Le Psautier de Calvin: L'histoire d'un livre populaire au XVIe siècle (1551-1598) 2503513433, 9782503513430

L'étude a pour objectif de (faire) découvrir le cheminement du Psautier de Genève au cours de la seconde moitié du

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Le Psautier de Calvin: L'histoire d'un livre populaire au XVIe siècle (1551-1598)
 2503513433, 9782503513430

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Le Psautier de Calvin

Le Psautier de Calvin L'histoire d'un livre populaire au xvie siècle (1551-1598)

Robert Weeda

BREPOLS

© 2002, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2002/0095/34 ISDN 2-503-51343-3 Printed in the E.U. on acid-free paper

Avant-propos

Initié en 1539 par Jean Calvin (1509-1564) et terminé en 1562 avec la complicité du poète Clément Marot et du théologien Théodore de Bèze ainsi que des musiciens Guillaume Franc, Loys Bourgeois et Pierre Davantès, le Psautier de Genève a été avec la Bible en langue vernaculaire l'un des principaux outils de la diffusion de la «religion prétendue réformée» en pays francophones au cours du xv1e siècle. L'histoire de cette «Musica movet affectus» 1, de sa fonction dans les premiers cultes réformés et dans les familles, du secours qu'elle apporte pendant les guerres de Religion, mais l'histoire aussi de son apprentissage et de sa place dans l'échange entre le sacré et le profane, voilà l'objet de notre étude. Dans son approche interdisciplinaire, celle-ci est une relecture de l'histoire du XVIe siècle et une tentative de réinterprétation de documents d'archives et d'ouvrages anciens. Elle interroge les sources de l'époque comme d'ailleurs la musique de ces cent cinquante psaumes; oecuménique d'esprit, elle fait également référence aux pratiques de l'Eglise catholique et de la tradition synagogale comme aux pratiques populaires. Enfin, elle est un hommage à l'hymnologue suisse Pierre Pidoux, sans qui le Psautier huguenot2 n'aurait pas connu la 'renaissance' qui est la sienne.

1 La musique touche l'âme; il s'agit du titre de la leçon inaugurale de Kees Vellekoop, professeur de musicologie des XVe et XVIe siècles à l'Université d'Utrecht (Pays-Bas, le 7 avril 1994). 2 Nous signalons en particulier son ouvrage de référence: Le Psautier huguenot (deux tomes). Bâle, 1962.

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Ill

Introduction

La situation politique et religieuse de 1551 à 1598 Le départ de la période en 1551 Cette année est marquée par deux événements essentiels dans l'histoire du Psautier : Sur le plan politique français, l'Edit de Châteaubriant du 26 juin 1551 défend «de tenir escoles s'ils n' estoient approuvez catholiques et non entachez de fausse doctrine» ainsi que l'importation de tout livre «de Genève et autres lieux et païs notoirement separez de l'union de l' eglise du saint siège apostolique». Nous verrons que, malgré les interdits, l'impression et la diffusion du livre vont contribuer à la propagande des idées nouvelles en matière religieuse venant de Genève. Sur les plans religieux et musical, c'est précisément l'année où paraîtront à Genève les Pseaumes octantetrois de David qui contiennent les 49 paraphrases en langue française du Livre des Psaumes de l'Ancien Testament3 réalisées par Clément Marot ainsi que les 34 premières de Théodore de Bèze. Cette nouvelle publication (corrigée et augmentée) du Psautier connaîtra deux éditions : l'une sans musique, qui contient les seuls psaumes de Bèze, trente-quatre textes imprimés à Genève chez Jean Crespin; l'autre avec mélodie, qui mêle les 34 textes de Bèze aux 49 de Marot. Cette dernière porte le titre suivant : «Pseaumes octantetrois de David, mis en rime Françoise. A savoir, quaranteneuf par Clément Marot, avec le Cantique de Siméon & les dix Commandemens. Et trentequatre par Theodore de Besze, de Vezelay en Bourgogne. Avec privilege pour les Pseaumes dudict de Besze. A Geneve. De l'imprimerie de Jean Crespin. M.D.LI.» Quatrième édition depuis 1539, ce Psautier de 1551 suscitera un grand engouement parmi la population intéressée à la «nouvelle religion», mais son existence sous ses deux formes (texte seul d'une part, texte et musique de l'autre) ne manquera pas de semer la confusion. La nouveauté des paraphrases de Bèze et des mélodies de Loys Bourgeois posera d'emblée un problème dans l'église de Genève; le compte rendu de la séance du Conseil de la

3 Le Psautier (protestant) suivra !'ordre hébraïque de numérotation des Psaumes, au contraire de la Septante et de la Vulgate (catholiques) qui réunissent les Psaumes 9 et 10 et les Psaumes 114 et 115, et divisent les Psaumes 116et 117.

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INTRODUCTION

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ville du 14 décembre 1551 dit en effet: «.. .la difficulté que seroit de chanter les vieulx devant et les nouveaulx apres» 4 . «Chanter les vieulx devant» : cette édition des psaumes de 1551 avait en effet été précédée de trois autres éditions qui, au moment de leur parution, marquaient chaque fois une étape dans l'élaboration du Psautier dont Calvin avait établi les fondements lors de son séjour à Strasbourg. Nous les rappelons brièvement : Strasbourg 1539, Aulcuns pseaulmes et cantiques mys en chant: 6 paraphrases réalisées par Calvin lui-même et 13 par Clément Marot (1496-1544) 5, avec des mélodies appartenant à la tradition strasbourgeoise (c.à.d. en langue allemande) ;

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Ioannis CALVIN!, Opera quae supersunt omnia ediderunt G. Baum, etc., Braunschweig, 1888 [cité en abrégé: CO], vol. XXI, col. 496; dans leur séance du lendemain, les membres du Conseil feront venir Calvin afin de «luy en facent gratioses remonstrances de les chanter ainsin [... ]». 5 Le poète français Clément Marot a été 'valet de chambre' de François Ier et ensuite de sa soeur Marguerite. Le premier échantillon (le Psaume VI) des traductions versifiées des psaumes entreprises par Marot apparaîtra comme appendice au Miroir de l'ame pecheresse de Marguerite de Navarre en 1533. En 1541 , Marot dédicacera à François Ier le recueil de ses treize premiers psaumes (voir Chapitre Il). Ce n'est qu'avec l'édition du Psautier de Strasbourg de 1539 que ces versifications deviendront une manifestation de la Réforme proprement dite ; par la suite, Calvin le chargera de poursuivre ce travail de «traduction» des psaumes. Voir notamment: Francis M. HIGMAN, «Le domaine français , 1520-1562», J.-F.GILMONT (éd.), La Réforme et le livre. L'Europe de l'imprimé (1517-v.1570). Paris, 1990, p. 140, et Edith WEBER, «Clément Marot (1496-1544)», Peter Ernst BERNOULLI und Frieder FURLER (Hrsg.), Der Genfer Psalter: eine Entdeckungsreise. Zürich, 2001, pp. 17-21.

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INTRODUCTION

Genève 1542, La forme des prières et chantz ecclésiastiques: 17 nouveaux textes de Marot se sont ajoutés à l'édition strasbourgeoise, alors que vingt-deux mélodies sont nouvellement composées par Guillaume Franc ; Genève 1543, Cinquante pseaumes en français par Clem. Marot: une nouvelle édition revue et augmentée qui comprend 49 psaumes, ainsi que le Cantique de Siméon. Toutes les versifications de Calvin en sont désormais retirées au profit de nouvelles versions réalisées par Marot ; l'édition comporte en outre vingt nouvelles mélodies de Guillaume Franc. Une réédition de ce Psautier verra le jour en 1545 : elle sera préfacée du texte complet de Calvin rédigé en 1542 et terminé le 10 juin 1543 (voir plus loin) ; Genève 1551, Pseaumes octantetrois de David: voici donc «les nouveaulx» qu'il s'agira de «chanter apres», et dont il avait été question au Conseil de Genève le 14 décembre 1551. Un témoin important de cette époque, le juriste Florimond de Raemond, écrira cependant : «A ce commencement, chacun les portait, les chantait comme chansons spirituelles, mesmes les Catholiques, ne pensant pas faire mal [... ]. [Ces pseaumes] furent ordonnez pour estre chantez en leurs assemblées, distribuez par petites sections. Ce qui fut pour servir comme les reposoirs, d'un escalier à prendre haleine en une si longue devotion telle que la leur. Car le chant des Pseaumes qui se fait au presche dure derny quart d'heure pour le plus» 6 • Pour notre étude, cette année 1551 est donc cruciale.

L'année 1598

L'Edit de Nantes met fin à une longue période de conflits armés et de tentatives de réconciliation dans l'histoire de France entre «ceux de la religion» et les catholiques. Le 13 avril 1598 le roi Henri IV signe cet Edit qui accorde aux protestants français la liberté de conscience, la liberté de culte (avec quelques restrictions), le droit d'ouvrir des écoles et quatre académies ainsi que la possibilité de tenir des synodes. Sur le plan strictement français, cette période est marquée par le règne de quatre rois : Henri II restera sur le trône jusqu'en 1559. Son successeur François II ne règnera que deux ans ; son second fils Charles IX sera roi de France jusqu'en 1574, mais sa mère Catherine de Médicis, après avoir exercé la régence, gardera sur lui une influence importante. Le massacre de Vassy (mars 1562) organisé par le duc de Guise contre les protestants célébrant leur culte en chantant, marque le début des guerres de Religion ; divisées en huit guerres distinctes, elles cesseront en 1594 avec l'abjuration de Henri IV, qui avait pris en 1589 la succession de Henri III (roi de 1574 à 1589). En Suisse, la ville de Lausanne et le pays de Vaud resteront réunis au canton de Berne jusqu'en 1798; Genève recevra l'indépendance du duc de Savoie en 1530 et deviendra République en 1531, alors que Neuchâtel sera comté d'Empire jusqu'à son indépendance en 1857. Deux pays francophones, les trois régions suisses et la France, formeront ensemble le cadre géographique déterminant de notre étude.

6 Florimond de RAEMOND, L'Histoire de la Naissance, progrez et decadence de l'heresie de ce siecle. A Rouen. Chez Estienne Vereul. M.DC.XXII, fol. 1050; le texte parle de «l'an 1553».

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INTRODUCTION

Mais la réforme de Calvin ne tardera pas à s'implanter également aux Pays-Bas et en Angleterre; c'est la raison pour laquelle - lorsque l'occasion se présente - nous ferons quelques incursions dans l'histoire réformée de ces deux pays. A la fin du règne de la reine catholique Marie-Tudor en 1558, l'Angleterre retournera au protestantisme sous Elizabeth II qui sera sur le trône jusqu'en 1603 ; en même temps !'Ecossais John Knox établira la Réforme dans son pays en 1560. Les Pays-Bas vivront en 1555 la fin du règne de Charles Quint et subiront ensuite jusqu'en 1598 celui du roi d'Espagne Philippe II ; la révolte des Gueux de 1566 («Année des Merveilles») y changera totalement le paysage politico-religieux de cette 'province espagnole'. En général, ce XVIe siècle est fortement marqué par des ruptures dans les fonctions culturelles, les valeurs de société et les mentalités; nous en parlerons régulièrement. Avec sa Réforme initiée à Strasbourg et développée en profondeur à Genève, Calvin sera une des autorités qui, au travers de tous ces bouleversements, donnera une nouvelle conscience à la culture religieuse de son époque. Il importe donc d'étudier tout d'abord les thèmes essentiels de sa pensée réformatrice et de son action dans l'Eglise.

Deux textes fondateurs de Calvin Même si leur rédaction a commencé bien avant la période qui fait l'objet de notre étude, nous ne pouvons nullement passer sous silence deux textes de Calvin qui peuvent être considérés comme fondateurs quant à sa démarche dans la réalisation du Psautier de Genève; ils posent en effet les bases de son oeuvre liturgique.

L' «Institution de la Religion chrestienne»

Dans l'ordre chronologique, c'est le premier texte: commencée vers 1536, sa rédaction en a été amendée et complétée à plusieurs reprises jusqu'en 1559. La partie qui nous intéresse ici commence en 1541 et se trouve au Livre III, chapitre XX,§ 31 à 33 7 . Pour se justifier, Calvin y cite très souvent des passages del' Ancien et du Nouveau Testament ; nous nous intéresserons avant tout à ses idées personnelles. Le § 31 traite du «parler et le chanter, si on en use en oraison, qui ne sont rien estimez devant Dieu, et ne profitent de rien envers luy, s'ils ne viennent del' affection et du profond du cueur». Plus loin, il répétera la chose: «Nous ne disons pas toutesfois que la parolle ou le chant ne soyent bons: ainsi les prisons très-bien, moyennant qu'ils suyvent l'affection du cueur et servent à icelle». Et en conclusion, Calvin confirme qu' «il est bon que mesmement la langue, qui est specialement creée de Dieu pour annoncer et magnifier son Nom, soit employée à ce faire, soit en parlant ou en chantant».

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En version originale latine: «Christianae religionis Institutio», CO, vol.IV, col. 418-422. Rédigée par Calvin durant son bref séjour à Bâle, c'est en mars 1536 que Thomas Platter (1499-1582) imprimera dans cette ville ]'édition princeps de cette version latine de la première mouture du texte original. Le fils aîné de Platter, Felix (1536-1614), fera ses études de médecine à Montpellier de novembre 1552 à février 1557; né de deuxièmes noces, un autre fils, Thomas junior (1574-1628) partira lui aussi dans la même ville française en 1595 pour y faire également ses études de médecine. Ces deux fils laisseront des Mémoires dont des éléments apparaîtront au cours de notre étude. Le texte que nous étudions ici est publié également dans l'Annexe 1.

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INTRODUCTION

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Un des rares portraits du Réformateur

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INTRODUCTION

Au § 32 (datant de 1545), Calvin s'intéresse davantage au chant: «certes si le chant est accomodé à telle gravité qu'il convient avoir devant Dieu et devant ses Anges, c'est un ornement pour donner plus de grace et dignité aux louanges de Dieu, etc' est un bon moyen pour inciter les cueurs, et les enflamber a plus grande ardeur de prier: mais il faut tousiours donner garde que les aureilles ne soyent plus attentives à l'harmonie du chant, que les esprits au sens spirituel des parolles». Calvin s'en prend ensuite au chant de l'Eglise catholique, ces «chants et melodies qui sont composées au plaisir des aureilles seulement, comme sont tous les fringots et fredons de la Papisterie, et tout ce qu'ils appellent musique rompue et chose faite et chants à quatre parties, [qui] ne conviennent nullement à la maiesté de l'Eglise, et ne se peut faire qu'ils ne desplaisent grandement à Dieu». C'est donc en réaction aux 'débordements' de la musique religieuse de son temps 8 que Calvin optera pour le chant à l'unisson ; nous traiterons ces questions aux chapitres 1, III et V. Enfin, au§ 33 Calvin défendra l'utilisation de la langue vernaculaire, contre «l'audace tant effrenée qu'ont eu les Papistes et ont encore, qui [ ... ] chantent et brayent de langue estrange et incongrue, en laquelle le plus souvent ils n'entendent pas eux-mêmes une syllabe, et ne veulent que les autres y entendent». En conclusion, il aborde le point délicat de la tenue pendant la prière qui, comme nous le verrons, causera bien des soucis aux synodes et consistoires de l'Eglise de France: «Quant aux maintien et façons exterieures du corps, qu'on a coustume d'observer (comme de s'agenouiller et de se defuller9), ce sont exercices par lesquels nous nous efforçons de nous appareiller à plus grande reverence à Dieu» 10 • «La forme des prieres et chantz ecclesiastiques» Dans ce texte, Calvin développe l'essentiel des principes contenus dans l' Institution : il s'agit d'une préface qu'il a commencée en 1542 pour l'édition des psaumes réalisés à cette date, préface qui sera complétée l'année suivante par un texte qu'il datera de «Genève, ce 10 de juin 1543» ; les deux textes réunis formeront la préface de l'édition du Psautier de 1545 11 . Elle appelle de notre part quelques commentaires qui introduiront à leur façon les chapitres qui vont suivre. Après une introduction où il précise son choix pour la langue vernaculaire, Calvin annonce les «trois choses que notre Seigneur nous a commandé d'observer en noz assemblées spirituelles. Assavoir, la predication de sa parolle, les oraisons publiques et solennelles et l'administration de ses Sacremens». Il prend d'ailleurs suffisamment de précautions

8 Sur la 'décadence du chant choral', la position de Luther est très proche de celle de Calvin. Dans son «Lobrede auf die Musik>>, il utilise l'expression «wüste wilde Eselgeschrey des Chorals» (les choeurs qui rappellent les cris débridés de l'âne). Il nous semble que les deux réformateurs sont trop sévères à l'égard de la pratique chorale de leur temps, même si sans aucun doute, elle devait manquer de niveau; c'est cependant pour cette raison aussi qu'ils sont tous deux à ce point portés sur les questions d'éducation et de pédagogie (voir notre Chapitre

IV).

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Signifie: se découvrir (la tête); dans sa version latine, le texte dit: capitis detectio. Dans son étude sur Calvin Mystique. Au cœur de la pensée du Réformateur. Genève, 2001, Carl-A. KELLER fait ressortir à la fois la joie, l'espérance et la confiance qui s'expriment dans l' Institution («Calvin n'a pas oublié son intuition première: la prière est 'repos en Dieu'», p. 152); nulle part, cependant, l'auteur parle de la place que Calvin y réserve au chant. 11 CO, vol.VI, col. 165-172 ; ce texte est publié intégralement dans l'Annexe 1. Durant plus d'un siècle, cette préface est reproduite sans changement dans presque toutes les éditions du Psautier de Genève ; elle y apparaît sous ]'en-tête : «A tous chrestiens et amateurs de la Parole de Dieu, Salut». 10

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INTRODUCTION

pour se justifier, car «je sçay bien que cela semble advis fort estrange à ceux qui ne l'ont pas accoutumé: comme il en advient en toutes choses nouvelles». Le corps du texte qui suit alors est réservé aux «prières et louenges, desquelles nous usons»; c'est bien cette partie-là qui nous intéresse ici au premier chef, car - comme il écrit - : «Quant est des prières publiques, il y en a deux espèces. Les unes se font par simple parolle: les autres avecque chant». Se reférant à saint Paul, à saint Augustin, aux Docteurs anciens de l'Eglise ainsi qu'à Chrysostome, Calvin insiste d'emblée qu' «Il y a tousiours à regarder, que le chant ne soit pas legier et volage : mais ait pois et maiesté». Deux éléments s'opposent ici: d'une part le «chant legier et volage» qui reprend, sous une autre forme, les termes «amuser le monde à veoir et regarder», comme l'expression «amuser le peuple en signes» utilisée dans son introduction, tout en annonçant son argument (dans le texte rédigé en 1543) que «nous sommes enclins à nous resiouyr en vanité [... ] à cercher tous moyens de resiouyssance folle et vicieuse». Il cite les Docteurs anciens de l'Eglise qui «se complaignent souventesfois de ce que le peuple de leur temps estoit addonné à chansons deshonnestes et impudiques», une complainte qu'il reprend en fin de ce texte en se reférant aux «chansons en partie vaines et frivoles, en partie sottes et lourdes, en partie salles et vilaines, et par consequent mauvaises et nuysibles». Ainsi, dans cette préface, Calvin s'affiche plutôt en moralisateur, une attitude sur laquelle nous reviendrons plus d'une fois. Mais il y également l'autre versant de la dichotomie, ces «pois et maiesté» dont il dira tout à la fin qu'ils seront «convenable(s) au subject» grâce à la mélodie «modérée». En présentant ainsi le Psautier, Calvin met d'emblée le doigt sur un aspect essentiel : selon lui, nous devons en effet être conscients del' esprit et du sens des paroles [«pois» 12 signifiant ici l'esprit] et exprimer à Celui à qui celles-ci sont adressées et de qui elles témoignent [«maiesté» 13 parle de Dieu] toute la crainte qui Lui est due. C'est ainsi qu'il faut probablement comprendre également son argument touchant à «la Musicque, [où] ie comprens deux parties, asçavoir la lettre, ou subiect et matière. Secondement le chant, ou la mélodie»14. Un autre point sensible se modifie au cours de son exposé. En effet, tout d'abord Calvin insiste sur la «grande difference entre la musique qu'on fait pour resiouyr les hommes à table et en leur maison: et entre les psalmes, qui se chantent en l'Eglise [... ]», mais dans la suite du texte rédigé en 1543 il dit que «mesme par les maisons et par les champs ce nous soit une incitation [... ] à louer Dieu [... ]». Or, nous verrons combien cette dernière pratique du chant hors de l'église s'est amplement répandue en France (surtout), tout en nous posant la question de savoir comment ces Psaumes auront été appris et 'préservés' dans leur confrontation avec la musique populaire (voir les chapitres II, III et IV). L'expérience acquise dans les premiers mois du retour à Genève après son séjour à Strasbourg entre 1538 et 1541 15 a sans doute amené Calvin à préciser ses idées persan-

12 Le terme pois «est issu du latin pensum, substantivation du neutre de l'adjectif pensus 'qui a du poids, de la valeur'»; d'après le Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d'Alain REY. Paris, 1998, p. 2809. 13 «Au XVIe siècle, le mot Maiesté se répand dans l'usage général, exprimant le caractère de grandeur d'une personne ou de son attitude qui force le respect[ ... ] ; op. cit. à la note précédente, p. 2104. 14 En 1538, Martin Luther reconnaîtra trois dimensions à la musique: Wort, Gesang et Kiang (texte, chant et musique) 15 Voir notre étude «L'influence bénéfique de Strasbourg sur la personnalité de Jean Calvin», Annuaire de la Société des Amis du Vieux Strasbourg, no. XXVIII. Strasbourg, 2001, pp. 15-25.

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IN1RODUCTION

nelles - au-delà des arguments historiques - dans l'ajout du 10 juin 1543, et surtout à y développer ses pensées pédagogiques. En effet, il y est question maintenant de la «chanterie» des hommes, des femmes et des enfants ; mais Calvin rappelle également «que les chansons spirituelles ne se peuvent bien chanter que de cueur. Or le cueur requiert l'intelligence [... ]. Or le propre don de l'homme est de chanter, sachant qu'il dit : apres l'intelligence doit suivre le cueur et l'affection, ce qui ne peut estre que n'ayons le cantique imprimé en nostre memoire pour ne iamais cesser de chanter». Derrière ces idées généreuses s'annonce tout un programme que Calvin ne manquera pas de développer et de mettre en oeuvre ; celui-ci concerne les chantres, le travail avec les enfants et la création du Collège de Genève (voir les chapitres 1 et IV). Sans nommer aucun poète ni compositeur, Calvin insiste sur sa volonté «d'avoir chansons non seulement honnnestes, mais aussi sainctes», et que «nous ne trouverons meilleures chansons [... ] que les Psaumes de David» pour «nous occuper en ceste ioye spirituelle». «Or entre les autres choses, qui sont propres pour recreer l'homme et luy donner volupté, la Musicque est, ou la premiere, ou l'une des principalles». En bref, si Calvin parle de Musicque, il s'agit du chant; et dans l'Eglise comme à l'extérieur, il ne s'agira pour lui que du chant des Pseaumes 16 : «Quand nous aurons bien circui [c.à.d. fait le tour] par tout pour cercher çà & là, nous ne trouverons meilleures chansons ne plus propres pour ce faire, que les Pseaumes de David : lesquelz le sainct Esprit lui a dictez & faitz» 17 • Dans ces deux textes, Calvin est à la fois conservateur et novateur. Malgré ses critiques à l'égard des pratiques catholiques de son temps, il reste dans la tradition séculaire des Eglises chrétiennes où les psaumes ont toujours occupé une place de choix dans la prière et la louange ; il est novateur en proposant un Psautier dans la langue du peuple, qui puisse être prié et chanté par tous les fidèles. En conférant la primauté au texte, Calvin est un homme de son temps ; de leur côté, ses trois mélodistes montreront qu'il en va de même pour leur travail, dont la facture mélodique s'insère parfaitement dans la double tradition d'une origine grégorienne comme d'une appartenance aux courants populaires et musicaux de l'époque. Le Psautier de Calvin s'inscrit donc dans une Réforme de la vie de l'Eglise tout en appartenant aux courants culturels de son temps: c'est ce qui en fait son orginalité. Homme méthodique, Calvin avait élaboré les structures et tracé les voies qui devaient permettre au Psautier de se faire sa place dans !'Eglise et d'être adopté par tout un chacun ; il ne pouvait imaginer que les événements de l'histoire et de la vie quotidienne y apporteraient leur contribution.

16 Voir également Charles GARSIDE Jr., «Calvin's Preface to the Psalter: a Re-Appraisal», The Musical Quarter/y, vol. XXXVII, no. 4. New York, October 1951, pp. 566-577. 17 Préface de Calvin du 10 juin 1543.

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INTRODUCTION

1) Châteaubriant 2) Genève 3) Strasbourg 4) Nantes

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1. Les psaumes à l'église

Nous avons vu dans !'Institution de la Religion chrestienne ainsi que dans La forme des prieres et chantz ecclésiastiques que Calvin a pris nettement position en faveur des psaumes chantés à l'église en langue vernaculaire. En fait, nous savons qu'à son arrivée à Genève en septembre 1536 il vint «premierement en ceste eglise [Saint-Pierre]; il n'y avoit comme rien. On preschoit et puis c'est tout [... ]» 1 ; le jeune Calvin avait été retenu dans la ville par le réformateur Guillaume Farel ( 1489-1565) pour s'associer au travail d'édification de la nouvelle église et commencer l'éducation religieuse de la population. A peine quelques mois plus tard2 , Calvin formule avec ses collègues «prescheurs» Farel, Viret, Courault et Froment quelques 'Articles' à l'intention du Petit Conseil de Genève concernant l' organisation de la jeune église : «[Ce serait] une chose bien expédiente à l'édification del' esglise, de chanter aulcungs pseaulmes en forme d' orayson publicqs par lesquels on face prieres à Dieu, ou que on chante ses louanges affin que les cueurs de tous soyent esmeuz et incités à formé pareille louanges et grâces d'une mesme affection[ ... ]. Les pseaulmes nous pourront inciter à eslever nous cueurs à Dieu, et nous esmouvoyr à ung ardeur tant d'invocquer que de exalter par louange la gloire de son nom. Oultre, par cela on pourra cognoestre de quel bien et de quelle consolation le pape et les siens ont privé l'Esglise quant ils ont applicqués les pseaulmes, qui doibvent estre vrays chants sprirituels, à murmurer entre eux sans aulcune intelligence [... ]» 3 •

Le travail de Calvin En 1538, Farel et Calvin se trouvent en opposition ouverte au Conseil de Genève : ce conflit culmine le jour de Pâques où, n'ayant pas célébré la Sainte Cène, Calvin reçoit l'ordre des autorités de «vuidre [c.à.d. quitter] la ville dans trois jours». Al' appel du réformateur strasbourgeois Martin Bucer (1491-1551 ), Calvin acceptera d'assumer dans la capitale alsacienne la charge de pasteur de la communauté des réfugiés français. Or, c'est à Strasbourg que Calvin découvrira le chant des psaumes dans les cultes en langue allemande ! Ce qui, dans un autre des 'Articles' de 15374 , était pour lui une condition : «[ ... ] laultre part est des pseaulmes, que nous desirons estre chantés en lesglise, comme nous en avons !exemple en lesglise ancienne et mesme le tesmoignage de S. Paul. Nous ne 1

Jean Calvin: discours d'adieux aux Ministres, 28 avril 1564; CO, vol. IX, col. 891. Le 16janvier 1537. 3 Cité d'après Olivier LABARTHE, «Les chantres du temple de Saint-Pierre», La Musique à Saint-Pierre. Genève, 1984,p.99. 4 Voir Introduction. 2

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LES PSAUMES À L'ÉGLISE

povons concepvoir ladvancement et edification qui se procedera, sinon apres lavoyr experimenté», deviendra après son séjour strasbourgeois et dès son retour à Genève en 1541 un témoignage dans la préface du Psautier de 15425 : «Nous cognoissons par experience que le chant a grande force et vigueur d' esmouvoir et enflarnrner le cueur des hornrnes pour invoquer et louer Dieu d'un zèle plus véhément et ardent». Malgré son autorité, et malgré son expérience et ses convictions dont témoignent ses textes et ses interventions auprès du Conseil, la position de Calvin devient cependant plutôt précaire dans les années '50 : tout en se battant pour la bonne cause du Psautier, il doit également lutter contre des opposants qui ne veulent pas d' «Une nouvelle tyrannie [... ], ni credo étroit, ni discipline stricte»6 . Calvin plaide en particulier pour la sobriété de la tenue au culte de la part des fidèles : «Ne soyons point tant frétillants en nos appétits, pour dire ceci sera beau, une telle invention sera plaisante. Et de fait, ceux qui sont adonnés à cela, il est certain qu'ils sont d'une nature maligne et méchante, et il serait à souhaiter qu'ils fussent aux Iles neuves et retirés tellement de la compagnie des hornrnes qu'il ne fussent point cause d'amener ainsi tant de corruptions nouvelles» 7 . En ces mêmes années, le corps pastoral lui-même cause à Calvin de graves soucis d'ordre moral. Il faut rappeler en effet que déjà en 1547, la Compagnie des pasteurs avait «proposees certaines ordonnances touchant la reformation des paroisses des villages [dependantes de la Seigneurie de Genesve ]», notarnrnent concernant les «Chansons, dances: S'il y a aulcun qui chante chansons deshonnestes, dissolues ou oultrageuses, ou dancer en virolet ou aultrement, il tiendra prison par troys iours, puis sera renvoié au Consistoire» 8 . Enfin, sur le plan personnel, et après avoir perdu le 20 mars 1549 celle qui, «probe et honnête, et même jolie»9 , était devenue sa fernrne à Strasbourg le 10 août 1540, Calvin souffrira assez régulièrement de migraine et de catarrhes : «Sur cet arrière-plan d'épreuves et de maladies, se détachent d'autant plus étonnantes la volonté tenace et l'énergie du réfonnateur» 10 • Dans quel travail va+il investir cette énergie ? Calvin ne s'intéresse pas à proprement parler au déroulement du culte : la vie de l'assemblée n'est décrite nulle part en détail ni de façon systématique. Le réformateur emploie en fait plusieurs termes pour désigner le culte : «assemblées publiques» et «assemblées ecclésiastiques» dans l' Institution; «les assemblées qui se font tant le dimanche que les autres iours pour honorer et servir Dieu», «nos assemblées spirituelles», «l'assemblée chrestienne», «les fidèles quand ils conviennent au nom de Jésus-Christ», «quand nous convenons en son Nom» dans La forme des prieres ecclesiastiques. Calvin souhaite par ailleurs qu'en dehors des cultes, «les temples soient fermés pour le reste du temps affin que nul ny entre hors heures par superstition» 11 . En appelant temple l' édi5

Cette préface deviendra le début de La Forme des prieres et chantz ecclésiastiques (voir Introduction) ; c'est nous qui soulignons. 6 Rodolphe PETER, «Jean Calvin. Sermons sur les Livres de Jérémie et des Lamentations», Supplementa Calviniana, vol. VI. Neukirchen-Vluyn, 1971, Introduction, p. VII. 7 Sermon sur I Cor.11,11-16; CO, vol. XLIX, col. 745. 8 Registres de la Compagnie des Pasteurs de Genève au temps de Calvin. Publiés sous la direction des Archives d'Etat de Genève par R.- M. KINGDON et J.- F. BERGIER. Genève, 1964, tome I, p. 4. 9 C'est en ces termes que Calvin parlera d'Idelette de Bure dans une lettre adressée à Farel; voir CO, vol. XI, col. 78. 10 Rodolphe PETER, op. cit., Introduction, p. X. 11 CO, vol. X, col. 55.

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fice réservé au culte, Calvin - et les réformés après lui - l'a fait en référence au langage vétéro-testamentaire, «sans exclusive, mais avec une évidente prédilection [... ].Appeler temples les édifices où la communauté se rassemble pour se constituer en temple de Dieu (Calvin dit en effet : «si nous sommes les vrays temples de Dieu, il faut que nous le prions en nous, si nous le voulons invoquer en son vray temple» 12) n'était pas un abus de langage, mais l'affirmation d'une conviction profonde : l'écoute de l'Evangile et la participation à la cène faisaient spirituellement de l'assemblée réunie le 'corps du Christ' qui est lui-même le seul vrai temple de Dieu» 13 .

Organisation des cultes à Genève Quel que soit le terme utilisé, dès 1536 Calvin conçoit le déroulement du culte autour de quatre moments clés: la parole, la cène 14 , les oraisons et l'aumône. Sous sa plume, les oraisons revêtent deux formes : la prière proprement dite et le chant. L'essentiel, dit Calvin, c'est «que nous ayons certains iours pour nous assembler à ouïr les prédications, à faire les oraisons publiques [... ]» 15 ; à cet effet, il importe aussi qu'on sache «quels pseaumes on chante en un iour ou en lautre» 16 • Le chant des psaumes était donc explicitement mentionné, alors qu'à cette époque Calvin ne dispose pas encore de Psautier et qu'une première «table pour connaître quel pseaulme on doit chanter le dimanche matin et soir, et le mercredi» ne paraîtra sous forme d'affiche qu'en 1546 17 . Une telle table indiquait donc également les psaumes pour le mercredi : à Genève, ce jour est en effet devenu 'le jour de prière' où le service revêt le caractère plus solennel d'un culte d'intercession et de repentance, et où la liturgie en usage est celle du dimanche avec une prière finale très circonstanciée. Une étape importante est franchie en 1549: l'ordre du culte sera simplifié et fixé selon un modèle qui restera en vigueur jusque vers 1560; il comporte les parties : Invocation Confession des pêchés - Chant- Prière d'illumination - Lecture d'un texte biblique et sermon - Prière finale circonstanciée avec paraphrase du Notre Père - Bénédiction. Cet ordre sera identique pour le mercredi; en revanche, on n'y chante que certains psaumes choisis pour ce jour-là, selon les indications fournies par les Tables publiées dès 1546 à la fin du Psautier. Ainsi, les 49 psaumes versifiés par Marot en 1549 se trouvent répartis sur 17 semaines pour être chantés les uns le dimanche matin, d'autres le dimanche soir, d'autres enfin le mercredi matin 18 . En 1553, les 83 Psaumes disponibles seront répartis sur 28 semaines, gardant pour le chant du mercredi «ceux qui contiennent prières er requêtes à Dieu plus expresses» 19 •

12

Institution, Livre III, chapitre XX, § 30. Bernard REYMOND, L'architecture religieuse protestante. Genève, 1996, p. 48. 14 Dans la pratiqne, la cène était prévue quatre fois par an: à Noël, à Pâques, à Pentecôte et le premier dimanche de septembre. Voir les «Ordonnances ecclésiastiques» de 1541, CO, vol. Xa, col. 25. 15 Institution, Livre II, chap. 8, § 32. 16 Institution, Livre IV, chap. 10, § 29 et 31. 17 Pierre PIDOUX, Psautier huguenot, op. cit., tome II, p. 32 18 Pierre PIDOUX, Psautier huguenot, op. cit., tome II, p. 44 19 Idem, pp. 61 et 62. 13

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Dans les années 1560, l'ordre du culte subira encore quelques modifications qui seront à l'avantage du chant des psaumes; il est alors organisé comme suit : Chant - Invocation Confession des pêchés - Chant - Prières d'illumination - Notre Père - Lecture d'un texte biblique et sermon - Prière finale circonstanciée avec Notre Père - Chant - Bénédiction. Les cloches

Lorsqu'en 1562 tous les 150 psaumes sont disponibles dans le Psautier de Genève, une Table y indiquera leur distribution sur 25 semaines ; ils sont chantés le dimanche au matin, après le second coup de la cloche 'Clémence' [tour nord de Saint-Pierre] ainsi que «devant et après le sermon» ; le dimanche au soir la procédure est la même, mais cette fois c'est la petite cloche 'Rebat' [tour sud] qui est sonnée. Cette même cloche annonce les psaumes du mercredi (plus tard : jeudi), jour des prières 20 • Nous verrons que seules quelques sources parlent de l'utilisation des cloches : sans doute que leur présence dans la cathédrale Saint-Pierre a incité Calvin à leur donner une fonction particulière, alors qu'à notre connaissance, il ne les mentionne pas ailleurs dans ses écrits. Reymond indique qu'à l'exception de celui de Mex (Vaud, 1582), les plus anciens temples de Suisse romande construits depuis la Réforme - ceux de L'Evitaz (Vaud, 1590), de la Brévine (Neuchâtel, 1604) et de Gy (Genève, 1609) - comportaient un clocher21 , mais sans fonction particulière pour le chant des psaumes. De 1536 à 1562, Calvin aura donc organisé la constitution du Psautier, fixé la place du chant dans l'ordre du culte, défini le choix du psaume selon les Tables ainsi que l'annonce de ceux-ci par les cloches de Saint-Pierre22 ; ce sera la première étape de son travail. Comment conçoit-il l'apprentissage par les fidèles des psaumes nouvellement paraphrasés et mis en musique ? Dans les 'Articles' de 1537 déjà mentionnés, Calvin et ses collègues «prescheurs» suggèrent que «La manyere de y proceder nous as semblé advis bonne, si aulcungs enfans auxquels on ayt auparavant recordé un chant modeste et ecllésiastique, chantent à aulte voix et distincte, le peuple escoutant en toute attention et suyvant de cueur ce qui est chanté de bouche, jusque à ce que petit à petit ung chascun se accoutumera à chanter communément» (16 janvier 1537)23 .

20

«C'est cette Table - qu'on appellera plus tard tablature - qui explique la présence dans les longs psaumes des astérisques et du mot Pause. Les strophes n'étant pas numérotées, ces repères devaient indiquer aux fidèles à quel endroit ils avaient à commencer le chant ou à l'interrompre; de là vient l'expression 'chanter une pause d'un psaume'»; voir Introduction de Pierre Pidoux (p. 31) à: Clément MAROT et Théodore de BÈZE, Les Psaumes en vers français avec leurs mélodies. Fac-similé de l'édition genevoise de Michel Blanchier, 1562. Genève, 1986. On peut dès lors aisément s'imaginer la difficulté des fidèles d'apprendre des psaumes qui, dès cette année 1562 et sauf exception liée à leur longueur, ne revenaient qu'une fois toutes les 25 semaines! Mais ainsi, et dans l'espace d'une année, le Psautier était chanté deux fois d'un bout à!' autre. 21 Bernard REYMOND, op. cit, p. 55. 22 Ces précieux renseignements proviennent de Rodolphe PETER, op. cit, Introduction, p.XXXIII. 23 Olivier LABARTHE, op. cit, p.99.

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La cloche Rebat à Saint-Pierre de Genève

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Les Ordonnances ecclésiastiques du 20 novembre 1541 disent:«[ ... ] avec le temps toute l'esglise pourra suyvre» 24 • Il n'y a pas encore de Psautier, mais les premiers éléments d'une démarche pédagogique sont déjà apparents.

Les chantres La deuxième étape commence avec l'entrée en scène de Guillaume Franc (originaire de Rouen), le 'mélodiste' qui met en musique les premiers psaumes paraphrasés par Clément Marot. Franc avait sollicité l'autorisation du Conseil de Genève «de tenyr eschole de musique»(l 7 juin 1541), alors que le 2 mai 1542 ce même Conseil (de «Cantor» - chantre) del' église Ste Gudule dont (selon Crespin) le «curé estoit communément appelé Pape de Bruxelles»; le 1er mai 1581 - durant les années où la ville était dirigée par un bourgmestre calviniste - elle devient protestante (mais reste «duytsch», c.à.d. néerlandophone). Au XVIe siècle, il est écrit que le chantre veille à ce qu'y soient célébrés «goddelijcke choordiensten in de kercke, ais wesende de eerste ende de besonderste deser stadt, met aile mogelijcke ordentelijckheijt, graviteijt

129 130

Aujourd'hui 'intégrée' dans les nouveaux bâtiments de la Bibliothèque royale Albert Ier. Jean d'OSTA, Dictionnaire historique et anecdotique des rues de Bruxelles. Bruxelles, 1986, p. 63.

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Quelques exemples de méreaux

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ende solemniteijt>> 131 (que dans cette église, qui est la première et la plus importante de la ville, les offices avec choeurs soient célébrés avec rigueur, sérieux et solennité). Dans la dénomination de cette rue l'on retrouve la longue tradition catholique sur laquelle se greffe l'initiative de Calvin; celle-ci n'a cependant pas eu d'application dans cette église ou les autres églises francophones de la ville, ni d'ailleurs dans la partie wallonne du pays. Tout en étant située dans la région flamande, la ville d'Anvers (Antwerpen) connaîtra dès 1554 une paroisse française (ou wallonne 132) à côté des communautés flamandes : l'initiative en revient à Pierre Brully qui, auparavant, avait été pasteur de l'Eglise des réfugiés à Strasbourg après le départ de Calvin. Cette communauté était beaucoup plus marquée par l'influence de Calvin 133 que les néerlandophones, mais (à cause de sa composition francophone ?) elle vivra de manière clandestine, malgré la venue régulière de réfugiés de Wallonie; nous ne lui connaissons aucune initiative liturgique d'ordre musical 134 . Les communautés réformées de la région flamande 135 et surtout toutes celles de l'ensemble des Pays-Bas du Nord 136 adopteront le Psautier en traduction néerlandaise (de Petrus Datheen) ; cette question tombe néanmoins en dehors de notre contexte géographique. Il faut bien constater que dans leur diversité 'à la française', les communautés réformées n'ont pas pu développer une politique volontariste 'à la genevoise' à l'égard du chant des psaumes dans les assemblées. Elles manquaient certainement aussi de moyens humains et matériels pour le faire, comme d'ailleurs du soutien pédagogique indispensable à l'instauration d'un répertoire dont la nouveauté a dû déranger plus d'un. Et pourtant : les psaumes étaient beaucoup chantés, sans doute davantage dans les familles et dans les milieux plutôt aisés.

131 Paul DE RIDDER, Sint-Goedele, geschiedenis van een monument. Bruxelles, Vereniging van Brusselse Geschiedenis, 1992, p. 13. 132 Wallon signifiant : étranger, de langue étrangère. 133 Calvin leur écrira le 25 décembre 1558 : «Parquoy, mes freres, exercez vous non seulement a lire en privé, mais aussi a vous assembler au nom de Iesus Christ, affin dinvoquer Dieu et recevoir quelque bonne instruction pour profitter de plus en plus»: CO, vol. XVI, col. 338. 134 Voir Guido MARNEF, Antwerpen in de tijd van de Reformatie - Ondergronds protestantisme in een handelsmetropool 1550-1577. Antwerpen/Amsterdam, 1996, pp. 95-107. 135 Grâce, notamment, aux Souterliedekens; voir Chapitre IV. 136 Voir J. de BRUYN & W. HEIJTING (éd.), Psalmzingen in de Nederlanden van de zestiende eeuw tot heden. Kampen (Pays-Bas), 1991.

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1) Genève 2) Strasbourg

12) Paris

21) Figeac 22) Miremont

3) Pau 4) Orthez 5) Lyon 6) Orbe 7) Toulouse 8) St.Jean-du-Gard 9) Orléans 10) Béziers

13) Beaune 14) Dijon 15) Châlon 16) Metz 17) Nîmes 18) Montauban 19) La Rochelle 20) Sainte-Foy

23) Montpellier 24) Aimargues 25) Lausanne 26) Berne 27) Neuchâtel 28) Mex 29) L'Evitaz 30) La Brévine

Il) Revel

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31) Gy 32) Vevey 33) Lutry 34) Cossonay 35) Nyon 36) Auvemier 37) Boudry 38) Anvers 39) Bruxelles 40) Gand

Il. La faveur de chanter les psaumes «par les maisons et par les champs», à la Cour et dans les rassemblements festifs

Dès les premières éditions de La Forme des prieres et chantz ecclésiastiques, Calvin écrit dans l' «Epistre au lecteur» daté du 10 juin 1543 que «l'usage de la chantrerie s'estende plus loing. C'est que mesmepar les maisons et par les champs ce nous soit une incitation[ .... ] à louer Dieu, et lever nos cueurs à luy pour nous consoler [... ]» 1• Cet appel du réformateur, pour qu'une pratique religieuse personnelle se développe à côté de celle des assemblées, a trouvé un écho favorable auprès des instances dirigeantes des jeunes Eglises réformées de France; Stanford Reid croit même fermement que le Catéchisme et le Psautier ont pénétré la vie tout entière des plus humbles 2 , ce que Clément Marot dira dans sa langue poétique: «Le laboureur à sa charrue Le charretier parmi la rue Et l'artisan en sa boutique Avec un psaume ou cantique En son labeur se soulager... ». En septembre 1561, un aveugle nommé André Michelet, natif de Tournai (aux Pays-Bas du Sud), s'était rendu à Paris «pour parler à certains médecins du Roi. Or estant en la maison de l'un d'iceux medecins, [... ] on prioit Dieu avant & apres le repas, & on chantait Pseaumes de David [... ]» 3 • A côté de cette pratique privée, nous connaissons l'exemple d'un recueil de «Prières ordinaires des soldats», paru à Lyon en 1563. Le début de la prière du matin au corps de garde y commence en ces termes: «Notre Dieu, notre Père et notre Sauveur, puisqu'il t'a plu nous faire la grâce de passer la nuit, pour venir jusques au jour présent: veuille aussi maintenant nous faire ce bien que nous l'employons tout à ton service [... ] afin que [... ] nos oeuvres soient à la gloire de ton nom et édification de nos prochains [... ]»4 . Tout en se réjouissant de la ferveur des fidèles dans les groupes de prière, le Synode national de Paris del 565 ajoute à la Discipline une nouvelle règle concernant les «Exercices sacrés des fidèles» demandant aux ministres des Eglises «[ ... ] d'exhorter soigneusement les chefs de famille de faire ordinairement soir et matin, les prières dans leurs maisons».

1

C'est nous qui soulignons. «[ ... ] both the catechism and the Psalter entered into the very warp and weft of the humblest members' lives»: Stanford REID, «The Battle (sic!) Hymns of the Lord. Calvinist Psalmody in the Sixteenth Century», Sixteenth Century Essays & Studies, tome 2. Leiden, 1971, p. 37. 3 Jean CRESPIN, Histoire des Martyrs persécutez et mis à mort pour la vérité del' Evangile, depuis le temps des apôtres jusques à présent. Genève, Pierre Aubert, 1619, tome III, fol. 214. 4 Cité d'après Samuel MOURS, Le protestantisme en France au XVI' siècle. Paris, 1959, p. 221. 2

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Le synode provincial de Sauve d'octobre 1570 reprend la même question et formule le voeu «que chacun prie en sa famille et que ceulx qui ne le savent faire 5 1' apprennent et que jusques a ce qu'ils l' ayent apprins qu'ils aillent prier Dieu ensemble et avec leurs voysins qui le scavent fere [... ]».Au cours des guerres de Religion, cette pratique domestique - dont les traces sont malheureusement plutôt légères 6 - suscitera néanmoins les rigueurs de la justice ; c'est pourquoi le synode provincial du Languedoc de mai 1591 chargera le pasteur de Gasques d'enquêter à Montmorency sur le sort de «ceux de la religion qui lisent en leurs maisons la Bible, chantent les pseaulmes et veulent fere profession de religion [... ]»7 . Le Psautier étant imprimé dans différents formats, c'est le petit in-seize qui permettait, comme l'a dit Jean Crespin, «de pouvoir l'avoir à la main chez soi, de ne pas être encombré à l'extérieur, bien plus de flaner à la campagne sans charge» 8 ; toutes les conditions 'matérielles' seraient donc réunies pour une pratique de «la psalmodie Marotique en rithme Françoise» qui, comme le note également le catholique Léonard Janier, a «séduit et attiré beaucoup de peuple en hérésie, combien qu'ils ne les chantassent pas tant par dévotion qu'ils y eussent que par passetemps»9 • Sur cette pratique nous manquons malheureusement de témoignages autobiographiques : la tradition de ceux-ci est pauvre dans les couches populaires du calvinisme français «dont les pratiques de lecture et d'écriture n'ont rien de populaire» 10 ; à cela s'ajoute peut-être également, de leur part, une certaine pudeur à s'exprimer sur leurs convictions intimes et leurs sensibilités personnelles. Nous savons en effet que la religion réformée était tout d'abord une religion des petites gens : charpentiers, tonneliers, tisserands, couturiers ... «Ici, petits boutiquiers, gens établis, connus, ayant pignon sur rue et enseigne notoire ; là, simples compagnons ou apprentis, population nomade, qui va de ville en ville et même de pays en pays, cherchant du travail et en rapportant les idéees nouvelles» 11 . Quelle est alors la vie religieuse de ces couches populaires ? Il nous intéresse de connaître davantage les comportements du peuple réformé, car «les formes nouvelles de religion qui se mettent en place vont modifier les mentalités, en particulier l' idée de soi et son rôle dans la vie quotidienne de la société»12. Parmi ses conduites culturelles, une place essentielle est tenue par les fêtes. Quelles que soient leurs formes, elles suscitent la réprobation morale autant de la part de Calvin et des autres réformateurs que de la part des autorités civiles. Le Psautier y tient cependant une place importante, autant pour le texte que pour sa musique; c'est l'occasion de nous intéresser à son rapport avec les traditions populaires. A !'opposé de la grande masse se trouvent les couches élitaires de la société française. Entourée d'artistes et d'intellectuels, la Cours' est laissée emporter par son enthousiasme pour les psaumes, peu importe d'ailleurs l'appartenance religieuse de ses membres.

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La lecture à haute voix se faisait à l'intention des illétrés, en particulier les femmes. Selon Janine GARRISSON, Protestants du Midi, op. cit., p. 277. 7 Janine GARRISSON, Protestants du Midi, op. cit., p. 278. 8 Cité d'après Jean-François GILMONT (éd.), La Réforme et le livre etc., op. cit., p. 25; rappelons qu'il existait des éditions sans et d'autres avec musique. 9 Léonard JANIER, Sermons évangéliques. Paris, 1572 (2° édition), tome I, folio 102. 10 «Les auto-témoignages européens comme sources historiques (1500-1800)»: présentation du colloque tenu à Ascona en octobre 1998, Mission Historique Française etc., op. cit., p. 22. 11 P. IMBART de LA TOUR, Les origines de la Réforme. Paris, 1935, tome IV, p. 255; voir également notre Chapitre III. 12 Philippe ARIÈS, Histoire de la vie privée. Paris, 1986, tome III, p. 111. 6

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Le Psautier dans la vie quotidienne Nous l'avons dit: il existe peu d'exemples de piété personnelle. Quand un témoignage parle de Villemadon «qui avoit servi la feu royne de Navarre [... ] [et le 26 août [1560] avoit envoyées certaines lettres & remonstrances [à une certaine dame]», c'est bien sous la plume d'une tierce personne; nous n'avons aucune autre trace de cette correspondance qui pourtant a été d'un grand secours, car «lors [cette dame] avoit eu son recours à Dieu, lisant & goustant sa parolle, & chantant avec grand plaisir les pseaumes traduits en rime française, entre lesquels elle avoit choisi pour soy le 141 e, encores qu'il ne fust de la traduction de Marot, commençant ainsi : 'Vers l'Eternel des oppressés le père le m'en iray luy monstrant l'impropère Que l'on me fait, & luy feray prière A hautes voix qu'il ne jette en arrière Mes piteus cris, car en luy seul i' espère' ». Rapporté dans l' Histoire ecclésiastique 13 , ce témoignage se termine ainsi : «Environ lequel temps Dieu luy avait donné son fils aymé, que plusieurs autres enfans avaient suivi». L'auteur a eu raison de signaler qu' «encores [ce psaume] ne fust de la traduction de Marot»; c'est en effet la paraphrase de Bèze lui-même qui a été retenue dans le Psautier, avec son texte: 'O Seigneur, à toy ie m'escrie' accompagné d'une mélodie d'origine grégorienne («Conditor alme siderum») dont Pierre Davantès a suivi de très près le rythme coulant et plaintif. Avant les guerres de Religion, le chant des réformés peut apparemment se faire sans problème: à Bordeaux en 1556, «aucuns personnages [ ... ] chantent journellemen t[ ... ] par les rues, en leurs maisons[ ... ] les Pseaumes de David, traduits[ ... ] par Marot et autres» 14 . En dehors des processions, les croyants n'avaient jusqu'alors jamais exprimé leur foi sur la place publique ; tout en l'insérant dans la tradition de la musique populaire, ceux de «la nouvelle religion» créent une nouveauté qui est de chanter sa foi non pas uniquement «en leurs maisons» mais également «par les rues», et même dans la langue du peuple. Ces manifestations ont rapidement suscité la surprise, puis la réprobation ; en chantant les psaumes, les réformés créaient une nouvelle coutume, qui dérangera plus d'un, comme Benigne Martin, maire de la ville de Dijon qui, le 24 janvier 1561 «feit dechef defendre à cri public les prieres & chant des pseaumes en français, à peine de la hard, & rebaptiser certains enfans, ausquels il imposa nouveaux noms [... ]» 15 . En décrivant les premières années de l'Eglise réformée à Xaintes, le potier et fin chroniqueur Bernard Palissy 16 nous montre qu'il y règnait en 1557 un même esprit qu'à Bordeaux:

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Th. de BÈZE, op. cit., tome 1, p. 127. Jean CRESPIN, op. cit., tome III, fol. 428. 15 Th. de BÈZE, op. cit., tome 1, p. 421. 16 Emile et Eugène HAAG, op. cit., diront sur lui au tome VIIII, p. 78: «Nous ne connaissons point, dit M. de Lamartine, de [style] plus biblique et plus moderne à la fois. On y sent les premiers bouillonnements d'une source qui va jaillir: c'est une langue qui se moule sur l'âme[ ... ]. Il rêve, il médite, il pleure, il décrit et il chante [... ]».Palissy avait son atelier dans une tour d'enceinte au nord immédiat de la Mausifrote, une haute tour dominant le grand pont sur la Charente. 14

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alors qu'en Xaintonge «on vivait en si bonne paix, qu'en quelques lieux, en mesme temple, à diverses heures, on y preschoit l'Evangile & chantoit» 17 , «[ .... ]quand le temps s'approchait a faire ses Pasques, plusieurs haines, discussions et querelles estoyent accordees: il n'estoit question que de Pseaumes, Prières, Cantiques et Chansons spirituelles» 18 • Observateur sensible - il était artiste-peintre ! - il écrit avec délicatesse: «quelques iours après[ ... ] j' étois un iour me pourmenant le long de la prairie de ceste ville de Xaintes, pres du fleuve de Charante: [... ] iouy la voix de certaines vierges, qui estoyent assises sous certaines ambarces, et chantoyent le Pseaume cent quatriesme .... ». Palissy montre bien que même à l'église il y avait place pour des «chansons» qui, tout en étant «spirituelles», pouvaient également se chanter au-dehors, à la campagne. Ce psaume 104 est d'ailleurs lumineux, profitant pleinement de sa source grégorienne (l'hymne de Pentecôte) ; et Palissy poursuit : «M' estant arresté pour escouter ledit pseaume, ie laissay le plaisir des voix, et entray en contemplation sur le sens dudit Psaume» 19 . Voilà donc un des tout rares exemples d'un témoignage personnel. Lorsque plus tard, «tous les esprits diaboliques estoyent entrez en la ville de Xaintes [... ] » et que Palissy «Il' entendois que blasphèmes [... ] chansons lubriques et detestables» 20 , alors «ie prenois souvent envie de hazarder ma vie, pour en faire la punition; mais ie disois, en mon coeur le Pseaume 79, qui se commence, 'Les gens entrez sont en ton heritage', [... ]parce que durant en ces iours mauvais, il y avoit bien peu de gens de l'Eglise reformee en ceste Ville» ; ces chansons d'abord «spirituelles» sont donc (re )devenues «lubriques». Calvin était bien conscient des risques de cette dérive lorsque, dans ses Sermons, il parlait du chant du peuple ; dans la préface d'un Psautier publié à Paris en 1556, sa condamnation a trouvé un écho poétique sous la plume de Rémy Guédon : «Peuple chrestien ne chante desormais Folles chansons lascives et lubriques Qui te pourront faire perdre à jamais Chante plustost ces psalmes et cantiques Tu y verras les oeuvres magnifiques De l'Eternel (... )» 21 . Il est intéressant de noter la diversité des manières par lequelles chacun vit et pratique les

psaumes: pour l'un c'est l'occasion d'une méditation, pour l'autre un chant de supplication ou encore le rappel d'un psaume préféré ; il y a notamment ce fait-divers rapporté dans les actes du 14 mars 1596 de la paroisse de Montauban, où les diacres se sont appliqués à concilier un frère et une soeur qui, célébrant l'Eternel lors d'une veillée, entraient dans une violente querelle en s'accusant mutuellement de chanter faux 22 . D'autres fidèles, enfin, expriment leur joie «par les rues» et à la campagne ; mais il faut le rappeler, les traces sont rares, surtout celles qui sont personnelles.

17

Th. de BÈZE, op. cit., tome 1, p. 440. BSHPF, 1853, p.90. Voir également Le Chansonnier huguenot du XVIe siècle, réédition (en un seul volume) de celle de Paris,1870. Nîmes, 1999. 19 BSHPF, 1853, p. 29. 20 BSHPF, 1853, p. 94. 21 Pierre PIDOUX, Le Psautier huguenot, op. cit., tome Il. 22 Janine GARRISSON, Protestants du Midi, op. cit., p. 279. 18

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Le chant des psaumes va, petit à petit, devenir l'expression de nouvelles conduites et de nouvelles coutumes : il interviendra comme un réconfort dans les moments difficiles des (débuts des) guerres de Religion ; les réformés y découvrent alors la cohésion du groupe et l'expression d'un courage partagé, ..... même avec les catholiques. Ainsi, après avoir délibérés en l'assemblée du 15 octobre 1560 de la manière dont il fallait «faire place à la fureur des ennemis, [... ]les principaux del' église [de Montpellier] se retirèrent [au soir], & plusieurs autres avec leur ministre, leurs diacres & anciens, chantans pseaumes tout hautement, & s' asseurans de la délivrance que Dieu leur donneroit à temps. Dans la ville aussi l'espace de quatre iours, ne furent ouïs que pleurs & regrets, mesmes de la pluspart de ceux de la religion romaine [... ]» 23 • Une telle manifestation a dû surprendre plus d'un! Cette confiance en Dieu «donneroit aux hommes un coeur de lion & aux femmes un coeur d'homme» : ce sont les paroles dites par le ministre de Montauban après que les paroissiens ayent été assiégiés le 25 octobre 1562 par des catholiques qui disaient «qu'ils tueroient iusques aux enfans au berceau, & n' espargneraient femmes ni filles en leurs vilenies, menaçans mesmes Dieu [.. ], desguisans avec blasphèmes plus que abominables le commencement du pseaume cinquantiesme, commençant 'Le Dieu le fort, etc.', qu'ils changeaient en un blasphème par trop espouvantable, disans : 'Le Dieu, le fol' ; choses qui navroient les assiégés plus que les choses qu'ils eussent peu souffrir» 24 • Il n'y a pas de doute: dans la version de Marot, le texte de la paraphrase a gardé l'expression de la force que Dieu apporte à ceux-là mêmes qui sont menacés des plus terribles horreurs; la musique qui l'accompagne vient de Strasbourg et est chargée d'une grande tension qui lui confère précisément son caractère dramatique. Le 8 décembre 1562, les mêmes paroissiens montalbais écoutent la lecture de lettres annonçant «qu'on espéroit bien tost la paix ou une bataille[ ... ]. Le soir venu, furent faites prières solennelles en la place, après avoir sonné toutes les cloches de S. lacques, comme au jour de la Cène ; & furent les feux allumés avec chants de pseaumes, délaschements de toutes les pièces, & grandes scopeteries par tous les corps de garde & par tous les boulevarts, tours, clochers & autres lieux éminents, tellement que plusieurs des ennemis accoururent de toutes parts pour avoir part au butin, pensans que la ville fust prise, mais c' estoit le contraire» 25 . Et enfin, la paix est «solenellement publiée au matin, iour de dimanche, dixhuitctième dudit mois [d'avril 1563] [... ].Après souper [furent] rendues graces en la place publique de la ville, avec feu de ioye & grande eiiouissance, estant chanté nommément avec les commandemens de Dieu le pseaume cent vingt & quatriesme, commençant: 'Or peut bien dire Israel, etc '» 26 . Tous les ingrédients du culte réformé (psaumes, cloches) comme ceux des fêtes populaires (feux, défilés dans les rues et sur les places ... ) sont mis en commun pour, de la sorte, créer une nouvelle coutume. Ce psaume 124 se prête en effet fort bien à une telle exubérance: écrite sur le texte de Bèze, la musique de Bourgeois a trouvé dans sa source grégorienne une mélodie ample qui exprime admirablement la joie et la gratitude.

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Th. Th. Th. Th.

de BÈZE, op. de BÈZE, op. de BÈZE, op. de BÈZE, op.

cit., tome I, p. 185. cit., tome II, p. 321. cit., tome II, p. 330. cit., tome II, p. 338.

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Pleurs, joies ou fêtes, il est difficile pour les réformés de trouver une expression 'juste' dans le chant des psaumes, alors qu'ils sont sous la menace constante des opposants catholiques; on comprend dès lors la teneur de la correspondance échangée en 1565 entre le sieur Privey, receveur de Châtillon en Bourgogne, et Gaspard de Tavannes («lieutenant pour le Roi en Bourgogne»), au sujet d'un incident qui a eu lieu «il y a quinze jours, [où celuici] a fait emprisonner quatre maçons qui chantaient des Pseaumes» 27 • Dans sa réponse datée du 20 avril, Tavannes écrit notamment: «Ce n'est point de mal faict de chanter les Psalmes, mais de scandaliser en public, cela est deffendu pour estre quelque fois cause desdictes sédicions [... ]je verray [... ] affin que sy le dict lieutenant [... ] advise de tenir la main à ce que ceux de l'ancienne religion se contiennent en paix. Mais aussy je vous prie que les vostres fassent le semblable et y tenir la main [... ]» 28 .

Chante-t-on les psaumes en-dehors de la Synagogue ? Trois exemples venus d'horizons tout à fait différents nous permettent de rappeler que les traditions synagogales où Calvin a également puisé dans l'élaboration des textes accompagnant le Psautier de Genève sont restées vivantes jusqu'à aujourd'hui. Il existe en effet des sources très anciennes de chants de la synagogue qui se sont pratiqués dans les maisons : ainsi, nous connaissons des formes antiphonales où deux groupes de chanteurs sont conduits par un chantre, comme c'est le cas aujourd'hui dans les chants festifs jéménites sur la presqu'île tunisienne de Djerba29 • Dans son autobiographie, Chouraqui raconte la mort prématurée de l'enfant de son amie Colette où seul il suit «le petit cortège qui égrène les versets des psaumes, tandis que nous gravissons le sentier pierreux qui, dans le cimetière juif[ ... ] conduit à la tombe» 30 • Aux Pays-Bas, le soir du Pesach, la communauté juive d'aujourd'hui chante dans les foyers des parties du Halleel (qui se compose des psaumes 113 à 118) ; par ailleurs, tout le psaume 136 y est chanté à cette même occasion (sur une mélodie spéciale du Pesach), comme un chant de libération 31 •

Le Psautier à la Cour de France Les écrits de la Réforme rencontrent un grand intérêt dans les milieux aisés et parmi les nobles : les intellectuels du XVI0 siècle entretiennent en effet une lecture régulière des Ecritures 32 et pratiquent le Psautier. Dans sa maison à Châtillon-sur-Loing, l'amiral réformé Gaspard de Coligny «exhortait à la véritable pratique de la piété, n'étant pas assez que 27

Jacques FROMENTAL, op. cit., p. 41. op. cit., p. 42. 29 Edith GERSON-KIWI, «Orientalische Kult- und Kunstmusik in Israel», Juan ALLENDE-BLIN (Hrsg.), Musiktradition im Exil - Zurück aus dem Vergessen. Kêiln, 1993, p. 111. 30 André CHOURAQUI, op. cit., p. 220. 31 J. EVERS, «Over psalmzingen injoods Nederland», J. de BRUIJN & W. HEIJTING (réd.), Psalmzingen etc., op. cit., p.18. 32 Au XVI° siècle, peu nombreux sont par contre ceux qui, dans les couches populaires, possèdent le privilège du savoir-lire. 2s Jacques FROMENTAL,

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le père de famille vécût saintement et religieusement, si par son exemple, il ne réduisait les siens à la même règle» 33 ; son fils raconte en ses Mémoires à quel point l'ont marqué les lectures bibliques familiales ainsi que le chant des psaumes. Nous ne savons pas si ce fils avait fréquenté le collège que son père avait fondé dans cette ville autour des années 1562-1563; il est vrai que jusqu'au début du xvne siècle celui-ci n'était guère qu'une école avec seulement un latiniste, un maître écrivain et 4n abécédaire. Pourtant, «l'ensemble de la nobilité châtillonnaise a fréquenté l'établissement, y compris les catholiques» 34 . Il est plus intéressant encore de porter notre regard sur l'entourage de la Cour de France, où plus d'un s'était approprié son psaume favori; en effet, ces milieux «réclament un aliment spirituel. Par bonheur, le gentil Marot, en traduisant [les Pseaumes] en des vers si agiles, harmonieux, qui se chantent et se retiennent, a mis les leçons de la Bible sur toutes les lèvres et tous les coeurs» 35 . Souvenons-nous que c'est à François Ier que Marot a offert en 1541 le manuscrit des treize premiers psaumes traduits par ses soins, ce roi auprès de qui il occupait à l'époque, et en succession de son père, la charge de valet de chambre. Entourés d'artistes, certains aristocrates riches et de brillante éducation présents à la Cour ont pu changer en profondeur les goûts et habitudes culturelles des membres de la famille royale. Mais surtout, ces aristocrates manifestaient un «intérêt pour les choses de l'esprit qui, mêlé à leur situation sociale [privilégiée], constituait une recette idéale pour la diffusion d'idées et de pratiques qui, autrement, auraient pu rester l'apanage d'un seul groupe restreint de poètes et musiciens professionnels» 36 • En chantant les psaumes, les souverains s'appropriaient un répertoire pour lequel ils avaient un attachement aussi fort que leurs sujets ; cet amour partagé les rendait plus proches de ceux-ci. Villemadon, qui était officier de la Maison de Marguerite de Navarre, relate à propos des psaumes que «[le roi Henri II 37 ] les aima et embrassa estroictement, et ordinairement les chantoit et faisoit chanter [... ]3 8 . Toutefois il retint pour luy cestuy: 'Bien heureux est quiconques Sert à Dieu volontiers, etc.' [Le Roy] a fait luy-mesme le chant à ce psalme [128] laquel chant estoit fort bon et plaisant, et bien propre aux paroles [... ]»39 . Le 23 août 1560, donc avant même le déclenchement des guerres de Religion, le «jeune, brillant et délié protonotaire» 40 Jean de Monluc, évêque de Valence (un des diocèses les plus difficiles, rempli de luthériens) et porte-parole habile de la politique de tolérance prônée par Catherine, «blasmant ouvertement plusieurs abus de la papauté» 41 , énumère devant

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Texte attribué à François Hotman, cité d'après Janine GARRISSON, Protestants du Midi, op. cit., p. 277. Marie-Madeleine COMPÈRE et Dominique JULIA (éd.), Les Collèges français 16'-18' siècles. Paris, 1984/1988, tome II, p. 213. 35 P. IMBART de LA TOUR, op. cit., tome IV, p. 489. 36 Jeanine BROOKS, «La comtesse de Retz et l'air de cour des années 1570», Concert des voix etc., op. cit., p. 300. 37 Ce roi qui, d'une main, persécute les protestants, et de l'autre, les encourage par l'appui quelquefois irréfléchi qu'il donne à sa 'fidèle noblesse' de sympathiser avec les idées neuves. 38 La Cour s'était attachée des chantres qui enseignaient notamment les airs de cour et les psaumes. 39 Denise LAUNAY, La musique religieuse en France du Concile de Trente à 1804. Paris, 1993, p. 44. 4 Ce sont les termes d' IMBART de LA TOUR, op. cit., p. 475. 41 Th. de BÈZE, op. cit., tome I, p. 189.

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les Trois Etats réunis à Fontainebleau les remèdes qu'il faudrait apporter à l'état lamentable du royaume; c'est alors qu'il supplie également «Mesdames les Reines, qu'il vous plaise ordonner qu'au lieu de chansons folles, vos filles et toute votre suite ne chantent que les Psalmes de David et les chansons spirituelles 42 qui contiennent louange de Dieu» 43 • Lorsque, dans un ultime effort de réconciliation, Catherine de Médicis 44 prend en 1561 l'intiative de réunir dignitaires catholiques et protestants au Colloque de Poissy, Théodore de Bèze fera tout son possible pour que la fabrication du Psautier soit terminée avant le début de cette importante réunion45 . De Bèze prêcha devant la Reine-Mère et le Roi avant même le commencement de ce Colloque. On y chanta probablement aussi des psaumes comme semble le suggérer le témoignage du curé de Provins Claude Haton qui écrit en effet : «Ils avoient faict venir de Genefve [... ] un grand aultre nombre de petitz livretz, comme les psalmes maroticques et beziens, qu'ils appelloient les psalmes de David, traduictz en langue françoise par Clément Marot et ledit Théodore de Bèze, mis en musique pour une partie seulement[ ... ], tous bien reliez en peau de veau rouge et noire, les aulcuns bien dorez, desquels ils firent présens aux princes et princesses de la court, jusques à la personne du roy». En citant ce texte, Geisendorf46 dit avec justesse que chaque mot mérite d'en être pesé : l'ampleur de la propagande, le soin qu'on met à le présenter, ... ainsi que l'entrée remarquée du Psautier à la Cour de France ; celui-ci y gardera sa place et sera longtemps pratiqué par les membres de la famille royale. A peu près à la même époque, Catherine adresse au pape une «Remonstrance» au nom de Charles IX, un texte probablement rédigé par le même de Monluc : elle fait l'apologie des psaumes chantés par les protestants pour s'attirer des sympathisants, suggère que les catholiques en fassent de même et que «deux fois le jour le chant des Psalmes en prieres vulgaires & publiques s'entendent dans nos eglises» 47 • Tous les textes, sans exception, disent la popularité des psaumes réformés dans les milieux de la Cour ; mais en même temps ces mêmes milieux ressentent le danger que présentent ces psaumes pour leur pouvoir comme pour l'autorité de l'Eglise catholique: il n'y donc qu'une seule solution, celle de les faire adopter par les dirigeants de cette Eglise pour, de la sorte, réintégrer les 'âmes perdues' et garder l'emprise sur le peuple. A cet égard, le cas du roi Henri Ill, qui régna de 1574 à 1589, est très significatif: l'on sait qu'il exigea que dans son oratoire à Vincennes soit chanté à la fin de chaque messe le Psaume XXI 'Seigneur, le Roi s'esiouira'. Ce roi appréciait chanter autant qu'écouter de la musique, et il connaissait son Psautier dont il savait se servir à bon escient : en effet, ce psaume de Bèze sur une mélodie de Bourgeois se distingue par une alternance très subtile entre lignes musicales ascendantes et descendantes qui expriment fort bien les tentations des opposants à l'égard du roi et de sa politique .... 42

Sur les chansons spirituelles, voir Le Chansonnier huguenot etc, op. cit.; Préface, pp. xxxj e.s. Donat LAMOTHE, «La réinterprétation royaliste des textes bibliques, et surtout des psaumes, dans le répertoire religieux de la cour de France (1560-1610)», La Musique et le Rite - sacré et profane. Strasbourg, 1986, p. 414. 44 Elle avait une préférence personnelle pour le Psaume VI, qui est le psaume de la pénitence. 45 Voir à ce sujet Eugénie DROZ, «Antoine Vincent. La propagande protestante par le Psautier», Aspects de la propagande religieuse. Genève, 1957, pp. 279-280. 46 P.-F. GEISENDORF, «Trois chroniqueurs devant la propagande», Aspects etc., op. cit., p.404. 47 Frances A. YATES, Les Académies en France au XVI' siècle. Paris, 1996, p. 277. 43

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Théodore de Bèze - qui était également un grand diplomate ! - écrit en juin 1593 une lettre au roi Henri IV pour le détourner de l'abjuration: «Comme assiduellement, Sire, nous prions l'éternel[ ... ] il veuille vous remplir tant en vostre particulier qu'en toute votre administration royale de la sapience et de la crainte de son sainct nom, en la practique de cest excellent Pseaume cent et uniesme lequel vostre Majesté ne sçaurait trop souvent lire, ouïr et mediter... »48 . Ce psaume 101 se distingue par une mélodie à la fois ludique et solennelle dont Bourgeois avait revu la facture en vue de l'édition des «Üctantetrois» de 1551 ; de la part de Bèze c'était d'ailleurs chose fort à propos de citer un psaume, car Henri IV avait une grande affection pour le Psautier huguenot dont, ci et là, il citait des versets dans ses lettres et ses propos. Sa soeur Catherine de Bourbon était demeurée protestante ; au début de mars 1597, alors qu'elle était très malade, «Sa Majesté [Henri IV] la retourne voir, où il trouvait Vaumesnil qui pour la desennuyer touchait le luth, et jouait dessus le pseaume 78; [... ] lors le roi commença de chanter avec les autres [... ]»49 . Avec sa mélodie dansante, ce psaume de Bèze et Bourgeois commençant par ces mots : «Sois attentif, mon peuple, à ma doctrine, Soit ton aureille entierement encline [... ]»,pouvait-il la soulager? Est-ce l'accompagnement du chant par un luth50 qui a pu adoucir les souffrances de sa soeur? Cette nouvelle pratique d'un psaume accompagné trouve son origine dans les chansons et les airs de cour ; elle ne tardera cependant pas à s'intégrer également dans les Fantaisies instrumentales basées sur les psaumes huguenots que nous analyserons plus loin.

Au cours de ce XVIe siècle, le Psautier répondait pour la Cour de France à un besoin précis: les psaumes de David exprimaient la dimension religieuse de leur pouvoir et permettaient aux souverains de témoigner de leur piété personnelle comme de s'adonner au plaisir du chant.

Faire la fête «C' estoit la coustume des premiers Lutheriens & Calvinistes, à l'issue des festins, de mettre comme pour dernier mets les Bibles et les Pseaumes sur la table, où les jeunes & vieux après l' esguillon du vin, prenoyent leur esbat»51 • Comme nous le montrent les oeuvres de Breughel, Huys, Mandyn et les gravures de Cock, Galle et d'autres, ainsi que les témoignages des archives des corporations de métiers et les chroniques des événements officiels, les gens du XVIe siècle aimaient faire la fête, ce qui était pour eux une manière de

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Dans l'adaptation en français actuel, le psaume dit notamment: «Quand viendras-tu [Seigneur] me rendre roi paisible?» (strophe 2), ou «Celui qui montre une âme déloyale/ Devra sortir de notre cour royale» (strophe 4) et enfin «Je chercherai les personnes fidèles I Dans le pays pour m'appuyer sur elles» (strophe 6) ; Marc-François GONIN, les Pseaumes de David, Nimes, 1998, pp. 274-275. 49 Donat LAMOTHE, op. cit., p. 417. 50 L'étude du luth était recommandée aux jeunes aristocrates entourant les membres de la Cour ; comme le Roi lui-même, nombre de courtisans étaient capables d'en jouer dans des réunions informelles de la Cour. 51 Florimond de RAEMOND, op. cit., fol. 1034.

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Pierre Breughel: La danse de mariage en plein air, 1565

se reconstitue r des forces de travail et d'entreteni r et développer le réseau des relations. Que ce soit en Angleterre ou aux Pays-Bas, dès qu'ils étaient conquis par la nouvelle religion, ils y chantaient aussi les psaumes : «Les festes ils avoyent ceste coustume, aulieu que les autres s'amusent à boire & folastrer, de se trouver ensemble pour se resiouir en Dieu, chanter Pseaumes & faire les prieres [... ]»dira Crespin en 1559 en parlant de la France52 . Pidoux explique cette pratique des «Pseaumes sur la table» en ces termes: «Le repas terminé, on distribuait à la ronde les petits livrets de chant, imprimés à raison d'un pour chacune des voix : Superius, Al tus ou Contra, Contratenor ou Tenor, Bassus. Ainsi s'exécutaie nt chansons profanes, tout comme motets et psaumes» 53 . L'explication est sans doute trop belle pour être vraie : dans certains cas peut-être, mais vraisembla blement très rares et sans doute appliquée aux milieux les plus privilégiés. Par contre, pourquoi ne pas s' imaginer la distribution d'un Psautier à voix unique ? De toute façon, pour bien chanter sa partie, il fallait que le festin n'ait pas été trop arrosé ! Rabelais parle abondamm ent de ces festins et raconte «Comment Pantagruel monta sur mer pour visiter l'Oracle» : en janvier 1552, il écrit qu' «après l'oraison, fut mélodieuse ment chanté le Pseaume de David, lequel commence 'Quand Israel etc' 54 . Le Pseaume 52

Jean CRESPIN, op. cit. , tome II, p.671. Pierre PIDOUX, «La Genève des psaumes etc.» , op. cit., p. 57; il parlait donc des Psaumes à quatre parties. 5 4 La paraphrase est de Marot; datant elle aussi de 1526, sa mélodie originale provient du recueil de Strasbourg Aulcuns pseaulmes et cantiques mys en chant (1539). 53

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parachevé, furent sur le tillac les tables dressées, & viandes promptement apportées. Les Thalassiens (qui pareillement avaient chanté le Pseaume susdit) firent de leurs maisons apporter force vivres & vinaigre. Tous beurent à eulx, & ils beurent à tous. Ce fut la cause pourquoy personne del' assemblée oncques pour la marine ne rendit sa gorge, & n'eut perturbation de l'hestomach ny de teste» 55 • Ces «papefigues» (terme que Rabelais utilisait pour désigner les réformés) fêtaient donc dignement. Les catholiques connaissaient une même pratique de la convivialité : ils dansaient dans l'église ou y faisaient bonne chair, et ce en présence de leur curé ou des chanoines qui, à certaines occasions, devaient répondre aux invitations de leurs paroissiens ou bien de la jeunesse du lieu. Ces repas s'appelaient «de la traille» (dans le Languedoc) ou «de fructu», d'après l'antienne du dernier psaume des vêpres de Noël: «après ce chant, l'office fini, on passait à table. Celui qui offrait le repas avait l'honneur de chanter l'antienne, tout le monde reprenant au psaume» 56 . Au concile de la province de Narbonne, en décembre 1551, il a cependant été décidé d'interdire ces festivités comme aux prélats de répondre aux invitations des paroissiens. Que signifiait la fête pour ceux de «la nouvelle religion» ? Comme le langage liturgique, elle était un acte de foi exprimant la joie d'avoir découvert une foi libérée des contraintes de l'Eglise catholique, de pouvoir la vivre dans l'écoute et la lecture de la Bible en langue vernaculaire, de participer aux assemblées comme de pouvoir chanter sa reconnaissance avec l'aide du Psautier. Calvin en avait clairement témoigné pour lui-même dans sa Préface au Commentaire des Psaumes ; comme lui, ces réformés vivaient dans la joie du partage de «ceste cognoissance et experience [... ]des affections intérieures [reçues] tant de David que des autres» 57 qui permet de découvrir une véritable profondeur religieuse personnelle et communautaire. Quelquefois les événements les incitaient à s'exprimer ainsi ; à d'autres moments, cette exubérance spontanée donnait simplement libre cours à leur foi. Ces fêtes d'espérance étaient des moments d'émotion privée ou collective qui apportaient un peu de chaleur dans leur vie souvent difficile. Mais l'on sait également que Calvin avait une attitude très réticente à l'égard des fêtes. Qu'est-ce qui pouvait donc lui faire problème ? Pourquoi imposa-t-il «une religion difficile, intellectualisée, sans miracles et sans médiations familières» 58 à un peuple qui avait aussi grand besoin de se divertir pour oublier ces difficultés de la vie quotidienne ? Déjà dans La forme des prieres et chantz ecclésiastiques des années 1542-43 (dont nous avons abondamment parlé dans l'introduction), certain passage nous montre ses réticences quant à la musique : «qu'elle ne soit point occasion de nous lascher la bride à dissolution, ou de nous effeminer en delices desordonnées, et qu'elle ne soit point instrument de la paillardise ne d'aucune impudicité». Comme nous pouvons le constater, le réformateur y exprime clairement sa crainte d'un relâchement des moeurs, que celui-ci soit causé par la musique ou, plus généralement, soit l'expression d'une réjouissance non contrôlée ; dans son Sermon sur Job 21, datant de l'année 1563, il le formulera ainsi: «Au reste, il est vrai que la fleu55

François RABELAIS, Les Cinq livres, Paris, 1994, p.1249 (Le Quart livre, chap. I). N'y-a-t-il pas ici une référence an Nouveau Testament où «Jésus rassasie une foule» (Luc 9, 10-17, Mt 14, 13-21, Mc 6, 30-44)? 56 Yves-Marie BERCÉ, Fête et révolte. Des mentalités populaires du XVI' au XVIII' siècle. Paris, 1976, p. 129. 57 OC, vol. XXXI, col.34. 58 L'expression est de Yves-Marie BERCÉ, op. cit., p. 127.

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te et le tabourin, et choses semblables de leur nature ne sont pas simplement à condamner: c'est seulement l'abus des hommes : mais le plus souvent on en pervertit le bon usage. Car il est certain que iamais le tabourin ne sonne pour faire resiouir les hommes qu'il n'y ait de la vanité, ie ne di point superflue, mais comme brutale, car voila les hommes qui sont transportes, tellement qu'ils ne s'esgayent point d'une ioye moderee, mais ils se iettent en l'air, et semble qu'ils doivent sortir d' eux-mesmes»59 . Calvin parle donc des effets éventuellement négatifs, rarement des bienfaits que la musique peut apporter à celui qui la pratique comme à celui qui l' écoute 60 : il est moralisateur, rien de plus. Le 3 février 1547, les «Ordonnances sur la police des Eglises de la campagne [de Genève]» mentionnent sous le chapeau «Chansons et dances: 1. S'il y a aulcun qui chante chansons deshonnestes, dissolues ou oultrageuses, ou dance en virollet ou aultrement, il tiendra prison par troys [iours], puis sera renvoie au Consistoire» 61 . Dans ces églises rurales, un milieu où les moeurs et la mentalité sont fort différentes de celles de la population citadine, l'application des Ordonnances ecclésiastiques de Genève promulguées le 20 novembre 1541 avait en effet soulevé de nombreuses difficultés. Votées par le Conseil des Deux Cents et le Conseil général, c'est-à-dire l'ensemble des bourgeois de Genève, ces Ordonnances définissaient le Consistoire comme une instance spirituelle dont la seule arme était la citation à comparaître pour se faire admonester et, si le coupable persistait en son obstination, la privation de la cène pour un temps plus ou moins long; le Conseil de Genève avait, quant à lui, le pouvoir de la «police» civile et n'aura de cesse d'édicter des mesures de rigueur contre les blaphémateurs, les paillards et les ivrognes. Ainsi, à la séance du Conseil du lundi 19 septembre 1552, Calvin «propose aulcungs contre les editz viennent icy avec leurs instrumentz a iouer des chansons lubriques et y meslent des pseaulmes don il a prie y bavoir advys: arreste qu Ion commande au lieutenant il mecte en exequution les cries»62 • Bien qu'ils aient perdus les élections du Conseil de Genève en 1555, les libertins «ayant soupé le neuvième de janvier, une dizaine prirent chacun une chandelle en sa main, puis allant par les rues, chantaient à pleins gosiers des psaumes[ ... ]: les convertissant en chansons de gaillardise» 63 . En s'opposant à eux, Calvin avait donc plaidé une juste cause, car à ses yeux les attitudes, croyances et gestes de la culture (catholique et) populaire, paraissaient «comme des manifestations répréhensibles et scandaleuses»64 . Mais sa bataille n'était pas gagnée pour autant ! L'année suivante, le Conseil de Genève doit en effet affirmer que

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CO, vol. XXXIV, col. 226; Calvin utilise presque les mêmes termes dans le Sermon suivant, col. 227-228: «Cependant aussi pource qu'il est ici parlé de la fiente, de la harpe, du tabourin, et d'autres instrumens de musique, notons que les choses qui sont bonnes de leur nature, ne doivent point estre tirees par nous en mauvais usage, comme la musique en soi ne peut point estre condamnee : mms pource que le monde en abuse quasi tousiours, nous devons estre tant plus sur nos gardes». Nous retrouverons la suite de ce texte sous le paragraphe consacré à «Dances et chansons impudiques». 6 Citons deux rares moments où Calvin s'exprime de manière positive: «La musique peut enflammer l'âme, mais quand elle atteint son but elle est capable de la délecter dans la plus parfaite sérénité», CO, vol. XXXII, col. 357 (dans un Sermon sur le Psaume CXXX) et «La musique[ ... ] peut, en effet, réveillerles énergies endormies, pénétrer au plus profond de l'âme et la soulever intérieurement»; CO, vol. XLIX, col. 520. 61 CO, vol. Xa, col. 56; ces Ordonnances ont été approuvées «le 16 de may 1547 [... ]par commandement de messieurs les sindicques et conseil de geneve». 62 Registres du Conseil, fol. 273. 63 Cité d'après Jean-Daniel BENOIT, «Calvin à Strasbourg», Calvin à Strasbourg 1538-1541 - Quatre études publiées à l'occasion du 400ème anniversaire de l'arrivée de Calvin. Strasbourg, 1938, p. 135. 64 Yves-Marie BERCÉ, op. cit., p. 126.

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«Musiziens et chantres compagnions, quelz ont supplié leur estre permis de povoir en ceste cité joyer de viollons et aultres instrumens pour chanter psaumes en l'honneur de Dieu; arresté que l'on ne leurs baillie pas licence, causans que l'on né pas asseuré que ne ait aultre chose tendant vanité» (19 mars 1556). Dans tous les cas que nous venons de relever, il était impératif de préserver les psaumes. Mais en réalité, c'est toute la mentalité d'une époque troublée qui y est mise en cause: pour l'Eglise de Genève comme pour celles quis' établissent en France, le problème posé par les jeux est celui du transfert du sérieux au frivole. Toutes les manifestations des cultures traditionelles de cette époque ont dès lors subi les pressions de cette nouvelle culture réformée afin qu'elles s'insèrent dans «une nouvelle répartition du travail et des loisirs, du sérieux et du frivole, de la sociabilité et du jeu, finalement du public et du privé»65 . Les quelques témoignages que nous connaissons en France viennent rarement de la campagne mais presque toujours des villes : indispensable foyer de diffusion de l'innovation, celles-ci étaient les premières gagnées par la «nouvelle religion» où presque toutes les classes étaient touchées; c'est le cas à Bourges où, depuis le commencement d'avril 1559 «et tout le temps d'este ensuyvant, on chantoit à grandes troupes tous les soirs, tant festes que iours ouvriers, les psalmes de David [... ], et se assembloient audit lieu tous les soirs du monde innumerable, tant hommes que femmes, chantant en grande mellodie les dictz psalmes. Plusieurs deffences furent faictes par criz public de non plus chanter lesdicts psalmes, sur peine de la hart, et fut élevé une potence au milieu dudictz pretz, pour plus grandement deterrer ceux qui chanteroient lesdictz psalmes; toutesfoys, nonobstant toutes les choses susdictes, on ne cessa point de chanter audict lieu tout durant l' esté»» 66 . A cette époque se propageait en effet la mode des promenades musicales dont l'aspect était quelque peu révolutionnaire : cette nouvelle coutume ne tardera pas à inquiéter le gouvernement qui dispersera ces rassemblements et défendra le chant des psaumes. L' Histoire ecclésiastique67 nous raconte la joie des «huguenots, lutheriens & gregons», lorsqu'à Béziers fut publié l'Edit de Toulouse du 18 février 1561 68 et «n'oyoit-on chanter que pseaumes en public & en particulier, mesme en la grande place de la ville, sur le soir, là où le peuple se promenoit par esbat». Remarquons à ce propos que les épithètes utilisés pour désigner les réformés sont très variés : à ceux rélevés plus haut, nous pouvons ajouter les termes de «desguisans», «cristandins» et «luthéristes» ; celui de «vaudois» qualifiera souvent les condamnés, alors que le terme «luthériens» est indifféremment employé aux Pays-Bas jusqu'à la fin du règne de Charles Quint69 • Cette fête de Béziers risque cependant de mal tourner, car «Le cardinal qui les avoit ouïs un iour, environ le mois de juillet, comme il se faisoit trainer en coche par la ville avec plusieurs dames qui n'y avoient pas grand honneur (sic!), irrité de ceste saincte musicque, envoya ses gens armés[ ... ] sans aulcun respect[ ... ]. Tant s'en fallut que ceux de la religion perdissent courage, qu'au contrai-

65

Philippe ARIÈS, «Du sérieux au frivole», Les jeux à la Renaissance, op. cit., p. 12. Ms. de Jean Glumeau, d'après BSHPF, 1857, p. 390. 67 Théodore de BÈZE, op. cit., tome II, p. 343. 68 Cet Edit accorde aux réformés la réhabilitation de leurs droits. 69 Pour l'explication du seul terme de «huguenot», voir Alexandre GANOCZY, Le jeune Calvin - Genèse et évolution de sa vocation réformatrice. Wiesbaden, 1966, p. 18, ainsi que Th. de BÈZE, op. cit., tome I, p. 150, comme d'ailleurs BSHPF, 1861, pp. 13, 122 et 266.

66

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re, après envoyé au roy faire leurs plaintes contre une telle audace du cardinal, ils obtindrent un ministre[ ... ]». Ainsi, en fin de compte ces 'fêtards' ont même obtenu un pasteur! Ces rassemblements spontanés ne sont donc pas toujours du goût de tout le monde : ainsi à Metz, le soir du 4 avril 1561, s'étaient rassemblés à la place St-Jacques «environ douze personnes qui chantoient [... ] pseaumes et cantiques. Six serviteurs [du Gouverneur, qui s'y trouvaient] s'en vinrent furieusement aux dits qui chantoient disant qu'ils aient à se taire. Ce qui ne se fit point [... ]»70 . Pour ces réformés messins, il était bien difficile aussi de garder toujours la dignité requise envers les catholiques: déjà en mars 1561, Catherine de Médicis avait fait adresser par le roi au duc d'Estampes des 'Instructions', disant notamment que «Je serai très aise [... ] qu'ils vivent de façon qu'ils ne fassent scandale à leurs prochains, et qu'ils s'assemblent que ce soit en nombre et si paisiblement que l'on n'en ait point de bruit ni occasion de les en empêcher». Hélas !, les huguenots de Metz faisaient alors tellement de bruit que Calvin, craignant le pire, devait personnellement les exhorter à la discrétion et à l' effacement7 1 . Une question nous vient sur les lèvres : comment avait-on chanté ces psaumes ? Elle se pose également à l'occasion d'un événement connu de tous : la grande promenade du Pré-aux-Clercs à Paris, au mois de mai 1558. Le pasteur Macard, qui se trouvait sur place, écrit le 16 mai à Calvin: «Depuis trois jours une grande multitude de personnes de tout genre s'est réunie au Pré-aux-Clercs, après souper, et a chanté d'une bouche et à haute voix, et en se promenant, les pseaumes jusqu'au milieu de la ville, comme si les prières des luthériens répondaient aux rogations que célébraient en ce moment les papistes». 72 L' Histoire des martyrs ajoute : «ce qu'estant entendu, grand nombre de ceux qui se pourmenoient & s'exerçoient à divers ieux, se joignirent à cette musique, les uns pour la nouveauté, les autres pour chanter avec ceux qui avaient commencé[ .... ]. Car on chantait là en toute simplicité: mesmes les pseaumes qui estaient pour la prospérité du roy & de son royaume estaient touiours chantés les premiers [... ]»73 . Ces termes sont repris dans l' Histoire ecclésiastique, comme d'ailleurs les informations de Léonard ; mais celle-ci conclut74 : «Ceux qui avoient la conduite de l'eglise [... ] advertissent leurs gens[ ... ] s'ils vouloyent chanter, qu'ils le feissent en leurs maisons». Ce 'récit à voix multiples' nous dit que les participants chantaient des psaumes 'royaux', restaient dignes (comme plus tard, en 1561, le voudra Catherine de Médicis à Metz) et ne pouvaient de la sorte aucunement heurter l'autorité du pays; c'est bien pour ces raisons sans doute que cette fête a pu se dérouler sans incident.... Mais, on a bien de la peine à s'imaginer un chant spontané des psaumes par ceux qui ne les connaissaient pas («la nouveau-

70

BSHPF, 1947, p. 193. Henri TRIBOUT de MOREMBERT, La Réforme à Metz, tome II: Le Calvinisme (1553-1685). Nancy, 1971, pp. 49-50. 72 Emile G. LEONARD, Histoire générale du Protestantisme, tome II : L' Etablissement, 1569-1700. Paris, 1961, p. 98. 73 Jean CRESPIN, op. cit., tome Il, Livre VII. Selon la TOB, ces psaumes royaux sont au nombre de onze: les nos. 2, 18, 20, 21, 45, 72, 89, 101, 110, 132 et 144. 74 Théodore de BÈZE, op. cit., tome 1, p. 80. 71

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té») : les textes étaient-ils peut-être chantés sur des mélodies appartenant à la tradition 'populaire' du temps? C'est une question que nous aurons encore l'occasion d'étudier.

Texte et musique populaires La préface de Calvin au Psautier de 1542 a été le guide de ce chapitre; ce texte a été développé le 10 juin 1543 par des considérations sur le chant

~

1) Lyon 2) Paris

3) Sauve 4) Montmorency 5) Bordeaux 6) Dijon 7) Saintes

8) Montauban 9) Montpellier 10) Châtillon 11) Valence 12) Fontainebleau 13) Poissy 14) Provins

15) Narbonne 16) Bourges 17) Béziers 18) Metz 19) Tournai 20) Genève

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III. La voix du peuple : le Psautier sur la place publique

Du domaine privé au domaine public, il n'y a qu'un pas. Nous voyons effectivement apparaître des modifications subtiles dans la réaction des autorités à l'égard d'un mouvement de pensée qui - il faut le reconnaître - prend des proportions insoupçonnées. Ainsi, les promenades musicales vont entraîner des plaintes, comme c'est le cas à Dijon en août 1559 au sujet «des grandes insolences qui se firent au retour d'une procession de Saint-Pierre, aux boutiques de François Lasnier et Jehan Chapeau!, auxquelles on chantoit à haulte voix les Psalmes de Clement Marot, de même que chez Berberet, et quasi plus que les gens d'église» 1. Lentement, mais sûrement, s'opère un changement dans la mentalité des réformés, convaincus du bien-fondé de leurs convictions et de leur droit à les exprimer; ils sont en revanche de plus en plus confrontés à des interdits publics comme à Toulouse en mars 1560 où le Conseil de la Ville décide d'un arrêt «portant deffense à toutes personnes de s'assembler ny porter armes de jour ny de nuit, de chanter les psaeumes en langue vulgaire par les rues, ny dans les maisons particulières à peine de vie [... ]»2 •

L'interdit du chant «à haulte voix» Avec ou sans Psautier - cette question reste ouverte - on chantait «à haulte et intelligible voix», ou «mélodieusement», comme les Bourgeois & Citadins dans Pantagruel de Rabelais. Ecoutons l'histoire émouvante qui s'est passée à Aix-en-Provence, une histoire de chant de psaumes qui, en octobre 1562, s'est terminée par un interdit: «Il y avoit un grand Pin hors la porte S.Jean, principale de la ville d'Aix [... ].Cet arbre était haut et droit [... ]. Sous icelui s'assembloyent ceux de la Religion, sur tout les Dimanches, & chantoyent les Pseaumes dont plusieurs estoyent esmeus, mais fort diversement[ ... ]. [Or] le peuple d'Aix commença à tumultuer [... ],les guerres, persécutions & saccagemens horribles y continuèrent jusques à la paix: après laquelle le Pin d'Aix par arrest du Parlement le vingtdeuxiesme d'Octobre, fut coupé par le pied, desraciné, & comme maudit, pour ne laisser débout marque aucune de foi, ni la mémoire tragique d'une tant horrible & funeste relique à la postérité» 3 . Le 6 mai 1561, le Gantois Pierre van Coelen (ou van Ceulen, plus connu sous la forme francisée de son nom Pierre de Cologne) prêchait chez Jean Braconnier, un bourgeois de Metz, lorsque le commandant Senneterre surprit l'assemblée qu'il fit disperser avec violence par ses hommes ; le ministre et son hôte furent emprisonnés. Le commandant défendit ensui-

1 2 3

Jacques FROMENTAL, op. cit., p.18. Théodore de BÈZE, op. cit., tome I, p. 135. Jean CRESPIN, op. cit., fol. 681.

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te tout conciliabule, déclarant qu'en cas de désobéissance «il en chastieroit aulcuns si griefvement que les autres y prendraient exemple»; le chant des psaumes fut dès lors sévèrement interdit4 . Le 21 février1562, le Sénat de la Savoie (fortement catholique) rend un Grand Arrêt qui défend aux libraires d'avoir en magasin les Psaumes de Marot ou de Bèze et ajoute: «Et semblablement defend [... ] a tous de ce ressort de chanter par les places et lieux communs des villes et autrement, à haute et intelligible voix, chansons lascives et autres impudiques et deshonnestes. Ny semblablement les Pseaumes de David, traduits par Marot ou autres censurez, par lesquels chants l'on a cogneu estre advenu beaucoup de scandale et sedition en nostre saincte mere Eglise et union des Chrestiens et Catholiques [... ]» 5 . Cet arrêt se réfère surtout au commerce des idées : là où il y a des livres, il y a risque d'une propagande qui permettrait de «lire ou escouter lire» (ou peut-être «chanter ou escouter chanter») les écrits de «la nouvelle religion» : comment comprendre sinon cette bien curieuse ordonnance édictée à Laon en 1565 qui commande de boucher tous les soupiraux des maisons donnant sur la rue, car «des hommes envoyés secretement de la ville de Geneve chargés de plusieurs petits livres[ ... ] qui étaient pseaumes de David en françois et en rime [... ] choses faites et composées par des ministres de Geneve. Ces livres étaient nuitammentjetés dans les caves et celliers par les soupireaux, en sorte qu'il se trouva quelque peu de temps après bon nombre d'habitants curieux de nouveauté abandonner la religion catholique pour prendre la nouvelle qui s'appelait alors luthérienne [... ]»6 . En cette même année, les conseillers municipaux de la ville avaient pourtant proposé une nouvelle fondation du collège qui avait connu une brève existence de 1555 à 1561 7 . Le 12 mars 1566, deux hommes étaient interdits de séjour dans la ville d'Anvers parce que «dans la rue, ils avaient chanté des chansons spirituelles qui édifiaient bien plus le peuple que ce qu'on entendait à la messe ; mais elles étaient cependant jugées maléfiques» (se op de hoeken der straten gesongen hadden goede scriftuerlycke liedekens, daer 't volck meer by gesticht werdt, dan by een misse te hooren; maar sy hielden voer seer quaet, omdat er niet afin haere coffer en quam) ; les ordonnances de la ville parlaient d'ailleurs uniquement de «quaede boeken en liedekens, suspect van heresie» (mauvais livres et chansons, suspects d'hérésie )8 • Chanter les psaumes en langue vulgaire était devenu synonyme d'hérésie militante.

4

Maurice THIRION, Etude sur l'histoire du protestantisme à Metz et dans le pays messin. Nancy, 1884,

p. 130. 5 Henri MEYLAN, «Problèmes de discipline ecclésiastique au XVIe siècle», D'Erasme à Théodore de Bèze Problèmes de l'Eglise et de l 'Ecole chez les Réformés, Travaux d' Humanisme et Renaissance - CXLIX. Genève, 1976, p. 137. 6 Cité d'après Francis M. HIGMAN, «Le domaine français, 1520-1562», op. cit., p. 122. 7 Marie-Madeleine COMPÈRE et Dominique JULIA, op. cit., p. 393. 8 Guido MARNEF, op. cit., p. 74. Voir également le paragraphe suivant.

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La diffusion du Psautier Tous ces arrêts ont été promulgués précisément parce que le marché était inondé de Psautiers et de Bibles : distribués ou vendus, ces livres «heretiques et reprouvez» devenaient de plus en plus populaires. Cela s'explique d'abord par le grand nombre d'imprimeurs qui investissent dans les écrits des réformateurs et dans le Psautier (qui devient l'une des plus puissantes armes de propagande de la «nouvelle religion») en réalisant des tirages impressionnants. Les années 1550 à 1562 se caractérisent d'abord par l'expansion énorme de l'industrie du livre à Genève, une ville dont la population, du fait de l'afflux des réfugiés huguenots venus de France mais aussi d'Italie et même d'Angleterre, passait de 13 000 âmes en 1550 à 22 000 ou davantage dans les années 1560. Mais le développement de l'imprimerie se faisait également «par le rapport de plus en plus étroit entre Genève et cer-

Un atelier d'imprimerie au XVIe siècle

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tains imprimeurs et éditeurs lyonnais (ce qui a pour résultat une production accrue de livres réformés à Lyon) [et] par les débuts d'une diversification des centres secondaires de production plus ou moins clandestins en France» 9 • Par exemple à Rouen, qui était la quatrième ville de France après Paris, Lyon et Orléans, une dizaine de Psautiers furent ainsi imprimés par Florent Valentin en 1561 et 1562 et par Abel Clemence de 1561 à 1567. Il existait également une production à Orléans où l'imprimerie apportait sa contribution au rayonnement de l'université de la ville, ainsi qu'à Caen. Cette dernière ville semble avoir été un havre de controverse religieuse pacifique: alors que, vers 1560, la plupart des professeurs de la Faculté des Arts étaient réformés, les jeunes protestants ont continué à fréquenter cette université après les conflits religieux qui y éclatèrent en 1562 et après le retour des catholiques à la direction des établissements d' enseignement 10 • Les sources sont cependant silencieuses quant aux chemins qu'ont pris les Psautiers imprimés dans ces villes comme d'ailleurs sur la pratique qu'on en faisait. A ces trois centres s'ajoute encore l' «accroissement considérable de la production, surtout à Paris, de réponses catholiques à la marée de propagande d'origine genevoise» 11 . L'impression du Psautier intégral de 1562 «a été l'une des plus fascinantes réalisations de l'imprimerie de tous les temps. Le choix des cadres, le monopole de la production, le contrat d'édition, la répartition du travail, le chiffre de tirage, la distribution des bénéfices, tout est extraordinaire dans cette affaire» 12 • Son premier éditeur Antoine Vincent 13 pressentait le succès que pouvait rencontrer cette intégrale: «il décida d'en confier l'impression à plusieurs ateliers typographiques travaillant simultanément tant à Genève qu'en France [... ].A ceux de Paris il faut ajouter plusieurs grandes imprimeries lyonnaises [... ], quelques imprimeries de province[ ... ] et jusqu'à l'illustre Christophe Plantin d'Anvers, avec lequel Antoine Vincent entretenait de bonnes relations. Au total, l'impression de l' inté-

Francis M. HIGMAN, «Le domaine français, 1520-1562», op. cit., p. 113. Marie-Madeleine COMPÈRE et Dominique JULIA, op. cit., tome Il, p. 148. 11 Francis M. HIGMAN, «Le domaine français, 1520-1562», op. cit., p. 113. L'imprimerie et!' édition ont gardé jusqu'à ce jour un rôle prépondérant dans les régions et milieux protestants français : il suffit de mentionner la Haute vallée du Lignon ainsi que le Haut-Vivarais. 12 Jean-Daniel CANDAUX, op. cit., chap. 2. Pour d'autres informations sur la typographie, les frontispices, les reliures et les papiers de garde, voir ses chap. 19 à 23. 13 Après l'attestation délivrée par les théologiens de l'Université de Paris disant: «Nous soubz signez, docteurs en theologie, certifions que en certaine translation de pseaulmes à nous presentée (commençant au XLVIIIe Psalme où il y a : C'est en sa tressaincte cité, poursuyvant jusques à la fin et dont le dernier vers est : Chante à jamais son empire) n'avoir rien trouvé contraire à nostre foy catholique, ains conforme à icelle et à la verité hebraïque. En tesmoin de quoy avons signé la presente certification, le seizième jour d'octobre mil cinq cens soixante ung» (les deux versets cités étant: le premier du Ps. 48 et le dernier du Ps. 150; l'attestation se rapporte donc aux derniers psaumes traduits par Th. de Bèze), Antoine Vincent obtiendra également le privilège d'imprimer le Psautier : «Par grace spéciale, pleine puissance et auctorité Royale, a esté donné et octroyé à Antoine fils d'Antoine Vincent, marchant Libraire à Lyon, Privilège, congé, licence et permission pour le temps et terme de dix ans porchains venans ensuivants, et consenti d'imprimer ou faire imprimer quand et où bon lui semblera tous les Pseaumes du Prophète David, traduits selon la verité Hebraique et mis en Rime Françoise et bonne Musique, comme a esté bien veu et cogneu par gens doctes en la Sainte Escriture et esdits Langues, et aussi en !'art de Musique [ ... ] Comme plus à plein est contenu et declaré par lesdictes lettres de privilege sur ce données et expediées à saint Germain en Laye le dixnuefième jour d'Octobre, l'an de grace mil cinq cens soixante et un, et du regne du dit Seigneur le premier. Signées par le reply, Par le Roy, Robertet, et scellées de grand seel dudit Seigneur, en cire jaulne [ ... ] expediées audit [c.à.d. Vincent[ ... ] saint Germain en Laye, le vingtsixième jour du mois de Decembre, l'an de grace mil cinq cens soixante et un, et du regne du dit Seigneur le deuxième[ ... ]», cité d'après Pierre PIDOUX, Le Psautier huguenot, tome II, pp. 122-123. 10

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grale fut donc parrainée entre quelque 45 ateliers. [... ] A la date du 27 janvier 1562, [le secrétaire du Conseil de Genève note que] 27 400 exemplaires du Psautier complet avaient été déjà imprimés à Genève. On peut donc admettre sans peine que le nombre total des psautiers genevois imprimés cette année-là se situa entre 30 000 et 50 000 exemplaires» 14 • En France, des rapports étroits s'établiront par ailleurs entre les Eglises et les «imprimeurs de la Religion»: en effet, le XIe Synode national dew Rochelle décide le 28 juin 1581 de les avertir de ne «séparer point les Prières ni les Cathéchismes d'avec les Pseaumes», afin d'encourager les fidèles d'avoir leurs Psautiers «dans les saintes Assemblées»; ne comportant que les paroles, ceux-ci étaient même obligatoires pour les écoliers ainsi que pour les étudiants de l'Académie de la ville qui devaient en apporter un exemplaire au temple. Ces imprimés circulaient partout, grâce aux colporteurs anonymes ou à l'importante activité des commerçants comme celle de Laurent de Normandie 15 ; la propagande des idées de la réforme se faisait à la même échelle. La nouveauté, au XVIe siècle, est la multiplicité des imprimés dans un monde où l'essentiel des rapports est du domaine oral ; l'information circule à cette époque encore toujours par «la rumeur, le chant de rue, [... ] les annonces des crieurs, [... ]les sonneries des cloches et les processions» 16 ; il y a encore toujours une très forte présence de l'oral. Jean Crespin donne quelques exemples de cette diffusion de l'imprimé: en 1552 «Iean Ivery, natif d'un village à deux ou trois lieuës d'Albi[ ... ] estoit chargez [au retour de Genève] de bons livres» 17 ; «le Prevost de la ville de Lisle & tous les sergens [... ] estans en la maison [d'un des Quatre martyrs de cette ville], & cherchans haut & bas, apporterentles livres qu'ils trouveront pour les transporter[ ... ] Cela fait, soudain on le poussa rudement à l'estache, & là commença à chanter le pseaume XVI: 'Sois moi, Seigneur, ma garde & mon apui, etc'» 18 ; «Marguerite le Riche, native de Paris, femme d'Antoine Ricaut, marchand libraire [... ] a tousiours porté son affliction avec une ioye indicible, chantant assiduellement Pseaumes & louant Dieu [... ]» 19. Bernard Palissy note dans ses mémoires qu' «Il y eut quelque temps apres, l'an 1557, qu'un nommé maistre Philibert Hamelin, [... ) se transporta derechef en ceste Ville de Xaintes [... ];il s'en alloit ainsi par le pays de France, ayant quelques serviteurs qui vendoyent des Bibles, et autres livres imprimez en son Imprimerie : car ils' estoit fait imprimeur» 20 . A la Fête-Dieu de 1561 à won, «tout se passa avec calme ce jour-là; mais le lendemain, qui était un jour de foire, les marchands forains esposèrent en vente des livres et des estampes injurieux au pape et à la religion catholique [... ]» 21 •

14

Ibidem. Voir aussi l'étude circonstanciée de Gérard MORISSE, op. cit., pp. 106-126. Sur ses activités voir: H.-L. SCHLAEPFER, «Laurent de Normandie», Aspects de la propagande etc., op. cit., pp.178-180. 16 N.Z.DAVIS, Society and Culture in Early Modern France. Stanford, 1975, p.219; les chants de rue seront étudiés dans ce même Chapitre au paragraphe consacré aux «Compagnions de mestier». 17 Jean CRESPIN, op. cit., tome I, p. 560. 18 Jean CRESPIN, op. cit., tome II, p. 409; c'était en mars 1556. Le texte de Bèze est publié avec la musique de Bourgeois dans le Psautier de 1551 ; il s'agit d'une des rares mélodies où apparait une ligne syncopée. 19 Jean CRESPIN, op. cit., tome Il, p. 168; le témoignage date de septembre 1559. 20 BSHPF, 1853, p. 91. 21 Cité d'après O. DOUEN, «La Réforme en Picardie», BSHPF, 1859, p. 398. 15

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Pierre Breughel: La prédication de Jean, 1566

L'esprit de tolérance qui régnait à Metz à partir de 1563 a conduit à une sorte de cohabitation religieuse dont a profité la circulation des livres conune sa production locale ; parmi les rares témoins de cette imprimerie locale figure (chez Jean d'Arras & Odinet Basset, 1564) La forme des prieres ecclesiastiques, avec la maniere d'administrer les sacremens et celebrer le mariage, et la visitation des malades. Un beau témoignage sur la diffusion du Psautier nous est parvenu d'Anvers : le 30 juin 1566, à l'occasion d'une assemblée en plein air réunissant plus de 1500 personnes, les néerlandophones y étaient venus «met haar Psalm Boecxkens» (avec leurs petits livres de Psaumes )22 . Cela peut aisément s'expliquer : après que Tielman Susato eut exercé dans cette ville de 1543 à 1561, c'est Christophe Plantin qui y devint le principal imprimeur23 • Originaire de Saint-Avertin, près de Tours, celui-ci s'était établi dans la métropole dès 1555 et avait déjà réimprimé le Psautier de Genève (Les Pseaumes de David, mis en Rime Françoise) en 156424 , avec des caractères de musique fournis par des collègues imprimeurs. Aux Pays-Bas, les imprimeurs faisaient de l'éducation populaire : dans certaines

22

W. HEIJTING, «Het gereformeerd psalmboek en het boekenbedrijfo, Psalmzingen etc., op. cit., p. 163. En 1581 Pierre Phalèse (le jeune) déménagera l'entreprise familiale dans la métropole flamande. 24 Le privilège qui lui accorde cette permission fait état d' un psautier «inde fransoye tale oock metten note/en ende ten voorscreven tyde [ 1550] gheapprobeert ais voere ende ghedruct in onser stadt van Antwerpen by Merten Nuyts». En 1550 l'imprimeur Meerten Nuyts avait déjà imprimé un psautier; mais Plantin a pu imprimer cette fois le texte avec la musique («mette notelen»), ce qui fait supposer qu'il s'agissait dans un premier temps des Cinquante Pseaumes. Le Psautier de 1562 sera dès lors sa deuxième édition : Howard SLENK, «De muziek van het Protestantisme», Antwerpen in de XVI' eeuw, Walter COUVREUR (éd). Antwerpen, 1976, pp. 514-515 . 23

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régions, leurs activités 25 ont sans aucun doute été plus bénéfiques à l'apprentissage des psaumes que celles de l'école, du collège ou d'un chantre. Une assemblée en plein air se tenant la même année 1566 à Gand (Ghent), des marchands forains y proposaient des Psautiers et d'autres livres hérétiques de Calvin («Psalm-Boekskens en andere volgens de Ketterye van Calvyn») 26 .

Les femmes font le choix entre Rome et Genève Nous avons vu incidemment que plusieurs témoignages nous parlent du rôle tenu par les femmes dans la vie religieuse de cette époque : souvenons-nous des actes du synode provincial de Miremont du 10 septembre 1597 qui conseillent aux responsables ecclésiastiques locaux de ccfaratio" baufcuns ficu(D f'oit nccrfTam6 a îing c~a(,. eut) c~icfiief1! pour mettre (a conf[ancc Cf) bicu/et ~f6rt (011 pzo• c~a111 •

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Guillaume Farel: Summaire et brieve declaration, 1525

vient du Xaintonge, en février 1561 ; il s'agit bien là d'une 'église simultanée' avant la lettre ... 65 • Ne perçoit-on pas un certain inconfort ressenti par les dignitaires catholiques à l'écoute d'un répertoire dont ils connaissaient fort bien les origines et qui devait leur rappeler les offices dans les monastères ? A l'occasion du colloque de Poissy (1561), le cardinal de Châtillon n'hésitera pas à dire devant le nonce apostolique «qu'il lui semblait que le Peuple aurait une grande satisfaction de pouvoir chanter, en langue Françoise, quelque chose de bon et de saint». Le cardinal lui fit comprendre «que si le Peuple voioit la Réformation du Clergé, & qu'il vécût d'une manière bien reglée, trouvant aussi d'ailleurs quelque plaisir d'entendre chanter en François les louanges de Dieu, il changerait peu à peu de conduite»66 • 65 Un cas très intéressant d'église simultanée nous est donné au XIXe siècle. Après avoir, en 1816, fait baptiser leurs quatre enfants, les parents du compositeur Felix Mendelssohn Bartholdy se sont convertis à la religion protestante en 1822 : à cette occasion ils sont devenus membres de la paroisse berlinoise de la Trinité (Dreifaltigkeitsgemeinde) qui, à cette époque, était également une église simultanée partagée par l'Eglise luthérienne et l'Eglise réformée, cette dernière étant sous la responsabilité pastorale du théologien Friedrich Schleiermacher. C'est à cette occasion qu'a été ajouté le nom de famille chrétien Bartholdy au nom d'origine juive Mendelssohn. Pour plus de détails, voir Hans-Jürgen SIEVERS, «Die Familie Mendelssohn Bartholdy in den Kirchenbüchern der Evangelisch-reformierten Kirche zu Leipzig», ln der Mitte der Stadt, (hrsg.von HansJürgen SIEVERS). Leipzig, 2000, pp. 100-103. Sur la même paroisse des réfugiés protestants français, voir également l'article de Fr. WADDINGTON, BSHPF, 1859, pp. 316-318.

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RAPPORTS AVEC LES CATHOLIQUES - FIDÉLITÉ AUX PRINCIPES RÉFORMÉS

Concile de Trente A vrai dire, l'Eglise catholiques' était fort bien rendue compte des excès dans la musique de sa liturgie : celle-ci déformait les mots jusqu'à les rendre incompréhensibles (même pour ceux qui comprenaient le latin). Au Concile de Trente, que Paul Ill, «le seul pontife véritablement à la hauteur de la situation qu'ait eu l'Eglise au XVIe siècle>>67, réunit en 1545, la délégation française avait eu l'intention de proposer un article reprenant cette même opinion émise par le cardinal de Chatillon : «Que dans les messes de Paroisse [... ] il fût permis au peuple de chanter des chansons spirituelles & les Pseaumes de David en sa langue, après que l'Evêque les avoit examinées»68 ; au dernier moment, la recommandation fut cependant retirée. Les délibérations tridentines concernant la musique sont en fait peu nombreuses : tout en maintenant l'usage de la seule langue latine, le Concile précise aussi sa position sur l'usage des instruments de musique dans le culte, les décrets disant que le jeu de l'orgue doit être exempt de tout élément