Le tzompantli et le jeu de balle: Relation entre deux espaces rituels 9781407311654, 9781407341354

Western values imposed on pre-Columbian practices are obstacles in the understanding of the relationship between the �

363 27 25MB

French Pages [230] Year 2013

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD FILE

Polecaj historie

Le tzompantli et le jeu de balle: Relation entre deux espaces rituels
 9781407311654, 9781407341354

Table of contents :
2 remercie
3-INDEX cuadro
4-INTRO
5-CHAP.1
6 CHAP 2
7-CHAP%203
8-CHAP%204
9-CHAP 5
10-CHAP 6
11-CHAP 7
12-CHAP.8
13-CHAP.9
14-CHAP.10
15-CHAP.11
16-CHAP.12
17-CHAP.13
19-BIBLIOGRAPHIE
20-LISTE FIGURES
21 FIGURAS BAR final
Front Cover
Title Page
Copyright
Remerciements
Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE: Une liaison inconnue
CHAPITRE I: LES TRACES D´UNE RELATION
CHAPITRE II: UNE RELATION Á DÉCOUVRIR
CHAPITRE III: LE TLACHCO
CHAPITRE IV: MORT SUR LE TLACHTLI
CHAPITRE V: UNE EXPOSITION FRAGMENTÉE
CHAPITRE VI: NOUS AVONS TOUS UN TZOMPANTLI
CHAPITRE VII: LA MIGRATION DES MEXICAS
DEUXIÈME PARTIE: Une liaison imposée
CHAPITRE I: CONTRUCTION D´UNE VISION EUROPEENE DU TZOMPANTLI ET DU TLACHTLI
CHAPITRE II: LA CONQUÊTE DE LA TERRE FERME
CHAPITRE III: L’ÉVANGÉLISATION
CHAPITRE IV: UNE TOPOGRAPHIE MODIFIÉE
CHAPITRE V: ÉLABORATION SYMBOLIQUE ET UTILISATION DE L’ESPACE
CHAPITRE VI: LE VOYAGE DE RETOUR
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES ILUSTRATIONS

Citation preview

BAR S2545 2013

Paris Monographs in American Archaeology 32

CARREÓN BLAINE

Le tzompantli et le jeu de balle Relation entre deux espaces rituels

LE TZOMPANTLI ET LE JEU DE BALLE

B A R

Emilie Ana Carreón Blaine

BAR International Series 2545 2013

Paris Monographs in American Archaeology 32

Le tzompantli et le jeu de balle Relation entre deux espaces rituels

Emilie Ana Carreón Blaine

BAR International Series 2545 2013

ISBN 9781407311654 paperback ISBN 9781407341354 e-format DOI https://doi.org/10.30861/9781407311654 A catalogue record for this book is available from the British Library

BAR

PUBLISHING

REMERCIEMENTS La décision initiale d’étudier les liaisons entre le tzompantli et le tlachco est un corollaire de mon étude antérieure sur les usages du caoutchouc chez les Nahuas du XVIe siècle et le jeu de balle. J’avais alors constaté que, dans l’historiographie américaniste, on répète constamment qu’il existe un lien entre les deux espaces, et commencé à m’interroger sur l’origine de cette affirmation et décidé que cela serait un sujet intéressant à développer. Au cours de la recherche, j’ai bénéficié de l’appui de l’Instituto de Investigaciones Estéticas et d’une bourse d’études de la Dirección General de Asuntos del Personal Académico de la Universidad Nacional Autónoma de México. Les premières propositions avaient été formulées à partir de mon expérience à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, sous la tutelle de Georges Vigarello, mon directeur de recherche. La rédaction des résultats de la recherche a duré plusieurs années, interrompues à plusieurs reprises par des imprévus. Par leurs encouragements continus relatifs à la formulation définitive, j’ai toujours reçu l´appui des

professeurs Mari-Areti Hers, Víctor Castillo et Durdjica Segota, aussi bien que des amis et collègues de l’UNAM et de l’EHESS. Faire la genèse d’une théorie infondée et expliquer une relation qui n’existe pas ont impliqué d’ouvrir la investigation, mais savoir quand une recherche est terminée m’est particulièrement difficile. Pour sauter le dernier obstacle de la conclusion de ce travail, j’ai eu la chance de compter sur l’appui des rapporteurs Patrick Johansson et Christian Duverger, sans qui il m’aurait été impossible d’achever ce travail. Par leur infinie insistance, ils m’ont permis de mettre un terme à cet ouvrage commencé en 1998. Pour les innombrables tâches de la traduction du texte en Français, je remercie Claire Lewin et Fabienne Godoy. Finalement, je tiens à remercier Eric Taladoire, éditeur patient et assidu de la présente version. UNAM, Mexico DF Janvier 2013

SOMMAIRE

Table des matières Remerciements Introduction 1. La finale 2. Fautes commises 3. Mort au perdant 4. Première mi-temps 5. La mi-temps 6. Deuxième mi-temps 7. Prolongations 8. Penalties : sources d’études 9. Résultat et Marqueur

1 1 1 3 4 6 5 5 6

PREMIÈRE PARTIE. Une liaison inconnue Chapitre I: Les traces d´une relation I.1 Concepts permettant d’établir la relation I.2 Ensemble, mais pas mélangés I.3 Quand la relation fait son apparition I.4 Le codex Magliabechi, Diego Durán et Alvarado Tezozómoc I.5 Le codex Borgia et l’arbre I.6 Les fouilles de Chichén Itzá I.7 Tenochtitlán dans la carte des Primeros memoriales I.8. Les fouilles de Tula I.9 Une interprétation basée sur des sources documentaires I.10 Les fouilles de Tlatelolco

9 9 9 10 10 11 12 13 14 14

Chapitre II : Une relation á découvrir II.1 Les preuves d’une relation II.2 Une relation avec le jeu de balle II.3 Á la recherche d’une relation exclusive II.4 Le problème du tzompantli II.5 Comprendre la relation II.6 Qu’est-ce qu’une relation? II.7 Une tradition partagée II.8 Pourquoi dit-on qu’il y a relation ?

15 15 15 16 17 17 18 19

Chapitre III: Le tlachtli III.1 Le jeu de balle III.2 De nombreux jeux de balle III.3 Le sens du jeu ulamalitztli III.4 Le sacrifice sur le tlachco III.5 Le sacrifice par décapitation III.6 L’équipement du perdant III.6.1 Chichén Itzá III.6.2 El Tajín III.6.3 La stèle d´Aparicio III.6.4 La stèle de Papaloapan III.6.5 Las Higueras III.6.6 Río Blanco III.6.7 Tiquisate III.7 Quel jeu et quel tzompantli?

21 21 22 22 23 23 24 25 25 25 25 26 26 27

Chapitre IV : Mort sur le tlachco IV.1 Le crâne sur le jeu de balle

29

IV.2 Le jeu de balle de Santa Rosa IV.3 Le crâne et la décapitation IV.4 Une femme décapitée IV.5 Les rituels du jeu de balle IV.6 Au centre du terrain IV.7 Qui est sacrifié ? IV.8 L´image vivante du gagnant

29 29 29 30 31 32 32

Chapitre V : Une exposition fragmentée V.1 La tête et le crâne trophée V.2 L’acte de décapitation V.3 Tenir la tête trophée par les cheveux V.4 La tête comme offrande ou signe de victoire V.5 Les têtes alignées V.6 Les crânes alignés V.7 Les têtes ou les crânes sur un pieu

33 33 34 35 35 37 38

Chapitre VI : Nous avons tous un tzompantli VI.1 L’usage du mot tzompantli VI.2 Les plateformes et les murs de crânes VI.2.1 Les os croisés et les crânes alternés VI.2.2 Les crânes scellés VI.3 Les traces d’un tzompantli VI.4 Á chacun son tzompantli VI.4.1 Le tzompantli vertical VI.4.1.1 La Culture de Chalchihuites VI.4.1.2 Tula VI.4.1.3 Multun Zek VI.4.1.4 Eraquarecuaro ou pirouen VI.5 Une esquisse du modèle mexica : Yagabetoo et Lienzo de Tuxpan VI.6 L’arbre comme tzompantli VI.7 Saisir la notion de cheveu VI.9 Vers un regard centraliste

41 41 41 43 44 44 44 44 45 46 46 47 48 49 50

Chapitre VII : La migration des mexicas VII. 1 La migration d’un terme VII.2 Le tzompantli VII.3 Les tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlán VII.4 Ce qui se passe sur le tzompantli VII.5 Les sacrifices sur le Huey tzompantli VII.6 La transformation de l’espace de sacrifice en espace de châtiment : les lectures qu’apporte l’arrivée des Espagnols

53 55 56 58 59 61

DEUXIÈME PARTIE. Une liaison imposée Chapitre I : Construction d´une vision européenne du tzompantli et du tlachco I.1 Voyage autour d´une démarche I.2 La découverte de l’inconnu I.3 L’interprétation des faits I.4 La confirmation de l’interprétation I.5 Mémoire des ancêtres ou boucherie I.6 Les images de la découverte I.6.1 L’arbre cannibale I.6.2 Le saloir I.6.3 La tonnelle I.7 L’Amérique cannibale I.8 Les cynocéphales dans les cartes I.9 Deux expéditions I.10 Les fondations dans les îles de la mer des Caraïbes I.11 Les hommes chiens

63 64 66 68 68 69 70 70 71 72 73 74 76 76

Sommaire Chapitre II : La conquête de la terre ferme II.1 Passage étrange II.2 La rencontre II.2.1 Le jeu de balle II.2.2 Le râtelier de crânes au début de la Conquête II.2.3 Le râtelier de crânes après la chute de Tenochtitlán II.3 La représentation indigène du tzompantli II.4 L’image européenne du tzompantli II.4.1 La revalorisation du tzompantli II.4.1.1 Tlatelolco II.4.1.2 Tenochtitlan II.4.2 Le trophée II.4.3 La rencontre de Cortés et de Moctezuma II.4.4 La première messe II.4.5 Saloir ou ossuaire II.5. Les pompes funèbres du tzompantli II.5.1 L’ossuaire II.5.2 Funérailles ou sacrifice II.5.3 Les pratiques funéraires des Nahuas et des Purépechas

77 78 78 79 80 81 82 82 82 85 85 86 87 87 88 89 90 91

Chapitre III: L’évangélisation III.1 Références familières III.2 Le jeu de balle III.2.1 L’interdiction du jeu de balle III.2.2 Un exercice pour le corps III .2.3 Gagnants et perdants III.3 Le jeu de balle chez les Nahuas III.4 Le tzompantli III.5 Le châtiment chez les Nahuas III.6 Le tzompantli de Durán III.7 Un râtelier, plusieurs interprétations

93 93 95 96 98 98 100 102 103 104

Chapitre IV : Une topographie modifiée IV.1 Les édifications IV.2 Topographie du lieu de châtiment. IV.2.1 Châtiments et tortures IV.2.2 L’emplacement IV.3 Les Relations géographiques. IV.4 Les fondations d’Hernán Cortés IV.4.1 L’appropriation du plan. IV 4.2 Les châtiments des Espagnols IV.4.2.1 Narrations de mort : Chimalpaín IV.4.2.2 Mort visible

107 107 108 109 110 112 113 115 116 118

Chapitre V : Élaboration symbolique et utilisation de l´espace V.1 L’espace de mort V.2 Carte de Popotla V.3 Un lieu pour mourir V.4 Le tzompantli pour punir V.5 Les Mexicas connaissaient-ils la potence ?

119 119 121 122 126

Chapitre VI : Le voyage de retour VI.1 Pendus au tzompaquahuitl VI.2 L’arbre potence- The gallows tree VI.3 L’ulamalitzli au palais VI.4 Conceptions entremêlées VI. 5 Point final

129 130 131 133 134

Bibliographie Table des illustrations Illustrations

139 168 171

INTRODUCTION « S’ILS NE GAGNENT PAS, ILS VONT LES TUER » « Le dernier capitaine argentin qui a brandi une Coupe América a clairement averti son équipe que si l’Argentine ne mettait pas fin à la disette de victoires, ils seraient tous métaphoriquement mis à mort. »1 1. La finale Quelques jours à peine avant le début du championnat de la Coupe Libertadores 2011 et l’éventuel affrontement de l´équipe de football des Jaguars, représentant le Mexique, contre une autre équipe américaine, je me suis demandée –de mon point de vue très personnel et mésoaméricain sur le jeu de balle – qui serait décapité à la fin du match ? Un joueur de l’équipe gagnante, le capitaine de l’équipe perdante, l’arbitre, le directeur technique ou peut-être un spectateur ? De qui serait la tête empalée sur le tzompantli ? Dans ce cas précis, il m’est impossible de répondre. Cependant, si l’on en croit la majorité des spécialistes du Mexique préhispanique, s’il s’agissait d’un match entre peuples précolombiens sur un tlachco.2 terrain en forme de I majuscule sur lequel les membres de deux équipes frappent la balle avec les hanches ou les fesses sans lui laisser toucher le sol - à la fin du jeu, un des membres de l’équipe perdante serait décapité et sa tête exhibée sur le tzompantli,3 un mur de crânes ou un râtelier sur lequel les crânes sont empalés verticalement. Ce sont des questions que je me pose souvent quand il m’arrive de voir un match de football, et particulièrement lors de la Coupe du Monde 2006. Chaque fois que la sélection mexicaine a été battue dans un match de football en Allemagne, au Mexique des têtes humaines apparaissaient sur un mur. 2. Fautes commises Le samedi 11 juin 2006, la sélection mexicaine a battu l’équipe d’Iran. Le vendredi 16 juin débute l’affrontement entre le Mexique et l’Angola : après un match très disputé, les deux équipes terminent ex-æquo. Cinq jours plus tard, le mercredi 21 juin commence le troisième match de l’équipe mexicaine qui affronte cette fois le Portugal : peu après 11h, le panneau d’affichage annonce que l’équipe mexicaine a été vaincue. Malgré la défaite, les amateurs de football sortent dans les rues de Mexico pour faire la fête. La sélection mexicaine ayant réussi à passer en huitième de finale, elle pouvait encore arriver en quart de finale. Tous les 1 « Si no ganan, los van a matar » : Oscar Ruggeri, symbole de la sélection bleue et blanche championne du Chili 1991 et d’Équateur 1993, a exprimé le sentiment de la critique argentine en disant que si l’on mettait fin à la disette de victoire lors des matchs du Venezuela en 1997, l’exploit serait minimisé : « Si la sélection gagne le tournoi, cela sera sûrement minimisé, et ils diront que ce n’est qu’une coupe América », a-t-il commenté. « El cabezón » (La grosse tête) a passé le message à son successeur, le défenseur centre Roberto Ayala, en lui disant à quelques mots près cette simple phrase de motivation : Si vous ne gagnez pas la coupe, ils vont vous tuer (Reforma 2007). 2 Tlachtli : jeu de balle (López Austin et García Quintana 1988 vol. 2: 909). Tlachco : endroit où avait lieu le jeu de balle (Siméon 1988). 3 Tzompantli : rangées de têtes. Structure sur laquelle étaient alignés les crânes des sacrifiés, transpercés par des pieux (López Austin et García Quintana 1988 vol. 2: 917). Tzompantli : structure de trois ou quatre poutres traversées par des barres sur lesquelles on fixait les têtes des victimes (Simeón 1988).

Mexicains n’ont pourtant pas participé à cette euphorie collective. Á la fin du match Mexique-Portugal, la police ministérielle de l’État de Basse-Californie a été informée que cinq têtes humaines décapitées avaient été trouvées sur un des parapets de la canalisation du fleuve Tijuana.4 Ce ne furent pas les seules décapitations perpétrées pendant que la sélection se faisait battre au Mondial d’Allemagne. Á l’aube du vendredi 30 juin, quelques jours avant la fin de la participation du Mexique au tournoi, après sa défaite devant l’Argentine, deux autres têtes humaines furent localisées sur un mur d’Acapulco, Guerrero : un mois auparavant, les têtes de deux autres hommes5 avaient déjà été trouvées sur ce même mur. Il n’entre pas dans notre intention d’établir une relation entre le football et la décapitation dans le Mexique moderne, parce que les hommes tués ne sont pas des joueurs de balle, et parce que les décapitations perpétrées après les différents matchs ne sont pas une réponse à la passion pour le football. La décapitation d’agents de police doit en réalité être comprise comme un moyen d’intimidation de la part de la délinquance organisée6 même si, en nahuatl, on peut parfaitement appeler tzompantli le mur où sont alignées les têtes, et tlachtli le terrain où deux équipes s’affrontent pour expédier la balle dans les buts adverses. On pensera probablement que cette idée récurrente qui surgit chaque fois qu’a lieu un championnat de football ou qu’apparaissent des têtes décapitées est hors de propos. Ce n’est pas tout à fait exact puisqu’on peut penser qu’aujourd’hui, comme à l’époque précolombienne, à la fin du jeu, un joueur de l’équipe battue pourrait être décapité et sa tête placée sur un mur. Nous allons cependant nous efforcer de démontrer que cette affirmation, bien que répandue et acceptée, n’est pas correcte. 3. Mort au perdant Telle est, en effet, l’explication que donnent les guides de touristes de Chichén Itzá, une des zones archéologiques qui possède un tlachco et un tzompantli, et celle qu’on trouve sur Internet où l’on affirme que, dans le Mexique ancien, « le châtiment encouru par le perdant était généralement très dur et sévère : la mort », et où l’on suppose que « le capitaine de l’équipe perdante était mis à mort ». L’origine de ces affirmations est sans aucun doute à rechercher chez les spécialistes des cultures précolombiennes du Mexique. Les références les plus anciennes à ce sujet sont celles d’Helen Spinden (1933) et d’Alfred Tozzer (1957 vol 2 : 139), mais cette affirmation est toujours présente dans des recherches universitaires récentes.7 4 « Decapitan a tres policías en Playas de Rosarito » Trois policiers décapités à Rosarito (TV Azteca 2006). 5 « Aparecen más cabezas en Acapulco; sigue ola de terror » Encore des têtes coupées à Acapulco, la vague de terreur continúe (La Prensa 2006). «Dos policías decapitados en Acapulco » Deux policiers décapités à Acapulco (El Sur 2006). 6 Miguel Ángel Granados Chapa (2006) et Daniela Rea Gómez (2006) écrivent à ce sujet. 7 Parmi les études qui appuient la théorie du joueur perdant décapité, citons Cohodas 1975: 108-110; Carmack 1981: 195-196; Porter Weaver 1981: 372; Miller et Houston 1987: 52; Stevenson Day 1989:153; Carrasco 1990: 35; Wren 1991: 53; Fox 1991: 219; Kurjack, Maldonado et Greene Robertson 1991: 152; Gillespie 1991: 321; Greene Robertson

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels balle et les sacrifices qui se déroulent dans l’espace du tlachtli n’impliquent pas forcément qu’il y ait eu un jeu, ni qu’il y ait eu une mise à mort sur le terrain. Elles indiquent que, dans certains cas, des évènements mythologiques ayant eu lieu en d’autres temps et place étaient reconstitués au cours de cérémonies sur le terrain. Le jeu de balle et le sacrifice faisaient ainsi partie d’un cycle rituel complexe, lié à des édifications et des dédicaces,9 ou servant à établir des relations entre gouvernants et gouvernés. Dans une certaine mesure, ce n’est pas très différent de l’usage que nos gouvernants font actuellement des jeux de balle et de l’espace où ils se déroulent : ils les inaugurent et en font le théâtre de pactes et de négociations. Les journaux montrent Michelle Bachelet, dirigeante du Chili, jouant au ballon. D’autres gouvernants, Gerhard Schroeder et Vicente Fox (Allemagne vs. Mexique), ou Nicolas Sarkozy et Gordon Brown (France vs. Angleterre) sont présents sur les stades (Reforma 2008a, Reforma 2008b, La Jornada 2002). Il faut donc reconsidérer les activités développées autour du jeu de balle. Remettre en question le fait que le joueur vaincu est celui qui est sacrifié oblige à analyser les implications de la théorie amplement répandue d’un sacrifice effectué sur le tlachco à la fin du jeu. On ne peut évidemment affirmer qu’aucun peuple du Mexique précolombien ne décapitait le perdant d’un jeu de balle, surtout si l’on tient compte du mythe purépecha qui raconte que, lorsque le dieu Cupanzieeri vainquit le dieu Achuri-hirepe au jeu de balle, il le sacrifia.10 Certaines informations suggèrent aussi qu’en Amérique du Nord, chez les Pawnees et leurs voisins, les Caddo, certains types de jeux de balle pouvaient s’achever par la mort du joueur perdant.11 Mais affirmer que le perdant était

Pendant presque trois quarts de siècle, cette hypothèse a été répétée, sans remise en question. Il est courant de la trouver dans la littérature spécialisée, et elle est largement répandue dans le grand public. Tout le monde s’accorde à dire qu’un membre de l’équipe perdante devait être décapité à la fin du jeu, même s’il n’existe pas de renseignements concrets qui le prouvent, comme le font remarquer des spécialistes comme Paul Westheim en 1957 (1980: 268-269), Mercedes de la Garza et Ana Luisa Izquierdo (1980 : 3l5-333.). Malgré ces judicieuses observations, si l’on essaie de répertorier les raisons qui plaident en faveur de cette théorie trop souvent répétée, on remarque que généralement les auteurs ne font pas référence à des renseignements concrets, que ce soit en histoire ou en archéologie. Il semble en fait que cette théorie se base plus sur des idées préconçues que sur des sources d’information fiables. Comme nous le verrons au fil de cette étude, les références, les images de décapitations, de têtes coupées et de crânes liées au jeu de balle montrent que le sacrifice par décapitation avait un rôle important au Classique Tardif (600-900 apr. J.C.). Cependant, l’hypothèse qu’un des joueurs de l’équipe vaincue meurt sur le terrain ou que le capitaine de l’équipe serait décapité n’est étayée par aucune donnée. Sur les scènes de décapitation des bas-reliefs du jeu de balle de Chichén Itzá, on peut difficilement distinguer l’équipe gagnante de l’équipe perdante. De même, dans le Popol Vuh, document des Quichés, un groupe maya du XVIe siècle des Altos de Guatemala, où deux paires de jumeaux jouent à la balle contre les seigneurs de l’inframonde, la décapitation n’est pas une conséquence du résultat du jeu de balle.8 Nous sommes devant deux événements différents, où il n’y a pas de jeu avant la décapitation. L’épigraphie maya, autre source d’information mentionnée par certains spécialistes pour appuyer cette théorie, fait aussi référence au jeu de balle et à la décapitation de captifs, mais rien ne prouve que l’une soit la conséquence de l’autre, ni que les sacrifices mentionnés ou représentés soient déterminés par le résultat du match. Plusieurs études ont montré que les quelques scènes et extraits de textes hiéroglyphiques mayas sur les jeux de

9

Plusieurs études ont montré que les scènes et les textes hiéroglyphiques sur le jeu de balle et les sacrifices ayant lieu dans le contexte du jeu n’impliquent pas forcément qu’il y ait eu un jeu, ni même qu’il y ait eu effectivement un sacrifice sur le terrain. Dans certains cas, le jeu et le sacrifice- la décapitation- étaient recréés dans le contexte de l´imagerie du jeu de balle cérémoniel pour en faire un évènement mythologique, se déroulant dans des temps et des lieux différents (Stuart 2003; Miller et Houston 1987; Chinchilla Mazariegos 1992). Plusieurs exemples de céramiques polychromes mayas et les basreliefs de Yaxchilán et de Cobá montrent un dirigeant habillé en joueur devant un escalier, mais pas de jeu de balle proprement dit. On peut en déduire qu’en s’habillant comme des joueurs, les dirigeants désiraient donner à leurs actes un aspect mythique. 10 Cupanzieeri joue à la balle avec Achuri- hirepe, qu’il vainc et sacrifie à Xacona. Ensuite, son fils Sira tataperi défie Achuri, gagne et le sacrifie. Toutefois le type de jeu qui a servi à leur affrontement n’est pas précisé, même si dans la région, on pratique de nos jours le jeu avec un bâton courbe, connu sous le nom de balle tarasque (Alcalá 1989 chap. 21). Le texte ne précise pas non plus le type de sacrifice. Pour en savoir plus sur ce mythe, voir Corona Nuñez 1957. 11 Le mythe Pawnee raconte que la femme araignée défie tout le monde au jeu de double balle (double ball). Beaucoup y perdent la vie car elle tue ceux qu’elle vainc. Elle propose d’affronter une petite fille et espère placer sa tête devant toutes celles qu’elle a chez elle. L’enfant, aidée de son oncle, gagne et ils tuent et brûlent la femme araignée (Dorsey 1906). La double balle est jouée principalement par des femmes avec deux balles ou des objets semblables unis par une lanière, et un bâton courbe qui sert à les lancer. L´objectif du jeu est de lancer les balles dans la base de l’équipe adverse. Pour sa part, un mythe Caddo raconte que le capitaine de l’équipe veut jouer au jeu du dard et de l’anneau avec un des deux enfants à la tête à moitié rasée. Une fois que l´enfant accepte, l´homme proclame que le gagnant tuera le peuple du perdant. L’homme fort gagne et après avoir tué le peuple de son adversaire, il tue aussi l’enfant, s’approche de son corps et le décapite. Il emporte la tête chez lui et l’accroche à un mur où pendent déjà plusieurs têtes, fruits de

1992: 207; Von Winning et Gutierrez Solana 1997: 32; Leyenaar 1997: 28; Schele et Mathews 1998: 210; Uriarte et Falcón 1999: 183; Uriarte 2000: 44-45; Velázquez Morlet 2000: 46-47; Kowalski et Fash, 2000 vol. 2: 264; Whittington 2001: 132; Orr 2001 vol. 1: 78; Pasztory 2005: 174; Vail et Hernández 2007: 126; De Anda 2008: 190-208. 8 Il faut souligner que, dans le Popol vuh, Hun Hunahpu et Vucub Hunahpu ne jouent pas à la balle contre ceux de Xibalba, avant d´être sacrifiés. Les frères sont vaincus et tués dans la Maison obscure, une fois consumés le morceau d´ocote (bois résineux) et le cigare que leur ont donné les Xibalbenses. Hun Hunahpu a la tête coupée, son corps est enterré avec celui de son jeune frère dans le Pucbal–Chah, lieu de sacrifice du jeu de balle, et sa tête accrochée à un arbre du chemin. Il faut aussi rappeler que nous sommes devant deux événements différents et noter que, par la suite, les frères Hunahpu et Ixbalanque ont joué à la balle contre ceux de Xibalba à trois reprises et n’ont jamais perdu. Dans le premier affrontement, les frères gagnent contre ceux de Xibalba, et dans le deuxième, ils sont ex-æquo. Il est important de signaler qu’avant la troisième partie, Hunahpu a été décapité par une chauve-souris et sa tête placée sur le jeu de balle. Dans ce troisième jeu, ceux de Xibalba ont été vaincus par Hunahpu et Ixbalanque. Ce qui précède montre donc que la décapitation des joueurs n´est pas la conséquence du résultat, et laisse penser que les jeux font partie des nombreuses épreuves auxquelles sont soumis les frères (Ximénez 1957, 1985, 2003).

2

Introduction cérémonies qui avaient lieu dans chacun de ces deux espaces qui, bien qu’ils aient coexisté, n’étaient pas utilisés de manière conjointe ou successive. D’une part, l’utilisation généralisée et peu critique de chroniques et de pictographies du Haut Plateau central mexicain, élaborées après la Conquête et qui se réfèrent spécifiquement aux Nahuas, pour interpréter les restes archéologiques des peuples qui les ont précédés, conduit à une grande imprécision. D’autre part, l’utilisation des textes mayas pour expliquer certaines données du jeu de balle dans d’autres groupes ethniques a contribué à la promulgation de la théorie des espaces liés. Tenter de situer ce phénomène et d’éclaircir le problème complexe de la relation entre le tzompantli et le tlachtli nous renvoie à plusieurs thèmes qui, de prime abord, semblent sans rapport. Qu’est-ce que le tlachtli ? Nous savons assez précisément, grâce à un grand nombre de travaux, ce qu’était le terrain de jeu et les activités qui s’y déroulaient.13 En revanche, les informations sur le tzompantli sont plus rares, probablement parce que, dans l’archéologie du Mexique, près de deux mille terrains de jeu de balle sont répertoriés, alors que l’on n’a, jusqu’à présent, trouvé qu’une trentaine de structures de tzompantli, même si certains chercheurs se sont consacrés à leur étude et ont élaboré des monographies remarquables. Même si quelques chercheurs se sont attachés à examiner le passé préhispanique d’un point de vue spécifique effectuer des recherches sur une culture ou une région en particulier et reconnaître les différences entre les types de jeu, leurs modalités et les pratiques sacrificielles- la théorie d’une relation continue pourtant d’être propagée aussi bien dans la littérature académique que dans les cercles intéressés par le Mexique préhispanique. Elle semble oublier que les composantes du jeu de balle variaient suivant l’époque et la région, de même que les pratiques effectuées à la fin du jeu. Elle laisse surtout de côté l’éventualité que, dans l’espace du jeu de balle, se déroulaient des actes et des cérémonies qui n’étaient pas forcément liés au jeu lui-même ou à ses résultats. C’est-àdire que le « tableau d’affichage » ne déterminait pas qui était mis à mort, et que les marqueurs du tlachtli n’étaient pas des buts. Cette théorie ne fait aucune distinction entre les divers types et modalités de jeux de balle pratiqués selon les époques dans l’ancien Mexique, et oublie aussi les disparités entre le tzompantli et les pratiques correspondant au culte de la tête trophée: les décapitations en rapport avec le jeu de balle et d’autres cérémonies dont le clou était l’exhibition de têtes ou de crânes dans le contexte de sacrifices humains et le traitement postmortem du corps en général et de la tête en particulier Il est évident que l’hypothèse d’une relation entre les

sacrifié chez tous les peuples de l’ancien Mexique exige une étude plus approfondie de chaque culture. La révision des postulats et des hypothèses antérieurs démontre qu’ils sont davantage fondés sur l’intuition et sur des constructions imaginaires que sur des renseignements concrets. Cependant, jusqu’à présent, les preuves démontrant le contraire n’ayant pas été établies, on ne peut pas non plus avancer que les joueurs ne mourraient pas en fonction du résultat du jeu.12 La notion « joueur perdant – décapité » est implicite lorsque l’on affirme qu’il existe une relation entre le tzompantli et le tlachtli. Au cours d’une interview, des archéologues, des historiens et des historiens de l’art ont, en majorité, affirmé qu’il existe une relation entre les deux, car le jeu de balle est lié à la décapitation, puisque le perdant était décapité. L’existence de cette relation s’affirme depuis la fin du XIXe siècle, et jusqu’à présent, aucun travail ne remet en cause sa pertinence et n’aborde cette problématique de manière systématique. L’analyse des travaux qui mentionnent une relation permet d’affirmer que c’est un fait que l’on croit établi, mais sans preuve. J’estime donc nécessaire d’analyser les mécanismes qui se cachent derrière cette interprétation qui ne peut être justifiée par l’analyse détaillée des sources d’information: sources archéologiques, écrites et pictographiques. Cette recherche est fondée sur des erreurs et des suppositions qui continueront à être publiées, à moins que nous ne prenions le soin d’analyser la genèse de la nature de ce lien. 4. Première mi-temps Notre but est de montrer pourquoi on a établi une relation entre l’espace où se pratiquait le jeu de balle et celui où s’exhibaient des crânes humains, et pourquoi il est incorrect de continuer à répéter cette affirmation. Les données et propositions des spécialistes qui affirment un lien entre les deux espaces ont été analysées à la lumière des sources d’information. Cela nous a permis de montrer que l’idée généralisée des « joueurs vaincus – décapités » après le jeu semble se baser sur plusieurs faits. Passer outre les différences importantes qui existent entre les événements liés aux jeux de balle dans les multiples cultures du Mexique précolombien et oublier les diverses façons de manier et d’exposer les restes humains dans la région selon les époques sont quelques-uns des éléments qui ont conduit à affirmer et à répéter continuellement qu’il existe une étroite relation entre le tzompantli et le tlachtli. Il y a donc confusion entre des rituels et des ses précédents exploits. Quelque temps plus tard, l’autre frère joue contre l’homme fort et le vainc. Il récupère alors la tête de son frère et le ressuscite (Weltish 1937). Le type de jeu qu’ils pratiquaient était celui de l’anneau et du dard (hoop and pole), réservé aux hommes. Il consistait à lancer une flèche dans un cercle ou un anneau et le score était calculé suivant la façon dont les dards tombaient par rapport à l’anneau (Culin 1992 vol. 2: 421, 462-463). 12 Bien que l’on ait certains renseignements qui appuient la théorie du perdant sacrifié du jeu de balle, cette information n’a pas été enregistrée par ceux qui la défendent. On peut y compris supposer que certaines victimes sacrificielles mouraient sur le jeu de balle, des représentants des gagnants. S´il y avait effectivement un sacrifice par décapitation comme résultat du jeu, les joueurs n’étaient pas ceux qui mouraient, mais plutôt un représentant, vêtu « aux couleurs » de l’équipe gagnante.

13 Memorias de la XII Mesa Redonda de la Sociedad Mexicana de Antropología, Religión en Mesoamérica (Litvak et Castillo ed.) 1972; Taladoire 1981; El juego de pelota. Una tradición viva 1986; The Mesoamerican Ballgame (Van Bussel, Van Dongen et Leyennar eds.) 1991; The Mesoamerican Ballgame (Scarborough et Wilcox eds.) 1991; El juego de pelota en Mesoamérica (Uriarte ed.) 1992; Il joc di pilota al Méxic precolombi, la seva supervivencia a l ́actualitat 1992; The Sport of Life and Death. The Mesoamerican Ballgame (Whittington ed.) 2001.

3

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels deux espaces est bâtie sur des anachronismes et des discontinuités, et que fréquemment, on ne distingue pas complètement les restes humains issus d’un contexte sacrificiel de ceux provenant d’autres pratiques où l’on manipulait et exhibait aussi des restes humains. Notre recherche se doit donc d’aborder les thèmes se référant aux pratiques punitives des anciens Mexicains, aux pratiques funéraires et aux cérémonies de vénération des ancêtres. Ces différentes étapes sont indispensables pour souligner la spécificité du tzompantli et son lien avec le jeu de balle chez les peuples nahuas du Postclassique (1300 1521 apr. J.C.) et pour déterminer la distribution des deux pratiques à l´Époque V qui débute au XIVe siècle et qui correspond grosso modo à l´ère Aztèque (Duverger 2007). Ce lien semble évident au vu de l’importance des deux espaces au cours de leur migration, dans les actes fondateurs et dans le contexte d’un complexe cérémoniel. Ce travail a donc pour but de chercher la genèse du lien, en déterminant quels sont les mécanismes et les raisonnements qui se trouvent derrière cette hypothèse et en analysant soigneusement les moins évidents.

6. Deuxième mi-temps L’analyse du discours qui appuie l’existence d’une relation entre tzompantli et tlachtli et des arguments qui étayent cette théorie met en évidence les malentendus qui l’accompagnent. Cette supposition part de deux hypothèses erronées qui, en se conjuguant, donnent naissance à cette relation supposée. La première est que le jeu de balle est une lutte à la fin de laquelle le perdant est décapité. La seconde, que le tzompantli est l’endroit où s'exécutent les châtiments, en partant de l’idée que la décapitation et l’exhibition de restes humains sont des pratiques absolument liées au concept de punition. Dans la culture occidentale dominante, la décapitation est, historiquement, une des peines capitales les plus communes. Comme on le verra dans la deuxième partie, les découvreurs, les conquistadors et les religieux confondent souvent le gibet et le pilori avec le tzompantli. La volonté d’expliquer la nature de la relation entre le tzompantli et le tlachtli exige tout d’abord de comprendre comment s’est propagée l’hypothèse, et par conséquent d’identifier les suppositions sur lesquelles elle est fondée. Cela permet d’observer que la théorie s’est construite sur les idées préconçues des premiers étrangers arrivés sur le continent américain à la fin du XVe siècle. L’amalgame des interprétations que font les Européens sur le jeu de balle et sur l’exposition de restes humains conduit peu a peu à la conclusion qu’à l’époque préhispanique, il existait, chez les différentes populations qui habitent le Mexique, une relation particulière entre les activités des deux espaces. C’est une théorie un peu hâtive, dont les fondements contredisent les données historiques, qui ne résiste pas à l’analyse et doit donc forcément être remise en cause, avant de pouvoir expliquer la nature de la relation supposée. Le lien supposé entre le tzompantli et le tlachtli est le fruit d’une longue confusion qui doit être décortiquée pour comprendre sa nature et sa spécificité, et la proposition semble être le produit d’un manque d’analyse critique des sources d’information. C’est la preuve que, pendant de nombreuses années, on a répété des données provenant de ces sources sans les remettre en cause, et que l’on a repris certaines suppositions faites par les premiers Européens. Paradoxalement, on constate qu’au lieu de combattre cette thèse, les chercheurs et le public intéressé par le Mexique préhispanique l’ont défendue, l’essence de la supposition se propageant alors par inertie. On assène des idées et des formules stéréotypées de façon répétée pour expliquer le lien. Á défaut d’arguments convaincants, c’est la force de la répétition qui a cimenté la proposition. Il est évident que l’hypothèse d’une relation entre les deux espaces est une conception fondée sur des images et des suppositions créées par les Européens au XVIe siècle. En essayant de comprendre et de décrire les activités qui avaient lieu à l’endroit où les Précolombiens exposaient des restes humains et sur le terrain où ils jouaient à la balle, les découvreurs, les conquistadors et les religieux se sont fondées sur des jugements partiaux et éloignés de ce que ces activités représentaient dans la culture dont elles étaient issues. L’information se référant aux deux espaces rituels et aux pratiques qui s’y déroulaient est donc diverse et abondante, mais aussi confuse. Si les

5. La mi-temps Une fois analysée la raison qui pousse les spécialistes à dire qu’il existe une relation entre le tlachtli et le tzompantli, nous avons cherché à déterminer quels étaient les changements dans la façon de concevoir les deux espaces, selon les époques, en nous basant sur l’analyse de sources d’information écrites, archéologiques et visuelles. En d’autres termes, en cherchant d’autres logiques qui permettent d’expliquer l’hypothèse généralisée, nous avons déterminé que la logique principale qu’ils ont suivie établit un parallèle entre les sports modernes, les jeux de balle européens comme le football et le rite précolombien du Mexique ancien. Ces observations sur le jeu préhispanique sont en accord avec les obsessions compétitives de la culture anglo-saxonne concernant les performances sportives, obsessions partagées par les Mexicains, mais qui ne correspondent en rien à la réalité préhispanique. Certains chercheurs américanistes ont établi des parallèles directs entre les jeux de balle qui se pratiquent actuellement aux ÉtatsUnis et ceux du Mexique préhispanique ; ils analysent le jeu qui se déroulait sur le tlachco selon l’optique des jeux de balle actuels, et appliquent des concepts modernes qui, semble-t-il, dissimulent leur fonction et leur sens originel. On compare les terrains de jeu, l’iconographie qui leur est liée, le rôle des spectateurs et le comportement des membres des équipes qui s’affrontent, à la recherche de similitudes, en portant le même regard sur les jeux actuel et préhispanique. Plusieurs analogies peuvent certainement être trouvées. C’est une approche utile pour décrire et comprendre les jeux préhispaniques, mais la recherche de concordances entre les jeux de balle anciens et modernes est une arme à double tranchant, qui peut faire oublier la singularité du jeu pratiqué dans le Mexique ancien qui est très éloigné de l’image sportive qu’on lui attribue aujourd’hui (Duverger 1978 : 53).

4

Introduction changements suscités à leur arrivée ont donné lieu pendant plusieurs siècles à des descriptions et des interprétations des deux espaces, ils les ont aussi transformés. Le jeu de balle et le tzompantli, deux espaces qui avaient un sens et une situation à l’époque préhispanique, acquièrent une nouvelle fonction dans le contexte colonial, et cela entraînera avec le temps des conceptions erronées sur leurs fonctions respectives.

préhispaniques jusqu’à nos jours furent analysés. Parallèlement, les chroniques des découvreurs, conquistadors, religieux et hommes au service de la Couronne espagnole qui arrivèrent sur le continent américain, ainsi que les écrits des chroniqueurs indigènes rédigés après la chute de Tenochtitlán et ceux de l’époque de la Nouvelle-Espagne ont été examinés. Finalement, on a aussi analysé des documents tardifs élaborés par les premiers spécialistes des cultures préhispaniques. La liste de documents utilisés pour cette recherche n’est pas inclue ici afin d’éviter les répétitions. Ils seront cités au fur et à mesure des besoins (Carreón 1998 : 18-48). Pour définir la fonction de chacun de ces deux espaces et comprendre les interprétations qui en sont faites, chaque document écrit, pictographique et archéologique a été soumis à une série de questions en rapport avec notre thème d’étude, pour concilier les versions dissonantes qui pourraient exister après la comparaison de divers types d’information. Comment appellent-ils et décrivent-ils l’espace où l’on jouait à la balle, et celui où les crânes étaient empalés et où l’on montrait des morceaux de corps humain ? Quels sont les caractéristiques et les usages de ces espaces ? Existe-t-il une relation quelconque entre ces deux types d’espaces ? Quelle est la nature de cette relation ? Quels sont les facteurs qui ont engendré cette relation ? Est-ce une relation fonctionnelle qui se manifeste à travers la pratique de la décapitation et de la tête trophée, ou s’agit-il seulement d’une proximité physique ? La majorité des sources utilisées pour cette recherche se réfère aux habitants du plateau Central du Mexique, spécialement les Nahuas du XVIe siècle, sur lesquels existe une ample documentation. Étant donné que le jeu de balle, la décapitation, la tête trophée et l’usage des murs et râteliers de crânes sont des pratiques communes à d’autres zones culturelles de l’ancien Mexique (Zapotèques, Huaxtèques, Mayas, ToltèquesChichimèques, groupes du Nord et du Golfe ainsi que Purépechas), nous avons aussi utilisé des renseignements de certains documents écrits, pictographiques et archéologiques propres à ces cultures pour comparer leurs coutumes. Pour terminer, il est évident que l’on peut effectivement établir un lien entre les deux structures, mais seulement durant le Postclassique mésoaméricain. La même approche que celle des chercheurs qui se sont d’abord intéressé au tzompantli, au jeu de balle et à leur relation est préservée : la relation entre le tzompantli et le jeu de balle reflète des croyances et des affinités fondées sur le mythe et le rite qui répètent des canons anciens. Tout en reprenant un grand nombre de leurs propositions et de leurs sources, et en y ajoutant d’autres, la nature de la relation se révèle. Elle permet de distinguer les pratiques qui avaient lieu dans chacun des espaces, à des époques et dans des cultures différentes. Finalement, la relation entre les deux espaces existe dans des circonstances spécifiques et déterminées, et il est fondamental d’expliquer pourquoi la proposition, à un moment donné, s’est généralisée pour s’appliquer à tous les peuples mésoaméricains sans distinction. Cette question sera résolue en tenant compte du fait qu’elle est née d’une lecture imprégnée de conceptions étrangères à la pensée de l’homme préhispanique, et en

7. Prolongations L’hypothèse centrale de cette étude prétend montrer que la transmission d’images mentales et d’échanges interculturels entre l’Europe et cette région américaine semble avoir occulté très tôt la véritable fonction et les conditions originelles du tzompantli et du tlachtli. Dans un nouveau contexte culturel, où se sont mises en place de nouvelles pratiques religieuses, politiques et technologiques, le tzompantli et le tlachtli ont été perçus d’une manière différente de ce qu’ils étaient à l’origine chez les peuples préhispaniques ; leur signification a été modifiée pour aboutir à l’idée généralisée qu’il existe un lien entre les deux espaces culturels. Notre perception actuelle est fondée sur les conceptions de l’imaginaire collectif des premiers Européens qui ont foulé le sol américain, et reprend leurs jugements sur chacun des espaces. L’enchevêtrement de leurs idées a fait naître la proposition de deux espaces fortement liés à l’époque précolombienne, alors que ce phénomène ne se présenta que dans des circonstances très spécifiques. De ce fait, la partie principale de ce travail cherche les mécanismes cachés derrière l’hypothèse qui propose un lien entre les deux lieux à travers le temps et l’espace du Mexique précolombien. Le problème central n’est pas de discerner ce que sont un tzompantli et un tlachtli chez les anciens Nahuas et les autres peuples mésoaméricains leur fonction et leur signifié– mais de comprendre la genèse des représentations et des images de ces espaces conçues par l’Occident. Il faut rechercher l’origine des jugements émis par les Européens sur les activités qui s’y déroulaient, en y appliquant des schémas spécifiques, et en cherchant des solutions à partir de leur propre réalité. On pourra donc conclure que les référents culturels des premiers Européens qui débarquèrent en terre américaine sont encore présents dans le milieu des américanistes. Les racines d’une hypothèse, qui semble intimement liée aux notions occidentales sur le jeu de balle et les restes humains, démontrent que l’hypothèse qui établit un lien entre les deux espaces à travers le temps et l’espace du Mexique ancien, et qui reste en vogue actuellement, est fondée sur deux suppositions qui se sont forgées tout doucement, pendant plus de cinq cents ans, et se sont peu à peu entremêlées. Premièrement, le tlachtli est le terrain où se déroule une compétition sportive, après laquelle le perdant doit être décapité ; deuxièmement, le tzompantli est le lieu où se déroule l’acte punitif. 8. Penalties : Sources d’étude L’information contenue dans les sources pictographiques, codex pré- et post-Conquête, cartes et parchemins, est tout de suite abordée ; l’information archéologique, c’està-dire les renseignements provenant des fouilles et découvertes au Mexique, depuis les cultures

5

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels analysant dans quelle mesure les valeurs occidentales plaquées sur les pratiques préhispaniques peuvent se convertir en obstacles pour la compréhension de la relation entre deux espaces sacrés. Il s’agit aussi de mesurer l’impact de cette interprétation. Une analyse des images du tzompantli et du tlachtli dans les textes, l´archéologie, les documents pictographiques et les documents coloniaux, et une évaluation de la manière dont ces espaces ont été manipulés permettent d’établir que les croyances et les références qui les concernent ainsi que les pratiques qui s’y déroulaient se sont transformées après le contact. Nous sommes confrontés à un relativisme culturel où les interprétations alléguant une relation entre le tzompantli et le tlachtli sont conditionnées par des croyances et des représentations qui ont surgi lors de la recherche de similitudes entre ce que les gens connaissaient et une réalité qui leur était étrangère.

théorie qui, bien qu’elle soit inconcevable, est devenue une proposition paradigmatique de l’historiographie mésoaméricaine. L´investigation se déroule en suivant certains points qui sont pris comme les preuves de la relation, c’est-à-dire tous les points avancés par les spécialistes pour étayer leur théorie. Elle continue en présentant quelques bases théoriques et méthodologiques utilisées dans cette recherche, suivie par l´analyse initiale dédié au jeu de balle qui souligne que, dans la relation entre jeu de balle et tzompantli, la supposition de la décapitation d’un joueur perdant est implicite. Une série de représentations d’un joueur de balle décapité est utilisée pour confirmer l’idée d’une relation entre le tlachtli et le tzompantli, en affirmant que le joueur décapité est le vaincu. Les divers sacrifices qui se déroulaient sur le tlachtli sont détaillés avec une emphase particulière sur la décapitation, et abordés à travers une étude de cas qui analyse en détail les raisons de la présence d’un crâne dans le jeu de balle de Santa Rosa, Chiapas. Le propos qui situe le crâne au centre du terrain est une conséquence de rituels liés à la fondation du terrain, et la mort n’a rien à voir avec le résultat. Ainsi est exploré ce type d’affirmation qui confond et mélange des pratiques mésoaméricaines de diverses époques et de diverses cultures. Des thèmes liés à la décapitation et au traitement d’une tête, sujets nécessaires à la compréhension du tzompantli, bien que les différentes modalités de présentation d’une tête ou d’un crâne soient abordées pour saisir certaines théories expliquant la genèse du tzompantli et sa relation avec la tête trophée, sont analysés pour illustrer et déterminer les termes classificateurs de ce qu’est ou n’est pas un tzompantli. Bien qu´il soit démontré que le terme a été utilisé pour désigner toutes les façons d’exhiber les restes humains, mais que c’est actuellement un mot vide de sens, pour rendre au tzompantli des Nahuas sa spécificité, on propose de nommer chaque modalité caractéristique d’un peuple par un nom particulier. La complexité et l’importance du tzompantli chez les Nahuas d’avant la Conquête sont soulignées. Édifié lors de la migration Mexica, il est très important dans la fondation de Tenochtitlán. On dénombre tous les tzompantli et les jeux de balle de Tenochtitlan et ce qui s’y passait, pour démontrer qu’il n’y a pas de relation entre tzompantli et tlachtli et arriver à la conclusion que la théorie d’un lien entre les deux espaces n’est explicable qu’à partir de faits accrochés à l’arrivée des Européens. Elle est en fait fondée sur la transformation d’un espace sacrificiel en espace de châtiment. La théorie d’une relation entre les deux espaces est en contradiction avec les faits transcrits dans les sources analysées. Cela nous a donc permis d’explorer, dans la deuxième partie de l´investigation, l’hypothèse selon laquelle la proposition est dès le départ fondée sur des interprétations erronées et des conceptions étrangères à la pensée amérindienne. Une fois démontrée la spécificité du lien entre le tzompantli et le tlachtli, il reste à expliquer pourquoi on affirme encore actuellement qu’il y a une relation et quelle dynamique soutient cette affirmation. En suivant les faits chronologiques, on découvre comment s’est élaborée la vision européenne du tzompantli et du tlachtli, et cette analyse montre que cette

9. Résultat et Marqueur Un des principaux apports de cette recherche est d’avoir permis de dépasser la première théorie selon laquelle une relation existait entre le tlachtli et le tzompantli chez tous les anciens Mexicains avant l’arrivée des Espagnols. Depuis plus de cent ans, dans la littérature spécialisée, les américanistes affirment cette relation sans que jamais personne n’ait démontré ce lien de manière irréfutable. Cette recherche a donc permis de poser de nouvelles questions, et d’ouvrir de nouveaux domaines de recherche sur l’art des peuples mésoaméricains, en remettant en cause la théorie généralement répandue qui relie ces deux espaces, et en examinant les conditions qui ont provoqué l’apparition de cette hypothèse. Le domaine de l’histoire de l’art, discipline qui cherche à comprendre le passé à partir de l’étude de l’image, et le passage aux méthodes, techniques et thèmes des sciences sociales aident à mieux comprendre certaines activités propres à une société non-occidentale, et à connaître de manière plus approfondie des pratiques et des croyances de l’Europe médiévale et de la Renaissance. L’épreuve fondamentale est de savoir dans quelle mesure la théorie d’une relation entre les deux espaces est un problème conceptuel, c’est-à-dire la transposition sur le sol américain d’images mentales et de concepts européens sur le châtiment et sur le jeu, et les dérives que cela implique actuellement. La recherche explore ce que sont le tlachtli et le tzompantli, et conduit à découvrir quelles sont les activités et les événements qui se déroulaient dans chacun des deux espaces à l’époque préhispanique, pour démontrer la nature de leur lien. Elle cherche la genèse d’une proposition jusqu’à présent sans fondement, et tente d’expliquer pourquoi, actuellement, on affirme une relation entre le tlachtli et le tzompantli et que le perdant est décapité. L´investigation commence par une analyse historiographique détaillée qui explore les bases de cette théorie et essaye de déterminer dans quelle mesure elle est la conséquence de pratiques culturelles spécifiques à chacun des groupes : des attitudes, des croyances et des convictions sur les jeux et les châtiments qui se sont rencontrées et entrecroisées et ont débouché sur une

6

Introduction théorie est le reflet d’une mémoire remaniée et particulière à chaque époque qui considère le passé préhispanique à partir de son propre point de vue sur les actes, les rites et les images liées aux jeux, et ensuite au sport, pour le tlachtli, et aux pratiques punitives pour le tzompantli. Actuellement, cette théorie se reconnaît dans un ensemble de propositions qui ne permettent pas d’envisager que les actes qui se déroulaient dans les deux espaces n’étaient pas liés. Cela commence avec la découverte de l’inconnu, quand s’implantent les premiers villages espagnols dans les îles et que les découvreurs se forgent leurs premières images mentales sur les dépouilles, les pratiques gastronomiques cannibales et les jeux de balle qu’ils retrouveront par la suite sur la terre ferme. Le moment où les Conquistadors affrontent le tzompantli, lors de la chute de Tenochtitlán, et l’étude d’une série d’images où il est représenté permettent d’analyser comment il a été revalorisé dans l’art mexicain, et comment cet espace sacrificiel a été transformé en espace funéraire. Il semble que les catégories qui y sont liées ont changé, en fonction de ce que l’on cherchait à chaque époque. Le thème du jeu de balle, et des canaux coercitifs que cache son interdiction à l’époque coloniale, est abordé. On y cherche les mécanismes qui expliquent pourquoi le jeu de balle des Nahuas a été vu comme un affrontement sportif, comment on est arrivé à l’idée généralisée que le perdant était châtié par décapitation, et à partir de quand l’exhibition des restes humains sur un râtelier, pratique sacrificielle indigène, a été interprétée comme pratique punitive. L’analyse comparative, que l’on peut qualifier de regard croisé, a permis d’analyser comment la transformation culturelle provoquée par l’arrivée des Espagnols a retenti aussi bien sur les conquis que sur les conquérants, et de déterminer comment les concepts divergents se sont défiés : sacrifice et punition, jeu et affrontement. Les fondations espagnoles ont modifié la topographie indienne, sur les plans physique et mental, en s’appropriant la violence et en installant le lieu du châtiment, la potence et le pilori, sur le lieu de sacrifice, le tzompantli. Les représentations semblent se superposer et l’étude comparative des pratiques punitives et funéraires de chaque groupe a permis de démontrer que le tzompantli se convertit : de lieu de mort sacrificielle, il devient le lieu où l’on exécute la peine capitale et où l’on exhibe les restes des condamnés. Comme les Espagnols ont interprété le monde amérindien, les Indigènes ont interprété le monde hispanique qui les a englobés et l’on a considéré que des pratiques similaires comme les jeux et les expositions de restes humains avaient une signification analogue, alors que ces pratiques avaient dans le monde indien une réalité toute différente. La recherche conclut qu’il n’y a pas de relation spécifique entre le tzompantli et le tlachtli, tant dans le temps que dans l’espace amérindien et retrace l’histoire de la compréhension de ces espaces investis d’un sens particulier pour chacun des groupes, indigène et espagnol, selon l’époque (la découverte, l’évangélisation et les fondations), à travers l’analyse d’une ample série d’événements. En comparant les données et en retraçant l’évolution de leurs interprétations, on s’aperçoit que

l’hypothèse d’une relation privilégiée entre les deux espaces est fondée sur des idées préconçues qui se sont répétées au cours des siècles. Les écrits des premiers Européens arrivés au Nouveau Monde démontrent que chaque groupe se fait une représentation du monde qui l’entoure et le définit selon ce qu’il connaît. Ce sont les bases fragiles sur lesquelles, jusqu’à maintenant, reposait la théorie d’un lien entre les deux espaces. Pour finir, ces résultats doivent être perçus comme une ouverture, suggérer une finalité plus profonde et rebondir sur de futures études.

7

PREMIERE PARTIE Une liaison inconnue CHAPITRE 1 LES TRACES D´UNE RELATION I.1 Concepts permettant d’établir la relation Nous tenons, dans un premier temps, comme établie l’idée qu’il existait une relation entre le mur de crânes (tzompantli) et le terrain de jeu de balle (tlachco), tout simplement parce que les chercheurs qui travaillent sur le passé préhispanique l’ont dit et affirmé à nombreuses reprises et que cette idée est devenue vox populi. Si l’on essaye de comprendre pourquoi l’existence d’une telle relation a été évoquée, pour remettre en cause ce préjugé, on remarque que le lien entre les deux lieux n’est jamais précisé. De plus, on observe que les chercheurs qui abordent le sujet sommairement appuient leur hypothèse sur des bases peu solides, avançant des résultats généraux à partir de faits isolés appartenant à différentes époques et cultures du Mexique ancien. On peut prouver l’existence d’une telle relation à une certaine époque et dans des circonstances particulières et jeter les bases d’une hypothèse intéressante, à condition de la situer dans sa juste dimension. Ce problème doit être cependant étudié de façon plus approfondie, car le rapport entre le lieu où se déroule le jeu de balle et l’espace où sont exposés les restes humains n’a jamais été examiné systématiquement. La relation entre ces deux espaces rituels doit être interprétée, et pour ce faire, il faut étudier chacun des deux lieux de manière précise, puisque, si, à certaines époques, ils forment un complexe, l’un doit pouvoir être interprété à la lumière de l’autre. Rappelons brièvement la problématique: les chroniqueurs du Mexique préhispanique, c’est-à-dire les découvreurs, les conquérants, les religieux, les chroniqueurs indigènes et tous les hommes au service de la Couronne d’Espagne, ne mentionnent jamais de lien entre la pratique du jeu de balle et le fait de placer les têtes décapitées sur des râteliers. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les auteurs qui leur succèdent et qui écrivent les premières synthèses sur l’histoire indigène du Mexique mentionnent les deux espaces, mais ne parlent pas non plus d’une relation entre les deux. C’est seulement à la fin du XIXe siècle que certaines études font état d’une relation entre tzompantli et tlachtli. Par la suite, au cours du XXe siècle, et à l’occasion de nouvelles recherches sur des thèmes spécifiques touchant au Mexique préhispanique, plusieurs auteurs vont parler d’une relation particulière entre les deux espaces. Parmi ces recherches, il faut remarquer les monographies qui abordent de façon ponctuelle le tzompantli, celles qui, à travers une pictographie particulière, reconnaissent l’image d’une structure identifiée comme tzompantli et celles qui enregistrent la découverte d’un tzompantli dans un site archéologique, pas nécessairement à côté d’un terrain de jeu. Il faut d’autre part souligner les recherches sur le thème du sacrifice humain et surtout celles qui se réfèrent au jeu de balle, car même si la relation entre les deux n’est pas leur thème central, il est fréquent qu’elles en parlent. En d’autres termes, il semble que toutes les recherches concernant le jeu de balle ne font pas référence au tzompantli, alors que celles qui parlent du tzompantli font

généralement référence au tlachtli et aux activités qui s’y déroulent. L’analyse d’une série d’écrits qui affirment l’existence d’une relation entre les deux espaces démontre qu’habituellement les bases de cette hypothèse ne sont pas établies de façon concrète et que l’idée n’est pas bien développée. Il semble que ce soit récurrent et que la question n’ait pas été complètement résolue, même si l’idée s’est généralisée et si l’on peut démontrer sa validité pour une période bien déterminée du passé préhispanique I.2. Ensemble, mais pas mélangés Dans les pages suivantes, nous allons présenter selon l’ordre chronologique le travail de plusieurs chercheurs qui soutiennent l’existence d’une telle relation. Cette structure n’échappe pas aux problèmes inhérents à toute révision historiographique, et il est possible que des propositions et des données se répètent ; c’est un mal nécessaire pour établir parfaitement comment cette proposition a vu le jour, et pour apprécier complètement son évolution. Pour comprendre l’argument avancé par les chercheurs pour soutenir leur proposition et démontrer qu’ils y ont mêlé une série d’événements similaires isolés qu’ils présentent comme un évènement unique, nous analyserons rapidement quelques-uns des faits utilisés pour corroborer leur proposition. On constatera que, dans de nombreux cas, l’information est présentée dans une perspective totalisatrice qui englobe toutes les cultures et toutes les époques du Mexique ancien et ne permet pas de déterminer la spécificité de chacun des deux espaces. Nous exposerons sous forme d’hypothèse les méthodes que nous emploierons tout au long de notre recherche. I.3. Quand la relation fait son apparition Il semble que Francisco del Paso y Troncoso, chercheur mexicain qui, à la fin du XIXe siècle (1898), a publié diverses études sur les cultures précolombiennes, ait été l’un des premiers à suggérer un lien entre le tzompantli et le tlachtli. Quand il se réfère au terrain de jeu de balle tel qu’il est représenté dans le codex Borbónico,1 il affirme que le tzompantli, ce lieu où les crânes des victimes étaient empalés, se trouvait en général près du tlachtli, et que les têtes de mort étaient ainsi fixées contre l’enceinte du jeu de balle. Paso y Troncoso base son affirmation sur les faits suivants : dans la planche 68 du codex Magliabechi - un document colonial du centre du Mexique - le terrain est représenté avec trois têtes de mort alignées sur l’axe transversal (Fig. 1). Il reprend donc la mention énigmatique faite par le chroniqueur indigène Fernando Alvarado Tezozomoc (1980 : 228), sur des faits ayant eu lieu à Coatepec pendant la migration mexica, lors de la construction du terrain de jeu de balle avec un itzompan, « son propre tzompantli », tout en notant qu’il pourrait aussi s’agir de l’orifice par lequel l´eau jaillit et 1 Il faut souligner que Paso y Troncoso (1985 :74) dans sa description de la planche 13 du codex ne mentionne pas le tzompantli qui y figure.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels par lequel il fallait faire passer la balle (Paso y Troncoso 1985 : 120 note 1 et 2). Il reprend également l’observation de Diego Durán (1984 vol. 1 : 207), moine dominicain qui écrit sur le passé indigène, et note qu’à côté du terrain de jeu de balle, poussaient des arbres connus comme colorines (Erythrina corallodendrun). C’est ce qui pousse Paso y Troncoso à voir un lien entre les deux espaces rituels, car il affirme que les Indigènes appelaient ces arbres tzompaquahuitl. Il ajoute que c’est peut-être la raison pour laquelle on appelait tzompantli le lieu où les crânes des ennemis étaient empalés, et qui était habituellement situé à côté du tlachco (Paso y Troncoso 1985: 120 note 2). En 1905, Cecilio Robelo inclut le terme tzompantli dans son Diccionnario de mitología nahoa. Citant Bernardino de Sahagún (l979), moine franciscain qui, au milieu du XVIe siècle, décide de recueillir des informations sur les traditions indigènes du Mexique central, Robelo affirme qu’il s’agit d’un édifice situé dans les temples où l’on alignait les crânes des victimes sacrifiées. Néanmoins, dans sa description, il ne mentionne pas de relation avec le tlachtli, et c’est surtout dans son explication du jeu de balle qu’il propose un lien entre ce dernier et le tzompantli. Il prend note de ce qui a été dit par Paso y Troncoso, et écrit que le grand jeu de balle de Tenochtitlán où l’on sacrifiait de nombreux esclaves lors des différentes fêtes avait son propre tzompantli, sur lequel on empalait les têtes des victimes (Robelo 1982: 228-229 et 701-702).

ou ne sont pas, et le problème principal qu’affronte cette recherche : étudier l’étymologie du terme tzompantli.3 Pour pouvoir résoudre ce problème linguistique complexe et comprendre la signification précise du passage écrit par Alvarado Tezozomoc, dans le chapitre VI de la première partie, nous confrontons les sources d´information et les dictionnaires nahuatl-espagnol, bien qu´il soit impossible de proposer un sens unique, étant donné les diverses ramifications du terme. Un des problèmes initiaux est donc de déterminer ce qu’est un tzompantli, car il semble pouvoir être beaucoup de choses : le trou au centre du terrain de jeu de balle, ou des arbres à côté du terrain, d’après Paso y Troncoso. Robelo ne coïncide pas, quant à lui, avec l’idée que les arbres qui entourent le jeu de balle servent à accrocher des têtes de mort, et il ne les considère pas comme un tzompantli (Robelo 1982: 228). Il semble évident qu’il y a confusion entre le tzompaquáhuitl, l’ouverture au centre du terrain et le tzompantli, c’est-à-dire entre un arbre, un orifice, un alignement de crânes, et le râtelier proprement dit. L’opinion de Robelo, selon laquelle on ne peut pas assimiler les colorines à un tzompantli, mérite considération. Cependant, on ne peut ignorer la proposition de Paso y Troncoso, principalement parce qu’elle se répète dans les documents sur ce sujet. Cela nous permettra de comprendre comment on peut relier un arbre au tzompantli et par la suite de mieux saisir comment le tzompantli a changé de fonction, une fois que les Européens en ont eu connaissance, quand ils ont incorporé cet espace à leurs pratiques punitives, comme nous le verrons dans la deuxième partie de cette recherche.

I.4. Le codex Magliabechi, Diego Durán et Alvarado Tezozomoc En relisant les références que ces auteurs ont utilisées pour soutenir leur théorie de relation entre les deux espaces, on remarque que Paso y Troncoso appelle tzompantli les trois têtes de mort sur l’axe transversal du terrain de jeu dans le codex Magliabechi.2 Cependant, Robelo réfute cet argument et précise que les crânes ne sont pas sur un râtelier, mais sur le terrain, et qu’ils ne sont pas alignés alors que cet élément est essentiel pour le tzompantli. Robelo ne concorde donc pas avec Paso y Troncoso dans l’identification du tzompantli et cette discussion montre bien la diversité des structures et des éléments qui sont ainsi qualifiés. Cette idée est encore plus évidente si l’on tient compte des notes d’Alvarado Tezozomoc que Paso y Troncoso utilise pour soutenir son hypothèse, car la signification précise du passage écrit par le chroniqueur est peu claire et mérite une étude approfondie. En se basant sur les écrits du chroniqueur indigène, le chercheur évoque l’obscurité du terme itzompan, quoique, comme le dit Robelo (1982 : 229), assimiler l’itzompan à un tzompantli n’ajoute rien à la valeur de l’hypothèse, surtout si l’on ne va pas au-delà de la proposition initiale, et qu’on oublie qu’itzompan est tzompantli avec la forme possessive ini ou in. Cette preuve souligne le désaccord sur ce que les choses sont

I.5. Le codex Borgia et l’arbre. Le chercheur allemand Eduard Seler a également détecté une relation entre le jeu de balle et le tzompantli. Pour confirmer son hypothèse, il écrit pratiquement la même chose, partant du fait que l’arbre est un tzompantli. Cependant, il pense que « l’itzompan » est une « rangée de crânes », sans être cependant très clair sur ce point, car il parle aussi bien de la plateforme qui porte une rangée de têtes de morts que d´un arbre (Fig. 2). Dans sa lecture du codex Borgia, une pictographie préhispanique de la région de Puebla et Tlaxcala, Seler identifie des crânes accrochés à un arbre rempli de petits drapeaux à un tzompantli, terme qu’il admet avoir utilisé parce qu’il fallait bien lui trouver un nom.4 Il affirme alors fermement qu’il existe une relation entre le tzompantli et le jeu de balle. Il démontre que, sur quatre planches où sont représentés les régions du monde et leurs dieux, le tzompantli/arbre est toujours à côté d’un joueur de balle,5 ce qu’il interprète comme une allusion 3 Le mot tzompantli est formé de deux mots: tzontli et pantli. Le premier se traduit généralement par drapeau, étendard, mur, rangée ou ligne, et le terme tzontli signifie cheveux/poils et chevelure. 4 Seler l980 vol. 2 : 59, 93-96 en se basant sur les planches 19 et 45 du codex Borgia. Voir aussi Seler l991-1993 vol. 3 : 115; vol. 5 :161. 5 Il signale qu’à côté du tzompantli de la région Nord, une dinde joue à la balle, à côté de celui du Sud, c’est un dieu de la mort qui joue à la balle ; pour le tzompantli de l´Est, c’est un crocodile et pour celui de l’Ouest un singe. Ils sont au-dessus de ce qui paraît être la coupe transversale d´un tlachtli.

2 Sur la planche correspondante du codex Tudela (69r) se trouvent les mêmes éléments.

10

Les traces d´une relation des peintures de sacrifices là où il y a un tlachco, ces derniers devaient être coutumiers à Chichén Itzá. Bien que Fernández ne développe pas ses théories, son étude est intéressante. Il est le premier à utiliser une donnée archéologique pour défendre son hypothèse d’une relation entre les deux espaces : il fait l’une des premières descriptions des bas-reliefs du jeu de balle de Chichén Itzá. Il résume de façon détaillée les caractéristiques du terrain et décrit sommairement la plateforme du tzompantli, peut-être parce que cette structure n’a été restaurée que deux ans après la publication de son article. En 1927, l’archéologue José Erosa Peniche trouve plusieurs pierres sculptées en forme de crânes humains, alors qu’il reconstruit l’angle nord-est de la plateforme (Salazar Ortegón 1952). Bien qu’Erosa Peniche (1946: 17 - 25) ne souligne pas expressément de relation entre le jeu de balle et le tzompantli, on peut supposer qu’il partage cette idée, car il a travaillé avec Fernández dans le cadre du même projet de recherche. Il semble que José R. Acosta et Ponciano Salazar Ortegón aient à leur tour corroboré l’idée d’une relation avec le tlachtli, lorsqu’ils terminent la reconstruction du tzompantli de Chichén Itzá, quelques années plus tard. Dans son article explicatif des rituels qui avaient probablement lieu sur le tzompantli, Acosta (1952) fait référence aux représentations des bas-reliefs du jeu de balle. Son approche affirme implicitement un lien entre les deux structures. Pour comprendre la genèse de l’hypothèse qui soutient l’existence d’une relation entre le tlachtli et le tzompantli, il est indispensable d’étudier comment ces deux structures ont été découvertes et comment elles ont été nommées, dans le cas particulier de Chichén Itzá. On peut se demander dans quelle mesure l’idée d’une relation particulière entre les activités qui se déroulaient dans ces deux espaces ne vient pas de la découverte conjointe, et apparemment simultanée, des bas-reliefs du jeu de balle (avec ses scènes où l’on retrouve un personnage qui brandit en trophée une tête et un autre décapité, le sang giclant de son cou) et de ceux de la plateforme du tzompantli, avec ses personnages portant des têtes-trophées et ses crânes encastrés formant des frises verticales. Cela explique pourquoi, dans les travaux postérieurs, les chercheurs qui reprennent l’idée de la relation se posent toujours la question : la tête du joueur perdant était-elle placée sur le tzompantli ? Comme on l’a déjà dit, il est impossible de le déterminer à partir des bas-reliefs de Chichén Itzá. En résumé, on peut dire que la preuve avancée par les chercheurs pour affirmer l’existence d’une relation entre les deux espaces provient de quelques notes trouvées dans l’œuvre d’Alvarado Tezozomoc, Durán et Sahagún, et de certaines planches des codex Borgia et Magliabechi. Néanmoins, on a également essayé de démontrer l’existence d’un voisinage physique et matériel entre le tzompantli et le jeu de balle à partir de l’étude archéologique de Chichén Itzá, en déchiffrant les bas-reliefs de crânes du tzompantli, à la lumière des scènes de décapitation sculptées sur les murs du tlachco. Par la suite, à cause de cette approche, on a supposé que les multiples images des joueurs de balle décapités,

au jeu de balle. Néanmoins, malgré ces propositions, il n’approfondit pas le thème et conclut en disant que le tzompantli et le joueur de balle ne sont que des compléments, des images supplémentaires du temple d’une certaine région du monde et de ses dieux. Seler a visité le Mexique à plusieurs reprises et présenté ses travaux dans la deuxième moitié du XIXe siècle et au début du XXe, lors des congrès internationaux et dans des publications régulières. Cependant, il semble qu’au Mexique, son œuvre n’a pas été diffusée avant les années 40,6 et les chercheurs mexicains font en général plutôt référence aux propositions de Paso y Troncoso et de Robelo pour soutenir leurs thèses sur la relation entre le tlachtli et le tzompantli. I.6. Les fouilles de Chichén Itzá L’idée d’une relation entre le tlachtli et le tzompantli est reprise en 1925 par Miguel Ángel Fernández dans son article « El juego de pelota de Chichén Itzá, Yucatán ».7 Pour soutenir son hypothèse, il ajoute aux informations propres aux Nahuas du XVIe siècle une donnée archéologique récente provenant de la cité maya-toltèque (900 à 1150 apr. J.C.). Dans son étude qui fait connaître certains fragments des bas-reliefs des murs du jeu de balle qu’il a découverts, Fernández décrit précisément un personnage richement habillé, tenant dans sa main droite un couteau de silex et de la main gauche, par les cheveux, une tête fraîchement décapitée (Fig. 3). Il se réfère également à la plateforme en forme de T recouverte de bas-reliefs de crânes encastrés verticalement, qui se trouve à proximité du terrain, et qui a été partiellement découverte lors des mêmes fouilles (Fig. 4). Fernández assimile cette plateforme à un tzompantli. Il la décrit et l’interprète à la lumière de la description et des termes que Sahagún et Durán ont utilisés pour les tzompantli mexicas, et fait référence à leurs représentations dans les pictographies du Mexique central.8 Pour décrire et interpréter sa découverte, l’archéologue a également repris les idées de Paso y Troncoso et de Robelo sans les remettre en question. Il fait référence à leurs affirmations sur le tlatchli et le tzompantli, les extrapole à d’autres contextes et conclut qu’à Chichén Itzá comme à Tenochtitlán, après les sacrifices par décapitation qui avaient lieu lors du jeu de balle, les têtes des joueurs décapités étaient placées sur le tzompantli. En résumé, le raisonnement part de l’idée que, puisqu’il y a un tzompantli á côté du tlachtli de Chichén Itzá, et puisque dans les codex Magliabechi et Borgia, on trouve 6 Hermann Beyer a été le premier à faire connaître au Mexique l´œuvre de Seler, suivi par Alfonso Caso en 1925. En 1940, beaucoup de documents de Seler existaient en Espagnol et en Anglais (Comparato 1991-1993 vol. 1: 9-12 ; Nicholson 1991-1993 vol.1 : 13-16). 7 Fernández (1925 : 368) ne précise pas qu’à côté du personnage qui porte la tête trophée se trouve un autre, agenouillé et décapité, et semble partir de l’idée que plusieurs éléments de Chichén Itza, dont le tzompantli, ne sont pas caractéristiques de la zone et sont dus à l`arrivée de groupes provenant du centre du Mexique. 8 La plateforme auparavant été nommée Mausolée II par Teobert Maler (1932 : 52) et identifiée comme une tombe. Pour sa part, Alfred Maudslay (1974 vol. 4 : 34 ) qui se réfère à peine à la structure la nomme « plateforme 12 ». Pour l´information sur les fouilles, consulter Marquina (1951 : 888).

11

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels comme celles que l’on trouve à Chichén Itzá et sur divers objets provenant de sites de la côte du Golfe et de la côte Pacifique,9 étaient le portrait de celui qui avait perdu la partie, au moment où on le décapite. Le fait que la tête du perdant soit placée sur le tzompantli apparaît alors comme une conséquence « logique ». Cette idée a renforcé l’hypothèse selon laquelle les actions qui se déroulaient dans chaque lieu étaient liées. On arrive à cette conclusion lorsque l’on assume le fait que la première action précède la seconde, faisant ainsi apparaître un lien entre les deux espaces à partir de leur localisation, de leur proximité évidente et du transport de la tête tranchée du tlachco au tzompantli. Dans plusieurs travaux généraux, on peut voir dans les paragraphes spécifiquement consacrés à Chichén Itzá comment cette hypothèse se répand. Ignacio Marquina (1951 : 855-859) écrit par exemple qu’à Chichén Itzá, le jeu de balle, le tzompantli et le Temple des aigles forment un ensemble symétrique, alors que le Temple de Vénus et le Castillo constituent un autre groupe. Cependant, sa reconstitution du site souligne davantage l’idée d’un voisinage physique entre le tzompantli et le tlachco et d’une relation particulière. Dans l´ouvrage Arquitectura prehispánica, le dessin de Luis Mac Gregor concède la primauté aux deux structures, alors que les autres constructions mentionnées restent secondaires (Fig. 5). Dans son croquis reconstituant Chichén Itzá, qui date de la même époque, Tatiana Proskouriakoff (1988 planche 18) propose un autre regard et remémore le tzompantli sans faire référence au jeu de balle. Il est certain que tout est question de point de vue et que chaque reconstitution reflète les propositions de son auteur. Non obstat que le jeu de balle et le tzompantli aient été édifiés á des époques différents (Matos Moctezuma 1975 : 114) l’idée d´une relation prédomine toujours. Muriel Porter Weaver (1981: 372) écrit par exemple : « Après avoir vu la décapitation sur les murs du terrain de jeu, le tzompantli est une explication par lui-même ».

tzompantli. Ce dernier cite de nombreuses sources écrites, déjà presque toutes connues, et fait référence à diverses études, auxquelles nous nous référerons également. Outre les données archéologiques de Chichén Itzá, il ajoute une nouvelle proposition qui assimile la plateforme avec ses bas-reliefs de crânes à un tzompantli, en s’appuyant sur une carte du site, suivant ainsi les traces d’Alfred Maudslay. Cela permet à Krickeberg de s’étendre sur le thème de la relation avec le tlachtli, et de comparer ponctuellement la distribution des temples dans le Templo Mayor de Tenochtitlán, telle qu’elle est représentée sur la carte des Primeros memoriales, avec celle des temples sur le plan du site de Chichén Itzá. À partir de cette analyse comparative, qui lui permet de détecter de multiples ressemblances, il souligne la proximité du tlachco et du tzompantli par rapport aux autres édifices et, bien qu’il n’approfondisse pas l’idée, il conclut que la disposition avait évidemment un caractère canonique entre les tribus Nahuas, puisqu’elle existait déjà à Chichén Itzá. Quelques années plus tard, dans sa monographie sur la cité maya, Alfred Tozzer10 explore aussi cette piste et propose la généralisation de cette hypothèse. Il fait une analyse comparative entre Chichén Itzá et les autres sites archéologiques connus en 1957. Par une analyse détaillée de la distribution des structures de Chichén Itzá et de Tenochtitlán, il découvre des similitudes importantes quant à la localisation du terrain du jeu de balle et du tzompantli. Bien qu’il n’approfondisse pas son idée, il écrit que la fonction du tzompantli de Tenochtitlán est la même que celle du tzompantli de Chichén Itzá et précise qu’ils sont certainement associés au sacrifice humain et au terrain de jeu de balle. Marquina tire les mêmes conclusions en observant l’emplacement du jeu de balle et du tzompantli de Chichén Itza.11 À cette époque, les recherches archéologiques à Chichén Itzá dans la péninsule du Yucatán et le plan des Primeros memoriales du Templo Mayor de Tenochtitlán ont été pour les chercheurs des éléments fondamentaux leur permettant d’affirmer l’existence d’une relation entre les deux édifices.12 Cela démontre que, finalement, l’hypothèse s’appuie sur des données du Mexique précolombien venant de cultures et d’époques différentes, et qu’elle ne déclare toujours pas de façon claire et concrète la nature de la relation entre les deux espaces. Néanmoins, on trouve une hypothèse plus spécifique dans une synthèse présentée par Stephan de Borhegyi (1969:

I.7. Tenochtitlán dans des Primeros memoriales La plupart des travaux qui font état d’une relation entre les deux espaces se référent au jeu de balle de Chichén Itzá et à la plateforme avec des crânes sculptés qui se trouve à côté. Ils émettent souvent l’hypothèse que la même chose devait se reproduire à Tenochtitlán, la capitale des Mexicas. Ces études citent une carte qui fait partie des Primeros Memoriales de Bernardino de Sahagún où est tracée l’enceinte du Templo Mayor, qui contient plusieurs temples parmi lesquels se trouvent le tlachtli et le tzompantli (Fig. 6) Le premier est reconnaissable à son plan en forme de I majuscule, le second par sa plateforme basse sur laquelle se trouve un simple râtelier qui porte un seul crâne perforé au niveau des tempes. Théodore Stern (1932: 42-43 et 65) et Walter Krickeberg (1966: 200-201, 219-233 et 264) dans leurs premières monographies sur le symbolisme du jeu dans le Mexique ancien (1948) se servent de ce plan pour parler rapidement de l’existence d’une relation entre tlachtli et

10 Alfred Tozzer (1957, vol. 2 : 130-131, 191) souvenons-nous, émet l’idée que le perdant au jeu est puni. 11 Il signale : « Les seuls restes importants que nous connaissions sont ceux du tzompantli découvert du côté ouest du jeu de balle de Chichén Itza…» et conclut qu’en « tenant compte des dimensions et de son emplacement proche du jeu de balle aussi bien sur le Plan de Sahagún qu’à Chichén Itzá… dans la maquette (du Templo Mayor de Tenochtitlán) nous avons placé cette construction près du jeu de balle…» (Marquina 1960: 84). 12 Étant donné que les sources écrites propres de la région maya parlent très peu du jeu de balle, les chercheurs ont été obligés de se baser sur des écrits concernant d'autres régions, principalement le centre du Mexique. Parmi les rares documents parlant du jeu de balle chez les Mayas, celui de Diego de Landa (1973) mentionne seulement qu'ils jouent à la balle, sans autre détail. Il faut aussi ajouter le Popol Vuh, document déjà mentionné.

9 Dans le chapitre 3 de la première partie, la même scène d'un joueur décapité, répètée dans une série d'exemples, sera analysée.

12

Les traces d´une relation 507-509) sur le déroulement du jeu de balle précolombien. Le chercheur explique que la majorité des terrains qui se trouvent près d’un tzompantli datent de l’époque postclassique (1000 à 1530 apr. J.C.). Bien qu’il se réfère aux mêmes exemples que ceux que nous avons déjà cités, ses observations doivent être soulignées, car elles nous permettent de déterminer l’époque où il semble que ces deux espaces étaient associés. Bien que, comme d’autres chercheurs, il ne définisse pas la nature de la relation, ses observations sont un point de référence majeur pour définir l’époque où cette relation s’établit et tenter de découvrir ses mécanismes. Comme nous l’avons vu, les chercheurs se référent habituellement à la proximité et à la position du tzompantli et du tlachtli à Chichén Itzá car, en 1968, on connaissait peu de structures archéologiques assimilées à des tzompantli. Celui de Chichén Itzá a été découvert en 1927 et complètement mis au jour en 1951. Concernant le Templo Mayor de Tenochtitlan, l’urbanisme et l’emplacement du tlachtli et du tzompantli étaient, et dans une certaine mesure sont, encore hypothétiques, malgré d’amples fouilles dans le centre cérémoniel mexica. On a prédit très tôt leur localisation à partir de la carte des Primeros Memoriales, mais dans les reconstructions ultérieures des archéologues et d’autres spécialistes se basant sur l’archéologie, l’emplacement des deux structures a souvent changé (Boone 1987). L’emplacement a été fouillé depuis 1972 et beaucoup de reconstructions ont été effectuées. Curieusement, dans les reconstructions et les plans, il est évident que l’emplacement des deux structures identifiées comme tlachtli et tzompantli, est toujours « resitué » comme une unité, même si le Teotlachco a bien été localisé. Il semble que cela est dû à l’éternelle recherche d’une relation. Aujourd’hui, les recherches continuent dans le centre de Mexico et chaque découverte d’un grand tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlan soulève une polémique. L’un, localisé dans la rue Guatemala, est signalé dans l’ouvrage El recinto sagrado de México-Tenochtitlán (1979); il est représenté dans la reconstruction faite sous la direction de Constanza Vega Sosa (1979: 95). On y voit une plateforme basse rectangulaire qui porte quatorze palissades de cinq poteaux verticaux et quatre horizontaux, mais aucun crâne. Ruben Cabrera publie les données archéologiques de cette structure, mais ne fait aucune interprétation, ni proposition quant à sa fonction (Cabrera l979 : 61). Celleci a été faite par Jordi Gussinyer dans son article « L’architecture préhispanique aux environs de la cathédrale », où il dit que la structure 1 « était peut-être le tzompantli du centre cérémoniel » (Gussinyer l979 : 7073, plan 8, photo 13). À partir de l’interprétation de Gussinyer, les chercheurs sont arrivés à la conclusion qu’il s’agit du Huey Tzompantli du Templo Mayor, alors que nous ne possédons pas les données archéologiques correspondantes. Pour sa part, Matos Moctezuma, lorsqu’il fait référence aux fouilles de Leopoldo Batres dans la rue des Escalerillas, à l’angle de la rue du Seminario, considère une des découvertes comme le Huey Tzompantli qui se trouvait devant le temple de Huitzilopochtli (Matos

Moctezuma 2007 vol 1: 136). Lors de ces fouilles, Batres (l979: 138, 139 et 142) a trouvé deux constructions en forme de tour avec quatre créneaux dentés dont l’un contenait « de nombreux fragments de crânes et autres ossements humains », et trois murs parallèles orientés nord-sud construits avec les mêmes matériaux que la tour. Il est intéressant de tenir compte de l’interprétation de Matos, mais il est également important de considérer qu’Eduard Seler (l991-1993 vol. 3 : 168-169) pense que la découverte de Batres était une chambre souterraine où l’on mettait les restes humains des victimes immolées dans les vingtaines d’Ochpaniztli et de Tlacaxipehualiztli. On ne sait donc pas vraiment s’il s’agit du tzompantli dont l’emplacement reste hypothétique.13 I.8. Les fouilles de Tula Les emplacements du jeu de balle à Chichén Itzá et à Tenochtitlán deviennent primordiaux lorsque l’on s’aperçoit qu’il existe la même relation à Tula. C’est ce que suggère Marquina en disant que, bien que l’on ne connaisse pas le jeu de balle de Tenochtitlán, il devait être semblable à celui de Tula, et qu’à ses côtés devait se trouver un tzompantli probablement similaire à celui qui se trouve à côté du jeu de balle de Chichén Itzá (Marquina 1960: 196-197). Le jeu de balle 2 de Tula, cité toltèque qui a connu son apogée entre 900 et 1200 apr. J.C., avait déjà été signalé par Désiré Charnay en 1887. Il a été mis au jour en 1940 par Jorge Acosta et Hugo Moedano. Ce n’est que dans les années 70 que l’archéologue Eduardo Matos Moctezuma (1974 et 1975 : 111) identifie le tzompantli de Tula. Il découvre une plateforme en T, complètement lisse et sans aucun bas-relief, située á l’est du terrain de jeu, qu’il considère identique au tzompantli de Chichén Itzá. C’est ainsi que Tula, comme Chichén Itzá et Tenochtitlán, obtient son tzompantli.14 Matos Moctezuma applique le modèle de Chichén Itzá pour interpréter celui de Tula, de telle sorte que c’est la cité maya qui définit les paramètres des caractéristiques du tzompantli et du jeu de balle de la ville toltèque et leur mode de relation.15 La ressemblance des plateformes 13 Les fouilles archéologiques effectuées entre 1991 et 1996 par le PAU (Programme d´Archéologie Urbaine) sous la Cathédrale de la Ville de Mexico enregistrent le terrain de jeu de balle, et il semble avoir un lien avec un tzompantli. L’essai d’Ana Solari (2008) remet en cause le propos initial. Sous la cathédrale, les excavations enregistrent des crânes perforés, donc des éléments désarticulés du tzompantli, mais pas le tzompantli même. Les excavations qui consistent en 32 ouvertures circulaires et 29 perforations ont trouvé plusieurs structures, dont des portions du jeu de balle, ainsi qu’une grande quantité d´objets et des os humains. Pour l´étude, les crânes susceptibles d´avoir orné un tzompantli étaient sélectionnées parmi d’autres matériaux. 14 L´information au sujet des excavations des plateformes identifiées comme un tzompantli a Tula et Chichén Itzá est présentée au chapitre VI. 4.1.2 de la première partie. 15 Ce qui précède s'insère dans une grande discussion qui cherche à trouver les faits qui expliquent les similitudes entre les deux villes. La majorité des chercheurs propose que des groupes du centre du Mexique (Toltèques) qui sont arrivés au Yucatán, à Chichén Itzá, sont responsables des caractéristiques non mayas que l’on trouve sur le site, mais d'autres pensent que les prototypes se trouvaient déjà dans la région. Les chercheurs qui adhèrent à la première proposition estiment que le jeu de balle avec ses marqueurs en anneaux, les scènes répétées de sacrifice humain et de tête trophée, le tzompantli et d'autres éléments comme le Chac Mool, les atlantes, le serpent à plumes, et les salles avec

13

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels appelées tzompantli à Chichén Itzá et à Tula et leur localisation font partie des quelques concordances entre le site maya et le site toltèque que l’archéologue souligne pour soutenir son hypothèse selon laquelle, dans ces deux lieux, se déroulaient des rituels peut-être très semblables, auxquels les deux espaces participaient. Il signale qu’on pouvait voir la même chose à Tenochtitlán. L´hypothèse est explorée lors d’une conférence en 1972, et en 1975 dans une publication. Il s’agit d’une étude sur le sacrifice humain qui comprend un essai détaillé sur le tzompantli. Dans la carte des Primeros memoriales du Templo Mayor de Tenochtitlán, Matos Moctezuma observe l’association de cette structure avec le jeu de balle, comme dans les fouilles archéologiques faites à Chichén Itzá et à Tula. À cette occasion, l’archéologue renforce sa proposition en faisant référence au fait que les bas-reliefs des murs du jeu de balle de Chichén Itzá représentent des scènes de décapitation et que, dans les pictographies, on distingue souvent des crânes sur les terrains de jeu. Il répète évidemment l’information déjà présentée par d’autres chercheurs pour tenter de l’affirmer et il y ajoute des données que les autres n’avaient pas prises en compte.

d’explorer la nature de la relation entre les deux espaces dans ces deux sites. Cependant, les utiliser pour d’autres localités serait pertinent. I.10. Les fouilles de Tlatelolco À Tlatelolco, autre centre nahua important, les fouilles faites en 1963 par Francisco Gonzalez Rul ont permis d’explorer un troisième tzompantli archéologique (Fig. 7). Dans ce cas, l’archéologue a identifié comme tzompantli non pas une plateforme, mais un ensemble de cent soixante-dix crânes présentant des perforations sur les tempes, et disposés en lignes.16 Les études effectuées récemment sur ce site démontrent qu’il y avait plus qu’un seul tzompantli (Guillem 2010: 281) et que les crânes qui les composent n’étaient pas directement associés à une structure identifiable comme un jeu de balle. Malgré tout, la découverte a été considérée comme une démonstration de la relation entre le tzompantli et le jeu de balle (Taladoire 1981 : 437). Bien qu’à Tlatelolco aucun terrain n’ait encore été localisé, l´observation suggère nonobstant que les divers éléments impliqués ne déterminent pas une relation de façon implicite. Dans l’ensemble de ces textes et études, on trouve de façon réitérée la théorie d’une relation entre les deux espaces. C’est une vision qui se base sur des inférences répétées par inertie, reposant sur des propositions infondées et sur un concept totalisateur qui confond des pratiques diverses, caractéristiques de différents peuples de l’ancien Mexique. Les hypothèses de certains chercheurs qui furent les premiers à parler d’une relation entre les deux espaces dans des études plus générales ont été examinées et quelques-unes des sources qu’ils ont utilisées pour les défendre, analysées. Nous avons pu déterminer que, dans ces recherches, l`hypothèse d’une relation entre le jeu de balle et le tzompantli se base sur de nombreuses données archéologiques trouvées à Chichén Itzá, site maya du Classique tardif, à Tula, site toltèque du Postclassique et sur une carte de Tenochtitlán, capitale mexica du XVIe siècle. Le cas particulier de Chichén Itzá est celui qui est le mieux pris en compte pour défendre l’idée de relation grâce à la proximité entre les deux édifices et à la thématique de leurs bas-reliefs. En particulier, on souligne le fait que le jeu de balle donne directement sur le tzompantli, et donc que les cérémonies qui avaient lieu sur le premier s’achevaient sur le second. Cependant, on peut se demander pourquoi considérer uniquement la relation entre le tzompantli et le jeu de balle alors que, dans ces trois sites, le tzompantli se trouve aussi en relation avec d’autres édifices et d’autres structures.

I.9. Une interprétation fondée sur des sources documentaires Pour renforcer ses hypothèses, Matos Moctezuma (1972 : 114) a recours à l’étude des sources documentaires. Il mentionne brièvement le livre du Popol Vuh, cherchant à démontrer qu’il existe une étroite relation entre trois éléments : le jeu de balle, le tzompantli et la décapitation. Cependant, il ne développe pas les bases de son idée et il semble que cette source ne soutienne pas complètement sa proposition. Dans une recherche postérieure, Matos Moctezuma (2001) l’explore de façon succincte et fait référence à d’autres sources. Se basant sur des données prises dans l’œuvre de Bernardino de Sahagún, en particulier le livre 2 du codex de Florence (1979), à la lumière de la carte des Primeros Memoriales (1993), il affirme que durant les cérémonies qui avaient lieu pendant les vingt jours de Panquetzaliztli, en l’honneur de Huitzilopochtli, on sacrifiait les victimes sur le terrain de jeu de balle et que, dans le tzompantli face au Temple du ce dieu, on mettait les têtes des sacrifiés pendant cette période. Finalement, il conclut que cette relation architecturale entre le tzompantli et le jeu de balle est visible dans au moins deux autres sites du Postclassique : Tula (jeu de balle 2) et Chichén Itzá. Avec cette explication, proposée à nouveau par Matos Moctezuma (2010 : 52), on peut certainement détecter un usage analogue des deux espaces pendant des rituels spécifiques qui se déroulaient dans le Templo Mayor mexica, mais en déduire qu’un rite similaire avait lieu à Tula et à Chichén Itzá demande une analyse plus approfondie. En particulier, parce que connaître la dynamique qui s’établit entre les deux espaces à Tenochtitlán et la transposer à Tula et à Chichén Itzá oblige à une identification homogène qui bloque les progrès en imposant des schémas, au lieu de permettre

16

L´ensemble des crânes étaient en ordre parfait en face d´une plateforme basse comportant un escalier sur sa façade ouest située au NE de la place de Santiago Tlatelolco, proche de la grande pyramide (González Rul 1963; Sánchez Saldaña 1972).

colonnes sont des éléments que certains appellent « militaristes», liés aux peuples du Mexique central et du Nord.

14

CHAPITRE II UNE RELATION Á DÉCOUVRIR II. 1. Les preuves d’une relation Pour répondre correctement à la question du chapitre précédent, il faut tenir compte de l’emplacement des deux structures dans le contexte espace-temps des autres édifices de la place principale. Cependant, en général les spécialistes insistent sur la proximité du tlachco et du tzompantli pour prouver une relation entre les deux, sans tenir compte des informations qui nuancent l’hypothèse, par exemple le fait qu’à Chichén Itzá comme à Tula, le jeu de balle et le tzompantli ont été édifiés à des époques différentes (Salazar Ortegón 1952; Matos Moctezuma 1975: 114). Les données archéologiques démontrent en effet que le tzompantli de Tula est mexica, c’est -à -dire postérieur au jeu de balle qui est d’époque toltèque, et que celui de Chichén Itzá est construit sur le sol de la place, donc probablement aussi postérieur au terrain. L’idée d’une relation entre les deux structures est donc contestable, au moins dans ces deux cités, puisqu’elles ne sont ni de la même époque, ni de la même culture. Il faudrait étudier à quel moment et dans quelles circonstances ces deux structures se sont associées afin de déterminer si elles ont eu une utilisation simultanée. Si le tlachco a été conçu au départ sans tzompantli à ses côtés, le tzompantli a t’il été placé pour se trouver à côté du tlachco? Certains chercheurs ont envisagé, on l’a dit, d’étudier les rituels qui se déroulaient entre le tzompantli et le tlachtli à Chichén Itzá et à Tula, mais il n’existe pas de sources écrites à ce sujet. Il a donc fallu chercher l’existence de cette relation à travers les cérémonies qui se déroulaient au Templo Mayor de Tenochtitlán chez les Mexicas, telles qu’elles sont décrites par Sahagún et la carte des Primeros Memoriales. Les spécialistes sont partis de l’idée que la proximité entre les deux structures était une disposition en usage chez plusieurs peuples du Mexique ancien et que les fonctions de l’exhibition des restes humains et du jeu de balle n’avaient pas changé au fil du temps et à travers l’espace mésoaméricain. Cette approche souligne une uniformité, mais oublie les différences entre le jeu de balle et les rituels qui y sont liés, et les différentes façons d’exposer les restes humains qui n’aboutissent pas forcément sur le tzompantli. Il faut bien connaître les bases utilisées par les études sur le jeu de balle pour affirmer qu’il existe une relation entre celui-ci et le tzompantli. Il est surtout essentiel de déterminer ce qu’est un tzompantli, car il ne semble pas y avoir de consensus sur sa définition parmi les chercheurs. Notons simplement qu’à Chichén Itzá, les crânes étaient empalés verticalement, ce qui contraste avec le tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlán où les crânes sont enfilés horizontalement, comme sur la carte des Primeros Memoriales.

les têtes trophées ou les crânes, est souvent liée au terrain du jeu de balle. Il pense donc que les crânes représentés sur le tzompantli sont liés au terrain. Il nuance cependant l’étendue de cette pratique, en signalant « que ce n’est pas toujours le cas, mais lorsque les fouilles montrent un jeu de balle et un tzompantli, la relation entre les deux est si proche que l’on peut dire qu’ils forment une seule entité. » Il ajoute que « le teotlachtli et le tzompantli de Chichén Itzá en sont une parfaite illustration. » L’auteur ajoute que l’on observe la même chose dans de nombreux documents pictographiques et écrits et signale que, dans le codex Magliabechi, les trois crânes alignés au centre du terrain de jeu «… pourraient représenter un tzompantli », répétant ce qu’avait écrit Tezozomoc, afin d’appuyer sa proposition de lien entre les deux structures. Les chercheurs continuent ainsi à utiliser les mêmes sources et à répéter des théories que certains ont proposées depuis longtemps, mais sans les développer. C’est le cas également de l’étude de Jane Stevenson Day (2001), qui note sommairement qu’à Chichén Itzá et dans des sites du Mexique central, les tzompantli sont en général situés à côté du terrain, et que les têtes des victimes, joueurs décapités, sont exposées sur cette grande plateforme. Une importante contribution qui rompt avec ce schéma se trouve dans La fleur létale de Christian Duverger (1983). Il accepte l’existence d’une relation à cause de la proximité du tzompantli et du tlachtli de Chichén Itzá et de certaines des pictographies de Sahagún, tandis qu´il souligne les multiples usages du tzompantli qui ne sont pas liés au jeu de balle, et précise que la relation n’est pas exclusive. Duverger consigne que le lien existait dans certains cas de l’époque postclassique du Mexique ancien, mais il souligne qu’étant donnée la variété des circonstances où le tzompantli fait partie d’un rituel, ce n’est pas une relation privilégiée et le lien ne se manifeste que dans quelques cas précis. Eric Taladoire, dans sa grande monographie Les terrains de jeu de balle, Mésoamérique et Sud-Ouest des ÉtatsUnis (1981), fait une étude détaillée et systématique des jeux de balle dans diverses régions américaines. En abordant le thème de la relation entre le tlachtli et le tzompantli, il trouve que le lien s’établit à partir de la proximité des structures architecturales et de l’acte de décapitation. Dans un travail postérieur où il fait remarquer avec justesse que le jeu de balle est associé à des catégories spécifiques d’édifices comme le tzompantli, il affirme que cette relation pourrait n’avoir de sens que dans certains lieux spécifiques comme Chichén Itza et Tula, mais il ne va pas plus loin dans la proposition car ce n’est pas le sujet principal de son travail (Taladoire 2001, 2003).

II.2. Une relation avec le jeu de balle Certains chercheurs reprennent les propositions sur le jeu de balle avancées par des auteurs mentionnés ci-dessus et utilisent cette information pour soutenir la théorie d’une relation entre les deux espaces. Nous trouvons cette notion dans Ulama, Ballgame, from the Olmecs to the Aztecs de Ted J. J. Leyenaar (1997) qui écrit que la décapitation, en tant que scène explicite ou suggérée par

II.3. À la recherche d’une relation exclusive Tout tlachco n’a pas forcément de tzompantli associé et tout tzompantli n’est pas forcément proche d’un tlachco, cela semble évident, en particulier si l’on se rappelle qu’à Chichén Itzá et à Tula, il y a plus d’un terrain, mais un seul tzompantli. Dans plusieurs sites, il y a de multiples tlachco, mais aucune structure identifiée comme tzompantli : à Kaminaljuyú (Guatemala), on dénombre

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels douze terrains, au Tajín (Veracruz) onze et à Cantona, (Puebla) vingt-quatre. En revanche, à Tenochtitlán, on trouve sept tzompantli, mais seulement deux tlachtli.1 Ces chiffres montrent que le lien entre les deux espaces est très particulier et spécifique, et on ne le trouve que dans des modèles déterminés. Il semble que ce n’est qu’un lien propre aux Nahuas, que l’on ne trouve pas de façon généralisée dans le Mexique ancien. Malgré cela, la théorie de l’existence d’une relation entre les structures a été reprise au cours du temps de façon systématique en l’appliquant à tous les peuples de l’aire culturelle mésoaméricaine, en répétant apparemment des formules bien ancrées dans notre inconscient qui lient la décapitation, la tête et la balle. Horst Bredekamp indique que, pendant la Renaissance, en Europe, le football pratiqué avec les crânes des adversaires vaincus devint un thème littéraire fréquent et il semble que jouer avec la tête coupée était une pratique répandue. Dans un geste de vengeance, François Ier de Médicis aurait juré qu’il n’aurait de repos qu’après avoir joué au calcio avec la tête de Brachiano.2 Il est aussi prouvé que, lors du sac de Rome par l’armée de Charles-Quint, les soldats jouèrent à la balle avec les crânes de Saint Jean, Saint Pierre et Saint Paul (Pérez 1996 : 206). Les paramilitaires de la Colombie actuelle, après avoir décapité un ennemi, jouent à la balle avec sa tête. Cela suggère qu’en Occident, la balle prend le sens figuré de tête.3 Cette conception était particulièrement répandue chez les américanistes qui attribuaient un symbolisme astral au jeu de balle, considérant qu’un crâne servait de balle (Krickeberg 1966: 225, 241, 251 et 290; Stern 1966: 70), et persiste chez les chercheurs anglo-saxons. Ils la reprennent rapidement dans leurs études pour souligner l’existence et la nature de la relation. Ils mélangent les époques et les espaces du Mexique ancien, ce qui, au lieu d’éclaircir la relation, la rend encore plus opaque puisque le sujet n’est pas abordé de manière directe et spécifique. An Illustrated Dictionary of The Gods and Symbols of Ancient Mexico and the Maya, ouvrage de Mary Ellen Miller et de Karl Taube (1993: 43-44, 173 et 176), qui cite le lien dans au moins trois définitions, en est un exemple. Les auteurs indiquent que, lors du jeu de balle,

les joueurs gagnants décapitaient les perdants. Ils laissent entendre que leurs têtes étaient exposées sur le tzompantli, quand le jeu faisait office de guerre et incluait un sacrifice humain, et signalent que les râteliers de crânes (skullracks tzompantli) pour les trophées sont très souvent à proximité des terrains de jeu. D’autre part, ils avancent la même idée pour définir le terme tzompantli, en s’appuyant sur le récit du Popol Vuh, et en indiquant que l’arbre situé à côté du jeu de balle où l’on accrocha la tête de Hun Hunahpu est une référence évidente au tzompantli « plein de crânes humains ». Enfin, sous la rubrique tête-trophée, il est spécifié que «... le tzompantli semble avoir été spécialement associé à des terrains de jeu de balle ». Partant donc du fait que le jeu de balle est associé à la décapitation et la tête à la balle, le tzompantli est alors réduit à une modalité de tête-trophée multiple et à un emplacement où l’on dépose la tête d’un joueur décapité, à une annexe du terrain, en dépit des multiples relations du tzompantli avec d’autres cérémonies et espaces rituels, signalées par d’autres auteurs. Le livre de Miller et Taube est un exemple de la propagation de la conception du tzompantli lié intimement et exclusivement au tlachtli. C’est une œuvre de grande divulgation, traduite dans plusieurs langues, qui réitère des théories infondées qui se perpétuent dans les connaissances générales des thèmes américanistes. II.4. Le problème du tzompantli L’idée d’une relation est souvent avancée dans les monographies sur le tzompantli, ce qui nous conduit à mentionner certaines contributions importantes qui la soulignent et qui ont été très utiles pour ce travail. Cependant, cette approche n’a pas été celle de tous les chercheurs, comme le démontre le premier article qui aborde ce thème, écrit par Théodore Ernest Hamy en 1884, Le tzompantli (1971). L’auteur reconnaît ponctuellement que le tzompantli fait partie de la tradition nahua, chez les Mexicas, et détermine rapidement que c’est une de leurs caractéristiques. Dans sa description détaillée des caractéristiques et des usages, il ne mentionne à aucun moment une relation avec le tlachtli, mais, par contre, il différencie le tzompantli d’autres pratiques sacrificielles qui aboutissent à l’exposition de crânes. Malgré cette magnifique étude, quatre-vingts ans plus tard, dans les publications où l’on aborde ponctuellement le thème du tzompantli, on affirme à nouveau l’existence d’une relation entre les deux structures probablement parce que la définition du terme est devenue plus ample. Actuellement, ce mot est utilisé pour désigner les différentes manières d’exposer et de garder les restes humains : le manque de précision sur la configuration du tzompantli est évident et empêche de comprendre la nature de sa relation avec le tlachtli. Cette idée se confirme en révisant les deux autres monographies sur le tzompantli où sont réunies diverses informations issues principalement de l’archéologie. Dans son étude Le tzompantli, lieu où les têtes chevelues coupées sont alignées, Edith Galdemar (1988 : 6, 34, 38 et 43) reprend les fondements de ce lien tel que l’avait exprimé Matos, faisant référence aux mêmes exemples, en y ajoutant ceux de Taladoire, et conjuguant les

1 L´ouvrage de Taladoire 1981, reste toujours la référence obligée de la distribution et du nombre de terrains de jeu de balle. 2 Horst Bredekamp (1995: 5, 39) indique que la majorité des exemples proviennent d'Angleterre et il se réfère à l'œuvre de John Webster intitulée White Devil, (1612). Il réfère aussi au jeu de mots dans lequel les balles prennent le sens dérivé de testicules, ce que Francesco I de Médicis jure à son ennemi Brachiano. D’autres exemples se trouvent chez Francis Magoun (1938). Les références mentionnent que dans la ville d’Ashbourne, Derbyshire, à l’époque élisabéthaine, on pouvait jouer avec la tête d’un décapité (Teague 2008). Des exemples contemporains seraient que dans une partie de Rugby, les joueurs ont confondu une tête avec la balle (groups: northwestern.edu/women ́s rugby/links-the brush back). 3 Cette appréciation est très ancienne et généralisée, L’Encyclopaedia Americana (1963 vol.3 : 94 - 95) affirme que pratiquement tous les jeux de ballon ont une origine commune : un rite agricole païen, pratiqué au printemps par les anciens Egyptiens et fondé sur l’histoire du conflit entre Horus, dieu de la vie, et Set, dieu des ténèbres. L’origine des équipes se trouve dans cette dualité rituelle. Au fil du temps, un objet rond qui deviendra plus tard un ballon devient le centre d’intérêt. L’origine en est peut-être la tête d’Osiris, probablement la tête d’un mannequin représentant le dieu.

16

Une relation á découvrir pourtant pas raisonner en bloc et de manière globalisante. Les publications citées ont façonné la recherche sur le tzompantli et sa relation avec le tlachtli. L’étude de Paso y Troncoso, la première qui a signalé une relation, est donc à l’origine d’une hypothèse répétée pendant plus de cent ans. Au travers de notre analyse, on peut, dans une certaine mesure, se rendre compte que les mêmes sources d’information, provenant d’époques et de régions diverses, ont été utilisées de façon réitérée : des pictographies élaborées avant et après la Conquête, des textes écrits par les moines arrivés dans la région centrale du Mexique pour l’évangéliser, ou l’ensemble des découvertes archéologiques de villes mayas, toltèques ou nahuas. En analysant la manière dont les chercheurs sont arrivés à cette conclusion, il devient évident que les données utilisées pour affirmer cette relation ne résistent pas à la critique, car on y détecte plusieurs incongruités.

éléments des deux études afin de confirmer la relation. Cependant, le développement et l’optique de sa recherche permettent de découvrir d’autres usages et d’autres contextes du tzompantli qui ne sont pas forcément liés au tlachtli. Même si, et cela est contradictoire, cette approche a conduit à appliquer le terme de tzompantli, utilisé dans un sens très large, à diverses structures et éléments, qui, selon nous, n’en sont pas forcément. Cela est évident dans l’étude de Virginia Miller, The skull rack in Mesoamerica (1999), qui soutient l’hypothèse d’une relation entre les deux espaces en s’appuyant sur les mêmes bases. Miller, à travers plusieurs exemples tirés de données archéologiques, écrites et pictographiques, en réunissant toute l’information citée par les pionniers du thème, conclut, comme eux, que la relation est évidente à Tenochtitlán, Tula et Chichén Itzá.4 La chercheuse dépasse des données connues et des affirmations de routine afin de confirmer une relation entre les deux structures ; elle se sert aussi d’une énorme quantité de renseignements archéologiques qui utilisent de nouvelles techniques de fouilles et montrent l’intérêt des milieux américanistes. Elle affirme que l’on a détecté une proximité entre le jeu de balle et le tzompantli, ou parfois d’un simple ensemble de « crânes cachés », dans d’autres sites de la zone maya datant de l’époque classique tels que Dos Pilas, Ceibal, Nohpat et dans certaines zones de la région Puuc et des hautes terres du Guatemala. Cela suggère qu’une relation entre les deux espaces existait chez divers peuples mayas de l’époque classique. L’analyse de cette information présente un problème fondamental, car, si le terme de tlachtli est défini, celui de tzompantli ne l’est pas clairement et se base en général sur une appréciation subjective. Il a été conceptualisé à partir de diverses informations sans que les activités qui lui sont liées n’aient été véritablement étudiées. Chaque auteur en donne une définition propre. Le terme tzompantli a été utilisé pour nommer divers lieux, structures et restes humains situés loin ou près du jeu de balle. Cela donne l’impression que tous les terrains étaient liés à un tzompantli, et qu’il s’agissait de lieux ayant une relation identifiable.

II. 6. Qu’est-ce qu’une relation ? Les archéologues, les historiens, les anthropologues et beaucoup d’autres utilisent le mot « relation » pour définir ce qui lie ces structures, mais sans chercher à approfondir sa signification. Les mots voisinage, proximité et association sont aussi fréquemment utilisés, et il est nécessaire de préciser la définition exacte de ces différents termes qui n’ont pas la même connotation : le voisinage ou la proximité n’impliquent pas forcément une relation. On se pose la question : quand on affirme une relation entre les structures, quelles sont les entités qui les unissent ? Se réfère-t-on à une proximité physique, c’està-dire à la distance ou à la proximité des deux lieux, ou à une fonctionnalité, c’est-à-dire à des espaces qui sont liés par leur utilisation? Il est en tout cas nécessaire de considérer que toute construction incorpore une zone de transition qui peut être perçue comme la dimension ou l’espace dans lequel les rituels qui s’y déroulent se conjuguent avec ceux qui se déroulent dans l’édifice voisin. Le circuit établit le lien entre les deux espaces, et c’est le parcours d’un espace à l’autre qui finalement induirait la relation. Il s´agirait de lieux ayant une relation identifiable à partir des cérémonies élaborées qu´ils partageaient. Ceux qui proposent un lien entre les deux espaces ne répondent pas à la question de savoir comment s’établit l’interaction. On pourrait penser que la relation existe à partir de l’emploi réciproque des deux espaces et que c’est ce qui les unit dans des circonstances et à des moments déterminés. Cela signifie donc qu’il y a une relation de cause à effet entre les actions qui se déroulent sur chacun d’eux et que celles-ci se succèdent de façon synchrone et progressive. Même si cette approche est correcte, on pourrait dire que la relation s’établit à travers le déroulement des rituels, de leurs sens et de leur dynamique, si l’on admet qu’après le jeu a lieu un cérémoniel qui le lie au tzompantli : une partie suivie d’une décapitation et une tête ou un crâne placés sur le tzompantli. Cela est correct si le jeu consiste effectivement en une action qui se termine par une décapitation et si l’on considère que la relation est définie par les événements rituels qui, conjointement et consécutivement, s’y déroulent. Il est fondamental de ne jamais oublier que le jeu de balle ne s’achève pas toujours par une décapitation et que le tzompantli n’est

II. 5. Comprendre la relation Comprendre pourquoi on a affirmé l’existence d’une relation entre le jeu de balle et le tzompantli est le principal sujet de cette étude, et l’examen des ouvrages qui défendent cette théorie nous a permis d’établir que peu d’auteurs ont clairement démontré ce lien. À peu d’exceptions près, ils n’étayent leur proposition que sur l’association du jeu de balle avec la décapitation du joueur et de celle-ci avec le tzompantli, parce que ces deux structures sont voisines. Ils confondent les différentes pratiques, oubliant qu’il existe plusieurs sortes de jeux de balle, et surtout que la décapitation et la présence de divers restes osseux ne peuvent être considérées comme la preuve de l’existence d’un tzompantli sans analyser chaque élément. On ne peut 4 Dans une étude postérieure, le même auteur écrit que les personnages décharnés des rampes du tzompantli de Chichén Itzá revêtent l’équipement du joueur de balle (Miller 2008: 178).

17

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels pas, en général, situé à proximité du tlachtli. En d’autres termes, aucun des deux espaces n’est défini par l’autre par le simple fait d’être l’un à côté de l’autre. On ne peut parler d’une relation entre les deux que si l’on peut prouver que les événements qui ont lieu sur le tlachco débouchent directement sur le tzompantli, et réciproquement. Si l’on considère les péripéties du début du jeu et celles qui le terminent et si l’on tient compte des édifices qui sont situés à côté, on voit que quelle que soit leur proximité, chacun des espaces est une entité propre et que la réunion des deux ne constitue pas une unité ou une paire. On ne peut parler d’interaction que s’ils entrent en relation à travers des cérémonies. Dans une certaine mesure, l’union entre les deux espaces est comparable à ce qui arrive quand deux éléments entrent en contact. Après la réaction - la cérémonie - tous deux sont transformés, et dans une certaine mesure, l’expression de l’un n’est dépendante de l’autre que dans cette circonstance particulière. C’est l’interaction intime créée par les opérations, c’est-àdire les conventions et les modèles ritualisés des cérémonies partagées, qui établit la filiation entre les deux espaces.5 Les opérations, c’est-à-dire les rituels, caractérisent le lien entre les deux structures et permettent de comprendre sa nature. Finalement, c’est le rituel, dans sa répétition immuable, qui fait connaître les pistes visuelles et gestuelles entre le tzompantli et le tlachtli, quand le terme relation représente la connexion ou la correspondance d’une chose avec une autre, unies dans un même processus. Donc, pour savoir s’il y a toujours une relation entre tous les tzompantli et tous les jeux de balle connus, il faut savoir si cette conjonction est une norme. L’approche est probablement simple, d’un point de vue général, car la seule présence d’un tzompantli sans un terrain associé, vice-versa, suffit à démontrer qu’il n’y a pas toujours de relation entre les deux espaces. On sait par exemple qu’il y a près de deux mille terrains en Mésoamérique (Taladoire 2011b), et que l’on est loin de trouver le même nombre de tzompantli. D’un point de vue de densité relative, la présence d’un seul exemple isolé de l’un d’entre eux suffirait à démontrer qu’il n’y a pas de relation. Cependant, les spécialistes ont répertorié tous les tzompantli et tous les jeux de balle qui forment des paires dans les sites archéologiques, les sources écrites et pictographiques, en considérant qu’elles s’organisent dans le même contexte. Il serait vain de vouloir considérer chaque exemple comme un couple alors que leur fonction ne dépend pas toujours l’un de l’autre. Il va sans dire que cette approximation est très insuffisante. On mêle des choses qui devraient être réellement comprises séparément.

découvertes isolés et sur des preuves provenant de régions et époques diverses, sans tenir compte des différences qui existent entre les pratiques liées à l’exposition de restes humains et au jeu de balle, dans chacune des cultures. Pour résumer, en soumettant l’information provenant d’époques et d’espaces divers à une analyse comparative pour expliquer la relation entre le tlachtli et le tzompantli dans le Mexique ancien, ils ont utilisé des chroniques et des documents pictographiques propres aux cultures de l’Altiplano central, élaborés après la conquête, pour interpréter les restes archéologiques de civilisations beaucoup plus anciennes, transposant ainsi diverses informations pour affirmer l’existence d’un lien, sans approfondir, ni chercher ses origines. Il est donc difficile de détecter la spécificité de la relation et sa distribution espace-temps. Nous n’avons pas l’intention de remettre en question la pertinence de l’usage de sources d’information procédant de diverses régions et époques puisque, dans l’ancien Mexique, existaient un ensemble d’éléments culturels et une tradition millénaire qui s’étend à travers les différentes régions et les différentes époques (Kirchhoff 1967). Les Européens l’ont remarqué dès leur premier contact avec les cultures américaines. Cependant, il est nécessaire de considérer les multiples variantes régionales de la tradition, spécialement dans les activités liées au jeu de balle et à l’exposition de restes humains, car si la forme des pratiques peut être constante, leur contenu peut varier (Kubler 1984). Une morphologie équivalente n’a pas forcément le même sens dans les différentes cultures qui ont utilisé le tlachtli et le tzompantli au cours de l’histoire. Il est donc indispensable de soumettre les sources à un traitement critique. Pour comprendre la relation entre tlachtli et tzompantli, il importe de distinguer les données propres à l’Altiplano central qui datent du Postclassique (900-1521 apr. J.C.), de celles qui sont antérieures, Classique (300-900 apr. J.C.) et Préclassique (300 av. J.C.-300 apr. J.C.) et de celles propres aux Nahuas du XVIe siècle. Cela permettra de connaître les caractéristiques du jeu de balle à chaque époque et surtout de bien distinguer les modalités de manipulation et d’exposition des restes humains pour identifier celles qui sont vraiment des tzompantli. C’est un pas important, car le manque de précision dans la définition du tzompantli et des pratiques liées au tlachtli a permis à plusieurs spécialistes d’affirmer que cette coexistence est généralisée à toutes les époques et à toutes les cultures. Ils ont oublié que le tzompantli est une entité, un mode d’expression qui appartient à une communauté particulière, et qui, bien que semblant faire partie d’une tradition historique, n’est pas partagé par tous les groupes qui manipulaient et exposaient des restes humains. On pourrait dire qu’il existait des variétés de tzompantli : il est donc indispensable de les différencier, de conserver la notion que dans le Mexique préhispanique, il existait un large éventail de formes d’expositions des restes humains. Les considérer toutes comme des tzompantli fait disparaître les différences qui sont pourtant nécessaires pour comprendre leur spécificité et leur relation avec le jeu de balle. Réduire le

II.7. Une tradition partagée L’incongruité principale dans l’approche des spécialistes qui affirment une relation entre les deux espaces est que, pour le prouver, ils se basent sur des faits et des 5 Le rituel libère l´interaction potentielle qui rend la relation visible et performative dans sa représentation. La relation devient manifeste par l´activation rituelle : gestes et mouvements qui génèrent ou dirigent l´action-vision dans un espace rituel. La mise en scène d´espaces rituels, étayée par des images, forme le lien.

18

Une relation á découvrir décrite dans les tonalamatl qui reflètent la structure du monde mésoaméricain. Ils étaient sources et agents de leurs croyances, et on y trouve la congruité et le sens de la relation entre le tzompantli et le tlachtli. Les tonalamatl, les livres divinatoires du compte des jours, les deux cent soixante jours du tonalpohualli, en vingt treizaines, étaient lus par les tonalpouhque, « celui qui compte et prédit le destin ». Tout individu allait le consulter pour savoir si le moment choisi était propice, pour connaître le destin des nouveau-nés et savoir ce qui arriverait, à partir de la lecture des pages du tonalamatl où sont représentés les dieux protecteurs de la treizaine, les figures, les personnages et les objets qui l’influencent et chacun des treize jours qui la forment, comme on peut le voir sur les planches 13 et 19 du codex Borbonicus et du tonalamatl Aubin (Figs. 8 et 9). Sur la planche 13, la déesse Ixcuina-Tlazolteotl préside le destin de la treizième treizaine (signe Çe ollin) et face à elle, se trouve une divinité habillée en aigle qui est une évocation de Tezcatlipoca. Dans le codex Borbonicus, elles sont entourées de divers éléments parmi lesquels un tzompantli ; dans le tonalamatl Aubin, nous trouvons à peu près la même chose, sauf le tzompantli. Il y a un commentaire sur la page du codex Borbonicus : « ceux qui étaient nés ici, moni… billo devaient mourir ». 6 De même, dans la planche 19 des deux codex, la dixneuvième treizaine (signe çe cuauhtli) est présidée par la déesse Xochiquetzal et face à elle Tezcatlipoca, qui cette fois revêt la peau tachetée d’un animal (Paso y Troncoso 1985: 76-77). Dans les deux codex, on trouve parmi les éléments associés, un tlachtli, vu en plan, un personnage décapité et plusieurs autres éléments symboliques. Le commentaire en espagnol du codex Borbonicus dit que « ceux qui naissaient là étaient destinés à être joueurs », et comme le suggère Hamy (1985 : 401 note 60), la présence du jeu de balle a sûrement inspiré le commentateur. La planche parle clairement de l’intime relation entre le jeu de balle et la décapitation ainsi que du lien entre Tezcatlipoca, les déesses terrestres et le terrain de jeu de balle (Seler l991-1993 vol. 4 : 152-158; Krickeberg 1966: 218). Si nous observons les connexions et transformations qui lient le tout, en les replaçant à leur juste dimension, nous arrivons à distinguer un lien qui n’est ni évident, ni direct avec le tzompantli. Il ne reste plus qu’à évaluer son importance pour les Mexicas quand se conjuguent tlachtli et tzompantli, au Postclassique mésoaméricain.

tzompantli à sa plus simple expression est effectivement la meilleure façon de comprendre le développement de sa relation avec le jeu. II. 8. Pourquoi dit-on qu’il y a relation? Finalement, il semble que divers facteurs expliquent pourquoi on perçoit généralement une relation entre les deux structures. Le premier, on l’a vu, est l’utilisation sans discernement du matériel -références historiques ou archéologiques- provenant de diverses régions et d’époques différentes. Le second réside dans le désaccord et la confusion sur la définition du tzompantli – souvent confondu avec d’autres modes d’exposition de restes humains- et sur l’issue du jeu de balle. Pourquoi nombre d’observations et de propositions qui soutiennent l’existence d’une relation ont-elles un caractère subjectif, par exemple quand il faut définir le tzompantli, la relation et l’usage du jeu de balle? Très souvent, les deux espaces sont conceptualisés à travers des idées liées aux pratiques punitives et à une vision particulière des sports, propre à chacun de ceux qui écrivent sur le sujet. Finalement, l’hypothèse d’une relation oblitère la différence pouvant exister entre les modèles d’activité se déroulant sur le terrain et sur un mur ou un râtelier de crânes, dans des époques et des contextes culturels différents. Ce sont quelques-unes des raisons qui expliquent pourquoi les spécialistes répètent des formules énoncées depuis le début par les découvreurs, les conquistadors et les évangélisateurs et pourquoi, au fil du temps, se sont créés et utilisés des stéréotypes qui ont déformé l’image du tzompantli et du jeu de balle, pour conclure qu’il existe, de tout temps et pour l’ensemble du territoire mésoaméricain, un lien entre les deux espaces. Il faut aussi ajouter que la répétition de l’hypothèse vient du fait que les premiers chercheurs se sont tous fondés sur les mêmes soupçons, préjugés et croyances en analysant les mêmes données, sans se rendre compte que ces documents n’allaient pas forcément dans le sens de leur hypothèse, oubliant même parfois des éléments la justifiant. On ne peut nier complètement qu’il existe un lien entre le tzompantli et le tlachtli dans la pensée mésoaméricaine antérieure à l’arrivée des Européens, comme cela apparaît dans les planches du codex Borbonicus et du tonalamatl Aubin, où sont représentés tzompantli et tlachtli, présidés par la déesse terrestre, dans deux de ses représentations en tant que déesse-mère, et Tezcatlipoca (Sullivan 1982; Nicholson 1988 vol. 1: 167; López Austin 1994: 194; Seler 1980 vol. 1 : 118, 141-142 et vol. 2 : 46). La présence partagée de ces déités nous parle du lien entre deux espaces chargés d’un sens qu’il nous reste à découvrir et qui sont liés entre eux comme tout ce qui entourait l’homme préhispanique. Les spécialistes sont arrivés à déterminer qu’il existait un flux entre l’abstraction de la cosmovision, les rituels, les cérémonies et les pratiques habituelles et quotidiennes de l’homme préhispanique, et que sa vision du monde, élaborée au cours des siècles précédents, se reflétait dans toutes ses activités (López Austin 1996; 2001 vol. 1 : 269). Cette cosmovision, fondée sur des concepts de dualité, régénération et communication avec le surnaturel, est

6

« os q nacia aquí en siendo moni…billo sen (¿) avia de moryr » (Aguilera 2001: 35-45; Hamy 1985: 395 note 46; Paso y Troncoso 1985: 74).

19

CHAPITRE III LE TLACHCO III.1 Le jeu de balle Il est inexact, on l’a vu, d’affirmer que, durant toute l’histoire précolombienne, le tlachtli et le tzompantli ont toujours été utilisés de façon simultanée. En effet, les processus qui se déroulaient sur chacun d’entre eux n’avaient pas lieu dans une stricte concordance temporelle et l’information dont nous disposons contredit l’hypothèse d’une étroite relation entre les deux espaces. Effectivement, pendant l’époque précolombienne, des pratiques sacrificielles par décapitation étaient liées au jeu de balle et réalisées sur le tlachco ou à proximité, mais d’autres rituels, qui varient selon l’époque et la région considérées et qui n’ont rien à voir avec le jeu, étaient également associés au tlachco. On considère que, dans le tlachco, se pratiquait un jeu de balle appelé ulamaliztli, aujourd’hui connu sous le nom ulama. Les écrits suggèrent qu’il trouve son origine dans une région où pousse l’arbre producteur de caoutchouc,1 matière élastique avec laquelle on fabriquait la balle qui pesait environ trois kilos et que l’on devait frapper avec les hanches et les fesses. Il s’agit du jeu que les Espagnols ont vu lorsqu’ils sont arrivés sur le continent américain et qu’ils décrivent dans leurs chroniques.2 En nahuatl, la balle s’appelait ollomaloni (Siméon 1988 : 35), et sa taille était semblable à celle de la tête d’un homme, comme le signalent les chroniqueurs, ce que confirment les balles utilisées actuellement.3 III.2. De nombreux jeux de balle Avant de poursuivre, il faut préciser que, dans le Mexique précolombien, de nombreuses cultures, et peutêtre toutes, jouaient à l’ulamaliztli, mais qu’il existait aussi d’autres types de jeux de balle. Par exemple, et sans entrer dans les détails, comme le montrent les images enregistrées par Eric Taladoire (2003), on sait qu’il existait un jeu que l’on peut apprécier à travers une série de figurines très anciennes (1200-800 av. J.C.) d’El Opeño, Michoacán, un ensemble de bas-reliefs qui se trouvent à Dainzú, Oaxaca (500-400 av. J.C.), et le monument 27 d’El Baúl, Cotzumalhuapa sur la côte Pacifique, où l’on se servait de ses mains ou d’un gant pour lancer une petite balle. Un autre jeu, où la balle est frappée avec un bâton, apparaît sur la peinture murale du mur NE de Tepantitla à Teotihuacán que l’on situe entre 450 et 600 apr. J. C., et sur la planche 42 du codex Borgia document datant entre 1200-1400 apr. J. C.4 Finalement,

1 L'arbre du caoutchouc, plante américaine, pousse au Mexique sur le versant du Golfe depuis le nord de Puebla et de Veracruz et le sud de Tamaulipas et du San Luis Potosí jusqu' à la péninsule du Yucatan, et sur le versant du Pacifique depuis le Nayarit jusqu' au Chiapas. Son nom botanique est Castilloa elastica cerv., et il ne faut pas le confondre avec l’Hevea brasilensis, autre arbre à caoutchouc qui croît en Amérique du Sud (Pennington et Sarukhán 1968; Martínez 1986). 2 Il semble que les chroniqueurs n'aient pas écrit sur d'autres jeux de balle, mais cela demanderait une étude approfondie. La majorité des références se rapportent au jeu de balle de hanche, l'ulamaliztli. 3 Juan Bautista Pomar (1981- 1988 vol. 8 : 73-74) dit que la balle est de la taille d’une tête humaine et Clavijero (1964 : 246) affirme que la balle a entre trois et quatre pouces de diamètre. Voir aussi Rochin 1986. 4 Sur un document indigène, appelé lienzo de Puácuaro (1964), élaboré après la conquête espagnole et provenant de la région purépecha, la balle est frappée avec un bâton (Fig.16).

sur la peinture du mur SE de Tepantitla à Teotihuacán un joueur pousse également la balle avec le pied, mais on possède peu d’informations sur ce jeu.5 Il est certain qu’à l’époque précolombienne, il existait une grande variété de jeux de balle, ce qui se traduit par une grande diversité de l’équipement utilisé par les joueurs et par différentes tailles de balles dont on a trouvé des représentations pictographiques ou des sculptures dans les sites archéologiques.6 On peut donc se demander si, l’ulamaliztli mis à part, les autres façons de jouer étaient liées à des pratiques sacrificielles. Cette possibilité est avancée par certains chercheurs pour le jeu où la balle est lancée avec la main, tel qu’il est représenté à Dainzú comme l’indiquent Ignacio Bernal et Andy Seuffert (1979), et à Teotihuacán où des exemples prouvent l’existence de cette pratique selon Claude Baudez (2007). 7 Si l’on ne peut pas écarter l’idée que les nombreuses sortes de jeux de balle pratiquées dans l’ancien Mexique débouchaient sur une mort sacrificielle, chacun d’eux devrait être étudié de manière spécifique pour corroborer cette hypothèse. Dans ce travail, nous nous sommes limités à l’étude du jeu de balle appelé ulamaliztli, dont les origines en Mésoamérique remontent à plus de 3000 ans et qui est encore pratiqué de nos jours. Certains aspects, comme la technique de jeu et l’espace où il se déroule, sont restés inchangés, malgré des variantes, mais les rituels et les cérémonies qui ont lieu sur le terrain ont beaucoup évolué (Taladoire 1981, 2000, 2001). L’équipement utilisé par les joueurs change également et, à certaines époques, particulièrement au Classique tardif (600-900 apr. J.C.), ils utilisent un ensemble d’objets en pierre (Daneels 2010 : 146-147).8 Sur les bas-reliefs du jeu de balle de Chichén Itzá, on peut voir que les joueurs portent un joug à la ceinture avec une hache devant et une palme derrière, et qu’ils tiennent un objet (candado) dans la main. Ces changements dans l’équipement et probablement le déroulement du jeu laissent penser que la

5

On estime que le jeu de balle avec bâton courbe est l'ancêtre du jeu pratiqué aujourd´hui, le jeu tarasque (Beals et Carrasco 1944; Padilla Alonso et Zurita Bocanegra 1992: 357-368). D'autre part, on considère que le jeu de balle avec la main est l'ancêtre du jeu de balle mixtèque, joué actuellement dans la région de Oaxaca (Sweezy 1972 : 471-478). La modalité de jeu qui permet de frapper la balle avec le pied est très semblable au jeu de la bola des Tarahumaras. 6 La taille de la balle, la manière de la tenir et le costume précisent le type de jeu. Bien que des personnes habillées avec l’équipement de l’ulamaliztli qui tiennent de petites balles dans la main ne soient pas forcément des joueurs, ils sont peut-être la représentation des préludes aux jeux. 7 Les têtes dessinées sur la fresque de Tepantitla représentant le jeu de balle avec bâton courbe, ont été identifiées comme des têtes trophées (Uriarte 1992). C'est une proposition qui demande une étude plus poussée. L’éventualité que la tête soit un glyphe du système d’écriture de Teotihuacan est une autre proposition à explorer. Il convient d'ajouter qu'à Tepantitla, on a localisé un joug associé à un crâne et que ce dernier est identifié comme une tête trophée. 8 Les chercheurs en archéologie expérimentale ont démontré qu’on pourrait difficilement jouer à la balle avec cet équipement et pensent donc qu’il s’agit d’éléments votifs pour le cérémoniel (Reina de Vries 1991). Les joueurs utilisaient probablement un équipement semblable, mais fabriqué avec des matériaux périssables. Rappelons qu’à Tikal, on a trouvé un joug en matériel organique, associé aux restes d'une balle de caoutchouc (Jones 1985).

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels et reconnaissent que le jeu varie en fonction de l’époque et de la culture considérée. Ces recherches donnent un meilleur éclairage et laissent entrevoir que le développement du jeu ne s’est pas fait de façon homogène. Il semble important de remarquer que lorsque l’interprétation de la signification du jeu varie, celle du tzompantli change aussi : cet espace devient alors le lieu où l’on accroche le trophée, dans ce cas, la tête, lorsque le vainqueur décapite le vaincu. Le jeu de balle ulamaliztli change au cours du temps, et varie selon la culture qui le pratique, comme l’affirment clairement plusieurs chercheurs qui insistent sur la diversité régionale du jeu (Scarborough et Wilcox 1991, Taladoire 1981). La forme, les dimensions, les bordures et les marqueurs du terrain changent, leur emplacement et leur distribution varient, les édifices qui l’entourent ne sont pas toujours les mêmes, et le nombre de terrains dans un site n’est pas constant. Mais ce qui change le plus est l’équipement des joueurs et la façon dont on représente la balle. Ces éléments ont permis aux chercheurs de mieux connaître et d’interpréter le jeu de balle et les activités qui se déroulent sur le terrain et les ont conduits à se demander si la continuité de la pratique et de la technique durant plusieurs siècles permet d’attribuer au jeu un symbolisme partagé par les peuples mésoaméricains. Les éléments de cette tradition sont divers et complexes : ils comprennent une expression de dualité, une relation avec les forces cosmiques et les cultes de la fertilité, et un conflit entre la vie et l’inframonde. Bien que le rituel associé au jeu ait changé, et que sa fonction au sein des croyances et pratiques de chaque peuple ait également varié (Taladoire et Colsenet 1991 : 173), on peut dire que le jeu avait une signification ancestrale qui faisait de sa pratique une manière d’acquérir un équilibre dans le cosmos. Ce n’était pas une compétition, un affrontement avec un gagnant et un perdant, mais, en suivant le propos de Vernon Scarborough (1991 : 142), une métaphore des conceptions qui occupaient la pensée des Amérindiens. On peut maintenant se demander dans quelle mesure la lecture prédominante associant les deux espaces repose sur des bases concrètes, prises dans la réalité amérindienne. Ne s’agit-il pas plutôt du reflet des conceptions occidentales imposées aux peuples mésoaméricains ? Il est impossible de l’affirmer, mais il semble que cette théorie est plutôt fondée sur l’intuition. Elle semble valable, dans une certaine mesure, au niveau symbolique, mais ce n’est en aucun cas une preuve formelle du fait que les joueurs perdants étaient décapités et leurs têtes placées sur le tzompantli supposé se trouver à côté du terrain.

signification et la fonction des sacrifices qui y étaient associés changeaient également. III.3. La signification du jeu ulamaliztli Pour comprendre la signification du jeu ulamaliztli, trois hypothèses ont été proposées : certains lui attribuent un symbolisme astral et solaire, d’autres parlent d’un point de vue agraire en relation avec la fertilité, et les derniers affirment que le jeu de balle a une fonction sociopolitique. Il faut noter que certaines de ces propositions font référence aux décapitations et à la tête, quelques chercheurs considérant même que celle-ci ou un crâne servait de balle. Théodore Preuss (1990), par exemple, affirme que la balle imite le mouvement des astres et relie cette idée aux crânes qui sont, dit-il, des étoiles mortes. Walter Krickeberg (1966: 221-224, 225, 241, 251 et 290), arrive à des conclusions semblables et affirme que la balle symbolise les corps célestes, le soleil, la lune et les astres nocturnes qui sont décapités. Pour sa part, Stern considère aussi la balle comme un astre, tout en suggérant qu’elle représente les fruits de la récolte ou une tête, selon la région étudiée (Stern 1966: 70). 9 Il est évident que le symbolisme astral et celui de la fertilité attribués au jeu de balle ne s’excluent pas l’un l’autre, et se complètent au contraire, puisque les cycles agricoles et la fertilité étaient liés aux saisons, ellesmêmes régies par le mouvement des astres. On peut ainsi comprendre comment certains chercheurs sont parvenus à lier les aspects cosmiques du jeu avec les aspects agricoles. Cependant les idées sur la balle varient peu. Par exemple, Marvin Cohodas (1975 : 100 ; 1991 : 259), reprenant les propositions de Krickeberg, précise que, dans le jeu, la balle représente le soleil. Dans le même ordre d’idée, Lothar Knauth (1961: 188-190) considère que la balle est un astre, un fruit suspendu dans l’air, ou une tête de mort. La troisième modalité d’interprétation, qui laisse de côté les associations astrales et agricoles, affirme que le jeu servait à résoudre des conflits internes et externes entre les élites et les peuples, comme pour marquer des frontières, et serait donc lié à la sphère belliqueuse et militariste. Cette interprétation précise que le jeu se terminait par un sacrifice, en général par décapitation, et qu’il était utilisé comme substitut de la guerre qu’il symbolisait. Cette pratique acquiert ainsi une forte caractéristique sociopolitique. Cependant, pour ce qui est du lien entre jeu et décapitation, Marcia Castro Leal (1972 : 457) et Susan Gillespie (1991 : 317-318), avec des analyses différentes, arrivent aux mêmes conclusions et affirment que la balle symbolise la tête. Ces propositions sont très semblables à celles de Preuss, Cohodas et Krickeberg. Récemment, les recherches qui abordent le thème du jeu sur le plan régional 10 proposent de nouvelles explications

III.4. Le sacrifice sur le tlachtli Les représentations du jeu de balle permettent souvent d’observer des références aux sacrifices humains. Le sacrifice consiste parfois à arracher le cœur, parfois à décapiter. Pour résumer, on peut dire que les représentations d’extraction du cœur sur le jeu de balle, ou en liaison avec lui, sont plus fréquentes pendant la période postclassique, alors que les scènes de décapitation associées au jeu sont antérieures. Il semble, mais cela n’est pas confirmé et demanderait plus de

9

Les propos qui démontrent la connexion s´appuient sur les observations de Claude Lévi-Strauss 1987 : 72 – 75) qui montre le lien entre la lune et la tête coupée chez les groupes amazoniens et entre des Iroquois et Pawnee. Le motif se trouve aussi en mythologie andine, en Bolivie et dans la Terre de Feu. 10 Dans un excellent résumé sur le thème, Taladoire et Colsenet (1991 : 163) citent les interprétations de plusieurs auteurs. Voir aussi Parsons (1991: 197).

22

Le tlachco recherches, que la décapitation et la tête trophée liées au jeu de balle sont des manifestations du Classique tardif, alors qu’au Postclassique la façon de donner la mort sur le tlachtli était plutôt par arrachage du cœur. Sans savoir si on coupe d’abord la tête pour ensuite arracher le cœur de la victime ou l’inverse, on estime qu’à certaines époques et dans certaines régions du Mexique préhispanique, au moins chez les Mexicas et les Mayas classiques, on pratiquait la double immolation : l’extraction du cœur et la décapitation.11 Les différentes façons de donner la mort impliquent diverses expressions du corps qui meurt12 et plusieurs études l’ont souligné.13 Des informations démontrent qu’au Mexique, dans le cadre de cérémonies et de rituels complexes, les deux façons de donner la mort étaient utilisées soit de manière indépendante, soit l’une après l’autre.14

démontre que le contexte de la scène doit toujours être pris en compte.15 L’analyse des représentations de sacrifices liés au jeu de balle permet de voir que, tout comme l’équipement des joueurs, les modalités du sacrifice et de la mort pratiquées sur le tlachtli sont variables. L’action est parfois passive, un homme portant la tête ou le corps décapité, et parfois active montrant la tête tranchée et l’action même de la décapitation. Cela suggère que la décapitation avait lieu alors que la victime était encore en vie et le sang répandu est un élément fondamental dans cette mise à mort rituelle. La décapitation produisait des flots de sang, comme condition nécessaire pour donner la continuité de la vie. Contrairement aux époques précédente ou postérieure, c’est pendant le Classique moyen et tardif (400-959 apr. J.C.) que l’on trouve le plus de références au sacrifice humain par décapitation en relation avec le jeu de balle. Cela permet de penser qu’il y a eu des modifications dans les schémas et les règles de cette pratique tout au long de l’histoire mésoaméricaine. C’est ce que met en évidence l’iconographie sur l’équipement des joueurs, par exemple, la hache publiée par Lothar Knauth (1961, pl. 5), un élément de l´équipement de joueur de balle où on trouve représenté un personnage qui a un couteau d’obsidienne dans la main et qui de l’autre tient par les cheveux une tête coupée, sculpté sur une hache. Un autre exemple figure sur l’anneau d’un jeu de balle de Comitán (Chiapas) publié par Christopher Moser (1973 : 57) où l’on voit un personnage qui arbore une tête en guise de collier. Dans ces deux cas, on ne voit pas directement l’action de décapitation, mais sa conséquence, c’est-àdire la tête trophée. Il existe cependant d’autres représentations où l’on voit l’acte de décapitation.

III.5. Le sacrifice par décapitation. Les exemples de sacrifices par extraction du cœur liés au tlachtli sont peu nombreux. Nous nous limiterons aux scènes de décapitation. Ouvrir la poitrine et arracher le cœur est très différent de la décapitation et cela démontre la variété des rites et des cérémonies qui avaient lieu autour du tlachtli et du déroulement du jeu. Comme on l’a vu auparavant, des images tardives de décapitation associées au jeu de balle se trouvent dans la planche 19 du codex Borbónico et dans le tonalamatl Aubin (Fig. 8 et 9). Dans les deux ouvrages, on remarque un personnage décapité, sa tête à côté de lui. Il est situé à proximité d’un tlachtli et c’est la raison pour laquelle on le considère comme un joueur de balle, bien qu’il soit au milieu de nombreux autres éléments, attributs et divinités. Ces exemples, ainsi que les représentations d’extraction du cœur dans les codex, semblent prouver que les deux types de sacrifices étaient importants dans la tradition de nombreux peuples mésoaméricains. On remarque que le sacrifice du tlachtli est celui du cœur dans la planche 48 du codex Borgia, dans les planches 12 et 21 du rollo Selden et sur la planche 42 du codex Azcatitlán. Cela

III. 6. L’équipement du perdant L’action est représentée sur de nombreuses images semblables à celles que nous avons vues sur le jeu de balle de Chichén Itzá : un joueur est décapité, le sang gicle de son corps et celui qui l’a décapité tient la tête à la main. Un joueur perdant et son bourreau, le vainqueur qui lui a coupé la tête ? Cette image est un élément clé de notre travail, surtout parce que le personnage qui porte l’équipement du joueur de balle, dont la tête a été coupée, les flots de sang giclant de son cou représentés sous forme de serpents, est en général assimilé au joueur perdant. Cette image était partagée par certains peuples de l’ancien Mexique à partir du Classique moyen. On la retrouve sur les deux zones littorales, dans le Golfe comme sur le Pacifique, et à Chichén Itzá. Cela montre qu’entre 400 et 900 apr. J.C., l’association entre le jeu de balle et la décapitation est fréquente. Comme le disent plusieurs études qui se basent sur la littérature spécialisée, il s’agit d’un phénomène spécifique à cette

11

Michel Graulich (1988) et Claude Baudez (2000) indiquent que le sacrifice par décapitation est plus ancien que le sacrifice par cardiectomie. Ils proposent une origine différente pour chacun : la décapitation se trouve à l'origine dans la région du Golfe et s’étend à la Côte du Pacifique et jusqu'en Amérique du Sud, où les dates correspondent. Le sacrifice par extraction du cœur, plus tardif, est originaire du centre du Mexique. 12 Selon l'étude des mythes de création nahuas, les cœurs étaient le lieu de la chaleur, de l'origine céleste et du mouvement, et par conséquent particulièrement appropriés pour les sacrifices destinés aux corps célestes. D'autre part, la décapitation produisait des flots de sang qui arrosaient la terre pour qu'elle donne des fruits, et a donc rapport avec l'agriculture et la fertilité (Baquedano et Graulich 1993). 13 Beaucoup d’études sont consacrées au sacrifice humain en Mésoamérique précolombienne (Moser 1973 ; Davies 1981; Duverger 1983b ; Boone (ed.) 1984; González Torres 1985; Najera 1987, Fettweiss Vienot 1995; Chacon et Dye 2008 ; López Luján et Guillem 2010). 14 Les chercheurs proposent que le rite de décapitation pratiqué au Préclassique tardif a continué pendant le Classique, et qu’au Classique tardif, il est progressivement remplacé par le sacrifice par extraction du cœur (von Winning et Gutiérrez Solana 1997 : 38). Mais comme le montrent plusieurs études, les deux modalités de sacrifice sont simultanées et varient selon leur fonction.

15

Dans le codex Borgia, la scène fait aussi partie d'un tonalámatl. Dans le rollo Selden, la scène fait partie des histoires de fondation et des dirigeants de la vallée de Coixtlahuaca, Oaxaca ; dans le codex Azcatitlán, elle s'insère dans le contexte de la migration mexica. Dans les deux cas, il s'agit probablement d'un toponyme pour Tlachco, l´endroit ou la ville du terrain du jeu de balle (tlachtli + co) (Barlow 1995 : 84, n° 43 ; Boone 2000: 158).

23

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels plusieurs autres,18 qui, dans leur ensemble, confirment la diffusion de la scène du joueur de balle décapité généralement identifié comme le perdant. C’est sa tête qui, selon certains chercheurs, finira sur le tzompantli.

période, qui s’est répandu grâce à la mobilité des populations. Selon Lee Parsons (1991), dans les régions de la Côte, la pratique de l’ulamalitztli avec l´équipement élaboré (joug, hache, palme et candados) serait formellement liée à l’intrusion de groupes venant de Teotihuacán.16 Bien que le problème soit fort complexe, premièrement parce qu’il reste toujours un doute concernant l´enregistrement du jeu à Teotihuacan, d’autre part du fait du nombre sans cesse accru de terrains au Veracruz (Daneels 2010), Parsons explique que certains groupes marchands et guerriers participant à l’expansion des intérêts de la ville, sont passés par la région du Golfe où est née cette forme de jeu pratiqué avec cet équipement, et qu’ils ont transporté le jeu et le culte vers d’autres régions. Moser (1973) suggère que l'association entre la décapitation et le jeu de balle est le produit des migrations Pipiles à partir de 650 apr. J.C. et souligne les relations entre le complexe Yugo-hacha-palma (joug-hache-palme) porté par des groupes du Golfe et la pratique maya de la décapitation et du culte à la tête trophée, en relisant les études sur les migrations et les mouvements de populations de Wigberto Jimenéz Moreno (1959). Les pratiques de décapitation, qui, chez les Mayas, ne sont pas liées au jeu de balle, semblent avoir été introduites dans la région de Veracruz où elles se combinent avec le rituel du jeu de balle, et le complexe joug, hache, palme. Cependant, ces déplacements de populations ont eu lieu après la chute de Teotihuacán.17 On suppose que les Mayas ont adopté facilement les formes altérées du jeu de balle et ses directives, principalement parce qu’ils partageaient son symbolisme fondamental. En résumé, il est évident que l´étude de l´évolution du jeu de balle est un thème complexe comme l´a bien montré Eric Taladoire (1981 : 532-535). Dans la zone mésoaméricaine, on a commencé très tôt à pratiquer le jeu de balle, et en général les chercheurs font naître sur la Côte du Golfe du Mexique une forme de jeu qui a dominé la région mésoaméricaine tout au long du Classique moyen (400-700 apr. J.C.) : les joueurs avaient un équipement sophistiqué et l’importante iconographie disponible sur ce thème comprend des scènes de décapitation et de têtes trophées. D’autre part, les déplacements de groupes permettent d’expliquer pourquoi cette image se retrouve sur divers objets et édifices de sites d’époques et de régions différentes. Cependant jusqu’à présent, ces représentations n’ont pas été toutes réunies dans un corpus raisonné : nous présentons ci-dessous une liste des exemples trouvés. Celui dont nous avons parlé jusqu’à maintenant se trouve à Chichén Itzá. Néanmoins, on a pu en enregistrer

III. 6. 1. Chichén Itzá De nombreux exemples de cette scène se trouvent à Chichén Itzá.19 Comme nous l’avons déjà dit, la cité comptait treize jeux de balle et la scène de la décapitation se retrouve sur les bas-reliefs de trois de ces terrains. La première est située sur le jeu de balle monumental où elle est répétée six fois (Fig. 3). On la retrouve dans le jeu de balle du Temple des Nonnes, même si elle est peu connue car elle se trouve sur une substructure ancienne (Bolles 1977). Il en existe également une sur les deux bordures de la Maison rouge, Chinchachob (Kurjack, Maldonado et Greene Robertson 1991 : 152). Nous possédons une énorme quantité d’études sur ces bas-reliefs20 et toutes affirment qu’ils représentent le perdant du jeu qui est sacrifié par le capitaine de l’équipe gagnante, sans qu’aucune base réelle ne soutienne cette affirmation. On retrouve la même scène gravée sur la grande pièce hémisphérique qui était à côté du terrain monumental (Wren 1991: 51-58. Boot 2005 : 129-130) (Fig.10), et dans une série de rituels représentés sur les bas-reliefs du temple situé au nord du jeu de balle, on retrouve, avec quelques variantes, la scène du joueur de balle décapité avec des serpents représentant le sang qui sort de son cou (Schele et Mathews 1998: 255). Une des principales différences est que l’on ne représente pas celui qui décapite, ni la tête trophée. Ces scènes se trouvent dans ce que l’on considère traditionnellement comme la zone de Chichén Itzá ayant subi l’influence toltèque et que l’on appelle Chichén toltèque.21 Pour cette raison, on a pensé que l’iconographie du sacrifice par décapitation liée au jeu de balle provenait du centre du Mexique.22 On peut 18

Il convient ici d'ajouter qu'une scène semblable est représentée au Salvador, dans un site rupestre (Carreón et Lerma 2010). 19 L’archéologie montre que la ville se développe à la fin du IXe siècle apr. J.C., quand, au sud de l'emplacement, on construit des bâtiments de type maya et de style Puuc, le style architectural qui prédomine dans la région (866 apr. J.C. et 884 apr. J.C.), ce qu'on appelle généralement Chichén maya. Son développement continue avec plusieurs constructions au nord de la ville qui forment le Chichén toltèque, et se caractérisent par les éléments toltèques déjà mentionnés. L'histoire de Chichén Itzá est complexe. On suppose qu’à la moitié du IXe siècle un groupe appelé Itzá est arrivé dans la région et a assimilé très vite les traditions mayas. La légende raconte qu’au Xe siècle apr. J.C., Quetzalcoatl et ses partisans, un contingent toltèque, partent de Tula et arrivent au Yucatan avec l'aide des Putuns/Itza, où ils fondent leur centre de pouvoir. 20 Généralement, les chercheurs proposent qu'il s'agit d'une lutte entre les Mayas et les Toltèques, groupe envahisseur qui s'est établi à Chichén Itzá, bien que d'autres suggèrent qu'ils pourraient bien appartenir à la même communauté. Kurjack, Maldonado et Greene Robertson (1991: 145-160) présentent les diverses propositions. 21 Des éléments qui ont été nommés « toltèques » sont plus judicieusement classés « mexicains » lorsqu’ils sont présents à Tula (950-1150 apr. J.C.) et sont probablement influencés par Teotihuacán, Oaxaca et la région de la côte du Golfe (Porter Weaver 1981: 344 et 376). Voir aussi Navarrete Cáceres 1996. 22 C´est-à-dire les Toltèques. Cette proposition généralisée, répétée depuis le XIXe siècle, affirme que les scènes du jeu de balle sont « importées». Nous la trouvons dans l´ouvrage de Sylvanus Morley annotée par Brainerd (1983) et dans celui d´Alfred Tozzer (1957),

16 Lee A. Parsons (1991) précise que les différents composants pourraient avoir différentes histoires, et qu'il ne dispose pas d’information suffisante sur leur trajectoire. Il explique que les composants seraient entre autre l'équipement, dont la conception est originaire du Golfe, et les cérémoniels de décapitation et de tête trophée. Á ce propos, la relation entre le joug et le jeu de balle reste toujours hypothétique. Les jougs se trouvent généralement associés aux enterrements et leur appartenance à un culte funéraire est probable. 17 Quelques chercheurs situent les mouvements de population pendant la période d’hégémonie de Teotihuacán, alors que les autres chercheurs les situent après.

24

Le tlachco forme de trapèze permet de penser que là aussi est représenté un joueur décapité avec des serpents qui sortent de son cou.

néanmoins se demander en quoi la scène du joueur décapité est hexogène (Fox 1991 : 214 et 234) car, comme nous l’avons dit, elle se retrouve sur la Maison rouge et le Temple des Nonnes, deux constructions du plus pur style puuc classique, antérieures à l’arrivée du groupe venant du Mexique central, ce qui peut être vu comme un signe de la contemporanéité des structures du Chichén maya et du Chichén toltèque (Wren 1991: 57) et une preuve des relations avec d’autres régions. On trouve à Chichén Itzá, dès le IXe siècle, et peut-être même avant, une iconographie de décapitation liée au jeu de balle dans laquelle les joueurs utilisent l’équipement complet (joug, hache et palme). Pour l’instant, on ne l’a retrouvée dans aucun autre site de la région, alors qu’elle est fréquente dans les zones du Golfe et du Pacifique à des époques plus anciennes. Cette information est importante car, en général, les chercheurs affirment que cette modalité de jeu est née sur la côte du Golfe et ils signalent son importance sur la côte Pacifique dès 400 apr. J.C., lorsque des groupes qui avaient ces caractéristiques ont pu canaliser des influences apportant dans la région des marques caractéristiques, sans se référer à la présence réitérée de cette image dans un site maya-toltèque

III.6.3. Aparicio. La reconstruction de l’image dessinée sur la tablette trapézoïdale du Tajín se doit en partie au fait qu’une scène similaire a été trouvée sur au moins six stèles d’Aparicio, Vega de Alatorre, un centre du Classique tardif (700 à 900 apr. J.C.) localisé au sud du Tajín et qui était probablement son rival politique (Ladrón de Guevara 2010 : 71; Hellmuth 1996, 1975, 1987). On a découvert sur ce site un jeu de balle (Wilkerson 1991: 51), mais ce sont ses stèles qui lui ont donné sa renommée (Fig. 12). Elles mesurent 125 cm sur 53,3 cm sur 23 cm et on y trouve la même représentation d’un joueur de balle assis sur une plateforme en escalier : de son cou, le sang gicle sous forme de sept serpents entrelacés (El juego de pelota 1986 : 50-51). III. 6.4. La stèle de Papaloapan La stèle de Papaloapan, aussi connue sous le nom de Monument 2 de Cerro de las Mesas, est gravée sur ses quatre faces (Ladrón de Guevara 2010 : 70). Le personnage central, qui porte un costume élaboré, peut difficilement être assimilé à un joueur de balle. Il tient dans sa main la tête coupée d’une victime qui est agenouillée devant lui, le sang giclant de son cou (Fig. 13). Malgré les différences, sur le plan général, il s’agit d’une répétition de la même scène.23

III. 6.2. El Tajín La cité du Tajín, dans l’État de Veracruz, a une occupation très longue, allant de 880 av. J.C. à 1150 apr. J.C. Au début du Classique, ce village grandit rapidement et devient très important au point de maintenir des contacts avec Teotihuacán. À la chute de la métropole, El Tajín atteint son apogée (Porter Weaver 1981 : 223-229 ; Pascual 2007). Le site compte dix-sept jeux de balle, et il est évident que la pratique du jeu a été fondamentale dans son idéologie, comme le montrent Michael Kampen (1972) et Jeffrey Wilkerson (1984, 1991) qui ont étudié ce site et ces sculptures durant plusieurs années, sous des angles différents. Les études datent la majorité des terrains de jeu du début du Classique et quelques-uns du IVe siècle, le Classique moyen. Annick Daneels (2010 : 139-140) propose que la pratique de jeu de balle, associée à la décapitation, le terrain de jeu de balle sans anneaux (un élément du Postclassique) et l’équipement -joug hache palme-, apparaissent dans la région à l’époque du Classique moyen et tardif, bien que les études de Lydia Raesfeld (1992) affinent la temporalité proposée. Les cérémonies qui accompagnaient le jeu de balle ont été représentées sur les bas-reliefs des murs de deux des terrains du site et il faut signaler en particulier un des six panneaux du jeu de balle sud. On y trouve un joueur de balle qui porte un joug, une hache et une palme et qui va être sacrifié. Dans ce cas, la façon de donner la mort était plutôt par arrachage du cœur (Fig. 11). Il faut aussi mentionner un des bas-reliefs de la Pyramide des Niches bien qu’il soit en mauvais état (Kampen 1972 : 53) la reconstitution que les chercheurs, par exemple Wilkerson (1980) et Leyenaar (1997 : 26) ont faite de la tablette en

III. 6.5. Las Higueras Dans d’autres cas, les joueurs de balle décapités ont également été dessinés dans cette position, par exemple sur la peinture murale de Las Higueras, Vega de Alatorre, dans l’État de Veracruz (Morante López 1999 et 2005). Les trois peintures qui nous intéressent correspondent à la seconde étape. Elles se trouvent à l’angle nord-est et sur le côté ouest de l’Édifice des Peintures, une structure à un étage, en forme de croix grecque, construite en plusieurs étapes et qui a reçu plusieurs couches de peintures. Dans le premier exemple (Fig. 14), on trouve une scène identique à celles des pierres sculptées d’Aparicio (Morante López 1999: 181-205), mais le personnage décapité est assis sur une balle. À côté, on distingue les jambes d’un autre personnage qui semble porter une tête trophée, mais l’image est trop abîmée pour pouvoir l’affirmer. Dans ce cas, la scène se déroule au centre du terrain comme sur les autres peintures du même site, mais ici, elle est représentée de façon active, contrairement aux autres représentations qui illustrent un événement postérieur aux cérémonies de décapitation sur le tlachtli, lorsque l’on présente la tête trophée. 23

Cette sculpture, cataloguée comme épi-olmèque, est au Musée d'Anthropologie de Xalapa. Elle provient de Cerro de las Mesas, Veracruz, un des plus importants centres entre 600 apr. J.C. et 900 apr. J.C., déjà important localement entre 300 apr. J.C. et 600 apr. J.C. Dans ce site, formé de hauts monticules et de deux jeux de balle, on a trouvé plusieurs sculptures, parmi lesquelles on peut souligner cet exemple pour sa singularité, et surtout pour son thème qui est aussi celui d'autres monuments de la même époque (Stark 2001: 112-113; Pérez de Lara et Justeson, 2007; Ladrón de Guevara 2010: 70).

travaux rédigés au milieu du siècle passé et pionniers en la matière. La théorie est encore en vogue actuellement dans le milieu universitaire. Les encyclopédies et les livres généraux disent essentiellement la même chose. Voir Rivera Dorado (1995 vol. 3: 142); Coggins (2001: 132).

25

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Dans la seconde, deux joueurs se trouvent au centre du terrain (Morante López 2005: 190, 180) Entre les deux, on aperçoit une boule avec un crâne au centre et à côté un personnage plus petit. Le joueur placé à sa droite tend le bras qui tient une tête par les cheveux et dans l’autre main un couteau de pierre. Le dernier exemple est très semblable au précédent (Morante López 2005: 105, 187). La scène se déroule sur le terrain avec une boule au milieu. Le joueur qui est à gauche de la balle semble la toucher, en se penchant vers elle, et le personnage qui se trouve à sa droite tient par les cheveux une tête dont le sang goutte. On pourrait penser que, dans le deuxième et troisième cas, la tête trophée est l’élément le plus important, plus que l’acte de décapitation lui-même, lorsque les sept serpents jaillissent du torse du joueur. Bien que le mauvais état des peintures empêche de l’affirmer, on ne peut écarter l’idée que les personnages qui sont à côté de la balle sont représentés décapités d’une manière très similaire à celle du premier exemple.

d’un des joueurs par décapitation. C’est donc un thème récurrent de l’art de Veracruz pendant le Classique tardif (700-900 apr. J.C.). Les chercheurs qui font des références particulières à cet ensemble de vases insistent sur les ressemblances thématiques entre les dessins sur les poteries, les peintures de Las Higueras, les bas-reliefs d’Aparicio et ceux du Tajín. Les joueurs portent le joug et la hache et un pagne à carreaux. Leurs images présentent également beaucoup d’analogies avec celles de Chichén Itzá : on y retrouve les mêmes paramètres, tout comme sur une céramique provenant du Guatemala. III.6.7. Tiquisate Lors de fouilles faites dans des tombes et de découvertes non contrôlées dans la région de Tiquisate, département d’Escuintla, Guatemala, on a trouvé des offrandes constituées de vases tripodes avec des reliefs faits au moule.25 Sur certains d’entre eux, on retrouve la scène de la mort par décapitation d’un joueur de balle, pendant qu’un autre porte la tête trophée. On en possède actuellement plusieurs exemplaires, dont certains ont été étudiés par Nicolas Hellmuth (1975, 1987, 1992: 169197) et Hasso Von Winning (1980). Sur tous, la scène du joueur décapité et de celui qui brandit la tête trophée se répète, même plusieurs fois sur le même vase.26 Celui qui décapite porte un joug avec des cercles et un tissu sur les hanches, son corps est vu de face avec les jambes écartées. Il tient la tête coupée dans une main et un couteau dans l’autre.27 Le joueur décapité porte un joug taillé qui se termine par une tête d’animal ; il est agenouillé à peu près de la même façon que celui des basreliefs de Chichén Itzá, alors que, dans les exemples en provenance du Golfe, il est assis. De son corps semblent sortir les sept serpents qui représentent le sang, mais si l’on regarde de plus près, on voit qu’il s’agit de mammifères à la langue bifide, car ils ont des oreilles. Ils sont entrelacés comme dans l’exemple des stèles d’Aparicio (Fig. 15). Les chercheurs qui parlent de décapitation sur les vases tripodes de Veracruz et Guatemala signalent généralement quels sont les éléments originaires de Teotihuacán et de quelle époque ils datent. Ils suggèrent des périodes qui oscillent entre les Ve et VIIIe siècles et considèrent donc qu’elles sont antérieures aux pièces en provenance du Golfe ou de Chichén Itzá (von Winning et Gutiérrez Solana, 1997 : 30. Parsons 1991: 206. Hellmuth 1987: 3-4). Quoi qu’il en soit, le nombre de ces pièces démontre l’importance du thème dans la région, mais ne peut servir à démontrer qu’elles sont antérieures à celles du Golfe ou de Chichén Itzá. C’est donc un élément qui demande une recherche plus approfondie, d’autant plus que les datations de Teotihuacan ont fortement changé ces dernières années.

III.6.6. Río Blanco Il existe de nombreuses variantes dans la composition de la scène de décapitation des joueurs de balle, comme nous l’avons vu avec les exemples précédents. Néanmoins, l’idée principale est toujours la même : des joueurs avec le joug et la hache sont décapités et de leur cou émergent sept serpents. Cependant, il existe une variante importante sur céramique moulée, dans une série de vases en terre cuite qui semble provenir de la région de La Mixtequilla dans le centre sud de Veracruz.24 Ces vases n’ont pas été découverts dans des circonstances contrôlées et appartiennent à des collections privées. On les connaît grâce aux études de Hasso von Winning et Nelly Gutiérrez Solana (1997 : 36-43) qui ont travaillé sur les vases comportant des scènes rituelles du jeu de balle et plus précisément celles où l’on voit la décapitation des joueurs. Toutes les informations présentées ici sont issues de leurs travaux. Parmi les rares exemplaires issus d’une fouille contrôlée, le plus connu est celui d’El Faisán, Veracruz. C’est un pot sur lequel se trouve une large scène où l’on distingue quelques joueurs de balle. Le joueur est décapité, les jambes tendues, posture fréquente aussi dans d’autres représentations. De son cou émergent des formes allongées et des cercles, et sa tête est à sa gauche. On considère qu’il y aussi un autre personnage décapité dont on voit le torse d’où tombe sa coiffe. Les trois autres vases avec des scènes de décapitation ont une composition semblable et des formes tracées, même si le nombre de personnages varie (von Winning et Gutierrez Solana 1997 : 40-43). Ensemble, les quatre exemples de Río Blanco, malgré leur style complètement distinct de ce que l’on voit dans des sculptures provenant d’autres sites, offrent le même contenu. Ce sont des pièces ou des basreliefs qui font référence au jeu de balle et au sacrifice

25

Généralement, on date le début de l'utilisation du moule vers 500 av. J.C. probablement à Teotihuacán où on trouve les exemples les plus précoces de cette technique. Ils ont des restes de peinture et de stuc. 26 Les exemples sont des récipients qui proviennent de différents moules. Plusieurs exemples se trouvent chez Hellmuth 1987 fig.1 et 11. Voir The Sport of Life and Death 2001: 256, fig.128; Leyenaar 1997: 71, fig. 12. 27 Cette position, jambes et bras ouverts et la poitrine en avant, se retrouve dans la peinture murale de Las Higueras et dans le codex Borbónico. C' est aussi la position des déesses terrestres.

24 Hasso von Winning (1980) observe que le centre potier était en activité entre 700 apr. J.C. et 900 apr. J.C., contemporain de plusieurs traditions locales qui ont surgi dans la région du Golfe du Mexique où les objets en pierre, jougs, haches et palmes étaient employés dans des cérémonies liées au jeu de balle à partir de 400 apr. J.C. Voir aussi von Winning et Gutiérrez Solana 1997

26

Le tlachco Les circonstances de l´apparition de la tradition du jeu de balle avec joug, hache et palme demeurent énigmatiques. Par contre, nous savons qu’à la fin du Classique tardif (950 apr. J.C.), la tradition du jeu de balle avec joug, hache et palme disparaît28 et avec elle, la scène de décapitation du joueur aux côtés de celui qui brandit la tête trophée et qui est représentée sur les bas-reliefs, la peinture et la céramique. D’une façon générale, les exemples dont nous venons de parler confirment qu’il s’agit d’un phénomène qui a disparu de la côte du Golfe et de la côte Pacifique et est apparu à Chichén Itzá à une époque postérieure, ce qui est complexe si l’on tient compte de la chronologie, même si l’on estime que cela est dû à l’arrivée de groupes venant du centre du Mexique, via la côte, à la fin du Classique tardif ou au début du Postclassique.29 Ce que nous avons présenté ici tente de resituer les scènes représentant un joueur de balle décapité dans le temps et l’espace de l’ancien Mexique, parce que les chercheurs travaillant sur le sujet ont l’habitude de l’interpréter comme le dénouement d’une compétition sportive où un membre de l’équipe perdante est décapité par son adversaire. Il s’agit de faire connaître la figure du joueur « perdant », comme on peut la voir sur une série d’images parallèles, et de montrer la façon dont le jeu de balle et les rituels qui l’accompagnent changent avec le temps. Cela nous permet de prouver de manière formelle que, bien que le jeu de balle ait été largement répandu dans le Mexique ancien, la décapitation et la ritualisation qui lui est associée n’est mise en évidence que dans l’archéologie d’époques très précises. Qu’apporte l'iconographie de la décapitation associée au jeu de balle en face de l´iconographie qui caractérise le à Chichén Itzá? Les groupes tzompantli (Putuns/Itza/Toltecas), qui arrivent à Chichén Itzá vers 800 av. J.C. jouaient-ils à la balle ? La pratique est-elle antérieure à Chichén Itzá ? Le jeu de balle avec le joug, la hache, la palme et la scène de décapitation existaient-ils et le tzompantli s’y ajoute-t-il à l'arrivée de groupes envahisseurs? Ou les pratiques arrivent-elles ensemble, le tzompantli, la scène de décapitation et le jeu de balle ? Parsons, Cohodas et Hellmuth soulignent qu’il est improbable que les reliefs du jeu de balle de Chichén Itza soient toltèques, c’est-à-dire contemporains du tzompantli. En bref et malgré les répétitions, à Chichén Itzá le jeu de balle et le tzompantli ont été édifiés à des époques différentes (Salazar Ortegón 1952; Matos Moctezuma 1975: 114). Il n’y a pas, à cette époque, de relation entre le tzompantli et le tlachtli. En sa conception originale, le jeu de balle étais conçu seul, et si le joueur

est bien sacrifié, sa tête n’est pas exposée sur le tzompantli. Il est possible qu’elle soit placée ou enterrée seule ou avec d’autres têtes, bien que l’on ne le sache pas avec certitude. Virginia Miller (1999: 349-350, 356-357), mentionne les ensembles de crânes sur des plateformes ou dans des caches proches du jeu de balle à Ceibal, Dos Pilas, Nohpat et Tula entre autres. Mais la proximité de deux structures n’implique pas une relation et un ensemble de crânes n’est pas forcément un tzompantli. III. 7. Quel jeu et quel tzompantli ? L’analyse précédente permet de comprendre les bases d’une des hypothèses récurrentes qui affirment que les têtes coupées sur le tlachtli étaient exhibées sur une structure communément assimilée à un tzompantli. Dans une certaine mesure, le problème réside dans le fait que la décapitation a été liée à l’ulamaliztli de manière évidente à partir du milieu de la période classique (400 apr. J.C.) dans certaines régions mésoaméricaines, et que l’on a fait des amalgames sur le contexte de cette pratique et son extension. On a mélangé des pratiques liées au jeu et propres au Classique tardif, correspondant à une série d’images représentant toujours la même scène d’un personnage considéré comme un joueur de balle, avec des pratiques qui ont lieu à d’autres époques. En fait, on a surtout confondu différentes modalités de pratiques postsacrificielles liées au jeu de balle comme le culte de la tête trophée ou la décapitation, avec des usages qui sont propres au tzompantli. Nous pouvons démontrer ce que nous avançons à travers les exemples suivants, auxquels on a déjà fait référence. Le premier exemple est celui du lienzo de Puácuaro (Fig. 16), document colonial de la région du Michoacán, où un joueur frappe la balle avec un bâton. Sur cette image, on trouve également, entre autres éléments, deux rangées verticales de crânes que l’on assimile généralement à un tzompantli.30 On ne peut évidemment pas dire qu’il existe une relation directe et singulière entre les rangées de crânes et le joueur car, comme nous l’avons déjà dit, prouver l’existence d’un lien entre deux édifices demande une preuve plus sérieuse qu’une simple proximité physique. D’autre part, dans ce cas, il ne s’agit pas du jeu ulamaliztli, mais du jeu du bâton et ce que ce que l’on a baptisé tzompantli semble plutôt être une façon d’exposer des restes humains. Nous avons trouvé le second exemple sur le site archéologique de Dainzú, dans l’État d’Oaxaca, où l’on trouve un terrain de jeu d’ulamaliztli et trois ensembles de bas-reliefs sur lesquels on observe plusieurs représentations de personnages lançant une petite balle avec la main, une scène de décapitation et au moins quarante têtes coupées, ensemble appelé tzompantli par Ignacio Bernal et Andy Seuffert (1979: 22-23), ainsi que par Heather Orr (1997 : 25, 311-312), récemment. Le tlachco n’a pas été daté de manière précise et certains chercheurs estiment qu’il est précoce (200 av. J.C. à 300 apr. J.C.) alors que d’autres proposent des dates plus

28 Parsons (1991: 211) propose que le jeu de balle disparaît de la côte Pacifique. Cependant le complexe est repris dans les sites stratégiques des hautes terres où l’on trouve des marqueurs en anneau encastrés, inspirés du jeu mexicain (soit des Hauts Plateaux centraux). 29 La présence de cette image à Chichén Itzá est beaucoup plus complexe et dépasse les possibilités de cette étude. Fox (1991: 214 et 234) explique que : Un sanguinaire jeu de balle avec joug, hache et palmes…. à côté des scènes de sacrifice est originaire de la Côte du Golfe, près du Tajin… Ce complexe se déplace d’abord vers l’Est Guatemala et Honduras- avec la tradition Cotzumalhuapa (terres basses, au Classique moyen ou tardif, et plus tard, au Postclassique avec les dernières migrations d’Est en Ouest), les terrains de jeu de balle n’arrivent qu’aux frontières des régions des Quichés et des Cakchiquels.

30

Patricia Carot, communication personnelle. Sur le côté inférieur du document, il y a un lac, peut être celui de Patzcuaro, et au centre, on remarque des rangées de crânes humains et le personnage qui porte un bâton courbe de jeu de balle.

27

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels tardives (1200 apr. J.C.), et il semble qu’en fait le tlachco a changé de place au cours du temps. La datation des sculptures est aussi problématique : en général, on affirme qu’elles datent de 200 av. J.C. à 300 apr. J.C. et qu’elles sont très antérieures au terrain de jeu de balle que l’on trouve aujourd’hui sur le site (Fig. 17). Malgré la différence de datation entre la construction du terrain et les sculptures, des chercheurs ont avancé qu’il existait une relation entre les évènements se déroulant sur le terrain de jeu et ceux qui sont représentés sur les basreliefs (Orr 1997 : 147-155). Cela démontre qu’en mêlant des faits et des espaces dissociés, on arrive à forger l’hypothèse d’une relation entre le tlachtli et le tzompantli. On a dit que les représentations des joueurs de balle, qui sont gravées sur les pierres plates adossées au pied de la montagne formant une enceinte, reflètent les évènements qui ont eu lieu sur le jeu de balle et que les bas-reliefs de têtes coupées de joueurs sur le plus haut rocher de la montagne forment un tzompantli. Peut-on établir un lien entre le jeu et ce « tzompantli » à partir de la scène représentée sur la partie médiane de la pierre ? On peut effectivement imaginer que, dans cette scène, le personnage qui tient un couteau dans la main gauche et une balle dans l’autre est sur le point de tuer le joueur vaincu qui gît sur le dos à ses pieds. On peut aussi envisager que la tête séparée de son corps sera placée avec les autres, au sommet de la montagne. Les hypothèses qui établissent une relation entre tzompantli et tlachtli vont en ce sens. Mais est-il possible, à partir d’une dalle de Dainzú, d’affirmer que l’ensemble des têtes forme un tzompantli et que celui-ci résulte des pratiques qui ont lieu sur le terrain de jeu du site ? Nous ne le croyons pas : d’une part, il est certain que le terrain de jeu de balle ne correspond pas au jeu représenté sur les bas-reliefs, et d’autre part les rangées de têtes trophées ne peuvent être appelées tzompantli, pas plus qu’un grand nombre de structures, d’ensembles de restes osseux et de représentations de rangées de têtes ou de crânes, auxquels on a donné ce nom. Plusieurs cultures mésoaméricaines, sinon toutes, décapitent, rendent un culte à la tête trophée et jouent à la balle, mais ces pratiques ne se déroulent pas de façon synchrone. Nous pensons ainsi avoir formellement démontré que les têtes et les crânes des joueurs décapités, résultats des rituels qui avaient lieu sur et hors du terrain, n’étaient pas exhibés sur le tzompantli.

28

CHAPITRE IV MORT SUR LE TLACHTLI IV.1 Le crâne sur le jeu de balle Si l’idée d’une relation entre jeu de balle et tzompantli semble impliquer qu’un joueur est décapité, on pourrait supposer qu’un crâne localisé sur un terrain de jeu archéologique appartenait à un joueur de balle. En suivant ce raisonnement, l’objectif des pages suivantes est de présenter les résultats des analyses du crâne trouvé par Alejandro Martínez Muriel au centre du terrain de Santa Rosa, Chiapas, et d’en analyser les implications sur l’idée d’une relation entre les deux espaces rituels (Martínez Muriel et Carreón 2009). C’est un cas presque unique -et donc important- de renseignements archéologiques purs qui associent directement décapitation et jeu de balle. Certains auteurs, comme Marcia Castro Leal et Susan Gillespie signalent des cas semblables, un crâne trouvé sur le jeu de balle 2 de Tula, et un autre dans un terrain de tradition Teuchitlán, mais ne citent pas les références, ce qui laisse penser qu’il s’agit de rumeurs. 1 Cette information complétera les diverses représentations où le personnage identifié comme joueur est décapité et sa tête exposée, comme sur les murs du jeu de balle de Chichén Itzá et d’autres exemples. Elle permettra surtout de réviser l’hypothèse répandue selon laquelle les joueurs (gagnants ou perdants) étaient sacrifiés dans le contexte du jeu de balle et d’envisager la possibilité que la décapitation liée au terrain de jeu de balle n’a pas forcément une relation directe avec le jeu et son résultat. IV. 2 Le jeu de balle de Santa Rosa Santa Rosa, un site de la région du Río Grijalva entre Chiapa de Corzo et la frontière du Guatemala, date du début du Préclassique et atteint son apogée au Protoclassique (200 av. J.C.—200 apr. J.C). Ce site formé de plus de quarante monticules de terre et d’un jeu de balle composé par les structures K et L, était l’un des plus importants de cette région, où l’on trouve le plus grand nombre de terrains de jeu de Mésoamérique. 2 Les fouilles ont mis au jour sur un terrain ouvert, sous le sol, deux vases tripodes renversés l’un sur l’autre à soixante-dix centimètres de la cavité circulaire centrale, d’un diamètre d’un mètre environ. Sous le renfoncement, à vingt centimètres de profondeur, a été trouvé un crâne humain (Fig. 18). Il semble que le trou central ait été fait pour contenir le crâne qui y a été placé, ainsi que les vases, avant la construction du sol en stuc qui date de l’époque de réoccupation du site (650-900 apr. J.C.). Ces éléments fondamentaux permettent de discerner les cérémonies et les rituels qui se déroulaient dans le jeu de balle de Santa Rosa.

1 Marcia Castro Leal (1972: 457-462) écrit qu'un crâne a été localisé dans le jeu de balle 2 de Tula, Hidalgo, mais ne cite pas l'origine de son affirmation. La révision ponctuelle des rapports de fouilles et les publications significatives ne reflètent pas cette donnée. De futures recherches expliqueront probablement cette inconsistance. On trouve une affirmation similaire dans l'étude de Susan Gillespie (1991: 322) sur un terrain de tradition Teuchitlán, mais sans données concrètes qui soutiennent cette hypothèse. 2 Lowe et Delgado ont fouillé le site en 1956 et en 1958. Ils datent le terrain de 400 av. J.C. à 100 apr. J.C., mais de nouvelles données le situent plus tardivement (650 apr. J.C. à 900 apr. J.C.). Voir Lowe 1959; Delgado 1965.

IV. 3 Le crâne et la décapitation Les premières observations montrèrent une déformation crânienne, une mutilation dentaire et un coup sur l’arcade sourcilière droite, laissant penser que la personne avait été décapitée, le crâne ayant encore les deux premières vertèbres articulées. 3 Il semblerait donc qu’il s’agisse du crâne d’un joueur de balle sacrifié sur le terrain après un jeu. S’il est vrai que le crâne appartient à un joueur de balle, il sera simple de confirmer ce qui est maintes fois représenté sur les exemples déjà mentionnés : le sacrifiant porte la tête du sacrifié agenouillé et décapité. Dans ces exemples et dans d’autres tirés du codex Borbónico (pl. 27), codex Nuttal (pl. 80), codex Colombino (pl. 11), codex de Florence (livre 8, fol. 42r), de l’Historia Tolteca Chichimeca (pl. 16v) (Fig. 19) et de l’ouvrage de Diego Durán (chap. 23), aussi bien que sur des monuments mayas avec symbolique de jeu de balle, par exemple le marqueur de La Esperanza, la sculpture de Jaína et les marches de la structure 33 de Yaxchilán, et à partir des maquettes de jeux de balle de l’Occident du Mexique (Taladoire 1981), on peut observer que les joueurs sont des hommes. Il semblerait donc logique que le crâne trouvé dans le jeu de balle de Santa Rosa soit celui d’un homme. IV. 4. Une femme décapitée Les anthropologues physiques ont confirmé qu’il s’agit d’un crâne, avec sa mandibule et deux vertèbres cervicales, l’atlas et l’axis. Ils ont conclu que le corps avait été décapité post mortem,4 que la tête avait été enterrée et que les ligaments qui étaient conservés avaient maintenu la mandibule et les deux premières vertèbres en position anatomique. Quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre qu’il s’agissait du crâne d’une jeune femme, entre vingt et trente-cinq ans et non de celui d’un joueur de balle. Il est difficile de savoir si cette femme a souffert de mort violente, car il n’a pas été trouvé trace des instruments qui servirent à détacher la tête. Cependant, la présence de deux traumatismes cicatrisés sur l’os orbital, un semi-circulaire sur la gauche et un allongé mieux cicatrisé du côté droit, laisse penser qu’elle a probablement connu une vie et une mort violente. Les blessures du crâne et le fait qu’il ait été trouvé au centre du terrain de jeu de balle peuvent impliquer beaucoup de choses. Était-ce une joueuse ? Il est difficile de l’affirmer, étant donné que, dans les représentations de joueurs et de jeux de balle et dans la majorité des commentaires faits par les chroniqueurs, on nie la présence de joueuses féminines.5 Cependant, nous ne pouvons pas éliminer complètement cette possibilité, car Gonzalo Fernández de Oviedo y Valdés (1979 livre 6, 3

Les ligaments unissant l'atlas à l'os occipital sont particulièrement forts et résistent quand le corps commence sa décomposition. Pereira et Stresser Péan (1991 : 231-241) ont écrit que la présence de connexions anatomiques entre le crâne et les premières vertèbres peut être identifiée comme preuve d’une décapitation, pré ou post- mortem, mais soulignent que seule la présence des os hyoïdes le confirme pleinement. 4 Pijoan et Valenzuela 2008. Les différences entre la décapitation d'un corps mort et d'un corps vivant doivent être prises en considération. 5 Theodore Stern (1966 : 57) observe qu'il n'y a aucune preuve que les femmes mayas ou du centre du Mexique jouaient à la balle.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels classique.10 Cependant, chez les Mayas, la mort rituelle était pratiquée dans le contexte du jeu de balle, et les sacrifiés étaient généralement des hommes (Schele et Miller 1986: 249-250).

chap. 2, folio 49) a écrit qu’il y en avait aux Antilles, et parce que, parmi les statuettes en terre de Xochipala, certaines représentations de joueurs de balle pourraient bien être des femmes. De plus, dans le codex Nuttal planche 3, une femme décapitée est au centre du jeu de balle.6 Peut-on affirmer que ces femmes étaient des joueuses ? Si nous ne pouvons donc éliminer complètement la possibilité que la femme dont la tête a été placée au centre du terrain de Santa Rosa ait été une joueuse, à cause des évidentes blessures qu’elle a sur le front, nous ne pouvons pas non plus ignorer l’éventualité qu’il s’agisse d’une guerrière. Tout d’abord, les caractéristiques physiques de cette femme, sa relative jeunesse et son apparente résistance permettent de penser qu’elle était forte et habile et qu’elle pourrait donc avoir joué ou combattu. Nous n’avons pas de renseignements concrets appuyant la première hypothèse. Quant à la possibilité qu’elle ait été guerrière, il faut se rappeler que, parmi les Nahuas du XVIe siècle, les femmes mortes en couche étaient considérées comme des guerrières mortes au combat. Chez les Mayas, les études des titres de femmes ont démontré que certaines références comparent les femmes de l’élite à des guerriers et dans le temple des Guerriers de Chichén Itzá, une femme se distingue parmi les guerriers.7 Cependant, il semblerait que les titres ne reflétaient pas les activités exercées par ces femmes, mais étaient plutôt un moyen de leur concéder des caractéristiques masculines. Nous n’avons donc pas, jusqu’à maintenant, de renseignements montrant que les femmes étaient guerrières, mais l´information provenant des fouilles des sites de Waka Peru et La Florida au nord du Petén surpasse nos images d’Amazones.8 L’idée qu’il s’agisse d’une captive issue d’une autre population, prisonnière ou mariée avec un habitant du site ou capturée, échangée ou vendue et à un certain moment torturée –ce qui expliquerait les cicatrices - puis sacrifiée, permettrait l’identification de cette femme qui n’était pas originaire de la région et venait probablement du centre du Mexique, comme le montrent certaines de ses caractéristiques physiques.9 Il est impossible, pour l’instant, d’expliquer ce que faisait une femme de l’Altiplano central au cœur du Chiapas, pourquoi elle a été tuée et sa tête enterrée dans le jeu de balle, même s’il existe des preuves de sacrifices de femmes chez les Nahuas et les Mayas de l’époque

IV. 5. Les rituels du jeu de balle Connaître le rôle d’une victime féminine dans ce contexte exige l’analyse des rituels variés qui se déroulaient sur le jeu de balle, et de faire la distinction entre une mort naturelle et une mort imposée.11 Beaucoup de jeux de balle s’achevaient certainement par la mort par décapitation, mais cet exemple singulier remet en cause l’idée que la décapitation des personnages était directement liée à la pratique et au résultat du jeu. Le fait que le crâne de Santa Rosa soit une femme nous oblige à enquêter sur son identité et à nous demander dans quelle mesure cela modifie l’identification du personnage décapité représenté sur de multiples images et assimilé à un joueur de balle. Dans les sources écrites, on trouve plusieurs cas de femmes ou de déesses décapitées (Castro Leal 1972), et il importe de souligner que les exemples des déesses de la terre et de la lune sont en relation avec le jeu de balle et avec des scènes de décapitation. Comme on l’a déjà signalé, dans la planche 19 du codex Borbónico et dans le tonalamatl Aubin, la déesse Xochiquetzal, invocation de la déesse terrestre, est directement associée au jeu de balle et à un personnage décapité. Malgré les évidentes associations entre déesses décapitées et jeu de balle, il est impossible de démontrer que le personnage décapité assimilé traditionnellement à un joueur de balle n’en est pas un. C’est un aspect qui dépasse le cadre de cette recherche. Cette brève discussion doit s’en tenir à une simple étude cherchant à définir dans quelle mesure l’image d’un personnage décapité avec des serpents jaillissant de son cou a conservé sa forme. On peut donc se demander si cette image a le même sens au Classique tardif qu’au Postclassique. Il est important d’étudier avec précision chaque scène de décapitation et de ne pas conclure hâtivement que tout décapité était un joueur de balle. Trouver un crâne de femme au centre d’un terrain ne contredit pas l’idée généralisée que le personnage traditionnellement représenté était un homme et qu’il y avait des décapitations de joueurs liées au jeu de balle, mais permet de proposer que l’espace du jeu de balle 10 Sahagún (1985: 134; 1950-1982 vol. 2: 122). Les Mexicas capturaient des femmes dans les batailles et les sacrifiaient, comme le prouvent les nombreux crânes trouvés dans les excavations de Tlatelolco. On a également déterminé que 43 des 170 crânes du tzompantli de Tlatelolco étaient des femmes (Pijoan et Mansilla 1997: 193-212. Schele et Miller 1986: 249-250). 11 Le facteur important à prendre en considération est si la décapitation est pré ou post-mortem, vu la confusion qui peut se produire en essayant de le distinguer. Il faut aussi différencier les pratiques sacrificatoires et les pratiques funéraires. Il est peu probable que la femme de Santa Rosa soit morte de causes naturelles. On peut penser que le décès fut violent, produit d'un mécanisme de mort imposé et contraste avec ce qui serait une mort naturelle. En l’occurrence, nous nous référons principalement à ce que l’on a appelé dedicatory caches, (cistas) qui sont des offrandes, dans certains cas de restes humains (crânes, cadavres sectionnés), supposés être le produit de cérémonies liés à des structures architecturales. On y trouve principalement des squelettes complets, des crânes et des os longs.

6

Christian Duverger (communication personnelle) remet en question cette identification. Voir aussi Krickeberg (1966 : 239) ; Moser (1973 : 36 et 37). Dans ce cas, on peut penser que le jeu de balle fonctionnait comme un toponyme. 7 Erika Hewitt (1999) se réfère au terme na bate et le traduit comme « femme guerrière ». Quant à l'exemple de Chichén Itzá, voir Schele et Freidel (1990: 364-367). 8 Carlos Álvarez (communication personnelle). La femme représentée sur la stèle de La Florida et la femme enterrée à Waka Peru portent le titre de guerrière. 9 L’analyse effectuée par les anthropologues physiques a déterminé que la déformation crânienne est tabulaire oblique et que la mutilation dentaire est de types M et K, facteurs qui indiquent que la femme était probablement du centre du Mexique, peut-être de Teotihuacán. Il convient de souligner la présence de Teotihuacan dans la région du Chiapas, à Los Horcones, ville du Classique moyen, entre Teotihuacán et Kaminaljuyú, Guatemala (Agrinier 1991: 178-179).

30

Mort sur le tlachco n’était pas forcément utilisé uniquement pour pratiquer le jeu, et que d’autres rituels s’y déroulaient et finissaient par une décapitation, même si cela n’était pas non plus systématique.12 Dans ce cas particulier, déposer un crâne et des poteries n’est pas un acte directement lié au jeu, et il faut se demander si la raison d’être du crâne n’est pas de célébrer le début de l’édification du terrain. Sa présence serait alors associée à des rituels de fondation ou de rénovation, entre 650 et 900 apr. J.C. à l’époque de la réoccupation de Santa Rosa et non au résultat du jeu. Plusieurs études précisent que le sacrifice par décapitation, même s’il n’est pas toujours certain que la victime mourait par décapitation, ou l’enterrement de crânes/têtes faisaient partie de rituels et de cérémonies liés à la consécration de constructions et d’édifications.13 Les fouilles ont démontré que, depuis des époques très anciennes, les Mésoaméricains ont déposé des têtes et des crânes avec leurs premières vertèbres aux angles des bâtiments. Les renseignements archéologiques de diverses régions complètent les exemples qui montrent que, chez les Mexicas, on décapitait des prisonniers de guerre et que leurs têtes étaient déposées en offrande dans des cérémonies de fondation, de conclusion et de commémoration.14 La décapitation et la conservation des têtes et crânes servaient à transférer et à s’approprier les énergies des victimes pour la consécration des structures. L’œuvre recevait ainsi « l’âme » grâce au sacrifice et à l’enterrement d’un être humain sous ses fondations ou en son centre. Il convient de mentionner qu'actuellement, déposer des offrandes en inaugurant des logements est une pratique courante, ce qui prouve que certaines pratiques ancestrales subsistent, au cours des cérémonies de consécration contemporaines.15

IV. 6. Au centre du terrain Dans cette étude sur la relation entre jeu de balle et tzompantli, le plus significatif est l’emplacement du crâne dans le terrain de jeu de balle de Santa Rosa. L’information semble indiquer que le crâne au centre du terrain n’a pas la même valeur que le tzompantli, c’est-àdire la structure qui porte les crânes. Dans les représentations, les exemples de crânes isolés au centre du jeu de balle sont relativement communs et nous renvoient au crâne de Santa Rosa. Il y en a un, symbolisant la balle, sur le pendentif de la tombe 7 de Monte Alban, Oaxaca (Fig. 20) et sur la coupe transversale d’un jeu représenté sur une des poteries de Tiquisate.16 La planche 4 du codex Nuttal en montre un autre et il y en a un dans le codex Borbónico (pl. 19), associé à un personnage décapité. On trouve d’autres exemples encore dans le codex Magliabechiano et dans le codex Tudela, Dans des exemples, planche 68r et planche 67r, les crânes forment la ligne qui divise le terrain en deux, et il y en a aussi à chaque angle intérieur. Il nous faut maintenant revenir aux scènes de décapitation du chapitre antérieur, dans lesquelles le personnage avec la tête coupée est assis sur un crâne à l’intérieur d’un cercle. On l’identifie en général à une balle et on a même suggéré qu’elle est fabriquée de caoutchouc avec un crâne à l’intérieur (Miller 2001: 81; Miller et Houston, 1987). Mais si nous écartons cette suggestion et qu’au lieu d’identifier le cercle à une balle, nous l’identifions à un trou au centre du terrain avec un crâne à l’intérieur, on peut penser que nous faisons face à une autre possibilité. Dans une certaine mesure, archéologiquement, on reconnaît la même chose en ce qui concerne les marqueurs. Malgré la spécificité de l’exemple de Santa Rosa, on peut ajouter que, sur un des jeux de balle de Cobá, Quintana Roo, les fouilles ont localisé un crâne sculpté en pierre au centre du terrain et un deuxième marqueur à l’extrême nord, qui est un disque avec la représentation d’un jaguar décapité.17 Il ne faut pas oublier l’image importante provenant de Teotenango18 : au centre du jeu de balle, à 66 cm de profondeur, une offrande composée d’un coffre de pierres sculptées contenant un masque d’albâtre (tecalli) et un fragment de vase du même matériel a été trouvée (Álvarez 1973: 287288 et 303). Il faut ajouter, pour finir, l’exemple de Snaketown, Arizona avec une pierre comme marqueur central au milieu du terrain n° 1 (Gladwin, Haury, Sayles et Gladwin 1965: 36-49), et celui de Paquimé où le marqueur central du terrain recouvrait la tête d’un homme déposée sur un squelette en position fléchie (Di Peso, Rinaldo et Fenner 1974 vol. 2: 414). Comme l’ont montré plusieurs spécialistes, il est probable qu’un crâne ou une effigie de crâne au centre du terrain et les alignements de crânes qui croisent l’axe central se

12 Erik Boot (2005 : 457) explique que le jeu de balle de Chichén Itzá était utilisé pour le cérémoniel de promotion et de légitimation des dirigeants. 13 Moser, 1973; Ruz Lhuillier, 1968: 160; Nájera 1987: 170-181; López Luján 1993: 262-270; Hernández Pons et Navarrete 1997: 72-73. Il convient de souligner que ce n'est pas une pratique limitée aux cérémoniels de consécration. Les recherches qui enregistrent les preuves archéologiques de décapitation sont nombreuses : celles qui se réfèrent aux découvertes dans des emplacements spécifiques, et celles qui analysent les preuves en partant de l'anthropologie physique. Plusieurs études fondées sur des analyses comparatives présentent des résumés réunissant la majorité des données, ce pourquoi nous avons seulement inclus ici quelques références (Turner II et Turner 1999: 415-458; Malvido, Pereira et Tiesler 1997; Pijoan et Mansilla 1997: 193-212). 14 À Tenochtitlan, dans le Templo Mayor par exemple, on a trouvé des crânes avec leurs mâchoires et les premières vertèbres, aux angles des édifices, sur leurs axes principaux et au centre. López Luján 1993 : 237, 261-262) indique que cinquante crânes trouvés dans cent dix-huit offrandes analysées ont été placés dans les axes principaux de l'étape IV b du Temple Mayor. Il faut mentionner qu'à Tlatelolco, les têtes ont aussi fait partie des offrandes de consécration d'une reconstruction qui a été menée à bien entre 1418 et 1427. Les offrandes VI et IV, déposées dans la construction de la 3e étape, contiennent des crânes. Dans l'offrande VI, on trouve les crânes d´une femme et d'un homme, et dans l'offrande IV, le crâne d'une femme (Guilliem Arroyo, Vallejo Zamora et Medina Pérez 1998). Dans la Casa del Marqués del Apartado, on a trouvé un crâne avec ses vertèbres cervicales comme offrande de construction (Hernández Pons et Navarrete 1997: 93). 15 Danièle Dehouve dans son important ouvrage: Offrandes et sacrifice en Mésoamérique 2007, écrit sur le sujet.

16 The Sport of Life and Death (2001 : 167). Voir Miller et Houston 1987 : 51-52 ; Carreón 2006: 156 -164. 17 Cobá était la plus grande ville du nord de la péninsule du Yucatán au Classique (300 apr. J.C. et 900 apr. J.C.). Le site a deux jeux de balle, et nous nous référons aux éléments trouvés dans le jeu de balle du Groupe D, terrain de type ouvert avec anneaux (Con Uribe et Martínez Muriel 2002). 18 Reyes 1973 vol. 1 : 135 et 176. Le jeu de balle date de l'apogée du site entre 900 apr. J.C. et 1162 apr. J.C.

31

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels cérémonies et dans certaines circonstances, fonctionnaient comme des images vivantes des déités et étaient le récipient contenant leur essence. Les images vivantes avaient les attributs des dieux, mais n'étaient pas un aspect ou une illusion : ils étaient le réceptacle du pouvoir de la divinité, son incarnation (López Austin 1996: 178-180). La manifestation matérielle d’un joueur était sacrifiée, mais aucun joueur n’était mis à mort. Pour soutenir cette proposition, notre seul argument serait qu’il est difficile de former une équipe gagnante avec des joueurs dont la victoire impliquerait la certitude d’une mort imminente. Pour appuyer cette affirmation, et malgré la distance temporelle et géographique entre les images analysées dans le chapitre antérieur et les pratiques que décrivent les chroniques du XVIe siècle, les données de Bernardino de Sahagún et Diego Durán indiquent que les seigneurs de Tenochtitlán possédaient des terrains pour le jeu, des joueurs qui jouaient en leur présence et des pages qui gardaient les balles. Dans l’hypothèse selon laquelle la victime sacrificielle du jeu de balle était le représentant de l’équipe gagnante et non un membre de l’équipe perdante, il faut aussi mentionner les éléments qui démontrent l’importance de sacrifier le gagnant et non le perdant. Dans ce contexte et dans d’autres cérémonies, les victimes sacrificielles étaient une offrande, et l’on offrait le meilleur, soit le gagnant. Comme l’indique Durdjica Segota (1984: 17), « le gouvernant ou un quelconque membre de la noblesse supervisait l’exécution des travaux, car ils étaient directement responsables de l’efficacité du tribut. Un symbole ou un signe mal placé, l’attribut d’une déesse oublié étaient de mauvais augure et rendaient inefficaces le travail et l’objet. Et ils punissaient donc sévèrement les artistes qui commettaient des fautes ». Si l’on étend cette observation à d’autres offrandes destinées aux dieux, dans le cas présent des joueurs de balle, ils n’auraient pas choisi les vaincus car le don perdrait alors son efficacité, l’exécution du jeu ayant été mauvaise. Il s’agirait donc d’une activité ritualisée, moyen de communication avec le surnaturel qui devait être parfait et suivre des règles préétablies. Le sacrifié devait être le gagnant, une offrande nourricière, et son sang devait alimenter les dieux; mourir de cette façon était « une mort précieuse et désirée » (codex Vaticano Ríos 1964-1967 vol. 3: 78). Dans la mystique guerrière propre aux Mexicas, leur devoir est d’alimenter le cosmos. Les notions religieuses spécifiques à la tradition mésoaméricaine soutenaient que les restes humains étaient des offrandes qui, dans la pensée indigène, possédaient des attributs magico-religieux et étaient très appréciés des dieux (Seler 1990 vol. 5: 132. López Austin 1984: 177). Les objets et les rituels éphémères pleins de musique et de cérémonies spécifiques qui rappelaient les mythes incorporaient le sacrifice humain, l’offrande de douleur, de mains, de têtes/crânes et de cœurs : prix et obligation pour maintenir l’équilibre du cosmos.

réfèrent à la mort sacrificielle, principalement par décapitation, qui était importante pour l’édification d’un terrain et pour le rituel du jeu. Mais c’est un sujet qui exige plus d’attention, car il est évident que les espaces d’édifications et de jeux de balle étaient transformés à partir du dépôt d’offrandes qui étaient généralement des têtes humaines. Faire des offrandes était une action fondamentale pour la consécration du terrain et une manière d’inclure le terrain dans l’ordre cosmique. Ce qui précède permet de faire une différence entre le tzompantli, râtelier ou mur des crânes proprement dit, le crâne et le trou au centre du terrain auquel nous nous réfèrerons de façon détaillée dans le prochain chapitre. Dans la planche 35 du codex Borgia, il est au centre du terrain, et les êtres peuvent y entrer ou en sortir comme on peut le voir sur les images des planches 7 et 19 du codex Vindobonensis. C’est l’endroit où sont le crâne ou la balle comme dans le codex Bodley, ou un trou, comme dans la planche 2 du codex Colombino. Un exemple singulier qui réunit plusieurs des éléments mentionnés provient du grand cenote de Chichén Itzá. Il est gravé sur du jade ; nous y voyons le trou avec un crâne à l’intérieur et un personnage qui en émerge (Seler 1991-1993 6 : 41165). IV. 7. Qui est sacrifié ? Qui était sacrifié à la fin du jeu, le gagnant ou le perdant ? Cette question vient de l’idée reçue selon laquelle certains types de jeu de balle se terminaient par la mort du joueur vaincu, comme nous l’avons dit dans l’Introduction, même si nous soupçonnons qu’on ne peut y répondre pleinement. Comme nous l’avons vu précédemment, la majorité des auteurs penche pour le perdant alors que quelques autres affirment que c’est le gagnant. Cependant, devant le manque de preuves en faveur de l’une ou l’autre des théories, il faut en explorer une troisième : s’il est vrai qu’il y avait un sacrifice par décapitation à la fin du jeu de balle, ceux qui mourraient n’étaient pas les joueurs. Sur la planche 21 du codex Borgia, le Tezcatlipoca noir et le Tezcatlipoca rouge s’affrontent au jeu de balle et aucun des deux ne meurt. Celui qui meurt est la victime sacrificielle. Un deuxième exemple, tiré du planche 21 du codex Nuttal, laisse aussi entendre que les sacrifices qui se déroulaient sur le terrain n’étaient pas forcément liés aux joueurs. Il semble que des prisonniers et des victimes sacrificielles étaient conduits au terrain de jeu de balle. Nous en trouvons d’autres exemples à Cobá : les imposants bas-reliefs procédant du jeu de balle montrent des captifs agenouillés, les mains attachées (Con Uribe 2000). Ces représentations permettent d’analyser la proposition qui affirme que le jeu de balle ne s’achevait pas forcément par la décapitation d’un joueur et que le personnage en costume de joueur de balle, figuré sur les reliefs et peintures analysés dans le chapitre antérieur, n’est pas un joueur, sinon un prisonnier qui personnifie les joueurs de l’équipe gagnante. IV. 8. L’image vivante du gagnant Dans le jeu de balle, mouraient des victimes sacrificielles qui représentaient probablement les gagnants. Ils étaient comparables aux victimes capturées qui, dans certaines

32

CHAPITRE V UNE EXPOSITION FRAGMENTÉE V.1. La tête et le crâne-trophée Outre le manque de précision sur les différents rituels qui se déroulaient sur le terrain du jeu de balle, le manque de définition du tzompantli est un élément fondamental pour la recherche d’une relation entre les deux structures. Il est donc nécessaire de faire la différence entre le tzompantli et les autres modalités d’exposition de crânes et de têtes : culte du crâne ou culte de la tête trophée. Dans les deux cas, la tête humaine est primordiale, mais il existe des différences majeures. La préservation du crâne d’un ancêtre ou d’une personne importante de la communauté est un acte de vénération,1 et ce geste est loin d’être considéré comme agressif. Le mouvement qui consiste à prendre la tête d’un ennemi vaincu et à la garder est une manifestation très différente. La tête ou le crâne devient un objet qui permet d’affirmer des codes liées au culte guerrier. Le tzompantli et ses usages correspondent plus au culte des têtes-trophées : une récompense, pas obligatoirement un butin de guerre, mais quelque chose d’acquis ou de conquis, et l’objet, tête ou crâne, conservé ou arboré comme un souvenir devient offrande. Toute tête coupée n’est pas forcément une tête trophée. La tête est une offrande plus qu’un élément reflétant un exploit. Il est important de distinguer ces pratiques d’exposition des restes humains. Il est clair que le jeu de balle est associé à la décapitation et à la tête trophée, mais lorsque l’on propose un lien entre jeu et tzompantli, ce dernier semble être réduit à une sorte de tête-trophée multiple et au lieu où l’on expose les têtes des joueurs décapités. Les pages suivantes présentent les différentes pratiques liées à l’exposition de restes humains, dont certaines coexistent dans le temps et l’espace avec le tzompantli. Nous commencerons par celles qui sont liées au culte de la tête-trophée ou du «crâne-trophée », afin de montrer la singularité du tzompantli et de déterminer sa spécificité chez les peuples nahuas antérieurs à la conquête. La littérature archéologique rend compte de plusieurs découvertes de corps décapités et d’enterrements de crânes avec mandibules et vertèbres. Beaucoup sont des preuves de pratiques sacrificielles liées à la consécration de constructions, par exemple à Santa Rosa. Obtenir et transformer des têtes et les exhiber ou montrer des crânes au lieu de les enterrer faisait partie de divers rituels de plusieurs populations du Mexique préhispanique depuis des époques très anciennes. Christopher Moser (1973) étudie l’iconographie associée à ces pratiques à la lumière des découvertes archéologiques. Il répertorie la majorité des scènes connues de décapitation et de personnages portant et montrant des têtes coupées et des crânes, pratiques qui se déroulaient dans différents contextes et à

1 L'ancien Mexique avait des pratiques de commémoration et de préservation des ancêtres (rites funéraires) et de rites sacrificiels. Les pratiques post mortem liés aux rites d´enterrement que reçoit le corps varient selon la région, et l'incinération était pratiquée couramment. Dans les enterrements accompagnés de biens somptuaires, on trouve souvent des accompagnants qui ont peut-être subi une mort violente. Ces pratiques se reflètent archéologiquement dans des sépultures trouvées sous des pyramides, des temples et des complexes d’habitations.

des fins diverses.2 Malgré leurs similitudes avec le tzompantli, en ce qui concerne l’exhibition de têtes et de crânes, elles avaient probablement une signification et des fonctions variables selon l’époque et le lieu, mais étaient semblables dans leur façon de mettre en valeur les qualités physiques, éphémères et surnaturelles de la tête humaine. Moser donne de nombreux exemples et montre que la décapitation et le culte de la tête-trophée sont des pratiques liées à des systèmes de croyances complexes propres à différents groupes mésoaméricains. Dans les pages suivantes, nous reprendrons certains de ces exemples et en ajouterons d’autres, principalement ceux dans lesquels la tête a été classée comme trophée. Cet inventaire cherche à prouver que si, chez les anciens Mexicains, plusieurs modalités de présentation de tête ou de crâne se sont conjuguées, les unes analogues et d’autres distinctes du tzompantli, elles n’en étaient pas forcément les équivalents, les précurseurs ou les antécédents. V. 2. L’acte de décapitation Les représentations montrent que l’acte de décapitation et la tête-trophée sont des pratiques très anciennes de l’ensemble mésoaméricain.3 Sur la stèle 21 d’Izapa, Chiapas, datant du Préclassique (250 av. J.C. -150 apr. J.C.), un personnage décapité gît aux pieds d’un individu qui tient un couteau de sacrifice dans une main et de l’autre, la tête par les cheveux. Cette très ancienne scène de décapitation peut être considérée comme un précurseur direct des représentations de personnages décapités, assimilés à des joueurs de balle, avec des serpents ou autres formes organiques jaillissant de leur cou. On a vu que cette scène se répète sur divers objets et permet de déterminer que l’association jeu, décapitation et tête-trophée existe depuis le début du Classique et se poursuit jusqu’à la fin du Classique tardif, même si au Postclassique, on trouve encore des représentations de décapitations dans l’enceinte du jeu de balle. La stèle d’Izapa est singulière, car c’est une des scènes de décapitation les plus complètes que nous ayons trouvées, et elle est le précurseur des scènes de joueurs décapités. Il faut cependant signaler que l’on trouve des scènes semblables sur des bas-reliefs très anciens comme la stèle 1 d’El Jobo, côte du Pacifique, Guatemala et la stèle 3 de Tres Zapotes, Veracruz, même si elles sont très abîmées,

2

Moser (1973 : 46-50 et tableau 2) souligne que la décapitation et la tête-trophée sont des pratiques présentes dans toute la Mésoamérique et qu’à l´époque préclassique, les personnages importants portent des têtes trophée. Au Classique, le culte de la tête-trophée est lié au culte de Xipe Totec, et chez les Mayas, la décapitation est liée à la guerre et à l'autoritarisme, au temps où guerriers et dirigeants portent des têtes. Nous les trouvons liées aux cultes lunaires et stellaires, à la fertilité - la terre cultivée liée à l'agriculture. Les têtes trophées font partie des cérémonies consacrées à des déesses comme Teteu Inan-Toci, Xochiquetzal et Xilonen, et à des dieux comme Quetzalcoatl, Xolotl, Xipe Totec et Mixcoatl. Voir Nájera (1987: 170-184) et González Torres (1985, 1990). 3 Kirchhoff (1967) inclut dans les éléments communs à la Mésoamérique et à d'autres secteurs culturels de l'Amérique, les «trophées de tête ». Il convient de souligner que la rubrique « chasse de têtes » n’est pas inclue dans les éléments mésoaméricains.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels décapité n’est pas représenté, mais le sang jaillit et s’égoutte du cou de la tête coupée, comme nous pouvons le voir sur des exemples mayas du Classique.6 Cependant, dans la majorité des cas, la tête est sèche et un personnage la porte par les cheveux, comme sur les peintures murales de Rita Corozal au Belize et sur les bas-reliefs du Mural de las Cuatro Eras de Toniná, Chiapas. Dans ces derniers comme dans beaucoup d’autres images, la tête-trophée est un bien individuel, dont l’obtention et la présentation bénéficient à toute la communauté, lorsqu’elle est donnée en offrande. Les individus qui portent ou qui reçoivent une tête-trophée sont vêtus de façon différente, et la diversité des objets qu’ils portent, tête-trophée et couteau de sacrifice, comme les éléments qui composent leur tenue, suggère que la tête-trophée fonctionne comme qualificatif d’un groupe ou d’une personne. C’est ce que nous observons sur les bas-reliefs du tzompantli de Chichén Itzá et dans d’autres exemples du même site (Greene Robertson 1995). Les personnages portent des attributs distinctifs, probables références à la déité qu’ils représentent et à son champ d’action. D’autres exemples prouvent l’existence de ce culte chez les Zapotèques du Classique. Les urnes anthropomorphes trouvées dans les tombes de Monte Albán représentent des divinités, dont Xipe Totec, qui tiennent par les cheveux des têtes coupées (Moser 1973 : 52). On trouve également des personnages tenant une tête par les cheveux chez les Huastèques. Les peintures de l’autel polychrome de Tamuín, San Luís Potosí, laissent penser que cette caractéristique ne s’applique qu’à certaines des divinités représentées sur le mural, ce qui souligne une certaine spécificité (Zaragoza Ocaña 2003). L’énumération de tous les exemples de personnages tenant une tête-trophée par les cheveux, façon la plus répandue de la porter, dépasse le cadre de ce travail. Les exemples, de diverses régions et périodes mésoaméricaines, montrent la continuité et l’extension de cette pratique. Ils montrent aussi qu’exhiber et porter la tête-trophée était le fait de nombreuses cultures sans être spécifique d’aucune, et que, depuis des époques très anciennes, la tête portée par divers personnages était représentée dans des contextes variés. La planche 134v de la Relación de Michoacán de Jerónimo de Alcalá (1989) représente la fille de Tariácuri, le seigneur tarasque, portant la tête d’un seigneur de Curínguaro. La tête, qui a été coupée par la demoiselle, est déposée sur un autel de la ville où l’on mettait les captifs. Cette référence rappelle que de nombreux spécialistes ont insisté sur le fait que le culte de la tête-trophée est lié à la guerre. Cependant, ces exemples montrent que, s’il est vrai que la victime est obtenue dans le contexte de lutte et de batailles entre gouvernants, la tête trophée, elle, n’est pas liée directement au déroulement même de la bataille. Son obtention est une réponse à un sacrifice lié à la guerre de façon indirecte, à travers des évènements rituels et des cérémonies qui se déroulent plus tard. Dans le contexte

ce qui ne permet pas toujours d’observer les détails (Moser 1971 : 11). Les plus anciennes représentations de sacrifices par décapitation et de corps décapités datent donc du Préclassique et sont de style Izapa. Elles démontrent que très tôt, dans les rituels, avaient lieu des décapitations et que faire couler le sang de la victime était un acte important. Certaines scènes de décapitation postérieures représentent aussi le sang qui coule du corps et parlent de la continuité de cette pratique. Nous trouvons la même chose dans un exemple précoce de Monte Albán, Oaxaca, sur les bas-reliefs de l’édifice des Danseurs. Parmi les corps tordus et torturés, on remarque trois exemples de têtes-trophées (Bernal et Seuffert 1979 ; Scott 1978 fig. J112). Nous trouvons d’autres exemples dans des documents tardifs, comme la planche 38 du codex Féjervary Meyer, la planche 1 du codex Laud, et la planche 24 du codex Vaticano B. Dans une scène du rollo Selden et sur un pendentif de nacre huastèque (900-1450 apr. J.C.) conservé au British Museum (Mc Ewan 1995 : 35), des scènes similaires sont représentées : le sang du décapité coule vers la gueule du monstre de la terre. La décapitation provoque le flot de sang que la terre désire, et les gouttes qui y tombent l’arrosent, la fertilisent et garantissent sa fécondité, par exemple.4 Cependant, dans d’autres scènes, il est impossible de déterminer si le but de la décapitation est le même, surtout lorsque le flot de sang n’est pas représenté, laissant supposer que la fin de la décapitation n’est pas d’obtenir du sang, mais une tête trophée. Sur une poterie maya, le Vase Princeton (Schele et Miller 1986 : 296-297), on coupe par-derrière la nuque de la victime agenouillée, et sur la planche 58 du codex Borgia, le sang n’est pas représenté. Ces exemples montrent la tête séparée du corps vivant, tenue par les cheveux.5 Cette façon de porter la tête est celle que nous retrouvons dans la majorité des exemples, probablement parce que c’était la plus pratiquée. Ces images montrent l’enracinement et l’étendue de la pratique de la décapitation dans le cérémoniel mésoaméricain, hors du contexte du jeu de balle. Ils mettent en évidence que l’acte de décapitation est double : obtenir du sang et obtenir une tête, les deux actions ayant des fonctions spécifiques dans le déroulement d’un cérémoniel lié à plusieurs cultes. V. 3. Tenir la tête-trophée par les cheveux Si l’on ne peut parler d’une tête-trophée sans parler de décapitation -l’action qui précède- dans l’art mésoaméricain, les scènes de personnages portant une tête-trophée sont des plus fréquentes : allusion à la mort par décapitation d’un être vivant ou à la saisie de la tête sur un cadavre, sans que cela ne soit représenté explicitement. Certaines formes de présentation de la tête font directement référence à la mort par décapitation d’une victime vivante. Dans certains exemples, le corps 4

Graulich 1988; Baudez 2000. Le sang est un liquide vital qui s’offre aux dieux. 5 Les différentes manières de représenter le sang et surtout la différence entre la décapitation d'un être vivant, la tête tenue par les cheveux avec les flots de sang giclant du cou, et celle d'un cadavre sont importantes.

6 Sur le sujet, voir Santa Rita Corozal, Bélize (Quirarte 1982 ; Moser 1973 : 25 fig. 22). Mural de las Cuatro Eras, Tonina, Chiapas (Yadeun 1992 : 94). Famsi.org/kerrmaya, vase 680, 1490 et 1229.

34

Une exposition fragmentée 104 note 74; Williams 1992: 265). Ces sculptures montrent l’importance du culte de la tête dans cette région et participent de la même tradition que la céramique et les statuettes en terre cuite de Loma Alta, Michoacán, qui portent des colliers de têtes trophées. La céramique et les thèmes représentés sont considérés comme un héritage de Chupícuaro, où l’on trouve également beaucoup de représentations d’un culte à la tête trophée, comme ces vases modelés en forme de têtes (Porter Weaver 1969: 3-15 et 81-92). Plusieurs exemples de têtes seules, présentées à des gouvernants et à des déités, peuvent être considérés comme des indices des multiples usages donnés aux têtes trophées, même si l’on peut se demander si certains exemples ne sont pas simplement des têtes coupées présentées en offrande. Une scène montre des prisonniers présentés au dirigeant du Tajín, 13 Conejo, qui a une tête coupée à ses pieds (Wilkerson 1991 : 52, fig. 3.4). Des sacrifices et des mutilations ont lieu et, tout comme on offre de la douleur et du sang, la tête-trophée peut être assimilée à une offrande. Sur la peinture murale de la chambre 2 de Bonampak, où l’on peut observer le traitement que recevaient les prisonniers de guerre capturés par le gouvernant Chan Muan, on remarque une tête coupée sur la marche d’une pyramide, et autour, les prisonniers morts et torturés (Staines 1998 : 169 fig. 186). Dans ces exemples, les têtes individuelles s’insèrent dans le contexte d’une victoire opposée à la déroute, la conquête et l’humiliation. Les têtes trophées sont remises et exposées en l’honneur du gouvernant et à la déité. On peut penser qu’il s’agit de victimes sacrificielles qui, avant de mourir par décapitation, ont participé à des rituels élaborés, postérieurs à leur capture, ou sont morts à la guerre, et dont la tête, la peau et le crâne sont exhibés au cours de cérémonies qui les transforment par étapes en offrande.

de la guerre elle-même, on trouve généralement des représentations de capture et non pas de décapitation. Le Lienzo de Tlacoatzintepec (Glass 1964: no.121), document colonial de la région de Oaxaca, où des guerriers capturent et décapitent leur proie dans le contexte de batailles, est une exception notable. Dans les codex, une victime tenue par les cheveux représente la capture, tandis que couper les cheveux de l’ennemi est un symbole de défaite/victoire (Bierhorst 1985: 474). On peut ajouter un autre exemple qui nous parle de la pérennité de cette scène. Cette manière de représenter la tête-trophée tenue par les cheveux perdure même après le début de l’époque coloniale. Sur les peintures du XVIIe siècle de la chapelle d’Ixmiquilpan, Hidalgo, on voit un guerrier portant une tête-trophée par les cheveux au cœur de la bataille (Wake 2000). En général, le concept de tête-trophée est lié à celui de « chasse de tête ». Même si ce thème n’est pas abordé dans cette recherche, il faut signaler qu’en Mésoamérique, il ne semble pas y avoir eu de « chasse de tête » dans le sens de batailles ou d’incursions ayant pour unique objectif d’obtenir les têtes de victimes ; c’est-àdire que l’obtention de la tête n´est pas consacrée au comportement individuel et commémorée. La têtetrophée et la chasse de tête sont comprises ici comme produit d´une forme de violence rituelle, organisée et cohérente, dans laquelle la tête coupée -crâne, mâchoire, chevelure- acquiert un sens spécifique. En d’autres termes, étant donné que ceux qui portent la tête-trophée peuvent être des déités, des guerriers ou des gouvernants, cette action qui semble être est un acte individuel quand la tête est incluse dans le costume, devient alors un don, un élément symbolique, qui fera partie de rituels et de cérémonies élaborés, et qui sera dédié aux déités et à leurs représentants. V. 4. La tête comme offrande En se référant aux énormes têtes olmèques du Préclassique, et à l’encontre de l’interprétation communément acceptée qui affirme qu’il s’agit de portraits de gouvernants décédés, Claude Baudez (2000) avance des arguments intéressants pour soutenir la thèse de représentations monumentales de sacrifiés, thèse qui ne s’oppose nullement à la proposition (non démontrée) de joueurs de balle décapités avancée par d’autres spécialistes, et laisse penser qu’il s’agit d’énormes têtes trophées. Cette hypothèse, fondée sur l’éventualité que les grosses têtes ne sont pas des représentations de gouvernants importants de la localité où elles ont été trouvées, évoque une autre façon de présenter les têtes trophées : alignées et agrandies. En suivant le même raisonnement, on pourrait aussi suggérer que les têtes monumentales de Monte Alto (Parsons 1986 figs. 120-123) qui datent du Préclassique, sont des têtes trophées. Elles ont les yeux fermés, ce qui correspond aux canons établis de la représentation. Cependant leur taille monumentale permet de douter qu’il s’agisse de têtes trophées. Dans l’Occident du Mexique, on a trouvé des têtes en pierre de 20cm, la dimension d’une tête réelle, qui ont été identifiées comme des représentations de têtes séparées du corps, et classées comme têtes trophées (Carot 2001:

V.5 Les têtes alignées Même si, à travers ces exemples, il semble que les têtes trophées sont généralement présentées individuellement, il existe aussi beaucoup d’exemples où elles sont représentées groupées, en général en une ligne, mais parfois aussi en ensembles de crânes. Il est fondamental d’analyser les exemples qui suivent pour savoir s’il s’agit de multiples têtes-trophées alignées ou d’un tzompantli. C’est un point essentiel de la discussion, car, dans les études spécialisées, un simple ensemble de têtes ou de crânes est souvent qualifié de tzompantli. On reconnaît des files de têtes trophées alignées sur des céramiques de Loma Alta, Michoacán, où les têtes et leurs mèches de cheveux peintes schématiquement entourent les bords du plat (Carot 2001: fig. 143, motif 13), dans la céramique de Colima, où les têtes réalistes modelées entourent l’extérieur de la poterie et sont assimilées à des têtes trophées (Townsend 1998: 106-136, fig 11). On peut ajouter à ces exemples la poterie de Teotihuacán qui présente également sur son corps inférieur une ligne de petites têtes moulées (Museo Nacional de Antropología 1988 : 29), et un vase d’albâtre de Monte Alban avec des têtes alignées dont la chevelure tombe vers le bas (Caso 1965-1984 vol 3 : 906, fig. 18). Ces vases avec leurs séries de têtes sont-ils des poteries

35

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels tzompantli ? La répétition du motif semble plutôt due à une raison symbolique liée au sacrifice. À Dainzú, on trouve une situation semblable : des têtes coupées, sculptées dans un affleurement de roche, identifiées individuellement comme des têtes trophées, mais, formant un ensemble considéré comme un tzompantli. Cela confirme que le terme tzompantli a été utilisé avec légèreté pour désigner certaines façons d’exposer les têtes, dont beaucoup sont liées au culte de la tête trophée, et que l’on n’arrive pas à déterminer la spécificité de chaque pratique. Les interprétations de cette nature obligent à déterminer les différentes façons de présenter les têtes trophées pour savoir les distinguer des têtes qui finissent sur le tzompantli. Elles mettent en évidence que l’identification d’un tzompantli repose généralement sur une appréciation subjective qui confond souvent les diverses pratiques concernant le corps humain, dans ce cas, la tête, avec la manière de les présenter, principalement quand ce sont des têtes alignées et groupées. Si tenir par les cheveux la tête-trophée est la manière la plus commune de la porter pour danser avec elle,7 il faut mentionner également les informations qui montrent que la tête peut faire partie du costume des personnages. Pour faire partie de la mise du personnage, la tête était peutêtre réduite : les dimensions des têtes trophées suggèrent cette pratique, même si nous ne pouvons pas écarter complètement l’hypothèse que la petite taille des représentations soit due à des stéréotypes de l’art mésoaméricain. Que la tête-trophée soit monumentale ou petite, c’est un élément symbolique important du rituel lié aux croyances, qui peut être porté ou présenté de plusieurs façons. Il est cependant difficile de déterminer s’il s’agit d’une tête-trophée ou d’une réduction de tête, et de faire la distinction entre la représentation d’une tête trophée, la dépouille de la peau de la tête et l’effigie d’une tête.8 Toute tête séparée du corps est-elle une tête trophée? Sur la poterie style codex de Nochistlan, Oaxaca (900-1521) où est représentée une déité avec une tête dans la paume de sa main, s’agit-il d’une tête trophée (Solís 1991 : 164)? Sur les reliefs de Dainzu, est-ce une tête-trophée qui est face aux dieux ? Il subsiste beaucoup

de doutes à ce sujet même si les spécialistes en général les identifient comme telles. Nous accepterons provisoirement de les considérer comme des exemples génériques de têtes-trophées. En tout cas, plusieurs exemples permettent de déterminer que, malgré les différences de temps et de lieu, la représentation de la tête-trophée dans l’art mésoaméricain suit des paramètres préétablis, déterminés et fixés depuis le Préclassique. On observe donc une continuité dans la représentation, ce qui ne signifie pas forcément que le sens et la fonction soient linéaires, comme le démontrent les multiples façons de tenir la tête et de la présenter dans les contextes les plus divers. Les images commentées jusqu'à maintenant indiquent les nombreuses manières de tenir et de présenter la tête trophée, en général par les cheveux. Les têtes coupées peuvent aussi être écorchées et leur peau traitée et préparée pour être incluse dans le costume. Quand la tête trophée, ou plutôt la peau écorchée, fait partie du costume, elle est portée à la ceinture ou en pectoral. Il existe aussi une manière singulière qui évoque le tzompantli et qui consiste à en porter plusieurs, enfilées en collier. En général, là ou les têtes utilisées dans le costume pendent à l’envers, les yeux sont fermés ou ont un regard vide et la longue chevelure pend vers le bas.9 Ces exemples, qui sont les plus courants, nous montrent la façon de porter la tête trophée, les règles établies, et la façon stéréotypée de les représenter. Il faut cependant signaler quelques exceptions. On a trouvé, en provenance du Michoacán, parmi de petites sculptures moulées plus anciennes (0-250 apr. J.C.), un personnage qui porte autour du cou au moins quatre têtes. Elles sont proportionnellement petites et ne pendent pas à l’envers, mais les spécialistes les identifient comme des têtes trophées. La majorité des personnages qui portent des colliers de têtes trophées sont liés à la guerre, ou plutôt à ses conséquences, et ces objets font partie de leurs attributs personnels. Sur une peinture murale de Las Higueras, conservée au Musée d’Anthropologie de Xalapa, un personnage tenant un étendard porte à son cou au moins trois têtes trophées. Elles sont toutes à l’envers, mais il est difficile de distinguer les détails car l’image est abîmée. Le collier ou pectoral était peut-être fait avec la peau du crâne des victimes, un enfilement de «têtes séchées» appelées quahuatzalli (Relación de Epazoyuca 1982-1987 vol. 6: 87). Dans les documents coloniaux, il est dit que, chez les Huastèques, les têtes dépouillées de leur peau et séchées étaient portées par les guerriers pour exhiber ceux qu’ils avaient capturés et vaincus à la guerre.10 Ces renseignements appuient la théorie selon

7 Les représentations et l'information écrite après la Conquête montrent un personnage qui danse en tenant une tête. Au cours de deux des cérémonies mexicas qui avaient lieu à Tenochtitlán, le prêtre tenait une tête dans une danse appelée motzontecomaitotia. Dans Tlacaxipehualiztli, après avoir tué et décapité les captifs, les prêtres dansaient en tenant de la main droite les têtes par les cheveux. Et dans les cérémonies de Tititl, ils dansaient également avec la tête de la victime. Le prêtre coupait la tête, la tenait par les cheveux, la levait et la baissait en dansant, et guidait tous les autres participants de la cérémonie. Il dansait, retournait en arrière, avançait et reculait en soulevant la tête de laquelle le sang coulait. Voir Sahagún (1985: 149; 1979 vol.8: 83; vol. 2: 54) et Duran (1984 vol. 2: 85). Chez les Coras du Nayarít, au XVIIe siècle, quand ils donnaient la mort à une victime, «ils faisaient danser la tête et distribuaient des poignées de cheveux aux autres hameaux pour qu’ils les fassent danser », dans des cérémonies publiques. Les Acaxee et les Xixime de Durango et Sinaloa faisaient de même : ils dansaient avec la tête coupée de la victime (Relación de Compostela 1947; Gutiérrez Contreras 1974: 217 et 241; Beals 1932 et 1933). 8 On peut affirmer qu'on traitait la peau des têtes des sacrifiés, et il est probable que ce qui est accroché au costume n’est pas une tête, mais la dépouille de la tête, traitée et remplie d'un matériel léger (Dahlgren 1953).

9

Soulignons que la tête est à l´envers, facteur fondamental pour identifier une tête trophée. La présentation inversée est interprétée comme un signe de dédain. On ne doit pas confondre ces têtes avec celles qu’arborent souvent les hommes de la haute hiérarchie maya qui les portent également à la ceinture ou dans le dos, mais avec les yeux ouverts et pas à l’envers. Eric Velásquez a montré que les exemples de Yaxchilán représentent des effigies des parents ou des ancêtres, liées au pouvoir et au lignage. Baudez (2000) remarque que les masques humains qui ornent la ceinture des dirigeants ne sont pas des trophées, mais plutôt une version iconique du seigneur et gouvernant Ahau. 10 Robert Barlow (1992 vol. 4: 76) enregistre l´histoire de John Chilton, voyageur anglais, tombé en 1572 entre les mains d’indigènes

36

Une exposition fragmentée laquelle les têtes trophées faisant partie du costume n’étaient pas des têtes à proprement parler, mais des peaux traitées et remplies d’un matériel léger. À la lumière de ces observations et des analogies entre les exemples antérieurs et les oeuvres des groupes mayas du Classique, on peut signaler plusieurs utilisations de la tête-trophée, qui laissent penser que dans d’autres cas aussi, c’est une peau remplie et non une tête proprement dite que l’on l’arborait pour montrer ses prouesses. De cette façon, elle peut, comme quand elle est tenue par les cheveux, être considérée comme un bien portable – mais dans ce cas, il s’agit d’un bien personnel. Contrairement à la tête portée par les cheveux, transportée et présentée devant des déités et les gouvernants, la tête qui fait partie du costume est un bien individuel et non transférable, qui met en valeur les prouesses personnelles des guerriers. La peinture murale de la chambre 2 de la structure 1 de Bonampak représente une bataille féroce et son résultat : on y distingue plusieurs personnages, qui, après la bataille, portent au cou une tête trophée (Staines 1999 : 169). Certains ont un collier avec une seule tête, d’autres un collier complexe de trois têtes inversées. Il existe encore d’autres exemples dont on ne parlera pas pour des questions d´espace, mais nous signalerons cependant une série de sculptures, certaines anthropomorphes et d’autres ayant des traits de félins, qui portent autour du cou des têtes trophées, venant de l’Hacienda Chaculá et de Pueblo Viejo Quen Santo, Guatemala et datant du Classique tardif et du début du Postclassique (800-1000 apr. J. C.) (Navarrete Cáceres 1979; Seler l991-1993 vol. 2: 129134). Les têtes sont inversées, et suivent les patrons établis. Les nombreux exemples de têtes trophées en collier dans la sculpture maya, et les exemples similaires de la région de Oaxaca de l’époque classique, démontrent que la coutume d’utiliser la tête-trophée dans le costume11 était très répandue. Il est important de déterminer si, dans les exemples précédents, on a affaire à une tête complète ou à de la peau dépouillée. Même s’il subsiste de nombreux doutes quant à la réduction des têtes en Mésoamérique, on est sûr qu’ils traitaient la peau écorchée de la tête des victimes sacrificielles et l’on suppose que ce qui est accroché à leur costume n’est pas la tête elle-même, mais la dépouille de la peau de la tête, traitée et remplie d’un matériel léger.12

Nous n’avons pas de données se référant directement à la manière d’écorcher la peau en Mésoamérique, mais en considérant les observations d’Alfred Métraux qui se réfère aux Shuars, il est évident que la préparation de la tête-trophée est une opération longue et délicate. La peau est décollée du crâne par une longue incision qui va du haut de la tête jusqu'à la nuque. Les yeux, le nez, la bouche et les oreilles sont cousus pour former un sac dans lequel on introduit, par le cou, du sable chaud qui l’aidera à sécher. La peau se rétrécit lentement au fur et à mesure de la répétition de ce procédé et l’on modèle les traits du visage petit à petit, avec les doigts, pour les conserver.13 Le sujet de cette recherche n’est pas de déterminer si, chez les groupes mésoaméricains, la peau de la tête était traitée comme chez les Jivaros.14 Cependant, les sources coloniales, par exemple les écrits de Sahagún (1985: 607), rapportent que les Huastèques dépeçaient et séchaient les têtes de leurs prisonniers de guerre, et certaines évidences montrent que cette pratique existait chez d’autres groupes mésoaméricains. Les Relaciones geográficas de 1580 relatent cette pratique, la Relación de Tiripitío (1982-1987 vol. 9: 306) informe que les Chichimèques dépouillent les têtes des Espagnols, tandis que les notes des moines et des conquistadors mentionnent les visages dépecés de leurs congénères dans la région de Pánuco, après les batailles du Templo Mayor de Tenochtitlán. Si l’on extrapole ces informations en les appliquant aux autres peuples de Mésoamérique, on peut penser que le traitement de la peau était une pratique répandue, mais pour déterminer réellement la façon de procéder, savoir si les têtes-trophée étaient réduites, et si le procédé doit être qualifié de réduction de tête, il faudrait faire une plus longue analyse. Dans le cadre de notre étude, il convient de mentionner que des chercheurs comme Dorie Reents Budet (1994 : 42-55), Linda Schele et Mary Ellen Miller (1986: 139) affirment que des images d´un individu qui porte une tête dans une main et un poinçon dans l'autre montrent qu’il est en train de tailler ou de peindre un masque. Qu’une tête-trophée soit sculptée en bois, sur pierre ou modelée avec la peau d’un visage, c’est toujours une tête-trophée. On ne peut pas absolument écarter la possibilité qu'on représente le traitement d'une tête. Une fois constatée que la tête fait partie du costume, et en considérant que, si elle a été dépouillée de sa peau et traitée, on peut probablement parler de réduction de tête, il nous reste à savoir ce qu’on faisait du crâne ?

huaxtèques. Ils l'ont menacé de cannibalisme, mais craignant que sa maigreur soit due à la variole, ils le laissent en paix. Le voyageur anglais se réfère ici au décollement de la chevelure : « … ils sont très fiers de tuer un chrétien, et d’utiliser toutes les parties où il avait des cheveux ou des poils, qu’ils accrochent autour de leur cou ce qui fait qu’ils sont considérés comme des hommes courageux.» Stresser Péan (1965-1984 vol. 11 : 595) signale que, dans la région huastèque, Bernál Díaz del Castillo et Hernán Cortés, « …virent les dépouilles du visage de leurs hommes traitées avec les poils et les cheveux et on pouvait encore les reconnaître. » 11 On trouve plusieurs exemples sur le site zapotèque de Tlacochahuaya, Oaxaca. Dans la procession peinte sur les murs de la Tombe 5 de Suchiquiltongo, Oaxaca, un personnage porte sur sa poitrine une tête-trophée vue de profil, type de représentation qui semble être spécifique de la culture zapotèque. 12 Barbro Dahlgren (1953: 155) et Cristopher Moser (1973 : 7) parlent du sujet. Les pratiques des Shuar, mieux connus comme Jivaros, servent de référence, parce qu'en Mésoamérique la peau n'était pas nécessairement réduite de la même manière que les têtes appelées

V.6. Les crânes alignés Nous savons qu’un ou plusieurs crânes étaient utilisés comme partie du costume de personnages, prêtres et déités, et quand ils sont alignés - comme c’est le cas par exemple pour les colliers avec plusieurs têtes trophées tsantza des Shuar. Métraux (1982: 48). Karsten (1935 : 295-296) fait un voyage chez les Jivaros au début du XXe siècle et fait une description précise du processus. 14 Il faut aussi faire référence à la pratique de têtes-trophée dans la culture Paracas, Pérou, dans laquelle la tête est perforée au niveau du front et portée par une corde qui passe par l'orifice. L’archéologie et l’iconographie de la région centre américaine enregistrent de nombreuses têtes trophée (Stone 1972). 13

37

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels ils sont considérés comme des colliers tzompantli. Ces exemples sont peu nombreux et viennent de cultures et d’époques spécifiques. Sur le mur nord de la structure A de Mulchik, site maya (600-800 apr. J.C.), deux personnages, que l’on identifie comme des sacrificateurs, car ils ont un couteau d’obsidienne dans une main et leur corps est peint en noir, portent des crânes dans les longs pectoraux de leurs costumes. Il s’agit de trois crânes qui pendent en ligne verticale, et qui suivent les canons établis (les têtes sont à l’envers) : on peut les classer comme « crânes-trophées ». Sur une statuette de Jaína, le personnage porte deux têtes trophées à la ceinture et un crâne en collier que nous hésitons à qualifier de crânetrophée parce qu’il n’est pas tête en bas.15 Il semble que dans ce costume coïncident deux aspects du culte à la tête-trophée : la tête elle-même et le crâne. Dans ce cas, comme dans celui de Mulchik, ces crânes ne nous montrent pas la prouesse du guerrier ou du prêtre sacrificiel, mais sont les insignes de leur fonction. On retrouve la même chose sur les peintures murales de Bonampak. Cette proposition concerne aussi quelques exemples de sculptures du Postclassique. Leur art nous offre un certain nombre d’exemples de crânes-colliers qui sont en général caractéristiques des guerriers et des déités terrestres et se conjuguent avec différents éléments. Le guerrier représenté sur un bas-relief mixtèque de Tilantongo porte un crâne en pendentif qui semble, dans le contexte, être un insigne (Solís 1991 : 177 fig. 266). C’est, jusqu'à maintenant, un des rares exemples de guerriers possédant cet élément dans son costume, mais il serait intéressant d’analyser d’autres documents comme des codex pour approfondir ce sujet. Les déesses nahuas, les Cihuateteo, déités liées au culte de la mort, portaient en général un collier formé d’un crâne central flanqué de deux mains et dans certains exemples, la déesse porte aussi une coiffe formée d’une rangée de petits crânes (Solis 1991 : 237). Il faut signaler que le collier de crânes et de mains n’est pas exclusif de cette déesse, les représentations de Tlaltecuhtli, dieu terrestre, le portent aussi fréquemment, mais avec un crâne attaché dans le dos par une corde. Après avoir analysé ces exemples et les avoir comparés avec ceux où les personnages portent une tête-trophée à la ceinture ou autour du cou, il semble qu’avant le Postclassique, le plus fréquent dans le costume est la têtetrophée, alors que le crâne attaché à un lien et utilisé comme pectoral ou collier est moins représenté. Le crâne et la tête-trophée ne sont pas équivalents : cette dernière se porte en signe d’honneur individuel ou de victoire sur un individu en particulier dans un contexte de guerre,

alors que les crânes servent à qualifier celui qui les porte. En se référant aux diverses manières d’arborer le crâne dans le costume et pour souligner surtout les différences entre tête-trophée et crâne, il faut spécifier que l’on n’arrive pas toujours à déterminer si le crâne fût, à un moment donné, la tête d’un décapité. On n’arrive pas non plus à définir, dans le cas de crâne faisant partie du costume d’une déité ou d’un autre personnage, si ce crâne appartenait à une victime sacrificielle, s’il se réfère à des pratiques funéraires, ou s’il fait allusion au culte de la mort. La difficulté est évidente si l’on considère qu’un crâne est anonyme, alors que la tête-trophée conserve les traits et donc l’identité de l’individu. Le crâne représente la mort de façon conceptuelle. V.7. Les têtes ou les crânes sur un pieu Il est difficile de déterminer la nature des têtes-trophées et des crânes à cause de la grande variété de présentation, principalement parce que toutes les têtes et tous les crânes isolés sont en général considérés comme des têtestrophées et « finissent » en tzompantli . Certains spécialistes, par exemple, en se référant à une des stèles de Santa Lucía Cotzumalhuapa sur laquelle un joueur de balle tient une tête-trophée, indiquent que la tête anthropomorphe qui est posée sur une petite structure à sa droite est une tête-trophée posée sur un tzompantli (Fig. 21). L’exemple précédent pourrait être considéré comme un « tzompantli portatif ». Cependant, la découverte d’éléments semblables sur une des poteries de Río Blanco, sur un bas-relief du Tajín et sur d’autres exemples de la peinture murale d’Ixcaquixtla, Puebla, peut être interprétée de façon différente : ce sont effectivement des têtes trophées, portées différemment sur une structure de bois ressemblant à un châssis à trois pieds et dans certains cas, il s’agit en fait de coiffes ou de casques sur leur support (Figs. 22, 23, 24). Ce ne sont donc pas des tzompantli. On peut douter de la pertinence de classer l’exemple précédent parmi les tzompantli ou parmi les têtes-trophées, alors que l’on se trouve devant une modalité de présentation différente. Ces exemples permettront certainement de déterminer si l’exhibition de têtes et de peaux de visages sur des piquets est aussi une manifestation du culte à la tête trophée, et de mettre en question leur relation avec le tzompantli. Les exemples précédents permettent de préciser ce qu’est un tzompantli et ce qu’il n’est pas, et de distinguer les différentes manières de porter ou d’exposer une têtetrophée. Ils permettent aussi de faire la différence avec la façon de porter la tête-trophée au bout d’un piquet. Ceci doit être analysé avant tout parce que certains exemples où la tête est portée ou brandie au bout d’un bâton ont été assimilés de façon erronée à un tzompantli.16 Très peu de renseignements permettent de déterminer que, chez les Huastèques, chez les groupes du Nord et chez les Chichimèques, la tête était portée au bout d’un piquet. Bernardino de Sahagún (1985: 607) indique que les Huastèques « coupaient la tête de tous ceux qu’ils faisaient prisonniers pendant les guerres, et abandonnant

15 Il existe une polémique sur la provenance de la pièce que présente Moser (1973 : 57 fig. 8). Des informations montrent que toutes les pièces ne viennent pas de Jaína, que beaucoup sont des faux et en tout cas d’inspiration contemporaine. Christian Duverger (2007 : 140-142, 471-472) affirme qu’il s’agit d’une falsification. Face à cette réalité, il est pertinent d’incorporer cette pièce et d’autres estimées être des copies ou des faux à cette recherche : la pièce de Xochipala, Guerrero à laquelle nous nous référons. Car si ces pièces sont de complètes inventions, ce sont parfois des répliques de modèles originaux ou en tous cas un pastiche des éléments qui forment les pièces originales, dont une tête trophée. Si le faux interfère sur notre compréhension du monde pré-cortésien, c’est aussi un important indicateur des préjugés enracinés dans les études mésoaméricaines qui reflète nos rêves et peurs.

16

Yoneda (1991: 51). Stresser-Péan (1965-1984 : 596) écrit : « Les têtes sur les pieux renvoient au tzompantli ou ossuaire rituel. »

38

Une exposition fragmentée les corps, ils les enfilaient avec les cheveux et les arboraient. Les sources ethnographiques rapportent aussi que cette pratique était répandue chez les Xiximes par exemple, qui exposaient le crâne sur un piquet planté au milieu de la place, ce que Moser estime analogue au tzompantli des Aztèques. Sous cette forme, le crâne sur un piquet n’est plus alors un bien individuel puisqu’il fait partie d’un espace urbain, public ou social, et il pourrait, dans une certaine mesure, être considéré comme l’ancêtre matériel ou conceptuel du tzompantli. Il n’est pas difficile de visualiser cette scène, et dans un exemple de la culture Chalchihuites qu’enregistre Hers (2001 : 125) et que citent Charles Kelley et Ellen Abbot Kelley (1971: 59 fig 18d), on peut voir un personnage qui semble être une femme, porter une tête au bout d’un piquet d’une façon très particulière (Fig. 25). Si nous y ajoutons l’exemple qui suit, nous sommes en présence d’un petit corpus d’images. La mapa de Cuauhtinchán n° 2 est un document tardif qui transcrit la sortie des Chichimèques de Chicomoztoc au XIIe siècle, leur rencontre avec les anciens habitants de la région centrale et les évènements qui se sont déroulés tout au long de leur pérégrination jusqu’à Cholula.17 On y remarque une scène complexe de deux femmes chichimèques vêtues de jupes de peau, portant chacune un arc et des flèches dans une main et un piquet surmonté d’une tête humaine dans l’autre (Fig. 26). 18 On peut ajouter d’autres exemples : le relief singulier d’un vase de Teotihuacán (Fig. 27), publiée par Hasso von Winning (1987 vol.1, fig. 5b) sur lequel un personnage richement vêtu qui se dirige vers un être zoomorphe, porte un crâne à la pointe d’une pique et l’exemple unique des bas reliefs de Chichén Itzá où plusieurs personnages sont représentés. Chacun d’eux porte un costume distinctif, un sceptre et un bouclier qui le caractérisent et l’on remarque particulièrement celui qui tient un sceptre avec deux crânes (Cohodas 1978). Ces représentations soulèvent beaucoup de questions : s’agit-il d’un crâne trophée équivalent à la tête-trophée ? Nous parlent-elles d’un processus naturel ou culturel qui transforme la tête de la victime du sacrifice en offrande de crâne, ou sommes-nous tout simplement face à la représentation d’un personnage qui porte un sceptre ? Á Chichén Itzá, il s’agit probablement d’un sceptre même si les crânes paraissent présenter sur l’apex des trous par où passe le bâton. À Teotihuacán en revanche, les éléments symboliques comme le glyphe de Vénus et les gouttes de sang qui coulent du crâne mettent en évidence qu’il s’agit d’un crâne-trophée. La pièce est très détériorée, mais l’on peut penser qu’une procession formée de plusieurs personnages y était représentée, et que le crâne au bout du piquet n’est pas une tête dépourvue de sa chair ou un crâne trophée, mais un insigne qui caractérise ce personnage et fait probablement allusion à son champ d’action. Les cas antérieurs de représentation d’une tête ou d’un

crâne au bout d’un piquet, enfilés verticalement, sont des références évidentes à des têtes trophées. Il faut souligner à ce sujet que la mapa de Cuauhtinchán n° 2, l’exemple de la céramique Chalchihuite, ainsi que l’exemple particulier de Teotihuacán nous permettent d’évaluer la diffusion, l’étendue et les divers aspects de la pratique qui consiste à porter la tête au bout d’un piquet.19 D’autre part, il nous faut rechercher les implications que cette manière de porter les têtes peut avoir pour la compréhension du tzompantli, car on ne peut nier que celui-ci est, au départ, lié à la conception de tenir et transporter la tête au bout d’une pique.20 Déterminer l’origine et la genèse du tzompantli n’est pas le sujet de cette recherche.21 Mais il nous faut cependant analyser dans quelle mesure le fait de porter une tête individuelle dressée verticalement sur un piquet est en relation avec l’idée de suspendre des lignes verticales de crânes perforés au niveau de l’apex, comme on le trouve dans l’archéologie de quelques sites de l’aire septentrionale. C’est le cas au Cerro del Huiztle, comme le montre Marie-Areti Hers (1989 fig. 18) dans sa reconstitution du site (Fig. 28), à Alta Vista et à Paquimé (Di Peso 1974 vol. 2 : 562), à Tzintzuntzan, comme le montrent le lienzo de Puácuaro (Fig. 16) et la Crónica de Michoacan de Pablo Beaumont (Fig. 29), ainsi qu’à Chichén Itzá (Fig. 4). Il nous faut aussi réviser le concept de suspension des crânes horizontalement, les tempes perforées, soit le tzompantli horizontal, caractéristique des Nahuas du Postclassique qui, selon nous, n’est pas le produit d’une transformation évolutive du tzompantli vertical. Á ce sujet, on ne peut analyser le problème de la relation entre chaque manière d’exhiber des crânes suivant des modèles évolutifs, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de démontrer que porter une tête au bout d’un piquet débouche sur l’exposition de plusieurs têtes sur la structure appelée tzompantli, qu’il soit vertical ou horizontal. Quand on compare les différentes manières d’exhiber le crâne et/ou la tête, il faut se rappeler qu’il s’agit de différentes manières d’exposer et de montrer des dépouilles humaines qui ont coexisté au cours du temps. Pour renforcer cette théorie, il faut insister sur le fait que la scène où deux femmes portent les têtes au bout d’un piquet fait partie de la mapa de Cuauhtinchán n° 2, document qui retrace la sortie des Chichimèques de Chicomoztoc et leur arrivée à Cuauhtinchán, alors que dans la mapa de Cuauhtinchán n°1, document qui retrace les mêmes évènements, mais débouche sur l’arrivée des 19

Évidemment les exemples où la tête est au bout d’un piquet sont associés aux femmes. Le parallèle entre cette manière de porter la tête et celle des femmes d’Amérique du Nord de mettre le cuir chevelu au bout d’un piquet est évident. 20 Il convient de contraster le port la tête sur un pieu et le port par les cheveux. À un moment de cette recherche, nous avons pensé que la première modalité était trouvée dans la région centrale et septentrionale de Mésoamérique ; et que porter la tête par les cheveux était une pratique plus commune dans le Sud. Mais cette division n'est pas du tout étayée et doit être présentée comme une proposition à développer. 21 Marie Areti Hers (1989, 2002) a proposé l'origine et la genèse de l’exposition des crânes verticalement. Elle montre qu'elle se répand à l´époque classique au Nord (septentrion mésoaméricain), dans la région occidentale comme à Tzintzuntzan, et que la même modalité d´exposition se retrouve à Tula et à Chichén Itzá.

17 Le document commence par la sortie des Chichimèques de Chicomoztóc et finit par la conquête de Tepeáca par les Mexicas au XVe siècle. 18 Devant elles, il y a un cercle de pierres avec des têtes d'animaux à l’intérieur, et de l'autre côté deux Toltèques, dont un qui vise les femmes. Derrière les femmes, il y a un soleil avec une tête au centre.

39

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Chichimèques à Cholula, on trouve un tzompantli horizontal, formé d’une plateforme basse sur laquelle repose un râtelier de bois et trois têtes perforées au niveau des tempes. Il faut souligner que le tzompantli porte les têtes de deux femmes et d'un dieu solaire (Fig. 30). Ces deux documents contemporains et apparentés qui font référence aux mêmes faits et où sont représentés à la fois la tête-trophée au bout d’un piquet et le tzompantli horizontal, nous présentent deux facettes ou deux moments de la migration chichimèque, leur arrivée et leur installation à Cholula. On peut donc penser que la tête au bout d’un bâton est une manifestation mobile de la tête trophée, et que le tzompantli, dans le cas présent une structure solide, est une manifestation fixe d’une pratique similaire liée au sacrifice, mais qu’il est en fin de compte très différent. Précisons que ces modalités d´exposition, horizontale ou verticale, appartiennent à différentes époques. Sans envisager ici cette distinction chronologique, le but est plutôt d'enregistrer les différentes typologies d'exposition de restes humains. Nous n'osons pas non plus faire une distinction à partir du binôme mobile/nomade, sédentaire/fixe, puisqu'en Mésoamérique, ils ont coexisté. Les pratiques sont similaires, mais loin d’être équivalentes. Il s’agit en fait de différentes manières de présenter la tête. La tête-trophée au bout d’un piquet est un bien mobile et transportable qui est une offrande personnelle et individuelle, alors que le tzompantli, si on le considère comme un aspect du culte à la tête-trophée, peut être compris comme une manifestation collective, dont le résultat final, après le traitement préalable de la tête, est une multiplicité de crânes qui deviennent une offrande pour le bien de la communauté. Hers (1989 : 117) précise que le tzompantli est un cas à part dans l’utilisation des têtes humaines. Dans le septentrion, elles ne sont pas la propriété d’une élite qui les garde dans un sanctuaire ou les exhibe dans leur costume, mais réunies et exposées publiquement, elles constituent le patrimoine de toute une population, preuve d’un effort commun pour maintenir l'agencement.

40

CHAPITRE VI NOUS AVONS TOUS UN TZOMPANTLI VI. 1. L’usage du mot tzompantli. Ce que nous avons vu ci-dessus prouve que de nombreuses cultures mésoaméricaines, peut-être même toutes, pratiquaient la décapitation et une forme de culte à la tête-trophée, ce qui ne signifie pas que les têtes et les crânes issus de ces rituels constituaient un tzompantli. La confusion entre le tzompantli et les autres manifestations qui manipulent des restes humains nous a conduit à penser qu’il existait une relation étroite entre les activités qui se déroulent sur le tlachtli et sur le tzompantli. Le jeu est assez bien connu, mais le tzompantli est un espace moins bien compris, et il sera le propos de ce chapitre. Nous tenterons d’expliquer les multiples manières d’exposer les groupes de têtes et les crânes dans les diverses régions mésoaméricaines et essayerons de souligner la spécificité de chaque pratique et de l’espace dans lequel elle se déroule, en suivant certains chercheurs qui ont élaboré des monographies remarquables (Hamy 1884 ; Matos Moctezuma 1972; Galdemar 1988 ; Miller 1999, 2008). Définir le tzompantli est une tâche complexe et il n’existe pas de consensus sur ce point. En anglais, le mot tzompantli est souvent traduit par skull rack et ce terme sème la confusion car il se traduit par « échafaudage de crânes », « râtelier » ou « rangée ou alignement de crânes ». En espagnol, ce mot est assimilé à « échafaudage de crânes », « autel de crânes », « file de crânes » et « plateforme des têtes de mort ».1 En Français, le terme tzompantli est traduit par « place de crânes » (Leyenaar 1997: 31) et par « chevalet sur lequel étaient exposées ou accrochées les têtes coupées » (Vie Wohrer 1999 : 55 et Galdemar 1988). En réalité, il s’agit davantage d’une description du tzompantli que d’une traduction du terme lui-même. Cela démontre combien il est difficile de nommer et de décrire quelque chose d’inconnu avec des mots connus sans tenir compte de la culture ou de l’époque auxquelles ils appartiennent et sans connaître la particularité de chaque manifestation. C’est à cause de cette complexité que le terme tzompantli a fini par englober toutes les façons d’exposer les restes humains, perdant ainsi ses contenus et sa spécificité. En général, on appelle tzompantli une structure, une plateforme ou un assortiment de restes osseux divers, issus de cérémonies caractéristiques de l’une des populations qui ont habité le Mexique. Cependant, le fait d’ignorer les différentes modalités d’exhibition a fait que toute exposition de têtes et de crânes soit immédiatement considérée comme un tzompantli, 2 annulant la possibilité 1 Simeón 1988: 733 ; Barlow 1989a vol. 2: 51; Anales de Tlatelolco 1948: 33; Seler 1963 vol. 2: 59; López Austin et García Quintana, « Glosario » Sahagún 1989 vol. 2: 917; Glass 1964: 142. 2 Theodore Ernest Hamy (1971) reconnaît le tzompantli dans la tradition nahua. Il l’appelle le « tzompantli mexicain » et le montre comme le représentent les codex coloniaux. Cependant, les études récentes montrent que le terme tzompantli s’est élargi et recouvre beaucoup de choses. Alfred Tozzer (1957 vol. 1: 129-135, vol. 2, figs. 412-423) fait une analyse comparative entre le site maya de Chichén Itzá et d’autres sites archéologiques et une synthèse des structures qui au cours des années ont été identifiées comme des tzompantli. et Edith Galdemar (1988) réunit un nombre considérable d’exemples à partir de la sélection de Tozzer et de celle de Matos Moctezuma (1972: 109-116). Virginia Miller en réunit encore plus dans son article (1999). De sorte

d’utiliser le terme correctement, c’est-à-dire pour désigner une seule structure précise : le tzompantli des Nahuas. VI. 2. Les plateformes et les murs de crânes Il est donc fondamental de déterminer ce qu’est un tzompantli et de mettre en évidence les différences importantes qui existent entre cette structure et d’autres plateformes et murs décorés de crânes et d’os croisés. Certains éléments se répètent à des époques différentes et dans plusieurs régions, mais, dans l’iconographie mésoaméricaine, l’image du crâne ou d’autres os n’a pas toujours eu la même signification, ni la même fonction. En d’autres termes, il est important de ne pas confondre l’image du crâne correspondant à des pratiques funéraires et à la fin des cycles, avec celle qui correspond à un rituel où le crâne est un objet de sacrifice. VI. 2. 1 Les os croisés et les crânes alternés Les bas-reliefs et les peintures représentant des os croisés et des crânes alternés, généralement reconnus comme tzompantli, se trouvent le plus souvent sur des plateformes, c’est-à-dire des structures en pierre dont on suppose qu’elles soutenaient la palissade sur laquelle étaient accrochés les têtes et les crânes. Ce sont généralement des plateformes quadrangulaires basses, de moins d’un mètre de hauteur, qui peuvent être peintes ou gravées avec des motifs de crânes et d’os, probablement des fémurs entrecroisés. On a trouvé de telles plateformes dans plusieurs sites de la région Puuc du Yucatán, datant du Classique tardif (600-900 apr. J.C.). John Lloyd Stephens (1991 : 227, fig.21) enregistre un exemple à Nohpat, et d’autres se trouvent à Dzibilchaltún (Wyllys Andrews 1965-1984 vol. 2: 309), et sur les plateformes du Groupe du cimetière d’Uxmal (Fig. 31). On retrouve le même trait sur un fragment du mural de la plateforme qui jouxte le temple 2 d’Iximché, Guatemala (Guillemin 1965 vol 17: 41-42 ; Thompson 1970: 179), ou bien encore à Ek Balam. Les mêmes éléments apparaissent dans des sites du Postclassique (900-1521 apr. J.C.) du centre du Mexique, par exemple sur les bas-reliefs d’un petit autel adossé au bâtiment appelé El Corral à Tula, Hidalgo (Fig. 32),3 et sur les bas-reliefs d’Ixtlán, Nayarit.4 On peut y ajouter les plateformes de la rue «Escalerillas » dans la ville de México (Fig. 33). Elles ont été identifiées dans le cadre du projet visant à situer les découvertes archéologiques faites avant 1956 dans le centre de Mexico (Batres 1979). On a assimilé les trois plateformes que ce que Tozzer décrit comme « semblable » à un tzompantli est devenu avec le temps un tzompantli. Cela prouve que les paramètres qui ont autrefois délimité les caractéristiques du tzompantli chez les Nahuas n’ont pas été respectés. 3 Jorge Acosta (1974: 33) écrit que «… l’autel adossé à l’édifice El Corral est orné de crânes et d’os croisés… motifs très courants sur les tzompantli…». Voir de la Fuente et al 1988, fig. 88a. 4 José Corona Núñez (1961: 30, fig.8). La structure sur laquelle est ce bas-relief semble être du Postclassique. L’auteur signale « qu’une pierre qui fait partie des éléments constructifs de ce monument montre des os croisés (canillas) et une tête de mort en relief, et a donc sans aucun doute appartenu à un tzompantli en usage dans la première époque toltèque de cette zone ».

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels avec des bas-reliefs de crânes et d’os entrecroisés mises au jour par Leopoldo Batres à un tzompantli, bien qu’il ait fait d’autres propositions pour expliquer leur signification.5 Mateos Higuera (1990 : 441 - 443) affirme : « ce sont des bases ou des morceaux de ce que l’on appelle des tzompantli, constructions particulières destinées à l’exhibition des crânes des victimes immolées lors de grandes fêtes religieuses ». Il présente son opinion de telle sorte que les plateformes antérieurement identifiées par Batres comme des autels de têtes de mort, deviennent des tzompantli. Il semble que c’est à partir de ce moment que, dans la littérature spécialisée, on appelle tzompantli les plateformes décorées de crânes et d’os entrecroisés alternés. C’est ainsi que naît la confusion entre le tzompantli et l’autel de têtes de mort, amalgamant deux structures qui ont des fonctions totalement différentes. Dans son ouvrage Arquitectura prehispánica, Ignacio Marquina écrit à propos du plan des Primeros memoriales : « à côté du jeu de balle se trouve le tzompantli ou autel des têtes de mort qui est une grande base décorée de bas-reliefs représentant des crânes et des os longs croisés, dont une partie a été découverte par Batres dans la rue Guatemala (auparavant Escalerillas)… ». 6 Outre les bas-reliefs couvrant les flancs des plateformes dont nous venons de parler, on retrouve ce même thème iconographique sur des peintures murales (Fig. 34), par exemple à Tlatelolco, sur la peinture murale de Tenayuca enregistrée par Villagra Calleti (1965-1984 vol 10 : 154155), sur les murs de la Maison des Aigles du Templo Mayor (López Luján 2006 vol. 2 : 341) et sur celle de Las Higueras, Veracruz (Fragmentos del Pasado 1998 : 251). Ces plateformes se ressemblent car elles présentent presque toutes les mêmes éléments: crânes et os longs croisés. Certaines datent de l’époque classique, d’autres du Postclassique et il est probable que chacune avait un rôle spécifique qu’il faut déterminer. Si l’on ne tient pas compte des différences, on ne pourra pas préciser la fonction de cette plateforme que nous appelons « autel des crânes » pour la distinguer du tzompantli. Une autre approche utile serait de rechercher plutôt les différences entre les plateformes qui forment les structures identifiées comme tzompantli, car on pourrait ainsi voir si l’on est devant des conceptions distinctes. Leur point commun est de représenter des os humains, mais si l’on tient compte des différences entre leurs contenus, considérés comme des offrandes, il devient évident qu’elles avaient des fonctions diverses. Comme nous l’avons dit, le tzompantli est une offrande de crânes liés à des pratiques de sacrifice et les autels avec des basreliefs de crânes et d’os croisés correspondent à des rituels qui marquaient la fin de l’année solaire et du cycle de 52 ans et qui servaient de tombeaux aux liens d’années.7

Le thème iconographique des crânes et des os croisés alternés se retrouve également sur des peintures murales, des bas-reliefs et sur une série d’objets transportables, céramiques et sculptures en ronde-bosse, provenant de diverses régions. Les exemples de la région maya datent du Classique tardif et ceux qui viennent du centre du Mexique du Postclassique, « …et se généralisent dans le centre du Mexique au Postclassique tardif » (López Luján 2006 vol.1: 126-127). On peut donc se demander si, dans la région maya, la signification et la fonction de ces plateformes et de ces objets étaient très différentes de celles du Centre du Mexique et d’autres régions comme la Côte est de l’Amérique du Nord.8 Chez les peuples de l’est des États-Unis et chez les Mayas, est-ce un thème caractéristique de l’iconographie funéraire, lié au lien d’années, c’est-à-dire à la fin de la période de 52 ans, comme chez les Nahuas ? Les chercheurs qui étudient ce thème dans la région maya décrivent cet élément sur les céramiques comme « un style clairement mexicain » et estiment que les plateformes mayas qui possèdent cet élément iconographique sont liées à des rites de sacrifice. Les plateformes sur lesquelles on trouve des crânes et des os croisés sont, dans les études spécialisées, fréquemment identifiées à des tzompantli. Cette confusion montre qu’il est urgent de différencier les plateformes de tzompantli proprement dites, des autels de crânes et des plateformes, murs et toits où sont encastrés des têtes et/ou des crânes.9 L’information archéologique disponible ne permet pas toujours de faire la différence, mais cette approche aide à préciser ce qu’est un tzompantli pour le différencier des autres manifestations. Différencier ces pratiques est fondamental car si l’on analyse les subtilités et les spécificités de chaque manifestation, on peut rompre avec les anciens schémas qui affirment encore que l’exhibition de restes humains est une pratique étrangère aux Mayas, qui l’ont apprise à l’arrivée des groupes venus du Centre du Mexique, comme l’écrivent Eric Thompson et nombre de ses disciples.10 partie du costume et des éléments associés à ces déités. Ces éléments sont aussi caractéristiques de Huitzilopochtli dont la cape appelée Tlaquaqualo est décorée d’os (Sahagún 1979 vol. 2 : 52 et 72). López Luján 2006 : 126-127) se réfère à ces motifs comme des symboles de mort et d’inframonde. 8 Il faut signaler que l’on trouve le motif d’os croisés alternés avec des crânes dans les manifestations plastiques des groupes de l’Est des EtatsUnis qui font partie du Southern Ceremonial Complex, un complexe culturel qui était en relation avec les habitants de Mésoamérique. Nous en trouvons un exemple sur un vase de Moundville, Alabama, décoré par incision et daté entre 1200-1500 apr. J.C. En l’occurrence, on estime qu’il s’agit d’un élément associé à la vénération des ancêtres. Voir Milinach et Milbrath (1991: 147) ; Smith (1991: 147); Chapman et Chapman (1964: 76-77) et même Fundaburk et Douglas Foreman (1957) se réfèrent aussi à cette image. 9 Dans les sources historiques qui se réfèrent aux Nahuas du Templo Mayor, on parle souvent de murs et de toits avec des crânes dressés (Alva Ixtlilxóchitl l977 vol. 2: 157; Alvarado Tezozómoc 1980 : 323, 517). 10 Eric Thompson (1967 : 124) écrit en se référant à l’intrusion mexicaine dans la région maya (987-1185 apr. J.C.) que « les murs ornés de sculptures de crânes empalés rappellent la barbarie mexicaine, le tzompantli, le mur des crânes sur lequel étaient disposées les têtes des sacrifiés en honneur aux dieux assoiffés de sang et à la gloire de la caste des guerriers. C’est en effet un triste changement par rapport au Classique où le style de vie était plus aimable.» Porter Weaver (1981 : 310) résume ses observations. Le terme « mexicain » est utilisé là dans son sens large, avec la connotation géographique de la région centrale

5

Leopoldo Batres (1990: 147 et 153, figure 18) les appelle « autels de têtes de mort/crânes » et suggère qu’ils sont liés à la fin des cycles de 52 ans. 6 Marquina (1951: 196; 1960: 83) identifie l’autel sculpté de crânes situé rue Escalerillas avec un tzompantli. 7 Caso (1967: 129-130). Il faut aussi tenir compte de la proposition de Cecilia Klein (2000 : 25) qui suggère que les plateformes ornées de ces motifs sont liées aux Tzitzimes car les représentations osseuses font

42

Nous avons tous un tzompantli VI.2.2 Les crânes encastrés Un autre thème iconographique est souvent assimilé à un tzompantli : il s’agit d’une série de têtes ou de crânes en pierre en ronde-bosse encastrés sur les côtés des plateformes ou sur les murs de certaines structures. Ils forment parfois ce que l’on imagine être un tzompantli, comme celui qui a été créé ex professo à l’entrée du musée du Templo Mayor. On en trouve des exemples sur le Temple des Caritas à Cempoala, Veracruz : de petits crânes en terre rouge peinte en blanc sont encastrés sur chacun des parements verticaux de cette structure, ce qui fait un total de 360 crânes (Marquina 1951: 469-470), et sur une structure située dans l’ensemble du Temple de Tlaloc à Calixtlahuaca, État de Mexico, identifiée comme un tzompantli.11 Un autre exemple, où la plateforme qui porte les mêmes crânes est considérée comme un tzompantli, se trouve à Cholula, Puebla.12 Ces exemples archéologiques de plateformes avec des crânes encastrés, et celles que l’on trouve dans les codex, par exemple sur la planche 35 du codex Borbonicus, ont été assimilées à des tzompantli, et il reste à discerner les différences, de préférence aux similitudes entre chaque exemple, pour bien comprendre. On trouve quelque chose de semblable dans le Templo Mayor de Tenochtitlán. Un ensemble de crânes en pierre recouverts de stuc, avec un tenon à l’arrière, qui permet de les placer les uns à côté des autres de façon à former un panneau sur la façade des temples, a été considéré comme un tzompantli. De même, on assimile à un tzompantli l’autel des crânes de la structure B que l’on décrit comme « une base de parapets verticaux qui repose sur un socle. Sur la façade ouest, on voit un escalier avec des rampes à double pente, décorées de moulures en forme de lien d’années. Le détail particulier de cette construction se trouve sur les faces nord, est et sud, ornées de 240 clous de tezontle (pouzzolane) recouverts de stuc qui représentent des crânes humains… ».13 Les chercheurs qui ont étudié la structure B en détail l’ont baptisé « autel tzompantli » et non pas tzompantli, précision qui vaut la peine d’être relevée.14 En effet, ce bâtiment est fréquemment assimilé à un tzompantli bien qu’Eduardo Matos Moctezuma et

Leonardo López Luján qui y font souvent référence ne le considèrent pas comme tel. On comprend mieux ainsi les confusions et les malentendus qui sont intervenus dans la définition du tzompantli. Par exemple, dans ses écrits, Shirley Boteler Mock (2001 vol. 3: 149) qualifie le bâtiment B de Grand Tzompantli.15 Il existe également des structures dans la zone maya, à Kabah au Yucatán, et à Copán, au Honduras, identifiées comme tzompantli. Dans ce dernier site, sur l’escalier de la structure 16, se trouve une rangée de crânes sculptés encastrés que l’on décrit comme « … un râtelier de têtes de mort dans le style des tzompantli mexicains … Six de ces têtes de mort sont encore à leur place d’origine ce qui… permet de penser qu’il y avait au départ trente-trois têtes de mort sur quatre rangées » (Agurcia Fasquelle, Stone et Ramos 1996: 189). Il faudrait aussi tenir compte des autres exemples de la zone maya, comme Oxkintok et Mayapan, dont les murs sont décorés de personnages en relief avec des trous à la place de la tête où l’on mettait probablement des crânes et des têtes. On fait une lecture similaire d’une série de crânes trouvée à Labna, Yucatán comme le dit Nicholas Hellmuth, dans son étude des écrits de John Lloyd Stephens, des dessins de Frederick Catherwood, des photos d’Eric Thompson et des propos d’Harry Pollock (1980 : 34-38), qui reconnaît sur la structure 4 de Labna une rangée de crânes le long de la crête du temple. Hellmuth (1996 vol. 1: 10-22) reprend cette idée et l’hypothèse de Pollock pour identifier un autre tzompantli sur l’escalier de la structure 16. Cela n’est pas très étonnant, car il est fréquent qu’une rangée de crânes soit identifiée comme telle, mais ce qui est plus grave est que les personnages des bas-reliefs également situés sur la crête sont identifiés comme des joueurs de balle, puisqu’ils sont à côté d’un tzompantli. Nous sommes face à une tautologie : ce sont des joueurs car ils sont à côté d’un tzompantli, et c’est un tzompantli car il est à côté d’un jeu de balle. La liste des structures et des plateformes qui ont été assimilées à des tzompantli est longue et il semble, comme nous l’avons dit, que plusieurs sites ont récemment acquis un tzompantli, car des rangées de sculptures et peintures de crânes, et des crânes avec os croisés ont été identifiés comme tels sans véritables fondements. On est ainsi parvenu à identifier sur le plan archéologique près de quarante tzompantli, et ce n’est qu’un échantillon de toutes les structures qui ont été classées sous cette dénomination.

du Mexique. Navarrete (1996 : 336) propose que le terme ne s’utilise que pour se référer au Postclassique tardif, au moment où les Mexicas ou Aztèques dominent la région mésoaméricaine. 11 La plateforme de Calixtlahuaca identifiée comme un tzompantli est de plan cruciforme et ornée de files parallèles de crânes encastrés. Zuñiga Barcenas (2001 : 784-787) explique que cette structure est un tzompantli. 12 (Marquina 1951: 115-124 ; Noguera 1937:7) L’autel, de plan carré, date de l’époque Cholula IV (700-900 apr. J.C.). Le mural de Cholula, appelé le Mural des criquets ou des insectes, a été nommé tzompantli par certains chercheurs car ils y voient des crânes perforés (Ramírez Hernández 1999: 43). 13 On détecte trois étapes constructives : « La plus ancienne semble dater de 1475 apr. J.–C. ; la deuxième, celle que voient les visiteurs, est contemporaine de l’étape VI du Templo Mayor, et la dernière, démontée il y a peu de temps, présentait seulement le début des rampes et la base des façades. » (López Luján 1993: 80). 14 En ce qui concerne la fonction de l’Édifice B, Leonardo López Luján (1993) signale que les caractéristiques des offrandes déposées à l’intérieur (offrandes H et N) et sa situation septentrionale par rapport au Templo Mayor, suggèrent que cette structure est plus liée au culte de la mort et au Mictlan qu’aux trophées humains.

VI.3. Les traces du tzompantli. Il faut étudier systématiquement tous les éléments archéologiques qui ont été identifiés comme des tzompantli pour prendre conscience de la grande variété de vestiges qui ont été assimilées à cet espace, de la trace d’un poteau à une plateforme isolée sans aucun bas-relief. Le site archéologique de Tamuín, San Luis Potosi, est un cas concret exemplaire. Diana Zaragoza Ocaña (1993: 54-55) écrit que, dans une exploration sur le site en 1947 par W. Du Solier, l’archéologue localisa une plateforme de base rectangulaire de quatre mètres de côté et soixante 15

Le confondant avec le Huey Tzompantli du Templo Mayor que voient les conquistadors à leur arrivée à Tenochtitlan.

43

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels restes humains, varie d’une culture à l’autre. En utilisant les noms propres à chaque manifestation, les différences entre les pratiques d’exposition des restes humains ne seront plus masquées sous le terme générique et imprécis de tzompantli. En d’autres termes, on avancera beaucoup si l’on peut visualiser les différents types de tzompantli (exposition de restes humains) avec leurs spécificités : leur propre culture, leurs rites, leurs valeurs et leurs coutumes. En partant de ce propos17 pour comprendre l´image des fragments du corps et de violence, l´objet qui répète le sacrifice et la violence exécutée au corps humain, la considération de la façon de la mort est fondamentale. L’expression matérielle du comportement rituel rend évident le processus pré y post-mortem, la mise en mort, la manipulation et l’exposition du corps humain fragmenté et démembré.

centimètres de haut avec quatre perforations où, selon lui, des sculptures ou des étendards devaient être encastrés. Pour sa part, vu l’écart entre les perforations, elle déduit que les quatre orifices servaient à planter des poteaux d’un râtelier de crânes. Le rôle probable de cette structure serait semblable à celui d’un tzompantli ou lieu des crânes des Nahuas. Il est certain que les Huastèques empalaient les crânes de leurs victimes et les exhibaient au sommet des plateformes, comme le dit l’archéologue en se basant sur les récits de Bernardino de Sahagún, mais nommer cet assemblage sans restes humains un tzompantli est incorrect, car cela voudrait dire que les caractéristiques fondamentales du tzompantli des Nahuas recouvrent les pratiques des Huastèques comme un voile.16 Pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom en suivant l’exemple d’autres chercheurs qui ont aussi trouvé des évidences de sacrifices humains, d’exhibition de crânes, de têtes et d’os longs, mais qui en parlent simplement comme des trophées/offrandes qui étaient suspendus à des cordes, pour être exhibés publiquement. Un exemple de ce rapprochement vers une pratique répandue dans le monde mésoaméricain, a été mis au jour lors des fouilles récentes de Xochicalco (Garza Gómez 1994). Le terme tzompantli a été utilisé de manière fautive et sans discernement pour désigner une série de structures, de plateformes, d’empreintes de poteaux ou d’ensembles de restes osseux qui n’en sont pas. Il faut donc désormais absolument faire la différence entre les diverses manières utilisées par les cultures mésoaméricaines pour exhiber les parties du corps humain démembré. Ceci est essentiel car, si l’on ne tient pas compte des différences et de la variété et que l’on utilise un seul terme pour qualifier diverses manifestations rituelles, on réduit la possibilité de chercher une autre interprétation et d’aller plus loin que la lecture hégémonique. Cette dernière nous aveugle et nous empêche de distinguer les cultures éloignées dans le temps et l’espace, et les manifestations qui possèdent une signification profonde que nous aurons du mal à saisir dans leur totalité.

VI. 4.1. Le tzompantli vertical L’idée d’accrocher des rangées verticales de crânes perforés par l’apex se retrouve dans certains sites de l’aire septentrionale, par exemple Paquimé, mais aussi à Chichén Itzá, au Sud. Pour formuler notre hypothèse, il est nécessaire de revenir sur les exemples cités antérieurement. VI.4.1.1. La culture Chalchihuites. La culture Chalchihuites est en particulier connue à travers les sites de la Quemada et d’Altavista à Zacatecas et celui de Zape dans le Durango. On considère que les sites de Cerro del Huiztle, Cerro de Moctezuma, El Vesubio et La Cofradía sont les lieux de naissance de nombreux traits culturels et militaristes qui plus tard se sont associés aux cultures du Postclassique du Mexique central : céramiques de Coyotlatelco, pipes, culte à Tezcatlipoca, chac mool et tzompantli.18 L’exhibition de restes humains empalés est surtout fréquente dans la région septentrionale. Les données archéologiques reflètent cette pratique et lorsque les soldats espagnols sont entrés dans les maisons des Xiximes en 1610, ils y ont trouvé plus de mille crânes (Raigosa Reyna 2000: 466). Sur le site archéologique de La Quemada, dont la dernière construction remonte à 850 apr. J.C., on a trouvé sur le sol des os, des mandibules, des os longs et plus de deux cent cinquante crânes perforés sur le vertex. Ces perforations laissent supposer que les crânes étaient exposés dans des salles, suspendus aux toits et accrochés sur les murs, de la même façon qu’au site du Cerro de Moctezuma où l’on a trouvé un crâne avec des traces de coupures sur la calotte et une perforation sur le vertex (Hers 1989: 106 ; Pijoan et Mancilla 1990).

VI.4. À chacun son tzompantli. Le phénomène aurait pu être évité. Les chercheurs ont trouvé des termes équivalents au mot náhuatl tzompantli dans plusieurs langues indigènes : multum zec en maya, yagaabetoo en zapotèque et eraquarecuaro ou pirouen en purepecha. L’utilisation de ces termes à la place de tzompantli permettra de voir clairement ce qu’était cet espace pour chacun des groupes. Appeler les choses par leur nom évitera l’emploi généralisé du terme tzompantli et permettra de déterminer et d’expliquer la spécificité des pratiques liées à l’exhibition des restes humains dans chacune des cultures de l’ancien Mexique. Cela nous aidera à nous dégager de cette unicité apparente et de cette homogénéité que l’on a attribuées aux diverses pratiques sacrificielles et dont le résultat, l’exhibition de

17 Carreón 2011. Plusieurs études collectives offrent d’importantes informations : Chacon et Dye (eds.) 2007; Tiesler et Cucina (eds.) 2007; López Luján et Olivier (eds.), 2010; Boone (ed.) 1984 et Turner II et Turner (1999, chap. 4). 18 Il est généralement accepté que le plus ancien tzompantli date de 500900 apr. J. C. et qu’il soit l’œuvre des Toltèques-chichimèques (culture chalchihuites) (Hers 1989: 52 ; Porter Weaver 1981: 189-193). Cependant, une autre théorie prétend que le plus ancien tzompantli est zapotèque et date de 300 av. J.C. (Spencer et Redmond 1979: 204-215).

16 Les analogies entre les pratiques sacrificielles des Huaxtèques qu’enregistre Sahagún (1950-1982 vol. 10 : 185-186) et les pratiques des nahuas conduisent à l’interprétation de Stresser Péan (1965-1984 vol. 11 : 595).

44

Nous avons tous un tzompantli tzompantli cet espace où les crânes sont suspendus et se risquer à répondre affirmativement, en se basant sur l’hypothèse généralement acceptée que les groupes chichimèques de la région septentrionale faisaient partie de la famille linguistique nahua, bien que le fait que les crânes étaient suspendus verticalement ne puisse pas non plus être ignoré.

Sur le site du Cerro del Huiztle, Jalisco, qui apparaît au début de notre ère en liaison avec Chupícuaro et Cuicuilco, entre 300 et 1359 apr. J.C., se dressent des palissades avec des crânes. La reconstitution de l’archéologue Marie Areti Hers (1989 : 93) qui a fouillé le site montre qu’il existait six ou sept structures que l’on a appelées tzompantli, et que si des restes humains intégraient le mobilier de certains édifices pour être exposés au public, d’autres faisaient également partie du mobilier intérieur. L’ensemble 57, par exemple, est formé de trente-trois crânes, plus des mâchoires, des fragments d’os longs et de hanches et l’on pense qu’ils étaient accrochés à une structure en bois formée d’au moins cinq poteaux alignés et enfoncés dans le sol de la place, dont on retrouve les empreintes cinquante centimètres plus loin sur la terrasse sud. Les crânes présentent en général une perforation circulaire de six millimètres de diamètre intérieur et de douze millimètres de diamètre extérieur à côté du vertex, mais quelques-unes sont plus grandes. Il est probable que ces crânes étaient enfilés sur une corde ou un ruban, l’un au-dessus de l’autre et que la corde était fixée verticalement. Il faut remarquer que ces installations étaient faites alors que les crânes avaient encore leurs parties molles (Hers 1989 : 89-91). À Altavista, dont la civilisation est à son apogée entre 800 et 850, on a trouvé dans le Temple des Crânes une couche d’os de vingt centimètres d’épaisseur, formée de mâchoires, d’os longs et de vingt et un crânes. Certains crânes portent une perforation circulaire sur le vertex et l’on peut alors se demander s’ils ont aussi été accrochés verticalement sur une corde pour former une structure particulière fixée au toit. C’est le cas dans une autre partie du site d’Altavista où l’on pense que deux fémurs et un crâne étaient également suspendus à une structure (Pijoan et Mancilla 1990: 469). Ellen Abbot Kelley signale que cette façon d’exhiber les restes humains diffère du tzompantli. Elle ajoute que les autels de crânes et les os longs utilisés par les habitants d’Altavista étaient différents de ceux des grands centres de culture aztèque. Dans le nord-est du Mexique, les crânes étaient enfilés sur une corde ou une lanière de cuir qui passait par une perforation sur le vertex du crâne. Dans la vallée de Mexico, ils étaient enfilés sur un bâton qui leur traversait latéralement les tempes ( Abbot Kelley 1978: 108-111 et 119). Sur le site de Paquimé ou Casas Grandes,19 occupé entre 1150 et 1450 apr. J.C. et dont l’apogée se situe entre 1300 et 1450 apr. J.C., on a trouvé également des restes osseux dont les crânes et les fémurs présentent des perforations. Il semble que, sur ce site, existaient des éléments d’époques antérieures provenant de la culture Chalchihuites. Les crânes trouvés à Paquimé avaient un petit orifice dans le vertex pour les enfiler sur des cordes tendues horizontalement.20 On peut le voir sur la reconstitution proposée par Charles Di Peso. Pour terminer, il faut se demander s’il est pertinent de nommer

VI. 4.1.2. Tula S’il est pertinent d’appeler tzompantli l’exhibition de crânes des sites dont nous venons de parler, on peut dire la même chose du site toltèque de Tula, Hidalgo, dont l’apogée se situe entre 700 et 1200. Écrire sur le tzompantli de Tula est un exercice complexe, à cause de ses ressemblances marquées avec Chichén Itzá (Matos Moctezuma 1974 ; 1972). C’est un sujet difficile, qui s’inscrit dans une large discussion sur les faits qui expliquent les ressemblances entre les deux cités. La plupart des chercheurs pense que les Toltèques, venant du centre du Mexique, sont arrivés à Chichén Itzá, et qu’ils sont responsables des éléments non mayas trouvés sur le site, comme le tzompantli. Cependant, d’autres scientifiques affirment qu’il existait déjà des prototypes de tzompantli dans la région. En tout cas, c’est un problème lié aux mouvements de populations, qui dépasse le cadre de cette recherche.21 Les ressemblances entre les deux sites sont importantes et il faut remarquer la similitude des deux plateformes assimilées à des tzompantli et les parallèles de leur emplacement. Ils sont proches du jeu de balle, thème dont nous avons déjà parlé dans le chapitre I (Mastache, Cobean et Healan 2002: 132-133). Dans les deux sites, la relation physique entre le jeu de balle et le tzompantli est évidente et les plateformes sont semblables, mais celle de Tula ne compte aucun bas-relief, ou du moins leur présence est hypothétique22. Rien ne prouve que cette structure possédait des bas-reliefs de crânes et encore moins qu’ils aient été identiques à ceux qui couvrent les murs du tzompantli de Chichén Itzá, c’est-à-dire enfilés verticalement sur des pieux. Cependant, et malgré ces contradictions, la reconstitution hypothétique a été faite sur le modèle de Chichén Itzá et c’est le tzompantli de la cité maya qui a permis de déterminer les paramètres des caractéristiques de celui de Tula et des Toltèques.23 Il ne 21

Les études affirment que les Toltèques Chichimèques abandonnent Tula, migrent vers la Côte du Golfe via Cholula vers 1000 apr. J.C. et s’établissent dans la Laguna de Términos. Environ trente ans plus tard, ils se mélangent avec les habitants Nonoalca, Pipil et Chontal maya de la région, et certains d’entre eux se dirigent vers Chichén Itzá, Uxmal et Mayapán, même si on ne peut écarter la proposition qui explique que les éléments mexicains de Chichén Itzá ne sont pas importés de Tula, mais originaires de la zone maya comme le propose George Kubler (1961). 22 Dans les années 70, l’archéologue Eduardo Matos Moctezuma (1975: 111) découvre à Tula une plateforme en forme de T, complètement lisse, à l’est du terrain de balle et l’identifie comme un tzompantli la considérant identique au tzompantli de Chichén Itzá (Voir aussi Diehl, 1983: 66, 149 et Jones 1995). 23 Á Tula, le tzompantli est sur la place principale, à l’est du jeu de balle, orienté nord-sud avec une déviation de 8 degrés à l’est du nord magnétique. C’est une plateforme en forme de T d’une hauteur d’un mètre. Le corps de l’escalier (8.84 m. de long x 6.75m de large) est à l’est du bras long qui va du nord au sud (59.80m de long pour 11.48m de large). On a trouvé, associés à cette structure, un coffre d’offrande avec un couteau d’obsidienne et des fragments d’os de crânes et des dents disposés le long de la partie supérieure.

19 Il y a eu contact avec les Toltèques, mais on ne pense pas qu’ils soient arrivés jusqu’à Paquimé. C’est l’époque de l’architecture résidentielle Pueblo et du jeu de balle mésoaméricain. 20 La Casa de los Cráneos est ainsi appelée à cause des crânes trophées qui ont été trouvés dans une des pièces. Di Peso (1974 vol. 2 : 388-39, vol. 5 :717-783) enregistre la description des os.

45

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels aux crânes de Chichén Itzá Multun Zec, car des pratiques équivalentes s’y déroulent (Thompson, 1970: 324). Il explique que ce terme est employé dans les livres du Chilam Balam, en particulier ceux de Chumayel et de Tizimín. Ralph Roys (1967 : 160 note 4) concorde avec lui sur ce point. Dans son analyse du premier document, il utilise ce terme lorsque le texte signale que les têtes des étrangers ont été fixées dans un mur. Roys explique que cela signifie certainement qu’un tzompantli a été dressé et que les pieux sur lesquels les têtes étaient empalées étaient scellés dans un mur. Un exemple graphique est donné et montre des têtes alignées (Fig. 35).

restait donc plus qu’à imaginer que sur la plateforme du tzompantli les crânes étaient alignés verticalement, comme à Chichén Itzá.24 VI.4.1.3. Multun Zeck Comme nous l’avons dit, une des premières structures archéologiques assimilée à un tzompantli est celle de Chichén Itzá, site maya toltèque, ce qui est important puisque c’est ce modèle qui a été utilisé pour imposer l’image de ce que devait être celui de Tula. C’est une plateforme en T dont les côtés sont couverts de basreliefs représentant des crânes fixés verticalement sur des pieux, et que l’on a interprétée comme la démonstration de l’arrivée de groupes du Nord et du Centre dans la région maya (Morley 1968: 324-329 ; Thompson 1967: 123-124 ; Tozzer 1957). On considère qu’il s’agit d’un élément exogène, démonstration de pratiques sanguinaires qui n’étaient pas caractéristiques des Mayas, mais qui leur ont été imposées, ainsi que d’autres coutumes culturelles que l’on retrouve dans la région septentrionale et à Tula. Il a été largement prouvé que les Mayas décapitaient et plaçaient les têtes de leurs victimes au bout d’un pieu, mais il est fréquent que pour décrire cette pratique les spécialistes du Mexique ancien fassent référence au tzompantli aztèque, en oubliant la spécificité des pratiques mayas (Thompson 1970: 179). Bartolomeo de las Casas écrit «… ils mettaient les têtes des sacrifiés au bout de bâtons sur une sorte d’autel réservé à cet usage, et ils les laissaient là un certain temps avant de les enterrer » (Las Casas l967 vol. 2: 221), et des années plus tard, Diego Lopez de Cogolludo narre des faits similaires : on a tué Frère Diego en lui arrachant le cœur et ensuite « on a coupé son corps en morceaux et sa tête a été placée au bout d’un pieu, avec les autres » (López de Cogolludo 1971 vol. 2: 41-42). Le même chroniqueur affirme également qu’après avoir tué les frères Juan et Diego Cansino, ils leur ont coupé la tête et ils les ont placées au bout d’un pieu et que le même jour, Hernando Aguilar a subi le même sort (López de Cogolludo vol. 1: 334-335). Eric Thompson (1951: 394) raconte lui aussi un évènement du même ordre, et explique que c’est une coutume qui rappelle le tzompantli et qui a été reprise par les habitants de la péninsule du Yucatán. Les indigènes de la région maya ont décapité les Espagnols et ont placé leurs têtes au bout de pieux qui étaient dressés sur un petit monticule. Il ajoute que la preuve de ces pratiques se retrouve sous forme de sculptures à Chichén Itzá, en particulier sur le tzompantli. Bien que Thompson emploie fréquemment le mot tzompantli pour parler de cette façon d’exhiber des restes humains, c’est lui qui propose d’appeler la plateforme

VI. 4.1.4. Eraquarécuaro ou Pirouen Les exemples qui suivent vont nous faire comprendre ce qui se passait dans la région occidentale du Mexique, région qui a subi l’influence de la région septentrionale (Caso 1944; Carot et Hers 2006; Carot 2001; Hernández, 2006: 81). On suppose que le dessin de Pablo Beaumont (1932 tome 2 : 266-267), dans la 3e carte du Crónica de Michoacán qui est une source fondamentalement historique, représente Tzintzuntzan (Gali 1993: 442-443). On y voit les temples préhispaniques appelés yacatas et le lieu où l’on mettait les os des sacrifiés, tels que les ont vus les Espagnols à leur arrivée (Fig. 29). Eduard Seler propose que les têtes empalées sur les pieux se trouvaient sur la place face au temple, et que l’on ne peut pas dire que les Purépechas avaient des râteliers spéciaux pour les têtes, comme les tzompantli des Mexicas (Seler l991-1993 vol. 4: 51). Pour sa part, Corona Nuñez émet une idée similaire lorsqu’il propose que l’armature de bois appelé tzompantli en Nahuatl, est appelée eraquarequaro en purepecha (Corona Núñez 1957). L’auteur ne précise pas exactement comment il parvient à cette nomenclature, mais on peut penser que le tzompantli des Purépechas peut également être appelé pirouen, car la Relación de Michoacán appelle ainsi un lieu où l’on a mis la tête d’un décapité. Déterminer le nom correct correspondant à l’exhibition de restes humains chez les Purépechas demanderait une recherche plus précise,25 car divers récits d’Alcalá, que nous n’énumérerons pas, parlent d’une tête empalée sur une perche, ce que les chercheurs, traducteurs et éditeurs assimilent à un tzompantli.26 Il faudrait également enregistrer un cas exceptionnel où les Purépechas dressent une structure pour porter les restes humains, comme le décrit le père Beaumont. Le religieux mentionne un épisode belliqueux où les 25

Verónica Hernández (2006 : 61, note 115) propose que le mot pirouén serait le nom purépecha des tzompantli étant donné que c’est un terme que l’on trouve dans la Relación de Michoacán et que le mot Eranquaráquaro n’est pas un mot que l’on trouve dans les dictionnaires purépechas. Pirouén est probablement le terme le plus adéquat. Le mot signifie hilvanar/surfiler, ce qui curieusement fait allusion à l’action d’enfiler des crânes. Voir le glossaire des mots purépecha en Alcalá 2000. 26 Alcalá (1989 et 2000 chapitres II, XVIII, XXVIII) fait mention de placer les têtes sur des bâtons. Escobar Olmedo en son étude de la Relación de Michoacán (Alcalá 2001 : 434-436 note 731) dans ses commentaires du chapitre 18, folio 96v-97v écrit que c’est « … comme le tzompantli des Meshicas, des files de crânes traversés au niveau des tempes par une barre » commentaire semblable à celui du chap. 2, folio 11v.

24 À Chichén Itzá, le tzompantli est situé sur la place centrale, à l’est du jeu de balle. C’est une plateforme en forme de T d’une hauteur de 1.80 m. orientée nord-sud, avec une déviation de 17° à l’est du nord magnétique. La plateforme longue (55.10m longueur x 12.02m largeur) porte des reliefs de files de crânes horizontales dans les moulures. Le corps principal comporte des files de crânes verticales. Le corps de l’escalier (16.30m longueur x 12.70m largeur) regarde vers l’Est et ses moulures sont ornées de serpents et de personnages décharnés portant atlatl et tête trophée. Il y avait, associés à cette structure, la sculpture d’un chac mool, un anneau de jeu de balle, deux crânes et une mosaïque de pyrite et de jade.

46

Nous avons tous un tzompantli Mexicas se battent contre eux, et sont vaincus. Il raconte que les vainqueurs font beaucoup de prisonniers et, qu’après les avoir sacrifiés, ils érigent un monument avec d’innombrables ossements dans un champ entre Maravatío et Tzitácuaro.27 Cela invite à rechercher les multiples façons de manipuler les restes humains dans un contexte de guerre. On a déjà mentionné le lienzo de Puácuaro, document colonial de la région Purépecha où se trouve clairement représenté le tzompantli vertical (Fig. 16) ;28 le lac qui doit être celui de Pátzcuaro, une série de personnages, des temples préhispaniques ainsi que des églises et des personnages vêtus à l’européenne. Les rangées de crânes humains placées verticalement et un individu jouant à la balle avec un bâton constituent les deux éléments les plus remarquables de cette planche. On ne sait pas où a lieu le jeu de balle,29 ni où se trouvent les rangées de crânes, mais si l’on se réfère à l´écrit de Beaumont, on peut penser qu’il s’agit de la ville de Tzintzuntzan,30 ce qui confirmerait que, dans cette région, on exposait des crânes humains sur un eranquarequaro ou pirouen, accrochés en longues files verticales et que l’on jouait à la balle. À première vue, il semble que l’on se trouve face à une relation évidente entre les deux pratiques, mais cette hypothèse est inexacte. D’abord, il est évident que le jeu n’est pas l’ulamaliztli, et d’autre part, le simple fait que les deux soient représentées sur le même parchemin ne prouve pas que le jeu se termine par une décapitation. Ce genre d’interprétation nous renvoie à un des problèmes évoqués au début de cette recherche à savoir : quelle est la définition du mot relation ? Pour terminer, rappelons qu’à Dainzú, nous avons été confrontés au même problème. On y voit un terrain de jeu de balle et, au sommet d’une colline, des rangées de crânes, mais dans ce cas comme dans le précédent, on ne peut établir une relation entre les deux car le terrain est beaucoup plus récent que les bas-reliefs de têtes.

saler et il ajoute qu’«… avec les ossements et les crânes, ils ont construit une sorte de rempart… ». Il est cependant difficile d’imaginer cette construction. Ressemblait-elle à la structure de Coyotera, Oaxaca, qui est contemporaine de Monte Alban II (200 av. J.C-100 apr. J.C.)? Sur ce site, face à un grand monticule, on a trouvé soixante et un crânes humains alignés, que les archéologues ont assimilés à un tzompantli (Spencer et Redmond 1979: 211 ; Wilkinson 1997), Bien qu’ils comparent leur découverte au tzompantli des Nahuas, ces archéologues semblent conscients qu’ils sont face à une façon d’exhiber les restes humains qui est caractéristique des Zapotèques et, pour cette raison, ils l’ont baptisé Yagabetoo (Marcus et Flannery 1996: 205, chap.14 ; Flannery et Marcus 1983). Les auteurs n’explicitent pas l’origine de ce nom, mais il faut signaler que le mot Yaga, dans le Diccionario Zapoteco de San Bartolomé Zoogocho, Oaxaca (1999) et le Vocabulario de Cordoba, (1987) signifie « arbre, bois, bois de chauffe, bâton». Grâce à ce terme, ils font une distinction entre les pratiques zapotèques et celles des Mexicas, en soulignant les particularités de chacune. Cependant, le mauvais état des crânes les a aussi contraints à utiliser le modèle mexica pour faire une hypothétique reconstitution de ce que pouvait être le yagabetoo des Zapotèques.31 Il est donc évident que c’est à cause de la ressemblance morphologique entre leur découverte et le tzompantli mexica que les archéologues ont pu dire que les structures étaient probablement les mêmes, et qu’ils ont pensé que le Yagabetoo des Zapotèques avait le même rôle que le tzompantli.32 Une apparence semblable se trouve à Zempoala, Veracruz. En ce cas, une structure circulaire (1.90 m de diamètre et 50 cm de haut) située au centre d´une longue plateforme du temple nommé El Pimiento est identifiée par Patricia Castillo (1991 : 253257) comme un tzompantli. Sur la partie frontale de la plateforme, 16 crânes (une approximation due à la quantité des os désarticulés) ont été dégagés. Quatre d’entre eux montrent le « traitement d´un tzompantli ». Ils présentent des trous aux pariétaux et plusieurs fractures. Bien que les crânes soient en cours d´analyse, l’enregistrement du tzompantli est prématuré. Il existe quelque certitude que les habitants de Zempoala et de la région de Veracruz aient accroché des crânes et des os aux râteliers. Le lienzo de Tuxpan (1970) confirme la pratique, et Bernál Díaz del Castillo (1974: 74 et 87) la mentionne, bien que l´enregistrement ajoute très peu aux connaissances des pratiques sacrificielles des Totonaques du Postclassique, si bien les interprétations suivent le modèle mexica.33

VI.5. Une esquisse du modèle mexica : Yagabetoo et le Lienzo de Tuxpan On ne peut cataloguer cette façon d’exposer les restes humains comme un tzompantli, mais cela ne signifie pas non plus que, dans la région de Oaxaca, il n’existe pas d’équivalent du tzompantli. Dans sa description géographique, Francisco de Burgoa (1989 vol. 2: 342) consigne que, lorsque les Zapotèques ont vaincu les Mexicas, ils les ont tués, coupés en morceaux pour les 27 Nicolás León 1993: 67-115 enregistre l´information de Beaumont. Voir aussi Benedict 1985: 11. 28 Cette structure est généralement identifiée comme un tzompantli, par Glass 1964 : 78 fig.35 et Escobar Olmedo dans son étude d´Alcalá (2001 : 262-263 note 227). Il écrit : « Dans le Códice Cuara (Puácuaro), on voit des barres qui transpercent des crânes comme les tzompantlis des Meshicas.» 29 Comme cela a déjà été signalé, le jeu de balle avec bâton courbe n’est plus joué actuellement sur un terrain en bonne et due forme, mais en frappant la balle et en la suivant jusqu’à la fin du parcours. 30 L’archéologie de Tzintztuntzan ne montre pas clairement où s’exposaient les dépouilles humaines. Rubín de la Borbolla (1939) signale qu’il a été localisé une grande quantité de crânes associés à la yácata 5 principalement. Ils n’ont pas de perforations qui fassent penser qu’ils étaient suspendus par des cordes, mais des études récentes proposent malgré tout qu’il s’agit d’un tzompantli (Pollard 1993: 47-48 et 1994: 29; Hernández 2006: 61, note 117; Cárdenas García 1994).

31 Seuls un ou deux des soixante et un crânes localisés étaient perforés, probablement pour les accrocher à une structure, qui selon les traces était probablement faite de pieux en bois fichés au sol (Spencer 1982: 239). 32 Spencer 1982: 238. 33 Voir le Lienzo de Tuxpan 1970, où est tracé le territoire, délimité à l’Est par le Golfe du Mexique, au Nord par le fleuve Pantepec et au Sud par le fleuve Cazones. Ce sont des documents se référant au conflit de terres avec les Mexicas en 1499. Les habitants de Tzapotitlan ont fait faire les peintures et en font faire des copies lors de la conquête espagnole. Sur le Lienzo de Tuxpan, le toponyme est représenté au nord du fleuve Tuxpan.

47

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels ajoute: cela ne peut que nous renvoyer à l’arbre de Xibalba (Graulich 2005 ; 1988b : 403, 2005). L’équivalence entre l’arbre et le tzompantli devient alors affirmée, et le fragment du récit est extrêmement important pour démonter la relation. L’usage du mythe maya pour assimiler l’arbre d’Ixtapantongo à un tzompantli s’est généralisé. On le retrouve dans l’ouvrage de Mary Ellen Miller et Karl Taube,35 et dans un article de Virginia Miller. Cette dernière nous dit qu’à Ixtapantongo, l’arbre où sont accrochés des crânes doit être considéré comme un tzompantli, répétant le lieu commun, mais elle pousse l’identification encore plus loin en suivant une vision évolutionniste selon laquelle l’utilisation des arbres pour y pendre des crânes est antérieure à la construction de palissades qui seront elles-mêmes suivies par la construction de structures permanentes en pierre (Miller 1999: 346). Divers chercheurs sont arrivés à assimiler un arbre à un râtelier de crânes en reprenant des récits et des illustrations où la tête séparée du corps est accrochée à un arbre. À ce sujet, il existe très certainement de nombreuses façons d’exhiber des ossements dans un arbre, mais ces pratiques ne doivent pas être vues comme les ancêtres du tzompantli, ni comme le tzompantli lui-même. Ce n’est qu’une façon différente de montrer des restes, parallèle à toutes les autres manières d’exhiber des restes humains, particulièrement évidente dans la région septentrionale où l’on montre aussi les parties du corps dans les arbres. Par exemple, chez les Acaxees, « quand on voulait récolter le maïs, les haricots et d’autres plantes, les os et les crânes des ennemis, et toutes les idoles étaient réunis au pied de l’arbre du zapote qui se trouvait sur la place pour invoquer les faveurs des idoles et des ossements » (Beals 1932, 1933). Les Xiximes avaient l’habitude de « fêter leurs victoires avec des os et des têtes de mort qu’ils accrochaient sur les murs et les portes de leurs maisons et sur les arbres qui étaient à côté. Il est donc évident que la coutume d’accrocher des têtes et des crânes aux arbres était courante. Comme le dit Perez de Ribas (1992: 531), quand les Espagnols sont arrivés dans la région, les Indiens leur ont coupé la tête, ont fait des fêtes, et il semble qu’ils pendaient les corps à un arbre dressé au centre de la place de la communauté. Ces pratiques ont été comparées à celles d’accrocher des têtes sur un tzompantli, alors qu’elles se ressemblent formellement, sans avoir forcément la même signification. Dans les références présentées, l’arbre est donc assimilé à un tzompantli. Il devient un élément extrêmement important, car il implique une relation immédiate entre le tzompantli et le jeu de balle, si l’on se réfère à la lecture de Paso y Troncoso du récit de Diego Durán. Comme nous l’avons dit dans le premier chapitre, le spécialiste reprend une information du frère dominicain

VI.6. L’arbre comme tzompantli. Les travaux assimilent parfois un arbre à un tzompantli et nous avons noté cette problématique et ses implications. Nous avons également rappelé que, dans la proposition d’une relation entre le tzompantli et le jeu de balle, on trouve les interprétations et les lectures du Popol Vuh. Ce document historique raconte le récit des aventures des jumeaux Hun Hunahpu et Vucub Hunahpu. Le bruit incessant de leur jeu de balle dérange les seigneurs du Xibalbá, Hun Came et Vucub Came qui invitent les deux frères à jouer. Ceux-ci acceptent et, sur le chemin, ils doivent traverser de nombreuses épreuves. Ils échouent dans la majeure partie d’entre elles, et les seigneurs du Xibalba les tuent, accrochent la tête d’Hun Hunahpu au sommet d’un arbre situé à proximité du jeu de balle et enterrent les corps des deux frères sur le terrain.34 Ce fragment du récit a été utilisé pour démontrer qu’il existait une relation entre les deux espaces, mais une analyse plus fine permet de découvrir que, premièrement, Hun Hunahpu a été sacrifié avant le jeu contre ceux de Xibalbá, deuxièmement qu’il n’a pas forcément été sacrifié par décapitation, et troisièmement que l’arbre que l’on dit être un tzompantli ne l’est pas, même si, dans cette occasion, il a été utilisé pour exhiber des restes humains. Par la suite, on a très souvent assimilé à un tzompantli tous les arbres aux branches desquels des têtes ou crânes étaient exhibées, par exemple Eduard Seler. Agustin Villagra (1954) écrit à propos des peintures rupestres de Ixtapantongo où, parmi plusieurs scènes complexes, est représenté un arbre où sont accrochés des crânes et des drapeaux, qui semble indiquer le nom du lieu où s’effectue la cérémonie du tzompantli (Fig. 36). En suivant cette ligne de recherche, Michel Graulich raconte : « Quant aux têtes, on les exposait dans les ossuaires (tzompantli), enfilées sur des baguettes que reliaient entre elles de gros pieux fichés dans le sol. Il ne semble pas douteux que ces pieux hérissés de baguettes représentaient des arbres ; d´ailleurs, dans le codex Borgia et sur les peintures rupestres d´Ixtapantongo, les tzompantli sont des arbres. Dès lors, les têtes qui le garnissaient étaient semblables à des fruits.... », et il 34

La traduction d’Adrian Recinos du Popol Vuh ( Ximénez 1957 : 57) explique que, dans la Maison obscure, ils sont vaincus. « On les sacrifie tout de suite et on les enterre dans le Pucbal Chah, comme on l’appelle. Avant de les enterrer, on coupe la tête d’Hun Hunahpu et on enterre le frère aîné à côté du frère cadet. Emportez la tête et disposez-la dans cet arbre qui pousse sur le chemin ». Allen Christenson (Ximénez 2003 : 125) traduit : Ils furent sacrifiés et enterrés. C’était un endroit, appelé le jeu de balle… (Crushing ballcourt) où ils furent enterrés. La tête d’Hunahpu fut coupée, et le reste du corps enterré avec son jeune frère (les corps furent enterrés dans le jeu de balle). Mets sa tête dans l’arbre planté sur le chemin, dirent Un Mort et Sept Mort. Dennis Tedlock (Ximénez 1985: 97) traduit : « ils furent alors sacrifiés et enterrés. Ils furent enterrés à l’endroit du sacrifice du jeu de balle. La tête d’Hun Hunahpu fut coupée, seul son corps fut enterré avec son jeune frère. Mets la tête dans la fourche de l’arbre du chemin dirent Un et Sept Mort.» En ce qui concerne la localisation de l’arbre où est accrochée la tête, les traducteurs s’accordent à dire à côté du chemin, ce qui est significatif. Il faut ajouter que dans le Popol Vuh de 1957, il est écrit que dans les batailles entre les Quichés et les autres peuples, les Quichés « s’emparaient de ceux qui passaient et allaient immédiatement les sacrifier devant Tohil et Avilix. Ensuite ils versaient le sang sur le chemin et mettaient la tête à part. »

35

« Dans le Popol Vuh, la tête d’Hunapuh est placée dans un arbre près du jeu de balle. L’arbre à calebasses est une évidente référence au tzompantli rempli de crânes [….]. Á Ixtapantatongo, il y a un tzompantli représenté comme un arbre » (Miller et Taube 1993 : 176; Mendoza (2008) répète le même propos.

48

Nous avons tous un tzompantli chevelu et le crâne, le tzompaquahuitl et le tzompantli, sont mêlés, et ces doutes dépassent la pure terminologie. Le terme tzompantli se compose de deux mots tzontli et pantli, et on peut le concevoir comme une façon de rechercher un lien conceptuel entre le cuir chevelu et des têtes ou des crânes accrochées sur une structure permanente, c’est-à-dire un tzompantli. Patrick Johansson (2007: 395) souligne dans son étude comparative la complexité du toponyme tzompanco dans le codex Aubin et le Ms 40. Dans le premier cas, le tzompantli est une structure simple qui porte un crâne et un pantli, et les éléments orientent la lecture. Dans le toponyme du Ms 40, les éléments qui forment le glyphe subsistent bien que le crâne disparaisse, et ils exigent une lecture rébus pour être compris (Fig. 40). Johansson montre la tendance des tlacuilos, depuis le XVI siècle, à représenter les glyphes pour correspondre aux mots plus qu’aux référents. Bien que normalement le mot tzontli, qui veut dire cheveux, se réfère à la notion de poils/chevelure, et pantli se traduit traditionnellement par drapeau, étendard, mur et rangée ou ligne, une traduction littérale donne donc des propositions telles que « drapeau de cheveux » ou « étendard poilu », ou d’autres plus communes telles que rangée ou alignement de chevelure et emplacement de cheveux. La présence répétée de cheveux nous a fait prendre en compte certaines pratiques : l’usage des scalps et cuirs chevelus, répandue entre les Nahuas: les guerriers nahuas aveuglaient leurs ennemis avec les cheveux pris aux cadavres des femmes décédées en couche, et en capturant l´ennemi, ils le prenaient par les cheveux; ils étaient coupés. Alfredo López Austin ajoute que les guerriers gardaient les cheveux du captif pour obtenir leur force.40 Les pouvoirs des cheveux sont dus à leur position sur la tête, surtout ceux qui couvrent le sommet, le vertex,41 et il faut aussi souligner les propositions qui suggèrent qui le terme tzontli se réfère également au concept de tête ou crâne. Le mot nahuatl pour crâne ou tête de mort est quaxicalli, alors que pour tête coupée, c’est tzontecomatl (Molina 1977). Attendu que le mot tzontli /cheveu fonctionne comme une synecdoque, c’est-àdire une partie pour le tout, il peut être compris comme l’équivalent de la tête et la tête comme l’équivalent du crâne (Duverger 1983: 170-174) Chez les Nahuas antérieurs à la conquête, le tzompantli était chargé de significations culturelles liées à un rituel complexe dans lequel la tête humaine ou une de ses parties est détachée et conservée. Certaines de ces

dans laquelle il laisse entendre que des arbres poussent à côte du jeu de balle. Le moine écrit : « autour (du jeu de balle), à l’extérieur, (les Indigènes), par superstition, plantaient des palmes sauvages ou quelques arbres avec des haricots colorés dont le bois est très tendre et léger et dont on fait des crucifix et des images de culte » (Duran l984 vol. 1 : 207). Le fait que, en NouvelleEspagne, on ait fait des sculptures, des images de culte, avec le bois tendre et léger du Colorín ou arbre du tzompantle permet à Paso y Troncoso d’assimiler les arbres décrits par Durán à des Colorines.36 Cet arbre est connu, à l’époque préhispanique comme aujourd’hui, sous le nom de tzompantli ou tzompaquahuitl (tzompantli et quahuitl- arbre/bois). Sahagún dit à leur propos : « ...on les plante dans les bosquets. C’est un arbre de taille moyenne avec des branches en dôme, de forme ronde, assez joli. Il fait des fleurs qui s’appellent equimixochitl, jolies et très colorées, sans aucune odeur, les feuilles (graines) s’appellent equimitl ». Dans le codex de Florence37 il ajoute que les fleurs sont comestibles, sucrées, mais de goût fort, et on peut en voir le dessin (Fig. 37).38 Les pétales rouges des fleurs forment des mèches qui ressemblent à une chevelure et, dans les gousses, les graines sont alignées. Donc, le nom de l’arbre vient de ses caractéristiques (de ses fleurs), qui se retrouvent dans le tzompantli, bien qu´il existe des doutes sur ce qui était accroché sur la structure: des crânes, des têtes ou des crânes avec des mèches de cheveux? 39 VI.7. Saisir la notion de cheveu En suivant ce propos, on peut penser que l’on a donné priorité à la notion de cheveu, car il existe des glyphes où apparaît, par exemple, l´image d´un drapeau avec une mèche de cheveu au bout (pl. 35r du codex Osuna) (Fig. 38). Dans un exemple tardif, la pl. 4 du codex Cozcatzin, on trouve une mèche de cheveu dans l´image du glyphe Tzunmulco (Fig. 39). Face à la présence répétée du concept de cheveux, de nombreuses ambiguïtés surgissent quant à la façon dont le cuir 36

Erythrina corallodendrun. Famille des fabaceae (Aguilera 1985: 128-129. Santamaría 1959: 276). En anglais, il est appelé « naked coral tree » (arbre de corail nu). Voir aussi Toussaint 1990: 24 ; Maguivar 1995: 61-62, 95. 37 Sahagún (1979 vol. 11 : 204 ; 1979 livre 11 chapitre 7, fo.190r.), écrit que l’arbre se reproduit de cette manière : ses haricots sont plantés et les branches sont juste cassées, plantées comme le uexotl ». Francisco Hernández, médecin de la Nouvelle Espagne, dédie aussi quelques lignes à cet arbre (Hernández 1959-1984 vol. 1 : 63, 405-406). Le colorín, gimoesperma se reproduit par reproduction sexuelle ou reproduction végétative. Une branche de cet arbre plantée en terre repousse. 38 Dans la relation de la Conquête par des informateurs anonymes de Tlatelolco, il est dit qu’après la chute de Tenochtitlan, les habitants de la ville vaincue mangeaient des morceaux d´Erythrina corallodendrun (León Portilla 1959 ; Sahagún 1985 : 819; Anales de Tlatelolco 1948 : 70-71, note 350). Actuellement, on mange les fleurs de cet arbre, mais les graines, les haricots rouges contiennent un alcaloïde vénéneux (Santamaría 1959 : 276). Pour la recette, consulter Las flores en la cocina mexicana 1996: 59-70. 39 Durán (1984) et Motolinía (1971) indiquent qu’il y avait des crânes accrochés, dont certains avec des mèches de cheveux, mais ces renseignements ne sont pas confirmés par l’archéologie ; à Zultepec, Tlaxcala et à Tlatelolco par exemple, on sait que les crânes étaient décharnés (Martínez Vargas 1993 ; Guilliem Arroyo 2008).

40

López Austin 1984 1: 182, 212; 241-243; Sahagún 1950-1982 II: 47. D’autres exemples se trouvent dans une série de dessins de 1932 qui montre que chez les Pueblo de Isleta, au Nouveau Mexique, les Indiens faisaient des cérémonies dans lesquelles ils utilisaient le cuir chevelu et les cheveux attachés à un piquet qui se dresse sur la kiva – lieu où ils gardaient les autres cuirs chevelus (Clews Parsons 1962 : 207-216). 41 López Austin 1999 : 50-51. Richard Broxton Onians (1999: 119152) observe que presque toutes les sociétés considèrent la tête comme le lieu de tous les sens. La tête contient le sang et le cerveau. Cette dichotomie entre le corps matériel et l’esprit immatériel est courante : l´esprit immatériel forme le corps matériel.

49

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels significations ont été soulignées pour approfondir le sens et la fonction du tzompantli. Il y a eu une tendance à souligner les rapports entre la tête et les cheveux en oubliant que les chevelures ne se manifestaient pas directement, dans la mesure où les textes et les images du tzompantli ne les exprimaient pas explicitement. Nonobstant, il semble avoir un biais vers l´idée que le mot tzontli renvoie directement et uniquement aux cheveux, en oubliant ses autres significations, tandis que le mot pantli se trouve dans la même situation. Dans quelle mesure les significations culturelles imposées nous empêchent de connaître le tzompantli ? Pour y répondre, il est nécessaire d'approfondir la signification des mots qui forment le terme et dans une certaine mesure, commencer par dépouiller la notion de cheveux et de drapeau de toute instance liée au tzompantli. C'est-à-dire qu'il faut écarter complètement les propos qui ne doivent pas être utilisés comme point de départ. L´important n'est pas que les chevelures soient rangées sur le tzompantli. Déterminer la solution est complexe, mais indispensable. La recherche commence en déterminant que le Vocabulaire d'Alonso de Molina (1977), un des premiers dictionnaires, n'enregistre pas le mot tzompantli, alors que Rémi Siméon (1988 : 733) conçoit une définition. Siméon n'enregistre pas la racine du terme, du fait que les mots qui forment le terme sont seulement utilisés en composition, et, pour sa définition, il signale une information prise de l'oeuvre de Bernardino de Sahagún dans laquelle il décrit les bâtiments de Tenochtitlan, en négligeant dans une certaine mesure les multiples acceptions des mots tzontli et pantli. En dépassant une traduction littérale du terme tzompantli et en le concevant dans un sens figuré, il est évident que la plate-forme qui porte les crânes enfilés affirme les éléments qui le composent en même temps qu'elle renvoie simultanément à de multiples significations. Considérons simplement que le terme pan-, de pantli, a la fonction de locatif signifiant, venant du verbe pani, pania, pano, panoa, qui implique le concept de position et de temporalité (Castillo Farreras 1991: 149 note 274 ). Il faut aussi souligner que le terme tzontli, quand il est utilisé en opposition au terme tzintli qui se réfère à quelque chose qui est en bas/en-dessous (anus, colon, fondation, base), peut signifier en haut/au-dessus (par exemple tzintequicouper au-dessus, vs. tzontequi- couper en dessous). Les cheveux sont en haut/au-dessus de la tête, et ils sont plusieurs, plus de 400. Les significations du terme tzompantli sont diverses, et bien que le terme puisse se traduire et lire partiellement, il est fondamental ne pas le réduire à des mots. Par conséquent, il est plausible que le tzompantli doive être compris comme un concept qui existait à l´intérieur d´un discours qui se manifeste également à travers des métaphores.42

Les rituels et les cérémonies qui se déroulent autour du sacrifice humain et l´exposition des restes reflètent plusieurs aspects du corps humain. Les restes humains, les cheveux et les os étaient des offrandes qui possédaient des qualités magico-religieuses et étaient très appréciés par les Nahuas (Seler 1991-1993 vol. 5: 132; López Austin 1984 vol. 1: 177). Pour mieux saisir l’idée, on doit suivre Alfredo López Austin (1994: 2328): à l´intérieur des notions religieuses spécifiques de la tradition mésoaméricaine, toute créature -minérale, végétale, animale, astrale, humaine-, a un composant de la substance divine, qui agit sur l'être qui la contenait et son environnement. C'est une force qui déterminait les caractéristiques essentielles. Soumis au cycle de vie/décès, en mourant, la force était transférée de l'être qui la contenait. Les os-crânes des victimes de sacrifice étaient imprégnés de substances surnaturelles. Ce sont des offrandes appréciées des dieux, parce qu´ils contiennent de la puissance, du fait que les victimes de sacrifice étaient imprégnés de substances surnaturelles : le tonalli,43 la force qui se trouve dans les hommes, les animaux, les plantées et les choses (os). Ceux qui se sont plus référés au tonalli indiquent qu’il a son siège dans la tête (López Austin 1984 vol. 1: 225) de l´individu, mais qu’il est distribué dans tout le corps et qu´il a la qualité de s’en détacher. Après le décès de l´individu, cette force restait unie aux abats mortels : crâne, cheveux, mâchoire, dents, peau, sang; le lieu où ils étaient agencés acquérait la force de l´individu et de la déité qu´il représentait. Les restes humains, ici les crânes, sont des offrandes et doivent être considérés comme une image du squelette complet. C’est une partie du tout (pars pro toto) des victimes sacrifiées. Les crânes et les os longs (fémurs et tibias) possèdent, dans la pensée indigène, des attributs magiques et religieux, et sont donc appréciés des dieux. C’est pour cette raison que les crânes étaient donnés aux prêtres pour qu’ils les placent dans le tzompantli. Les autres os allaient dans le patio de la maison sur de longues barres car « ils signifiaient beaucoup d’honneur et de gloire » (Duran 1984 vol. 1: 23). Le fémur du captif, nommé malteotl, le dieu captif, était accroché dans la maison du guerrier (Pomar 1981-1988 vol. 8: 63 ; Sahagun 1950-1982 vol. 2: 60). Quand le guerrier partait à la guerre, sa femme lui faisait des offrandes en demandant son retour (López Austin 1984 vol. 1 : 177). VI.9. Vers un regard centraliste Les nombreux exemples présentés ici soulignent la différence entre l´utilisation des têtes ou crânes dans un contexte funéraire, comme caches et consécrations, autant que comme des objets liés aux pratiques d’exposition attachées aux sacrifices. Ils montrent aussi que, pour identifier et interpréter un tzompantli, quel que soit le déterminé. Il existait un discours pictographique parallèle au discours rituel, qui avait sa propre expressivité. Dans ce contexte, la lecture était avant tout une vision des faits et des évènements qui ne passait pas par le verbe. L’image s’imprimait directement dans le cerveau sans avoir à être traduite en paroles: on pensait en images. 43 Les trois entités animiques nahuas sont à l’intérieur de l’homme : le tonalli dans la tête, le yolia o teyolía dans le coeur et l´ihíyotl ou l’ihíotl dans le foie (López Austin 1984 vol. 1 : 217, 223- 257).

42 La difficulté de cette tâche provient de ce que, selon les termes de Patrick Johansson (2008: 17), nous étudions des cultures pour lesquelles le verbe et l’image s’entremêlent étroitement dans la production du sens, sans que le discours pictographique se soumette à la langue. L’image produit un sens aux ressources spécifiques, qui même s’il peut se lire partiellement en mots, ne se réduit pas à un texte verbal

50

Nous avons tous un tzompantli nom que l’on donne à cette façon d’exhiber des restes humains, l’information propre aux Nahuas du XVIe siècle est une référence obligatoire, peut-être parce que les textes historiques que nous possédons pour étudier le Mexique préhispanique se réfèrent principalement aux populations nahuas qui, à l’époque de la conquête, vivaient sur les hauts plateaux du centre, et que l’on ne peut donc pas les ignorer. C’est un phénomène de centralisme qui se reflète dans les lectures et les reconstitutions que l’on a faites des pratiques sacrificielles et de la manière d’exhiber les restes humains de tous les anciens Mexicains. Les exemples antérieurs démontrent que les chercheurs de chaque culture non seulement veulent avoir leur tzompantli, mais que, de plus, il doit être le plus ancien : le yagabetoo des Zapotèques date de 300 av. J.C. et le tzompantli de Cerro del Huiztle date de 600 à 800 apr. J.C. Cette attitude peu productive pourrait être évitée en analysant les différences entre les manières d’exhiber les restes humains de chaque groupe. Cela éviterait la recherche implicite d’un lien entre la conception originale nahua du tzompantli et la légitimation des autres structures. En tout cas, nous répétons notre hypothèse que, pour comprendre la relation tzompantli/tlachtli, il faut éviter de reprendre les idéaux nahuas et qu’il est préférable de tenir compte des caractéristiques de chaque manifestation, pour les comprendre à partir des objectifs et des valeurs propres à la culture qui les a conçus.

51

CHAPITRE VII LA MIGRATION DES MEXICAS VII. 1.1 La migration d’un terme. Pour comprendre la spécificité du tzompantli chez les Nahuas du XVIe siècle et arriver à le situer dans le contexte des autres manifestations rituelles où l’on exhibe des restes humains, il faut revenir sur quelques épisodes de la migration des Mexicas, lorsqu’ils ont construit leur tlachco et ont édifié leur premier tzompantli.1 Comme nous le démontrerons plus loin, notre représentation du tzompantli suit les modèles anciens de la pictographie coloniale2 et les descriptions trouvées dans divers documents, certains de tradition indigène et d’autres rédigés par les moines.3 En général, les documents pictographiques, comme les planches 17 et 37 de la Matricula de Tributos et sa copie dans le codex Mendocino, le présentent comme une plateforme basse sur laquelle se trouve un simple râtelier qui supporte un crâne, le plus souvent perforé sur les tempes (Barlow 1949). Parfois le crâne est perforé par la bouche avec un petit drapeau sur le sommet (Figs. 41, 42 et 43). Les documents en provenance des autres régions suivent les mêmes paramètres.4 Les caractéristiques du tzompantli sont constantes dans ces documents et dans tous ceux qui se réfèrent à la migration mexica depuis la sortie de Chicomoztoc jusqu’à la fondation de Tenochtitlán. Ils confirment la continuité de la forme et du sens, et permettent de présenter les évènements de l’arrivée de ce peuple dans le centre du Mexique. Ces documents permettent aussi de trouver l’altérité entre un tzompantli, un râtelier de crânes et le terme itzompan. Les évènements qui ont lieu pendant la migration des Mexicas, particulièrement ceux qui se réfèrent à la construction d’un tzompantli, et au tlachco, vont permettre de montrer pleinement la spécificité de ces deux espaces que nous avons fini par entrelacer. Nous pourrons par la même occasion analyser les évènements ayant eu lieu à chaque halte de l’itinéraire de ce peuple. 5 En l'année « 1 Pedernal », les Aztèques partent d’Aztlán, leur lieu d’origine, guidés par leur dieu tutélaire

1

On ne lui attribue pas le crédit d’avoir inspiré tous les tzompantli, mais d’être un des premiers mentionnés dans l’histoire de la migration mexica. Il faut tenir compte du fait que ce peuple n’était pas une horde de nomades sauvages de faible développement culturel, mais qu’il avait sans aucun doute des pratiques et des institutions développées. Sa subsistance mixte était fondée sur l’agriculture, la cueillette et la chasse (Hers 1989 : 188-190). 2 Par exemple, la mapa de Siguenza (1920), le codex Mexicanus n° 2324 de la BNP (1952), le codex Boturini o Tira de la Peregrinación, (1964-l967), le codex Aubin ou de 1576) (1893), les codex Telleriano Remensis et Vaticano-Ríos 3738 (1964-l967) et le codex Azcatitlan (1995) sont quelques-uns des documents qui se réfèrent aux faits. 3 Alvarado Tezozomoc 1975, 1980; Chimalpáin 1991, 1997; Anales de Tlatelolco 1948; Anales de Cuautitlan 1975; Historia de los mexicanos en sus pinturas 1985; Sahagún 1985 et 1950-1982; Durán l984; Torquemada 1975. Dans les pages suivantes, ne figureront pas les références d’auteurs de seconde main car ils ne corroborent pas ce que disent leurs prédécesseurs, mais ne font que répéter les données. Voir la discusión de Castañeda de la Paz 2008 sur le sujet. 4 Voir le Lienzo de Tuxpan 1970. 5 Bien que la version des faits enregistrée dans les documents ne corresponde pas complètement, il est possible, dans une certaine mesure, de retracer la route et les événements de la migration. Plus recentement Navarrete Linares (2011) écrit sur un thème exploré par Graulich 1997 : 205-245 et Duverger 1983: 279-302.

Huitzilopochtli, et arrivent à Culhuacan Chicomóztoc,6 où ils se réunissent avec les huit peuples qui vont les accompagner sur une partie du trajet. Plus tard, à Tamoanchan,7 d’autres évènements se produisent. Huitzilopochtli parle et l’arbre se brise, ce qui est considéré comme un signal pour se séparer des autres groupes et poursuivre leur chemin. Ensuite, les Aztèques capturent et sacrifient par extraction du cœur les Mimixcoas, guerriers légendaires de la région septentrionale, autre moment important de leur long voyage. Considéré comme leur premier sacrifice humain, il permet à Huitzilopochtli d’accorder le nom de Mexicas aux Aztèques.8 Quelque temps plus tard, en arrivant à Coatepec, « la colline du serpent », les Mexicas s’établissent, comme l’explique Alvarado Tezozomoc dans sa Crónica Mexicana où il décrit ces événements énigmatiques qui demandent une étude détaillée, raison pour laquelle en voici la transcription complète dans sa langue originelle, l’Espagnol : « …después de haber hecho asiento, casas y buhiyos, su templo y Cú de su Dios, comenzaron á hacer casa y adoración de Huitzilopochtli, y hecho el templo, pusieron luego al pié de Huitzilopochtli una gran xícara…: habiendo hecho luego á los lados del gran diablo Huitzilopochtli, le pusieron otros demonios…todo por estilo y órden de Huitzilopochtli…, y así le pusieron como á manera de altar, de piedra grande labrada, su juego de pelota por nalgas, jugado y cercado como su juego que fue de Huitzilopochtli, que se llama Itlach, sus asientos y agujero enmedio, del grandor de más de una bola, con que juegan ahora á la bola, que llaman Itzompan, y luego la atajan por medio, quedando un triángulo enmedio del agujero, que llaman el pozo de agua,… ». 9 Ensuite, ce même dieu leur a parlé. Il leur a dit : Mexicains, ceci est fait, le trou est plein d’eau, maintenant vous devez semer et planter des saules et des cyprès, des ahuehuetes, des roseaux, des joncs, des atlacuezonauxochitl, fleurs blanches et jaunes qui naissent dans la terre. Dans la rivière que vous trouverez ici, se reproduisent de nombreuses espèces de poissons, de grenouilles, d’axolotls, de crevettes, axaytl et d’autres animaux que l’on trouve dans les mares d’eau douce comme l’izcahuitl et le tecuitlatl et toutes sortes de canards, créant ainsi un lieu à l’image de la terre promise.

6 Culhuacan Chicomoztoc « El lugar de los antepasados » et « Lugar de las siete cuevas » qu’il ne faut pas confondre avec le village de Culhuacán au sud de la vallée de México, peuplé de Colhua. 7 Tamoanchan lieu mythique que les Mexicas incorporent à leur histoire. Pour de plus amples informations, voir López Austin 1994 : 45-101. 8 Cela montre que les Mimixcoas sont les premières victimes. Le sacrifice marque leur changement d’identité qui se reflète dans leur nouveau nom (Navarrete Linares 1998 : 28. Graulich 1997 : 213-215). Voir le codex Boturini planches 3-4 et codex Aubin planche 24. 9 Alvarado Tezozomoc (1980 : 228-229) : « ils ont construit une sorte d’autel de grandes pierres, son jeu de balle pour les fesses, qui se joue dans un espace clos comme le jeu de Huitzilopochtli, qui s’appelle itlach, avec des sièges / fondements (asientos) et un trou au milieu, plus grand que la balle avec laquelle ils jouent, appelé itzompan, elle est attachée par le milieu ce qui forme un triangle appelé le trou d’eau, pour que la balle ronde, noire, de caoutchouc, tombe dans ce trou plein d’eau… ».

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels comparative des textes suggère que les Mexicas construisent des chaumières et des maisons, un autel de grandes pierres, un barrage, un jeu de balle (tlachco) avec un trou au milieu d’où l’eau jaillit, et un tzompantli, râtelier de crânes (itzompan). C'est-à-dire plusieurs constructions, ce qui n’implique en rien que le jeu de balle et le tzompantli forment un ensemble. Les deux structures, comme les autres édifications des Mexicas à Coatepec, sont dédiées à Huitzilopochtli, comme l’indique la version nahuatl ; le préfixe in ou ini ajouté aux termes qui désignent le râtelier et le jeu de balle fait fonction d’adjectif possessif (Simeón l988: 42 et 190). Bien que nous sachions de l’édification d´un tlachco et d´un tzompantli, identifier les autres structures auxquelles se réfère exactement Alvarado Tezozomoc demande une brève digression, en particulier le terme « itzompan », interprété comme trou d’eau du centre du terrain ou la balle avec laquelle on joue. La réponse n’est pas simple car bien qu’il n’y ait pas de doute sur la référence au tzompantli, soit le râtelier de crânes, en l’occurrence celui de Huitzilopochtli, il est aussi vrai qu’Alvarado Tezozomoc semble nommer d’autres éléments qui se confondent avec le tzompantli. Nous sommes sûrs que la balle de caoutchouc n’était pas appelée itzompan, mais il n’en va pas de même pour la proposition généralisée identifiant « itzompan » avec le trou au centre du terrain, surtout parce que, en archéologie et dans les codex, il est fréquent de trouver au centre d’un jeu de balle un trou qui parfois contient un crâne humain, une effigie de crâne ou un marqueur avec un crâne sculpté. Cela est confirmé par une série d’exemples. Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, le pendentif d´or de la tombe 7 de Monte Alban (Fig. 20), la céramique de Tiquisate, la planche 3 du codex Nuttal et les planches 68r et 67r des codex Magliabechi et Tudela sont des exemples qui font penser que nous sommes en présence du trou au centre de jeu de balle qui contient le crâne. Nous sommes face à des codex, documents aux images bidimensionnelles et glyphiques, que la lecture et la transcription en écriture transforment en tridimensionnel et en altèrent le signifié (Johansson 2008 : 17). Sur la représentation du jeu de balle de la planche 19 du codex Borbonicus (Fig. 9a), ce que nous voyons sur le terrain est-il un orifice au centre du terrain d’où surgissent le crâne et l’eau ou le trou du marqueur circulaire par lequel est passée la balle et qui est lié au crâne et à la tête ? Sur le plan archéologique, on se heurte au même problème, comme on l’a vu avec l’exemple de Santa Rosa (Fig. 18) et les jeux de balle de Cobá et de Teotenango. Nous trouvons un cas similaire à Snaketown, Arizona et à Paquimé - Casas Grandes : le marqueur central couvre un trou spirituel, identifié comme une entrée symbolique dans l’inframonde. Charles Di Peso, s’appuyant sur les écrits d’Alvarado Tezozomoc, l’assimile à un itzompan et le décrit comme le lieu du crâne.15 D’autres chercheurs font la même interprétation et considèrent le trou situé au centre du terrain comme l’itzompan. Nicolai Grube et al. (1991)

Huitzilopochtli ordonne à son peuple de continuer son chemin. Certains de ses fidèles, une femme appelée Coyolxauhqui et les Centzonhuitznahuaque,10 refusent de partir. En colère, Huitzilopochtli les affronte. Il les attend et la garde l’avertit de leur arrivée. Les ennemis de Huitzilopochtli passent par Tzompantitlan, Coaxalpan, Apetlac et arrivent jusqu’à lui.11 Sur le Teotlachco, il tue les Centzonhuitznahuaque considérés comme des traîtres, en leur arrachant le cœur qu’il dévore. Coyolxauhqui est de plus coupée en morceaux et sa tête placée au sommet du Coatepetl.12 Une fois le sacrifice terminé, Huitzilopochtli ordonne à son peuple de détruire le barrage et de poursuivre son chemin.13 Ce moment de la vie des Mexicas est confirmé par ce qu’écrit en nahuatl Alvarado Tezozomoc dans sa crónica Mexicayotl et par Chimalpaín qui les connaissait et décrit les mêmes faits (Barlow 1994 vol. 3: 13-27).14 La lecture

10 « Centzonhuitznahua, les 400 du Sud » (Navarrete Linares 1998 : 33. Graulich, 1997 : 224-225). 11 Sahagún 1950-1982 vol. 3 : 3. Faisons seulement remarquer que les agresseurs de Huitzilopochtli passent par Tzompanco ; on en verra l’importance par la suite. 12 Chimalpaín (1997 vol. 1 : 77, 81 et 83) ; Alvarado Tezozomoc (1980 : 228-229) et Durán (vol. 2 : 33-34) établissent que le sacrifice humain par ouverture de la poitrine et extraction du cœur pour en faire offrande et le manger commence à Coatepec. Le sacrifice primordial des Mexicas par extraction du cœur a lieu à Coatepec, de même que le démembrement, quand on coupe la tête de Coyolxauhqui ainsi que son corps. Huitzilopochtli figure alors comme le guide des Mexicas dans leur pérégrination. Coatepec est l’un des lieux où ils s’établissent temporairement. Dans d’autres versions, Coatepec est aussi l’endroit où naît le dieu et où il tue ses frères, Coyolxauhqui et les Centzonhuitznahuas (Sahagún 1985: 191-192; 1950-1982 vol 3: 2-3. Historia de los mexicanos por sus pinturas 1985 : 43; Torquemada 1975). 13 Navarrete Linares (2011) fait une analyse détaillée de cet épisode en comparant les différentes versions. Il précise qu’entre les sources qui décrivent les faits de Coatepec, il faut souligner celles de la famille de la Crónica X (Alvarado Tezozomoc, Durán, codex Ramírez et Acosta) qui décrivent les événements comme un incident entre groupes mexicas pendant la migration et ajouter à ce groupe la version de Torquemada qui présente le même récit dans le contexte de son histoire de la migration. Navarrete Linares considère que ce sont des versions « historiques » de l’épisode, et c’est la théorie adoptée ici. Il faudrait considérer que, dans son étude, il compare les versions historiques avec les versions mythiques du même événement comme l’enregistrent Torquemada et Sahagún et qu’en ce qui concerne la version de l’Historia de los mexicanos por sus pinturas, il détermine que c’est une version qui pourrait être considérée comme intermédiaire entre les historiques et les mythiques. Il précise aussi que, dans le codex Azcatitlan et le codex Mexicanus, il existe des variantes sur les événements ayant lieu à ce moment de la migration mexica. Il conclut que la divergence la plus significative paraît concerner les raisons que donnent les différentes versions pour expliquer le cruel affrontement entre Huitzilopochtli et ses ennemis. Selon les sources de la famille de la Crónica X, le conflit était intimement lié à la migration et à la décision du lieu où devait être fondé l’altépetl mexica, dont les Centzonhuitzanahuaques prétendent s’emparer, provoquant la violente colère de leurs dieux tutélaires. Selon les récits de Sahagún et Torquemada par contre, la cause du conflit est la grossesse inexplicable de Coatlicue et le déshonneur que cela signifie pour ses enfants. Navarrete Linares explique qu’il est possible de montrer jusqu’à quel point ces deux causes apparemment si différentes sont en réalité compatibles et plus généralement comment les versions historiques et mythiques s’opposent moins que ce que l’on pourrait croire à première vue. 14 Alvarado Tezozomoc (1975: 32, n° 43) écrit : « auh in yehuatl in Huitzilopochtli niman ye quiteca, initlach niman ye quimana initzonpan…. » et Chimalpaín (1997 vol. 1: 80-81) qui décrit les mêmes faits écrit: «…auh in yehuatl yn Huitzilopochtli, niman ye quiteca yn

itlach nima ye quimana, yn itzonpan, dans des traductions postérieures, ce terme est traduit. 15 Nommé « spirit hole » par Di Peso 1974 vol. 2: 414.

54

La migration des mexicas parlent de l’itzompan comme d’un « black water sky place », alors que Linda Schele et Peter Mathews (1998 : 37) font des observations semblables et déclarent que le centre du jeu de balle est le lieu du crâne et d’où l’eau jaillit. Cette proposition avait déjà été évoquée par Francisco del Paso y Troncoso (1985), Walter Krickeberg (1966), Théodore Preuss (1990) et Alfred Tozzer (1957 vol. 1 : 137). L’analyse de cette lecture et du récit des évènements de Coatepec permet de reconnaître que c’est l’itzompan, le tzompantli de Huitzilopochtli, et de le différencier du trou au centre du jeu de balle contenant un crâne. On comprend que le terme itzompan a été conçu pour faire référence à un tzompantli, c’est-à-dire au râtelier proprement dit et que l’orifice au centre du terrain avec un crâne à l’intérieur est pourvu de l’énergie des victimes; la construction recevait ainsi « son âme » avec le sacrifice et l’enterrement d’un être humain sous les fondations ou en son centre.16 Pour mettre fin à cette divergence, il faut insister sur le fait que le crâne déposé au centre du tlachco n’a pas le même rôle que le crâne que porte le tzompantli, et on peut maintenant se demander comment ce trou entre en relation avec le râtelier, et avec la file de crânes sur l’axe transversal du terrain de jeu de balle, comme on le voit dans le codex Magliabechi planche 68 (Fig. 2). Il s’agit de la même chose, mais appréhendée de façon différente.17 C’est le lieu du crâne qui évoque la tête et les cheveux. Ils sont en liaison avec le terrain, ils en font partie, c´est le centre, le fondement. Le tzompantli est, quant à lui, une structure indépendante qui apparaît dans de multiples circonstances qui sont en général, pour ne pas dire toujours, indépendantes du jeu de balle. Cette distinction nous permet de délimiter ce qu’est un tzompantli et quelle est sa relation avec le tlachco. Dans ce cas, nous partons de l’idée selon laquelle le jeu de balle a un tzompantli, c’est-à-dire un râtelier de crânes, apparemment, bien que l’existence d’un arbre appelé tzompaquauitl, le terme itzompan se référant peut-être directement au colorín, Erythrina corallodendrun (Siméon 1988 : 733) et pas forcément au râtelier de crânes, puisse ne pas être écartée. La conclusion que le tzompantli est un arbre à côté du lieu où l’on joue à la balle devient plausible. Au moment où les Mexicas construisent l´autel de grandes pierres et le jeu de balle, et sèment des saules, des cyprès, des ahuehuetl, des

roseaux, des joncs, des atlacuezonauxochitl, fleurs blanches et jaunes qui naissent dans la terre, des tzompaquahuitl, on peut imaginer l´endroit où avait lieu le jeu et l´endroit où il y avait des arbres tzompantli, côte à côte. VII.2. Le tzompantli À un moment de leur migration, les Mexicas ont élevé d’autres structures qu’ils ont nommées tzompantli, râtelier proprement dit, mais il est bon de souligner qu’elles ne se trouvent pas toujours à côté d’un tlachco. On considère que ce moment correspond, selon certaines sources, à l’arrivée des Mexicas à Atenco, et selon d’autres à Citlaltepec. Ils ont procédé à leur cérémonie traditionnelle d’installation18 et ont construit un temple, un autel et un tzompantli. Le gouverneur du lieu, appelé Tlahuizcalpotonqui, a été tué et sa tête clouée sur le râtelier de bois. Cet acte explique l’importance du tzompantli qui correspond à une situation de confrontation et qui est édifié à la suite d’une mort et d’une décapitation. En mémoire de ce fait, le nom du lieu change et devient Tzompanco qui signifie « le lieu du tzompantli ».19 Les Mexicas établissent alors des alliances avec les habitants de ce lieu : une version affirme même qu’Ilhuicatl, le fils du gouverneur, épouse une femme mexica appelée Tiacapantzin.20 Pour résumer, ces épisodes assez fréquemment rapportés dans les annales 18

Federico Navarrete Linares (2011) indique qu’il existe différentes versions sur les événements de Tzompanco, village connu comme Atenco, selon les sources de la Crónica X, ou comme Citlaltépec dans les Anales de Tlatelolco (1948) et elles coïncident toutes sur l’importance de l´endroit. Dans son étude Navarrete enregistre les sources de ces événements et analyse celles qui en parlent. Il arrive à des propositions importantes, que nous reprenons dans cette étude. 19 Anales de Tlatelolco (1948 : 33). Ils ont eu là-bas un affrontement belliqueux avec Tlauizcalpotonqui, l’ont tué et ont cloué sa tête sur une palissade de bois. C’est pour cela que les Mexicas ont appelé (cet endroit) Tzompanco, parce qu’il y ont édifié une structure en bois ». Rafael Tena (2004 : 56) enregistre la version náhuatl : « Ualleuaque omotlalico yn Citlaltepeque, e onca quinamiqui miticachimaltica ytocan Tlahuizcalpotonqui; conan quimictia yn Tlahuizcalpotonqui, quiquauhçoque yn içotenco, qui euanti yc tlatocayontique y mexica Inc. Çonpaco yni quimaque çopantli », ce qu’il traduit par : Ils partirent pour s’établir à Citlaltepec, où Tlahuizcalpotonqui les reçoit avec des flèches et des boucliers, ils font Tlahuizcalpotonqui prisonnier, le sacrifient et enfilent sa tête sur un pieu ; c’est pour cela que les Mexicas donnent (à cet endroit) le nom de Tzompanco, parce qu’ils y ont établi un tzompantli. D’autres versions des faits comme celles de Duran (1984 vol. 2 : 33-34) ou d’Alvarado Tezozomoc (1975 : 37) affirment qu’à Tzompanco a lieu un affrontement belliqueux. L’Historia de los Mexicanos por sus pinturas (1985 : 45, folio 154r) présente une version distincte qui dit que Tlahuizcalpotonqui n’est pas sacrifié, mais qu’il fait un sacrifice en l’honneur de Huitzilopochtli, et ainsi établit une alliance avec les Mexicas (Chimalpaín 1997 vol. 1 : 85). 20 La Crónica Mexicáyotl d’Alvarado Tezozomoc (1975) explique que Tlahuizcalpotonqui, le gouvernant d’Atenco-Tzompanco, donne sa fille en mariage aux Mexicas, et le Memorial Breve de Chimalpaín (1991) ajoute qu’elle s’appelle Tlaquilxochtzin ; voir aussi Chimalpaín 1997 vol. 1 : 85 et vol. 2 : 69. Si ces versions permettent de savoir ce qui s’est passé à Tzompanco, il faut souligner que les Anales de Cuautitlán (1975 : 16) signalent que l’alliance matrimoniale eut lieu avec un noble Xaltocameca appelé Tlahuizpotencatzin. Une autre version parle d’un noble Tzompaneca, appelé Nezahualtemocatzin. Torquemada (1975 vol. 1 : 119) présente une autre version de cette alliance, dans laquelle le seigneur de Tzompanco, Tochpanecatl, donne son fils llhuicatl et non sa fille en mariage aux Mexicas, l’épouse s’appelant Tiacapantzín (Navarrete Linares 2011).

16 Il faut ajouter qu’actuellement, déposer des offrandes pour l’inauguration d’habitations est une pratique commune, preuve que certaines pratiques ancestrales perdurent (Moser 1973 : 49-50). Il est significatif que dans les cérémonies de consécration de leurs maisons, les Tzeltales et les Tzotziles versent le sang d’un animal sacrifié dans un trou au milieu de la maison et y enterrent la tête. Ces pratiques nous permettent suggérer qu’Alvarado Tezozomoc (1980 : 228-229) en décrivant la construction du tzompantli et du tlachco avec des asientos ne se réfère pas à des sièges. En prenant le mot de façon littérale, on peut penser que Tezozozmoc parle de sièges, un lieu pour s´asseoir. Lorsqu’on dépasse cette traduction littérale, le terme peut être compris comme le fondement, l´édification du tlachco. 17 On ne peut écarter l’idée que la file de crânes au centre du jeu de balle soit le tlécotl, c’est-à-dire la ligne qui divise le jeu de balle, une donnée que sous-entend Sahagún (1950-1982 vol. 3: 218) quand il écrit que « Quetzalcóatl fait faire un jeu de balle … qui s’appelait tlachtli et il disposa au milieu du jeu un signal ou ligne appelée tlécotl, et là où il avait fait la ligne, la terre était ouverte en profondeur ».

55

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels 1: 103-105), et à Culhuacan le dieu annonce qu’il faut construire un jeu de balle (Chimalpaín 1997 vol. 1: 223). Dans le récit de la migration enregistré dans les Anales de Tlatelolco (2004: 53- 59), il est dit qu’à chaque halte, les Mexicas « ont édifié un autel de pierre », appelé motlalmomoztique, ce qui appuie l’hypothèse selon laquelle, dans la migration, différentes structures emblématiques sont construites lors d’évènements fondamentaux, comme le tzompantli de Tzompanco et d’autres lieux, ce qui prouve sa grande importance.26 Après d’autres évènements qui marqueront la présence mexica dans la région, ils atteignent leur terre promise en l’an 2 Casa et arrivent à la fin de leur quête. Le voyage se termine par la fondation de Tenochtitlán où, après cette longue pérégrination, les Mexicas établissent leur lieu sacré qui, sur le plan architectural, représente l’ordre cosmique (Alvarado Tezozomoc 1980 : 224; 1975 : 6566. Durán 1984 vol. 2: 45-48. Sahagún 1985: 191-193). Le site a été désigné par Huitzilopochtli : sur une île au centre du lac, ses ouailles ont trouvé le symbole sacré : un aigle posé sur un tunal (1325 apr. J.C.). Là, comme le signale Ignacio Marquina, Cuauhtlequetzqui ou peut-être Cuauhcoatl, dit aux Mexicains : « Oh mes fils, coupons le tlachtli, établissons modestement le tlachcuitectli, presque aussi petit que notre tlalmomoztli, là où nous trouverons l’aigle”…. » (Alvarado Tezozomoc 1975). Au fil du temps, ils édifient plusieurs bâtiments et réalisent des agrandissements successifs des temples principaux. Le plus important est le Templo Mayor, une grande pyramide avec un temple double partagé par Huiztlipochtli et Tlaloc, comme on peut le voir sur la première planche du codex Mendocino (1992).27 Le plan montre la disposition de l’enceinte sacrée entourée d’eau qui coule, centre civil et religieux du peuple mexica (Fig. 50). Sur cette image, lié à un symbole sacré et confondant le centre architectural avec le centre de l’univers, se trouve le tzompantli, une structure clairement prééminente, qui rappelle les événements de la migration. Christian Duverger (1983), en ce qui concerne cette image, associe le tzompantli au système sacrificiel des Mexicas et aux autres éléments fonctionnant comme des métaphores de guerre. Pour notre part, la présence du tzompantli sur cette planche qui se réfère à la fondation de Tenochtitlan est peut-être due à une allusion aux événements de Tzompanco, lieu où s’érige le tzompantli et où a lieu le pacte matrimonial d’où naîtra Huitzilihuitl, un des premiers gouvernants mexica.

de l’histoire mexica, avec des variantes importantes, démontrent que l’édification d’un tzompantli est un acte obligatoire de fondation à Atenco-Tzompanco, et qu’elle est, dans ce cas, liée à un pacte matrimonial dont naîtra Huitzihuitl, un des premiers gouvernants des Mexicas.21 Ces évènements sont également représentés à plusieurs reprises dans la pictographie, avec certaines variantes. Par exemple, sur la planche 39 du codex Mexicanus (Fig. 44) et sur la planche 8 du codex Azcatitlan (Fig. 45), ces scènes sont racontées dans leur contexte. Sur le premier document est représentée la scène du mariage proche du tzompantli,22 et sur le second, on observe, à côté du tzompantli, une scène de bataille à laquelle Huitzilopochtli participe ouvertement. D’autre part, le tzompantli apparaît sur des pictographies de la migration dans le codex Boturini (Fig. 46), le codex Aubin planche 18 (Fig. 47), la mapa Sigüenza (Fig. 48), et le codex Telleriano Remensis planche 26 (Fig. 49),23 mais sans allusion aux évènements dont nous venons de parler. Il fonctionne à la manière d’un toponyme, c’est-à-dire pour représenter le lieu-dit Tzompanco. Dans les documents que nous avons cités, le tzompantli est représenté d’une façon assez homogène, vu de face ou de profil, sauf dans un cas, le codex Mexicanus, où il est dessiné en perspective. Pendant leur migration, guidés par Huitzilopochtli, les Mexicas ont édifié plusieurs fois des constructions importantes.24 Comme l’explique Navarrete Linares, « … tandis que plusieurs contingents de Mexicas se répartissent dans diverses contrées de la région, leurs dirigeants, leur dieu patron et leurs principaux autels sont déplacés de Tzompanco, où a été construit le premier, jusqu’à Ehecatepec, Cohuatitlan, Tecpayocan et Amalilnapan où ils construisent le dernier avant de fonder leur altepetl (ville) à Chapultepec ». 25 À Toltzallan Acatzallan, les Mexicas font un terrain de jeu de balle, un monticule de terre et un autel pour que Huitzilopochtli vienne s’y reposer (Chimalpaín 1997 vol. 21 Toutes les sources coïncident pour dire que ce mariage donne naissance à Huitzilíhuitl, personnage qui devient par la suite un des gouvernants mexicas. « Cela confirme l’importance de l’échange avec les Tzompanecas qui procure aux Mexicas leur premier tlatoani de lignage légitime, exigence indispensable pour fonder un altépetl de plein droit » (Navarrete Linares 2011). 22 Dans le codex Mexicanus (1952) est représentée l’alliance matrimoniale et le fait que l’homme est lié à une des grandes familles de Tzompanco suggère que ce document répète la version de Torquemada qui marie un prince tzompaneca à une femme mexica. 23 Navarrete Linares (2011) précise que dans le codex TellerianoRemensis et le codex Vaticano-Ríos, Tzompanco est présenté comme le point de départ d’un groupe d’importants Mexicas. Il faut aussi mentionner à ce sujet que Copil et les siens se perdent à Tzompanco (Anales de Tlatelolco 2004 : 59). 24 Comme le signale Marie Areti Hers (1989 : 113) «... les Mexicas dressent le temple pour leurs dieux dans chaque endroit où ils s’installaient, sans oublier les annexes indispensables : le tzompantli et le lieu de sacrifices », et le jeu de balle. Dans ce contexte, il faut noter que dans la Relación de Michoacán (2000 : chap. 4), il est dit que les prêtres de Xaratagua prirent la déesse pour l’emmener à Sipixo où ils lui édifièrent des temples et un jeu de balle. 25 Huitzilopochtli fait tuer le fils de Malinalxochitl, Copil, à Chapultepec et jeter son coeur dans le ravin et sa tête dans une autre direction. De son coeur naîtra un figuier de barbarie, à l’endroit où par la suite fut construit México-Tenochtitlan (Robelo 1982 : 11). Voir aussi Anales de Tlatelolco (2004 : 61) au sujet d’Acopilco et du corps de Copil.

VII.3. Les tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlán. Bernardino de Sahagún (1979) peut, grâce à ses informateurs, écrire dans le codex de Florence qu’il existe une relation entre les édifices et les temples qui se 26

Si la genèse du tzompantli est dans le crâne à la pointe d’un piquet, suivi de plusieurs crânes accrochés en files verticales, comme il est dit dans le chapitre 5 de la première partie, ce sont en tout cas des manifestations différentes et indépendantes, car on les trouve toutes deux dans les mapa de Cuauhtinchan I (1991) et II (2007). 27 Robelo 1982: 177-186, Duverger 1983; Matos Moctezuma 1999 : 206-207 ; Graulich 1997 : 241-244; Navarrete Linares 1998: 50-55 et 303-325.

56

La migration des mexicas Des illustrations corroborent l’information écrite :39 par exemple, le folio 250r des Primeros Memoriales (1993) montre qu’à Tlacaxipehualiztli, en l’honneur de Xipe Totec dans l’iopico tzompantli, on mettait la tête coupée des captifs immolés et de ceux qui mouraient pendant le sacrifice des gladiateurs sur la pierre du temalacatl. Lors de cette cérémonie, la victime maintenue sur la pierre circulaire se défendait jusqu’à sa mort dans une bataille rituelle contre des guerriers habillés comme des félins (Fig. 51). Le tzompantli le plus important, l’édifice 41 du Templo Mayor était, selon Sahagún, appelé « Huey tzompantli ». Il était probablement situé devant le temple double dédié à Huitzilopochtli et à Tlaloc, et l’on y plaçait la tête des prisonniers que l’on y tuait, lors des cérémonies de Panquetzaliztli,40 par exemple. Dans l’enceinte sacrée, comme cela est représenté sur la planche 269r des Primeros memoriales (Sahagún 1993) se déroulaient de multiples rituels et cérémonies, tout au long de l’année (Fig. 6). Dans l’enceinte se trouvent le temple double, le temalacatl et le terrain de jeu de balle, les dieux, les prêtres et les victimes. Sur un temple situé sur la gauche du dessin, on voit les empreintes de pieds qui se dirigent vers le grand tzompantli dressé au milieu de la composition. Nous savons donc où étaient situés les tzompantli du Templo Mayor, mais ils ne sont pas tous semblables. Les chroniques des conquérants et des religieux nous permettent de savoir vaguement comment était le Huey tzompantli. Sa plateforme basse mesurait 48 mètres de long. Elle supportait une palissade de seize à vingt et même jusqu’à soixante poteaux verticaux de 6,4 mètres à 8 mètres de haut, séparés les uns des autres de 1,6 mètres à 1,67 mètres. Ces poteaux soutenaient des bâtons horizontaux sur lesquels étaient suspendus les crânes perforés sur les tempes. Le nombre variable de bâtons qui forment les tzompantli semble proportionnel à la dimension de l’ensemble. Le Mixcoapan tzompantli, par exemple, comptait entre six et huit bâtons horizontaux, alors que celui de l’édifice 18, lié à Teccalo, n’en avait que trois ou quatre (Sahagún 1985: 158 et 160). On peut également tenter de déterminer dans quelle direction regardaient les crânes. Juan de Torquemada (1975 vol. 3 : 221) explique que « les faces des crânes étaient tournées vers les idoles », ce qui suggère que les crânes étaient placés dans un ordre particulier. Cela est confirmé par les crânes de Mixcoapan qui étaient tournés vers le sud (Sahagún, 1985: 182) et par les têtes des Espagnols et des chevaux regardant le lever du soleil que les Indigènes ont mis dans le tzompantli (Sahagún, 19501982 vol. 2: 100). Il est cependant difficile de savoir s’il existait un modèle standard ou des règles précises, car les chroniqueurs ne le précisent pas. Principalement l’information archéologique provenant de Tlatelolco donne quelques preuves dignes de foi, car les crânes qui

trouvent dans l’enceinte du Templo Mayor de Tenochtitlán. Il parle d’un total de soixante-dix-huit structures et affirme que les structures 41, 33, 25, 6, 18, 55 et 56 sont des tzompantli, tout en laissant entendre qu’il en existe encore d’autres dans l’enceinte. Il explique que l’édifice 41 est le Huey Tzompantli et qu’il est situé devant le temple de Huitzilopochtli.28 Selon lui, l’édifice 33 est un autre tzompantli, associé aux rituels de Omacame, représentants du dieu Omacatl.29 Le troisième tzompantli se trouve devant l’édifice 25 qui s’appelle Quauhxicalco et où se trouve le dieu Omacatl à qui l’on faisait des sacrifices le jour 2 Caña.30 Sahagún ajoute que l’édifice 6 était le Mixcoatl tzompantli, lieu où l’on accrochait les têtes de ceux que l’on sacrifiait en l’honneur de Mixcoatl à Quecholli.31 L’édifice 18 est un autre tzompantli lié au temple appelé Teccalco, et l’on y recevait les crânes de sacrifiés pendant les cérémonies de Teotleco.32 L’édifice 55, le Yopico tzompantli, proche du temple de Yopico, était utilisé en Tlacaxipehualiztli,33 alors que le numéro 56 était un tzompantli assez proche du temple de Yacatecuhtli34 où en Xocotlhuetzin, on mettait les têtes des sacrifiés. On peut encore ajouter à cet ensemble d’autres structures dénommées tzompantli, et certains affirment qu’il y avait plus de sept tzompantli dans le Templo Mayor de Tenochtitlán. Sahagún explique que les têtes étaient empalées dans le temple de Cinteotl lors des cérémonies d’Ochpaniztli,35 et que, sur le tzompantli, on enfilait les têtes des victimes sacrifiées, mortes sur le temple de Tlaloc pendant la vingtaine de Tepeilhuitl dédiée aux Tlaloques.36 Il dit aussi qu’il existait un tzompantli qui était « dans un petit temple hors de la ville » et où se faisaient les sacrifices de Toxcatl.37 Ce n’étaient apparemment pas les seuls tzompantli de la région, et l’on en trouve d’autres dans des sites voisins de Tenochtitlán. Par exemple, à Xochimilco, le Temple de Cihuacoatl en possédait un, et il ne faut pas oublier ceux de Tlatelolco que l’archéologie nous a fait connaître.38 Selon les documents coloniaux, il y avait donc plusieurs tzompantli dans l’enceinte du Templo Mayor et ils étaient utilisés lors des diverses cérémonies dédiées à des divinités particulières, tout au long de l’année rituelle.

28

Panquetzaliztli : édifice 41. Sahagún 1985 : 144, 161 ; 1950-1982 vol. 2: 141-150 et 186. 29 Édifice 33. Sahagún 1985 : 161 ; 1950-1982 vol. 2 : 185. 30 Édifice 25. Sahagún 1985 : 160 ; 1950-1982 vol. 2 : 184. 31 Quecholli : édifice 6. Sahagún 1985 : 139-142, 158 ; 1950-1982 vol. : 134-140 et 180. 32 Teotleco : édifice 18. Sahagún 1985 : 136-137 et 160 ; 1950-1982 vol. 2: 127-130 et 183. 33 Tlacaxipehualiztli : édifice 55. Sahagún 1985 : 100 -104 et 162 ; 1950-1982 vol. 2: 47-56 et 189. 34 Xocotlhuetzin: édifice 56 Sahagún 1985 : 128-131 et 162; 1950-1982 vol. 2: 111-117 et 189. 35 Ochpaniztli : Sahagún 1985 : 134; 1950-1982 vol. 2 : 122. 36 Tepeilhuitl : Sahagún 1985 : 137-139 ; 1950-1982 vol. 2: 131-133. 37 Toxcatl : Torquemada 1975 vol. 3 : 384 ; Sahagún 1985 : 107-112 ; 1950-1982 vol. 2: 66-77. « Auh yn itzontecon can no tzompatitech conquauhço con no iuh tlantica yn iuh quauhcotica titlacaoan. » 38 Duran 1984 , vol. 1: 129. Il faut ajouter qu’il y avait, à Tlatelolco, au moins trois tzompantli : un dans l’atrium de Tlillan où furent empalées les têtes des Espagnols, le deuxième à Yacacolco, où furent aussi empalées leurs têtes et celles de deux chevaux, et le troisième en face du temple de Cihuacóhuatl à Zacatlan.

39 L’année rituelle, xiuhpohualli, se divisait en 18 périodes de 20 jours appelées vingtaines, avec leurs cérémonies respectives. 40 Sahagún 1985: 163 et 185. Cecilio Robelo (1982 : 566) dit que le temple de Tlahuizcalpantecutli s’appelait Ylhuicatitlany et qu’« ils lui rendaient aussi tribut dans le Huitzompantli et lui faisaient des sacrifices quand il apparaissait dans le ciel ».

57

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels l’on tient compte du fait que ce que l’on associe au jeu de balle est le crâne au centre du terrain, lieu différent du tzompantli. Si l’on considère que les tzompantli et tlachco ont été mis en relation en fonction d’hypothèses qui ne correspondent pas à des définitions concrètes ou spécifiques de chaque structure, on ne peut pas étendre l’existence d’une relation et encore moins l’appliquer à tous les terrains et à tous les tzompantli enregistrés par les archéologues et les documents coloniaux (nahuas et autres peuples mésoaméricains). Chaque cas doit être considéré spécifiquement, en particulier face à la possibilité qu’il y ait eu, à Tenochtitlán et aux environs, des tzompantli qui n’étaient pas liés à des jeux de balle et qui, de fait, correspondaient à d’autres activités rituelles.

ont été trouvés là où l’on suppose que se trouvait le tzompantli, regardent tous dans une même direction (Sánchez Saldaña 1972). Cependant, on ne peut prendre en compte les fouilles qui ont mis au jour une plateforme considérée comme tzompantli, alors qu’elle ne compte pas de restes osseux. Nous possédons des informations suffisantes pour affirmer que dans l’enceinte du Templo Mayor, il existait au moins sept tzompantli et deux jeux de balle (édifices 32 et 39) et il est évident qu’il n’existe pas de correspondance absolue entre les deux types de structures, même si, dans quelques occasions, elles sont utilisées pour le même cérémonial. La liste des édifices du Templo Mayor enregistrée par Sahagún laisse entendre que le Teotlacho (édifice 39) et le Huey Tzompantli (édifice 41) qui se trouve devant le temple de Huitzilopochtli, étaient utilisés de façon synchrone lors des cérémonies de Panquetzaliztli. Pendant cette vingtaine, le dieu Painal, avant le lever du jour, descendait du haut du temple de Huitzilopochtli et se rendait directement au jeu de balle. On tuait là quatre captifs, deux en l’honneur du dieu Amapan et deux en l’honneur du dieu Huappatzan, et on traînait leurs cadavres à travers le tlachco. « Ils arrosaient tout le sol avec le sang qui sortait de leurs corps lorsqu’on les traînait ».41 Matos Moctezuma avait déjà fait mention d’une possible relation entre le tzompantli et le jeu de balle à partir des évènements qui se déroulent pendant cette vingtaine (Matos Moctezuma 1972 : 114 ; 2007 : 136). Il faut néanmoins souligner que, malgré la relation existant entre les deux édifices dans ce rituel, les victimes sacrifiées n’ont jamais joué à la balle, pas plus que dans le mythe de Coatepec que cette vingtaine commémore et qui réaffirme périodiquement la victoire du dieu sur ses ennemis et le pouvoir des Mexicas. De toute façon, nous manquons de preuves pour affirmer que les victimes étaient des joueurs de balle et il semble plutôt que ce qui se passe sur le terrain de jeu est un sacrifice et non pas le résultat d’un match. On peut faire les mêmes observations pour un autre exemple : Sahagún nous dit que le second jeu de balle du Templo Mayor (édifice 32) est le Tezcatlachco, un terrain situé entre les temples, et où l’on a tué quelques personnes lors du règne d’Omeacatl (Sahagún 19501982 vol. 2: 185 ; 1985: 161). Il laisse entendre que ce terrain était lié au tzompantli associé aux rituels Omacame, représentants du dieu Omacatl (édifice 33) (Sahagun 1985 : 161 ; 1950-1982 vol. 2: 185). Il semble que les deux structures étaient utilisées pendant la même vingtaine. Cependant, il n’y a pas là non plus de preuves convaincantes pour dire qu’à la fin d’un jeu de balle, un joueur était décapité et son crâne ou sa tête empalée sur un tzompantli. En d’autres termes, les deux espaces n’étaient pas utilisés de manière analogue et consécutive. Ces deux exemples démontrent que, bien qu’il existe parfois des preuves pour soutenir la proposition d’une relation entre le jeu de balle et le tzompantli, il est évident que cette relation n’existe pas dans tous les cas, surtout si

VII. 4. Ce qui se passe sur le tzompantli. Les archives rendent compte de divers incidents au cours desquels on élève un tzompantli, par exemple, à l’époque de Moctezuma I (1440-1469), lorsque les Mexicas ont vaincu ceux de Cuetlaxtlan et ont sacrifié six mille deux cents prisonniers en l’honneur d’un tzompantli (Torquemada 1975 vol. 1: 225). Lorsqu’ils se battent contre les Itzecas et plus tard contre les Itzcuintepecas, les Mexicas vainqueurs « revinrent avec de très nombreux prisonniers et lors d’une grande fête l’année suivante, ils ont inauguré une très grande salle qu’ils appellent tzumpantli et qui est le lieu où les têtes des sacrifiés sont empalées au bout de grandes lances » (Torquemada 1975 vol. 1: 289). On raconte que, lors de la conquête de Tepeaca, après la victoire des Mexicas sur le seigneur du lieu en 1466, celui-ci fut sacrifié de telle manière que le Tlatoani Chichtli (Chiyauhcoatl) est mort pour inaugurer le tzompantli, et pour inaugurer le couacalli de Tlatelolco (Barlow 1994 vol. 2: 51). L’édification d’un tzompantli devient une obligation pour les gouvernants mexicas. Axayácatl (1469-1481), par exemple, le fait après avoir conquis les Matlazincas (Durán 1984 vol. 2 : 277-278) et après la conquête de Tliliuhquitepec (Durán 1984 vol. 2: 293). Il invite ses ennemis à voir le tzompantli et la façon dont les sacrifiés sont étendus à côté du lieu des crânes. Un autre tzompantli est inauguré du temps de Ahuizotl (14861502) : après la conquête de Atloxco, les Huexotzingas sont sacrifiés « … et les têtes ont été encastrées dans des cavités que l’on essaya de faire dans les murs du Templo Mayor ». Fernando de Alva Ixtlixóchitl (l977 vol. 2 : 157) nous parle de cet événement et Diego Durán dit que quatre-vingt mille têtes de morts plus quatre cents ont été mises sur le nouveau râtelier, toutes accrochées par les tempes (Durán 1984 vol. 2: 346). Pendant le règne du tlatoani Moctezuma Ilhuicamina, le tzompantli et le mur de crânes jouent également un rôle important. Lors des cérémonies pour l’agrandissement du Templo Mayor, les Huastèques vaincus ont été sacrifiés et leurs têtes scellées sur le mur du temple de Huitzilopochtli (Alvarado Tezozomoc 1980: 323). De plus, un tzompantli est élevé à proximité du temple, en l’honneur de Cinteotl. Sur la planche 22 du codex Azcatitlan (Fig. 52), il se dresse à côté d’une pyramide et d’un temple que le gouverneur a fait construire pour fêter la vingtaine Ochpanitzli (Barlow 1994a vol. 5 : 212 ; Graulich 1995 : 134). On voit la tête coupée d’un guerrier

41

Panquetzaliztli : édifice 41. Sahagún 1985 : 144 et 161 ; 1950-1982 vol. 2 : 141-150 et 180.

58

La migration des mexicas Il est donc évident que le Huey tzompantli était un espace fondamental dans le déroulement des cérémonies du Templo Mayor de Tenochtitlán. Selon une proposition de Dibble et Anderson, il est possible qu’à chaque fois que cet espace recevait des prisonniers, dans ce cas des prisonniers de guerre, on remettait en scène un événement de la migration, celui de Coatepec où, selon la version de Sahagún, les Centzonhuitnahua et Coyolxauhqui passent par Tzompantitlan, avant d’attaquer Huitzilopochtli.45 Il faut maintenant parler du traitement reçu par le corps sacrifié. Le fémur du captif était accroché dans la maison du guerrier (Duran 1984 vol. 1: 23), et la tête était donnée aux ministres du temple pour être fixée au tzompantli. La tête détachée du corps pouvait être écorchée et traitée pour en éliminer les parties molles, mais Motolinia affirme que « si c’était des seigneurs ou des principaux, on les mettait ainsi avec les cheveux », ce qui laisse supposer que les crânes pouvaient avoir des mèches de cheveux. Les crânes étaient perforés sur les tempes et enfilés sur un fin collier ou sur une perche, et quand le temps les avait abîmés ou détruits, on les remplaçait scrupuleusement.46 Apparemment, le Huey Tzompantli, le plus important de l’enceinte du Templo Mayor de Tenochtitlán, possédait un grand nombre de crânes, et devait donc être en permanente rénovation. Ahuitzol « fait rénover le râtelier et le lieu des crânes et ceux qui y étaient jusqu’alors ont été brûlés. » Cela indique clairement que les crânes et têtes qui sont exhibés sont des parties du corps déifié. Ce ne sont pas simplement des morceaux de corps de guerriers et d’esclaves immolés, ils sont un réceptacle où se trouve l’essence invisible du crâne. L’archéologie nous laisse entrevoir que toutes les victimes sacrifiées dont le crâne aboutissait sur le tzompantli n’étaient pas forcément des guerriers. Sur le tzompantli de Tlatelolco, de nombreux crânes sont des crânes de femme.47 De plus, une indication enregistrée par Alvarado Tezozomoc (1980 : 516-517) suggère que les têtes des « nés blancs » (albinos) et des personnes ayant des marques étaient également placées dans ce lieu. Cependant dans le codex Vaticano Rios (vol. 3, planche 78) on insiste sur le fait que l’on mettait dans le Huey Tzompantli les crânes des seigneurs morts à la guerre ; ce lieu était très respecté et

sur les marches de l’escalier central de la plateforme du tzompantli, et au sommet, une structure complexe formée de quatre poteaux qui portent des barres horizontales. De chacune de ces barres pendent trois crânes vus de face et empalés par les tempes. Il semble donc que l’on mettait les têtes et les crânes des victimes sacrifiées sur les râteliers, les escaliers des plateformes et dans les cavités des murs. Selon Alvarado Tezozomoc, ils les mettaient sur les trois murs internes du temple de Huitzilopochtli.42 VII. 5 Les sacrifices sur le Huey tzompantli Le tzompantli du temple de Huitzilopochtli est le Huey tzompantli et les chroniqueurs se réfèrent à cet espace comme le Tzompantlitlan (Duran 1984 vol. 2: 172-174; 291-293 et 469-470, 485). Les victimes participaient à des séquences rituelles élaborées, avant d’être sacrifiées.43 Au début des cérémonies, guidées par un prêtre selon des conventions et des processus cérémoniels préétablis, et après s’être converties en victimes sacrificielles, elles marchaient en file sur le circuit rituel. Elles entouraient le disque de pierre circulaire tecamalacatl et atteignaient le tzompantitlan, le lieu des crânes.44 Ensuite, les sacrifices commençaient. Certaines victimes mouraient par décapitation, mais généralement on leur arrachait le cœur, et une fois mortes, on descendait leurs cadavres. Ils étaient roulés depuis le haut du temple, et remis entre les mains de ceux qui étaient chargés de s’en occuper (Sahagún 1985: 142). On mettait les corps dans le tzompantitlan et on les y laissait étendus pour que chaque guerrier puisse reconnaître son captif (Duran 1984 vol. 1: 23 ; vol. 2 : 277-278 et 293, Hassig 1988: 121). Ainsi, la vie de la victime sacrifiée était la première offrande. Puis, son corps était démembré et les différentes parties utilisées comme seconde offrande. La disposition des restes humains reflétait la nature dynamique des Nahuas vis-à-vis de leur liturgie sacrificielle. Le processus se terminait par l’édification et le renouvellement sacré du tzompantli. 42 Alvarado Tezozomoc 1980 : 323, 516-517; voir aussi Ixtlilxochitl (1977 vol. 2 : 157). Chimalpaín (2003 : 127) écrit que les tlahtoque amaquemeque ont entremêlé les têtes des nobles mexicas, « ypan in ihcuac mexica quincuamamatlahuique yn tlhtoque amaquemeque ». Ce qui est important est l’indication que les têtes étaient scellées, et Ralph Roys (1967 : 160) écrit à ce sujet: « C’est la seule mention de l’épisode de la cimentation des têtes dans le mur que nous ayons trouvée. Il est probable que cela signifie qu’un tzompantli était dressé et que les barres qui transperçaient les crânes étaient fixées au mur. » Il faut ajouter à cette notion de scellées, d’autres mentions faites par Alvarado Tezozmoc et Chimalpaín. Voir aussi Andrés de Tapia 1988: 108-109. 43 Il est possible que des langages formés d’images et de gestes, venant d’anciens signifiés, étaient utilisés dans les mises en scènes rituelles de processions et sacrifices. Ces gestes et postures, qui devaient être parfaits pour maintenir leur efficacité, étaient déterminés par des rythmes préétablis qui qualifiaient l’espace du rituel. 44 Durán, 1984 vol. 2 : 172-174 ; 291-293 ; 343-346. Alvarado Tezozomoc, tout comme Duran, explique qu’aux temps d’Ahuizotl et d’Axayacatl, les prisonniers faisaient en arrivant une révérence à Huitzilopochtli, « et ensuite allaient et faisaient le tour du cuahxicalli après quoi ils allaient à l’endroit qu’ils appellent tzompantitlan, dans le circuit du temple du démon auquel il faisait la révérence ; de là ils allaient à la grande place » (Alvarado Tezozomoc 1980 : 469-470 et 485). Voir aussi Sahagún 1985 : 163-165 et 185. Il faut aussi mentionner la description des traditions autour du Pirouen des Purepéchas et ses similitudes avec les rituels du huey tzompantli (Alcalá 2000), récit dédié à la mort du seigneur de Curinguaro aux mains de la fille de Tariacuri.

45 Dibble et Anderson disent que ce sont des toponymes, noms de lieux du mythe originel, et qu’avec le temps, les noms ont été utilisés pour nommer des temples proches de celui de Huitzilopochtli dans le Templo Mayor. Ils suggèrent que ces temples étaient utilisés dans les rituels de réintégration du mythe (Sahagún 1950-1982 vol. 3 : 3, note 9. Duverger 1983 : 280-294. Graulich 1994 : 94-95). 46 Nous pensons qu’une tête peut être écorchée, le crâne visible, mais avec des mèches de cheveux encore accrochées au dessus de la tête (Sahagún 1950-1982 vol. 2: 114, 189; 1985: 158-159, 161-162 ; Benavente 1989:119 ; 1971: 72 ; Alvarado Tezozomoc 1980: 469-470; Duran 1984 vol. 1 : 23-24 ; Torquemada 1975 vol. 3: 384). 47 Sanchez Saldaña écrit : 50 des 170 crânes trouvés à Tlatelolco furent étudiés : 33 sont masculins et 17 féminins. Il est important de s’assurer de l’identification des crânes définis comme féminins. Tout d’abord, il est aussi notable que sur le tzompantli de la mapa de Cuauhtinchan I (1991) on voit la tête de deux femmes et que dans plusieurs vingtaines, ce sont des femmes qui sont sacrifiées et leur tête-crâne placée sur le tzompantli : lors de la vingtaine Ochpaniztli, la tête coupée de Teteu Innan-Tlazolteotl, ou lors de Huey Pachtli-Tepeilhuitl, les têtes de Xochiquetzal et celles de quatre autres femmes sont aussi placées sur le tzompantli.

59

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels cabellos /vase ou tecomate des cheveux» et crânecuauxicalli « vaso de las cabeza/vase de la tête » (Sahagún 1950-1982 vol. 2: 180, 183, 189. Siméon 1988. Robelo 1982). En suivant ce propos, il faut tenir compte que les crânes sont des réceptacles pour le liquide sacré, le sang, comme le sous-entend John Bierhorst (1985 : 36 et 482). Le codex Ramirez (1980) affirme que sur le tzompantli étaient les crânes : « les têtes des sacrifiés, car une fois la victime tuée et la viande mangée, … ils les donnaient aux ministres du temple qui les empalaient là. » Cette observation s’ajoute à la réponse donnée à Diego Durán (1984 vol.1 : 23) lorsqu’il demande si l’on mettait les têtes avec la chair et tout et à qui l’on répond que seulement les crânes. On ne peut cependant pas écarter la possibilité qu’il y ait eu des têtes, peut-être à diverses étapes de décomposition et des crânes traités.51 Dans les pictographies qui enregistrent certains épisodes de la migration mexica et quelques rituels et cérémonies qui se déroulaient dans le Templo Mayor, le tzompantli est représenté de façon assez homogène. Cependant, dans certain cas, par exemple dans l´ouvrage de Durán,52 on voit de nombreux crânes suspendus en files horizontales et non pas seulement un ou deux et la structure de bois est plus compliquée : dans ce cas, il y a quatre poteaux verticaux qui portent onze barres horizontales. L’étroite plateforme est aussi plus élaborée et dans l’escalier central, les rampes sont sculptées (Fig. 55). Malgré ces différences, dans cet exemple, comme dans la majorité des représentations des tzompantli, on trouve les crânes, la structure de bois et la plateforme. Ce sont donc les paramètres définissant le tzompantli dans les pictographies. Le nombre de crânes représentés dans l’exemple de l’ouvrage de Durán est très différent des autres : quatre vint dix-neuf crânes, tous enfilés par les tempes et regardant de face. On peut se demander pourquoi Durán met autant de crânes dans sa représentation du tzompantli. Il ne les a pas comptés lui-même et a dû se baser sur une information fournie par un conquérant, comme nous le démontrerons dans la seconde partie de ce travail. Curieusement, ce sont principalement les chroniques écrites par les Espagnols qui comptent le nombre de crânes dans le tzompantli. Le conquistador Andrés de Tapia parle de cent trente-six mille et Motolinia en compte entre cinq cents et mille, pour citer quelques chiffres. D’autres chroniqueurs, par exemple José de Acosta, Diego Durán et l’auteur du codex Ramirez (Fig. 81) comptent vingt têtes par bâton sans spécifier le nombre total. Curieusement, Alvarado Tezozomoc répète ce qui est dit dans les trois chroniques antérieures, peut-être parce qu’il a les mêmes sources d’information, mais il donne un chiffre global de soixante-deux mille.53 Il semble que, d’une façon

mourir de la sorte était un honneur (Fig. 53). La conquête de Tepeyacac en 1466, de Cuauhtlahtoa et Moquíhuix, finit par le sacrifice du Chiyaucoatl, gouvernant de Tepeyacac à Tlatelolco, et correspond à l’inauguration de l´autel de crâne, tzompantli, et de la maison de serpents (Barlow 1987a vol. 1 : 105). On a trouvé des restes de crânes lors de deux fouilles archéologiques : à Tlatelolco et à Zultepec, aujourd’hui Tecuaque dans l’État de Tlaxcala. Certains crânes qui ont fait un jour partie du tzompantli de Tlatelolco (Fig. 7) possèdent encore leurs mandibules et les premières vertèbres cervicales. Cela prouve que le corps a été décapité et semble indiquer que ce qui a été placé sur le tzompantli et avait subi des manipulations antérieures n’était pas un crâne (Fig. 54). Les crânes présentent des empreintes de coupes fines, et les perforations temporales et pariétales étaient faites avec soin ce qui montre un processus rituel complexe.48 D’autre part, dans le cas des crânes de Zultepec, on sait que les têtes coupées furent écorchées et probablement bouillies dans de l’eau de chaux, pour en ôter les chairs. Puis les crânes étaient perforés et exposés et en général, la mandibule n’était pas conservée (Martínez Vargas 1993 et 2005: 109-114 et 187-218). En archéologie, les têtes se maintiennent difficilement et on ne peut faire la différence avec ce qui a pu être un crâne a l´origine.49 On ne sait donc pas vraiment ce que l’on accrochait sur le tzompantli, une tête ou un crâne. En nous basant sur les sources écrites, nous pensons que c’était des crânes et que certains avaient encore des mèches de cheveux : ce qui était accroché sur l’échafaudage dressé sur la plateforme au centre de l’enceinte cérémonielle n’était plus des têtes avec la peau, c'est-à-dire des visages complets. Cette question peut sembler impossible à résoudre, mais il faut tout de même tenir compte de certains détails du codex de Florence qui suggère que ses informateurs se référaient à des crânes. Dans la version espagnole, Sahagún décrit cette structure et note à plusieurs reprises que l’on place des têtes sur le tzompantli, alors que le mot utilisé dans le texte nahuatl est intzontecon,50 un terme dont l’étymologie est complexe et fait référence à tzontecomatl : tête coupée ou tête séparée du corps (tzon de tzontli qui signifie cheveu et par extension tête) « vaso o tecomate de los 48 Les 170 crânes qui viennent de Tlatelolco ont été soumis au traitement (González Rul 1963. Sánchez Saldaña 1972, Guillem 2010 : 281-285. Pijoan et Mansilla 1997: 195-196 ; 203-206 et 209; 2010: 308309). 49 De fait, Il est nécessaire de faire la différence entre le tzompantli et les autres modalités d’exposition de crânes, de têtes et d’os longs. Il faut aussi signaler que dans beaucoup d’ensembles de restes osseux identifiés comme tzompantli, il n’est pas toujours possible de savoir comment ils étaient a l´origine à cause de leur état de détérioration et que c’est un aspect qui intéresse les chercheurs. 50 Voir Sahagún 1950-1982 vol. 2 : 180 pour des informations. « Mixcoapan tzompantli : uncan quicoia in intzontecon, in miquia mixcoatempan » ; Sahagún 1950-1982 vol. 2 : 189 pour des informations sur le « Yopico tzompantli : unca quiçoia in initzontecon mamalti » ; Sahagún 1950-1982 vol. 2 : 133 pour des données sur le tzompantli de Tepeilhuitl: «niman unpa quinvica, in tzompantitlan : auh in oquimonaxitique, niman ic quinquechtecqui, quinquechcotona : uncan quimocoço in intzonteco»; et Sahagún 1950-1982 vol. 2: 76 pour des données sur le tzompantli de Toxcatl : «Auh yn itzontecon can no tzompatitech conquauhço con no iuh tlantica yn iuh quauhcotica titlacaoan».

51

Voir aussi à ce sujet Motolinia 1989 : 119 ; Memoriales 1971 : 32. Il se peut que, bien qu’étant des têtes sur le tzompantli, on ait dessiné des crânes sur les documents. 52 Duran 1984 vol. 1 fig. 4. On le reconnaît aussi dans le Manuscrit Tovar 1972 : 277 planche 20. Sur la Crónica X, voir l´étude séminale de Robert Barlow (1990a vol. 3: 13-329). 53 Tapia 1988 : 108-109; Benavente 1971: 74; codex Ramírez 1980: 9596; Durán 1984 vol. 1: 23; Acosta 1940: 237-238; Alvarado Tezozomoc

60

La migration des mexicas générale, contrairement aux pictographies et aux documents de tradition indigène, certains auteurs se soient intéressés à faire des comptes, sans doute à cause de la nature de leurs écrits et des lecteurs concernés.54 Il semble, qu’après la conquête, le nombre de crânes dans les tzompantli s’est multiplié. Cela se voit sur l’image conçue par Durán, si on la compare avec les représentations de tzompantli dans les codex sur la migration : le tzompantli, élément non-iconique utilisé dans les pictographies pour représenter un concept (toponyme ou glyphe de lieu), devient un élément iconique, une représentation figurative d’un tzompantli. Cette transformation permet que le tzompantli, lieu de sacrifice des Nahuas, l’arbre de tzompantli, le tzompaquahuitl, se transforment à l’arrivée des Espagnols en un gibet/pilori (Carreón 2006), c’est-à-dire le lieu de châtiment et des pratiques punitives des Espagnols, comme nous le verrons dans la deuxième partie de ce travail. Il faut encore préciser qu’il semble qu’une fois les Espagnols arrivés, le tzompantli a acquis de nouvelles caractéristiques, mais si on lit les documents avec attention, on s’aperçoit que le tzompantli était important dans le mythe et le rituel mexica. Son symbolisme touchait des thèmes liés au lieu destiné aux victimes mortes sur la pierre des sacrifices 55 et participait à « un pacte entre une société et son dieu pour maintenir l’ordre cosmique lié au sacrifice».56 Dans les rites et les cérémonies qui avaient lieu au Templo Mayor, les mythes de migration et de fondation se succédaient à plusieurs reprises : des rites élaborés reposant sur la notion de dette envers les dieux, créateurs de l’humanité. Entre les prêtres et les victimes sacrificielles, des personnages habillés comme des divinités déambulaient sur les places et les temples. Dans ces espaces qui étaient toujours délimités et sacrés, et non pas des espaces transformés de façon temporaire, se réalisaient des offrandes humaines. Cela explique peut-être pourquoi le tzompantli s’exprimait à travers des dépouilles humaines, produit d’un paiement, dans ce cas les crânes des victimes sacrifiées, et pourquoi il devait être renouvelé périodiquement par le sacrifice de prisonniers de guerre et de personnes que l’on acquerrait dans ce but.

des Mexicas a été brutalement transformé par l’arrivée des Espagnols : le tzompantli a été altéré. D’une offrande aux dieux, son utilisation originale, il est passé à une façon de soumettre l’ennemi envahisseur. Dans une certaine mesure, ce que le tzompantli n’était pas en luimême devient, à la suite de la découverte et de la conquête, une possibilité d’interprétation élaborée pour satisfaire les besoins d’une lecture extérieure issue des fantasmes de l’imaginaire culturel européen. On le qualifie d’expression sanguinaire, on le considère comme un élément de coercition, on le met dans un registre de terreur comme une force d’intimidation, utilisée par le pouvoir de l’État pour s’assurer le contrôle et faire de la répression.57 Il devient également une façon de démontrer le pouvoir et l’habileté à la guerre, l’hégémonie et l’autorité pour s’assurer la soumission des provinces voisines sous un pouvoir oppresseur qui châtie ceux qui transgressent l’ordre établi. On ne peut écarter le fait que le tzompantli et les autres façons de montrer des restes humains avaient pour but de « faire en sorte que les ennemis aient peur de les offenser, parce que sinon ils devaient être sacrifiés », comme le dit Bartolomeo de las Casas, un des premiers conquistadors arrivés en terre américaine, mais les raisons d’être de cette manifestation étaient bien différentes, comme il le signale : « une première et principale raison était que l’idole ou le dieu qu’elle représentait se souviendrait du sacrifice qu’on lui avait fait pour le servir pour qu’il leur fasse du bien et les préserve de tout mal. D’autre part, pour que ceux qui le voyaient pensent qu’ils avaient été sacrifiés pour le bien général, et aussi pour que le roi ou le seigneur ...» (Las Casas l967 vol. 2: 221). C’est là la nature contradictoire des lectures les plus fréquentes sur le tzompantli dans l’actualité. Mais il faut considérer que finalement, la conception qui en fait un lieu de terreur reflète des idées formulées à la fin du XVe siècle, lorsque Christophe Colomb arrive sur le sol américain. Des conceptions semblables ont été attribuées au jeu de balle : celui-ci passe du statut de jeu rituel à une confrontation entre des gagnants et des perdants. Finalement, on aboutit à une idée généralisée selon laquelle le jeu de balle et le râtelier de crânes résultent l’un de l’autre et l’on donne à ce résultat une signification qui n’existait pas en tant que telle.

VII.6. La transformation de l’espace de sacrifice en espace de châtiment : les lectures faites à l’arrivée des Espagnols. Tout au long de ces pages, nous espérons être parvenus à montrer l’importance du tzompantli à la veille de la conquête, mais il est certain que l’espace du tzompantli 1980: 323. Pour sa part, Francisco Javier Clavijero (1964: 163) cite Antonio de Herrera y Tordesillas et en registre cent trente mille. 54 Les écrits des chroniqueurs ont à leur tour affecté la façon de représenter le tzompantli. Voir par exemple une gravure de 1601 de Théodore De Bry et ses fils (1997 : 293, livre 8, 1e partie). Ce thème est amplement abordé dans la deuxième partie. 55 Cela est lié au lieu de repos des âmes des guerriers morts ou de ceux qui sont tombés aux mains des ennemis et ont été immolés sur la pierre de sacrifice (Seler 1963 vol. 1: 212 et 1991-1993 vol. 1: 132). 56 La mystique guerrière des Mexicas leur impose d’alimenter le cosmos. Hers (1989 : 96-98, 104) explique que c’est le dieu Tezcatlipoca, autre déité qui avait son tzompantli dans le Templo Mayor, voir Sahagún 1950-1982 vol. 1: 33, 171.

57 Hamy 1971: 40; Matos Moctezuma 1975: 101 et 115; Duverger 1983: 174; Kowalski 1999: 358; González Torres 1985: 282; Moser 1973: 47; Galdemar 1988 : 16-19 ; Redmond et Spencer 1983: 117-120.

61

DEUXIÈME PARTIE Une liaison imposée CHAPITRE I : CONTRUCTION D´UNE VISION EUROPEENE DU TZOMPANTLI ET DU TLACHTLI I. 1. Voyage autour d´une démarche L’objectif de la seconde partie de cette étude n’est pas de suivre les pas des premiers Européens arrivés dans la région américaine, mais de retracer les principaux évènements qui permettent de replacer dans leur contexte les jeux de balle et les exhibitions de restes humains que ces hommes ont vus. Cela nous permettra de comprendre comment la vision européenne du tzompantli –le râtelieret du tlachtli -le jeu de balle-, s’est peu à peu construite. Nous étudierons également son évolution au cours du temps dans la pensée indigène confrontée à la Conquête, pour comprendre comment cette image modifiée s’est répandue, altérant le sens et la fonction d’origine de ces espaces en les adaptant à de nouveaux critères et aux besoins des nouveaux venus au Nouveau Monde. Les témoignages concernant les deux espaces et les pratiques qui s’y déroulaient ont contribué à la création d’une image qui perdure jusqu’à nos jours.1 Cette seconde partie s’attachera surtout à analyser comment leurs descriptions et leurs représentations ont donné naissance à des interprétations qui ont permis l’élaboration d’une théorie qui affirme l’existence d’une relation entre les deux pratiques et les espaces où elles se déroulaient. Il y sera démontré que la rumeur a été plus puissante que les faits, dans l’élaboration de la théorie qui défend l’existence d’une étroite relation entre tlachtli et tzompantli. Il importe d’analyser les documents sur la découverte, la Conquête et la colonisation du continent américain, au moment où les Européens entrent en contact avec les peuples habitant cette région et fondent leurs premières villes, car ce qui est actuellement interprété comme un tlachtli et comme un tzompantli, ainsi que les activités qui s’y déroulaient, est issu d’une conception qui s’est construite au cours de plusieurs siècles. Il nous faudra l’aborder pour comprendre la genèse de la théorie qui affirme l’existence de leur étroite relation. L’explication de la réalité du tzompantli et du tlachtli a été élaborée très tôt, et l’échange d’informations entre les hommes qui les ont décrits a favorisé la création d’images qui perdurent jusqu’à nos jours. L’élaboration de cette image commence quand Christophe Colomb, dans les îles, récupère une balle et voit une tête accrochée à un piquet. Aux Antilles, les Européens assistent à des jeux de balle et voient des expositions de restes humains. Ils les retrouvent plus tard sur la terre ferme et ils vont y transférer le modèle mental qu’ils s’étaient forgés en voyant d’autres civilisations aux pratiques semblables. En d’autres termes, les interprétations que les découvreurs ont faites des pratiques des peuples antillais ont été appliquées aux habitants de la Mésoamérique. Les conquistadors et les religieux, à leur arrivée et au cours de leurs rencontres avec les habitants, s’en remettent aux expériences et aux interprétations de ceux 1 Comme le dit Jean Paul Duviols (1991), les premiers voyageurs, qui ont découvert et visité le Nouveau Monde ont laissé des témoignages écrits qui ont contribué à la création d’une image originale de l’Amérique qui, par certains aspects, a duré jusqu’à nos jours.

qui les ont précédés. Les raisonnements des découvreurs, principalement ceux liés aux évènements des deux premiers voyages de Colomb, se retrouvent dans les récits des conquistadors du Mexique. Ils sont surtout évidents dans les rapports sur les premières expéditions dans la région mexicaine et sur les expériences subies par Hernán Cortés et ses hommes à leur arrivée sur le littoral du Golfe du Mexique. Les renseignements que nous possédons sur des événements comme la chute de Tenochtitlán et l’évangélisation, après l’arrivée des religieux dans le centre du Mexique, démontrent que le jeu de balle et l’exposition des restes humains ne sont plus jugés et interprétés de la même façon. Bien que les termes de la description indiquent que les jugements et les interprétations des conquistadors et des prêtres reposent sur des renseignements compilés à l’époque de la découverte, leur analyse comparée permet de voir comment les Européens ont, en un peu plus de vingt ans, commencé à comprendre et à interpréter les pratiques indigènes. La vision initiale du jeu de balle et de l’exhibition des restes humains, formulée à partir de l’expérience antillaise, évolue grâce à l’addition de nouvelles expériences et finit par donner naissance à la conception actuelle du tzompantli et du tlachtli, et des activités qui s’y déroulent. À l’époque de la découverte, de la Conquête et de l’évangélisation du Mexique, le jeu de balle préhispanique est d’abord perçu comme une curiosité et un spectacle public, puis il est condamné et interdit. D’autre part, les restes humains accrochés à un râtelier ont été compris de nombreuses manières. Parmi les multiples lectures, ils ont d’abord été perçus comme de la viande dans un garde-manger ou dans un saloir de boucher, puis ils sont considérés comme une preuve de pratiques funéraires, et finalement ils sont assimilés au corps d’un condamné. À partir de certaines données, antérieures à l’arrivée des Espagnols, concernant le jeu de balle préhispanique et les pratiques funéraires et punitives des anciens Mexicains, il est possible de comprendre le malentendu qui se cache derrière ces interprétations et comment elles se sont créées. Le jeu de balle des anciens Nahuas était un rituel et un exercice pour le corps, dans une certaine mesure assez semblable aux anciens jeux européens. Cependant, ces ressemblances ont conduit à le comparer aux sports modernes et à l’interpréter comme un affrontement à la fin duquel le joueur vaincu est puni. Le tzompantli, qui était un lieu de sacrifice, ne peut pas non plus être comparé aux lieux de châtiment européens, comme c’est le cas actuellement, car c’est en les confondant avec une potence que l’on a perpétué la théorie d’une relation particulière entre le tlachtli et le tzompantli, relation qui reflète les préjugés européens qui sont encore identifiables dans les études actuelles. L’analyse de la façon dont ce raisonnement s’est forgé au cours de l’Histoire met en évidence que la proposition d’une relation entre les deux espaces est la conséquence

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels gueules de chiens qui mangent les hommes ».2 Les Européens ont entendu parler de ces hommes féroces, mais ils ne voient rien lors de ce premier voyage,3 quand ils rencontrent les Taïnos, à La Española (République Dominicaine et Haïti), qui leur parlent d’un autre groupe, les Caraïbes, qui mangent de la chair humaine et vivent dans d’autres îles.4 Les premiers Européens qui touchent le sol américain estiment donc que dans cette région vivent les nobles Taïnos et les féroces Caraïbes, qu’ils comparent aux hommes chiens (Fernández de Navarrete 1999 : 170 no. 2). Les Taïnos leur parlèrent tellement de cette tribu qu’elle reçut divers noms.5 Christophe Colomb et ceux qui l’accompagnent qualifient les hommes chiens d’anthropophages, et les décrivent comme ceux qui préparent de la chair humaine et accrochent les dépouilles humaines au toit de leurs maisons, dans des saloirs et aux arbres avant de la consommer. Au cours du deuxième voyage qui débute en septembre 1493, Diego Álvarez Chanca, médecin sévillan, ainsi que Ramón Pané de l’ordre des Jéronimistes, Bernardo Buil, catalan de l’ordre de San Benito, Michèle da Cuneo, Francisco de las Casas, Juan de la Cosa et d’autres vont pouvoir constater ce que Colomb avait vu au cours de son premier voyage, et écrire à ce sujet. Même si cela n’est pas mentionné dans leurs cartes et récits, on sait que Colomb et ceux qui l’accompagnaient ont vu au moins une balle utilisée pour jouer. Il est écrit que Colomb en rapporta une à Séville (Las Casas l967 vol. 1: 322). On peut penser qu’il l’obtint en assistant à un jeu à La Española, puisque le jeu de balle était pratiqué par les habitants de cette île (Borhegyi 1969: 10 ; Stern 1966: 1). Pendant ce voyage, les découvreurs adoptent aussi l’idée généralisée d’une association entre la soi-disant pratique de certains habitants de la région de manger de la chair humaine et les restes humains qu’ils ont vus accrochés aux portes de leurs maisons. L’idée préconçue qu’ils

du mélange de deux interprétations, étrangères l’une à l’autre, qui sont nées au fil du temps de manière indépendante. Elles se sont entrelacées de telle sorte que l’on est arrivé à l’affirmation catégorique que la tête du joueur de balle vaincu sur le tlachtli doit finir sur le tzompantli, que la décapitation est un châtiment et que le râtelier sur lequel on met les dépouilles humaines est un gibet. Cette affirmation a une double origine : d’une part les Européens ont assimilé le tzompantli à un gibet, jugeant que les restes humains accrochés sur une palissade étaient les preuves des châtiments infligés par les Indigènes, et d’autre part les Indigènes ont appréhendé le gibet comme un tzompantli. Cela apparaît dans les représentations que le tlacuilome, artiste indigène, fait de quelque chose qu’il ne connaît pas en dessinant ce qui lui ressemble le plus (le tzompantli). Nous voyons donc que pour décrire les deux espaces -gibet et tzompantli-, les Indiens et les Espagnols ont cherché des analogies dans leur imaginaire culturel pour les aider à expliquer ce qu’ils voyaient. Il faut souligner la façon dont les Européens ont déterminé l’emplacement d’un lieu de châtiment dans les premières villes et les premiers villages de la NouvelleEspagne : le gibet. Ce fait important permet d’explorer la théorie qui prétend que les Indiens convertis, dans le dernier tiers du XVIe siècle, partageaient déjà les valeurs des Européens, ce qui explique pourquoi, dans les nouvelles conditions - la ville coloniale- la représentation du tzompantli se transforme en représentation du lieu de châtiment. Pour étudier plus à fond cette transformation, nous nous réfèrerons constamment aux fondations espagnoles en Amérique et les confronterons aux renseignements sur les fondations indigènes (altépetl), particulièrement Tenochtitlán. Cette comparaison, et l’analyse critique du sujet, permettront d’observer que le tzompantli ou la potence, qui soutiennent les dépouilles d’un sacrifié ou d’un condamné sont situés au même endroit, au centre de la ville. Il devient alors évident que certains processus propres à chacun des groupes et liés à leurs fondations présentent des analogies qui, ajoutées à la ressemblance formelle entre l’endroit du châtiment et le lieu de sacrifice, sont fondamentales pour comprendre leur amalgame. La deuxième partie de ce travail présentera, en fonction de ce qui précède, et de façon chronologique, un ample panorama des évènements en rapport avec le jeu de balle et les restes humains accrochés à un râtelier, après l’arrivée des Espagnols. Elle permettra de démontrer la genèse d’une théorie contestable, et que la proposition a été créée à partir d’interprétations erronées et de conceptions éloignées de la pensée amérindienne, comme cela a été signalé dans la première partie de cette étude.

2

Tout au long du premier voyage, Colomb (1999 : 44) pensait qu’il allait rencontrer des hommes chiens (cynocéphales anthropophages) et autres êtres fantastiques décrits par les auteurs du Moyen-Âge ou antérieurs comme Hérodote, Strabon, Pline, Ptolémée, John de Mandeville et Marco Polo. Il est certain que Colomb et les découvreurs avaient hérité de l’imagerie de l’Antiquité classique et des récits médiévaux, ce qui leur a permis d’accepter l’idée qu’il y avait dans ces terres nouvelles des hommes à tête de chien (Duviols 1985 chap.2, « Le Nouveau Monde et la résurrection des créatures mythiques »). 3 Il existe une importante discussion concernant le cannibalisme et l’anthropophagie dans la région caraïbe, et nous pouvons faire mention de quelques recherches générales ou spécifiques sur le thème pour le continent américain. Nous ne ferons pas référence ici à la bibliographie sur le cannibalisme chez les Nahuas, car ce sujet sera traité plus tard. Voir Arens 1979; Lestringant 1997; Harris 1991; White 1991; Hogg 1958; Métraux 1963; Hulm 1980. 4 Dans la région, il y avait plusieurs groupes distincts, dont deux importants : d’une part, les Taïnos dans les Grandes Antilles (Cuba, Jamaïque, Porto Rico, Haïti et Saint Domingue) et les Lucayes qui peuplaient les Bahamas. Les deux groupes sont des descendants des Arawaks, premiers habitants de la région, qui habitaient l’Amérique du sud (Venezuela, Guyane). Le deuxième groupe est celui des Caraïbes qui vivent dans les Petites Antilles. 5 Cannibales, caribales, caniba, canima, caribey. Au moment de la découverte, se répand l’idée que Caraïbe est synonyme de cannibale et anthropophage. En plus d’imposer un nom à une ethnie et à une région, on lui attribue le qualificatif de groupe anthropophage (Hulme 1980: 41).

I. 2. La découverte de l’inconnu Il y a peu de renseignements sur les us et coutumes des Indiens des terres découvertes par Christophe Colomb dans les écrits que ce dernier rédigea à la suite de son premier voyage, et il n’y est fait aucune mention de dépouilles humaines ou de jeux de balle. Il est simplement mentionné que parmi les îles de la région, certaines étaient habitées par « … des hommes avec des

64

Construction d´une vision européen du tzompantli et du tlachco La Navidad. Cette enquête l’amène avec Álvarez Chanca et d’autres à se diriger vers les maisons des habitants de l’île. Au cours de leurs recherches, ils trouvent « ... en cherchant les choses qu’ils gardaient dans un couffin, une tête d’homme bien cousue et bien gardée… » Álvarez Chanca écrit à ce propos « ... que c’était la tête d’un père ou d’une mère, ou d’une personne qu’ils aimaient beaucoup » ce qui se confirme puisqu’il écrit ensuite « … après, j’ai entendu dire qu’ils en avaient trouvées beaucoup dans cet état... ».6 De son côté, Hernando Colomb (1984 : 185) précise aussi : « quand ces Indiens meurent, ils font leurs funérailles de différentes façons. La manière de donner sépulture à leurs chefs est la suivante : ils ouvrent leurs cadavres et les sèchent au feu pour qu’ils se conservent entier. Des autres, ils ne prennent que la tête… ». Ces renseignements semblent indiquer que Cristobal Colomb et son fils Hernando comme Álvarez Chanca ont su faire la différence entre les pratiques anthropophages des Caraïbes et les pratiques funéraires des Taïnos qui habitaient ces îles. Cependant, bien qu’ils aient acquis des connaissances sur les pratiques de préservation Caraïbes et Taïnos des os de leurs ancêtres, ils concluent que les dépouilles humaines sont des preuves de cannibalisme. Cela vient peut-être du fait que les mots Caribe et Cannibale deviennent alors synonymes (Boucher 1992: 15), ou bien parce que les pratiques funéraires ont été considérées comme des pratiques anthropophages. Par la suite, la distinction entre les deux pratiques que les découvreurs faisaient au départ disparaît. Avec le temps, toutes les preuves de manipulation et d’exposition de restes humains pratiquées par les Indiens seront qualifiées de cannibalisme, et confirment la présence de Caraïbes. Cette lecture convenait probablement aux autorités espagnoles puisqu’elle devenait une raison suffisante pour soumettre les Indiens à l’esclavage.7 Au cours du deuxième voyage de Colomb, Ramón Pané est chargé de rester au milieu des Indiens de La Española afin d’observer et de se renseigner sur leurs croyances. Le moine fait remarquer que certaines pratiques d’exhibition de restes humains sont liées aux pratiques funéraires. Ses écrits permettent de faire la différence entre les modalités de traitement, de préservation et d’exposition des restes que Colomb et Chanca ont pu découvrir. Pané ne se réfère pas aux pratiques anthropophages que décrivent ses congénères, même s’il explique que les Indiens qu’il a connus gardaient « les os de leurs pères, de leurs mères et parents, et de leurs ancêtres... » (Pané 1987: 34-35). Il admet donc que l’exposition de corps humains chez les habitants des îles et de la terre ferme avec qui les Européens ont pris contact très tôt n’était pas forcément liée à la coutume d’ingérer de la chair humaine. C’est la raison pour laquelle nous savons que sur la côte de Paria, les corps qu’ils ont vu brûler à feu lent sur ce que certains ont décrit comme un gril étaient en réalité les corps de « … hauts personnages. Les chairs se consument peu à peu et les os desséchés restent dans la

s’étaient faite au cours du premier voyage se confirme donc. Certaines coutumes de la région, liées à des pratiques funéraires, ont été prises pour des évidences de festins cannibales, comme le montrent certaines gravures illustrant des écrits et des cartes du Nouveau Monde publiés sur le vieux continent. Comme l’écrit brièvement Colomb, dans certaines maisons de l’île de la Guadeloupe, ses accompagnants et lui ont vu : « ... beaucoup de têtes d’hommes accrochées et de paniers avec des os de morts » (Colon 1984: 148). Pour sa part, Álvarez Chanca (1999) précise que, cette fois là, ils ont pris : « … quatre ou cinq os de bras et de jambes d’hommes », ce qui leur fit suspecter que « … ces îles étaient habitées par les Caribes, ceux qui mangent de la chair humaine… ». Le médecin sévillan raconte en détail ce qu’il a vu, et il écrit qu’après être resté huit jours dans l’île, en parcourant les villages de la côte, ils ont vu une grande quantité d’os humains et les calottes crâniennes accrochées aux maisons comme des récipients pour conserver des choses ». Les Européens pensent que ces restes humains accrochés sont des restes de nourriture puisqu’il indique : « … les os que nous avons trouvés dans ces maisons, étaient entièrement rongés ; il ne restait que ce qui était trop dur pour être mangé ». Álvarez Chanca (1999: 170-173) observe aussi à cette occasion « … dans une maison, ils étaient en train de cuire le cou d’un homme dans une casserole ». Ceci s’ajoute à ce qui arrive dans l’île de Saint-Domingue quand Christophe Colomb et ses hommes entrent dans les maisons « … et voient, dans les cuisines, des morceaux de chair humaine cuite, avec d’autres morceaux de papagayo et de canard, accrochés à des grils pour être grillés… » (Anglería 1964: 115). Cela conforte les Espagnols dans leur raisonnement de cause à effet entre les restes humains et l’ingestion de chair humaine. Cependant, ils envisagent aussi qu’ils font partie de rites funéraires. De retour à La Española, ils associent certains restes humains à des pratiques mortuaires probablement parce qu’ils les trouvent dans les maisons des nobles Taïnos et non des féroces Caraïbes. La Navidad est la première tentative de colonisation du Nouveau Monde par les Européens dans l’île de La Española. Lors de son premier voyage, Christophe Colomb (1999 : 102, 119) décide d’établir un village et fait donc construire un fort avec le bois du navire échoué, la Santa María. Il ordonne d’ériger une tour et une forteresse, une grande cave et un puits pour l’eau, afin d’en faire un lieu sûr pour les trente-neuf Espagnols qui doivent rester dans l’île (Anglería 1964: 109, 120-121. Colon H. 1984: 115). Colomb n’a pas l’occasion de voir les constructions puisqu’il part peu après vers l’Espagne et qu’à son retour, tout avait été brûlé (Álvarez Chanca 1999: 180). La fondation a été totalement détruite et ses habitants sont morts aux mains des Caraïbes, selon ce qu’indiquent par la suite les Taïnos. Après cet échec, Colomb fonde La Isabela, première création qui met en place le mode de vie espagnol puisqu’il construit une église et une mairie (Colon H. 1984 : 155-156 ; Anglería 1964: 125 ; Bedini 1998 : 606-610). Il s’occupe alors d’ordonner le mieux possible les activités de la petite ville, non sans avoir pris le temps nécessaire pour enquêter sur les évènements de

6

Álvarez Chanca 1999: 182 « mucho cosida e mucho recabo ». En 1503, la reine Isabel promulgue les premières lois sur ce sujet (Whitehead 1984 : 70-71; Hulme et Whitehead 1992).

7

65

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels peau… puis ils les conservent respectueusement... ». Pané précise aussi que ce n’était pas des aliments « … une habitation pleine de cadavres pendus par des cordes de coton… ». Il signale que « … en leur demandant ce que cela signifiait…, ils lui répondirent que ces cadavres étaient leurs parents, grands-parents et ancêtres du chef… Ils prenaient le plus grand soin pour les conserver, le considérant une religion… » (Anglería 1964 : 184, 234). Les écrits de Ramón Pané indiquent que les habitants de La Española et de la région que les Européens connaissent en premier accordent une grande importance au culte des ancêtres, et nous laissent entendre que les os que les Européens trouvent en pénétrant dans les villages, sont liés de façon explicite à des pratiques funéraires et ne sont pas des produits de l’anthropophagie. Lorsque l’on connaît leurs mythes sur la Création, il apparaît que la manipulation des os est très importante dans le contexte funéraire.8 Les têtes de mort et les os longs des ancêtres sont d’abord exposés aux intempéries, puis nettoyés et gardés dans des grandes calebasses que l’on accrochait aux poutres des maisons, et dans des urnes de bois travaillé (Alegría 1998: 18-32 ; Maggiolo 1998: 3445). Certains étaient utilisés pour former différents types de zemies : des os ou des têtes de mort de leurs ancêtres « ... qu’ils gardent avec grande déférence, décorés d’or et de pierres précieuses… », enveloppés dans du coton et incrustés de divers matériaux et éléments (Pané 1987: 3435 ; Anglería 1964: 337-338). Les restes humains des Taïnos se considèrent comme des pratiques funéraires. Par contre, ceux des Caraïbes sont jugés comme des coutumes anthropophagiques. La conservation des dépouilles est aussi perçue comme un signal de vengeance par les découvreurs qui relatent que, dans l’île de San Juan, les Indigènes « … gardaient les os en fagots pour les apporter à leurs femmes et enfants... [pour] que ceux-ci, en les voyant, sachent que les corps de leurs maris et pères ne gisaient pas sans avoir été vengés... » (Anglería 1964: 269). Cependant, les sources historiques qui se réfèrent aux habitants de la région, spécialement les Taïnos des grandes îles, ne mentionnent pas qu’ils gardaient les os de leurs ennemis (Siegel 1998: 106-111). Cependant, et bien que Colomb, Álvarez Chanca et Pané, avec le temps et l’expérience, soient parvenus à distinguer les différences entre les pratiques d’ingestion de chair humaine et celles de vénération des restes des ancêtres, la confusion continue à se propager. Preuve en est le récit de Bernardo Buil, qui assiste aussi à certains des épisodes décrits par Álvarez Chanca et Colomb. À son retour en Europe, le religieux fait connaître ses expériences dans une chronique sur la découverte du Nouveau Monde dont le récit sera repris et enrichi par des

gravures de Wolf Kilian sur les missions bénédictines, en 1621.9 Dans le cas présent, ces images associent les représentations de pratiques anthropophages et de pratiques funéraires et les placent sur un même plan. Les crânes-têtes et les fagots d’os accrochés à des arbrespiquets sont représentés au milieu de scènes de préparation et d’ingestion de chair humaine. Les dépouilles humaines semblent donc être le résultat des pratiques cannibales des habitants de la région des Antilles. Il est en tout cas évident que cette forme de représentation servait les intérêts d’une interprétation justifiant le propos civilisateur de la Découverte et de la Conquête et les légitimait. Avec le temps, les Européens ont considéré tous les restes humains exposés comme le produit de l’anthropophagie et les dépouilles comme de la viande entassée dans un garde-manger ou une boucherie. Cette idée se généralise chez les hommes qui arrivent en terre américaine et écrivent sur les habitants de la région, formant ainsi une conception qui, bien qu’incorrecte, se propage, englobant injustement tous les indigènes du continent. L’anthropophagie, le traitement et l’exposition des dépouilles humaines par les hommes des Antilles et par d’autres peuples américains représentaient-ils une atteinte au respect dû aux cadavres ou aux restes humains, comme cela le serait de nos jours ? Les Européens interprètent ce qu’ils voient comme la profanation d’un cadavre et un acte de mutilation, de brutalité et de nécrophagie, alors que la manipulation et l’ingestion des dépouilles avaient chez ces peuples une tout autre finalité. I. 3. L’interprétation des faits À l’époque, les récits de certains auteurs déjà mentionnés ont été largement divulgués, car les exploits du Nouveau Monde suscitèrent un grand intérêt en Europe. Au départ, cette curiosité est satisfaite par les récits généraux des hommes au service de la Couronne espagnole, comme Pedro Mártir de Anglería, dont les écrits offrent très tôt des renseignements sur le jeu de balle et sur le traitement des restes humains par les Cannibales. Anglería n’a jamais visité les terres nouvelles, mais il se trouvait cependant dans une position privilégiée pour obtenir des informations, car il a eu entre les mains les témoignages des découvreurs et a même eu l’occasion de parler avec certains d’entre eux. Les nouvelles du Nouveau Monde sont enregistrées et publiées dans son œuvre où il incorpore des fragments de ce qu’ont vu et décrit personnellement certains hommes qu’il a peut-être connus. Cela lui permet d’affirmer que les habitants de la région des Antilles étaient « … des gens féroces, mangeurs de chair humaine… Cannibales… aussi nommés Caribes... (qui) mangent ... les enfants qu’ils capturent... donnent la mort et découpent les individus d’âge mûr: ils dévorent les intestins et les extrémités des membres… et

8 Il est question de l’importance des os. Pané rapporte que : « il y avait un homme appelé Yaya... et son fils Yayael... Yayael a voulu tuer son père, mais celui-ci l’a exilé pendant quatre mois. Puis il l’a tué, a mis les os dans une calebasse accrochée au toit de sa maison pendant un certain temps. Un jour, comme il avait envie de voir son fils, Yaya a dit à sa femme : « je veux voir notre fils Yayael ». Elle était contente, et elle a décroché la calebasse et l’a renversée pour voir les os de son fils. Mais de nombreux poissons sont sortis de la calebasse, et en voyant que les os s’étaient transformés en poissons, ils ont décidé de les manger (Pané 1987 : 28-29).

9 Duviols, 1985 : 100 ; Willis 1992. La chronique écrite par Caspar Plautius a pour titre : Nova Typis transacta navigatio novi orbis Indiae Occidentalis, Venise, 1621 (Navigatio in Novum Mundum). Il faut revoir le texte de Boyle et un récit de Guillermo Coma, De insulis meridiani arque Indici maris nuper inventis - sur le deuxième voyage de Colomb, imprimé le 13 décembre 1494.

66

Construction d´une vision européen du tzompantli et du tlachco conservent dans du sel les membres eux-mêmes, pour une autre occasion comme nous le faisons avec les cuisses de porc...» (Anglería 1964: 107). Comme Colomb et Álvarez Chanca, Anglería raconte que les découvreurs ont vu une tête accrochée à une poutre et une autre fixée sur la porte d’un magnat, et qu’ils ont pu observer comment les Indiens des îles conservaient des fagots d’os. Il écrit aussi qu’ils ont trouvé sur la terre ferme des cadavres accrochés par des cordes et des piquets d’où pendaient des restes humains et d’innombrables têtes et corps décapités dans certains des villages qu’ils traversaient. Bien qu’il ait considéré que certaines têtes étaient gardées comme trophée, « comme un drapeau ou un casque arraché à l’ennemi », Anglería écrit : « ... il y a… deux sortes de victimes humaines : les ennemis fait prisonniers à la guerre et celles qui sont originaires de chez eux... ». Il explique que dans le premier cas « ... les têtes… pendent comme des trophées des branches de certains petits arbres qu’ils font pousser à cet effet près du lieu de sacrifices... », et que « chaque roitelet cultive dans un champ proche les arbres correspondants qui portent le nom de chaque région ennemie, et où ils suspendent les têtes immolées des prisonniers… ». Il ajoute «… que quand il s’agit d’une [victime] de caractère domestique…, il lui donne un autre traitement après sa mort : ils vénèrent tous les morceaux et placent dans une calebasse les pieds, les mains et les entrailles et l’enterrent devant la porte des temples. Ils brûlent le reste y compris le cœur avec les cendres de sacrifices antérieurs, dans un grand feu, devant les victimes ennemies qui pendent des arbres et qui restent dans ce champ à perpétuité».10 Les écrits de cet auteur mettent en évidence que l’on a totalement oublié qu’une grande partie des restes humains vus par les Européens sont le résultat de pratiques funéraires. Les différences, notées par les découvreurs tels que Colomb, Álvarez Chanca et Pané, entre le traitement funéraire des os des ancêtres et de ceux des victimes sont à peine mentionnées, alors qu’ils font le distinguo entre le trophée de guerre et le plat de cuisine cannibale. L’idée que les restes humains sont le résultat de pratiques anthropophages se répand. Anglería (1964: 592, 598 et 602) parle aussi des jeux que les Européens voient pour la première fois dans les îles, particulièrement le jeu de balle très apprécié des Indigènes de cette région qui y consacrent le temps qui leur reste entre semailles et récoltes. .D’autres documents considèrent le jeu comme un passe-temps. Nous savons que le jeu de balle des îles est appelé batey, dans la langue Taïno-arawako.11 Il se déroulait sur une place trois fois plus longue que large, et lorsque le village était grand, il y avait plus d’un terrain. On sait aussi que, dans cette région, les hommes aussi bien que les femmes jouaient dans des équipes formées de plusieurs joueurs.

Ils frappaient la balle avec les épaules, les hanches et les fesses et les femmes utilisaient les genoux, devant un public assis sur des bancs en bois appelés « dujos », qui faisait des paris (Stern 1966; Ostapkowicz 1998: 56-67). Fernández de Oviedo, qui a apparemment assisté au jeu dans les îles, signale que les balles de caoutchouc du jeu autochtone rebondissent mieux que les ballons employés en Europe (Fernández de Oviedo y Valdés 1979; Carreón 2006: 34). Cette observation montre bien qu’il interprétait le jeu autochtone en fonction de ce qu’il connaissait des techniques du jeu européen. Il y avait à cette époque plusieurs types de balles en Europe : en cuir, coupée en quarts et remplie de poils, une autre farcie de plumes et une faite d’une vessie gonflée d’air.12 La balle européenne que Fernández de Oviedo compare à celle du batey est celle qui est remplie d’air, que l’on utilise à cette époque pour le jeu connu en Italie comme palón ou calcio. Le jeu de batey semble être exclusivement séculier, un jeu de hasard, un passe-temps, un divertissement. Fernández de Oviedo le compare avec certains jeux européens de sa connaissance et précise : « il ressemble au jeu de la chueca, mais, à la place de celle-ci, ils utilisent leur balle ». Il le compare aussi à un jeu qu’il a vu pratiquer par les gentilshommes avec un ballon ou palón en Italie, en Lombardie et à Naples (Fernández de Oviedo y Valdés 1979, livre 6, chap. 2). Il est évident en tout cas que les jeux de ballons européens sont les uniques références culturelles que les Espagnols utilisent pour décrire le jeu de balle des Américains. Cependant, on sait aujourd’hui qu’il s’agissait d’un jeu entouré d’un cérémoniel très strict où s’affrontaient deux groupes ou deux villages sur lesquels on pariait, ce qui leur donnait du prestige. C’était également un lieu où se déroulaient des danses et des cérémonies liées à certains cultes. Jusqu’à aujourd’hui, nous ne possédons aucun document prouvant qu’aux Antilles un joueur ou un spectateur était décapité ou sacrifié à la fin du jeu. Cependant en 1511, quand les Indiens de Porto Rico se soulèvent contre les Espagnols, le chef indigène capture un Espagnol et ordonne à ses hommes de jouer à la balle en promettant que les gagnants auront le privilège de tuer le prisonnier (Stern 1966 : 29-32).13 C’est un renseignement important puisque le jeu de balle est présenté comme le prélude à une mort. Mais il s’agit dans ce cas d’un individu qui ne participe pas à l’affrontement, qui est de plus étranger et prisonnier, et dont la mort pourrait être considérée comme un sacrifice, ce qui remet en question l’idée qu’il n’y avait aucune relation entre le jeu et la mort des 12

Dans l’Europe du XVII siècle, il y a 4 types de balle : 1) celle qui a donné le mot « pelote », faite de cuir, coupée en quart, petite, remplie de poils et appelée trigonal. On joue à ce jeu avec la paume de la main ouverte. 2) Celle appelée follis qui est une vessie gonflée avec laquelle on joue à l’extérieur, dans la rue, ou dans de longs couloirs. 3) La paganina, remplie de plumes. 4) La balle nommée harpasso, ou harpasto avec laquelle on joue comme à la crosse, en courant (Covarrubias 1984). Les jeux européens les plus comparables au bateyulama utilisent la balle appelée follis, remplie d’air. Ce jeu est connu en Italie sous le nom de palón ou calcio, et en France et en Angleterre comme la soule (Stern 1966 : 47-50). Nous ferons référence à ces deux types de jeux : ceux où la balle est lancée avec la main et ceux où on la frappe avec le pied (Wahl 1997). 13 Cette information confirme que les décapités à la suite d’un jeu de balle ne sont pas obligatoirement des participants.

10

Anglería 1964: 115, 183-184, 269, 572-573. Il faut faire la différence entre le traitement que reçoivent les restes des ennemis, qui sont pendus à un arbre à la vue de tous, et les restes des victimes familiales qui sont enterrées. 11 Batey : (mot caraïbe) balle pour jouer, ou le jeu lui-même ; lieu où l’on joue. Aux Antilles, la petite esplanade située devant une maison, ou l’espace où se trouve les maisons dans les sucreries et autres plantations. (Stern l966: 29).

67

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels participants, étant donné qu’il y a aussi une certaine relation au Postclassique tardif chez les Nahuas.

Les relations du Nouveau Monde furent bientôt très connues en Europe, et celles de Vespucci ont une très grande diffusion. Si l’on compare ses écrits avec ceux de Colomb, de Chanca et d’Angleria sur les restes humains, on remarque que les récits, la tradition orale, les anecdotes et les images mentales sont vite diffusées et que les narrateurs s’inspirent les uns des autres. C’est précisément à partir de ces écrits que les caractéristiques des pratiques culinaires des Cannibales sont définies (Mollat 1992 : 186), alors qu’ils confondent les pratiques funéraires pour conserver les restes des ancêtres et les rituels d’initiation du guerrier caraïbe, cérémonies au cours desquelles les têtes, les bras et les côtes des ennemis vaincus devenaient nourriture, mais aussi trophée (Whitehead 1984 : 77). De toute façon, ce sont les interprétations anthropophages qui ont été retenues dans les récits faisant des dépouilles humaines accrochées à des palissades des preuves de cannibalisme.19

I. 4. La confirmation de l’interprétation Américo Vespucci explore le littoral de l’Amérique du Sud14 et note les coutumes des habitants de la zone atlantique. Il décrit plusieurs épisodes intéressants pour cette étude, même s’il ne mentionne à aucun moment avoir assisté à un jeu de balle, ce qui est compréhensible puisque dans la région littorale, il n’y a pas de véritables terrains de jeu de balle, même si l’on sait que l’on y jouait.15 En 1499, Vespucci s’embarque avec Alonso de Ojeda et Juan de la Cosa et, en 1500, passe presque un mois chez les habitants de la côte brésilienne. À son retour, il note ses expériences : on y trouve les pratiques anthropophages auxquelles il a assisté et qu’il importe ici de souligner puisqu’elles sont rapidement connues en Europe et sont à l’origine d’une série d’images reflétant l’imaginaire culturel né de la rencontre avec le continent américain. L’analyse de ces écrits montre clairement les nombreuses coïncidences avec les observations de Colomb, d’Álvarez Chanca et d’Anglería, dont Vespucci a eu tous les écrits entre les mains.16 Ils disent tous avoir vu des morceaux de chair humaine, - jambes, bras, têtes -, et ils font tous allusion à des pratiques culinaires européennes pour décrire ce qu’ils ont vu. En 1493, à propos des Cannibales, Anglería (1964 : 107) écrit: « … ils conservent les membres dans du sel pour une autre occasion, comme nous le faisons avec les jambes de porc… ». Et pour sa part, Álvarez Chanca, dans un texte datant de 1494, consigne que les Indiens faisaient « ... de la boucherie (avec) ceux qu’ils avaient tués, puis les mangeaient.... ».17 Les descriptions sont faites en utilisant toujours les mêmes paramètres, en assimilant les restes humains avec la viande mise à sécher dans le saloir d’une boucherie, ou conservée dans un garde-manger. Vespucci, pour sa part, affirme la même chose et dans les mêmes termes. À diverses reprises, il observe « … les os et les têtes de certains de ceux que (les Indiens)... avaient mangés... »,18 et il explique que dans un village, il a vu « … dans les maisons de la chair humaine salée, accrochée au toit, comme nous le faisons avec le lard et la viande de porc... ». En conséquence, la théorie des restes humains comme preuve de cannibalisme s’est répandue.

I. 5. Mémoire des ancêtres ou boucherie Les écrits des découvreurs et des explorateurs sont à l’origine de l’idée européenne sur la préservation des restes humains liée aux coutumes alimentaires des Cannibales et des autres habitants de la région américaine et ont inspiré les gravures et autres images qui illustrent les récits des exploits et voyages des Européens dans diverses publications du XVIe siècle. Les scènes décrivant en détail les restes humains accrochés aux arbres, maisons et palissades n’étaient pas présentées isolément, mais faisaient partie des descriptions plus générales sur les pratiques anthropophages. On y écrit que pour cuisiner le cou d’un homme, on le cuisait dans une marmite, mais qu’un membre -bras ou jambe- était embroché sur un gril et mis sur le feu comme dans une rôtisserie. On souligne que les morceaux de viande pouvaient être salés ou fumés, de telle sorte que les membres qui pendaient dans l’espèce de saloir faisaient partie d’une « boucherie » dans laquelle on découpait le corps. Les descriptions de ces pratiques anthropophages démontrent que les Européens ont interprété et jugé ce qu’ils voyaient à la lumière de ce qu’ils connaissaient, c’est-à-dire l’image de la préparation, cuisson et conservation de la viande animale dans le Vieux Monde. Il semble que la chair humaine en morceaux, que les habitants du Nouveau Monde dévoraient, était préparée et suspendue par un crochet à un piquet horizontal (saloir) lui-même soutenu par deux perches verticales fixées au sol. C’est le moment opportun pour signaler que cette structure de bâtons ou perche20 a une forme similaire à

14 On attribue à Pedro Álvarez Cabral, la découverte de la côte du Brésil en 1500, une région qui ne sera colonisée qu’en 1531. 15 Des informations démontrent que l’on jouait à la balle plus au sud et que l’on fabriquait des balles de caoutchouc. D’autre part, on retrouve un jeu chez les Tupi Guarani, et dans les groupes Arawaks (Stern 1966 : 11-28, 20 et 100). 16 Fernández de Navarrete dans son étude des écrits de Cristóbal Colon 1999 : 167 avait noté ses coïncidences. 17 Álvarez Chanca 1999 : 173. Document adressé à la mairie de Séville. 18 La lettre dirigée à Lorenzo de Medici, écrite en 1502, dit : « et cela est sûr car nous avons trouvé dans leur maison de la chair pour être boucanée » (Vespucci 1992 : 33). Par contre, dans Le Nouveau Monde, édition d’Augsbourg 1504, on lit : « j´ai vu dans les maisons de la viande humaine salée, suspendue au plafond, comme il est de coutume, chez nous de suspendre du lard et de la viande de porc. » (Vespucci 1992 : 78). Dans un cas, on ne mentionne pas le sel et Anglería semble le premier à le mentionner. Comme le dit Todorov (1992 : xxiii) cela suggère que Vespucci reprend des notes des récits de Colomb, Chanca et Anglería.

19

Il existe d’autres informations de découvreurs et de religieux qui parlent d’anthropophagie et de restes humains empalés. Alonso de Ojeda, Luis Guerra et Juan Niño, en 1499, ont vu comment un Indien a coupé la tête de son prisonnier et l’arbore, plantée sur un piquet comme on le trouve enregistré dans Paesi novamente retrobate de 1507. À son tour, Manuel Da Nobrega en 1549 explique que lorsqu’ils tuent quelqu’un à la guerre, ils le coupent en morceaux et le boucanent pour ensuite le manger. Jacinto de Carvajal écrit que les Caraïbes rapportent chez eux les têtes, bras et côtes de leurs ennemis vaincus comme des trophées (Forsyth 1983: 147-178. Whitehead 1984 : 76-78). 20 Barre très longue et très grosse. Les deux bâtons ronds dans lesquels s’imbriquent les pieux formant les côtés de la caisse dans les carrosses

68

Construction d´une vision européen du tzompantli et du tlachco celle d’un gibet ou d’un tzompantli. Le fait que, dans les trois endroits, boucherie, lieu de châtiments et lieu de sacrifices, on conserve et montre des parties du corps découpé, têtes, bras et jambes, animaux ou humains, a influencé la compréhension de ce que devait être un tzompantli. Les pratiques liées à cet espace ont été mal interprétées, d’abord en lui attribuant les caractéristiques d’une boucherie et ensuite en le confondant avec le lieu de châtiment des condamnés.

premiers à fouler le sol américain fussent sûrement connues des conquistadors et, dans un premier temps, leur ont permis d’interpréter ce qu’ils voyaient chez les habitants du centre du Mexique, il faudra également tenir compte de la tradition orale et des légendes. Plusieurs images complètent les premières éditions des écrits de Christophe Colomb et d’Américo Vespucci, illustrant quelques-uns des faits qu’ils ont vécus. Pour étayer la théorie selon laquelle les pratiques sacrificielles et funéraires des Américains ont été perçues lors de l’expérience antillaise comme faisant partie d’une boucherie, nous ferons uniquement référence aux toutes premières images des Indiens américains représentés à côté de restes humains accrochés à un piquet, à un toit ou à un arbre.22 Un des premiers exemples est une xylographie coloriée sur une simple feuille, faite par un artiste anonyme en 1505 et imprimée par Johann Froschauer, à Augsburg (Sturtevant 1992: 338-339, Greenblatt 1991: 85). On y distingue des hommes, des femmes et des enfants habillés de pagnes et de coiffes en plumes ; certains mangent des jambes et des bras humains sous un toit fait de morceaux de bois d’où pendent une tête, un bras et une jambe (Fig. 56). On admet généralement que les lignes accompagnant l’image, écrites en allemand,23 paraphrasent ce que Vespucci a écrit dans une lettre de 1502 dirigée à Lorenzo de Medicis (Milbrath 1991 : 189 ; Vespucci 1992 : 29, 33), et l’on estime donc que la gravure illustre ce que le découvreur a vu sur les côtes du Brésil. On ne peut cependant pas oublier que ce qu’il décrit l’avait été antérieurement par Álvarez Chanca et répété par Anglería, dans des termes presque identiques, reprenant ce que Colomb avait dit. Ont-ils donc tous assisté de visu à la scène de cannibalisme qu’ils décrivent ? Le plus important n’est sûrement pas de savoir qui a décrit la scène figurée sur cette gravure, mais qu’à partir de descriptions et de représentations de cette sorte se soit formée une conception visuelle des coutumes alimentaires des Américains et que cette conception ait perduré. Elle a servi de modèle pour de futures gravures imprimées à Anvers, et se reflète dans une gravure qui illustre les récits de Vespucci dans Mundus Novus, lettre publiée à Leipzig ou à Nüremberg en 1505 ou en 1506 où il décrit ses quatre voyages.24

I. 6. Les images de la Découverte Jean Paul Duviols déclare, et nous l’avons constaté, que le cannibalisme alimentait la représentation iconographique du Nouveau Monde (Duviols 1991: 114). Les hommes qui conçoivent les premières images de la découverte du nouveau continent et qui décrivent la rencontre des Européens et des Américains se basent sur les écrits et les expériences des découvreurs et des explorateurs. Dans l’Europe du XVIe siècle, on trouve nombre de gravures illustrant les récits de voyage et les vignettes des cartes élaborées pour situer le Nouveau Monde, ses habitants et ses biens. On y trouve les images de personnages en train de manipuler, de cuisiner et de manger de la chair humaine, surtout des têtes, des jambes et des bras suspendus à des perches, des arbres, des toits et des saloirs de bouchers. Ces images reflètent la pensée des découvreurs et de leurs successeurs, et permettent de comprendre l’évolution du processus d’interprétation des restes humains aux XVIe et XVIIe siècles. Cela dit, les restes humains accrochés à des piquets et pendus à des arbres que les Européens ont vus dans les îles et sur la côte de l’Amérique du Sud peuvent être considérés comme un premier imaginaire du tzompantli, non pas parce que ces pratiques d’exposition sont l’antécédent du tzompantli des Nahuas, mais parce qu’il s’agit de la première référence visuelle à ce que les conquistadors verront par la suite au Mexique. On peut penser que les conquistadors avaient à l’esprit les expériences et les interprétations des faits vus par leurs prédécesseurs, les découvreurs. Ces hommes, qui passent d’abord par les Antilles avant d’arriver en terre ferme, connaissent les péripéties de la découverte et de l’expérience antillaise. À leur tour, ils vont formuler des interprétations des restes humains et des jeux de balle qu’ils découvrent lors de leur arrivée dans la région. Ils ne connaissent probablement pas les écrits d’Angleria, de Colomb, d’Alvarez Chanca et de Vespucci, ni les images issues de leurs récits que nous étudierons plus tard.21 Bien que les expériences des Européens qui furent les

22 Il faut noter qu’outre les images que nous verrons plus loin, sur ces cartes ou sur d’autres, dans des récits, des peintures ou des gravures, on voit représentées beaucoup d’autres scènes de cannibalisme. Jean Paul Duviols a écrit et donné des conférences sur ce thème (Duviols 1985 et « Las alegorías de América del siglo XVI al XX » Conférence 2007). Pour notre part, nous nous centrons sur les scènes de cannibalisme où figurent également une palissade ou un arbre avec des restes humains. 23 Texte de la gravure : « Ainsi les habitants sont nus, beaux, bruns, ils ont un corps bien formé ; leur tête, leur cou, leurs bras, leurs parties ainsi que les pieds des hommes et des femmes sont légèrement couverts de plumes. Les hommes ont aussi de nombreuses pierres précieuses sur le visage et la poitrine. Nul ne possède quoi que ce que ce soit, car tout est commun. Les hommes ont autant de femmes qu’il leur plait : mères, soeurs ou amies, ils ne font aucune distinction. Ils se battent aussi les uns contre les autres et se mangent entre eux, y compris ceux qui ont été tués et dont ils suspendent la chair au-dessus de la fumée. Ils vivent jusqu’à cent cinquante ans et n´ont point de gouvernement. » (Milhou 2000 :156, fig.127). On connaît deux exemples de cette gravure, l’une à la New York Public Library, l’autre à Munich. 24 Dans ce document, Vespucci décrit « la viande humaine salée,

et les chariots. Morceau de bois placé verticalement entre les montants d’un théâtre et où l’on place les lumières pour éclairer la scène. Armatures des perches qui dans les saloirs servent à accrocher la viande à l’air libre pour en faire de la viande séchée (Diccionario de la lengua española 1992). 21 Comme le dit Leonard Irving (1996: 46-47), il est probable que des ouvrages comme les Décadas de Pedro Mártir de Anglería « ne constituent pas la lecture habituelle des soldats qui en général ignoraient même son existence. Les plus instruits s’intéressaient à une autre sorte de littérature. » Cependant, l’intensité et la rapidité des nouvelles, la communication entre les hommes instruits de différents pays, la traduction des récits de voyage et l’imprimerie contribuent à la diffusion des nouvelles et des images des explorations (Mollat 1992 : 184 et 240241).

69

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels découpage d’un corps.28 Sans s’attarder davantage sur les scènes de cannibalisme, il serait intéressant de rechercher les auteurs des dites scènes. Les spécialistes précisent que les marges, les cartouches et les vignettes de la Carta… de Waldseemüller semblent être dues à la main d’un artiste de l’école d’Albert Dürer (Shirley 1983: 46-47). Les habitants du Nouveau Monde et leurs pratiques anthropophages sont dessinés sur plusieurs cartes et planisphères du XVIe siècle et dans une certaine mesure, les gravures de la carte de Waldseemüller semblent avoir servi de modèles. Par exemple, Lorenz Friess publie à Strasbourg en 1522 une nouvelle édition de Ptolémée. Parmi les cartes de cet ouvrage, on en trouve une de la « Terre Neuve » dans laquelle on remarque des scènes de cannibalisme très semblables à celles décrites plus haut : le chien, la rôtisserie, et les personnages mangeant sous un arbre d’où pendent des dépouilles humaines. Dans ce document, la scène est à l’envers et on y a ajouté un autre personnage qui porte un corps humain sur son dos. Dans sa Carta Marina Navigatoria Portugalien. Naviga..., version réduite de la Carta de Waldseemüller et qui fait partie de l’ouvrage Uslegung der Mercarthen oder Cartha Marina publié en 1525, Friess a de nouveau inclus les mêmes scènes de cannibalisme (Lestringant 1997 : 17-18 et 193, note 14). Sur le continent américain, dans la région du Brésil, le chien et les Cannibales sont représentés sous un arbre où sont accrochés des restes humains, mais la scène d’anthropophagie de la région des îles Moluques est représentée d’une manière différente.29 On y observe un homme découpant un corps humain sur une table, une femme qui s’en approche et un enfant derrière elle qui porte un plat (Fig. 58). Il faut souligner que les anthropophages des Moluques sont habillés, portant chapeaux et tabliers, alors que les Cannibales d’Amérique sont juste vêtus de pagnes et de plumes, ce qui montre que les deux groupes sont appréhendés de manière différente.

La façon de représenter la cuisine cannibale qui pend d’une palissade servant de toit, coexiste avec une autre représentation où les restes humains sont accrochés à un tronc ou à un arbre, peut-être pour souligner le côté champêtre des Cannibales et montrer une autre façon de conserver la viande qu’ils mangeaient. En tout cas, c’est ainsi que Jan van Doesberg le représente sur une gravure à Anvers en 1520, et on la retrouve dans d’autres éditions de l’ouvrage de Vespucci (Duviols 1985 : 166). L’image représente une famille de Cannibales, lui portant une lance, elle s’occupant des deux enfants, à côté d’un tronc d’arbre d’où pendent une tête et une jambe que le feu est en train de boucaner, nous laissant entendre qu’il s’agit d’une scène de la vie quotidienne. I.6.1. L’arbre cannibale Les récits de Vespucci attirent l’attention du Gymnase Vosgien, un groupe d’intellectuels qui actualise et produit un atlas fondé sur la Geografía de Ptolémée et les habitants du Nouveau Monde décrits dans ces récits, appelés « Quatre Voyages » font donc partie de la Cosmographie…,25 publiée pour la première fois à SaintDié en 1507, ouvrage qui contient aussi le planisphère du cartographe Martin Waldseemüller.26 À cette époque, Waldseemüller se consacre à la production de cartes qui enregistrent les découvertes des Européens en terres inconnues, comme la Carta marina navigatoria publiée à Saint-Dié en 1516 où il note les récits des voyages espagnols et portugais, et inclut de nombreuses images où l’on remarque des scènes d’anthropophagie qui se situent au Brésil et aux îles Moluques. Pour l’Amérique du Sud, il est écrit Terra canibalor, avec la représentation d’un chien, en référence évidente aux Cannibales. On y voit aussi une double scène d’anthropophagie: 27 une personne assise devant un feu et préparant une jambe ou un bras sur un gril, et un homme et une femme qui semblent dévorer un bras à côté d’un arbre, que nous appellerons « l’arbre cannibale », d’où pendent une tête et des extrémités, un bras probablement, une jambe ou un pied (Fig. 57). Dans cette même carte, mais dans la région appelée Java, il y a une autre scène d’anthropophagie, où l’on assiste au

I.6.2. Le saloir Freiss a aussi inclus dans le Uslegung… une gravure où les anthropophages sont présentés comme des cynocéphales, reprenant, semble-t-il, les premières théories de Christophe Colomb. L’insertion de l’hommechien dans le Nouveau Monde correspond à l’adaptation des mythes de l’Antiquité classique à une situation nouvelle : dans l’imaginaire de l’Occident, les cynocéphales sont très nombreux et fréquemment représentés, par exemple dans la Chronique de Nürenberg et dans le Livre des merveilles de John de Mandeville (Duviols 1985 : 35). La gravure de Freiss représente quatre personnages chiens, ou chiens anthropomorphes dans des actes cannibales, et associe

suspendue au plafond comme du lard ou de la viande de porc (Sturtevant 1992: 338). 25 Cosmographiae introductio 1507 (Vespucci 1992 : 85-128). Il n’est pas question de restes humains dans ce texte, mais il est dit qu’ils attaquent un jeune et le dévorent, et cette scène est largement illustrée. 26 Cosmographie introductio cum quibu dam geometraie ac astronomae principiis ad eam rem necessariis. Insuper quattuor Amerigo Vespuccii navegationes (Bedini 1992: 729-731). C’est avec cette carte que débute la proposition d’attribuer à Amerigo Vespucci l’honneur d’avoir découvert l’Amérique, et le Nouveau Monde y est baptisé Amérique. 27 De nombreuses cartes régionales et planisphères ont été élaborés entre 1492 et 1516, et sur un grand nombre d’entre elles, on mentionne et localise les Cannibales. Certaines cartes du Nouveau Monde, antérieures au planisphère de Waldseemüller, mentionnent par écrit la localisation des Cannibales qui peuplent le Nouveau Monde. Cette carte n’est pas la première à inclure des scènes explicites de cannibalisme. La carte Kuntsman II, de 1501-1502, montre sur la zone américaine, une scène où un personnage grille sur le feu un corps empalé sur un bâton, comme une rôtissoire (Alegria 1978: 61). Il semble que cette image fasse référence au récit de Vespucci qui raconte qu’ils grillent et dévorent un jeune Européen très beau (Shirley 1983: xxii et xiv).

28 Vasco de Gama arrive à Calicut en 1500 et Fernando de Magellan voyage dans la région en 1511. Entre 1519 et 1522, Magellan fait son tour du monde avec Antonio de Pigafetta qui écrit qu’après la mort de Magellan, il trouve des îles habitées par des gens qui mangent de la chair humaine : les îles Sulach, Ambon, l’île Mallua entre autres îles de la région (Pigafetta 1934: 181-184). 29 Cette scène est très semblable aux scènes de sorcellerie et de prémonition. Voir « Magos destripando una cabra » dans l’édition allemande de Pétrarque, De Remediis Utriusque Fortunae apud Robbins 1981 : 140.

70

Construction d´une vision européen du tzompantli et du tlachco clairement l’anthropophagie des Antillais avec la soidisant apparence canine des peuples de l’Orient lointain (Lestringant 1997 : 18-19) (Fig. 59). On y observe comment deux Cannibales cynocéphales découpent un corps. Le troisième, un fouet à la main, conduit vers eux un animal qui pourrait être un lama sur lequel est attachée une personne, pendant qu’une femme dévore un bras humain. Il y a derrière eux une palissade faite de trois piquets, une sorte de saloir d’où pendent des restes humains, un bras et une jambe. On y apprécie aussi une façon d’exposer des restes humains semblable à celle d’autres gravures faisant partie des récits de voyages généraux. Sur une image de l’ouvrage de Jean Mocquet de Meaux, Voyages en Afrique, Asie, Indes orientales et occidentales de 1617, on peut observer un couple de Cannibales en train de manger et, à côté d’eux, un saloir d’où pendent un bras et une jambe en processus de boucanage au-dessus d’un feu (Duviols 1985 : 166 - 167). Toutes ces images prouvent que les coutumes gastronomiques des Cannibales ont été représentées, conçues et visualisées pendant de longues années comme une boucherie ou un garde-manger.30 On en trouve un curieux exemple dans une gravure de l’édition française du Voyage autour du monde de Woods Rogers (1716) où sont représentés les habitants du Brésil (Duviols 1985 : 438). Derrière une femme qui repose dans un hamac, pendent des marmites, des poissons et du raisin, accrochés aux arbres par une corde. La nourriture est donc représentée de la même manière que la chair humaine que les autres hommes américains dévorent. Pour recréer les scènes de cannibalisme des cartes et des récits de voyage, les auteurs ont probablement eu recours à des images issues d’autres contextes, propres aux Européens. Dans certains cas, il semble qu’ils se soient appuyés sur les illustrations des livres de châtiments des sorcières ou des martyres des saints et qu’ils les aient recomposés dans un contexte où leurs fonctions originelles se sont diluées. Les scènes de rôtisserie et de gril des Cannibales renvoient dans bien des aspects aux martyres de Saint Isidore et de Saint Laurent, et sont très reconnaissables (Monterrosa Prado et Talavera Solórzano 2004). Nous trouvons chaque fois des fragments d’images de violence provenant de plusieurs sources que ces artistes et graveurs ont réunis pour illustrer les pratiques cannibales dans les cartes et les planisphères. Pour finir, il faut ajouter à ces représentations de la cuisine cannibale faites à partir de modèles établis par des artistes et des graveurs européens, une image novatrice que l’on ne trouve pas dans l’iconographie européenne : celle des restes humains accrochés à des palissades, des arbres ou des branches.31

I.6.3. La tonnelle La manière de présenter et de garder les restes humains dans le saloir d’une boucherie n’apparaît pas dans toutes les cartes et planisphères des XVIe et XVIIe siècles. Avec le temps, le lieu où l’on trouve les dépouilles humaines d’un festin cannibale est représenté de manière différente, mais on y retrouve les mêmes éléments : des personnages cuisinant et dévorant de la chair humaine. Bien qu’il s’agisse de documents tardifs, il est important de souligner que les dépouilles sont suspendues aux branches d’un arbre, dans une tonnelle et non pas dans un saloir, ce qui montre la métamorphose de la conception européenne de la nourriture cannibale. Les images qui illustrent les récits de Bernardo Buil et de Vespucci montrent des têtes, des mains et des pieds accrochés à des troncs d’arbres, comme celles de la Carta Marina de Waldseemüller. On retrouve quelque chose de très semblable dans la carte de Sebastian Münster publiée à Bâle en 1532, dans le Novus Orbis….32 On y voit une scène élaborée de cannibalisme qui, dans une certaine mesure, renvoie au même thème que l’image de l’Uslegung... de Friess : un personnage guide un cheval avec une personne attachée dessus vers un autre personnage qui fait cuire des morceaux de viande sur un feu. Dans une autre scène, deux personnes découpent un corps humain avec une grande hache, à côté d’une espèce de cabane ou tonnelle faite de troncs et de branches d’arbres,· où sont suspendus des restes humains faisant partie du régime cannibale : deux têtes, une jambe et un bras (Fig. 60). Cette scène complexe est attribuée à Hans Holbein le jeune, qui, à cette époque, collaborait avec les éditeurs de Bâle (Carolus 1999 : 301). On la retrouve dans plusieurs éditions du Novus orbis… de Münster, dans les éditions de 1537 et 1555 (Shirley 1983 : 75; Duviols 1977 et 1985). Curieusement, dans d’autres cartes du même cosmographe, tous les détails de ce festin culinaire ne sont pas forcément représentés. Dans certains exemples, il n’y a que la cabane de branchages d’où pendent les restes humains, mais les Cannibales eux-mêmes ne sont pas figurés : autrement dit, il n’y a que leur nourriture (Fig.61). Dans une autre carte appelée Novae Insulae qui accompagne la Geografía de Ptolomeo, publiée à Bâle en 1540 et rééditée en 1544, on trouve cette image placée sur la région du Brésil (Carolus 1999 : 299, fig. 201). Une présentation très similaire se trouve dans des documents antérieurs attribués à Hans Burgmair le Vieux. La même représentation se retrouve dans l’édition de 1508 de l’ouvrage Die reyse van Lissebone om te varen na dat eylandt Naguaria in groot Indien gheleghen voor bi Callicuten, dans un récit de voyage de l’Allemand Balthasar Springer,33 revenu d’Amérique en 1506. On ne trouve pas dans ces exemples la palissade formée

30 Le cannibalisme ou anthropophagie a toujours été une pratique courante. Certains cas ont été rapportés en France pendant les guerres de religion (Monestier 2000 : 127-128). Un exemple américain dans De Bry 1997 livre 7, enregistre que dans le campement de Pedro de Mendozales, des Espagnols affamés ont mangé trois pendus, après les avoir fait cuire. Il faudrait également citer les références qui disent que les Indiens ont peur des Espagnols car ils mangent les enfants. 31 Il semble que les éditeurs des cartes, pour faire des dessins, des cadres et des légendes, ont pris modèle sur des choses existantes, et que, pour représenter les pratiques cannibales, ils ont été obligés de produire une image. Cette affirmation repose sur une révision de Strauss 1971,

mais il faudrait approfondir la recherche. 32 Typus Cosmographicus Universalis, qui fait partie du Novus Orbis Regionum ac insularum veteribus incognitarum una cum tabula cosmographica…, Shirley 1983 : 74-75. 33 Balthazar Springer, « Welcke reyse gheschiede door den wille ende ghebode des alder doorluchtichsten Coninics de Portugale Emanuel » Die reyse van Lissebone om te varen na dat eylandt Naguaria in groot Indien gheleghen voor bi Callicuten, 1508, chap. 32, folio 26 apud Carolus 1999 : 299.

71

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels américains sont des anthropophages.35 C’est pour cette raison qu’ils conservent les restes humains sur une sorte de palissade, les jambes, les bras et la tête qui deviendra le symbole figuratif de l’Amérique cannibale. Sur plusieurs cartes et dans les premières représentations personnifiées du continent américain, on voit l’Amérique isolée, sur un frontispice ou dans un paysage au milieu des Cannibales, portant dans ses mains une tête coupée. Cette représentation liée au cannibalisme va perdurer, et ce stigmate l’accompagnera dans tous les contextes.36 Dans un autre ouvrage d’Abraham Ortelius, le premier atlas moderne appelé Le théâtre du monde de 1564, et dans des images allégoriques du continent américain des XVIIe et XVIIIe siècles, l’Amérique est représentée comme une femme couchée ou debout, avec un arc et une flèche à ses côtés et une tête coupée dans sa main ou à ses pieds. Toutes ces représentations ont conduit à une première homogénéisation des Indiens américains, et à l’idée que tous mangeaient de la chair humaine et conservaient les restes humains qu’ils consommaient accrochés à des piquets ou à des arbres. Il faut y ajouter d’autres images où apparaît une tête coupée, certaines dans le contexte de scènes cannibales (Honour 1976 : 8998 ; Milbrath 1991: 203-208). Le dessin de Paolo Farinati (1524-1606) est un des plus explicites: aux pieds d’Amérique se trouve une tête humaine et sur une gravure de Philippe Galle (1579-1600) la personnification tient la tête par les cheveux. C’est à partir de la description d’Amérique par Cesare Ripa dans son ouvrage Iconología de 1603, dictionnaire des allégories, que l’image d’Amérique se renforce et qu’il est expliqué pourquoi elle porte une tête : « le crâne humain qu’elle écrase du pied montre bien comment ces barbares ont l’habitude de s’alimenter de chair humaine, en mangeant ceux qu’ils ont vaincus à la guerre, ainsi que les esclaves qu’ils achètent et d’autres victimes, suivant l’occasion ».37 Il faut aussi signaler que dans l’édition allemande de 1758-60 de l’Iconología, d’autres éléments ont été ajoutés à l’image d’Amérique propageant la croyance généralisée que tous les hommes américains sans exception sont cannibales et gardent la viande qu’ils consomment suspendue à des piquets. Le texte indique que la tête coupée que tient Amérique renvoie au cannibalisme, de même que les piquets dressés à ses côtés d’où pendent un bras et un cuir chevelu humains.38 La description et l’image d’Amérique avec toutes leurs variantes ont servi à représenter tous les Indiens du

par deux piquets verticaux et un piquet horizontal, auquel les restes sont accrochés comme dans un saloir, ni celle représentée comme un arbre. On trouve à leur place une autre manière de représenter la nourriture des Cannibales, accrochée à des branchages formant une cabane. Il est évident que nous sommes face à une conception particulière de la cuisine cannibale, représentée de façon figurative. On la retrouve dans plusieurs cartes de l’époque, toujours associée à d’autres éléments caractéristiques : un arbre, un piquet ou une structure de bâtons de bois d’où pendent des restes humains. Dans la carte de Diogo Homem, cartographe portugais, datant de 1558 (Nebenzhal 1990: 120), on distingue la scène de la rôtisserie et, à côté de personnages occupés à différentes activités, un épais tronc d’arbre avec de longues branches droites d’où pendent des restes humains comme des baguettes verticales. Le même genre de scènes situées à l’intérieur des terres d’Amérique du Sud se retrouve sur la carte d’Abraham Ortelius et sur celle de Gérard Mercator. Sur la carte du monde de Mercator, Nova et Aucta Orbis Terrae Descriptio de 1569 (Nebenzhal. 1990 : 128-129), on observe plusieurs scènes de cannibalisme qui, dans une certaine mesure, reprennent les scènes élaborées auparavant par Waldseemüller. On y voit la silhouette du chien qui symbolise la condition de Cannibale, une scène de rôtisserie, un acte de découpage et un arbre duquel pendent des parties de corps humain. D’autre part, sur le planisphère d’Ortelius, Novus Totius Terrarum Orbis, (Nebenzhal 1990 : 122-123) publié en 1564, on trouve aussi des scènes cannibales intéressantes, comme celle de la rôtisserie et du découpage d’un corps humain. Au fond, se dresse l’arbre d’où semblent pendre des membres humains difficiles à distinguer. L’analyse des images de la cuisine cannibale de l’époque de la découverte est une étape obligatoire, car le fait que les Européens aient représenté la nourriture cannibale accrochée à un saloir, à des branchages ou à un arbre, a contribué à la confusion et à l’amalgame avec d’autres manifestations où l’on gardait et exposait des parties de corps humain, comme le tzompantli. Quand les conquistadors arrivent sur le territoire mexicain et en voient un, ils l’identifient comme une preuve de pratiques anthropophages de ses habitants, répétant des clichés établis préalablement par les découvreurs. Cependant, ils auront par la suite une autre approche. I.7. L’Amérique cannibale L’objectif de cette partie de la recherche n’est pas de faire une liste, ni d’étudier toutes les scènes d’anthropophagie des cartes et plans du XVIe siècle.34 Il s’agit de souligner que, dans les publications du XVIe siècle, se développe l’image du Cannibale américain qui fume et accroche la viande qu’il consommera à des piquets de bois ou à des arbres, et cette conception largement diffusée fait que, pour les Européens, tous les hommes et les femmes

35 Neil L. Whitehead (1984: 69-88) explique que le terme Cannibale est utilisé pour obtenir des esclaves car un décret affirmait que seuls les Amérindiens Cannibales pouvaient être réduits en esclavage. Anglería accuse toute la population amérindienne d’être cannibale, comme Vásquez de Espinosa le fait pour les habitants du Mexique, de Colombie et d’Équateur. 36 Duviols 2007. Idee Europa 2003 : 109. Couleurs de la Terre 1998 : 74-75. Honour 1975: 84-117. 37 Dans l’édition de 1645 de Venise, l’image possède les mêmes éléments. La versión de Ripa de 1603 de Rome dit : « la tête qu’elle a derrière les pieds (Amérique) a été placée là pour démontrer que ces peuples sont inhumains, mangent de la chair humaine : ils mangent tous ensemble les prisonniers de guerre » (Zavala 1994: 34). 38 Curieusement Ripa (1971 : 105) écrit qu’il porte un crâne, mais toutes les représentations montrent une tête. La relation crâne/tête a déjà été soulignée.

34

Il y a des scènes et des évocations du cannibalisme sur plusieurs cartes, mais, dans ce travail, on ne fera référence qu’aux scènes où est représentée l’allégorie Amérique dans le cadre des pratiques anthropophagiques, c’est-à-dire accompagnée de Cannibales et de restes humains accrochés à un bâton, un arbre, ou une structure en bois.

72

Construction d´une vision européen du tzompantli et du tlachco continent américain. Cependant, dans d’autres représentations, les caractéristiques et les traits particuliers de chaque groupe ont été pris en compte.39 Il est évident que la tête dans les mains ou sous les pieds d’Amérique et les restes humains qui pendent des perches ou des arbres ne font pas seulement allusion aux habitants des îles et de la côte d’Amérique du Sud où les Européens ont vu pour la première fois les pratiques anthropophages. Ils constituent les éléments caractéristiques de l’allégorie d’Amérique. Mentionnons un dernier exemple : la sculpture de pierre d’Amérique, datant de 1664, située à l’ouest du parterre nord du jardin de Versailles.40 La sculpture, conçue par Charles Le Brun, inspirée par la proposition de Ripa, est l’œuvre de Gilles Guérin. Amérique y réunit tous les éléments qui la caractérisent, dont la tête humaine coupée sous son pied droit. L’allégorie d’Amérique, comme le déterminèrent Ripa et d’autres artistes, laisse entendre que tous les Indigènes américains étaient cannibales et que les restes humains qu’elle porte et qui sont accrochés à des piquets et à des branchages à ses côtés sont des exemples de leur gastronomie. Ces images reflètent l’interprétation européenne des pratiques funéraires des habitants de la région antillaise qui impliquent la préservation des os. Mais, lorsqu’ils mélangent cette interprétation avec l’idée d’ingestion de chair humaine dans un contexte rituel, la fusion donne libre cours, lors de la Conquête et de l’Évangélisation, à un grand nombre d’interprétations erronées et de confusions. Les Européens ont pensé que les pratiques cannibales vues dans les îles et sur la côte d’Amérique du Sud étaient généralisées dans tout le continent américain. Par exemple, sur une vignette d’une carte du continent faite par Pierre Vander qu’abrite la collection De Golyer, SMU, Dallas, Texas, on voit derrière Amérique qui a la tête à ses pieds, la représentation d’autres Américains préparant et mangeant de la chair humaine, laissant ainsi entendre que ce sont les coutumes de tous les habitants du continent représenté sur la carte. Les pratiques et les coutumes funéraires et sacrificielles des différents peuples américains se mélangent avec les images européennes représentant et personnifiant les habitants du continent américain, et donc le cannibalisme, L’exposition de dépouilles humaines et le tzompantli deviennent le patrimoine partagé de tous ces peuples. Par exemple, sur l’image du XVIIe siècle de Crispijin de Passe (Honour 1975 : 88-89), on voit non seulement Amérique tenant par les cheveux une tête coupée, mais aussi un personnage masculin qui lui donne deux autres têtes coupées, à côté d’eux un récipient où cuisent une main et une jambe, et à l’horizon les ébauches des coutumes cannibales antillaises. Curieusement, l’artiste inclut aussi des références aux pratiques des habitants du centre du Mexique auxquelles ont été confrontés les

conquistadors à leur arrivée en terre ferme. Au sommet de la plateforme, il représente les sacrifices et les rituels et une longue palissade de piquets surmontés de têtes, qui rappellent les condamnés au pilori. Cette représentation fait référence à plusieurs pratiques. Dans cet exemple, les dépouilles humaines accrochées ne sont pas seulement de la viande que les Cannibales antillais consommeront, mais elles semblent aussi être des preuves des sacrifices des habitants du Centre du Mexique et vice-versa. I.8. Les cynocéphales dans les cartes Colomb et certains de ces successeurs croyaient que les Indigènes des Antilles et des régions de la côte du Brésil étaient Cannibales et qu’il devait y en avoir également dans le territoire qui portera par la suite le nom de Mexique et dans tout le reste du continent. Guillaume de Testu, sur la carte de la côte de Floride de la Cosmographie Universelle de 1556, situe la région nord du continent : on y voit deux hommes-chiens armés de bâtons face à deux êtres canins, dans un paysage où il y a aussi des êtres humains.41 Il semble donc que la terre ferme américaine soit peuplée de Cannibales et de cynocéphales/anthropophages. C’est en tout cas ce que laisse entendre ce dernier exemple : un cartographe ottoman de 1513 (Fig. 62)42 dessine sur le tracé de la côte de l’Amérique du Sud et des îles, un couple d’hommes-chiens en train de danser, et d’autres êtres fantastiques acéphales. La situation des Cannibales sur les cartes suggère que leur domaine s’étendait de la région antillaise à la côte de l’Amérique du Sud, à la Floride et au Mexique. Il semble que l’imaginaire européen les ait transportés dans tous les confins du continent américain.43 Les images du continent américain et de ses habitants furent conçues en général par des artistes et des graveurs européens qui ne connaissaient pas la région, et qui ont transposé leurs rêves de paradis terrestre, d’âge d’or, de richesse et de fantaisies du passé primitif et de l’Antiquité européenne. Cependant, ces images reflètent aussi leurs plus grandes peurs comme l’anthropophagie, les Cannibales et les hommes-chiens (Honour 1975; Milbrath 1991: 183).44 Les successeurs de Colomb et de Vespucci 41 Mollat et Ronciere 1984 : 233. Remarquons que l’un d’eux semble avoir une tête de sanglier et non pas de chien. 42 Mollat et al. 1984: 232. L’amiral ottoman Kemal Re´is capture un navire espagnol qui a des cartes. Il les donne à son neveu Piri Re´is qui fait en 1533 un mappa mundi où sont enregistrés les premiers voyages de Colomb, de Ojeda et de Vespucci (Brotton 1997: 108-114). 43 Sur ces cartes, les Cannibales et leur nourriture ne sont pas représentés sur les îles, ils sont soit dans des vignettes, soit sur l’Amérique du Sud, en particulier sur le Brésil, une région qui n’est pas colonisée avant 1531. Les jésuites Hans Staden (1553) et Jean de Léry (1578) écrivent à ce sujet. Leurs récits ne sont donc pas des sources d’information pour les cartes antérieures au milieu du XVIe siècle. Bien qu’ils soient représentés en Amérique du Sud, cela ne veut pas dire que les Cannibales sont présents uniquement dans cette région, mais que c’est la plus grande région connue et donc celle qui occupe la plus grande place sur la carte (Forsyth 1983). D’autre part, il faut noter que le mot Cannibale est fréquemment écrit sur les cartes. Par exemple sur celle de Bartolomé Colomb et Alejandro Zorzi de 1503-1516 et que l’on écrit « cannibali ». Sur la carte de Gregor Reisch de 1515, sur le Brésil, il est écrit : « Antropofagy maxima ». Certains documents situent les Cannibales au Nord du Mexique. 44 En tout cas, ces représentations des Amérindiens comme des cynocéphales sont liées à des concepts qui remontent à l’Antiquité et à

39

Honour 1975: 90. Voir aussi Cuadriello (2000 : 123-150 ) pour avoir un bon exemple. Au départ, Amérique est représentée avec des éléments caractéristiques des Indiens Tupi d’Amérique du Sud, mais par la suite ses vêtements comportent des éléments propres aux Indiens d’Amérique du Nord. 40 La sculpture d’Amérique, une des quatorze élaborées par Le Brun et exécutées par divers artistes, fait partie de la Grande Commande de 1674 de Louis XIV.

73

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels morts étaient jetés dans le patio voisin ». À partir de ce moment, les Européens qui pénètrent dans la région et trouvent un endroit avec des restes humains accrochés à des palissades ou à des pieux vont évidemment dire qu’il s’agit d’un lieu pour procéder aux châtiments comme le sont le gibet ou le pilori sur un échafaud. Ce sont précisément ces idées préconçues qui conduisent les conquistadors à interpréter les pratiques sacrificielles des Indigènes en faisant référence aux châtiments européens. Ce jugement se répète à d’autres moments de la Conquête et a été formulé par d’autres Espagnols arrivés dans la région maya. Par exemple, quand Francisco Montejo Père trouve sur la place centrale d’un village un mât haut comme celui d’un navire, il en déduit que c’est le lieu où les criminels et les adultères sont attachés et fouettés (Blom 1971: 55). Comme on le verra par la suite, cette interprétation reviendra postérieurement, pendant la Colonie, dans les écrits des évangélisateurs, quand ils se réfèrent à des lieux et à des actes similaires. Elle démontre les nombreuses erreurs et distorsions de la version européenne concernant l’exposition des restes humains sur le continent, et diffère de celle qui considérait les dépouilles humaines comme des preuves de la cuisine cannibale. Mais elle est avant tout l’un des facteurs responsable de la version selon laquelle le tzompantli (palissade portant des restes humains) recevait les têtes des joueurs punis pour leur défaite et était en relation avec le tlachtli. Ils interprètent ce qu’ils voient comme des preuves de châtiment, et imposent le terme « sacrifice » pour désigner les cadavres, crânes et ossements trouvés sur le sol près des idoles (Gruzinski et Bernand 1988 : 16), même s’il est important de préciser qu’ils les considèrent aussi comme des preuves de cannibalisme. Ce fait est confirmé dans l’Itinéraire de voyage de l’aumônier Juan Diaz qui décrit la seconde expédition, celle de Juan de Grijalva. Lors de cette expédition, les Espagnols arrivent à Cozumel, à Campeche, jusqu’au fleuve Grijalva et à l’île de Sacrificios. Dans l’île de Cozumel, ils aperçoivent des tours, dont l’une très grande sur laquelle monte Juan de Grijalva: « ... à l’intérieur, il y avait des statuettes, des os et des cenis, qui sont des idoles qu’ils adorent… ». Plus tard, dans l’île de Sacrificios, ils reconnaissent d’autres édifices « avec des idoles sur les marches… » et observent qu’« il y avait six ou sept cadavres d’hommes… en morceaux et les tripes à l’air » (Solís 1996: 37). Ils identifient les cadavres et les dépouilles humaines comme des restes de victimes de guerre et des preuves du sacrifice fait en honneur de leurs idoles, mais ils en parlent aussi comme d’une boucherie. Il n’y a aucun doute que ces appréciations sont influencées par l’expérience antillaise, mais le jugement des Espagnols sur les restes humains qu’ils trouvent sur leur passage évolue au fil du temps. Juan Díaz (1988 : 49-50) écrit que, dans l’île de Los Sacrificios, ils trouvent des maisons, une tour et une sculpture qui ressemble à un lion, et non loin de là, un petit bassin en pierre dans lequel il y a du sang qui semble dater de huit jours. Il indique aussi qu’« … il y avait deux piquets de la taille d’un homme ... et de l’autre

avaient-ils en tête les descriptions de leurs prédécesseurs? On peut le penser car la récupération d’écrits et d’images imprimés sur ce thème sont les preuves d’une tradition orale populaire répandue chez les conquistadors qui débarquaient dans les îles, passaient en Terre ferme et arrivaient au Mexique (Mollat 1992 : 184). Cette vision n’était pas partagée par tous, car certains assuraient qu’ils n’avaient vu ni monstres, ni loups, ni chiens voraces ou cruels dévoreurs d’hommes. Cependant, l’idée de Cannibales peuplant toute la région sera très largement répandue comme le montrent les cartes et les cartes marines. En 1575, on croit encore à leur existence et André Thévet écrit dans La Cosmographie Universelle qu’il y a des Cannibales dans toute la région et dans le royaume du Mexique (Thevet 1575 vol. 2 chap. 14). I. 9. Deux expéditions Il est important pour notre recherche de mentionner et d’analyser les représentations et interprétations des restes humains faites par les découvreurs, car nous pourrons ainsi les comparer avec ce que des hommes comme Francisco Hernández de Córdoba et Juan de Grijalva qui exploreront le Mexique quelques années plus tard, en 1517 et 1518, ont observé à ce sujet. On peut penser que ce qu’ils ont vu en Terre ferme a été, dans un premier temps, interprété en faisant référence aux antécédents antillais des découvreurs. Il est certain, et nous en ferons la démonstration, qu’ils avaient peur de rencontrer des Cannibales, des hommeschiens et qu’ils ont dû voir pratiquement la même chose que leurs prédécesseurs (restes humains accrochés à des palissades et aux arbres), mais qu’ils ne l’ont pas perçu de la même façon, et certainement pas comme la preuve d’un festin cannibale. Ils créent de nouvelles images et de nouvelles descriptions qui, au fil du temps, s’ajoutent à celles de l’expérience antillaise et contribuent à forger l’image du tzompantli, structure d’où pendent les dépouilles humaines à Tenochtitlán. En 1517, Francisco Hernández de Córdoba, Antón de Alaminos, qui avait été mousse de Colomb et Bernal Díaz del Castillo,45 qui accompagnera quelques années plus tard Hernán Cortés lors de la Conquête du Mexique, parcourent la côte nord et ouest du Yucatán. Ils restent quelques jours au Yucatán, puis dans la province de Campeche, où vivait un seigneur appelé Lázaro Comen. Là, près d’une plateforme carrée avec une statuette faite de bitume et de petites pierres qui représente un homme avec deux animaux inconnus et un serpent prêt à dévorer un lion marmoréen et couvert de sang frais, ils voient « trois perches fixées dans le sol, traversées par trois autres appuyées sur des pierres ». Díaz del Castillo (1974 : 10) n’en parle pas, mais Anglería (1964 : 401402) indique : « … ils réservaient cet endroit au châtiment des condamnés, et la preuve en est que de nombreuses flèches ensanglantées et cassées et des os de la tradition médiévale de « l’homme sauvage » (Batra 1997 chap. I-II). 45 Bernal Díaz del Castillo qui passe en Espagne en 1514 a participé aux trois voyages. Antón de Alaminos, le pilote, participe avec Colomb aux 3e et 4e voyages et aux expéditions de Córdoba, Grijalva et Cortes (Díaz del Castillo 1974: 2-3).

74

Construction d´une vision européen du tzompantli et du tlachco côté, une idole... et entre ces piquets, près de l’idole, deux jeunes Indiens morts et enveloppés dans une toile peinte, et derrière les vêtements, deux autres Indiens morts, depuis environ trois jours alors que les deux précédents semblaient morts depuis au moins vingt jours ». Il ajoute : « À côté de ces Indiens morts et de l’idole, il y avait des perches portant de nombreuses têtes et des ossements, beaucoup de fagots de bois de pin et quelques pierres larges sur lesquelles ils avaient tué ces Indiens. Il y avait aussi un figuier et un autre arbre appelé zuara qui donne des fruits ».. Le chapelain note donc ce qu’il voit et explique que les Indigènes faisaient des sacrifices et qu’ils arrachaient le cœur des victimes, le brûlaient et le présentaient en offrande à l’idole. Il conclut aussi qu’ils coupaient et mangeaient les cadavres des sacrifiés, interprétation qui assimile les restes à des preuves de sacrifices et non plus seulement à des marques de cannibalisme.46 Díaz del Castillo décrit aussi l’épisode : « ... nous trouvons aussi cinq Indiens sacrifiés cette nuit-là, la poitrine ouverte, les bras et les cuisses coupés, et les murs de la maison pleins de sang. » Il n’émet ni jugement, ni interprétation, pas plus que le jour suivant quand sur la petite île de San Juan de Ulúa, ils trouvent davantage de restes humains (Díaz del Castillo 1974: 24-25). Sa position face à ces descriptions est peut-être due à l’oubli et au temps passé, car le conquistador écrit son Histoire plusieurs années après les faits. Anglería, pour sa part, décrit aussi ce que voient les Espagnols à cette occasion et suppose que c’est une preuve de sacrifices associés à la guerre, car les Indigènes brûlent le sang, le cœur et les entrailles au cours de cérémonies et conclut que la fumée plaisait à leurs dieux. Il précise qu’ils mangeaient la partie charnue des bras, des cuisses et des mollets et compare les torrents de sang à ceux qui sortent des abattoirs (Anglería 1964: 407). C’est encore une preuve que l’interprétation liant les dépouilles humaines aux boucheries, abattoirs européens et aux pratiques gastronomiques s’est maintenue longtemps. Il faut aussi souligner qu’à cette occasion, les Espagnols « ont vu un grand nombre de têtes, de corps décapités et entiers, souvent couverts de voiles ».47 Cependant, Fernández de Oviedo précise : « il y avait beaucoup de piquets… tous fixés au sol …[avec] beaucoup de têtes d’hommes et d’ossements qui devaient appartenir à ceux dont la tête était là ».48 On peut donc penser que les os et les têtes étaient placés sur une palissade. Ont-ils eu des preuves de sacrifices ou de châtiments ? Il s’agit vraisemblablement de sacrifices, mais Anglería interprète les dépouilles humaines comme des preuves de châtiments et son appréciation est reprise au cours de la seconde expédition, quand les Européens voient de nouveau des têtes et des os sur des râteliers.

Ces hommes font des observations et des commentaires sur le propos et la fonction des restes humains accrochés aux râteliers. Ils répètent les mêmes interprétations proposées lors de l’expérience antillaise, en y ajoutant une nouvelle vision qui parle de châtiments ou de sacrifices. D’autre part, il faut ouvrir une parenthèse en ce qui concerne les dépouilles humaines de l’île de Los Sacrificios. Germán Vázquez dans son édition des écrits de Díaz (1988: 49 note 41) considère que les piquets fixés au sol et surmontés de têtes et d’os forment un tzompantli. Il écrit : « les Nahuas appelaient cette macabre construction tzompantli», et cette interprétation est un indice de la polémique qui se déclenche quand on tente de définir ce qu’est un tzompantli et quelle est sa fonction. Nous ne possédons pas, jusqu'à présent, d’image de la description faite par les chroniqueurs de cette palissade avec des restes humains, mais un opuscule allemand, publié entre 1521 et 1523, inclut des gravures sur bois,49 parmi lesquelles on trouve ce que l’on considère comme la plus ancienne représentation européenne des sacrifices humains effectués par des hommes américains. En fonction de la chronologie des événements décrits l’arrivée des Espagnols au Yucatán- on peut penser que l’on voit sur cette image des Mayas qui découpent sur une table avec un couteau d’obsidienne des enfants ou de petites statuettes et jettent les corps démembrés sur les marches. Ce ne sont pas des Caraïbes ou des Aztèques, mais des gens que les Espagnols de l’expédition de Grijalva connurent en 1519, car le document s’appuie sur des écrits publiés en Europe qui relatent cette rencontre. Les pratiques anthropophages-cannibales des habitants de la région américaine intéressent suffisamment les Européens pour produire et illustrer des documents éloquents. Sans aucun doute, les nouvelles se propageaient50 et les hommes qui ont foulé le continent américain et participé à la conquête de Tenochtitlán, la capitale mexica, pensaient, en le redoutant, que les Indiens mangeaient de la chair humaine,51 et qu’ils accrochaient les dépouilles humaines sur des palissades. Nous avons aussi la preuve des peurs européennes face à ces pratiques dans les récits se référant à Hernán Cortés, car il semble que celui-ci reconnaisse très vite que les pratiques de l’île de Cozumel sont les mêmes que celles du continent (Gruzinski et Bernand 1991: 296, 308 ; Whitehead 1984: 74-78). Rappelons que Cortés voyage vers la région des Indes pour la première fois en 1504, à l’âge de dix-neuf ans. Il subit des tempêtes et souffre de troubles et de tristesse sur 49 Newe Zeitung von dem lande das die Spanier funden ym 1521 iare genant Yucatan. Newe zeitung von prussia von ray: ma:hofe 18 marze. 1522. Newezceyt von des Turchen halben von Offengefchiicben (Duviols 1985 : 251 ; Gresle Pouligny 1999 : 152). 50 Isabel de Bobadilla, femme de Pedrarias Dávila (Pedro Arias de Ávila), avant de partir dans les îles dit : « il vaut mieux mourir d’une fois, que l’on me jette à la mer pour servir de nourriture aux poissons ou que les Cannibales ne me dévorent qu’attendre des nouvelles de mon mari » (Anglería 1964 : 261). Cette citation peut paraître extrême, mais elle démontre la terreur généralisée parmi ceux qui voyagent vers les Amériques : la rumeur est plus puissante que les faits réels. 51 Díaz del Castillo (1974 : 92), soldat qui a participé à l’expédition de Grijalva et plus tard à la conquête de Tenochtitlán. Il est probable qu’il a parlé de ce thème avec ses congénères.

46 Comme le dit Whitehead (1984 : 81), les sources d’information définissent le cannibalisme comme un acte rituel associé à la victoire sur le champ de bataille. C’est donc un acte différent des coutumes funéraires décrites par Colomb. 47 Anglería (1964 : 407) observe que « Une des idoles est masculine avec la tête penchée, (un chac mool?) elle contemple le bassin ensanglanté, comme si elle acceptait le sacrifice des victimes... ». 48 L´étude de Germán Vázquez du texte de Juan Díaz (1988: 49-50, note 41) reprend les observations de Fernández de Oviedo.

75

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels installé sur la Plaza del Contador ou sur la Plaza de la Catedral, où il est encore deux siècles plus tard (Walter Palm 1984, 2 eme partie: 141). L’implantation de coutumes et d’institutions européennes dans le Nouveau Monde, comme le gibet et le pilori, symboles de justice, constitue généralement le premier acte des fondations espagnoles (Palm 1984, 1ere partie: 35). Ceci se répète par la suite en terre ferme et explique la confusion avec le tzompantli, puisque les pratiques punitives espagnoles s’imposent sur les pratiques sacrificielles indigènes.

le navire d’Alonso Quintero, et comme les autres, il est « troublé et angoissé, en mauvaise santé de l’âme et du corps et il a peur, sur la terre des Cannibales où il sera mangé... », car on leur avait dit que plusieurs hommes avaient été dévorés (Cervantes de Salazar 1985: 97). Il faut aussi penser que le conquistador a appris qu’en 1514, pendant l’expédition d’Alonso de Ojeda, Juan de la Cosa et d’autres Espagnols ont été écartelés et mangés par des Cannibales, dévoreurs de chair humaine (Anglería 1964 : 212 ; Mollat 1992 : 187 et 217), et que beaucoup d’autres Européens sont morts et ont été dévorés par les habitants de la région. On peut difficilement imaginer les conjectures d’Hernán Cortés à ce sujet (Martínez 1990 ; Duverger 2005), mais il a sûrement imaginé qu’il allait rencontrer des Cannibales et des hommes-chiens dans la région.

I. 11. Les hommes-chiens Hernán Cortés s’établit à Saint Domingue et tente de se joindre aux découvreurs qui se dirigent vers la côte du Venezuela, mais il ne participe ni à l’expédition qui continue vers la Jamaïque en 1509 et arrive à Cuba en 1510, ni à la colonisation de Porto Rico en 1508. Ce n’est qu’en 1511, quand Diego Velázquez reçoit le titre d’Adelantado pour conquérir et coloniser Cuba, que Cortés s’unit aux efforts de pacification. Il s’installe comme fermier et scribe dans la première ville espagnole fondée sur l’île, et il est sûrement au courant des expéditions et des aventures européennes dans la région : celle d’Alonso de Ojeda et de Diego de Nicuesa, celle envoyée par Vasco Nuñez de Balboa qui arrive au Yucatán en 1511. Il a connaissance de la disparition de Gonzalo Guerrero et de Jerónimo de Aguilar, et surtout des deux expéditions organisées par Velázquez : celles de Fernández de Córdoba et de Grijalva qui sont parties de Cuba. On peut imaginer que, quand Cortés part, aux commandes de la troisième expédition, avec instructions de sauver les Espagnols perdus, de ramener de l’or et d’effectuer une reconnaissance pacifique, il possède un bagage mental formé d’images préconçues. Nous pensons que le 23 octobre 1518, pendant que Cortés se prépare pour son expédition, il reçoit des ordres détaillés dans les « Instrucciones de Diego Velázquez …» (1990; Irving 1996: 53). Le document recommande à Cortés d’être extrêmement prudent en prenant possession, de réunir toutes les informations possibles sur les habitants de la région « car on dit qu’il y a des gens aux grandes et larges oreilles et d’autres qui ont des visages de chiens... ». Cette scène est conçue et visualisée par les Européens, comme nous l’avons dit auparavant en analysant les images des cartes et des planisphères. Hernán Cortés et Velázquez ont-ils imaginé rencontrer des hommes chiens sur les terres qu’ils allaient explorer, et assister à des scènes de cannibalisme ? Cette image va rapidement se dissiper.

I. 10. Les fondations dans les îles de la mer des Caraïbes La ville et l’organisation municipale étaient le soutien et le point de départ de la Conquête et de la colonisation du Nouveau Monde (Gruzinski et Bernand 1991 : 269). Aux Antilles, cela commence par l´île de La Española (HaïtiRépublique Dominicaine) où sont édifiées quinze villes, dont La Navidad fondée par Christophe Colomb et détruite par les Caraïbes, La Isabela qui est ensuite abandonnée par les Espagnols, et refondée par Bartolomé Colomb. Nous ne savons pas grand-chose à ce sujet, mais on peut penser que les Européens ont installé un lieu pour les exécutions capitales dans chacune des villes édifiées. Nous ne possédons pas de registres indiquant que Christophe Colomb l’ait fait, mais les écrits de Michele da Cuneo en 1494, quand il participe au second voyage, montrent que c’était une pratique courante. Erwin Palm (1984, 1ere partie: 35 note 141) précise que Cuneo dans la petite île que lui a donné Colomb, « en accord avec les normes et de façon adéquate, comme Monsieur l’Amiral le faisait avec d’autres îles …, a planté la croix et le gibet … ». Il en est de même à SaintDomingue. Quand Francisco de Bobadilla, sur ordre de la Couronne, arrive dans la ville en 1500, la première chose qu’il voit sont deux gibets avec un corps pendu : des Espagnols qui avaient été exécutés la semaine précédente (Keegan 1998: 533). La ville de Saint-Domingue est déplacée par le premier gouverneur Nicolás de Ovando en 1502, et comme dans la ville précédente, on détermine l’endroit des châtiments. Suivant un plan qui sera imité dans des fondations postérieures de la Nouvelle-Espagne en Terre ferme, les rues sont tracées à angle droit et l’église se dresse face à la place centrale autour de laquelle se situent les édifices civils (Moya Pons 1998: 615). Cependant, on ignore la place occupée par le lieu de châtiment dans ce qui est considéré comme la première ville du Nouveau Monde. Il était peut-être situé sur la place centrale, à côté des édifices publics, mais il est probable qu’il en ait existé plusieurs dans la ville. Ovando, le gouverneur, condamne Anacoana, la reine de Xaragua, à la pendaison sur un gibet dont on ignore l’emplacement (Duverger 2005: 8586 ; Casas 1951). Le pilori primitif du XVIe siècle était

76

CHAPITRE II LA CONQUÊTE DE LA TERRE FERME II.1. Passage étrange En 1519, une flotte de dix caravelles guidées par Hernán Cortés, avec cinq cents hommes et seize chevaux part de Cuba et suit le chemin tracé par Fernández de Córdoba et Grijalva (Taladoire 2011a). Près de l’île de Cozumel, ils retrouvent Jerónimo de Aguilar qui a réussi à échapper « aux anthropophages ».1 Aguilar est naufragé alors qu’il allait du Darién à Saint-Domingue et « ils l’ont pris et l’ont emmené sur une terre des Indiens des Caraïbes. » (Solís 1996 : 55). On sait maintenant qu’il s’agissait de Mayas, mais comme on les désignait, eux et leurs idoles, avec des mots antillais comme cemies, on a cru que les Caraïbes peuplaient aussi le continent. Il est probable que l’Espagnol a confirmé certaines peurs de ses compatriotes, mais a éliminé les plus fantasques. Aguilar a dit à Cortés qu’il n’y avait pas d’hommes-chiens, mais que les Indigènes avaient immolé, puis dévoré ses compagnons : « Ils ne le font qu’avec les ennemis ou les visiteurs qui viennent chez eux, et, pour le reste, ils ne mangent pas de viande humaine. » C’est probablement à ce moment que les anthropophages américains ont définitivement cessé d’être des cynocéphales. Bien qu’en Europe on trouve encore cette image sur les cartes du XVIe siècle, on peut supposer que la notion d’homme-chien disparaît complètement de l’imaginaire de Cortés et des autres conquistadors lorsqu’ils arrivent à l’embouchure du Grijalva. C’est là que des caciques du Tabasco lui font cadeau de la Malinche,2 une femme qui parle le maya et le náhuatl et peut donc communiquer avec Aguilar qui parle aussi maya, dissipant probablement de nombreux fantasmes. Après le débarquement à San Juan de Ulúa (avril 1519), Cortés et ses compagnons ne trouvent pas d’hommeschiens. Ils établissent rapidement un contact avec les émissaires de Moctezuma II, maître de la région et gouverneur de Tenochtitlán, la capitale des Mexicas, et avec les autres habitants qui sont sous son joug et qui décident de s’allier aux Espagnols pour se libérer. C’est ainsi que Cortés se fait rapidement des alliés indigènes et décide de rester dans la région et d’y fonder une ville. Cortés connaissait l’importance d’un conseil municipal et surtout l’importance du pouvoir que confère une telle édification (Duverger 2005 : 137, 144). À partir de là, un des premiers actes de la colonisation sera la création d’un lieu pour le châtiment, action à la fois politique, religieuse et juridique qui permet de consolider la prise de possession et de garantir le contrôle à travers cet acte de fondation. On pourrait dire que c’est un facteur indispensable à l’installation des premiers villages fondés par les Espagnols, d’abord dans les Antilles et ensuite sur le continent.

La première municipalité du territoire mexicain,3 nomme des régents, décide où mettre l’église, la place, les maisons du gouvernement et les autres lieux indispensables à la bonne gouvernance et à la police de la toute nouvelle Villa Rica de la Veracruz (Díaz del Castillo 1974 : 72 et 97; Cortés 1985 : 18-19 ; López de Gomara 1985 vol. 2 : 64). Un témoin oculaire, Bernal Díaz del Castillo, nous dit où se trouve le lieu du châtiment : le pilori est sur la place et le gibet hors du village. On peut se demander selon quels critères Cortés et ses hommes ont entrepris l’installation des structures ecclésiastiques et civiles et pourquoi ils ont décidé si rapidement d’ériger un gibet et un pilori. Les orientations suivies par Ovando à Saint-Domingue ont-elles servies d’antécédents ? C’est difficile à dire, surtout parce que les « Instructions… » reçues de Velásquez n’en parlent pas. Ce dernier ne fait jamais référence à l’idée de s’installer et il semble que la fondation de la Villa Rica de la Veracruz ait été perçue comme une désobéissance aux ordres de Velásquez. Il faut cependant rappeler que les derniers points des Instrucciones… exigeaient que toutes les causes civiles et criminelles soient traitées par Cortés dans le respect du droit et de la justice.4 En d’autres termes, l’ordre impliquait de créer des espaces pour exercer des sanctions et des châtiments exemplaires, que ce soit un gibet ou un pilori. Très rapidement, Cortés fait pendre les traîtres espagnols qui tentent de retourner à Cuba pour prévenir Diego de Velásquez. Deux d’entre eux, Pedro Escudero et Juan Cermeño sont pendus et Gonzalo de Umbria a les pieds coupés – peut-être sont-ils exhibés sur le pilori – à titre de châtiment exemplaire devant tout le monde, Espagnols et Indigènes (López de Gomara 1985 vol. 2 : 70 ; Solís 1996 : 102). Pendant ce temps, Cortès avance vers Cempoala, la capitale totonaque où se trouvent ses alliés indigènes.5 En arrivant à Cempoala avec le Cacique Gordo, Cortés et ses hommes se retrouvent face à « … leurs autels dédiés aux idoles, divers instruments ou couteaux d’obsidienne, et, répandus sur le sol, des restes de misérables victimes humaines… » (Solís 1996 : 88). Selon Anglería (1964 : 427), ils apprennent aussi que les « … prêtres attachent les os nettoyés des ennemis en fagots au pied des zemies, comme trophées de la victoire, et inscrivent en dessous les noms des vainqueurs ». Il fait visiblement référence à une particularité des populations antillaises, et qu’il

3

Auparavant, Pedro Árias de Ávila avait fondé un village sur la terre ferme en 1513, dans l’actuel Panamá. Documentos cortesianos vol. 1 : 45-57. Les Instructions indiquent à Cortés qu’il ne doit pas autoriser le concubinage, les jeux, les bagarres et les blasphèmes et lui donne le droit de punir les fautes (Sepúlveda y Herrera 1999 : 35). 5 Cette information peut paraître sans importance, mais il faut la resituer dans le contexte de la Conquête. Nous en reparlerons plus tard, une fois terminée la présentation des évènements de la chute de Tenochtitlán, quand nous étudierons la perception des Espagnols à l’époque coloniale pour démontrer comment ils ont établi leurs fondations. Dresser un gibet et un pilori a fait que le tzompantli soit confondu avec le gibet, et le lieu de sacrifice des Indigènes s’est fondu avec le lieu de châtiment des Espagnols.

4 1 La mère d’Aguilar, en apprenant ce qui était arrivé à son fils, crie dans toute la maison chaque fois qu’elle voit de la viande grillée, ou sur un gril : « regardez ! Des morceaux de mon fils : voyez le plus grand malheur qui peut arriver à une femme » (Anglería 1964 : 148). 2 Doña Marina Malintzin, née dans la région de Coatzacoalcos, près du Golfe du Mexique, était la fille d’un cacique dépendant de Tenochtitlan. Elle fut vendue comme esclave et les caciques de Tabasco l’offrent à Cortés. Elle parle maya et nahuatl et arrive donc à communiquer avec Aguilar qui parle maya et espagnol. Cela a permis à Cortés de communiquer avec les Indigènes du centre du Mexique (Gruzinski et Bernand, 1991 : 582).

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels confond leurs coutumes avec celles des Totonaques habitant la région. De son côté, Díaz del Castillo décrit aussi ce qu’il a vu avec les mots qu’il connaît et en fonction de l’expérience qu’il a vécue aux Antilles. On remarque qu’il a compris que les restes humains étaient des sacrifices aux dieux. Malgré tout, l’image qui persiste est celle de la cuisine anthropophage et des Cannibales, car pendant son séjour à Cempoala, « ... chaque jour, ils sacrifiaient devant nous trois ou quatre Indiens et offraient leurs cœurs à leurs idoles. Le sang séchait sur les murs et ils leur coupaient les jambes, les bras et les cuisses et ils les mangeaient comme les vaches que l’on emmène à la boucherie chez nous… ».6 Au fur et à mesure que les conquistadors avancent dans les terres, leurs conceptions « antillaises » se modifient. Le manque de mots pour exprimer ce qu’ils voient devient évident, puisqu’ils appellent mosquées les temples indigènes, papes ou évêques leurs prêtres, empereurs leurs seigneurs, et vassaux les gens du peuple.7 Hernán Cortés quitte Cempoala le 16 Août 1519. Sur le chemin, il voit, ainsi que Díaz del Castillo et ses compagnons, d’autres lieux où les Indigènes accrochent les restes humains, les crânes et les têtes des sacrifiés. Dans le village d’Iztacmaxtitlan, qu’ils rebaptisent Castilblanco, ils voient sur une place avec des temples « des piles de cadavres que l’on pouvait compter… semble-t-il plus de cent mille (ou) de dix mille ; dans un autre coin de la place, ils ont vu d’autres amoncellement d’os, des os de morts, qu’ils ne pouvaient pas compter et des poutres où étaient accrochées de nombreuses têtes. Ils ont vu comment les Indiens gardaient ces os et ces têtes de mort… » (Díaz del Castillo 1974 : 103). Ce n’est sûrement pas la première, ni la dernière fois, qu’ils voient un râtelier de crânes, car lorsque les Espagnols avancent «... à l’intérieur des terres, dans tous les villages, ils voient des os placés de cette façon, y compris à Tlaxcala » (Díaz del Castillo 1974 : 104-105). Il est important de noter que Díaz del Castillo déclare que ces restes humains font partie de pratiques sacrificielles, même si l’idée qu’il s’agit de cuisine cannibale est toujours présente chez les hommes qui retournent sur l’île après avoir connus le continent. Cela est manifeste dans les documents où Velásquez accuse Cortés, entre autres choses, de tolérer l’anthropophagie des Indigènes. Les témoins à charge affirment que le conquistador a permis à ses alliés indiens, qu’ils qualifient de Caraïbes alors que ce sont des habitants de Tlaxcala, de manger de la viande humaine. Ils affirment qu’il y avait des billots où l’on coupait les corps humains comme dans des boucheries, qu’on les faisait griller, cuire et qu’on les préparait de différentes façons, pour les manger.8 Comme on peut le

voir, l’idée que les restes humains placés sur des palissades étaient une démonstration de cannibalisme se renforce dans certains cercles espagnols, lorsque l’on connaît les pratiques anthropophagiques de Tlaxcala. Apparemment certaines de ces coutumes ont été tolérées pendant les guerres de Conquête.9 II.2. La rencontre Hernán Cortés et ses compagnons arrivent à Tenochtitlán en novembre et sont reçus par l’empereur mexica Moctezuma II. Ils sont impressionnés par la taille de la ville, ses marchés, ses canaux d’irrigation, ses ponts et par la hauteur des constructions. La structure qu’ils avaient déjà vue, où sont accrochés des restes humains, suscite à nouveau des commentaires et des jugements, alors que le jeu de balle attire finalement leur attention. De fait, ils n’en parlent pas, sauf à leur arrivée à Tenochtitlán, probablement parce qu’ils ne l’avaient pas vu dans les îles, où ce jeu s’appelait batey. Cependant, il a été rapidement interdit dans cette région des Antilles dont la population est décimée. On peut penser qu’ils en ont vu à Cempoala, sur le chemin entre Veracruz et Tenochtitlán, lorsqu’ils passent par Tlaxcala et font alliance avec Xicotencatl, ou à Cholula lors du massacre de la population : il est probable que ces centres importants conquis par Cortés avaient des jeux de balle.10 II.2.1 Le jeu de balle Bien que Díaz del Castillo, Tapia, Aguilar et Cortés ne parlent pas du jeu, nous savons par Francisco López de Gomara, aumônier de Hernán Cortés qui le mentionne dans son Historia…, qu’ils l’ont vu dans la capitale mexica. Il précise que Moctezuma leur a montré « ... une salle basse, longue, étroite et haute… (qui est)… toujours très bien chaulée et lisse… (où) l’on place sur les murs des deux côtés des pierres qui ressemblent à des meules avec un trou au milieu » et ils apprennent comment les joueurs peuvent manier la balle « avec n’importe quelle partie du corps…mais… celui qui ne la touche pas avec les fesses ou la hanche a perdu ».11 Le fait qu’aucun des conquistadors ne mentionne cet événement démontre que le jeu de balle n’attire pas leur attention à ce moment-là. Cependant, une fois Tenochtitlán conquise, sa pratique intéressera Cortés.

Espagnols sont battus par les Mexicas pendant la Nuit Triste, ils se réfugient à Tlaxcala, et c’est à ce moment que se déroulent les faits décrits par les témoins. Voir également : Instrucciones de Carlos V a Hernán Cortés sobre el tratamiento de los indios, Cuestiones de Gobierno y recaudo de Hacienda Real (1523) , car dans ce document, on peut lire que les Espagnols étaient convaincus de l’anthropophagie des Indigènes et qu’ils la comprenaient comme une nécessité alimentaire. La Couronne se propose de l’éliminer : « pour qu’ils aient de la viande à manger, il faut envoyer du bétail dans la région américaine (Documentos Cortesianos 1990 vol. 1 : 188, 201, 208 et 265-266). 9 Nous pensons que Cortés a permis à ses alliés de sacrifier et de manger leurs congénères. Par exemple, il autorise ceux de Cempoala à couper la tête à un homme de Tlaxcala (Vázquez de Tapia 1988 : 138) ; et ceux de Tlaxcala tuent et mangent leurs ennemis mexicas. Díaz del Castillo en parle lui aussi. 10 Il faut cependant rappeler qu’à Cholula et à Zempoala, on n’a encore jamais trouvé de jeu de balle archéologique. 11 Pour décrire le jeu, López de Gomara (1985 : 109-110), tient compte de ce qu’a écrit Benavente 1989 : 615-617.

6 Le conquistador rend compte de la même situation lorsqu’il décrit les cadavres sans bras, ni jambes vus par Pedro de Alvarado (Díaz del Castillo 1974: 74 et 87). 7 Les tours et les pyramides deviennent des mosquées et une grande partie de ce qu’ils ont vu leur évoque les Maures (Gruzinski et Bernand 1991 : 14-16, 22-25). C’est une lecture fréquente que l’on trouve dans plusieurs documents de l’époque. Giovani Battista Ramusio appelle les temples des mosquées. 8 Information répandue par Diego Velázquez contre Hernán Cortés, en 1521. Il faut rappeler que les Espagnols ont fait alliance avec les habitants de Tlaxcala, ennemis jurés des Mexicas. Lorsque les

78

La conquête de la terre ferme les habitants de la région conquise. Cette perception va changer pendant la colonisation et l’évangélisation lorsque les religieux se rendent compte de sa fonction réelle et interdisent sa pratique.

Grâce à Juan de Ribera, qui a participé à la Conquête, nous pouvons comprendre comment les conquistadors ont vu le jeu de balle. Ce secrétaire envoyé par Cortés en 1522 pour remettre au roi le troisième rapport et l’impôt royal a pu voir comment on jouait car, lors d’une entrevue avec Anglería (1964:537-549), il note : « ...le plus important pour eux et dans nos îles est le jeu de balle. » Cette observation est très importante. Elle démontre que pour les Espagnols, le jeu de balle des Américains est bien un « jeu », qui utilise une balle qui possède « un rebond incroyable ». Cependant le plus important est que, pendant qu’ils cherchent la provenance du matériel qui sert à faire les balles (Carreón 2006: 31-37), ils envisagent le jeu comme un passe-temps des indigènes qui s’amusent tout en faisant de l’exercice. Cette interprétation se comprend mieux lorsque l’on sait comment se déroulait le jeu : « ils frappent la balle avec les épaules, les coudes, la tête et parfois les mains ; parfois ils la frappent avec les fesses en tournant le dos quand l’adversaire la lance… », ils « jouent nus comme les lutteurs » (Martir de Anglería 1964 : 547). Ceci est de toute évidence une référence aux exercices physiques qui se pratiquaient en Europe. Le jeu de balle est aussi perçu comme un spectacle offert en présence des rois et des papes. C’est en tout cas la perception d’Hernán Cortés qui ne dit pas l’avoir vu lors de son arrivée à Tenochtitlán, mais qui y attache de l’importance lors de son retour en Espagne en 1528, après la chute de la capitale Mexica et l´expédition au Honduras. Il emmène quelques joueurs avec lui pour faire une démonstration devant des cardinaux et le pape Clément VII et à la cour de Charles Quint à Barcelone (Díaz del Castillo 1974 : 522-528 ; López de Gómara 1985 vol. 2 : 109 ; Hernández 1959-1984 vol. 2 : 387). Parmi les témoins qui ont pu apprécier les joueurs était Christoph Weiditz,12 orfèvre de Strasbourg qui retrace cet événement. Sur le plus ancien tableau connu représentant des indigènes jouant à la balle, deux personnages qui se tournent le dos se lancent une balle (Fig. 63). Il faut remarquer que, dans une certaine mesure, les joueurs sont représentés comme des lutteurs, perception partagée par Mártir de Anglería et Ribera et que la conception du jeu selon Weiditz est néanmoins discutable.13 En tout cas, il est certain que les Européens perçoivent le jeu comme un exercice, un jeu et un spectacle et ne se rendent pas compte du caractère rituel que lui attribuent

II.2.2 Le râtelier de crânes au début de la Conquête Le contact de Cortés et de ses compagnons avec le jeu de balle et le tzompantli est passé par plusieurs étapes. L’analyse de leurs points de vue et de leurs représentations permet de comprendre la genèse de l’image projetée en fonction du contexte et des circonstances. L’image du tzompantli s’est répandue, mais la fonction et la signification qui lui sont attribuées changent selon les schémas et les critères qu’on lui impose. Ce que ces hommes ont vu est représenté sur un plan de Tenochtitlán qui fait partie de la première édition en latin de la deuxième lettre d’Hernán Cortés,14 écrite en 1520 (Fig. 64). Le plan est une représentation de l’enceinte du Templo Mayor de la capitale mexica, faite par un graveur européen qui se base sur le dessin d’un des conquistadors. Sur la gravure, entre les temples et les plateformes, on trouve une figure humaine décapitée et deux palissades, et il est écrit : « capita sacrificatorum » (les têtes des sacrifiés) ; templum ubi sacrificant (temple où ils sacrifient). La représentation des deux râteliers qui portent de nombreuses têtes est tout à fait intéressante.15 Sur l’une, il y en a douze, accrochées à une structure qui se trouve sur une plateforme de deux marches. Sur l’autre, même s’il est difficile de bien les compter, il y en a au moins vingt, également sur une base et une armature. On constate que les râteliers sont représentés en fonction de paramètres et d’interprétations propres aux conquistadors et bien différents de ceux des Indigènes. Tous les conquistadors qui ont vu les râteliers dans l’enceinte de Tenochtitlán ne s’étendent pas sur le sujet comme le fait Cortés (1985: 156-157). Díaz del Castillo décrit minutieusement ce qu’il voit quand il découvre la ville Mexica : un temple « … rempli de cadavres et d’os longs, en grande quantité, tellement nombreux que l’on ne peut pas les compter, … les têtes de morts d’un côté et les ossements formant un autre tas… ».16 Il décrit aussi d’autres temples où des crânes sont accrochés à des poutres. Selon les circonstances, le conquistador désigne les restes humains de façon différente : comme une boucherie, lorsqu’il se réfère au banquet que les Indigènes faisaient avec les corps des sacrifiés ; comme une pratique sacrificielle, lorsqu’il se rend compte que les têtes accrochées aux poutres dans un patio et dans les autres temples, sont proches du temple de Huitzilopochtli, le

12 Das Tratebuch de Cristoph Weiditz von seinem reisen nach Spanien (1529) und den Niederland (1531), Berlin et Leipzig, 1927 : 24, planches 13 et 14. Il faut préciser que l’image des joueurs n’est pas isolée. Elle fait partie d’une série d’au moins douze images d’Indiens américains dans différentes attitudes, qui se trouvent dans le Tratebuch…, une œuvre que l’on peut classer comme un répertoire visuel de la société espagnole du XVIe siècle, dans lequel Weiditz enregistre des personnages et des scènes de la vie quotidienne de différents niveaux de la société, depuis les esclaves africains jusqu’aux nobles européens. 13 Comme on peut le constater en examinant le commentaire qui accompagne le dessin et qui explique comment on jouait et quel était l’équipement nécessaire au joueur. « Les Indiens jouent de cette façon avec une balle gonflée d’air avec le derrière, sans la toucher avec les mains, sur la terre. Ils ont un morceau de cuir dur sur les fesses pour recevoir le coup de la balle. Ils utilisent aussi des gants en cuir». Traduction empruntée à Krickeberg 1966 : 193.

14

La seconde lettre des relations est publiée en latin en 1524. Cette carte connue sous le nom de « Mapa de Nuremberg » (Toussaint, Gómez Orozco et Fernández 1938; Marquina 1951 : 182-183, fig. 6bis). 15 Il faut préciser que, dans ce cas, on ne peut pas savoir s’il s’agit de crânes avec ce qui semble être des mèches de cheveux. 16 N’importe quel os de la jambe, sans viande, un os grand et sans chair, particulièrement des extrémités, en tas. Un tas de choses mises les unes sur les autres (Diccionario de la lengua española). Il faut préciser que ces os ne forment pas un tzompantli et qu’ils n’étaient pas accrochés, mais entassés avec des crânes, placés dans une sorte d’ordre. Díaz del Castillo (1974 : 176) indique qu’il a vu les os près d’un temple où sont enterrés les seigneurs.

79

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels principal dieu des Mexicas (Díaz del Castillo 1974 : 169). On suppose qu’il se base sur ce qu’il savait déjà pour proposer toute une série d’explications raisonnées. Il fait preuve de discernement, et compare ce qu’il voit en arrivant à Tenochtitlán avec ce qu’il a connu. Un autre conquistador, Andrés de Tapia, décrit aussi avec précision ce qu’il voit en traversant les patios du temple de Huitzilopochtli, lorsqu’il découvre la capitale mexica. Il explique « qu’il y avait en face de cette tour (le double temple de Huitzilopochtli et Tlaloc) soixante ou soixantedix poutres très hautes fichées dans le sol et … placées sur une grande scène faite de chaux et de pierre, et sur les gradins de nombreuses têtes de mort, collées avec de la chaux, les dents à l’extérieur. De part et d’autre de ces poutres, il y avait deux tours faites de chaux et de têtes de morts, sans autres pierres, les dents vers l’extérieur, et les poutres étaient séparées les unes des autres d’environ une aune et de haut en bas, l’espace était rempli par de gros bâtons portant chacun cinq têtes de mort empalées par les tempes… (entre une poutre et l’autre)… » (Tapia 1988 : 108-109 ; 1971 : 582-584). Tapia n’émet pas de jugement sur ce qu’il raconte,17 mais il faut bien dire que les conquistadors ont été plus impressionnés par le lieu où les Mexicas accrochaient les restes humains que par celui où ils jouaient à la balle. Nous savons, par exemple, que Hernán Cortés a été effrayé en apprenant que les deux soldats qui étaient montés au sommet du temple, avaient compté des milliers de têtes de morts d’Indiens sacrifiés et de vaincus à la guerre (Alvarado Tezozomoc 1980: 323, 517). Il est certain que de nombreux conquistadors ont été témoins de cette coutume et ont partagé les impressions de Cortés. Gonzalo de Umbria et Andrés de Tapia ont compté les bâtons et en multipliant ce chiffre par cinq, le nombre de têtes sur chacun, ils arrivent à une estimation de cent trente-six mille têtes, sans compter celles des deux tours. Francisco de Aguilar,18 un autre conquistador voit la palissade et quand il la décrit quelques années plus tard, il s’exprime en ces termes : « dégoût et admiration. » Certaines gravures et quelques reconstitutions fantastiques d’artistes des XVIIe et XVIIIe siècles où l’on voit les deux tours de crânes font apprécier à sa juste valeur la description d’Andrés de Tapia,19 qui ne sera publiée qu’au XIXe siècle. On peut citer également une gravure anonyme du XVIIe, intitulée « Temples des têtes des trépassés à México »,20 un dessin du râtelier conçu par le Hollandais H.Y. Seheley au XVIIIe siècle, où l’on

voit les quatre tours de crânes décrites par Tapia avec un patio entouré de murs avec des crânes encastrés (Fig. 65), et un autre dessin conçu de la même façon se trouve dans « cérémonies et coutumes religieuses des peuples idolâtres ». La représentation du râtelier est identique à la précédente, et en dessous, il est écrit : « cimetière de sacrifices »,21 ce qui demande un plus large commentaire à cause du terme « cimetière » utilisé pour nommer le lieu où les Indigènes exposaient les restes humains au cours de rituels sacrificiels complexes. Cette appréciation personnelle lie, dans une certaine mesure, le râtelier de crânes à des rites funéraires. Ce terme est utilisé dans la description par les chroniqueurs parallèlement au mot ossuaire. Il est impossible de savoir le sens exact du mot cimetière dans cette gravure, mais il pourrait bien refléter la tradition religieuse chrétienne. II.2.3 Le râtelier de crânes après la chute de Tenochtitlán Les guerres furent cruelles. Pendant l’occupation de Tenochtitlán, lorsque Moctezuma est prisonnier, les Espagnols apprennent à connaître les coutumes, les jeux et les façons de manger des Indigènes ; ils savent qu’ils jouent à la balle, mais ne parlent pas de consommation de chair humaine. Plus tard, quand le tlatoani meurt, les Espagnols vaincus lors de la Nuit Triste se réfugient chez leurs alliés de Tlaxcala. Cortés y prépare l’attaque amphibie qui se termine par la défaite de Cuauhtémoc, le dernier gouverneur de Tenochtitlán, le 13 août 1521. La Conquête terminée, certains Espagnols découvrent un autre râtelier semblable à celle qu’ils ont vue à Tenochtitlán. Contrepartie à la guerre de Conquête, quand Cortés et ses hommes s’emparent du centre du pouvoir des Nahuas, les Mexicas et les habitants de Tlatelolco capturent plusieurs Espagnols et les sacrifient (Cortés 1985 : 245 ; Díaz del Castillo 1974 : 352-353 ; Torquemada 1975 vol. 2 : 279285). Ils tuent entre trente-huit et quarante Espagnols et plus de mille Indiens alliés. Tous les Espagnols, morts ou vivants, ont été emmenés à Tlatelolco, et sacrifiés nus sur une des hautes tours, en leur prenant le cœur pour l’offrir aux idoles. Les captifs sacrifiés ont aussi eu la tête tranchée. Donc, lorsque les Espagnols vainqueurs se dirigent vers le marché de Tlatelolco, ils peuvent voir les têtes de leurs compagnons qui y sont exposées. Arrivés sur une place, ils ont vu « … qu’il y avait quelques poutres dressées… avec de nombreuses têtes… d’Espagnols qui avaient été tués et sacrifiés lors des batailles antérieures… Ils avaient de longs cheveux et de la barbe, beaucoup plus que quand ils étaient vivants…».22 On ne peut s’imaginer ce qu’a pensé Díaz de Castillo en reconnaissant ses compagnons d’armes et en écrivant ces mots. En tant que soldat, peut-être a-t-il considéré que c’était les conséquences normales d’une bataille, bien qu’il semble avoir compris que ses compagnons avaient été tués lors de sacrifices faits par

17 Cette description enregistrée par Tapia est fréquemment prise au pied de la lettre pour décrire ce qui sera plus tard assimilé au Huey tzompantli. Les écrits de Tapia sont publiés pour la première fois en 1866, mais sa description se trouve dans différents ouvrages publiés et circulant très tôt comme l’ouvrage de López de Gomara 1985 : 124-125, dans celui de Cervantes de Salazar l985 : 320 ; et dans les écrits de Herrera y Tordesillas 1944-1946 ; Clavijero 1964 : 162 et Orozco y Berra 1880 vol. 1 : 119. Voir Vázquez 1988 : 61-66. 18 Comme nous le verrons plus tard, Aguilar est le conquistador qui a répondu aux questions de Diego Durán sur le tzompantli. 19 Dans ce cas, on ne peut affirmer qu’ils connaissaient la description de Tapia, car cet aspect n’a pas été étudié, mais il est certain que ces images reflètent très bien ce que Tapia a décrit, en particulier ce qui concerne les quatre tours. 20 Exposition du Musée National de Mexico. « Templos de México », catalogue n°116.

21

Jean Paul Duviols (1977 : 315-316) indique que c’est « une architecture monumentale, pseudo romaine, avec des tours et toute la surface est couverte de crânes. » 22 Díaz del Castillo 1974 : 364. Il faut noter que le conquistador ne parle pas de chevaux sur la palissade.

80

La conquête de la terre ferme des deux chrétiens morts. 25 Une autre version des faits que l’on trouve dans les chroniques indigènes : les Anales de Tlatelolco (1948 : 70; 2004: 112-113), le Relato de la conquista por un autor anónimo de Tlatelolco (l985 : 818), la Relación de la conquista por informantes anónimos de Tlatelolco (1972:153) et dans le livre XII du codex Florence (1979), permet de mieux comprendre les transformations subies par le tzompantli. Les indigènes racontent qu’ils ont capturé cinquante-trois Espagnols, beaucoup d’habitants de Tlaxcala, Texcoco, Chalco, Xochimilco, et quatre chevaux. «… Ils ont d’abord tué les Espagnols, puis les Indiens qui étaient leurs amis. Ensuite ils ont mis leurs têtes sur des bâtons devant les idoles, toutes empalées par les tempes, celles des Espagnols en haut, celles des Indiens plus bas et celles des chevaux encore plus bas. » 26 Le livre XII du codex représente fidèlement ce qui est décrit dans les chroniques indigènes. Sur une plateforme en perspective, ce qui démontre bien l’influence occidentale de la représentation, se trouve une armature qui porte une rangée de quatre têtes chacune (Fig. 66). Cette représentation du dernier tzompantli érigé par les Nahuas pendant les batailles pour défendre Tenochtitlán et Tlatelolco a été faite par un artiste indigène sous la direction de Bernardino de Sahagún.27 On y voit les têtes des conquistadors à côté de celles de leurs chevaux.28 Le râtelier est simple, sur une plateforme basse, de la même façon que dans les codex qui relatent la migration mexica et dont nous avons parlé dans la première partie de ce travail, mais elle porte des têtes et non des crânes. Les crânes ne sont pas représentés car ici, le tzompantli n’est pas une offrande, mais l’enregistrement des visages de l’ennemi qui doivent être reconnus. Tout cela diffère de ce que l’archéologie nous dit d’un autre tzompantli que les Indigènes ont érigé pendant les guerres de conquête à Zultepec et dont nous parlerons par la suite (Fig.54).29

les Indigènes. Il explique que les Espagnols dont les têtes ont fini sur le râtelier ont été habillés par les Mexicas qui les ont contraints à danser devant leurs idoles. Puis on leur a arraché le cœur, leur sang a été offert aux dieux et on les a décapités. Dans cette description, il utilise le mot boucherie quand il explique qu’on leur coupait aussi les bras et les pieds pour les manger, non pas fumés ou grillés comme les Cannibales, mais en sauce de chilmole (Díaz del Castillo 1974: 352-357 ; Tapia 1988: 76). La présentation de cette version des faits montre que les Espagnols sont consternés de voir la tête de leurs compagnons sur la palissade après la Conquête, quelle que soit l’explication qu’ils formulent pour tenter de se l’expliquer. II.3. La représentation indigène du tzompantli. Le tzompantli fait partie des sacrifices que les Nahuas faisaient lors d’un cycle de cérémonies complexes liées à plusieurs dieux. Les victimes étaient sacrifiées lors de rituels élaborés qui se terminaient par l’exposition du crâne de la victime sacrifiée et déifiée sur la palissade. Néanmoins, avec la Conquête, le propos se modifie : offrande aux dieux pour avoir plus de force dans la bataille, il devient aussi une arme pour effrayer l’envahisseur.23 Il faut se souvenir que, lors des dernières batailles de la Conquête, les Espagnols capturés par les Mexicas ont été sacrifiés. À certains on a coupé les mains, les pieds, la tête, et on les a envoyés aux populations alliées. Parfois des têtes tenues par les cheveux ont été jetées aux Espagnols ou placées sur leur chemin (Díaz del Castillo 1974 : 352-357), alors que cette façon de faire n’apparaît pas dans les études faites sur les pratiques de guerre des anciens Mexicains (Hassig 1988). Il semble donc que la relation des Mexicas avec le tzompantli, les restes humains et le corps du sacrifié se modifie au fur et à mesure des batailles. Les Espagnols ont été sacrifiés lors de cérémonies consacrées aux dieux, mais une fois le sacrifice terminé, les restes mortels n’ont pas reçu le traitement rituel, puisque l’on a mis sur la palissade leurs têtes et non pas leurs crânes.24 On peut constater ce changement lorsque Moctezuma, effrayé par la tête d’un des Espagnols que ses guerriers ont capturé, ordonne qu’elle ne soit pas offerte dans le temple de México; et pour répondre aux exigences du conquistador, il donne à Cortés les têtes, les os des bras et des jambes

25 Díaz del Castillo (1974 : 181) et « Información de Velázquez » (1999 vol. 1 : 206) enregistrent l´information. Voir aussi Graulich 1994. 26 Sahagún 1979 livre 12 chap. 35 fo. 60v ; 1950-1982 vol. 12, chap. 35: 103-104; l985:799. 27 Á partir de nouvelles fournies par des informateurs indigènes, on enregistre la version des vaincus. La Relation de la Conquête écrite en 1555 en nahuatl est traduite en espagnol en 1577. En 1585, Sahagún corrige le texte nahuatl et termine une nouvelle version en espagnol. Le texte bilingue a été perdu et apparemment une copie a été envoyée en Espagne en 1697 (Robertson 1994: 173-178). 28 Il faut ajouter que ce n’est pas la première fois que les Indigènes empalent la tête d’un cheval. À Tlaxcala, les Espagnols avaient vu couper la tête d’une jument pour la fixer au bout d’une lance. Antonio de Solis (1996 : 115) écrit: « la tête de la jument était la raison du triomphe. Xicoténcatl la portait devant lui au bout d’une lance, et il a remis cette formidable prise de guerre à Tlaxcala devant le sénat. Ensuite elle a été sacrifiée sur l’un des temples de façon solennelle. » On sait aussi que sur la route du Honduras, le cheval de Cortés meurt et les habitants de Tayasal commencent à le vénérer. À Iximché, Guatemala, un cheval a été enterré dans un jeu de balle. 29 Il faut ajouter à cette information des données sur d’autres tzompantli et les palissades érigées par les Indigènes. La citation déjà mentionnée du Chilam Balam de Chumayel, « Les têtes des étrangers étaient scellées au mur à Chakanputun. » Cet évènement est mentionné dans le contexte de l’invasion et de l’arrivée des Itza, mais il est possible qu’il s’agisse d’évènements ayant eu lieu lors de l’arrivée des Espagnols et que la notion cyclique du temps des Mayas les ait insérés dans un contexte antérieur.

23 Il ne faut pas confondre ce qui précède avec le fait qu’à l’époque préhispanique, les Mexicas invitaient leurs alliés et leurs ennemis à voir les sacrifices sur le tzompantli, et, dans ce cas, il acquiert une autre signification. Puisque c’est une offrande destinée aux dieux, c’est une affirmation du pouvoir reconnu par tous les participants, mais pas un élément de coercition. 24 Contrairement au traitement des têtes des victimes sacrifiées avant la Conquête, il semble que les têtes des Espagnols ont reçu un traitement minimum. Il faut donc insister sur la différence entre un crâne et une tête. Le changement qui intervient sur le tzompantli à partir de la Conquête est évident. Lorsque l’acte rituel (le traitement postérieur au sacrifice) qui gomme l’identité du prisonnier de guerre disparaît, le visage de la victime est conservé et on peut l’identifier. On ne peut ignorer que les Espagnols ont déclaré avoir vu les têtes de leurs compagnons et dans le livre XII de Sáhagun (1979), le tzompantli est représenté avec des têtes. On peut donc penser que cela a été fait pour permettre d’identifier les victimes.

81

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels râtelier a pu être interprété comme une métaphore de la très brève soumission des Espagnols et du triomphe momentané des Indigènes.

On ignore comment le râtelier a été interprété à l’époque, bien que des auteurs qui écrivent plus tard sur la Conquête le considèrent comme une prise de guerre que les Mexicas et les habitants de Tlatelolco offrent aux dieux de leurs temples. Les têtes des Espagnols, de leurs alliés et des chevaux ont été accrochées sur la palissade « en mémoire de la victoire que leurs dieux leur ont donnée » estime Torquemada (1975 vol. 2 : 285). Elle devient donc un trophée de guerre et il semble que cette interprétation va se propager dans les images de la Nouvelle-Espagne, supplantant celle des conquistadors à leur arrivée à Tenochtitlán.

II.4.1.1 Tlatelolco Une série de toiles datées de 1660 aurait été le détonateur de ce genre historique (Vargas Lugo et al 2005). Au milieu et en haut de la toile principale, sur les marches de la grande tour, on a systématiquement dessiné les têtes des soldats espagnols et de leurs alliés indigènes empalées sur de longs poteaux dressés. La présentation est très semblable à celle des têtes des condamnés au pilori, ce qui correspond à une conception connue, issue de l’expérience antillaise.31 D’autres exemples du même thème se trouvent parmi les Paravents de la Conquête (Fig. 67), bien que les paravents présentent les restes mortels des Espagnols de façon complètement différente. On y voit une simple palissade, formée de trois poteaux et d’une barre transversale avec quatre têtes. Il est étonnant de voir les têtes sur la barre transversale, et il semble que, comme dans l’exemple précédent, les sacrifices des Indigènes étaient représentés comme s’il s’agissait de l’exhibition des corps des condamnés en Espagne. L’autre structure dressée à côté de la palissade en est la preuve : une sorte de gibet d’où pendent la tête d’un cheval et un corps humain coupé à la taille et attaché par une corde, une jambe encore chaussée, tous les membres tachés de sang pour montrer que le sang coule du corps désarticulé. La peinture de la Nouvelle-Espagne représente très fréquemment le râtelier où étaient exhibées les têtes des Espagnols de la même façon que le lieu où l’on exhibait les restes mortels des personnes exécutées en Europe. Dans ce cas, le tzompantli devient un gibet et dans d’autres cas un pilori. Il est important de souligner cette conception très courante, car elle s’ajoute aux interprétations faites pendant la Découverte et enregistrées pendant la période d’évangélisation, selon lesquelles le râtelier avec ses restes humains est un lieu de punition. C’est ainsi que l’on a confondu le tzompantli avec le gibet et le pilori : le sacrifice avec la punition. Ces images et ces représentations des artistes de la NouvelleEspagne expliquent bien comment le tzompantli était perçu, conçu et compris. D’autres paravents représentant des scènes semblables ne font pas cette assimilation du tzompantli à un lieu de châtiment, mais on y trouve d’autres conceptions européennes concernant l’exposition des restes humains. Dans le premier exemple, le râtelier qui porte les têtes des Espagnols est représenté sur environ un quart du paravent : il a donc été représenté à grande échelle. Il a la forme d’un châssis en bois formé de quatre poteaux horizontaux, soutenant chacun quatre ou cinq têtes. Au total, il y a six têtes de chevaux et douze têtes d’hommes barbus, moustachus, avec des cheveux longs. Il faut y ajouter aussi un bras, encore enfermé dans la manche de son armure métallique. On comprend mal comment sont fixées les têtes des chevaux, alors que celles des conquistadors sont attachées par leurs longs cheveux

II.4. L’image européenne du tzompantli. Les interprétations des premiers Espagnols qui ont vu le jeu de balle et les râteliers de restes humains et de crânes au cours de la Conquête sont peu visibles dans leurs écrits. Une révision détaillée de leurs commentaires et de leurs actes permet d’observer les faits suivants : en général, le jeu de balle n’est pas mentionné par ceux qui l’ont vu, mais ceux qui le décrivent en parlent comme d’un exercice et d’un spectacle. Les râteliers sont, eux, vus de plusieurs façons : nourriture, punition, trophée ou exhibition de sacrifices. Les descriptions de la Conquête de Tenochtitlán suscitent la création d’images sur des paravents, des gravures et des peintures entre le XVIe et le XVIIIe siècle, ce qui nous permet de comprendre comment étaient appréhendés les deux espaces. Le jeu de balle n’est pas représenté, alors que le tzompantli est fréquemment présent. Il figure parmi les évènements les plus notables de la Conquête, en général au moment où les conquistadors entrent à Tlatelolco, et il est présent dans les créations artistiques qui voient le jour sous l’impulsion de la société créole et de ses inspirations sociopolitiques américanistes.30 Nous analyserons dans les pages suivantes le rôle de ces représentations du tzompantli dans l’art de la NouvelleEspagne, car elles expriment des jugements et des analyses déterminants pour la compréhension des différentes interprétations du tzompantli, en particulier celles qui le considèrent comme un lieu de châtiment. II.4.1 La revalorisation du tzompantli. Toute une série d’œuvres d’art, grands tableaux et paravents réalisés du XVIe au XVIIIe siècle par des auteurs anonymes représentent divers évènements de la chute de Tenochtitlán et l’on peut y voir le râtelier qui porte les têtes des conquistadors. Le choix de ce thème mérite une étude plus approfondie et il faut se demander pourquoi le râtelier est replacé dans ce contexte. Peut-être parce que cette structure représente, dans tous les sens du terme, un des évènements les plus spectaculaires et abominables de la Conquête. On peut penser qu’il fait partie de la mémoire sur les atrocités des indigènes, dans une version qui exalte le rôle des conquistadors. Il serait intéressant de savoir si, dans le cadre de ce phénomène, le 30 Cuadriello 1999: 69. La recherche montre que le vice-roi José Sarmiento y Valladares, Comte de Moctezuma (1696-1701), a été le promoteur de la peinture historique sur les paravents. Vargas Lugo 2006 : 100-101.

31

82

Une palissade similaire se trouve sur la peinture de Crispijin de Passe.

La conquête de la terre ferme enroulés sur la barre transversale, ce qui fait qu’elles pendent horizontalement. Le râtelier représenté sur ce paravent est extraordinaire par ses dimensions et ses détails. Il devait servir de modèle pour la conception d’autres paravents (Martínez del Río 2005: 128-130 et note 9). Dans un autre exemple, le râtelier est un cadre avec deux travées : la plus haute porte la tête d’un cheval, deux têtes humaines qui semblent attachées par les cheveux, et une jambe. Celle d’en bas porte deux têtes, un bras, et ce qui ressemble au côté droit d’un corps lacéré qui, comme les têtes, laisse échapper des gouttes de sang.32 C’est un élément nouveau qui n’apparaissait pas dans les deux autres paravents étudiés, mais qui existe aussi dans le suivant. Sur cette pièce, le râtelier est constitué de trois travées sur lesquelles sont distribuées les têtes des chevaux, deux d’entre elles entremêlées avec les sept têtes d’hommes attachées par les cheveux ou par des cordes à des poutres horizontales et quatre extrémités de bras et de jambes. Dans cet exemple, comme dans le précédent, les bras sont sanguinolents, là où ils ont été détachés du corps. On peut se poser la question de savoir quel a été le modèle qui a inspiré l’image du râtelier que nous voyons sur les paravents, puisqu’il ne correspond pas aux descriptions que l’on trouve dans les récits des autres conquistadors, des religieux ou des auteurs qui plus tard ont repris ces écrits pour faire connaître la Conquête. On considère généralement que les faits enregistrés sur les paravents comme des récits épiques sont conformes à l’information de Bernal Díaz et d’Antonio Solis.33 Cela est vrai pour un grand nombre de données et d’éléments, mais n’est pas soutenable en ce qui concerne le râtelier avec les crânes. Díaz del Castillo ne dit pas qu’il y avait des têtes de chevaux,34 et Solis, quant à lui, décrit le grand râtelier, celui que les Espagnols ont vu à leur arrivée à Tenochtitlán et non pas celui qui figure sur les paravents qui datent de la fin de la Conquête. On pourrait donc en déduire que cette représentation s’est inspirée d’autres sources, certaines réelles, d’autres imaginaires, suivant l’imagination des conquistadors et des artistes de la Nouvelle-Espagne. La réponse n’est pas facile à trouver : il faut analyser la description du tzompantli que l’on trouve dans les chroniques et la façon dont sont représentées les têtes attachées aux barres transversales par les cheveux. Cette façon de faire semble correspondre à des pratiques caractéristiques d’autres peuples infidèles ennemis des Espagnols dont la plus grande peur est de se voir couper la tête (Vázquez de Tapia 1988: 144).

Comme nous l’avons dit, Hernán Cortés et les autres conquistadors ont décrit les prêtres et les temples de Tenochtitlán sur la base de ce qu’ils connaissaient, les nommant Maures et mosquées (Gruzinski et Bernand 1988 : 22-25 ; Lestingant 1997 : 59). La menace des Turcs et autres musulmans était un problème pour les Espagnols de l’époque, et l’on peut supposer que la manière de représenter le râtelier de crânes dans la peinture de la Nouvelle-Espagne se fonde également sur des préjugés. Pour cette raison, il semble que les têtes des Espagnols capturés par les Américains infidèles sont représentées comme les têtes des Chrétiens égorgés et présentés à leurs chefs par les Maures, comme si les restes humains des Espagnols à Tenochtitlán avaient été traités de la même façon que ceux des Chrétiens en Tunisie. En tout cas, ils sont considérés comme des trophées de guerre. Il existe un exemple, unique pour l’instant, sur un tapis représentant la sortie de l’ennemi de La Goleta et qui date de 1548/54, où l’on voit deux soldats turcs portant des têtes décapitées de soldats chrétiens devant leurs chefs. 35 Une des têtes, barbue et à la figure allongée est tenue par les cheveux et sa représentation nous rappelle celle des têtes barbues accrochées à la palissade sur le paravent, oeuvre singulière qui représentent les têtes à grande échelle. Nous ne voulons pas dire que l’artiste qui a fait le paravent connaissait le tapis, mais simplement suggérer que cette représentation de restes humains donnés en offrande par les Indigènes reflète la conception des conquistadors sur les pratiques des infidèles américains qu’ils ne considéraient pas très éloignées de celles des infidèles qu’ils avaient eu à combattre en Europe. Il semble donc que toutes les pratiques post mortem de tous les groupes d’infidèles étaient représentées de la même façon.36 Les tours de crânes et les têtes empalées n’étaient pas très différentes.37 35

En 1535, les Turcs envahissent Tunis et ses habitants demandent de l’aide aux Espagnols. La bataille décrite par la tapisserie se déroule dans ce contexte. Il s’agit d’une série intitulée « La Conquête de Tunis ». Voir El mundo de Carlos V de la España medieval al siglo de oro 2000 : 52. On y voit les troupes dirigées par le Marquis de Alarcón attaquées par les cavaliers turcs. Ceux-ci montrent les têtes des soldats chrétiens (Roux 1984 : 230-245, 252-253). 36 La proposition est acceptable si on compare la description que fait le conquistador Andrés de Tapia (1988 : 108-109) de ce qu’il a vu à Tenochtitlán : « Il y avait sur le fronton de cette tour soixante ou soixante-dix poutres très hautes, inclinées hors de la tour d’environ un tir d’arbalète, au-dessus d’un grand théâtre fait de chaux et de pierres. Sur les gradins, il y avait beaucoup de têtes de mort, collées avec de la chaux, les dents vers l’extérieur. Aux deux extrémités de ces poutres, il y avait deux tours faites de chaux et de têtes de mort, sans autres pierres, les dents vers l’extérieur… », avec celle faite en 1403 par Ruy González de Clavijo (1782 : 22). Le valet de chambre du roi de Castille et de Léon, Henri III, dit que pendant le voyage, ils arrivent dans une ville appelée Damogan : « hors de la ville, comme à un tir d’arbalète, il y avait deux tours, aussi hautes que ce qu’un homme peut atteindre en lançant une pierre, faites de boue et de têtes humaines. Deux autres tours s’étaient écroulées. » Les ressemblances entre les deux descriptions sont évidentes. 37 Yves Le Fur (1999 : 69-82) fait référence à des « charniers-trophées » et explique comment ils sont confondus avec les « ossuaires religieux ». Il parle des pyramides de têtes de Tamerlan à Ispahan et à Bagdad. Il mentionne aussi la tour de Djerba en Tunisie édifiée par les Turcs (1560) avec cinq mille crânes d’Espagnols. Le Burj-al-Rus, tour de têtes de mort, a existé jusqu’en 1848. L’image de la Tour de Djerba est enregistrée par Francesco Reinhard. Voir Stahl 1986 : 81-85.

32 Il faut se souvenir que les Espagnols ne font jamais référence à des têtes en état de décomposition. 33 Elisa Vargas Lugo 2005: 104 et 115. Dans un autre paragraphe, l’auteur explique que l’œuvre de Solis a été publiée en 1683, soit dix ans après la fabrication des paravents, et n’a donc pas pu influencer leur iconographie. On peut penser que Solis en réunissant des informations et du matériel a obtenu de nouvelles informations. 34 Il faut signaler que le conquistador ne parle pas de chevaux sur le râtelier. Il écrit : « il y avait des poutres en hauteur,... et sur ces poutres de nombreuses têtes d’Espagnols qui étaient morts et avaient été sacrifiés dans les batailles antérieures… (qui) avaient la barbe et les cheveux longs, beaucoup plus que lorsqu’ils étaient vivants » (Díaz del Castillo 1974 : 364).

83

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels et attachées aux travées par les cheveux, sur une même ligne et toujours suspendues horizontalement. Malgré ces différences, on ne peut nier les ressemblances entre le râtelier du codex et celui des ouvrages de la NouvelleEspagne, en particulier du fait que, sur les paravents, les têtes sont sanguinolentes. Rechercher les œuvres dont disposaient les artistes de la Nouvelle-Espagne dépasse le cadre de ce travail. Cependant, parmi les écrits qui relatent les évènements se déroulant autour du râtelier érigé par les Mexicas et les habitants de Tlatelolco, seuls ceux qui parlent de la vision des vaincus (les Anales de Tlatelolco, la Relación de la Conquista... et le livre XII du codex de Florence) utilisent les mêmes termes que le paravent, c’est-à-dire les têtes des Espagnols et de leurs chevaux. Il semble donc que la représentation telle que nous la trouvons dans les oeuvres de la Nouvelle-Espagne n’est pas le fruit d’un modèle littéraire issu des écrits d’un conquistador ou d’un chroniqueur européen. L’épisode tout comme le râtelier a été dessinés en suivant un document élaboré par des scribes indigènes sous les ordres de Sahagún, dont de nombreuses copies circulaient en Europe. La confrontation des récits et des images renforce cette observation et permet de déterminer comment les artistes ont appréhendé les restes humains des Espagnols accrochés au râtelier. Les « Enconchados » de la Conquête (García Sáiz 1980 vol. 2 : 80-81; 1999 : 108-141).sont une autre manifestation artistique de la Nouvelle-Espagne qui représente les faits. Ils constituent un exemple intéressant car le râtelier de Tlatelolco y est représenté de façon figurative comme un arbre des branches duquel pendent les restes des hommes et de leurs chevaux. Cette image fait resurgir une scène similaire faisant allusion à la nourriture cannibale, et que l’on trouve sur les vignettes des cartes et des planisphères, en particulier dans la carte de Diogo Homen, dans celle de Mercator et dans celle d’Ortelius. Comme nous le verrons plus loin, les restes humains représentés accrochés à un arbre sont un thème très important. Sur les paravents de la Conquête, le râtelier de Tlatelolco est représenté avec les têtes des Espagnols accrochées, mais cela n’est que la suite des évènements qui ont eu lieu à Zultepec. Parmi les défaites subies par les Espagnols dans cette guerre, il faut citer ce qui s’est passé dans un village situé entre Chalco et Tlaxcala et appelé Pueblo Morisco par les Espagnols. Les Indigènes y ont tué cinq cavaliers et quarante-cinq soldats, des hommes de Narváez, de Cortés et quelques habitants de Tlaxcala. Certains sont emmenés à Texcoco où ils sont sacrifiés, et les autres restent à Pueblo Morisco. En représailles, Hernán Cortés envoie Gonzalo de Sandoval pour punir les habitants de ce village et, bien que ceux-ci effacent les preuves, Sandoval trouve « beaucoup de sang espagnol… et deux visages écorchés aux cuirs traités comme la peau des gants, avec leurs barbes et mis en offrande sur un autel. Également… quatre peaux de chevaux, tannées, très bien préparées, avec les crins et les fers, accrochées à leurs idoles… » (Díaz del Castillo 1974 : 296-297 ; Cortés 1985). Nous avons là un exemple des recherches qui ont su conjuguer les évidences archéologiques et historiques. Il

Les Turcs et les Indiens d’Amérique sont donc représentés de la même façon.38 C’est ce que démontre l’arc de triomphe dessiné par Giulio Romano pour recevoir Charles-Quint à Milan en 1541, sur lequel on voit l’effigie du souverain à cheval abattant les ennemis de la foi : un Berbère, un Turc et un Indien américain (Estenssoro Fuchs 2005: 106-108). Cette vision perdure, et on la retrouve dans les appréciations et comparaisons faites par les chroniqueurs sur les infidèles américains et les autres. Ils mettent sur le même plan les rites et les coutumes des Indiens, des Maures et des idolâtres39 et considèrent que les usages guerriers40 sont les mêmes, à tel point que sur certaines images et vignettes des cartes, on représente des Amérindiens décapitant un moine avec un sabre .41 Si quelques éléments représentés dans les œuvres artistiques dérivent de préjugés européens, leur présence répétée montre la capacité de projection d’une image de conception indigène sur l’environnement de la NouvelleEspagne. La ressemblance formelle entre le râtelier des paravents et celui du codex de Florence fait par un artiste indigène, permet de spéculer que ce codex (ou un document qui y est lié) a probablement servi de modèle à la représentation du tzompantli. De quelles sources disposaient ces auteurs s’ils ne se sont pas inspirés des écrits des conquistadores ? L’un d’entre eux avait-il vu la copie du récit de la Conquête dans une version indigène des faits ? La conception du râtelier, tel qu’il est représenté sur les paravents, provient-elle d’une description ou d’une image d’une des versions copiées de l’ouvrage de Sahagún qui circulait en Europe42 et où il y a une description et une représentation du sacrifice des conquistadors ? On relève également des différences importantes : dans le codex de Florence, les têtes des Espagnols étaient perforées sur les tempes et accrochées sur la travée supérieure, alors que celles des chevaux étaient en dessous. Par contre sur les paravents, les têtes des Espagnols et celles de leurs montures sont alternées 38 Le Turc et le Tartare représentaient le comble du vice et de la cruauté pour les chroniqueurs européens qui évaluaient le degré de barbarie des autres peuples (Cuadriello 2004: 100 n.7). 39 Juan Suárez de Peralta (1990: 55). André Thevet (1957 chap. 40) écrit à propos des Tupinambas du Brésil « … Auparavant, les Turcs, les Maures et les Arabes… suivaient cette mode… et par la suite ils utilisent les mêmes armes que nos sauvages (Lestringant 1997 : 59). 40 Diego Muñoz Camargo (1982-1987 vol. 4 : 138) écrit que les Chichimèques et les Turcs utilisent les mêmes armes. Voir aussi la Relación de Querétaro (1982-1987 vol. 9 : 225) et la Relación de Tiripitío (1982-1987 vol. 9 : 370 et 374) qui dit que les Chichimèques peuvent se comparer aux Arabes ou aux Africains et qu’ils étaient voleurs comme les Maures. De son côté, Juan Suárez de Peralta (1990 : 55) dit que les rites et les coutumes des Indiens sont les mêmes que ceux des Maures et des idolâtres. 41 La légende correspond au plan inclus dans l’édition faite par Andrés Marcos Burriel de l’ouvrage de Miguel Venegas, Notícia de California... de 1757 dans León Portilla (2001 fig. 76). Il est intéressant de noter l´enregistrement d’Irving Leonard (1996 : 47). Gráciles Rodríguez de Montalvo écrit « … des griffons qui mangeaient de la chair humaine dans l’île de Californie et avaient combattu avec les Turcs », car cela démontre que c’est une référence constante. 42 Une copie de la « Relación de la conquista » est emmenée en Espagne en 1697 (D' Olwer et Cline 1965-1984 vol. 13 : 201-202). On pourrait penser qu’ils se sont basés sur Torquemada (1975 vol 2: 285) qui s’est lui-même basé sur les données de Sahagun (León Portilla 1975 vol. 7 : 177), mais son ouvrage Monarquía Indiana ne fut connu du public qu’en 1723 car la 1e édition se perdit dans un naufrage en 1615.

84

La conquête de la terre ferme a été établi que le village appelé Pueblo Morisco par les Espagnols et Zultepec par ses habitants, se nomme aujourd’hui Tecuaque et se trouve dans le municipe de Calpulalpan, Tlaxcala. Ces dernières années, l’archéologue Enrique Martinez Vargas y a réalisé une série de fouilles et a montré que c’était un centre important construit autour de trois places, sur différents niveaux qui communiquaient entre eux. Parmi le matériel récupéré sur ce site, on trouve des ossements de chevaux dans le sol de la première place. Sur la seconde, dominée par une structure circulaire et une petite base rectangulaire, à l’angle sud-ouest de la plateforme adossée au temple circulaire, Martínez Vargas (1993, 2005) a trouvé quatorze crânes humains disposés en désordre et couverts d’un brasero décoré de cœurs. Tous les crânes sont perforés sur les deux tempes, ce qui permet d’affirmer qu’ils étaient accrochés sur un râtelier. L’archéologue pense qu’apprenant que les Espagnols venaient se venger, ils l’ont démantelé et les crânes ont été cachés précipitamment. Il pense que le tzompantli devait être situé sur la base rectangulaire, devant le temple circulaire. L’analyse des ossements de ces quatorze crânes a révélé que dix provenaient d’autochtones, trois sont des crânes de femme (deux Espagnoles et une mulâtre) et un appartenait à un Espagnol. Ceux qui ont été capturés ont donc été sacrifiés et décapités par les habitants de Zultepec. Leurs têtes ont été écorchées, bouillies dans de l’eau de chaux et leurs crânes exposés sur un râtelier, jusqu’à ce qu’ils apprennent l’arrivée prochaine de Sandoval et de ses hommes.

provienne probablement de documents rédigés par l’autre conquistador, Francisco de Aguilar,44 la différence entre les descriptions est minime. Acosta dit que « face à la porte du temple de Huitzilopochtli, il y avait trente gradins de trente brasses de long… en haut des gradins, il y avait un passage de trente pieds de large, bien chaulé. Au milieu de ce passage, une palissade bien faite avec de très grands arbres alignés à une brasse les uns des autres. Ces troncs d’arbres étaient très gros et ils étaient tous percés de petits trous. De haut en bas, ils étaient reliés les uns aux autres par des morceaux de bois fins fixés dans ces trous. Sur ces barres, de nombreuses têtes humaines étaient enfilées par les tempes : vingt crânes par barre de bois. Ces rangées de têtes allaient de haut en bas des troncs d’arbres, remplissant la palissade de bout en bout de tant de crânes qui vous remplissaient d’admiration et de dégoût… » (Acosta 1940 : 237-238). La description du râtelier de crânes faite par Acosta a été davantage diffusée que celle de Tapia, car elle a été publiée au XVIe siècle alors que celle du conquistador ne l’a été qu’au XIXe siècle. La description de Tapia a donné lieu à la formulation tardive d’images qui ne correspondent pas à la réalité, et celle d’Acosta dans l’ Historia… a forgé la conception européenne d’une des premières visions du râtelier de crânes par les conquistadors à leur arrivée à Tenochtitlán. Une gravure de 1601 issue des ateliers de De Bry (1997 : 293) montre le grand râtelier du Templo Mayor de Tenochtitlán et les sacrifices qui s’y déroulaient (Fig. 68). Ses auteurs ne l’ont bien sûr jamais vu et se sont fondés sur un modèle littéraire pris dans les récits d’Acosta (1940 : 237-238 ; Elliot 1997 : 449) : la représentation est donc une invention qui combine quelques caractéristiques du râtelier et de la pyramide. Le dessin est repris dans plusieurs ouvrages. Sur une gravure de Picart Le Romain, publié par Duviols (1977 : 315), on le retrouve conçu par les ateliers de De Bry, mais en insistant sur l’importance des sacrifices qui se déroulent au sommet. C’est une représentation figurative qui, malgré sa diffusion, ne sera pas comprise. Elle est masquée par une autre image, également conçue à partir de la description de Joseph de Acosta qui s’est lui-même inspiré des écrits du conquistador Francisco de Aguilar.

II.4.1.2 Tenochtitlán Ces évènements ne figurent pas dans la série d’images dont nous avons parlé, mais d’autres exemples mettent en évidence que la représentation du tzompantli se propage dans l’art de la Nouvelle-Espagne. Son image revalorisée et réutilisée au XVIIIe siècle change de signification et de fonction pour s’aligner sur des critères occidentaux qui les assimilent à leurs images épiques et à leurs plus grandes peurs. Il a été prouvé qu’Andrès de Tapia a décrit minutieusement le râtelier qu’il a vu en arrivant à Tenochtitlán, et les conquistadores l’ont interprété comme une démonstration de sacrifices et de cannibalisme. On retrouve ce raisonnement dans le livre VII de l’Historia natural y moral de las Indias… de Joseph de Acosta (1940) qui dit que le râtelier portaient les crânes de ceux qui avaient été sacrifiés et mangés. Bien qu’il n’ait pas vu personnellement celui de Tenochtitlán,43 et que la description qu’il en fait

II.4.2. Le trophée Antonio de Solis, lorsqu’il écrit son Historia de la conquista de México, población y progresos de la América septentrional doit, pour décrire le râtelier que les conquistadors ont vu, choisir entre la version d’Andrés de Tapia qu’il connaît à travers les écrits d’Antonio de Herrera y Tordesillas, ou celle de Joseph de Acosta. En terminant son ouvrage en 1684, il préféra choisir la description de ce dernier. Les raisons de son choix sont : « … Herrera se contente de suivre Francisco López de

43 On sait que le livre 7 d’Acosta reprend le Manuscrito Tovar, écrit par Juan Tovar, document qui récupère les informations du travail de Diego Durán. En 1568, Tovar avait écrit une première version basée sur des documents préhispaniques et avec l’aide d’informateurs indigènes. Cette version a été perdue. Quelques années plus tard, Acosta a recours à Tovar pour obtenir des informations ce qui l’oblige à écrire une seconde version à partir de ce dont il se souvient et de l’œuvre de Diego Durán (Tratado de los ritos y ceremonias y dioses que en su gentilidad usaban los indios desta Nueva España 1980: 95-96 ; Manuscrit Tovar 1972 : 86-87). Le rapport entre l’œuvre d’Acosta, le Manuscrit Tovar, le Codex Ramírez et Alvarado Tezozomoc a été le

sujet de travaux. Pour un résumé de ces propositions, voir Romero Galván 2003: 185-196 ; Romero Galván et Camelo 2003: 229-257. 44 En 1570, Diego Durán écrit le « Libro de los ritos y ceremonias en las fiestas de los dioses y celebración de ellas », dans lequel il parle du grand râtelier, ce qui renforce l’idée qu’il a reçu des informations d’un conquistador, Jerónimo de Aguilar. (Durán l984 vol. 1 : 23).

85

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels deuxième lettre d’Hernán Cortés, nous montre une des plus anciennes représentations européennes de l’enceinte du Templo Mayor qui incorpore un râtelier.46 On retrouve le râtelier à l’intérieur de l’enceinte dans plusieurs représentations, mais il existe des peintures qui le situent ailleurs, preuve que dans les reconstructions, le tzompantli se déplace. Toutes ces images montrent l’importance du râtelier de crânes à l’époque de la Nouvelle-Espagne et comment son rôle et sa signification ont été altérés par l’assimilation à un nouveau contexte. C’est le cas en particulier des toiles et des gravures qui représentent la première rencontre entre Cortés et Moctezuma II, thème récurrent étudié par Jaime Cuadriello (1999 : 50-107).

Gomara : ceux qui l’ont vu avaient autre chose à faire et les autres ont dessiné ce qu’ils ont voulu. Nous avons suivi le père d´Acosta et d’autres auteurs mieux informés » (Solís 1996 : 168). Solis, en suivant ce qui est écrit dans l’ouvrage d’Acosta (Boone 1987: 14-17), émet l’opinion suivante sur le tzompantli : « un trophée pitoyable où l’ennemi de l’homme manifestait sa rancœur ». Il ne parle pas des actes cannibales signalés par Acosta, mais il faut remarquer qu’à partir de ses écrits, on applique systématiquement le dénominatif « trophée ». L’ouvrage de Solis a eu beaucoup de succès et sa description a largement influencé les arts plastiques de la Nouvelle-Espagne. Dans une série de gravures et de parchemins, on perçoit que le râtelier a perdu sa relation avec le cannibalisme et qu’il est resitué dans le contexte des batailles entre les Espagnols et les Indigènes. L’usage du terme « trophée » pour qualifier le râtelier de crânes le transforme en une commémoration et un souvenir du prisonnier capturé, la dépouille du rival vaincu. Comme nous l’avons proposé, la description d’Acosta enregistrée par Solis provient probablement d’un conquistador.45 Cette description constitue la source littéraire ayant permis l’élaboration de la représentation du tzompantli, telle qu’on peut la voir sur la gravure qui représente l’enceinte du Templo Mayor de Tenochtitlán, et qui illustre plusieurs éditions de l’ouvrage de Solis. On ne sait si cette gravure se trouve dans la première édition en Espagnol, publiée à Madrid en 1684, mais nous l’avons trouvée dans les éditions suivantes et dans celles traduites en plusieurs langues et éditées au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Par exemple, dans la cinquième édition de la traduction française de l’Historia datant de 1691, on voit une grande pyramide entourée d’une muraille et le râtelier se trouve hors de l’enceinte. Il est dessiné comme une plateforme rectangulaire d’un étage avec un escalier central, portant une rangée de poteaux verticaux qui soutiennent deux à deux des barres transversales avec un seul crâne perforé horizontalement. Le râtelier semble entourer le sommet de la plateforme comme une balustrade. L´image se trouve dans la cinquième édition en espagnol de 1704, sur la première édition anglaise de 1724, sur une gravure de John Clark et sur une série de gravures qui font partie de l’Atlas français de la fin du XVIIIe siècle (Fig. 69). Cette représentation a été largement diffusée, mais dans certains cas, les traits caractéristiques ont été modifiés. Les crânes disparaissent du râtelier sur les copies tardives (1723 et 1790) ; elle devient propre et dépourvue de restes humains. Cette nouvelle représentation du tzompantli conçue à partir de la version de Solis s’ajoute à la représentation figurative réalisée par l’atelier de De Bry, et, avec l’exemple du plan de Tenochtitlán qui fait partie de la

II.4.3 Le rencontre de Cortés et de Moctezuma Le râtelier de crânes est également présent sur une série d’images qui relatent cette rencontre : une gravure de l’édition madrilène de 1783 de l’ouvrage de Solis, une peinture à l’huile sur feuille de cuivre identique à la gravure.47 Il est fréquent de voir le râtelier de crânes tel qu’il fut représenté sur la première gravure du Templo Mayor de Tenochtitlán de Solis, sur ces images qui retracent l’arrivée solennelle de Cortés à Tenochtitlán et sa rencontre avec Moctezuma. Il est tracé en suivant les mêmes paramètres et se trouve hors de l’enceinte, mais entre de hauts bâtiments, juste derrière la scène où Moctezuma, sous un dais, reçoit un collier que Cortés lui met autour du cou (Fig.70). Cet événement se retrouve sur une peinture qui fait partie d’une série de douze toiles sur la Conquête de Mexico (Cuadriello 1999: 83-93 notes 74 et 80), faite par un artiste anonyme du XVIIIe siècle: le grand râtelier de crânes est visible à l’horizon. Cet exemple, comme les précédents, confirme que la conception de Solis est acceptée par tous, malgré les divergences sur la localisation du tzompantli. Quand Cortés entre pour la première fois à Tenochtitlán avec son armée, il est reçu par Moctezuma sur la chaussée d’Iztapalapa, au bord de la lagune, dans un lieu d’où l’on voit la ville. Les auteurs décrivent cette scène, mais ne disent jamais que l’on voit le grand râtelier de crânes à l’horizon,48 puisque ce n’est que quelques jours plus tard qu’ils apprennent son existence, lorsqu’ils visitent l’enceinte.49 46 Dans les reconstitutions du Conquistador anonyme, de 1556 à celles de Diego de Valadés, publiée en 1579, qui sont antérieures à celles de Solis, le râtelier n’apparaît pas (Boone 1987 : 6-14). 47 Selon les spécialistes, la ressemblance démontre « qu’il s’agit des esquisses originales ayant servi à son transfert » (Cuadriello 1999: 7180, 92-93. Voir aussi Rubial et Suárez Molina 1999 : 142-179. Les dessins antérieurs à cette scène et les autres gravures qui accompagnent cette édition de l’ouvrage de Solís sont d’Ildefonso Vergaz et de José Ximeno, et ont été gravés par Juan Moreno Tejeda. 48 Bernal Díaz del Castillo (1974) et Antonio de Solís (1996) décrivent ce moment et le lieu où se déroule la rencontre. Ils sont en dehors de l’enceinte et se dirigent vers le palais d’Axayacatl qui se trouve à l’intérieur. La chaussée d’Iztapalapa, baptisée par la suite de Saint Anton, est aussi appelée Calle Real. C’est là que Cortés fait édifier l’Hôpital de la Limpia Concepción, ensuite appelé de Jésus (Cuadriello 1999 :78). 49 Pour sa part, Alfredo Chavero (1953) se réfère à cette rencontre. Il dit que « la chaussée d’Iztapalapa communiquait avec celle de Coyoacán par une digue plus au sud, en un point où se trouvait le Cihuateocalli, et

45

Comme nous le verrons plus tard, à propos de l’œuvre de Diego Durán, la description de la palissade reprise par Acosta a donné lieu à une série d’images faites par des Européens qui à leur tour ont donné naissance à d’autres images faites par des artistes indigènes. La description que Durán obtient d’Aguilar a produit les images du Huey Tzompantli, l’une faite par des Européens et l’autre faite par des tlacuiloque. Elles démontrent qu’à partir d’une même description faite par les conquistadors sont apparues des conceptions très différentes.

86

La conquête de la terre ferme Pour quelles raisons le râtelier de la gravure de la reconstitution de l’enceinte du Templo Mayor de Tenochtitlán par Solis a-t’il été représenté dans ce contexte ? C’est une claire démonstration du transfert d’une image du tzompantli conçue par un artiste de la Nouvelle-Espagne, et de la reformulation de son rôle en fonction d’un contexte nouveau. L’analyse de son usage répété nous explique comment il a été conçu et compris par les Européens et comment des fragments d’informations et d’images ont été arrangés et réarrangés pour former une mosaïque changeante qui fournit une image du tzompantli.

œuvres faites un siècle et demi après la Conquête, les restes humains accrochés au râtelier ne font plus référence au cannibalisme, mais se rattachent aux prouesses des conquistadors et des Indigènes pendant la guerre de Conquête. D’abord comme trophées, puis comme éléments d’évènements militaires et spirituels importants : la première rencontre et la première messe. L’idée que les dépouilles humaines accrochées sont liées à des pratiques anthropophagiques disparaît, mais on la retrouvera dans certaines images d’artistes du XIXe siècle. II.4.5. Saloir ou ossuaire Sur une peinture d’Adrián Unzueta datant de 1898 (Ramírez 2003 : 115) intitulée « Le tzompantli (tour de têtes de mort), prisonniers espagnols sacrifiés par des prêtres aztèques sur un temple » (Fig. 72), la décapitation des Espagnols et la façon de percer leurs têtes pour les placer sur le râtelier sont représentées au pied de la plateforme du grand tzompantli. On voit une grande tour de crânes sur une plateforme portant une palissade élaborée avec quelques têtes d’Espagnols et de nombreux crânes humains.51 L’œuvre d’Unzeta a été critiquée, entre autres, pour son manque de connaissances en histoire, en costumes et en archéologie (Bonilla 2003: 208 note 91). Notre objectif n’est pas d’étudier l’œuvre d’Unzeta, mais elle est intéressante comme exemple des multiples conceptions du râtelier ayant existé au cours des siècles et où persiste l’idée de lien avec l’anthropophagie. Dans cette peinture, l’artiste mélange le grand tzompantli que les Espagnols ont vu à leur arrivée à Tenochtitlán avec celui qu’ils ont vu à Tlatelolco, une fois la Conquête terminée, comme si ce dernier, où les Mexicas ont mis les restes des conquistadors, avait été dressé sur la place principale de Tenochtitlán pour procéder à des sacrifices et en prévision d’un festin cannibale. Où Unzueta a-t-il trouvé les informations pour représenter cette scène ? Nous ne savons pas sur quelles références il s’est appuyé car ce tableau a été peu étudié.52 Néanmoins il est évident qu’il représente un épisode relaté dans la chronique d’un des conquistadors, comme Díaz del Castillo.53 Cette peinture

II.4.4. La première messe Notre propos n’est pas d’expliquer l’insertion du râtelier dans une peinture de la Nouvelle-Espagne où l’on voit la rencontre entre Cortés et Moctezuma, ni dans un tableau peint au milieu du XVIII siècle par José Vivar y Valderrama pour la chapelle de Talabarteros (Cuadriello 1999 : 101 ; Rubial et Suárez Molina 1999 : 161-162 et 302) qui représente la consécration des temples païens et la première messe à Tlatelolco (Fig. 71), mais d’enregistrer comment les Espagnols interprètent le tzompantli et les restes humains qui y sont accrochés pour démontrer combien ils sont changeants, et souligner combien cette image est importante dans le mouvement artistique de la Nouvelle-Espagne. 50 Pourquoi avoir représenté le râtelier, selon le modèle établi dans l’ouvrage de Solis, dans le décor qui entoure la célébration de la première messe par Frère Bartolomé de Olmedo devant un public d’Indiens et d’Espagnols, dans le temple de Huitzilopochtli de l’enceinte sacré du Templo Mayor ? Sa présence s’insère dans une série d’images qui exaltent les découvertes des conquistadors, mais sert-elle également à faire ressortir les horreurs des Indigènes, ou s’agit-il seulement de signaler le lieu, voisin du temple de Huitzilopochtli ou l’idolâtrie a été vaincue et la foi chrétienne diffusée ? Pour répondre à ces questions, il faudrait approfondir l’analyse et examiner toutes les images formant partie des ouvrages littéraires et artistiques, produits pendant l’époque de la vice-royauté, alors que le râtelier n’y figure pas toujours. Nous nous contenterons de signaler que les informations qui ont donné naissance à cette représentation ont été fournies par un conquistador et interprétées par des artistes européens de la Nouvelle-Espagne. Face à la revalorisation de la présence du râtelier dans ces images du XVIe et XVIIe siècles, il faut souligner que dans les

51 Comme nous le verrons plus tard, le tzompantli va progressivement être assimilé au gibet, et il faut remarquer que, dans ce cas, la palissade du tzompantli est très semblable à un gibet multiple. Voir par exemple « Le gibet de Montfaucon » dans la Chronique de St. Denis (Gonthier 1998 : 96-97). 52 On sait qu’Unzueta a travaillé au Musée National pour faire des copies des codex, il devait donc posséder de nombreuses informations. Il a aussi travaillé avec des médecins, ce qui lui a permis de maîtriser l’anatomie (Fausto Ramírez, communication personnelle, octobre 2008). 53 On a pensé qu’il était possible qu’il ait eu ce renseignement dans Alfredo Chavero, « Historia Antigua », México a través de los siglos, publié entre 1884 et 1889, mais cet auteur ne mentionne pas les râteliers vus par les conquistadors au début et à la fin de la Conquête. On a dit également qu’Unzueta avait eu entre les mains le récit de la Conquête fait par Bernardino de Sahagún dans le livre XII de l’Historia General de las cosas de la Nueva España, d’abord publié par Carlos María Bustamante en 1829, mais le fait qu’Unzueta n’inclut pas les têtes de chevaux sur le tzompantli remet en cause cette hypothèse, vu que c’est un élément important du récit. Il faut aussi tenir compte qu’Unzueta partageait les idées exprimées par Justo Sierra dans Elementos de la Historia Patria et Catecismo de Historia Patria où il oppose les Aztèques sanguinaires aux Toltèques civilisateurs. Quand Sierra (1946

c’est dans ce temple que Cortés et Moctezuma se sont rencontrés. » Il déclare donc que la réunion ne s’est pas faite en face de l’église de Jésus. Il faut ajouter que d’aucun de ces deux lieux, on ne pouvait voir le tzompantli. 50 Cuadriello 1999 : 101-102. La chapelle de la « Cruz de los Talabateros », de forme octogonale, en face de l’aile ouest de la cathédrale a été rectifiée au XVIIIe siècle et jouait le rôle de portique historique de la ville. Cela n’explique pas pourquoi on dressait le râtelier, mais justifie son emplacement sur les peintures et les gravures. Le Huey tzompantli, finalement, est celui que les conquistadors ont vu en entrant à Tenochtitlán. Il faut également se demander si le tzompantli figurait dans les mises en scène de la Conquête pendant la Colonie. Pour en savoir plus sur le sujet, voir Cuadriello 1999 : 75 note 57 et Zavala 1994.

87

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels a fait partie de la vingt-troisième exposition de l’École Nationale des Beaux Arts de Mexico et a été l’objet d’une caricature dans la revue Hijo del Ahuizote. On y voit « d’un côté, la scène peinte par le jeune homme (Unzueta) : les Mexicas sciant des « gachupines », et de l’autre ce qu’il aurait du peindre : le massacre des indigènes par les Espagnols… ». Les commentateurs de la caricature ont dit qu’ « évidemment le journal a pensé que le tableau d’Unzueta présentait le point de vue pro-hispanique en passant sous silence la violence des conquistadors espagnols. Il a considéré scandaleux que, dans une exposition qui déjà sous-estimait l’art national, l’une des rares peintures mexicaines dénigre les valeurs nationales au lieu de les défendre. » (Bonilla 2003: 208-209). Au lieu de montrer la cruauté des Espagnols, comme habituellement dans les peintures,54 Unzueta a représenté la cruauté des Indiens vis-à-vis des Espagnols, ce qui a déplu aux libéraux de tradition anti-hispanique qui perçoivent l’Indien comme une victime. C’est ce qu’a voulu exprimer le journal Hijo del Ahuizote en alimentant la tradition de la légende noire de l’Espagne. Dans son tableau, Unzueta a fait une sélection de thèmes semblable à celles des artistes de la Nouvelle-Espagne. Il considère le râtelier selon les mêmes critères, mais en isolant les faits. Il fait référence à une pratique indigène que l’époque nationaliste juge des plus détestables, alors qu’on assiste à un regain d’intérêt pour le passé indigène : sa peinture est donc perçue comme pro-hispanique. Le râtelier de crânes, « le tzompantli… », dans cette œuvre comme dans la caricature qui la critique et la conspue, se place dans le contexte des pratiques cannibales des anciens Mexicains et cette interprétation contredit ce que l’on voit sur les gravures, peintures et paravents élaborés pendant l’époque coloniale, où cet aspect n’a pas beaucoup d’importance. On peut se demander quels sont les facteurs qui ont déterminé sa présence dans ce contexte. En d’autres termes, il faut tenter de savoir pourquoi Unzueta a décidé de représenter cet épisode de la Conquête.55

Il est impossible de comparer les motivations qui poussent les artistes de la Nouvelle-Espagne du XVIIe et ceux du XIXe siècle à peindre un tzompantli, mais on peut comparer leurs œuvres et voir comment, au cours des siècles, les caractéristiques du râtelier de Tlatelolco sont passées à celui de Tenochtitlán et comment les deux ont fusionné alors que les idées sur leur structure même continuaient à changer. Les caractéristiques les plus anciennes, celles qui concernent les restes humains, l’anthropophagie et les trophées de guerre, sont conservées, d’autres apparaissent reliant le râtelier aux pratiques funéraires en le considérant comme un ossuaire, ou un cimetière. II.5. Les pompes funèbres du tzompantli. Aujourd’hui, on peut trouver une représentation du tzompantli sur la grande avenue Reforma, au-dehors du Musée d’Anthropologie, dans un mural-sculptorique conçu par l´artiste Manuel Felguerez, au centre de la ville de Mexico, sur une plateforme, entre les réjouissances, fêtes populaires, et danseurs, vendeurs, curieux, visiteurs, touristes, travailleurs et une multitude de personnes présentes pour la fête du jour des Morts. Dans le premier cas, l´oeuvre évoque la mort sacrificielle que rappelle la bataille, inspirée sur d’anciens modèles de l´époque préhispanique : les murs de crânes des Aztèques et des anciens Mayas sont la référence directe de l´ouvrage de Felguérez et de celui de Sebastián, une alternance d´ombre et lumière intitulée « Tzompantli » de 1995. Par contre, dans les autres cas, on leur attribue un autre sens. Au centre de la ville de Mexico qui fut autrefois le Templo Mayor de Tenochtitlán, le gouvernement de la capitale dresse depuis quelques années à cette date un râtelier de têtes et de crânes. Une des premières fois, il s’agissait de quelques rangées de crânes en papier mâché peint de couleurs gaies. À ce tzompantli inoffensif, presque banal, est venu s’en ajouter un autre qui dans une certaine mesure nous est familier : une haute tour avec des crânes peints empilés a été dressée sur la place principale de la capitale, en 2000 et en 2005. Le tzompantli a été représenté comme le décrit Tapia, comme les conquistadors l’ont vu à leur arrivée à Tenochtitlán, et comme il apparaît sur certaines gravures du grand tzompantli. (Figs. 74 et 76) Celui de 2007 correspond à l’autre râtelier, celui que les Espagnols ont vu à la fin de la Conquête à Tlatelolco et qui portaient plus de mille têtes, crânes humains et têtes de chevaux, en plâtre et peintes de façon naturaliste (Figs. 73 et 75). Les exemples précédents reflètent différentes conceptions actuelles, basées sur des images qui ne rendent pas compte de la fonction et de la signification originelles du tzompantli des Nahuas qui n’exposaient pas les restes de leurs ancêtres et de leurs morts sur le râtelier. On peut regretter que le gouvernement de la ville, voulant sauvegarder ce qui est considéré de façon erronée comme des pratiques funéraires ancestrales, mais qui en réalité ne le sont pas vraiment, en les intégrant dans les pratiques et les coutumes funéraires des Mexicains modernes, ajoute à

vol. IX : 297-311, 393 et 411) essaie d’introduire l’étude du passé préhispanique dans le système éducatif mexicain, il raconte que le premier des peuples de langue « nahuotl » venant du Nord qui sont arrivés successivement dans la région centrale, était les Toltèques, peuple de peintres et de constructeurs qui savaient cultiver les champs et étaient habiles dans toutes sortes d’industries, à tel point qu’au fil du temps, les mots Toltèques et artistes devinrent des synonymes. Il compare ce peuple aux Aztèques qui « commencent à pratiquer les sacrifices humains qui s’accordent si bien à leur caractère belliqueux et sanguinaire ». (Sierra 1946 : 310-305) et il semble dans une certaine mesure que cela détermine les paramètres qui permettent à l’artiste de représenter les Aztèques effectuant des sacrifices. Je tiens à remercier Itzel Rodríguez Montellano de ses conseils quant à l’étude de cette image (Communication personnelle, octobre 2009). 54 Comme on peut le voir dans les peintures de Felix Parra de la « Tortura de Moctezuma », où l’Indien est perçu comme une victime. Je remercie Fausto Ramirez pour m’avoir donné cette référence et une explication précise du contexte de son élaboration. 55 Nous ne développons pas cet aspect. Il faudrait cependant tenir compte des autres thèmes de nature tragique et sublime abordés par l’artiste, ou plutôt de style mélodramatique, comme la Ofelia de Hamlet de William Shakespeare (Rodríguez Prampolini 1997 vol. 3 : 326-327, 332, 460-461. D’autre part, comme le dit Fausto Ramirez, (communication personnelle) l’intention d’Unzueta était peut-être d’offrir une autre perspective. En représentant le râtelier avec les têtes des Espagnols, il se joint à la tendance historiographique de l’époque

qui veut faire preuve d’une certaine maturité historique pour accepter les évènements de la Conquête.

88

La conquête de la terre ferme conceptions de la pensée occidentale et affecte la compréhension de ce qu’est ou n’est pas le tzompantli. Les correspondances culturelles des conquistadors et des hommes qui ont raconté leurs découvertes se reflètent dans les interprétations qu’ils font des restes humains dans leurs peintures. De plus, il est évident que l’on continue aujourd’hui à utiliser des schémas et à appliquer des solutions en répétant des formules préétablies que l’on retrouve dans les documents du XVIe et XVIIe siècles. Pour représenter et décrire quelque chose que l’on ne connaît pas, on utilise des faits et des références issus d’autres cultures, éloignées des Amérindiens, mais qui offrent des analogies et aident à décrire les restes humains sur le râtelier. En reconnaissant ce qu’est le tzompantli chez les Nahuas du XVIe siècle et en comprenant qu’il existait également d’autres pratiques utilisant des restes humains, on peut comprendre la spécificité de son utilisation. Si l’on oublie les différences, on ne peut comprendre comment son appréhension a changé au cours du temps. On confond ce qu’il est réellement avec la représentation que l’Occident en a fait pendant des siècles (depuis les conquistadors jusqu’aux chercheurs actuels), considérant le tzompantli comme une preuve de la cuisine cannibale, ou comme un lieu de châtiments et de trophées de guerre, ou comme une pratique funéraire. Le tzompantli a été placé dans des contextes qui ne sont pas le sien en suivant une conception qui reflète des lectures et des croyances typiques de la pensée occidentale : c’est la fin du tzompantli tel que les populations l’ont conçu au départ.

la confusion et la mauvaise compréhension de ce qu’est le tzompantli. Les ressemblances apparentes entre le tzompantli des Mexicas et celui du gouvernement de la ville témoignent d’une conception de sa signification très éloignée de sa fonction originelle et du symbole que constituait l’exposition des restes humains pour les anciens Mexicains. Le tzompantli des Mexicas appartenait au cycle de la fertilité, de la vie et de la mort qui régissait la pensée amérindienne, au monde sacré, à la communication avec les êtres surnaturels. Celui du gouvernement de la ville et la représentation des restes humains qu’elle porte chaque 2 novembre fait allusion à la vie terrestre, renvoie au jugement dernier et au purgatoire des croyances chrétiennes, un peu comme la peinture murale de San Nicolas de Tolentino Actopan et de Santa Maria Xoxoteco. Ces exemples sont donc la démonstration des diverses significations attribuées au tzompantli et aux restes humains que les Nahuas y exhibaient au cours de leurs cérémonies et rituels, et montre à quel point cette fonction a été mal interprétée. De l’enceinte du Templo Mayor de Tenochtitlán, dans l’ambiance sacrée et cérémonieuse du sacrifice chez les anciens Mexicains, il est passé sur la place principale face à la cathédrale de la ville de Mexico dans une ambiance à tendance disons funéraire qui se mélange chaque année davantage avec celle d’Halloween. De toute façon, il est évident, comme le démontre l’installation d’Andrés Moctezuma Barragán, « Le grand tzompantli » (ou mur des crânes), du 1er novembre, que le mur de crânes, c’est-à-dire le tzompantli, acquiert une nature différente. À partir du moment où l’on intègre le tzompantli à des pratiques funéraires, il devient l’équivalent d’une chambre funéraire, d’une crypte. Cette oeuvre déjà ancienne de Moctezuma Barragán et d’autres plus récentes sont des visions modernes d’une pratique mésoaméricaine, associant « tradition et modernité » et faisant partie de courants artistiques actuels appelés art sinistre ou macabre. C’est ainsi que l’on appelle la pièce de Damián Hirst « Pour l’amour de dieu », un crâne couvert de diamants qui, à l’égal du « tzompantli » de Moctezuma Barragan, fonctionne comme memento memori. Dans une certaine mesure, cette forme artistique s’insère dans d’autres mouvements contemporains où l’on exhibe des cadavres et des parties du corps humain au cours d’installations et de spectacles dans les musées et galeries du monde entier. Le crâne est alors une représentation de la mort pour rappeler le décès et non pas une offrande aux dieux comme il l’était à l’époque préhispanique.56 Avec le temps, l’explication et la représentation de la fonction et de la signification des crânes, têtes de mort, et restes humains accrochés sur les râteliers des indigènes se sont retrouvées dans un contexte culturel différent de celui où elles avaient été conçues. L’assimilation du crâne à la mort dans le contexte actuel reprend des

II.5.1 L’ossuaire Díaz del Castillo n’a pas cessé de penser qu’une partie des restes humains qu’il avait vus était liée à l’enterrement de grands seigneurs, comme on peut le constater dans ses descriptions des crânes et des os empilés,57 utilisation des restes osseux qui ne doit pas être confondue avec le cas particulier du râtelier où l’on exhibe les crânes des victimes sacrificielles. Il semble que le conquistador, peut-être parce qu’il a écrit son histoire de nombreuses années après la Conquête, après avoir passé sa vie au Mexique et avoir connu de près les coutumes indigènes, arrive à faire la différence entre les coutumes sacrificielles et les usages funéraires, même si son expérience antillaise le pousse à qualifier les restes humains de cannibalisme et de boucherie. Cette différence se retrouve chez Eulogio G. Gillow58 qui reprend l’information de Díaz del Castillo et différencie le lieu où les têtes sont accrochées à des poutres et le temple où l’on trouve d’innombrables têtes de mort et os empilés, le lieu où l’on enterre les grands seigneurs et les principaux caciques, dames et nobles du Mexique. D’autres chroniqueurs et d’autres documents ne font pas cette différence, et on trouve dans leurs écrits le terme « ossuaire » pour expliquer la fonction du tzompantli. Cela empêche de distinguer les diverses pratiques post57 Díaz del Castillo (1974 : 176) dit qu’il le voit là où les seigneurs sont enterrés : des os entrecroisés et des crânes correspondant à des rites funéraires. 58 Eulogio G. Gillow (1978 : 36-37) ne cite pas le conquistador. Il reprend ses paroles à travers les écrits de D. Diego Villacencio, « Luz y método de confesar idólatras… », Puebla, 1692 chap. 7.

56 Exemples d’art présentant des cadavres : le Cadaver Art d’artistes Chinois et les œuvres de l’artiste mexicaine Teresa Margolles (Hopfener et Koch 2010; Stamm 2010).

89

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Clavijero (1964 : 162) lorsqu’il décrit le râtelier : « les têtes de mort (étaient) scellées aux murs de façon symétrique », avec la description des ossuaires dans l´atrium des églises pendant le Moyen-âge et même aux XVIe et XVIIe siècles, quand les crânes et les membres étaient disposés de façon artistique. On ne peut évidemment pas ignorer les ressemblances entre les restes humains des anciens Mexicains que décrit Clavijero et les chapelles d’ossements que l’on trouve dans certaines localités européennes, comme Evora au Portugal, si l’on sait qu’elles datent du XVIIIe siècle, époque où Clavijero, qui vivait en Italie, a pu connaître la Chapelle des Capucins de Rome, autre exemple d’une chapelle d’ossements.60 De plus, il écrit quand domine la recherche d’effets décoratifs avec des ossements qui débouche… sur l’imagerie baroque et macabre (Aries 2000 : 33). Connaissant les pratiques funéraires et le traitement post mortem que les corps recevaient en Europe, on n’a pas besoin de se demander pourquoi les chroniqueurs et beaucoup d’autres assimilent le râtelier de crânes à des rites d’enterrement. C’est peut-être tout simplement à cause de la ressemblance formelle entre les deux lieux. Nous pensons qu’au Mexique également l’affinité entre les deux a été reconnue car au milieu de certains cimetières « ... il y avait un lieu très beau où l’on conservait les têtes de mort, une sorte d’ossuaire qui aurait rappelé le tzompantli à plus d’un Indigène » (Escalante et Rubial 2004 : 381). Quand les chroniqueurs s’emparent des textes de leurs prédécesseurs, bien qu’ils copient à la lettre la description du râtelier que les Espagnols ont vu au début de la Conquête, ils y ajoutent leurs propres observations. Ils décident d’inclure et de répéter l’idée de l’ossuaire qui semble-t-il était une pratique courante, et il ne semble pas que les chroniqueurs se soient toujours influencés les uns les autres. On retrouve aussi cette interprétation chez certains qui ne décrivent pas le tzompantli des Mexicas, mais les pratiques sacrificielles des Purepechas.

sacrificielles et les pratiques funéraires des anciens Mexicains. On en trouve un commentaire révélateur dans le codex Vaticano Rios. Pour décrire le tzompantli, il est dit que l’on mettait « les têtes de ceux qui étaient morts, presque comme des reliques, comme nous avons celles des saints dans les sanctuaires et dans les églises.» Le document insiste sur le fait, qu’au moins pour le Huey Tzompantli, on mettait les têtes des seigneurs morts à la guerre. Francisco López de Gómara (1985 : 124-125), lorsqu’il décrit le grand râtelier du Templo Mayor de Tenochtitlán, emprunte des termes à Tapia, et bien qu’il reconnaisse que l’on y met les têtes des hommes sacrifiés aux idoles, il l’appelle ossuaire et explique qu’on le dressait en honneur à la mort. Il écrit que « l’ossuaire des Mexicains était un hommage à la mort ». Cervantès de Salazar reprend l’idée et écrit la même chose et, bien qu’il ait compris qu’il s’agit d’un lieu de sacrifice, il assimile le râtelier de crânes à un ossuaire et met en intitulé à sa description de Tenochtitlán « De l’ossuaire des Mexicains en mémoire de la mort » (Cervantès de Salazar l985: 320). On retrouve la même chose chez Herrera y Tordesillas (1944-1946), certainement parce qu’il a eu les écrits de López de Gómara et de Cervantes Salazar entre les mains pour élaborer son ouvrage. Lorsque Francisco Javier Clavijero recueille à son tour les données de Herrera, quand il mentionne les bâtiments de l’enceinte de Tenochtitlán, il utilise aussi le mot ossuaire dans sa description, tout en disant qu’il s’agit d’une exhibition « des trophées d’une superstition barbare » liés à la guerre. Ces mots pourraient nous faire croire que le râtelier a de multiples fonctions, mais l’observation selon laquelle il s’agit d’une sorte d’ossuaire comme en Europe est fréquemment répétée. Clavijero (1964 : 162) décrit les têtes de mort des sacrifiés en disant qu´ils « ... étaient empilés comme dans un ossuaire ». On peut se demander dans quel sens était employé le mot « ossuaire ». Fait-il référence à des pratiques liées à des cérémonies d’enterrement et de traitement post mortem des os des ancêtres, c’est-à-dire des pratiques funéraires, ou bien utilise-t-il ce mot de façon générique pour parler d’un tumulus ou d’une montagne d’os ? Les chroniqueurs font-ils référence au lieu où, dans les églises et les cimetières, on réunissait les os sortis des sépultures pour pouvoir y enterrer d’autres personnes ? Le mot a-t’il la signification plus neutre, de n’importe quel endroit où l’on trouve des os? Il est impossible de savoir dans quel sens ils l’employaient, mais on peut penser qu’ils s’appuyaient sur une tradition religieuse chrétienne. Rappelons qu’en Europe, à la fin du Moyen-Âge, dans les galeries qui entourent le patio des églises se trouvaient les ossuaires : les crânes et les os longs que l’on sortait des tombes et des fosses communes pour ménager de la place aux restes mortels des croyants.59 Il faut comparer ce que dit

II.5.2 Funérailles ou sacrifice Une fois Tenochtitlán vaincue, les conquistadors vont coloniser d’autres régions. Cristóbal de Olid se dirige vers Tzintzúntzan au Michoacán, sur ordre de Cortés. Devant cette menace, comprenant que l’arrivée des Espagnols est inéluctable, les habitants de cette contrée sacrifient huit cents prisonniers par peur que les arrivants ne les libèrent. C’est ainsi qu’en arrivant dans la capitale purépecha, les Espagnols ont trouvé « …le sang était encore chaud après cet horrible sacrifice (et) ils sont allés les voir et les ont examiné un par un pour voir s’ils avaient de la barbe… » 61 et s’assurer que ce n’était pas des Espagnols. Dans l’ouvrage de Pablo Beaumont Crónica de Michoacán (1932), on trouve des peintures indigènes ce cas, on peut utiliser le terme « ossuaire religieux » comme le fait Yves Le Fur (1999). 60 On trouve des chapelles ossuaires à Rome : l’église des Capucins, l’église de la Prière et de la Mort Au Portugal, à Evora, Faro, Lagos et Elvas et en Tchécoslovaquie, la chapelle de Sedlec, Kutnattora (Henrique da Silva Loura 1992. Voir : Le Fur 1999). 61 Nicolás León (1993: 95-96). Voir aussi: Díaz del Castillo 1974.

59

Cette pratique entre en vigueur quand la différence entre banlieue et ville disparaît, et quand les tombes saintes et les sépultures qui les entourent se retrouvent dans la ville, près de l’église. Le cimetière et l’église sont côte à côte : on enterre les morts près des murs de l’église. Les données ont été empruntées à Philippe Aries (2000 : 28-34). Dans

90

La conquête de la terre ferme avec des légendes en espagnol,62 dont une montre les incidents de la première visite des Espagnols dans la région et la réception que les habitants leur ont réservée. Il semble que les restes humains représentés sur ces peintures sont les têtes de quelques-uns des huit cents Indigènes sacrifiés avant leur arrivée. On y voit aussi une plateforme entourée de yácatas (les temples des Purépechas) et dans un angle, un amoncellement de crânes sur le sol avec au-dessus la palissade et ses crânes en rangées verticales. Au pied de la carte, on lit « .. on voit les yácatas et le lieu où ils mettaient les os des sacrifiés ». On trouve aussi une légende insérée dans le dessin (Fig. 29) : « ici aussi c’est l’ossuaire » (Beaumont 1932 tome 2, plan 3). D’autre part, il faut ajouter qu’en comptant le nombre de crânes et de morceaux d’os trouvés lors des fouilles archéologiques de Tzintzúntzan, les chercheurs ont conclu que ces ossements étaient bien ceux qui apparaissent sur la carte (Rubín de la Borbolla 1939; Marquina 1951: 257). Bien que les restes osseux aient été localisés en couches dans la base de la grande plateforme, on ne peut les assimiler à des restes du râtelier. Comme en archéologie, sur l’image de Beaumont, l’amoncellement de restes osseux ou les crânes alignés verticalement, montés sur de longs poteaux ou accrochés sur des cordes ont été appelés « ossuaire ». L’utilisation de ce mot a masqué son véritable rôle qui est similaire à celui d’un ossuaire dans le sens où il s’agit de conserver un ensemble d’ossement de sacrifiés, mais qui diffère des pratiques funéraires qui conservent les os venant d’un cimetière à côté de l’église. Sur la carte de Beaumont, est dessiné un des « râteliers spéciaux pour les têtes (tzompantli), comme en faisaient les Mexicas ».63 On y mettait les crânes des ennemis que les Purépechas sacrifiaient au cours de cérémonies aux dieux, très proches de celles que faisaient les Mexicas.64 Il est donc certain que « l’ossuaire » de Beaumont était le lieu où « l’on accrochait les têtes sur des poteaux » que les conquistadors ont probablement vu. Il n’était jamais associé à des cérémonies funèbres ou à des rites d’enterrement, bien qu’il faille étudier chaque cas en particulier à cause des multiples contextes et du grand nombre de manières employées par les anciens Mexicains, Mexicas et Purépechas, pour exhiber des restes humains.

II.5.3. Les pratiques funéraires des Nahuas et des Purépechas. Leurs coutumes en matière de deuil et d’obsèques étaient différentes. Chez les Purepéchas, le cadavre du chef était incinéré et ses restes mis dans un sac mortuaire qui était enterré au pied de la pyramide. À cette occasion, on faisait des sacrifices, mais les victimes étaient enterrées derrière les temples, on ne sait pas exactement où (Seler 1991- 1993 vol. 4 : 45-46 ; Alcalá 2000 planche 13 ; 1989: 234-238). Chez les Mexicas, il y avait deux manières principales ; la crémation et l’enterrement. Les cadavres de ceux qui étaient morts noyés ou foudroyés, des lépreux, des goûteux et des hydropiques étaient enterrés dans un des temples appelé Ayauhcalco et les femmes mortes en couches dans le patio du temple des Cihuapipiltin ou à la croisée des chemins. Tous les autres morts étaient incinérés. Le corps d’un chef pouvait être traité des deux manières et les deux sont citées par les chroniqueurs (Sahagún 1985: 205-208; codex Tudela l980 planches 55 et 60 ; Soustelle 1953). Il n’est jamais fait référence au fait que les Mexicas ou les Purepechas montraient les dépouilles mortelles de leurs ancêtres ou de leurs chefs sur des palissades dans des rituels funéraires, bien qu’il semble que leurs os étaient récupérés. Le traitement post mortem des cadavres différait de celui que recevaient les victimes des sacrifices. Donc, confondre ce qui se passait sur le râtelier de crânes avec des pratiques funéraires ne permet pas de comprendre l’idée que représente cette exposition. L’analyse comparée de l’interprétation qui assimile les restes humains empalés à des pratiques funéraires des anciens Mexicains permet de démonter que cette hypothèse est inexacte. L’intention du râtelier de crânes ou de têtes est tout autre : faire une offrande aux dieux, et nous avons déjà apporté l’information soutenant cette interprétation. Il reste à insister sur le fait qu’en utilisant une terminologie qui associe le tzompantli à un ossuaire et à une chambre funéraire, on contredit les faits et l’explication cache la signification et le rôle réels. L’hypothèse qui l’assimile à un ossuaire, à une démonstration des pratiques anthropophagiques ou à des trophées de guerre est toujours en vigueur et on la retrouve dans les chroniques. La façon dont les Européens perçoivent les pratiques sacrificielles du tzompantli change et évolue. Il nous faut maintenant étudier une interprétation qui l’assimile à un lieu où s’exerçait la peine capitale et qui permet d’analyser les mécanismes de la théorie d’une relation entre tzompantli et tlachtli. Pour finir, il semble que les divers rôles attribués au tzompantli (ossuaire ou potence) dépendent du lieu et des circonstances et que son rôle est changeant. Même si chaque lieu à son sens propre, les nombreuses identifications et interprétations du tzompantli ont eu une grande influence et ont à leur tour suscité et provoqué de nouvelles significations. Il en est de même pour le tlachtli et le jeu de balle au cours de l’évangélisation.

62

Les illustrations de l’ouvrage de Beaumont ne présentent pas beaucoup de marques préhispaniques, et l’on peut penser qu’elles ont été faites par un Indigène qui dessinait à la façon occidentale, ou bien que dans les copies de l’original perdu, on a modifié le dessin. 63 Eduard Seler (1991- 1993 vol. 4 : 51) dit que l’ossuaire de Tzintzúntzan est semblable au tzompantli des Mexicas, mais il ne l’appelle pas tzompantli. Néanmoins des études récentes affirment que c’est un tzompantli (Pollard 1993 : 47, 48 ; Hernández 2006: 61 note 117 ; Cárdenas García 1994). 64 On mettait les captifs au pied du temple, puis des vieilles les faisaient monter et les prêtres de Curicaueri les sacrifiaient, en les décapitant (Alcalá 1989 : 108, 188). Dans un autre chapitre, il étudie en particulier le râtelier des Tarasques, et note les différences entre les râteliers de crânes de chaque groupe. Il faut remarquer que chez les Purépechas, les crânes sont accrochés verticalement.

91

CHAPITRE III L’ÉVANGÉLISATION III.1 Références familières Après les années de la Conquête, entre le 8 novembre 1519 -arrivée à Tenochtitlán de Cortés et de ses hommes qui voient le jeu de balle et le grand râtelier de crânes- et la mise en place du mécanisme de l’Évangélisation avec l’arrivée des douze premiers franciscains à Mexico en juin 1524, certains religieux d’ordres mendiants, puis d’autres chroniqueurs, se réfèrent à ces deux éléments dans leurs chroniques et histoires. En général, les premiers font leurs récits à partir d’expériences vécues au cours de leur labeur missionnaire, de documents et d’entrevues avec des informateurs indigènes, descendants des anciens gouvernants, et de témoins ayant participé à la Conquête. Les Franciscains Toribio de Benavente (Motolinía), Bernardino de Sahagún et le Dominicain Diego Durán, décrivent les deux lieux et les activités qui s’y déroulent. Diego Muñoz Camargo, Juan Bautista Pomar et Francisco Cervantes de Salazar qui sont au service de la Couronne espagnole s’intéressent aux rites et aux croyances qui perdurent à l’époque de la Colonie. Dans les deux cas, ils expriment des jugements sur les fonctions respectives du tzompantli et du tlachco. Ce dernier est vu de différentes façons : il est considéré comme un jeu admirable qu’Hernán Cortés fait connaître en Europe (Hernández 1959-1984, vol. 2 : 387), mais à l’arrivée des autorités ecclésiastiques et civiles, sa pratique est interdite. III. 2. Le jeu de balle Toribio de Benavente (Motolinía) entre en NouvelleEspagne avec un premier groupe de douze franciscains et écrit plusieurs ouvrages dont les Memoriales o Libros de las cosas de la Nueva España achevés en 1541; Bernardino de Sahagún arrive en 1529 et conclut le codex du Florence en 1585, alors que Diego Durán qui grandit à Texcoco, achève en 1578 le Libro de los ritos y ceremonias en las fiestas de los dioses y celebración de ellas et El calendario antiguo, et en 1581 l’Historia de las Indias de la Nueva España e islas de la Tierra Firme. Ce sont les trois principaux religieux qui se référent au jeu de balle de manière précise, et leurs écrits nous permettent de savoir comment il était perçu au début de l’Évangélisation. Motolinía (1971 : 380-381) nomme le terrain tlachtli et le jeu ulamaliztli, mots d’origine náhuatl et le compare à celui qui est joué dans les îles. Il précise que le terrain est situé là où avait lieu le marché, mais qu’il existe d’autres terrains dans les quartiers environnants. Il signale que « sa forme et sa disposition sont celles d’une rue avec deux murs épais de vingt brasses de longs qui au sommet s’inclinent vers l’extérieur. Certains sont plus grands que d’autres, suivant le village... [et] les murs des côtés sont hauts et larges, ceux des extrémités sont assez bas : avec des escaliers pour y monter… et au milieu du jeu, sur la partie interne des murs à mi-hauteur, on trouve des pierres à peine plus petite qu’une meule, avec chacune un mamelon qui s’encastre dans le mur et un trou au milieu par où peut passer la balle » (Motolinía 1971: 337-339; 1989: 615-617).

Sahagún, dans une description plus brève, coïncide avec Motolinía et indique que dans le jeu de balle « ... il y a deux murs d’une longueur de quarante à cinquante pieds avec un espace de trente pieds entre les deux. Les murs et le sol sont chaulés et d’une hauteur de dix pieds et demi, et au milieu du jeu il y a une ligne… et au milieu des murs, à la moitié du terrain de jeu, il y a deux pierres comme des meules..., l’une en face de l’autre avec deux gros trous assez larges pour que la balle puisse passer à travers » (Sahagún 1985 : 459, 472). Sur une image dessinée par un artiste indigène qui complète la description, deux hommes jouent à la balle sur un terrain en forme de I majuscule, vu en plan. D’autre part, dans la description de l’enceinte du Templo Mayor de Tenochtitlán, le franciscain précise qu’il y a deux jeux de balle : Tezcatlachco et Teotlachcho (Sahagún 1950-1982 vol. 2: 171-172; 1985: 161), mais sur le plan qui complète la description, il n’y a aucun joueur et un seul terrain (Sahagún 1993 planche 269r). Durán décrit aussi le terrain dans des termes très semblables, mais dans les pages qu’il consacre à ce sujet, il fournit des renseignements auxquels nous nous sommes déjà référé.1 En résumé, il signale que les terrains de jeu étaient « entourés de belles barrières sculptées, tout le sol étant lisse et stuqué », et que l’espace était étroit au milieu et large aux extrémités » (Durán 1984 vol. 1 : 206207), comme le montre un dessin du terrain fait par un artiste indigène qui illustre son ouvrage. On pourrait penser que les religieux décrivent quelque chose qu’ils n’ont pas forcément vu. Durán, par exemple, dit avoir vu plusieurs fois comment se déroulait le jeu, bien qu’il affirme « qu’il manquait le meilleur, la barrière à l’intérieur de laquelle on jouait » (Durán 1984 vol. 1: 206). Cependant, il indique que tous ceux qui jouaient à ce jeu étaient vêtus de cuir par-dessus leurs pagnes, que des morceaux du même matériel leur protégeaient les cuisses, et qu’ils portaient des gants pour ne pas se blesser. Il raconte aussi que, quand la balle touche le sol, ils la frappent très vite et il admire la dextérité avec laquelle ils la frappent avec les fesses, les hanches et les genoux. Il précise que frapper la balle avec les mains, ou une autre partie du corps était une faute. S’il est probable qu’ils ont assisté au jeu de balle, ils n’ont pas forcément eu l’occasion de connaître le terrain. Selon ce qu’écrit Motolinía (1971: 337), les terrains de jeu de balle ont été détruits pendant la Conquête ou tout de suite après (Ricard, 1999 : 104-108). Cependant, au milieu du XVIe siècle, certains sont encore debout, comme le montre un plan cadastral de 1540, appelé le codex Xalapa (1964) élaboré dans le cadre d’un jugement pour un droit de passage entre moines et Indiens.2 1 Concrètement, l’information révèle qu’il y avait autour du jeu de balle des colorines aussi appelés tzompaquahuitl en náhuatl. 2 Jusqu’à maintenant, on ne sait pas où le plan a été élaboré. Le « códice de Xalapa,» daté de 1540 place le terrain du jeu de balle à l’intérieur de l’enceinte ainsi qu’un temple indigène surmonté d’une croix, avec des légendes en espagnol (Glass 1964 : 126 planche 78). Taladoire (1991 : 116) explique que le document a été élaboré lors d’un conflit de droit de passage entre les moines et les Indiens. « On peut affirmer que plusieurs années après la Conquête, un terrain demeure un élément suffisamment important culturellement pour servir de base à des documents juridiques espagnols » .

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels passer la balle par les anneaux au cours d’un affrontement. Il dit que le jeu était pour eux une récréation, et que les gens du peuple assistaient au jeu quand il n’y avait pas de guerre et qu’ils en avaient donc le temps (Durán 1984, vol. 1: 206). Les contradictions entre les interprétations et jugements autour du jeu de balle sont remarquables. D’autre part, il observe que, pendant la Colonie, certains continuent à jouer à la balle par intérêt et par vice, et juge que les superstitions et les cérémonies faites pour le jeu sont des idolâtries : « … ils font appel au démon pour les faire gagner, quelques fois pour les conforter dans cette foi erronée, et parfois quand ils ont perdu pour se persuader de leur disgrâce comme le font ceux qui blasphèment parce qu’ils ont perdu, attribuant leur échec au diable » (Durán 1984 vol. 1 : 206). Nous observons donc que le jeu de balle continue à être pratiqué et que l’on profite du terrain de jeu pour créer de nouveaux espaces avec des fonctions différentes. La pratique du jeu continue et est considérée de façon contradictoire. D’une part, les Espagnols voient le jeu comme un passe-temps et un exercice auquel ils accordent peu d’importance, considérant les cérémonies qui s’y rattachent comme de ridicules superstitions (Solís 1996: 176), et d’autre part, ils affirment que c’est une preuve que les pratiques idolâtres des anciens Mexicains continuent. Cette posture se répète au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Les écrits de Sahagún et de Motolinía sont les bases principales sur lesquelles s’appuient les auteurs postérieurs comme Juan de Torquemada et plus tard Francisco Javier Clavijero pour décrire et comprendre le jeu de balle. Ces auteurs transmettent une vision ambivalente du jeu. Ils notent que les seigneurs y faisaient des cérémonies et des sacrifices, mais ils le voient aussi comme un passe-temps,5 qui continue d’être pratiqué au fil des années. Clavijero, qui achève son Historia Antigua de México en 1778, dit que le jeu « ... perdure jusqu’à nos jours chez les Sinaloas, los Opatas, les Tarahumaras et d’autres nations du Nord. Les Espagnols qui y assistent louent la prodigieuse agilité des joueurs » (Clavijero 1964 : 247). Les religieux et les chroniqueurs qui décrivent le jeu de balle des Indigènes et la balle utilisée le font de manière très similaire, se référant aux jeux et aux balles européens qu’ils connaissent. Motolinía et d’autres précisent que les balles étaient comme les balles remplies d’air (celles de vent) de Castille.6 Torquemada souligne aussi que le jeu des Indigènes « est différent du nôtre » (Torquemada 1975 vol. 4 : 342-343), mais l’on ne sait pas à quel jeu il se réfère. Durán aussi le compare avec le jeu des Espagnols, argumentant que la balle est aussi grande qu’une petite balle de jeu de boules, et il compare le jeu américain au jeu espagnol en disant : « si voir jouer à la balle avec les mains ceux de notre nation nous procure beaucoup de plaisir et d’émotion, il faut voir la dextérité

Á Tenochtitlán, tout a été détruit et les religieux n’ont pas vu les terrains, mais il semble qu’aux alentours, certains soient demeurés intacts.3 C’est ce que montre une pictographie de 1561, élaborée en raison d’une dispute de terres à San Pablo, dans le quartier de Tecama (Martos et Pulido 1989). Le jeu de balle de Tlaxcala était lui aussi encore debout au milieu du XVIe siècle, comme on peut le voir sur une représentation de la première prédication du Saint Évangile par le frère Martin transcrite dans la « Relación de Tlaxcala » de Diego Muñoz Camargo (1981 – 1988 planche 5) : le terrain est dessiné sur le côté supérieur de la place (Fig. 77). Cette image est particulière car elle représente un terrain de jeu dans le contexte colonial et donne l’impression que, depuis les gradins, les spectateurs se penchent en arrière et regardent le moine. Dans ce cas, le terrain n’est plus spécifique au jeu, mais acquiert une nouvelle fonction au service de l’Évangélisation et sert d’espace pour prêcher la foi chrétienne. Comment Motolonia, Sahagún et Durán interprètent-ils le jeu de balle ? Sahagún indique qu’avant l’arrivée des Espagnols, le jeu de balle était un passe-temps et un exercice pour le gouvernant, qui avait un terrain particulier, des pages qui gardaient les balles et des joueurs qui jouaient en sa présence. Il précise aussi que, dans les parties importantes, ils jouaient beaucoup pour gagner, ce qui semblerait l’assimiler à une espèce de joute médiévale, un divertissement destiné principalement à la noblesse indigène.4 Il signale également que cette pratique faisait partie des anciennes cérémonies des nouveaux convertis, mais il n’en parle pas explicitement comme d’une pratique idolâtre (Sahagún 1985 : 459, 473). La majorité des chroniqueurs écrivent en général que le jeu de balle était un passe-temps et qu’il était le prétexte de défis et paris (Muñoz Camargo 1981 – 1988: 192) bien que les termes qu’utilise Motolinía pour qualifier les terrains de jeu de balle et ce qui s’y déroule n’aillent pas dans ce sens. Il raconte que les Indigènes y faisaient auparavant des cérémonies et de la sorcellerie, que c’étaient les temples du démon et que c’est pour cela qu’ils ont été détruits. Il précise qu’il y avait des idoles sur leurs murs et que cette pratique était un art démoniaque. Il semble pourtant qu’il l’ait aussi jugé comme un passe-temps et un prétexte de paris. Il souligne que les jours de foire, les grands joueurs venaient de loin pour s’affronter, avec de riches parures et des bijoux en or. Motolinía perçoit que le jeu est idolâtre, mais ne mentionne pas de cas d’idolâtrie en relation directe (Motolinía 1989: 615-616). Durán pour sa part regrette que superstition et idolâtrie soient mêlées à cette pratique qu’il juge merveilleuse. Pour ce moine, le jeu était un plaisir, particulièrement pour ceux qui le pratiquaient comme un passe-temps et une diversion. Il précise que dans le passé, les seigneurs et les gouvernants rendaient honneur au mérite des joueurs. Ils donnaient un prix à celui qui parvenait à faire

5 Motolinía ( Benavente 1989 : 616) écrit : « Les seigneurs faisaient ensuite certaines cérémonies et sacrifices et d’autres jouaient pour passer le temps. » 6 Weiditz dit que la balle était gonflée (Krickeberg 1966 : 193). Motolinía (1989 : 106) et Muñoz Camargo (1982– 1987: 192) comparent la balle à celles qui sont gonflées.

3

Probablement parce que le tlachtli est un toponyme, ou parce qu’il indique le lieu où il se trouvait. 4 On ne peut affirmer que le jeu était réservé à la noblesse. Les chroniqueurs nous disent qu’il y avait des joueurs professionnels et il semble que pour jouer bien, il fallait s’entraîner dès l’enfance.

94

L´évangélisation royaume du Pérou.12 Pour situer les prouesses de Francisco Pizarro et des autres conquistadors des Incas, De Bry fait une gravure de la ville de Cuzco. La cité andine où habitait Atahualpa est représentée au milieu d’un plateau avec de hautes montagnes enneigées dans le fond. Au premier plan, plusieurs personnages réalisent des activités caractéristiques des Indigènes : d’un côté des sacrifices, des idoles et des animaux fantastiques et de l’autre des jeux. Deux personnages font des acrobaties avec les pieds, et deux autres sont des joueurs de balle qui poussent une balle, en dehors de tout contexte architectural, sur un coteau avec vue sur la ville péruvienne. La similitude entre les joueurs de De Bry et ceux de Weiditz est indéniable et encore plus évidente si l’on inverse l’image, car le dessin de Weiditz fait partie d’une série sur les Indiens américains qui comprend des personnages faisant des acrobaties avec les pieds. Il est clair que l’image des joueurs et des acrobates de Cuzco de De Bry provient de l’œuvre de Weiditz.13 Chercher les explications de la ressemblance entre les gravures des deux artistes ne fait pas partie du cadre de cette étude, mais on peut penser que De Bry a connu les dessins de Weiditz, qui a vu les joueurs qu’Hernán Cortes avait fait venir en Espagne (Figs. 63 et 78). La présence des joueurs dans la carte de Cuzco de De Bry ne sert pas à faire connaître les choses extraordinaires de Cuzco et des Incas. Il faut cependant souligner qu’à Cuzco et dans la région conquise par Pizarro, on ne joue pas à la balle, et son insertion dans la carte reflète l’idée que le jeu est une activité propre à tous les hommes américains. Il faut aussi mentionner une autre gravure attribuée aux ateliers De Bry,14 sur laquelle le terrain de jeu est représenté, identifiable comme jeu de balle à cause du grand anneau à l’intérieur de l’enceinte (Fig.79). Il s’agit d’un exemple des reconstructions extravagantes du terrain chez les anciens Mexicains. Ici le tlachtli n’est pas en plan, mais ressemble à un gymnase entre les hauts murs duquel de beaux hommes s’entraînent et discutent. Nous arrivons donc à la conclusion que les Européens élaborèrent des représentations de l’espace de jeu de balle américain selon leurs propres notions de l’exercice et du bien-être corporel.

et la légèreté avec laquelle quelques-uns jouent… avec les fesses et les genoux » (Durán 1984 vol. 1 : 206). Il existe plusieurs jeux de balle en Europe aux XVIe et XVIIe siècles, mais celui auquel se réfèrent les chroniqueurs s’appelle calcio ou ballon,7 et se joue avec une balle en cuir gonflée. Oviedo et Valdéz y Gómara le comparent au jeu de balle des Indigènes.8 Cependant, tous les chroniqueurs ne font pas référence aux jeux européens quand ils décrivent le jeu autochtone. Clavijero, par exemple, bien qu’il se soit fondé sur les écrits de Torquemada, signale que « parmi les jeux particuliers des Mexicains, le principal est celui de la balle », dont il estime la singularité, mais précise que la balle de caoutchouc rebondit mieux que celle de vent (Clavijero 1964 : 246-247). L’étude des jeux hispaniques qui sont arrivés en Amérique sort du cadre de cette recherche,9 mais il faut se demander dans quelle mesure ces jeux ont influencé les jugements formèrent des Européens sur le jeu de balle américain. Il faut aussi rappeler l’importance de l’introduction du caoutchouc, qui rebondit et qui était inconnu en Europe jusqu’au XVIe siècle, dans la fabrication de balles pour les jeux européens et de Nouvelle-Espagne. Mariano Fernández de Echeverría y Veytia écrit, à la fin du XVIIIe siècle, dans son Historia antigua... « que les balles de caoutchouc, à cause de leur dureté, ne peuvent être utilisées sans être recouvertes de laine ou de bourre, ce qui en même temps améliore leur aspect et atténue un peu leur violence ».10 On peut donc se demander dans quelle mesure l’utilisation du caoutchouc et de sa remarquable élasticité dans la fabrication de la balle des Espagnols a changé la technique et l’espace du jeu en Europe et chez les habitants de la Nouvelle-Espagne. Certaines œuvres européennes, comme la gravure de Christoph Weiditz des joueurs à la cour de Charles Quint à Barcelone,11 ou celle des Grands voyages de Théodore de Bry datant de 1597, montrent l’intérêt que ces derniers portaient au jeu de balle indigène. Dans le sixième livre, fondé sur le troisième de La Historia del Mondo Nuovo..., de Jerónimo Benzoni (Venise 1565), texte dans lequel l’Italien raconte ses propres expériences et réunit celles des autres découvreurs, de Bry inclut des histoires et récits sur le

III. 2. 1. L’interdiction du jeu de balle Le jeu de balle attire l’attention des chroniqueurs qui, pour décrire le terrain et les activités qui s’y déroulent, s’inspirent de la description de Motolinía, comme le montrent l’ouvrage de Francisco Cervantes de Salazar, datant du milieu du XVIe siècle et celui d’Antonio de Herrera y Tordesillas publié en 1601.15 Ce qui nous intéresse dans ces ouvrages sont les

7 Le jeu florentin utilise une balle ronde gonflée qui peut être frappée avec le pied ou le poing. Les règles du jeu sont publiées en 1555 (Bredekamp 1995 : 8-14). 8 « Comme au ballon ou à la crosse » (López de Gomara 1985 : 109). 9 Il faut préciser que Francisco Cervantes de Salazar (1972) fait référence aux « jeux espagnols du XVI siècle » dans les quatre dialogues en latin qu’il écrit en Espagne avant son voyage au Mexique, et qui seront imprimés au Mexique en 1554. Nous y ferons référence plus loin car, ils permettent de replacer le jeu de balle américain dans le contexte et la conception des jeux européens de l’époque. 10 Mariano Fernández de Echeverría y Veytia, (1944 vol. 1 : 297). En 1794, le caoutchouc, en masse informe, spongieuse et pleine d’irrégularités, est vendu dans les drogueries et il semble que sa principale utilisation était de remplir les balles (Moreno de los Arcos 1989 176). Cependant, il faut dire que le caoutchouc est utilisé par la médecine traditionnelle indigène aux XVIe et XVIIe siècles, comme le disent Sahagún et Torquemada. À cette époque, on l’utilise aussi pour couvrir les capes et fabriquer des objets pratiques comme des sacs pour transporter le mercure et des instruments médicaux (Carréon 2006). 11 López de Gómara 1985 vol. 2 : 109 ; Weiditz 1927 : 24, planches 13 et 14.

12

Cette représentation de Cuzco se trouve sur les médaillons de certaines cartes et planisphères (De Bry 1997: 216, 230-231, 449 et livre VI). 13 Ce qui précède se base aussi sur la comparaison des manières de représenter la cape en plumes du personnage qui fait le sacrifice. 14 Dans le livre El juego de pelota. Una tradición prehispánica viva (1986 fig.9) la gravure est attribuée à Theodore De Bry. Cependant, on ne la trouve pas dans son oeuvre générale, et il faudrait faire une recherche. 15 Cervantes de Salazar (1985) emprunte l’information à López de Gomara (1985) ; Herrera y Tordesillas dans son ouvrage (1944-1946) reprend le texte de Cervantes (Keen 1971: 86). Ils n’utilisent pas

95

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels commentaires des deux chroniqueurs sur le jeu et sur son interdiction, ce qui n’avait pas été spécifié auparavant. Motolinía explique que les jeux de balle ont été détruits car il s’agissait d’idolâtrie, mais il n’ajoute rien d’autre sur leur interdiction. Pour sa part, Durán précise que leur destruction est fortement ressentie par la population locale et que les anciens déplorent leur perte (Durán 1984 vol. 1: 205-210). Il est important d’étudier les circonstances de l’interdiction de l’ulamaliztli.16 Les raisons fournies par les chroniqueurs étant diverses, Francisco Cervantes de Salazar écrit que « …. Maintenant, il est interdit aux Indiens, à cause du grand risque qu’ils y courent ».17 Cette précision est reprise par Herrera y Tordesillas, qui répète au pied de la lettre ce qu’avait écrit Cervantes (Herrera y Tordesillas 1944 – 1946 vol. 1 : 209-210). Ces chroniqueurs ne précisent pas le genre de risques encourus en jouant, mais il semble qu’ils se référent à des risques physiques. Les joueurs pouvaient se blesser et certains « ... étaient sortis [du jeu de balle] morts parce qu’ils étaient fatigués et courraient sans trêve derrière la balle » (Durán 1984 vol. 1: 205-210), même si nous pouvons supposer que les moines craignaient plutôt pour le bien-être spirituel des convertis. Juan Bautista Pomar dans sa Relación de Tezcoco, datant de la fin du XVIe siècle, écrit à propos du jeu de balle : « actuellement [les Indiens] n’y jouent pas, parce qu’au début de leur conversion, les moines le leur ont interdit, convaincus qu’il y était mêlé de la sorcellerie, et des pactes avec le démon.18 Cette explication diffère de celle fournie par Cervantes de Salazar et par Herrera y Tordesillas, et révèle la raison de l’interdiction et qui l’impose : les premiers évangélisateurs. Il semble cependant que les Espagnols continuent à tolérer pendant un certain temps certaines pratiques indigènes dont le jeu de balle (Lockhart 1999 : 292), mais qu’ils punissent ceux qu’ils attrapent sur le fait. La pratique ne s’arrête pas et certains Espagnols apprennent même à jouer. Melchor Rodríguez, un Espagnol qui mangeait comme les Indiens et dansait avec eux lors de leurs fêtes (Alberro 1992 : 108) est puni pour avoir joué à la balle en 1543. Hernándo Nuñez est aussi accusé et puni pour avoir joué (Grunberg 1998 : 172). Les Indiens sont aussi punis pour participer à des jeux. À Tlaxcala, l’un d’eux est pendu, accusé d’avoir joué au patolli,19 un autre jeu interdit par les Espagnols.

Les changements d’avis et les raisons exposées pour interdire le jeu de balle sont multiples. On peut même penser que l’une des raisons était que le caoutchouc dont la balle est faite lui donnait « une vie propre », et l’on peut se demander si, à un certain moment, les Espagnols n’en ont pas conclu que c’était l’œuvre du démon. Cela est difficile à prouver car le caoutchouc sera utilisé comme médicament pendant toute la période coloniale, y compris par Sahagún (1985: 696). Le jeu de balle fut peut-être condamné parce qu’il préservait l’ancienne religion et sa pratique considérée comme une forme de résistance au processus d’évangélisation. De toute façon, le jeu est interdit et les balles confisquées définitivement. Le procès de Martín Océlotl, accusé de faire de la sorcellerie en 1536 (Limón 1987: 24; Barlow 1987-1994 vol. 3 : 233-242), en est un exemple : il avait parmi ses biens « deux balles du jeu indien » qui passèrent aux mains de l’Église (Procesos l9l2: 38). La suspension de la pratique du jeu de balle s’insère dans l’interdiction générale de tous les jeux. Cependant, la pratique persiste et continue y compris jusqu’à nos jours (Lockhart 1999: 272). Nous trouvons des références à cette interdiction dans les actes du Conseil municipal de Mexico du 21 juin 1527, où il est stipulé que les artisans ne doivent pas se distraire par des jeux et des passe-temps les jours de labeur « et que, à partir de maintenant, aucun officiel… n’ait l’audace de jouer aux bolos, ni à la balle les jours de travail sous peine, la première fois d’une amende de dix pesos d’or, vingt la seconde fois assortis de vingt jours de prison, et la troisième fois d’être interdit de séjour dans la ville à perpétuité » (Alamán 1991: 290). On ne sait pas avec précision quels sont les jeux de balle qui ont été interdits et quels sont ceux qui ont été encouragés, car on sait que le 23 février 1595, le Vice-roi ordonne de faire un terrain pour le jeu de balle au palais comme il est enregistré en la Guía de las Actas de Cabildo de la Ciudad de México (1970 : 811). Il est cependant peu vraisemblable qu’il s’agit d’un tlachtli. Il s’agit plus probablement d’un des jeux espagnols importés sur le sol américain au cours de la Colonie, balle ou bolos probablement. Certains suggèrent que l’interdiction du jeu est due au fait que les joueurs se comportaient de façon inappropriée. Durán (1984 vol. 1: 205-210) indique que les perdants blasphémaient fréquemment au cours des jeux. Par exemple, Juan Franco qui est accusé de blasphème explique pour sa défense que c’est à cause de l’excitation du jeu. Alonso de Carrión est accusé de jouer et de blasphémer (Grunberg 1998 : 48, 61, 119). Le problème en l’occurrence est qu’on ne sait pas quel est le jeu qui les fait blasphémer. Il peut s’agir des bolos, du jeu de balle autochtone et même de jeux de cartes ou de dés, et il semble que la punition est attachée aux blasphèmes et aux mots malsonnants et non pas forcément à la pratique du jeu elle-même.

directement l’ouvrage de Motolinía. 16 Pour les informations concernant l’interdiction des jeux de hasard et de certains jeux sportifs et exercices corporels en Europe et particulièrement en France, voir Jean-Michel Mehl (1990 : 339-374). 17 Francisco Cervantes de Salazar (1985 : 39, 291-292). Chroniqueur installé à Mexico après que la mairie se soit intéressée à son travail et l’ait nommé chroniqueur. À l’époque préhispanique, jouer à la balle et parier sur les jeux ne semble pas entraîner de répression ni de punition. Les personnes qui jouaient trop étaient considérées comme vicieuses et jugées de manière négative comme le dit Sahagún (1985 : 246, 556), mais dans les documents sur les infractions, peines et châtiments avant la Conquête, il n’en n’est pas question. 18 Sur ordre du maire, il enregistre les réponses au questionnaire des Relations géographiques du XVIe siècle. Pomar 1982-1987 vol. 8: 74. 19 Muñoz Camargo 1982-1987 vol. 4, tableau 11, « les jeux sont interdits ainsi que les joueurs invétérés sous prétexte qu’ils se moquent de la sainte foi, par ordre de Cortés. »

III. 2. 2. Un exercice pour le corps Le temps passant, les chroniqueurs mentionnent de moins en moins le jeu de balle et cessent donc de faire référence à son interdiction. Dans la Monarquía indiana de Torquemada (1612) et l’Historia... de Clavijero (1778), il

96

L´évangélisation n’y est fait aucune référence, pas plus que dans les écrits des auteurs postérieurs ou des premiers historiens qui se penchent sur le passé préhispanique du Mexique, bien qu’ils se soient chargés de réunir une importante documentation venant des découvreurs, des conquistadors et des religieux. Manuel Orozco y Berra, dans son Historia antigua y de la conquista de México (1880), fait référence au jeu, en se basant sur les récits de Durán et Torquemada, mais parle surtout des caractéristiques de la substance avec laquelle la balle est fabriquée et de l’arbre dont on la tire (Orozco y Berra 1970 vol. 1 : 280-281). Alfredo Chavero, dans son Historia antigua, qui fait partie de l’ouvrage México a través de los siglos, écrit aussi sur le jeu. De même qu’Orozco y Berra, il se base amplement sur les écrits de Durán et décrit le jeu des Mexicas du Templo Mayor de Tenochtitlán, même s’il se réfère à sa pratique chez les Mayas. Dans ce contexte, un dessin du peintre José María Ibarrarán y Ponce intitulé : « Le jeu de balle chez les anciens Mexicains » que Chavero a inclus dans son Histoire (1953 vol. 2 : 56) reflète les conceptions du peintre sur le sujet. Ce dessin, présenté dans une exposition à l’Hôtel Jardín en 1888,20 a été conçu par un élève de l’Académie de San Carlos sur un thème préhispanique (Fig. 80). On peut difficilement identifier le jeu auquel se réfère le dessin, mais puisqu’il est inclus dans les données de Chavero sur la ville maya-toltèque de Chichén Itzá, on peut supposer qu’il s’agit du jeu de balle de ce site, bien qu’il ne soit pas du tout ressemblant. En tout cas, l’image réitère la perception de De Bry car les joueurs sont représentés faisant de l’exercice et profitant d’un passetemps. Pour décrire les activités du jeu de balle, Chavero se sert des données de la relation de Durán, mais pour la disposition du terrain, il utilise les renseignements des Incidents of Travel in Yucatan, de John Lloyd Stephens qui visita Chichén Itza en 1842, et ceux de Désiré Charnay dans Ciudades y ruinas americanas, écrit quelques années plus tard. Chavero eut donc l’occasion de comparer les écrits de ces deux voyageurs et il réfute quelques-unes de leurs interprétations du jeu de balle de Chichén Itzá. Il fait remarquer que Stephens l’appelle le gymnasium or Tennis court, et affirme, comme Charnay, que s’y déroulaient des jeux publics.21 Il explique que : «... les emblèmes que l’on trouve ici… montrent bien que les jeunes… venaient ici lutter et montrer leur vigueur, leur dextérité et leur agilité » (Charnay 1994: 170). Chavero spécifie que le jeu de balle était un exercice, mais il souligne la spécificité du jeu américain. Il le décrit comme une des pratiques remarquables des anciens Mexicains et le valorise dans sa reconstruction du passé indigène. Malgré cette précision, et alors qu’il a la possibilité de réfuter ce qu’ont écrit ces prédécesseurs, en incluant le dessin d’Ibarrarán dans son étude, Chavero répète en partie ce qu’il aurait voulu corriger (Chavero 1953 vol. 2: 47). Le dessin d’Ibarrarán où l’on peut

observer des hommes à moitié nus en train de jouer pendant que d’autres les observent en conversant, et les commentaires de Chavero, de Stephens et de Charnay montrent clairement qu’à la fin du XIXe siècle, on pense toujours que le jeu de balle américain comme les jeux européens est un exercice « pour la légèreté et la souplesse du corps et des membres», comme l’avaient remarqué plusieurs auteurs au XVIe siècle. 22 Le jeu de balle est donc considéré comme un exercice et un passe-temps nécessaire pour le corps, et le terrain comme une sorte de gymnase utilisé pour le développement des activités ludiques. Cette interprétation perdure chez les moines malgré l’interdiction, et chez les conquistadors, et reste toujours valable. Actuellement le jeu est perçu comme un sport de démonstration qui préserve les racines précolombiennes mexicaines. Dans le cadre du Mondial de football, on a présenté le jeu de balle sur l’esplanade du Musée National d’Anthropologie et d’Histoire de Mexico, au milieu de quelques vestiges que nous ont laissés les anciens Mexicains. Le jeu de balle est donc actuellement une tradition vivante perçue comme un sport ancien qu’il faut sauver et valoriser. Dans le cadre des Mondiaux de football ou des Jeux Olympiques, quand l’Association Internationale Olympique demande aux experts en la matière des livres sur le sujet, il ne manque jamais un texte ou un bref commentaire faisant référence au jeu de balle des anciens Mexicains (Leyenaar 1997 ; Reforma 2002). Pour confirmer que cette perception et cette lecture du jeu de balle sont toujours en vigueur, il suffit de voir que les titres des travaux universitaires spécialisés sur le thème se réfèrent à ce jeu comme à un sport. Par exemple, une compilation de plusieurs études faites par des spécialistes est intitulée The Sport of Life and Death. The Mesoamerican Ballgame.23 On peut y ajouter les titres de quelques conférences qui laissent entendre que le jeu de balle mésoaméricain est comparable à la boxe et aux activités des gladiateurs (Taube 2009). Le jeu de balle ainsi présenté est comparable aux jeux européens et l’analyse montre que les spécialistes interprètent actuellement sa fonction en utilisant ce que les Européens qui l’ont connu au début ont exprimé. Le jeu a toujours été considéré comme un spectacle, une diversion et un exercice pour le corps, et, au Mexique, il est considéré comme un sport nettement mexicain dont on doit faire la promotion pour « ... fortifier notre identité nationale et promouvoir la culture du sport » (González Rodríguez 1992). Le jeu de balle mésoaméricain est actuellement catalogué comme un sport, mais ce terme ne le décrit pas de façon adéquate. Actuellement, le sport fonctionne comme un enchantement temporaire qui produit un court épisode de joie, éloigné du quotidien, mais il peut aussi être vu comme un combat symbolique, fondé sur le mouvement des corps. Il n’y a pas de motivation externe qui influence ce type de conflit artificiel. Et c’est le point qui distingue le jeu du sport (Scheller et Baden 2010). Le jeu de balle préhispanique

20 Cette oeuvre est citée dans « El Eco Universal. Diario de la Tarde », México, 1 juillet 1888 tome.1, n°1. Voir: Rodriguez Prampolini 1997 vol. 3: 230-231. 21 John Lloyd Stephens (1963, vol. 2 : 203-209) reprend intégralement les paroles du chroniqueur Herrera y Tordesillas pour faire connaître les activités qui avaient lieu en relation avec le jeu de balle.

22

Vázquez Mantecón 2000: 98. Au XIXe siècle, les libéraux condamnent tous les jeux de hasard pour être contraires au travail honnête. 23 Whittington 2001. Un autre titre suggestif est: Sports, Gambling, and Government: America´s First Social Compact? (Hill et Clark 2001).

97

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels d’insultes et invectives les plus horribles. » Tout cela est entremêlé avec la description du jeu dans les documents de la même tradition : la Crónica X, en particulier la Crónica Mexicana de Tezozomoc.25 En comparant ce que dit Fernández de Echeverría avec ce qu’écrit le chroniqueur indigène, il est clair que Tezozomoc dit le contraire quand il affirme que ceux qui mettaient la balle dans l’anneau, c’est-à-dire les gagnants, « enlèvent leurs vêtements à tous ceux qui regardent». Il semble donc que les gagnants- et non les perdants- provoquaient les injures du public en s’emparant de leurs vêtements.26 On comprend aussi ce qui précède en tenant compte de ce que disaient les moines, comme Motolinía qui coïncide avec Tezozomoc. Il est donc évident que Veytia se trompe, car ses préjugés troublent son jugement sur le jeu de balle. Comparer les critères de Veytia avec ce qu’écrivirent les moines et les chroniqueurs indigènes permet d’envisager sous un autre angle les événements postérieurs au jeu chez les Nahuas, car ils s’accordent pour affirmer que le gagnant obtenait des tissus et des vêtements de tous ceux qui regardaient le jeu, mais ils ne font aucune référence aux perdants. Cependant, l’hypothèse erronée de Veytia permet à cette conception de prospérer. L’aspect sacrificiel du jeu au Classique tardif, quand une personne habillée comme un joueur de balle était décapitée, ajouté à la supposition qu’au Postclassique le perdant et ses adeptes étaient pénalisés, permet la confusion des pratiques liées au jeu à différentes époques de l’histoire mésoaméricaines et aboutit à la théorie généralisée du perdant décapité dont la tête est placée sur le râtelier qui soutenait la tête des condamnés.

était un jeu de hasard, une auscultation du destin régi par les dieux, qui avait certainement un caractère compétitif et pour lequel on risquait sa vie, mais le nommer sport lui fait perdre son caractère rituel, empêchant de le comprendre pleinement, surtout dans sa version la plus ancienne quand il faisait clairement référence à la décapitation. III. 2. 3. Gagnants et perdants Le jeu de balle est décrit comme un sport,24 mais il ne s’agit pas d’un affrontement dans lequel il y a des gagnants et des perdants à la fin de la partie. Les conquistadors et les religieux n’ont jamais mentionné que les joueurs étaient tués après leur défaite, et d’une façon générale, ils n’ont donné aucune information sur le résultat final d’un affrontement, même si, dans les études actuelles, cette affirmation est très fréquente et il faut se demander sur quoi se fonde cette théorie. Le jeu de balle mésoaméricain chez les Nahuas était-il un sport dans lequel le perdant était pénalisé ? Comme cela a été mentionné dans l’introduction, à peu d’exceptions près, les chercheurs prétendent qu’à la fin du jeu, on tuait le perdant. Le jeu de balle a été comparé aux jeux de balle européens, et c’est ainsi qu’il a acquis le sens d’un affrontement sportif ou d’un jeu de compétition dans lequel le perdant est puni et que l’on a supposé que le joueur vaincu était tué par décapitation à la fin du jeu, et sa tête placée sur le tzompantli. Les documents dont nous disposons contredisent l’interprétation actuelle et cette proposition semble se baser sur l’image d’un joueur avec la tête coupée, des flots de sang jaillissant de son cou. Les spécialistes se réfèrent fréquemment à une de ces images pour appuyer une théorie que notre étude cherche à corriger. L’accepter fait oublier que le jeu de balle, sa pratique et peut-être même sa fonction ont changé au cours du temps, que plusieurs types de jeux ont coexisté et que de nombreuses références prouvent que la décapitation n’était liée au jeu de balle qu’au Classique moyen. Les sculptures représentant un joueur de balle décapité ne démontrent pas formellement qui est le sacrifié, le gagnant ou le perdant. Pour arriver à cette conclusion, les spécialistes se réfèrent à des données issues de l’écriture maya et des mythes Mayas et Purépechas. Les époques et les régions se mélangent, à la recherche d’analogies, sans tenir compte des différences entre les pratiques du jeu et les cérémonies post-sacrificielles de chacun des groupes. D’autre part, la théorie qui affirme que le vaincu était châtié par le vainqueur est fondée sur une supposition qui vient d’une mauvaise lecture des sources, affirmant que le public maltraitait le joueur vaincu et les partisans de l’équipe perdante et s’emparait de leurs vêtements. C’est ce que dit Mariano Fernández de Echeverría y Veytia (1944: 294-297) au milieu du XVIIIe siècle, et ce que l’on répète encore de nos jours. Dans son ouvrage Historia antigua de México, il écrit que le joueur vaincu perdait ses vêtements et qu’ « il était par tout le monde abreuvé

III. 3. Le jeu de balle chez les Nahuas Alors que des données fiables signalent qu’à la fin du jeu, un joueur était décapité à l’époque classique, les sources historiques concernant les Nahuas de l’époque postclassique révèlent qu’il y avait des sacrifiés et des morts dans le contexte du jeu de balle. Les cérémonies qui avaient lieu dans un des terrains du Templo Mayor de Tenochtitlán se terminaient par le sacrifice de victimes, par exemple lors des cérémonies de la vingtaine du Panquetzalitzli où quatre sacrifiés mourraient sur le terrain. Dans le récit de la migration mexica, il est dit que Coyolxauhqui meurt sur le terrain du jeu de balle.27 Ces deux exemples sont documentés par un grand nombre d’études faites sur les Nahuas du Postclassique pour comprendre les rituels se déroulant entre le jeu de balle et le râtelier de crânes, l’importance de chacun des édifices et leur relation. Il faut souligner que, dans ces exemples, il n’y a pas de jeu préalable aux sacrifices qui ont lieu sur 25 Il faudrait savoir comment Fernández de Echeverría y Veytia a eu l’information car la chronique de Tezozozmoc (1980) a été connue grâce à Manuel Orozco et Berra au XIXe siècle, et les autres chroniques qui rapportent cet évènement ne donnent pas cette information, voir Durán 1984 vol. II: 33-34 ; Manuscrit Tovar 1972: 15. 26 Alvarado Tezozomoc, (1980: 228): « la balle tombant là…; celui qui la met là en jouant, on enlève leurs vêtements à ceux qui regardent et ainsi monte une grande clameur … ». 27 Pour Panquetzaliztli, voir Sahagún 1985: 90,142-147 ; pour les informations sur la décapitation de Coyolxauhqui, voir Alvarado Tezozomoc 1980: 228-229; 1975: 35 ; Durán 1984 vol. 2 : 32-34 ; Graulich 1997a: 229.

24

Il s’agit d’une récréation, un passe-temps, un plaisir, une diversion, un exercice physique généralement à l’air libre. Activité physique exercée comme un jeu ou une compétition dont la pratique suppose un entraînement et l’acceptation de règles (Diccionario de la lengua española 1992).

98

L´évangélisation Torquemada 1975 vol. 1: 249-250). La mort de Xihuitlemoc après le jeu de balle peut être considérée comme une trahison, mais il faut souligner que, malgré les mauvaises intentions d’Axayácatl, le prix convenu au départ se compose de loyers et de villages. En général, quand on se réfère au prix à payer par le perdant, on mentionne des terres et des villes, pas la vie. Topiltzin Quetzalcoatl par exemple propose à ses rivaux de jouer à la balle et il est décidé que le gagnant gouvernera les autres (Alva Ixtlixochitl 1975 vol. 1 : 279). Il est écrit que la défaite mena à l’abandon de la ville toltèque, et marqua la fin de son empire (Mendieta l97l : 88 ; Leyenda de los Soles 1975: 126). Ces exemples montrent que, dans plusieurs épisodes, la mort est associée à l’espace du jeu de balle, mais il n’est jamais fait directement mention de la décapitation du perdant, pas plus d’ailleurs que du gagnant.29 Le jeu de balle avait divers objectifs, et chacun d’eux doit être analysé ponctuellement. Le jeu entre Moctezuma II et Nezahualpilli, par exemple, pourrait passer pour un simple pari, puisque le premier joue trois coqs sauvages contre le royaume du second, et qu’à la fin de la partie gagnée par Nezahualpilli, ils s’en vont tous deux manger au palais. Mais une lecture plus pointue montre que le résultat du jeu servait de présage et d’augure aux deux gouvernants (Alva Ixtlilxóchitl 1977 vol. 2: 181-182 ; Torquemada 1975 vol. 2 : 291-292). Bien que les religieux aient perçu que le jeu de balle était lié à des croyances idolâtres, ils le présentent comme un passe-temps et un exercice. Les chroniqueurs indigènes, pour leur part, indiquent que le jeu était une pratique commune chez les gouvernants et un passetemps, une sorte de supercherie qui servait à tromper et dépister l’ennemi. Quand Maxtla envoie tuer Netzahualcóyotl, ce dernier, qui a été averti, joue à la balle pour faire « comprendre que cette pensée ne le préoccupait guère... qu’il jouait pour passer le temps … », et quand les hommes envoyés par Maxtla arrivent, ils le trouvent « …. en train de jouer à la balle… » (Alva Ixtlilxóchitl 1977 vol. 2: 361-362 ; Torquemada 1975 vol. 2: 182-183). Le gouvernant mexica Axayácatl, qui s’attendait à être attaqué par Moquihuix, agit de la même façon et joue à la balle en l’attendant. Se préparant à la guerre contre Axayácatl, Moquihuix envoie ses espions à Tenochtitlán, et là « … ils trouvent le roi Axayácatl, jouant à la balle avec les nobles et les seigneurs, sans se soucier, semblaitil, d’un quelconque événement menaçant. Ce qui était fait exprès pour leur faire croire qu’il n’avait aucune idée de leurs intentions...» (Alvarado Tezozomoc 1980: 388; Durán 1984 vol. 2: 257-258 ; Barlow 1987 - 1994 vol. 1 : 107-117). Il semble donc que les gouvernants jouaient à la balle pour tromper l’ennemi et lui faire croire qu’ils n’étaient absolument pas préoccupés par une capture imminente ou une bataille éventuelle. Les jeux entre les seigneurs nahuas ne finissaient pas par la décapitation d’un des

le terrain. Il n’est pas souvent fait référence à la mort sur le jeu de balle chez les Nahuas, et cela n’a pas forcément de rapport avec le résultat du jeu. En général, les chroniques se concentrent plutôt sur ce que recevait le gagnant : richesses, louanges et chants. En général, elles n’indiquent pas ce qu’obtenait le vaincu, ni les conséquences de la défaite. Le peu d’exemples qui s’y référent sont des chroniques de tradition indigène, comme celle de Fernando de Alva Ixtlilxóchitl en 1625 et celle de Domingo Francisco de San Antón Muñón Chimalpaín (1579-1660) qui sont toutes deux écrites comme des registres historiques, sorte d’annales qui se référent à certains événements et prouesses parmi lesquels se trouve le jeu de balle. Chimalpaín par exemple indique, qu’en 1418, Teciuhtzin meurt au moment de jouer à la balle, sur le tlachtli et il s’interroge : « … pourquoi l’ont-ils tué là, tous ceux qui jouaient ? … Peut-être avait-il gagné, peut-être perdu… les anciens n’ont rien précisé » (Chimalpaín 2003a : 9091). Cela montre que l’on pouvait difficilement déterminer la raison de la mort et qu’on ne peut l’imputer à la défaite. Chimalpaín relate aussi la mort de Maxtla, qui « ... s’en alla mourir par là-bas, à l’endroit du jeu de balle » (Chimalpaín 2003a :102-103 n.124 ; 1998 : 75). Il ajoute que le gouvernant d’Azcapotzalco mena l’empire tepaneca à sa fin en perdant au jeu de balle (Chimalpaín 1982: 96, 194), mais il ne fait aucune mention de la façon dont il est mort. On peut cependant penser que ce ne fut pas par décapitation, puisque d’autres sources précisent qu’il est mort roué de coups et de jets de pierres, dans le temascal (Torquemada 1975 vol. 1: 198). Il faut ici ouvrir une parenthèse pour signaler la confusion que peut susciter la mention de la mort de quelqu’un à Tlachco. Il faut déterminer s’il s’agit du nom d’une localité ou d’un terrain. Par exemple, Chimalpaín (1997 vol 2 : 57) indique que « Tozcuecuextli meurt à Tlachco, Huitzilopochtli perfore sa poitrine et lui coupe la tête ». Il semble que, dans ce cas, il se réfère à une localité, et c’est ainsi que cela a été traduit.28 Le même doute concernant le lieu du sacrifice, sur un terrain ou dans un village, se trouve dans l’Historia Tolteca Chichimeca (1976), où il est dit que « ... Apantecatl Cuitliz et Quauhliztac ... meurent à Tlachco ... » (Kirchhoff, Güemes et Reyes 1976: 52). Ces références doivent être étudiées individuellement. Ixtlilxóchitl raconte une autre mort postérieure à un jeu, mais dans ce cas, c’est le gagnant qui meurt. Il dit qu’Axayácatl, le seigneur mexica, avait du ressentiment contre Xihuitlemoc, seigneur de Xochimilco, et cherchait une raison de le tuer. Axayácatl invite donc Xihuitlemoc à jouer à la balle. Ce dernier refuse car, étant un excellent joueur, il sait que gagner serait faire un affront au gouvernant et que s’il se laisse vaincre, il sera accusé de se moquer de lui et de l’outrager. Néanmoins, ils finissent par jouer. Axayácatl met en jeu les loyers de l’année en cours et quelques villages de la lagune et Xihuitlemoc engage sa ville. Bien que le seigneur de Xochimilco ait gagné, il perd quand même la vie car Axayácatl le fait assassiner (Alva Ixtlilxóchitl 1977 vol. 1: 412 ; 28

29

Comme nous l’avons dit dans la première partie de ce travail, on peut penser que chez les Nahuas, la personne décapitée sur le jeu de balle pendant les cérémonies et rituels était un représentant. Dans le cas du jeu de balle, c’était une victime sacrificielle, habillée en joueur de l’équipe gagnante.

Anderson et Schroeder 1997 vol 2 : 57.

99

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels gagnant, dans un rôle d’exécuteur ou de bourreau - nous pensons que le terme bourreau est utilisé pour désigner une équipe ou un joueur qui élimine l’autre - coupait la tête du perdant, et pour prouver sa victoire, la plaçait sur le râtelier, comme un sportif garderait son trophée. Bien sûr, cela suppose que le jeu de balle est un sport et le tzompantli un lieu d’exposition des restes humains des condamnés. Le mot châtiment a été appliqué au perdant tué, et il faut explorer cette hypothèse du vaincu pénalisé pour comprendre l’affirmation d’une relation entre le jeu de balle et le tzompantli. Certains spécialistes ont déjà signalé que c’est une erreur de penser que la mort d’un joueur était une punition. Paul Westheim (1980 : 268269), par exemple, écrit que : « le sacrifice [lié au jeu de balle] était le prix de la victoire, le laurier que le vainqueur attend dans une Olympiade... » et précise : « interpréter le sacrifice comme une espèce de punition pour avoir perdu au jeu de balle est une conception occidentale». Son observation cherche donc à réfuter une interprétation généralisée chez les spécialistes, qui présente la fonction de la mort liée au jeu de balle comme quelque chose de négatif alors qu’en réalité, la mort sacrificielle était une offrande aux dieux. L’enchaînement d’idées qui conduit à établir un lien direct et exclusif entre tlachtli et tzompantli est purement conjoncturel. Derrière cette affirmation se cache une conception qui met au premier rang le fait que le perdant reçoit une punition à la fin de la rencontre. Cette interprétation a des racines éminemment occidentales. Elle considère le jeu de balle mésoaméricain comme une rencontre sportive et un affrontement, et suppose que l’exhibition de restes humains sur un râtelier, c’est-à-dire un rite sacrificiel, est une pratique punitive, comme nous allons le voir maintenant.

opposants, ni par la mort d’un joueur. Les seigneurs nahuas s’efforçaient même d’entretenir le jeu et ses joueurs. Ils construisaient des terrains pour son déroulement et pour garder les balles et un seigneur « était accompagné de bons joueurs de balle qui jouaient en sa présence et avaient pour opposants d’autres bons joueurs. » (Sahagún 1985: 459). Ces descriptions mettent en évidence l’importance du jeu et la multiplicité de ses usages. Mais les faits décrits par les chroniqueurs indigènes ne permettent en aucun cas d’affirmer que le jeu s’achevait par une décapitation, ce qui dans une certaine mesure démontre que l’activité exercée sur le tlachtli ne se terminait pas sur le tzompantli. Des références concrètes permettent de déterminer que dans d’autres contextes, mythiques et rituels, où l’on ne joue pas à la balle, les espaces sont liés. Un usage analogue se trouve : 1) dans le mythe de la migration à Coatepec (on construit un jeu de balle et un tzompantli) ; 2) dans les rites de la vingtaine de Panquetzaliztli (la tête de la victime sacrifiée sur le tlachtli se retrouve sur le huey tzompantli ; 3) dans la description de Durán, le terrain est entouré d’arbres tzompaquahuitl-colorín. La question centrale est donc de déterminer pourquoi diton qu’il y a une relation entre le jeu de balle et le tzompantli ? La réponse semble résider dans le fait que le jeu de balle est une pratique caractéristique des peuples mésoaméricains (Kirchhoff 1992: 28-45), mais le cérémoniel qui y est lié peut varier en fonction de l’époque et de la région considérées. En imposant la fonction et le signifié du jeu de balle du Classique tardif à sa pratique au Postclassique (quand son aspect séculaire est lié au cérémoniel du sacrifice humain des mythes et des rites nahuas et dans certains cas au tzompantli), on amalgame des pratiques très différentes, correspondant à divers types de jeux donnant naissance à une conception qui affirme que le tlachco et le tzompantli forment une unité. L’étude comparative des sources, en distinguant les époques et les cultures, montre que le jeu a changé au cours du temps et qu’il y avait différentes modalités de jeu. Le tzompantli, quant à lui, peut être considéré comme tardif si on le distingue d’autres pratiques post sacrificielles, comme les restes humains sur les râteliers et les plateformes que l’on trouve dans la région depuis des époques très anciennes. D’autre part, on peut effectivement démontrer une relation entre les deux espaces, mais elle est limitée dans le temps et correspond à des circonstances très spécifiques qui ne montrent jamais une relation exclusive entre les deux espaces. Cependant, il faut peut-être tenir compte d’autres réponses que nous avons recherchées pendant toute notre étude. On a peut-être imaginé cette relation parce que le jeu de balle a été considéré comme un affrontement dans lequel le perdant était décapité par le gagnant. Une autre réponse à la même question s’appuie sur le fait que, pour la pensée occidentale, la tête détachée du corps est comparée à une balle et la décapitation d’un joueur, le perdant, est interprétée comme un châtiment. L’association de ces éléments a conduit à la conception erronée que la tête du perdant finit sur le râtelier, donc à l’idée d’une relation entre le tzompantli et le tlachtli à travers la décapitation du joueur vaincu. Á tel point que le

III. 4. Le tzompantli Motolinía, Sahagún et Durán décrivent le terrain et le jeu de balle. Ils font aussi des commentaires sur le râtelier qui exhibait les restes humains, qu’ils interprètent de différentes façons. Mais, avant d’analyser leurs interprétations, il importe de souligner que c’est grâce à leurs écrits en langue náhuatl que nous savons que les Nahuas du XVIe siècle appelaient tzompantli le râtelier de crânes. Nous ne trouvons pas le terme tzompantli dans les témoignages des conquistadors, ni dans la majorité des écrits des religieux. C’est un mot utilisé principalement dans les chroniques indigènes et dans les écrits des auteurs qui se sont fondés sur les rapports, textes et pictographies indigènes. Parmi les religieux, Sahagún (1979 vol. 2 appendice livre 2) et Durán (1984 vol. 2: 172-174, 291-293) et par la suite les auteurs qui utilisent leurs documents emploient le terme tzompantli. Dans les premières synthèses de l’histoire du Mexique ancien, le terme était fréquent, par exemple dans l’œuvre de Torquemada et dans celle de Clavijero, qui se basent sur les écrits de Sahagún et de Durán. Ils les ont étudiés à la lumière des chroniques rédigées par les témoins oculaires, et ils ont noté que le râtelier avec ses dépouilles humaines dont parlaient les conquistadors s’appelle tzompantli. Plus tard, dans les premières études du XIXe

100

L´évangélisation afin qu’ils les mettent sur la palissade, après avoir mangé la chair des têtes des sacrifiés (Durán 1984 vol. 1 : 23-24, 32), et semble confirmer que la frontière qui séparait les activités du boucher de celles du bourreau a été ressentie comme plus ou moins floue. Tous deux découpent le corps.32 D’autre part, l’analyse des écrits de Motolinía (1989 : 119, 580) et d’Alonso de Zorita (1999 vol. 1: 359) révèle que ces deux auteurs ont formulé des théories sur la fonction du tzompantli, jugeant que les restes humains exposés sur des palissades correspondaient à des châtiments. Pour décrire le tzompantli, ils utilisent évidemment des références familières. Motolinía observe que les Indigènes gardent les têtes des captifs de guerre et pour expliquer les pratiques post mortem sur les corps sacrifiés, il se réfère à ce qu’il connaît : les punitions et les pratiques européennes. Il précise que la tête des victimes est coupée et « … mise sur un long piquet, comme cela se fait dans beaucoup d’endroits avec la tête des condamnés pour délits graves »,33 et il observe que le piquet est planté dans le patio du temple. On peut supposer que le religieux se réfère au Huey tzompantli dans les mêmes termes, puisqu’il précise qu’il a déjà écrit sur le sujet et renvoie le lecteur à un chapitre antérieur. Il note que les têtes des sacrifiés sont dépecées et que « … ils mettent les têtes de mort sur des bâtons qu’ils plantent près des temples du démon. Ils dressent environ seize ou vingt bâtons de quatre ou cinq brasses de haut, séparés entre eux d’environ une brasse, tous pleins de trous. Ils prennent les têtes perforées au niveau des tempes et les enfilent sur d’autres bâtons fins qu’ils mettent dans les trous des poteaux qu’ils ont dressés, et il y en a ainsi cinq cents ou huit cents ou plus de mille..." (Motolinía 1989: 119 note 3).34 Bien que Motolinía explique que le râtelier de crânes est un trophée de guerre et que la chair des sacrifiés est consommée lors des cérémonies, utilisant une explication qui se forge au cours de la Conquête, il fait des comparaisons avec ce qu’il connaît, c’est-à-dire les châtiments exemplaires des Européens : le pilori. Alonso de Zorita, dans la Relación de la Nueva España (1999 vol. 1: 359), suit Motolinía et écrit la même chose : il compare le râtelier de crânes à « … un piquet très haut, comme on le voit dans beaucoup d’endroits, pour les condamnés pour délits graves... ». C’est une interprétation très courante, Beaumont (1932 vol. I : 63) par exemple écrit que, lors des sacrifices, « la tête était coupée et ils l’enfilaient sur un piquet, comme on le fait de nos jours avec les condamnés ». Lorsque les événements liés au débarquement de l’expédition de Francisco Hernández de Córdoba dans la province de Campeche sont connus, cette interprétation a déjà cours. Lors de la première expédition, les Espagnols

siècle sur le Mexique ancien, des spécialistes comme Manuel Orozco y Berra, qui révisent et annotent la bibliographie connue sur le Mexique préhispanique, réitèrent ce qui précède. Il est donc établi que le mot tzompantli désigne un râtelier avec un terme qui, dans des études récentes est couramment substitué par « échafaudage de crânes », « autel de crânes », « file de crânes » ou comme « autel de têtes de morts » et « plateforme des têtes de morts ».30 Avec l’idée que le tzompantli est le reflet des sacrifices que les Indigènes font à leurs dieux, et que les corps démembrés sont des preuves de l’œuvre du diable (Clendinnen 1993 : 20), les évangélisateurs considèrent le râtelier de crânes comme un trophée de guerre ou un ossuaire, une preuve de cannibalisme ou un lieu de châtiment. Les interprétations de sa signification ne s’excluent pas les unes les autres, car un même auteur peut en énumérer plusieurs. Tout au long du processus d’évangélisation, les religieux ont considéré les dépouilles accrochées aux palissades selon leur point de vue, totalement étranger à la pensée indigène. L’analyse des observations et des jugements européens permet d’établir clairement que ces interprétations des pratiques indigènes d’exhibition de dépouilles humaines ont été élaborées en suivant des schémas liés aux pratiques funéraires et punitives. Il est vrai que beaucoup n’ont pas porté de jugement sur ce qu’ils relataient. Sahagun par exemple rapporte que, dans l’enceinte de Tenochtitlán, il y avait au moins sept tzompantli et il situe le Huey Tzompantli sur le plan des Primeros memoriales (Fig. 6). L’information qu’il fournit est primordiale pour connaître les usages du tzompantli et la nature de sa relation avec le tlachtli, que nous avons analysé dans la première partie de ce travail. Cette planche est l’un des rares documents où les deux structures sont représentées l’une à côté de l’autre. Plusieurs religieux s’accordent sur la fonction du tzompantli chez les Indigènes du Mexique central, qui, selon eux, servait à montrer « ... des guerriers grands et célèbres, très courageux à la guerre et prêts à servir et à rendre hommage à leurs dieux » (Motolinía 1989: 119; Torquemada 1975 vol. 3: 221), et ils répètent les raisonnements des conquistadors. D’autres pensent qu’il s’agit de preuves de pratiques funéraires : Pablo Beaumont (1932) qualifie d’ossuaire les dépouilles humaines que les conquistadors trouvent en arrivant à Tzintzúntzan et Diego Durán (1984 vol. 2 : 171-174), pour décrire le râtelier de Tenochtitlán, explique que cela veut dire « mont calvaire », faisant référence dans ce cas au lieu où l’on gardait les têtes de mort.31 L’emploi du terme ossuaire provoqua la confusion sur la véritable fonction du râtelier, de même que la théorie qui a fait du tzompantli une preuve de cannibalisme, comme on peut le lire dans les écrits des évangélisateurs. Quand Durán se réfère aux prêtres qui faisaient les sacrifices, il les appelle bouchers et les accuse d’être affamés de chair humaine. Il explique que les crânes leur étaient confiés

32 Pastoreau (2009 : 53 -54) affirme qui tous deux ont rapport avec le sang, substance presque aussi taboue dans les traditions occidentales que dans celles de l’Orient. En latin médiéval, ce fut longtemps le même mot, carnifex, qui désigne le boucher et le bourreau. 33 On arrachait le coeur de la victime, puis on jetait son corps en bas des gradins et on le décapitait (Motolinía 1989: 580). 34 Edmundo O´Gorman remarque que la description de la palissade varie dans les divers écrits de Motolinía. Le texte de l’Historia 1990 parle de quinze à vingt pieux.

30

Voir Simeón 1988: 733 ; Barlow 1989a vol. 2: 51 ; Seler, 1963 vol. 2: 59 ; López Austin et García Quintana 1989 vol. 2: 917 ; Glass 1964: 142. 31 Le mot calvaire (calvarium) était, dans l’Antiquité, utilisé pour faire référence aux ossuaires (Diccionario de la lengua española 1992).

101

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels (1985), on trouve des mentions sur les pratiques punitives, ainsi que dans certaines pictographies coloniales telles que le codex Mendocino (1964) et la planche des délits et punitions de la mapa Quinatzin (1972: 34-40 et Barlow 1994b vol 5: 261-277). Ces documents ont permis de connaître les délits avec les punitions correspondantes, qui sont énumérés dans « les lois de Netzahualcóyotl », ainsi que les châtiments exemplaires appliqués aux personnages importants. C’est un thème qui n’a pas été étudié de façon systématique, en comparant tous les documents disponibles (Lipset-Rivera 2001 vol. 2 : 110-112), mais qui révèle des détails significatifs permettant de faire facilement la distinction entre les pratiques sacrificielles et les pratiques punitives.36 Nous pensons que les prisonniers de guerre et les futurs sacrifiés n’étaient pas dans la même prison que les délinquants, et qu’avant et après leur mort, leurs corps étaient traités de façons très différentes.37 C’est cependant une distinction très difficile à établir (Escalante et Rubial 2004: 381), car on s’aperçoit que le châtiment pour homicide est le même : après la mort, le corps de l’assassin est mis en pièces et les morceaux répartis entre ceux qui l’ont capturé pour être cuisinés et mangés. La tête est attribuée à celui qui a découvert le délit et est conservée comme trophée pour les danses. Le cœur est enterré, après avoir été offert aux dieux.38 L’étude de ces thèmes est fondamentale, car ils révèlent que les châtiments nahuas et espagnols ont été perçus de manière très différente selon les auteurs. Torquemada par exemple explique que « la seule différence à ce propos (le châtiment) entre ces Indiens et nous, c’est que nos bourreaux mettent une cagoule aux condamnés. » (Torquemada 1975 vol. 4: 108 ; Diccionario de la lengua española 1992). Si l’on reprend les observations sur la justice des Indiens faites par Cortés à Tlaxcala, on constate que les pratiques punitives des Espagnols n’étaient pas très différentes. Cortés (1985 : 41-42) mentionne qu’il se nia à châtier l’Indigène qui avait pris l’or des Espagnols, pour qu’on le punisse suivant les coutumes. Le seigneur de Tlaxcala a fait faire une annonce pour que le délit soit rendu public, le voleur a été conduit au marché, et devant tout le monde, ils lui ont

ont vu une plateforme carrée au-dessus de quatre marches, avec trois piquets enfoncés dans le sol, traversés par trois autres appuyés sur des pierres. Mártir de Anglería (1964 vol.1 : 401-402) le décrit alors comme un lieu de châtiment pour les condamnés. Motolinía, Zorita et Beaumont le suivent; ils répètent une théorie qui s’avère erronée puisque les pratiques punitives des anciens Mexicains, spécialement les Nahuas, étaient différentes de celles des Européens, même si elles demeurent comparables. III. 5. Le châtiment chez les Nahuas La révision des documents se référant aux châtiments chez les Nahuas permet d’affirmer que la décapitation et l’exhibition publique de dépouilles humaines ne sont pas enregistrées parmi les punitions connues, ce qui contredit l’idée que le tzompantli est un lieu de châtiment. À l’époque préhispanique, la peine de mort s’appliquait à diverses transgressions, et la mort du condamné obéissait, comme chez les Espagnols, à l’application de la justice, au désir de faire un exemple, et servait d’avertissement. Cependant, chez les Nahuas, les punitions étaient autres. On trouve la trace de certains châtiments publics comme la pendaison, la lapidation, le démembrement, la strangulation,35 l’étripage et la mise sur le bûcher du condamné : des condamnations tout à fait similaires à celles dictées par les Espagnols. Il faut en tout cas souligner qu’il y a peu d’informations précisant que les morceaux du corps du condamné sont exposés dans des lieux publics. Certaines données prouvent pourtant que des dépouilles humaines étaient placées et exposées à la vue de tous. Motolinía, par exemple, écrit qu’ils ont coupé tous les membres d’un traître et les ont semés dans des lieux publics de différents quartiers. Il faut préciser qu’il s’agit là d’un châtiment de guerre, imposé à un espion qui allait mettre en garde les adversaires, et non pas d’une punition décidée dans le cadre de l’administration de la justice en réponse à un délit (Motolinía 1971: 296). Il semble que découper le corps et montrer les morceaux dans des lieux publics était une pratique qui s’appliquait surtout dans le cadre de trahison. On coupait les jointures du traître (Torquemada 1975 vol. 4: 113) et l’on démembrait les espions des peuples ennemis. Rappelons que la Coyolxauhqui a subi ce traitement à Coatepec, quand Huitzilopochtli la tue, la découpe et place sa tête à la cime du Coatépetl (Chimalpaín 1997 vol. 1 : 77, 81 et 83; Alvarado Tezozomoc 1980: 228-229 ; Durán 1984 vol. 2: 33-34 ; Sahagun 1985: 158 et 191-192). Les principaux écrits sur les crimes et les châtiments dans le centre du Mexique à l’époque préhispanique sont les chroniques des XVIe et XVIIe siècles, celles de Toribio de Benavente Motolinía (1971: 307-313), de Zorita (1963: 53-60), de Torquemada (1975 vol. 1 : 230-231 et vol. 4 : 103-110, 120-130). Dans les écrits de Fernando de Alva Ixtlilxóchitl (l977 vol. 2: 101-105) et les documents comme l’Historia de los Mexicanos por sus pinturas

36

Le tzompantli est toujours une offrande et un lieu de mort et de création. Le but de la mort est de se transformer, c’est une mutation, une renaissance. Le gibet est aussi un lieu de mort, mais c’est un lieu de châtiment avec l’idée de coercition, de répression et d’exemple. Faisons référence à la théorie du sacrifice de René Girard (1983) qui explique que le sacrifice est la ritualisation du lynchage primordial et que son rôle est de disperser la violence interne du groupe. Le mot lynchage comporte une idée de châtiment qui ne peut être appliquée au cas préhispanique. Il a déjà été fait référence aux fêtes populaires où la victime sacrificielle est « punie » pour justifier une mort par sacrifice. 37 La Relación de Meztitlán (1982-1987 vol. 7: 66) explique : « ils avaient des prisons et des geôliers pour les problèmes criminels, des menottes de bois, des instruments de torture et une sorte de caisse où ils mettaient le prisonnier. Le geôlier dormait sur la caisse. Ce genre de prison n’était fait que pour les prisonniers de guerre et pour ceux qui allaient être sacrifiés, mais pour les délinquants, ce n’était pas nécessaire car les cas étaient vérifiés et jugés très rapidement … ». 38 Concernant les châtiments pratiqués par les peuples mayas du Yucatán, López de Cogolludo (1971 vol 1 : 236-237) cite les délits et les peines correspondantes avant la Conquête. Étaient punis l’adultère, le vol et les vices. Il ne parle pas de la peine de mort par pendaison, mais par étranglement.

35 La strangulation diffère de la pendaison. Comme nous le verrons plus loin, le Mexique préhispanique ne connaît pas le gibet, et si l’on pendait, c’était à un arbre, mais il y a peu de références à ce sujet.

102

L´évangélisation on s’aperçoit qu’elles sont très semblables, mais l’ouvrage d’Acosta comme le manuscrito Tovar et le codex Ramírez,40 ne mentionnent jamais leurs sources. Durán, à la fin de sa description, écrit que : « ... un conquistador lui a affirmé … » (Durán 1984 vol. 1 : 23), et il semble qu’il l’ait interrogé à ce sujet. On peut penser qu’en 1578, quand Durán a achevé le Libro de los ritos y ceremonias en las fiestas de los dioses y celebración de ellas, dans lequel il parle du huey tzompantli, Francisco de Aguilar, qui arrive de Cuba avec Cortés et participe aux batailles de Tenochtitlán, est son compagnon au couvent de Santo Domingo (Garibay 1984 vol. 1: xxxiii.). Entre 1560 et 1565, il dicte ses écrits à un compagnon de l’ordre (Aguilar 1977: 25-26). Et rappelons que, tout comme Gonzalo de Umbría et Andrés de Tapia,41 il a eu l’opportunité de voir le grand râtelier du Templo Mayor de Tenochtitlán. Durán incorpore la description du tzompantli dans son aparté sur le dieu Huitzilopochtli et les cérémonies qui lui sont dédiées dans l’enceinte du Templo Mayor. Il explique qu’il a entendu les conquistadors parler de ce temple et fait référence à ce qu’ils ont vu. Il indique : « … je ne veux pas commencer en relatant ce que m’ont dit les Indiens, mais avec ce que m’a dit un religieux, qui fut conquistador, et disait être frère Francisco de Aguilar » (Durán 1984 vol. 1 : 18-20). Cela semble être l’origine de l’information de Durán, quand il décrit le Huey tzompantli. Sa description serait donc fondée sur des observations et des descriptions faites très tôt par les conquistadors. Cette proposition ne serait pas défendable, si Durán était le seul auteur à avoir ajouté ce commentaire à son récit, mais ce n’est pas un fait isolé, ce qui la rend encore plus vraisemblable. Alvarado Tezozomoc, qui mentionne brièvement le râtelier de crânes dans sa Crónica Mexicana, fait aussi référence à ce que les Espagnols ont vu.42 Ils auraient donc décrit le tzompantli d’après ce que les Espagnols ont observé noté et senti : « un énorme dégoût et une grande admiration ». Durán (1984 vol. 1: 23) et Acosta (1940: 238) écrivent sur le sujet. Manifestement, surtout les chroniques écrites par les Espagnols comptabilisent le nombre de crânes sur le tzompantli. Alvarado Tezozomoc, chroniqueur indigène qui relate qu’il y avait soixante-deux mille crânes, est une exception. Il répète ce qu’ont écrit José de Acosta, Diego

donné des coups de massues sur la tête jusqu'à ce que mort s’en suive. Les pratiques punitives des deux peuples sont très similaires dans les formes, ce qui explique la confusion entre la potence/pilori et le tzompantli, et l’opinion de Motolinía, de Zorita et de Martir de Anglería sur le râtelier. Comme nous le verrons par la suite, cette ressemblance fait que le gibet est vu comme un tzompantli. Les commentaires de ces auteurs sont exceptionnels, car dans les écrits des autres religieux, nous ne trouvons pas de comparaison entre le râtelier de crânes, le tzompantli et le grand poteau, le pilori ou la potence. Durán (1984 vol. 2 : 277-278 et 343-346) spécifie que l’on mettait les têtes des prisonniers de guerre sur le tzompantli, et il est intéressant de commenter son emploi dans ce contexte, car si les guerriers vaincus terminaient sur le tzompantli après un traitement rituel, ils étaient considérés avant tout comme des victimes sacrificielles auxquelles s’ajoutaient d’autres victimes, en particulier des femmes dont la tête finissait sur le tzompantli après un rituel élaboré et des cérémonies complexes. Cependant, l’utilisation de termes tels que « prisonnier » provoqua la confusion entre le tzompantli et le gibet/pilori, car il ne fait pas la différence entre un prisonnier de guerre détenu et sacrifié, et celui qui est condamné à mort à cause d’un délit. Curieusement, tout ce qui précède aboutit au raisonnement qui lie le tzompantli au châtiment. Ce jugement qui a son origine chez les découvreurs ressurgit chez certains évangélisateurs et nous le retrouvons, des siècles plus tard, dans les études actuelles. III. 6. Le tzompantli de Durán Durán décrit le tzompantli dans son Libro de los ritos y ceremonias en las fiestas de los dioses y celebración de ellas . Il écrit : « En face de la porte principale du Temple de Huitzilopochtli, il y a trente marches, de trente brasses de long ... En haut, il y a un passage, d’une largeur de trente pieds, et aussi long que les marches... Au milieu de cet endroit long et large, il y a une palissade bien rabotée aussi haute qu’un arbre, formée de piquets alignés, séparés d’une brasse les uns des autres. Ces piquets sont tous perforés de petits trous espacés de moins d’une demie-aune jusqu’en haut des gros pieux. D’un piquet à l’autre, de fines baguettes passent dans les trous, et des têtes de morts sont enfilées par les tempes sur ces baguettes. Chacune porte vingt têtes, et ces rangées de têtes arrivaient jusqu’en haut de la palissade... » (Durán 1984 vol. 2: 23). Comme on l’a dit à propos de la description du Huey tzompantli dans l’ouvrage d’Acosta, sur les gravures de l’ouvrage d’Antonio de Solís et dans la peinture de la Nouvelle-Espagne, le livre VII d’Acosta et les écrits de Durán sont liés à une tradition historique commune à laquelle appartiennent aussi le codex Ramírez, le manuscrito Tovar et la crónica Mexicana d’Alvarado Tezozomoc.39 En comparant ces descriptions du râtelier,

reconstituer une chronique perdue et disent que l’œuvre originale est le manuscrit Tovar, document dont le texte est le même que le Codex Ramírez (Lafaye 1972 : 20-25) (Romero Galván 2003: 185-196). 40 Le Manuscrit Tovar et le Codex Ramírez sont formés de la Relación... et du Tratado…, et la description du tzompantli est dans le « Tratado de los ritos y ceremonias y dioses que en su gentilidad usaban los indios desta Nueva España » 1980. 41 Aguilar 1977 et 1988. Il faut insister sur le fait que la Relación de la conquista de la Nueva España ne décrit pas le Huey tzompantli. 42 Alvarado Tezozomoc 1980 : 323 et 517. On peut se demander d’où Tezozomoc tient son information. Le fait qu’il décrive le tzompantli dans les mêmes termes que Durán et qu’il y ajoute l’information qui parle des Espagnols quand il se réfère à la vie de Moctezuma II et d’Ahuizotl doit être pris en compte. Si l’on compare l’ouvrage de Durán avec la chronique de Tezozomoc, on voit que dans l’œuvre du religieux, le volume « Historia » est comparable à la Crónica de Tezozomoc. Ce dernier ne parle pas des cérémonies indigènes comme le fait Durán dans le « Libro de los ritos y ceremonias… » (Romero Galván 2003: 185-196).

39 La « Crónica X », aujourd’hui perdue, a été une source d’information partagée par Acosta, Tezozómoc, Durán y Tovar (Barlow 1990ª vol. 3 : 13-32). Il existe pourtant d’autres propositions qui ne cherchent pas à

103

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Durán et le Tratado, qui comptent vingt têtes par barre, sans préciser le nombre total. Le conquistador Andrés de Tapia en rapporte cent trente-six mille et Motolinía dit qu’il y en avait entre cinq cents et mille, pour citer quelques chiffres.43 Ces quantités sont en contradiction avec le nombre de crânes des tzompantli archéologiques. À Zultepec, on compte moins d’une douzaine de crânes, et à Tlatelolco, bien qu’il y en ait eu des centaines, cela n’atteint pas les nombres élevés que notent les conquistadors. Cette description faite par un conquistador a donc été essentielle pour que Durán la fasse sienne et donne son interprétation sur la raison d’être du tzompantli. En d’autres mots, on peut penser qu’il a récupéré directement le témoignage d’un Espagnol qui a vu le râtelier et compté les crânes et que les auteurs du manuscrito Tovar et du codex Ramírez44 ainsi que Joseph de Acosta vont ensuite l’inclure leurs écrits. Ces éléments influencent grandement la manière dont le tzompantli est perçu dans une série de documents coloniaux, hispaniques et indigènes. Cette description sert de modèle littéraire à l’élaboration de deux images très différentes. Le Huey tzompantli du Templo Mayor représenté sur les gravures de De Bry et dans l’œuvre d’Antonio de Solís, via l’œuvre de Joseph de Acosta, est très différent de celui du Libro de los ritos y ceremonias… de Durán. Dans le premier cas, il s’agit de l’œuvre d’un graveur européen et, dans le second, d’une image élaborée par un artiste indigène, tlacuiloque.45 Ces deux conceptions semblent se baser sur le modèle de tzompantli issu des observations d’Aguilar. Dans l’œuvre de Durán, on reconnaît une image du tzompantli qui est, à tout point de vue, de conception européenne. C’est une représentation faite par un artiste indigène, mais le grand nombre de crânes représentés prouve qu’il se conforme aux paramètres des conquistadors. En d’autres mots, les artistes représentent le tzompantli en suivant des normes quantitatives établies d’abord par les conquistadors, puis par les moines, et dans le cas présent par Durán. Ce dernier écrit à propos de cette image, « il y a tellement de particularités à noter sur ce temple, que je veux, après l’avoir faire peindre, mentionner chaque chose en particulier. » (Durán 1984 vol. 1 : 20). Cette image du tzompantli a été d’abord élaborée selon ses instructions, et quelques années plus tard, les peintres natifs la reprennent sous la responsabilité de Juan de Tovar,46 et la reproduisent dans

une version réduite, dans le Manuscrito Tovar (Figs. 55 et 81). Dans ces deux exemples, il est évident que la représentation du temple et celle du tzompantli correspondent aux idées européennes.47 Le tracé des deux exemples montre des tzompantli très similaires, malgré quelques petites différences. Dans l’œuvre de Durán, il est formé d’une plateforme étroite avec un escalier central aux rampes sculptées et des sortes de fines colonnes soutenant une palissade de quatre pieux verticaux traversés de onze barres horizontales avec quatre-vingt dix-neuf crânes. L’image du Manuscrito Tovar présente une palissade de sept files horizontales de neuf crânes, soit soixante-trois au total, qui ne repose pas sur une plateforme. Dans les deux exemples, on reconnaît une image du râtelier de crânes identifié comme tzompantli, datant de l’époque de la Colonie, représenté en fonction des dires des conquistadors, puis des religieux, tracée par un artiste indigène et chargée d’une innombrable quantité de crânes. C’est une représentation totalement différente de celle qu’en faisaient les Nahuas avant l’arrivée des Espagnols, en tous les cas dans la carte des Primeros memoriales de Sahagún et une série d’autres exemples de pictographies se référant à la migration mexica, étudiées dans la première partie. Rappelons que, dans la majorité de ces pictographies, le râtelier porte un ou deux crânes. À l’époque de la Colonie, deux représentations du tzompantli coexistent ; le tzompantli simple en forme d’échafaudage avec peu de crânes (un ou deux) et le tzompantli complexe, tel que les conquistadors l’ont décrit, chargé de multiples crânes. III.7. Un râtelier, plusieurs interprétations Les religieux décrivent le tzompantli, font des comparaisons et portent des jugements, tout en essayant de le représenter et de faire connaître sa fonction. Ils l’interprètent de diverses manières et pour le décrire, ils emploient des termes qui leur sont propres et qui donnent lieu à un manque de précision. Cependant, grâce à leurs chroniques et histoires, on peut étudier les rituels et les cérémonies qui avaient lieu sur le Huey tzompantli et sur les autres tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlán. Il faut cependant tenir compte du fait que leurs interprétations sont fondées sur des jugements élaborés par les conquistadors à partir d’idées préconçues, ce qui empêche de déterminer la fonction et la nature du tzompantli et sa relation avec le jeu de balle. Les différentes façons d’interpréter les dépouilles humaines accrochées aux palissades et sur le tzompantli, et la variété des qualificatifs qui lui ont été attribués – saloir, trophée, ossuaire ou potence/pilori -, sont des preuves de l’évolution dans la façon de le considérer. On peut ainsi déterminer que, de la Découverte jusqu’à la Conquête et de la Conquête à l’Évangélisation, les Européens ont eu une posture changeante face aux dépouilles humaines. On ne peut pas suivre

43

Tapia 1971 vol. 2: 582-584; Benavente (Motolinía) 1971, 1989, 1990; Tratado de los ritos y ceremonias y dioses que en su gentilidad usaban los indios desta Nueva España 1980 : 95-96; Durán 1984 vol. 1: 23; Acosta 1940:382; Tezozomoc 1980: 323). 44 El Manuscrito Tovar introduit une série d’images qui abordent le même thème que celles du codex Ramírez, mais elles sont mieux faites et colorées. La figure du tzompantli n’existe pas dans le codex Ramírez, mais la vérification des autres images montre que celles du manuscrito Tovar et du codex Ramírez, à part quelques détails de style, dépendent de celles de l’ouvrage de Durán. 45 En général, les rares études comparatives sur les images du codex Ramírez, du manuscrito Tovar et de l’ouvrage de Durán considèrent qu’elles sont de facture indigène (Lafaye 1972 : 20-25 ; Glass et Robertson (1965-1984 vol. 14 : 126 et 223). 46 Dans l’ouvrage de Durán, il y a 49 images et 32 dans le Manuscrit Tovar (Durán 1984 vol. 1 fig. 4 ; Manuscrit Tovar 1972 : 277 et planche 20. Voir l’étude de Lafaye 1972 : 25).

47 Durán 1984 vol. 1 : 25. On voit par exemple que la représentation du temple que décrit Durán comporte « … deux Indiens de pierre assis avec des chandeliers à la main très semblables à la description », en tout cas, des termes très européens.

104

L´évangélisation balle, le perdant est châtié, et sur la palissade sont exposées les têtes des condamnés. C’est une lecture éminemment occidentale, qui ne s’inscrit pas dans la pensée amérindienne antérieure à l’arrivée des Espagnols. En confrontant les sources historiques, archéologiques, et pictographiques, on a établi que le jeu de balle nahua ne finissait pas par une mort et que la tête des joueurs n’atterrissait pas sur le râtelier par punition, car cela ne faisait d’ailleurs pas partie de leurs châtiments. Dans le chapitre suivant, nous analyserons les bases qui veulent prouver que le râtelier était un lieu de châtiment, en examinant les mécanismes qui se cachent derrière cette supposition. On montrera, que dans les documents élaborés par des artistes indigènes, tlacuiloque, sur demande des autorités de la Nouvelle-Espagne, la façon de représenter le lieu où les Espagnols appliquent la peine capitale (le gibet, sa forme et son emplacement) montre que le sens du tzompantli chez les Nahuas change après la Conquête, et qu’il y a eu amalgame entre ce dernier et le lieu de punition des Espagnols. Il sera démontré comment l’espace de sacrifice préhispanique (tzompantli) a été transformé en espace de châtiments de la Nouvelle-Espagne (gibet et pilori), et pourquoi les représentations du tzompantli, de la potence et du pilori semblent se superposer dans des documents élaborés au cours du XVIe siècle, moment où la frontière entre le lieu de châtiment et le lieu de sacrifice s’estompe. C’est un pas fondamental pour comprendre un des facteurs qui ont contribué à la construction de la théorie de la tête du joueur vaincu, placée sur le tzompantli.

ponctuellement l’évolution, et ce manque de détermination est peut-être dû à la coexistence de diverses visions de la palissade de crânes et de multiples interprétations de sa fonction. Tout au long de leur entreprise, les Européens ont présenté la réalité américaine comme une extension de leur monde. Dans chacune de ces étapes, les pratiques de sacrifice ont été comprises comme des punitions et les jeux de balle comme des affrontements, en référence à des coutumes et des catégories médiévales plaquées sur un monde totalement nouveau. L’analyse de l’évolution de leur regard permet de comprendre comment de telles idées se sont enracinées, comment les concepts ont été projetés et permet surtout de voir ce qui distingue la réalité préhispanique de ce qui se répète depuis longtemps sur le râtelier et le jeu de balle. Actuellement, les spécialistes qui s’intéressent au tzompantli expliquent sa fonction et son usage diversement, et proposent des idées similaires à celles des conquistadors et des évangélisateurs. En se basant sur l’analyse ponctuelle des nombreuses chroniques écrites, ils sont arrivés à fonder leurs propositions et à démontrer les divers usages du râtelier chez les anciens Mexicains (Escalante et Rubial 2004 : 381; Duverger 1983 : 174 ; Miller 1999: 341 ; Málaga et Pulido 2004: 352-353). C’est la preuve de sacrifices humains et de pratiques anthropophages, le lieu où les dépouilles humaines sont gardées et exposées aux dieux, un ossuaire (dans le sens d’ensemble d’os et non pas de pratiques funéraires). L'explication qui fusionne le râtelier avec le lieu d’exécution des Européens et la reconnaissance donc à un gibet, demande une étude plus approfondie. Cette lecture, qui est parvenue jusqu’à nous, fait suite aux interprétations et préjugés sur le jeu de balle vu comme un affrontement où le joueur vaincu est décapité en punition, et débouche sur la théorie qui affirme l’existence d’une relation singulière entre tzompantli et tlachtli. Isoler et signaler cette dernière interprétation est important, car cela permet de détecter la manière dont les concepts occidentaux de punition se sont superposés aux croyances indigènes de sacrifices liées au tzompantli. Il est fondamental de localiser une interprétation semblable dans les études actuelles pour en analyser sa genèse. Dans ces pages, une ample approche comparative de la construction et de l’évolution des interprétations sur deux sujets qui, dans l’historiographie mésoaméricaine, ont fusionné explique pourquoi les spécialistes contemporains proposent de façon réitérative l’existence d’une relation entre ces deux espaces sacrés. Il est évident que nous avons cherché dans le système culturel des Indigènes des éléments reconnaissables, compatibles avec ce que nous connaissons. La question n’est donc pas de savoir si les Espagnols ont interprété correctement le lieu d’exposition des dépouilles humaines et le jeu de balle, mais de comprendre pourquoi nous les avons interprétés respectivement comme une punition et un affrontement, et dans quelle mesure ces interprétations nous ont conduit à affirmer qu’il y avait une relation entre les deux. L’hypothèse d’une relation s’appuie ainsi sur une longue chaîne d’interprétations projetées vers le passé préhispanique, et semble fondée sur deux prémices communes aux préjugés occidentaux : dans le jeu de

105

CHAPITRE IV UNE TOPOGRAPHIE MODIFIÉE IV.1. Les édifications L’ensemble des textes que nous avons lus ont donné naissance à une conception du tzompantli et du tlachtli qui a permis à l’historiographie mésoaméricaine d’établir une relation entre les deux espaces. Jusqu’à maintenant, notre recherche a permis de déterminer de quelle manière les Espagnols ont interprété ce qu’ils ont vu en fonction de leurs valeurs occidentales sur le châtiment et sur les jeux, et de constater que ces interprétations sont encore présentes dans les analyses actuelles. Comme nous l’avons dit dans la première partie de ce texte, le tzompantli et le tlachtli avaient, à l’époque préhispanique, un usage et une signification bien définis. Pendant la Conquête et l’Évangélisation, les Européens les ont assimilés à travers leurs propres conceptions, et des siècles plus tard, ces idées persistent, peut-être parce que l’explication de ce qu’ils étaient ou n’étaient pas et des actions qui s’y déroulaient est toujours la même. Le mythe aztèque s’insère dans le XXIe siècle, soumis au mythe occidental. Notre travail va maintenant prendre un chemin opposé, cherchant à savoir de quelle façon les Indigènes ont perçu et compris ce qui leur arrivait avec l’installation des Espagnols, en particulier en ce qui concerne les châtiments et les jeux que ces derniers ont apportés sur le sol américain. Il y a peu d’informations disponibles sur les jeux de balle européens et leur compréhension par les Indigènes Nous insisterons donc davantage sur le thème des châtiments imposés par les Espagnols dès leur arrivée. Les Européens qui ont conquis le Mexique et s’y sont installés ont mesuré la capacité des habitants à comprendre le flux d’impressions nées de la rencontre avec les coutumes occidentales (León-Portilla 1959: vivii). Certaines pratiques, comme l’expression publique de la violence corporelle liée au châtiment, la peine de mort par décapitation et l’exhibition de morceaux de corps humains, ont dû être adaptées au code de pensée et à la culture des Indigènes, pour qui la violence et le châtiment corporel correspondaient à autre chose.1 L’étude de cette facette de la société de la Nouvelle-Espagne aide à comprendre le processus de modification des croyances indigènes sur le sacrifice et la pénitence, et la transformation des pratiques occidentales de punition et châtiment, au moment où les conceptions des deux groupes se sont heurtées, faisant disparaître la ligne conceptuelle différenciant la potence du tzompantli. Certains faits liés à la fondation et à l’édification des villes espagnoles, en particulier le choix de l’emplacement du lieu pour les châtiments dans les villages américains, sont l’objet de cette partie de notre recherche. Nous étudierons également la façon dont les Indigènes et les Espagnols fondaient leurs villages et pourquoi, après la Conquête, certains espaces et restes 1 À l’époque préhispanique, la violence physique et la douleur sont synonymes d’exaltation, d’offrande et de sacrifice. Après la Conquête, en général, elles dérivent d’un châtiment. Il faut cependant préciser que la douleur des martyrs chrétiens est synonyme de pénitence, de sacrifice et de gloire et que certaines pratiques catholiques comprennent des manifestations ascétiques d’auto-flagellation et d’autopunition (Girard 1983 chap. 1 et 10).

architecturaux indigènes ont été employés pour d’autres activités propres aux conquistadors et aux évangélisateurs. Nous insisterons en particulier sur les cas où le tzompantli est utilisé comme lieu d’exécution de la peine capitale. Nous pourrons ainsi comprendre quels mécanismes ont permis au tzompantli et à la potence de fusionner, en essayant d’expliquer pourquoi les tlacuiloque, artistes indigènes, dessinent la potence comme un tzompantli et pourquoi le tzompantli est dessiné à la place de la potence. Les valeurs indigènes, bouleversées par l’évangélisation, ont permis que le tzompantli soit transformé par les Espagnols en lieu de châtiment et finalement représenté en enfer. Cette partie de notre recherche est le dernier pas d’un long chemin pour tenter de savoir pourquoi les chercheurs mésoaméricains relient le tlachtli et le tzompantli. C’est une étape nécessaire pour comprendre les mécanismes du changement qui nous aidera à comprendre comment s’est fait l’amalgame des notions sacrificielles mexicas et des notions punitives espagnoles, à cause de la projection d´une structure (le tzompantli) pour représenter dans les documents coloniaux la réalité de la Nouvelle-Espagne (la potence). IV. 2. Topographie du lieu de châtiment. Comme nous l’avons vu dans les pages précédentes, La Navidad est la première tentative des Espagnols pour coloniser le nouveau monde. Après cet échec, ils fondent La Isabela, le premier village qui possède une mairie et une église. Plus tard, ils bâtissent Santo Domingo. Même si nous ne disposons pas de toutes les informations, on peut penser que dans chaque village, les Européens ont choisi et bâti un lieu pour les exécutions. Dans l’île de Saona et à Saint-Domingue, ils érigent deux potences et quand la ville change d’emplacement, ils choisissent un nouvel endroit pour les exécutions. 2 L’implantation de coutumes et d’institutions juridiques européennes est souvent la première chose faite de façon systématique par les Espagnols lorsqu’ils fondent un village, car cela est indispensable à la stabilisation de leur pouvoir. La présence d’un pilori, d’un échafaud ou d’une potence où sont accrochés des restes humains est un signe de haute justice (Gonthier 1998 : 122). Nous avons vu qu’Hernán Cortés et ses hommes ont instauré ce système dès la fondation de la première mairie sur la terre ferme, à Villa Rica de la Veracruz : le pilori est installé sur la place et la potence en dehors du village (Díaz del Castillo 1974: 72). Les « Instrucciones de Velásquez a Cortés de 1518 » (1990 vol.1: 48) lui donnent le pouvoir de châtier « … conformément au droit et avec la force désirable », et il ordonne les premières punitions exemplaires d’Européens au Mexique.3 La seconde potence est érigée sur ordre de Cortés pour pendre un jeune noble de Tlaxcala : « … il ordonna que devant tous les Indiens, sur une grande potence, on pende Xicoténcatl et que l’interprète annonce à voix haute les 2

Palm 1984, 1ere partie: 35 note 141 et 2eme partie : 141. Il a fait donner le fouet aux frères Peñate, à Cozumel, mais on ne dit pas exactement où (Díaz del Castillo 1974: 97-98. Solis 1996 : 102).

3

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels raisons de la mort…».4 Cette exécution a terrorisé les Indiens, amis et ennemis, et pour soumettre encore davantage leurs armées, Cortés a ensuite décidé de pendre d’autres hommes. Selon Díaz del Castillo (1974 : 133), il « sema l’horreur dans l’armée indienne » avec ces spectacles sanglants, et « ils demeurèrent sans voix devant la nouveauté et la rigueur du châtiment. ». Le fait de réserver un espace, improvisé ou permanent, aux châtiments est un élément important de la fondation d’un village espagnol, même si cela n’est pas systématiquement mentionné dans les documents. Dans l’Instruction de Velásquez de 1518, et dans toutes les Instructions que Cortés reçoit de Charles-Quint en 1522 et 15235 après qu’il ait été nommé gouverneur, on lui ordonne d’appliquer la justice civile et criminelle en « … punissant par de lourdes peines publiques, avec la modération qui vous paraît convenable », mais il n’est jamais dit qu’il faut ériger un lieu pour les exécutions.6 Cortés n’en parle pas non plus dans les Instructions qu’il élabore lui-même.7 Il détermine sur le plan de la ville les lieux publics comme la place, l’église et la mairie, la prison, la boucherie, l’abattoir et l’hôpital, mais n’indique pas où doit se trouver le lieu des châtiments.8 Cependant, d’autres écrits nous renseignent sur la hâte avec laquelle les Espagnols ont édifié des lieux pour faire respecter l’ordre, et punir avec rigueur.

les tortures et les châtiments qui s’y exercent. En regardant d’autres documents de l’époque, on découvre comment, après la Conquête, s’implante un nouveau système de justice où figurent la potence et le pilori comme les Espagnols les comprennent. Plusieurs documents élaborés par des Indigènes relatent les punitions infligées par les Espagnols et décrivent les lieux où elles étaient exécutées. La planche XV du codex Azoyú 9 est l’un des plus éloquents dans sa description des différents types de punition. On peut y lire les tortures infligées aux Indiens par les alcaldes : brûler les pieds et les mains avec de l’eau chaude ou par le feu, le garrot, le cep, l’enchaînement et la pendaison par les pieds. Un autre document,10 élaboré par un dessinateur indigène, permet de visualiser la situation du pilori qui était utilisé pour diverses punitions, en particulier le fouet et l’étranglement avec le garrot. Les documents élaborés par des Indigènes après l’arrivée des Espagnols indiquent que ces derniers avaient besoin de nombreux lieux pour exercer des châtiments qui varient selon le crime commis.11 En général, ils utilisent la potence et le pilori, mais, sur les pictographies indigènes, la potence prédomine et c’est elle que l’on confond avec le tzompantli. Les lieux de punition sont cités dans des documents indigènes de l’époque, conçus sous forme d’annales.12 En général, on y note la cause de la punition, le nom de la personne punie, surtout si elle est représentée sur la potence ou sur le pilori. Les potences les plus fréquemment représentées se trouvent sur les cartes historiques et géographiques et sur les plans des villages, parfois de façon schématique et parfois associées à un pilori.13 Les deux structures étaient érigées sur les places des villages espagnols, dans un paysage d’églises, de monastères, de temples, de croix, de rivières, de chemins, de chevaux, de bétail et d’Espagnols, au milieu d’éléments propres à la tradition pictographique indigène. Quoi qu’il en soit, ces représentations mettent en évidence la violence débordante des Espagnols à leur arrivée. Cette violence transparaît également dans un ensemble de peintures montrant « Les vexations des premiers propriétaires contre les Indiens de la région de Tlapa, Guerrero », appelé lienzo de Aztactepec y Citlaltepec.14

IV. 2. 1. Châtiments et tortures On élève des potences et des piloris partout et les Indigènes font rapidement connaissance avec la violence, 4 Cervantes de Salazar 1985: 666. Pour sa part, Antonio de Solís (1996 : 332) donne deux versions du lieu où Xicoténcatl est pendu. Bernal Díaz del Castillo (1974: 267) dit qu’ils ont laissé Xicoténcatl pendu à un arbre, mais Antonio de Herrera dit qu’ils l’ont emmené à Tezcoco, et «… Hernan Cortés profitant d’une permission donnée par la République, le fait pendre sur la place publique de la ville. » Solís adhère à la proposition de Díaz del Castillo « car il pense qu’Hernán Cortés savait la différence entre montrer le spectacle de sa sévérité et la raconter après l’avoir fait. » Il est évident que l’exécution de Xicoténcatl avait pour but de freiner la résistance indienne. 5 Real cédula de nombramiento de Hernán Cortés como gobernador y capitan general de la Nueva España e instrucciones para su gobierno (1990 vol. 1 : 250). 6 « Instrucciones de Carlos V a Hernán Cortés sobre tratamiento de los indios, cuestiones de Gobierno y recaudo de la Hacienda Real » (1990 vol. 1 : 266 et 270). 7 « Instrucciones a Hernando de Saavedra, lugarteniente de gobernador y capitán general en las villas de Trujillo y la Natividad en Honduras » (1990 vol. 1: 355). 8 Tejeira Davis (1996 : 41-77) dans son étude sur les origines et l’évolution de l’urbanisme hispanique en Amérique, fait référence aux premières fondations européennes et en particulier à Panamá la Vieja (1519) et Nata (1522), au Panama. Il parle de la fondation de ce village et de la définition du tracé urbain en se référant à l’Acta de Nata de 1522, document où il est dit que l’emplacement de l’église, de la mairie, des rues et des places a été décidé lors de la fondation. Les Instructions de 1513 du roi Fernando le Catholique à Pedrarias donnent des ordres explicites et des recommandations pratiques sur les thèmes les plus divers et comprennent des passages sur les fondations et le tracé des villes. Mais à travers ces documents, on n’obtient pas davantage de renseignements sur les lieux de châtiments, bien que dans les Instructions de 1513, le roi donne l’ordre de faire justice en écrivant dans le point 19 : «… dans le domaine criminel, vous devez juger selon les lois de ces royaumes en punissant avec rigueur les péchés abominables, les voleurs et les rebelles. Il faut punir sévèrement les voleurs dès le départ, et ne pas être indulgent au début. On peut dans ce cas dépasser un peu les lois de ces royaumes en respectant toujours notre conscience royale … ».

9

Comme l’explique Vega Sosa en son étude du codex Azoyu 1991 : 8788. 10 Le codex Los Reyes de Tecalpolco est un document géographique et historique de la région de Taxco, Guerrero élaboré en 1622 (Jíménez et Villela 1998: 151). 11 Dans les pages suivantes, nous emploierons les mots potence, pilori, échafaud que nous allons définir ici. Potence : ensemble de deux pieux verticaux fixés dans le sol avec une barre transversale à laquelle on pend les personnes par le cou pour leur donner la mort. Ce peut être aussi un pieu incliné dans le sol avec une barre horizontale à l’extrémité. Pilori : colonne de pierre qu’il y avait à l’entrée de certains lieux où l’on exposait publiquement les têtes des personnes exécutées ou des prisonniers. Échafaud : estrade où est exécutée la peine de mort. 12 Par exemple dans le codex Aubin, dans les codex Vaticano Ríos et Telleriano Remensis (1964-1967) et le codex de Tlatelolco (1989c) que nous étudierons dans les pages suivantes. 13 Dans ce cas, nous faisons surtout référence aux plans et cartes des Relations géographiques du XVIe siècle et à d’autres cartes et planches, dont le codex Osuna (1978) et le mapa de Popotla (1964). 14 Lienzo de Aztactepec y Citlaltepec aussi connu comme protestation contre les vexations des premiers propriétaires terriens. Le Lienzo de

108

Une topographie modifiée On y découvre des scènes où les Espagnols et leurs alliés indigènes emprisonnent, punissent et tuent d’autres Indiens. Cependant, il n’est pas certain que ce qui est dans ce cas considéré comme une potence soit véritablement le lieu de châtiment des Espagnols. Cette structure formée de deux bâtons fixés dans le sol et d’un troisième placé transversalement, est-elle une potence, une palissade ou un tzompantli ? Il est difficile de faire la différence, dans cet exemple comme dans d’autres que nous étudierons, car la potence et le tzompantli se sont confondus au cours de la Conquête, de l’Évangélisation et lors de la fondation des cités espagnoles.

aussi rapportés dans les chroniques indigènes. On y découvre comment est installé le lieu des châtiments et comment les Indigènes acceptent et conceptualisent l’installation de la potence, alors que l’emplacement destiné aux pratiques sacrificielles devient le lieu où les conquistadors pratiquent leurs châtiments. Par exemple, il en est fait mention dans l’un des livres sacrés des Mayas du Yucatán, le Chilam Balam de Chumayel, dont les prophéties avaient annoncé l’arrivée des Espagnols et les évènements liés à l’arrivée des groupes Itzá, bien avant celle des Européens sur la terre américaine. Le document qui nous intéresse raconte qu’à la date Katun 8 ahau, une chose terrifiante a été construite : une potence pour tuer.16 À première vue, cette nouvelle semble insérée dans les évènements qui marquent l’arrivée dans la région des envahisseurs Itzá. Néanmoins, à cause de la notion cyclique du temps chez les Mayas et parce qu’ils utilisent les mêmes mots pour désigner les envahisseurs Itzá ou Espagnols (Roys 1967: 169 note 1), on peut supposer que l’érection de la potence a été faite par les Espagnols et que les Mayas ont été terrorisés à la vue de cette structure. À Maní, Yucatán, Diego de Landa (1973 : 32), soutenu par les autorités civiles et le maire principal, exécuta de nombreux Indigènes, et il avait donc sûrement désigné un emplacement pour la potence. Dans son témoignage, il indique qu’ils ont arrêté beaucoup de monde, les ont jugés et que, lors de l’autodafé, de nombreux échafauds ont été dressés. Il ajoute que de nombreux Indiens ont été fouettés et certains pendus. Ériger un lieu destiné à l’exécution des châtiments est important, et c’est alors que les espaces de sacrifice et de punition se sont confondus. Le second se place matériellement sur le premier et l’on érige une potence et un pilori permanents dans pratiquement tous les villages fondés par les Espagnols en terre américaine pour y punir les crimes séculiers et religieux. Les châtiments des crimes contre la foi étaient entre les mains des autorités séculières qui procédaient aux exécutions sur le bûcher ou sur la potence et appliquaient le garrot sur le pilori, car l’Église ne pouvait donner la mort à un condamné (Sepúlveda y Herrera 1999: 34 ; Grunberg 1998 : 49, 66). Comme nous le voyons sur plusieurs des tableaux de la Relación de Tlaxcala de Diego Muñoz Camargo (19811988), de nombreux nobles indigènes sont pendus par Cortés pour ne pas avoir renoncé à leurs pratiques idolâtres; les moines pensant ainsi « enraciner la doctrine chrétienne » à Tlaxcala. Les images montrent cinq

IV.2.2. L’emplacement Dans l’exemple précédent, il était difficile d’affirmer la présence et l’emplacement de la potence dans un village, mais d’autres sources confirment que les Espagnols édifient des lieux de châtiment dans presque tous les endroits où ils passent et où ils s’installent, en suivant quasiment toujours le même modèle. C’est ainsi qu’avec le temps, le tzompantli et la potence des Espagnols se sont confondus au point de ne plus pouvoir les distinguer l’un de l’autre. Les pratiques punitives espagnoles s’imposent aux coutumes sacrificielles indigènes, et les Européens s’emparent du territoire de la violence,15 de son accomplissement et de l’endroit où elle s’exerce : le lieu de punition s’installe sur le lieu du sacrifice. On sait que Francisco Montejo édifie Mérida le 6 janvier 1542 sur les ruines de la ville maya de Tihoo, dans la péninsule du Yucatán. Il esquisse le dessin de la ville et crée des chemins, des rues et la place centrale. Sept jours après la fondation, Cristobál Martin propose d’édifier un lieu pour les châtiments : « pour que les habitants vivent en paix et ne commettent pas de délits, il demande qu’un crieur public fasse connaître l’arbre de la justice et le couteau pour châtier les délinquants et servir d’exemple aux vivants… ». Le premier emplacement choisi est un arbre sur une colline, dans la partie orientale de la ville. Les Espagnols y attachent beaucoup d’importance et comme l’explique Diego López de Cogolludo (1971 vol. 1: 184) : « il n’y a rien de mieux pour la conservation de la République que le respect de la justice et des lois, car punir les fautes freine l’envie de les commettre….». Ce lieu choisi pour des exécutions capitales est temporaire, et en 1610, la potence est dressée à Mérida, peut-être sur la place centrale. Elle est utilisée pour pendre l’assassin de Juan de Henríquez, appelé Ah Kin Pol, et les trois chefs d’une rébellion ayant eu lieu dans le village de Tekax : ils sont emmenés à Mérida, condamnés et pendus sur la place publique (López de Cogolludo 1971 vol. 2 : 188, 331; Blom 1971: 92-93). Ces évènements sont inscrits dans les chroniques des Espagnols, mais il est intéressant de noter qu’ils sont

16 Le Chilam Balam de Chumayel est un des livres sacrés des Mayas du Yucatán qui contient des prophéties, des chroniques, des fragments de narration, des rituels et des traitements médicaux. Dans ce texte ont été transcrits des passages de manuscrits et avec la Conquête se sont ajoutées des données européennes. Ce document date de 1782 et a été copié sur des documents plus anciens (Roys 1967 : 3-10 et 66 note 9, 67-77). Il est écrit qu’au Katun 8 ahau, « ils construisent alors un objet de terreur, une potence pour leur mort ». L’information se situe dans le contexte de l’arrivée de Hunac Ceel et de ses alliés (les envahisseurs Itza?), elle ne signifie pas que les Itzás l’ont fait, puisque, comme nous le verrons plus tard, les Indigènes ne connaissaient pas la potence. Sa présence dans ce contexte est la conséquence des prophéties qui annoncent la venue des Espagnols, et de la notion cyclique du temps des Mayas : ils utilisent les mêmes mots pour nommer les Itzás envahisseurs et les Espagnols. On peut donc penser que la mise en place d’une potence est le fait des Espagnols.

Tlapa n° 2 n’a pas été étudié et il n’existe aucune interprétation de son contenu (1964 :184, 166) 15 Les conquistadors s’approprient la violence et l’institutionnalisent pour soutenir le système qu’ils imposent. Les sacrifices cessent et sont remplacés par les châtiments. Cette partie de notre recherche tente de démontrer la différence entre le sacrifice et la violence du tzompantli et la punition et la violence de la potence. Deux espaces qui reposent sur la violence, qui se trouvent au même endroit, sont formés des mêmes éléments : restes humains sur une palissade.

109

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels dessin et la peinture des rues et des places et autres lieux importants » pour lesquels on emploie des artistes indigènes, les tlacuiloque.18 Parmi les quatre-vingt-douze plans et cartes coloniales faites en réponse à la demande de la Couronne espagnole, nous remarquerons ceux des communautés possédant une place centrale entourée de bâtiments religieux et civils sur laquelle sont représentés la potence et/ou le pilori, souvent à côté d’une fontaine. Ils fournissent la preuve que les vices-rois, les audiences, les gouverneurs et les évangélisateurs se sont occupés du problème,19 et que dans l’urbanisme colonial, il existait une proposition concrète pour le choix de l’emplacement du lieu de punition que l’on retrouve dans de nombreuses fondations de villages.20 C’est ce que démontre bien la Relación de Tlaxcala et ce que l’on retrouve sur d’autres plans. Mais il existe quelques exceptions : sur la peinture de San Miguel y San Felipe, qui fait partie de la Relación de Tiripitío (1982-1987 vol. 9 : 370 – 374), une carte régionale du Michoacán où l’on ne distingue pas le centre du village, on voit deux potences dans un paysage rempli de constructions, de personnages et d’animaux.21 La première est vide et sur la seconde, il y a un corps avec la corde au cou et à côté, deux petites têtes empilées. Est-ce l’image d’un pilori ou de ce qui s’y est passé ? Montret’on la tête de la personne exécutée ? C’est difficile à dire, mais nous avons là un exemple de l’importance pour les Indigènes de certaines actions espagnoles et du grand nombre de lieux de châtiment ayant existé parfois hors des villages, mais le plus souvent à l’intérieur.

caciques et une femme de la noblesse, menottés, pendus par le cou à la corde d’une simple potence. On voit deux poteaux verticaux fixés au sol avec des pierres et réunis par une barre transversale à laquelle sont suspendus cinq condamnés dont le cou est fracturé. Cette pratique était courante et, sur le même document, on voit qu’au moins deux autres Indigènes ont été condamnés à la peine capitale : un pour s’être moqué de la Sainte Foi et un autre pour être allé dans une cave adorer une idole.17. On ne sait pas où l’on pendait les idolâtres, mais la potence et le pilori se trouvent dans un lieu central, relevant le déroulement du châtiment (Fig. 82). Sur une représentation de la place de Tlaxcala, on voit la fontaine qui marque le centre de la place entourée de portiques et de bâtiments qui abritent les structures de pouvoir de l’époque coloniale : les maisons royales et la prison. On y trouve aussi les lieux de punition construits par les Espagnols : à l’extrémité de la place se trouvent la potence et le pilori. Muñóz Camargo (1982-1987 vol. 4: 45 et tableau 17, folio 245r) ne parle pas de la potence qui est dessinée de façon très simple, mais il décrit le pilori en détail : «… à côté de la place se trouve un pilori pour rendre la justice. C’est une colonne de pierres blanches de 18 paumes de haut avec un socle octogonal très bien fait, à deux niveaux. Le siège du pilori domine toute la place ». Dans toutes les représentations du lieu de châtiment sur une place coloniale, la potence est représentée de la même façon. Une façon de faire qui a certainement beaucoup contribué à cacher le rôle original de ces deux éléments sous la potence des Espagnols. Le lieu de punition des Espagnols s’impose incontestablement : on le trouve sur la place de Tlaxcala et probablement sur celle de Puebla. Fondée en 1531, cette ville possède aussi une potence et un pilori sur la place centrale, mais quatre ans plus tard la mairie les fera enlever considérant qu’ils nuisent à la bonne image de la ville (Grunberg 1993 : 119 et 150).

18

Barbara Mundy (1996 : 62-67 ; 76-77) écrit que certaines cartes ont été élaborées par des locaux, marins, officiers espagnols, mais en général elles étaient commandées à des tlacuiloque, probablement éduqués dans les écoles monastiques. Comme le dit Donald Robertson (1965-1984 vol. 12: 254), il y a une similitude fondamentale entre les peintures qui viennent toutes de modèles imposés par le questionnaire. Il a fallu sept ans pour les réaliser. Les grandes différences résident dans le style du dessin, signe que les artistes étaient soit de fidèles adeptes du style précolombien soit des peintres de style XVIe siècle. Les peintures servent de source primaire pour étudier l’acculturation des artistes natifs durant les soixante premières années de la Conquête. C’est une démonstration de la force de pénétration européenne dans la vie des Indigènes et, j’ajouterais, de la force de pénétration des conceptions indigènes dans la structure européenne. 19 George Kubler (1982 : 74, 90, 93-94) explique que l’urbanisation au départ n’est pas décidée par l’État, mais par l’Église, comme corollaire de la conversion. Pour créer une communauté chrétienne, les frères construisaient l’église et le noyau urbain. L’église était construite sur une grande place et en face on édifiait les bâtiments du pouvoir civil. 20 Eduardo Tejeira (Davis 1996 : 68) indique que « Les tracés mexicains de ces premières années sont variables et difficiles à classer. Un modèle définitif n’apparaît qu’en 1524, quand on trace le plan de Mexico… » Néanmoins, on peut voir que l’emplacement du lieu de châtiment est décidé très tôt et se répète dans tous les villages fondés par les Espagnols. L’étude détaillée des fondations espagnoles est abordée par plusieurs auteurs par exemple, Erwin Palm, George Kubler et Eduardo Tejeira Davis. Leur œuvre comprend une vaste bibliographie que nous ne mentionnerons pas ici. Voir également Robert M. Hill (2001 vol. 3 : 14-19) qui fait une synthèse de la création des villages indigènes, des congrégations et des réductions. Il explique que les régulations des Espagnols, qui sont réunies dans la compilation de 1681, spécifient le tracé et la forme des bâtiments du gouvernement car tous les villages devaient se conformer à un modèle d’organisation donné. 21 Il faut insister sur le fait que les têtes sont représentées empilées, de la même façon que le tzompantli des Purepechas dans le lienzo de Puácuaro et l’ouvrage de Beaumont. C’est un tzompantli vertical que l’on trouve sur cette carte qui représente une région où vivent les Chichimèques.

IV.3. Les Relations géographiques. Le plan qui représente la place centrale de Tlaxcala n’est pas un exemple isolé, mais son originalité est à souligner. Comme les autres plans et cartes que nous étudierons par la suite et qui forment les Relations Géographiques de 1579-1586, c’est une réponse aux questionnaires des autorités espagnoles. Philippe II, qui veut connaître son territoire, commande un atlas des domaines d’outre-mer. Juan López de Velasco élabore donc un document de cinquante questions sur des thèmes divers : géographie, environnement, flore et faune, traditions historiques, coutumes et religions des habitants et des provinces de la Nouvelle-Espagne. Les questions doivent être posées à des personnes exerçant une autorité civile ou religieuse dans les villages, comme Muñoz Camargo à Tlaxcala, et exigent des réponses écrites et sous forme de cartes et de plans. La question 35 demande des informations sur l’église et la paroisse et la question 10 sollicite «… le 17 Muñóz Camargo (1982-1987 vol. 4, tableaux 11, 12 et 14, folios 241 r 242 v.) Les écrits de Diego García indiquent que frère Martín de Valencia les a fait pendre et les Anales de Tlaxcala n° 2 donnent les noms des condamnés (Sepulveda y Herrera 1999: 37).

110

Une topographie modifiée Sur la carte de la Relación de Huaxtepeque (1981-1988 vol. 6: 196-212) ville importante du Morelos, la potence est représentée sur la place du marché par une plateforme circulaire qui porte trois poteaux, deux verticaux et un horizontal qui les croise. Dans ce cas, comme dans celui de la Relation de Muñoz Camargo, la potence est proche du temple chrétien et de la maison de la justice, tout en étant relié aux sources d’eau (Fig. 83). Nous ne sommes pas sûrs que, dans ce cas, la plateforme circulaire qui porte les trois poteaux soit un échafaud (Mundy 1996 : 78, 169), mais d’autres exemples plus clairs prouvent qu’il existait une proposition concrète pour définir l’emplacement du lieu de punition que l’on retrouve dans de nombreuses villes et villages de la Nouvelle-Espagne : la potence et/ou le pilori étaient sur le marché ou sur la place principale, presque toujours à côté de l’église et de la fontaine. La Relación de Cuzcatlán (1982-1987 vol. 5 : 89-106) inclut deux cartes de la région de Puebla qui démontrent qu’il en est de même pour les lieux de châtiment de Cuzcatlán et de San Gerónimo Asuchitlán (Figs. 84). Elles ont été faites par le même artiste et sont presque identiques, avec quelques différences.22 La place circulaire face à l’église du village de San Gerónimo a un pilori en son centre, dressé sur une plateforme entourée de petites empreintes de pieds, peut-être pour signaler ce qui se passait en ce lieu. Par contre, et c’est une différence entre les deux cartes, à côté de la place de l’église principale de Cuzcatlán, derrière laquelle se trouve une rivière qui se termine par un réservoir d’eau, on a dessiné une potence avec la légende « orca » en fine calligraphie ce qui évite toute confusion. Cet exemple, comme les autres déjà cités, montre les éléments urbains essentiels : les églises, la fontaine, la potence.23 On peut y ajouter la carte de la Relation de Coatepec (1982-1987). La potence se dresse au centre du village, formée de deux poteaux verticaux et d’un poteau horizontal, sur une plateforme basse de deux marches, et se trouve au coin de la place principale du monastère, à côté de la rivière (Fig. 85). Ces exemples nous permettent d’affirmer que l’urbanisme colonial de la Nouvelle-Espagne propose de façon concrète et répétée un emplacement pour le lieu du châtiment que l’on retrouve dans de nombreuses fondations espagnoles. Ces exemples semblent correspondre à des modèles préétablis, probablement imposés par les questions ayant donné naissance aux Relations géographiques et à leur principal centre d’intérêt : connaître et enregistrer les chemins, les voies

d’eau, le tracé des rues et l’emplacement des sites et des monastères, c’est-à-dire le plan des villages. Cependant, il faut signaler que parmi les questions des Relations, aucune ne fait référence au lieu du châtiment, bien que ce soit un emplacement important dans la vie d’une communauté. D’autres exemples pictographiques élaborés par des dessinateurs indigènes, qui ne sont pas liés aux Relations géographiques, répètent également cette trilogie: église, potence et fontaine sur la place centrale, qui sont donc les éléments urbains fondamentaux d’un village.24 Cette distribution toujours répétée sur le même modèle est un facteur déterminant de l’amalgame réalisé entre la potence et le tzompantli, comme nous l’expliquerons plus tard. On ne peut nier que ces exemples de cartes et de plans qui représentent la potence au milieu d’autres bâtiments construits par les Espagnols obéissent à un modèle préétabli, peut-être en réponse à des impositions. Le codex Osuna (1978) représente le tracé de la ville d’Iztapalapa selon ce même modèle. On retrouve les mêmes structures coloniales toujours au même endroit. 25 Le village est au pied d’une colline boisée, formé d’une place centrale, d’une église derrière laquelle se trouve le canal d’Iztapalapa et d’une potence. Il semble donc que cette disposition courante, si elle ne reflète pas la réalité, rend compte du souci et de la peur des dessinateurs indigènes qui ont élaboré ces cartes et ces plans à la demande des autorités espagnoles. Un autre exemple peut être le cas d’Iztacmaxtitlán, San Juan Castilblanco, fondé en 1544, puisque l’on y a érigé une structure pour le supplice de deux Indigènes. 26 La présence répétée de la même configuration -une potence ou un pilori placés au même endroit- démontre l’importance que les Espagnols attribuent au lieu de châtiment. Il s’agit d’une institution qui a été vue et vécue par tous les habitants des territoires d’outre-mer, pendant plusieurs siècles. Sa présence sur les cartes et les plans faits entre le XVIe et le XVIIe siècle, reflète la violence liée à la nouvelle idéologie. On peut penser que la même chose s’est passé à Oaxaca, au Michoacán et dans d’autres régions du continent américain. À Lima, Pérou, la potence érigée dans la fondation européenne est enregistrée sur le dessin de la ville fait par Felipe Guamán Poma de Ayala dans sa Primer nueva corónica y buen gobierno de 1615 (Fig. 86). La ville est fondée en 1535 par Francisco Pizarro, les rues et les parcelles sont 24

L´observation de la trilogie part des coïncidences entre Indiens et Espagnols dans les façons de fonder et déterminer les espaces : on voit qu’il y a concordance entre les lieux : sacrifice - châtiment, eau fontaine, pyramide - église. 25 Donald Robertson (1959 : 115-121, fig. 34) signale que le document daté de 1565, sous le vice-roi Luís de Velasco, comprend du matériel de Mexico, Tlatelolco, Tula et Tacuba. L’image où il y a une potence est celle du canal d’irrigation du canal d’Iztapalapa. 26 Le châtiment se déroule entre 1550-1564. En réponse au soulèvement dans le village d’Ixtacmaxtitlán- Castilblanco, parce que les autorités veulent que les Indiens descendent de leurs villages, ceux-ci se révoltent, tuent des contremaîtres et des moines. En punition, « deux indigènes ont les mains attachées dans le dos et sont suspendus à une barre où on leur applique le supplice appelé « la crapaudine » en Algérie, dit Eugène Boban (1891 vol. 2 : 169-170). La potence pouvait être une structure carrée ou triangulaire avec trois ou quatre poteaux et des barres transversales, ce qui permet d’exécuter plusieurs personnes à la fois, une exécution multiple.

22 Barbara Mundy (1996 : 70-71, 169, figs. 32 et 33) se réfère aux différences. Pour sa part, Alain Musset (1989 : 99-121) se réfère brièvement à la présence de la potence près de l’église, de la fontaine et du pilori. Kubler (1982 : 98 note 101) identifie la potence sur cette carte et les autres constructions importantes du village. Il écrit que sur la carte du village, on voit « une potence dressée sur la place et l’église qui domine plusieurs chapelles auxiliaires des hameaux voisins.» 23 L’eau était un besoin vital pour les fondations espagnoles et l’aqueduc ou la fontaine étaient symboles de culture et de pouvoir (Musset et Vergneault 1991 : 156-157). Navarrete Cáceres (1991 : 22) fait référence à la réaction des vieux quand il voit changer le rapport avec l’eau, les nouveaux matériaux et les nouvelles techniques et leurs réactions lors de la construction de la fontaine de Chiapa de Corzo, Chiapas.

111

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Pour entamer la construction, fin 1521- début 1522, Cortés fait tracer le plan de la ville nouvelle. Il ordonne que les Indiens survivants abandonnent la ville durant les travaux de nettoyage et qu’ils reviennent deux mois plus tard. Les travaux de réparation se poursuivent jusqu’à la fin de 1523 : les palais des conquistadors sont en construction ainsi que les structures nécessaires à l’administration. En 1524, Cortés déménage de Coyoacán vers la nouvelle ville,29 mais n’y demeure pas longtemps. Il part pour Las Hibueras (Honduras) au mois d’octobre de la même année, emmenant Cuauhtémoc avec lui, et rentre le 19 juin 1526. Des recherches ponctuelles ont montré qu’Alonso García Bravo a dressé le plan de la ville de Mexico, sous les ordres de Cortés. Le conquistador ordonne que l’on fasse un plan, avec les rues et les places, et il semble que c’est à ce moment que l’on a décidé de l’emplacement des lieux les plus importants de la ville (Toussaint 1956; Grunberg 1993 : 114-127). On choisit l’emplacement de l’église et de la mairie, de la prison, de la boucherie, des abattoirs, de l’hôpital et il est probable que l’on décide également du lieu de punition, bien que l’on ne dispose pas de données à ce sujet. Le conseil municipal de la ville de Mexico est installé en 1522 et sa première action formelle date de mars 1524. Cependant, ce n’est que trois ans plus tard que l’on enregistre l’ordre donné par les autorités civiles de construire un lieu pour les châtiments, dans ce cas un pilori·. Les comptes-rendus de la mairie enregistrent les réunions et l’on peut noter que ce sujet a été souvent traité pendant des dizaines d’années. Il semble que cela commence le 12 avril 1527, quand le conseil décide de lancer sa fabrication, mais en réalité le projet est reporté.30 Rodrigo de Pontecillas est désigné pour construire la fontaine, le pilori et la potence, mais le projet s’arrête parce qu’il n’y a pas eu de licitation. Une discussion a lieu deux jours plus tard entre García Bravo et Pontecillas et ce dernier l’emporte. Obtenir de l’eau pour la fontaine était très difficile, mais le 12 août et le 6 septembre de la même année, le conseil décide de poursuivre le projet. Le succès est enregistré dans les Actas de Cabildo de México, siglo XVI (1970: 1821 et 1822). Juan Entrambasaguas, tailleur de pierres, reçoit l’argent pour acheter le matériel nécessaire le 23 septembre 1527. La construction du pilori ne commence que plusieurs années après : le 4 septembre 1551, on se souvient qu’il faut le faire sur la place principale, là où

tracées et les premières maisons construites autour de la place. On ne sait pas si l’emplacement de la potence est aussi décidé à ce moment-là, mais il est certain que par la suite, quand les modèles de l’administration coloniale s’installent, le lieu pour le châtiment est dressé sur la place entre les bâtiments les plus importants. Quelque chose de semblable s’est passé à Buenos-Aires, ville fondée par Pedro de Mendoza en 1536. Dans ce cas, la potence, où des soldats espagnols ont été pendus un an auparavant, est hors des murs de la ville, comme on peut le voir sur un dessin européen élaboré en 1537. 27 Les soldats comme les membres des conseils municipaux de tous les territoires espagnols d’outre-mer ont toujours fait construire un pilori et/ou une potence, soit à l’intérieur du village sur la place principale, soit à l’extérieur des murailles, pour exécuter les condamnés indigènes, métis, espagnols, noirs ou autres membres de la société de la Nouvelle-Espagne. IV.4. Les fondations d’Hernán Cortés On peut donc penser que lors des premières créations réalisées personnellement par Hernán Cortés et ses hommes comme Tlaxcala, Villa Rica de la Veracruz, Segura de la Frontera et autres cités dans la région (Espiritu Santo, Medellín, San Esteban del Puerto, Zacatula, Tzintzúntzan et Colima), un emplacement pour torturer et punir a été systématiquement installé. Un tel lieu a été édifié à Coyoacán, où Cortés et ses hommes résident après la chute de Tenochtitlán le 13 août 1521 et la reddition de Cuauhtémoc. Lors du procès de résidence fait à Cortés, un témoin assure avoir vu, à Coyoacán, deux ou trois indiens pendus à un arbre situé dans la maison de Cortés. Il précise avoir entendu qu’« il les avait fait pendre parce qu’ils avaient couché avec la fameuse Marina… » (Una respuesta del Bachiller Alonso Pérez » 1990 vol. 2 : 62). Démêler les passions et les conflits d’Hernán Cortés dépasse le cadre de cette étude et nous nous contenterons de parler du lieu de châtiment : dans ce cas, il s’agit donc d’un arbre.28 Depuis Coyoacán, Cortés ordonne la construction d’une nouvelle ville, là òu était l’ancienne Tenochtitlán. Après avoir pensé mettre la capitale à Coyoacán, à Tacuba ou à Texcoco, il décide finalement de ne pas la changer de place. Les conquistadors décident de construire sur les ruines de la capitale détruite, à cause de l’importance et de la splendeur qu’elle a eue (Díaz del Castillo 1974: 373-378; Grunberg 1993 : 114-122).

27

29

Dans les années qui suivent sa fondation en 1536, la ville de BuenosAires est seulement un petit fortin qui sera abandonné en 1541. La gravure de Théodore de Bry, qui s’inspire de l’édition de Hulsius de Ulrich Schmidel 1557, est tirée de Jean-Paul Duviols (1985 : 104, 275276). On y trouve une image de facture européenne, au milieu d’autres faites par des mains indigènes. Il s’agit de montrer la constance des Européens dans l’installation de lieux de châtiment, dans ce cas, la potence se trouve extra-muros. On peut se demander si elle y était réellement ou si le graveur l’a mis là pour mieux illustrer les récits de la chronique. 28 L’utilisation de l’arbre pour exécuter la peine capitale, comme s’il s’agissait d’une potence, est une information supplémentaire permettant de comprendre comment le tzompantli devient le lieu du châtiment et la relation entre la punition et la potence, l’arbre, le tzompantli et le sacrifice.

La construction de la première église avait commencé dans la ville entre 1524 et 1532, à l’emplacement de la cathédrale actuelle. 30 Le gouvernement de la Nouvelle-Espagne revient à Luís Ponce de León jusqu’au 20 juillet 1526, et, à sa mort, il passe à Marcos de Aguilar jusqu’au 1er mars 1527. Ensuite le gouvernement passe aux mains de Gonzalo de Sandoval et Alonso de Estrada du 1er mars 1527 au 22 août 1527, et plus tard Estrada gouverne jusqu’au 9 décembre, lorsqu’arrive la Primera Audiencia dont Nuño de Guzmán est le président. En deux occasions, après la mort de Ponce de León et le gouvernement de Sandoval et Estrada, les citoyens demandent à Cortés de prendre le pouvoir, mais il refuse (Martínez 1990 : 472-473). Donc, lorsque l’on décide pour la première fois de construire un lieu de châtiment dans la ville, le gouvernement est entre les mains de Gonzalo de Sandoval et Alonso de Estrada, alliés de Cortés, et l’on peut penser que Cortés a participé à cette décision.

112

Une topographie modifiée c’était prévu. On en reparle le 18 et le 24 septembre de la même année, pour confirmer et voter cette construction. À la suite de ces nombreuses pétitions, il est finalement décidé de creuser les fondations pour édifier le pilori sur l’emplacement que le vice-roi Luís de Velasco (15501564) avait choisi, face au bâtiment du conseil municipal, sur un côté de la place principale, pour y faire « des actes publics de justice et de vente aux enchères » (Kubler 1982 : 218-220). Cet emplacement est-il le même que celui choisi par Cortés et García Bravo ? Ou celui de Pontecillas? Velasco a-t-il fait mettre le lieu des châtiments là où il était prévu de le situer depuis le début ? Pour répondre à ces questions, il faudrait faire plus de recherches, mais on peut cependant noter que jusqu’en 1561, le plan de la ville, avec ses places et ses rues, suit ce que García Bravo avait décidé auparavant (Martínez 1990 : 389, 396). Le processus de construction du lieu des châtiments sort du cadre de notre recherche, mais il est important de vérifier qu’il a été édifié en face du bâtiment du Conseil, sur un côté de la place, là où, avant la destruction de la ville par les Espagnols se trouvait le palais de Moctezuma.31

Les conquistadors ont ainsi utilisé de façon répétée les constructions des indigènes33, et le fait de bâtir un village sur les ruines des anciennes cités indiennes est devenu une coutume (Lockhart 1999: 595-596 ; Barlow 1989b vol. 2: 459). Lorsque les Européens construisent un temple chrétien sur un temple indigène au centre des grandes places, plaçant à côté les autres structures importantes, le lieu du châtiment est placé sur le lieu des sacrifices et cette action définit le centre architectural et le centre du pouvoir. Le centre de la nouvelle ville est donc la place et les bâtiments qui l’entourent, comme avant. Si l’ordre originel des structures était relativement respecté, ce qui devait être le lieu des sacrifices ou du tzompantli avant la Conquête devient le lieu de la potence et du pilori : on assiste donc à une fusion matérielle des deux lieux de mort et d’exposition de restes humains. Ces lieux ont de nombreuses caractéristiques communes : ils fonctionnent par la terreur et la violence et, dans les deux cas, on expose des parties du corps humain au sommet d’une plateforme, dans un endroit important comme le centre de la place. Ces points communs ont gommé leurs différences, bien que les deux aient eu des rôles complètement distincts. Il est certain que les emplacements, où étaient exposés les restes humains, produits du sacrifice rituel public préhispanique ou du châtiment exemplaire de la Nouvelle-Espagne, n’étaient pas identiques. Cependant, comme la potence et le tzompantli se trouvent sur la place centrale de Mexico - Tenochtitlán, et de nombreuses autres villes, associés aux temples principaux et aux structures de pouvoir, leurs fonctions respectives se sont mélangées. On assiste à un transfert de la violence et à la reformulation de son rôle dans un nouveau contexte. Le fait que le châtiment et le sacrifice partagent le même emplacement semble avoir contribué à l’amalgame des activités qui se déroulaient dans ces lieux, au moment où le sens de la violence, de la mort, et de l’exhibition des restes humains changeait de signification et de maître. Les châtiments exemplaires comme les massacres perpétrés par les Espagnols sont représentés comme un nouveau type de sacrifice, qui devient le messager d’une ère cosmique et politique. Acte d’importance puisque le sacrifice et le châtiment, c’est-à-dire la mort et la violence, sont liés à l’établissement du pouvoir (Navarrete Linares 2008: 66-67). On pourrait dire que comme le tzompantli était un facteur indispensable à l’établissement d’un village mexica, la potence qui occupe le même emplacement possède le même rôle lors de la fondation d’une ville par les Espagnols durant l’époque coloniale. Le parallèle entre les pratiques fondatrices très semblables des deux groupes a permis l’amalgame entre le lieu du sacrifice et le lieu du châtiment. C’est une marque de la transition d’une culture qui imposait le tzompantli à une autre qui construisait des potences et des piloris (Ekdahl Ravicz 1970). La place centrale de l’enceinte du Templo Mayor

IV. 4.1. L’appropriation du plan. L’enceinte sacrée de Tenochtitlán contenait de nombreux édifices : le palais de Moctezuma et bien d’autres palais, la pyramide jumelle de Tlaloc et Huitzilopochtli, plusieurs temples et enceintes, les divers tzompantli, et les jeux de balle tels que les conquistadors les ont décrits à leur arrivée. Comme nous l’avons vu dans la première partie de ce travail, ce lieu reflétait les mythes et les rituels des Mexicas. Au cours de leur pérégrination, dans chacun des lieux qu’ils ont créés, ils ont édifié un temple à leurs dieux et un tzompantli.32 Quand ils ont terminé leur enceinte sacrée qui fonctionnait comme un centre civil et religieux et représentait le centre de l’univers, ils ont choisi l’emplacement du tzompantli. En occupant cette enceinte, les Européens détruisent l’image antérieure à la Conquête et maintiennent la tradition politique de ce centre (Kubler 1982 : 75). Ils conservent la place et l’ensemble du plan urbain de Tenochtitlán, car ils correspondent aux conceptions espagnoles : la place au centre, entourée par l’église, les palais du gouvernement et les maisons des nobles. Ils profitent donc de l’emplacement des anciens palais pour construire, avec les ajustements nécessaires, le bâtiment principal du gouvernement, du conseil municipal et les maisons du consistoire (Martínez 1990: 395). On peut donc penser que pour élever leur potence et leur pilori, ils utilisèrent aussi des espaces et des structures préexistants.

31

Là où se trouve actuellement le Palais National de Mexico. Comme nous l’avons vu, les Mexicas procédaient à un rite traditionnel d’installation dans chaque lieu où ils s’arrêtaient ; ils construisaient un temple, un autel et un tzompantli. Lorsqu’ils fondent Tenochtitlán, une des premières actions est de construire un tzompantli, structure qui marque le centre de l’univers. 32

33

Par exemple, lorsqu’Hernán Cortés fait nettoyer les temples dans les villages où il arrive, comme à Cempoala, pour élever un autel (Díaz del Castillo 1974 : 87-90).

113

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Sur un paravent attribué à Diego Correa,37 se trouve une vue de la « Très noble et très loyale Ville de Mexico »,38 antérieure à 1692 et, sur la place, entre la croix de l’atrium et la fontaine, se trouve une potence à quatre côtés avec son pilori au centre. Sur un second paravent anonyme, on trouve le même emplacement. Un tableau de Cristóbal de Villalpando peint en 1695 le représente sur la place principale entre les principaux bâtiments civils et religieux (Rubial García 1998: 38-39). Il se trouve à côté de la fontaine, en face du Palais National, dans le marché (Fig. 87). La peinture de Villalpando est un document historique de premier ordre pour connaître l’emplacement de la potence de la place principale de la ville de Mexico, mais on peut y ajouter une autre peinture qui accompagne les documents du recensement, réalisée par Antonio Rojas Abreu. Sur ce document schématique se trouvent la fontaine et l’imposante potence avec son pilori, sur la place d’armes. On retrouve le même emplacement sur un plan de la ville de Pedro de Arrieta qui date de 1737, ce qui démontre qu’il est resté à la même place (Fig. 88). Même après avoir nettoyé la place pour la prise de pouvoir de Carlos III, car elle était très désordonnée, comme on le voit sur les cartes faites sur ordre du Viceroi Francisco Cagigal de la Vega en 1760, la potence à quatre côtés avec son pilori à l’intérieur se maintient à sa place. Sur les images de la place faites avant et après les travaux de restructuration, la potence se trouve au centre de la place. Avant, elle se trouvait entre des structures et des étals désordonnés qui sont ensuite alignés. À côté du dessin est inscrit le mot « potence ». Sur une gravure de Francisco Silverio, on peut constater qu’un an plus tard, la configuration est toujours la même, comme sur un dernier exemple fondé sur cette gravure.39 La peinture de Prado J. Antonio qui représente l’entrée du Vice-roi Francisco de la Croix, connue comme « La place principale de Mexico » de 1769, montre que la potence carrée et le pilori se trouvent toujours sur la place entre les étals. Il sert de siège à plusieurs individus et se trouve à l’emplacement qu’il a dû occuper jusqu’en 1789 quand Revillagigedo transforme complètement la place (Romero de Terreros 1956: 9; Alamán 1991). Il existe de nombreuses peintures et gravures de la Place principale de Mexico, (voir Quinientos Planos de la ciudad de México 1982) et de nombreux travaux se sont intéressés à son tracé, ses bâtiments et aux activités qui s’y déroulaient aux différentes époques. Certains exemples démontrent que le lieu de châtiment des Espagnols s’est toujours maintenu au même endroit : depuis le début de la fondation de la Nouvelle-Espagne, il a été érigé sur l’ancien lieu du sacrifice, sur la place centrale à côtés des principaux temples. Est-ce que les Indigènes, voyant le lieu du châtiment à la place du lieu du sacrifice, se sont remémoré d’anciennes croyances ?

était le centre du monde mexica et lorsque les Européens décident de construire une ville sur ses ruines, ils la refont sur le même modèle. Sur la place qui auparavant comprenait une pyramide, les maisons des gouvernants et un tzompantli, ils édifient une église avec les bâtiments de la mairie en face et ils érigent une potence et/ou un pilori. La présence des structures espagnoles du pouvoir, du temple chrétien et du lieu de châtiment sur la place centrale de la ville correspond à la double hiérarchie de l’Église et de l’État, mais il est certain que leur emplacement renvoie aussi à des structures antérieures. Le tracé et la disposition des édifices et des structures de n’importe quelle ville ou village est le produit de forces sociopolitiques. L’espace physique est ordonné et reflète les conceptions prédominantes de la communauté : c’est une expression des structures mentales. Lorsqu’une place est reconstituée ou reconstruite en préservant certains éléments de sa forme et de sa distribution antérieure, la nouvelle place conserve quelque chose de sa signification originale.34 Cortés en était conscient, car parmi les raisons qu’il évoque pour fonder la capitale de la Nouvelle-Espagne sur les ruines de Tenochtitlán, se trouve le prestige de la ville (Kubler 1982 : 75). La construction du lieu de châtiment de la ville de Mexico est retardée jusqu’en 1527, et le creusement de ses fondations ne débute qu’en 1551, mais nous ne possédons pas de plan du centre ville qui nous permette de le situer.35 On peut cependant penser qu’il a toujours été au même endroit. Lors de la révolte de 1692, les Indiens et les Noirs incendient le palais et la potence, mais celle-ci est rapidement reconstruite pour les châtier. Et en 1789, la place possède encore « une potence très utile à quatre côtés », avec un pilori en dessous que le vice-roi Revillagigedo (1746-1755) supprime enfin (Alamán 1991: 278-280 et 252-253; Rubial García 1998: 65-66). L’emplacement de la potence et du pilori est connu grâce à des peintures, des paravents et des gravures du XVIe et XVIIe siècles. Ils sont toujours face à la Mairie et aux édifices importants de l’administration, associés à l’église et à la fontaine de la place centrale, et l’observation de toute une série d’oeuvres de la Nouvelle-Espagne permet d’assurer que l’emplacement fut toujours le même.36

34 La place peut être conçue comme une représentation où les formes et les significations culturelles indigènes et européennes se mélangent et se confondent. Setha M. Low (1995 : 748 - 751) comme Kubler (1982 : 99) écrivent sur les antécédents morphologiques pratiques et théoriques de la place en Nouvelle- Espagne. Certains insistent sur le modèle espagnol et trouvent de nombreuses ressemblances, alors que d’autres insistent sur l’importance de la distribution urbaine indigène dans les plans des villages coloniaux (Lockhart 1999 : 594-596). 35 La relation géographique de Mexico-Tenochtitlán est inconnue. Il existe de nombreux plans, mais on n’y voit pas de potence ou de pilori. Ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’apparaissent des peintures et des tapisseries où la potence est représentée. Bien qu’aucun lieu de punition ne soit formellement dressé avant 1557, il semble que des Espagnols ont été décapités en 1523, sur un échafaud improvisé (Guía de Actas de Cabildo 1970: 1196). 36 Francisco de la Maza (1985 : 7) explique que Mexico jusqu’au début du XVIIe siècle respecte le tracé original et le Palais Royal en 1692 est toujours celui du XVIe siècle.

37

C’est un paravent auquel nous avons fait référence pour les scènes de la Conquête. On y trouve devant et derrière la Conquête Tenochtitlán et la Ville de Mexico. 38 Connu également comme le « Plan du comte de Moctezuma » (Cuadriello 1999: 66-71). 39 Sous l’image, il est écrit : « Vue de la place de Mexico au milieu du XVIIIe siècle. » Elle est tirée d’une vieille estampe gravée en 1761 par Francisco Silverio.

114

Une topographie modifiée Les cartes des Relations géographiques et d’autres documents de l’époque nous donnent des indices à ce sujet, en particulier la Relación de Teutenango (1932). Cette Relation et sa peinture nous permettent de mieux connaître l’emplacement du lieu des châtiments des Espagnols dans la ville de Mexico. Nous ne possédons pas de plan de sa place centrale au XVIe siècle, mais on peut penser que sa distribution était très semblable à celle de Teutenango del Valle en 1582, car la relation de ce village précise à plusieurs reprises que son plan suit celui de Mexico (Kubler 1982: 98 ; Mundy 1996: 167-169) comme c’est le cas pour de nombreuses villes fondées pendant l’époque coloniale (Fig. 89). Sur la peinture de la ville de Teotenango, le plan du village est situé dans la vallée de Toluca. On observe en face de l’église, sur une place centrale traversée par une rivière qui va vers une fontaine, le pilori érigé sur une plateforme carrée. C’est une construction permanente et à côté se trouve la potence, comme l’indique la phrase inscrite dessous, formée de deux poteaux verticaux fixés au sol et portant une barre transversale. À première vue, on voit donc une simple potence, semblable à toutes les autres, mais il faut remarquer que la barre transversale est couronnée par un crâne ou une tête, il est difficile de le préciser.40 Pourquoi la tête n’est-elle pas au sommet du pilori? Estce la façon de concevoir la potence d’un artiste indigène ? On peut dire cependant que le lieu du châtiment des Espagnols semble s’approprier certains aspects du lieu de sacrifice indigène. La tête n’est pas au sommet du pilori, mais sur la barre transversale, un peu de la même façon que dans un tzompantli. La Relación de Teotenango n’est pas un exemple isolé. Elle fait partie d’un corpus de documents coloniaux de facture indigène qui représentent une place, une église, une fontaine, et une potence. Sa singularité dérive du fait qu’on y trouve le résultat final d’une exécution capitale, interprétée d’une façon différente et conçue comme la représentation d’un sacrifice indigène. La mort sacrificielle des Indigènes et la mort par exécution imposée par les Espagnols sont des voies d’intégration sociale car, dans les deux cas, les manifestations violentes et l’exposition attirent le public. Il s’agit de mise à mort et d’exhibition de restes humains qui partagent le même emplacement et les mêmes structures, et ces deux actes sont très semblables dans leur configuration, leurs contenus et leurs associations. On peut donc évoquer l’identification et l’éventuelle confusion du tzompantli et de la potence à partir des actes publics, à première vue similaires, qui ont lieu dans chacun de ces espaces. Cependant, la fonction de la mort

et le rôle de l’exhibition du cadavre, glorifié ou déshonoré, sont très différents. L’édification d’un emplacement durable pour le châtiment est donc un travail important. À Santiago Tlatelolco, les Espagnols vont en ériger un là où était le tzompantli. Cette ville, à l’époque préhispanique, avait sa propre place avec des temples tout autour. Les constructions européennes ont été édifiées sur ces temples, de façon symétrique, autour de la place originale. Les premiers missionnaires et les conquistadors avaient l’habitude de construire un temple chrétien sur chaque temple préhispanique, et l’on peut penser que toutes les églises et chapelles qui entourent le couvent de Tlatelolco suivent la symétrie de la distribution préhispanique (Barlow 1989d vol. 2: 459). En 1554, sur cette place centrale, à l’intérieur de ce qui fut l’enceinte du Templo Mayor, se trouvait la potence : « on y entre par une porte, puis on monte des marches et, à cause de sa hauteur, on la voit de loin » écrit Francisco Cervantes de Salazar (1972: 52 ; Suárez de Peralta 1990: 194-198). En ce lieu, de nombreuses personnes ont été exécutées et leurs restes exhibés devant la multitude. Le condamné devait faire un long parcours avant d’arriver sur le lieu du châtiment situé sur la place du centre ville, pendant que le crieur public annonçait son crime. Accompagné des juges civils et religieux, il montait à l’échafaud et était pendu avec une corde accrochée à la potence. Ensuite, selon le crime, on pouvait mutiler le cadavre en lui coupant la tête, les mains ou les oreilles. Sur l’échafaud, l’accusé pouvait aussi être décapité par le bourreau, puis les parties du corps étaient exhibées : la tête au bout d’une pique, ou sur le pilori (Rubial García 1998: 42-45), généralement à l’extérieur ou à l’entrée du village, et parfois sur la potence située sur la place.41

40 Martin Monestier (2003: 93-99 et 241-273) écrit sur le sujet. Pour sa part, Nicole Gonthier (1998: 132-133) dit qu’en Europe (France) pour humilier les criminels, des parties du corps étaient placées au sommet de la potence, mais elle ne donne pas d’exemples concrets et cite l’exemple de la condamnation de sept hommes à Paris en 1411. Les six nobles sont décapités et le septième étranglé. Leurs têtes sont enfilées sur des lances aux Halles. Nous ne connaissons pas d’autres exemples en Europe où les têtes des condamnés sont placées au sommet de la potence et laissées à l’intérieur du village. Normalement, elles sont placées au-dehors. Voir aussi Michel Foucault 1976: 11-38 et Fernando Díaz Plaza 1995: 311-322 pour des exemples espagnols.

41 Eduardo Báez Macias 1981:19. Lors du procès d’un incendiaire (1605-1612), le procureur fait appel de la sentence qui était la mort par pendaison sur la place de Mexico, puis les mains et la tête devaient être exposées sur le chemin du désert. Il faut y ajouter une information de Cuija dans la Crónica de los sucesos curiosos de la Ciudad de México, qui dit que les condamnés sont pendus sur la place, puis coupés en morceaux et les morceaux jetés sur les quatre chaussées (Riva Palacio et Payno 1989). 42 En Europe, le démembrement du corps puni et l’exposition publique des dépouilles est une leçon pour les spectateurs car on ridiculise et humilie les condamnés. Cela vient de l’idée que l’exposition des

IV 4. 2. Les châtiments des Espagnols Sur ces lieux, que ce soit la potence de Santiago Tlatelolco ou celle de Mexico, les Espagnols ont procédé à de nombreuses exécutions et exhibé les restes des condamnés, selon les critères et pratiques qui, en Europe, avaient fait la preuve de leur efficacité pour le maintien de la moralité et de la bonne conduite de la population. Dans ce cas, l’exhibition des restes attirait le public. Celui-ci participait à une mort qui se déroulait selon un protocole habituel et se terminait par une décapitation et par l’exhibition des têtes coupées, pour augmenter le déshonneur et l’infamie du condamné (Gonthier 1989 : 133-134). Certains aspects du châtiment espagnol importé sur le sol américain, en particulier la théâtralité des exécutions, étaient pourtant perçus différemment par les Espagnols et par les Indigènes.42

115

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Comment les peuples conquis voyaient-ils le déploiement de violence des conquistadors et des missionnaires, une fois leurs villes fondées sur les ruines des anciennes cités, et que pensaient-ils des spectacles fréquemment présentés sur les lieux de châtiment qu’ils avaient érigés ? Comment les Indigènes de Tlatelolco43 ont-ils compris la mort des deux frères Avila, décrite par Juan Suárez de Peralta qui a assisté à leur exécution en 1566? Il raconte comment les frères sont jugés, condamnés et conduits directement à l’échafaud. D’abord, Gil Gonzalez s’est allongé et le bourreau lui a coupé la tête, puis il a fait la même chose à Alonso de Avila.44 On a ensuite montré leurs restes, mais il y a un doute sur le lieu de l’exposition. Suárez de Peralta dit d’abord que les frères Avila sont « … mis à mort comme les plus vils bandits, que l’on a mis leurs têtes sur le pilori, comme on a l’habitude de le faire, et elles ont été placées à la vue de tous ceux qui voulaient les voir » et il ajoute qu’il a vu «… la tête (de l’un des deux) sur le pilori traversée par un long clou depuis le sommet, traversant le cerveau et la viande délicate. » Plus loin, il dit que « ... passant par la place où se trouve la potence, (il voit) les têtes de ces chevaliers » et il répète que « les têtes ont été placées sur la potence » (Suárez de Peralta 1990: 194-198). On ne sait donc pas très bien où étaient exposées les têtes des frères Avila. Peut-être que le manque de place sur le pilori, qui ne peut porter qu’une seule tête, oblige à utiliser la barre transversale de la potence. C’est de peu d’importance, mais il faut souligner qu’au milieu du village a eu lieu un acte public de violence physique, une mort et l’exhibition de parties du corps humain. Il est possible que la tête du condamné ait été placée sur la barre transversale de la potence, et l’on peut en déduire que les Espagnols, lors d’un châtiment exemplaire qui se termine par l’exposition des parties du corps humain, n’utilisaient pas toujours le pilori, mais également la barre transversale de la potence. Cette situation ressemble à la façon dont le châtiment capital est représenté dans la Relación de Teotenango en évoquant le tzompantli. Après l’exécution des frères Àvila, d’autres participants à la conspiration menée par Martin Cortés sont également condamnés. Les deux frères Quesada ont la tête coupée ainsi que Balthazar de Sotelo et Juan de Maldonado (Suárez de Peralta 1990: 212). Le codex Aubin (1893), document colonial qui réunit des données préhispaniques et les témoignages de l’auteur, un

Indigène qui vivait à cette époque,45 raconte les évènements importants qui ont lieu entre l’arrivée des Espagnols et 1608. On y lit que les trois majordomes d’Alonso Avila ont été pendus et écartelés pendant la nuit et que Balthazar et Pedro Perez ont été égorgés (Barlow 1989b vol. 2: 284-285). Ce récit s’ajoute aux multiples mentions des châtiments pratiqués par les Espagnols et enregistrés dans les chroniques indigènes élaborées sous forme d’annales. Il est important de les citer car, sur l’image qui complète la légende écrite en nahuatl, sont représentés certains des châtiments pratiqués à cette occasion. Deux corps pendent d’une simple potence et l’on voit des têtes coupées, probablement celles des frères Perez.

dépouilles humaines et la conception du corps sont différentes dans leur contenu et dans leur forme selon le groupe. 43 Juan Suárez de Peralta (1990 : 106) indique que, selon les prédictions des Mexicas, l’emplacement de la potence de Tlatelolco au XVIe siècle est le lieu où l’on avait sacrifié un Indien avant l’arrivée de Cortés. Il semble que les Indiens de Tlatelolco gardaient ce souvenir. Il dit : « L’Indien a reçu un message de Dieu lui disant de se laisser sacrifier et de laisser son sang couler car l’idolâtrie allait bientôt cesser. Il l’a dit aux Indiens et ils l’ont sacrifié à Santiago, là où se trouve aujourd’hui la potence. » 44 Pour décrire la décapitation d’Alonso de Ávila, Suárez de Peralta (1990 : 197) écrit : « le cruel bourreau a donné trois coups, comme quand on coupe la tête d’un mouton ». Ceci peut être une démonstration du parallèle que les chroniqueurs européens établissent entre le bourreau et le boucher. En Europe, on décapitait les nobles et on pendait les manants (Meback 1998: 41).

45

IV.4.2.1 Narrations de mort : Chimalpaín. On ne trouve pas dans le codex Aubin d’autres données sur la fin de ce châtiment, ni sur la manière dont on a placé les têtes des exécutés sur la potence après leur pendaison et leur décapitation. Cependant, à partir du récit de Domingo Francisco de San Antón Muñón Chimalpaín, il est confirmé que la tête du décapité est placée sur la potence. Les termes utilisés pour expliquer le déroulement de cet acte sont les mêmes que ceux qui sont employés pour décrire la façon dont les crânes étaient disposés sur le tzompantli, avant l’arrivée des Espagnols et cela permet d’établir un parallèle entre les deux lieux. Une phrase rajoutée à la main par Chimalpaín, sur la marge gauche du folio 206 de la Septième Relation,46 se réfère à des évènements de 1550 et explique que, suite à un soulèvement d’Espagnols, les condamnés furent décapités et leurs têtes exposées, mais on ne sait ni où, ni comment. La phrase en náhuatl a été interprétée et traduite de multiples façons qui laissent toujours comprendre la même chose, c’est-à-dire des concepts liés. Par exemple, Josefina García Quintana fait la traduction suivante de l´annotation de Chimalpaín (2003 : 263) : « ils parlaient donc de la guerre avec les Espagnols. Ils ont coupé des têtes, pendu des gens aux arbres, puis ils ont collé les têtes des Espagnols». Dans une certaine mesure, elle suit donc la proposition de Rémi Siméon qui dit : « elles (les têtes) ont été fixées sur un poteau ». 47 Ces deux versions concordent et les têtes ont été collées ou empalées sur un arbre ou un poteau, éléments qui constituent une potence dans l’inconscient de beaucoup.48

Barlow (1989b vol. 2 : 261-262) indique qu’un macehual du quartier de San Juan, qui vivait près du temple de San José, a recueilli les données et parle de « sa maison » et de ce que les religieux « nous enseignent ». 46 Chimalpaín (1889; 2003a ; 2003b) écrit : « Yhcuac yaoyotl quihtohuaya yn españoles; yc quechcotonalloque, tepilolcuauhtitech, quiçaçalloca yn intzonteco españoles; ypan vi tochtli xihuitl. 47 Josefína García Quintana dans son étude de Chimalpaín (2003: 263 note 258). 48 Voir aussi la traduction par Rafael Tena de Chimalpaín (1998 vol. 2 : 207) : « En l’an 6 Tochtli, il y a eu une rébellion des Espagnols, et, pour cette raison, ils ont été décapités et l’on exposa leurs têtes sur la potence. » La traduction de Silvia Rendón de Chimalpaín (1982 : 263) dit que le chroniqueur a écrit : « c’est alors que démarra la guerre contre les Espagnols. Ils ont coupé la tête de certains et l’ont accrochée au bout de pieux de bois avec des épines. Cela s’est passé en l’année 6 Lapín. »

116

Une topographie modifiée De même, lors d’un autre acte punitif des Espagnols, le même chroniqueur indique, en 1615, que trois prisonniers qui s’étaient évadés ont été tués. « Une fois morts, on leur a coupé la tête et on l’a clouée au sommet d’un poteau de la potence (qui était sur la place de Mexico) en face du palais. Ils leur coupèrent aussi la main droite et la clouèrent à côté de la tête ».49 La potence semble être depuis déjà longtemps en face d’un bâtiment important, et l’on y cloue les têtes des condamnés décapités. Chimalpaín raconte que deux ans plus tôt, trois indigènes qui avaient assassiné le maire, un marchand et un mulâtre, ont été exécutés. « Ils les ont pendus sur le vieux poteau de la potence qui est au centre de la place, en face du palais. Ils leur ont coupé la tête et l’ont placée sur ce poteau avec leurs mains coupées ».50 Les récits sur l’exécution des Noirs qui s’étaient rebellés en 1612 décrivent la même situation. « Les Noirs furent pendus à huit poteaux neufs. Le neuvième existait depuis longtemps. Il était au centre et tout autour on installa les huit poteaux neufs… Les trois contre lesquels pesaient les plus fortes accusations sont pendus à celui du centre, et les autres sur les poteaux neufs situés autour. » Il ajoute que les corps sont restés toute la nuit et le jour suivant, «ils ont descendu les corps de la potence » pour les décapiter. Remarquons les termes utilisés pour parler de la façon dont la tête est fixée sur la potence.51 Dans certaines chroniques indigènes, lorsqu’il est fait référence aux châtiments des Espagnols ou aux sacrifices des Indigènes, on emploie des termes similaires pour décrire les têtes sur la potence et les crânes sur les temples indigènes. Cela confirme la ressemblance existant entre les pratiques qui se déroulent sur le lieu du châtiment et sur celui du sacrifice. Par exemple, dans les Annales de Tlatelolco (1948 : 32-33), qui décrivent les évènements qui se sont déroulés à Tzompanco pendant la migration mexica, il est dit que Tlahuizcalpotonqui fut « tué et sa tête clouée sur une grille en bois ». Un autre exemple, pris dans les récits d’Alvarado Tezozómoc lorsqu’il décrit ce que les conquistadors ont vu en arrivant dans la capitale Mexica, indique que « les têtes (des sacrifiés) étaient collées sur les murs » (Alvarado Tezozómoc 1980: 323). Pour témoigner de l'uniformité des termes employés pour décrire la façon dont les têtes étaient fixées sur la potence et les crânes sur le tzompantli, revenons sur d’autres exemples déjà mentionnés. Le Livre du Chilam Balam de Chumayel, par exemple, enregistre l’arrivée des Itzá à

Chakanputún et raconte: « les têtes des étrangers ont été cimentées à cette terre (au mur)… ». Ralph Roys dit à ce sujet que c’est la seule mention de têtes humaines cimentées sur un mur que nous connaissions,52 et l’on peut donc penser que c’est un exemple isolé. Cependant, comme nous l’avons vu, l’utilisation des notions et termes qui se réfèrent a l´acte de « coller » et « cimenter » n’est pas exceptionnelle, même si les exemples sont peu nombreux et si d’autres termes sont souvent utilisés pour parler de ce fait.53 Si les mêmes dispositions et termes servent à décrire la façon de placer les parties du corps démembré sur le tzompantli ou sur la potence, cela veut dire que les Indigènes récemment conquis et évangélisés trouvent des ressemblances entre les deux espaces comme le feront plus tard les auteurs indigènes comme Chimalpaín et Alvarado Tezozómoc. Dans les deux cas, à l’époque préhispanique, et pendant les fondations et l’effort évangélisateur, des actes violents s’achevant par l’exhibition de restes humains ont eu lieu au même endroit, au centre du village. Comme nous l’avons vu, à Tenochtitlán, le tzompantli, annexé aux temples principaux, portait les crânes des victimes sacrifiées comme tribut et offrande aux dieux pour maintenir la continuité du processus de l’univers. C’est la représentation de la pensée religieuse préhispanique des Nahuas telle qu’elle s’exprime à travers leurs mythes et rituels, et c’est la fonction du sacrifice humain. Les fondations espagnoles, à leur tour, placent la potence au centre du village comme signal de justice. On retrouve une même localisation et des usages qui présentent d’importantes affinités. Les actions et gestes qui se déroulaient dans chacun de ces lieux publics ont beaucoup d’éléments communs. En plus des processions, des discours et d’autres aspects spectaculaires, ces évènements concernent toutes les personnes présentes et soutiennent le système auquel appartiennent la potence et le tzompantli. Le condamné ou la victime sacrificielle sont décapités et ensuite la tête se retrouve sur un râtelier au sommet de la plateforme et y reste un certain temps. Des lieux apparemment semblables où les gens accourent, car on convoque la foule à se réunir et à participer. Les spectateurs exaltés participent à la violence et dans les deux cas, les autorités (bourreau ou sacrifiant)54 font des actions qui se 52 « Les têtes des étrangers étaient cimentées (dans le mur) », et en note, Roys (1933 : 160) remarque : le mot maya pak, traduit ici comme mur, est la seule mention de cet épisode de têtes humaines scellées à un mur. Cela signifie probablement qu’un tzompantli fut dressé, et que les pieux qui transperçaient les têtes furent scellés dans un mur de maçonnerie ». La représentation est une tête couronnée sous laquelle se trouve un couteau. Elle est entourée de douze petites têtes, apparemment scellées dans le mur : un tzompantli. 53 Dans le codex de Florence Sahagún, (1979 livre 12, chap. 103 ; Sahagún 1950-1982 vol. 12 : 104) en décrivant le tzompantli, écrit que les têtes sont « embrochées par les tempes ». En nahuatl, le récit dit : « Auh in ontlamictiloc, nec qujnquaquauhco in intzontecon Españoles : no qujcocoque in caballos me intzontecon, tlatzintlan in qujtecaque:… » . On retrouve le mot « emmêler ». Dans la septième relation de Chimalpaín, il est écrit « en 1462, …les tlahtoque amaquemeque ont emmêlé les têtes des nobles mexica. » Ypan in ihcuac mexica pipiltin quincuamamatlahuique yn tlahtoque… 54 Celui qui donne la mort et manipule les dépouilles. Les sacrifices massifs étaient importants à Tenochtitlán à l’époque préhispanique. Les gouvernants se réunissaient pour présenter aux yeux des gens la mort et

49 Chimalpaín (2001: 400-401), pour décrire la façon dont on plaçait les têtes sur la potence, utilise les mêmes termes que dans l’exemple précédent. Oquinxexeloque yhuan in intzonteco oncan techan quiyahuac tepilolcuauhticpac oquincacaloque; yhuan yn inmayeccamcopamacpal quintehtequilique, oncan itlan yn intzonteco quicacalloque. 50 Chimalpaín (2001: 330-331) écrit: « Auh in ye oyuh quimonmamatecque, yc niman pilloloque yehuatl ytech yn omotenehuh tlayolloco tlanepantla mani ye huecauh tepilolcuahuitl yn oncan tecpan quiyahuac; yhuan xexeloloque yn innacayo, yhuan yn intzonteco quinÇoÇotonillique auh oncan ycpacv yn omoteneuh tepilolcuahuitl quintlallique, yhuan ynmacpacpa quintetequillique oncan ytlan yhuan tepilolcuauhtitech tepoztica qui tetetzotzonque. Auh intzontenco oncan cenphuallonce tonatiuh yn cacatca tepilolcuauhtitech, auh ye icomilhuitlmani metztli mayo juebes ypan yn quintocaco oncan Hospital ». 51 Chimalpaín (2001: 296-299) écrit: « Auh yn intzonteco oncan tepilolcuauhticpac quincacaltoque. »

117

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels terminent dans le sang et les restes humains, en général des têtes. Ces actions, dont les ressemblances ont été démontrées par ce travail, ont pu avoir un effet ambigu sur les spectateurs indigènes. Cependant, entre ces deux lieux qui se ressemblent, il y a une grande distance et des signifiés différents.

potence pour que tout le monde les voit, mais sept jours plus tard, on les descend et les enterre parce qu’elles empestent. Il ajoute aussi que cette pratique provoque une discussion entre les autorités et les médecins sur la pertinence d’équarrir et de montrer les parties du corps du condamné à l’intérieur de la ville pendant une longue période.57 Cela montre que les habitudes et les attitudes concernant les restes humains ont changé.

IV.4.2.2. Mort visible Quand les Espagnols installent leur lieu de châtiment (potence, pilori) sur l’emplacement où les indigènes pratiquaient leurs sacrifices (tzompantli), il y a confusion et amalgame. Les faits suggèrent aussi que les Espagnols modifièrent certaines formes de leur châtiment exemplaire, car il semble que la coutume d’exposer la tête fixée au sommet de la potence n’était pas une pratique commune en Espagne.55 Est-ce une preuve flagrante que les Espagnols ont remplacé la localisation de leurs pratiques ? Il est difficile de prouver qu’il y a eu un changement dans la manière d’exposer les dépouilles humaines du condamné sur la potence et non sur le pilori car cela demanderait une plus ample analyse. Nous n’avons pas non plus la preuve que le lieu d’exhibition ait changé de place après l'expérimentation de leurs punitions en NouvelleEspagne.56 Malgré cela, on peut constater la différence entre montrer les dépouilles humaines au centre du village, au sommet d’une potence, comme en NouvelleEspagne et les montrer aux abords du village, sur le pilori. Il semble qu’en s’appropriant certains aspects du lieu de sacrifice indigène, les Espagnols aient réformé des pratiques traditionnellement liées à leurs punitions. En Europe, l’acte punitif se déroulait sur la place principale, mais les restes des condamnés, principalement la tête, étaient exposés à l’extérieur du village. Cette affirmation appelle une étude plus approfondie, car on sait qu’en Europe, on exposait les restes humains intra-muros, et en Nouvelle-Espagne, on les exposait généralement à l’intérieur du village. Lors de certains actes punitifs qui ont lieu dans la ville de Mexico et que rapporte Chimalpaín (2001 : 296-299, 330-331) après la mort du condamné, sa dépouille reste à l’intérieur de la ville causant même certaines nuisances. On peut supposer que les têtes des trois Indigènes décapités en 1613, qui restent sur la potence pendant vingt jours, provoquent un malaise. L’exécution des Noirs qui se rebellent un an plus tôt le suggère. Leurs têtes sont placées en haut de la les offrandes humaines. À l’époque, comme en Europe, les exécutions réunissaient tous les membres de la communauté. 55 En ce qui concerne l’emplacement de la potence, de nombreuses gravures de villes anglaises et européennes montrent qu’elle était dressée en permanence sur une colline hors des murs, ou près du château et du siège de la justice (McKenzie 1998 : 41; Gonthier 1989 : 96-97) voir « Le gibet de Montfaucon ». 56 Alors qu’en Europe chaque institution se trouve dans un espace différent, au Mexique le palais du gouvernement et la cathédrale sont construits autour de la place principale. Cette modification peut-elle être considérée comme une preuve des multiples changements et nouveautés dans les pratiques espagnoles au moment de leur installation sur ces terres nouvelles, car il fallait s’adapter à de nouvelles exigences ? Est-ce la même chose pour l’église du couvent et la chapelle ouverte qui comporte des éléments européens, mais qui n’existent pas en tant qu’ensemble en Espagne, ni ailleurs en Europe ? (Kubler 1982: 81; Lockhart 1999: 595).

57 Chimalpaín 2001: 296-299. Vicente Riva Palacio et Manuel Payno (1989: 228 à 238) en parlent aussi. Ils disent qu’en 1612, vingt-neuf Noirs et quatre Noires ont été exécutés sur la place principale de la ville. Une fois les exécutions terminées, les bourreaux ont descendu les cadavres et leur ont coupé la tête avec une hache, puis les ont enfilées sur des pieux. Il s’agit de châtier les cadavres et de faire couler le sang dégoûtant des morts. « Les trente-trois têtes sont fixées sur des pieux sur la place principale de la ville, exposition digne de la grandeur du palais du Gouvernement. Ces trophées de la civilisation sont restés longtemps sur place, jusqu’à ce que l’odeur soit intolérable et que le maire ordonne qu’on les enterre. » Voir aussi Georges Vigarello 1985: 184-196.

118

CHAPITRE V ÉLABORATION SYMBOLIQUE ET UTILISATION DE L’ESPACE V. 1. L´espace de mort Le tzompantli et tout ce qu’il représentait ont changé. Le lieu de châtiment des Espagnols se confond avec le lieu de sacrifice des Indigènes pour former ce que l’on peut appeler « l’espace de mort »,1 car ils ne forment plus qu’un, une fois que l’un s’est installé sur l’autre au niveau matériel et spirituel. L’enceinte principale de Tenochtitlán est fondée à partir de 1325 apr. J. C. : une des premières structures érigées est le tzompantli, lieu de sacrifice. Une fois la Conquête terminée, la capitale de la Nouvelle-Espagne est construite sur Tenochtitlán et une des premières constructions est l’édification d’une potence et d’un pilori, lieu de châtiment. Dans le codex Mendocino (1992) (Fig. 50), le tzompantli du Templo Mayor se trouve situé en un point important, et sur les cartes coloniales de villages espagnols, la potence est également située dans un lieu en relation avec l’axis mundi : le centre du village. On peut donc penser que la similitude entre le lieu de sacrifice et le lieu de châtiment ainsi que le partage du même emplacement sont à l’origine des associations faites entre les deux espaces. Les Espagnols et les Mexicas dressent leurs espaces de mort dans des lieux centraux et les utilisent périodiquement pour des cérémonies publiques qui se ressemblent par l’exhibition des restes humains, bien que leurs objectifs soient très différents. Même si la mort sacrificielle indigène et la mort consécutive à un châtiment exécuté par les Espagnols sont une voie d’intégration sociale - dans les deux cas la manifestation de violence et l’exhibition attirent les foules, elles ne sont en rien équivalentes. C’est à partir du déplacement ou de la réutilisation d’une image liée à la violence (le tzompantli) et de la reformulation de sa fonction adaptée à un nouveau contexte, que le tzompantli devient une potence. Et c’est à cause de leur emplacement partagé que les activités qui s’exercent dans les deux lieux se sont amalgamées : le sens de la violence, de la mort et de l’exposition des restes humains a alors changé de propos et de maître. V. 2. Carte de Popotla La carte de Popotla est un exemple singulier de ce qui est dit plus haut. On y voit l’espace de mort. Le lieu de châtiment espagnol implanté sur celui du sacrifice indigène : il se trouve au même endroit, sur la place 1 Michael Taussig dans son livre Shamanism, Colonialism and the Wild Man. A Study in Terror and Healing (1987) parle de « l’espace de mort » et de son importance pour la création d’un signifié et d’une conscience. Il explique que cet espace possède « une grande et riche culture où l’imagination sociale a peuplé son imaginaire d’images métamorphosables du mal et de l’inframonde. Dans la tradition occidentale, Homère, Virgile, la Bible, Dante, El Bosco, l’Inquisition, Rimbaud, Joseph Conrad... ». Dans la tradition américaine originelle : « ...zones de vision, communication entre des êtres terrestres et des êtres surnaturels, putréfaction, mort, renaissance et genèse ». Il ajoute : « avec la Conquête et la colonisation européennes, ces espaces de mort se disputent un endroit commun dont la signification est fondamentale et cela permet que la culture transformatrice du conquistador se relie à la culture du conquis. » L’espace de mort dont parle Taussig est un état physiologique. Pour notre recherche, nous utilisons le terme pour faire référence à un espace en trois dimensions créé par l’homme, à la structure qui lui donne sa forme matérielle.

principale du village. Le partage de la localisation est un facteur déterminant, à l’origine de la fusion matérielle entre l’un et l’autre de telle manière qu’ils se confondent bientôt. Ce plan du village de San Esteban Popotla, qui fait maintenant partie de la ville de Mexico, a été très peu étudié (Fig. 90). Les chercheurs qui y font le plus référence sont Alfonso Caso, Salvador Mateos Higuera et John B. Glass, et nous reprendrons ici leurs notes concernant le Mapa de Popotla (Caso 1947: 315 ; Glass, 1964: 142 ; Mateos Higuera 1944 : 235-237). 2 Sur le plan, on voit un grand canal d’irrigation et plusieurs chemins indiqués par des glyphes préhispaniques, de l’eau ou des empreintes de pieds, des maisons, des temples indigènes à côté desquels de petits personnages sont assis. En haut, deux rangées de guerriers vêtus de peaux d’animaux portent des boucliers et des massues.3 À droite, un groupe d’Indiens importants, sur leurs sièges, dont certains sont désignés par des glyphes. Au centre de la carte, il y a une enceinte carrée avec deux bâtiments avec des portes européennes et une église avec une arche. À côté, une structure que les chercheurs ont identifiée comme un tzompantli (Glass 1964: 142 ; Caso, 1947: 316 ; Mateos Higuera 1944: 235237 ; Galdemar 1988 : 73). On peut comprendre que cette structure soit assimilée à un tzompantli car elle ressemble à celui du Templo Mayor tel qu’il est représenté dans l’ouvrage de Diego Durán et cette similitude confirme l’identification faite par les chercheurs. Formellement, elles sont identiques (Fig. 55) : dans les deux cas, la plateforme basse est plus étroite que la haute palissade de quatre poteaux verticaux qui soutient les crânes. Mais, dans le tzompantli de Popotla, il y a neuf crânes tous enfilés horizontalement par les tempes et regardant vers l’avant, alors que dans celui de Durán, il y en a quatre-vingt-dix-neuf. Il est difficile de comprendre pourquoi l’espace de mort de la carte de la ville de Popotla ressemble au tzompantli représenté dans l’Atlas de Durán. On pourrait penser que le peintre du plan a vu l’Atlas ou d’autres manuscrits liés à l’œuvre du religieux, mais nous ne disposons pas d’informations pour confirmer cette hypothèse. La seule chose que l’on peut donc affirmer est que l’artiste qui a dessiné la carte partageait la même conception du tzompantli que l’artiste de l’Atlas, conception fondée sur 2

La carte originale, aujourd’hui perdue, a été recopiée, selon la légende, pendant le règne du vice-roi Baltasar de Zúñiga, Marqués de Valero (1716-1722). À la demande de frère Joseph Lanciego y Equilaz, moine bénédictin, archevêque de Mexico, on a copié la carte du village de San Esteban Popotla et on l’a donnée avec les papiers à Don Juan Salvador, maire et régisseur, pour qu’il les garde ainsi que ses enfants et ses descendants. On en connaît maintenant quatre copies. Il s’agit des codex Vindobonenses Mexicani n° 2 et 6 de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, de la copie du Musée National d’Anthropologie de México et de la copie de la collection de Federico Gómez Orózco. 3 Il est possible qu’il s’agisse d’une danse. Pendant la Colonie, il était fréquent de trouver dans les célébrations chrétiennes, des danses qui étaient une fusion de danses guerrières indigènes et de celles des Maures et des Chrétiens des Espagnols (Warman 1972). Nous pensons que le 5 septembre 1593, selon ce que dit Chimalpaín (2001 : 48-49), le roi a ordonné des danses sur la place du Volador. Tous les chinampanecas sont venus et ont participé à la danse. Les officiels de Mexico Tlatelolco ont aussi dansé ainsi que les tlacopanecas, sous l’œil admiratif des autorités civiles et des évêques. Un événement similaire est représenté sur le Mapa de Popotla.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels tzompantli. On ne peut donc plus ignorer l’évidence qui contredit ce qui est généralement accepté : sur les deux plans, ce que l’on voit sur la place centrale, à côté du temple chrétien, est une potence/pilori, et dans le cas particulier de la carte de la ville de Popotla, on le représente comme un tzompantli. Cependant, ce serait une erreur de penser qu’il s’agit de la représentation du lieu où l’on exhibait les têtes des sacrifiés à l’époque préhispanique, alors que les restes humains sur la palissade sont les restes de quelques condamnés à l’époque de la colonie. Il faut donc se demander pourquoi l’erreur persiste jusqu’à aujourd’hui. Ce n’est pas parce que le tlacuilo a confondu la potence avec le tzompantli, mais plutôt parce que nous avons oublié les pratiques punitives européennes (Díaz-Plaja 1995: 311-223; Foucault 2003: 77-108; Gonthier 1998: 111-172), pourtant implantées très tôt en NouvelleEspagne, que le tlacuilo représente sur ce plan singulier comme sur d’autres documents dont nous avons déjà parlé. Ces observations conduisent à penser que la structure voisine de l’église et du couvent de San Esteban Popotla, généralement assimilée à un tzompantli, était une potence, c’est-à-dire le lieu de punition espagnol, et à proposer que l’emplacement commun, la forme semblable et l’analogie des restes sur le tzompantli et sur la potence ont contribué à ce que l’on n’arrive plus à les dissocier. Dans le cas présent, il ne s’agit donc pas du lieu où les Indigènes sacrifient, mais de celui où les Espagnols châtient. Il est probable que ce qui est représenté comme un tzompantli n’en soit pas un et que le tlacuilo de la carte de Popotla l’ait représenté ainsi, parce qu’il utilise une convention graphique indigène pour représenter l’espace de mort espagnol. Son insertion n’avait pas pour objectif de caractériser un tzompantli, et cette représentation établit donc un parallèle entre le tzompantli et le lieu de punition des conquistadors. La qualité exceptionnelle du document dérive de la fusion des éléments de tradition indigène et occidentale. C’est un reflet de plus du passage d’une culture qui prônait le tzompantli vers une autre qui construisait potence et pilori. Sur cette carte où les formes et le sens des traditions indigènes et européennes s’entremêlent, le sens originel du tzompantli s’efface et va se définir en fonction des structures qui l’entourent- église et mairie- ce qui lui permet de se transformer en lieu de châtiment des Espagnols. Quand la potence prend une allure très similaire au tzompantli, le sens et la fonction originelle de ce dernier se perdent. Le tzompantli commence alors à avoir le même sens que le lieu de châtiment des Espagnols. Les actes qui se déroulent sur la place et dans les structures qui l’entourent ont des implications sur l’interprétation du signifié du tzompantli et permettent de comprendre comment celui-ci a fusionné avec le concept de châtiment. C’est une approche qui permet de déterminer l’ambivalence entre les deux endroits et de montrer comment un système de violence matérialisé par la potence en remplaça un autre matérialisé par le tzompantli, et comment les conceptions des Indigènes convertis sur les pratiques sacrificielles pratiquées sur le tzompantli avant la Conquête ont été altérées.

un modèle engendré et enregistré par les conquistadors où le râtelier porte de nombreux crânes contrairement à une autre représentation, indigène, où le tzompantli ne porte qu’un ou deux crânes. Si l’on admet que le modèle de tzompantli tel qu’il apparaît sur la carte se base sur la description des conquistadors, il faut se demander pourquoi on le trouve ici. Ceci est un point fondamental de notre discussion dont l’objectif est d’expliquer la fusion entre tzompantli et la potence, entre le lieu de sacrifice et le lieu de châtiment, faisant du premier le lieu où l’on place la tête du condamné. Sur la carte de plan du village de San Esteban Popotla, l’espace de mort se trouve sur la place centrale, à gauche de l’entrée du temple chrétien. Il est cependant difficile de penser qu’au XVIe siècle une église et un tzompantli dans sa forme originale puissent coexister. Les chercheurs nous fournissent quelques explications. Alfonso Caso, par exemple, écrit que la présence du tzompantli sur le plan n’est pas la preuve qu’il en existait encore au XVIe siècle, date d’élaboration du document, mais indique l’endroit où il se serait trouvé (Caso 1947: 316-317). Cela semble logique si l’on pense que le tzompantli n’a pas échappé à la destruction qui a frappé les temples préhispaniques pendant la Conquête, et il est fort probable qu’il n’était plus debout lorsque le plan a été fait.4 La réponse de Caso à la question de savoir pourquoi il y a un râtelier de crânes sur une carte coloniale est intéressante, mais elle n’explique pas pourquoi on la trouve dans ce contexte. Cependant, si l’on assimile la structure voisine de l’église et du couvent de San Esteban Popotla à un échafaud avec une potence sur laquelle on exhibe les restes mortels de condamnés par les Espagnols, on peut dire qu’il ne s’agit pas d’une représentation du lieu où les Indigènes faisaient des sacrifices, mais bien de celui où les Espagnols punissaient. Il est donc probable que ce qui est représenté comme un tzompantli n’en soit pas un, mais que le peintre l’ait représenté ainsi parce qu’il utilise une convention graphique indigène élaborée à partir de la description du lieu de sacrifice indigène par les conquistadors et de la confrontation du lieu de châtiment des Espagnols. Son insertion dans la carte de Popotla n’avait donc pas comme but de représenter un tzompantli, et sa présence autorise un parallèle avec la potence/pilori. Comment devons-nous donc comprendre la carte de Teutenango et celle de Popotla ? Dans le premier exemple, on reconnaît facilement un pilori et une potence qui porte une tête sur la barre transversale et dans le second, on peut identifier le tzompantli - si nous ne tenons pas compte de la façon dont les Espagnols exhibent les parties du corps des condamnés et comment certains chroniqueurs indigènes et espagnols s’y réfèrent. Les têtes sont fixées, clouées ou collées au sommet des poteaux de la potence qui se trouve sur la plateforme, et elles y restent plusieurs jours (Figs. 89 et 90). Cela est très semblable à ce qui se passait à l’époque préhispanique avec les restes humains exhibés sur le 4 Hernán Cortés a fait détruire et nettoyer les temples indigènes de villages dans lesquels il arrivait, comme à Cempoala, pour dresser un autel (Díaz del Castillo 1972 : 87-90).

120

Élaboration symbolique et utilisation de l´espace V. 3. Un lieu pour mourir La plateforme de la potence, l’échafaud au centre de la place de la Nouvelle-Espagne, n’est pas très différente de la base sur laquelle se dressait le tzompantli avant la Conquête.5 Quand les Espagnols édifient un village sur les ruines d’une ancienne cité indigène, ils utilisent les pyramides, les plateformes et les pierres pour construire les nouveaux édifices,6 et ils placent la potence sur le tzompantli au centre du village en utilisant sa plateforme.7 Il est difficile de démontrer cela de façon tangible bien qu’une série d’images élaborées par des peintres indigènes et que nous étudierons maintenant semblent l’indiquer en plaçant la potence sur une plateforme identique à celle du tzompantli. Elles laissent entendre que lorsque les conquistadors et les premiers missionnaires construisent un temple chrétien sur un temple indigène au centre des grandes places, ils bâtissent à côté trois structures importantes pour leur fondation et ils érigent aussi leur lieu de châtiment sur le lieu de sacrifice. Ce qui était une plateforme de sacrifices avant la Conquête s’utilise alors pour supporter la potence et le pilori. Leurs caractéristiques partagées- les deux prennent du sens à travers l’exposition de dépouilles humaines- suppriment leurs différences. Le corps mutilé qualifie les deux endroits tout en les confondant, laissant de côté les disparités substantielles qui caractérisaient chacun, permettant ainsi que l’un prenne la place de l’autre et vice-versa. Leur amalgame physique et symbolique est manifeste dans la carte de Popotla. L’étude de cette fusion entre le lieu du sacrifice et le lieu du châtiment est fondamentale et exige de comprendre les pratiques sacrificielles aussi bien que les pratiques punitives des conquistadors, de les distinguer, et de déterminer les raisons pour lesquelles le tzompantli a été perçu comme un lieu de châtiment dans l’historiographie américaniste. Cette approche conduit à des interprétations sur l’origine de certaines représentations du corps châtié en Nouvelle-Espagne qu’il faut comparer avec les représentations indigènes. L’information présentée est essentielle pour montrer la manière dont des conceptions originales ont été retenues, changées et développées chez les artistes indigènes. Parmi les caractéristiques qui distinguent le tzompantli de la potence et du pilori, il faut signaler leur niveau d’élaboration symbolique, même si après la Conquête, à la suite des fondations espagnoles sur les ruines de villages indigènes, les différences s’estompent. Les Espagnols interprétèrent le tzompantli comme un lieu de châtiment, et il semble que les Indiens convertis finissent par le concevoir de la même manière. Dans les pages suivantes, nous étudierons certaines questions et formulerons certaines propositions sur la façon dont le

peintre indigène représente le lieu de châtiment des Espagnols et pourquoi le tzompantli est repris par le tlacuilo pour représenter la potence. Les implications de cette facette de la recherche révèlent quelques-uns des facteurs qui ont aidé à la transformation du lieu de sacrifice en lieu de châtiment, qui à son tour a induit la théorie de la tête du perdant sur le tzompantli, créant la conception d’une relation entre ce dernier et le tlachtli. Le traitement du corps supplicié sur la potence est semblable au traitement du corps sacrifié sur le tzompantli. Cela est visible dans certains documents coloniaux qui représentent des châtiments exercés par les autorités de Nouvelle-Espagne, en particulier des violences au sommet de la plateforme, et qu’il faut comparer aux actions qui avaient lieu sur la plateforme à l’époque préhispanique. Le codex Tlatelolco (Barlow 1989c vol. 2: 325-358 ; Robertson 1994: 163-166), document peint dans un style qui mélange les traditions graphiques européennes et indigènes, représente une scène de pendaison et une scène de décapitation. Dans le premier cas, sur la plateforme est dressée une potence avec un condamné pendu et dans le second, sur la plateforme dessinée de façon similaire, le bourreau coupe la tête d’un condamné en présence d’autres condamnés (Fig. 91). Nous savons que cette pendaison a eu lieu en 1549, en réponse à un événement lié à l’augmentation du tribut des Indigènes, et que la décapitation est liée à une rébellion dirigée par des Européens en 1551 contre le vice-roi Antonio de Mendoza (Barlow 1989c vol. 2: 338). Dans ce document, les actes violents des Espagnols, c’est-àdire leurs châtiments, sont représentés comme s’ils avaient lieu sur une plateforme, un « échafaud », très similaire à la plateforme du tzompantli. Dans les deux cas, la plateforme possède un escalier central de plusieurs marches avec des rampes de chaque côté. En comparant cette représentation avec celle de la plateforme où furent sacrifiés les Espagnols (Fig. 92), ou avec la base du tzompantli où étaient déposées les têtes des conquistadors et celles de leurs chevaux, représentée dans le codex de Florence (Fig. 66), il semble qu’après la Conquête et l’Évangélisation, et étant donné la nature et la configuration des fondations espagnoles, les Européens font des actes punitifs sur ce qui, à un certain moment, était la base d’un tzompantli. Cette théorie n’est pas originale et elle est née d’une observation de José Corona Núñez qui, dans ses commentaires sur la planche 139 du codex Vaticano Ríos (1964-l967 vol. 2: 298) où est décrite l’exécution de la peine capitale de 1536 en réponse à la rébellion de Noirs au Mexique, spécifie qu’« on voit là la base d’un tzompantli servant de piédestal à la potence.» L’image de ce document et la planche correspondante du codex Telleriano Remensis (1964-1967 : planche 31) montrent, vue de profil, une plateforme avec un escalier et des rampes sur laquelle se dresse un pilori où est accrochée une personne garrottée. Ces images renforcent la théorie selon laquelle les Espagnols utilisaient la plateforme du tzompantli pour procéder à leurs exécutions (Figs. 93 et 94). La planche 15 du tonalámatl Aubin (1981), où le corps décapité de la victime sacrificielle est en haut de la

5 James Lockhart (1999: 595-596) explique que la plateforme du sacrifice au centre de la place n’était pas très différente de la base sur laquelle on a dressé la croix après la Conquête. 6 Les pierres sculptées qui existent encore dans certains édifices de Mexico en sont la preuve. 7 Les restes matériels du tzompantli n’étaient pas uniquement des résidus physiques de pratiques anciennes et ils ont sûrement eu un rôle actif dans la formulation des concepts qui se sont forgés après la Conquête, chez les Indigènes et les métis.

121

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels plateforme (Fig. 95) et la planche 13 du codex Borbonicus (1985), où un échafaudage de bois portant un crâne se trouve sur la plateforme, montrent qu’à l’époque préhispanique, on décapitait et on exposait les restes sur la plateforme,8 mais les rôles de la mort et de l’exhibition étaient tout autre. La différence réside surtout dans le fait que le sacrifice était une offrande, et les restes humains- crânes sur tzompantli, cœurs et sang- un tribut aux dieux permettant la continuité du mouvement cosmique. Le châtiment, lui, est la réponse d’une société à une transgression et l’exposition des parties du corps sur une potence a pour but de freiner les éventuels transgresseurs. La différence de sens entre les deux est donc essentielle. Cependant, leurs similitudes superficielles ont influencé le tlacuilo dans sa perception et sa représentation du lieu de châtiment des Espagnols tel qu’il apparaît dans certains documents du XVIe siècle que nous avons analysés précédemment. En résumé, la plateforme, même sans ses crânes et avec la potence espagnole, est reconnue comme la plateforme d’un tzompantli. On pourrait donc penser qu’elle continuait à être vue par les Indigènes comme une référence ancestrale, l’espace de l’autel des crânes, le lieu du sacrifice et des offrandes et non pas comme l’espace des punitions et des représailles, fonctions que leur culture n’exerçait pas dans cet espace. Cependant, c’est l’inverse qui s’est produit : une fois converti à la foi chrétienne, le conquis et ses descendants assimileront une nouvelle réalité : le tzompantli comme la potence était un lieu de châtiments. Cette théorie explique la présence dans la carte de la ville de Popotla d’un grand tzompantli, et de sa représentation dans d’autres documents de la Nouvelle-Espagne ayant trait aux punitions. Il semble que les artistes indigènes convertis ne partageaient plus les croyances de leurs ancêtres, car ils étaient proches du gouvernement de la Nouvelle-Espagne et de l’Église (Robertson 1994: 3539). Leur intérêt pour la religion préhispanique et ses représentations dépend de l’intérêt et de la lecture orientée des conquistadors et des évangélisateurs. Les étiquettes et les spéculations liées, conçues par les Espagnols pendant la Conquête et l’Évangélisation, remplacent donc les idées originelles qui déterminaient le sens du tzompantli chez les Nahuas, par une nouvelle réalité qui dépend des conceptions occidentales. Ce changement est une facette du processus d’acculturation du Mexique ancien et reflète la manière dont la manifestation publique de la violence corporelle des châtiments espagnols s’est approprié la violence liée aux

sacrifices préhispaniques. L’étude de cet aspect de la société de la Nouvelle-Espagne permet de comprendre le processus de transformation du tzompantli en lieu de châtiment, et aide à expliquer pourquoi, actuellement, on pense que les têtes des condamnés étaient exposées sur le tzompantli. Cette approche permet surtout d’expliquer pourquoi on a suggéré que dans le Mexique ancien, le tzompantli et le tlachtli étaient liés. Elle démontre que les spécialistes qui affirment que les têtes des joueurs de balle vaincus finissaient sur le tzompantli ont mal interprété les différences de concepts sur le châtiment et le sacrifice dans chacun des groupes. V. 4. Le tzompantli pour punir Comprendre comment les Indigènes ont vu et interprété les dépouilles humaines des condamnés à l’époque coloniale et la manière dont ils ont assimilé le rôle de la violence punitive des conquistadors exige une plus ample étude.9 C’est un facteur qui permettrait de mieux comprendre comment le tzompantli et la potence ont fusionné pour devenir l’endroit où est placée la tête des condamnés. Cependant, une analyse plus large considère comment les conquis ont assimilé ces représentations de violence et la manipulation des restes humains des Espagnols.10 On pourrait supposer qu’en représentant le 9

Il faudrait également considérer comment les Indigènes ont compris et assimilé l’arrivée en Nouvelle-Espagne des reliques religieuses et la représentation des drames liturgiques. Les ressemblances entre le rituel indigène et le rituel chrétien espagnol ont permis des confusions, des assimilations et des transformations que les moines évangélisateurs ont rapidement conçu comme une menace, à tel point que, sur les croix des atriums, on ne représentait pas le Christ crucifié, mais les symboles de la passion, comme l’explique Nanda Leonardini (communication personnelle), pour ne pas faire de références directes aux sacrifices préhispaniques. Il semble que les moines ont édité et manipulé certains drames liturgiques où l’on parlait de sacrifice humain ou de décapitation, par exemple l’histoire d’Abraham et d’Isaac, et la vie de Saint Jean-Baptiste (Lockhart 1999 : 569-582; Ekdahl Ravicz 1970 : 8399). Comme le commente Miguel León-Portilla dans son étude de Torquemada (1975 vol. 7: 375), en parlant des représentations du Christ comme une victime, « cette idée comme bien d’autres ont été rapidement captées par les Nahuas néophytes, habitués aux rituels sanglants de leur ancienne religion. » 10 Sur les processions à Mexico, voir Chimalpaín (2001 : 24-25). Pour sa part, López de Cogolludo (1971, vol. 2 : 292-295, 407, 450-451, 615-616) enregistre comment les Indiens du Yucatan ont compris les reliques, comme l’arrivée à Mérida « d’un doigt et d’un morceau de chair » de Saint Diego de Alcalá que les religieux ont présentés dans des reliquaires. Comment ont-ils perçus les premières reliques faites sur le sol américain avec les corps des moines ? Les premières reliques sont celles de Martín de Valencia et de Domingo de Betanzos et nous savons que le doigt de frère Francisco Jiménez, qui répand une bonne odeur, a aussi été utilisé comme relique (Mendieta l97l). Au Yucatan, il y en a eu d’autres. À la mort de frère Pedro Cardete, un des premiers évangélisateurs du Yucatan, son corps est veillé : « ils lui ont enlevé ses habits, chacun essayant d’en prendre un morceau pour en faire une sainte relique. Le corps a été mutilé, car il y avait beaucoup de monde qui voulait lui couper un doigt de pied ou de main et il y avait tellement de sang frais (plusieurs heures après son décès) que ceux qui étaient les plus proches l’ont recueilli dans des tissus, le considérant comme une faveur divine. » À la mort de frère Juan de Orbita en 1629, on assiste à la même scène quand les dévots lui arrachent son habit et le déchirent en morceaux, lui coupent les cheveux, quelques doigts de pieds et de mains et recueillent son sang pour en faire des reliques. De nombreuses autres reliques ont été créées, comme le corps de Bartolomé de Honorato, et vénérées par les religieux espagnols et indiens. Au moment de les enterrer, au petit jour, ils étaient pratiquement en morceaux.». Certaines ont été importées en Espagne (Weckman 1992: 250-259; Starr-LeBeau 2001 vol. 3: 65-66). On peut se demander si le culte du corps des saints chrétiens a été mis sur le même plan que les cérémonies

8 Les plateformes du tzompantli dans les codex de la migration avaient aussi la même base, comme nous l’avons vu dans la première partie. Les images de tzompanli et de tlachtli ne représentent donc pas forcément le monde réel, mais aussi des métaphores, des symboles et, dans une certaine mesure, des croyances dérivées de chacun de ces espaces. Certaines représentations d’un tzompantli ou d’un tlachtli sont réalistes,- puisqu’elles représentent la réalité, comme principalement dans les documents coloniaux élaborés à la demande des religieux (Durán et Sahagún). Par contre, dans les documents coloniaux qui traitent de la migration (codex Mexicanus, codex Boturini), la représentation du tzompantli et du jeu de balle n’est pas réaliste et ils sont représentés en référence à un monde, à des lieux où se sont déroulés des événements importants, y compris mythiques.

122

Élaboration symbolique et utilisation de l´espace démons de l’enfer (Estrada de Gerlero 1978: 71-88 ; Artigas 1984 ; Ballesteros 1999). Ces deux chapelles offrent le même programme pictural élaboré par des équipes de tlacuilos.11 Ces peintures murales représentent certains passages de caractère doctrinal, en particulier d’éloquentes scènes infernales avec des tortures démoniaques (Fig. 96). Á Xoxoteco, sur un des murs latéraux de la chapelle, on écorche un condamné, un autre est pendu à une palissade et d’autres encore sont torturés et attachés à un arbre. Dans une autre scène, les démons, une hache à la main, équarrissent un condamné. À côté, il y a deux échafaudages simples formés par trois bâtons où sont exposés des restes humains : des viscères et des membres humains pendent de l’un et de l’autre, mais on remarque surtout qu’au sommet du bâton transversal, il y a deux têtes coupées, l’une d’un Indigène, l’autre d’un Espagnol. Dans la chapelle d’Actopan, la même scène se répète avec quelques différences. L’échafaudage est similaire à celui de Xoxoteco, des fragments de corps humain pendent de la poutre transversale, mais il y a une seule tête, celle d’un Indigène (Ballesteros 1999 : 60 et 69). Elena Estrada de Gerlero (1978 : 81-82) signale que quelques scènes des peintures murales semblent faire allusion à l’anthropophagie rituelle du monde préhispanique : « elles représentent une série de démons en train d’éviscérer et d’équarrir des corps humains sur une table de boucher, de peser les parties dans une balance et d’accrocher les jambes, les bras, les viscères et les têtes à un crochet de boucher ». Elle remarque que les cadavres y sont représentés comme « des jambons enveloppés dans une toile ». Gerlero souligne que cette image de l’armature soutenant les dépouilles sur la traverse est très similaire à celle des ateliers de Théodore De Bry qui illustre l’ouvrage de Bartolomé de las Casas, La Destrucción de las Indias, et où sont représentées les pratiques anthropophages (Estrada de Gerlero 1978 : 8182). Elle suggère que le mural et la gravure proviennent de la même source. Comme on l’a déjà mentionné, le tzompantli ou la structure qui porte les dépouilles ont fréquemment été interprétés comme une sorte de garde-manger indigène et, dans le cas présent, cette théorie semble répéter les conceptions de l’anthropophagie/cannibalisme qui sont apparues au moment de la Découverte. Cependant, il est nécessaire de comprendre pourquoi cette structure qui porte des dépouilles avec des têtes au sommet, se retrouve dans les scènes des chapelles Augustines.12 Cette

lieu de châtiment des Espagnols de la même façon que l’ancien lieu de sacrifice, les Indigènes convertis se sont convaincus que le tzompantli était idolâtre et ont pu facilement l’assimiler à un espace de punition. En d’autres termes, ils partageaient les notions européennes selon lesquelles l’exhibition de dépouilles humaines sur un râtelier n’était pas liée au sacrifice. L’artiste indigène une fois évangélisé ne peut que qualifier le tzompantli de néfaste et de diabolique, ce qui permet de le comparer à la potence qui était également vue comme quelque chose de mauvais. Converti à la foi catholique, il ne peut juger le tzompantli, qui à la fin du XVIe siècle a acquis une nouvelle réalité, que comme une incarnation du mal. C’est la raison pour laquelle on le trouve en enfer gardé par le diable. Sa présence au centre du village espagnol dans la carte de Popotla ou sur les murs des chapelles, comme nous le verrons plus loin, indique que, dans le programme visuel de la NouvelleEspagne conçu par des artistes indigènes, le tzompantli prend une nouvelle signification. Dans un nouveau discours lié à de nouvelles croyances religieuses, le tzompantli, lieu de sacrifice par excellence, se transforme en potence, lieu de châtiment. Le tzompantli, la plateforme et les dépouilles humaines qui s’y trouvent ont donc été utilisés selon l’époque pour entériner des pouvoirs différents : l’image du tzompantli acquiert une nouvelle fonction dans le nouvel ordre culturel créé par les Européens qui lui attribuent un sens très éloigné de celui qu’il avait avant la Conquête. En adoptant les valeurs espagnoles, les Indiens convertis modifient leur façon de comprendre le tzompantli et le considèrent néfaste, comme la potence. Cette transformation est également perceptible dans d’autres cas. Prenons l’exemple du temple de Tlillán dans l’enceinte de Tenochtitlán, lieu d’adoration antérieur à la Conquête, qui quelques années plus tard devient « la maison du diable, à cause des nombreuses idoles de pierre de toutes sortes qu’il contenait ». Le lieu devient un lieu d’horreur pour les Indigènes convertis, et les jeunes n’osent plus y entrer « à cause du nom qu’on lui avait donné : la maison du diable … » (Durán 1984 vol 1: 131). Á la fin du XVIe siècle, le tzompantli, comme le temple de Tlillán où se déroulaient des cérémonies liées aux dieux dans la vingtaine Huey Tecuilhuitl, est perçu d’une autre façon. Il acquiert une place importante dans le contexte de la Nouvelle-Espagne et est relié à des conceptions de punitions civiles comme nous l’avons vu dans la carte de Popotla. On le retrouve aussi dans le contexte du châtiment et de la rétribution divine, comme instrument de mortification et de tourment. Sur les peintures murales des chapelles ouvertes de deux fondations augustines, San Nicolás de Tolentino de Actopan et Santa María Xoxoteco, État d’Hidalgo, il est représenté comme un des châtiments réalisés par les

11 Estrada de Gerlero (1978 : 75) signale que les murs de ces deux chapelles prouvent l’existence d’un même programme de base, exécuté par les mêmes mains. 12 L’idée la plus répandue est que les tortures du diable en enfer sont semblables à celles de la cuisine cannibale, mais on a dit aussi que certaines actions du diable ont été inspirées par les pratiques cannibales américaines. Il existe des études qui font référence à la transmission des caractéristiques des Cannibales américains au diable et qui expliquent que la tradition de l’homme sauvage, dont les caractéristiques sont semblables à celles du sauvage américain, est une source d’inspiration importante pour représenter le diable. Luther Link (1995 : 51-52) démontre qu’à partir du XIe siècle, l’idée de l’homme sauvage (wild man) apparaît en art et en littérature. Au XVe siècle, l’image de l’homme sauvage change et devient une vision de noble sauvage. Cette idée est confirmée par la rencontre des « sauvages » du Nouveau Monde. Souvent, on représente les Cannibales et autres sauvages

indigènes antérieures à la Conquête où l’on manipulait des restes humains. La coutume d’obtenir des morceaux de saints est semblable aux cérémonies de Tlacaxipehualiztli où l’on tentait de pincer le xipeme et à la coutume de conserver l’os du fémur des captifs (Sahagún 19501982 vol. 2 : 47-60). Il est important de mentionner les références aux reliques, considérées comme les restes d’un dieu, d’un héros ou d’une personne à laquelle on attribue des pouvoirs protecteurs ou curatifs.

123

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels hypothèse n’explique pas clairement leur présence.13. Mais si l’on admet que ces scènes font allusion aux pratiques sacrificielles du monde préhispanique car on y voit des restes humains portés par une armature assimilée à un tzompantli transformé en potence, l’explication est alors que le tzompantli est devenu un lieu de châtiment. Dans ces deux ensembles de peintures murales, les dépouilles des condamnés qui sont aux mains des démons sont représentées de la même manière que celles qui sont exhibées après l’exécution : les têtes sont sur la potence. Cela se comprend quand on sait que montrer la tête des condamnés en haut de la potence est la manière indigène d’indiquer les punitions européennes de la NouvelleEspagne. Ils utilisent donc une conception du lieu de châtiment similaire à celle qui se trouve dans les cartes de Teotenango et de Popotla. Le lieu de châtiment des Espagnols est représenté comme le lieu de sacrifice des Indigènes qui à son tour est représenté comme lieu de châtiment. Souvenons-nous de la façon dont est représenté le tzompantli sur un des paravents de la Conquête. Sur la place de Teotenango ou en enfer, sur les murs des chapelles, sa forme est analogue. Les échafaudages d’où pendent des dépouilles et des têtes coupées sont, dans leur ensemble, très semblables aux tzompantli, comme nous pouvons le voir au centre de la place de San Esteban Popotla. On peut donc se demander avec certains chercheurs, en particulier Juan Benito Artigas (1984 : 86), si ce qui est dressé en enfer, comme à Actopan et à Santa Marta Xoxoteco, est une potence ou un tzompantli et proposer que les peintures des deux chapelles Augustines représentent l’enfer avec une potence symbolisée par un tzompantli. Cette présence dans les chapelles Augustines reflète le changement qui se produit chez les Indigènes convertis et les artistes indigènes face au lieu où, avant la Conquête, on exposait les dépouilles des victimes des sacrifices.14 Déterminer la source d’inspiration de chacun des éléments représentés sur les peintures de ces chapelles sort du cadre de notre recherche,15 mais il est facile

d’identifier que certains des châtiments administrés par les démons, comme l’écorchage, la torture avec des pinces, la table de boucher et le chaudron sont associés aux martyres des saints (Estrada de Gerlero 1978: 81; Link 1995: 119, 136). Il est aussi évident qu’ils sont représentés de la même façon que les tortures des âmes perdues et que leur origine se trouve dans des modèles européens16 où elles sont très courantes.17 Par exemple dans « Le jugement dernier» de Fra Angelico (14311435), et dans l’œuvre de Giotto (1304-1313) sur le même thème,18 où l’on trouve des personnes sur un gril, un condamné attaché à deux pieux que l’on coupe en deux, des condamnés pendus aux branches d’un arbre et maintenus par un crochet ou par les cheveux. Cependant, dans les scènes de tortures infernales européennes celles-ci et beaucoup d’autres – la potence c’est-à-dire l’équivalent de la structure identifiée à Xoxoteco et à Actopan comme un tzompantli, n’est pas représentée (Artigas 1984: 86 ; Estrada de Gerlero 1978: 80-81). Dans ces exemples européens, la branche d’un arbre est un instrument de torture où sont accrochés des pendus et les corps suppliciés. La potence n’est pas souvent représentée ou mentionnée dans les peintures, gravures et descriptions du purgatoire, mais il existe cependant quelques exemples comme une gravure française du XVe siècle,19 où trois personnes sont pendues à la potence par représentation de Lucie, le personnage central de la pièce « Le Jugement dernier » dont le thème principal est de promouvoir le sacrement du mariage chez les Indiens convertis et de condamner l’union libre (Ekdahl Ravicz 1970 : 141-157, 250, n°10). L’utilisation du serpent comme symbole a une double connotation pour un public indigène auquel on inculque le christianisme. Dans la pensée chrétienne, le serpent est lié à la tentation, la méchanceté et l’échec humain. Pour l’homme préhispanique, le serpent était le symbole le plus puissant du courage et sa signification, positive. Il était donc important pour les évangélisateurs de mettre le serpent dans son contexte chrétien, celui du mal, et d’éviter toute adoration à son égard. 16 Estrada de Gerlero (1978 : 80) trouve que les racines médiévales des scènes de l’enfer et la représentation des démons semblent provenir de modèles allemands, flamands et hollandais de la deuxième moitié du XVe siècle, comme ceux que l’on trouve sur les gravures et les estampes du Jugement dernier et de l’art de la bonne mort. Elle affirme que dans la « Doctrine chrétienne en langue huastèque » du moine augustin Juan de la Cruz, dans le Codex de Florence de Sahagún et dans la chapelle d’Actopan, les représentations du diable ressemblent aux exemples européens. Elle mentionne aussi les scènes de tortures diaboliques dans la Rhetórica christiana de Diego Valadés et pense qu’elles ont été la source d’inspiration de ces scènes ou bien que les deux (gravures de Valadés et peinture de la chapelle) ont une source commune. 17 Le fait que l’on pèse dans la balance les morceaux de viande comme dans une boucherie peut être rattaché à la conception chrétienne de peser les âmes au Jugement. Link (1995 : 115-116) écrit au sujet de la pesée des âmes. 18 Luther Link (1995 : 114, 118-119, 129) écrit qu’à la fin du XIe siècle, dans les scènes de purgatoire, le diable et les démons sont ceux qui torturent les condamnés alors que dans les exemples antérieurs, ce sont les anges qui le font. L’auteur signale que les scènes de torture du Jugement dernier se retrouvent dans plusieurs ouvrages : l’œuvre de Giotto et de Fra Angelico, et d´autres exemples : l’œuvre de Gislebertus de 1130, de Michelangelo de 1500, le Winchester Psalter de 1150, Misal de Rafael Destorrents de 1403, Mosaïque de Torcello. Link explique qu’à la Renaissance, on cesse de représenter le Jugement dernier (Link 1995 : 99, 103, 121, 127, 134, 146, 147, 149, 159). 19 L’image est prise dans Víctor Manuel Ballesteros García (1999). C’est l’unique exemple et il sera sûrement nécessaire de réviser de nombreux documents, peintures et gravures de l’enfer pour confirmer cette observation. Une révision sommaire de The Illustrated Bartsch (1971 vols. 8-19, 80-87, 90,161-165) permet d’observer que ce n’est pas

américains ainsi que les diables, le corps couvert de poils ou vêtus de fourrures. On a donc fini par classer les Indiens américains dans les hommes sauvages. On peut penser, bien qu’une étude supplémentaire soit nécessaire, que la rencontre avec les sauvages américains a permis la transmission des caractéristiques du diable aux Cannibales et, comme on peut le voir sur les peintures murales de Xoxoteco et Actopan, que les pratiques cannibales soient adoptées par les diables. 13 C’est une proposition qui en tout cas laisse de côté le fait que, comme le dit Link (1995 : 91, 114, 135), à partir du XIe siècle, le diable et les démons sont représentés dévorant le corps des condamnés. On en trouve une représentation sur la mosaïque de Torcello en Italie et sur une peinture de Giotto du Jugement dernier. 14 À l’époque préhispanique, on montre sur le tzompantli la tête-crâne de la victime sacrifiée, mais les viscères n’y sont pas accrochés. Leur présence peut s’expliquer à travers la proposition de Cecilia Klein (1990-1991: 85-86). Dans la pensée mexicaine préhispanique, les viscères et les intestins sont liés à la représentation de la transgression et sont associés au châtiment. On peut donc penser que dans ce cas, les viscères accrochés à la structure jouent ce rôle. 15 Il faut préciser que sur ces peintures murales, principalement à Actopan, on voit à trois reprises une figure féminine, à la peau foncée, nue et qu’un serpent enlace. On pourrait penser qu’il s’agit de Cihuacoatl, une déesse préhispanique, mais cette hypothèse est à éliminer, car elle est présentée comme une âme torturée (Estrada de Gerlero 1978 : 78, 81). Si l’on regarde cette scène en songeant aux représentations théâtrales des moines, on peut l’interpréter comme une

124

Élaboration symbolique et utilisation de l´espace qui est de savoir pourquoi on représente le tzompantli en enfer au milieu des instruments de torture? La réponse est la même que celle qui explique sa présence dans les cartes de Popotla et de Teotenango. Les peintures dans les chapelles et sur les cartes sont supervisées par les Espagnols, si bien que le plan général et la composition sont à première vue européens, même si, dans ces exemples, il est probable que les tlacuilos aient incorporé certains éléments préhispaniques, comme le tzompantli, qui reflètent leurs propres traditions. On peut donc penser que dessiner la potence en y incorporant des éléments du tzompantli est, de leur part, une décision consciente qui correspond à un changement de sens du tzompantli et de la fonction des dépouilles humaines qui y sont accrochées. C’est le reflet de l’appropriation d’un discours novo hispanique, dans les termes des Indigènes évangélisés, et c’est la preuve d’une nouvelle conception d’un aspect fondamental de leur culture, élaborée par les conquis : le traitement et l’exposition du corps condamné.22 Les exemples montrent comment le tzompantli et les expressions qui y sont liés se sont imprégnés des idées chrétiennes et incorporés à leurs postulats, une fois qu’il a été admis que les dépouilles sont la preuve du châtiment. Le tzompantli ressemble à la potence, et l’amalgame entre les deux est dû à ce qu’à la fin du XVIe siècle, il acquiert un autre sens que le fidèle identifie facilement au mal. Comme dans les cartes, il occupe la place de la potence et il est présenté comme un instrument de torture dans les scènes de l’enfer. On assiste à une réutilisation et un sacrificiels indigènes, recyclage d’éléments spécifiquement mexica, pour représenter la réalité novo hispanique. La sélection est fondée au départ sur des pratiques sacrificielles préhispaniques qui étaient très similaires aux pratiques de punition et de torture espagnoles. Une fois le tzompantli transformé en potence, il devient l’endroit idéal pour exécuter et exhiber les châtiments européens, ceux que l’on subissait dans la vie et dans la mort. La forme et l’emplacement partagés, les ressemblances des spectacles des dépouilles exhibées publiquement sont fondamentaux dans la conception du lieu de châtiment des Espagnols, tel que les tlacuilos l’ont dessiné. Les deux espaces n’avaient pas été analysés jusqu’à maintenant de manière systématique et en général n’étaient pas différenciés dans les études sur des thèmes voisins. L’analyse comparative a permis de déterminer différents aspects de l’espace de mort de chacun des groupes et explique en partie pourquoi les actes violents, qui s’y déroulaient à l’époque préhispanique comme à l’époque coloniale, se confondent. Elle permet aussi d’évaluer le rôle joué par la violence et l’exposition des parties du corps humain dans chacun des cas, et comment ce fait a été accepté de façon réciproque par chaque groupe. L’étude comparative montre comment chacun interprète la violence de l’autre et comment le tzompantli est dépossédé de son identité et de sa spécificité,

une corde. On peut ajouter à cet exemple européen, l’exemple américain fondé sur des modèles européens et conçu par Diego Valadés dans sa Rhetórica christiana (1989) : dans la partie inférieure de la gravure, là où les démons soumettent les pécheurs à divers supplices, se trouve une potence avec un corps (Fig. 97). On peut penser que les modèles utilisés pour concevoir les peintures murales de ces chapelles ont leurs racines dans les scènes infernales médiévales, mais Estrada de Gerlero fait remarquer que la représentation de la chapelle d’Actopan a des analogies avec les gravures de Diego Valadés. Elle suggère que ces gravures constituent la source d’inspiration de ces scènes ou qu’elles procèdent d’une source commune (Estrada de Gerlero 1978 : 80). Malgré les similitudes permettant de déterminer que, dans ces scènes d’enfer, la potence est représentée suivant des modèles européens, l’absence de pendus accrochés à la structure et la présence de viscères et de têtes fixées au sommet permet d’établir un parallèle entre la potence et le tzompantli devenu potence. Trouver la potence en enfer est peut-être dû au fait que le purgatoire, où le diable et les démons punissent et torturent, est pourvu des outils de l’Inquisition et du châtiment judiciaire, comme le montre une gravure « Instruments de châtiments » de 1516 où l’on voit la potence et un crochet entre autres instruments de supplice.20 De cette manière, elle s’insère dans les conceptions du châtiment du purgatoire,21 et devient un élément clé pour que le tzompantli se transforme en lieu de punition. En dessinant la potence comme un tzompantli, on l’insère dans une vision du monde et de la mort qui contraste avec l’orientation des croyances indigènes antérieures à la Conquête. La sélection de tortures et de punitions représentées dans ces chapelles est probablement fondée sur le souvenir de croyances et de pratiques indigènes qui, pour avoir des points communs avec la tradition européenne de la torture, se sont adaptées à la vision chrétienne et évangélisatrice de l’enfer (Klein 1990-1991 : 90). La similitude entre le tzompantli et la potence a permis que ces deux espaces se confondent et que le tzompantli devienne l’incarnation du mal et prenne un nouveau sens, inséré dans une nouvelle réalité et que la potence s’approprie certains des aspects du tzompantli. Pour terminer, il nous faut répondre à la question initiale une structure que l’on trouve sur les gravures. Il faut également parler des références à la potence de l’Ancien Testament comme le fait Martin Monestier (2000 : 247). Un exemple permettant de visualiser la potence se trouve dans « Exécution des conjurés », qui représente l’exécution de Thomas de Marle, dans Grandes Chroniques de France, France XIVe siècle. 20 Voir Link 1995 : 81-119, 136, fig. 32 et 39 et The Illustrated Bartsch 1971 vol. 113 : 009 (a). Dans les représentations médiévales de l’enfer et à la Renaissance, on trouve souvent des crânes, des têtes, et des extrémités détachées du corps, mais elles ne sont pas suspendues à un bâton ou à une poutre de la structure de bois de la potence (Klein 19901991). Il faut signaler que, dans l’oeuvre « le Jugement dernier », l’image de l’enfer est très semblable à ce qui est représenté dans les chapelles : le lieu du châtiment éternel avec les instruments de torture (Voir les commentaires sur ce sujet dans Ekdahl Ravicz 1970 : 156). 21 Comme nous l’avons dit en présentant les coutumes funéraires des anciens Mexicains, les Indigènes n’avaient pas la notion du châtiment divin et selon la façon dont on mourrait, on allait dans des lieux différents.

22

Comme d’autres manifestations artistiques des Indigènes, dessins et chants qui apparaissent lors de la conquête spirituelle, quand les signes de la culture ancienne resurgissent et sont acceptés par les moines (León-Portilla 1985: 55-61). On trouve dans les peintures des chapelles, des tzompantli devenus potence au service de la conversion.

125

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels second exemple dans le Lienzo de Chiepetlán. Sur ce document historico-géographique du centre du Mexique daté du XVIe siècle ou du début du XVIIe, un personnage est pendu à un arbre par une corde (Jiménez et Villela 1998 : 44-45 et 143), ce qui prouve que lorsque l’on pendait à l’époque préhispanique, ce n’était pas à une potence, mais à un arbre. Les Indigènes ne connaissaient donc pas la potence et ne concevaient pas la pendaison comme un châtiment, mais ils y sont rapidement confrontés lorsqu’ils sont soumis aux punitions des Espagnols. On trouve fréquemment dans les documents de tradition indigène élaborés après la Conquête, des représentations de potence avec des personnes accrochées, pendues par les Espagnols. L’implantation de cette structure a une répercussion significative sur la pensée des Indigènes et sa présence est comprise comme une forme de mort liée au châtiment et à la transgression, à tel point qu’elle est incorporée aux annales historiques qui relatent des faits antérieurs à la Conquête. On trouve un exemple singulier dans le codex Xicotepec,25 exécuté entre 1564 et 1576 par Don Miguel de Ávila, peintre de langue nahuatl. Une potence a été ajoutée à l’image d’un personnage condamné à mort en 1502 ou 1503. La scène se réfère au châtiment de Huexotzíncatl, fils de Netzahualpilli, roi de Texcoco, condamné à être étranglé pour avoir fait la cour à une des femmes de son père. Le personnage, assis à la manière préhispanique sur un fauteuil de cuir (symbole de son niveau social élevé), est coincé dans la structure d’une potence : une corde accrochée à la barre transversale est passée autour de son cou (Fig. 98). L’image est un montage : le châtiment préhispanique est représenté comme un châtiment espagnol, et il semble que l’auteur du codex ait été inspiré par la potence (Stresser-Péan 1995: 132). Huexotzíncatl est bien mort étranglé, cependant son châtiment est représenté comme s’il s’agissait d’un châtiment infligé par les Espagnols, car à l’époque coloniale, la pendaison à une potence était infligée aux Indigènes. Cette image confirme-t-elle l’observation de Durán ? La potence et le pilori n’étaient pas connus de l’homme indigène avant l’arrivée des Espagnols, et pour l’introduire dans les annales historiques, il a dû apprendre à le représenter et à le nommer. Le fait d’inscrire ces deux instruments de torture dans les annales et les registres indigènes correspond à un exercice de description de la nouvelle réalité qui implique la création de nouveaux mots et la réinterprétation de certaines choses. Les artistes indigènes ont donc dû chercher un modèle pour représenter quelque chose qui leur était inconnu. Il est possible que l’un d’entre eux ait eu recours aux modèles européens de potence ou de pilori que les moines leur montraient,26 ou ait visité une place où très

devenant un lieu de châtiment comme la potence. En d’autres termes, la potence commence là où finit le tzompantli et ils deviennent semblables. L’étude de cette transformation montre que la forme et le signifié du tzompantli se sont séparés pour se réunir dans d’autres combinaisons, et être liés au châtiment. V.5. Les Mexicas connaissaient-ils la potence ? La fusion du tzompantli et de la potence a permis aux tlacuilos de la carte de Popotla et de la carte de Teotenango ainsi qu’aux peintres des muraux des chapelles d’Actopan et de Santa Maria Xoxotepec de représenter quelque chose qui leur était inconnu : la potence. Sa présence dans ce contexte est révélatrice d’une nouvelle vision, d’un nouvel ordre social avec ses normes et ses conventions. Il faut rappeler qu’à l’époque préhispanique, la décapitation n’était pas une punition et que chez les Mexicas, ce n’était pas la réponse à un crime, pas plus que le tzompantli. Á cette époque, on n’exécutait pas les condamnés à mort de la même manière que les sacrifiés dont la tête était placée sur le tzompantli.23 La mort du condamné, comme chez les Espagnols, permettait de rendre la justice, de faire un exemple et de corriger. Chez les Mexicas, les sanctions se réalisaient aussi en public : lapidation, écartèlement, bûcher et strangulation. La potence était un appareil inconnu, même s’il existait la peine de mort par strangulation. Comme dit Diego Durán (1984 vol. 1 :184) « certains affirment qu’ils avaient une potence où ils pendaient les délinquants », mais malgré toutes ses recherches, il n’a pas trouvé de traces de ce mode de châtiment. Cela veut dire que les pendaisons devaient se faire aux arbres et que ce n’était pas forcément un châtiment. Il en existe un exemple sur le mural de Mulchik, Yucatán, site maya de l’époque Classique. Sur le mural de « La bataille », on voit une personne pendue à un arbre par une corde, et un autre personnage mis à mort par strangulation.24 On trouve un 23

Cela suscite une importante discussion pour déterminer la différence entre les perceptions indigènes et espagnoles face à la mort par sacrifice ou la mort comme châtiment. Certains évènements liés à la rencontre de Cortés avec des gouvernants indigènes nous en parlent. Il faudrait également étudier la discussion entre Cortés et Moctezuma et celle du conquistador avec le gros Cacique, quand ils parlent de punition et de sacrifice des prisonniers. 24 Les peintures murales datent de 770 à 925 apr. J.C. La scène est sur le mur de l’unique pièce de la structure A de Mukchik et fait partie d’une scène plus grande où le gouvernant voit comment on sacrifie les autres prisonniers par lapidation. D’une façon générale, il est dit que les morts par lapidation ou pendaison correspondent à des sacrifices de prisonniers de guerre. Cependant, il faut ajouter que certains soutiennent que ce sont des punitions, même si rien ne vient étayer cette hypothèse de Rachel E. Walters et Jeff Karl Kowalski (2000 : 211-212) qui pensent qu’il s’agit de l‘exécution de criminels. Ils pensent que les victimes représentées sur les peintures murales de Mulchik sont bien des prisonniers de guerre, mais que ce sont des opposants condamnés pour avoir défié l’État. Les victimes sont sacrifiées aux dieux et l’on ne peut donc pas les classer comme délinquants et l’on ne peut considérer qu’il s’agit d’un châtiment. Les propositions de ce type confondent sacrifices et châtiment, ce qui a favorisé le glissement et la confusion entre pratiques sacrificielles et pratiques punitives. En général, chez les Mayas, la pendaison est liée au suicide. Dans le codex Dresden, planche 53, on représente la déesse maya Ixtab, manifestation de la déesse lunaire, étranglée par une corde qui pend d’une bande céleste (Thompson 1988: 176 et 186). Concernant cette déesse, Diego de Landa, (1973 : 60) dit : « ceux qui se pendaient allaient dans un lieu

appelé mitral ce qui veut dire l’enfer. La déesse Ixtab, la déesse de la potence les y conduisait. … ». 25 Codex Xicotepec 1995 section 19. On trouve d’autres exemples dans Barlow 1989b vol. 2 : 284 et dans le codex Vaticano Latíno 1964-1967 vol.3 : 290 planche 135. 26 Mundy 1996: 77. Bien que les artistes indigènes aient eu accès à des estampes et à des peintures européennes, et que la potence soit représentée dans le Martyre des Saints et dans l’Ancien Testament, une

126

Élaboration symbolique et utilisation de l´espace Les Indigènes, obligés de représenter la potence et le pilori, ont également dû les nommer, et la création de nouveaux termes est un autre facteur qui a conduit à l’amalgame. La potence, le lieu où l’on pend, est appelée et le pilori « tepinauhtiloyan « tepiloloyan » tepinauhtilizmomoztli ». Cependant, d’autres termes étaient également employés. Le Vocabulaire d’Alonso Molina (1977) enregistre les mots « tepiloloyan : lieu où l’on pend »; « tepiloloni et tepilolquauitl : la potence, le bâton ou l’on pend quelqu’un », et « temecanil quauitl : la potence, le bâton l’échafaud où l’on pend quelques-uns ». Les termes « tepiloliztli et temecaniliztli » qui font référence à la mort par strangulation ou par pendaison s´utilisent aussi.29 Il sera donc difficile de faire la différence entre les deux structures introduites au Mexique par les Espagnols et entre les termes utilisés pour les désigner. Il y a d’une part le pilori où l’on étrangle avec une corde, et d’autre part la potence où l’on tue par pendaison. Il faut ajouter que dans les récits de Chimalpaín (2000 : 296299, 330-331, 400-401), on emploie le terme tepilolcuauhticpa et le terme tepilolcuauhtitech, que les traducteurs appellent poteau, perche en bois, potence ou arbre.30 Les narrations de Chimalpaín nous ont déjà obligé à parle plus précisément de cette traduction et de ses implications, du fait qu’il concède une relation entre le tzompantli, l’arbre et la potence, qui paraît rester dans la traductibilité,31 et la signification du terme « gallows

probablement il y avait une potence près de l’église, à la vue de tous, sur la plateforme où il y avait eu autrefois un tzompantli. Cependant, cela n’explique pas vraiment pourquoi le lieu de châtiment est représenté de la même façon que le lieu du sacrifice sur une série de plans, sur les murs des chapelles augustines, toujours au même endroit et selon la même distribution. On peut penser que le peintre, n’ayant pas accès au modèle européen de potence/pilori, représente le lieu de châtiment des Espagnols en s’inspirant de ce qui lui ressemble le plus, c’est-à-dire comme un tzompantli, ou ce que nous appellerons ici un tzompantli transformé en potence. De plus, on sait que les moines employaient les vieux tlacuilos pour former les jeunes peintres indigènes : il est donc possible qu’ils leur aient transmis des modèles préhispaniques 27 (Mundy 1996: 76-84 ; Robertson 1994 : 34-58). Cette hypothèse est contredite par certaines représentations des tzompantli, dont nous avons parlé dans la première partie de ce travail, qui suivent le modèle ancien tel qu’il est reproduit dans les codex sur la migration : une plateforme avec une simple armature portant un ou deux crânes. Cependant, il est possible que le tlacuilo responsable de la représentation du tzompantli/potence dans les documents coloniaux et en particulier dans la carte de la ville de Popotla, ne connaissant pas son sujet, ait eu recours à un modèle conçu par un autre tlacuilo à partir des descriptions du tzompantli faites par les conquistadors qui l’avaient interprété comme un lieu de châtiment. En tout cas, il semble que la méconnaissance de la potence et du pilori, appareils introduits par les Espagnols à leur arrivée, ainsi que les ressemblances apparentes entre les deux lieux (tzompantli et potence) où se déroulait la mise à mort pour les deux groupes, ont transformé la représentation du tzompantli qui a pris une nouvelle signification et un nouveau contenu. Dans notre exemple, sa présence indique une fonction ambivalente déterminée par la communauté qui l’implante et par celle qui la reçoit.28

« indeterminacy » (indétermination), pour démontrer que le document réunit les deux discours (indigène et espagnol). Ainsi le lecteur élabore son propre sens et signification (Ingarden 1979: 35-53). 29 Molina l977: 72, 96, 98, 103. Tepilolquauitl : gibet, potence à laquelle on pend les gens. te - pilo(a) l (li) – quauitl : gens - pendre - pieu/arbre. tepilolquauitl-tepiloloni : bois qui sert à pendre par suspension. Tepiloliztli : l’action de pendre. Temecanilquauitl : pilori. te - mecatl - quauitl : pieu où est accroché la corde. Temecanilquauitl : bois servant à pendre avec une corde. Temecanil : action de pendre. 30 Voir la traduction du terme par Silvia Rendón (Chimalpaín 1992:263), Rafael Tena (Chimalpaín 1998 vol. 2 : 207) et García Quintana (Chimalpaín 2003 : 263). 31 On trouve une situation similaire dans les diverses versions et traductions (anglais, français, espagnol et italien) du terme hébreu, pour désigner le lieu où l’on pend les condamnés. Dans le Deutéronome (21 : 22 – 23), où se trouvent les lois sur les cadavres des condamnés, on peut lire : « lorsque l’homme commet le délit de mort, il est puni de mort et pendu à un ___, son cadavre ne doit pas rester pendu à ___ ». Dans les espaces en blanc, on trouve les mots arbre ou pieu ou bois qui semblent être les mots les plus appropriés, surtout parce que parfois on trouve potence ou échafaud. Voir http://www.biblegateway.com pour comparer les versions. Dans le Nouveau Testament (Mathieu 27 : 3-5), il est dit que Judas se pend, mais on ne dit pas où, même si traditionnellement on considère qu’il se pend à un arbre. La sorte d’arbre mise en cause est variable. On parle parfois de l’arbre de Judée (Redbud, Cercis siliquastrum), probablement parce que c’est un arbre originaire de la région. On parle parfois du sureau (Sambucus nigra). Il est dit que c’est un arbre maudit, parce que Judas s’y est pendu et que la croix du Christ était faite avec ce bois (elder ou alder tree). De toute façon, l’arbre dépend du lieu où se passe l’action, et lors des reconstitutions de la crucifixion de la Semaine Sainte à Iztapalapa, Mexique, Judas se pend à un Pirul (Schinus molle) un arbre commun dans la région. Ces thèmes dépassent le cadre de cette étude et il s’agit simplement de confirmer l’hypothèse que l’arbre servait de potence. Au Mexique, en général on considère que l’arbre où s’est pendu Judas est un ficus (Ficus carica) et que, pour cette raison, cet arbre ne donne pas de fruits. On dit aussi en Allemagne que l’arbre où Judas s’est pendu est un chêne. Cette

révision rapide des gravures européennes du XVIe siècle montre la potence avec des individus pendus par les bras ou par le cou à une corde. Jusqu’à maintenant, on n’a pas trouvé de potence, échafaud, avec une tête posée sur l’axe transversal de la structure (The Illustrated Bartsch 1971 vols. 8-19, 80-87, 90,161-165). Voir aussi Mitchell Meback 1998 et Nicole Gonthier 1989 : 96-97. Il est impossible de savoir si de telles images étaient connues en Nouvelle-Espagne. Il existe quelques exemples de potence dans l’art médiéval et de la Renaissance qui sont représentatifs. Ils répondent au système de pensée de la potence. On trouve d’autres exemples dans la peinture de Pisanello (1380-1455) dans la fresque de Sainte Anastasia à Vérone, dans une scène de bataille. On peut aussi ajouter la potence de la peinture de Brüegel l’Ancien (1525-1569). Il existe certainement bien d’autres exemples, mais ce serait un autre travail. 27 Les deux auteurs font référence aux collèges d’indigènes en particulier celui de Santa Cruz de Tlatelolco. Comme le dit Louis Burkhart (1989: 41), chaque côté imagine que l’autre est plus proche de lui qu’il ne l’est en réalité et assume l’idée que des choses très différentes ont une signification analogue dans les deux cultures. 28 C’est pourquoi le tzompantli représenté sur ce document peut être considéré comme une potence ou comme un tzompantli car ils sont identiques. Représenter une potence comme un tzompantli est une stratégie qui permet à celui qui connaît l’un de reconnaître l’autre. En le dessinant de cette façon, le peintre met à l’épreuve les limites peu claires entre les lieux où l’on donne la mort et la frontière si ténue entre le sacrifice et le châtiment, lorsque les raisons qui les déterminent se confondent. Navarrete Linares (2004) utilise le modèle linguistique

127

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels tree » (arbre du pendu). Nous avons considéré principalement l’imaginaire populaire anglo-saxon, où l’on trouve les mots gallows tree et hanging tree, qui se traduisent littéralement comme arbre du pendu et qui n’ont pas d’équivalent en Espagnol ou en Français. En Angleterre, l’arbre de Dule était généralement un érable, un sycomore, situé hors de la ville, dans un lieu surélevé, à la croisée des chemins pour pendre et exposer le cadavre des condamnés. On songe aussi au lynchage dans le Sud des États-Unis, à la chanson de Lewis Allen, « Strange fruit » de 1938 avec les étranges fruits, les corps humains, qui pendaient des peupliers. Dans la culture hispanique, on ne trouve pas d’autres références à la pendaison aux arbres, mais il faudrait tenir compte des pendaisons pendant la Révolution et la guerre des Cristeros. Le concept est lié à la notion d’arbre, aux termes gallow et gibbet du français gibet, un bâton ou un pieu à deux pointes, horquilla, horcón (forked, fourche) et au mot horca qui vient du latin furca. La horca du laboureur est un instrument fait avec un tronc d’arbre. L’étude de la racine des mots liés à ce terme permet de penser que les premières potences étaient des arbres : l’arbre est une potence naturelle. La potence peut donc être considérée comme l’équivalent d’un arbre : poteau, perche en bois, gibet ou pilori. Tous ces éléments sont pertinents et ont contribué à l’amalgame entre le lieu du sacrifice et le lieu du châtiment, une association qui se fait dans la pensée indigène pendant la colonisation et l’évangélisation. Cette conception semble prévaloir aussi chez les américanistes qui proposent une relation entre le tzompantli et le jeu de balle. Ce thème sera traité dans le dernier chapitre et implique de suivre l’itinéraire d’Hernán Cortés.

référence s’inscrit dans le contexte d’une recherche sur le symbolisme de l’arbre. En lisant Frazer (1981 : 56-108), l’arbre apparaît lié à la fécondité. Nous n’avons pas trouvé plus de référence sur l’arbre lié au châtiment dans l’ouvrage, et la seule mention qui y est faite provient de l’ancien Testament.

128

CHAPITRE VI LE VOYAGE DE RETOUR VI.1. Pendus au tzompaquahuitl Une fois la Conquête achevée et le gouvernement de la Nouvelle-Espagne assuré durant son absence, Cortés part pour le Honduras en octobre 1524. Il emmène avec lui Cuauhtémoc, le dernier gouverneur de Tenochtitlán, le condamne à mort et le fait pendre à un arbre avec Tetlepanquetzal le gouverneur de Tlacopan, pour avoir conspiré contre les Espagnols.1 Bernal Díaz del Castillo (1994: 469-471) qui a assisté aux faits affirme que les deux seigneurs indigènes ont été pendus à un pochote, aussi appelé ceiba (fromager),2 comme le confirment Chimalpaín et d’autres annales historiques.3 Cependant il existe une polémique sur le lieu où ils ont été pendus, c’est-à-dire l’emplacement de l’arbre. En général il est dit que la scène a eu lieu à Itzamkanác dans la province d’Acalán.4 Dans la planche 135 du codex Vaticano Latino (1964l967), on parle aussi de la mort des seigneurs (Fig. 99). Ils sont tous les deux pendus par le cou aux branches d’un arbre, peut-être un fromager, dessiné avec ses racines. Sur la même planche est dessiné un Espagnol pendu à une structure en forme de gibet : les deux manières de représenter une pendaison sont donc le reflet d´une violence imposée par des Espagnols. Comme on va voir, la pendaison de l’Espagnol, Rodrigo de la Paz,5 était une exécution, et la mort des gouvernants indigènes peut être comprise de plusieurs façons. Par exemple, il peut s’agir d’une action extra-officielle comme un lynchage,6 vue comme une improvisation de Cortés pour réagir rapidement à une menace particulière des chefs indigènes qui conspiraient contre lui et la domination espagnole sur la région. 1 Il existe une large historiographie sur la mort de Cuauhtémoc (Gurría Lacroix 1976). 2 Ceiba pentandra (L) : Bombacaceae. Yaxché. Le pochotl est en nahuatl le fromager (Scholes et Roys 1968: 398 note 112), l’arbre sacré des Mayas (Carrasco 1990; Graulich 1997a). Dans l’univers préhispanique, le ciel et l’inframonde sont séparés, soutenus par quatre arbres au milieu desquels se trouve l’axis mundi qui est souvent représenté par un fromager chez les Mayas. Les êtres surnaturels passent du ciel à l’inframonde grâce à l’arbre cosmique qui permet la communication entre les êtres divins (Schele et Miller 1986: 42-43; López Austin 1984, 1994; Heyden 1994: 143-152). 3 Chimalpaín (2003: 214-217) écrit: «Ytencopa ompa quipillo yn …, Cortés, pochocuahtitech; yn quipilloque españoles…». Dans le texte « Los gobernadores de Tlatelolco » (Anales de Tlatelolco 2004 : 32-35) on affirme : « puis ils ont pendu Cuauhtémoctzin à un fromager ainsi que Coanacochtzin de Tetzcoco et Tetlepanquetzátzin de Tlacopan ; les trois sont morts (pendus) à un fromager à Hueymollan. Il n’y a pas eu de jugement, ils ont été pendus, ils les ont fait pendre …». « Niman ye yc quimotlecahuilia pochotitech yn Quauhtemoctzin, oncan quimopilhuique in Cohuanachoctzin ch(an)e Tezcoco yhuan Tlepanquetzatzin ch(an)e Tlacopa, ynmeyxtintzin ompa momiquillito y Hueymolla pochotitech » (Voir Barlow 1990b vol. 3: 229-231). 4 Le village d’Itzamkanac-Acalán inclut Tuxakha (Taxaha), village auquel appartient Yaxdzan (où l’on met la tête de Cuauhtémoc) et se trouve dans l’État actuel de Campeche (Scholes et Roys 1968 : 116, 112 note 61). 5 Il pourrait s’agir de frère Juan de Testu, qui accompagne Cortés dans son voyage au Honduras et meurt de faim pendant le trajet. José Luís Martínez (1990: 448); Corona Núñez (1964-l967 vol. 3: 290). 6 Dans ce cas, cela a lieu hors de la procédure établie en NouvelleEspagne. Cependant, assimiler ces morts à un lynchage par pendaison serait incorrect. Cuauhtémoc accuse Cortés de le tuer sans jugement, et Díaz del Castillo (1994 : 469-471) remarque que « cette mort est donnée injustement et tout le monde a pensé que c’était mal. »

La majorité des sources faisant référence à cet événement indique que les seigneurs indigènes ont été pendus, mais certains documents rédigés par des Indigènes proposent d’autres récits sur la mort de Cuauhtémoc. Le manuscrito Chontal de Pablo Paxbolon, seigneur d’Acalán (1612) dit que cela s’est passé à « Taxaha où Cortés est resté 20 jours, et que l’on a coupé la tête du capitaine mexicain Quatemuco » (Scholes et Roys: 370- 372). Dans un autre passage du même manuscrit, il dit : « ils lui ont coupé la tête et ils l’ont clouée sur un ceiba devant la maison où il pratiquait l’idolâtrie dans le village de Yaxzám », un village de Tuxakha. Selon Sylvanus Morley (1968: 114-115), les deux versions sont exactes et se complètent pour décrire la mort du gouverneur Mexica. En tenant compte des deux versions, on peut dire que Cuauhtémoc a été pendu à un arbre à Iztamkanác et qu’ensuite son corps a été décapité, sa tête placée sur un arbre face au temple principal du village de Yaxzám. Il semble que le corps sans tête a également été pendu à un arbre.7 Sur la mapa de Tepechpan, on a représenté le résultat de l’exécution de Cuauhtémoc.8 On voit qu’il a été décapité et que son corps a été pendu par les pieds à un arbre important du centre du village. Cet élément est fondamental dans notre discussion car il permet de proposer l’idée que le lieu sacré des Indigènes est devenu le lieu de châtiment des Espagnols. Nous pensons que les branches de l’arbre appelé pochote ou ceiba qui était l’arbre sacré des Mayas ont été prises par les Espagnols pour y faire leurs exécutions. L’arbre est donc assimilé au gibet à cause de son lien avec la mort et les restes humains. Il y a dans la Relación de Huaxtepeque de 1580 un exemple probant (Fig. 83). Dans ce document rédigé par Juan Gutiérrez de Liébana maire, Francisco de Perales interprète, et Hernán Garcia Ruiz scribe, avec l’aide des informateurs locaux Andrès Vasquez, Pedro Cocolicoc, Gabriel Hernandez et Cristobal Zaocaocatl, qui étaient de vieux natifs, il est écrit : «les villes de Tzumpango et de Schuilmillcatzingo doivent leurs noms au fait qu’il y avait des arbres qui servaient de potence. Ces arbres se nommaient tzompantles et l’on y pendait les prisonniers de guerre : c’est à cause de ces potences qu’on l’appelait Tzumpango » (Relación de Huaxtepeque 1982-1987 vol. 6 : 180, 200). À première vue, ce récit laisse entendre qu’à l’époque préhispanique, on pendait les gens à l’arbre de tzompantli. Les peintures de Mulchíc et le Lienzo de Chiepetlán confirment ce fait, mais il n’est pas fait mention dans les sources écrites et dans les dictionnaires de la strangulation sur les arbres, et il semble que lorsque ce châtiment était appliqué, ce n’était pas à une branche. On comprend alors l’ambiguïté créée autour du lieu de sacrifice préhispanique, et l’on peut se demander si dire qu’il y avait des pendus à l’arbre de tzompantli est une 7

Dans ce cas, le lieu de l’exécution et le lieu d’exhibition de la tête et du corps sont différents et l’on peut penser que le corps décapité est équivalent à la tête de mort. 8 La mapa de Tepechpan (1891 planche 15) enregistre les faits entre 1300-1590 des seigneurs de Tepechpan et Tenochtitlán (Boban 1891 : 245-271).

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels dans une certaine mesure assez semblables à celles qui avaient lieu sur la plateforme du sacrifice. Il n’existe pas beaucoup d’autres exemples qui soutiennent cette hypothèse, à part celui du fromager qui se trouvait en face du temple principal de Yaxzám et où la tête de Cuauhtémoc, décapité par les Espagnols, a été accrochée. Néanmoins, on peut penser que l’on pratiquait des exécutions sur la place du village préhispanique de Chiapa de Corzo, Chiapas, où se trouvait un vieux fromager très grand,10 à côté duquel les Espagnols ont construit une fontaine monumentale terminée en 1562.11 Selon Navarrete Cáceres (1966 : 20-22) « le récit le plus fréquent met en relation la construction de la fontaine avec des événements qui suivent immédiatement la défaite indigène, lorsque les Espagnols s’installent sur la rive droite du Rio Grande. Ils fondent un nouveau village sur une plaine dont le centre est une pochotona -élément ancien- le fromager sacré. » La carte de Julian Grajales de 1868, et le plan de la ville de 1958 signalent le lieu où se dressait le grand fromager, en face de l’église, à côté de la fontaine (Navarrete Cáceres 1966: 3). Les coïncidences entre le lieu de mort (arbre – gibet tzompantli), le temple principal et la fontaine de cette ville coloniale et des autres cités de la Nouvelle-Espagne, tels qu’ils sont représentés sur les plans des Relations géographiques, démontrent bien le processus d’amalgame entre le tzompantli et le lieu de pendaison.12 Convertir un arbre en gibet peut entraîner une confusion avec l’arbre cannibale vu par les découvreurs. Dans le mapa de Tepechpan où l’on a représenté le résultat de l’exécution de Cuauhtémoc, on voit qu’il a été décapité et il semble que son corps a été démembré : le corps décapité pendu par les pieds à une branche d’arbre n’a plus de bras. Cet acte n’est pas mentionné dans les nombreuses autres références à la mort du gouvernant et l’on ne parle pas non plus du déroulement du châtiment. Cependant, si l’on compare cette image faite par un tlacuilo avec les images conçues par les graveurs et les artistes européens sur les plans et cartes des Atlas concernant la cuisine cannibale, comme celles des dépouilles humaines pendues aux arbres de Lorenz Fries, Diogo Homen, Ortelius y Mercator, on ne peut plus voir la scène de la mort de Cuauhtémoc avec le même regard. On pourrait donc se demander pourquoi Cortés a fait couper la tête et probablement les bras de Cuauhtémoc. S’agit-il du châtiment, ou est-ce de la nourriture ? 13 Les Indiens de Yucatán pensaient que les religieux

appréciation indigène des activités antérieures à la Conquête ou si c’est une idée fondée sur des principes venant des Espagnols et assimilés par les Indigènes. Nous n’avons pas plus d’éléments pour soutenir cette hypothèse, mais ce texte renforce l’idée que le tzompantli et le gibet se sont amalgamés dans la pensée des Indigènes et Espagnols. Comme nous l’avons vu dans la première partie de ce travail, le tzompaquahuitl est l’arbre du tzompantli et les diverses attributions et significations liées au tzompantli, à l’époque préhispanique, dérivent du fait qu´il possédait de nombreux usages.9 Suite à la Conquête, l’Évangélisation, et aux fondations réalisées par les Espagnols, l’arbre du tzompantli acquiert d’autres significations, semble être utilisé pour punir pour pendaison et se transforme en « gallows tree ». L’image de la mort de Cuauhtémoc accroché au pochotl, et d’autres montrent que l’arbre du tzompantli est devenu le lieu de châtiment des Espagnols puisque ceux-ci s’en sont servi pour administrer la peine capitale. On ne peut pas complètement nier que l’on pendait à l’arbre du tzompantli à l’époque préhispanique comme on ne peut pas absolument affirmer que, pendant la Conquête, les condamnés y étaient pendus, mais on est sûr que les Espagnols ont procédé à beaucoup d’exécutions, certaines sur des gibets formels au centre des villages et d’autres à des arbres. Comme nous l’avons déjà signalé, à Mérida, le premier lieu choisi pour les exécutions est un arbre sur une colline. Ce lieu de pendaison est provisoire et peu de temps après, un gibet formel est érigé dans la ville (Cogolludo 1971 vol. 1: 184 ; Blom, 1971: 92-93). Dans la région de Tlaxcala, Xicoténcatl est pendu à un arbre par Hernán Cortés (Solís 1996: 332 ; Martínez 1990: 433436), et quelque temps plus tard à Coyoacán, il fait pendre deux ou trois Indigènes aux branches d’un arbre de son jardin, certifie Alonso Pérez (Una respuesta... 1990 vol. 2 : 62). VI.2. L’arbre potence- The gallows tree On sait que chez les peuples préhispaniques et chez les Mayas, les arbres, en particulier les pochotes, jouaient un rôle important. Ils étaient le centre des cérémonies qui se déroulaient dans les villages et l’imposition par les Européens de coutumes liées aux châtiments a fait que l’on a pendu et exposé des dépouilles humaines aux branches de l’arbre cosmique. Si l’on se souvient bien, il semble que le fromager se trouvait là où se trouve le tzompantli/gibet et que l’on y faisait des pendaisons. L’assimilation entre l’arbre et le gibet est évidente quand le pochote ou tzompantli sont utilisés pour pendre. Les Indigènes avaient un arbre sacré au centre de leur lieu cérémoniel, en face du temple principal et les Espagnols lorsqu’ils fondent leurs propres villages placent leurs bâtiments les plus importants sur les ruines des villages indigènes et réutilisent certains espaces. Ainsi, l’arbre sacré sert à des exécutions qui sont

10

Navarrete Cáceres 1966: 18; Alejandro Martínez Muriel, (communication personnelle 2009) indique qu’il y a vingt ans, un ceiba millénaire se trouvait sur la place et c’est encore aujourd’hui un des symboles du Chiapas. 11 On ne sait pas si l’on pendait les gens au fromager de Chiapa de Corzo à l’époque de la Conquête et il faudrait approfondir la recherche, bien que Carlos Navarrete Cáceres (1991: 70) dit que le capitaine Enrique Verdi a été pendu à une branche du pochote. 12 En résumé, la proposition est que le dessin espagnol s’est adapté à des principes préhispaniques et les Espagnols ont introduit des modalités nouvelles à leur système de châtiment. C’est ainsi que les Indigènes sont parvenus à comprendre que leurs sacrifices étaient mauvais et à assimiler leurs coutumes d’exposer les restes humains au système des punitions européennes. 13 Il existe de nombreuses recherches sur le destin du corps de Cuauhtémoc (García Quintana 1977; Lombardo de Ruiz 1978). On sait maintenant qu’il ne s’agit pas des restes du seigneur Mexica.

9 À l’époque préhispanique et jusqu’aujourd’hui, il est utilisé pour les clôtures. Avec le bois, on fait des sculptures, ses fleurs sont comestibles, ses graines sont médicinales et décoratives. Pour toutes ces raisons et bien d’autres, cet arbre avait une valeur symbolique.

130

Le voyage de retour que, sur la planche 135 du codex Vaticano Latino (19641967) l´exécution du majordome de Cortés est représentée, parallèle à la mort de Cuauhtémoc et Tetlepanquetzal. Somme toute, c’est la manifestation d´une violence imposée par des Espagnols, figurée en arbre et gibet, c´est-à-dire l´appropriation de toute forme de violence à l´intérieur des enregistrements indiens. Lorsque le conquistador arrive enfin à Mexico le 19 juin 1526, il assume à nouveau le gouvernement, mais pour peu de temps car des procès sont ouverts contre lui et on lui retire le gouvernement de la Nouvelle-Espagne avant de l’exiler (octobre 1527). Cependant, il est au courant des activités et des décisions prises par le conseil municipal de la ville jusqu’à cette date. Comme nous l’avons montré, lors de la dernière réunion de ce conseil, le 12 avril 1527, alors que le gouvernement de la Nouvelle-Espagne est sous le commandement de Gonzalo de Sandoval et d’Alonso de Estrada (du premier mars au 22 août 1527), les conseillers prennent la décision de construire un lieu permanent pour le châtiment dans la capitale de la Nouvelle-Espagne. À cette date, Hernán Cortés (1985), qui n’a plus de poste officiel, a décidé de rentrer en Espagne. Dans sa cinquième et dernière lettre de Relation signée le 3 septembre 1526, il demande au roi l’autorisation de voyager en Espagne, qui lui est accordée. Il a l’intention de se marier pour la deuxième fois, de faire part au roi de ses découvertes et d’obtenir ainsi des faveurs à la hauteur de ses services et de ses mérites (López de Gomara 1985 vol. 2: 275-276 ; Martínez 1990: 493). Si nous parlons du retour d’Hernán Cortés en Espagne, c’est pour souligner son changement d’attitude face au jeu de balle qu’il a vu en compagnie de Moctezuma dans le Templo Mayor de Tenochtitlán au début de la Conquête et dont il ne parle pas dans ses premières lettres de Relation, mais qu’il considérera ensuite comme un spectacle digne d’être montrer aux Rois et aux Cardinaux en Espagne. Nous pensons qu’avant que le conquistador ne parte pour l’Espagne en 1528, il avait planifié son voyage et vu le jeu de balle avec un autre regard. On sait que, pendant des mois, il a parcouru les territoires de la Nouvelle-Espagne pour « récolter tout ce qui est bizarre, merveilleux et intéressant et lui permet de flatter et de se gagner des volontés. » (Martínez 1990: 494 - 496). En partant, il avait des oiseaux exotiques et très beaux, deux « tigres », une sarigue, un tatou, du baume, des huiles, des nappes en plumes, des objets d’obsidienne, de l’or, de l’argent et des bijoux de facture indigène. Il emmène aussi huit jongleurs, douze joueurs de balle et quelques Indigènes très blancs et des nains. Toute une série de curiosités : des animaux, des choses et des gens pour amuser la cour d´Espagne (López de Gómara 1985 vol. 2: 109, 275-276 ; Díaz del Castillo 1974: 522-528). Il y avait donc des joueurs de balle qui étaient de Tlaxcala et durant leur séjour en Europe, ils ont fait une démonstration du jeu devant le Pape Clément VII et la cour de Charles-Quint, à Barcelone (Wagner 1942 : 120). Les spectateurs qui ont pu apprécier l’habileté des Indiens ont été très satisfaits, et Christoph Weiditz (1927: 24) enregistre l´événement : il dessine les joueurs et la balle, mais sans arrière-plan architectural. Où les joueurs ont-ils joué ? Dans le « jeu de paume » du palais ?

mangeaient des enfants (López de Cogolludo 1971 vol : 350). Au cours de son voyage au Honduras, Hernán Cortés et ses hommes ont souffert de la faim et Herrera y Tordesillas parle d’un cas d’anthropophagie chez les hommes, en particulier parmi les musiciens qui accompagnaient l’expédition. Il dit que : « Medrano, le flageolet de l’église de Tolède, affirme avoir mangé la cervelle de Medina, flûtiste de Séville et du foie et de la cervelle de Bernaldo Caldera et d’un de ses neveux », parce qu’il mourrait de faim. José Luís Martínez (1990 : 431-432) aussi parle de ce fait. Il existe d’autres traces d’anthropophagie de subsistance chez les Espagnols et l’on peut penser que ce n’est pas un cas isolé. À Buenos Aires, fondée par Pedro de Mendoza en 1536, les Espagnols ont mangé les corps de leurs compatriotes exécutés et pendus (Duviols 1985 : 104 et 275-276). Il est inévitable de faire des parallèles entre les actions qui se déroulaient sur le tzompantli quand c’était un arbre et celles qui ont lieu sur la potence. Nous avons tenté de découvrir les facteurs qui ont contribué à l’amalgame entre le sacrifice lié au tzompantli et le châtiment lié au gibet. Finalement ce sont des structures et des espaces qui se nourrissent de la violence. Ils sont situés au même endroit et possèdent des éléments semblables, restes humains sur un râtelier, mais leurs fonctions diffèrent. À l’arrivée des conquistadors, à cause d’une nouvelle implantation, les espaces s’entrecroisent et l’on arrive à une fusion qui finalement ne permet plus de les discerner. Ces associations et permutations font que le tzompantli devient gibet, et cela explique comment les sacrifices qui avaient lieu sur le premier se confondent avec les châtiments qui se déroulent sur le second. On arrive finalement aujourd’hui à l’idée universellement admise que le tzompantli était le lieu où l’on châtiait les perdants du jeu de balle. VI.3. L’ulamaliztli au Palais L’expédition d’Hernán Cortés à Honduras n’a pas eu les résultats escomptés,14 même si, avant de revenir à Mexico, il fonde sur la côte hondurienne deux villages : Trujillo et La Navidad. Dans les textes qu’il laisse à ce sujet en les « Instrucciones a Hernando de Saavedra ...» (1990) comme des ordres précédents, l’importance de déterminer un lieu pour les châtiments et pour exercer la justice est rappelée. Cependant, il utilise aussi les arbres pour appliquer la peine capitale. Cortés a des difficultés pour rentrer et avant d’arriver, il apprend que le gouvernement qu’il avait mis en place est tombé. Les personnes chargées de gouverner en son absence15 ont été renversées et Rodrigo de Paz, à qui il avait confié le soin de gérer ses biens, a été pendu (Díaz del Castillo 1974: 492-493), probablement sur la potence de Tlatelolco. José Luis Martínez (1990 : 448) affirme 14

Car il n’a pas pu trouver, ni punir Cristobal de Olid. En partant au Honduras, Cortés laisse le gouvernement dans les mains d’Estrada y Albornoz et la justice à Zuazo. Mais Salazar et Chirinos se font nommer à la place d’Estrada y Albornoz. Zuazo est fait prisonnier, Salazar et Chirinos prennent le gouvernement de la Nouvelle-Espagne et s’emparent des biens de Cortés. Quand celui-ci revient, il révoque les pouvoirs de Salazar et de Chirinos, et les emprisonne. C’est à cette époque que la structure du pouvoir espagnol subit de nombreux changements. 15

131

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Les caractéristiques du caoutchouc, de la balle, exigent que certaines demandes soient accomplies. Par exemple une balle de caoutchouc ne rebondit pas sur l’herbe et requiert un sol dur et solide. Il est impossible de le savoir, mais on peut imaginer que ce fut dans un champ de terre, ou même dans le jeu de paume de la résidence officielle. Il serait intéressant de faire une brève recherche pour découvrir où l’on jouait à la balle à la cour de CharlesQuint et à quel type de jeu. Juan 1º de Castille, en 1386, commande des balles pour le jeu de paume, ce qui suggère (Mehl 1990 : 34, 41, 259-264), qu´il y avait des jeux de balle a l´intérieur et l´extérieur, pour courte paume et longue paume, respectivement. La forme des « salles de jeu de paume » est une galerie avec des colonnes sur deux ou trois côtés,16 qui peut bien accueillir des joueurs d´ulama (Fig. 100). Un collage réunit le « Jeu de paume » de Valère Maxime, Faits et dits mémorables, (Mehl 1990) et le dessin des joueurs de Tlaxcala de Weiditz (1927). Comme nous l’avons montré, l’espace de mort et l’espace de jeu étaient des éléments importants du fonctionnement des deux groupes. Dans les villages mexicas comme dans les villages espagnols, ils officialisaient une fondation et occupaient une place privilégiée. Dans des circonstances et des époques différentes, chaque espace marque le chemin et les arrêts d’un itinéraire et d’une fondation. En même temps que la potence prend la place du tzompantli, de nouveaux espaces pour les jeux et les divertissements des Européens installés en Amérique se créent. En Nouvelle-Espagne, le vice-roi Louis II de Velasco,17 qui gouverne de 1590 à 1595, approuve le déroulement d’un jeu de balle sur un terrain du Palais de Mexico : un espace pour le jeu importé par les Espagnols en Amérique. On ne sait pas exactement de quel jeu il s’agit, mais on suppose qu’il s’agit d’un jeu habituel des habitants de la Nouvelle-Espagne.18 Il ne s’agit pas du jeu de Melchor Rodríguez, l’Espagnol qui jouait à la balle comme les Indiens et dont nous avons déjà parlé (Alberro 1992 : 108). Quelques Espagnols ont joué au jeu de balle indigène, mais la plupart préféraient les jeux espagnols qu’ils connaissaient déjà. Francisco Cervántes de Salazar,19 avait semble-t-il compris très tôt l’importance de ces jeux dans le contexte américain. C’est peut-être la raison pour

laquelle, en arrivant au Mexique, il fait imprimer quatre dialogues latins écrits en 1554 où il fait référence aux « jeux espagnols du XVIe siècle » : le saut, le jeu de balle à travers un arc, le jeu de boules ou birlos et le jeu de balle à la main.20 Ce dernier, appelé aussi jeu de paume21 ou pelote basque22 devient très populaire en NouvelleEspagne et de nombreuses aires de jeu sont construites. Les chercheurs qui étudient l’histoire des jeux européens en terre américaine, particulièrement la pelote basque au Mexique et son développement aux XVIIIe et XIXe siècles, ont trouvé des données qui précisent que des terrains ont été consacrés à sa pratique à une époque plus tardive. Fernando Berrojálbiz (2008) dans son travail « De la pelote basque au rebond mexicain, une histoire oubliée », comme d’autres études sur le sujet (Vázquez Mantecón 2000: 93-126 ; Domínguez 2000: 127-138), indique que la pelote basque se pratiquait dans des lieux informels, utilisant les murs des bâtiments, les murailles et autres constructions comme les murs des églises, leurs arches et leurs portiques comme limite frontale du jeu, qui consistait à frapper la balle avec la main.23 Il existait aussi des lieux « construits ou prévus pour jouer et où il était pratiqué régulièrement », tous situés dans la ville et dans des lieux prévus dans l’urbanisme lors de la fondation. À Mexico, un terrain dont la construction commence en 1756 se trouve dans le couvent de San Camilo. Les religieux de cet ordre le font d’abord pour leur usage personnel et deux ans plus tard le louent au public en général. Il y avait un autre terrain sur l’Alameda à l’angle nord-est des rues actuelles de Revillagigedo et Indépendance. On possède des données sur de nombreux autres lieux réservés à la pelote basque dans d’autres régions du Mexique à la fin du XVIIIe siècle, dans des villes comme Puebla, Oaxaca, Toluca, Zacatecas, Durango et Chihuahua.24 20 Dans le dialogue « Juego de pelota a mano », Gaitano, Rivero, Manrique et Mendoza attendent le retour du prince Felipe au palais en jouant à la balle pour se distraire et surveiller leur santé physique, un jeu très honnête et propre à la noblesse. Ils jouent en paires et parient des pièces d’or à chaque partie. Ils jouent sur le fronton du palais, fermé par des piliers. Le maître du fronton leur loue les espadrilles et la balle, et leur enseigne les règles du jeu (Cervantes de Salazar 1972, premier appendice). 21 « En Français, ce jeu s’appelle jeu de paume, et en latin, pila palmaria, car selon un auteur ancien, cet exercice au départ consistait à recevoir la balle et à la renvoyer avec la paume de la main. On y jouait donc à main nue, puis avec un gant et ensuite on a enroulé la main dans des cordes pour que la balle ait plus d’élan : c’est l’origine de la raquette. Au temps de Charles-Quint, le jeu de balle à main était très à la mode en France chez les nobles qui pariaient de grosses sommes d’argent » (Cervantes de Salazar 1972, premier appendice note 1. « Diálogo Séptimo Juego de pelota a mano »). 22 La pelote basque est un ensemble de jeux où un nombre variable de joueurs (pelotaris) placés les uns en face des autres ou bien tous face à un mur lancent alternativement une balle dure fourrée de cuir avec la main ou un autre ustensile fixé à la main. La balle doit rebondir dans des limites établies (eskas), en essayant de mettre l’adversaire en difficulté et d’arriver le premier au carton, ou nombre prévu c’est-à-dire gagner. Dès le début du Moyen Âge, ce jeu existe dans diverses régions d’Europe et il apparaît au pays basque entre le XVIe et le XVIIe siècle (González Abrisketa 2006). 23 La pelote basque et la pelote mixtèque partageaient plusieurs caractéristiques formelles déjà signalées par des spécialistes. Voir Taladoire et Colsenet 1991 ; Sweezy 1972 ; Bernal et Seuffert 1979; Orr 1997. 24 Le terrain de San Camilo était le plus important de Mexico. On s’y rendait pour jouer et parier après la journée de travail. On y voyait des

16 La forme des salles de jeu de paume et leur ressemblance avec un cloître, une galerie avec des colonnes sur deux ou trois côtés, font penser que le jeu a une origine ecclésiastique. À Paris, il y a 250 jeux de paume en 1596. En France presque la totalité des résidences ont leur jeu de balle et dans les palais et les châteaux, le jeu de paume est important, un lieu lui étant réservé. Pensons au Jeu de Paume des Tuileries construit par Napoléon III en 1851. 17 Le 23 février 1595, le vice-roi approuve que l’on fasse un terrain de jeu de balle dans le palais (Guía de las Actas de Cabildo 1970: 811, n° 55891). Le huitième vice-roi, Luis II de Velasco a gouverné du 25 janvier 1590 au 5 novembre 1595 ; le neuvième Gaspar de Zuñiga et Acevedo du 5 novembre 1595 au 26 octobre 1603. Il semble que le jeu du palais soit l’œuvre de Velasco. 18 Pour preuve de l’importance de ce jeu, le 21 juin 1527, la mairie donne une amende aux artisans qui jouent à la balle et aux bolos les jours de travail (Alaman 1991 : 290). 19 Francisco Cervántes de Salazar est une personnalité importante. Il a connu Hernán Cortés. Arrivé en Nouvelle-Espagne en 1550, il a été le premier professeur de Rhétorique de l’Université de Mexico, dont il est l’un des fondateurs (1553) et ensuite le recteur. C’est le premier chroniqueur de la ville.

132

Le voyage de retour mésoaméricain et les jeux de balles européens et de comprendre le premier à travers les seconds. Il faut faire un parallèle entre les jeux des Indigènes et ceux des Espagnols. Ils se ressemblent car on utilise une balle et parce que le jeu se déroule sur un terrain réservé à cet usage. Dans les deux cas, il s’agit d’un affrontement entre deux équipes représentant un groupe ou une communauté. Les valeurs du jeu sont équivalentes : c’est un exercice corporel, un élément de cohésion sociale, il se prête à des paris et permet d’obtenir du prestige.28 Les comparaisons fondées sur les ressemblances générales de certaines pratiques des conquistadors et des conquis permettent de voir que les jeux des Espagnols et des Indigènes ont de nombreuses caractéristiques communes et qu’avec le temps, ils se sont approprié les aspects culturels des uns et des autres et se sont mélangés. Cela permet de comprendre pourquoi depuis le XVIe siècle et jusqu’à aujourd’hui, le jeu de pelote qui se joue contre un fronton et les jeux de balle du monde occidental sur un terrain de football ont été utilisés pour établir les paramètres du jeu de balle mésoaméricain qui se jouait sur le tlachtli. Le jeu de balle que les Espagnols ont connu au Mexique a été pensé avec une vision occidentale et compris en termes semblables à ceux des jeux et des sports que l’on pratique aujourd’hui.29

Les informations sur la présence de ce jeu dans diverses régions du Mexique et la construction de lieux spécifiques pour le pratiquer démontrent qu’il était très populaire (Berrojalbiz, 2008; Viqueira, 1987: 242-266). Les terrains étaient toujours remplis de commerçants basques d’un certain niveau social qui partageaient leur amour du jeu avec des membres des classes plus populaires. Est-ce que la population indigène assistait à ces jeux ? Nous n’avons pas de données à ce sujet, ni de récits permettant de savoir s’ils participaient activement. Cependant on peut penser que si des membres de ce secteur de la population prennent rapidement goût aux diversions européennes et participent aux corridas de taureaux, pendant que des Indigènes accompagnent les jeux en musique ou toréent eux-mêmes,25 d’autres doivent regarder ou jouer à la pelote basque.26 Il peut paraître insignifiant pour notre travail de savoir si les Indigènes ont pratiqué le jeu de pelote des Espagnols, mais il existe des données qui indiquent que certains Espagnols ont appris le jeu de balle des Indiens (Alberro 1992 : 108). Il devient donc important de savoir dans quelle mesure les croyances et les valeurs des jeux de balle européens se sont implantées lors de l’interprétation du jeu américain et vice-versa.27 Lorsque nous avons recherché les bases de l’hypothèse d’une relation entre le tlachtli et le tzompantli, il nous est apparu que l’élément important est l’idée de la mort du perdant, mais que celle-ci dérive d’une interprétation du jeu de balle américain à la lumière des jeux européens. L’ulamaliztli se transforme sous l’influence de standards fixés aux jeux européens qui alimentent l’imaginaire collectif. La pelote basque est une des nombreuses traditions et coutumes européennes qui se sont implantées en Nouvelle-Espagne et sa présence très précoce permet d’envisager quelques hypothèses qui s’ajoutent au réseau de ressemblances et coïncidences entre le jeu de balle

VI.4. Conceptions entremêlées Nous avons tenté de montrer que nombre des interprétations du jeu de balle ont été faites très tôt, par les moines, bien que le jeu leur soit interdit, par les conquistadors qui l’apprécient suffisamment pour le présenter à la cour d’Espagne et par les hommes au service du Monarque. Aujourd’hui, le jeu de balle mésoaméricain est présenté comme un sport et un spectacle permettant de retrouver les racines précolombiennes des Mexicains, mais on l’interprète comme un match comparable au football. Cette façon de penser qui prévaut dans certaines interprétations des chercheurs du monde préhispanique a de nombreuses implications. Si le jeu de balle mésoaméricain est un match entre deux groupes, nous ne possédons pas les informations suffisantes pour l’interpréter comme un affrontement avec des gagnants et des perdants et encore moins pour dire que le joueur vaincu perd la vie à cause de sa défaite. Cependant, c’est dans ce contexte que les chercheurs affirment que la tête du vaincu est placée sur le tzompantli. On suppose que les mythes et les symboles sous-jacents à tous les jeux perdurent dans nos sports actuels et que le sport, entre autres choses, s’enrichit chez ses adeptes et ses utilisateurs de significations émotionnelles symboliques dont les origines sont inscrites

commerçants basques et leurs aides et d’autres secteurs de la société et la populace (Chinchilla Pawling 2000; Viqueira 1987: 242-266). 25 On parle de toreros indigènes (Gruzinski, 1996: 248 note 43). Le texte ne dit pas exactement que les Indigènes toréent, mais que don Diego, gouverneur indien a fait une petite maison dans l’enclos des taureaux pour y mettre les musiciens. 26 Le jeu de balle avec la main de l’époque précolombienne, l'ancêtre du jeu de balle mixtèque, est joué actuellement dans la région de Oaxaca et dans plusieurs localités où habitent des gens de l´état de Oaxaca. En 2006, le terrain de jeu de balle mixtèque de Mexico, à Balbuena, fut détruit et converti en parking, tandis que les espaces pour le Jai a lai, terme euskera pour la pelote basque prolifèrent. 27 Déterminer le moment où le caoutchouc est intégré aux jeux européens dépasse le cadre de ce travail, mais il faut noter qu’en 1794 le caoutchouc « en masse informe, spongieuse et irrégulière » est en vente dans les quincailleries et il semble qu’on l’utilisait surtout pour remplir et faire les balles de jeu. Ce matériel est aussi utilisé en 1818 puisque Francisco Javier de Echartea, administrateur du jeu de balle de San Camilo en achète 5 livres à 8 réaux la livre (Moreno de los Árcos 1989 : 176 ; Fernández de Echeverría y Veytia 1944 vol.1 : 297). La balle est un élément fondamental du jeu et il faut déterminer à quel moment le caoutchouc est introduit dans la fabrication de la balle de la pelote basque. Au pays basque, le rebond existe avant l’introduction du caoutchouc, car on utilise des tripes d’animaux. Au Mexique, à la fin du XVIIIe siècle, la balle est faite avec un noyau de caoutchouc entouré de fils tissés et recouvert de cuir. Pour connaître l’importance de la fabrication et du commerce des balles en France, voir Mehl 1990 : 3439. Après 1800, en France, on utilise le caoutchouc pour faire les balles. Cela provoque une révolution car la balle rebondit et exige donc d’autres espaces et d’autres techniques (Caillois 1967 : 1402-1409).

28 La grande différence est que le jeu de balle préhispanique a un rôle et une signification en relation avec le sacrifice humain, ce que l’on ne trouve pas dans le jeu occidental, et qui, expliqués avec des concepts étrangers, sont interprétés comme la démonstration d’une défaite. 29 Comme le démontre Georges Vigarello (2002 : 9), sous l’ancien régime, les jeux européens étaient une distraction et un exercice physique, mais n’avaient rien à voir avec les sports actuels qui apparaissent au XIXe siècle. « Tout montre ici combien les changements des jeux révèlent ceux des sociétés qui les produisent… » Et l’on peut donc imaginer comment les Européens comprennent le jeu mésoaméricain.

133

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels profondément dans l’être humain (Pociello 1987). On devrait donc trouver quelques anciens commentaires sur les jeux de balle européens antiques et médiévaux nous expliquant la fin du jeu et la bataille entre gagnants et perdants recevant un châtiment pour leur défaite. Cela permettrait de comprendre sur quoi se fondent les propositions des chercheurs qui étudient le jeu de balle précolombien et affirment que le perdant était sacrifié. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas trouvé dans les études sur les jeux européens du XVIe au XVIIIe siècle30 de références concrètes qui affirment que le perdant était puni, et l’on peut donc penser que cette conception apparaît plus tardivement. Cette supposition est davantage liée aux jeux modernes, conçus comme des sports. Au Mexique, on trouve des références de ce type dans des expressions modernes liées au soccer football. Le commentaire déjà cité : « si l’Argentine ne met pas fin à cette disette de victoire, ils vont les tuer tous, métaphoriquement parlant », et d’autres titres de journaux de la même veine: « Puebla : marquer ou mourir », ou « avec la corde au cou » confirment le propos . 31 Dans les pays où le football américain a la ferveur du public, on rencontre des expressions similaires : « …les Aigles ont perdu, mais ils n’ont pas été décapités par les Patriotes », ce qui laisse entendre que les perdants sont décapités. On peut ajouter l’expression « Le perdant est coupé à la hache », que l’on peut comprendre comme on coupe le cou du perdant et qui donc se réfère au joueur vaincu.32 Il faudrait davantage d’exemples pour véritablement démontrer qu’il existe l’idée généralisée chez les joueurs et le public que le perdant ou l’équipe perdante doivent être tués ou décapités. Il faut aussi noter des expressions voisines dans d’autres jeux, par exemple le Ballonchasseur dans lequel il est dit que le perdant est décapité pour retrouver son honneur. Derrière la proposition des spécialistes du Mexique préhispanique qui affirment que le jeu de balle se terminait par la décapitation du joueur perdant, dont la tête était placée sur le tzompantli, on reconnaît des idées semblables à celles qui ont cours dans les jeux de balles modernes, c’est-à-dire dans le sport. Cette affirmation sans cesse répétée a permis de relier le terrain, le tlachco avec le lieu du sacrifice, le tzompantli. En cherchant l’origine de ces interprétations qui donnent au jeu de balle préhispanique des caractéristiques de certains sports modernes,33 nous tentons d’expliquer les raisons qui se

trouvent derrière la proposition généralement admise: la dynamique qui se trouve derrière l’idée d’une relation entre les deux espaces rituels. L’hypothèse semble reposer sur des conceptions propres aux sports occidentaux, mais que l’on a attribuées au jeu mésoaméricain. Il doit forcément y avoir une équipe gagnante et un perdant et le fait que le vaincu doive mourir est une hypothèse fragile fondée sur des omissions et des généralités qui devraient être étayées par une recherche approfondie pour démontrer la particularité du lien. Cette hypothèse a été formulée parce que l’on a oublié que le jeu de balle mésoaméricain s’est beaucoup modifié au cours du temps. La relation a été établie en additionnant les pratiques liées aux jeux de balle de différentes époques et différents lieux de la Mésoamérique. En associant l’aspect sacrificiel de la rencontre, de la période du Classique tardif (quand une personne habillée en joueur était décapitée) et la supposition que, pendant le Postclassique, le perdant et ceux de son groupe étaient pénalisés, les rites propres à chacun ont été mélangés et l’on aboutit à une théorie générale selon laquelle le perdant était décapité et sa tête fixée sur le tzompantli. En résumé, pour expliquer pourquoi, dans les recherches américaines, on parle toujours d’une relation entre le tzompantli et le jeu de balle, on peut affirmer que cette hypothèse a été crée et diffusée à travers un certain nombre de mécanismes que nous avons discutés tout au long de cette recherche. Le mélange de deux espaces et des activités qui s’y déroulaient a permis de construire cette proposition erronée qui s’est alimentée d’idées et de croyances liées aux sports et aux châtiments de la culture occidentale. Nous espérons avoir montré dans ces méandres sur l’ulamaliztli et le tzompantli qu’au cours du temps, le jeu de balle a été transformé en une compétition avec des perdants et des gagnants et le tzompantli en un lieu de punition et de sanction. L’amalgame entre les deux présupposés a engendré une relation entre les deux espaces rituels de toutes les cultures mésoaméricaines, alors que, comme nous l’avons vu dans la première partie de cette recherche, c’est une situation particulière aux nahuas, à la veille de la Conquête. VI.4. Point final Dans l’introduction, plusieurs questions ont été posées: qui était décapité à la fin d’un jeu ? Un joueur de l’équipe gagnante ? Le capitaine de l’équipe perdante ? L’arbitre ? Le directeur technique ? Ou peut-être un spectateur ? De qui sera la tête placée sur le tzompantli ? Toute l’équipe sera-t-elle décapitée ? Ce sont des interrogations que nous nous posons encore, quand il nous arrive de voir un match de football, surtout quand, par hasard et par malheur, on trouve des têtes décapitées après la défaite d’une équipe. Si l’on suivait le raisonnement qui affirme

30 Il existe cependant quelques références indiquant que l’on joue à la balle avec la tête des vaincus. 31 « Si no ganan los van a matar » (Reforma 2007:11). Autres exemples du même type : « Achucarro los mata » (Reforma 2008a); « Puebla : anotar o morir » (Reforma 2008c) et « Con la soga al cuello» (Reforma 2008d). 32 « Avec un héroïsme titubant, les Eagles (Philadelphie) perdent, mais ne sont pas décapités par les Patriotes redoutés (Nouvelle Angleterre)». Commentaire de Mike Zielinski, commentateur de football américain www //Zeke blog, 26 novembre 2007 en référence au match de football du jour de Thanksgiving. « The loser is axed.» 33 Le réseau de ressemblances entre le jeu de balle mésoaméricain et les jeux européens, dans ce cas le football, est évident, mais l’idée que dans les jeux mésoaméricains se définit la mort d’un gagnant ou d’un perdant est contraire au principe même de la pensée indigène qui cherche avant tout l’équilibre cosmique qui s’obtient grâce à l’alternance. Dans la conception occidentale du jeu /sport, il faut que le perdant soit

sanctionné et si l’on impose cette lecture au résultat du jeu mésoaméricain, on impose le mot châtiment ou sanction pour justifier la mort du joueur sacrifié ou de son représentant. Ainsi le sacrifice est lié au jeu de balle et déguisé en châtiment ce qui permet d’introduire le gibet, le lieu où l’on montre le corps puni et qui va être confondu avec le tzompantli.

134

Le voyage de retour crânes humains sont généralement associées à la peine capitale et à la guerre. Au contraire, les jeux de balle sont des activités traditionnellement rattachées à l’exercice, au loisir et au sport, et dans les travaux des américanistes, lorsque l’on répète les hypothèses sans cesse rebattues, c’est cette tendance qui domine. Il est inévitable que notre vision et notre compréhension des anciennes coutumes mésoaméricaines de sacrifice et de jeux rituels reposent sur d’antiques notions occidentales incrustées dans notre inconscient, et qu’elles se retrouvent et nourrissent les journaux électroniques actuels,35 en oubliant l’abîme qui sépare des pratiques violentes qui se déroulaient dans le Mexique ancien et celles d’aujourd’hui. Elles peuvent être semblables dans la forme, mais très éloignées dans le contenu et la fonction. Ainsi, pour étudier certaines images et rituels de violence qui sont maintenant considérés comme des extensions du sacrifice et du jeu de balle chez les habitants du Mexique précolombien, il est impératif de laisser de côté les conceptions imposées par notre subconscient, le monde contemporain et les coïncidences temporelles et spatiales apparentes, car nous sommes en présence de réalités rituelles, mythiques ou historiques, très distantes des nôtres. Les conceptions dominantes sur la décapitation et l’exhibition des restes humains sont en fait très anciennes et leur réapparition dans les travaux des américanistes est en partie responsable de l’idée qu’il existait une relation entre le tlachtli et le tzompantli. Elles reprennent des notions sur la violence des habitants du Mexique précolombien qui ont été inscrites dans les registres des premiers Européens qui arrivent sur le sol américain. Dans les récits historiques et les témoignages des conquistadors et des religieux qui décrivent les peuples qu’ils affrontent et ses images, l’exhibition des parties du corps humain démembré est la preuve des châtiments que l’on faisait subir aux condamnés. Déterminer la fonction d'une image violente est complexe, particulièrement quand nous essayons de comprendre des pratiques étrangères. Nous avons vu les documents des Européens qui rapportent ce que nous estimons maintenant comme violence parmi les Indiens qu'ils ont connus à leur arrivée en Amérique. Ils ne décrivent pas ce qu'ils voient, mais ce qu'ils imaginent et savent. La décapitation et l'exposition des abats humains sont conçues de manière différente dont ils perçoivent leur propre violence, c'est-à-dire ses punitions principalement. Face à la difficulté de concevoir la violence des autres, il importe de comprendre comment l'homme préhispanique crée des images violentes, et identifie sa fonction à l'intérieur d'un système de croyances. Les objets artistiques qui réitèrent le sacrifice et la violence exécutée sur le corps humain en Mésoamérique, qu’il s’agisse des Olmèques, de Teotihuacan, des Toltèques, des Zapotèques, obligent l'historien de l'art à indiquer la

une relation entre le tzompantli et le tlachtli, et qui est très certainement incorrect, on pourrait dire que ces événements sont liés, cherchant une relation entre le résultat du jeu et l’exposition de dépouilles humaines, quand en réalité nous sommes face à des événements qui n’ont rien à voir entre eux. Pendant notre recherche, il y a eu au Mexique de nombreux matches de football et beaucoup de décapitations liées à la grande délinquance organisée. Les deux pratiques se sont déroulées de façon presque quotidienne et si, à un moment donné, la chronique sportive mexicaine a fait des allusions ironiques à la mort de l’équipe perdante, cela a vite cessé. Peut-être parce que ces dernières années, les décapitations se sont multipliées et que ce phénomène menace le bien-être social. Ce travail a commencé avec l’idée de faire une analogie entre le tzompantli, le tlachtli, et deux péripéties de notre vie quotidienne qui, par le fruit du hasard, ont coïncidé dans le temps et l’espace : les décapitations et le football. D’une part, les cartels de la drogue du Mexique et d’ailleurs qui ont, depuis quelques années, choisi la décapitation pour faire passer des messages et intimider leurs adversaires en semant des têtes humaines dans tous les coins, souvent en les alignant sur des murs,34 et d’autre part, certains commentaires concernant le football qui suggèrent de donner la mort aux perdants. Des exemples illustrent de manière éloquente notre hypothèse de départ selon laquelle les joueurs perdants ne sont pas punis et leurs têtes ne sont pas menées au gibet/tzompantli. Aujourd’hui, en réfléchissant au dénouement de ce travail, je me demande dans quelle mesure il est possible de trouver des solutions rationnelles et véridiques au problème posé. Ces doutes, bien naturels pour un travail qui a duré plusieurs années, ne peuvent être levés et je voudrais ici simplement tenter de répondre à la question centrale : pourquoi dit-on dans tout le Mexique ancien qu’il existe une relation entre le jeu de balle et le râtelier de crânes, alors qu’il n’existe aucun élément indiquant que le tzompantli et le tlachtli étaient utilisés de façon simultanée ? Cette preuve par défaut montre en tout cas que chacun des espaces sacrés était indépendant et singulier. Autrement dit, face à la preuve de l’inexistence d’une relation directe et déchiffrable entre les deux espaces et les activités qui s’y déroulaient, alors qu’aucune réciprocité entre eux n’a été détectée et qu’il n’existe pas d’indice démontrant qu’ils étaient utilisés simultanément, pourquoi a-t-on continué à soutenir une proposition qui légitime quelque chose qui n’existe pas ? La réponse préliminaire à cette question, qui contribue au débat sur ce thème qui occupe les spécialistes du Mexique préhispanique depuis la fin du XIXe siècle, pourrait être que le tzompantli et le tlachtli, réduits à leurs principes de base, c’est-à-dire décapitation, exhibition de restes humains et activité, jeu ou sport, peuvent avoir des significations différentes dans chaque culture et pour chaque personne. Au cours de l’histoire, les deux pratiques ont eu des objectifs divers et variés. Du point de vue historique, la décapitation et l’exhibition de têtes et 34

35 La diffusion de l’information dans l’espace électronique est un outil qui permet aujourd’hui de penser différemment : un fait de civilisation qui, comme l’imprimerie de Gutenberg, a une énorme répercussion sur la façon dont la culture hégémonique impose ses croyances et ses tabous. Les échecs et les succès sportifs sont chaque jour annoncés dans les medias (de la Torre 2009: 11)

Ces morts sont la conséquence de la violence liée au pouvoir.

135

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels spectateur dans le contexte des événements sacrificatoires et rituels. Voir le geste violent, à savoir le processus du corps fait image qui produit le spectacle du sang, reconstruit le spectre expressif et visuel des décapitations, des têtes isolées et des membres désarticulés, la violence façonnée en pierre et concrétisée sur les parois peintes. L’histoire de l’art, qui s’occupe de l’analyse de l’image, ajoutée aux données de l’anthropologie physique, permet d’analyser mieux la fonction et l’utilisation des images violentes, d’approcher le sens des matières représentées et d’explorer leur contexte. Ainsi, il convient de nous demander pourquoi, d’une part, montrer des parties du corps humain et, d’autre part, les représenter plastiquement ? Dans quelle perspective comprendre les relations des deux manifestations ? Nous avons peu de difficulté à distinguer l’os réel d’une sculpture d’un os, mais identifier le but sacré du premier s’avère plus facile à partir du second. Cependant, nous devons considérer que l´un et l’autre sont équivalents : des images violentes. Les deux réagissent à travers leur incorporation à des événements sacrificatoires et rituels. La décapitation même ou les scènes de décapitation, les crânes, les jambes et les bras de pierre ou d´os vrais, sont et fonctionnent de manière équivalente, lorsque les rites servent à les activer. Ainsi, la décapitation et l’exposition des morceaux de corps humain sur le tzompantli, qui, à l’époque préhispanique, possèdent un caractère empreint de sacralité et sont un moyen de communication entre les habitants de la terre et le surnaturel, changent de sens lorsque les Européens se l’approprient, assumant la violence qui les entoure. Lorsqu’ils décrivent un espace formé d’une plateforme qui porte un poteau ou une palissade avec des restes humains, ils l’assimilent à un gibet ou une potence. C’est à cause de la répétition d’idées et de conceptions de cette nature pendant près de cinq cents ans que, dans des travaux récents, les pratiques des sacrifices des anciens Mexicains sont encore interprétées en référence aux châtiments européens, réitérant des idées préconçues qui n’ont d’autre base que des préjugés fortement enracinés. Les chroniqueurs décrivent l’ulamaliztli qui avait lieu sur le tlachco comme un divertissement, un passe-temps et un exercice pour le corps, tel qu’on peut le voir sur les représentations des joueurs de balle de Weiditz, conformément à ce que transmettent les chroniques et les histoires écrites au cours des siècles suivants. Le jeu de balle américain est comparé aux jeux et exercices européens de l’époque, à la lutte et la joute médiévale et on le prend pour une distraction de la noblesse indigène. On compare même le terrain de jeu à un gymnase. Nous pensons qu’il a d’abord été considéré comme un jeu ou un sport, pris dans le sens de récréation, passe-temps, divertissement. Ce n’est que des années plus tard que le mot sport prendra une signification liée à la compétition. On place donc le jeu mésoaméricain dans une nouvelle catégorie: jeu /sport, avec toutes les significations et les idées liées aux jeux, forgeant un nouveau processus mental concernant ces activités. Comme le montre Christian Pociello (1987), les racines des sports actuels se trouvent dans l’Antiquité grecque et il souligne la permanence des mythes et des symboles sous-jacents à tous les jeux physiques qui se retrouvent dans nos sports

manière singulière ce qui détermine la façon dont se concrétise la violence, dans la production plastique amérindienne antérieure à l'arrivée des Européens. Il a été fondamental d'expliquer comment était mort, accusé, manipulé et exposé le corps humain démembré, et de reconnaître la singularité des différentes pratiques. Un rapprochement qui consiste à voir, à ressentir et à penser de manière différente le fait technique du décès et le traitement du corps est nécessaire. La recherche des bases pour expliquer la cause est indispensable pour mieux connaître la fonction du corps démembré quand il est dévoilé et exhibé, et surtout représenté. En autres termes, considérer les preuves physiques de sacrifice humain qui se déroule dans le rituel à travers des restes osseux, -les modifications culturelles et la technologie liée à l'utilisation du corps humain et exercée sur lui, ainsi que les divers traitements antérieurs ou postérieurs au décès que celui-ci reçoit,- permet de mieux comprendre la peinture murale, la sculpture, la céramique et les codex dans lesquels est représenté le corps fragmenté et mutilé, à la lumière des sources écrites élaborées après la Conquête. D'une part, pour l'historien de l'art précolombien qui étudie des images de violence, l'information sur les techniques et les méthodes derrière les décès sacrificatoires et la manipulation des cadavres est significative parce qu'elle permet de comprendre les connotations des images de la violence et du sacrifice propres d'un cadre culturel diffèrent du nôtre. D'autre part, il nous aide à examiner la représentation de la violence dans l'art indigène avant la Conquête, en la comprenant à partir d'autres disciplines. Les connexions qui se développent par le croisement des informations aident à étudier le discours des représentations dans lesquelles une violence, exprimée à travers des gestes et des manières, des images et des représentations, parle aussi du processus ; à savoir, la mise en scène du décès et la mutilation du corps. Nous parlons ici de la reconstruction d’événements sacrificatoires dans lesquels les rythmes et les processus des rituelles et cérémonies (mise en scène ?) du décès sont reconnus et identifiés par les marques d’os, pratique qui démontre également un traitement post ou pré– enterrement. Aborder les images de violence à la lumière d’études anthropologiques démontre que les représentations du corps violenté et fragmenté et/ou du sacrifice humain ne sont pas des actes isolés. Elles font partie d’un processus qui s’insère dans des cérémoniels qui commençaient avec des autosacrifices et des jeûnes cérémoniels, des rituels qui continuaient par le décès et le traitement de la victime sacrificatoire, son démembrement, la présentation des parties et finalement sa représentation en image. En d’autres termes, figurer les sacrifices, des décapitations ou des parties du corps en bois, pierre ou papier (amatl) était la prolongation, la continuation d’un processus rituel élaboré de l’immolation de la victime. La reconnaissance et la reconstruction des pratiques exécutées sur le corps humain permettent aujourd’hui d’analyser les scènes dans lesquelles la violence est représentée, et d’étudier aussi comment ces images fonctionnaient, comment elles étaient reçues par le

136

Le voyage de retour une des constructions Avant la Conquête, caractéristiques des Nahuas est le tzompantli, terme qui désigne un des lieux où se déroulent des pratiques sacrificielles, et dont la traduction provoque certaine confusion : « échafaudage de crânes », « autel de crânes » « rangée de crânes » et « plateforme des têtes de morts ». Ces termes sont plus un cliché qu’une traduction vérifiable. Cette approche dévoile le problème de perception auquel on est confronté quand on essaie de décrire quelque chose d’inconnu avec des termes connus : restes humains ou images de restes humains sur des râteliers –crânes en général- sans tenir compte de la culture ou de la temporalité auxquelles ils appartiennent, ni des caractéristiques de chaque manifestation. Le terme tzompantli englobe alors toutes les modalités d’exposition de restes humains et reste vide de sens, provoquant la confusion avec un monument lié aux pratiques punitives, comme le gibet ou le pilori, lieux de châtiment par excellence. S’il est vrai que le déroulement du jeu de balle, l’ulamaliztli, voit s’affronter deux groupes, il ne s’agit pas précisément d’une bataille. Ce n’est pas un mécanisme antagonique entre gagnants et perdants, mais un processus qui, selon un concept de dualité, recherche l’alternance, la réciprocité et donc l’équilibre. L’ulamaliztli était un jeu rituel et non un sport, la différence étant que les sports sont généralement agressifs et compétitifs. Établir les paramètres de chacune des activités permet de comprendre la manière dont le tlachtli a été relié au tzompantli. Certaines idées utilisées pour distinguer un jeu d’un sport –autrement dit les caractéristiques qui marquent les différencespermettent d’établir que dans l’historiographie mésoaméricaine, l’ulamaliztli est comparé à un jeu et n’est donc pas associé à la décapitation, ni au tzompantli. Lorsqu’il n’est plus considéré comme un jeu, mais comme un sport, l’ulamaliztli est associé au tzompantli. Dans les écrits des spécialistes du XIXe et XXe siècles et chez beaucoup d’adeptes de l’école anglo-saxonne, le jeu de balle est perçu comme un sport, et par conséquent lié au châtiment, au tzompantli devenu gibet. L’idée que la tête du perdant est placée sur le tzompantli implique de considérer l’ulamaliztli comme un sport. En d’autres termes, la transition et l´association ont eu lieu quand le jeu de balle préhispanique est devenu un sport. Ce qui précède se base sur les observations de Christian Pociello,36 qui signale que le sport naît en Europe au XVIIe siècle, et marque une différence radicale entre les

actuels. Ses multiples composants s´enrichissent, chez les adeptes et les consommateurs, de significations émotionnelles chargées de symboles dont les origines sont inscrites très profondément en l´homme. Les chroniqueurs ont donc obligatoirement mis sur le même plan le jeu de balle américain et les jeux et exercices qu’ils connaissaient, mais, par la suite, la compréhension et le raisonnement vont changer. Au départ, les auteurs et premiers chercheurs de l´ancien Mexique se basaient sur les idées formulées par les chroniqueurs et sur les jeux de l’Antiquité qui leur étaient familiers : ils arrivaient tous à des conclusions similaires, ne liant jamais le tlachtli au tzompantli. Ce n’est que lorsque le jeu de balle n’est plus considéré comme un jeu, mais comme un sport, c’est-à-dire lié à l’idée de compétition et d’agression, que les deux espaces sont associés dans un soi-disant engrenage rituel qui n’a jamais existé et qui se base sur l’idée que le perdant est puni. Une idée qui part du fait qu’en Europe, entre des jeux liés à des activités physiques de l´Antiquité et des sports, les adversaires établissent une récompense, un paiement ou prix pour le gagnant, que devait payer celui qui perdrait. Une notion conçue sur un système qui récompense, par des choses matérielles et immatérielles prix et prestige- le gagnant et punit le perdant (Fontbona 2009: 88-93). La capacité d’un individu à expliquer quelque chose qu’il voit pour la première fois doit également être prise en compte. Il est évident que pour expliquer ce qu’ils voient, les témoins et les chroniqueurs et par la suite les premiers chercheurs travaillant sur le Mexique ancien utilisent ce qui leur est familier pour élaborer une nouvelle image mentale et son explication. Comme le proposent les études sur la culture des images mentales dans la pensée bouddhiste et que l’on peut appliquer au contexte américain, pour reconnaître un objet, le cerveau dépend de la base de données de sa mémoire et essaye de faire coïncider la perception avec les cadres cognitifs disponibles. Cela ressemble à.., on dirait que.., cela sonne comme quelque chose déjà expérimenté dans le passé. Lorsqu’il y a coïncidence, la reconnaissance s’active et projette une impression sur l’objet. Cela conduit à un problème qu’affrontent immanquablement ceux qui étudient les peuples du Mexique préhispanique : comment aborder les jeux rituels et les pratiques de sacrifices indigènes qui sont, dans leur forme, très semblables à nos vieilles pratiques sportives et jeux, punitives et belliqueuses ? Pour commencer, il faut faire la différence entre les modalités des jeux de balle et des rituels des peuples de l’ancien Mexique et celles qui sont propres aux Nahuas à la veille de la Conquête. Négliger les différences entre les pratiques européennes et précolombiennes ou entre les différentes modalités de sacrifice et de jeux rituels des peuples du Mexique précolombien a laissé croire à une homogénéité des façons de jouer à la balle et d’exposer les restes humains. En conséquence, la spécificité de chacune des pratiques et du lieu où elles se déroulaient est restée méconnue, empêchant de déterminer la sphère d’action de chacun d’eux et leur spécificité, pour finir par les relier ainsi que les actes qui y avaient lieu.

36

Pociello (1987) signale que la naissance et l’évolution du sport sont étroitement liées à l’ère du progrès industriel capitaliste qui forge ses structures et imprègne les règles du jeu. Il dit que le sport naît en Europe au XVIIe siècle et fait une différence radicale entre les jeux antiques et les sports actuels. Il signale que de nombreuses caractéristiques compétitives et violentes liées aux sports actuels sont nées en Europe où, au Moyen Âge, les jeux populaires laissent libre cours à la violence physique, représentant sous forme de jeux les haines et les tensions entre les groupes, principalement en Angleterre. Ces croyances et ces préjugés seront ensuite exportés aux États-Unis. Il place les jeux actuels comme le rugby et le football dans un système de pratiques et de croyances traditionnelles venues d’Europe où les jeux étaient essayés dans les classes populaires et à la campagne, puis adoptés par les nobles et les classes supérieures, et il montre comment ces jeux sont acceptés, transférés et réglementés.

137

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels jeux et de châtiments, leurs formes placées dans de nouveaux contextes sont les éléments qui établissent une relation entre les deux espaces rituels, sans tenir compte de la fonction originelle de chacun, ni des conditions qui ont permis leur édification. C’est en réalité une association qui s’appuie sur la façon dont nous concevons le châtiment dans nos systèmes de justice et sur nos obsessions compétitives actuelles concernant le sport. Lors d’une recherche comparative, entre les conceptions actuelles des affrontements sportifs que l’on peut constater dans les expressions propres au milieu du football, les châtiments et les pratiques qui nous sont étrangères et familières à la fois, l’idée que le joueur perdant était obligatoirement puni de mort par décapitation et sa tête placée sur le tzompantli apparaît chez ceux qui s’intéressent actuellement au jeu de balle préhispanique. La mort par décapitation était certainement liée au jeu de balle, mais elle semble avoir été la pratique d’une époque spécifique, entre 600 et 1000 apr. J.C., liée à un ensemble de symboles comprenant joug, hache et palme, comme le montrent les reliefs et les peintures des sites de l’époque. Ceux-ci ne permettent cependant pas de déterminer qui était le personnage dont le cou était coupé et quel était le destin de sa tête. En d’autres mots, on ignore si le décapité était le perdant et si sa tête était placée sur le mur des crânes situé près du jeu de balle, ce qui n’est pas au fond la question essentielle. Interpréter les images de sacrifice de Chichén Itzá, par exemple, comme une punition pour avoir perdu au jeu de balle est une conception occidentale qui comprend la violence et ses images avec des préjugés radicalement distincts de ceux du monde précolombien comme signale Paul Westheim (1980, 2006 : 110 ). Elle oublie que, grâce aux conceptions mésoaméricaines du sacré, les plusieurs grandes scènes de violence taillées et peintes pouvaient accomplir le but à auquel elles étaient destinées. Dans les images, des conceptions qui leur conféraient leur caractère sacré rendaient présents des événements historiques et mythiques. Ils étaient insérés dans le temps et l'espace cyclique, réactivé par le cérémonial. En montrant la façon dont les valeurs occidentales se sont imposées très souvent dans l’interprétation de certaines pratiques préhispaniques, nous espérons nous éloigner des notions qui empêchent la compréhension et ouvrir le chemin à d’autres lectures et interprétations. Il s’agit de comprendre l’origine d’une notion erronée et de ne pas accepter a priori la théorie en vogue qui prône la décapitation du perdant du jeu de balle, et le placement de sa tête sur le tzompantli, sans véritablement savoir ce que c’est et remettre en question les modalités et le signifiant de l’éventuel lien entre ce dernier et le tlachtli.

jeux anciens et les sports actuels. Concernant l’attribution directe du statut de sport à l’ulamaliztli chez les mésoaméricanistes, nous disposons actuellement de peu de preuves. Mais l’hypothèse est conciliable si on part du propos qu’en suivant les perceptions similaires aux idées qui naissent chez toutes les amateurs des sports actuels, et en le plaçant dans des schémas qui leur étaient familiers, ils ont ajusté l´ulamaliztli à la modernité. L’ulamaliztli perd son statut de jeu et -même si cela semble une coïncidence-, dans l´historiographie mésoaméricaniste, il devient un sport, où il faut gagner ou perdre, il est de ce fait majoritairement associé à la décapitation et au tzompantli. Les implications des deux thèmes entrelacés dans cette recherche sont diverses, mais soulignons ici que le tzompantli et le tlachtli sont transportés et instaurés dans un nouveau contexte, dans la modernité, et changent de signification : le premier devient un châtiment et le second, un sport. C’est ce qui permet de les insérer en tant que paire dans un supposé engrenage rituel, dans une construction discursive n’ayant rien à voir avec la réalité préhispanique. Les propositions communément admises s’identifient à ces deux notions qui, en s’entrelaçant, affirment l’existence d’un lien étroit entre le terrain et la plateforme sur laquelle sont exhibés les restes humains. Lier le tzompantli au tlachtli est un processus qui commence avec la subordination du tzompantli au gibet, processus de longue durée qui commence avec la Conquête et perdure jusqu’à nos jours, et avec la transformation de l’ulamaliztli en sport. Il s’agit de transmission d’images, de prêts interculturels et intercontinentaux, fondée sur des comparaisons et rapports. Malgré ces ressemblances, la différence entre les deux espaces, tzompantli et potence, réside dans la fonction de la mort et dans la manière dont la société comprend les actes violents qui s’y déroulent. Les conceptions liées à chaque espace dépendent des idées sur le corps humain, le sacrifice, la punition, la mort, les dieux, acceptées par chaque peuple. Il s’agit de comprendre la violence de l’autre. André Bernard (1999) précise que le mot violence ne s’applique pas dans les mêmes situations, pendant l’Antiquité ou à la période moderne. Les comportements aujourd’hui considérés comme violents ne l’étaient pas forcément. On peut dire la même chose des peuples préhispaniques du Mexique. Il faudrait approfondir la recherche, et penser que si on peut l’appeler relativisme culturel, on ne peut comprendre la conception de la violence chez l’homme préhispanique à la lumière des valeurs chrétiennes occidentales. Il importe de chercher ce que les restes humains représentent pour chaque culture et de faire la différence entre le corps fragmenté dans une manifestation rituelle de sacrifice et le corps mutilé en punition, pour servir d’exemple. Dans le cas préhispanique, les restes humains sacrifiés sont, après traitement, offerts et font partie du rituel pour les dieux. Il faut les renouveler sans cesse. Ils restent jusqu à ce qu’ils soient abîmés ou associés à des offrandes secondaires. Les restes humains des condamnés sont exposés un temps, puis enterrés. Ces éléments sont importants pour différencier les pratiques qui ont lieu sur le tzompantli et sur la potence. Le transfert et la re-fonctionnalisation des d’images de

138

BIBLIOGRAPHIE Acosta Jorge R. 1974 La pirámide de El Corral, Tula, Hidalgo. Proyecto Tula, 1a parte (Matos Moctezuma ed.) Colección científica 15: 27-49. INAH, México. Acosta José 1952 Exploraciones arqueológicas efectuadas en Chichén Itzá, Yucatán: 1951. Anales del INAH 6: 27-40. INAH, México. Acosta Joseph de 1940 Historia natural y moral de las Indias en que se tratan de las cosas notables del cielo, elementos, metales, plantas y animales dellas y los ritos y ceremonias, leyes y gobierno de los indios (O'Gorman ed.) FCE, México. Acuña René (ed.) 1982Relaciones geográficas del siglo XVI. 9 vols. 1987 IIA, UNAM, México. Adorno Rolena 1990 Early Peruvian Recorded Daily Life under the Rule of Spanish Conquistadors. The New World: A Smithsonian Quincentenary publication 1: 8-9. Smithsonian Institute, Washington. Agrinier Pierre 1991 The Ball courts of Southern Chiapas, Mexico. The Mesoamerican Ballgame (Scarborough et Wilcox eds.): 175-194. University of Arizona Press, Tucson. Aguilar Francisco de 1977 Relación de la conquista de la Nueva España (Gurría Lacroix ed.) IIH, UNAM, México. 1988 Relación breve de la conquista de la Nueva España. La conquista de Tenochtititlan, J. Diaz, A. Tapia, B. Vazquez y F. Aguilar (Vázquez ed.): 161-206. Crónicas de América 40, Historias 16, Madrid. Aguilera Carmen 1985 Flora y Fauna Mexicana. Mitología y tradiciones. Everest, Colección Raíces Mexicanas, México. 2001 Códices de México. Conaculta, México. Agurcia Fasquelle Ricardo, Donna Stone et Jorge Ramos 1996 Tierra, tiestos, piedras, estratigrafía y escultura: investigaciones en la estructura 10L-16 de Copan. Visión del pasado Maya. Proyecto Arqueológico Acrópolis de Copan (Fash et Agurcia Fasquelle eds.) : 185-202. Centro Editorial, Honduras. Alamán Lucas 1991 Disertaciones sobre la historia de la República mexicana. Conaculta, México. Alberro Solange 1992 Les Espagnols dans le Mexique colonial. Histoire d´une acculturation. Armand Colin, EHESS, Cahiers des Annales, Paris. Alcalá Jerónimo de 1989 La Relación de Michoacán (Cabrero ed.) Crónicas de América 52, Historias 16, Madrid. 2000 Relación de las ceremonias y ritos y población y gobernación de los indios de la Provincia de

Mechoacan (Franco Mendoza ed.) Colegio de Michoacán et Gobierno del Estado de Michoacán, Zamora, México. 2001 La Relación de Michoacán. Relación de las ceremonias y ritos y población y gobernación de los indios de la Provincia de Michoacán (Escobar Olmedo ed.) Patrimonio Nacional, Madrid. Alegría Ricardo 1978 Las primeras representaciones gráficas del indio americano 1493-1523. Centro de Estudios avanzados de Puerto Rico y el Caribe, Instituto de Cultura Puertorriqueña, Puerto Rico. 1998 An Introduction to Taíno Culture and History. Taíno. Pre-Columbian Art and Culture from the Caribbean (Bercht, Brodsky, Farmer et Taylor eds.): 18-32. El Museo del Barrio, The Monacelli Press, New York. Alva Ixtlilxochitl Fernando de 1977 Obras históricas (O'Gorman ed.) 2 vols. UNAM, México Alvarado Tezozomoc Fernando 1975 Crónica mexicayotl (León ed.) UNAM-INAH, México. 1980 Crónica mexicana. (Orozco y Berra ed.) : 223-701. Leyenda, México. Álvarez Chanca Diego 1992 The report of Dr. Chanca. Wild Majesty. Encounters with Caribs from Columbus to the present day. An Anthology (Hulme et Whitehead eds.). Clarendon Press, Oxford. 1999 Segundo viaje de Cristóbal Colón. Viajes de Cristóbal Colón (Navarrete ed.) Espasa Calpe, Madrid. Álvarez Azomosa Carlos 1973 Petroglifos y esculturas. Teotenango. El antiguo lugar de la muralla : memoria de excavaciones arqueológicas (Piña Chan ed.) 1: 267-307. Gobierno del Estado de México, Talleres gráficos de la Nación, México Anales de Cuauhtitlán 1975 Códice Chimalpopoca (Velázquez trad.) IIH, UNAM, México. Anales de Tlatelolco 1948 Unos anales históricos de la Nación mexicana y Códice de Tlatelolco (Berlin et Barlow eds.) Antigua Librería Robredo, México. 2004 Los gobernadores de Tlatelolco (Tena trad.) CONACULTA, México. Anderson Arthur J.O. et Susan Schroeder 1997 Codex Chimalpahin. Society and Politics in Mexico Tenochtitlan, Tlatelolco, Texcoco, Culhuacan, and other Nahuatl Altepetl in Central Mexico, Domingo Francisco de San Antón Muñón (Anderson et Schroeder trads.) 2 vols. University of Oklahoma Press, Norman et London. Andrews E. Wyllys 1965Archaeology and Prehistory in Northern Maya 1984 Lowlands, an Introduction. Handbook of Middle American Indians 2: 288-330. University of Texas Press, Austin.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels INAH et UDLA, México. Cuauhtlatoa: el apogeo de Tlatelolco. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 2: 31-58. INAH-UDLA, México. 1989b La segunda parte del Códice Aubin. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 2: 261-306. INAH et UDLA, México. 1989c El Códice Tlatelolco. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 2: 325-358. INAH et UDLA, México. 1989d Las ocho ermitas de Santiago-Tlatelolco. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 2: 453-462. INAH et UDLA, México. 1990a La `Crónica X´: versiones coloniales de la historia de los mexica-tenochca. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 3:13-32. INAH et UDLA, México. 1990b Juan Velázquez, La serpiente femenina. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 3: 227-232. INAH et UDLA, México. 1990c Las joyas de Martín Océlotl. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 3: 233-242. INAH et UDLA, México. 1992 El antiguo dominio acolhua: el norte. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 4: 73-104. INAH et UDLA, México. 1994a Códice Azcatitlán. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 5: 179-216. INAH et UDLA, México. 1994b Una nueva lámina del Mapa Quinatzin. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 5: 261-277. INAH y UDLA, México. Bataille Georges 1991 The Accursed Share. Zone Books, New York. Bartra Roger 1997 El salvaje artificial. ERA, UNAM, México. Batres Leopoldo 1979 Exploraciones arqueológicas en las Calles de las Escalerillas año de l900. Trabajos arqueológicos en el centro de la ciudad de México. (Matos Moctezuma ed.): 111-167. SEP, INAH, México. Baudez Claude 2000 El botín humano de las guerras mayas: decapitados y cabezas trofeo. La guerra entre los antiguos mayas, Memoria de la Primera Mesa Redonda de Palenque (Trejo ed.): 191204. INAH, CONACULTA, México. 2007 El juego de balón con bastones en Teotihuacán. Arqueología mexicana 15 (86): 18-25. Raíces, México. 2011 Las batallas rituales en Mesoamérica. Arqueología mexicana 15 (113): 18-29. Raíces, México. Baudez Claude F. et Peter Mathews 1979 Capture and sacrifice in Palenque. Tercera Mesa Redonda de Palenque (Greene Robertson et Jeffers eds.) 4: 31-40. Precolumbian Art Research Center, California.

Anglería Pedro Martír de 1964 Décadas del Nuevo Mundo (O´Gorman ed.) 2 vols. Porrua, México. Arellanos Ramón M. 1985 Las Higueras-Acalco. Dinámica cultural de un sitio en el Totonacapan Barloventito, México. Thèse de maîtrise en Archéologie, Universidad Veracruzana, Xalapa, México. Arens William 1979 The Man Eating Myth: Anthropology and Anthropophagy. Oxford University Press, Oxford et New York. Ariès Phillipe 1975 Essais sur l´histoire de la mort en Occident du Moyen Age à nos jours. Seuil, Paris 2000 Ensayos sobre la historia de la muerte en occidente desde la edad media a la actualidad. Adriana Hidalgo, Buenos Aires. Arrom Juan José 1975 Mitología y artes prehispánicas de las Antillas. Siglo XXI, México. Artigas Juan B. 1984 La piel de la arquitectura: murales de Santa María Xoxoteco. Facultad de Arquitectura, UNAM, México. Augé J. Louis 1995 Image du Nouveau Monde en France. Editions de la Martinière, Centre d´Etudes Hispaniques Francisco Goya, Paris. Báez Macias Eduardo 1981 El Santo Desierto. Jardín de contemplación de los carmelitas descalzos en la Nueva España. Coordinación de Humanidades, UNAM, México. Báez Linda Rubí 2005 Mnemosine novohispánica. Retórica e imágenes en el siglo XVI. Instituto de Investigaciones Estéticas, UNAM, México. Ballesteros Víctor Manuel 1999 La pintura mural del convento de Actopan. Universidad Autónoma del Estado de Hidalgo, Pachuca, México. Bankmann Ulf 2003 Das Bild eineraztekischen Gottheit im Berliner SchloB. Mitteilungen des vereins fur die Geschichte Berlins 99 (4): 546-552, Berlin. Baquedano Elizabeth et Michel Graulich 1993 Decapitation among the Aztecs: Mythology, agriculture and politics, and hunting. Estudios de Cultura Náhuatl 23: 163-178. IIH, UNAM, México. Barlow Robert H. 1949 Diccionario de elementos fonéticos en la escritura jeroglífica, Códice Mendocino. UNAM, México. 1987a El apogeo de Tlatelolco (Cuauhtlahtoa). Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 1: 83-105. INAH y UDLA, México. 1987b La guerra civil. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 1: 107-117.

1989a

140

Bibliographie Bautista Pomar Juan 1982Relación de Tezcoco. Relaciones geográficas 1987 del siglo XVI (Acuña ed.) 8 : 45 -113. UNAM, IIA, México. Beals Ralph 1932 The Comparative Ethnology of Northern México before 1750. Ibero Americana 2. University of California Press, Berkeley. 1933 The Acaxee: A mountain tribe of Durango and Sinaloa. Ibero Americana 6. University of California Press, Berkeley. Beals Ralph et Pedro Carrasco 1944 Games of the Mountain Tarascans. American Anthropologist 44 (4): 516-622. American Anthropological Association, Washington. Beaumont Pablo 1932 Crónica de Michoacán. Provincia de los Santos Apóstoles San Pedro y San Pablo. 3 vols. AGN, Talleres Gráficos de la Nación, México. Bedini Silvio 1992 Martin Waldseemüller. Cosmographie introductio cum quibu dam geometraie ac astronomae principiis ad eam rem necessariis. Insuper quattuor Amerigo Vespuccii navegationes. Christopher Columbus and the Age of Exploration. An Encyclopedia (Bedini ed.) : 729-731. Da Capo Press, New York. Belting Hans 1994 Likeness and Presence. University of Chicago Press, Chicago. 2003 Marco Polo and Other Cultures. Art History after Modernism, 192-200. University of Chicago Press, Chicago. Benavente Toribio de (Motolinía) 1971 Memoriales o Libros de las cosas de la Nueva España y de los naturales de ella (O'Gorman ed.) UNAM, IIH, México. 1989 El libro perdido. Ensayo de reconstrucción de la obra histórica extraviada de fray Toribio (O'Gorman ed.). CONACULTA, México. 1990 Historia de los indios de la Nueva España. Relación de ritos antiguos, idolatrías et sacrificios de los indios de la Nueva España y de la maravillosa conversión que Dios en ellos ha obrado (O´Gorman ed.) Porrúa, México. Benedict Warren 1985 The Conquest of Michoacan. The Spanish Domination of the Tarascan Empire in Western Mexico 1521-1530. University of Oklahoma Press, Norman. Benítez Fernando 1983 La Ciudad de México. Salvat, México. Bernal Ignacio et Andy Seuffert 1979 The Ball Players at Dainzu. Akademische Druck-u Verlaganstalt, Graz. Bernard André 1999 Un essai de Psychologie Historique. Guerre et violence dans la Grèce antique. Hachette littératures, Paris. Berrojalbiz Fernando 2008 De la pelota vasca al rebote mexicano: una historia olvidada. Aportaciones e integración de

los vascos a la sociedad mexicana en los siglos XIX-XXI (Garritz ed.) Ministerio de Cultura del Gobierno Vasco, Centro Vasco de México, IIH, México. Biblegateway.com Bierhorst John 1985 Cantares mexicanos. Songs of the Aztecs. Stanford University Press, Stanford. 1992 History and Mythology of the Aztecs: The Códex Chimalpopoca. University of Arizona Press, Tucson. Bittman Simmons Bente 1968 Los mapas de Cuautinchan y la Historia Tolteca Chichimeca. INAH, México. Bloch Maurice 1992 Prey into Hunter. The Politics of Religious Experience. Cambridge University Press, Cambridge. Blom Frans 1971 The Conquest of Yucatan. Cooper Square publishers, New York. Boban Eugène 1891 Documents pour servir à l’Histoire du Mexique : Catalogue Raisonné de la Collection de M. Eugène Goupil (Ancienne Collection J. M. A). Ernest Leroux Paris. Bolens-Duvernay Jacqueline 1998 Les Géants Patagons ou l´espace retrouvé. Les débuts de la cartographie américaniste. L´Homme 28 (2-3) :156-173. Paris. Bolles John 1977 Las Monjas. A Major Pre-Mexican Architectural Complex at Chichén Itzá. University of Oklahoma Press, Norman. Bonilla Helia 2003 La historia patria en una publicación jacobina: El Hijo del Ahuizote. Los pinceles de la historia. La fabricación del estado 1864-1910 : 86-213. INBA, México. Boone Elizabeth H. 1982 Preface. Falsifications and Misconstructions of Pre-columbian Art (Boone ed.): v-vii. Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington D.C. 1987 Templo Mayor Research 1521-1978. The Aztec Templo Mayor (Boone ed.): 5-70. Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington D.C. 1993 Introduction. Collecting the Pre-Columbian Past (Boone ed.): 1-9. Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington D.C. 2000 Stories in Red and Black: Pictorial Histories of the Aztecs and the Mixtecs. University of Texas Press, Austin. 2001 Grolier Codex. The Oxford Encyclopedia of Mesoamerican Cultures. The Civilizations of Mexico and Central Mexico (Carrasco ed.) 1: 442-444. Oxford University Press, New York. Boone Elizabeth (ed.) 1984 Ritual Human Sacrifice in Mesoamerica. Dumbarton Oaks Research Library and 141

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Collection, Washington D.C. Boot Erik 1991 The Maya Ballgame as referred to in Hieroglyphic Writing. A short description of hieroglyphs used and some new readings. The Mesoamerican Ballgame (Von Bussel, Van Dongen et Leyenaar eds.): 233-245. Rijksmuseum voor Volkenkunde, Leiden. 2005 Continuity and Change in Text and Image at Chichén Itza, Yucatán, México. A Study of the Inscriptions, Iconography, and Architecture at a Late Classic to Early Postclassic Maya Site. CNWS Publications, Leiden. Borhegyi Stephan F. 1961 Ball-game Handstones and Ball-game Gloves. Essays in Pre-columbian Art and Archaeology (Lothrop et al. eds.): 126-151. Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts. 1969 The Precolumbian Ballgame. A Pan Mesoamerican Tradition, Verhandlungen de 38 Internationalen Amerikanistenkongresses 1: 497-515. Stuttgart-Munchen. Boteler Mock Shirley 2001 Skull Racks. The Oxford Encyclopedia of Mesoamerican Cultures. The Civilizations of Mexico and Central Mexico (Carrasco ed.) 3: 148-150. Oxford University Press, New York. Boucher Phillip P. 1992 Canibal Encounters. Europeans and Caribs 1492-1763. The Johns Hopkins University Press, Baltimore, London. Bredekamp Horst 1995 Le Football Florentin. Les jeux et le pouvoir à la Renaissance. Diderot éd., Arts et Sciences, Paris. Brockington Donald L. 1967 The Ceramic History of Santa Rosa, Chiapas, Mexico. Papers of the New World Archaeological Foundation 23. Brigham Young University, Provo, Utah. Brotton Jerry 1997 Trading Territories. Mapping the Early Modern World. Reaktion Books LTD, London. Broxton Onians Richard 1999 Les origines de la pensée européenne sur le corps, l´esprit, l´âme, le temps et le destin. Seuil, Paris. Bryant Douglas Donne, John E. Clark et David Cheetham 2005 Ceramic Sequence of the Upper Grijalva Region, Chiapas, Mexico. Papers of the New World Archaeological Foundation 67. Brigham Young University, Provo, Utah. Burkhart Louise 1989 The Slippery Earth. Nahua-Christian Moral Dialogue in Sixteenth Century México. University of Arizona Press, Tucson 1996 Holy Wednesday. A Nahua Drama from Early Colonial Mexico, University of Pennsylvania Press, Philadelphia. Burgoa Francisco de 1989 Geográfica descripción de la parte

septentrional del Polo Artico de la América y Nueva Galicia de las Indias occidentales 2 vols. Porrúa, México. Burrus Ernest J. 1965Religious Chroniclers and Historians: A 1984 Summary with annotated Bibliography. Handbook of Middle American Indians 13: 138185. University of Texas Press, Austin. Cabrera Ruben 1979 Restos arquitectónicos del recinto sagrado en excavaciones del metro y de la recimentación de la Catedral y Sagrario. El Recinto sagrado de México-Tenochtitlan. Excavaciones 19681969 y 1975-1976 (Vega ed.): 55-66. INAH, México. Cabrero Leonino (ed.) 1989 Jerónimo de Alcalá. La relación de Michoacán. Crónicas de América 52, Historias 16, Madrid. Caillois Roger 1967 Les jeux et les hommes. Le masque et le vertige. Gallimard, Paris. 1967 La pelote basque. Jeux et sports (Caillois ed.) : 1402-1409. Encyclopédie de la Pléiade Gallimard, Paris. Carcamo Celes Ernesto 1943 La serpiente emplumada (Psicoanálisis de la religión maya-azteca y del sacrificio humano) Revista de Psicoanálisis 1 (1) : 5-38. México. Cardenás García Efraín Patzcuaro, Ihuatzio y Tzintzuntzan. 1994 Arqueología mexicana 4 (19) : 28-33. Raíces, México. Carmack Robert M. 1981 The Quiche Mayas of Utatlán. University of Oklahoma Press, Norman. Carolus 1999 Charles Quint 1500-1558. Catalogue d´exposition. Belgique, Snoeck-Ducaju & Zoon. Carot Patricia 2001 Le site de Loma Alta, Lac de Zacapu, Michoacan, México. Paris Monographs in American Archaeology, BAR Publishing, International Series 920, British Archaeological Reports, Oxford. Carot Patricia et Marie Areti Hers 2006 La gesta de los toltecas chichimecas et de los purepechas en las tierras de los antiguos pueblos ancestrales. Las vías del noroeste I: Una macroregión indígena americana (Bonfiglioli et al. eds.): 47-83. IIA, UNAM, México. Carrasco David 1990 Religions of Mesoamerica. Cosmovisión and Ceremonial Centers. Harper Collins Publishers. San Francisco. City of Sacrifice. The Aztec Empire and the 1999 Role of Violence in Civilization. Beacon Press. Boston. Carrasco David et Scott Sessions 2007 Cave, City, and Eagles Nest. 142

Bibliographie An interpretative Journey through the Mapa de Cuauhtinchan no.2. University of New Mexico Press, Albuquerque. Carreón Emilie 2013 Barbie en Palenque, o La manufactura de lo intangible. Anales del Instituto de Investigaciones Estéticas 102: 5-48, IIE, UNAM, México. 2003 El tzompantli: una definición. Memorias del XXV Convegno Internazionale di Americanistica (Santorini ed.): 287-294. Centro Studi Americanistici del Circolo Amerindiano, Perugia. 2006a El olli en la plástica mexica. Los usos del hule entre los nahuas del siglo XVI. UNAM, IIE, México. 2006b Tzompantli, horca y picota. Sacrificio o pena capital en el Mapa de Popotla. Anales del Instituto de Investigaciones Estéticas 88: 5-52, IIE, UNAM, México. 2007 El olli en la medicina náhuatl. Estudios de Cultura Náhuatl 38: 387 - 414. IIH, UNAM, México. Carreón Emilie et Félix Lerma 2010 Una perspectiva continental: el mundo de Centro América. De la Antigua California al Desierto de Atacama (Uriarte ed.) : 309 - 336. Coordinación de Difusión Cultural y Dirección General de Publicaciones y Fomento Editorial, UNAM, México. Casab Rueda Ulises 1992 El juego de la bola de hule. México antiguo. Comisión Nacional del Deporte, SEP, México. Casas Bartolomé de las 1951 Historia de las Indias. FCE, México. 1967 Apologética historia sumaria cuanto a las cualidades, disposición, descripción, cielo et suelo destas tierras, et condiciones naturales, policías, repúblicas, manera de vivir e costumbres de las gentes destas Indias Occidentales y Meridionales cuyo imperio soberano pertenece a los Reyes de Castilla (O'Gorman ed.) 2 vols. IIH, UNAM México. Caso Alfonso 1944 El calendario de los tarascos. Anales del Museo Michoacano 3 (2): 11-56. Morelia, México. 1947 Mapa de Popotla. Anales del Instituto Nacional de Antropología e Historia 2: 315-320. INAH, México. 1967 Los calendarios prehispánicos. IIH, UNAM, México. 1965Lapidary work, Goldwork and Copperwork 1984 from Oaxaca. Handbook of Middle American Indians 3: 896-930. University of Texas Press, Austin. Castañeda de la Paz María 2008 El códice X o los Anales. Grupo de la Tira de Peregrinación. Copias, duplicaciones y su uso por parte de los cronistas. Tlalocan. Revista de fuentes para el conocimiento de las culturas

indígenas de México 15: 183-214. IIF, UNAM, México. Castillo Patricia 1991 El Pimiento: un templo dedicado al ritual de la muerte. Zempoala. In El estudio de una ciudad prehispánica (Brüggerman et al eds.) : 253-257. Colección Científica, INAH, México. Castillo Farreras Victor 1972 Mapa Quinatzin. Artes de México 151 (19) : 3440. Artes de México y del Mundo, México. 1991 Estudio preliminar. Domingo Francisco de San Antón Muñón Chimalpaín Cuauhtlehuanitzin. Memorial breve acerca de la fundación de la ciudad de Culhuacan (Castillo Farreras trad.) : xi-xliv. IIH, UNAM, México. Castro Leal Marcia 1972 La decapitación y el juego de pelota. Religión en Mesoamérica. Memorias de la XII Mesa Redonda de la Sociedad Mexicana de Antropología (Litvak et Castillo eds.): 457462. Sociedad Mexicana de Antropología, México. Cervantes de Salazar Francisco, 1972 México en 1554 y Túmulo imperial (O´Gorman ed.) Porrúa, México. 1985 Crónica de la Nueva España (Miralles Ostos ed.) Porrúa, México. Cervantes Rosado Juan, Diana Molatore Salviejo, Arnulfo Allende Carrera et Iván Rivera Guzmán La Tumba 1 de San Juan Ixcaquixtla, Puebla. 2005 Arqueología mexicana 13 (75) : 64-69. Raíces, México. Chacon Richard J. et David H. Dye 2008 Introduction to Human Trophy Taking: An Ancient and Widespread Practice. The Taking and Displaying of Human Body Parts as Trophies by Amerindians (Chacon et Dye eds.): 190-208. Springer, New York. Chapman Carl et Eleonore Chapman 1964 Missouri Handbook 6. University of Missouri Press, Missouri. Charnay Desiré 1994 Ciudades y ruinas americanas. CONACULTA, Mirada viajera, México. Chavero Alfredo 1953 Primera época. Historia Antigua. México a través de los siglos (Riva Palacio ed.) vol. 2. Cumbre, México. Chilam Balam de Chumayel 1967 The Book of Chilam Balam of Chumayel (Roys ed.). University of Oklahoma, Norman, Oklahoma. Chimalpaín Cuauhtlehuanitzin de San Antón Muñón Domingo Francisco 1982 Relaciones originales de Chalco Amaquemecan (Rendón trad.) FCE, México. 1889 Annales. Sixième et septième relations 12581612 (Simeón trad.) Maisonneuve et Ch. Leclerc, Paris. 1991 Memorial breve acerca de la fundación de la ciudad de Culhuacan (Castillo Farreras trad.) 143

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels UNAM, IIH, México. Codex Chimalpahin. Society and Politics in Mexico Tenochtitlan, Tlatelolco, Texcoco, Culhuacan, and other Nahuatl Altepetl in Central Mexico (Anderson et Schroeder trads.) University of Oklahoma Press, Norman et London. 1998 Las ocho relaciones y El Memorial de Culhuacan (Tena trad.) 2 vols. Conaculta, México. 2001 Diario (Tena trad.) Conaculta, México. 2003a Aquí principia, aquí está escrita la llegada, el advenimiento de los ancianos, de los ancianos que se llaman nonohualca, los teutlixca tlacochalca que ahora ya se llaman tlamanalca chalca. Séptima Relación de las Différentes histoires originales (García Quintana trad.) IIH, UNAM, México. 2003b Séptima relación (Tena trad.) Conaculta, México. Chinchilla Mazariegos Oswaldo 1992 El juego de pelota en la escritura y el arte maya clásico: interpretaciones recientes. El juego de pelota en Mesoamérica. Raíces y supervivencia (Uriarte ed.) : 157-167. DIFOCUR, Siglo XXI, Sinaloa, México. 2001 Cotzumalhuapa Style. Archaeology of Ancient Mexico and Central America. An Encyclopedia (Toby Evans et Webster eds.): 186-187. Garland Publishing, New York, London. Chinchilla Pawling Perla 2000 Lo lúdico y lo profano. La rueda del azar. Juegos y jugadores en la historia de México: 55-91. Pronósticos para la asistencia pública, México. Clastres Pierre 1999 Archéologie de la violence : la guerre dans les sociétés primitives. Éditions de l´aube, Paris. Clavijero Francisco Javier 1964 Historia Antigua de México. (Cuevas ed.) Porrúa, México. Clendinnen Inga 1993 Fierce and Unnatural Cruelty: Cortes and the Conquest of Mexico. New World Encounters (Greenblatt ed.): 12-47. University of California Press, Los Angeles, Berkeley. Clews Parsons Elsie 1962 Isleta Paintings. Smithonian Institution, Washington. Codex Aubin (o de 1576) 1893 Histoire de la nation mexicaine depuis le départ d´Aztlan jusqu´á l´arrivée des conquérants espagnols (et au delá 1607). Ernest Laroux, Paris. Codex Azcatitlán 1995 (Graulich ed.) 2 vols. Bibliothèque Nationale de Paris, Paris. Codex Azcatitlán 1994 Robert H. Barlow. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 5: 179-216. INAH et UDLA, México.

Codex Azoyu 1991 (Vega Sosa ed.) FCE, México. Codex Borbónico 1974 (Nowotny et Durand-Forest eds.) Akademische Druck und Verlaganstalt, Graz. 1985 Paso y Troncoso et Hamy eds.) Siglo XXI, México. Codex Borgia 1963 (Seler ed.) FCE, México. 1993 The Codex Borgia. A Full-Color Restoration of the Ancient Mexican Manuscript (Díaz et Rodgers (eds.) Dover, New York. Codex Boturini 1964Antigüedades de México basadas en la 1967 recopilación de Lord Kingsborough (Corona Núñez ed.) 2:7-29. SHCP, México. Codex Chimalpopoca: Anales de Cuautitlan y Leyenda de los Soles 1975 (Velázquez trad.) IIH. UNAM, México. Codex Colombino 1996 (León Portilla ed.) Patronato Indígena, México. Codex Cozcatzin s/f (Tena et García Lascuráin eds.) INAH, BUAP, México. Codex Dresden 1988 (Thompson ed.) FCE, México. Codex Florence 1979 Bernardino de Sahagún. Códice Florentino, Manuscrito 2l8-20 de la Colección Palatina de la Biblioteca Medicea Laurenziana. Secretaría de Gobernación, AGN, México. Codex Huichapan 2001 (Ecker, Lastra et Bartholomew eds.) IIA, UNAM, México. Codex Ixtlilxóchitl 1976 (Anders ed.) Akademische Druck-und Verlagstalt, Graz. Codex Madrid 1985 Los códices mayas. UACH, Chiapas, México. Codex Magliabechi 1970 (Anders ed.) Akademishe Druck-und Verlaganstalt, Graz. Codex Magliabechiano 1983 (Boone ed.) University of California Press, Berkeley. Codex Mendocino 1964Antigüedades de México basadas en la 1967 recopilación de Lord Kingsborough (Corona Núñez ed.) 1: 3-149. SHCP, México. 1992 (Berdan et Anawalt eds.) University of California Press, Berkeley. Codex Mexicanus 1952 (Menguin ed.) Journal de la Société des Américanistes 41: 387-498. Paris. Codex Nuttall 1975 A Picture Manuscript from Ancient Mexico. Dover, New York. Codex Osuna 1978 Pintura del gobernador, alcaldes y regidores de México (Cortés Alonso ed.) Servicio de Publicaciones del Ministerio de Educación y Ciencia, Madrid.

1997

144

Bibliographie 1994

(Donald Robertson ed.) Mexican Manuscript Painting of the Early Colonial Period. The Metropolitan Schools. University of Oklahoma Press, Norman et London. Códice Ramírez. Relación del origen de los indios que habitan esta Nueva España según sus historias. 1980 Crónica Mexicana (Orozco y Berra ed.): 17-92. Leyenda, México. Codex Telleriano Remensis 1964Antigüedades de México basadas en la 1967 recopilación de Lord Kingsborough (Corona Núñez ed.) 1: 152-336. SHCP, México. 1995 (Quiñones Keber ed.) University of Texas Press, Austin. Codex Tlatelolco 1989 Robert H. Barlow. Obras de Robert H. Barlow (Monjarás, Limón et Paillés eds.) 2: 325-358. INAH et UDLA, México. 1994 (Valle ed.) INAH et BUAP, México. Codex Tudela 1980 Ediciones Cultura Hispánica del Instituto de Cooperación Iberoamericana, Madrid. Codex Vaticano Rios ou Vaticano Latino 1964Antigüedades de México basadas en la 1967 recopilación de Lord Kingsborough (Corona Núñez ed.) 3: 1-309. SHCP, México. Codex Veitia 1986 Modos que tenían los indios para celebrar sus fiestas en tiempos de la gentilidad, Recopilados a expensas del liedo Mariano Echeverria y Veitia (Alcina Franch ed.) Patrimonio Nacional, Madrid. Codex Xalapa, Mapa del juego de pelota 1540 1964 John B. Glass. Catálogo de la colección de códices: 126, pl. 78. Museo Nacional de Antropología, INAH, México. Codex Xicotepec 1995 (Stresser-Péan ed.) Gobierno del Estado de Puebla, CEMCA, FCE, México. Codex Xolotl 1951 (Dibble ed.) IIH, UNAM, México. Cohodas Marvin The Symbolism and Ritual Function of the 1975 Middle Classic Ball Game in Mesoamerica. American Indian Quarterly 2: 99-130. Hurst, Texas. 1978 The Great Ball Court at Chichen Itza, Yucatán, México. Garland Publishing, New York. 1991 Ballgame Imagery of the Maya Lowlands: History and Iconography. The Mesoamerican Ballgame (Scarborough et Wilcox eds.): 251288. University of Arizona Press, Tucson. Colección de grabados y litografías del siglo XIX del Banco de México 1987 Banco de México, México. Colón Cristóbal 1999 Viajes de Cristóbal Colón (Fernández de Navarrete ed.) Espasa Calpe, Madrid Colón Hernando 1984 Vida del Almirante Don Cristóbal Colón escrita por su hijo Don Hernándo. FCE, México.

Comparato Frank E. 1991Introduction to the English Edition. The 1993 Collected Works of Eduard Seler in Mesoamerican Linguistics and Archaeology (Comparato ed.) 1:9-12. Labyrintos, Culver City, California. Con Uribe María José 1981 Laguna Francesa. Colección Científica. INAH, México. 2000 El juego de pelota en Cobá, Quintana Roo. Arqueología, Revista de la Coordinación Nacional de Arqueología del INAH 23: 2750. INAH, México. Con Uribe María José et Alejandro Martínez Muriel 2002 Cobá. Entre caminos y lagos. Arqueología Mexicana 9 (54): 34-41. Raíces, México. Cook Shelbourne 1971 Human Sacrifice and Warfare as Factors in the Demography of Precolonial Mexico. Ancient Mesoamerica. Selected Readings, pp. 279-298. Peek Publications, Palo Alto. Cordoba Juan de 1987 Arte del idioma Zapoteco. INAH, México. Corona Núñez José 1957 Mitología tarasca. FCE, México. 1961 Un monumento prehispánico en Ixtlan, Nayarit. Revista Mexicana de Estudios Antropológicos 17: 27-32. Sociedad Mexicana de Antropología, México. Corona Nuñez José (ed.) 1964Antigüedades de México basadas en la 1967 recopilación de Lord Kingsborough. 4 vols. SHCP, México. Cortés Hernán 1985 Cartas de Relación. Porrúa, México. Couleurs de la Terre. Des mappemondes mediévales aux images satellitales 1998 Catalogue d´exposition (Pelletier ed.) Seuil, BNF, Paris. Covarrubias Orozco Sebastia 1984 Tesoro de la lengua castellana o española. Primer diccionario de la lengua 1611. Turner, Madrid et México. Crawford Toy H. 1905 Mexican Human Sacrifice. The Journal of American Folklore 18: 60-62. Worcester, Massachussetts. Cuadriello Jaime 1999 El origen del reino et la configuración de su empresa: Episodios e alegorías de triunfo e fundación. Los pinceles de la historia. El origen del reino de la Nueva España 1680-1750 : 50107. INBA, IIE, UNAM, México. 2000 La personificación de la Nueva España et la tradición iconográfica de los Reinos. Actas del III Simposio Internacional de Emblemática Hispánica, del libro de emblemas a la ciudad simbólica (Minguez ed.) : 123 – 150. Bancaixa et Universitat Jaume, España. 2004 Moctezuma a través de los siglos. El imperio sublevado. Monarquía y naciones en España 145

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels e Hispanoamérica (Minguez et Chust eds.) : 95 -122. Ministerio de Educación y Ciencia, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Madrid. cuartoscuro.com.mx 2007 Ulama en el Museo Nacional de Antropología. México. Culin Stewart 1992 Games of the North American Indians. University of Nebraska Press, Lincoln, London. Curtin Jeremiah et JNB Hewitt 1918 Seneca fiction, Legends and Myths. 32nd annual Report of the Bureau of American Ethnology 1910-1911. Government printing office, Washington D.C. Cyphers Ann 2004 Escultura olmeca de San Lorenzo Tenochtitlan. IIA, UNAM, México. Daneels Annick 2010 El Golfo después de los olmecas. De la Antigua California al Desierto de Atacama (Uriarte ed.): 137-151. Coordinación de Difusión Cultural y Dirección General de Publicaciones y Fomento Editorial, UNAM, México. Dahlgren Barbro 1953 Etnografía prehispánica de las costas del Golfo. Huastecos, totonacos y sus vecinos. Revista Mexicana de Estudios Antropológicos 13: 2-3. SMA, México. Darling J. Andrew 2001 Cerro del Huiztle. Archaeology of Ancient Mexico. An Encyclopedia (Evans et Webster eds.): 351-352. Garland Publishing, New York, London. Davies Nigel 1981 Human Sacrifices. History and Today. Macmillan, London. 1984 Human sacrifice in the Old World and the New: Some Similarities and Differences. Ritual Human Sacrifice in Mesoamerica (Boone ed.): 211-226. Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington D.C. Day Jane Stevenson 1989 The West Mexican Ballgame. Ancient West Mexico. Art of the Unknown Past: 151-167. Art Institute of Chicago, Chicago. 2001 Performing on the Court. The Sport of Life and Death. The Mesoamerican Ballgame (Whittington ed.): 65-77. Mint Museum et Thames and Hudson, North Carolina. De Anda Alanís Guillermo 2008 Sacrifice and Ritual Body Mutilation in Postclassical Maya Society: Taphonomy of the Human Remains from Chichén Itzá´s Cenote Sagrado. The Taking and Displaying of Human Body Parts as Trophies by Amerindians (Chacon et Dye eds.): 190-208. Springer, New York. De Bry Theodore 1997 América de De Bry 1590-1634 (Elliot ed.) Siruela, Madrid.

De Ciudad Real Antonio 1976 Tratado curiosos y docto de las grandezas de la Nueva España (García et Castillo Farreras eds.) 2 vols. IIH, UNAM, México. Dehouve Danièle 2007 Offrandes et sacrifice en Mésoamérique. Riveneuve éditions, Paris. De Vries Reina 1991 El yugo del juego de pelota como molde para cinturones de cuero. The Mesoamerican Ballgame (Von Bussel, Van Dongen et Leyenaar eds.): 189-202. Rijksmuseum voor Volkenkunde, Leiden. Deagan Kathleen 1998 Settlements. Christopher Columbus and the Age of Exploration. An Encyclopedia (Bedini ed.): 606-610. Da Capo Press, New York. Delgado Agustín 1965 Excavations at Santa Rosa, Chiapas: Archaeological Research in Santa Rosa, Chiapas and in the Region of Tehuantepec. Papers of the New World Archaeological Foundation 13, NWAF, Brigham Young University, Provo, Utah. Demarest Arthur 1984 Overview: Mesoamerican Human Sacrifice an Evolutionary Perspective. Ritual Human Sacrifice in Mesoamerica (Boone ed.): 227-243. Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington D. C. Di Peso Charles, J.B., Rinaldo et G.J. Fenner 1974 Casas Grandes: A Fallen Trading Center of the Gran Chichimeca. 8 vols. Dragoon: Amerind Foundation, Northland Press. Flagstaff, Arizona. Díaz del Castillo Bernal 1974 Historia de la conquista de la Nueva España. Porrúa, México. Díaz Plaza Fernando 1995 La vida cotidiana en la España Medieval. EDAF, Madrid. Díaz Juan 1988 Itinerario de la armada del rey católico a la isla de Yucatan, en la india, en el año de 1518 en la que fue el comandante y capitán general Juan de Grijalva. La conquista de Tenochtititlan, J. Diaz, A. Tapia, B. Vazquez y F. Aguilar (Vázquez ed.) : 37 - 57. Crónicas de América 40, Historias 16, Madrid. Dibble Charles et Arthur J. O. Anderson (eds.) 1950Florentine codex. General History of the things 1982 of New Spain (Dibble et Anderson eds.) 12 vols. The School of American Research and The University of Utah, Santa Fe, New Mexico. Diccionario de la lengua española 1992 Real Academia Española, Madrid. Diccionario Zapoteco de San Bartolomé Zoogocho, Oaxaca. 1999 (Long et Cruz eds.) Instituto linguistico de Verano, México. Diehl Richard 1983 Tula. The Toltec Capital of Ancient Mexico. 146

Bibliographie Thames and Hudson. New York. London. Documentos cortesianos 1990 (Martínez ed.) FCE, UNAM, México. D' Olwer Luis Nicolau et Howard Cline 1965Sahagún and his works. Handbook of Middle 1984 American Indians 13: 186-206. University of Texas Press, Austin. Domínguez Christopher 2000 El panóptico del azar. La rueda del azar. Juegos y jugadores en la historia de México: 138-140. Pronósticos para la asistencia pública, México. Dorsey George A. 1906 The Pawnee Mythology. Carnegie Institution of Washington Publication 59. Carnegie Institution. Washington. Durán Diego 1984 Historia de las Indias de la Nueva España y Islas de Tierra Firme (Garibay ed.) 2 vols. Porrúa, México. Duverger Christian 1978 L´esprit du jeu chez les Aztèques. Mouton éditeur, EHESS, Paris. 1983a L´origine des Aztèques. editions du Seuil, Paris. 1983b La flor letal. Economía del sacrificio azteca. FCE, México. 2000 Mesoamérica. Arte y Antropología, Flammarion, Conaculta, Landucci editores, Paris. 2005 Cortés. Taurus, México. 2007 El primer mestizaje. La clave para entender el pasado mesoamericano. Taurus, INAH, UNAM, Conaculta, México. Duviols Jean-Paul 1977 Le miroir sanglant du sacrifice humain. La violence en Espagne et en Amérique XVXIXe siecles. Actes du colloque internacional Les raisons des plus forts : 293-332. Presses de l’Université de Paris Sorbonne, Paris. 1985 L´Amérique espagnole vue et révée. Les livres de voyages de Christophe Colomb à Bougainville, Editions Promodis, Paris. 1991 Visión primitiva del Nuevo Mundo según los viajeros europeos. 1492 Dos mundos: paralelismos y convergencias. XII Coloquio Internacional de Historia del Arte : 109-117, IIE, UNAM, México. 2007 Las alegorías de América del siglo XVI al XX. Seminario permanente de iconografía. 18 de septiembre de 2007. Dirección de Etnología y Antropología Social, Museo del Carmen, México. Edmonson Munro S. 1984 Human sacrifice in the Books of Chilam Balam of Tizimin and Chumayel. Ritual Human Sacrifice in Mesoamerica (Boone ed.): 91-100. Dumbarton Oaks Research Library and Collection. Washington D. C. Edwards Emily 1996 Painted Walls of Mexico. From Prehistoric Times until Today. University of Texas Press. Austin-London.

Ekdahl Ravicz Marilyn 1970 Early Colonial Religious Drama in México: From Tzompantli to Golgotha. Catholic University of America, Washington. El juego de pelota en Mesoamérica 1992

(Uriarte ed.) Siglo XXI, Difocur-Sinaloa, México El juego de pelota. Una tradición viva. 1986 Museo Nacional de Antropología, INAH, SEP, Sociedad de Amigos del Museo, México. El mundo de Carlos V de la España medieval al siglo de oro. 2000 Catalogue d´exposition. Sociedad estatal para la conmemoración de los centenarios de Felipe II y Carlos V, UNAM, CONACULTA, México. El Sur 2006 Periódico de Guerrero. Acapulco, Guerrero. Justicia. Vendredi 21 avril 2006: 1. Dos policías decapitados en Acapulco. Elias Norbert et Eric Dunning 1992 Deporte y ocio en el proceso de la civilización. FCE, México Elliot John H. 1997 La presente edición. América de De Bry 15901634 (Elliot ed.) : 448 - 451. Siruela, Madrid. Escalante Pablo 2000 Cristo, su sangre y los indios: exploraciones iconográficas sobre el arte mexicano del siglo XVI. Herencias indígenas, tradiciones europeas y la mirada europea: 71-93. Vervuert, Universidad Iberoamericana, México. 2004 La ciudad, la gente y las costumbres. Historia de la vida cotidiana en México. Mesoamérica y los ámbitos indígenas de la Nueva España (Escalante ed.) : 199-230. El Colegio de México, FCE, México. Escalante Pablo et Antonio Rubial 2004 Los pueblos, los conventos y la liturgia. Historia de la vida cotidiana en México. Mesoamérica y los ámbitos indígenas de la Nueva España (Escalante ed.) : 367-390. El Colegio de México, FCE, México. Escobar Olmedo Armando (ed) 2001 en Jerónimo de Alcalá. La Relación de Michoacán. Relación de las ceremonias y ritos y población y gobernación de los indios de la Provincia de Michoacán. Patrimonio Nacional, Madrid. Estenssoro Fuchs Juan Carlos 2005 Construyendo la memoria: la figura del inca y el reino del Perú, de la conquista a Túpac Amaru II. Los incas, reyes del Perú : 93-173. Banco de Crédito, Lima. Estrada de Gerlero Elena 1978 Los temas escatológicos en la pintura mural novohispana del siglo XVI. Traza y baza 7: 7188. Universidad de Valencia, Valencia. Fernández de Echeverría y Veytia Mariano 1944 Historia Antigua de México. Leyenda, México. Fernández de Navarrete Martin (ed.)

147

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels 1999

Colón Cristóbal. Viajes de Cristóbal Colón. Espasa Calpe, Madrid. Fernández de Oviedo y Valdés Gonzalo 1945 Historia general y natural de las Indias, Islas y Tierra Firme del Mar Océano. 4 vols. Guaranía, Asunción, Paraguay-Buenos Aires, Argentina.

Fragmentos del Pasado 1998 Catalogue d´exposition. Antiguo Colegio de San Ildefonso, IIE, UNAM, México. Franco Mendoza Moisés (ed.) 2000 Jerónimo de Alcalá. Relación de las ceremonias y ritos y población y gobernación de los indios de la Provincia de Mechoacan. El Colegio de Michoacán et Gobierno del Estado de Michoacán, Zamora, México. Frazer James G. 1981 The Golden Bough. The Roots of Religion and Folklore. Avenel Books, New York. Fuente de la Beatriz, Silvia Trejo et Nelly Gutierrez 1988 Escultura en piedra de Tula. IIE, UNAM, México. Fundaburk Emma et Mary Douglas Foreman 1957 Sun Circles and Human Hands. Luverne, Alabama. Furst Leslie 1995 A Natural History of the Soul in Ancient México. Yale University, New Haven. Galarza Joaquín 1986 Acerca de los Lienzos de Chiepetlán. Primer coloquio de arqueología y etnohistoria del Estado de Guerrero: 481-496. INAH et Gobierno del Estado de Guerrero, México. Galdemar Edith 1988 Le tzompantli. Lieu oú les têtes chevelues coupées sont alignées. Rapport de D. E. A., Centre de Recherche en Archéologie Précolombienne, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, Paris. Gali Ramón 1993 Arqueología de Tzintzuntzan. Anales del Museo michoacano, épocas I y II (Macías Goytia et Mirambell eds.) : 439-445. INAH, México. Gann Thomas 1900 Mounds in Northern Honduras. XIX Annual Report of the Bureau of American Ethnology 1897-1898, 2eme partie: 661-692. Bureau of American Ethnology, Washington D.C. García Granados Rafael 1937 Filias y fobias. Opusculos históricos. editorial Polis, México García Quintana Josefina 1977 Cuauhtemoc en el siglo XIX. IIH, UNAM, México. García Sáiz María Concepción 1980 La pintura colonial en el Museo de América. Los enconchados. Ministerio de Cultura, Madrid. 1999 La conquista militar y los enconchados: Las peculiaridades de un patrocinio indiano. Los pinceles de la historia. El origen del reino de la Nueva España 1680-1750: 108-141. INBA, México. Garibay Ángel María 1984 Diego Duran y su obra. Diego Duran. Historia de las Indias de la Nueva España y Islas de Tierra Firme 1: xi-xiv. Porrúa, México. Garza Gómez Isabel 1994 Evidencias de sacrificio humano en Xochicalco,

1979

Historia general y natural de las Indias, islas y Tierra firme del Mar Océano. Centro de Estudios para la Historia de México, Condumex, México. Fernández Miguel Ángel 1925 El juego de pelota de Chichén Itzá, Yucatán. Anales del Museo del INAH 4 (3): 363-372. INAH, México. Fettweis Vienot Martine 1995 Rites sacrificiels Mayas. Mille ans de civilisation Mésoaméricaine des Mayas aux Aztèques. Hommage à Jacques Soustelle (Durand Forest et Baudot eds.) 1 : 103-132. L`Harmattan, Paris. Flannery Kent et Joyce Marcus 1983 The Cloud people. Divergent evolution of the Zapotec and Mixtec civilization. Academic Press, Chicago. Foncerrada de Molina Marta 1968 Uxmal : La ciudad del dios de la lluvia. FCE, México. 1976 El sacrificio por decapitación en Palenque. Second Palenque Round Table, The Art, Iconography and Dynastic History of Palenque (Greene Robertson ed.) 3: 74-80. Precolumbian Art Research Center, California. 1994 Cacaxtla. La iconografía de los olmecaxicalanca (Carreón ed.) IIE, UNAM, México. Fontbona Marc 2009 La Hispania lúdica. Historia de Iberia vieja. Revista de Historia de España 47: 88-93. Dispaña, España. 2008 Historia del juego en España. De la Hispania romana a nuestros días. Flor de Viento Ediciones, Barcelona. Formisano Luciano 1992 Introduction. Amerigo Vespucci. Letters from a New World. Amérigo Vespucci´s Discovery of America (Willis ed.): xix-xli. Marsilio, New York. Forsyth Donald 1983 The Beginnings of Brazilian Anthropology: Jesuits and Tupinamba Cannibalism. Journal of Anthropological Research 39 (2): 147-178. University of New Mexico Press, Albuquerque. Foucault Michel 2003 Vigilar y castigar. Nacimiento de la prisión. Siglo XXI, México. Fox John 1991 The Lords of Light Versus the Lords of Dark: The Postclassic Highland Maya Ballgame. The Mesoamerican Ballgame (Scarborough et Wilcox eds.): 213-238. University of Arizona Press, Tucson. 148

Bibliographie Morelos. Memoria del Tercer Congreso Interno del Centro INAH : 59-64. Morelos, México. Garza Mercedes de la et Ana Luisa Izquierdo 1980 El ullamaliztli en el siglo XVI. Estudios de cultura náhuatl 14: 3l5-333. México, IIH, UNAM, México. Gatrell V. A. C 1994 The Hanging Tree: Execution and the English People 1770–1868. Oxford University Press, Oxford. Geertz Clifford 1972 Deep Play: Notes on the Balinese Cockfight. Daedalus 101: 1-37. American Academy of Arts and Sciences, Cambridge, Massachussets. 1983 Jeu d´enfer: notes sur le combat de coqs balinais. Bali, interprétation d´une culture. Gallimard, Paris. Gillespie Susan 1991 Ballgames and Boundaries. The Mesoamerican Ballgame (Scarborough et Wilcox eds.): 317346. University of Arizona Press, Tucson. Gillow Eulogio G. 1978 Apuntes históricos sobre la idolatría y la introducción del cristianismo en la diócesis de Oaxaca, Akademische Druck- u. Verlagsanstalt, Graz. Girard René 1983 La violencia y lo sagrado. Anagrama, Barcelona. Glass John B. 1964 Catálogo de la colección de códices. Museo Nacional de Antropología, INAH, México. Glass John B. et Donald Robertson 1965A Census of Native Middle American Pictorial 84 Manuscripts. Handbook of Middle American Indians 14: 81-252. University of Texas Press, Austin. Gonthier Nicole 1998 Le châtiment du crime au Moyen Âge. Presses Universitaires de Rennes, Rennes. González Abrisketa Olatz Fundación cultural en el deporte: el caso de la 2006 pelota vasca. Revista de Dialectología y Tradiciones Populares 61 (2): 209-224. UNAM, México. González de Clavijo Ruy 1782 Historia del gran Tamorlan e itinerario y narración del viage... A. de Sancha, Madrid. González Rodríguez Raúl 1992 Presentación en Ulises Casab Rueda. El juego de la bola de hule. México antiguo: 7-8. Comisión Nacional del Deporte, SEP, México. González Rul Francisco 1963 Un tzompantli en Tlatelolco. Boletín del INAH 13: 3-5. INAH, México. González Torres Yolotl 1978 Algunas consideraciones sobre la antropofagia en México. Actes du XLII Congrès des Américanistes: 108-111. Société des Américanistes, Paris. 1985 El sacrificio humano entre los mexicas. FCE,

INAH, México. Deidades demas y los ritos de despedazamiento, Mesoamérica. Historia y religión en Mesoamerica y áreas afines (Dahlgren ed.) : 105-112. UNAM, México. Gordon White David 1991 Myths of the Dog-Man. University of Chicago Press, Chicago, London. Granados Chapa Miguel Ángel 2006 “¡Gooool!”. Opinion. Reforma. Domingo 25 juin 2006: 17. México. Graulich Michel 1982 Les mises à mort doubles dans les rites sacrificiels des anciens Mexicains. Journal de la Société des Américanistes 68 : 49-58. Société des Américanistes, Paris. 1988 Double Inmolations in Ancient Mexican Sacrificial Ritual. History of Religions 7 (4): 393-404. University of Chicago Press, Chicago 1992 Les grandes statues aztèques dites de Coatlicue et de Yollotlicue. Cultures et sociétés Andes et Méoamérique (Thiercelin ed.): 375-419. Publications de l´Université de Provence, Aixen-Provence. 1994 Montezuma ou l’apogée et la chute de l´empire aztèque. Fayard, Paris. 1997a Myths of Ancient México. University of Oklahoma Press, Norman et London. 1997b Chasse et sacrifice humain chez les Aztéques. Bulletin des séances de l'Académie Royale des Sciences d`outre-mer, nlle série 43 (4): 433446. Koninklijke Academie voor Overzeese Wetenschapen. 2005 Le sacrifice humain chez les Aztèques. Fayard, Paris. Greenblatt Stephen 1991 Marvelous Possessions. The Wonder of the World. University of Chicago Press, Chicago. Greene Robertson Merle 1992 El juego de pelota yucateco. Evidencias recientes sobre el juego. El juego de pelota en Mesoamérica. Raíces y supervivencia (Uriarte ed.): 199-222. DIFOCUR, Siglo XXI, Sinaloa, México. 1995 Rubbings of Maya Sculpture. Pre-Columbian Art Research Institute, San Francisco. Greene Robertson Merle, Robert L. Rands et John A. Graham 1972 Maya Sculpture from the Lowlands, Highlands and Pacific Piedmont. Lederer, Street & Zeus, Berkeley. Gresle-Pouligny Dominique 1999 Un plan pour Mexico Tenochtitlan. Les représentations de la cité et l´imaginaire européen (XVIe-XVIIIe siècles). L´Harmattan, Paris. Groups:northwestern.edu/women ́s rugby/links-the brush back. Grunberg Bernard 1993 L`Univers des conquistadores. Les hommes et leur conquête dans le Mexique du XVI siècle. L`Harmattan, Paris. 1990

149

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels 1998

L´Inquisition Apostolique au Mexique. Histoire d´une institution et son impact dans une société coloniale (1521-1571). L´Harmattan, Paris. Gruzinski Serge 1996 Histoire de México. Fayard, Paris. Gruzinski Serge et Carmen Bernard 1988 De l´idolâtrie. Une archéologie des sciences religieuses. Seuil, Paris. 1991 Histoire du Nouveau Monde. De la découverte a la conquête. Fayard, Paris. Guaman Poma Felipe 1615 Primer nueva coronica i buen gobierno. Version numérique de la Bibliothèque Royale du Danemark. 1944 El primer nueva Coronica i buen gobierno. Instituto Tihuanacu de Antropología, Etnografía y Prehistoria, La Paz, Bolivia. Guía de Actas de Cabildo de México, siglo XVI 1970 O´Gorman (ed.) FCE, México. Guijo Gregorio Martin 1952 Diario de los sucesos virreinales (Romero de Terreros ed.) 2 vols. Porrua, México. Guillemin George 1965 Iximché 1964. Antropología e Historia de Guatemala 7: 41-42. Instituto de Antropología e Historia de Guatemala, Guatemala. Guilliem Arroyo Salvador 2008 Exploraciones arqueológicas en Tlatelolco 1987-2007. Arqueología mexicana 15 ( 89): 46-52. Raíces, México. 2010 Los contextos sacrificiales de MéxicoTenochtitlan. El sacrificio humano en la tradición religiosa mesoamericana (López Luján et Olivier eds.): 275-300. INAH, IIH, UNAM, México. Guilliem Arroyo Salvador, Saturnino Vallejo Zamora et Ángeles Medina Pérez 1998 Ofrenda en el Templo Mayor de MéxicoTlatelolco. Arqueología. Revista de la Coordinación Nacional de Arqueología del INAH, 2eme ep 19: 101-117, INAH, México. Gurría Lacroix Jorge 1976 Historiografía sobre la muerte de Cuauhtemoc. IIH, UNAM, México. Gussinyer Jordi 1972 Segunda temporada de Salvamento Arqueológico en la Presa de La Angostura, Chiapas. ICACH 2a ep 5-6 (23-24): 41-56. Instituto de Ciencias y Artes de Chiapas, Tuxtla Gutierrez. 1979 La arquitectura prehispánica en los alrededores de la catedral. El Recinto sagrado de México-Tenochtitlan, Excavaciones 19681969 y 1975-1976 (Vega ed.): 67-74. INAH, México. Gutiérrez Contreras Salvador 1974 Los coras y el Rey Nayarit. Compostela, Nayarit. Gutiérrez Solana Nelly 1983 En torno al ritual y a la estética en las fiestas de los antiguos mexicanos con comentario de Alfredo López Austin. El arte efímero en el

mundo hispánico, Coloquio del Instituto de Investigaciones Estéticas : 21- 42. IIE, UNAM, México. Hamy Ernest Theodore 1971 Le tzompantli. Decades Americanae. Mémoires d’Archéologie et d'Ethnographie Américaines : 33 - 40. Akademische Druck und Verlagsanstalt, Graz. 1985 Comentario explicativo. Códice Borbónico : 367-429. Siglo XXI, México. Handbook of Middle American Indians 1965University of Texas Press, Austin. 1984 Harner Michael 1977 The Ecological Basis for Aztec Sacrifice. American Ethnologist 4 (1): 117-135. American Anthropological Association, Washington, DC. 1977 The Enigma of Aztec Sacrifice. Natural History 86 (4): 46-51. American Museum of Natural History, New York. Harris Marvin 1991 Cannibals and Kings: The Origins of Cultures. Vintage Books-Random House, New York. Hassig Ross 1988 Aztec Warfare. Imperial expansion and political control. University of Oklahoma Press, The civilization of the american indian series, Oklahoma et London. Hedin Thomas F. 2001 The Petite Comande of 1664: Burlesque in the Gardens of Versailles. Art Bulletin 83 (4): 651685. College Art Association, New York Heinze Ruth-Inge et Richard Noll 1986 More on Mental Imagery and Shamanism. Current Anthropology 27 (2): 154. University of Chicago Press, Chicago. Heizer Robert s/f Human sacrifices among the Aztecs. CIBA Symposia. Scalp and Head Trophies 10 (1): 922-923. CIBA Pharmaceutical Products. New York. Hellmuth Nicolas 1975 The Escuintla Hoards. Teotihuacan Art in Guatemala. Foundation for Latin American Anthropological Research Progress Reports, Culver City, California. 1987 Human Sacrifice in Ballgame scenes on early classic Cylindrical Tripodes from the Tiquisate Region, Guatemala, Foundation for Latin American Anthropological Research, Culver City, California. 1992 Los juegos de pelota maya en México y Guatemala durante los siglos VI y VII. El juego de pelota en Mesoamérica. Raíces et supervivencia (Uriarte ed.): 169-197. DIFOCUR, Siglo XXI, Sinaloa, México 1996 Iconography of Maya Sculpture in Mexico, which portrays the sacred Rubber Ballgame: The complete corpus. Foundation for Latin American Anthropological Research. Culver City, California.

150

Bibliographie Hernández Pons et Carlos Navarrete 1997 Decapitación y desmembramiento en una ofrenda del centro ceremonial de MéxicoTenochtitlan. De hombres a dioses (Noguez et López Austin eds.): 59-108. El Colegio de México et El Colegio de Michoacán, México. Hernández Sotelo Anel 2011 Una arquitectura de huesos: el espacio de la muerte capuchina. Academia Revista de la Facultad de Arquitectura época. 1, 2eme année vol.2. Facultad de Arquitectura, UNAM, México. Hernández Francisco 1959Historia natural… Obras completas de 84 Francisco Hernández (Comisión Editora de las Obras de Francisco Hernández eds.) UNAM, México. Hernández Verónica 2006 Los janamus grabados en la arquitectura prehispánica y virreinal de Tzintzuntzan, Michoacán. Thèse de maîtrise en Histoire de l´art. Facultad de Filosofía y Letras, UNAM, México. Herrera y Tordesillas Antonio de 1944Décadas. Historia General de los hechos de los 1946 castellanos en las islas y tierra firme del Mar Océano. Guaranía, Asunción de Paraguay, Buenos Aires. Hers Marie Areti 1989 Toltecas en tierra chichimeca. IIE, UNAM, México. 2001 Zacatecas y Durango. Los confines toltecas chichimecas. La gran chichimeca. El lugar de las rocas secas (Braniff ed.): 113-155. CONACULTA, JACA Books, México. 2002 Chicomoztoc, un mito revisado. Arqueología Mexicana 10 (56) : 48-53. Raíces, México. Hewitt Erika A 1999 What´s in a name. Ancient Mesoamerica 10: 251-262. Cambridge University Press, Cambridge. Heyden Doris 1994 Trees and wood in Life and Death. Chipping away on Earth: Studies in Prehispanic and Colonial Mexico (Quiñones Keber ed.): 143152. Labyrinthos Press, Lancaster California. Hill Robert M. 2001 Post Conquest Cultures. The Oxford Encyclopedia of Mesoamerican Cultures. The Civilizations of Mexico and Central Mexico (Carrasco ed.) 3: 14-19. Oxford University Press, New York. Hill Warren D. et John E. Clark 2001 Sports, Gambling and Government: America´s First Social Compact? American Anthropologist 103 (2): 331-345. American Anthropological Association, Washington, DC Historia de la Ciudad de México 1983 Historia de la Ciudad de México (Benítez ed.) Salvat, México. Historia de los mexicanos en sus pinturas 1985 Teogonía e historia de los mexicanos. Tres

opúsculos del siglo XVI (Garibay ed.): 69– 120. Porrua, México. Historia Tolteca Chichimeca 1976 (Kirchoff, Güemes et Reyes eds.) INAH, México. Hogg Gary 1958 Cannibalism and Human sacrifice. Robert Hale Limited, London. Honour Hugh 1975 The New Golden Land. European Images of América from the discoveries to the Present Time. Fleming Honour, LTD, London. 1976 L´Amérique vue par l´Europe. Editions des Musées Nationaux, Paris. Hopfener Birgit et Franziska Koch 2011 Dead (and dying) Bodies as material in contemporary Chinese art. Approaches to a global phenomenon. Los Itinerarios de la Imagen: Prácticas, Usos y Funciones (Báez, Carreón et Dorotinsky eds.): 243-262. IIE, UNAM, México. Hulme Peter 1980 Colonial Encounters. Europe and the Native Caribbean 1492-1797. Methuen, London-New York. Hulme Peter et Neil Whitehead (eds.) 1992 Encounters with Caribs from Columbus to the Present Day. An Anthology, Clarendon Press, Oxford. Hunter John, Charlotte Roberts et Anthony Martin 1999 Studies in Crime: An Introduction to Forensic Archaeology. Routledge, New York. Idee Europa 2003 Catalogue d´exposition. Deutsches Historisches Museum, Henschel, Berlin. Il joc di pilota al Méxic precolombi, la seva supervivencia a l´actualitat 1992 Fundación Folch, Barcelona. Image du Nouveau Monde en France 1995 Editions de la Martinière, Centre d´Etudes Hispaniques Francisco Goya, Paris. Información de Velázquez 1990 Documentos cortesianos (Martínez ed.) 1: 206. FCE, UNAM, México. Ingarden Roman 1979 Concreción y reconstrucción. Estética de la recepción (Warning ed.) : 35-53. La Balsa de Medusa, Madrid. Instrucciones a Hernando de Saavedra, lugarteniente de gobernador et capitán general en las villas de Trujillo y la Natividad en Honduras 1990 Documentos Cortesianos (Martínez ed.). 1: 352-356. FCE, UNAM, México. Instrucciones de Carlos V a Hernán Cortés sobre el tratamiento de los indios, Cuestiones de Gobierno et recaudo de Hacienda Real 1990 Documentos Cortesianos (Martínez ed.) 1: 265-272. FCE, UNAM, México. Instrucciones de Diego Velázquez a Hernán Cortés 1990 Documentos Cortesianos (Martínez ed.) 1: 45-

151

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels 57. FCE, UNAM, México. Jiménez Moreno Wigberto 1959 Síntesis de la Historia Pretolteca de Mesoamérica. Esplendor del México Antiguo 2: 1019-1108. Centro de Investigaciones Antropológicas de México, México. Jiménez Blanca et Samuel Villela 1998 Historia y cultura tras el glifo. Los códices de Guerrero. INAH, México. Jiménez Pedro Ángeles 2005 Imágenes e ideas: los indios del septentrión novohispano. Imágenes de los naturales en el arte de la Nueva España siglos XVI al XVIII : 137-189. Banamex, UNAM, IIE, DGAPA, México. Johansson Patrick K. 2007 La palabra, la imagen y el manuscrito. Lécturas indígenas de un texto pictórico en el siglo XVI. IIH, UNAM, México. 2008 Mitología, litográfica y mitokinesis. Una secuencia narrativa de la migración de los aztecas. Estudios de Cultura Náhuatl 39: 1552. IIH, UNAM, México. Jones Lindsay 1995 Twin City Tales. Hermeneutical Reassessment of Tula and Chichen Itza. University of Colorado Press, Boulder. Juul Jesper 2005 Video Games between Real Rules and Fictional Worlds. Cambridge University Press, Cambridge. Kampen Michael 1972 The Sculptures of El Tajín. University of Florida Press, Gainesville, Florida. Kantororowicz Ernst 1989 Le Deux Corps du Roi. Gallimard, Paris. Karsten Rafael 1935 The Headhunters of Western Amazonas. The Life and Culture of the Jibaro Indians of Eastern Ecuador and Peru. Akademiska bokhandeln, Helsingfors. Keegan William F. 1998 Pacification, conquest and genocide. Christopher Columbus and the Age of Exploration. An Encyclopedia (Bedini ed.) : 532-535. Da Capo Press, New York. Keen Benjamin 1971 The Aztec Image in Western Thought. Rutgers University Press, New Brunswick. Kelley Charles et Ellen Abbot Kelley 1971 An Introduction to the Ceramics of the Chalchihuites Culture of Zacatecas and Durango, Mexico. Part 1: The Decorated Wares. Mesoamérican Studies 5. Research Records of the University Museum. Southern Illinois University, Carbondale, Illinois. 2001 Altavista. Archaeology of Ancient Mexico. An Encyclopedia (Evans et Webster eds.): 17-18. Garland Publishing, New York, London. Kelley Ellen Abbot 1978 The Temple of the Skull at Alta Vista, Chalchihuites. Across the Chichimec Sea.

Papers in honor of J. Charles Kelley (Carroll et Hedrick eds.): 102-126. Southern Illinois University Press, Fefer and Simons, LondonAmsterdam-Carbondale-Edwardsville. Kirchoff Paul 1967 Mesoamérica. Sus límites geográficos, composición étnica y caracteres culturales. Tlatoani. Boletín de la Sociedad de alumnos de la Escuela Nacional de Antropología e Historia, ENAH, México. 1992 Mesoamérica. Una definición de Mesoamérica. UNAM, IIA. México. Klein Cecilia 1975 Post-Classic Mexican Death Imagery as a Sign of Cyclic Completion. Death and Afterlife in Pre-Columbian America (Benson ed.): 69-85. Dumbarton Oaks, Washington D.C. 1990Snares and Entrails: Mesoamerican Symbols of 1991 sin and punishment. RES Anthropology and Aesthetics 19-20: 81-103. The Peabody Museum of Archaeology and Ethnology, Cambridge. 2000 The Devil and the Skirt. An Iconographic inquiry into the prehispanic nature of the Tzitzime. Estudios de Cultura Náhuatl 31: 1762. IIH, UNAM, México. Knauth Lothar 1961 El juego de pelota y el rito de decapitación. Estudios de Cultura Maya 1: 183-198. CEMCA, IIF, UNAM, México. Kowalski Jeff et William Fash 2000 Simbolismo del juego de pelota maya de Copán: Síntesis y nuevos temas. Mesas Redondas de Palenque. Antología 2: 257-273. INAH, México. Kowalski Jeff et Cynthia Kristan-Graham (eds.) 2007 Twin Tollans. Chichén Itzá, Tula and the Epiclassic to Early Postclassic Mesoamerican World. Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington D.C. Krickeberg Walter 1966 El juego de pelota mesoamericano y su simbolismo religioso. Traducciones mesoamericanistas. Sociedad Mexicana de Antropología, México. Kubler George 1961 Tula y Chichén Itzá. Estudios de Cultura Maya 1: 47-80. IIF, UNAM, México. 1982 Arquitectura mexicana del siglo XVI. FCE, México. 1984 Renascence y disyunción en el arte mesoamericano. Cuadernos de arquitectura mesoamericana 2: 75-87. UNAM, Facultad de Arquitectura, México. 1986 The Art and Architecture of Ancient America. The Pelican History of Art, Penguin Books, New York. 1991 Esthetic Recognition of Ancient Amerindian Art. Yale University Press, New Haven. Kurjack Eduard, Ruben Maldonado et Merle Greene Robertson 1991 Ballcourts of the Northern Maya Lowlands. The 152

Bibliographie Mesoamerican Ballgame (Scarborough et Wilcox eds.): 145-160. University of Arizona Press, Tucson. La Jornada 2002 Mundo.Mercredi 6 Fevrier 2002: 22a. México. México 1-1 con Alemania en penales. La Prensa 2006 México. Policiaca. 1 Juilllet 2006: 24. Aparecen más cabezas en Acapulco; sigue ola de terror. La Rea Alonso 1996 Crónica de la orden de seraphico S. Francisco Provincia de San Pedro y San Pablo de Michoacan en Nueva España (Escandon ed.) Colegio de Michoacán, Zamora-Michoacán. Ladrón de Guevara Sara 2010 El sacrificio humano en la Costa de Golfo. El sacrificio humano en la tradición religiosa mesoamericana (López Luján et Olivier eds.): 67-77. INAH, IIH, UNAM, México. Lafaye Jacques (ed.) 1972 Manuscrit Tovar. Origines et croyances des Indiens du Mexique. Akademische Druck-u. Verlangsanstalt, Graz, Austria Lafitau Joseph Francois 1977 Customs of the american indians compared with the customs of primitive times (Fenton et Moore eds.) 2 vols. The Champlain Society, Toronto, Canada. Landa Diego de 1973 Relación de las cosas de Yucatán. Porrúa, México. Las flores en la cocina mexicana 1996 Cocina indígena y popular 22. Conaculta, IVEC, México. Lauer Mirko et Rita Eder 1986 Estudio preliminar. Teoría social del arte. Bibliografía comentada : 13-42. IIE, UNAM, México. Le Fur Yves 1999 Ossuaires en Europe. La mort n´en saura rien. Reliques d´Europe et d´Océanie : 69-82. Editions de la Réunion des Musées Nationaux, Paris. Le Goff Jacques 1999 Un autre Moyen Âge. Gallimard, Paris. León Nicolás 1993 Reyes tarascos y sus descendientes hasta la presente época. La arqueología en los Anales del Museo Michoacano, épocas I y II (Gotilla et Mirambell eds.) : 67-115. INAH, México. León-Portilla Miguel 1959 Visión de los vencidos. Relaciones indígenas de la conquista. Biblioteca del estudiante universitario, UNAM, México. 1975 Fuentes de la Monarquía indiana en Juan de Torquemada. De los veinte y un libros rituales y monarquía indiana, con el origen e guerras de los indios occidentales, de sus poblaciones, descubrimientos, conquista, conversión y otras cosas maravillosas de la mesma tierra 7: 93-266. IIH, UNAM, México. 1985 Los franciscanos vistos por el hombre náhuatl.

IIH, UNAM, México. Cartografía y crónicas de la Antigua California. IIH, UNAM, México. Leonard Irving 1996 Los libros del conquistador. FCE, México. Leonardini Nanda 1996 Diccionario iconográfico religioso peruano. Patricia Borda, Rubicam, Lima. 2001

Le Plongeon Augustus 1973 Maya Atlantis Queen Móo and the Egyptian Sphinx. Rudolf Steiner, New York. Léry Jean de 1994 Histoire d´un voyage en terre du Brasil (Lestringant ed.) Librairie Générale Francaise, Paris. Leser Wendy 1993 Pictures at an Execution. An Inquiry into the subject of murder. Harvard University Press. Cambridge. Lestringant Frank 1997 Cannibals. The Discovery and Representation of the Cannibal from Columbus to Jules Verne. Polity Press, Oxford. Lévi-Strauss Claude 1967 Structural Anthropology. Anchor Books, New York. 1986 La alfarera celosa. Paidos, Barcelona. 1987 El origen de las maneras de mesa. Siglo XXI, México. Leyenaar Ted J. J. 1978 Ulama, perpetuación en México del juego de pelota prehispánico: Ullamaliztli. Gobierno del Estado de Sinaloa-Difocur, Sinaloa México. 1992 Los tres ulamas del siglo XX. Sobrevivencias del Ullamaliztli, el juego de pelota prehispánico mesoamericano. El juego de pelota en Mesoamérica. Raíces y supervivencia (Uriarte ed.): 369-389. DIFOCUR, Siglo XXI, Sinaloa, México. 1997 Ulama, jeu de balle des olmèques aux aztèques. Musée Olympique Bertelsmann, U. F. A. Lausanne. Leyenda de los Soles 1975 Códice Chimalpopoca, Anales de Cuautitlán y Leyenda de los Soles (Velásquez trad.) : 119142. IIH, UNAM, México. Lienzo de Aztactepec y Citlaltepec 1964 Catálogo de la colección de códices (Glass ed.): 184, pl. 137. Museo Nacional de Antropología, INAH, México. Lienzo de Puácuaro 1964 Catálogo de la colección de códices (Glass ed.): 78, pl. 35. Museo Nacional de Antropología, INAH, México. Lienzo de Tlacoatzintepec 1964 Catálogo de la colección de códices (Glass ed.): 167, pl.121. Museo Nacional de Antropología, INAH, México. Lienzo de Tlapa n° 2 de 1572 1964 Catálogo de la colección de códices (Glass ed.): 166, pl. 120. Museo Nacional de Antropología, 153

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels INAH, México. Lienzo de Tuxpan 1970 (Melgarejo ed.) Estampa Mexicana, México. Limón Olvera Silvia 1987 Ataque a indios idólatras por la Inquisición: su sentido político. Revista Nuestra América 20: 11-32. Centro Coordinador y Difusor de Estudios Latinoamericanos, UNAM, México.

Conquista de Méjico. 2 vols. Orbis, Barcelona. López Luján Leonardo 1993 Las ofrendas del Templo Mayor de Tenochtitlan. INAH, México. 2006 La casa de las águilas. 2 vols. CONACULTA, INAH, FCE, México. Los pinceles de la historia 1999 Los pinceles de la historia. El origen de la Nueva España 1680-1750. Catalogue d´exposition. INBA, México. Los siglos de oro en los virreinatos de América 15501700. 1999 Catalogue d´exposition. Sociedad estatal para la conmemoración de los centenarios de Felipe II y Carlos V. Museo de América, Madrid. Low Setha M. 1995 Indígenous Architecture and the Spanish American Plaza in Mesoamérica and the Caribbean. American Anthropologist 97 (4): 748-762. American Anthropological Association, Washington. Lowe Gareth W. 1959 Archaeological Exploration of the Upper Grijalva River, Chiapas, Mexico. Research in Chiapas. Papers of the New World Archaeological Foundation 2. NWAF, Brigham Young University, Provo. Maccoby Hyam 1999 L´exécuteur sacré. Le sacrifice humain et le legs de la culpabilité. Les éditions du Cerf, Paris. Maggiolo Marcio Veloz 1998 The Daily Life of the Taíno People. Taíno. PreColumbian Art and Culture from the Caribbean (Bercht, Brodsky, Farmer et Taylor eds.): 3445. El Museo del Barrio, The Monacelli Press, New York. Magoun Francis P. A History of British Football from the Beginnings to 1871. Anglistische Arbeiten, Cologne. Maguivar María del Consuelo 1995 El imaginario novohispano y su obra. Las esculturas de Tepotzotlán. INAH, México. Málaga Maite et Ana Pulido 2004 Días de guerra, vivir la conquista. Historia de la vida cotidiana en México. Mesoamérica y los ámbitos indígenas de la Nueva España (Escalante ed.): 341-366. FCE, Colegio de México, México. Maler Teobert 1932 Impresiones de viaje a las ruinas de Cobá y Chichén Itzá, Mérida, Yucatán. Imprenta del editor, México. Malvido Elsa, Grégory Pereira et Vera Tiesler (eds). 1997 El cuerpo humano y su tratamiento mortuorio. INAH, CEMCA, Colección Científica, México. Manuscrit Tovar 1972 Origines et croyances des Indiens du Mexique (Lafaye ed.) Akademische Druck-u. Verlangsanstalt, Graz, Austria.

Link Luther 1995 The Devil. A Mask without a Face. Reaktion Books, New York. Lipset-Rivera Sonya 2001 Law. Pre-Hispanic and Colonial periods. The Oxford Encyclopedia of Mesoamerican Cultures. The Civilizations of Mexico and Central America. (Carrasco ed.) 2: 110-112. Oxford University Press, New York. Lizardi Ramos César 1971 Rito previo a la decapitación en el juego de pelota. Estudios de Cultura Náhuatl 9: 21-46. IIH, UNAM, México. Lockhart James 1999 Los nahuas después de la Conquista. Historia social y cultural de la población indígena del México central, siglos XVI-XVIII. FCE, México. Loeb E. M. 1923 The Blood Sacrifice Complex. Memoirs of the American Anthropological Association 30. Menasha. Lombardo de Ruíz Sonia 1978 La Iglesia de la Asunción de Ichcateopan en relación con la autenticidad de los restos de Cuauhtemoc. IIH, UNAM, México. 1996 Atlas histórico de la Ciudad de México. INAH, Smurfit, Cartón y papel de México, México. López Austin Alfredo 1984 Cuerpo humano e ideología. Las concepciones de los antiguos nahuas. 2 vols. IIA, UNAM México. 1994 Tamoanchan y Tlalocan. FCE, México. 1996 Los mitos del tlacuache, caminos de la mitología mesoamericana. IIA, UNAM, México. 2001 El núcleo duro, la cosmovisión y la tradición mesoamericana. Cosmovisión, ritual e identidad de los pueblos indígenas de México. (Broda et Báez eds.) : 47-65. Conaculta, FCE, México. 1999 Breve historia de la tradición religiosa mesoamericana. IIA, UNAM, México. López Austin Alfredo et Josefina García Quintana 1989 Glosario. Bernardino Sahagún. Historia General de las cosas de la Nueva España (2): 863-923. Alianza, Madrid. López de Cogolludo Diego 1971 Los tres siglos de la dominación española en Yucatan o sea Historia de esta provincia. 2 vols. Akademische Druck-u. Verlagsanstalt, Graz, Austria. López de Gomara Francisco 1985 Historia general de las Indias. Hispánica Victrix cuya segunda parte corresponde a la 154

Bibliographie Manuscrito Chontal 1968 The Chontal Text. The Maya Chontal Indians of Acalan-Tixchel (Scholes et Roys eds.): 367-405. University of Oklahoma Press, Norman. Mapa de Cuauhtinchan No. 1 1991 Keiko Yoneda. Los mapas de Cuautinchan y la historia cartográfica. CIESAS, FCE, Gobierno del Estado de Puebla. México, Puebla. Mapa de Cuauhtinchan No. 2 2007 David Carrasco et Scott Sessions. Cave, City, and Eagles Nest. An interpretative Journey through the Mapa de Cuauhtinchan no.2, University of New Mexico Press, Albuquerque. Mapa de Popotla 1944 Salvador Mateos Higuera. Códice Mapa de Popotla. Tlalocan. Revista de fuentes para el conocimiento de las culturas indígenas de México 1 (3) IIF, UNAM, México. 1947 Alfonso Caso. Mapa de Popotla. Anales del Instituto Nacional de Antropología e Historia 2: 315-320. INAH, México. 1964 (Glass ed.) Catálogo de la colección de códices: 142, pl. 94. Museo Nacional de Antropología, INAH, México. Mapa de Siguenza 1920 The Sources and Authenticity of the History of the Ancient Mexicans (Radin ed.) University of California Press, Berkeley. Mapa de Tepechpan 1891 Eugène Boban. Documents pour servir à l’Histoire du Mexique : Catalogue Raisonné de la Collection de M., Eugène Goupil (Ancienne Collection J. M. A), Ernest Leroux, Paris. Mapa Quinatzin 1972 Artes de México 151 (19): 34-40. Artes de México y del Mundo, México. Marcus Joyce et Kent Flannery 1996 Zapotec Civilization. How Urban Society Evolved in Mexico’s Oaxaca Valley. Thames and Hudson, New York. Marquina Ignacio 1951 Arquitectura prehispánica. INAH, SEP, México. (Reed 1964) 1960 El Templo Mayor de México. INAH, México. Martínez del Río de Redo Marita 2005a La Conquista en una serie de tablas enconchadas. Imágenes de los naturales en el arte de la Nueva España siglos XVI al XVIII: 63-93. Banamex, IIE, UNAM, DGAPA, México. 2005b Una visión singular de la Conquista de México. Imágenes de los naturales en el arte de la Nueva España siglos XVI al XVIII: 125135. Banamex, IIE-UNAM, DGAPA, México. Martínez Maximino 1979 Catálogo de nombres vulgares y científicos de plantas mexicanas. FCE, México. 1986 Plantas hulíferas. Imprenta Manuel León Sánchez, México. Martínez Muriel Alejandro 1973 Salvamento Arqueologico. Presa La Angostura,

Informe sitio A49, Santa Rosa. México, INAH, México, Archivo Técnico. 1988 Prehistoric Rural Population Trends in Central Chiapas, Mexico. UCLA, University Microfilm International, Ann Arbor. Martínez Muriel Alejandro et Emilie Carreón 2010 El cráneo de Santa Rosa, Chiapas. Arqueología. Revista de la Coordinación Nacional de Arqueología del INAH 41: 9-93. INAH, México. Martínez Vargas Enrique 1993 Trascendental hallazgo en Zultepec. Arqueología Mexicana 1 (4): 62-64. Raíces, México. 2005 Zultepec-Tecoaque: evidencias del contacto entre hispanos y el mundo mítico-religioso mesoamericano. Thèse de doctorat, Estudios mesoamericanos, FFy L, UNAM, México. Martínez José Luís 1990 Hernán Cortés. FCE, México. 1993 Documentos Cortesianos 1518-1528 (Martínez ed.) 4 vols. UNAM, FCE, México. Martos Luís Alberto et Salvador Pulido Méndez 1989 Un juego de pelota en la Ciudad de México. Arqueología. Revista de la Dirección de Arqueología del INAH, 2eme époque 1: 81-87. INAH, México. Mastache Alba Guadalupe, Robert Cobean et Dan Healan 2002 Ancient Tollan. Tula and the Toltec Heartland. University Press of Colorado, Boulder. Mateos Higuera Salvador 1944 Códice Mapa de Popotla. Tlalocan. Revista de fuentes para el conocimiento de las culturas indígenas de México 1 (3) IIF, UNAM, México. 1990 Herencia arqueológica de México Tenochtitlan. Trabajos arqueológicos en el centro de la Ciudad de México (Matos Moctezuma ed.): 417-572. INAH, México. Matos Moctezuma Eduardo 1972 El tzompantli en Mesoamérica. Memorias de la XII Mesa Redonda de la Sociedad Mexicana de Antropología. Religión en Mesoamérica (Litvak et Castillo eds.) : 109-116. Sociedad Mexicana de Antropología, México. 1974 Proyecto Tula. 1a parte. Colección científica 15, INAH, México. 1975 Muerte a filo de obsidiana. SEP, México. 1976 Tula. Orto, México. 1999 The Templo Mayor of Tenochtitlan. Mesoamerican Architecture as a Cultural Symbol (Kowalski ed.): 199-219. Oxford University Press, New York, Oxford. 2001 The Ballcourt in Tenochtitlan. The Sport of Life and Death (Whittington ed.): 88-96. Mint Museum et Thames and Hudson, North Carolina. 2007 Edificios del Recinto sagrado de Tenochtitlan. Urbanismo en Mesoamérica (Sanders, Mastache et Cobean eds.) 1: 119-147. INAH, Pennsylvania State University, PennsylvaniaMéxico. 2010 La muerte del hombre por el hombre: el 155

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels sacrificio humano. El sacrificio humano en la tradición religiosa mesoamericana (López Luján et Olivier eds.): 43-64, INAH, IIH, UNAM, México. Matricula de Tributos 1991 (Castillo Farreras ed.) Secretaría de Hacienda y Crédito Público, México. Maudslay Alfred Percival 1974 Biología Centrali Americana:Archaeology. R.H. Porter, London. Maza Francisco de la 1985 La ciudad en el siglo XVII en 3 documentos gráficos. FCE, SEP, México. Mc Ewan Colin 1995 Ancient Mexico in the British Mueseum. British Museum Press, London. McKenzie Andrea 2007 Tyburns Martyrs. Execution in England 16751775. Hambledon Continuum, London, New York. Meback Mitchell 1998 The Thief, the Cross and the Wheel. Pain and Spectacle. Punishment in Medieval and Renaissance Europe. University of Chicago Press, Chicago. Mehl Jean-Michel 1990 Le jeu et les pouvoirs: la répression. Les jeux au royaume de France du XIIIe au début du XVIe siècle. Fayard, Paris. Memorias de la XII Mesa Redonda de la Sociedad Mexicana de Antropología, 1972 Religión en Mesoamérica (Litvak et Castillo eds.) Sociedad Mexicana de Antropología, México. Mendieta Gerónimo de 1971 Historia eclesiástica indiana (Icazbalceta ed.) Porrúa, México. Mendoza Rubén G. 2008 The Divine Gourd Tree: Tzompantli Skull Racks, Decapitation Rituals, and Human Trophies in Ancient Mesoamérica. The Taking and Displaying of Human Body Parts as Trophies by Amerindians (Chacon et Dye eds.): 400-443. Springer, New York. Métraux Alfred 1963 Warfare, Cannibalism and Human Trophies. Handbook of South American Indians 5: 383409. Cooper Square Publishers, Smithsonian Institution, New York, Washington. 1982 Les indiens de l´Amérique du Sud, Mentalité, Paris. México a través de los siglos 1953 (Riva Palacio ed.) Cumbre, México. Milbrath Susan 1991 Old world meets new: Views across the Atlantic. First Encounters. Spanish Explorations in the Carribbean and the United States 1492-1570 (Milanich et Milbrath eds.): 203-208 University of Florida Press, Gainesville. Milhou Alain 2000 Mundus novus et renovatio mundi. Les courants

messianiques et utopiques dans les Indes de Castille. Utopie. La quête de la société idéale en Occident. Bibliothèque Nationale de France, Fayard, Paris. Miller Mary Ellen 1986 The Art of Mesoamerica from the Olmec to the Aztec. Thames and Hudson, London. 1999 Maya Art and Architecture. Penguin, New York. 2001 The Maya Ballgame: Rebirth in the Court of Life and Death. The Sport of Life and Death. The Mesoamerican Ballgame (Whittington ed.): 78-88. Mint Museum et Thames and Hudson, North Carolina. Miller Mary Ellen et Stephen Houston 1987 The Classic Maya Ballgames and its Architectural Setting. A Study of Relations between Text and Image. RES Magazine 14:4665. Cambridge University Press, Massachusetts. Miller Mary Ellen et Karl Taube 1993 An Illustrated Dictionary of The Gods and Symbols of Ancient Mexico and the Maya. Thames and Hudson, London. Miller Virginia 1999 The Skull Rack in Mesoamerica. Mesoamerican Architecture as a Cultural Symbol (Kowalski ed.): 341-360. Oxford University Press, New York, Oxford. 2008 Skeletons, Skulls and Bones in the Art of Chichén Itza. The Taking and Displaying of Human Body Parts as Trophies by Amerindians (Chacon et Dye eds.): 165-189. Springer, New York. Molina Alonso de 1977 Vocabulario de lengua castellana a mexicana y mexicana a castellana. Porrúa, México. Mollat Michel 1992 Les explorateurs du XIIe au XVIe siècle. Premiers regards sur des mondes nouveaux. Editions du C. T. H. S., Paris. Mollat Michel et Monique de la Roncière 1984 Les Portulans, cartes marines du XIIIe au XVIIe siècle. Nathan, Suiza. Mollat Michel et al. 1984 Sea Charts of Early Explorers 13th to 17th Century. Thames & Hudson, New York. Monestier Martin 2000 Cannibales. Histoire et bizarreries de l´anthropophagie. Hier et aujourd´hui. Le Cherche Midi, Paris. 2003 Penas de muerte. Historia y técnicas de las ejecuciones capitales. Desde sus orígenes hasta nuestros días. Diana, México. Monterrosa Prado Mariano et Leticia Talavera Solórzano 2004 Símbolos cristianos. INAH, México. Morante López Rubén 1999 Las Higueras. Pintura mural prehispánica : 181-201. JACA, CONACULTA, México. 2005 La pintura mural de Las Higueras. Universidad Veracruzana, Veracruz, Xalapa. Moreno de los Arcos Roberto 1989 Linneo en México. Las controversias sobre el 156

Bibliographie sistema sexual biniario, l788-l798. UNAM-IIH, México. Morley Sylvanus 1968 The Ancient Maya (Brainerd ed.) Stanford University Press, California. Morley Sylvanus et George Brainerd 1983 The Ancient Maya (Sharer ed.) Stanford University Press, California. Moser Christopher 1973 Human Decapitation in Ancient Mesoamerica. Studies in Pre-Columbian Art and Archaeology 11. Dumbarton Oaks, Washington, D.C. Motolinia Voir: Benavente Toribio de Moya Pons Frank 1998 Santo Domingo. Christopher Columbus and the Age of Exploration. An Encyclopedia (Bedini ed.): 615-616. Da Capo Press, New York. Mundy Barbara 1996 The Mapping of New Spain. Indigenous Cartography and the Maps of the Relaciones Geográficas. University of Chicago Press, Chicago. Muñoz Camargo Diego 1982Relaciones geográficas del siglo XVI, 1987 Tlaxcala (Acuña ed.) 4. IIA, UNAM, México. Muñoz Espinosa María Teresa et Osiel Ulises Talavera 1996 El juego de pelota. Testimonios en la Sierra Gorda del Querétaro Septentrional. Arqueología. Revista de la Dirección de Arqueología del INAH, 2eme époque 15: 91102. INAH, México. Museo Nacional de Antropología de México 1988 GV editores, México. Musset Alain 1989 Etudes de deux cartes de Relations géographiques de 1580: Cuzcatlan. Descifre de las escrituras mesoamericanas: Codices, pinturas, estatuas, cerámica (Galarza ed.): 99-121. BAR Publishing, International Series 518, British Archaeological Reports, Oxford. Musset Alain et Francoise Vergneault 1991 Un regard multiple sur le pueblo de Cuzcatlan. Vingt études sur le Mexique et le Guatemala, réunies à la mémoire de Nicole Percheron (Breton et al eds.): 133-163. Presses Universitaires du Mirail, Toulouse. Najera Martha Ilia 1987 El don de la sangre en el equilibrio cósmico. El sacrificio y el autosacrificio sangriento entre los antiguos mayas. CEMCA, IIF, UNAM, México. Navarrete Cáceres Carlos 1966 The Chiapanec History and Culture, New World Archaeological Foundation publication 16. Brigham Young University, Provo, Utah. 1979 Las esculturas de Chaculá, Huehuetenango, Guatemala. IIA, UNAM, México. 1991 La fuente colonial de Chiapa de Corzo. Encuentro de historias. Gobierno de Chiapas, México. 1996 Elementos arqueológicos de mexicanización en las tierras altas mayas. Temas mesoamericanos 157

(Lombardo et Nalda eds.): 305-352. INAH, CONACULTA, México. Navarrete Linares Federico 1998 La migración de los mexicas. CONACULTA, México. 2004 The Hidden Codes of the Codex Azcatitlan. RES Anthropology and Aesthetics 45: 140-160. The Peabody Museum of Archaeology and Ethnology, Cambridge. 2008 Beheadings and massacres. Andean and Mesoamerican representations of the Spanish conquest. RES Anthropology and Aesthetics 5354: 59-78. The Peabody Museum of Archaeology and Ethnology, Cambridge. 2011 Los orígenes de los Altépetl del Valle de México. IIH, UNAM, México. Nebenzhal Kenneth 1990 Atlas de Colón y los Grandes Descubrimientos. Magisterio Español, Madrid. Nicholson Henry B., 1991A Historical Review en Eduard Seler. The 1993 Collected Works in Mesoamerican Linguistics and Archaeology (Comparato ed.) 1: 13-16. Labyrintos, Culver City, California. Nicholson Henry B. et Eloise Quiñones Keber 1991 Ballcourt images in Central Mexican Native tradition pictorial manuscripts. The Mesoamerican Ballgame (Van Bussel, Van Dongen et Leyennar eds.): 119-133. Rijksmuseum voor Volkenkunde, Leiden. Nimuendaju Curt 1939 The Apinayé. The Catholic University of America Press, Washington D.C. Noguera Eduard 1937 El altar de cráneos esculpidos de Cholula. Talleres gráficos de la Nación, SEP, México. Norman Garth 1973 Izapa Sculpture. Papers of the New World Archaeological Foundation. Brigham Young University, Provo, UTAH. Nuttal Zelia 1903 The Book of the Life of the Ancient Mexicans (Códice Magliabechi) University of California Press, Berkeley. Oliveros Arturo 1997 Dainzú, Macuilxochitl. Arqueología mexicana 5 (26) : 24-29. Raíces, México. Onians Richard Broxton 1999 Les origines de la pensée européenne sur le corps, l´esprit, l´âme, le monde, le temps et le destin. Seuil, París. Orozco y Berra Manuel 1970 Historia Antigua y de la conquista de México (Garibay ed.) 4 vols. Porrúa, México. 1980 Ojeada sobre cronología mexicana. Crónica Mexicana (Orozco y Berra ed.): 151-222. Leyenda, México Orr Heather 1997 Power Games in the Late Formative Valley of Oaxaca: The Ballplayer carvings at Dainzu. Thèse de doctorat, University of Texas, Austin. 2001 Ballgame. The Oxford Encyclopedia of

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Mesoamerican Cultures. The Civilizations of Mexico and Central America (Carrasco ed.) 1: 77-78. Oxford University Press, New York. Ortíz de Montellano Bernard 1978 Aztec cannibalism: An ecological necessity. Science 200: 611-617. AAAS, Washington D.C Ortiz Ponciano et Paul Schmidt 1988 El proyecto Manatí, temporada 1988, Informe preliminar. Arqueología. Revista de la Dirección de Arqueología del INAH, 1ere époque 3: 141-154. INAH, México. Ortiz Ponciano et Ma. del Carmen Rodríguez 1989 Proyecto Manatí 1989. Arqueología. Revista de la Dirección de Arqueología del INAH, segunda época 1: 13-22. INAH, México. Ortíz Ponciano Ma. del Carmen Rodriguez et Alfredo Delgado 1992 Las ofrendas de El Manatí y su posible asociación con el juego de pelota: un yugo a destiempo. El juego de pelota en Mesoamérica. Raíces y su supervivencia (Uriarte ed.): 56-68. Siglo XXI, Difocur Sinaloa, México. Ostapkowicz Joanna M. 1998 To be Seated with Great Courtesy and Veneration: Contextual Aspects of the Taíno Duho. Taíno. Pre-Columbian Art and Culture from the Caribbean (Bercht, Brodsky, Farmer et Taylor eds.): 56-67. El Museo del Barrio, The Monacelli Press, New York. Padilla Alonso Armando et Alida Zurita Bocanegra 1992 Los juegos de pelota actuales: tradición, recreación, identidad et memoria histórica. El juego de pelota en Mesoamérica. Raíces y su supervivencia (Uriarte ed.): 357-368. Siglo XXI-Difocur Sinaloa, México. Palm Erwin Walter 1984 Los monumentos arquitectónicos de La Española, Santo Domingo, República Dominicana. Editora Santo Domingo, Republica Dominicana. Pané Ramón 1987 Relación acerca de las antiguedades de los indios. Siglo XXI, México. Parsons Lee Allen 1986 The Origins of Maya Art: Monumental Stone Sculpture of Kaminaljuyu, Guatemala, and the Southern Pacific Coast, Dumbarton Oaks Research Library and Collection. Washington DC. 1991 The Ballgame in the Southern Pacific Coast Cotzumalhuapa Region and Its Impact on Kaminaljuyu During the Middle Classic. The Mesoamerican Ballgame (Scarborough et Wilcox eds.): 195-212. University of Arizona Press, Tucson. Pastoureau Michel 2009 Le cochon. Histoire d´un cousin mal aimé. Gallimard, Paris. Pascual Soto Arturo 2007 El Tajín. IIE, UNAM, México. Paso y Troncoso Francisco del 1985 Descripción, historia y exposición. Códice

Borbónico, Siglo XXI, México. Pasztory Esther 2005 Identity and Difference: The Uses and Meanings of Ethnic Styles. Thinking with Things. Toward a New Vision of Art, 157-178. University of Texas Press, Austin. Peña Solorzano Patricia de la 2006 Detrás del juego de pelota. Revista El Faro, la luz de la ciencia : 10-12, UNAM, México. Peniche Erosa 1946 Guía para visitar las ruinas de Chichen Itzá. Imp. Oriente, Mérida, Yucatán. Pennington Terrence et José Sarukhán 1968 Árboles tropicales de México, Instituto de Investigaciones Forestales, UNAM, México. Pereira Gregory et Guy Stresser Péan 1995 Un cas anormal de décapitation Huastèque à Vista Hermosa, Tamaulipas. Journal de la Société des Américanistes 81: 231-241. Paris. Perez de Ribas Andrés 1999 History of the Triumphs of our Holy Faith amongst the most Barbarous and Fierce Peoples of the New World (Reff, Ahem et Danford eds.), University of Arizona Press, Tucson. Pérez Joseph 1996 Histoire de l´Espagne. Fayard, París. Pigafetta Antonio de 1934 Primer viaje en torno al Globo. Espasa Calpe, Madrid. Pijoan Aguade, Carmen María et Alejandro Pastrana 1987 Evidencias de antropofagia y sacrificio humano en restos óseos. Avances de antropología física IV. Cuaderno de trabajo 5: 95-101. INAH, México. Pijoan Aguade Carmen María 1997 Evidencias de sacrificio humano y canibalismo en restos óseos. El caso del Entierro número 14 de Tlatelolco, D.F. Thèse de doctorat en Anthropologie. FFyL, UNAM, México. Pijoan Carmen et Josefina Mansilla 1990 Evidencias rituales en restos humanos del norte de Mesoamerica. Mesoamerica y norte de México, siglo IX-XII, Tercer seminario de Arqueología (Sodi ed.) 2: 467-478. Museo Nacional de Antropología, INAH, México. 1997 Evidencia de sacrificio humano, modificación ósea y canibalismo en el México prehispánico. El cuerpo humano y su tratamiento mortuorio (Malvido, Pereira et Tiesler eds.): 193-212. Colección Científica, INAH, México. 2010 Los cuerpos de sacrificados: evidencias de rituales. El sacrificio humano en la tradición religiosa mesoamericana (López Luján et Olivier eds.): 301-316. INAH, IIH, UNAM, México. Pijoan Carmen et Gerardo Valenzuela 2008 Informe del entierro no. 1 de La Angostura, sitio A49, (Santa Rosa) Laboratorio de Antropología Física, INAH, México. Piña Chan Román (ed.) 1973 Teotenango. El antiguo lugar de la muralla: 158

Bibliographie memoria de excavaciones arqueológicas. Gobierno del Estado de México, Talleres gráficos de la nación, México. Pintura de San Miguel y de San Felipe 1982Relación de Tiripitio. Relaciones Geográficas 1987 de Michoacán (Acuña ed.) 9: 370. IIA-UNAM, México. Pociello Christian 1987 Quelques indications sur les déterminants historiques de la naissance des sports en Angleterre (1780-1860) Sports et société, approche socio-culturelle des pratiques: 32-56. Vigot, París. Pollard Helen 1993 Tariacuri’s Legacy. The Prehispanic Tarascan State. University of Oklahoma Press, Norman. 1994 Tzintzuntzan. Capital del Imperio Tarasco. Arqueología mexicana 2 (9): 29-34. Raíces, México. 2001 Tzintzuntzan. Archaeology of Ancient Mexico. An Encyclopedia (Evans et Webster eds.): 78787. Garland Publishing, New York, London. Pollock Harry D. 1980 The Puuc: An Architectural Survey of the Hill Country of Yucatan and Northern Campeche, Mexico. Memoir of the Peabody Museum of Archaeology and Ethnology 19. Harvard University, Cambridge Pomar Juan Bautista 1982Relación de Tezcoco. Relaciones geográficas 87 del siglo XVI (Acuña ed.) 8: 45-113. IIA, UNAM, México. Popol vuh 1981 Francisco Xímenez. Popol vuh. Las antiguas historias del Quiché (Recinos trad.) FCE, México. 1985 Francisco Xímenez. Popol vuh. The Mayan book of the dawn of life (Tedlock trad.) Touchstone, New York. 2003 Francisco Xímenez. Popol vuh (Christenson trad.) O Books, Alresford, UK. Porras Muñoz Guillermo 1980 Iglesia y estado en Nueva Vizcaya. IIH, UNAM, México. 1982 El gobierno de la ciudad de México en el siglo XVI. IIH, UNAM, México. Porter Weaver Muriel 1969 A Reappraisal of Chupicuaro. The Natalie Wood Collection of Pre-Columbian Ceramics from Chupicuaro, Guanajuato. University of California, Los Angeles. 1981 The Aztecs, Maya and their Predecessors. Academic Press, London. Preuss Theodor Konrad 1990 Mexikanische Religion. (Bilderatlas zur Religionsgeschichte, 16) Scholl, Leipzig. Price Barbara 1978 Demystification Enriddlement and Aztec cannibalism: A materialist rejoinder to Harner. American Ethnologist 5 (1): 98-115. Journal of the American Ethnological Society, New York.

Procesos de indios idólatras y hechiceros 1912 SRE, México. Proskouriakoff Tatiana 1988 An Album of Maya Architecture. University of Oklahoma Press, Norman et London. Quigley Christine 2001 Skulls and Skeletons. Human Bone Collections and Accumulations. McFarland & C, Jefferson, North Carolina. Quinientos Planos de la ciudad de México 1992 (Herrera Moreno et C. de Ita Martínez eds.) SAHOP México. Quirarte Jacinto 1982 The Santa Rita Murals: A Review. Aspects of the Mixteca-Puebla Style and Mixtec and Central Mexican Culture in Southern Mesoamerica 4: 43-59, Tulane University, Middle American Research Institute, New Orleans. Radin Paul 1920 The Sources and Authenticity of the History of the Ancient Mexicans. University of California Press, Berkeley. Raesfeld Lydia 1992 Die Ballspielplatze in El Tajin, Mexiko. Bd8 Munster. Raigosa Reyna Pedro 2000 Teatralidad de los grupos originarios de Durango. Nómadas y sedentarios en el norte de México. Homenaje a Beatriz Braniff (Hers et al. eds.) : 461-470. IIA,IIE,IIH, UNAM, México. Ramírez Hernández Gerardo A. 1999 Dos visitas recientes a Cholula. Boletín informativo de la pintura mural Prehispánica de México 5 (10 - 11): 41- 44. UNAM-IIE, México. Ramírez Fausto 2003 México a través de los siglos (1881-1910): La pintura de la historia durante el Porfiriato. Los pinceles de la historia. La fabricación del estado 1864-1910: 110-149. INBA, México. Rampley Mathew 2001 Iconology of the Interval: Aby Warburg´s Legacy. Word and Image 17 (4): 303-324. Taylor and Francis, London. Rathje William et Michael Schiffer 1980 Archaeology. Harcourt Brace Jovanovich Inc., New York. Rea Gómez Daniela 2006 Decapitaciones, la nueva amenaza. Enfoque, Suplemento Reforma: 10-12. Dom 30 julio. Real cédula de nombramiento de Hernán Cortés como gobernador y capitan general de la Nueva España e instrucciones para su gobierno 1990 Documentos Cortesianos 1518-1528 (Martínez ed.) 1: 250. UNAM, FCE, México. Redmond Elsa et Charles Spencer 1983 The Cuicatlan Cañada and the Period II Frontier of the Zapotec. The Cloud people. Divergent evolution of the Zapotec and Mixtec civilizations (Flannery et Marcus eds.) : 117120, Academic Press, New York. 159

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Reents Budet Dorie 1994 Painting the Maya Universe: Royal Ceramics of the Classic Period. Duke University Press, Durham et London. Reforma 2003 México. Sección B. Vendredi 3 novembre, 2003: 1. Cae la muerte en el Zócalo. 2007 México. Cancha. Samedi 23 juin 2007: 11. Si no ganan los van a matar. 2007 México. Ciudad. Samedi 3 novembre 2007: 4. Los capitalinos asistieron ayer al Zócalo. 2008a México. Cancha. Dimanche 2 mars 2008: 6. Achucarro los mata. 2008b México. Internacional. Viernes 28 marzo 2008: 5. Estrechan lazos Francia y Gran Bretaña. 2008c México. Cancha. Samedi 29 mars 2008: 3. Con la soga al cuello. 2008d México. Cancha. Vendredi 4 avril 2008: 9. Puebla : anotar o morir. 2008e México. Internacional. Vendredi 7 de novembre 2008: 4. Mete Gol Bachelet. Relación de Coatepec-Chalco 1982Relaciones geográficas del siglo XVI (Acuña 1987 ed.) 6: 129-155. IIA, UNAM, México. Relación de Compostela 1947 Papeles de la Nueva España (Paso y Troncoso ed.) 8 (1): 11-32. Museo Nacional de Arqueología, Historia y Etnografía, México. Relación de Cuzcatlán 1982Relaciones geográficas del siglo XVI (Acuña 1987 ed.) 5: 93-103. IIA, UNAM, México. Relación de Epazoyuca 1982Relaciones geográficas del siglo XVI (Acuña 1987 ed.) 6: 83-91. IIA, UNAM, México. Relación de Huastepeque 1982Relaciones geográficas del siglo XVI (Acuña 1987 ed.) 6: 196-212. IIA, UNAM, México. Relación de la conquista por informantes anónimos de Tlatelolco 1972 Visión de los vencidos. Relaciones indígenas de la conquista (León Portilla ed.) UNAM, Biblioteca del estudiante universitario, México. Relación de Meztitlan 1982Relaciones geográficas del siglo XVI (Acuña 1987 ed.) 7: 57-75. IIA, UNAM, México. Relación de Michoacán. Relación de las ceremonias, ritos, población y gobernación de los indios de la Provincia de Michoacán 1989 Jerónimo de Alcalá. La Relación de Michoacán (Cabrero ed.) Crónicas de América 52, Historias 16, Madrid. 2000 Jerónimo de Alcalá. Relación de las ceremonias y ritos y población y gobernación de los indios de la Provincia de Mechoacan (Franco Mendoza ed.) El Colegio de Michoacán et Gobierno del Estado de Michoacán, Zamora, México. 2001 Jerónimo de Alcalá. La Relación de Michoacán, Relación de las ceremonias y ritos y población y gobernación de los indios de la Provincia de Michoacán (Escobar Olmedo ed.) Patrimonio

Nacional, Madrid. Relación de Tlaxcala 1982Diego Muñoz Camargo. Relaciones 1987 geográficas del siglo XVI, Tlaxcala (Acuña ed.) 4. IIA, UNAM, México. Relación de Teutenango 1906 Papeles de la Nueva España (Paso y Troncoso del ed.) 7: 1-7. Museo Nacional de Arqueología, Historia y Etnografía, México. Relación de Queretaro 1982Relaciones geográficas del siglo XVI (Acuña 1987 ed.) 9: 214-248. IIA, UNAM, México. Relación de Tiripitio 1982Relaciones geográficas del siglo XVI (Acuña 1987 ed.) 9 : 339-376. IIA, UNAM, México. Relato de la conquista por un autor anónimo de Tlatelolco 1985 Bernardino de Sahagun. Historia General de las cosas de la Nueva España (Garibay ed.): 813822 . Porrúa, México. Remesal Antonio de 1988 Historia General de las indias occidentales y particular de la gobernación de Chiapas y Guatemala. 2 vols. Porrúa, México. Reyes Virgilio Arquitectura y poblamiento. Teotenango. El 1973 antiguo lugar de la muralla: memoria de excavaciones arqueológicas (Piña Chan ed.) 1: 117-189. Gobierno del Estado de México, Talleres gráficos de la nación, México Ricard Robert 1999 La conquista espiritual de México. FCE, México. Ripa Cesare 1971 Baroque and Rococo Pictorial Imagery. The 1758-60 Hertel edition of Ripa’s Iconología (Maser ed.) Dover, New York. 1987 Iconología (Barja et Barja trad.) 2 vols. Akal, Madrid. Ritual Human Sacrifice in Mesoamerica 1984 (E. Boone ed.) Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington D.C. Riva Palacio Vicente et Manuel Payno 1989 El libro Rojo. CONACULTA, México. Rivera Dorado Miguel 1995 Las tierras bajas de la zona maya en el Posclásico. Historia Antigua de México (Manzanilla et López Luján eds.) 3: 121-152, INAH, UNAM, Porrúa, México. Robbins Rossell Hope 1981 The Encyclopedia of Witchcraft and Demonology. Bonanza Books, New York. Robelo Cecilio s/f Diccionario de aztequizmos. Ediciones Fuente Cultural, México 1982 Diccionario de mitología nahoa. Porrúa, México. Robertson Donald 1965The pinturas (maps) of the Relaciones 1984 geográficas, with a catalogue. Handbook of Middle American Inians 12: 243-278. University of Texas Press, Austin. 160

Bibliographie 1994

Mexican Manuscript Painting of the Early Colonial Period. The Metropolitan Schools. University of Oklahoma Press, Norman et London. Robiseck Francis et Donald Hales 1984 Maya heart sacrifice: cultural perspective and surgical technique. Ritual Human Sacrifice in Mesoamerica (Boone ed.): 49-90. Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington. Rodríguez Prampolini Ida 1997 La crítica de arte en México en el siglo XIX. UNAM, IIE, México. Rochín Roberto 1986 Ulama: el juego de la vida y la muerte. Rollo Selden 1964Antigüedades de México basadas en la 1967 recopilación de Lord Kingsborough (Corona Núñez ed.) 2: 101 - 113. SHCP, México. Romero de Terreros Manuel 1956 La Plaza Mayor de México en el siglo XVIII. IIE, UNAM, México. Romero Galván José Rubén 2003 La Crónica X. Historiografía Novohispana de tradición indígena: 185-196. IIH, UNAM, México. Romero Galván José Rubén et Rosa Camelo Arredondo 2003 Fray Diego Durán. Historiografía Novohispana de tradición indígena: 229-257. IIH-UNAM, México. Romero Molina Javiér 1986 Catálogo de la colección de dientes mutilados prehispánicos, IV parte. Colección Fuentes, INAH, México. Roux Jean-Paul 1984 Histoire des Turcs. Deux mille ans du Pacifique à la Mediterranée, Fayard, Paris. Roys Ralph 1967 The Book of Chilam Balam of Chumayel. University of Oklahoma, Norman, Oklahoma. Rubial García Antonio 1998a La plaza, el palacio y el convento. Conaculta, México. 1998b Cuerpos milagrosos. Creación y culto de las reliquias novoshispanas. Estudios de Historia novohispana 18: 13-30. IIH, UNAM, México. Rubial Antonio et María Terese Suárez Molina 1999 La construcción de la Iglesia indiana: Las imágenes de su Edad Dorada. Los pinceles de la historia. El origen de la Nueva España 1680-1750 : 142-179. INBA, México. Rubín de la Borbolla Daniel 1939 Antropología Tzintzuntzan-Ihuatzio. temporadas I y II. Revista Mexicana de estudios Antropológicos 3 (2): 99-121, SMA, México. Ruz Lhuillier Alberto 1968 Costumbres funerarias de los antiguos mayas. Seminario de Cultura Maya, UNAM, México. Sahagún Bernardino de 1979 Códice Florentino, Manuscrito 2l8-20 de la Colección Palatina de la Biblioteca Medicea Laurenziana facsimile. Secretaría de

Gobernación, AGN, México. Florentine codex. General History of the things of New Spain (Dibble et Anderson eds.) 12 vols. The School of American Research and The University of Utah, Santa Fe, New Mexico. 1985 Historia General de las cosas de la Nueva España (Garibay ed.) Porrúa, México. 1988 Historia General de las cosas de la Nueva España (López Austin et García Quintana eds.) Alianza, Madrid. 1993 Primeros memoriales. University of Oklahoma Press, Norman. Salazar Ortegón Ponciano 1952 El tzompantli de Chichén Itzá. Tlatoani. Boletín de la Sociedad de alumnos de la Escuela Nacional de Antropología e Historia 1 (5-6): 37- 41. ENAH, INAH, México. Sánchez Bonilla Juan 1992 Similitudes entre las pinturas de Las Higueras y las obras plásticas de El Tajín. El Tajín (Bruggerman, Ladrón de Guevara et Sánchez Bonilla eds.): 142-158. CITIBANK, México. Sánchez Saldaña Patricia 1972 El tzompantli de Tlatelolco. Memorias de la XII Mesa Redonda de la Sociedad Mexicana de Antropología. Religión en Mesoamérica (Litvak et Castillo eds.): 387-391. Sociedad Mexicana de Antropología, México. Santamaría Francisco J. 1959 Diccionario de Mejicanismos. Porrúa, México. Scarborough Vernon 1991 Courting the Maya Lowlands: A Study in PreHispanic Ballgame Architecture. The Mesoamerican Ballgame (Scarborough et Wilcox eds.): 129-144. University of Arizona Press, Tucson. Scarborough Vernon et David Wilcox (eds.) 1991 The Mesoamerican Ballgame. University of Arizona Press, Tucson. Schele Linda 1984 Human Sacrifice among the Classic Maya. Ritual Human Sacrifice in Mesoamerica (Boone ed.): 7-48. Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington D. C. Schele Linda et Mary Ellen Miller 1986 The Blood of Kings. Dynasty and Ritual in Maya Art. Kimbell Art Museum, Fort Worth. Schele Linda et David Freidel 1990 A Forest of Kings. The Untold Story of the Ancient Maya. William Morrow and Co., Inc., New York. Schele Linda et Peter Mathews 1998 The Code of Kings. The Language of Seven Sacred Maya Temples and Tombs. Scribner, New York. Scheller Jorg et Sebastian Baden 2010 Speculum humanae passionis. From pain to picture: On the interaction and amalgamation of bodies and pictures in bodybuilding and sports of the extreme. Los itinerarios de la imagen: Prácticas, usos y funciones (Báez, Carreón et Dorotinsky eds.): 218-242. IIE, UNAM, 19501982

161

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels México. Scholes France V. et Ralph L. Roys (eds.) 1968 The Chontal Text. The Maya Chontal Indians of Acalan-Tixchel: 367-405. University of Oklahoma Press, Norman. Scott John F. 1978 The Danzantes of Monte Alban. Harvard University Press, Cambridge, Massachussetts. Seedwiki 2007 El juego de los Mayos (sic) www.seedwiki.com; joc-de-pilota-mesoamericano. 18 de junio.

19911993

The ruins of Chichén Itza in Yucatán. The Collected Works in Mesoamerican Linguistics and Archaeology (Comparato ed.) 6: 41-165. Labyrintos, Culver City, California. Sepulveda y Herrera María Teresa 1999 La inquisición en la Nueva España durante el siglo XVI. Procesos de idolatría al cacique, gobernadores y sacerdotes de Yanhuitlan 1544-1546. INAH, México. Shirley Rodney W. 1983 The Mapping of the World. Early Printed Maps of 1472-1700. Holland Press, London. Siegel Peter E. 1998 Ancestor Worship and Cosmology among the Taíno. Taíno. Pre-Columbian Art and Culture from the Caribbean (Bercht, Brodsky, Farmer et Taylor eds.): 106-111. El Museo del Barrio, The Monacelli Press, New York. Sierra Justo 1946 Elementos de la Historia Patria y Catecismo de Historia Patria. Ensayos y textos elementales de Historia. Obras completas del Maestro Justo Sierra (Yáñez ed.) UNAM, México. Signy Dennis 1969 A Pictorial History of Soccer. Hamlyn, London. Silva Loura Henrique da 1992 Capelas de ossos na arquidiocese de Ëvora. Tipografía Miguel Paiva. Portugal, Portimao. Siméon Rémi 1988 Diccionario de la lengua náhuatl o mexicana. Siglo XXI, México. Smith Marvin T. 1991 Indian responses to European Contact. First Encounters. Spanish Explorations in the Carribbean and the United States, 1492-1570 (Milanich et Milbrath eds.): 135-149. University of Florida Press, Gainesville. Solari Ana 2008 Cráneos de tzompantli bajo la Catedral Metropolitana de la Ciudad de México. Cuicuilco 15 (42) : 143-164. Escuela Nacional de Antropología, INAH, México. Solís Antonio de 1996 Historia de la conquista de México. Porrúa, México. Solís Felipe 1991 Tesoros artísticos del Museo Nacional de Antropología. Aguilar, México. Sontag Susan 2003 Regarding the Pain of Others. Farrar, Straus and Giroux, New York. Soustelle Jacques 1953 La vida cotidiana de los aztecas en vísperas de la conquista. FCE, México. 1984 Ritual Human Sacrifice in Mesoamerica: an Introduction. Ritual Human Sacrifice in Mesoamerica (Boone ed.): 1-7. Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington D. C. Spencer Charles 1982 The Cuicatlan Cañada and Monte Alban. A

Ségota Dúrdica 1977 Apuntes sobre algunos problemas de la investigación del Arte Prehispánico de Mesoamérica. Anales del Instituto de Investigaciones Estéticas 13 (47) : 23-31. IIE, UNAM, México. 1984 Arte mexica. Anales del Instituto de Investigaciones Estéticas 14 (54) : 7-26. IIE, UNAM, México. 1995 Valores plásticos del arte mexica. IIE, UNAM, México. Sejourné Laurette 1950 Ensayos sobre el sacrificio humano. Cuadernos Americanos 60 (5): 165-171. Centro de Investigaciones sobre América Latina y el Caribe, UNAM, México. 1956 Los sacrificios humanos, religión o politica. Cuadernos Americanos 17 (6): 127-149. Centro de Investigaciones sobre América Latina y el Caribe, México. Seler Eduard 1963 Comentarios al Códice Borgia. 3 vols. FCE, México. 1991The Day Signs of the Aztec and Maya 1993 Manuscripts and their Divinities. The Collected Works in Mesoamerican Linguistics and Archaeology (Comparato ed.) 1: 119-165. Labyrintos, Culver City, California. 1991The ancient towns of Chaculá. The Collected 1993 Works in Mesoamerican Linguistics and Archaeology (Comparato ed.) 2: 129-134. Labyrintos, Culver City, California. l991Excavations at the Site of the Principal Temple 1993 in México. The Collected Works in Mesoamerican Linguistics and Archaeology (Comparato ed.) 3: 11-193. Labyrintos, Culver City, California. 1991The ancient inhabitants of the Michuacan 1993 region. The Collected Works in Mesoamerican Linguistics and Archaeology (Comparato ed.) 4: 3-66. Labyrintos, Culver City, California. l991Some Remarks on the Natural Bases of 1993 Mexican Myths. The Collected Works in Mesoamerican Linguistics and Archaeology (Comparato ed.) 4: 149-178. Labyrintos, Culver City, California. 1991Totemism in Middle America. The Collected 1993 Works in Mesoamerican Linguistics and Archaeology (Comparato ed.) 5: 130-132. Labyrintos, Culver City, California. 162

Bibliographie study of primary state formation. Academic Press. New York. Spencer Charles et Elsa M. Redmond 1979 Formative and Classic Developments in the Cuicatlan Cañada. A preliminary report. Prehistoric social, political and economic development in the area of the Tehuacan valley (Drennan ed.) 11: 204-215. Research Reports in Archaeology Contribution 6, Ann Arbor. Spinden Helen 1933 The Place of Tajin in Totonac Archaeology. American Anthropologist 35 (2): 225-270. American Anthropological Association, Washington. Staden Hans 1979 Véritable histoire et description d´un pays habité par des hommes sauvages nus féroces et anthropophages situé dans le nouveau monde nommé Amérique inconnu dans le pays de Hesse avant et depuis la naissance de Jesús Christ jusqu´à l´année dernière. Editions A. M. Métailié, Paris. Stahl Paul Henri 1986 Histoire de la Décapitation. PUF, París. Staines Leticia 1999 Los murales mayas. Pintura mural prehispánica (Fuente de la ed.): 209-267. Conaculta, Jaca Book, México. Stamm Lars 2011 Body of Evidence. Los Itinerarios de la Imagen: Prácticas, usos y funciones (Báez, Carreón et Dorotinsky eds.): 183-198. IIE, UNAM, México. Stark Barbara 2001 Cerro de las Mesas. Archaeology of Ancient Mexico. An Encyclopedia (Evans et Webster eds.): 112-113. Garland Publishing, Londres. Stephens John Lloyd 1991 Incidents of Travel in Yucatan. San Fernando, Merida. Stern Theodore 1996 The Rubber-ball Games of the Americas. University of Washington Press, SeattleLondon. Stone Doris 1979 Sacrificio humano en un entierro de la provincia de Guanacaste, Costa Rica. Mesoamerica. Homenaje a Paul Kirchhoff: 26-33. SEP-INAH, México. 1972 Precolumbian Man finds Central América, Peabody Museum of Archaeology and Ethnology, Harvard University, Cambridge, Masachussetts. Strauss Walter L. (ed.) 1971 The Illustrated Bartsch. Abaris, New York. Stresser Péan Guy 1965Ancient sources on the Huasteca. Handbook of 84 Middle American Indians 11: 582-602. University of Texas Press, Austin. 1995 Codex Xicotepec (Stresser-Péan ed.) Gobierno del Estado de Puebla, CEMCA, FCE, México.

Stuart David 2003 La ideología del sacrificio entre los mayas. Arqueología mexicana 11 (63) : 24-29. Raíces, México. Sturtevant William 1976 First visual images of Native America. The Impact of the New World on the Old (Chiappelli ed.): 417-454. University of California Press, Berkeley. 1992 Indian America: First Visual Impressions in Europe. Christopher Columbus and the Age of Exploration. An Enciclopedia (Bedini ed.): 337345. Da Capo Press, New York. Suárez de Peralta Juan 1990 Tratado del descubrimiento de las Indias. Conaculta, México. Sweezy William 1972 La pelota mixteca. Memorias de la XII Mesa Redonda de la Sociedad Mexicana de Antropología. Religión en Mesoamérica (Litvak et Castillo eds.): 471-478. Sociedad Mexicana de Antropología, México. Taladoire Eric 1981 Les terrains de Jeu de Balle (Mesoamérique et Sud-Ouest des États-Unis). Mission Archéologique et Ethnologique Française au Mexique, Études Mesoaméricaines, México. 1991 Codex de Xalapa. The Mesoamerican Ballgame (Van Bussel, Van Dongen et Leyennar eds.): 111-117. Rijksmuseum voor Volkenkunde, Leiden. El juego de pelota mesoamericano. Origen y 2000 desarrollo. Arqueología Mexicana 44: 20-27. Raíces, México. 2001 The Architectural Background of the Prehispanic Ballgame: An Evolutionary Perspective. The Sport of Life and Death. The Mesoamerican Ballgame (Whittington ed.): 96115. Mint Museum et Thames and Hudson, North Carolina. 2003 Could we Speak of the Super Bowl at Flushing Meadows. La pelota mixteca, a Third PreHispanic Ballgame, and its Possible Architectural Context. Ancient Mesoamerica 14: 319-342. Cambridge University Press, Cambridge, Massachusetts. 2011a La guerra de dos mundos. Estudios de Cultura Náhuatl 42: 63-75. IIH, UNAM, México. 2011b El juego de pelota, balance y perspectivas. 1er Coloquio Temas selectos, Juego de pelota, Centro Sur de Veracruz. Carrizal. Taladoire Eric et Benoit Colsenet 1991 Bois Ton Sang, Beaumanoir: The Political and Conflictual Aspects of the Ballgame in the Northern Chiapas Area. The Mesoamerican Ballgame (Scarborough et Wilcox eds.): 161174. University of Arizona Press, Tucson. Tapia Andrés de 1971 Relación hecha por el señor Andrés de Tapia sobre la conquista de México. Documentos para la historia de México (Icazbalceta ed.) 48 (2): 554-600. Porrúa, México. 163

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels 1988

Relación de algunas cosas de las que acaecieron al muy ilustre señor don Hernando Cortes, Marques del valle, desde que se determinó ir a descubrir tierra en la tierra firme del mar oceano. La conquista de Tenochtititlan, J. Diaz, A. Tapia, B. Vazquez et F. Aguilar (Vázquez ed.): 67 -154. Crónicas de América 40, Historias 16, Madrid. Taube Karl et Marc Zender 2009 American Gladiators: Ritual Boxing in Ancient Mesoamerica. Blood and Beauty: Organized Violence in the Art and Archaeology of Mesoamerica and Central America (Orr et Koontz ed.): 161-220. Cotsen Institute of Archaeology Press, UCLA, Los Angeles. Taussig Michael 1987 Shamanism, Colonialism and the Wild Man. A Study in Terror and Healing. The University of Chicago Press, Chicago. Teague Jack 2008 Football as you have never seen it. Daily Express, UK. Fevrier 5, 2008. www. Teague Jack. Tejeira Davis Eduardo 1996 Pedrarias Dávila y sus fundaciones en Tierra Firme, 1513-1522. Nuevos datos sobre los inicios del urbanismo hispánico en América. Anales del Instituto de Investigaciones Estéticas 69: 41-77. IIE, UNAM, México. The Encyclopaedia Británica 1963 Americana Corporation, Washington, New York, Chicago. The Illustrated Bartsch 1971(Bartsch, Shoen et Stoer) Walter Strauss, 1998 Abaris Books, New York. The Sport of Life and Death. The Mesoamerican Ballgame. 2001 voir Whittington (ed.) Thevet André 1575 La Cosmogrophie Universelle. 2 vols. Guillaume Chaudière, París. 1997 Les Singularités de la France Antarctique 1557. Le Brésil d´André Thevet (Lestringant ed.) Editions Chandeigne, Paris. Thompson J. Eric 1951 The Itza of Tayasal, Peten. Homenaje al Doctor Alfonso Caso. Imprenta Nuevo Mundo. México. A Catalogue of Maya Hieroglyphs. University 1962 of Oklahoma Press, Norman. 1967 The Rise and Fall of the Maya Civilization. University of Oklahoma Press, Norman. 1970 Maya History and Religion. University of Oklahoma Press, Norman. Tiesler Vera et Cuccina Andrea (eds.) 2007 New Perspectives on Human Sacrifice and Ritual Body Treatments in Ancient Maya Society. Springer, New York. 2007 New perspectives on human sacrifice and post sacrificial body treatments in Ancient maya Society: An Introduction. New Perspectives on Human Sacrifice and Ritual Body Treatments in Ancient Maya Society (Tiesler

et Cucina eds.) 1-13. Springer, New York. Todorov Tzvetan 1992 Le nouveau monde. Récits d’Amerigo Vespucci, Christophe Colomb, Pierre Martir d’Anghiera (Todorov ed.) La roue à livres, Les Belles Lettres, Paris. Tonalamatl Aubin 1981 (Aguilera ed.) Instituto Tlaxcalteca de la Cultura, Estado de Tlaxcala, México. Torquemada Juan de 1975 De los veinte y un libros rituales y monarquía indiana, con el origen y guerras de los indios occidentales, de sus poblaciones, descubrimientos, conquista, conversión y otras cosas maravillosas de la mesma tierra (León Portilla ed.) 7 vols. IIH, UNAM, México. Torre Villar Ernesto de la 1991 Instrucciones y Memorias de los virreyes novohispanos. Porrúa, México. Torre Yarza Miguel de la 2004 Antídotos contra la barbarización (I) ¿Podemos aprender a pensar de otra manera? El pensamiento complejo. Humanidades 273, UNAM, México. 2009 Laberintos del pensar. Formas e imágenes, México. Toussaint Manuel 1956 Introducción. Información de méritos y servicios de Alonso García Bravo, alarife que trazó la ciudad de México. IIE, UNAM, México. 1990 Arte Colonial en México. IIE, UNAM, México. Toussaint Manuel, Federico Gómez Orozco et Justino Fernández 1938 Planos de la ciudad de México. Siglos XVI y XVII. IIE, UNAM, México. Townsend Richard 1998 Before Gods, before Kings. Ancient West Mexico: Art of the Unknown past. Art Institute of Chicago, Chicago. Tozzer Alfred Chichén Itza and Its Cenote of Sacrifice: A Comparative Study of Contemporaneous Maya and Toltecs. Memoirs of the Peabody Museum of Archaeology and Ethnology, 2 vols. Harvard University, Cambridge. Tratado de los ritos y ceremonias y dioses que en su gentilidad usaban los indios desta Nueva España 1980 Crónica Mexicana (Orozco y Berra ed.): 93 123. Leyenda, México. Turner II Christy G. et Jacqueline A. Turner 1999 Man, Corn, Cannibalism and Violence in the Prehistoric American Southwest. The University of Utah Press, Salt Lake City. Turner Victor 1977 Sacrifice as a Quintessential Process: Prophylaxis or Abandonment. History of Religions 15 (3) University of Chicago Press, Chicago. TV Azteca, México 2006 Tvazteca.com/hechos. Juin 21-22. Decapitan a 164

Bibliographie tres policias en Playas de Rosarito. Una respuesta del Bachiller Alonso Pérez de 1529 1990 Documentos cortesianos (Martínez ed.) 2: 6263 FCE, UNAM, México. Uriarte María Teresa (ed.) 1992 El juego de pelota en Mesoamérica. Raíces y supervivencia. Siglo XXI. Difocur-Sinaloa, México. Uriarte Teresa María 1992 El juego de pelota en los murales de Tepantitla, Teotihuacán. El juego de pelota en Mesoamérica (Uriarte ed.): 113-141. Siglo XXI, Difocur-Sinaloa, México. 1999 Cholula. Cacaxtla. Pintura mural prehispánica (Fuente de la, ed.): 67-80, 129-133. Conaculta, Jaca Book, México. Uriarte Teresa María et Tatiana Falcón 1999 Las Higueras. Pintura mural prehispánica (Fuente de la, ed.): 181-205. Conaculta, Jaca Book, México. Utopie. La quête de la société idéale en Occident 2000 Catalogue d´exposition. BNP et Fayard, Paris. Vail Gabrielle et Christine Hernández 2007 Human sacrifice in Late Postclassic Maya Iconography and Texts. New Perspectives on Human Sacrifice and Ritual Body Treatments in Ancient Maya Society (Tiesler et Cucina eds.): 120-164. Springer, New York. Valádes Diego 1989 Rhetorica cristiana (Palomera ed.) UNAM, FCE, México. Valeri Valerio 1985 Kingship and Sacrifice. Ritual and Society in Ancient Hawaii. University of Chicago Press, Chicago et London. Van Bussel Gerard W. 1991 Balls and Openings. The Mesoamerican Ballgame (Van Bussel, Van Dongen et Leyenaar eds.): 245-258. Rijksmuseum voor Volkenkunde, Leiden. Van Bussel Gerard, W. Paul Van Dongen et Ted Leyenaar (eds.) 1991 The Mesoamerican Ballgame. Rijksmuseum voor Volkenkunde, Leiden. Vargas Lugo Elisa 2005 Imágenes de la Conquista en el arte del siglo XVII: dos visiones. Imágenes de los naturales en el arte de la Nueva España siglos XVI al XVIII: 95-124. Banamex, IIE, UNAM, DGAPA, México. s/f La pintura de los enconchados. México en el mundo de las colecciones de arte. Nueva España 1: 119-125. Azabache, México. Vargas Lugo Elisa et al. 2005 Ocho grandes lienzos de la Conquista. Imágenes de los naturales en el arte de la Nueva España siglos XVI al XVIII: 43-62. Banamex, IIE, UNAM, DGAPA, México. Vargas Javier 2002 Reforma, México Cultura. Samedi 29 Juin: 3. Cultura del Juego. Antes del fútbol, Corea Japón 2002.

Vázquez de Tapia Bernardino 1988 Relación de méritos et servicios del conquistador Bernardino Vázquez de Tapia, vecino y regidor de esta gran ciudad de Tenuxtitlan México. La conquista de Tenochtitlan, J. Diaz, A. Tapia, B. Vazquez et F. Aguilar (Vázquez ed.): 131-154. Historias 16, Crónicas de América 40, Madrid. Vázquez Mantecón Álvaro 2000 La República Ludens. La rueda del azar. Juegos y jugadores en la historia de México: 93-126. Pronósticos para la asistencia pública, México. Vázquez Germán 1988 Andrés de Tapia y su obra. La conquista de Tenochtitlan, J. Diaz, A. Tapia, B. Vazquez et F. Aguilar (Vázquez ed.): 61-66. Crónicas de América 40, Historias 16, Madrid. 1988 Itinerario... de Juan Díaz. La conquista de Tenochtitlan, J. Diaz, A. Tapia, B. Vazquez et F. Aguilar (Vázquez ed.) : 37-57. Crónicas de América 40, Historias 16, Madrid. Vega Sosa Constanza Consideraciones finales. El Recinto sagrado 1979 de México-Tenochtitlan, Excavaciones 19681969 y 1975-1976 (Vega Sosa ed.) INAH, México. Vega Sosa Constanza (ed.) 1979 El Recinto sagrado de México-Tenochtitlan, Excavaciones 1968-1969 y 1975-1976 INAH, México. Velázquez Morlet Adriana 2000 El juego de pelota en Chichén Itzá. Arqueología Mexicana 44: 46-48. Raíces, México. Vespuccio Américo 1941 Viajes de Américo Vespuccio (Fernández de Navarrete ed.) Espasa Calpe, Madrid. 1992 Letters from a New World. Américo Vespucci´s discovery of America (Willis ed.) Marsilio, New York. Vié Wohrer Anne Marie 1999 Xipe Totec, notre Seigneur l´Ecorché. Étude glyphique d´un dieu aztèque. CEMCA, México. Vigarello Georges 1985 Lo limpio et lo sucio. La higiene del cuerpo desde la Edad Media. Alianza, Madrid. 2002 Du jeu ancien au show sportif. La naissance d’un mythe, Seuil, Paris. Villagra Caletti Agustín 1965Mural Painting in Central Mexico. Handbook of 84 Middle American Indians. 10: 135-156. University of Texas Press, Austin. 1954 Pinturas rupestres “Mateo A. Saldaña” Ixtapantongo, Estado. de México. INAH, México. Viqueira Juan Pedro 1987 ¿Relajados o reprimidos? Diversiones públicas y vida social en la Ciudad de México durante el siglo de Luces. FCE, México. Viveiros de Castro Eduardo 1987 L`anthropophagie rituelle des Tupinamba : 165

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels structures, valeurs, diagrammes. Séminaire à l'Université de Paris X, Nanterre, Université de Paris X. Wagner Henry 1942 Aztecans in Spain in 1522-1523. The Masterkey 16 (4): 119-121. Southwest Museum, Los Angeles. Wahl Alfred 1997 Historia del futbol: del juego al deporte. Ediciones B. Biblioteca de Bolsillo, Claves. Barcelona. Wake Eleanore Sacred Books and Sacred Songs from former days: sourcing the Mural Paintings at San Miguel Arcángel Ixmiquilpan. Estudios de Cultura Náhuatl 31: 95-121. IIH, UNAM, México. Walters Rachel et Jeff Karl Kowalski 2000 Los murales de Mul-chic. La guerra y la formación del estado regional Puuc. Memoria de la Primera Mesa Redonda de Palenque (Trejo ed.): 207-223. INAH, México. Warman Arturo 1972 La danza de moros y cristianos. Sep Setentas, México. Weckman Luis Muñoz 1992 The Medieval Heritage of Mexico. Fordham University Press, New York. Weiditz Cristoph 1927 Das Tratebuch de Cristoph Weiditz von seinem reisen nach Spanien (1529) und den Niederland (1531), Berlín et Leipzig. 1994 Authentic Everyday Dress of the Renaissance. All 154 Plates from the “Trachtenbuch”. Dover, New York. Westheim Paul La calavera. FCE, México. 2005 Welsh W.B.M. Bruce 1988 An Analysis of Classic Lowland Burials. BAR Publishing International Series 409, British Archaeological Reports, Oxford. Weltfish Gene 1937 Caddoan Texts. Pawnee, South Band Dialect. Publications of the American Ethnological Society XVII, American Ethnological Society, New York. Werner Paul 1937 L`Anthropologie rituelle et la chasse aux têtes aux époques actuelle et paléolithique. L`Anthropologie 46 : 1-16. Masson, Paris. 1948 Le culte des crânes à l'époque paléolithique. Histoire Générale des Religions (Gorce et Mortier eds.) 1: 53-72. Aristide Quillet Editeur, Paris. Westheim Paul 1980 Ideas fundamentales del arte prehispánico. ERA, México. 2006 Arte, religión y sociedad. FCE, México. White David Gordon 1991 Myths of the Dog-Man. University of Chicago Press, Chicago.

Whitehead Neil L. 1984 Carib Cannibalism. The Historical Evidence. Journal de la Société des Américanistes 70: 6987. Société des Américanistes, Paris. Whittington Michael (ed.) 2001 The Sport of Life and Death. The Mesoamerican Ballgame. Mint Museum, Thames and Hudson, North Carolina. Whittington Michael 2001 Everything Old is New Again: The Enduring Legacy of the Ancient Games. The Sport of Life and Death (Whittington ed.): 130-135. Mint Museum et Thames and Hudson, North Carolina. Wilkerson Jeffrey K. 1980 Man´s Eighty Centuries in Veracruz. National Geographic Magazine 158 (2): 202-231, National Geographic, New York. 1984 In Search of the Mountain of Foam: Human Sacrifice in Eastern Mesoamerica. Ritual Human Sacrifice in Mesoamerica (Boone ed.): 101-132. Dumbarton Oaks Research Library and Collection, Washington D. C. 1991 And then they were Sacrificed: The Ritual Ballgame of Northeastern Mesoamerica Through Time and Space. The Mesoamerican Ballgame (Scarborough et Wilcox eds.): 45-72. University of Arizona Press, Tucson. Wilkinson Richard G. 1997 Human Skeletal Remains from Archaeology of the Cañada de Cuicatlan, Oaxaca. Anthropological papers of the American Museum of Natural History (Spencer et Redmond eds.) 80: 614-620. American Museum of Natural History, New York. Williams Eduardo 1992 Las piedras sagradas. Escultura prehispánica del Occidente de México. El Colegio de Michoacán. Zamora, Michoacán. Willis Gary (ed.) 1992 Amerigo Vespucci, Letters from a New World. Américo Vespucci´s Discovery of America. Marsilio, New York. Winning Hasso von 1980 Los decapitados en la cerámica moldeada de Veracruz. Indiana 6:23-35. IberoAmerikanisches Institut, Berlin. 1987 La iconografía de Teotihuacan. Los dioses y los signos. 2 vols. IIE, UNAM, México. Winning Hasso von et Nelly Gutierrez Solana 1997 La iconografía de la cerámica Río Blanco, Veracruz. UNAM, IIE, México Winkelman Michael 1998 Aztec Human sacrifice: Cross cultural assesements of the Ecological Hypothesis. Ethnology 37 (3): 285-298. University of Pittsburg, Pittsburg. Wren Linnea 1991 The Great Ball Court Stone from Chichén Itzá. Sixth Palenque Round Table 1986 (Greene Robertson et Fields eds.): 51-58. University of Oklahoma Press, Norman et 166

Bibliographie London. Ximénez Francisco 1957 Popol Vuh. Las antiguas historias del Quiché (Recinos trad.) FCE, México 1981 Popol vuh. Las antiguas historias del Quiché (Recinos trad.) FCE, México. 1985 Popol vuh. The Mayan book of the dawn of life (Tedlock trad.) Touchstone, New York. 2003 Popol vuh (Christenson trad.) O Books, Alresford, UK Yadeun Juan 1993 Toniná. El laberinto del inframundo. Gobierno del Estado de Chiapas, México. Yoneda Keiko 1991 Los mapas de Cuautinchan y la historia cartográfica. CIESAS, FCE, Gobierno del Estado de Puebla. México, Puebla. Zaragoza Ocaña Diana 1993 Un posible Tzompantli en la zona arqueológica El Consuelo, Tamuin, San Luis Potosí. Huasteca I. Espacio y Tiempo : 54-55. CIESAS, México. 2003 Tamohi. Su pintura mural. Conaculta, INAH, México, Tamaulipas. Zavala Huguette 1994 America inventada. Fiestas y espectáculos en la Europa de los siglos XVI al XIX. Banco Santander, Madrid. Zavala Silvio 1982 Libros de los asientos de la gobernación de la Nueva España (Periodo del virrey don Luís de Velasco, 1550-1552), AGN, México. Zerries Otto 1960 El endo canibalismo en la America del Sur. Revista do Museo Paulista 12: 125-175. Sao Paulo, Brasil. Zielinski Mike 2007 www//Zeke blog, 26 de noviembre de 2007. The loser is axed. Zorita Alonso de 1963 Los señores de la Nueva España. UNAM. México. 1999 Relación de la Nueva España 2 vols. Conaculta, Cien de México, México. Zuñiga Barcenas Beatriz 2001 Calixtlahuaca. Archaeology of Ancient Mexico. An Encyclopedia (Evans et Webster eds.): 784. Garland Publishing, New York, London.

167

TABLE DES ILUSTRATIONS Fig. 1 2 3 4 5 6 7 8a 8b 9a 9b 10 11 12 13 14 15 16 17a, b 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 2829 30 31 32

Têtes de mort sur l’axe transversal du terrain de jeu. Codex Magliabechi 1983 pl. 68. Plateforme et crânes assimilés à un arbre rempli de petits drapeaux. Codex Borgia 1993 pl. 45. Bas-reliefs des murs du grand jeu de balle de Chichén Itzá. Scène du sacrifice. Marquina 1964: 858, pl. 266. Bas-reliefs de crânes encastrés verticalement. Plateforme du tzompantli de Chichén Itzá. Marquina 1964: 885, pl. 456. Reconstitution de Luis Mac Gregor de Chichén Itzá qui souligne le voisinage entre le tzompantli et le tlachtli proposé par Marquina 1964 : 856, pl. 265. L’enceinte du Templo Mayor comprend le tlachtli et le tzompantli. Primeros memoriales, 1993 pl. 269r. Figure - Ensemble de crânes présentant des perforations sur les tempes de Tlatelolco, fouilles faites par González Rul 1963: 5. Ixcuina-Tlazolteotl et Tezcatlipoca patrons de la treizième treizaine. Codex Borbónico 1985 pl. 13. Ixcuina-Tlazolteotl et Tezcatlipoca patrons de la treizième treizaine. Tonalamatl Aubin 1981 pl. 13. Xochiquetzal et Tezcatlipoca patrons de la dix-neuvième treizaine. Codex Borbónico 1985 pl. 19. Xochiquetzal et Tezcatlipoca patrons de la dix-neuvième treizaine. Tonalamatl Aubin 1981 pl. 19. Bas-reliefs de la Grande pièce hémisphérique qui était à côté du terrain monumental de Chichén Itzá. Reconstitution de la scène d’un joueur décapité par Wren 1991: 52. Bas-reliefs de la tablette trapézoïdale de la Pyramide des Niches. Reconstitution de la scène d’un joueur décapité, par Kampen 1972: 53. Stèle d’Aparicio, Vega de Alatorre montrant la scène d’un joueur décapité. Leyenaar 1997: 73. Stèle de Papaloapan. Monument 2, Cerro de las Mesas. Reconstitution de la scène d’un joueur décapité, par Ladrón de Guevara 2010: 70. Peinture murale, Las Higueras, Veracruz. Reconstitution de la scène d’un joueur décapité, par Morante López 2005: 98 y 187. Vase. Reconstitution de la scène d’un joueur décapité de Tiquisate, Guatemala par Von Winning et Gutiérrez Solana 1996: 31, fig. III.1. Lienzo de Pacuaro document de la région du Michoacán, Tzintzuntzan, où on trouve un joueur qui frappe la balle avec un bâton et rangées verticales de crânes. Glass 1964 : 78, fig. 35. Bas-reliefs de Dainzú d’une scène de décapitation de joueur et d’un ensemble de têtes coupées. Reconstitution par Bernal y Seuffert 1979. Trou central du terrain de jeu Santa Rosa, Chiapas, qui contient le crâne féminin et les vases. Martínez Muriel et Carreón 2010. Les joueurs dans le terrain de jeu de balle qui montre un trou ou cercle noir au centre. Historia Tolteca Chichimeca 1976 : pl. 16. Crâne isolé au centre du jeu de balle sur le pendentif d´or de la tombe 7 de Monte Alban, Oaxaca. Marquina 1964: 354, fig.160. Tête posée sur une petite structure. Stèle de Santa Lucía Cotzumalhuapa reconstituée par Greene Robertson, 1972 : 399, fig.199. Tête ou coiffe posée sur une petite structure. Vase de Río Blanco, Veracruz, reconstitué par Von Winning et Gutierrez Solana 1996 : 45, fig. III.7. Coiffes ou casques posés sur une petite structure. Bas-relief d’El Tajin, Veracruz, reconstitué par Kampen 1972 : 63. Coiffes ou casques posés sur une petite structure sur la peinture murale d’Ixcaquixtla, Puebla. Cervantes Rosado et al. 2005. Personnage qui porte une tête au bout d’un piquet représenté sur un vase de la culture Chalchihuites. Hers 2001 : 125, fig. 13. Scène de deux femmes portant chacune un piquet surmonté d’une tête humaine, Mapa de Cuauhtinchan No. 2. Carrasco y Sessions (eds.) 2007. Relief d’un vase de Teotihuacán d´un personnage richement vêtu qui porte un crâne à la pointe d’un piquet, publié par Winning 1987 vol. 1, fig 5b. Cerro del Huiztle et ses tzompantli formés par des lignes verticales de crânes. Reconstitution de Hers 1989, fig. 18. Tzintzuntzan. Lignes verticales de crânes perforés sur la mappe 3 de la Crónica de Michoacán de Beaumont. Seler 1991 vol. 4 : 53. Tzompantli horizontal, formé d’une plateforme basse sur laquelle repose une palissade et trois tête. Mapa de Cuahtinchan No. 1. Yoneda 1991. Bas-reliefs d’os croisés et de crânes alternés de Nohpat, Yucatán, enregistrés par Stephens 1991: 227, fig. 21. Bas-reliefs d’os croisés et de crânes alternés provenant d’El Corral, Tula, Hidalgo. Fuente de la et al., 1988 fig. 88a.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69

Autel de la Calle de las Escalerillas avec des bas-reliefs d’os croisés et de crânes alternés, enregistré par Batres 1979: 153. Peinture murale d’os croisés et de crânes alternés de Tenayuca. López Luján 2006 vol. 2: 342. Têtes fixées dans un mur. Ms. Chumayel. Roys 1967 : 160, fig. 39. Peintures rupestres d’Ixtapantongo parmi lesquelles est représenté un arbre où sont accrochés des crânes et des drapeaux. Reconstitué par Villagra 1954. Tzompaquahuitl. Dessin d´arbre qui fait des fleurs comestibles, enregistré dans le codex Florentino 1979 livre 11, chapitre 7, 190r. Glyphe Tzonpanco. Codex Osuna 1978 pl. 35r. Glyphe Tzunmulco. Codex Cozcatzin s/f pl. 3. Glyphe Tzompanco. Codex 40 en Johansson 2007. Glyphe tzompantli. Matrícula de Tributos 1991 pl. 15. Glyphe tzompantli. Codex Mendocino 1964-1967 pl. 17. Glyphe tzompantli. Codex Mendocino 1964-1967 pl. 37. Episode de la migration qui démontre l’édification et utilisation d’un tzompantli dans la fondation à AtencoTzompanco. Codex Mexicanus 1952 pl. 29. Episode de la migration démontrant l’édification et utilisation d’un tzompantli dans la fondation à AtencoTzompanco. Codex Azcatitlán 1994 pl. 8. Glyphe Tzompanco en référence aux événements de la migration qui se déroulent à Atenco-Tzompanco. Codex Boturini 1964-1967 pl. 10. Glyphe Tzompanco en référence aux événements de la migration qui se déroulent à Atenco-Tzompanco. Codex Aubin 1893 pl. 18. Glyphe Tzompanco en référence aux événements liées à la fondation d’Atenco-Tzompanco, Mapa Sigüenza. Historia de la Ciudad de México 1983 vol. 1: 45. Glyphe Tzompanco en référence aux événements liées à la fondation d’Atenco-Tzompanco. Codex Telleriano Remensis 1995 pl. 29. La disposition de l’enceinte sacrée du peuple mexica dans la fondation de Tenochtitlan. Codex Mendocino 1964-1967 pl. 1. Episode des événements qui se déroulent sur le Yopico tzompantli qui était utilisé en Tlacaxipehualiztli. Primeros Memoriales 1993 pl. 250r. Le tzompantli que Moctezuma a fait construire pour fêter la vingtaine Ochpanitzli. Codex Azcatitlán 1994 pl. 22. Huey Tzompantli comprenant des crânes de seigneurs morts à la guerre. Codex Vaticano Ríos 1964-1967 pl. 78. Crânes des Espagnols et des alliés enterrés à Zultepéc-Tecuaque, Tlaxcala, enregistrées par Martínez Vargas 1993: 62. Le tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlán, représenté dans l´ouvrage de Durán 1984 vol. 1 chapitre 2. Indiens américains représentés à côté de restes humains accrochés à un toit. Xylographie imprimée par Johann Froschauer. Todorov 1992 : 131. Scène d’anthropophagie au Brésil. Martin Waldseemüller. Carta marina... Augé 1995 : 101. Scène d’anthropophagie dans la région des îles Moluques. Laurent Freiss. Carta Marina... Shirley 1983: 62-63. Gravure qui représente des chiens anthropomorphes dans des actes cannibales, élaborée par Laurent Freiss. Lestringant 1997: 18. Scène d’anthropophagie au Brésil. Sébastian Münster. Novus Orbis ... Shirley 1983 : 74-75. Scène d’anthropophagie au Brésil. Sébastian Münster. Novae Insulae ... Nebenzhal 1990 : 98-99, pl. 31. Mappa mundi de Piri Re´is où sont enregistrés les premiers voyages des Européens et les cynocéphales/anthropophages qui peuplaient la région. Nebenzhal 1990: 63, pl. 20. Indigènes jouant à la balle en Espagne, représentés par Christoph Weidlitz 1994: pl. 13 et 14. Plan de Tenochtitlán qui fait partie de la première édition en latin de la deuxième lettre d’Hernán Cortés. Marquina 1964: 183, fig. 6bis. Tzompanli de quatre tours de crânes et des murs avec des crânes encastrés. H.Y. Seheley, Historia de la Ciudad de México 1983 vol.1: 72. Représentation du dernier tzompantli érigé par les Nahuas lors des batailles pour défendre Tenochtitlán et Tlatelolco faite par un artiste indigène sous la direction de Sahagún, codex Florentino 1979 livre 12, chapitre. 35, fo. 68r. Représentation du dernier tzompantli. Paravent de la Conquête. Historia de la Ciudad de México 1983 vol.1: 137. Grand tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlán et des sacrifices reconstitué dans l’atelier de De Bry 1997 : 293. Représentation du grand tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlan. John Clark. Antonio de Solis, Historia de la conquista, población y progresos de la América Septentrional, Londres, Woodward, Half Moon, 1724,

Table des illustrations

70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100

livre 3, enregistrée par Rubial et Suárez Molina, 1999: 143-179. Représentation du grand tzompantli d’Antonio Solís sur l´image qui retrace l’arrivée solennelle de Cortés à Tenochtitlán et sa rencontre avec Moctezuma. Historia de la Ciudad de México 1983 vol.1: 124. Représentation du grand tzompantli d’Antonio Solís sur l´image qui représente la première messe à Tenochtitlan. Cuadriello 1999: 162. Adrián Unzueta, «El tzompantli (tour de têtes de mort), prisonniers espagnols sacrifiés par des prêtres aztèques sur un temple». Ramírez 2003: 115. Tzompantli du jour des morts au centre de la ville de Mexico. Reforma 2007. Tzompantli du jour des morts au centre de la ville de Mexico. Alejandro Martínez Muriel 2000. Tzompantli du jour des morts au centre de la ville de Mexico. Carlos Flores 2007 Tzompantli du jour des morts au centre de la ville de Mexico. Reforma 2003. Prédication sur le terrain- de jeu de balle à Tlaxcala. Muñoz Camargo 1982-1987 vol. 4, pl. 5. Joueurs de balle de Christoph Weiditz au Pérou, reconstitution de l’atelier de De Bry, livre 6: 216, 230-231. Exercice dans le tlachtli. Historia de la Ciudad de México 1983 vol.1: 76. Exercice dans le tlachtli par José María Ibarrarán y Ponce. México a través de los siglos 1953 vol. 2: 56. Tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlán représenté sur la planche 20 du Manuscrit Tovar 1972. Fi Centre de la ville de Tlaxcala. Muñoz Camargo 1982-1987 vol. 4, pl. 17. Plan de la ville de Huastepeque. Relación de Huastepeque 1982-1987 vol. 4: 206-207. Plan de la ville de Cuzcatlán. Relación de Cuzcatlán 1982-1987 vol. 5: 94-95. Plan de la ville de Coatepec. Relación de Coatepec-Chalco 1982-1986 vol. 6: 150. Plan de la ville de Lima, Pérou. Félipe Guaman Poma 1944: 1021. Plan de la ville de Mexico. Paravent. Historia de la Ciudad de México 1983 vol.2: 21. Plan de la ville de Mexico. Pedro de Arrieta. Historia de la Ciudad de México 1983 vol.2: 37. Plan de la ville de Teotenango. Relación de Teotenango 1906. Plan de la ville de Popotla. Lienzo de Popotla 1964 : 142, pl. 94. Châtiments des Espagnols : scène de pendaison et scène de décapitation sur les plateformes. Codex Tlatelolco 1994. La plateforme où furent sacrifiés les Espagnols. Codex Florentino 1979 livre 12, chapitre 36, folio 67v. La plateforme sur laquelle se dresse un pilori où est accrochée une personne morte garrottée par des Espagnols. Codex Vaticano Rios 1964 -1967 pl. 139. La plateforme sur laquelle se dresse un pilori où est accrochée une personne morte garrottée par des Espagnols. Codex Telleriano Remensis 1995 pl. 31. Corps décapité de la victime sacrificielle est en haut de la plateforme. Tonalámatl Aubin 1981 pl. 15. Châtiments infernaux sur les peintures murales de la Chapelle de San Nicolás de Tolentino, Actopan. Báez 2005: 301, fig. 11. Châtiments infernaux. Diego Valádes, Rhetorica christiana. Estrada de Gerlero 2011: 293, fig. 11. Châtiment de Huexotzíncatl par pendaison. Codex Xicotepec 1995 pl. 19. Mort des seigneurs Cuauhtémoc et Tetlepanquetza pendus aux branches d’un arbre. Codex Vaticano Ríos 1964 1967 pl. 135. Montage photo. L´ulama dans le jeu de paume. L´image est un collage d´ E. Carreón. qui réunit le “Jeu de paume” de Valère Maxime et les joueurs de Christoph Weiditz. Voir: Faits et dits mémorables, France, XVe siècle dans Mehl 1990, Figure 1 et Weiditz 1994 pl. 13 et 14.

Les images n° 37, 66, 92 ont reçu le permis de reproduction de l’Archivo General de la Nación (AGN, Méxique); les images N°3, 4, 5, 7, 8a, 9a, 13, 14, 16, 19, 20, 24, 25, 30, 32, 33, 34, 36, 39, 41, 45, 46, 48, 52, 64, 67, 81, 87, 88, 89, 90, 91, 96, 98 celui de la CONACULTA -INAH. –MEX. (Reproducción Autorizada por el Instituto Nacional de Antropología e Historia).    

TABLE DES ILUSTRATIONS      

FIGURE 1 Têtes de mort sur l’axe transversal du terrain de jeu. Codex Magliabechi 1983 pl. 68.

FIGURE 2 Plateforme et crânes assimilés à un arbre rempli de petits drapeaux. Codex Borgia 1993 pl. 45.

 

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 3 Bas-reliefs des murs du grand jeu de balle de Chichén Itzá. Scène du sacrifice. Marquina 1964: 858, pl. 266.

TABLE DES ILUSTRATIONS  

FIGURE 4 Bas-reliefs de crânes encastrés verticalement. Plateforme du tzompantli de Chichén Itzá. Marquina 1964: 885, pl. 456.

FIGURE 5 Reconstitution de Luis Mac Gregor de Chichén Itzá qui souligne le voisinage entre le tzompantli et le tlachtli proposé par Marquina 1964 : 856, pl. 265.

 

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 6 L’enceinte du Templo Mayor comprend le tlachtli et le tzompantli. Primeros memoriales, 1993 pl. 269r.

FIGURE 7 Ensemble de crânes présentant des perforations sur les tempes de Tlatelolco, fouilles faites par González Rul 1963: 5.

TABLE DES ILUSTRATIONS  

I FIGURE 8a Ixcuina-Tlazolteotl et Tezcatlipoca patrons de la treizième treizaine. Codex Borbónico 1985 pl. 13.

-

l

FIGURE 8b Ixcuina Tlazolteotl et Tezcatlipoca patrons de la treizième treizaine. Tonalamatl Aubin 1981 p . 13.

 

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 9a Xochiquetzal et Tezcatlipoca patrons de la dix-neuvième treizaine. Codex Borbónico 1985 pl. 19.

FIGURE 9b Xochiquetzal et Tezcatlipoca patrons de la dix-neuvième treizaine. Tonalamatl Aubin 1981 pl. 19.

TABLE DES ILUSTRATIONS  

FIGURE 10 Bas-reliefs de la Grande pièce hémisphérique qui était à côté du terrain monumental de Chichén Itzá. Reconstitution de la scène d’un joueur décapité par Wren 1991: 52.

FIGURE 11 Bas-reliefs de la tablette trapézoïdale de la Pyramide des Niches. Reconstitution de la scène d’un joueur décapité, par Kampen 1972: 53.

 

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 12 Stèle d’Aparicio, Vega de Alatorre montrant la scène d’un joueur décapité. Leyenaar 1997: 73.

TABLE DES ILUSTRATIONS

FIGURE 13 Stèle de Papaloapan. Monument 2, Cerro de las Mesas. Reconstitution de la scène d’un joueur décapité, par Ladrón de Guevara 2010: 70.

FIGURE 14 Peinture murale, Las Higueras, Veracruz. Reconstitution de la scène d’un joueur décapité, par Morante López 2005: 98 y 187.

FIGURE 15 Vase. Reconstitution de la scène d’un joueur décapité de Tiquisate, Guatemala par Von Winning et Gutiérrez Solana 1996: 31, fig. III.1.



Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels Solana 1996: 31, fig. III.1.

FIGURE 16 Lienzo de Pacuaro document de la région du Michoacán, Tzintzuntzan, où on trouve un joueur qui frappe la balle avec un bâton et rangées verticales de crânes. Glass 1964 : 78, fig. 35.

TABLE DES ILUSTRATIONS  

FIGURE 17 a et b Bas-reliefs de Dainzú d’une scène de décapitation de joueur et d’un ensemble de têtes coupées. Reconstitution par Bernal y Seuffert 1979.

 

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 18 Trou central du terrain de jeu Santa Rosa, Chiapas, qui contient le crâne féminin et les vases. Martínez Muriel et Carreó 2010.

FIGURE 19 Les joueurs dans le terrain de jeu de balle qui montre un trou ou cercle noir au centre. Historia Tolteca Chichimeca 1976 : pl. 16.

TABLE DES ILUSTRATIONS  

FIGURE 20 Crâne isolé au centre du jeu de balle sur le pendentif d´or de la tombe 7 de Monte Alban, Oaxaca. Marquina 1964: 354, fig.160.

FIGURE 21 Tête posée sur une petite structure. Stèle de Santa Lucía Cotzumalhuapa reconstituée par Greene Robertson, 1972 : 399, fig.199.

 

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 22 Tête ou coiffe posée sur une petite structure. Vase de Río Blanco, Veracruz, reconstitué par Von Winning et Gutierrez Solana 1996 : 45, fig. III.7.

FIGURE 23 Coiffes ou casques posés sur une petite structure. Bas-relief d’El Tajin, Veracruz, reconstitué par Kampen 1972 : 63.

FIGURE 24 Coiffes ou casques . posés sur une petite structure sur la peinture murale d’Ixcaquixtla, Puebla. Cervantes Rosado et al. 2005

TABLE DES ILUSTRATIONS  

FIGURE 25 Personnage qui porte une tête au bout d’un piquet représenté sur un vase de la culture Chalchihuites. Hers 2001 : 125, fig. 13.

FIGURE 26 Scène de deux femmes portant chacune un piquet surmonté d’une tête humaine, Mapa de Cuauhtinchan No. 2. Carrasco y Sessions (eds.) 2007.

 

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 27 Relief d’un vase de Teotihuacán d´un personnage richement vêtu qui porte un crâne à la pointe d’un piquet, publié par Winning 1987 vol. 1, fig 5b.

-

FIGURE 28 Cerro del Huiztle et ses tzompantli formés par des lignes verticales de crânes. Reconstitution de Hers 1989, fig. 18.

TABLE DES ILUSTRATIONS  

FIGURE 29 Tzintzuntzan. Lignes verticales de crânes perforés sur la mappe 3 de la Crónica de Michoacán de Beaumont. Seler 1991 vol. 4 : 53.

 

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

. FIGURE 30 Tzompantli horizontal, formé d’une plateforme basse sur laquelle repose une palissade et trois tête Mapa de Cuahtinchan No. 1. Yoneda 1991.

FIGURE 31 Bas-reliefs d’os croisés et de crânes alternés de Nohpat, Yucatán, enregistrés par Stephens 1991: 227, fig. 21.

TABLE DES ILUSTRATIONS  

FIGURE 32 Bas-reliefs d’os croisés et de crânes alternés provenant d’El Corral, Tula, Hidalgo. Fuente de la et al., 1988 fig. 88a.

FIGURE 33 Autel de la Calle de las Escalerillas avec des bas-reliefs d’os croisés et de crânes alternés, enregistré par Batres 1979: 153.

FIGURE 34 Peinture murale d’os croisés et de crânes alternés de Tenayuca. López Luján 2006 vol. 2: 342.

 

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 35 Têtes fixées dans un mur. Ms. Chumayel. Roys 1967 : 160, fig. 39.

FIGURE 36 Peintures rupestres d’Ixtapantongo parmi lesquelles est représenté un arbre où sont accrochés des crânes et des drapeaux. Reconstitué par Villagra 1954.

TABLE DES ILUSTRATIONS  

FIGURE 37 Tzompaquahuitl. Dessin d´arbre qui fait des fleurs comestibles, enregistré dans le codex Florentino 1979 livre 11, chapitre 7, 190r.

FIGURE 38 Glyphe Tzonpanco. Codex Osuna 1978 pl. 35r

.

FIGURE 39 Glyphe Tzunmulco. Codex Cozcatzin s/f pl. 3.

 

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 40 Glyphe Tzompanco. Codex 40 en Johansson 2007.

FIGURE 41 Glyphe tzompantli. Matrícula de Tributos 1991 pl. 15.

TABLE DES ILUSTRATIONS  

FIGURE 42 Glyphe tzompantli. Codex Mendocino 1964-1967 pl. 17.

FIGURE 43 Glyphe tzompantli. Codex Mendocino 1964-1967 pl. 37.

 

ILLUSTRATIONS

FIGURE 44 Episode de la migration qui démontre l’édification et utilisation d’un tzompantli dans la fondation à Atenco-Tzompanco. Codex Mexicanus 1952 pl. 29.

FIGURE 45 Episode de la migration démontrant l’édification et utilisation d’un tzompantli dans la fondation à Atenco Tzompanco Codex Azcatitlán 1994 pl. 8.

 

                                                                         Le  tzompantli  et  le  jeu  de  balle.  Relation  entre  deux  espaces  rituels    

FIGURE 46 Glyphe Tzompanco en référence aux événements de la migration qui se déroulent à AtencoTzompanco. Codex Boturini 1964-1967 pl. 10.

FIGURE 47 Glyphe Tzompanco en référence aux événements de la migration qui se déroulent à AtencoTzompanco. Codex Aubin 1893 pl. 18.

 

ILLUSTRATIONS

FIGURE 48 Glyphe Tzompanco en référence aux événements liées à la fondation d’Atenco-Tzompanco, Mapa Sigüenza. Historia de la Ciudad de México 1983 vol. 1: 45.

FIGURE 49 Glyphe Tzompanco en référence aux événements liées à la fondation d’Atenco-Tzompanco. Codex Telleriano Remensis 1995 pl. 29.

 

                                                                         Le  tzompantli  et  le  jeu  de  balle.  Relation  entre  deux  espaces  rituels    

FIGURE 50 La disposition de l’enceinte sacrée du peuple mexica dans la fondation de Tenochtitlan. Codex Mendocino 1964-1967 pl. 1.

 

ILLUSTRATIONS

FIGURE 51 Episode des événements qui se déroulent sur le Yopico tzompantli qui était utilisé en Tlacaxipehualiztli. Primeros Memoriales 1993 pl. 250r.

FIGURE 52 Le tzompantli que Moctezuma a fait construire pour fêter la vingtaine Ochpanitzli. Codex Azcatitlán 1994 pl. 22.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 53 Huey Tzompantli comprenant des crânes de seigneurs morts à la guerre. Codex Vaticano Ríos 19641967 pl. 78.

FIGURE 54 Crânes des Espagnols et des alliés enterrés à Zultepéc-Tecuaque, Tlaxcala, enregistrées par Martínez Vargas 1993: 62.

ILLUSTRATIONS

FIGURE 55 Le tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlán, représenté dans l´ouvrage de Durán 1984 vol. 1 chapitre 2.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 56 Indiens américains représentés à côté de restes humains accrochés à un toit. Xylographie imprimée par Johann Froschauer. Todorov 1992 : 131.

FIGURE 57 Scène d’anthropophagie au Brésil. Martin Waldseemüller. Carta marina... Augé 1995 : 101.

ILLUSTRATIONS

FIGURE 58 Scène d’anthropophagie dans la région des îles Moluques. Laurent Freiss. Carta Marina... Shirley 1983: 62-63.

FIGURE 59 Gravure qui représente des chiens anthropomorphes dans des actes cannibales, élaborée par Laurent Freiss. Lestringant 1997: 18.

FIGURE 60 Scène d’anthropophagie au Brésil. Sébastian Münster. Novus Orbis ... Shirley 1983 : 74-75.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 61 Scène d’anthropophagie au Brésil. Sébastian Münster. Novae Insulae ... Nebenzhal 1990 : 98-99, pl. 31.

FIGURE 62 Mappa mundi de Piri Re´is où sont enregistrés les premiers voyages des Européens et les cynocéphales/anthropophages qui peuplaient la région. Nebenzhal 1990: 63, pl. 20.

ILLUSTRATIONS

FIGURE 63 Indigènes jouant à la balle en Espagne, représentés par Christoph Weidlitz 1994: pl. 13 et 14.

FIGURE 64 Plan de Tenochtitlán qui fait partie de la première édition en latin de la deuxième lettre d’Hernán Cortés. Marquina 1964: 183, fig. 6bis.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURE 65 Tzompanli de quatre tours de crânes et des murs avec des crânes encastrés. H.Y. Seheley, Historia de la Ciudad de México 1983 vol.1: 72.

FIGURA 66 Représentation du dernier tzompantli érigé par les Nahuas lors des batailles pour défendre Tenochtitlán et Tlatelolco faite par un artiste indigène sous la direction de Sahagún, codex Florentino 1979 livre 12, chapitre. 35, fo. 68r.

ILLUSTRATIONS

FIGURA 67 Représentation du dernier tzompantli. Paravent de la Conquête. Historia de la Ciudad de México 1983 vol.1: 137.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURA 68 Grand tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlán et des sacrifices reconstitué dans l’atelier de De Bry 1997 : 293.

FIGURA 69 Représentation du grand tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlan. John Clark. Antonio de Solis, Historia de la conquista, población y progresos de la América Septentrional, Londres, Woodward, Half Moon, 1724, livre 3, enregistrée par Rubial et Suárez Molina, 1999: 143-179.

ILLUSTRATIONS

FIGURA 70 Représentation du grand tzompantli d’Antonio Solís sur l´image qui retrace l’arrivée solennelle de Cortés à Tenochtitlán et sa rencontre avec Moctezuma. Historia de la Ciudad de México 1983 vol.1: 124.

FIGURA 71 Représentation du grand tzompantli d’Antonio Solís sur l´image qui représente la première messe à Tenochtitlan. Cuadriello 1999: 162.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURA 72 Adrián Unzueta, «El tzompantli (tour de têtes de mort), prisonniers espagnols sacrifiés par des prêtres aztèques sur un temple». Ramírez 2003: 115.

FIGURA 73 Tzompantli du jour des morts au centre de la ville de Mexico. Reforma 2007.

ILLUSTRATIONS

FIGURA 74 Tzompantli du jour des morts au centre de la ville de Mexico. Alejandro Martínez Muriel 2000.

FIGURA 75 Tzompantli du jour des morts au centre de la ville de Mexico. Carlos Flores 2007

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURA 76 Tzompantli du jour des morts au centre de la ville de Mexico. Reforma 2003.

FIGURA 77 Prédication sur le terrain- de jeu de balle à Tlaxcala. Muñoz Camargo 1982-1987 vol. 4, pl. 5.

ILLUSTRATIONS

FIGURA 78 Joueurs de balle de Christoph Weiditz au Pérou, reconstitution de l’atelier de De Bry, livre 6: 216, 230-231.

FIGURA 79 Exercice dans le tlachtli. Historia de la Ciudad de México 1983 vol.1: 76.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURA 80 Exercice dans le tlachtli par José María Ibarrarán y Ponce. México a través de los siglos 1953 vol. 2: 56.

FIGURA 81 Tzompantli du Templo Mayor de Tenochtitlán représenté sur la planche 20 du Manuscrit Tovar 1972.

ILLUSTRATIONS

FIGURA 82 Centre de la ville de Tlaxcala. Muñoz Camargo 1982-1987 vol. 4, pl. 17.

FIGURA 83 Plan de la ville de Huastepeque. Relación de Huastepeque 1982-1987 vol. 4: 206-207.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURA 84 Plan de la ville de Cuzcatlán. Relación de Cuzcatlán 1982-1987 vol. 5: 94-95.

FIGURA 85 Plan de la ville de Coatepec. Relación de Coatepec-Chalco 1982-1986 vol. 6: 150.

ILLUSTRATIONS

FIGURA 86 Plan de la ville de Lima, Pérou. Félipe Guaman Poma 1944: 1021.

FIGURA 87 Plan de la ville de Mexico. Paravent. Historia de la Ciudad de México 1983 vol.2: 21.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURA 88 Plan de la ville de Mexico. Pedro de Arrieta. Historia de la Ciudad de México 1983 vol.2: 37.

FIGURA 89 Plan de la ville de Teotenango. Relación de Teotenango 1906.

ILLUSTRATIONS

FIGURA 90 Plan de la ville de Popotla. Lienzo de Popotla 1964 : 142, pl. 94.

FIGURA 91 Châtiments des Espagnols : scène de pendaison et scène de décapitation sur les plateformes. Codex Tlatelolco 1994.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURA 92 La plateforme où furent sacrifiés les Espagnols. Codex Florentino 1979 livre 12, chapitre 36, folio 67v.

FIGURA 93 La plateforme sur laquelle se dresse un pilori où est accrochée une personne morte garrottée par des Espagnols. Codex Vaticano Rios 1964 -1967 pl. 139.

ILLUSTRATIONS

FIGURA 94 La plateforme sur laquelle se dresse un pilori où est accrochée une personne morte garrottée par des Espagnols. Codex Telleriano Remensis 1995 pl. 31.

FIGURA 95 Corps décapité de la victime sacrificielle est en haut de la plateforme. Tonalámatl Aubin 1981 pl. 15.

Le tzompantli et le jeu de balle. Relation entre deux espaces rituels

FIGURA 96 Châtiments infernaux sur les peintures murales de la Chapelle de San Nicolás de Tolentino, Actopan. Báez 2005: 301

FIGURA 97 Châtiments infernaux. Diego Valádes, Rhetorica christiana. Estrada de Gerlero 2011: 293, fig. 11.

FIGURA 98 Châtiment de Huexotzíncatl par pendaison. Codex Xicotepec 1995 pl. 19.

ILLUSTRATIONS

FIGURA 99 Mort des seigneurs Cuauhtémoc et Tetlepanquetza pendus aux branches d’un arbre. Codex Vaticano Ríos 1964 - 1967 pl. 135.

FIGURA 100 Montage photo. L´ulama dans le jeu de paume. L´image est un collage d´ E. Carreón. qui réunit le “Jeu de paume” de Valère Maxime et les joueurs de Christoph Weiditz. Voir: Faits et dits mémorables, France, XVe siècle dans Mehl 1990, Figure 1 et Weiditz 1994 pl. 13 et 14.