Les fractales en images 9782759820924

Qui a inventé le concept de fractale ? À quoi servent-elles ? Apparues au XIXe siècle, les fractales furent considérées

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Édition originale : Fractals, © Icon Books Lts, London, 2013. Traduction : Alan Rodney - Relecture : Gaëlle Courty Imprimé en France par Présence Graphique, 37260 Monts Mise en page de l’édition française : studiowakeup.com

ISBN : 978-2-7598-1769-6 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2016

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Pourquoi les fractales sont-elles importantes ? John Archibald Wheeler [1911–2008], protégé du pionnier de la physique quantique Niels Bohr et ami d’Albert Einstein, a toujours été à l’avant-garde de la physique, de la cosmologie et de la théorie quantique du xxe siècle. Ian Stewart est un professeur renommé de mathématiques de l’université de Warwick en Angleterre. Ils font partie des nombreux scientifiques qui s’accordent à penser que la géométrie fractale représente un progrès majeur ayant contribué à notre compréhension de la réalité.

Demain, quelqu’un qui n’est pas familiarisé avec les fractales ne pourra être considéré comme scientifiquement instruit.

John Archibald Wheeler

Les fractales sont importantes car elles ont permis de révéler un tout nouveau domaine des mathématiques, pertinent directement pour l’étude de la nature. Ian Stewart

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Un monde lisse ou rugueux ? Platon avait cherché à expliquer la nature au moyen de cinq formes solides régulières. Newton et Kepler ont tordu le cercle de Platon en ellipse. La science moderne a étudié les formes de Platon en termes de particules et d’ondes, et a généralisé les courbes de Newton et Kepler en termes de probabilités relatives – toujours sans aucun « bord rugueux ». Aujourd’hui, plus de deux mille ans après Platon, presque trois siècles après Newton, Benoît Mandelbrot a réalisé une découverte qui se place au même rang que les lois du mouvement régulier. Professeur Eugene Stanley, Centre d’études des polymères, Département de physique, université de Boston.

Platon

Kepler

Newton

Collision pion-proton Heisenberg

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Les objets rectangulaires et réguliers, tels que les boîtes ou les bâtiments…

… n’existent pas dans la nature.

Benoît Mandelbrot

Le monde dans lequel nous vivons ne présente pas naturellement de bords lisses. En revanche, le monde réel a été façonné avec des bords irréguliers. Les surfaces lisses constituent une exception dans la nature. Et pourtant, nous avons accepté une géométrie qui ne décrit que des formes que nous ne rencontrons que rarement – voire jamais – dans le monde réel. La géométrie euclidienne décrit des formes idéales – la sphère, le cercle, le cube, le carré. Ces formes-là existent dorénavant dans notre quotidien, mais elles sont pour la plupart artificielles et non naturelles. 5

La texture de la réalité La nature offre des formes non uniformes et des bords inégaux. Prenons la forme humaine. Elle présente une certaine symétrie, mais elle est, et a toujours été, indescriptible en termes de géométrie euclidienne. Ce n’est pas une forme uniforme. Ce qui pose problème. Il manquait, jusque très récemment, dans les outils scientifiques, un moyen de décrire les formes et objets du monde réel.

Les nuages ne sont pas des sphères.

L’écorce n’est pas lisse.

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Les montagnes ne sont pas des cônes, les littoraux ne sont pas des cercles et la foudre ne se propage pas en ligne droite.

… des formes brisées, ridées et inégales de la nature, à la différence des formes idéales d’Euclide.

La géométrie fractale est la géométrie du monde naturel – animal, végétal ou minéral…

Le mot « fractal » a été inventé en 1975 par Benoît Mandelbrot [1924–2010], mathématicien polonais franco-américain, pour désigner des formes qui peuvent être détaillées à n’importe quelle échelle. Pour cela, il a emprunté la racine latine fractus, qui s’applique à ce qui est fragmenté, cassé ou discontinu. La géométrie fractale est la géométrie des formes irrégulières que nous observons dans la nature ; en général, les fractales se caractérisent par des détails infinis, une longueur infinie et par l’absence de régularité. 7

L'origine des fractales

Michael Barnsley

La géométrie fractale est une extension de la géométrie classique. Elle ne remplace pas la géométrie classique, mais l’enrichit et en élargit les pouvoirs. En se servant d’ordinateurs, nous pouvons utiliser la géométrie fractale pour modéliser avec précision des structures physiques – qui vont des formes des coquillages à celles des galaxies.

La géométrie fractale est un nouveau langage.

Une fois que vous le maîtrisez, vous pouvez décrire la forme d’un nuage aussi précisément qu’un architecte décrirait une maison !

Nous allons maintenant retracer le développement historique de cette discipline mathématique et explorer ses pouvoirs de description dans le monde « naturel », puis nous examinerons ses applications en sciences et en technologie, ainsi que les implications de cette découverte. 8

La géométrie classique

Euclide d’Alexandrie [environ 300 avant J.-C.] a posé les règles qui devaient définir la géométrie pour les milliers d’années à venir. Les formes qu’il a étudiées – les droites et les cercles – expliquaient si bien l’Univers que les scientifiques ne voyaient plus leurs limites et ont dénoncé tout schéma allant à l’encontre de celui d’Euclide comme étant « contre-intuitif », voire « pathologique ».

Un courant stable et sous-jacent d’idées, ayant commencé au xixe siècle avec les découvertes de Karl Weierstrass [1815–1897], Georg Cantor [1845–1918] et Henri Poincaré [1845–1912], a mené inexorablement à la création d’une nouvelle sorte de géométrie, possédant la capacité de décrire les aspects du monde que ne pouvait exprimer le langage basique d’Euclide. 9

Le calcul différentiel Johannes Kepler [1571–1630] fut le premier à se rendre compte que les planètes ne tournaient pas autour du Soleil en cercles parfaits, mais sur des orbites elliptiques. Edmond Halley [1656–1742] avait deviné que ces orbites pouvaient s’expliquer par une analogie avec la lumière, en utilisant une loi des carrés inverses.

Cependant, il n'avait pas les moyens de le prouver.

 Les outils . nécessaires n’avaient pas encore été inventés.

Sir Isaac Newton [1642–1727] a développé une nouvelle méthode de raisonnement basée sur l’idée de quantités infimes, les infinitésimaux, qui lui ont permis de dompter les mouvements complexes de projectiles et de planètes, menant à sa célèbre théorie de la gravitation universelle. Cette approche, le calcul différentiel, a été conçue simultanément par Newton et Gottfried Wilhelm Leibniz [1646–1716]. Leibniz a développé la formulation la plus claire du calcul différentiel, dont la notation est toujours employée de nos jours. 10

Les deux outils du calcul différentiel sont la différentiation et l’intégration. La différentiation donne la dérivée, ou taux de change, d’une variable. C’est le taux de change qui est la clef de la méthode. Par exemple, l’inflation est le taux de change des prix : la première dérivée des prix moyens. Le taux de change d’une position par rapport au temps représente la vitesse : la première dérivée d’une position. La seconde dérivée d’une position, le taux de change de la vitesse, est appelée accélération.

L’intégration est l’opération inverse. Les futures valeurs d’une variable peuvent être calculées en intégrant, ou en additionnant, son taux de change à chaque instant. On peut analyser des systèmes contrôlés par des forces physiques comme la gravité selon leur taux de change. La combinaison de ces changements définit l’évolution du système. 11

Le paradoxe des infinitésimaux La théorie de Newton sur les infinitésimaux est pleine de paradoxes. La question de l’infinie divisibilité de l’espace intrigue les philosophes depuis des milliers d’années.

Zénon d’Élée [environ 490–425 avant J.-C.] avait imaginé une flèche en vol vers une cible. Avant que la flèche n’atteigne sa cible, elle doit d’abord atteindre le point milieu du trajet.

Et avant cela, elle doit atteindre le point milieu de la première moitié du trajet … et ainsi de suite.

C’est un raisonnement ad infinitum

impliquant apparemment que la flèche ne peut jamais quitter son point de départ. Zénon avait déduit la nature paradoxale du mouvement dans l’espace. Il a fallu attendre les efforts du Français Augustin Louis Cauchy [1789–1857] et de son élève allemand Karl Weierstrass pour éliminer le concept des infinitésimaux. Jusque-là, il était probable que l’édifice entier des mathématiques appliquées avait été fondé sur une contradiction. 12

Les effets du calcul différentiel Malgré l’absence d’une justification théorique solide, le calcul différentiel a connu un grand succès. Les trois lois de Newton et les équations électromagnétiques de James Clerk Maxwell [1831–1879] sont issues de cette découverte d’envergure. Les sciences physiques en ont été transformées. Il était alors supposé que tous les phénomènes pouvaient être compris et expliqués par ces nouvelles techniques. Pierre-Simon Laplace [1749–1827] affirmait que connaissant la position exacte de chaque particule de l’Univers et leur taux de change, nous serions en mesure de prédire tout le futur de l'Univers dans ses moindres détails et pour toujours. James Clerk Maxwell

Rudolf Clausius

Les méthodes propres au calcul différentiel s’appliquent partout où une courbe est lisse. On pensait que toute courbe avec des inflexions ou des nœuds pouvait être subdivisée en des courbes lisses distinctes qui se prêteraient alors au calcul différentiel. L’idée que n'importe quelle courbe pouvait ne contenir que des points d’angle isolés n’a jamais été remise en question. 13

La première fractale La première fractale mathématique a été découverte en 1861. Karl Weierstrass fut ravi de trouver des défauts dans les arguments de ses confrères. Sa propre quête de rigueur absolue l’avait amené à découvrir une fonction continue qui ne pouvait nullement se prêter à un calcul différentiel : à savoir une courbe constituée uniquement d’angles. Il était simplement impossible de définir un taux de change à quelque point que ce soit. Il n’y avait aucune régularité où que ce soit. La découverte constituait un choc pour les scientifiques de son époque.

Un mathématicien qui n’a pas une part de poète en lui ne pourra jamais être un parfait mathématicien.

On pensait alors que la fonction de Weierstrass était une aberration, un produit « pathologique » de l’esprit humain et que rien de semblable ne pouvait exister dans la nature. Weierstrass et Cauchy ont développé une nouvelle branche des mathématiques appelée analyse. L’analyse a tenté d’insuffler une nouvelle rigueur aux mathématiques. On recherchait des définitions précises des nombres et de la continuité. 14

Expliquer les nombres

Si nous commençons avec les nombres naturels : 1, 2, 3, etc.

puis tous les nombres que l’on peut écrire sous forme de fractions…

puis, si l’on ajoute le zéro et les nombres négatifs comme –5, nous obtenons les entiers…

et des nombres comme √2 et π qui ne peuvent s’écrire comme des fractions…

et, enfin, si l’on ajoute les nombres qui se combinent avec √–1, on finit avec l’ensemble le plus étendu, celui des nombres complexes. 15

De solides fondations et les ensembles Les mathématiciens ont toujours recherché des bases solides pour asseoir leur discipline. L’analyse a montré comment toutes les mathématiques pouvaient être expliquées en termes de simples nombres entiers. Mais est-ce que les nombres mêmes pouvaient être réduits à de la pure logique ? Il y a eu plusieurs tentatives dans ce sens, basées sur le concept des ensembles.

Toutes les mathématiques peuvent être exprimées sous forme d’ensembles. Par exemple, on peut voir simplement les nombres comme des propriétés d’ensembles. Trois est le facteur commun à tous les ensembles contenant trois membres.

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Que sont les ensembles ? Un ensemble est une collection de choses que l’on traite comme un seul objet. Soit dit en passant, cette définition exclut des idées autocontradictoires telles que « l’ensemble de tous les ensembles » ! Les ensembles peuvent contenir d’autres ensembles mais ne peuvent se contenir eux-mêmes. Bertrand Russell [1872–1970], dans son célèbre paradoxe, a souligné les dangers d’autoriser les ensembles se contenant eux-mêmes.

Est-ce que l’ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes se contient lui-même ?

Il est intéressant de noter que le mot anglais pour ensemble, « set », possède plus de significations distinctes que tout autre mot dans cette langue. L’Oxford English Dictionary en donne 126 définitions différentes, dont nombre d’entre elles se réfèrent à des groupes ou à des collections d’objets. (À l'inverse, le mot Mandelbrot n’a qu’un seul sens, quelle que soit la langue, à savoir « pain d’amande ».)

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Cantor et le continuum… Un obstacle de taille était le concept de l’infini. Il nécessitait un acte de foi que nombre de mathématiciens n’étaient pas prêts à faire. Georg Cantor, l’un des pionniers de la théorie moderne des ensembles, a commencé ses travaux avec un problème qui devait le contrarier le reste de sa vie : la nature du continuum. Le continuum est l’espace idéal divisible infiniment conceptuellement nécessaire pour échafauder une théorie du changement continu.

La diagonale de Cantor Dans la colonne de gauche se trouvent les nombres entiers 1, 2, 3, etc. À chaque nombre est associé un nombre réel arbitraire, qui est compris entre 0 et 1.

Je vais démontrer que les points du continuum sont plus nombreux que les nombres naturels.

Existe-t-il plus de nombres réels que d’entiers ? Quel que soit le nombre réel sur la partie droite du tableau, ne pouvons-nous pas trouver un entier à placer en vis-à-vis, dans la mesure où il y a un nombre infini d’entiers ? Pour répondre, regardons le nombre réel qui apparaît dans la diagonale. Il s’agit de 0,170 482 6… 18

Modifions-le en soustrayant une unité de chacun des chiffres. Il devient alors 0,069 371 5… Ce nombre n’apparaîtra nulle part dans la liste car il diffère par au moins une place décimale de tous les autres nombres réels qui sont visibles ici. Par conséquent, il y a plus de réels que d’entiers. L’argument de Cantor impliquait l’existence de différents types d’infini. Il a développé par la suite toute une nouvelle théorie sur l’arithmétique transfinie, persuadé qu’il avait découvert un nouveau principe puissant de réalité ayant de profondes implications physiques et spirituelles.

Le nombre de nombres réels dépasse en réalité celui des nombres rationnels…

Il n’existe pas de correspondance biunivoque entre les nombres réels et les nombres naturels.

Roger Penrose : professeur mathématiques Rouse Ball,

de la chaire de université d’Oxford

… et on ne peut les compter.

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L’ensemble de Cantor Les recherches de Cantor pour trouver un sens au continuum l’ont conduit, en 1883, à l’ensemble portant son nom aujourd’hui, qui constitue l’une des premières fractales étudiées mathématiquement. L’ensemble en question a été découvert en réalité par Henry Smith [1826–1883], professeur de géométrie à Oxford, en 1875. Prenez une ligne et ôtez-en le tiers du milieu, laissant deux lignes égales. Retirez alors le tiers du milieu de chacune de ces lignes. Répétez le processus un nombre infini de fois et vous obtiendrez l’ensemble de Cantor.

L’ensemble de Cantor n’a ni longueur, ni intérieur. En jargon technique, on dira que l’ensemble possède « zéro mesure ». Si l’on y lance une fléchette de façon aléatoire, il est infiniment invraisemblable qu’elle atteigne son but. L’ensemble n’a « aucune densité ». Chaque partie de l’ensemble est composée essentiellement de trous.

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De plus, en dépit du fait d’être composé uniquement de points déconnectés les uns des autres, cet ensemble est non dénombrable. En réalité, il comprend autant de points que la ligne entière d’où il a été extrait. Chaque point est une « accumulation » ou point « limite », signifiant qu’il existe une infinité d’autres points de cet ensemble dans tout son voisinage, aussi petit soit-il. À l’inverse, l’ensemble de Cantor contient tous ses points limites.

Tout point arbitrairement proche de cet ensemble doit en réalité en être membre. C’est ce que Cantor a appelé l’ensemble « parfait ». Il est l’équivalent de l’ensemble de tous les points limites. L’existence de cet ensemble infiniment divisible et pourtant totalement discontinu a obligé Cantor à affiner son concept de continuité. 21

La courbe de Peano Les mathématiciens cherchaient une définition de la dimension. C’est alors qu’une véritable bombe a explosé vers 1890, quand le mathématicien (professeur d’analyse infinitésimale) et linguiste italien Giuseppe Peano [1858–1932] a découvert ce qui a été appelé la « courbe qui remplit l’espace ». Peano avait construit une courbe idéalisée qui s’entortillait de manière si complexe qu’elle passait par chaque point du plan entier.

Si vous essayez de la tracer…

… vous verrez qu’elle remplit effectivement toute la surface de la feuille.

Aucun point du plan n’est exclu de la ligne courbe de Peano.

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Cela a mené à une situation désagréable pour les mathématiciens : à l’instar des biologistes qui se disent incapables de définir la vie, ou les philosophes la conscience. Le concept de bidimensionnalité du plan réside dans son ensemble de points.

J’ai démontré la cartographie biunivoque entre une ligne et un plan, bien que le plan ne soit pas continu.

Ma courbe était continue mais non biunivoque.

Existait-il une cartographie qui fût à la fois continue et biunivoque ? Si c’était le cas, le concept de dimension n’aurait pas de sens topologique, quel qu’il soit. La topologie est une étude mathématique des propriétés géométriques et relations spatiales qui ne sont pas affectées par des étirements continus, des pliages, des torsions, etc. 23

Les dimensions topologique et fractale En 1911, Luitzen Brouwer [1881–1966], mathématicien néerlandais, a démontré qu’il n’existait pas de telle cartographie. La dimension est un invariant topologique. Elle ne peut être altérée par une déformation continue. Cela donne une définition de la dimension d’une forme ou d’un espace, appelée dimension topologique. Mais un autre raisonnement, que nous devons au mathématicien allemand Felix Hausdorff [1869–1942] – considéré comme l’un des pères de la topologie moderne –, a mené à une nouvelle approche de la dimension. En se focalisant sur la manière dont les formes remplissent l’espace environnant, Hausdorff a défini une mesure qui enrichit nos idées intuitives sur la dimensionnalité. Pour les formes plus complexes, autres que les objets dits euclidiens, Hausdorff proposait une dimension fractale. Cela permet d’imaginer étonnamment la possibilité d’objets à une dimension et demie. Comment une forme peut-elle se trouver entre deux dimensions ? En étant fractale.

Felix Hausdorff

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L’autosimilarité Visuellement, il apparaît que l’ensemble de Cantor comprend simplement deux petites copies de lui-même. Cette propriété porte le nom d’autosimilarité. L’autosimilarité de l’ensemble de Cantor L’ensemble de Cantor est une collection de deux copies exactes de l’ensemble entier de Cantor, réduit d’un facteur de 1/3.

Tout segment d’une droite est lui-même une droite, identique à la droite entière, hormis l’effet d’échelle. La plupart des formes euclidiennes ne partagent pas cette propriété.

Un arc de cercle n’est pas lui-même un cercle

Un côté de triangle n’est pas triangulaire

Cependant, dans la nature, de tels phénomènes d’autosimilarité abondent.

Arbres, nuages et montagnes ressemblent tous à de plus petites parties d’eux-mêmes.

Ces formes sont extrêmement complexes à décrire en termes euclidiens, mais partagent une affinité avec les formes qualifiées de « pathologiques » des mathématiques modernes, déployant une série infinie de motifs à l’intérieur desquels des motifs sont répétés à toutes les échelles. 25

La courbe de Koch L’une de ces formes « pathologiques » est la courbe flocon de neige, que l’on doit à Helge von Koch [1870–1924] en 1904. Il a défini cette courbe comme la limite d’une séquence infinie de courbes faisant de plus en plus de plis. La courbe finale est infiniment longue, bien que contenue dans un espace fini. Elle ne possède aucune tangente et ne présente aucune régularité. Et si l’on coupe la courbe à des angles bien précis, on révèle un nombre infini d’ensembles de Cantor cachés à l’intérieur.

Ce dont Koch ne s’est pas rendu compte, c'est que de telles courbes de longueur infinie feraient de parfaits modèles pour les formes du monde réel, telles que le littoral ou les artères.

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La dimension de similarité

Un ensemble de Cantor contient deux copies à l’échelle 1/3 de lui-même. Une droite peut être subdivisée en trois copies d’elle-même. Une courbe de Koch comprend quatre copies à l’échelle 1/3 d’elle-même. Un carré est constitué de neuf copies à l’échelle 1/3 de lui-même. Dans un certain sens, l’ensemble de Cantor et la courbe de Koch s’étendent de part et d’autre de la droite. La courbe de Koch se trouve entre la droite et le carré. Elle prend plus de place que la droite, mais moins que le carré. Elle se trouve en quelque sorte entre les première et deuxième dimensions ! Ce qui peut être décrit précisément par le concept de la dimension de similarité, comme nous allons le voir en page suivante. 27

Similarité et dimension fractale Un cube, avec ses trois dimensions, peut être subdivisé en huit (deux à la puissance trois) demi-cubes. Si nous connaissons la dimension d’un objet, les puissances ou exposants nous renseignent sur le nombre de copies plus petites de lui-même qui peuvent être contenues dans cet objet de n’importe quelle taille. Une forme de dimension n se compose de mn copies d’ellemême, chacune de taille 1/m. Ce qui suggère une généralisation du concept de dimension, autorisant des valeurs fractionnaires.

Les logarithmes sont les inverses des exposants. Si nous connaissons le nombre de copies de lui-même qu’un objet contient et sa taille relative, alors les logarithmes nous permettent de calculer la dimension de l’objet en question. Et ce n’est pas nécessairement un nombre entier. La courbe de Koch contient quatre courbes de Koch à l’échelle 1/3. Sa dimension est par conséquent de log4 / log3, soit environ 1,26. L’ensemble de Cantor contient deux ensembles de Cantor à l’échelle 1/3. Sa dimension est donc de log2 / log3, soit environ 0,63. 28

En 1919, Felix Hausdorff a étendu la notion de dimension de similarité pour englober toutes les formes, et pas seulement les formes autosimilaires. En général, les formes fractales qui se situent quelque part entre des dimensions possèdent une dimension fractionnaire de Hausdorff. Puisque la définition de Hausdorff distingue les formes fractales des non fractales, on l’appelle souvent la dimension fractale. La dimension fractale décrit la complexité fractale d’un objet. Par exemple, la côte de la Grande-Bretagne possède une dimension fractale d’environ 1,26, donc sensiblement identique à celle de la courbe de Koch, mais un peu moins que le contour d’un nuage (environ 1,35). À cette échelle, une dimension de 1 signifie totalement lisse, tandis qu’une dimension tendant vers 2 implique une complexité fractale croissante.

La dimension de Hausdorff n’avait qu’une existence théorique, jusqu’à ce que Mandelbrot la remette en service pour l’employer dans ses propres travaux. Mandelbrot a été visionnaire en réalisant que c’était l’outil parfait pour décrire l’irrégularité de la nature. 29

Mesurer la dimension fractale Tout en étant de portée générale, la dimension de Hausdorff est souvent difficile à calculer en pratique. Une manière plus simple de mesurer la dimension fractale d’une courbe est appelée méthode du comptage de boîtes. Pour ce faire, superposez une grille à petits carreaux sur la courbe et comptez le nombre de carrés qu’elle traverse. Répétez le processus avec des carrés de plus en plus petits. Dans la limite d’une courbe fractale, la vitesse à laquelle la proportion de carrés traversés diminue donne la mesure de la dimension fractale.

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Dans le cas d’une droite, si l’on réduit de moitié la taille des carrés, on a besoin de deux fois plus de carrés pour la recouvrir. Cependant, dans le cas d’une fractale, il faut plus du double de carrés. Une forme à deux dimensions aura besoin de quatre fois plus de carrés. Une courbe fractale se situe quelque part entre les deux, nécessitant plus du double mais moins que quatre fois plus de carrés. insérer les dessins et reprendre les chiffres, remplaçante les points par des virgules et rajouter une espace fine tous les 3 chiffres après la virgule.

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Lewis Richardson À l’instar des naturalistes du xviiie siècle, Mandelbrot a fouillé dans des revues oubliées et obscures en quête d’une idée.

Mandelbrot a ainsi mis au jour un riche filon, et il le savait pertinemment.

J’ai dévoilé les travaux d’un mathématicien oublié et excentrique du nom de Lewis Fry Richardson [1881–1953],

Ainsi, notent les naturalistes, le morpion Est pourchassé par d’autres morpions plus petits, Et ceux-là par d’autres, encore plus petits, qui les mordent Et ainsi de suite, ad infinitum. Jonathan Swift [1667–1745]

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Richardson adorait poser des questions qu’aucune autre personne n’aurait considéré utile de poser. L’un de ses articles, intitulé « Le vent a-t-il une vitesse ? », avait anticipé des travaux entrepris plus tard par Edward Lorenz [1917–2008], mathématicien et météorologue au MIT, et d’autres pairs fondateurs de la théorie du chaos. L’une des révélations de ce grand mathématicien était un modèle de turbulences formées à partir d’un ensemble de remous de plus en plus petits. Il a transmis l’idée poétiquement dans le style de Swift.

Les grands remous ont de petits remous Qui se nourrissent de leur vitesse Et les petits remous ont des remous encore plus petits et ainsi de suite jusqu’à la viscosité. 33

Quelle est la longueur d'une côte ? Ce qui a frappé Mandelbrot de plein fouet était l’article de Richardson de 1961 intitulé « Quelle est la longueur de la côte britannique ? ». Ce qui, à première vue, était une question de géographie anodine révéla après un examen plus approfondi quelques traits essentiels de la géométrie fractale. Richardson a conclu que la longueur de la côte n’était pas bien définie.

Si vous suivez cette côte en voiture et la mesurez…

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extrait de The North Cornwall Coastal Footpath de Mark Richards

… puis que vous comparez cette mesure avec celle trouvée en suivant à pied le chemin qui longe la côte… La longueur de la côte mesurée va dépendre de la taille de votre règle. À la limite, et au fur et à mesure que les mesures deviennent de plus en plus précises, la longueur de la côte s’approchera de l’infini. En d’autres termes, la côte de la Grande-Bretagne, et de toute autre formation géologique naturelle, est fractale. … puis que vous ralentissez, suivant chaque recoin et fissure de la plage… vous verrez que vos résultats ne convergent pas. Ils deviennent de plus en plus grands.

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Après une analyse exhaustive de toutes les données cartographiques dont il disposait, Richardson a tracé un graphique de ses résultats comparés au logarithme de la taille de la règle utilisée. Mandelbrot a compris que la pente du graphique de Richardson n’était autre que la dimension de Hausdorff de cette côte.

Longueur de la côte

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Longueur de l’outil de mesure

À partir des données de Richardson, j’ai déduit que la côte de la Grande-Bretagne avait une dimension fractale d’environ 1,26, c’est-à-dire sensiblement la même que la courbe de Koch.

Il s’agit de la mesure du degré de plissement de la côte. On pourrait alors reformuler la question de Richardson de la manière suivante : « Dans quelle mesure la côte britannique fait-elle des plis ? » Et maintenant, on peut y répondre en termes de dimension fractale.

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Le joint de culasse de Sierpinski Le mathématicien polonais Vaclav Sierpinski [1882–1969] a introduit sa fractale en 1916, mais les principes qui la sous-tendent étaient déjà connus des artistes depuis des millénaires. On trouve les premiers prototypes du joint de culasse de Sierpinski sur le pupitre de la cathédrale de Ravello du xiie siècle, dessinés par Nicola de Bartolomeo de Foggia, repris par le célèbre artiste des « énigmes graphiques », Maurits Cornelis Escher [1898–1972].

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Le joint de culasse de Sierpinski est obtenu en partant d’un triangle équilatéral plein, qui est subdivisé en quatre triangles équilatéraux plus petits, mais en enlevant le triangle du milieu, laissant ainsi un trou lui-même triangulaire.

Les trois triangles équilatéraux pleins restants sont subdivisés de la même manière, de sorte qu’apparaissent trois nouveaux trous triangulaires, plus petits que le trou central.

Le processus peut conceptuellement être répété indéfiniment, à des échelles de plus en plus petites, avec, à la fin, le joint de culasse de Sierpinski, une forme composée de trois copies d’elle-même, chacune correspondant à la moitié du trou.

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On peut procéder de même avec des carrés, des pentagones ou n’importe quel autre polygone. Les mêmes techniques s’appliquent à des cercles. Ces motifs, obtenus en découpant successivement trois cercles à partir de cercles devenant de plus en plus petits, montrent une remarquable similitude avec l’art celtique.

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Étape 0

Étape 1

Étape 2

Étape 3

Livre de Durrow, Irlande environ 650 de notre ère. Les mêmes méthodes peuvent être appliquées aux formes en trois dimensions, produisant ainsi des pyramides et des cubes fractals.

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Le joint de culasse de Sierpinski est une vue de l’esprit, un exercice de mathématiques pures. Cependant, on trouve des dessins remarquablement proches sur des coquillages. Des formes fractales émergent souvent comme résultat de l’évolution cellulaire.

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Le jeu de chaos Dans les années 1980, le professeur Michael Barnsley [né en 1946] a découvert une autre façon de générer une fractale. C’est un peu comme les dessins pour enfants avec des points numérotés à relier, sauf qu’ils ne sont pas reliés par des traits. Il suffit de placer les points les uns après les autres, en suivant certaines règles simples. Par exemple, placez trois points en triangle sur la feuille et un quatrième point, au hasard, à l’intérieur du triangle, qui sera le point de départ.

On procède alors comme suit. Étape 1. Lancez un dé. Étape 2. Si la face visible est 1 ou 2, placez un autre point à mi-chemin entre le point de départ et le premier point. Si en revanche la face visible est 3 ou 4, dessinez un autre point entre le point de départ et le deuxième point.

Si la face visible est 5 ou 6, dessinez un autre point à mi-chemin entre le point de départ et le troisième point. Ce nouveau point devient alors le nouveau point de départ, et tout le processus est répété à partir de l’étape 1. 43

Au bout d’un certain temps, une forme émerge, qui nous est familière : le triangle de Sierpinski.

Ce n’est pas, à proprement parler, un jeu. Avec un seul joueur qui n’a qu’un coup à jouer, ce jeu n’offre pas beaucoup de choix. Dès que vous avez choisi votre point de départ, l’avenir même du jeu est déterminé. Comme Michael Barnsley l’a découvert, si nous avions choisi d’autres points, nous aurions pu générer à la place une forme de fougère, ou toute autre forme fractale – ou d’ailleurs n’importe quelle forme quelle qu’elle soit. Chaque image peut être cryptée sous forme d’une formule fractale, comme celle-là.

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Un étrange attracteur Ce qui semble moins évident est le fait que sur le long terme, la décision de départ importe peu en réalité. Il apparaît en effet que les points sont attirés vers ce que nous appelons un « attracteur » – un attracteur étrange en l’occurrence ! Benoît Mandelbrot a remis en question le bien-fondé de cette dénomination, lui préférant « l’attracteur fractal », arguant que celui-là est en réalité le plus fréquent dans la nature et, par conséquent, ne peut être si étrange que cela.

Un attracteur étrange n’est autre, à la base, qu’un attracteur fractal.

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Le triangle de Pascal Une autre chose étrange fut la découverte du triangle de Sierpinski à l’intérieur du triangle de Pascal. Souvenons-nous de l’algèbre scolaire : (1 + x)2 = 1 + 2x + x2 (1 + x)3 = (1 + x) (1 + x)2 = 1 + 3x + 3x2 + x3 (1 + x)4 = 1 + 4x + 6x2 + 4x3 + x4 Si nous laissons de côté les x et ne regardons que les coefficients, une forme organisée apparaît.

Le triangle de Pascal

Cette représentation graphique était connue d’anciennes cultures de par le monde. Il s’agit de nombres fondamentaux en mathématiques. Les nombres présents dans le triangle de Pascal représentent le choix d’un nombre d’objets parmi un autre nombre d’objets. Par exemple, le nombre 6 dans la quatrième rangée donne le nombre de façons de choisir deux objets identiques parmi quatre.

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Choix possibles :

Que se passe-t-il si vous coloriez en noir les nombres impairs dans le triangle, laissant les nombres pairs en blanc ? Une forme qui nous est familière apparaît alors.

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Les bassins d’attraction Les fractales apparaissent souvent comme une frontière entre différentes zones d’attraction. Imaginez trois aimants fixes, chacun aligné de manière à attirer un quatrième aimant qui se balance au-dessus d’eux comme un pendule. L’aimant suspendu va osciller un certain temps avant de s’arrêter au-dessus d’un des aimants fixes. Parfois, il va se positionner presque directement et se stabiliser. À d’autres moments, il va osciller de nombreuses fois d’une zone à l’autre avant de finalement se stabiliser.

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En coloriant les zones d’attraction en noir, gris et blanc, nous pouvons réaliser les observations suivantes. Entre du blanc et du noir, il y a toujours du gris. Entre du noir et du gris, il y a toujours du blanc. Entre du gris et du blanc, il y a toujours du noir.

Dans ce cas, l’attraction est d’ordre physique. Le pendule est littéralement attiré vers l’un des aimants. Toutefois, de nombreux attracteurs existent à un niveau plus abstrait. Lorsque la population d’une espèce atteint un niveau stable, cet état peut être considéré comme un attracteur pour l’écosystème environnant. Mais il y a de nombreux autres attracteurs plus étranges qui se livrent à une compétition pour le contrôle de leur espace abstrait. 49

Poincaré et la non-linéarité Henri Poincaré [1854–1912], mathématicien, physicien et philosophe des sciences, a démontré qu’il est possible d’avoir une vision approfondie du comportement quelque peu compliqué de systèmes dynamiques à partir de modèles mathématiques plutôt simples.

Henri Poincaré

Les formes telles que la courbe de Koch et le triangle de Sierpinski sont construites de manière analytique et intentionnelle, de sorte qu’elles présentent leurs étranges propriétés. Ce que Poincaré a découvert, au début du xxe siècle, était une classe de fractales qui émergeaient spontanément et contre toute attente d’équations non linéaires. 50

Il aura fallu plus de un demi-siècle cependant avant que la technologie progresse suffisamment pour que ces fractales puissent être visibles sur un écran d’ordinateur. Poincaré étudiait le monde abstrait des cartographies, mais était limité dans ses recherches. Des années plus tard, en accomplissant les basses besognes avec des calculatrices, les efforts des écologistes et économistes pour modéliser des systèmes réels ont mené exactement aux mêmes cartographies.

J’ai examiné des ensembles limités de groupes d’inversions, les motifs obtenus en démarrant avec un petit nombre de cercles se réfléchissant les uns sur les autres de manière répétée, et les ai trouvés effectivement extrêmement complexes.

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Malthus et la croissance de la population L’économiste britannique Thomas Malthus [1766–1834] avait remarqué que la population humaine augmentait de manière exponentielle, alors que la production de la nourriture ne croissait que linéairement.

En extrapolant ce constat dans le futur, j’ai prédit que l’écart grandissant entre la demande et les ressources disponibles allait mener à des famines en masse sur toute la planète.

Ce modèle de population présente plusieurs points faibles. En particulier, il suppose un taux de croissance constant de la population, et n’admet pas de rétroaction négative. En réalité, dès lors que la population a atteint un certain niveau, des freins naturels à la croissance apparaissent et cette dernière est contenue. 52

Rétroaction négative Dans les années 1840, le mathématicien belge Pierre François Verhulst [1804–1849] a amélioré le modèle de Malthus pour permettre une rétroaction négative. Il a supposé que la population d’une espèce dans une année donnée est fonction de ce qu'elle était l'année d'avant. En supposant que le taux de changement est proportionnel à la « distance » qui le sépare de la population maximale, Verhulst a présenté un modèle bien plus réaliste de la croissance des populations. Ce modèle prédit que, si les conditions s’y prêtent, une population donnée va se stabiliser jusqu’à l’équilibre.

Si la population se retrouve en dessous d’un certain seuil une année, elle va alors tendre à augmenter l’année suivante. Si, en revanche, elle augmente de trop, la compétition pour l’espace vital et les ressources vont avoir tendance à la faire baisser. 53

L’équation logistique La formule développée par Verhulst porte aujourd’hui le nom d’équation logistique. C’est le regain d’intérêt pour cette équation qui a mené, dans les années 1970, à plusieurs des plus belles découvertes d’une science naissante qui allait par la suite s’appeler la théorie du chaos. En réalité, l’étude de modèles simples de rétroaction n’a guère progressé depuis les travaux de Verhulst, car sans aide électronique, les calculs nécessaires étaient très fastidieux et lourds à effectuer. La formule de Verhulst est en elle-même on ne peut plus simple, mais puisque le processus doit être répété un très grand nombre de fois, cela finit par être très, très complexe. Si x correspond à la population aujourd’hui, la population de l’année suivante est donnée par

xprochain = rx(1 – x)

où r est une constante qui peut être ajustée en fonction de la population que l’on veut modéliser. Comme cela a été dit précédemment, l’estimation de la population d’une espèce l’année suivante est fonction de celle de l’année précédente. Et si nous nous intéressons – comme les écologistes – au comportement à long terme des systèmes, nous devons répéter cette formule un grand nombre de fois pour voir ce qui se passera. On appelle ce processus l’itération. 54

L’itération L’itération désigne l’application répétée d’une règle ou d’une étape dans un algorithme. L’algorithme correspond à l’ensemble des règles nécessaires à l’exécution de calculs complexes par la répétition de règles plus simples, par exemple la multiplication de nombres à plusieurs chiffres. Les programmes informatiques utilisent des algorithmes. C’est comme un chien qui court après sa queue. Le résultat (sortie) d’une opération devient l’entrée de l’opération suivante, et ainsi de suite. L’évolution est le chaos avec des rétroactions. Dieu joue bien aux dés avec l’Univers, mais les dés sont pipés. Le but des mathématiques et de la physique est de découvrir les règles par lesquelles les dés ont été pipés. Joseph Ford [1927–1995], professeur de physique au Georgia Institute of Technology (États-Unis), spécialiste de la thermodynamique et du chaos

Le plus simple est de prendre des valeurs de x entre 0 et 1, de sorte que 1 représente la population maximale de poissons de l’étang et 0 signifie leur extinction. Prenons une valeur arbitraire de r de 2,6 et commençons. Si x = 0,2 alors 1 – x = 0,8 et x (1 – x) = 0,2 × 0,8 = 0,16. On multiplie par 2,6 et on obtient 0,416. On répète à présent le processus. On démarre donc avec x = 0,416 et on obtient 0,6317. La population de poissons augmente. On recommence avec la valeur 0,6317 et on obtient 0,6049. La population a baissé. On recommence avec la valeur 0,6049 et on obtient 0,6214. La population a augmenté à nouveau. Les valeurs suivantes sont : 0,6117 ; 0,6176 ; 0,6141 ; 0,6162 ; 0,6156 ; 0,6152 ; 0,6155 ; 0,6153 ; 0,6154 ; 0,6153 ; 0,6154 ; 0,6154 et 0,6154.

La population augmente et diminue, mais finit par se stabiliser à un nombre fixe. 55

La rétroaction en vidéo Voici à présent un exemple classique d’itération. Une caméra vidéo est braquée sur l’écran qu’elle alimente, projetant une image d’un tunnel infini d’écrans imbriqués les uns dans les autres. Si chaque écran est plus petit que le précédent, les images finissent par disparaître jusqu’à un point.

Ce point est un attracteur pour le système.

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Comme Michael Barnsley l’a démontré, si vous ajoutez un écran supplémentaire, chaque écran va afficher désormais deux écrans, chacun montrant deux écrans, etc. Ces écrans ne sont plus les uns à l’intérieur des autres : la limite de l’ensemble est bien plus complexe.

C’est en réalité un étrange attracteur et il peut prendre une multitude de formes fractales, y compris celle de l’ensemble de Cantor. Avec davantage d’écrans, les possibilités sont encore plus nombreuses. Pour créer un triangle de Sierpinski, vous avez besoin de trois écrans.

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Sir Robert May et le modèle de Verhulst Dans les années 1970, Robert May [né en 1936], un biologiste britannique d’origine australienne, à présent Lord May of Oxford, faisait partie des écologistes intrépides et, dans ses tentatives pour éclaircir le mystère, s’était détourné du modèle de Verhulst. Ses pairs mathématiciens ont cru qu’il était devenu fou.

Que peut-on espérer trouver de nouveau dans une équation aussi simple ?

De nombreuses surprises attendaient les mathématiciens, qui découlent de ce simple itérateur quadratique. Robert May a mis au jour une grande variété de types différents de comportements de population. Le plus simple d’entre eux était l’équilibre stable. La population s’approcherait d’un équilibre stable et demeurerait à ce seuil fixe, comme nous l’avons vu avec notre exemple page 55, avec la valeur r = 2,6. 58

Les points de bifurcation Puis May a observé qu’en augmentant la sensibilité du système, on voyait apparaître quelque chose étrange : une oscillation. La surpopulation d’une année est surcompensée l’année suivante, aboutissant à une population plus faible, qui en retour fait un bond vers des niveaux plus élevés l’année suivante, et ainsi de suite. Ce processus se répète tous les deux ans. Prenons la valeur r = 3,1 et calculons la population de poissons comme précédemment. Commençons avec x = 0,2. Alors la valeur suivante est 3,1 × 0,2 × 0,8 = 0,496. En recommençant avec x = 0,496, on obtient 0,7750, puis 0,5407 ; 0,7699 ; 0,5492 ; 0,7675 ; 0,5531 ; 0,7662 ; 0,5532 ; 0,7626 ; 0,5612 ; 0,7633 ; 0,5600 ; 0,7639 ; 0,5592 ; 0,7641 ; 0,5587 ; 0,7643 ; 0,5585 ; 0,7644 ; 0,5582 ; 0,7645 ; 0,5582 ; 0,7645. Le schéma se stabilise non pas sur une valeur mais sur deux. Il se répète tous les deux ans.

Cette tendance des orbites à se scinder en deux en certains « points de bifurcation » critiques, dès lors qu’un paramètre du système change, est qualifiée de doublement périodique. Un seul attracteur se subdivise en deux et devient un cycle attractif de période deux. On peut alors le représenter graphiquement par une ramification. 59

La cascade de doublement de période Jusqu’ici, nous avons examiné r = 2,6, qui mène à une valeur stable de 0,6154, et r = 0,31, qui mène à deux valeurs : 0,5582 et 0,7645. Essayons à présent avec r = 3,5. Comme précédemment, commençons par x = 0,2. Nous obtenons : 0,56 ; 0,8624 ; 0,4153 ; 0,8499 ; 0,4465 ; 0,8649 ; 0,4088 ; 0,8459 ; 04562 ; 0,8675 ; 0,4026 ; 0,8418 ; 0,4661 ; 0,8710 ; 0,3933 ; 0,8352 ; 0,4817 ; 0,8738 ; 0,3860 ; 0,8296 ; 0,4948 ; 0,8750 ; 0,3830 ; 0,8271 ; 0,5004 ; 0,8750 ; 0,3828 ; 0,8270 ; 0,5011 ; 0,3828 ; 0,8270 ; 0,5011.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Si l’on augmente davantage la réponse du système, on crée d’autres embranchements : le cycle de période 2 passe subitement à un cycle de période 4. Chaque branche de la ligne se subdivise en deux. Cette scission successive accélère, aboutissant rapidement à des cycles de période 8, 16, 32, et ainsi de suite. 60

Le figuier Comme pour la flèche de Zénon, ces embranchements se rapprochent de plus en plus les uns des autres jusqu’à s’accumuler en un seul point, appelé point de Feigenbaum (Mitchell Feigenbaum est un physicien théoricien américain). À partir de là, le système converge vers un cycle infini : il ne se répète jamais lui-même. C’est ce que les mathématiciens entendent par orbite chaotique. Cet étonnant motif est connu sous le nom de « figuier ». Nous pensons que vous comprendrez pourquoi.

Cette répétition s’appelle une cascade de doublement de période et mène au chaos. Mais il a été mis en évidence que ce chaos contient des germes d’ordre, révélant l’existence de fenêtres de comportements périodiques stables inscrits dans un mur chaotique. La plus grande de ces fenêtres représente un cycle de période trois. Pouvons-nous visualiser une fenêtre de stabilité ? Oui, facilement démontrable dans le diagramme de Feigenbaum. 61

La théorie du chaos et les fractales En 1975, l’article de Tien Yien Li et James York, intitulé « Period three implies chaos » (« La période trois implique le chaos ») renferme le premier exemple d’utilisation du terme « chaos » dans la littérature scientifique, ce qui a mené au final à la création d’une nouvelle science, la théorie du chaos.

Les résultats de Li et de York étaient pour le moins étonnants. Ils ont montré que n’importe quel système dynamique à une dimension, avec un cycle de période trois, contenait aussi des cycles de toutes les autres périodes. Alexei Sarkowski avait déjà démontré le résultat principal dans un format plus puissant, mais comme il écrivait en russe, son travail n’avait pas reçu l’attention voulue de la part de la communauté internationale. En réalité, Sarkowski a montré l’existence d’une séquence magique, qui représente effectivement l’ordre dans lequel les différentes périodes arrivent sur le figuier. 62

C’est ainsi qu’un nouveau regard sur le chaos est apparu. Comme pour la relativité, le principe d’incertitude et le théorème de Kurt Gödel, la théorie du chaos impose des limites à nos connaissances. Elle énonce qu’il existe beaucoup de choses que nous ne pouvons connaître.

Un zoom sur l’ordre dans le chaos Cependant, la théorie renferme quelques aspects très positifs. Elle implique que de très grands changements peuvent être induits avec un minimum d’effort. Des vaisseaux spatiaux peuvent être expédiés au fin fond du système solaire avec une simple petite poussée dans la bonne direction. Votre vie peut changer du tout au tout avec le plus petit effort de volonté au bon moment.

La signature du chaos est l’attracteur fractal – les fractales sont les motifs du chaos. 63

La constante de Feigenbaum Approfondissant les thèmes de l’itération et de l’embranchement, Mitchell Feigenbaum a montré en 1977 que le rapport des distances entre des embranchements successifs convergeait rapidement vers une constante : 4,669 201 609 102 990 671 853 203 82…

À mon grand étonnement, j’ai trouvé que ce nombre était indépendant du système que j’étudiais. Une puissante justification quant à l’importance de ce résultat accompagnait la découverte de la même valeur obtenue par diverses expérimentations physiques menées en laboratoire. Le caractère universel de la cascade du doublement de période en mathématiques a conduit quelques théoriciens à prédire son existence dans la nature. Mais bon nombre d’entre eux étaient étonnés de voir commencer à apparaître la cascade dans des systèmes physiques réels, tels que le retour acoustique ou des robinets qui fuient. Le doublement de période est un principe général naturel. 64

Des cas physiques ont été révélés dans des laboratoires partout dans le monde. Et quand la vitesse de ces doublements successifs de période était mesurée, toutes les expériences montraient une remarquable adéquation numérique avec le nombre de Feigenbaum, 4,669 201 6… Le nombre de Feigenbaum est véritablement universel, aussi fondamental que π (le rapport entre la circonférence d’un cercle et son diamètre : 3,141 592 65…). Il s’applique aussi bien au monde réel qu'aux simulations numériques.

Le nombre de Feigenbaum apparaît dans tous les phénomènes naturels gouvernés par un processus de rétroaction à « une bosse ». Dans l’ensemble de Mandelbrot, il correspond au ratio de tous les rayons des cercles successifs inscrits sur la droite réelle. 65

Nombres réels, autres nombres

Comme le professeur Stewart a déclaré : « La découverte de Feigenbaum de l’universalité [de son nombre] est une arme à double tranchant. Il devient relativement facile de tester une classe particulière de modèles chaotiques par l’expérimentation ; mais il ne fait pas la distinction entre les différents modèles qui appartiennent à cette classe. »

La découverte de Feigenbaum s’est révélée n’être qu’une petite partie d’un ensemble bien plus grand. Feigenbaum n’avait étudié que des itérations de l’équation logistique des nombres réels.

C’est-à-dire les nombres de notre quotidien que nous utilisons pour quantifier des choses comme des populations ou des prix. Mais, d’un point de vue mathématique, ces nombres ne constituent qu’un cas particulier d’une catégorie plus générale de nombres.

Quand Benoît Mandelbrot a étendu les travaux de Feigenbaum à ce plus large domaine, un dessin d’une étonnante beauté a été révélé. 66

Les nombres complexes Les nombres complexes sont générés en tolérant les racines carrées de nombres négatifs. Mais cela ne reflète pas la réalité de nos vies de tous les jours. Il n’existe pas de valeurs négatives dans le monde qui nous entoure. À moins de prendre en compte la matière sombre de l’Univers ! Et nous ne pouvons vraiment pas calculer la racine carrée d’un nombre négatif, n’est-ce pas ?

Ainsi, en mathématiques et dans nos esprits, nous pouvons admettre les nombres imaginaires ! La racine carrée de moins un est représentée par la lettre i. Les nombres complexes sont des outils conçus pour résoudre des équations cubiques, mais peuvent sans coût supplémentaire apporter des solutions à toute équation de n’importe quelle puissance. Ils expriment des schémas de la réalité plus profonds que les seuls nombres « réels ». Les nombres complexes sont au cœur de la formulation de la mécanique quantique et de la description de systèmes oscillants. Voyons à présent la relation qui lie les nombres complexes aux fractales. 67

Le plan des nombres complexes En 1685, le mathématicien britannique John Wallis [1616–1703], a eu l’idée de représenter les nombres complexes sous forme graphique. Les nombres imaginaires sont positionnés à angle droit par rapport à la ligne des nombres, appelée aussi droite réelle. Si nous représentons les nombres réels sur un axe est/ouest, alors les nombres imaginaires sont distribués sur l’axe perpendiculaire, de part et d’autre du point zéro, et s’étendent du nord au sud. Cela forme une croix – un système coordonné, où tous les nombres réels se trouvent sur un axe et tous les nombres imaginaires sur un autre, tout point du plan comprenant une partie réelle et une partie imaginaire.

Effectuer des opérations arithmétiques sur des nombres complexes revient à introduire des transformations géométriques sur le plan complexe. L’addition est l’équivalent d’une translation ; la multiplication équivaut à une rotation à l’échelle. 68

Quand des équations du plan complexe sont répétées par ordinateur, on voit apparaître des formes extraordinaires, comme l’ensemble de Mandelbrot. 69

Gaston Julia et Pierre Fatou Au cours de la Première Guerre mondiale, les mathématiciens français Gaston Julia [1893–1978], étudiant d’Henri Poincaré, et Pierre Fatou [1878–1929] ont étudié les cartographies rationnelles du plan des nombres complexes.

Une transformation, ou cartographie d’un plan, est une règle énonçant que tout point du plan en donnera un second. On peut imaginer que la règle s’applique à tout le plan simultanément… … le prenant, l’étirant, le faisant tournoyer, ou le tordant, puis le reposant de nouveau à plat. 70

Julia et Fatou ont examiné plus particulièrement les processus d’itération. Leurs travaux sont restés largement méconnus, y compris de la plupart des mathématiciens de l’époque, car sans les graphiques d'ordinateurs modernes, il était quasi impossible de communiquer leurs subtiles idées. L’autosimilarité, par exemple, était bien connue de Julia et Fatou. Les cartographies étudiées par Julia étaient discrètes, même si diverses analogies avec des systèmes dynamiques continus réels sont apparues naturellement.

Nous avons identifié des attracteurs, des points de l’espace qui attiraient tous les points environnants vers eux.

Et nous avons trouvé des repousseurs.

Les repousseurs créaient des bassins d’attraction, un peu comme quand la pluie doit se trouver un chemin vers telle ou telle rivière. La frontière entre les bassins d’attraction était composée de points répulsifs, qui éloignaient les autres points aux alentours. Ces frontières s’avéraient être très compliquées. On les connaît sous le nom d’ensembles de Julia. 71

En réalité, Julia et Fatou n’ont jamais vu un ensemble de Julia. La première représentation est apparue dans un article publié en 1925. Il s’est agi de la fois où ils se sont approchés le plus de la visualisation du plein accomplissement de leur travail.

Ce n’est qu’avec l’avènement des ordinateurs que l’on a pu visualiser les ensembles de Julia dans toute leur splendeur, avec tous leurs détails révélés. Derrière l’apparente diversité des ensembles de Julia se cachait un principe puissant unificateur attendant d’être découvert. Une clef qui ouvrait un nouveau monde de mystères. Un dragon qui sommeillait. Une seule personne était assez radicale pour le découvrir.

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Benoît Mandelbrot Benoît Mandelbrot est né à Varsovie en 1924, dans une famille relativement aisée. Son père était un grossiste en vêtements accompli et sa mère une dentiste très respectée. Ils étaient des juifs lituaniens. Quand Benoît eut 12 ans, sa famille quitta la Pologne. Une persécution dangereuse et sombre planait. Ils choisirent Paris comme destination.

Ce n’était pas le voyage que nous avions choisi de faire, mais c’était la bonne décision.

Les Mandelbrot avaient de la famille et des amis à Paris, prêts à les aider à trouver du travail et un logement. 73

L’oncle Szolem Parmi leurs contacts se trouvait l’oncle de Benoît, Szolem Mandelbrot – un mathématicien, frère cadet de son père. Bien que ce déménagement vers la France fût difficile et douloureux, il allait avoir des répercussions bénéfiques et durables pour Benoît. Son oncle le prit sous son aile. Mandelbrot se rappelle : « Les mathématiques constituent un organisme vivant, ce qui m’a été révélé par mon oncle Szolem lorsque j’étais enfant. Mon père et mon oncle ont lutté, pour ainsi dire, pour sauver mon âme. »

Il devrait devenir un mathématicien pur, comme moi. Mais non, il devrait devenir ingénieur.

Mon père, un homme très prudent, pensait que je devais faire quelque chose de stable…

… tandis que mon oncle voulait que j’entraîne exclusivement la partie la plus abstraite de mon cerveau.

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Au final, l’un et l’autre ont eu gain de cause !

Une éducation pratique Quand Paris est tombée sous le joug de l’Allemagne nazie en 1940, les Mandelbrot se sont enfuis vers le Sud de la France. Benoît est devenu apprenti dans une entreprise d’outillage. Sa scolarité fut irrégulière et discontinue. Il n’a jamais appris, par exemple, l’alphabet ni les multiplications au-delà de la table de 5 ! Son éducation pratique, en revanche, lui a ouvert les yeux sur les formes rencontrées dans la nature. En hiver, les arbres sans feuilles ressemblent aux estuaires des rivières ou à des dessins anatomiques du système sanguin humain.

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La forme des choses La forme du chou-fleur fascinait particulièrement Benoît. Il avait remarqué que lorsque l’on casse une branche de chou-fleur, le petit morceau ressemble au chou entier. Puis Benoît a découvert qu’en continuant à casser des bouts de plus en plus petits, et ce, jusqu’à un certain point, ils continuaient à ressembler à des versions de plus en plus petites du légume entier.

On peut gagner sa vie en étant mathématicien. Pour la plupart des gens, il est difficile d’imaginer que c’est possible.

Ils pensent en effet que le dernier mathématicien était Isaac Newton voire Euclide !

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Mandelbrot s’est rendu compte assez tôt qu’il allait devenir mathématicien. Il avait appris par ailleurs de son oncle Szolem que les mathématiques constituaient une véritable profession. Venant de Brive-la-Gaillarde (en France Libre) et de retour à Paris après la guerre, Mandelbrot s’est présenté – avec succès – à de difficiles concours d’admission d’universités françaises, dont la prestigieuse École polytechnique, sans aucune préparation. À l’épreuve de mathématiques de l’examen – des exercices d’algèbre formelle et d’analyse intégrée –, il réussit à masquer son manque de préparation à l’aide de son intuition géométrique. Il s’est rendu compte qu’il arrivait à visualiser de tête la « forme » d’un problème analytique.

Pour une forme donnée, Benoît parvenait à la transformer, à en changer les symétries, à créer une harmonie. Souvent, ces transformations menaient directement à une solution en physique et chimie. Mais quand il ne pouvait pas utiliser la géométrie, il se trouvait immédiatement en difficulté. Assis devant ces tests d’entrée, Benoît s’est rappelé l’existence de « mathématiques de l’œil », que la visualisation d’un problème était une approche aussi valable que n’importe quelle autre pour trouver une solution. Étonnamment, il était totalement seul à défendre cette conjecture. 77

Les ruses de Bourbaki L’enseignement des mathématiques en France était dominé par une poignée de mathématiciens dogmatiques qui se cachaient derrière le pseudonyme de « Nicolas Bourbaki » (association formée en 1935), nommé ainsi d’après un général français du xixe siècle, Charles-Denis Bourbaki, qui avait vu servir à ses côtés plusieurs élèves brillants de l’École normale supérieure. Il s’agissait d’une blague d’initiés. Bourbaki avait, pour les membres du groupe, une sonorité étrange et attrayante. Et bien que les Bourbaki se retrouvassent en des lieux tenus secrets, ils ont influencé la pensée mathématique, non seulement en France, mais aussi à travers toute l’Europe.

Les mathématiques se doivent d’être pures, formelles et austères.

Elles n’ont rien à voir avec la vie réelle ou la nature

et les images

Les images étaient considérées comme éphémères et ne convenaient pas aux mathématiques pures. Les images pouvaient distraire un mathématicien. Mandelbrot était incapable d’adhérer à cette vision des choses. Bourbaki représentait tout ce qu’il détestait et essayait d’éviter de toutes ses forces. Mandelbrot voulait que sa vision des mathématiques – sa géométrie – serve à expliquer le monde « réel ». Il voulait absolument pouvoir offrir une description vraie de la nature et de ses processus.

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À nouveau en fuite Benoît se maria et quitta la France pour les États-Unis afin d’échapper à l’emprise de Bourbaki. Il est même plausible que sans le formalisme insupportable de Bourbaki, l’esprit tourmenté de Mandelbrot n’aurait pas pu prendre son essor et que nous serions de nos jours encore en train d’attendre l’ensemble de Mandelbrot et la géométrie fractale ! La prise étouffante sur son imagination mathématique a éloigné Mandelbrot du milieu universitaire pour travailler chez IBM à New York.

Ici, je trouverai la liberté intellectuelle qu’aucune université ne pourra m’accorder.

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Plus on est de fous, plus on rit IBM a donné à Mandelbrot les financements, les infrastructures, une équipe de chercheurs qui comptait dans ses rangs le Dr Richard Voss et surtout un espace lui permettant de travailler à sa guise. Les instances supérieures d’IBM, il faut le dire, étaient visionnaires – à l’opposé de l’administration réactionnaire du monde universitaire classique. En y repensant, Mandelbrot remarque…

Ma réaction à présent est de les laisser vivre comme ils l’entendent.

Il existe bien des approches différentes pour faire les choses.

Bien de façons différentes pour trouver des hypothèses mathématiques.

Qu’ils vivent leur vie !

Plus on est de fous, plus on rit !

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Il ne saurait être question d’imposer l’uniformité.

Les schémas émergents En s’inspirant de non-conformistes comme Richardson et même d’articles récupérés dans les poubelles d’autres mathématiciens, Benoît Mandelbrot a mis en équation la nouvelle science de la géométrie fractale. De la hauteur du Nil à la distribution des cratères sur la Lune, partout où il portait son regard, il voyait apparaître les mêmes motifs. Loin d’être exceptionnelles, des formes comme l’ensemble de Cantor et la courbe de Koch étaient en réalité omniprésentes dans le monde physique.

À gauche, esquisse de modélisation mathématique de la distribution de cratères.

81

Les fractales en pratique On trouve des variations de l’ensemble de Cantor dans pratiquement tout, de la fréquence d’occurrence des mots et lettres à la friture sur les lignes téléphoniques, tandis que la courbe de Koch a servi de modèle pour les côtes réelles. Comme Mandelbrot l’a écrit dans son livre révolutionnaire The Fractal Geometry of Nature [La géométrie fractale de la nature] (1977)… Le nombre d’échelles distinctes de longueur des motifs naturels est en pratique infini.

Contrefaçon fractale d’une île

La géométrie fractale est en effet principalement une géométrie de la pratique, du monde réel des détails pratiques. 82

Bruits parasites Dès le début de sa carrière chez IBM, Mandelbrot s’est attaqué à un problème pratique qui impliquait et concernait directement ses employeurs. En interne, des données étaient perdues ou corrompues lorsqu’elles étaient transmises entre ordinateurs par des salves aléatoires de bruit, dont ils ne pouvaient se débarrasser ni prévoir.

C’est frustrant et cela coûte cher à IBM. Hmm… On dirait que cela se produit par paquets.

Mandelbrot a appliqué sa propre approche mathématique et a abordé le problème d’une façon totalement inédite. 83

Erreurs fractales Les ingénieurs d’IBM restaient hermétiques à la solution trouvée par Mandelbrot. Toutefois, ils ont reconnu la justesse de la démonstration mathématique qui prédisait qu’il était simplement impossible de calculer le taux moyen d’erreurs pour une période de temps donnée. Mes calculs ont mis en évidence que ces erreurs étaient d’ordre fractal… … avec . de l’autosimilarité à tous les niveaux, et jusque l’infini… jusqu’à

l’ensemble de Cantor !

L’esc

– une alier du D ver iab l’ense sion cumul le é mble de Ca e de ntor

Les dirigeants d’IBM ont accepté la logique de Mandelbrot en toute bonne foi et ont rebâti leur système informatique pour lutter contre ces erreurs. Ils ont introduit un niveau de redondance dans les circuits du système, qui allait annuler l’interférence due au bruit. Les mathématiques avaient raison. Mandelbrot pouvait expliquer ses résultats en termes mathématiques. 84

Où l’on voit émerger un principe général Ce principe est celui qui sous-tend la dynamique non linéaire. Mandelbrot commençait à saisir, et à expliquer mathématiquement, comment les phénomènes du monde réel se produisent. Il sentait la forme sous-jacente des choses – l’ordre caché.

Quand je cherchais un sujet pour mon doctorat…

mon oncle m’avait dit… Pourquoi ne . lirais-tu pas les superbes articles de Julia et Fatou écrits en 1917 ?

Ce sont des chefs d’œuvre.

Je les ai lus mais ne voyais pas quoi ajouter.

Mon oncle était fort déçu… Trente ans plus tard, familiarisé avec les ordinateurs, j’ai examiné à nouveaux ces même articles.

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La plus simple des transformations Mandelbrot commençait à s’intéresser à l’ensemble de Julia de la plus simple des transformations : z ➝ z2 + c. Cette formule offre une règle pour obtenir un nouveau nombre complexe à partir d’un autre nombre, autrement dit, la possibilité de cartographier un plan complexe sur lui-même. L’effet d’une telle cartographie est de couper le plan et de l’enrouler sur lui-même en l’étirant de plus en plus loin du cercle unité.

Mandelbrot a baptisé les ensembles de Julia qui résultent de cette transformation « les dragons auto-carrés » – une variante de la courbe du dragon. 86

Les ensembles de Julia dont on se sert pour cette cartographie dépendent uniquement de la valeur du paramètre c. Quand c est petit, cela donne des boucles simples, comme des cercles avec des plis. Pour des valeurs de c plus grandes, la fractale produite contient d’innombrables petits points discrets, dispersés comme des grains de poussière.

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Deux types d’ensembles de Julia En général, les ensembles de Julia peuvent être classés en deux catégories principales, ou variantes. Soit ils sont totalement déconnectés et leur cartographie ressemble à des grains de poussière, soit ils sont totalement connectés. Dans le premier cas, ces ensembles s’apparentent topologiquement à l’ensemble classique de Cantor. Avec des ensembles de Julia connectés, en revanche, chacun d’entre eux consistera en une succession de lignes : formant parfois une courbe fermée ; formant parfois des boucles à l’intérieur d’autres boucles ; et, de temps en temps, une dendrite. Je cherchais le patron dissimulé derrière cette dichotomie.

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Quel est le grand plan ? Qu’est-ce qui distingue les ensembles de Julia connectés des ensembles qui ressemblent à des grains de poussière ?

À la frontière entre ces deux régions, on trouve les ensembles de Julia dendritiques, composés entièrement par des lignes qui se subdivisent sans arrêt, à peine connectés puisque si l’on retire ne serait-ce qu’un point de ces dernières, elles sont coupées en deux.

Déconnecté

Connecté Une dendrite

Mandelbrot et son équipe ont passé beaucoup de temps à générer des ensembles de Julia. « Cela nous a plu énormément ! »

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Une carte des ensembles de Julia En 1980, Mandelbrot a eu une idée prometteuse : l’élaboration d’une carte de comportement. Il coloriait un point en noir si l’ensemble de Julia y était connecté et le laissait en blanc dans le cas contraire. C’est de cette manière que l’on définit l’ensemble de Mandelbrot : l'ensemble de Mandelbrot est un ensemble de points c pour lesquels l’ensemble de Julia z → z² + c est connecté. Si c se trouve dans l’ensemble de Mandelbrot, alors l’ensemble de Julia est connecté. Si c se trouve en dehors de l’ensemble de Mandelbrot, alors l’ensemble de Julia est déconnecté.

À première vue, cela semble représenter un problème plutôt compliqué, mais Julia avait imaginé une astuce pour déterminer si un ensemble de Julia était connecté ou non, sans devoir construire l’ensemble lui-même. Si l’on examine l’orbite du point de départ et que l’on détermine qu’elle se prolonge à l’infini, alors l’ensemble est déconnecté ; sinon, il est connecté. Muni de cette astuce, un simple programme informatique peut déterminer la classe à laquelle appartient un ensemble de Julia. 90

Tout un nouveau monde Quand la première image est sortie de l’imprimante, Mandelbrot et ses collègues ont d’abord pensé qu'il y avait une erreur, de programmation peutêtre. L’image était extrêmement étrange et inattendue.

En haut : La première impression informatique historique du nouvel ensemble.

L'une des découvertes les plus saisissantes était que, profondément enfouies à l'intérieur, se trouvaient de petites répliques, presque identiques à l'original.

Après quelques semaines de travail jusque tard dans la nuit au sous-sol du laboratoire de l'université de Harvard, Mandelbrot et son assistant ont exploré l'étonnant nouveau monde qu'ils avaient découvert. En alimentant leur programme avec de nouvelles coordonnées, ils ont zoomé de plus en plus près à la frontière de l'ensemble. 91

L’ensemble M converge vers les ensembles de Julia

Heinz-Otto Peitgen

Quand on zoome de plus en plus profondément dans ces bébés ensembles M, on voit qu’ils ont rencontré d’autres variations des mêmes motifs, avec l’ajout de quelques fioritures et embellissements. Ces bébés ensembles M agissent comme autant de clefs, révélant l’existence de tout un nouveau monde d’ensembles de Julia enfouis. Il s’agit alors d’un nombre infini de copies à des échelles plus petites d’un seul ensemble de Julia, rattachées à des filaments en spirale dans la forme générale d’un autre ensemble. 92

Les ensembles de Julia les plus intéressants sont ceux qui sont tout juste connectés. Ils se situent à la frontière entre les ensembles connectés et ceux qui ressemblent à de la poussière – c’est-à-dire à la frontière de l’ensemble de Mandelbrot. De même, l’ensemble de Mandelbrot est le plus intéressant le long de cette frontière. La mathématicienne chinoise Tan Lei [1963–2016], de l'université d’Angers, a démontré que l’ensemble M est asymptotiquement semblable aux ensembles de Julia proches d’un quelconque point de sa frontière.

Comparatif d’un agrandissement d’un ensemble M et d'un ensemble de Julia avec c = -0,745 429 et +0,113 008.

Plus vous zoomez sur un ensemble de Mandelbrot, plus il ressemble à un ensemble de Julia particulier. Pour cette raison, l'ensemble M est appelé parfois l’indice pictural des ensembles de Julia. 93

Des règles simples, un comportement complexe Les phénomènes complexes n’ont pas nécessairement besoin d’explications complexes. C’est la base même de la théorie du chaos, illustrée magnifiquement par l’attracteur de Lorenz.

De simples règles produisent des comportements extrêmement complexes.

Une formule très simple, comme la loi de Newton qui contient peu de symboles, peut expliquer le mouvement des planètes autour du Soleil et bien d’autres phénomènes, à la 50e décimale près ! 94

La loi de Newton et le chaos Bien que la loi de Newton décrive les orbites périodiques des planètes dans le système solaire, elle implique aussi que le système soit en réalité chaotique – stable uniquement à court terme. Dans ce cas, cela représente des millions d’années. La ceinture d’astéroïdes qui se trouve entre Mars et Jupiter constitue une preuve claire du chaos qui découle de la loi de Newton. Les anneaux de Saturne ont quant à eux une structure fractale, semblable à un ensemble de Cantor, avec des trous dans certaines régions critiques qui correspondent à des orbites instables.

Il s’avère impossible de prédire le comportement à long terme d’un système quelconque renfermant trois corps ou plus. 95

Nous sommes d’accord – c’est compliqué… L’ensemble de Mandelbrot est utilisé comme preuve d’un réalisme mathématique. Il est si compliqué, dit-on, que personne n’aurait pu l’inventer. C’est exactement ce que dit le mathématicien Roger Penrose quand il souligne la réalité de l’ensemble de Mandelbrot.

L’ensemble de Mandelbrot n’est pas une invention… C’est une découverte.

Un peu comme le mont Everest est juste là.

L’ensemble de Mandelbrot est si complexe qu’aucun programme informatique ne pourra déterminer si un point général lui appartient ou non. En quelque sorte, il n’est pas calculable.

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Plus vous zoomez sur l’ensemble de Mandelbrot, plus il devient complexe. Le mathématicien japonais Mitsuhiro Shishikura [né en 1960], de l’université de Kyoto, a apporté la preuve en 1991 que la frontière de l’ensemble de Mandelbrot est de dimension fractale 2.

Zoom

Agrandissement

Personne ne sait si l'ensemble donné est connecté localement. Personne n’a encore déterminé l’aire exacte de l’ensemble de Mandelbrot, même si l'on sait que c’est une valeur proche de 1,506 591 77… Une énorme puissance de calcul a été investie pour ce problème, mais cela prendra certainement du temps avant que quelqu’un ne trouve une quelconque utilisation au résultat ! Néanmoins, le fait même que l’ensemble de Mandelbrot existe et qu'il ait une aire suffit aux mathématiciens de l'école Everest pour relever le défi – simplement parce qu’il existe. En l'absence de meilleures idées, ces mathématiciens continuent de découper l’ensemble M en boîtes de plus en plus petites, les comptant toutes pour parvenir à des estimations de plus en plus proches. La convergence est très lente et il a été suggéré que la frontière de l’ensemble M possède peut-être une aire positive, bien que personne n’ait la réponse non plus. 97

Les transitions de phase L’eau, nous le savons, peut se trouver sous trois états : glace, eau liquide et vapeur d’eau. Les transitions d’une phase à l’autre se passent soudainement, à des températures précises : 0 et 100 °C. C’est ici l’essence des transitions de phase : des sauts discontinus dans le comportement d’un système dès lors qu’un des paramètres franchit un seuil critique. On peut, à présent, explorer la dynamique de ces transitions de phase en se servant de modèles numériques. On y trouve des schémas communs à toute transition de phase.

Deux mathématiciens allemands, Heinz-Otto Peitgen et Peter H. Richter, étaient en train d’étudier un modèle pour des transitions de phase magnétiques quand ils ont découvert toute une nouvelle famille de fractales. Et pourtant, profondément enfouie dans les bulles fractales…

Elle réapparaît… Son identité est surprenante… Nous devrions peutêtre nous mettre à croire à la magie…

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Les zones floues du calcul La méthode d’Isaac Newton pour résoudre des équations par de meilleurs conjectures successives a été utilisée par des mathématiciens pendant des siècles avant que le mathématicien britannique considéré comme un fondateur de l’école moderne de mathématiques, Arthur Cayley [1821–1895], ne se rende compte qu’entre les différentes solutions aux problèmes, il existait une immense zone grise complexe.

Un siècle plus tard, les infographies ont révélé que cette zone floue était également fractale.

À l’intérieur, il y avait des copies d’ensembles de Julia et leur cousin orthogonal, l’ensemble M, parfaitement détaillés.

Le fait que l’on retrouve l’ensemble de Mandelbrot dans bon nombre de fractales différentes est dû au phénomène d’universalité. De grandes classes de systèmes différents possèdent essentiellement des attracteurs similaires. Cela a été découvert dans le cas unidimensionnel par Mitchell Feigenbaum en 1978, qui s'est servi d’une calculatrice et de beaucoup de stimulants ! 99

Les mathématiques des rides L’ensemble M est à la fois ridé et gaufré, tout comme le monde naturel. Avant la géométrie fractale, il n’existait pas d’outils pour décrire les aspects du monde que nous expérimentons. Les montagnards sont souvent déroutés par le manque de traits distinctifs qui peut faire qu’un sommet semble se trouver juste derrière un autre, pour découvrir finalement un énorme vallon entre eux et le sommet.

Toute partie d’une montagne ressemble à la montagne dans sa totalité. Une fronde de fougère ressemble à une fougère entière. Il s’agit là d’une caractéristique fondamentale dissimulée dans la croissance de tout organisme complexe. Les mêmes formes peuvent se retrouver dans des circonstances différentes, dans des matériaux tant organiques qu’inorganiques, dans une grande gamme d’échelles. Une petite portion de notre système sanguin ressemble au système entier. Cela ressemble à un arbre, un estuaire ou un lit de fleuve.

100

Les modèles naturels La nature trouve la même solution à de nombreux problèmes différents, tels que le drainage des eaux de pluie des terres vers les océans, ou le retour de notre sang depuis l'extrémité de nos doigts jusqu'au cœur et inversement. Les modèles dont se sert la nature sont des fractales. Les nuages ont la même forme quelle que soit l’échelle considérée. Il est impossible de déterminer la taille d’un nuage à partir d’une photographie.

Estuaire du Gange (Inde)

Les nuages ont la même dimension fractale sur 10 ordres de magnitude Ce sont les objets . fractals les plus uniformes de notre planète

Pourquoi ?

Les nuages se forment à partir de la condensation de minuscules gouttelettes d’eau, ce qui se produit de manière assez aléatoire quand les conditions adéquates sont réunies. Toutefois, une fois formés, ils ont tendance à attirer d’autres minuscules gouttelettes en des points particuliers. C’est ainsi que sont créées les conditions nécessaires d’une fractale. 101

Feux de forêt : la frontière fractale Imaginons une plantation d’arbres espacés régulièrement par un jour très chaud, très sec. Tandis que la température grimpe, une feuille ou une brindille s’enflamme, et l'arbre entier s'embrase bientôt. Le processus est essentiellement aléatoire – les facteurs impliqués dépassent nos pouvoirs de prédiction. Mais dès lors qu’un arbre brûle, les flammes s'étendent assez facilement aux autres arbres voisins, et ce processus peut désormais être modélisé par des techniques itératives.

Nous ne pouvons déterminer quel arbre va s'embraser en premier, mais nous pouvons dire comment le feu va se propager. Le feu aura une frontière fractale. 102

Davantage de transitions de phase Ce principe s’applique aussi bien à la propagation de maladies infectieuses qu’à la polarité magnétique des aimants ou encore aux feux de forêt.

Nous découvrons ici une dépendance très sensible aux conditions initiales, qui engendre des transitions de phase. Une fois un seuil critique dépassé, le feu se propage vers l’extérieur, la maladie devient une épidémie, le matériel devient magnétique.

103

Fractales électro-plaquées En 1983, Thomas Witten et Leonard Sander ont découvert une nouvelle façon d’examiner comment les dépôts de matériel s'accumulent par électroplacage. Leurs travaux ont donné lieu à un nouveau modèle appelé « agrégation limitée par diffusion » ou DLA. Les simulations réalisées sur ordinateur selon leur modèle sont identiques au processus réel.

Les simulations de la DLA en trois dimensions produisent des regroupements complexes avec une dimension fractale d’environ 2,5.

Cela nous rappelle les algues et les motifs que produit l'huile dans l’eau, un phénomène appelé digitation visqueuse.

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La digitation visqueuse Dans l’expérience bien connue de Hele-Shaw, on fait passer de l’eau à travers un petit trou au milieu d’une couche d’huile coincée entre deux plaques de verre.

La digitation visqueuse ressemble fortement à l’agrégation limitée par diffusion (DLA).

Au début, l’eau s’étale uniformément, mais assez rapidement, l’interface grandissant de manière rectiligne entre les deux liquides devient instable et se divise en deux frondes ressemblant à des fjords, qui s’écartent de façon fractale et rappelant la croissance des coraux ou des plantes.

Toutes deux ont une dimension fractale d’environ 1,7 et il y a aujourd’hui de plus en plus d’indices montrant qu’ils sont liés mathématiquement. 105

La croissance par agrégation Les coraux grandissent par agrégation. C’est-à-dire par dépôts successifs de matière qui s’agrègent sur une surface en constante augmentation. Ils ressemblent beaucoup aux arbres qui croissent vers l'extérieur en faisant des ramifications en partant de l'intérieur. Cela s'apparente à la formation des flocons de neige, ou aux motifs de la DLA.

Deux branches de corail et un flocon de neige

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Le mouvement brownien et le monde quantique Le mouvement brownien, le déplacement d’une minuscule particule de fumée dû au bombardement constant de millions de molécules d’air invisibles, trace un chemin fractal de dimension proche de 2.

Même à une échelle bien plus petite, les particules subatomiques observées dans une chambre à brouillard présentent exactement le même comportement.

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La magie dimensionnelle Nous sommes fractals. Nos poumons, notre système vasculaire, nos cerveaux ressemblent aussi à des arbres. Ils sont des structures fractales. La géométrie fractale autorise des courbes fermées de longueur infinie et des surfaces fermées d’aire infinie. Elle autorise aussi des courbes avec un volume positif et des groupes de formes arbitrairement grandes avec exactement la même limite. C’est ainsi que nos poumons réussissent à maximiser leur surface au niveau des bronchioles.

La plupart des objets naturels – y compris nous humains – se composent de nombreux types différents de fractales qui s’interpénètrent, chacune avec des parties qui ont des dimensions fractales différentes. Par exemple, les tubes bronchiques des poumons humains ont une dimension fractale pour les sept premières générations de ramifications et une dimension fractale différente ensuite. 108

Nos poumons remplissent une surface aussi grande qu'un court de tennis dans un volume équivalent à celui de quelques balles de tennis seulement. 109

La loi de puissance trois quarts La géométrie fractale a révélé quelques idées d’une loi de portée universelle mystérieuse et appelée « la loi de puissance trois quarts ». Cette loi de puissance particulière modélise la manière dont une structure est liée et interagit avec une autre. Elle se base sur le cube de la racine quatrième.

De nombreuses lois de puissance trois quarts proviennent des mesures de systèmes apparemment sans lien, et modélisent la manière dont une structure varie avec une autre.

Cela fait longtemps que les physiologistes possèdent des connaissances empiriques sur la quantité de sang qui s'écoule dans notre système circulatoire, et son lien avec la taille physique des vaisseaux qui le transportent. Des études se servant de règles fractales ont révélé l’existence d’une loi de puissance trois quarts même dans notre système circulatoire. 110

Nos artères, qui ne représentent que 3 % de notre volume, peuvent apporter à chacune de nos cellules les nutriments nécessaires dans notre corps.

Nos artères, veines et bronchioles réussissent à s’entrelacer dans un volume avec une frontière commune.

Les artères qui apportent le sang et les veines qui le récupèrent ont besoin d’une interface commune au niveau de la surface de nos poumons, afin de réoxygéner le sang. Les artères doivent apporter à chaque cellule de notre corps des nutriments en utilisant un minimum de sang. Les reins, le foie et le pancréas sont autant d’organes bâtis selon les mêmes règles fractales d’autosimilarité. Il en va de même pour cet organe de loin le plus remarquable que nous connaissons sur Terre – le cerveau humain. 111

Le cerveau et ses mystères Une chose que l’on peut affirmer avec certitude s’agissant du cerveau est qu’il s’agit d’un assemblage très fractal ! Sa structure est de toute évidence fractale. Il suffit de le regarder pour s'en rendre compte. Il est très ridé et craquelé, présente de nombreuses circonvolutions et se replie de nombreuses fois sur lui-même.

Il existe une voie d’évolution naturelle partant des formes mathématiques universelles trouvées dans les lois de la physique et menant aux organes aussi complexes que le cerveau.

Il est particulièrement ironique que cet organe remarquable, siège de notre esprit, qui a créé ou découvert (nous ne savons pas lequel des deux) les règles mathématiques qui le régissent lui et l’Univers tout entier, ne puisse comprendre ou expliquer son propre fonctionnement.

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Connaître l’esprit de Dieu ?

Notre seule conscience – conscience qui construit et analyse les fractales et tout le reste – demeure mystérieuse pour elle-même.

Si nous comprenions le fonctionnement de notre cerveau, n’aurions-nous pas réussi à atteindre les sommets intellectuels conjecturés par Stephen Hawking dans son ouvrage A Brief History of Time [Une brève histoire du temps] − et n’aurions-nous pas, par conséquent, « connu l’esprit de Dieu » ? Comprendre le fonctionnement de notre cerveau représente probablement le plus grand défi auquel fait face la communauté scientifique en ce moment. La géométrie fractale est à l'avant-garde de la recherche dans ce domaine.

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Fractales et recherche médicale Tous les aspects de la nature obéissent à des règles mathématiques et impliquent quelques rugosités, et de nombreuses irrégularités. Par exemple, les surfaces complexes des protéines se replient et se plissent à travers un espace en trois dimensions avec une dimension d’environ 2,4. Les anticorps se fixent sur un virus selon leur compatibilité avec la dimension fractale spécifique de la surface de la cellule avec laquelle ils ont l’intention d'interagir.

Par conséquent, beaucoup de développements et découvertes en géométrie fractale ont un rapport avec les surfaces. 114

Virus et bactéries Les molécules réceptrices à la surface de tous les virus et bactéries sont fractales. Leurs techniques de positionnement, les méthodes que ces derniers emploient pour déterminer la chimie du corps qu’ils ont envahi ainsi que la manière dont ils vont interférer avec la chimie de ce corps et leurs fonctions de liaison sont révélées mathématiquement par le biais de règles déterministes de la géométrie fractale.

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Le Sida La dynamique du virus humain du Sida (Syndrome d'immunodéficience acquise) a été modélisée par géométrie fractale. Cette dernière apporte la réponse au mystère de longue date sur le temps inhabituellement long d’incubation du virus du Sida. De nombreux sujets atteints restent séropositifs une dizaine d’années avant que le virus ne décide de passer à l’attaque. Le début de la maladie complète se révèle dans le corps.

Au fur et à mesure que le système immunitaire se dégrade, le virus du Sida commence à se comporter de façon chaotique. Des études du virus à ce stade ont révélé des changements significatifs dans sa structure fractale.

La géométrie fractale permet de comprendre les différences structurelles qui interviennent à la fin de la phase d’incubation du virus.

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La détection du cancer Les cellules cancéreuses présentent une structure en surface plissée et gaufrée. Ces structures en circonvolutions affichent des propriétés fractales qui varient de façon significative au cours des différentes phases de croissance des cellules cancéreuses.

La géométrie fractale est utilisée pour effectuer une première détection de la présence de cellules cancéreuses dans le corps.

En utilisant des ordinateurs, des images mathématiques peuvent être obtenues, qui révèlent si les cellules sont sur le point, ou non, de devenir cancéreuses. L’ordinateur est capable de calculer la structure fractale des cellules. Si celles-là sont trop fractales, c’est mauvais signe. Quelque chose ne va pas avec ces cellules.

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Des femmes à risque La dimension fractale du matériel cancéreux est plus élevée que celle des cellules en bonne santé. Alan Penn, qui est professeur adjoint de mathématiques et d'ingénierie à l’université George Washington, décrit comme suit ses recherches.

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) des seins pourrait améliorer le dépistage de tumeurs chez les 4 millions de femmes à risque pour qui les mammographies sont inefficaces.

L’application clinique de l’IRM est entravée par la difficulté à déterminer si les masses sont bénignes ou malignes. La recherche s’est focalisée sur le développement d’estimations fiables de la dimension fractale qui pourraient améliorer la distinction entre masses bénignes et malignes du sein.

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Des os avec des bulles et des fractures Les fractures osseuses sont fractales.

La géométrie fractale est appliquée particulièrement et de manière plus efficace dans la guérison de fractures d’os fragiles.

Nos os contiennent des bulles d’air.

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Des battements fractals Les structures corporelles de tous les animaux de la nature sont fractales, ainsi que leur comportement (cf. les fractales en orchidée), voire même leur chronologie. Nos battements de cœur semblent rythmiques et réguliers, mais quand la structure de leur chronologie est examinée en détail, ils s’avèrent être légèrement fractals. Ce qui est très important. Nos battements cardiaques ne sont pas réguliers. Il y a toujours de très faibles variations.

C’est cette variation à très petite échelle de temps qui réduit l’usure normale du cœur notablement. De plus, des maladies cardiaques peuvent être détectées par des comportements fractals extrêmes et arythmiques. Si les battements du cœur étaient totalement réguliers, les tensions exercées sur le cœur seraient identiques à chaque battement. 120

Des solutions pratiques À ses débuts, Benoît Mandelbrot a trouvé les réponses les plus enthousiastes à ses idées novatrices chez les scientifiques en recherche appliquée qui travaillaient sur des domaines très pratiques – pétrole, formations rocheuses, métaux… Tout cela a changé à présent. Les fractales sont devenues un pilier de l'étude des structures de polymères et de matériaux céramiques, et servent à examiner des aspects moins réconfortants comme des questions de sûreté nucléaire.

Plusieurs géants multinationaux de par le monde ont mis sur pied des équipes spéciales pour résoudre des problèmes…

… utilisant la géométrie fractale

Structures de polymère à plusieurs grossissements

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Gisement de pétrole Une nouvelle et rafraîchissante approche pour le traitement de nombreux problèmes géologiques et géophysiques dérivée de la dimension fractale des couches de sable/schiste, de dessins de failles, de systèmes d'estuaires et de canaux est actuellement en place et s’avère utile.

On trouve beaucoup d’informations dans la coupe horizontale de dessins de failles.

Hans-Henrik Stolum

L’analyse de leurs longueurs variables, de leur façon de s’agglomérer … Il est et se relier, révèle des possible de les propriétés fractales. corréler, les comparer, les vérifier et même de les dater.

Guy Nason

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Le contenu fractal d’images en 2D de dessins de failles a permis de représenter de telles images en un nombre relativement petit d’équations, qui sont ensuite itérées. La décomposition des images en 2D en paquets de données plus petits qu’il ne faut pour représenter les pixels et leur recomposition ultérieure sont primordiales. La possibilité de recomposer des images en 2D avec un niveau de résolution plus grand mène à l'attrayante probabilité de prédire des erreurs même sous la limite de résolution sismique. Guy Nason et Alan McKeon

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Le ressort a sauté Un gros gaspillage a toujours constitué un problème inévitable et irritant dans l’industrie de la fabrication de ressorts, partout dans le monde. On estime que 10 % du fil, qui ressemble par ailleurs beaucoup à d’autres formes de fil avec une qualité de résistance à la traction et à la malléabilité, ne peut être utilisé pour faire des ressorts. Et la raison réside dans la structure fractale des molécules à l'intérieur du fil.

La technologie numérique nous permet de modéliser à présent la structure du fil et de la tester, l'évaluer et la caractériser.

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Par le passé, tester une bobine de fil de ressort prenait jusqu'à trois jours ; désormais, avec la géométrie fractale, le temps nécessaire a été réduit à seulement trois minutes ! Cela représente de très grandes économies et une efficacité croissante dans l’industrie du ressort.

Cette technologie a été accueillie aussi avec beaucoup de satisfaction dans les processus où la résistance et la malléabilité sont extrêmement importantes. Elle est mise en œuvre actuellement en joaillerie et dans l'industrie des fibres optiques, où les chercheurs ont trouvé des fibres fractales composées de fibres de fibres qui, sur le plan optique, sont les plus efficaces.

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Charges subies Des modèles statistiques faisant appel à la géométrie fractale sont employés aujourd’hui pour tester les limites de charges subies par les plates-formes pétrolières et par des avions lors de turbulences, notamment les effets de fortes bourrasques de courte durée.

Les antennes Des structures fractales ont été identifiées afin de fournir les meilleures formes pour les antennes intégrées aux téléphones portables.

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La détection Les militaires ont utilisé efficacement la géométrie fractale pour détecter des formes artificielles cachées dans des environnements naturels. Cette géométrie s’est avérée remarquablement efficace pour trouver et pister des sous-marins, ou suivre à distance les sillages de navires.

Avian Alexander, professeur à l'Université Queen’s à Belfast, en Irlande du Nord, a mis au point une base de données fractales d’empreintes de chaussures qui élimine la part subjective du processus d’identification pour les membres de la police scientifique. 127

L’écologie fractale La géométrie fractale est un nouveau langage mathématique. Nous voyons des fractales partout où nous regardons, chaque jour. Elles nous sont déjà très familières. Il n’est donc pas surprenant que la géométrie fractale aide à trouver une foule d’applications dans l’étude et la gestion de notre environnement. Un exemple frappant est celui des pluies dites acides.

La pluie est fractale, ce qui permet de suivre à la trace les polluants.

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Les tremblements de terre présentent une signature clairement fractale, tout comme les épidémies chez l’Homme.

L’autosimilarité à toutes les échelles constitue un facteur clef pour comprendre et décrire les phénomènes observés dans la nature.

Épicentres des tremblements de terre Puissance relevée 4,5 ou plus sur l’échelle de Richter

La corrosion révèle la nature fractale du processus, suggérant des voies et moyens pour remédier au problème.

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Fractales en orchidée et foules La géométrie fractale sert aujourd’hui à modéliser les mouvements de foule. Notre comportement en masse (sic) s'avère être fractal. Les recherches de G. Keith Still ont révélé certains aspects inattendus sur le comportement des foules humaines et comment gérer ces foules.

Notre comportement ressemble à celui des nuées d’oiseaux ou des bancs de poissons qui se déplacent comme un seul corps.

Les foules qui entrent dans les stades, qui s’y déplacent ou en sortent révèlent des schémas comportementaux remarquables. Tout en étant des individus, capables de décider par nous-mêmes de la direction à prendre, la distance à parcourir ou la vitesse de déplacement, nous agissons comme un seul organisme dans des situations serrées, animées et fluides. 130

Dans une foule, notre point focal devient la bulle de notre espace personnel et le peu que nous arrivons à distinguer au-delà. Les simulations sur ordinateur de mouvements de foule produisent des motifs extraordinairement beaux qui, à cause de leur nature fractale, ont la même structure, quelle que soit l’échelle considérée. Ces formes paraissent une fois de plus organiques. Elles sont aussi très belles.

Les modélisations de flux ressemblent à des motifs floraux, comme les orchidées. Les travaux de Still sont utilisés pour la conception de stades, mais aussi pour la modélisation complexe d'écosystèmes. 131

Le paradoxe d’Olbers L’une des plus belles fractales de la nature est le ciel nocturne. Où que vous regardiez, il y a une étoile. Entre deux étoiles, il y a toujours d’autres étoiles. En 1826, l’astronome allemand Wilhelm Olbers [1758–1840] a soutenu que pour un univers suffisamment grand, le ciel devrait être d’une luminosité uniforme.

Pourquoi le ciel est-il noir la nuit ? Le ciel entier devrait être aussi lumineux que le Soleil.

Puisque la luminosité décroît selon le carré de la distance de la source lumineuse, tout comme la taille apparente, la quantité totale de lumière provenant d’une direction quelconque de l’espace devrait toujours être la même. 132

En 1909, Edmund Edward Fournier d'Albe, physicien irlandais, a proposé un modèle pour s'attaquer à ce problème de distribution de matière dans l’Univers. Il disait : « prenez cinq points, quatre disposés en carré et un au centre. Remplacez chaque point par une copie de taille réduite de cette même figure. Ne vous arrêtez pas là ! Continuez, en remplaçant chaque point de ce nouveau schéma par une copie plus petite de la forme entière. Et ainsi de suite… ».

À la limite, vous obtiendrez la fractale de Fournier. Bien qu'extrêmement simplifiée, elle montre qu’un univers infini doit être uniformément lumineux dans toutes les directions, s'il possède une structure fractale. 133

Le Grand Mur Les planètes s’assemblent pour former des systèmes solaires. Les étoiles se regroupent pour former des amas d'étoiles. Les amas d’étoiles s'assemblent pour former des galaxies. Les galaxies se rejoignent pour former des amas. Ces amas poursuivent ce processus pour constituer des superamas galactiques.

Les principaux groupes de galaxies se trouvent à moins de 16 mégaparsecs de la Terre.

En 1986, les astronomes ont découvert que certains amas galactiques étaient composés d’énormes agglomérations de matière étalés sur un million d’années-lumière de large. En 1989, un gigantesque amas de galaxies connu sous le nom de Grand Mur a été découvert par John Huchra et Margaret Geller au Centre d’astrophysique Harvard Smithsonian. 134

La véritable géométrie de l’Univers en trois dimensions ressemble à de la mousse. Toute la matière de l’Univers – les étoiles, les planètes et tous les autres fragments (connus et sans doute inconnus aussi) – se trouve dans les bulles de cette mousse. Entre les amas de galaxies, il existe d'énormes vides, ne contenant rigoureusement rien.

Cette structure de l’Univers en forme de mousse est fractale

Elle est Elle ne identique à toutes se lisse les échelles

jamais

En se servant de fractales, les chercheurs peuvent à présent modéliser l’évolution et la structure – voire même le devenir – des nuages de poussière interstellaire. 135

Le Big Bang Il s'avère que l'Univers est fractal sur des échelles allant jusqu’à 100 millions d’années-lumière, avec une dimension fractale comprise entre 1 et 2. Maintenant que nous savons qu’il est fractal à toutes les échelles observables, les cosmologistes peuvent considérer sous ce nouvel angle l’un des problèmes entourant la théorie du Big Bang de l’Univers.

Rien

n’indique que l'Univers est ouvert ou fermé.

La lettre grecque oméga représente le rapport entre la densité de la masse cosmique observée et la densité critique à partir de laquelle la gravité ferait s’effondrer l’Univers sur lui-même. Il s'avère que l'Univers est positionné précisément à cette valeur critique, son oméga étant pratiquement égal à 1. Il est « plat ». 136

De nombreux cosmologistes et physiciens, tels que Stephen Hawking et ses collègues, ont admis qu’un univers avec un oméga égal à 1 pose d’énormes problèmes pour le modèle du Big Bang. Il existe beaucoup d'autres problèmes autour de la théorie du Big Bang, qui nécessitent toujours d'être résolus. Le colauréat suédois du prix Nobel Hannes Alfvén [1908–1995] à l'origine de la théorie du plasma de la cosmologie, s'est exprimé sur le sujet.

Un Big Bang aurait certainement produit une expansion… mais une expansion n’aurait pas nécessairement besoin d’un Big Bang

Si tous les chiens sont des animaux, tous les animaux ne sont pas des chiens

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Connexions cosmiques Tout comme la géométrie fractale permet aujourd’hui aux cosmologistes de jeter la lumière sur ces problèmes épineux, les dernières versions de la théorie inflationniste du Big Bang impliquent que l’Univers est en réalité une fractale autogénératrice, qui crée sans cesse d’autres univers en dehors de lui. Cela signifie que non seulement la structure de l'Univers est fractale, mais son évolution aussi.

D’après cette théorie inflationniste, une réaction en chaîne donne naissance à une structure fractale d’univers contenus dans des univers. Vue sous cet angle, l’évolution, quelle que soit l’échelle considérée, n’aurait pas de fin. 138

Comment voyons-nous ? Notre cerveau produit des images d'une résolution bien supérieure à celles enregistrées par nos yeux. La résolution rétinienne est limitée par la qualité de l’image fournie par le cristallin et la cornée, par la nature de la lumière ellemême (exactement comme la limite de résolution d’un télescope) et par la séparation et la taille des photorécepteurs qui détectent l’image.

Nous donnons constamment des détails à partir de notre expérience passée – à partir de ce que le cerveau sait…

… afin de compléter le témoignage incomplet de notre expérience actuelle.

Des mathématiques innovantes peuvent imiter le fonctionnement de nos esprits en capturant les motifs fondamentaux de la nature. 139

La compression d’images fractales Le professeur Michael Barnsley [né en 1946] croit que notre cortex visuel se sert d’un algorithme fractal pour optimiser notre sensibilité à des traits et détails importants dans notre champ visuel.

En se servant d'une méthode de calcul sophistiquée, Barnsley a développé une forme de compression d’images qui permet de réduire des images à une fraction de leur taille initiale, puis de les agrandir jusqu'à n’importe quelle taille sans pixellisation.

La compression fractale d’images permet même de deviner, par interpolation, ce qui se trouve en dehors du cadre d'une image.

Une équipe de scientifiques du Georgia Institute of Technology, menée par Barnsley, a découvert une méthode pour reproduire des formes même très complexes de manière réaliste, par un processus appelé « transformations affines », qui ressemblent à l’original.

140

Les transformations affines Les images du monde réel contiennent des informations redondantes. L’écorce d’un arbre présente des motifs qui se répètent, avec de petites variations. Si nous copions et agrandissons un morceau…

… l’étirons…

… et le retournons



… il peut ressembler aux autres morceaux de l’écorce. Le processus de rotation, d’étirement et de déplacement est appelé une transformation affine. Toute transformation affine peut s’exprimer en termes mathématiques avec seulement un petit ensemble de nombres appelé carte affine. Ces nombres sont des coefficients qui sont insérés dans une équation classique. 141

La morphogenèse Les implications que ces transformations affines pourraient avoir sur la morphogenèse (la manière dont les formes se développent chez les organismes vivants) dans le monde réel restent encore à explorer. Mais en termes pratiques immédiats, les scientifiques espèrent que ces transformations leur permettront d’élaborer des moyens efficaces pour stocker des données complexes dans des mémoires numériques, de transmettre des photos par des lignes téléphoniques et de modéliser des paysages naturels sur ordinateur.

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Les satellites Cela fait des décennies que les satellites météorologiques sont opérationnels et nous fournissent des informations utiles. Les satellites d’espionnage ou de reconnaissance qui patrouillent constamment autour de la Terre produisent des images de zones d’intérêt militaire spécifique avec une définition des milliers de fois plus précise que celle des satellites météorologiques ! Les satellites militaires sont requis pour transmettre des quantités gigantesques de données vers la Terre.

La compression de données – la possibilité de comprimer des images, de les transmettre, puis de les agrandir à nouveau par le destinataire – est devenue une nécessité de priorité absolue pour les militaires. 143

Les marchés financiers On trouve aujourd’hui presque autant de fractales en économie qu'en sciences de la vie. Benoît Mandelbrot a publié son travail le plus récent en 1998. Il s'intitule Fractal and Scaling in Finance : Discontinuity, Concentration, Risk. C’est un autre ouvrage dense et fort impressionnant. Et, comme pour ses autres travaux, il constitue un réel défi. Reposant sur ses considérations, il propose ici un nouveau monde de problèmes mathématiques. L'ouvrage a fait l’objet d’une critique dans la revue Scientific American sous le titre : « UNE PROMENADE FRACTALE DANS WALL STREET… ».

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Voici comment Mandelbrot livrait le fond de son argumentation.

Les modèles les plus simples de variations de prix se conforment à la forme la plus ordinaire d’aléatoire, l’aléatoire d’une particule subatomique en mouvement ; les physiciens appellent cela le mouvement brownien, mais sur les marchés financiers, s’agissant de prix qui fluctuent, on appelle cela « une promenade aléatoire dans la rue ». L’aléatoire, qu’il soit simple ou raffiné, constitue une idée intrinsèquement difficile qui semble s’opposer aux faits ou aller à l’encontre de nos intuitions. Dans le domaine de la physique, il se heurte aux cas de causalité évidente – par exemple un prix qui s’envole en raison d’un événement particulier.

Mouvement brownien à une dimension à différentes échelles.

Deux joints de culasse de Sierpinski dessinés de façon aléatoire.

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Quelles sont les règles ? Mandelbrot avait toujours été convaincu que ses recherches avaient démontré que les probabilités, les statistiques et la géométrie fractale pouvaient réellement aider à décrire mathématiquement ce qui se passait sur les marchés. Il y avait des règles sous-jacentes qui devaient être découvertes et démasquées.

Il existe déjà une base mathématique étendue pour les fractales et multifractales. Les motifs fractals n'apparaissent pas seulement dans les fluctuations de prix en bourse, mais aussi dans la distribution de galaxies dans le cosmos, la forme des littoraux et les motifs décoratifs générés par d’innombrables programmes informatiques. La fractale est une forme géométrique qui peut être subdivisée en parties, chacune étant une réplique exacte à plus petite échelle de la forme entière.

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L’importance de l’échelle : résultats de lancers de pièce

Dans la finance, ce concept n’est pas une abstraction ex nihilo, mais une reformulation théorique d’un aspect terre à terre d'un marché folklorique − à savoir que les mouvements d’actions ou de monnaies ont tous l’air semblables quand le graphique d'un marché est élargi ou réduit de manière à ce qu'il suive une même échelle de temps et de prix. Un observateur ne peut alors pas distinguer les données relevant des prix qui changent de semaine en semaine, de jour en jour ou d’heure en heure. Cette qualité définit les graphiques comme des courbes fractales et offre un grand nombre d’outils puissants d’analyse mathématique et informatique. 147

L’auto-affinité des marchés Un terme plus spécifique permet à présent de qualifier la ressemblance entre le tout et les parties : l’auto-affinité. C’est une propriété proche de l'aspect le plus connu de la géométrie fractale − l’autosimilarité − où chaque élément d’une image est rétréci ou agrandi par le même facteur exactement. Les graphiques des marchés financiers sont cependant très loin − nous le savons fort bien − de montrer cette caractéristique d’autosimilarité.

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Dans le détail d’un graphique où les éléments sont plus hauts que larges – comme le sont les mouvements fluctuants de prix d’une action en bourse – la transformation du tout en parties devra réduire l’axe horizontal plus que l’axe vertical. Pour un graphique de prix, cette transformation devra réduire l’échelle de temps (l'axe horizontal) plus que celle des prix (l'axe vertical). Le rapport géométrique du tout aux parties s’appelle alors l’auto-affinité. L’existence de propriétés qui ne changent pas n’a pas la faveur de la plupart des statisticiens. Mais les physiciens et les mathématiciens, comme moi-même, les adorent et les appellent les invariances, et ils sont très contents quand ils ont des modèles qui présentent une propriété d’invariance attrayante. Pour vous donner une idée de ce dont je parle, dessinez un graphique simple, où vous insérerez des modifications de prix du temps 0 au temps 1 par étapes successives. Les intervalles eux-mêmes sont choisis de manière arbitraire ; il peut s’agir d'une seconde, d’une heure, d'un jour ou d’une année. 149

Les génératrices Le processus démarre avec un prix, représenté par une ligne droite de tendance. Puis, une ligne en pointillé, que Mandelbrot appelle la génératrice, est utilisée pour créer le motif qui correspond aux fluctuations du prix, telles qu’on les voit sur les marchés financiers.

La génératrice comprend trois segments qui sont insérés (interpolés) le long de la ligne droite de tendance. (Une génératrice avec moins de trois segments ne permet pas de modéliser un prix qui peut monter ou descendre.) Après avoir délimité la génératrice initiale, trois autres segments sont interpolés, plus courts que les précédents. La répétition de ces étapes reproduit la forme de la génératrice, c’est-à-dire la courbe des prix, mais à des échelles comprimées.

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SI L’ON DÉPLACE UN SEGMENT de la génératrice fractale vers la gauche…

… cela crée la même quantité d’activité commerciale sur un intervalle de temps plus court que pour le premier segment de la génératrice et une quantité identique dans un intervalle de temps plus long pour le second segment…

… Le mouvement de la génératrice vers la gauche entraîne une activité commerciale de plus en plus volatile.

L’axe horizontal (échelle de temps) comme l’axe vertical (échelle de prix) sont comprimés, de sorte qu’ils s’inscrivent à l’intérieur des limites de chaque segment de la génératrice. Dans les illustrations ci-contre, seules les premières étapes sont montrées, mais le même processus continue. En théorie, il n’a pas de fin, mais en pratique, cela n’a pas de sens de faire des interpolations sur des intervalles de temps plus courts que ceux entre les transactions commerciales, qui peuvent survenir en moins d’une minute. Il est évident que chaque segment finit par avoir une forme assez semblable à celle du tout. Cela signifie que l’invariance d’échelle est présente simplement parce qu’elle y est incorporée. La nouveauté (et la surprise) réside dans le fait que ces courbes fractales auto-affines recèlent une grande richesse de structures − à la base de la géométrie fractale et de la théorie du chaos.  

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Au-delà de la théorie du portefeuille Quelques génératrices choisies peuvent produire des courbes appelées unifractales qui illustrent l’image plutôt tranquille d’un marché inclus dans la théorie moderne du portefeuille. Mais cette apparente tranquillité n’existe que si certaines conditions extraordinairement spéciales sont remplies uniquement par ces génératrices particulières. Les suppositions qui sous-tendent ce modèle simplificateur constituent l’une des erreurs centrales de la théorie du portefeuille. C’est un peu comme la théorie de la houle qui interdirait des vagues de plus de deux mètres. La beauté de la géométrie fractale réside dans le fait qu’elle rend possible l’existence d'un modèle suffisamment général pour reproduire à la fois les motifs qui caractérisent les marchés calmes de la théorie du portefeuille, ainsi que les conditions de transactions boursières tumultueuses fréquemment rencontrées.

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Les multifractales La méthode que nous venons de décrire pour créer un modèle de prix fractal peut être modifiée pour montrer comment l’activité des marchés accélère ou ralentit – l’essence même de la volatilité. Cette variabilité est la raison pour laquelle le préfixe « multi- » est ajouté devant le terme « fractal ». Mandelbrot soutenait que la probabilité, les statistiques et la géométrie fractale pouvaient et continueraient d'aider à décrire les évolutions des marchés financiers.

Les techniques que je propose s’approchent, non pas nécessairement d’une prévision de hausse ou baisse de prix en un jour ou une heure donné(e), mais estiment la probabilité de telle ou telle évolution du marché et indiquent comment s’y préparer. En d’autres termes, elles représentent une lueur d’ordre dans la jungle apparemment impénétrable du marché financier.

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Les fractales dans l’art : les mandalas Comme Mandelbrot l’a lui-même souligné : « Les fractales présentent quelque chose de familier. C’est ce que j’ai ressenti immédiatement : lorsque je les ai vues pour la première fois, j’étais le premier à les voir ! Personne ne pouvait les avoir vues avant moi. Et pourtant, en quelques jours seulement, ou parfois en quelques heures, voire minutes, elles étaient devenues presque familières. J’y recherchais des caractéristiques que j’avais déjà vues quelque part. Mais où les avais-je vues ? D’abord au sein de phénomènes naturels, mais certainement aussi dans des œuvres d’art. »

Si l'on zoome vers la bordure d’un ensemble M, nous y trouverons des îlots de molécules de plus en plus petits entourés de motifs circulaires de plus en plus complexes, qui évoquent l’art oriental et en particulier les dessins bouddhiques appelés mandalas.

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– ya – na, la nature fractale de la réalité est illustrée Dans le bouddhisme maha dans l'Avatamsaka Sutra (Soutra de l'ornementation fleurie) par la métaphore du filet d’Indra, un vaste réseau de joyaux suspendus partout dans le palais du dieu Indra, disposés de telle façon qu’en en regardant un, vous y verrez le reflet de tous les autres.

Dans chaque grain de poussière il y a d’innombrables bouddhas.

Nous savons qu’il existe dans le cerveau des zones qui traitent spécifiquement les formes, les couleurs et le mouvement. Benoît Mandelbrot a avancé que nous possédons peut-être un circuit cérébral dédié spécifiquement à la complexité fractale.

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Les motifs décoratifs : l’autosimilarité Les motifs abstraits, les arabesques de l’art décoratif ancien islamique retrouvés dans les mosaïques et les dessins des tapis continuent d’être visibles à toutes les échelles de grossissement de la frontière de l’ensemble de Mandelbrot.

Arthur C. Clarke pense que c’est peut-être une pure coïncidence, « mais », écrit-il, « l’ensemble de Mandelbrot, en effet, semble contenir un nombre incroyable de mandalas ou de symboles religieux trouvés dans des modèles ecclésiastiques – tels que les vitraux, et plus particulièrement ceux de l’art islamique. Nous trouvons des formes comme le motif paisley qui fait écho à l’ensemble de Mandelbrot plusieurs siècles avant qu'il ne soit découvert ! »

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Des formes fractales avaient intuitivement été dessinées par des artistes bien avant leur reconnaissance en science. Des motifs autosimilaires apparaissent dans les artefacts celtiques, comme des spirales et des cercles à l'intérieur de cercles dans les pages magnifiquement illustrées d'enluminures du Livre de Kells datant du début du ixe siècle ou du miroir de Desborough fabriqué au Ier siècle avant J.-C. On trouve une connaissance quasi mathématique des fractales dans l’art romain et égyptien et dans les travaux des civilisations aztèque, inca et maya d’Amérique Centrale et du Sud. Des formes qui rappellent fortement la courbe de Koch ont été utilisées pour représenter des vagues chez l’artiste hellénique auteur d’une frise de l’ancienne cité grecque d’Akrotiri sur l’île de Santorin.

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Les échelles et la répétition La Grande Vague à Kanagawa de l’artiste japonais Katsushika Hokusai [1760–1849] et Le Déluge de Léonard de Vinci [1452–1519] dépeignent une profonde sensibilité des artistes à la dynamique de l’eau, avec sa répétition toujours décroissante de détails.

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L’une des œuvres préférées de Ian Stewart est une gravure sur bois de Hokusai intitulée Chute d’eau de Nachi dans le parc national de Yoshino, dans laquelle « la forme centrale ressemble à une griffe, qui apparaît à différentes échelles et subit des transformations dans l’eau, sur les rochers, sur le cheval et chez les deux hommes en plein effort. C’est bien cette forme récurrente qui confère unité, diversité et intégrité à l’œuvre ».

Plus proches de nous, Salvador Dalí [1904–1989] et M. C. Escher [1898–1972] ont exploité tous deux l’idée de formes contenant des copies d'elles-mêmes. Les tableaux de l'expressionniste abstrait Jackson Pollock [1912– 1956] peuvent être datés de manière fiable simplement à partir de leur dimension fractale.

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Des indices dans le paysage L’art porte sur des choses que nous ne reconnaissons ou ne comprenons pas toujours immédiatement. L’artiste nous aide à voir les choses plus clairement, révélant des motifs que nous n’avions pas vus auparavant. L’art est fractal. L’art reflète et exprime la nature fractale de nos perceptions conscientes du monde, telle qu'elle est interprétée par nos cerveaux fractals.

Bill Hirst [né en 1953], chercheur et photographe britannique, a écrit : « Si vous éliminez les indices tels que l’horizon d’une scène de paysage, il devient difficile de dire si vous contemplez des cailloux, des rochers ou des collines. »

« Il y avait là quelque chose que je souhaitais comprendre. Il ne s'agissait pas d’ordre ou de chaos mais de quelque chose d’intermédiaire. Puis cela m'est revenu sous forme de flash – il s'agissait des fractales ! »

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Les fractales en musique L’analyse spectrale en musique, de la musique classique aux berceuses, montre une affinité remarquable avec des motifs de la nature, en particulier une distribution fractale dénommée bruit en 1/f, retrouvée dans le bruit que fait une chute d’eau ou dans celui des vagues déferlant sur une plage.

Le bruit en 1/f est à mi-chemin entre le chaos total du bruit blanc (mélange de toutes les fréquences, parfaitement aléatoire…) … .

… et le bruit brun qui lui est trop corrélé.

Toute la musique, de Bach jusqu’aux Beatles, y compris les chants d’oiseaux, est caractérisée par le bruit en 1/f, qui affiche le même équilibre dynamique entre sa prédictibilité et la surprise, entre la monotonie terne et la discorde aléatoire. Vue sous cet angle, la musique est essentiellement une simulation de l’harmonie dans la nature. 161

Dysfonctionnement dans l'architecture moderne

Un bâtiment dessiné par Mies Van der Rohe [1886–1969] renvoie son échelle à Euclide… … tandis qu’un édifice de la belle époque des Beaux-Arts est riche en détails fractals. .

Il est parfaitement concevable que le faible niveau de complexité fractale des centres-villes modernes contribue fortement aux nombreux cas de dépression signalés dans ce type d'environnement. Ces bâtiments modernes – gratte-ciels, tours, usines – ne fonctionnent pas en réalité au sens premier du terme. Ils ne remplissent pas le rôle qui leur était destiné. Ils sont devenus des sujets de haine et de décision. Ils sont facilement dénigrés. Ils deviennent de plus en plus laids et, dans une spirale infernale, même moins « utiles ». 162

L’architecture organique La cathédrale inachevée de la Sagrada Familia d’Antoni Gaudí [1852–1926] à Barcelone offre un exemple frappant d’architecture fractale. Elle est organique. Elle est riche en détails. Elle est expressive. Elle est interactive et captivante. Ses courbes qui s’envolent et virevoltent, et ses ramifications détaillées crient « fractale » ! L'édifice semble presque vivant. Cette qualité organique, fractale est bien sûr constante dans toute l’œuvre de Gaudí.

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Des traditions fractales On peut dire la même chose de l'Opéra Garnier à Paris (1875), avec ses sculptures baroques détaillées complexes.

Les cathédrales gothiques et les églises constituent pour la plupart d’excellents exemples de traditions fractales. Les détails, les caractéristiques d’autosimilarité qui sont réduits dans tous les édifices reflètent le monde vivant et confèrent à ces édifices une vie et une chaleur que l'on ne retrouve pas dans l’architecture moderne utilitaire. 164

La force des détails L’architecture constitue non seulement une expression de l'esprit humain d'un point de vue utilitaire, mais aussi une œuvre d’art. Les architectes classiques accordaient beaucoup d'attention aux détails à toutes les échelles et à la manière dont leurs bâtiments apparaissaient. Il y a de la force dans les fractales. Une structure en réseau fractal offre la résistance maximale à n'importe quel poids de matériau.

Les détails . fractals sont en réalité plus utiles que les lignes droites fonctionnelles du modernisme.

Regardez la tour Eiffel de 1889…

Les tambours fractals font peu de bruit. Cela s’explique par le fait que les formes fractales s’avèrent très efficaces pour amortir les oscillations, suggérant qu’elles sont aussi probablement plus résistantes que d’autres formes. 165

Fractologie Les ethnographes ont récemment découvert des preuves du fait que les sociétés africaines traditionnelles sont modelées, bien qu'inconsciemment, à partir de formes fractales. Des photographies aériennes de villages traditionnels africains montrent une structure clairement fractale des ramifications des rues, ainsi que des enclos rectangulaires récursifs et des habitations circulaires.

Vue aérienne de Logone-Birni, au Cameroun

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« Des structures récursives à différentes échelles existent dans d’autres domaines de la culture africaine – dans l’art, la religion, les techniques indigènes et même dans les jeux. Dans les justifications de conception et la sémantique culturelle de nombre de ces formes géométriques, se trouvent des idées abstraites et des structures formelles qui sont analogues à quelques-uns des aspects fondamentaux de la géométrie fractale. Ces résultats sont aussi conformes aux récents développements dans la théorie des systèmes complexes, qui suggèrent que les sociétés prémodernes, non étatiques n’étaient ni totalement anarchiques, ni figées dans un ordre statique, mais exploitaient une flexibilité adaptative, qui tirait pleinement parti de la géométrie fractale et des aspects non linéaires de la dynamique écologique. » Dr Ron Eglash, Département des études scientifiques et technologiques, Institut polytechnique Rensselaer, Troy, État de New York.

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Quo vadis ? À partir de 1975, l’année où Mandelbrot a inventé le mot « fractal », et jusqu’en 1980, ce terme n’est apparu que dans quelques revues scientifiques. À partir de 1990, 5 000 articles étaient publiés par an avec le mot « fractal » dans leur titre. Cela représentait un nouvel outil qui pouvait être utilisé dans toutes les disciplines scientifiques, quoique peut-être, comme Leo Kadanoff [1937–2015] de l’université de Chicago analysait : « Indépendamment de la beauté et de l’élégance des observations phénoménologiques sur lesquelles le champ est basé, la physique des fractales, pour de nombreuses raisons, est un sujet non abouti. On peut espérer et même subodorer qu'au final, un fondement théorique sera développé pour asseoir cette discipline. » Nous n'en sommes qu'aux balbutiements, mais quand on lui demandait si les fractales débouchaient sur quelque chose, Arthur C. répliquait…

On me demande souvent, et bien, ces images sont toutes très jolies…

… quelle est leur valeur pratique ?

Je suis enclin à répondre par les célèbres paroles de Faraday, quand on lui demandait à quoi pouvaient servir ses jeux avec des fils et des aimants…

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quelle est l’utilité d’un nouveau-né ?

Tout le monde n’est pas d’accord… Dans un récent et cinglant article publié dans The Mathematical Intelligencer, Steven G. Krantz [né en 1951] de l’université de Californie à Santa Cruz a écrit : « Mandelbrot est doué pour inventer de jolies questions. Je ne pense pas qu’il ait jamais démontré un quelconque théorème comme conséquence de ses recherches, mais ce n’est pas ce qu’il revendique. Il se décrit lui-même comme un philosophe des sciences. » Pour sa défense, Mandelbrot a fait les déclarations suivantes.

Les problèmes concernant la manière de définir les mathématiques aujourd'hui ou savoir si oui ou non je peux être classé parmi les mathématiciens…

… importent peu. D’importantes conséquences découlent de mon imagination et de mes jolies questions dans bon nombre de domaines… Ces questions ne sont ni discrètes, ni hasardeuses…

… Elles proviennent toutes d’une source unique Nul doute que Krantz condamne les philosophes des sciences à n’être que des commentateurs et critiques de ce que font les autres. Je ne suis rien sinon dans l’action.

Mandelbrot s’est toujours considéré comme un homme d’action. Sa géométrie représente le monde réel, celui des actions et réactions, des causes et effets. C’est le monde qui fait – et nous pouvons accomplir des choses grâce à sa géométrie. « Mon travail et celui de ceux qu’il a inspirés ne sont sûrement pas à ranger dans les revues philosophiques, mais dans celles dédiées aux mathématiques fonctionnelles, à la science et à l'art. » 169

Le talent particulier de Mandelbrot Mandelbrot s’est vu décerner le prix Wolfe de mathématiques en 1993. Cette récompense a été décernée au Dr Benoît Mandelbrot parce qu’il a su « changer la manière dont nous percevons le monde grâce au concept de la géométrie fractale ». C’est tout à fait exact. Ian Stewart, mathématicien et champion de géométrie fractale, a résumé l'essentiel de l'histoire de Mandelbrot dans son livre Does God Play Dice ? [Dieu joue-t-il aux dés ?]

Bien que toutes les pièces du puzzle fussent étalées devant nous depuis des générations, il a fallu attendre les talents particuliers de Benoît Mandelbrot pour les assembler

Il a eu raison d’ajouter cela à son entrée dans le Who’s Who

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et pour convaincre les gens que l'image résultante en valait la peine.

L’ordre est là-bas Nous venons à peine d'entrevoir ce que la géométrie fractale peut nous permettre de réaliser. Voici le point de vue de Ian Stewart : « Grâce au développement de nouvelles théories mathématiques comme la géométrie fractale, des motifs de la nature plus insaisissables commencent à révéler leurs secrets. Nous commençons déjà à percevoir un impact pratique ainsi qu'intellectuel. »

Notre récente compréhension des régularités secrètes de la nature sert aujourd’hui à diriger des satellites artificiels vers de nouvelles destinations avec bien moins de carburant qu’on ne l'avait cru possible, à éviter l’usure des roues des locomotives et autres véhicules roulants, à améliorer l’efficacité des pacemakers, à gérer les forêts et les zones de pêche, et même à concevoir des lave-vaisselles plus efficaces. Mais, par-dessus tout, elle nous offre une vision approfondie de l'Univers dans lequel nous vivons et de notre place dans ce dernier. 171

Bibliographie The Fractal Geometry of Nature [La géométrie fractale de la nature], de Benoît B. Mandelbrot (W.H. Freeman, New York, 1977). C’est le résultat d’un séminaire sur la géométrie fractale et le premier exposé de Mandelbrot sur sa découverte. Un livre remarquable, mais très technique. The Emperor’s New mind [Le nouvel esprit de l’Empereur], de Roger Penrose (Vintage, Londres, 1990). Explore les mystères de l’esprit et de la conscience, et comprend un chapitre fascinant sur les fractales et l’ensemble de Mandelbrot ou − comme Penrose l'appelle − The Land of Tor’ Bled-Nam. Does God Play Dice ? [Dieu joue-t-il aux dés ?], de Ian Stewart (Penguin, Londres, 1990). Une introduction réfléchie et amusante aux mathématiques nouvelles de la théorie du chaos, qui explore minutieusement la géométrie fractale dans ce contexte et retrace l’historique de la théorie. The Turbulent Mirror [Le miroir trouble], de John Briggs et F. David Peat (Harper et Row, New York, 1989). Un guide très créatif et illustré du chaos et des fractales. Très amusant. Fractals – Images of Chaos [Les fractales – Des images du chaos], de Hans Lauwerier (Penguin, Londres, 1991). Ce volume mince est facile à lire, mais assez technique. Vous devez avoir des notions de mathématiques pour en profiter. Dynamical Systems and Fractals [Systèmes dynamiques et fractales], de Karl-Heinz Becker et Michael Dörfler, traduit par Ian Stewart (Cambridge University Press, Cambridge, 1989). Couvre les mathématiques du chaos, les fractales et les dynamiques complexes, et s’adresse aux lecteurs avec une culture technique qui sont familiarisés avec les ordinateurs. The Ghost From the Grand Banks [Le fantôme des grandes banques], d’Arthur C. Clarke (Victor Gollancz, Londres, 1993). Dans ce roman imaginatif où un bateau ayant coulé est remonté du fond de l’océan, l’auteur introduit astucieusement en une toute petite description un ensemble de Mandelbrot. Leadership and the New Science [Les dirigeants et les nouvelles sciences], de Margaret J. Wheatley (Berrett-Koehler, San Francisco, 1992). Ce livre montre comment les nouvelles mathématiques nous renseignent sur la manière dont nous organisons notre lieu de travail et comment les choses peuvent être améliorées dans le futur. Les fractales jouent un rôle important dans l’argumentation de l’auteur. 172

Fractals Everywhere [Des fractales partout], de Michael Barnsley (Academic Press, San Diego, 1988). L’un des tout premiers ouvrages sur la géométrie fractale. C’est un travail révolutionnaire, mais sans aucun doute destiné aux plus mathématiciens d'entre nous. Fractals – the Patterns of Chaos [Les fractales – les motifs du chaos], de John Briggs (Thames and Hudson, Londres, 1992). C'est un livre de salon superbement illustré qui capte et explore les caractéristiques fractales du monde naturel à la lumière de la théorie du chaos. The Web of Life [La toile de la vie], de Fritjof Capra (HarperCollins, Londres, 1996). L’auteur présente une synthèse radicale de découvertes scientifiques capitales récentes dans la théorie de la complexité, la théorie du chaos et en géométrie fractale. From Here to Infinity [D’ici à l’infini], de Ian Stewart (Oxford University Press, Oxford, 1987). Considéré comme le parfait guide des mathématiques d'aujourd'hui, ce livre est très abordable et plaisant à lire. Fractal Geometry, Mathematical Foundations and Applications [Géométrie fractale, fondements mathématiques et applications], de Kenneth Falconer (John Wiley, New York, 1990). Une analyse profonde de la théorie des fractales et de la dimension de Hausdorff, et de leurs applications physiques. Mazes for the Mind [Des labryrinthes pour l’esprit], de Clifford A. Pickover (St Martin’s Press, New York, 1992). Une exploration visuelle aux confins de la recherche informatique sur le monde étrange du fromage de Cantor et des champs de fourmis fractales. The Science of Fractal Images [La science des images fractales], édité par Heinz-Otto Peitgen et Dietmar Saupe (Springer-Verlag, Berlin, 1987). Un beau livre qui comporte des recettes d’étonnantes constructions fractales.

Remerciements Les auteurs sont infiniment redevables à Ian Stewart et Michael Barnsley en particulier, mais aussi à Arthur C. Clarke et à Roger Penrose pour leurs conseils, leurs encouragements et leur soutien dans la production de ce livre. Mais notre plus gros « merci » s'adresse évidemment à Benoît Mandelbrot pour son courage, son obstination, sa bienveillance et sa brillante découverte. 173

Fractals Everywhere [Des fractales partout], de Michael Barnsley (Academic Press, San Diego, 1988). L’un des tout premiers ouvrages sur la géométrie fractale. C’est un travail révolutionnaire, mais sans aucun doute destiné aux plus mathématiciens d'entre nous. Fractals – the Patterns of Chaos [Les fractales – les motifs du chaos], de John Briggs (Thames and Hudson, Londres, 1992). C'est un livre de salon superbement illustré qui capte et explore les caractéristiques fractales du monde naturel à la lumière de la théorie du chaos. The Web of Life [La toile de la vie], de Fritjof Capra (HarperCollins, Londres, 1996). L’auteur présente une synthèse radicale de découvertes scientifiques capitales récentes dans la théorie de la complexité, la théorie du chaos et en géométrie fractale. From Here to Infinity [D’ici à l’infini], de Ian Stewart (Oxford University Press, Oxford, 1987). Considéré comme le parfait guide des mathématiques d'aujourd'hui, ce livre est très abordable et plaisant à lire. Fractal Geometry, Mathematical Foundations and Applications [Géométrie fractale, fondements mathématiques et applications], de Kenneth Falconer (John Wiley, New York, 1990). Une analyse profonde de la théorie des fractales et de la dimension de Hausdorff, et de leurs applications physiques. Mazes for the Mind [Des labryrinthes pour l’esprit], de Clifford A. Pickover (St Martin’s Press, New York, 1992). Une exploration visuelle aux confins de la recherche informatique sur le monde étrange du fromage de Cantor et des champs de fourmis fractales. The Science of Fractal Images [La science des images fractales], édité par Heinz-Otto Peitgen et Dietmar Saupe (Springer-Verlag, Berlin, 1987). Un beau livre qui comporte des recettes d’étonnantes constructions fractales.

Remerciements Les auteurs sont infiniment redevables à Ian Stewart et Michael Barnsley en particulier, mais aussi à Arthur C. Clarke et à Roger Penrose pour leurs conseils, leurs encouragements et leur soutien dans la production de ce livre. Mais notre plus gros « merci » s'adresse évidemment à Benoît Mandelbrot pour son courage, son obstination, sa bienveillance et sa brillante découverte. 173

Biographies Nigel Lesmoir-Gordon a créé sa première société de production, Green Back Films, en 1976 et a travaillé pour Donovan, Pink Floyd, 10cc, Squeeze, Rainbow, Joe Cocker, Big Country et Wings. Il a rejoint par la suite l'équipe créative de l’Agence gouvernementale de l’information britannique (COI), a écrit et dirigé les séries documentaires pour la télévision internationale This Week in Britain [Cette semaine au Royaume-Uni] et Living Tomorrow [Vivre demain]. Ses œuvres incluent une série de films très appréciés sur la Royal Air Force, Saving the Children [Sauver les enfants], un documentaire sur les femmes qui travaillent pour des œuvres de charité pour enfants, The Bobby Charlton Story et la série Whatever You Want pour Channel Four de la BBC. En 1995, il a produit le documentaire primé The Colours of Infinity [Les couleurs de l’infini], présenté par Sir Arthur C. Clarke, sur la découverte de l’ensemble de Mandelbrot et le développement de la géométrie fractale. Ce documentaire a été diffusé jusque-là dans une douzaine de pays à travers le monde. Il vient de terminer Is God a Number ? [Dieu est-il un nombre ?], un documentaire qui explore les mystères de la conscience et quelques découvertes remarquables réalisées récemment en mathématiques. Will Rood s’est vu décerner le Senior Optime en mathématiques par l’université de Cambridge, où il avait obtenu son diplôme de master en 1992 pour ses recherches sur la théorie des ensembles transfinis. L’année précédente, il avait lancé une société de design et de logiciels, SoundNatureVision, qui produit de la musique influente et des progiciels graphiques pour le système d’exploitation RISC-OS. Programmant en langage assembleur, il a commencé à explorer le monde étrange et beau des fractales et des automates cellulaires qui prennent vie au travers de son application d’affichage étonnamment adaptable ! NatureVision. Ses animations fractales ont embelli de nombreux documentaires télévisuels, figurant largement dans ceux de Nigel Lesmoir-Gordon, tels que The Colours of Infinity et Is God a Number ? et dans le programme Equinox de Channel Four, de même que dans des vidéos d'artistes aussi variées que The Infinity Project, Mike Scott et Star Sounds Orchestra. Ses œuvres ont orné de nombreuses revues, pochettes de disques, affiches et T-shirts. Infinit, une exploration visuelle de la géométrie fractale, est sorti en vidéo en 1997. Will Rood est aussi éditeur scientifique pour le magazine Dream Creation et consultant pour le projet Imax de Ron Fricke, The Infinite Journey [Le voyage infini]. Ralph Edney est l'auteur de deux romans graphiques et l'illustrateur de Philosophy for Beginners [La philosophie pour les nuls]. Il est aussi dessinateur, illustrateur et mordu de cricket. 174

Index

A

Accélération 11 Agrégation, cf. DLA Agrégation limitée (diffusion), cf. DLA Alexandre, Avian 127 Algorithme 55 Analyse 14 Antennes de portable 126 Architecture 162−165 Art 154−160 Art islamique 156 Attracteur (Lorenz) 94 Attracteurs étranges 45, 48−49 Auto-affinité 148 Autosimilarité 25, 28, 148 Avions et turbulences 126

B

Bactéries 115 Battements du cœur 120 Big Bang 136−139 Bouddhique (art) 154−155 Bourbaki (groupe) 78 Brownien (mouvement) 107

C

Calcul différentiel 10, 13 Cancer 117−118 Cantor (ensemble de) 20−21, 24−25, 27, 81−84, 88 Cantor, Georg 9, 18−21 Cartographie (Julia) 90 Cauchy, Augustin 12, 14 Cayley, Arthur 99 Cerveau humain 111−113 Chaos (théorie) 54, 61, 94 Ciel nocturne 132 Clarke, Arthur C. 156, 168 Compression d’images 140 Comptage de boîtes (méthode) 30

Écologie 128−129 Ensemble de Julia (dendrites) 89 Ensemble de Mandelbrot 90−93, 96−100 Ensemble parfait 21 Ensembles de Julia 71, 86−93, 99 Escher, Maurits 38 Étoiles 132, 134 Euclide 9, 25

Feux de forêt 102 Figuier 60 Flocon de neige 28 Ford, Joseph 55 Foule (mouvements) 130−131 Fournier, Jac 133 Fractale (compression d’images) 140 Fractale (dimension) 28−41 Fractale (formes, nature) 4−6, 41 Fractale (géométrie) 7 Fractale (origine) 7 Fractale (première) 14−21 Fractale en orchidée 131 Fractales (avions) 126 Fractales (corps humain) 108−120 Fractales (dans l’art) 154−160 Fractales (dans la nature) 101−102, 128−138 Fractales (en architecture) 162−165 Fractales (en musique) 161 Fractales (industries) 121−127 Fractales (marchés financiers) 146−155 Fractales (origine) 8 Fractales (recherche sur le Sida) 116 Fractales (règles) 134 Fractures osseuses 119

F

G

Continuum 18 Corps humain 108−113, 139−141 Côtes (mesure) 34−35 Courbe (coins) 14 Courbe (de Koch) 26−29, 37, 81−82 Courbe (remplissage) 22−23 Courbes et calcul différentiel 13 Culture africaine 166−167

D

Dérivées 11 Diagonale (coupe) 18 Différentiation 11 Dimension 24 Dimension de similarité 28 Dimension topologique 23 DLA 104−106 Digitation visqueuse 104

E

Failles géologiques 122−123 Fatou, Pierre 70−72 Feigenbaum (constante) 64−66 Feigenbaum (point de) 60 Feigenbaum, Mitchell 64, 99

Galaxies (amas) 213−214 Gaudí, Antoni 163 Geller, Margaret 134 Génératrices 150 Géométrie classique 9 Géométrie fractale 7 Gödel, Kurt 63 Grand Mur 134

175

H

Halley, Edmond 10 Hausdorff (dimension) 36 Hausdorff, Felix 24, 28−31 Hawking, Stephen 113 Hele-Shaw 105 Hirst, Bill 160 Huchra, John 134

I

IBM 80 Images sur ordinateur 8 Infini 18 Infinitésimal 10, 12 Intégration 11 Itération 55, 70

Richter, Peter 98 Russel, Bertrand 17

N

S

Nason, Guy 122−123 Nature (attracteurs) 49 Nature (formes) 4−6, 41 Newton, Sir Isaac 10 Nombres 15 Nombres (complexes) 15, 67−68 Nombres entiers 15, 18 Nuages 101

O

J

Julia, Gaston 70−72

Olbers, Wilhelm 132 Orbites chaotiques 60 Orbites elliptiques 10 Oscillation 59

K

P

Kadanoff, Leo 168 Kepler, Johannes 10 Krantz, Steven G. 169

L

Laplace, Pierre-Simon 13 Lei, Tan 93 Leibniz, G. W. 10 Li, Tien Yien 61 Logarithmes 238 Loi de Newton 95 Loi de puissance trois quarts 110 Lorenz, Edward 33

M

Malthus, Thomas 52 Mandelbrot, Benoît 29−37, 73−77, 144−155, 169 Mandelbrot, Szolem 74 Marchés financiers 146−155 Maxwell, James Clerk 13 May (Sir Robert) 58 McKeon, Alan 123 Modèle de prix 146−155 Morphogenèse 142

176

Mouvement (nature) 12 Musiques (et fractales) 161

Peano, Giuseppe 22−3 Peitgen, Heinz-Otto 98 Penn, Alan 118 Penrose, Roger 19, 96 Période (doublement) 59, 61, 64−65 Pétrole 122, 126 Plan (complexe) 68−72 Planètes 10, 60, 134 Pluie acide 128 Poincaré, Henri 9, 50−51 Points de bifurcation 59 Police scientifique 127 Population 52−55 Portefeuille (théorie) 152 Poumons 108

R

Recherches médicales 114−118 Récursive 166−167 Repoussoirs 71 Ressorts (fil de) 124−125 Rétroaction 52−4 Rétroaction négative 52−53 Richardson, Lewis 32−37

Sander, Leonard 104 Sarkowski, Alexei 62 Satellites 143 Saturne (anneaux) 95 Sierpinski (triangle de) 38−47, 57 Sierpinksi, Vaclav 38 Smith, Henry 20 Stanley, Eugene 4 Sterat, Ian 3, 171 Still, G. Keith 130 Stolum, Hans-Henrik 122 Swift, Jonathan 32

T

Taux de changement 11 Thermodynamique (lois) 13 Transformations affines 141 Transitions de phase 98, 103 Tremblements de terre 129 Triangle de Pascal 46

U

Univers 132−138 Universalité 99 Usages militaires 127

V

Verhulst (modèle) 53−54, 58 Virus du Sida 116 Vision humaine 139−141

W

Wallis, John 68 Weierstrass , Karl 9, 12, 14 Wheeler, John A . 3 Whitten, Thomas 104

Y

Yorke , James 61

Z

Zénon 12