Le bombardement de La Cathédrale de Reims [Reprint 2021 ed.]
 9783112513347, 9783112513330

Citation preview

LE BOMBARDEMENT DE LÀ CATHÉDRALE DE REIMS.

MINISTÈRE DE LA GUERRE.

LE BOMBARDEMENT DE LA CATHÉDRALE DE REIMS.

BERLIN 1915 GEORG REIMER LIBRAIRE-ÉDITEUR

Tous droits réservés, spécialement celui de traduction en langues étrangères.

Matières contenues. Pages

1. Exposé général

5

2. Documents fournis par la Commission militaire d'enquête du Ministère de la guerre prussien sur les violations du droit des gens

11



F

)eu d'événements de la guerre actuelle ont fourni à nos adversaires un sujet d'accusations dénuées de fondement, haineuses, aussi favorablement accueilli que le bombardement de la cathédrale de Reims. Une foule d'écrivains connus et anonymes ont cru devoir faire chorus avec le Gouvernement français, en dépit de toutes les rectifications allemandes, pour attribuer ce bombardement à une rage de destruction pure et simple, qu'aucune nécessité militaire ne justifiait. Pourtant, dès le 23 septembre 1914, le commandement en chef de l'armée allemande donnait une explication officielle de la cause du bombardement, uniquement occasionné par l'emploi d'une des tours de la cathédrale comme poste d'observation. C'est là un fait constaté, auquel toutes les dénégations de nos ennemis sont incapables de rien changer. Il est démontré d'une manière incontestable qu'immédiatement après l'évacuation de la ville de Reims par nos troupes, l'état-major français utilisa la cathédrale pour y établir un poste d'observation. Le journal français »l'Illustra tion «, dans son numéro du 26 septembre 1914, parle d'un projecteur électrique installé dès le 13 septembre sur la tour septentrionale. Confirmation expresse en est donnée dans le numéro du même journal du 10 octobre 1914, par un article de l'abbé Thinot, directeur de la maîtrise, où il est dit en outre que ce projecteur a fonctionné au moins pendant toute la nuit du 13 septembre 1914. Un récit publié dans une Revue anglaise spéciale »The Wine and Spirit Trade Record«, à la date du 8 novembre 1914 sous la plume de Mr Frank Hedges Butler, de la maison Hedges and Butler ltd., Londres, Regentstreet, nous apprend que ce Mon-

sieur, monté sur le haut de la tour de la cathédrale afin d'observer la marche du combat, y trouva, en même temps que le pavillon de la Croix rouge, un téléphone, un appareil d'éclairage électrique et des lits militaires. Mais les Français n'ont pas utilisé seulement la cathédrale en vue de la guerre; ils y ont fait servir également les alentours immédiats. Le correspondant parisien du »Times« écrit par exemple le 22 septembre 1914: »Le bombardement de la cathédrale a été provoqué selon toute apparence, théoriquement du moins, par le fait que les Français avaient posté dans l'intérieur de la ville leur artillerie, à laquelle les canons ennemis répondaient avec une grande vigneur.« Et même en quittant la cathédrale, le correspondant a vu »at the head of the mainstreet « un parc d'artillerie français ayant pour soutien en arrière un fort détachement d'infanterie. Ces récits d'une presse assurément exempte de toute pensée hostile aux Français, sont pleinement confirmés par les observations des Allemands. Un réserviste du régiment d'infanterie n° 74, Franz Beckmann, fait prisonnier à Reims le 13 août 1914 et retourné depuis en Allemagne, déclare sous la foi du serment avoir reconnu distinctement à plusieurs reprises, de l'ambulance installée dans l'école de la place Bellecour dans le voisinage immédiat de la cathédrale, des observateurs militaires sur la tour, entre le 16 et le 19 septembre 1914. Des aviateurs ont fait une constatation analogue et ne laissant subsister aucun doute. Ils ont signalé en outre de l'infanterie, des batteries lourde» et des colonnes de munitions à certains endroits de la ville, transformée intérieurement en une véritable place forte, loin de demeurer sans défense. Ordre fut donc donné en conséquence de tirer sur Reims afin de disperser ces rassemblements de troupes, toutefois avec la recommandation expresse du commandement en chef d'armée d'épargner dans tous les cas la cathédrale.

Depuis le 12 septembre, une lutte acharnée d'artillerie faisait rage entre les batteries françaises établies dans la ville et aux abords de celle-ci, et les batteries allemandes. Le 19 septembre à 7 heures du matin, des rassemblements de troupes ayant été signalés près de la cathédrale, les alentours immédiats de l'édifice furent pris comme objectif par toute notre artillerie. Le tir s'effectuait avec la plus grande précaution, à l'aide d'un plan de la ville remis aux chefs de batterie. Entre 10 et 11 heures du matin, le chef de la batterie de mortiers du régiment d'artillerie à pied n° constata au moyen de la lunette à branches, sur une des tours de la cathédrale, un poste de signaleurs d'où partaient des signaux par fanions. Des aviateurs ayant confirmé cette observation, le chef de batterie fit prévenir le commandant de la division, lieutenant-général qui se convainquit par lui-même, avec la lunette à branches, de l'existence du poste d'observation. Les schrapnels envoyés ne parvinrent pas à déloger le poste. Une demande fut alors adressée au commandant en chef, afin de savoir si, dans ces conditions, la défense de tirer sur la cathédrale avait raison d'être maintenue. La réponse fut qu'un coup de mortier pouvait être envoyé sur la tour de la cathédrale, au cas où aucun doute possible ne subsisterait au sujet du poste d'observation ennemi. A midi 15 minutes, un officier d'état-major, le capitaine . . . apporta au chef de batterie l'ordre d'ouvrir le feu contre la •cathédrale sous réserve de la condition précédente. Le porteur de l'ordre ayant constaté lui-même avec la lunette à branches l'exactitude des observations transmises, un coup de mortier fut envoyé sur la cathédrale à midi 20 minutes. Le projectile atteignit la tour juste à l'endroit où se tenait le signaleur. Le capitaine put observer le résultat, et comme le signaleur ne reparut plus, le feu cessa contre la cathédrale. Vers 5 heures du soir, le poste d'observation de la batterie constata que la basilique brûlait. L'incendie devait provenir

des échafaudages dressés autour de l'église pour des travaux de restauration, auxquels le feu avait été communiqué des maisons voisines en flammes. Cet incendie dura pendant, deux jours. Lorsqu'il se ralentit, on constata la destruction de la toiture de la cathédrale. A part l'effet du coup de mortier tire contre la tour, aucun autre dégât ne put être établi. Mais le pavillon de la Croix rouge continuait à flotter sur la tour. Tel est le seul cas où la cathédrale elle-même a été prise pour objectif. Quelques jours après, le 22 ou le 23 septembre, les aviateurs signalèrent de nouveau des batteries ennemies à droite et en arrière de la cathédrale. Notre artillerie dirigea encore son feu contre elles à l'aide d'un plan de la ville. Pendant le tir, un coup atteignit non intentionnellement la toiture consumée de la cathédrale, sans qu'il y eût faute de pointage, d'après les constatations ultérieures de l'officier de la batterie. Si d'autres projectiles atteignirent encore l'édifice, ce fut un pur effet de hasard, facilement explicable par la proximité immédiate des buts véritables. Sauf la lutte presque journalière d'artillerie contre les batteries établies dans l'intérieur de la ville, les bombardements de quelque importance ont toujours eu lieu d'après un ordre de répartition exacte des différents quartiers de la ville. Dans tous les bombardements, sur l'injonction expresse du commandement en chef, la cathédrale ainsi que l'amas des couvents et ambulances au sud-est de la ville sont demeurés à l'abri des projectiles. Le feu a été toujours dirigé uniquement sur les positions ennemies de l'intérieur et des abords de la ville, sur les gares, sur les voies ferrées et sur des jonctions importantes de rues. Dans ce cas encore, les ordres les plus formels prescrivaient de ne tirer sur la cathédrale que si son emploi pour des usages militaires était constaté sans aucun doute possible. Ainsi qu'il ressort de tout ce qui précède, la ville fortifiée

9 •de Reims entrait bien dans la ligne de défense prévue par le commandement en chef de l'armée française. L'artillerie ennemie ne s'est pas contentée de positions établies aux environs immédiats de la ville, mais a encore utilisé les endroits libres à l'intérieur de celle-ci, même le voisinage direct de la cathédrale. La ville était encombrée de masses de troupes, raison suffisante déjà pour justifier la nécessité militaire d'un bombardement. L'intention primitive d'épargner complètement la cathédrale fut déjouée par suite de l'installation de pièces de gros calibre à proximité de l'édifice et par l'emploi d'une des tours à des •observations, d'où l'obligation d'un bombardement pour les batteries allemandes. L'étendue des dégâts causés par le bombardement est imputable aux Français eux-mêmes, car les dégradations si regrettables des sculptures de la façade principale et les suites de l'incendie à l'intérieur ne proviennent nullement de l'effet immédiat des projectiles, mais bien de l'incendie des échafaudages.

Ceux-ci ont brûlé pendant des heures le 19 septembre

sans que la moindre tentative ait été faite pour arracher les poutres en flammes ni pour combattre le foyer dangereux de destruction.

Par une négligence presque inconcevable, aucune

mesure ne fut prise en temps utile pour protéger ces précieux -chefs d'œuvre, malgré le large espace de temps disponible depuis l'évacuation de la ville. Aussi, d'après certains journaux suisses, le »Cri de Paris« a-t-il adressé avec juste raison les plus violents reproches à la municipalité de Reims pour ce manque incroyable de prévoyance.

La faute de ce lamentable désastre retombe

donc uniquement sur les Français. Pour tout juge impartial, il est parfaitement clair que les troupes allemandes ne se sont rendues coupables d'aucun acte contraire au droit des gens envers un monument historique, et que le bombardement de la ville et de la cathédrale était une nécessité militaire.

Il semble d'ailleurs opportun de rappeler

10 ici à cette occasion un défi formel à toutes les lois de l'humanité et à toutes les conventions internationales, à la charge des Français, qui auraient agi beaucoup plus sagement en n'attirant pas l'attention du monde entier sur des faits dont l'ignominie entache leur honneur seul, et non l'honneur allemand. D'après les témoignages de la sœur infirmière Alwine Ehlert, de Berlin, du docteur Pflugmacher, médecin-major, de Potsdam, et du vicaire Johannes Priillage, de Stadtlohn en Westphalie, de nombreux blessés, tous allemands, bien entendu T furent retirés le 17 septembre 1914 de l'ambulance installée dans les caves de la maison Mumm et transférés à la cathédraleLe but de ce transfert est bien évident: la présence de blessés dans l'église autorisait à hisser le pavillon de la Croix rouge sur la cathédrale, en permettant au poste d'observation de diriger le feu meurtrier de l'artillerie française, sous la protection d'un signe religieusement respecté jusqu'à présent par toutes les nations. Plan vraiment infernal, dont l'infamie et la bassesse n'ont été surpassées que par le mode d'exécution. La fumée ayant rendu le séjour dans la cathédrale intenable,, une partie des blessés enfermés parvint à gagner la cour et à trouver un refuge dans les bâtiments qui l'environnent. Ceux-ci étant menacés à leur tour par le feu, il fallut se résoudre à chercher son salut en plein air. La place devant la cathédrale était vide, mais une foule compacte, maintenue par un cordon, de factionnaires, occupait les rues aboutissantes. A la vue des blessés s'avançant sur la place les mains levées, une clameur furieuse s'éleva de la multitude, qui rompit la chaîne des factionnaires et excita les soldats à tirer sur les Allemands. Les coups de feu dirigés contre ces malheureux leur firent regagner la cour de la cathédrale, bientôt entourée également par les militaires français; toute issue devenait ainsi impossible. Comme le feu n'avait pas encore gagné les bâtiments, les blessés cherchèrent à s'y garantir contre la fumée et contre la fureur de la

11

foule et des soldats, en se réfugiant dans les coins, sous les tables,, derrière les meubles. Dans cette situation lamentable, ils furent massacrés sans pitié et lâchement par des soldats français. Une faible partie seulement d'entre eux échappa à cette tuerie, pour être emmenée plus tard au milieu des insultes les plus abominables et des coups de la foule et des hommes de l'escorte. Bien que l'incendie augmentât d'intensité et rendît de plus en plus périlleuse la situation des blessés demeurés dans la cathédrale, ceux-ci se virent refuser toute sortie, avec des menaces. Sans le secours opportun et la protection efficace d'un ecclésiastique, mû par un noble sentiment d'honneur et d'humanité, tous les blessés enfermés là étaient inévitablement voués à une mort affreuse. Une partie du moins fut sauvée,, car un certain nombre d'hommes grièvement blessés, incapables de se mouvoir eux-mêmes, périrent dans les flammes, ce qui fournit au correspondant de la »National Weekly«, E. Achmead Bartlett, l'occasion d'écrire avec un impudent cynisme dans le numéro de cette Revue anglaise du 31 octobre 1914 : »Of the unique carved figures on the bases of the two towers inside Notre-Dame, which no other cathedral possesses, little remains except a mass of charred and blackened stone on the floor and the mumified outlines of some of the upper figures, which looked, when I was there, exactly like the bodies of the burnt German wounded lying a few Yards away.« Annexe

I.

Hanovre, le 12 décembre 1914. Pardevant: 1. Le conseiller de justice militaire D r Millier, 2. Le secrétaire de justice militaire Lœwe, f. f. de greffier.

À comparu dans l'enquête sur les mauvais traitements infligés aux blessés le témoin ci-dessous, lequel, après avoir

11

foule et des soldats, en se réfugiant dans les coins, sous les tables,, derrière les meubles. Dans cette situation lamentable, ils furent massacrés sans pitié et lâchement par des soldats français. Une faible partie seulement d'entre eux échappa à cette tuerie, pour être emmenée plus tard au milieu des insultes les plus abominables et des coups de la foule et des hommes de l'escorte. Bien que l'incendie augmentât d'intensité et rendît de plus en plus périlleuse la situation des blessés demeurés dans la cathédrale, ceux-ci se virent refuser toute sortie, avec des menaces. Sans le secours opportun et la protection efficace d'un ecclésiastique, mû par un noble sentiment d'honneur et d'humanité, tous les blessés enfermés là étaient inévitablement voués à une mort affreuse. Une partie du moins fut sauvée,, car un certain nombre d'hommes grièvement blessés, incapables de se mouvoir eux-mêmes, périrent dans les flammes, ce qui fournit au correspondant de la »National Weekly«, E. Achmead Bartlett, l'occasion d'écrire avec un impudent cynisme dans le numéro de cette Revue anglaise du 31 octobre 1914 : »Of the unique carved figures on the bases of the two towers inside Notre-Dame, which no other cathedral possesses, little remains except a mass of charred and blackened stone on the floor and the mumified outlines of some of the upper figures, which looked, when I was there, exactly like the bodies of the burnt German wounded lying a few Yards away.« Annexe

I.

Hanovre, le 12 décembre 1914. Pardevant: 1. Le conseiller de justice militaire D r Millier, 2. Le secrétaire de justice militaire Lœwe, f. f. de greffier.

À comparu dans l'enquête sur les mauvais traitements infligés aux blessés le témoin ci-dessous, lequel, après avoir

12 reçu connaissance de l'objet de l'enquête et avoir été averti de l'importance du serment à prêter, a été entendu. Identité du témoin: Franz Beckmann, 28 ans, catholique, commerçant, domicilié àLohne (Oldenbourg), actuellement soldat à la 2ème compagnie de réserve du régiment n° 74. Déposition: Dans l'après-midi du 12 septembre, avec un «amarade de ma compagnie, Elbers, nous avions été envoyés à Reims pour y faire des achats, lorsqu'à 7 heures du soir, les troupes allemandes, et aussi notre compagnie, traversèrent la ville en l'évacuant, sans que nous nous fussions aperçus de rien. Nous nous rendîmes alors dans une des ambulances allemandes Testées sur les lieux, installée dans l'école de la place Bellecour. Il s'y trouvait encore les blessés et les infirmiers volontaires; les médecins allemands étaient partis. Nous sommes restés là après avoir vainement essayé de nous frayer un chemin pendant les combats de rues qui eurent lieu le 13 septembre. Le matin de ce jour-là, un certain nombre de médecins et d'officiers français se présentèrent, ainsi qu'une infirmière française qui parlait allemand. Avec son aide, les médecins s'informèrent sommairement de l'état des malades, puis se retirèrent. Dans la matinée du 19 septembre, après que la ville «ut été moins violemment bombardée depuis le 16, le bombardement de la cathédrale commença. Du 16 au 19 septembre, nous avions vu régulièrement sur une des tours de la cathédrale, dont nous étions à proximité immédiate, plusieurs observateurs militaires. Depuis le moment où la cathédrale fut bombardée, ces observateurs transférèrent leur poste sur le toit d'une ambulance allemande, également située tout près de nous, et surmontée du pavillon de la Croix rouge. Les observateurs s'installèrent dans une tour en bois vraisemblablement adaptée sur le toit pour cet usage ; nous pouvions très bien les observer de notre ambulance. Le bombardement

13 de la cathédrale surexcita au dernier degré les esprits chez les Français; l'infirmière en particulier éclata en violentes injures contre tout ce qui est allemand, en disant que nous étions pires que les Huns. Le lieutenant de réserve Krieter, du régiment d'infanterie n° 92 (architecte à Brunswick), blessé et séjournant dans notre ambulance, nous a également déclaré que les insultes du médecin et de l'infirmière qui le soignaient finissaient par lasser sa patience. La présente déposition lue, approuvée et signée. Signé: Franz Beckmann. Le témoin a prêté le serment prescrit. Signé: Millier.

Tribunal de la . . . . division.

Signé: Lœwe.

Annexe

~~""~~

II.

le 19 mars 1915. a comparu comme témoin: Par ordre de Le général d'infanterie commandant la . . . . division r lequel, après avoir été avisé de la prestation obligatoire du serment, a été entendu. Identité du témoin: Nom Âge Confession. Déposition: La division se trouvait engagée devant Reims à où se trouvait en même temps le poste d'observation de la batterie de mortiers du capitaine Nous fûmes avisés que des aviateurs avaient constaté la présence d'infanterie sur la place de la cathédrale, et que sur la tour de droite, visible d'ailleurs pour nous, un poste d'observation était incontestablement établi. Ce poste d'observation, chargé selon toute apparence de diriger le feu des batteries ennemies, pouvait être distinctement observé avec la lunette à branches, par un temps clair et serein. J'ai vu moi-même des hommes faisant des signaux au moyen de fanions. Il ne fallait pas songer à déloger

14 ce poste par un feu de schrapnels. La distance entre nous et la cathédrale était, si je ne me trompe, de . . . mètres. Une demande fut donc transmise au commandement en chef pour savoir s'il serait permis d'employer, afin de déloger le poste d'observation, les mortiers dont le feu battait lés alentours de la cathédrale dans le but de disperser les rassemblements de troupes déjà signalés sur la place. L'autorisation nous fut également transmise par téléphone. Un mortier lança alors un projectile qui atteignit la tour de droite à 2 ou 3 mètres au-dessous de la plate-forme et ne causa que des dégradations peu importantes, à en juger du moins d'après l'observation avec la lorgnette. Ce fut le seul coup envoyé, car le but était atteint, le poste d'observation ayant disparu de la plate-forme; en tout cas, je ne l'ai plus revu. Au moment où le mortier tira, je me trouvais dans l'abri; mais le capitaine officier d'état-major de la division, a observé la chute du projectile au moyen de la lunette à branches. La présente déposition lue, approuvée et signée. Signé Le témoin a prêté ensuite le serment. Signé: v. Schmidt-Phiseldeck, Signé: Schlagowsky, Conseiller de jnstice militaire

Surnuméraire f. f. de greffier.

le 29 mars 1915. Pardevant: Xe Premier conseiller de justice militaire Weiffenbach, Le Premier secrétaire de justice militaire Ziemer.

A comparu comme témoin dans l'enquête sur les prétendues violations du droit des gens imputées aux troupes allemandes

15 (bombardement de la ville et de la cathédrale de Reims), le capitaine chef de batterie au régiment d'artillerie à pied n° . . . , lequel, après avoir été avisé de l'importance du serment, a déposé comme il suit: Identité du témoin:

Nom

Âge

Déposition: Je commande la batterie de mortiers de mon régiment. A l'arrivée du . . . corps devant Reims, ma batterie fut commandée pour bombarder la ville. Le 19 septembre 1914, «lie était prête à ouvrir le feu. Je fus avisé de la présence de batteries lourdes, de colonnes de munitions et de voitures sur certains points à l'intérieur de la ville. Il s'agissait donc tout d'abord de prendre ces points pour objectifs. L'ordre de bombarder la ville était accompagné d'un ordre du grand quartier général, prescrivant de ne tirer en aucun cas sur la cathédrale. J'avais en ma possession, je dois le faire remarquer ici, un plan de la ville de Reims. Le bombardement commença à 7 heures du matin, et toute l'artillerie y prit part. Ma batterie se trouvait à mètres de la cathédrale; entre 10 et 11 heures du matin, je constatai moi-même au moyen de la lunette à branches un poste de signaleurs français sur la cathédrale. J'observai exactement les signaux donnés par deux fanions. Des officiers aviateurs vinrent alors me dire que d'après leurs reconnaissances, un poste d'observation se trouvait sur la cathédrale. J'ai oublié les noms de ces officiers. La station de signaleurs constatée par moi était installée sur la tour de gauche pour un observateur faisant face à l'édifice. Je transmis mes constations au commandant de la division, lieutenant-général , qui se rendit compte par lui-même de l'existence de la station à l'aide de la lunette à branches. Le lieutenant-général dut, je le sup pose, transmettre mon rapport au commandement en chef, car à midi 15, le capitaine officier d'état-major de la . . . division, m'apporta l'ordre direct de tirer sur la cathédrale, à condition qu'aucun doute ne pût subsister au sujet de son

16 emploi pour l'observation.

Le capitaine

s'est con-

vaincu également par lui-même, avec la lunette à branches, de la justesse de mon observation.

Il a aussi constaté par le

même moyen le résultat du seul coup tiré contre la tour.

Ce

coup fut envoyé à midi 20 minutes. Il atteignit le coin inférieur gauche de la plate-forme de la tour de gauche, là où j'avais vu le signaleur.

Le capitaine

en a exactement ob-

servé l'effet. Le but cherché ayant été obtenu, le tir contre la basilique cessa immédiatement. Ma batterie n'a envoyé que ce coup unique sur la cathédrale, car ensuite, aucun des signaleurs ne reparut plus en haut de la tour. A 5 heures du soir, je vis que la cathédrale brûlait.

L'incendie provenait manifestement

de l'embrasement des échafaudages dressés autour de l'église, auquels le feu avait été communiqué par les maisons voisiner en flammes. Le quartier environnant la cathédrale ainsi que cette dernière continuèrent à brûler pendant environ deux jours. Au bout de ce temps, quand l'incendie diminua d'intensité, on vit que la toiture de la cathédrale avait été consumée. Mais sauf le coin de la tour de gauche atteint par le projectile parti de ma batterie, on ne put découvrir aucune autre dégradation à l'édifice. Sur la tour flottait à présent un pavillon de la Croix rouge. Le 22 septembre ou peut-être bien aussi le 23, des aviateur» signalèrent la présence d'une batterie lourde ennemie, postée à droite et en arrière de la cathédrale. Un croquis de l'emplacement de cette batterie me fut donné. elle à . . . mètres.

J'ouvris alors le feu sur

Pendant le tir, un coup atteignit non inten-

tionnellement la toiture brûlée de la cathédrale. alors la batterie par téléphone, et le lieutenant

Je questionnai officier

de batterie me fit savoir qu'il avait contrôlé le pointage sans constater aucune faute de direction.

Malgré le pavillon de la

Croix rouge hissé sur la tour, on me raconta à plusieurs reprises que nos aviateurs, après le bombardement de la cathédrale,

17 y avaient encore constaté l'installation d'une station radio télégraphique. La présente déposition lue, approuvée et signée: Signé : Le témoin a ensuite prêté le serment prescrit. Signé: Weiffenbach. Signé: Ziemer.

le 14 avril 1915. Tribunal du . . . . corps. Pardevant : 1. Le premier conseiller de la prévôté Velhagen. 2. Le secrétaire de justice militaire Hintz.

A comparu comme témoin le colonel chef d'étatmajor du . . . corps, lequel, après avoir reçu connaissance de l'objet de sa citation et avoir été avisé de l'importance et de la solennité du serment, a été entendu. Identité du témoin: Nom Âge Confession. Déposition: A partir du 12 septembre, la ville de Reims se trouva sur le front de combat des Français. Elle n'était pas ville ouverte, mais bien place forte française. Les abords de la ville faisaient partie de la ligne de combat ennemie. Depuis le 12 septembre 1914, une lutte acharnée d'artillerie était engagée entre les batteries françaises à l'intérieur et aux abords de la ville, et les nôtres. Le commandement en chef de la . . . armée avait enjoint de respecter la cathédrale. Le 19 septembre, vers midi, je me trouvais au bureau du commandement en chef à . . . , lorsque le commandant de la . . . division fit savoir par télé phone que les observateurs de l'artillerie avaient constaté sans aucun doute possible l'existence d'un poste d'observation ennemi sur une des tours de la cathédrale; on y avait reconnu des signaux par fanions. Cathédrale Reims.

2

18 Le commandant de la . . . division faisait demander au commandement en chef s'il y avait lieu dans ces conditions de se conformer à la défense du commandant en chef d'armée de tirer sur la cathédrale. L'utilisation des tours de la cathédrale comme poste d'observation pour l'artillerie ennemie me paraissait d'autant plus vraisemblable que la ville de Reims elle-même est située dans un fond, et que par suite les tours de la cathédrale se prêtent admirablement à un pareil usage militaire. Je répondis donc téléphoniquement que si le poste d'observation ennemi sur la cathédrale était constaté sans aucun doute possible, on pouvait envoyer contre la tour un coup de mortier. Quelques instants plus tard, le téléphone m'informa de l'exécution: un coup de mortier avait été tiré et avait frappé la tour. L'observateur placé au sommet semblait avoir disparu. La présente déposition lue, approuvée et signée: Signé : Le témoin a ensuite prêté le serment prescrit. Signé: Velhagen. Signé: Hintz.

Annexe

III.

Berlin, le 2 novembre 1914. Commission militaire d'enquête sur les violations du droit des gens. Pardevant: Le premier conseiller de justice militaire D r Wagner, Juge. Le premier secrétaire de justice militaire Pfitzner f. f. de greffier.

A comparu la sœur infirmière Alwine Ehlert, de l'institut national d'assurance de Berlin, en ce moment à Berlin-Wilmersdorf. Identité du témoin: Alwine Ehlert, 36 ans, religion évangélique.

19 Déposition: Le 12 septembre 1914, lorsque la ville de Reims fut évacuée par les Allemands, j'avais à soigner un grand nombre de blessés dans les caves de la maison Mumm. Immédiatement après l'évacuation, les Allemands commencèrent à bombarder la ville. Dans les caves Mumm, nous ne courions relativement pas grand danger. Entre temps, mes blessés allemands s'étaient augmentés encore d'une certaine quantité de blessés français. Le 17 septembre, l'ordre arriva de transférer tous les blessés allemands dans la cathédrale, mais rien que les Allemands, et pas les Français. Le fait que les blessés allemands seuls furent ainsi transférés dans la cathédrale à l'exclusion des Français mêlés avec eux, indique déjà qu'il s'agissait là d'une mesure dirigée contre nos compatriotes. En outre, tous les blessés allemands sans exception subirent ce transfert à la cathédrale, de toutes les ambulances et sans aucun égard pour leur état transportable ou non. J'acquis alors la conviction, dont je ne me suis point départie encore en ce moment, qu'il s'agissait d'exposer les blessés allemands à un danger spécial, justement à cause de leur nationalité allemande. Avant le commencement du bombardement, aucun blessé ne se trouvait dans la cathédrale, autant que je sache. Arrivée dans l'église avec mes blessés allemands, j'appris du docteur Pflugmacher (médecin-major au 1er régiment de la Garde à pied) l'ordre donné aux Français: si les Allemands bombardent la cathédrale, ils y frapperont leurs propres blessés. Il n'y avait donc là que des Allemands. Nous étions étroitement surveillés et défense nous fut faite de quitter un •certain espace clôturé dans l'église. Le 18 septembre 1914, deux blessés allemands et un soldat français de garde furent tués par des éclats de projectiles, d'autres blessés allemands lurent atteints, quelques-uns même grièvement. Pour nous protéger un peu, le clergé de la cathédrale nous emmena dans 2*

20

une des tours, mais le commandant du poste français de garde nous en chassa pour nous ramener dans l'espace clôturé. Le 19 septembre, la paille sur laquelle les blessés étaient couchés commença à prendre feu (les' échafaudages extérieure brûlaient déjà et l'incendie finit par gagner l'intérieur de l'église)r et la cathédrale se remplit de fumée. Tout à coup et sans savoir par qui, les deux autres sœurs et moi nous fûmes poussées dans la rue, et nous nous trouvâmes en présence de soldats français, leurs armes abattues dans la position de mise en joue. Derrière les soldats, une foule de peuple proférait des vociférationsQuelqu'un de cette masse furieuse se saisit de nous et nous emmena dans la maison d'un prêtre catholique. Je ne puis absolument rien dire sur ce que devinrent nos blessés; j'en ai retrouvé une partie, parmi lesquels le médecin-major docteur Pflugmacher, dans un faubourg de Reims. D'après leurs dires, quelques blessés allemands furent tués par des soldats français en cherchant à quitter l'église. J'ai perdu dans la cathédrale de Reims la plupart de mes effets, qui ne peuvent que m'avoir été volés par des hommes du poste de garde. La présente déposition lue, approuvée et signée. Signé: Sœur Alwine Ehlert. Le témoin a prêté ensuite le serment prescrit. Certifié conforme: r Signé: D Wagner. Signé: Pfitzner.

Annexe

IV.

O. U. le 9 janvier 1915. Devant le soussigné a comparu le docteur

Pflugmacher,

médecin-major, afin d'être entendu. Identité du témoin: Docteur Edmund Pflugmacher, médecinmajor, né à Potsdam le 29 juillet 1878, confession évangélique.

21 Déposition: J'ai été fait prisonnier par les Français le 13 septembre 1914, étant blessé et à l'hôpital civil de Reims. Le 16 septembre au soir ou le 17 au matin, un médecin militaire français ayant rang de général annonça en français que les blessés allemands devaient être emmenés dans la cathédrale; si les Allemands bombardaient cette église, leurs compatriotes seraient les premières victimes. Je ne puis reproduire les termes exacts de sa déclaration, faite d'un ton surexcité. Quelque temps après, un médecin-major français me permit de jeter un coup d'œil rapide sur la copie d'un ordre d'un général commandant en chef une armée ou un corps d'armée (le 5ème ou le; 7 ème , si je me rappelle bien). On y lisait à peu près cette phrase: »Les Allemands bombardant une ville ouverte, vous ferez conduire dans la cathédrale tous les blessés allemands transportables.« Ce jour-là et plus tard, mais pas officiellement toutefois, on nous dit que les Allemands avaient été prévenus du transfert de leurs blessés dans la cathédrale, au cas où ils bombarderaient la ville. Dans la matinée du 17 septembre, je fus transféré à la «athédrale avec quelques blessés allemands de l'hôpital civil. J ' y trouvai 30 autres blessés, dont le nombre s'éleva ensuite jusqu'à 150 environ. Il y avait parmi eux des hommes intransportables à mon avis. En outre, les blessés étaient accompagnés de trois sœurs infirmières, l'une évangélique, les deux autres catholiques, et de deux infirmiers volontaires de la Croix rouge. Les malades furent couchés sur de la paille, entassée en grande quantité dans l'intérieur de l'église. Les soins étaient très primitifs, surtout le 18 et le 19 septembre, où l'on ne fournit presque rien; les ustensiles restèrent tout à fait insuffisants, malgré des réclamations réitérées, le matériel de pansement et les médicaments, bien qu'en petit nombre, pouvaient suffire à la rigueur.

22 Le 18 septembre 1914, des éclats d'obus allemands tuèrent deux Allemands et en blessèrent environ une quinzaine. Le 19 septembre, les échafaudages de la tour nord-ouest prirent feu, et l'incendie se communiqua au lit de paille. La fumée et la chaleur rendant le séjour dans l'église intenable, les blessés furent emmenés hors de la cathédrale du côté nord, après avoir été avertis qu'aucun ne devait quitter le rang. A mon insu, des blessés se sont échappés vers la cour située au sud de l'église, où se trouvaient les latrines et la fontaine, et dont l'accès était permis. Cela doit s'être passé avant que tous eussent reçu connaissance de l'ordre enjoignant de ne pas s'écarter du rang. Des témoins oculaires allemands, qui nous rejoignirent plus tard, rapportèrent que ces hommes avaient été tués à coups de fusil par des fantassins français. Le nombre de morts a donné lieu à différentes versions; j'ai soigné moi-même un homme grièvement blessé dans cette circonstance. Pendant le transfert des blessés et des infirmiers allemands dans une maison voisine de la cathédrale, les hommes de l'escorte ne les protégèrent que très imparfaitement contre les molestations de la populace et de soldats français. Une fois dans le nouveau local, plus de 24 heures se passèrent sans nourriture aucune, sauf de petits dons volontaires du personnel chargé de la surveillance et un peu de chocolat acheté par les blessés eux-mêmes. On ne fournit pas non plus de paille. Les blessés, au nombre de 130 environ, n'avaient à leur disposition qu'une dizaine de matelas étendus sur les dalles; la plupart reposaient sur des tables et sur des chaises. Les fenêtres étaient brisées en grande partie. Dans la nuit du 20 au 21 septembre, on nous transporta d'abord dans une école sur de la paille, puis le 21 et le 22, nous fûmes emmenés en auto et finalement par chemin de fer.

23 Le témoin a prêté le serment prescrit. La présente déposition lue, approuvée et signée. Signé: Dr Pflugmacher. Certifié conforme: Signé: Capitaine Emmer. officier de police judiciaire.

Annexe

F.

Stadtlohn (Westphalie), le 22 juillet 1915, Rapport du vicaire Johannes Prullage, de Stadtlohn (Westphalie) sur les événements accomplis dans la cathédrale de Reims et à côté, les 18 et 19 septembre 1914.

Le soussigné, resté à Reims le 12 septembre 1914 avec des blessés allemands en qualité d'infirmier volontaire et revenu de captivité en France le 12 juillet 1915, adresse au Ministère de la guerre prussien, à la demande de la Commission d'échange, le rapport ci-dessous au sujet des événements accomplis dans la cathédrale de Reims et à côté. Le dimanche 13 septembre, Reims fut évacué par les Allemands. Dès les jours suivants, les nombreux blessés et malades allemands répartis dans divers hôpitaux furent tous transférés dans la cathédrale, la plupart, semble-t-il, le jeudi 17 septembre. Le personnel allemand de santé les accompagna. Quand les blessés arrivèrent dans l'église, celle-ci n'était point dégarnie de ses bancs, et continuait à servir au culte: on y disait des messes et les fidèles pouvaient aller et venir. L'espace réservé aux blessés, entre les rangées de bancs et le portail principal n'était séparé du reste de l'église que par une corde, et n'occupait qu'une toute petite partie de l'intérieur. De grands tas de paille et des couvertures en grand

24 nombre avaient été apportés pour le couchage des blessés. Mais la place leur servant de séjour se trouva bientôt envahie, car il arriva plus de 150 blessés, laissés aux soins d'un médecin major allemand, de trois sœurs allemandes, et de deux infirmiers volontaires allemands. Les hommes grièvement blessés se couchèrent, ceux blessés légèrement cherchèrent à se rendre utiles de leur mieux. L'encombrement obligea beaucoup de ces derniers à gagner la tour, dont les escaliers furent bientôt remplis sur plusieurs étages. Toutefois, un fantassin français en armes interdit à ces hommes de monter plus haut. Un ecclésiastique français ayant voulu hisser au sommet de la tour un grand drapeau de la Croix rouge, les Allemands légèrement blessés s'offrirent à l'aider dans cette tâche ; mais l'accès leur fut égale ment interdit, et le prêtre dut se faire seconder par un sacristain. Dès le 13 septembre, l'artillerie allemande commença à tirer du nord sur les positions françaises au sud de Reims; ces positions se rapprochèrent de la ville le 14 septembre et furent même établies à l'intérieur. Drorog, réserviste du 3ème régiment de grenadiers de la Garde, observa une batterie française qui tirait d'un endroit situé de 500 à 800 mètres seulement de la cathédrale. Le vendredi 18 septembre, à 9 heures du matin, les obus allemands atteignirent la cathédrale même. Le premier semble avoir éclaté près de l'église dont quelques vitraux seulement furent brisés. Le second frappa contre un pilier; un croisillon de fenêtre arraché tomba dans l'intérieur de l'édifice; plusieurs blessés furent atteints par les masses de pierre tombantes. L'un d'eux mourut sur le champ, un autre, grièvement touché, succomba peu après. Un gendarme français, justement occupé à fouiller les blessés, fut tué sur place. Le mortier, les éclats de pierre, la poussière volèrent de tous côtés; beaucoup de blessés ayant été ainsi frappés, une panique se produisit parmi eux. Chacun chercha comme il put un abri près d'un mur ou

25

derrière les piliers afin de se protéger contre les projectiles; heureusement, il n'en arriva plus, bien que les obus aient continué à éclater près de la cathédrale jusque vers 11 heures environ. Le feu de l'artillerie allemande diminua alors d'intensité. Le samedi 19 septembre, le duel d'artillerie recommença à 8 heures et demie environ. Les Français tiraient de la ville, «t même des alentours immédiats de la cathédrale, ainsi qu'on pouvait s'en rendre compte par le son. Les maisons situées à gauche de l'église en regardant du monument de Jeanne d'Arc furent incendiées par l'artillerie allemande; plusieurs obus vinrent frapper la cathédrale elle-même, entre autres la tour de gauche. Par malheur, la basilique, objet justement de travaux de restauration importants, était en partie entourée de grands échafaudages en bois, qui prirent feu vers 10 heures du matin déjà, par suite des étincelles, chassées par un vent très violent, provenant de l'incendie des maisons environnantes. Ces étincelles, poussées à travers les fenêtres brisées de la cathédrale, pénétrèrent dans la nef remplie de paille et ne tardèrent pas à y mettre le feu. Celui-ci fut étouffé ou éteint tant bien que mal. Les hommes légèrement blessés s'occupèrent immédiatement à enlever la paille pour la transporter dans la •cour située à droite de l'église. Quant à ceux blessés grièvement, le premier devoir était naturellement de les mettre hors de danger. La corde tendue entre les rangées de bancs fut déliée, et les hommes grièvement blessés furent transportés sur de la paille étendue près du chœur. Mais la violence du vent avait attisé le feu qui dévorait la paille restée, encore sur place, et l'église se remplissait d'une épaisse fumée. On chercha à combattre l'incendie avec de l'eau, tentative bientôt abandonnée, car on ne disposait que de la seule pompe de la cour et de quelques seaux en petit nombre. La fumée, de plus en plus épaisse, rendit en peu de temps la respiration impossible et tous cher-

26

chèrent à quitter la nef envahie par des nuages sans cesse montants. Ceux qui avaient déjà gagné la cour, y restèrent; quelques autres parvinrent de même à s'échapper. Soudain, une voix cria: »Que personne ne quitte l'église!«, et les soldats de garde fermèrent extérieurement toutes les portes. Une centaine d'hommes se trouvaient ainsi enfermés, le reste dans la cour,, heureux de s'être soustraits à la catastrophe inévitable dans l'intérieur de la cathédrale. Les malheureux qui s'y trouvaient, à demi asphyxiés par la fumée, cherchèrent à se frayer une issue malgré la fermeture des portes. Ils commencèrent à les enfoncer à coups de hache, mais des menaces leur furent adresséesde l'extérieur. Tous cherchèrent alors un refuge dans un petit couloir entouré de planches, où ces pauvres gens, étroitement serrés les uns contre les autres, attendirent dans une mortelle anxiété le sort qui leur était réservé. Il y avait là tout ce qui pouvait encore marcher: le médecin-major, les officiers, des malades, des hommes légèrement blessés, les trois sœurs infirmières,, héroïquement résolues à partager jusqu'au bout les terribles épreuves des malheureux confiés à leurs soins. Le médecin major et les officiers supplièrent en vain qu'on laissât au moins sortir les sœurs. Dans l'après-midi seulement, grâce aux démarches des ecclésiastiques français, dont la conduite fut d'ailleurs parfaite pendant toute la journée, les femmes au moins purent sortir de cette effroyable situation. Le médecin-major demanda à plusieurs reprises le transfert dans un autre local ^ mais les factionnaires, n'ayant pas d'ordres, répondirent parun refus pur et simple ; les victimes durent rester par conséquent dans leur prison, où leur position devenait d'instant en instant plus insupportable et plus menaçante. Heureusement que lesprêtres, après avoir délivré les femmes, revinrent de leur propre mouvement, et, à forces de prières et de sollicitations, obtinrent des factionnaires de pouvoir emmener tous les blessés enfermésdans l'église, pour leur donner asile dans une imprimerie située:

27

à proximité immédiate. Le transfert s'effectua au milieu de» plus incroyables insultes de la population, dont les officiers surtout eurent à souffrir: les coups de pied, les coups de canne,, les coups de poings pleuvaient comme la grêle, malgré les efforts courageux des ecclésiastiques afin de protéger les blessés. Les soldats de garde se transportèrent également dans l'imprimerie; ils semblent avoir ignoré que des blessés sortis de la cathédrale se trouvassent encore dans les baraques de la cour. C'étaient des hommes légèrement blessés et des malades,, qui avaient aidé à enlever la paille et à porter de l'eau, et n'avaient pu ensuite rentrer dans l'église à cause de la fumée r puis d'autres que cette fumée avait chassés de la cathédrale. L'ordre donné à tout le monde de retourtier dans celle-ci ne fut pas entendu, et, après la fermeture des portes, ces hommes, au nombre d'une quarantaine environ, demeurèrent à l'extérieur. La paille transportée hors de l'église et entassée dans la cour prit bientôt feu également, par suite des étincelles que l'impétuosité du vent chassait maintenant partout des échafaudages en flammes. Les baraques en planches entourant la cour n'offrant plus un abri sûr contre l'incendie, qui les avait déjà gagnées, il fallait tenter d'évacuer la cour. Cinq hommes environ, réfugiés dans le hangar I, ouvert, sortirent par la porte A, les mains levées, et se trouvèrent alors sur la place devant l'église. La place elle-même était vide, mais toutes les rues aboutissantes étaient pleines de gens, maintenus loin de la place par un cordon de factionnaires. A peine le public eut-il vu les blessés sortis de la cathédrale en levant les mains, qu'une clameur furieuse s'éleva, et les factionnaires furent sommés de tirer sur les Allemands. Les soldats accédèrent aussitôt au désir de la foule en délire et envoyèrent des coups de feu sur les blessés, obligés de faire immédiatement demi-tour. Aucun d'eux n'avait été atteint, semble -t -il. Dans la cour, une panique indescriptible venait de se produire, car le hangar ouvert I

28 avait pris feu.

Tous fuyaient à présent devant l'incendie et

devant la fusillade, et se réfugièrent dans le hangar I I et dans les bureaux de l'entreprise du bâtiment. Probablement sur l'injonction de la populace ivre de rage, les soldats du service d'ordre pénétrèrent dans la cour, pour donner le coup de grâce aux blessés qui s'y trouvaient enfermés, et l'entourèrent de toutes parts de manière à rendre une issue impossible. Fenêtre

1 I ßureaux de l'entreprise du bâtiment

Cour

Tas de

•S-1"Tour

paille en feu

Tour

I ouvert

-i h

.

Monument

V-"

Palissade en planch&s d'eny/ron 2'"% de hauteur

KJ

de Jeanne d'Arc

Un grenadier de la garde, Middendorf, avec un camarade de sa compagnie, Seiler, s'était précipité dans les bureaux de l'entreprise du bâtiment, en cherchant à s'enfuir par une fenêtre donnant sur la rue.

Des coups de feu partis immédiatement

de droite vinrent le convaincre qu'aucune fuite hors de cet enfer n'était possible. pas.

Les deux soldats retournèrent donc sur leurs

Au moment où Middendorf atteignait la porte, un coup

de feu dirigé de la fenêtre contre lui par un factionnaire frappa Seiler au cou.

Seiler tomba, tandis que Middendorf allait se

blottir derrière une pierre à moitié équarrie, qui se trouvait immédiatement près de la porte. Il vit de là un civil, appartenant à la lie de la population, franchir du dehors la fenêtre, se

29 ruer sur Seiler étendu à terre, lui mettre le pied sur la gorge, pendant que le soldat français lui envoyait de la fenêtre une balle dans la tête. Seiler mourut aussitôt. Le civil découvrit alors sous une grande table de bureau une douzaine de blessés qui y avait cherché un refuge et s'y tenaient blottis; il les montra au factionnaire placé devant la fenêtre, et celui-ci tira dans le tas dix ou douze coups absolument au hasard. Les cris et les gémissements des malheureux ainsi massacrés remplissaient la salle. Un seul, quoique grièvement blessé, le sergent Heyl, du régiment de réserve d'artillerie n° 62, échappa à la mort. Dans le hangar II se trouvaient une quinzaine d'hommes, auxquels s'étaient réunis quelques fugitifs venus des bureaux de l'entreprise du bâtiment dans lequel avait lieu cette tuerie. Le soussigné était avec eux dans le hangar; venu dans la cour pour y chercher de l'eau, il avait trouvé l'entrée de l'église fermée par suite de l'incendie de la paille. Nous entendîmes distinctement du hangar II les coups de feu dans les bureaux et les cris déchirants des malheureuses victimes. Puis les deux portes opposées du hangar furent enfoncées, et à chacune parut un fantassin; un nouveau massacre des blessés recommença alors comme dans les bureaux tout à l'heure. Les soldats, sans viser, tiraient dans la masse des blessés pelotonnés dans les coins ou sous des tables; leurs supplications, leurs plaintes, leurs assurances qu'ils étaient des blessés de la cathédrale, rien ne put toucher ces bourreaux, qui tiraient presque à bout portant comme dans un troupeau. Quatre hommes et même cinq ou six (au dire du soldat Schauf, du régiment d'infanterie n° 158) furent tués de la sorte; plusieurs reçurent des blessures graves, quelques-uns furent atteints à diverses reprises. Finalement, le sang répandu à flots, les cris, les râles des mourants, les prières désespérées des survivants, semblèrent apaiser la fureur de ces monstres à face humaine ; un appel se fit entendre : »Tout

30

/

le monde dehors!« Ceux qui vivaient encore et étaient encore •capables de se mouvoir furent alors poussés à coups de crosse et à coups de poings dans la cour, et conduits ensuite par les soldats dans le jardin, où l'on devait les réunir. Le jardin était envahi par un grand nombre de civils, qui accueillirent les blessés par des huées, leur arrachèrent leurs casquettes pour les fouler aux pieds. Les insultes continuèrent pendant la marche sur la place et dans les rues: véritable calvaire pour ces malheureux, exténués jusqu'à la mort. Au milieu des imprécations, •des injures de la populace, accablés de pierres et de coups de bâton, les lamentables victimes de ce drame affreux traversèrent la place, et adressèrent à Dieu leurs sincères actions de grâces, lorsqu'elles se trouvèrent enfin dans un bâtiment public d'une rue adjacente. Le dimanche matin, les blessés furent réunis dans une ambulance avec ceux blessés près de la cathédrale pendant les massacres; l'un de ces derniers, atteint d'une balle au cou, succomba peu après. Le transport définitif commença le même jour. De même que Middendorf, quelques autres soldats parvinrent à s'échapper en temps utile des bureaux et à trouver un refuge sur un chantier de l'autre côté. Un soldat du 2e bataillon du régiment d'infanterie n°,87, Schunk, après avoir séjourné d'abord dans les bureaux de l'entreprise du bâtiment, se cacha ensuite derrière un pilier du portail latéral, en se tapissant contre le mur. Schunk se trouvait dans cette position avec •quelques autres, lorsqu'un de leurs camarades, atteint à la tête par la balle des assassins français, s'enfuit hors du hangar II. Grièvement blessé et perdant son sang en abondance, cet homme vint s'asseoir sur une des marches du portail, où il perdit bientôt •connaissance. La nuit était venue pendant ce temps. Mais Schunk et les autres n'osaient pas quand même sortir de leur cachette. Ils virent un pompier et un officier fouiller la cour •et découvrir le blessé évanoui sur l'escalier. Tous deux le trans-

31 portèrent dans les bureaux, et s'éloignèrent ensuite sans apercevoir ceux qui se tenaient cachés dans le portail. Le blessé, revenu à lui au bout de peu de temps, sortit des bureaux, mais s'évanouit de nouveau après quelques pas. Plusieurs heures se passèrent avant que Schunk et le volontaire d'un an Zeitschel, de Hanovre, se hasardassent enfin au dehors; ils se glissèrent par l'église jusqu'au presbytère situé derrière, et s'endormirent à terre épuisés de fatigue. Un prêtre les trouva le lendemain matin et les conduisit dans l'imprimerie, où ils retrouvèrent leurs camarades survivants, avec lesquels ils furent ensuite transportés. Signé: Priillage, vicaire. Tribunal royal de première instance.

Vreden, le 5 août 1915. Pardevant: Le Conseiller auprès du tribunal •de première instance Schwiebe Juge. Le greffier au tribunal Höne Greffier.

A comparu le témoin ci-après dans la procédure contre inconnu pour mauvais traitements à des blessés. Le témoin, Priillage, vicaire, après avoir reçu connaissance •de l'objet de l'enquête, a été entendu comme il suit, et a prêté le serment prescrit: Je m'appelle Johannes Priillage, 37 ans, religion catholique. Lecture de sa déposition du 22 juillet 1915 a été alors •donnée au témoin, lequel a déclaré: Ma déposition est exacte sur tous les points. Je n'ai rien à y ajouter, et ne puis en modifier non plus aucun terme. La présente déclaration lue, approuvée et signée. Signé: Priillage, vicaire. Signé: Schwiebe. Signé: Höne.