Le manuscrit perdu à Strasbourg: Enquête sur l'œuvre scientifique de Hildegarde
 9791035102326, 9782859442774

Table of contents :
SOMMAIRE
Introduction
Chapitre premier : Les vicissitudes d'une œuvre
1. Les fluctuations du titre
2. Témoins et hagiographes
3. L'œuvre et son double
Chapitre II : La tradition manuscrite, une histoire de familles
1. Catalogue des manuscrits des œuvres scientifiques de Hildegarde
2. Données et inconnues
3. Liens de parenté
Chapitre III : Un manuscrit fédérateur
1. L'édition de Strasbourg
2. Coupes
3. Deux livres d'emprunt ?
Chapitre IV : Les métamorphoses du Liber subtilitatum
1. Examen des livres botaniques
2. Les préfaces
3. Les livres zoologiques
Chapitre V : Les énigmes du « livre des éléments »
1. Un livre instable
2. L'absence du feu
3. L'étonnante présence des cours d'eaux
Chapitre VI : Une femme savante
1. Le sexe de l'auteur
2. Le souci du corps
3. Particularités de l'anatomie féminine
4. Une conception originale de la « nature » des femmes
Chapitre VII : Sources et influences
1. Vision et savoir
2. Relais possibles et « références explicites »
3. À la recherche des sources inavouées
4. Influence de la médecine de Salerne sur le Liber subtilitatum
Chapitre VIII : Une vision de la nature
1. L'essor de l'observation dans l'Occident médiéval
2. Les habitants des eaux
3. Le monde des plantes
4. Une perspective différente
Conclusion
Sources et bibliographie
Index des noms de personnes

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Le manuscrit perdu à Strasbourg Enquête sur l'œuvre scientifique de Hildegarde

Laurence Moulinier

DOI : 10.4000/books.psorbonne.24486 Éditeur : Éditions de la Sorbonne Année d'édition : 1995 Date de mise en ligne : 25 juin 2019 Collection : Histoire ancienne et médiévale ISBN électronique : 9791035102326

http://books.openedition.org Édition imprimée ISBN : 9782859442774 Nombre de pages : 287 Référence électronique MOULINIER, Laurence. Le manuscrit perdu à Strasbourg : Enquête sur l'œuvre scientifique de Hildegarde. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 1995 (généré le 15 juillet 2019). Disponible sur Internet : . ISBN : 9791035102326. DOI : 10.4000/books.psorbonne.24486.

Ce document a été généré automatiquement le 15 juillet 2019. Il est issu d'une numérisation par reconnaissance optique de caractères. © Éditions de la Sorbonne, 1995 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

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Connue de longue date pour ses visions, l'abbesse allemande Hildegarde de Bingen (1098-1179) a conquis ces dernières années un public de plus en plus large grâce à deux autres de ses dons. Cette bénédictine géniale, dont la longue vie fut particulièrement active, s'essaya en effet avec autant de succès à la musique et à la médecine, domaines dans lesquels peu de femmes ont laissé leur nom. Ses chants liturgiques (dont elle composa elle-même le texte et la musique) ont été conservés dans des manuscrits contemporains de leur auteur, et sont abondamment joués et enregistrés. Sa science naturelle en revanche, si elle séduit un nombre toujours croissant d'adeptes en quête d'alternatives à la médecine traditionnelle, ne présente pas les mêmes garanties de fiabilité : les préceptes médicaux de Hildegarde, que le public redécouvre aujourd'hui avec enthousiasme, nous ont été transmis par des manuscrits tardifs, et donc susceptibles d'avoir subi bon nombre de modifications. Les écrits scientifiques qu'elle conçut et rédigea se confondent-ils réellement avec ceux qui nous sont parvenus ? L'édition qu'on en donna à la Renaissance à Strasbourg fut-elle établie d'après un manuscrit aujourd'hui disparu, ou est-elle une belle infidèle ? Et si l'étonnant savoir naturaliste de Hildegarde est bien le sien, d'où cette moniale prétendûment inculte tenait-elle ces connaissances ? Autant de questions que l'auteur a tenté de résoudre en prenant ces traités médicaux en filature à travers les siècles : les résultats de l'enquête forment le récit des aventures et des avatars d'un oiseau rare, une œuvre scientifique composée par une femme hors du com¬mun dans l'Occident du XII e siècle.

LAURENCE MOULINIER Agrégée de Lettres modernes et docteur en Histoire. Membre du comité de rédaction de la revue Médiévales depuis 1989, elle est actuellement Maître de Conférences d'Histoire médiévale à l'université de Poitiers. Elle a donné en 1990 la première traduction française des poésies complètes de Hildegarde, parue aux éditions de La Différence sous le titre de Louanges.

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SOMMAIRE Introduction Chapitre premier : Les vicissitudes d'une œuvre 1. Les fluctuations du titre 2. Témoins et hagiographes 3. L'œuvre et son double

Chapitre II : La tradition manuscrite, une histoire de familles 1. Catalogue des manuscrits des œuvres scientifiques de Hildegarde 2. Données et inconnues 3. Liens de parenté

Chapitre III : Un manuscrit fédérateur 1. L'édition de Strasbourg 2. Coupes 3. Deux livres d'emprunt ?

Chapitre IV : Les métamorphoses du Liber subtilitatum 1. Examen des livres botaniques 2. Les préfaces 3. Les livres zoologiques

Chapitre V : Les énigmes du « livre des éléments » 1. Un livre instable 2. L'absence du feu 3. L'étonnante présence des cours d'eaux

Chapitre VI : Une femme savante 1. Le sexe de l'auteur 2. Le souci du corps 3. Particularités de l'anatomie féminine 4. Une conception originale de la « nature » des femmes

Chapitre VII : Sources et influences 1. Vision et savoir 2. Relais possibles et « références explicites » 3. À la recherche des sources inavouées 4. Influence de la médecine de Salerne sur le Liber subtilitatum

Chapitre VIII : Une vision de la nature 1. L'essor de l'observation dans l'Occident médiéval 2. Les habitants des eaux 3. Le monde des plantes 4. Une perspective différente

Conclusion Sources et bibliographie

Index des noms de personnes

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Introduction

Ste Hildegarde décrit toutes les maladies de notre époque avec... un millénaire d'avance ! Tout y passe. « Des millions d'heures de recherches auraient été économisées si l'on avait consulté ces parchemins oubliés depuis des siècles », dit un chercheur qui s'est penché sur ces écrits1. On dit cependant qu'une partie des manuscrits serait détenue par l'Union des Pharmaciens et enfermée dans un coffre-fort. Concerne-t-elle des écrits non encore publiés ? Il y a là un mystère qu'il serait utile d'élucider2. 1

Certaines femmes du Moyen Age sont d'actualité et Hildegarde de Bingen (1098-1179), bénédictine allemande passée à la postérité comme sainte visionnaire, a le vent en poupe. Bénéficiant ( ?) d'un air du temps friand de médecines dites naturelles, l'abbesse, qui laissa entre autres écrits une importante œuvre scientifique, s'est vu en effet sacrer depuis quelques années « patronne des médecines douces ». Ce mouvement de redécouverte enthousiaste de la médecine de Hildegarde est bien sûr parti d'Allemagne, où le souvenir de la sainte est resté vivace grâce aux travaux des sœurs de l'abbaye qui porte son nom à Rüdesheim-Eibingen : des praticiens y mettent en application depuis de longues années les préceptes médicaux de Hildegarde (l'un d'eux, le Docteur Hertzka, qui exerce à Constance, affirme avoir trouvé dans les écrits de Hildegarde le moyen de combattre nos maladies dites de civilisation comme l'infarctus ou le cancer 3), des ouvrages intitulés Hildegard Medizin Praxis ou Kochen mit der heiligen Hildegard 4 y voient périodiquement le jour, et la Fédération des Unions de pharmaciens allemands a créé une médaille de Hildegarde destinée à récompenser les mérites dans le domaine de l'éducation de la santé ; on ne compte d'ailleurs plus, dans les contrées de langue allemande, les pharmacies proposant des remèdes indiqués par la sainte, y compris des chaussures en peau de blaireau5, ou les boulangeries et meuneries fournissant semoule, farine, pain et biscottes d'épeautre, puisque Hildegarde tenait cette céréale un peu marginale aujourd'hui pour une véritable panacée.

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Cette vogue a gagné d'abord la Suisse, puis d'autres pays, y compris hors d'Europe ; à Bâle, la Basler Hildegard-Gesellschaft publie régulièrement, outre différentes études et

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traductions des œuvres de sa sainte éponyme, un Hildegard-Zeitschrift à l'intention de ses fidèles, et a ouvert un département de « produits hildegardiens », Hildegard-Mittel und Reformprodukte, confectionnés selon les recettes de l'abbesse. En France, les éditions Résiac, à Montsûrs, ont récemment publié deux œuvres des Docteurs Hertzka et Strehlow (Manuel de médecine de sainte Hildegarde et Médecine des pierres précieuses de sainte Hildegarde), et tiennent à la disposition de leurs clients différents « produits naturels » recommandés par Hildegarde, notamment des pierres précieuses ; un naturopathe, Daniel Maurin, anime pour sa part dans le Sud-Ouest des sessions « Santé, Vitalité, Joie de vivre avec Sainte Hildegarde » et les publications à ce sujet vont bon train, souvent dotées de titres affichant la joie d'avoir trouvé dans une œuvre du XIIe siècle les armes pour combattre les maux du nôtre6. 3

Un tel succès ne se limite pas à son œuvre médicale, et l'ensemble des écrits de la sainte, y compris sa musique, abondamment jouée et enregistrée, occupe depuis quelque temps le devant de la scène. Le dernier enregistrement de ses chants par le groupe « Sequentia » a fait un véritable malheur7, et la vie et l'œuvre de Hildegarde semblent devenues si familières — la chaîne Arte lui a consacré toute une émission à une heure de grande audience en décembre 1993, et une actrice du petit écran n'hésitait pas à évoquer dans une interview « [s]a copine Hildegarde8 » — qu'on craint parfois d'enfoncer des portes ouvertes lorsqu'il s'agit de les présenter au lecteur. À plus forte raison depuis la toute récente parution d'une biographie de Hildegarde signée Régine Pernoud...9

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Dans ce mouvement de redécouverte enthousiaste, le meilleur côtoie parfois le pire et les aberrations ne manquent pas. Pourtant la curiosité du grand public pour le personnage et son œuvre a partie liée avec les avancées de la recherche à ce sujet. Éditions, traductions et analyses des écrits de Hildegarde se sont multipliées depuis le siècle dernier, et la réussite de cette entreprise de propagation tient notamment à l'activité incessante des sœurs de l'Abtei-St. Hildegard. Des traductions en série de ses œuvres, publiées par l'éditeur Otto Müller à Salzbourg, ont contribué à la faire connaître d'un nombre toujours croissant de lecteurs dans l'aire germanophone, et le 800e anniversaire de la mort de la sainte, en 1979, a donné une nouvelle impulsion aux recherches hildegardiennes, mobilisant et rassemblant de nombreux chercheurs autour de différents aspects de son œuvre.

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En France, l'intérêt pour Hildegarde est devenu particulièrement sensible dans les années 80, et la traduction du Livre des œuvres divines par le regretté Bernard Gorceix en 1982 10 puis la thèse de Sylvain Gouguenheim sur L'Eschatologie dans la vie et l'œuvre de Hildegarde de Bingen en 1989 11 sont deux étapes importantes de la redécouverte des écrits théologiques de Hildegarde dans notre pays. Mais en ce qui concerne son œuvre scientifique, les résultats de la recherche ont précédé l'entreprise de traduction : Elisabeth Klein soutint en 1984 une thèse de médecine sur la Physica de Hildegarde, qu'elle publia auprès de la « Société Hildegarde » sise à Bâle, la Basler Hildegard-Gesellschaft 12, à qui elle confia également le soin d'éditer sa traduction partielle de ladite Physica en 1988 13 ; la même année paraissait à Grenoble, chez Jérôme Millon, le premier tome de la traduction complète de cette œuvre par Pierre Monat14. Or les textes scientifiques attribués à l'abbesse sont toujours loin d'être établis et l'on ignore encore ce qui y revient au juste à Hildegarde et ce qui au contraire doit être mis au compte de continuateurs anonymes.

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Lorsque j'ai commencé à me pencher sur l'œuvre de Hildegarde en 1985, j'étais loin de me douter de l'ampleur qu'allait prendre le phénomène mais Sylvain Gouguenheim avait

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raison de prophétiser, en vertu peut-être de sa familiarité avec les prédictions de la sainte, que les publications à son sujet allaient faire un bond dans les années à venir. De fait la bibliographie la concernant, tous pays confondus, y compris le Japon15, a atteint aujourd'hui des proportions gigantesques, et a même fait l'objet d'un ouvrage à part entière par Werner Lauter, régulièrement tenu à jour et réédité16 : de gloire nationale intéressant au premier chef les érudits germanophones, Hildegarde est devenue un phénomène international, et un des signes les plus nets en est la création aux États-Unis, il y a dix ans, d'une « International Society for Hildegard of Bingen's Studies ». Sœur de tant d'autres « Hildegard-Gesellschaften » établies en Allemagne, en Suisse ou en Autriche, cette société publie régulièrement un bulletin d'information exclusivement consacré aux avancées de la recherche hildegardienne, Qualelibet, et organise chaque année autour de la sainte un colloque à Kalamazoo, où ses « fans » peuvent se procurer des T-Shirts à son effigie... Notons que c’est aux États-Unis également qu’une sœur du nom de Germaine Fritz, prieure d’un monastère du New Jersey, a lancé en novembre 1994 un disque intitulé Vision (EMI), dans lequel les chants de louange de l’abbesse ont été audacieusement remixés selon le goût du jour, au point de devenir des « tubes » de boîtes de nuit... 7

Le sujet auquel je m'attelai ne manquait pas d'envergure, le mariage des lettres et des sciences dans la vie et dans l'œuvre de Hildegarde étant somme toute aussi remarquable que l'alliance de l'artiste et de l'ingénieur, par exemple, en la personne d'un Léonard de Vinci. D'emblée, l'étude de l'œuvre scientifique de l'abbesse se situait au confluent de nombreuses histoires, celle de la sainteté, celle de la médecine et celle de l'environnement : elle s'est en fait avérée relever tout autant de l'histoire des textes, quand j'eus pris mes distances avec la popularité croissante de la sainte, qui s'interposait tel un écran devant son œuvre. La traduction de la Physica en français avait certes marqué un tournant important, mais l'œuvre scientifique de Hildegarde coulait-elle pour autant de source ? Elle posait par exemple toujours des problèmes de terminologie mais les difficultés soulevées encore aujourd'hui par la traduction de certains termes vernaculaires contenus dans cette œuvre n'étaient somme toute que les arbres qui cachent la forêt, car les énigmes de l'histoire du texte demeuraient sans réponse : pourquoi l'édition de la Physica imprimée à la Renaissance ne ressemblait-elle à aucun des manuscrits connus ? Pourquoi disposions-nous de deux œuvres médicales attribuées à Hildegarde, Physica d'une part, Causae et curae d'autre part, alors que les témoignages contemporains de la sainte n'évoquaient qu'un seul écrit scientifique, apparemment intitulé Liber subtilitatum diversarum naturarum creaturarum ? Enfin, pourquoi, quand et par qui Physica et Causae et curae s'étaient-ils vu attribuer les sous-titres respectifs de Liber simplicis medicinae et Liber compositae medicinae ?

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Il était de plus en plus clair qu'on ne pouvait s'appuyer, pour analyser l'œuvre scientifique de Hildegarde, ni sur le seul texte édité dans la Patrologie latine de Migne ni, a fortiori, sur ses traductions française ou allemande. Les travaux de Peter Dronke m'invitaient à suivre la voie de l'étude des manuscrits, et je m'y engageai d'autant plus résolument que je venais d'apprendre la récente découverte de deux nouveaux manuscrits complets de la Physica conservés l'un à Florence, l'autre à la Bibliothèque vaticane ; je pus les consulter directement, et les aléas de ma recherche me mirent en outre en présence de deux premiers fragments inédits, puis de deux autres : l'histoire de l'œuvre scientifique de Hildegarde devait retracer sa genèse mais aussi son devenir, et je me suis donc penchée sur l'histoire des différents manuscrits subsistants. Au bruit, sinon

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à la fureur, déchaîné par la médecine de Hildegarde dans les années 1980-1990 s'opposait un silence des siècles précédents qui n'était tout compte fait qu'une apparence : chaque manuscrit, complet ou fragmentaire, me parlait de l'intérêt suscité par la médecine de Hildegarde à différentes époques, et je me suis alors attachée à connaître ses lecteurs, ceux qui avaient copié son œuvre comme ceux qui l'avaient achetée, mais aussi les bibliophiles modernes qui avaient permis sa survie en l'intégrant dans leurs collections. Une géographie et une sociologie de la réception de l'œuvre s'esquissaient, en même temps qu'une histoire, voire des histoires possibles de sa formation et de sa déformation. 9

Bien qu'ayant appris à fuir cette dichotomie, je ne me sentais pas autorisée à commenter le « fond » de l'œuvre scientifique de Hildegarde avant d'en avoir exploré la forme et dessiné les contours. Le témoignage des manuscrits primait sur tout autre critère d'appréciation, quitte à soulever plus de questions qu'il n'apportait de réponses. D'autres, comme Marie-Louise Portmann ou Danielle Delley, nourrissaient également des doutes sur l'homogénéité de cette Physica si largement citée ou commentée, mais leurs critères, souvent empreints d'a priori sur ce que Hildegarde n'aurait jamais pu concevoir, et donc écrire, ne me paraissaient pas satisfaisants. J'ai ainsi passé de longues heures à retranscrire et à analyser des variantes parfois infimes, et mon travail a pris à bien des égards l'allure sinon d'une filature, du moins d'une enquête policière, avec ses lenteurs, ses piétinements et ses impasses. Je donne donc en pâture au lecteur, en guise de pièces à conviction, de longues portions de texte qui constituent autant d'étapes de mon raisonnement, mais au terme de l'enquête, je n'ai à lui livrer que des suspects et leurs mobiles possibles, laissant au principal coupable le bénéfice du doute.

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Ce travail ne prétend pas, en effet, avoir résolu tous les problèmes liés à l'histoire du texte, dont l'édition critique reste à faire, ni même brossé un scénario linéaire et limpide de la destinée de l'œuvre ; souhaitons seulement qu'il ait réussi à mettre en évidence les fluctuations d'une œuvre aux contours mouvants, notamment grâce à l'établissement d'un catalogue des manuscrits scientifiques de l'œuvre de Hildegarde, dont les découvertes les plus récentes rendaient nécessaire la mise à jour. Au moins le silence des cabinets de manuscrits et le ronronnement tranquille des lecteurs de microfilms m'ont-il permis de me concentrer dans un premier temps sur l'œuvre seule et ses différents états, et de me tenir à l’écart d'un certain nombre de discours qui escamotaient sa complexité par leur partialité : la ferveur catholique, la foi dans la naturopathie ou les convictions féministes de différents auteurs d'ouvrages sur Hildegarde me sont apparues de fait bien souvent comme autant de risques de brouillage.

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Quitte à inverser l'ordre chronologique des choses, j'ai donc tenu à interroger longuement les textes avant de faire comparaître l'auteur présumé, et ce n'est qu’après avoir touché du doigt puis exploré l'aspect stratifié, pour ainsi dire feuilleté, de l’œuvre scientifique de Hildegarde (chapitres I à V) que j'ai pu en venir, dans une seconde grande partie, à la question de sa genèse et l'aborder entre autres par le biais de l'histoire biographique. La vie et la personnalité de Hildegarde, désormais abondamment décrites en France et ailleurs, revêtant l'apparence du connu, avec ses charmes et ses dangers, je dois avouer que je me suis méfiée quelque peu de ses hagiographes médiévaux et modernes ; l'histoire des maladies de la sainte, constamment souffrante depuis son plus jeune âge, phénomène souvent invoqué pour expliquer qu'elle se soit intéressée à la médecine, m'a semblé par exemple à la fois un champ trop balisé et un fil trop ténu pour que j'y insiste.

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Plus fructueuse m'a paru en revanche une réflexion sur les rapports entre sa condition de femme et son entreprise scientifique, sans pour autant sacrifier à la mode : la rencontre du sexe dit faible et de la science est en effet remarquable, surtout au Moyen Age, et de récentes et très sérieuses études sur les « femmes auteurs » de cette période m'ont fourni de solides points d'appui. J'ai donc pu tenter une évaluation de l’originalité de l’œuvre de Hildegarde, en comparant son apport à celui d’autres rares figures féminines « scientifiques » du Moyen Age mais aussi en m'interrogeant sur sa réception à travers les siècles ou en cherchant dans la biographie et dans les autres écrits de l'abbesse de quoi éclairer la singularité de ses vues (chapitre VI). « Femme savante », elle l'était assurément mais l'origine de ses connaissances gardait une large part de son mystère : je me suis donc lancée, à son corps défendant, à la recherche de ses sources, et j'ai tâché d'autre part de resituer la Physica et le Causae et curae 17 par rapport à la littérature scientifique qui les avait précédés comme par rapport à celle qui devait leur succéder (chapitre VII).

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L'œuvre scientifique de Hildegarde nous parle des hommes du Moyen Age, de leurs maux et de leurs espoirs, mais aussi du rapport qu'ils entretenaient avec la Nature environnante : on comprendra que toute appréciation de cet aspect de l'œuvre ne pouvait venir qu'en dernier, comme l'aboutissement de ce travail. L'étude minutieuse des manuscrits en était le préalable impératif, sous peine de commettre des anachronismes de taille, et de s'extasier par exemple mal à propos sur le caractère radicalement novateur au XIIe siècle, de chapitres écrits probablement plus tard et par d'autres, dans un contexte culturel tout à fait différent.

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Ce travail s'est développé au fur et à mesure que grandissait en moi la conviction que la circonspection s'imposait plus que jamais à propos de l'œuvre scientifique de Hildegarde, et qu'il était nécessaire avant tout de la remettre en perspective, « entre le cristal et la fumée » pour reprendre une formule d'Henri Atlan ; aussi paradoxal que cela puisse paraître, si le lecteur referme cette étude avec plus de soupçons que de certitudes, j'estimerai qu'elle a atteint son but.

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L'histoire qu'on lira ici n'est pas le fruit d'une recherche entièrement solitaire et je tiens à remercier l'École française de Rome, dont les bourses d'étude m'ont permis un contact direct et décisif avec certains textes, ainsi que la Basler Hildegard-Gesellschaft, qui m'a aimablement fourni différentes parutions introuvables en France. Mais outre les longs tête à tête avec les documents, ce livre doit beaucoup aux échanges et aux contacts que j'ai eus avec différents amis et chercheurs : Martin Aurell, Corinne Beck, Charles Burnett, Jean-Luc Chassel, Danielle Jacquart, Robert Delort, Peter Dronke, André-Georges Haudricourt, Lada Hordynsky-Caillat, Gundolf Keil, Elisabeth Klein, Bruno Laurioux, Frédéric Maurin, Philippe Morel, Nigel Palmer, Michel Parisse, François Poplin, Odile Redon, Charles Roux. Qu'ils m'aient prodigué encouragements et conseils ou qu'ils aient accepté la tâche ingrate de me relire, leur aide et leurs lumières ont facilité mon travail et je leur dis ici toute ma gratitude.

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NOTES 1. « La page médicale d'Ici Paris », par J.-L. Andrei, Ici Paris, n o 2424, du 18 au 23 décembre 1991, p. 12. 2. R. Lejeune, extraits de la préface du livre de D. MAURIN, Une médecine tombée du ciel, Ed. SaintPaul, 1991, rassemblés dans l'article « Une fleur du jardin médiéval », Dieu est amour, n o 151, Sainte Hildegarde de Bingen, mai 1993, p. 8-9. 3. Cf. G. HERTZKA, Voilà comment Dieu guérit, Hauteville, 1987 pour la trad. fr., p. 20 : « La maladie du cancer est tellement bien décrite, dans sa genèse et dans ses corrélations, que cela m'a procuré un véritable plaisir d'observer, depuis 25 ans, comment les cancérologues ont, dans leurs résultats acquis pour certains, confirmé trait pour trait ce que Hildegarde décrit. » Cf. aussi p. 22 : « Il y a trente ans que je m'occupe de la médecine d'Hildegarde. Dans tous les cas où j'ai observé ou pu observer exactement ses prescriptions, les résultats ne se sont pas fait attendre. » 4. Voir par exemple E.

BREINDL,

Das groβe Gesundheitsbuch der hl. Hildegard et Gesund und

schmackhaft kochen, parus à Augsbourg en 1988, et R. SCHILLER, Hildegard Medizin Praxis. Rezepte für ein gesundes Leben. Heilmittel im Einklang mit der Umwelt. Wahrung der ursprünglichen Lebenskraft, Augsbourg, 1990. 5. Cf.. G. HERTZKA, W. STREHLOW, Manuel de la médecine de sainte Hildegarde, Montsûrs, 1988 pour la trad. fr., p. 364 : « De la peau de blaireau, une ceinture de blaireau, des bandages de peau de blaireau, voire des sommiers de la même peau sont un des meilleurs moyens d’assurer l'irrigation sanguine des jambes. » 6. A titre d'exemple, après Voilà comment Dieu guérit du Dr Hertzka, et Sainte Hildegarde, une médecine tombée du ciel de D. Maurin, ont paru Les Recettes de la joie avec sainte Hildegarde, nées de sa collaboration avec le « cordon-bleu » J. FournierRosset et précédant de peu la publication des Secrets de cuisine de sainte Hildegarde par les éditions Résiac. 7. HILDEGARD VON BINGEN, Chants de l'extase, Deutsche Harmonia Mundi, BMG, 1994. 8. Cf. l'article d'A. Marti sur Diane Bellego, « Diane, ambassadeur de charme », Le Figaro, 31 octobre 1990 : « Elle rêve des grandes aventurières, Cassandre et, comme elle l'appelle, “ma copine” Hildegarde de Bingen, une abbesse du XIe siècle (sic) ». 9. R. PERNOUD, Hildegarde de Bingen, conscience inspirée du XIIe siècle, Monaco, 1994. 10. HILDEGARDE DE BINGEN, Le Livre des œuvres divines (Visions), prés, et trad. B. Gorceix, Paris, 1982. 11. S.

GOUGUENHEIM,

L'Eschatologie dans la vie et l'œuvre d'Hildegarde de Bingen, thèse dactyl.,

Université de Paris X, 1989, 2 vol. 12. Viae ad Physicam Sanctae Hildegardis, Présentation et traduction de morceaux choisis, thèse de doctorat en médecine, Strasbourg, Université Louis Pasteur, 1984. 13. HILDEGARDE DE BINGEN, Physica : livres V-VI-VII-VIII, trad. E. Klein, Bâle, 1988. 14. HILDEGARDE DE BINGEN, Le Livre des subtilités des créatures divines (Physique), prés. C. Mettra, trad. P. Monat, Grenoble, 2 vol., 1988-1989. 15. Cf. W.

LAUTER,

« Hinweise auf Hildegard von Bingen in Japan », dans Hildegard von Bingen.

Festchrift zum 800. Todestag, éd. Anton Ph. Brück, Mayence, 1979, p. 433-438. 16. Cf. W.

LAUTER,

Hildegard-Bibliographie. Wegweiser zur Hildegard-Literatur, Alzey, 1970, et

Hildegard-Bibliographie. Wegweiser zur Hildegard-Literatur, Alzey, 1984 (pour les parutions concernant Hildegarde de 1970 à 1982). 17. Par commodité, et pour éviter lourdeurs et problèmes d'accord, je manierai ce titre comme un singulier.

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Chapitre premier : Les vicissitudes d'une œuvre

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L'œuvre scientifique de Hildegarde tient dans deux écrits connus actuellement sous les titres que leur donnèrent leurs éditeurs. Il faut la distinguer des idées scientifiques que l'abbesse expose dans sa correspondance, dans son Livre des œuvres divines ou dans ses autres œuvres théologiques : ses écrits proprement scientifiques diffèrent en effet grandement du reste de son œuvre et en constituent la partie la plus problématique, tant du point de vue de leur contenu que de celui de leur forme ou de la transmission des manuscrits.

1. Les fluctuations du titre 2

Ces écrits nous sont parvenus sous la forme d'un diptyque constitué aujourd'hui de deux traités, la Physica et le Causae et curae. La Physica occupe les colonnes 1125 à 1352 du volume 197 de la Patrologie latine de Migne : cette édition, établie en 1855 d'après l'actuel manuscrit 6952 du fonds latin de la Bibliothèque nationale de France par l'historien de la médecine Charles-Victor Daremberg1 et Friedrich Anton Reuss, professeur à Wurtzbourg, a pour sous-titre Sanctae Hildegardis abbatissae subtilitatum diversarum naturarum creaturarum libri novem, intitulé qui s'inspire de l'incipit du manuscrit reproduit 2. L'auteur de l'unique traduction intégrale de cette œuvre en français, Pierre Monat, a cru garder l'appellation du manuscrit de Paris mais y a en fait introduit une modification de taille, en baptisant l'ouvrage Livre des subtilités des créatures divines 3 tandis qu'Elisabeth Klein, à qui l'on doit la première version française des quatre livres animaliers de Hildegarde, s'en tenait au titre de Physica 4. Cet écrit se compose de neuf livres intitulés, dans l'ordre, de plantis, de elementis, de arboribus, de lapidibus, de piscibus, de avibus, de animalibus, de reptilibus et, pour finir, de metallis. Chacun de ces livres, à l'exception du second, y est précédé d'une praefatio plus ou moins longue, où sont exposés l'origine des créatures qui vont y être énumérées et quelques-uns de leurs caractères généraux ; le livre en lui-même est divisé en autant de chapitres numérotés, eux aussi de longueur très variable, que d'éléments de la création recensés. La notice consacrée à chaque créature obéit à une structure binaire : à l'énoncé d'une nature (végétale, animale ou minérale) succède la liste de ses applications pratiques possibles, et l'on y apprend comment l'homme peut s'en servir

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pour se soigner, se nourrir ou se vêtir mais aussi comment il peut s'en protéger ou y puiser de quoi soulager des animaux domestiques malades. 3

Causae et curae fut de son côté édité pour la première fois in extenso en 1903 par Paul Kaiser chez Teubner5 d'après un unique manuscrit du XIII e siècle conservé à la Bibliothèque royale de Copenhague6 : baptisé Beatae Hildegardis causae et curae par le copiste, il se divise en cinq grandes sections de différentes longueurs, dont le début est indiqué par de grandes initiales décorées, et l'inscription liber primus, liber secundus, etc., dans la marge supérieure du folio, d'une autre main que celle du copiste. Ces sections n'ont pas pour autant de titre et on ne trouve pas non plus trace, dans ce traité, de l'énumération ordonnée qui caractérise la Physica : les paragraphes n'y sont pas tant précédés de chiffres (la numérotation discrète qui figure en marge n'a d'ailleurs pas été reproduite par Kaiser) que de rubriques et Kaiser pensait que la main ayant ajouté les rubriques était la même que celle qui avait copié le texte7. Il s'opposait en cela à Jean-Baptiste Pitra 1812-1889), (bénédictin fait cardinal en 1863 et bibliothécaire du Vatican en 1869, ayant publié en 1882 un recueil d'œuvres de Hildegarde où figurait une édition partielle du Causae et curae8 Suite au cardinal Pitra, Heinrich Schipperges, auteur d'une traduction allemande de ce traité9, considère lui aussi comme des ajouts bien postérieurs ces rubriques dont le vocabulaire appartient d'après lui non pas à la langue de Hildegarde, mais à celle du XIII e siècle10. Kaiser ayant gardé l'appellation de liber introduite par un copiste ultérieur pour chacune des sections de l'ouvrage, nous reprendrons sa terminologie par commodité, bien qu'elle ait été abandonnée par H. Schipperges dans sa traduction11.

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La structure du Causae et curae n'apparaît pas aussi nettement, loin de là, que celle de la Physica, d'autant que certains thèmes traités dans un de ses cinq « livres » le sont à nouveau dans un autre. On peut tâcher néanmoins de présenter l'ouvrage dans ses grandes lignes : comme beaucoup d'écrits encyclopédiques du Moyen Age, il s'ouvre sur la Création, et sa première section (pages 1 à 33) contient une cosmologie et une cosmographie ; la seconde — de loin la plus volumineuse, quasiment disproportionnée par rapport au reste de l'ouvrage, dont elle occupe les trois quarts avec ses 132 pages —, défie toute tentative de synthèse de l'avis de G. M. Engbring12 ; tout au plus peut-on en dire que, centrée sur l'homme, elle expose et explique les différentes maladies auxquelles il peut être sujet : la troisième et la quatrième sections (p. 165-219), énumèrent différentes cures susceptibles d'y porter remède. La cinquième et dernière section, enfin, est de loin la plus disparate : on y trouve pêle-mêle des chapitres sur des questions générales de médecine comme les signes de la vie et de la mort, l'uroscopie ou l'usage des bains, et un exposé d'astrologie qui se distingue de ce qui précède par une des initiales qui, dans le reste de l'ouvrage, marquent le début de chaque livre. Aussi H. Schipperges, à l'instar de P. von Winterfeld, la traite-t-il comme une sixième section du Causae et curae et la tient-il, comme les rubriques de l'ensemble du texte, pour un ajout postérieur13. Elle constitue en tout cas avec les livres III et IV la partie proprement médicale du traité.

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Les œuvres de Hildegarde, et ses œuvres scientifiques en particulier, ont connu des fortunes très diverses, que reflète bien la chronologie des éditions princeps : Causae et curae, on l'a dit, ne fut publié qu'au début de ce siècle, et le Livre des œuvres divines, aujourd'hui peut-être son livre le plus célèbre, en 1761 seulement14, grâce à Giovanni Domenico Mansi (1692-1779), alors archevêque de Lucques, qui rendit le Liber divinorum operum simplicis hominis resté jusqu'alors anonyme à son véritable auteur 15. La Physica fut en revanche imprimée à la Renaissance, comme d'autres œuvres de l'abbesse : sa « lettre contre les Cathares » avait été publiée dès 1474, et le Scivas en 1513 16 ; en 1524, Johann

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Köbel avait édité la Vie de saint Rupert et une traduction allemande de la Vita Hildegardis, et en 1527, le réformateur Osiander avait publié une « prophétie de sainte Hildegarde » ; un an plus tard, Jérôme Gebwiler fit paraître, sous le titre de De praesenti clericorum tribulatione, des révélations attribuées à Hildegarde qu'il avait trouvées « dans un très vieux manuscrit »17. Et c'est en Alsace également, à Strasbourg, que parut en 1533 chez l'imprimeur Jean Schott un ouvrage intitulé Physica s. Hildegardis. Elementorum, Fluminum aliquot Germaniae, Metallorum, Leguminum, Fructuum et Herbarum : Arborum et Arbustorum : Piscium denique, Volatilium et Animantium terrae naturas et operationes IV libris mirabili experientia posteritati tradens18. 6

Le terme de « physica » est fortement polysémique, en synchronie comme en diachronie. Selon M. de Boüard il recouvrait ainsi à la fin du VIIIe siècle, dans le De dialectica d'Alcuin, les quatre arts libéraux à caractère mathématique du quadrivium, à savoir l'arithmétique, l'astronomie, la géométrie et la musique. A l'époque de Hildegarde, Abélard devait élargir le sens donné à physica par Alcuin, et comprendre par là l'ensemble des sciences ayant pour objet le monde créé19. Guillaume de Conches lui donnait une signification très proche et voyait dans la « physique » tout ce qui a trait aux choses naturelles et analyse la structure des corps. Cette acception se retrouve chez un auteur comme Thierry de Chartres, qui projetait d'expliquer le texte biblique secundum physicam et ad litteram, c'està-dire selon les lois naturelles et à la lettre20, ou chez Hugues de Saint-Victor qui, dans son Eruditio didascalica21, opposait une « physique » synonyme de « philosophie des faits de nature », à une « médecine » relevant des arts dits mécaniques, en tant que technique spécialisée. Ce qui ne devait pas empêcher ce mot de revêtir, aux yeux d'un autre contemporain de Hildegarde tel Jean de Salisbury, outre son sens classique de « science du monde physique »22, celui de « médecine » et même de « prestidigitation »23.

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Science naturelle et médecine étaient certes étroitement imbriquées au Moyen Age et ces deux acceptions conviennent à la Physica de Hildegarde. Il faut noter toutefois que Jean Schott est le premier à la nommer ainsi : ce terme ne figure en effet ni dans les manuscrits qui nous ont transmis cette œuvre, ni dans les sources qui en font état au Moyen Age, et il est probable que cette appellation lui a été donnée par l'imprimeur, plutôt que par le manuscrit qu'il reproduisait. Dans le doute, nous ne saurions donc nous attarder sur la question de la signification de ce terme au Moyen Age et renvoyons le lecteur à l'article de J.-J. Bylebyl concernant ses emplois dans le domaine médical 24. Schott prend soin en tout cas de préciser, dans son avertissement au lecteur, le sens que revêt le terme de physica, appliqué au singulier à l'œuvre de Hildegarde25 : « Avec un génie admirable, dit-il, sainte Hildegarde a embrassé en quatre livres la “Physique”, c'est-à-dire les natures des choses26 ». Si cette appellation est du cru de l'imprimeur comme nous le supposons, a-t-elle pu lui être suggérée par l'œuvre de Theodore Priscien, médecin africain du Ve siècle qui écrivit outre ses Euporista, des Physica dont on a conservé des fragments27 ? Schott avait en effet publié en 1532 une édition de ces deux textes établie par Hermann von Neuenar28 et l'édition qu'il donne en 1533 de l'œuvre de Hildegarde figure en tête d'une compilation rassemblant trois autres œuvres médicales, attribuées à Oribase, Théodore et Esculape29. On sait aujourd'hui qu'en fait l'auteur de la Diaeta Theodori n'était pas Theodorus Priscianus, qu'en outre, en dépit du titre donné par Schott à la compilation qui occupe les pages 122 à 233 (Oribasii medici de simplici libri V), seul le livre IV correspond à un écrit d'Oribase et enfin on ignore le nom de l'auteur du traité traditionnellement appelé Liber Esculapii, qui formait la deuxième partie, consacrée aux

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maladies chroniques, d'un manuel dont la première partie — le Liber Aurelii — traitait des fièvres et des maladies aiguës30. 8

Il est significatif en tout cas que seul le terme de physica disparaisse dans la réédition de cette compilation réalisée une dizaine d'années plus tard, toujours à Strasbourg, par Georg Kraut, médecin ayant publié entre autres le Liber de gradibus de Constantin l'Africain à Bâle, chez H. Petrus, en 1536. Il fit réimprimer sans autre changement le recueil de Schott, précédé de deux autres livres de médecine dont un inédit de Trotula, et publia le tout en 1544 chez Jean Schott lui-même sous le titre d'Experimentarius medicinae continens Trotulae curandarum aegritudinum muliebrum ante, in et post partum librum unicum... Libros item quatuor Hildegardis de elementorum, fluminum aliquot Germaniae, metallorum, leguminum, fructuum, herbarum, arborum, arbustorum, piscium, volatilium et animantium terrae naturis et operationibus31. L'œuvre de Hildegarde ne s'appelle donc plus Physica mais la matière de ses écrits y est organisée comme dans l'édition de 1533, en quatre livres. Fait remarquable, le « livre des pierres » manque dans l'édition de 1533 comme dans celle de 1544. L'œuvre éditée par Daremberg, divisée en 9 livres comprenant au total 512 chapitres, diffère donc fort de l'édition princeps, avec ses 379 chapitres répartis en 4 sections, au point que de nombreux critiques supposent que l'édition de Strasbourg fut établie d'après un manuscrit aujourd'hui disparu32 : l'œuvre publiée par Schott et le manuscrit reproduit par Daremberg diffèrent tant par leur organisation interne que par leur titre, et si le dernier a donné à son édition le titre abrégé de celle de Schott, c'est qu'il en a reproduit de larges extraits, précédés de l'abréviation « Ed. » ou « Add. Ed. », comme autant de variantes ou de compléments au manuscrit BNF lat. 6952. Nous examinerons plus loin l'hypothèse de l'archétype introuvable et nous tâcherons d'expliquer pourquoi l'édition réalisée à la Renaissance et celle de la Patrologie latine diffèrent. Pour en revenir à la question du titre de l'œuvre scientifique de Hildegarde, il paraît clair qu'aucune des deux appellations de Physica ou Causae et curae ne date de l'époque de composition de ces écrits ; de même la forme sous laquelle ils se présentent actuellement est sans doute très éloignée de celle qu'ils avaient à l'origine. Il faut certes prendre ici en compte, avec Bernard Guénée, l'« indifférence du Moyen Age par rapport aux titres d'œuvres »33 ; cette opinion doit toutefois être nuancée dans le cas de Hildegarde, qui semble avoir doté certains de ses écrits de titres mûrement pesés. En témoigne entre autres la lettre par laquelle elle répondit à son futur secrétaire Guibert, moine de l'abbaye de Gembloux près de Namur, qui lui avait demandé l'explication de l'appellation de Scivias : Dans une vision j'ai vu que le premier livre de mes visions s'appellerait « Connais les voies », car il a été révélé par la voie de la vivante lumière (per viam viventis luminis), à l'exclusion de tout autre enseignement34.

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Il est certain que ce livre en particulier avait bénéficié d'une publicité peu commune, grâce au synode de Trèves de 1147-1148 au cours duquel il fut soumis à l'approbation du pape Eugène III : en renvoient l'écho les annales de Zwiefalten qui font du Scivias, « livre très catholique révélé par Dieu à une recluse du nom de Hildegarde », un événement marquant de l'année 114235, ou encore une lettre datée d'environ 1167 par laquelle Jean de Salisbury demandait à Gérard Pucelle de lui envoyer les « visions et oracles de la très célèbre et bienheureuse Hildegarde », tout spécialement recommandable et vénérable à ses yeux en raison de « l'affection particulière que lui portait le pape Eugène36 ». Aussi Hildegarde, près de trente ans après avoir achevé sa première œuvre, la supposait-elle suffisamment connue et encore assez présente à l'esprit de son public pour la citer dans son Livre des œuvres divines, invitant le lecteur à s'y référer mentalement pour apprécier l'évolution de sa pensée : dans la deuxième vision de cet ouvrage l'univers lui apparaît

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sous la forme d'une roue et non plus d'un œuf, comme c'était le cas, rappelle-t-elle, « vingt-huit ans plus tôt dans la troisième vision du livre Scivias 37 ». Ce titre étonnant était si personnel, si étroitement lié à Hildegarde qu'il faut tenir pour des plagiaires ses contemporains Egbert et Elisabeth de Schônau, qui intitulèrent « Livre des voies de Dieu » un recueil de visions d'Elisabeth (1129-1164). Contrairement à ce qu'en pensait W. Preger 38 , pour qui le Scivias était une contrefaçon due au moine Theodoricus dont le titre indiquait clairement l'original qu'il démarquait, il y eut bel et bien emprunt, mais dans l'autre sens. Elisabeth et Egbert ne s'en cachèrent d'ailleurs pas et citèrent l'abbesse comme un modèle littéraire à imiter dès le prologue du Liber viarum Dei, où l'ange du Seigneur s'adresse à Elisabeth en ces termes en lui montrant un tas d'ouvrages : « Vois-tu ces livres ? Ils doivent tous être composés avant le jour du jugement dernier. » Puis, brandissant l'un d'entre eux, il ajoute : « Voici le Livre des voies de Dieu, qui sera révélé à travers toi quand tu auras vu et entendu ta sœur Hildegarde39. » Ces paroles aussi angéliques qu'impérieuses, qui consacrent Hildegarde de son vivant comme une autorité, ne pouvaient manquer de frapper les esprits ; ainsi sont-elles fidèlement rapportées par la Chronique du moine Alberic, du monastère de Trois-Fontaines (dans l'actuelle Moselle), qui relate qu'en 1155 Elisabeth de Schönau commença d'écrire le Livre des voies de Dieu et souligne, en replaçant ces mots dans la bouche de la jeune émule de Hildegarde, que l'injonction divine fut aussitôt suivie : « A peine étais-je revenue de chez elle que je m'exécutai40. » 10

Christel Meier a mis en évidence, toujours à propos de ce titre de Scivias, l'influence très probable de deux passages du Livre de Job, « Écarte-toi de nous, connaître tes voies ne nous plaît pas ! » (21, 14) et surtout : « D'autres sont de ceux qui repoussent la lumière : ils en méconnaissent les chemins, n'en fréquentent pas les sentiers » (24, 13) 41. Elle a en outre montré que les titres des deux autres écrits visionnaires de Hildegarde, Livre des mérites de la vie et Livre des œuvres divines s'inspiraient sans doute, l'un du livre V du Periphyseon sive De divisione naturae de Jean Scot où sont commentés les vitae merita42, l'autre du livre IV du même ouvrage de l'Erigène, où l'homme créé le sixième jour apparaît comme la conclusion et le résumé de l'ensemble de la création ; Hildegarde a pu se souvenir notamment de la phrase suivante, à propos du rang d'apparition de l'homme dans la création : « S'il est introduit à la fin de toutes les œuvres divines, c'est la preuve que toutes les œuvres divines existent et sont contenues en lui43. » C. Meier voit en effet un rapport net entre la trinité affectionnée par l'Erigène (essentia, virtus, operatio) et les trois grands écrits visionnaires respectivement associés à ces notions : le dernier notamment, le Liber divinorum operum intitulé aussi D e operatione Dei dans un manuscrit copié du vivant de Hildegarde et conservé aujourd'hui à Gand44, illustrerait particulièrement bien le concept d'operatio exposé par Jean Scot.

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Le titre de l'œuvre scientifique de Hildegarde n'a donc sans doute pas lui non plus été choisi au hasard ; mais, au-delà de nos difficultés à cerner la dénomination d'origine de ses textes médicaux, c'est l'existence même, du vivant de la sainte, de deux écrits distincts qui semble peu sûre, si l'on en croit les témoignages contemporains, à commencer par celui de l'abbesse. Elle-même n'évoque qu'une œuvre et nous renseigne sur l'époque de sa composition, dans le prologue du Liber vitae meritorum où elle énumère ses différents écrits (notons qu'elle rédigea cette préface après avoir achevé le Liber vitae meritorum, d'après ses propres dires, et qu'il faut donc la dater de 1163, et non de 1158 comme le font M. Schrader et A. Führkotter45). « Alors que j'avais soixante ans, j'eus une grande et admirable vision, à laquelle je travaillai pendant cinq ans », dit Hildegarde 46 à la fin de ce

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prologue dans lequel elle établit en quelque sorte le bilan de ses activités littéraires durant la quinzaine d'années qui sépare l'achèvement du Scivias, vers 1150, de celui du Liber vitae meritorum, en 1163. Entre les deux grandes « tempêtes visionnaires », pour reprendre un mot de B. Gorceix47, qui présidèrent à la naissance de ces deux œuvres majeures, Hildegarde se consacra donc à d'autres écrits, et la liste qu'elle en dresse permet de dater leur composition d'entre 1150 et 1158. Il est vrai qu'elle se situe dans ce qu'on pourrait appeler une logique visionnaire, qui l'amène à se présenter non comme l'auteur de ce qu'elle écrit mais comme l'instrument d'autant de révélations divines, et ce dès la première phrase : Incipit liber vitae meritorum per simplicem hominem a vivente luce revelatorum. Aussi est-ce à une « vision » qu'elle attribue son exposé sur les « subtilités des diverses natures des créatures » — syntagme dans lequel nous reconnaissons son œuvre scientifique —, mais aussi ses « réponses et avertissements aux grands comme aux moins grands » (en d'autres termes, ses nombreuses lettres48), la « symphonie de l'harmonie des révélations célestes », c'est-à-dire ses compositions lyriques49 et sa « langue inconnue » ; plus que d'une langue, il s'agit là d'un lexique comprenant plus de mille mots d'origine souvent obscure50, et constituant une sorte de « volapück claustral » selon Paul Franche51. Autant d'écrits qui l'occupèrent pendant les huit ans précédant la grande vision d'où devait naître le Livre des mérites de la vie : Cela arriva la neuvième année après la fin de cette grande vision véritable qui avait révélé au simple être humain que je suis les visions véritables sur lesquelles j'avais sué pendant dix ans. C'était la première année depuis que cette même vision m'avait dévoilé, pour que je les explique, les subtilités des différentes natures des créatures, les réponses et les conseils aux grands comme aux moins grands, la symphonie de l'harmonie des révélations célestes, la langue et les lettres inconnues, ainsi que d'autres exposés, sur lesquels, accablée de douleur et de souffrances après les visions dont j'ai parlé, j'avais peiné huit ans durant 52. 12

Si nous avons cité intégralement ce passage, c'est parce qu'il est très représentatif du style et du caractère de Hildegarde, qui lie toujours étroitement maladie et création, souffrance physique et vision divine, désignant par le même terme de « vision », ici comme dans sa première lettre à Guibert de Gembloux53, plusieurs choses reliées entre elles — son don de vision, son expérience de cette faculté et le contenu de cette expérience54 — et se livrant à ce que S. Gouguenheim appelle justement l'« autodénigrement constant de sa personne »55. Ne nous y trompons pas : il faut faire la part, dans le témoignage de Hildegarde, d'une modestie liée au topos de l'ignorance prophétique, car il est certain qu'en dépit de ses affirmations, ses écrits scientifiques (dont nous aborderons plus loin la question des sources) ne sont pas le fruit d'une vision, contrairement au Scivias, au Liber vitae meritorum et au Liber divinorum operum qui forment pour leur part, aux yeux de B. Gorceix, non pas tant une trilogie qu'n véritable « triptyque visionnaire »56.

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Que le traité des « subtilités des créatures » mentionné par Hildegarde soit l'ancêtre direct de la Physica, c'est ce qui ressort de l'examen de plusieurs manuscrits qui nous ont transmis ce dernier texte : celui de Wolfenbüttel, daté, selon les auteurs, du XIII e ou du tout début du XIVe siècle, s'intitule Beate Hildegardis Liber subtilitatum de diversis creaturis 57 ; celui de Paris, qui date du milieu du XVe siècle, a pour titre liber beate Hildegardis subtilitatum diversarum naturarum creaturarum et sic de aliis quammultis bonis58 et on le retrouve à l'identique dans un manuscrit actuellement conservé à la Bibliothèque vaticane, dont le colophon indique la date de 144959. Cette appellation semble avoir néanmoins connu des fluctuations du vivant même de notre auteur, et le terme de

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subtilitas, que F. Sauerbruch, rappelant qu'il appartient au champ sémantique du tissage 60, propose de traduire par « finesse »61, ne figure pas dans les deux autres témoignages contemporains de Hildegarde dont nous disposons : une lettre de Volmar, moine du Disibodenberg à la fois confident et secrétaire de Hildegarde, et un passage du Livre des œuvres divines. 14

La lettre de Volmar n'est pas datée et la supposition du cardinal Pitra à ce sujet — « post a. 1174 ? »62 — est irrecevable dans la mesure où ledit Volmar, à cette date, est mort. Tout au plus peut-on présumer qu'elle date des années 1158-1170, époque à laquelle Hildegarde s'absenta pour accomplir quatre tournées de prédication, « véritables circuits » selon B. Gorceix, qui la menèrent « sur le Main vers 1158, vers la Moselle et la Lorraine en 1160, sur le Rhin et en Westphalie entre 1161 et 1163, en Souabe même à l'âge de 72 ans » 63. Volmar se plaint de l'absence de Hildegarde, et envisage sa prolongation comme une double privation : l'abbesse comme ses œuvres viendraient à lui manquer trop cruellement, et ce lamento du moine prend la forme d'une énumération des écrits de Hildegarde où nous reconnaissons entre autres l'expositio naturarum diversarum creaturarum qui clôt la liste 64. Nous retrouvons trace de cet écrit, sous un nom un peu différent, dans la huitième vision de la troisième partie du Livre des œuvres divines où Hildegarde, vraisemblablement imprégnée d'un passage du Livre de la sagesse 65, parle d'elle-même comme d'une « figure féminine inculte » à travers laquelle « la Sagesse » a révélé « les vertus naturelles de différentes choses » (quasdam diversarum rerum naturales virtutes), « certains écrits sur les mérites de la vie » ainsi que « d'autres mystères tout aussi profonds »66.

2. Témoins et hagiographes 15

Très vite pourtant, après la mort de la sainte, une division de son œuvre scientifique en deux écrits distincts se fait jour. Elle est formulée pour la première fois dans un passage de la Vita sanctae Hildegardis achevée par Theodoricus, moine d'Echternach (monastère bénédictin du diocèse de Trèves), mais commencée du vivant de Hildegarde, vers 1174 67, par Godefridus, moine du Disibodenberg devenu praepositus du Rupertsberg et secrétaire occasionnel de l'abbesse depuis la mort de Volmar68. Après la disparition de Volmar, en effet, la nécessité de lui trouver un successeur capable de la seconder s'était rapidement fait sentir ; Louis, abbé de Sainte chaire de Trèves qui avait de fréquents rapports personnels et épistolaires avec l'abbesse, et Wescelin, prévôt de Saint-André de Cologne et neveu de Hildegarde, vinrent l'assister un temps, mais, très occupés par ailleurs, ils furent bientôt remplacés par Theodoricus et Godefridus. Or ce dernier mourut en 1175 ou 1176 sans avoir pu mener à bien son projet, ne laissant qu'un Liber primus de gestis sanctae racontant l'enfance de Hildegarde et la fondation du Rupertsberg.

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De son côté Guibert de Gembloux avait été sollicité par Philippe de Heinsberg, archevêque de Cologne (1167-1191), pour écrire une notice sur Hildegarde ; son entreprise devait cependant tourner court, non pas en raison de la mort de l'abbesse comme le pensait le cardinal Pitra69, mais bien plutôt parce qu'il fut rappelé après Pâques 1180 à Gembloux, son monastère d'origine qu'il avait quitté pour se fixer à Bingen vers 1177. En effet, Guibert n'avait pas entamé son travail du vivant de la sainte : cette entreprise aurait pu, d'après H. Delehaye70, passer pour de la flatterie et déplaire à Hildegarde elle-même. Il attendit donc son passage à une vie meilleure et, désireux d'écrire en connaissance de cause, voulut se documenter auprès de ses compagnes ; c'est alors qu'on découvrit la Vie

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laissée par son prédécesseur Godefridus. La jugeant trop simple, les moniales du Rupertsberg prièrent Guibert de la remanier et d'y joindre le récit de la mort de la bienheureuse. Mais la nouvelle du décès de Hildegarde s'étant divulguée entretemps, Guibert ne pouvait plus se soustraire à l'appel de Gembloux, où par deux fois déjà on avait tenté de le faire revenir71 ; il quitta donc le Rupertsberg à peine rédigé le prologue d'une Vita Hildegardis qui devait ne jamais aboutir. 17

Theodoricus vint ainsi combler le vide créé par le départ de Guibert, et compléta, vers 1181 selon P. Dronke72, le travail engagé par Godefridus : se chargeant entre autres du récit de la mort de Hildegarde que désiraient tant ses sœurs, il composa un Liber secundus de visionibus sanctae, un Liber tertius de miraculis et morte beatae et une préface à l'ensemble de la Vita, qu'il dédia aux abbés Louis et Godefroy 73. Il imprima d'ailleurs si bien sa marque à l'ensemble de l'ouvrage commencé par Godefridus que c'est à Theodoricus seul que Trithemius, abbé de Spanheim74 de 1485 à 1505, en attribue la rédaction 75. Ce témoignage de Trithemius, comme d'autres de son cru, est toutefois aussi enthousiaste qu'entaché d'inexactitude puisqu'il dénombre quatre livres dans un ouvrage qui n'en contient que trois et élève au rang d'abbé l'auteur de cette Vita qui, selon toute apparence, ne fut que moine76.

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La Vita Hildegardis n'en est pas moins remarquable par les fragments d'autobiographie qu'elle contient au total douze passages tirés de notes supposées de Hildegarde, notamment le récit que Theodoricus place dans sa bouche, au troisième chapitre de son Liber secundus, d'une vision au cours de laquelle elle aurait eu l'intuition d'un « livre à venir », son futur Livre des œuvres divines. Trois tours symbolisant trois de ses livres déjà achevés lui seraient apparues avec netteté, tandis qu'un bâtiment caché à sa vue l'aurait confortée dans la conviction que sa grande œuvre était encore à naître. La première tour aurait ainsi représenté le Scivias, la seconde le Livre des mérites de la vie et la troisième, son livre de science naturelle. Dans les trois remparts de cette dernière tour77, P. Dronke suggère de voir le premier indice d'une subdivision du Liber subtilitatum 78 : en effet, le triple rempart de bois, de pierres précieuses et de haie (de sepi factum) pourrait correspondre à trois parties de la Physica, respectivement de arboribus, de lapidibus et de plantis79. L'hypothèse est séduisante et cependant fragile car cette vision ne nous est connue que par un récit post mortem, qui ne saurait avoir la même valeur autobiographique que la correspondance de Hildegarde ou les prologues des écrits visionnaires ; en outre, l'équivalence entre « haie » et « plantes » proposée par P. Dronke ne va pas de soi et surtout, on ne trouve trace de cette tripartition nulle part ailleurs.

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Le premier chapitre du liber secundus de la Vita de Hildegarde, où Theodoricus passe en revue les différents écrits de l'abbesse, est sans doute moins difficile à interpréter : lorsqu'il écrit qu'elle révéla, « entre autres nombreux secrets », « la nature de l'homme, des éléments et des diverses créatures, ainsi que le moyen d'en tirer profit pour secourir l'homme »80, il est clair qu'il évoque l'œuvre scientifique de Hildegarde. Lynn Thorndike reprochait sans doute à bon droit à Charles Singer de prendre l'expression quaedam de natura hominis et elementorum, diversarumque creaturarum pour le titre exact d'une œuvre, dans la mesure où, constatant que n'y figurait pas le terme de subtilitates employé par l'abbesse, Singer en tirait ensuite un argument contre l'authenticité de l'œuvre scientifique qui lui était attribuée81 ; il nous semble en revanche que les propos de Theodoricus contiennent plus que l'« idée générale des sujets traités par Hildegarde » que voulait y voir Thorndike82. Sans nous renseigner réellement sur la forme de l'œuvre scientifique de Hildegarde autour de 1181, sa formulation tend à dissocier, dans la science

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naturelle de la sainte, une partie théorique et une partie pratique ; elle est en cela le germe d'une dichotomie qui traversera les siècles, distinguant deux livres à la fois opposés et complémentaires, un « Livre de la médecine simple » ayant la nature pour objet, et un « Livre de la médecine composée » centré sur l'homme. 20

Au début du XIIIe siècle, les nonnes du Rupertsberg, souhaitant obtenir la canonisation de Hildegarde, en formulèrent la demande le 27 janvier 1227 ; une commission constituée de membres du clergé de Mayence procéda alors à une enquête sur sa vie, sa réputation, ses mérites et ses miracles, dont les résultats — jugés au demeurant insuffisants 83 — sont consignés dans un document daté du 16 décembre 1233. Ces Acta Inquisitionis reproduisent entre autres le témoignage d'un certain Bruno, prêtre et custos, c'est-à-dire gardien du trésor, de Saint-Pierre de Strasbourg84 ; ce chanoine régulier, procurator du monastère du Rupertsberg, avait une telle estime pour Hildegarde qu'il copia lui-même, d'après P. Brader, le Scivias, le Livre des mérites de la vie et le Livre des œuvres divines 85. M. Schrader et A. Führkötter86, et à leur suite Peter Riethe, auteur d'une thèse de médecine sur la stomatologie de Hildegarde et d'une traduction partielle de la Physica 87 n'excluent pas qu'il ait copié d'autres écrits de la sainte, notamment son œuvre scientifique que Richer de Senones (mort en 126788) déclare avoir vue à Strasbourg au XIIIe siècle : Il y a trente ans environ, en Basse-Germanie, il y avait une recluse du nom de Hildegarde, très sainte de vie et de mœurs, à qui Dieu avait donné entre autres la grâce prophétique [...]. Elle écrivit donc elle-même des livres de ses prophéties [...]. Elle écrivit aussi un livre de médecine contre différentes maladies que j'ai vu personnellement à Strasbourg89.

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Aucune preuve ne vient malheureusement étayer l'hypothèse d'un Liber subtilitatum recopié par Bruno ; il est certain en revanche que ce même Bruno, sans doute de par ses liens privilégiés avec le Rupertsberg, apparaît comme un témoin de choix, capable d'une part de raconter les épisodes les plus marquants de la vie de la sainte et de décliner la liste de ses livres, et d'autre part de fournir aux enquêteurs une copie de l'ensemble de ses écrits. Notons qu'il en donne une énumération très complète, alors que la plupart des chroniqueurs du XIIIe siècle qui évoquent le souvenir de Hildegarde se bornent à citer le Scivias, sa correspondance et le Livre des œuvres divines, ou, quand ils affirment avoir eu ses livres sous les yeux, ne prennent pas la peine de préciser leur contenu. Qu'on en juge par le témoignage du moine Albéric : Elle composa un remarquable recueil de lettres, qui contient beaucoup de choses sur la fin des temps, un autre livre intitulé Scivias, c'est-à-dire « Connaissant les voies » (sciens vias), et un troisième appelé « exposé sur les œuvres divines 90. »

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Il est à peine plus développé que celui d'Albert de Stade : « Elle a composé trois livres, à savoir le livre “Connais les voies”, le livre des œuvres divines et un livre de ses lettres ». 91

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Les témoins oculaires, quant à eux, sont bien laconiques, qu'ils aient vu ses livres, tel l'auteur des Flores temporum, frère mineur d'un monastère de Souabe entre Danube et Neckar, à la fin du XIIIe siècle (« Il y avait alors en Allemagne une moniale prophétesse du nom de Hildegarde dont je vis les livres admirables92 ») ou même rencontré Hildegarde en personne, comme Guillaume Godel, abbé de Pontigny près d'Autin, à qui l'on attribue une chronique : L'an du seigneur 1172. Cette année là je vis en Allemagne une vierge d'un âge avancé [...] ; je vis aussi ses livres, qu'elle avait elle-même dictés en latin alors qu'elle n'était pas lettrée, comme je l'ai dit, et je les lus. Elle avait passé soixante ans dans cet état de grâce lorsque je la vis93.

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Même Wilhelmus Lucensis, qui semble avoir connu directement l'abbesse dont il rapporte avec admiration un exorcisme94, n'est guère plus disert ; élève de Gilbert de Poitiers et auteur d'un Comentum in tertiam hierarchiam Dionisii composé entre 1169 et 1177, il est en revanche le seul à donner l'explication suivante du titre de Scivias : Liber autem Hildegardis abbatissae sancti Roberti in Pinwa [...] ille inquam intitulatur [S]civias, id est Sciens Vite Vias95.

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Bruno donne certes plus de détails lorsqu'il atteste qu'« elle écrivit son livre Scivias en dix ans, ainsi qu'un “livre de simple médecine”, un exposé sur les Evangiles, le chant de l'harmonie céleste, une langue inconnue avec son propre alphabet, le tout en huit ans, comme il est écrit au début du “Livre des mérites de la vie” »96. Mais ce témoignage est de seconde main puisqu'il se contente en fait de répéter le prologue, écrit en 1163, du Liber vitae meritorum en ce qui concerne les écrits scientifiques ; il ne reflète donc pas un état réel des œuvres de Hildegarde en 1233. En revanche, lorsqu'un peu plus loin, ces mêmes Acta Inquisitionis énumèrent les écrits de Hildegarde soumis aux enquêteurs par l'intermédiaire de Bruno, la liste des ouvrages entérine une division de fait des écrits scientifiques : y sont en effet cités, dans l'ordre, après le triptyque visionnaire que nous évoquions plus haut, un « Commentaire sur les Evangiles »97, un recueil de lettres, un « livre de simple médecine » et un « livre de médecine composée », un chant portant trace d'une langue inconnue et un « petit livre sur sa vie » avec lequel s'achève l'énumération98.

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S'agissait-il de copies réalisées à Strasbourg ? Dans un monastère voisin et ami du Rupertsberg, comme Saint-Matthias ou Saint-Maximin de Trèves, avec qui Hildegarde entretenait des relations étroites99 ? Ou provenaient-elles du scriptorium même du Rupertsberg, sur l'activité duquel Guibert de Gembloux, son dernier secrétaire, nous fournit le premier témoignage100 ? Nous ne sommes pas en mesure de le dire ; toujours est-il que le chanoine de Strasbourg apparaît comme un personnage central, à la charnière de deux époques dans l'histoire de la tradition manuscrite de l'œuvre scientifique de Hildegarde : les deux livres qu'il verse au dossier constitué en vue de la canonisation de cet auteur consacrent en effet une division matérielle de ses écrits naturalistes nulle part attestée de son vivant, ce qui nous invite à assigner aux cinquante ans qui s'écoulèrent entre sa mort et les Actes de l'Inquisition, entre 1179 et 1233, l'origine d'une scission dont le couple formé aujourd'hui par Physica et Causae et curae est l'héritier, et dont on trouve peut-être déjà la trace dans le catalogue des livres de l'église cathédrale de Durham, qui comprend un liber simplicis medicinae anonyme101.

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Gustav Becker date ce catalogue du XIIe siècle102, mais la mention qui y est faite de Gilles de Corbeil, auteur médical à la charnière entre XIIe et XIII e siècles103, invite à dater cette liste au plus tôt de la toute fin du XIIe siècle ; quoi qu'il en soit, si le liber simplicis medicinae anonyme de cette liste était bien celui de Hildegarde comme le suggère G. Becker 104, nous aurions là un double indice, non plus seulement de la division de ses écrits naturalistes entre les années 1180 et 1230, mais aussi de leur diffusion précoce hors de leur pays d'origine, notamment en Angleterre. Le catalogue de la bibliothèque des Augustins de York, daté de 1372 et contenant des ajouts ultérieurs, confirme en effet la présence dans ce pays, au XIVe siècle, de l'œuvre scientifique de Hildegarde qui y était vraisemblablement parvenue plus tôt : outre une « prophecia Hildegardis » figure en effet, parmi les ouvrages des Auctores et philosophi extranei appartenant à un certain John Erghome, un recueil contenant un « Tractatus simplicis medicine secundum Hildeg' » 105. Ce personnage, ordonné acolyte en 1353 à Durham, étudia ensuite au couvent d'Oxford et

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comptait parmi les frères de York en 1372 ; il fut probablement admis à la faculté de théologie de Bologne en 1380, et en 1385, sur ordre de son prieur, il fut nommé magister antiquus et régent du studium generale Curie, alors à Naples. On ignore d'où il tenait ses livres et à quelle date sa collection vint s'ajouter à la bibliothèque des Augustins de York : peut-être les acquit-il auprès de libraires à Oxford ou au cours de ses séjours en Italie, peut-être disposait-il d'un copiste en tant que maître de théologie ; il est probable qu'il légua ses livres à ses frères quand il quitta York106 - mais il était présent lors de l'établissement du catalogue comme l'atteste l'inscription initiale dans laquelle apparaît son nom107. Il possédait en tout cas un « traité de simple médecine d'après Hildegarde », sans que nous puissions dire s'il s'agissait de l'actuelle Physica ou du Causae et curae, d'une partie de ces ouvrages ou même d'un traité simplement inspiré de la médecine de Hildegarde : le nombre d'œuvres rassemblées dans le même recueil, au demeurant très hétérogène, invite à penser qu'il pouvait ne s'agir que d'un extrait de cette médecine. 28

L'hypothèse de Becker est donc d'autant plus séduisante, et ne s'oppose en rien au « scénario » retenu jusqu'ici et résumé entre autres par Louis Gaillard, qui estime que le contenu du Liber subtilitatum initial a dû amener les biographes de Hildegarde et le protocole de canonisation à le « diviser en un “livre de médecine simple” et un “livre de médecine composée”, qui devinrent plus tard plus compréhensibles sous le titre de “Physica” et “Causae et curae” »108. Bertha Widmer semble la seule en revanche à émettre l'hypothèse inverse109 : d'après elle, il aurait pu y avoir deux œuvres distinctes à l'origine et il serait possible que le passage du Livre des mérites de la vie attestant l'existence d'un seul écrit scientifique, que nous avons cité plus haut, comporte une énumération incomplète, ou qu'il ait été ajouté ultérieurement au Liber vitae meritorum. Pourtant, nous possédons de ce livre des manuscrits datés des années 1170, c'est-à-dire écrits du vivant de Hildegarde qui exerçait un vigilant contrôle sur la mise par écrit de ses révélations, et l'on ne voit pas comment elle aurait pu laissé copier une vérité partielle ou une inexactitude la concernant, alors qu'elle interdisait sévèrement à quiconque — semblable en cela, selon P. Dronke, à Grégoire de Tours dans son Histoire des Francs 110 — d'ôter ne fûtce qu'un mot de ce qu'elle écrivait, comme il est dit à la fin de son Livre des œuvres divines : Qu'aucun homme ne soit donc assez téméraire pour faire quelque ajout aux termes de cet écrit, ou pour en supprimer quelque passage, s'il ne veut pas être éliminé du livre de vie et de toute la béatitude terrestre !111

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Le chroniqueur anglais Matthieu de Westminster est le premier, en 1292, à nous donner les moyens d'identifier l'actuel Causae et curae comme le « livre de médecine composée » dont les Acta Inquisitionis taisaient le contenu. Evoquant Hildegarde dans ses Flores historiarum — continuation des Flores historiarum ab origine mundi usque ad a. 1250 de Matthieu Paris — il écrit en effet qu'elle composa de nombreux livres, à savoir, entre autres, « un livre de simple médecine suivant la création, contenant huit livres, et un livre de médecine composée sur les causes, les signes et les traitements des maladies » 112. Son témoignage n'est certes pas exempt d'erreurs puisqu'il ajoute que « tous ces livres » furent « approuvés par le pape Eugène, au concile de Trèves, en présence de nombreux évêques allemands et francs, et de saint Bernard, abbé de Clairvaux »113. Il y a là confusion manifeste sur la chronologie puisque le synode de Trèves, au cours duquel le Scivias encore inachevé fut soumis par Henri, archevêque de Mayence, au pape Eugène III (1145-1153), se tint avant la rédaction, et sans doute aussi avant la conception, si l'on se fie au prologue du Liber vitae meritorum, de la plupart des livres, et notamment des écrits médicaux, de Hildegarde : Eugène III, un cistercien, était l'ami de saint Bernard auprès de qui il avait passé quelque temps à Clairvaux et à qui il avait fait prêcher la deuxième

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croisade en Allemagne ; à la fin de l'année 1147 il s'était transporté à Trèves avec dix-huit cardinaux, réunis en synode du 30 novembre au 13 février 1148. 30

A cette date le Scivias lui-même n'était qu'à l'état d'ébauche ; mais lorsque Cuno, supérieur du Disibodenberg, en prit connaissance, il jugea ces pages assez exceptionnelles pour en référer à l'archevêque de Mayence qui les soumit à son tour à Eugène III ; après une lecture publique de cet écrit, le pontife l'approuva et, par une lettre officielle, il encouragea Hildegarde à faire connaître dorénavant tout ce que lui dictait l'Esprit saint 114 . S. Gouguenheim remarque à ce sujet qu'un autre pape aurait pu condamner les écrits de Hildegarde (ce fut le lot de ceux d'Abélard ou de Guillaume de Conches), et que « la chance » de la moniale « fut peut-être de contacter l'homme qui, un an auparavant, avait approuvé la Cosmographia de Bernard Silvestre » 115 ; Gilbert de la Porrée, dont la doctrine fut examinée lors d'un concile à Paris, et condamnée l'année suivante à Reims, n'eut pas cette « chance ».

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A vrai dire, l'erreur de Matthieu de Westminster peut s'expliquer de deux façons : il est clair d'une part que la reconnaissance officielle du don prophétique de Hildegarde n'est qu'un épiphénomène de ce synode, dont même la Gestorum Treverorum continuatio garde un souvenir très approximatif116. D'autre part l'idée selon laquelle tous les livres de Hildegarde et non le seul Scivias, furent « canonisés », peut avoir été inspirée à Matthieu par le témoignage du cistercien Gebeno, auteur d'une compilation des écrits prophétiques de Hildegarde vers 1220117. Déjà Albert de Stade, mort après 1264, avait emprunté cette expression à Gebeno118 et on la retrouve, au tout début du XIVe siècle, dans la Chronica de Theodericus — ou Dietrich — de Nieheim (ca. 1340-1418)119, évêque de Verden ayant laissé entre autres un Viridarium imperatorum et regum romanorum s'inspirant largement des prophéties de Hildegarde transmises par Gebeno120.

3. L'œuvre et son double 32

Au-delà de cette erreur, le témoignage de Matthieu de Westminster appelle deux remarques. La première concerne l'inadéquation du titre de « Livre de simple médecine » à son objet : comme le fait remarquer Sabina Flanagan, les sous-titres respectifs de Physica et de Causae et curae suggèrent que le premier devrait décrire les ingrédients simples servant à élaborer les prescriptions complexes du second121. Or si l'on admet, suivant Pierre Lieutaghi à propos d'un traité de thérapeutique contemporain de l'œuvre de Hildegarde — l'herbier composé par Platearius entre 1130 et 1160 — que « simple » désigne alors « un remède de base par rapport aux remèdes composés », c'est-à-dire un médicament formé d'une seule substance, et que la médecine simple est « telle que la nature l'a produite et formée »122, alors il est clair que le contenu de la Physica ne correspond pas complètement à l'appellation de « livre de simple médecine », comme on peut en juger par l'exemple suivant : Si on souffre du côté, on peut prendre aussi de la graine de lin, un peu moins de gomme de pêcher (un quart de moins) et faire cuire dans une poêle comme un gâteau ; ensuite, dans un mortier, piler du gui de poirier pour en extraire le suc, de sorte qu'il y ait plus de suc que de gomme ; prendre aussi de la moelle de cerf, un peu plus qu'il n'y a de gomme et de suc de poirier ; mettre dans la poêle pardessus la graisse de lin et la gomme et faire bouillir le tout. Si on n'a pas de moelle de cerf, ajouter, à la place, en procédant de la même façon, du suif de jeune taureau. Cela fait, passer le tout dans un linge percé de petits trous et recueillir dans un vase de

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terre neuf, enduit de cire : se frotter souvent le côté avec cette préparation, en se tenant auprès du feu123. 33

Ainsi s'explique peut-être que, parmi les manuscrits qui ont transmis la Physica, seul un codex du XVe siècle, qui n'en contient qu'un court extrait, annonce « Hyldegardis de simplicibus medicinis »124 ; complets ou non, les manuscrits n'ont en effet retenu ni la formule « liber simplicis medicinae », ni son pendant « liber compositae medicinae ». Remarquons toutefois que même le Liber simplicium medicinarum, ouvrage du XIV e siècle à qui le traité de Platearius servit de source principale contient, au fil des pages, quelques recettes composées ; cette discordance entre le titre et le contenu n'est donc pas le propre de l'œuvre de Hildegarde. Resterait à savoir quelles motivations ont inspiré celui ou ceux qui ont rebaptisé son œuvre : le titre de Liber subtilitatum diversarum naturarum creaturarum semblait-il trop long ou trop peu programmatique ? Ou a-t-on jugé utile d'y faire apparaître le terme de « médecine » dans l'espoir d'intéresser plus vivement au cas de Hildegarde, et donc d'impressionner favorablement dans l'espoir d'une canonisation, un pape dont on savait le goût, ainsi que celui de son entourage, pour la médecine et les sciences de la nature125 ?

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Une seconde remarque a trait au nombre de livres qui composent ce « Livre de simple médecine ». Matthieu en évoque huit alors que les manuscrits complets en comptent neuf (comme on l'a dit, l'édition de Schott, divisée en quatre livres, ne reflète l'organisation d'aucun manuscrit connu) : d'après l'étude que nous avons pu faire, la différence tient sans doute au « livre des éléments » (qui vient en deuxième position, après celui des plantes, dans tous les manuscrits à une exception près126), livre singulier à plus d'un titre. Contrairement aux autres, il n'a ni préface ni table des matières, et il se distingue également par une distorsion entre son titre et son contenu : le feu n'y figure pas, alors qu'on y trouve différents fleuves d'Allemagne. Son caractère disparate a manifestement gêné certains scribes qui, tout en le copiant à la suite du liber primus de plantis, ne lui ont pas reconnu le rang de livre second, ce qui a entraîné un décalage dans la numérotation des livres suivants : ainsi, dans le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France qui a servi de base à l'édition de Daremberg, le livre des pierres, qui vient en réalité en quatrième position après celui des plantes, celui des éléments et celui des arbres, est annoncé comme « livre troisième ». Le « livre des éléments » n'a apparemment pas été compté par le scribe lorsqu'il écrit : Explicit liber de arboribus. Incipit liber tertius de lapidibus.

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Le décalage se transmet au reste du codex, et le liber octavus de metallis sur lequel s'achève le Liber subtilitatum, est en fait un liber nonus. S'il n'est pas exclu que Matthieu de Westminster ait eu sous les yeux un manuscrit contenant huit sections seulement, il est donc également possible qu'un manuscrit comprenant neuf livres mais n'en dénombrant que huit l'ait amené à attribuer à Hildegarde un « livre de simple médecine suivant la création, contenant huit livres ». Nous reparlerons plus longuement du « livre des éléments » ; revenons pour l'instant au couple formé par le « livre de simple médecine » et celui de « médecine composée » et à ses occurrences aux derniers siècles du Moyen Age : un manuscrit copié à Wurtzbourg au milieu du XIVe siècle reproduit plusieurs extraits des « prophéties » et visions de Hildegarde avant de lui consacrer une notice biographique et d'établir une liste de ses œuvres, parmi lesquelles on reconnaît, au folio 37 r, Item VII. Compositae medicinae 127. C'est à Wurtzbourg aussi que nous retrouvons, à la fin de sa vie, l'abbé de Spanheim aux multiples facettes, Johann Heidenberg ou de Trittenheim (1462-1516)128. Humaniste, théologien et « physicien » plus connu sous le

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nom de Trithemius (nom forgé sur celui de l'endroit où il vit le jour, près de Trèves), il aurait eu pour élève le médecin et alchimiste suisse Paracelse (v. 1493-1541) 129. Entré à l'abbaye bénédictine de Spanheim, près de Kreuznach, en 1482, il y fut nommé abbé l'année suivante mais l'entente avec ses frères n'était pas cordiale ; il les quitta donc en 1506, lorsqu'il fut promu abbé du Schottenkloster Saint-Jacques de Wurtzbourg, un monastère bénédictin fondé en 1134 dans la ligne des établissements de moines scots qui fleurirent en Allemagne aux XIe et XIIe siècles130. 36

Amoureux des manuscrits au point d'écrire à l'intention de l'abbé de Deutz, Gerlac, malgré l'invention de l'imprimerie, un Opusculum de laude scriptorum manualium (1492) exhortant les copistes à ne pas se décourager, Trithemius avait doté son abbaye d'origine, Spanheim, d'une des plus riches bibliothèques de l'époque, dont « les érudits d'Allemagne et d'ailleurs » venaient lire et admirer les manuscrits131. Son propre témoignage, rapporté par P. Lehmann, nous montre d'ailleurs la fierté que Trithemius tirait de son exceptionnelle collection d'environ 2000 volumes : il affirmait n'avoir jamais eu connaissance, par lui-même ou par ouï-dire, d'une bibliothèque aussi rare et aussi admirable en Allemagne132. Un de ses disciples, Ioannes Duraclusius, venu passer un an auprès de lui pour apprendre le grec et l'hébreu, rapporte que la bibliothèque de son maître comptait deux mille volumes, dont « huit cents manuscrits au moins »133. Enrichissant sans cesse sa bibliothèque, entre autres grâce à la générosité « de nombreux princes »134, Trithemius fit réaliser par ses moines un grand nombre de copies, en particulier de manuscrits originaux de Hildegarde, pourtant jalousement conservés par les nonnes du Rupertsberg135. Il nourrissait en effet une grande admiration pour elle : il composa une séquence en son honneur136 et se fit offrir un de ses bras pour son monastère, lors d'une ouverture solennelle, en 1498, de la châsse contenant ses reliques 137 . Il inaugurait ainsi le culte des reliques de Hildegarde, succédant à la vénération de sa dépouille mortelle : au début du XVe siècle Dietrich von Nieheim, qui fit un passage au Rupertsberg en 1408 ou 1409, put y voir « son corps inanimé », « exposé aux regards à la demande générale »138.

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Trithemius venait d'achever son ouvrage sur les auteurs ecclésiastiques, De scriptoribus ecclesiasticis, quand Jacques Wimphling (1450-1528), « désireux de relever les Allemands dans l'opinion des étrangers » l'engagea à dresser « le catalogue de ceux qui avaient honoré l'Empire de leurs écrits »139, en mettant à part tous les auteurs qui appartenaient à l'Allemagne. Il composa donc un Catalogus virorum illustrium Germanorum, précédé d'une épître dédicatoire datée du 8 février 1491 où il rendait hommage à Wimphling d'être « le premier à prendre la défense de la patrie contre ses détracteurs » (ce dernier devait d'ailleurs donner un supplément au catalogue de Trithemius sous le titre De virtutibus et magnificentia Germanorum). Trithemius, qui avait déjà consacré une notice à Hildegarde dans son De scriptoribus ecclesiasticis, l'inscrivit également dans son Catalogus virorum ( !) illustrium, affirmant que « dans ses livres de médecine, elle rapporte de manière mystique et en un exposé subtil, de nombreux secrets et merveilles de la nature, qu'une femme ne pouvait tenir que de l'Esprit saint »140. L'abbé manifestait par là à la fois sa connaissance des écrits scientifiques de la sainte et leur caractère pluriel, sans indiquer pour autant leur nombre, précisé ailleurs. Une des copies qu'il fit faire des œuvres de Hildegarde en 1487, actuellement conservée à Londres, comporte en effet une préface énumérant toutes les grandes œuvres de Hildegarde, parmi lesquelles un « livre de simple médecine » et un de « médecine composée »141, et, dans la liste de ses livres reproduite

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dans De scriptoribus ecclesiasticis, ces deux ouvrages figurent aux neuvième et dixième rangs, entre le livre « des mérites de la vie » et celui « des œuvres divines » 142. 38

Ce témoignage ne suffit pas pour autant à prouver que Trithemius ait connu personnellement l'œuvre médicale de Hildegarde, et encore moins qu'il en ait possédé un exemplaire, comme le supposait F. A. Reuss143. De fait, curieusement, alors qu'il mentionne l'incipit des autres œuvres de Hildegarde, qu'il s'agisse d'une simple lettre ou d'un traité, il n'indique rien de tel ici pour le Livre des mérites de la vie, le livre « de simple médecine » et celui de « médecine composée ». D'autre part, lorsqu'il prit en 1506 le chemin de Wurtzbourg où il venait d'être nommé abbé, tournant le dos « à l'ingrate abbaye de Spanheim » dont il avait créé la renommée en constituant sa précieuse bibliothèque, il dut abandonner cette riche collection à son successeur et ne garda avec lui, dans sa nouvelle patrie, que quelques livres lui appartenant144 ; il emporta notamment le liber epistolarum et orationum sancte Hildegardis si l'on en croit S. Krämer 145 ; mais nul autre écrit de Hildegarde ne paraît l'avoir accompagné à Wurtzbourg, au vu de la liste, établie par O. Handwerker, des manuscrits de la Bibliothèque de l'université de Wurtzbourg remontant à Trithemius146. Quant à son monastère d'origine, on sait que l'abbé qui y prit sa suite amputa la bibliothèque par de nombreuses aliénations, et aucun manuscrit de Hildegarde ne semble y avoir été conservé d'après le catalogue, certes incomplet, qui nous est resté de la bibliothèque de Spanheim147. D'autres écrits de Trithemius prouvent toutefois qu'il connut directement les textes médicaux de Hildegarde, et la description qu'il en donne dans sa Chronique de Hirsau atteste qu'il l'eut sous les yeux, sinon qu'il la lut : Elle écrivit un ouvrage singulier sur les causes et les remèdes des maladies du corps humain, qu'elle intitula médecine composée et dont les premiers mots sont : « Celui qui est était avant la création du monde, car Dieu n'a pas de commencement. Elle composa en outre un autre livre assez beau sur la nature des herbes utiles pour soigner le corps humain, qu'elle intitula simple médecine 148.

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Ce témoignage est d'autant plus précieux que, par l'incipit qu'il cite, il consacre définitivement l'identification du « livre de médecine composée » avec le Causae et curae, mais il ne va pas sans soulever certaines questions. Que penser, tout d'abord, du jugement porté sur la beauté du livre ? Veut-il dire par là qu'il était illustré, comme d'autres manuscrits sortis du scriptorium du Rupertsberg149 ? Le « livre sur les natures des herbes » qu'il évoque ne correspond pas, d'autre part, à l'actuelle Physica, mais seulement à son premier livre, de plantis. S'il s'agit bien de lui, est-ce l'importance de ce liber de plantis, fort de plus de deux cents chapitres dans les versions que nous en connaissons, qui amène Trithemius à passer sous silence les autres sections, à contenu zoologique ou minéralogique ? L'abbé de Spanheim a pu prendre la partie pour le tout (éventuellement à partir d'un manuscrit sans titre), à savoir le « livre des plantes » pour la Physica toute entière, ce qui expliquerait a posteriori l'appellation de « livre de simple médecine ». Ou est-ce à dire que le « livre de simple médecine » qu'il a vu était essentiellement un « herbier » ? S. Flanagan émet ainsi l'hypothèse que Hildegarde aurait composé dans un premier temps un livre sur les plantes, domaine qu'elle semblait connaître particulièrement bien ; les sections suivantes, consacrées au reste de la création, seraient « nées pour répondre à un désir d'exhaustivité caractéristique du Moyen Age et former, avec le livre des plantes, une véritable encyclopédie d'histoire naturelle »150. Ne peut-on pas dès lors supposer également, d'après ces quelques lignes de la Chronique de Hirsau, que seul l'exemplaire vu par Trithemius consistait en un livre sur la nature des herbes, contrairement peut-être à d'autres versions existant à la même époque ?

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De par sa matière, l'œuvre de Hildegarde constituait en effet, comme celle de Platearius, un noyau se prêtant à l'amplification : certaines versions du Liber simplicium medicinarum contiennent ainsi quelque deux cents chapitres de plus que les versions les plus anciennes, qui en comptent 273. On a pu supposer que le médecin de Salerne n'avait pu achever son œuvre, laissant des chapitres à l'état d'esquisse, et H. Fischer applique à Hildegarde un raisonnement analogue, considérant ses écrits scientifiques comme un tableau dont elle aurait dessiné les grandes lignes directrices, selon lesquelles ses collaborateurs pouvaient continuer son travail151. M. Schrader et A. Führkötter estiment pour leur part que la récolte de la matière (Stoffsammlung) et la rédaction de l'œuvre scientifique de Hildegarde ont pu se poursuivre jusqu'à sa mort et que le matériau ainsi rassemblé au cours des vingt dernières années de sa vie a pu trouver sa place dans un des exemplaires de cette œuvre, les autres en restant à un état antérieur du texte152. H. Schipperges est lui aussi d'avis que le « livre sur la nature » de Hildegarde « n'a pas été écrit d'un jet » et que « le terminus ante quem de l'époque de sa composition n'est pas garanti »153, en dépit du prologue du Liber vitae meritorum qui présente l'œuvre scientifique de Hildegarde comme une des entreprises littéraires qu'elle a menées à bien entre 1150 et 1158. Le Liber subtilitatum constituerait donc un cas unique dans l'ensemble de sa production dans la mesure où, lorsque Hildegarde cite ou énumère ses différents ouvrages, c'est qu'elle les a terminés, au prix des souffrances et des affres que l'on sait. Témoin cette conclusion de la Vie de saint Disibod composée vers 1173 et que Dieu seul, don de vision oblige, lui aurait inspirée : Quant à moi, pauvre petite chose clouée sur mon lit de maladie, j'ai vu et entendu tout cela, je me suis mise à écrire et j'ai terminé ; mais Dieu seul a le pouvoir, s'il lui plaît, de me remettre debout. Amen154.

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Le « livre sur la nature des herbes » vu par Trithemius pourrait donc représenter un des états primitifs du texte, dont la chronologie des ajouts et développements ultérieurs promet d'être plus délicate encore à établir que celle des compléments apportés à l'œuvre de Platearius : contrairement au médecin de Salerne qui définissait un programme dans le prologue de son Liber simplicium medicinarum, Hildegarde n'a en effet laissé nulle trace du projet qu'elle se proposait de réaliser dans son Liber subtilitatum.

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Autant de spéculations qui nous invitent à poursuivre nos recherches sur la forme de l'œuvre scientifique de Hildegarde en adoptant un autre point de vue et à aborder, après ce panorama de ses différentes appellations au Moyen Age, la question de ses manuscrits et de leur histoire. Les flottements dans la dénomination même de cette œuvre entre le XIIe et le XVe siècle, que nous avons tenté de mettre en évidence, nous permettent pour l'instant de proposer le « scenario » suivant : entre 1150 et 1158, Hildegarde s'attelle, au su de ses proches, à un traité de science naturelle qu'elle aurait baptisé Liber subtilitatum diversarum naturarum creaturarum — écrit unique mais voué peut-être, de par sa teneur, à rester une œuvre ouverte. Dans les années qui suivent sa mort, cette œuvre subit une scission, entérinée lors de l'enquête réalisée en vue de la canonisation de la sainte en 1233. Ne perdons pas de vue qu'à cette époque, Hildegarde est déjà entrée dans l'histoire, au moins locale : un antependium richement brodé, aujourd'hui conservé à Bruxelles, voit le jour vers 1220 au Rupertsberg, alors placé sous la direction d'Elysa. Parmi différents saints qui se pressent autour du Christ Pantocrator, Hildegarde y est représentée pour la première fois avec une auréole155. Ses livres comme son personnage ne lui appartiennent donc peut-être déjà plus tout à fait : la Vita Hildegardis servie par Bruno aux enquêteurs en 1233 a déjà, selon F. Jürgensmeier156, des accents du Speculum

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futurorum temporum de Gebeno, apparemment né du désir d'opposer aux prophéties du mystique calabrais Joachim de Flore, mort en 1202, celles de Hildegarde157. Encore le prieur d'Eberbach dut-il pour cela rendre accessibles ses écrits en les réorganisant, conscient que leur style prophétique pouvait rebuter158. Dès le début du XIIIe siècle, son œuvre se trouva donc infléchie dans le sens que voulait la postérité, notamment dans la perspective de sa canonisation, et l'enquête réalisée dans ce but est ainsi à l'origine des belles miniatures du Livre des ouvres divines conservées dans le codex de Lucques. Grégoire IX (qui avait entendu parler d'elle lorsqu'il était légat en Allemagne) ayant exigé une copie des livres de l'abbesse pour le premier procès de canonisation ouvert en 1227, ce manuscrit fut copié d'après un original du Rupertsberg, et enluminé pour l'occasion dans la deuxième ou la troisième décennie du XIIIe siècle, en Rhénanie ou dans la région mosane159. Hildegarde elle-même n'aurait pas jugé bon ou utile de faire illustrer de son vivant la dernière partie de son « triptyque visionnaire », soit qu'elle ait renoncé à illustrer un texte hérissé de références cosmologiques, soit qu'elle n'ait pas été satisfaite des enluminures du Scivias 160 enfin que la mort de Volmar, qui l'assistait de près, lui ait fait abandonner une telle entreprise161 ; enluminures du codex de Lucques et compilation de Gebeno témoignent donc d'un même intérêt porté à Hildegarde dans la région du Rupertsberg au XIIIe siècle et traduisent le même désir, non seulement de conservation d'une œuvre, mais aussi de valorisation, de célébration de son auteur. Notons en outre que le codex témoigne de la diffusion de l'œuvre visionnaire de Hildegarde hors d'Allemagne dès le XIIIe siècle, il était en effet la propriété du cloître « Santa Maria di corte orlandenga » comme l'atteste une inscription sur le premier folio, sans que l'on sache comment ce manuscrit était arrivé à Lucques. H. Schwitzgebel imagine que la famille Manzi, de Mayence, qui s'était établie à Lucques, a pu jouer le rôle d'intermédiaire 162, et l'on ne peut d'autre part s'empêcher de penser à Wilhelmus Lucensis (un des « témoins » rencontrés plus haut, qui aurait rendu visite à Hildegarde et vu ses livres) comme possible « trait d'union ». 43

La volonté de promouvoir sa personne et ses livres dans les années 1220-1230 s'étenditelle à ses écrits médicaux ? Dès lors en effet, deux livres se détachent, dont le titre et le contenu ne correspondent qu'en partie à l'œuvre que Hildegarde reconnaissait pour sienne, ce qui laisse présumer, outre une division du texte, des interpolations et des ajouts opérés après sa mort ; A. Battandier estimait à cet égard qu'avait dû se produire avec Hildegarde ce qui est arrivé pour beaucoup d'autres savants du Moyen Age163 —à moins que l'un des deux livres de médecine qu'on lui attribue ne soit, comme l'envisageait H. Fischer164, entièrement le fait d'un admirateur assez fin connaisseur de son système de pensée pour composer un ouvrage fidèle à l'enseignement de l'abbesse, dans le but, peut-être, de verser une pièce supplémentaire au dossier constitué en vue de sa canonisation. Seule l'étude des manuscrits des écrits scientifiques de Hildegarde pouvant dissiper le flou de leurs contours, c'est aux avatars de ces textes à travers les siècles que nous nous attacherons désormais, en commençant par présenter les manuscrits qui les ont conservés.

26

NOTES 1. Médecin lui-même, Daremberg (1817-1872) dirigeait la Bibliothèque Mazarine à l'époque où parut la Physica dans la Patrologie latine (désormais abrégée en PL). 2. Incipit liber beatae Hildegardis subtilitatum diversarum naturarum creaturarum et sic de aliis quammultis bonis, PL 197, col. 1125-1126. Daremberg établit le texte et Reuss s'occupa de l'introduction et des annotations. 3. Cf.

HILDEGARDE DE BINGEN ,

Le Livre des subtilités des créatures divines, Grenoble, 1988-89, 2 vol.,

vol. 1, p. 15: « les manuscrits l'appellent, avec quelques variantes mineures, “Liber subtilitatum de divinis creaturis” ». Il n'est pas le seul à écorcher ce titre ; un siècle plus tôt Albert Battandier évoquait « du Liber singularitatum donnée par le Docteur Daremberg » (A. BATTANDIER , « Sainte Hildegarde, sa vie et ses œuvres », Revue des questions historiques, 33, 1883, p. 395-425, p. 416) 4. HILDEGARDE DE BINGEN, Physica : livres V-VI-VII-VIII, trad. E. Klein, Bâle, 1988. 5. Hildegardis causae et curae, éd. P. Kaiser, Leipzig, 1903, abrégé par la suite en CC. Un an plus tôt, Kaiser avait publié une traduction allemande de morceaux choisis du Causae et curae encore inédit (« Die Schrift der Aebtissin Hildegard über Ursachen und Behandlung der Krankheiten », Therapeutische Monatshefte, XVI. Jg., Juni 1902, p. 299-304). Son édition intégrale de 1903 fut considérée comme fautive et critiquée par E. STEINMEYER (Jahresbericht über die Erscheinungen auf dem Gebiete der germanischen Philologie, 25, 1903, p. 84-85) puis par P.

VON WINTERFELD,

« Kaiser

Hildegardis Causae et Curae », Anzeiger für deutsches Altertum und deutsche Literatur, 47, 1904, p. 292-296. 6. Ce codex (Ny kgl. saml. 90b Fol.) fut tiré de l'oubli par Jessen en 1862 : cf. C.

JESSEN,

« Über

Ausgaben und Handschriften der medizinisch-naturhistorischen Werke der heiligen Hildegard von Bingen », Sitzungsberichte der Akademie der Wissenschaften in Wien, math, natur. Kl., 45, I, p. 97-116. A ma connaissance G. M. Engbring est la seule à le supposer contemporain de Hildegarde (G. M. ENGBRING, « Saint Hildegard, Twelfth Century Physician », Bulletin of the History of Medicine, 1940, p. 770-784, p. 776). 7. Cf. sa Praefatio, p. iii. 8. J.-B. PITRA éd., Analecta sacra Spicilegio solesmensi parata, t. VIII, Analecta Sanctae Hildegardis Opera, Mont Cassin, 1882, p. 468 : Capitula videntur posterioribus curis et satis inepte addita, quae tamen sequimur, alio indice destituti. Le premier copiste avait effectivement dû ménager un espace pour des rubriques à venir mais le rubricateur fut parfois à court d'inspiration, comme le montrent la formule nihil inveni, nihil scripsi p. 192 ou la rubrique de melancolia et psalmo, tout à fait inadaptée au paragraphe auquel elle sert de chapeau p. 145. 9. Avant lui Johannes Bühler en avait traduit de larges extraits dans son ouvrage Die Schriften der heiligen Hildegard, Leipzig, 1922 et Hugo Schulz, en 1933, en donna la seule traduction intégrale, plusieurs fois rééditée depuis. 10.

HILDEGARD VON BINGEN,

Heilkunde, trad. H. Schipperges, Salzbourg, 1957, p. 41. P. Dronke

critique cet argument et souligne par exemple que le concept aristotélicien de hyle (le mot figure dans les rubriques mais c'est materia qu'on trouve dans le texte) était aussi courant au XII e qu'au XIIIe siècle (P. DRONKE, « Problemata hildegardiana », Mittellateinisches Jahrbuch, 16, 1981, p. 97-131, p. 113.) 11. Selon E. Klein, « persuadé que l'ordre du manuscrit initial avait été perturbé par les copistes ultérieurs », H. Schipperges « a cru bon de modifier à son tour le découpage du Causae et curae » dont les cinq livres deviennent 20 chapitres qu'il dote d'un titre, en laissant de côté certains

27

passages ; E. Klein remarque en outre qu'au fil du livre, traduction et commentaire qui au début étaient nettement séparés tendent à se mêler sans qu'aucune référence ne permette de les distinguer, ce qui rend le maniement de cet ouvrage assez délicat (E.

KLEIN,

Viae ad Physicam

sanctae Hildegardis, Bâle, 1984, p. 37). 12. « Saint Hildegard, Twelfth Century Physician », p. 781. 13. Heilkunde, p. 41-42 (Le prétendu sixième livre qui a été ajouté au manuscrit de Copenhague, doté d'une nouvelle initiale qui, ailleurs, marque le début de chaque livre). Sur cette initiale problématique, voir aussi P. VON WINTERFELD, « Kaiser Hildegardis Causae et curae », p. 296. 14. L'actuel manuscrit de Lucques (Biblioteca governativa, codex 1942) du Liber divinorum operum simplicis hominis, longtemps attribué à Mechtilde de Magdebourg, fut reconnu et édité pour la première fois par Mansi dans une nouvelle édition augmentée des Miscellanea du cardinal Etienne Baluze (1630-1718) : S. Baluzii Miscellanea novo ordine digesta, t. 2, Lucques, 1761, p. 336-452. F. A. Reuss semble ignorer l'existence de cette édition lorsqu'il écrit, en 1835 : Praeterea Hildegardis nomine codicibus haud paucis extant opera aliquot argumenti theologi-mystici, typis nondum impressa, scilicet : Liber divinorum operum simplicis hominis (circa 1147). Il signale toutefois qu'un échantillon en fut publié par Fabricius (1696-1769) ; cf. De libris physicis s. Hildegardis commentatio historicomedica, p. xvi. Effectivement, l'édition revue et augmentée de la Bibliotheca latina mediae et infimae aetatis de Johann Albert Fabricius parue en 1754, contient une notice de Mansi sur le Liber divinorum operum, et un extrait de cet ouvrage ; cf. J. Alberti Fabricii Bibliotheca latina mediae et infimae aetatis, Florence, 1858, t. III, p. 245-248. 15. Un catalogue de la Revelationes (A.

BIBLIOTHÈQUE

MANCINI,

de Lucques paru en 1900 indique encore Sanctae Mechtildis

Index Codicum Latinorum Bybliothecae Publicae Lucensis, Florence, 1900,

p. 248). Le manuscrit aurait été également attribué à Gertrude de Helfta et à sainte Elisabeth de Portugal avant que l'on n'y reconnaisse l'œuvre de Hildegarde ; cf. U. CECCARELLI, Il « Liber divinorum operum » di santa lldegarda di Bingen, Pise, 1960. 16. Edition due à Jacques Lefèvre d'Etaples, qui s'était rendu au Rupertsberg en 1509. 17. C. SCHMIDT, Histoire littéraire de l'Alsace à la fin du XV e et au commencement du XVI e siècle. Paris, 1879, 2 vol., vol. 2, p. 170. 18. (La de sainte Hildegarde qui transmet à la postérité, en vertu d'une expérience prodigieuse, les natures et les opérations des éléments, de certains fleuves d'Allemagne, des métaux, des légumes, des fruits et des herbes, des arbres et des arbustes, ainsi que celles des poissons, des volatiles et des animaux terrestres). 19. M.

DE BOÜARD,

« Réflexions sur l'encyclopédisme médiéval », L'encyclopédisme, Actes du

colloque de Caen 12-16 janvier 1987, A. Becq dir., Paris, 1991, p. 281-290, p. 284. 20. Cité par J. LE GOFF, Les Intellectuels au Moyen Age, Paris (1957), nouvelle éd. 1985, p. 56. 21. PL 176, col. 752 et 760. 22. Cf. Metalogicus, 2, 13, PL 199, col. 870. 23. « Médecine » : cf. Metalogicus, 2, 6, PL 199, col. 863 ; « prestidigitation » : cf. Polycraticus, PL 199, col. 415 (cité par A. BLAISE, Lexicon latinitatis medii aevi, Turnhout, 1986, p. 686). 24. J.-J. BYLEBYL, « The medical meaning of Physica », Osiris (A research Journal devoted to the history of science and its cultural influences), 2. series, vol. 6, 1990, p. 16-41. 25. Rappelons que chez les auteurs de l'Antiquité ce mot pouvait signifier « science naturelle, physique », au singulier comme au pluriel (notamment chez Cicéron : cf. F. GAFFIOT, Dictionnaire illustré français-latin, Paris, 1934, p. 1178). Nous employons ce terme, à la suite de Jean Schott, comme un féminin singulier, contrairement à certains commentateurs qui manient Physica comme un neutre pluriel (Hildegarde est présentée comme « l'auteur des Physica » par B. Gorceix dans l'introduction de son Livre des œuvres divines, Paris, 1982, p. xxxii) voire comme un accusatif féminin pluriel : suite à une mauvaise lecture du frontispice de l'édition princeps (Physicas Hildegardis pour Physica s. Hildegardis), J. Quinby parle des « Physicas » de Hildegarde (Catalogue of

28

Botanical Books in the Collection of Rachel Mc Masters Miller Hunt, vol. I, Printed Books 1477-1700, Pittsburgh, 1958, p. 42). 26. « Io. Schottus librarius lectori » : « Physicam » hoc est, rerum naturas, admirabili ingenio quatuor libris complexa est sancta Hildegardis illa. 27. Theodori Prisciani Euporiston libri III cum Physicorum fragmente, éd. V. Rose, Leipzig, 1894. 28. Octavii Horatiani rerum medicarum libri IV per Heremannum comitem a Neuenar integro candori restitutus autor, Strasbourg, 1532, in fol. ; on y trouve le texte complet des Euporista (p. 1-80) et un fragment des Physica (p. 80-83) attribués à un prétendu Octavius Horatianus (cf. G.

SABBAH

dir.,

Bibliographie des textes médicaux latins, Antiquité et Haut Moyen Age, Saint-Etienne, 1987, p. 149). 29. Pour le titre complet de ce recueil, voir en bibliographie « Œuvres de Hildegarde ». 30. Toutes ces informations sont tirées de la Bibliographie des textes médicaux latins, Antiquité et Haut Moyen Age, publiée sous la direction de G. SABBAH. 31. Pour le titre complet de ce volume, voir à nouveau la bibliographie, sous « Œuvres de Hildegarde ». 32. Déjà au siècle dernier, F. A. Reuss exprimait ses regrets d'ignorer complètement ou pouvait se trouver le manuscrit autographe (Physica, « Prolegomena et adnotationes », PL 197, col. 1123-1124). Plus récemment, M. Schrader et A. Führkötter ont supposé que l'édition de Schott remontait à un manuscrit, aujourd'hui perdu ou inconnu, du chanoine Bruno de Strasbourg, nommé dans les Acta Inquisitionis de 1233 (Die Echtheit des Schrifttums der heiligen Hildegard von Bingen : Quellenkritische Untersuchungen, Cologne/Graz, 1956, p. 55). 33. Histoire et culture historique dans l'Occident médiéval, Paris, 1980, p. 200-201. 34. On est tenté de rendre l'expression per viam viventis luminis par la formule « via la vivante lumière », qui garde du latin l'idée de chemin et celle de moyen. Le texte intégral de cette première longue lettre à Guibert de Gembloux, qui forme comme un petit traité appelé parfois « De modo visionis suae », a été publié pour la première fois par P.

DRONKE,

Women Writers of the

Middle Ages, Cambridge, 1984, p. 250-255. 35. Annales Zwiefaltenses majores ad annum 1142, Monumenta Germaniae Historica (désormais abrégé MGH), Scriptores, X, p. 56. 36. Joannis Saresberiensis opera, PL 199, « Epistola CXCIX ad Mag. Girardum Pucelle », col. 220. 37. Liber divinorum operum, PL 197, col. 751. Le père de cette analogie entre œuf et monde est Ovide, d'après Claude Thomasset, qui souligne que « presque tous les auteurs scientifiques du Moyen Age ont consacré un développement à cette analogie : Honorius, Guillaume de Conches, Abélard, Bernard Silvestre, Hildegarde, etc. » (C. THOMASSET, Une vision du monde à la fin du XIII e siècle. Commentaire du dialogue de Placides et Timeo, Genève, 1982, p. 30-31). Au Haut Moyen Age, elle était connue de Bède le Vénérable : « La terre est un élément placé au milieu du monde ; elle est au milieu de celui-ci comme le jaune est dans l'œuf ; autour d'elle se trouve l'eau comme autour du jaune d'œuf se trouve le blanc ; autour de l'eau se trouve l'air comme autour du blanc de l'œuf se trouve la membrane qui le contient ; et tout cela est entouré par le feu de la même manière que la coquille. » (De elementis philosophia, IV, cité par C.

KAPPLER,

Monstres, démons et

merveilles à la fin du Moyen Age, Paris, 1980, p. 21). 38. Cf. W. PREGER, Geschichte der deutschen Mystik, Leipzig, 1874, Bd. I, p. 13-27. 39. Cf. Liber trium virorum et trium spiritualium virginum, Paris, 1513, p. 13. 40. Chronica Albrici monachi trium fontium a monacho novi monasterii Hoiensis interpolata, MGH, Scriptores, XXIII, p. 843. 41. C.

MEIER,

« Eriugena im Nonnenkloster ? Überlegungen zum Verhältnis von Prophetentum

und Werkgestalt in den figmenta prophetica Hildegards von Bingen », Frühmittelalterliche Studien 19, 1985, p. 466-497, p. 493-494. 42. PL 122, col. 984 ; cette hypothèse semble plus probante à C. Meier que celle d'une reprise, de la part de Hildegarde, de la formule biblique de « livre de vie ».

29

43. De divisione naturae, PL 122, col. 782 D-783 A. 44. Gand, Bibliothèque universitaire, cod. no 241 (1170-1174). 45. Die Echtheit des Schrifttums der heiligen Hildegard von Bingen, p. 58. 46. Liber vitae meritorum, éd. J.-B. Pitra, p. 7-8. 47. Le Livre des œuvres divines, trad. B. Gorceix, p. xxvi. Cette belle traduction n'est malheureusement pas intégrale car elle suit celle de H. Schipperges, elle-même incomplète, parue en 1965 à Salzbourg sous le titre de Welt und Mensch. 48. Sa vaste correspondance (au moins 474 lettres dans l'état actuel de la recherche) a fait l'objet de plusieurs éditions : PL 197, col. 145-382 ; J.-B. PITRA éd., Sanctae Hildegardis opera, p. 328-440 (145 lettres) ; F.

HAUG,

« Epistolae sanctae Hildegardis secundum codicem Stuttgartensem », Revue

bénédictine, 43, 1931, p. 59-71 (les variantes du ms. Stuttgart 253 et quelques lettres inédites) ; P. DRONKE,

Women Writers of the Middle Ages, p. 256-64 (lettres inédites tirées du ms. Berlin Lat. Qu.

674). 49. Hildegarde est connue pour l'originalité de ses compositions dès 1148 comme l'atteste une lettre d'Odon de Soissons – dicitur quod [...] modos novi carminis edas, PL 197, col. 351-352 – d'où il ressort qu'elle composa elle-même le texte et la musique de ce que nous connaissons comme ses Carmina et son Ordo virtutum. 50. La Lingua ignota a été éditée partiellement par J.-B. PITRA, Sanctae Hildegardis Opera, p. 496 sq et intégralement par M.-L. PORTMANN, Wörterbuch der unbekannten Sprache (Lingua ignota), Bâle, 1986. Cf. aussi F. W. E. ROTH, Fontes rerum Nassoicarum, III-1, 1880, p. 457-465. 51. P. FRANCHE, Sainte Hildegarde, Paris, 1903, p. 96-97. 52. Analecta sacra, VIII, p. 7-8. 53. Cf. supra, note 34. 54. P. DRONKE, Women Writers of the Middle Ages, p. 146. 55. S. GOUGUENHEIM, « La place de la femme dans la création et dans la société chez Hildegarde de Bingen », Revue Mabillon, nouvelle série, 2 (tome 63), 1991, p. 115. 56. Le Livre des œuvres divines, p. xxiv. 57. Herzog August Bibliothek, Cod. 56, 2 Aug. 4° (3591), fol. 1r. 58. Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 6952, fol. 156r. 59. Codex Ferraioli 921, fol. 1r. 60. Subtilis a pour étymon tela, « toile », lui-même dérivé de texo, « tisser », selon F.

GAFFIOT

(Dictionnaire illustré français latin, p. 1549). 61. F. Sauerbruch est l'auteur d'une introduction à la traduction du Causae et curae par H. Schulz, parue pour la première fois en 1933. Cf.

HILDEGARD VON BINGEN,

Ursachen und Behandlung der

Krankheiten (Causae et curae), übers. H. Schulz, Bâle, 1990 (6e éd.), p. 4. 62. « Volmarus praepositus sancti Roberti dilectae matri suae H. », in Sanctae Hildegardis opera, éd. J.-B. Pitra, « epistola VIII », p. 346. Faut-il voir ici une simple erreur de composition ayant transformé « 1147 » en « 1174 » ? Jeffrey T. Schnapp considère pour sa part que cette lettre date approximativement de 1147 ; cf. J. T.

SCHNAPP,

« Virgin Words : Hildegard of Bingen's Lingua

Ignota and the Development of Imaginary Languages Ancient to Modem », Exemplaria III, 2, 1991, p. 267-298, p. 292. Il semble toutefois préférable de réviser cette date à la hausse, puisqu'en 1147, Hildegarde n'a même pas terminé sa première œuvre, Scivias. 63. Le Livre des œuvres divines, p. xx. 64. Ubi tunc responsa de universis casibus suis quaerentium ? Ubi tunc nova interpretatio Scripturarum ? Ubi tunc vox inauditae melodiae ? Et vox inauditae linguae ? Ubi tunc novi et inauditi sermones in festis Sanctorum ? Ubi tunc ostensio de animabus defunctorum ? Ubi tunc manifestatio praeteritorum, praesentium, futurorum ? Ubi tunc expositio naturarum diversarum creaturarum [...] ? J.-B. Pitra suppose qu'« ostensio de animabus defunctorum » renvoie ici au Liber meritorum, et « revelatio praeteritorum, praesentium et futurorum » à diverses prophéties de Hildegarde.

30

65. Cf. Sagesse, 7, 21 : « Tout ce qui est caché et visible, je l'ai connu : car c'est l'ouvrière de toutes choses qui m'a instruit, la Sagesse ! » (La Bible de Jérusalem, Paris, 1975, p. 1022). Pour des raisons de commodité, nous citons cette traduction, tout en sachant qu'elle n'est pas fondée sur le texte latin de la Vulgate que connaissait Hildegarde ; nous nous reporterons à la Vulgate quand ce sera nécessaire. 66. Liber divinorum operum, PL 197, col. 980. 67. Vita sanctae Hildegardis auctoribus Godefrido et Theodorico monachis, PL 197, col. 91-130 (trad. R. Chamonal, Vie de sainte Hildegarde, thaumaturge et prophétesse du XII e siècle, écrite par les moines Théodoric et Godefroid, contemporains de la sainte, traduites [sic] du latin en français, Paris, 1907). 68. Dom Herwegen souligne que Volmar, premier collaborateur de Hildegarde, fut aussi le premier praepositus du Rupertsberg, chargé à ce titre de la direction des moniales et de l'administration des biens du monastère. Godefridus lui succéda donc apparemment dans ces deux fonctions, mais ses responsabilités étaient moindres et sa charge de praepositus pouvait se limiter aux affaires extérieures du monastère ; cf. H.

HERWEGEN,

« Les collaborateurs de sainte

Hildegarde », Revue bénédictine, XXI, 1904, p. 192-204 et 302-316. 69. Cf. Hildegardis vita, auctore Guiberto, in Sanctae Hildegardis Opera, éd. J.-B. Pitra, p. 407-414, p. 407. 70. Cf. H. DELEHAYE, « Guibert, abbé de Florennes et de Gembloux », Revue des questions historiques, 46, 1889, p. 5-90. 71. Voir le récit de ces événements par Guibert lui-même, dans une lettre à Philippe, archevêque de Cologne : Guiberti Gemblacensis epistolae, Pars I, éd. A. Derolez, Turnhout, 1988, Ep. XV, p. 210-215. 72. P. DRONKE, « Problemata Hildegardiana », p. 107. 73. Voir l'adresse de la Vita Sanctae Hildegardis, qui ouvre la Praefatio Theodorici in Vitam totam : Dominis venerabilibus Ludovico et Godefrido abbatibus, Theodoricus, humilis servorum Dei servus, salutem cum devotis orationibus (PL 197, col. 91). Correspondant et ami de Hildegarde, Louis était abbé de Saint-Euchaire de Trèves et d'Echternach, mais il se démit en 1181 de cette seconde charge, dans laquelle lui succéda son chapelain Godefroy. Lorsque Louis mourut vers 1191, Godefroy devint également abbé de Saint-Euchaire ; cf. H. HERWEGEN, « Les collaborateurs de sainte Hildegarde », p. 310. 74. Localité voisine de Bad Kreuznach qui, selon les commentateurs, est orthographiée « Sponheim » ou « Spanheim ». Nous nous en tiendrons à cette dernière graphie. 75. Cf. Disertissimi viri Johannis de Trittenhem abbatis Spanhemensis De scriptoribus ecclesiasticis collectanea, Paris, 1494, p. XCIII. D'après Dom Herwegen, Theodoricus est surtout connu pour son Liber aureus, chronique d'Echternach restée à l'état de fragment (H.

HERWEGEN,

« Les

collaborateurs de sainte Hildegarde », p. 313). 76. Sa notice sur Theodoricus se fait presque lyrique dans son Catalogus illustrium virorum Germaniae, où il présente le moine comme un « amoureux très chaste, amator castissimus, de la bienheureuse Hildegarde » ayant écrit « pour l'édification de tous une Vie en quatre livres de cette épouse du Christ, différentes lettres et d'autres écrits encore inconnus de [lui] » (Catalogus illustrium virorum Germaniae, p. 138, cité par F. A. Reuss, « Prolegomena et adnotationes », PL 197, col. 1123, n. 16). 77. Vita sancte Hildegardis, col. 116 : « Cette troisième tour avait trois remparts, dont le premier était en bois et le second orné de pierres étincelantes, une haie constituant le troisième. Un autre édifice m'était caché dans cette vision, de sorte que je n'en dirai rien pour l'instant ; mais dans la lumière véritable, je m'entendis dire que le livre qui, dans l'avenir, serait écrit au sujet de cet édifice, surpasserait les précédents par sa force. » 78. Women Writers in the Middle Ages, p. 162. P. Dronke lit dans cette vision des trois tours une réminiscence du Pasteur d'Hermas et renvoie à ce sujet à H. LIEBESCHÜTZ, Das allegorische Weltbild der Hildegard von Bingen, Leipzig, 1930, p. 51-56.

31

79. Sections qui constituent les livres III (col. 1215-1248), IV (col. 1248-1266) et I (col. 1125-1210) de l'édition dans la Patrologie latine. 80. Quaedam de natura hominis et elementorum, diversarumque creaturarum, et quomodo homini ex his succurrendum sit, aliaque multa secreta prophetico spiritu manifestavit (Vita, col. 101). 81. Cf. C. SINGER, « The Scientific Views and Visions of Saint Hildegard (1098-1180) », Studies in the History and the Method of Science, Oxford, 1917, p. 1-55. 82. L. THORNDIKE, A History of Magic and Experimental Science During the First Thirteen Centuries of our Era, New York, 1923, vol. II, p. 128, n. 2. 83. Grégoire IX, pourtant favorable au départ à cette demande de canonisation, jugea trop incertain et trop général le rapport de 1233 et le refusa (A. VAUCHEZ, La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Age, Rome, 1981, p. 57). Une nouvelle enquête demandée par Grégoire IX le 6 mai 1237 n'obtint pas non plus le résultat escompté ; Innocent IV (1243-1254) ordonna de la recommencer, jugeant trop confuses les conclusions de la précédente, mais il semble que le rapport final n'ait jamais été remis à Rome (ibidem, p. 61). Les démarches en vue de la canonisation de Hildegarde n'aboutirent donc pas, faute, vraisemblablement, d'un véritable portrait du personnage se dégageant des différents témoignages recueillis. 84. L'église Saint-Pierre-le-Jeune était desservie par une communauté de chanoines vivant selon la règle de saint Chrodegang. Cf. E. L. STEIN, Geschichte des Kollegialstifts Jung Sankt-Peter zu Strassburg, Fribourg, 1920. 85. P. BRUDER éd., Acta Inquisitionis, in Analecta Bollandiana, 2, 1883, p. 127. 86. Die Echtheit des Schrifttums, p. 55. 87. Cf. P.

RIETHE,

Der Weg Hildegards von Bingen zur Medizin. Unter besonderer Berücksichtigung der

Zahn- und Mundleiden, Med. Inaug. Diss., Mayence, 1951 et Hildegard von Bingen, Naturkunde (Das Buch von dem inneren Wesen der verschiedenen Naturen in der Schöpfung), Salzbourg, 1959, p. 172 (Il avait copié de sa main le Scivias, le Livre des mérites de la vie et le Livre des œuvres divines. Il n'est donc pas exclu qu'il ait copié d'autres œuvres de la visionnaire, qu'il remit [à la commission chargée de l'enquête] à Strasbourg). 88. Contrairement à ce qu'écrivent M. Schrader et A. Führkôtter (p. 55) qui prêtent ce témoignage au moine Albéric, mauvaises références à l'appui (« MG. SS. XXV, Gesta saec. XIII »), il s'agit bien de Richer, correctement identifié par Max Manitius (M.

MANITIUS,

Geschichte der

lateinischen Literatur des Mittelalters, Munich, 1931, p. 233). 89. Richeri gesta Senoniensis ecclesiae, 4, cap. 15, « De beata Hiltigarde sanctimoniali et prophetiis eius », MGH, SS, XXV, p. 306. 90. Chronica Albrici monachi trium fontium, MGH, SS, XXIII, p. 843. 91. Annales Stadenses auctore M. Alberto ab o. c. 1256, MGH, SS, XVI, p. 330. Le moine Albéric et Albert de Stade ont très vraisemblablement puisé leurs renseignements à la même source. 92. MGH, Scriptores, XXIV, p. 247. 93. Ex chronico quod dicitur Willelmi Godelli, MGH, SS, XXVI, p. 198. Les soixante ans dont parle Guillaume sont ceux qui séparent de l'an 1172 l'époque où Hildegarde reçut le voile des mains de l'évêque Otto de Bamberg, à l'âge de quinze ans. 94.

WILHELMUS LUCENSIS,

Comentum in tertiam hierarchiam Dionisii que est de divinis nominibus, éd. F.

Gastaldelli, Florence, 1983, p. 221 : nimirum virgo sanctissima prophetissa est et Spiritu Sancto plena. Je remercie le Professeur Dronke de m'avoir indiqué cette piste. 95. Ibidem. 96. Acta Inquisitionis, PL 197, col. 137. 97. Expositio Evangeliorum, éd. J.-B. Pitra, Analecta sacra, t. VIII, p. 245-327. 98. Acta Inquisitionis, PL 197, col. 139 : librum Scivias, librum vitae meritorum, librum divinorum operum, Parisius per theologiae magistros examinatos ; librum Expositionis quorundam Evangeliorum, librum Epistolarum, librum simplicis medicinae, librum compositae medicinae, ac Cantum ejus cum lingua

32

ignota, cum libello qui de ejus vita conservatus est. Le chant cité ici est sans doute celui que nous connaissons aujourd'hui comme son antienne no 67, qui contient 5 mots de sa Lingua ignota ; dans un manuscrit copié à Zwiefalten entre 1154 et 1170, le Cod. Theol. Phil. 4° 253 de la Württembergische Landesbibliothek de Stuttgart, il apparaît sous le titre de « cantus ad Romam », fol. 28r. 99. Contentons-nous pour l'instant d'indiquer que l'unique manuscrit conservé du Causae et curae provient de Saint-Maximin de Trèves, et que Hildegarde composa pour cette abbaye, en l'honneur de son saint patron, sa séquence no 76 « A saint Maximin » (cf. HILDEGARDE

DE BINGEN,

Louanges, prés, et trad. L. Moulinier, Paris, 1990, p. 112). Sur les rapports entre Hildegarde et Trèves, ininterrompus de 1147 à sa mort, voir A. FÜHRKÖTTER, « Hildegard von Bingen und ihre Beziehungen zu Trier », Kurtrierisches Jahrbuch, 5, 1985, p. 61-72. 100. Une lettre de Guibert à son ami Bovo, éditée par le cardinal Pitra (Analecta sacra, VIII, p. 406), évoque avec admiration les nonnes du Rupertsberg qui, suivant le précepte apostolique « Qui ne travaille pas ne mange pas », « copient des livres, tissent, ou s'adonnent à d'autres travaux manuels ». D'après M. Schrader et A. Führkötter, il y aurait eu deux scriptoria au Rupertsberg, l'un à l'intérieur de la clôture où travaillaient des moniales, l'autre réservé aux moines attachés au cloître ou à des hôtes de passage ; elles font d'autre part remarquer que la Lingua ignota de Hildegarde contient 14 mots relatifs aux objets du scriptorium, du plus haut intérêt (Die Echtheit des Schrifttums, p. 26-41 et p. 54). 101. A vrai dire ce sont même deux ouvrages ainsi appelés qui y figurent, à quelques rangs de distance, parmi les livres de médecine donnés par un certain « magister Herebertus medicus » : 459. liber simplicis medicinae in uno volumine [...] 476. item liber simplicis medicinae s' Tullium de animalibus (cf. G.

BECKER,

Catalogi bibliothecarum antiqui, Bonn, 1885, p. 243-244, « Ecclesia

Dunelmensis »). 102. La liste des livres de Durham, précédée de la mention « saec. XII » fait partie des catalogi saeculo XIII vetustiores regroupés par Becker dans la première partie de son ouvrage. 103. Ibidem, p. 244 : « 482. versus magistri Egidii de urina ». 104. Voir son index, p. 318 : « “medicinales libri” : simplicis medicinae liber (Hildegardis ?) ». 105. K. W. HUMPHREYS, The Friar's Libraries, Londres, 1990, p. 110 (je remercie chaudement Charles Burnett de m'avoir communiqué cette référence). 106. The Friar's Libraries, p. XXIX-XXX. 107. Ibidem, p. 11 : « Johannes de Ergum ». 108. Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, t. VII, 1 ère partie, Parts, 1969, p. 515. 109. B. WIDMER, Heilsordnung und Zeitgeschehen in der Mystik Hildegards von Bingen, Bâle/Stuttgart, 1955, p. 16. 110. Women Writers of the Middle Ages, p. 160. 111. Le livre des œuvres divines, p. 216. Voir aussi la Vita s. Hildegardis, PL 197, col. 101 : manu propria scripsit, et ore edidit, uno solo fideli viro symmista contenta, qui ad evidentiam grammaticae artis, quam ipsa nesciebat, casus, tempora et genera quidem disponere, sed ad sensum vel intellectum eorum nihil omnino addere praesumebat vel demere. 112. Son témoignage n'avait pas échappé au cardinal Pitra qui écrit, à propos de l'œuvre contenue dans le « rarissime manuscrit de Copenhague du début du XIII e siècle » que Matthieu de Westminster, en 1292, « la désigne clairement lorsqu'il attribue à Hildegarde un livre de médecine composée sur les causes, les signes et les remèdes des maladies, qu'il distingue nettement d'un autre livre, de simple médecine. » (Analecta sacra, VIII, p. 468). 113. La liste des œuvres de Hildegarde est aussi détaillée que celle de Bruno : exposuit et condidit multos libros, scilicet librum Scivias librumque vite meritorum ac Librum divinorum operum, omelias etiam et Ignotam linguam cum suis literis celestemque armoniam cum aliis scriptis non paucis atque librum simplicis medicinae secundum creationem, octo libros continentem, librumque compositae medicinae de aegritudinum causis, signis atque curis, qui omnes recepti sunt et canonizati a papa Eugenio,

33

in concilio Trevirensi, praesentibus multis episcopis tam Francorum quam Teutonicorum, et sancto Bernardo clarevallensi abbate. (Ex floribus Historiarum qui Mathei Westmonasteriensis dicuntur, MGH, SS, XXVIII, p. 487). Le texte latin dit canonizati ; le verbe canonizare avait, outre le sens de « canoniser, inscrire au catalogue des saints », celui d'« approuver, imposer officiellement » attesté par A. BLAISE

; cf. Lexicon latinitatis medii aevi, p. 137.

114. Hildegarde cite cette lettre du pape dans un passage supposé autobiographique de sa Vita (S. Hildegardis Vita, II, 1, PL 197, col. 104) : benedictionemque suam cum litteris mihi mittens, praecepit ut ea, quae in visione viderem vel audirem, scriptis attentius commendarem. Cette lettre figure en tête de la correspondance de la sainte éditée par Migne ; cf. Sanctae Hildegardis abbatissae epistolarum liber, PL 197, col. 145, « Epistola prima Eugenii pontificis ad Hildegardem ». 115. S. GOUGUENHEIM, L'Eschatologie dans la vie et l'œuvre d'Hildegarde de Bingen, t. 1, p. 20. P. Dronke rappelle que si saint Bernard fut favorable aux écrits de Hildegarde, il avait été très actif dans ses essais pour condamner les œuvres d'Abélard, de Guillaume de Conches ou de Gilbert de Poitiers ( Women Writers of the Middle Ages, p. 148). 116. « 1148 : le pape Eugène passa l'hiver à Trèves et célébra un synode à Reims à la micarême » ( MGH, SS, XXIV, p. 38). D'après R. Chamonal, Eugène III, « ayant célébré le concile universel de Reims fut appelé par Adalbert, archevêque de Trèves » et séjourna dans cette ville ; il manda alors au monastère où la sainte était retirée « le vénérable prélat de Verdun avec le primicier Adalbert » (Vie de sainte Hildegarde, thaumaturge et prophétesse du XII e siècle..., p. 12). 117. Cette compilation baptisée Pentachronon seu speculum futurorum temporum sive de quinque temporibus n'a fait l'objet que d'une publication partielle par J.-B. Pitra ( Analecta sacra VIII, p. 483-488) ; il en subsiste de nombreuses copies, par exemple dans les manuscrits 2592, 2599, 3319, 3322, 4895 A et 16089 du fonds latin de la Bibliothèque nationale de France. 118. Et papa Eugenius scripta ejus canonizavit in concilio Treverensi ( Annales Stadenses auctore M. Alberto ab o. c. 1256, MGH, SS, XVI, p. 330). Cf. F.

JÜRGENSMEIER,

« St. Hildegard, “Prophetissa

teutonica” », Hildegard von Bingen, Festschrift zum 800. Todestag, éd. A. Ph. Brück, Mayence, 1979, p. 273-293, p. 287. 119.

THEODERICUS DE NIEHEIM,

Chronica, éd. K. Colberg, J. Leuschner, Stuttgart, 1980, p. 246 : Hec

virgo sacra reliquit post se libros [...] et eos Pentachronon vel Speculum futurorum temporum nominavit. Quos libros recepit et canonizavit Eugenius papa predictus in concilio Trevirensi [...]. 120. Cf. H.

HEIMPEL,

K.

PIVEC,

« Ein Bruchstück von Stoffsammlungen Dietrichs von Niem (mit

besonderer Berücksichtigung der Auszüge des Gebeno von Eberbach aus den Schriften der heiligen Hildegard von Bingen) und ein unbekannter ghibellinischer Traktat », Nachrichten der Akademie der Wissenschaften in Göttingen, Philologisch-historische Klasse, 1951, p. 77-97. 121. S. FLANAGAN, Hildegard of Bingen, A Visionary Life, Londres/New York, 1989, p. 93. 122. P.

LIEUTAGHI,

« Commentaire Historique, Botanique et Médical », in

PLATEARIUS,

Le Livre des

simples médecines, éd. et comm. F. Avril, P. Lieutaghi, G. Malandin, Paris, 1986, p. 286. 123. Physica, I, 194, De semine lini, PL 197, col. 1202. 124. Berne, Burger Bibliothek, Cod. 525, fol. 18r-23r. 125. Cf. A.

PARAVICINI BAGLIANI

dir., Medicina e scienza della natura alla corte dei papi nel duecento,

Spolète, 1991. 126. Dans le manuscrit le plus tardif (Bruxelles, Bibliothèque royale, 2551) le « livre des éléments » clôt la série des livres. 127. Wurtzbourg, Universitätsbibliothek, Mp misc. f.6, fol. 37r (vers 1350). 128. Cf. supra, note 75. 129. C. SINGER, « Scientific Views and Visions of St Hildegard », p. 42. 130. Entre autres à Ratisbonne en 1090, à Erfurt en 1137, à Nuremberg en 1140 et deux ans plus tard à Constance ; cf. la notice « Schottenkloster », Lexikon der deutschen Geschichte, hrsg. von G. Taddey, Stuttgart, 1977, p. 1090.

34

131. M.

SCHRADER,

« Trithemius und die heilige Hildegard “von Bermersheim” », Archiv für

mittelrheinische Kirchengeschichte, 1952, p. 171-184, p. 172. 132. Cité par P.

LEHMANN,

« Nachrichten von der Sponheimer Bibliothek des Abtes Johannes

Trithemius », Festgabe Hermann Grauert gewidmet, Fribourg-en-Brisgau, 1910, p. 205-220. 133. « Epistola Ioannis Duraclusii discipuli ejus, ad Nicolaum Hamerium Emelanum » dans Polygraphiae libri sex Ioannis Trithemii Abbatis Peapolitani quondam Spanheimensis, Francfort, 1550 : Cum essem apud eum unius anni spacio, pro discendis ab eo literis graecis atque hebraicis, duo milia numeravi bibliothecae volumina, quorum ad minus octingenta calamo in pergameno et papyro decenter fuerunt conscripta. 134. Ibidem. 135. Comme Dietrich von Nieheim en fit l'expérience, les nonnes de ce monastère semblaient peu enclines à communiquer les livres de leur glorieuse fondatrice, de peur qu'on ne les en dépossédât par la force. Cf. THEODERICUS DE NIEHEIM, Chronica, p. 251. 136. « Epistola Ioannis Duraclusii discipuli ejus... » : sequentiam de Anna... quartam de sancta Hildegarde quae sic incipit, Laus sit tibi domine rex eterne glorie. 137. Episode rapporté par M.

SCHRADER,

« Trithemius und die heilige Hildegard “von

Bermesheim” », p. 173. 138. THEODERICUS DE NIEHEIM, Chronica, p. 251. 139. C.

SCHMIDT,

Histoire littéraire de l'Alsace à la fin du XV e et au commencement du XVI e siècle, t. I,

p. 181. 140. Catalogus virorum illustrium, p. 138, cité par F. A. Reuss, « Prolegomena et adnotationes », PL 197, col. 1123-1124. 141. Londres, British Library, Cod. Add. 15102, f.ol 1v. Ce codex, intitulé S. Hildegardis, liber epistolarum et orationum, comporte un autographe et les initiales de Trithemius, attestant que cette copie réalisée à sa demande se fondait sur un volume écrit par Hildegarde elle-même ; cf. Catalogue of Additions to the Manuscripts in the British Museum, List of Additions to the Department of Manuscripts, Londres, 1844, p. 86. 142. Iohannis Tritthemii (sic) abbatis Spanheimensis de scriptoribus ecclesiasticis sive per scripta illustribus in Ecclesia viris, Cologne, 1546, p. 171. 143. Cf. Physica, PL 197, « Prolegomena et adnotationes », col. 1123-1124 (Jean Trithemius, abbé de Saint-Jacques des Ecossais à Wurtzbourg, qui fit copier pour lui l'original conservé au Rupertsberg). 144. Principalement des livres sur les choses « mystiques et secrètes de la nature » selon O. HANDWERKER,

« Zur

Geschichte

der

Handschriftensammlung

der

Würzburger

Universitätsbibliothek », Zentralblatt für Bibliothekswesen, XXVI. Jg., November 1909, p. 485-516, p. 504. 145. S. KRÄMER (Mittelalterliche Bibliothekskataloge, Ergänzungsband I, Teil 2, Munich, 1989) repère ce manuscrit à Spanheim, p. 734 puis à Wurtzbourg, p. 848. 146. On y trouve en revanche la compilation de Gebeno, (cf. supra, note 117) ; cf. O. HANDWERKER, « Zur Geschichte der Handschriftensammlung der Würzburger Universitätsbibliothek », p. 506. 147. Cf. E. G.

VOGEL,

« Die Bibliothek der Benediktiner Abtei Sponheim », Serapeum, III, 1842,

p. 312-328. 148. Chronicon insigne monasterii Hirsaugiensis ordinis sancti Benedicti, per Ioannem Tritehemium (sic), Bâle, 1559, p. 175 : De causis et remediis morborum humani corporis, opus insigne, quod medicinam praenotavit compositam, et incipit : Deus ante creationem mundi absque initio fuit et est. Item alium librum de naturis herbarum, quantum ad curam humani corporis pertinent, satis pulchrum edidit, quam simplicem medicinam praenotavit. 149. Le premier manuscrit du Scivias notamment (Wiesbaden, Hessische Landesbibliothek, ms. 1), avait été copié et décoré au Rupertsberg du vivant de Hildegarde, vers 1165 ; il fit l'objet d'une

35

étude détaillée par Louis BAILLET, « Les miniatures du Scivias de Sainte Hildegarde conservé à la Bibliothèque de Wiesbaden », Monuments et mémoires publiés par l'Académie des Inscriptions et BellesLettres, t. 19, 1911, p. 49-149. Disparu depuis 1945, ce manuscrit a survécu dans une copie en facsimilé exécutée entre 1927 et 1933 par les sœurs du monastère Sainte-Hildegarde à Eibingen. Les images en sont reproduites dans l'édition du Scivias établie par Adelgundis Führkötter, aidée d'Angela Carlevaris (Hildegardis Scivias, éd. A. Führkötter, A. Carlevaris, Turnhout, 1978, 2 vol. [t. 43 et 43 A]). 150. S. FLANAGAN, Hildegard of Bingen, A Visionary Life, p. 82. 151. H. FISCHER, Mittelalterliche Pflanzenkunde, Munich, 1929, p. 27. 152. Die Echtheit des Schrifttums..., p. 58. 153. Heilkunde, p. 39. 154. Cf. Vita sancti Disibodi, PL 197, col. 1116. 155. A.

MENNE,

« Vom geistlichen Leben im Kloster der heiligen Hildegard zu St-Rupertsberg-

Eibingen (I) », Erbe und Auftrag, 41 Jg., 1965, p. 305-316, p. 307. 156. « St Hildegard, “Prophetissa teutonica” », p. 286. 157. B. Hauréau raconte qu'en 1217 les cisterciens d'Eberbach reçurent la visite d'un abbé calabrais nommé Jean, qui les remplit d'épouvante en leur annonçant l'imminence de la naissance de l'Antéchrist, et donc de la fin du monde : « Il y a quelqu'un, nous dit-il, que cet abbé ne persuade pas complètement : c'est le prieur Gebenon qui, lecteur assidu des prophéties d'Hildegarde, ne croit et ne veut croire que ce qu'elle a dit. Oui sans doute, la sainte femme l'a reconnu, le monde est en pleine décadence ; mais la péripétie doit s'accomplir en cinq périodes dont la première n'est pas même commencée ; d'où on peut conclure que les quatre dernières... ne sont pas si prochaines. Voilà, dit Gebenon, ce qu'enseigne clairement Hildegarde et, pour le prouver, il extrait de ses écrits tous les passages, longs ou courts, qui se rapportent à cette grave question, la fin du monde. » (B. HAURÉAU, « Manuscrits de la Bibliothèque Mazarine », Journal des savants, mars 1887, p. 181-182). 158. Voir le ms. lat. 3322 de la Bibliothèque nationale de France, où Gebeno ne se cache pas d'avoir mis dans son « petit livre » « non pas tout ce que Hildegarde a écrit des temps à venir », mais ce qu'il « [a] jugé le mieux adapté à [son] entreprise et à [son] époque » (In hoc autem libello non omnia posui que in libris ejus de futuris scripta sunt sed ea que huic operi et isti tempori congruere putavi, fol. 4r) ; il reconnaît que le style de Hildegarde est rebutant car obscur et inhabituel, comme celui de tous les prophètes (Libros sanctae Hildegardis plerique legere fastidiunt et horrent pro eo quod obscure et inusitato stilo loquitur, non intelligentes quod hoc est argumentum vere prophecie, fol. 4r) et un abbé, correspondant de Hildegarde, s'était de fait plaint des « obscurités » de sa lettre, qui assombrissaient la joie qu'il s'était faite de la recevoir (Ep. LXV, PL 197, col. 285). 159. Lucques, Biblioteca governativa, codex 1942. M. Schrader et A. Führkötter ont relevé des affinités entre ce manuscrit et celui des « Lettres » de Hildegarde copié au XIII e siècle au monastère Sainte Marie de Pfalzel, près de Trèves (actuellement à Berlin, Staats Bibliothek Preussischer KulturBesitz, Lat. 4° 674) ; cf. A. R. CALDERONI MASETTI, Sanctae Hildegardis revelationes, manoscritto 1942, Lucques, 1973, p. 19. 160. Rappelons que deux manuscrits furent copiés au Rupertsberg de son vivant. Cf. P.

DRONKE,

« Problemata Hildegardiana », p. 99. 161. Sanctae Hildegardis revelationes, p. 20 (les divergences relevées entre les miniatures et le texte des visions — problème de l'orientation, caractérisation négative du septentrion — donnent à penser que Hildegarde et ses collaborateurs directs n'avaient élaboré aucune édition illustrée du Livre [des œuvres divines]). 162. H.

SCHWITZGEBEL,

« Die Überlieferung der Werke der Hildegard von Bingen und die heute

noch vorhandenen Handschriften », Blatter der Carl-Zuckmayer Gesellschaft, 5, 1979, p. 133-150, p. 144.

36

163. A.

BATTANDIER,

« Sainte Hildegarde, sa vie et ses œuvres », p. 416 : « ses livres ont dû être

défigurés. Chacun a ajouté, retranché, modifié à son gré. Quelqu'un a mis ses observations à la suite de celles de la sainte abbesse et un copiste les a fait passer dans le texte. » 164. H. Fischer doutait de l'authenticité du traité Causae et curae et pensait qu'il aurait pu être écrit entre 1180 et 1233 ; cf. Mittelalterliche Pflanzenkunde, p. 27. C. Singer estimait pour sa part que si le manuscrit du Causae et curae datait du XIII e siècle, il en était sans doute de même pour l'œuvre originale (« Scientific Views and Visions of St. Hildegard (1098-1180) », p. 12). Plus circonspecte, B. Newman tient Causae et curae pour une œuvre écrite sur une longue période, et sans doute jamais assemblée sous une forme définitive (cf. Sister of Wisdom, Saint Hildegard's Theology of the Feminine, University of California Press, 1987, p. 126).

37

Chapitre II : La tradition manuscrite, une histoire de familles

1

Il est remarquable que les traités de médecine de Hildegarde n'aient pas été conservés avec ses autres écrits, mais toujours à part. Ainsi on ne les trouve pas dans le principal recueil de ses œuvres réalisé au Rupertsberg immédiatement après sa mort, le manuscrit de Wiesbaden connu sous le nom de « Riesenkodex »1 dans lequel des écrits de moindre ampleur comme les Litterae ignotae et la Lingua ignota côtoient pourtant le Scivias, le Liber vitae meritorum, le Liber divinorum operum, la majeure partie de sa correspondance et ses chants. Cette ségrégation n'est pas le privilège de ses traités scientifiques puisque sa correspondance aussi se trouve dispersée entre différents manuscrits ; ne faut-il pas voir malgré tout dans cette mise à l'écart codicologique le signe que, pour les contemporains mêmes de Hildegarde, sa médecine était une œuvre à part2 ? Ou les copistes ont-ils voulu conserver et transmettre à la postérité, avant tout, l'image et l'œuvre de la visionnaire animée du souffle créateur, au détriment de la naturaliste dont les traités ne pouvaient passer pour des livres inspirés ? Il est probable que la femme de science eut à pâtir de l'ombre projetée par la prophétesse dont la figure connut un rayonnement sans précédent à partir des années 1220, grâce à Gebeno d'Eberbach, dont le Pentachronon ou Speculum futurorum temporum3, montage de prophéties de Hildegarde sorties de leur contexte remporta, du XIIIe au XVIII e siècle selon A. Führkotter, un succès attesté par le grand nombre de manuscrits qui nous en est parvenu4. C'est là un phénomène tout à fait à part et à vrai dire, si l'on excepte le Scivias et les onze manuscrits complets qu'en recense P. Dronke5, les écrits médicaux de Hildegarde n'ont rien à envier, quant au nombre de leurs manuscrits, aux quatre exemplaires que l'on connaît actuellement du Livre des œuvres divines6 ou aux cinq du Livre des mérites de la vie7.

2

On ne disposait, jusqu'au début des années 1980, que d'un manuscrit du Causae et curae (le codex de Copenhague découvert par Jessen au siècle dernier), de trois manuscrits complets de la Physica (un des XIIIe-XIVe siècles à Wolfenbüttel, deux autres du XVe siècle, l'un à Paris, l'autre à Bruxelles), d'un extrait de la Physica contenu dans un manuscrit du XVe siècle à Berne, et d'un court passage du Causae et curae figurant dans un codex de Berlin. Trois découvertes récentes sont venues grossir ce corpus et l'on doit compter désormais avec deux manuscrits complets de la Physica supplémentaires : l'un fut repéré en 1983 par le Père Paulus Becker, de l'abbaye Saint-Matthias de Trèves, parmi les

38

manuscrits de la Biblioteca Medicea Laurenziana de Florence, l'autre en 1985 par Ursula Heierle, dans le fonds Ferraioli de la Bibliothèque vaticane ; plusieurs passages de la Physica figurant dans un manuscrit conservé à l'époque à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich et actuellement à Augsbourg, Universitatsbibliothek, furent d'autre part identifiés par Melitta WeissAmer, et le « livre des pierres » reconnu dans un manuscrit de Fribourg-en-Brisgau par Raimund Struck, qui en donna une édition dans sa thèse en 1985 8 ; enfin, j'ai moi-même découvert quatre nouveaux fragments de la Physica dans trois manuscrits conservés à la Bibliothèque vaticane. 3

Rappelons qu'au début du siècle dernier, lorsque F. A. Reuss ouvrit la série des études de l'œuvre scientifique de Hildegarde en publiant en 1835 son « commentaire historicomédical des livres médicaux de sainte Hildegarde », il ne pouvait s'appuyer, pour rétablir les passages corrompus de l'édition de Strasbourg, que sur le manuscrit de Paris, seul connu à l'époque, et se plaignait de cette pénurie (« le texte de la première édition de la Physica, réalisée en 1533, que j'ai utilisée pour mon commentaire, présente parfois des leçons très corrompues... qu'on ne peut rectifier, en raison de la pénurie de manuscrits » 9 ) ; le corpus actuel apparaît donc comme d'autant plus important, et susceptible de s'accroître encore : les découvertes de ces dernières années donnent l'espoir de nouvelles trouvailles10, notamment dans le fonds des manuscrits médicaux latins de la Bibliothèque nationale de France dont une grande partie, d'après M.-L. Portmann, n'a pas encore été dépouillée11.

4

Je présenterai d'abord les différents manuscrits scientifiques de Hildegarde connus à ce jour en un bref catalogue, en indiquant par un astérisque ceux que je n'ai pu consulter et entre parenthèses la forme abrégée sous laquelle il y sera désormais fait référence. Je tenterai ensuite de retracer leur histoire.

1. Catalogue des manuscrits des œuvres scientifiques de Hildegarde A. Manuscrits complets a) Causae et curae 5

Commençons par Causae et curae, dont n'est connu aujourd'hui qu'un seul manuscrit 12.

6

Copenhague (Cop) :

7

Kongelige Bibliothek, Ny. kgl. saml., 90 b Fol.

8

Parchemin, 93 folios de 28,8 x 20,5 cm (28,8 x 14,8 cm selon E. Strübing) numérotés par une main récente de 1 à 185.

9

Couverture du XVIe siècle. Rubriques, grandes initiales décorées au début de chaque liber (le titre courant est d'une autre main, et le rang du « livre » est rappelé par un chiffre arabe dans le bord supérieur de chaque page impaire). Dans les marges latérales, numérotation des paragraphes en chiffres arabes (jusqu'à 49 pour le livre premier, 284 pour le second, 38 pour le livre III, 65 pour le livre IV, 27 pour le livre V).

10

Première page : annotations de bibliothécaires. Avant-dernière page, après l'explicit, deux vers tirés du Regimen Salernitanum (febris acuta tisi pedicon scabies sacer ignis / cancer lippa lepra frenesis contagia praestant) suivis d'un index des chapitres écrits par une main plus récente.

39

11

Pages 1-184 : Beate Hildegardis causae et curae. Inc. : . Des. : . Page 184-185 : index des chapitres (registrum selon Kaiser).

12

Ce manuscrit date du XIIIe siècle et est originaire d'Allemagne ; il a eu pour possesseurs au Moyen Age le monastère de Saint-Maximin de Trèves et au début du XIXe siècle Georg Franz Burkhard Kloss (1787-1854), médecin de Francfort (exlibris collé à l'intérieur de la couverture : Georgius Kloss M.D. Francofurti ad Moenum).

13

Bibliographie : E. Jørgensen, Catalogus codicum latinorum medii aevi bibliothecae regiae Hafniensis, Copenhague, 1926, p. 444 ; P. Kaiser, « Praefatio », Causae et curae, p. iii-v ; E. Strübing, « Nährung und Ernahrung bei Hildegard von Bingen, Äbtissin, Ärztin und Naturforscherin (1098-1179) », Centaurus, n o 9, 1963-64, p. 73-124 (reproduction de certains folios). b) Physica

14

Bruxelles (B)15 :

15

Bibliothèque royale, Cod. 2551 (anciennement 1494).

16

Papier, IV +130 + III folios de 22 x 14 cm. Manuscrit abîmé, feuillets recollés, notamment au début. Couverture 23 x 15,5 cm. Reliure récente (« L. Petit 1973 ») en cuir brun clair, très serrée. Décoration limitée à des initiales rubriquées. Justification à la mine de plomb réduite à deux lignes verticales. Ecriture gothique (cursive).

17

Fol. 129v, estampille rouge de la Bibliothèque nationale de France, « R. F. ».

18

Au fol. IV figurent le numéro 2551 et cette inscription d'une main du XIXe siècle : « Reuss a publié à Würzburg une dissertation intitulée de libris physicis Hildegardis commentatio historico medica Wircesburgi 1835 ( ?) ».

19

Le registre suit une ancienne pagination e-z, aa-az, ba-bz, ca-cz, da-dz, ea-eo, rubriquée en haut à droite, mais nous préférons détailler le contenu du manuscrit selon le foliotage numérique :

20

Fol l-2v : Table des matières (incomplète).

21

Fol. 2v : Incipit liber sancte Hildegardis prophetisse de diversis infrascriptis materiis quarum registrum ut totius libri sequitur. Primo de fructibus et speciebus et herbis... (incomplet).

22

Fol. 3-124 : « Hildegardis de rebus physicis » selon J. Van den Gheyn.

23

Fol. 3r-v : Prologus. In creatione hominis alia terra sumpta est... Explicit prologus. Tabula et registrum fructuum et specierum sequitur.

24

Fol. 4r-v : Table des fruits.

25

Les arbres succèdent sans transition aux plantes au fol. 47, au sein d'une première grosse partie du texte ; viennent ensuite : fol. 55r de lapidibus, fol. 67r de piscibus, fol. 76v de avibus, fol. 90v de animalibus, fol. 107r de immundis et venenosis animalibus, fol. 114v de metallis et erementis, et fol. 118v de aquis.

26

Explicit : .

27

Fol 124-129v : Recettes médicales (d'une autre main à partir du folio 128v : Ad oculos succum feniculi cum thure tritum in oculos...).

40

28

Fol. 130r : blanc.

29

Fol. 130v : Si mulier ulnam leporis et testiculos porci in balneo edat... sed statim educto fetu ponatur ne matrix sequatur.

30

Le manuscrit date-t-il du XVe siècle (vers 1450 d'après M.-L. Portmann16, vers 1440 pour R. Calcoen) ou du XVIe siècle selon W. Lourdaux et M. Haverals ? Il provient de Louvain et a appartenu à la bibliothèque des chanoines réguliers du Val-Saint-Martin, comme l'attestent Sanders17 pour le XVIIe siècle, et, pour le siècle précédent, la note du folio 130v où apparaît le nom d'un religieux, copiste ou donateur : Sinte Mertens liberarie ad manus domini nicolay Winge. Nicolaas van Winghe était chanoine régulier de Saint-Martin, et mourut le 28 décembre 155218.

31

Bibliographie : J. Van den Gheyn, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique, t. II, Patrologie, Bruxelles, 1902, p. 388 ; R. Calcoen, Inventaire des manuscrits scientifiques de la Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles, 1965, t. 1, p. 52 (pour lui la Physica s'étend du folio 3 au folio 128) ; W. Lourdaux, M. Haverals, Biblioteca vallis sancti Martini in Lovanio. Bijdrage tot de studie van het geestleven in de Nederlanden, Louvain, 1978.

32

Florence (F) :

33

Biblioteca Medicea Laurenziana, cod. Ashburnham 1323.

34

Parchemin, II +104 folios de 26 x 20 cm, numérotés au crayon à papier (sauf le feuillet 104, numéroté à l'encre noire). Anciens plats de reliure de plus petit format (16,5 x 26 cm), très abîmés et illisibles, écrits dans l'autre sens, d'une écriture soignée (initiales rouges, traces de réglure) sur 4 colonnes de 5 cm de large et de 39 lignes environ ; numérotés I et I', ils formaient à l'origine un seul folio de 33 x 26 cm plié en deux. Sur le feuillet Iv, fragment d'une ancienne étiquette et, au crayon à papier comme la numérotation, d'une main récente, les inscriptions suivantes : « Manuscrit latin sur l'histoire naturelle » et « Cor. Jub. 1850 ». Au milieu du feuillet I'r, toujours au crayon à papier : « 104 Blatt. 39 D. »

35

Ais de bois recouverts de maroquin brun, avec deux fermoirs. Sur la tranche : « Tractatus » et deux numéros (l'actuelle cote du manuscrit, 1323, et au-dessous l'ancienne cote, 1248). Estampille de la Biblioteca Medicea Laurenziana sur le premier feuillet de garde, ainsi qu'aux fol. 1r et 104. Sur le second feuillet de garde, tampon du relieur : « Cesare Tartagli & F., Legatori di libri, via Cavour 26, Firenze ».

36

Texte écrit sur deux colonnes de 7 cm de large en moyenne : environ 42 lignes par page du folio 1v au folio 23v, puis changement de main (33 lignes en moyenne du folio 24 au folio 104). Traces de rajouts et de grattage : tout ce qui est en rouge entre les folios 1 et 24 (initiales et rubriques) n'est pas de la main du premier copiste, et toute espèce de rubrication cesse au folio 35.

37

Ce manuscrit ne me semble pas avoir de titre19, mais c'est bien du Liber subtilitatum qu'il s'agit, du premier folio au folio 98v. Inc. : . Des. : . Fol. 1 de herbis, fol. 29r de quatuor elementis, fol. 31r de arboribus, fol. 48v de lapidibus, fol. 59v de piscibus, fol. 68v de volatilibus, fol. 80v de quadrupedibus, fol. 93v de vermibus venenosis, fol. 97v de metallis.

38

Fol. 98v-104 : recettes, index, glossaire.

39

Originaire de Rhénanie selon M.-L. Portmann, ce manuscrit porte la marque de trois différents possesseurs : au Moyen Age, l’abbaye Saint-Matthias de Trèves (fol. I v, en surimpression sur un texte très mutilé, notre lecture : Codex monasterii Sancti Mathie Apostoli extra muros Treverenses ad usum pastorie [ ?] Vamaricutis [ ?]) et le cyrurgicus Wydo,

41

qui le vendit en 1384 à Aix-la-Chapelle à un autre cyrurgicus, Wilhelmus (peut-être Guillaume de Ries, docteur en médecine mentionné en 1391 dans le cartulaire de NotreDame de Paris20) : Iste liber fuit emptus per me Wilhelmus cyrurgicus de rier/s aquis granis ab... reverendi cyrurgici Wydonis pro VI florenis anno domini 1384, fol. 104v. Plus tard, ce manuscrit appartint au grand vétérinaire Jean-Baptiste Huzard21 (fol. 1r « Huzard de l'Institut »), entré à l'Académie des sciences en 1795 et mort en 1839. Le manuscrit passa ensuite à Guglielmo Libri (1803-1869) qui le vendit à Lord John Ashburnham (1797-1878), puis au gouvernement italien. 40

Bibliographie : L. Delisle, « Les très anciens manuscrits du fonds Libri », Le Temps, 25 février 1883 ; Id., Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, vol. XXXII, 1 ère partie, Paris, 1886 ; Id., Sui manoscritti del fondo Libri ceduti dal conte Ashburnham all'Italia, Roma, 1886 (Estratto dal fascicolo del mese di novembre 1886 del Bollettino dell'Istruzione, Ministero della Pubblica Istruzione) ; Id., « Traités divers sur les propriétés des choses », Histoire littéraire de la France, vol. XXX, Paris, 1888.

41

Paris (P) :

42

Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 6952.

43

Papier, III +250 + I folios de 22 x 31 cm (les bords semblent avoir été coupés). Blancs : 56, 128, 155. Plats en bois, avec trace de deux fermoirs. Traces d'écriture à l'encre noire indiquant le contenu du codex, visibles sur sa tranche supérieure quand il est fermé.

44

Sur le premier feuillet paginé, deux mentions de possesseurs, deux numéros (5403 en haut à droite, 6952 au milieu à droite également) et l'estampille rouge de la Bibliothèque nationale, que l'on retrouve fol. 250v. Un certain Nicolaus Gugler a inscrit son nom audessous de celui du précédent possesseur, fol. lr. Une première main avait écrit : « sum cosme Tir ( ?) brelii ar. et me. doctoris » ; une seconde a corrigé « Sum » en « Fui » et écrit audessous, à l'encre brune : « Nunc sum doctoris Nicolai Gugleri ».

45

Des trois feuillets de garde non numérotés, le premier est vierge, et le troisième ne comporte que deux lignes en son verso : « Petrus de Crescentiis civis bononiensis in Comodum ruralium libri 12 dicit lib. I quod Patrem Familias Vendacem non emacem esse oporteat »22 ; le second est constitué pour sa part de deux feuilles collées, son recto est blanc et son verso comporte un index, d'une main du XVIe siècle, sans doute celle de « Cosma Tirbrelius » :

46

1. Sinonima Aurea. 2. Passionarius Gal. (« Quattuor » barré) Librorum Septem. 3. Rota Pitagore. 4. Compendiolum pulsium. 5. Liber Beate Hilkardis de Rerum Naturis. 6. Arbor Biblice Hystorie.

47

Le contenu est détaillé différemment dans le Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque royale de 1744 : 1° Garioponti de aegritudinibus a capite ad pedes libri septem : praemittuntur synonyma medicinae et taxa Pharmacopolarum Spirae. 2° Beate Hildegardis liber subtilitatum diversarum naturarum. 3° Recepta varia germanico idiomate. 4° Arbor biblicae historiae.

48

Ce recueil du XVIe siècle est de plusieurs mains. Une main du XVe siècle (cursiva bastarda ?) a copié les folios 156 à 238 ; le Liber beate Hildegardis de rerum naturis occupe les folios 156-232 : texte sur une seule colonne, de 13,5 x 19,5 cm, de 43 lignes environ. Deux lettrines bleu et rouge fol. 156r et fol. 158r, initiales rouges, rubriques. Inc. : . Des. : .

42

49

Fol. 156v de plantis, fol. 184v de elementis, fol. 186v de arboribus, fol. 196v de lapidibus, fol. 204r de piscibus, fol. 210v de avibus, fol. 219v de animalibus, fol. 228r de reptilibus, fol. 231r de metallis.

50

Fol. 232-238 : les recepta varia germanico idiomate ne sont autres que la traduction allemande de différentes recettes extraites du Liber subtilitatum. Le texte du folio 238v s'arrête brutalement, au milieu d'une phrase (« dem die naselochen stincken der ») : manifestement différents cahiers ont été perdus après ce folio.

51

Copiés au XVe siècle (1425-1450 selon M.-L. Portmann), les folios 158-238 ont un filigrane assez peu visible : une silhouette de femme debout, le bras levé, brandissant une croix (6,5 cm de haut, fol. 157 par exemple) ; Briquet en connaît des exemples à Berne (1427-1428), Lucerne (1425), Zurich (1429), Saint-Gall (1449-1451)23 · Ces folios constituaient à l'origine le début d'un codex : en témoigne une première numérotation en chiffres romains de I à LXXXI, qui laisse curieusement de côté les folios 156 et 157, contenant l'actuelle praefatio du liber de plantis et la table des capitula de ce livre premier. Le premier mot du premier chapitre du liber de plantis (« Triticum », fol. 158r) est d'ailleurs orné d'une lettrine semblable à celle du fol. 156r (« In creatione », incipit du Liber subtilitatum), comme si le fol. 158r marquait le début de l'œuvre de Hildegarde.

52

Les folios 156-238 ont été ensuite insérés dans un nouveau recueil, et (re)numérotés (nouvelle pagination en chiffres arabes, à côté de l'ancienne I-LXXV pour les folios 158-232). La foliotation du codex est due à deux mains différentes : une première main a numéroté les folios 1 à 157 à l'encre marron, une deuxième main, à l'encre noire, de 158 à 250. le Liber subtilitatum a été incorporé à l'ensemble du recueil au début, ou en tout cas avant le milieu du XVIe siècle, comme le prouvent l'index de Cosme Tirbrelius ( ?), fol. IIIv, et les annotations marginales de la main de Nicolaus Gugler dans l'œuvre de Hildegarde (par exemple fol. 206v, 207r, 207v, 208v, 209r, 209v, 210r, 210v, 227v).

53

Il y a dans ce volume autant de textes que de copistes. Une main du XVI e siècle a copié les 50 premiers folios, c'est-à-dire les Sinonima — colophon à l'encre rouge, fol. 51r : Ad calcem deducte sunt... medicinalium synonyma tercio nonas Iulii millesimi quingentesimi decimi sex. Une autre main du XVIe siècle a copié la Taxa pharmacopolarum, fol. 51v-56, sur un papier de même origine que les 50 premiers folios — le filigrane est une couronne surmontée d'une croix (3 cm de large, 11 cm de haut) — où des traces de réglure sont nettes (deux colonnes de 6,5 et 7 cm) ; la même main a sans doute écrit, au verso du deuxième folio de garde, la recette de la « Pomada Venetiana » ; c'est probablement celle de Nicolaus Gugler, qui a inscrit son nom fol. 1.

54

Deux mains du XVe siècle ( ?) ont copié le Passionarius Galieni, fol. 57-152 et la Rota Pitagore fol. 153-154 (écriture peu soignée, texte sur une seule colonne de 15,5 cm de large sur 24,5 de haut, filigrane tête de bœuf ornée d'une étoile au bout d'un bâton, marginalia contemporains de la copie, mais aucune annotation du XVIe siècle). L'œuvre de Hildegarde vient après un folio blanc (155) si l'on excepte une indication presqu'illisible en son bord supérieur droit (« non fuerit intellectum » ?), à l'encre marron, manifestement de la même main que l'indication dans le bord supérieur droit du fol. IIIv : « Vide synonyma et repertoria alia Albukasis ( ?) fol. 259 ». C'est encore une autre main qui a copié, sur un papier différent (filigrane très visible de 239 à 244) l'Arbor Biblice Historie, à lire transversalement, fol. 239-250.

43

55

Le manuscrit est vraisemblablement originaire d'Allemagne, plus précisément de Spire pour sa première partie (cf. la Taxa pharmacopolarum Spirae, de simplicibus et transmarinis qui occupe les folios 51v à 56).

56

Possesseurs : Cosme Tirbrelius ( ?) ; Nicolas Gugler ; Jules Mazarin (1602-1661) — le Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque royale établi en 1744 décrit le manuscrit comme un codex chartaceus, olim mazarinaeus.

57

Nicolas Gugler nous est connu par d'autres manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, notamment le ms. lat. 7417. Ce manuscrit du XVIe siècle (la date de 1491, au fol. 221, est celle de l'œuvre) contient différents traités (prognostica, problèmes d'astronomie, uroscopie). Deux « traités des urines » sont en allemand (fol. 351r : « Die endet sich das anndere Theil des Tractats von der Urteil des Harns Anno 1540 », fol. 354r « Ein hübscher Tractat von dem Urteyl des Harns durch Maister Ortolff im Bayerland »), un traité d'astronomie a pour auteur N. Gugler luimême : « Compositiones instrumentorum astronomicorum una cum quorundam usum ac utilitates authoris D. Nicolao Guglero Astronomo 1539 », fol. 2r. Il aurait copié de sa main certaines parties du recueil : « Descripsit Nic. Gugler Norinus ex manu sua anno 1540 », fol. 261v. Une illustration le représente fol. 274r : debout, de profd, il est en train d'observer des urines. Il se présente, fol. 9 lr comme « Nicolaus Gugler, Omnium facultatum Doctor Imperialis Camerae Antiquus Advocatus Canonicus et Custos Maior Ecclesiae Weissenpurgensis ( ?) ». Il présente également ses parents — sa mère, née en 1500 et morte le 24 septembre 1545 (fol. 128r), son père, Hans Gugler, né en 1480 et décédé le 3 août 1560 (fol. 128v) —, ce qui nous permet d'apprendre qu'il vivait encore après 1560.

58

Le ms. lat. 7395, un recueil d'astronomie de 371 folios, a été copié par ses soins à Wittenberg ( ?) en 1536 : fol. 1r, « Per me Nicolaum Gugler Astronomiae et medicinae studiosum 1536 » et dernier feuillet, collé à l'intérieur de la couverture : « Est scriptum iste liber Witaeberge per me Nicolaum Gugler anno salutis 1536 ». Il posséda également le ms. lat. 7443C, qui fut par la suite, comme le ms lat. 6952, la propriété de Mazarin (numérotation fol. 1r, « 6399 », puis au-dessous « 7431 » barré et « 7443C »). Il s'y désigne comme « Nicolaus Gugler Norimpergen [sis]... iudex ordinarius, utriusque juris doctor, officialis Spirensis, medicus et mathematicus, omnia haec scribi curavit [1562] », fol. 335r 24, et, au folio lr, « Nicolaus Gugler NVI Doctor Imperialis Camerae Iudicii Avocatus Serenissimi Regis Daniae ( ?) Consiliarus ».

59

Bibliographie : Catalogus codicum manuscriptorum bibliothecae regiae, pars tertia, tomus quartus, Paris, 1744, p. 296 ; F. A. Reuss, Physica, « Prolegomena et adnotationes », PL 197, col. 1123-24.

60

Vatican (V) :

61

Biblioteca Vaticana, cod. Ferraioli 921.

62

Papier, 163 folios de 28,5 x 21 cm, numérotés, sauf de 91 à 99. Les folios 85-90 sont plus petits : 21,2 x 12,5 cm environ. Blancs : fol. 76r-84v (filigrane en grappe de raisin), 90, 117v-123v, 138v et 160r-163v. Couverture du XIXe siècle, en carton, avec dos et angles en parchemin. Deuxième de couverture et dos : 882, écrit à la mine de plomb. Sur la page de garde, un bout de papier agrafé porte ces mots : Miscellanea di 4 lib. in chart. 168. Scritto fine sec. XIV o incipio XV. De la même main un « Indice » dont voici le contenu :

63

1. S. Hildegardes (sic) Phisica seu subtilitatum diversarum creaturarum ( in principio) (fol. 1-68r) ; 2. quaedam medica excerpta in Hyppocrate, Johanne episcopo frisingensi, Johanne Ecstein, et Alexandro (fol. 68r-75v) ; 3. quaedam de arte memoriae (fol. 85r-89v, inséré comme un cahier de plus petite dimension) ; 4. ars memoriae (fol. 91r-117r) ; 5. S. Aurelius

44

Augustinus liber de anima et spiritu (fol. 124r-138r) ; 6. Expositio canonis missae (fol. 139r-159v). 64

Marge supérieure du premier folio, d'une main du XVe siècle : Vereor ne sit [suppo] sititius hic liber, uti Alberto Magno [supponimus ?] scripta ac pauca

65

Il y a dans ce recueil presque autant de mains que d'œuvres ; un premier copiste a écrit avec soin au XVe siècle les folios 1 à 71 (initiales en rouge), c'est-à-dire l'œuvre de Hildegarde — le folio 1 a été inséré à l'envers.

66

Inc. : . Des. : . Le colophon précise : « anno domini MCCCCXLIX° ».

67

Fol. 1 de plantis, fol. 24r de elementis, fol. 25v de arboribus, fol. 35v de lapidibus, fol. 42v de piscibus, fol. 48v de avibus, fol. 56r de animalibus, fol. 64r de reptilibus, fol. 67r de metallis.

68

D'origine inconnue, ce recueil était la propriété du Collège de la Société de Jésus de Cologne en 1648 (premier folio, après l'incipit du Liber subtilitatum : « Collegii Societ. Iesu Coloniae 1648 »). Il vint ensuite grossir la collection commencée par le marquis Joseph Ferraioli et continuée par ses fils Alessandro († 1925) et Gaetano († 1890), donnée à la Biblioteca Apostolica Vaticana en 1926 par le marquis Filippo Ferraioli.

69

Bibliographie : Codices Ferraioli, t. III, « Codices 737-977 », recensuit Franciscus Aloisius Berra, Città del Vaticano, 1960.

70

Wolfenbüttel (W)* :

71

Herzog August Bibliothek, Cod. 56, 2. Aug. 4° (3591).

72

Parchemin, 199 folios de 18,7 x 13 cm. Rubriques et initiales en rouge. Couverture en bois, habillée de cuir pressé rouge et de boucles de métal. Fermoirs arrachés. Fragments d'un manuscrit du XIVe s., en parchemin, de contenu liturgique, collés à l'intérieur de la couverture. Traces d'une chaîne.

73

Index d'une main du XIXe siècle :

74

Insunt 1) S. Hildegardis « Physica » seu Liber subtilitatum (fol. 1-174 v)

75

2) Recepta varia contra varios morbos (fol. 176-199v).

76

Fol. 1 : Incipit liber subtilitatum de diversis creaturis. Fol. 2 de herbis, fol. 62 de fluminibus, fol. 67 de arboribus, fol. 90 de lapidibus preciosis, fol. 106v de piscibus, fol. 120 de volatilibus, fol. 141 de animalibus, fol. 162 de vermibus, fol. 168 de metallis.

77

Fol.173-174 : glossaire latin-allemand (« Incipiunt nomina herbarum »).

78

Fol. l76-199v : recettes contre différentes maladies, notamment sur l'art de soigner les dents d'après P. Riethe25, d'une autre main.

79

Date : vers 1300, d'origine inconnue.

80

Bibliographie : O. von Heinemann, Die Handschriften der herzoglichen Bibliothek zu Wolfenbüttel, 2. Abtheilung, Die Augusteischen Handschriften, I, Wolfenbüttel, 1890.

B. Fragments 81

L'œuvre scientifique de Hildegarde nous est également parvenue sous forme de fragments, dont le plus célèbre est connu sous l'appellation de « Fragment de Berlin ».

82

Augsbourg (Aug)* :

45

83

Universitätsbibliothek, Cod. III, 1, fol. 43, auparavant Schlossbibliothek OettingenWallerstein de Harbourg, puis Munich, Bayerische Staatsbibliothek.

84

Papier, 84 folios de 31 x 22 cm, numérotation moderne. Blancs : fol. 1v, fol. 70v-72v. Filigranes : tête de bœuf (Nüremberg, Tübingen, Tyrol, 1479-81 d'après Piccard) ; fol. 1 seulement, trois pics (« Dreiberg ») dont celui du milieu est surmonté d'une étoile au bout d'un bâton. Le premier folio a été rajouté. Un folio a été perdu entre 59 et 60.

85

Texte sur une colonne ; nombre de lignes variable, 35/40 lignes en moyenne pour les pages remplies. Une seule main (bastarda), soignée, titres à l'encre rouge. Ajouts dans les marges par une main plus récente (début XVIe s.) : fol. 23r, 35r, 73r-79r.

86

Titre fol. 2r : « Hienach volgt vonn dem kochen und hat gemacht meyster Eberhart ein koch herczog Heinrichs zu Landshut ».

87

Recueil de textes médicaux et culinaires, que le compilateur a empruntés à différentes sources, dans lequel Melitta Weiss-Amer a découvert des fragments de la Physica 26 ; elle a eu la gentillesse de me communiquer ses résultats, avant parution de son article dans la revue Sudhoffs Archiv (cf. ci-dessous, Bibliographie).

88

Fol. 59r-60v (recettes de cuisine d'après Meister Eberhard) : 1-23, 24 « de ansere » en allemand, chapitre 10 du livre VI « de avibus » de la Physica.

89

Fol. 64r-65r « De piscibus » (Hildegarde de Bingen). Dans l'ordre : chapitres 9 à 12, 15, 17, 20-22, 24-25, 27-28, 30-34 et 36 du livre V de la Physica.

90

Fol. 65v-66v « De plantis » (Hildegarde de Bingen). Chapitres 1 à 9 et 11 du livre premier de la Physica.

91

Le reste du recueil se décompose comme suit d'après Karin Schneider :

92

Fol. 2r : Recepta et notae : Ein purgatt zu der zeyt des herbstes fur allenn gebrechenn...

93

Fol. 2r-v : Extraits du Secretum secretorum en allemand.

94

Fol. 2v-3r : Prescriptions médicales (fol. 3r, 6 vers en latin).

95

Fol. 3r-4v : Monatsregimen.

96

Fol. 4v-32v : Recueil de recettes, allemand et latin.

97

Fol. 33v-34v : Eaux médicinales.

98

Fol. 34v : Six plantes médicinales, latin et allemand.

99

Fol. 35r-36v : Recettes médicales contre la pierre.

100

Fol. 36v-37v : « Branntweintraktat ».

101

Fol. 37v : Vertus du calmus viridis.

102

Fol. 38r-47v : Extraits d'Ortolf von Bayerland.

103

Fol. 48r-55v : Plantes médicinales, latin et allemand.

104

Fol. 56r-58v : Extraits des Problemata physica du Pseudo-Aristote.

105

Fol. 59r-60v : Le livre de cuisine de « Meister Eberhard » (Eberhard de Landsucht, qui vécut dans la première moitié du XVe siècle) étudié par A. Feyl dans sa thèse27.

106

Fol. 60v-69r : Diététique, allemand et latin.

107

Fol. 69r-70r : Von den Ölen.

108

Fol. 73r-79r : Un traité d'hippiatrie attribué à « Meister Albrant »28.

109

Fol. 79v-83v : « Livre d'onguents » (Salbenbuch) en allemand.

46

110

Le manuscrit est d'origine inconnue et date du XVe siècle. Fol. 1r : ancienne marque de possesseur illisible. Il fut acquis en 1813 par le prince Ludwig zu Öttingen-Wallerstein (f. 1r « X ( ?) F », armes des Öttingen et année d'acquisition).

111

Bibliographie : A. Feyl, Das Kochbuch Meister Eberhards, Dissert., Fribourg-en-Brisgau, 1963 ; K. Schneider, Deutsche mittelalterliche Handschriften der Universitatsbibliothek Augsburg, Die Signaturgruppen Cod.I.3 und Cod.III.l, Wiesbaden, 1988 ; M. Weiss-Amer, « Die “Physica” Hidegards von Bingen als Quelle fur das “Kochbuch Meister Eberhards” », Sudhoffs Archiv, Bd. 76, Heft 1, 1992, p. 87-96.

112

Berlin (Bi)* :

113

Staatsbibliothek Preussischer KulturBesitz, Lat. Qu. 674.

114

Parchemin, 116 folios de 28,6 x 20,8 cm. Reliure en cuir brun d'origine française, du XVIII e siècle. Titre : S. Hyldegar... vita et oper... (inscription fol. 1r, d'après Elias Steinmeyer et Eduard Sievers).

115

Contient de nombreux écrits de et sur Hildegarde : Vita (fol. 1ra-24vb) ; Epistolae beatae virginis Hildegardis (fol. 25ra-54ra) ; l'alphabet et la langue inconnue de Hildegarde (fol. 58r-62r) ; Gebenonis prioris speculum futurorum temporum (fol. 63r-99vb) ; Quindecim signa quae evenient ante diem judicii et autres révélations attribuées à Hildegarde (fol. 99vb-102va).

116

Première main : fol.1-62 et 103-116. Seconde main, un peu plus récente, fol. 63-102. Explicit fol. 102v : .

117

Initiales rouges, et même de plusieurs couleurs entre fol. 63 et 102, mais aucune rubrication fol. 103-116, c'est-à-dire dans la partie qui nous intéresse. Le texte compris entre ces folios, écrit sur deux colonnes de 34 et 35 lignes, constitue le « Fragment de Berlin » ; il s'agit d'une série hétérogène de fragments d'écrits scientifiques attribués à Hildegarde, édités par H. Schipperges en 195629 et récemment traduits en allemand 30. Certaines « absurdités » qu'on peut y lire (Adam et Eve auraient parlé allemand, les anges n'auraient pas été créés) ont conduit Peter Dronke à douter de l'authenticité de ce texte et à y voir un recueil de sententiae ou d'extraits de Hildegarde contaminés par des écrits apocalyptiques31. On y reconnaît en tout cas, fol. 103ra-103va, un court passage du traité Causae et curae (p. 25-26 dans l'édition de P. Kaiser) ; la suite du fragment n'a pu être identifiée avec autant de certitude, bien que de nombreuses ressemblances avec le Causae et curae ou Le livre des œuvres divines aient été relevées.

118

Le seul véritable extrait repéré comme tel commence pour sa part au milieu d'un mot et il est certain, pour E. Steinmeyer et E. Sievers comme pour H. Degering, que trois feuillets manquent entre les folios 102 et 103, c'est-à-dire après les textes copiés par un certain « Guillelmus de Valle » à la fin du XIIIe siècle (fol. 63-102) ; des traces de colle font d'autre part supposer à Degering que les feuillets 103 à 116, copiés comme les folios 1 à 62 au début du XIIIe siècle, formaient auparavant un tout relié à part ou qu'ils constituaient le début d'un autre volume.

119

Ce manuscrit, à la charnière des XIIIe et XIVe siècles, appartint à un monastère du diocèse de Trèves, d'après une inscription fol. 1r : « Liber monasterii Sancte Marie de palatolis ». Il s'agit du monastère de Pfalzel, ayant abrité des bénédictines du début du VIII e siècle à l'an 1037, puis des chanoines réguliers jusqu'à sa destruction en 1676 par les Français. Le

47

manuscrit se retrouva alors au Collège de Jésuites d'Agen, comme on le lit sur le même folio : « Collegii Aginn [ensis] Societ [atis] Jesu Catalogo Inscript [us] ». Il figura plus tard, sous le numéro 528 (revers de la couverture), dans le catalogue du libraire londonien Thomas Thorpe (1791-185l)32, puis passa à Sir Thomas Phillipps (1792-1872), le grand collectionneur qui l'acheta à Thorpe, au milieu d'un lot de 1600 manuscrits33, en 1836. Devenu le manuscrit « Cheltenham 9303 », il fut acheté par Sir Max Wàchter en 1895, puis offert au Kaiser Guillaume II qui en fit don à son tour à la Bibliothèque royale de Berlin en 1912. 120

Bibliographie : E. Steinmeyer, E. Sievers, Die althochdeutschen Glossen, 4. Band, « Alphabetisch geordnete Glossare », Berlin, 1898, p. 413 ; H. Degering, Mitteilungen aus der königlichen Bibliothek Berlin, Heft 3, Berlin, 1917, p. 12-18.

121

On n'est pas toujours aussi bien renseigné sur les fragments contenus dans d'autres manuscrits. Le premier est une traduction en allemand d'un bref fragment de la Physica figurant dans un herbier du XVe siècle dont j'ai trouvé la trace dans un catalogue des manuscrits allemands de Berlin, et auquel Carl Jessen faisait déjà allusion en 1864 34 :

122

Berlin (Germ)* :

123

Berlin, Preussische Staatsbibliothek, ms. germ. fol. 817.

124

Papier, in fol., 88 folios.

125

Contenu : « Herbarius » (herbier et recueil de recettes). En tête de l'ouvrage : la praefatio du « livre des plantes » de Hildegarde, traduite en allemand — « version allemande d'un manuscrit abrégé, selon Pritzel et Jessen »35 —, et un avant-propos rimé.

126

Copiste : « Wilhelm Gralap » de Spire, 1456 (fol. 87v, « Explicit herbarius per manus Wilhelmi Gralap in vigilia Jacobi apostoli anno XIIII C lvi° yn Spirensis »). Le nom de ce personnage apparaît également dans l'explicit d'un manuscrit allemand conservé à Vienne 36, contenant la Vie de l'Empereur Sigismond (Sigismond de Luxembourg, empereur germanique en 1411, mort en 1437) composée par Eberhard von Windeck, mort aux alentours de 1440 ; ce manuscrit aussi fut copié en 1456 par Wilhelm Gralap, à « Brochmont » (Bruchsal près de Spire ?) : « Explicit librum totum Ta michi Wilhelme de Argentinensis potum und wart ufsgeschrieben von mir Wilhelme Gralap uff Santt Kilianen tag im Brochmont Anno etc. (14) 56 »37.

127

Au XIXe siècle, ce manuscrit de provenance inconnue faisait partie de l'héritage laissé par le botaniste Ernest Meyer ; sur la demande de Carl Jessen, il fut acquis par Pertz pour la Konigliche Bibliothek de Berlin38.

128

Bibliographie : H. Degering, Kurzes Verzeichnis der Germanischen Handschriften der preussischen Staatsbibliothek, (Mitteilungen aus der preussischen Staatsbibliothek, VII), Leipzig, 1925, p. 114.

129

Berne (Be)* :

130

Burger Bibliothek, Cod. 525.

131

Papier, 334 folios in-8°.

132

Compilation de textes médicaux : fol. 1r-17v Liber fiducie Algafiky ; fol. 18r-23r Hyldegardis de simplicibus medicinis ; fol. 23v-27v Praecepta medica varia ; fol. 28a-188v Tractatus medicus de plantarum vi ; fol. 134r-166v Macer de herbis ; fol. 166r-170b Plantarum enumeratio cum interpretatione germanica ; fol. 171 Praecepta medica ; fol. 172r-181 v Herbarius ; fol. 181v-185v Excerpta ex Sexto philosopho de medicina animalium ; fol. 186r-205v Praecepta

48

medica ; fol. 205 v-206v Tractatus de quattuor principalibus corporis partibus ; fol. 206v-210r Praecepta medica et excerpta varia ; fol. 210r-334v De viribus herbarum (Serapionis). 133

Fol. 18r-23r = quelques chapitres de la Physica.

134

Le manuscrit date du XVe siècle ; de provenance inconnue, il a appartenu à un certain « Doctor Barbatus » (intérieur de la couverture : Doctori Barbato pertinet) ; privé de ses droits de citoyenneté de Berne selon A. Führkötter et M. Schrader39, ce personnage possédait également, en 1472, l'actuel manuscrit 227 de la même bibliothèque (« grand codex in 4° du XVe siècle » selon L. Thorndike).

135

Bibliographie : H. Hagen, Catalogus codicum Bernensium, Berne, 1875 ; L. Thorndike, « Some Later Medieval Medical Manuscripts at Bern and Prag », Annals of Medical History, 1936, New Series, vol. 8, p. 428.

136

Fribourg-en-Brisgau (Fr)* : Universitätsbibliothek, ms. 178a.

137

Papier, 15 folios de 26,5 x 19 cm. Le manuscrit a été coupé, une partie du texte perdue et la surface de l'écriture réduite à 20/20,5 x 16 cm, sur deux colonnes de 36/37 lignes.

138

Fol. 1a-15ra : Hildegardis sancta : de lapidibus. Inc. : Des. : . Sont reproduits ici les chapitres 1 à 23 du livre des pierres, qui occupent les colonnes 1247 à 1265 de la Physica dans la Patrologie latine.

139

L'ensemble a été copié vers 1390-1400 par une même main, d'origine germanique si l'on en croit la dernière phrase du fol. 15v, dont le début a été coupé : « und ich weiss nit wie sy mich lie ».

140

Bibliographie : W. Hagenmeier, Kataloge der Universitätsbibliothek Freiburg im Breisgau, Band 1, Teil 1, « Die lateinischen mittelalterlichen Handschriften der Universitâtsbibliothek », Wiesbaden, 1974, p. 169.

141

Enfin, les bourses d'études de l'Ecole française de Rome m'ont permis d'effectuer des recherches en Italie et d'identifier des extraits de la Physica dans trois manuscrits actuellement conservés dans le fonds palatin de la Bibliothèque vaticane, que nous appellerons Pal 1, Pal 2 et Pal 3. Deux d'entre eux ont été édités par mes soins dans les Mélanges de l'Ecole Française de Rome40, et les deux autres sont transcrits ici en annexe.

142

Vatican (Pal 1) :

143

Biblioteca Apostolica Vaticana, Pal. lat. 1207.

144

Papier, 148 + II folios de 21 x 15 cm. Cursive courante, rubrication peu abondante. Copiste : Gerhard von Hohenkirchen (autographe fol. 2v), maître ès arts et docteur en médecine (fol. 8v : « 1418 Gherardus de Hohenkirchen magister arcium et doctor medicine » 41). Fol. 1r : cote et notice du XVIIe siècle, « statuta medicina colunum » (sic).

145

Recueil contenant : les statuts de la faculté de médecine de Heildelberg, fol.2v-7r ; la liste des recteurs de l'université de Cologne (1389-1418), fol. 7v-8r ; des « notata et excerpta », fol. 11r-13v ; « le médecin et l'art de la médecine d'après le canon », fol. 14 ; « de leprosis examinandis », fol. 15r-16v ; « Gerardus de Hohenkirchen, metrum de accidenti et morbo Galeni », fol. 18r-59r.

146

La suite du manuscrit est un recueil de très nombreux extraits d'œuvres médicales dues à différentes autorités (Galien, Hippocrate, Avicenne, Albertus, Petrus Hispanus, Platearius, Rasis, Gariopontus Salernitanus, etc.), dont Hildegarde.

49

147

Fol. 65v : « Hildegardis » d'après L. Schuba. En fait c'est elle aussi qui se cache derrière la rubrique « Empirica » du fol. 64r : de courts extraits de treize chapitres du livre des plantes, trois du livre des arbres, cinq du livre des pierres et deux du livre des animaux, en tout vingt-trois recettes nommément attribuées à Hildegarde s'y succèdent.

148

Originaire de Heidelberg, ce volume date du XVe siècle, au moins dans sa première partie ; on lit ainsi, fol. 59r : « Explicit... metrum factum anno 1447 die 28 aprilis per G(herardum) de H (onkirchen) ».

149

Bibliographie : Bibliotheca Palatina, Katalog zur Ausstellung vom 8. Juli bis 2. November 1986, Heiliggeistkirche Heidelberg, Textband herausgegeben von E. Mittler in Zusammenarbeit mit W. Berschin, J. Miethke, G. Seebaß, V. Trost, W. Werner, Heidelberg, s. d., p. 63 ; L. Schuba, Die medizinischen Handschriften der Codices Palatini Latini in der Vatikanischen Bibliothek, Wiesbaden, 1981, p. 192 (Katalog der Universität Heidelberg, Band I).

150

Vatican (Pal 2) :

151

Biblioteca Apostolica Vaticana, Pal. lat. 1216.

152

Papier, 21x15 cm, 268 + II folios. Blancs : fol. 261-268.

153

Recueil latin-allemand de médecine (inscription du XVIe siècle, fol. ar, « Experimenta ad varios morbos collecta ex diversis authoribus ») contenant des extraits de Vindicianus, Cophon, du Pseudo-Hippocrate, de Jean de Parme, Bernard de Gordon, Arnaud de Villeneuve, etc. Copistes : Nicolaus Hasel, curé de Pfiffligheim près de Worms (fol. 97r, finitum anno domini 1445° in die Nazarii per manum Nicolai Hasel plebani in Peffelkeim ; fol. 252v,... anno domini 1480 pridie Margarethe virginis Nicolaus Hasel subscripsit) ; Johannes Ceci :...qui scripsi expertus sum LXXXIIII (1484) Johannes Ceci, fol. 78r.

154

Au sein de ce recueil, les folios 91 à 95 se présentent comme un ensemble cohérent et isolé, où deux mains se succèdent : le folio 90v est vierge, le folio 95v ne porte que des traces d'essais de plumes (In nomine domini Amen...) et l'on a trace d'un feuillet coupé entre les folios 90 et 91. Une première main a copié huit recettes à base de vin, peut-être d'après Arnaud de Villeneuve, au recto du fol. 91 (Inc. : Vinum gramineum fit de radicibus... Des. : Vinum nobilissimum quod stringit fluxum et confortat fit de suco aconitorum et depurato cum vino et aqua rosata) ; mais c'est une autre main, inconnue par ailleurs dans le reste du recueil, qui a copié aux folios 91v-95 (à l'encre marron et sur une seule colonne également mais d'une écriture plus grosse), 42 recettes médicales sans nom d'auteur, dont 10 de médecine vétérinaire. Ces 42 recettes ne sont autres que des extraits de 37 chapitres de la Physica. Inc. : Si boves aut oves aliquid mali comederint. Des. : et hoc oculos velut optimum colirium clarificat et conservat. L'identité du copiste, l'origine et la date d'exécution de ce fragment sont malheureusement inconnues.

155

La première partie du recueil (fol.1-107) daterait de la fin du XIVe siècle (fol. 51v, conscriptus in Schafhusen die Agnetis anno 1389°) avec des ajouts du XVe siècle dus notamment à N. Hasel et J. Ceci ; la seconde (fol. 108-260) daterait pour sa part de la deuxième moitié du XVe siècle et proviendrait de la région de Worms (fol. 224r : ...datum per magistrum montani de Wormacia qui habuit illo a domicello de Lutzenburg).

156

Le manuscrit fut la propriété de Nicolaus Hasel entre 1445 et 1480, puis de Johannes Ceci à partir des années 1480 ; il eut ensuite pour possesseur le comte palatin Ottheinrich (1502-1559), qui possédait également un manuscrit du Scivias de Hildegarde 42, et qui fit relier l'actuel ms. Pal. lat. 1216 en 1556 : une gravure le représente sur la reliure, avec les initiales O[tt] H[einrich] C[omes] P[alatinus].

50

157

Bibliographie : L. Schuba, Die medizinischen Handschriften der Codices Palatini Latini in der Vatikanischen Bibliothek, p. 210-218.

158

Vatican (Pal 3) :

159

Biblioteca Apostolica Vaticana, cod. Pal. lat. 1144.

160

297 + 20 + XIV folios de 20,5 x 15,5 cm : papier fol. 1-296, parchemin fol. 297-316.

161

Ce recueil emprunte à de nombreux auteurs scientifiques (Isidore, Arnaud de Villeneuve, le Pseudo-Albert, Thomas de Cantimpré, Rhazès, etc.). La première partie (fol. 1-296) rassemble des cahiers d'origines variées, copiés par différentes mains ; elle est originaire de Heidelberg, et daterait de la deuxième moitié du XVe siècle ; la seconde partie en revanche, constituée de deux quinions de parchemin, remonte au XIVe siècle et est due à une seule main, qui y a copié des textes philosophiques.

162

Un des copistes de ce manuscrit est bien connu : il s'agit d'Erhard Knab (Zwiefalten, 1420Heidelberg, 1480), médecin et professeur de médecine à l'université de Heidelberg, ville dans laquelle il s'était établi dès la fin des années 1430 pour entamer d'abord un cursus à la faculté des arts43. On connaît aujourd'hui une vingtaine de manuscrits lui ayant appartenu, qu'il légua à l'université après sa mort : la plus grande partie se compose de manuscrits de médecine écrits en partie par ses soins, le reste consiste en manuscrits copiés pour lui. Le ms. Pal. lat. 1144 contient ainsi des textes que Knab a dû acheter non reliés, pour les faire relier plus tard avec les textes de sa main, qui figurent par exemple aux folios 166r-188r, 190r-200v, 201v-215v ou 240r-244r.

163

Il a copié également les folios 128v-129r, qui suivent dans le recueil les Tabulae salernitanane sive compendium magistri Salerni cum apparatu Johannis de Sancto Paulo (fol. 86r-127v). Le folio 128r est vierge, comme les folios 129v-132, et le texte dû à Knab est écrit sur une seule colonne, comprenant 31 lignes au fol. 128v et 20 au fol. 129r. Inc. : Filix calida et sicca valde hominem preservat... Des. : ... iterum in felle intingat. Il s'agit en fait d'extraits anonymes de six chapitres du livre premier, « des plantes », de la Physica de Hildegarde, à savoir, dans l'ordre, les chapitres 47 (« De Farn »), 57 (« De Winda »), 114 (« De Agrimonia »), 121 (« De Nachtschade »), 122 (« De Ringula ») et 172 (« De Fungis »).

164

Bibliographie : L. Schuba, Die medizinischen Handschriften der Codices Palatini Latini in der Vatikanischen Bibliothek, p. 95-100.

2. Données et inconnues 165

Outre les fragments que nous venons d'énumérer, nous disposons donc d'un corpus constitué d'un manuscrit du Causae et curae que, faute de point de comparaison, nous ne saurions qualifier de complet, de cinq manuscrits de la Physica et d'une édition princeps de ce texte si différente des manuscrits subsistants que M.-L. Portmann suppose qu'elle fut établie d'après un manuscrit X aujourd'hui disparu44. Le problème se complique encore si l'on suppose avec elle l'existence d'un manuscrit Y, d'où proviendraient en grande partie à la fois le traité Causae et curae et l'édition de la Physica établie par Schott (que, par la suite, nous appellerons E par commodité). Pour tâcher d'y voir un peu plus clair, un bref retour en arrière s'impose.

166

Lorsque Paul Kaiser édita le Causae et curae, il remarqua plusieurs passages communs à cet ouvrage et à la Physica de Migne, signala ces similitudes par des notes en bas de page et en conclut que le manuscrit de Paris contenait nombre de recettes empruntées au manuscrit

51

de Copenhague et à d'autres sources. A sa suite, M. Schrader et A. Führkotter affirment que le manuscrit P rassemble des textes dispersés dans le manuscrit Cop, et P. Riethe rappelle que l'on doit à Kaiser d'avoir montré que la plupart des passages du « Livre de simple médecine » considérés jusqu'alors comme « des ajouts étrangers à Hildegarde », « confirmaient en fait son autorité » dans la mesure où ils s'avéraient autant d'emprunts au « Livre de médecine composée »45. A y mieux regarder, selon M.-L. Portmann, de longs passages du texte édité par Kaiser ne figurent que dans l'édition de 1533 : la moitié des livres 3 et 4 du Causae et curae s'y retrouve ainsi à l'identique ou peu s'en faut. Ces parallèles s'expliqueraient si l'on suppose que les passages du Causae et curae contenus dans E sont tirés d'un manuscrit différent de celui de Copenhague. On aurait par conséquent, contrairement à ce que l'on imaginait jusqu'alors, deux sources manuscrites différentes pour le traité Causae et curae : Cop d'une part et Y d'autre part, disparu ou inconnu de nos jours, mais partiellement reproduit par E46. Autant d'hypothèses qui nous invitent à nous pencher de plus près sur l'histoire ou les histoires du manuscrit Cop, qui est au cœur du problème du destin des manuscrits scientifiques de Hildegarde. 167

Ce manuscrit fut, on l'a dit, la propriété du monastère Saint-Maximin de Trèves, d'après deux inscriptions sur le premier folio : en haut « R. 5. Codex monasterii sancti Maximini prope Treverim siti » d'une main du XIVe siècle et, dans la marge inférieure, « Ex libris imperialis monasterii sancti Maximini », datant vraisemblablement du XVIe siècle selon E. Jørgensen47. L'inventaire de la bibliothèque de cette abbaye établi en 1393 du temps de l'abbé Rorich mentionne effectivement, en seizième position sur une liste de 158 volumes48 : « Item de medicina sancte Hildegardis in uno volumine », sans indication de titre49. A vrai dire, cette absence n'a rien de très étonnant si l'on se rappelle, avec H. Schipperges, que « Beate Hildegardis cause et cure » n'est pas réellement le titre de l'œuvre, mais l'abréviation de la formule par laquelle le copiste en avait dans un premier temps indiqué le contenu, de causis, signis atque curis aegritudinum50 ; or on trouve un ouvrage de causis, signis et curis frequentium et curabilium morborum, rangé dans la catégorie des medicinalia dans une liste de livres contemporaine de l'inventaire dressé à Saint-Maximin en 1393, celle de l'abbaye voisine Saint-Matthias de Trèves51 ; mais c'est à un certain « Richardus Anglicus » et non à Hildegarde, qu'il est associé. On sait peu de choses sur l'identité de ce « Richardus Anglicus » ; on a proposé d'y voir Richard de Wendover, médecin du pape Grégoire IX, mort en 125252, mais il semble préférable de le tenir pour un auteur du XIIe siècle ayant vécu en France53. Il a apparemment commenté des œuvres du médecin Gilles de Corbeil 54, et composé lui-même un Micrologus, rédigé à la requête d'un Français. Cette œuvre se divisait en cinq traités qui nous sont tous parvenus séparément : d'après E. Wickersheimer, le premier traité, de causis et signis et curis passionum dit aussi Practica, est conservé dans le ms. lat. 6957 de la Bibliothèque nationale de France, fol. 37-51 55. Peutêtre y a-t-il un lien à faire entre la structure de cette œuvre et l'appellation sous laquelle elle est citée à Saint-Matthias d'une part, et le Causae et curae de Saint-Maximin et sa division en cinq livres d'autre part.

168

Mais revenons au manuscrit de Copenhague dont la trace se perd à première vue jusqu'au XIXe siècle. De fait, rien, à part l'inscription du premier folio dont la datation est imprécise, n'atteste la présence de notre manuscrit au XVIe siècle dans la bibliothèque de Saint-Maximin : nous n'en avons aucun catalogue pour cette époque et deux incendies, en 1522 et en 1552, la détruisirent ou l'endommagèrent en grande partie56 ; on sait toutefois qu'à partir du XVe siècle, elle fut exploitée par des savants désireux de promouvoir la publication de sources et les recherches érudites tels Nicolas de Cuse

52

(1401-1464) ou Trithemius, et qu'en 1593 elle fut réorganisée par le moine Nikolaus Petreius, qui dota les manuscrits d'ex-libris et de numéros prouvant, d'après Klaus Loffler, que la bibliothèque en comptait au moins 239 à cette époque57. Mais nul document ne vient nous garantir que la « médecine » de Hildegarde en faisait encore partie. Il semble en revanche qu'un de ses manuscrits se trouvait à Heidelberg au XVe siècle. Le 18 décembre 1438 en effet, le recteur de l'université de Heidelberg, Johannes Rybeisen von Bruchsal, accuse bonne réception des livres légués à la bibliothèque de l'église du SaintEsprit (reliée à l'université comme le sera celle du Collegium Dionysanum, fondé en 1452 en lieu et place de l'ancienne Domus pauperum 58) par le Prince Electeur Ludwig III, mort en 1436. Dans la liste qu'il établit des 55 livres reçus figure, sous le numéro 37, Item summa Hildegardis de infirmitatum causis et curis in uno volumine cuius primum folium incipit >Deus ante creationem mundi< penultimum vero incipit>qui et quarta