Leibniz - dynamique et métaphysique (; suivi d'une note sur le principe de la moindre action chez Maupertius) [*, 2 ed.] 2700733258

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Leibniz - dynamique et métaphysique (; suivi d'une note sur le principe de la moindre action chez Maupertius) [*, 2 ed.]
 2700733258

Table of contents :
1. La thèse de Leibniz et la critique contemporaine .............. 1
2. Les premières conceptions de physique ......................... 8
3. La dynamique : la méthode a posteriori ........................ 21
4. La dynamique : l'origine des principes et de la méthode a posteriori ...... 56
5. La dynamique : la méthode a priori ............................ 110
6. Dynamique et métaphysique ..................................... 155
7. Du degré de réalité de la force dérivative .................... 186
Note sur le principe de la moindre action chez Maupertius ........ 214
Appendice I ............ 237
Appendice II ........... 242
Index .................. 245

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LEIBNIZ

7 COLLECTION

ANALYSE ET RAISONS CoMITE DE DIRECTION MARTIAL GUEROULT Membre de l'I nstitut Professeur au College de France PAUL RICCEUR Professeur a la Sorbonne YvoN BELA VAL Professeur a la Sorbonne V1cToR GOLDSCHMIDT Professeur a Ja FacuJte des Lettres de Clermont-Ferrand

GILLES-GASTON GRANGER Professeur a la FacuJte des Lettres d 'Aix-en-Provence

ANALYSE ET RAISONS

MARTIAL GUEROULT

LEIBNIZ DYNAMIQUE ET METAPHYSIQUE suivi d'une

NOTE SUR LE PRINCIPE DE LA MOINDRE ACTION CHEZ MAUPERTUIS

*

AUBIER - MONTAIGNE 13 Quai de Conti - Paris

© 1967 by Editions Aubier-Montaigne., Paris

AV ANT-PROPOS

Cette etude qui a entraine son auteur quelque peu en dehors des travaux qu'il poursuit, et du domaine qui lui est familier, n'aurait pas vu le jour sans l'aimable insistance d'un collegue. Issue de reflexions et de conversations decousues, ordonnees d'abord en vue d'un article dont le cadre devint trop etroit, eHe aboutit a un livre qui ne reste malgre tout qu'une introduction. Si certaines questions on ete approfondies, d'autres (pour ne citer que celle des rapports avec la physique de New­ ton) n'ont ete que succinctement esquissees. Nous nous en exousons aupres du lecteur. Qu'il nous soit pennis en meme temps de remercier ici MM. THIRY, correspondant de l'Institut, DANJON et FLAMANT, de la Faculte des Sciences de Strasbourg, pour l'aide qu'ils nous ont cordia­ lement apportee dans l'eclaircissement de certaines difficultes d'ordre scientifique. M. GUEROULT

A VERTISS.EMENT DE LA SECONDE EDITION

Cette seconde edition est une reproduction photographique du livre paru en 1934, dans la coUection des Publications de la Faculte des Lettres de I' Universite de Strasbourg (Fascioule 68), sous le titre Dyna­ miq� et Metaphysique leibniziennes. On y trouvera, jointe en Appen­ dice, une note (parue en 1935 dans le Bulletin de la Faculte des Lettres de Strasbourg) sur Catdan et Conti. Elle vise a dissiper une confusion entre les deux personnages. En substituanit au titre primitif ce titre plus simple: Leibniz, I, Dynamiqi,u et Metaphysique, nous avons voulu i·ndiquer que cette etude pourrait etre suivie d'autres portant sur les principes, la notio primitiva simplex, la substance, l'espace et le temps, etc ... En complement de cet ouvrage, nous renvoyons au livre de M. Pierre Costabel sur Leibniz et la Dynamique (Paris, Hermann, 1960). On y verra que notre analyse a ete confirmee par la decouverte en 1956 de deux ecrits leibniziens datant de 1692-1693. Nous renvoyons egale­ ment au Tome XXI (1944) de 1'6dition des CEuvres completes de .. Huyghens par la Societe neerlandaise des Sciences, ou sont examinees (pp. 505-506) certaines de nos GQnclusions. M.G.

CHAPITRE

I.

LA THESE DE LEIBNIZ ET LA CRITIQUE CONTEMPORAINE (1).

Caractere unilateral des interpretations, surtout des interpretations contemporaines. - Liaison intime de la Dynamique et de la Metaphysique selon Leibniz. - Dis­ sociation de la Dynamique et de la Metaphysique, d'apres Cassirer, Hann� quin, Couturat, Russell. - Necessite d'une recherche prejudicielle sur les premieres conceptions physi qu es.

C'est un dogme universellement re>, Cf. JAGODZINSKY, Leibnitiana . . . , p. 1 6, cite par Riv AUD, Ibid. , p. I O I . - Sur !'exclusion du repos, Ibid. , p. 1 1 6 .

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LA THEORIA MOTUS CONCRETI

clans le mouvcment. « Si corpus motum impingat in quiescens, totum perforabit sine ulla refractione, etsi impingens arenacci grani magni­ tudine, redpiens mille leucarum crassitie esset » (1) . La cohesion d'un corps provicnt du mouvement interne par lequel les parties integrantes opposent leur conatus et se pressent les unes contre les autres par une action contrairc, ct de la penetration commern;ante qui resulte de cette pression ( 2 ) . Explication qui offre, comme on l"a fait remarquer, bien des difficultes . Comment, en effet, une telle cohesion pourrait-elle durer plus d'un instant, puisque deux conatus egaux, de sens oppose, doivent s'annu1 er dans leurs effets, et comment la meme p artie p o ur­ rait-elle faire effort dans tous les sens a la fois, de fa�on a etre en cohesion avec toutes les p arties qui l'entourent ? ( 3 ) Quoi qu'il en soit, si cctte explication suffit pour rendre compte de l'impenetrabilite qui est une p1·emiere fonne de resistance au mou­ vement, elle ne saurait rcndre compte de l'inertie naturelle, ou paresse des corps, ou masse, seconde forme de ce tte resistance, en vertu de laquelle comme !'experience nous l�enseigne, un corps plus grand resiste a une meme impulsion, plus qu'un corps plus petit, et en pro­ portion de sa grandeur ( 4 ) . 11 y a done opposition entre les lois de la physique abstraite et celles de la physique concrete . 11 est impossible, semble-t-il, comme on le postulait tout d'abord, de passer du mouvement abstrait au mouvement concret . Le detail des differentes lois du mouvement abstrait le prouverait egalement . En particulier, les faits de l'acoustique� de l'optique, n'existent que p arce que }'experience clement l'inegalite de !'angle d'incidence et de l'angle de reflexion, sauf dans le cas de !'incidence a 30°, inegalite affirmee par la theorie du mouvement abstrait ( 5 ) . L a Theoria motus concreti v a essayer de venir a bout d e cette opposition. Pour passer des lois abstraites au monde concret, il faut

( 1 ) P . IV, p. 1 88 . HANNEQUIN, Ibid., p. 1 42 . Ces vues etaient deja indiquees des , 1 669 par Le?bniz, dans l'opuscule qu'il remet a Eric Maurice, et ou ii refute les traites d e Wren et de Huyghens parus anterieurement. Cf. M . I, p. 44. - KABITZ, op . cit., p . 1 3 5 sq. ( 2 ) P. IV, Theoria, §§ 1 5 - 1 6, p . 230. - A HOBBES, 12 juillet 1 670, P. I, p. 84. A ARNAU LD , I, p . 7 2 . - HAN N EQUIN, Ibid. , p. 1 00- 1 0 1 . ( 3 ) HANNEQUIN, Ibid., p . 1 02 . t' ) P . I V , p . 1 9 1 , § 2 2 . ( 6 ) P . IV, p . 1 8 7 - 1 90.

LA THEORIA M OTUS CONCRETI

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supposer une intervention de la sagesse de Dieu, qui cree dans le monde une economie telle que les effets prochains des lois abstraites se trouvent modi fies par leurs effets eloignes, si bien qu'il en resulte des effets reels entierement differents, qui sont les phenomenes sensibles. Ces effets reels sont lies a l'intervention de certains facteurs: masse, elasticite, pesanteur, mouvements sympathiques (aimantation) et antipathiq�es (reactions chimiques) . Ainsi, pour expliquer qu'en fait l'angle d'inci­ dence est toujours egal a l'angle de reflexion, il faudra considerer que les corps ne sont plus seulement definis par les limites immuables de leur figure geometrique, mais sont capcihles de reprendre entierement leur forme, apres l'avoir provisoirement laisse alterer, bref qu'ils possedent l'elasticite. Pour expliquer que le conatus du corps choque ne se propage pas integralement au corps choquant, quelle que soit la grandeur de celui-ci, il faudra admettre que chaque corps possede une paresse naturelle proportionnelle a sa quantite de matiere, bref une masse (1 ) . Mais ces facteurs devront se resoudre en notions intelli­ gibles pour la theorie du mouvement abstrait. En consequence, on observera que si le corps choque n'est pas un seul co'.rps continu pos­ sedant son conatus propre, mais une file de corps discontinus possedant chacun leur conatus, la soustraction se reproduira avec chaque element de la file, si bien que la vitesse communiquee en fin de compte au bout de la file, dependra du nombre des elements constituants, c'est­ a-dire de la grandeur du corps. Ainsi il faudra substituer le discontinu au plein pour retrouver les lois de la physique concrete. L'apparition de la masse s'expliquera done par la division du plein primitif en elements reellement separes par des intervalles qui ne sauraient etre vides, mais remplis d'une matiere plus subtile (2). Pour deriver des lois du mouvement abstrait celles du monde concret, il . f a udra alors nous representer par !'imagination le procede que Dieu, dans sa sagesse, a pu employer pour differencier progres­ sivement l'homogene physiquement indifferencie, instituant de la sorte a partir des lois abstraites, les facteurs determinants des pheno­ menes concrets (3) . Cette hypothese sur les origines aidera notre ima­ gination a decouvrir les causes des phenomenes actuels, car ce qui (1) P. IV, p . 1 8 3, 1 87- 188 ; 202, 2 1 6. ( 2 ) Ibid. , p . 1 9 1 ; 2 34. - HANNEQUIN, p . 1 04-108 . - Leibniz hesite encore toutefois vers �671 a exclure definitivement la possihilite du vide. Cf. A. R1vAU D , art. cit. , p . 1 1 3. ( 3 ) P. IV, p . 1 83 , 1 88 ; 2 1 9, 248, 25.?.

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LA TBEORL\ MOTUS CONCRETI

se passe actuellement n'est que la continuation de l'origine ou un perpetuel commencement ( 1) . Cette hypothese est celle de l'ether dont !'existence est attestee par la transmission de la lumiere. Lorsque Dieu a voulu organiser l'economie de ce monde visible, il a cree en lui une differenciation primitive qui rendait possible la lumiere, et il _ a fait surgir un corps emetteur : le soleil, un corps recepteur : la terre, un milieu transmetteur : l'ether. Soleil et terre sont animes d'un mouvement de rotation autour de leur axe, mouvement qui conditionn e leur cohesion et qui les dif­ ferencie de l'espace homogene. L'ether transmet dans tous les sens, a partir du soleil, les rayons lumineux emis par celui-ci ; les rayons ou particules d'ether frappent la terre avec une vitesse prodigieuse. Ils la penetrent par les endroits OU Sc! cohesion est minima, c'est-a-dire dans l'intervalle de ses cercles paralleles et la differencient progres­ sivcment, donnant naissance a la terre proprement dite, a l'eau et a l'air, elements eux-memes differencies en bulles constituees de bulles plus petites a l'infini. Bien que la terre tourne reellement dans l'ether immobile, tout se passe comme si, la terre etant immobile, l'ether tournait autour d'elle dans une direction contraire a la sienne. Les matieres heterogenes de la terre (eau, air, terre) genent la circulation de l'ether, qui d'ailleurs penetre partout. Alors, OU hien l'ether les rej ette vers le centre de la terre : c'est la pesanteur ; ou hien, il separe les parties qui le genent en les faisant tendre vers une suhtilite egale a la sienne : c'est l'elasticite. La circulation de l'ether confere done a tous les corps la capacite de reprendre leur forme lorsqu'ils ont ete comprimes, comme d'ailleurs lorsqu'ils ont ete dilates, car la dila­ tation de l'un est la compression de l'autre. Ainsi la pesanteur est imposee aux corps tres-coherents, et l'elasticite aux corps moins co­ herents. Mais, de meme qu'il n'y a pas de corps qui ne soient en quelque mesure pesants, car ils ont des parties physiquement inseparables (par ex. l'air), de meme il n'y a pas de corps qui ne soient en quelque sorte elastiques, hien que cette elasticite ne puisse pas touj ours triompher de la cohesion des elements. Enfin Leibniz explique de la memi fa.; on les phenomenes d'aimantation et les phenomenes chimiques, les pre­ miers, comme la pesanteur, par la depression des corps dont la cohesion

( 1) > P. IV, p. 1 8 3 .

INSUFFISANCE �U POINT DE VUE PHYSI QUE

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est trop forte pour etre dispersee, les seconds, comme l'elasticite de l'air, par l'action dispersive de l'ether sur les corps de faible cohesion (1). L'insuffisance de cette conception se marque par l'impossihilite ou se trouve Leibniz d'assurer la conservation du mouvement dans le monde. Sans doute, ii soutient la conservation du moment de vitesse. Les conatus opposes subsistent integralement dans un meme corps, et leur soustraction n'est qu'une compensation reciproque de leurs effets ( 2). Mais la perpetuelle composition des conatus doit finalement detruire le mouvement total, en reduisant a zero le degre de vitesse, f et a l'identite les diverses directions. En ef et, l'addition des conatus ne peut accroitre la vitesse totale, tandis que leur soustraction la diminue regulierement . Apres le premier moment de composition, les deux conatus effacent leurs directions propres dans une direction rectili gne. Or, le mouvement impliquant difference reciproque de direction, }'effacement progressif des directions multiples conduit a un mouvement unique selon des lignes paralleles, c'est- a- dire au repos. « Plures circulationes con�ri cotre in unam, se u corpora omnia tendere ad quietem seu annihilationem » ( 3). Par la eclate le divorce entre le monde des corps et celui des esprits. L'un detr uit ce que l'autre conserve. I}esprit, en effet, non seulement conserve aux conat us leur degre de vitesse, mais il conserve le souvenir et d...e leur direction et du changement de cette direction (courbure). Le corps ne se souvient des deux conatus opposes qu'au seul instant de leur concours. Ensuite, il les efface dans une addition algebrique et ne se souvient que de la direction selon la tangente, oubliant la loi de courbure. Le corps n'est done qu'un « esprit momen­ tane » ( 4), et c'est pourquoi il n'a point de sentiment, car il faut se souvenir au moins pendant plus d'un instant pour pouvoir etablir entre deux conatus (action et reaction) la comparaison qui constitue la sensation ( 5). Pour supprimer }'opposition entre ces deux mondes et maintenir comme il est necessaire la meme quantite totale de vitesse dans l'uni( 1 ) P. IV, 1 8 1 sq. Cf. Manuscrits de 1 676, edites par JAGODZINSKY, p . 1 4. Cite

par RivAUD, art. cit . , p. 1 00, note 3. (2) P. IV, p . 229 ; a A R N A u L n , I , p . 7 2 . ( 3 ) P . VII, p. 259- 26 1 , H A N N E Q U I � , op . cit. , p . 9 2 s,1 . ; 1 60 . ( 4 ) P. IV, p . 230 ( § 1 7 ) ; I, p . 7 3 . ( 5 ) A. ARNAULD, I , p. 72 ; a Fred. d e Hanovre, 2 1 m a i 1 691 , I, p. 52. -- D e m o nstrationu m Catholicarum conspectu s , Pars II, cap. 1 et 2, cf. KABITZ, op . cit . , p . 90 sq. et 1 58. - HANNEQU I N , op. cit . , p. 1 66. - A . HivAVD, art. cit . , p. 1 1 3.

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INSUFFISANCE AU POINT DE VUE PHYSIQUE

vers, il faut supposer que !'esprit intervient pour sauver le mouvement de la destruction a laquelle le conduisaient les lois p uremcnt geome­ triques : « Si corpora sint sine mente, impossibile est motum fuisse aeternum » . (1) On peut d' abord concevoir qu'une intelligence supreme a agence « l'economie » du monde de fa�on que le mouvement s'y entretienne par le simple j cu de ses lois. Ainsi elle a cree le plein, informe les choses de sorte que tout mouvement des corps cl ans ce plein soit regenere par des rencontres perpetuelles, menageant de nouveaux chocs p our qu'en chaque point de l'espace interviennent des conatus aptes a modi fier le mouvement rectilign e en mouvement circ11laire . Mais cette « economie » p arait en elle- meme insuffisante, car les chocs ainsi me­ nages, en se repetant finiraient, meme dans le plein, p ar reduire, pro­ grcssivement la vitesse a zero. 11 faut done admettre en outre une action immanente de l'esprit. Le conatu.s, en effet, considere en lui­ meme comme indivisible geometrique et vitesse elementaire, ne dure qu'un instant et ne contient rien qui se refere au passe et a l'avenir. Pour qu'il puisse se repeter et se sommer de fa�on a engendrer le mouvement durant dans le temps, il fa ut le concevoir comme ex­ priman t un indivisible superieur qui le conserve et le repete, c'est-a- dire qui est souvenir et tendance, done esprit : « nullus conatus sine motu durat ultra momentum praeterquam in mentibus » ( 2 ) . Cet indiv isible durant domine le mouvement dont ii est le principe, tandis que l'in­ divisible instantane n'est qu'un element a l'interieur du m ouvement. Ainsi !'esprit, grace a la memoire, conserve tous les conatus, d ans une harmonie ou rien n e se pcrd, leur permettant de subsister, de se repeter, de s'integrer pour produire un mouvement dans la duree. L'Esprit est done immanent a tous les mouvements, la trame de leur duree . Les mouvements circul aires de l'univers s'enveloppant a l'in fini ne font qu'exprimer adequatement une hierarchie d'ames. Au centre de chaque cercle se trouve une ame, point mathematique autour duquel se groupent comme !'infinite des angles in finiment p etits, les points geometriques ou conatus qui conco urent en elle et sont ses actions comm�n�antes, noyau substantiel du corps qui se repand dans I' etendue. Vers ce point sans dimension, conver.gent tous les rayons, toutes les vitesses angulaires ; en cette souveraine indivisi( 1 ) P. VII, p. 259-260. - l-IANNEQUIN, Ibid., p. 1 6 2 - 1 6 3 . ( 2 ) P . IY, p . 230.

INSUFFISANCE AU POINT DE V U E PHYSIQ{.jE

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bilite viennent coincider les lignes de la vision, de l' ouie, du tact. Or, de meme que les harmonies partielles que sont les esprits finis ne resultent pas des conatus qu'ils integrent et rendent possibles, de meme l'harmonie universelle dont Dieu est le siege, ne resulte pas des harmonies partielles, mais les rend possibles. Dieu n'est plus seu­ lement cause de l'harmonie, mais harmonie universelle des esprits, laquelle s'exprime exterieurement par l'harmonie du monde (1). L'har­ monie apparait en consequence comme le fondement dernier ., et pour ne pas dire unique, des lois du mouvement : elle est source du mouvement, car elle exige la variete et la variation; elle exclut le vide, puisqu'elle exige le maximum d'etre; elle fonde la constance de la quantite de mouvement, puisqu'elle pose la compensation generale ; elle etablit la sympathie de tous les corps, determine les lois du concours des conatus : « Harmonia, id est conatus». ( 2). L'insuffisance de la theorie physique a done pour correlatif une intervention puissante du metaphysique et du psychique dans le physique, une transpos1t10n du phoronomique en psychologique. L'esprit est conc;u comme condition du mouvement dont il constitue !'essence, et Dieu n'est plus cause eminente, mais formelle, de l'har­ monie universelle. La metaphysique ne nous renvoie pas simplement a un substratum situe derriere le monde p henomenal que ses propres lois suffisent a fonder, elle se mele a la science pure, car celle-ci ne suffit plus a expliquer par elle seule un phenomene qui semble a chaque instant conditionne par l'action de la puissance spirituelle. Livre a ses seules ressources, le mecanisme est incapable de fournir le principe (succedane de la masse) grace auquel l'element positif de la nature (qu'on l'appelle vitesse, mouvement, force) ne saurait ni diminuer n1 augmenter. On doit done concevoir que c'est une exigence de la pensee scien­ tifique qui conduisit d'abord Leibniz vers une physique plus precise (1) A Jean Frederic de Hanovre, P. I, p. 53, 61-62 . - A Arnauld, I, p. 72-73. A Hobbes, I, p. 83. - Hypothesis nova, § 2 1 , IV, p. 1 87 sq. - Lettre a Thomasius, dee. 1670, I, p. 33. - Pacidius Philalethi (Archiv I, p. 2 1 2), CoUTURAT, frag. ei opuscules, p . 623-624 >, - Cf. HANNE• QUIN, op . cit . , p . 1 56- 1 60 ; 192 - 1 96 ; 2 1 5 sq. (2) Cf. A. RivAUD, art. cit . , p. 1 00- 1 0 1 ; 103 ; 1 1 2 ; 1 1 6- 1 17.

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INSUFFISANCE AU POINT DE VUE METAPHYSIQUE

et plus complete, capable de rendre a la science son autonomie, de satisfaire a ce besoin, eprouve p ar tout esprit verse a la fois dans la philosophie et les m athematiques, d'une conservation de quelque chose d'absolu ( 1) . Et il semble bien que cet achevement de la science, et que ce progres de son autonomie devrait avoir pour resultat de la detacher de la metaphysique en rendant inutile !'intervention a l'interieur de la physique des principes d'harmonie. M ais on doit se demander s'il n'y a pas d'autre mode d'unir la science et la metaphysique, qu'une confusion entre les deux, si l'har­ monie ne peut p a s fonder l'univers leibnizien autrement qu'en v.ertu d'une in firmite de la physique, et surtout si la metaphysique, souffrant elle-meme de c ette confusion, n'aspirait p as pour sa part a s'en liberer. Dans ce cas, l'effort de la pensee scientifique, se trouverait naturelle­ ment conj ugue, chez Leibniz, avec un effort « conspirant » de la pensee meta physi que . Or, il est evident que les theses de l' llypothesis physica nova soulevaient autant de difficultes en matiere p urement philoso­ phique qu'en matiere s cientifique� C'est un dogme metaphysique, professe p articulierement par tous les Cartcsiens, que tout ce qu'il y a de positif dans la nature ne peut j amais s'annuler ni s'entre-detruire, mais seulement s'unir et s ' aj o uter pour consti­ tuer finalement par son ensemble la souveraine .realite de l'Etre in fi.ni. Un veritable accord entre la metaphysique et la science des phenomenes ne peut s'etablir que si toutes les opp osition s reelles qui nous sont presentees par la realite sensible, sont finalement reduites a des illusions. C'est une voie inverse que suit la premiere physique leibnizienne : elle multiplie les oppositions reelles ; elle ne peut expliquer le sensible qu'en concevant la resistance de la masse comme !'opposition reelle des elements egalement affirmatifs, m ais de Eigne contraire . De plus, comme la these de l'indestructibilite essentielle des elements affirmatifs ne pouvait pas etre abandonnee ( 2 ), ;1 en resultait maintes obscurites dans le detail de l a theorie . Le concept de la conservation des conatus, uni a celui de la sommation alge}:>rique de leurs effets, ( 1 ) M . VI, p . 216. (2) >. Manuscrits de Hanovre, Abt. 37, vol. IV, f. 45-46 ; - cite p ar A . RivAUD, art . f:it., 'p. 1 1 7, note 3 . - > . Manuscrit s de Hanovre, 37 (Physik), Vol. V, p. 222 recto, cite par A. R1vAUD, art. cit . , p. 1 1 3, note S .

DEU X VOIES POUR SORTI R DE LA DIFFICU LTE

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et a la destruction reciproque d e ceux-ci, conferait a ]'element positif un double role contradictoire et inexplicable. D'un cote on ne pouvait !'opposer, -dans une opposition reelle capable de le detruire, a un autre positif ; d'un autre cote on devait reconnaitre une telle opposition lorsqu'on envisage les effets. Mais cette distinction entre !'element proprement dit et son effet est extremement precaire et artificielle. C'est par une pure fiction que l'on maintient, meme au premier instant, dans tel mobile choque les deux cona:us opposes d'ou sort le mouvement actuel (1 ). Si ce mobile choque 'choque a son tour un autre corps i�­ mobile, il ne lui communique pas ces deux cona.tus compenses, mais un conatus different qui est l'element de sa vitcsse actuelle. On doit done reconnaitre la destruction reciproque des elements positifs. La conservation des conatus n'a par consequent lieu que dans !'esprit, mais alors l'element du mouvement cesse de lui etre purement et simplement homogene : la disparite en. tre la cause (esprit) et l'effet (mouvement des corps) conduit a placer la cause dans une sphere distincte, sans que l'inadequation soit par la supprimee entre la cause pleine (l'esprit ou tout se conserve) et l'effet entier (le mouvement univer­ se} qui progressivement diminue et s'annihile). II faut done se contenter d'une affirmation compensatrice : on dit que Ia cause (!'esprit) restaure et maintient dans l'effet la plenitude originaire ; et si nous comprenons que l'esprit (qui rend possible le mouvement en enveloppant le passe e t l'avenir de sa trajectoire) doit evidemment le conserver comme ii se conserve lui-meme, le comment de cette conservation, c'est-a-dire !'explication physique, nous fait defaut. L'intervention de la metaphysique est done bien le correlatif d'un defaut de la physique, mais n'en repose pas moins sur une contra­ diction fondamentale entre le postulat de la physique et celui de la metaphysique. L'une et l'autre, loin d'en retirer une confirmation reciproque, ne font que souffrir d'un inconvenient commun. U ne theorie scientifique qui ne heurterait plus de front le dogme de l'in­ destructibilite du positif et de l'inexistence des oppositions reelles n'aurait sans doute plus hesoin du secours de la metaphysique pour maintenir ce qu'elle est incapable de conserver, mais en retour la meta­ physique pourrait recevoir d'elle, non plus un dementi, mais un appui d'autant plus solide qu'il serait fourni par une science autonome. Le progres de la physique apparaitra alors non plus comme une satis(1) Phoranomus, Archiv I , p . 578-579.

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RAISONS M ETAPHYSIQ U E S D U PART! AD OPTE

faction donnee aux seules exigences de la pensee scientifique, ma1� aussi aux besoins non moins legitimes de la pensee philosophique : « Par la, dira Leibniz plus tard, il sera satisfait en meme temps a la rigueur des mathematiques et au souhait des philosophes >> ( 1). Pour retablir l' unite, deux voies restaient possibles. On pouvait, en reconnaissant definitivcment la realite des oppositions reelles revelees par le monde sensible, faire regner celles-ci partout et les introduire jusque clans la metaphysique. C'est l'essai auquel Kant procedera « d'introduire les quantites negatives en philosophie » (2 ) . II comportait un bouleversement fondamental de toutes les vues metaphysiques acceptees jusqu'alors. On pouvait, au contraire, se fonder sur la pensee purement rationaliste, et en partant de la metaphysique, refouler hors du sensible, hors de la physique elle-meme, !'opposition reelle. C'est cette voie que Leibniz devait suivre dans sa seconde physique, et ii est difficile de concevoir que des considerations exclusivement scienti­ fiques l'y aient pousse. ( 1 ) M. V I , p . � 2 8 .

( 2) KANT, Versuch, den Begriff der ncgativen Grossen i n die Tf'eltweisheit ein­ zufuhren, Konigsberg 1 76 3 .

CHAPITR E

III.

LA DYNAMIQU E : LA METHODE A POSTERIORI ( PAR LES FORCES VIVES).

Passage aux nou velles theories de la dynamique . - Le Phora nomus. - Refutation simultanee de Des cartes et de la Physique ahstraite . - Les deux methodes de demonstration . - La methode a posteriori et les forces vives . - Le conatus et l'impetus. - Difficultes posees par la notion leihnizienne d'impetus. - Formule mathematique et element > de la force (vive). - L'idee de !'intervention de la sagesse divine n'est pas dans la pensee de Leibniz une simple sucvivance de doctrines perimee g . - Les quatre principes de conservation et leur liaison systematique.

Le voyage a Paris, l'initiation approfondie aux mathematiques superieures (1 ), aux theories de Descartes, de Galilee, la decouverte du calcul infinitesimal, les relations avec Huyghens, Arnauld, Malebranche, etc ., sont des evenements dccisifs pour !'evolution de la pensee leib­ nizienne. Une nouvelle physique s'etablit sur les ruines de l'ancienne. Elle renie le principe cartesien de la conservation de la meme quantite de mouvement. 11 est qifficile d'indiquer la date precise de ces inno­ vations. Mais si l'on se ref ere a une lettre a Oldenburg, du 2 7 aou t 1 676, elles semblent devoir etre acquises des cette epoque (2). (1) Sur ce que Leibniz avait appris de W eigel avant son depart p'1"llr Paris, cf. KABITZ, o p . cit, p . 9 s q . ( 2 ) I I declare >, (P. IV p . 2 86).En revanche le Pacidius Philalethi de 1 67 6 ne laisse pas encore transparaitre les theses fondamentales de l a physique nouvelle. (1) Les textes principaux sont les suivants. I) Dans les lettres a Malebranche : de 1 674 a 1 6 79, Leibniz combat l a these cartesienne quc l'etendue constitue la seule e t totalc cssenct� des corps (P. I, p. 3 2 1 ), mais ii n'expose pas lui meme ses theses a ce sujet ; en 1 679, l'attaque se fait moins mesuree et plus generale : P. IV, p. 350 sq. ; la derniere serie de lettres a Malebranche ( 1 692-1711), les deux premieres lettres sont interessantes, car elles se rattachent a la polemique qui devait conduire Malebranche encore Cartesien en 1692 ( dans le Traite des lois de la communication des mouvements) a adopter les theses leihniziennes (deuxieme edition de 1698), P. I, p. 343-352. - 8) En 1 695, le Specimen Dynamicum, resume clair de la Dynamica de Potentia non parue ; le Systeme nouveau de la nature et de la grace. - 9) En 1 698, De lipsa natura sive de vi insita actionibusque Creaturarum, pro Dynamicis suis confirmandis illustrandisque, (P. IV, p. 504), dirige contre Sturm et les Malehranchistes ; en 1698-1 699, Lettres ii De Volder, professeur de Physique a Leydes ( P. II, p . 148 sq.) ; apres 1704, Lettres de Leibniz et de Wolff. ( M . IV, 2 , p. 1-1 88). (a) masse etendue = extension impenetrabilite . (b) force = force passive, ou masse, au sens nouveau . (1) Systeme nouveau (1 695) §2. ( 2) FOUCHER de CAREIL, Refutation inedite de Spinoza, p . LXIV. - STEIN, Leibniz und Spinoza p. 5 4 . Leibniz a d' ailleurs moins fait lui-meme des experien est hien unc origina lite de Leibniz, dont le germe, comme on le vcrra, n e doit etre recherche que chcz Hobbes et H uyghens. ( 1) Ecrit a Rome en 1 68 9, apres la lecture par Leibniz en 1 6 8 8 cl'un compte rendu donne par les A cta eruditorum de Leipzig, de la Philosophiae naturalis prin­ cipia mathematica de Newton, paru a Londres en 1 68 7 . - Cf. Gerhardt, Archiv der Gesch. der Phil. , I, p. 575 sq. Le fragment non puhlie par Gerhardt a ete donne par Couturat, Frag ments et opuscules, p. 590-593.

LE PHORANOMUS

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l'effet d'un conatus contraire, une compensation s'etablisse, par laquelle se perd la progression de tout mouvement. II m'apparaissait que tout conatus est compatible avec un autre... c'est pourq uoi j e ne voyais pas comment un conatus peut etre detruit dans la nature ou enleve a un corps... . Sans doute, on pouvait donner une raison pour que soit re