Le sacre du présent 2082115704

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Le sacre du présent
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Le sacre du présent

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Du même auteur

L'URSS vue du tiers-monde (dir.), Karthala, 1983 Les Contraintes d’une rivalité, La Découverte, 1985

Enquête sur la banque mondiale, Fayard, 1989 L'Expansion de la puissance japonaise (en coll.), Complexe, 1992 L'Ordre mondial relâché (dir.), Presses de Sciences Po, 1992 Un monde privé de sens, Fayard, 1994

Le Temps mondial (dir.), Complexe, 1997 Géopolitique du sens (dir.), Desclée de Brouwer, 1998 Malaise dans la mondialisation,

entretiens avec Philippe Petit, Textuel, 1998 La Tyrannie de l'urgence, Fides, 1999

Zaki Laïdi

Le sacre du présent

Flammarion

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© Flammarion, 2000. ISBN : 2-08-211570-4

Sommaire

Présentation

Première partie

La vie sans essor de l’homme archaïque Deuxième partie

Vie et mort de l’homme perspectif Prodromes I. Le tournant perspectif IL. La perspective rentre dans l'Histoire Troisième partie

L’avènement de l’homme-présent I. Le présent autarcique

II. La condition de l’homme-présent III. La société de marché ou l’économie du présent éternel IV. L’urgence ou le déferlement du temps

Vivre sans point de vue ? NOTES INDEX DES PRINCIPAUX NOMS CITÉS

: À la mémoire de mon père

Présentation

Ce livre aurait pu être un livre d’exploration. Il se situe en fait en deçà de cette ambition. Il s’apparente à un carnet de notes serrées ramenées d’une opération de repérage, Le repérage d’une nouvelle condition temporelle de l’homme occidental : celle de l’homme-présent. Cette nouvelle condition ici esquissée fait figure d’événement, Un événement dont la tectonique remonte sans doute possible à plusieurs décennies, mais dont le fracas s’est symboliquement fait entendre le 9 novembre 1989,

jour de la chute du mur de Berlin!. Ce jour-là fut un jour de liberté, Mais il fut aussi jour de rupture avec une condition temporelle solidement intériorisée — celle d’un présent immolé par l'avenir, comme disait Benjamin Constant — au profit d’un présent vicinal, autarcique, autoréférentiel et inquiet. Ce présent prétend désormais se suffire à lui-même pour affronter l’incertitude radicale du monde dans lequel nous sommes désormais entrés. En s’incarcérant volontairement dans un présent de proximité, en actualisant la terrible axiomatique parménidienne — celle d’une réalité exclusivement réductible à la réalité réelle —, lhomme-présent veut abolir le temps. Revenu de toutes les utopies sociales qu’il tend désormais à ravaler au rang d’« illusions de masse », il radicalise son besoin d’utopie par la recherche d’un présent sans cesse reconduit, le présent éternel. Comme s’il avait été déçu par les promesses que ce même temps n'avait pas su tenir, l’homme-présent s’acharne à comprimer le temps, à en détruire les inter-

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valles, dans l'intention d’échapper à la mort. C’est la figure du réseau qui symbolise dans l’espace et le temps cet homme-présent. Et c’est le marché désormais repoussé aux frontières du monde qui constitue la base de vie de ce réseau. Dans cet espace au temps comprimé, la vérité n’a de sens que dans l’ici et maintenant. Elle devient purement phénoménologique car toujours susceptible d’être révisée par une perception ultérieure?. Mais à force de réduire l'intervalle temporel de la perception, ce sont les catégories mêmes de la succession temporelle (hier, aujourd’hui, demain) qui se trouvent érodées par les contraintes de la simultanéité. La vérité d'aujourd'hui ne court plus le danger d’être probablement renversée le jour où elle sera devenue la vérité d’hier. Elle sera irexorablement renversée demain parce qu’elle était avant tout la vérité d'hier. C’est le fait d’être d’hier qui la frappe d’obsolescence aujourd’hui. Quant à la vérité de demain, elle se situe en dehors du champ du pensable tant elle paraît hors de portée, acosmique. Pourtant, parce qu’il reste fondamentalement un être temporel, l’homme-présent se débat dans une inextricable contradiction : à force de nier le temps, il finit par ne voir que son déferlement. C’est pourquoi, au lieu de penser le temps sur le mode de l’espérance, il le vit désormais sur celui de l’urgence. L’homme-présent lutte contre le temps. Le renversement du sens du terme même d’aftente en atteste éloquemment. L’attente n’est plus promesse ou perspective“. Elle devient retard irritant à la concrétisation d’une demande urgente. C’est pourquoi, au rebours d’interprétations communément avancées, la sacralisation du présent ne saurait en aucune façon être rapportée ou limitée à une apparente frivolité. Derrière l’apparence superficielle de détachement qu’il veut donner de lui, l’homme-présent se sait submergé d'obligations temporelles exigibles dans l'instant. La légèreté feinte qu’il dégage n’est que le leurre d’une gravité masquée. Nous avons parlé d’un livre de repérages. C’est le mot

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qui convient. Ces repérages ne sont pas ceux des géo-

mètres consignant soigneusement calculs d’angles et de distances. Ce sont ceux, plus esthétiques, du cinéaste qui identifie et délimite, non sans indécision, les lieux où il s'apprête à tourner. Le cinéaste repère et configure l’espace où le tournage aura lieu. Il a l'initiative de l’espace. On dit qu'il fait des prises. Il a donc prise sur ce qu’il s'apprête à filmer. Notre position est singulièrement plus inconfortable. L'événement n’est pas à venir. Il est là, étalé aux frontières du monde. Il nous faut donc le penser en même temps qu’il nous faut le vivre. Du coup, c’est peut-être moins la métaphore cinématographique qui s'impose que la figure du tableau. Non pas le tableau en général, mais le tableau perspectif, et pas n'importe quel tableau mais un tableau en particulier : L'Incendie du Parlement peint par Turner au xIx° siècle. Pourquoi ce choix? Pour ce qu’il offre à voir et pour la représentation qu’il suggère. Turner fut le témoin de l’incendie du Parlement de Londres. Il fut le peintre d’un événement. Mais l’événement ne se limite pas à l’embrasement d’un bâtiment public. L'événement, c’est aussi la foule qui observe en cercle les flammes léchant les façades du Parlement. L'événement, c’est à la fois le peintre qui rend compte d’un fait, le fait lui-même et ceux qui observent l’incendie. L'événement est donc une coproduction des regards. Le fait est donc inséparable de sa représentation. Ce que Turner formalisa esthétiquement, Kant l’avait exprimé philosophiquement dans des termes quasi identiques à propos de la Révolution française. L'événement, disait-il, ne se limite pas aux gesticulations des acteurs. Il inclut pleinement les spectateurs qui le regardent. Turner dans la peinture, Kant dans la philosophie, mais également Adam Smith dans l’économie, à travers la théorie de la sympathie, ont, chacun à leur manière, pensé ou défini l’espace public, un espace qui ne ferait sens que par

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l’indissociation des rôles et des regards, sans l’expression de points de vue appuyés sur une perspective. Tableau, point de vue, perspective. Ces trois outils symboliques fondamentaux nous font aujourd’hui cruellement défaut. L'événement éclaté ne peut plus symboliquement se laisser réduire à l’espace d’un tableau. Sa spatialité est planétaire. La perspective et Le point de vue qui en est le corollaire se sont affaissés. Le socle ferme à partir duquel le monde se donnaità voir est devenu infiniment plus meuble. La dissémination du regard est à son comble. C’est pourquoi l’homme-présent est un homme sans point de vue. Son enfermement dans le seul présent exprime à la fois cette perte et la volonté de nier la portée de celle-ci. Si, en effet, seul compte le présent, il n’y a pas lieu de surplomber le monde. Et s’il n’y a plus lieu de surplomber le monde, c’est bien parce que c’est la nouvelle temporalité du monde qui nous pense*. C’est pourquoi l’avènement de l’homme-présent est impensable sans référence à la mort de l’homme perspectif. L’historicité de l’homme s’est construite à travers des modes de raccordement au temps qui l’ont toujours aidé à sublimer l’échéance de la mort. Ces modes de raccordement au temps, plus ontologiques que pratiques, se sont considérablement déplacés au fil des siècles. À l’orée de la condition humaine, on peut, au prix d’une indéniable simplification, dire que le raccordement temporel de l’homme archaïque prenait appui sur une origine sacrée, fondatrice mais intemporelle. Pour l’homme archaïque, les étants et l’être ne faisaient qu’un. Le sens de sa vie était relié à sa capacité de se conformer en le rejetant au mythe d’origine. Ce mythe est une grandeur stable qui le protège des dangers qu’il affronte. Pour l’homme archaïque, être dans la réalité, ce n’est pas faire, mais répéter. Car c'est de la qualité de la répétition de l'acte originel que dépend la réalité. Quand l’homme archaïque utilise un remède pour se soigner, il est impensable pour lui d’y recourir sans avoir préalablement rappelé l’origine du remède. La matérialité

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des faits et gestes de son existence quotidienne a en permanence besoin d’être validée par une référence au temps de l’origine. De ce fait, la valeur de l'expérience accumulée lui est inconnue. Avec la révélation chrétienne, un nouveau raccordement au temps s'opère. Celui-ci s’appuie sur une mise en rapport de l’homme avec Dieu, qui se trouve placé à l’origine de la création du monde. Certes, la pensée grecque s'était puissamment intéressée à la question de l’origine. Mais l’origine était celle du cosmos et non celle de l’homme. La Révélation a ainsi contribué à temporaliser la vie de l’homme en faisant basculer la question de la création, de la causalité, vers la téléologie. La destinée de l’homme se trouve alors inscrite dans le temps. Et c’est à la commensurabilité du temps de l’homme à celui de Dieu que saint Augustin et l’augustinisme consacreront l'essentiel de leurs interrogations. Jusqu'à la Renaissance,

son autorité restera sans partage. Avec la découverte de la perspective au Quattrocento, et sa mise en forme théorique, par Alberti en 1435, l'homme peut désormais s’échapper. Une règle mathématiquement fondée — la perspective — se convertit graduellement en instrument symbolique capable de fendre la limite plombée du ciel pour s'ouvrir sur le temps et l’Histoire.

Il est révélateur et essentiel de voir que, pour Alberti, l'Historia est la fois l’objet visuel du tableau, mais également la valeur narrative et morale donnée par le peintre à son tableau. C’est un point central que Piero Della Francesca reprendra en rendant indissociables les dimensions picturale et narrative du tableau. La découverte de la perspective fabrique l’homme perspectif car elle commande à ce dernier de se défaire de la contemplation de l’ordre immuable des universaux pour se « créer des perspectives » morales et rationnelle. Progressivement, la perspective devient une forme symbolique avant de faire du perspectivisme un trait majeur de la culture politique occidentale. Machiavel — contemporain d’Alberti — est le premier à

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se servir de la métaphore du peintre perspectiviste pour expliquer à Laurent de Médicis pourquoi un homme issu de la plèbe a quelque légitimité à parler des princes. Le plébéien « d’en bas» s'adressant au Prince « d’en haut » est dans la position du peintre qui ne peut saisir la forme et la nature des montagnes qu’en étant lui-même au fond de la vallée. Ainsi, de proche en proche, la perspective s’émancipe de son origine picturale pour devenir l'office fondamental du regard, la condition même de l’expérience du monde. La perspective crée le perspectivisme dont le centre de gravité devient l’idée de point de vue. Point de vue sur le tableau, point de vue sur le monde, point de vue sur la vérité du monde. C’est Descartes qui nous aide à franchir ce nouveau pas en nous montrant qu'il n’y a pas de vision perspective sans représentation, car la vision est avant tout pensée.

La découverte de la perspective en tant que découverte de la profondeur symbolique se trouvera prise en charge, à partir du xvi siècle par une autre forme symbolique : le tableau. C’est le tableau qui, comme l’a écrit Foucault, devient le centre du savoir. Le tableau est le dispositif par lequel la connaissance est mise en synthèse, unifiée et interprétée. Elle ramasse ce qui était dispersé. Ce faisant, elle accentue le pouvoir de l’homme à interpréter le monde dans lequel il vit. Le tableau devient la forme symbolique d’un monde en quête d’intelligibilité. Bossuet, Condorcet, Fénelon, Turgot et Quesnay joueront de la métaphore du tableau pour tenter une synthèse de l’homme. Mais, très vite, l’'amoncellement des faits mis au service d’une présentation synoptique du monde semble buter sur une aporie : celle du temps historique. Que signifie cet amoncellement de connaissances savantes, s’il ne s'inscrit pas dans le temps ? La perspective est alors à la recherche d’un nouveau souffle, La spatialisation d’un savoir érudit se dissout dans l’absence d’arrière-monde historique.

La perspective trouve alors une nouvelle vie. La pers-

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pective rentre dans l'Histoire. Mais la force de sa pénétration est telie que l'Histoire devient à son tour perspective. C'est cette interaction décisive qui porte à son apogée l’homme perspectif. L'homme est histoire, et cette histoire est orientée, happée par l’avenir. Son centre de gravité temporel bascule alors. Il se situe désormais dans l’avenir. C’est l’avenir qui devient, au xIx° et au xx° siècle, la catégorie temporelle à laquelle se raccordera l’homme. Et c'est ce moment de raccordement au temps qui vient de mourir. Qu'est-ce que le présent autarcique qui inaugure un nouveau mode de raccordement au temps ? C’est un présent de plus en plus détaché du passé et de l'avenir et dont les indissociables maîtres mots seraient : l’autoréférence et l’autosuffisance. Paradoxalement, le présent autarcique n'ignore ni le passé ni le futur. Il a même besoin d’eux pour se construire et s’en détacher. Mais il veut en permanence les ramener à lui, les asservir au nom d’un chronocentrisme exacerbé. Un chronocentrisme qui veut abolir le passé avant même qu’il ne prenne fin et qui veut rapatrier l'avenir avant même qu’il n’ait le temps de prendre forme. L’homme-présent est l’homme de la contingence. En cela, il diffère profondément de l’homme perspectif qui était celui de l’intentionnalité. Le sens de son être réside désormais dans son vécu immédiatement perceptible et représentable et non dans une quelconque attente. La solidarité du sens et de la durée est rompue. Il ne se veut redevable d'aucune historicité. Le présent autarcique est un présent dédaigneux pour le récit. L'identité narrative qu’il propose est celle d’un réseau dilaté aux frontières du monde, dont l’élan vital se mesurerait à sa capacité à compresser le temps. Ce réseau

n’aurait alors d’autre histoire que la reproduction et l’intensification de sa propre identité sur le mode de l’accélération.

Cette

accélération

n'étant

à son

tour

que

l'expression d’une prétention à vouloir abolir le temps en espérant ainsi abolir l’idée de mort. Cette condition de l’homme-présent est profondément

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phénoménologique. Mais elle est également sociologique. Les modalités et les formes de production de l'identité sont de plus en plus affectées par la construction de ce présent autarcique. L'ordre des significations communes sur lequel se construisait l'identité collective voit désormais se substi-

tuer à lui l’ordre plus instable et fragmenté des risques partagés. Du coup, il ne se réfère plus à l'avenir sur le mode de l’intentionnalité, mais sur celui de l’aléa. Le projet se transmute alors en précaution.

Dans cet ordre d’idées, toutes les symboliques d’attachement ne sont pas abandonnées. Mais elles se trouvent systématiquement renégociées sur un mode plus conditionnel, plus fragmenté, et bien entendu plus réversible dans le temps. Il en va ainsi de la citoyenneté, qui devient plus utilitaire qu’intégratrice. De la transmission désormais déclassée, car dépouillée de toute symbolique formelle. Prise elle aussi dans le monde et dans l’imaginaire du réseau, elle devient moins une valeur qu’un produit formaté scrupuleusement aux besoins de la demande sociale. La transmission n’est désormais pensée que sur le

registre étroit de l'utilité sociale. C’est ici qu'intervient une jonction stratégique : celle qui relie l’imaginaire du réseau à celui du marché et qui, par leur enchaînement, crée un espace de résonance pour l’homme-présent. En effet, la condition de l’homme-présent est impensable sans la prise en compte du marché en tant que vécu et en tant qu'imaginaire.

Elle est impensable sans le marché, car le marché est précisément le lieu où le pouvoir décisionnaire et discrétionnaire du présent est le mieux établi. C’est le lieu où l'impératif de la célérité est porté à l’incandescence. La figure sans visage de ce présent marchand réticulaire est celle des marchés financiers, dont la représentation du temps est celle du présent autarcique. Ces marchés sont en perpétuel mouvement, ils se flattent de n’avoir aucune inertie et de ne répondre de rien, de pouvoir s’arracher

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aux contraintes de toute histoire, de faire de l’oubli du passé la condition de leur éternité. C’est dans l’espace du marché que se débat l’hommeprésent, et c'est de la mise en sens de ce marché que dépendra son avenir. C’est à la mise en perspective historique de ce tournant et à sa mise en scène actuelle que les pages qui suivent sont consacrées.

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Première partie LA VIE SANS ESSOR DE L'HOMME ARCHAÏQUE

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L'homme archaïque se définit et se comprend par rapport à son identification au mythe. Mais il n’est pas, comme on a pu le dire parfois, « étranger au temps ». En tant qu'homme, il éprouve la banalité temporelle de l’existence, le déroulement répétitif des jours, qui commence au lever du soleil et s’achève à la tombée de la nuit. Il est fortement rythmé dans son existence journalière par la succession

des saisons

et des variations

climatiques,

la

transmission des savoirs, les séquences qui ordonnent sa vie culturelle et sociale!. II porte donc en lui une indéniable pulsion rythmique de vie. Maître de peu de techniques,

il est

en

premier

lieu

vulnérable

au

temps

physique : la pluie qui ne vient pas ou le déluge qui, au contraire, le submerge, mais qui tous deux le menacent de mort. Les mythes racontent d’ailleurs souvent comment il est contraint en permanence de conjurer les aléas du temps physique. Les tribus australiennes du Queensland — survivantes de l’ère archaïque — hâtent l’arrivée de la pluie qui tarde à venir en imitant ce qui arrive quand il pleut : les hommes jettent sur les femmes la poudre provenant de la « pierre de pluie » tandis que les femmes tiennent au-dessus de leur tête des récipients, des bâches ou des morceaux d’écorce pour faire semblant de se protéger de la pluie?. À Timor, quand la récolte de riz est menacée, les cultivateurs passent toute la nuit dans la cabane de la plantation à réciter la légende d’origine du riz. Car connaître l’origine d’un animal, d’une chose ou d’un produit revient à acquérir un pouvoir sur lui°.

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LE SACRE DU PRÉSENT

Cette vulnérabilité permanente au temps physique ne constitue cependant pas la seule forme de rattachement au temps. La vie de l’homme archaïque ne se réduit pas à la quotidienneté de son existence. À travers les mythes, il lie son vécu à un récit affectif, àune narration, émotive ou poétique, qui l’aide à voir comment le monde est organisé, comment il s'inscrit dans une cosmologie. On peut même dire que le monde mythique est envahi par le temps, puisque le muthos est un événement, un événement fabuleux intervenu à l’origine des temps“. Le mythe est même le premier dispositif dont l’homme s’est doté pour contrôler le temps. En se référant à un récit qui décrit en totalité la succession des moments de la vie, le mythe libère l’homme de l’angoisse du temps*. Le monde du mythe est avant tout un monde de l’événement, et non de l’être pur. Il raconte comment le monde est passé, à l’origine, du chaos à l’ordre. Il s'appuie d’ailleurs toujours sur un récit temporel qui met en évidence la généalogie, l’enfantement, les mariages, les combats, les luttes contre les monstres pour aboutir à l’idée que l’ordre du monde a besoin d’un souverain €. La Théogonie d'Hésiode, par exemple, part des puissances primordiales — le chaos, représenté par une béance, un gouffre obscur, nocturne, sans direction, où toutes les frontières s’effacent, où rien n’est clair — pour passer à Gaïa, où tout est visible et stable, avant d’arriver à Zeus, vainqueur de la lutte des dieux, souverain garant de la constance de l’ordre cosmique”. Le mythe est donc toujours événement tellurique : un événement qui s’est produit à un moment donné. Mais ce moment n’est pas daté. On sait seulement qu’il est intervenu il y a de cela fort longtemps, si longtemps qu’il renvoie à une réalité radicalement différente de la situation vécuef. Pour l’homme archaïque, cette distance entre le| temps de l’origine et le temps vécu est essentielle. Elle lui permet de comprendre la présence d’Êtres surnaturelsà l’origine soit de la création du monde, soit d’une espèce animale, d’un volcan, d’une institution, d’une attitude ou d’un comportement °.

LA VIE SANS ESSOR DE L'HOMME ARCHAÏQUE

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Ces êtres surnaturels, que Lucien Lévy-Bruhl appelle des « éternels innés » — car ils n’ont besoin ni de naître ni de mourir -, se situent donc dans un autre temps!!, Ils appartiennent à un temps « où il n’y avait pas encore de

temps », ce qui veut dire qu’il ne sont pas liés à l’homme archaïque par des liens historiques ou une généalogie!!. Mais ne nous y trompons pas. Le mythe n’a rien d’un «arrière-monde », d’une vérité éternelle qui s’opposerait à l'apparence de la vie sur terre. L'homme archaïque fait au contraire totalement corps avec le mythe. Pour lui, les étants et l’être, la signification et l’objet, ne font qu’un !?. C’est pourquoi le mythe n’est assimilable ni à une histoire imaginaire, ni à un passé mort, mais à un tableau d’une réalité plus vaste qui subsiste en partie. Il fait partie de son vécu. La distance temporelle qui existe entre lui et ces Êtres surnaturels ne signifie pas que le mythe soit extérieur à l’homme, qu'il relève de la transcendance. L'homme mythique est totalement étranger à un ici-bas, différent d’un au-delà. Ce mode de spatialisation lui est inconnu. Il n’y a pas non plus chez lui de sens conféré à ce qu'il fait ici-bas par opposition à un sens conféré à un au-delà. Le sens de sa vie est tributaire de sa capacité à se conformer, en le répétant, au mythe d’origine. Celui-ci s'apparente à une « grandeur stable » qui le met à couvert des dangers qu'il affronte 4, Il y a pour lui des archétypes célestes qu'il convient de reproduire pour donner sens aux différentes dimensions de son existence. Dès que la référence à ce passé absolu est trouvée, tout trouve sens. En connaissant le mythe, l’homme archaïque redevient contemporain de l'événement primordial. Tout alors s’éclaire pour lui, car le mythe est le langage symbolique du sacré©. Ainsi, les taches rouges sur le plumage d’un oiseau renvoient à l'origine d’un grand feu, tandis que la démarche du bécasseau,

qui court rapidement avant de s’immobiliser un petit moment, rappelle la situation d’origine où, voulant suivre le gardien de l’eau sans vouloir être aperçu par lui, ce

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LE SACRE DU PRÉSENT

même bécasseau devait, à intervalles réguliers, rester immobile chaque fois que celui-ci se retournait . Le sens de la vie s'exprime par la conformité au passé absolu à travers les différents rituels de la répétition. S’il fallait d’une phrase résumer le rapport au temps de l’homme archaïque, ce serait celle-là. Dans l’Inde védique, on prend possession d’un territoire non quand on l'occupe physiquement, mais quand on érige un autel dédié à Agni/”. Les colons scandinaves qui occupent l'Islande sont dans la même disposition d’esprit. Ce qui donne sens à leur action, ce n’est pas de défricher la terre, mais de répéter — en la défrichant — l’acte de transformation du chaos en cosmos !8. Toute action n’a donc de valeur chez l’homme archaïque que si elle tend à répéter, reproduire le modèle d’origine ou l’action d’origine. Cette répétition peut prendre différentes formes ; elle peut être récitation ou cérémonie. Mais les formes de répétition sont très nombreuses. Les indigènes d'Australie, par exemple, se livrent à la répétition en retouchant les peintures rupestres qui symbolisent la pluie. En retouchant les peintures, on amène la pluie. Etre dans la réalité, ce n’est pas faire, mais répéter. Car c'est de la qualité de la répétition que dépend la réalité. Plus on imite, plus on a de chances de voir la chose advenir. On ne peut d’ailleurs manquer de faire une analogie entre cette logique auto-réalisatrice du mythe et la théorie du vertige. L'homme qui se voit au bord du précipice se sent tomber et sa représentation de la chute est telle qu’elle devient acte. Il se penche de plus en plus vers l’abîme, comme attiré par lui jusqu’à ce que la chute imaginée devienne réelle. Ainsi, les souverains assyriens et babyloniens n’avaient de cesse de retrouver les documents de fondation des temples créés par Nabuchodonosor II et Nabonide pour les recréer à l'identique sur une base rituelle correcte. Ce besoin de se conformer à l’origine absolue des choses et de la création, cette nécessité de se remémorer le temps des débuts pour agir dans le présent n'intervient pas seule-

LA VIE SANS ESSOR DE L'HOMME ARCHAÏQUE

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ment dans ies moments forts d’une vie. Il s'impose dans les actes les plus banals de la quotidienneté. Ainsi, quand on soigne un malade, convient-il de penser au remède. Mais il est impensable pour l’homme archaïque d’utiliser purement et simplement ce remède sans se rappeler l’origine du remède. Il est également impensable de donner une première fois de l’eau à un enfant sans réciter l’histoire de l’origine de l’eau. Le mythe garantit ainsi à homme archaïque le fait que ce qu’il s’apprête à faire a déjà été entrepris. Et pour cela il a absolument besoin de connaître l’origine des choses. Sans connaître l’origine de la création du serpent, l’homme archaïque ne peut prétendre étrangler un serpent à sonnette. Sans connaître l’origine du feu, il ne saurait tenir un fer rouge entre ses mains. Sans prendre le nom et le rôle de la lune, qui symbolise la séduction, il n’a guère de chance de séduire sa bien-aimée”?. Le temps de l’origine valide toutes les autres dimensions du temps?!. La conséquence de cette réalité est redoutable : elle place l’homme archaïque dans une situation non seulement de dépendance, mais de dépossession vis-à-vis de ce qui confère matérialité et sens aux faits et gestes de son existence quotidienne ?. C’est pourquoi, quand bien même vivrait-il avec le temps au sens vulgaire du terme, il demeure profondément étranger aux catégories temporelles forgées par l’homme perspectif : celle du temps orenté (la flèche du temps — du passé vers l’avenir à travers le présent) ; ou celle d’un temps cumulatif maîtrisé et construit par l’expérience. L'homme archaïque est imperméable aux catégories temporelles historiques que sont l'expérience et l'attente. C’est d’ailleurs parce que le sens du temps de l’homme archaïque est tellement différent de celui de l’hommepromesse qu’Eliade et d’autres ont pu dire que l’homme archaïque cherchait à abolir le temps”. L'existence fort ancienne de calendriers contredit-elle cette idée ? Non, car si toutes les civilisations archaïques disposent d’un calendrier, celui-ci n’est pas destiné à s'orienter dans le temps,

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LE SACRE DU PRÉSENT

mais à codifier les obligations à l’égard du sacré, à enchafner les rites et l’observance?. Il est là pour codifier la répétition et non pour programmer l’avenir. C'est une roue qui tourne toujours, et non une flèche qui « voyage ».

Le « magasin d'événements » L'homme archaïque vit dans le présent. Mais ce présent ne se différencie pas du passé ou de l'avenir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le fait de vivre dans le présent ne contredit nullement la référence au passé absolu. Dans certains cas, le simple exercice qui consiste à raconter un récit constitue un formidable défi pour lui, car il doit se référer à un événement qui s’est produit dans un lieu où il ne se trouve pas nécessairement. Son champ temporel est donc extrêmement restreint et totalement étranger à l’idée d’abstraction temporelle. Le temps est un rythme, mais non une mesure. D’où son incapacité à penser tem-

porellement des situations inédites. Ainsi, dans certaines tribus mélanésiennes, si le grand-père est encore vivant — ce qui n’est pas courant — il est considéré alors comme le frère de l’arrière-petit-fils. Le temps « normal » de l’existence étant dépassé, on repart à zéro en mettant côte à

côte le plus jeune et le plus vieux. Espace et temps sont ici étroitement liés. Car, comme le souligne Claude Lefort, cette assimilation du grand-père au petit-fils traduit une incpacité à se représenter une absence de relation concrète, puisque le grand-père n’exerce plus de fonction dans l’organisation présente. Or cette incapacité est exactement du même ordre que celle à imaginer un passé ou un avenir à distance du passé”. En d’autres termes, la difficulté à penser les relations entre individus sur un mode autre que celui de la proximité serait la forme spatiale d’une difficulté à penser /4 distance temporelle. Par ailleurs, derrière ce refus du temps s'exprime un puissant refus de la mort. Celle-ci n’est pas pour lui la résultante, l’aboutissement d’une trajectoire ou d’un par-

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cours naturel, historique ou divin. Elle est, tout au contraire, un accident, une surprise#, puisque le temps n'est nullement irréversible. On comprendra donc que l’idée d’un temps orienté constitue à ses yeux un impensé. C'est d’ailleurs sur ce point que réside la différence la plus fondamentale entre le mythe et la religion monothéiste. La chrétienté, l'islam, le judaïsme, ainsi que le bouddhisme se réfèrent à un point de départ connu, daté, à une révélation originelle portée par un fondateur et des livres saints”. Rien de tel chez l’homme archaïque, qui, sous toutes les latitudes, est étranger au temps historique *. Mais cette situation dégage un paradoxe de taille : l’homme archaïque, comme nous l’avons dit, ne donne sens à son existence que par référence à un passé absolu, très éloigné de son présent. Mais, en même temps, il est totalement indifférent à l’idée de datation, de commencement. Chez les Papous, note Malinowski, le passé n’est nullement rapporté à une chronologie. Ils n’ont aucune idée d’une longue perspective d'événements historiques qui se rétrécit et devient de moins en moins nette au fur et à mesure que ces événements s’éloignent [...]. Cette vue si caractéristique de la pensée historique naïve, dans notre société, est tout à fait étrangère aux indigènes [...]. Toute notion d’une successions d’époques est absente de leur esprit. Le passé est un vaste magasin d'événements *.

Pourtant, ce paradoxe entre la sacralisation du passé absolu et l'indifférence à sa datation n’a de sens que pour l’homme historique. Car si l’homme archaïque distingue fondamentalement le temps de l’origine du temps qu'il vit, il ne confère à cette distinction aucun contenu temporel. Le temps de l’origine est à la fois radicalement différent du temps présent et totalement inclus dans celui-ci. Synchronie et diachronie se télescopent totalement. C'est d’ailleurs ce que Claude Lévi-Strauss a bien montré en parlant des « sociétés froides », ces sociétés qui s’efforcent de lutter contre l'Histoire — et donc contre la mort — en

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faisant en sorte que l’ordre de succession temporelle influe aussi peu que possible sur le contenu de chacun *. Cellesci entretiennent donc un rapport au passé qui est simulta-

nément disjoint et conjoint au présent. Il est disjoint, puisque les premiers ancêtres étaient radicalement différents des hommes contemporains : ce sont des êtres surnaturels. Mais, simultanément, le passé est totalement inclus dans le présent, puisque celui-ci n’est qu’une « liturgie de la répétition »#. Ainsi, note Malinowski dans les mythes du Pacifique, le mythe de la création fait sortir de terre des hommes se présentant avec les ornements et les comportements de l’homme archaïque. Leur sortie de terre est mythique et n’est donc pas réversible ou reproductible. Mais les êtres humains et le pays qui les recevait étaient tels qu'ils sont à présent. C’est exactement comme si nous nous représentions un homme préhistorique doté d’un ordinateur. Mais, dans une pensée anhis-

torique, cet anachronisme n’en est pas un. L’idée d’une contradiction entre des individus situés dans un passé très éloigné mais dotés d’attributs présents est totalement étrangère à la pensée archaïque, car le passé est dans le présent. Cette communication permanente entre passé et pré-

sent, cette régulation temporelle, ce sont les rites qui l’assurent. Les rites historiques, par exemple, permettent de transposer le passé dans le présent. Les rites de deuil, pour leur part, effectuent la démarche inverse. Ils convertissent les morts en ancêtres, transférant ainsi le présent dans le passé Ÿ. Passé et présent non seulement communiquent,

mais fusionnent. Pour autant, passé et présent ne sont pas

placés sur le même plan. La référence au passé est prévalente : les héros mythiques revivent et reviennent à travers leur personnification, alors que les humains meurent, eux,

une bonne fois pour toutes%.

à

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L'homme archaïque se temporalise à partir du passé Ce télescopage entre le passé et le présent se retrouve dans la relation du présent avec l'avenir. En tant qu'homme, l’homme archaïque est devenir. Il n’est même que cela*. Mais il y a une différence entre la nature irréductiblement temporelle de l’homme et l’ontologie du temps sur laquelle il fonde son existence à un moment donné. Autrement dit, l’homme en tant qu'être biologique ne peut se soustraire à l’irréversibilité du temps. Mais l’ontologie du temps à laquelle il se réfère peut parfaitement renvoyer à l’idée de réversibilité de ce temps. L'ontologie du temps n’est pas réductible au temps vécu. Car si le présent, le passé et Le futur constituent toujours des traits essentiels à toute image du temps, cette permanence n'exclut pas que, selon les périodes, une dimension du temps assure sa prédominance sur d’autres de ces dimensions *. S’il en allait autrement, le rapport au temps de l’homme serait toujours le même. Dans ces conditions, dire que l’homme archaïque est en proie au désir ontologique de l’origine et, de ce fait, peu contaminé par l’idée de devenir, d’avenir ou de futur, ne signifie pas qu'il échappe aux déterminations concrètes du temps. Celui-ci peut être à la fois pensé comme un être biologiquement historique, mais aussi comme un être dominé par un étant orienté vers le passé. Paradoxalement, cette dépendance de l’homme archaïque à l’égard du passé ne lui donne aucun pouvoir sur ce passé. Il ne cherche donc nullement à l’actualiser, sinon pour le reproduire tel quel. Il vit aussi dans un monde naturel, qui ne laisse guère de place à une interrogation réfléchie sur ce qu’il est ou devrait être. Son univers est donc bien celui d’un monde naturel plutôt que celui d’un monde mis en sens”. Son seul but est de persévérer dans son être en continuant ce que les ancêtres ont institué, sans avoir le moins du monde besoin de recourir à une autre justification que

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LE SACRE DU PRÉSENT

celle de la conformité à l’origine. L'homme archaïque dit : « Nous avons toujours fait de cette façon-là. # » L'homme archaïque est un homme déchu, car dépourvu de toute autonomie et subordonné à d’autres forces dans l’échelle de l’étant“!. Parce qu’il ne peut que re-commencer, il se trouve dépourvu du pouvoir décisif de commencer, point de départ de la liberté‘. Voilà qui résume et définit amplement sa condition. Les Mésopotamiens, par exemple, ne méconnaissaient pas le futur, dans la mesure où leur cosmogonie était gorgée de présages. Interpréter les présages en consultant le ciel, en fouillant les entrailles des moutons, en observant le déversement de l'huile sur l’eau ou la manière de se saluer dans la rue traduisait une volonté de comprendre ce qui va arriver et, par conséquent, de se projeter dans l'avenir. Peut-on pour autant en déduire que le Mésopotamien est contaminé par l’idée du devenir, pour reprendre l’expression d’Eliade# ? Non, car tous ces présages n'avaient de valeur et de sens que par rapport à un ordre cosmique parfait et idéal, mis en place à l’origine du temps. L'avenir existe, mais il demeure totalement encastré dans le passé. Penser le futur, c’est retrouver le

passé#. Le devenir historique n’est pas nié, mais il est considéré comme une forme sans contenu autre que celui de se refléter dans le passé. L’enchaînement de l'avenir dans le passé est d’ailleurs reflété dans le fait que les mythes renvoient indifféremment à l’origine ou à la fin #. On est bien en présence d’une triade temporelle intégrant passé, présent et avenir. Mais elle prend la forme d’un cercle plutôt que celle d’une flèche. Elle est soumise à une ontologie du temps fondée sur Le passé. C’est donc le passé qui est l'avenir de l’homme archaïque. Cette précision est d'importance. Elle permet de comprendre les contestations auxquelles ont donné lieu les grands travaux pionniers. Certains anthropologues ont parfois été amenés à remettre en cause l’idée selon laquelle la « liturgie de la répétition » faisait des sociétés archaïques des «sociétés sans Histoire ». Balandier à montré par

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exemple qu’en Afrique la sanctification du passé n’était pas culturelle, mais politique : elle permettait de contrôler l’ordre social. L’abolition du temps serait ainsi mise au service d’une volonté de bloquer toute évolution, toute contestation. Evans-Pritchard développe une idée similaire en soulignant comment le passé est actualisé dans le présent à des fins plus sociales que culturelles. En fait, si l’anthropologie historique a cherché à réfuter l’idée selon laquelle les sociétés archaïques étaient des sociétés sans Histoire, c'est pour lutter contre un authentique préjugé éthnocentrique qui voulait réduire les sociétés historiques aux seules sociétés occidentales. Mais à cela on peut faire deux objections. La première est que l’homme archaïque que les anthropologues observent aujourd’hui n’est que le lointain survivant de l’homme primordial dont on cherche ici à comprendre l’ontologie du temps. Qu’il apparaisse donc aux yeux de ceux qui l’observent aujourd’hui comme contaminé par une certaine idée du temps et du progrès au sens où l’homme perspectif l’entendra n’a rien de surprenant. Cela signifie seulement que les sociétés archaïques ont été, dans une certaine mesure, « prises dans l'Histoire», sans pour autant contredire l’idée selon laquelle elles y étaient originellement étrangères “. Claude Lefort nous a, semble-t-il, fort bien souligné cela quand il dit qu’il ne s’agit pas de présenter les sociétés sans Histoire et les sociétés historiques comme des sociétés d’essence différente, mais de distinguer deux modèles d’historicité, L’éternel retour n’a d’ailleurs jamais renvoyé à un retour du même, mais à une même manière d’être au

monde‘!. La seconde est que la fidélité têtue à un passé conçu comme un modèle intemporel plutôt que comme une étape du devenir ne traduit aucune infériorité culturelle. Elle exprimerait plutôt un parti pris, conscient ou inconscient, attesté par le caractère systématique et univer-

sel de la répétition de la règle, de la coutume au nom d’un seul et unique principe : la conformité à l’origine *. Cette conformité obéirait à un choix : celui de rendre le présent plus durable en le reliant fermement au passé ; l’arrimer à

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ce passé pour l’empêcher de fuir et devenir lui-même du passé. Mis au contact du présent, le mythe passé devient présent, prémunissant ainsi le présent contre son propre

sort : celui de devenir du passé. La conscience de l’homme archaïque se temporalise à partir du passé. C’est ce que tentera de bouleverser l’homme perspectif, en temporalisant sa conscience du temps à partir de l'avenir.

Deuxième partie

VIE ET MORT DE L'HOMME PERSPECTIF

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PRODROMES

Pour se penser sur un mode perspectif, l’homme eut à se défaire d’une condition passive et pessimiste qui situait l’activité en dehors de lui et le renvoyait à une conscience de la faute!. Il eut à s’émanciper de la tutelle des dieux, à imaginer la vérité en dehors du mythe, à porter sur le monde un regard plus interrogatif que résigné. Pour cela, il eut à bâtir un nouveau rapport au sens. Et, pour le bâtir, il eut à penser la vérité dans le temps. Ceci ne fut pas l’œuvre d’un jour ni même d’un siècle. C’est à mes yeux, avec la découverte de la perspective au xV° siècle, à laquelle est associée la naissance de l’humanisme, que le basculement définitif s’opère. Mais même les basculements les plus décisifs ont toujours besoin d’un socle ferme pour se produire. Les ruptures ne naissent jamais de rien. Elles ont toujours leurs prodromes. On ne saurait naturellement prétendre ici retracer le long cheminement par lequel la vérité s’est inscrite dans le temps. On peut, au mieux, détacher les moments qui y contribuèrent. Le premier de ces deux moments est celui de la pensée grecque. Tout en n'étant jamais parvenue à penser la vérité dans le temps, elle permit à l’homme de cesser d'identifier sa parole au mythe. Elle l’aida à s’émanciper graduellement de l’idée d’acceptation pure et simple du monde tel qu’il se présente à lui. C’est alors qu'il commença à prendre son essor en tant qu'être libre?. Le second est celui de la révélation chrétienne. Elle

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opère une vraie rupture en posant que la vérité est désormais dans le temps car Dieu est Histoire.

La transition grecque Si la pensée grecque fut la pensée du mythe, elle fut également celle qui l’ébranla en le transmutant. Elle a ainsi ouvert une brèche dans laquelle les idées d’être, d'Histoire et de liberté vinrent progressivement s’engouffrer, dégageant ainsi l’homme de la gangue de l’archaïsme, La conception grecque du temps est beaucoup plus complexe qu’on ne le croît, et en tout cas pas réductible à une conception homogène du temps“. C’est Patocka qui a peut-être le mieux formulé les termes de cette transition qui aida l’homme à se penser historiquement et à dépasser par là même sa condition archaïque, L'Histoire, écrit-il, prend naissance [..] quand l’homme comprend [...] qu’il existe d’autres possibilités de vie que de s’échiner pour se remplir le ventre dans la misère ou de vivre des moments orgiaques privés et publics. La polis, la poésie épique, la tragédie et la philosophie grecques sont divers aspects d’un même coup d’envoi qui signifie un relèvement de « l’état de déchéance »°.

Prenons ici un risque : celui de restituer à grands traits cette transition grecque qui permit à l’homme de découvrir l'intuition du temps et conférer à celui-ci une valeur propre. Il nous faut partir, comme le suggère Vernant, d’Anaximandre et des Milésiens qui vont penser le cosmos comme une structure géométrique où aucune portion du

monde ne saurait en dominer d’autres. d'appliquer au cosmos la règle du nombre est en soi un signe décisif d’émancipation mesurer, c'est déjà relativiser, et relativiser, sens l’ordre humain. Anaximandre dit

Le simple fait et de la mesure du mythe, car c’est mettre en que la nature

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repose sur légalité et la symétrie de ses puissances, qu’elle s'appuie sur une loi d'équilibre et de réciprocité qui exclut donc implicitement l'existence de forces surnaturelles?. Or, dès lors qu’il n’y a plus d’êtres surnaturels capables de tout expliquer et de tout engendrer, il n’y a nécessairement plus qu’une seule temporalité. Celle-ci a pour point de départ non plus l’origine, comme chez l’homme archaïque, mais bien le quotidien à partir duquel se pense l’intelligibilité du monde®. Il n’y a plus d’explication toute faite. Il y a début d’un questionnement. Au v* siècle avant J.-C., Syros s’efforce, pour sa part, de penser le temps comme une force autonome à l’intérieur du mythe. Dans sa Théogonie, le temps apparaît pour la première fois comme une des divinités originelles de la création d’où se déduit tout ce qui existe. Chronos — le temps — apparaît alors comme une divinitéà part entière aux côtés de Zeus. La création devient un produit du temps ?. : C’est donc avec Xénophane, fondateur de l’École éléate, que s'opère la première démythologisation de la pensée grecque. Il souligne que ce ne sont pas les dieux qui font les hommes, mais les hommes qui se représentent les dieuxà leuriimage. À preuve, ces Éthiopiens pour qui Dieu a des yeux noirs et le nez busqué, tandis que chez les Thraces, ce même dieu a des yeux bleus et des cheveux Lure dus Contempteur des mythes, Xénophane juge incompatible raison humaine et imagination mythique !!. Ce faisant, il disjoint de manière décisive le temps des hommes et celui des dieux. Le temps des hommes est celui du mouvement perpétuel, de la décomposition, du vieillissement, du réchauffe-

ment ou du refroidissement. Xénophane prolonge ici clairement Héraclite, que Hegel, Nietzsche et Marx ont exagérément considéré comme le père d’une certaine philosophie de l'Histoire. Quand passe-t-on du temps du mythe à celui de l'Histoire ? Arendt et Patocka répondent à cette question de

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manière à la fois ferme et identique : quand la vie devient essor, après n'avoir été qu’acceptation. Quand l’homme pense où commence à penser son devenir sur un mode interrogatif déployé vers le futur. Quand l’homme cesse d’adosser sa vie à la base d’une « continuité générative » pour affronter sa finitude ". Il se peut, écrit Patocka, que le fond propre de la césure que nous nous efforçons de fixer comme séparation de l’époque préhistorique et de l’Histoire proprement dite soit précisément en cet ébranlement de la certitude naïve du sens, certitude qui domine lhumanité jusqu’à la transformation spécifique que signifie la naissance presque simultanée — et au sens plus profond réellement une — de la politique et de la philosophie l.

Naturellement, le passage du mythe à l'Histoire ne fut ni brutal ni mécanique. Entre la théologie d'Hésiode et la philosophie d’Anaximandre, on sent bien que le passage d’une pensée mythique à une pensée physique ne peut pas être défini en termes de rupture. Car, derrière toutes les images physiques d’Anaximandre sur la formation du monde, on retrouve la plupart des mythes de la création Mais ces indiscutables apparentements ne sauraient masquer d’indéniables changements. L’originel et le primordial qui avaient chez l’homme archaïque une valeur absolue emplie de mystère et de majesté sont désormais déclassés. Ils se trouvent relégués à un phénomène physique naturel et presque familier5. Dès lors, l'émergence du monde ne constitue plus un exploit, mais un engendrement de puissances physiques !$. C’est un point d’inflexion essentiel. S’y ajoute un facteur tout aussi décisif : la découverte du logos (la parole) et son élévation au rang

de mesure de l’être. C’est un facteur décisif car la découverte de la prééminence de la parole conduit à l'émergence du politique, de la polis. Polis èt logos ont partie liée, comme le souligne Vernant, car toutes les questions d’intérêt général qui définissent le champ du politique devront être tranchées au terme d’un débat!7. L’avène-

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ment du logos est la forme la plus forte d’arrachement au #uthos. Elle est aussi une des formes les plus fortes d'inscription dans le temps, car la langue est le moyen de dire tout à partir du temps : hier, demain, aujourd’hui, plus tard, après, etc. !# Ce détachement de la pensée mythique n’a cependant pas permis à la pensée grecque de penser le temps sur le mode d’une quelconque vérité. Pour Aristote, le temps demeure avant tout une réalité dérivée du mouvement du nombre. Il est [à pour mesurer le déplacement des mobiles, la conscience des vivants, la locomotion des animaux ou le moment des astres !?. Il n’y a donc plus renvoi à l’idée d’âme même si, comme le note Ricœur, les opérations de perception, de discrimination, de comparaison, ne peuvent être que celles d’une âme??.

Le temps de la Révélation Avec la révélation monothéiste, les éléments mythiques ne disparaissent pas. Ils sont simplement surpassés par un

nouvel idéal. Au lieu d’interpréter sa vie du point de vue de son passé mythique, l’homme commence à la comprendre dans la perspective de sa fin ultime. Il mesure sa finitude à l’infinité de Dieu. Ce faisant, le monothéisme tourne alors le dos au mythe, dans la mesure où il recherche désormais l'infini dans le temps et non dans l’espace2!. C’est au prophétisme juif que Hernan Cohen attribue ce basculement dans les termes suivants : les prophètes ne parlent ni du temps originaire mythique, ni du temps cosmique. Ils sont inspirés par la vision du temps futur. Le futur, et non pas le passé ni le présent, devient la véritable révélation de Dieu ?.

Quant au messianisme juif, cette aspiration par l'avenir le conduit à s'opposer à toute réalité présente, à la rabaisser et à l’anéantir *. Ce que le christianisme, à la suite du prophétisme juif,

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LE SACRE DU PRÉSENT

inaugure, c’est l'inscription dans le temps de tout ce que l’on avait jusque-là pensé sur un mode purement spatial, même si entre le judaïsme et le christianisme le rapport au temps, et notamment à l'avenir, n’est nullement comparable. L'essentiel n’est plus l'opposition spatiale entre le visible et l’invisible, entre l’ici-bas et l’au-delà, l'essentiel réside dans la distinction entre les temps opérée par la foi. Désormais le temps, aussi bien dans son infinité que dans son présent le plus immédiat, est dominé par Dieu. Le temps est pour Dieu le moyen dont il se sert pour révéler l’action de sa grâce %. Dans la pensée grecque, le temps est conçu comme un cercle et non comme une ligne. La soumission de l’homme au temps est alors nécessairement assimilée à un asservissement ou à une malédiction ?. Dans la prédication chrétienne, le salut ne peut être au contraire que temporel, et cette temporalité ne peut s'exprimer que sur un mode linéaire. Sur cette ligne infinie du temps s'exerce la souveraineté de Dieu. Cette souveraineté fait de lui le maître absolu du temps, car lui seul est en mesure de connaître les moments de son activité rédemptrice. Lui seul, et pas même le Christ, qui n’est que le représentant de la souveraineté de Dieu sur le temps. Quand le ressuscité demande d’ailleurs au Christ à quelle date viendra le royaume de Dieu, le Christ refuse de répondre. C’est à Dieu et à lui seul de fixer cette date. Le Christ ne peut les assurer que d’une chose : qu’ils recevront le Saint-Esprit à la fin des temps#. C’est cette attente du futur qui donne alors sens et force au temps. Parce que Dieu exerce une souveraineté pleine et entière sur la ligne du temps, le croyant ne saurait parcourir seul la ligne du temps. Le croyant vit dans le présent. Mais la force de la révélation est de lui indiquer que son présent est orienté vers une participation aux dons de la ligne tout entière du salut”. Le croyant ne dispose donc pas du temps. Il peut comprendre l’histbire du salut dans ses grandes étapes, reconnaître que par Jésus-Christ, par sa croix et sa résurrection est intervenu quelque chose de décisif quant à la dimension du temps,

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Il nous faut insister sur ce point. Car si l'inscription de la destinée et de la vérité de l'homme dans le temps constitue un trait fondamental de la révélation chrétienne, il nous faut impérativement mettre en garde le lecteur contre le formidable contresens qui consisterait à prendre l'attente eschatologique de la résurrection des corps et du jugement dernier pour une sorte de téléologie de l’action’. Ce futur eschatologique n’a rigoureusement rien à voir avec le perspectivisme historique dont nous parlerons dans les chapitres qui suivent. Au demeurant, dans le christianisme primitif, la souveraineté de Dieu sur le temps était tellement forte que le calcul des heures et des jours était considéré comme une entreprise sacrilège *. Autant dire que la prise en charge du temps par l’homme, sa représentation du temps comme un vécu personnel était totalement absente de ce schème. Il faudra attendre saint Augustin pour trouver une interprétation du temps cherchant à rendre commensurable le temps de la Révélation avec le temps de l’homme. Saint Augustin a tenté de mesurer le temps tout en sachant que le passé n’est plus là, que le futur n’est pas encore là et que le présent à peine constitué se donne à son tour en un passé qui n’est déjà plus et un futur qui n’est pas encore *. Que l’on conçoive un bout de temps, désormais indivisible

en parcelles mêmes infinitésimales, c’est la seule chose qui se puisse appeler le présent, d’ailleurs si prompte à transvoler du futur au passé qu’elle ne s'étend sur aucune fraction de durée, car où il y a étendue, il y a division : passé, futur; mais dans le présent, nulle étendue **.

Comment donc mesurer un temps qui n'est pas? Si l’on considère les catégories du temps en elles-mêmes, elles n'apparaissent donc pas mesurables. Si, en revanche, on ramène ces mêmes catégories à une âme qui se distend — distentio animi —, les catégories du temps deviennent mesurables. Pourquoi ? Parce que si nous rapportons le

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LE SACRE DU PRÉSENT

temps à l’âme, et spécialement à la mémoire, tout change. Ce qui a cessé d’être continue d’exister dans le souvenir que nous en gardons. L’impression que laissent en nous les choses transitoires nous permet de les comparer et d’en mesurer les intervalles. Et ce qui est vrai du passé vaut tout autant pour l'attente de l’avenir. C’est donc l’âme, et elle seule, qui permet de relier les trois dimensions du temps. C’est pourquoi le présent de ’Ââme apparaît chez saint Augustin comme une attention

tendue vers ce qui n’est pas encore (lattente) et ce qui n’est plus le souvenir. Je me prépare à chanter un chant que je connais. Avant que je commence,

mon

attente se tend vers l’ensemble de ce

chant, mais quand j’ai commencé, à mesure que les éléments prélevés de mon attente deviennent du passé, ma mémoire se tend vers eux à son tour et les forces vives de mon activité sont distendues vers la mémoire à cause de ce que j'ai dit, vers l'attente à cause de ce que je vais dire ??,

Ainsi, aux problèmes psychologiques du temps, jusqueà totalement négligés, saint Augustin nous dit qu’il y a désormais un problème métaphysique qui en conditionne la solution À. L'apport d’Augustin ne se limite cependant pas à cette seule percée. Il est difficilement compréhensible sans la prise en compte d’une autre dimension de sa pensée : son interprétation métaphysique de l'Histoire. Voir, comme l'ont dit certains, saint Augustin en père de la philosophie de l'Histoire nous expose aux contresens que nous soulignions plus haut. Il faudrait plutôt parler d’une tentative de penser un universalisme chrétien à partir d’une notion essentielle : celle d’un parcours de l’homme inscrit dans une temporalité. Cette temporalité, c’est celle qui relie la cité terrestre à la Cité de Dieu. * Pour Augustin, la cité terrestre précède, dans le temps, la Cité de Dieu. Cette antériorité marque par là même l’antériorité du mal sur le bien. La cité terrestre est

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humaine et donc périssable. Celle de Dieu est d’essence divine et donc éternelle. Il ne fait guère de doute que pour Augustin, la seule cité digne de ce nom est la Cité de Dieu. Mais sa réflexion ne cherche pas seulement à accuser les différences entre ces deux cités. Elle prétend nous montrer que la révélation permet de suivre la construction progressive de la cité céleste et d’en prévoir l’achèvement. La construction de cette cité, marquée par la béatitude éternelle dont jouira le peuple des élus, constitue pour Augustin la signification profonde de l'Histoire. C’est elle qui confère à chaque peuple sa raison d’être, lui assigne son rôle et éclaire son destin . Tout au long du Moyen Age et avant la découverte de la perspective, au début de la Renaissance, l’augustinisme exercera sur la pensée du temps un magistère peu contesté.

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