Le système verbal du français contemporain [Reprint 2018 ed.] 3111274721, 9783111274720, 9783111659107

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Le système verbal du français contemporain [Reprint 2018 ed.]
 3111274721, 9783111274720, 9783111659107

Table of contents :
Avant-Propos
Table Des Matières
I. Introduction Générale
II. La Diachronie
III. L'indicatif
IV. Le Subjonctif
V. Les Expressions-Substituts Et La Voix Passive
Conclusion
Bibliographie Des Ouvrages Cités Ou Mentionnés

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LE SYSTÈME VERBAL DU FRANÇAIS CONTEMPORAIN

JANUA LINGUARUM STUDIA MEMORIAE NICOLAI VAN WIJK DEDICATA

edenda curat

C. H. VAN SCHOONEVELD INDIANA

UNIVERSITY

SERIES P R A C T I C A LXXIX

1968

MOUTON T H E H A G U E • PARIS

LE SYSTÈME VERBAL DU FRANÇAIS CONTEMPORAIN

par

H E N R Y G. S C H O G T TORONTO

1968

MOUTON THE H A G U E • PARIS

© Copyright 1968 in the Netherlands. Mouton & Co. N.V., Publishers, The Hague. No part of this book may be translated or reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm, or any other means, without written permission from the publishers.

LIBRARY OF CONGRESS CATALOG CARD NUMBER: 68-13346

Printed in The Netherlands by Mouton & Co., Printers, The Hague

AVANT-PROPOS

Sans les conditions de travail idéales aussi bien à Paris (1963-1964) qu'à Princeton (1964-1966), il ne m'aurait pas été possible d'écrire le présent ouvrage sur le système verbal du français contemporain. Aussi est-ce un plaisir pour moi de remercier M. André Martinet, directeur de l'institut de linguistique de la Sorbonne, M. Richard Burgi, directeur du département des langues slaves et M. Edward Sullivan, directeur du département des langues romanes de l'Université de Princeton, de tout ce qu'ils ont fait pour me rendre le travail agréable dans leur section. Les longues conversations que j'ai eues à Sceaux ont trop marqué ma pensée pour que je puisse dire tout ce que je dois à M. André Martinet. Il en est de même des discussions avec M. Cari Ebeling, professeur de langues slaves à l'Université d'Amsterdam, discussions que mon départ en Amérique a brutalement interrompues. Je dois remercier M. Michel Launay, maître de conférence à l'Université de Nice et dixhuitièmiste qui s'est converti à la linguistique sans trahir la littérature, d'avoir bien voulu lire le manuscrit pendant notre année commune à Princeton. Ses suggestions et ses encouragements m'ont été très précieux. Toronto, septembre 1966

HENRY G . SCHOGT

TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos

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I. Introduction générale I, 1. Ferdinand de Saussure I, 2. L'opposition langue ~ parole I, 3. Synchronie et diachronie 1, 4. Système de valeurs I, 5. Unités et inventaires I, 6. Le pronom et le problème de la redondance I, 7. Le morphème zéro I, 8. Forme et sens I, 9. Sens principal et sens global I, 10. La grammaticalité

9 9 9 11 12 13 13 16 17 19 20

II. La diachronie II, 1. La dynamique II, 2. Les phonèmes II, 3. Tendances morphologiques II, 4. Fréquence, coût et rendement II, 5. Analogie et syncrétisme II, 6. La symétrie II, 7. Valeur relative et interdépendance II, 8. Remplacement et grammaticalisation

21 21 21 24 25 25 26 27 29

III. L'indicatif III, 1. Méthode à suivre III, 2. Le présent III, 3. Le passé composé III, 4. Le passé simple III, 5. L'imparfait III, 6. Le futur III, 7. Le conditionnel

32 32 32 37 39 41 43 44

8

TABLE DES MATIÈRES

III, III, III, III,

8. 9. 10. 11.

Passé antérieur et plus-que-parfait Le futur antérieur Le conditionnel passé Les temps surcomposés

IV. Le subjonctif IV, 1. Le subjonctif; syncrétisme, opposition et redondance IV, 2. L'unité de la catégorie IV, 3. Le présent du subjonctif IV, 4. L'imparfait du subjonctif IV, 5. Le plus-que-parfait du subjonctif V. Les V, V, V, V, V, V,

expressions-substituts et la voix passive 1. Les expressions-substituts 2. Aller + infinitif 3. Venir de + infinitif 4. Devoir + infinitif 5. Être en train de + infinitif 6. La voix passive

48 49 49 50 51 51 53 56 60 61 63 63 64 66 67 68 70

Conclusion

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Bibliographie des ouvrages cités ou mentionnés

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I.

INTRODUCTION GÉNÉRALE

I, 1. FERDINAND DE SAUSSURE

Le but de cet ouvrage est de décrire le système verbal du français et notamment les formes du verbe fini. Mais il nous semble nécessaire de discuter quelques principes d'ordre général avant d'arriver au centre du sujet. Depuis la publication du Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure,1 les linguistes qui envisagent de donner la description d'un phénomène linguistique, quel qu'il soit, ont à tenir compte de la double dichotomie introduite par le maître de l'école genevoise. Saussure sépare nettement d'une part ce qui appartient au système virtuel que tous les membres d'une communauté linguistique ont en commun et qui leur permet d'établir des rapports de communication, d'autre part l'expression individuelle, qui est rendue possible par le système mais est concrète, éphémère, peu stable, tandis que le système sousjacent est virtuel, durable et stable. Ce qui appartient au système est appelé langue, l'acte d'expression individuelle nous fait entrer dans le domaine de la parole. En second lieu Saussure distingue la description synchronique, qui ne tient compte que de l'état des choses à un moment donné, sans se soucier ni de ce qui précède, ni de ce qui va suivre, et la description diachronique où l'évolution d'un phénomène est étudiée à travers les différentes époques. Saussure pose comme principe l'incompatabilité des deux façons de décrire les faits linguistiques.

I, 2. L'OPPOSITION LANGUE ~ PAROLE

Bien que la linguistique moderne soit en grande partie issue des théories de Saussure, et qu'elle opère toujours avec les notions introduites par le Cours, il s'en faut de beaucoup que tout le monde soit d'accord sur l'interprétation des différents termes. Benveniste écrit dans un compte-rendu d'un livre d'Ullmann 2 qu'il n'est pas sûr que ce dernier ait compris les théories saussuriennes ; s'il est vrai qu'il parte toujours de ces théories dans ses livres, on ne peut pas dire qu'il donne des réponses très claires aux questions litigieuses: 1 !

Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, 5 e éd. (Paris, 1962). S. Ullmann, Semantics. An Introduction to the Science of Meaning (Oxford, 1962).

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

On prend mieux conscience, à lire ce livre, du peu de clarté qui règne dans les concepts fondamentaux, et de l'effort qu'il faudra faire pour instituer les distinctions nécessaires dans ce domaine de la linguistique [problèmes sémantiques de la synchronie et problèmes du changement sémantique] où tant de doctrines ont introduit des exigences contradictoires.* Ce jugement n'est pas seulement valable pour les questions d'ordre sémantique; après la publication de l'étude des sources manuscrites du Cours par Godel,4 nous sommes à même de constater que la rédaction de Bally et Sechehaye, quelque fidèle qu'elle soit, ne rend pas toujours exactement les idées du maître. D'ailleurs il n'est pas toujours possible de donner une interprétation satisfaisante et définitive de problèmes que Saussure a abordés de façons différentes dans les trois cours qu'il a donnés à Genève en 1906-1907, 1908-1909 et 1910-1911. En outre il arrive que les distinctions introduites par les cours s'estompent quand on les examine de plus près. Le clivage entre le système de la langue et l'expression individuelle dans le domaine de la parole est moins catégorique qu'il ne semble à première vue. C'est grâce aux manifestations concrètes et individuelles de la parole que se crée le système sousjacent de la langue et c'est la langue qui permet à son tour aux membres de la communauté linguistique de s'exprimer de façon compréhensible. Toute innovation se produit d'abord dans la parole, pour passer ensuite éventuellement dans la langue. Saussure ne nie pas l'interdépendance des deux domaines. Il y a donc interdépendance de la langue et de la parole; celle-là est à la fois l'instrument et le produit de celle-ci. Mais tout cela ne les empêche pas d'être deux choses absolument distinctes." Pour que le principe d'un système indépendant de l'acte individuel et isolé soit nettement posé, il a été utile de souligner ce qui sépare les deux plans du langage. Mais une fois le principe de ce système accepté, on peut se demander s'il est possible de maintenir la distinction entre langue et parole de façon conséquente. Tatiana Slama-Cazacu a noté la difficulté quand elle remarque dans son livre Langage et contexte: Nous essayerons d'examiner les diverses organisations dans une perspective objective, sur le plan de la langue: c'est-à-dire, telles qu'elles existent en dehors de chaque sujet parlant; pourtant, nous signalerons cette fois-ci encore la difficulté de dissocier le phénomène "langue" du phénomène "parole", sans dénaturer par cette dissociation les données de la réalité.® Pour Saussure le fait de la parole précède toujours, c'est-à-dire tout changement, toute innovation passe de l'acte individuel au système commun. Il n'est pourtant pas sûr que ce soit toujours un enrichissement ou changement en sens unique. Il est bien possible que par suite d'un changement se produisant dans la parole, le système de la langue soit modifié de telle sorte qu'il s'y crée ce qu'on pourrait appeler, » E. Benveniste, BSL, LVIII, 2, 1963, p. 18,19. * R. Godel, Les Sources manuscrites du cours de linguistique générale de F. de Saussure (Genève, 1957). 5 Cours de linguistique, p. 37, 38. ' Tatiana Slama-Cazacu, Langage et contexte (La Haye, 1961), p. 105 (4,2).

INTRODUCTION GÉNÉRALE

11

en utilisant un terme de la phonologie, une case vide. Nous reviendrons sur cette question en traitant des temps surcomposés (voir ci-dessous II, 6 p. 26 et III, 11p. 50). Comme tout changement présuppose un facteur temporel, et que la description synchronique vise à éliminer ce facteur, il faudrait faire abstraction de l'interprétation des changements en voie d'accomplissement, si l'on veut s'en tenir à la synchronie pure.

I, 3. SYNCHRONIE ET DIACHRONIE

Bien qu'il ne semble pas difficile de donner une description detaillée évitant tout élément historique et diachronique, on se heurte chemin faisant à toutes sortes de difficultés. Que faire par exemple d'une forme verbale qui figure dans le système verbal d'un premier informateur mais qui est absente des données fournies par un deuxième informateur, tandis qu'un troisième déclare que la forme fait partie de son inventaire passif, mais qu'il ne l'emploie jamais de façon active? Et comment faut-il interpréter des renseignements concernant les différents registres qui sont à la disposition d'un seul individu? Supposons que dans le cas de divergences entre les données fournies par un informateur A et celle d'un informateur B, la description mentionne cette différence en ajoutant que B représente une innovation par rapport à A. Le terme même d'innovation introduit un élément de diachronie dans nos considérations. Si la synchronie doit être observée, la seule possibilité qui reste à l'observateur est de mentionner la coexistence de deux systèmes, celui de A et celui de B, et s'il dispose de renseignements supplémentaires, il peut indiquer lequel des deux systèmes est le plus répandu, mais il doit s'abstenir de tout pronostic sur l'évolution à attendre aussi bien que de toute explication historique de la divergence. Pour ce qui est des registres, le langage soutenu et littéraire représente le plus souvent une étape antérieure à celle du débit de la conversation courante, mais la coexistence des deux systèmes dans un même individu rend la tâche de l'analyste très délicate. Si des phénomènes sont inclus dans la description comme marginaux, la synchronie n'est pas affectée par là même, mais toute précision sur le caractère archaïsant ou innovateur doit une fois de plus être exclue. On pourrait éviter ces problèmes en réduisant autant que possible le nombre d'informateurs et en éliminant les facteurs d'instabilité tels que les changements de registre se produisant dans le parler d'un seul individu. Mais même si le registre reste le même, il n'est pas sûr qu'au bout d'un certain nombre d'années il ne se soit produit aucun changement. Cela revient à dire que l'idéal synchronique est atteint quand on part des informations d'une seule personne recueillies à un moment donné, et qui constituent ce qui est appelé un idiolecte. Mais le plus souvent les descriptions sont fondées sur un matériel moins homogène et la question se pose de savoir où s'arrête l'illusion d'immobilité et où commence le mouvement de la diachronie. La diachronie est particulièrement difficile à éliminer

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

quand il s'agit d'une langue à longue tradition culturelle telle que le français. Il suffit de feuilleter des grammaires comme celle de Wagner et Pinchon7 ou Le Bon usage de Grevisse8 pour constater qu'il y a un enchevêtrement quasi-inextricable d'époques, de registres sociaux et de plans stylistiques; les exemples tirés de Racine, de Corneille, de Madame de Sévigné alternent avec des citations d'Albert Camus, de Jean-Paul Sartre, de Marcel Aymé, de Jean Giono. La Grammaire Larousse du XXUme siècle9 va jusqu'à Georges Duhamel et Anatole France. Même si la période qu'embrasse l'investigation est beaucoup plus brève que celle qui fournit les exemples à ces trois grammaires, l'élément de temps joue presque toujours un rôle, dès que la coupe transversale qu'est la description synchronique devient une tranche où sont représentés plusieurs générations et plusieurs milieux sociaux. Devant la constatation de divergences provenant des différences de milieux sociaux ou de génération, le linguiste peut éprouver le besoin d'interpréter et de comprendre. La formation du chercheur influencera dans une large mesure la façon dont il s'efforcera de classer les données dont il dispose; s'il vise à un tableau intégral du système, ou du système partiel, qu'il étudie, il notera que la stabilité de la langue est une notion relative et que tout système linguistique subit des modifications au cours du temps.

I, 4. SYSTÈME DE VALEURS

Si l'on fait abstraction des changements en cours, il est moins compliqué d'analyser les éléments qui constituent la langue, puisqu'il est permis par cette simplification d'établir un système de relations stables. Bien que la langue soit "un système où tout se tient", il n'est pas aisé d'arriver à un schéma où tout élément trouve sa place qui soit conditionnée par la place de tous les autres éléments. C'est pourquoi on est tenté parfois d'établir la valeur intrinsèque ou absolue d'un élément sans tenir compte de sa place dans le système, et de définir l'élément "présent" de façon philosophique et non pas comme élément d'un système temporel linguistique. Le plus souvent pourtant, on procède à la décomposition du système intégral en systèmes partiels dans lesquels les rapports des éléments sont plus faciles à dégager, puisque les rapports avec les éléments en dehors du système partiel sont laissés de côté. Les valeurs auxquelles arrive l'analyse ne sont plus absolues dans ce cas; elles sont relatives. Ceux qui suivent la méthode de décomposition en systèmes partiels sont confrontés avec le problème de la délimitation de ces systèmes, et ce problème n'est pas facile à résoudre.

' • •

R. L. Wagner et J. Pinchon, Grammaire du français classique et moderne (Paris, 1962). M. Grevisse, Le Bon usage, 6 e éd. (Paris-Gembloux, 1955). Grammaire Larousse du XX'ime siècle (Paris, s.d.).

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

I, 5. UNITÉS ET INVENTAIRES

Le matériel que fournit la chaîne parlée peut être divisé en unités de plusieurs façons. Qu'on pense seulement à l'analyse phonématique, à l'analyse morphologique, à la division en unités plus grandes, que ce soient des "mots" ou des syntagmes. 10 Quand on veut étudier le système verbal d'une langue, les unités minima qui sont désignées du terme de phonèmes (ou unités de la deuxième articulation d'après la terminologie de Martinet) ne sont que d'une importance limitée. Nous verrons par la suite quelles sont les implications des changements qui s'opèrent dans le système phonologique du français en fonction de son système verbal. En revanche les unités minima de la première articulation, c'est-à-dire les morphèmes nous occuperont beaucoup plus. La terminologie est loin d'être uniforme dans ce domaine, comme il est montré par la liste que voici : arriv-

ait

morphème du radical sémantème lexème plérème

morphème de la terminaison morphème morphème morphème

La terminologie de Hjelmslev (plérème = élément plein) aussi bien que l'opposition sémantème ~ morphème ont le désavantage de concentrer le sens uniquement dans le radical; sémantème est explicite à cet égard, mais plérème ~ morphème suggère aussi que le morphème (-ait de notre exemple) est dépourvu de sens, ce qui est contraire à la vérité. Martinet a introduit le terme de monème pour les deux catégories tout en employant les termes de lexème et de morphème là où la distinction est utile. 11 Nous précisons dès maintenant que par la suite le morphème du radical sera indiqué par le terme de lexème, tandis que le terme de morphème sera réservé pour la terminaison. Dans une forme comme (il) arriv-ait les deux éléments, le lexème /ariv/ et le morphème /e/ appartiennent respectivement à un inventaire illimité et à un inventaire limité. Dans le premier cas l'élément peut commuter avec un nombre illimité d'éléments analogues, tandis que dans le deuxième cas les possibilités de commutation sont restreintes. 12 Pour établir quel est le système verbal c'est la commutation d'éléments de la série limitée des morphèmes qui s'impose.

I, 6. LE PRONOM ET LE PROBLÈME DE LA REDONDANCE

Il faut signaler ici deux particularités de la morphologie du verbe français. Si l'on 10

Voir sur cette question: C. L. Ebeling, Linguistic Units (La Haye, 1960); André Martinet, Éléments de linguistique générale (Paris, 1960); André Martinet, "Le Mot", Diogène, 51 (1965), p. 39-53. 11 Éléments, p. 20 (I, 9). 18 Voir sur les inventaires illimités: Georges Mounin, Problèmes théoriques de la traduction (Paris, 1963), p. 89-93; André Martinet, Éléments, p. 24 (1-13) et p. 117-119 (4-19), (4-20).

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

prend la forme arrivait, /arive/, le morphème /e/ commute avec deux séries limitées: (1) avec /a/ (passé simple), /ra/ (futur), /-/ (présent) etc. (2) avec /iô/ et /ie/. (Nous passons sous silence l'alternance telle que la présente écrire par exemple: /ekri/, /ekriv/, aussi bien que le problème de la notation de [a] dans des formes comme /ariv(a)ra/, /arivario/). Pour les rapports de /e/ et /iô/, /ie/, la question se pose de savoir s'il est permis d'isoler une forme pour procéder ensuite à des commutations en dehors de tout contexte: /ariv/ ~ /arivô/, bien que Jean arrive Jean arrivons ne soit pas possible. La forme verbale n'est pas autonome comme en latin, mais a besoin d'un support nominal: discipulus venit ~ venit l'élève vient ~ il vient En français le pronom anaphorique peut être remplacé par un substantif (s'il est permis de renverser l'ordre logique ici, car c'est naturellement le pronom anaphorique qui remplace le nom), mais les pronoms de la première et de la deuxième personne résistent à ce traitement à l'exception de constructions comme mon ami et moi avons fait une belle promenade bien qu'ici encore mon ami et moi nous avons fait une belle promenade dans la conversation familière gagne du terrain. En latin la combinaison substantif+ verbe de la première ou de la deuxième personne n'est pas exclue. Martinet écrit à ce propos : Quand on dit en anglais the student cornes, le -s de cornes apporte-t-il un élément d'information? Absolument pas. Il n'apporte rien qui ne se trouve exprimé dans the student. Par conséquent il y a expression redondante de l'élément "troisième personne" qui, dans une langue comme l'anglais est automatiquement inclus dans l'emploi d'un substantif comme sujet. L'exemple latin correspondant est moins convaincant: dans discipulus venit on pourrait être tenté de dire que le t de venit est également redondant, pour les mêmes raisons que dans le cas de l'équivalent anglais. Ce n'est peut-être pas tout à fait vrai; je laisse aux latinistes le soin de décider jusqu'à quel point c'est vrai; mais n'était-il pas possible, en latin, de dire discipulus venio. Après tout, Néron aurait dit en mourant: qualis artifex pereol Par conséquent, il y avait probablement à cet égard en latin une certaine latitude. En tout cas, en anglais, la situation est beaucoup plus nette.13 Il y a des linguistes qui pensent que les pronoms sujets atones font partie de la forme verbale et doivent être considérés comme des préfixes-indicateurs de la catégorie de personne, qui n'est pas exprimée par la forme "non-préfixée". En faveur de cette théorie on pourrait encore citer les arguments que voici: 18

André Martinet, "Quelques traits généraux de la syntaxe", Free University Quarterly, VII, 2 (août 1959), p. 11.

INTRODUCTION GÉNÉRALE

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(1) les pronoms atones je, tu, il, ils n'ont jamais l'accent et ne s'emploient jamais sans forme verbale : pour l'emploi absolu on a recours aux formes toniques moi, toi, lui, aux; (2) le pronom il de la troisième personne ne se sépare plus de la forme verbale dans la construction mon père il dit, caractéristique pour le français avancé. Ceux qui ne sont pas d'accord avec cette théorie-ci, objectent que la préfixation n'admettrait pas la séparation du préfixe et la forme suivante par un terme intercalé, la séparation étant le critère pour savoir si l'on a affaire à des unités indépendantes ou non. Les possibilités d'intercaler des termes sont très limitées pourtant. Abstraction faite d'archaïsmes (très rares d'ailleurs) comme je soussigné déclare, il n'y a que des pronoms qui figurent entre le pronom personnel et le verbe, et il est à noter que ces pronoms ne portent jamais l'accent. Qu'on considère les pronoms comme faisant partie de la forme verbale ou non, il est clair que là où il n'y a pas de marque spéciale dans la forme verbale même, c'est le pronom qui apporte toute l'information concernant la catégorie de personne.14 Strictement parlant une forme comme /don/ contient une indication partielle de caractère négatif: la première et la deuxième personnes du pluriel sont exclues. Dans /se/ (sais, sais, sait) tout le pluriel est exclu, dans /e/ l'information est plus précise encore, puisqu'on n'a le choix qu'entre la deuxième et la troisième personne du singulier, tandis que /sui/ ou /sav/ indiquent sans ambiguité respectivement la première personne du singulier et la troisième personne du pluriel. Le cas est plus compliqué encore pour la première et la deuxième personnes du pluriel. Dans travaillerions la terminaison (i)ons exprime de façon claire et sans ambiguité la catégorie de personne. Mais cette même catégorie est exprimée par le pronom nous: nous travaillerions. Le lien entre le pronom et la forme verbale est indissoluble; l'expression discontinue de la catégorie "première personne du pluriel" est redondante et obligatoire à la fois, à moins qu'on n'ait recours à la combinaison nous, on travaillerait du français avancé. Le futur /travajrô/ en tant que forme sonore correspond à travaillerons et travailleront de l'écrit, et nous et ils apportent la précision que la forme verbale seule ne fournit pas. Si en revanche la question de la redondance est posée au sujet du présent de l'indicatif nous travaillons, la fonction de nous et de -ons se dégage à l'aide des deux oppositions que voici: il répondit : "travaillons !" ~ il répondit: "nous travaillons" il répondit : "travaillons !" ~ il répondit : "travaillez." Le pronom personnel marque ici l'indicatif par rapport à l'impératif. A l'intérieur de l'impératif les terminaisons /-/, /ô/, /e/ fournissent l'information totale sur la catégorie de personne, tandis qu'au présent de l'indicatif la même constatation se fait pour /ô/ et /e/, mais non pas pour /-/. La série /-/, /ô/, /e/ nous amène à parler de la terminaison "zéro". 1

* Jean Dubois distingue à juste titre entre l'information de la forme écrite et celle de la forme sonore dans sa Grammaire structurale du français (Paris, 1965).

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INTRODUCTION GÉNÉRALE I, 7. LE M O R P H È M E ZÉRO

Nous avons vu que le français se prête plus facilement à des commutations du type travaillera ~ travaillait, qu'à celles qui maintiennent le facteur temps tout en changeant la personne. Ces commutations-ci n'aboutiront d'ailleurs qu'à établir l'inventaire de personnes, ce qui n'est pas notre but. C'est donc avant tout dans la série limitée du type travaillera, travaillait, travaille etc. que nous opérerons. Il est utile de s'arrêter un moment sur le mécanisme de la commutation. Toute substitution s'opère par un remplacement soit de a+b par a + c, soit de a+b par a, ou encore de a par a + b. Dans le cas qui nous occupe on peut décomposer les formes verbales dans un élément a d'ordre lexical (lexème) et un élément b, c ou d etc. (morphème) qui représente la valeur grammaticale, b, c, d etc., formant une série limitée. A l'intérieur de cette série il se présente une complication que le français n'est pas la seule langue à offrir. Dans (Jean) travaillera ~ (Jean) travaillait, travaillera se compose de (a) travailler (ou travaillant) (b) l'élément "futur" exprimé par /-r-/ travaillait se compose de (a) travailler (ou travaillant) (c) l'élément "passé-imparfait" exprimé par /-e/ La substitution est évidemment du type a+b ~ a + c. Que faire, en revanche, de l'exemple (Jean) travaille ~ (Jean) travaillerai Faut-il y voir un cas de a ~ a + bl Nous croyons que non. L'absence d'un morphème spécial pour indiquer l'élément "présent" n'implique pas que la forme travaille représente un cas de a. Le deuxième élément, à savoir celui de "présent" s'exprime ici par un élément morphologique "zéro", c'est à cet élément que se substitue /-r/- du futur ou /-e/ de l'imparfait. Le terme "élément morphologique zéro" indique qu'après le lexème tout élément de la série substitutionnelle /-r-/, /-e/ etc. fait défaut. Il faut conclure de ce que nous venons de dire que nous opérons avec des éléments de sens a + b ~ a + c bien que cette opposition s'exprime au point de vue formel par a~ a + b. Or, l'introduction d'un élément sémantique n'est pas sans dangers, à moins qu'on s'en tienne à des critères formels en même temps. Un seul énoncé peut avoir différents sens d'après le contexte où il se trouve, d'après les circonstances extérieures. Il est impossible de sortir d'un cercle vicieux si l'on essaye de délimiter les différentes valeurs d'un seul énoncé en les comparant les unes aux autres : les seules données qu'on puisse obtenir de cette façon sont celles qu'on utilise comme point de départ de l'opération. C'est donc bien par voie de substitution formelle qu'il faut aborder l'analyse du système et il est évident que l'élément morphologique zéro nous fait pécher en quelque sorte contre ce principe. La question pourrait être posée de savoir dans quel cas il faut admettre que l'élément morphologique zéro représente un élément b ou c ou d etc. et dans quel cas il

INTRODUCTION GÉNÉRALE

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ne correspond pas à un élément de sens. Pour illustrer ce dernier cas, prenons l'opposition en russe entre dont 'maison', domik 'petite maison' et domisée 'grande maison'. On peut décomposer dom en deux éléments, à savoir le radical (a) et un élément morphologique zéro. Si /-ik/ indique une dimension modeste et /-i§ôe/ une dimension importante, l'absence de morphème correspond à l'absence de toute indication dimensionnelle. Or, cette absence ne fournit aucun renseignement supplémentaire: dom peut se substituer toujours aux deux autres membres de la série, qui ajoutent un élément de sens à dom sans en exclure un autre qui aurait été représenté par l'élément morphologique zéro. Il y a donc une différence fondamentale entre travaille ( a + b ) et dom (a) — (si on préfère un exemple français, il est possible de partir de l'opposition maison ~ maisonetté). L'indication de dimension est non-obligatoire dans la série de dom etc., tandis que dans la série travaille, travailla, travaillait, travaillera, l'élément grammatical de temps est obligatoire et toujours exprimé. En d'autres termes, l'indicatif du français place l'action toujours dans le temps ce qui justifie l'interprétation de la forme travaille comme a+b, bien qu'il n'y ait pas de morphème b concret.

I, 8. FORME ET SENS

L'analyse qui n'est ni uniquement formelle, ni uniquement sémantique n'est possible qu'après que sont élucidés les différents rapports entre la forme et le sens. A la page 99 du Cours de Ferdinand de Saussure se trouvent trois petits dessins:

A première vue tout paraît assez clair, mais quand on y regarde de plus près les choses deviennent moins évidentes. Est-ce que le concept est une image bien concrète? S'il en était ainsi l'inventaire d'une langue sérait réduit à un ensemble d'unités sémantiques désignant des notions concrètes dont on suggère la préexistence. L'image acoustique n'est pas non plus l'équivalent d'un mot qui indique (traduit) un concept, la langue ayant des catégories conceptuelles qui ne se réduisent pas à des substantifs ou à des adjectifs concrets, mais à des notions d'agent, ou d'action, ou à d'autres rapports syntaxiques. L'exemple du Cours est rendu trop facile et trop simple par les éditeurs qui, comme l'indique Godei16 ont ajouté le troisième dessin qui souligne à tort le caractère lexical et concret de l'exemple. Dès qu'on passe du domaine lexical au domaine grammatical et syntaxique il devient bien plus difficile de délimiter les rapports entre le signifiant et le signifié. En premier lieu il faut établir un inventaire de signifiés, mais 14

R. Godei, Les Sources, p. 115-116.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

comme la simplicité d'un lien unique qui relie un seul signifiant à un seul signifié a fait place à des rapports plus complexes et plus cachés, on ne peut établir les catégories grammaticales qu'en tâtonnant (by trial and error), en partant de la classification traditionnelle pour procéder ensuite à des vérifications. Dans une langue flexionnelle comme le russe la catégorie "accusatif" est exprimée dans la déclinaison du substantif par des morphèmes qui expriment en même temps d'autres catégories telles que le nombre et le genre. Il est relativement aisé de dresser une liste de tous les morphèmes de l'accusatif, mais il faut examiner encore d'autres aspects de la question pour avoir une image plus complète de l'accusatif en russe. Dans la petite phrase otec l'ubit syna 'le père aime le fils', le morphème -a indique que syn est l'objet direct. Ainsi on peut interchanger les deux termes syna l'ubit otec sans que l'élément syn change de fonction grammaticale (il va sans dire qu'au point de vue psychologique et stylistique il n'en est pas de même, la construction syna l'ubit otec étant marquée par rapport à otec l'ubit syna). Si l'on a affaire à mat' l'ubit doc' 'la mère aime la fille', il en est tout autrement. Il est impossible d'interchanger l'ordre des éléments substantifs sans que leur fonction grammaticale se modifie également. Dans cette phrase c'est donc tout comme en français l'ordre des éléments qui sert d'indication de leur fonction. Ce caractère mixte de l'information pose le problème de savoir en quelle mesure la place de l'élément contribue à en indiquer la fonction, même si cette fonction est exprimée morphologiquement. La construction marquée à ordre inverse reçoit souvent un accent d'insistance pour avertir l'interlocuteur, qui risquerait de ne pas saisir les rapports si le débit était neutre. Un problème analogue se présente quand on a affaire à des constructions prépositionnelles de langues à flexion casuelle. La préposition k 'vers, à' du russe est toujours suivie d'un datif, et si le datif est remplacé par un autre cas, disons l'instrumental, cette construction incorrecte ne provoquera pas de malentendus, puisque la position du syntagme "préposition + terme nominal" dans la phrase est exprimée sans équivoque par la préposition. Il serait permis de dire que les morphèmes casuels perdent leur fonction après une préposition s'il n'y avait pas de prépositions qui admettent plus d'un cas, par exemple v 'vers, dans, à' suivi de l'accusatif ou du locatif (appelé souvent le prépositif). Alors une construction incorrecte causera des problèmes et il est clair que le morphème casuel garde une fonction d'information, peu importe qu'on interprète v (+acc.) et v (+loc.) comme une seule préposition ou comme deux prépositions homonymes. Dans sa forme la plus générale cette question se pose de la façon suivante : est-ce qu'un morphème garde sa fonction d'information même là où le contexte n'admet pas de choix. Roman Jakobson donne une réponse affirmative à cette question dans son étude sur le système casuel du russe.16 Les traits caractéristiques des cas — Jakobson en distingue huit — sont illustrés aussi bien à l'aide de constructions à prépositions que par des exemples d'emploi absolu. D'autre part Dean S. Worth "

Roman Jakobson, "Beitrag zur allgemeinen Kasuslehre", T.C.L.P. VI, p. 240-288.

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emploie dans son article sur l'instrumental en russe17 le symbole pS pour indiquer un substantif précédé d'une préposition, tandis que des indices servent ailleurs à marquer qu'un substantif est employé au nominatif (S„), à l'accusatif (Sa) etc. Comme Worth ne s'occupe pas de la valeur des catégories casuelles, il n'est pas permis d'attribuer à cette omission d'indice l'importance d'une opinion argumentée, mais il est probable que Worth représente une opinion contraire à celle de Jakobson. Le subjonctif français met l'analyste devant le même problème. Dans je suis heureux qu'il vienne, la principale je suis heureux commande le subjonctif de la subordonnée. L'emploi incorrect de l'indicatif ne change rien au contenu sémantique de la communication et fournit tout au plus des renseignements sur le niveau intellectuel et le milieu social du locuteur. La même constatation vaut pour le subjonctif après pour que, afin que etc., mais dans il ouvre la fenêtre de sorte que l'air frais peut entrer -, il ouvre la fenêtre de sorte que l'air frais puisse entrer l'indicatif et le subjonctif forment une opposition réelle, le contenu des deux phrases n'étant pas le même. On pourrait admettre avec Jakobson qu'une forme due à ce qu'on appelle une servitude grammaticale, garde sa valeur grâce au fait que cette même forme peut figurer comme membre d'une opposition dans d'autres contextes. Il y aurait donc d'une part la valeur précise d'une forme qui se délimite grâce à des oppositions et d'autre part la valeur vague de cette même forme qui résulte de connotations incontrôlables remontant à sa valeur précise dans d'autres contextes. Il nous semble que la confusion qui se crée ainsi forme un obstacle insurmontable, si on veut décrire la valeur relative des éléments d'un système, puisque la connotation ouvre la voie à un impressionisme subjectif qui n'est pas de mise dans la description d'un système linguistique. Aussi éviterons-nous autant que possible de parler de valeur, là où il n'y a pas de choix paradigmatique. I, 9. SENS PRINCIPAL ET SENS GLOBAL

L'analyste qui a choisi la méthode mixte et part du sens aussi bien que de la forme peut suivre deux voies différentes: (1) Après avoir fait l'inventaire, il décrit les éléments d'après le sens principal. Ensuite il énumère les emplois qui représentent des déviations de la norme; qu'il les appelle des cas spéciaux ou des exceptions à la règle, c'est égal. (2) Après avoir fait l'inventaire, il décrit les éléments de telle façon que cette description couvre tous les emplois. Ainsi il n'y a ni cas spéciaux, ni exceptions, car l'existence même de ces catégories infirmerait la validité de la description, qui vise à fournir des évaluations globales. 17

Dean S. Worth, "Transformanalysis of Russian Instrumental Constructions", Word, XIV (1958), p. 247-290.

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Jakobson parle dans l'article que nous avons déjà mentionné (note 16, p. 18) de Hauptbedeutung 'signification principale', et de Gesamtbedeutung 'signification d'ensemble ou signification globale'. Il préfère ce dernier concept, puisqu'il a choisi comme sous-titre de son article Gesamtbedeutungen der russischen Kasus. On pourrait illustrer les deux notions par le schéma que voici : signification principale

.0

y

signification globale

L'avantage de la "Gesamtbedeutung" par rapport à la "Hauptbedeutung" est évident : on évite la question difficile de savoir quelle est la signification principale. Mais le désavantage n'est pas moins évident: la description globale a à tenir compte d'emplois rares et d'un caractère inattendu que l'autre méthode peut passer sous silence. Ce sont ces emplois plus ou moins marginaux qui causent beaucoup de difficultés et d'irritation, précisément parce qu'il est souvent impossible de dire s'ils appartiennent encore à la langue et méritent par là une place dans une description détaillée.

I, 10. LA GRAMMATICALITÉ

Il s'ensuit qu'il faut compter avec différents degrés d'intégration dans le système, quand on envisage toutes les constructions où se rencontre l'élément à étudier. Noam Chomsky opère avec les notions de grammaticalité et de niveau de grammaticalité. 18 Mais, comme remarque Mounin dans son livre sur la machine à traduire, 19 en fin de compter on fait appel au sentiment linguistique du locuteur ordinaire pour évaluer le niveau de grammaticalité plus ou moins élevé d'une phrase. Il dépendra donc du sentiment linguistique du chercheur ou de ses informateurs s'il est tenu compte de tel ou tel emploi marginal, de telle ou telle construction discutable, dans les définitions globales des éléments d'un système. Ceci nous ramène au problème de l'opposition synchronie ~ diachronie signalée au début de ce chapitre (I, 3 p. 11). Bien que nous nous soyons donné la tâche d'analyser le système verbal du français contemporain et que des considérations d'ordre diachronique sortent du cadre d'une description synchronique, il nous semble utile de nous arrêter sur quelques questions diachroniques à titre d'exemples, car ces exemples faciliteront la compréhension de la place spéciale qu'occupent dans le système les éléments en voie de disparition aussi bien que les éléments innovateurs. 18 n

Noam Chomsky, Syntactic Structures (La Haye, 1964), p. 35 note 2 et p. 42 note 7. Voir Georges Mounin, La Machine à traduire (La Haye, 1964), p. 184-185.

II.

LA DIACHRONIE

II, 1. LA DYNAMIQUE

Quand on étudie les changements qui se sont produits pendant une période suffisamment longue, il s'observe certaines tendances assez constantes pour qu'il soit permis d'extrapoler les données et de faire des pronostics sur l'évolution à attendre. Le linguiste américain Edward Sapir parle de drift,1 et cette notion couvre à la fois l'idée d'évolution et l'idée de tendance, ou plutôt de poussée. Nous n'étudierons pas de façon systématique ici les constantes d'ordre général qui commandent l'évolution du langage,* mais nous nous restreindrons aux changements et aux tendances qui caractérisent l'évolution récente du système verbal. Il va sans dire que là où ces tendances partielles se comprennent mieux quand on les rattache à la dynamique générale du langage, nous n'éviterons pas de faire le rapport entre le détail et le fait général, mais comme nous traitons du verbe ici nous essaierons de ne pas nous éloigner de notre sujet en nous perdant dans des considérations historiques et philosophiques sur le langage humain. Une fois acceptée cette méthode pragmatique il faut analyser quelle est l'influence des changements et des tendances des différents niveaux du langage sur le système verbal. Parfois il s'agira d'une influence qui eflleure seulement les signifiants du verbe, parfois il sera question de tendances morphologiques qui se manifestent presque uniquement dans le domaine du verbe, tandis que le caractère hétéroclite de ce chapitre sera encore renforcé par une section consacrée aux glissements qui s'observent dans le domaine des signifiés.

II, 2. LES PHONÈMES

Sur le plan de l'expression chaque langue a un inventaire limité d'unités phoniques minima. Ces unités se combinent en unités plus grandes, qui à leur tour se groupent en ensembles plus vastes. Les unités minima s'appellent phonèmes ou, d'après la terminologie de Martinet, unités de la deuxième articulation. Chaque changement 1 Voir Edward Sapir, Language (New York, 1921), Chapter VII: "Language as a historical product: drift". * Nous avons traité de ces constantes dans un chapitre sur "La dynamique du langage", qui paraîtra dans L'Encyclopédie du langage, éditée chez Gallimard dans la Collection de la Pléiade.

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se produisant dans le système de la deuxième articulation aura nécessairement des répercussions dans les systèmes d'unités plus grandes dont les éléments constitutifs sont des phonèmes. Si un élément du système phonologique change ou disparaît, il est évident que cet élément change ou disparaît partout où il figure et que par là même le système morphologique et la phonie de la phrase se modifient. D'autre part un changement morphologique n'implique pas automatiquement que le système phonologique de la langue soit modifié; il est possible, par exemple, qu'un phonème tombé dans telle ou telle terminaison, se maintient ailleurs. Si l'on part des oppositions menacées et des oppositions en voie de disparition signalées par Martinet dans La Prononciation du français contemporain3 et en partie étudiées de nouveau dans un article publié quinze ans plus tard par Ruth Reichstein,4 on voit que la plupart de ces oppositions ne sont pas utilisées dans la morphologie du système verbal et que les répercussions de la réduction de l'inventaire phonématique y sont peu nombreuses et peu importantes. Ni la confusion entre /e/ et /e:/, ni celle de /a/ et /a/ ou de /ë/ et /&/ ne porte atteinte à la stabilité des distinctions morphologiques du verbe pour la simple raison qu'aucune des trois oppositions n'est utilisée dans ce domaine. Il en est de même pour l'opposition consonantique /n/ ~ /nj/. Ainsi il ne reste que deux points menacés: (1) les oppositions du type nous étudions ~ nous étudiions ', (2) les opposition du type je travaillerai ~je travaillerais. (1) Ce problème est étroitement lié à la question de la syllabation en français. Est-ce que les semi-voyelles [j], [w] et [w] sont des phonèmes, ou faut-il y voir des variantes combinatoires des voyelles pleines correspondantes [i], [u] et [u]? Les linguistes qui ont traité des semi-voyelles sont loin d'être d'accord sur la place qu'elles occupent dans le système phonologique du français. L'étude que le linguiste suédois Alf Lombard a consacrée aux semi-voyelles5 ne pose pas le problème en termes phonologiques et reste assez vague. L'auteur fait suivre l'opposition étudions ~ étudiions du commentaire que voici : il semble que le groupe antévocalique [ij] puisse quelquefois se reduire à [j], ou presque: (nous) étudiions en vient à se prononcer un peu comme étudions (p. 39). Son compatriote Bertil Malmberg, donnant un cadre théorique à la question en la mettant sur le plan phonologique, la décide en faveur du statut phonématique des 8

André Martinet, La Prononciation du français contemporain (Témoignages recueillis en 1941 dans un camp d'officiers prisonniers) (Paris, 1945). 4 Ruth Reichstein, "Étude des variations sociales et géographiques des faits linguistiques", Word, XVI, 1 (1960), p. 55-99. 6 A. Lombard, Le Rôle des semi-voyelles et leur concurrence avec les voyelles correspondantes dans la prononciation parisienne, Lund 1964, dans la série des Scripta minora regiae societatis humaniorum litterarum Lundensis, 1962-1963: 2,

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unités [j], [w] et [w] qu'il classe parmi les consonnes.® Martinet, en revanche, affirme que [j] peut entrer en opposition phonologique avec [i] (donc /j/ ~ /i/). bien que cette opposition soit souvent neutralisée, mais que [w] et [w] doivent être traités toujours comme variantes de /u/ et /u/'. Malmberg cite pour corroborer ses vues la paire piller ~ pied (p. 26), mais Martinet objecte qu'il y a une suture morphologique dans l'un des deux termes seulement, et puis l'opposition en question est infirmée par la prononciation minoritaire bisyllabique de pied, constatée dans La Prononciation (p. 177). Les autres arguments de Malmberg sont plutôt d'ordre phonétique (non-élision devant /j/, /w/, /w/ initiaux). 11 accepte l'individualité phonologique des trois sons, sans contester qu'ils n'entrent que très rarement en opposition avec les voyelles pleines. D'après l'avis de Martinet l'opposition /i/ ~ /j/ est neutralisée partout sauf à la finale derrière voyelle /pej/ ~ /pei/ (paye ~ pays), ce qui coïncide avec les observations de Lombard au sujet de étudions ~ étudiions, formes qui doivent être interprétées non pas comme des quasihomonymes, mais comme des homonymes complets. Le système phonologique du français ne permet donc pas de distinguer entre la première et la deuxième personnes pluriel du présent de l'indicatif d'une part et les formes de l'imparfait ou du présent du subjonctif de l'autre, quand il s'agit de formes comme étudions étudiez croyons croyez

étudiions * étudiiez * croyions