Le meilleur de l’actualité 2014-2015 : Concours et examens 2015 (Concours Ecoles de Management) [Kindle Edition]

Un outil indispensable pour preparer les ecrits comme les oraux de tous les concours (grandes ecoles, administratifs, et

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Le meilleur de l’actualité 2014-2015 : Concours et examens 2015 (Concours Ecoles de Management) [Kindle Edition]

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meilleur de l’ actualité 2014 2015 le

Olivier Sarfati A. Cronel, J.-L. Dagut, X. Enselme, R. Hodin, P.-H. Janssens, É. Juramy, A. Labossière, F. Lafargue, C. Mazé, É. Monteiller, N. Tschann

Couverture et maquette intérieure : Arnaud Gautron.

© Dunod, 2015 5 rue Laromiguière, 75005 Paris www.dunod.com ISBN 978-2-10-072-9

Remerciements Je tiens en premier lieu à remercier tous les auteurs de cette nouvelle édition qui ont accepté de coécrire l’ouvrage à mes côtés. Leurs agendas respectifs étaient pourtant très encombrés. Ariane, Arnaud, Charles, Élisabeth, Éric, François, Jean-Luc, Nicolas, PierreHenri, Raphaël, Xavier, merci à vous tous d’avoir passé le temps qu’il faut pour répondre aux exigences que je vous avais formulées. J’adresse un remerciement tout particulier à Ariane, Éric et Raphaël qui étaient déjà auteurs dans la précédente édition et qui ont accepté de poursuivre l’aventure à mes côtés. Merci à tous les trois pour votre confiance renouvelée. Je n’oublie pas les travailleurs de l’ombre, Matthieu Daniel (éditeur chez Dunod) et son équipe ainsi qu’Arnaud Gautron (graphiste de génie) qui n’ont pas compté leurs heures pour compléter le contenu ou le rendre plus agréable à lire. Enfin, mes remerciements les plus affectueux vont à ma femme, Caroline Jacquin, qui me soutient sans relâche depuis le début tout en me poussant vers encore plus de précision dans la conduite de mes projets. Merci du fond du cœur. Olivier Sarfati

V

Les auteurs Olivier Sarfati Diplômé d’HEC, Olivier Sarfati accompagne des candidats aux concours HEC depuis plus de 15 ans. Il anime le blog www.myprepa.fr, référence en prépa. Il est par ailleurs l’auteur de nombreuses études sectorielles pour le compte du groupe Les Échos. Ariane Cronel Énarque et diplômée d’HEC, Ariane Cronel est actuellement directrice de projet au sein du Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (Services du Premier ministre). Jean-Luc Dagut Jean-Luc Dagut est professeur d’économie à l’Université et en classes préparatoires. Xavier Enselme Agrégé de sciences sociales, Xavier Enselme est professeur en classes préparatoires aux lycées Henri-IV et Louis-le-Grand, Paris. Raphaël Hodin Diplômé d’HEC, Raphaël Hodin est directeur général d’une filiale du groupe HighCo. Pierre-Henri Janssens Pierre-Henri Janssens est étudiant à HEC. Éric Juramy Diplômé d’HEC, Éric Juramy est consultant en stratégie. Arnaud Labossière Arnaud Labossière est étudiant à HEC. François Lafargue Docteur en géopolitique et docteur en science politique, François Lafargue est professeur à l’ESG Management school. Charles Mazé Charles Mazé est étudiant à HEC. Élisabeth Monteiller Élisabeth Monteiller est étudiante à l’ESCP. Nicolas Tschann Nicolas Tschann est étudiant à l’ESSEC. VII

Avant-propos « Olivier, je n’en peux plus, notre prof nous demande de lire 50 articles de presse par semaine et je ne trouve pas le temps de les lire. » Cet appel à l’aide d’Emna, l’une de mes anciennes élèves, n’est malheureusement pas isolé. Depuis des années, les candidats peinent à synthétiser une information pléthorique, complexe et pourtant nécessaire pour se distinguer aux concours. Le meilleur de l’actualité 2014-2015 répond à ce besoin et donne aux futurs candidats les clés pour acquérir une connaissance à la fois précise, concise et illustrée des principaux enjeux du monde contemporain. Quatre ingrédients majeurs feront de cet ouvrage l’un de vos précieux alliés : UÊ le format : nous avons choisi de calibrer le contenu sous forme de fiches organisées en deux ou trois parties pour faciliter la mémorisation et permettre au candidat de trouver rapidement l’information qu’il recherche ; UÊ la diversité des thèmes : les principaux événements de l’actualité ont été couverts : géopolitique, économie, société, innovations… Entre les enjeux de la guerre à Gaza, l’avancée des djihadistes en Irak, la crise ukrainienne, l’envolée d’Uber ou encore les portraits d’Emmanuel Macron et Elon Musk, les candidats trouveront des analyses variées pour animer leurs travaux écrits ou leur argumentaire à l’oral ; UÊ le style : rédigé par des enseignants experts, des diplômés et futurs diplômés de grandes écoles, cet ouvrage livre les clés d’un style à la fois clair, nuancé et répondant parfaitement aux attentes des concours et examens. Prêtez donc attention à la façon dont sont formulés les enjeux et n’hésitez pas à mémoriser certaines tournures. Vous éviterez alors deux écueils récurrents et lourdement sanctionnés aux concours : la pauvreté du style ainsi que la surenchère de tournures journalistiques inappropriées ; UÊ la multiplicité des sources : les fiches font la synthèse de nombreux articles de la presse française et internationale (Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Express, Courrier international, The Economist, The New York Times…). Cette diversité de points de vue garantit une analyse à la fois exhaustive, intelligente et nuancée des enjeux fondamentaux. Pour finir, n’oubliez pas de consulter régulièrement le site dunod.com : des fiches sur les événements récents de 2015 y seront ajoutées pour rendre votre propos parfaitement actuel. Au nom de toute l’équipe d’auteurs, il me reste à vous souhaiter le meilleur pour les échéances palpitantes qui s’annoncent. Olivier Sarfati

IX

Le meilleur de l’actualité 2014-2015

MODE D’EMPLOI Pour chaque fiche, en première page La thématique de la fiche : Actualités, Entreprises, Débats ou Personnalités

{Actualité}

Le chômage des jeunes > CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 27 juin 2013, les dirigeants des 27 États membres de l’Union européenne réunis à Bruxelles s’accordent pour consacrer 6 milliards d’euros en 2014-2015 au financement de l’« Initiative pour la jeunesse ». Ce projet européen comprend un mécanisme de garantie (« Garantie Jeune ») qui prévoit d’offrir une formation, un emploi, un stage ou un apprentis sage à chaque jeune européen dans les quatre mois après la fin de ses études ou la perte de son emploi. En outre, le projet prévoit que la Banque européenne d’investissement (BEI) finance des infrastructures d’apprentissage et d’enseignement supérieur, la formation des jeunes et des prêts étudiants. Cet effort financier doit permettre d’inverser la tendance à l’aggravation du chômage des moins de 25 ans constatée en Europe : près d’un quart d’entre eux est en effet sans emploi en 2013. Les fonds prévus par l’accord seront concentrés sur les régions de l’Union européenne où le chômage des jeunes est supérieur à 25 %. La France fait partie des 13 pays bénéfi ciaires, et devrait toucher au total 600 M€ pour 300 000 jeunes concernés. L’Espagne, la Grèce et l’Italie comptent également parmi les principaux bénéficiaires.

Le contexte et les faits marquants : une synthèse claire et concise de ce qu’il faut retenir

> ILLUSTRATIONS Taux de chômage en avril 2013, en % de la population active, et variation sur un an en nombre de points Allemagne Pays-Bas Royaume-Uni Belgique

5,4 (− 0,1) 6,5 (+ 1,3) 7,7 (− 0,5) 8,4 (+ 0,9)

UE (27 pays)

11 (+ 0,7)

France

11 (+ 0,9)

Italie

12 (+ 1,4)

Zone euro (17 pays)

12,2 (+ 1)

Irlande Portugal Espagne Grèce

13,5 (− 1,4) 17,8 (+ 2,4) 26,8 (+ 2,3) 27 (+ 5,1) Source : Eurostat, février 2013.

14

{Actualité} Le chômage des jeunes

Illustrations : un chiffre clé mis en avant, un graphique des données essentielles, de nombreux exemples, des cartes… Économie

ENJEUX

U Le pari des Abenomics Pour être efficace, l’impulsion produite par l’investissement public et l’injection de liquidités doit être suivie d’une hausse de la demande intérieure et des investissements privés. Toutefois, la dette publique japonaise, déjà très supérieure à deux fois le PIB, pourrait contraindre la Banque du Japon à revoir sa politique monétaire. Par ailleurs, pour rentabiliser l’investissement des entreprises sur le sol japonais, de nouveaux débouchés devront être trouvés à l’international. Or, le gouvernement Abe adopte lors des négociations internationales, transpacifiques notamment, une posture plutôt protectionniste, en matière agricole par exemple, afin de protéger certains intérêts domestiques. En 2013, la production industrielle du Japon devrait malgré tout baisser de plus de 3 %. Les Abenomics reposent donc sur une approche d’équilibriste, visant à concilier impératifs budgétaires, contraintes monétaires, débouchés industriels et maintien du pouvoir d’achat. Les années 2014 et 2015 diront si ce pari risqué aura porté ses fruits. U Pour l’Europe et pour la France, Abenomics ou « Merkelnomics » ? Le 7 juin 2013, en visite à Tokyo, François Hollande déclare que « les Abenomics sont une chance pour l’Europe » qui doit s’en inspirer, car « l’Europe aussi a besoin de croissance ». Toutefois, même si certaines convergences peuvent être trouvées avec les réformes structurelles visant à améliorer la compétitivité industrielle entreprises dans plusieurs pays européens, la politique économique publique japonaise est à l’exact opposé de la politique économique allemande et européenne : une politique monétaire orthodoxe visant à juguler l’inflation et équilibre des finances publiques. En Allemagne, le souvenir des calamiteuses politiques de relance des années trente reste vivace, et le dogme sur la politique monétaire recueille un large consensus politique, de la CDU au SPD. Selon ce dogme, repris à son compte par la Banque centrale européenne, la politique monétaire vise à apporter un objectif de stabilité aux marchés et ne doit pas créer artificiellement de la monnaie pour jouer sur les prix dans un but de relance.

Les enjeux : une analyse pour élargir la réflexion

La souveraineté de la BCE interdit donc au jour d’aujourd’hui une relance type « Abenomics » en France, où la dette souveraine, financée par les marchés, complique également toute relance par la dépense publique.

{Actualité} La nouvelle politique économique du Japon

X

27

Le meilleur de l’actualité 2014-2015

Les fiches Personnalités {Personnalité}

Stéphane Hessel, l’indigné > PARCOURS

Parcours : une biographie synthétique

Né le 20 octobre 1917 à Berlin de parents francophiles férus d’art et de culture, Stéphane Hessel est mort à Paris le 27 février 2013. Il arrive en France en 1924, quand sa mère Hélène rejoint son amant Henri-Pierre Roché, meilleur ami du père de Stéphane. Leur relation triangu laire servira de trame au roman Jules et Jim, écrit par Henri-Pierre Roché en 1953 et immorta lisé par François Truffaut dix ans plus tard. Bachelier à 16 ans, seul candidat admis deux fois à l’ENS (comme étudiant étranger en 1937, puis comme Français en 1939), il sera mobilisé, prisonnier, résistant, capturé, torturé et enfin évadé pendant la Seconde Guerre mondiale. À la Libération, il embrasse la carrière de diplomate. Directeur de cabinet du chef du départe ment des affaires sociales à l’Onu, il suit de près l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Il y acquiert la conviction que la seule voie de civilisation du monde est l’organisation de ses États avec des règles de gestion des conflits et des principes de réfé rence communs. De retour à Paris en 1950, Hessel poursuit sa carrière de haut fonctionnaire. Membre du cabinet de PierreMendès France à Matignon (1954-1955), il sert également au ministère de l’Éducation nationale sur les questions de coopération et de développement. Il termine sa carrière en 1982 après avoir été élevé à la dignité d’ambassadeur de France.

> PRINCIPALES RÉALISATIONS Stéphane Hessel a traversé le XXe siècle plutôt discrètement. C’est une fois à la retraite qu’il deviendra un personnage public. Il est par exemple le porte-parole des médiateurs dans le conflit entre le gouvernement et les immigrés sans-papiers de l’église Saint-Bernard en 1996. Cette exposition médiatique en fait une personnalité réclamée dans les conférences, pour la signature d’appels ou de manifestes. Parallèlement, la radicalisation de son engagement en faveur de la cause palestinienne lui vaut de nombreuses critiques. Convaincu de la néces sité d’appliquer strictement les résolutions de l’Onu (retour aux frontières de 1967, statut de Jérusalem…) et bouleversé par ses voyages dans les territoires occupés, Stéphane Hessel milite pour que la communauté internationale exerce une forte contrainte sur le gouvernement israélien, ce qui lui vaut les foudres des associations juives. La publication en 2010 d’Indignezvous ! le fait accéder à la notoriété. Traduit en 34 langues, brandi par les jeunes Grecs ou Espa gnols dans les manifestations contre les politiques d’austérité, ce petit opus développe l’idée de « citoyenneté résistante », au sens de refus de la résignation. Tiré au départ à 8 000 exem plaires, il comptabilise deux ans plus tard 2,3 millions de ventes en France, 4 millions en ajou tant l’international. Cette réussite entraînera la publication d’autres ouvrages et recueils de conversation, faisant d’un Stéphane Hessel nonagénaire un inattendu phénomène éditorial. 120

Réalisations de l’année : les évènements marquants de l’année

{Personnalité} Stéphane Hessel, l’indigné

Les grands Débats qui ont marqué l’année Culture et Société

POUR

s Dans les faits, les cours en anglais sont très largement répandus à l’IEP Paris (Sciences Po) et dans les grandes écoles de commerce. Il est donc logique de s’ali gner sur ces cursus d’excellence. Dans le cas contraire, le fossé entre universités et grandes écoles ne peut que se creuser. s Dans une certaine mesure, avant le projet de loi, l’anglais s’était déjà frayé un large chemin à l’université. Selon une étude de l’Ined parue en 2013, en 2007 2008, 26 % des universitaires français ont dispensé des cours en anglais, et ce chiffre atteint 47 % pour les chargés et directeurs de recherche. La loi ne fait donc que valider une situation existante. C’est l’avis de Jean Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d’université : « N’en déplaise à cer tains nostalgiques de l’Empire français, la loi ne fait que régulariser ce qui se fait déjà ». Selon lui, il aurait même fallu « abroger la loi Toubon » et permettre que « les cours se fassent dans la langue qui s’avère utile pour l’enseignement dispensé ».

L’argumentaire POUR et CONTRE de chaque terme du débat pour mieux comprendre, analyser et restituer la complexité de ces questions qui ont agité la société

s Autoriser les cours en anglais permet d’attirer dans les universités françaises les étudiants étrangers qui ne seraient pas venus si seuls des cours en français y étaient dispensés. Il s’agit notamment d’étudiants asiatiques (Indiens, Chinois) qui découvriraient par la même occasion le français lors de leur séjour. Ce point de vue est notamment partagé par M. Bouabdallah, membre du conseil d’admi nistration de l’Agence universitaire de la francophonie. s L’anglais est à la fois la langue des affaires et de la communauté scienti : selon un collectif emmené par la Nobel de médecine Françoise Barré Sinoussi, « sauf dans des disciplines très particulières, les scienti du monde entier utilisent l’anglais pour communiquer ». La maîtrise de l’anglais est donc un élé ment important de professionnalisation.

CONTRE

s La loi aura pour effet de marginaliser la langue française dans le monde. « Le signal posé à ceux qui, un peu partout, apprennent le français n’est pas ras surant » estime Pouria Amirshahi, député et secrétaire national du parti socialiste à la francophonie. Les Académiciens, considèrent aussi que la loi constitue « une menace importante pour la situation de la langue française dans l’enseignement supérieur (…) [Elle] favorise une marginalisation de [la langue française] ». De que « si nous laissons l’anglais s’introduire dans son côté, Bernard Pivot nos universités, si nous le laissons, seul, dire la science et le monde moderne, alors le français se mutilera et s’appauvrira. Il deviendra une langue banale, ou pire, une langue morte ». s Imposer l’anglais à l’université n’améliorera pas le niveau des Français en anglais et, pour l’heure, la majorité des étudiants français du supérieur n’ont pas le niveau pour suivre des cours en anglais. Le problème se situe bien en amont, au collège et au lycée. Selon Pouria Amirshahi, « cela fait trente ans qu’on fait {Débat} Faut-il dispenser les cours en anglais à l’université ?

105

XI

Le meilleur de l’actualité 2014-2015

TABLE DES MATIÈRES 1

ÉCONOMIE 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15.

2

Défiance : un mal français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 Zone euro, la menace déflationniste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 BNP Paribas : des banquiers à l’amende ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Le marché des télécoms en France : le grand chambardement. . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Thomas Piketty est-il le nouveau Karl Marx ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Alstom : une passion française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 La détente monétaire en Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 Uber : une valorisation délirante ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 France, le choc fiscal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Les BRICS créent leur propre banque mondiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 Twitter, introduction record à Wall Street . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Les enjeux des matières premières en 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 Pour ou contre le bitcoin ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 La Chine : 1er importateur mondial de pétrole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Le traité transatlantique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

GÉOPOLITIQUE 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18.

1

59

Syrie et Irak : l’enlisement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 Gaza 2014 : une guerre pour rien ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 La crise ukrainienne : une nouvelle guerre aux portes de l’Europe . . . . . . . . . . . . . . . 72 La question de l’indépendance de l’Écosse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 Enlèvement de lycéennes par la secte Boko Haram . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 Le 19e coup d’État thaïlandais : la démocratie impossible ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Élections en Iran : un changement de régime prometteur ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 L’amnésie de Tian’anmen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 Mandela, Une icône s’en va . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Les enjeux des Jeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 Soudan du Sud : entre accords et impasses. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Colombie : enfin la paix ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 Guerre civile en République centrafricaine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Afrique du Sud : un scrutin périlleux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 La Chine face à la menace terroriste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Inde : les défis du BJP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 Vers la fin du kirchnérisme en Argentine ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 Afghanistan : les défis de l’après Karzai . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

XIII

Le meilleur de l’actualité 2014-2015

3

CULTURE ET SOCIÉTÉ 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13.

4

5

Élections européennes : poussée des partis xénophobes et eurosceptiques . . . . . . 126 Éducation : classement PISA et décrochage français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 Quel bilan pour le mondial brésilien ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Emmanuel Macron, le « Mozart de l’Élysée » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136 Le mille-feuille territorial français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 Les élections municipales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 Le PSG face aux règles du fair-play financier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 Matteo Renzi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 La révolution des MOOC : miracle ou mirage ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 Pour ou contre la pénalisation des clients ayant recours à la prostitution ? . . . . . . 152 Jonny Wilkinson, gentleman du rugby mondial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 Jérôme Kerviel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 La gastronomie française est-elle en déclin ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

SCIENCES, TECHNOLOGIE ET INNOVATION 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.

5. 6. 7. 8.

193

Classement des 20 premiers pays selon le PIB* . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 Classement des 20 premiers pays selon le PIB par habitant* . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196 Classement des 20 premiers pays selon l’IDH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 Classement des 20 pays clés selon le rapport de compétitivité du Forum de Davos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .198 Classement des 20 plus grandes capitalisations boursières mondiales . . . . . . . . . . 199 La démographie mondiale en 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200 Classement des plus grandes agglomérations mondiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Classement des 20 premières fortunes mondiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202

Index

XIV

163

Ebola : vers un retour des grandes épidémies ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166 Faut-il interdire l’exploitation des gaz de schistes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 Le rapport du GIEC : une accélération inéluctable du changement climatique ? . . . . 173 Elon Musk . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 Le big data et ses applications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 Peter Thiel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 Drones : entre innovations et dérives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 L’essor de la santé connectée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188

TABLEAUX DE BORD 1. 2. 3. 4.

123

203

PARTIE 1

Économie

Fév.

e

Mai

Août

6 juin

La start-up Uber est valorisée à plus de 17 milliards de dollars

Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) créent leur propre banque et un fonds de réserves

15 juillet

Juil.

La plateforme Mt.Gox annonce une perte record de 744 408 bitcoins (soit 250 millions d’euros)

Juin

BNP Paribas doit payer à la justice américaine une amende de 8,97 milliards de dollars pour avoir « dissimulé des transactions interdites, en effacer les traces et tromper les autorités américaines »

Juin 2014

24 février

Bouygues Telecom licencie 2 000 salariés

Printemps

Avril

Le capital au XXI siècle dde Thomas Piketty qualifié dd’« ouvrage majeur de la ddécennie en économie » ppar le prix Nobel Paul Krugman

24 mars

Mars

Les taux d’inflation baissent en Europe et dans le monde. Dans la zone euro, l’inflation est tombée à 0,8 %

Février

Janv.

Facebook rachète la société WhatsApp pour 19 milliards de dollars

19 fé février i

Le taux normal de la TVA passe de 19,60 à 20 %, le taux intermédiaire de 7 à 10 %

1er janvier

Chronologie 2014 Économie

Oct.

Nov.

Iliad, la société de Xavier Niel, offre 15 milliards de dollars pour prendre le contrôle de T-Mobile US, le 4e opérateur télécom américain

1er août

Sept.

Déc.

L’américain General Electric rachète l’essentiel des activités énergétiques du groupe industriel français Alstom

5 novembre

Économie

3

{Actualité}

Défiance : un mal français par Xavier Enselme

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS En panne de croissance, la France cherche à refonder un modèle économique et social marqué par la dégradation de la compétitivité des entreprises nationales et la stagnation du niveau de vie. Le rapport Quelle France dans dix ans ? (2014) montre des Français inquiets du décrochage par rapport aux autres pays avancés, frileux face à la mondialisation, et conscients de l’affaiblissement des repères communs. Plus des deux tiers des Français sont pessimistes à l’égard de la situation future du pays (sondage BVA). Les jeunes diplômés cherchent à quitter le pays pour travailler à l’étranger. Cette fragilisation du lien social s’accompagne d’une défiance envers les institutions de représentation (partis, syndicats, parlement) dont témoigne la montée continue de l’abstentionnisme électoral. Interrogés sur la possibilité de faire confiance aux autres, les Français se montrent particulièrement méfiants (à peine 20 % déclarent que l’on peut faire confiance). Dans une société qui peine à nouer des relations de réciprocité fondées sur la confiance, les individus limitent leurs transactions, se méfient de la concurrence et des réformes. Le déficit de confiance et la segmentation envieuse qui finissent par s’imposer ont un coût élevé. Dans une économie où l’innovation joue un rôle central, la capacité à déléguer, à accepter le changement est primordiale. La France semble marquée par le repli et la méfiance paralysante, alors que la plupart des pays européens ont opté pour des réformes de grande envergure.

> ILLUSTRATIONS

Confiance et satisfaction Confiance en % (1)

Satisfaction en % (2)

France

23

6,6

OCDE

38

6,6

Allemagne

35

6,7

États-Unis

21,2

7

Italie

21

5,8

Norvège

64

7,7

(1) La confiance mesurée en 2007 correspond au pourcentage de personnes qui répondent : « On peut faire confiance à la plupart des gens » à la question : « D’une manière générale, peut-on faire confiance à la plupart des gens ou bien n’est-on jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ? ». Cette question mesure la confiance interpersonnelle.

4

{Actualité} Défiance : un mal français

Économie Elle est utilisée dans la littérature académique pour mesurer le capital social d’une société, c’est-à-dire la qualité des relations sociales et la capacité à coopérer en dehors du seul cercle familial. Source : World Values Survey, 2008. (2) Degré de satisfaction à l’égard de l’existence, mesuré en 2012 sur une échelle de 0 à 10. Source : OCDE, 2014. Cet indicateur mesure la perception subjective des retombées de la croissance économique sur les conditions de vie.

Confiance à l’égard des institutions UÊ La confiance institutionnelle varie significativement d’un pays à l’autre. La position relative de la France reflète le déficit de confiance dans les relations interpersonnelles (particulièrement en entreprise) et la confiance envers les institutions publiques qui sont invoquées pour se substituer à la médiocrité du dialogue social et au soupçon qui entache les relations interpersonnelles. Dans les pays particulièrement affectés par la crise de 2007 la confiance envers les pouvoirs publics a fortement reculé. Partie A. Confiance à l’égard du gouvernement national 2012 (%) Total(!)

90

90

80

80

70

70

Partie B. Évolution entre 2007 et 2012, en points de pourcentage Total

Jeunes (15-24 ans)

60

60

50

50

40

40

30

30

20

20

10

10

0 82 80 71 65 64 62 61 56 55 53 52 48 47 45 44 43 43 41 37 37 36 36 35 33 31 31 30 28 26 25 25 23 18 18 14

Suisse Luxembourg Norvège Suède Nouvelle-Zélande Finlande Pays-Bas Turquie Danemark Canada Belgique Royaume-Uni France Allemagne Australie République slovaque OCDE Autriche Mexique Israël Espagne Irlande États-Unis Chili Estonie Pologne Italie Islande Portugal Corée Slovénie Hongrie Japon République tchèque Grèce

76 74 60 54 49 47 44

Indonésie Chine Inde Fédération de Russie Brésil Afrique du Sud Argentine

0

Jeunes (15-24 ans)

-30

-20

-10

0

10

20

30

- 30

- 20

- 10

0

10

20

30

Source : OCDE, Panorama de la société 2014.

{Actualité} Défiance : un mal français

5

Économie

ENJEUX

UÊ Confiance et anticipations Lors de l’été 2007, l’excès de confiance qui alimentait une bulle spéculative se transforma en pessimisme inquiet qui incita les agents à prendre le contre-pied de leurs anticipations précédentes. L’intervention des pouvoirs publics semblait indispensable pour renouer avec la confiance des agents privés et ainsi éviter que le retournement boursier ne se transforme en assèchement de la liquidité interbancaire. Cependant, les engagements publics, qui initialement avaient rassuré les marchés, ont fini par s’avérer tout aussi anxiogènes : le gonflement des dépenses publiques, notamment pour sauver les établissements financiers les plus impliqués, dans un contexte de croissance nulle, déplace les interrogations des agents privés vers la question de la dette souveraine. Doutant de la capacité des États à honorer leurs engagements au moment où l’endettement public atteint un niveau jamais atteint en période de paix, les marchés financiers exigent des garanties, en particulier de réduction des déficits. La généralisation des politiques d’austérité à partir de 2010 plonge cette fois les consommateurs européens dans une crise de confiance qui affecte le moteur principal de la croissance économique, la consommation privée. Inquiets face à la montée du chômage, les agents reportent leurs dépenses non essentielles. UÊ Confiance et solidarité Les migrations et l’hétérogénéité des comportements socialement acceptables accroissent la diversité des communautés et réduisent la confiance entre individus. Or, dans les pays où le fractionnement l’emporte, les individus sont moins incités à financer les dépenses d’assurance sociale en faveur des membres n’appartenant pas à leur communauté. La légitimité des prestations sociales est remise en cause au profit d’une solidarité minimale et la fiscalité a été réformée pour limiter ses effets redistributifs. Les réformes des politiques sociales sont marquées par la suspicion envers les bénéficiaires des aides sociales et la responsabilisation individuelle, et coïncident avec le déclin de la confiance et des engagements civiques (R. Putman, 1995). UÊ Confiance et réformes En France, la dégradation du civisme et de la confiance mutuelle est intimement liée au modèle de régulation publique et corporatiste mis en place après 1945. En segmentant les droits sociaux et les relations sociales, l’État a rigidifié les inégalités et encouragé les comportements de défense des rentes. L’Étatprovidence relève du modèle corporatiste-conservateur (G. Esping-Andersen, 1990) car il multiplie les statuts dérogatoires (régimes de Sécurité sociale dits « spéciaux ») et les hiérarchies entre les individus dans l’accès aux prestations sociales. Dans l’entreprise, le dialogue entre partenaires sociaux est inopérant, les pouvoirs publics réglementant étroitement les relations de travail. Selon Y. Algan et P. Cahuc (La société de défiance, 2007) le modèle social français entretient un climat de défiance généralisée et de résistance aux réformes, à l’inverse

6

{Actualité} Défiance : un mal français

Économie des État-providence nordiques qui offrent des prestations universelles consolidant le sentiment d’une communauté d’intérêts plus ouverte aux évolutions. Comme le font remarquer A. Landier et D. Thesmar (Le grand méchant marché : décryptage d’un fantasme français, 2008), plus de la moitié des Français considère que la concurrence est néfaste ; en revanche, ils sont favorables à une large réglementation publique des activités économiques. Les barrières à l’entrée induisent des rentes multiples qui incitent leurs bénéficiaires à se mobiliser (souvent avec succès, que l’on pense aux chauffeurs de taxi ou aux professions libérales) pour les protéger. La crispation sur la défense des acquis catégoriels alimente uns suspicion généralisée sur les bénéfices éventuels d’une réforme du marché du travail et, plus largement, de toutes les tentatives qui visent à lever les blocages de l’économie française. Décrédibilisés par ailleurs, les pouvoirs publics sont de moins en moins capables d’incarner un intérêt général.

{Actualité} Défiance : un mal français

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{Actualité}

Zone euro, la menace déflationniste par Jean-Luc Dagut

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Signe des temps, la Lituanie dont la candidature vient d’être acceptée par la Commission européenne pour devenir le 19e État membre de la zone euro, a failli être recalée en raison de son taux d’inflation (0,6 %) jugé assez bas par la BCE au regard de la moyenne de la zone (1,7 % sur la période allant de mai 2013 à avril 2014). Les taux d’inflation baissent en Europe et dans le monde. Dans la zone euro, selon Eurostat, l’inflation est tombée à 0,8 % en février 2014, en tendance annuelle. Les prix ont baissé de 1,6 % à Chypre, de 1,4 % en Grèce. Les hausses « tangentent » zéro au Portugal (0,2 %), en Espagne et en Irlande (0,3 %), en Italie (0,6 %), en France (0,7 %). Elles sont à peine supérieures en Allemagne (1,2 %) et au RU (1,9 %). Dans les 80 plus grandes économies de la planète, près de 40 affichent désormais un taux d’inflation compris entre 0 et 2 %, contre 30 seulement il y a un an. En Europe, le risque de déflation paraît «extrêmement sérieux», confiait récemment Olivier Blanchard, chef économiste du FMI. La déflation désigne un processus de baisse des prix, résultant d’un recul de la demande, issu lui-même d’une contraction des revenus, de l’activité et de l’emploi. Le processus s’autoalimente. Les baisses de prix exacerbent la concurrence, mettent en difficulté les entreprises, qui doivent comprimer les coûts et les salaires, ou font faillite. Licenciements, faillites, chute des revenus s’enchaînent dans une spirale cumulative. Les consommateurs anticipent par ailleurs de nouvelles baisses de prix, et retardent leurs achats. L’investissement s’effondre. Le poids des dettes s’alourdit face à des revenus en chute. La hausse mécanique des taux d’intérêt réels gonfle les charges d’intérêts. Les agents bradent leurs actifs et leurs produits pour se désendetter, et alimentent ainsi le mouvement général de recul des prix. Une fois enclenché, le cercle vicieux déflationniste constitue la plus grosse menace pouvant peser sur une économie. Dans l’Euroland, certains symptômes sont inquiétants. Les salaires ont baissé dans certains pays, d’Europe du Sud notamment (20 % en Grèce de 2010 à 2013). Les encours de crédit diminuent depuis 2012, entraînant une contraction de la masse monétaire en circulation. Les taux d’utilisation des capacités de production ont sensiblement reculé dans beaucoup de branches de l’industrie. Les investissements sont en berne et le chômage au plus haut. Plusieurs pays ont été plongés dans la récession jusqu’en 2013. En 2014, l’output gap (écart entre la croissance effective et la croissance potentielle) est au minimum de l’ordre de 2,5 % pour les estimations les plus optimistes. Parmi les secteurs les plus touchés par les baisses de prix : la sous-traitance industrielle, les services aux entreprises (publicité, audit, conseil…), le BTP, l’immobilier, les télécoms, le transport aérien, les téléviseurs et PC, certains produits alimentaires, les médicaments, les panneaux solaires…

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{Actualité} Zone euro, la menace déflationniste

Économie > ILLUSTRATIONS UÊ La déflation, qui avait disparu du paysage économique depuis 1945, était un mal récurrent dans les siècles passés. Au xve siècle, les prix auraient chuté de 25 à 50 % en Europe suite à la baisse de rendement des mines d’argent, et à des sorties d’or. L’afflux de métaux précieux du Nouveau Monde au xvie siècle aurait généré en sens inverse une inflation de 400 %. UÊ Selon une étude de Goldman Sachs, entre 1800 et 2012, la France aurait totalisé 61 années de déflation, davantage que le Royaume-Uni, ou l’Allemagne, mais un peu moins que les PaysBas qui arrivent en tête avec 69 années. Pour l’essentiel évidemment avant 1914. Le principal facteur était sans doute monétaire et lié aux « famines » d’or et d’argent. UÊ En 1819, après la guerre en Europe, l’Angleterre décide de restaurer l’étalon-or. Afin de renforcer la valeur de la livre, l’offre de monnaie de la Banque d’Angleterre est comprimée de 17 %. Les prix vont chuter de 63 %. L’objectif est atteint. En 1821, la convertibilité-or est rétablie. Un scénario analogue sera suivi par ce pays entre 1919 et 1925. UÊ Lors de la « grande crise » aux États-Unis entre 1929 et 1933, les prix chutent de 43 %, et le PIB de 35 %. Les mêmes phénomènes gagnent rapidement l’Europe. UÊ Face à la crise de 1929, la plupart des gouvernements (ceux notamment du Chancelier Brüning en Allemagne en 1930, et de Pierre Laval en France en 1935), hantés par l’inflation d’aprèsguerre, mèneront dans un premier temps des politiques déflationnistes. La dévaluation des salaires sera organisée pour compenser la réévaluation de la monnaie. UÊ Suite à l’éclatement d’énormes bulles financières et immobilières, le Japon connaît depuis 1990 une longue crise, et entre en déflation en 1999, puis à nouveau en 2009. Ce pays aura connu quinze années de baisse des prix. Malgré une embellie en 2013, résultant de la mise en œuvre des «Abenomics», les politiques contra-cycliques très ambitieuses menées depuis plus de 20 ans ne semblent pas avoir permis d’endiguer solidement la tendance déflationniste.

ENJEUX

UÊ De multiples causes Le risque déflationniste qui plane sur l’Europe a en réalité plusieurs causes. Sept causes semblent se dégager. Certaines paraissent graves, structurelles et durables. D’autres ne sont pas forcément négatives. Premièrement, l’une des causes majeures réside dans le durcissement de la concurrence, mondiale certes, mais déjà et surtout intra-européenne (les pays de la zone euro réalisent 50 à 60 % de leurs échanges entre eux). Les pratiques de dumping social et fiscal se sont généralisées (secteur de l’industrie, des services marchands, du transport, du BTP, problème des « emplois détachés »…), et aggravées dans un contexte d’atonie de la demande, imposant aux entreprises de serrer toujours les coûts, de licencier ou de délocaliser. Cette concurrence mercantiliste, durable puisqu’inscrite dans les gènes du marché commun, est structurellement déflationniste et suicidaire. Deuxièmement, l’euro fort concourt à la déflation, de deux façons. D’une façon positive en réduisant le coût des produits importés en provenance du reste du monde (pétrole, biens de consommation asiatiques…). Et de façon négative en affectant la compétitivité-prix des produits exportés, et en contraignant à {Actualité} Zone euro, la menace déflationniste

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Économie une austérité et une « déflation » salariale, sociale et fiscale. Troisièmement, la détérioration de la situation sociale de millions d’Européens affecte la consommation, et contraint les offreurs à baisser les prix. Quatrièmement, les politiques budgétaires restrictives qui augmentent les impôts et réduisent les dépenses concourent de même à l’affaiblissement de la demande. Cinquièmement, la tendance déflationniste est alimentée par un facteur plus positif et seulement conjoncturel, lié à la stabilité ou au recul des prix du pétrole et de certaines matières premières, conséquence du ralentissement des économies émergentes. Sixièmement, la déflation dans certains secteurs peut être liée à des reconfigurations de marché (télécoms, Compagnies aériennes low cost par exemple), pour le meilleur et pour le pire. Septièmement, certains prix baissent grâce au progrès technique mondial (NTIC notamment), une source de satisfaction enfin plutôt que d’inquiétude. UÊ Peut-on limiter cette menace ? Peut-on y échapper ? La première des choses est d’en reconnaître le risque. Jusqu’au printemps 2014, les commentateurs évoquaient un « déni de réalité » de la part de la BCE. Le discours établi était : « non, un scénario de déflation à la japonaise n’est pas d’actualité pour l’Europe ». La publication de mauvais chiffres, confirmant la tendance à la baisse des taux d’inflation et la fragilité de la reprise, a conduit la BCE à revoir son discours et annoncer le 5 juin un ensemble de mesures historiques. Baisse du principal taux directeur à 0,15 %, taux négatif de 0,10 % sur les dépôts auprès de la BCE, fin de la stérilisation des rachats de titres publics dans le cadre du SMP, nouveau programme de LTRO portant sur des ABS. Ces mesures, saluées par les marchés, vont certainement dans le bon sens, mais paraissent malgré tout fragiles pour conjurer le risque de déflation. Injecter plus de liquidités dans une économie atone a peu de chances de relancer l’activité. « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif », dit-on. D’autant plus que celles-ci sont largement thésaurisées par les banques. L’enjeu est de faire remonter le taux d’inflation, mais l’expérience japonaise rappelle que l’inflation ne se décrète pas, et que les moyens de la politique monétaire paraissent frustes à cet égard. La configuration est plus keynésienne que friedmanienne. Pour certains économistes, la seule solution serait d’augmenter les salaires en Europe, de façon concertée pourquoi pas. Mais en toute priorité dans les pays commercialement excédentaires (Allemagne, Europe du Nord). La demande repartirait dans la zone, l’euro baisserait, et le surplus d’activité favoriserait le rééquilibrage des comptes publics.

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{Actualité} Zone euro, la menace déflationniste

{Actualité}

BNP Paribas : des banquiers à l’amende ? par Xavier Enselme

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS En juin 2014, la banque française BNP Paribas écopait d’une amende record infligée par les autorités américaines après sept ans d’enquête sur les activités de la banque dans des pays sous embargo américain. Les responsables de la banque ont préféré plaider coupable et accepter un accord avec le département de la justice américain plutôt que de risquer un procès au pénal à l’issue potentiellement dommageable et incertaine. Les transactions incriminées, réalisées par une filiale suisse mais libellées en dollars, servaient à financer le commerce international de Cuba, de l’Iran et du Soudan, pays visés par la législation américaine. Bien que parfaitement légales au regard du droit européen, les transactions libellées en dollars devaient obligatoirement transiter par le territoire américain. La stratégie de BNP, mélangeant sociétés écrans et manque de coopération avec la justice américaine, lui a valu une sanction exemplaire dans un contexte de défiance de l’opinion publique américaine, prompte à réclamer des têtes après le scandale de la crise des subprimes. Chronologie 2002 : début des transactions considérées comme illicites par la justice américaine. 2005 : expertise juridique indépendante écartant tout risque pour la banque dès lors que les transactions ne se déroulent pas sur le territoire américain. Janvier 2006 : audit interne mettant en garde contre des risques potentiels élevés. Septembre 2006 : un représentant du département de la justice américain avertit la banque que ses relations avec l’Iran vont à l’encontre de la réglementation américaine. 2011 : le patron exécutif de la banque, Baudoin Prot, demande que cessent les transactions contournant les règles américaines. 2013 : licenciement de salariés dans la succursale suisse à l’origine de l’enquête. Mars 2014 : provision de 1,1 milliard de dollars pour faire face à d’éventuels litiges. Juin 2014 : le département de la justice américain inflige une amende de 8,97 milliards de dollars à BNP Paribas pour avoir « dissimulé des transactions interdites, en effacer les traces et tromper les autorités américaines ».

{Actualité} BNP Paribas : des banquiers à l’amende ?

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Économie > ILLUSTRATIONS

Les banques étrangères dans le collimateur de la justice américaine UÊ Le montant de l’amende infligée à BNP est sans précédent mais son montant apparaît mineur au regard du volume des transactions incriminées, en comparaison d’affaires similaires précédentes. Les sanctions retenues contre Standard Chartered quelques années auparavant sont proportionnellement plus élevées car la banque britannique était une récidiviste dans les opérations de blanchiment d’argent sale et parce qu’elle avait multiplié les obstructions aux investigations des autorités américaines. UÊ Les banques américaines semblent moins pénalisées ; les sanctions imposées aux banques domestiques sont généralement plus clémentes. Par exemple, en 2010 Wachovia a dû payer 160 millions de dollars pour arrêter les poursuites relatives à une affaire de blanchiment d’argent issu du commerce de stupéfiants depuis 2004. Les sommes incriminées s’élevaient à presque 400 milliards de dollars, soit le tiers du PIB mexicain. L’amende représente donc une somme négligeable par dollar délictueux, ce qui alimente le soupçon que les banques étrangères sont punies avec plus de sévérité que leurs homologues étrangères par la justice américaine. Deux poids, deux mesures ? Banque

Nationalité

Montant de Volume des l’amende en transactions milliards de $ incriminées en milliards de $

Montant de l’amende pour un dollar de transaction délictueuse

Année

RBS

GB

0,1

0,32

3,13

2013

Standard Chartered

GB

0,667

0,667

1,00

2012

Crédit Suisse

CH

0,536

1,2

0,45

2009

BNP Paribas

F

0,30

2014

ABN Amro

NL

0,15

2010

9

30

0,5

3,2

Source : d’après The Wall Street Journal, 22 juin 2014.

Les plus grosses amendes infligées à des entreprises aux États-Unis Entreprise

Motif

Date

13

Crédits subprimes

2013

Bank of America

10,1

Crédits subprimes

2013

BNP Paribas

8,9

Violation d’embargo

2014

BP

4,5

Marée noire

2012

JP Morgan

12

Montant de l’amende en milliards de dollars

{Actualité} BNP Paribas : des banquiers à l’amende ?

Économie

GSK

3

Vente de médicaments pour un usage non approuvé

2012

Crédit Suisse

2,6

Évasion fiscale

2014

Pfizer

2,3

Vente de médicaments pour un usage non approuvé

2012

HSBC

1,9

Blanchiment d’argent

2012

Source : Les Échos, 30 juin 2014.

ENJEUX

UÊ L’extraterritorialité Malgré la clémence demandée par les autorités françaises qui ont menacé de retirer leur accord pour une libéralisation des échanges de biens, de services et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis (accord TAFTA), le système judiciaire américain n’a pas hésité à appliquer la réglementation américaine imposant un embargo sur les pays opposés aux intérêts nationaux ou alimentant le terrorisme international. La pratique américaine est ancienne (les premières lois datent de 1917) et n’a cessé de se renforcer pour viser Cuba (loi Helms-Burton, 1996), l’Iran (Iran Threat Reduction Act, 2012) ou plus généralement tout pays faisant peser une menace sur les intérêts américains (National Defense Authorization Act, 2014). L’objectif est d’asphyxier économiquement les États incriminés en imposant des sanctions aux entreprises, fussent-elles étrangères, qui y poursuivraient des activités. L’OFAC (Office of Foreign Assets Control) est chargé de vérifier que l’embargo est bien respecté. UÊ L’hégémonie du dollar Parmi les transactions délictueuses figure le financement des opérations de compagnies pétrolières chinoises au Soudan. Au total, un quart des exportations soudanaises étaient financées par la filiale suisse de BNP. Comme la devise américaine sert de véhicule dans 4/5e des règlements du commerce international, les non-résidents qui initient les opérations doivent faire transiter leurs transactions par la succursale américaine de BNP qui dispose d’un compte à la Réserve fédérale américaine. La banque française a néanmoins cherché à masquer les bénéficiaires finaux des transactions. L’intransigeance de l’attitude américaine risque d’inciter d’autres pays à promouvoir leur monnaie comme devise pivot dans les échanges internationaux. Ainsi, la Chine multiplie les accords bilatéraux pour faire du yuan une monnaie internationale. 8,7 % des transactions commerciales internationales sont déjà libellés en yuan et cette part ne cessera d’augmenter quand la convertibilité de la monnaie chinoise sera complète, en 2017.

{Actualité} BNP Paribas : des banquiers à l’amende ?

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Économie UÊ Les risques pour le système bancaire Une fois écartés les risques systémiques de contagion brandis par la Banque de France, reste un double risque, commercial et financier, pour la banque française. D’une part, la BNP conserve sa licence bancaire aux États-Unis mais perd pour un an l’accès au dollar sur les opérations portant sur les ventes d’hydrocarbures. En plaidant coupable elle risque aussi d’inciter les clients institutionnels à se tourner vers les concurrents. D’autre part, le montant de l’amende dépasse une année de profit (soit 6 milliards d’euros prévus pour 2014) et même s’il est fiscalement déductible, il est suffisamment élevé pour entamer les fonds propres de la banque, déjà sollicités au moment de la crise financière de 2007. Alors que la réglementation bancaire européenne se renforce, la banque pourrait privilégier une attitude prudente en matière de prêts aux particuliers et aux entreprises de la zone euro pour augmenter son ratio de levier financier tombé de 3,7 à 3 %.

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{Actualité} BNP Paribas : des banquiers à l’amende ?

{Entreprise}

Le marché des télécoms en France : le grand chambardement

par Arnaud Labossière

« Je me suis acheté un château, ce n’est pas pour voir les romanichels traîner sur les pelouses. » Martin Bouygues au sujet de Xavier Niel et de l’intention de Free de rentrer sur le marché des télécoms.

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS En 2012 l’entreprise de Xavier Niel, Free, lançait des forfaits mobiles à des prix défiants toute concurrence. Grâce à son positionnement low cost et à une communication bien rodée (Xavier Niel n’hésite pas à qualifier les clients de ses concurrents de « pigeons ») l’entreprise a réussi à convaincre 2 millions de consommateurs en 2 mois. Aujourd’hui ce sont 9 millions de Français qui sont clients chez Free. Les acteurs traditionnels, Orange, Bouygues Telecom et SFR n’ont eu d’autres choix que de suivre Free dans la baisse des tarifs en rendant leurs forfaits plus abordables. La guerre des prix a commencé. Depuis, le marché des télécoms en France est devenu un feuilleton politico-économique qui offre toutes les semaines son lot d’annonces en tout genre, ses propositions de rachats et sans oublier ses tweets tantôt élogieux, tantôt incendiaires. Le secteur des télécoms est aussi et surtout un secteur qui connaît des difficultés. Il doit assurer de lourds investissements pour déployer la 4G et la fibre optique. Mais la baisse des prix, et donc des recettes des entreprises, réduit leur capacité d’investissement. Pour « consolider le secteur et renforcer les entreprises », Arnaud Montebourg, quand il était ministre de l’Économie, prônait un retour à trois opérateurs et jouait l’entremetteur. Après avoir échoué à marier SFR à Bouygues (c’est Numéricable qui rachètera finalement SFR), il a cherché à unir Bouygues et Free, deux ennemis jurés. Face aux difficultés rencontrées, Bouygues Telecom a dû licencier 2 000 salariés au printemps 2014. En août 2014, Xavier Niel a créé la surprise en proposant de prendre le contrôle de l’opérateur américain T-Mobile US pour un montant de 15 milliards de dollars. Une offre aussi ambitieuse qu’inattendue puisqu’au moment où l’offre était formulée la capitalisation boursière d’Iliad (maison mère de Free) était inférieure à ce montant. Néanmoins si Niel réussit cette opération, parviendra-t-il à exporter le chambardement des télécoms qu’il a causé en France outre Atlantique ?

{Entreprise} Le marché des télécoms en France : le grand chambardement

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Économie > ILLUSTRATIONS Parts de marché nationales en 2013

MARCHÉ MOBILE

MARCHÉ FIXE

21,1 %

27,8 % 35,2 %

40,6 %

ORANGE FRANCE

14,5 %

12 %

MVNO

SFR

SFR

BOUYGUES TELECOM

10,5 % FREE

8,1 %

ORANGE FRANCE

BOUYGUES TELECOM

22,6 % 7,6 %

FREE

AUTRES FOURNISSEURS

Source : Posté par la rédaction de SFR, le 16 mars 2014.

UÊ http://groupe.sfr.fr/nous-connaitre/sfr-en-bref/03162014-1539-le-secteur-des-telecomschiffres-cles UÊ Free en quelques dates : – 1999 : création de l’entreprise – 2002 : offre ADSL – 2010 : lancement de la Freebox Révolution – 2012 : lancement de Free Mobile UÊ 10 milliards d’euros, c’est la capitalisation boursière d’Iliad (maison mère de Free) en 2014. La fortune de Xavier Niel était de 8,5 milliards d’euros. UÊ Les prix des forfaits ont baissé en moyenne de 10,4 % en 2013 en France.

ENJEUX

16

UÊ Création de pouvoir d’achat et création d’emplois En janvier 2012, Arnaud Montebourg félicitait Xavier Niel pour avoir fait « plus pour le pouvoir d’achat des Français que Nicolas Sarkozy en cinq ans ». Et rien que sur l’année 2013, les ménages français ont bénéficié d’une baisse de 10,4 % des prix des télécoms. Selon une étude menée en 2012 par Augustin Landier et David Thesmar (professeur à HEC) l’arrivée de Free Mobile et la baisse des prix qui a suivi ont été bénéfiques pour l’emploi. Les auteurs de l’étude estiment qu’une baisse des prix de 10 % dans le mobile redonne aux consommateurs 2 milliards d’euros de pouvoir d’achat. Ce regain de pouvoir d’achat va se traduire en une hausse de la consommation que l’on peut chiffrer à 0,2 % du PIB et va permettre une création nette de 30 000 emplois sur 3 à 5 ans. En 2013, Xavier Niel se targuait déjà d’avoir provoqué la création de 5 000 emplois dans

{Entreprise} Le marché des télécoms en France : le grand chambardement

Économie les télécoms grâce à l’arrivée de son entreprise. Mais les chiffres sont aussi sujets à débats. Pour Arnaud Montebourg, la stratégie low cost de Free porte finalement atteinte au pouvoir d’achat car selon ses calculs on est plutôt en présence d’une destruction nette d’emplois dans le secteur que d’une réaction nette. Il conclut que : « défendre le pouvoir d’achat en faisant des chômeurs c’est la pire manière de porter atteinte au pouvoir d’achat ». UÊ Guerre des prix et guerre des offres L’arrivée de Free sur le marché des télécoms a forcé les acteurs traditionnels à revoir leur prix à la baisse et à proposer à leur tour des offres dites low cost. Mais les opérateurs butent sur un nouveau problème : celui de l’investissement. En effet, ce secteur requiert des investissements massifs qui se rentabilisent grâce aux bénéfices engrangés par la suite, et sur le long terme. Or l’arrivée de Free a réduit le retour sur les investissements passés des opérateurs et surtout menace la pérennité des investissements futurs. Le développement du réseau à haut débit 4G est au cœur des enjeux. Le déploiement de ce réseau est particulièrement cher et les opérateurs comptaient dessus pour restaurer leurs marges en proposant des forfaits 4G plus onéreux que les forfaits 3G. Mais c’était sans compter sur la réaction de Free qui a proposé gratuitement la 4G à tous ses clients (sans surcoût donc). Mais derrière cette annonce, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la capacité de Free à offrir vraiment ce qu’il vend. L’entreprise ne dispose pas encore d’un réseau 3G couvrant l’intégralité du territoire et doit louer le réseau d’Orange. Face à ces offres, jugées trop commerciales et fallacieuses, le patron d’Orange, Stéphane Richard, n’hésite pas à traiter son concurrent Xavier Niel de « roi de l’embrouille ». UÊ Xavier Niel, un homme d’affaires français comme les autres ? Sacré patron « idéal » par les Français (source Le Figaro), Xavier Niel incarne l’entrepreneur rebelle qui challenge l’establishment au profit des consommateurs. Il aime rappeler que, contrairement aux patrons des entreprises concurrentes de Free, lui, n’est pas issu d’une grande école et donc n’appartient pas à leur « clan ». Par ailleurs, ses initiatives comme l’école d’informatique 42 (gratuite et ouverte à tous) ou ses investissements dans les start-up via le fonds Kima Ventures renforcent simultanément sa crédibilité et sa popularité. Il est ainsi devenu une personnalité incontournable du monde des télécoms et fait souvent la une des médias qui aiment l’appeler le « Steve Jobs français ». Une comparaison qui appelle des nuances. Dans son analyse des élites françaises, Olivier Marteau (L’étrange défaite de la France dans la mondialisation, chapitre « Une élite incapable de relever le défi », Atlantico Éditions) montre que le patron de Free est très conforme à l’establishment français. Le fonds de commerce de cet establishment est d’obtenir une rente dans un marché réglementé par l’État et de consolider son influence sur la sphère politique grâce à l’acquisition de journaux (Niel est copropriétaire du quotidien Le Monde ou encore du site Mediapart). Pour l’auteur il s’agit plus d’un « Bernard Tapie plus jeune {Entreprise} Le marché des télécoms en France : le grand chambardement

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Économie et surtout plus malin » qu’un réel innovateur qui révolutionne les structures économiques. UÊ Les vrais « disrupteurs » sur ce marché ne sont pas les opérateurs télécom Le désamour des consommateurs vis-à-vis de leur opérateur et le manque d’innovation dans ce secteur (la dernière réelle innovation étant le « triple play » c’est-à-dire le fait de rassembler dans une seule et même offre le téléphone, l’Internet et la télévision) sont des opportunités que les start-up et les géants de la Silicon Valley ont saisies. Skype, Snapchat, Whatsapp ou encore Facebook sont autant d’alternatives et de concurrents que les opérateurs n’ont pas vu venir. On communique aujourd’hui de plus en plus avec des applications de messagerie et de moins en moins par SMS ou appel téléphonique. La vraie valeur réside donc dans la connexion internet sur mobile que vendent les opérateurs. Mais les opérateurs sont aussi concurrencés dans leur monopole sur les infrastructures. Google a par exemple lancé « Google Fiber » dans plusieurs villes des États-Unis (Austin et Kansas City). C’est un réseau de fibre optique surperformant qui dispense les habitants de passer par un opérateur traditionnel. Facebook et Google ont aussi pour ambition de déployer, littéralement depuis le ciel, un réseau internet gratuit dans les pays en développement. Si ces projets aboutissent et que chaque humain sur Terre obtient une connexion internet grâce à Facebook ou Google pourquoi irait-il s’engager auprès d’opérateurs téléphoniques traditionnels ? Enfin, quand il s’agit de vendre des produits, force est de constater que les fabricants de smartphones (Apple, Samsung, Google…) imposent leurs conditions aux opérateurs et accaparent la majeure partie de la valeur ajoutée.

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{Personnalité}

Thomas Piketty est-il le nouveau Karl Marx ? par Éric Juramy

> RÉALISATION DE L’ANNÉE Le capital au XXI e siècle paraît aux éditions du Seuil le 15 septembre 2013. Fruit de 15 ans de travail en collaboration avec des universitaires américains et européens, cet essai est l’œuvre de l’économiste français Thomas Piketty (normalien, directeur d’études à l’EHESS et professeur-fondateur de l’École d’économie de Paris). Universitaires et intellectuels français s’accordent sur le caractère à la fois majeur de l’ouvrage, et sur sa profonde originalité. Traduit en anglais début 2014, le livre est qualifié dans un éditorial du 24 mars 2014 d’« ouvrage majeur de la décennie en économie » par le prix Nobel Paul Krugman. Il devient alors un best-seller aux États-Unis et en Grande-Bretagne, déclenchant, aux dires du Guardian une Pikettymania, avec de longues files d’attente pour assister aux conférences que l’auteur donne à travers le monde. Plus cyniquement, le Wall Street Journal décrira l’ouvrage comme « le moins lu de l’été » 2014. Le livre est tout d’abord une somme statistique inédite de 950 pages, restituée de façon pédagogique, sur les mécanismes d’accumulation et de répartition des richesses dans les pays occidentaux du xviiie siècle à nos jours. À rebours des ouvrages de recherche économique abondamment mathématisés, les résultats sont présentés au moyen de graphiques simples, et parfois illustrés par des œuvres littéraires ou cinématographiques emblématiques des époques analysées. Le rapport entre le capital (ou patrimoine) privé et le revenu national est retracé dans les pays européens et aux États-Unis sur les 200 dernières années. Il ressort que ce rapport a régulièrement augmenté des débuts de la révolution industrielle à la Belle Époque pour atteindre une valeur comprise entre 6 à 8, pour chuter brutalement à 2-3 au sortir des deux grands conflits mondiaux (destructions, nationalisation, mise en place de l’impôt), et enfin opérer un rattrapage progressif après-guerre jusqu’à la crise de 2007 (privatisations successives, hausse continue de la valeur des actifs financiers). Au-delà de ces constats, Piketty met à jour ce qu’il nomme une « force de divergence fondamentale » au cœur du système capitaliste, en dépit de ses métamorphoses successives : le taux de rendement du capital (r) est à long terme 2 à 4 fois plus élevé que le taux de croissance du revenu national et de la population (g). Les patrimoines constitués, en se recapitalisant plus vite que la croissance, captent donc tendanciellement une part toujours plus importante des revenus : « le passé dévore l’avenir ». Pis, les patrimoines hérités deviennent toujours plus prépondérants par rapport à ceux constitués au cours d’une vie. Et si le xxe siècle a vu l’émergence d’une classe moyenne patrimoniale importante (les 10 % les plus riches possédaient 90 % des richesses en 1900, contre 60 % aujourd’hui), des inégalités

{Personnalité} Thomas Piketty est-il le nouveau Karl Marx ?

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Économie importantes de rendement entre les patrimoines contribuent à éroder la part des plus modestes. Les richesses ont donc vocation, à un horizon bref (2050), à se trouver concentrées dans les mains d’une petite minorité. La dernière partie de l’ouvrage aborde la question des recommandations. Considérant les inégalités intenables politiquement et socialement, et n’envisageant ni la guerre, ni le laisserfaire, Piketty prône la mise en place d’un impôt progressif permanent de 1 à 5 %, au niveau mondial, sur les patrimoines supérieurs à 1 million d’euros. Conscient du caractère utopique d’une telle proposition, il estime que cette fiscalité serait déjà efficace, dans un premier temps, à l’échelle de chaque continent.

> ILLUSTRATIONS Rendement du capital (après impôts) et taux de croissance au niveau mondial depuis l’Antiquité jusqu’en 2100 Taux de rendement ou taux de croissance annuel

6%

5%

4%

3%

Taux de rendement pur du capital r (avant impôts) Taux de croissance de la production mondiale g

2%

1%

0% 0-1000

1000-1500

1500-1700

1700-1820

1820-1913

1913-1950

1950-2012

2012-2050

2050-2100

Lecture : le taux de rendement du capital (avant impôts) a toujours été supérieur au taux de croissance mondial, mais l’écart s’est resseré au XXe siècle, et pourrait s’élargir de nouveau au XXIe siècle.

Source : Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, http://piketty.pse.ens.fr/fr/capital21c

UÊ Le taux de rendement des terres agricoles s’est généralement situé, du Moyen Âge au XIXe siècle, entre 4 et 5 % (la fameuse « rente » souvent évoquée dans les romans) : de tels niveaux correspondent à ceux constatés pour l’immobilier aujourd’hui. UÊ La valeur annuelle des successions et donations représentait 5 % du revenu annuel dans les années 1950, contre 15 % aujourd’hui. UÊ Le vingt millionième le plus riche a vu sur Terre son patrimoine croître de 6,8 % en moyenne entre 1987 et 2013, quand le patrimoine moyen n’a progressé que de 2,1 %. À un tel rythme de divergence, les milliardaires d’aujourd’hui, qui détiennent 1,5 % du patrimoine mondial, en détiendraient 7,5 % en 2050 et plus de 50 % en 2100.

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{Personnalité} Thomas Piketty est-il le nouveau Karl Marx ?

Économie

Le titre de l’ouvrage fait évidemment référence au Capital de Karl Marx. Si Piketty partage avec son illustre prédécesseur une focalisation similaire sur les dynamiques d’accroissement des inégalités, son livre, « autant […] d’histoire que d’économie », ne s’aventure pas sur le terrain de la philosophie politique. Plus simplement, il vise tout d’abord à mettre à disposition du plus grand nombre un certain nombre d’outils (notamment deux « lois fondamentales du capitalisme », l’une tautologique, l’autre dynamique) pour penser les forces à l’œuvre entre capital et différents types de revenus. Les séries statistiques de longue durée, qui ne sont pas sans rappeler la méthode historique braudélienne, servent autant à faire des rapprochements inédits et riches, qu’à débusquer nombre d’idées reçues (les « illusions ») sur la croissance, les inégalités de salaires, l’héritage, etc. Le point central du livre est la réfutation définitive de la célèbre « courbe en cloche » élaborée en 1955 par Simon Kuznets : lors du développement économique d’un pays, matérialisé par une hausse importante du PIB par habitant, les inégalités ont dans un premier temps tendance à croître, les revenus allant au capital déjà en place, pour ensuite diminuer, le capital « humain » captant, par son travail, une plus grande part des revenus. Piketty montre chiffres à l’appui que cette courbe ne s’applique qu’à une période bien précise, les Trente Glorieuses, et qu’elle est incapable de rendre compte des évolutions ultérieures. Courbe de Kuznets seuil ou point d’inflexion

Inégalités

ENJEUX

UÊ iÊV>«ˆÊÊÌ>Ê>ÕÊXXIÊeÊÈmVi et la théorie économique

Revenu par habitant

UÊ Principales critiques faites de l’ouvrage Dans un article du 12 novembre 2013 publié sur le site du Cato Institute (think tank libéral américain), Alan Reynolds souligne que les séries statistiques utilisées par Thomas Piketty et son homologue de Berkeley Emmanuel Saez excluent par construction des revenus les transferts sociaux dans leur analyse de l’inégalité des revenus aux États-Unis (2 300 milliards de dollars en 2012). Le souci de pouvoir {Personnalité} Thomas Piketty est-il le nouveau Karl Marx ?

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Économie comparer sur la longue durée revenus et patrimoines amène inévitablement à des simplifications de part et d’autre de l’échelle temporelle qui peuvent noircir le tableau de notre époque. Nicolas Baverez (Le Point du 26 septembre 2013) fustige de son côté la fragilité des postulats qui projettent les inégalités dans le futur. Il bat notamment en brèche l’hypothèse de la constance du rendement du capital depuis le XIXe siècle « car elle ne prend en compte ni la fiscalité ni le coût du risque », et ne manque pas de rappeler que les statistiques mêmes de Piketty montrent que ce même rendement est à son plus bas historique au Royaume-Uni et en France. Chris Giles du Financial Times a, pour sa part, contesté la qualité de certaines données et la méthodologie employée, remettant en cause la validité des résultats d’ensemble présentés dans l’ouvrage. Si Thomas Piketty a finalement admis des erreurs, il les a considérées comme marginales au regard de la théorie d’ensemble. Mais la critique la plus fondamentale, au-delà du fait de savoir si les inégalités augmentent ou pas, vient du fait que la théorie de Thomas Piketty n’explique jamais pourquoi les inégalités sont mauvaises en soi pour une société donnée. Et si l’ouvrage souligne les méfaits de l’inégalité (comme lorsqu’il cite l’exemple de la Chine), il passe allègrement sur ses bénéfices (pour le cas de la Chine, la sortie de la grande pauvreté de centaines de millions d’individus).

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{Personnalité} Thomas Piketty est-il le nouveau Karl Marx ?

{Entreprise}

Alstom : une passion française par Xavier Enselme

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Au terme de longues négociations où les pouvoirs publics ont cherché à sauver un des fleurons de l’industrie française en l’adossant à un groupe étranger, l’américain General Electric (GE) l’a finalement emporté face à l’autre repreneur potentiel, l’allemand Siemens allié au japonais Mitsubishi. L’offre révisée, formulée par GE, permettra à Alstom de se désendetter et de se recentrer sur ses activités dans le secteur du transport, en cédant ses activités dans la branche énergie, tout en sécurisant le savoir-faire de la firme française dans le secteur nucléaire. Dans ces secteurs stratégiques, où la commande publique est essentielle, le gouvernement cherchait à conserver un levier afin de peser sur les stratégies industrielles d’un groupe prêt à passer sous pavillon étranger. Si on tient compte de l’entrée dans le capital de PSA, l’Agence des participations de l’État a été mise à contribution à la hauteur de 2,5 milliards d’euros en l’espace de quelques mois afin de gérer le patrimoine public, en accompagnant des restructurations industrielles rendues indispensables par la dégradation des comptes des entreprises. Chacun semble y trouver son compte : GE se désengage des activités financières qui immobilisent du capital du fait de contraintes prudentielles renforcées et accélère son recentrage sur les activités industrielles ; Alstom peut développer une offre intégrant les transports et la signalisation et s’internationaliser pour être moins exposé aux marchés matures européens. Quant aux pouvoirs publics, ils accréditent la thèse qu’un État volontariste est capable de sauver l’emploi, préserver les compétences industrielles et conserver le contrôle de secteurs jugés stratégiques. Faut-il pour autant se féliciter de ce qui est en réalité un plan de sauvetage plus qu’une alliance ? Alstom subit une concurrence croissante de la part des pays émergents et les pouvoirs publics mobilisent des sommes considérables pour préserver l’existant, sans véritablement chercher à susciter un développement des activités qui entraîneront la croissance future. La France et l’Allemagne n’ont pas su dépasser la concurrence entre Siemens et Alstom pour créer un « Airbus européen » dans le secteur des transports.

{Entreprise} Alstom : une passion française

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Économie > ILLUSTRATIONS

Une aventure industrielle UÊ L’histoire d’Alstom illustre trois phénomènes économiques : l’internationalisation des activités (précoce dans le cas d’Alstom), la croissance externe et la diversification et enfin l’implication des pouvoirs publics.

Alstom : un géant industriel

Le groupe est présent dans plus de 100 pays

Chiffre d’affaires (en 2013)

20,1

Centrales thermiques

milliards d’euros dont

9

Énergies renouvelables

1,8

Grid (réseaux électriques)

3,8

 fectifs Actionnariat

!!! !!! !!!

5,5

Salariés

63,3 %

1,3 6

29,4

93 000

Transports

Institutionnels

Individuels

Bouygues

Dates clés Alsthom rachète les Chantiers de l’Atlantique (revendus en 2006)

Création d’Alsthom Fusion entre une société alsacienne et une américaine

1928

Pertes de 2 milliards d’euros, Plan de sauvetage de l’État

1976 1969

La Compagnie générale d’électricité actionnaire majoritaire

2004 1998

Alsthom devient Alstom Introduction en Bourse

2006



Bouygues acquiert 21 % d’Alstom Source : Alstom.

L’accord GE-Alstom UÊ L’accord GE-Alstom conserve quatre centres de décision français dans les domaines où les compétences d’Alstom sont reconnues, en échange de la cession par le groupe français de ses activités dans le secteur des turbines à gaz. La coopération future prendra la forme de co-entreprises (joint ventures). En revanche, le groupe français bénéficie de l’apport de la branche signalisation, complémentaire avec celle des transports où il se renforce. L’arrivée de GE permettra de réduire l’endettement de la branche transport, évalué à 500 millions d’euros, de s’internationaliser et de faire face à la montée des concurrents dans les pays émergents où se trouvent les marchés dynamiques. 24

{Entreprise} Alstom : une passion française

Économie Un puzzle à 20,3 milliards d’euros Ce qui était Alstom mais qui devient General Electric Ce qui reste Alstom

BRANCHE ÉNERGIE :

BRANCHE TRANSPORT :

14,4 MILLIARDS D’EUROS (CA 2013) A

5,9 MILLIARDS D’EUROS (CA 2013)

100 % GENERAL ELECTRIC

B

50 % GE

50 % ALSTOM

C

50 % GE

50 % ALSTOM

D

50 % GE

50 % ALSTOM

100 % ALSTOM

A Turbines à gaz et à vapeur (hors nucléaire) B Réseau

C Énergies renouvelables

D Turbines à vapeur (nucléaire) + brevets nucléaires Arabelle 100 % Alstom (+ droit de veto de l’État)

Comparaison des chiffres d’affaires en 2013 GENERAL ELECTRIC

(107 MILLIARDS D’EUROS) 14,4

MILLIARDS 5,9 D’EUROS MILLIARDS D’EUROS

{Entreprise} Alstom : une passion française

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Économie

ENJEUX

UÊ Une passion politique L’intervention publique dans le secteur industriel correspond à une pratique colbertiste supposant que les décisions privées servent rarement l’intérêt national dont les pouvoirs publics sont les garants. S’ajoute une tradition technocratique de définition d’objectifs industriels et de désignation de champions nationaux gravitant dans le giron de l’État (entreprises nationalisées, participation au capital). À plus court terme, le volontarisme politique est censé apporter quelques bénéfices électoraux et contredire l’impression tenace que dans une économie mondialisée il n’y a d’autre alternative que la course au gigantisme des oligopoles transnationaux. N. Sarkozy ne s’y est pas trompé, qui a répété tout au long de la campagne électorale de 2007 qu’il avait sauvé Alstom en 2004, en faisant entrer l’État au capital de l’entreprise, au bord du gouffre à la suite d’une décision industrielle calamiteuse. Ultérieurement la participation a été revendue au groupe Bouygues ; désormais il est sommé de la céder à l’État afin que celui-ci puisse acquérir une position dominante dans le nouveau groupe. Vantant fréquemment les mérites de l’internationalisation des firmes françaises, les gouvernements peinent à en accepter la contrepartie. Pour contrer une OPA éventuelle de Pepsi sur Danone, le gouvernement Fillon avait en 2005 sanctuarisé par décret une dizaine de secteurs jugés stratégiques pour lesquels les opérations de rachat ne sont pas possibles en cas de blocage gouvernemental. Le décret a été renforcé par le gouvernement suivant. À gauche, l’implication du ministre de l’Économie, A. Montebourg, donne des gages à la fraction la plus critique du parti socialiste, tout en tentant d’effacer l’échec face à Arcelor-Mittal (fermeture de l’aciérie de Florange). UÊ Une passion industrielle L’économie française traverse une phase de désindustrialisation accélérée et plus prononcée que la plupart des pays de l’OCDE. Entre 1975 et 2009, l’industrie a perdu 2,5 millions d’emplois et les plans sociaux se sont accélérés avec la crise de 2007. Il n’est pas sûr que le secteur tertiaire puisse constituer un relais de croissance autonome satisfaisant, d’une part à cause de l’imbrication étroite des produits industriels et des services associés, d’autre part car la structure de l’emploi industriel ne correspond pas à celle du secteur des services en termes de compétences et de répartition sur le territoire. L’accord GE-Alstom apportera 7,3 milliards d’euros de cash au groupe français qui devra prendre des décisions aux implications industrielles fortes : rassurer les actionnaires en leur versant un dividende élevé, se désendetter et recapitaliser la branche transport. De la pondération des choix dépendra la viabilité du futur groupe.

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{Entreprise} Alstom : une passion française

Économie UÊ Une passion économique La persistance du chômage et les contraintes subies sur les leviers macroéconomiques imposent de recourir à de nouveaux instruments de soutien de l’activité. La branche transport d’Alstom emploie 26 000 personnes en France. Par ailleurs, GE s’est engagé à préserver l’emploi en France malgré les effets de synergies possibles avec le nouveau périmètre. À l’horizon de trois ans, le groupe américain créera 1 000 emplois (ou paiera 50 000 euros par emploi non créé).

{Entreprise} Alstom : une passion française

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{Débat} {Actualité}

La détente monétaire en Europe par Charles Mazé

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS

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{Actualité} La détente monétaire en Europe

Économie soutenir l’investissement, et donc l’activité économique, et d’éviter l’effondrement de la confiance entre les agents économiques. En effet, en 2009, le gel du marché interbancaire, conséquence d’une défiance entre les banques, a provoqué une restriction des crédits alloués aux agents non financiers. Or, dans le même temps, la chute de la demande anticipée par les entreprises a également découragé les investisseurs, si bien que la production mondiale se réduit entre 2008 et 2009 (-2,2 %) et que l’investissement chute lourdement dans les pays de l’OCDE : -13,7 % en France entre 2008 et 2009, -16,7 % aux États-Unis. L’intervention monétaire a alors permis de sécuriser les banques en garantissant la valeur de certains actifs, et d’offrir davantage de liquidités au marché interbancaire. UÊ Ainsi, la divergence des choix de politique monétaire a provoqué des écarts dans les rythmes de croissance respectifs : alors que les États-Unis ont vu leur PIB croître de 2,8 % en 2012, la zone euro a connu, selon Natixis, une croissance négative (-0,5 %) cette même année. En conséquence, de nombreux économistes tels Agnès Benassy-Quéré (Conseil d’analyse économique – CAE) ont prôné un changement de politique monétaire de la part de la BCE.

ENJEUX

UÊ De la difficulté pour une telle politique d’être efficace dans un contexte de défiance Une politique monétaire expansionniste a pour objectif principal de baisser le taux d’intérêt auquel se financent les entrepreneurs désireux d’investir. Mais l’investissement n’est pas déterminé seulement par son coût, mais également par son rendement, et donc par la demande anticipée par l’entrepreneur. Or, en récession, la demande est faible, de sorte que les anticipations sont pessimistes. Aussi, pour faibles que soient les taux d’intérêt, les entreprises n’investissent pas, et n’empruntent pas les liquidités disponibles. L’autre écueil qui menace l’efficacité d’une telle politique monétaire est le risque que l’économie se trouve dans une situation de trappe à liquidité, dans laquelle les taux d’intérêt nominaux sont si faibles que les banques n’ont pas intérêt à prêter les liquidités offertes par la banque centrale, ce qui signifie que la préférence pour la liquidité est quasi absolue, si bien que la hausse de la quantité de monnaie centrale n’implique pas une augmentation de la masse monétaire. La politique monétaire est alors inefficace. UÊ Du risque spéculatif que présente cette politique Dès lors, si les liquidités ne sont pas utilisées par l’économie réelle, le risque est fort qu’elles soient utilisées pour spéculer sur des actifs, dont le prix risquerait alors de s’élever, provoquant la création de bulles spéculatives néfastes à l’économie. En 2003, la politique expansionniste d’Alan Greenspan, alors président de la FED, a provoqué une vague spéculative sur l’immobilier aux États-Unis, ce qui déclencha la crise financière mondiale de 2008.

{Actualité} La détente monétaire en Europe

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Économie UÊ L’efficacité de la politique monétaire par la voie du taux de change Lorsque les taux d’intérêt versés dans un premier pays sont supérieurs à ceux versés dans un second, la monnaie du premier s’apprécie par rapport à celle du second. Or, depuis 2008, les taux d’intérêt directeurs de la BCE sont supérieurs à ceux des autres principales banques centrales, ce qui explique que l’Euro soit une des monnaies les plus fortes parmi celles des pays de l’OCDE. Aujourd’hui, en plus de la détente monétaire en Europe, la FED s’apprête à mettre progressivement fin au quantitative easing, c’est-à-dire à la politique monétaire particulièrement favorable qu’elle avait adoptée en réponse à la crise économique, ce qui devrait entraîner un relèvement des taux d’intérêt aux ÉtatsUnis. Dès lors, le différentiel de taux de change entre l’euro et les autres monnaies se réduirait, de sorte que la politique expansionniste de la BCE devrait être d’autant plus efficace qu’elle favorisa les exportations européennes de manière importante : le CAE estimait ainsi en janvier 2014 qu’une baisse de 10 % de la valeur de l’euro permettrait une augmentation de 7 à 8 % des exportations de la zone. Toutefois, certains économistes contestent le bien-fondé de cette politique, soulignant davantage les faiblesses de l’économie de la zone euro qu’un euro soi-disant trop fort. En Allemagne, par exemple, la politique monétaire de la BCE a suscité de vives critiques de la part de Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, en raison du renchérissement des importations qu’elle provoque et de la faible rémunération de l’épargne qu’elle impose. Dès lors, cette nouvelle orientation de la politique monétaire de la BCE marque aussi un changement dans le rapport de force au sein de l’union monétaire entre les pays partisans de l’orthodoxie monétariste (Allemagne) et ceux qui se prononcent en faveur de la relance monétaire (Europe du Sud), et met l’accent sur la question de l’homogénéité des situations nationales, déjà faite condition de l’optimalité d’une zone monétaire par Robert Mundell en 1961. La question du choix de l’orientation de la politique monétaire en zone euro nous ramène dès lors au débat sur la convergence réelle des économies de la zone, et des choix de politique économique.

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{Actualité} La détente monétaire en Europe

{Entreprise}

Uber : une valorisation délirante ? par Arnaud Labossière « Notre adversaire est un connard, qui s’appelle Taxi. Personne ne l’aime, personne n’aime ce qu’il fait mais il est tellement impliqué dans les rouages politiques que beaucoup de personnes lui doivent des faveurs. » Travis Kalanick, P.-D.G. d’Uber.

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS En Juin 2014, l’entreprise californienne Uber était valorisée à 17 milliards de dollars après une levée de fonds de 1,2 milliard de dollars. L’entreprise a été créée quatre ans plus tôt, par un certain Travis Kalanick. Elle s’est spécialisée dans la location de chauffeurs et de la mise en relation d’un client avec une voiture grâce à une application mobile. En France, on appelle cela les VTC : véhicule de tourisme avec chauffeur. C’est une alternative aux taxis jugés trop chers, trop peu nombreux et dont la qualité du service est critiquée depuis des années. Rapidement Uber est devenue un symbole de la bataille qui oppose les acteurs établis d’un secteur très réglementé et les start-up innovantes issues du monde de la technologie. Si Uber est la plus célèbre, elle n’est pas la seule entreprise de VTC : on peut citer aussi Lyft son grand concurrent aux États-Unis ou AlloCab en France. En 2014 et dans la plupart des pays du monde, la guerre est déclarée entre les compagnies de taxi et les VTC. Les armes des taxis sont les réglementations existantes et le lobbying pour en obtenir davantage (par exemple imposer un délai aux VTC entre le moment de la commande et le moment de la prise en charge du client). Les armes d’Uber sont la qualité de son intégration technologique et de son service mais aussi sa capacité d’innovation. Uber a ainsi lancé Uber Fresh pour livrer à domicile des aliments ou Uber Pool, un système de covoiturage.

> ILLUSTRATIONS UÊ Uber c’est 900 employés, une présence dans 128 villes dans le monde, un chiffre d’affaires estimé à 1 milliard de dollars et des revenus qui double tous les 6 mois. UÊ Il y avait plus de taxi à Paris en 1920 qu’il y en a aujourd’hui (25 000). UÊ Le prix d’une licence de taxi à Paris coûte environ 230 000 euros. UÊ À titre de comparaison, Facebook était valorisé à 50 milliards de dollars lors de sa dernière levée de fonds en janvier 2011 (qui a précédée son introduction en bourse).

{Entreprise} Uber : une valorisation délirante ?

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Économie

ENJEUX

UÊ Le symbole de la « disruption » opérée par le numérique Pour comprendre Uber, ou le phénomène des VTC, il faut comprendre la confrontation entre les entreprises technologiques innovantes et les acteurs établis dans des secteurs protégés de la concurrence par des réglementations. Ces acteurs traditionnels bénéficient de ce qu’on appelle une rente et les nouveaux entrants (qui contournent la réglementation grâce à la technologie) cherchent à capter cette rente. La technologie permet de redistribuer les cartes. Comme le déclare l’investisseur vedette de la Silicon Valley, Marc Andreessen : « Les logiciels sont est en train de dévorer le monde » (dans un article du Wall Street Journal de 2011 intitulé « Why is software eating the world »). Les entreprises de software sont depuis plus de 15 ans à l’attaque de tous les secteurs de l’économie. Le développement des applications et l’équipement des ménages en ordinateurs, tablettes et smartphones ont permis à ces entreprises de créer un lien privilégié avec le consommateur/utilisateur. Elles obtiennent progressivement le monopole de l’interaction avec le client, remplaçant les acteurs traditionnels et les transformant en sous-traitants. De plus, ce sont ces entreprises qui récoltent les précieuses données qui leur permettent de connaître de mieux en mieux les utilisateurs et de leur offrir un service toujours meilleur. Netflix (leader du streaming – légal – aux États-Unis) en est un exemple : avec les données que l’entreprise a sur les utilisateurs, elle peut fabriquer de toutes pièces des séries qui correspondent aux goûts des utilisateurs. C’est aussi une affaire de culture. Premièrement, il y a un rapport particulier au numérique. Uber est « né » dans le numérique, les compagnies de taxis essaient de s’adapter. Ils n’ont donc pas le même rapport à la technologie : pour le premier, le numérique est son ADN ; pour les autres, c’est un outil parmi d’autres. Deuxièmement, les entreprises comme Uber sont des « rebelles » qui n’ont pas peur de s’attaquer à des secteurs protégés et à contourner les réglementations. Il y a une acceptation du risque et un refus de statu quo chez ces entreprises. Airbnb (qui fait aussi parti du club des start-up à plus de 10 milliards de dollars) en est aussi une incarnation : dans de nombreuses villes ses activités sont tout simplement illégales, mais ça ne retient pas l’entreprise. Précisons que dès lors qu’elles percent, les levées de fonds donnent à ces entreprises les moyens de leur ambition. Ces entreprises ont une approche dite « full stack ». Il s’agit de la volonté de remonter verticalement la chaîne de valeur. Aujourd’hui Uber met en relation une offre et une demande, et emploie des chauffeurs. Mais Uber a aussi passé un accord avec Google pour acheter 2 500 « Google Cars », ce sont des voitures sans conducteurs. Si les intentions de Uber ne sont pas claires à ce sujet, on peut néanmoins y voir une volonté de mieux contrôler la chaîne de valeur et de capter plus de revenus (il n’y a plus de chauffeur à payer, sachant que les chauffeurs touchent 80 % de la prestation).

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{Entreprise} Uber : une valorisation délirante ?

Économie UÊ Une bulle des valeurs technologiques ? Entre août 2013 et juin 2014, la valorisation d’Uber est passée de 3,5 milliards à 17 milliards de dollars (soit une multiplication par plus de 5). Et comme à chaque levée de fonds record depuis des années, le concept du « retour de la bulle internet » est sur toutes les lèvres. Le monde est traumatisé par l’éclatement de la bulle internet (1999-2000) suite à un emballement spéculatif sur les valeurs technologiques (1996-1999). Néanmoins aujourd’hui la situation semble être différente. Rappelons qu’on définit une bulle spéculative quand il y a un décrochage entre la valeur, sur les marchés financiers, d’un actif et sa valeur réelle (soit la somme des revenus futurs actualisée). Or, force est de constater que les entreprises technologiques sont aujourd’hui pour beaucoup très rentables. Par exemple, Google a fait 1 milliard de dollars de profit par mois en 2013. Seulement elles mettent du temps à trouver un business model prospère d’où une déconnection temporaire entre la valorisation de l’entreprise et ses revenus. À la différence de 1999, les activités de ces entreprises technologiques sont ancrées dans la vie économique et sociale. Il y avait 50 millions d’ordinateurs autour de 2000, près de 2 milliards en 2010 et on estime qu’il y en aura 5 milliards vers 2020. Comparer la situation de 1999 à celle d’aujourd’hui pose dès lors problème. L’économiste Carlotta Perez montre que, historiquement, avec l’apparition de nouvelles technologies, il a systématiquement une première vague de croissance tirée par le financement spéculatif de ces technologies. Cela mène à la formation d’une bulle puis à son éclatement. Une fois la bulle éclatée, la croissance va reprendre mais, cette fois-ci, elle va être tirée par l’intégration de ces technologies dans un environnement économique. De ce point de vue les années 1996-1999 ont été la phase de financement spéculatif et la période actuelle est celle de la croissance économique réelle. Uber semble s’inscrire dans cette dynamique de croissance : on estime son chiffre d’affaires à 1 milliard de dollars en 2014 et ses revenus nets à 300 millions. Il s’agit donc d’un vrai business, très lucratif. Une forte valorisation n’est donc pas totalement déconnectée de la réalité économique. Néanmoins n’oublions pas qu’à chaque bulle financière, les acteurs économiques trouvent des arguments pour montrer que « cette fois-ci c’est différent » (pour reprendre l’expression des économistes C. Reinhardt et K. Rogoff dans leur ouvrage Cette fois-ci c’est différent, huit siècles de folies financières). Savoir si la période actuelle est marquée par une bulle des valeurs technologique dont Uber en serait une des manifestations est trop complexe pour être tranchée ici.

{Entreprise} Uber : une valorisation délirante ?

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{Débat} {Actualité}

France, le choc fiscal par Jean-Luc Dagut

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS L’année 2014 s’inscrit dans le prolongement des précédentes et sera marquée par l’intensification du « choc fiscal ». Le cru devrait être prodigue. Plus de 10 milliards d’euros d’impôts supplémentaires sont attendus. L’essentiel de l’effort fiscal proviendra des ménages et concerne l’impôt sur le revenu (IR). Parmi les mesures nouvelles, l’abaissement de l’avantage fiscal procuré par le quotient familial (1 500 euros par demi-part au lieu de 2000 euros) devrait rapporter environ 1 milliard d’euros. La suppression de l’exonération d’impôt sur les majorations de retraites pour charges de famille (bénéficiant jusqu’ici aux parents ayant eu trois enfants et plus) environ 1,2 milliard. L’intégration dans l’assiette du revenu soumis à l’IR des cotisations patronales finançant les complémentaires santé de certains salariés devrait générer 1 milliard de recettes supplémentaires. S’ajoutent la suppression de la demi-part supplémentaire pour les personnes ayant élevé seules un enfant (jusqu’ici accordée à vie), la fin de la réduction d’impôt pour frais de scolarité, et la création (pour deux ans) de la taxe exceptionnelle de 75 % sur les hautes rémunérations (pour la partie supérieure à un million d’euros) versées par les entreprises. La combinaison de ces mesures avec notamment le gel du barème de l’impôt sur le revenu pendant les deux années précédentes (dont le gain pour l’État est estimé par la Loi de Finance à 600 millions d’euros par an), et sa sous-indexation lors des années précédentes, a permis de faire entrer dans le champ de l’impôt un million de contribuables supplémentaires. D’autres impôts augmentent : la TVA bien sûr au 1er janvier 2014, dont le taux normal passe de 19,60 à 20 %, et le taux intermédiaire de 7 à 10 % ; la TICPE (taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques) dont la progression des recettes est prévue à 400 millions ; les taxes locales, et les droits de mutation liés aux acquisitions immobilières (« frais de notaire ») qui sont portés de 5,09 à 5,80 % ; l’application rétroactive des taux de prélèvements sociaux en vigueur aujourd’hui (15,6 %) aux revenus de tous les contrats d’assurance-vie en cas de retrait devrait rapporter quant à elle 600 millions d’euros de recettes supplémentaires… Par un effet de masse, ces hausses nouvelles s’ajoutent aux précédentes, intervenues en 2013 et 2012 : imposition des revenus de l’épargne et des plus-values selon le barème de l’IR, hausse de certaines cotisations et notamment des prélèvements sociaux (à 15,6 %) sur les revenus du capital, suppression de l’abattement forfaitaire sur les dividendes, création du taux marginal supérieur d’imposition (TMS) de 45 %, « surtaxe Sarkozy » de 3 % pour les plus hauts revenus portant le TMS à 48 %, plafonnement ou suppression des principales niches et du « bouclier fiscal », intensification notable des redressements fiscaux (les recettes de l’ISF devraient atteindre un record à 5 milliards d’euros)…

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{Actualité} France, le choc fiscal

Économie Au total, les taux de prélèvements obligatoires ont bondi de 43,8 à 46,5 % du PIB entre 2011 et 2014 (estimation), soit 2,7 points de PIB en plus. Leur montant en valeur est passé de 876 à 976 milliards d’euros selon l’Insee, soit une hausse de 11 % et de 100 milliards en valeur courante (compte tenu de la progression du PIB nominal, et en dépit d’une chute des recettes de l’IS en raison de la mauvaise conjoncture). Cet effort fiscal, nécessaire à la réduction du déficit public, devrait permettre de ramener celui-ci à 3,8 % du PIB en 2014, si l’objectif du gouvernement est tenu (contre 5,3 % en 2011). L’amélioration du solde budgétaire sur cette période, de l’ordre de 1,5 point de PIB, est toutefois limitée car les dépenses publiques ont augmenté dans le même temps, d’environ 1,2 point de PIB, amenant celles-ci légèrement au-dessus de 57 % du PIB en 2014. Au total, la variation des masses budgétaires en pourcentage du PIB est finalement de : impôts + 2,7 = réduction du déficit 1,5 + augmentation des dépenses 1,2.

> ILLUSTRATIONS UÊ Les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations) ont représenté en France 46,5 % du PIB en 2014, 46,3 % en 2013, 44,9 % en 2012, 43,8 % en 2011. UÊ En 2011, les taux de prélèvements obligatoires se sont élevés à 38,8 % en moyenne dans l’Union européenne, 33,8 % dans l’OCDE, 25,1 % aux États-Unis, 27,6 % au Japon (source Insee). UÊ Les bénéficiaires des prélèvements obligatoires ont été en 2013 : les organismes de sécurité sociale à hauteur de 24,6 % du PIB, l’État pour 14,1 %, les collectivités locales pour 6,1 %, l’Union européenne pour 0,2 %, autres pour environ 1 % (source : Projet de loi de finance 2014). UÊ Les recettes fiscales de l’État en 2013 ont représenté 290 milliards d’euros. Elles proviennent de la TVA (136 milliards, 47 % du total), de l’impôt sur le revenu (70 milliards, 24 %), de l’impôt sur les sociétés (50 milliards, 17 %), de la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques ou TICPE (14 milliards, 5 %), et de recettes diverses (20 milliards, 7 %). Les recettes non fiscales ont représenté 14 milliards (source PLF 2014, chiffres arrondis). UÊ 53,5 % des ménages sont imposables en 2014 (sur les revenus 2013), représentant 36,7 millions de foyers imposables, en hausse d’un million environ par rapport aux années précédentes. 3,6 millions d’entre eux, les plus aisés, représentant 10 % du total, paient environ 50 % de l’IR et de la CSG. 1,5 % acquitte 42 % de l’IR, 46,5 % des foyers en sont exonérés. UÊ Sur un loyer perçu de 100, un contribuable aisé, imposé au taux marginal supérieur (TMS) de 45 %, paye par exemple 10 % de taxes foncières, 15,6 % de prélèvements sociaux et 45 % d’impôt sur le revenu (calculé sur 90, déduction faite de la taxe foncière), soit (10 % x 100) + (60,6 % x 90) = 64,54 d’impôt (un tout petit peu moins compte tenu de la déductibilité d’une partie de la CSG). Les deux tiers du loyer sont ponctionnés par les impôts (50 % pour un TMS de 30 %). Si l’on rajoute l’ISF auquel il est probablement assujetti, et les charges de propriété (assurance, gestion, travaux), il lui reste de 10 à 20. UÊ Les taux marginaux supérieurs (TMS) de l’IR ont été abaissés au cours des années 2000, mais l’assiette de l’impôt a été élargie en contrepartie. Avant 2003, il existait un TMS de 65 %, mais le calcul de l’IR ne s’appliquait qu’à 72 % des revenus salariaux. Deux abattements

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Économie s’appliquaient, 10 % pour frais professionnels, et une « réfaction » supplémentaire de 20 %. Celle-ci a été supprimée, et le revenu est désormais imposé sur 90 %. Ce qui a permis d’abaisser les taux apparents. Dans le système actuel, un TMS de 48 % représente une incidence fiscale de 43 % (0,48 x 0,90), contre 47 % dans l’ancien système avec un TMS de 65 % (0,65 x 0,72). Soit 4 points de moins, et non 17 (65 % – 48 %). UÊ La « trajectoire » des déficits publics de la France se dessine ainsi : 7,5 % du PIB en 2009, 7 % en 2010, 5,3 % en 2011, 4,9 % en 2012, 4,3 % en 2013, objectifs 3,8 % en 2014, 3 % en 2015, 0 % en 2017… ?

Recettes fiscales de l’État en 2013

TICPE t 5 % (14 milliards)

Recettes diverses t 7 % (20 milliards)

Impôt sur les sociétés t 17 % (50 milliards)

TVA t 47 % (136 milliards)

Impôt sur le revenu t 24 % (70 milliards)

ENJEUX

UÊ Acharnement fiscal et choc économique : les entreprises en danger La France est passée de l’espoir d’un grand soir fiscal pour quelques-uns, au choc fiscal réel pour d’autres, et au ras-le-bol fiscal pour tous. Au-delà de l’alourdissement de la note pour les ménages, le problème plus crucial encore est celui des entreprises. Les entreprises françaises paraissent en effet en mauvaise posture dans la compétition internationale. La rentabilité moyenne est tombée à un niveau critique. L’ENE (excédent net d’exploitation) ne représente plus que 13 % de la valeur

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{Actualité} France, le choc fiscal

Économie ajoutée, contre plus de 20 % au Royaume-Uni, et près de 25 % en Allemagne. L’EBE (excédent brut d’exploitation) est tombé à 27 % de la VAB, et à 21 % dans l’industrie, contre 33 % dans l’industrie allemande. Cette faiblesse de la rentabilité affecte les recettes mêmes de l’État. En France, les recettes de l’IS ne représentent que 2,3 % du PIB en 2012, contre 2,8 % en Allemagne, et 2,9 % au Royaume-Uni. Et pourtant le taux de l’IS français est l’un des plus élevés d’Europe, et du monde : 33,33 %, et 38 % pour les grandes entreprises ayant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros. Avec de moindres taux d’imposition, nos concurrents européens parviennent à prélever une recette fiscale plus importante, car la profitabilité de leurs entreprises, moins taxées et plus compétitives, est meilleure. En 2012, les prélèvements opérés sur les entreprises françaises se sont élevés, selon les chiffres du Trésor public, à 286 milliards d’euros, soit 14,5 % du PIB : 178 milliards de cotisations patronales, 65 milliards d’impôts sur les facteurs de production, 47 milliards d’impôts sur le revenu et le patrimoine (dont l’IS). La charge fiscale pesant sur elles s’est alourdie de 30 milliards entre 2010 et 2014 (1,5 % du PIB). Particularité française, les impôts sur les facteurs de production (C3S, CVAE…), supportés notamment par les grandes entreprises, sont les plus hauts d’Europe : 3,2 % du PIB, contre 1,4 % en Europe et 0,4 % en Allemagne. À cela s’ajoute une multitude de petites taxes pesant sur les entreprises : 179 ont un rendement inférieur à 100 millions d’euros, contre 3 en Allemagne et zéro en Grande-Bretagne, et 150 coûtent plus à prélever qu’elles ne rapportent… UÊ Vers une rémission fiscale ? En mars 2014, se sont tenues « Les Assises de la fiscalité », voulues par le gouvernement et à la demande surtout des entreprises (MEDEF, CGPME…), en vue de définir les modalités d’une atténuation supplémentaire de la fiscalité qui leur est appliquée. Les pouvoirs publics semblent avoir enfin pris conscience de l’urgence d’améliorer leur rentabilité afin de les aider à survivre, devenir plus compétitives et créer des emplois. Les réformes qui s’imposent doivent s’attacher à libérer et stimuler les forces productives. Des mesures telles que le crédit-impôt-recherche, adopté sous le gouvernement précédent, vont certainement dans le sens souhaité. Le nouveau crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE) également, bien que mêlant de façon confuse un objectif d’emploi à un objectif de compétitivité. Le pacte de responsabilité adopté en 2014, qui retire des charges patronales les cotisations pour la famille, pour une trentaine de milliards, est enfin bienvenu, mais ne doit pas être assorti de « contreparties », car loin de s’apparenter à un « cadeau au patronat », son sens véritable est bien plutôt de rendre une partie du « trop perçu », les marges des entreprises étant au plus bas dans un pays où le « coin social » reste le plus haut du monde (selon l’OCDE, les cotisations patronales représentent en France 11,3 % du PIB, soit deux fois plus que la moyenne OCDE, 6,7 % en Allemagne, 3,8 % au RU). {Actualité} France, le choc fiscal

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Économie Améliorer la rentabilité des entreprises françaises, et renforcer l’attractivité du territoire pour les IDE, devrait passer en priorité par une baisse rapide du taux de l’IS à 25 %, qui serait proche de la moyenne européenne (mais encore très supérieur à celui des pays du dumping fiscal : 12,5 % en Irlande, et parfois moins dans certains PECO). Toutes les entreprises ne font pas, loin s’en faut, de l’optimisation fiscale, via des paradis fiscaux. Et les PME et TPE très peu. Les négociations sont en cours… La plupart des gouvernements d’Europe ont adopté des mesures fiscales fortes en faveur des entreprises, voire abaissant l’impôt sur le revenu des ménages. En 2014, les réformes introduites par les gouvernements de Mariano Rajoy en Espagne, et de Mattéo Renzi en Italie ont paru ambitieuses. Les récentes déconvenues électorales rencontrées par le gouvernement français ont conduit le nouveau Premier ministre Manuel Valls, s’attachant à défaire ce que son prédécesseur avait à peine mis en place, à annoncer en juin 2014 de prochaines baisses d’impôts pour 3,7 millions de ménages à revenus modestes (coût de 1,16 milliard pour l’État), faisant ressortir de l’IR 1,9 million de foyers qui l’avaient fraîchement intégré. Alors que la France s’est engagée à réaliser 50 milliards d’économies de 2015 à 2017, ces baisses d’impôts, qui s’ajoutent à de nouvelles hausses de dépenses (revalorisation du RSA, levée du gel de certaines prestations sociales, retour du prêt à taux zéro, « plan Touraine », prises de participation au capital d’Alstom, PSA, Ecomouv’…) laissent plutôt perplexe quant à la cohérence temporelle de la politique menée. Sans parler du récent « plan Royal » annonçant notamment le retour de l’écotaxe (dont l’incidence sera d’allonger les temps de transport, d’aggraver la pollution et faire monter les prix). Entre les tentations populistes, les hésitations électoralistes, et l’organisation d’une fiscalité stable qui serait économiquement efficace sans être socialement injuste, le chemin peut être parfois difficile.

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{Actualité} France, le choc fiscal

{Actualité}

Les BRICS créent leur propre banque mondiale par Nicolas Tschann

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Réunis dans la station balnéaire de Fortaleza (nord-est du Brésil), dans le cadre de leur 6e sommet annuel, les dirigeants de Russie, d’Inde, de Chine et d’Afrique du Sud ont créé le 15 juillet 2014 leur propre banque et un fonds de réserves, posant la première pierre d’une nouvelle architecture financière face à l’hégémonie occidentale. Ils ont ainsi réussi à surmonter leurs divergences pour s’accorder sur les modalités de cette institution, qui constituait un serpent de mer depuis plusieurs années. Cette annonce d’un nouveau système financier survient au moment où certains pays émergents donnent des signes d’essoufflement, avec une prévision de croissance de seulement 1 % au Brésil ou en Russie, pénalisés par la politique monétaire américaine. Le président russe Vladimir Poutine, qui accueillera en juillet 2015 le prochain sommet des BRICS, a salué l’accord de Fortaleza, y voyant un « outil très puissant pour prévenir de nouvelles difficultés économiques ». Son homologue chinois Xi Jinping a évoqué une « association solide », réaffirmant la nécessité d’augmenter la représentativité et la voix des pays en développement, alors que les BRICS dénoncent régulièrement la lenteur de la réforme du FMI censée leur apporter davantage de droits de vote. « Ces initiatives montrent que nos pays sont engagés dans une association solide et productive malgré leur diversité », s’est félicitée quant à elle la présidente brésilienne Dilma Rousseff. Basée à Shanghai, en raison de la qualité de ses infrastructures et sa concentration en capitaux privés et en investissements, cette nouvelle banque sera dotée d’un capital initial de 50 milliards de dollars, apportés par les 5 participants, avec une force de frappe potentielle de 100 milliards. « L’Inde a, semble-t-il, concédé l’implantation du siège de la banque à Shanghai, en échange de quoi elle reçoit l’assurance d’une répartition égale entre les droits de vote des pays membres, contrairement au modèle de gouvernance de la Banque mondiale » précise Alicia Garcia-Herrero, chef économiste chez BBVA. L’accord sur les réserves permettra d’éviter « les pressions à court terme sur les liquidités », de « promouvoir une plus grande coopération » au sein des BRICS et de « renforcer la sécurité financière globale », indique la déclaration finale du sommet.

{Actualité} Les BRICS créent leur propre banque mondiale

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Économie > ILLUSTRATIONS Droits de vote au FMI en % en 2012 18 16

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UÊ Bric : ce terme est apparu pour la première fois en 2001 dans une note de Jim O’Neill, économiste de la banque d’investissement Goldman Sachs, et a été repris en 2003 dans un rapport publié par deux économistes de la même banque pour rendre compte d’une géographie économique complexe et renouvelée. Ce rapport tendait à montrer que l’économie des pays du groupe BRIC (partageant extension territoriale, poids démographique, abondance des ressources naturelles et fort taux de croissance) allait rapidement se développer ; le PIB total des BRIC devrait égaler en 2040 celui du G6 (États-Unis, Allemagne, Japon, France, Royaume-Uni et Italie). Le groupe des BRIC a été institutionnalisé en 2009 suite à une initiative de Vladimir Poutine pour politiser et rendre tangible l’acronyme créé par Goldman Sachs. L’Afrique du Sud a rejoint le groupe en 2011 donnant naissance aux BRICS. UÊ Les BRICS représentent 40 % de la population mondiale et près de 25 % du PNB mondial. UÊ Pékin sera le plus important contributeur de ce fonds avec 41 milliards de dollars ; viennent ensuite le Brésil, l’Inde et la Russie avec 18 milliards chacun et enfin l’Afrique du Sud avec 5 milliards. UÊ Le FMI et la Banque mondiale sont régulièrement critiqués pour leur incapacité à refléter l’ascension des grands pays émergents. La Chine, par exemple, est la deuxième puissance économique mondiale, mais elle continue de peser à peine plus lourd que l’Italie au sein du FMI. UÊ La banque de développement aura notamment pour objectif de financer de grands projets d’infrastructures, de santé et d’éducation dans les pays concernés et, à terme, dans d’autres pays émergents. Elle pourra accorder des prêts à hauteur de 350 milliards de dollars.

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{Actualité} Les BRICS créent leur propre banque mondiale

Économie

ENJEUX

UÊ Une remise en question de l’ordre de Bretton Woods ? Les BRICS n’avaient jusqu’ici pas réussi à s’entendre sur ce double projet visant à faire contrepoids à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI), où ils s’estiment mal représentés, leur droit de vote étant moindre que leur poids économique. Pour les grands pays émergents, il s’agit donc, d’une part, de réagir aux lenteurs dans la réforme de la gouvernance mondiale, d’autre part de se soustraire aux pouvoirs du FMI et de la Banque mondiale où les Occidentaux sont surreprésentés, mais aussi de s’affranchir de la tutelle du dollar et des institutions de Breton Woods (Fonds monétaire et Banque mondiale dont les présidents sont historiquement respectivement un Européen et un Américain) mises en place il y a 70 ans et qui entérinent les privilèges des États-Unis. Ce nouveau pas leur permet ainsi de faire bloc malgré leurs divergences et d’affirmer leur indépendance vis-à-vis de l’hégémonie occidentale. En effet, la réforme du FMI décidée par le G20 en 2010 met beaucoup trop de temps à se concrétiser, le Congrès américain et les institutions occidentales étant bien décidées à la retarder. Dans ce contexte, le rôle accru promis aux pays émergents dans la gouvernance des organismes internationaux demeure encore trop virtuel. Ainsi, las de promesses non tenues et d’attentes, « Ces pays cherchent désormais à créer un système alternatif aux institutions dominées par les nations occidentales, Fonds monétaire international (FMI) et Banque mondiale », confirme Yves Zlotowski, économiste en chef de Coface. Sur le plan diplomatique, ce sommet permet aussi à Vladimir Poutine de sortir de son isolement depuis son éviction du G8 des pays les plus industrialisés, en raison de la crise ukrainienne. Les BRICS n’ont pas appuyé les sanctions internationales à l’encontre de Moscou. L’enjeu pour les Occidentaux et les États-Unis, qui dominent jusqu’à présent le FMI, est alors celui d’une perte d’influence et de privilèges au sein du système financier mondial. Effectivement, avec 55 % des droits de vote, ils peuvent faire entendre leur voix, maîtriser les pays émergents et jouir d’une très bonne représentation, souvent supérieure à leurs poids dans l’économie mondiale. Les ÉtatsUnis sont particulièrement avantagés dans ce système. En effet, ils possèdent une minorité de blocage puisque les décisions importantes nécessitent 85 % des voix alors qu’ils détiennent à eux seuls 16,75 % des droits de vote. Ils conservent ainsi leur droit de veto de facto depuis la création du Fonds en 1945. Cet accord est aussi un enjeu pour d’autres pays émergents et en voie de développement dans la mesure où la nouvelle institution n’assortira pas ses prêts de conditionnalités contraignantes. « En cela, elle différerait du FMI, qui exige des réformes structurelles et une ingérence politique intolérable en échange de son aide », a expliqué Anton Silouanov le ministre des Finances russe. Une option qui pourrait séduire nombre de pays émergents qui, comme l’Argentine, estiment que les conditionnalités du FMI ont causé de sérieux dommages à leurs économies. {Actualité} Les BRICS créent leur propre banque mondiale

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Économie L’accord reste aussi un enjeu intra BRICS pour le contrôle des nouvelles institutions. La question du siège avait notamment compliqué les négociations, le président sud-africain Jacob Zuma ayant insisté jusqu’au bout pour Johannesburg, alors que la Russie penchait pour Shanghai, au risque de froisser l’Inde, inquiète d’une domination chinoise. La crainte des Indiens était de voir la Chine imposer une contribution majoritaire au capital de la banque et un contrôle de l’institution permettant de financer avant tout les projets structurels chinois. D’autant plus que des inquiétudes liées à la prédominance économique chinoise sur ses partenaires demeurent. Pour ménager New Delhi, il a été annoncé, dans un subtil dosage, que le premier président de la banque serait Indien. Pour les observateurs cependant, l’Afrique du Sud est certainement le plus grand bénéficiaire de ce partenariat puisque le pays s’adosse à des géants et y gagnera en expertise financière et en partenariats commerciaux et projets d’investissements. UÊ Un accord anti-crise L’accord servira en outre à se protéger en cas de nouvelle tempête financière. En effet, suite à l’annonce l’an dernier par la Fed de la fin de sa politique monétaire ultra-accommodante, il s’est produit une sortie de capitaux des pays émergents qui avait fortement fait chuter leurs devises. Pour pallier leur dépendance aux capitaux extérieurs, le fonds de réserve créé par les BRICS servira en cas de crise de balance des paiements. « Ce fonds est un outil très puissant pour prévenir de nouvelles difficultés économiques », a salué le président russe Vladimir Poutine. Certains experts doutent néanmoins que 100 milliards de dollars suffisent à pallier une éventuelle crise. La banque a vocation à financer des projets d’infrastructure, point noir de ces économies, surtout en Inde et au Brésil, dans une moindre mesure en Afrique du Sud. « C’est une clé pour relancer la croissance des BRICS », a insisté Mauro Borges, le ministre brésilien du Commerce et de l’Industrie. Les « Cinq » subissent en effet un ralentissement de leurs économies, liées à des handicaps structurels. UÊ Les limites de ce partenariat Bien que cet accord marque une rupture sans précédent avec le cadre des institutions de Bretton Woods, les critiques sont nombreuses. L’apport trop modeste des contributeurs et la limite du fonds de réserve en cas de tempête financière semblent entériner le rôle bien trop superficiel du nouvel organisme. En effet, dans sa construction, ce nouveau système ne semble pas dessiné pour concurrencer les institutions traditionnelles mais a pour but de jouer un rôle complémentaire aux institutions basées à Washington. La Chine ne confiera, en effet, à ce fond qu’un centième de ses réserves de change ! Les inconnues restent encore nombreuses. Les pays aidés accepteront-ils de se mettre sous la tutelle officieuse de la Chine, qui sera le principal contributeur 42

{Actualité} Les BRICS créent leur propre banque mondiale

Économie financier ? Comment se situera la banque de développement des BRICS face aux institutions similaires, notamment la nouvelle banque asiatique d’investissements en infrastructures que Pékin a créée parallèlement ? La cohésion entre les pays membres sera-t-elle suffisante pour mener ces projets à bien ? En effet, tous poursuivent des objectifs économiques et politiques différents. Ainsi pour la Russie, la banque de développement et le fonds doivent être des outils de lutte contre la domination du dollar, quand le Brésil ou l’Inde y voient l’opportunité de développer les infrastructures dont ils ont cruellement besoin. Le front des BRICS semble en effet bien fragile et en partie de circonstance. En pleine crise ukrainienne, la Russie cherche de nouvelles alliances. L’unité des BRICS s’est faite ensuite depuis un an sur la contestation de la politique monétaire américaine jugée trop unilatérale. Pour le reste, tout sépare les géants émergents : en témoignent les intérêts concurrents de l’Inde et de la Chine pour l’accès aux matières premières, de la Russie et de la Chine en Asie centrale, le fait que la Chine refuse de soutenir le Brésil dans sa revendication en vue d’obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, sans compter que les partenaires de la Chine apprécieraient une hausse du cours du yuan… Qui plus est la crise des pays émergents depuis 2013 semble invalider la notion de BRICS, tant elle met en exergue leur hétérogénéité. Mais ces décisions ont néanmoins une valeur symbolique importante et constituent un premier pas vers une solidarité entre ces géants en devenir. La création de la banque des BRICS et du fonds est aussi l’occasion de montrer que les BRICS peuvent surmonter leurs divergences et aboutir à des résultats concrets. Ces derniers mettront la pression sur les institutions dites de Bretton Woods en cas d’enlisement des réformes promises et pousseront les pays les plus avancés à accepter les termes de la nouvelle gouvernance mondiale. Cette initiative des pays émergents pourra ainsi se révéler utile à condition qu’elle renforce la coopération régionale et œuvre à compléter la coopération internationale (FMI et Banque mondiale).

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{Entreprise}

Twitter, introduction record à Wall Street par Raphaël Hodin

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS 18 mois après Facebook, Twitter crée la sensation en s’introduisant en Bourse sur la base d’une valorisation à plus de 11 milliards de dollars (8,14 milliards d’euros). À cette date, le réseau social compte plus de 230 millions d’utilisateurs, mais perd plus de 130 millions de dollars par an. Certains analystes parlent de nouvelle bulle internet, 15 ans après la première. La Bourse américaine semble aimer les réseaux sociaux. Même si leur modèle économique reste fragile, voire inexistant pour certains, ils bénéficient d’un intérêt hors normes, de la part des marchés financiers. Facebook (déjà rentable) a été valorisé 30 fois son chiffre d’affaires (CA), Twitter 22 fois, et les réseaux de maturité moindre comme Pinterest et Snapchat ont été valorisés plus de 3 milliards de dollars, sans CA significatif. À titre de comparaison, Apple est valorisé environ 3 fois son CA. Certains éléments objectifs expliquent ces niveaux de valorisation. Les faibles taux d’intérêt de la Fed facilitent les liquidités et donc les investissements. Par ailleurs, les réussites telles qu’Amazon ou Google ont démontré que la constitution de carrefours d’audience permettait à moyen terme d’obtenir des positions dominantes et donc des rendements hors normes. Enfin, le Jobs Act, voté en 2012 et favorisant la cotation des petites entreprises a facilité les introductions de start-up. Alors même que les fondateurs admettent que le réseau, créé en 2006, ne sera pas rentable avant 2015 au mieux, le titre s’envole, le jour de son introduction. L’action passant de 26 dollars à plus de 44 dollars, le réseau lève en une journée plus de 1,9 milliard de dollars, ce qui en fait la deuxième plus grosse introduction sur le secteur technologique, derrière Facebook, mais à égalité avec Google. Fin 2013, Twitter n’est pourtant que le 8e réseau social en nombre d’utilisateurs (derrière Facebook, QQ, QZone, Google+, Linkedin…) mais dispose d’une aura particulière, compte tenu de sa puissance en tant que média, capable de fédérer, sur un temps réduit et autour d’un événement, une audience significative.

> ILLUSTRATIONS UÊ 1,9 milliard de personnes sont inscrites à au moins un réseau social, soit 75 % des internautes et 26 % de la population mondiale. UÊ 56 % des Américains sont inscrits à au moins un réseau social, contre 7 % des Africains et 5 % des habitants d’Asie du Sud. 44

{Entreprise} Twitter, introduction record à Wall Street

Économie UÊ Fin 2013, Katy Perry est la personnalité la plus suivie sur Twitter avec 47 millions de « followers ». Elle devance Justin Bieber (46 millions), Lady Gaga (41 millions) et Barack Obama (41 millions). UÊ En 2013, Twitter a généré un CA de 500 millions d’euros pour 134 millions d’euros de pertes. Ces revenus proviennent principalement de contenu sponsorisé pour être mis en avant, dans la liste des « trend topics » (principaux sujets de discussion), notamment.

ENJEUX

UÊ Twitter, à la fois un réseau social et un média La valorisation de Twitter s’explique notamment par sa nature hybride, à la fois réseau social et média. Si sa couverture reste limitée malgré une forte croissance (il y a 5 fois moins d’abonnés à Twitter qu’à Facebook et une majorité des membres ne produit aucun contenu), l’outil permet de toucher rapidement une large cible autour d’une thématique ou d’un événement. Cela fait espérer aux investisseurs, une large part du marché publicitaire digital, sur une structure de coûts relativement légère, pour opérer le service. Le tweet le plus retweeté de l’histoire (transféré sur leur propre compte par d’autres utilisateurs), écrit par Barack Obama, l’a été plus de 800 000 fois et a donc pu être vu plus de 80 millions de fois en quelques heures. La finale de Wimbledon 2013, remportée par Andy Murray devant un public acquis à sa cause, a généré plus de 3,4 millions de tweets en moins de 12 heures. Cette « conversation planétaire » a fédéré plusieurs centaines de milliers d’internautes, dont quelques célébrités (comme Andy Roddick ou Victoria Beckham), redevenant pour l’occasion simples spectateurs. Cette forme d’agora permettant à quiconque de discuter « d’égal à égal » avec une marque, un dirigeant politique ou une célébrité est également un puissant facteur du succès de Twitter. UÊ La course au monopole des pionniers du Web Depuis sa création, Twitter a racheté de nombreuses sociétés (Julpan, spécialiste de la recherche sur Internet, Summify, agrégateur de contenus, Posterous, concurrent de Tumblr, Vine, site de micro-vidéos…). La propension du Net à concentrer les acteurs pour créer de manière structurelle des positions dominantes, voire des monopoles, explique également l’attrait des investisseurs. Facebook, Microsoft, Google et Yahoo, se sont ainsi lancés dans de vastes campagnes d’acquisitions visant à concentrer l’innovation et l’audience. Yahoo a ainsi acquis plus de 90 sociétés depuis sa création (dont Tumblr pour plus d’un milliard de dollars). Google a racheté plusieurs dizaines de sociétés pour plus de 25 milliards de dollars, lui permettant de concentrer l’innovation digitale avec plus de 1 800 brevets déposés en 2013, contre moins de 500 en 2011.

{Entreprise} Twitter, introduction record à Wall Street

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{Actualité}

Les enjeux des matières premières en 2014 par Pierre-Henri Janssens

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 14 mai dernier a été publié le rapport annuel Cyclope sur les matières premières. Il mettait l’accent sur les deux principaux faits marquants de cette année : d’abord la pause relative des prix des matières premières après une année de mouvement erratique à la hausse comme à la baisse, ensuite une demande et offre mondiale encore incertaine, fortement influencée par la Chine qui contrôle entre 40 % et 60 % des achats mondiaux de matières premières industrielles ou alimentaires. Cette année constitue donc une vraie rupture par rapport à l’année précédente puisque tous les prix des produits de base semblent vouloir rester dans un même corridor alors que 2013 avait vu, par exemple, la chute de l’or et de l’argent respectivement de 20 % et de 40 % et la hausse de plus de 20 % du prix du cacao.

> ILLUSTRATIONS UÊ Généralement, on différencie entre les matières premières les denrées alimentaires (blé, riz…), les matières premières énergétiques (pétrole, gaz, charbon), les métaux (cuivre, zinc, fer, terres rares) et les métaux issus des terres rares. Comme son nom l’indique, ces métaux au nombre de dix-sept ne sont disponibles qu’en très petite quantité mais sont en revanche nécessaires aux industries de l’électronique. Ils constituent les « vitamines » des nouvelles technologies et sont donc vitaux pour tous les pays développés. UÊ Selon l’indice FAO des produits alimentaires, les prix de ces denrées sont restés stables entre 1999 et 2006. En revanche, il observe un accroissement des prix de 6 % en moyenne sur la période de 2006 et 2012 qui cache de nombreuses variations selon les périodes et qui se termine en mouvement baissier généralisé à partir de 2013. Ces observations valent également pour toutes les matières premières et s’expliquent par le fait que leurs cours ont évolué au diapason des évolutions du marché des actions au moins depuis 2006.

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{Actualité} Les enjeux des matières premières en 2014

Économie Indice FAO des prix des produits alimentaires 250,0 Nominal

200,0

Réel

150,0 100,0



2014



2012



2010



2008



2006



2004



2002



2000



1998



1996



1994





1992

1990

0,0



50,5

Base 100 : 2002-2004.

Source : fao.org

ENJEUX

UÊ Une demande globale qui ne devrait pas augmenter En effet, la demande de matières premières est conditionnée par la faible reprise des économies occidentales sortant péniblement de la crise de la dette et la croissance plus timide des pays en développement (au premier rang desquels on peut compter la Chine qui enregistre un taux de croissance de 7,7 %). Cette nouvelle concerne surtout les métaux. Mais leurs cours peuvent compter sur les plans d’injections de liquidités et sur les plans d’investissements massifs des grands pays en développement. Désormais, ceux-ci ne se contentent plus d’importer, ils investissent directement à l’étranger : le rachat cette année de la mine de cuivre de Las Bambas au Pérou par 4,3 milliards d’euros pour la Chine s’inscrit dans cette visée. UÊ L’aspect géopolitique à nouveau au premier plan 2014 est bien le théâtre de bouleversements politiques importants. D’abord au Moyen-Orient avec l’offensive djihadiste en Irak et l’instabilité croissante de cette zone mais aussi avec certains pays membres de l’OPEP qui ne parviennent toujours pas à tourner la page du printemps arabe (essentiellement la Libye). Enfin, on ne saurait insister sur l’aspect fondamentalement déstabilisant du conflit ukrainien sur les exportations de gaz naturel en provenance de la Russie. L’avenir des matières premières énergétiques extraites massivement de ces régions (pétrole et gaz naturel) reste donc incertain.

{Actualité} Les enjeux des matières premières en 2014

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Économie UÊ Le retour des fondamentaux pour déterminer le prix des matières premières Il s’agit de l’ajustement de l’offre et de la demande et des facteurs météorologiques pour les denrées alimentaires. On a pu justement constater qu’entre 2010 et 2012, ceux-ci ont été soumis aux effets d’annonce des banques centrales. Depuis 2013 et le retrait très relatif de celles-ci, la tendance a changé et devrait même s’accentuer en 2014 en ce qui concerne les métaux qui sont extraits des terres rares. UÊ Les problèmes d’indépendance et de puissance induits par les terres rares En 2013, la Chine exportait 97 % des 17 des métaux issus des terres rares, alors qu’elle dispose d’un peu plus de 50 % du stock total de terres rares selon l’USGS. Cette situation provient d’une stratégie de production à bas coûts durant ces trente dernières années (grâce à une politique environnementale laxiste) aidée par un yuan sous-évalué, dans l’unique but d’asphyxier la concurrence. Le problème serait de se retrouver dans la même situation qu’en 2011, après que la Chine ait décidé de réduire ses exportations, période durant laquelle les cours de ces matériaux ont explosé (multiplication par quatre pour le néodyme par exemple). Ce problème de matières premières représente donc un enjeu majeur pour les pays développés qui petit à petit ont décidé d’ouvrir à nouveau d’anciennes mines. Mais la Chine ne serait-elle qu’un colosse au pied d’argile ? Deux informations nous permettent de l’affirmer. Tout d’abord, le nombre de terres rares exploitables pourrait augmenter sensiblement grâce à l’exploitation de nouvelles terres comme celles des nouvelles républiques issues de l’éclatement du bloc soviétique (le Kazakhstan par exemple) mais aussi avec certaines recherches qui prouvent l’existence de terres rares dans les fonds sousmarins du Pacifique. Ensuite parce que la Chine ne sera bientôt plus en situation de monopole. Un signe l’atteste : depuis le début de 2014, elle ne cesse de vouloir racheter des terres rares à hauteur de 10 000 tonnes sur un commerce de 130 000 tonnes par an. UÊ L’année 2014 s’inscrira bien en rupture avec les années précédentes D’abord avec la fin de la chute des cours des matières premières en général, ensuite avec le retour durable des fondamentaux pour déterminer leurs cours qui sonnera la fin des fluctuations erratiques sur les marchés. À moins que l’instabilité géopolitique de certaines zones du globe n’alimente un mouvement inflationniste.

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{Actualité} Les enjeux des matières premières en 2014

{Débat}

Pour ou contre le bitcoin ? par Pierre-Henri Janssens

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le bitcoin fait référence à une monnaie numérique générée par un protocole cryptographique créé en 2008 par Satoshi Nakamoto, un pseudo utilisé par l’inventeur dont on ignore encore la véritable identité. En mars 2014, le journal Newsweek a cependant publié un article prétendant avoir identifié le créateur du bitcoin, mais son enquête reste soumise à de nombreuses critiques. Le bitcoin est à distinguer du Bitcoin qui désigne un modèle de paiement électronique de pair à pair, permettant d’envoyer directement de l’argent d’une personne à une autre, sans passer par une institution financière. Le bitcoin est donc une monnaie numérique qui n’a pas d’institution émettrice à l’image des banques centrales. Il n’est donc pas l’incarnation de l’autorité d’un État. Les bitcoins sont fabriqués en « minant », c’est-à-dire en demandant à notre ordinateur de valider toute une série de transactions qui ont été réalisées grâce au bitcoin et ceci toutes les dix minutes en moyenne. Quelques bitcoins (actuellement vingt-cinq) sont alors délivrés aux ordinateurs qui ont pu vérifier ces transactions le plus rapidement. Il s’agit d’une véritable « course au minage » qui pousse les « mineurs » à se doter de processeurs toujours plus puissants. Inutile donc de penser gagner des bitcoins grâce à un simple ordinateur. Toutefois, on peut posséder des bitcoins simplement en échangeant une devise contre celle-ci à une parité flottante sur des plateformes comme Mt.Gox qui nous propose alors de conserver nos bitcoins, soit sur un compte personnel hébergé par la plateforme, soit sur notre disque dur en téléchargeant le portefeuille Bitcoin, soit sur un support papier. Le nombre de bitcoins ne s’élèvera pas pour autant indéfiniment. On connaît même le nombre exact de bitcoins lorsqu’ils auront tous été minés puisqu’ils sont émis régulièrement mais de manière dégressive. Il est ainsi prévu d’en créer 21 millions, sachant que nous en sommes actuellement à 12,5 millions et que les bitcoins perdus ne seront pas minés à nouveau. La véritable innovation n’est pas le bitcoin en lui-même puisqu’il existait déjà des monnaies non soumises à une institution, mais réside bien dans la procédure d’offre de la monnaie qui permet de se couper d’une autorité émettrice de bitcoin sans que cette émission soit désordonnée.

{Débat} Pour ou contre le bitcoin ?

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Économie > ILLUSTRATIONS UÊ De 2009 à 2010, la création des bitcoins et du protocole Bitcoin-Qt est assurée par un nombre restreint de personnes. Ils sont cotés pour la première fois le 25 avril 2010 et atteignent la parité avec le dollar le 12 février 2011. UÊ Dès le début de 2012, un nombre toujours plus important d’entreprises accepte de recevoir des bitcoins en contrepartie de leurs services payants. Il s’agit dans un premier temps des sites internet comme Wordpress, Megaupload, Baidu (l’équivalent chinois de Google) mais aussi dans un second temps de commerçants américains, d’une université chypriote, d’un dentiste canadien… Un distributeur-échangeur de bitcoins a même fait son apparition à Vancouver. UÊ À partir de 2013, le bitcoin rencontre ses premiers problèmes. Le 9 avril, la valeur du bitcoin atteint son point haut et vaut 266 dollars pour baisser le 11 avril jusqu’à 76 dollars en raison d’une panne de service de la plateforme Mt.Gox. La spéculation continue de plus belle fin 2013 et le bitcoin affiche un niveau jamais atteint le 4 décembre pour une valeur de 1072 dollars. UÊ Le caractère spéculatif du bitcoin n’a pas faibli en 2014 et est amplifié par une série d’attaques lancées contre de nombreuses plateformes de changes à partir du 11 février et la perte record de 744 408 bitcoins par la plateforme Mt.Gox le 24 février, équivalant à 250 millions d’euros. UÊ Le bitcoin fait l’objet de nombreux débats de par le monde et certains pays ont décidé d’en restreindre son utilisation comme en Chine, voire même de l’interdire. bitcoin.de (EUR) 9.0 k

btcde EUR UTC – http://bitcoincharts.com

Oct 21, 2014 – Daily

8.0 k -

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6.0 k 500 5.0 k 400 4.0 k 300

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Janv. 13

Avril

Prix moyen

Juillet

Oct.

Janv. 14

Volume (marché haussier) Volume (marché baissier)

50

{Débat} Pour ou contre le bitcoin ?

Avril

Juillet

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0

Économie

POUR

De nombreux avantages font toute son attractivité UÊ La véritable innovation n’est pas le bitcoin en lui-même puisqu’il existait déjà des monnaies non soumises à une institution comme le Beenz, mais réside bien dans la procédure d’offre de la monnaie qui permet de se couper d’une autorité émettrice de bitcoin sans que cette émission soit désordonnée et inflationniste. UÊ Le bitcoin permet de réaliser des transactions à l’international avec des frais de transferts pratiquement nuls et sans limites de montants puisque le bitcoin est divisible en centibitcoin, en millibitcoin, en microbitcoin et même en « satoshi » (égal à 0,00000001 bitcoin). UÊ Les transactions en bitcoins sont sécurisées puisque le protocole cryptographique impose qu’elles soient validées par plusieurs ordinateurs et que toutes les transactions qui ont été permises par un bitcoin soient enregistrées sur ce même bitcoin. Par conséquent, comme chaque bitcoin est unique, cela rend la possibilité de le falsifier hautement improbable. De plus, ce mécanisme rend les transactions à la fois très transparentes et anonymes puisque ce ne sont pas uniquement des signatures cryptographiques qui s’échangent, c’est-à-dire des numéros de comptes, ces derniers étant totalement anonymes. UÊ La valeur du bitcoin n’est plus soumise à la politique discrétionnaire d’une banque centrale mais respecte la loi de l’offre et de la demande sur le marché. En ce sens, c’est un retour à la théorie autrichienne et à l’approche de Menger, à savoir qu’une monnaie n’est que l’émanation du marché et ne fonctionne que s’il y a des offreurs et des demandeurs.

CONTRE

Mais une monnaie qui ne fait pas l’unanimité pour de nombreuses raisons UÊ Dans un premier temps, ses détracteurs pointent du doigt le risque technologique auquel le bitcoin est associé. En effet, si l’algorithme Bitcoin semble difficilement cassable, le système possède un maillon faible : il s’agit des plateformes de stockage des bitcoins à l’instar de Mt.Gox qui s’est fait attaquer le 24 février dernier. UÊ Cette monnaie reste pour l’instant soumise à de très forts mouvements spéculatifs qui touchent toutes nouvelles technologies. Selon la société Coinbase, 80 % des transactions réalisées avec le bitcoin correspondent à de la spéculation et en cinq années d’existence, il a déjà connu cinq bulles d’envergure. Le bitcoin est donc pour le moment touché par une « tulipomanie » ce qui poussent certaines banques centrales (BCE, Banque de France, Banque de Chine) à en prévenir l’usage.

{Débat} Pour ou contre le bitcoin ?

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Économie UÊ Le bitcoin n’est l’émanation d’aucune autorité et pose donc le problème de la souveraineté de l’État sur son propre territoire. Ceci a poussé des pays à l’interdire, le 29 juillet 2013 pour la Thaïlande et le 6 février 2014 pour la Russie. UÊ Enfin, cette monnaie permet de réaliser des transactions de manière tout à fait anonyme. Ceci pose deux problèmes : d’abord les États ne peuvent pas prélever d’impôts sur les revenus tirés des transactions réalisées, ensuite cette monnaie peut servir à toutes sortes de transactions illégales, notamment sur le Deep Web utilisant le réseau Tor et permet à des sites comme Silk Road, un site qui permet d’acheter et de se faire livrer des stupéfiants de toutes sortes, de prospérer. Le bitcoin peut donc devenir un truchement efficace au blanchiment d’argent.

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{Débat} Pour ou contre le bitcoin ?

{Actualité}

La Chine : 1 importateur mondial de pétrole er

par François Lafargue

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS La Chine est depuis la fin de l’année 2013, le 1er importateur mondial de pétrole (mais elle reste encore le 2e consommateur après les États-Unis). Sa consommation a doublé depuis dix ans. En 2000, la Chine devait importer près de 30 % de ses besoins en pétrole puis 60 % en 2012, une proportion qui passera probablement à près de 80 % en 2030. Cette situation s’explique de plusieurs manières. La Chine a échappé à la récession économique mondiale grâce à l’ambitieux plan de relance de l’économie (novembre 2008). Le développement d’un vaste marché de consommateurs – en 2013, plus de 20 millions de véhicules neufs ont été vendus dans le pays – a permis à la Chine de maintenir un vigoureux taux de croissance de 7,2 % en 2012, puis de 8 % en 2013. Enfin, depuis le début des années 1990, le modèle de développement de la Chine repose sur une production industrielle de masse particulièrement énergivore. Les dirigeants chinois se résignent à remettre en cause ce modèle de croissance, et insistent sur la nécessité de promouvoir des activités de service et la mise en œuvre d’économies d’énergie notamment par une meilleure isolation thermique des habitations. La modernisation des usines chinoises permettra également des économies d’énergie substantielles et une amélioration de la productivité. L’intensité énergétique de la Chine (la consommation d’énergie par unité de PIB) est en diminution régulière, mais demeure élevée, comparée à celle des pays occidentaux.

> ILLUSTRATIONS

6,8 millions de barils par jour UÊ En septembre 2013, selon les données de l’Agence pour l’information sur l’énergie (EIA), le montant des importations nettes de pétrole de la Chine a dépassé celui des États-Unis. Cette évolution devait se confirmer au premier semestre de l’année 2014, puisqu’au mois d’avril le montant des importations nettes de pétrole s’est établi à 6,8 millions contre 5,3 millions pour les États-Unis. UÊ Le charbon, dont la consommation a augmenté de 175 % entre 2000 et 2012, demeure l’énergie primaire principalement brûlée dans le pays. Ce minerai couvre près de 70 % de la demande d’énergie primaire, mais cette proportion devrait progressivement décroître pour s’établir autour de 60 % dans vingt ans. UÊ Le pétrole représente 18 % de la consommation d’énergie primaire en Chine contre 32 % en France.

{Actualité} La Chine : 1er importateur mondial de pétrole

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Économie

ENJEUX

UÊ Quelles stratégies pétrolières pour la Chine ? La stratégie pétrolière de Pékin s’articule autour de trois objectifs : 1) Mettre en valeur les gisements de gaz et de pétrole extraits des roches de schistes du pays, et qui sont jugés prometteurs. Ce gaz non conventionnel sera principalement utilisé dans le secteur des transports avec le développement de véhicules roulant au gaz naturel, et pour un usage domestique (comme le chauffage). Les véhicules des flottes de taxis dans de nombreuses villes de Chine, comme à Pékin, utilisent déjà depuis plusieurs années le gaz naturel. 2) Sécuriser ses approvisionnements : les 2/3 des importations en pétrole de la Chine sont acheminés par la mer, essentiellement à travers le détroit de Malacca. Cette dépendance amène les autorités chinoises à vouloir bâtir une force navale capable d’assurer la surveillance de son commerce à travers l’océan Indien et le détroit de Malacca. La région du Moyen-Orient assure 45 % des importations de Pékin. Si l’Arabie Saoudite est le premier fournisseur en pétrole de Pékin, les relations les plus étroites dans cette région ont été nouées avec l’Iran. La République populaire de Chine est l’un des principaux soutiens de l’Iran au Conseil de sécurité de l’ONU, et lui a livré des armes perfectionnées (comme les missiles anti-navires Silkworm). Cette proximité (la Chine est le 1er acheteur du pétrole iranien, et l’Iran est son 4e fournisseur en 2013) a permis à Téhéran d’atténuer les sanctions infligées par les Occidentaux. La Chine est consciente que la situation politique au Moyen-Orient semble évoluer à son avantage. Le départ des soldats américains d’Irak (décembre 2011), puis d’Afghanistan marque l’échec d’une politique de contrôle de cette région du monde par Washington. En Irak, la visite du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, en février 2014 (la première depuis l’invasion américaine de 2003), traduit la volonté d’accompagner les sociétés chinoises déjà très actives. La Chine est le 2e fournisseur de l’Irak et la première destination de son pétrole. La sécurisation de ces approvisionnements passe également par la diversification des fournisseurs. L’Afrique comme l’Amérique latine assurent aujourd’hui le quart des importations de pétrole de Pékin. 3) Acheter des entreprises pétrolières occidentales : depuis quelques années, grâce au soutien financier des pouvoirs publics, une nouvelle orientation a été engagée, qui consiste à acheter des entreprises occidentales concurrentes, ce qui permet d’accéder à leur technologie et à leurs réserves pétrolières. Plusieurs opérations de rachat ont eu lieu comme les entreprises canadiennes Petro-Kazakhstan (par la CNPC en 2005) et Addax (acheté en août 2009, par la SINOPEC) ou encore l’argentin Bridas corporation par la CNOOC. Ces acquisitions devraient se poursuivre et il est même concevable d’envisager dans les prochaines années, une prise de participation dans le capital d’une « major » occidentale, par un concurrent chinois.

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{Actualité} La Chine : 1er importateur mondial de pétrole

Économie Les partenariats énergétiques entre la Chine et la Russie (qui est le 2e exportateur mondial de pétrole) se sont multipliés ces dernières années. Moscou est maintenant le 3e fournisseur en pétrole de la Chine et lui livre 9 % de ses importations. La Russie et la Chine, qui font régulièrement l’objet de critiques en Occident, ont pris conscience de la nécessité de s’allier. Vladimir Poutine veut aussi réduire la dépendance de son pays à l’égard de l’Union européenne (qui achète plus de 60 % des exportations russes de pétrole). La Chine continue d’accorder la priorité aux énergies fossiles, mais un réel effort est engagé en parallèle pour promouvoir les énergies renouvelables. Depuis plus de vingt-cinq ans, le gouvernement chinois a adopté plusieurs mesures relatives à l’environnement, et à la lutte contre la pollution industrielle, mais qui souvent restent dans le registre de l’incantation. Le contrat social implicite promet une amélioration des conditions de vie aux Chinois, en échange de l’absence de toutes revendications dans le domaine des libertés publiques. Pour le respecter, la croissance économique doit être privilégiée sans toujours se soucier des conséquences sur le plan de la santé publique et de l’environnement. Cette désinvolture est aujourd’hui révolue. Le 12e plan quinquennal (2011-2015) met l’accent sur la nécessité de développer les énergies renouvelables (par une augmentation de la capacité de production d’énergie éolienne et hydroélectrique, et l’encouragement de nouvelles technologies pour les véhicules et la construction des lignes ferroviaires à grande vitesse).

{Actualité} La Chine : 1er importateur mondial de pétrole

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{Actualité}

Le traité transatlantique par Pierre-Henri Janssens

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Négocié en secret entre l’Union européenne et les États-Unis depuis maintenant un an, ce traité de libre-échange vise à créer un grand marché commun de 820 millions de consommateurs et représentant la moitié du PIB mondial. Il a pour objectifs à long terme de « créer des millions d’emplois » selon le commissaire européen au commerce Karl Gerucht et de faire gagner jusqu’à 0,05 point de PIB par an aux économies concernées. Originellement appelé TAFTA (Transatlantic Free Trade Area), il a été rebaptisé TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), ce qui donne en français PTIC pour Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Ce traité dont les origines datent des années 90 reste encore assez méconnu. Les seules informations dont la presse dispose proviennent généralement de fuites sur Internet, notamment grâce à des sites comme Wikileaks, et même si la Commission européenne semble s’être lancée dans une vaste opération de transparence depuis juillet dernier, les données disponibles ne peuvent donner qu’un aperçu très partiel de l’avancée des travaux.

> ILLUSTRATIONS UÊ Les trois objectifs principaux du TTIP sont assez bien cernés. Tout d’abord, il s’agit de supprimer à terme les tarifs douaniers, puis d’harmoniser les réglementations et normes dans un maximum de domaines de part et d’autre de l’Atlantique, enfin de mettre en place un système de règlements des différends entre entreprises et États. UÊ Ce dernier mécanisme est désigné sous le nom d’ISDS (Investor-State Dispute Settlement). Il permettra à l’avenir de donner plus de poids aux entreprises et aux investisseurs en leur permettant de déposer une plainte contre un pays – en particulier pour non-respect des règles du libre-échange – non plus devant la justice du pays concerné mais devant un tribunal de commerce international. Toutefois, Karl de Gucht a pris la responsabilité de suspendre les négociations à ce sujet entre le 21 janvier et 21 juin en raison d’une polémique toujours plus virulente à l’égard de ce mécanisme. UÊ Si ces négociations ont pu voir le jour, c’est que des raisons économiques les justifient. Ce traité pourrait ainsi créer « deux millions d’emplois » aux États-Unis et dans l’Union européenne selon David Cameron. La partie du traité intitulée TISA (Trade In Service Agreement) qui correspond à une vaste libéralisation des services publics pourrait ouvrir un marché de 1 400 milliards de dollars selon la chambre du commerce américaine. 56

{Actualité} Le traité transatlantique

Économie UÊ Enfin, une dernière caractéristique de ce traité est le secret qui l’entoure. Six rounds de négociations ont déjà eu lieu et les informations disponibles restent dérisoires comparativement aux conséquences qu’aura ce traité s’il est appliqué. C’est dans ces conditions que la contestation s’est organisée autour d’une cinquantaine d’ONG dont le mouvement Attac ou StopTafta qui juge la façon dont se négocie le TIPP non démocratique.

ENJEUX

UÊ Un traité qui pose directement un triple problème – Une efficacité économique à relativiser : malgré de nombreuses études plaidant en faveur d’une augmentation de 0,05 point de PIB grâce au TTIP, cette augmentation ne pourrait en fait atteindre que 0,01 point de PIB et les deux millions d’emplois à venir pourraient se transformer en « destructions massives d’emplois » selon Attac. Ce traité a un précédent : l’ALENA qui présentait une situation assez similaire et qui devait elle aussi créer des « millions d’emplois » selon Bill Clinton. Finalement, il en a détruit 900 000 du fait d’une concurrence exacerbée. Ensuite, ce traité pourrait ne pas profiter à tous ses participants dans les mêmes proportions, certains pourraient même en pâtir. Ce traité pose donc en définitive la question de l’égalité des termes de l’échange, question qui n’a pour l’instant pas de réponse précise. – Une harmonisation des réglementations vers le bas ? Un des objectifs affichés des négociations est de tenter de rendre compatible les normes européennes et américaines entre elles. Or, on peut constater de nombreuses différences entre le droit européen et américain dans de nombreux domaines comme l’environnement, la santé, le secteur public… ce qui pose de nombreuses difficultés à une possible harmonisation. Ensuite, ce traité étant porté par une idéologie libérale, ses détracteurs craignent que les normes européennes généralement plus élevées s’alignent sur le moins-disant américain. Les débats environnementaux comme ceux à propos des OGM et du gaz de schiste pourraient être relancés, mais aussi ceux touchant la régulation financière et la protection des données personnelles sur Internet. – Une justice au-dessus des États : c’est la crainte que fait porter le mécanisme ISDS. En effet, ce règlement des différends revient à poser au même pied d’égalité États et entreprises, situation qui pourrait s’avérer très coûteuse pour le contribuable. De nombreux litiges entre États et entreprises ont déjà été jugés par le CIRDI, le Centre international de règlements des différends de la Banque mondiale. Même si en moyenne les États ressortent gagnant de ces jugements, le prix à payer est parfois très lourd. L’équateur a ainsi dû verser 1,7 milliard de dollars à l’Occidental Petroleum en 2012 suite à un contentieux qui les avait opposés. UÊ La souveraineté des peuples et des États en question Les enjeux du TTIP sont colossaux puisque ce traité pourra avoir des conséquences sur de nombreuses activités économiques. Il soulève donc un autre {Actualité} Le traité transatlantique

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Économie problème : celui de la capacité des peuples et des États à rester souverain. La crainte serait donc d’aboutir à une harmonisation des réglementations qui ne pourrait pas respecter les exigences de chaque pays. Laurent Fabius, par exemple, ne s’est montré « ni pour, ni contre » mais insiste sur le respect des niveaux européens et français en matières de normes, ce qui selon le journal Marianne serait loin d’être le cas, surtout en matière de services publics. En effet, les informations mises à disposition par Wikileaks font surtout état de concessions permises par la Commission européenne sans contreparties véritablement solides de la part des États-Unis. Les mouvements de contestations se sont donc fait de plus en plus vifs, surtout depuis que Jean-Claude Junker s’est ouvertement opposé à l’inclusion de l’ISDS au TTIP en juillet dernier et que l’Allemagne commence à montrer quelques signes de réserves à l’égard de ce traité de libre-échange. Finalement, ce traité pose aussi le problème de la souveraineté des peuples, tant le secret a été bien gardé autour du TTIP. Si l’opération de transparence à laquelle s’est livrée la Commission semble partir d’un bon sentiment, les informations divulguées se sont révélées très décevantes tout comme l’opération de questions-réponses organisée sur Twitter le vendredi 11 juillet. On notera, par ailleurs, qu’il peut paraître surprenant de vouloir répondre à des interrogations à propos de ce traité si complexe via une plateforme qui limite les messages et donc l’argumentaire à 140 caractères ! Quoi qu’il en soit, même si l’on peut regretter le manque de clarté et d’honnêteté de la part de la Commission, le dernier mot reviendra aux citoyens européens puisque le traité devra être ratifié par le Parlement européen et les parlements nationaux devront eux-mêmes être consultés, en vertu de ce que prévoit le traité de Lisbonne.

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{Actualité} Le traité transatlantique

PARTIE 2

Géopolitique

Fév.

Mars

Avril

L Lancement de l’opération « Gardien de nos frères » contre c le Hamas (400 (4 Palestiniens arrêtés, 6 tués)

114 juin

Le Hamas rompt le cessez-le-feu, près de 200 roquettes sont tirées vvers Israël

14-20 juin

Benjamin Netanyahou lance l’opération « Bordure protectrice »

8 juillet

Meurtre d’un adolescent palestinien brûlé vif à Jérusalem-Est

2 juillet

Nov.

Déc.

Référendum sur l’indépendance de l’Écosse. Le non l’emporte avec 55,3 % des voix

18 septembre

Annexion par Israël de 4 000 ha de terres en Cisjordanie

31 août

Oct.

Présidentielles afghanes, un accord est trouvé : Ashraf Ghani est investi chef de l’État et Abdullah Abdullah est nommé chef de l’exécutif

Fin septembre

Sept.

Découverte des corps des 3 jeunes israéliens

Août

Enlèvement de 3 jeunes colons israéliens près d’Hébron, Israël accuse le Hamas

Juil. 1er juillet

Juin

12 juin

Mai

Petro Porochenko est élu président de l’Ukraine

Élections présidentielles en Afghanistan : les deux candidats revendiquent la victoire

Juin

L’EIIL proclame un califat islamique entre l’Irak et la Syrie

29 juin

Chronologie 2014 Géopolitique

L’armée thaïlandaise décrète la loi martiale : il s’agit du 3e coup d’État en 8 ans

24 mai

25 mai

Au Sud-Soudan, la guerre civile commencée depuis déc. 2013 a déjà fait 20 000 morts et 1,2 million de déplacés

Mai 2014

200 à 300 lycéennes sont enlevées au Nigeria par la secte Boko Haram

15 avril

22e JO d’hiver à Sotchi, en Russie

7-3 février

Janv.

Un référendum (illégitime) rattache la Crimée à la Russie

16 mars

Le parlement ukrainien destitue Viktor Ianoukovitch. Un gouvernement de transition est constitué

22 février

À Kiev, plus de 200 000 personnes manifestent contre l’Union douanière russe

19 janvier

Géopolitique

61

{Actualité}

Syrie et Irak : l’enlisement par Nicolas Tschann

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le conflit syrien est issu d’un mouvement de contestation du gouvernement syrien qui a débuté le 15 mars 2011 par des manifestations, certaines anti-régime, d’autres pro-régime, toutes pacifiques. Le gouvernement a rapidement opposé les armes à ces revendications et poussé à la militarisation du conflit : en octobre 2011, après 7 mois de contestation dans la rue, la répression des manifestations avait déjà fait plus de 2 700 morts. Depuis, le régime a choisi d’accentuer encore plus cette escalade militaire par l’utilisation de chars, d’hélicoptères, de bombardiers, de missiles Scud et plus récemment d’armes chimiques. L’ASL (Armée syrienne libre), initialement principale force de l’opposition et démocratique, a été progressivement supplantée par des combattants islamistes. Début 2014, la première force rebelle en termes d’effectifs est le Front islamique, qui regroupe des brigades de combattants syriens se réclamant du salafisme ou des Frères musulmans. Les djihadistes salafistes sont principalement regroupés au sein du Front al-Nosra, branche officielle d’Al-Qaïda en Syrie et de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). L’EIIL est composé d’anciens combattants d’Al-Qaïda en Irak mais en rupture avec l’actuel émir d’Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri et est en guerre plus ou moins ouverte avec toutes les autres factions rebelles depuis novembre 2013. Devant cette opposition hétéroclite, sans leader et surtout de plus en plus dominée par des combattants islamistes locaux et étrangers avant tout motivés par la volonté d’imposer un régime totalitaire takfiri (idéologie qui exige l’élimination de tous les non-musulmans), les pays occidentaux réduisent progressivement leur soutien. Dans ce contexte de conflit larvé, certains observateurs accusent le régime d’avoir délibérément favorisé l’émergence de ces groupes, notamment en libérant, au début de la révolte, des djihadistes qui avaient combattu en Irak (les futurs fondateurs de l’EIIL) et en s’abstenant de bombarder les zones sous leur contrôle, dans le but d’ériger le régime en rempart contre l’islamisme. La guerre civile irakienne est un épisode de la guerre d’Irak qui s’engage en décembre 2011, après le retrait de la coalition militaire en Irak. Le 18 décembre 2011, l’armée américaine achève l’Opération New Dawn et retire ses dernières troupes du pays. Les groupes insurgés sunnites, au pouvoir sous Saddam Hussein, poursuivent cependant leurs attaques contre le gouvernement central de Nouri Al-Maliki et la population chiite. Les tensions en Irak prennent un tournant de plus en plus violent avec de nombreux attentats. Les sunnites ont camouflé ce mouvement confessionnel en contestation civique, explique Pierre-Jean Luizard, en réalité, il s’agissait davantage d’une manifestation pour protester contre leur manque de pouvoir. À cela s’ajoute la contamination du conflit syrien qui va lier les deux conflits, irakien et syrien. En effet, avec le début de la guerre civile syrienne, les tensions s’accroissent en Irak, car Bagdad

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{Actualité} Syrie et Irak : l’enlisement

Géopolitique offre un soutien indirect au régime syrien en ouvrant son espace aérien aux avions iraniens transportant du matériel à destination de l’armée de Bachar el-Assad. Les combattants islamiques et, en particulier, l’EIIL s’affranchissent alors de la frontière poreuse établie entre les deux États par les accords de Sykes Picot en 1916. Depuis lors, l’impasse semble totale et la violence a pris le pas sur la contestation pacifique. Dans ce contexte, l’armée de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), État non reconnu sur le plan international, en guerre en Syrie et en Irak, progresse. Proclamé le 29 juin 2014, l’EIIL se revendique comme un califat à cheval entre l’Irak et la Syrie. Aucune solution militaire ne se dégage pour l’instant avec évidence pour contrer l’offensive des insurgés sunnites de cette armée. Le conflit risque encore de s’enliser car l’EIIL n’a jusqu’à maintenant progressé qu’en territoire sunnite et cela sera beaucoup plus compliqué pour elle à mesure qu’elle se dirigera vers le fief chiite, comme en témoigne l’arrêt de sa progression aux portes de Bagdad. Cependant, la récente avancée inattendue de l’EIIL sur le territoire du Kurdistan autonome début août semble marquer la capacité du mouvement à d’autres conquêtes et expansions menaçant la capitale kurde Erbil. La Syrie autant que l’Irak semblent désormais être entrés dans une phase d’implosion communautaire, source de bains de sang présents et à venir. Les conflits s’enlisent alors qu’une union nationale semble de plus en plus inconcevable et qu’un accord international paraît improbable (l’Iran soutient notamment les gouvernements centraux irakien et syrien, l’Arabie, le Qatar et les sunnites rebelles). De plus, les mouvements rebelles eux-mêmes doivent faire face à des guerres intestines comme en témoigne le conflit entre EIIL et Al-Qaïda ou les rebelles de l’ASL.

> ILLUSTRATIONS UÊ De fait, les deux pays sont fortement fragmentés par une grande diversité religieuse : – l’Irak : au nord, la population kurde (20 %) vit en relative paix dans une région de plus en plus autonome vis-à-vis du pouvoir central, mais elle est menacée par l’avancée de l’EIIL. Essentiellement concentrés à l’est et dans le sud du pays, les chiites, principalement fidèles au pouvoir de Al-Maliki (environ 55 % de la population), et les sunnites (20 %), plutôt présents quant à eux dans les provinces du centre et de l’ouest, s’affrontent dans des combats meurtriers, notamment à Bagdad, théâtre de la majorité des attaques ; – la Syrie : redoutant l’arrivée au pouvoir des djihadistes, les minorités confessionnelles (12 % d’alaouites, 10 % de chrétiens, 3 % de druzes, 1 % de chiites) appuient majoritairement le régime. UÊ Les Alaouites, secte issue du chiisme et à laquelle appartient le président syrien, sont dans l’ensemble mieux intégrés au système que les sunnites pourtant majoritaires « 90 % des Alaouites travaillent pour l’État » souligne Fabrice Balanche, politologue.

{Actualité} Syrie et Irak : l’enlisement

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Géopolitique TURQUIE IRAN

Alep !

!

! Mossoul

Rakka !

! Arbil

!

Combats contre rebelles de l’ASL

!

! Kirkuk

! !

Deir el-Zor

Combats contre les djihadistes d’al-Nosra

Homs

Tikrit !

Anah !

SYRIE

Résistance de l’armée

IRAK

! Ramadi

!

! Samarrah

!Bagdad

! Fallujah

!

! Karbala

JORDANIE

Najaf

!

100 km

Population à majorité sunnite arabe Population à majorité shiite arabe Population à majorité kurde (shiites majoritaires) Territoires contrôlés par l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) au 13 juin 2014

!

Combats contre l’EIIL

UÊ Militairement, les pouvoirs centraux irakien et syrien sont en position de force avec une armée régulière de près de 250 000 hommes pour chaque pays, des hélicoptères, blindés, avions de chasse ainsi que des milices populaires de 50 000 à 100 000 hommes du côté de Bachar el-Assad et des dizaines de milliers de chabihas (hommes de main), explique Fabrice Balanche. En comparaison, l’EIIL n’aurait à sa disposition que 50 000 combattants en Syrie et entre 8 000 et 10 000 en Irak, selon Le Monde. De plus, les fameux Peshmergas (forces armées kurdes), dont environ 35 000 sont intégrés à l’armée irakienne, sont bien entraînés et équipés par les États-Unis et la Russie. Entre 80 000 et 240 000 combattants seraient en outre à la disposition du président de la région autonome du Kurdistan irakien, Massoud Barzani. UÊ On estime désormais à 2 000 000 le nombre de réfugiés irakiens, à 2 800 000 celui de syriens et à plus de 6 millions le nombre de déplacés. Ces migrations massives ont engendré une partition confessionnelle des territoires et la disparition de groupes minoritaires. En 1914, on dénombrait au Proche-Orient 20 % de chrétiens, ils sont aujourd’hui 5 %. UÊ Selon le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, l’EIIL est un groupe terroriste « plus sophistiqué et mieux financé que tout autre groupe que nous ayons connu. Il va au-delà de tout autre groupe terroriste ».

64

{Actualité} Syrie et Irak : l’enlisement

Géopolitique

ENJEUX

UÊ Une crise nourrie de conflits confessionnels, politiques et géopolitiques Autour des conflits irakiens et syriens se nouent des enjeux à la fois politiques, géopolitiques et religieux. Les premiers enjeux sont politiques. En Syrie, le conflit est initialement parti de manifestations pacifiques qui exigeaient des réformes visant à réviser le pouvoir autocratique et héréditaire en place depuis des années. L’escalade militaire du conflit, qui s’est amplifiée en 2013, est le résultat du choix politique de Bachar el-Assad de museler la rébellion pour préserver le pouvoir. De même en Irak la crise se nourrit d’abord de conflits politiques : au-delà de Maliki, c’est bien le système politique qui est profondément rejeté par une immense majorité de la population irakienne, chiite comme sunnite, souligne Pierre-Jean Luizard. Les enjeux géopolitiques du conflit syro-irakien se démêlent à plusieurs échelles. Le conflit est d’abord instrumentalisé par les puissances régionales qui tentent de profiter de la situation et se livrent une guerre par procuration en Syrie et en Irak : les États du Golfe et l’Arabie Saoudite veulent briser « l’axe chiite » (Iran, Syrie, Irak, Hezbollah au Liban) pour des raisons politiques mais aussi économiques et stratégiques. Le Qatar aurait par exemple apporté un financement de près de 3 milliards de dollars à la rébellion syrienne, un changement de régime lui permettant de faire transiter son gaz vers la Méditerranée à travers des gazoducs en projets tout en contournant l’ennemi Iranien. Quant à l’Iran, aux prises avec les sanctions occidentales et menacé d’une agression israélienne, il tente au contraire d’affirmer sa présence dans la région en profitant de ce conflit pour convaincre les Occidentaux de s’allier avec lui contre les djihadistes hostiles à Nouri Al-Maliki et au pouvoir central irakien, et de conforter ses alliances notamment avec la Syrie de Bachar el-Assad qui lui permet de garder un accès à la Méditerranée. Au niveau régional, les conflits syrien et irakien peuvent également être analysés sous le prisme religieux en soulignant les tensions entre chiites et sunnites et leur lutte d’influence. Le politologue spécialiste du Moyen-Orient Fabrice Balanche livre une analyste pessimiste : « Au début, le conflit syrien était une révolte comme en Tunisie, comme en Égypte. Après c’est devenu une guerre civile assortie de beaucoup de problèmes communautaires dans plusieurs régions de Syrie. Aujourd’hui, avec l’arrivée des combattants du Hezbollah venus défendre les chiites du côté de Homs et le mausolée de Sayeda Zeinab, mais aussi avec l’arrivée de la brigade al-Abbas d’Irak (des combattants chiites qui viennent se battre contre des djihadistes sunnites), on entre dans une guerre de religion. En sortir ne va pas être évident. » Ce constat est aujourd’hui le même en Irak, profondément divisé en communautés confessionnelles imperméables. Mais le conflit, après s’être régionalisé, s’est progressivement mondialisé : la Russie s’est opposée aux premières velléités occidentales de soutenir la rébellion antiAssad. Les Russes défendent traditionnellement le principe de non-ingérence {Actualité} Syrie et Irak : l’enlisement

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Géopolitique mais tiennent surtout à préserver leur allié politique et commercial syrien. Ils souhaitent également maintenir leur base navale de Tartous, seule fenêtre maritime méditerranéenne (« la mer chaude » est un enjeu stratégique russe depuis des siècles) de la marine russe dans une région dominée par la présence américaine et leurs alliés saoudiens (pacte de Quincy qui unit les États-Unis et l’Arabie Saoudite depuis 1945). De leur côté, les États-Unis, après avoir envisagé de soutenir les rebelles syriens, se trouvent dans une position d’attente en raison de la radicalisation de la rébellion syrienne, tout en ayant commencé à lutter contre l’EIIL qui « fait miroiter le retour du Califat (État islamique) tout en n’ayant pas d’autre projet que de faire de l’Irak une terre brûlée pour mettre en échec les Américains », selon Pierre-Jean Luizard. Les djihadistes visent l’effondrement du gouvernement de Nouri al-Maliki et, au-delà, du système en place. Une telle éventualité serait pour les États-Unis, si elle se réalisait, la confirmation de leur échec. Le président américain Barack Obama a donc annoncé jeudi 7 août au soir qu’il avait donné son aval à des frappes aériennes américaines contre l’organisation armée sunnite EIIL dans le nord de l’Irak. Si les États-Unis ont envoyé 300 conseillers militaires en Irak le mois dernier, l’administration Obama avait jusqu’ici évité toute intervention militaire directe pour le compte du gouvernement irakien, conditionnant une telle aide à la formation d’un gouvernement plus inclusif, donnant une représentation politique aux sunnites et aux Kurdes, et si possible sans le Premier ministre Nouri al-Maliki à sa tête. L’armée américaine procède désormais à des frappes « ciblées » contre les combattants de l’État islamique dans le nord de l’Irak, une opération conçue pour prévenir, selon ses termes, un éventuel « génocide » de minorités religieuses et protéger les Américains qui travaillent dans le pays. Quant à l’Union européenne, il semblerait qu’elle soit décidée à soutenir l’armée Kurde, vue comme seule capable de repousser de manière continue l’EIIL, en lui fournissant notamment des armes et des moyens financiers. L’enjeu de cette aide et de ces frappes ciblées, au-delà de considérations humanitaires et d’une lutte contre un islamisme radical et inhumain, est bien sûr géostratégique pour les Occidentaux. La zone du nord de l’Irak où semble progresser fortement l’EIIL est en effet très riche en pétrole. UÊ Un enlisement annonciateur de modifications de la région Ce conflit semble à même de bouleverser la géographie de la région. L’Irak d’aujourd’hui est en passe d’être révolu, il n’échappera pas à la partition. Le conflit est en train de redessiner les frontières et on s’oriente vers un partage du pays en trois entités distinctes : le Kurdistan au nord, le Sunnistan au centre du pays et le Chiistan au sud, selon le politologue Antoine Basbous. Il en est de même pour la Syrie qui suit cette dynamique : Bachar al-Assad a créé l’Alaouistan et le centre de la Syrie est sous contrôle des islamistes sunnites. De plus, l’insurrection djihadiste sunnite a des répercussions sur l’ensemble de la région. 66

{Actualité} Syrie et Irak : l’enlisement

Géopolitique Elle a brisé le croissant chiite, ce qui trouble le jeu de l’Iran, et a renforcé le pouvoir des Kurdes, qui ont repris Kirkouk (l’équivalent pour eux de Jérusalem). On assiste aujourd’hui à l’effondrement du vieux système proche-oriental datant de la fin de la Première Guerre mondiale ainsi qu’à l’échec pur et simple de l’État nation moderne et du state-building américain. Les Occidentaux sont donc obligés de repenser le Moyen-Orient et leur politique à son égard, car la principale racine du drame irakien, explique Pierre-Jean Luizard, réside bien « dans l’absence d’État central et le caractère non viable du système politique mis en place par les États-Unis en 2003 ». Pour reconstruire l’Irak post-Saddam Hussein, les Américains, influencés par une vision communautaire, ont mis en place un système politique reposant sur le fédéralisme, le parlementarisme et le partage du pouvoir entre les différentes communautés. Dans un système « à la libanaise » où chaque ministre ne pense qu’aux intérêts de sa région et de sa confession, les effets sont désastreux. Les institutions de l’État sont fragiles et instables tandis qu’au sein du gouvernement les tendances centrifuges l’emportent. Le pouvoir central se retrouve affaibli et sans autorité pour mettre fin aux violences. UÊ L’EIIL : une menace grandissante pour le Moyen-Orient et pour le monde ? Si la quasi-totalité des gouvernements du Moyen-Orient sont unis dans leur opposition à l’EIIL, personne ne semble à même d’arrêter cette organisation. En plus de ses avancées en Irak, elle a réalisé sa première percée majeure au Liban. Jusqu’à présent, le fait que de nombreux gouvernements qu’elle affronte (Syrie, Irak, États-Unis, Iran, Kurdistan) soient en désaccord entre eux a joué en sa faveur. Quand l’EIIL subit un revers sur un front, il semble disparaître dans la nature et lancer une nouvelle campagne ailleurs. Il paraît cependant hautement improbable que l’EIIL puisse tenir indéfiniment alors que tout le monde, des États-Unis à l’Iran en passant par Al-Qaïda, lui est opposé. D’un autre côté, l’organisation a défié tous les pronostics jusqu’ici. Mais, paradoxalement, la campagne de l’EIIL contre les Kurdes pourrait servir à unifier l’Irak. Jusqu’à début août, il semblait que la déstabilisation causée par le carnage de l’EIIL à travers le pays allait aider la cause du Kurdistan, qui réclame l’indépendance totale de l’Irak depuis des années et se dispute avec le gouvernement de Maliki au sujet des revenus du pétrole. Aujourd’hui, Maliki demande à ses forces aériennes d’aider les Kurdes. Les différentes factions d’Irak, ainsi que les deux soutiens ennemis de Bagdad que sont l’Iran et les États-Unis, vont peut-être être obligés de travailler ensemble pour faire face à la pire menace qu’ait connue le pays depuis le début de la guerre en Irak. Dans ce contexte, les Kurdes pourraient faire office de porte de sortie salvatrice. Positionnés sur le flanc de l’EIIL, ils pourraient jouer un « rôle majeur », selon Michael Knights, en s’accordant avec le pouvoir central pour repousser l’EIIL, ce qui semble être le cas depuis début août. La situation demeure cependant critique pour Bagdad car le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, a {Actualité} Syrie et Irak : l’enlisement

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Géopolitique décidé d’organiser un référendum d’indépendance, un mouvement critiqué par les États-Unis et vivement dénoncé par M. Maliki, sans compter que les forces peshmerga du Kurdistan, considérées jusqu’à maintenant comme la seule armée en Irak à pouvoir repousser l’EIIL, ont subi une série de défaites majeures. Pendant ce temps, les combattants de l’EIIL se rapprochent dangereusement de Bagdad.

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{Actualité}

Gaza 2014 : une guerre pour rien ? par Éric Juramy

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Suite à l’enlèvement de 3 jeunes colons israéliens près d’Hébron le 12 juin 2014, Israël accuse le Hamas d’en être l’organisateur. Il lance deux jours plus tard l’opération « gardien de nos frères » au cours de laquelle 400 Palestiniens, membres du Hamas pour la plupart, sont arrêtés, et 6 tués dans des échanges de tirs. En réaction, le Hamas rompt le cessez-le-feu signé en 2012 en procédant au tir de près de 200 roquettes du 14 au 20 juin vers Israël, déclenchant une riposte de l’aviation israélienne, et les premiers morts civils palestiniens. La découverte le 1er juillet des corps des 3 jeunes israéliens, suivi du meurtre le lendemain d’un adolescent palestinien brûlé vif à Jérusalem-Est, fait monter la tension d’un cran à l’intérieur d’Israël et dans la bande de Gaza. Benjamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël, répond le 8 juillet aux tirs de roquette toujours plus nombreux du Hamas par l’opération « bordure protectrice ». Sa première phase, aérienne, sur une des zones les plus densément peuplées au monde, va occasionner un grand nombre de pertes civiles et une hostilité croissante de la part de la communauté internationale. La deuxième phase, terrestre, commence à la mi-juillet avec la découverte de « tunnels offensifs » qui permettent aux commandos du Hamas d’agir sur le territoire israélien depuis la bande de Gaza, occasionnant les pertes militaires les plus importantes depuis 2009. 50 jours plus tard, après deux cessez-le-feu qui n’auront pas tenu plus de 24 heures, une trêve illimitée est signée sous l’égide de l’Égypte. Cette trêve prévoit la levée partielle du blocus pour la seule aide humanitaire, l’extension de la zone de pêche gazaouie de 3 à 12 miles nautiques et des pourparlers à venir en Égypte sur les points suivants : levée du blocus, construction d’un port et réouverture de l’aéroport de Gaza, gouvernance de la bande de Gaza.

> ILLUSTRATIONS UÊ La cause nationaliste palestinienne est portée par deux mouvements principaux : le Hamas (« ferveur »), mouvement fondamentaliste proche des Frères musulmans, et le Fatah (« conquête »), parti laïc d’obédience socialiste, dirigé par Mahmoud Abbas et principale composante de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine). UÊ L’Autorité palestinienne, née des accords d’Oslo en 1993, est formée d’un président et d’un Conseil législatif désignés lors d’élections distinctes. En vertu de ces accords, elle a des prérogatives importantes, mais partagées avec Israël, sur les territoires palestiniens, « occupés » depuis la guerre des Six Jours (1967). UÊ L’armée israélienne s’est retirée unilatéralement en 2005 de la bande de Gaza et d’une partie de la Cisjordanie dans le contexte tendu de la fin de la deuxième Intifada (2000-2005).

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Géopolitique UÊ La victoire nette du Hamas sur le Fatah aux élections législatives de 2006 et les luttes de pouvoir qui s’en sont suivies a amené à une scission progressive de l’Autorité palestinienne. En juin 2007, le Hamas a évincé manu militari le Fatah de la bande de Gaza (113 morts), ne lui laissant que la Cisjordanie. UÊ Depuis cette date, la bande de Gaza subit un blocus strict, coordonné entre l’Égypte et Israël. Seule la parenthèse des Frères musulmans au pouvoir en Égypte de 2012 à 2013 a permis un relatif allégement. UÊ Cette guerre est la deuxième plus longue du conflit israélo-palestinien après l’invasion du Liban en 1982. UÊ Bilan pour la bande de Gaza : 2 147 morts (4/5 sont des civils), plus de 10 000 blessés, 17 000 maisons détruites, 55 000 endommagées. UÊ Bilan côté israélien : 66 soldats morts au combat, 6 civils tués et 720 blessés. UÊ La faiblesse des pertes civiles israéliennes, en dépit du nombre de roquettes tirées par le Hamas, a été expliquée par le déploiement en 2011 d’un système de détection-destruction des missiles appelé « Dôme de fer ».

ENJEUX

UÊ Mêmes causes, mêmes effets ? Opération « Plomb durci » (2009), « Pilier de défense » (2012) : depuis sa prise de contrôle par le Hamas, la bande de Gaza est le point de départ et la cible régulière de combats intenses. Les menées de l’armée israélienne pour préserver la sécurité de son pays, tout comme la tactique asymétrique déployée par ses adversaires pour mettre sous tension militaires et civils, ne datent pas d’hier : « guerre d’usure » de l’Égypte de Nasser dans le Sinaï de 1968 à 1970, attentats ou tirs de roquettes de l’OLP depuis le Sud Liban en 1978 et en 1982. Simplement, l’absence d’avancée significative dans la recherche d’une solution depuis les accords d’Oslo de 1993 (reconnaissance mutuelle de l’OLP et de l’État d’Israël, consensus sur une solution à deux États) et la division politique des Palestiniens laissent une impression d’impasse, voire de régression. Cette nouvelle guerre est le résultat d’un engrenage hélas bien en place. Le Hamas, concurrencé par le Djihad islamique sur la zone qu’il contrôle, répond par les armes à la première provocation, pour préserver son statut de « premier résistant à l’occupant ». Côté israélien, la coalition menée par Benjamin Netanyahou, incluant l’extrême-droite, pousse à une grande fermeté et une grande vigueur dans l’action. À l’heure du bilan, même si l’on ne peut pas parler de statu quo, les fondamentaux du conflit n’ont pas changé. Le Hamas a certes montré sa capacité à tenir tête à l’armée israélienne, et suscité la sympathie du monde musulman. Mais ses gains réels sont pour l’instant limités (une zone de pêche plus étendue), et son affaiblissement militaire réel (capacité balistique diminuée, tunnels détruits, état-major liquidé). Israël a, pour sa part, montré sa capacité de dissuasion, tout

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{Actualité} Gaza 2014 : une guerre pour rien ?

Géopolitique en limitant ses pertes civiles grâce au « Dôme de fer ». Il a en revanche perdu des points dans la bataille médiatique, comme en témoignent les manifestations à travers le monde, et notamment en France, contre les effets difficilement défendables (enfants tués, familles entières décimées, hôpitaux bombardés, etc.) des opérations dans la bande de Gaza. UÊ Quelles perspectives ? Les deux belligérants sont pris dans leurs propres contradictions. Hamas, qui souhaite rester le fer de lance arabo-musulman du combat contre Israël, se veut va-t’en guerre. Interlocuteur le plus légitime du camp palestinien depuis les élections de 2006, il rejette les accords d’Oslo en bloc et refuse de reconnaître l’existence même d’Israël. Mais la gestion de la situation économique de Gaza lui impose des trêves régulières pour alléger le blocus et rendre la situation supportable pour les populations. En Israël, les partisans de la manière forte (comme le ministre d’extrême droite Avigdor Lieberman) poussent à l’éradication du Hamas. Mais c’est finalement l’atteinte des objectifs militaires fixés par l’état-major pour garantir la sécurité d’Israël qui a décidé de l’arrêt des combats. Ainsi émergent parmi les parties prenantes des tendances plus « réalistes ». Au sein du Hamas, d’aucuns poussent à un gouvernement d’union avec l’Autorité palestinienne de Cisjordanie (des discussions en ce sens avaient abouti début juin 2014), voire à une intégration de l’OLP et une mise en retrait progressive des activités militaires pour mettre fin au blocus. En Israël, l’idée que la seule force puisse venir à bout du Hamas, niant sa dimension politique, sociale et identitaire, a de moins en moins d’adeptes. C’est finalement en remettant la politique au cœur des débats qu’une voie pourra être trouvée. Cela suppose qu’une OLP plus représentative reprenne le chemin des négociations, et qu’une Autorité palestinienne réunifiée et légitime puisse être responsabilisée sur les territoires qu’elle contrôle. Mais aussi qu’Israël, moins obsédé par le refus de concéder quoique ce soit à l’action violente, arrête de choisir ses interlocuteurs. Si les germes de ce changement sont bien là, ils ne pourront hélas pas compter sur le secours et l’implication prochaine de la communauté internationale. Celle-ci, focalisée sur le péril djihadiste international, aura tendance, comme elle l’a fait dans cette guerre, à laisser, par un amalgame (discutable) entre Hamas et l’État islamique ou Al-Qaïda, les coudées franches à Israël. C’est bien dans ce contexte que ce même Israël a pu annoncer sans susciter beaucoup de réaction l’annexion, dès le 31 août 2014, de 4 000 ha de terres en Cisjordanie pour étendre et sécuriser ses colonies dans la région.

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{Actualité}

La crise ukrainienne : une nouvelle guerre aux portes de l’Europe

par Ariane Cronel

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 20 septembre 2014, un mémorandum est signé à Minsk (Biélorussie) entre les autorités ukrainiennes et les séparatistes de l’Est du pays, en présence de représentants russes et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Cet accord en 9 points doit consolider le cessez-le-feu signé le 5 septembre. Après 5 mois de conflit armé, près de 3 000 morts et des dizaines de milliers de personnes déplacées, la crise ukrainienne semble connaître un moment d’apaisement. Née du refus par le président ukrainien Viktor Ianoukovitch de signer un accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne après trois années de tractations, cette crise politique a dégénéré en conflit armé avec la bénédiction du président russe Vladimir Poutine, sans que les États occidentaux ne semblent véritablement en prendre la mesure. Alors que le nouveau pouvoir ukrainien était en passe de rétablir l’autorité nationale sur les régions séparatistes de l’Est du pays durant l’été, l’intervention directe de l’armée russe dans ces zones a renversé le rapport de force et contraint le nouveau président ukrainien Petro Porochenko à la conclusion d’un cessez-le-feu qui fige la situation, en créant une zone tampon de 30 km le long de la ligne de front.

> ILLUSTRATIONS UÊ L’Union européenne initie en 2009 le Partenariat oriental avec 6 anciennes républiques soviétiques : Arménie, Azerbaïdjan Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine, en vue d’un accord d’association. Le sommet de Vilnius fin 2013 devait marquer le début du partenariat par la signature d’un accord entre l’Union européenne et ces 6 pays. UÊ En 2010, la Russie crée une « Union douanière » avec la Biélorussie et le Kazakhstan. UÊ Le 19 janvier 2014, plus de 200 000 personnes manifestent dans le centre de Kiev suite au choix du président Ianoukovitch de préférer l’Union douanière russe au Partenariat oriental européen, juste avant l’entrée en vigueur de celui-ci. UÊ Le 22 février, Viktor Ianoukovitch fuit le pays et un gouvernement de transition est constitué. UÊ Le 1er mars, Vladimir Poutine obtient du parlement russe l’autorisation de pouvoir envoyer des forces armées en Ukraine pour « y assurer la sécurité des communautés russes ». UÊ Le 6 mars, le parlement de la réunion ukrainienne de Crimée vote son rattachement à la Russie et la tenue d’un référendum le 16 mars : le « oui » l’emporte à 96,77 % lors d’un scrutin entaché par la fraude. 72

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Géopolitique UÊ Entre le 1er et le 3 avril, le groupe gazier russe Gazprom relève de 80 % les tarifs de ses exportations de gaz vers l’Ukraine (de 268,5 $/m3 à 485 $/m3). UÊ Mi-avril, des hommes armés s’emparent de bâtiments publics dans l’est de l’Ukraine (Slaviansk, Marioupol, Kramatorsk) et les combats font leurs premières victimes. UÊ Le 11 mai, plusieurs référendums pour l’indépendance se tiennent dans les régions de Donetsk et Louhansk, accordant une large victoire au « oui ». UÊ Le 25 mai, Petro Porochenko, ancien ministre ayant fait fortune dans la confiserie, est élu président de l’Ukraine. UÊ Le 17 juillet, un avion de ligne de la Malaysian Airlines avec 298 personnes à son bord est abattu alors qu’il survole les régions séparatistes.

ENJEUX

UÊ Le dilemme ukrainien, entre Europe et Russie Bien que 90 % des Ukrainiens aient voté pour l’indépendance en 1991, le choix pro-russe du président Ianoukovitch renvoie l’Ukraine à l’opposition entre le nord-ouest du pays, pro-européen et le sud-est, plutôt russophone et russophile. Si 50 % des Ukrainiens sont plutôt favorables à un rapprochement avec l’Union européenne, l’autre moitié de la population, sans rejeter nécessairement l’Europe, souhaite que la Russie reste un partenaire important. Du point de vue économique, l’Ukraine est particulièrement dépendante de la Russie, qui représente 1/3 de ses exportations. Moscou manie en outre le levier gazier sans vergogne : la Russie fournit 50 % du gaz consommé en Ukraine, laquelle ne dispose que de 6 mois de réserves. Avant même le début de la crise, Gazprom réclamait aux autorités ukrainiennes 17 milliards d’euros d’arriérés de paiement de gaz, et ce alors que le pays connaissait une croissance d’à peine 1 % et devait déjà 7 milliards d’euros à ses créanciers. Le choix de Viktor Ianoukovitch en faveur de l’Union douanière russe s’était d’ailleurs traduit par une diminution immédiate du prix du gaz livré à l’Ukraine. La sécession de la Crimée puis les combats dans la région orientale du Donbass ont mis en lumière toute la difficulté politique à asseoir un pouvoir central ukrainien dans un pays en réalité fortement clivé, où la propagande russe dans les régions russophones est extrêmement présente. La question pour le président Porochenko n’est actuellement plus tant la réaffirmation du pouvoir central et de l’intégrité territoriale que celle du niveau de démembrement « acceptable » afin de permettre un retour à la paix et une relance économique. Dans ce domaine, l’appui d’une Europe restée inerte sur le plan politique et militaire sera essentiel : un accord historique d’association et de libre-échange a ainsi été signé le 16 septembre par le parlement ukrainien et le parlement européen. Par ailleurs, la décision d’inverser les livraisons de gaz pour fournir du gaz à l’Ukraine en provenance de Slovaquie pourrait diminuer de 40 % la dépendance énergétique du pays vis-à-vis de son puissant voisin. {Actualité} La crise ukrainienne : une nouvelle guerre aux portes de l’Europe

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Géopolitique UÊ Moscou et le « glacis protecteur » La Russie n’a pas supporté que l’Ukraine, considérée comme « un pays frère, un peuple frère » par le président russe, se tourne vers l’Union européenne plutôt que vers son projet d’union douanière. Si la situation a dégénéré en Ukraine, Moscou a également réussi, plus discrètement, à dissuader 3 autres ex-républiques soviétiques d’adhérer au Partenariat Oriental. Le scénario ukrainien rappelle la crise géorgienne de 2008, avec la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Si ces deux républiques restent ignorées par la communauté internationale, elles n’en constituent pas moins un démembrement pérenne de l’État géorgien, ainsi qu’une fragilisation durable de celui-ci. D’autres velléités séparatistes dans les anciennes républiques soviétiques sont regardées avec bienveillance par Moscou, comme en Moldavie où le président pro-russe de la région de Transnistrie appelle à « un divorce civilisé » avec le reste du pays, tandis que ce dernier se rapproche de l’Union européenne. Quant à la région du Haut-Karabakh, objet depuis des décennies de vives tensions entre Arméniens et Azerbaïdjanais, elle a permis fin 2013 à la Russie de pousser les autorités arméniennes à préférer l’Union douanière au partenariat européen. Au total, il semble que la Russie manipule habilement les indépendantistes pro-russes des États qui l’entourent, comme pour s’assurer de la désorganisation et de la faiblesse politique durable de ces derniers. Un clivage ethnique et politique BIÉLORUSSIE FÉDÉRATION DE RUSSIE Loutsk

POLOGNE

!

Soumy

Kiev

!

Jitomir ! !

!

Lviv

Poltava

!

Kharkiv !

Ternopil !

Louhansk

Vinnytsia Dnipropetrovsk

!

!

Donetsk Zaporijia

Odessa

!

!

ROUMANIE

!

!

MOLDAVIE

Kherson Mer d’Azov

Mer Noire 100 km

RÉPUBLIQUE AUTONOME DE CRIMÉE

Sébastopol (72 % de Russes) !

Répartition des Russes par province selon le dernier recensement disponible (2001, en %) < 10

10 à 19

20 à 29

30 à 39

40 à 49

Ligne de partage entre le Nord-Ouest (qui a voté en 2010 pour Ioulia Timochenko) et le Sud-Est (qui a voté pour Viktor Ianoukovitch, le candidat prorusse).

Source : State Statistics Committee of Ukraine.

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La question de l’indépendance de l’Écosse par Élisabeth Monteiller

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Suite à l’accord d’Édimbourg signé le 15 octobre 2012 par le Premier ministre écossais Alex Salmond et le Premier ministre britannique David Cameron, le référendum sur l’indépendance de l’Écosse s’est déroulé le 18 septembre 2014 appelant tous les Écossais âgés de plus de 16 ans à voter. Si le non l’a emporté avec 55,3 % des voix, les derniers sondages ont présenté l’indépendance comme une réelle possibilité engendrant un débat sur les conséquences à l’échelle de l’Écosse, du Royaume-Uni et de l’Europe. Outre la démission d’Alex Salmon de son poste de Premier ministre du gouvernement écossais et de chef du Parti national écossais (Scottish National Party, SNP), ce référendum marque le début d’une grande politique de « dévolution » au sein du Royaume-Uni promise par le gouvernement de David Cameron pour octroyer aux différents membres de l’union plus d’autonomie, principale revendication des indépendantistes.

> ILLUSTRATIONS UÊ Résultats du référendum : 55,3 % non, 44,6 % oui. UÊ Taux de participation fort : 84,59 %. UÊ Évolution dans les sondages au cours de l’année 2014 : 8 janvier 2012, 54 % non, 30 % oui, 16 % d’indécis ; 5 septembre 2014, 45 % non, 47 % oui, 8 % d’indécis (sondage YouGov). UÊ L’Écosse représente 8,4 % de la population, 1/3 du territoire, 10 % du PIB du Royaume-Uni (source France Diplomatie) et 90 % de la production d’hydrocarbures du Royaume-Uni se situe dans les eaux territoriales écossaises. UÊ La place de l’Écosse au sein de la Grande-Bretagne : grâce au Scotland Act en 1998, l’Écosse est devenue la province la plus indépendante avec un parlement et un gouvernement propre qui mènent des politiques en termes d’éducation, de santé, d’agriculture, de culture et de logement alors que le Parlement britannique conserve la mainmise sur la défense, les finances, les politiques étrangères et énergétiques, l’emploi et la sécurité sociale. UÊ La Grande-Bretagne est l’union de l’Écosse, de l’Angleterre, du Pays de Galle et de l’Irlande du Nord.

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Géopolitique

ENJEUX

UÊ Le projet des indépendantistes Au-delà d’une simple revendication nationaliste légitime car la nation écossaise existe, l’indépendance est présentée comme un projet politico-économique complet et viable par le SNP. Les grandes lignes sont énoncées dans le livre blanc qui demande notamment une indépendance politique totale car les Écossais se sentent sous-représentés et peu écoutés au gouvernement britannique, le désengagement des programmes nucléaires, l’élargissement des compétences de défense avec le désir de rester dans l’OTAN, un maintien de la livre sterling avec une dépendance vis-à-vis de la banque centrale britannique et une participation à la dette britannique. Le livre blanc prévoit également de s’accaparer 90 % des ressources en hydrocarbure de la mer du Nord pour financer ce nouvel État ainsi qu’un régime social plus développé que celui existant. UÊ Les conséquences et les implications de l’indépendance à l’échelle de la GrandeBretagne Pour la Grande-Bretagne, l’indépendance écossaise est avant tout une perte de 8 % de sa population et 30 % de son territoire. Cette perte est conséquente étant donné que la région représente la principale réserve d’hydrocarbures du pays et abrite la base navale de Faslane, point central de la stratégie militaire sous-marine britannique. Mais le risque et le coût semblent être davantage portés par les Écossais. L’indépendance signifie tout d’abord la création d’un nouvel État, impliquant la mise en place d’une défense et de politiques sociales représentant un coût certain. La question d’une nouvelle monnaie est aussi posée car la GrandeBretagne semble être récalcitrante à ce que l’Écosse conserve la livre. Financer cet État en confisquant les hydrocarbures du nord va entraîner des représailles économiques de la part de la Grande-Bretagne comme l’arrêt de sa construction navale dans la région. Mais les conséquences économiques sont bien plus larges car les Écossais bénéficient de larges subventions du gouvernement britannique perdues de facto, et l’indépendance implique également une perte d’investisseurs internationaux provoquée par la méfiance annoncée des agences de notation internationales qui ne donneront pas le « triple A » à l’hypothétique nouvel État écossais. UÊ Les conséquences et les implications de l’indépendance à l’échelle de l’Europe Même si les Écossais sont plus europhiles que le reste de leur union, leur indépendance serait synonyme d’une sortie de l’Union européenne. Cela signifie tout d’abord une perte économique pour l’Écosse qui serait exclue des accords spécifiques signés entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne notamment pour la PAC (politique agricole commune). L’Écosse devrait alors entamer depuis le début le processus d’adhésion, nécessitant d’adopter l’euro (donc de renoncer à la livre sterling) et d’obtenir l’accord à l’unanimité de tous les membres de l’Union (ce qui aurait été difficilement concédé par le Royaume-Uni ainsi que par l’Espagne de peur que cela ne renforce l’indépendantisme catalan). Ainsi ce référendum renforce les nationalismes existants au sein des pays membres et fragilise l’unité de l’Union européenne.

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{Actualité} La question de l’indépendance de l’Écosse

{Actualité}

Enlèvement de lycéennes par la secte Boko Haram par Éric Juramy

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Dans la nuit du 14 au 15 avril 2014, 200 à 300 lycéennes sont enlevées lors d’un raid sur la ville de Chibok dans l’État de Borno (nord-est du Nigeria) par des combattants islamistes se réclamant de la secte Boko Haram. Ce raid fait suite à une série d’attaques menées par la même secte contre les établissements de la région, série qui a commencé en juillet 2013, tuant près de 145 élèves et professeurs masculins, les élèves féminines étant généralement épargnées, ou plus rarement enlevées. Les lycéennes de Chibok, dont le nombre exact est toujours inconnu, sont vraisemblablement emmenées par leurs ravisseurs dans la forêt de Sambisa, fief de Boko Haram dans le parc national du bassin du Tchad. Cette thèse s’appuie sur les affrontements violents qui se sont déroulés à l’orée de ladite forêt dans la nuit du 24 au 25 avril (40 morts parmi les insurgés de Boko Haram, 4 morts du côté des militaires nigérians). Des sources discordantes (Radio France International, Département d’État américain), les annoncent exfiltrées en dehors du Nigeria, dans une des bases arrière de la secte (Tchad ou Cameroun). Le 5 mai 2014, Abubakar Shekau, leader de la secte, revendique officiellement le rapt des lycéennes. Il déclare notamment : « J’ai enlevé les filles. Je vais les vendre sur le marché, au nom d’Allah. […] J’ai dit que l’éducation occidentale devait cesser. Les filles, vous devez quitter (l’école) et vous marier. […] Une fille de 12 ans, je la donnerais en mariage, même une fille de 9 ans, je le ferais. » Cette provocation, largement médiatisée et alliée au nombre élevé des kidnappées, provoque une mobilisation sans précédent tout d’abord au Nigeria, puis dans le monde entier via les réseaux sociaux. Michelle Obama, Hillary Clinton, Jessica Alba ou encore Christiane Taubira font parties des milliers de participants qui s’affichent photo avec le slogan « Bring Back Our Girls ». Dès le 7 mai, sous la pression médiatique, France, États-Unis et Royaume-Uni proposent leur assistance militaire au Nigeria : des experts sont envoyés sur place, ainsi que des moyens d’observation. Le 17 mai, le président François Hollande organise un sommet à l’Élysée sur le sujet, réunissant, outre la France, l’ensemble des pays de la région où sévissent et où se réfugient les combattants de Boko Haram : Nigeria, Bénin, Tchad, Niger et Cameroun. Les participants s’engagent à coordonner leurs opérations de renseignement dans la zone. L’armée nigériane, fortement critiquée depuis le début de l’enlèvement pour son incompétence, déclare avoir repéré les jeunes lycéennes et préparer désormais une intervention à

{Actualité} Enlèvement de lycéennes par la secte Boko Haram

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Géopolitique ̜ÕÃÊ«œˆ˜ÌÃÊ`iÊÛÕiÊ`jˆÊÊV>Ìi°Ê>ˆÃ]Ê>œÀÃʵÕiʏ>ʓj`ˆ>ÊÊ̈ÊÊÃ>̈œ˜Ê`iʏ½i˜mÊÊÛiÊʓi˜ÌÊ>ÕÀ>ˆÌÊ«ÕÊv>ˆÀiÊ VÀœˆÀiÊDÊ՘iÊÀj>V̈œ˜Ê“>ÃÊÊÈÛiÊiÌÊ`jVˆ`jiÊ`iÃÊ>Õ̜ÊÊÀˆÊÊÌjÃʘˆ}jÀˆ>˜iÃ]ÊViiÇÊVˆÊÃi“Li˜ÌÊ«iÀ`ÀiÊ «ÀœÊÊ}ÀiÃÊÊÈÊÊÛiÊʓi˜ÌÊ«ˆi`Ê`>˜Ãʏ>ÊÀj}ˆœ˜Ê“k“iÊ`iʏ½i˜mÊÊÛiÊʓi˜Ì°ÊÕÊVœÕÀÃÊ`iʏ½jÌjÊÓä£{]Ê œŽœÊ >À>“Ê>ÊÀj՘ˆÊiÃʓœÞi˜ÃÊ«œÕÀÊ«>ÃÊÊÃiÀÊ`½Õ˜iÊÃÌÀ>ÊÊÌjÊÊ}ˆiÊ`iÊ}ÕjÊÊÀˆ>ÊDÊViiÊ`½œVVÕÊÊ«>ÊÊ̈œ˜ÊVœ˜ÌˆÊ‡ ˜ÕiÊ`iÊ✘iÃÊi˜ÌˆmÀiÃÊ>Õ̜ÕÀÊ`iÊܘÊwivÊ`iʏ½Ì>ÌÊ`iÊ œÀ˜œ]Ê>>˜Ìʓk“iʍÕõսDÊ`jV>ÊÊÀiÀÊw˜Ê >œ×ÌÊ՘ʁÊV>ˆÊÊv>ÌʂÊDʏ½ˆ˜ÃÊÊÌ>ÀÊ`iʏ½Ì>ÌʈÏ>ÊʓˆµÕi°Ê i«ÕˆÃ]ʏ>ÊÃiVÌiʓi˜>Viʏ>ÊV>«ˆÊÊÌ>iÊ`½Ì>ÌÊ >ˆ`Õ}ÕÀˆÊiÌÊýi˜vœ˜ViÊÛiÀÃʏiÊÃÕ`]ÊVœ““iÌÊÊÌ>˜ÌÊ`iʘœÕÊÊÛi>ÕÝʓ>ÃÊÊÃ>VÀiÃÊiÌÊi˜mÊÊÛiÊʓi˜Ìð

> ILLUSTRATIONS UÊ Ê œŽœÊ>À>“Ê‚ÊiÃÌʏiÊÃÕÀÊʘœ“Êi˜Ê>˜ÊÊ}>}iʅ>œÕÃÃ>Ê`ÕÊGroupe sunnite pour la prédication et le djihad°ÊÊ œŽœÊ‚Ê`jÈ}˜iʏ½>«…>ÊÊLiÌʏ>̈˜Êˆ“«œÃjÊ«>ÀʏiÊVœœÊʘˆÊÊÃ>ÊÊÌiÕÀÊ>˜}>ˆÃÊ>ÕÊ݈ÝeÊÈmViÊiÌ]Ê «>ÀÊiÝÌi˜ÊÊȜ˜]ʏ½j`ÕÊÊV>ÊÊ̈œ˜Ê>‹µÕiʜVVˆÊÊ`i˜ÊÊÌ>i°ÊÊ>À>“Ê‚ÊÈ}˜ˆÊÊwiʁʈ˜ÌiÀÊÊ`ˆÌʂÊ`>˜Ãʏ>ÊÀiˆÊÊ}ˆœ˜Ê ˆÃ>“ˆµÕi° UÊ iʓœÕÊÊÛiÊʓi˜Ì]ʵÕ>ÊʏˆÊÊwjÊ`iÊÃiVÊÊÌ>ˆÀi]ʘ>ŠÌÊi˜ÊÓääÓÊÜÕÃʏ½ˆ“«ÕÊÊȜ˜Ê`ÕÊ«ÀjÊÊ`ˆÊÊV>ÊÊÌiÕÀÊœ…>“i`Ê 9ÕÃÕvÊDÊ>ˆ`Õ}ÕÀˆÊ­Ì>ÌÊ`iÊ œÀ˜œ]ʘœÀ`‡ÊiÃÌÊ`ÕÊ ˆ}iÀˆ>®°ÊÊÃiÊÃÌÀÕVÊÊÌÕÀiʜÀˆÊÊ}ˆÊʘiÊʏiÊʓi˜ÌÊ>Õ̜ÕÀÊ `½Õ˜iʓœÃÊʵÕjiÊiÌÊ`½Õ˜iÊjVœiÊ`ˆÃÊÊ«i˜ÊÊÃ>˜ÌÊ՘ʈÏ>“ÊÀˆ}œÀˆÃÌi]ʈ˜ÃÊÊ«ˆÀjÊ`iÃÊÌ>ˆL>˜ÃÊ>v}…>˜Ã°Ê

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{Actualité} Enlèvement de lycéennes par la secte Boko Haram

Géopolitique

ENJEUX

UÊ La démocratie nigériane à l’épreuve de l’islamisme radical Avec le cas Boko Haram, l’action du pouvoir fédéral au Nigeria est sur la sellette. Le manque de lucidité semble en effet avoir été le seul fil conducteur de ses interventions. La secte a été sous-estimée à deux reprises : tout d’abord lors des premiers accrochages en 2003, puis en 2009, après l’intervention de l’armée, où Boko Haram a pu reconstituer sans problème ses forces dans son fief. Les nombreux échelons fédéraux, où les rapports s’embellissent au fur et à mesure qu’ils grimpent dans la hiérarchie, semblent une cause crédible. Aussi, face au mécontentement du peuple, la réaction des forces de l’ordre, à défaut d’arriver à temps, a été démesurée. L’exécution sommaire du leader Mohamed Yusuf fin 2009, et le passage à la clandestinité qui s’en est suivi, a provoqué une fuite en avant dans l’horreur. Il n’est ainsi plus possible de négocier avec un mouvement qui avait encore pignon sur rue il y a 6 ans. La clandestinité, en forçant la secte à se constituer un réseau de bases arrière, a aussi rapproché Boko Haram des autres mouvements djihadistes de la région. Et s’il est faux de parler d’alliance, armes libyennes et formations somalienne ou algérienne aux explosifs dotent le mouvement d’un potentiel de destruction inquiétant. Le décret d’état d’urgence, sans réelle stratégie militaire, et l’encouragement des milices d’autodéfense n’ont eu pour conséquence que d’isoler la région en mettant Boko Haram face à des civils faiblement armés, avec les résultats que l’on sait. Du côté politique, le gouvernement fédéral semble en tout cas peu récompensé de ses efforts : malgré la remise en place de la charia comme base du pouvoir exécutif et judiciaire dans les États à majorité musulmane (au grand dam des autres communautés religieuses), Boko Haram n’a visiblement pas de mal à recruter. La dimension sociale, et la dénonciation induite de la corruption des élites nigérianes issue de la manne pétrolière, ont été bien rapidement niées comme cause possible de la persistance du mouvement. Et pourtant, selon le spécialiste MarcAntoine Pérouse de Montclos, la demande de justice sociale et d’un ordre moral rêvé face à une élite et des gouvernements séculaires corrompus risque d’être un phénomène durable dans ce géant d’Afrique qu’est le Nigeria. UÊ #BringBackOurGirls : un nouveau type d’action politique ? La campagne « Rendez-nous nos filles » sur les réseaux sociaux a été un véritable succès. Au-delà des participantes prestigieuses, du nombre de relais, il semble avoir provoqué l’implication des nations occidentales, États-Unis en tête, sur le cas des jeunes otages. Twitter serait-il donc devenu l’arme ultime pour combattre l’inacceptable ? Il faut noter tout d’abord que ces phénomènes de masse ressemblent à s’y méprendre aux phénomènes de mode. En ce sens, ils se déclenchent en fonction d’un certain nombre de critères parmi lesquels l’éthique n’est qu’une des composantes. Ainsi l’enlèvement des lycéennes, remis dans le contexte d’un {Actualité} Enlèvement de lycéennes par la secte Boko Haram

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Géopolitique nord-est du Nigeria à feu et à sang depuis près de 4 ans, n’est qu’une péripétie. Aux États-Unis, les médias républicains n’ont d’ailleurs pas manqué de rappeler qu’Hillary Clinton, émue par le sort des lycéennes, s’est longtemps opposée en tant que secrétaire d’État au classement de Boko Haram comme organisation terroriste, alors même que la secte commettait des attentats suicides meurtriers, comme celui contre la délégation des Nations unies dans la capitale fédérale du Nigeria, Abuja. Par ailleurs, des spécialistes craignent que de telles campagnes, en donnant un impact médiatique inespéré à des dérives sectaires, n’amènent finalement plus de volontaires à Boko Haram, et plus d’enlèvements, que des résultats concrets sur le terrain. C’est d’ailleurs avec l’argument de la publicité que l’attitude d’Hillary Clinton a été défendue. Le gouvernement nigérian lui-même se serait fermement opposé en 2012 à la mise à l’index de Boko Haram par les États-Unis, pour éviter que le mouvement ne fasse l’objet d’une trop grande attention des médias internationaux.

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{Actualité} Enlèvement de lycéennes par la secte Boko Haram

{Actualité}

Le 19 coup d’État thaïlandais : la démocratie impossible ? e

par Ariane Cronel

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 24 mai 2014, après six mois de troubles et de manifestations (particulièrement à Bangkok) opposant les partisans du gouvernement de Yingluck Shinawatra aux militants antigouvernementaux de Suthep Thaugsuban, l’armée thaïlandaise décrète la loi martiale. Deux jours plus tard, le général Prayut Chan-ocha, chef de l’armée de terre, confirme dans une déclaration télévisée que l’armée est bien en train de conduire un coup d’État. La Constitution de 2007 est suspendue et un couvre-feu instauré. Les chaînes de télévision sont interdites (mais pas Twitter ni Internet) et l’état d’urgence autorise le nouveau pouvoir à placer en détention, pendant 7 jours au maximum, sans mandat ni charges, tout militant ou activiste politique jugé a priori suspect. La tenue des élections législative, initialement prévues en juillet, devient hypothétique : les militaires ont annoncé se donner 18 mois pour rédiger une nouvelle constitution et organiser des élections. Destituée par la Cour constitutionnelle le 7 mai, Yingluck n’est pas exilée comme son frère mais assignée à résidence.

> ILLUSTRATIONS UÊ Depuis 1932 et le passage d’une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle, la Thaïlande a connu 19 tentatives de coup d’État (y compris celui de 2014), dont 12 ont réussi. UÊ Le coup d’État de 2014 est le 3e en 8 ans (2006, 2010, 2014). UÊ La Constitution de 2007, suspendue par le coup d’État, était la 19e constitution en vigueur depuis la fin de la monarchie absolue. UÊ 28 personnes ont été tuées et plus de 700 ont été blessées dans les manifestations entre novembre 2013 et mai 2014. UÊ Bhumibol Adulyadej règne en Thaïlande sous le nom de Rama IX depuis le 9 juin 1946. Il détient le record mondial de longévité monarchique. UÊ En 2006, le tourisme représentait 6,6 % du PIB national. En 2013, ce chiffre monte à 10 %. UÊ Les réservations internationales touristiques ont baissé de 17 % entre novembre 2013 et mars 2014 par rapport à la même période de l’année précédente ; le nombre de touristes étrangers a baissé de 10,6 % en mai 2014 par rapport à mai 2013. UÊ Le gouvernement a abaissé ses prévisions de fréquentation à 25,9 millions de voyageurs, contre une cible initiale de 28 millions. La Thaïlande avait battu un record en 2013 avec 26,5 millions de touristes, générant plus de 31 milliards d’euros de recettes. UÊ L’économie thaïlandaise s’est contractée de 0,6 % au premier trimestre 2014.

{Actualité} Le 19 e coup d'État thaïlandais : la démocratie impossible ?

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Géopolitique UÊ En analysant la relation coup d’État/PIB, le politologue américain Jay Ulfeder conclut que la croissance fléchit de 2,1 % l’année du coup d’État, de 1,3 % l’année suivante, et de 0,2 % la troisième année.

ENJEUX

UÊ Le coup d’État, une spécialité thaïlandaise Depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, la Thaïlande connaît régulièrement des coups d’État : perçue comme « au-dessus des partis », l’armée intervient dans la vie politique thaïe, toujours avec l’accord plus ou moins explicite du roi, pour renverser les gouvernements, soit que ceux-ci ne respectent pas suffisamment ses intérêts (diminution du budget de la défense, par exemple), soit qu’ils suscitent de tels clivages dans la société thaïlandaise que l’armée finisse par décider d’intervenir pour mettre fin aux troubles. Depuis son élection en 2001, c’est l’homme d’affaires Thaksin Shinawatra qui est au cœur de l’instabilité politique thaïlandaise. Arrivé au pouvoir malgré l’opposition des élites traditionnelles de Bangkok, cet ancien membre de la police (institution concurrente de l’armée) a été le premier à s’adresser directement aux classes défavorisées, qui ont le plus souffert de la crise asiatique de 1997. Proche du prince héritier, il est renversé quelques mois en 2006 alors qu’il se trouve à New-York. Mais son parti remporte largement les élections de 2007 et 2008. Accusé de corruption, Thaksin s’exile à Dubaï cette année-là mais ses partisans (les « chemises rouges ») réclament son retour. En 2010, ils occupent Bangkok, dont ils seront violemment délogés par l’armée (90 morts). En 2011, le parti de Thaksin remporte de nouveau la majorité absolue aux élections législatives et sa sœur Yingluck Shinawatra devient chef du gouvernement. Devant leur incapacité à remporter la victoire dans les urnes, les « chemises jaunes » anti-gouvernementales dirigées par l’ancien vice-Premier ministre Suthep Thaugsuban (le jaune étant la couleur attribuée dans le calendrier bouddhiste au lundi, jour de l’anniversaire du roi) saisissent le prétexte d’un projet de loi d’amnistie pour descendre à nouveau dans la rue en novembre 2013. Ils revendiquent le remplacement du gouvernement élu par un « conseil du peuple » dont les membres seraient nommés pour représenter les élites. La destitution assez rocambolesque de Yingluck par la Cour constitutionnelle début mai ne suffit pas aux « jaunes », qui, lorsqu’ils réclament « la fin du système Thaksin », réclament aussi (surtout ?) la fin de l’élection des représentants politiques. UÊ Une instabilité pénalisante, tant économiquement que politiquement Si l’armée est intervenue, c’est bien parce que l’élite politique thaïe n’a pas été capable, entre 2006 et 2014, d’acquérir une légitimité incontestable pour diriger le pays. Or, l’instauration – même annoncée comme provisoire – d’une énième dictature militaire, risque d’effrayer les étrangers et de ralentir un peu plus une

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Géopolitique économie qui cherche un second souffle. Au-delà de l’effet des troubles sur le tourisme, les militaires ont indiqué vouloir diriger les entreprises d’État et entrer au conseil d’administration des firmes privées. À cet égard, le coup d’État tombe d’autant plus mal que la Thaïlande est en concurrence avec ses voisins, notamment l’Indonésie, pour l’accueil de sièges sociaux régionaux. Une nouvelle politique d’accueil des capitaux étrangers avait d’ailleurs été mise en place juste avant le coup d’État. Or, la croissance économique est indispensable pour réduire les écarts de richesse entre les élites urbanisées et les populations rurales plus modestes, qui votent en masse pour le parti de Thaksin Shinawatra. L’incapacité des élites sociales et politiques thaïlandaises à respecter le verdict démocratique des urnes exacerbe ce clivage social et fragilise la dynamique de construction d’une démocratie. Cette démocratie n’est probablement ni souhaitée ni totalement acceptée par des élites pétries de tradition bouddhiste, qui revendiquent que ce soient « ceux qui sont capables » qui gouvernent, plutôt que « ceux qui sont élus ». Hostiles à Thaksin notamment du fait de ses origines modestes, les élites de Bangkok craignent qu’il abolisse la monarchie. Minoritaires, ces élites risquent d’entraîner la Thaïlande vers de nouveaux troubles, sur fond de crise successorale : malade depuis des années, le roi âgé de 86 ans n’est plus en mesure d’apaiser les tensions politiques. Son fils, le prince héritier, est considéré comme fou et instable par la grande majorité des Thaïs, tandis que sa fille, beaucoup plus respectée et appréciée, n’entre pas dans l’ordre de succession du fait de son sexe…

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Élections en Iran : un changement de régime prometteur ?

par Éric Juramy

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 14 juin 2013, le candidat « conservateur modéré » Hassan Rohani est élu au suffrage universel direct président de la République islamique d’Iran. Il l’emporte dès le premier tour avec 50,71 % des voix, face à 3 ultraconservateurs et 2 conservateurs. Le taux de participation atteint 70,2 %. Le Conseil des gardiens de la Constitution, qui valide toutes les candidatures à des mandats électifs, avait préalablement rejeté celle de l’ancien président réformateur Hachemi Rafsandjani, comme celle du dauphin désigné du président sortant Mahmoud Ahmadinejad, Esfandiar Rahim Mashaie. Ce changement de président intervient dans une période particulièrement agitée pour la République islamique. En juin 2009, la réélection entachée de fraudes massives de Mahmoud Ahmadinejad, soulève une vague de protestation sans précédent dans le pays. La « Révolution Twitter », menée par la jeunesse étudiante favorable au candidat réformateur Mir Hossein Mossavi, sonne comme un prélude aux printemps arabes et conteste pour la première fois l’essence même du régime des ayatollahs. Réprimée dans le sang sur ordre du Guide de la révolution Ali Khamenei (150 morts, 500 personnes arrêtées et torturées), elle provoque une rupture durable d’une partie de la population avec le clergé. Plus récemment, c’est le dossier du nucléaire iranien qui a refait surface. Tout d’abord avec un durcissement inédit en janvier 2012 des sanctions à l’encontre de l’Iran par l’Union européenne (interdiction d’importation du pétrole iranien, fermeture de l’accès au réseau bancaire suisse, interdiction d’assurer le transport de marchandises iraniennes), qui ont gravement nui à l’économie iranienne. Ensuite avec les menaces précises formulées par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou le 5 novembre 2012, qui considère le programme iranien comme une menace vitale pour Israël, et se dit prêt à détruire sans l’aval des États-Unis les capacités nucléaires de l’Iran, « s’il le faut ». De leur côté, les États-Unis ont choisi de renouer le dialogue avec l’Iran : le 27 septembre 2013, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, Barack Obama s’est entretenu par téléphone avec Hassan Rohani. Un contact sans précédent depuis la Révolution islamique de 1979, qui s’est prolongé avec l’ouverture d’un nouveau cycle de négociations sur le nucléaire le 3 juillet 2014 à Vienne avec le 5+1 (Allemagne, Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie). Enfin, l’Iran a dû s’employer militairement en Syrie pour soutenir Bachar el-Assad face aux djihadistes du Front Al-Nosrah ou de l’État islamiste, soutenus par les pétromonarchies ennemies du golfe Arabo-Persique. Le danger est arrivé, de manière encore plus inquiétante, aux

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{Actualité} Élections en Iran : un changement de régime prometteur ?

Géopolitique limites de ses frontières avec la déclaration du califat sunnite par l’État islamique, à cheval entre la Syrie et le voisin irakien. Les commandos de la force Al-Qods sont officiellement sur ces terrains d’opération, et leurs morts, nombreux, sont enterrés en martyrs.

> ILLUSTRATIONS Exportations iraniennes de pétrole brut (en millions de baril/jour) 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 2011

2012 Source : Enjeux Internationaux, du 5 juillet 2012.

UÊ L’Iran est l’un des rares régimes théocratiques au monde. Le clergé, et en premier lieu le Guide de la révolution, détient les véritables clés du pouvoir, censé émaner de Dieu. Si le Guide de la Révolution a le droit de veto sur tout, les principales institutions du pays (président, parlement et assemblée des experts) sont élues au suffrage universel. UÊ À l’instar des démocraties populaires, il n’y a pas à proprement parler de parti politique, mais des tendances au sein d’une doctrine d’État : l’islamisme chiite. UÊ L’appareil d’État, notamment l’armée et la police, est doublé d’un appareil parallèle qui répond en ligne directe au Guide de la Révolution (Pasdaran pour l’armée, et force spéciale Al-Qods, Milices Basijs pour la police, impliquées dans la répression de 2009). UÊ Avec un PIB par habitant de 13 300 dollars en 2011, l’Iran est un pays relativement riche. À titre d’exemple la Turquie avait la même année un PIB par habitant de 15 200 dollars, et l’Égypte 6 700 dollars. UÊ L’Iran a réalisé sa transition démographique en un temps record : son taux de fécondité est de 1,82 enfant par femme (inférieur à la France). Il était de 5 enfants par femme au moment de la Révolution iranienne (1979). UÊ En juillet 2012, l’inflation officielle s’élevait à 23 % (et à 40 % sur les produits de base). UÊ Le taux de croissance se situe entre 0 et 1 % en 2012, alors que le taux de chômage s’élève à 20 %. Les catégories les plus touchées par le chômage étant les jeunes, les femmes et les diplômés. UÊ En 2011, les revenus du pétrole s’élevaient à 100 milliards de dollars. L’Iran détient également les 2e réserves de gaz au monde, mais n’est pas en mesure de les exploiter par manque d’investisseurs.

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Géopolitique UÊ Les acheteurs de pétrole iranien étaient avant les sanctions économiques de 2012 la Chine (11 % du pétrole importé venant d’Iran), la Turquie (50 %), l’Italie (13 %) et l’Espagne (13 %). UÊ L’Irak, qui a retrouvé en 2012 son niveau de production d’il y a 25 ans (3 millions de barils/ jour), et l’Arabie Saoudite ont à ce jour compensé la baisse de l’offre iranienne auprès de ces acheteurs.

ENJEUX

UÊ Un renouvellement, pour redorer le blason de la République islamique Si les révoltes post-électorales de 2009 n’ont pas abattu la République islamique, elles ont été l’occasion d’une prise de conscience pour le pouvoir en place. Ali Khamenei, le Guide de la Révolution, est un politicien habile et expérimenté, doyen, après le sultan d’Oman, des dirigeants du Moyen-Orient. Échaudé par le camp réformiste (Mohammad Khatami, président de 1997 à 2005, Mir Hosein Moussavi, candidat en 2009) comme par les « durs » du régime (Mahmoud Ahmadinejad), il s’est visiblement servi de cette nouvelle élection pour « trouver une porte de sortie dont il resterait le maître » (Bernard Hourcade). Le camp des conservateurs modérés a notamment été pressé de présenter un front uni (abandon de plusieurs candidats quelques jours avant l’élection), ceci afin que la légitimité d’un président élu au premier tour dans des élections apparemment honnêtes puisse jeter les bases d’une réconciliation avec l’ensemble de la population. Hassan Rohani, homme du sérail qui s’entend bien avec Khamenei, a employé à de nombreuses reprises le mot « respect » dans ses premiers discours. Il fait appel à dessein à une notion essentielle de la culture iranienne. Son arrivée n’est donc pas une promesse de réformes profondes, mais plus humblement de changements concrets, comme cette volonté, affirmée début septembre 2014, contre l’avis du clergé, en faveur de la mise en place d’un réseau 3G. Rohani a ainsi déclaré : « L’Iran ne peut pas fermer les portes du monde à la jeune génération. » UÊ Vers un dégel avec l’Occident ? La Révolution islamique, qui s’appuie sur les deux piliers que sont l’islam radical et l’anti-américanisme, a isolé l’Iran du monde pendant 34 ans. La tendance au repli sur soi garde de nombreux soutiens à travers le pays. Mais l’affaiblissement actuel de l’Iran, bien plus encerclé que rayonnant dans la région, tend à marginaliser les jusqu’au-boutistes du régime. Ceux-ci sont en outre décrédibilisés par 8 ans de pouvoir mal employés, notamment en matière économique, alors même que la manne pétrolière atteignait des sommets (630 milliards de dollars sous la présidence d’Ahmadinejad). Les sanctions économiques renforcées en 2012 ont privé le régime de la moitié de cette manne en rythme annuel. Or le régime des ayatollahs ne peut plus se permettre de s’en priver. Il va donc devoir, sans paraître se renier, composer avec le « Grand Satan » américain et ses alliés. Et parier enfin sur ses indéniables

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Géopolitique atouts pour retrouver son rang : une démographie contrôlée, une population jeune et éduquée, des infrastructures, notamment routières, relativement développées. Hassan Rohani avait été écarté en 2005 de sa fonction de négociateur sur le dossier nucléaire, pour avoir accepté le contrôle des puissances étrangères sur l’enrichissement de l’uranium. L’arrivée d’un président fin connaisseur de cette question essentielle pour la politique étrangère de l’Iran est lourde de sens. Sa déclaration à la télévision américaine le 19 septembre 2013, précisant que l’Iran ne destinait son programme nucléaire qu’à des fins civiles et pacifiques, a ouvert la porte à un dialogue de fond sur le sujet avec le groupe des 5+1 (5 membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU). Ceux-ci, et à leur tête les ÉtatsUnis, mènent désormais des négociations serrées qui doivent s’achever au plus tard le 20 novembre 2014, sous l’œil très critique d’Israël. Si celles-ci achoppent sur le sujet de l’enrichissement de l’uranium, les deux parties ont en tout cas tout intérêt à s’entendre : la question du nucléaire est devenue ces derniers mois la clé de voûte du jeu politique iranien, et les Occidentaux ont besoin de remettre l’Iran dans le jeu des nations pour espérer une stabilisation du Moyen-Orient grâce à son action sur le terrain. Des contacts au plus haut niveau sont désormais monnaie courante entre Américains et Iraniens, chose impensable il y a deux ans. Ceci n’empêche pas les Iraniens de se montrer ouvertement critiques, notamment concernant les frappes américaines effectuées en territoire syrien. De bon augure toutefois, la conversation historique du 27 septembre 2013 entre les présidents Obama et Rohani a trouvé un écho, moins d’un an plus tard avec un tête-à-tête au moins aussi historique, en marge d’une séance à l’ONU, entre le Premier Ministre de l’ancien colonisateur britannique Cameron et le même Rohani.

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{Actualité}

L’amnésie de Tian’anmen par François Lafargue

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS La place Tian’anmen (littéralement la Paix céleste) est l’un des principaux lieux symboliques de Pékin. Cette place sur laquelle a été érigé le mausolée de Mao Zedong, s’ouvre sur l’une des principales entrées de la Cité interdite. Au printemps 1989, des milliers d’étudiants pékinois occupèrent la place Tian’anmen, en réclamant des réformes politiques. En dépit de la présence de centaines de correspondants de presse internationaux, le pouvoir choisit de réprimer par la force ce mouvement démocratique (4 juin 1989). Le nombre de victimes exactes ne sera jamais connu, mais il s’établit probablement entre 1 000 à 3 000 morts. Ces événements entraîneront ensuite des milliers d’arrestations dans le pays et des condamnations à de lourdes peines d’emprisonnement et plusieurs exécutions capitales. Les étudiants de la place Tian’anmen suivent à l’époque avec attention les réformes audacieuses engagées par M. Gorbatchev, et qui aboutiront au renversement du régime soviétique. Au sein du pouvoir chinois, deux factions s’opposent. Hu Yaobang secrétaire du Parti communiste (1980-1987) puis son successeur Zhao Ziyang (1987-1989) défendent certaines évolutions démocratiques, alors que Li Peng (le Premier ministre) et Deng Xiaoping (qui a le contrôle sur les instances militaires) sont plutôt partisans de recourir à la force. Ces deux hommes estiment que seul un régime autoritaire offre la stabilité politique nécessaire, pour mener de profondes réformes économiques. Ils parviendront à imposer leurs vues. La photographie d’un homme en chemise blanche face à une colonne de chars, prise par le photojournaliste américain, Jeff Widener restera le symbole de ce combat pour la liberté.

> ILLUSTRATIONS

25 UÊ L’année 2014 marque le 25e anniversaire de la répression menée place Tian’anmen, et qui reste un tabou dans le débat public en Chine. Toute référence aux événements de juin 1989 est censurée. UÊ L’usage disproportionné de la force à l’égard de populations civiles désarmées a suscité une profonde réprobation internationale. Plusieurs mesures de sanctions furent alors décrétées par les Occidentaux contre la Chine, comme la restriction des investissements internationaux et un embargo concernant les ventes d’armes. À l’exception de cette dernière mesure, la plupart de ces sanctions ont été rapidement levées. 88

{Actualité} L’amnésie de Tian’anmen

Géopolitique UÊ Depuis 1989, aucun progrès notable en matière de droits fondamentaux n’a été constaté en Chine. Le militant des droits de l’homme Liu Xiabao a été arrêté en décembre 2008 et il purge depuis une peine de onze ans de prison pour « subversion » ; il a été honoré du prix Nobel de la Paix en 2010.

ENJEUX

Vingt-cinq ans après cette tragédie, quelle peut-être l’évolution institutionnelle de la Chine ? UÊ La « Longue marche » vers la démocratie Les Chinois aspirent à davantage de liberté individuelle et surtout à l’instauration d’un État de droit, mais beaucoup sont convaincus que l’immensité du territoire, la diversité de la population exigent des réformes graduelles. La mémoire collective reste hantée par les profonds troubles que le pays a connus au XXe siècle et que seul un État fort peut leur épargner. Pour continuer à maintenir une croissance économique élevée et à attirer les capitaux étrangers, la Chine devra être plus respectueuse des lois du commerce et de la propriété intellectuelle. Elle ne pourra pas faire l’économie de l’instauration d’un État de droit. Il est assez méprisant de penser que les mentalités asiatiques marquées par le confucianisme seraient plus réticentes aux idées de démocratie. Les mentalités américaine et chinoise ne sont guère éloignées, en dépit de cultures qui semblent si différentes. Chinois et Américains se caractérisent par leur optimisme, leur confiance envers l’avenir, la certitude de pouvoir améliorer leur propre sort. Tous deux partagent le sens de la famille, mais aussi le culte de l’effort personnel, où rien n’est attendu des pouvoirs publics. Si la réussite matérielle est perçue de manière positive dans la culture protestante américaine, elle ne fait pas non plus l’objet de suspicion dans une Chine étrangère aux enseignements du catholicisme qui explique que l’on ne peut servir « deux maîtres : Dieu et l’argent ». La force de fascination de l’Amérique reste intacte dans une Chine où l’élite rêve que sa progéniture aille à Yale ou à Harvard, où la propre fille de Xi Jinping a étudié. Il est assez troublant de voir le mimétisme des Chinois, l’apprentissage de l’anglais dès l’enseignement primaire, l’application des méthodes anglo-saxonnes de management, notamment la priorité accordée à la satisfaction du client et l’obsession du money maker. Une évolution institutionnelle positive de la Chine est donc inéluctable dans les prochaines décennies. UÊ Vers la Révolution chinoise ? Les ferments de la révolution sont déjà présents en Chine : une élite politique corrompue et sans aucune légitimité démocratique, une profonde inégalité dans la répartition des richesses, une classe moyenne instruite, urbanisée maîtrisant les nouvelles technologies et aspirant à davantage de liberté. Dès 2010, Wen Jiabao, alors Premier ministre, reconnaissait ouvertement que les déséquilibres sociaux constituaient un défi de premier ordre pour le pays. Les timides velléités {Actualité} L’amnésie de Tian’anmen

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Géopolitique de manifestations de la jeunesse chinoise (notamment en février 2011) ont été violemment réprimées, le signe d’un certain désarroi des autorités publiques. Tout visiteur en Chine ne peut que constater la crispation du régime depuis quelques mois, avec une présence des forces de police plus marquée et la mise en œuvre de nouvelles mesures de surveillance. L’achat d’un billet de train nécessite désormais la présentation d’une pièce d’identité, dont le numéro est relevé. Cette décision est officiellement destinée à lutter contre la revente au marché noir (surtout au moment des jours fériés), mais sert surtout à mieux surveiller les déplacements de la population. La situation politique de la Chine présente de nombreuses analogies avec celle des pays du Maghreb de la fin des années 2000. Les révoltes dans le monde arabe ont été notamment motivées par la dénonciation de la gestion patrimoniale de l’État, incarnée par Gamal Moubarak en Égypte ou Seif Al-Islam en Libye. Un même débat agite également la Chine, régulièrement confrontée aux ambitions et aux frasques des « fils de prince », un terme désignant les héritiers des héros de la révolution et les hauts cadres du Parti communiste. Xi Jinping est le fils du militaire Xi Zhongxun, l’un des compagnons de Mao Zedong. Dans les années 1960, les régimes arabes comme celui de la RPC bénéficiaient d’une légitimité incontestable, acquise dans le combat contre l’occupation étrangère. La modernisation nécessaire de ces pays impliquait une restriction des libertés publiques. Un discours qui maintenant n’est plus accepté par une majorité de la population. Le modèle de développement promu par Pékin et qui conjugue autoritarisme politique et capitalisme sous un contrôle étroit de l’État est aujourd’hui contesté. La critique s’exprime par le biais des milieux artistiques comme à travers les œuvres d’Ai Weiwei, mais aussi associatifs (comme le mouvement taoïste Falun Gong, désormais interdit). Les victimes de la place Tian’anmen devraient pouvoir tenir leur revanche dans les prochaines décennies.

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Mandela, une icône s’en va par François Lafargue

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le décès de Nelson Mandela en décembre 2013, a suscité une profonde émotion dans le monde, et, fait sans précédent, plus de 70 chefs d’État ou de gouvernement (comme Barack Obama et François Hollande) se sont déplacés à Soweto (le 10 décembre) pour assister à une cérémonie d’hommage à sa mémoire. Mais le tiers des sièges du stade Soccer city sont restés vides, à cause des fortes intempéries, de la nécessité pour les Sud-Africains de se rendre au travail (ce jour n’étant pas chômé), et d’une certaine indifférence. Près de la moitié des Sud-Africains n’étaient pas nés lors de la libération de Nelson Mandela en 1990, dont les promesses ont suscité une grande désillusion. Nelson Mandela (1918-2013), surnommé affectueusement Madiba (un mot qui désigne le nom du clan Xhosa dont il est issu) a été consacré par ses contemporains comme un « saint laïc » ou un « mythe vivant ». Son rang social de naissance (ses parents sont liés à une famille royale de l’ethnie Xhosa) permet au jeune garçon de fréquenter l’école primaire puis de poursuivre des études supérieures de droit. Il rejoint l’ANC (le Congrès national africain qui lutte en faveur des droits civiques des Noirs) dès 1944, puis devient avocat à Johannesburg. Après le massacre de Sharpeville en 1960 (une ville située au sud de Johannesburg où 69 manifestants périrent sous les balles de la police), Mandela parvient à convaincre Albert Luthuli, alors président de l’ANC de fonder une branche armée l’Umkhonto we Sizwe (La lance de la nation), dont il assure le commandement et qui organise plusieurs actes de sabotage entre 1961 et 1962. Arrêté le 5 août de cette année, il fut condamné en juin 1964 à la prison à perpétuité. Le nom de Mandela est inconnu en Occident, et son sort n’émeut guère à une époque de lutte anticoloniale. Nelson Mandela et l’ANC sont jugés trop favorables à l’Union soviétique. Et les États-Unis comme la France, à l’époque très active en Afrique australe soutiendront le régime de l’apartheid (notamment par le biais de livraisons d’armes et de construction d’infrastructures comme la centrale nucléaire de Koeberg près du Cap). C’est au milieu des années 1970, après la tragédie de Soweto, que la communauté internationale, jusqu’alors plutôt passive, fut sensible au principe de sanctions suggéré par Albert Luthuli quelques années plus tôt. Ces sanctions internationales (des mesures d’embargo et de désinvestissement) accentuèrent davantage l’isolement du régime.

{Actualité} Mandela, une icône s’en va

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Géopolitique > ILLUSTRATIONS

10 052 jours UÊ 10 052 est le nombre jours de détention subis par Nelson Mandela entre le 5 août 1962 et sa libération le 11 février 1990. Nelson Mandela purgea l’essentiel de ses 27 années de prison dans la province du Cap-occidental (d’abord sur l’îlot de Robben Island puis à Tokay et enfin à Paarl dans la prison Victor-Verster). UÊ Nelson Mandela a été élu président de l’Afrique du Sud (9 mai 1994) à l’issue du premier scrutin démocratique qui s’était tenu quelques semaines plus tôt. Il quittera ses fonctions au terme de son mandat en mai 1999, le vice-président Thabo Mbeki lui succède. UÊ Nelson Mandela s’est marié à trois reprises, avec Evelyn Mase (1944), puis avec Winnie Madikizela (1958), qui fut également une combattante contre la ségrégation raciale, puis avec Graça Machel (1998), la veuve de l’ancien président du Mozambique, Samora Machel.

ENJEUX

UÊ Quel bilan pour la présidence de Nelson Mandela ? La période de la présidence de Nelson Mandela fut trop brève pour être jugée, cinq années où l’essentiel du pouvoir a été exercé par son intrigant vice-président, Thabo Mbeki. Les premières années de la présidence Mandela furent décevantes avec une hausse régulière de la criminalité et une politique économique peu efficace pour réduire les inégalités. En politique étrangère, il fut longtemps reproché à Mandela son refus d’envoyer des troupes au Rwanda pour mettre un terme au génocide contre les Tutsis. Nelson Mandela a surtout permis l’instauration de la démocratie, ce dont beaucoup d’observateurs doutaient à la fin des années 1980. Sa politique de réconciliation a été exemplaire, puisqu’il a refusé de traduire devant les tribunaux les auteurs de crimes perpétrés à l’époque de l’apartheid. Il a également rejeté toute politique de nationalisation, qui aurait spolié la communauté européenne. Mandela – et même ses adversaires en conviennent – incarne finalement des valeurs universelles de courage et de ténacité devant l’adversité, de combat pour la liberté et une certaine compassion envers les vaincus. Comme l’écrit Nelson Mandela dans son autobiographie Un long chemin vers la liberté : « un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, il est enfermé derrière les barreaux des préjugés et de l’étroitesse d’esprit. Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté, tout comme je ne suis pas libre si l’on me prive de ma liberté. L’opprimé et l’oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité. » L’îlot de Robben Island (5 km2) fut utilisé comme phare au XVIIe siècle avant de devenir une léproserie deux siècles plus tard. Classé terrain militaire pendant la Seconde Guerre mondiale, cet endroit passa sous la juridiction des services

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{Actualité} Mandela, une icône s’en va

Géopolitique correctionnels qui y bâtirent en 1963 une prison de haute sécurité, devenue depuis l’un des symboles de la résistance antiapartheid. La minuscule cellule où le prisonnier Mandela passa les deux tiers de ses années de détention est un lieu de recueillement et un passage obligé pour les personnalités étrangères (comme Barack Obama qui se rendit sur l’îlot en juin 2013 ou Nicolas Sarkozy en février 2008). En 1996, l’Unesco a classé le site de Robben Island, comme patrimoine commun de l’humanité, le témoignage de l’oppression politique et du combat contre la ségrégation. L’Afrique du Sud se veut le dépositaire de cette mémoire, au même titre que l’île de Gorée au Sénégal et de sa tristement célèbre Maison des esclaves, qui se veut être le symbole de la déportation des hommes vers les Amériques. UÊ Chronologie 1912 : Fondation du South African Native National Congress, qui deviendra l’ANC. 1918 (18 juillet) : Naissance de Nelson Mandela. 1948 (mai) : Victoire des nationalistes aux élections législatives, adoption des premières lois d’apartheid. 1964 (juin) : Nelson Mandela et plusieurs dirigeants de l’ANC et de sa branche armée l’Umkhonto we Sizwe sont condamnés à la prison à perpétuité. 1990 (11 février) : Légalisation de l’ANC et du Parti communiste. Libération de Nelson Mandela. 1991 (juin) : Abolition des dernières lois de ségrégation raciale. 1994 (avril) : Premières élections législatives multiraciales de l’histoire du pays : large victoire de l’ANC. Nelson Mandela est élu président de la République (9 mai). 1999-2008 : Présidence de Thabo Mbeki. 2013 5 (décembre) : Décès de Nelson Mandela. 2014 (mai) : Jacob Zuma au pouvoir depuis 2009 est réélu président de la République.

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Les enjeux des Jeux par Ariane Cronel

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Du 7 au 23 février 2014, 90 nations et environ 3 000 athlètes (et autant d’accompagnateurs) se sont réunis à Sotchi, en Russie, pour les 22e Jeux olympiques d’hiver. Ces Jeux les plus chers de l’histoire, organisés dans une station balnéaire au climat subtropical, ont suscité moqueries et critiques, sans pour autant qu’un seul pays n’aille jusqu’à les boycotter : certes, quelques médias occidentaux (notamment Arte) ont souligné les atteintes aux libertés individuelles et dénoncé les lois homophobes promulguées en Russie ; de rares commentateurs sportifs se sont par ailleurs émus de la piètre qualité de la neige par des températures tout sauf hivernales. Mais nul n’a réellement remis en cause l’organisation de ces Jeux, dans une Russie dont le retour en force sur la scène internationale ne fait plus aucun doute, sur fond de crise en Ukraine.

> ILLUSTRATIONS UÊ Les premiers Jeux olympiques d’hiver ont eu lieu en 1924. UÊ L’URSS est entrée au CIO (Comité international olympique) seulement en 1951, préférant jusqu’alors aux Jeux olympiques les « Spartakiades », sorte de jeux ouvriers ouverts aux athlètes acquis aux thèses communistes. UÊ Les Jeux olympiques de Sotchi ont officiellement coûté 50 milliards de dollars, soit 37 milliards d’euros, contre les 12 milliards d’euros prévus initialement. C’est quatre fois plus que les Jeux olympiques de Londres. UÊ Sotchi se situe en zone subtropicale, avec en moyenne treize jours enneigés dans l’année. En février, la température moyenne tourne autour de 6 °C. UÊ 49 % des Russes estiment que les Jeux de Sotchi auront un impact très positif pour la Russie, 21 % un impact positif. 6 % estiment qu’ils ont un impact très négatif et 3 % négatif. UÊ Outre le village olympique, les infrastructures réalisées pour les Jeux comprennent 14 sites olympiques, auxquels s’ajoutent un nouvel aéroport international, un port maritime, deux gares, 202 km de voies ferrées, 365 km de nouvelles routes, 102 ponts routiers, 54 ponts ferroviaires, 22 tunnels, ainsi que 3 centrales thermiques, 1 centrale hydroélectrique, 19 unités de production électrique et 480 kilomètres de gazoducs. UÊ La cérémonie d’ouverture a été suivie par environ trois milliards de téléspectateurs dans le monde, dont 5,5 millions en France. 94

{Actualité} Les enjeux des Jeux

Géopolitique UÊ 13 000 journalistes internationaux, tous médias confondus, ont été accrédités pour la couverture des Jeux, assurée par plus de 6 000 diffuseurs dont 94 chaînes de télévision de 123 pays. UÊ La Russie a remporté 33 médailles dont 13 titres olympiques, terminant meilleure nation au tableau des médailles, quatre ans après sa 11e place à Vancouver.

ENJEUX

UÊ Pour la Russie, un enjeu de politique intérieure ou extérieure ? Les Jeux olympiques constituent traditionnellement un enjeu de politique extérieure, comme en témoigne l’intense rivalité entre États-Unis et URSS dans les années 1980. Lorsque les Jeux 2014 ont été attribués à Sotchi par le CIO en 2007, Poutine a ainsi déclaré qu’« enfin la Russie était de retour dans l’arène mondiale comme un État fort, un pays auquel les autres doivent faire attention ». Les Jeux de Sotchi participent en outre d’une politique volontariste d’investissement dans les événements sportifs, qui prouve l’importance symbolique et géopolitique de ce type de manifestation, même après la guerre froide : absente de l’organisation de tels événements depuis les Jeux olympiques d’été de 1980 à Moscou, la Russie assume presque coup sur coup l’organisation des mondiaux d’athlétisme (août 2013), des Jeux olympiques d’hiver (février 2014), du Grand Prix automobile de Russie en octobre 2014 (le premier depuis un siècle) et la Coupe du monde de football en 2018. Pourtant, il semble que les Jeux olympiques de Sotchi soient aussi pour la Russie de Vladimir Poutine un enjeu de politique intérieure. Le choix de cette station balnéaire de la mer Noire, à proximité immédiate de la région agitée du Caucase (guerre d’Ossétie du Sud en 2008), n’est pas seulement un pari : il s’agit d’affirmer la mainmise russe sur la région et l’efficacité des forces de sécurité, après des attentats au début des années 2000 qui avaient fait plusieurs centaines de morts et s’étaient révélés désastreux pour l’image du régime (prises d’otages du théâtre de Moscou en 2002 et de l’école de Beslan en 2004). À cet égard, les Jeux sont une réussite pour la Russie, puisque malgré les attentats survenus à Volgograd en décembre 2013, soit quelques semaines seulement avant les Jeux, aucun incident n’a été déploré durant la quinzaine olympique. Le dispositif de sécurité était particulièrement conséquent, avec plus de 100 000 policiers, militaires et agents de renseignement mobilisés, ainsi que des drones et des missiles sol-air. UÊ Le sport est-il vraiment un vecteur de développement ? Les dépenses pharaoniques de Sotchi s’expliquent d’abord par l’absence d’infrastructures initiales : à l’emplacement du stade olympique se trouvait un ancien sovkhoze. Outre ce stade, ont été édifiés le parc olympique, deux arènes pour le hockey, deux pour le patinage et une (la seule démontable) pour le curling. Le site montagnard, autour du village de Krasnaïa Poliana, distant d’une cinquantaine de kilomètres, a été métamorphosé par la réalisation du centre de ski alpin. {Actualité} Les enjeux des Jeux

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Géopolitique Il est relié par l’autoroute la plus chère au monde (une quatre-voies estimée à 6 milliards d’euros), doublée d’une nouvelle ligne de chemin de fer. S’ajoutent à ces infrastructures un aéroport international et un port commercial. « Plus grand événement de l’histoire post-soviétique » pour Vladimir Poutine, les Jeux olympiques ont donc constitué un vecteur d’équipement d’une région anciennement touristique mais aux infrastructures quelque peu limitées. Mais les retombées directes pour la population locale sont faibles : sur les chantiers ont essentiellement été employés des ouvriers étrangers, dont les conditions de travail ont été dénoncées par l’ONG Human Rights Watch : cas multiples de sous-paiement et même de non-paiement des salaires, absence de contrat de travail, non-respect des normes de sécurité, confiscation de passeport… Les travailleurs venus d’Arménie, d’Ouzbékistan ou du Tadjikistan auraient été payés en moyenne 1,50 euro de l’heure. De nombreux habitants ont été expropriés de tout ou partie de leurs propriétés pour la construction des infrastructures, le plus souvent sans aucune compensation. Les Jeux n’ont pas non plus fait évoluer la situation sur le plan des libertés individuelles, notamment en matière de liberté d’opinion, d’expression et de libertés sexuelles. Ainsi, Joachim Gauck, président de l’Allemagne, a été le premier chef d’État à déclarer qu’il ne se rendrait pas à Sotchi en raison « de la violation répétée des droits de l’homme en Russie ». La vice-présidente de la Commission européenne Viviane Reading déclarait de son côté qu’elle n’irait pas à Sotchi en raison du sort réservé aux minorités en Russie. Certains médias occidentaux se sont même inquiétés du sort que pourraient connaître les athlètes homosexuels lors des Jeux. Enfin, plusieurs analystes considèrent que les Jeux de Sotchi et les projets de développement de nouvelles stations touristiques dans le Caucase proche participent moins d’une politique de développement économique que d’une stratégie visant à renforcer la présence russe à proximité immédiate de la Géorgie, avec laquelle les relations restent tendues depuis la guerre de 2008.

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{Actualité} Les enjeux des Jeux

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Soudan du Sud : entre accords et impasses par Éric Juramy

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le Soudan du Sud déclare officiellement son indépendance du Soudan le 9 juillet 2011 suite à un référendum d’autodétermination organisé en janvier de la même année. Cet événement est l’aboutissement de deux guerres civiles successives au Soudan, entre le Nord musulman et le Sud chrétien et animiste (1955 à 1972 : promesse d’un statut d’autonomie non tenue par Khartoum, 1983 à 2005 : imposition du droit musulman dans le droit pénal). On aurait donc pu croire le « plus jeune État du monde » immunisé contre les conflits, après les 2 millions de morts et les 5 millions de déplacés provoqués par le dernier conflit. Mais depuis la mi-décembre 2013, et alors même qu’il n’a pas encore atteint l’autosuffisance alimentaire, le Sud-Soudan s’enfonce à son tour dans la guerre civile. Le 23 juillet 2013, le président en exercice Salva Kiir limoge son vice-président Riek Machar au motif que celui-ci prévoit officiellement de se présenter aux prochaines élections présidentielles, prévues en 2015. Le 15 décembre 2013, des combats éclatent dans la capitale du Soudan du Sud, Juba, entre clans rivaux de l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS ou SPLA en anglais) qui a mené le pays à l’indépendance. Les fidèles de Kiir, majoritairement issus de l’ethnie dinka, prétendent réagir à une tentative de coup d’État. Ils affrontent ceux de Machar, issus de l’ethnie nuer. Près de 500 morts en 3 jours sont à déplorer, et 11 personnalités politiques de premier plan (dont 8 issues du gouvernement limogé avec l’ex-vice président) sont arrêtées. Riek Machar, désormais rebelle, est en fuite. Il accuse son rival d’avoir tenté de l’assassiner. Les combats s’étendent rapidement entre rebelles et loyalistes aux zones pétrolifères du nord : les villes de Bentiu, Bor et Malakal changent de mains à plusieurs reprises. L’ONU soupçonne dès lors les deux parties de provoquer sciemment massacres à grande échelle et déplacements de population. Le 23 janvier 2014, un premier cessez-le-feu est signé à Addis-Abeba (capitale de l’Éthiopie), sous l’égide de l’IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement, organisation des États d’Afrique de l’Est). Violé par les deux parties, il peine à déboucher sur un accord de paix. C’est finalement un massacre de plusieurs centaines de civils commis sous les yeux de l’ONG Médecins sans Frontières par les rebelles à Bentiu le 15 avril 2014 qui pousse la communauté internationale à intervenir. Le 9 mai, John Kerry, secrétaire d’État américain, après avoir pointé les risques de « génocide » dans le pays, obtient une rencontre des deux belligérants en Éthiopie. Un accord est trouvé en 24 heures, stipulant un cessez-le-feu immédiat, la nécessité d’un gouvernement de transition, et l’ouverture de couloirs humanitaires pour faciliter l’action des ONG.

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Géopolitique Cet accord est aussi fragile qu’ambigu : aucune ligne de séparation des belligérants n’a été officiellement tracée, et chaque partie semble avoir sa propre idée du « gouvernement de transition », celle du président en place étant qu’il doit nécessairement en faire partie ! Plus inquiétant, les 11 personnalités politiques récemment libérées par Salva Kiir n’ayant pas été autorisées à rejoindre Addis-Abeba, la situation se trouve dangereusement polarisée entre le président en exercice et son ancien vice-président. Sans surprise, rebelles et loyalistes s’accusent rapidement de ne pas respecter l’accord de paix. Washington se déclare déterminé à le mettre en œuvre grâce à une force d’interposition. Mais les États-Unis semblent avoir délégué à l’Ouganda le soin de séparer les belligérants, alors même que ses éléments sur place combattent ouvertement du côté loyaliste. Pourtant, d’après l’ONU, avec l’arrivée de la saison des pluies, ce sont près de 3,7 millions de personnes qui sont menacées par la famine d’ici la fin de l’année.

> ILLUSTRATIONS UÊ Le Soudan du Sud est une république fédérale regroupant 10 États sur une surface équivalente à celle de la France. UÊ En 2008, un recensement dénombrait 8,2 millions d’habitants au Soudan du Sud, mais près de 5 millions de personnes étaient considérées comme réfugiées au Soudan à cause de la 2e guerre civile. La population est estimée aujourd’hui à 11,5 millions d’habitants. UÊ Avec 62 groupes ethniques, le Soudan du Sud est l’un des pays les plus ethniquement divers au monde. Les Dinkas (36 %) et les Nuers (15 %) se distinguent par leurs populations relativement importantes, sans être majoritaires. UÊ Arrosé par le Nil Blanc pour son agriculture, doté d’un sous-sol riche en matières premières, et stratégiquement situé entre l’Afrique des Grands Lacs et l’océan Indien, le Soudan du Sud dispose d’atouts exceptionnels pour son développement. UÊ Le Soudan du Sud produit actuellement 75 % de la production pétrolière du Soudan d’avant la partition. Il dépend entièrement de ce dernier pour exporter cette ressource, qui représente 98 % des recettes de son jeune État. UÊ À la mi-mai 2014, l’ONU comptait déjà 1,2 million de déplacés suite au conflit, et près de 20 000 morts. 600 millions de dollars sur le 1,8 milliard de dollars nécessaires manquaient à cette même date pour couvrir les besoins alimentaires du pays jusqu’à la fin de l’année.

ENJEUX

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UÊ Du mouvement de libération à l’État légitime Le conflit actuel a tout d’abord les traits d’une lutte à mort pour le contrôle du pouvoir entre deux figures antagonistes de l’ex-rébellion sudiste. D’un côté Salva Kiir, de l’ethnie dinka, piètre orateur, officier aux tendances autocratiques qui a grandi dans l’ombre de John Garang, le leader charismatique de la rébellion jusqu’à sa mort en 2005. De l’autre Riek Machar, intellectuel de l’ethnie nuer qui s’est construit contre le même Garang (jusqu’à la dissidence armée en 1991), charismatique, éloquent et apprécié de la communauté internationale. L’attelage n’aura pas tenu plus de deux ans. La rapidité avec laquelle cette lutte a pris des

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Géopolitique accents génocidaires jette une lumière criante sur la manière dont le Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS, ou SPLM en anglais), pourtant soutenu sans réserve par l’Occident, a mené son combat contre l’armée soudanaise : utilisation des massacres, des déplacements de population et de la famine pour vider des régions entières. La désillusion est tout aussi grande concernant le piètre usage fait de la manne pétrolière : les fonctions étatiques du Soudan du Sud sont encore assurées à 90 % par des ONG. Le renouvellement des figures de la politique sud-soudanaise semble donc un préalable indispensable pour mettre un terme au conflit et donner au Soudan du Sud un État viable. Mais au-delà des hommes, il faut souligner que la carte des ressources se superpose avec celle des ethnies : les Nuers occupent originellement les terres pétrolifères au nord, et les Dinkas plutôt celles du centre et du sud, moins bien pourvues. Les Nuers et leur leader Riek Machar considèrent ainsi que le Soudan du Sud doit approfondir ses relations avec le Soudan voisin. Et ils voient d’un très mauvais œil les coûteux et hasardeux projets lancés par l’ultra-indépendantiste Salva Kiir de pipeline vers le sud et la côte kenyane. Riek Machar n’a-t-il pas été un proche conseiller d’Omar El-Béchir en 1997 ? À l’aune des inclinations personnelles et tribales, la simple coexistence entre Nuers et Dinkas des années de guerre peine ainsi clairement à devenir la coopération indispensable à la construction d’un destin commun. UÊ Une indépendance née du jeu des grandes puissances Le SPLM, fortement soutenu par les États-Unis et son relais dans la région l’Ouganda, n’a pas originellement combattu pour la partition du Soudan, mais pour le respect de l’ensemble de ses peuples, et une autonomie accrue par rapport au pouvoir central. L’espace soudanais est un espace homogène, uni malgré les remous depuis 1813, et construit autour de cette colonne vertébrale qu’est le Nil (Michel Raimbaut, ex-ambassadeur de France au Soudan). Lors des accords de paix de Naivasha (Kenya) en 2005, son leader John Garang devient donc président de la région autonome du Soudan du Sud, mais aussi vice-président du Soudan. Il meurt quelques semaines plus tard dans un mystérieux accident d’hélicoptère. Son successeur Salva Kiir choisit la voie de la partition et de l’indépendance, et n’aura de cesse de préparer une issue favorable au référendum d’autodétermination de 2011 prévu par les accords de paix. L’affaiblissement du plus vaste État islamiste du monde qu’était le Soudan, qui plus est pourvoyeur de la Chine en matières premières, est un indéniable succès stratégique pour les États-Unis et ses alliés dans la région. En plus de l’Ouganda, dont l’armée soutient Salva Kiir, l’Égypte du maréchal Sissi a récemment signé un accord militaire pour prendre en tenaille Khartoum, qui soutient activement les Frères musulmans égyptiens. L’étonnant suicide de cet État né sous les auspices étasuniens sonne donc comme une revanche pour le Soudan. Car ce dernier n’a-t-il pas déjà fort à faire avec un autre conflit au Darfour, dont les similitudes avec la guerre du Sud Soudan sont pour le moins troublantes ? {Actualité} Soudan du Sud : entre accords et impasses

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Colombie : enfin la paix ? par Éric Juramy

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS En septembre 2012, après plusieurs mois de contacts informels, s’ouvraient à La Havane un cycle de négociation de paix entre le gouvernement du président colombien Juan Manuel Santos et les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC), la principale guérilla paysanne d’obédience marxiste. Il ne s’agit pas des premiers pourparlers de paix pour l’un des plus vieux conflits de la planète. De 1984 à 1990, un long processus lancé par le président d’alors Belisario Betancur aboutissait à la démobilisation d’une des guérillas concurrentes, le M-19, et à l’adoption d’une nouvelle constitution pour la Colombie. En 1998, c’est le président Pastrana qui tentait sans succès d’obtenir la paix avec les FARC, en laissant pendant 4 ans une zone démilitarisée de 42 000 km2 pour la guérilla. Depuis, le conflit, émaillé d’enlèvements spectaculaires (dont celui en 2002 de l’ex-candidate à la présidentielle Ingrid Bettencourt), d’attentats et de massacres commis tant par les insurgés que par les milices paramilitaires créées pour les contrer, semblait parti pour durer. Car si la manière forte du président Alvaro Uribe (2002-2010), appuyé par d’importants moyens militaires américains, a poussé les FARC dans leurs ultimes retranchements, celles-ci sont loin d’être éliminées du terrain. Toujours financées par l’extorsion de fonds et le narcotrafic, elles poursuivent leurs opérations de déstabilisation. Les nouvelles négociations peuvent être vues comme le résultat d’une lassitude partagée, au bout d’un long chemin sanglant. Les belligérants se sont déjà accordés sur 3 points majeurs parmi les 5 faisant partie des négociations. Le premier concerne le développement rural, avec une redistribution agraire, l’officialisation de titres de propriété, et une aide aux régions reculées. Le second concerne les conditions de reconversion à la vie politique des guérilleros, notamment ceux déjà condamnés pour des crimes comme l’extorsion de fonds, les enlèvements ou le trafic de drogue. Le 3e, enfin, concerne les drogues illicites, avec la mise en place dans les zones contrôlées par les FARC de cultures de substitution contre l’arrêt du narcotrafic. Les deux derniers points, les modalités d’arrêt du conflit armé (remise des armes par les FARC) et l’indemnisation des victimes (les FARC se considérant aussi comme des victimes) semblent moins complexes à solutionner.

> ILLUSTRATIONS UÊ Hormis durant la première moitié du xxe siècle, la Colombie est en guerre civile permanente depuis 1830. UÊ Le Centre national pour la mémoire historique évalue le nombre de morts dans le conflit en cours, qui a débuté en 1964, à 220 000, dont 80 % de civils. 100

{Actualité} Colombie : enfin la paix ?

Géopolitique UÊ Plus de 5 millions de Colombiens ont été déplacés depuis 1985, dont un minimum de 150 000 pour la seule année 2012. UÊ selon le ministère de la Défense colombien, les effectifs des FARC s’élevaient en 2010, à 8 000 hommes, contre 17 000 en 2000. UÊ Avec un PIB de 378,1 milliards de dollars en 2013, la Colombie est la 4e puissance économique de l’Amérique latine. UÊ D’après la Banque mondiale, la croissance moyenne entre 2003 et 2011 a été de 4,7 %. UÊ Cependant 50 % des Colombiens travaillent dans le secteur informel, et la pauvreté touche 45 % d’entre eux. UÊ L’agriculture, diversifiée et extensive, représente 6 % du PIB et 18 % de la population active.

ENJEUX

UÊ Les vraies raisons d’espérer Tout d’abord les deux parties ont conscience qu’aucune d’entre elles n’a de chance de l’emporter de façon décisive par les armes. Les coups infligés à la guérilla ont été très sérieux ces dix dernières années. Les FARC ont perdu coup sur coup leur leader historique et charismatique, Manuel Marulanda (en 2008), et son remplaçant, Alfonso Cano (en 2011). Quant aux forces gouvernementales, si leur action est toujours plus efficace, sur un terrain difficile, il ne peut leur échapper que jamais une guérilla n’a été réduite par une démocratie sans un règlement politique. La réélection en juin 2014 du président Santos a presque servi de référendum sur la poursuite du processus. En effet, son principal opposant Oscar Zuluaga, soutenu par l’ex-président Alvaro Uribe, avait fait des négociations en cours son principal cheval de bataille, estimant inadmissible d’entamer des discussions avant l’abandon total de la lutte armée par les FARC. Sa défaite est donc aussi celle de l’approche intransigeante. Et si de l’aveu même, en septembre 2014, d’Ivan Marquez, le leader des négociations pour les FARC, les pourparlers ne sont « pas près d’aboutir », ils sont enclenchés de telle manière qu’il sera très difficile d’y mettre un terme. L’évolution la plus cruciale est peut-être le changement opéré parmi les élites colombiennes au pouvoir. Paradoxalement, c’est l’intransigeant et légaliste Alvaro Uribe, issu de la classe des propriétaires terriens (et accusé d’être proche des paramilitaires), qui en a jeté les prémisses. Tout d’abord en démobilisant les milices paramilitaires grâce à la loi Justice et Paix de 2003. Longtemps considérées comme supplétives à une armée colombienne passive, leur démantèlement a réduit sur le terrain l’influence des latifundiaires, et poussé à la clandestinité les jusqueboutistes, qualifiées de « bandes criminelles émergentes ». Il a aussi montré aux guérilleros la voie de la reconversion. {Actualité} Colombie : enfin la paix ?

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Géopolitique Ensuite en libéralisant largement l’économie colombienne, et en signant des accords de libre-échange avec l’Europe, les États-Unis et ses voisins dans l’Alliance Pacifique (Mexique, Pérou, Chili), la Colombie est entrée dans une ère de croissance sans précédent. Son PIB par habitant a doublé entre 2000 et 2014, alors que, fait rare en Amérique latine, l’inflation est restée contenue (2,7 % en 2013). Les positions plus conciliantes de la classe dirigeante vis-à-vis d’une guérilla adepte de la réforme agraire et hostile aux grands pétroliers sont aussi à chercher dans la diminution nette du poids du secteur primaire, notamment agricole et pétrolier, dans l’économie colombienne. Part du secteur agricole dans le PIB colombien (en %) 18

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{Actualité} Colombie : enfin la paix ?

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Guerre civile en République centrafricaine par Éric Juramy

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le nord de la République centrafricaine est en rébellion chronique depuis le coup d’État du chef des armées François Bozizé, autoproclamé président le 15 mars 2003. Une série d’accords de paix, signée en 2007 et en 2011, et non respectée, pousse divers groupes rebelles coalisés sous le nom de la Séléka à reprendre les armes en décembre 2012. Ceux-ci s’emparent rapidement de villes stratégiques au nord et au centre du pays. L’accord de Libreville, signé le 11 janvier 2013 sous l’égide de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), aboutit à la création d’un gouvernement d’union nationale, le poste de Premier ministre étant réservé à l’opposition rebelle. Insatisfaits des conditions de mise en place de l’accord, les miliciens de la Séléka prennent d’assaut Bangui le 24 mars 2013 et provoquent la fuite de Bozizé. Leur chef Michel Djotodia se proclame président de la République. Mais ce dernier n’a qu’un contrôle limité sur ses troupes, dont les exactions à travers le pays d’avril à septembre 2013 suscitent la reformation de milices d’autodéfense dites « anti-balakas » (anti-machettes). Les méfaits visiblement sélectifs de la Séléka, qui épargne les musulmans, donnent au conflit une teinte religieuse. Un cycle de vengeance, dont les civils sont les principales victimes, s’installe et provoque des déplacements massifs de populations (au moins 300 000 réfugiés). La situation, qualifiée de « pré-génocidaire » par la diplomatie internationale, entraîne le 5 décembre 2013 l’adoption à l’unanimité de la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies créant la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA) sous contrôle Africain. La France déclenche dès le lendemain l’opération Sangaris en soutien de la MISCA, en déployant 2 000 hommes, appuyés par des blindés et des hélicoptères. Mais le contingent français peine autant à désarmer les belligérants qu’à éviter pillages et lynchages, y compris dans le centre de Bangui. Le 10 janvier 2014, Djotodia, discrédité, est poussé à la démission lors d’un sommet extraordinaire de la CEEAC et s’exile au Bénin. L’élection le 20 janvier 2014 par le parlement de Catherine Samba-Panza comme présidente de la République centrafricaine marque l’espoir d’un arrêt des violences interreligieuses. Chrétienne et arabophone, née au Tchad d’un père camerounais et d’une mère centrafricaine, la nouvelle présidente symbolise la diversité de son pays. Mais sa volonté de convergence doit faire face à des dissensions très fortes entre les factions en lice, et à un manque de légitimité sur un pays de facto coupé entre les anti-balakas au sud et la Séléka à l’est et au nord. Un accord de cessez-le-feu a tout de même été obtenu le 23 juillet 2014 à Brazzaville, mais il s’est fait au prix de tractations qui ont abouti à la démission du Premier ministre André Nzapayéké au profit de Mahamat Kamoun et d’un gouvernement élargi couvrant toutes les tendances du spectre politique centrafricain. Kamoun est cependant contesté par la Séléka au point que les membres de ce groupe qui ont accepté un portefeuille ministériel en ont été exclus.

{Actualité} Guerre civile en République centrafricaine

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Géopolitique > ILLUSTRATIONS Les religions en Centrafrique (en % de la population)

Musulmans 15 %

Protestants 25 %

Animistes 35 %

Catholiques 25 % source : WorldFactBook (CIA).

UÊ 4,5 millions d’habitants vivent en Centrafrique. Ils se répartissent sur une superficie supérieure à celle de la France (623 000 km2). UÊ Située au cœur du continent africain, la bien nommée Centrafrique se trouve à l’intersection de deux zones climatiques (savane au nord, forêt équatoriale au sud). Les pays qui l’entourent ont tous un passé trouble : le Soudan, le Sud Soudan, les deux Congo et le Tchad. UÊ La ligne au-dessus de laquelle l’islam est majoritaire dans les pays d’Afrique traverse le nord de la Centrafrique. UÊ Avec un PIB par habitant de 800 USD en 2012, la Centrafrique est l’un des pays les plus pauvres de la planète. 70 % des habitants se consacrent à une agriculture extensive, très peu mécanisée, qui représente 55 % du PIB. UÊ La division confessionnelle et géographie se superpose à celle des activités : au nord des éleveurs nomades (les Peuls), de religion musulmane, et au sud des agriculteurs sédentaires, de religion chrétienne ou animiste. UÊ Les musulmans sont également très présents dans le commerce : le président de la communauté islamique centrafricaine déclare que les musulmans contrôlent « 70 % de l’activité économique du pays ». UÊ Le bois exotique, l’or, le diamant et l’uranium sont les principales ressources d’exportation. Le pétrole, dont la présence est avérée, est inexploité à ce jour. UÊ Bien qu’indépendante depuis le 13 août 1960, la Centrafrique voit avec l’opération Sangaris la 7e intervention militaire de la France sur son sol ; la plus célèbre d’entre elle étant l’opération Barracuda qui renverse en 1979 le régime sanguinaire de l’« empereur » Jean-Edel Bokassa.

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{Actualité} Guerre civile en République centrafricaine

Géopolitique

ENJEUX

UÊ Le retour de la Françafrique ? De par sa position centrale dans un arc de crise qui va du Sahel à la Somalie, et de par ses ressources en uranium, la Centrafrique reste indiscutablement un pays d’importance stratégique pour la France. Mais la situation actuelle est paradoxale : elle résulte in fine de la volonté affichée par le président Hollande de ne plus maintenir à tout prix des régimes corrompus et népotiques comme celui de François Bozizé. Deux axes semblent donc porter la politique française aujourd’hui : agir au nom de la responsabilité morale de l’ancien colonisateur vis-à-vis de populations laissées en proie au chaos institutionnel, et remettre au plus vite les responsabilités de la transition aux puissances de la région présentes à travers la MISCA. La durée limitée de l’opération Sangaris (6 mois) est autant un gage de ce point de vue, qu’un problème. Peut-on, dans un laps de temps aussi court, remettre sur les rails un pays plus grand que la France dont les infrastructures étatiques basiques ont été ravagées au sud, et inexistantes depuis 30 ans au nord ? Les autorités françaises attendent donc le relais d’une opération de maintien de la paix, prévue théoriquement pour la mi-septembre, avec fatalisme : il est probable que l’engagement français ira au-delà de cette date. UÊ La Centrafrique est-elle un pays viable ? Un État faible, une population peu nombreuse et divisée, des ressources inexploitées : autant de facteurs qui ont contribué à faire de la Centrafrique le terrain de jeu des ambitions et des tensions régionales. Ironie du sort, la force d’interposition de la MISCA est constituée de pays qui s’intéressent de près à ses ressources naturelles. En particulier, le Tchad d’Idriss Déby lorgne sur les champs pétrolifères inexploités au nord du pays, mitoyens des siens. Après avoir longtemps soutenu François Bozizé, le Tchad s’est subitement retourné en soutenant clairement la Séléka dans la prise de Bangui en mars 2013. Malgré les événements récents, Idriss Déby ne risque pas de voir ses ambitions contrecarrées par la France : la stabilisation au nord du Mali dépend en grande partie du soutien militaire actif du Tchad… L’appel de la présidente Catherine Samba-Panza aux Casques bleus de l’ONU et l’obtention par la France de relais européens à l’opération Sangaris sont autant de tentatives de « dérégionaliser » le conflit. Las, la Centrafrique est un pays désormais ethniquement et militairement divisé par une « purification ethnique » qui ne dit pas son nom. Le vieux rêve du père de la nation, Barthélémy Boganda (mort en 1959), d’un État viable regroupant Congo, Cameroun, Gabon et République centrafricaine, pourra-t-il un jour, sous une forme ou sous une autre, succéder au cauchemar actuel ?

{Actualité} Guerre civile en République centrafricaine

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{Actualité}

Afrique du Sud : un scrutin périlleux par François Lafargue

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS En mai 2014, s’est tenu en Afrique du Sud le 5e scrutin législatif, depuis l’abolition du système de ségrégation raciale (1991). Jacob Zuma a été réélu chef de l’État pour un mandat dont la durée est de cinq ans. À l’automne 2013, les instituts de sondage accordaient une légère majorité de voix à l’ANC (le Congrès national africain), le signe d’un réel désaveu. Les scandales de corruption, comme l’absence de résultats tangibles dans la lutte contre le chômage et la criminalité alimentaient les critiques à l’encontre de Jacob Zuma. Pourtant lors de ce scrutin législatif de mai 2014, le résultat de l’ANC est apparu un peu inespéré, puisque le mouvement parvient à recueillir 62,1 % des suffrages contre 65,9 % en 2009. Les électeurs ont plutôt estimé que leur niveau de vie s’améliorait et que des progrès sociaux, certes encore insuffisants, avaient été réalisés. L’ANC est parvenu à contenir l’influence de Julius Malema et de son parti d’extrême gauche, l’EEF (les Combattants pour la liberté économique). Jacob Zuma a aussi recueilli une grande partie des suffrages des électeurs zoulous. L’ANC qui peut compter sur le dévouement de milliers de militants a largement eu recours à des pratiques clientélistes, comme la distribution de colis alimentaires ou l’attribution de subventions publiques. Mais cette victoire électorale est à nuancer, puisque plusieurs milliers de Sud-Africains ne se sont pas inscrits sur les listes électorales et le taux d’abstention a fortement progressé (11 % en 1999, 23 % en 2009 et près de 27 % en 2014). Le signe d’une profonde désaffection de l’électorat, qui a pourtant longtemps lutté pour bénéficier de droits civiques. L’Alliance démocratique (AD) est la seule formation d’opposition crédible à l’ANC. L’AD recueille aujourd’hui les suffrages de la classe moyenne blanche urbanisée, et de l’électorat métis qui redoute l’hégémonie de l’ANC. Ainsi l’Alliance démocratique a obtenu 22,2 % des suffrages lors du scrutin législatif de 2014 contre 16,6 % cinq ans plus tôt. Le mouvement réalise ses meilleurs résultats dans la province du Gauteng et dans celle du Cap-Occidental.

> ILLUSTRATIONS

5 UÊ Le scrutin législatif de mai 2014 était le 5e depuis l’abrogation des lois d’apartheid. L’Afrique du Sud est l’une des rares démocraties du continent noir, les scrutins électoraux ne sont guère entachés de fraude et se tiennent aux échéances prévues. La presse est libre et l’opposition politique dispose de droits d’expression reconnus. Depuis 1994, quatre présidents se sont 106

{Actualité} Afrique du Sud : un scrutin périlleux

Géopolitique succédé : Nelson Mandela (1994-1999), Thabo Mbeki (1999-2008), Kgalema Motlanthe (20082009) et Jacob Zuma depuis 2009. UÊ Le système électoral de vote à la proportionnelle permet, en juin 2014, à treize formations électorales d’être représentées au Parlement. Mais la légitimité historique de l’ANC comme la faible crédibilité de plusieurs mouvements limitent l’éparpillement des voix. L’ANC dispose d’une large majorité depuis 1994, dans les deux chambres du Parlement, l’Assemblée nationale et le Conseil national des provinces. Les formations qui rejettent les actuelles institutions démocratiques ont été marginalisées. UÊ La population de l’Afrique du Sud est constituée de trois principaux groupes : la population noire représente 77 % des Sud-Africains, les Métis (10 %), issus principalement d’unions entre Blancs et Asiatiques, et la minorité européenne autour de 9 %. Une petite communauté asiatique (Indiens et Chinois) vit également dans le pays.

ENJEUX

UÊ Quel avenir pour l’Afrique du Sud ? L’hypothèse d’une évolution de l’Afrique du Sud à l’image de celle du Zimbabwe de Robert Mugabe ces quinze dernières années est malheureusement concevable. Vingt ans après le premier scrutin libre et la célébration de la « nation arc-en-ciel », l’Afrique du Sud est une société gangrenée par la violence et incapable de cicatriser les plaies purulentes de l’apartheid. Le programme électoral de Jacob Zuma lors de sa première élection en mai 2009, se voulait être une rupture avec les années de Thabo Mbeki qui avait su, par une politique économique prudente, rassurer les investisseurs étrangers. Mais son action avait été jugée comme trop favorable à la classe moyenne noire. Zuma avait promis d’engager une politique de redistribution sociale plus équitable, tout en restant très imprécis à propos de son financement. Jacob Zuma a eu bien du mal avec ses alliés, le Parti communiste sud-africain (SACP) et la puissante centrale syndicale COSATU, à honorer ses promesses. Sa démagogie a provoqué une profonde frustration au sein des populations les plus défavorisées, et qui s’étaient laissé séduire par son charisme et ses discours. Cette déception explique le résultat mitigé de l’ANC au dernier scrutin législatif. Jacob Zuma doit surtout sa réélection à l’absence d’une réelle alternative électorale et à la forte mobilisation de l’électorat zoulou. Dans les années à venir, confronté à une opposition politique de plus en plus radicale (très régulièrement, les manifestations dégénèrent en affrontements meurtriers), le pouvoir pourrait être tenté de s’appuyer sur des forces supplétives, des milices populaires, composées principalement de Zoulous, chargées de rétablir l’ordre dans les townships. Ce climat insurrectionnel justifierait alors la restriction des libertés publiques, avalisée par le Parlement où l’ANC détient encore une très large majorité. Pour atténuer les critiques, Zuma pourrait être tenté, à l’instar de Robert Mugabe au milieu des années 1990, d’exacerber les tensions raciales en encourageant l’occupation des terres agricoles détenues par les Européens et en cristallisant sur cette minorité le mécontentement social. Une telle décision amènerait au départ de {Actualité} Afrique du Sud : un scrutin périlleux

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Géopolitique certains Européens et annoncerait les prémices d’une guerre civile. Néanmoins une seconde hypothèse, nettement plus encourageante, se dessine. UÊ La réconciliation L’évolution sociologique de l’Afrique du Sud avec l’émergence d’une bourgeoisie noire pourrait contribuer à consolider la démocratie sud-africaine. Plusieurs mouvements ont essayé de réunir cette nouvelle bourgeoisie noire, mais sans succès jusqu’à présent. Le scrutin de 2014 souligne que l’Alliance démocratique (AD) est la seule formation d’opposition crédible à l’ANC. Son défi maintenant est d’élargir sa base électorale à la classe moyenne noire encore fidèle à l’ANC, mais qui s’interroge sur la capacité du mouvement à gérer le pays. Pour espérer remporter le prochain scrutin législatif (en principe en 2019), l’AD doit davantage représenter l’électorat noir modéré ou bien s’allier à un mouvement qui le représente. L’hypothèse de la victoire serait alors envisageable et marquerait l’ancrage de la démocratie en Afrique du Sud. L’évolution du pays pourrait être dans les prochaines années, comparable à celle du Brésil. Une société où le niveau de vie progresse, mais qui se résigne à accepter un haut degré de violence et de profondes disparités sociales. Pour les prochaines années, l’économie du pays devrait profiter de la forte demande en matières premières des pays asiatiques comme la Chine et l’Inde. Entre 2004 et 2013, les exportations vers la Chine ont été multipliées par douze et celles à destination de l’Inde par cinq. L’Afrique du Sud est notamment le 1er exportateur mondial d’or et de platine et le 6e exportateur mondial de charbon. Pour le platine, l’Afrique du Sud couvre 10 % des importations indiennes et la moitié de celles de la Chine. Depuis 2000, le produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique du Sud a triplé (passant selon les données du FMI de 133 milliards de dollars à 392 milliards en 2014).

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{Actualité} Afrique du Sud : un scrutin périlleux

{Actualité}

La Chine face à la menace terroriste par François Lafargue

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS La République populaire de Chine (RPC) a longtemps été épargnée par le terrorisme islamiste, contrairement à la Russie et aux États-Unis. Malheureusement, le pays découvre à son tour la violence d’inspiration religieuse, car il connaît depuis cinq ans une recrudescence d’actes terroristes, perpétrés par des militants d’un islam radical, comme à Urumqi en mai 2014 et dans la gare centrale de Kunming, quelques semaines plus tôt. Ces actions meurtrières sont d’autant plus spectaculaires (comme l’explosion d’un véhicule place Tian’anmen au cœur de Pékin en octobre 2013), qu’elles sont perpétrées dans un État autoritaire qui assure une surveillance étroite de ses concitoyens. Cette violence est pour une large partie provoquée par la situation dans la province du Xinjiang (dénommé également le Turkestan chinois). Situé dans le nord-ouest de la Chine, le Xinjiang (étendu sur une superficie de 1,7 million de km2 et qui compte une population de 22 millions d’habitants), a connu une forte croissance démographique à cause de l’arrivée de colons Han (qui représentent maintenant 40 % de la population de la province contre 6 % en 1949). Ces colons ont progressivement marginalisé le peuple turcophone, les Ouïghours installés sur ces terres depuis le IXe siècle. Une frustration naturelle devant la sinisation de la région a trouvé un exutoire dans une expression fanatique de la religion musulmane. Le Xinjiang, qui partage ses frontières notamment avec l’Afghanistan et le Pakistan, n’est pas resté hermétique à la montée d’un islam violent dans la région d’Asie centrale. Plusieurs militants ouïghours sont partis s’entraîner en Afghanistan, où d’ailleurs une vingtaine d’entre eux avait été arrêtée par les forces américaines avant d’être incarcérés sur la base américaine de Guantanamo à Cuba. Pour la Chine, ces attentats sont imputables au Mouvement islamique du Turkestan oriental, une organisation apparue en 1997 et que les États-Unis qualifient également de terroriste.

> ILLUSTRATIONS

56 UÊ La Chine compte officiellement 56 nationalités : le peuple majoritaire, les Hans (environ 92 % de la population chinoise), et 55 minorités ethniques, dont les plus importantes sont les Zhuang, les Mandchous, les Huis, les Miaos et les Ouïghours. UÊ La Chine a été le théâtre de plusieurs attentats depuis le début de l’année 2014, dont le bilan reste approximatif : à Urumqi sur un marché (22 mai, 31 morts), dans la gare centrale (30 avril, 3 morts), et dans celle de Kunming (1er mars, 29 morts).

{Actualité} La Chine face à la menace terroriste

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Géopolitique UÊ La domination de la Chine sur cette immense région du Xinjiang, littéralement « nouvelle frontière » en chinois, s’est exercée de manière sporadique au gré des limites de l’Empire chinois. Au milieu du xxe siècle, le Xinjiang était de facto indépendant. La Russie qui a longtemps convoité ce territoire a accepté son rattachement à Pékin après 1949. UÊ Le Mouvement islamique du Turkestan oriental ou, en anglais, East Turkestan Islamic Movement (ETIM) est la principale organisation séparatiste agissant au Xinjiang. Son fonctionnement comme son organisation restent encore très difficiles à cerner. UÊ La population han représente les ¾ de la population d’Urumqi, la capitale de la province du Xinjiang.

ENJEUX

UÊ Un défi pour la Chine La situation politique dans la province a commencé à se détériorer dès les années 1980, quand plusieurs attentats furent perpétrés contre des bâtiments officiels. La violence ira crescendo, à cause des expropriations des paysans ouïghours de leurs terres, et de la politique de sinisation de la province. Les indépendances des républiques soviétiques d’Asie centrale, très proches géographiquement et culturellement comme le Kazakhstan et l’Ouzbékistan encouragent les Ouïghours dans leur combat pour la souveraineté. Depuis les émeutes dans la province au début de l’été 2009 (qui avaient provoqué la mort de près de 200 personnes en majorité des Hans), la Chine a déployé un imposant dispositif militaire, car : – le pouvoir ne peut accepter que son autorité soit menacée, toute tergiversation serait interprétée comme une marque de faiblesse et encouragerait les autres minorités, comme les Tibétains, dans leur combat pour l’autonomie, et, plus généralement, galvaniserait les mouvements dissidents. Xi Jinping, le nouveau chef de l’État en fonction depuis mars 2013, ne veut pas désavouer l’appareil policier et militaire, dont le soutien est précieux dans sa difficile lutte contre la corruption ; – cette région du Xinjiang est stratégique puisqu’elle assure 20 % de la production de pétrole du pays, mais elle constitue aussi une route de passage pour les hydrocarbures en provenance du Kazakhstan et du Turkménistan, notamment par le biais du gazoduc Ouest-Est. Le sous-sol du Xinjiang abrite également des réserves de gaz et de pétrole hautement prometteuses. Des actes de sabotages à l’encontre de ces infrastructures sont envisageables et porteraient un grave préjudice à l’activité économique du pays. UÊ Entre séparatisme et apaisement : quelles évolutions ? Au début des années 2000, la Chine a sans doute tenté d’instrumentaliser le mouvement séparatiste ouïghour, en l’incitant à commettre des actes de violence afin de le discréditer à l’étranger, mais aussi aux yeux de ses sympathisants. Mais in fine, la répression menée par la Chine et les multiples exactions commises par les forces de sécurité ont radicalisé les militants indépendantistes. Comme au

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{Actualité} La Chine face à la menace terroriste

Géopolitique Tibet, la Chine n’a pas souhaité laisser une place au dialogue avec des organisations politiques hostiles au recours à la force. La Russie a pu vaincre la rébellion tchétchène en menant une longue guerre et au prix de milliers de victimes. La Chine ne peut pas envisager un tel scénario, les militants islamistes peuvent recruter plus largement dans une population nombreuse, et l’immensité de la province (trois fois la taille de la France) offre un sanctuaire inexpugnable. Ces attentats permettent aussi de justifier des mesures de contrôles encore plus stricts, pour mieux surveiller les déplacements de la population à travers le pays, à un moment où les revendications sociales s’expriment de plus en plus violemment. Pourtant, la Chine ne peut ignorer les conséquences internationales de sa politique répressive à l’encontre de cette minorité musulmane. Plusieurs ressortissants chinois ont été assassinés en Afghanistan et au Pakistan, en représailles aux exactions perpétrées à l’égard des Ouïghours.

{Actualité} La Chine face à la menace terroriste

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{Actualité}

Inde : les défis du BJP par François Lafargue

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS En mai 2014, les élections législatives en Inde ont porté au pouvoir une coalition, L’Alliance démocratique nationale ou National Democratic Alliance (NDA), principalement constituée par le BJP (Bharatiya Janata Party ou Parti du peuple indien), une formation nationaliste hindoue emmenée par Narendra Nodi. La victoire du NDA est incontestable, puisque le mouvement obtient 40 % des voix et une large majorité des sièges (60 %) au Lok Sabha, la Chambre des députés. Le scrutin s’est déroulé pendant cinq semaines afin de permettre au plus grand nombre d’électeurs de participer, et le taux d’abstention (23 %) a été l’un des plus faibles lors d’un scrutin législatif depuis l’indépendance de l’Inde en 1947. La victoire du BJP (qui a lui seul détient la majorité des sièges à la Chambre) sanctionne l’échec de la politique économique engagée par le Parti du Congrès, le mouvement de gauche conduit pour ce scrutin par Rahul Gandhi, et qui obtient l’un de ses plus médiocres résultats à une élection législative. Il perd 80 % de ses sièges détenus dans l’Assemblée sortante. Les électeurs ont désavoué le gouvernement de Manmohan Singh, issu du Parti du Congrès, au pouvoir depuis 2004, et qui n’a pas su protéger l’économie indienne de la crise mondiale. La croissance économique faiblit, elle est passée de 10,2 % en 2010 à 4,3 % en 2013. Les comptes publics sont fortement dégradés, l’Inde connaît un déficit commercial structurel depuis près de quinze ans. Enfin les années de gouvernement du Parti du Congrès ont été émaillées par de nombreuses affaires de corruption.

> ILLUSTRATIONS

814 millions UÊ 814 millions d’électeurs étaient appelés à voter lors de ce scrutin législatif. L’Inde se présente souvent comme étant « la plus grande démocratie du monde ». UÊ L’Alliance démocratique nationale ou NDA est une coalition d’une trentaine de partis de droite et de centre-droit, qui ont souvent une assise régionale. UÊ Rahul Gandhi est le fils de Rajiv Gandhi (le Premier ministre de l’Inde de 1984 à 1989 et qui fut assassiné deux ans plus tard) et le petit-fils d’Indira Gandhi (le Premier ministre de l’Inde entre 1966 et 1977 puis de 1980 à 1984), et l’arrière-petit-fils de Jawaharlal Nehru, le Premier ministre de 1947 à 1964.

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{Actualité} Inde : les défis du BJP

Géopolitique

ENJEUX

UÊ Les défis économique et politique du BJP Le BJP a déjà exercé le pouvoir en Inde (1998-2004), avec à l’époque comme Premier ministre Atal Vajpayee. Aujourd’hui le BJP se trouve confronté à trois principaux défis (économique, politique et diplomatique) Sur le plan économique, le pays se cherche aujourd’hui un modèle de croissance. Si l’Inde est le 2e exportateur mondial de services informatiques, et le 4e fabricant mondial de médicaments, ces activités à forte valeur ajoutée ne créent que peu d’emplois, alors que dix millions de jeunes Indiens arrivent chaque année sur le marché du travail. La libéralisation de l’économie est indispensable, afin de faciliter les investissements étrangers, qui sont encore très loin d’atteindre ceux qui se dirigent vers la Chine. Le précédent gouvernement avait multiplié les atermoiements, notamment en refusant d’ouvrir aux étrangers le secteur de la grande distribution alimentaire. Par exemple, l’enseigne française Carrefour n’a qu’une activité de grossiste et n’est pas encore autorisée à ouvrir des magasins de vente au détail. Les pouvoirs publics doivent financer la construction d’infrastructures de transport qui manquent cruellement. La taille du réseau ferroviaire est la même que lors de l’indépendance en 1947. La croissance économique de ces dix dernières années n’a guère fait reculer la misère. L’Inde doit gérer le défi de l’urbanisation anarchique (seuls 30 % des Indiens sont aujourd’hui des citadins), et ses conséquences en termes sanitaires et sociales (Bombay baptisé « maximum city » voit arriver chaque jour 3 000 nouveaux migrants). Narendra Nodi, qui a été le Premier ministre du Gujarat (2001-2014), a mis en valeur son bilan économique plutôt positif et a promis de l’appliquer à tout le pays. Le Pakistan et la Chine resteront les deux principales priorités de la politique étrangère de l’Inde. Lors de la première mandature du BJP, les relations avec le Pakistan s’étaient gravement détériorées, à cause de la multiplication des incidents frontaliers au Cachemire et des essais nucléaires effectués par Islamabad (mai 1998). Devant l’imminence de ces tests, l’Inde avait procédé quelques jours plus tôt à cinq tirs d’essais nucléaires qui se voulaient dissuasifs. Ces dernières années, les deux rivaux ont cherché à maintenir un modus vivendi. Après les violents attentats perpétrés à Bombay en novembre 2008 (173 morts), la réponse de l’Inde avait été mesurée alors que l’implication du Pakistan apparaissait probable. En Afghanistan, New Delhi n’a également pas souhaité engager de troupes, pour ne pas transformer le pays en terrain d’affrontement avec le Pakistan. L’Inde a surtout engagé une politique de soft power avec la formation des élites afghanes dans ses universités. Le BJP devrait donc poursuivre sur cette ligne diplomatique qui privilégie le dialogue plutôt que l’affrontement, même si Narendra Nodi a eu de par son passé d’activiste des relations très difficiles avec la forte minorité musulmane vivant en Inde. Avec la Chine, si des contentieux frontaliers perdurent notamment dans l’Arunachal Pradesh, la rivalité porte surtout désormais dans le contrôle de l’océan {Actualité} Inde : les défis du BJP

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Géopolitique Indien. Ce vaste espace maritime (d’une superficie de 75 millions de km2) est un axe essentiel pour le commerce de la Chine comme de l’Inde, par lequel transitent les 2/3 de leurs importations en hydrocarbures. L’Inde a entrepris un effort soutenu afin de moderniser ses forces navales avec la construction d’un premier porte-avions et dispose déjà d’une force sous-marine imposante et régulièrement modernisée (en 2005, un contrat a été signé avec la France pour la livraison de Scorpène, des sous-marins à propulsion classique. Comme le programme a pris du retard, les premiers bâtiments ne devraient être livrés qu’en 2015). Au début de l’année 2012, l’Inde a commencé la phase de mise en service de son premier SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d’engins). UÊ Quel positionnement diplomatique ? L’Inde cultive encore une certaine singularité sur la scène internationale. New Delhi garde une relation de confiance avec la Russie, qui reste l’un de ses principaux fournisseurs en armes (notamment dans le domaine naval), mais elle a aussi fait le choix de l’économie de marché et de nouer des relations étroites avec les démocraties occidentales, comme les États-Unis. Par intérêt (pour obtenir notamment l’amendement du traité de non-prolifération en sa faveur en 2008) et par conviction, consciente que la menace que représente la Chine lui commande une telle orientation. Il est probable que le BJP maintienne une même orientation diplomatique, afin que l’Inde puisse prendre toute sa place dans le prochain monde multipolaire et être reconnue comme une puissance incontournable. Actuellement l’Inde figure parmi les premiers contributeurs aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, avec plus de 8 000 hommes au début de l’année 2014, dont la plupart sont déployés en Afrique (République démocratique du Congo et Soudan). Cet engagement vise notamment à donner une légitimité à la candidature de l’Inde comme membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.

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{Actualité} Inde : les défis du BJP

{Actualité}

Vers la fin du kirchnérisme en Argentine ? par Nicolas Tschann

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 16 juin 2014, la Cour suprême des États-Unis a validé une décision de justice américaine contraignant Buenos Aires à rembourser des fonds spéculatifs dits « vautours ». Ces derniers avaient racheté à bas prix les créances d’investisseurs ayant refusé de participer aux restructurations de la dette argentine entre 2005 et 2010 et refusent désormais de renégocier la valeur des titres qu’ils détiennent. Le gouvernement argentin dénonce une extorsion et prévient qu’il ne sera pas en mesure de régler les sommes exigées soit 1,5 milliard de dollars. Cette annonce, dans un contexte de morosité économique et de tensions politiques, a encore affaibli la position de la présidente Cristina Kirchner, dont la réélection au premier tour en 2011 semble désormais un lointain souvenir, après le coup de massue porté au Parti Judiciaire de Mme Kirchner lors des élections législatives de 2013, celui-ci n’ayant obtenu que 30 % des voix. Après le cycle politique le plus long depuis le retour à la démocratie en 1983, assisterait-on à l’amorce d’une transition en Argentine ? S’agirait-il de la fin du kirchnérisme ? S’il est encore trop tôt pour l’affirmer, il n’en demeure pas moins que le gouvernement se trouve en position de faiblesse. Treize ans après son défaut de paiement, l’Argentine, qui a connu une croissance « à la chinoise » depuis le début des années 2000, puis un essoufflement depuis la crise de 2008, semble à nouveau dans l’impasse. Sa monnaie « dévisse », les prix s’envolent, la population se divise et sa présidente, toujours capable d’un coup de génie politique, semble dépassée. Fin 2013 pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de Nestor Kirchner, dix ans plus tôt, la situation économique semble hors de contrôle pour la Casa Rosada, le palais présidentiel. Les réserves de la Banque centrale s’effritent inlassablement, n’atteignant plus que 27 milliards de dollars, soit moins de 6 mois d’importation.

> ILLUSTRATIONS UÊ Identifié aux époux Kirchner, Nestor (décédé en 2010) et Cristina, élus sans discontinuité depuis 2003, le kirchnérisme, mouvement politique issu du péronisme de gauche se caractérise par sa rupture avec le néolibéralisme du péronisme de droite. Retour en force de l’État accompagné d’une politique économique expansionniste, efforts pour consolider une bourgeoisie nationale, programmes sociaux, confrontation féroce avec le patronat et les médias privés : la stratégie a conduit à des taux de croissance insolents mais aussi à des déséquilibres croissants, des pressions inflationnistes et une détérioration des finances publiques.

{Actualité} Vers la fin du kirchnérisme en Argentine ?

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Géopolitique Taux de croissance du PIB de l’Argentine

20 10 9 8

15 7 6 5 10 4 3

5

2 1

00

2011

2012

2013

2014 Source : Les Échos.

UÊ Lors de la présidentielle de 2011, Cristina Kirchner avait recueilli 54 % des voix. 2 ans après, son parti n’obtient que 30 % des voix aux législatives. UÊ La croissance a décroché de ses rythmes effrénés de la période 2003-2008 pour finalement devenir négative en 2014. L’inflation à 30 % ne montre aucun signe annonciateur de ralentissement. Les perspectives de la consommation, principal poumon économique du kirchnérisme, viennent d’être revues à la baisse. UÊ Les marchés financiers ont l’œil braqué sur le pays : franchissant le cap symbolique de 8 pesos pour un dollar, la devise argentine a en effet dégringolé de 24 % en 2013. Après avoir disparu du quotidien argentin ces dernières années, les arbolitos, vendeurs de dollars au marché noir, ont récemment refait leur apparition dans les quartiers des affaires de Buenos Aires.

ENJEUX

UÊ Un modèle économique en faillite… La croissance n’est plus au rendez-vous depuis la crise de 2008. Les réserves s’effritent depuis lors sans discontinuité. Dans la perspective de réduire l’évaporation de ces réserves, le gouvernement avait décidé en 2012 d’instaurer un strict contrôle des changes. Il a finalement obtenu l’inverse du résultat escompté : la fuite des capitaux s’est accélérée tant vers l’étranger que vers les matelas des classes moyennes, un comportement plus qu’habituel pour un pays ayant connu deux épisodes d’hyperinflation (1988 et 1990) et deux confiscations des dépôts (1989 et 2001) durant ces 30 dernières années. De plus, à la suite de son défaut de paiement de 2001, l’Argentine n’a pratiquement plus accès au crédit international. Les échéances de sa dette ne

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{Actualité} Vers la fin du kirchnérisme en Argentine ?

Géopolitique peuvent en conséquence qu’être réglées au moyen des réserves de change. Une telle position avait permis à l’Argentine dans les années 90 de s’émanciper des coupes budgétaires imposées par le FMI aux autres pays d’Amérique latine et d’échapper à la prédation des marchés financiers. Mais aujourd’hui – à cause de la crise financière de 2008, de la crise des émergents (fin 2013), et suite au durcissement de la politique monétaire de la FED qui a entraîné un ralentissement économique sans précédent –, la situation se révèle beaucoup plus problématique. Sur le plan financier, les inquiétudes de la Casa Rosada ne concernent pas uniquement des facteurs conjoncturels. L’économie argentine est très dépendante de ses exportations de matières premières (soja, blé, maïs et, de plus en plus, minerai), le secteur agricole représentant 10 % du PIB. L’industrie, quant à elle, demeure peu compétitive (exception faite de l’industrie agroalimentaire) et sa balance commerciale affiche un déficit structurel. Pour se développer, l’Argentine doit en effet importer de grandes quantités de biens intermédiaires qu’elle finance par ses excédents agricoles. Ceci pose alors un problème de développement, comme le souligne l’économiste hétérodoxe Aldo Ferre : « d’une certaine manière, l’excédent en provenance des campagnes constitue la limite de l’expansion industrielle argentine, c’est-à-dire la limite de la croissance, de l’emploi et du bien-être ». En effet, le secteur agricole seul ne suffit pas à assurer le bien-être d’un pays de plus de 40 millions d’habitants. Même si la stratégie des gouvernements Kirchner visait à transférer une partie de la richesse du secteur agricole vers l’industrie à travers divers types d’interventions (mesures protectionnistes, taxes sur les exportations agricoles), reconstituant ainsi une partie du tissu industriel détruit lors de la période néolibérale et permettant de garantir à l’Argentine un taux de croissance deux fois supérieur au Brésil au cours de la même période, l’excédent agricole se révèle aujourd’hui apparemment insuffisant pour tirer tout un pays. Les conséquences en sont un retour des tensions politiques et la défaite aux législatives. Pour autant, déclarer la fin du kirchnérisme serait encore trop prématuré. Le gouvernement conserve un soutien important au sein de la population ainsi que la majorité relative aux deux chambres du congrès. La Casa Rosada continue à déployer de vastes politiques sociales qui préservent sa popularité : aides pour les enfants des foyers pauvres qui profitent à 3,5 millions de personnes, crédits pour les logements, système des retraites qui touche près de 90 % des personnes âgées (le plus vaste d’Amérique latine), augmentation des salaires pour compenser l’inflation… Une sortie expiatoire par la gauche apparaît alors probable dans la droite ligne du kirchnérisme qui, jusqu’ici, a surmonté les crises grâce à des virages à gauche : en 2001 en levant de nouveaux impôts sur le soja, en 2008 en étatisant le système des retraites et en 2010 en nationalisant la compagnie pétrolière Yacimientos Petroliferos Fiscales (YPF). {Actualité} Vers la fin du kirchnérisme en Argentine ?

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Géopolitique UÊ La dénonciation d’une finance « vautour » par les pays d’Amérique latine : À une plus grande échelle, la décision de la Cour suprême des États-Unis a provoqué de vives réactions dans tous les pays d’Amérique latine. Cette dernière est un ensemble plus ou moins hétéroclite mais qui se rassemble sur le mauvais souvenir encore aujourd’hui bien trop présent d’une Amérique interventionniste, venant se mêler de leurs affaires intérieures (Big stick policy). Elle est marquée par la vision d’une mondialisation alternative (ALBA), plus sociale (le Mercosur se veut plus qu’une simple zone de libre-échange sur le modèle de l’Union européenne). Dans ce contexte, les voisins de l’Argentine voient d’un mauvais œil cette ingérence de la Cour suprême américaine, venant soutenir des fonds vautours représentatifs des excès de la mondialisation libérale, dans leur politique. L’Argentine a ainsi reçu d’importants soutiens diplomatiques au niveau régional : ceux du Mercosur (marché commun du sud), de la Celac mais aussi de l’Unasur qui dénonce le « comportement de spéculateurs qui menacent les accords entre débiteurs et créditeurs ainsi que la stabilité financière à l’échelle internationale ».

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{Actualité} Vers la fin du kirchnérisme en Argentine ?

{Actualité}

Afghanistan : les défis de l’après Karzai

par François Lafargue

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Entre avril et juin 2014 s’est tenu en Afghanistan le 3e scrutin présidentiel depuis le renversement du régime des Talibans (octobre 2001). À la fin de l’été 2014, la situation politique était encore confuse, puisque les deux candidats Abdullah Abdullah (qui fut ministre des Affaires étrangères entre 2001 et 2005 d’Hamid Karzai), et son concurrent Ashraf Ghani revendiquaient la victoire. Fin septembre, un accord a été signé entre les deux hommes, A. Ghani est officiellement investi chef de l’État, alors que son adversaire malheureux est nommé chef de l’exécutif, une fonction aux limites encore incertaines mais qui peut être comparée à celle d’un Premier ministre. En 2001, après l’intervention militaire de l’Alliance atlantique, Hamid Karzai avait été désigné président de l’Administration intérimaire puis élu président de l’Afghanistan (octobre 2004). Il avait été réélu cinq ans plus tard, mais là encore ce scrutin avait été entaché par de nombreuses fraudes. Son adversaire à l’époque, Abdullah Abdullah, qui lui était opposé au second tour, s’était désisté pour protester contre les multiples irrégularités, permettant la réélection du président sortant. Hamid Karzai qui ne pouvait pas selon les termes de la constitution afghane briguer un troisième mandat, laisse un bilan très mitigé après quinze années de présidence. L’économie du pays repose toujours en grande partie sur la culture du pavot, qui assure un revenu régulier à des milliers de familles. Le tissu de petites entreprises privées est encore embryonnaire. Et la présence pendant de si longues années de forces étrangères, et de coopérants occidentaux a eu certaines conséquences néfastes comme la hausse du prix des denrées courantes. La situation politique du pays reste précaire. Les assassinats d’Oussama ben Laden et de plusieurs cadres qui lui étaient liés ne doivent pas faire oublier que les États-Unis et leurs alliés ne sont guère parvenus à leur objectif : stabiliser l’Afghanistan et mettre un terme aux actions menées par des organisations qui se réclament d’un islam radical. Depuis l’automne 2001, la coalition occidentale, dans le cadre de la Force internationale d’assistance et de sécurité, a eu à déplorer 3 500 morts dont 60 % pour les seuls Américains. La stratégie militaire menée dans le pays a été un échec, puisque la population afghane – qui a également payé un lourd tribut humain – perçoit les étrangers non comme des libérateurs, mais plutôt comme des envahisseurs. La construction d’une nation afghane apparaît bien utopique, puisque les résultats des élections révèlent la permanence des fractures ethniques et culturelles. Abdullah Abdullah qui est né d’un père pachtoun et d’une mère tadjik a su rassembler une grande partie de l’électorat afghan. Au premier tour du scrutin, il est arrivé en tête avec 45 % des voix. Son adversaire, Ashraf Ghani est un Pachtoun qui servit également Hamid Karzai comme ministre des Finances (2002-2004).

{Actualité} Afghanistan : les défis de l’après Karzai

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Géopolitique > ILLUSTRATIONS

13,5 millions UÊ 13,5 millions d’Afghans étaient appelés à se rendre aux urnes. Le taux de participation au premier tour est estimé autour de 50 %. UÊ La population de l’Afghanistan est constituée de plusieurs peuples, dont les principaux sont les Pachtouns (près de 40 % de la population) et les Tadjiks (de l’ordre de 30 %). Les Pachtouns vivent surtout dans la partie méridionale du pays. Les autres principales minorités sont les Ouzbèkes et les Hazaras. UÊ Près de 40 % du territoire se situent à plus de 1 800 m. L’Afghanistan est traversé par la chaîne de montagnes de l’Hindou Kouch, qui constitue un véritable obstacle à toute communication.

ENJEUX

UÊ Quelle présence occidentale ? Après le retrait de leurs forces combattantes, les États-Unis devraient conserver en Afghanistan plusieurs bases militaires servant à l’instruction et à la formation des forces de sécurité de la jeune démocratie afghane. Leur objectif est d’éviter un renversement des institutions patiemment constituées depuis quinze ans, comme c’est le cas actuellement en Irak. Le rétablissement de la sécurité est une condition sine qua non pour permettre l’arrivée des investisseurs étrangers, seuls capables de mettre en valeur les richesses du sous-sol. En effet l’Afghanistan détient d’importantes matières premières particulièrement en gaz et en minerais comme le cuivre. Ces réserves font l’objet d’estimations assez contradictoires, mais elles pourraient contribuer à la reconstruction d’un pays en guerre depuis 1979. UÊ La paix avec les Talibans ? Le terme de Talibans est ambigu. À l’origine ce mot (qui vient de l’arabe Taleb et signifie étudiant) désigne une milice religieuse financée et aidée par le Pakistan, qui a pris le pouvoir à Kaboul en septembre 1996, sous la conduite du mollah Omar. Ce groupe armé est principalement constitué de jeunes afghans devenus des orphelins lors de la longue guerre menée contre l’Union soviétique (1979-1989). Ces hommes sont encadrés par des officiers pakistanais et ils parviendront en quelques mois à s’assurer le contrôle de l’essentiel du territoire de l’Afghanistan. Leurs prêches rigoristes n’effraient pas une population lassée par les longues années d’instabilité et de guerre civile qui ont suivi le départ des troupes soviétiques. Après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis vont demander l’extradition d’Oussama ben Laden, le principal suspect, qui vit en Afghanistan. Devant le refus du Mollah Omar de leur livrer le Saoudien, les États-Unis interviennent en Afghanistan et renversent le régime des Talibans. Le mouvement va progressivement s’émanciper de son parrain le Pakistan, pour s’atomiser et devenir un ensemble de factions souvent autonomes. Leur point

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{Actualité} Afghanistan : les défis de l’après Karzai

Géopolitique commun est le combat contre les armées étrangères présentes dans le pays. Hamid Karzai a engagé des négociations politiques avec les principaux représentants du mouvement des Talibans en Afghanistan. Son objectif est d’associer les Talibans à la gestion du pays, en échange de certaines concessions à définir, mais qui devraient porter sur le respect et l’application de la loi islamique dans le pays. UÊ Vers le retour des Talibans ? La clé du conflit en Afghanistan se trouve au Pakistan. Depuis 1947, le Pakistan a toujours eu comme objectif de placer en Afghanistan un régime favorable à ses intérêts. Pour le Pakistan, étendu dans sa partie la plus large, sur seulement huit cents kilomètres, l’Afghanistan faiblement peuplé (sa population de l’ordre de 32 millions est cinq fois inférieure à celle du Pakistan) présente un atout géographique indéniable. En maintenant l’Afghanistan sous sa tutelle, son voisin peut envisager l’installation de bases militaires, de sites d’essais scientifiques, ou encore de stations radars et être en mesure de contrer grâce à ce territoire de repli une éventuelle invasion indienne. En Afghanistan comme au Cachemire, l’armée du Pakistan – et plus particulièrement ses services de renseignements, l’Inter-Services Intelligence (ISI) – soutient des groupuscules terroristes, afin d’appuyer sa politique étrangère. Mais en finançant les Talibans, le Pakistan a été particulièrement imprudent, car forts de leur expérience du combat, ces Talibans afghans ont contribué à la création de structures militaires agissant désormais au Pakistan. Certaines d’entre elles, comme le Mouvement des talibans du Pakistan (TTP), s’opposent de manière violente au gouvernement du Pakistan dans le but affiché de le renverser. Le TTP est responsable de nombreux attentats comme en juin 2014 à l’aéroport de Karachi. En cette année 2014, l’avenir de l’Afghanistan reste bien incertain, le processus démocratique très fragile. Pour autant, le retour au pouvoir des Talibans n’est pas inéluctable, car il n’est pas certain que la Chine comme l’Inde acceptent l’instauration d’un régime fondamentaliste en Afghanistan, susceptible de servir de base arrière aux organisations terroristes frappant dans la région comme au Xinjiang et au Cachemire.

{Actualité} Afghanistan : les défis de l’après Karzai

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PARTIE 3

Culture et société

Fév.

Matteo Renzi (Parti démocrate) est élu président du Conseil italien

22 février

Janv.

Avril

Juin

Le Sénat vote un amendement supprimant la pénalisation des clients de prostituées

8 juillet

Sept.

Emmanuel Macron devient, à 36 ans, ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique

26 août

Août

Nov.

Déc.

Jérôme Kerviel obtient la liberté conditionnelle, avec le port d’un bracelet électronique

4 septembre

Oct.

Lancement des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale

3 août

L’Allemagne remporte la Coupe du monde de football contre l’Argentine (1 – 0)

13 juillet

Juil.

Élections européennes : très forte progression des partis populistes, xénophobes et eurosceptiques

22-25 mai

Mai

Manuel Valls propose de « réduire de moitié le nombre de régions dans l’Hexagone »

8 avril

Manuel Valls est nommé Premier ministre

31 mars

Élections municipales : la droite (UDI, UMP et divers droite) arrive en tête

23 et 30 mars

Mars

Les mots vapoter, hashtag et selfie entre dans le Petit Robert 2015

22 mai

Canonisation des papes Jean XXIII et Jean-Paul II

La Cour de cassation confirme la condamnation à 3 ans de prison ferme de Jérôme Kerviel mais annule les dommages et intérêts

18 mars

mort du réalisateur et scénariste Jean Resnais

1er mars

27 avril

Chronologie 2014 Culture et société

Culture et société

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{Actualité}

Élections européennes : poussée des partis xénophobes et eurosceptiques par Ariane Cronel

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Les élections européennes tenues du 22 au 25 mai 2014 dans les 28 États membres de l’Union ont vu la victoire ou les très bons scores de partis populistes, xénophobes et eurosceptiques comme Aube dorée en Grèce, Jobbik en Hongrie, Ukip au Royaume-Uni ou le Front National en France. Cette poussée inédite des partis nationalistes prônant pour la plupart la fermeture des frontières et la sortie de l’euro témoigne de la désaffection des électeurs pour le projet européen. Les taux d’abstention record enregistrés dans certains pays, notamment du bloc de l’Est, constituent un autre symptôme du désenchantement des citoyens européens, dans un contexte de crise économique qui perdure.

> ILLUSTRATIONS UÊ Le Parlement européen compte 750 sièges (plus celui de son président). Il en comptait 766 dans la précédente législature (2009-2014). UÊ Le Parti populaire européen (PPE, centre droit) arrive en tête avec 214 sièges, suivi par le Parti socialiste européen (PSE) avec 189 députés et les libéraux démocrates (ALDE) avec 66 sièges. UÊ 73 eurodéputés britanniques, autant d’italiens, 74 eurodéputés français, 96 eurodéputés allemands siégeront au Parlement européen. UÊ L’Estonie, Malte, Chypre et le Luxembourg comptent 6 eurodéputés, soit le minimum possible UÊ Le taux de participation moyen dans l’Union européenne s’élève à 43,1 %, stable par rapport à 2009. UÊ La Slovaquie détient le record du taux d’abstention avec 87 %. UÊ Le parti eurosceptique britannique Ukip emmené par Nigel Farage arrive en tête de son scrutin national avec 27,5 % des voix. UÊ Le Parti du peuple danois remporte plus de 26 % des voix et devient le premier parti du pays. UÊ En France, le Front National arrive en tête dans 71 départements et recueille 24,95 % des suffrages, soit un peu plus du double de son score des élections européennes de 1984 où il dépassait déjà les 11 % des voix. Il enverra au Parlement 24 eurodéputés contre 3 lors de la précédente mandature. UÊ En France, le PS obtient 13,98 % des suffrages, chiffre similaire aux élections européennes de 1994 où la liste emmenée par Michel Rocard avait recueilli 14 % des voix. UÊ Pour la première fois en France, les bulletins blancs (enveloppes vides) ont été officiellement comptabilisés : près de 500 000.

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{Actualité} Élections européennes : poussée des partis xénophobes et eurosceptiques

Culture et société

ENJEUX

UÊ La crise de confiance du projet européen Malgré l’enjeu nouveau constitué par « l’élection » du président de la Commission (en réalité une proposition faite par les chefs de gouvernement au Parlement européen, mais qui doit en principe tenir compte, pour la première fois, du résultat des élections européennes), la campagne électorale a peu mobilisé les électeurs, signe de la crise de confiance qui frappe le projet européen. Cette crise est particulièrement sensible en Europe de l’Est : les taux d’abstention dans les États membres les plus récents de l’Union ont atteint des records, comme en Slovaquie (87 %) ou en Croatie, moins d’un an après l’adhésion de ce pays à l’Union européenne (75 % d’abstention). Le succès des partis eurosceptiques, qu’ils soient d’extrême droite néonazie comme Aube dorée en Grèce, ou au contraire d’extrême gauche populiste comme le parti Cinq Étoiles de Beppe Grillo en Italie (21 % des voix), constitue un autre signe de cette crise de confiance. Les politiques d’austérité budgétaire encouragées par la Commission européenne contribuent au rejet par les citoyens d’une Europe perçue comme insuffisamment protectrice, et rendent d’autant plus séduisants les discours de retour aux monnaies et aux souverainetés nationales. Les scores décevants de nombreux partis de gouvernement (PS en France, Parti conservateur au Royaume-Uni, sociaux-démocrates au Danemark, coalitions comme Nouvelle démocratie et PASOK en Grèce ou travaillistes et conservateurs-libéraux au Pays-Bas), symbolisent non seulement le rejet de l’Europe actuelle, mais aussi et sans doute plus encore celui de systèmes politiques qui semblent dépassés par la crise. L’Europe reste ainsi aimée des élites économiques et culturelles, mais de plus en plus largement rejetée par les classes populaires. Paradoxalement, les pouvoirs du Parlement européen n’ont jamais été aussi importants que pour la mandature qui s’ouvre, puisque l’avis du Parlement européen devient contraignant notamment sur les questions d’agriculture, de politiques énergétiques, d’immigration et de fonds structurels, auparavant à la main des chefs d’État et de gouvernement. Les députés européens décideront également en dernier ressort du budget de l’UE. UÊ Une victoire des partis populistes à nuancer Les partis eurosceptiques compteront une centaine de députés. Ce chiffre d’ampleur inédite est le résultat d’élections parfois très réussies à l’échelle nationale, notamment en France (Front National), au Royaume-Uni (Ukip) et au Danemark (Parti du peuple). Ces résultats doivent toutefois être nuancés. Tout d’abord, certains partis de la mouvance populiste eurosceptique ont réalisé des scores décevants, comme le PVV de Geert Wilders au Pays-Bas, arrivé seulement 3e (13,2 %), le parti « Vrais Finnois » (4e sous les 13 %) ou la Ligue du Nord italienne, alliée au {Actualité} Élections européennes : poussée des partis xénophobes et eurosceptiques

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Culture et société Front National (6 %). Ensuite, les intérêts et les messages portés par ces partis ne sont pas identiques : quoi de commun entre Aube dorée, parti néonazi arrivé 3e du scrutin grec avec 10 % des voix, et le parti d’extrême gauche Syrzia, vainqueur de ce même scrutin avec 28 % des voix ? Le parti espagnol Podemos, qui défend l’idée que l’indignation sert de socle au changement politique pourrait-il endosser le discours xénophobe du parti hongois Jobbik ou du Front National ? Les jeux d’alliance entre les différentes composantes de l’euroscepticisme s’annoncent délicats. Bien que les médias européens s’étendent sur le « séisme politique » que représenterait le résultat des élections du 25 mai, les grands équilibres politiques au sein du Parlement européen restent donc stables : s’il perd soixante sièges par rapport à 2009, le PPE reste majoritaire devant le PS, suivi dans une moindre mesure par les libéraux et les écologistes. Il n’en reste pas moins que les résultats du 25 mai affaiblissent la France au sein des institutions européennes : outre la posture délicate du chef de l’État, dont le poids face à des homologues confortés par leurs scrutins nationaux comme A. Merkel et M. Renzi, pâtit nécessairement des mauvais résultats du PS, le nombre de sièges des députés français dans les deux partis dominant le Parlement européen (PPE et PSE) a fondu et leur rendra la tâche de peser pour les intérêts français plus difficile. Cette faiblesse politique est renforcée par l’inexpérience des nouveaux eurodéputés français (38 néo-députés sur un contingent de 74, soit plus de la moitié). De nombreux spécialistes de leur domaine n’ont en outre pas retrouvé leur siège. Ainsi, Catherine Trautmann, qui dirigeait la Task Force « Pro-Strasbourg » contre les tenants du « Tout Bruxelles » n’a pas été réélue le 25 mai.

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{Actualité} Élections européennes : poussée des partis xénophobes et eurosceptiques

{Actualité}

Éducation : classement PISA et décrochage français par Olivier Sarfati

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 3 décembre 2013, le programme PISA a livré son nouveau rapport d’évaluation des élèves du monde entier suite à une enquête menée en 2012 auprès de 65 pays. Le constat est sans appel : la France continue son déclin et se positionne au 25e rang derrière les Pays-Bas (10e), la Finlande (12e) et l’Allemagne (16e). Elle détient également en mathématiques le triste record du pays le plus inégalitaire de l’OCDE. Les inégalités sont également marquées lorsque sont analysés les résultats des étudiants issus de l’immigration comparativement à ceux des étudiants autochtones (voir Illustrations). De leur côté, les pays de la zone Asie impressionnent et occupent les sept premières places du classement en dominant les trois disciplines évaluées : la compréhension de l’écrit, les mathématiques et les sciences. Comment peut-on expliquer un tel décrochage ? Comment stopper voire inverser cette tendance ?

> ILLUSTRATIONS Les 10 premiers pays du classement PISA 2012 1

Shanghai (Chine)

2

Singapour

3

Hong Kong (Chine)

4

Tapei chinois

5

Corée

6

Macao (Chine)

7

Japon

8

Liechtenstein

9

Suisse

10

Pays-Bas Source : OCDE 2013.

UÊ PISA est un acronyme qui signifie « Program for International Student Assessment » en anglais, et « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » en français. Il désigne un ensemble d’études menées par l’OCDE et mesurant les performances des étudiants âgés de

{Actualité} Éducation : classement PISA et décrochage français

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Culture et société











ENJEUX

15 à 16 ans dans un échantillon de pays membres ou non. 65 pays ont participé à l’édition 2012. Le programme PISA publie ses résultats tous les trois ans. La première étude fut menée en 2000. Chaque édition du classement PISA évalue cycliquement une compétence : la lecture (compréhension de l’écrit), les mathématiques et les sciences. En 2012, la discipline évaluée était les mathématiques, comme en 2003. En mathématiques, 22,5 % des résultats des élèves sont directement imputables aux origines socio-économiques, contre 15 % en moyenne dans l’OCDE, ce qui fait de la France le pays le plus inégalitaire de l’OCDE. Toujours en mathématiques, il est précisé que « par rapport aux résultats de 2003, il y a à peu près autant d’élèves très performants (niveau 5 ou 6 de compétence) en France, mais surtout beaucoup plus d’élèves en difficulté (sous le niveau 2 de compétence), ce qui sous-entend que le système s’est dégradé principalement par le bas entre 2003 et 2012 ». En compréhension de l’écrit, les inégalités sont également criantes : « Parmi les pays de l’OCDE, la France, avec une différence de score de 281 points, présente l’écart de performance le plus important entre les 10 % de ses élèves les plus performants et les 10 % de ses élèves les moins performants, après Israël, où l’écart entre ces deux groupes d’élèves représente 295 points. » Selon le rapport, « les élèves issus de l’immigration sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté. La proportion d’élèves issus de l’immigration se situant sous le niveau 2 en mathématiques lors du cycle PISA 2012 ne dépasse pas 16 % en Australie et au Canada, mais atteint 43 % en France et globalement plus de 40 % uniquement en Autriche, en Finlande, en Italie, au Mexique, au Portugal, en Espagne et en Suède. Même après contrôle du milieu socio-économique, en France, les élèves issus de l’immigration accusent des scores inférieurs de 37 points à ceux des élèves autochtones, soit presque l’équivalent d’une année d’études (contre 27 points, en moyenne, dans les pays de l’OCDE). »

UÊ Les multiples raisons du décrochage Les causes avancées pour expliquer les résultats décevants de la France sont nombreuses. Selon Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale, « si l’on supprimait des enquêtes les 15 % d’établissements qui sont en très grande difficulté, la France serait classée n° 1 dans l’enquête PISA ». Le problème est donc avant tout un problème d’inégalités à gommer. Selon les conclusions du rapport, si les inégalités perdurent, c’est, pour partie, le résultat d’une faible formation continue des enseignants français : seuls 17 % des enseignants français suivent un programme de formation continue contre 61 % dans les pays de l’OCDE et 100 % à Singapour. D’autres experts font une critique plus globale du système éducatif français. Dans Les Échos, Pascal Bressoux, professeur en sciences de l’éducation et membre de l’Institut universitaire de France, critique le caractère « pyramidal » du système : « il y a les grandes écoles et une compétition forcenée pour les intégrer, le système est tendu vers la sélection ». De son côté, Éric Charbonnier, expert à

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{Actualité} Éducation : classement PISA et décrochage français

Culture et société l’OCDE, met en cause les rythmes scolaires inadaptés mais aussi les méthodes pédagogiques peu personnalisées : « la France a souvent géré les problèmes par le redoublement et utilise peu de méthodes pédagogiques personnalisées. Ce n’est donc pas les enseignants ni les programmes qu’il convient de mettre en cause mais un système d’éducation qui doit évoluer vers un enseignement à la carte. » Enfin, certains observateurs mettent en cause des facteurs plus exogènes. Thomas Legrand, éditorialiste de France Inter, estime que l’absence de mixité urbaine explique pour grande partie l’enlisement scolaire de certaines couches sociales. Plus polémique, l’éditorialiste Éric Zemmour pointe du doigt le refus du cours hiérarchique, le collège pour tous, et la politique migratoire des trente dernières années : « on a reçu une immigration de très faible niveau socioculturel (…), c’est une question de niveau des parents » lançait-il sur iTélé. UÊ Les solutions avancées pour redresser le système éducatif français – Mettre la priorité sur les matières clés : selon Luc Ferry, « il faut dédoubler les cours préparatoires pour s’assurer que les enfants apprennent véritablement à lire » dans un contexte où 35 % des enfants arrivant en classe de 6e sont en difficulté de lecture… L’OCDE préconise de son côté d’imposer des programmes moins ambitieux mais plus ciblés sur les compétences clés. – Favoriser la formation continue des enseignants : Éric Charbonnier conseille ainsi d’améliorer la formation initiale et continue des enseignants car « elle est au cœur des systèmes qui fonctionnent bien ». Bien menée, elle permettrait notamment d’individualiser les méthodes pédagogiques (notamment par le tutorat, pratiqué par 72 % des enseignants en moyenne dans l’OCDE contre 17 % des enseignants en France…), de développer l’utilisation du numérique (voir la fiche sur les MOOC) et de restaurer la confiance d’étudiants français souvent paralysés par la peur de l’échec. – Valoriser l’enseignement professionnel : selon Luc Ferry, « il s’agit de diversifier les parcours au collège et rapprocher les collégiens du monde de l’entreprise » afin de redonner du sens aux apprentissages et limiter le décrochage scolaire. Cette idée est également défendue dans le rapport PISA. – Intégrer les parents dans le processus pédagogique : dans les systèmes éducatifs asiatiques, une véritable culture de l’éducation s’est développée. « Parents, enfants, enseignants, tout le monde travaille dans le même sens », explique Éric Charbonnier, avec « l’idée de toujours s’améliorer, corriger ses faiblesses et mettre les enfants dans les meilleures conditions pour apprendre ». Dans sa thèse de novembre 2012 sur la « réussite scolaire des enfants d’enseignants », Annie Da-Casta Lasne mettait déjà en avant l’importance de l’implication parentale dans l’éveil intellectuel et la réussite académique d’un enfant. – Investir plus massivement là où les besoins sont les plus importants : l’OCDE préconise de concentrer les moyens dans les établissements les plus défavorisés. {Actualité} Éducation : classement PISA et décrochage français

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Culture et société Sur ce point, l’analyse des systèmes éducatifs asiatiques est riche d’enseignements. Pour Philippe Watrelot, président du Cercle de recherche et d’action pédagogiques, la dimension collective est leur principal atout : « le système emmène tout le monde vers la réussite (…). On prend en compte les difficultés très tôt dans ces pays et on gomme au maximum les inégalités. L’élite est bonne quand la masse n’est pas mauvaise. » – Intégrer les étudiants dans l’évaluation des ressources pédagogiques : selon le rapport PISA, « en France, seuls 13 % des élèves sont scolarisés dans un établissement leur demandant un retour écrit sur ce qu’ils pensent de leurs leçons, de leurs enseignants et des ressources de leur établissement. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, 61 % des élèves sont scolarisés dans des établissements leur demandant de donner leur avis (…), au Liechtenstein et à Shanghai (Chine), ce sont respectivement 94 % et 91 % des élèves qui sont dans ce cas ». Cette statistique en apparence anecdotique met toutefois en exergue l’importance de la mobilisation des étudiants dans le processus d’amélioration des outils pédagogiques dans la plupart des pays de l’OCDE. Ce qui n’est pas le cas en France où les étudiants ne sont que faiblement consultés. – Décomplexer les étudiants par rapport à l’échec : c’est sans doute l’ambition la plus délicate à poursuivre. L’anxiété, le manque de confiance en soi, la peur de l’échec scolaire restent des maux français que le programme PISA relève dans tous ses rapports mais qu’il semble bien difficile d’éradiquer. S’inspirer des modèles asiatiques est, à ce titre, porteur de risques : la pression y est souvent forte et on compte par exemple en Corée du Sud l’un des taux de suicide des adolescents les plus élevés au monde. En revanche, le modèle finlandais (12e du classement de 2012), reposant entre autres sur la formation continue des enseignants, la sélection tardive des élèves et le soutien individualisé permanent, devrait constituer une source d’inspiration plus pertinente.

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{Actualité} Éducation : classement PISA et décrochage français

{Actualité}

Quel bilan pour le Mondial brésilien ? par Ariane Cronel

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 13 juillet 2014, l’Allemagne remporte à Rio de Janeiro la 4e Coupe du monde de football de son histoire, dans l’enceinte mythique d’un stade du Maracana chèrement rénové pour l’occasion (plus de 400 millions d’euros). Après une demi-finale prolifique et historique remportée 7 buts à 1 face au Brésil devant des supporters cariocas médusés, c’est un unique but de Mario Götze inscrit en prolongation contre l’Argentine qui sacre la formation allemande. C’est la consécration pour l’équipe entraînée par Joachim Löw depuis 2006, et dont 11 des sélectionnés étaient déjà présents lors du Mondial 2010.

> ILLUSTRATIONS UÊ Le Brésil est la 7e économie mondiale, avec un PIB de 2190 milliards de dollars en 2013 (contre 2739 milliards de dollars pour la France, 5e et 16950 milliards de dollars pour l’Union européenne dans son ensemble). UÊ Au printemps 2013, un important mouvement de contestation sociale se développe dans tout le Brésil, pour protester d’abord contre une hausse du coût des transports puis progressivement contre les sommes investies dans la préparation de la Coupe du monde. UÊ Entre le 21 et le 23 juin 2013, plusieurs millions de Brésiliens descendent dans la rue, dont plus de 300 000 à Rio de Janeiro. UÊ 11 milliards de dollars de fonds publics ont été consacrés aux infrastructures liées à la compétition. UÊ Selon une étude menée par la Fondation Institut de recherches économiques (FIPE), l’impact du Mondial 2014 sur l’économie brésilienne est attendu à hauteur de 30 milliards de Reais soit 10 milliards d’euros. UÊ Plus de 692 000 touristes de 203 nationalités différentes seraient entrés sur le territoire entre la mi-juin et la mi-juillet, soit 132 % de plus qu’à la même période en 2013. UÊ Les recettes de la FIFA pour cette Coupe du monde sont estimées à 3,5 milliards de dollars soit 50 % de plus que pour le Mondial sud-africain en 2010, et près du double du chiffre enregistré lors du Mondial allemand de 2006. UÊ Alors qu’en 2010 le taux de croissance de l’économie brésilienne atteignait encore +7,5 %, il est resté limité à +2,5 % en 2013. UÊ Les économistes tablent sur une hausse du PIB de seulement 1,2 % en 2014, malgré la Coupe du monde.

{Actualité} Quel bilan pour le Mondial brésilien ?

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Culture et société UÊ Le 4 juin 2014, une enquête publiée par le Pew Research Center révèle que 61 % des Brésiliens interrogés pensent que le Mondial est « une mauvaise chose parce que cela fait de l’argent en moins pour les services publics ». UÊ Le 5 juin, à une semaine de la cérémonie d’ouverture, les employés du métro de São Paulo entament une grève illimitée pour obtenir une revalorisation salariale de 16,5 % contre les 7,8 % proposés par le gouvernement de l’État. UÊ Le Brésil compte actuellement 200 millions d’habitants, dont 21,4 % vivent sous le seuil de pauvreté. UÊ Le travail des enfants concernait encore 1,4 million de Brésiliens âgés de 5 à 14 ans en 2012. UÊ 35000 jeunes meurent chaque année par armes à feu au Brésil.

ENJEUX

UÊ Un Mondial sans accroc majeur… jusqu’à une défaite sans précédent Les manifestations d’avant Coupe du monde et les images d’une contestation sociale durement réprimée avaient fait craindre un Mondial sous tension, avec plus de 100 000 policiers et 50 000 soldats mobilisés. Pourtant, la compétition s’est déroulée sans accroc et dans une réelle ferveur populaire, aussi bien au Brésil que dans le reste du monde. De nombreux records d’audience ont ainsi été enregistrés dès le premier tour de la compétition, comme le match entre la Belgique et la Corée du Sud (match le plus regardé dans l’histoire de la télévision belge) ou celui des États-Unis contre le Portugal, à l’audience comparable à une finale NBA. La finale de la Coupe du monde entre l’Allemagne et l’Argentine a même rassemblé 34,6 millions de téléspectateurs en Allemagne (86,3 % de part d’audience). Ce succès populaire constitue un très bon résultat pour la FIFA, dont le Mondial génère 90 % des recettes. Même la défaite du Brésil en demi-finale face à l’Allemagne, qualifiée de « plus grande honte de l’histoire » ou d’« humiliation historique » par la presse locale n’a pas entraîné l’explosion violente redoutée ni terni une ambiance restée festive jusqu’à la fin de la compétition. Côté football, le Mondial brésilien affiche 171 buts marqués, soit le total le plus élevé sur une édition depuis 1998. Si les éliminations rapides de certains « ténors » européens comme l’Espagne (tenante du titre !), l’Italie ou le Portugal, ont pu laisser croire à une Coupe du monde débridée et offerte aux LatinoAméricains, le Costa Rica constituait finalement le seul invité surprise des quarts de finale. UÊ Des frondes sociales mises en sommeil mais pas résolues Le 30 octobre 2007, lorsque la Fédération internationale de football (FIFA) confie l’organisation de la Coupe du monde 2014 au Brésil, le pays est en liesse. Les Brésiliens y voient une reconnaissance internationale et une aubaine économique. Ils déchantent toutefois rapidement : sur fond de ralentissement de la croissance, les coûts explosent et les scandales de corruption se multiplient.

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{Actualité} Quel bilan pour le Mondial brésilien ?

Culture et société Certains chantiers sont abandonnés, comme celui du tramway de Brasilia. La nouvelle classe moyenne brésilienne (qui représente environ 40 millions de personnes) commence à contester la pertinence des investissements consentis dans les stades et les hôtels, au détriment des infrastructures publiques d’éducation et de santé. Après la Coupe du monde, que faire des stades flambant neufs comme celui de Brasilia ou de Manaus, qui ont coûté respectivement plus de 400 et plus de 200 millions d’euros, alors que les équipes locales végètent dans les divisions inférieures du championnat brésilien et seront incapables de les remplir ? Au-delà des coûts et de l’effet à court terme du Mondial, les économistes s’accordent pour considérer que l’impact de la compétition sera limité sur une croissance déjà très ralentie. Si le gouvernement tablait sur une dépense moyenne par visiteur étranger de 2 488 dollars lors de son séjour, soit un gain de 3,03 milliards de dollars pour l’économie nationale, les effets de long terme semblent peu évidents. Les créations d’emplois, limitées à 700 000 dont la moitié temporaires, paraissent anecdotiques pour une population active de 100 millions de personnes. En revanche, l’effet du Mondial s’annonce réel sur l’inflation, qui constitue un véritable fléau pour l’économie brésilienne et se maintient durablement audessus des +6 % en moyenne annuelle. En juin 2014, l’inflation atteignait ainsi 6,4 %, dont au moins 0,5 point directement causé par la Coupe du monde. Le modèle économique brésilien, axé sur l’incitation à la consommation et le protectionnisme, semble donc rencontrer ses limites. Selon l’OCDE, le pays doit désormais renforcer ses investissements, améliorer sa compétitivité et ses exportations, sortir d’une logique protectionniste et se tourner vers le marché mondial s’il veut poursuivre son rattrapage des pays industrialisés et améliorer la situation de ses 16 millions d’habitants encore en situation d’extrême pauvreté. Dans ce contexte de ralentissement économique et après une Coupe du monde qui ne s’est pas terminée par le triomphe annoncé, les élections présidentielles des 5 et 26 octobre 2014, où la présidente sortante Dilma Rousseff remet en jeu son mandat, s’annoncent incertaines.

{Actualité} Quel bilan pour le Mondial brésilien ?

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{Personnalité}

Emmanuel Macron, le « Mozart de l’Élysée » par Ariane Cronel « Il n’est pas interdit d’être de gauche et de bon sens : si on ne produit pas, ma grand-mère m’a toujours dit qu’on n’avait pas grand-chose à distribuer. » « Être de gauche c’est (…) être davantage du côté du risque que de la rente ». « Je n’irai pas à l’Élysée pour faire de vieux trucs. » Emmanuel Macron

> PARCOURS Né le 21 décembre 1977 à Amiens, Emmanuel Macron devient à 36 ans, le 26 août 2014, le plus jeune ministre de l’Économie depuis Valéry Giscard d’Estaing dans le premier gouvernement de Georges Pompidou en 1962. Fils d’un couple de médecins, il demande très jeune à aller vivre chez sa grand-mère, directrice de collège. C’est dans une institution jésuite amiénoise qu’il suivra ses premières années d’école, avant d’entrer au lycée Henri-IV pour préparer son baccalauréat puis suivre une classe préparatoire lettres et sciences (« B/L »). Après son échec au concours d’entrée à l’École normale supérieure, il obtient un DEA de philosophie et le diplôme de Sciences Po Paris. En 2002, il intègre l’ENA, au sein de la promotion Léopold Sedar Senghor, restée dans les annales de l’école pour avoir intenté a posteriori un recours (fructueux) contre le classement de sortie et avoir collectivement rédigé et signé un rapport au vitriol sur la scolarité, rapport remis en main propre par la major de promotion à un directeur de l’ENA ébahi par tant d’audace. C’est au sein de la prestigieuse Inspection générale des finances (IGF) qu’Emmanuel Macron débute en 2004 sa carrière administrative. Déjà militant au PS avant son entrée à l’ENA, Emmanuel Macron rencontre François Hollande en 2006, par l’intermédiaire de Jean-Pierre Jouyet. Croyant en son avenir politique alors que le futur président est au plus bas dans les sondages, il refuse les propositions de l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, puis de l’entourage de Dominique Strauss Kahn. En 2008, il quitte l’Inspection générale des finances pour rejoindre la banque Rotschild en tant que banquier d’affaires. Gravissant rapidement les échelons, il est d’abord promu associé en 2010 puis gérant en 2012, quelques mois avant de rejoindre l’Élysée comme secrétaire général adjoint, plus particulièrement en charge de l’économie, du social et de l’Europe. François Hollande dit de lui : « c’est un bon élément, original et créatif ». Mais peu de ministres du gouvernement Ayrault portent le message de cette sociale-démocratie que représente Emmanuel Macron. Bien qu’il réussisse à pousser l’idée du « choc de compétitivité » et du crédit impôt compétitivité emploi (CICE), Emmanuel Macron n’a pas toujours partie facile à l’Élysée. Certains caciques du PS lui reprochent de n’avoir jamais été élu, tandis que l’aile

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{Personnalité} Emmanuel Macron, le « Mozart de l’Élysée »

Culture et société gauche du parti raille son passage en banque d’affaires. Après deux années comme secrétaire général adjoint, l’Élysée annonce son départ en juin 2014. Emmanuel Macron parle alors de projets d’enseignement et de recherche. Le 26 août 2014, il constitue donc la « surprise » du deuxième gouvernement Valls en succédant à Arnaud Montebourg à la tête du ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique. Il est d’ailleurs immédiatement caricaturé en poupon par les « Guignols de l’Info ». Son prédécesseur avait dû, lui, attendre six mois avant d’avoir sa marionnette dans la célèbre émission.

> PRINCIPALES RÉALISATIONS Passionné par la philosophie, Emmanuel Macron est l’assistant de Paul Ricœur pour la rédaction de son livre La Mémoire, l’histoire, l’oubli (1999-2001). À la même époque, il est également membre du comité de rédaction de la revue Esprit. À partir de 2006, il participe aux réflexions de think tanks de gauche, et collabore notamment avec la fondation Jean Jaurès, avant de faire partie en 2007 des « Gracques », groupe composé d’anciens patrons et de hauts fonctionnaires, qui appelle à une alliance entre Ségolène Royal et François Bayrou pour l’élection présidentielle. Au titre de ses fonctions d’inspecteur des finances, Emmanuel Macron est nommé en 2007 rapporteur de la Commission pour la libération de la croissance française (« commission Attali »), ce qui lui permettra de se faire connaître de nombreux grands patrons d’entreprise. Il continue par ailleurs à militer au sein du PS, mais sans réussir à obtenir l’investiture souhaitée aux élections législatives de 2007 en Picardie. Soutenant François Hollande lors de la primaire socialiste de 2011, il anime entre juillet et décembre un think tank d’experts et d’économistes (notamment Philippe Aghion, Gilbert Cette et Élie Cohen) qui prend le nom de La Rotonde et rapporte tous les quinze jours au candidat à la présidentielle. Enfin, en tant que gérant à la banque Rotschild, il pilote début 2012 l’une des plus grosses négociations de l’année, à savoir le rachat par Nestlé d’une filiale du groupe pharmaceutique Pfizer. La transaction a été évaluée à plus de 9 milliards d’euros.

{Personnalité} Emmanuel Macron, le « Mozart de l’Élysée »

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Le mille-feuille territorial français par Ariane Cronel

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 8 avril 2014, le nouveau Premier ministre Manuel Valls affiche lors de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale sa volonté de réformer le « mille-feuille administratif » français. Il propose plus particulièrement de « réduire de moitié le nombre de régions dans l’Hexagone » et « d’engager le débat sur l’avenir des conseils départementaux ». Cette annonce intervient alors que le projet d’« Acte III de la décentralisation », promesse de campagne du président de la République, n’a guère avancé depuis son élection en 2012. Elle s’inscrit plus largement dans la lignée du « choc de simplification » proclamé depuis 2013 par l’exécutif.

> ILLUSTRATIONS UÊ En 2006, 60 % (les « urbains ») des 62 millions d’habitants de la métropole vivent sur 8 % du territoire de la France, 22 % (les « périurbains ») sur 33 %, et les 18 % restant (les « ruraux ») sur près des deux tiers (59 %). UÊ La France compte en moyenne 57,6 municipalités pour 100 000 habitants, contre 13,9 pour l’Allemagne et 0,6 pour le Royaume-Uni. UÊ L’Allemagne a réduit le nombre de ses communes de 7 % en quatre ans. UÊ En France, les conseils régionaux disposent en moyenne d’un budget de 415 euros par habitant et par an, contre sept fois plus pour les régions italiennes et dix fois plus en Allemagne Au total, les régions françaises disposaient de 23 milliards d’euros de budget en 2010 contre 285 milliards d’euros pour les Länder allemands. UÊ La fonction publique territoriale emploie environ 1,9 million d’agents. UÊ Selon la Cour des comptes, les effectifs des municipalités ont progressé de 14 % en moyenne entre 2001 et 2011. UÊ Quelques dates – 1969 : le général de Gaulle organise un référendum pour faire des régions des collectivités territoriales. Le « non » l’emporte et le général démissionne. – 1982 : la loi Defferre supprime la tutelle du préfet sur les départements et transfère le pouvoir exécutif aux conseils généraux. Les régions sont créées. – 2003 : réforme constitutionnelle qui accorde l’autonomie financière aux collectivités territoriales et leur transfère de nouvelles compétences.

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{Actualité} Le mille-feuille territorial français

Culture et société – 2014 : annonce de « l’acte III de la décentralisation », avec les échéances suivantes : – 2017 : passage à 11 régions métropolitaines au lieu de 22 ; – 2018 : entrée en vigueur d’une nouvelle carte intercommunale (seuil de 20 000 habitants contre 5 000 aujourd’hui) ; – 2021 : suppression des conseils généraux.

ENJEUX

UÊ Mille-feuille territorial, mille-feuille administratif La carte institutionnelle française compte quatre niveaux de pouvoirs : l’État, les régions, les départements et les communes, auxquels il convient d’ajouter les différentes intercommunalités. Si les régions sont de création récente (1982), les communes et les départements sont les héritiers directs de la Révolution française, à peine retouchés sous l’Empire napoléonien. Actuellement, la France compte 26 régions, 101 départements, 36 600 communes et quelque 18 000 groupements intercommunaux. Chacun de ces niveaux dispose en théorie de compétences bien identifiées, comme la formation professionnelle pour les régions ou la gestion des prestations sociales pour les départements. Toutefois, l’existence de la clause de compétence générale, qui permet à chaque niveau d’intervenir dans tous les domaines d’intérêt local qu’il juge nécessaire, annihile cette répartition de principe. Au total, les collectivités territoriales sont donc plus juxtaposées et superposées que hiérarchisées. Il en résulte des doublons, un émiettement des compétences et des responsabilités et une dilution du pouvoir de décision, source d’importants surcoûts. L’objectif de la réforme est donc aussi (avant tout ?) de générer des économies : le gouvernement prévoit 10 milliards d’euros sur cinq à dix ans. La réforme annoncée s’inscrit en outre dans la logique des évolutions à l’échelle européenne : elle repose en effet sur une armature régions/intercommunalités, les premières devant s’imposer comme territoire économique (compétences en matière de transports, de soutien aux entreprises, de formation et d’emploi) et les secondes devant reprendre le rôle d’échelon de proximité laissé libre par la disparition des départements. Dans de nombreux pays d’Europe, la même dynamique est à l’œuvre, voyant régions et « bloc communal » (métropoles, intercommunalités, etc.) monter en puissance avec des pouvoirs économiques et politiques accrus, tandis que les échelons intermédiaires hérités de l’histoire (provinces, départements, districts) déclinent. Les fonds structurels européens confortent d’ailleurs cette dynamique puisqu’ils sont répartis et gérés à l’échelle régionale. UÊ Un mille-feuille très résistant L’organisation territoriale française a peu évolué depuis les lois de décentralisation de 1982, et la France paraît aujourd’hui plutôt en retard par rapport à ses {Actualité} Le mille-feuille territorial français

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Culture et société voisins européens. Les réflexions et les tentatives de réforme se multiplient pourtant depuis le début des années 2000, avec pour point commun la volonté de renforcer les régions en réduisant leur nombre, le choix de favoriser les regroupements de communes, et la remise en question progressive de la place du département. En 2003, la réforme constitutionnelle ouvrait ainsi la possibilité à des rapprochements entre collectivités, deux régions ou départements pouvant fusionner s’ils le souhaitaient (ce qui n’a jamais eu lieu). En 2008, la commission Attali pour libérer la croissance proposait de « faire disparaître en dix ans l’échelon départemental » par le biais d’intercommunalités renforcées. L’année suivante, le Comité pour la réforme des collectivités locales d’Édouard Balladur proposait le passage à 15 régions en France métropolitaine, la création de 11 grandes métropoles et la mise en place d’élus communs pour les départements et les régions. Cette dernière mesure, adoptée en 2010 avec la création du « conseiller territorial », avait suscité l’ire des élus locaux, principalement de gauche (mais pas seulement) : l’une des premières mesures prises par le nouveau gouvernement socialiste en 2012 fut de la supprimer. Outre les réticences des élus, très attachés à leurs mandats locaux, les populations se montrent également réservées sur la disparition d’institutions auxquelles elles sont habituées et auxquelles elles associent une notion de proximité. En avril 2013, les Alsaciens consultés par référendum régional ont ainsi rejeté la fusion du conseil régional avec les deux conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Faute de consensus politique sur la meilleure façon de réduire le mille-feuille, les réformes se trouvent donc souvent vidées de leur contenu le plus novateur ou restent floues sur les sujets sensibles et les échéances calendaires. Bien que sa suppression ait été annoncée, le département pourrait ainsi être maintenu dans les territoires ruraux, tandis que la carte des régions pourrait encore évoluer. Par ailleurs, les projets de réforme et les estimations des économies générées prennent rarement en compte les réalités humaines et logistiques : les fonctionnaires actuellement employés par les conseils généraux ne disparaîtront pas avec ces derniers : il faudra au contraire leur retrouver un emploi ou compenser financièrement leur obligation de mobilité géographique. De même, les hôtels de département constituent souvent des ensembles immobiliers récents, au coût élevé, qui devront être vendus ou loués. Autant d’éléments pratiques qui font dire à certains spécialistes que la réforme ne générera au mieux que 2 à 3 milliards d’euros d’économie. Reste que la clarification des compétences des différents niveaux est indispensable pour simplifier les relations entre les différentes couches du mille-feuille et améliorer le service rendu aux citoyens.

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{Actualité} Le mille-feuille territorial français

Culture et société Carte provisoire des régions envisagées NORD-PASDE-CALAIS HAUTENORMANDIE BASSENORMANDIE BRETAGNE PAYS DE LA LOIRE

PICARDIE ÎLE-DEFRANCE

CENTRE

LORRAINE CHAMPAGNEARDENNE

BOURGOGNE

ALSACE

FRANCHECOMTÉ

POITOUCHARENTES LIMOUSIN AUVERGNE

RHÔNEALPES

AQUITAINE MIDI-PYRÉNÉES LANGUEDOCROUSSILLON

PROVENCE-ALPESCÔTE D’AZUR CORSE

Source : http://www.elysee.fr

{Actualité} Le mille-feuille territorial français

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{Actualité}

Les élections municipales par Pierre-Henri Janssens

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Fortement pressentie, la « débâcle historique de la gauche » pour le journal Libération s’est confirmée lors des élections municipales de mars 2014. Cette élection ne trouve aucun équivalent dans les annales. Même les chiffres records datant des municipales de 1977, qui s’étaient conclues sur une victoire écrasante de la gauche, n’ont pas tenu face aux résultats du second tour et c’est sur le résultat impressionnant de 151 villes de plus de 10 000 habitants qui basculent à droite que le second tour s’est conclu.

> ILLUSTRATIONS UÊ La droite (UDI, UMP et divers droite) est sortie vainqueur de ce scrutin en plaçant 572 élus à la tête de villes de plus de 10 000 habitants, contre 433 en 2008. La grande gagnante de cette élection est l’UMP qui parvient même à arracher à la gauche six villes de plus de 100 000 habitants et des villes symboliques comme Limoges, détenue par la gauche depuis 1912. Son ancien secrétaire général Jean-François Copé parle alors d’une « vague bleue » qui fait de sa formation politique le « premier parti de France ». UÊ Cette élection est aussi l’occasion de voir le Front National une nouvelle fois au-devant de la scène politique puisque c’est un total de dix villes qui viennent rejoindre Hénin-Beaumont dans la liste de ses conquêtes, réussissant par là même une avancée sans précédente dans son implantation territoriale à l’échelle locale. UÊ La gauche et le Parti socialiste reconnaissent quant à eux leur défaite. L’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault explique que ces élections ont été « l’occasion pour les citoyens d’adresser un message. Ce message est clair, il doit être pleinement entendu. » Toutefois, le PS parvient à conserver certains bastions comme Paris en remportant 60 conseillers contre 55 pour l’UMP, propulsant Anne Hidalgo première femme à la tête de la capitale. UÊ Enfin, ce scrutin détient aussi le triste record du taux d’abstention le plus élevé, atteignant 38,5 % après le second tour, soit près de 4 % de plus qu’il y a quatre ans, un niveau jamais atteint sous la Ve République pour ce type d’élection. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les municipales sont traditionnellement un scrutin qui rassemble le plus grand nombre de Français.

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{Actualité} Les élections municipales

Culture et société

ENJEUX

UÊ Les dessous d’un naufrage et le remaniement ministériel Force est de constater que la gauche subit un désaveu cinglant après deux ans au pouvoir. En témoigne la cote de popularité toujours plus faible du président François Hollande autour de 20 % d’opinions favorables (entre 25 % selon Harris Interactive et jusqu’à 13 % pour YouGov en mars 2014) qui ne s’est pas montré capable de respecter ses engagements. La courbe du chômage n’a pas été inversée à l’horizon de décembre 2013. À cela s’ajoute une croissance atone de 0,3 % sur l’ensemble de l’année précédente selon l’INSEE et une confiance ébranlée entre l’État et le secteur privé, conséquence d’un matraquage fiscal qui a touché l’ensemble de la population. C’est donc « un cri de colère » selon Libération qui a poussé les Français aux urnes, sanctionnant le gouvernement pour la faiblesse de ses résultats. S’en est alors suivi un remaniement ministériel inévitable annoncé le 9 avril. Il a fait place selon les mots du président à un « gouvernement de combat » et « resserré » autour de son nouveau Premier ministre Manuel Valls. Cette nomination a provoqué un vif débat au sein de la gauche et a entériné le virage socialdémocrate du gouvernement, débuté en janvier 2014 avec l’annonce de la mise en place du pacte de responsabilité le 14 janvier dernier. On peut aussi noter le retour remarqué de Ségolène Royal aux affaires mais aussi le retrait du gouvernement de la formation EELV, signe d’une fragilisation au sein de la majorité. UÊ La victoire en trompe l’œil de la droite Que la droite ait profité du vote sanction de la part de certains électeurs de gauche, cela ne semble faire aucun doute, le succès n’en reste pas pour autant moins grand. Mais est-elle pleinement responsable de sa victoire après avoir vu la campagne assombrie par des luttes internes qui ont ressurgi, notamment à Paris ? La même question peut se poser pour le Front National. En effet, Marine Le Pen est enfin parvenu à rendre son parti respectable et le FN compte désormais pour la troisième formation politique du pays sans que le front républicain n’ait pu véritablement fonctionner, la droite ayant décidé depuis 2008 d’appliquer la politique du « ni-ni ». Reste désormais à savoir si son succès ne provient que de ce vote sanction ou si ce vote s’inscrit dans une tendance durable. Or, le résultat des élections européennes vient non seulement réaffirmer cette tendance mais en plus l’amplifier puisque le Front National caracole en tête des partis politiques. Mais peut-être le délai entre ces deux élections était-il trop court pour modifier un résultat attendu…

{Actualité} Les élections municipales

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{Entreprise}

Le PSG face aux règles du fair-play financier par Ariane Cronel

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 15 mai 2014, considérant que le Paris-Saint-Germain ne respecte pas les règles de fairplay financier de l’UEFA en vigueur depuis 2011, l’Instance européenne de contrôle financier des clubs de football (ICFC) lui impose les sanctions suivantes : encadrement des transferts, interdiction d’augmenter la masse salariale, limitation à 21 (au lieu de 25) du nombre de joueurs autorisés à jouer la Ligue des champions et amende de 20 millions d’euros répartis sur deux ans. L’été parisien est donc particulièrement calme sur le marché des transferts, tandis qu’en Espagne le Real Madrid ou le FC Barcelone dépensent malgré leur dette colossale plusieurs dizaines de millions d’euros, suscitant la colère et l’incompréhension des supporters du PSG et des autres clubs sanctionnés par l’UEFA. Fin juillet 2014, des supporters belges, français et anglais portent d’ailleurs plainte contre le fair-play financier auprès de la Commission européenne.

> ILLUSTRATIONS UÊ Outre le PSG, huit autres clubs européens dont Manchester City, le Zénith de Saint-Pétersbourg ou Galatasaray ont été épinglés par l’UEFA. UÊ La masse salariale du PSG représente 230 millions d’euros annuels. UÊ Le Real Madrid a dépensé 115 millions d’euros sur le marché des transferts à l’été 2014 ; Le FC Barcelone a, quant à lui, dépensé 143 millions d’euros. UÊ Le transfert en 2009 de Cristiano Ronaldo au Real Madrid pour 94 millions d’euros reste à ce jour le transfert le plus onéreux de l’histoire du football. UÊ Le Real est le premier club de football à générer plus de 500 millions d’euros de recettes par an. UÊ Le FC Barcelone a réalisé un bénéfice de 41 millions d’euros pour la saison 2013-2014, grâce notamment à 530 millions d’euros de revenus. UÊ La dette du Real s’élève à 541 millions d’euros ; celle du FC Barcelone à un peu moins de 300 millions d’euros. UÊ La dette de Manchester United dépasse les 800 millions d’euros ; celle de Liverpool les 400 millions d’euros. UÊ Le PSG affiche dans ses comptes un déficit de 9 millions d’euros pour les saisons 2012 et 2013. 144

{Entreprise} Le PSG face aux règles du fair-play financier

Culture et société UÊ Il y a en Espagne 22 équipes en situation de surendettement : le passif cumulé des équipes espagnoles s’élève à plus de 4 milliards d’euros. UÊ En 2012, 38 championnats européens sur 53 étaient déficitaires (dont la Ligue 1). UÊ Avec 1 086 millions d’euros, les droits de retransmission télévisuelle de la Ligue des Champions et de la Ligue Europa ont représenté 78 % des recettes de l’UEFA pour la saison 20102011.

ENJEUX

UÊ Un fair-play financier pensé pour limiter l’endettement futur, et non sanctionner l’endettement existant Le fair-play financier mis en place par l’UEFA depuis 2011 repose sur une règle moins simple qu’elle n’en a l’air : si l’objectif affiché est d’assainir l’environnement financier du football européen en limitant les risques d’investissement spéculatif et d’endettement des clubs (mécènes milliardaires dépensant sans compter sur le marché des transferts et entraînant des coûts à la hausse), il ne s’agit pas seulement en réalité d’obliger les clubs à « ne pas dépenser plus qu’ils ne gagnent ». En effet, en choisissant d’examiner uniquement le compte d’exploitation et le rapport entre dépenses et recettes sur une période triennale, sans se préoccuper des dettes existantes, le dispositif revient pour l’UEFA à se prononcer sur la solidité du modèle de développement à moyen et long terme des clubs de football européens. L’UEFA effectue en effet une distinction entre les recettes et dépenses « déterminantes » et les autres. C’est le rapport entre les deux, « résultat déterminant », qui ne doit pas être déficitaire. Entrent dans les dépenses déterminantes toutes celles effectuées pour l’équipe première (notamment transferts, masse salariale), mais pas celles correspondant à des investissements de long terme comme la construction d’un stade ou le développement du centre de formation. Côté recettes, sont pris en compte les droits TV, les transferts sortants, le merchandising, les revenus de compétitions ou encore le sponsoring, qui attestent de la valeur économique d’un club au niveau national et international. En revanche, les apports directs d’actionnaires ne rentrent pas dans ces recettes. Autrement dit, ce que l’UEFA considère contraire au fair-play, c’est qu’un club aille chercher ailleurs (actionnaire, mécène) de l’argent qu’il n’est pas capable de générer lui-même (merchandising, droits TV, etc.). C’est sous cet angle que les résultats financiers de 76 clubs (sur les 237 engagés dans les compétitions européennes) ont été plus particulièrement examinés par l’ICFC au printemps 2014. Si les pertes restent autorisées, dans la limite de 45 millions d’euros sur les deux derniers exercices, l’UEFA ne s’interdit pas de réévaluer la valeur de certains contrats enregistrés comme recettes, dès lors que le signataire aurait « partie liée » avec un actionnaire du club. C’est ainsi qu’un {Entreprise} Le PSG face aux règles du fair-play financier

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Culture et société contrat de sponsoring avec l’office du tourisme du Qatar présenté par le PSG à hauteur de 200 millions d’euros a été réévalué par l’UEFA à 100 millions d’euros, entraînant le club à afficher des pertes supérieures au seuil autorisé, et le plaçant sous le coup des sanctions prévues par le dispositif. De la même façon, le contrat passé par Manchester City avec Etihad, la compagnie aérienne d’Abu Dhabi, a été revu à la baisse par l’UEFA. Bien que l’éventail des sanctions soit large, pouvant aller du blâme jusqu’à l’exclusion d’une compétition européenne, l’UEFA n’a pas hésité à soumettre dès la première année les clubs épinglés à des mesures lourdes, laissant nombre de commentateurs crier à la discrimination en faveur des « grosses écuries » historiques (et endettées) du football européen. UÊ Une efficacité contestable Principalement critiqué pour son absence de rétroactivité, qui permet aux clubs déjà lourdement endettés avant sa mise en place de poursuivre leurs dépenses somptuaires au motif que leurs recettes le leur permettent (Real Madrid, FC Barcelone, Manchester United, etc.), le fair-play financier risque d’avoir pour effet de figer la hiérarchie des clubs européens, en créant une véritable barrière à l’entrée pour les nouveaux acteurs, financés par des mécènes plus récents. La compatibilité du dispositif avec le droit européen est en outre déjà contestée : l’avocat belge Jean-Louis Dupont, qui a déposé plainte devant la Commission européenne, considère ainsi que le fair-play financier crée des restrictions de concurrence (limitation des investissements, figement de la structure de concurrence existante) et qu’il pourrait être déclaré illégal au regard de l’article 101 du traité de Lisbonne relatif aux pratiques restrictives et aux arrangements anticoncurrentiels. Surtout, l’efficacité du fair-play financier au regard de son objectif d’assainir la situation financière des clubs peut être questionnée : ne s’appliquant qu’aux clubs engagés dans des compétitions continentales, le dispositif laisse de côté la grande majorité des clubs européens, notamment les plus petits, qui sont les plus en difficulté financièrement et les plus susceptibles d’impayés de transfert ou de salaire, contre lesquels le fair-play financier prétend justement lutter. En ce qui concerne les sanctions, l’UEFA osera-t-elle réellement priver de compétition européenne un « grand club » en déficit ? L’essentiel de ses revenus provient en effet des droits de retransmission télévisuelle de ces compétitions, dont l’attractivité est justement particulièrement dépendante de la présence de grosses têtes d’affiche…

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{Personnalité}

Matteo Renzi par Olivier Sarfati

> PARCOURS Né à Florence en 1975, Matteo Renzi est un homme politique italien membre du Parti démocrate (PD) et président du Conseil des ministres depuis le 22 février 2014. Issu d’une famille catholique pratiquante et ancien chef scout, il étudie d’abord le droit et suit un cursus en histoire du droit sur l’administration et la culture politique. Il obtient son diplôme en 1999. Avant de se lancer pleinement en politique, il travaille au sein de la société familiale, CHIL, spécialisée en service marketing et dont la majeure partie du chiffre d’affaires est réalisée avec La Nazione, journal centriste de Florence. Sur les traces de son père, conseiller municipal démocrate chrétien, Matteo Renzi est rapidement attiré par la politique. Dès 1996, il adhère au Parti populaire italien (PPI), l’une des branches de l’ancienne démocratie chrétienne, située au centre-gauche sur l’échiquier politique. Cette même année, il participe aux comités de soutien de la candidature de l’économiste Romano Prodi à la présidence du Conseil des ministres. En 1999, il devient secrétaire provincial du PPI puis, en 2001, le coordinateur local du parti chrétien de centre-gauche, la Margherita. L’ascension se poursuit en 2004, lorsqu’il remporte largement les élections provinciales avec 58,8 % des voix. Pendant son mandat de cinq ans, il gagne en popularité en prônant déjà le renouvellement de la classe politique et en abaissant les impôts locaux. C’est lors des élections municipales de 2009 que le grand public découvre Matteo Renzi. En février, il gagne par surprise les primaires du Parti démocrate (centre-gauche) et devient maire de Florence dans la foulée. En 2011, sur fond de crise économique profonde, Matteo Renzi précise les nouvelles ambitions qu’il a pour son pays en organisant des réunions florentines dites « big bang » au cours desquelles écrivains, financiers, entrepreneurs et politiques sont invités à présenter leurs idées. Le 8 décembre 2013, le maire de Florence est élu à la tête du Parti démocrate (PD) avec plus de 67 % des voix. Il se met d’accord avec Enrico Letta, vice-secrétaire du PD, sur une répartition des rôles : Renzi s’occupe des réformes institutionnelles pendant que Letta assure la présidence du Conseil des ministres. L’accord prévoyait également que Renzi serait le candidat de la gauche pour les élections anticipées de 2015. Mais l’action gouvernementale de Letta est un échec : enlisé dans une coalition, taxé d’immobilisme, désavoué par le patronat et la CGIL, grand syndicat de gauche, Letta peine à s’imposer. Renzi propose alors au sein du PD une motion demandant d’« ouvrir une phase nouvelle avec un exécutif nouveau soutenu par la majorité actuelle ». Le 13 février 2014, le résultat du vote interne est sans appel. Le PD exige un changement de gouvernement et Letta démissionne. Matteo Renzi succède à Enrico Letta à la présidence du Conseil des ministres.

{Personnalité} Matteo Renzi

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Culture et société > RÉALISATION DE L’ANNÉE Surnommé Il Rottamatore (« le démolisseur »), en référence à sa volonté d’envoyer la vieille classe dirigeante italienne « à la casse », Matteo Renzi impose d’abord un style nouveau. Comme le souligne la politologue Emiliana De Blasio, « Renzi incarne pleinement la personnalisation de la politique. Sans Berlusconi, il n’aurait pas existé politiquement. Leurs techniques de communication sont très semblables. Même physiquement, il a beaucoup changé. Il se présente volontiers sans cravate. Il porte de manière très pop un blouson de cuir. Il retrousse les manches de sa chemise, comme Obama. Il aime se faire photographier à bicyclette. On le voit souvent tapoter d’une main le clavier de son ordinateur ultra-plat et tenir de l’autre son smartphone. C’est un Action Man ! ». Aux commandes du gouvernement, Matteo Renzi affiche rapidement son volontarisme. En mars 2014, il annonce des mesures fortes visant à sortir l’économie italienne du marasme : baisse d’impôts pour les plus modestes, plan de rénovation des écoles de 3,5 milliards d’euros, allégements de charges sur les entreprises avec notamment le remboursement de 60 milliards d’euros dus par les administrations publiques aux entreprises. Cet ensemble de mesure sera financé par des économies sur le fonctionnement de l’État, des coupes de près d’un milliard d’euros dans les dépenses de santé, une hausse des revenus liés à la TVA des entreprises, une baisse des taux d’intérêt de la dette et une augmentation du déficit public jusqu’à 3 % du PIB. Le 30 avril 2014, il lance son projet de « révolution » de la fonction publique avec pour objectif d’économiser 32 milliards d’euros sur trois ans. Son idée ? Gérer l’administration publique comme une entreprise dynamique avec mobilité obligatoire, efficacité, promotion au mérite et embauches des jeunes en priorité. Dans une logique d’exemplarité, des économies seront également réalisées par la vente des voitures de certains ministères et le plafonnement des salaires des dirigeants de groupes publics qui ne pourront excéder 311 000 euros brut en 2014. La veille des élections européennes de 2014, Renzi convoque la presse et fait le point de ses quatre-vingts premiers jours au pouvoir : baisse d’impôts de 10 milliards d’euros pour les ménages et de 2,5 milliards d’euros pour les entreprises, plan de relance pour les jeunes et réforme territoriale avec suppression des provinces qui entraîne de fait la disparition de 3 000 hommes politiques. Le 25 mai, lors des élections européennes, le volontarisme de Renzi est récompensé : les Italiens soutiennent massivement le Parti démocrate avec 40,8 % des suffrages et laissent le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo loin derrière avec 21,2 % des voix. Le parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia, ne recueille, quant à lui, que 16,8 % des suffrages. Comme le soulignait l’hebdomadaire britannique The Economist (avril 2014), malgré un chômage qui persiste et une croissance quasi-nulle, Renzi semble avoir « convaincu beaucoup d’Italiens (…) qu’il est la dernière chance de voir l’Italie sortir de son déclin implacable »…

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{Personnalité} Matteo Renzi

{Actualité}

La révolution des MOOC : miracle ou mirage ? par Olivier Sarfati

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS En octobre 2013, le ministère français de l’Éducation nationale lance son premier MOOC baptisé FUN (France université numérique). L’ambition affichée : rattraper le retard de la France en matière de formation en ligne et d’utilisation du numérique comme véritable outil pédagogique. Rappelons que l’acronyme MOOC ou Massive Open Online Courses désigne littéralement des « cours en ligne ouverts et massifs ». Les premiers MOOC ont fait leur apparition aux États-Unis au début des années 2000 à l’initiative du MIT (Massachusetts Institute of Technology) qui lança en 2001 le MIT OpenCourseWare. Depuis, les MOOC, parmi lesquels Coursera ou EdX, se sont largement développés et proposent aux internautes de suivre gratuitement en ligne les cours des universités les plus prestigieuses (Harvard, Stanford, Polytechnique, HEC…). La Khan Academy s’adresse à un public plus large et ambitionne de révolutionner le monde de l’éducation en proposant notamment des vidéos éducatives gratuites en format court (environ 10 minutes par vidéo) aux étudiants du monde entier. Dans le quotidien Libération du 26 décembre 2013, un collectif anti-MOOC pointait du doigt les dérives potentielles du phénomène : privatisation de l’enseignement, remise en question et déshumanisation de la relation étudiant-enseignant, uniformisation des contenus. Au-delà, la question de l’efficacité des MOOC est posée : assiste-t-on à une véritable révolution ou à une mode aux effets réels limités ?

> ILLUSTRATIONS Part des universités disposant de cours en ligne en 2013

France

États-Unis

3%

80 %

Source : Le Monde.

UÊ Coursera se définit comme « une entreprise numérique d’éducation qui s’est lancée dans des partenariats avec des universités et organisations prestigieuses dans le monde afin de proposer des cours en ligne que tout le monde puisse suivre gratuitement ». En janvier 2014, Coursera comptait plus de 6 millions de membres.

{Actualité} La révolution des MOOC : miracle ou mirage ?

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Culture et société UÊ Selon une étude d’Opinion Way menée par le ministère de l’Enseignement supérieur réalisée en France en septembre 2013, seuls 10 % des étudiants et des enseignants de l’enseignement supérieur ont déjà suivi un MOOC et moins de 5 % en ont déjà suivi un en entier (respectivement 2 % et 3 %). UÊ La Khan Academy est une association à but non lucratif fondée en 2006 par Salman Khan et qui ambitionne de « fournir un enseignement de grande qualité à tous, partout ». Le site web publie plusieurs milliers de leçons en ligne dans des matières aussi variées que les mathématiques, l’informatique, l’histoire, la finance, la physique, la chimie, la biologie, l’astronomie, l’art pictural et l’économie. UÊ Dans son ouvrage L’éducation réinventée, Salman Khan propose une vision de l’éducation innovante et axée autour de l’utilisation abondante de vidéos en ligne qui se substitueraient aux cours magistraux traditionnels tout en redéfinissant le rôle de l’enseignant.

ENJEUX

UÊ Des atouts indéniables… Les MOOC présentent sur le papier plusieurs atouts qu’il convient de rappeler : – Ils mettent à la disposition des étudiants du monde entier un savoir gratuit dans les matières clés dispensé par des professeurs reconnus. C’est notamment la promesse de Salman Khan qui prend l’exemple d’enfants résidant au Bangladesh et qui n’ont pas toujours la chance de pouvoir être formés sur les savoir-faire fondamentaux. – Ils libèrent le corps enseignant de la contrainte du cours magistral afin de consacrer plus de temps à la pratique et la compréhension du cours. Dans ce système, le rôle de l’enseignant sera amené à évoluer. Ses missions se rapprocheront plus de celles du tuteur, du répétiteur ou du coach. – Ils favorisent l’individualisation des apprentissages : en visionnant une leçon en ligne, un étudiant peut choisir son rythme et réécouter le cas échéant les passages qu’il n’a pas compris. Il est également libre de travailler sur les thématiques qui le mettent en difficulté ou celles qu’il souhaite découvrir voire approfondir. UÊ … mais aux effets réels restant à prouver Les MOOC posent toutefois plusieurs défis qu’il convient de relever : – Dépasser l’effet de mode : si l’engouement pour les MOOC est réel, la pratique révèle que bon nombre d’étudiants abandonnent avant la fin des formations. Sebastian Thrun, fondateur d’Udacity (MOOC ayant attiré environ 1,6 million de membres) confiait en octobre 2013 que seuls 10 % des étudiants suivaient les cours jusqu’au bout : « nous étions à la Une des journaux et des magazines et, en même temps, je me rendais compte que l’on ne parvenait pas à éduquer les gens [comme nous ne souhaitions]. Nous avons un produit pourri »… – La nécessaire connexion entre apprentissages et attentes du marché du travail : la généralisation des plateformes MOOC consacre une nouvelle ère où les

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{Actualité} La révolution des MOOC : miracle ou mirage ?

Culture et société étudiants auront la possibilité d’assister à des formations dans tous les domaines. Cette liberté présente toutefois le risque de voir se développer des apprentissages massifs sur des thématiques faiblement pourvoyeuses d’emplois. – Un outil vecteur d’inégalités entre les initiés et les non-initiés : il est à craindre qu’à terme, les étudiants les mieux conseillés iront consulter des MOOC pour développer des savoirs et savoir-faire conformes à un potentiel évalué au préalable dans le cadre d’une stratégie de formation. À l’inverse, les étudiants les moins initiés se livreront à des formations probablement « populaires » mais qui ne s’inscrivent pas dans une stratégie mûrement réfléchie. Certaines analyses vont même plus loin : une étude, publiée par des chercheurs de Penn State University dans la revue Nature, montre que 83 % des internautes interrogés ayant suivi des MOOC sur Coursera possédaient déjà d’un diplôme universitaire, un chiffre bien supérieur à la moyenne mondiale. Une conclusion semble alors se dégager : si les MOOC offrent à présent des formations de qualité et à moindre coût aux étudiants du monde entier, les conseillers d’orientation et autres experts pédagogiques seront amenés à jouer un rôle prépondérant dans le dédale infini de cursus que l’on devrait observer. Si tel n’est pas le cas, le MOOC pourrait bien devenir un nouveau grand vecteur d’inégalités. Aussi ne devrions-nous pas oublier qu’au bout du compte la discipline, le sens du travail et le courage de l’étudiant resteront les qualités fondamentales d’une éducation prometteuse…

{Actualité} La révolution des MOOC : miracle ou mirage ?

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{Débat}

Pour ou contre la pénalisation des clients ayant recours à la prostitution ?

par Raphaël Hodin

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Après plusieurs semaines de débat et de controverse, les députés adoptent le 4 décembre 2013, par une majorité de 268 voix contre 138, une loi visant à lutter contre la prostitution. L’une des principales dispositions vise à pénaliser les clients d’une contravention de 1 500 euros. Le texte de loi s’inspire de l’exemple suédois. Grâce à la pénalisation des clients, la Suède revendique d’avoir divisé par deux le nombre de prostituées de rue depuis 1999. Le débat, vif, a dépassé les traditionnels clivages gauche/droite. Le texte (qui doit encore passer devant le Sénat avant l’été 2014) a ainsi été adopté à l’Assemblée, dans un hémicycle presque vide, et ce, malgré l’opposition d’une majorité d’élus de l’UMP et d’écologistes. Du côté du PS, une cinquantaine de députés ont voté contre, se sont abstenus ou n’ont pas participé au vote. La loi prévoit une contravention de 1 500 euros pénalisant « l’achat d’actes sexuels ». Des « stages de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels » peuvent compléter ou remplacer cette amende. En cas de récidive, l’infraction devient un délit passible d’une amende de 3 750 euros. Le texte instaure par ailleurs un financement de 20 millions d’euros par an pour l’accompagnement social et professionnel des travailleuses du sexe qui souhaiteraient en finir avec la prostitution. Les étrangères qui choisissent ce « parcours de sortie » pourront se faire accompagner par une association agréée pour prétendre à un titre de séjour de six mois renouvelables. Le délit de racolage passif institué par Nicolas Sarkozy en 2003 et qui pénalisait les prostituées est par ailleurs abrogé.

> ILLUSTRATIONS UÊ En 1960, la France ratifie la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui de 1949. En reconnaissant que la prostitution est « incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine », la France devient officiellement un pays « abolitionniste ». UÊ L’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) estime que la France compte entre 18 000 et 20 000 prostituées de rue. Dans les pays où les autres formes de prostitution sont recensées, la prostitution de rue représente de 10 à 15 % du total. On peut donc estimer que la France compte entre 100 000 et 200 000 prostituées (contre 400 000 en Allemagne, d’après une mission parlementaire de 2006). 152

{Débat} Pour ou contre la pénalisation des clients ayant recours à la prostitution ?

Culture et société UÊ D’après Najat Vallaud-Belkacem, 80 à 90 % des prostituées travaillant en France sont étrangères. Ces prostituées viennent majoritairement d’Europe de l’Est, d’Afrique occidentale, de Chine et d’Amérique du Sud. UÊ D’après une enquête du Mouvement du Nid en 2004, 12,6 % des hommes français avouent avoir déjà été client d’une prostituée au moins une fois. Seules 0,6 % des femmes déclarent avoir déjà fréquenté un ou une prostituée.

POUR

Une lutte efficace contre les réseaux de prostitution UÊ Plusieurs mouvements féministes ont soutenu la proposition de loi, militant pour « l’abolition du système prostitueur ». L’association Osez le féminisme salue « un changement bénéfique qui dit aux clients : vous êtes en train d’alimenter les réseaux de traite ». En réduisant la « demande », on limite la prostitution et le financement des réseaux. UÊ Pour répondre à ceux qui dénoncent une loi « liberticide », les défenseurs de la loi répondent que si chacun est libre de disposer de son corps, il n’est pas libre de disposer du corps d’autrui. UÊ Pour certaines associations abolitionnistes, aucune prostitution n’est « librement consentie ». Elle est, au mieux, contrainte par des éléments de l’histoire personnelle ou par la précarité économique. UÊ Selon ses promoteurs, la proposition de loi s’inscrit dans la lutte menée contre les violences faites aux femmes et en faveur de l’égalité hommes-femmes. Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes y voit « un changement de regard sur la prostitution. Il ne peut y avoir d’égalité femme-homme tant qu’il y a des violences envers les femmes, et la prostitution est une violence majeure. » UÊ Enfin, la pénalisation des clients peut permettre à une prostituée de porter plainte si un client se montre violent ou lui porte préjudice.

CONTRE

Une loi qui fragilise les prostituées UÊ Médecins du Monde, opposé à la pénalisation des clients, a envoyé aux députés un DVD de témoignages de « celles et ceux que cette loi fragilisera ». L’association estime que la pénalisation des clients « favorise le développement d’une prostitution dans des lieux plus isolés » et rend « l’exercice de la prostitution plus dangereux, en termes de santé et de sécurité ». UÊ Les écologistes jugent que la loi ne fait pas la distinction entre les prostituées victimes de réseaux et les « indépendantes » (estimées à 15 % des prostituées). Sergio Coronado, opposant écologiste au texte, mentionne une vision « en noir et blanc » de la prostitution qui trouve « inconcevable qu’il puisse y avoir {Débat} Pour ou contre la pénalisation des clients ayant recours à la prostitution ?

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Culture et société consentement dans un acte sexuel tarifé » et qui « oppose des femmes toujours victimes à des hommes toujours coupables ». UÊ Le Syndicat du travail sexuel (Strass), qui représente les prostitué(e)s indépendant(e)s, dénonce « un amalgame entre le travail forcé et l’exploitation consentie ». Les associations Aides, Act up ou Les Amis du bus des femmes, revendiquent la liberté de choix pour l’usage de son corps. UÊ Certains députés UMP, tel Philippe Gosselin, dénoncent « la promesse de régularisation, même provisoire, qui peut envoyer un signal attractif » à certains migrants. UÊ Ceux qui dénoncent le côté liberticide et « moralisateur » de la loi pointent également le paradoxe de pénaliser le client ayant recours à la prostitution, alors même que selon la loi, cette dernière n’est pas illégale.

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{Débat} Pour ou contre la pénalisation des clients ayant recours à la prostitution ?

{Personnalité}

Jonny Wilkinson, gentleman du rugby mondial

par Ariane Cronel

> PARCOURS Le 31 mai 2014, Jonathan Peter Wilkinson, plus connu sous les surnoms de « Jonny » ou « Wilko », met un terme à sa carrière sportive sur une dernière victoire et un titre de champion de France. Après 17 ans au plus haut niveau, ce travailleur acharné et ultra-perfectionniste quitte un sport dont il a, peut-être plus qu’aucun autre, incarné le nouveau professionnalisme. Né le 25 mai 1979 dans une famille de sportifs, Jonny Wilkinson commence sa carrière dans l’équipe des Newcastle Falcons en 1997. Retenu en sélection nationale dès 1998, à 18 ans et 314 jours, il en devient rapidement un pilier incontournable, réputé pour la justesse de son jeu au pied et la précision de ses tirs entre les poteaux. Sa position de frappe, mains jointes et jambes légèrement pliées, devient sa marque de fabrique. Entre 1998 et 2003, la carrière de Jonny Wilkinson a la fulgurance de son génie sportif : en apothéose, ce drop réussi contre l’Australie à 26 secondes de la fin de la prolongation de la finale de la Coupe du monde de 2003, qui donne la victoire à l’Angleterre. Alors que le rugby se professionnalise, « Wilko » signe de nombreux contrats publicitaires (notamment avec Adidas, mais aussi Hackett, Lucozade, Travelex, Boots) qui augmentent substantiellement ses revenus, estimés à 2 millions d’euros par an : dès le début des années 2000, il est un des joueurs de rugby les mieux payés au monde. Entre 2003 et 2007, le joueur traverse pourtant une période difficile, marquée par de multiples blessures et 38 mois d’indisponibilité. Il ne jouera aucun match de l’équipe d’Angleterre entre les Coupes du monde 2003 et 2007, et certains observateurs le diront « fini ». « J’avais l’impression de perdre mon identité. Je me demandais sans cesse : qui suis-je sans le rugby ? », témoignera-t-il en 2010. En 2009, le président du RC Toulon, Mourad Boudjellal, fait le pari de le relancer et le convainc de signer un contrat de 2 ans. Wilkinson quitte alors son club de toujours et connaît une véritable « deuxième carrière », épargnée par les blessures et marquée par de nouveaux succès, tant en équipe nationale (Tournoi 2011) qu’en club (trois finales de championnat, deux finales de Challenge européen, deux finales de H-Cup). Après avoir pris sa retraite internationale en 2011, il prolonge son contrat à Toulon jusqu’à la fin de la saison 2013-2014, à l’issue de laquelle il rejoint le staff toulonnais. Jonny Wilkinson n’a pas encore dit adieu au rugby.

{Personnalité} Jonny Wilkinson, gentleman du rugby mondial

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Culture et société > PRINCIPALES RÉALISATIONS Champion du monde en 2003 avec l’équipe d’Angleterre, Jonny Wilkinson a également remporté le Tournoi des Six Nations à quatre reprises (2000, 2001, 2003, 2011) dont un Grand Chelem (2003). Champion d’Angleterre avec les Newcastle Falcons (1998), il l’est également avec le RC Toulon (2014), club avec lequel il remporte également deux fois la « H-Cup » européenne (2013, 2014). En 2003, il est meilleur marqueur de la Coupe du monde avec 113 points, et est élu « sportif de l’année » par la BBC, l’International Rugby Board (IRB) et la Professional Rugby Players Association. La même année, il devient le plus jeune joueur de rugby à XV à recevoir l’ordre de l’Empire britannique. Le 6 octobre 2007, il devient le plus grand marqueur de l’histoire de la Coupe du monde en butant quatre pénalités contre l’Australie. Lors du Tournoi des Six Nations 2008, il devient le premier joueur anglais et second joueur au monde à passer la barre des 1 000 points inscrits en match (record depuis dépassé par le néo-zélandais Dan Carter). Meilleur réalisateur du Top 14 en 2011-2012 et de la Coupe d’Europe en 2013-2014, il est sacré meilleur joueur européen de l’année 2013, dix ans après son titre de meilleur joueur du monde. Top 14 des meilleurs réalisateurs à l’issue de la phase régulière 350

Jonny Wilkinson (Toulon)

326

Rory Kockott (Castres)

265

James Hook (Perpignan)

244

Jérôme Porical (Stade français)

232

Camille Lopez (Bordeaux-Bègles) Luke McAlister (Toulouse)

190

Morgan Parra (Clermont)

186

Jonathan Wisniewski (Racing)

185

Conrad Barnard (Agen) Benoît Paillaugue (Montpellier)

179 167 Source : Rugbyrama

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{Personnalité} Jonny Wilkinson, gentleman du rugby mondial

{Personnalité}

Jérôme Kerviel par Raphaël Hodin

> PARCOURS Jérôme Kerviel a été, de 2000 à 2008, un collaborateur de la Société Générale. Il a été jugé seul responsable des pertes de la banque, découvertes en janvier 2008, et s’élevant à 4,8 milliards d’euros. Celles-ci résultent de ses prises de positions sur des contrats à terme, à hauteur d’environ 50 milliards d’euros. Né à Pont-l’Abbé, dans le Finistère, en 1977, Jérôme Kerviel passe un baccalauréat ES avant d’obtenir un DEUG en Sciences économiques à Quimper. Alors que sa mère tenait un salon de coiffure et que son père était artisan forgeron, il se destine à une carrière dans la finance après une maîtrise à l’IUP Banque et Finance de l’Université de Nantes et un mastère en management des opérations de marché à l’Université de Lyon. Cette dernière formation forme traditionnellement plutôt des contrôleurs des opérations, que des traders. Lors de son recrutement en 2000, par la Société Générale, il commence d’ailleurs au middle office (contrôle des opérations) avant de passer en 2005 trader au front office, en charge de contrats à terme sur les indices boursiers. Cette double expérience explique sa connaissance particulièrement aiguisée des outils de contrôles auquel il était soumis, en tant que trader. Lors de la publication des résultats de son exercice 2007, la direction de la Société Générale organise une conférence de presse afin de communiquer sur l’affaire dont elle se dit victime. Le 28 janvier 2008, d’après le P.-D.G., Daniel Bouton, un des collaborateurs de la banque aurait exposé la Société Générale à des engagements particulièrement risqués. Il accuse ce trader d’avoir outrepassé ses autorisations et dissimulé ces opérations en saisissant dans l’Intranet informatique de la banque des opérations fictives visant à les masquer. Lorsque les positions secrètes ont été mises à jour, début 2008, la Société Générale a préféré les « déboucler » au plus vite en vendant pour 60 milliards d’euros d’options en trois jours, entérinant une moins-value de 6,3 milliards d’euros, soit l’équivalent du bénéfice annuel du groupe pour l’année 2007. Jérôme Kerviel objectera que les positions prises n’avaient pu, par leur ampleur, échapper aux superviseurs de la banque. Il ajoutera que le montant des pertes découlait du « choix discutable » de la Société Générale de se débarrasser rapidement des positions prises, alors qu’un débouclage « au fil de l’eau » aurait significativement réduit les pertes. Le 5 octobre 2010, Jérôme Kerviel est reconnu coupable par le TGI (tribunal de grande instance) de Paris de tous les chefs d’accusation (faux, usage de faux, abus de confiance et introduction frauduleuse de données dans un système informatique) et est condamné à cinq ans de prison dont deux avec sursis, ainsi qu’à 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts pour la Société Générale. Le jugement dédouane intégralement la Société Générale. En 2012, la Cour d’appel de Paris confirme en tout point ce jugement de première instance.

{Personnalité} Jérôme Kerviel

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Culture et société > RÉALISATION DE L’ANNÉE Bénéficiant d’une certaine popularité sur les réseaux sociaux et fort du soutien de nombreuses personnalités (Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly, Monseigneur Di Falco ou encore Marie-Noëlle Lienemann), Jérôme Kerviel se rend à Rome pour rencontrer le pape François le 19 février 2014. À l’issue d’une audience générale, il parvient à échanger quelques mots avec le souverain pontif. À cette date, Jérôme Kerviel s’est pourvu en cassation et espère une invalidation du jugement confirmé en appel. Il décide le 24 février d’initier une marche pour son retour en France. Il décide donc de rejoindre Paris à pied, en dormant chez l’habitant pour sensibiliser l’opinion à la « tyrannie des marchés ». Il compte parcourir 1 400 km à pied, à raison de 15 à 30 km par jour, assurant ne pas vouloir fuir la justice. La veille de la décision de la Cour de cassation, Jérôme Kerviel se dit « serein », assurant que « marcher le vide de tout ». Le 18 mars 2014, la Cour de cassation confirme pourtant sa condamnation à trois ans de prison ferme mais annule les dommages et intérêts. Ses soutiens défendent alors Jérôme Kerviel en le dépeignant comme un « maillon de la chaîne d’un cas de négligence caractérisé de la part de la Société Générale, elle-même symbole d’une mondialisation financière à la dérive » et apparaissent dans les médias pour tenter de lui éviter l’incarcération. Le 15 mai, pourtant, le parquet général lui demande de se présenter au commissariat de Menton dans les 72 heures afin qu’il puisse purger sa peine. L’ancien trader annonce qu’il passera la frontière le 17 mai à 15 heures, afin de s’assurer d’une tribune médiatique. Après avoir menacé de rester en Italie si le chef de l’État refusait de l’entendre et de protéger les éventuels témoins qui souhaiteraient dénoncer certains manquements de la Société Générale, Jérôme Kerviel rejoint finalement Menton où il est arrêté, puis incarcéré à la maison d’arrêt de Nice. Le 23 mai, il est transféré à Fleury Mérogis pour y purger sa peine de prison. Il sera libérable au plus tard en septembre 2016 ou plus tôt au gré d’éventuelles réductions de peine accordées en fonction du comportement du détenu.

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{Personnalité} Jérôme Kerviel

{Débat}

La gastronomie française est-elle en déclin ? par Éric Juramy

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 28 avril 2014, Restaurant Magazine, une revue britannique, publiait son classement des meilleures tables du monde, fondé sur les votes de 900 experts internationaux. Eu égard à son statut, la France y est très faiblement représentée : aucun restaurant parmi les 10 premiers, et seulement 5 dans les 50 premiers. Pire, parmi ces 5 restaurants, seuls 2 sont triple étoilés au Guide Michelin. La question du déclin de la gastronomie française se retrouve cruellement posée dans les médias. Et l’inscription du « repas gastronomique des Français » au patrimoine mondial de l’UNESCO le 16 novembre 2010, claironné à travers le pays, résonne dès lors plus comme une oraison funèbre qu’un hommage à une tradition vigoureuse. En effet, depuis la fin des années 90, et la montée en puissance de la cuisine espagnole autour du mythique restaurant El Bulli tenu par le chef Ferran Adria, la question du déclin de la gastronomie française revient régulièrement. Des critiques américains comme Adam Gopnik dès 1997 (The New Yorker) et surtout Michael Steinberger (The New York Times, Slate) avec son livre Au Revoir to All That, livrent une analyse sans concession de la perte du goût et des bonnes tables en France. À noter que ces critiques ne sont pas neutres en termes d’impact financier, quand le tout-Manhattan parle de la décadence de la french cuisine et que les Américains constituent, dans le domaine du luxe, entre 20 et 25 % de la clientèle.

> ILLUSTRATIONS UÊ En une génération, le temps de préparation du repas familial français est passé de 88 minutes à 38 minutes. UÊ À cause des règles sanitaires européennes et des exigences de la grande distribution, seuls 10 % des fromages français sont encore au lait cru. Dans les années 50, la proportion était inverse (90 %). UÊ On comptait en France 30 % d’exploitations agricoles et viticoles dites « professionnelles » en 1970, contre 62 % en 2003. UÊ Sur la dernière décennie en France, le rendement du travail en restauration a nettement diminué. 100 euros dépensés dans la masse salariale donnaient en 2003 128 euros de valeur ajoutée, contre 118 euros en 2010. UÊ Selon une étude Eurogroup Consulting de 2011, seule la Suède présente un coût de maind’œuvre supérieur à la France dans le secteur de la restauration. L’octroi d’un des taux de TVA les plus faibles d’Europe (7 %) ne suffit pas à rendre le secteur compétitif.

{Débat} La gastronomie française est-elle en déclin ?

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Culture et société Nombre de restaurants français dans le classement de Restaurant Magazine

14 12 10 8 6 4 2

POUR

20 12 20 13 20 14

20 11

20 10

09 20

08 20

07 20

06 20

05 20

20

04

0

Michael Steinberger avance plusieurs faits pour expliquer la situation actuelle de la gastronomie française. UÊ Tout d’abord son conservatisme, emblématisé par quelques chefs star comme Alain Ducasse ou Paul Bocuse, qui passent plus de temps à entretenir leurs empires personnels qu’à innover derrière les fourneaux. En clair depuis la Nouvelle Cuisine (et ses caricaturales immenses assiettes blanches accueillant quelques petits légumes), il ne s’est plus rien passé à l’ombre des grands chefs. Incapable de saisir les attentes d’une clientèle bien moins protocolaire, la grande cuisine française s’est réfugiée derrière les critères passéistes du fameux Guide Michelin, où le nombre de serveurs en salle, la sur-décoration ou encore la taille des toilettes sont le plus sûr moyen de monter d’un cran. UÊ Autre fait marquant, le désapprentissage chez les Français du goût pour les bonnes choses : la transmission entre générations des savoir-faire dans ce domaine n’est plus assurée, et la production alimentaire de qualité, écrasée par la grande distribution française (autre spécialité nationale), a été progressivement abandonnée au profit d’un modèle productiviste. Dans un tel contexte, pas étonnant que la filiale française de la chaîne de fast-food McDonald’s soit la deuxième plus rentable, ni que la filière de la restauration soit frappée de plein fouet par une crise des vocations et un « enseignement contaminé par le syndicalisme du droit contre le professionnalisme du devoir » (Perico Legasse, Marianne).

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{Débat} La gastronomie française est-elle en déclin ?

Culture et société UÊ Enfin, la crise profonde que traverse la gastronomie française est aussi celle de son modèle économique. En cuisine, les charges extrêmement lourdes qui pèsent sur la main-d’œuvre mettent les chefs face à un dilemme peu ragoûtant : rogner sur la qualité et le travail des produits ou voir leurs comptes dans le rouge. En salle, le manque de renouvellement des élites françaises ne permet pas la venue d’une clientèle jeune et solvable, seule capable d’insuffler (et de soutenir) des pratiques moins orthodoxes. En conséquence, de très grands chefs se retrouvent au bord de la faillite (comme Marc Veyrat en 2004) quand d’autres préfèrent abandonner la course à l’excellence et « rendent leurs étoiles » (Alain Senderens en 2005).

CONTRE

UÊ La gastronomie française n’est pas en déclin, bien au contraire. Elle serait plutôt victime de son succès. Car la gastronomie française est, avant même la qualité des produits qu’elle mobilise, fondée sur une grammaire qui s’est diffusée à travers le monde… réduisant ainsi (et c’est tant mieux) l’hégémonie française. UÊ Ainsi l’écrasante majorité des grands chefs primés par Restaurant Magazine est passée par la France pour y faire ses gammes, à tel point que ce classement pourrait être requalifié en « classement des restaurants inspirés par la cuisine française ». UÊ Aussi, la thèse décliniste n’est pas sans paradoxe : en même temps qu’on blâme le manque d’innovation d’une cuisine française « ringarde et passéiste », on dénonce aussi la perte des traditions et du goût des bonnes choses. UÊ Or l’innovation pour l’innovation, symbolisée par les excès de la cuisine moléculaire (et ses cohortes de clients malades, de l’Angleterre à la Catalogne), semble faire passer le repas de ce moment d’exquise convivialité au show transgressif, avec l’épate comme unique pierre de touche. Et pour parler de modèle économique, on notera que ces restaurants « innovants » ne sont pas rentables en soi, et qu’ils sont abondamment financés… par des grands groupes alimentaires. UÊ Évidemment un certain passéisme, notamment dans la façon de servir et présenter les plats, nuit à l’image de chefs français perçus comme perchés sur leur piédestal, arrogants détenteurs de la vérité culinaire. A contrario chez le 1er du classement de Restaurant Magazine, Noma, à Copenhague, les cuisiniers viennent eux-mêmes servir les plats et les expliquer. Pour autant, la France n’est pas non plus rétive à ces nouvelles façons d’aborder le repas. Sa « bistronomie », alliance d’exigence gastronomique et de décontraction bistrotière, très dynamique, rencontre un succès croissant. Et ce sont même des talents du monde entier qui viennent en France participer au mouvement en ouvrant des enseignes à prix raisonnables dans des quartiers moins huppés. {Débat} La gastronomie française est-elle en déclin ?

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Culture et société UÊ Car à trop se focaliser sur la nouveauté, et faire de Barcelone, Londres ou Copenhague les nouveaux centres de la gastronomie mondiale, les critiques oublient le succès constant, croissant, d’un autre héritage : celui de la cuisine italienne (et méditerranéenne en général). Une cuisine qui met le produit, l’authenticité et la simplicité au cœur de tout. Entre les fulgurances de la cuisine moléculaire, et l’intégrité absolue du mouvement Slow Food (né en Italie), la bistronomie française construit patiemment une synthèse riche, mondiale et surtout pleine de promesses.

162

{Débat} La gastronomie française est-elle en déclin ?

PARTIE 4

Sciences, technologie et innovation

Janv.

Juin

Plaidoyer anti-brevets d’Elon Musk : il met à la disposition de tous, gratuitement, l’intégralité des brevets de Tesla Motors (constructeur automobile de voitures électriques)

Mai

Juin

Avril

Restaurant Magazine dévoile son classement des 50 meilleurs établissements au monde : aucun restaurant français parmi les 10 premiers et seulement 5 dans les 50 premiers

Mars

Samsung lance SAMI S (plateforme (p plateforme ouverte ddestinée à recueillir les ddonnées de santé) et son bracelet connecté SIMBAND

2277 mai

Juil.

Août

Sept.

Le virus Ebola a fait 2803 mortss (dont la moitié au Liberia)

Fin septembre

Oct.

Nov.

Déc.

La sonde spatiale Rosetta (lancée en 2004 par l’Agence spatiale européenne) envoie le robot Philae sur la comète Tchourioumov-Guérassimenko (située à 511 millions de km de la Terre)

12 novembre

Des drones survolent 7 sites nucléaires d’EDF. Entre 2010 et 2014, l’entreprise Parrot a vendu 700 000 drones à des civils

Octobre

Apple annonce la sortie pour début 2015 de l’i-Watch (montre bracelet connectée équipée de capteurs biométriques avancés)

9 septembre

L’OMS décrète l’urgence sanitaire mondiale face à l’épidémie d’Ebola

8 août

IBM et Apple annoncent leur alliance dans l’offre de big data

Juillet

28 avril

Fév.

Le Groupe international d’experts sur le climat (GIEC) rend son 5e rapport sur l’évolution du climat : le bilan est plutôt alarmant

Avril

Chronologie 2014 Sciences, technologie et innovation

Sciences, technologie et innovation

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{Actualité}

Ebola : vers un retour des grandes épidémies ? par Éric Juramy

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 8 août 2014, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décrète l’urgence sanitaire mondiale face à l’épidémie d’Ebola la plus étendue et la plus dangereuse de l’histoire. Le comité des experts de cette branche de l’ONU demande « une réponse internationale coordonnée ». Le 12 août 2014, ce même comité autorise l’usage étendu de traitements non-homologués pour lutter contre l’ebolavirus. Les premiers cas recensés remontent au 6 décembre 2013 dans un village reculé du sud-est de la Guinée, au carrefour du Liberia et de la Sierra Leone. Le virus se propage ensuite dans toutes les directions. Le 10 mars, le laboratoire P4 Jean Mérieux de Lyon identifie formellement le virus Ebola à partir de prélèvements guinéens. La capitale Conakry est atteinte le 22 mars. L’OMS confirme ensuite l’arrivée de l’épidémie au Liberia (31 mars), et en Sierra Leone (22 mai). Le 25 juillet, le virus atteint Lagos au Nigeria, la ville plus peuplée d’Afrique. Fin septembre 2014, on dénombrait 2803 morts, pour moitié au Liberia, dont le ministre de la Défense déclarait au Conseil de sécurité de l’ONU que « l’existence [de son pays] est gravement menacée ». Le rythme de l’épidémie est qualifié d’exponentielle, et les prévisions sont pessimistes. Le personnel médical, en nombre insuffisant (voir ci-dessous), est très sollicité. Surexposé aux malades, il paie un lourd tribut avec plus de 300 morts. Si l’espoir d’un traitement s’est fait jour avec le Z-Mapp développée par une entreprise biotech de San Diego (États-Unis), les quantités productibles sont à moyen terme minimes. Et si deux projets de vaccins sont désormais en cours, l’un mené par GlaxoSmithKline, l’autre par Johnson&Johnson, ceux-ci n’en sont qu’à des stades précoces de recherche.

> ILLUSTRATIONS UÊ Le virus Ebola tient son nom d’une rivière du Zaïre au bord de laquelle il a été isolé pour la première fois, en 1976. UÊ La maladie, une fièvre hémorragique, met entre 7 et 21 jours à se déclarer. En deçà, elle est asymptomatique et non contagieuse, et au-delà, devient contagieuse via les « 5S » : sang, salive, sueur, sperme et selles. UÊ Son taux de létalité est particulièrement élevé : jusqu’à 90 %. Les taux constatés pour l’épidémie en cours s’élèvent à 70 %. UÊ Une étude de l’Université d’Oxford révèle que 70 millions de personnes de 20 pays d’Afrique sont pourraient être concernées en 2014-2015. 166

{Actualité} Ebola : vers un retour des grandes épidémies ?

Sciences, technologie et innovation UÊ ONU quant à elle évalue à 20 000 le nombre de contaminés d’ici à fin 2014 : 40 % au Liberia, 34 % en Sierra Leone, 16 % en Guinée. UÊ Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de développement, estime l’impact sur le PIB des pays touchés entre -2,5 % et -4 %. UÊ L’endiguement d’Ebola est compliqué par plusieurs facteurs : – organisationnels : les structures de santé des pays concernés sont largement défaillantes, notamment au Liberia et en Sierra Leone, récemment ravagés par des guerres civiles de 10 ans ; – socio-culturels : les rites funéraires régionaux, qui comportent un contact d’adieu aux défunts, ont, dans un premier temps du moins, contribué à accélérer la contagion. Les messages de santé publique sont brouillés par des rumeurs alliant remèdes fantaisistes et conspiration de l’Occident. Enfin, le protocole de prise en charge des patients, impressionnant (personnel médical masqué, ganté, sas de désinfection) et le peu de chances de survie rend les personnes développant des symptômes réticentes à se déclarer ; – économiques : dans une économie de subsistance, les déplacements informels sont aussi nombreux que vitaux, et plus difficiles à remettre à plus tard. Nombre de médecins pour 100 000 habitants (2008-2012) 400

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source : www.statistiques-mondiales.com

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ENJEUX

UÊ La gestion de l’épidémie en question L’épidémie de virus Ebola en Afrique de l’Ouest est emblématique de toutes les lacunes posées par la gestion des épidémies au niveau mondial. L’absence de structure intermédiaire capable de réagir et d’émettre des propositions efficaces est en effet criante : – au niveau mondial, l’OMS a mis 6 mois à mettre sur pied un plan d’action, et 8 mois à déclarer l’épidémie ; – au niveau régional, l’Union africaine (UA) est restée muette jusqu’au début du mois de septembre, quand chacun de ses pays a opté pour la mise en place de cordons sanitaires (fermeture des frontières, mise en quarantaine, expulsion de ressortissants) jugés contre-productifs par les spécialistes. Et c’est le Maroc, qui n’est pas membre de l’Union africaine (cf. conflit du Sahara occidental), qui est resté le seul, via sa compagnie aérienne RAM, à desservir les capitales des principaux pays concernés. Concernant les ONG, le faible nombre de victimes initial a contribué à l’attentisme. Si Médecins Sans Frontières a réagi en Guinée dès février 2014, elle est restée en pratique la seule à faire face pendant 6 mois, tout en gérant sur place la difficulté croissante d’acheminement des hommes et des matériels. La communauté internationale a visiblement failli à cerner les facteurs cruciaux qui ont donné toute son ampleur à cette épidémie, en ne proposant qu’une aide morale et technique, quand le souci principal des pays touchés gît dans leur incapacité d’agir de manière efficace en tant qu’États régaliens solides. En définitive, le même virus n’a pas produit les mêmes effets, selon que polices, armées et systèmes de santé étaient faibles (Nigeria) ou inexistant (Liberia). Car, même en prenant en compte les probables sous-déclarations des cas, et un worse case scenario à 1,5 million de malades au 1er janvier 2015, le CDC américain (Centre de contrôle et de prévention des maladies, basé à Atlanta) estime qu’avec une inhumation sécurisée des patients décédés et un taux de prise en charge des malades de 70 %, l’épidémie pourrait être jugulée en 4 mois. Le déploiement américain dans la zone de 3 000 militaires dotés d’importants moyens médicaux, annoncé par Barack Obama le 16 septembre 2014, est donc une réponse bien plus pertinente à la situation. Notons qu’à la décharge des pays occidentaux, ce type d’actions se heurte au principe de non-ingérence, principe d’autant plus fort qu’en apparence, ni Guinée, ni Liberia, ni Sierra Leone ne sont des pays en guerre. UÊ L’avènement des épidémies de la peur ? SRAS, H5N1, H7N9, MERS-Coronavirus et enfin Ebola, les épidémies virales défraient régulièrement la chronique, semant panique et interruption des échanges économiques dans les pays où ils se développent (Chine, Vietnam, Mexique, Moyen-Orient).

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{Actualité} Ebola : vers un retour des grandes épidémies ?

Sciences, technologie et innovation À ce titre la dernière épidémie d’Ebola semble hélas constituer le paroxysme de ces « épidémies de la peur », comme a pu l’être celle de la peste noire dans l’Europe du Moyen Âge. Pillage d’un centre de traitement des malades dans la capitale du Liberia, Monrovia, massacre à la machette d’une équipe médicale de prévention accompagnée de journalistes en Guinée, double journée de quarantaine générale déclarée en Sierra Leone : les images de l’épidémie marquent l’inconscient collectif et engendrent à leur tour l’inquiétude dans les pays développés. Car le rythme d’apparition de ces affections, à forte létalité mais pour l’instant peu contagieuse, semble s’être accéléré ces dernières années. L’humanité reste sous la menace d’une pandémie comme celle de la grippe espagnole (1918), qui avait à elle seule fait entre 50 et 100 millions de morts, soit plus que la Première Guerre mondiale. Les études les plus récentes soupçonnent à chaque fois un réservoir naturel commun : la chauve-souris. L’écoépidémiologie semble être la suivante : les chauves-souris, porteuses saines, contaminent d’autres animaux (singes, poules, chameaux) qui eux-mêmes contaminent les hommes. Or les chauves-souris représentent à elles seules 20 % des mammifères du globe. Certaines organisations, comme EcoHealth, proposent de considérer la santé non pas du seul point de vue de l’homme, mais comme un tout (santé humaine, animale et environnementale). Elles soulignent que les foyers de contamination correspondent à des endroits où la pression de l’activité humaine (étalement urbain, routes) croît rapidement, bouleversant les écosystèmes et favorisant contaminations inédites entre les espèces. La crainte ultime étant qu’un virus hautement pathogène comme Ebola se recombine de telle manière que sa contagion se fasse par voies aériennes. Cauchemar auquel un laboratoire de Rotterdam, dirigé par le professeur néerlandais Ron Fouchier, a donné une réalité (sous haute surveillance), au prétexte de mener des recherches plus ciblées contre ce genre de maladies. Un acte qui n’a pas manqué de diviser profondément la communauté scientifique.

{Actualité} Ebola : vers un retour des grandes épidémies ?

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{Débat}

Faut-il interdire l’exploitation des gaz de schistes ?

par Éric Juramy

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Les gaz de schistes sont contenus dans les roches poreuses de grande profondeur (roches de schistes), sous les nappes phréatiques (200 à 4 000 mètres). Pour être exploités, ces gaz dits non-conventionnels nécessitent l’application d’une technique d’extraction complexe, la fracturation hydraulique (fracking en anglais). Celle-ci consiste à forer verticalement jusqu’aux schistes, puis à les percer horizontalement sur une distance de plusieurs centaines de mètres, et à y injecter un mélange d’eau, de sable et d’additifs chimiques qui fracturent la roche et libèrent les gaz. Ceux-ci remontent alors en surface le long du forage, souvent accompagnés de pétrole. Coûteuse, assez peu performante (seuls 20 % des gaz d’un gisement donné sont récupérés, contre 73 % pour un gisement conventionnel), l’exploitation des gaz de schistes a été rendue rentable par l’augmentation générale du prix des matières premières constatée sur les deux dernières décennies. En France, la loi Jacob du 13 juillet 2011, votée sous la pression d’élus et d’association écologistes, interdit la fracturation hydraulique sur tout le territoire français. Le 9 juillet 2013, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, se déclare à l’Assemblée nationale en faveur d’une exploitation « écologique » des gaz de schistes, par le biais d’une compagnie nationale. Son intervention est contredite le 11 juillet 2013 par Jean-Marc Ayrault, qui réaffirme qu’« il est exclu aujourd’hui d’exploiter des gaz de schistes en France ». Dans son discours télévisé du 14 juillet 2013, François Hollande va plus loin : « tant que je suis président, il n’y aura pas d’exploration de gaz de schiste », fermant ainsi la porte à l’idée même d’une évaluation des ressources de gaz non-conventionnels français et à des expérimentations in situ. Dans le monde économique, les résultats impressionnants obtenus par les États-Unis grâce à l’exploitation intensive des gaz de schistes (prix du gaz divisés par 3 en 4 ans, création de 600 000 emplois directs ou indirects sur la seule année 2010) poussent les partenaires sociaux à recommander vivement la poursuite de la recherche sur l’exploitation des gaz de schistes dans un rapport commun sur la croissance. La polémique risque toutefois d’être ravivée en France avec les conséquences du rejet en octobre 2013 par le Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la société américaine Schuepbach sur la loi Jacob, arguant que la fracturation hydraulique, employée également en géothermie profonde, ne semble poser problème que pour le gaz de schiste. Cette société demande des dédommagements suite à l’abrogation de ses permis de forer, en notant l’absence de mise en place de commission d’évaluation des différentes techniques d’extraction, pourtant prévues par la loi.

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{Débat} Faut-il interdire l’exploitation des gaz de schistes ?

Sciences, technologie et innovation > ILLUSTRATIONS Part des gaz de schistes dans la production gazière des États-Unis (en %) 60 50 40 30 20 10 0 2000

2010

2030 Source : Agence internationale de l’énergie.

UÊ Les réserves de gaz de schiste estimées sur la planète sont de 207 000 milliards de m3 (soit l’équivalent des 208 400 milliards de m3 de gaz conventionnels estimées en 2011). Les principaux pays détenteurs seraient la Chine (36 000 milliards de m3), l’Argentine (23 000 milliards), l’Algérie (20 000 milliards) et les États-Unis (19 000 milliards). UÊ La France, avec 5 100 milliards de m3 de réserves estimées, serait le premier pays détenteur dans l’Union européenne, devant la Pologne (4 000 milliards). UÊ En 2009, l’exploitation des gaz conventionnels a permis aux États-Unis de ravir à la Russie la 1re place des producteurs gaziers dans le monde. En 2011, la production américaine atteignait 651 milliards de m3 (contre 607 milliards pour la Russie). UÊ Les États-Unis devraient dépasser la production de pétrole de l’Arabie Saoudite en 2020, pour atteindre l’autosuffisance énergétique en 2035. Attirée par ces perspectives, la Chine a lancé en 2012 un programme dont l’objectif est d’extraire 100 milliards de m3 en 2020.

POUR

UÊ La fracturation hydraulique est un procédé gourmand en ressources, polluant et mal maîtrisé. Il n’a pas d’alternative crédible en l’état actuel des connaissances. UÊ Un jury de Dallas a d’ailleurs reconnu les torts causés à une famille du Texas par les activités de la société Aruba Petroleum, en lui accordant près de 3 millions de dollars d’indemnités pour des affections respiratoires, des saignements à répétition, nausées, et éruptions cutanées. UÊ Pour exploiter chaque puits, il faut utiliser jusqu’à 20 000 m3 d’eau, ce qui pèse significativement sur les ressources hydrauliques employées pour l’agriculture ou la consommation humaine. {Débat} Faut-il interdire l’exploitation des gaz de schistes ?

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Sciences, technologie et innovation UÊ Pour atteindre les schistes, les forages traversent les nappes phréatiques dont dépendent cultures vivrières et population. Les risques de pollution de celles-ci sont donc élevés, ce que corroborent plusieurs études menées aux États-Unis. UÊ Les additifs chimiques employés (biocides notamment) menacent gravement l’équilibre des écosystèmes à travers lesquels le forage est effectué. UÊ Les gaz de schistes libérés ne sont pas tous captés : du méthane est ainsi libéré en abondance par chaque exploitation, contribuant à l’effet de serre. UÊ Le contexte de production américain n’est pas transposable à la France. Selon une étude datant de 2013 de Bloomberg News Energy Finance, un puits coûterait en Europe, à production égale, deux à trois fois plus cher qu’aux États-Unis.

CONTRE

UÊ Le boom des gaz de schistes aux États-Unis est un démenti cinglant pour tous ceux qui annoncent depuis 30 ans l’extinction des ressources naturelles de la planète à brève échéance. Ces ressources sont certes finies, mais l’innovation arrive non seulement à en exploiter une part toujours plus importante, mais aussi à en découvrir de nouvelles. S’interdire l’accès à ces ressources est un comportement malthusien, incohérent avec le respect croissant de la vie humaine sur Terre, et l’augmentation générale des besoins qui l’accompagne. UÊ Les risques généralement mentionnés par les adversaires des gaz de schistes sont réels. Ceci posé, tout risque doit être considéré à l’aune des gains attendus. 62 000 emplois durables en France pourraient résulter de l’exploitation des gaz de schistes. Les réserves de la France, représentant 109 ans de sa consommation de gaz, permettraient sans difficulté aux gaz de schistes d’atteindre 12 % de l’énergie produite. Ceci à l’heure même où le prix de l’énergie est un enjeu important de la compétitivité industrielle. L’expérience américaine montre que les problèmes écologiques signalés ici ou là n’ont pas remis en cause le principe même de l’exploitation à grande échelle du gaz de schiste. UÊ C’est le principe de précaution posé comme un absolu qui est dangereux. Comment analyser un procédé que l’on a jamais pratiqué ? Comment améliorer une technique sans permettre l’expérimentation ? Comme pour les OGM, la France s’enlise dans des débats théoriques stériles au détriment de recherches et d’essais à grande échelle qui seuls lui permettront de valider ou non la voie choisie entre autres par les États-Unis.

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{Débat} Faut-il interdire l’exploitation des gaz de schistes ?

{Actualité}

Le rapport du GIEC : une accélération inéluctable du changement climatique ?

par Ariane Cronel

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Au mois d’avril 2014, le Groupe international d’experts sur le climat (GIEC) a rendu son 5e rapport sur l’évolution du climat. Composé de trois parties, il traite successivement de l’état des connaissances scientifiques sur le réchauffement, de l’impact et l’adaptation du changement climatique en cours sur les sociétés et écosystèmes, et des mesures d’atténuation de ce dérèglement climatique. Le précédent rapport datait de 2007. Compilant près de 20 000 études et projections scientifiques effectuées par plus de 800 chercheurs, le rapport du GIEC dresse des perspectives plus sombres encore que ses prédécesseurs : « La probabilité d’impacts graves, étendus et irréversibles s’accroît avec l’intensification du réchauffement climatique », concluent les experts.

> ILLUSTRATIONS UÊ En Amérique du Sud, la masse des glaciers de la Cordillère des Andes a été divisée par deux en trente ans. UÊ La fonte des neiges et des glaces sur les pôles a entraîné une augmentation du niveau de la mer de 3 mm par an depuis 2001, soit deux fois plus que l’augmentation moyenne au xxe siècle (1,6 mm par an). UÊ La teneur de l’atmosphère en dioxyde de carbone à l’échelle du globe a atteint le cap symbolique des 400 parties par million (ppm) en mai 2013, un record depuis plusieurs millions d’années. Au début de l’ère industrielle, cette concentration était de 280 ppm. UÊ En avril 2014, pour la première fois, la concentration de CO2 a dépassé ce niveau durant un mois entier. UÊ Le scénario le plus pessimiste du dernier rapport du GIEC table sur une concentration en CO2 d’environ 900 ppm en 2100. UÊ Pour limiter le réchauffement climatique à 2° il faudrait réduire les émissions de CO2 de 5,1 % chaque année jusqu’en 2050. UÊ Entre 2000 et 2011, l’intensité en carbone – le rapport entre l’émission de CO2 et le PIB – a diminué d’environ 0,8 % par an. Il faudrait une réduction annuelle de 5 % pour contenir le réchauffement. UÊ À l’échelle mondiale, 150 millions de personnes vivent dans des zones susceptibles de disparaître sous l’eau d’ici la fin du siècle ; au total, les institutions internationales estiment que 500 millions de personnes pourraient être obligées de migrer d’ici 2050.

{Actualité} Le rapport du GIEC : une accélération inéluctable du changement climatique ?

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Sciences, technologie et innovation UÊ L’ONU estime que la croissance démographique et l’augmentation du taux d’urbanisation conduiront à une croissance de la consommation d’eau de 30 %, de nourriture de 50 % et de plus de 40 % de l’énergie d’ici 2030. UÊ En France, un sondage souligne que seuls 31,6 % des Français sont prêts à payer plus cher une énergie plus propre.

ENJEUX

UÊ Les énergies fossiles à l’origine de la crise climatique Les experts du GIEC estiment désormais « extrêmement probable » – c’est-àdire avec une probabilité supérieure à 95 % – que l’élévation de la température terrestre relevée depuis le milieu du XXe siècle est bel et bien le fait de l’accumulation des gaz à effet de serre d’origine humaine. Cette probabilité était évaluée à 90 % dans le précédent rapport. Or, croissance et diminution d’émission de gaz carbonique sont difficilement conciliables. La Chine a ainsi émis 9,4 % de carbone en plus entre 2010 et 2011, l’Inde, l’Argentine, la Turquie ont tous augmenté de plus de 6 % leurs émissions. En outre, produire de l’énergie propre coûte cher et la tentation du recours aux énergies fossiles, moins chères, redevient forte en période de crise économique. Après un court répit, les émissions mondiales de CO2 sont ainsi reparties à la hausse depuis 2011. Les experts du GIEC indiquent que limiter d’ici la fin du siècle la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère à 450 partie par million (ppm) – valeur associée par les scientifiques à un réchauffement de 2 °C – suppose de réduire les émissions mondiales entre 40 % et 70 % d’ici 2050 et de les ramener à un niveau « proche de zéro » d’ici à 2100. Cet objectif ne pourra être atteint que si le recours aux énergies peu carbonées (énergies renouvelables, énergie nucléaire) est triplé voire quadruplé d’ici 2050. Le secteur de l’énergie représente aujourd’hui 35 % des émissions de CO2, devant l’agriculture et la forêt (24 %), l’industrie (21 %) et les transports (14 %). Or, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la demande énergétique mondiale pourrait augmenter de plus de 30 % d’ici à 2030 en l’absence de politiques publiques coordonnées en ce domaine. Cette demande est amplifiée par les poussées démographiques que connaissent les pays émergents, notamment Chine et Inde. L’AIE estime en outre qu’en 2030 les énergies fossiles représenteront encore 80 % des énergies utilisées. UÊ Crise climatique et pouvoir politique La crise récente en Ukraine est venue rappeler à quel point la maîtrise des ressources énergétiques constituait un levier politique. Aussi les grandes puissances mondiales commencent-elles à investir le nouveau marché des énergies vertes. Si la Russie reste pour le moment focalisée sur les

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{Actualité} Le rapport du GIEC : une accélération inéluctable du changement climatique ?

Sciences, technologie et innovation énergies traditionnelles (notamment le gaz), États-Unis et Chine investissent massivement dans les hydrocarbures non conventionnels (gaz de schistes) pour les premiers, et dans le photovoltaïque pour la seconde. Grâce au gaz de schiste, les États-Unis sont ainsi passés de 4e importateur mondial de gaz naturel à la 6e place. Entre 400 000 et 650 000 emplois auraient été créés par les Américains grâce à l’exploitation de cette nouvelle ressource entre 2007 et 2012. L’Europe semble aujourd’hui à la traîne de ce mouvement. Alors que la construction européenne a été portée, dès l’origine, par la création d’un marché commun de l’énergie (communauté européenne du charbon et de l’acier – CECA – et EURATOM), il n’existe aujourd’hui aucune politique énergétique commune. De surcroît, après avoir été moteur dans la lutte contre le dérèglement climatique, en jouant un rôle clé dans la signature du protocole de Kyoto (1997) et en mettant en place un marché des émissions carbone à l’échelle du continent, l’Europe semble aujourd’hui remettre ses ambitions énergétiques et écologiques à « l’après-crise ». L’échec du marché carbone et des négociations internationales sur le climat (Copenhague en 2009) ont affaibli le poids de l’Europe dans ce domaine sur la scène internationale. Investir dans les énergies renouvelables devient donc pour l’Europe un enjeu aussi bien économique que politique et climatique : plus de la moitié de l’énergie consommée dans l’Union européenne est importée alors même que le prix du baril de pétrole est passé de 10 dollars en 1999 à plus de 100 dollars en 2014. L’augmentation des besoins énergétiques contribue fortement au déséquilibre des balances commerciales, notamment en France.

{Actualité} Le rapport du GIEC : une accélération inéluctable du changement climatique ?

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Elon Musk par Arnaud Labossière « Salut à tous. Je m’appelle Elon Musk. Je suis le fondateur de SpaceX. Dans cinq ans, vous êtes morts. »

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{Personnalité} Elon Musk

Sciences, technologie et innovation

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> RÉALISATIONS DE L’ANNÉE +՜ˆÊ`iÊ«ÕÃÊ>LÃÕÀ`iʵÕiÊ`iÊ`iۜˆÀÊv>LÀˆµÕiÀ]Ê«œÕÀÊV…>µÕiʏ>˜Vi“i˜Ì]Ê՘iʘœÕÛiiÊvÕÃjiÊ «Õ̞ÌʵÕiÊ`iÊVÀjiÀÊ`iÃÊvÕÃjiÃÊÀjṎˆÃ>LiÃÊ¶Ê œ˜ÊÕÎÊ>Ê>˜˜œ˜Vjʏ>ʓˆÃiÊ>ÕÊ«œˆ˜ÌÊ«ÀœV…>ˆ˜iÊ `iÊ vÕÃjiÃÊ ÀjṎˆÃ>LiÃÊ µÕˆÊ `jVœi˜ÌÊ «ÕˆÃÊ ÃiÊ «œÃi˜ÌÊ ÛiÀ̈V>i“i˜Ì°Ê ˆ˜Ãˆ]Ê ˆÊ ˜iÊ ÀiÃÌiÀ>ˆÌÊ «ÕÃʵսDÊ«>ÞiÀʏiÊV>ÀLÕÀ>˜ÌÊ­ä]ÎʯÊ`ÕÊ«ÀˆÝÊ`iʏ>˜Vi“i˜Ì®ÊiÌÊ«>ÃÊDÊV…>µÕiʏ>˜Vi“i˜ÌÊ՘iÊ ˜œÕÛiiÊvÕÃji°Ê-«>Vi8Ê«œÕÀÀ>Ê`œ˜VÊ`iÛi˜ˆÀʏiÊlow costÊ`iʏ>ÊVœ˜µÕkÌiÊë>̈>iÊiÌÊ`ˆÃÌ>˜ViÀÊ `jw˜ˆÌˆÛi“i˜ÌÊÃiÃÊVœ˜VÕÀÀi˜ÌÃ°Ê ˜ÊÓä£{]ʈÊ>ʓk“iÊ>ÌÌ>µÕjÊi˜ÊÕÃ̈ViʏiÊ}œÕÛiÀ˜i“i˜ÌÊ`iÃÊ Ì>ÌÇ1˜ˆÃÊ«œÕÀÊÌi˜ÌiÀÊ`iÊLÀˆÃiÀʏiʓœ˜œ«œiÊ`iÃʏ>˜Vi“i˜ÌÃÊ`iÊÃ>ÌiˆÌiÃʓˆˆÌ>ˆÀiÃÊ>VVœÀ`jÊ DÊ`½>ÕÌÀiÃÊi˜ÌÀi«ÀˆÃiÃÊ`œ˜ÌÊ œiˆ˜}ÊiÌÊœVŽ…ii`Ê>À̈˜° 1˜Ê>ÕÌÀiÊ«ÀœiÌÊi˜ÊVœÕÀÃÊ`iÊ`jÛiœ««i“i˜ÌÊiÃÌʏ>ʈ}>v>V̜ÀÞÊ`iÊ/iÏ>ʜ̜ÀÃÊ>ÕÝÊÌ>ÌÇ1˜ˆÃÊ «œÕÀÊ«Àœ`ՈÀiÊ«ÕÃÊ`iÊL>ÌÌiÀˆiÃÊiÌ]ÊÃÕÀ̜ÕÌ]ʓœˆ˜ÃÊV…iÀ°Ê*œÕÀÊVi>ʏ½i˜ÌÀi«ÀˆÃiÊýiÃÌÊ`œÌjiÊ`½Õ˜Ê LÕ`}iÌÊ`iÊxʓˆˆ>À`ÃÊ`iÊ`œ>ÀðÊ1˜iÊvœˆÃÊViÌÌiÊÕȘiÊv>LÀˆµÕji]ʈÊiëmÀiÊ«œÕۜˆÀÊ>“i˜iÀÊ ½ˆ˜`ÕÃÌÀˆiÊ>Õ̜“œLˆiÊDÊ̜ÕÀ˜iÀʏ>Ê«>}iÊ`ÕÊ«jÌÀœi°Ê ˜ÊÓä£{]Ê œ˜ÊÕÎÊ>Ê>ÕÃÈÊvÀ>««jʏiÃÊ iëÀˆÌÃÊi˜Ê“iÌÌ>˜ÌÊDʏ>Ê`ˆÃ«œÃˆÌˆœ˜Ê`iÊ̜ÕÃ]Ê}À>ÌՈÌi“i˜Ì]ʏ½ˆ˜Ìj}À>ˆÌjÊ`iÃÊLÀiÛiÌÃÊ`iÊ/iÏ>°Ê ½Õ˜Ê«œˆ˜ÌÊ`iÊÛÕiÊVœ““iÀVˆ>ÊViÊ}iÃÌiÊý>««>Ài˜ÌiÊDÊ՘ÊÃՈVˆ`iÊ\ʏiÃÊLÀiÛiÌÃÊ`iÊ/iÏ>ÊÕˆÊ «iÀ“iÌÌi˜ÌÊ`iÊVœ˜ÃiÀÛiÀÊܘÊ>Û>˜ViÊiÌÊ>ÃÃÕÀi˜ÌÊ`iʍÕÌiÕÝÊ«ÀœwÌðÊ>ˆÃʏ½i˜ÌÀi«Ài˜iÕÀÊۜˆÌÊ iÃÊV…œÃiÃÊ>ÕÌÀi“i˜ÌÊ\ʏiÃÊVœ˜VÕÀÀi˜ÌÃʘiÊܘÌÊ«>ÃʏiÃÊ>ÕÌÀiÃÊۜˆÌÕÀiÃÊjiVÌÀˆµÕiÃʓ>ˆÃʏiÃÊ ÛœˆÌÕÀiÃÊ DÊ «jÌÀœi°Ê Ê v>ÕÌÊ «ÀjVˆ«ˆÌiÀÊ >Ê ÌÀ>˜ÃˆÌˆœ˜Ê j˜iÀ}j̈µÕiÊ }À@ViÊ DÊ >Ê vœÀ“>̈œ˜Ê `½Õ˜iÊ «>ÌivœÀ“iÊ `½ˆ˜˜œÛ>̈œ˜Ê À>«ˆ`iÊ ­µÕiÊ iÃÊ LÀiÛiÌÃÊ i“«kV…iÀ>ˆi˜Ì®°Ê ½iÃÌÊ ViÊ µÕ½ˆÊ >««iiÊ Ê½>VVjjÀ>̈œ˜Ê`iʏ½ˆ˜jۈÌ>Liʂ°Ê*œÕÀʏ>ÊL>˜µÕiÊœÀ}>˜Ê-Ì>˜iÞ]Ê/iÏ>ÊiÃÌÊÃÕÀʏiÊ«œˆ˜ÌÊ`iÊ `iÛi˜ˆÀʁʏiÊVœ˜ÃÌÀÕVÌiÕÀÊ>Õ̜“œLˆiʏiÊ«ÕÃʈ“«œÀÌ>˜ÌÊ`Õʓœ˜`iʂ° ½Õ˜Ê «œˆ˜ÌÊ `iÊ ÛÕiÊ “j`ˆ>̈µÕi]Ê œ˜Ê ÕÃŽÊ iÃÌÊ i˜Ê ÌÀ>ˆ˜Ê `iÊ Ài“«>ViÀÊ -ÌiÛiÊ œLÃÊ ­`jVj`jÊ i˜ÊÓ䣣®ÊVœ““iÊÃޓLœiÊ`iʏ½ˆ˜˜œÛ>̈œ˜ÊiÌÊ`ÕÊ«Àœ}ÀmÃÊÌiV…˜œœ}ˆµÕi°ÊiÊVœ‡vœ˜`>ÌiÕÀÊ`iÊ œœ}i]Ê>ÀÀÞÊ*>}i]Ê>Ê`jV>ÀjʵÕiÊ«Õ̞ÌʵÕiÊ`iʏj}ÕiÀÊÃ>ÊvœÀÌ՘iÊDÊÃiÃÊi˜v>˜ÌÃʜÕÊDÊ`iÃÊ >ÃÜVˆ>̈œ˜ÃÊV>ÀˆÌ>̈ÛiÃÊ>«ÀmÃÊÃ>ʓœÀÌ]ʈÊ«ÀjvjÀiÀ>ˆÌʏ>ÊVœ˜wiÀÊDÊ œ˜ÊÕÎÊV>ÀÊViÊ`iÀ˜ˆiÀÊ>ʏ>Ê V>«>VˆÌjÊDÊ`œ˜˜iÀÊۈiÊDÊ`iÃʈ`jiÃʵՈʁÊV…>˜}i˜Ìʏiʓœ˜`iʂ°

{Personnalité} Elon Musk

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{Entreprise}

Le big data et ses applications par Arnaud Labossière

« Il y a soixante ans, les ordinateurs ont rendu l’information lisible. Il y a vingt ans, l’Internet l’a rendu accessible. Aujourd’hui, Google et d’autres (…) nous permettent de traiter ce corpus massif de données comme le laboratoire de notre humaine condition. » Chris Anderson du magazine The Edge.

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le big data fait partie de ces mots à la mode, tout droit sorti de la presse technologique et des rapports des firmes de consulting. Toutes les grandes entreprises technologiques s’y sont converties et communiquent dessus. Par exemple en juillet 2014, IBM et Apple (des ennemis jurés pendant des décennies) ont annoncé leur alliance dans l’offre de big data : « pour la première fois, nous mettons les capacités renommées d’analyse des big data d’IBM à portée de doigt des utilisateurs d’iOS » a annoncé fièrement le patron d’Apple, Tim Cook. On peut proposer comme définition du big data, la collecte et l’analyse de quantités gigantesques de données. Historiquement plusieurs événements ont précipité l’augmentation de la quantité d’information dans le monde. L’imprimerie mise au point par Gutenberg en 1454 y a contribué ! Mais c’est avec l’informatique et l’Internet que la masse de données est devenue à un tel point colossale que les outils d’analyse traditionnels étaient dépassés. On estime que la quantité d’informations dans le monde croit 4 fois plus rapidement que l’économie mondiale, tandis que la puissance des ordinateurs avance 9 fois plus rapidement. Les réseaux sociaux, les recherches sur Internet, les applications smartphone, les objets connectés mais aussi l’activité des entreprises ont donné lieu à la création, au stockage et dans certains cas à la diffusion d’énormément de données. Le big data est au cœur des activités d’entreprise comme Facebook, Google ou encore Amazon. Elle leur permet de mieux comprendre leur utilisateur et d’améliorer leur offre. Viktor Mayer-Schönberger dans son ouvrage Big Data, A Revolution That Will Transform How We Live, Work and Think estime que le big data est devenu simultanément le nerf de la guerre des grandes entreprises technologiques mais aussi leur trésor de guerre, un trésor de guerre qu’on ne tardera pas à incorporer dans les bilans comptables. Pour l’auteur, les trois grands enjeux des big data sont : – le traitement d’énormes quantités d’informations sur des sujets aussi divers que variés ; – la prise en compte les grandes tendances plutôt que de rechercher l’exactitude ; – s’intéresser aux corrélations plutôt qu’aux causalités ; en d’autres termes répondre à la question « quoi » et pas à la question « pourquoi ».

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{Entreprise} Le big data et ses applications

Sciences, technologie et innovation > ILLUSTRATIONS

3 milliards UÊ 3 milliards : c’est le nombre de requêtes faites sur Google par jour, c’est aussi le nombre de « like » quotidien sur Facebook. UÊ La part de l’information mondiale stockée en numérique est passée de 25 % en 2000 à 93 % aujourd’hui. UÊ 400 millions de tweets sont postés par jour (croissance de 200 % par an). UÊ la NSA intercepte 1,7 milliard d’e-mails, de coups de téléphone ou de communications … par jour.

ENJEUX

UÊ Au service d’un monde meilleur ? Analyser les images spatiales à la recherche d’une exoplanète. Séquencer l’ADN d’un individu pour mieux le soigner et détecter des maladies génétiques. Mesurer en temps réel la propagation d’une épidémie à partir des recherches faites sur Google. Ce ne sont que quelques exemples d’utilisation que l’on peut faire du big data. La question à laquelle on se heurte quand on s’intéresse au big data est : à quoi ça sert ? La réponse : à tout ou presque. Dans le domaine des services informatiques, ces données permettent d’améliorer l’offre des sites et des logiciels. Elles sont à l’origine des algorithmes de recommandation sur Amazon ou Netflix (site de streaming vidéo). Dans le domaine bancaire, les big data ont déjà pris le pouvoir depuis des années à travers le « trading algorithmique » où les ordres de Bourse sont passés par ordinateurs qui analysent eux-mêmes des millions de données pour prendre des décisions d’investissement (certains algorithmes lisent même les tweets pour investir). Aux États-Unis les algorithmes passent 2/3 des ordres en Bourse, en France 1/3. Dans le domaine de l’urbanisme les big data permettent de mieux organiser les transports publics ou encore les feux de circulation en mesurant les données présentes et passées. Aujourd’hui, on compte sur les big data pour révolutionner la médecine. Les capacités de calculs et de traitement de milliards de données des ordinateurs permettent le séquençage d’ADN et son analyse à des fins médicales (pour moins de 1 000 dollars aujourd’hui avec des entreprises comme 23andMe). Dans les années à venir, cela va permettre d’adapter les traitements médicaux aux caractéristiques de l’individu. Steve Jobs a bénéficié de ces technologies dans sa lutte contre le cancer du pancréas. C’est ce qui lui a permis de combattre le cancer bien plus longtemps que les autres malades atteints. L’entreprise IBM est une pionnière dans le domaine des big data. Avec « Watson » l’entreprise a mis au point une machine qui est capable de lire toute la documentation et la recherche médicale disponible dans le monde pour établir des corrélations et des causalités. À partir de cela elle peut faire des diagnostics médicaux. Peut-être que cela {Entreprise} Le big data et ses applications

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Sciences, technologie et innovation permettra d’éviter le 1,5 million d’erreurs de diagnostics médicaux faites tous les ans aux États-Unis. En 2011, à l’occasion du centenaire de l’entreprise, IBM, a publié un livre intitulé Au service d’un monde meilleur où elle faisait l’inventaire des grandes innovations dans lesquelles elle avait joué un rôle décisif. La dernière en date est la technologie des big data. UÊ ˆ}Ê`>Ì> = Big Brother ? Comme la plupart des outils numériques, le big data comporte son lot de dangers. On peut en identifier deux types : ceux causés par les entreprises et ceux causés par les gouvernements. Officiellement la collecte et l’analyse de données permet à certaines entreprises d’améliorer leur service. Et c’est vrai, mais les grandes entreprises du Web collectent de plus en plus de données sur les utilisateurs sans que ces derniers en aient toujours pleinement conscience. Le service Gmail de Google a, par exemple, été accusé de scanner les mails de ses utilisateurs pour mieux cibler les publicités. On reproche aussi au système d’exploitation Android d’enregistrer systématiquement la localisation de ses utilisateurs. En 2013, la CNIL s’en est prise à Google pour avoir collecté des informations même sur des internautes n’ayant aucun compte auprès de l’entreprise. La CNIL met régulièrement en garde contre l’atteinte à la vie privée orchestrée par les grandes entreprises numériques. Le problème est que face à ces entreprises, des institutions comme la CNIL ont un pouvoir très limité (elle peut infliger une amende maximum de 150 000 euros, alors que les bénéfices annuels de Google dépassaient les 13 milliards de dollars en 2013). « Ma seule motivation est d’informer le public sur ce qui est fait en leur nom et ce qui est fait contre eux » déclarait le lanceur d’alerte Edward Snowden dans son interview pour The Guardian en 2013. Il dénonçait la surveillance massive et systématique des populations et des personnalités politiques par les services de renseignements américains (National Security Agency). Cette surveillance n’est pas sans rappeler celle de Stasi (abréviation de « Staatsicherheit »), la police politique en Allemagne de l’Est qui espionnait massivement la population. La Stasi devait aussi gérer des big data mais sans avoir les moyens technologiques de le faire. Aujourd’hui les algorithmes du programme PRISM permettent une surveillance beaucoup plus massive face à laquelle le CSA ou la CNIL ne sont qu’une « ligne Maginot » (pour reprendre l’expression de Mayer-Schönberger). Certains observateurs voient dans ces pratiques un pas de plus vers une société totalitaire telle que la décrivait George Orwell dans 1984. L’ironie du sort est qu’aujourd’hui dans les 200 mètres qui entourent l’appartement où Orwell a écrit 1984, il y a plus de 30 caméras de surveillance. Plus généralement, cette surveillance remet au goût du jour la question de l’arbitrage sécurité/vie privée : quelle part de la vie privée des citoyens a-t-on le droit de sacrifier au nom de la lutte contre la criminalité et le terrorisme ? 180

{Entreprise} Le big data et ses applications

Sciences, technologie et innovation UÊ Une science encore hasardeuse Gérer des big data (sans les nommer ainsi) est un enjeu qui n’est pas vieux comme le monde, mais presque. Recenser une population comme l’ont fait les Romains pour leur empire ou encore mesurer la richesse d’un pays pour organiser une meilleure fiscalité comme Vauban (1633-1707) a tenté de le faire en France étaient incroyablement compliqués. Depuis les années 1980, l’informatique, l’informatisation des sociétés et le traitement de ces données ont considérablement facilité ces calculs. Les capacités de calcul des ordinateurs progressent aussi à une vitesse considérable. C’est ce que l’on résume sous le nom de « loi de Moore ». On peut la simplifier de la manière suivante : la puissance des ordinateurs double tous les 18 mois. Dès le début des années 2000 des entreprises comme Palantir Technologies (une entreprise cofondée par Peter Thiel) ont mis au point des outils d’analyse pour détecter des terroristes, des criminels ou des fraudeurs en détectant des « pattern » suspect dans le flux d’information. Palantir compte aujourd’hui parmi ces clients des grandes banques de Wall Street ou encore des agences gouvernementales américaines comme la CIA. Un dernier point très fortement lié aux big data est l’intelligence artificielle (IA). On peut construire des schémas d’IA à partir des data, tout comme utiliser l’IA pour analyser les data. Ces dernières années, on a pu observer un développement parallèle des solutions de big data et des algorithmes d’IA. Google a racheté de nombreuses entreprises spécialisées dans l’IA comme DeepMind en 2014 pour 400 millions d’euros. Avec les technologies de cette entreprise, le géant de l’Internet espère pouvoir mieux comprendre les comportements des internautes. DeepMind est aussi capable d’apprendre tout seul (sans intervention humaine) grâce à des mécanismes inspirés de la neurobiologie. C’est ce qu’on appelle le « deep learning ». Des ordinateurs qui apprennent et évoluent tout seuls sans avoir besoin de l’homme et en puisant dans le flot de data. Même si la technologie en est encore à ses débuts, elle soulève des enjeux technologiques, éthiques et sociétaux auxquels paradoxalement encore (trop) peu de personne s’intéressent.

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Peter Thiel par Arnaud Labossière

« Your mind is software. Program it. Your body is a shell. Change it. Death is a disease. Cure it. Extinction is approaching. Fight it. » (Peter Thiel)

> PARCOURS 6>ˆ˜VÀiÊ >Ê “œÀÌÊ }À@ViÊ DÊ >Ê ÌiV…ÊʘœÊʏœÊÊ}ˆi°Ê @̈ÀÊ `>˜ÃÊ iÃÊ i>ÕÝÊ ˆ˜ÌiÀÊʘ>ÊÊ̈œ˜>iÃÊ `iÃÊ ŠiÃÊ >À̈ÊÊwʇ VˆiiÃʜÀ}>ÊʘˆÊÊÃjiÃÊÃiœ˜ÊiÃÊ«Àˆ˜ÊÊVˆ«iÃʏˆLiÀÌ>Àˆi˜Ã°Ê*>ÞiÀÊ`iÃÊjÌÕÊÊ`ˆ>˜ÌÃÊÃÕÀÊÊ`œÕjÃÊ«œÕÀʵսˆÃÊ ˜iÊ̜“Li˜ÌÊ«>ÃÊ`>˜Ãʏiʁʫˆm}iʂÊ`iÊv>ˆÀiÊ`iÃÊjÌÕ`iðÊ6œˆVˆÊµÕiµÕiÃÊiÝi“«iÃÊ`iʏ>ʏœ˜}ÕiÊ ˆÃÌiÊ`iÊ«ÀœÊʍiÌÃÊ`iÊ*iÌiÀÊ/…ˆi°Ê ½iÃÌʏ½i˜ÌÀiÊÊ«ÀiÊʘiÕÀÊDʏ½œÀˆÊÊ}ˆ˜iÊ`iÊ*>Þ*>]ʏ½ˆ˜ÛiÃÊÊ̈ÃÊÊÃiÕÀʵՈÊ>ʏiÊ «ÀiÊʓˆiÀÊÜÕÊÊÌi˜ÕÊ>ViLœœŽÊ`mÃÊÓää{ÊiÌʏiÊ̅jœÊÊÀˆÊÊVˆi˜Ê`iÃÊÌi˜ÊÊ`>˜ViÃÊÌiV…ÊʘœÊʏœÊÊ}ˆµÕiÃÊ>VÌÕiiÃÊ ­big data]ʈ˜ÊÌiˆ}i˜ViÊ>À̈ÊÊwÊVˆii]ÊLˆÌVœˆ˜]ÊiÌV°®° jÊi˜Êi“>}˜iÊi˜Ê£™ÈÇ]Ê*iÌiÀÊ/…ˆiÊ>Ê}À>˜`ˆÊ>ÕÝÊÌ>ÌÇÊ1˜ˆÃʜÙʈÊjÌÕÊÊ`ˆiʏ>Ê«…ˆÊʏœÊÊÜ«…ˆiÊiÌÊ iÊ`ÀœˆÌ°Ê iʏ>Ê«…ˆÊʏœÊÊÜ«…ˆiʈÊÀïi˜ÊÊ`À>ʏiÃÊ>˜>ÊʏÞÃiÃÊ`iÊ,i˜jʈÀ>À`ʭܘʫÀœÊÊviÃÊÊÃiÕÀÊDÊ-Ì>˜vœÀ`®Ê ÃÕÀʏiÊ`jÈÀʓˆ“jÊÊ̈µÕi°ÊiÊ`ÀœˆÌʏՈʫiÀÊʓiÌÊÊÌÀ>Ê`iÊÌÀ>ÊÊÛ>ˆiÀÊVœ““iÊ}ÀivÊÊwiÀÊ>ÕÊÌÀˆÊÊLÕÊʘ>°Ê>ˆÃÊ V½iÃÌÊ>Û>˜ÌʵսˆÊÃiÊ̜ÕÀ˜iÊÛiÀÃʏ>Êw˜>˜Vi°ÊÊÌÀ>ÊÊÛ>ˆiÊÃÕÀʏiÃÊ«ÀœÊÊ`ՈÌÃÊ`jÀˆÊÊÛjÃʫՈÃʏ>˜ViÊÜ˜Ê «Àœ«ÀiÊhedge fundsÊi˜Ê£™™È°Ê ½iÃÌʏ½j«œµÕiÊ`iÃÊ`jLÕÌÃÊ`½˜ÌiÀÊʘiÌ°Ê iʏ>Êw˜>˜ViÊ>ÕÝÊ«>ˆiʇ “i˜ÌÃÊi˜Êˆ}˜iʈÊ˜½ÞÊ>ʵս՘ʫ>ÃÊ\Êi˜Ê£™™n]ʈÊVÀjiÊ*>Þ*>Ê>ÛiVÊ œ˜ÊÕÎ°Ê œ““iʈÊiÊÀ>«Ê‡ «iiÊ`>˜ÃÊ՘ÊVœÕÀÃÊ`œ˜˜jÊi˜ÊÓä£ÓÊDÊ-Ì>˜vœÀ`]ÊÃÕÀʏiÃÊÈʓi“LÀiÃÊvœ˜ÊÊ`>ÊÊÌiÕÀÃÊ`iʏ½i˜ÌÀiÊÊ«ÀˆÃi]Ê {ÊjÌ>ˆi˜ÌÊ`iÃÊj“ˆÊÊ}ÀjÃÊiÌÊ{Êv>LÀˆÊʵÕ>ˆi˜ÌÊ`iÃÊLœ“LiÃʵÕ>˜`ʈÃÊjÌ>ˆi˜ÌÊ>ÕÝʏÞVjiÃ°Ê i>Êi˜Ê`ˆÌÊ œ˜}ÊÃÕÀʏ>ʓi˜ÊÊÌ>ÊʏˆÌjÊ`iÊViÌÌiÊjµÕˆ«iÊ`½i˜ÌÀiÊÊ«ÀiÊʘiÕÀðÊ*>Þ*>ÊviÀ>Ê«>ÀÊÊ̈iÊ`iÃÊi˜ÌÀiÊÊ«ÀˆÃiÃÊµÕˆÊ ÃÕÀÊÊۈÊÊÛÀœ˜ÌÊDʏ½jV>ÊÊÌiÊʓi˜ÌÊ`iʏ>ÊLՏiʈ˜ÌiÀÊʘiÌÊ­µÕiÊ*iÌiÀÊ/…ˆiÊ>Û>ˆÌÊÛÕÊÛi˜ˆÀ]ÊVœ˜ÌÀ>ˆÊÊÀiÊʓi˜ÌÊ DÊLœ˜Ê˜œ“LÀiÊ`iÊÃiÃÊVœ˜Ìi“«œÀ>ˆ˜Ã®ÊiÌÊÃiÀ>ÊÛi˜`ÕÊDÊi >ÞÊ«œÕÀÊ£]xʓˆˆ>À`Ê`iÊ`œÊʏ>ÀÃÊi˜Ê ÓääÓ°Ê ½iÃÌÊ՘ÊjV…iV°Ê½œLiVÊÊ̈vÊwÝjÊ`iÊÀi“ÊÊ«>ÊÊViÀʏ>ÊÀjÃiÀÛiÊvj`jÊÊÀ>iÊ>“jÊÊÀˆÊÊV>ˆ˜iÊ­i`®Ê˜½>Ê«>ÃÊ jÌjÊ>ÌÌiˆ˜Ì°ÊÊv>ÕÌÊVœ“«Ài˜`ÀiʵÕiÊ/…ˆiÊiÌʘœ“LÀiÊ`iÊÃiÃÊVœ˜}jÊʘmÀiÃÊܘÌÊ`iÃʏˆLiÀÌ>Àˆi˜ÃÊ Vœ˜Û>ˆ˜ÊÊVÕÃʵՈÊۜˆi˜Ìʏ½ˆ˜ÌiÀÊÊÛi˜ÊÊ̈œ˜Ê`iÃʈ˜ÃÊÊ̈ÊÊÌṎœ˜ÃÊ«ÕLˆµÕiÃÊ`>˜Ãʏ½jVœÊʘœÊʓˆiÊVœ““iÊ՘iÊ >LœÊʓˆÊʘ>ÊÊ̈œ˜°ÊiÃÊ>˜Vˆi˜ÃÊ`iÊ*>Þ*>Êvœ˜ÌÊ«>À̈iÊ`iÊViʵսœ˜Ê>««iiʏ>ʁÊ*>Þ*>Ê“>w>ʂÊiÌÊ Ãœ˜ÌÊDʏ½œÀˆÊÊ}ˆ˜iÊ`iʘœ“ÊÊLÀiÕÃiÃÊÀjÕÃÊÊÈÌiÃÊ\ʈ˜Ži`˜Ê­,iˆ`Êœvv“>˜®]Ê/iÏ>ʜ̜ÀÃÊiÌÊ-«>Vi8Ê ­ œ˜ÊÕή]Ê9œÕ/ÕLi]Ê9>““iÀoÊ ˜ÊÓää{]Ê*iÌiÀÊ/…ˆiÊÀi˜ÊÊVœ˜ÌÀiÊ>ÀŽÊViLœœŽÊ\ÊVœ˜Û>ˆ˜VÕÊ`ÕÊ«œÌi˜ÊÊ̈iÊ`iÊViÊÀjÃi>ÕÊÜVˆ>]ʈÊ`iۈi˜ÌʏiÊ«ÀiÊʓˆiÀʈ˜ÛiÃÊÊ̈Ãʇ ÃiÕÀÊ`>˜Ãʏ½i˜ÌÀiÊÊ«ÀˆÃi°ÊÊ>Ê«>ÀÊÊ̈ÊÊVˆ«jÊDʏ>ÊÃÌÀ>ÊÊÌjÊÊ}ˆiÊ`iʏ½i˜ÌÀiÊÊ«ÀˆÃiÊiÌÊÈm}iÊ>ՍœÕÀ`½…ÕˆÊi˜VœÀiÊ >ÕÊVœ˜ÃiˆÊ`½>`“ˆÊʘˆÃÊÊÌÀ>ÊÊ̈œ˜°Ê i«ÕˆÃʏiÊ`jLÕÌÊ`iÃÊ>˜˜jiÃÊÓäää]ʈÊ}mÀiÊ>ÕÃÈʫÕÊÊÈiÕÀÃÊvœ˜`ÃÊ `½ˆ˜ÛiÃÊÊ̈ÃÊÊÃiÊʓi˜ÌÊ\Ê >ÀˆÕ“Ê >«ˆÊÊÌ>ÊµÕˆÊ>ÕÀ>ÊÜÕÃÊ}iÃÊÊ̈œ˜ÊÕõսDÊÇʓˆˆ>À`ÃÊ`iÊ`œÊʏ>ÀÃÊ`½>V̈vÃÊ >Û>˜ÌÊ`iÊÃÕLˆÀÊ`iÊÌÀmÃʏœÕÀ`iÃÊ«iÀÌiÃÊi˜ÊÓäänʜÕÊi˜VœÀiÊ/…iʜ՘`iÀ½ÃÊ՘`°Ê >˜ÃʏiÊV>`ÀiÊ `iÊÃiÃÊ>V̈ÊÊۈÊÊÌjÃÊ`½ˆ˜ÛiÃÊÊ̈ÃÊÊÃiÕÀÃ]ʈÊ“ˆÃiÀ>Ê>ÕÃÈÊÃÕÀʈ˜Ži`˜]Ê-ˆ`iʜÕÊ-«œÌˆvÞ°Ê œ˜Û>ˆ˜VÕʵÕiÊ >Ê}iÃÊÊ̈œ˜Ê`iʏ½ˆ““i˜ÊÊÈÌjÊ`iÃÊ`œ˜ÊʘjiÃÊ}j˜jÊÊÀjiÃÊ«>ÀʘÌiÀÊʘiÌÊÛ>ÊkÌÀiÊ՘Êi˜iÕÊVjÊ`ÕÊvÕÌÕÀÊ

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{Personnalité} Peter Thiel

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{Personnalité} Peter Thiel

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Sciences, technologie et innovation internationales. L’objectif est de bâtir un cadre permettant aux hommes d’innover librement dans tous les domaines : sociaux, économiques, technologies et surtout politiques. Une dernière conviction de Peter Thiel est l’opportunité que va représenter la singularité technologique. C’est une théorie selon laquelle l’intelligence artificielle va rattraper l’intelligence humaine puis la dépasser si bien qu’elle sera elle-même à l’origine du progrès technique. Il a participé aux Singularity Summit de 2006 et 2011 où il a débattu des enjeux liées à l’intelligence artificielle. Pour conclure on peut dire que Peter Thiel incarne le génie de la Silicon Valley, sa capacité à produire des idées novatrices et à les transformer en entreprises rentables qui bouleversent le monde. À ses heures perdues Peter Thiel joue aussi aux échecs et c’est l’un des meilleurs au monde. Bien qu’il ne soit pas connu du grand public, dans le monde de la technologie, ses réalisations sont admirées et ses déclarations – souvent iconoclastes – sont suivies de près par la presse spécialisée. Il est derrière de nombreuses grandes mutations technologiques qu’il essaie d’anticiper et d’analyser. À l’occasion de la sortie de son livre Zero to One, le magazine Fortune l’a décrit comme « peut-être l’intellectuel le plus important des États-Unis d’aujourd’hui ».

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{Personnalité} Peter Thiel

{Actualité}

Drones : entre innovations et dérives par Arnaud Labossière « C’est le futur. » Christophe Mazel, directeur du fabricant de drones Fly-n-sense, au sujet des drones.

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Les drones sont devenus une réalité omniprésente et la tendance n’est pas près de s’arrêter. La multiplication des entreprises, des produits, des utilisateurs et des usages mais aussi les flous juridiques font des drones un enjeu économique, social, juridique et militaire très épineux. Amazon a créé le buzz en annonçant réfléchir à intégrer les drones dans sa chaîne logistique. Les frappes des drones américains au Pakistan ou au Yémen sont de plus en plus critiquées tandis que les chiffres sur les victimes innocentes de ces attaques restent controversés. Mais, en même temps, l’ONU a déclaré vouloir aussi utiliser ces nouvelles technologies pour appuyer les missions de paix des Casques bleus car, comme l’a déclaré le secrétaire général adjoint des Nations unies aux opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous, « il est clair que nous ne pouvons pas continuer à travailler au XXIe siècle avec des outils datant du XXe siècle ». Dans la société civile, la question des lois et de leur violation par des particuliers se pose. À Nancy, un lycéen a été condamné à 400 euros d’amende pour avoir filmé sa ville avec un drone, on lui reproche « [la] mise en danger de la vie d’autrui et [le] non-respect de la réglementation aérienne ». Il est rare qu’une semaine ne se passe sans que la presse ne parle des drones. Bien qu’il soit complexe d’établir une classification, on peut néanmoins rassembler les drones dans trois catégories : – les drones militaires qui mènent des opérations de surveillance et des bombardements ; – les drones civils grand public qui sont, en quelque sorte, des caméras volantes bon marché ; – les drones civils professionnels qui permettent à des entreprises d’optimiser leur activité.

> ILLUSTRATIONS UÊ Les États-Unis ont une flotte de 8 000 drones militaires. Il s’agit d’estimations parce que les différentes organisations (US Army, Navy, CIA…) ne sont pas très transparentes sur ces programmes. UÊ Un drone militaire comme le Predator ou le Reaper peuvent rester 20 à 24 heures en vol et peuvent être pilotés depuis n’importe quel endroit du monde.

{Actualité} Drones : entre innovations et dérives

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Sciences, technologie et innovation UÊ Entre 2008 et 2014, les drones américains ont abattu 2 227 personnes dont 67 civils lors de 317 frappes (source : Ministère de la Défense des États-Unis). UÊ Entre 2010 et 2014, l’entreprise française Parrot, pionnière dans le drone grand public, a vendu 700 000 drones grand public (le fameux quadrucoptère appelé AR Drone).

ENJEUX

UÊ Les drones militaires : une drôle de guerre ? Les frappes de drones sont une des armes de prédilection de l’administration Obama aux États-Unis. Ce programme est moins coûteux en vie américaine car il n’y a plus de pilotes ou de troupes sur le terrain qui peuvent être abattus. Mais ce sont aussi des opérations qui remettent en question les notions de territoire et de guerre. Les frappes se font sur des pays avec lesquels les États-Unis ne sont pas en guerre et sans leur accord explicite. Il s’agit donc d’une violation de la souveraineté des pays, comme la Somalie, le Yémen ou le Pakistan. Juridiquement, la question de savoir si on peut abattre une personne à l’autre bout du monde, sans procès et avec un objet volant piloté depuis Langley, est aussi problématique. Ces personnes n’ont-elles pas le droit d’être jugées ? Quelles sont vraiment les charges qui pèsent contre elles ? Human Right Watch dénonce le caractère arbitraire de ces frappes, les erreurs de cibles ainsi que les dégâts collatéraux infligés aux civils. Des allégations que rejette en bloc l’administration Obama qui met en avant le rôle du renseignement précédant toute frappe. Sur le plan militaire, un autre fait marquant est le retard des pays européens. Le marché des drones militaires est dominé par les États-Unis et Israël. Pour remédier à cette dépendance, Dassault Aviation, Airbus et Alenia Aermacchi ont proposé, en mai 2014, aux gouvernements français, allemand et italien de bâtir ensemble un drone militaire européen. Mais aucune livraison n’est prévue avant 2020. UÊ Les drones civils et la logistique La logistique est l’un des métiers que les drones pourraient révolutionner dans les années à venir. Amazon n’est pas la seule entreprise à s’être penchée sur le sujet. Une autre entreprise, Matternet, s’est donnée pour mission de bâtir un réseau logistique au service du milliard de personnes qui aujourd’hui dans le monde manquent d’infrastructures. Ils fabriquent des drones qui, sans pilotage humain, peuvent déplacer à la demande des colis d’un endroit à un autre grâce aux données GPS et à un réseau de plateformes. Leurs drones peuvent déplacer des colis de 2 kg sur des distances de 10 km en 15 minutes avec un coût de 0,24 dollar. À court terme, cela permet d’apporter une aide médicale. À long terme, ils espèrent développer le commerce dans les pays moins avancés (PMA). Les premiers essais ont été menés avec succès en Haïti suite au séisme de 2010.

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{Actualité} Drones : entre innovations et dérives

Sciences, technologie et innovation Précisons qu’aujourd’hui il n’est pas légal de mettre en place dans la plupart des pays un réseau logistique composé de drones. Le fait de survoler les villes ou les agglomérations est soumis à des réglementations très strictes. UÊ Les drones civils : le grand dérapage ? La question de la vie privée est au cœur des préoccupations. Ces caméras volantes peuvent pénétrer dans l’habitat des gens et faire des enregistrements sans leur accord. Aujourd’hui, dans certains cas, la législation n’est pas assez claire (car elle a été pensée pour les avions et les hélicoptères) et le plus souvent elle est simplement ignorée des amateurs de drones. La Commission européenne a appelé à réglementer les activités des drones civils mais à ce jour aucun texte de loi n’a encore été présenté. Aux États-Unis, l’Electronic Privacy Information Center (EPIC) a mis en garde contre « la nature hautement intrusive des drones » et s’inquiète de l’apparition de logiciels de reconnaissance faciale qui commencent à faire leur apparition. L’organisation va jusqu’à déclarer que « l’utilisation croissante de drones civils fait planer une menace potentielle sur toute personne vivant aux États-Unis » et a interpellé la Federal Aviation Administration (FAA). Pendant ce temps, le foisonnement d’innovations et de projets n’a pas freiné sa dynamique. Certains projets trouvent leur financement sur des sites de crowdfunding (financement participatif), comme le projet Dragonfly qui propose de fabriquer des drones de la taille d’une main humaine et qui a levé plus d’un million de dollars. En mars 2014, une équipe de bricoleurs a créé un drone de défense équipé d’un taser. Quelques semaines plus tard à Londres un drone a hacké les données personnelles contenues dans les smartphones de plus de 150 passants rien qu’en les survolant. Face à ces dangers potentiels, les initiatives citoyennes se multiplient. Par exemple, des habitants d’une petite ville proche de Denver dans le Colorado, Deer Trail, ont tenté d’adopter par référendum une loi autorisant les habitants à abattre sans sommation tout drone survolant leur propriété. Le référendum n’a cependant pas été approuvé.

{Actualité} Drones : entre innovations et dérives

187

{Actualité}

L’essor de la santé connectée par Éric Juramy

> CONTEXTE ET FAITS MARQUANTS Le 9 septembre 2014, Apple annonce lors de sa conférence Keynote la sortie pour début 2015 de l’i-Watch, une montre bracelet connectée équipée de capteurs biométriques avancés. La firme de Cupertino suit en cela la route tracée par son principal rival, Samsung, qui lançait le 27 mai 2014 SAMI, sa plateforme ouverte destinée à recueillir les données de santé, entre autres, de ses clients équipés de son nouveau bracelet SIMBAND. L’arrivée de deux géants des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) dans le domaine de la santé connectée, capables d’allier ergonomie des objets, applications et traitement de données semble confirmer les belles perspectives de ce nouveau secteur. La santé connectée (e-santé, voire m-santé lorsque les supports sont mobiles) est le fruit du croisement de deux vagues majeures. La première, technologique, regroupe les progrès de la médecine (biométrie, statistiques) et des NTIC (objets connectés, capteurs performants, ergonomiques et abordables, algorithmes de traitement des données). La seconde est sociologique, avec l’avènement du moi connecté (via les réseaux sociaux), du moi quantifié (« quantified self », ou mesure sur la durée des paramètres et des performances du corps) et enfin l’aspiration au bien-être. Du bracelet relié au smartphone pour compter ses foulées et enregistrer sa fréquence cardiaque lors d’une activité sportive, au masque respiratoire relié via le réseau mobile à un serveur pour tracer son usage, les applications concrètes de la santé connectée sont très diverses. Cependant, ses promesses concernent 3 domaines. Premièrement, la santé connectée propose de renseigner sur soi de façon simple, régulière, exhaustive, et donc de prendre conscience d’un état de santé (meilleure sensibilisation, diagnostic plus complet). Deuxièmement, elle offre de fixer des objectifs correcteurs comme des exercices, ou un traitement médical, et d’en vérifier l’atteinte en temps réel (meilleure adhésion, meilleure observance d’un traitement). Troisièmement, par le traitement des données collectées, elle permet d’identifier les critères cruciaux dans l’apparition d’une affection, et les parades les plus efficaces, afin de les partager (aide à la recherche et à la pratique médicale).

188

{Actualité} L’essor de la santé connectée

Sciences, technologie et innovation > ILLUSTRATIONS UÊ L’observatoire Idate évalue à 15 milliards le nombre d’objets connectés en 2014, tous domaines confondus (contre 4 milliards en 2010). Ce chiffre devrait s’élever à 80 milliards en 2020. UÊ Sur 2,2 milliards de dollars investis dans les start-up américaines de la santé en 2013, plus du quart l’a été dans des entreprises de m-santé. UÊ Selon le cabinet research2guidance, le marché de la m-santé pourrait représenter jusqu’à 26 milliards de dollars en 2017, et concerner un possesseur de smartphones sur deux. UÊ Medtronic, un des géants du secteur médical (CA 2013 : 16,6 milliards de dollars), a acquis le 11 août 2013 Cardiocom, une société spécialisée dans les objets connectés et les services de santé à distance, pour 220 millions de dollars. UÊ Selon l’IFOP, 11 % des Français déclaraient en 2013 posséder un objet de mesure connecté (balance, cardio-fréquencemètre, etc.), soit 5 millions de personnes. UÊ Doctissimo.fr, site leader des sites francophones d’information sur la santé et le bien-être comptabilise en avril 2014 8,2 millions de visiteurs uniques (VU). À comparer aux 6,8 millions de VU du Monde.fr, UÊ 35 000 morts prématurées pourraient être évitées si de mauvaises habitudes de vie étaient corrigées (10 fois plus que les morts sur la route). UÊ La moitié des 15 millions de malades chroniques en France arrête son traitement de longue durée au bout d’un an Nombre d’applications de m-santé (Android et iOS) 120 000 100 000 80 000 60 000 40 000 20 000 0 2010

2012

2014

{Actualité} L’essor de la santé connectée

189

Sciences, technologie et innovation

ENJEUX

UÊ Quel business model ? Vu le poids croissant des dépenses de santé dans le PIB des pays développés (12 % en France, 18 % aux États-Unis), la santé connectée ne pourra se solvabiliser qu’en apportant la preuve des bénéfices annoncés, notamment en termes de coût. Robert Kaplan, du National Institute of Health américain, confiait début 2014 à la revue The Economist « l’étonnante rareté » des études d’impact dans le domaine de la santé connectée. Anticiper la dégradation d’un état de santé permet évidemment d’éviter de coûteuses hospitalisations. Tout comme encourager de manière ludique une activité sportive ou l’arrêt du tabac réduit les risques cardio-vasculaires, et les consultations et traitements qui vont avec. Mais la m-santé pourrait tout aussi bien susciter des réactions hypocondriaques, et de fait plus de consultations. En outre, l’outil ne fait pas l’usage : 80 % des applications de santé sont pour l’instant utilisées sur une durée inférieure à 5 semaines. À l’autre bout de la chaîne, mutuelles et compagnies d’assurances manifestent un certain intérêt : AXA a récemment lancé avec la société française Withings (bracelets podomètres, balances connectées) une offre test où les assurés sont récompensés en fonction du nombre de pas qu’ils font sur une journée. Mais les médecins, décisionnaires in fine des dépenses de santé, et beaucoup moins focalisés sur l’aspect financier, restent à convaincre. Ce qui suppose de coûteuses études et la mise en place d’une force de vente. Autre enjeu de taille : l’interopérabilité des objets et des plateformes de données, loin d’être acquise, et pourtant condition sine qua non pour tenir la promesse de valeur. Bref, les entreprises qui s’imposeront devront surtout avoir les moyens… d’attendre ! Le cabinet PricewatherhouseCoopers évalue pourtant le potentiel d’économies lié à la m-santé à 99 milliards d’euros pour l’Union européenne en 2017. Potentiel maximal qui devrait se limiter à 6,6 milliards d’euros en l’absence de normes technologiques et juridiques, et de politique active. C’est donc finalement de la puissance publique, très concernée par les déséquilibres budgétaires, que pourrait venir l’accélération décisive. UÊ Enjeux éthiques et professionnels La santé connectée pose tout d’abord un vrai problème de sécurité des données collectées, classées par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) comme « sensibles ». Tim Cook, le P.-D.G. d’Apple, qualifie à raison l’i-Watch d’« objet le plus intime » créé par la marque. Anticipant la pression des utilisateurs, Apple s’est d’ailleurs s’engagé à interdire aux développeurs de sa plateforme l’usage à des fins commerciales des données collectées. Mais au-delà des chartes de bonne conduite, l’enjeu est aussi technique. À l’instar du système bancaire, le domaine de la santé connectée devra à terme s’organiser pour garantir à la fois confidentialité et fluidité de l’information.

190

{Actualité} L’essor de la santé connectée

Sciences, technologie et innovation L’autre enjeu est celui du conditionnement de droits à une certaine forme de surveillance. L’affaire de la téléobservance en France est emblématique. Lancée pour s’assurer de l’usage des masques à pression positive continue par les patients souffrant d’apnée du sommeil, avec déremboursement systématique en cas de non-usage, la téléobservance a été suspendue début 2014 par un arrêt du Conseil d’État, suite à une plainte d’association de malades. À la logique des patients qui invoquent leur statut d’assuré et donc leur droit à un traitement quel que soit l’usage qu’ils en font, s’oppose celle des autorités de santé qui cherchent à concentrer les moyens de santé sur les patients immédiatement observants. Étendue à l’ensemble du système santé, cette logique nous contraindra-t-elle un jour à reporter in extenso nos data de santé contre la prise en charge de nos soins ? Enfin, pour la profession médicale, la santé connectée est source d’inquiétude. L’automatisation du diagnostic, jusqu’à son interprétation par des algorithmes complexes, paraît être en mesure de se substituer à bon nombre de techniciens médicaux, et de consultations. Le personnel médical va donc devoir à terme redéfinir le cœur de ses missions. Son statut a déjà été ébranlé par l’accès pour les patients à des informations médicales très complètes via Internet. Avec l’avènement de la santé connectée, il devra insister plus que jamais sur son rôle d’animateur de soins individuels et de politiques de santé, rôle essentiel qui seul donne tout leur sens à ces nouveaux outils.

{Actualité} L’essor de la santé connectée

191

PARTIE 5

Tableaux de bord

{Actualité}

Classement des 20 premiers pays selon le PIB* Rang

Pays

PIB 2014 (milliards $)

PIB 2013 (milliards $)

Évolution

1

États-Unis

17 438

16 724

4,27 %

2

Chine

9 761

8 939

9,19 %

3

Japon

5 228

5 007

4,42 %

4

Allemagne

3 747

3 593

4,28 %

5

France

2 863

2 739

4,52 %

6

Royaume-Uni

2 627

2 490

5,53 %

7

Russie

2 215

2 118

4,61 %

8

Brésil

2 170

2 190

-0,93 %

9

Italie

2 148

2 068

3,85 %

10

Canada

1 887

1 825

3,38 %

11

Inde

1 750

1 758

-0,47 %

12

Australie

1 459

1 488

-1,95 %

13

Mexique

1 396

1 327

5,17 %

14

Espagne

1 394

1 356

2,86 %

15

Corée du Sud

1 271

1 198

6,16 %

16

Indonésie

863

867

-0,49 %

17

Turquie

851

822

3,61 %

18

Pays-Bas

830

801

3,68 %

19

Arabie Saoudite

747

718

3,95 %

20

Suisse

672

646

3,98 %

* Estimations 2014, prix courants. Source : FMI.

{Actualité} Classement des 20 premiers pays selon le PIB*

195

{Actualité}

Classement des 20 premiers pays selon le PIB par habitant* Rang

Pays

PIB 2014 par habitant ($)

PIB 2013 par habitant ($)

Évolution

1

Luxembourg

115 542

110 573

4,49 %

2

Qatar

105 637

104 655

0,94 %

3

Norvège

102 331

101 271

1,05 %

4

Suisse

82 971

80 276

3,36 %

5

Australie

62 127

64 157

-3,16 %

6

Danemark

60 256

57 999

3,89 %

7

Suède

59 595

57 297

4,01 %

8

États-Unis

54 609

52 839

3,35 %

9

Singapour

53 671

52 918

1,42 %

10

Canada

53 118

51 871

2,40 %

11

Autriche

51 641

49 256

4,84 %

12

Finlande

50 037

47 625

5,06 %

13

Irlande

49 888

47 882

4,19 %

14

Pays-Bas

49 273

47 651

3,40 %

15

Islande

47 619

45 315

5,08 %

16

Belgique

47 166

45 537

3,58 %

17

Koweït

47 048

47 829

-1,63 %

18

Allemagne

45 925

43 952

4,49 %

19

France

44 730

42 991

4,05 %

20

Émirats arabes unis

43 424

43 185

0,55 %

* Estimations 2014, prix courants. Source : FMI.

196

{Actualité} Classement des 20 premiers pays selon le PIB par habitant*

{Actualité}

Classement des 20 premiers pays selon l’IDH Rang

Pays

IDH

Espérance de vie à la naissance (années)

Durée moyenne de scolarisation (années)

Durée attendue de scolarisation (années)

Revenu national brut par habitant ($ PPA 2011)

1

Norvège

0,944

81,5

12,6

17,6

63 909

2

Australie

0,933

82,5

12,8

19,9

41 524

3

Suisse

0,917

82,6

12,2

15,7

53 762

4

Pays-Bas

0,915

81

11,9

17,9

42 397

5

États-Unis

0,914

78,9

12,9

16,5

52 308

6

Allemagne

0,911

80,7

12,9

16,3

43 049

7

NouvelleZélande

0,91

81,1

12,5

19,4

32 569

8

Canada

0,902

81,5

12,3

15,9

41 887

9

Singapour

0,901

82,3

10,2

15,4

72 371

10

Danemark

0,9

79,4

12,1

16,9

42 880

11

Irlande

0,899

80,7

11,6

18,6

33 414

12

Suède

0,898

81,8

11,7

15,8

43 201

13

Islande

0,895

82,1

10,4

18,7

35 116

14

Royaume-Uni

0,892

80,5

12,3

16,2

35 002

15

Hong Kong

0,891

83,4

10

15,6

52 383

15

Corée du Sud

0,891

81,5

11,8

17

30 345

17

Japon

0,89

83,6

11,5

15,3

36 747

18

Liechtenstein

0,889

79,9

10,3

15,1

87 085

19

Israël

0,888

81,8

12,5

15,7

29 966

20

France

0,884

81,8

11,1

16

36 629

Nota bene : L’indice de développement humain (IDH) est un indicateur qui agrège en une seule donnée trois critères de qualité de vie : la durée de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie. PPA : parité de pouvoir d’achat. Source : Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).

{Actualité} Classement des 20 premiers pays selon l’IDH

197

{Actualité}

Classement des 20 pays clés selon le rapport de compétitivité du Forum de Davos Pays

Rang 2014

Rang 2013

Suisse

1

1

États-Unis

3

5

Finlande

4

3

Allemagne

5

4

Japon

6

9

Pays-Bas

8

8

Royaume-Uni

9

10

Suède

10

6

Norvège

11

11

Belgique

18

17

Luxembourg

19

22

France

23

23

Chine

28

29

Espagne

35

35

Italie

49

49

Russie

53

64

Afrique du Sud

56

53

Brésil

57

56

Mexique

61

55

Inde

71

60 Source : World Economic Forum 2013.

198

{Actualité} Classement des 20 pays clés selon le rapport de compétitivité du Forum de Davos

{Actualité}

Classement des 20 plus grandes capitalisations boursières mondiales Rang

Nom

Nationalité

Secteur

Capitalisation boursière au 31 mars 2014 (milliards $)

Capitalisation boursière au 31 mars 2009 (milliards $)

Rang en 2009

1

Apple Inc

États-Unis

Technologie

469

94

33

2

Exxon Mobil Corp

États-Unis

Pétrole et gaz

416

337

1

3

Google Inc

États-Unis

Technologie

409

110

22

4

Microsoft Corp

États-Unis

Technologie

318

163

6

5

Berkshire Hathaway Inc

États-Unis

Finance

286

134

12

6

Roche Holding AG

Suisse

Santé

266

119

18

7

Johnson & Johnson

États-Unis

Santé

251

145

8

8

General Electric Co

États-Unis

Industrie

256

107

24

9

Wells Fargo & Co

États-Unis

Finance

244

60

55

10

Nestlé SA

Suisse

Biens de consommation

244

129

15

11

Wal-Mart Stores Inc

États-Unis

Services

242

204

3

12

Royal Dutch Shell PLC

Angleterre

Pétrole et gaz

238

139

9

13

PetroChina Co Ltd

Chine

Pétrole et gaz

225

287

2

14

Novartis AG

Suisse

Santé

224

100

29

15

Chevron Corp

États-Unis

Pétrole et gaz

220

135

11

16

JP Morgan Chase & Co

États-Unis

Finance

215

100

28

213

138

10

17

Procter & Gamble

États-Unis

Biens de consommation

18

Samsung Electronics Co Ltd

Corée du Sud

Biens de consommation

209

61

53

19

Pfizer Inc

États-Unis

Santé

205

92

36

20

HSBC Holdings PLC

Royaume-Uni

Finance

199

79

43 Sources : PwC.

{Actualité} Classement des 20 plus grandes capitalisations boursières mondiales

199

{Actualité}

La démographie mondiale en 2014 Pays

Population totale (en milliers)

Taux de natalité (pour mille pour mille habitants)

Taux de mortalité (pour mille habitants)

Espérance de vie

Afrique

1 138 230

34,943

10,154

58,791

61,349

Amérique latine et Caraïbes

623 422

17,573

5,924

75,056

Amérique septentrionale

358 236

12,962

8,212

79,337

17,36

7,171

71,746

Asie

4 342 260

Taux de Nombre mortalité d’enfant(s) infantile par femme (pour mille naissances)

Taux de croissance

Population de 65 ans et plus (en milliers)

4,593

24,43

39 601,6

16,991

2,143

10,78

46 325,7

5,775

1,942

8,05

51 714,5

2,167

9,92

317 210 126 903

29,64

Europe

742 813

10,751

11,685

76,355

5,627

1,591

0,45

Océanie

38 829

16,89

6,809

77,858

19,744

2,383

13,59

Monde

7 243 780

19,247

8,046

70,337

35,492

2,483

11,23

4 516,08 586 270

Sources : estimations de l’Institut national d’études démographiques (Ined).

200

{Actualité} La démographie mondiale en 2014

{Actualité}

Classement des plus grandes agglomérations mondiales Rang

Agglomération

Pays

Population (millions)

Croissance annuelle (2010-2015)

1

Tokyo

Japon

37,83

+ 0,6 %

2

Delhi

Inde

24,95

+ 3,2 %

3

Shanghai

Chine

22,99

+ 3,4 %

4

Mexico

Mexique

20,84

+ 0,8 %

5

Sao Paulo

Brésil

20,83

+ 1,4 %

6

Bombay

Inde

20,74

+ 1,6 %

7

Osaka-Kobe

Japon

20,12

+ 0,8 %

8

Pékin

Chine

19,52

+ 4,6 %

9

New York-Newark

États-Unis

18,59

+ 0,2 %

10

Le Caire

Égypte

18,42

+ 2,1 %

11

Dacca

Bangladesh

16,98

+ 3,6 %

12

Karachi

Pakistan

16,13

+ 3,3 %

13

Buenos Aires

Argentine

15,02

+ 1,3 %

14

Calcutta

Inde

14,77

+ 0,8 %

15

Istanbul

Turquie

13,95

+ 2,2 %

16

Chongqing

Chine

12,92

+ 3,4 %

17

Rio de Janeiro

Brésil

12,83

+ 0,8 %

18

Manille

Philippines

12,76

+ 1,7 %

19

Lagos

Nigeria

12,61

+ 3,9 %

20

Los Angeles-Long Beach

États-Unis

12,31

+ 0,2 %

Source : World Urbanization Prospects, the 2014 Revision.

{Actualité} Classement des plus grandes agglomérations mondiales

201

{Actualité}

Classement des 20 premières fortunes mondiales Rang

Nom

Fortune (en milliards de $)

Âge

Secteur ou entreprise

Nationalité

1

Bill Gates

76

58

Microsoft

États-Unis

2

Carlos Slim Helu

72

74

Telecom

Mexique

3

Amancio Ortega

64

77

Zara

Espagne

4

Warren Buffet

58,2

83

Berkshire Hathaway

États-Unis

5

Larry Ellison

48

69

Oracle

États-Unis

6

Charles Koch

40

78

diversifié

États-Unis

7

David Koch

40

73

diversifié

États-Unis

8

Sheldon Adelson

38

80

casinos

États-Unis

9

Christy Walton

36,7

59

Wal-Mart

États-Unis

10

Jim Walton

34,7

65

Wal-Mart

États-Unis

11

Liliane Bettencourt

34,5

91

L’Oréal

France

12

Stefan Persson

34,4

66

H&M

Suède

13

Alice Walton

34,3

64

Wal-Mart

États-Unis

14

S. Robson Walton

34,2

69

Wal-Mart

États-Unis

15

Bernard Arnaud

33,5

64

LVMH

France

16

Michael Bloomberg

33

72

Bloomberg LP

États-Unis

17

Larry Page

32,3

40

Google

États-Unis

18

Jeff Bezos

32

50

Amazon.com

États-Unis

19

Sergey Brin

31,8

40

Google

États-Unis

20

Li Ka-shing

31

85

diversifié

Hong Kong Source : Forbes, mars 2014.

202

{Actualité} Classement des 20 premières fortunes mondiales

INDEX

A Aaouites 63 Afghanistan 54, 109, 111, 119-121 Afrique du Sud 39-40, 42, 91-93, 106 ALENA 57 Allemagne 8-9, 23, 30, 37, 58, 96, 129, 133-134, 138, 152 Al-Qaïda 62-63, 67, 71, 78 Alstom 23-27 Amende 11, 144, 180 Amérique latine 54, 101-102, 117-118 ANC 106-108 Arabie Saoudite 54, 65-66, 86, 171 Argentine 41, 115-118, 133-134, 171, 174 Attentats 62, 70, 78, 80, 95, 100, 109-111, 113, 120-121

B Banque mondiale 39-41, 43 Banques 28-30, 49 BCE 8, 10, 28-30 Big data 178-183 Bitcoin 49-52 BJP 112-114 BNP Paribas 11-14 Boko Haram 77-80 Bouygues 15, 26 Bozizé, François 103, 105 Brésil 39-40, 43, 133-135 Bretton Woods 41-43 BRICS 39-43 Bulle(s) 6, 9, 29, 33, 44, 51, 182-183

C Capital 19-21, 34 Centrafrique 103-105 Champion 155-156 Changement climatique 173 Charbon 46, 53, 108 Chiites 63, 65 Chine 13, 39-40, 42-43, 46-48, 50, 53, 55, 88-90, 99, 108-109, 113-114, 121, 174-175 Choc fiscal 34-38 Chômage 8, 27, 85, 106, 143, 148 CICE 37, 136 CIO 94-95 CNIL 180, 190 Colombie 100-102 Compétitivité 4, 136, 172, 198 Confiance 4-6, 127 Conflit(s) 47, 62-63, 65-66, 70, 72, 97-100, 103, 105, 121 Coup d’État 81-83, 97, 103 Crimée 73 Crise 5-6, 9, 11, 14, 19, 26, 28-30, 41-43, 47, 65, 72-74, 115-117, 126-127, 147, 161, 174

D Déclin 159, 161 Décrochage 129-132 Défiance 4, 29 Déflation 8-10, 28 Démocratie(s) 79, 81, 83, 89, 92, 101, 106, 108, 112, 114, 120, 183 203

Le meilleur de l’actualité 2014-2015 Détente monétaire 28 Djihad 78 Djihad islamique 70 Djihadiste(s) 47, 62-63, 65-66, 71, 79, 84 Drones 95, 185-187

Fracturation hydraulique 170-171 France 8-9, 15, 23, 27, 77, 103-105, 126, 129-130, 132, 138-139, 142, 149-150, 152, 159, 170-172, 189 Free 15-17 Front National 126-128, 142-143

E Ebola 166-169 Écosse 75-76 Écotaxe 38 Éducation 75, 77-78, 129, 131, 149-151 Égypte 65, 69-70, 85, 90, 99 EIIL 62-64, 66-68 Élection(s) 70-71, 81-82, 84, 86, 93, 97, 112, 115, 119, 126-128, 135, 143, 147-148 Élections municipales 142-143, 147 Endettement 6, 24, 145 Énergie 23, 53, 172, 174-175 Énergies fossiles 55, 174 Énergies renouvelables 55, 174-175 Environnement 55, 57 Environnementale 48 Épidémie(s) 166, 168-169 État islamique 62-63, 66, 71, 78, 85 États-Unis 13, 19, 29, 41, 66-67, 79, 87, 171, 175, 177, 183 Europe 8-9, 28, 38, 72-73, 76, 127, 139, 175 Euroscepticisme 128 Eurosceptiques 126-127 Extraterritorialité 13

F Facebook 18, 44-45, 178-179, 182 Fair-play financier 144-146 FAO 47 FARC 100-101 FED 28-30, 44, 117, 176 Fiscalité 6, 20, 22, 37 FMI 39-41, 43, 117 204

 Gandhi, Rahul 112 Gastronomie 159-162 Gaz 46-47, 54, 65, 73, 85, 110, 120, 171, 175 Gaza 69-71 Gaz de schiste(s) 57, 170-172, 175 Gazprom 73 General Electric 23 GIEC 173-175 Google 18, 32-33, 44-45, 177-181 Grande-Bretagne 19, 75-76 Grillo, Beppe 127, 148 Guerre(s) 62-74, 97-100, 103, 111, 120, 167-168, 186

H Hamas 69-71 Hezbollah 65 Hollande, François 77, 91, 105, 136-137, 143, 170

I Ianoukovitch, Viktor 72-73 Inde 39-40, 42-43, 108, 112-114, 121, 174 Indépendance(s) 41, 48, 67, 73-76, 97, 99, 110, 112-113 Inégalités 6, 19-22, 92, 129-130, 132, 151 Inflation 8-10, 85 Irak 47, 54, 62, 68 Iran 63, 65, 67, 84 Islamisme 62, 66, 79, 85 Israël 69-71, 84, 87

Le meilleur de l’actualité 2014-2015 J Jeux olympiques 94-96

K Karachi 121 Kerviel, Jérôme 157-158 Kirchner, Nestor et Cristina 115-118 Kurde(s) 63, 66-67

L Le Pen, Marine 143

M Macron, Emmanuel 136-137 Maghreb 90 Mandela, Nelson 91-93, 107 Marx, Karl 19 Matières premières 10, 43, 46, 98-99, 108, 117, 120 Méfiance 4, 76 Microsoft 45 Mille-feuille territorial 138-139 Mondial brésilien 133-135 Monnaie(s) 9, 13, 28-30, 49, 51, 76, 127 MOOC 131, 149-151 Moscou 41, 55, 73-74 Moyen-Orient 47, 65, 67 Musk, Elon 176-177, 182

N Netanyahou, Benjamin 69-70, 84 Niel, Xavier 15-17 Nigeria 77-80, 166, 168 NTIC 10, 188 Nucléaire(s) 23, 76, 84, 87, 113, 174

O Obama, Barack 45, 66, 84, 87, 168, 186 OCDE 26, 28-30, 129-132

OLP 69-71 ONU 43, 54, 87, 97-98, 105, 114, 166-167, 174, 185 OPEP 47 Orange 15, 17 Output gap 8

P Paix 63, 73, 88-89, 97-101, 103, 105, 114, 120, 185 Pakistan 109, 111, 113, 120-121, 185-186 Pékin 40, 54, 88, 90, 109 Pénalisation 152-153 Pétrole 46-47, 53-55, 66, 84-86, 170-171, 175 Piketty, Thomas 19-20 PISA 129-130 Poutine, Vladimir 39-42, 55, 72, 95-96 Prostitution 152-154 PSG 144, 146

R Référendum(s) 68, 73, 75-76, 97, 99, 138, 140, 187 Réforme(s) 4, 6, 37-38, 139-140 Rémission fiscale 37 Renzi, Matteo 128, 147-148 République centrafricaine 103, 105 Révolution 84-86, 89-90, 148-149 Rohani, Hassan 84, 86-87 Rousseff, Dilma 39, 135 Royaume-Uni 75 Rugby 155-156 Russie 39-40, 42-43, 55, 65, 73-74, 94-96, 110-111, 114, 171

S Santé 55, 57, 135, 148, 153, 167-169, 188-191 Sarkozy, Nicolas 16, 26, 93, 136, 152 Scrutin 92, 106-108, 112, 119, 126, 128, 142 205

Le meilleur de l’actualité 2014-2015 SFR 15 Sotchi 94-96 Soudan 11, 13, 97-99, 104 SpaceX 176-177, 182 Sport 95, 155 Sunnites 62-63, 65-66 Sykes Picot 63 Syrie 62, 84

T TAFTA 13, 56 Talibans 78, 119-121 Taxis 31 Télécoms 15 Terrorisme 13, 78, 109, 180 Tesla Motors 176-177, 182 Thaïlande 52, 81-83 Thiel, Peter 182-184 Tian’anmen 88, 90 Traité transatlantique 56 TTIP 56-58 Tumblr 45 Tunisie 65 Twitter 44-45, 79, 84

206

U Uber 31 Ukraine 72-74, 94, 174 Union européenne 35, 55-56, 66, 72-74, 76, 84, 126-127, 171, 175

V Valls, Manuel 28, 38, 137-138, 143 Virus 166, 169 VTC 31-32

W Wall Street 44, 181 Wikileaks 56, 58 Wilkinson, Jonny 155-156

Y Yahoo 45

Z Zone euro 8, 28, 30