), un cube (le cube de 1) et une quatrième puissance (la quatrième puissance de 1). Il n’y a pas de propriété essentielle à tous les carrés ou cubes qui ne soit pas satisfaite par l’unité. Par exemple, une propriété satisfaite par deux carrés est qu’il y a un nombre entier qui est la moyenne proportionnelle g entre eux. Prenez comme premier terme n’importe quel carré et comme second terme le numéro 1, vous trouverez toujours une moyenne proportionnelle. La moyenne g. Le terme « moyenne proportionnelle » est équivalent à « moyenne géométrique ». Rappelons qu’un nombre a est la moyenne proportionnelle de b et de c lorsque a/b = c/a.

75

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

proportionnelle de 9 et de 1 est égale à 3, tandis que la moyenne proportionnelle de 4 et de 1 est 2, et celle entre 9 et 4 est 6. Une propriété caractéristique des cubes est plutôt celle d’avoir entre eux deux moyennes proportionnelles. Prenons par exemple les nombres 8 et 27 : entre ces deux nombres il y a deux moyennes proportionnelles, le 12 et le 18, qui font partie d’une progression géométrique avec 8 et 27. En prenant comme nombres le 1 et le 8, les deux moyennes proportionnelles sont le 2 et le 4, et en prenant les nombres 1 et 27 comme extrêmes, nous obtenons comme moyennes proportionnelles les nombres 3 et 9. Nous pouvons donc conclure qu’il n’y a pas d’autre nombre infini excepté l’unité. Ce sont des merveilles qui dépassent les capacités de l’imagination, et doivent nous faire réfléchir à quel point nous avons tort quand nous parlons de l’infini avec les mêmes méthodes que nous utilisons pour les quantités finies. Le fini n’a pas de connexion avec l’infini, et donc nous avons besoin d’introduire de nouvelles méthodes pour décrire l’infini lui-même. À cet égard, je voudrais ajouter ce qu’il me vient maintenant à l’esprit, pour expliquer le passage d’une quantité finie à l’infini.

Prenons une ligne AB de longueur arbitraire, et indiquons sur celle-ci le point C qui la divise en deux parties inégales. [84-85 ; 90-91] Si l’on trace toutes les paires de lignes avec un extrême respectivement en A et l’autre en B, dont les longueurs ont la même proportion que AC et BC, et qui se rejoignent en un point, les points de jonction 76

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

de ces segments décrivent une circonférence. Par exemple, prenons deux segments AL et BL qui ont le même rapport que AB possède avec BC ; prenons ensuite d’autres paires de segments : AK et BK ; IA et BI ; AH et HB ; AG et GB, AF et FB, AE et EB ; les points L, K, I, H, G, F, E tombent tous sur la même circonférence. Le cercle ainsi décrit sera toujours plus grand à mesure que C se rapproche du milieu du segment AB, que nous appellerons O, et sera toujours plus petit à mesure que le point C se rapprochera de B. Avec cette procédure on peut dessiner des cercles de taille quelconque : aussi petits que la pupille d’un œil de puce ou plus grands que l’équateur de la sphère céleste. Maintenant, si l’on considère tous les cercles décrits passant par des points inclus dans le segment OB, nous voyons que ceux-ci deviennent immenses dans les points proches de O. Imaginant d’utiliser précisément O avec la même règle, à savoir que les segments obtenus en le joignant en premier avec A puis avec B gardent la même proportion que AO possède avec OB, quelle ligne sera tracée ? La circonférence d’un cercle plus grand que tous les autres, et donc infini, est une ligne droite perpendiculaire à BA, qui passe par le point O et portée à l’infini de manière telle que ses deux extrémités ne se rejoignent jamais. Le cercle plus grand que tous, et de ce fait infini, ne peut plus revenir à son point de départ, et la circonférence de ce cercle infini est une ligne droite infinie. En effet, en appelant 2L la longueur du segment horizontal AB, (0,0) les coordonnées du point central O, et d (> 0) la distance |CO|, nous aurons que le lieu géométrique des points sera décrit par l’équation x 2 + 2x L + L 2 + y 2 = x 2 − 2x L + L 2 + y 2



L +d L −d

2

≡1+δ,

où δ est une quantité positive. Ainsi 4x L − δ(x 2 − 2x L + L 2 + y 2 ) = 0 , 77

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

avec δ ≥ 0. Si δ 6 = 0, cette équation décrit une circonférence x2 −

2L(δ + 2) x + y2 + L2 = 0 δ

centrée en (x c = L(δ + 2)/δ, yc = 0) et de rayon R tel que R 2 = x c2 − L 2 , tandis que si δ = 0 elle décrit la ligne x = 0, c’est-à-dire l’axe des ordonnées y. Considérons maintenant la différence entre un cercle fini et un cercle infini : le cercle change ses caractéristiques au point de perdre sa nature et la possibilité d’exister en tant que cercle. Au contraire, nous comprenons que le cercle infini ne peut pas exister ; et pour la même raison une sphère infinie ou tout autre corps ou figure infinie ne peut pas exister. Maintenant, qu’en est-il de ce passage du fini à l’infini ? Et pourquoi devrions-nous avoir plus de crainte et de répulsion que lorsqu’en recherchant l’infini nous l’avons trouvé dans l’unité ? Si nous brisons un solide en plusieurs parties et les réduisons en une poudre très fine, jusqu’à ce que nous arrivions à ses atomes infiniment petits et indivisibles, pourquoi ne pourrions-nous dire que ce solide a été réduit à un seul continuum, tel un fluide comme l’eau ou le mercure ou même un métal liquéfié ? Ne voit-on pas que les pierres se liquéfient et deviennent du verre, et que le verre lui-même sous une forte chaleur devient plus fluide que l’eau ? Sagr. Doit-on alors croire que les substances deviennent fluides du fait qu’elles se résolvent en leurs composants indivisibles infiniment petits ? Salv. Je ne peux pas trouver une meilleure explication pour certains phénomènes, en particulier le suivant. Lorsque je prends un corps dur, en pierre ou en métal par exemple, et avec un outil très dur je le réduis en une poussière très fine et impalpable, les particules de poussière, prises une par une, sont petites et imperceptibles. Néanmoins elles ont une taille non nulle, et peuvent être comptées. Accumulées ensemble elles se soutiennent en tas, et ce tas peut être creusé jusqu’à un certain point sans que les parties environnantes se précipitent pour le 78

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

remplir. [86] Si on les secoue, leur mouvement s’arrête immédiatement dès que l’agent externe cesse ; les mêmes effets sont observés dans tous les agrégats de particules plus grandes et de quelque forme que ce soit, même sphérique, comme c’est le cas avec des piles de millet, de blé, de grenaille de plomb, et beaucoup d’autres matériaux. Mais si nous essayons de découvrir ces propriétés dans l’eau, nous ne les trouverons pas : une fois accumulée, elle s’aplanit immédiatement à moins qu’elle soit contenue par un vase ou un autre récipient ; lorsqu’on la creuse, l’eau se précipite rapidement pour remplir la cavité ; et quand perturbée elle fluctue pendant une longue durée et envoie ses ondes sur de grandes distances. Voyant que l’eau est moins ferme que la poudre la plus fine (en fait elle n’a aucune consistance), on peut, me semble-t-il, très raisonnablement en conclure que les plus petites particules en lesquelles elle peut être résolue sont bien différentes des particules finies et divisibles ; en effet, elles pourraient être indivisibles. L’or et l’argent lorsque pulvérisés avec des acides, c’est-à-dire beaucoup plus finement qu’avec n’importe quels moyens mécaniques possibles, restent encore des poudres, et ne deviennent pas fluides jusqu’à ce que les plus fines particules de feu ou des rayons du soleil ne les dissolvent, comme je le crois, en leurs ultimes composants, infiniment nombreux et indivisibles. Sagr. Ce phénomène de la puissance de la lumière que tu évoques est un phénomène que j’ai remarqué avec étonnement. J’ai, par exemple, vu du plomb fondre instantanément au moyen d’un miroir concave de trois paumes de diamètre seulement. Par conséquent, je pense que si le miroir était très grand, bien poli et parabolique, il pourrait fondre aussi facilement et rapidement tout autre métal. De tels effets me font croire aux merveilles accomplies par les miroirs d’Archimède. Salv. En parlant des effets produits par les miroirs d’Archimède, ce sont ses propres livres (que j’avais déjà lus et étudiés avec un étonnement infini) qui m’ont permis de comprendre tous les miracles décrits par divers écrivains. Et en cas de doute le traité que le Père Bonaventura Cavalieri [87] a publié récemment sur le sujet du verre brûlant, 79

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

et que je l’ai lu avec admiration, a permis d’enlever toute difficulté restante. Sagr. Quand j’ai vu ce traité, je l’ai aussi lu avec émerveillement, et le plaisir de cette lecture m’a conforté dans l’idée, que j’avais déjà, que Cavalieri était destiné à devenir l’un des plus grands mathématiciens de notre époque. Mais revenons à l’effet merveilleux des rayons solaires qui liquéfient les métaux : devons-nous croire que cette opération ait lieu sans nécessité de mouvement, ou qu’elle est caractérisée par le plus rapide de tous les mouvements ? Salv. Nous observons que la combustion et la dissolution sont accompagnées par de très rapides mouvements. Les actions de la foudre et de la poudre à canon utilisée dans les mines semblent bien accompagnées de mouvements rapides. Le soufflet rend la combustion plus rapide en augmentant la vitesse de l’air. Par conséquent, je ne pouvais pas expliquer l’effet de la lumière sans admettre qu’il y ait en jeu un mouvement, et pour être le plus rapide de tous les mouvements possibles. Sagr. Mais quelle est la grandeur de la vitesse de la lumière ? Sa propagation est-elle instantanée, ou demande-t-elle un certain temps, comme tous les autres mouvements ? Peut-on donner une réponse expérimentale ? Simp. L’expérience quotidienne montre que la propagation de la lumière est instantanée ; car lorsque nous voyons une pièce d’artillerie qui tire à une grande distance, l’éclair atteint nos yeux sans laps de temps, tandis que le son atteint l’oreille après un intervalle de temps notable. Sagr. La seule chose que je peux déduire de cette expérience est que le son, en atteignant notre oreille, voyage plus lentement que la lumière ; elle ne me dit pas si la venue de la lumière est instantanée ou si, bien qu’extrêmement rapide, elle se propage en un certain temps. Une observation de ce genre ne nous dit rien de plus que la phrase « dès que le Soleil atteint l’horizon, sa lumière atteint nos yeux » ; mais

80

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

qui m’assure que ces rayons n’avaient pas atteint l’horizon plus tôt que le moment où ils ont atteint notre vision ? Salv. Le fait que ces observations et d’autres similaires n’aboutissent pas à des conclusions m’a fait penser s’il était possible de déterminer, sans tomber dans l’erreur, si la propagation de la lumière est réellement instantanée. [88] J’ai conçu l’expérience suivante en me basant sur la comparaison avec la vitesse du son qui montre que la propagation de la lumière est au moins très rapide. Considérons deux personnes, chacune avec une lumière contenue dans une lanterne qui par l’interposition de la main, peut être fermée ou ouverte de façon à laisser passer la lumière à la vue. Ensuite, imaginons que ces deux compagnons se tiennent face à face à une distance de quelques coudées et qu’ils s’exercent jusqu’à ce qu’elles acquièrent une certaine habilité en découvrant et en occultant leurs lumières et que l’un découvre sa propre lanterne au moment même où il aperçoit la lumière de l’autre. Après quelques essais, la réponse sera si rapide que, sans erreur sensible, la découverte d’une lumière est immédiatement suivie par la découverte de l’autre, de sorte que dès que l’un expose sa lumière il verra instantanément celle de l’autre. Ayant acquis cette aptitude sur cette courte distance, les deux expérimentateurs, équipés comme auparavant, prennent des positions séparées par une distance de deux ou trois milles et effectuent la même expérience la nuit, en notant soigneusement si les expositions et les occultations se produisent en même temps comme à courte distance ; si c’est le cas, nous pouvons conclure que la propagation de la lumière est instantanée, mais s’il faut du temps à une distance de trois milles qui, compte tenu du départ d’une lumière et de l’arrivée de l’autre, s’élève à six, alors le délai doit être facilement observable. Si l’expérience est faite sur des distances encore plus grandes, disons huit ou dix milles, on peut utiliser des télescopes, chaque observateur ajustant un télescope pour lui-même à l’endroit où il est ; alors, bien que les lumières ne soient pas grandes et soient donc invisibles à l’œil nu à une si grande

81

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

distance, elles seront facilement visibles à l’aide des télescopes, une fois ajustés et fixés. Sagr. Idée très intelligente, en effet. Dis-moi ce que tu as trouvé. Salv. Malheureusement, je n’ai pas fait l’expérience qu’à une petite distance, moins d’un kilomètre, et pour cela je ne peux pas discerner si l’apparition de la lumière opposée a été vraiment immédiate ou non. De toute façon si elle n’a pas été immédiate l’apparition était du moins très rapide, et je la comparerais au mouvement de la foudre que l’on voit dans les nuages à des dizaines de kilomètres : [89] nous pouvons voir le début à un endroit précis dans les nuages, mais elle s’étend immédiatement dans l’espace qui l’entoure. Ceci me semble un argument pour conclure que la propagation demande au moins un certain temps, car si l’éclairage était instantané, nous devrions ne pas être en mesure de distinguer son origine de la propagation ultérieure. Mais dans quels ennuis nous embarquons-nous petit à petit ? Parmi tous ces discours sur le vide, sur l’indivisible, sur les mouvements infinis et instantanés, pourra-t-on jamais atteindre la terre ferme ? Sagr. Ces questions dépassent de loin notre capacité de compréhension. Il suffit d’y penser : quand nous cherchons l’infini parmi les nombres, nous le trouvons dans l’unité ; ce qui est toujours divisible est dérivé d’indivisibles ; le vide se retrouve indissociable du plein. En somme, les notions généralement acceptées en ce qui concerne la nature de ces questions sont à ce point bouleversées que même la circonférence d’un cercle se transforme en une ligne droite infinie. Maintenant, nous pouvons essayer de satisfaire le désir de Simplicio en lui montrant comme résoudre une ligne dans ses infinis points est non seulement possible, mais pas plus difficile que de la résoudre dans un nombre fini de parties. J’espère cependant, Simplicio, que tu ne me demanderas pas de séparer les points les uns des autres et de les dessiner un à un sur cette feuille de papier. [92] De la même façon, je suis satisfait si une ligne est pliée dans un carré ou un hexagone sans demander que les côtés soient effectivement séparés. Simp. Absolument. 82

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. Si le changement qui s’opère lorsqu’on plie une ligne de manière à former tantôt un carré, tantôt un octogone, tantôt un polygone de quarante, cent ou mille angles, suffit pour réaliser les quatre, huit, quarante, cent et mille parties qui, selon toi, n’existaient d’abord que potentiellement dans la ligne droite, ne puis-je dire, avec le même droit, que, lorsque j’ai plié la ligne droite en un polygone ayant un nombre infini de côtés (c’est-à-dire, en un cercle), j’ai reconduit à la réalité l’infini nombre d’éléments que tu prétendais y être de manière potentielle ? La division en un infini nombre de points est vraiment accomplie dans la circonférence, comme celle en quatre parties lorsqu’un carré est formé ou dans un millier de parties lorsqu’un « millagon » est formé ; en effet, dans une telle division les mêmes conditions sont satisfaites que dans le cas d’un polygone de mille ou de cent mille côtés. Un tel polygone posé sur une ligne droite la touche avec une de ses faces, à savoir, avec une de ses cent mille parties ; tandis que le cercle qui est un polygone d’un nombre infini de côtés touche la même ligne droite avec une de ses faces qui est un seul point différent de tous ses voisins, et donc séparé et distinct tout comme l’est le côté d’un polygone par rapport aux autres côtés. Et, tout comme un polygone qui lorsqu’il est enroulé le long d’un plan, décrit par les successifs contacts de ses côtés une ligne droite égale à son périmètre, si le cercle est enroulé sur tel un plan il trace aussi par son infinie succession de contacts une ligne droite de longueur égale à sa propre circonférence. [93] Je ne sais pas si les savants Péripatéticiens, h à qui j’accorde comme vrai le concept que le continuum est divisible à son tour en parties, continuellement divisibles par des successives subdivisions sans jamais atteindre la fin, m’accorderont que, même si aucune de leurs divisions n’est la dernière, une dernière qui résout réellement la ligne en infinis indivisibles existe réellement. Mais employant la méthode que j’ai proposée, celle de distinguer et de résoudre d’un seul h. Par extension du terme on indique les contemporains de Galilée disciples d’Aristote, qui environ deux mille années avant tenait ses cours en marchant dans l’avenue d’Athènes dite le Peripatos.

83

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

coup l’infini et toutes ses parties, je crois qu’ils doivent se satisfaire et accepter la composition du continu par des atomes indivisibles. D’autant plus que c’est probablement le moyen le plus direct d’échapper à de nombreux problèmes compliqués. L’un d’entre eux, en plus de celui déjà mentionné de la cohésion des parties de solides, est la compréhension de la raréfaction et de la condensation, si nous ne voulons pas recourir à l’hypothèse gênante de petits vides intercalaires et du même coup affirmer la pénétrabilité des corps. Les deux interprétations impliquent des contradictions qui me semblent être habilement évitées en supposant la composition par indivisibles. Simp. Je sais à peine ce que diraient les Péripatéticiens puisque les vues que tu avances leur sembleraient pour la plupart nouvelles, et comme telles nous devons les considérer. Il est cependant peu probable qu’ils ne trouveraient pas de réponses et de solutions à ces problèmes que, en raison du manque de temps et de capacité critique, je suis à présent incapable de résoudre. Laissant cela de côté pour le moment, j’écouterais plutôt volontiers comment l’introduction de ces quantités indivisibles nous aide à comprendre la contraction et l’expansion en évitant en même temps le vide et la pénétrabilité des corps. Sagr. J’ai aussi vraiment très envie de t’écouter, d’autant que ce problème me semble obscur. Je voudrais aussi comprendre, comme Simplicio a rappelé, les arguments d’Aristote contre le vide, et ensuite la solution que tu proposes, puisque tu admets ce qu’il nie.

84

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. Je ferai l’une et l’autre chose. Tout d’abord, en ce qui concerne la raréfaction, nous allons réfléchir sur la ligne décrite par le petit cercle dont nous avons parlé plus tôt lors d’une rotation du plus grand cercle – une ligne plus longue que la circonférence du petit cercle. Pour expliquer cet apparent paradoxe, nous constatons que, au cours de chaque rotation du cercle plus petit, le plus grand décrit une ligne droite plus courte que sa circonférence. Pour mieux comprendre, laissez-moi considérer ce qui se passe dans le cas des polygones. [94] En utilisant une figure similaire à la précédente, construisons deux hexagones, ABC et HIK, autour du centre commun L, et laissonsles rouler le long des droites parallèles HOM et ABc. Maintenant, en maintenant le point I fixe, permettez au plus petit polygone de tourner jusqu’à ce que le côté IK se trouve sur la parallèle, mouvement pendant lequel le point K décrira l’arc KM, et le côté KI coïncidera avec IM. Voyons ce qu’a fait, entre-temps, le côté CB du plus grand polygone. Étant donné que la rotation est effectuée autour du point I, le point d’arrivée B de la ligne IB, se déplaçant vers l’arrière, décrira l’arc Bb sous la parallèle cA de sorte que lorsque le côté KI coïncidera avec la ligne MI, le côté BC coïncidera avec bc, n’ayant avancé que sur la distance Bc, mais ayant reculé sur une portion de la ligne BA qui soustend l’arc Bb. Si nous permettons à la rotation du plus petit polygone d’aller plus loin, celui-ci décrira le long de sa parallèle une ligne égale à son périmètre ; le plus grand polygone à son tour décrira une ligne plus courte que son périmètre d’autant de fois la longueur bB qu’il y a de côtés moins un. Cette ligne est approximativement égale à celle qui est décrite par le plus petit polygone, la dépassant de la distance bB. Ici maintenant nous voyons, sans aucune difficulté, pourquoi le plus grand polygone, lorsqu’il est transporté par le plus petit, ne mesure pas avec ses côtés une ligne plus longue que celle parcourue par le plus petit ; la raison est qu’une portion de chaque côté se superpose à son côté immédiatement adjacent.

85

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Considérons maintenant deux cercles ayant un centre commun en A et reposant sur deux parallèles, le plus petit étant tangent à sa parallèle au point B, et le plus grand au point C. [95] Lorsque le petit cercle commence sa rotation, le point B ne reste pas au repos afin de permettre à BC de se déplacer vers l’arrière et emporter C avec soi, comme dans le cas de polygones, où le point I restait fixe jusqu’à ce que le côté KI coïncidait avec MI. Dans le cas des cercles, il faut observer que le nombre de côtés est infini. Dans le cas du polygone, les sommets restent stationnaires pendant un intervalle de temps qui est dans le même rapport respectivement à la période d’une rotation complète que le rapport qu’un côté respectivement au périmètre. De même, dans le cas des cercles, le retard de chacun des sommets en nombre infini est simplement instantané (un instant est une fraction d’un intervalle de temps non nul tel qu’un point est la fraction d’un segment, qui contient un nombre infini de points). Le recul que subit chaque côté du grand polygone n’est pas égal à la longueur du côté dans sa totalité, mais seulement à la distance supplémentaire dont la longueur du côté du grand polygone dépasse la longueur du côté du petit polygone, la distance gagnée étant précisément égale à cette dernière longueur ; dans le cas des cercles, le point C, durant le repos instantané du « sommet » B, rétrograde d’une distance égale à son excès 86

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

sur le « côté » B, et avance d’une distance égale à B lui-même. En bref, les côtés indivisibles en nombre infini du grande cercle, pris conjointement avec le nombre infini de leurs régressions indivisibles (accomplies durant le nombre infini de repos instantanés observés par les sommets, en nombre infini, des côtés infiniment nombreux du petit cercle), et avec l’infinité de leurs progressions, égales aux côtés infiniment nombreux du petit cercle, composent une ligne équivalente à celle que décrit le petit cercle ; cette ligne contient en elle une infinité de superpositions infinitésimales, qui provoquent une contraction ou condensation sans aucune pénétration de parties finies. [96] Ce résultat ne peut être obtenu dans le cas d’une ligne divisée en parties finies comme le périmètre d’un polygone, qui quand il est disposé sur une ligne droite, ne peut être raccourci que par le chevauchement et l’interpénétration de ses côtés. Cette contraction d’un infini nombre de parties infiniment petites sans l’interpénétration ou chevauchement des parties finies, ajoutée à l’extension d’un nombre infini de parties indivisibles par l’interposition des indivisibles vides est, à mon avis, le maximum qu’on peut dire au sujet de la contraction et raréfaction des corps, à moins qu’on n’abandonne l’idée d’impénétrabilité de la matière et qu’on introduise des espaces vides de dimensions non nulles. Si vous avez trouvé quelque chose d’utile dans mon raisonnement, veuillez l’utiliser ; sinon, considérez-le comme inutile, et cherchez des explications ailleurs. Je veux juste répéter que nous avons ici affaire à l’infini et l’indivisible. Sagr. Ton idée est subtile et m’impressionne autant que nouvelle et étrange ; mais je ne suis pas en mesure de dire si la nature se comporte réellement ainsi. Quoi qu’il en soit, jusqu’à ce que je trouve une explication plus satisfaisante, je m’en tiendrai à la tienne. Peut-être que Simplicio peut nous dire quelque chose que je n’ai pas encore entendu, par exemple comment justifier l’explication que les philosophes ont donnée sur ce sujet des plus difficiles. Tout ce que j’ai lu jusqu’à présent à propos de la condensation, est si dense, 87

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

et toute considération sur l’expansion est si subtile, que mon pauvre cerveau ne peut ni comprendre la première ni saisir la seconde. Simp. Je suis très confus ; car selon cette théorie, une once d’or pourrait être raréfiée et étendue jusqu’à ce que sa taille dépasse celle de la Terre, tandis que la Terre, à son tour, pourrait être condensée et réduite jusqu’à devenir plus petite qu’une noix, ce que je ne pense pas possible ; je ne crois pas non plus que tu le croies. Les arguments et les démonstrations que tu as avancés sont mathématiques, abstraits et très éloignés de la matière concrète ; et je ne crois pas que lorsque appliqués au monde physique et naturel ils puissent tenir. Salv. [97-98] Je ne peux pas te montrer l’invisible ; mais pour ce qui concerne ce qui peut être perçu par nos sens, puisque tu as mentionné l’or, n’est-il pas visible que ses parties peuvent être soumises à une immense expansion ? Je ne sais pas si tu as pensé à la façon dont les artisans procèdent pour préparer les fils d’or, qui ne sont faits d’or qu’en surface, alors qu’à l’intérieur ils sont en argent. Ils prennent un cylindre d’argent ou une tige d’une demi-coudée de long et de trois ou quatre doigts d’épaisseur ; ils la recouvrent avec huit ou dix feuilles d’or, si minces qu’elles flottent dans l’air. Ensuite, ils commencent à étirer le cylindre avec une grande force, en le pressant à travers des trous toujours plus petits. Après de nombreuses étapes, ils le réduisent à la finesse d’un cheveu de femme ou même plus fin ; cependant, il reste doré en surface. Je te laisse imaginer la finesse et l’expansion auxquelles l’or est soumis. Simp. Je ne vois pas en quoi cette opération provoque un amincissement de l’or de nature à justifier ton émerveillement. Tout d’abord, les feuilles qui forment la dorure représentent une notable épaisseur ; deuxièmement, si l’argent grandit en longueur, il diminue également en épaisseur ; et si une dimension compense l’autre, la surface n’augmente pas au point que pour recouvrir l’argent d’or, il soit nécessaire de lui donner une minceur plus grande que celle des premières feuilles. Salv. Tu as tort, Simplicio, parce que la surface croît comme la 88

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

racine carrée de la longueur, et je peux le prouver. Sagr. S’il te plaît montre-le moi, si ce n’est pas trop difficile. Salv. Si on a un cylindre de rayon r et de hauteur h, la surface extérieure (à savoir, sans les bases) S est S = 2πr h

(1)

tandis que le volume V est V = πr 2 h = Ainsi

1 S2 . 4π h

√ S=

4πhV ,

(2)

(3)

ce que nous voulions prouver. Si nous appliquons les résultats obtenus à l’affaire en question et supposons que le cylindre en argent, avant l’étirement, avait une demicoudée de long et une épaisseur de trois ou quatre pouces, nous allons trouver que, lorsque le fil a été réduit à la finesse d’un cheveu et a été étiré à vingt mille coudées (et peut-être plus) de longueur, la surface est augmentée deux cents fois. En conséquence les dix feuilles en or ont maintenant été disposées sur une surface deux cents fois plus grande, et l’épaisseur de l’or qui recouvre la surface de tant de coudées d’un fil n’est pas supérieure à un vingtième de celui d’une feuille d’or ordinaire. Considère maintenant le degré de finesse dont on a besoin et si l’on peut concevoir que cela se produira autrement qu’avec une énorme expansion des éléments ; examine également si cette expérience suggère que la matière est composée d’infinies petites particules indivisibles, une vision qui est également prouvée par d’autres exemples plus impressionnants et décisifs. Sagr. Ta démonstration était très simple et je l’ai bien aimée. [99] Salv. Puisque vous êtes si passionnés par le sujet de ces démonstrations, et qu’elles apportent de discrets avantages, je vous propose un théorème qui répond à une question extrêmement intéressante. 89

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Nous avons vu d’abord quelles relations existent entre des cylindres de même volume mais de hauteurs ou de longueurs différentes ; voyons maintenant ce qu’il se passe lorsque les cylindres possèdent la même surface latérale S (c’est-à-dire la surface du cylindre en excluant les sections transversales) mais ont une hauteur différente. Le théorème, évident à partir de l’équation (2), est le suivant : les volumes de cylindres ayant la même surface latérale sont inversement proportionnels à leurs hauteurs. [100] Ceci explique un phénomène que les gens communs regardent toujours avec émerveillement. Avec un morceau de toile, nous pouvons faire un sac pour la farine, en utilisant une base en bois. Si le tissu a un côté plus long que l’autre, le sac aura une plus grande contenance lorsque le côté court de la toile sera utilisé pour la hauteur et le côté long enroulé autour de la base en bois plutôt que dans l’autre disposition. Ainsi, par exemple, à partir d’un morceau de toile de six coudées d’un côté et douze de l’autre, la capacité du sac sera plus grande lorsque le côté de douze coudées sera enroulé autour de la base en bois, en fixant la hauteur du sac à six coudées, que lorsque le côté de six coudées est enroulé autour la base et avec une hauteur de douze coudées. D’après ce qui a été démontré avant, on apprend non seulement l’observation générale qu’un sac contient plus que l’autre, mais on obtient aussi des informations spécifiques sur combien en plus. Si nous utilisons les données fournies (une toile deux fois plus longue que large), en utilisant le côté long pour la hauteur, le volume du sac sera la moitié de ce que l’on obtiendrait dans l’autre arrangement. Sagr. [101] C’est avec grand plaisir que nous continuons ainsi à acquérir des informations nouvelles et utiles. Mais en ce qui concerne le sujet juste discuté, je crois vraiment que, parmi ceux qui ne sont pas familiers avec la géométrie, on trouverait à peine quatre personnes sur cent qui ne feraient pas, à première vue, l’erreur de croire que les corps ayant des surfaces égales entre elles soient égaux à d’autres égards. En parlant de surfaces, la même erreur est commise quand on essaie, comme cela arrive souvent, de déterminer les tailles des 90

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

différentes villes en mesurant la longueur de leurs enceintes, oubliant qu’une enceinte peut être égale à une autre alors que l’espace compris dans l’une est bien supérieur à celui de l’autre. Et ceci est vrai non seulement dans le cas de surfaces irrégulières, mais aussi de surfaces régulières, où le polygone ayant le plus grand nombre de côtés contient toujours une plus grande surface que celui avec un nombre inférieur de côtés, de sorte que finalement le cercle, qui est un polygone de nombre infini de côtés, contient la plus grande surface parmi tous les polygones de périmètre égal. Je me souviens avec plaisir avoir vu cette démonstration alors que j’étudiais La sphère de Sacrobosco i avec l’aide d’un commentateur particulièrement savant. Salv. [102-103] C’est vrai ! Je suis aussi tombé sur le même passage qui m’a suggéré une méthode pour montrer comment, par une seule courte démonstration, on peut prouver que le cercle a la plus grande surface entre tous les polygones isopérimétriques réguliers ; et que, parmi les autres figures, celle qui a le plus grand nombre de côtés contient une plus grande surface que celle qui en a un plus petit nombre. Sagr. Je me complais avec ces propositions non triviales : s’il te plaît montre-moi cette démonstration. Salv. Je peux le faire, en démontrant le suivant theorème. Théorème. La surface d’un cercle est la moyenne proportionnelle entre les surfaces de deux polygones réguliers semblables dont l’un circonscrit et l’autre avec le même périmètre de la circonférence. En outre, la surface du cercle est plus grande que celle de tout polygone qui a le même périmètre. Enfin, de ces polygones circonscrits, celui qui a le plus grand nombre de côtés a une aire plus petite que celui qui a le plus petit nombre ; mais, de l’autre côté, le polygone qui a le i. C’est un traité sur l’astronomie écrit au XIIIe siècle par l’astronome anglais John Holywood (Sacre-bois, ou Sacro-bosco) qui enseignait à l’Université de Paris. Galilée lui-même avait adopté ce texte à Padoue comme un texte élémentaire sur l’astronomie, probablement aussi quand Sagredo fréquentait ses cours.

91

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

plus grand nombre de côtés est celui qui a la surface maximale parmi ceux qui ont le même périmètre.

r

l

a

R

l

En se référant à la figure,16 soit 2α l’angle à l’axe de chacun des triangles qui forment un polygone régulier de n côtés, chacun de longueur ℓ. Le périmètre pn est pn = nℓ = 2n R sin α = 2nr

sin α , cos α

(4)

où r est le rayon du cercle inscrit et R est le rayon de la circonférence circonscrite. Pour calculer l’aire du polygone régulier, il suffit de multiplier par n l’aire des triangles isocèles qui le composent. Par conséquent, puisque ces triangles ont leur base sur un côté et la hauteur sur le rayon de la circonférence inscrite, le polygone régulier de n côtés a une aire An = n

rℓ sin α p 2 cos α = nr 2 = n , 2 cos α 4n sin α

Nous voulons montrer que, étant donné un cercle de rayon r , A2 = (πr 2 )2 = Ae Ai , 92

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

(5)

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

où A est la surface du cercle, Ae est la surface du polygone extérieur (circonscrit), et Ai la surface du polygone avec le même nombre de côtés et avec le même périmètre. De (4) et (5) on obtient Ai =

(2πr )2 cos α pn2 cos α = 4n sin α 4n sin α Ae

π 2 r 2 cos α n sin α sin α , = nr 2 cos α =

et donc Ae Ai = π 2 r 4 , comme on voulait le démontrer. La deuxième affirmation, que la surface du cercle est plus grande que celle de tout polygone qui a le même périmètre, dérive directement de celle-ci : étant donné que Ae > A pour chaque nombre de côtés dès que le polygone circonscrit contient le cercle, étant A la moyenne géométrique entre Ae et Ai , nous avons A > Ai quel que soit le nombre n de côtés. Comme pour les deux dernières propositions, à partir de (5) et en considérant que α = π/n on a, pour un polygone circonscrit générique, sin α tan α An = nr 2 = πr 2 . cos α α On a toujours que α < tan α, mais l’arc se rapproche de plus en plus de la corde quand le nombre de côtés du polygone augmente, et par conséquent le rapport se rapproche de l’unité : nous avons montré que le polygone qui a le plus grand nombre de côtés est celui avec la plus petite surface parmi ceux circonscrits. Enfin, toujours à partir de (5), on obtient que, fixant le périmètre pn d’un polygone, An =

pn2 α ; 4π tan α

comme quand nous avons montré que le polygone qui a le plus grand nombre de côtés est celui avec la plus grande surface parmi ceux qui ont le même périmètre. Sagr. [104] Une démonstration très intelligente et élégante ! Mais 93

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

comment est-on arrivé à parler de géométrie alors que nous discutions d’importantes objections soulevées par Simplicio, en particulier celle qui se réfère à la condensation qui me semble particulièrement difficile à résoudre ? Salv. Si la contraction et l’expansion consistent en des mouvements contraires, on devrait trouver pour chaque grande expansion une contraction proportionnellement aussi grande. Mais notre surprise est accrue lorsque, chaque jour, nous voyons d’énormes expansions se produire presque instantanément. Pensez à la formidable expansion qui se produit lorsqu’une petite quantité de poudre à canon se transforme en un vaste volume de feu ! Pensez aussi à l’expansion presque illimitée de la lumière que cela produit ! Et si ce feu et cette lumière se réunissaient, à quelle condensation cela correspondrait-il ? On peut facilement trouver de nombreux cas d’expansions, car elles sont plus fréquentes que les contractions. Nous pouvons voir le bois produire du feu et de la lumière, mais nous n’irons jamais voir [105] le feu et la lumière se recombiner pour former le bois. Nous voyons des fruits et des fleurs et mille autres corps solides se dissoudre en grande partie dans des odeurs, mais nous n’observons pas ces atomes parfumés se rassembler pour former des solides odorants. Mais là où les sens nous font défaut, la raison doit intervenir ; elle nous permettra de comprendre aussi clairement le mouvement de condensation de substances extrêmement raréfiées et ténues et celui de dilatation et de dissolution des solides. De plus, nous essaierons de savoir comment il est possible de produire des dilatations et des contractions dans des corps capables de tels changements sans introduire de vide et sans renoncer à l’impénétrabilité de la matière ; mais cela n’exclut pas la possibilité qu’il existe des matériaux qui ne possèdent pas de telles propriétés et n’entraînent donc pas avec eux des conséquences que vous appelez incommodes et impossibles. Et enfin, Simplicio, j’ai essayé, pour vous les philosophes, de trouver une explication sur la façon dont l’expansion et la contraction peuvent avoir lieu sans que nous admettions la pénétrabilité de la matière et 94

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

introduisions le vide, propriétés que vous niez et que vous n’aimez pas. Si vous étiez prêts à les accepter, je ne vous contredirais pas aussi durement. Par conséquent, ou vous admettez ces inconvénients, ou vous approuvez mes idées, ou vous en trouvez de plus exactes. Sagr. Je suis tout à fait d’accord avec les Péripatéticiens pour nier la pénétrabilité de la matière. Quant au vide, je voudrais, s’il te plaît, entendre de Simplicio une discussion approfondie de la démonstration d’Aristote dans laquelle il s’y oppose, et ce que toi, Salviati, tu peux à dire en réponse. Simp. Autant que je me souvienne, Aristote s’oppose à l’idée ancienne selon laquelle le vide est une condition préalable nécessaire au mouvement et que ce dernier ne pourrait pas se produire sans le premier. En opposition à cette vue, Aristote montre que c’est précisément le phénomène du mouvement, comme nous allons le voir, qui rend intenable l’idée du vide.17 Sa méthode consiste à diviser l’argument en deux parties. Il suppose d’abord que des corps de poids différents se meuvent dans le même milieu ; puis il suppose qu’un même mobile se déplace dans différents milieux. Dans le premier cas, il [106] suppose que des corps de poids différents se meuvent dans un même milieu avec des vitesses différentes ayant la même proportion que les poids ; de sorte que, par exemple, un corps dix fois plus lourd qu’un autre se déplacera dix fois plus vite que l’autre. Dans le second cas, il suppose que les vitesses d’un même corps se déplaçant dans des milieux différents seront inversement proportionnelles à la densité de ces milieux ; ainsi, par exemple, si la densité de l’eau était dix fois celle de l’air, la vitesse dans l’air serait dix fois plus grande que dans l’eau. De cette seconde supposition, il tire la conclusion que, puisque la ténuité du vide diffère infiniment de celle de tout milieu rempli de matière si rare qu’elle soit, tout corps qui se meut dans un plénum à travers un certain espace en un certain temps doit se déplacer à travers le vide instantanément ; mais le mouvement instantané est impossible, donc le vide ne peut pas exister. 95

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. Je vois que l’argument est spécifiquement contre ceux qui croyaient que le vide serait nécessaire pour le mouvement. Maintenant, si j’admets que l’argument est concluant et que j’admets également que le mouvement ne peut pas avoir lieu dans le vide, l’hypothèse d’un vide considéré sans référence au mouvement n’est pas invalidée. Mais pour te dire ce que les anciens auraient pu répondre et pour mieux comprendre l’argument d’Aristote, je pense que nous pouvons contredire les deux hypothèses. Concernant la première, je doute qu’Aristote n’ait jamais essayé de voir si deux pierres de poids différents (l’une, par exemple, dix fois l’autre) qui tombent en même temps d’une même hauteur (par exemple de cent coudées) acquéraient une vitesse si différente et si lors de l’arrivée de la plus grande sur le terrain l’autre serait encore loin de là. Simp. Pourtant, il montre qu’il a fait l’expérience, parce qu’il dit : « Nous voyons que le plus lourd... » 18 : le verbe « voir » indique il a fait l’expérience. Sagr. Mais moi, Simplicio, j’ai essayé, et je peux t’assurer [107] qu’un boulet de canon pesant une ou deux cents livres, ou même plus, n’atteindra pas le sol une seule paume avant d’une balle de mousquet pesant seulement la moitié d’une livre, et cela après une chute d’une hauteur de 200 coudées. Salv. On peut d’ailleurs prouver, même sans expérience, au moyen d’un argument court et concluant, qu’un corps plus lourd ne tombe pas plus rapidement qu’un plus léger pourvu que les deux corps soient du même matériau, contrairement à ce qui était mentionné par Aristote. Dis-moi, Simplicio, si tu admets que chaque corps tombant acquiert une vitesse définie, fixée par la nature, vitesse qui ne peut être augmentée ou diminuée que par l’emploi d’une force. Simp. Il n’y a effectivement pas de doute que le même corps en mouvement dans le même milieu a une vitesse fixée qui est déterminée par la nature et qui ne peut pas être augmentée, sauf en ajoutant une force, ou diminuée, sauf par une résistance qui la retarde.

96

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. Si alors nous prenons deux corps dont les vitesses naturelles sont différentes, il est clair qu’en unissant les deux, le plus rapide sera en partie retardé par le plus lent, et le plus lent sera accéléré par le plus rapide. N’es-tu pas d’accord avec moi sur ce point ? Simp. Je suis d’accord. Salv. Mais si cela est vrai, et si une grande pierre se déplace avec une vitesse de, disons, huit degrés, alors qu’une plus petite se déplace avec une vitesse de quatre, quand elles sont unies, le système doit se déplacer avec une vitesse inférieure à huit ; mais les deux pierres ensemble forment une pierre plus grande que celle qui se déplaçait avec une vitesse de huit. Par conséquent, le corps le plus lourd se déplace avec une vitesse inférieure à celle du plus léger ; un effet qui est contraire à ta supposition. [108] Ainsi, il n’est pas vrai que le corps le plus lourd se déplace plus vite que le plus léger. Simp. Je suis en difficulté, car je crois que la pierre plus petite, si elle est combinée avec la plus grosse, ajoute du poids à cette dernière, et en ajoutant du poids, elle devrait aussi ajouter de la vitesse, ou du moins ne pas en enlever. Salv. Là encore, tu te trompes, Simplicio, car il n’est pas vrai que la pierre plus petite ajoute du poids à la plus grosse. Simp. Ceci est tout à fait au-delà de ma compréhension. Salv. Il est nécessaire de distinguer entre les corps lourds en mouvement et les mêmes corps au repos. Une grosse pierre placée sur une balance acquiert non seulement un poids supplémentaire en y plaçant une autre pierre, mais même en ajoutant une poignée de chanvre, son poids augmente de six à dix onces selon la quantité de chanvre. Mais si on attache le chanvre à la pierre et on les laisse tomber librement d’une certaine hauteur, ne crois-tu pas que le chanvre va presser vers le bas sur la pierre et ainsi accélérer son mouvement, ou tu penses que le mouvement sera retardé en la soutenant partiellement ? Nous sentons la pression d’un corps sur nos épaules quand nous voulons nous opposer à son mouvement, mais si nous descendions avec la vitesse qui serait naturellement la sienne, comment ce corps pourrait97

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

il appuyer sur nous ? Ce serait la même chose que d’essayer de frapper un homme avec une lance alors qu’il fuit avec une vitesse égale, voire supérieure, à celle avec laquelle on le frappe ? Il faut donc conclure que, au cours de la chute libre et naturelle, la petite pierre ne s’appuie pas sur la plus grande et par conséquent ne peut en augmenter le poids comme elle le ferait au repos. Simp. Mais que se passe-t-il si nous plaçons la pierre plus grosse sur la plus petite ? Salv. [109] Son poids augmenterait si la pierre plus grosse se déplaçait plus rapidement ; mais nous avons déjà conclu que lorsque la petite pierre se déplace plus lentement, elle retarde dans une certaine mesure la vitesse de la plus grosse, de sorte que la combinaison des deux, qui est un corps plus lourd que la plus grosse des deux pierres, se déplacerait moins rapidement, une conclusion qui est contraire à ton hypothèse. On en déduit donc que les grands et les petits corps se déplacent à la même vitesse pourvu qu’ils aient le même poids spécifique. Simp. Ton raisonnement me paraît convaincant ; mais il me semble difficile de croire qu’une larme de plomb puisse tomber aussi vite qu’un boulet de canon. Salv. On pourrait dire qu’un grain de sable tombe sous la gravité aussi rapidement qu’une meule de moulin ? Mais, Simplicio, j’espère que tu ne veux pas suivre l’exemple de beaucoup d’autres qui détournent la discussion de son but principal et s’attachent à une de mes paroles qui s’écarte d’un cheveu de la vérité, pour ainsi dissimuler sous ce cheveu l’insuffisance de telle autre, grosse comme un câble de navire. Aristote dit qu’une boule de fer de cent livres tombant d’une hauteur de cent coudées atteint le sol avant qu’une boule d’une livre ne soit tombée d’une seule coudée ; moi je dis qu’elles arrivent en même temps. Tu trouveras, si tu fais l’expérience, que lorsque la plus lourde a atteint le sol, l’autre est en retard de deux pouces ; maintenant j’espère que tu ne veux pas cacher derrière ces deux doigts les

98

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

quatre-vingt-neuf coudées d’Aristote, ni parler de ma petite erreur et en même temps passer sous silence l’énormité de l’autre. Aristote déclare que des corps de poids différents, dans le même milieu, se meuvent (dans la mesure où leur mouvement dépend de la gravité) avec des vitesses proportionnelles à leurs poids. Il illustre cela en utilisant des corps dans lesquels il est possible de percevoir l’effet pur et non altéré de la gravité, en éliminant d’autres considérations, par exemple les influences qui dépendent du milieu qui modifie l’effet de la gravité. Ainsi nous observons que l’or, la plus dense de toutes les substances, lorsqu’il est transformé en une feuille très mince, flotte dans l’air ; la même chose se produit avec la pierre réduite en une poussière très fine. Mais si tu veux maintenir la proposition générale, tu dois montrer que le même rapport de vitesses est conservé dans tous les cas, [110] et qu’une pierre de vingt livres se déplace dix fois aussi rapidement qu’une de deux ; je prétends plutôt que c’est faux et que, si elles tombent d’une hauteur de cinquante ou cent coudées, elles vont atteindre le sol au même moment. Simp. Peut-être le résultat serait différent si la chute a lieu pas de hauteurs de quelques coudées, mais de quelques milliers de coudées. Salv. Si c’était ce que voulait dire Aristote, tu le chargerais d’une autre erreur qui équivaudrait à un mensonge ; car, puisqu’il n’y a pas une telle hauteur disponible sur Terre, il est clair qu’Aristote n’aurait pas pu faire l’expérience. Pourtant, il veut nous donner l’impression de l’avoir accomplie quand il dit qu’il observe un tel effet. Simp. En fait, Aristote ne se sert pas de ce principe, mais de l’autre, qui, je crois, ne soulève pas ces difficultés. Salv. Mais l’un est aussi faux que l’autre ; et je suis surpris que tu ne vois pas l’erreur, en comprenant que, par exemple, si le même corps se mouvait vraiment dans l’air avec une vitesse qui aurait avec sa vitesse dans l’eau la même proportion que la densité de l’eau a avec celle de l’air, alors tout corps descendant dans l’air devrait aussi descendre dans l’eau ; ce qui est faux puisque de très nombreux corps

99

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

descendent dans l’air qui non seulement ne descendent pas dans l’eau, mais remontent vers le haut. Simp. Aristote discute seulement des corps qui tombent dans les deux milieux, pas ceux qui tombent dans l’air mais remontent dans l’eau. Salv. Les arguments que tu avances pour Aristote sont tels que luimême les aurait certainement évités. [111] Mais dis-moi si entre la densité de l’eau, qui retarde le mouvement le plus, et celle de l’air, qui le retarde le moins, il existe un rapport, et dis-moi quelle est la valeur. Simp. Bien sûr il existe un rapport, et nous supposons qu’il est un facteur de 10 : la vitesse d’un corps descendant dans l’eau sera dix fois plus petite que celle dans l’air. Salv. Je vais maintenant prendre un de ces corps qui tombent dans l’air, mais pas dans l’eau, par exemple une boule en bois, et je vais te demander de lui attribuer la vitesse qui te plaît pour sa descente à travers l’air. Simp. Supposons qu’elle se déplace avec une vitesse de vingt degrés. Salv. Très bien. Alors il est clair que cette vitesse possède avec une autre vitesse plus petite le même rapport que la densité de l’eau à celle de l’air, et que cette autre vitesse sera de deux degrés. De sorte que si nous suivons exactement l’hypothèse d’Aristote, nous devons en déduire que la boule de bois qui tombe dans l’air, substance dix fois moins résistante que l’eau, avec une vitesse de vingt degrés, tomberait dans l’eau avec une vitesse de deux, au lieu de remonter à la surface de bas en haut comme elle le fait ; à moins que peut-être tu voulais répondre, ce que je ne crois pas que tu feras, que la montée du bois à travers l’eau est la même chose que sa chute avec une vitesse de deux. Mais puisque le bois ne va pas descendre, je pense que tu seras d’accord avec moi que nous pouvons trouver une balle d’un autre matériau, pas du bois, qui tombe dans l’eau avec deux degrés de vitesse. Simp. Sans aucun doute nous le pouvons ; mais ce matériau doit être d’une substance considérablement plus lourde que le bois.

100

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. Bien sûr. Mais si cette deuxième balle tombe dans l’eau avec deux degrés de vitesse, quelle sera sa vitesse de descente dans l’air ? Si on se tient à la règle d’Aristote, elle bougera au rythme de vingt. Mais vingt est la vitesse qu’on a assignée à la boule de bois ; par conséquent, cette balle et l’autre plus lourde se déplaceront chacune dans l’air à la même vitesse. Mais maintenant, comment Aristote harmonise-t-il ce résultat avec son autre, à savoir que des corps de poids différents se déplacent dans le même milieu avec des vitesses différentes — des vitesses qui sont proportionnelles à leurs poids ? Comment est-il possible que ces contradictions aient échappé à toute analyse ? [112] As-tu remarqué que parfois deux corps qui tombent dans l’eau, un avec une vitesse cent fois plus grande que celle de l’autre, tombent dans l’air avec des vitesses à peu près égales ? Ainsi, par exemple, un œuf de marbre descendra dans l’eau cent fois plus vite qu’un œuf de poule, tandis que dans l’air tombant d’une hauteur de vingt coudées, l’un précèdera l’autre de moins de quatre pouces. En bref, un corps lourd qui, en trois heures, s’enfonce sous l’eau de dix coudées, les franchira dans l’air en un ou deux battements de pouls, et tel autre encore, comme une boule de plomb, traversera la même distance dans l’eau en un temps inférieur à deux fois le temps dans l’air. Et ici, j’en suis sûr, Simplicio, tu ne trouves aucun motif d’objection. Nous conclurons donc que l’argument ne prouve rien contre l’existence du vide ; mais s’il le faisait, ce serait seulement contre des vides de considérable taille que, à mon avis, les anciens n’ont jamais cru exister dans la nature, bien qu’ils pourraient peut-être être produits par des forces dont la description prendrait trop de temps. Sagr. Voyant que Simplicio est silencieux, je vais dire quelque chose. Tu as clairement démontré que des corps de poids différents ne se déplacent pas dans un même milieu avec des vitesses proportionnelles à leurs poids, mais qu’ils se déplacent tous avec la même vitesse, bien sûr s’ils sont de même substance ou tout au moins du même poids spécifique. Certainement la même chose ne va pas se passer s’ils sont de poids spécifiques différents, car je ne pense pas que tu 101

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

voudrais nous faire croire qu’une boule de liège tombe [113] avec la même vitesse qu’une boule de plomb. En plus, puisque tu as clairement démontré qu’un seul et même corps en mouvement dans des milieux de résistances différentes ne va pas acquérir des vitesses qui sont inversement proportionnelles à la résistance, je suis curieux de savoir ce que sont les rapports effectivement observés dans ces cas. Salv. Ces sont des questions intéressantes et j’y ai beaucoup réfléchi. Ayant établi la fausseté de la proposition que le même corps se déplaçant à travers des milieux de résistances différentes acquiert des vitesses qui sont inversement proportionnelles aux résistances de ces milieux, et ayant également réfuté l’opinion que des corps de gravités différentes ont dans le même milieu des vitesses proportionnelles à leurs gravités respectives (cela s’applique aussi aux corps qui diffèrent simplement par leur poids spécifique), j’ai alors commencé à combiner ces deux faits et à considérer ce qui se passerait si des corps de poids différents étaient placés dans des milieux de résistances différentes, et j’ai trouvé que les différences de vitesse étaient plus grandes dans les milieux plus résistants. Cette différence était telle que deux corps dont les vitesses diffèrent à peine dans l’air peuvent tomber dans l’eau l’un avec une vitesse dix fois que grande que celle de l’autre. En plus, il y a des corps qui tombent rapidement dans l’air, alors que s’ils sont placés dans de l’eau non seulement ne couleront pas, mais resteront au repos ou même monteront vers le haut (il est possible de trouver certains types de bois, tels que les nœuds et racines, qui restent au repos dans l’eau mais tombent rapidement dans l’air). Sagr. J’ai souvent essayé avec la patience d’ajouter des grains de sable à une boule de cire, qui ne coule pas, pour lui faire acquérir le même poids spécifique que l’eau et donc la faire rester au repos dans ce milieu. Mais avec tous mes soins, je n’ai jamais été en mesure d’accomplir cela. En effet, je ne sais s’il y a une substance solide en nature dont le poids spécifique est à peu près égal à celui de l’eau et donc reste au repos dans l’eau.

102

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. Pour cette opération, comme pour mille autres, les humains sont dépassés par les animaux. Dans ce problème, on peut apprendre beaucoup des poissons, qui sont très habiles à maintenir leur équilibre dans des eaux de densités différentes à cause, par exemple, d’une salinité différente, [114] et sont donc capables de rester immobiles et en équilibre dans une position quelconque. Ils le font, je crois, au moyen d’un organe spécialement prévu par la nature, à savoir, une vessie située dans le corps et communiquant avec la bouche par un tube étroit. Ils peuvent à volonté expulser une partie de l’air contenu dans la vessie, ou, en remontant à la surface, absorber plus d’air ; ainsi ils deviennent eux-mêmes plus lourd ou plus léger à volonté et peuvent maintenir l’équilibre. Sagr. Dans mes expériences pour mettre la boule de cire en équilibre dans l’eau, j’ai impressionné quelques amis en trichant un peu : j’ai ajouté un peu de sel et la balle, qui avant allait au fond, s’est arrêtée au milieu de l’eau. Salv. Cette expérience est utile. En effet, lorsque les médecins testent les qualités des eaux différentes, en particulier leurs poids spécifiques, ils emploient une boule de ce genre calibrée de telle sorte qu’elle soit en équilibre dans certains types d’eau. Puis en testant une autre eau, de densité même légèrement différente, la balle coulera si cette eau est plus légère et montera si elle est plus lourde. Et le fait d’ajouter deux grains de sel à six livres d’eau est suffisant pour faire remonter la balle du fond à la surface. Pour illustrer la précision de cette expérience et démontrer clairement l’absence de résistance de l’eau à la division, je tiens à ajouter que cette différence notable de poids spécifique peut être produite non seulement par la solution de quelque substance lourde, mais aussi par simple chauffage ou refroidissement ; et l’eau est si sensible à ce processus que la simple adjonction de quatre gouttes d’une eau qui est légèrement plus chaude ou plus froide dans les six livres permet de forcer la balle à couler ou à monter : elle va couler lors de l’addition d’eau chaude et va monter lors de l’addition d’eau

103

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

froide. j [115] Maintenant, vous pouvez voir combien se trompent ces philosophes qui attribuent à l’eau de la viscosité ou quelque autre cohérence des parties qui offre une résistance à la séparation et à la pénétration. Sagr. À propos de cette question, j’ai trouvé beaucoup d’arguments convaincants dans un traité19 de notre académicien ; mais il y a une grande difficulté que je n’ai pas été en mesure de résoudre, à savoir : s’il n’y a pas de ténacité ou de cohérence entre les particules d’eau, comment est-il possible pour des grandes gouttes d’eau de se distinguer en relief sur les feuilles de chou sans se disperser ou s’étaler ? Salv. Pour commencer, j’avoue que je ne comprends pas comment ces gros globules d’eau se détachent et se maintiennent, bien que je sache avec certitude que ce n’est dû à aucune ténacité interne agissant entre les particules d’eau ; d’où il doit suivre que la cause de cet effet est extérieure. Outre les expériences déjà montrées pour prouver que la cause n’est pas interne, je peux en proposer une autre qui est très convaincante. Si les particules d’eau qui se soutiennent en tas, tandis qu’elles sont entourées d’air, le faisaient en vertu d’une cause interne, elles se maintiendraient beaucoup plus facilement lorsqu’elles seraient entourées d’un milieu dans lequel elles ont moins tendance à tomber qu’elles ne le font dans l’air ; un tel milieu serait n’importe quel fluide plus lourd que l’air, comme le vin : et donc si du vin est versé autour d’une telle goutte d’eau, le vin devrait monter tout autour la goutte d’eau jusqu’à ce qu’elle soit entièrement recouverte et sans la perturber grâce à sa supposée cohésion interne. Mais ce n’est pas le cas : à peine au contraire le liquide versé touche-t-il la goutte d’eau que, sans avoir besoin d’être recouverte, celle-ci se disperse et s’aplanit, comme on j. Ce principe est à la base du fonctionnement du thermomètre dit galiléen. L’instrument se compose d’un cylindre de verre contenant un liquide et des burettes en verre contenant à leur tour un liquide en quantité différente ; les ampoules ont des poids spécifiques différents entre elles et des étiquettes sont accrochées sur celles-ci indiquant une température obtenue à partir d’une calibration. Lorsque l’appareil est en équilibre thermique avec l’environnement, une mesure de la température (si la température est dans la gamme de fonctionnement de l’instrument) est donnée par le nombre indiqué sur la plus basse des burettes flottantes. 104

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

peut facilement l’observer si l’on emploie du vin rouge. La cause de cet effet est donc externe et est peut-être dans l’air ambiant. En effet, il semble y avoir un antagonisme considérable entre l’air et l’eau comme je l’ai observé dans l’expérience suivante. [116] Prenons un globe de cristal qui possède une ouverture du même diamètre qu’un brin de paille ; je le remplis avec de l’eau et je le retourne avec l’ouverture vers le bas. L’eau, bien qu’assez lourde et encline à descendre, et l’air, qui est très léger et disposé à monter à travers l’eau, refusent l’une de descendre et l’autre de monter par l’ouverture. Dès que j’applique cette ouverture sur un verre de vin rouge, qui est presque insensiblement plus léger que l’eau, on observe immédiatement des traînées rouges qui montent lentement dans l’eau tandis que l’eau avec une égale lenteur descend dans le vin sans se mélanger, jusqu’à ce que finalement le globe soit complètement rempli avec le vin et l’eau toute écoulée vers le bas. Il paraît qu’il existe une incompatibilité mystérieuse entre l’eau et l’air… Simp. Je ris de la grande antipathie que Salviati manifeste contre l’emploi du mot antipathie ; k et pourtant ce concept peut facilement expliquer le résultat. Salv. Qu’on appelle antipathie la solution à notre difficulté si Simplicio le veut bien. Mais de retour de cette digression, reprenons notre problème. Nous avons déjà vu que la différence de vitesse entre des corps de poids spécifiques différents est plus marquée dans les milieux les plus résistants : ainsi, dans le mercure, l’or ne descend pas seulement au fond plus rapidement que le plomb, mais il est la seule substance qui descendra : tous les autres métaux et pierres remontent à la surface et flottent. D’autre part, la différence de vitesse dans l’air entre des boules d’or, de plomb, de cuivre, et d’autres matériaux lourds, est si légère que dans une chute de 100 coudées une boule d’or ne dépasse k. Le concept de sympathie et son contraire, l’antipathie, ont été utilisés par les Péripatéticiens également dans le contexte de la physique, comme tendance à s’approcher ou à s’éloigner. Pour les philosophes hermétiques (IIe siècle après J.-C.), la sympathie et l’antipathie ont également de l’influence sur la relation entre les humains et la nature.

105

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

pas plus une boule de cuivre que de quatre doigts. Ayant observé cela, je suis arrivé à la conclusion que, dans un milieu totalement dépourvu de résistance, tous les corps tombent à la même vitesse. Simp. C’est une remarquable déclaration, Salviati. Mais je ne vais jamais croire que même dans le vide, si le mouvement dans le vide était possible, un flocon de laine et une petite boule de plomb tomberaient à la même vitesse. Salv. Vas-y doucement, Simplicio. J’ai déjà réfléchi à cette question et j’ai trouvé la bonne solution. [117] Notre problème est de trouver ce qu’il se passe à des corps de différents poids se déplaçant dans un milieu dépourvu de résistance, de sorte que la seule possible différence de vitesse serait celle qui découlerait d’une inégalité de poids. Seul un espace vide d’air et de toute autre matière pourrait nous permettre de percevoir ce que nous voulons découvrir, mais comme un tel espace n’existe pas, nous observerons ce qu’il se produit dans les milieux plus fins et moins résistants par comparaison avec les milieux plus denses et plus résistants ; et si nous trouvons qu’effectivement des corps de poids spécifiques variables ont des vitesses de moins en moins différentes selon que les milieux sont de plus en plus faciles à pénétrer, et pour des poids très inégaux l’écart des vitesses est très petit et presque imperceptible, alors nous pourrons conclure, me semble-t-il, avec une très grande probabilité, que dans le vide tous les corps tombent avec la même vitesse. Considérons, en vue de cela, ce qui se passe dans l’air ; comme corps d’une matière légère bien définie, imaginons une vessie gonflée. L’air contenu dans cette vessie, lorsque la vessie est entourée d’air, pèsera peu ou rien, puisqu’il ne peut être que légèrement comprimé ; le poids de la vessie sera simplement le poids de l’enveloppe, qui n’est pas même la millième partie d’un bloc de plomb ayant la même taille que la vessie gonflée. Or, Simplicio, si l’on laisse tomber ces deux corps d’une hauteur de quatre ou six coudées, de quelle distance crois-tu que le plomb devancera la vessie ? Tu peux être sûr que le plomb ne voyagera pas trois fois, voire deux fois, aussi rapidement que la vessie, sûrement pas mille fois plus vite. 106

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Simp. C’est peut-être comme tu dis pendant les quatre ou six premières coudées de la descente ; mais après le mouvement continuera longuement, et je crois que le plomb gagnera sur la vessie non seulement six des douze parties de la distance, mais bien huit ou dix. Salv. [118] Je suis tout à fait d’accord et je ne doute pas que, sur de très longues distances, le plomb puisse parcourir cent milles tandis que la vessie n’en parcourerait qu’un ; mais, mon cher Simplicio, cette constatation que tu opposes à ma proposition va la confirmer intégralement. Laisse-moi encore une fois expliquer que la variation de vitesse observée dans des corps de poids spécifiques différents n’est pas causée par la différence de poids spécifique, mais dépend de circonstances extérieures et, en particulier, de la résistance du milieu, de sorte que si celle-ci est supprimée tous les corps tomberaient avec la même vitesse ; et ce résultat, je le déduis principalement à partir du fait que tu viens d’admettre et qui est très vrai, à savoir que, dans le cas des corps qui diffèrent largement en poids, leurs vitesses diffèrent d’autant plus que les espaces traversés par ces corps sont de plus en plus grands, ce qu’on ne saurait attribuer à des différences de poids spécifique. Étant donné que ces poids spécifiques restent constants, le rapport entre les distances parcourues doit rester constant alors que le fait est que ce rapport continue à augmenter comme le mouvement se poursuit. Ainsi un corps très lourd dans une chute d’une coudée n’anticipera pas un corps très léger plus que la dixième partie de cet espace ; mais dans une chute de douze coudées le corps lourd dépasserait l’autre d’un tiers, et dans une chute de cent coudées de 90/100, etc. Simp. Très bien : mais, après ton argumentation, si les différences de poids spécifiques ne peuvent pas produire une différence de vitesse, comment est-il possible que le milieu, que nous supposons également rester constant, apporte tout changement dans le rapport de ces vitesses ? Salv. Cette objection est profonde ; et je dois la résoudre. Je commencerai par dire qu’un corps lourd a une tendance inhérente à se 107

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

déplacer avec un mouvement constamment et uniformément accéléré vers le centre de gravité commun, c’est-à-dire vers le centre de notre Terre, de sorte que pendant des intervalles de temps égaux, il reçoit des incréments égaux de vitesse. Ceci est vrai si tous les obstacles externes et accidentels ont été supprimés ; mais il y en a que nous ne pourrons jamais supprimer, à savoir, le moyen qui doit être pénétré et poussé de côté par la chute du corps, c’est-à-dire l’air. [119] Ce fluide s’oppose au mouvement en son sein avec une résistance qui dépend de la rapidité avec laquelle le milieu doit céder le passage au corps, et donc en particulier de la vitesse de celui-ci. Et comme le corps par nature va en accélérant, il rencontre de la part du milieu une résistance croissante, d’où résulte un ralentissement et une diminution dans l’acquisition de nouveaux degrés de vitesse, si bien qu’en fin de compte la vitesse d’une part, la résistance du milieu de l’autre, arrivent à un équilibre qui empêche toute accélération, et le corps se réduit à un mouvement régulier et uniforme qu’il conserve constamment par la suite. Il y a donc une augmentation de la résistance du milieu, pas due à un changement dans ses propriétés essentielles, mais à cause du changement dans la rapidité avec laquelle il doit céder le passage au corps en chute, qui est constamment accéléré. En voyant maintenant combien grande en proportion est la résistance que l’air offre au mouvement de la légère vessie et combien petite est celle qu’il offre au grand poids du plomb, je suis convaincu que, si le milieu était entièrement supprimé, l’avantage reçu par la vessie serait grand et que leurs vitesses s’égaliseraient. En supposant le principe que tous les corps acquièrent des vitesses égales dans la chute dans un milieu qui, soit le vide ou quelque chose d’autre, n’offre aucune résistance à la vitesse de la marche, nous serons en mesure de déterminer les rapports des vitesses de corps semblables ou dissemblables, soit dans le même milieu, soit dans différents milieux résistants. Nous pouvons obtenir ce résultat en observant combien la gravité du milieu diminue la gravité du mobile qui est comme l’instrument avec lequel celui-ci ouvre sa route en repoussant de côté 108

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

les parties du milieu (inexistantes dans le vide où, pour cette raison, les différences de poids n’ont pas d’effet). Et comme il est manifeste que l’effet du milieu est de diminuer le poids du corps par le poids du milieu déplacé, nous pouvons atteindre notre objectif en réduisant dans la même proportion les vitesses des corps qui dans un milieu non résistant (comme on l’a supposé) seraient égales. Ainsi, par exemple, imaginons que le plomb soit dix mille fois plus lourd que l’air et l’ébène seulement mille fois plus lourd. [120] Nous avons deux substances dont les vitesses de chute dans un milieu dépourvu de résistance sont égales : mais, lorsque l’air est le moyen, il soustrait à la vitesse du plomb une partie sur dix mille et de la vitesse de l’ébène une partie sur mille. Tandis qu’ainsi le plomb et l’ébène tomberaient de n’importe quelle hauteur dans le même intervalle de temps, pourvu que l’effet retardateur de l’air ait été supprimé, le plomb, dans l’air, perdra une partie sur dix mille de sa vitesse ; et l’ébène, dix parties sur dix mille. En d’autres termes, si la hauteur de laquelle les corps tombent est divisée en dix mille parties, le plomb va atteindre le sol en laissant l’ébène derrière par dix, ou au moins neuf, de ces parties. N’est-il pas clair alors qu’une balle de plomb qui tombe d’une tour de deux cents coudées de hauteur dépassera une boule d’ébène de moins de quatre pouces ? Maintenant, l’ébène pèse un millier de fois plus que l’air, mais la vessie gonflée seulement quatre fois plus ; donc l’air diminue la vitesse inhérente et naturelle de l’ébène d’une partie sur mille ; tandis que la vitesse de la vessie qui, si libre d’obstacle, serait la même, subit une diminution dans l’air aussi grande qu’une partie sur quatre. De sorte que lorsque la boule d’ébène, tombant de la tour, aura atteint le sol, la vessie n’aura parcouru que les trois quarts de cette distance. Le plomb est douze fois plus lourd que l’eau ; mais l’ivoire n’est que deux fois plus lourd. L’eau diminuera donc leurs vitesses, pour le plomb d’un douzième, et pour l’ivoire, de la moitié ; en conséquence, quand le plomb aura descendu dans l’eau onze coudées, l’ivoire n’en aura parcouru que six. Et je crois qu’en nous fondant sur cette règle l’expérience s’accordera bien mieux avec nos 109

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

calculs qu’avec ceux d’Aristote. De même on peut trouver le rapport des vitesses d’un même corps dans différents fluides, non en comparant les différentes résistances des milieux, mais en considérant l’excès du poids spécifique du corps sur ceux des milieux. Ainsi, par exemple, l’étain est mille fois plus lourd que l’air et dix fois plus lourd que l’eau ; par conséquent, si nous divisons la vitesse en 1 000 parties, dans la chute l’air va voler à la vitesse de l’étain une de ces parties afin qu’il tombe avec une vitesse de 999 degrés, tandis que dans l’eau sa vitesse sera de 900, parce que l’eau diminuera son poids d’un dixième. Si on prend un matériau solide un peu plus lourd que l’eau, tel que le chêne, une boule de ceci va peser disons 1 000 drachmes ; supposons [121] qu’un volume égal d’eau en pèserait 950, et un volume égal d’air en pèserait 2 ; alors il est clair que si sans résistance la vitesse de la balle est 1 000, sa vitesse dans l’air sera 998, mais dans l’eau seulement 50, voyant que l’eau élimine 950 des 1 000 parties de la gravité du corps, et en laisse seulement 50. Un tel solide se déplacerait donc presque vingt fois plus vite dans l’air que dans l’eau, puisque l’excès de sa gravité spécifique dépasse l’eau d’une partie sur vingt. Et là, il faut tenir compte du fait que seules les substances qui ont un plus grand poids spécifique de l’eau peuvent tomber dans l’eau, substances qui doivent, par conséquent, être des centaines de fois plus lourdes que l’air. C’est pourquoi, lorsqu’on cherche à obtenir le rapport de la vitesse dans l’air à celle dans l’eau, on peut supposer, sans erreur appréciable, que l’air ne diminue pas considérablement le poids libre et par conséquent la vitesse de telles substances. Ayant ainsi trouvé facilement l’excès du poids de ces substances sur celui de l’eau, on peut dire que leur vitesse dans l’air est à leur vitesse dans l’eau comme leur gravité nette est à l’excès de cette gravité sur celle de l’eau. Par exemple, une boule d’ivoire pèse 20 onces ; un volume égal d’eau pèse 17 onces ; d’où la vitesse de l’ivoire dans l’air a un rapport approximatif de 20 à 3 à sa vitesse dans l’eau. Sagr. J’ai fait un grand pas en avant dans ce sujet vraiment intéressant sur lequel j’ai longtemps travaillé en vain. Dans le but de mettre 110

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

ces théories en pratique, nous avons besoin seulement de découvrir une méthode pour déterminer le poids spécifique de l’air par rapport à l’eau et donc par rapport à d’autres substances lourdes. Simp. Mais si nous trouvons que l’air a de la légèreté20 au lieu de la gravité, que dirons-nous alors de la discussion précédente qui, à d’autres égards, est très astucieuse ? Salv. Dans ce cas notre discussion se démontrerait vaine et vide. Mais peut-on douter que l’air ait du poids quand Aristote affirme clairement que tous les éléments ont du poids y compris l’air, et à l’exception du feu seulement ? Pour preuve, il cite le fait qu’une outre en cuir pèse plus lorsqu’elle est gonflée que lorsqu’elle est vide.21 Simp. [122] Je suis porté à croire que l’augmentation de poids observée dans l’outre en cuir gonflée ne peut pas se produire à cause de la gravité de l’air, mais à cause des vapeurs épaisses qui se mêlent à lui dans nos basses régions. Salv. Je n’aime pas cette explication, et je n’aimerais pas que tu l’attribues à Aristote ; parce que, si parlant des éléments, Aristote voulait me persuader par expérience que l’air a du poids et me disait : « Prends une outre, remplis-la avec des vapeurs épaisses et observe comment son poids augmente », je répondrais qu’elle pèserait encore plus si elle était remplie de son ; et j’ajouterais que cela prouve simplement que son et vapeurs épaisses sont lourdes, mais ne dit rien en ce qui concerne l’air. Cependant, l’expérience d’Aristote est valide et la proposition est vraie. Mais je ne peux pas en dire autant d’une certaine autre considération, tenue pour également probante par un philosophe dont le nom m’échappe (mais je suis certain de l’avoir lu), et selon qui l’air est plus lourd que léger, parce qu’il transporte plus facilement les corps graves vers le bas que les corps légers vers le haut. Sagr. Bien dit ! Ainsi, suivant cette théorie l’air serait beaucoup plus lourd que l’eau, puisque les corps lourds sont transportés vers le bas plus facilement dans l’air que dans l’eau, et les corps légers sont repoussés plus facilement vers le haut dans l’eau que dans l’air. De plus, de nombreux corps lourds tombent dans l’air mais montent dans l’eau, 111

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

et de nombreuses substances montent dans l’eau et tombent dans l’air. Mais, Simplicio, la question de savoir si le poids de l’outre en cuir provient de vapeurs épaisses ou de l’air pur n’affecte pas notre problème, qui est de découvrir comment les corps se déplacent à travers l’atmosphère. Revenant maintenant à la question qui m’intéresse le plus, je voudrais non seulement être renforcé dans ma conviction que l’air a un poids mais aussi apprendre, si possible, quelle est la grandeur de son poids spécifique. Salviati, pourrais-tu satisfaire ma curiosité ? Salv. L’expérience d’Aristote avec l’outre en cuir gonflée prouve de façon concluante que l’air possède une gravité positive et non, comme certains l’ont cru, une légèreté (une propriété peut-être non existante). [123] Si l’air possédait cette hypothétique qualité, la légèreté devrait augmenter par compression et, par conséquent, l’air comprimé devrait monter plus facilement ; mais l’expérience montre le contraire. Comme à l’autre question, à savoir comment déterminer le poids spécifique de l’air, j’ai employé la méthode suivante. J’ai pris une bouteille en verre plutôt grande, avec un col étroit auquel j’ai attaché un capuchon en cuir, et le fermant hermétiquement. Dans la partie supérieure de ce bouchon, j’ai introduit et fermement immobilisé une valve de ballon par laquelle je pouvais faire entrer dans le récipient, au moyen d’une seringue, une quantité considérable d’air. Comme l’air est facilement comprimé, on peut pomper dans la bouteille deux ou trois fois son propre volume d’air. Après cela, j’ai pris une balance précise et pesé cette bouteille d’air comprimé avec la plus grande précision, en ajustant le contrepoids avec du sable fin. J’ai ensuite ouvert la valve et permis à l’air comprimé de s’échapper ; puis j’ai remis le flacon sur la balance et trouvé qu’il était perceptiblement plus léger ; à partir du sable qui avait été utilisé comme contrepoids, j’en ai enlevé et mis de côté autant qu’il était nécessaire pour obtenir à nouveau l’équilibre. Dans ces conditions, il n’y a aucun doute que le poids du sable ainsi mis de côté représente le poids de l’air qui avait été forcé dans le ballon et s’était par la suite échappé.

112

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Cette expérience me dit simplement que le poids de l’air comprimé est le même que celui du sable retiré de l’équilibre. Pour connaître le poids spécifique de l’air par rapport à celui de l’eau ou toute autre substance lourde, je dois d’abord mesurer le volume de l’air comprimé ; pour cette mesure, j’ai mis au point deux méthodes. La première méthode est la suivante : on prend une bouteille avec un col étroit semblable à la précédente. Autour de ce col on attache un capuchon de cuir dans l’extrémité duquel la valve de l’autre flacon est insérée ; le fond de ce deuxième flacon est percé d’un trou où l’on peut faire passer un fil de fer, avec lequel on peut actionner la valve déjà mentionnée et permettre ainsi au surplus d’air de la première de s’échapper une fois la valve ouverte ; cette deuxième bouteille doit être remplie d’eau. [124] Après avoir tout préparé de la manière décrite ci-avant, on ouvre la valve avec la tige ; l’air se transfère dans le flacon contenant l’eau et la pousse au-dehors à travers le trou ; il est ainsi évident que le volume d’eau ainsi déplacé est égal au volume de l’air échappé de l’autre récipient. On met de côté l’eau déplacée, on pèse le récipient d’où l’air s’est échappé (qui avait déjà été pesé au préalable tout en contenant l’air comprimé), et on enlève le surplus de sable comme décrit ci-dessus ; le poids de ce sable est précisément le poids d’un volume d’air égal au volume d’eau déplacé et mis de côté. Cette eau, nous pouvons la peser et trouver combien de fois son poids contient le poids du sable enlevé, déterminant ainsi combien de fois l’eau est plus lourde que l’air ; et nous allons trouver que ce n’est pas 10 fois, comme Aristote semble l’avoir cru, mais bien 400 fois. La seconde méthode est plus simple et peut être réalisée avec un seul flacon aménagé comme l’était le premier. Ici, aucune quantité d’air n’est ajoutée à celle qui s’y trouve naturellement contenue, mais on introduit par force de l’eau sans jamais permettre à l’air de s’échapper, ce qui a pour effet de le comprimer, puisqu’il doit céder la place à l’eau. Après avoir introduit le plus d’eau possible (et l’on peut, sans effort excessif, remplir les trois quarts du flacon) on met le tout sur la balance, et on pèse soigneusement ; puis, tournant le flacon vers le 113

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

haut, on ouvre la valve et on laisse l’air sortir. Un volume d’air égal au volume de l’eau s’échappera. Cela fait, on remet sur la balance le flacon qui, en raison de la fuite de l’air, sera allégé ; retirant la partie du contrepoids devenue inutile, nous obtiendrons ainsi le poids d’un volume d’air égal au volume d’eau contenu dans le flacon. Simp. Tes expériences sont très intelligentes ; mais en même temps qu’elles me donnent une grande satisfaction intellectuelle, elles me troublent. Puisqu’il est sans aucun doute vrai que les éléments, lorsqu’ils sont à leur place, n’ont ni poids ni légèreté, je ne peux pas comprendre comment il est possible que cette portion d’air, qui semblait peser, disons, 4 drachmes de sable, ait vraiment un tel poids dans l’air comme le sable qui le contrebalance. [125] Il me semble, par conséquent, que l’expérience doit être menée non dans l’air, mais dans un milieu dans lequel l’air pourrait exercer sa gravité, si vraiment il en possède une. Salv. L’objection de Simplicio est certainement appropriée et exige une solution tout aussi claire. Il est tout à fait évident que l’air qui, sous compression, pesait autant que le sable, perd ce poids une fois qu’il peut s’échapper dans son propre élément, tandis que, en effet, le sable conserve son poids. Par conséquent, pour cette expérience, il devient nécessaire de sélectionner un lieu où l’air puisse graviter aussi bien que le sable, parce que le milieu diminue le poids de toute substance qui y est immergée par une quantité égale au poids du milieu déplacé ; de sorte que l’air dans l’air perd tout son poids. Si donc cette expérience doit être faite avec précision, elle doit être effectuée dans le vide, où chaque corps lourd présente son mouvement sans la moindre diminution. Si donc, Simplicio, nous devions peser une partie de l’air dans le vide, serais-tu enfin satisfait et convaincu de ce fait ? Simp. Oui en effet, mais c’est demander l’impossible. Salv. Je ne veux pas te vendre quelque chose que je t’ai déjà donné : dans l’expérience précédente nous avons pesé l’air dans le vide et non dans l’air ou dans un autre milieu plein. Le fait que tout milieu fluide diminue le poids d’une masse qui y est immergée, est dû à la 114

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

résistance que ce milieu offre à se laisser ouvrir, s’écarter sur les côtés et finalement se soulever. La preuve se voit dans la vitesse avec laquelle le liquide se précipite pour remplir jusqu’au bout tout l’espace autrefois occupé par le corps ; si le milieu n’était pas affecté par une telle immersion alors il ne réagirait pas contre le corps immergé. Dis-moi maintenant : quand tu as un flacon dans l’air rempli avec sa quantité naturelle d’air, et puis tu pompes dans le récipient plus d’air, est-ce que ce supplément de quelque façon est séparé de l’air extérieur ? Est-ce que le milieu ambiant est déplacé afin de donner plus de place ? Certainement pas. Par conséquent, nous pouvons dire que [126] cette quantité supplémentaire d’air n’est pas immergée dans le milieu ambiant, car il n’y occupe aucun espace. En fait, tout se passe comme si cet air supplémentaire était immergé dans le vide : il se diffuse dans les vides qui ne sont pas complètement remplis par l’air d’origine. Je ne vois pas de différence entre les situations respectives du milieu enveloppé et du milieu enveloppant : celui-ci ne presse en rien sur celui-là, et le milieu enveloppé, de son côté, n’exerce aucune pression sur le milieu enveloppant. Il faut dire que l’air est légèrement moins lourd que le sable nécessaire pour le contre-poids, par un montant égal à la masse dans le vide d’un volume d’air égal au volume de ce sable. Sagr. 22 Une discussion très intelligente, qui résout un problème digne d’admiration, car elle montre de manière concise comment on peut trouver le poids d’un corps dans le vide en le pesant dans l’air. L’explication est la suivante : quand un corps lourd est immergé dans l’air, il perd en poids une quantité égale à un égal volume d’air. Donc si l’on ajoute à un corps, sans le dilater, une quantité d’air égale à celle qu’il déplace, et qu’on le pèse, on obtiendra son poids dans le vide, puisque, sans l’augmenter de volume, il a augmenté son poids seulement de la quantité qu’il a perdu par immersion dans l’air. Quand donc nous forçons une quantité d’eau dans un récipient qui contient déjà sa quantité normale d’air, sans permettre à l’air de s’échapper, il est clair que cette quantité normale d’air sera comprimée et condensée 115

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

dans un espace plus petit afin de faire place à l’eau qui y est forcée. Il est également clair que le volume d’air ainsi comprimé est égal au volume d’eau ajouté. Si maintenant le flacon est pesé dans l’air dans cette condition, le poids de l’eau sera augmenté par celui d’un égal volume d’air ; le poids total de l’eau et de l’air ainsi obtenu est égal au poids de l’eau seule dans le vide. Maintenant, après avoir déterminé le poids du flacon, on laisse s’échapper l’air comprimé, et on pèse à nouveau le tout, maintenant allégé par la fuite de l’air. On obtiendra, en faisant la différence des deux pesées, le poids de cet air comprimé dont le volume était égal à celui de l’eau ; prenant ensuite le poids de l’eau seule auquel on ajoute celui de l’air comprimé, on obtiendra le poids de cette même eau dans le vide. Pour connaître le poids de l’eau, il faudra encore enlever celle-ci du flacon, la peser à part, et retirer son poids de celui du flacon et de l’eau mesurés ensemble ; il est évident que le reste nous donnera le poids de l’eau seule dans l’air. Simp. [127] Les expériences précédentes, à mon avis, avaient laissé quelque chose d’inexpliqué : mais maintenant je suis pleinement satisfait. Salv. Ce que j’ai exposé jusqu’ici est nouveau, en particulier le fait qu’une différence de poids, même très grande, n’affecte pas la vitesse de chute des corps. Cette idée est à première vue si contre-intuitive que, si nous n’avions pas les moyens de la rendre aussi claire que la lumière du soleil, il vaudrait mieux ne pas la mentionner ; mais m’étant laissé aller à cette affirmation, je ne dois négliger aucune expérience ni aucun argument pour la corroborer. Sagr. Beaucoup de tes points de vue sont si loin des opinions communément admises que si on devait les publier on provoquerait un grand nombre d’antagonistes, puisque la nature humaine est telle que les gens ne regardent pas favorablement de nouvelles découvertes dans leur propre domaine lorsqu’elles sont faites par d’autres qu’euxmêmes. Ils espèrent couper les nœuds qu’ils ne peuvent pas dénouer, et ils essaient de détruire les édifices que des artisans patients ont construits. [128] Mais nous ne sommes pas comme ça : les expériences 116

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

et les arguments que tu as avancés jusqu’à présent sont pleinement satisfaisants. Toutefois, si tu as des expériences plus directes, ou des arguments qui sont encore plus convaincants, nous allons les écouter avec plaisir. Salv. L’expérience faite pour savoir si deux corps, d’un poids très différent, tombent d’une hauteur donnée avec la même vitesse, offre quelque difficulté ; parce que, si la hauteur est considérable, le ralentissement causé par le milieu, qui doit être pénétré et poussé de côté par le corps en chute, sera plus grand dans le cas de la petite impulsion du corps très léger que dans le cas du grand poids du corps lourd ; de sorte que, sur une longue distance, le corps léger sera laissé en arrière. Si, au contraire, la hauteur est petite, on peut bien imaginer qu’il y ait une différence ; et s’il y a une différence, elle sera inappréciable. Il m’est donc venu à l’esprit de répéter plusieurs fois la chute d’une petite hauteur de telle manière que je puisse accumuler les mesures de tous ces petits intervalles de temps entre l’arrivée des corps lourds et légers à leur point d’arrivée commun, de sorte que cette somme fasse un intervalle de temps qui soit facilement observable. Pour réduire les vitesses et réduire ainsi le changement produit par le milieu résistant, j’ai fait tomber les corps le long d’un plan légèrement incliné par rapport à l’horizontale. Sur un tel plan, aussi bien que sur un plan vertical, on peut découvrir comment se comportent des corps de poids différents. En outre, je voulais aussi me débarrasser de la résistance qui pourrait résulter de contacts du corps avec le plan incliné. Dans ce but, j’ai pris deux boules, une de plomb et une de liège, la première plus de cent fois plus lourde que la seconde, et je les ai suspendues au moyen de deux fils fins égaux, chacun de quatre ou cinq coudées. Écartant chaque boule de la verticale, je les ai laissées aller au même moment, et après avoir parcouru un arc de cercle le long des circonférences ayant pour rayons les fils, elles passèrent au-delà de la verticale et revinrent par le même chemin. Cette oscillation, répétée cent fois, montra clairement que la période d’oscillation du corps lourd et celle du corps léger sont si proches que ni cent oscillations ni même mille 117

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

ne permettront de montrer de manière appréciable une seule seconde de différence. On peut aussi observer l’effet du milieu qui, par la résistance qu’il offre au mouvement, diminue l’oscillation du liège plus que celle du plomb, mais sans altérer la période de l’un ou de l’autre ; en effet, alors que l’arc de cercle parcouru par le bouchon ne dépasse pas cinq ou six degrés, celui du plomb est de cinquante ou soixante, malgré que les deux boules oscillent dans des temps égaux. Simp. Si c’est comme ça, pourquoi la vitesse du plomb n’est-elle pas plus grande que celle du liège, vu que le plomb parcourt soixante degrés dans le même temps pendant lequel le liège en couvre à peine six ? Salv. Que dirais-tu, Simplicio, si l’un et l’autre couvraient leurs chemins en même temps, alors que le liège, écarté de trente degrés, parcourt un arc de soixante, tandis que le plomb, écarté de deux degrés, parcourrait seulement un arc de quatre ? Le liège ne serait-t-il pas proportionnellement plus rapide ? Et pourtant tel est le fait expérimental. Mais observe ceci : après avoir soulevé le pendule de plomb, par exemple d’un arc de cinquante degrés, et après l’avoir libéré, il oscille au-delà de la verticale presque de cinquante degrés, décrivant ainsi un arc de près d’une centaine de degrés ; au retour, il décrit un arc un peu plus petit ; et après un grand nombre de telles oscillations, il s’immobilise enfin. Chaque oscillation, qu’elle soit de quatre-vingtdix, cinquante, vingt, dix ou quatre degrés, est parcourue dans le même temps : en conséquence la vitesse du corps en mouvement continue à diminuer et ceci, dans l’égalité des intervalles de temps, parcourt des arcs de plus en petits. La même chose se passe avec le pendule de liège, suspendu par un cordon d’égale longueur, sauf qu’il s’arrêtera après un nombre plus petit d’oscillations, car il est moins apte, vue sa légèreté, à surmonter la résistance de l’air ; néanmoins toutes ses oscillations, grandes et petites, ont lieu en des temps égaux entre eux, et en plus égaux aux temps des oscillations du pendule de plomb. Il est donc bien vrai que si le plomb parcourt un arc de cinquante degrés tandis que le liège en parcourt un de dix, le liège est 118

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

[130] plus lent que le plomb. Mais inversement il arrivera aussi que le liège parcourra un arc de cinquante degrés alors que le plomb en parcourra seulement un de dix ou de six ; ainsi, à des moments différents, tantôt le plomb, tantôt le liège, sera plus rapide. Et si ces mêmes corps parcourent des arcs égaux en temps égaux, nous pouvons être assurés que leurs vitesses sont égales. Simp. J’hésite à admettre la force probante de cette argumentation qui prouve l’égalité de la vitesse des deux pendules en raison de la confusion qui découle du fait que tu considères des corps qui oscillent tantôt rapidement, tantôt lentement ou très lentement. Sagr. Permets-moi de dire quelques mots, Salviati. Simplicio : tu admets que les vitesses du liège et du plomb soient égales, et que chaque fois partant tous les deux au même moment du repos et se mouvant sur les mêmes trajectoires, ils parcourront des espaces égaux en des temps égaux ? Simp. Cela ne peut être ni mis en doute ni contredit. Sagr. Or il arrive, dans le cas des pendules, que chacun d’eux parcourt tantôt un arc de soixante degrés, tantôt un de cinquante, ou trente ou dix ou huit ou quatre ou deux, etc. ; et quand ils oscillent tous les deux sur un arc de soixante degrés, ils le font dans des intervalles de temps égaux. La même chose se produit lorsque l’arc est de cinquante degrés ou de trente ou de dix ou de tout autre nombre ; et par conséquent nous concluons que la vitesse du plomb dans un arc de soixante degrés est égale à la vitesse du bouchon lorsque celui-ci oscille également sur un arc de soixante degrés. Dans le cas d’un arc d’une cinquantaine de degrés, ces vitesses sont aussi égales entre elles ; et aussi dans le cas d’arcs d’amplitude différente. Mais cela évidemment ne veut pas dire que la vitesse qui se produit pour un arc de soixante degrés soit la même que celle qui se produirait pour un arc de cinquante ; la vitesse pour un arc de cinquante degrés n’est pas non plus égale à celle pour un arc de trente, etc. : plus les arcs sont petits, plus les vitesses sont petites. On observe que le corps nécessite le même temps pour parcourir un grand arc de soixante degrés que pour un 119

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

petit arc de cinquante ou même un très petit arc de dix degrés ; tous ces arcs, en effet, sont parcourus dans le même intervalle de temps. Il est donc vrai que le plomb [131] et le bouchon diminuent chacun leur vitesse à mesure que leurs arcs diminuent ; mais cela ne contredit pas le fait qu’ils maintiennent des vitesses égales pour des arcs égaux. J’ai répété ces choses plutôt parce que je voulais savoir si je t’avais bien compris, Salviati, non parce que je pensais que Simplicio avait besoin d’une explication plus claire que celle que tu avais donnée. Tes explications, Salviati, sont toujours très lucides, si lucides que tu donnes la solution de questions qui sont difficiles non seulement en apparence, mais en réalité ; en fait, tu le fais avec des motivations, des observations et des expériences qui sont communes et familières à tout le monde. Et continuons avec cette légèreté. Si Simplicio se contente et qu’il admette que la gravité inhérente aux divers corps qui tombent n’a rien à voir avec la différence de vitesse observée entre eux, et que tous les corps, dans la mesure où leurs vitesses en dépendent, se déplaceraient avec la même vitesse dans le vide, dis-nous, Salviati, comment tu expliques l’inégalité appréciable et évidente du mouvement. J’aimerais également t’écouter à propos d’une réponse à l’objection soulevée par Simplicio, objection sur laquelle je suis d’accord, à savoir qu’une boule de canon tombe plus rapidement qu’une cendrée de plomb, alors qu’elles sont composées du même matériel. Si petite soit-elle, à quoi devons-nous attribuer cette différence de vitesse ? À mon tour, je peux facilement imaginer des situations qui nous montrent comment parmi des corps de même matière, descendant dans un milieu donné, les plus grands peuvent franchir en moins d’un battement de pouls une distance que les plus petits ne parcourront pas même en une heure, ni en quatre ni même en vingt : c’est ce qu’il arrive par exemple avec des pierres et du sable fin, et notamment avec ce sable très fin qu’on observe dans les eaux troubles où il ne se dépose pas en une heure sur un fond de deux coudées, alors que des pierres, à peine plus grosses, coulent en un battement de pouls.

120

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. L’action du milieu dans la différence de vitesse est plus importante sur les corps qui ont un plus petit poids spécifique, comme on l’a déjà expliqué en montrant que la cause peut se reconduire à la diminution de poids. [132] Mais expliquer comment un seul et même milieu produit des retards si différents dans des corps faits du même matériau et de même forme, mais différents seulement par la taille, nécessite une discussion plus approfondie. La solution à ce problème réside, je pense, dans la rugosité et la porosité qui se trouvent généralement et presque nécessairement à la surface des corps solides. Lorsque le corps est en mouvement, ces rugosités heurtent l’air ou tout autre milieu ambiant. La preuve est dans le ronronnement qui accompagne le mouvement rapide d’un corps à travers l’air, même si ce corps est aussi rond que possible. On entend non seulement des bourdonnements, mais aussi des sifflements, chaque fois qu’il y a une cavité ou une élévation appréciable sur la surface du corps. On observe aussi qu’un corps solide rond en rotation produit un courant d’air. Mais de quoi avons-nous besoin de plus ? N’entendons-nous pas le sifflement, et même fort aigu, produit par une toupie lorsqu’elle tourne à terre à grande vitesse ? Ce sifflement devient progressivement plus grave au fur et à mesure que la rotation de la toupie se ralentit, ce que à nouveau met en évidence le choc de l’air sur les aspérités de la surface. On ne peut donc pas douter qu’en heurtant le milieu, au cours de la chute, ces aspérités diminueront la vitesse des solides, et cela d’autant plus que la surface sera plus importante, ce qui est le cas des solides plus petits comparés aux plus grands. Simp. Attends un instant, s’il te plaît : je m’embrouille. Bien que je comprenne que la friction du milieu sur la surface du corps retarde son mouvement et que, si toutes les autres conditions sont les mêmes, plus la surface du corps est grande plus le corps est ralenti, je ne vois pas pourquoi l’effet devrait être majeur sur le plus petit corps. En outre, si, comme tu dis, la plus grande surface subit un retard plus important, le plus grand solide devrait se déplacer plus lentement, ce qui n’est pas le cas. Mais cette objection peut être facilement contournée en 121

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

disant que, bien que le plus grand corps a une plus grande surface, il a également un plus grand poids, et la résistance de la plus grande surface ne sera pas plus grande que la résistance de la petite surface qui a un plus petit poids ; de sorte que la vitesse du plus gros solide ne deviendra pas inférieure à celle du plus petit solide. Mais alors je ne vois aucune raison d’attendre une différence de vitesse [133] vu que à chaque diminution du poids, responsable du mouvement, correspondra une diminution proportionnelle du potentiel retard dû à la friction de la surface. Salv. Je répondrai à toutes les objections à la fois. Tu admettras, Simplicio, que si l’on prend deux corps égaux, de la même matière et de la même forme, corps qui tomberaient donc avec des vitesses égales, et si on diminuait le poids de l’un d’eux dans la même proportion que sa surface (en maintenant la similitude), aucune réduction de vitesse ne s’ensuivra. Simp. Il devrait en être ainsi, si j’accepte que le poids d’un corps n’a pas d’effet ni dans l’accélération ni dans le ralentissement du mouvement. Salv. Je suis assez d’accord avec toi sur cet avis. Il en résulte que, si le poids d’un corps est diminué dans une plus grande proportion que sa surface, le mouvement sera retardé à un certain degré ; et ce retard sera d’autant plus grand que la diminution du poids sera proportionnellement plus importante que celle de la surface. Simp. Cela, je l’admets sans hésiter. Salv. Maintenant, tu dois savoir, Simplicio, qu’il est impossible de diminuer la surface d’un corps solide dans le même rapport que son poids, et en même temps maintenir la similitude de la forme. En effet, dans le cas d’un solide et quand la même forme est maintenue, le poids croît en proportion du volume, et le volume varie plus rapidement que la surface ; si on réduit la dimension d’un corps, le poids doit donc diminuer plus rapidement que la surface. La géométrie nous apprend que, dans le cas de solides semblables, le rapport des volumes est plus grand que le rapport de leurs surfaces ; ce qui, pour l’amour d’une 122

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

meilleure compréhension, je vais illustrer par un cas particulier. Prenons, par exemple, un dé à jouer dont chaque arête a deux pouces de long de sorte que chaque surface a une superficie de quatre pouces carrés et la surface totale, à savoir la somme des six faces, revient à vingt-quatre pouces carrés. Imagine maintenant que ce cube soit scié par trois fois afin de le diviser en huit petits cubes, chacun d’un pouce de côté, chaque face d’un pouce carré, et la surface totale de chaque cube de six pouces carrés au lieu de vingt-quatre comme dans le cas du plus gros cube. [134] Il est donc évident que la surface du petit cube est seulement un quart de la surface du plus grand, à savoir, le rapport de six à vingt-quatre ; mais le volume du cube lui-même n’est que d’un huitième. Le volume, et donc aussi le poids, diminuent donc beaucoup plus rapidement que la surface. Si nous divisons à nouveau le petit cube en huit, chacun de ces derniers aura une surface d’un pouce carré et demi, soit le seizième de la surface du grand dé, alors que son volume ne sera que la soixante-quatrième partie. On voit par là comment, à la suite de deux divisions seulement, les volumes ont diminué quatre fois plus que les surfaces ; et si nous poursuivions la division jusqu’à réduire le premier solide en une minuscule poussière, nous trouverions que le poids de ces infimes particules a subi une diminution de centaines et de centaines de fois supérieure à celle de leurs surfaces. Ce même phénomène se produit pour tous les solides semblables. Étant donné une dimension linéaire d’un corps, L, appelant V son volume et S sa surface, on a S ∝ L2 ; V ∝ L3 et donc

V ∝ L. S Tu peux facilement voir que la résistance résultant du contact de la surface du corps qui se déplace avec le milieu dans le cas de petits corps est beaucoup plus grande que dans le cas d’un corps plus grand ; et donc je ne me suis pas trompé en disant que la surface d’un petit 123

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

solide est comparativement plus grande que celle d’un grand. Simp. Je suis tout à fait convaincu ; et, crois-moi, si je recommençais mes études, je suivrais le conseil de Platon et commencerais par les mathématiques, qui procèdent avec beaucoup de prudence et n’admettent rien comme établi tant que ça n’a pas été rigoureusement démontré. Sagr. Je comprends ce que tu as dit. Avant de continuer, Salviati, je n’arrive pas à comprendre ce que tu voulais dire quand tu as affirmé que les rapports entre les volumes et les surfaces des solides similaires sont entre eux en fonction de la dimension linéaire. Salv. [135] Je veux dire que le volume (et donc le poids) croît proportionnellement au cube de la dimension linéaire, et les surfaces (et donc les résistances) proportionnellement aux carrés. Sagr. J’ai compris, et j’ai aimé beaucoup ce raisonnement. Il y a quelques détails que j’aimerais clarifier, mais je crains que si nous continuons d’une digression à l’autre nous perdrons de vue notre premier problème, à savoir les différents aspects de la résistance des solides à être brisés. Il faut renouer le fil du discours. Salv. Très bien ; mais les questions que nous avons déjà prises en compte sont si nombreuses et si variées, et ont demandé tellement de temps, qu’il n’y a plus beaucoup de temps aujourd’hui pour discuter de notre sujet principal c’est-à-dire les différents aspects de la résistance que les solides opposent à la rupture. Puis-je donc suggérer que nous reportions la réunion à demain, non seulement pour la raison qui vient d’être mentionnée, mais aussi afin d’apporter avec moi quelques documents dans lesquels j’ai exposé de manière ordonnée les théorèmes et les propositions traitant de questions que, seulement de mémoire, je n’ai pas pu présenter dans le bon ordre. Sagr. Je suis tout à fait d’accord, aussi parce que cela me laissera le temps d’aborder certaines de mes difficultés avec le sujet que nous venons de discuter. Une question est de savoir si la résistance du milieu est suffisante pour mettre un terme à l’accélération de corps très pesants, très volumineux [136] et de forme sphérique ; je dis 124

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

« sphérique » pour choisir le volume compris sous la plus petite surface, et par conséquent le moins sujet au retardement. Une autre question traite des oscillations de pendules qui peuvent être considérées de plusieurs points de vue : la première consiste à déterminer si toutes les oscillations, grandes, moyennes, et petites, sont isochrones ; une autre est de trouver le rapport des temps d’oscillation de corps suspendus par des fils de longueur inégale. Salv. Ce sont des questions intéressantes : et je crains qu’elles présentent tellement de conséquences curieuses et véridiques que le temps qui reste aujourd’hui ne va pas suffire pour la discussion. Sagr. Si ces discussions sont aussi intéressantes que les précédentes, je serais très heureux d’en discuter durant les prochains jours plutôt que dans les quelques heures qui restent avant la nuit ; et je suis sûr que Simplicio ne s’ennuiera pas. Simp. Certainement pas ; surtout quand les questions relèvent de la physique et n’ont pas été traitées par d’autres philosophes. Salv. Maintenant, revenant à notre question, je peux affirmer sans hésitation qu’il n’y a pas de sphère si grande ou lourde de sorte que la résistance du milieu, bien que très légère, ne réduise son accélération jusqu’à amener après un certain temps son mouvement à l’uniformité ; et l’expérience le démontre. Si un corps en chute est capable, en poursuivant son mouvement à travers un milieu, d’acquérir un degré quelconque de vitesse, la vitesse qu’il pourrait atteindre ne pourra jamais être infiniment grande en vertu de la résistance de ce milieu qui la réduit en partie. Si une balle d’artillerie par exemple chute dans l’air d’une hauteur de 4 coudées et acquiert 10 degrés de vitesse, et rentre ensuite dans l’eau avec cette vitesse, la résistance de l’eau fera qu’elle perdra une large partie de sa vitesse de sorte à heurter [137] seulement très légèrement le fond de la rivière ou du lac. Il est donc évident que cette vitesse dont l’eau a pu la dépouiller sur un parcours très bref, elle ne lui permettrait jamais de l’acquérir, même après une chute de 1 000 coudées. On voit aussi que l’immense force d’une balle tirée d’un canon est tellement affaiblie par l’interposition de très peu 125

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

de bras d’eau, que la balle pourrait percuter un navire sans causer de dommages. L’air peut ralentir la chute d’un corps, même si ce corps est très lourd, comme on peut le comprendre en observant que si du sommet d’une très haute tour on tire vers le bas avec une arquebuse, la balle heurte le sol moins intensément que si on tirait d’une hauteur de 4 ou 6 coudées : la vitesse avec laquelle la balle est tirée du haut de la tour, diminue au fur et et à mesurequ’elle se déplace dans les airs. Par conséquent, la descente d’une grande hauteur ne peut pas faire acquérir à la balle une vitesse telle que la résistance de l’air lui enlèverait. Le tir d’une balle lancée verticalement d’une très grande hauteur fait moins de dégâts que celui d’une balle tirée par une couleuvrine à une distance de 20 toises. Par conséquent, je crois qu’il y a une limite à l’accélération de tout corps naturel qui commence à bouger à partir du repos, et qu’après une phase initiale d’accélération, la résistance du milieu l’amène à une vitesse constante. Sagr. Ces expériences sont à mon avis rapportées très à propos. La seule question est de savoir si cela est encore vrai dans le cas de corps qui sont très volumineux et lourds et qui font un très long voyage : un boulet de canon, tombant de la distance de la Lune ou des régions supérieures de l’atmosphère, produirait un choc plus violent que lorsqu’il sort de l’arme à feu ? Salv. Sans doute, de nombreuses objections peuvent être soulevées, qui ne peuvent pas toutes être réfutées par l’expérience. [138-140] Il est très vraisemblable qu’un corps lourd tombant d’une certaine hauteur et atteignant le sol ait acquis l’impulsion nécessaire pour le ramener à cette même hauteur ; comme on le voit clairement dans le cas d’un pendule assez lourd qui, lorsqu’il est tiré de côté de cinquante ou soixante degrés par rapport à la verticale, va acquérir précisément cette vitesse qui est suffisante pour le reporter à une hauteur égale, à part la petite portion qu’il perd par friction. Pour amener un boulet de canon à une hauteur lui permettant de retrouver une vitesse égale à celle que l’explosion de la poudre lui avait imprimée à son départ, devrait-il suffire de le tirer à la verticale avec le même canon, puis 126

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

d’observer si lors de sa retombée sa force de percussion est la même que peu après la projection. En fait je crois qu’elle ne serait pas aussi grande : et c’est pourquoi la vitesse dont le boulet est animé à sa sortie du canon est telle que la résistance de l’air ne lui permettra jamais d’atteindre s’il descendait d’un mouvement naturel, en partant du repos. Je passe maintenant aux questions relatives aux pendules, sujet aride aux yeux de beaucoup, et notamment de ces philosophes qui sont constamment plongés dans les énigmes les plus profondes de la nature. Je ne partage pas cette opinion, encouragé par l’exemple d’Aristote lui-même, qui n’a jamais laissé de côté aucun sujet qui fût d’une manière ou d’une autre digne d’attention. Stimulé par vos questions, je peux vous communiquer quelques-unes de mes idées concernant certains problèmes de la musique, un sujet magnifique, sur lequel tant de personnes éminentes ont écrit – parmi eux Aristote lui-même, qui a discuté de nombreuses questions intéressantes liées à l’acoustique. En conséquence, sur la base d’expériences simples et tangibles, je vais vous expliquer quelques phénomènes étonnants dans le domaine du son, et j’ai confiance que mes explications seront les bienvenues. Sagr. Je t’écouterai non seulement avec reconnaissance mais aussi avec plaisir. Car, bien que je me délecte de toutes sortes d’instruments de musique et que j’aie accordé une attention considérable à l’harmonie, je n’ai jamais été capable de comprendre pleinement pourquoi certaines combinaisons de notes musicales sont plus agréables que d’autres, ou pourquoi d’autres non seulement ne plaisent pas mais sont même très irritantes. Ensuite, il y a le vieux problème des deux cordes tendues à l’unisson ; quand l’une d’elles est retentie, l’autre commence à vibrer et à émettre sa note. Finalement, je ne comprends pas les différents rapports d’harmonie et quelques autres détails. Salv. Voyons si l’on peut tirer de nos pendules une solution satisfaisante à toutes ces difficultés.

127

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

D’abord, quant à la question de savoir si un pendule effectue vraiment toutes ses oscillations (grandes, moyennes et petites) dans exactement le même temps, je vais tenir compte de ce que j’ai déjà entendu par notre académicien. Il a clairement montré que le temps de descente est le même pour toutes les cordes, quels que soient les arcs qui les sous-tendent, aussi bien pour un arc allant de 180 degrés (c’est-àdire le diamètre total) à une fraction de degré, tant que les descentes se terminent au point le plus bas du cercle, là où il touche le plan horizontal. l Si maintenant on considère la descente le long des arcs au lieu de leurs cordes alors, à condition que les angles ne dépassent pas les 90 degrés, l’expérience montre qu’ils sont tous parcourus en temps égaux ; mais ces temps sont plus grands pour la corde que pour l’arc, un effet qui est vraiment remarquable alors qu’au premier coup d’œil on pourrait penser le contraire. En effet la ligne droite comprise entre le point de départ et le point plus bas est la plus courte distance entre eux, et donc il paraît raisonnable que le mouvement le long de cette ligne soit exécuté dans les plus brefs délais ; mais ce n’est pas le cas, vu que le temps le plus court - et donc le mouvement le plus rapide - se passe le long de l’arc duquel cette ligne droite est la corde. En ce qui concerne les périodes T des oscillations des corps suspendus à des fils de différentes longueurs, nous observons qu’elles sont proportionnelles à la racine carrée de la longueur L du fil de suspension. Sagr. Si je comprends bien, je peux calculer la longueur d’un fil attaché à une hauteur quelconque, même si l’extrémité supérieure est invisible et que seulement l’extrémité inferieure peut être vue. Si j’attache un poids au fil et que je le laisse osciller, et que je demande à un ami de compter le nombre d’oscillations dans un intervalle de temps déterminé, et que je compte les oscillations d’un autre corps suspendu à un fil de la longueur d’une coudée, en comparant le nombre d’oscillations de ces deux balanciers dans le même intervalle de temps, je l. Cette démonstration sera présentée dans la troisième journée.

128

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

peux effectivement calculer la longueur du fil : √ T ∝ L ; L ∝ T2 .

(6)

Supposons, par exemple, que mon ami compte 20 oscillations du fil pendant le même temps pendant lequel je compte 240 oscillations de mon fil qui mesure une coudée. Le rapport entre les périodes est de 12, et donc la longue corde est de 122 fois 1 coudée, c’est-à-dire 144 coudées. Salv. On peut rendre cette mesure très précise, surtout si on mesure un grand nombre d’oscillations. Sagr. Tu me donnes souvent l’occasion d’admirer la richesse et la profusion de la nature lorsque de phénomènes si communs et même insignifiants, tu tires des faits qui sont non seulement frappants et nouveaux mais qui sont souvent très éloignés de ce que nous aurions imaginé. Des milliers de fois j’ai observé les oscillations, surtout celles des lampes d’église qui, suspendues par de longues cordes, avaient été mises en mouvement par inadvertance ; mais le plus que je pouvais déduire de ces observations est que la vue de ceux qui pensent que ces oscillations sont entretenues par le milieu, à savoir l’air, est hautement improbable. L’air devrait avoir beaucoup de sagacité et rien d’autre à faire pour passer des heures et des heures à pousser d’avant en arrière un poids en suspension avec une parfaite régularité ! Je n’aurais pas imaginé qu’un corps, [141] suspendu à une corde de cent coudées de long et tiré de côté sur un arc de 90 degrés ou d’un degré ou d’une fraction de degré, emploierait le même temps pour osciller – en effet, cela me semble toujours improbable. J’attends maintenant de savoir comment ces phénomènes, qui sont quand même plus simples, peuvent apporter des solutions, au moins partielles, aux problèmes de l’harmonie et de l’acoustique. Salv. Tout d’abord, il faut noter que chaque pendule a son propre temps d’oscillation, de manière précise et déterminée, et qu’il n’est pas possible de le faire déplacer avec toute autre période que celle que 129

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

la nature lui a donnée. Si nous prenons un pendule et essayons d’augmenter ou de diminuer la fréquence de ses oscillations, nous allons perdre notre temps. D’un autre côté, on peut conférer le mouvement même à un lourd pendule au repos en lui soufflant simplement dessus ; en répétant ces souffles avec une fréquence qui est la même que celle naturelle du pendule, on peut imprimer un mouvement considérable. Supposons qu’à la première bouffée nous ayons déplacé le pendule de la verticale de, disons, un demi-pouce ; puis si, après que le pendule soit revenu et qu’il soit sur le point de commencer la seconde oscillation, nous ajoutons une seconde bouffée, nous lui imprimerons un mouvement supplémentaire ; et ainsi de suite avec d’autres souffles pourvu qu’ils soient appliqués au bon moment, et non lorsque le pendule revient vers nous puisque dans ce cas le souffle gênerait le mouvement plutôt qu’il ne l’aiderait. En continuant ainsi ces nombreuses impulsions, nous transmettons au pendule un tel élan qu’une force bien supérieure à celle d’un seul souffle sera nécessaire pour l’arrêter. Sagr. Quand j’étais garçon, j’ai remarqué qu’un homme seul en donnant des impulsions au bon moment, était en mesure de sonner une cloche si grande que lorsque quatre, ou même six, hommes qui s’attachaient à la corde pour l’arrêter, étaient soulevés du sol, tous ensemble étant incapables de contrebalancer l’élan qu’un seul homme, par des mouvements bien réglés, lui avait donné. Salv. Ton exemple éclaire bien ma pensée, et peut-être qu’il peut nous aider à résoudre le merveilleux problème de la corde de la cithare ou de l’épinette, [142] à savoir, le fait que la vibration d’une corde en fasse résonner une autre non seulement quand elles sont à l’unisson, mais aussi quand elles sont séparées par une octave ou une quinte. m m. Octave : la corde a une fréquence double (octave supérieure) ou moitié (octave inférieure) par rapport à la première ; une octave supérieure peut être obtenue par exemple en bloquant la corde initiale au milieu et en touchant l’une des deux moitiés. Intervalle de quinte (supérieure) : la deuxième corde a une fréquence égale aux 3/2 de la première ; une quinte supérieure peut être réalisée par exemple en verrouillant la corde initiale à un tiers et en touchant la partie la plus courte.

130

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Une corde qui a été touchée se met à vibrer et continue le mouvement tant que l’on perçoit le son ; ces vibrations à leur tour font vibrer l’air environnant, dont les ondulations se propagent dans l’air et s’étendent loin dans l’espace et heurtent toutes les cordes du même instrument, et même celles d’instruments voisins. Étant donné que la corde qui est accordée à l’unisson avec la corde pincée est capable de vibrer avec la même fréquence, elle acquiert, lors de la première impulsion, une légère oscillation ; après avoir reçu deux, trois, vingt impulsions ou plus, puisque celles-ci sont par construction délivrées à intervalles adéquats, elle accumule finalement un mouvement vibratoire égal à celui de la corde pincée, comme le montre clairement l’égalité des amplitudes de leurs vibrations. L’action des ondes s’étend dans l’air et met en vibration non seulement les cordes, mais aussi tout autre corps qui a la même période que la corde pincée. Par conséquent, si nous attachons à côté d’un instrument, par exemple une épinette, de petits morceaux de soie ou d’autres corps flexibles, nous allons observer que, quand l’épinette est jouée, seuls répondent les morceaux qui ont la même période que la corde qui a été pincée ; les morceaux restants ne vibrent pas en réponse à cette corde, pas plus que les morceaux précédents ne répondent à des cordes différentes. Si on touche fort avec un archet une grosse corde de viole, un verre aux parois minces, que l’on aura posé à proximité, et dont le ton sera à l’unisson du ton de la corde, tremblera et résonnera de façon audible. Que l’ondulation du milieu dont est enveloppé le corps qui résonne se propage est démontré par un verre rempli d’eau que l’on fait vibrer en frottant sur son bord supérieur l’extrémité d’un doigt : des ondes apparaissent en effet dans l’eau avec régularité. Le même phénomène se percevra d’ailleurs mieux encore si l’on place le verre au fond d’un récipient très large où il se trouve presque immergé : en le faisant résonner par le frottement d’un doigt, on verra des ondes se former dans l’eau, puis se propager tout autour à une grande distance. Il m’est arrivé aussi plusieurs fois, tandis que je faisais cette expérience, [143] d’observer d’abord la formation de 131

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

vagues espacées de manière très uniforme, et que quand, comme ça peut parfois arriver, le ton du verre augmente d’une octave, chacune des ondes se divise en deux ; un phénomène qui montre clairement que le rapport des fréquences et des longueurs d’onde impliquées dans l’octave est deux. Sagr. Plus d’une fois j’ai observé ce même effet, à ma grande joie et aussi à mon profit. Pendant longtemps je suis resté perplexe à propos de ces différentes consonances puisque les explications qui m’ont été données par ceux qui m’ont enseigné la musique, à savoir qu’il y a une consonance quand les rapports entre les longueurs des cordes sont simples et naturels, ne me semblaient pas suffisamment concluantes. n Mon idée est la suivante. Il y a trois façons de rendre la hauteur d’une corde plus aiguë : la première consiste à la raccourcir ; une autre est de l’étirer davantage ; la troisième est de l’amincir. [144] Si nous voulons garder la même tension et la même épaisseur de la corde, et que nous voulons entendre l’octave, nous devons réduire la longueur de moitié ; c’est-à-dire, pincer, placer un doigt au milieu, puis pincer à nouveau. Si on veut garder la même longueur et épaisseur, pour augmenter le ton d’une octave, nous aurons besoin d’une tension T quatre fois plus grande ; donc si d’abord la corde a été maintenue en tension par le poids d’une livre, il sera nécessaire d’y attacher quatre livres. Enfin, si nous gardons la même longueur et la même tension, et que nous voulons une corde qui sonne une octave plus haut, nous devrons réduire la section 6 à un quart. En bref, la fréquence d’oscillation fondamentale ν va être, pour un matériau donné, r 1 T ν∝ . (7) ℓ 6 Cette relation règle toutes les consonances. Si l’on considère la quinte, elle peut être également obtenue en changeant la tension ou l’épaisseur. Donc, si la corde est tendue grâce à un poids de quatre livres, n. Ici Galilée cite en particulier son père, dans le traité Dialogo della musica antica et della moderna (1581), p. 13.

132

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

pour obtenir la consonance plus haute, il faudra en utiliser neuf ; et quant à l’épaisseur, pour obtenir la quinte, la section de la corde doit être plus grande d’un rapport de neuf à quatre. Et vu qu’il est impossible de compter les vibrations d’une corde à cause de leur haute fréquence, j’aurais encore douté de savoir si une corde émettant l’octave supérieure produisait des vibrations deux fois plus nombreuses dans le même temps que celle donnant la note fondamentale, si les ondes que l’on obtient en faisant résonner et vibrer un verre ne m’avaient directement montré comment à l’instant même où le ton monte d’une octave pour l’oreille, on voit surgir d’autres ondes plus petites qui partagent en deux chacune des ondes précédentes. Salv. Une belle expérience en effet, permettant d’observer les ondes produites par les vibrations d’un corps sonore. De telles ondes se propagent dans l’air, apportant au tympan une stimulation que notre âme traduit en son. Vu que les vagues dans l’eau durent aussi longtemps que le frottement du doigt continue et disparaissent ensuite très vite, ne serait-il pas beau si on pouvait produire des vagues persistantes durant des mois voire des années, de sorte qu’on puisse facilement les mesurer et les compter ? Sagr. Une telle invention causerait mon admiration. Salv. Je suis tombé sur un tel dispositif par accident ; mon rôle fut simplement de l’observer et d’apprécier sa valeur comme confirmation de quelque chose à laquelle j’avais profondément réfléchi, et pourtant l’appareil est, en soi, assez courant. Alors que je grattais une plaque en laiton avec [145] un ciseau pour enlever des taches et que je déplaçais assez rapidement mon ciseau, j’ai entendu une ou deux fois la plaque émettre un sifflement assez fort et clair ; en regardant la plaque attentivement, j’ai remarqué une longue rangée de minces

133

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

rayures parallèles et à égale distance l’une l’autre. o Continuant à gratter avec le ciseau, j’ai remarqué que la plaque émettait ce bruit de sifflement seulement lorsque toutes ces rayures y étaient imprimées ; quand le grattage n’était pas accompagné de cette note sifflante, il n’y avait pas la moindre trace de telles marques. En répétant plusieurs fois l’expérience et en exécutant le grattage, tantôt avec plus de vitesse, tantôt avec moins de vitesse, le sifflement produit avait avec un ton qui était respectivement plus haut et plus bas. J’ai noté aussi que les marques faites lorsque le ton était plus élevé étaient plus rapprochées ; mais quand le ton était plus bas, elles étaient plus éloignées. J’ai aussi observé que lorsque, d’un seul coup, la vitesse augmentait vers la fin, le son devenait plus aigu et les marques se rapprochaient, mais toujours de manière à rester nettes et équidistantes. Chaque fois que l’action était sifflante, je sentais le ciseau trembler dans ma main et une sorte de frisson parcourir le long de mon bras. En bref, nous voyons et entendons dans le cas du ciseau ce qui est vu et entendu dans le cas d’un murmure suivi par une forte voix : quand la respiration est émise sans la production d’un ton, le mouvement que nous ressentons dans la gorge et dans la bouche n’est rien comparé à la vibration intense que nous éprouvons dans le larynx et dans toute la gorge quand nous utilisons la voix, et particulièrement dans les tons graves et forts. Il m’est aussi arrivé un jour de remarquer que deux cordes o. Pour la première fois, Galilée décrit ici un phénomène qu’on appelle aujourd’hui « figures de Chladni ». Les rayures montrent des nœuds de vibration, caractéristiques de la fréquence propre excitée. Une quarantaine d’années plus tard, en 1680, des expériences plus poussées sont réalisées par Hooke, en mettant en vibration de la farine sur des plaques en verre. En 1787 le physicien allemand Chladni publia le traité Entdeckungen über die Theorie des Klanges (Découverte de la théorie des sons), qui fait définitivement connaître le phénomène en Europe. En 1808, il se rend à l’académie de Paris, et il reproduit le phénomène devant l’empereur Napoléon 1er. Ce dernier, impressionné, organise alors un concours pour trouver une explication mathématique au phénomène. Elle fut apportée en 1816 par la mathématicienne française Sophie Germain, qui grâce à ça fut la première femme a gagner un prix de l’Académie des sciences. Les figures de Chladni ont aussi été étudiées par Poisson, Legendre, et de nombreux physiciens et mathématiciens modernes. Elles sont utilisées pour contrôler la qualité d’un instrument musical (en particulier par les luthiers traditionnels).

134

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

de l’épinette vibraient à l’unisson de deux des sifflements décrits plus haut, puisque leur intervalle était précisément celui d’une quinte : mesurant les distances entre les stries laissées par l’un et l’autre passage du ciseau, je pus alors constater que le même espace qui contenait quarante-cinq stries dans un cas, en contenait trente dans l’autre, ce qui est exactement le rapport de la quinte. [146-147] Mais maintenant, avant d’aller plus loin, je veux souligner que, des trois méthodes pour rendre un ton plus aigu, celle liée à la finesse de la corde pourrait être attribuée à son poids. Si le matériau de la corde est le même, la taille et le poids varient dans le même rapport. Ainsi dans le cas des cordes en boyau, on obtient l’octave en faisant une corde 4 fois plus grosse que l’autre ; de même, dans le cas du laiton, un fil doit avoir 4 fois la taille de l’autre ; mais si maintenant nous voulons obtenir l’octave d’une corde en boyau avec une corde en laiton, on doit faire celle-ci non pas quatre fois plus grosse, mais bien quatre fois plus lourde que celle-là. En résumé s 1 T ν∝ , (8) ℓ µ où µ est le poids par unité de longueur : µ=

w w6 w6 = = = γ6 ℓ ℓ6 V

(j’ai appelé γ le poids spécifique du matériau). Une corde en cuivre peut donc être plus fine qu’une corde en boyau même si cette dernière donne la note la plus haute. Par conséquent, si deux épinettes sont préparées, l’une avec des cordes en or, l’autre avec des cordes en laiton, et si les cordes correspondantes ont chacune la même longueur, le même diamètre et la même tension, il s’ensuit que la première, par suite de la densité deux fois plus grande de l’or, sera accordée environ une quinte plus basse. Et il faut noter que la vitesse du mouvement trouve un obstacle plus important dans la gravité du corps que dans sa grosseur, contrairement à ce qu’on pourrait croire à première vue ; car 135

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

il paraît rationnel de penser que la résistance du milieu à la pénétration devrait davantage ralentir la vitesse dans le cas d’un corps volumineux et léger que dans le cas d’un corps lourd et petit, mais pourtant ici on observe le contraire. De retour maintenant au sujet de la discussion d’origine, j’affirme que le rapport des intervalles musicaux n’est pas immédiatement déterminé ni par la longueur, ni par la taille, ni par la tension des cordes, mais plutôt par le rapport de leurs fréquences, c’est-à-dire, par le nombre des impulsions d’ondes qui frappent le tympan, le faisant vibrer avec la même fréquence. Ce fait établi, on peut peut-être expliquer pourquoi certains couples de notes produisent une sensation agréable, d’autres un effet moins agréable, et d’autres encore une sensation désagréable. Une telle explication pourrait conduire à une explication des consonances plus ou moins parfaites et des dissonances. La sensation désagréable produite par ces dernières provient, je pense, des vibrations discordantes de deux notes différentes frappant le tympan hors de toute proportion rationnelle, et l’effet de la dissonance sera particulièrement pénible quand les fréquences des vibrations seront incommensurables ; ce qui se produira, par exemple, si on pince en même temps deux cordes du même matériau et de√ même épaisseur mais l’une étant plus courte que l’autre d’un facteur 2. p Les consonances agréables sont des paires de tons frappant l’oreille avec une certaine régularité ; cette régularité consiste dans le fait que les impulsions délivrées au tympan par les deux tonalités, dans le même intervalle de temps, doivent être en nombre commensurable, afin de ne pas maintenir le tympan en perpétuel tourment, fléchissant p. Sur la séquence tempérée (par exemple la séquence des touches du piano) nous produisons cette dissonance en jouant deux touches distantes de six touches, sans distinction entre les touches blanches et noires – c’est-à-dire en divisant une octave en deux parties harmoniquement égales. Cette dissonance est appelée triton, et elle était absolument à éviter selon les théoriciens de l’harmonie médiévale comme Guido d’Arezzo – qui l’appelait « le diable ». Aujourd’hui, nous sommes plus tolérants, et nous l’écoutons sans trop de perturbations, par exemple dans l’air Mariah dans West Side Story de Bernstein, dans le thème des Simpsons ou bien dans le son des sirènes d’ambulance.

136

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

dans deux directions différentes pour céder à des pulsions discordants. La première et la plus agréable consonance est donc l’octave puisque, pour chaque impulsion donnée au tympan par la corde grave, la corde aiguë en délivre deux ; en conséquence, à chaque autre vibration de la corde supérieure, les deux impulsions sont délivrées simultanément de sorte que la moitié du nombre total d’impulsions sera délivrée à l’unisson. Mais lorsque deux cordes sont à l’unisson, leurs vibrations coïncident toujours et l’effet est celui d’une seule corde ; par conséquent, nous ne l’appelons pas une consonance. La quinte est également un intervalle agréable car pour deux vibrations de la corde inférieure, la corde supérieure en donne trois, de sorte que, compte tenu du nombre total d’impulsions de la corde supérieure, un tiers d’entre elles seront à l’unisson, c’est-à-dire qu’entre chaque paire de vibrations concordantes interviennent deux vibrations simples ; et pour un accord suspendu, trois vibrations simples interviennent. Dans le cas d’un intervalle pour lequel le rapport est de 9/8, seulement chaque neuvième vibration de la corde supérieure atteindra l’oreille simultanément avec l’une des cordes inférieures ; tous les autres tons sont discordantes et produiront un effet désagréable sur l’oreille du receveur qui donc les interprètera comme dissonances. Simp. Peux-tu s’il te plaît expliquer cet argument un peu plus clairement ?

137

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

Salv. Soit AB la longueur de la vibration de la corde grave, et CD celle d’une vibration de la corde aiguë qui avec la première donne l’octave ; divisons AB en son milieu E : il est clair, si les cordes commencent à vibrer à partir des extrémités A et C, que quand la vibration aiguë sera parvenue au point D, l’autre aura atteint le milieu E, lequel, n’étant pas un point terminal du mouvement, ne perturbera pas l’autre extrémité, contrairement à ce qui se passe en D. Puis, tandis que la vibration aiguë revient de D en C, la vibration grave passe de E à B, et les deux pulsations produites en B et en C viennent frapper simultanément le tympan ; et comme les vibrations continuent à se répéter de la même manière, une vibration CD sur deux s’achève en même temps qu’une vibration AB. [148] Considérons maintenant les vibrations AB et CD séparées par un intervalle de quinte (leurs durées sont donc dans le rapport de 3/2). On choisit les points E et O, tels qu’ils divisent la corde grave en trois parties égales et on imagine que les vibrations commencent au même instant à partir de chacune des extremités A et C. Il est évident que lorsque l’impulsion a été délivrée en D, l’onde en AB n’est arrivée que jusqu’à O ; le tympan reçoit, par conséquent, seulement l’impulsion arrivée en D. Ensuite, pendant le retour de la première vibration de D à C, l’autre passe de O à B et puis retourne à O, produisant en B une vibration isolée et à contretemps. Puisque les premières vibrations ont eu lieu au même instant en A et en C, la seconde, qui est une vibration isolée en D, survient après un intervalle de temps égal au passage de C en D, c’est-à-dire de A en O, alors que la suivante, qui se produit en B, n’est séparée de la précédente que par le temps du passage de O en B, donc la moitié du temps précédent. Puis, la première vibration continuant son chemin de O à A, pendant que la seconde va de C en D, les deux pulsations en A et en D ont lieu au même temps. Des cycles égaux vont ainsi se succéder, constitués par deux pulsations solitaires de la corde aiguë et par une pulsation solitaire de la corde grave, intercalée entre les deux premières. Dans ces conditions, imaginons le temps divisé en moments, je veux dire en très petits intervalles égaux ; 138

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

admettons que dans les deux premiers, après les pulsations initiales concordantes en A et en C les vibrations soient passées en O et en D, avec un battement en D ; que dans les troisième et quatrième moments il y ait eu retour de D en C, avec pulsation en C, et mouvement de O vers B puis vers O, avec pulsation en B ; qu’enfin dans les cinquième et sixième moments les vibrations soient passées de O en A et de C en D avec pulsations en C et en D. Alors les pulsations reçues par le tympan se présenteront dans un ordre tel que, partant des pulsations initiales simultanées des deux cordes, après deux intervalles de temps une stimulation isolée parviendra, et au cours du troisième intervalle une nouvelle stimulation isolée. [149] De même à la fin du quatrième intervalle ; et deux intervalles plus tard, par exemple, à la fin du sixième intervalle, on entendra deux impulsions à l’unisson. Ici se termine le cycle qui se répète identiquement par la suite. Sagr. J’ai eu grand plaisir à entendre cette complète explication de phénomènes au sujet desquels j’ai été si longtemps dans l’obscurité. Je comprends maintenant pourquoi l’unisson ne diffère pas d’une note unique. Je comprends pourquoi l’octave est l’harmonie principale, mais si semblable à l’unisson, que parfois on n’arrive pas à les distinguer. Il ressemble à l’unisson parce que les pulsations des cordes à l’unisson se produisent toujours simultanément, et celles de la corde inférieure de l’octave sont toujours accompagnées de celles de la corde supérieure, avec une sollicitation solitaire interposée à l’égalité des intervalles qui ne produit aucune perturbation : le résultat est qu’une telle consonance est plutôt douce mais manque un peu de feu. La quinte se caractérise par ses battements décalés et par l’interposition de deux battements solitaires du ton supérieur et d’un battement solitaire du ton inférieur entre chaque paire de sollicitations simultanées ; ces trois impulsions solitaires sont séparées par des intervalles de temps égaux à la moitié de l’intervalle qui sépare chaque paire de battements des battements solitaires de la partie supérieure de corde. Ainsi l’effet de la quinte est de produire un chatouillement du tympan

139

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

tel que sa douceur se modifie avec de la vivacité, donnant à la fois l’impression d’un doux baiser et d’une morsure. Salv. Voyant que ces nouveautés te plaisent, je voudrais encore te montrer une méthode par laquelle l’œil peut prendre plaisir au même jeu que l’oreille. Si on suspend trois billes de plomb, ou d’un autre matériau lourd, à des cordes de longueur différente, de telle sorte que dans le même temps où le pendule le plus long accomplit deux oscillations, le plus petit en accomplit quatre, et l’intermédiaire trois (par exemple si le plus long mesure 16 paumes, le moyen 9 et le plus petit 4), et qu’on les écarte tous ensemble de la perpendiculaire, pour ensuite les laisser aller, nous verrons un jeu curieux des fils qui se croisent de diverses manières, mais de telle sorte qu’à la fin de chaque quatrième vibration du plus long pendule, tous les trois arrivent simultanément à la même extrémité, d’où ils commencent à nouveau à répéter le même cycle ; ce mélange de vibrations est précisément équivalent à celui qui sur les cordes vibrantes produit l’octave avec une quinte au milieu. [150] Si nous employons le même appareil mais changeons les longueurs des fils, toujours cependant de manière telle que leurs vibrations correspondent à celles d’intervalles musicaux agréables, nous verrons un entrecroisement différent de ces fils mais toujours tel que, après un intervalle de temps défini et après un nombre défini de vibrations, tous les fils, qu’ils soient trois ou quatre, atteindront le même point au même moment, puis commenceront une répétition du cycle. Si les oscillations de deux fils ou plus sont incommensurables, de sorte qu’elles n’achèvent jamais un nombre défini de périodes au même moment, ou si elles sont commensurables mais elles se rejoignent seulement après un long intervalle de temps ou un grand nombre d’oscillations, alors l’œil est troublé par la succession désordonnée des fils croisés. De la même manière, l’oreille souffre d’une séquence irrégulière des ondes qui frappent le tympan sans ordre. Mais jusqu’où nous sommes-nous laissés entraîner pendant toutes ces heures avec ces différents problèmes et ces digressions 140

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

PREMIÉRE JOURNÉE : RÉSISTANCE DES SOLIDES À LA RUPTURE

inattendues ? La journée est déjà terminée et nous avons à peine effleuré le sujet principal que nous voulions aborder. En effet, nous avons dévié si loin qu’à peine je me rappelle des remarques concernant les hypothèses et les principes de nos démonstrations à venir. Sagr. Arrêtons donc nos raisonnements pour aujourd’hui afin que nos esprits puissent trouver un rafraîchissement dans le sommeil et que nous puissions revenir demain et reprendre la discussion sur la question principale. Salv. Je ne manquerai pas d’être ici demain à la même heure, pas seulement pour vous rendre service, mais aussi pour apprécier votre compagnie. La première journée se termine.

141

2 Deuxième journée : Quelle pourrait être la cause de la cohésion

Sagredo. [151] En attendant ton arrivée, Simplicio et moi rappelions les considérations d’hier, qui serviront de base à ce que tu veux nous montrer sur la résistance des corps solides à la rupture. La résistance des corps dépend du ciment qui les tient ensemble et attache leurs parties, de telle manière que seule une forte traction peut les séparer. Après avoir cherché quelle pourrait être la cause de cette cohésion, qui dans certains solides est très forte, et examiné si cette cause pourrait être la peur du vide, nous avons commencé des digressions qui nous ont occupés toute la journée et éloignés de l’étude du sujet initial. Salviati. Je m’en souviens très bien. Revenant donc à notre discussion initiale, la cause de la résistance des solides à la rupture est certainement en eux-mêmes. Bien que cette résistance soit très forte dans le cas d’une poussée ou d’une traction directe, elle est plus faible dans le cas d’un effort appliqué obliquement. Donc, nous voyons, par exemple, une baguette en acier ou en verre qui résiste à une traction 143

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

longitudinale d’un millier de livres, mais se fracture si fixée à un mur sur un extrême et si un poids de seulement cinquante livres est appliqué à l’autre extrême. Nous voulons parler de cette seconde résistance, et découvrir comment elle varie dans des prismes et des cylindres de proportions similaires ou différentes, mais faits de la même matière. [152] Dans cette discussion, je prends comme connu le principe qui régit le comportement des leviers, à savoir que la force est à la résistance comme l’inverse du rapport de leurs distances du point d’appui. Simplicio. Cela a été démontré pour la première fois par Aristote dans ses Problèmes mécaniques.23 Salv. Oui, Aristote a la primeur, mais il me semble que la qualité de la démonstration faite par Archimède24 est de loin supérieure : d’une seule proposition dans son traité sur l’équilibre il peut tirer non seulement la loi du levier, mais aussi les lois qui régissent le fonctionnement de la plupart des instruments mécaniques. Sagr. Mais si ce principe est la base de tout ce tu veux nous montrer, pourquoi ne commences-tu pas à nous l’expliquer, si ce n’est pas trop long ? Salv. Oui, mais je préfère suivre un chemin un peu différent de celui d’Archimède. En supposant que deux poids égaux w placés sur une balance à deux bras avec des bras de longueur égale soient en équilibre, principe assumé de la même manière par Archimède,25 je vais montrer que non seulement il est vrai que des poids différents wa et wb sont en équilibre sur une balance à bras de différentes longueurs en fonction de la proportion inverse des poids suspendus, mais aussi que placer des poids égaux à des distances égales produit le même effet que de placer des poids différents à des distances qui ont une proportion inverse entre elles par rapport au poids. La condition d’équilibre est wa a = wb b ,

(9)

ce qui signifie que l’efficacité des poids (et des résistances) est amplifiée par la distance par rapport au point d’équilibre ; en bref, l’efficacité 144

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

est le produit des deux quantités M = wb

(10)

(moment de la force).

Pour démontrer ce que je dis, je vais dessiner un prisme ou un cylindre solide AB, supporté aux extrémités par deux fils, HA et IB. Il est évident que si je suspends ce corps par le fil C, placé au milieu de HI, il va rester en équilibre, car une moitié de son poids se trouve d’un côté et l’autre moitié du côté opposé du point de suspension. Maintenant, on divise le prisme en deux parties inégales par la ligne D. [153] Nous avons une partie plus grande DA, et une partie plus petite DB. Le système restera toujours en équilibre si nous ajoutons un fil ED, attaché au point E, afin de soutenir les parties AD et DB. Il sera toujours en équilibre, si la partie du prisme maintenant suspendue aux deux extrémités A et D avec les fils AH et DE sera suspendue à l’aide d’un seul fil GL, attaché au point G et placé au milieu de AD ; de la même manière, l’autre partie DB ne va pas changer son état d’équilibre si elle est suspendue au seul fil FM placé au milieu de DB. En coupant les fils HA, ED, IB, et en laissant les deux fils GL et FM, le système restera en équilibre. [154] Considérant les deux poids AD et DB, suspendus respectivement aux points G et F de la balance GF, il ne reste plus qu’à prouver que wD B |GC| = , w AD |CF| 145

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

où w D B et w AD sont respectivement les poids des parties DB et AD. Normalisons la longueur |AB| à un, et appelons x le rapport entre |AD| et |AB|. Nous allons avoir wD B |DB| 1−x = = . w AD |AD| x Mais dès que |AF| = 1 − (1−x)/2 = (1+x)/2, on a |GC| = |CF|

− x/2 1−x , = (1+x)/2 − 1/2 x 1/2

ce que nous voulions démontrer. [155] Ayant donc établi le principe (9), avant de poursuivre, nous devons considérer que ces forces, ces moments, ces figures géométriques, etc., peuvent être considérés dans l’abstrait, donc sans prendre en compte la matière dont les corps sont faits, ou dans le concret, et donc en tenant compte du matériau. Dans cette seconde approximation, on ajoute de la matière et donc du poids aux figures géométriques.

Par exemple, si l’on prend un levier BA, placé sur le support E et utilisé pour soulever une pierre lourde D, il est clair, d’après le principe qui vient d’être démontré, que la force appliquée à l’extrémité B sera suffisante pour équilibrer la résistance D du corps à condition que la force appliquée sur le corps D soit égale au poids de D multiplié par le rapport entre la distance de AC et la distance de CB. Ceci est vrai si l’on ne considère pas d’autres moments que ceux de la force appliquée en B et de la résistance en D, comme si le levier était intangible et 146

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

sans poids. Si nous prenons en compte le poids du levier, qui peut être fait de bois ou de fer, le résultat sera modifié. Il faut donc toujours garder à l’esprit sous quelles approximations on raisonne. Sagr. Je dois rompre ma promesse de ne pas demander de digressions, mais pour me concentrer sur ce qui va arriver, il faut m’aider à enlever un doute. On dirait qu’on compare la force appliquée en B avec le poids total de la pierre D, mais une partie de celle-ci, probablement la plus grande, est supportée par le plan horizontal. Donc... Salv. J’ai très bien compris et tu n’as rien à ajouter. Je n’ai pas parlé du poids total de la pierre, mais seulement de la force qu’elle exerce en A à l’extrémité du levier BA, et qui est toujours plus petite que le poids total de la pierre, et varie selon la forme de la pierre et du point où elle est soulevée. Sagr. Je suis satisfait, mais j’ai un autre problème : comment peuton savoir quelle partie du poids total est supportée par le plan sousjacent et quelle partie repose plutôt sur l’extrémité du levier ?

Salv. Je peux l’expliquer. Nous allons dessiner un poids avec son centre de gravité en A ; le poids repose d’une part avec son extrémité B sur le plan horizontal et d’autre part avec son extrémité C sur le levier CG. Soit N le point d’appui du levier et G le point où la force est appliquée. Du centre de gravité A et de l’extrémité C nous traçons les perpendiculaires AO et CF. Si on appelle w le poids total du corps, w B la partie qui pèse sur B et wC celle qui pèse sur C, |FO| w B + wC w |FB| wB = =⇒ = = wC |OB| wC wC |OB| 147

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

et dès que |GN| wC = wG |NC| nous obtenons

w |GN| |FB| = . wG |NC| |OB|

De là, on peut déduire les forces appliquées en C, en G et en A. Revenons maintenant à notre premier objectif. Si ce que nous avons dit jusqu’à présent est clair, il sera aussi clair que : Proposition. Un prisme ou un solide cylindrique fait de verre, de fer, de bois, ou d’un autre matériau, susceptible de rupture, qui peut supporter un poids très important quand ceci est appliqué longitudinalement, est parfois brisé sous l’action d’un poids appliqué transversalement, poids qui peut être en proportion très petit, d’autant plus petit que la longueur du cylindre est supérieure à son épaisseur.

148

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

[156-157] Imaginons un prisme ABCD, fixé perpendiculairement à une paroi verticale par sa face AB, et qui supporte un poids w E à l’extrémité opposée E. Le point B de la niche logée dans le mur sert de point d’appui au levier BC, levier à l’extrémité C duquel le poids E est pendu ; la moitié de l’épaisseur du solide BA est l’autre bras du levier, dans lequel réside la résistance, qui se compose de la cohésion entre la partie du solide qui est en dehors de la paroi et la partie qui est à l’intérieur de la paroi. Il s’ensuit que R |CB| ℓ = = , wE |AB|/2 h/2 où R est la résistance, c’est-à-dire l’amplitude de la cohésion entre la partie du solide à l’intérieur de la paroi et celle à l’extérieur de la paroi, et où h est la longueur de la section AB et b respectivement la longueur de l’autre côté, de sorte que 6 = hb est la section. C’est notre première proposition. Dans le cas d’un cylindre, au lieu de AB il faut considérer pour h le diamètre de la section transversale du cylindre (et 6 = π(h/2)2 ). Il est raisonnable de supposer que la résistance maximale que peut offrir l’adhérence entre le prisme et le mur soit proportionnelle à la section de la barre : Rmax = σlim 6 . (11) Dans ce que j’ai dit je n’ai pas pris en compte le poids du solide BD. Si l’on veut considérer le poids du prisme, il faut ajouter au poids w E la moitié de celui de BD. Par exemple, si ce dernier pèse deux livres et que le poids w E est de dix livres, il faut considérer le poids en C comme s’il était de onze livres. Simp. Pourquoi pas comme s’il était de douze livres ? Salv. Le poids E pend à l’extrémité du levier BC avec toute sa gravité de 10 livres. Si le poids de BD était suspendu à la fin, il contribuerait de toutes ses 2 livres ; mais le poids de la barre est uniformément réparti sur toute la longueur BC, et ses parties près de la fin B pèsent moins 149

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

que les plus éloignées ; en les additionnant, on a la même situation que si le poids était placé au centre de gravité, qui est le centre de la barre BC. Ce qui compte, c’est le moment de la force, c’est-à-dire le produit de la force par la distance par rapport au point d’appui. Simp. [158] Je comprends ; et d’ailleurs, si je ne me trompe pas, je crois que nous aurions le même moment de force si le double du poids E avait été placé au milieu du levier BC. Salv. C’est vrai, et nous devrons nous en souvenir. Nous pouvons immédiatement comprendre comment et dans quel rapport une tige ou un prisme de largeur plus grande que l’épaisseur est plus résistante quand une force est appliquée le long de son plus grand côté plutôt que le long de la direction dans laquelle elle est plus étroite. Pour clarifier cela, il faut regarder la figure.

La charge minimale qui provoque la rupture du solide montré dans la figure de gauche est le poids wT du corps T ; si on dispose l’axe horizontalement, comme dans la figure de droite, le solide se brisera sous le poids w X , plus petit que wT . Ce fait devient évident si l’on pense que le point d’application de la résistance est dans le premier cas la moitié de la ligne ac, et dans le second, la moitié de la ligne cb, et que les distances des forces induisant la rupture sont égales dans les deux cas, et égales à la longueur bd ; mais dans le premier cas, la distance de la résistance de l’appui est plus grande que dans l’autre cas : wT |ca|/2 |ca| = = . wX |cb|/2 |cb| 150

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

Cette conclusion est cohérente avec l’idée que la résistance à la rupture est proportionnelle au nombre de fibres qui doivent être brisées dans le matériau. Par conséquent, nous concluons que les mêmes prismes résistent mieux à la fracture verticalement qu’horizontalement, selon la proportion de la largeur à l’épaisseur. Maintenant, nous voulons enquêter sur [159-162] la résistance des prismes à une rupture causée par l’effet de leurs propres poids. Proposition. Pour des prismes ayant la même section, le moment de force exercé sur la paroi de suspension sur un mur est proportionnel au carré de leurs longueurs. Si on appelle γ le poids spécifique du prisme, la résistance R requise afin d’éviter la rupture est M=R

h ℓ ℓ ℓ2 = γ V = γ bhℓ = γ bh . 2 2 2 2

Nous allons maintenant montrer la proportion en fonction de laquelle la charge maximale varie dans les prismes et cylindres, en conservant la même longueur mais en augmentant l’épaisseur. Proposition. Dans les prismes et cylindres de longueurs égales, mais d’épaisseurs différentes (c’est-à-dire avec des sections similaires), la résistance à la rupture croît comme le cube de leur épaisseur ou de leur diamètre h. En effet a h h Mmax = Rmax ∝ σlim 6 ∝ h 3 . (12) 2 2 a. Galilée ne pouvait pas prendre en compte la déformation du matériau et la proportionnalité conséquente entre les tensions et les déformations établie plus tard par Hooke (1635-1703) en conséquence de sa célèbre loi. Le prisme est déformé avant de se rompre, permettant à ses différentes sections de tourner autour de son axe neutre (c’est-à-dire sans contrainte). Des calculs tenant compte de ce fait ont ensuite été effectués par Navier (1785-1836) et les résultats ne différaient de ceux de Galilée que par des facteurs numériques, mais pas pour la dépendance de la puissance des dimensions linéaires. En conséquence, par exemple, il est également vrai dans l’approximation de Navier si deux clous sont fixés sur un mur, celui qui a un diamètre double pourra supporter un poids 8 fois plus grand que celui supporté par l’autre clou plus fin (comme Salviati va préciser).

151

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

D’après ce que nous avons montré, nous pouvons également dire que, pour la même longueur, Mmax ∝ V 3/2 .

Simp. Avant de continuer, je voudrais m’enlever un doute. Tu n’as pas encore tenu compte du fait que la résistance des solides diminue au fur et à mesure qu’ils s’allongent, et pas seulement dans le sens transversal, mais aussi dans le sens de la hauteur ; comme nous le voyons, une très longue corde est moins apte à soutenir un grand poids par rapport à une plus courte. Pour cela, je pense qu’une petite baguette de bois ou de fer peut supporter beaucoup plus de poids qu’une longue. Salv. Si je comprends ce que tu veux dire, une corde, disons, quarante coudées de long, ne peut soutenir autant de poids qu’une d’une coudée ou deux. Simp. C’est exactement ce que je voulais dire. Ceci me semble très probable. 152

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

Salv. Au contraire, cela me semble improbable, et même faux. Disons que cette corde AB, accrochée à l’extrémité supérieure au point A, se casse à cause du poids C attaché en B. Tu peux choisir, Simplicio, le point ou la rupture doit se produire. Simp. Disons que la rupture se produit au point D. Salv. Pourquoi précisément en D ? Simp. Parce que la corde n’était pas assez forte pour maintenir le poids, nous allons dire une centaine de livres, de la partie DB plus le poids de C. Salv. Donc, si la corde était sollicitée par les mêmes cent livres de poids en D, elle se briserait à ce moment-là. Simp. Ça me semble sensé en effet. Salv. Mais maintenant dis-moi : si le poids était attaché non à la fin de la corde, par exemple au point B, mais proche du point D, par exemple en E, et si la corde était fixée non en A, mais en un point F proche de D, le point D ne sentirait-il pas toujours un poids de cent livres ? Simp. Oui, à condition d’ajouter au poids C celui du morceau de corde EB. Salv. Donc si la corde est tendue au point D par un poids de cent livres, selon toi, elle se brisera. Mais FE n’est qu’une petite partie de AB : comment peux-tu donc affirmer que la corde longue est plus faible que la corde courte ? Abandonne alors cette vue erronée que tu partages avec de nombreuses personnes très intelligentes, et continuons. [163-167] Ayant montré que les résistances des prismes et des cylindres de longueur égale, mais avec des épaisseurs différentes, fixés dans une paroi par une face, croissent proportionnellement aux cubes de leurs côtés ou des diamètres de leurs bases, et que l’effet d’un poids placé à l’extrémité croît avec la longueur du prisme ou du cylindre,

153

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

qui est également la distance entre cette extrémité et le point de suspension, nous concluons que la charge maximale à l’extrémité opposée de celle de la suspension avant de provoquer la rupture est donnée par : h3 Mmax ∝ . (13) ℓ

Simp. Ces conclusions me paraissent non seulement nouvelles, mais aussi inattendues, et très éloignées de l’opinion que j’avais au préalable. J’aurais pensé que les moments résistants de figures géométriquement similaires et leurs résistances avaient le même rapport. Sagr. C’est la démonstration de la proposition qui, au début de notre raisonnement, me semblait obscure. Salv. Pendant un certain temps, j’ai pensé, comme Simplicio, que les résistances de solides similaires étaient similaires. Mais une certaine observation occasionnelle m’a montré que des solides similaires ne présentent pas une force proportionnelle à leur taille : les grands corps résistent à des chocs proportionnellement moins violents comme les grands hommes sont plus sujets que les petits enfants à être blessés par une chute. En tombant de la même hauteur, on verrait une 154

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

grosse poutre ou une colonne se briser en morceaux, mais pas un petit cylindre en marbre. Cette observation m’a incité à enquêter sur une propriété vraiment admirable que je vais montrer : parmi l’infinité des figures solides semblables entre elles, il n’y en a pas deux dont les moments aient un rapport identique à celui des résistances. Simp. Tu me rappelles un argument soulevé par Aristote26 dans ses Problèmes mécaniques, dans lequel il tente de montrer pourquoi une poutre en bois devient plus faible et plus facilement pliable quand elle est plus grande, même si elle est plus épaisse : et, si je me souviens bien, il explique ça simplement à partir des propriétés du levier. Salv. C’est vrai. Et puisque la solution ne semble pas éliminer tous les doutes, Monseigneur l’évêque de Guevara, dont les commentaires ont éclairé cette œuvre, a proposé des spéculations intelligentes pour résoudre toutes les difficultés, même s’il était encore confus au sujet du point suivant : à savoir si, en maintenant la même proportion à la fois de la longueur et de l’épaisseur, des figures pleines conservent la même résistance à la rupture ou à la flexion. Après une longue élaboration, j’ai découvert ce que je vais exposer. Proposition. Parmi les prismes et les cylindres lourds similaires, il n’y en a qu’un seul qui sous la pression de son propre poids soit juste à la limite de la rupture sans se casser : de sorte que tous les plus grands, incapables de supporter la charge de leur propre poids, se rompront, alors que les plus petits seront capables de résister à une force supplémentaire avant de se casser. Qu’est-ce que cela signifie que deux prismes sont similaires ? Cela signifie que les rapports entre chaque paire de dimensions homologues (les côtés de la base et la longueur ℓ) sont les mêmes. On peut écrire b = ζ h ; h = ζ ′ℓ ,

155

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

où ζ et ζ ′ sont deux constantes de proportionnalité. Le poids d’un des prismes sera P = γ ζ ζ ′2 ℓ3 , où γ est le poids spécifique. Le moment M relatif à une extrémité exercé par le poids est égal au produit du poids multiplié par ℓ/2 : M = γ ζ ζ ′2

ℓ4 . 2

Nous savons aussi que le moment maximum que le prisme fixé à une extrémité peut tolérer avant la rupture est (équation 12) : Mmax =

σlim 2 σlim ′3 3 bh = ζζ ℓ . 2 2

En égalant les deux expressions précédentes, on obtient une valeur unique pour la longueur maximale d’un prisme qui ne se casse pas sous son propre poids (si l’on considère l’ensemble de ces prismes similaires) : σlim ℓ = ζ′ . γ Sagr. [168-169] La preuve est claire et concise, et une proposition qui à première vue m’était apparue improbable semble maintenant réelle et inévitable. Par conséquent, pour atteindre l’état limite entre la stabilité et la rupture, nous devrons modifier considérablement le rapport entre la longueur et l’épaisseur d’un plus grand prisme en l’épaississant ou en le raccourcissant, car dans deux prismes similaires, le poids est proportionnel à la troisième puissance de la dimension linéaire, tandis que sa résistance à la rupture est proportionnelle à son carré. Salv. La question est difficile ; et j’ai passé un certain temps à réfléchir sur ce sujet avec l’Académicien. Mais maintenant, je voudrais partager les résultats avec vous.

156

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

Problème. Si on considère un cylindre ou un prisme de longueur ℓ à la limite de rupture, et étant donné une longueur ℓ′ > ℓ, trouver le diamètre minimum d’un cylindre (ou d’un prisme avec une base similaire) de longueur ℓ′ capable de soutenir son propre poids. Étant donné l’équation précédente, en se rappelant que ζ ′ = h/ℓ, et en utilisant l’équation (12), nous avons r ′ γ ′2 3 ℓ ′ h = ℓ =h . σlim ℓ D’après ce qui a déjà été démontré, on peut voir l’impossibilité d’augmenter la taille des structures à des dimensions majeures, que ce soit dans l’art ou dans la nature, et de même l’impossibilité de construire des navires, des palais ou des temples de tailles énormes de telle sorte que toutes leurs pièces tiennent ensemble. La nature ne peut pas non plus produire des arbres d’une taille extraordinaire parce que les branches se briseraient sous leur propre poids ; de même il est impossible que les squelettes d’hommes, de chevaux ou d’autres animaux en soutiennent le poids et remplissent leurs fonctions normales si ces animaux devaient être augmentés énormément en hauteur. Cette augmentation de hauteur ne peut être accomplie qu’en employant un matériau plus dur et plus fort que d’habitude, ou en élargissant la taille des os, changeant ainsi leur forme, de sorte que l’apparition de l’animal deviendrait monstrueuse. C’est peut-être ce que notre sage poète Arioste27 avait à l’esprit, quand il écrit, en décrivant un énorme géant : Nul ne saurait déterminer sa taille Tant sa grosseur échappe à toute mesure.

157

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

Pour illustrer brièvement ce concept, j’ai esquissé un os dont la longueur naturelle a été augmentée par trois fois et dont l’épaisseur a été multipliée jusqu’à ce qu’il puisse remplir la même fonction que celle que le petit os remplit pour le plus petit animal. De la figure ici montrée on peut voir à quel point l’os agrandi apparaît hors proportion. De toute évidence si l’on souhaite alors maintenir dans un géant les mêmes proportions que dans un homme ordinaire, on doit trouver soit un matériau plus dur et plus solide pour l’os, [170] ou on doit accepter une diminution de la force par rapport aux hommes de stature moyenne ; si la taille du géant augmentait simplement, il tomberait et il s’écraserait sous son propre poids. Et donc si la taille d’un corps est diminuée, la force de ce corps n’est pas diminuée dans la même proportion ; en effet, plus le corps est petit, plus sa force relative est grande. Ainsi, un petit chien pourrait probablement porter sur son dos deux ou trois chiens de sa propre taille ; mais je crois qu’un cheval ne pourrait pas porter même un seul cheval de sa propre taille. Simp. C’est peut-être le cas ; mais je suis conduit à en douter si je pense à l’énorme taille atteinte par certains poissons, tels que les baleines qui, que je sache, peuvent être dix fois plus grandes qu’un éléphant, et pourtant soutiennent leur propre poids. Salv. Ta question, Simplicio, suggère un autre principe, qui avait jusque-là échappé à mon attention et qui permet à des géants et 158

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

d’autres animaux de grande taille de se soutenir et de se déplacer à peu près aussi bien que les petits animaux le font. Ce résultat peut être obtenu soit en augmentant la résistance des os et des autres parties destinées à supporter non seulement leur poids mais aussi la charge qui leur incombe, soit en gardant les proportions de la structure osseuse constantes mais en diminuant dans la proportion appropriée, le poids de la matière osseuse, de la chair, et de tout ce que le squelette doit porter. C’est ce second principe qui est employé par la nature dans la structure des poissons, rendant leurs os et leurs muscles non seulement légers, mais entièrement sans poids. Simp. Tu veux dire que les poissons vivent dans l’eau qui du fait de sa densité diminue le poids des corps immergés : pour cette raison, les corps des poissons sont dépourvus de poids et ils supporteront leur propre poids sans blesser leurs os. Mais ce n’est pas tout ; même si le reste de l’organisme des poissons est sans poids, leurs os ont quand même un poids. Prenons le cas d’une côte de baleine, ayant les dimensions d’une poutre ; qui peut nier son grand poids ou sa tendance à aller au fond lorsqu’elle est placée dans l’eau ? On ne s’attendrait donc [171] guère à ce que ces grands animaux se soutiennent d’eux-mêmes. Salv. Une objection très intelligente ! Et maintenant, en réponse, dis-moi : as-tu jamais remarqué qu’un poisson peut rester immobile sous l’eau sans nager, sans descendre ni vers le bas ni vers le haut ? Simp. Ce fait est bien connu. Salv. Le fait que les poissons sont en mesure de rester immobiles sous l’eau fait conclure que le matériau de leur corps a le même poids spécifique que celui de l’eau ; en conséquence, si dans leur corps, il y a certaines parties qui sont plus lourdes que l’eau, il faut que d’autres soient plus légères, sinon ils ne seraient pas en équilibre. Par conséquent, si les os sont plus lourds, les muscles ou d’autres constituants du poisson doivent être plus légers afin que leur flottabilité puisse contrebalancer le poids des os. Chez les animaux aquatiques donc les circonstances sont tout simplement inversées par rapport à ce qu’ils sont dans des animaux terrestres : pour ceux-ci, les os soutiennent 159

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

non seulement leur propre poids, mais aussi celui de la chair, tandis que dans le cas des animaux aquatiques, la chair soutient non seulement son propre poids mais aussi celui des os. Il faut donc cesser de se demander pourquoi ces animaux démesurément grands habitent dans l’eau plutôt que sur la terre, c’est-à-dire dans l’air. Simp. Je suis convaincu et je voudrais seulement ajouter que les animaux que nous appelons terrestres devraient vraiment être appelés animaux de l’air, voyant qu’ils vivent dans l’air, sont entourés par l’air, et respirent l’air. Sagr. J’ai apprécié la discussion de Simplicio, y compris à la fois la question soulevée et sa réponse. D’ailleurs, je peux facilement comprendre qu’un de ces poissons géants, s’il était tiré à terre, ne pourrait peut-être pas soutenir son propre poids longtemps, mais s’écraserait sous son propre poids dès que les connexions entre les os céderaient. Salv. Je suis enclin à ton opinion ; et, en effet, je pense presque que la même chose se produirait dans le cas d’un très grand navire qui flotte sur la mer sans tomber en morceaux sous sa charge de marchandises et d’armement, mais qui sur terre et dans l’air s’écroulerait probablement sous son propre poids. Mais procédons. [172]

Problème. Étant donné un prisme ou un cylindre de poids w et de longueur ℓ, si wd est le poids maximal qu’il peut supporter à l’extrême, trouver une longueur maximale ℓ′ au-delà de laquelle le cylindre ne peut se prolonger sans se briser sous son propre poids.

160

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

Appelant 6 sa section et γ le poids spécifique, Mmax = γ 6 et donc

ℓ′2 ℓ2 + wd ℓ = γ 6 , 2 2 2

wd ℓ + γ 6 ℓ2 ℓ′2 2wd = . =1+ ℓ2 ℓ2 γ 6ℓ γ6 2 [173] Jusqu’à ici nous avons considéré les moments et les résistances de prismes et de cylindres solides fixés à une extrémité avec un poids appliqué à l’autre extrémité. Trois cas ont été discutés, à savoir celui où la force appliquée était la seule à agir, celui où le poids du prisme lui-même est également pris en considération, et celui où le poids du prisme seul est pris en considération. Considérons maintenant ces mêmes prismes et cylindres lorsqu’ils sont soutenus aux deux extrémités ou en un seul point placé quelque part entre les extrémités.

Tout d’abord, je remarque qu’un cylindre supportant seulement son propre poids et ayant la longueur maximale au-delà de laquelle il va se rompre, lorsqu’il est soutenu par le milieu ou par les deux extrémités, aura deux fois la longueur de celui qui serait fixé à une paroi et soutenu seulement à une extrémité. Ceci est évident : si nous supposons que la moitié du cylindre ABC, AB, est la plus grande longueur possible capable de supporter son propre poids lorsqu’il est 161

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

fixé à une extrémité, similairement, si le cylindre est soutenu en son milieu G, la première moitié sera compensée par l’autre moitié BC. Un problème plus difficile est le suivant : en négligeant le poids d’un solide tel que le précédent, trouver si la même force ou le même poids qui produit une fracture lorsqu’il est appliqué au milieu d’un cylindre, soutenu aux deux extrémités, brisera également le cylindre lorsqu’il est appliqué à un autre point plus près d’une extrémité que de l’autre. Ainsi, par exemple, si on voulait briser un bâton en le tenant avec une main à chaque extrémité et en le posant en son centre sur son genou, est-ce que la force nécessaire serait la même que si le genou ne se trouvait pas au milieu, mais à un certain point plus près d’une extrémité ? Sagr. Ce problème, je crois, vient d’Aristote dans ses Problèmes mécaniques.28 Salv. [174-177] Sa question n’est pas tout à fait la même : Aristote cherche simplement à découvrir pourquoi un bâton peut être plus facilement brisé en le tenant avec une main à chaque extrémité, loin du genou, que si les mains étaient plus rapprochées. Notre question demande quelque chose en plus : nous voulons savoir si, quand les mains sont placées aux extrémités de la baguette, la même force est nécessaire pour la briser si le genou est placé au milieu ou en un autre point. Sagr. À première vue il me semble que oui, parce que les deux extrémités de levier exercent, d’une certaine façon, le même moment, puisque le bras du premier se raccourcit dans la même mesure où le bras de l’autre s’allonge. Salv. Avec quelle facilité on tombe dans l’erreur et quelle prudence et circonspection sont nécessaires pour l’éviter ! Ce que tu viens de dire paraît à première vue hautement probable, mais à y regarder de plus près, ça s’avère bien loin d’être vrai ; comme on le verra, si le point d’appui du genou n’est pas placé dans le milieu, il faudra une force de

162

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

rupture multipliée par quatre, dix, une centaine, ou un millier de fois, et même plus, selon le cas.

Soit AB un cylindre de bois qui doit être rompu dans le milieu, sur le support C ; soit DE un cylindre identique qui doit être rompu juste au-dessus du support F qui n’est pas au milieu. Dans le premier cas, en considérant que les distances AC et CB sont identiques, les moments résistants seront égaux : R B |BC| = R A |AC| =⇒ R B = R A , où R A et R B sont respectivement les forces appliquées en A et en B. Dans le second cas, nous avons de l’équilibre des moments : R D |DF| = R E |EF| =⇒ R D = R E

|EF| . |DF|

Appelons x la distance de DF et (ℓ − x) la distance de EF. Le bâton se brise en appliquant une force dont le moment sera juste au-dessus du moment maximum Mmax qu’il peut supporter : Mmax = FD x + FE (ℓ − x) . 163

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

La force en F doit équilibrer la somme des forces en E et D, et ainsi FF =

Mmax Mmax ℓ Mmax + = . x ℓ−x x(ℓ − x)

(14)

La force sera donc minimale lorsque le produit x(ℓ − x) est maximal, ce qui se produit pour x = ℓ/2. Si on déplace le point d’appui F plus proche du point D, la somme des forces appliquées à E et D doit être augmentée à l’infini dans le but d’équilibrer ou surmonter la résistance à F. Sagr. Que devrions-nous dire, Simplicio ? Ne devrions-nous pas admettre que la géométrie et les mathématiques sont plus puissantes que tous les autres outils pour affiner l’esprit et l’entraîner à penser correctement ? Platon n’avait pas tout à fait raison quand il voulait que ses propres étudiants soient d’abord bien préparés en mathématiques ? Je connaissais moi-même les propriétés de l’effet de levier et je savais comment, en augmentant ou en diminuant sa longueur, la force et l’endurance augmentaient ou diminuaient, mais je me trompais gravement dans la réponse finale au problème. Simp. Je commence vraiment à comprendre que la puissance de la logique, bien qu’elle soit très utile dans la progression du raisonnement, ne peut être comparée à celle des mathématiques pour éveiller l’esprit de découverte.29 Salv. À mon avis, la logique nous apprend à vérifier que les découvertes conduisent à des conclusions de manière cohérente ; mais je doute que cela aide à identifier les démonstrations correctes. [178] Maintenant, nous pouvons résoudre un problème très intéressant.

Problème. Étant donné le poids maximum qu’un cylindre ou un prisme peut soutenir à son point médian où la résistance est minimale, et étant donné un plus grand poids, trouver quel est le point dans le cylindre pour lequel ce plus grand poids est le maximum qui puisse être pris en charge. 164

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

Sagr. Je comprends : étant donné qu’un prisme est beaucoup plus résistant à la fracture loin de son centre, on pourrait penser à enlever de la matière aux extrémités de très grandes et lourdes poutres pour alléger leur poids sans diminuer leur résistance. Ceci pourrait être très pratique et utile dans la charpente de grands bâtiments. Il serait intéressant de comprendre quelle forme devrait avoir un solide pour être également résistant dans toutes ses parties, de sorte qu’il ne puisse pas être plus facilement brisé par un poids au milieu plutôt que dans un autre point quelconque. Salv. Je vais dire des choses remarquables relatives à ce fait. Pour être plus clair, je fais un dessin.30

Soit DB un prisme. Comme nous l’avons démontré, b la résistance à la rupture en AD par une force appliquée à l’extrême B est inférieure à la résistance en CI car la longueur CB est inférieure à BA. Maintenant, nous coupons le prisme en diagonale le long de la ligne FB, de sorte que les faces opposées soient deux triangles, dont l’un, face à nous, est FAB. Le nouveau solide ainsi obtenu a des caractéristiques différentes de celles du prisme initial ; en particulier, si on applique une force en B, sa résistance à la rupture au point C est plus petite que celle au point A. b. L’élève de Galilée Vincenzo Viviani a observé dans une note sur son exemplaire du livre qu’en réalité cette affirmation ne dérive pas des démonstrations précédentes, qui la rendent pourtant plausible. De plus, Galilée ne dit pas que cette preuve néglige le poids de la tige.

165

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

Appelons z la coordonnée de B vers A (z varie donc entre 0, au point B, et ℓ, au point A). Considérons le moment résistant maximum en C et en A. La hauteur en C est z hC = h , ℓ et ainsi MC,max

σlim bh 2 = 2



z2 ℓ2



; MA,max =

σlim bh 2 . 2

En accrochant un poids w Q à B, les moments externes en C et A sont respectivement : MC = w Q z ; MA = w Q ℓ . Ainsi

MC  z  MC,max . = MA,max MA ℓ

Nous avons enlevé la moitié du prisme DB avec une section diagonale, laissant une forme triangulaire FBA. Le prisme initial et la nouvelle figure présentent des conditions de résistance opposées : alors que le premier est d’autant plus résistant qu’on s’éloigne du point de suspension, le second devient plus fragile. [179-181] Par conséquent, il semble raisonnable, voire nécessaire, de penser qu’il existe une coupe intermédiaire telle qu’après avoir enlevé le superflu, le solide restant soit également résistant dans toutes ses parties. Simp. Il est clair que quand on passe du mineur au majeur on rencontre l’égalité. Sagr. Maintenant, nous devons trouver la façon de faire cette coupe. Simp. Je pense que c’est facile. Si, quand on scie le prisme en diagonale et on enlève la moitié du matériel, ce qui reste présente des caractéristiques opposées par rapport au prisme entier, il me semble que, en prenant la moitié de cette moitié, à savoir, un quart du total, la résistance du reste sera constante dans tous les points, puisque le 166

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

gain dans une figure est égal à la perte dans l’autre. Salv. Tu as raté le but. Le maximum de matière qu’on peut retirer du prisme sans l’affaiblir n’est pas un quart, mais un tiers. Je vais démontrer que la coupe optimale est parabolique. On impose la condition d’équilibre limite Mmax = w Q z , et ainsi

σlim bh 2 (z) = wQ z ; 2 la hauteur h(z) à un z générique est alors s 2w Q h(z) = z, σlim b qui représente une parabole. c On a enlevé un tiers du poids.

Sagr. Les avantages de cette réduction de poids me semblent tellement nombreux qu’il est impossible de les énumérer. Je voudrais, cependant, comprendre pourquoi la réduction du poids est exactement d’un tiers. Je comprends très bien que la coupe en diagonale enlève la moitié du poids. Que la coupe parabolique enlève un troisième du prisme, je peux le croire en faisant confiance

c. La figure de Galilée est mal tracée : la tangente à la courbe en B doit être verticale.

167

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

à Salviati, qui s’est toujours montré fiable, mais j’aimerais mieux le comprendre scientifiquement. d Salv. Donc, tu veux la démonstration que la partie du prisme qui est coupée de ce solide que nous appelons parabolique est en effet d’un tiers. Je sais que je l’ai déjà démontré et je vais maintenant essayer de me souvenir de la démonstration. Tout d’abord, j’ai besoin d’un principe énoncé par Archimède e dans son livre Sur les spirales31 : Lemme. Étant donné un nombre entier n > 1, 12 + ... + n 2 n3 12 + ... + (n − 1)2 n3

>
S/3), et nous allons démontrer que cette hypothèse implique une absurdité. Imaginons, si possible, que T
2 nAP 3 peut être appliqué. Il suit que le deuxième rapport de la dernière proportion doit être aussi supérieur à un tiers, à savoir : Aire(KZ + KE + LF + MH + NY + OB) 1 > ; nAire(OB) 3 mais la somme de tous les rectangles est la figure circonscrite tandis que nAire(OB) est la surface du rectangle ACBP. Nous avons donc obtenu : 1 U > S, 3 en contraste avec (19) et donc avec (18). De même, en supposant BAP > S/3, et en considérant cette fois la figure inscrite constituée par les rectangles VO, TN ... QK, une contradiction se créerait avec la (16), ce qui est absurde. Par conséquent, la superficie ne peut pas être plus grande ni plus petite qu’un tiers de la superficie du rectangle BA, et la propriété (17) peut être considérée comme prouvée ; d’où le calcul de la superficie sous-tendue par la parabole. Sagr. Belle démonstration, d’autant plus qu’elle nous donne la quadrature de la parabole, ce qui prouve qu’elle est aux quatre tiers du triangle inscrit, ce qu’Archimède a démontré au moyen de deux séries de propositions différentes entre elles mais également admirables. 171

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

Ce même théorème a également été démontré récemment par Luca Valerio, l’Archimède de notre époque ; sa démonstration peut être trouvée dans son livre qui discute des centres de gravité des solides.32 Salv. Un livre qui, en effet, ne doit pas être considéré moins valide par rapport à ceux produits par les géomètres les plus éminents du présent et du passé ; un livre qui, dès qu’il tomba entre les mains de notre académicien, l’amena à abandonner ses propres recherches dans ce sens, car il vit avec quelle élégance tout avait été traité et démontré par Valerio.33 Sagr. Quand j’ai été informé de cet événement par l’académicien [185] lui-même, je l’ai supplié de me montrer les démonstrations qu’il avait faites avant de voir le livre de Valerio ; mais je n’y suis pas arrivé. Salv. J’en ai un exemplaire et je te le montrerai : tu apprécieras la diversité des méthodes employées par ces deux auteurs pour arriver aux mêmes conclusions. Sagr. Je serai très heureux de les voir et je considérerai comme une grande faveur si tu pouvais les apporter à notre prochaine réunion. Mais en attendant, ne serait-il pas une belle chose, vu que ce résultat est à la fois intéressant et utile dans de nombreuses opérations mécaniques, si tu pouvais donner une règle rapide et facile par laquelle un mécanicien peut dessiner une parabole sur une surface ? Salv. Il existe de nombreuses façons de dessiner une parabole, et deux sont particulièrement simples. L’une est vraiment merveilleuse, car en moins de temps qu’il n’en faut pour tracer de manière précise quatre ou six cercles de tailles différentes, je peux tracer trente ou quarante lignes paraboliques pas moins précises, fines et nettes que les circonférences de ces cercles. J’utilise une boule de bronze parfaitement sphérique, pas plus grosse qu’une noix ; celle-ci, lancée sur un miroir métallique incliné par rapport à l’horizontale, trace une ligne parabolique très fine et très précise, plus large ou plus étroite en fonction de l’inclinaison du plan métallique. Cela nous montre également que le mouvement d’un projectile a une trajectoire parabolique. [186] C’est notre ami qui a d’abord observé ce 172

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

phénomène, qu’il a expliqué dans son livre sur le mouvement et que nous verrons ensemble dans notre prochaine réunion. Pour que la bille laisse des traces nettes de son mouvement parabolique au-dessus du miroir, il est préférable de la chauffer et de l’humidifier longuement dans la main. Une autre façon de dessiner une parabole est la suivante. Nous fixons deux clous haut sur un mur sur une ligne horizontale, éloignés l’un de l’autre de deux fois la largeur du rectangle sur lequel nous voulons tracer la demi-parabole ; à ces deux clous nous accrochons une fine chaîne, si longue que sous la gravité elle pend aussi en bas que la longueur du prisme. Cette chaîne décrit une parabole ; f il est facile ensuite de transférer cette ligne sur les faces opposées du prisme, et aussi un artisan sans grandes compétences sera en mesure de le faire. Enfin, il serait aussi possible de tracer sans effort une parabole sur la face du prisme avec l’aide de la boussole proportionnelle inventée par notre ami. g Nous avons montré jusqu’à présent de nombreuses conclusions concernant la résistance des solides à la rupture, en supposant que la résistance longitudinale soit connue. Sur la base de celles-ci, nous pouvons continuer notre voyage en trouvant des conclusions et des démonstrations différentes et nouvelles parmi les infinies démonstrations qui sont dans la nature. Je voudrais maintenant, comme dernier objectif de notre raisonnement aujourd’hui, ajouter une considération sur la résistance des solides creux, que la nature utilise dans beaucoup d’opérations dans lesquelles une plus grande robustesse est f. En effet la courbe ainsi obtenue est une caténaire, et non une parabole, mais elle se rapproche d’une parabole. g. Galilée conçut cet instrument capable de la réalisation d’opérations mathématiques et géométriques complexes et le fit construire à Padoue en 1597 par son mécanicien Marcantonio Mazzoleni, frère de Mario, professeur de philosophie naturelle à l’Université. L’instrument est décrit dans le livret Les opérations du compas géométrique et militaire, publié à Padoue en 1606 et dédié à Cosme II de Médicis. Le compas proportionnel (ou boussole proportionnelle) a eu beaucoup de succès et Galilée l’a fait produire en série pour la vendre. Ici Galilée a simplement fait de la publicité à son produit commercial.

173

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

nécessaire sans augmenter le poids. C’est le cas, par exemple, des os des oiseaux et des tuyaux, qui sont très résistants à la flexion et à la rupture. Une paille, qui soutient un épi plus lourd que toute la tige entière, si elle était pleine, serait beaucoup moins résistante. [187189] Les artisans savent bien qu’une tige creuse de bois ou de métal est beaucoup plus solide que si elle était, avec le même poids et la même longueur, massive, et donc également plus mince ; la pratique suggère de construire des lances vides à l’intérieur parce qu’elles sont solides et légères.

Nous allons montrer que Proposition. Les résistances des deux cylindres de section et de longueur égales, dont l’un est creux et l’autre massif, ont entre elles les mêmes rapports que leurs diamètres. Appelons D le diamètre externe de la cavité cylindrique, et d < D le diamètre d’un cylindre plein du même poids. Les moments maximaux auxquels ils peuvent résister, que nous appelons respectivement M et m, sont : D d M=R ; m=R . 2 2 Ainsi, pour la même quantité de matière, on a pour les moments maximaux D M = > 1, m d 174

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

DEUXIÈME JOURNÉE : QUELLE POURRAIT ÊTRE LA CAUSE DE LA COHÉSION

ce qu’il fallait démontrer. h La robustesse d’un tuyau est donc supérieure à la résistance d’un cylindre plein du même poids et de la même longueur réalisé dans le même matériau, de manière proportionnelle aux diamètres. Les relations précédentes permettent également de calculer ce qu’il se passe dans un cas général, avec des poids inégaux.34 La deuxième journée se termine. i

h. Comme expliqué dans la note (i) en fin de page de cette journée, le calcul de Galilée néglige l’élasticité du matériau. Dans ce cas, contrairement à la situation évoquée dans la note précédente, le calcul plus précis effectué par Navier n’a pas la même simplicité et la même dépendance dimensionnelle que celui de Galilée. i. Galilée voulait probablement ajouter ici du matériel. L’ « intermède » traditionnel à la fin de la journée est absent et le début de la journée suivante sera abrupt, avec la soudaine apparition de l’ouvrage en latin écrit par l’Académicien.

175

3 Troisième journée : Autre nouvelle science, sur le mouvement local

[Salviati lit le traité en latin sur le mouvement écrit par l’Académicien.] [190-196] Je vais développer une science complètement nouvelle sur un sujet très ancien. Il n’y a peut-être pas d’argument plus ancien que celui du mouvement parmi ceux auxquels se sont confrontés les philosophes ; pourtant il me semble que beaucoup d’aspects essentiels n’ont pas été remarqués, et encore moins démontrés. Certains aspects simples ont été observés, tels que le fait que les corps lourds tombent et accélèrent ; mais la loi mathématique qui décrit une telle accélération n’a pas encore été établie. Nul en effet, à ma connaissance, n’a encore démontré que les espaces couverts en des temps égaux par un corps qui tombe à partir du repos ont entre eux le même rapport que les nombres impairs suivant l’unité. a On a observé que les projectiles tracent une a. Nous allons bientôt voir que cette relation signifie que l’espace parcouru par un corps en chute qui part du repos est proportionnel au carré du temps écoulé. Galilée avait déjà découvert cette relation à Padoue en 1604 (comme on peut le lire dans ses notes), et avait utilisé ce résultat dans son Dialogue. Probablement il ne cite pas le Dialogue parce que ce livre avait été interdit par l’Église.

177

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

ligne courbe, mais personne n’a encore démontré que cette ligne est une parabole. Nous allons montrer tout cela mais aussi d’autres choses, pas moins dignes d’être connues ; plus important encore, tout cela ouvrira la voie à une nouvelle et grande science dont ces démonstrations seront les éléments, grâce à laquelle des esprits plus perspicaces que le mien seront en mesure de pénétrer des parties plus cachées. Cette discussion est divisée en trois parties. La première traite du mouvement uniforme ; la seconde du mouvement naturellement accéléré ; le troisième concerne le mouvement violent des projectiles.

DU MOUVEMENT UNIFORME Pour traiter le mouvement constant, ou uniforme, nous avons besoin d’une seule définition. Définition. 35 Par mouvement régulier ou uniforme, j’entends un mouvement dans lequel les distances parcourues par un corps pendant des temps égaux sont elles-mêmes égales. De cette définition il résulte que : s(t) = v0 t ,

(20)

avec v0 , la vitesse, constante. Salviati. Nous avons vu jusqu’ici ce que notre auteur a écrit sur le mouvement uniforme. Passons maintenant à un problème plus difficile : le mouvement naturellement accéléré, comme celui accompli par les corps en chute libre. Voici le titre et l’introduction.

DU MOUVEMENT NATURELLEMENT (UNIFORMÉMENT) ACCÉLÉRÉ [197-198] Nous venons de discuter les propriétés du mouvement uniforme ; il nous reste à considérer le mouvement accéléré. Tout d’abord, il convient de trouver une définition qui corresponde aux phénomènes naturels. En effet, n’importe qui peut inventer un type arbitraire de mouvement et 178

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

discuter de ses propriétés ; ainsi, par exemple, certains ont imaginé des spirales et d’autres courbes compliquées appelées conchoïdes non correspondantes à des mouvements existants dans la nature, et ont établi les propriétés de telles courbes. Nous avons plutôt décidé de considérer le phénomène de chute accélérée des corps tel qu’il se produit dans la nature, et de donner une définition du mouvement accéléré reproduisant les caractéristiques essentielles des mouvements accélérés observés. Et enfin, après des efforts répétés, nous pensons avoir réussi : nous avons confiance que les résultats expérimentaux sont en accord avec les propriétés que nous allons démontrer. Dans l’étude du mouvement naturellement accéléré, b nous avons suivi la nature elle-même, sous tous ses divers aspects, en supposant que son comportement soit le plus simple. Je pense que tout le monde est d’accord que les poissons et les oiseaux nagent et volent instinctivement de la manière la plus simple possible. Alors, quand je regarde une pierre initialement au repos, qui tombe d’une position élevée et gagne continuellement de nouveaux incréments de vitesse, pourquoi devrais-je douter que de telles augmentations se produisent de la manière la plus simple possible ? Aucune augmentation n’est plus simple que celle qui se répète toujours de la même manière. Tout comme l’uniformité du mouvement est définie comme le déplacement à travers des espaces égaux en des temps égaux (on appelle donc un mouvement uniforme lorsque des distances égales sont parcourues pendant des intervalles de temps égaux), nous pouvons imaginer un mouvement uniforme et continuellement accéléré lorsque, pendant n’importe quel intervalle de temps, la vitesse a des incréments égaux. Par conséquent, en divisant le temps depuis le début de la descente en intervalles égaux, la quantité de vitesse acquise pendant les deux premiers intervalles de temps sera le double de celle acquise pendant le premier intervalle ; la quantité ajoutée pendant trois intervalles de temps sera triple et ainsi de b. Galilée utilise l’expression « motus naturaliter acceleratus » aussi dans le titre de la section, ce qui signifie que son objectif principal est la description de la chute libre. Dans notre traduction nous avons indifféremment utilisé les expressions « naturellement accéléré » et « uniformément accéléré ».

179

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

suite. Pour être plus clair, si un corps devait continuer son mouvement avec la même vitesse que celle acquise au cours du premier intervalle de temps et devait maintenir la même vitesse uniforme, alors son mouvement serait deux fois plus lent que si sa vitesse avait été acquise au cours de deux intervalles de temps. Et donc, apparemment, nous n’avons pas tort si nous disons que : v(t) = at , (21) où a est une constante. La définition du mouvement dont nous allons discuter peut être formulée comme il suit : une particule est uniformément accélérée lorsque, partant du repos, elle acquiert des incréments égaux de vitesse dans des intervalles de temps égaux. Sagredo. Je ne peux pas offrir une objection rationnelle à cette ou à toute autre définition, étant donné que toutes les définitions sont arbitraires. Je peux quand même me demander si une telle définition, établie abstraitement, décrit le type de mouvement accéléré que nous rencontrons dans la nature dans le cas de corps en chute libre. Et puisque l’auteur soutient apparemment que sa définition correspond à la chute libre des corps, je voudrais que mon esprit soit libéré de certaines difficultés afin que je puisse plus tard m’appliquer plus attentivement aux propositions et à leurs démonstrations. Salv. Il est bon que toi et Simplicio souleviez ces difficultés. Elles sont, je pense, les mêmes que celles que j’ai eues quand j’ai vu ce traité pour la première fois, et que j’ai résolues soit en discutant avec l’auteur lui-même, soit en réfléchissant de mon côté. Sagr. [199] Quand j’imagine un corps lourd tombant à partir du repos, je vois qu’il démarre à une vitesse nulle et qu’il gagne de la vitesse proportionnellement au temps écoulé depuis le début du mouvement. Sous un tel mouvement, il acquerrait, par exemple, huit degrés de vitesse en huit battements de pouls ; à la fin du quatrième battement quatre degrés ; à la fin du second, deux ; à la fin du premier, un. Puisque le temps est divisible sans limite, si la vitesse antérieure d’un corps est inférieure à sa vitesse actuelle avec un rapport constant, alors il n’y 180

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

a pas de degré de vitesse si petite soit-elle (ou, on peut dire, pas de degré de lenteur si grande soit-elle) avec laquelle nous ne trouvions pas ce corps en mouvement après être parti d’une lenteur infinie, c’est-à-dire du repos. De sorte que si cette vitesse qu’il avait à la fin du quatrième intervalle de temps était telle que, s’il était maintenu en mouvement uniforme, le corps parcourrait deux miles en une heure, et s’il conservait la vitesse qu’il avait à la fin du deuxième intervalle, il traverserait un mile en une heure, il faut en déduire que, comme l’instant de départ est de plus en plus rapproché, le corps se déplace si lentement que, s’il continue à se déplacer à ce rythme, il ne parcourra pas un mile en une heure, ou en un jour, ou dans un an ou dans mille ans. En effet, il ne parcourait pas une seule paume dans un temps encore plus long ; un phénomène qui déconcerte l’imagination, alors que nos sens montrent qu’un corps lourd soudainement acquiert une grande vitesse dans sa chute. Salv. C’est une des complications que j’ai eues au début, et que j’ai surmontée en faisant l’expérience qui te met en difficulté. Toi tu dis que l’expérience semble montrer qu’immédiatement après qu’un corps lourd commence sa chute à partir du repos, il acquiert une très considérable vitesse : et je dis que la même expérience clarifie que le premier mouvement dans la chute d’un corps, peu importe son poids, est très lent et doux. Placez un corps lourd sur un matériau souple et laissez-le là sans aucune pression que celle due à son propre poids. Il est clair que si on fait monter en hauteur ce même corps par une coudée ou deux et qu’on le laisse tomber sur le même matériel, grâce à cette impulsion il exercera une plus grande pression que celle provoquée par son simple poids. Cet effet est provoqué par la conjugaison du poids du corps qui tombe et de la vitesse acquise lors de la chute, effet qui sera de plus en plus important en fonction de la hauteur de chute, c’est-à-dire en fonction de l’augmentation de la vitesse du mobile. À partir de l’intensité du coup, on peut ainsi estimer avec précision la vitesse d’un corps qui tombe. Mais dites-moi : n’est-il pas vrai que si on laisse tomber un maillet sur un pieu d’une 181

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

hauteur de quatre coudées et ceci l’enfonce, [200] par exemple, de quatre pouces, s’il tombe d’une hauteur de deux coudées il l’enfoncera d’une distance bien moindre, et de même pour une hauteur d’une coudée d’une distance encore moindre ? Et finalement, si la masse n’est soulevée que d’un pouce, de combien cela l’enfoncera-t-il de plus que si elle était simplement posée sur le piquet sans percussion ? Certainement très peu. Si le maillet est soulevé de l’épaisseur d’une feuille, l’effet de son coup sera tout à fait imperceptible. Et puisque l’effet du coup dépend de la vitesse de ce corps qui frappe, peut-on douter que le mouvement soit très lent et la vitesse plus que petite chaque fois que l’effet du coup est imperceptible ? Voyez maintenant la puissance de la vérité : la même expérience qui à première vue semblait montrer une chose, lorsqu’on l’examine plus attentivement, nous assure du contraire. Mais sans dépendre de l’expérience ci-dessus, qui est certainement très concluante, il me semble qu’il ne devrait pas être difficile d’établir un tel fait par le seul raisonnement. Imaginez une pierre lourde maintenue en l’air au repos par un support ; le support est retiré et la pierre dégagée. Comme la pierre est plus dense que l’air, elle commence à tomber, et non pas avec un mouvement uniforme mais lentement au début et avec un mouvement continuellement accéléré. Or, puisque la vitesse peut être augmentée et diminuée sans limite, quelle raison y a-t-il de croire qu’un tel corps partant d’une lenteur infinie, c’est-à-dire du repos, acquiert immédiatement une vitesse de dix degrés plutôt qu’une de quatre, ou de deux, ou d’un, ou d’un demi, ou d’un centième ; ou, en effet, d’une quelconque valeur de vitesse aussi petite qu’elle soit ? Je crois que tu acceptes que le gain de vitesse de la pierre qui tombe du repos suit la même séquence que la diminution et la perte de cette même vitesse lorsqu’une force motrice la reconduit à son élévation d’origine : je ne vois pas comment tu peux douter que la pierre ascendante, en diminuant sa vitesse, doive passer à travers tous les possibles degrés de lenteur avant de revenir au repos. Simplicio. Mais si le nombre des degrés de lenteur est sans limites, ils ne seront jamais complètement épuisés, donc un corps lourd 182

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

ascendant ne pourra jamais atteindre le repos, mais il ira continuer à se déplacer sans limite à un rythme toujours plus lent ; et ce n’est pas ce qu’on observe. Salv. Cela serait arrivé si le mobile s’attardait pendant un certain temps dans chaque degré ; mais il n’y fait que passer, sans y rester plus d’un instant. [201] Et puisque chaque intervalle de temps, même très petit, peut être divisé en un nombre infini d’instants, ceux-ci seront toujours suffisants en nombre pour correspondre à l’infini degré de diminution de la vitesse. Un corps ne peut pas rester pour une durée de temps finie à tout degré de vitesse, comme cela devient évident grâce à la preuve suivante : si le corps se déplace avec la même vitesse dans le deuxième comme dans le premier intervalle de temps, il pourrait à partir de ce second degré de vitesse être pareillement soulevé à hauteur égale, comme il a été transféré de la première vitesse à la seconde, et par le même raisonnement il passerait du deuxième au troisième instant et continuerait pour toujours dans le mouvement uniforme. Sagr. Il me semble que nous pouvons tirer de ces considérations une solution convenable à un problème discuté par les philosophes, à savoir, quelle est la cause de l’accélération dans le mouvement naturel des corps lourds. Puisque, me semble-t-il, le mouvement imprimé par l’agent projetant le corps vers le haut diminue continuellement, cette force, tant qu’elle était supérieure à la force contraire de la gravitation, pousse le corps vers le haut. Quand les deux sont en équilibre, le corps cesse de s’élever et passe par l’état de repos dans lequel l’élan imprimé n’est pas détruit, mais seulement son excès par rapport au poids du corps a été consommé - l’excès qui a fait élever le corps. Puis, comme la diminution de l’impulsion externe se poursuit, et la gravité gagne, la chute commence, au début lentement à cause de l’opposition de l’impulsion, qui en grande partie persiste encore dans le corps ; à mesure que celle-ci diminue, elle est de plus en plus vaincue par la gravité, d’où l’accélération continue du mouvement. Simp. L’idée est intelligente, mais plus subtile que solide ; car, même si l’argument était concluant, il n’expliquerait que le cas où un 183

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

mouvement naturel est précédé d’un mouvement violent, et où une partie de la force extérieure reste encore active ; mais dans le cas où le corps part d’un état de repos, le raisonnement échoue. Sagr. Je crois que ta distinction entre les cas est superflue. Mais, dis-moi, un projectile ne peut-il pas recevoir du projecteur soit une grande ou une petite force de façon à être projeté à une hauteur de cent coudées, et même vingt ou quatre ou une ? Simp. [202] Certainement oui. Sagr. Lorsque nous tenons une pierre dans notre main, que faisonsnous d’autre que de lui transmettre une force qui la pousse vers le haut, égale et opposée à la gravité qui l’entraîne vers le bas ? Et n’imprimonsnous pas continuellement cette force sur la pierre tant que nous la tenons en main ? La force ne diminue-t-elle que tant que la pierre est tenue ? Et qu’importe si ce support qui empêche la pierre de tomber est fourni par une main ou une table ou une corde à laquelle elle est suspendue ? Sûrement aucune importance. Tu dois donc conclure, Simplicio, qu’il n’y a aucune différence que la chute de la pierre soit précédée d’un repos long, court ou instantané : la chute n’a pas lieu tant qu’une action opposée à son poids et suffisante est exercée sur la pierre pour la maintenir immobile. Salv. Ceci ne semble pas être le bon moment pour rechercher la cause de l’accélération dans le mouvement naturel, un sujet sur lequel diverses opinions ont été exprimées par divers philosophes, certains expliquant qu’elle est due à l’attraction vers le centre de la Terre, d’autres à la répulsion entre les minuscules parties des objets ; encore d’autres pensent que le milieu entourant un objet se ferme derrière le corps et le pousse en bas. Toutes ces hypothèses, et d’autres encore, doivent être examinées ; mais ce n’est pas vraiment la peine de le faire maintenant. À l’heure actuelle, le but de notre auteur est simplement d’enquêter et de démontrer certaines propriétés du mouvement accéléré (quelle que soit la cause de cette accélération) – ce qui signifie d’un mouvement tel que la vitesse continue à augmenter après le départ du repos, en simple proportionnalité au temps, ce qui revient à dire qu’à 184

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

intervalles de temps égaux, le corps reçoit des incréments égaux de vitesse. Si nous trouvons que les propriétés du mouvement accéléré qui sera illustré plus tard sont réalisées dans la chute libre des corps, on pourra conclure que la définition supposée comprend un mouvement comme la chute des corps et que dans ce mouvement la vitesse croît proportionnellement au temps. Sagr. [203] Autant que je vois à présent, la définition aurait pu être formulée un peu plus clairement peut-être sans changer l’idée fondamentale : à savoir, le mouvement uniformément accéléré est tel que la vitesse augmente en proportion de l’espace parcouru, de sorte que, par exemple, la vitesse acquise par un corps en tombant de quatre coudées serait le double de celle acquise en tombant de deux coudées et cette dernière vitesse serait le double de celle acquise dans la première coudée. Car il est évident qu’un corps lourd tombant de la hauteur de six coudées frappe avec une percussion double par rapport à celle qu’il avait après trois coudées, et sextuple par rapport à celle qu’il avait après une coudée. Salv. Il m’est très réconfortant d’avoir eu un tel compagnon d’erreur. Ta proposition semble si probable que notre auteur a admis, quand je lui ai avancé cette opinion, qu’il avait lui-même durant un certain temps partagé la même erreur. Mais ce qui m’a surpris le plus est de voir que deux propositions si intrinsèquement vraisemblables que la plupart des gens les acceptent sans aucun doute peuvent être prouvées impossibles avec de simples raisonnements. Simp. Je suis parmi ceux qui croient qu’un corps en chute acquiert de l’élan dans sa descente, sa vitesse augmentant en proportion de l’espace, et que la quantité de mouvement du corps est double lorsqu’il tombe d’une double hauteur ; cette proposition, il me semble, devrait d’être admise sans hésitation ou controverse. c Salv. Et pourtant c’est faux et impossible puisque dans ce cas le mouvement devrait s’achever instantanément ; je vais t’en donner une très claire démonstration. Si les vitesses sont en proportion de c. Ici Simplicio n’est pas du tout aristotélique. 185

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

la distance parcourue ou à parcourir, alors ces distances sont parcourues dans des intervalles de temps égaux ; si, par conséquent, la vitesse avec laquelle le corps qui tombe pour un espace de huit pieds était le double de celle avec laquelle il a parcouru les quatre premiers pieds et vu que les distances parcourues sont le double de l’autre, alors les intervalles de temps requis pour ces passages seraient égaux. Mais pour le même corps franchir huit pieds et quatre pieds dans le même temps est impossible, sauf dans le cas d’un mouvement instantané. [204] L’observation nous montre que le mouvement d’un corps qui tombe prend du temps, et que ce temps est mineur pour parcourir une distance de quatre pieds que de huit pieds ; il n’est donc pas vrai que sa vitesse augmente en proportion de l’espace. La fausseté de l’autre proposition peut être démontrée avec une égale clarté. Si nous considérons un seul corps qui frappe le sol, la différence de quantité de mouvement dans ses coups ne peut dépendre que de la différence de vitesse ; si le corps tombant d’une double hauteur portait un coup avec un effet double, il aurait une double vitesse ; mais avec cette double vitesse, il traverserait un espace double dans le même intervalle de temps. L’observation montre cependant que le temps nécessaire à la chute d’une plus grande hauteur est plus long. Sagr. Tu présentes ces choses obscures avec beaucoup d’évidence et de facilité ; cette grande facilité les rend moins appréciées que si elles avaient été présentées de manière plus abstruse. À mon avis, on estime moins la connaissance qu’on acquiert avec peu de travail que celle qu’on a acquise par de longues et obscures discussions. Salv. Si ceux qui démontrent avec brièveté et clarté l’erreur de nombreuses croyances populaires étaient traités avec mépris plutôt qu’avec gratitude, le préjudice serait tout à fait supportable ; mais d’autre part, il est très désagréable et gênant de voir des gens, qui prétendent être pairs des autres dans un certain domaine d’études, prendre pour acquises certaines conclusions qui sont plus tard rapidement et facilement montrées être fausses. Je ne voudrais pas décrire un tel sentiment comme une sorte d’envie, qui pourrait dégénérer 186

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

en haine et en colère contre ceux qui découvrent de telles erreurs ; j’appellerais cela un fort désir de maintenir de vieilles erreurs, en lieu que d’accepter des vérités nouvelles. Ce désir parfois conduit certaines personnes à s’unir contre la vérité, simplement pour réduire l’estime que la foule porte à certains autres. En effet, j’ai entendu de notre académicien beaucoup de ces sophismes tenus pour vrais mais facilement réfutables. Sagr. Tu ne dois pas nous en priver, mais, au bon moment, nous en parler, même si une séance supplémentaire sera nécessaire à ce propos. [205] Mais maintenant, en continuant à suivre le fil de notre discussion, il me semble que jusqu’à présent nous avons établi la définition du mouvement uniformément accéléré qui est exprimée comme suit : Définition. Un mouvement est dit naturellement ou uniformément accéléré lorsque, à partir du repos, la vitesse reçoit des incréments égaux dans des intervalles de temps égaux : v(t) = at ,

(22)

avec a (qu’on appelle accélération) constante. Salv. Cette définition établie, l’Auteur fait une seule hypothèse, à savoir : Postulat. Les vitesses acquises par un corps se déplaçant vers le bas le long de plans de différentes inclinaisons sont égales lorsque les hauteurs de ces plans sont égales. Par hauteur d’un plan incliné, on entend la longueur de la perpendiculaire allant de l’extrémité supérieure du plan à la ligne horizontale passant par l’extrémité inférieure du même plan. Ainsi, pour illustrer, supposons que la ligne AB soit horizontale, et que les plans CA et CD soient inclinés par rapport à elle. Alors l’Auteur appelle la 187

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

perpendiculaire CB la « hauteur » des plans CA et CD ; il suppose que les vitesses acquises par un corps descendant le long des plans de CA et CD sont égales dans les points A et D puisque les hauteurs de ces plans sont les mêmes, et égales à CB ; et cette vitesse est la même que celle qui serait acquise par le corps tombant verticalement de C à B.

Sagr. Ton hypothèse me semble si raisonnable qu’elle devrait être concédée sans question, à condition que, bien entendu, il n’y ait pas de résistances, que les plans soient lisses, et que le corps en mouvement soit parfaitement poli. Toute résistance ayant été enlevée, ma raison me dit à la fois qu’une boule lourde et parfaitement ronde descendant le long des lignes CA, CD, CB rejoint les points A, D, B, avec une égale vitesse. Salv. Ces propos sont très plausibles ; mais je compte sur l’expérience pour obtenir une démonstration.

188

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

[206-214] Imaginez que cette page représente un mur vertical, avec un clou enfoncé dedans, et à partir du clou soit suspendue une bille de plomb d’une ou deux onces à l’aide d’un fil vertical fin, AB, disons de quatre à six coudées de long. Tracez sur ce mur une ligne horizontale DC, perpendiculaire au fil vertical AB, qui passe à environ deux pouces plus haut que B. Maintenant, ramenez le fil AB avec la bille dans la position AC et laissez-la libre ; elle descendra le long de l’arc CBD, pour passer outre le point B, et continuer sa trajectoire le long de l’arc BD, jusqu’à ce qu’elle atteigne presque l’horizontale CD, une légère perte de hauteur étant provoquée par la résistance de l’air et du fil. Nous pouvons à juste titre en déduire que la bille dans sa descente à travers l’arc CB a acquis une impulsion en B, qui était suffisante pour la porter le long de l’arc BD à la même hauteur que celle de C. Après avoir répété cette expérience plusieurs fois, fixons un clou dans le mur près de la perpendiculaire AB, E ou F, de sorte que le fil, amenant la bille le long de l’arc CB, puisse frapper le clou E lorsque la bille atteint B, et l’obliger ainsi à parcourir l’arc BG, centré autour de E. Le même élan qui, partant auparavant du même point B, a porté le même corps le long de l’arc BD jusqu’à l’horizontale CD, l’amène à G. Tu verrais que le même résultat se produirait si l’obstacle était placé à un point plus bas, disons en F, et pour lequel la bille décrirait l’arc BI, avec une montée se terminant toujours exactement sur la ligne CD ; mais si le clou est positionné très bas, c’est-à-dire plus proche du point B que de l’intersection de AB avec l’horizontale CD, le fil restant ne peut pas atteindre la hauteur de la ligne CD et s’enroule autour du clou. Cette expérience ne laisse aucun doute en relation à la vérité de notre supposition : puisque les deux arcs CB et DB sont égaux, l’élan acquis par la chute le long de l’arc CB est le même que celui acquis par la chute le long de l’arc DB ; il en va de même par la chute le long des arcs GB et IB. Sagr. Cet argument me semble si concluant et l’expérience si bien adaptée pour établir l’hypothèse que nous pouvons, en effet, la considérer comme démontrée. 189

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

Salv. Je ne veux pas que nous fassions d’autres hypothèses à ce sujet, car nous appliquerons ce principe principalement aux mouvements qui se produisent sur des surfaces planes, et non sur des surfaces courbes, le long desquelles l’accélération varie différemment de ce que nous avons pour les plans inclinés. Pour l’instant, considérons cela comme un postulat dont la vérité sera établie lorsque nous découvrirons que ce que nous pouvons en déduire correspond et s’accorde parfaitement avec nos observations. En se basant sur ce seul principe et sur la définition du mouvement uniformément accéléré, l’Auteur affirme les propositions suivantes : Proposition (théorème). Le temps pendant lequel tout espace est parcouru par un corps partant du repos et uniformément accéléré est égal au temps pendant lequel ce même espace serait parcouru par le même corps se déplaçant à une vitesse uniforme dont la valeur serait la moitié de la vitesse finale. Puisque v(t) = at, la vitesse moyenne durant le temps du mouvement uniformément accéléré d’un corps partant du repos et terminant son mouvement à une vitesse finale v f , sera égale à v f /2. Le mouvement peut être pensé comme une séquence de mouvements uniformes avec une vitesse v(t), et par conséquent s(t) =

vf t. 2

(23)

Proposition (théorème). Les espaces décrits par un corps qui tombe à partir du repos et se meut avec un mouvement uniformément accéléré sont entre eux comme les carrés des intervalles de temps employés pour parcourir ces distances. De l’équation précédente (23) nous avons s (t) =

vf t 2

à partir de laquelle, considérant que au temps t/2 la vitesse est la moitié 190

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

de la vitesse finale,   vf t t =a . =v 2 2 2 Nous avons s(t) =

1 2 at . 2

(24)

Corollaire. Si nous considérons le temps des intervalles de même longueur à partir du début du mouvement, les espaces parcourus dans les intervalles successifs sont entre eux dans le même rapport que la succession des nombres impairs : 1, 3, 5... En fait, en exprimant les nombres impairs à partir de l’unité comme (2j − 1), avec j = 1, 2... (la succession des nombres naturels), on a 1 = 12 1 + 3 = 22 1 + 3 + 5 = 32 ... 1 + 3 + ... + (2n − 1) = n 2 . Si donc, pendant des intervalles de temps égaux, la vitesse augmente linéairement (et donc proportionnellement à la séquence des nombres naturels), les augmentations des distances parcourues pendant ces intervalles de temps égaux sont entre elles comme les nombres impairs commençant par l’unité, et l’espace total parcouru est proportionnel au carré du temps, et vice versa. Simp. Je suis convaincu que les choses sont telles que décrites, une fois acceptée la définition du mouvement uniformément accéléré. Mais je doute encore que cette accélération soit celle qu’on rencontre dans la nature dans le cas de la chute des corps ; et, il me semble, non seulement pour mon propre bien, mais aussi pour tous ceux qui pensent comme moi, que ce serait le bon moment d’introduire une des expériences – et il y a beaucoup d’entre elles, si je comprends 191

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

bien – qui supportent en plusieurs manières ces conclusions. Salv. La demande que toi, en tant qu’homme de science, fais, est très raisonnable ; car c’est la coutume – et à juste titre – dans ces sciences où les démonstrations mathématiques sont appliquées aux phénomènes naturels, comme on le voit dans le cas de la perspective, de l’astronomie, de la mécanique, de la musique, et d’autres où les principes, une fois établis par des expériences bien choisies, deviennent les fondements de la structure entière. Je pense donc que ce ne sera pas une perte de temps si nous discutons assez longuement de cette première question fondamentale sur laquelle reposent de nombreuses conséquences dont seule une petite sélection est présentée dans ce livre, choisie par l’Auteur, qui a tant fait pour ouvrir une voie jusque-là fermée aux esprits spéculatifs. Quant aux expériences, elles n’ont pas été négligées par l’Auteur ; et souvent, en sa compagnie, j’ai essayé de la manière suivante de m’assurer que l’accélération réellement acquise par les corps en chute est celle décrite ci-dessus. Sur le bord d’un morceau de moulure ou d’échantillon de bois, long d’environ 12 coudées, large d’une demi-coudée et épais de trois pouces, nous avons taillé un canal d’un peu plus d’un pouce, très droit, lisse et poli que nous avons doublé avec du parchemin, aussi lisse et poli que possible pour y laisser rouler une bille de bronze dure, lisse et très ronde. Après avoir placé ce morceau de bois dans une position inclinée, en soulevant une extrémité d’une ou deux coudées au-dessus de l’autre, nous avons lancé la bille, comme je viens de le dire, le long du canal, en notant, d’une manière qui sera décrite maintenant, le temps nécessaire pour parcourir la descente. Nous avons répété cette expérience plus d’une fois afin de mesurer le temps avec une précision telle que l’écart entre deux observations n’excède jamais un dixième de battement de pouls. Après avoir effectué cette opération et s’être assuré de sa fiabilité, nous avons fait rouler la bille sur un quart de la longueur du canal ; et ayant mesuré le temps de sa descente, nous avons trouvé précisément qu’il vaut la moitié du temps nécessaire pour parcourir toute la 192

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

longueur. Ensuite, nous avons essayé d’autres distances, en comparant le temps mesuré pour parcourir toute la longueur, avec celui obtenu pour la moitié de la longueur, ou avec celui pour les deux tiers, ou les trois quarts, ou bien pour n’importe quelle fraction de la longueur. Dans de telles expériences, répétées une centaine de fois, nous avons toujours trouvé que les espaces parcourus étaient les uns par rapport aux autres comme les carrés des temps, et cela était vrai pour toutes les inclinaisons du plan, c’est-à-dire du canal, le long duquel nous avons fait rouler la bille. Nous avons également observé que les temps de descente, pour diverses inclinaisons du plan, étaient précisément dans ce même rapport ; comme nous le verrons plus tard, l’Auteur l’avait déjà prédit et démontré. Pour la mesure du temps, nous avons employé un grand vase d’eau placé dans une position élevée ; au fond de ce vase était soudé un tuyau de petit diamètre donnant un mince jet d’eau, que l’on recueillait dans un petit verre pendant le temps de chaque descente, soit sur toute la longueur du canal, soit sur une partie de sa longueur. L’eau ainsi recueillie était pesée, après chaque descente, sur une balance très précise ; les différences et les rapports de ces poids nous ont donné les différences et les rapports des temps, et cela avec une telle précision que bien que l’opération fut répétée de très nombreuses fois, il n’y eut pas de divergence appréciable dans les résultats. Simp. J’aurais aimé être présent à ces expériences ; j’ai confiance dans le soin avec lequel tu les as effectuées, et dans la fidélité avec laquelle tu les rapportes. Je suis satisfait et je les accepte comme vraies et valides. Salv. Nous pouvons donc continuer la lecture sans discussion. Corollaire. Les intervalles de temps qu’un corps en chute prend pour parcourir deux distances sont entre eux comme l’une de ces distances est à la moyenne proportionnelle des distances elles-mêmes. De s1 = at12 193

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

et s2 = at22 on a, en divisant les membres correspondants de l’équation, r √ s1 s1 s2 t1 = = t2 s2 s2 √ ( s1 s2 est la moyenne géométrique, ou moyenne proportionnelle, entre s1 et s2 ). Commentaire. Le corollaire susmentionné s’applique également aux plans inclinés à n’importe quel angle, puisque nous supposons que le long de ces plans la vitesse augmente dans le même rapport, c’est-à-dire proportionnellement au temps ou, si on préfère, comme la séquence des nombres naturels. Salv. Ici, Sagredo, je voudrais, si ce n’est pas trop ennuyeux pour Simplicio, interrompre un instant la présente discussion pour faire quelques ajouts basés sur ce qui a déjà été prouvé et sur les quelques principes mécaniques que nous avons déjà appris de notre académicien. J’ouvre cette parenthèse pour mieux établir, sur des bases logiques et expérimentales, le principe que nous avons considéré plus haut ; et ce qui est plus important, dans le but de le dériver mathématiquement, après avoir d’abord démontré un seul lemme qui est fondamental dans la science du mouvement. Sagr. [215-223] Si la parenthèse que tu proposes de faire est de nature à confirmer et établir pleinement ces sciences du mouvement, je serai heureux de consacrer à ça tout le temps qu’il faut. Je te prie de satisfaire la curiosité que tu as éveillée en moi concernant ta proposition ; et je pense que Simplicio sera d’accord. Simp. Bien sûr. Salv. 36 Alors, puisque j’ai votre permission, considérons d’abord un fait remarquable : la quantité de mouvement d’un même corps se déplaçant le long d’un plan incliné d’une longueur donnée varie 194

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

avec l’inclinaison du plan. La vitesse est maximale si la direction est verticale et pour les autres directions elle diminue à mesure que le plan s’éloigne de la verticale.

Pour plus de clarté, en se référant à la figure, la vitesse acquise par le corps tombant dépend de la distance le long de la verticale et est maximale lorsque le corps tombe dans cette direction ; elle est plus petite le long de DA et encore plus petite le long de EA, et encore plus petite le long du plan plus incliné FA. Enfin sur le plan horizontal l’accélération disparaît complètement. Le corps est dans un état d’équilibre indifférent au mouvement ou à l’immobilité ; il n’a aucune tendance inhérente à se déplacer dans n’importe quelle direction et n’offre aucune résistance au mouvement. Ainsi il est impossible pour un corps lourd ou un système de corps lourds de se déplacer spontanément vers le haut, ou de s’éloigner du centre commun vers lequel tendent les choses lourdes. Il est impossible à un corps d’assumer de sa propre initiative un mouvement autre que celui qui le rapproche du centre commun précité. Ainsi, le long d’une surface horizontale dont chaque point est équidistant de ce même centre commun, le corps n’acquiert aucune vitesse. J’ai besoin d’expliquer quelque chose que notre académicien a écrit à Padoue, l’incarnant dans un traité de mécanique37 préparé 195

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

uniquement à l’usage de ses étudiants, et le prouvant de manière concluante en considérant l’origine et la nature de ce merveilleux instrument, la vis. Il a démontré comment le changement de vitesse le long des plans de différentes inclinations est différent. Compte tenu de l’inclination du plan AF, par exemple, et en prenant comme son élévation au-dessus de l’horizontale la ligne FC, le long de laquelle l’impulsion d’un corps lourd en descente est maximale, nous voulons déterminer le rapport entre cette impulsion et celle qu’aurait le même corps le long de la ligne inclinée FA. Je dis que ce rapport est inverse à celui des dites longueurs. Il est clair que la force agissante sur un corps en descente est égale à la force minimale suffisante pour le maintenir au repos. Pour mesurer cette force, je propose d’utiliser le poids d’un autre corps. Plaçons sur le plan FA un corps G relié au poids H au moyen d’une corde passant par le point F ; alors le corps H montera ou descendra, le long de la perpendiculaire à l’horizontale, de la même distance que le corps G monte ou descend suivant le plan incliné FA. C’est clair. Dans le triangle AFC, le mouvement du corps G de A à F se décompose en une composante horizontale AC et une composante verticale CF, et rappelle-toi que ce corps ne subit aucune résistance au mouvement le long de l’horizontale (parce que pour ce mouvement horizontal le corps ne gagne ni ne perd de distance par rapport au centre commun des corps lourds) ; il s’ensuit que la résistance n’est rencontrée que par suite de l’élévation du corps de la distance verticale CF. De ce fait, le corps G lors du passage de A à F offre une résistance uniquement grâce à la composante verticale du mouvement le long de CF, tandis que l’autre corps H tombe verticalement sur une distance totale FC, d et étant donné que ce rapport est maintenu quel que soit le mouvement, les deux corps étant reliés à une distance mutuelle fixe, nous pouvons affirmer qu’en cas d’équilibre les vitesses dans leur tendance au mouvement, c’est-à-dire les espaces qu’ils traverseraient en des temps égaux, doivent être dans le rapport inverse de leurs poids effectifs. d. Dans l’original FA. 196

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

C’est ce qui a été démontré dans tous les cas de mouvements mécaniques. En conclusion, dans le but de maintenir le poids en G, wG , au repos, il faut donner à H un poids w H inférieur dans le même rapport tel que la distance |FC| soit plus petite que |FA|. Si la condition |FA| : |FC| = wG : w H est satisfaite, alors l’équilibre se produira ; ce qui veut dire que les poids H et G tireront en directions opposées avec les mêmes forces, et les deux corps seront au repos. Et puisque nous sommes d’accord que l’impulsion, l’énergie, la quantité de mouvement, la tendance au mouvement d’un corps, e sont au moins aussi grandes que la force nécessaire pour l’arrêter, et vu que nous avons trouvé que le poids en H est capable d’empêcher le mouvement du poids en G, il s’ensuit que le plus petit poids w H dont toute la force s’exerce le long de la verticale FC, sera une mesure exacte de la composante de force que le plus grand poids wG exerce le long du plan FA. Mais la mesure de la force totale effective exercée sur le corps G est le poids de H, car pour éviter sa chute, il suffit en effet de l’équilibrer avec un poids égal, à condition que ce second poids soit libre de se déplacer verticalement ; par conséquent, le rapport entre la composante de la force effective de G le long du plan incliné FA et la force maximale et totale sur ce même corps G le long de la perpendiculaire FC est égal au rapport entre le poids de H et le poids de G. Ce rapport est, par construction, égal au rapport entre la hauteur, |FC| et la longueur |FA| du plan incliné : wG, efficace = w H = wG

|FC| = wG sin θ , |FA|

(25)

(où θ est l’angle formé par le plan incliné par rapport à l’horizontale), et le corps se déplacera avec accélération proportionnelle à sin θ. C’est le lemme que je voulais démontrer et qui, comme tu vas voir, a été e. Je reproduis ici les termes utilisés par Galilée, qui montrent une certaine confusion entre ces concepts (la formalisation de la mécanique va commencer seulement avec Newton).

197

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

démontré par notre auteur dans son traité. Sagr. De ce que tu m’as montré, il me semble qu’on peut déduire que les forces sur le même corps en mouvement sur des plans inclinés différemment, mais avec la même hauteur verticale, comme |FA| et |FI|, sont inversement proportionnelles à la longueur du plan. Salv. Je vais maintenant reprendre la lecture du texte. Proposition (théorème). En négligeant toute résistance, si un corps tombe librement sur des plans inclinés de n’importe quel angle, mais avec la même hauteur, les vitesses avec lesquelles il atteint le fond sont les mêmes.

Á partir des expressions v = at (21) et s = 1/2 a t 2 (24) nous avons √ (26) v(s) = 2as . Si on appelle g l’accélération dans un mouvement de chute libre le long de la verticale, l’accélération dans un mouvement sans frottement le long d’un plan incliné générique d’un angle par rapport à l’horizontale est, comme nous l’avons vu, f a = g sin θ .

(27)

f. L’accélération verticale pour un point matériel est g. Pour une sphère roulante ou un cylindre roulant l’accélération est g ′ < g, puisqu’une partie de l’énergie cinétique est dépensée en énergie de rotation. Le concept reste néanmoins valide.

198

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

Ainsi √

r

p h = 2gh , sin θ où h est la hauteur AC. Comme on voulait le démontrer. vf =

2as =

2g sin θ

(28)

Proposition (théorème). Si le même corps, partant du repos, tombe le long de plans inclinés chacun ayant la même hauteur, ou le long de la verticale, les temps de descente seront entre eux comme les longueurs respectives du plan incliné et de la verticale. De v B = v A (v B et v A sont respectivement les vitesses dans les points B et A), et v = at (où a = g sin θ), en appelant t B et t A respectivement les temps d’arrivée dans B et A, tB |CB| = . tA |CA| Sagr. Il me semble que ce qui précède aurait pu être prouvé clairement et brièvement sur la base d’une proposition déjà démontrée, à savoir que la distance parcourue dans le cas d’un mouvement accéléré le long de CA ou CB est la même que celle couverte avec une vitesse uniforme dont la valeur est la moitié de la vitesse maximale ; si les deux tronçons CA et CB ont été parcourus avec la même vitesse uniforme, il est évident que les temps de descente seront entre eux comme les distances. Corollaire. Les temps de descente le long de plans ayant différentes inclinaisons, mais la même hauteur verticale, sont entre eux comme les longueurs de ces plans. Proposition (théorème). Si à partir du point le plus haut ou le plus bas d’un cercle vertical nous dessinons des cordes inclinées qui rencontrent la circonférence, les temps de descente le long de chaque corde sont les mêmes.

199

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

Soit R le rayon de la circonférence38 et s la longueur d’une corde générique (plan de descente) ; le temps de descente (24) sera tel que t2 =

2s . a

Si 2α est l’angle au centre d’une corde générique AD, l’élévation du plan incliné est α, et la longueur de la corde est s = 2R sin α. Nous avons t2 =

2s 4R sin α 4R = = , a g sin α g

et donc le temps de descente ne dépend pas de la corde choisie, comme nous voulions le démontrer. Corollaire 1. Les temps de descente d’un corps le long de toutes les cordes conduites des extrémités de la circonférence au point le plus bas

200

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

sont égaux. g Corollaire 2. Si de n’importe quel point sont tracées une ligne verticale et une ligne inclinée le long desquelles les temps de descente sont les mêmes, la ligne inclinée est une corde d’un demi-cercle dont la ligne verticale est le diamètre. Sagr. [224-241] Permettez-moi d’interrompre un instant ton explication afin de clarifier une idée qui me vient à l’esprit ; une idée qui, si elle ne contient pas d’erreurs, suggère une circonstance étrange et intéressante, comme le sont souvent celles suggérées par la nature ou par nécessité.

g. C’est la démonstration la plus proche de l’isochronisme des oscillations du pendule, déjà affirmé par Galilée dès le premier jour. Notez toutefois que le pendule se déplace le long de l’arc et non le long de la corde, et donc l’égalité n’est vraie que dans la limite dans laquelle on peut approximer la corde avec l’arc, c’est-à-dire pour des angles suffisamment petits : l’isochronisme n’est qu’une propriété approximée. Galilée ne fait pas cette observation, et son affirmation du premier jour est incorrecte pour des ordres supérieurs au premier dans une série de puissances de l’angle maximum par rapport à la verticale, mais elle était évidemment en accord avec les observations de Galilée. Par exemple, pour une horloge domestique, avec un angle maximum typique de 3 degrés (0,05 radian), la différence entre la période réelle et l’approximation isochrone des angles petits s’élève à environ 15 secondes par jour.

201

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

Si, à partir de n’importe quel point fixe d’un plan horizontal, on trace des droites qui s’étendent indéfiniment dans toutes les directions, et si on imagine un point se déplaçant le long de chacune de ces lignes à vitesse constante, le tout partant du point fixe au même instant et avec la même vitesse, il est clair que tous ces points mobiles se retrouveront sur la circonférence d’un cercle de plus en plus grand, ayant toujours pour centre le point fixe précité. Ce cercle s’étend exactement de la même manière que les petites vagues qui se forment lorsqu’on laisse tomber un caillou dans l’eau calme, où l’impact de la pierre se propage dans toutes les directions, tandis que le point d’impact reste le centre de ces vagues circulaires en expansion. Imaginez maintenant un plan vertical à partir du point le plus élevé duquel nous traçons des lignes inclinées à chaque angle qui s’étendent indéfiniment ; imaginez aussi qu’à partir du même instant, des particules lourdes descendent le long de ces lignes chacune avec un mouvement naturellement accéléré. Quel sera le lieu des positions de ces particules à tout instant ? La réponse à cette question est surprenante : les théorèmes précédents nous disent que ces particules seront toujours sur la circonférence d’un cercle, qui grandit à mesure que les particules s’éloignent de plus en plus de l’endroit où leur mouvement a commencé. Observez la figure : un nombre infini de particules voyageant le long d’un nombre infini de pentes différentes se trouvent toujours, à des instants successifs, sur la circonférence d’un même cercle en constante expansion. Les deux types de mouvement qui se produisent dans la nature, mouvement rectiligne uniforme et mouvement uniformément accéléré, donnent donc lieu à deux séries infinies de cercles, avec une différence : le premier dessine un nombre infini de cercles concentriques ; le deuxième, avec des accélérations qui dépendent de la pente, donne lieu à une infinité de cercles excentriques qui partent du point le plus élevé. De plus, si des deux points choisis comme origine du mouvement on trace des lignes non seulement dans les plans horizontaux et

202

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

verticaux, mais dans toutes les directions, on produit une infinité de sphères, ou plutôt une seule sphère qui s’étend dans des dimensions illimitées, et ceci dans les deux cas : dans l’un avec l’origine au centre, dans l’autre à la surface des sphères. Salv. L’idée est vraiment belle et digne de l’esprit intelligent de Sagredo. Simp. Quant à moi, je comprends d’une manière générale comment les deux sortes de mouvements naturels donnent vie à des cercles et à des sphères ; et pourtant, quant à la production de cercles par le mouvement accéléré, je n’ai pas bien compris. En tout cas, le fait que l’origine du mouvement puisse être supposée à la fois au centre absolu et au point le plus élevé me conduit à penser qu’il peut y avoir un grand mystère caché dans ces résultats vrais et merveilleux, un mystère lié à la création de l’Univers, que l’on dit de forme sphérique, et aussi à la base de la cause première. Salv. Je n’hésite pas à être d’accord avec toi. Mais des considérations profondes de ce genre appartiennent à des sciences supérieures à la nôtre. Il faut se contenter d’être comme ces humbles ouvriers qui extraient le marbre dont, plus tard, le talentueux sculpteur produira ces chefs-d’œuvre jusque-là cachés dans cette coquille rugueuse et informe.39 Maintenant, s’il te plaît, continuons. Corollaire 4. Les temps de descente le long de tous les plans inclinés qui coupent le même cercle vertical, en son point le plus haut ou le plus bas, sont égaux au temps de descente le long du diamètre vertical. Pour les plans qui coupent la circonférence avant ce diamètre, les temps sont plus courts ; pour les plans qui coupent ce diamètre, les durées sont plus longues.

203

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

La première affirmation a déjà été prouvée. La preuve de la seconde est triviale : le plan DF est plus incliné et plus court que DB, et donc le temps de trajet est plus court. Au contraire, CO est plus long et moins incliné que CB, et donc le temps de trajet est plus long. Proposition (théorème). Si les hauteurs de deux plans inclinés sont dans la même proportion que les carrés de leurs longueurs, les corps qui partent du repos parcourent ces plans en des temps égaux. t2 =

2s 2s 2 2s = = , a gh/s gh

ce qu’il fallait démontrer. Proposition (théorème). Les temps de descente le long de plans inclinés de la même hauteur h, mais de pentes différentes, sont entre eux comme les longueurs de ces plans ; et ceci est vrai aussi bien si le mouvement part du repos que s’il est précédé d’une chute d’une hauteur h. Si le corps part du repos, et si la hauteur h est constante, t2 =

204

2s 2s 2s 2 = = =⇒ t ∝ s. a gh/s gh

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

En tombant d’une hauteur h’ le corps acquiert une vitesse v0 = au début du mouvement, et donc on aura

p 2gh ′

1 h s = v0 t + g t 2 . 2 s Donc

q v02 + 2as − v0

t=

. a Mais 2as = 2gh ne dépend que de h, et est donc constant. Il en suit que t∝

1 1 = ∝s. a gh/s

Proposition (théorème). [242-243] 40 Si, après avoir descendu le long d’un plan incliné, le mouvement se poursuit le long d’une ligne horizontale, la distance parcourue par un corps, pendant un temps égal à la durée de la chute, sera le double de la distance parcourue pendant la chute. Démonstration. La vitesse moyenne pendant la phase d’accélération est, par définition du mouvement uniformément accéléré, < v >=

vf , 2

et donc l’espace parcouru dans le temps de chute sera la moitié de l’espace parcouru après la chute, pendant le mouvement horizontal. Commentaire. Le même résultat peut être obtenu par une autre approche. Considérons le triangle ABC, qui, par des lignes tracées parallèlement à sa base, représente pour nous une vitesse croissante en proportion du temps ; si ces lignes sont en nombre infini, de même que les points de la ligne AC sont infinis ou que le nombre d’instants dans n’importe quel intervalle de temps est infini, ils formeront l’aire du triangle. Supposons maintenant que la vitesse maximale atteinte – représentée par la ligne BC – se poursuive, sans accélération et à valeur constante, sur 205

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

un autre intervalle de temps égal au premier. À partir de ces vitesses se constituera, de la même manière, l’aire du parallélogramme ADBC, c’està-dire le double de celle du triangle ABC ; en conséquence, la distance parcourue avec ces vitesses pendant un intervalle de temps donné sera le double de celle parcourue avec les vitesses représentées par le triangle pendant un intervalle de temps égal. Mais le long d’un plan horizontal le mouvement est uniforme puisqu’ici il ne subit ni accélération ni ralentissement ; on conclut donc que la distance CD parcourue pendant un intervalle de temps égal à AC est le double de la distance AC, car celui-ci est parcouru d’un mouvement partant du repos et augmentant en vitesse proportionnellement aux lignes parallèles du triangle, tandis que le premier est parcouru par un mouvement représenté par les lignes parallèles du parallélogramme qui, étant aussi en nombre infini, donnent une aire deux fois celle du triangle.

En outre, nous pouvons observer que h toute vitesse communiquée à un corps en mouvement sera maintenue jusqu’à ce que les causes externes h. Ici ce qu’on appelle maintenant le principe d’inertie est présenté. C’est un changement de paradigme pour la physique : avant Galilée, on croyait qu’une fois la cause du mouvement absente, un corps ralentirait jusqu’à s’arrêter. Une discussion plus détaillée sera faite dans la journée supplémentaire.

206

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

d’accélération ou de décélération soient supprimées, une condition qui se produit pour les plans horizontaux puisque pour les plans inclinés vers le bas il y a une cause d’accélération, et que pour les plans inclinés vers le haut il y a décélération. Il en résulte que le mouvement le long d’un plan horizontal est perpétuel ; car, si la vitesse est uniforme, elle ne peut pas être diminuée, encore moins remise à zéro. [244] Puisque la vitesse qu’un corps a acquise par la chute naturelle est également naturellement maintenue pour toujours, si, après la descente le long d’un plan incliné vers le bas, un corps est dévié sur un plan incliné vers le haut, la vitesse acquise lors d’une chute précédente qui, si rien ne changeait, amènerait le corps à un mouvement uniforme jusqu’à l’infini, sera ralentie par la tendance naturelle à la descente, et le corps s’arrêtera à la même hauteur d’où il est parti. La discussion est difficile, mais la figure suivante aidera à la rendre plus claire.

Supposons que la descente ait eu lieu le long du plan incliné descendant AB, à partir duquel le corps s’éloigne pour continuer son mouvement le long du plan incliné ascendant BC ; et pour l’instant imaginons que ces plans soient de même longueur et positionnés pour former des angles égaux avec la ligne horizontale GH. On sait qu’un corps, partant du repos en A et descendant le long de AB, acquiert une vitesse proportionnelle au temps, qui est maximale en B, et qui est maintenue par le corps si toutes les causes d’accélération ou de décélération sont supprimées. L’accélération à laquelle je me réfère est celle à laquelle le corps serait soumis si son mouvement se poursuivait dans le prolongement du plan AB, tandis que la décélération est celle que le corps rencontrerait si son mouvement était dévié le long du plan BC incliné vers le haut ; en revanche, sur le plan horizontal GH, le corps maintiendrait une vitesse uniforme égale à celle 207

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

qu’il avait acquise en B après être descendu de A. De plus, cette vitesse est telle que, pendant un intervalle de temps égal au temps de descente le long de AB, le corps parcourra une distance horizontale égale à deux fois AB. Imaginons maintenant que ce même corps, après être descendu en B, se meuve le long du plan incliné BC. Au moment même où le corps commence son ascension, il est soumis, par sa nature même, à la même influence qui avait caractérisé sa descente de A le long de AB, c’est-àdire qu’il ressent la même accélération que celle effectivement produite dans la chute le long du trajet AB ; il parcourt donc ce second plan, sur une distance égale à AB et pendant un intervalle de temps égal à celui pour parcourir la distance AB. Il est clair qu’en superposant au corps un mouvement uniforme de montée et un mouvement accéléré de descente, le corps se mouvra le long du plan BC jusqu’au point C. Si l’on prend maintenant deux points D et E équidistants du sommet B, on peut donc en déduire que la descente selon BD se fait en même temps que la remontée selon BE. Tracez DF parallèlement à BC ; on sait qu’après la descente le long de AD, le corps remontera le long de DF ; si par ailleurs, atteignant D, le corps est transporté le long de l’horizontale DE, il atteindra E avec le même élan avec lequel il a quitté D ; puis de E le corps atteindra C, prouvant que la vitesse de E est la même que celle de D.

[245-262] De là on peut logiquement déduire qu’un corps qui descend le long d’un plan incliné quelconque et continue son mouvement le long d’un plan incliné vers le haut va, à cause de l’élan acquis, monter à une hauteur égale au-dessus de l’horizontale. Donc, si la descente se fait le long de AB, le corps sera porté le long du plan BC jusqu’à la ligne 208

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

horizontale ACD : et ceci est vrai que les inclinaisons des plans soient les mêmes ou différentes, comme dans le cas des plans AB et BD. Mais nous avons vu précédemment que les vitesses acquises par chute le long de plans diversement inclinés ayant la même hauteur verticale sont les mêmes. Si donc les plans EB et BD ont la même pente, la descente selon EB entraînera le corps selon BD jusqu’en D ; et comme cette propulsion vient de la vitesse acquise en atteignant le point B, il s’ensuit que cette vitesse en B est la même que le corps ait effectué sa descente selon AB ou EB. Ensuite, le corps sera transporté jusqu’en BD que la descente ait été faite le long de AB ou le long de EB. Le temps de remontée le long de BD est cependant plus grand que celui le long de BC, de même que la descente le long de EB occupe plus de temps que celle le long de AB ; de plus on a démontré que le rapport entre les longueurs de ces temps est le même que celui entre les longueurs des plans. Proposition (théorème). [263-266] 41 Si du point le plus bas d’un cercle vertical on trace un plan incliné DC qui sous-tend un arc mineur d’un quadrant, et si de l’extrémité de ce plan on conduit deux autres plans DB et BC qui touchent l’arc en un point générique B compris entre D et C, le temps de descente le long de l’ensemble de ces deux derniers plans sera plus court que le mouvement le long du seul plan DC, et aussi que le mouvement le long du seul plan inférieur.

209

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

Nous voulons prouver que t DC − t D BC = (t DC − t D B ) − t BC (v B ) > 0

(29)

où t DC et t D B sont respectivement les temps nécessaires à un corps pour parcourir les sections DC et DB en partant du repos, t D BC est le temps nécessaire pour parcourir d’abord la section DB puis la section DC en partant du repos en D, et t BC (v B ) est le temps nécessaire pour parcourir le tronçon BC en amorçant la descente avec une vitesse v B . L’angle d’élévation du plan DC par rapport à l’horizontale est donné bB = α par α+β ≡ ϕ, tandis que l’angle d’élévation de DB est ϕ+β ; D C b et B DC = β. Puisque le corps part du repos en D p p vC = 2g |DC| sin ϕ ; v B = 2g |D B| sin(ϕ + β)

(notez que, comme démontré précédemment, vC ne dépend pas du fait que le corps soit descendu de D à C le long d’un segment ou le long d’un polygone), et s s 2|DC| 2|D B| t DC = ; tD B = . g sin ϕ g sin(ϕ + β) Ainsi

v˜C − v˜ B t DC − t D B = √ g sin ϕ sin(ϕ + β)

(30)

avec v˜C =

p

g|DC| sin(ϕ + β) ; v˜ B =

p

g|D B| sin ϕ .

De (30) on obtient42 avec une manipulation algébrique, t DC − t D B =

210

2|BC| sin 2ϕ . vC sin(ϕ + β) + v B sin ϕ

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

(31)

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

De t BC (v B ) =

|BC| , (vC + v B )/2

on obtient t DC − t D BC =

2|BC| · 1, (vC + v B )(vC sin(φ + β) + v B sin φ)

(32)

avec 1 = vC (sin 2φ − sin(φ + β)) + v B (sin 2φ − sin φ) 3φ + β φ 3φ α + 2v B sin cos . = 2vC sin cos 2 2 2 2 Notez que 2α + 2β = 2φ < π/2, α > 0, β > 0, donc l’expression (32) est toujours positive. Le premier énoncé de la thèse du théorème est donc démontré. La deuxième affirmation est triviale, étant, comme démontré précédemment, t BC = t DC (si le corps démarre avec une vitesse nulle dans les deux cas).

De la démonstration précédente, il semble possible de conclure que le mouvement le plus rapide entre deux points ne s’effectue pas le long de la ligne la plus courte, c’est-à-dire le long d’un segment de droite, mais le 211

TROISIÈME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

long d’un arc de cercle. i Dans le quadrant vertical BAEC, nous divisons l’arc AC en un nombre quelconque de parties égales AD, DE, EF, FG, GC ; à partir du point C, nous traçons des lignes droites vers les points A, D, E, F, G, et nous traçons également des lignes AD, DE, EF, FG, GC. Il est évident que la descente le long des deux cordes AD et DC est plus rapide que le long de AC, voire le long de DC à partir du repos en D. Et ainsi de suite : en continuant, après une descente le long de ADEF, la descente est plus rapide le long de deux cordes FG et GC que le long de la section unique FC, et donc la descente se fait plus rapidement le long des cinq cordes ADEFGC que le long des quatre cordes ADEFC. On voit que plus on se rapproche de la circonférence, plus le mouvement entre les deux points donnés A et C se fait rapidement. Ce que nous avons établi dans le cas d’un quadrant s’applique également à un arc de cercle plus petit : le raisonnement est le même. Sagr. 43 En effet, je pense que nous pouvons concéder à notre académicien, sans flatterie, que dans le principe sur le mouvement accéléré posé dans ce traité, il a établi une nouvelle science traitant d’un sujet très ancien. Avec facilité et clarté, il déduit à partir d’un seul principe les preuves de si nombreux théorèmes. Je me demande un peu comment cette ligne de démonstration a échappé à l’attention d’Archimède, Apollonius, Euclide et beaucoup d’autres mathématiciens et illustres philosophes, surtout vu qu’ils ont consacré des tomes très lourds au mouvement. [267] i. La démonstration est incorrecte, et en fait la conclusion est fausse : la ligne le long de laquelle le mouvement est le plus rapide, appelée brachistochrone, n’est pas un arc de circonférence. Le problème de la brachistochrone n’a été résolu qu’en 1697 par Johan Bernoulli, en utilisant des techniques de calcul différentiel qui n’étaient pas connues à l’époque de Galilée : la courbe brachistochrone est une cycloïde. De plus, il y a aussi une erreur logique dans le raisonnement de Galilée qui conduit à la démonstration du (vrai) fait que le mouvement le long de la circonférence est plus rapide que le mouvement le long de n’importe quel polygone inscrit. Il s’agit d’un sophisme « véniel » : la conclusion pourrait être correctement déduite des éléments présentés, mais Galilée oublie de prouver une proposition nécessaire, à savoir que le temps de descente le long de deux plans est plus court que le mouvement le long d’un seul plan même lorsqu’un corps part du sommet avec la vitesse non nulle qui viendrait de sa chute précédente.

212

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

TROISIÉME JOURNÉE : AUTRE NOUVELLE SCIENCE, SUR LE MOUVEMENT LOCAL

Salv. Il y a un fragment d’Euclide44 qui traite du mouvement, mais il n’y a aucune indication qu’il ait commencé à étudier la propriété de l’accélération et de la manière dans laquelle elle varie avec inclinaison. On peut dire que la porte est maintenant ouverte, pour la première fois, à une nouvelle méthode, riche de conclusions infinies et admirables, et auxquelles d’autres esprits pourront se consacrer à l’avenir. Sagr. Je crois bien que de même que, par exemple, les quelques propriétés du cercle démontrées par Euclide dans le troisième livre de ses Éléments ont conduit à bien d’autres encore plus cachées, de même les principes énoncés dans ce petit traité, lorsqu’ils seront repris par des esprits spéculatifs, conduiront à bien d’autres résultats plus remarquables ; et je pense qu’il en sera de même pour la noblesse du sujet, qui est supérieure à tout autre existant dans la nature. Pendant cette longue et laborieuse journée, j’ai apprécié les propositions plus que leurs démonstrations, car beaucoup d’entre elles, je crois, me demanderont, pour être vraiment comprises, plus qu’une heure chacune. Cette étude, si tu veux bien me laisser le livre, je compte la faire sereinement et avec plaisir après avoir lu la partie restante traitant du mouvement des projectiles, dont, si tu veux bien, nous discuterons demain. Salv. Je ne le raterais pour rien au monde ! La troisième journée se termine.

213

4 Quatrième journée : Le mouvement des projectiles

Salviati. [268] Simplicio est là à l’heure ; on peut donc commencer sans tarder notre discussion sur la question du mouvement. Le texte de notre auteur suit :

SUR LE MOUVEMENT DES PROJECTILES Nous avons discuté les propriétés du mouvement uniforme et du mouvement accéléré le long de plans d’inclinaisons différentes. Je me propose maintenant d’exposer les propriétés d’un mouvement qui se compose de deux mouvements, à savoir un mouvement uniforme et l’autre naturellement accéléré. C’est le genre de mouvement observé pour un projectile. Imaginez un corps projeté le long d’un plan horizontal sans friction ; nous savons, de ce qui a été expliqué dans les pages précédentes, que cette particule se déplace le long de ce même plan avec un mouvement qui est uniforme et perpétuel, à condition que le plan soit illimité. Mais si le plan est limité et situé à une certaine hauteur, la trajectoire des particules, que nous imaginons être lourdes, passant sur le bord du plan, prendra, en 215

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

addition à son mouvement uniforme précédent, un mouvement vertical vers le bas dû à son propre poids ; de sorte que le mouvement résultant que j’appelle projection est composé d’un mouvement horizontal uniforme et d’un autre vertical et naturellement accéléré. Nous procèderons maintenant à la démonstration de certaines de ses propriétés, dont voici la première. Proposition (théorème). [269] Un projectile animé d’un mouvement composé d’un mouvement horizontal uniforme et d’un mouvement vertical naturellement accéléré décrit une trajectoire semi-parabolique. Sagredo. Ici, Salviati, il sera nécessaire d’arrêter un peu pour mon bien et, je crois, également au profit de Simplicio. Je ne suis pas allé très loin dans mon étude d’Apollonius et je sais tout juste qu’il traite de la parabole et d’autres sections coniques ; a donc je ne pense pas qu’on pourra suivre la démonstration d’autres propositions qui dépend de cette connaissance. Puisque dans cette première belle proposition l’Auteur invite à démontrer que la trajectoire d’un projectile est une parabole, et puisque, comme j’imagine, nous traiterons ce genre de courbes, il sera absolument nécessaire d’avoir une connaissance, peut-être pas de toutes les propriétés démontrées45 par Apollonius à propos de ces figures, mais tout au moins de celles qui sont nécessaires pour la discussion. Salv. Ne sois pas si modeste. Au moment où nous discutions de la résistance des matériaux, nous avions besoin d’utiliser un certain théorème dû à Apollonius, et tu n’as pas eu de problème. Sagr. Je l’ai peut-être accepté, aussi longtemps que nécessaire, pour a. Le terme « conique » désigne une courbe représentée dans un plan cartésien par une équation de second degré (parabole, hyperbole, ellipse avec le cas particulier de la circonférence). Avant l’avènement de la géométrie analytique, née avec Descartes et donc presque contemporaine de Galilée, ces courbes étaient construites à partir de propriétés géométriques, et notamment en sectionnant un cône circulaire droit avec un plan. Coupant le cône avec un plan de manière à former une courbe fermée, cette courbe est une ellipse (en particulier une circonférence si le plan est perpendiculaire à l’axe du cône). En la sectionnant avec un plan parallèle à l’une des génératrices, on obtient une parabole. La courbe ouverte obtenue en coupant ce cône avec un plan plus incliné que celui qui coupe une parabole est une branche d’hyperbole.

216

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

cette discussion ; mais maintenant que nous avons à suivre toutes ces démonstrations sur ces courbes, je ne voudrais pas avaler des propositions sans la possibilité de les digérer, et donc de perdre du temps et de l’énergie. Simplicio. Sagredo est, comme je le crois, bien équipé pour tout ce qui est nécessaire, alors que je ne comprends même pas les termes élémentaires. Bien que nos philosophes aient traité le mouvement des projectiles, je ne me souviens pas avoir jamais lu la description de la trajectoire d’un projectile à l’exception du fait que d’une manière générale elle est toujours une ligne courbe, à moins que la projection ne soit verticale. [270-271] Mais si le peu d’Euclide que j’ai appris depuis notre précédente discussion ne suffit pas à me permettre de comprendre les discussions qui vont suivre, alors je serai obligé d’accepter les théorèmes sur la foi sans les comprendre à fond. Salv. Je désire que vous appreniez de l’Auteur lui-même, qui, lorsqu’il m’a laissé voir son ouvrage, a bien voulu me prouver deux des propriétés fondamentales de la parabole, puisqu’on n’avait pas à portée de main les livres d’Apollonius. En se référant à la figure, supposons qu’un plan coupe un cône droit parallèlement à la face à laquelle le secteur lκ appartient ; une parabole est définie comme la section tracée sur la surface du cône par le plan lui-même (à laquelle la section bac appartient).

217

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

La propriété de la parabole que nous voulons démontrer est la suivante : |bd|2 |da| = . (33) |ea| | f e|2 Dès que bd est perpendiculaire au diamètre i κ du cercle i bκ, |bd|2 = |i d| · |dκ|. De même, pour le cercle supérieur, | f e|2 = |ge| · |eh|. Mais comme |dκ| = |eh| (le plan sécant est parallèle à l’axe lκ), divisant la première des deux équations par la seconde, on a |bd|2 |da| = . |es| | f e|2 L’équation (33) peut être écrite, se référant à une parabole avec le sommet au point de (0,0) dans un plan x y : y = kx 2 .

(34)

L’équation ci-dessus peut être considérée comme une définition de la parabole. Maintenant, nous pouvons revenir au texte et voir comment l’Auteur démontre qu’un corps qui tombe avec un mouvement composé d’un mouvement rectiligne horizontal uniforme et une chute verticale décrit une demi-parabole. [272] Imaginons une ligne horizontale élevée ou un plan ab le long duquel un corps se déplace avec une vitesse uniforme de a à b. Supposons que ce plan se termine brusquement en b ; alors à ce point le corps, à cause de son poids, acquerra aussi un mouvement naturel vers le bas le long de la verticale bn. Tracez la ligne be le long du plan ba pour représenter le flux, ou la mesure, du temps ; divisez cette ligne en plusieurs segments 218

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

be, cd, de, représentant des intervalles de temps égaux ; des points b, c, d, e, laissez descendre des lignes parallèles à la verticale. Sur la première choisissez une distance ci, sur la seconde une distance quatre fois plus longue, df ; sur la troisième, une distance neuf fois plus longue, eh ; et ainsi de suite, en proportion aux carrés de cb, db, eb.

En appelant x la coordonnée horizontale orientée vers la gauche, y la hauteur par rapport au plan, et v0 la vitesse horizontale, nous avons x = v0 t =⇒ t y

x v0 g = − t2 , 2

=

et donc, en remplaçant dans la seconde équation l’expression du temps obtenue à partir de la première, nous obtenons ! g x2 (35) y=− 2 2v0 qui, comme nous avons voulu le démontrer, représente une demi-parabole. Sagr. [273-274] On ne peut pas nier que l’argument est nouveau, subtil et concluant, reposant comme il le fait sur l’hypothèse que le mouvement horizontal reste uniforme, que le mouvement vertical continue à s’accélérer vers le bas proportionnellement au carré du 219

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

temps, et que de tels mouvements et vitesses se combinent sans s’altérer, perturber ou se gêner l’un l’autre, b de sorte qu’à mesure que le mouvement progresse, la trajectoire du projectile ne se modifie pas en une courbe différente. Mais cela, à mon avis, est impossible. L’axe de la parabole le long duquel on imagine le mouvement naturel d’un corps en chute se dresse perpendiculairement à une surface horizontale et se termine au centre de la Terre ; et puisque la parabole dévie de plus en plus de la verticale, le projectile ne pourra jamais atteindre le centre de la Terre ou, s’il le fait, comme il me semble nécessaire, la trajectoire du projectile doit nécessairement se transformer en une autre courbe très différente de la parabole. Simp. À ces difficultés, je peux en ajouter d’autres. L’une est que nous supposons que le plan soit horizontal, et qu’il ne soit en pente ni vers le haut ni vers le bas, étant représenté par une ligne droite comme si tous les points de cette ligne étaient également loin du centre, ce qui n’est pas le cas : quand on part du milieu de la ligne et qu’on se dirige vers l’une des extrémités, on s’éloigne de plus en plus loin du centre de la Terre et donc on monte constamment. D’où il s’ensuit que la vitesse ne peut pas rester uniforme à quelque distance que ce soit, mais qu’elle doit continuellement diminuer. D’ailleurs, je ne vois pas comment il est possible d’éviter la résistance du milieu qui doit détruire l’uniformité du mouvement horizontal et changer la loi d’accélération des corps en chute. Ces difficultés rendent très b. Pour la première fois dans la littérature on affirme clairement que l’on peut combiner un mouvement horizontal et un mouvement vertical en les traitant de façon indépendante, et puis en les superposant, et bien que cette propriété ne soit pas évidente, elle nous dit quelque chose sur les caractéristiques du phénomène décrit. La possibilité de séparer des mouvements indépendants est un exemple du principe dit de superposition, offrant la possibilité de décomposer un problème en parties plus petites, et puis de combiner les solutions. Galilée comprend d’abord que cette propriété n’est pas évidente et qu’elle doit être étudiée expérimentalement ; dans une analyse cinématique similaire du mouvement plan, Nicolas Oresme, dans son ouvrage de 1377 Le livre du ciel et du monde (probablement le premier traité à discuter formellement de la combinaison des mouvements) l’avait tenue pour acquise. En termes modernes, nous disons que cette propriété, qui est à la base du réductionnisme, est caractéristique des systèmes décrits par des équations linéaires.

220

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

improbable qu’un résultat dérivé de ces peu fiables hypothèses puisse rester vrai dans la pratique. Salv. Toutes ces difficultés et objections sont si bien fondées qu’il est impossible de les enlever ; et je suis prêt à les accepter, comme je pense que notre auteur le ferait aussi. Mais, d’un autre côté, je vous demande de considérer que d’autres scientifiques éminents ont accepté des hypothèses même si elles ne sont pas strictement vraies. L’autorité d’Archimède seule satisfera tout le monde. Dans ses traités sur la mécanique et dans sa première quadrature de la parabole,46 il prend pour vrai que le fléau de la balance est une ligne droite, que tous ses points sont à égale distance du centre commun de tous les corps lourds, et que les cordes par lesquelles les corps lourds sont suspendus sont parallèles les unes aux autres. Certains considèrent cette hypothèse admissible [275] dans la pratique, vu que les distances impliquées sont si petites en comparaison avec l’énorme écart du centre de la Terre que nous pouvons envisager une minute d’arc sur un grand cercle comme une ligne droite, et on peut considérer les verticales passant par ses deux extrémités comme parallèles. En réalité on a affaire à de si petites quantités, qu’il faudrait d’abord critiquer les architectes qui prétendent, à l’aide d’un fil à plomb, ériger de hautes tours verticales. Je peux ajouter que, dans toutes leurs discussions, Archimède et les autres se considèrent comme à une distance infinie loin du centre de la Terre ; dans cette approximation, leurs conclusions sont tout à fait correctes. Lorsque nous voulons appliquer nos conclusions à des distances qui, bien que finies, sont très grandes, nous pouvons conclure qu’une correction doit nécessairement être faite en considérant que notre distance du centre de la Terre n’est pas vraiment infinie, mais que cette correction est petite à cause des petites dimensions de nos appareils. La plus grande distance en jeu sera le tir des projectiles – et même dans ce cas, nous devons considérer que l’artillerie ne dépassera jamais plus que quatre miles alors que quatre mlles nous séparent du centre de la Terre.47 Et puisque ces trajectoires se terminent sur la surface de la 221

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

Terre, de très légères modifications peuvent avoir lieu dans leur trajectoire parabolique qui, c’est bien admis, serait grandement modifiée si elle finissait au centre de la Terre. Quant à la perturbation résultant de la résistance du milieu, elle est plus considérable, et ne peut pas, à cause de ses formes multiples, être exactement décrite. Ainsi, si nous considérons la résistance que l’air offre à ces mouvements que nous étudions, nous verrons que cela les dérange dans une infinie variété de façons correspondant à l’infinie variété dans la forme, le poids, et la vitesse des projectiles. En ce qui concerne la vitesse, par exemple, plus elle sera élevée, plus grand sera l’obstacle constitué par l’air ; et la résistance sera d’autant plus grande que les corps en mouvement seront moins denses. Alors que bien que la vitesse d’un corps en chute doit augmenter en proportion à la durée de son mouvement, si ce corps tombe d’une hauteur très importante, la résistance de l’air augmentera avec la vitesse et deviendra finalement telle que le mouvement deviendra uniforme. [276] Si le mobile est moins dense, cette uniformité sera atteinte plus rapidement et après une courte chute. Même le mouvement horizontal qui, si aucun obstacle n’est offert, serait uniforme et constant, est modifié par la résistance de l’air et finalement cesse ; et là encore moins dense est le corps, plus rapide sera le processus. De ces propriétés du poids, de la vitesse et aussi de la forme, il n’est pas possible de donner une description exacte ; par conséquent, pour traiter cette question scientifiquement, il convient, dans un premier temps, d’ignorer ces difficultés, et après avoir découvert et démontré les théorèmes dans le cas de résistance nulle, de les utiliser et de les appliquer dans la limite que l’expérience nous enseignera. L’avantage de cette méthode ne sera pas petit ; et le matériau et la forme du projectile peuvent être choisis aussi denses et ronds que possible, de sorte que la résistance soit minime. Même si les espaces et les vitesses peuvent en général être grands, on sera facilement en mesure d’effectuer nos corrections avec précision.

222

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

Dans le cas des projectiles que nous utilisons, faits de matériaux denses et ronds en forme, ou d’un matériau léger et de forme cylindrique, comme les flèches, lancées avec une fronde ou un arc, l’écart entre leur mouvement et la forme exactement parabolique sera tout à fait insignifiant. En effet, si vous me permettez un peu plus de liberté, je peux vous montrer, par deux expériences, que les dimensions de notre projectile sont si petites que ces résistances externes et accidentelles, dont celle du milieu est la plus considérable, sont à peine observables. Je vais maintenant procéder à l’étude des mouvements dans l’air, car ce sont particulièrement ceux-ci dont nous voulons nous occuper aujourd’hui. La résistance de l’air se présente de deux manières : d’abord en offrant une plus grande résistance à un corps moins dense par rapport aux corps très denses, et d’autre part, en offrant une plus grande résistance à un corps en rapide mouvement que pour le même corps en mouvement lent. En ce qui concerne la première condition, considérons le cas de deux billes ayant les mêmes dimensions, mais une pesant dix ou douze fois plus que l’autre (une, par exemple, de plomb, l’autre de chêne), en chute d’une hauteur de 150 ou 200 coudées. L’expérience montre qu’elles vont atteindre le terrain avec une légère différence de vitesse, ce qui nous montre que le retard causé par l’air est faible ; si les deux billes partent au même moment et de la même hauteur, et si la plus lourde est légèrement retardée et la plus légère grandement retardée, alors la première doit atteindre le sol à une distance considérable avant la seconde, puisqu’elle est dix fois aussi lourde. [277] Mais cela n’arrive pas. En effet, le gain de distance de l’une sur l’autre est plus petit que la centième partie de la chute entière. Et dans le cas d’une bille de pierre pesant seulement un tiers ou la moitié d’une de plomb, la différence dans les temps de descente sera à peine perceptible. Or, puisque la vitesse acquise par une bille de plomb en tombant d’une hauteur de 200 coudées est si grande que si le mouvement restait uniforme la balle traverserait, dans un intervalle de temps égal à celui de la chute, 400 223

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

coudées, et puisque cette vitesse est si considérable en comparaison de celles qu’on obtient par l’utilisation d’arcs, de frondes ou toute autre arme, excepté les armes à feu, il s’ensuit que nous pouvons, sans grande erreur, considérer comme tout à fait vraies ces propositions que nous sommes en train de démontrer sans considérer la résistance du milieu. Passant maintenant au deuxième cas, où nous avons à montrer que la résistance de l’air pour un corps en mouvement rapide n’est pas beaucoup plus grande que pour un corps en mouvement lent, une preuve suffisante est donnée par l’expérience suivante. Attachez à deux fils de longueur égale – disons quatre ou cinq coudées – deux billes de plomb égales, et suspendez-les au plafond ; écartez-les maintenant de la verticale, l’une par 80 degrés ou plus, l’autre par pas plus que quatre ou cinq degrés ; de sorte que, une fois libérée, l’une tombe, passe par la verticale, et décrit des arcs larges mais lentement décroissants de 160, 150, 140 degrés, etc. ; l’autre passe aussi par de petites et lentes diminutions des arcs de 10, 8, 6 degrés, etc. En premier lieu, il faut remarquer qu’un pendule parcourt des arcs de 180◦ , 160◦ , etc., dans le même temps que l’autre parcourt des arcs de 10◦ , 8◦ , etc. ; à partir de ça il résulte que la vitesse de la première bille est 16 ou 18 fois plus grande que celle de la seconde. [278] Si deux personnes commencent à compter l’une les grandes oscillations, l’autre les petites, elles vont découvrir que, après comptage de dizaines et même de centaines d’oscillations, leurs nombres ne seront pas différents par une seule unité, et que la résistance de l’air ne ralentit pas davantage les mouvements les plus rapides que les plus lents. Sagr. Puisque clairement l’air gêne ces deux mouvements, il faut dire alors que les ralentissements s’opèrent dans l’un et l’autre cas selon une même proportion. D’où la nécessité pour l’air d’opposer sa résistance tantôt plus grande et tantôt moins grande peut-elle bien provenir, sinon du fait qu’elle est confrontée à une vitesse tantôt plus grande et tantôt moins grande ? Et donc la grandeur même de la 224

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

vitesse du corps détermine et mesure aussi la grandeur de la résistance. Tous les mouvements, qu’ils soient lents ou rapides, sont donc ralentis dans la même proportion, ce qui n’est pas, me semble-t-il, de petite importance. Salv. On peut donc, dans ce second cas, dire que les erreurs (en négligeant celles accidentelles) dans les résultats que l’on va démontrer sont petits dans le cas de nos instruments, où les vitesses employées sont pour la plupart grandes et les distances négligeables en comparaison avec le rayon de la Terre. Simp. Je voudrais entendre la raison pour laquelle tu mets les projectiles des armes à feu dans une classe différente par rapport aux projectiles utilisés dans des arcs ou dans les frondes, en prétendant qu’ils ne sont pas également soumis à la résistance de l’air. Salv. Sur ce point, je suis amené à considérer la violence extrême et, pour ainsi dire, surnaturelle, c avec laquelle ces projectiles sont lancés ; en effet, on pourrait dire que la vitesse d’une balle tirée soit d’un mousquet, soit d’une pièce d’artillerie, est surnaturelle. Si une balle tombe d’une grande élévation, sa vitesse, en raison de la résistance de l’air, ne peut pas continuer à augmenter indéfiniment ; ce qui arrive aux corps de faible densité en tombant sur de courtes distances – je veux dire la réduction de leur mouvement à l’uniformité – arrivera aussi à une balle de fer ou de plomb après qu’elle soit tombée de quelques milliers de coudées. Cette vitesse terminale ou finale est le maximum qu’un corps aussi lourd puisse naturellement acquérir [279] en tombant dans l’air. J’estime que cette vitesse est beaucoup plus petite que celle imprimée à la balle par la poudre à feu. Une expérience appropriée servira à démontrer ce fait. On tire avec un fusil une balle de plomb verticalement vers le bas sur un pavé en pierre de la hauteur d’une centaine de coudées ou plus ; avec le même fusil, on tire sur une pierre semblable à une distance d’une ou deux coudées. On observe laquelle parmi les deux balles est la plus écrasée. c. Ici, « surnaturel » ne signifie pas « miraculeux », mais simplement impossible à réaliser par un processus naturel tel que la chute libre.

225

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

Si la balle qui est descendue de la plus grande élévation s’avère être la moins aplatie, cela montrera que l’air a diminué la vitesse initialement donnée à la balle par la poudre, et que l’air ne permettra pas à une balle d’acquérir une si grande vitesse, peu importe de quelle hauteur elle tombe. Je n’ai pas effectué cette expérience,48 mais je suis convaincu qu’une balle de fusil ou de canon, tombant d’une hauteur aussi grande qu’il vous plaise, ne pourra pas fournir un impact aussi fort que si elle était contre un mur à quelques coudées de distance, par exemple, et que pour une portée aussi courte, la résistance de l’air ne sera pas suffisante pour amoindrir la violence surnaturelle donnée par la poudre. Mais maintenant allons procéder avec la discussion dans laquelle l’Auteur nous invite à étudier le mouvement d’un corps lorsque ce mouvement est composé de deux autres ; nous allons démarrer par le cas où les deux sont uniformes, et se produisent dans des directions perpendiculaires.

Lorsque le mouvement d’un corps [280] est la résultante de deux mouvements uniformes, un horizontal, l’autre vertical, le carré de la vitesse résultante est égal à la somme des carrés de chacune des deux composantes des vitesses. Imaginons un corps quelconque poussé par deux mouvements uniformes et soit ab le déplacement vertical, tandis que bc représente le déplacement qui, dans le même intervalle de temps, s’effectue dans une direction horizontale. Si donc les distances ab et be sont parcourues, pendant le même intervalle de temps, avec des mouvements uniformes, les vitesses correspondantes seront l’une à l’autre comme les distances ab et be le sont l’une à l’autre ; et donc le corps qui est poussé par ces deux mouvements décrit la diagonale ac, et sa vitesse est proportionnelle à ac. Le carré de ac est égal à la somme des carrés de ab et de be. Le carré de la vitesse résultante est donc égal à la somme des carrés des deux vitesses ab et be, comme on voulait le démontrer. 226

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

Simp. Maintenant, il y a juste une légère difficulté qui nécessite d’être éclaircie. Il me semble que cette conclusion contredit une précédente proposition dans laquelle il est affirmé que la vitesse d’un corps en mouvement de a à b est égale à celle d’un corps en mouvement de a à c ; tandis que maintenant tu dis que la vitesse en c est supérieure à celle en b. Salv. Les deux propositions, Simplicio, sont vraies, pourtant il y a une grande différence entre elles. Ici, nous parlons d’un corps sollicité par un seul mouvement qui est la résultante des deux mouvements uniformes, tandis que préalablement nous avons parlé de deux corps sujets à des mouvements naturellement accélérés, un le long de la verticale ab et l’autre le long du plan incliné ac. En plus les intervalles de temps n’étaient pas censés être égaux, celui le long de la pente ac étant plus long que celui le long de la verticale ab ; mais pour le mouvement dont nous parlons maintenant, les intervalles de temps le long de ab et ac sont égaux. Simp. Je suis satisfait ; s’il te plaît continue. Salv. [281-283] Notre auteur explique ensuite ce qu’il se passe lorsqu’un corps est poussé par un mouvement composé d’un mouvement horizontal et uniforme et d’un autre vertical mais naturellement accéléré ; de ces deux composantes résulte la trajectoire d’un projectile, qui est une parabole. Le problème est de déterminer la vitesse du projectile à chaque stade. Avec ce but en tête notre auteur établit en ces termes la manière, ou plutôt la méthode, de mesurer cette vitesse le long de la trajectoire d’un corps qui part du repos. Un mouvement se produit le long de la ligne verticale ab, partant du repos en a, et sur cette ligne ab nous choisissons un point 227

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

intermédiaire c. Si |as| est la moyenne géométrique entre |ac| et |ab| : p |as| = |ab| · |ac| . on va montrer que

|ac| vC = . vB |as| Puisque s(t) = 1/2 gt 2 et v = gt, vC tC = = vB tB

s

Mais |as| =

p

|ab| · |ac| =⇒

|ac| . |ab|

s

|ac| |ac| = , |ab| |as|

comme on voulait le démontrer. Encore, de s(t) = v(t) = gt, p v(s) = 2gs .

1/2 gt 2

et

La méthode pour mesurer la vitesse d’un corps le long de la direction de sa chute est donc claire : la vitesse augmente proportionnellement au temps, et donc comme la racine carrée de l’espace parcouru. Mais avant de passer outre, étant donné que cette discussion concerne le mouvement constitué d’un mouvement horizontal uniforme et d’un mouvement accéléré verticalement vers le bas (la trajectoire d’un projectile, qui est une parabole), je voudrais rappeler que je vais appeler « amplitude » de la semi-parabole ab, ou « portée », la longueur de la ligne horizontale cb ; j’appellerai « hauteur » l’axe ac de cette parabole ; j’appellerai « sublimité » la longueur de la ligne telle que une chute de cette même hauteur produirait une vitesse égale à la vitesse horizontale. Après avoir présenté ces définitions, je procède à la démonstration.

228

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

Sagr. [283-285] Permets-moi, s’il te plaît, de t’interrompre afin que je puisse signaler la belle correspondance entre cette pensée de l’Auteur et les vues de Platon concernant l’origine des différentes vitesses uniformes avec lesquelles les corps célestes gravitent. Cette idée dérive du principe qu’un corps ne peut pas passer du repos à une vitesse donnée et la maintenir uniforme, sauf en passant par tous les degrés de vitesse intermédiaires entre la vitesse donnée et le repos. Platon pensait que Dieu, après avoir créé les corps célestes, leur assigna les vitesses appropriées et uniformes pour les faire tourner toujours ; et qu’il l’a fait en les faisant partir du repos et se déplacer sur des distances définies suivant un mouvement naturel et rectiligne tel que le mouvement des corps terrestres. Une fois que ces corps eurent gagné la vitesse appropriée, leur mouvement rectiligne a été transformé en un mouvement circulaire, le seul mouvement capable de maintenir l’uniformité autour d’un centre préexistant, un mouvement dans lequel le corps tourne sans s’éloigner ni s’approcher du centre. Cette conception est vraiment digne de Platon ; et elle est d’autant plus admirable vu que ses principes sous-jacents sont dévoilés par notre auteur qui 229

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

enlève leur masque et leur robe poétique et montre l’idée dans une perspective correcte. Puisque la science astronomique nous fournit des informations si complètes sur la taille des orbites planétaires, les distances de ces corps à leurs centres de révolution, et leurs vitesses, je ne peux m’empêcher de penser que notre auteur (à qui cette idée de Platon n’était pas inconnue) était curieux de découvrir si une certaine « sublimité » peut être attribuée à chaque planète, telle que, dans l’hypothèse où la planète démarrerait de cette hauteur particulière et s’approcherait avec un mouvement naturellement accéléré le long d’une ligne droite, grâce à la vitesse ainsi acquise en mouvement uniforme, ensuite transformée en vitesse de rotation, la grandeur de son orbite et sa période de révolution seraient celles réellement observées.49 Salv. Je me souviens qu’il m’a dit qu’il a fait le calcul et qu’il a trouvé une correspondance satisfaisante avec l’observation. Mais il ne voulait pas en parler, parce que, à cause de la haine que ses nombreuses découvertes lui avaient déjà apportée, cela risquait d’alimenter le feu. Mais si quelqu’un désire une telle information, il peut l’obtenir pour lui-même à partir de la théorie exposée dans le présent traité. Nous allons maintenant procéder avec notre problème.

Proposition (problème). Déterminer la vitesse d’une balle en chaque point de sa trajectoire parabolique. Le carré de la vitesse est égal au carré de la vitesse horizontale, qui est constante, plus le carré de la vitesse verticale, qui est proportionnelle au temps, et donc à la racine carrée de l’espace parcouru le long de la verticale. En utilisant la relation précédente, on a q v = v02 + 2gh . Sagr. La nouvelle façon dont tu combines ces différents mouvements pour obtenir le résultat m’affecte et mon esprit s’embrouille. Je ne parle pas du mélange de deux mouvements uniformes, encore 230

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

qu’inégaux, dont l’un a lieu sur une ligne horizontale et l’autre le long d’une verticale, car je suis entièrement convaincu qu’il en naît un mouvement de nature égale à ses deux composantes ; ma confusion provient en fait de l’assemblage d’un mouvement uniforme horizontal avec un mouvement vertical naturellement accéléré. C’est pourquoi j’aimerais que nous assimilions mieux ensemble cette matière. Simp. [286] Et moi aussi je ressens encore plus le besoin d’une clarification. Sagr. Votre demande est tout à fait raisonnable et je verrai si ma longue réflexion sur ces questions me permettra d’être plus clair. Mais vous devez m’excuser si dans l’explication je répète beaucoup de choses déjà dites par l’Auteur. En ce qui concerne les mouvements, qu’ils soient uniformes ou naturellement accélérés, on ne peut pas en discuter jusqu’à ce qu’on ait mis en place une mesure pour les vitesses et aussi pour le temps. Quant au temps, on a une unité de mesure déjà largement adoptée, les heures, divisées en minutes premières et secondes, etc. Pour les vitesses, comme pour les intervalles de temps, il faut un étalon commun qui soit compris et accepté par tous, et qui soit le même pour tous. Comme cela a déjà été dit, l’Auteur considère que la vitesse d’un corps libre qui tombe soit utilisée à cette fin, puisque sa vitesse augmente en fonction de la même loi dans toutes les parties du monde ; ainsi, par exemple, la vitesse acquise par une bille de plomb pesant une livre tombant verticalement à partir du repos sur une hauteur, disons, de la longueur d’une lance, est la même en tout lieu ; elle est donc parfaitement adaptée à représenter la vitesse acquise dans le cas de chute naturelle. Il nous reste encore à découvrir une méthode de mesure de la vitesse dans le cas d’un mouvement uniforme de telle façon que tous ceux qui discutent du sujet se forment la même idée de sa grandeur. Cela empêchera une personne de l’imaginer plus grande et une autre plus petite qu’elle ne l’est réellement ; de sorte que dans la composition d’un mouvement uniforme avec un qui est accéléré, différentes 231

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

personnes ne pourront pas obtenir différents résultats. Dans le but de déterminer et représenter cette vitesse en particulier, notre auteur n’a pas trouvé de meilleure méthode que d’utiliser la vitesse acquise par un corps naturellement accéléré. [287-291] La vitesse d’un corps acquise dans un mouvement uniformément accéléré, convertit en mouvement uniforme, conserve sa valeur limite, c’est-à-dire celle qui dans un temps égal à celui de la descente fait parcourir à un corps un espace double de celui dont il est tombé. Mais étant donné que cette question est fondamentale dans notre discussion, nous devons la clarifier à l’aide d’exemples. Considérons la vitesse acquise par un corps tombant d’une hauteur, par exemple, d’une lance comme unité que nous pouvons utiliser dans la mesure des autres vitesses à chaque occasion ; supposons par exemple que le temps d’une telle chute soit de quatre secondes. d Maintenant, dans le but de mesurer les vitesses acquises à partir d’une chute d’une autre hauteur, il ne faut pas conclure que ces vitesses soient dans le même rapport que celui des hauteurs de chute ; par exemple, il n’est pas vrai qu’une chute d’une hauteur quadruple confère une vitesse quatre fois plus grande que celle acquise durant la chute de la hauteur donnée ; car la vitesse d’un mouvement naturellement accéléré ne varie pas en proportion de la distance. Comme on l’a montré ci-dessus, les hauteurs sont proportionnelles au carré des vitesses. Si donc, comme on le fait souvent par souci de concision, nous prenons la même distance comme mesure de la vitesse, et du temps, et aussi de l’espace parcouru pendant ce temps, il s’ensuit que la vitesse acquise par le même corps en parcourant toute autre distance est proportionnelle à la racine carrée de la distance elle-même : p v = gt = 2gs . d. Ceci est dit sans prétention d’exactitude : le temps de chute de la hauteur d’une lance est d’environ 0,9 s.

232

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

En bref, avec ces mises en garde, la hauteur ab peut être utilisée comme une mesure des différentes quantités physiques qui entrent dans cette discussion. Après avoir clarifié ce point, nous considérerons la vitesse dans le cas de deux mouvements composés. Si les deux composantes du mouvement sont uniformes et perpendiculaires l’une à l’autre, nous avons déjà vu que la position de la résultante est obtenue en ajoutant les carrés des composantes. On a donc la règle suivante pour obtenir la vitesse qui dérive de deux vitesses uniformes, une verticale et l’autre horizontale : prendre le carré de chacune, sommer les carrés et extraire la racine carrée de la somme, donnera la vitesse résultante des deux. Ainsi, dans le précédent exemple, le corps qui, en vertu de son mouvement vertical, atteint le plan horizontal avec une vitesse de 3, en raison de son mouvement horizontal, l’atteindra avec une vitesse de 4 ; s’il voyage avec une vitesse qui est la résultante de ces deux, le coup sera celui d’un corps qui se déplacerait avec une vitesse de 5. Laissez-nous maintenant considérer un mouvement horizontal uniforme combiné au mouvement vertical d’un corps qui tombe à partir du repos. Il est clair que la trajectoire, comme on a montré, est une semi-parabole, dans laquelle la vitesse augmente en raison du fait que la vitesse de la composante verticale est toujours en croissance. Par conséquent, pour déterminer la vitesse à un point donné, il est nécessaire d’abord de déterminer la vitesse uniforme horizontale, et de trouver ensuite la vitesse verticale au point désiré ; cette dernière peut être déterminée en prenant en compte la durée de la chute et en l’appliquant à un mouvement de chute, une considération qui n’entre pas dans la composition de deux mouvements uniformes où la vitesse est toujours la même. Dans le cas présent une des vitesses composantes a une valeur initiale de zéro et augmente en proportion du temps ; il s’ensuit que le temps doit déterminer la vitesse associée au point. Enfin, il reste à obtenir la vitesse résultante de ces deux composantes (comme dans le cas des mouvements uniformes) : le carré de la 233

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

résultante est égal à la somme des carrés des deux composantes. Mais même ici, il est préférable de donner un exemple. Dans le cas d’une projection horizontale à partir d’un point d’altitude h, en appelant x l’axe horizontal et y l’axe vertical, de vx = v0 ; v y = gt et

1 2 gt 2 q q v = vx2 + v2y = v02 + 2gh . h=

on a

À ce qui a été dit sur les impulsions, coups ou chocs de projectiles, il faut ajouter une autre considération très importante : pour déterminer la force et l’énergie du choc, il ne suffit pas de considérer la seule vitesse des projectiles, mais il faut aussi tenir compte de la nature et de l’état de la cible, qui contribue à déterminer l’efficacité du coup. En premier lieu, il est bien connu que la cible subit la violence de la vitesse du projectile selon qu’elle arrête le mouvement du projectile partiellement ou entièrement ; car si le coup tombe sur un objet qui cède sans résistance, un tel coup sera sans effet. Quand on attaque son ennemi avec une lance et qu’on l’atteint alors qu’il s’enfuit avec une vitesse égale, loin de lui donner un coup, on ne lui donne qu’une touche inoffensive. [292-308] Mais si le choc frappe un objet qui cède seulement en partie alors le coup n’aura pas son plein effet, mais les dommages seront en proportion de l’excès de la vitesse du projectile sur celui du corps ; ainsi, par exemple, si le tir atteint la cible avec une vitesse de 10 alors que la cible recule avec une vitesse de 4, la vitesse effective sera de 6. Enfin, le coup aura l’effet maximum lorsque la cible ne recule pas du tout mais si possible résiste complètement et arrête le mouvement du projectile. Si la cible se rapproche du projectile, le choc de la collision sera plus grand dans la mesure où la somme des 234

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

deux vitesses est plus grande que celle du projectile seul. e De plus, il est à observer que le fait de céder plus ou moins peut provenir non seulement de la matière, elle-même plus ou moins dure (qu’il s’agisse, par exemple, de fer, de plomb, de laine, etc.), mais aussi de la position du corps qui reçoit le choc. Si la position est telle que le coup frappe l’objet à angle droit, l’impulsion donnée par le coup sera maximale ; mais si le projectile arrive obliquement, le coup sera plus faible ; et d’autant plus en proportion de l’obliquité. Quelle que soit la dureté du matériau de la cible, le coup n’aura pas tout son effet : le projectile glissera et, dans une certaine mesure, poursuivra son mouvement le long de la surface de la cible. Tout ce qui a été dit sur l’impulsion du projectile à l’extrémité de la parabole doit être compris comme se rapportant à un coup reçu sur une ligne perpendiculaire à cette parabole ou suivant la tangente à la parabole en un point donné ; même si le mouvement a deux composantes, l’une horizontale, l’autre verticale, ni l’élan le long de l’horizontale, ni celui sur le plan perpendiculaire à l’horizontale, seront en effet à leur maximum, étant reçus tous les deux obliquement. Sagr. Ta discussion sur ces coups et chocs me rappelle un problème dans la mécanique, sur lequel aucun auteur n’a donné une solution ou dit quelque chose qui diminue mon grand étonnement, ou soulage en partie mon esprit. Ma difficulté et ma surprise consistent à ne pas pouvoir voir d’où et sur quel principe dérive l’énergie et l’immense force qui fait son apparition dans une percussion ; par exemple, nous voyons le simple coup d’un marteau, ne pesant pas plus de 8 ou 10 livres, surmonter des résistances qui, sans coup, ne céderaient pas au poids d’un corps produisant l’élan par la seule pression, même si ce corps pesait plusieurs centaines de livres. Je voudrais découvrir une méthode pour mesurer la force de cette percussion. Je ne peux e. Cette discussion complète celle sur le principe d’inertie du troisième jour et une discussion sur le principe de relativité dans le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. La formule d’addition de vitesse décrite ici est un exemple de ce que l’on appelle (aujourd’hui) les transformations de Galilée.

235

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

pas penser qu’elle soit infinie, et j’aimerais la mesurer et la comparer avec d’autres forces, telles que le poids, ou l’expliquer par des leviers ou des vis ou d’autres instruments mécaniques qui sont utilisés pour multiplier les forces d’une manière que je puisse comprendre de façon satisfaisante. Salv. Tu n’es pas seul dans ta surprise ou dans l’obscurité quant à la cause de cette propriété remarquable. J’ai étudié moi-même cette question pendant un certain temps en vain ; mais ma confusion ne fit qu’augmenter jusqu’à ce que je rencontre finalement notre académicien et que je reçus de sa part une grande consolation. D’abord, il m’a dit que lui aussi avait longuement été à tâtons dans l’obscurité ; et plus tard, il a dit que, après avoir passé des milliers d’heures en spéculant, il était arrivé à quelques notions qui sont remarquables par leur nouveauté. Et puisque maintenant je sais que vous voulez écouter ces idées nouvelles, je promets que, dès que notre discussion sur les projectiles sera terminée, je vous ferai part de toutes les spéculations, ou si vous préférez étrangetés, que j’ai retenues de la conversation avec notre académicien50 . Dans l’intervalle, nous allons continuer avec les propositions de l’Auteur sur le mouvement des projectiles.51 Un projectile lancé à un angle (« élévation ») α de l’horizontale et du niveau du sol, sous l’action de la combinaison d’un mouvement horizontal uniforme et d’un mouvement de chute, atteindra une hauteur maximale h, avec une semi-parabole inverse par rapport au mouvement décrit auparavant. En h sa vitesse sera horizontale, et on pourra calculer sa trajectoire comme précédemment : le corps atteindra le sol avec une autre semi-parabole.52

236

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

Appelons x la coordonnée horizontale ; nous avons x(t) = v0x t = v0 cos αt 1 1 y(t) = v0y t − gt 2 = v0 sin αt − gt 2 . 2 2

(36) (37)

et vx (t) = v0x = v0 cos α

(38)

v y (t) = v0y − gt = v0 sin α − gt .

(39)

À la hauteur maximale v y = 0, et donc f tmax

=

h max =

v0 sin α g y(tmax ) =

v02 sin2 α , 2g

(40)

où tmax est le temps correspondant à la hauteur maximale. Nous avons donc la relation suivante entre l’angle de lancement, la vitesse et f. Contrairement à ce qui a été fait auparavant, dans le cas du mouvement des projectiles nous mesurons les angles en degrés et non en radians.

237

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

l’amplitude : L

=

v02 g

!

2 sin α cos α =

v02 g

!

sin 2α .

(41)

Nous avons montré qu’on a le maximum de l’amplitude lorsque l’angle de lancement (élévation) est de 45 degrés.53 Nous étudions maintenant les relations entre vitesse initiale horizontale, hauteur et distance maximale dans un mouvement semi-parabolique. D’une hauteur h, le √ temps de chute sera t = 2h/g, et par conséquent, si on appelle α l’angle d’incidence sur le sol, s 2h . L = v0 cos α g Si les projectiles décrivent des semi-paraboles de la même amplitude, la vitesse nécessaire pour décrire celle dont l’amplitude est le double de son altitude est inférieure à celle requise pour toutes les autres. Ceci peut être vérifié en observant que la distance va être dans ce cas la moitié de la distance en (41) : ! ! 2 2 v v 0 0 L′ = sin α cos α = sin 2α , (42) g 2g où maintenant v0 est la vitesse à l’impact sur le sol, tandis que la hauteur h ′ sera, à partir de (40), h′ =

v02 sin2 α . 2g

À l’angle de 45◦ , qui minimise v0 pour une amplitude donnée, L ′ = 2h ′ , comme on voulait le démontrer. 238

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

(43)

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

Sagr. La force de démonstrations telles qu’elles n’ont lieu qu’en mathématiques émerveille et ravit. D’après les récits donnés par les artilleurs, j’étais déjà conscient du fait que dans l’utilisation des canons et des mortiers, la portée maximale, c’est-à-dire celle dans laquelle le tir va le plus loin, est obtenue lorsque l’élévation est de 45° ou, comme on dit, au sixième point de l’équerre ; mais comprendre pourquoi cela se produit l’emporte de loin sur la simple information obtenue par le témoignage d’autrui ou même par des expériences répétées. Salv. Tu as raison. La connaissance d’un seul fait acquis par la découverte de ses causes prépare l’esprit à comprendre et à constater d’autres faits sans avoir besoin de recourir à l’expérience, précisément comme dans le cas présent, où par la seule argumentation l’Auteur prouve avec certitude que la portée maximale se produit lorsque l’élévation est de 45°. Il démontre aussi un fait qui peut-être n’a jamais été prouvé auparavant : des coups de feu qui dépassent un angle de 45° (tirs de mortier) ou qui sont inférieurs à 45° (coups d’un obusier) par quantités égales δ ont des portées égales. En effet ! ! 2 v02 v L +δ = 2 sin(90◦ + 2δ) = L −δ = 2 0 sin(90◦ − 2δ) . g g Sagr. Je serai très heureux de voir cela ; j’apprendrai la différence de vitesse et de force requise pour tirer des projectiles à la même distance avec des angles d’élévation extrêmes. Par exemple, si avec une élévation de 3° ou 4°, ou 87° ou 88° on voulait obtenir la même distance qu’avec un angle de 45° (pour lequel nous avons montré que la vitesse initiale est minimale), l’excès de force requis sera, je pense, très important. Salv. Tu as raison ; et tu verras que pour effectuer un lancement à des angles extrêmement élevés, tu auras besoin d’une vitesse qui devient infinie. De Lg v02 = (44) sin 2α 239

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

nous voyons d’abord que l’affirmation faite ci-dessus est vraie : pour des angles d’élévation différents, plus l’écart par rapport à l’angle optimal de 45 degrés est grand et plus la vitesse initiale requise pour obtenir la même portée est élevée. Sagr. [309] J’observe également que, en ce qui concerne les deux composantes de la vitesse initiale, plus la projection est haute, plus la composante verticale de la vitesse doit être grande. D’autre part, lorsque le tir atteint seulement une petite hauteur, la composante horizontale de la vitesse initiale doit être grande. Dans le cas d’un projectile lancé avec une élévation de 90°, je comprends bien que toute la force du monde ne serait pas suffisante pour faire dévier le projectile d’un pouce de la verticale et qu’il tomberait de nouveau dans la position initiale ; mais dans le cas d’élévation nulle, lorsque le coup est tiré horizontalement, je ne suis pas si certain que seule une force infinie pourrait conférer au projectile une trajectoire parfaitement rectiligne. Ici, j’admets qu’il y a place pour le doute, et si je n’écarte pas radicalement cette éventualité, c’est que j’en suis empêché par un autre phénomène, apparemment non moins étrange, et pour lequel néanmoins je possède une démonstration nécessaire. Ce phénomène est l’impossibilité de tendre une corde de telle manière qu’elle soit à la fois droite et parallèle à l’horizon ; le fait est que la corde s’incurve toujours et qu’il n’y a pas de force assez grande pour l’étirer parfaitement droite. Salv. Dans ce cas de la corde donc, Sagredo, tu ne t’étonnes pas du phénomène parce que tu en as la démonstration ; mais si on le considère avec plus de soin, nous pouvons éventuellement découvrir une correspondance entre le cas de l’arme à feu et celui de la corde. La courbure de la trajectoire du coup de feu apparaît horizontalement comme résultat de deux forces : l’une (celle des armes) pousse le projectile horizontalement, et l’autre (son propre poids) le tire verticalement vers le bas.54 Ainsi, en mettant la corde sous tension, nous avons la force qui la tire horizontalement et son propre poids qui agit vers le bas. Les circonstances de ces deux cas sont donc très 240

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

similaires. Si on attribue au poids de la corde une puissance et une énergie suffisante pour s’opposer et vaincre toute force, si grande soitelle, pourquoi refuser ce pouvoir à la balle ? [310] Je dois d’ailleurs dire quelque chose qui te surprendra et te plaira à la fois, à savoir qu’une corde tendue dessine une courbe qui se rapproche étroitement de la parabole. Cette similitude est clairement visible si tu dessines une courbe parabolique sur un plan vertical et que tu l’inverses ensuite de sorte que le sommet se retrouve en bas et que la base reste horizontale ; en attachant une chaînette par les extrémités de cette base et en la laissant pendre, sa forme ressemble à la parabole dessinée. La coïncidence est d’autant plus exacte que la courbure diminue ; g pour des paraboles avec élévations inférieures à 45◦ la chaîne correspond presque parfaitement à la parabole. Sagr. Avec une chaîne fine, on pourrait donc rapidement tracer des lignes paraboliques sur une surface plane. Salv. Certainement, et avec quelques avantages, comme je vous le montrerai plus tard. Simp. Mais avant d’aller plus loin, je tiens à être convaincu au moins de cette proposition dont tu dis qu’il y a une démonstration : à savoir qu’il est impossible d’étirer une corde afin qu’elle soit parfaitement droite et horizontale quelle que soit la force. Sagr. Je vais voir si j’arrive à me souvenir de la démonstration ; mais pour la comprendre, Simplicio, il te faudra considérer un fait qui ressort non seulement de l’expérience mais aussi de considérations théoriques. Un corps en mouvement, même infime, peut équilibrer un corps très léger qui se déplace lentement, si le produit des deux poids et de leurs vitesses respectives est le même. Simp. Je le sais très bien car il a été démontré par Aristote dans ses Problèmes mécaniques.55 On l’observe d’ailleurs dans le levier et dans la balance romaine où un contrepoids de pas plus que 4 livres va soulever un poids de 400 à condition que la distance du contrepoids g. Encore une fois sur la chaînette comme dans le deuxième jour, mais ici Galilée correctement dit explicitement qu’elle est juste une approximation de la parabole.

241

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

à l’axe autour duquel tourne la balance soit plus de cent fois plus grande que la distance entre cet axe et le point d’appui du grand poids. [311-312] Ceci est vrai parce que le contrepoids dans sa descente parcourt un espace plus de cent fois plus grand que celui parcouru par le grand poids dans le même laps de temps ; en d’autres termes, le petit contrepoids se déplace avec une vitesse qui est plus de cent fois supérieure à celle du grand poids. Sagr. Tu as parfaitement raison ; si petite que soit la force du corps, elle vaincra toute résistance, si grande soit-elle, pourvu qu’elle gagne plus en vitesse qu’elle n’en perd en force et en poids. Maintenant, laissez-nous revenir à l’affaire de la corde, que j’approxime comme une ligne sans poids.

Dans la figure, h ab représente une ligne droite passant par deux points fixes, respectivement a et b ; aux extrémités de cette ligne pendent, comme vous pouvez le voir, deux gros poids égaux wc et wd , qui la tirent avec une grande force et la maintiennent droite. Si du point central de cette ligne, que nous appelons e, nous suspendons un petit poids, appelons-le wh , la corde ab va tomber vers le point f et, en raison de son allongement, elle forcera les deux poids en c et d à monter. Cela arrive toujours, même quand wc est beaucoup plus grand que wh , et nous pouvons le prouver comme il suit. Si T est la h. La figure originale contient des éléments additionnels qui clarifient la preuve géométrique.

242

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

force exercée par le fil, nous avons 2T sin θ

= wh

T

= wc

(θ est l’angle f b a e), et donc

sin θ =

wh . 2wc

La vitesse du point h après avoir suspendu le poids wh est telle qu’elle peut provoquer un mouvement, satisfaisant aux critères que nous avons discutés précédemment. En effet le mouvement de h est plus grand que le mouvement de c d’un facteur plus grand que le rapport entre wc et wh : |e f | wc > ; | f i| wh |e f | |ae| tan θ sin θ = = , | f i| |ae|/ cos θ − 1 1 − cos θ et cela devient très grand lorsque la ligne est horizontale, comme tu vois dans la figure. Ce qui se passe dans le cas d’une corde idéale ab lorsqu’un petit poids h est attaché à son point central arrive aussi pour une vraie corde, qui, bien que légère, a un poids différent de zéro ; car dans ce cas le matériau dont est fait la corde a le même effet qu’un poids suspendu à son centre de gravité. Simp. Je suis pleinement satisfait. Alors maintenant Salviati peut expliquer, comme il l’a promis, l’avantage de cette petite chaîne, et plus tard présenter les spéculations de notre académicien sur le sujet des forces de percussion. Salv. Je pense que c’est assez pour aujourd’hui : on est déjà en retard et le temps qui reste ne sera pas suffisant pour éclaircir les sujets proposés. Nous pouvons donc reporter notre réunion jusqu’à une autre occasion plus appropriée. 243

QUATRIÈME JOURNÉE : LE MOUVEMENT DES PROJECTILES

Sagr. Je suis d’accord, parce que, après plusieurs conversations avec des amis intimes de notre académicien, j’ai conclu que cette question des forces impulsives est obscure, et je pense que, jusqu’à présent, aucun de ceux qui ont traité [313] ce sujet n’a été capable d’éclairer les sombres coins qui se trouvent presque au-delà de la portée de l’imagination humaine. Parmi les différents points de vue que j’ai entendus, il y en a un, étrangement fantastique, qui reste dans ma mémoire : à savoir, que les forces impulsives sont indéterminées, si pas infinies. Attendons donc la commodité de Salviati.56 S’il te plaît, laisse-moi ce livre jusqu’à notre prochaine réunion, afin que je puisse lire et étudier ces propositions soigneusement et dans l’ordre. Salv. C’est avec grand plaisir, et j’espère que la lecture te plaira. La quatrième journée se termine.

244

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

5 Journée supplémentaire : Sur la force de la percussion

INTERLOCUTEURS : SALVIATI, SAGREDO ET APROINO [321] Sagredo. Pourquoi ce nouvel ami est-il ici et notre cher Simplicio absent ? Salviati. J’imagine que quelques démonstrations de divers problèmes discutés durant ces derniers jours lui étaient obscures. Ce nouvel ami que tu vois est Paolo Aproino,57 un noble de Trévise qui fut l’élève de notre académicien pendant sa période à Padoue ; et pas seulement son élève, mais aussi un ami très proche. Avec lui, il a eu de longues conversations, avec d’autres avec qui il partageait des intérêts. Parmi ceux-ci il y a le noble Daniele Antonini58 d’Udine, [322] un homme d’une intelligence et d’une valeur superbes qui mourut glorieusement pour la défense de son pays et receva de la grande République vénitienne des honneurs dignes de son mérite. Avec lui, Aproino a pris part à un grand nombre d’expériences réalisées par notre académicien à Padoue, en ce qui concerne une variété de problèmes. Il y a une dizaine de jours, Aproino passait par Venise et est venu me voir, comme il fait d’habitude ; et ayant entendu dire que j’avais 245

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

ici quelques écrits de l’Auteur, il a souhaité les étudier avec moi. Je lui ai parlé de notre rendez-vous pour discuter du mystérieux problème de la force de percussion, et il m’a dit qu’il en avait discuté à plusieurs reprises avec l’Académicien, même si d’une manière peu concluante, et qu’il l’avait aidé dans plusieurs expériences, certains liées à la force de percussion et à son explication. Il voudrait maintenant mentionner, entre autres, une expérience qu’il pense être très ingénieuse et subtile. Salv. Je considère comme une grande chance le fait de rencontrer personnellement Aproino, car notre académicien m’a souvent parlé de lui. Ce sera un grand plaisir d’écouter au moins une partie des différentes expériences faites sur différentes propositions avec des esprits aussi pointus que celui de Antonini, dont j’ai aussi entendu notre ami parler avec beaucoup d’admiration. Maintenant nous sommes ici pour raisonner spécifiquement sur la percussion, et toi, mon cher Aproino, pourrais-tu nous dire ce qui est ressorti des expériences sur ce sujet ? Tu dois aussi nous promettre de parler en d’autres occasions d’autres problèmes, car je sais que ta curiosité n’est inférieure qu’à tes soins d’expérimentateur. Aproino. Pour retourner ta courtoisie, je devrais employer tellement de mots que très peu de temps resterait pour parler de la question dont nous voulons discuter. Sagr. Laissons alors les compliments cérémonieux aux courtisans et commençons immédiatement avec un discours sérieux. Mes paroles sont rares, mais sincères. [323] Apr. Je ne pense pas pouvoir dire quelque chose que Salviati ne sache déjà, donc tout le poids du discours devrait reposer sur ses épaules. Cependant, au moins pour commencer, je mentionnerai les premiers pas et la première expérience que notre ami fit pour aller au cœur de cet admirable problème de la percussion. Le but est de trouver et de mesurer sa grande force et, si possible, de déterminer en même temps son essence. L’effet de la percussion semble très différent des autres effets mécaniques – je dis « mécaniques » pour exclure la force immense de la 246

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

poudre à canon. Dans les machines, il est évident que la vitesse d’un faible moteur peut compenser la puissance d’une grande résistance qui se déplace lentement. Dans la percussion, nous voyons que le mouvement du percutant induit un mouvement de la résistance ; la première idée de l’Académicien était donc d’essayer de trouver quelle partie de l’incidence était due au poids (par exemple dans le cas d’un marteau) et quelle partie à la vitesse, grande ou petite, avec laquelle il percutait un objet. Il voulait, si possible, mesurer séparément la contribution à la percussion de chacune des deux composantes, le poids et la vitesse ; et pour réaliser cela, il a imaginé une expérience qui me semble très ingénieuse. Il a pris une tige très robuste, d’environ trois coudées de long, il l’a mise en équilibre comme une balance, et il a suspendu aux extrémités de ses bras deux poids égaux très lourds. L’un d’eux était composé de deux seaux en cuivre. Celui du haut, suspendu au bout de la poutre, était rempli d’eau ; [324] aux poignées de ce seau, il suspendit deux cordes, chacune d’environ deux coudées de long, et à celles-ci étaient attachées les anses d’un autre seau similaire, mais vide. À l’extrémité de l’autre bras, un contrepoids équilibrait exactement le poids de la paire de seaux, de l’eau et des cordes à l’autre extrémité. Le fond du seau supérieur avait été percé d’un trou de la taille d’un œuf ou un peu plus petit, qui pouvait être ouvert et fermé.59

247

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

Avec la balance en équilibre, le trou dans le seau supérieur a été ouvert pour que l’eau puisse s’écouler et descendre rapidement pour frapper le seau inférieur. Notre première conjecture était que cet impact aurait ajouté un certain élan de ce côté, de sorte que pour rétablir l’équilibre, il aurait fallu ajouter plus de poids à l’autre bras. Ça aurait évidemment compensé la force de l’impact de l’eau, de sorte que la force d’impact aurait été équivalente au poids des dix ou douze livres qu’il aurait été nécessaire, nous imaginions, d’ajouter au contrepoids. Sagr. Ce système me semble vraiment ingénieux et je suis impatient de connaître le résultat de l’expérience. Apr. Le résultat n’a pas été moins surprenant que nous avions prévu. Lorsque le trou s’est soudainement ouvert et que l’eau a commencé à tomber, la balance s’est inclinée sur le côté avec le contrepoids ; mais quand l’eau a commencé à frapper le fond du seau inférieur, le contrepoids a cessé de descendre, et a commencé à monter à nouveau avec un mouvement très tranquille, jusqu’à la restauration de l’équilibre alors que l’eau coulait encore. Lorsque l’équilibre a été atteint, la balance s’est arrêtée sans passer un cheveu plus loin. Sagr. Ce résultat me surprend. C’est différent de ce que j’attendais, et dont j’espérais mesurer l’entité de la force de l’impact : je pensais que lors de la chute de l’eau j’aurais dû augmenter le contrepoids avec un poids supplémentaire. Cependant, il me semble que nous pouvons tirer de ce résultat un grand nombre d’informations. La force de la percussion est équivalente au poids de la quantité d’eau en suspension qui descend entre les deux seaux, qui ne pèse ni sur le seau supérieur ni sur l’inférieur. Pas sur le supérieur, car les parties d’eau ne sont pas collées ensemble, et ne peuvent donc pas exercer de force [325] et tirer vers le bas celles du dessus, comme cela arriverait dans certains liquides visqueux, par exemple la poix. Pas non plus sur le seau inférieur, car l’eau qui tombe s’accélère continuellement et ses parties supérieures n’appuient pas sur les parties inférieures. C’est comme si toute l’eau contenue dans le jet n’était pas sur la balance. En 248

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

fait, si l’eau qui tombe avait un poids sur les seaux, l’effet serait d’incliner les seaux considérablement vers le bas, soulevant le contrepoids ; et cela n’arrive pas. Nous en avons confirmation si nous imaginons que toute l’eau se glace soudainement : le jet, transformé en glace solide, ajouterait son poids au reste de la structure, alors que la cessation du mouvement éliminerait la force de la percussion. Apr. Nous avons aussi pensé comme vous. De plus, il semblait possible de conclure que la vitesse acquise par la chute de cette quantité d’eau d’une hauteur de deux coudées, sans considérer le poids de cette eau, avait exactement le même effet que le poids de l’eau, sans considérer la force de l’impact. Donc, si l’on pouvait mesurer et peser la quantité d’eau en suspension dans l’air entre les conteneurs, on aurait pu voir que la percussion a le même effet qu’un poids égal à dix ou douze livres d’eau. Salv. J’aime cette élégante expérience, et il me semble que sans sortir de ce chemin, dans lequel une certaine ambiguïté est introduite par la difficulté de mesurer la quantité d’eau qui tombe, nous pourrions, avec une expérience similaire, trouver un moyen de comprendre complètement ce que nous voulons. Imaginez, par exemple, l’un de ces grands poids (on les appelle pilotes de pieux, je crois) qui sont utilisés à Venise pour enfoncer des pieux robustes dans le sol pour construire, par exemple, une base, en utilisant la percussion provoquée par la chute d’un grave d’une certaine hauteur sur de tels pieux. Imaginons que le poids d’un pilote soit, disons, de 100 livres, et qu’il tombe d’une hauteur de quatre coudées ; et supposons que le pieu, lorsque poussé avec un seul coup, va s’enfoncer de quatre pouces dans un sol dur. Maintenant, supposons que nous voulions obtenir la même pression et donc le même enfoncement de quatre pouces sans utiliser l’impact, et nous constatons que cela peut être fait avec un poids de 1 000 livres, qui ne prend la force que de sa lourdeur et sans mouvement précédent, et qu’on peut donc appeler « poids mort ». Je me demande si [326] on peut dire que l’effet d’un poids de 100 livres, combiné à la vitesse acquise en 249

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

descendant d’une hauteur de quatre coudées, est équivalent au poids mort de 1 000 livres. Est-ce que la force donnée par la vitesse est équivalente au poids de 900 livres de poids mort (qui est ce qui reste après soustraction au poids de 1 000 livres du poids du pilote de pieux de 100 livres) ? Je vois que vous hésitez tous les deux à répondre, peut-être parce que je n’ai pas bien expliqué ma question. Pour clarifier les choses, supposons que le même pilote de pieux, en chute de la même hauteur, mais frappant un pieu plus résistant, l’enfonce dans le terrain pas plus que de deux pouces. Maintenant, pouvons-nous être sûrs que la pression de 1 000 livres va avoir ce même effet ? Je veux dire, qu’elle sera capable d’enfoncer les pieux de deux pouces dans le terrain ? Apr. À première vue, personne ne pourrait le nier. Salv. Et toi, Sagredo, tu n’as pas de doutes ? Sagr. Pas pour le moment ; mais ayant éprouvé mille fois la facilité avec laquelle on se trompe en raisonnant, je ne suis sûr de rien. Salv. Si quelqu’un comme toi, dont je connais la perspicacité, se montre enclin à accepter une mauvaise réponse, je pense qu’il serait difficile de trouver ne fût-ce qu’une ou deux personnes sur mille qui ne tombent pas dans une telle erreur plausible. Mais tu seras étonné de voir comment cette erreur est cachée sous un voile si subtil que la moindre brise peut la révéler. Tout d’abord nous allons laisser le pilote de pieux tomber sur le poteau comme avant, l’enfonçant de quatre pouces dans le sol, et supposons qu’il faudrait 1 000 livres pour accomplir cela avec un poids mort. Ensuite, nous ramenons le même pilote de pieux à la même hauteur, de sorte qu’il tombe une deuxième fois sur le même poteau, mais maintenant le poteau s’enfonce seulement de deux pouces, car il a rencontré un sol plus dur. Peut-on supposer que le poids mort de 1 000 livres sera capable de provoquer le même effet ? Apr. [327] Ça me semble raisonnable.

250

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

Sagr. Désolé : cela ne peut pas être vrai. Si dans le premier cas le poids mort de 1 000 livres a enfoncé le piquet de seulement quatre pouces dans le terrain, comment pourrait-il l’enfoncer de encore deux pouces tout simplement en le remettant en place ? Pourquoi cela ne s’est-il pas produit avant ? Juste en enlevant ce poids et en le repositionnant doucement peut-il faire ce qu’il ne pouvait pas faire avant ? Apr. J’ai honte de moi : je me noie dans un verre d’eau. Salv. Ne t’en veux pas, Aproino, car je peux t’assurer que beaucoup d’autres sont restés liés par de tels nœuds assez faciles à défaire. Je ne doute pas que toute erreur serait facile à corriger si les gens se reconduisaient aux principes : en ce moment, des liens avec des propositions absurdes pourraient clairement révéler la fausseté d’un raisonnement. Notre académicien avait un génie particulier pour montrer en peu de mots l’absurdité et la contradiction de fausses affirmations appartenant au « sens commun ». J’ai vu de nombreuses conclusions liées à la physique qu’on croyait être vraies, et qu’il a prouvées être fausses par des raisonnements simples. Sagr. En effet c’était l’une d’entre elles, et si les autres sont comme ça, ce sera bien qu’à un certain moment tu les partages aussi avec nous. Mais, en attendant, poursuivons avec notre question : nous cherchons un moyen (s’il y en a un) d’attribuer une mesure à la force de l’impact. Il me semble que cela ne peut pas être obtenu par l’expérience dont tu parles. En effet, comme nous le montre l’expérience, les coups répétés du pilote de pieu sur le poteau l’enfoncent de plus en plus profondément, et il est donc clair que chaque coup suivant a un effet, ce qui n’est pas vrai pour un poids mort constant. Si nous voulons que les poids morts égalent les effets des troisième, quatrième et cinquième coups, et ainsi de suite, [328] nous aurons besoin de poids morts de plus en plus grands. Lequel de ces poids morts pourrait représenter la mesure de la force du coup qui, au contraire, semble toujours être le même ?

251

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

Salv. C’est l’une des principales merveilles qui, je pense, a dû rendre perplexes et hésitants tous les esprits spéculatifs. Il n’est pas absurde de toute façon de penser que la mesure de la force d’impact ne doit pas être dérivée seulement de ce qui frappe, mais aussi de ce qui reçoit l’impact. En ce qui concerne l’expérience mentionnée, il me semble que nous pouvons en déduire que la force de l’impact est infinie – ou plutôt, disons, indéterminée ou indéterminable, étant maintenant plus grande et maintenant plus petite, selon qu’elle s’applique à une résistance majeure ou mineure. Sagr. Je suis d’accord : la vérité pourrait être que la force de l’impact est immense, voire infinie. Dans l’expérience dont nous venons de parler, puisque le premier coup plante le poteau de quatre pouces, le deuxième de trois, et dès que nous traversons un terrain de plus en plus solide, le troisième de deux pouces, et ainsi de suite, des coups répétés enfonceront toujours le poteau, mais sur des distances de plus en plus courtes. Mais comme la distance peut devenir petite à volonté, la pénétration se poursuivra et progressera ; et si nous voulons trouver un poids mort provoquant le même effet que la percussion, après chaque mouvement, il faudra plus de poids que précédemment. Salv. Je peux le croire. Apr. Alors il n’y a pas de résistance assez grande pour vaincre la puissance d’un impact, aussi léger soit-il ? Salv. Je ne pense pas, à moins que la résistance ne soit pas infinie. Sagr. Ces déclarations me semblent remarquables et, je dirais, prodigieuses. Il semble que la technique dépasse la physique, quelque chose qui à première vue semble impossible mais que certains autres outils mécaniques peuvent réaliser : par exemple, quand un levier, une vis, ou une poulie, soulève d’énormes poids avec peu de force. [329] En raison de l’effet de percussion, certains coups de marteau qui ne pèsent pas plus de dix ou douze livres peuvent aplatir un cube de cuivre qui ne sera ni cassé ni écrasé si on pose sur lui-même une colonne de marbre ou même une très haute tour. Ce fait me semble 252

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

dépasser toute explication physique possible. Ainsi, Salviati, s’il te plaît, guide-nous au travers ce labyrinthe complexe. Salv. De ce que vous dites, il me semble que les principaux problèmes résident dans la compréhension de la façon dont l’effet de l’impact, qui semble infini, peut être expliqué par des mécanismes autres que ceux sur lesquels d’autres machines qui surmontent d’énormes résistances avec de très petites forces sont basées. Mais je ne désespère pas de l’expliquer aussi. Je vais essayer de clarifier le processus ; et même s’il me semble assez compliqué, peut-être, grâce à vos questions et objections, mes observations deviendront plus subtiles et plus nettes, et au moins suffisantes à desserrer le nœud, voire à le dénouer. Il est évident que dans le problème qu’on a décrit les rôles de la force motrice et de la résistance ne sont pas simples à séparer. Deux actions jouent un rôle. L’une est le poids à la fois du moteur et de la résistance ; l’autre est la vitesse avec laquelle les deux corps se déplacent. Si le corps déplacé doit se déplacer avec la vitesse du moteur (c’est-à-dire si les espaces parcourus par les deux dans un temps donné sont égaux), il sera impossible que le poids du moteur soit inférieur à celui du corps mis en mouvement ; au contraire, il doit être un peu majeur, car dans l’exacte égalité du poids, nous serions dans des conditions d’équilibre, comme on le voit dans l’équilibre d’une balance à bras égaux. Mais si avec un plus petit poids nous voulons soulever un plus grand, il sera nécessaire de construire la machine de manière que le plus petit poids en mouvement parcourt pendant le même temps un plus grand espace que le plus grand poids ; c’est-à-dire que le premier doit aller plus vite que le second. Et nous savons par expérience que, par exemple, pour qu’un contrepoids soulève un poids dix ou quinze fois plus grand, la distance entre le contrepoids et le point d’appui [330] doit être dix ou quinze fois plus grande que la distance entre le point d’appui et le point de suspension de l’autre poids ; et cela signifie que la vitesse du poids moteur est dix ou quinze fois supérieure à celle du poids déplacé. Étant donné que cet effet se produit dans toutes 253

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

les machines, nous pouvons considérer que à l’équilibre les poids et les vitesses soient inversement proportionnels. On dit en général, par conséquent, que l’impulsion d’un corps léger de poids wm et vitesse vm balance l’impulsion d’un corps plus lourd de poids w M et vitesse v M si wM vm = =⇒ wm vm = w M v M . vM wm Si on donne à l’un des termes un petit avantage, le système se met en mouvement. Ayant établi cela, je pense qu’une action peut surmonter n’importe quelle résistance, aussi grande qu’elle soit, comme aussi dans d’autres dispositifs mécaniques. Il est clair qu’un petit poids d’une livre augmentera son effet d’un facteur 100 ou 1 000 si nous le plaçons 100 ou 1 000 fois plus loin du point d’appui par rapport à un autre poids plus grand, c’est-à-dire si l’intervalle d’espace à travers lequel le premier descend est de 100 ou 1 000 fois plus grand que l’espace à travers lequel l’autre se déplace, de sorte que la vitesse du premier est de 100 ou 1 000 fois la vitesse du second. Je veux, au moyen d’un exemple plus frappant, vous faire comprendre que n’importe quel poids léger dans sa descente peut faire s’élever un poids très lourd. Imaginez un gros poids attaché à une corde verticale (un pendule). Maintenant, imaginez un mince fil accroché au même point et avec la même longueur que le premier ; attachons à celui-ci un petit poids, et supposons que ce petit poids touche juste le grand. Ne pensez-vous pas que ce nouveau poids va pousser un peu le plus gros, séparant son centre de gravité de la ligne verticale où il reposait à l’origine ? Or, si ce petit poids peut déplacer et soulever un grand poids par simple contact, que fera-t-il s’il le heurte par collision ? Cela pourrait certainement provoquer le déplacement d’un poids aussi important le long de la circonférence. [331] Apr. Des résultats de cette expérience, il me semble que la force de la percussion soit infinie. Mais cela ne me suffit pas pour supprimer

254

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

beaucoup d’ombres dans mon esprit, et je ne me sens pas encore en mesure de répondre à toutes les questions que je me posais. Salv. Avant que je passe à tout autre sujet, je veux vous révéler un possible malentendu. Nous pourrions croire que, dans l’exemple du pieu, tous les coups sur le poteau soient égaux, puisqu’ils sont donnés par le même pilote de pieux toujours élevé à la même hauteur. Mais nous ne sommes pas autorisés à tirer une telle conclusion. Pour comprendre cela, imaginez de frapper une balle qui tombe de haut, et dites-moi : si, quand elle arrive sur la main, on laisse la main descendre le long de la même ligne et avec la même vitesse que la balle, sentira-t-on le coup ? Certainement non. Mais si, à l’arrivée de la balle, on ne cède que partiellement, faisant descendre la main à une vitesse plus lente que la balle, on aura un impact – pas aussi important que celui dû à toute la vitesse de la balle, mais proportionnel à la différence entre sa vitesse et la vitesse de la main. [332] Donc, si la balle voyage vers le bas avec dix degrés de vitesse et la main va vers le bas avec huit, le coup sera comme celui d’une balle avec deux degrés de vitesse. Si la main descend avec quatre degrés de vitesse, le coup sera comme celui correspondant à six degrés, etc. On n’aura l’effet complet de l’impact que si on tient la main immobile. Maintenant appliquez ce raisonnement au pilote de pieux. Le poteau cède à l’impact pénétrant dans le terrain de quatre pouces au premier coup, de deux pouces au deuxième et d’un pouce au troisième. Ces impacts ont des effets inégaux, le premier étant plus faible que le deuxième et le deuxième par rapport au troisième. Il n’est pas étonnant que d’un certain poids mort on puisse reproduire le premier choc, et qu’après il soit nécessaire d’appliquer des poids morts de plus en plus grands. Ce que je dis explique combien il est difficile de comprendre la force de l’impact, puisque celui-ci agit sur une résistance qui varie, comme dans le cas du pieu qui devient de plus en plus résistant d’une manière que nous ne sommes pas en mesure de calculer. Pour mieux comprendre, je pense qu’il est nécessaire de concevoir une expérience 255

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

dans laquelle l’objet qui reçoit les impacts s’oppose toujours avec la même résistance. Pour faire une expérience de ce type, imaginez un corps pesant, disons, 1 000 livres, placé sur un plan qui le supporte. Ensuite, pensez à une corde attachée à ce poids qui tourne autour d’une poulie au sommet. Il est clair que lorsqu’une force est appliquée en tirant l’extrémité de la corde vers le bas, elle rencontrera toujours une résistance égale au poids à soulever, soit 1 000 livres de poids. [333] Si un autre poids égal au premier était suspendu au bout de la corde, l’équilibre serait établi ; et s’ils étaient tous les deux soulevés hors du plan, ils seraient encore en équilibre. Si le premier poids est supporté par un plan, on peut utiliser des poids différents (inférieurs au poids supporté au repos) à l’autre extrémité de la corde pour tester la force due à la percussion.60 À un moment donné, on laisse tomber le poids à la fin de la corde à partir d’une certaine hauteur, et on observe ce qui se passe à l’autre extrémité au plus grand poids qui sent la traction de la corde en raison de l’autre poids qui tombe : lorsque la corde est tendue, la tension va soulever le poids plus lourd avec le coup qui doit le tirer vers le haut. Il me semble que je peux prédire que la chute du poids devrait être en mesure de surmonter la résistance du poids plus lourd et de le soulever. Cette conséquence me semble définitivement établie puisqu’il est connu qu’un petit poids wm l’emporte sur un autre, bien plus lourd, w M , lorsque vm wM > , vM wm où vm et v M sont respectivement les vitesses du poids mineur et du poids majeur. Ceci arrive toujours dans le cas présent, étant donné que la vitesse de la chute d’un poids dépasse infiniment la vitesse de l’autre, qui est égale à zéro. Ensuite, nous allons essayer de découvrir quelle sera la distance sur laquelle l’impact reçu soulèvera l’objet plus lourd, et si peut-être le résultat correspondra aux autres instruments mécaniques – par exemple dans la balance le déplacement du poids plus grand est le produit du déplacement du poids mineur multiplié 256

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

par le rapport entre le bras mineur et le bras majeur. Dans notre cas, en supposant que le poids lourd initialement au repos soit 100 fois plus grand que le poids qui tombe, par exemple, d’une hauteur d’une coudée, on devrait voir si le poids lourd se soulève d’un centième de coudée ; si c’est le cas, il semblerait que la règle suivie soit similaire à celle suivie par d’autres instruments mécaniques. Imaginez que nous effectuions une première expérience en faisant tomber d’une hauteur de, disons, une coudée, [334] un poids égal à un autre poids que nous avons placé sur un plan de support ; ces poids sont attachés aux extrémités opposées de la même corde. Quel sera l’effet de la chute du petit poids, en ce qui concerne le mouvement et le soulèvement de l’autre, qui était au repos ? Je serais heureux d’entendre votre opinion. Apr. Dois-je répondre le premier, puisque tu me regardes ? Il me semble que puisque les deux poids sont également lourds, étant donné que celui qui tombe a une impulsion donnée par sa vitesse, l’autre doit être soulevé bien au-delà du point d’équilibre, car le simple poids du premier suffisait pour maintenir l’équilibre. Donc, à mon avis, il va aller jusqu’à beaucoup plus qu’une coudée, qui est la mesure de la chute du poids. Salv. Qu’en penses-tu, Sagredo ? Sagr. À première vue, le raisonnement me paraît concluant ; mais, comme je l’ai dit avant, bien des expériences m’ont appris combien on peut facilement se tromper et, par conséquent, combien il faut être circonspect avant d’énoncer quoi que ce soit. Alors je vais dire, encore avec quelques doutes, qu’un poids de 100 livres en chute soulèvera l’autre, qui également pèse 100 livres, jusqu’à l’équilibre. Mais je pense aussi que l’équilibre sera atteint lentement, et puisque dans la chute le corps a une grande vitesse, il va pousser son partenaire vers le haut à la même vitesse au début. Maintenant, il me semble évident qu’une plus grande force soit nécessaire pour pousser un corps lourd vers le haut avec une grande vitesse plutôt que pour le pousser très lentement ; ainsi il pourrait arriver que l’avantage dû à la vitesse acquise par le 257

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

corps en chute libre le long de la coudée soit consommé, et pour ainsi dire épuisé, en entraînant l’autre avec la même vitesse à une même hauteur. Je crois donc que ces deux mouvements, vers le haut et vers le bas, se termineront dans un état de repos immédiatement après que le poids sera monté d’une coudée, [335] ce qui revient à dire deux coudées de descente pour l’autre, en comptant la première coudée de chute libre. Salv. Puisque l’impact du poids qui tombe est un agrégat de lourdeur et de vitesse, l’action de sa gravité en soulevant l’autre poids est nulle, étant opposée par la résistance de poids égal dans l’autre, qui clairement ne serait pas déplacé sans ajouter un petit poids. L’effet est donc entièrement dû à la vitesse, qui ne peut conférer que de la vitesse. N’étant pas en mesure de conférer une autre vitesse que celle qu’il a acquise dans la descente d’une coudée à partir du repos, il va pousser l’autre vers le haut d’un même espace et avec une vitesse similaire, conformément à ce qui peut être vu dans diverses expériences ; c’est-à-dire qu’un poids tombant à partir du repos a en tout point une vitesse suffisante pour le ramener à la hauteur de départ. Sagr. Cela se voit clairement en examinant le cas d’un poids attaché à une corde verticale : un pendule. Si nous le déplaçons de la verticale d’un arc inférieur à un angle droit et le libérons, le poids descend, et puis il fait retour au même angle sur l’autre côté, d’où il est évident que l’ascension prend entièrement la vitesse acquise dans la descente. Salv. Si l’exemple du pendule, dont je me souviens que nous avons discuté au cours des derniers jours, [336] s’adapte bien à ce cas, ton raisonnement est très convaincant. Mais je trouve d’importantes différences entre un objet qui est bloqué par un fil, qui descend d’une hauteur donnée le long de la circonférence d’un cercle et qui dans la descente acquiert la vitesse nécessaire pour retourner à une égale

258

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

hauteur, et un poids qui tombe lié au bout d’une corde en soulevant un autre corps égal, attaché à l’autre extrémité. Celui qui descend le long de la circonférence continue à gagner de la vitesse jusqu’à la verticale grâce à son propre poids ; il entame ensuite son ascension dès qu’il a passé la verticale en diminuant sa vitesse puisque la montée est un mouvement contraire à la lourdeur. Le mouvement ascendant dérive uniquement de l’élan acquis dans la descente naturelle. Mais dans l’autre cas, le poids qui tombe tire cet autre au repos non seulement avec la vitesse acquise mais aussi avec sa lourdeur ; et la combinaison des deux compense la résistance de l’autre poids à se soulever. Ainsi, la vitesse acquise précédemment ne répond pas à l’opposition de la résistance du corps à monter, parce que la montée d’un corps est parfaitement compensée par la descente de l’autre. Le même effet pourrait se produire pour un corps lourd et rond placé sur un plan lisse et légèrement incliné ; celui-ci descendra naturellement tout seul, acquérant de plus en plus de vitesse. Mais si quelqu’un voulait le pousser vers le haut en partant du bas, il faudrait lui donner une vitesse initiale, qui avec la montée diminuerait et finirait par revenir à zéro. Si le plan n’était pas incliné, mais horizontal, ce corps ferait tout ce que nous voulons : si on le met au repos, il restera au repos, et si nous lui donnons une vitesse dans une direction, il se déplacera dans cette direction, toujours en gardant la même vitesse qu’il a reçue de notre part et sans l’augmenter ni la diminuer, car il n’y a ni montée ni descente. [337] De la même façon, les deux poids égaux, suspendus à des extrémités de la corde, seront au repos lorsque équilibrés, et si l’un reçoit une vitesse vers le bas, il la maintiendra

259

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

toujours. a Bien entendu, tous les obstacles externes et accidentels doivent être éliminés, tels que la rugosité et lourdeur de la corde et des poulies, le frottement dans la rotation des corps autour de leur axe, et toute autre résistance. Mais puisque nous considérons la vitesse acquise par l’un de ces poids descendant d’une certaine hauteur tandis que l’autre reste au repos, il sera important de déterminer quelle sera la vitesse à laquelle les deux seront déplacés (l’un dans sa descente et l’autre dans sa montée) après la chute. Nous avons déjà vu qu’un corps lourd qui tombe librement à partir du repos acquiert une vitesse toujours plus grande. Après le début de la traction de l’autre poids, ce degré de vitesse n’augmentera pas, car sa cause d’augmentation est supprimée, le poids du corps ascendant étant le même. Ensuite, la vitesse sera préservée et le mouvement sera converti d’un mouvement accéléré à un mouvement a. Le principe d’inertie est affirmé ici d’une façon plus générale que dans le troisième jour. En utilisant cette machine Galilée peut éliminer la résultante des forces en plaçant des poids égaux sur les deux côtés de la poulie, et il se met dans les conditions les plus générales pour vérifier que le principe d’inertie n’est pas seulement une propriété des mouvements sur la surface terrestre, mais s’applique aux mouvements rectilignes en général. On est facilement convaincu que l’opinion de certains historiens des sciences qui croient, en désaccord avec Newton, que Galilée n’est pas l’auteur du principe d’inertie, fondamental pour la physique, est fausse. Le plus connu de ces historiens est Alexandre Koiré, qui pensait que Galilée croyait à une « inertie circulaire », c’est-à-dire limitée à un mouvement autour du centre de la Terre. Une opinion essentielle dans le raisonnement de Koiré est le refus que certaines des expériences de Galilée, en particulier celles sur des plans inclinés, étaient possibles avec la précision déclarée. Selon mon avis de physicien expérimental et ceux, entre autres, de Bellone, Drake, Vergara Caffarelli et Settle (ces deux derniers ont reproduit les expériences de Galilée avec la technologie vraisemblablement disponible à son époque), les mesures de Galilée avec les plans inclinées sont bien convaincantes. Il est possible de toute façon que la réflexion de Galilée ait évolué dans le temps : dans le traité sur la mécanique, [7] qui consiste en ses notes des cours padouans et vraisemblablement daté de 1598 (dont nous ne possédons pas l’autographe), certains passages pourraient suggérer l’ « inertie circulaire ». Cependant, dans ces mêmes notes, on lit explicitement que « tous les obstacles externes et adventices supprimés, les corps peuvent être déplacés sur le plan de l’horizon à partir de n’importe quelle force minimale », une phrase qui laisse peu de place à l’interprétation. La formulation du principe d’inertie dans ce jour supplémentaire supprime tous les doutes, et supporte l’interprétation du plus fameux et compétant parmi les experts : Isaac Newton, qui explicitement dans les Principia attribue le principe d’inertie à Galilée.

260

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

uniforme. Comme démontré et vu dans les discussions des derniers jours, la vitesse sera être égale à celle de la chute libre. b Sagr. Aproino a raisonné mieux que moi. Pour l’instant je suis satisfait de tes explications et j’accepte ce que tu m’as dit. Mais j’ai encore beaucoup d’émerveillement à voir de grandes résistances surmontées par la force de l’incidence d’un petit corps qui les frappe avec des vitesses pas excessives. Quand tu dis qu’il n’y a pas de résistance finie qui puisse résister à un coup sans céder, ma perplexité augmente ; et ainsi j’ai de la peine à accepter qu’il n’y ait aucun moyen d’attribuer une mesure à la force de l’impact. Peux-tu essayer d’éclairer cette zone grise ? Salv. [338] Aucune preuve ne peut être appliquée à une proposition à moins que ce qui est supposé soit certain ; et pour discuter de la vigueur de la percussion par un corps et de la résistance de celui qui reçoit l’impact, nous devons choisir un percutant dont la force est toujours la même, par exemple le même objet qui tombe de la même hauteur ; de la même façon il faudra une cible qui offre toujours la même résistance. Pour avoir une situation reproductible, en me référant à l’exemple précédent des deux corps lourds suspendus aux extrémités d’une même corde, je prends comme percuteur le petit poids qui est libre de tomber, et comme percuté un poids bien supérieur à celui-ci. Il est évident que la résistance du plus grand corps est la même à tout instant et en tout endroit, contrairement à la résistance contre un clou ou un pieu dont nous avons parlé plus tôt. Pour ces derniers, la résistance augmente avec la pénétration, mais d’une façon inconnue à cause de divers événements accidentels, tels que la dureté du bois ou du sol, même si le clou et le pieu restent toujours les mêmes. b. Ici et ailleurs dans la journée Galilée fait une erreur. En doublant la masse du système en mouvement (la masse est un concept que Galilée ne possédait pas : elle sera introduite par Newton dans les Principia), la vitesse est réduite de moitié. L’analyse est simple si l’on utilise le principe de conservation de la quantité de mouvement, dû aussi à Newton ; en bref, Galilée, qui ne possède pas ces outils, se trompe souvent d’un facteur deux.

261

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

Il est également nécessaire de rappeler quelques conclusions que nous avons atteintes dans les jours précédents lorsqu’on commentait le traité sur le mouvement. La première est que les corps lourds, en descendant d’un point haut vers un plan horizontal inférieur, acquièrent des degrés égaux de vitesse que leur descente se fasse verticalement ou se produise sur n’importe quel plan avec une inclinaison arbitraire : ce qui compte est seulement la différence de hauteur entre le maximum et le minimum. En second lieu, la vitesse acquise par un corps qui tombe d’un point C à un point plus bas A est la même que celle qui serait nécessaire pour ramener le même corps à la même hauteur C. De ces considérations, nous pouvons comprendre que la force nécessaire pour soulever ce même corps lourd de l’horizontale au point C, est la même indépendamment que le mouvement commence à partir de A, D, E ou de B dans la figure. Troisièmement, rappelons-nous que les temps de descente le long des plans [339] entre les deux mêmes altitudes ont le même rapport que les longueurs de ces plans, de sorte que si le plan AC, par exemple, est deux fois la longueur de CE et quadruple par rapport à CB, le temps de descente le long de CA sera le double du temps de descente le long de CE et quatre fois celui le long de CB. Enfin, rappelez-vous que pour faire glisser le même poids en utilisant un autre poids comme moteur sur des plans d’inclinaisons 262

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

différentes, l’action du poids sur le plan le plus raide sera plus efficace et donc un poids plus petit suffira, puisque la longueur du plan incliné le plus raide est plus courte que la longueur d’un plan moins raide. Maintenant, en supposant tout ça, nous allons considérer un plan AC, disons, dix fois plus long que la verticale CB ; imaginons de lancer un corps de 100 livres le long de AC. Il est évident que si une corde est attachée à ce corps, passant sur une poulie placée sur le point C, et un poids P de dix livres est fixé à l’autre extrémité de ce câble, avec un petit ajout de force le poids P ira vers le bas en déplaçant le poids S le long du plan AC (voir la figure).

Il convient de noter que la distance sur laquelle se déplace le plus grand poids sur le plan sous-jacent est égale à la distance sur laquelle se déplace le petit poids descendant ; de cela, quelqu’un pourrait remettre en question la vérité générale applicable à toutes les propositions mécaniques, à savoir qu’une petite force dépasse et déplace une grande résistance si son mouvement dépasse le mouvement de la résistance dans une relation inverse de leurs poids. Mais dans l’exemple présent, la descente du petit poids, qui est verticale, doit être comparée uniquement avec la montée verticale du corps plus grand S, en observant de combien il s’est soulevé verticalement à partir de l’horizon ; c’està-dire, on doit considérer de combien la distance augmente le long de la verticale BC. 263

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

Après plusieurs réflexions, je peux affirmer la conclusion suivante, qui sera ensuite expliquée et démontrée. Proposition. [340] Supposons que l’effet de l’impact d’un poids en chute d’une hauteur fixe soit celui de pousser une résistance constante à travers un certain espace, et que pour produire le même effet, une certaine quantité de poids mort soit nécessaire. Je dis que si le percutant pousse une résistance plus grande par moitié de l’espace parcouru par lui-même, pour causer le même effet sans percussion, un double poids mort sera nécessaire. Et de même pour d’autres rapports. Dans l’exemple précédent du pieu, la résistance ne peut pas être surmontée avec moins de cent livres de poids mort. En utilisant la force de l’impact, elle peut être surmontée avec un percutant qui ne pèse que dix livres et tombe d’une hauteur de, disons, quatre coudées, et enfonce le poteau de quatre pouces. En premier lieu, il est évident qu’un poids de dix livres en chute verticale sera suffisant pour soulever un poids de cent livres le long d’un plan incliné dont la longueur est dix fois sa hauteur. Donc, si l’élan acquis par le corps qui tombe à travers un espace vertical est appliqué pour soulever un autre qui est égal en résistance, ce dernier va être soulevé par la même hauteur ; mais la résistance du poids de dix livres en chute verticale est égale à celle d’un poids de cent livres qui monte le long d’un plan de dix fois sa hauteur verticale. [341] Si le poids de dix livres tombe à travers une hauteur verticale, l’impulsion acquise, appliquée au poids d’une centaine de livres, va le pousser sur un trajet correspondant à une hauteur verticale aussi grande qu’un dixième de l’espace sur le plan incliné. Et on a déjà conclu que la force du poids vertical équilibre une force dix fois plus grande sur ce plan incliné. Ainsi, il est évident que la chute verticale du poids de dix livres est suffisante pour faire monter le poids de cent livres, même à la verticale, mais seulement d’une hauteur qui est un dixième de celle couverte par le poids de dix livres.

264

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

Mais cette force qui peut soulever un poids de cent livres est égale à la force avec laquelle le même poids de cent livres a pu pousser le poteau dans le sol lorsqu’il s’appuyait dessus en le pressant. Voici donc l’explication de comment la force générée par la chute d’un poids de dix livres peut générer une force équivalente à celle d’un poids de cent livres, pourvu que l’espace couvert par l’objet percuté ne dépasse pas le dixième de la descente du corps percutant. Et si nous supposons maintenant que la résistance du pieu a doublé ou triplé, de sorte que la pression de deux cents ou trois cents livres de poids mort est nécessaire pour la surmonter, en répétant le raisonnement, nous trouverons que l’impulsion des dix livres qui tombent verticalement est capable d’enfoncer le piquet la deuxième et la troisième fois, comme il l’a fait la première fois. Ainsi, en multipliant la résistance vers l’infini, le même coup pourra toujours la vaincre, mais en poussant le corps résistant sur une distance toujours plus petite, en proportion inverse. Il semble que l’on puisse raisonnablement dire que la force d’impact est infinie. Mais il faut aussi considérer que, en changeant de point de vue, nous pourrions considérer la force comme infinie quand il n’y a pas de résistance. Sagr. Tu vas droit au cœur du problème ; mais comme il me semble que l’impact peut être créé de nombreuses façons et appliqué à une grande variété de résistances, je pense qu’il pourrait être utile d’aller en avant et expliquer quelques cas pratiques, dont la compréhension pourrait ouvrir nos esprits à la compréhension de l’ensemble du sujet. Salv. [342] Je suis d’accord et j’ai déjà pensé à quelques exemples. Tout d’abord, parfois il peut arriver que l’opération du percutant devienne visible pas sur l’objet frappé, mais sur le percutant lui-même. Si un marteau en plomb heurte une enclume, l’effet du coup se verra sur le marteau, qui sera aplati, plutôt que sur l’enclume. L’effet d’un maillet sur le ciseau du sculpteur n’est pas différent : puisque le maillet est fait de fer doux non durci et qu’à plusieurs reprises il touche l’acier du ciseau, ce n’est pas le ciseau qui est endommagé, mais le marteau qui sera bosselé et lacéré. Fréquemment, nous voyons que 265

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

si on continue à enfoncer un clou dans un bois très dur, le marteau rebondit sans faire avancer le clou. Le rebond d’un ballon gonflé sur un sol dur n’est pas très différent : le ballon se déforme à l’impact, mais revient bientôt à sa forme première, et ce rebond se produit non seulement lorsque l’objet qui frappe reprend sa forme, mais ce rebond survient aussi lorsque la surface qui vient d’être heurtée reprend sa forme : une balle rebondit quand elle est faite d’un matériel très dur et inflexible, mais tombe sur la membrane tendue d’un tambour. La composition des deux actions quand un coup est ajouté à une simple pression est également surprenante. On le voit dans les pressoirs à olives et machines similaires, lorsqu’avec la simple poussée de plusieurs hommes on fait descendre la vis le plus possible. En rétractant la barre d’un pas, puis en la tournant rapidement, quatre ou six hommes obtiennent un effet que la force de la simple poussée d’une douzaine d’hommes n’aurait pas atteint. Dans ce cas, il est nécessaire que la barre soit faite en bois très épais et dur, de sorte qu’elle se plie très peu ; parce que si cela n’était pas le cas, la force du coup pourrait la tordre.61 [343-345] Dans chaque corps qui doit être déplacé par l’action d’une force, deux types différents de résistance sont à l’œuvre. Une concerne la résistance interne qui nous fait dire qu’un corps pesant un millier de livres est plus difficile à lever qu’un poids de cent livres ; l’autre se réfère à l’espace à travers lequel le mouvement doit se faire. Deux moteurs différents correspondent à ces résistances : l’un qui se déplace en appuyant sans frapper, et l’autre qui agit en frappant. Le moteur qui fonctionne sans impact déplace une résistance plus faible, mais il peut la déplacer sur une distance infinie, accompagnant toujours le mouvement de sa propre force. Le percuteur qui bouge en frappant déplace toute résistance, aussi grande qu’elle soit, mais ne la déplace que sur une distance limitée. Je considère donc ces deux propositions comme vraies : qu’une percussion peut déplacer une résistance infinie dans un intervalle fini et limité, et qu’une force continue peut déplacer une résistance finie 266

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

JOURNÉE SUPPLÉMENTAIRE : SUR LA FORCE DE LA PERCUSSION

et limitée dans un intervalle infini. Ces choses me font douter si la question de Sagredo a une réponse, tout comme les questions de ceux qui tentent de comparer des choses qui sont incommensurables – et comme, je crois, le sont les actions de la percussion et les forces de pression.

Par exemple, dans le cas particulier illustré par la figure, toute résistance aussi immense qu’elle puisse être dans la cale BA sera surmontée par la percussion C, mais seulement à travers un intervalle d’espace limité, tandis que la force de pression par un poids D ne pourra vaincre qu’une résistance limitée existant dans la cale BA, et non supérieure au poids D. Ce dernier, cependant, poussera non seulement à travers l’intervalle limité entre les points B et A, mais indéfiniment, à condition que la résistance dans le corps AB reste toujours la même, comme il faut le supposer en l’absence d’autres spécifications. Le déplacement d’un matériau heurté par un corps lourd à n’importe quelle vitesse ne peut cependant pas avoir lieu instantanément, car ce fait impliquerait un mouvement instantané à travers un espace fini, ce qui est clairement impossible. Par conséquent, il est nécessaire que le temps pour frapper l’objet soit fini, et que soit fini le temps dont le percuté a besoin pour acquérir le mouvement du percutant. Fin.

267

Notes finales

1. Lettre à Fortunio Liceti, Arcetri, juin 1640. 2. Les deux lois sont énoncées comme il suit dans les Principia [52] : Lex I : Corpus omne perseverare in statu suo quiescendi vel movendi uniformiter in directum, nisi quatenus a viribus impressis cogitur statum illum mutare (Tous les corps persistent dans leur état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme jusqu’à ce que des forces qui leur sont appliquées les fassent changer cet état), et Lex II : Mutationem motus proportionalem esse vi motrici impressae, et fieri secundum lineam rectam qua vis illa imprimitur (Le changement de mouvement est proportionnel à la force motrice imprimée, et se fait dans la direction rectiligne dans laquelle cette force est imprimée). Newton écrit immédiatement après : Per leges duas primas et corollaria duo prima adinvenit Galilaeus descensum gravium esse in duplicata ratione temporis, et motum projectilium fieri in parabola, conspirante 269

NOTES FINALES

experientia, nisi quatenus motus illi per aeris resistentiam aliquantulum retardantur (Au moyen de ces deux premières lois et de leurs corollaires Galilée a constaté que la distance parcourue verticalement par des corps lourds augmente avec le carré du temps et que le mouvement des projectiles se déroule le long de trajectoires paraboliques, comme les expériences le confirment, en négligeant un certain retard en raison de la résistance de l’air). 3. Dans son Dialogue... Galilée présente les personnages comme il suit : « Il y a plusieurs années, je me trouvais souvent dans la merveilleuse ville de Venise, et je discutais avec Monsieur Giovanni Francesco Sagredo, un homme de noble extraction et d’esprit tranchant. De Florence vint Monsieur Filippo Salviati, dont les moindres gloires étaient l’éminence de son sang et la magnificence de sa fortune. Il avait un sublime esprit qu’il nourrissait avidement avec plaisir à travers de belles méditations. Je discutais souvent avec ces deux amis de ces questions en la présence d’un certain philosophe péripatéticien dont le plus grand obstacle à la compréhension de la vérité semblait être la réputation qu’il avait acquise par ses interprétations d’Aristote. Or, puisqu’une mort amère a privé Venise et Florence de ces deux grands luminaires dans le meilleur de leurs années, j’ai voulu faire vivre leur renommée dans ces pages, autant que mes pauvres capacités le permettront, en les présentant comme interlocuteurs. Le bon péripatéticien ne manquera non plus de place ; à cause de son affection excessive pour les Commentaires de Simplicius, j’ai cru bon de le laisser sous le nom de l’auteur qu’il vénérait, sans mentionner le sien propre. Qu’il plaise à ces deux grandes âmes, toujours vénérables à mon cœur, d’accepter ce monument public de mon amour éternel. Et puisse la mémoire de leur éloquence m’aider à livrer à la postérité leurs réflexions. » 4. Voir le Dictionnaire latin-italien de Georges et Calonghi, Rosenberg & Sellier, Turin 1950. 5. Aristote (Métaphysique, 1025b2 ; Du ciel, 299a15) était au 270

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

NOTES FINALES

contraire convaincu que la possibilité d’appliquer une science exacte telle que les mathématiques aux phénomènes naturels était limitée. 6. G. Galilei, Il Saggiatore. 7. En latin dans l’original. 8. Aristote, Physique, 215a.24-216a.26. 9. Aristote, Physique, 225a.25-26 ; De anima, 217a.17. 10. Aristote, Du ciel, 311b.33. 11. G. Galilei, Discorso intorno alle cose che stanno in su l’acqua e che in quella si muovono, Florence 1612, IV, 106-107. 12. L’authenticité de cette œuvre est douteuse ; de nombreux savants l’attribuent à l’école péripatétique mais pas à Aristote luimême. 13. Giovanni de Guevara (1561-1641), évêque de Teano, avait discuté de ce problème avec Galilée et écrit à ce sujet dans son travail Aristotelis mechanicas comentarii (Rome 1627). 14. Notons que Galilée aborde le concept de limite, qui sera formalisé plus tard notamment par Newton et Leibniz. 15. Dans le texte Galilée se réfère aux travaux de Luca Valerio [47]. Le principe selon lequel si deux solides ont la même hauteur et les sections découpées par des plans parallèles aux bases et à égale distance d’eux sont toujours dans un rapport donné, les volumes des solides seront également dans ce rapport, aujourd’hui connu comme le principe de Cavalieri, a été démontré par le Père Bonaventura Cavalieri (1598-1647), un élève de Galilée, et publié après les Deux nouvelles sciences, en 1647. 16. Figure ajoutée ; adaptée de Wikimedia Commons. 17. Aristote, Physique, 215a.24-216a.21 ; Du ciel, 301b. 18. Aristote, Physique, 215a25. 19. G. Galilei, Discorso intorno alle cose che stanno in su l’acqua e che in quella si muovono, Florence 1612, IV, 103. 20. Aristote, Du ciel, livres 1 et 2. 21. Aristote, Du ciel, 311 b9-10. 22. Annoté par Galilée dans son exemplaire original. 271

NOTES FINALES

23. Aristote, Problèmes mécaniques, 3, 9. 24. Archimède, De l’équilibre des plans, I, Props. 6, 7. 25. Archimède, De l’équilibre des plans, I, Props. 6, 7. 26. Aristote, Problèmes mécaniques, 27. 27. Ariosto, Orlando Furioso, XVII, 30. 28. Aristote, Problèmes mécaniques, 14. 29. Nous omettons un problème et une démonstration descendant trivialement de l’équation (14). 30. Nous avons légèrement modifié le dessin de Galilée en ajoutant un axe z sous le prisme. 31. Archimède, Sur les spirales, prop. 10. Galilée cite le principe sans répéter la preuve ; le lecteur peut la révéler par induction, ou en démontrant la formule 1 + . . . + n2 =

n (n + 1) (2n + 1) . 6

32. Luca Valerio, Quadratura Parabolae, Rome, 1606, prop. IX. 33. Cet hommage posthume à Luca Valerio (1553-1618) semble excessif et est difficile à expliquer. Galilée avait renoncé à la publication de ses premiers ouvrages sur le même sujet, inclus plus tard en annexe à la première édition des Discours, en raison de l’œuvre de Valerio. Les deux échangeaient des lettres dans la période padouane de Galilei ; Valerio s’était opposé aux idées coperniciennes en 1616, et la correspondance était terminée. 34. La discussion sur ce problème est faite explicitement par Galilée, mais nous l’avons omise car elle est redondante par rapport à la démonstration algébrique. Galilée illustre également une technique géométrique pour résoudre le problème de trouver le rayon R d’un cylindre plein de masse égale par rapport à un tube creux ; la solution algébrique est triviale : 2 2 π R 2 = π(Rext − Rint ).

272

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

NOTES FINALES

35. Cette définition et l’équation (20) qui en résulte remplacent les axiomes I-IV et les théorèmes (propositions) I-VI dans l’œuvre originale de Galilée. 36. La figure suivante, l’intervention de Salviati qui la comprend et la réponse interlocutoire de Sagredo n’apparaissent pas dans l’édition originale de 1638, mais seulement dans la deuxième édition publiée par Dozza à Bologne en 1655 (éditée par Vincenzo Viviani, égale à la première de 1638 à part ce détail) et dans les suivantes, en particulier dans celle de 1718. Viviani dit que l’addition lui avait été dictée par Galilée à la fin de 1638, au cours d’une relecture de la première édition, et qu’ils l’avaient révisée en novembre 1639. La figure que nous avons reproduite dans le texte est, par homogénéité, celle de l’édition de 1718 ; pour complétude nous reproduisons dans cette note sa première apparition en 1655.

37. Les notes de cours de Galilée sur la mécanique tirées de ses cours à l’université de Padoue étaient manuscrites ; le Père Marin Mersenne publia une traduction française imprimée en 1634 [9]. La publication italienne est posthume et a été éditée par des étudiants de Galilée en 1649 [8]. Cependant, les théorèmes principaux ont été inclus dans ces Deux nouvelles sciences. 273

NOTES FINALES

38. Figure modifiée par rapport à l’original. 39. C’est une citation d’un sonnet de Michel-Ange : “Non ha l’ottimo artista alcun concetto che un marmo solo in sè non circonscriva col suo superchio, e solo a quello arriva la mano che ubbidisce all’intelletto.” (son. 151, 1-4). Toute statue possible est déjà dans le marbre, et l’artiste avec sa main guidée par l’intellect peut enlever le superflu et la découvrir. 40. Nous avons omis avant celles-ci quelques démonstrations et problèmes (propositions de 9 à 23 incluses) qui contiennent des informations incluses dans les équations que nous avons déjà démontrées. 41. Pour la raison illustrée à la note 40 nous avons omis les propositions de 26 à 35 comprises. 42. Dans cette démonstration on a suivi en partie l’article par R. Mandl, T. Pühringer et M. Thaler, American Mathematical Monthly 119, 6 (2012), pp. 468-476. Les auteurs présentent une preuve plus complète, valable même si le point d’arrivée n’est pas le plus bas de la circonférence. 43. Pour la raison illustrée à la note 40, nous avons omis les propositions 37 et 38. 44. L’authenticité du fragment est douteuse, car il n’apparaît que dans les éditions postérieures à celle de 1537. 45. Apollonius (Perga, aujourd’hui Antalia, 262 a.C. – Alexandrie, 190 a.C.), Les sections coniques. 46. Archimède, Mécanique, et aussi La quadrature de la parabole. 47. Cette estimation du rayon de la Terre est correcte à 4 % près par rapport à la mesure actuellement acceptée de 6 371 km. Les canons les plus puissants utilisés pendant la première guerre mondiale avaient une portée d’environ 14 km. Les « super-canons » atteignent jusqu’à 200 km de portée. 274

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

NOTES FINALES

48. Dans la troisième journée, bien que d’une façon ambiguë, Galilée semble avoir dit qu’il l’aurait fait. 49. Intuition particulièrement intéressante. Ce serait « merveilleux » si les planètes, « en chutant » d’un seul point, acquéraient la vitesse appropriée à leurs orbites. Galilée ne connaît pas la loi de gravitation universelle, et il n’a pas les instruments mathématiques nécessaires pour faire correctement ce calcul. Ici, comme il le fait souvent, il dit sans dire, et il suggère qu’il en sait plus qu’il ne dit ; il indique que quelqu’un pourrait faire le calcul – même si aujourd’hui on sait qu’à l’époque cela ne pouvait pas être vrai. En faisant le calcul, on obtiendrait (par exemple en appliquant le théorème du viriel) que si les planètes partaient de l’infini elles acquerraient une vitesse égale à la vitesse orbitale multipliée par la racine de deux : pas mal pour une estimation purement basée sur l’intuition et le sens physique – et Galilée avait beaucoup de l’un et de l’autre. Il faut noter que l’argument est complexe, et derrière cette complexité Galilée cache une fois de plus sa pensée héliocentrique. 50. La déclaration indique clairement que Galilée voulait inclure dans la première édition la journée de discussions sur l’impact (La force de la percussion). 51. De là et jusqu’à l’équation (44) on s’éloigne du texte original, pour les raisons exposées dans la note 40. Galilée présente des propositions (3-13) et dérive des tables balistiques qui donnent la portée maximale et la hauteur de la trajectoire en fonction de l’angle et de la vitesse de sortie de la bouche du canon ; le contenu est implicite dans les formules qu’on a démontrées. 52. La figure suivante n’appartient pas au livre de Galilée. 53. Pour sa démonstration, Galilée suit le chemin inverse par rapport à celui que nous suivons. Il démontre d’abord ce que nous démontrons dans le paragraphe suivant, puis il observe que le mouvement de la balle est réversible dans le temps, et donc le lancement d’un boulet de canon peut être décrit par la somme de deux semiparaboles. Dans une lettre à Mersenne, Descartes critiqua beaucoup 275

NOTES FINALES

cette démonstration, et écrit que, comme beaucoup des démonstrations de Galilée, elle est « sortie de l’air ». 54. Ici et dans la suite Galilée utilise le mot « force » dans le sens dans lequel nous l’utilisons aujourd’hui. 55. Aristote, Problèmes mécaniques, 20. 56. Encore une référence à la journée supplémentaire sur la force de la percussion. 57. Aproino (1586–1638) était inscrit à la faculté des artistes de l’université de Padoue (qui comprenait des études d’astronomie, de dialectique, de philosophie, de grammaire, de médecine et de rhétorique), et était un élève de Galilée, qui avait remarqué son aptitude pour les recherches en physique et l’associa à ses études de mécanique. Après l’obtention de son diplôme, Aproino a entretenu des relations personnelles et une correspondance avec son ancien professeur. 58. Antonini (1588–1616) avait été un élève de Galilée à Padoue entre 1608 et 1610, et dans les années suivantes, il entretint une correspondance avec lui. La combinaison de son nom avec celui de Aproino suggère que les expériences présentées, ainsi que d’autres expériences fondamentales que Galilée décrit dans ses manuscrits, appartiennent à la fin de la période padouane. 59. La balance de Galilée a été étudiée en détail par Ernst Mach dans son traité fondamental Die Mechanik dans ihrer Entwickelung historisch-kritisch dargestellt [32], à partir duquel la figure publiée ici est prise. 60. Bien que dans un contexte différent, le dispositif expérimental décrit ici est celui de l’instrument connu aujourd’hui sous le nom de machine d’Atwood. 61. Ici se termine la publication posthume de Galilée. Les quatre paragraphes suivants sont tirés du premier et du quatrième de sept fragments trouvés et publiés par Favaro.

276

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

Commentaire

Aucune nouvelle édition d’un ouvrage de Galilée, et en particulier des Deux nouvelles sciences [1, 2], ne peut ignorer l’immense travail accompli par Antonio Favaro, conservateur de l’édition nationale [3] de ses ouvrages. Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe , siècle Favaro a établi à travers un examen critique des nombreuses éditions publiées et des manuscripts la version standard des Deux nouvelles sciences, et en plus, il a fourni au moins trois contributions majeures. – Il a analysé dans le volume 72 des manuscrits galiléens de la Bibliothèque nationale de Florence (qui contient presque tous les rapports sur les expériences liées au mouvement) les pages liées à ce livre. Très souvent les manuscrits galiléens contiennent des informations plus généreuses que le texte publié ; ils sont ce que nous, expérimentateurs modernes, appelons des « logbooks ». – Il a reconstruit la bibliothèque de Galilée [4]. Ceci est très important pour comprendre l’origine des citations apocryphes et les versions de théorèmes, par exemple attribués à Archimède, non compatibles avec les textes reconnus aujourd’hui. – Il a soigneusement reconstitué l’environnement de travail de Galilée dans les 18 ans de son séjour à Padoue, dans lequel la plupart des expériences de mécanique ont été réalisées [5, 6], et il 277

COMMENTAIRE

a étudié l’influence de sa condition « humaine » : fréquentations, habitudes, passions d’un personne dans sa jeunesse. a Par conséquent, je n’ai eu pas de doutes sur le point de départ de mon édition moderne : j’ai choisi l’édition de Favaro [3], avec l’inclusion de reproductions de manuscrits sur quelques sujets sélectionnés. Le processus qui a amené Galilée à son analyse de la statique et du mouvement a été long, transversal dans le cours de sa vie et sujet à des interruptions. Pendant la période de ses études à Pise, de 1580 à 1585, Galilée a observé expérimentalement l’isochronisme des oscillations du pendule. Les études d’hydrostatique et de l’équilibre ont continué dans la période florentine et dans le période pisane, avant le déménagement à Padoue en 1592. Les leçons padouanes sur la mécanique (connues sous le nom « Le Mecaniche »), pour lesquelles nous avons plusieurs manuscrits apocryphes [7], souvent en désaccord entre eux, et un livre posthume par un élève qui a inséré de nombreuses fautes [8], indiquent l’évolution de sa pensée ; on sait que Galilée avait beaucoup d’opinions erronées, qu’il critiquera dans ces Deux nouvelles sciences publiées en 1638. Le père Marin Mersenne, grand mathématicien français, traduisit les leçons padouanes et les ouvrages de Galilée avant même qu’ils ne soient imprimés en Italie (on lui doit la plus ancienne version de la Mécanique [9]). Mersenne avait également une correspondance étroite avec Descartes, qui était très critique envers les méthodes de Galilée. La phase post-padouane est analysée avec précision par Drake [10]. Pour les premières quatre journées, j’ai utilisé aussi une révision par Crew et De Salvio [11]. Pour la traduction dans un langage « algébrique » il n’y avait pas de littérature avant ce travail. Le premier à tenter une opération de ce genre a été Mersenne, l’année après la publication du travail original de Galilée ; Mersenne ne peut pas s’empêcher d’injecter sa personnalité dans sa version [12]. Parmi les éditions modernes, celle en espagnol éditée en 1945 par Jose San Roman Villasante et Teofilo Isnardi à a. Pour ce dernier aspect, je me suis basé aussi sur le roman biographique écrit par moi-même [54].

278

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

COMMENTAIRE

Buenos Aires [13] et celle en français éditée en 1970 par Maurice Clavelin [14] à Paris me semblent être les plus profondes et celles qui introduisent la plus grande « valeur ajoutée ». L’édition de Clavelin a été particulièrement utile pour le choix des termes en français. Une autre édition que je trouve très riche en son originalité, en particulier pour sa vue d’ingénieur, est celle de Pierini [15]. J’ai aussi parfois consulté les versions de Carugo et Geymonat [16] et de Giusti [17], et de Shea et Davie [18], mais je les ai moins utilisées que celles de Clavelin et Vilasante. Sur deux thèmes précis j’ai utilisé les travaux de Benvenuto [21] et Di Pasquale [22], comparant l’analyse galiléenne sur la résistance des matériaux à la vision moderne, et celle de Maracchia [23], comparant les démonstrations galiléennes à celles d’Archimède. Pour les techniques de mesure du temps, j’ai utilisé les reconstructions faites par Drake [10], Vergara Caffarelli [24], Settle [25], Lepschy et Viaro [26], Bellone [27], Galluzzi [28]. De précieuses considérations méthodologiques peuvent être trouvées dans les articles de Plonitsky & Reed [29], Wallace [30] et Drake [31]. Sauf indication contraire, les figures sont des scannérisations photographiques des éditions les plus anciennes, réalisées ex novo en collaboration avec la Bibliothèque nationale centrale de Florence avec les techniques les plus modernes : à partir de l’édition originale publiée en 1638 [1] pour les quatre premiers jours, et pour la journée supplémentaire de l’édition de 1718 [2], où cette journée apparut pour la première fois. Sur la base de la comparaison avec les dessins originaux sur les notes de Galilée et en conformité avec l’avis de Favaro, celles-ci me semblent en général déssinées par l’auteur lui-même (je suis en désaccord avec Favaro en ce qui concerne le quatrième jour et la journée supplémentaire, pour lesquelles la main des élèves me semble visible, d’une façon consistante avec la progression de la cécité de Galilée). Dans un nombre très limité de cas, j’ai utilisé de nouvelles figures, ou j’ai légèrement modifié les originaux, et ces modifications sont toujours soulignées dans les notes. J’ai ajouté une figure réalisée par Ernst Mach dans son ouvrage fondamental [32]. Je peux dire 279

COMMENTAIRE

que, grâce à la technologie et surtout au soin extrême du Dr Susanna Pelle de la Bibliothèque nationale centrale de Florence et du Dr Enrico Casadei de Codice Edizioni, la reproduction des figures dans ce travail est plus fidèle que dans n’importe quelle édition après les originaux de Galilée. Je me suis basé sur des textes bilingues pour les ouvrages d’Aristote Physique [33] et Du Ciel [34], et pour ceux d’Archimède [35]. Pour Archimède, j’ai également utilisé la traduction anglaise de « Heath » [36]. Les citations des fragments d’Aristote font référence à la numérotation de Bekker [37], à l’exception des Problèmes Mécaniques pour lesquels je renvoie au numéro de question. Comme je l’ai dit, je voulais écrire une version « moderne », et parfois j’ai dû faire des choix. Un exemple, que j’espère inoffensif, est que dans ma version les personnages ne sont pas du tout cérémonieux : ils se comportent comme le feraient des amis modernes. Du point de vue mathématique, j’ai été plus conservateur que du point de vue lexical, et je n’utilise pas d’outils mathématiques inconnus à l’époque de Galilée (en particulier je n’utilise pas le calcul intégral et je n’utilise pas explicitement le calcul différentiel, et même pas la somme de séries infinies). J’utilise cependant certains outils mathématiques qui ont été inventés à l’époque de Galilée par l’école française (Mersenne, Descartes), comme la formulation algébrique et un peu de géométrie analytique. Par contre, ma notation est, bien sûr, moderne. Les omissions du texte original sont peu nombreuses et explicitement signalées. Elles regardent des aspects qui paraissent redondants au regard de la traduction en formules ; le lecteur peut toutefois juger sur la base des notes finales, et éventuellement consulter la version originale. Il y a très peu de matériel ajouté : trois dessins, et une démonstration qui découle directement de la formulation algébrique de la trajectoire des projectiles dans la quatrième journée. J’ai souligné ces modifications ; pour cette dernière en particulier, j’avais quelques doutes, car elle simplifie un complexe processus mental de Galilée que Descartes a sévèrement critiqué. J’espère avoir clarifié mes doutes au 280

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

COMMENTAIRE

lecteur. D’autres petites modifications ont été faites par Favaro sur la base des notes en marge de la copie personnelle de Galilée, et je les ai acceptées. La journée sur la force de percussion, que j’ai appelée Journée supplémentaire, mérite une discussion spécifique [3, 10, 38, 39]. Comme l’on a dit, ce jour a été publié à titre posthume [2], et il est donc difficile de comprendre si certains fragments sont apocryphes. Favaro sépare une partie presque certainement due à Galilée par rapport à certains fragments qui ont un degré d’attribution différent (certains semblent clairement ajoutés par des étudiants qui connaissaient l’évolution de la physique après Galilée). J’ai fait un choix en utilisant mon expérience en tant que physicien expérimental et j’ai entièrement inséré la partie attribuée par Favaro à Galilée, en n’ajoutant de manière conservatrice qu’une petite partie des fragments, dont je pense pouvoir dire qu’ils ne contenaient que des déclarations qui auraient pu appartenir à Galilée sur la base de ses connaissances et de ses découvertes. Une profonde analyse de l’œuvre et en particulier de la Journée supplémentaire, que Favaro appelle le « sixième jour », en référence à l’édition florentine de 1718 (un « cinquième jour » dans lequel Galilée définit la proportionnalité de façon plus intuitive par rapport au 5e livre des Eléments de géométrie d’Euclide, avait également paru dans l’édition de 1718), est due à Mach [32]. Encore une fois, cela est clairement spécifié dans les notes finales. Les notes biographiques sont tirées des chronologies de Favaro [40] et de Camerota [41] ; j’ai lu avec grand plaisir les biographies originales et inspirantes écrites par Heilbron [42], par Wootton [43] et par Greco [44], le livre de Bucciantini [45] et l’anthologie de Finocchiaro [46]. J’espère que les lecteurs m’enverront leurs commentaires et leurs opinions. Enfin, comme je l’ai écrit dans l’introduction, pour rendre Galilée facile à lire, j’ai bénéficié de la collaboration de nombreux amis, et je tiens à les remercier. Les erreurs dans l’implémentation de leurs idées me sont toutes attribuables, et je leur serai toujours très 281

COMMENTAIRE

reconnaissant. J’aurais voulu écrire un meilleur livre pour faire beaucoup d’honneur à ces amis ; j’espère qu’ils comprendront que les défauts de mon texte sont dus uniquement à mes limites, et qu’ils me pardonneront.

REMERCIEMENTS Mes collègues et amis Ugo Amaldi, Cesare Barbieri, Michele Bellone, Giacomo Bonnoli, Luisa Bonolis, Giovanni Busetto, Michele Camerota, Giovanna D’Agostino, Stefania De Angelis Williams, Michela et Nicola De Maria, Mose Mariotti, Alessandro Pascolini, Nando Patat, Riccardo Rando, Maria Luisa Rischitelli, Antonio Saggion, Luigi Secco, Andrea, Nadia et Valeria Sitzia, Paolo Spinelli, Marco Tavani, Rossana Vermiglio, Jeff Wyss, ont contribué à la démonstration et au « contrôle de qualité » du texte. Alessandro Bettini et Gianni Comini m’ont fourni des idées et des informations nouvelles. Francesco de Stefano m’a aidé à améliorer l’exposition mathématique. J’ai apprécié beaucoup la discussion avec Telmo Pievani, qui m’a encouragé et m’a donné quelques idées nouvelles. Une partie de ce travail a été faite dans le Palazzo del Torso à Udine, autrefois résidence de Daniele Antonini qui a contribué aux expériences citées dans la Journée supplémentaire ; le palais est maintenant le siège du Centre International des Sciences Mécaniques. Je veux remercier la Bibliothèque nationale centrale et le Musée Galilée à Florence ; le Centre pour l’Histoire de l’université, la Bibliothèque universitaire et la Bibliothèque « Bruno Rossi » du Département de Physique et d’Astronomie « Galileo Galilei » de l’université de Padoue ; la Bibliothèque scientifique de l’université d’Udine. En ce qui concerne en particulier l’édition française, je dois beaucoup au soutien bienveillant, aimable et efficace de France Citrini. Mes collègues Patrizia Azzi, Franca Cassol, Isabelle Grenier, Reynald Pain et Achille Stocchi m’ont bien encouragé. Elisabeth Roque et Sophie Hosotte ont été attentives dans l’amelioration de la qualité du texte. 282

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

COMMENTAIRE

Mais surtout, ce livre n’aurait pas été possible sans la révision précise et aiguë de Sylvie Braibant, dont la gentillesse est seconde seulement à l’intelligence.

CHRONOLOGIE DE L’ÉPOQUE DE GALILÉE 1543 Copernic publie « De revolutionibus orbium coelestium », où il affirme, sur une base astronomique, le système héliocentrique. 1546 Tycho Brahe naît à Knutstorp en Scanie (à l’époque au Danemark, aujourd’hui sud de la Suède). Il améliorera la précision des observations astronomiques, facilitant le développement des théories physiques. 1548 Filippo Bruno, connu comme Giordano Bruno, naît à Nola. 1563 Le Concile de Trente se termine, affirmant les valeurs de l’Église catholique romaine contre la diffusion du protestantisme et initiant la Contre-Réforme. 1564 Galileo Galilei naît à Pise (Toscane), l’aîné des sept enfants de Giulia Ammannati et Vincenzo, luthier et théoricien de l’harmonie. Le nom de famille provient de l’ancêtre Galileo Bonaiuti, un médecin né en 1370 et enterré dans la basilique de Santa Croce, où les illustres de Toscane reposent. 1571 Johannes von Kepler naît à Weil der Stadt en Allemagne. 1572 Un événement astronomique rare et spectaculaire illumine le ciel : une supernova galactique (dite « supernova de Tycho », étudiée en détail par Brahe). Pendant quelques mois un objet plus lumineux que toutes les planètes apparaît dans le ciel et puis disparaît de la vue. Galilée a huit ans. 1574 La famille Galilei s’installe à Florence. 1581 Vincenzo Galilei publie le traité d’harmonie « Della musica antica et della moderna » (De la musique ancienne et moderne). 1581 Galilée s’inscrit à l’École de médecine de Pise, mais il préfère étudier les mathématiques.

283

COMMENTAIRE

1584 Giordano Bruno publie à Londres une trilogie de dialogues physico-cosmologiques : « De la causa, principio et uno » (Sur la Cause, le Principe et l’Unité), « La cena delle ceneri » (Le Dîner du Mercredi des Cendres), « De l’infinito, universo e mondi » (De l’Univers et des Mondes Infinis). Les traités présentent, entre autres, des arguments en faveur de l’héliocentrisme. 1587 Sans un diplôme, après avoir découvert l’isochronisme des oscillations du pendule, Galilei rivalise pour une chaire de mathématiques à l’université de Bologne, mais on lui préfère Gianantonio Magini de Padoue. 1589 En tant que lecteur assistant de Mathématiques à Pise, il étudie la gravité et le mouvement, et introduit de nouvelles méthodologies dans la description de la nature. 1591 Giordano Bruno publie à Francfort les traités « De minimo » (Le Minimum), « De monade » (Sur la Monade), et « De immenso » (Sur l’Immensité), affirmant la théorie copernicienne avec de nouveaux arguments. 1591 Vincenzo Galilei meurt et Galilée a sur ses épaules la responsabilité financière de la famille. 1592 Le Sénat vénitien nomme Galilée professeur de mathématiques à l’Université de Padoue (l’université de la République de Venise). Le salaire, 180 ducats par an, b était trois fois plus grand que ce qu’il recevait à Pise. Aussi Giordano Bruno et Magini participent à la sélection en tant que candidats. 1592 Galilée s’installe à Padoue, étudie la mécanique, invente le compas géométrique et militaire, rédige des notes pour les étudiants. Ses devoirs annuels d’enseignement consistent en soixante leçons chacune d’une demi-heure. Il prend dans sa maison l’artisan Marcantonio

b. Il est difficile de comparer la valeur de l’argent à différentes époques, mais pour donner une idée de ce que signifiait ce salaire, le coût typique d’un séjour d’une semaine dans un hôtel avec son cheval dans la campagne vénitienne était d’un ducat, y compris la nourriture pour les deux.

284

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

COMMENTAIRE

Mazzoleni, qui l’aide dans la construction de ses instruments et de ses expériences. Souvent, Galilée accueille également des étudiants. 1596 René Descartes (Cartesius) naît à La Haye en Touraine. 1597 Dans une lettre à Kepler, Galilée se professe copernicien. 1600 Sa fille Virginia naît de la Vénitienne Marina Gamba ; Galilée a 36 ans. La deuxième fille Livia naît l’année suivante, et le fils Vincenzo en 1606. 1600 Giordano Bruno est condamné comme hérétique et brûlé à Rome. 1601 Tycho Brahé meurt. À l’âge de 30 ans, Kepler lui succède comme astronome principal de l’empereur du Saint Empire Romain à Prague. 1604 Une nouvelle supernova galactique apparaît dans le ciel, un peu moins brillante que celle vue par l’enfant Galilée (mais toujours plus que toutes les planètes sauf Vénus) ; Galilée consacre trois conférences publiques à l’événement. Cela a été la dernière des sept supernovae galactiques dans l’histoire de l’humanité pour lesquelles un enregistrement écrit est disponible : 185 après Jésus-Christ, 393, 1006, 1054 (dont le reste est appelé aujourd’hui Crab Nebula), 1181, 1572 (surnommée supernova de Tycho), et 1604 (supernova de Kepler). 1605 Galilée passe l’été à Florence, où il enseigne les mathématiques à Cosimo dei Medici, fils du grand-duc de Toscane. 1606 Naissance du troisième fils, Vincenzo. 1607 Invention du thermoscope, ancêtre du thermomètre. 1608 Le frère de Galilée Michel-Ange, un luthier, devient maître de chapelle à la cour de Bavière. 1609 Kepler publie un traité contenant ses deux premières lois sur le mouvement des planètes ; il montre en particulier que les orbites ne sont pas circulaires. Cosimo dei Medici, à la mort de son père, devient grand-duc de Toscane sous le nom de Cosimo II. 1609 Galilée reçoit de Hollande les dessins d’un télescope ; il perfectionne l’instrument et le présente au Doge de Venise. Il reçoit

285

COMMENTAIRE

immédiatement un contrat à vie en tant qu’enseignant avec une augmentation de salaire substantielle : 1 000 ducats par an. 1610 Galilée observe la Lune et découvre ses montagnes ; découvre les satellites de Jupiter, qu’il appelle Médicéens en l’honneur du Grand-Duc de Toscane ; étudiant la structure de la Voie Lactée, il découvre beaucoup d’étoiles nouvelles. Il publie à Venise le « Sidereus Nuncius » (Le messager des étoiles ou Un message des étoiles : le latin est ambigu) ; dans ce livre il décrit pour la première fois des observations astronomiques faites avec un instrument scientifique (le télescope). 1610 À l’âge de 46 ans, Galilée est nommé mathématicien de cour et philosophe des ducs Medici à Florence, avec le même salaire qu’il avait à Padoue, mais sans aucune obligation d’enseigner. Il commence son nouveau travail le premier septembre. Il observe les taches solaires, et il découvre les phases de Vénus et les anneaux de Saturne. 1611 Galilée explique à Rome ses découvertes. Il est reçu par le pape Paul V et est admis à l’Académie des Lyncéens. 1612 Marina Gamba meurt. Galilée confie ses filles à sa mère et son fils à une gouvernante. 1614 Dans l’église de Santa Maria Novella, le dominicain Tommaso Caccini attaque Galilée pour ses « fausses interprétations de l’Écriture ». 1615 Galilée se rend à Rome pour défendre son interprétation cosmologique. 1615 Galilée est dénoncé auprès du Saint Office. 1616 Le Saint Office condamne la théorie copernicienne et met en garde Galilée de ne pas la soutenir. 1617 Galilée s’installe dans la villa de Bellosguardo au-dessus de Florence, fréquentée par des érudits et des disciples. 1617 Les filles de Galilée, Virginia et Livia, prononcent leurs vœux et deviennent religieuses respectivement avec les noms de Marie Céleste et Arcangela. 1619 L’élève et assistant de Galilée Mario Guiducci publie les Discours sur les comètes ; une polémique s’engage entre Galilée et le jésuite 286

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

COMMENTAIRE

Orazio Grassi sur l’interprétation des phénomènes cométaires. 1619 Kepler publie sa troisième loi. 1620 Mort de la mère de Galilée. 1621 Décès du Grand-Duc Cosimo II, protecteur de Galilée ; Ferdinando II, âgé de onze ans, lui succède, sous la protection de sa mère Madeleine d’Autriche. 1623 Maffeo Barberini, ami et partisan de longue date de Galilée, est élu pape sous le nom d’Urbain VIII ; Galilée publie « Il Saggiatore » (L’Essayeur). 1628 Galilée commence à écrire un traité sur l’Univers, qui deviendra le livre connu aujourd’hui comme Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. 1629 Le fils de Galilée, Vincenzo, épouse Sestilia Bocchineri de Prato et le petit-fils Galileo naît. 1630 Kepler meurt ; Galilée se rend à Rome pour obtenir l’autorisation de publier son Dialogue. 1631 Galilée s’installe dans la villa « Il gioiello » (Le petit joyau) à Arcetri ; sa fille Marie Céleste, habitant le couvent voisin, s’occupe de lui. Le frère de Galilée, Michel-Ange, avec qui il a eu des frictions, décède à l’âge de 56 ans. Galilée s’occupera économiquement des huit enfants de Michel-Ange. 1632 À l’âge de 68 ans Galilée publie à Florence, avec l’imprimatur ecclésiastique, le Dialogue. Dans la même année, l’Église regrette la décision, commande la suspension de la vente du livre et interdit à Galilée de le diffuser. La première édition de plus de 500 exemplaires a été de toute façon déjà vendue et le travail circule dans toute l’Europe. 1633 Galilée est cité à comparaître devant l’Inquisition. Condamné par le Saint Office, il est contraint d’abjurer ses idées. Confiné à la Villa Medici à Rome, puis à Sienne à la maison de l’archevêque Piccolomini. À Noël il obtient l’arrêt domiciliaire à Arcetri. L’écriture des Deux Nouvelles Sciences commence. 1633 Descartes, qui a écrit le Traité du Monde et de Lumière dans lequel il soutient la théorie héliocentrique, renonce à publier son livre. 287

COMMENTAIRE

Les méthodes mathématiques révolutionnaires de Descartes sont discutées dans l’école du Père Marin Mersenne à Paris ainsi que les notes sur la mécanique de Galilée, que Mersenne traduit en français en 1634 bien avant la publication italienne. 1634 Mort de la fille aînée de Galilée, Maria Celeste. 1636 Galilée est en train de devenir aveugle et a du mal à lire, écrire, et dessiner. 1637 Descartes publie à Leiden son Discours de la Méthode ; la géométrie analytique révolutionne la façon de penser géométrique. 1638 À 74 ans, Galilée publie les Discours et Démonstrations Mathématiques sur Deux Nouvelles Sciences. Il reçoit la visite de Milton. 1639 La santé de Galilée se détériore : il est malade et il est devenu complètement aveugle. Son élève Vincenzo Viviani est autorisé à l’assister. 1641 Son élève Evangelista Torricelli est également autorisé à l’assister. 1642 Galilée meurt à l’âge de soixante-dix-huit ans. Son corps est placé dans la tour de la cloche de Santa Croce à Florence, mais pas à côté de son père à l’intérieur de la basilique, comme Galilée aurait voulu. 1642 Naissance d’Isaac Newton. 1676 L’astronome danois Ole Rømer effectue la première mesure de la vitesse de la lumière, en utilisant les temps d’occultation de l’un des satellites médicéens de Jupiter. Le résultat est correct à 30 % près. 1687 Newton publie « Philossophiae Naturalis Principia Mathematica » (Principes mathématiques de la philosophie naturelle), qui fournit une extension de la physique de Galilée et formalise nombre de ses conjectures. Il attribue à Galilée le mérite de sa première loi (le principe d’inertie) et de sa seconde loi. 1728 Les observations de l’astronome anglais Bradley sur l’aberration de la lumière des étoiles donnent une forte indication en faveur du mouvement de la Terre. 288

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

COMMENTAIRE

1736 À l’initiative du dernier Grand-Duc Medici de Toscane, Giangastone, les restes de Galilée sont transférés, avec ceux de Vincenzo Viviani et d’une femme, probablement Marie Céleste, dans un tombeau monumental à l’intérieur de la Basilique de Santa Croce. 1757 Les livres astronomiques basés sur l’hypothèse héliocentrique, à l’exception du « De revolutionibus… » de Copernic et du « Dialogo… » de Galilée, sont retirés de l’Indice (liste) des livres interdits. 1835 Le « De revolutionibus… » de Copernic et le « Dialogo… » de Galilée sont aussi retirés de la liste des livres interdits. Un long processus de révision, qui va conduire à la réhabilitation de Galilée en 1992, commence à l’intérieur de l’Église. 1851 Avec sa célèbre expérience du pendule, le physicien français Foucault démontre que l’hypothèse géocentrique est incompatible avec la mécanique newtonienne.

289

BIBLIOGRAPHIE

[1] Galileo Galilei, Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze attinenti alla mecanica & i movimenti locali..., Elzevir, Leiden 1638 [2] Galileo Galilei, Discorsi..., Opere, vol. 2, Tartini e Franchi, Florence 1718 [3] Galileo Galilei, Discorsi..., in Le Opere di Galileo Galilei, Edizione Nazionale, Antonio Favaro ed., vol. 8, Barbera, Florence 1898, et éditions suivantes 1933, 1965, 1968 ; comprend des notes manuscrites de l’auteur et des fragments [4] Antonio Favaro, La libreria di Galileo Galilei descritta e illustrata, Bollettino di Bibliografia e di storia delle Scienze matematiche e fisiche, XIX, 1886, pp. 219-293 ; Appendice, ibid., XX, 1887, pp. 372-37 [5] Antonio Favaro, Galileo Galilei e lo Studio di Padova, Le Monnier, Florence 1883 [6] Antonio Favaro, Galileo Galilei a Padova, Antenore, Padoue 1968 [7] Galileo Galilei, Le mecaniche, probablement 1598, vol. 2 de l’Edizione Nazionale, éd. Antonio Favaro, Barbera, Florence 1898

291

BIBLIOGRAPHIE

[8] Della Scienza mecanica e delle utilità che si traggono da gl’istromenti di quella, opera cavata da manoscritti dell’eccellentissimo matematico Galileo Galilei dal cavalier Luca Danesi da Ravenna, Camerali, Ravenne 1649 [9] Les méchaniques de Galilée mathématicien et ingénieur du Duc de Florence, Père Marin Mersenne ed., Guenon, Paris 1634 [10] Galileo Galilei, Two New Sciences, Stillman Drake trad. & éd., University of Wisconsin Press, Madison 1974 ; 2e éd., Walland Emerson, Toronto 1989 [11] Galileo Galilei, Dialogues Concerning Two New Sciences..., traduit de l’italien et du latin en anglais par Henry Crew & Alfonso De Salvio, avec une introduction d’Antonio Favaro, New York, 1914, et éditions suivantes 1933, 1939, 1946, 1950 [12] Père Marin Mersenne, Les nouvelles pensées de Galilée, Guenon, Paris 1639 [13] Galileo Galilei, Dialogos acerca de Dos Nuevas Ciencias, José San Roman Villasante trad. & éd., Losada, Buenos Aires 1945 [14] Galileo Galilei, Discours et démonstrations mathématiques concernant deux nouvelles sciences, Maurice Clavelin trad. & éd., Colin, Paris 1970 [15] Galileo Galilei, Discorsi..., Claudio Pierini éd., Simeoni, Vérone 2011 [16] Galileo Galilei, Discorsi..., Adriano Carugo & Ludovico Geymonat ed., Boringhieri, Turin 1958 ; comprend des notes et des fragments [17] Galileo Galilei, Discorsi..., Enrico Giusti ed., Einaudi, Turin 1990 [18] William R. Shea et Mark R. Davie, Galileo Galilei Selected Writings, Oxford University Press, Oxford 2012 [19] Stephen Hawking, On the Shoulders of Giants : The Great Works of Physics and Astronomy, Running Press, Philadelphie 2002 [20] Alexandre Koiré, Études galiléennes, Hermann, Paris 1939 [21] Edoardo Benvenuto, La scienza delle costruzioni nel suo sviluppo storico, Sansoni, Florence 1981 292

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

BIBLIOGRAPHIE

[22] Salvatore Di Pasquale, L’arte del costruire, Marsilio, Venise 1996 [23] Silvio Maracchia, Galileo e Archimede, inédit [24] Roberto Vergara Caffarelli, Il laboratorio di Galileo, auto-édité, Pavie 2005 [25] Thomas B. Settle, An experiment in the history of science, Science 133 (1981) 19 [26] Antonio Lepschy et Umberto Viaro, Galileo e la misura dello spazio e del tempo, Atti delle Celebrazioni Galileiane in Padova, LINT Trieste, 1995, p. 109 [27] Enrico Bellone, conférences inédites [28] Paolo Galluzzi, sezione sulla misura del tempo al Museo Galileo, Florence [29] Arkady Plonitsky et David Reed, Discourse, Mathematics, Demonstration, and Science in Galileo’s Discourses Concerning Two New Sciences, Configurations 9 (2001) 37 [30] William Wallace, Galileo and Reasoning Ex Suppositione : The Methodology of the Two New Sciences, Proc. de la réunion biennale de la Philosophy of Science Association, Boston Studies in the Philosophy of Science, Springer (1974) 79 [31] Stillman Drake, Galileo’s Discovery of the Law of Free Fall, Scientific American 228#5 (1973) 84 [32] Ernst Mach, Die Mechanik in ihrer Entwickelung historischkritisch dargestellt (La mécanique dans son développement historicocritique), Brockhaus, Leipzig 1883 ; traduit par T. McCormack comme The Science of Mechanics, Open Court, Chicago 1919 [33] Aristote, Fisica, Luigi Ruggiu trad. & éd., Rusconi, Milan 1995 [34] Aristote, Du ciel, Paul Moraux éd., Les belles lettres, Paris 2003 [35] Archimède, Oeuvres, Charles Mugler éd., Les belles lettres, Paris 1970 [36] Thomas Heath, Les travaux d’Archimède, Cambridge University Press, Cambridge 1897 [37] Opera Aristotelis, 5 vol., éd. Immanuel Bekker, Academia Regia Borussica, Berlin 1831-1870 293

BIBLIOGRAPHIE

[38] Galileo in context, Jürgen Renn éd., Cambridge University Press, Cambridge 2001 [39] Roberto Vergara Caffarelli, Il principio d’inerzia negli ultimi scritti di Galileo, dans A reconstruction of 50 years of experiments and discoveries, SIF-Springer, Heidelberg 2009 [40] Antonio Favaro, Cronologia Galileiana, R. Accademia di Scienze Lettere ed Arti à Padoue, 1891 [41] Michele Camerota, Galileo Galilei, Corriere della Sera, Milan 2019 [42] John L. Heilbron, Galileo, Oxford University Press, Oxford 2010 [43] David Wootton, Galileo : watcher of the skies, Yale University Press, New Haven 2010 [44] Pietro Greco, Galileo Galilei, the Tuscan Artist, Springer Nature, Heidelberg 2018 [45] Massimo Bucciantini, Galileo e Keplero, Einaudi, Turin 2007 [46] Maurice Finocchiaro, The Essential Galileo, Hackett, Indianapolis 2018 [47] Luca Valerio, De centro gravitatis solidorum, Bonfadino, Rome 1604 [48] Galileo Galilei, Sidereus Nuncius, Baglioni, Venise 1610 [49] Galileo Galilei, Discorso intorno alle cose che stanno in su l’acqua, o che in quella si muovono, Giunti, Florence 1612 [50] Galileo Galilei, Il Saggiatore, Mascardi, Rome 1623 [51] Galileo Galilei, Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo, Landini, Florence 1632 [52] Isaac Newton, Philosophiae Naturalis Principia Mathematica, Streater, Londres 1687 [53] Paolo Bozzi, Carlo Maccagni, Luigi Olivieri, Thomas Settle, Galileo e la scienza sperimentale, Dipartimento di Fisica Galileo Galilei, Padoue 1995 [54] Alessandro De Angelis, I diciotto anni migliori della mia vita, Castelvecchi, Rome 2021

294

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

Postface de Ugo Amaldi

Avec une grande surprise j’ai reçu d’Alessandro De Angelis en juillet 2019 le brouillon d’une version moderne des Discours et démonstrations mathématiques concernant deux nouvelles sciences de Galilée ; De Angelis m’a demandé un avis sur son travail. Quelques phrases de sa lettre disaient : « Bien que le titre contienne le mot « mathématiques », Galilée, comme Newton, manipulait les formules algébriques d’une manière limitée et utilisait plutôt la géométrie. La notation mathématique, comme en F = ma, et la géométrie analytique, se développaient dans le siècle de Galilée, et il ne les utilisait pas. De plus, Galilée écrivait d’une manière un peu « baroque » (excuse-moi pour l’expression) et ses phrases sont difficiles à comprendre. Comprendre Galilée nécessite une certaine connaissance des littératures latine et grecque et une passion pour la physique, des qualités pas si faciles à réunir. Cependant, beaucoup de lecteurs pourraient s’enrichir en connaissant l’art, l’intelligence et la beauté de ses arguments, et en partageant l’émerveillement que l’on rencontre souvent entre les lignes de ses écrits. J’ai décidé de traduire les Discours de Galilée dans un langage moderne et dans des formules algébriques pour le rendre actuel et compréhensible par ceux que j’imagine être des lecteurs savants « modernes » : curieux, 295

POSTFACE DE UGO AMALDI

passionnés de science, mais malheureusement avec peu de temps pour approfondir les antiquités lexicales, historiques et philosophiques. » Je me suis immédiatement souvenu d’un épisode, unique dans ma vie, survenu trente ans auparavant, en 1990. J’étais alors pour une période de dix ans le porte-parole de la collaboration internationale DELPHI, composée d’environ cinq cents physiciens d’une vingtaine de pays différents. Une année plus tôt, nous avions fini la construction d’un détecteur de particules pour le collisionneur électron-positon LEP du CERN et, après avoir recueilli beaucoup de données, nous étions en train de publier nos premiers articles scientifiques. Le jeune Alessandro était un étudiant diplômé de l’université de Padoue, l’un des trente étudiants diplômés de la Collaboration, avec qui j’avais parfois parlé de physique, en le trouvant très instruit pour son âge et ouvert à de nouvelles idées. Entrant dans mon bureau avec timidité, il a placé sur ma table une note scientifique prête pour la publication, avec toutes les indications bibliographiques nécessaires, sur un sujet différent de tous ceux sur lesquels des centaines de collaborateurs beaucoup plus âgés et plus expérimentés travaillaient ; quand je l’ai lu, j’ai été frappé par la clarté de l’exposé et l’exhaustivité de l’analyse des données. Cette communication sur le phénomène de l’ « intermittence », bientôt publiée par un prestigieux magazine, est toujours l’un des articles les plus référencés et les plus intéressants publiés par DELPHI. Quelques années plus tard, j’ai démissionné du poste de porteparole de DELPHI pour m’occuper des applications des accélérateurs de hadrons à la thérapie du cancer et Alessandro a quitté la physique des particules pour travailler en physique des astroparticules de sorte que nous n’avons pas eu beaucoup d’occasions de nous rencontrer, même si je pouvais suivre dans les revues scientifiques les résultats intéressants obtenus avec le télescope MAGIC de l’observatoire international de La Palma, un télescope dont il fut l’un des inventeurs. Plus tard, en 2015, j’ai trouvé sur mon bureau au CERN un volume de 700 pages, écrit avec Mário Pimenta – qui avait également été étudiant diplômé dans le groupe DELPHI de Lisbonne de nombreuses années 296

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE

POSTFACE DE UGO AMALDI

auparavant – et publié par Springer sous le titre Introduction to Particle and Astroparticle Physics. La lecture du dernier chapitre, consacré à l’astrobiologie et à la relation de la physique fondamentale à la vie, fut pour moi un grand plaisir intellectuel. Il m’est arrivé d’être encore une fois émerveillé par la qualité et l’originalité du travail d’Alessandro. Lorsque j’ai parcouru la première version du présent ouvrage, j’ai ressenti les mêmes sentiments d’étonnement et de plaisir intellectuel. Comme il me l’a confié par téléphone peu après son premier e-mail, De Angelis était passionné de Discours et démonstrations mathématiques depuis le lycée, quand, à l’écart, il notait la traduction des preuves basées sur la géométrie dans un langage algébrique : « Pour moi, démontrer géométriquement, c’est un peu comme regarder les choses d’en haut, synthétiquement ; démontrer algébriquement, c’est comme les regarder d’en bas, analytiquement. » Le dernier livre publié par Galilée, Discours et démonstrations mathématiques... est, en un sens, son premier, parce que dès le début de son enseignement à Pise, Galilée a commencé à recueillir, avec l’aide de ses élèves, ses notes sur la mécanique. Tout au long de sa vie, et en particulier dans la période Padouane, il a continué à remplir des cahiers à ce sujet, pour terminer ce livre en 1638. La Préface aux Discours... révèle l’inquiétude de l’éditeur Lodewijk Elzevir, que Galilée dénicha en Hollande avec beaucoup de peine, et qui craignait de ne pas être pris en considération puisque Galilée s’était rendu célèbre pour la publication, en 1632, du Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. Elzevir écrit (dans la paraphrase / traduction de De Angelis) : « Les dons divins et naturels de Galilée sont clairs dans le présent travail où il montre avoir découvert, à travers de nombreux travaux et au prix de multiples veillées, deux nouvelles sciences, et de les avoir démontrées de manière concluante, c’est-à-dire mathématique. Ce qui est encore plus remarquable dans cet ouvrage est le fait que l’une des deux sciences traite d’un sujet très ancien, peut-être le plus important dans la nature : [...] je me réfère ici au mouvement. [...] L’autre science qu’il a également développée à partir de ses 297

POSTFACE DE UGO AMALDI

fondements mêmes, traite de la résistance que les corps solides offrent à la rupture par des forces extérieures, sujet d’une grande utilité, en particulier dans les sciences et dans l’art de la construction. […] Ce livre traite pour la première fois de ces deux sciences, et regorge de conclusions auxquelles, avec le temps, d’autres seront ajoutées par de nouveaux penseurs. De plus, grâce à un grand nombre de démonstrations très claires, l’auteur ouvre la voie à de nombreux nouveaux théorèmes qui seront démontrés par des lecteurs intelligents. » L’histoire a montré que les inquiétudes d’Elzevir concernant un éventuel manque d’intérêt pour le livre de Galilée n’avaient aucun fondement. Les Discours et démonstrations mathématiques concernant deux nouvelles sciences sont le travail à la base de la méthode scientifique, et la lecture de ce livre est instructive non seulement pour les étudiants en physique et pour les professeurs, mais aussi pour tous les passionnés de sciences, et pour tous ceux qui veulent comprendre l’histoire de la pensée humaine. La considération, à la base de ce dialogue, que l’expérimentation et la démonstration sont les outils clés pour comprendre la nature, représente un message impérissable même dans son apparente simplicité. L’émerveillement devant les démonstrations persuasives de Galilée et les exemples simples et les expériences qu’il proposait pour étayer ses arguments, élargissent l’esprit et nourrissent la culture des lecteurs curieux. Nous devons être vraiment reconnaissants à Alessandro De Angelis qui a rendu ce livre, au fondement de toute science moderne, agréable à lire même pour les lecteurs d’aujourd’hui, habitués aux usages et l’abus de la culture scientifique de Wikipédia. De Angelis a su donner avec ce travail une contribution fondamentale à la compréhension et à l’interprétation de Galilée. Ugo Amaldi, physicien, chercheur et enseignant Président émérite de la Fondation TERA pour l’adrothérapie oncologique

298

LES « DEUX NOUVELLES SCIENCES » DE GALILÉE