L'Art gothique
 9781780427676, 1780427670

Table of contents :
Sommaire
Introduction
L’ Architecture gothique
Le Système de construction gothique
Les Monuments gothiques
L’Architecture gothique en France
L’Architecture gothique en Angleterre
L’Architecture gothique en Allemagne et en Autriche
L’Architecture gothique en Italie
L’Architecture gothique en Belgique et aux Pays-Bas
L’Architecture gothique dans les régions scandinaves
L’Architecture gothique dans la péninsule ibérique
La Peinture gothique
La Peinture gothique en Allemagne
La Peinture gothique en Belgique et aux Pays-Bas
La Peinture gothique en Italie
La Peinture gothique en Espagne
La Sculpture gothique
La Sculpture gothique en Italie
La Sculpture gothique en Angleterre
La Sculpture gothique en Allemagne
La Sculpture gothique en France
La Sculpture gothique aux Pays-Bas
La Sculpture funéraire gothique
Conclusion
Bibliographie
Liste des illustrations

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L’Art gothique

Victoria Charles et Klaus H. Carl

Texte : Victoria Charles et Klaus H. Carl Traduction : Laurent Jachetta Mise en page : Baseline Co Ltd 33 Ter - 33 Bis Mac Dinh Chi St., Star Building, 6e étage District 1, Hô Chi Minh-Ville Vietnam © Parkstone Press International, New York, USA © Confidential Concepts, Worldwide, USA

Tous droits réservés Sauf mention contraire, le copyright des œuvres reproduites se trouve chez les photographes qui en sont les auteurs. En dépit de nos recherches, il nous a été impossible d’établir les droits d’auteur dans certains cas. En cas de réclamation, nous vous prions de bien vouloir vous adresser à la maison d’édition.

ISBN : 978-1-78042-767-6

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Victoria Charles et Klaus H. Carl

L’

ART

G

OTHIQUE

Sommaire Introduction 7 L’Architecture gothique 13 La Peinture gothique 95 La Sculpture gothique 161 Conclusion 191 Bibliographie 194 Liste des illustrations 195

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Introduction

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i l’on sait que le gothique est apparu au milieu du XIIe siècle, il n’est pas facile de dater son commencement avec précision, dans la mesure où il a remplacé le roman de manière progressive. De la même manière, la fin du gothique est difficile à dater, bien qu’on sache la situer vers le début du XVe siècle. Le peintre, architecte et écrivain italien Giorgio Vasari qualifiait de gothique – ce qui dans sa bouche correspondait à peu près à barbare – cette nouvelle façon de construire, qui arriva en Italie par les Alpes, et qui, en dépit des résistances italiennes, refoula peu à peu le roman, héritier de l’Antiquité. Ce sont bien les tailleurs de pierres et autres artisans allemands qui ont permis l’expansion de ce style nouveau ; et si « allemand » et « gothique » ont longtemps signifié la même chose, cela est dû, de longue mémoire, aux invasions et aux pillages des Wisigoths, qui ont pendant si longtemps dominé l’Italie. Cependant, de même que l’art roman est en réalité un style allemand, le gothique est lui plutôt d’origine française, puisque les premières constructions gothiques sont apparues dans le Nord de la France, plus précisément dans les environs de Paris.

C’est toutefois dans le style des cathédrales de Munster, de Cologne (voir p. 68, 70, 71), d’Ulm, de Fribourg (voir p. 73), de Strasbourg (voir p. 26, 27, 28, 29), de Ratisbonne ou encore de Vienne (voir p. 69) que s’exprime l’apogée du gothique, dont les ornements ont été élevés à leur plus haut niveau de qualité artistique. Une fois ce niveau atteint, on peut dire que la puissance du gothique n’a cessé de décliner. En effet, bien que des églises gothiques fussent par la suite construites à l’envi dès lors que les moyens le permettaient, le système, qui avait déjà atteint le sommet de son développement, n’offrait plus guère de possibilités de se redéployer. Tandis que le roman a montré des signes de fraîcheur et d’adaptabilité jusqu’aux derniers instants de sa domination, on peut dire que le gothique se contenta, quant à lui, de survivre jusqu’à sa décadence. On peut apprécier, dans les monuments gothiques datant de cette époque d’apogée, l’harmonie la plus parfaite entre la témérité d’une fantaisie sans borne, et le calcul savant, la compréhension pratique. Mais c’est bien avec les créations du gothique primaire ou protogothique que l’on peut ressentir la sensibilité artistique avec laquelle le courage de l’inventeur a

1. Jan Van Eyck, Sainte Barbara, 1437. Pointe d’argent sur papier, 31 x 18 cm. Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers (Belgique).

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fait ses premiers essais. Aussi en France, en Angleterre ou en Espagne est-il intéressant de remarquer combien l’irrégularité, la richesse et la pureté plastique des décors gothiques, survenus juste après le commencement de cet art, contrastent avec la régularité froide et parfaite atteinte lors de l’apogée du gothique. L’enthousiasme brûlant avec lequel le jeune poète et naturaliste Johan Wolfgang von Goethe à Strasbourg, et après lui les romantiques, regardèrent les majestueuses créations gothiques, célébrées comme le sommet de l’esprit artistique, s’est quelque peu éteint du fait de la froide observation scientifique, qui a démontré, documents à l’appui, que l’origine du gothique se situe bel et bien en France. Il est désormais établi que si des maîtres d’œuvre français ont fréquemment été appelés à travailler à l’étranger pour y introduire le gothique, des maîtres d’œuvre et tailleurs de pierre allemands se rendirent quant à eux en France, et particulièrement à Paris, à l’époque où les conditions de cet art se sont formées, à savoir vers la fin du XIe siècle. C’est certainement à cette époque que le gothique français a connu la part la plus formidable de son éclosion, puis de son développement. La condition d’apparition la plus décisive de l’art gothique est certainement le renforcement de la bourgeoisie et, ce qui en est la conséquence directe, l’épanouissement des villes. La bourgeoisie cherchait en effet à exprimer sa prospérité et son envie de pouvoir, ce qu’elle fit en faisant bâtir de magnifiques cathédrales, lesquelles témoignaient de la splendeur et de la richesse de la ville où elles avaient été érigées. De la même manière que la culture française, imprégnée de mœurs courtoises et de galanterie chevaleresque, infiltra peu à peu l’ensemble de la culture européenne, qu’il s’agisse de costumes, de langage ou de poésie, l’art gothique fit également tache d’huile en Europe, diffusant dans son sillon nombre d’éléments

de culture française. L’art gothique correspondait non seulement aux pressions que les villes exerçaient pour la reconnaissance de leurs droits, mais aussi, de manière plus pratique, au besoin qui était le leur, de posséder des églises plus spacieuses et plus claires pour répondre à leur croissance démographique soutenue. À ceci s’ajoute un fait religieux : la foi profonde de l’homme du Moyen Âge, laquelle a fondé les us et coutumes de cette époque, et le désir très fort d’une spiritualité céleste, ont très certainement trouvé leur plus simple expression dans ces clochers dressés vers le ciel, ou encore dans la vertigineuse hauteur des voûtes intérieures et des piliers qui les portaient. Cette « poussée vers le haut », cette « recherche céleste » est certainement, sinon la seule, à tout le moins la plus déterminante des conditions qui ont entraîné l’art gothique dans cette tendance verticale, qui contraste avec le penchant plus horizontal des constructions romanes. Il n’est, bien entendu, pas permis d’accorder à cet élément spirituel plus d’influence que nécessaire. En effet, au premier plan de toute entreprise artisanale, se trouvent toujours des considérations purement techniques, et non esthétiques. De même qu’un nouveau système de clés de voûte est apparu en France pour des raisons très techniques, l’art de la construction s’est peu à peu développé sur la base d’une pensée très pragmatique. Au Moyen Âge, les architectes avaient déjà conscience qu’on ne construit un bâtiment qu’en le déployant depuis l’intérieur. Ils considéraient donc les éléments extérieurs, dans la mesure où ils n’étaient en rien déterminants pour l’érection du bâti, comme le dernier de leur souci, ou plutôt comme celui des tailleurs de pierre, lesquels les exécutaient selon les consignes du maître d’œuvre désigné par le clergé. (Ce dernier peut être considéré comme un architecte au sens moderne du terme) Cela explique que, pendant la domination du gothique, les hauts clochers pointus qui ont donné à chaque église sa touche particulière, ont souvent été érigés sur de plus petites constructions.

2. Ugolino di Vieri, Reliquaire du Saint-Corporal de Bolsena, cathédrale d’Orvieto (Italie), 1337-1338. Argent doré et émaillé, h : 139 cm. In situ.

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Le gothique n’est pas apparu du jour au lendemain, mais il résulte d’un système qui s’est mis en place petit à petit. L’art et la construction gothiques, qui suivent immédiatement l’apogée du roman, au milieu du XIIe siècle, et lui sont parfois même concomitants, doivent être directement reliés au style et au système de la basilique voûtée, telle qu’elle s’est répandue dans la période romane. Les plans des églises, ainsi que les principales dispositions des espaces, restent en effet identiques. Il n’y a que par son architecture que le gothique est clairement distinct. Dans la sculpture et dans la peinture par exemple, il est plus difficile d’établir des frontières entre les deux styles. Ainsi les créations gothiques sont porteuses d’une certaine multiplicité, héritée de la succession des différentes époques. On distingue les monuments gothiques selon qu’ils relèvent du protogothique, du gothique classique – où sont apparus les bâtiments les plus accomplis – ou encore du gothique tardif. Le protogothique est apparu en France entre 1140 et 1200, le gothique classique entre 1200 et 1350, et le gothique tardif entre 1350 et 1520, alors qu’il n’apparaît en Italie qu’à partir de 1200. On introduit la terminologie Early English pour caractériser ces ogives étroites, les lancettes, datant de 1170 à 1250, immédiatement suivies de la période gothique classique dans les années 1250 à 1350. Ensuite apparaissent le gothique flamboyant et le gothique perpendiculaire entre 1350 et 1550 environ. En Allemagne, le gothique primaire, qu’on situe dans la courte période de 1220 à 1250, est rapidement remplacé par le gothique classique jusqu’en 1350, lui-même l’étant par le gothique tardif, qui durera jusqu’en 1530. Le gothique montre un visage différent selon les pays qui l’accueillent, notamment pour ce qui concerne l’ornementation. À l’instar du roman, des particularités

nationales se sont développées. Pourtant, les traits caractéristiques et les éléments architecturaux sont les mêmes dans tous les pays où le gothique s’est adapté, et c’est la raison pour laquelle nous sommes autorisés à parler de système, comme pour le roman.

3. Façade occidentale, cathédrale Notre-Dame, Laon (France), commencée avant 1200. In situ. 4. Villard de Honnecourt, Dessin de la tour de la cathédrale de Laon, vers 1230-1240. Encre sur parchemin. Bibliothèque nationale de France, Paris (France).

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L’ Architecture gothique

Le Système de construction gothique

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ogive est la caractéristique extérieure la plus frappante du gothique. C’est la raison pour laquelle on nomme parfois le gothique « architecture ogivale ». Les conditions de son développement résultent de la nouvelle façon de construire les voûtes, laquelle a peu à peu remplacé la méthode romane, en opposant une construction de structures à une construction massive. De cette opposition est né le système de butée, qui a permis aux créations les plus audacieuses des artistes les plus fantaisistes de bénéficier d’une parfaite sécurité, et d’une extrême stabilité. La voûte d’arêtes se dresse entre des arcs-doubleaux finissant en pointe. Elle est portée en diagonale jusqu’au point culminant de la voûte par une nervure, elle-même tenue par une clé de voûte. Comme ces nervures furent construites en pierre, les portions de voûtes ou voûtains, entre celles-ci et les arcs-doubleaux, n’eurent besoin que de

légères structures de pierre pour tenir. Bien qu’à l’origine ces nervures possédassent une haute signification architecturale, elles devinrent, au cours du développement de l’art gothique, de simples objets décoratifs, si bien que leur nombre passa de deux à trois, voire à quatre. Ainsi, apparurent d’abord les voûtes à six ou huit nervures (voûtes en croisillon). Par la suite, les voûtains furent entourés de tellement de nervures, qu’apparurent les voûtes en étoile, les voûtes nervées, et finalement les voûtes en éventail, avec une clé de voûte profondément suspendue, telle qu’on peut fréquemment la rencontrer, à grand renfort de fantaisie, dans le style anglais. La pression exercée par la voûte est transmise par les nervures de la voûte d’arêtes sur les piliers de la nef, qui supportaient également les arcs-doubleaux. Comme ces piliers ne devaient plus seulement supporter le poids principal, comme autrefois les murs, mais devaient notamment résister à la pression latérale de la voûte, ils furent renforcés non seulement dans leur structure propre, mais aussi au moyen d’une culée d’arcs-boutants, culée

5. Abside, cathédrale Saint-Pierre, Beauvais (France), commencée en 1225 et rénovée en 1284 et en 1573 après son effondrement. In situ.

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plus total, elle fut complétée de fines tourelles pointues, les pinacles, qui reposaient sur une structure à quatre côtés, la meule, et se terminaient par une flèche pyramidale. Ces pinacles furent d’abord structurés et décorés comme les clochers principaux. Les arêtes des flèches furent parées de crochets et de figures en forme de bulbes ou de feuilles, puis finalement, leurs pointes furent couronnées de fleurons à quatre pétales.

massive au niveau des murs extérieurs des bas-côtés de la nef, plus légère au niveau des murs supérieurs de la nef. Afin que cette culée remplisse totalement sa fonction, elle fut conduite par-dessus les murs et reliée aux piliers de la nef par l’intermédiaire des arcs-boutants. Ceux-ci assuraient la sécurité absolue de la construction. Afin de montrer que le système de construction gothique avait atteint, avec la culée d’arcs-boutants, son achèvement le

C’est dans la cathédrale d’Amiens (voir p. 32, 33) que l’on perçoit au mieux le jeu des voûtes, des piliers et des arcsboutants. Les parois de la nef ne forment jamais une masse fermée, car le gothique ne privilégie pas les vastes surfaces et veut mettre à nu le squelette du bâti. De même que les parois inférieures de la nef sont interrompues par des arcades pointues, les parois supérieures, sous les fenêtres, le sont par le triforium, un étroit passage ouvert à travers les arcades, contre la nef. Les piliers sont également conçus de manière totalement différente du roman, étant donné qu’ils remplissent une toute autre fonction. Des colonnes en demi ou en trois-quarts, placées devant un noyau cylindrique, portent, dans l’axe longitudinal des arcades, ainsi que dans l’axe transversal, à la fois les voûtes des bas-côtés de la nef, et celles de la nef. C’est ainsi qu’est apparu le pilier fasciculé, qui compte parmi les innovations essentielles du gothique. Ce nouveau type de pilier est certes maintenu solidairement avec le chapiteau, mais ce chapiteau, formé d’une couronne de feuillages, ne constitue plus le sommet du pilier. Les colonnes en trois-quarts surplombent le tailloir, afin de relever les arcs-doubleaux et les nervures de la voûte. Du fait de cette fonction portante, on a nommé ces piliers, jeunes ou vieilles servantes, en fonction de leur volume.

6. Girart de Roussillon, Chanson de geste : chantier, seconde moitié du XVe siècle. Nationalbibliothek, Vienne (Autriche). 7. Façade occidentale, ancienne cathédrale Notre-Dame, Senlis (France), vers 1151/1153-1191. In situ.

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8. Parement de Narbonne, vers 1375. Encre sur soie, 77 x 286 cm. Musée du Louvre, Paris (France).

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Parmi les apports du gothique, il ne faut pas omettre l’introduction des rinceaux, traités et ornementés dans un style naturaliste, ce qui constituait une rupture avec la façon moyenâgeuse très austère de réaliser des ornements. Cette innovation s’est montrée très fructueuse, et a provoqué un renouvellement certain de ce sempiternel décorum empreint de nostalgie antique. Une ardeur générale à découvrir la nature et à la louer est apparue dans le cœur de l’homme du Moyen Âge, à la suite des troubadours et de la poésie didactique bourgeoise, et cette ardeur a rencontré un écho chez les tailleurs de pierre, qui ont mis leurs marteaux et burins au service de la représentation des feuillages et plantes qui leur étaient familiers. Après les feuilles de chêne, de lierre, d’érable ou de vigne, venaient les quelques fleurs qui leur étaient les plus chères. Cette ornementation, qui fut encore enrichie par des mises en couleur très naturelles, ne se retrouvait pas seulement sur les chapiteaux, mais aussi sur les corniches, les parois des portes et autres encadrements. Au fil de son développement cependant, le gothique abandonna peu à peu l’imitation de la nature, et les formes ornementales, désormais bien maîtrisées, furent reproduites à l’infini et souvent sans réfléchir, jusqu’à ce que bourgeons et tubercules, tant ils étaient bâclés, ne donnent du souvenir de la réalité naturelle qu’un pâle reflet. Il en fut de même pour les montants et les traverses que l’on utilisait pour diviser les ouvertures de fenêtres et les isoler de l’extérieur. Il s’agit, à l’origine, d’un simple barreaudage métallique avec un montant de pierre, le meneau ; mais ce système d’ornementation des fenêtres se développa en véritable art décoratif. À l’intérieur de l’ogive qui entourait la fenêtre, se dressaient, depuis le rebord de

celle-ci, des barreaux de fer qui séparaient l’espace en six ou sept parties différentes, elles-mêmes en forme d’ogive. Entre l’ogive que formait l’encadrement de la fenêtre et les petites ogives formées par les barreaux, l’espace libre fut rempli par des œuvres de tracerie, un assemblage de pierres taillées en cercles ou parties de cercles, formant une ligne circulaire fermée, souvent géométrique et d’une extrême diversité. Ces cercles et parties de cercles formaient des toiles, qui au début avaient la forme de trèfles à trois ou quatre feuilles.

9. Déambulatoire, église Saint-Denis (ancienne église abbatiale bénédictine), Saint-Denis (France), entre 1140 et 1144. In situ. 10. Façade occidentale, église Saint-Denis (ancienne église abbatiale bénédictine), Saint-Denis (France), avant 1140. In situ.

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l’essentiel d’une superbe décoration, c’est avec ces rosaces que la tracerie connut le sommet de son art. Particulièrement célèbre est la rosace de la cathédrale de Strasbourg. Contrairement à la technique de construction, l’organisation des espaces – le plan-masse – constitue l’une des innovations les moins décisives et les moins porteuses de bouleversements que le gothique a transmises. Il a repris, hormis quelques détails, le modèle de la basilique romane, à savoir une forme en croix, à l’exception près que les bras du transept ne passaient pas forcément par les murs latéraux de la nef. À l’époque du gothique tardif, on renonça même souvent à la construction d’un transept. La nef comprenait généralement deux bas-côtés, qui furent portés à quatre à l’apogée du gothique. C’est la cathédrale de Cologne (voir p. 68, 70, 71) qui reste le témoin le plus frappant de cette époque

Par la suite, ces feuilles de trèfles furent développées à six, sept ou huit feuilles. Les voûtes extérieures des fenêtres furent surélevées de pignons, appelés gâbles, dont les arêtes très obliques étaient moulurées de crochets avant de se rejoindre sur le motif d’un fleuron. Le tympan du gâble était également orné de tracerie. C’est avec les fenêtres rondes, les fameuses rosaces, généralement ouvertes au-dessus des portes centrales de la façade ouest, entre les tours, et qui constituaient

Il n’y a que dans l’élaboration du chœur que le gothique a ouvert de nouvelles voies. Comme l’on cessa de construire des cryptes, le chœur ne fut plus séparé de la nef, mais véritablement conçu comme son prolongement. De même, l’abside abandonna sa forme arrondie pour épouser des formes plus polygonales. Si les bas-côtés de la nef conduisaient au chœur, alors apparaissait le déambulatoire, ce dont le gothique français ne réussit pas à se satisfaire. Il entoura donc le chœur, en plus du déambulatoire, d’une multitude de chapelles, dites chapelles rayonnantes, qui mettaient le chœur, au centre du projet, incontestablement en valeur. Même les concepteurs de la cathédrale de Cologne ont repris le principe des chapelles absidiales. Qu’il s’agisse de nouvelles constructions gothiques ou de transformations d’anciennes constructions romanes, c’est toujours le chœur qui faisait l’objet des premiers travaux. En effet, l’installation de l’autel et celle du prêtre suffisaient à remplir les fonctions

11. Plan de la cathédrale Notre-Dame, Paris (France). 12. Façade occidentale, cathédrale Notre-Dame, Paris (France), 1190-1250. In situ.

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sacrées du lieu ; c’est ainsi que les concepteurs faisaient preuve de beaucoup de zèle pour l’aménagement du chœur. Le zèle déployé à aménager et à décorer le chœur, en contraste souvent flagrant avec la nef, s’explique aussi pour des raisons financières. En effet, au début des travaux, l’église dépensait sans compter. Ce n’est que plus tard, lorsque les finances avaient besoin d’être renflouées, et que l’on mettait les bourgeois à contribution, que les flux financiers étaient soumis à beaucoup plus de contraintes politiques. Un autre témoignage de cette épreuve financière est souvent porté par la différence, toute aussi flagrante, de richesses déployées au décorum de chacun des bas-côtés de la nef. Il est, de fait, très rare de rencontrer des monuments gothiques parfaitement symétriques, alors que leur esprit profond en était empreint : cette symétrie ne se rencontre que dans ces monuments que l’on a achevé de construire au XIXe siècle. Si une église gothique était tellement avancée dans sa construction que seule la façade de la nef restait à construire, on peut dire que l’instinct artistique ne démordait jamais, même en dépit de conditions parfois défavorables. Tous les architectes de l’époque gothique ont fait le vœu d’offrir à la maison de Dieu une touche définitivement somptueuse au moyen de deux clochers majestueux ; et s’il ne devait y en avoir qu’un seul, celui-ci se devait d’être encore plus haut. Mais il n’a pas été permis à tous de mener à bien leurs travaux comme ils le souhaitaient, ou encore de voir, de leur vivant, les travaux terminés. Pendant les longs et laborieux travaux sur les clochers, dont les techniques se transmettaient d’un artiste à l’autre, il arrivait que les travaux voient leur cours se ralentir à l’infini, la générosité du donateur s’orientant vers d’autres buts, particulièrement à partir du XVIe siècle. Le successeur cherchait toujours à

surmonter son prédécesseur, indépendamment du contexte et sans forcément d’égard pour l’unité organique de la façade telle que l’avait pensée le premier concepteur. Le meilleur exemple de ce genre de circonstances, où l’égoïsme des artistes a sacrifié la cohérence, est certainement fourni par la cathédrale de Strasbourg, pour laquelle le clocher nord, construit indépendamment du reste, présente un contraste

13. Chœur, cathédrale Notre-Dame, Paris (France), commencée en 1163. In situ. 14. Portail Sainte-Anne, façade occidentale, cathédrale Notre-Dame, Paris (France), avant 1148. In situ.

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leur fantaisie libérée a cherché à faire céder. C’est la seule façon d’expliquer certaines différences, que l’on rencontre souvent, comme par exemple le traitement différencié d’une même façade, ou celui de deux clochers jumeaux, qui, bien qu’ayant été commencés en même temps, ont néanmoins été achevés l’un après l’autre. Bien sûr, richesse des décors et position sur la frise historique ne vont pas forcément de pair, chaque époque ayant nécessité, de la part des artistes, qu’ils agissent dans l’urgence ou dans la facilité. Mais il n’en demeure pas moins que le gothique tardif se caractérise par un penchant puissant pour la peinture, pour la libération des contraintes et des règles, pourtant d’abord érigées dans un souci mathématique. Pris dans l’euphorie de leur création, qui les poussait naturellement vers l’avenir et non vers le passé, les artistes n’ont pas eu conscience que leurs agissements contribuaient tout simplement à signer l’arrêt de mort du gothique.

radical avec la façade. Considéré en soi, ce clocher est un chef-d’œuvre, dont personne ne voudrait se priver, même au prix d’une régularité absolue du bâtiment. Il se pourrait bien que les architectes du gothique tardif aient ressenti la règle de symétrie comme une contrainte que

La fantaisie et l’audace dans lesquelles les plans des maîtres gothiques se sont fourvoyés, est devenu un phénomène évident, depuis la construction des clochers de la cathédrale de Cologne (voir p. 68, 70, 71), lesquels ont été portés à la hauteur non négligeable de 156 mètres, certes longtemps après le début des travaux, mais selon les plans initiaux, soit vingt mètres de plus que la pyramide de Khéops. Les architectes français se sont comportés de même pour ce qui concerne la cathédrale de Rouen (voir p. 44, 45), dont le lanterneau atteint la hauteur considérable de 151 mètres. Plus haut encore visait Matthias Böblinger, architecte de la cathédrale d’Ulm, qui, avec 161 mètres envisageait de monter le plus haut clocher jamais construit. L’exemple du clocher de Strasbourg, haut de plus de 142 mètres, montre à quel point les architectes des débuts du gothique auraient pu atteindre les résultats de leurs

15. Sainte-Chapelle (ancienne chapelle royale), Paris (France), 1241/1244-1248. In situ. 16. Chapelle haute, Sainte-Chapelle (ancienne chapelle royale), Paris (France), 1241/1244-1248. In situ.

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successeurs, s’ils avaient bénéficié des mêmes moyens techniques et financiers. Juste après le clocher de Strasbourg, sont à signaler, parmi les constructions précoces, les clochers du Stephansdom de Vienne (voir p. 69), et celui de la cathédrale de Fribourg (voir p. 73), avec respectivement 137 et 125 mètres de hauteur. Les clochers surplombant les façades ouest ont rarement atteint des sommets de raffinement artistique à la hauteur de l’ensemble, car la façade ouest en elle-même a toujours constitué la partie la plus remarquable de l’ensemble du bâtiment. C’est sur la façade ouest que les artistes, quelle qu’ait pu être leur nationalité, se sont efforcés d’exprimer leur talent avec le plus de brio. La règle était que, sur l’une des façades qui étaient relevées de deux clochers, l’on devait insérer trois portes, qui correspondaient à la nef et à ses deux bas-côtés. Audessus de la porte centrale, toujours la plus richement agrémentée, s’élevait généralement un pignon, sensé caractériser la nef. Sa partie visible était toujours fortement décorée et, sur les églises anglaises et françaises, les décors redoublaient de raffinements architecturaux et plastiques, s’étalant sur toute la longueur de la façade ouest.

Les Monuments gothiques Avec les croisades, les échanges entre les peuples d’occident – notamment les échanges artistiques – n’ont cessé de s’amplifier. C’est de ce commerce mondial, bien plus que de ses seuls atouts architecturaux, que le gothique – et particulièrement son expansion – sont redevables. Les artistes et maîtres d’œuvre français ont semé les premières

graines en Angleterre et en Allemagne ; puis d’Allemagne, ces graines ont porté leurs fruits dans l’Europe de l’Est, du Nord et du Sud. Fréquemment bien sûr, les élèves ont dépassé leurs maîtres, mais il n’en demeure pas moins que le berceau du gothique se situe en France.

17. Erwin von Steinbach, Façade occidentale (détail), cathédrale Notre-Dame, Strasbourg (France), commencée en 1176. In situ. 18. Les Évangélistes, détail du Pilier de l’ange, cathédrale Notre-Dame, Strasbourg (France), vers 1225-1230. In situ.

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construites plus tard – tandis que la rosace fait ici son apparition pour la première fois. La partie supérieure du chœur et la nef datent, quant à eux, de la période courant entre les années 1231 et 1281. Tandis que l’église abbatiale de Saint-Denis – et d’autres bâtiments construits à la même époque – sont les représentants du premier stade, qu’on peut qualifier de stade préparatoire de ce nouveau style, Notre-Dame de Paris (voir p. 20, 21, 22, 23) et la cathédrale de Laon (voir p. 10) constituent une rupture définitive avec le roman.

L’Architecture gothique en France L’Église abbatiale de Saint-Denis Il faut remonter au XIe siècle pour découvrir le commencement des innovations ayant introduit les principes du gothique en France. C’est avec le chœur de la basilique de Saint-Denis (voir p. 18, 19), construit entre 1130 et 1140, dans les environs de Paris, par le politicien et abbé Suger, que ces innovations ont formé un système, puisque ce chœur contient tous les éléments du gothique, depuis les arcs en ogives, les systèmes de butée, jusqu’aux voûtes nervées. À ce titre, l’église de Saint-Denis fait office d’élément fondateur du gothique. La façade avec ses deux clochers, construite entre 1137 et 1140, la structure verticale en trois parties, montée sur des contreforts saillants, la petite rosace, ainsi que les clochers, montés à partir de 1144, portent singulièrement le gothique en eux. L’absence de mur de séparation entre les absidioles entretient un sentiment d’espace très harmonieux et très nouveau pour l’époque – précurseur de la profondeur des cathédrales qui seront

La Cathédrale Notre-Dame de Paris C’est en effet avec la construction de Notre-Dame de Paris (voir p. 20, 21, 22, 23), qui commence en 1163, que le gothique français fait montre, pour la première fois, d’un parfait achèvement. Jusqu’à la fin de sa construction, au XIIIe siècle, elle aura servi de modèle à la plupart des cathédrales françaises. C’est la façade qui présente les caractéristiques les plus marquantes, en ce qu’elle se dresse sur trois étages nettement séparés par des structures horizontales : au-dessus des portes, la galerie des rois (ainsi nommée parce que cette arcade est ornée de statues des rois d’Israël), et au-dessus du deuxième étage, une galerie ouverte. Cette forte accentuation de la ligne horizontale, qui contredit les principes fondateurs du gothique, ne se retrouve que dans le gothique français. Ceci explique, partiellement, la raison pour laquelle certains clochers sont en France demeurés inachevés, les maîtres d’œuvre n’ayant pas, pour de multiples raisons, réussi les finitions. Lorsque les artistes français eurent reconnu leur contradiction, l’élément intime du gothique, à savoir cette tendance à la verticalité, n’eut plus la possibilité de s’harmoniser avec une quelconque structure horizontale,

19. Plan de la cathédrale Notre-Dame, Strasbourg (France). 20. Nef centrale, vue intérieure vers l’est, cathédrale Notre-Dame, Strasbourg (France), commencée en 1176. In situ.

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héritage de l’époque romane. Parmi leurs œuvres, il en est encore beaucoup dont le charme artistique réside dans la riche structure des façades.

La Sainte-Chapelle à Paris La Sainte-Chapelle (voir p. 24, 25), située dans la cour du palais de justice, constitue certainement, avec ses vitraux incroyablement beaux et reflétant une lumière tellement particulière, la création du gothique français la plus riche et la plus aboutie, un véritable joyau de l’architecture gothique rayonnante. Si l’on considère sa luminosité parfaitement gracieuse et son étroitesse, alors la SainteChapelle peut servir de point d’étape vers le gothique classique. C’est afin de recevoir des reliques ramenées de Terre Sainte entre 1243 et 1251, que Saint Louis la fit construire, sous la forme de double chapelle, par Pierre de Montreuil, qui est aussi l’auteur de la façade ouest de la cathédrale Notre-Dame de Paris (voir p. 21). La chapelle était constituée d’une basse église à deux bas-côtés et d’une haute église sans bas-côtés. Son ossature n’est faite que de minces piliers, entre lesquels de sublimes vitraux ont remplacé les murs. L’espace supérieur, conçu comme une chasse monumentale destinée à recevoir les reliques, était en fait la chapelle royale, alors que l’espace inférieur accueillait le personnel du palais.

L’Église Saint-Germain l’Auxerrois à Paris Les règles les plus strictes furent aussi respectées pendant le gothique tardif, comme le montre l’église de Saint-Germain l’Auxerrois à Paris, dont le clocher ne fut pas relié à l’église, mais, selon le vieux modèle chrétien des campaniles, érigé indépendamment du bâtiment. C’est de ce campanile que fut

lancé l’appel à poursuivre et à massacrer les huguenots, la nuit de la Saint-Barthélémy, le 24 août 1572.

La Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg Alors qu’aucune information ne nous est parvenue au sujet du maître d’œuvre de la Sainte-Chapelle de la cathédrale de Fribourg, celui de la cathédrale de Strasbourg a laissé quelques traces à la postérité (voir p. 26, 27, 28, 29). Erwin von Steinbach fut reconnu, à vrai dire à tort, comme étant l’unique maître à l’origine de la création de la façade. Certes, il est fondé de dire qu’il a grandement participé à l’élaboration de l’œuvre ; quant au fait qu’il soit originaire de Steinbach, dans le Baden, cela ne repose sur aucun document. Bien qu’il soit héritier du gothique français, il a très largement dépassé ses maîtres à penser, aussi bien en ce qui concerne l’audace de l’architecture, qu’en ce qui concerne la somptuosité des ornements. Bien qu’enfin son fils, après sa mort, ait repris le flambeau et poursuivi, jusqu’en 1339, les plans paternels, la cathédrale ne fut bâtie en vertu de ses plans que jusqu’au deuxième étage. C’est pourquoi l’harmonie parfaite ne peut être ressentie que dans la partie basse de la façade, notamment entre les rosaces et les étages, travaillés très librement, comme un tissu rare. À partir du troisième étage donc, on a commencé à prendre avec le plan d’Erwin une certaine liberté, jusqu’à le laisser complètement de côté lorsqu’il s’est agi de construire le clocher. Celui-ci doit son érection à Johannes Hütz, maître à Cologne, qui a monté la flèche entre 1419 et 1439. Ce clocher est une œuvre en soi qui se suffit à elle-même, qu’il s’agisse de sa beauté ou de sa hauteur, laquelle a largement dépassé celle du clocher de Fribourg (voir p. 73). Depuis lors, la construction de la cathédrale de Strasbourg n’a consisté qu’à monter des étages ; personne n’a plus osé s’attaquer au clocher sud.

21. Abbaye du Mont-Saint-Michel, Mont-Saint-Michel (France), 1446-1500/1521. In situ.

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trouve au premier étage, le magnifique calvaire, de 25 mètres de long et 12 de large se trouve au deuxième étage. Tous deux, comme le réfectoire et la salle des chevaliers, datent du XIIe siècle.

L’Abbaye du Mont Saint-Michel C’est dans la baie sablonneuse du Mont Saint-Michel en Normandie que s’élève, come un fortin, ce formidable cloître du même nom, à 160 mètres au-dessus de la mer (voir p. 30). Ce qui frappe particulièrement est l’harmonie totale de cette île avec l’environnement naturel qui l’entoure. À marée basse, l’île est même accessible à pied ! L’apparition en 709 de l’archange Michel à l’évêque d’Avranches serait à l’origine de la construction ; ledit évêque est certainement plus tard passé à la postérité comme saint Aubert. Une seule route, mène à l’abbaye, dont la construction commence sous l’emprise du roman, en 1022. Au fil des siècles, la construction a été constamment complétée avec des créneaux, des pinacles, des contreforts et un mur d’enceinte, jusqu’à ce que l’on érige le clocher, haut de 87 mètres. Au XIIIe siècle, les moines bâtirent l’aile nord, appelée la « Merveille », reposant sur 220 colonnes de granit, ornées de sculptures et d’inscriptions gothiques. Le dortoir se

La Cathédrale Notre-Dame d’Amiens Les cathédrales de Reims (voir p. 40, 41, 42-43) et d’Amiens représentent le sommet du gothique français, aussi bien pour la technique de construction que pour l’ornementation. Elles ont certainement atteint et dépassé toutes les capacités d’imagination des hommes de l’époque ; la cathédrale d’Amiens (voir p. 32, 33) dispose même de la plus grande nef de France. Robert de Luzarches fut le premier architecte de ce chef-d’œuvre, comme le stipule son nom inscrit en médaillon dans le labyrinthe réalisé en 1288. On ne sait toutefois pas pendant combien de temps il a pris part à la construction, mais on lui doit l’ensemble des techniques essentielles et des innovations, tant techniques que stylistiques, comme par exemple la disposition d’armatures de fer dans les murs, ou la fabrication en série des décors. Si la grosse part du bâtiment fut terminée au XIIIe siècle, son achèvement définitif s’étend jusqu’au XIXe siècle, lorsque fut terminée la tour sud, sous la direction de Viollet-le-Duc.

La Cathédrale Notre-Dame de Chartres Il s’agit d’un des plus beaux monuments du gothique français, avec une longueur de 130 mètres, des croisées

22. Plan de la cathédrale Notre-Dame, Amiens (France). 23. Façade occidentale, cathédrale Notre-Dame, Amiens (France), vers 1240-1245. In situ. 24. Nef centrale, vue intérieure vers l’est, cathédrale Notre-Dame, Chartres (France), 1194-1233. In situ. 25. Chœur, cathédrale Saint-Pierre, Beauvais (France), commencée en 1225 et rénovée en 1284 et en 1573 après son effondrement. In situ.

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d’ogives de 37 mètres, un clocher du XIIe de 105 mètres et un autre, datant du XVIe siècle, de 115 mètres de hauteur (voir p. 34, 36, 37, 38, 39). Grâce aux nouvelles techniques de construction, qui exonèrent les murs de leur fonction portative, ceux-ci peuvent être construits avec moins d’épaisseur et être interrompus par des vitraux, dans le fameux bleu de Chartres, ou par des rosaces. Comme l’on a renoncé à la galerie du deuxième étage mais que l’on a conservé le triforium, un troisième étage fut monté, doté d’une architecture simplifiée. Avant l’érection de la cathédrale, on dénombrait pas moins de cinq églises situées sur ce même lieu. Toutes ont sombré dans les flammes. La cathédrale, commencée en 1194 sur les fondations d’une basilique romane et terminée vers 1233, devint la plus ancienne des constructions religieuses de la ville mais aussi, à bien des égards, la plus austère. Elle ne fut consacrée qu’en 1260, en présence de Saint Louis. Elle a dépassé les cathédrales de Reims (voir p. 40, 41, 42-43) et d’Amiens (voir p. 32, 33) en ceci que ses clochers, bien qu’irréguliers, ont été terminés très tôt. Elle constitue le premier exemple du gothique classique. C’est également ici que, pour la première fois, on a remplacé des fresques par des vitraux, ce qui constitue un trait caractéristique du gothique.

La Cathédrale Notre-Dame de Reims Commencée par Robert de Coucy en 1211 et terminée en 1250, la cathédrale de Reims est une des créations les plus réussies de l’art gothique, ainsi que la plus stupéfiante affirmation de l’austérité du protogothique (voir p. 40, 41, 42-43). Commencée en 1210 sur les ruines d’une église

victime un an auparavant d’un incendie, elle devait, bien sûr, être plus belle que la cathédrale de Chartres (voir p. 34, 36, 37, 38, 39). C’est ici que les rois français, seraient, à grand renfort de magnificence, couronnés et bénis. Au XIVe siècle, la cathédrale connaît sa dernière finition. Le caractère le plus marquant de la cathédrale est certainement sa façade ouest, ornée de reliefs, superbes exemples de sculpture gothique. Les deux clochers de 81 mètres devaient à l’origine être relevés de flèches, ce qui les portait à 120 mètres.

La Cathédrale Notre-Dame de Rouen Le type de cathédrale construit à Paris s’est peu à peu imposé dans le Nord et le Sud de la France, en Normandie et dans le Languedoc, avec bien-sûr la prise en compte d’éléments locaux. Dans l’ancienne capitale normande, qui a vu naître plusieurs personnalités historiques, la cathédrale, construite sur les fondations d’une cathédrale romane, a vu le jour sous

26. Trois Rois et une reine de l’Ancien Testament, piedroits du portail ouest, dit Portail Royal, cathédrale Notre-Dame, Chartres (France), vers 1194-vers 1233. In situ. 27. Plan de la cathédrale Notre-Dame, Chartres (France).

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La Cathédrale Sainte-Cécile d’Albi De l’extérieur, la cathédrale d’Albi, que l’on peut voir de loin du fait de sa localisation sur les hauteurs de la ville, ressemble plutôt à une fortification, et nous remémore volontiers les fortins romains. Commencée en 1282, elle est achevée au XVIe siècle, mais elle fait déjà montre de toutes les caractéristiques du gothique tardif français, qu’il s’agisse des décors de la porte ou de son intérieur. Elle est typique du sud de la France, et de ce qu’on appelle les églises-halles. Du fait du commencement des travaux pendant l’Inquisition, qui a semé la mort et la torture, elle détient le surnom de cathédrale de la haine. Les principes gothiques de construction y ont été complètement négligés ; la débauche d’ornements, particulièrement dans les échancrures de la tracerie, du fait des ressemblances avec des flammes vacillantes, ont valu au gothique tardif français le nom de style flamboyant.

la conduite de plusieurs architectes qui ont œuvré à partir de 1145 (voir p. 44, 45). Les dimensions sont assez impressionnantes : 144 mètres de long, 82 mètres de haut pour la tour Saint-Romain, 75 mètres pour la tour Beurre et 51 pour la tour Lanterne.

Le Palais des Papes à Avignon Des septs papes qui ont résidé à Avignon, seuls quatre (Clément V, Benoit XII, Clément VI, Urbain V) s’en sont tenus aux règles strictes de leur Ordre. Les autres (Jean XXII, Innocent VI et Grégoire XI) ont mené une vie très laïque. Clément VI, qui aimait particulièrement le luxe, réussit à vendre la ville pour 80 000 florins d’or à Jeanne des Beaux, comtesse de Provence et reine de Naples, alors accusée d’avoir tué son époux. De cette transaction, la comtesse obtint la bénédiction papale et fut lavée de toute culpabilité. Jusqu’à cette date, le Palais des Papes était demeuré identique à ce qu’il était lorsqu’il n’abritait que des évêques : une sorte de fortification qui surplombe Avignon.

28. Couronnement de la Vierge, portail central, transept nord, cathédrale Notre-Dame, Chartres (France), vers 1194-vers 1233. In situ. 29. Façade occidentale, cathédrale Notre-Dame, Chartres (France), 1194-vers 1233. In situ.

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Lors de l’élection du pape Jean XXII en 1316, celui-ci commença l’élargissement du site, qui fut terminé avec le Palais Vieux, réalisé sous Benoît XII et avec le Palais Nouveau, que l’on doit au Pontificat de Clément VI, qui avait un goût prononcé pour les belles choses (voir p. 46-47). Au terme de l’ensemble de ces chantiers, ce haut lieu gothique s’étend sur une surface de plus de quinze mille mètres carrés.

L’Architecture gothique en Angleterre La Cathédrale de Canterbury La finesse du gothique primaire a laissé en Angleterre une marque indélébile, et lorsqu’en 1174 l’église principale de Canterbury sombre dans les flammes, c’est à Guillaume de Sens que l’on fait appel pour la reconstruire (voir p. 48, 49). La partie est est la première œuvre de style gothique français. Comme l’on ne put se décider à suivre totalement cette direction, l’on se contenta d’abord d’adapter les formes et les méthodes gothiques à des plans de constructions typiquement romans, ou d’adapter des formes romanes à l’esprit gothique. Les Anglais étaient particulièrement sensibles aux ornements extérieurs, tant et si bien que l’essentiel, à savoir les dispositions constructives, demeurait en second lieu. C’est ici qu’il convient de chercher les éléments qui ont permis au gothique anglais de suivre cette voie si particulière. Les dispositions constructives de tradition romane-normande furent pour l’essentiel conservées, tandis que les formes gothiques furent utilisées à titre d’ornement. Unité, contexte et dynamique entre construction et décoration, font ainsi défaut au Early English. La ligne horizontale domine, contrairement à l’esprit gothique. Des piliers libres remplacent les piliers ronds, les ogives sont extrêmement étroites, les lancettes, les voûtes, permettent l’introduction des liernes, puis des voûtes en étoile.

En ce qui concerne les décors, les motifs étroits et fins seront utilisés à l’envi, souvent exagérément. Ce style s’est toutefois répandu extrêmement vite, preuve qu’il correspondait exactement aux attentes des habitants. Mais cela a aussi entraîné une certaine uniformité des bâtiments, qui contraste avec ce qui s’est produit en France. La cathédrale de Canterbury est un exemple parfait de cette époque marquée par le style perpendiculaire.

30. Façade occidentale, cathédrale Notre-Dame, Reims (France), 1211-1250. In situ. 31. Plan de la cathédrale Notre-Dame, Reims (France).

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L’Abbaye de Westminster Cette abbaye est le dernier travail de Guillaume de Sens à Londres (voir p. 50, 51). Lorsqu’il débuta en 1245, la pratique du gothique anglais était déjà bien établie et ses caractéristiques résidaient dans le chœur, qui était droit en son fond et dépourvu de chapelles absidiales, mais qui trouvait souvent sa continuation avec la Lady Chapel, de forme rectangulaire. Au-dessus de la croisée du transept se trouvait une imposante tour carrée, là où les Français avaient l’habitude d’ériger la tourelle du transept. La composition entre tendances verticales et horizontales est typique, et se manifeste bien avec la croisée de transept. Typique est également la forme des voûtes, qui ont fini par se décliner sous diverses formes très poussées (nervées, en étoile, ou en éventail, avec une clé de voûte suspendue vers le bas).

La Cathédrale de Salisbury Située dans le comté de Wiltshire, à proximité des monuments mégalithiques d’Avebury et de Stonehenge, cette cathédrale peut être considérée comme la plus pure des créations Early English (voir p. 52, 53). Horizontalité et verticalité s’y trouvent mélangées avec harmonie, et les ornements gothiques sont utilisés sans aucun lien avec la structure, en tant que simples éléments décoratifs. Commencée en 1220 et terminée en 1258, la cathédrale possède le plus haut clocher d’Angleterre, qui atteint 123 mètres. Celui-ci a toutefois été construit plus tard, au début du XIVe siècle. Le maître d’œuvre ayant surestimé la résistance des fondations, celles-ci ont dû, ultérieurement, être renforcées.

32. Annonciation et Visitation, piedroits du portail central, façade occidentale, cathédrale Notre-Dame, Reims (France), commencée après 1211. In situ.

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La cathédrale de Salisbury a servi de modèle à nombre d’églises – Wells (voir p. 56, 57, 58, 59), York, Lincoln, Southwell, Beverley, Rochester, Peterborough, du moins pour ce qui concerne leurs parties les plus anciennes.

La Cathédrale de Lichfield Garnie de sculptures et prise entre deux hauts clochers, la façade de la cathédrale de Lichfield constitue, avec celle de York, un des plus beaux exemples du gothique anglais. Elles constituent en effet les plus importants modèles de ce style très riche et très ornementé, apparu au milieu du XIIIe siècle : le decorated style ou gothique curvilinéaire, qui a constitué, pendant encore un bon siècle, le courant dominant. Comme l’indique son nom, les éléments constructifs n’occupent qu’une place secondaire derrière les éléments décoratifs, lesquels occupent tous les éléments du bâti. La fantaisie des tailleurs de pierre et des artistes a eu libre cours, et le résultat en est particulièrement perceptible pour les œuvres de tracerie, dont les lignes offraient un mouvement glissant et oscillatoire. Pendant toute cette période du decorated style, qui court de 1250 à 1370, la fantaisie et la richesse de la décoration sont les caractéristiques essentielles des édifices religieux. La tracerie devient de plus en plus fine, et c’est à peine s’il demeure une fenêtre ou une paroi qui ne soit pas décorée, les arêtes des voûtes se couvrent d’ornements et se rejoignent, formant des voûtes en étoile, des voûtes nervées ou des voûtes d’ogives.

La Cathédrale d’Ely La ville d’Ely, entourée des hautes terres de Moorland, encore isolée de la terre ferme dans les temps anciens, est dominée par

33. Nef centrale, vue intérieure vers l’est, cathédrale Notre-Dame, Rouen (France), commencée en 1145. In situ. 34. Portail des libraires, cathédrale Notre-Dame, Rouen (France), commencée en 1145. In situ. 35. Cathédrale Notre-Dame-des-Doms et palais des Papes, Avignon (France), 1335-1352. In situ.

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grille. Autre élément caractéristique, les voûtes en éventail, et un peu plus tard, les lancettes, les accolades, et l’arc de Tudor, relativement plat, qui rendait possible l’ouverture de fenêtres extrêmement élargies, généralement sur la façade est. Les arcs en ogive furent emboîtés en champs rectangulaires.

l’imposante cathédrale qui se dresse dans le paysage (voir p. 55). Elle appartient au patrimoine du gothique curvilinéaire, dont elle est un joyau. Commencée en 1109, la cathédrale a été construite sur les ruines d’une abbaye détruite par les Normands et consacrée à sainte Etheldreda. Au XIIe siècle, la construction fut rattachée à un cloître de bénédictins. La nuit du 22 février 1322, le clocher s’effondra et fut remplacé, selon les plans d’Alan of Walsingham, par une tour unique en son genre, de forme octogonale, appelée « Couronne d’Ely ». Cette innovation, ainsi que la Lady Chapel rattachée à la partie nord du transept, avec ses baldaquins de fer, constituent le sommet du decorated style.

Les Cathédrales de Bristol et de Wells Les cathédrales de Bristol et de Wells constituent aussi des symboles du style anglais (voir p. 56, 57, 58, 59). À l’exubérance du decorated style, font suite, de 1350 à 1520, les formes strictement géométriques et verticales du style perpendiculaire. Ce style est typiquement anglais ; entretemps, dans le reste de l’Europe s’était développé le style flamboyant. Le style perpendiculaire tient son nom des meneaux verticaux (les montants) qui structurent de hautes et larges fenêtres sur les murs, donnant l’impression d’une

La Cathédrale de Gloucester La première fois que le style perpendiculaire fit son apparition, dans la première moitié du XIVe siècle, ce fut dans l’ancienne abbaye bénédictine de Gloucester (voir p. 60, 61). Lors de la reconstruction du chœur, furent montées des formes rectangulaires, typiques de ce style. La fenêtre est, garnie de généreuses traceries formant barreaudage, est la plus grande d’Angleterre. Typique également, la voûte en éventail du calvaire. Cependant, le chef-d’œuvre de cette époque est sans aucun doute la chapelle du King’s College à Cambridge, commencée en 1446.

La Cathédrale de Winchester Pour contrer ce mouvement qui plaçait la richesse des décors au premier plan et qui, en fin de compte, semblait peu correspondre à l’esprit anglais, une mouvance, porteuse de plus de modestie, se développa à partir du XIVe siècle et fut à l’origine de la construction de la cathédrale de Winchester. Pour la première fois, le style perpendiculaire – qui tient son nom des meneaux en forme de barreaudage, qui ont remplacé la tracerie, principalement au droit des fenêtres – eut l’occasion de connaître un plein accomplissement. Caractéristique est aussi l’utilisation de nouvelles formes d’arcs, les accolades ou bien les arcs plats, dits arcs de Tudor.

36. Plan de la cathédrale de Canterbury, Canterbury (Royaume-Uni). 37. Chœur, cathédrale de Canterbury, Canterbury (Royaume-Uni), 1174-1184. In situ.

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En dépit d’un retour à une formation plus droite des traceries, la richesse de la décoration interne ne fut nullement amoindrie : elle fut simplement circonscrite en certains espaces plus petits, aux salles du chapitre construit contre la cathédrale, aux cloîtres et aux plus petites chapelles. La chapelle Henry VII, adossée au chœur de l’abbaye de Westminster, constitue le bâtiment le plus mémorable de ce gothique tardif anglais. Construite à Londres entre 1502 et 1526, elle témoigne, par l’élévation des voûtes, du sommet que l’art décoratif gothique a atteint.

La Cathédrale Saint-Pierre à Exeter Comme cela est souvent le cas dans l’architecture moyenâgeuse, la magnifique cathédrale d’Exeter témoigne d’un mélange des styles, fruit d’un étalement des travaux sur de très nombreuses années (voir p. 63, 64). Tandis que les deux clochers typiquement normands datent du XIIe siècle, la façade ouest fut construite au XVe siècle sous l’emprise du style perpendiculaire. La cathédrale fut agrandie et transformée de 1270 à 1369 en un monument gothique, avec l’ajout d’une Lady Chapel et d’un presbytère à l’est. De l’époque normande, ne demeurent que les deux clochers de croisée de transept. Particulièrement digne d’intérêt, la façade ouest est décorée d’une fresque dans sa partie inférieure.

Les Bâtiments gothiques civils Il est aussi à noter l’érection d’un certain nombre de bâtiments profanes de pur gothique, du fait de la prospérité croissante des milieux bourgeois anglais. À titre d’exemple, on peut citer les universités d’Oxford et de Cambridge ou encore le Westminster Hall, construit de 1393 à 1399, par un maître d’œuvre dont l’histoire n’a pas retenu le nom, le

château de Winchester (1232-1240), dont il ne reste que la grande salle, et le Hampton Court Palace, commencé en 1510. À noter encore un certain nombre de châteaux et de manoirs, ainsi que la fameuse Tour de Londres, commencée dès 1078, mais de nombreuses fois agrandie et complétée, et qui fait partie depuis 1988 du patrimoine mondial de l’UNESCO.

L’Architecture gothique en Allemagne et en Autriche Au titre des plus anciens monuments gothiques allemands, les principaux sont le chœur de la cathédrale de Magdebourg (voir p. 66), dont la construction a commencé en 1208, la Liebfrauenkirche de Trèves, construite entre 1227 et 1243, ainsi que l’Elisabethkirche de Marbourg, érigée entre 1235 et 1283. Ces édifices religieux sont remarquables en ce qu’ils ne constituent nullement une imitation passive des innovations venues de France, mais qu’ils présentent bel et bien une adaptation toute personnalisée des formes étrangères. Ainsi

38. Nef centrale, vue intérieure vers l’ouest, église abbatiale de Westminster, Londres (Royaume-Uni), 1245-1259. In situ. 39. Plan de l’église abbatiale de Westminster, Londres (Royaume-Uni).

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40. Nef centrale, vue intérieure vers l’ouest, cathédrale de Salisbury, Salisbury (Royaume-Uni), 1220-1258. In situ. 41. Cathédrale de Salisbury, Salisbury (Royaume-Uni), 1220-1258. In situ.

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le chœur de la cathédrale de Magdebourg (voir p. 66), présente, en dépit d’un plan-masse très français, avec déambulatoire et chapelles rayonnantes, des traits tout à fait nationaux, appliqués dans les moindres détails, et qui sont devenus, au fur et à mesure que progressaient les travaux de la nef – consacrée en l’an 1363 – de plus en plus frappants. Il en va de même pour les deux tours, qui, terminées en 1520, sont porteuses de caractéristiques très allemandes. À l’opposé, le maître d’œuvre de la Liebfrauenkirche de Trèves s’en est tenu à des détails très imprégnés de tradition française, tandis qu’il élaborait un plan-masse aux caractéristiques uniques, constitué d’un bâtiment central entouré de chapelles rayonnantes. Tout aussi unique est l’Elisabethkirche, dont la conception, bien qu’étalée dans le temps, est le résultat d’un seul et même plan. Pour ce qui concerne l’aménagement intérieur, son concepteur s’en est tenu aux principes propres aux égliseshalles, telles qu’on les construisait en Westphalie, tandis que, pour la façade, il choisit de s’éloigner du modèle très français qui consistait à monter deux tours étroites et d’un seul tenant. Il avait déjà remarqué que la verticalité était un principe fondateur très fructueux du gothique. C’est toutefois dans les cathédrales rhénanes de Cologne (voir p. 68, 70, 71) et de Fribourg (voir p. 73) que le gothique allemand, qui ne s’est généralisé qu’au cours du XIVe siècle, a reçu ses lettres de noblesse. À leurs côtés, et sans démériter du point de vue de la qualité artistique, se trouvent les deux cathédrales des villes du Sud que sont Ulm et Ratisbonne, ainsi que celle de Vienne (voir p. 69). On notera que ces trois dernières villes sont construites le long du Danube.

La Cathédrale Saint-Pierre-et-Sainte-Marie de Cologne Aucun monument ne présente autant d’unité et de pureté gothique que la cathédrale de Cologne (see p. 68, 70, 71), en dépit d’une construction qui s’est étalée sur six siècles. Si le gothique a atteint, avec la flèche de la cathédrale de Strasbourg, les limites du possible permises par l’architecture, c’est avec la cathédrale de Cologne qu’il a atteint le sommet de son développement dans le respect des contraintes absolues et quasi normatives de cet art, et donc qu’il signe l’apogée du gothique allemand. En comparant les deux monuments, on note que la cathédrale de Cologne est beaucoup plus sobre, et que sa construction est plus l’œuvre de la rationalité que celle de la fantaisie. Il faut dire que les maîtres d’œuvre de la cathédrale de Cologne n’ont fait que tirer les conséquences ultimes des principes fondateurs du gothique ; et c’est ainsi que cette cathédrale se pose en modèle absolu du gothique. Toute la puissance du gothique y est renfermée, dans le seul but de mettre en valeur les derniers substrats encore dissimulés du gothique, et aussi de remplir l’idéal de pureté du gothique, à savoir le principe de verticalité. Les premières traces d’un édifice religieux à cet endroit remontent au Ve siècle, avec une abside de 40 mètres de long, qui fut rapidement remplacée par un nouvel édifice destiné à accueillir le tombeau des princes Francs. C’est en 1248, après l’incendie ayant détruit la cathédrale Hildebolde, que le chœur de l’édifice gothique, terminé en 1322, fut commencé sur les plans d’un certain Gerhard. La cathédrale, telle que nous la connaissons aujourd’hui, fut construite pour accueillir un nombre croissant de fidèles sur les fondations de l’ancienne qui avait été consacrée en 873. Avec ses quatre mille places assises, elle est, après celle d’Ulm, la deuxième plus grande cathédrale d’Allemagne et la troisième en comparaison

42. William Hurley, Tour octogonale de la croisée du transept, cathédrale d’Ely, Ely (Royaume-Uni), commencée en 1109. In situ.

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43. Façade occidentale, cathédrale de Wells, Wells (Royaume-Uni), commencée en 1180. In situ. 44. Salle capitulaire, vue intérieure vers le sud, cathédrale de Wells, Wells (Royaume-Uni), commencée en 1180. In situ.

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mondiale. Elle était destinée à recevoir les reliques des trois Rois mages, que l’Archevêque de Cologne avait ramenées de son séjour à Milan. Le premier maître d’œuvre, Gerhard, était très inspiré par le style français, notamment par celui de la cathédrale d’Amiens (voir p. 32, 33) et celui, très escarpé, de la cathédrale de Beauvais (voir p. 12, 35). Il périt cependant, dès 1260, d’une chute d’échafaudage. Ses successeurs, le maître Arnold, jusqu’en 1301, puis Johannes Gehrard, fils du défunt, ont joué un rôle important dans la poursuite du chantier et, bien qu’ayant ajouté un certain nombre de touches personnelles, après que le chœur fut terminé, ils n’ont en rien détérioré l’harmonie globale du bâti. Ils ont d’abord construit un chœur en cinq parties, puis en ont répercuté sur la nef les conséquences, c’est à dire en y créant quatre bas-côtés. Élevant l’agencement de l’église à son sommet de perfection, ils mirent la verticalité toujours plus en valeur, au fil de l’avancement des travaux, et ce, jusqu’à atteindre le sommet des tours jumelles de la façade ouest. C’est à partir du projet du fils Gehrard, datant du XIVe siècle, projet qui s’est conservé à travers les siècles, que les travaux, interrompus en 1515, ont pu reprendre, après trois siècles au cours desquels l’édifice ne manqua pas de subir certaines dégradations. Ernst-Friedrich Zwirner, à partir de 1842, puis Reinard Voigtel, à partir de 1861, ont procédé à des travaux de rénovation achevés en 1880, qui ont rendu toute son harmonie à ce « miracle de pierre ». La cathédrale avait à cette époque, déjà été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, qu’elle a rejoint en 1998.

La Cathédrale de Fribourg La plus vieille partie de cette cathédrale, le transept, est romane (voir p. 73). Les travaux d’inspiration gothique ont, eux, commencé dans le dernier quart du XIIe siècle, soit en même temps que ceux de la cathédrale de Strasbourg (voir p. 26, 27, 28, 29), et ont concerné la construction de la nef. La façade ouest de l’édifice débouche sur une tour, qui fut élevée en trois parties distinctes, bien qu’organiquement étroitement liées. Cette tour consiste en un bâtiment rectangulaire avec une halle magnifique en rez-de-chaussée, laquelle conduit sur un clocher octogonal, couronné d’une flèche de pierre s’élevant au sommet de cet art, bien qu’étant la première de ce type. Le chœur, commencé en 1354 et achevé seulement en 1514, est de même profondeur que la nef et débouche sur quatorze chapelles rayonnantes.

La Cathédrale de Ratisbonne Les deux cathédrales du Sud de l’Allemagne ont eu un destin identique à celui de leurs sœurs rhénanes. Aussi bien la

45. Nef centrale, vue intérieure vers l’est, cathédrale de Wells, Wells (Royaume-Uni), commencée en 1180. In situ. 46. Plan de la cathédrale de Wells, Wells (Royaume-Uni).

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47. Chœur, cathédrale de Gloucester (ancienne église abbatiale bénédictine), Gloucester (Royaume-Uni), vers 1337-1360. In situ. 48. Galerie du cloître, cathédrale de Gloucester (ancienne église abbatiale bénédictine), Gloucester (Royaume-Uni), 1360-1370. In situ.

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cathédrale de Ratisbonne que celle d’Ulm ont été parachevées au XIXe siècle, et ont de fait connu un achèvement de haute valeur artistique, qui est resté étranger à la cathédrale de Vienne. La cathédrale de Ratisbonne, dont les travaux se sont étalés de 1275 jusqu’au début du XVIe siècle, a ceci de particulier qu’elle repose sur une terrasse de trois mètres de hauteur qui l’entoure entièrement. Ce simple fait contribue à accroître considérablement l’impression de hauteur d’un édifice qui est déjà de trente mètres plus élevé que la cathédrale de Strasbourg (voir p. 29). Le maître d’œuvre a, lui aussi, cherché à se défaire de l’influence française, en se rapprochant des coutumes romanes locales. La construction définitive des tours, dont les flèches sont largement influencées par celles de la cathédrale de Cologne (voir p. 68, 70, 71), fut achevée entre 1859 et 1871 par l’architecte Ritter von Denziger.

La Cathédrale d’Ulm C’est un incroyable plaisir à l’ouvrage qui a incité les citoyens d’Ulm à entreprendre, un siècle après Ratisbonne, la construction de leur cathédrale, dont la nef à deux bas-côtés, construite par Ulrich von Ensingen, s’élève à 42 mètres de hauteur. La plus belle partie de l’édifice se devait néanmoins d’être la tour ouest, à l’érection de laquelle travaillait depuis 1480 un certain Matthias Böblinger, originaire d’Esslingen, dont un frère ou un parent, Hans Böblinger, s’affairait quant à lui à la construction de la tour et de la flèche de la Liebfrauenkirche d’Esslingen, un autre chef-d’œuvre gothique. Matthias Böblinger ne rencontra pas le succès escompté ; après dix années de travail, les murs furent ébranlés, et le maître dut s’enfuir devant l’insurrection populaire. Il fut remplacé par Burkhart Engelberger, originaire d’Augsburg,

qui réussit à renforcer les fondations de cette tour haute de 74 mètres, et ainsi à la sauver de l’effondrement. L’intérieur dut aussi être renforcé, par l’implantation d’une rangée de colonnes, dont l’effet immédiat fut de créer deux bas-côtés supplémentaires. Ce n’est qu’en 1890 que l’on s’attela à la tâche de terminer les tours, lesquelles, selon les plans de Böblinger qui avaient été conservés, devaient s’élever à 162 mètres. L’architecte August Beyer fut chargé de cette mission, contribuant ainsi à l’érection du plus haut clocher du monde, étant donné qu’il dépasse, de cinq mètres, les tours de la cathédrale de Cologne (voir p. 68, 70, 71).

Les Autres Édifices religieux allemands Bien qu’il ne manque pas d’édifices marquants en Saxe et en Thuringe, ceux-ci ne peuvent malheureusement pas rivaliser avec ceux que l’on trouve en Allemagne du Nord. À côté de la cathédrale de Ratisbonne, trois cathédrales sont d’une importance artistique significative : celle de Halberstadt, érigée entre 1239 et 1492, dont les tours, construites en premier, sont encore marquées par le roman, celle de Misnie (Meissen) et celle d’Erfurt. Ces deux dernières sont des églises-halles, dont le bâti, constitué d’une nef à deux bascôtés, correspond bien aux besoins de cette époque en terme d’espace, de largeur et de hauteur des édifices religieux, tendance qui a commencé à se manifester, en Westphalie, avec l’apogée du roman, et qui est restée dominante avec le gothique, comme l’attestent la cathédrale de Minden, la Wiesenkirche de Soest et la Lambertkirche de Münster. Ce besoin a dû être ressenti très profondément, tant les églises-halles se sont, à partir de la moitié du XIIIe siècle et aussi dans le Sud de l’Allemagne, très fortement multipliées.

49. Façade occidentale, cathédrale Saint-Pierre, Exeter (Royaume-Uni), transformée entre 1270 et 1369. In situ. 50. Nef centrale, vue intérieure vers l’ouest, cathédrale Saint-Pierre, Exeter (Royaume-Uni), transformée entre 1270 et 1369. In situ. 51. Vue intérieure vers l’est, chapelle du King’s College, Cambridge (Royaume-Uni), 1246-1515. In situ.

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alliant avec des ornements de terre cuite, jusqu’à atteindre un degré assez élevé de perfection ornementale, principalement pour ce qui concerne les pignons, qui pouvaient désormais arborer leurs rosaces décorées le long de façades qui n’en finissaient pas de s’élever vers le ciel.

Ainsi les trois églises principales de Nuremberg ont toutes été conçues comme des églises-halles. La cathédrale NotreDame (Frauenkirche) en est un bel exemple, avec sa façadepignon surélevée d’arcades impressionnantes, ou encore sa chapelle Saint-Michel, qui sort du frontispice qui surplombe le parvis. La Lorenzkirche, dont le frontispice ouest, pris entre les deux tours, est totalement d’inspiration française, ainsi que la Sebalduskirche, sont des créations de la plus haute qualité gothique, et présentent toutes les particularités du gothique, tel qu’il fut pensé à Nuremberg. La très décorative porte nord de la Sebalduskirche, spécialement caractéristique de l’art de Nuremberg du XVe siècle, en ce qu’elle a exploité la quasi-totalité des savoir-faire artisanaux, est un brillant témoignage de cette école gothique. Il en va de même de la fameuse porte de la mariée, finement décorée de tracerie, du non moins célèbre petit chœur, situé dans la cour du presbytère, derrière l’église, et monté en saillie sur un pilier, et enfin de la belle fontaine, construite entre 1383 et 1396, qui constitue une œuvre d’art de tout premier plan, par la valeur de son architecture et par la beauté des sculptures.

C’est dans les riches cités hanséatiques que l’on rencontre toutefois les monuments de brique, civils ou religieux, les plus accomplis, du fait de la richesse et de l’esprit très entreprenant de leurs habitants. Les Marienkirche de Lübeck et de Gdan’ sk (autrefois Dantzig) dépassent de très loin les autres, en taille et en beauté. Les édifices religieux que l’on rencontre dans la Marche de Brandebourg n’ont toutefois rien à leur envier. Ici en effet, la construction de brique a également atteint un degré élevé de qualité, comme on peut le constater en observant le majestueux cloître de Chorin ou encore la Katharinenkirche, dans l’ancien évêché de Brandebourg : pour ces deux édifices, l’émulation entre une architecture de brique et une sculpture tout en raffinement de la pierre de taille a parfaitement fonctionné.

On a construit des églises-halles un peu partout où l’on disposait de brique. Dans la mesure où l’on devait parfois faire l’impasse sur la somptuosité des décors, voulait-on du moins briller par la taille, la monumentalité, l’imposante masse des murs, ce dont la cathédrale Notre-Dame de Munich, construite entre 1468 et 1488, constitue l’un des exemples les plus impressionnants. Toutefois, dans le Nord et l’Est de l’Allemagne, où les constructions de brique faisaient depuis longtemps partie du patrimoine local, on n’est pas parvenu à se contenter de l’absence, inhérente à ces constructions, de décorum sur les façades. Aussi les artistes se sont-ils mis à imiter le décor principal de l’art gothique, à savoir la tracerie, en disposant les briques d’une manière particulière, et en les

La Cathédrale Saint-Étienne de Vienne Cet édifice, commencé en 1339, présente, au moins pour ce qui concerne le chœur, des caractéristiques très allemandes (voir p. 69). Comme les bas-côtés de la nef sont à peine moins hauts, mais quasiment aussi larges que le reste de celle-ci, nous sommes très près du modèle des églises-halles, qui depuis le XIVe siècle s’est également implanté dans le sud des territoires allemands, et a persisté, au XVe siècle, à servir de modèle favori. Le fait que les tours n’ont pas été élevées sur la façade ouest, mais bien sur les façades nord et sud, là où se situe normalement le transept – dont elle est dépourvue – est une des particularités essentielles de elle

52. Chœur, cathédrale Sainte-Catherine-et-Saint-Maurice, Magdebourg (Allemagne), commencée en 1208. In situ.

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souvent en trois parties, et qui avaient une valeur purement décorative. Ces effets ont également été appliqués aux tours, situées soit aux portes de la ville, soit autre part sur le mur d’enceinte. Les vieilles villes de la Marche de Brandebourg, que sont Brandebourg elle-même, Tangermünde, pour son hôtel de ville, et Stendal, pour sa porte Ünglinger, sont riches d’exemples. Les hôtels de ville sont les monuments gothiques profanes les plus marquants, car, parmi ces maisons qui ont été construites en gothique, relativement peu d’entre elles ont conservé ces apparats, et ce, dans les régions de brique plus encore que dans les régions de pierre.

Saint-Étienne Malheureusement, seule la tour sud, haute de 137 mètres, a été achevée, et ce par maître Wenzel, en l’an 1433. Cette hauteur place la cathdrale à la quatrième place des tours les plus hautes situées en territoire de langue allemande. Lorsqu’on la regarde, elle donne l’impression d’une pyramide, ce qui en accroît l’originalité.

Les Bâtiments profanes : les hôtels de ville Les effets artistiques reconnus à la brique ont été appliqués aux bâtiments profanes, notamment aux hôtels de ville, dont les façades furent ornementées de pignons très hauts,

53. Plan de la cathédrale Saint-Pierre-et-Sainte-Marie, Cologne (Allemagne). 54. Cathédrale Saint-Étienne, Vienne (Autriche), commencée en 1139. In situ.

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La vieille cité hanséatique de Lunebourg, qui fut prospère du fait de l’obtention du monopole sur le sel, présente le très intéressant exemple, qu’elle partage avec certaines villes de Poméranie et du Brandebourg, d’avoir, sans exception, érigé des maisons surmontées d’un très haut pignon en escalier, lequel donnait à la rue un aspect très étroit et une allure particulière. Cette forme de pignon est typique des maisons gothiques allemandes et hollandaises, et a même survécu à la Renaissance. À la fin du Moyen Âge gothique, la construction bourgeoise a mis les artisans sur la voie de la formation artistique, phénomène qui cependant n’a atteint sa maturité qu’à partir de la Renaissance, et tout particulièrement dans les vieilles villes saxonnes, comme Brunswick, Halberstadt, Hanovre ou Hildesheim. La façon dont ces maisons à pignons de brique tendaient à se distinguer les unes des autres, est formidable, et contraste avec ce que l’on peut rencontrer aujourd’hui dans l’architecture contemporaine, où les maisons, alignées, se ressemblent toutes. Cette tendance à la diversité des formes a aussi concerné les régions où l’on construisait en pierre, régions dans lesquelles un style fut particulièrement apprécié, qui n’est pas sans rappeler celui des fortifications.

À cet égard, on peut citer, au titre des plus belles maisons gothiques très bien conservées, la Nassauer Haus, à Nuremberg, qui ressemble plus à une tour fortifiée qu’à une maison, ainsi que la Steinerne Haus, à Francfort. Parmi les plus splendides mairies de brique d’Allemagne du Nord, on citera, à côté de celles du Brandebourg, celles de Lübeck et de Stralsund, qui allient une forte contenance artistique avec une immensité des espaces. La bourgeoisie cherchait alors, dans le faste de l’ameublement et la majesté de l’architecture, à marquer publiquement l’étendue de son pouvoir, acquis par l’argent. Les bourgeois ne se sentaient visiblement pas encore suffisamment en confiance pour exprimer cette richesse dans leurs maisons d’habitation personnelles. Cette fierté bourgeoise était si grande au XIVe siècle, que même dans la plus petite des villes l’on ne manquait pas d’ériger une mairie gigantesque, symbole des droits acquis et de l’autonomie de son statut. Bien que la majorité de ces mairies aient été reconstruites et réaménagées dans un style nouveau, tout au long du XVIe siècle, à moins qu’elles ne fussent simplement remplacées par de nouveaux édifices, nous ne sommes pas en reste de témoignages de cette époque, qui a vu fleurir la prospérité et le renforcement des villes. L’hôtel de ville de Munster, un monument à pignon très haut, maintes fois imité, et celui de Brunswick, dont les deux ailes se rencontrent en angle droit, et dont les deux halles voûtées s’ouvrent sur la place du marché, sont les témoins de la valeur artistique et de la splendeur atteintes par les bâtiments profanes allemands du XIVe siècle.

Un autre domaine de l’architecture bourgeoise concerne les tours et les fortifications des villes, dont la fonction de défense fut, avec le temps, complétée d’une fonction décorative. Une fois encore, les régions de brique prirent les

55. Chœur, cathédrale Saint-Pierre-et-Sainte-Marie, Cologne (Allemagne), commencée en 1248. In situ. 56. Cathédrale Saint-Pierre-et-Sainte-Marie, Cologne (Allemagne), commencée en 1248. In situ. 57. Façade occidentale, église Saint-Laurent, Nuremberg (Allemagne), 1353-1362 (partie centrale), 1383 (achèvement des tours). In situ.

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devants, en érigeant des fortifications qui alliaient habilement une force monumentale sans détour avec une finesse du détail. La Holstentor de Lübeck, construite en 1477, avec l’aspect d’une porte de citadelle, ainsi que les portes de la ville de Neubrandebourg, constituent les emblèmes artistiques les plus significatifs, à côté des tours et des portes des villes de l’autrefois prospère Brandebourg. Dans d’autres régions, où, dans certains cas, l’on parlait autrefois l’allemand, il ne manque pas d’exemples de portes et de murailles, qui ont artistiquement marqué leur époque : la Svalentor à Bâle, l’Escheneimer Tor à Francfort, ainsi que la tour-pont de la vieille ville de Prague, qui constitue l’une des dernières traces des magnifiques constructions entreprises dans cette ville, sous le règne de Charles IV.

À partir du milieu du XIVe siècle, les citadelles et les châteaux commencent à perdre l’essentiel de leur signification défensive, acquise au début du Moyen Âge, et servent plutôt de demeures pour les familles régnantes. Si, dans leur apparence extérieure, ils ne renient pas cette fonction défensive, l’agencement intérieur et l’ameublement ont su tirer parti des gigantesques salles telles que le gothique savait les penser. C’est ce qu’a compris, mieux que quiconque, maître Arnold de Westphalie, lors des travaux du Albrechtsburg à Misnie. Pour ce qui est du faste de l’agencement, il fut toutefois dépassé par les maîtres d’œuvre de l’Ordre des chevaliers teutoniques, lesquels, entre 1309 et 1457, ont réalisé à Marienbourg (aujourd’hui Malbork), siège du grand maître

58. Cathédrale de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne), commencée en 1182. In situ. 59. Baptistère, cathédrale et campanile, Pise (Italie), baptistère commencé en 1153, cathédrale en 1063 et campanile en 1173. In situ. 60. Campanile, dit « Tour de Pise », Pise (Italie), 1173-1370. In situ.

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de cet ordre, la plus belle des œuvres que l’art profane de tout le Moyen Âge allemand est en mesure d’offrir. Avec la montée en puissance de l’Ordre, créé à l’occasion de la troisième croisade (1189-1192), on rattacha au haut château le château moyen, qui abrite, en sus de la demeure du grand maître, la grande salle de réunion de l’Ordre des chevaliers, la célèbre Remter, un chef-d’œuvre de voûtes incomparable. Le château n’a cessé de se dégrader au fil du temps et dut plusieurs fois être reconstruit, mais ce sont les destructions occasionnées pendant la seconde guerre mondiale, qui ont été les plus violentes.

L’Architecture gothique en Italie Le gothique a connu un remaniement fondamental à l’occasion de sa traversée des Alpes, d’Allemagne jusqu’en Italie. Les constructeurs italiens ont purement et simplement ignoré cette tendance à la verticalité et à la hauteur, poussée à l’extrême par les Allemands, au moyen des systèmes de culée, et constitutive du caractère essentiel de l’architecture gothique. On peut supposer que l’architecture pluriséculaire italienne disposait de racines trop profondes, pour pouvoir être ainsi révolutionnée. Les Italiens ont commencé par marquer leur attachement au système de voûtes roman. La seule chose à être reprise fut la manifestation extérieure de la modernité gothique. On ne peut, de fait, parler d’un système gothique au sens strict, pour ce qui concerne l’Italie. Le sentiment italien, habitué aux espaces vastes sans être trop hauts, et d’une manière générale, à la structure plutôt horizontale des bâtiments, reçut avec froideur ces voûtes qui cherchaient à atteindre le ciel, et se prononça catégoriquement

61. Chevet, cathédrale Santa Maria Nascente, Milan (Italie), commencée en 1386. In situ.

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contre ces tours d’une hauteur infinie, que les Allemands avaient érigées en sommet de leur esthétique. Mais l’intérêt des Italiens pour tout ce que le gothique compte de décorum et de raffinement, n’en fut que multiplié. C’est avec une ardeur enfantine que ceux-ci laissèrent aller, en toute liberté, leur fantaisie, attisée par cette multiplicité, cette finesse, cette variété infinies des possibilités offertes de décorer et d’embellir un édifice. C’est ainsi qu’ont été réalisées les magnifiques créations que sont la façade de la cathédrale de Sienne (voir p. 79) et celle, imitation simplifiée de la précédente, d’Orvieto. Le plus vieil édifice gothique en Italie est l’église SaintFrançois, à Assise (voir p. 80-81), construite entre 1228 et 1253, dans laquelle est conservée la dépouille d’un des saints les plus appréciés des Italiens, et qui se présente sous la forme d’une double église, constituée d’une basilique supérieure et, un étage en dessous, d’une basilique inférieure. Cet édifice, en forme de croix, est l’œuvre du maître Jacques, qui a été fortement influencé par l’architecture française pratiquée en Bourgogne et en Aquitaine. On ressent très fort, dans cet édifice, comment les influences italiennes ont été intégrées : une nef sans bas-côtés, pensée horizontalement, très large, aux murs recouverts de fresques. Le cloître voisin, nommé Sacro Convento, est inséparable du mausolée, dont l’initiative de la construction revient au pape Grégoire IX en personne, qui a, le 17 juillet 1228, posé la première pierre. Les fresques ont été commencées dans les deux basiliques, inférieures et supérieures, en 1300, par Giotto et Cimabue, avant d’être refaites, suite à un tremblement de terre qui les a fortement détériorées. L’église abrite de nombreux chefs-d’œuvre et notamment l’autel, réalisé par Girolamo Romanino en 1515. Cette ardeur à pousser jusqu’à l’exubérance les décors plastiques, a tellement pris la première place, que, même dans l’édifice gothique italien le plus

apparenté au style allemand, à savoir la cathédrale de Milan (voir p. 76-77), le bâti tend presque complètement à disparaître, étouffé qu’il est sous une forêt de statues. Le gothique fut indéniablement porté par les franciscains et les dominicains, deux ordres qui faisaient alors leur apparition. Ce sont eux qui l’implantèrent à Venise, où l’on peut découvrir la somptueuse église Santa Maria Gloriosa dei Frari, bâtie par les franciscains entre 1250 et 1338, et la non moins somptueuse église San Giovanni e Paolo, construite par les dominicains. Ces deux églises servirent de modèles à toutes celles qui ont ultérieurement été construites dans la région de Venise. Le nouveau style avait cependant déjà pris pied à Florence. L’église abbatiale d’Arezzo et la magnifique Santa Maria Novella, toutes deux commencées en 1278, étaient déjà gothiques. Et c’est aussi ici que la plus magnifique des maisons de Dieu devait voir le jour, plus belle et plus grande que toutes celles de Toscane. L’année 1294 voit le commencement des travaux de l’église abbatiale San Reparata, un bâtiment hors du commun, sous la direction du maître Arnolfo di Cambio. Il s’agit d’une basilique, composée d’une nef à deux bas-côtés, de forme gothique, mais sans voûte et avec des combles apparents. Le chœur et le transept se rejoignent en un espace octogonal, assorti d’une coupole, qui forme, sur trois de ses côtés, de petites niches en forme de demi-octogone. L’abbaye est entièrement décorée de marbre de couleur. Après la mort d’Arnolfo di Cambio, c’est Giotto, alors considéré comme le plus grand artiste de son époque, qui a continué le chef-d’œuvre. C’est à lui que l’on doit le magnifique clocher, construit séparément, dans un style très sobre, et dont les murs ne sont entrecoupés que de petites fenêtres, mais décorés d’un marbre de très haute qualité. Deux années après avoir commencé son travail,

62. Giovanni Pisano, Façade occidentale, Duomo, Sienne (Italie), 1284-1299, achevée après 1357. In situ.

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Giotto décéda, et c’est Brunelleschi qui termina la coupole de 1421 à 1434. À Rome, capitale de l’Antiquité classique, le gothique a eu du mal à s’implanter, c’est la raison pour laquelle un seul et unique édifice témoigne de ce style, l’église Santa Maria sopra Minerva, commencée en 1280. Le plus bel héritage du gothique italien est certainement le frontispice de la cathédrale de Sienne, ville devenue prospère au cours du XIIIe siècle grâce au commerce, et qui voulait en témoigner au monde entier par la reconstruction de sa cathédrale. Sur des plans de Giovanni Pisano, dont il assura lui-même et pour partie la mise en œuvre, le frontispice fut commencé en 1284, mais achevé longtemps après sa mort, en 1380. C’est une association de marbres blanc, noir et rouge qui fut utilisée, aussi bien pour l’intérieur que pour l’extérieur de la cathédrale, ce qui donne l’impression d’un édifice rayé horizontalement. Il est également nécessaire de mentionner la cathédrale d’Orvieto, en Ombrie, commencée en 1310 par le maître Lorenzo Maitani, et qui, du fait de ses lignes abruptes, se rapproche beaucoup du gothique allemand. La décoration intérieure est faite, quant à elle, de mosaïque peinte.

La Cathédrale Santa Maria Nascente à Milan C’est en Lombardie, dans un contexte où l’on cherchait à se protéger du gothique, qui avait, de fait, de la peine à s’imposer, que fut construite, dans des délais très longs, la cathédrale de Milan, commencée en 1386 (voir p. 76-77).

63. Basilique Saint-François, Assise (Italie), 1228-1253. In situ.

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Giotto et Brunelleschi. À Giotto, l’on doit l’esquisse du magnifique clocher construit en un vieux style très italien, et dont la beauté de la structure, comme celle des décors, dépasse celle de l’église elle-même. Ce qu’il faut retenir de la cathédrale en est la coupole, construite par Brunelleschi, laquelle évoque déjà une certaine modernité qui inaugura la Renaissance qui a suivi.

Tout porte à croire que cet édifice, la quatrième des plus grandes cathédrales à quatre bas-côtés, a été conçu par des Allemands, sur commande de Gian Galeazzo Visconti, qui cherchait, par ce somptueux monument, à affirmer son pouvoir et sa puissance. En 1391, on fit appel au très célèbre architecte Heinrich von Gmünd, le plus ancien de la famille des Parler. Si la jalousie des maîtres italiens ne lui permit pas de demeurer en Lombardie très longtemps, d’autres architectes allemands ont assuré la suite de la construction. Toutefois, les Italiens eurent quand même leur mot à dire pour l’érection de cet édifice, et ce, lorsque Napoléon I, au début du XIXe siècle, ordonna de terminer la façade en vertu d’un projet très baroque, contenant près de quatre mille statues.

Les Églises gothiques de Florence et de Venise Les églises florentines Santa Maria Novella et Santa Croce ainsi que la cathédrale Santa Maria del Fiore (voir p. 83) sont, quant à elles, de style parfaitement italien. L’église Santa Croce, d’une sobriété absolue, est l’œuvre d’Arnolfo di Cambio, lequel a aussi esquissé les plans de la cathédrale Santa Maria del Fiore, bien que celle-ci fût poursuivie par

C’est à Venise que le gothique a le caractère le plus particulier, ce que l’on doit certainement à l’esprit de sa population. À Venise, les monuments profanes, comme les édifices sacrés (parmi lesquels on note l’église franciscaine Santa Maria dei Frari), sont tous significatifs. De son côté, le Palais des Doges (voir p. 84), siège du gouvernement de Venise, commencé au début du XIVe siècle et achevé au milieu du XVe siècle, offre une véritable sensation de monumentalité, sans que le sens très vénitien pour le décor ait à en souffrir. Les deux halles ouvertes, qui se déploient le long des deux façades, sont devenues un motif vénitien typique qui se retrouve, sous différentes variations, dans nombre de palais privés construits au XVe siècle, particulièrement ceux dont la façade est tournée sur le grand canal. C’est au Palazzo Foscari et à la célèbre Ca’ d’Oro – qui doit son nom aux dorures de sa façade et dont les étages sont percés d’arcs-boutants à l’air libre – que la plus grande richesse, et la plus élégante des grâces dans l’utilisation des décorations gothiques, ont été conjointement déployées.

Les Bâtiments profanes : les palais Les monuments profanes italiens ayant échappé à l’empreinte gothique reflètent l’esprit militaire de leur époque guerrière et incertaine. Ceci vaut particulièrement à Florence pour le Palazzo Vecchio (1299-1314), siège de la

64. Plan de l'église supérieure Saint-François, basilique Saint-François, Assise (Italie). 65. Cathédrale Santa Maria del Fiore et campanile, Florence (Italie), commencés à la fin du XIIIe siècle. In situ.

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66. Palais des Doges, Venise (Italie), 1340-1365. In situ. 67. Il Campo, Palazzo Pubblico et Torre del Mangia, Sienne (Italie), Il Campo commencé après 1280, Palazzo Pubblico : 1288-1310 et Torre del Mangia : 1325-1348. In situ.

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Signoria, pour le Palazzo del Bargello (1255-1261) siège du chef de la police, et à Sienne, pour le Palazzo Pubblico (1288-1310), qui ressemble très fortement à une forteresse. Contre cette tendance, la plus vieille partie de l’Ospedale Maggiore de Milan, construite de 1456 à 1465 par l’architecte et sculpteur Antonio Filarete (de son vrai nom Antonio di Pietro Avertino), l’un des plus jolis édifices gothiques de brique jamais construit en Italie, rivalise de beauté avec les édifices vénitiens, et les dépasse même complètement, d’un point de vue artistique. Le recours aux ogives ainsi qu’à une certaine tracerie, faite d’arcs très cintrés et de demi-cercles entrecroisés, à été caractéristique du gothique employé à la construction des palais vénitiens. La Ca’ d’Oro ainsi que le Palazzo Foscari sont des exemples marquants de l’emploi de tels motifs décoratifs dans l’architecture profane italienne d’obédience gothique.

L’Architecture gothique en Belgique et aux Pays-Bas Le gothique religieux s’est développé, dans cette région, avec beaucoup moins d’indépendance stylistique vis-à-vis de l’influence allemande. L’origine des populations et leur histoire expliquent, que dans le nord, aux Pays-Bas, l’influence allemande soit forte, tandis qu’au Sud, dans l’actuelle Belgique, c’est l’influence française qui ait été déterminante. La plus vieille église gothique de Belgique, la cathédrale Saint-Michel-et-Sainte-Gudule à Bruxelles (voir p. 86), est demeurée, en dépit des trois siècles qu’a duré sa

construction, à compter de 1226, fidèle aux plans d’origine, d’influence française. A contrario, lors des développements postérieurs du gothique, les deux influences, allemande et française, ont plutôt eu tendance à se mélanger. De ce mélange est née la plus grosse et la plus décisive des cathédrales gothiques de Belgique, la cathédrale Notre-Dame d’Anvers, dont la construction s’est étalée de 1352 à 1521. Elle a ceci de commun avec la cathédrale de Strasbourg, qu’une seule tour de la façade ouest a été achevée. Son style se distinguant nettement de l’influence allemande (les toits en flèche notamment), on peut parler d’une certaine indépendance du gothique belge, indépendance que celui-ci avait déjà acquise de longue date pour ce qui concerne les édifices profanes. Dans des proportions encore plus grandes qu’en Allemagne, et avec une énergie redoublée, les riches villes marchandes du Brabant et des Flandres, dans lesquelles s’échangeaient des marchandises du monde entier, ont eu à cœur de traduire leur prospérité dans la construction d’immenses marchés couverts et de splendides hôtels de ville. Symbole du pouvoir de la cité, le Beffroi (voir p. 89), une tour carrée, mince et élancée, flanquée d’un toit pointu, ne manquait jamais d’être érigé. Les hôtels de ville de Bruges, de Bruxelles et de Louvain, ainsi que la Halle aux draps (1280-1304) dans la ville d’Ypres, ravagée par la première guerre mondiale, sont autant de symboles et de mémoire de cette fierté des citoyens du Moyen Âge. Ces édifices, de par leurs couleurs, d’un brillant exalté, et de par l’infinie richesse de leurs décorations, témoignent de la passion de leurs constructeurs, ainsi que de leur sens aigu de l’expression artistique.

68. Façade occidentale, cathédrale Saint-Michel-et-Sainte-Gudule, Bruxelles (Belgique), commencée en 1226. In situ.

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69. Hôtel de ville, Arras (France), 1450-vers 1572. In situ. 70. Beffroi, Bruges (Belgique), édifié entre le dernier tiers du XIIIe siècle et 1486. In situ.

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L’Architecture gothique dans les régions scandinaves En Scandinavie, le gothique n’a guère développé de traits nationaux. En Norvège, où la cathédrale de Trondheim constitue l’édifice gothique le plus significatif, on note une réelle influence anglaise. En Suède par contre, comme en Allemagne, le gothique fut introduit par des maîtres d’œuvre français, qui ont commencé en 1287 la construction de la cathédrale d’Uppsala, restaurée à la fin du XIXe siècle. Ceuxci n’ont toutefois pas eu d’influence majeure sur les développements ultérieurs du gothique dans ce pays. Plus tard, la brique reçut une place de choix, ce qui rapproche ce modèle de celui d’Allemagne du Nord.

L’Architecture gothique dans la péninsule ibérique

Tous ces édifices immenses sont en pierre de taille, alors qu’aux Pays-Bas, où dominait un esprit plus réaliste et plus sobre qui réduisait les possibilités d’expression artistique, on avait plutôt recours à la brique. En dépit de la volontaire simplicité de leur apparence extérieure, les églises hollandaises, qui correspondent souvent à l’esprit du gothique tardif allemand, déploient cependant un fort sentiment de monumentalité dans leur agencement intérieur. Cette monumentalité n’est entachée que par la nudité totale de ces halles, souvent l’œuvre d’iconoclastes fanatiques du XVIe siècle qui ont aussi mis un terme à la construction d’églises aux Pays-Bas.

À l’exception de la Navarre, le gothique a mis du temps pour s’implanter en Espagne, et il faut attendre le XIIIe siècle pour y trouver les premières véritables réalisations, qui sont plutôt de gothique classique. Afin de qualifier cette époque, il est important de distinguer le style « Isabelle », très décoratif et très riche, qui a donné à l’art de cette époque un caractère particulier, du gothique pur, très monumental et très sobre. Aux XIVe et XVe siècles, des maîtres d’œuvre étrangers, principalement Allemands et Flamands, construisirent nombre de cathédrales et d’églises en Castille. Aux Baléares, les églises-halles font leur apparition, constituées simplement d’une nef, d’une voûte et d’un toit de bois. Des murs dénudés donnent à ces édifices, d’une clarté très harmonieuse, une apparence très sobre. Les édifices profanes suivirent les mêmes principes, et principalement pour les bourses de commerce, atteignirent

71. Portail du cloître, côté sud du transept, cathédrale de Burgos, Burgos (Espagne), commencée en 1221. In situ.

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72. Berenguer de Montagut, cathédrale Santa Maria, Palma de Majorque (Espagne), commencée en 1229. In situ.

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une extraordinaire et parfaite harmonie dans la structure des espaces. Les églises gothiques espagnoles sont nettement d’influence française, parmi lesquelles les plus grandes sont la cathédrale de Burgos (1221-1765) (voir p. 90), répertoriée au patrimoine de l’UNESCO, la cathédrale Santa Maria à Tolède, construite du XIIIe au XVe siècle, ainsi que la cathédrale Maria de la Sede à Séville (1401-1519). L’esprit méditerranéen très vivace s’exprime essentiellement par la grande richesse de l’ornementation, fréquemment de style mauresque. Celuici fut finalement complété par l’ajout de clochers en flèche d’esprit très allemand, pour accroître encore la beauté des cathédrales espagnoles. Les plus belles tours, celles de la cathédrale de Burgos, sont l’œuvre de maître Johannes, de Cologne (voir p. 68, 70, 71). Toutefois, l’ensemble des édifices, qu’ils soient profanes ou sacrés, dévoilent un fort caractère oriental, qui s’apparente au style Mudéjar, avec ses formes d’arcs en fer à cheval et des murs de briquettes. En Aragon, de nombreux édifices relevant de cette influence sont aujourd’hui répertoriés au patrimoine de l’UNESCO. On ne peut pas oublier de mentionner l’église San Juan de los Reyes, construite au milieu du XIIe siècle en plein cœur du quartier juif de Tolède, qui fut vraisemblablement l’œuvre d’un Français. C’est le chœur qui se révèle très intéressant dans cet édifice, puisqu’il est le résultat de méthodes de construction très nouvelles. C’est la première fois, en effet, que fut construit un déambulatoire en double demi-cercle, lequel est, en alternance, divisé en parties triangulaires ou carrées. Une autre caractéristique, très locale, apparaît au cours de la deuxième période de sa construction, dans le fait que les quatre bas-côtés n’ont qu’une très faible différence de hauteur avec la nef, ce qui d’ailleurs diffère complètement de l’influence française.

La cathédrale de Cuenca, construite pendant la première moitié du XIIIe siècle, est l’une des plus anciennes constructions gothiques d’Espagne. Les cathédrales du Moyen Âge possédaient fréquemment une apparence plus militaire que sacrée, et servaient d’ailleurs souvent les deux desseins ; c’est ce dont témoigne la cathédrale de Siguënza, et plus particulièrement sa façade. L’intérieur témoigne, quant à lui, de ses origines romanes et de son achèvement gothique. Les constructeurs de la cathédrale avaient trouvé une solution, qui sera ensuite utilisée pendant la Renaissance : les piliers furent renforcés et montés horizontalement de telle manière, que l’on a l’impression que deux bâtiments ont été érigés l’un dans l’autre. Un autre exemple du gothique tardif espagnol, de style « Isabelle », se trouve dans la cathédrale d’Alcalá, qui, avec son déambulatoire, a servi de modèle à la cathédrale de Tolède. Les rares édifices gothiques portugais témoignent des mêmes aspects que ceux d’Espagne, mais avec encore plus de luxuriance déployée dans les façades. Le plus prestigieux est certainement le cloître de Batalba, avec le mausolée du prince Manuel, auquel les décorations très méditerranéennes ont donné un aspect étonnant, tout en signant l’arrêt de mort du gothique.

73. Cathédrale de León (Espagne), commencée en 1205. In situ. 74. Plan de la cathédrale de León (Espagne).

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La Peinture gothique

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e gothique a fait ses débuts en France, avant de rayonner sur toute l’Europe : avant tout en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas. Le style complexe et tout en filigrane du gothique tardif trouve particulièrement son écho dans les châsses destinées à la conservation des reliques de cette époque, chasses qui étaient richement décorées par les sculpteurs. Quant on parle de gothique, on pense immédiatement à l’architecture, mais comme en musique, en matière de littérature ou de philosophie, où l’inspiration provient presque exclusivement de la spiritualité et de la quête divine, il en va de même pour la peinture où l’on ne retrouve que des motifs religieux. Dans la période romane, les murs étaient recouverts de fresques gigantesques ; dans la période gothique, les murs sont si petits, que ces décorations deviennent plus rares. De fait, les peintures gothiques sont souvent petites, voire minuscules. Le phénomène le plus important de cette époque est certainement l’apparition de la peinture de chevalet, qui

connut un rapide développement, jusqu’à se transformer en une véritable activité, capable de se libérer de l’architecture et de forger ses propres principes. Elle n’a joué dans la décoration des châsses d’autel qu’un rôle secondaire. Comme la décoration des autels, faite de nombreuses figurines gravées dans le bois, s’apparentait tout de même plus à des tableaux qu’à des sculptures, la peinture, qui ne servait que de complément à ces décors, voulut de nouveau rivaliser en matière de création d’images, en cherchant à créer des figures aussi plastiques que possible, sans toutefois abuser de la force inhérente des couleurs. Comme seuls les cours princières et le clergé disposaient de moyens financiers, l’imagerie des autels fut principalement réalisée sur tableau de bois, support qui réussit à s’imposer à partir du milieu du XIVe siècle. Les retables étaient fabriqués de telle sorte qu’ils étaient repliables, sous la forme d’un diptyque, à double volet, ou d’un triptyque, à triple volet. Le polyptyque, un retable à plus de trois volets, était nettement plus rare. Les dimensions de ces retables variaient du très petit

75. Giotto di Bondone, La Vierge et l’Enfant en majesté, parmi les anges et les saints, dit Ognissanti Madonna, vers 1310. Tempera sur bois, 325 x 204 cm. Musée des Offices, Florence (Italie).

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au très grand, pouvaient même être conçus pour le voyage, et étaient généralement de bois ou d’ivoire. La construction de retables s’est développée avec l’intérêt porté aux châsses de reliques, qui ont joué un rôle éminent dans le déploiement mystique de cette époque. À l’origine, les reliques étaient déposées dans de simples caisses ; plus tard, ont y ajouta des métaux nobles, jusqu’à transformer ces caissons en de véritables cathédrales miniatures, richement décorées de pierres précieuses. Avec l’époque gothique, de telles châsses furent conçues en bois et ornées de tableaux. Le plus bel exemple est certainement la Châsse de sainte Ursule, qu’Hans Memling a réalisée en 1489 (voir p. 97). Les châsses n’étaient ouvertes que les jours de fêtes religieuses, afin de présenter les reliques aux fidèles ; elles demeuraient closes les jours travaillés. Les volets étaient recouverts de représentations bibliques, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Le plus célèbre des retables, le Triptyque de l’Adoration de l’Agneau Mystique, conçu en 1432, est l’œuvre de Jan et Hubert Van Eyck (voir p. 98-99). Si l’on a souvent considéré les œuvres de cette époque comme primitives, cela est plutôt dû à l’expression et aux représentations, qu’à la qualité artistique des images, bien que beaucoup puissent apparaître comme criardes et un peu maladroites, et sont, de fait, considérées pour leur valeur historique plus qu’artistique. Les scènes bibliques représentées sont souvent celles du Jugement Dernier, du Purgatoire, ou bien celles des martyres, tellement réalistes qu’on pourrait croire que ces scènes étaient quotidiennes à cette époque. En ces temps de querelles, de chevaliers brigands, d’Inquisition et de chasse aux hérétiques, l’Église a naturellement cherché avec ces imageries simplistes à effrayer les fidèles, majoritairement analphabètes, et à leur opposer le Salut Céleste.

À l’opposé de ces images de martyres et de feu de l’Enfer, Hans Memling, Martin Schongauer et Rogier Van der Weyden ont présenté la Vierge pleine de grâce. Plus tard, pendant la Renaissance, cette grâce fut moins considérée par les peintres que ses penchants maternels, ce qui n’eut aucune incidence sur la qualité des images, mais bien sur leur style. Les tableaux d’un Hans Memling, d’un Martin Schongauer ou d’un Rogier Van der Weyden sont d’une telle valeur artistique, qu’il est étonnant de constater que de telles réalisations furent possibles aux balbutiements de la peinture à l’huile. À cette époque, les tableaux profanes ne sont guères prisés, tant par les artistes que par les acheteurs. Les natures mortes, les paysages ou les scènes de vie paisibles constituent encore à cette époque un style inconnu, tandis que les portraits ne sont souvent réalisés qu’au crayon. Cette tendance vient d’une coutume plutôt agréable pour le clergé, qui se voyait souvent offrir des tableaux de scène biblique par de riches bourgeois, qui avaient pris soin d’y faire apparaître leur portrait, afin de demeurer dans le souvenir de leur descendance. Ainsi, dans ces tableaux apparaissent souvent, au milieu d’une foule, des conseillers municipaux ou des maires, de riches commerçants parfois même, représentés avec leurs épouses, agenouillés en prière. La Peinture gothique en Allemagne Bertram, ou Bertram von Minden, du nom de son lieu de naissance, apparaît au XIVe siècle comme l’un des tout premiers peintres gothiques, avec son œuvre le Grabower (1375-1383) (voir p. 101), encore appelé Retable de SaintPierre, du nom de l’église Saint-Pierre à Hambourg, où il fut pour la première fois exposé. On ne sait que peu de choses sur sa vie : il a vraisemblablement étudié à Prague, et son installation à Hambourg en 1367 est aujourd’hui démontrée.

76. Hans Memling, Châsse de sainte Ursule, 1489. Huile sur panneau de bois et dorures, 87 x 33 x 91 cm. Hospitaalmuseum, Bruges (Belgique).

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77. Hubert et Jan Van Eyck, Triptyque de l’Adoration de l’Agneau mystique, dit Retable de Gand, 1432. Huile sur panneau de bois, 350 x 461 cm. Cathédrale Saint-Bavon, Gand (Belgique).

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On lui doit aussi un Retable de la Passion, réalisé dans les années 1390-1394. Von Hohenfurth est un autre des tout premiers peintres de cette époque, sur lequel on ne sait, pour ainsi dire, rien. Une de ses toiles très célèbre, La Naissance du Christ, datant d’avant 1350, est exposée à la galerie Národní de Prague. Elle s’inscrit dans une série de peintures sur la vie du Christ, originellement destinées au cloître franciscain Vyssi Brod en Tchéquie. Conrad von Soest (ou von Sost) a réalisé, autour de 1420, le Retable à Marie pour la Marienkirche de Dortmund (voir p. 100), ville dont il est vraisemblablement originaire. Le retable est tombé, au XVIIIe siècle, entre les mains d’artisans mal intentionnés, qui l’ont malmené au marteau et à la hache afin de le faire entrer dans un autel de seize mètres de haut, hauteur qu’il dépassait. Pendant la seconde guerre mondiale, ce retable fut complètement détruit par un bombardement. Une autre œuvre importante de Conrad von Soest, le retable de l’église de Bad Wildungen, date de 1403.

Le retable de Wittingau, réalisé entre 1380 et 1390, pour le cloître augustin de Saint-Gilles, dont les trois tableaux sur la Passion du Christ – Jésus sur le Mont des Oliviers, sa mise au tombeau, et sa résurrection – sont aujourd’hui intacts, doit son nom à la ville de Wittingau, aujourd’hui Trebon. De Théodoric de Prague, aussi appelé Maître Theodoricus, on ne connaît que la date approximative de son décès, en mars 1381. Il était peintre à la cour de l’empereur Charles IV, privilège qu’il honora d’une série de tableaux. C’est à lui que l’on doit Saint Grégoire écrivant, réalisé autour de 1370, ainsi que Saint Jérôme ouvrant un livre, de la même époque. Dans la lignée des peintres gothiques de renom, appartient sans aucun doute Martin Schongauer, surnommé Beau Martin. Sa formation, il la reçut dans l’atelier de son père Caspar, orfèvre à Augsbourg. On sait de lui qu’à quinze ans environ, il s’est inscrit à l’université de Leipzig, où il a étudié deux années, de 1465 à 1466, avant de voyager en Europe, notamment à Beaune, en Bourgogne, afin d’y

78. Conrad von Soest, Retable de Dortmund : la mort de la Vierge (panneau central), vers 1420. Huile sur bois, 141 x 110 cm. Église Notre-Dame, Dortmund (Allemagne). 79. Maître Bertram, Retable de Saint-Pierre (volets ouverts), église Saint-Pierre de Hambourg, 1383. Huile sur bois, 277 x 726 cm. Kunsthalle, Hambourg (Allemagne). 80. Robert Campin (Maître de Flémalle), Madone au pare-feu, vers 1440. Huile et tempera sur bois, 63,5 x 49 cm. The National Gallery, Londres (Royaume-Uni). 81. Stefan Lochner, Madone au buisson de roses, vers 1440. Médiums mixtes sur bois, 51 x 40 cm. Wallraf-Richartz-Museum, Cologne (Allemagne).

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contempler le Polyptyque du Jugement Dernier de Rogier Van der Weyden (voir p. 112-113). Le motif du Jugement Dernier se retrouve d’ailleurs sur l’un de ses dessins. À partir de 1471, il ouvre un atelier à Colmar. Ses œuvres les plus importantes sont une Vierge au buisson de roses, de 1473, et l’Adoration des bergers et le Portrait d’une Vierge, toutes deux réalisées entre 1475 et 1480 selon des motifs légers, presque lyriques. Tout aussi importantes sont ses gravures sur cuivre, qui ont notamment influencé Albrecht Dürer, sa Passion du Christ (1470-1480) constituée d’une douzaine de feuillets, ou encore, la gravure sur cuivre réalisée avant 1479, l’Adoration des Rois mages.

L’École de Cologne Les débuts de cette école sont à relier avec les travaux de Maître Wilhelm, qui, jusqu’en 1378, fut chargé, par le premier magistrat de Cologne, de réaliser toute une série de travaux, de taille et de nature différentes, parmi lesquelles, des fresques murales, des fanions et des emblèmes, ou encore des miniatures pour livres. Tout porte à croire que ses prestations furent énormes, compte tenu des conditions de l’époque, ce que rapporte un écrivain, chroniqueur de la ville de Limbourg, qui écrit qu’ « il n’a d’égal dans toute la chrétienté et qu’il est capable de peindre n’importe qui en lui donnant l’air d’être vivant ». Ce n’est pourtant pas sur l’imitation de la réalité que l’école de Cologne a construit sa réputation, mais bien avec un idéalisme poétique, qui tendait à soustraire la nature à la réalité ordinaire. Des travaux de maître Wilhelm ne restent que des morceaux d’une fresque réalisée dans la salle du Conseil, représentant les « neufs bons héros » comme exemple à imiter, et dont quelques-uns de ces portraits sont aujourd’hui conservés au musée de Cologne. Mais ce qu’il nous reste aussi, ce sont des tableaux sur chevalet, que l’école qu’il a fondée a produits, de son vivant ou peu après sa mort. Même s’il n’a pas participé à la réalisation de toutes ces œuvres, il n’en demeure pas moins qu’elles sont imprégnées de son esprit. Ce sont pour la plupart de petites images de recueillement, qui furent utilisées pour décorer les autels des chapelles privées des Patriarches de la ville. Exception faite d’une énorme œuvre, construite pour l’autel de la Klarakirche de Cologne, représentant la vie de Jésus, et qui se trouve aujourd’hui dans la cathédrale de Cologne. De vastes sculptures de bois, de caractère quasi architectural, n’auraient en effet jamais été à leur place dans ces lieux étroits destinés au recueillement. C’est ainsi que la peinture est passée au premier plan, elle qui savait comment parler aux dévots, et qui avait compris

82. Dirk Bouts, Retable du Saint Sacrement : la Cène, 1464-1467. Huile sur panneau de bois, 180 x 150 cm. Sint-Pieterskerk, Louvain (Belgique). 83. Dirk Bouts, Diptyque de la justice de l’empereur Otton III : l’épreuve du feu, entre 1471 et 1475. Huile sur bois, 343 x 201 cm. Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles (Belgique).

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84. Hugo Van der Goes, Triptyque Portinari : l’Adoration des bergers, le commanditaire, sa famille et des saints patrons, entre 1473 et 1478. Huile sur bois, panneau central : 253 x 304 cm, chaque volet : 253 x 141 cm. Musée des Offices, Florence (Italie).

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que le meilleur moyen de s’adresser à eux était de représenter la Madone, qui était devenue, pour l’homme du Moyen Âge, plus digne d’honneurs que Jésus Christ luimême. Partout, le culte mi-romantique, mi-sensuel de la femme fut tellement associé à l’Adoration de Marie, qu’il n’était plus possible de distinguer le sacré du profane, le temporel du spirituel. Les peintres de Cologne s’étaient donné comme objectif, pour leur travail, de représenter inlassablement la Vierge Marie idéale, sous les traits d’une femme idéale. Si dans les époques qui ont suivi, leurs efforts ont souvent été imités, ils n’ont que rarement été égalés. Avec ces tableaux, la mouvance spirituelle commencée avec les troubadours, les épopées héroïques et les poésies didactiques, avait reçu son couronnement. Ce n’est pas avec les miniatures des anciens manuscrits, mais bien avec les tableaux de l’école de Cologne, que la poésie courtoise a rencontré dans l’art son incarnation. Les peintres de Cologne ont reproduit chaque fleur, chaque brin d’herbe, avec une prodigieuse fidélité, comme on tisse patiemment chacun des fils d’un tapis, pour le dérouler sous les pieds de la Vierge Marie. On doit cette pression poétique au fait que la peinture se soit développée plus tôt que le dessin, et le sentiment, plus

vivement que l’expression des personnages. La Vierge ellemême se volatilise derrière ces visages tellement gracieux qu’ils en deviennent impersonnels, et qui d’ailleurs correspondent à un idéal de beauté très local : la nudité de l’Enfant, quant à elle, choque par le cruel manque de connaissance du corps humain qu’elle démontre ; lacune toutefois largement compensée par le charme des couleurs. Pour la première fois, apparaît une opposition entre ombre et lumière, de laquelle naît une transformation des couleurs du plus sombre vers le plus foncé ; de ce jeu des contraires, les peintres ont conquis l’art d’une certaine modélisation, qu’avant eux, seuls les sculpteurs avaient maîtrisé. De l’école de Cologne, dont les nombreuses œuvres sont conservées dans les églises et les musées de Cologne, on distingue une vieille et une nouvelle école. La vieille, née sous l’impulsion de Maître Wilhelm a, entre autres, produit : un petit retable à volets, avec la reproduction, sur la partie centrale, d’une Vierge tenant une fleur de sarriette, sur le volet de gauche, de sainte Catherine, et sur le volet droit, de sainte Barbara. On retrouve une semblable Vierge tenant une fleur de sarriette au Germanische Museum de Nuremberg, une Vierge entourée de saintes avec son Enfant sur un parterre de fleurs, au Berliner Museum, ainsi qu’une Sainte Véronique portant le

85. Hans Memling, Triptyque du Jugement Dernier (panneau central), vers 1467-1471. Huile sur bois, 242 x 360 cm. Muzeum Narodowe w Gdan’ sku, Gdan’ sk (Pologne). 86. Conrad von Soest, Retable de Wildunger, vers 1403. Tempera sur panneau de bois, 158 x 267 cm. Église de Bad Wildungen, Bad Wildungen (Allemagne).

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Saint-Suaire du Christ dans la Pinacothèque de Munich. Ces représentations sont d’un point de vue artistique très caractéristiques, aussi bien pour la vieille école de Cologne en elle-même, que pour les milieux artistiques qui gravitaient autour d’elle. Le principal représentant de la nouvelle école est certainement Stephan Lochner, né à Meersbourg, dans les environs du Lac de Constance, et très tôt installé à Cologne, où il vécut dans une grande aisance tirée de contrats municipaux. Il est vraisemblablement mort de la peste en 1451. En 1435, on lui doit un Jugement Dernier, rempli de personnages, vers 1440, le Retable des Rois mages, qui se trouve dans la cathédrale de Cologne, mais qui fut à l’origine destiné à la chapelle de l’hôtel de ville, bénie en 1462. Ce retable représente sainte Ursule et sa suite, sur l’intérieur du volet gauche, sur le volet central, l’Adoration des Rois mages, et enfin sur le volet de droite, saint Géréon avec ses compagnons, les martyrs de la légion thébaine. Ce retable fut déplacé en 1810 vers l’Agneskapelle de la cathédrale. La notoriété de cette œuvre était, aux XVe et XVIe siècles, si grande qu’en 1529, lors de son voyage aux Pays-Bas, qui le fit séjourner à Cologne, Albrecht Dürer dépensa deux Weisspfennig pour la contempler. Le volet fermé représente l’Annonciation de Marie au centre, un ange à droite, et à gauche la Vierge, mère de Dieu, agenouillée dans sa chambre en train de prier. En 1445, Stephan Lochner a produit une Naissance du Christ, en 1447 une Offrande dans le temple et vers 1440 une Madone au buisson de roses. Lorsque l’évêque de Cologne rapporta, de la manière la plus étonnante qui soit, les reliques des Rois mages, ils furent réunis avec ceux des autres saints, saint Géréon et sainte Ursule. Stephan Lochner a mis tout son savoir-faire sur

l’image centrale du retable des Rois mages, dépassant les limites de ce que l’on savait faire à cette époque en peinture, y compris en Italie. Tous les détails sont peaufinés avec la même passion, qu’il s’agisse des visages, remplis d’expression, des habits imités parfaitement jusque dans les détails de la mode de cette époque, des armes, des objets de grande valeur de style oriental, du tapis, tendu derrière la Vierge par deux anges, ou encore des fleurs et autres plantes poussant au milieu d’une herbe luxuriante. On doit cette richesse du détail, cette harmonie d’ensemble, cette atmosphère hautement poétique, qui se transmet avec force au spectateur, au simple jeu des couleurs. Seuls, l’arrière-plan doré et la formidable tracerie décorant les arcs sculptés dans le bois, rappellent encore le rôle qu’ont joué l’architecture et la sculpture pour cet autel. C’est avec le Retable des Rois mages que la nouvelle école de Cologne a atteint son zénith. Elle a échoué en ce qui concerne la belle représentation d’une espèce humaine baignée dans le calme. Chaque fois qu’elle a tenté d’exprimer la passion ou la douleur des martyrs, le résultat fut grotesque, voire choquant, vis-à-vis des charmantes représentations faites de la paix des cieux. Le parfait achèvement de la peinture et notamment pour ce qui concerne la reproduction de thèmes naturels, sera le privilège de Jan et Hubert Van Eyck, représentants de l’école néerlandaise, dont les œuvres annoncent déjà la période suivante.

L’École de Prague Les toiles héritées de l’école de Prague, née de l’initiative de l’empereur Charles IV, sont plus plastiques que pittoresques. Bien que réalisées à la détrempe et sur du bois, ces œuvres

87. Dirk Bouts, Retable dit La Perle du Brabant : l’Adoration des Rois mages (panneau central), vers 1470. Huile sur bois, panneau central 62,5 x 62,5 cm. Alte Pinakothek, Munich (Allemagne).

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88. Rogier Van der Weyden, Polyptyque du Jugement Dernier, vers 1443-1450. Huile sur bois, 135 x 560 cm. Hôtel-Dieu, Beaune (France).

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Prague, qui, avec le Strasbourgeois Nicolaus Wurmser, est le principal représentant de l’école praguoise. Pour ce qui concerne le développement de la peinture en tant que telle, on peut dire que l’école praguoise n’a rien apporté de nouveau. Tout ceci fut accompli à Cologne et en basse Rhénanie, région dominée par cette ville de haute renommée, du fait d’un immense pouvoir tant spirituel que temporel.

La Peinture gothique en Belgique et aux Pays-Bas

devaient remplacer les peintures murales, dont elles ont hérité du style. Ces œuvres se trouvent pour partie dans les lieux auxquels elles furent destinées, dans la Marienkapelle ou la Kreuzcapelle du château Karlstein en Bohème, pour partie dans la galerie impériale de Vienne. Ces œuvres ne représentent un progrès qu’en matière de description des personnages, qui tend vers l’expression d’un sentiment plus profond, particulièrement pour toute une série de représentations d’apôtres, de demi-figures, de patriarches de l’église, ou encore de saints et de saintes, qui recouvrent les murs de la Kreuzkapelle. On doit ces œuvres à Theodoric de

Jan et Hubert Van Eyck sont vraisemblablement les premiers et les plus décisifs des peintres flamands de cette époque. On connaît peu de chose de leur vie, même leurs dates de naissance et de mort restent des estimations. Jan Van Eyck, le plus connu des deux, est vraisemblablement né à Maastricht vers 1390, tandis qu’Hubert serait né en 1366. On leur doit le Triptyque de l’Adoration de l’Agneau Mystique (voir p. 98-99), commencé en 1426 et terminé en 1432, sur le volet duquel est représenté le donateur Jodokus Vyd en train de prier. Le commencement de cette œuvre est certainement à mettre en lien avec le décès du premier employeur de Jan Van Eyck, le duc Johann III de Bavière, surnommé Johann sans grâce. Pour cette raison, Jan Van Eyck s’est mis à travailler pour Philippe III de Bourgogne, dit le Bon, lequel l’employa en qualité de peintre et de valet de chambre – mais il était aussi un homme de confiance – le rétribua d’un salaire, mit à sa disposition deux chevaux et même un serviteur. Il passa l’essentiel de sa vie à Bruges. La raison principale de la renommée des Van Eyck réside dans l’usage qu’ils ont fait des couleurs. Les artistes venaient même d’Italie pour observer leur travail et comprendre

89. Melchior Broederlam, Retable de Dijon : Annonciation et Visitation (panneau de gauche), 1393-1399. Tempera sur panneau de bois, 167 x 125 cm. Musée des Beaux-Arts, Dijon (France).

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comment la couleur pouvait devenir si lumineuse. On attribue à Jan Van Eyck l’invention de la peinture à l’huile. Avant lui, les peintres utilisaient de la détrempe, un mélange d’eau, de pigment et de jaune d’œuf. Les tentatives antérieures de fabriquer de la peinture à l’huile avaient toutes échoué, parce que le vernis noircissait les couleurs. Grâce au mélange de vernis blanc (une sorte de térébenthine), d’huile et de pigment, la peinture séchait plus rapidement, conservait sa luminosité et ne se fissurait pas. Il faut croire que le secret de la recette ne fut pas soigneusement gardé, car Antonello da Messina, qui travaillait aussi à Bruges, le découvrit et le répandit. Cette invention explique le développement formidable de la peinture au XVe siècle. À cet égard, Jan et Hubert Van Eyck sont considérés comme les fondateurs de la peinture néerlandaise. La peinture à l’huile connut alors un période d’apogée, comme « le soudain fleurissement de l’aloès, après cent ans de sommeil au soleil ». Son développement sera extrêmement favorable en Italie, même si elle est originaire des Pays-Bas. Un des rares peintres néerlandais du XVe siècle que l’on peut aisément classer parmi ceux qui ont exclusivement travaillé pour l’art religieux, est Hugo Van der Goes. De son nom, on pourrait supposer qu’il est originaire de Goes, une île du Seeland, mais certains historiens considèrent qu’il est originaire de Gand. De même, on suppose qu’il est décédé à Auderghem, dans l’abbaye du Rouge-cloître, dans la région de Bruxelles. La seule chose dont on soit sûr, c’est de l’importance de son œuvre pour l’histoire de l’art. On lui doit avant tout le Triptyque Portinari (voir p. 106-107), datant des années 1473-1478, le Portrait d’un homme, autour de 1480, et le portrait de son donateur, Sir Edward Boncle honorant la Trinité. Rogier Van der Weyden a certes vécu à partir de 1436 en qualité de peintre officiel de la ville de Bruxelles, mais son influence a été immense sur l’ensemble de l’Europe,

particulièrement en Allemagne. Un de ses donateurs, Philippe le Bon, était un collectionneur d’œuvres d’art méticuleux, et l’un de ses élèves fut Hans Memling. Van der Weyden est le seul peintre flamand à avoir prolongé le point de vue de Jan et Hubert Van Eyck, qu’il aurait même surpassé. Van der Weyden fut le dernier épigone de la tradition de Giotto, et le dernier peintre dont le travail fut exclusivement religieux. On lui doit la Descente de Croix, tableau en détrempe, exposé au Prado de Madrid, et qui date d’avant 1443, donc peu avant le Polyptyque du Jugement Dernier, réalisé entre 1443 et 1450.

90. Melchior Broederlam, Retable de Dijon : présentation au temple et fuite en Égypte (panneau de droite), 1393-1399. Tempera sur panneau de bois, 167 x 125 cm. Musée des Beaux-Arts, Dijon (France).

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On ne connaît rien de la vie de Hans Memling, de son vrai nom Jan Van Mimmelynghe. On admet simplement qu’il est d’origine allemande et qu’il est né à Seligenstadt, près d’Aschaffenbourg. Mais la seule information vérifiable demeure son installation à Bruges à partir de 1446, où il se partagea les honneurs d’être avec les Van Eyck, un des plus anciens peintres de l’école, dite, de Bruges. On peut dire de lui qu’il a affiné leur art, dans la mesure où il a développé un sens aigu pour la grâce et la mesure, en utilisant des couleurs d’une extrême beauté. Pour certains, il est considéré comme le peintre néerlandais le plus significatif, le seul à être capable d’exprimer au mieux les idéaux locaux. Une de ses œuvres essentielles est l’Adoration des Mages, datée de 1470, un autre Triptyque du Jugement Dernier, réalisé vers 1467 et 1471 (voir p. 108) et le Mariage mystique de sainte Catherine, réalisé entre 1475 et 1479. On doit à Dirk Bouts des travaux de composition très symétrique, peint avec des couleurs très lumineuses, comme par exemple son triptyque de La Cène, réalisé entre 1464 et 1467, La Perle du Brabant, vers 1470, ou enfin La Cène, œuvre réalisée entre 1464-1467 pour la confrérie du Saint-Sacrement de Louvain, et pour laquelle l’artiste dut se conformer aux strictes injonctions artistiques de deux théologiens. C’est la première fois que la Cène fut représentée sous l’angle de l’Eucharistie, au lieu, comme de coutume, de l’être sous l’angle de l’annonce de la trahison d’un des apôtres. C’est un tout autre sujet qui est abordé dans le Diptyque de la justice de l’empereur Otton III, réalisé entre 1471 et 1475 (voir p. 105) : ce tableau, qui appartient au genre – très coutumier du XVe siècle gothique – des scènes de justice, insiste particulièrement sur la verticalité du pouvoir et son absence de corporalité. Gerard David constitue un autre des plus grands peintres néerlandais de cette époque, lequel, après la mort de Hans

Memling, fut le principal maître de l’école de Bruges. Une fois encore, on ne sait rien de sa vie. Il est connu pour avoir peint des tableaux calmes, évoquant le recueillement. Ses plus significatifs datent de 1500 à 1520, parmi lesquels la Vierge à la soupe au lait, le Mariage mystique de sainte Catherine, le Triptyque du baptême du Christ, incluant des représentations des donateurs et de leurs saints patrons, ainsi qu’une Annonciation.

La Peinture gothique en Italie Contrairement aux Allemands, les peintres italiens ont démontré leur talent par la réalisation de fresques murales, ne laissant à la peinture sur chevalet qu’une place modeste. La réalisation de fresques murales constituait déjà depuis longtemps un art typiquement italien, qui ne fut nullement gêné par l’irruption du gothique, puisque les murs des églises ne furent pas diminués par l’utilisation des nouveaux systèmes de construction. Jusqu’à un stade avancé dans le XIIIe siècle, la peinture italienne se trouva largement sous influence byzantine.

La Peinture de Giotto Giotto di Bondone, originaire de Colle, dans la région de Florence, a, le premier, cherché à libérer la peinture italienne. Son professeur a dû être Cimabue, qui se prenait pour l’un des plus grands peintres de son temps, comme on peut le lire dans un vers de Dante, lequel était aussi un ami de Giotto. On a aussi longtemps considéré Cimabue comme un porteur de renouveau. Dans les rares œuvres que l’on peut avec certitude lui attribuer, on reconnaît en effet une certaine hauteur du point de vue et une tendance à exprimer une grâce toute spirituelle. La plus célèbre de ses œuvres est une Vierge en Majesté avec l’Enfant, entourée de huit Anges et des quatre

91. Lorenzo Monaco, Adoration des Mages, 1421-1422. Tempera sur panneau de bois, 115 x 177 cm. Musée des Offices, Florence (Italie).

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92. Simone Martini et Lippo Memmi, Retable de l’Annonciation, 1333. Tempera sur panneau de bois, 184 x 210 cm. Musée des Offices, Florence (Italie). 93. Gentile da Fabriano, Adoration des Mages, 1423. Tempera sur panneau de bois, 300 x 282 cm. Musée des Offices, Florence (Italie).

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et Padoue. C’est à Assise, lors de la mise en peinture de l’église consacrée à saint François que Giotto a commencé à marquer son originalité. Ce travail, il l’a d’abord commencé sous la conduite de Cimabue, à qui l’on avait confié la direction du chantier qui employait d’autres artistes de moindre renom. Une contemplation vivace devait soutenir le sermon par lequel les moines franciscains cherchaient à dominer l’âme des fidèles. Ce qui constituait au nord des Alpes le privilège de la sculpture, se devait en Italie d’être exercé par la peinture, qui ravissait les yeux de couleurs. Les représentations picturales importantes aux yeux des franciscains concernaient les bouleversements du monde opérés par le fondateur de leur ordre. En effet, les fidèles passionnés de saint François, remplis d’un nouvel idéal religieux, nourris de ses sermons et de son exemple, le considéraient réellement comme un bienfaiteur de toute l’humanité, dont la portée des actes aurait surmonté la disparition. Ainsi a-t-on représenté, sur la partie supérieure des murs de la nef de la chapelle haute, toute une série de scènes de l’Ancien Testament et de la vie de Jésus, soigneusement placées en relation typologique avec l’œuvre de saint François. Prophètes, réalisée vers 1310 (voir p. 94), qui était à l’origine destinée à Santa Maria Novella à Florence. Toutefois on ne peut pas vraiment dire qu’il ait su se détacher des règles de création byzantine : seul Giotto pourrait se réclamer du mérite d’avoir entraîné la peinture italienne sur les chemins de la réalité et de l’observation de la vie, prémices de son vaste déploiement vers d’autres horizons. Giotto, qui a fait ses preuves comme peintre et comme architecte, a travaillé dans de nombreuses villes, de Padoue jusqu’à Naples. Ses chefs-d’œuvre, par lesquels ce style moderne de peinture très monumentale a trouvé son ultime expression, ne sont cependant à observer qu’à Assise, Florence

La partie inférieure des murs fut recouverte de vingt-huit représentations de la vie de saint François d’Assise, par laquelle Giotto a peu à peu totalement modifié la vision de la représentation des hommes par l’art (voir p. 120, 123). Les peintres byzantins avaient certes atteint un haut niveau de narration historique dans leurs œuvres, mais, à cause de dogmes religieux, ils ne pouvaient pas se permettre de développer un sens artistique capable de dominer les personnages et susceptible de dissocier l’essentiel de l’accessoire. Grâce à ce sens, Giotto a montré que l’on pouvait raconter des histoires avec moins de personnages, et donc de manière

94. Giotto di Bondone, Cycle de la vie de saint François : le crucifix de saint Damien parlant à saint François, basilique supérieure Saint-François, Assise (Italie), 1297-1299. Fresque, 270 x 230 cm. In situ.

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95. Giotto di Bondone, Polyptyque Stefaneschi (recto), vers 1330. Détrempe sur panneau, 220 x 245 cm. Pinacoteca Vaticana, Vatican (Vatican).

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plus limpide. En lieu et place de l’amoncellement d’une quantité infinie de personnages, ne furent mis en scène que les principaux, les plus déterminants pour l’histoire. D’une histoire prétentieuse, le drame se change en la contemplation vivace d’un fait. L’un des plus grands mérites de Giotto fut, après le déclin de l’Antiquité, d’avoir resitué l’élément dramatique dans la peinture, ce qui va de pair avec son rejet de toutes les minuties dans la représentation des formes humaines, propres à ses prédécesseurs, notamment dans l’attitude ou dans l’habillement. En ce domaine, Giotto choisit clairement de retrouver l’héritage antique. Il n’a toutefois pas vraiment réussi à reproduire avec exactitude les données naturelles, ce pour quoi il manquait encore de connaissance du corps humain, de la perspective et d’autres techniques indispensables. Mais il a cependant atteint le plus haut degré de naturalité imaginable à cette époque. Toutes les exactitudes, les précisions de la description de la nature, ont été conquises au cours des siècles suivants, qui n’ont cependant jamais atteint une telle monumentalité avec des moyens aussi simples. Son apogée, Giotto l’a atteinte avec ses trente-huit tableaux de la vie de la Vierge et du Christ, peints de 1303 à 1306 sur les deux murs latéraux de la Capella degli Scrovegni, construite sur les ruines du vieil amphithéâtre de Padoue. Avec cette œuvre, son art a parfaitement mûri. Même si paysage et architecture semblent parfois ne vouloir communiquer qu’entre eux, la caractéristique essentielle est que l’humain domine toujours. La représentation, toujours très vivante, s’éloigne nettement des schémas byzantins, tandis que l’individuel et le naturel peuvent enfin voir le jour. Plus tard, Giotto a retravaillé à Assise, dans la basse chapelle cette fois, où il a redécoré les murs du transept de

trois séries de tableaux rappelant les principaux éléments de la vie du Christ, et les voûtes, de tableaux chargés de figurines. Il y montre la transfiguration de saint François et les représentations allégoriques des trois commandements de l’Ordre franciscain : pauvreté, chasteté et obéissance. Giotto a su, en dépit parfois d’une surabondance de personnages, rendre ces allégories lisibles et pleines de force. Pour l’incarnation de concept abstrait, on peut dire que Giotto était tout aussi doué de talent que digne d’envie. À cet égard, les allégories du vice et de la vertu qu’il a peintes dans la Capella degli Scrovegni de Padoue, à côté de tableaux sur la vie de Jésus et de Marie, sont devenues des modèles pour ses successeurs.

96. Pietro Lorenzetti, Naissance de la Vierge, 1342. Détrempe et or sur bois, 188 x 182 cm. Museo dell’Opera del Duomo, Sienne (Italie). 97. Giotto di Bondone, Cycle de la vie de saint François : saint François recevant les stigmates, basilique supérieure Saint-François, Assise (Italie), 1297-1299. Fresque, 270 x 230 cm. In situ.

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La quatrième des grandes fresques murales de Giotto que l’on a conservées, se trouve à l’église franciscaine Santa Croce de Florence. Il s’agit de deux séries, dont l’artiste a, de 1318 à 1328, décoré deux chapelles. Les tableaux de l’une d’elles sont de nouveau consacrés à saint François d’Assise, tandis que ceux de l’autre chapelle représentent des scènes de la vie de Jean le Baptiste et de celle de Jean l’Évangéliste. Ce sont les dernières et les plus abouties de ses œuvres. Après plusieurs années passées à Naples, où il a beaucoup travaillé, bien que rien n’en soit conservé, Giotto fut invité à se rendre à Florence en 1332, où ses concitoyens lui confièrent de continuer l’œuvre qui leur tenait le plus à cœur, à savoir la nef de la cathédrale, qu’Arnolfo di Cambio avait déjà commencée. On ne connaît Giotto comme architecte que par les images d’architecture qui se trouvent dans son œuvre, mais il a très certainement été un bon architecte, sans quoi les Florentins ne lui auraient jamais confié un tel travail. Cependant le chantier de la cathédrale n’a pas connu d’avancées essentielles, car Giotto décède le 8 janvier 1337. Du clocher, dont il a réalisé l’esquisse et dont les travaux ont commencé en 1334, il avait imaginé des fondations s’élevant très haut jusqu’à la première série de reliefs qui les entouraient complètement. Il a également réalisé une partie des esquisses de ces reliefs, qui représentaient, dans leur première série, les activités humaines, artisanat, agriculture, art et science, et dans la série du dessus, les sept vertus fondamentales, les sept œuvres de miséricorde, et cette fois, non sous la forme d’allégories, mais bien sous la forme de tableaux réalistes. On suppose qu’il a même réalisé certains de ces tableaux, leur réalisation en marbre ayant été le fait d’Andrea Pisano, qui a achevé de monter la tour après le décès de Giotto.

La Peinture à Sienne Les influences de Giotto et de Pisano furent bientôt si grandes que les artistes de Sienne s’y soumirent aussi. À Sienne, Duccio di Buoninsegna avait fondé une école de peinture, qui fut certes à ses débuts d’obédience byzantine, mais tendait néanmoins vers l’expression d’une beauté propre et vers celle du ressenti intérieur. Elle resta fidèle à cet idéal un certain temps. Le principal représentant de cette école fut Simone Martini, dont l’œuvre essentielle fut la fresque Maestà, Marie sur son trône, patronne de la ville entourée d’anges, réalisée en 1315 (voir p. 125), que l’on peut apprécier à l’hôtel de ville. Ce que les artistes de Sienne avaient en plus de ceux de Florence, était un sens aigu pour la beauté, ce qui en ces temps de réalisme n’avait guère le droit de faire surface. On peut penser que les Florentins se rendirent compte des inconvénients de leur réalisme monolithique, et qu’ils ont cherché à l’équilibrer. Ce que la peinture italienne a, en effet, réalisé de mieux, en cette période, résulte de la fusion entre ces deux traditions, celle de Sienne et celle de Florence. Ce phénomène nous est accessible du fait des tableaux et des fresques des frères Pietro et Ambrogio Lorenzetti (voir p. 122), dont le dernier a décoré la salle des fêtes de l’hôtel de ville de Sienne avec beaucoup d’œuvres symboliques. La mieux conservée de ces compositions représente une allégorie du bon et du mauvais gouvernement de Sienne, réalisée entre 1338 et 1440, dans un grand nombre de genres différents.

La Peinture à Pise C’est un peintre inconnu qui a toutefois dépassé tous ces tableaux en signification spirituelle, en force dramatique de la

98. Simone Martini, Maestà, 1315. Fresque, 763 x 970 cm. Palazzo Pubblico, Sienne (Italie).

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réalisation, ainsi qu’en expression passionnée des multiples sentiments. Cette œuvre, Le Triomphe de la mort, fut réalisée sur le mur sud du Camposanto, à Pise, monument construit par Giovanni Pisano, dont la halle entoure le cimetière sur trois de ces côtés. Il s’agit bien d’un des monuments les plus significatifs de la peinture italienne du Moyen Âge, qui fait preuve d’une certaine audace dans la fantaisie et d’une valeur artistique qui n’a rien à envier à Dante. Elle témoigne, à côté du pathos de la mort, la joie de l’espèce humaine et son plaisir de vivre, tel qu’un Giovanni Boccaccio l’a décrit dans ses poèmes. Sur la partie gauche du tableau, on peut apercevoir une partie de chasse, menée dans une sombre forêt par trois rois à cheval, qui se tiennent à l’arrêt devant trois cercueils béants. À l’intérieur de ces cercueils, trois cadavres plus ou moins décomposés reposent en tenue royale, donnant aux vivants une horrible sommation sur l’aspect éphémère de la majesté terrestre, tout en les mettant en garde contre l’orgueil et la vanité. Car derrière eux, se livrant déjà à son travail d’anéantissement en brandissant sa faux, se tient la Mort, créature fantomatique, aux traits féminins, munie de griffes et d’ailes de chauve-souris. Une bande de mendiants et d’estropiés semblent l’appeler au secours, pour qu’elle les délivre de leur misère. Des montagnes de cadavres, survolés d’anges et de démons qui arrachent les âmes, marquent son passage. La Mort, qui vient de se choisir pour victime un jeune couple en train de s’amouracher – sur les têtes duquel, représenté sous la forme d’un tombeau, plane déjà l’esprit malfaisant – poursuit sa course vers une autre forêt, qui abrite une société d’hommes et de femmes bien habillés. L’artiste est vraisemblablement issu du milieu des peintres pisans, parmi lesquels Francesco Traini fut le plus actif entre 1321 et 1363. Peut-être est-ce lui le créateur de cette œuvre ainsi que celui du tableau du Jugement Dernier, qui se trouve à

côté, et dans lequel l’on retrouve déjà tous les éléments requis pour une grande épopée dramatique, qui a attendu deux siècles avant que Michelangelo finisse de l’interpréter. La Peinture à Padoue L’exemple de Giotto a provoqué une brève mais intensive effervescence de la peinture monumentale dans la ville de

99. Giotto di Bondone, Cycle de la vie de Joachim (vue d’ensemble), chapelle des Scrovegni, Padoue (Italie), 1303-1305. Fresque. In situ. 100. Giovanni da Milano, Scènes de la vie de la Vierge, chapelle Rinuccini, église Santa Croce, Florence (Italie), 1365. Fresque. In situ.

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Padoue, l’un des principaux lieux où est sensible son influence, et où les artistes s’attachèrent à réaliser la décoration intérieure de l’église San Antonio, saint patron de la ville. Un certain Altichiero, originaire de Zevio, dont la personnalité fut particulièrement caractéristique, a décoré, à partir de 1376, l’église San Felice de représentations inspirées de la légende de saint Jacques, d’une Crucifixion de Jésus (voir p. 128-129), œuvre par laquelle il a surpassé Giotto. Il a en effet réussi à faire vivre et à approfondir l’expression des personnages, à produire des couleurs plus riches, et a même surmonté, renforçant ainsi la beauté du tout, les problèmes de perspectives, qui, chez Giotto, sont plus flagrants. Tous ces progrès, l’artiste les a réunis avec encore plus de force à l’occasion d’un travail commun avec Jacopo Avanzi, peintre véronais, sur une série de fresques réalisées pour la chapelle San Giorgio, non loin de l’église San Antonio. Ici sont représentés en vingt et un tableaux, la

jeunesse du Christ, sa crucifixion, le couronnement de Marie, ainsi que les principaux extraits des vies de saint Georges et de sainte Lucie, et de celle de sainte Catherine également. Remarquable est la multiplicité des personnages reproduits, tous très individualisés.

La Peinture à Florence À Florence, le plus significatif des héritiers de Giotto fut Andrea di Cione, plus connu sous le nom d’Orcagna, qui sut se dégager de l’influence du maître, dont il tendit à dépasser l’idéal de beauté. Dans la chapelle de la famille Strozzi de Santa Maria Novella, qu’il a décorée avec son frère Nardo, les tableaux du Jugement Dernier sur l’autel ou du Paradis avec le Christ et Marie sur un trône entourés d’une assemblée de saints, ont atteint le plus haut degré d’esthétique que l’école florentine ait atteint à cette période. La seule sculpture

101. Altichiero da Zevio, Crucifixion, chapelle San Giacomo, basilique Saint-Antoine, Padoue (Italie), 1376-1379. Fresque, 840 x 280 cm. In situ. 102. Duccio di Buoninsegna, Maestà, 1308-1311. Détrempe sur panneau, 211 x 426 cm. Museo dell’Opera Metropolitana, Sienne (Italie). 103. Andrea Orcagna, Tabernacle de la Vierge, Orsanmichele, Florence (Italie), 1348-1359. Marbre, lapis-lazuli et incrustations. In situ.

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d’Orcagna à avoir été conservée, est un tabernacle de marbre, datant de 1359 et destiné à l’église de la loge aux grains d’Orsanmichele (voir p. 131). Ce tabernacle, de grande taille, est surmonté d’une coupole et accueille une merveilleuse image de la Vierge, ainsi que de nombreuses statuettes et reliefs. C’est la plus riche, mais aussi la dernière, des étapes parcourues par le gothique italien avant son prévisible déclin. Parmi les disciples de Giotto, on imagine encore de nombreux anonymes qui ont réalisé les splendides fresques de la chapelle espagnole dans le cloître de Santa Maria Novella, qui fait se rencontrer l’art dominicain d’Assise et l’art

franciscain. Si la narration poétique domine dans les images allégoriques de cette chapelle basse, c’est en revanche un esprit dogmatique, proche de la scolastique, qui s’est emparé des fresques de la chapelle espagnole, affirmant ainsi de manière catégorique la bienséance de l’ordre dominicain. Mais tandis que Giotto représentait la vie et les vertus des saints de manière accessible, le créateur de ces œuvres s’efforce de tisser ensemble esprit scientifique, symbolique, et spirituel, afin de mettre en lumière la nature de saint Thomas d’Aquin. Il ne rechigne pas à représenter ses confrères de l’Ordre sous la forme de chiens de Dieu blancs tachetés de noir : les domini canes. Sur les parois de l’autel de la spacieuse chapelle est

104. Taddeo Gaddi, Scènes de la vie de la Vierge, mur gauche de la chapelle Baroncelli, église Santa Croce, Florence (Italie), 1328-1330. Fresque. In situ. 105. Maso di Banco, Cycle de la vie de saint Sylvestre : résurrection des deux mages, église Santa Croce, Florence (Italie), vers 1340. Fresque. In situ.

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pour la conversion des non-croyants. Au-dessus, l’humanité insouciante se livrant à ses plaisirs, et au sommet du tableau, la paix de l’Église et l’accueil des bienheureux au royaume des cieux peuplé de saints et de prophètes. Sur la paroi ouest est représenté le triomphe de saint Thomas d’Aquin. Il est représenté trônant au dessus d’un puissant clergé entouré de prophètes et des apôtres évangélistes. Des anges planent au-dessus, à ses pieds rampent les hérétiques. Sur les stalles d’un chœur gothique siègent des personnages féminins, qui symbolisent les vertus de l’église, la science et les arts. À leurs pieds, le peintre a dessiné les représentants du ciel sur la terre, qui sont vraisemblablement la reproduction d’amis ou de connaissances de l’artiste. Cette dernière fresque n’est pas sans signification historique, en ceci que la construction et l’ordonnancement des groupes constituent le noyau des éléments de composition, dont se servira Raphaël, dans son École d’Athènes, y apportant une touche finale.

La Peinture gothique en Espagne représentée, en premier lieu et en continu, la vie du Christ, du Portement de Croix jusqu’à l’Ascension, de telle manière que la crucifixion, dans laquelle sont représentés de nombreux personnages, constitue le point d’orgue de l’œuvre. Le tableau sur la paroi est, est sans ambages chargé de personnages et de symboles. Dans la partie en bas à gauche se trouve, devant une cathédrale, l’église terrestre incorporée en la personne du Pape, mais aussi l’empereur, des aristocrates, des membres du clergé et leurs suites respectives, qui sont aussi fidèlement protégés par les « chiens de Dieu » mentionnés plus haut. En bas à droite, le clergé est représenté à l’occasion d’un sermon

Une activité intense s’est développée dans les royaumes d’Aragon et de Catalogne, qui a posé les bases de la peinture espagnole, avec des triptyques et autres retables allant souvent de quinze à seize mètres de haut, souvent recouverts d’or, ou encore avec des tableaux fortement imprégnés d’influence française, italienne ou néerlandaise. La sculpture s’est aussi développée à cette époque et devint de plus en plus méticuleusement élaborée. L’expression perdit de son allure figée et devint plus naturelle.

106. Maître français, Annonciation, vers 1375. Détrempe, huile et or sur bois, 30,8 x 22,5 cm. Cleveland Museum of Art, Cleveland (États-Unis).

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107. Maître de l’Annonciation d’Aix, Annonciation (panneau central d’un triptyque), église Sainte-Marie-Madeleine, Aix-en-Provence (France), 1443-1445. Huile sur bois, 155 x 176 cm. In situ.

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d’autant le cercle des personnes auxquelles l’artiste était susceptible d’adresser son œuvre. Mais cet aspect élitiste n’a nullement conduit à une stagnation des techniques utilisées, bien au contraire. Tandis que la confection de livres devenait de plus en plus le travail d’ateliers municipaux, on se mit à découvrir de nouvelles techniques de peinture des miniatures qui profitèrent à l’ensemble de la communauté des artistes. La mise sur pied d’un nouveau langage artistique – l’élargissement des possibles, l’expression de quantités, de mouvements et de volumes – revint en grande partie aux ateliers d’enluminure. La fonction illustrative de l’enluminure a conduit les dessinateurs à une fonction narrative, qui comprenait une fonction non seulement de représentation des espaces, mais aussi de représentation du temps. L’enluminure a également joué un rôle majeur dans l’apparition de nouveaux genres, tels que le portrait ou le paysage. L’un après l’autre, les graveurs ont contribué au développement de cet art, qu’il s’agisse de dessin, de coloris ou de compositions, de scènes ou de motifs, du fait de leur observation de plus en plus pénétrante de la vie quotidienne.

L’Enluminure gothique Les manuscrits illustrés étaient conçus pour l’aristocratie, le haut clergé ainsi que pour la bourgeoisie d’affaires et de commerce qui voyait sa puissance augmenter. Il s’agissait de véritables joyaux, qui, aussi bien par leur présentation que par leur prix, étaient en mesure de rivaliser avec les plus belles œuvres de joaillerie. L’analphabétisation d’une grande partie de la population, ainsi que le prix élevé des manuscrits originaux limitaient

La production de livres illustrés, tout comme celle d’artisanat, est une forme d’art très mobile. Les marchands rapportaient de leurs voyages, entre autres marchandises, des manuscrits illustrés, qui faisaient aussi souvent partie du trousseau de mariage des princesses lorsqu’elles épousaient un prince étranger. Les livres étaient même considérés comme des trésors de guerre. C’est ainsi que les livres illustrés ont transporté à travers l’Europe de nouvelles idées, de nouveaux styles et de nouveaux goûts. Il ne fait plus aucun doute que c’est par l’intermédiaire de l’enluminure que l’art parisien se soit si incroyablement répandu en Europe, dans la deuxième moitié du XIVe siècle. Il

108. Bible : Louis IX et la reine Blanche de Castille, 1226-1234. Encre, détrempe et feuille d’or sur vélin, 38 x 26,6 cm. The Pierpont Morgan Library, New York (États-Unis).

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n’y a pas qu’avec la peinture de chevalet que l’enluminure se trouvait en relation d’échange permanent, mais aussi avec la sculpture, car l’accroissement des décors dans les cathédrales romanes et gothiques, qu’il s’agisse des formes, des thèmes et des iconographies, a servi de source d’inspiration pour les confectionneurs de manuscrits illustrés. On peut même dire que les tisserands, les architectes, les graveurs sur émail, les peintres sur verre, ou même les tailleurs d’ivoire les ont inspirés. Jusqu’à la moitié du XVe siècle, jusqu’à Jean Fouquet, les maîtres français de l’enluminure furent inspirés par les sculpteurs gothiques de premier ordre. Au XIIIe siècle, la miniature fut fortement influencée par les vitraux, et au XIVe siècle par les fresques italiennes. Au XVe siècle, il lui fut impossible d’éviter l’influence des peintres néerlandais et de leurs découvertes, des artistes italiens du quattrocento. C’est au fil de ces influences complexes et entrecroisées de genres, d’écoles et de styles que la miniature a fini par rencontrer sa propre identité. En sa qualité d’art secondaire, servant à l’illustration d’un texte, la miniature est d’une valeur inestimable pour apprécier la façon dont les gens de l’époque interprétaient et comprenaient les œuvres de l’Antiquité, de quelle manière ils les ont adaptées à leur temps, et comment ils les ont reliées aux étapes successives du développement de la culture spirituelle. La décoration des manuscrits est devenue de plus en plus riche et complexe au fil de son développement, jusqu’à atteindre son apogée entre les XIVe et XVe siècles. Les lettrines prennent une dimension, un contenu et un caractère différents. Les rubriques du texte sont peintes d’or et de couleurs, on trouve même des décorations horizontales sous les lignes, et les bordures ornées de dessins botaniques. La représentation de

créatures réelles ou fantastiques, de figurines humaines, de héros de fables, ainsi que l’ornementation en filigrane des bordures, étendues sur la largeur du pied de page, sont courantes, avant même l’apparition de la miniature. Lorsqu’un manuscrit était destiné à être illustré, le copiste laissait de la place pour les lettrines, les médaillons, les champs, ainsi que pour les illustrations sur une page ou simplement sur une demi-page. Parfois, l’on donnait des indications au dessinateur

109. Missel de Saint Louis : le Christ dans une mandorle entouré des symboles des évangélistes, vers 1225-1256. Basilique Saint-François, Assise (Italie).

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sur la façon dont il devait réaliser ses illustrations – ses « histoires » comme il était coutume de les nommer – indications que l’on rédigeait dans la marge de la page. Puis commençait le travail du dessinateur, du peintre. À cette époque, où le centre de gravité pour la rédaction de manuscrits se déplace des monastères vers les villes, on assiste à une certaine spécialisation dans la répartition des tâches. Tandis que le maître assure la supervision de l’ensemble, et esquisse des croquis aux endroits essentiels, un de ses assistants reproduit, au crayon ou en peinture, ses indications, un autre recouvre d’or les passages destinés à cet effet, un dernier s’occupe des couleurs, et ainsi de suite. Une telle spécialisation a amélioré l’ensemble de la prestation des ateliers, tant en vitesse qu’en qualité, l’honneur d’une nouvelle technique ou d’un nouveau motif demeurant bien-sûr réservé au maître. Le travail de l’écrivain et celui du miniaturiste étaient très difficiles. Les anciens traités expliquent comment l’on devait s’y prendre pour essuyer l’or, d’abord délicatement, puis de plus en plus énergiquement, jusqu’à ce qu’à se retrouver en nage. Entretemps, on devait passer les couleurs en sept étapes, étant parfois obligé d’attendre plusieurs jours avant que la première couche fût sèche. Si Byzance a repris et développé la technique, héritée de l’Antiquité, de décoration artistique des manuscrits, en Europe de l’ouest, l’illustration des codex n’est apparue qu’au VIe siècle, dont on retrouve des traces en Italie et sur le territoire de la France actuelle. C’est ici que fut développée, entre les Ve et VIIIe siècles, cette culture artistique, appelée « culture mérovingienne », du nom de la dynastie régnante.

Les quelques manuscrits qui restent de cette époque mérovingienne, de la fin du VIIe siècle à la moitié du VIIIe, reflètent la domination du style graphique, influencé à la fois par l’art romain tardif, par les Lombards du nord de l’Italie (représentations de personnages et motifs architecturaux), aussi bien que par l’art d’Orient, au premier rang duquel l’ornementation des coptes d’Égypte. Les principaux centres de confection de manuscrits de cette époque étaient Tours et le cloître de Fleury, Luxeuil en Bourgogne, et Corbie en Picardie. Les livres étaient le principal instrument de la culture monacale, c’est pourquoi la forme des manuscrits était non seulement déterminée par la conception religieuse du monde, mais aussi par la tradition de chacun des Ordres. C’est sur les îles britanniques que s’est développé l’art de la miniature de la manière la plus prégnante et la plus originale, suite à la christianisation de la Grande-Bretagne. Les graveurs utilisèrent et développèrent, à cet égard, les traditions de l’artisanat décoratif local. Les lieux privilégiés de cet art étaient les monastères d’Irlande et de Northumbrie, dans les scriptorium desquelles ont été réalisés les premiers chefs-d’œuvre de l’enluminure européenne. Tandis que cette époque s’étend en France et en Angleterre, sur l’ensemble des XIe et XIIe siècles, jusqu’à la transition gothique du XIIIe siècle, le XIe siècle reste, en Allemagne, dominé par les milieux proches d’Otton. Pour cette raison, les chefs-d’œuvre de l’art roman seront réalisés ici au XIIIe siècle. L’enluminure romane est de nature quasiexclusivement monacale. L’histoire de la miniature française comme phénomène de culture nationale commence dès le Xe siècle, et dure aussi

110. Missel de Reims (Missale Remenense) : Crucifixion (haut) et Déposition (bas), 1285-1297. Parchemin, 23,3 x 16,2 cm.

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longtemps que dure la dynastie capétienne (1328). Avant cette époque, en effet, sur le territoire de la France actuelle, les lieux de confection de manuscrits, certes importants, à l’image de Reims et de Tours, ne sont constitutifs que d’exemples isolés. À partir du XIIIe siècle, l’enluminure française a atteint un développement tel, qu’elle est en mesure de dicter sa loi artistique à l’Europe toute entière. Le XIIIe siècle ne constitue pas seulement la charnière entre l’art roman et l’art gothique, mais aussi la période pendant laquelle les principes d’organisation de l’enluminure vont connaître de profonds bouleversements, au premier rang desquels, le déplacement des centres de réalisation, des monastères vers les ateliers urbains et laïcs. En France, c’est Paris qui occupe la place centrale, du fait des activités développées par son université, nommée du nom de son fondateur Robert de Sorbon, du fait aussi de son rôle moteur dans l’apprentissage et la recherche européenne de cette époque, du fait enfin de la politique réussie d’unification du territoire par la couronne de France, dont la cour deviendra pendant longtemps un important passeur de commandes pour les meilleurs confectionneurs de manuscrits. C’est ici que les caractéristiques françaises commencent à se faire jour, telles qu’une très grande précision technique, une calligraphie claire et des coloris harmonieux composés de rouge, de blanc et de bleu sur fond d’or, et enfin un système décoratif bien réfléchi. On recense, dans le rôle fiscal de Paris pour l’année 1292, à côté des peintres, des maîtres d’œuvre, des sculpteurs, des peintres sur verre, des tapissiers et autres joailliers, pas moins de dix-sept enlumineurs. Ceux-ci n’étaient pas seulement au fait des découvertes artistiques des maîtres parisiens, mais aussi des dernières nouveautés de l’étranger, que les marchands et artistes voyageurs ramenaient dans leurs

bagages. Ces biens culturels étaient artistiquement valorisés à Paris, selon les goûts et techniques parisiens, puis étaient de nouveau exportés à l’étranger. Grâce à la fonction centralisatrice de Paris, la miniature française des XIIIe et XIVe siècles devint un phénomène artistique hautement unifié. Le changement culturel et social, le cercle des nouveaux lecteurs et passeurs de commandes, ensevelit peu à peu l’hégémonie de la littérature liturgique. De plus en plus d’œuvres profanes voyaient le jour, des traités, des romans chevaleresques et des monographies historiques, qui apportaient de nouvelles figures à la miniature, souvent porteuses d’un caractère hautement laïc. Le développement de la culture de cour française a pendant longtemps entraîné avec lui le raffinement des tendances courtoises et chevaleresques de la haute société. Roland, le légendaire héros tombé en 778 près de Roncevaux dans les Pyrénées, fut remplacé par le tout aussi légendaire couple formé par Tristan et Iseult. Le principal sujet d’adoration religieuse devint la Vierge Marie, à qui de nombreuses œuvres poétiques et de longs cycles de miniatures furent consacrés. À cette occasion, les sujets sont pour la première fois séparés en des images distinctes. Le chemin parcouru par la miniature gothique à la fin du XIIIe siècle peut être décrit comme le passage à des manuscrits relativement sobres, illustrés de dessins précis et de grandes surfaces peintes, vers des ouvrages aux lignes plus fines et aux figures plus gracieuses. L’ensemble formé du texte et des illustrations devient de plus en plus complexe, et John Ruskin décrit, à juste titre, le Bon Missel illustré de l’époque gothique, comme « une superbe cathédrale couverte de vitraux ». Une telle description correspond tout à fait au Missel de Reims (voir p.138),

111. Windmill Psautier : psaume 1 (Beatus Vir), vers 1270-1280. Encre, pigments et or sur vélin, 32,3 x 22,2 cm. The Pierpont Morgan Library, New York (États-Unis).

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C’est à cette époque de transition entre le protogothique et le gothique tardif, lorsque le gothique atteint sa maturité, que se produit un changement significatif dans les marges des manuscrits : il s’agit d’ornements, les rinceaux, héritiers des lettrines, que l’on place de plus en plus dans les marges ou dans l’espace libre entre deux colonnes. Ces ornements prennent des formes tirées de la botanique, qui occupent, en définitive, l’ensemble des espaces libres, constituant une bordure décorative. Des petits bonshommes et des acrobates, qui sont apparus sous l’époque romane, lorsque les lettrines étaient historisées, se trouvent également décalés dans les marges. À leur place se retrouvent d’autres objets ou personnages. Ces figurines, appelées « drôleries », se tiennent en équilibre sur les rinceaux et, mêlées aux décors, faits de baies, de feuilles, de fleurs, de sarments ou de rameaux de lierre, produisent des scènes indépendantes. La question de savoir d’où provenaient ces motifs décoratifs et récréatifs demeure controversée. Ce côté « ménagerie » et « jardin botanique » conduit certains à leur imaginer des origines italiennes, d’autres réfèrent les drôleries à un style très anglais, d’autres encore voient dans cette recherche naturaliste une note typiquement flamande, d’autres enfin les tiennent pour la réalisation d’une rêverie allemande.

une création de l’époque du gothique classique. Le degré de conception se rapproche des travaux du premier peintre parisien célèbre, maître Honoré, dont les traits particuliers nous sont connus grâce aux archives et aux manuscrits du XIIIe siècle. À cette époque, la miniature française avait déjà atteint cette unité entre élégance et balancement, qui sera plus tard une caractéristique forte de l’école nationale, et qui ne manquera pas de marquer le style propre aux œuvres plus modestes.

Force est toutefois de constater que c’est bien à Paris que ces figurines ont rencontré leur succès, d’où elles ont, avec le sceau de la modernité, conquis l’Europe. Ce phénomène s’appuie sans aucun doute sur les marchés populaires annuels, et sur la représentation que les gens se faisaient des jongleurs, des acrobates et des dresseurs d’animaux du Moyen Âge. Les Livres du trésor de Brunetto Latini constituent les premiers codex français, dans lesquels des représentations complètes de jongleurs étaient dessinées sur les rinceaux.

112. Walther von der Vogelweide, Manuscrit de Heidelberg (« Minnessang ») : Minnesänger, 1315-1340. Bibliothèque universitaire, Heidelberg (Allemagne).

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À partir du XIVe siècle, la miniature française gagne en raffinement ; le trait devient à la fois plus léger et plus vigoureux, les proportions des figurines sont rallongées, le rythme des plis des vêtements et des draperies devient quasi musical. Les coloris extrêmement juteux de la miniature gothique de la première période sont peu à peu remplacés par une délicate composition entre des couleurs claires et une légère coloration des traits : c’est le début de la grisaille. À la fin du même siècle, un artiste a réussi à rassembler les différentes conquêtes de l’école parisienne et à en titrer un résultat d’une qualité porteuse d’avenir. Ce maître, Jean Pucelle, fut, selon les termes de l’historien de l’art américain Erwin Panofsky, celui qui, pour le développement de la peinture dans le Nord, a été aussi fondateur que l’ont été Giotto et Duccio en Italie. C’est lui qui a perfectionné l’élégance des silhouettes, le trait des dessins et la technique de « grisaille », qui a permis de rendre la volumina. Les premières expériences, pour timides qu’elles furent, de surmonter cette abstraite bi-dimensionnalité des motifs, se changèrent avec lui en compositions architectoniques, avec cette tendance à vouloir mettre en évidence une certaine profondeur de l’espace. De manière plus libre que ses prédécesseurs, il a aussi développé des scènes principales dans les marges, avec un sens du détail réaliste et un talent narratif certain. Les figurines se déplaçaient, les compositions devinrent plus libres et plus généreuses. Le caractère innovant de Pucelle a énormément contribué à ce que l’art encore très intime de l’enluminure du XIVe siècle rende compte des exigences de son époque. Contrairement à l’architecture et à l’art monumental, elle s’est exposée aux conséquences dramatiques des événements qui ont bouleversé le XIVe siècle, que sont la Guerre de Cent ans,

la crise économique, et la peste. La tradition de Pucelle est demeurée très influente et a continué, jusqu’à la fin de son siècle, à porter des fruits. Son plus célèbre successeur, à la cour de Charles V, fut Le Noir (voir p. 147). La miniature la plus proche de la miniature française fut certainement espagnole, avec des variantes toutes méditerranéennes. C’est dans la seconde moitié du XIVe siècle qu’un milieu culturel assez autonome s’est formé autour de la

113. Walther von der Vogelweide, Manuscrit de Heidelberg (« Minnessang ») : Minnesänger, Heinrich Frauenlob dirige son orchestre, 1315-1340. Bibliothèque universitaire, Heidelberg (Allemagne).

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Méditerranée, avec pour centre Avignon, et pour régions d’influence, la Catalogne, une partie de l’Italie du Nord et, bien sûr le Sud de la France. On compte parmi les œuvres de ce courant le codex Bréviaire d’amour, certes copié en Catalogne, mais illustré en Provence. Ce sont les couleurs employées, plus chaudes, ainsi que la présence de quelques motifs arabisants, qui distinguent ce courant de l’école parisienne. La miniature italienne du XIVe siècle est déjà divisée entre plusieurs centres et plusieurs écoles. À Bologne, se déploie une importante activité d’enlumineurs autour de l’université. La grande peinture italienne du trecento exerçait sur l’ensemble de l’enluminure italienne une telle influence que les graveurs furent particulièrement attentifs aux enseignements d’un Giotto. L’influence des fresques se ressent aussi bien dans ce style monumental, dans les coloris utilisés que dans les lettrines du Canon du philosophe perse Avicenne, ou encore dans les illustrations tirées d’un roman sur la guerre de Troie. Cette série de miniatures, rare par sa taille et par sa structure et occupant le champ inférieur de la page, est l’un des meilleurs exemples d’une représentation narrative permanente, qui rappelle déjà les frises antiques ou les vieux parchemins. Elle fut reprise et transformée au Moyen Âge, par exemple sur la tapisserie de Bayeux, mais surtout abondamment développée dans les miniatures des codex italiens (à Naples, à Bologne, en Lombardie), notamment dans les illustrations des romans chevaleresques. Cet esprit de la découverte, cette lecture attentive du texte à illustrer, cet enrichissement des miniatures, qui les rendaient si proche de la réalité, sont pour les chercheurs, les témoins que ce codex préparait le passage à une autre époque, humaniste celle-là. À titre d’exemple du

développement de la culture humaniste en Italie, on peut mentionner l’une des plus anciennes œuvres de Pétrarque, copiée à Milan. Au XIVe siècle, l’illustration du manuscrit allemand Le Livre des échecs revient au moine bénédictin suisse Konrad von Ammenhausen. Mis à part certaines particularités très nationales de son style, les miniatures sont, grâce à des détails de genre et à une iconographie très rare, hautement

114. Gautier de Coinci, La Vie et les miracles de Notre-Dame : récit de la damnation d’un prêteur sur gages et de la rédemption d’une mendiante, à qui la Sainte Vierge accompagnée de vierges apparaît, fin du XIIIe siècle. Parchemin, 27,5 x 19 cm. 115. Vie de saint Denis : l’entrée de saint Denis à Paris, vers 1317. 24 x 16 cm. Bibliothèque nationale de France, Paris (France).

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On peut aussi mentionner un style international, qui a fleuri, au tournant du XVe siècle, dans de nombreux centres européens, et dont les plus grandes conquêtes sont à mettre en lien avec la culture de cour française. La cour française connaît déjà, en effet, le phénomène de mécénat et de bibliophilie, qui remonte à Jean II le Bon et fut prolongé par Charles V le Sage, dont pas moins de neuf cents volumes ont été recensés dans sa bibliothèque. Cette tradition a connu d’autres étapes importantes avec le comte de Bourgogne Philippe II et avec le duc du Berry, Jean de Valois, nom que l’on rattache souvent à cette période de la miniature française. Avec les princes de Valois en effet, s’est renforcée l’influence de Paris dans la détermination du bon goût artistique. Les conditions favorables des artistes à la cour de Paris et les tendances grégaires de l’aristocratie, ont incité beaucoup d’artistes européens à venir y tenter leur chance, principalement des Pays-Bas. Ces derniers apportèrent leur sens de la couleur et de la lumière, de l’espace et de la nature. La rencontre de cette tendance avec la tradition d’un Pucelle a produit l’un des phénomènes les plus intéressants de l’histoire de la peinture, connu sous le nom de miniature franco-flamande : le cadre parisien du XIVe siècle se révélait beaucoup trop étroit pour l’univers des formes, qui devenaient toujours plus larges et plus complexes. Les « maisons de poupées » de Pucelle ne suffisaient plus à la fantaisie des « maîtres du Berry ». intéressantes. Du reste, la miniature présentait, du fait du lieu où elle avait été réalisée – que se soit en Rhénanie, en Souabe, en Saxe, c’est-à-dire là où l’influence de l’école de Prague était forte – des types de visages très anguleux et des coloris très différents et en tout cas, totalement inconnus en France.

Les premières tentatives de réaliser des portraits et des paysages nécessitaient d’autres développements, et c’est ainsi qu’à la fin du XIVe siècle se développa aussi la peinture sur chevalet à côté de l’enluminure.

116. Giovanni de’ Grassi, Brevarium ambrosianum, dit Il Beroldo, vers 1390. Biblioteca Trivulziana, Milan (Italie). 117. Jean Le Noir, Les Petites Heures de Jean de Berry : la naissance de Jean-Baptiste et le baptême de Jésus, XIVe siècle. 22,5 x 13,6 cm. Musée Condé, Chantilly (France). 118. Guyart des Moulins, Bible historiale : Trinité trônante (feuillet introductif), troisième quart du XIVe siècle. Parchemin, 45,5 x 31,5 cm. 119. Guyart des Moulins, Bible historiale : Nouveau Testament (frontispice), troisième quart du XIVe siècle. Parchemin, 45,5 x 31,5 cm.

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L’Italie s’est trouvée à l’origine de la révolution du quattrocento ; les Néerlandais envisageaient le passage à une ère d’après Jan et Hubert Van Eyck. De tels artistes « du cercle du Berry », comme le maître du livre d’heures de Marshall, Jacquemart de Hesdin ou Boucicaut, le maître du livre d’heures des ducs de Rohan et, plus particulièrement, les frères néerlandais Paul, Hermann et Jan Limbourg, sur lesquels on ne dispose d’aucune information, menèrent une révolution au cœur de l’enluminure : des livres de prières pour les non initiés, parmi lesquels les prières d’heures très développées au XVe siècle, des ouvrages didactiques et historiques, des romans d’amour et de chevalerie, dont les illustrations étaient particulièrement fidèles à l’univers élégant de la société courtoise (voir p. 150, 151). Au XIVe siècle, le système illustratif des romans était ainsi fait, que de petites miniatures encadrées furent insérées entre les deux ou trois colonnes du texte. On avait coutume d’unifier les illustrations avec les lettrines, lesquelles étaient accompagnées d’un fragment de bordure ornementale dans la marge de la page. L’enluminure d’un livre d’heures, variation parisienne du modèle type de l’art franco-flamand, peut servir d’exemple à cette enluminure de premier choix, qui est devenue peu à peu un décor quasi-ordinaire. C’est sous Charles VI, que les miniatures de ces livres d’heures ont témoigné de coloris très élaborés. Après la défaite catastrophique de l’armée française à Azincourt, le 25 octobre 1415, contre l’armée anglaise, la Guerre de Cent ans a entraîné la France dans une douloureuse période, dont les conséquences se sont aussi fait ressentir dans le domaine de l’art. Le domaine royal fut divisé entre plusieurs régions, qui parfois même se livraient bataille. Les Anglais conquirent et mirent à sac Paris, qui

perdit son rôle central, tandis que les courants qui permettaient à la peinture de se développer, éclatèrent dans plusieurs directions. Les artistes fuyaient la capitale en direction du sud du Royaume, soit en Bourgogne, soit dans la vallée de la Loire, voire à l’étranger. La deuxième moitié du XVe siècle, alors que les maîtres italiens et néerlandais accomplissaient des progrès formidables, fut pour l’art

120. Les Frères Limbourg, Les Très Riches Heures du duc de Berry : le mois de mai, 1412-1416. 22,5 x 13,6 cm. Musée Condé, Chantilly (France). 121. Les Frères Limbourg, Les Très Riches Heures du duc de Berry : la tentation du Christ, 1412-1416. Musée Condé, Chantilly (France).

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naturalisme, ce qui nous permet de parler de gothique tardif. Giovanni dei Grassi et Michelino da Besozzo, qui travaillaient au service de Giangaleazzo Visconti, archevêque de Milan, duc de Milan, prince de Lombardie, et bibliophile passionné, atteignirent dans l’enluminure de manuscrits un savoir-faire proche de la perfection. Sous Filippo Maria Visconti et Francesco Sforza, lesquels avaient hérité des ducs de Milan un goût prononcé pour les beaux livres, c’est Belbello da Pavia, entre 1430 et 1473, et Bonifazio Bembo, entre 1447 et 1477, qui ont poursuivi cette tradition. Un remarquable exemple de l’enluminure milanaise nous est fourni par le Semideus, qui appartenait au fond de la bibliothèque du duc, et dans lequel la brillance des couleurs de Michelino da Besozzo rencontre la subtilité et le sens du détail microscopique de Belbello da Pavia.

français, et pour l’enluminure en particulier, une époque calamiteuse : il manque à l’enluminure de cette époque un élan créatif, tandis que les techniques utilisées ne témoignent d’aucun progrès. Parmi les centres italiens d’enluminure à la fin du XIVe siècle et au début du XVe, c’est en Lombardie que les artistes furent le plus influencés par la France. À la cour des ducs Visconti de Milan fleurit l’art courtois, de style international, comme on le rencontrait couramment à Paris, dans les cathédrales de Bourges et de Dijon ou encore à la cour de Venceslas IV, roi de Bohème. L’élitisme aristocratique rencontra son unité dans la miniature lombarde, grâce à un grand sens de l’observation et une objectivité proche du

Les illustrations passionnantes des scènes de combat rappellent le penchant, typique de la miniature lombarde, pour les dessins à l’aquarelle, qu’appréciait particulièrement Bonifazio Bembo. Tandis qu’à Milan et à Pavie, des manuscrits similaires au Semideus furent réalisés, dans d’autres régions de l’Italie, la culture de la Renaissance triomphait déjà, et particulièrement à Florence. L’enluminure en Italie n’a jamais connu l’élan qu’ont reçu l’architecture, la sculpture ou la peinture, mais on ne doit jamais oublier que le livre humaniste fut, pendant la Renaissance, un instrument de culture comparable à ce que furent les manuscrits des monastères du Moyen Âge. L’enluminure française dans la seconde moitié du XVe siècle est très répandue. On cherche aujourd’hui à attribuer la grande quantité de manuscrits produits à cette époque, aux différents maîtres enlumineurs et aux écoles locales qu’elle a connues. C’est ainsi qu’apparaissent des noms comme celui de

122. Jean Dalbon, Décoration de la chambre dite « du pape », palais des Papes, Avignon (France), 1336-1337. Peinture à la détrempe. In situ.

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123. Décoration de la chambre dite « du cerf », palais des Papes, Avignon (France), 1343. Fresque avec finitions à sec. In situ.

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124. La Nativité, détail du vitrail de l’Histoire de l’Enfance du Christ, déambulatoire, église Saint-Denis (ancienne église abbatiale bénédictine), Saint-Denis (France), 1140-1145. Vitraux polychromes et plomb. In situ.

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maître François, de maître Juvénal des Ursins, à qui l’on doit les illustrations du Roman de Fauvel, ou de maître Charles de France, réalisateur des enluminures des traités de Martin de Braga et de Cicéron. Pour la grande famille des Rolin, à Autun, travaillait un artiste au style très caractéristique, développé dans le livre d’heures des Rolin-Lévi. D’un style un peu moins arrondi, on notera l’apport de l’école de Rouen, enlumineuse de la chronique de Jean de Courcy. Le domaine de l’illustration de la littérature a connu un prolongement philosophique et théologique, grâce aux travaux du philosophe et théologien italien Thomas d’Aquin, puis grâce au nouvellisme, littérature construite en plusieurs épisodes (Les Quinze Joies du mariage). Ce manuscrit constitue aussi un exemple intéressant de miniature sur papier. Les illustrations de couleur, réalisées à la plume dans Tournoi et dans Regnault et Jeanneton, ne sont pas terminées, mais sont demeurées à l’état de brouillon. Encore plus populaires furent les traités de sciences naturelles, parmi lesquels différents types de manuscrits sur les plantes, les herbes et leurs vertus médicinales. L’iconographie de ce genre d’encyclopédie manuscrite, dont on peut faire remonter les origines jusqu’à l’Antiquité, puis jusqu’aux Arabes, continua d’être travaillée pendant l’époque romane. Les Italiens ont particulièrement contribué à son développement. La conservation et le développement de cette iconographie est mise en évidence par les miniatures réalisées pour deux manuels de plantes manuscrits de Platearius, entre lesquels courent pas moins de cinquante années. En Bourgogne, l’enluminure se développa parallèlement à celle de France. Les Pays-Bas qui appartenaient au duché, peuplés d’une bourgeoisie progressiste, ont permis à de nombreux maîtres nordiques de la Renaissance de

développer leur travail de peinture sur chevalet. La cour de Bourgogne incarne le déclin de la culture chevaleresque, mais un déclin haut en couleurs. Même à Paris, on ne connaissait pas pareilles fêtes, pareille mode et pareille étiquette. C’est ici que se déroulaient les tournois, que l’idée mûrit d’organiser des croisades, et que fut fondé l’Ordre de la Toison d’Or. Les architectes, peintres, poètes, traducteurs, historiens et sculpteurs travaillaient pour la cour, et cette culture courtoise a atteint une certaine apogée sous l’influence de Philippe le Bon et de son fils, Charles le Téméraire, tombé à Nancy. C’est au mécénat de Philippe le Bon, le grand duc de l’Ouest, comme on l’appelait, que l’on doit l’incroyable richesse de la bibliothèque du duché. Plusieurs ateliers étaient consacrés au duc, qui, de fait, travaillaient plus pour la culture de cour que pour la culture

125. L’Abbé Suger de Saint-Denis aux pieds de Marie, détail d’un vitrail de l’église Saint-Denis (ancienne église abbatiale bénédictine), Saint-Denis (France), 1140-1145. Vitraux polychromes et plomb. In situ.

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urbaine. Si l’enluminure bourguignonne ne pouvait pas passer à côté des découvertes des grands de ce temps – Jan Van Eyck, Rogier Van der Weyden, Hans Memling ou Hugo Van der Goes – elle resta, dans une grande mesure, prisonnière de la tradition aristocratique de l’enluminure française du début du siècle. À titre d’exemple, citons le manuscrit réalisé pour Philippe le Bon, le traité de Guido Parati, qui s’ouvre avec le « portrait collectif » de Philippe et de son entourage. À Bruges particulièrement, de nombreux manuscrits furent réalisés, dont les artistes travaillaient non seulement pour leur seigneur Louis de Bruges, mais aussi pour de riches bourgeois, des aristocrates de l’entourage du duc, et même pour des autorités étrangères, comme le roi d’Angleterre. Dans un de ces ateliers flamands fut réalisé le folio Chronologie mondiale, monumental et rare de par sa reliure, et qui, avec Ovide, réalisé pour un parent de Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse, constitue un bel exemple de la miniature flamande. L’enluminure du Brabant est, pour sa part, représentée par quelques pages d’un modeste livre de prières, qui constitue un exemple, courant à l’époques, de la réunion dans un même volume de manuscrits d’époque différentes. Après la chute inéluctable du duché de Bourgogne, résultat de la politique d’unification de Louis XI, la miniature d’influence française s’orienta vers la formation d’un courant artistique unitaire et national, tandis que la plupart des maîtres des villes plus septentrionales, qui étaient tombées sous la domination des Habsbourg, travaillaient quant à eux, dans un cadre totalement néerlandais. L’œuvre d’un Jean Fouquet ou d’un Simon Marmion constitue l’apogée de la miniature française du XVe siècle, qui

tomba en déclin immédiatement après. La décoration des manuscrits devint, en dépit du maintien d’une perfection toute formelle et très technique, relativement stéréotypée et poncive. Toute la force de création était orientée sur l’illustration, qui prenait un caractère totalement autonome du reste du livre. L’influence de la peinture de chevalet sur la miniature était inévitable, et le manuscrit devint en premier lieu une œuvre de l’art pictural. Un demi-siècle après Fouquet, les derniers enlumineurs reproduisaient déjà des tableaux, et même leurs cadres. Une autre cause du déclin de la miniature provient bien sûr de la pression exercée par l’imprimerie, qui apparut sur le marché lorsque Fouquet réalisait ses chefs-d’œuvre. Les successeurs de Fouquet, qui travaillèrent dans un contexte de production plus rapide et moins cher, ne possèdaient déjà plus l’élan créatif du maître de Tours. Ils se contentèrent de reproduire ses caractères, de conserver son style, sans en saisir l’âme profonde.

La Peinture murale à l’époque gothique La peinture du Moyen Âge gothique s’est libérée plus vite que la sculpture, qui a d’abord trouvé refuge dans l’art de graver le bois, seule niche que l’architecture ne dominait pas. La peinture fut guidée par l’instinct de survie, car l’architecture gothique condamnait peu à peu la peinture murale. Avec l’abandon progressif des rangées de piliers, la peinture murale ne disposait plus d’espace. Au début, elle se battit pour les conserver, mais il ne reste de cette bataille que peu de traces. En Allemagne, un Christ sur son trône, peint dans l’abside de l’église de Braunweiler sur le Rhin, constitue un témoignage fantastique de la peinture murale de la fin du Moyen Âge. Son dernier refuge, elle le chercha dans les

126. Histoire de l’Enfance et de la Passion du Christ et Arbre de Jesse, vitraux de la contre-façade, cathédrale Notre-Dame, Chartres (France), 1150-1155. Vitraux polychromes et plomb. In situ.

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hôtels de ville et les châteaux, jusqu’à ce que finalement ce type de peinture tombe en désuétude. Les peintures murales du château Runkelstein, près de Bozen en Autriche, un des plus beaux projets de composition de fresques de cette époque, témoignent de la signification que de telles peintures avaient pu revêtir. Elles représentent, pour partie, des scènes de la légende de Tristan et Iseult, pour partie, des jeux, des danses et diverses scènes de la vie de cour du XIVe siècle. Que la matière soit tirée d’un chef-d’œuvre de la littérature de chevalerie, en dit long sur les rapports étroits entre la peinture murale et l’enluminure, celle-là tirant de celle-ci le plus gros de son inspiration.

Les Vitraux gothiques Le rôle de la peinture murale fut repris par le vitrail, qui trouva aussi bien dans les fenêtres des nefs, que dans celle des chœurs, de quoi mettre en avant son savoir faire. Son apogée se situe aux XIVe et XVe siècles, époque où il choisit de se soumettre volontairement à l’architecture, qui lui permit toutefois de se développer très librement. À la place de la représentation monumentale, qui était, dans le roman, souvent faite d’un seul et unique personnage, intervinrent une multitude de personnages, qui se répondaient les uns les autres, grâce aux dispositions architecturales. Il y avait des éléments de contexte entre les différentes représentations ; et, de même que le contenu agissait sur les pensées, les couleurs agissaient sur les sens, en passant à travers des vitraux reliés ensemble par un treillis de plomb, qui suivait le tracé des dessins. En dépit de leur fragilité, de nombreux vitraux ont survécu aux tempêtes et aux orages, et ont traversé les siècles. On retrouve un nombre relativement important de vitraux intacts, qui autorisent à apprécier l’art des anciens

artistes et leur techniques, dans les cathédrales de Reims, de Beauvais, de Chartres (voir p. 157, 158), de Cologne, de Regensbourg, de Fribourg et de Strasbourg, ou dans la Sainte-Chapelle à Paris (voir p. 25). Mais la fraîcheur et la sensibilité avec lesquelles les gens du Moyen Âge ont accueilli cet art imagé et descriptif, est perdu sous le flot d’informations de toutes natures qui submerge notre époque. Lorsque la peinture se chercha de nouveaux domaines dans les pays du Nord, alors qu’on lui avait retiré les murs, elle se consacra à la décoration des autels. La sculpture créait l’échafaudage, le support, pour la peinture, des constructions entières que l’on plaçait sur les autels, et que l’on décorait de dessins. Pendant longtemps, sur ces constructions peintes et recouvertes d’or, le travail des peintres ne consistait à rien de plus que de recouvrir des surfaces de bois, incrustées dans les espaces laissés libres par l’architecture. La part du lion était réservée aux sculpteurs, qui réalisaient des châsses, des retables ou des autels si beaux qu’ils n’étaient montrés aux croyants que les jours de fête. Ces œuvres n’étaient que partiellement décorées de peintures et de tableaux, preuve symbolique que la peinture jouait, dans le Moyen Âge gothique, un rôle bien moins significatif que la sculpture, qui, du nord au Sud de l’Allemagne et jusqu’au XVIe siècle, a véritablement dominé l’art de décorer les églises. Ce n’est qu’à partir de la moitié du XVe siècle, que la peinture a réussi à occuper plus de place dans la décoration des autels, châsses et retables, ce qui lui a permis de connaître un certain succès et de conquérir son indépendance vis-à-vis de la sculpture et de l’architecture, jusqu’au développement de la peinture de chevalet. De tels progrès avaient déjà été constatés, dès le début du XIVe siècle, dans le Bas-Rhin, par les peintres de Cologne et aux Pays-Bas.

127. Saint Eustache part pour la chasse, détail du vitrail de la Vie de saint Eustache, collatéral nord, cathédrale Notre-Dame, Chartres (France), vers 1200-1210. Vitraux polychromes et plomb. In situ.

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La Sculpture gothique

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ans la période du haut Moyen Âge, qualifiée, en art, de « gothique » (de 1150 à 1450), la société a connu certaines évolutions. Certes, le clergé est demeuré puissant, mais les villes, grâce au commerce et à l’industrie, connurent une telle richesse, que les seigneurs féodaux perdirent de leur influence au profit de la bourgeoisie, qui tendait à une certaine autonomie culturelle et politique. Ces évolutions ne restèrent pas sans conséquence pour les arts. L’art roman fut essentiellement financé – et donc influencé – par les monastères, mais il arrivait à certains citoyens de passer commande. Ainsi en va-t-il de la sculpture, qui n’était nullement un style purement religieux, mais qui servait aussi à des fins laïques. Il n’en demeure pas moins que l’on constate dans les cathédrales gothiques cette recherche divine, et l’on ressent que l’architecture cherche à se libérer de l’emprise romane héritée de l’Antiquité, qu’elle cherche un style propre, qui n’a plus rien à voir avec ce style très terrestre, tout en largeur, de la basilique romane.

Le développement des ogives, des voûtes nervées, des systèmes de culée et des énormes fenêtres ornées de tracerie, sont autant de signes à interpréter comme une tentative d’atteindre le ciel, de s’éloigner du terrestre. Les murs disparurent littéralement, faisant disparaître avec eux la lourdeur romane. L’art, comme la philosophie, reflètait les deux manières de voir le monde, si contradictoires : l’exacte représentation de ce qui est déjà dans la nature, ou bien l’idéalisation et l’embellissement de la réalité. C’est d’un mélange des deux qu’apparaît, autour de 1350, ce qu’on appelle aujourd’hui le gothique international, qui s’est caractérisé par la réalisation de jolies images de la Vierge, dont les formes ne sont pas tant déterminées par le corps que par l’habit. L’impression générale que donnent ces sculptures est une forme en S, tout à fait comprise par la contrapposto classique. Avec les croisades, la reconquête de la Terre Sainte, l’Église reprit un rôle déterminant. Malgré, ou plutôt du fait

128. Andrea Pisano, Porte du portail sud, baptistère San Giovanni, Florence (Italie), 1330-1336. Bronze doré. In situ.

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lesquels sont insérées de trois à cinq portes, voient s’ériger des statues à taille réelle. La plupart de ces statues debout du protogothique, comme par exemple celles de Notre-Dame de Chartres (voir p. 36), exprimaient le pendant de leur fonction portative : raides et droites. Et pourtant, en comparaison avec les statues romanes, elles possèdent quelque chose de plus réaliste, de plus expressif, de plus humain. Souvent, elles donnent l’impression d’être très spirituelles ; ainsi du Christ situé au-dessus de la porte principale de la cathédrale de Chartres, qui semble l’incarnation de la bonté et de la miséricorde. Son corps n’est plus réellement raide, mais secoué de pulsions.

des croisades, la pensée arabe trouva un accès et ne manqua pas de s’exprimer dans l’iconographie moyenâgeuse.

Encore plus éloignées du roman figé, les statues du gothique courtois présentent des figures extrêmement allongées, dont la verticalité est encore accentuée par des plissures verticales ; seul le déhanchement (la pondération) casse cette verticalité en donnant une forme en S très élégante, élastique et capable de mouvement. Le gothique français est tout particulièrement capable d’élégance courtoise. La plastique des personnages, leur donnant ce mouvement et ce souffle de vie, ces visages aux sourires si doux, est souvent très séduisante, bien que souvent, du fait de l’élément narratif, leur expression soit un peu masquée.

Il est impossible de décrire les développements de la sculpture gothique indépendamment de l’apparition des nouvelles formes de l’architecture. Avec le gothique, le domaine des possibles s’est subitement multiplié, une quantité innombrable de figurines sont apparues ; on s’est mis à décorer les portes avec une inépuisable fantaisie, et pas seulement le pilier qui soutient le tympan, mais l’ensemble de la paroi. Dans les niches sont logés des anges, des saints, des prophètes et d’autres figurines. Les murs latéraux, dans

Ce que la sculpture avait gagné en indépendance, à la fin de l’époque romane, fut de nouveau perdu, lorsque le gothique imposa ses formes. La sculpture, fraîchement affranchie, devait de nouveau servir les fins architecturales, qui, sans égard pour la nature du corps humain, imposaient des formes allongées et verticales. Par-dessus le marché, la sculpture devait donner une âme à la pierre, capacité qu’elle n’avait pas perdue avec l’époque protogothique. Mais, peu à peu se figea sur les visages l’expression d’une spiritualité interne, soit au moyen d’un

129. Andrea Pisano et Giotto di Bondone, Toubal-Caïn, le forgeron, 1336-1343. Marbre. Museo dell’Opera del Duomo, Florence (Italie). 130. Nicola Pisano, Chaire, Duomo, Sienne (Italie), 1266-1268. Marbre, h : 460 cm. In situ.

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sourire conventionnel, soit au moyen d’une vague grimace. Les statues qui servaient de décor aux murs des entrées devaient tout particulièrement suivre les courbes des lignes architecturales. Elles suivaient, tantôt à droite, tantôt à gauche, des formes courbées, comme des tiges de fleurs courbées par le vent. Ce phénomène n’a pas dominé que la sculpture, mais aussi la peinture et, même un maître fondateur comme Albrecht Dürer dut, au début de son art, se plier à ses tenues non naturelles, sur lesquelles, bien sûr, la mode vestimentaire de la fin du Moyen Âge a aussi dû avoir son influence. En dépit des formes extrêmement maniérées et torturées que la sculpture gothique de la fin du Moyen Âge produisit, celle-ci a toujours eu à cœur de rivaliser avec la nature. À cette fin, la sculpture avait besoin de la peinture et l’on avait amplement recours à elle pour les œuvres plastiques qui utilisaient plusieurs matériaux, particulièrement le bois, la pierre et le stuc. Le travail d’image devait remplacer la nature, et à cette fin on a utilisé toutes les méthodes. Notre esthétique moderne, habituée aux sculptures sans couleur du XIXe siècle, considère ces méthodes comme barbares ou exagérées, car le naturalisme du Moyen Âge a accordé une valeur comparable au plus beau et au plus macabre, prouvant le bien-fondé de son art. L’important pour l’époque était de représenter, l’objet était secondaire, et l’art tendait à ressentir et à secouer tous les sentiments violents de son temps, sous l’influence de l’artiste qui cherchait à pénétrer les secrets les plus intimes de la nature. Le gothique a toujours cherché la spiritualisation, et ce pour n’importe quelle forme. Déjà, la taille des espaces jouait en faveur d’une pénétration des gens dans la spiritualité. La réalité était pleinement observée, et les expressions de

sculptures devenaient plus réelles, plus naturelles. Les visages exprimaient grâce et recueillement, ils avaient une âme ; la représentation symbolique passa à l’allégorique.

131. Giovanni Pisano, Chaire, cathédrale de Pise, Pise (Italie), 1302-1311. Marbres polychromes, h : 455 cm. In situ. 132. Nicola Pisano, Chaire, baptistère, Pise (Italie), 1260. Marbre, h : 465 cm. In situ. 133. Arnolfo di Cambio, Homme malade à la fontaine, fragment de sculpture. Marbre. Galleria Nazionale dell’Umbria, Pérouse (Italie).

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Cela ne fait aucun doute, la plupart des sculpteurs gothiques s’appuyaient quand même sur des modèles antiques, comme tend à le montrer L’Annonciation dans la cathédrale de Reims (voir p. 42-43), ou encore les œuvres de Nicola Pisano.

La Sculpture gothique en Italie L’élaboration plastique du projet de Giotto pour la cathédrale de Florence est très certainement issue de ses propres réflexions. Ce projet fait preuve, par la simplicité et la singularité de sa vraisemblance naturelle, d’un style familier du sentiment de beauté, tandis qu’il révèle, par son point de vue pictural, un art qui est bien celui de Giotto. Andrea Pisano s’était déjà emparé du projet, avant même d’être appelé à Florence, à l’occasion de la fabrication d’une porte d’airain pour le baptistère (voir p. 165). En 1330, il avait terminé son modèle et en 1336, la fonte. Chaque aile de cette porte, incorporée dans la façade sud, comprend quatorze petites représentations en relief, de quatre-feuilles gothique, dont une vingtaine racontent l’histoire de Jean le Baptiste, tout cela à la manière de Giotto, très épurée, capable de narrer une histoire avec peu d’images. Tout se passe comme si le spectateur pouvait assister à la scène originale. Dans ces reliefs, comme dans ceux du clocher, on retrouve déjà tous les éléments essentiels de la sculpture florentine du XVe siècle. Andrea Pisano fut l’élève de Giovanni Pisano, dont le père Nicola Pisano fut à la pointe des progrès réalisés par la sculpture en Italie méridionale. En Toscane, les premières inspirations du vieil esprit italien étaient réapparues, et on se remit à tenter de rompre la suprématie byzantine.

Le premier à y parvenir fut Nicola Pisano, qui se replongea dans l’héritage de la sculpture étrusque et romaine qui s’exposait à Pise, sous forme de tombeaux, de vases romains et d’urnes étrusques. Il s’inspira de la représentation très figurative de ces motifs pour la réalisation de six reliefs sur la vie de Jésus, avec lesquels il décora la balustrade de la chaire du baptistère de Pise (voir p. 165), qui constitue son chef-d’œuvre le plus abouti. Dans sa construction architecturale, la chaire est bien d’influence gothique, seuls les lions qui supportent les colonnes sont de culture italienne, peut-être même une survivance de l’art antique, au même titre que les reliefs de la balustrade. Mais cette pure imitation de l’Antiquité n’a pas réellement constitué de progrès, en dépit de l’adresse et de la compréhension dont Nicola Pisano fit preuve dans la manipulation de l’art antique. Cette renaissance de l’Antiquité classique vint trop tôt, et ne put se reposer sur des connaissances suffisantes en matière de reproduction des formes naturelles. Ce manque, Nicola Pisano l’a très bien ressenti, lui qui tenta, de 1266 à 1268, lors de la réalisation de son deuxième chef-d’œuvre, la chaire de marbre dans la cathédrale de Sienne (voir p. 163), d’imiter un peu mieux les créations naturelles. Comme il ne put se tenir strictement à son modèle romain, ceci eut pour conséquence une grande imperfection de la réalisation. Son fils aîné, Giovanni Pisano, qui dans ses jeunes années avait travaillé à cette chaire, a su reproduire ce naturalisme, cette impression de vie et de mouvement dans la sculpture. Toutefois, il y parvint dans la fougue de la jeunesse qu’il est impossible de freiner lorsqu’on est pris dans la force de

134. Tombe du roi Édouard II, cathédrale de Gloucester, Gloucester (Royaume-Uni), vers 1330-1335. Marbre et albâtre. In situ. 135. Le Christ avec saint Jean, dit Groupe de Sigmaringen, vers 1330. Noyer polychrome doré. Staatliche Museen zu Berlin, Berlin (Allemagne). 136. Pietà Röttgen, vers 1300. Tilleul et traces de polychromie, h : 88,5 cm. Rheinisches Landesmuseum, Bonn (Allemagne).

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l’inspiration et de la création. Son travail aboutit à une surcharge de figures dans un cadre étroit, dont on ne peut avoir aucun aperçu global, tant et si bien que cela est demeuré un art peu propice à la contemplation. Ses deux chefs-d’œuvre sont aussi deux chaires, qui, du moins pour ce qui concerne la structure et la décoration, ne se différencient guère de celles qu’a réalisées son père. L’une, achevée en 1301, se trouve dans l’église de San Andrea à Pistoia et l’autre, dans la cathédrale de Pise (voir p. 164). C’est avec les reliefs de la chaire de San Andrea, que l’on saisit combien l’art de Giovanni Pisano se distingue de celui de son père. À la place de la solennité s’installe le désir d’exprimer la vie. On peut à tout instant remarquer combien l’observation est à la source de son travail, même pour les plus petits détails. L’exemple des mains de la servante qui prépare le bain pour le Christ nouveau-né est à cet égard particulièrement touchant. Cette joie de l’observation a empêché l’artiste de se protéger des résultats de celle-ci, quel qu’en soit le résultat en termes d’équilibre de l’œuvre. Le plaisir de la narration a écarté toute autre considération. Cette éloquence, fille de nature, n’a été rencontrée chez aucun des jeunes artistes à l’exception de Giotto. L’étude de l’œuvre de Giovanni Pisano lui a permis de porter son talent narratif à la fois simple et monumental à maturité.

La Sculpture gothique en Angleterre On ne peut parler d’une sculpture anglaise qu’à partir de la moitié du XIIIe siècle, lorsque des artistes français furent appelés à venir travailler outre-manche. Les sculptures plates qui décoraient les bâtiments, correspondaient particulièrement au goût des Anglais.

Dans les couches supérieures de la population, on appréciait particulièrement les statuettes funéraires, qui se devaient de représenter le plus exactement possible le visage du défunt.

137. Roi sur son cheval, dit Le Cavalier de Bamberg, premier pilier de la face nord du chœur, cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Georges, Bamberg (Allemagne), avant 1237. Pierre, h : 233 cm. In situ. 138. La Synagogue, second pilier du côté sud du chœur, cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Georges, Bamberg (Allemagne), 1225-1237. Pierre. In situ.

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Les représentations de personnes en train de marcher est une caractéristique de la sculpture anglaise, de même que les magnifiques petites pièces de joailleries qui avaient fonction de décorer les chapiteaux des piliers ou les ogives. Au XIVe siècle, la sculpture anglaise connaît son apogée, puis décline rapidement, comme on peut le remarquer dans les œuvres funéraires, dont l’expression naturelle et vivante devint morne et froide. La Sculpture gothique en Allemagne Les sculptures d’églises apparues en Allemagne avant le « raz de marée » gothique ne peuvent, en quantité comme en qualité, être comparées aux sculptures françaises. Les raisons sont à chercher aussi bien dans l’état des finances allemandes, dont le délabrement ne permet plus, après les grasses années des XIIe et XIIIe siècles, d’entretenir les décors des églises, que dans le développement même de la sculpture, qui avait déjà connu son apogée avant que le gothique ne s’impose comme style dominant. Et c’est sans surprise qu’une longue période de déclin a suivi une période de gloire. Dans les premiers temps du gothique, encore relativement proches de l’époque romane, on réalise des œuvres exceptionnelles qui allient la hauteur du roman à la force, la réalité, la beauté du gothique. L’architecture gothique prend pied en Allemagne avec la construction des cathédrales de Fribourg et de Strasbourg, alors que le gothique constitue désormais un système achevé, et elle apporte bien sûr avec elle cette conception de la sculpture comme discipline servante et subordonnée de l’architecture. Si les nouvelles sculptures gothiques possédaient encore une âme et une expression aux débuts de la période, dès la

seconde moitié du XIVe siècle, hélas, la sculpture allemande entame son déclin, les artistes, chargés de l’ornementation extérieure des maisons de dieu, deviennent de simples exécutants, et l’art se retire alors à l’intérieur des cathédrales, où la pression des contraintes architecturales était moins forte. Des formes propres à l’Allemagne s’imposent dans la période du gothique tardif, qui se distinguent nettement des tendances françaises ou italiennes. Un superbe exemple, la Pietà Röttgen (voir p. 171), est l’œuvre d’un inconnu qui, dans la région de Mayence, dans la seconde moitié du XIVe siècle, a sculpté une Déposition de Croix, dans laquelle le Crucifié apparaît dans un flot de sang, avec des stigmates extrêmement profonds, dans les bras de sa Mère. Une scène d’une extrême violence, qui appelle au recueillement, mais qui ne fait preuve d’aucun égard pour la perfection des formes. Cette œuvre à l’incroyable force mystique est typique du Moyen Âge, bien que l’expression qui en est faite de la souffrance, elle, soit éternelle. La sculpture de cette époque poursuit son cours dans la tenue tranquille des personnages et l’expression des visages d’une faible intensité. Plus tard, les formes seront un peu plus vivaces, plus en mouvement, moins raides. La recherche de la nature se fait peu à peu ressentir, des formes plus ondulées deviennent un caractère très allemand et les artistes travaillent volontiers le bois, plus tendre et pliable, qui correspond le mieux aux formes arrondies et au charme des jeunes femmes et des Vierges. Les sculptures de la cathédrale de Bamberg témoignent avec grâce et beauté de la maturité de l’art allemand (voir p. 172, 173). Le visage de l’empereur Henri II est particulièrement étonnant.

139. Veit Stoss, Retable de la Vierge : Dormition de la Vierge (panneau central), église Sainte-Marie, Cracovie (Pologne), 1477-1489. Tilleul, chêne et mélèze, 11 x 13 cm. In situ.

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De même que les sculpteurs français ont déroulé des passages entiers de l’Ancien et du Nouveau Testament, sous forme de statues et de reliefs disposés sur les façades des cathédrales – cherchant ainsi à rendre familier le saint enseignement catholique aux ignorants – les tailleurs de pierre allemands ont initié la même tentative aux portes des cathédrales de Strasbourg et de Fribourg. Ils entreprirent de décrire, avec une abondance de détails, énormément de symbolisme et d’allégorie, l’œuvre du Christ. À cet égard, l’un des thèmes favoris des sculpteurs locaux était la représentation des « vierges folles et vierges sages », car ils pouvaient ainsi agir de façon très pénétrante sur l’âme des femmes. Tilman Riemenschneider compte parmi les plus grands sculpteurs de Franconie, à la fin du XVe siècle, lors de la transition du Moyen Âge à l’époque moderne. Il a su manier tous les matériaux avec le même talent. L’influence du réalisme néerlandais d’un Nicolas Gerhaert fut certainement déterminante, réalisme auquel il a su ajouter un supplément d’âme. Le XVe siècle fut un siècle de rupture, et le réalisme qui pointait voulut représenter l’humain en faisant face à la fois à l’humain et au divin. Cet aspect est notable chez Riemenschneider (voir p. 176), dont l’œuvre, qui s’enracine dans le gothique tardif, est influencée par des artistes comme Jörg Syrlin, Adam Kraft et Peter Vischer. Son œuvre est marquée par la recherche d’exprimer au mieux la souffrance du Christ. Passion et déposition de Croix seront ses thèmes essentiels, qui seront représentés avec une forte prise de position de sa part. Ses portraits de chevaliers et autres femmes issues de la noblesse, expriment une grande sensibilité et un certain naturalisme. Veit Stoss, qui a mené une vie de hauts et de bas, a situé ses œuvres dans un cadre gothique très compliqué rempli de

figures mélancoliques. Son autel, dans l’église Sainte-Marie de Cracovie, est le plus grand polyptyque sculpté du gothique allemand (voir p. 175). La draperie évoque nettement le gothique tardif et ses personnages sont mus par leurs émotions. Cette sorte d’expressionisme se retrouve aussi dans la peinture du gothique tardif et sera reprise par les expressionnistes allemands du XXe siècle. De l’époque romane on ne connaît que peu de sculpteurs. Ce phénomène évolue avec le gothique, où les artistes seront appréciés pour leur valeur propre, et non plus considérés comme de simples artisans au service de l’Église. Ceci est un symbole des progrès réalisés dans la découverte de l’homme et du monde, les premiers signes de passage à la Renaissance et à l’histoire moderne.

La Sculpture gothique en France Dans la patrie du gothique, la sculpture du Moyen Âge a aussi imposé de nouvelles tendances. Son apogée fut certaine, mais de courte durée. À un ressenti particulier pour la nature et à la notion de la vitalité des formes, les artistes latins ajoutèrent un sens élevé de la beauté, comme on n’en avait pas connu depuis les Grecs. Le grand nombre de pièces que l’on retrouve, non seulement au-dessus des parois intérieures et des arcs extérieurs des portes, mais aussi au-dessus des façades de la nef et du transept, des cathédrales de Reims et d’Amiens (voir p. 33), est apparu dans un laps de temps très court, à savoir entre 1240 et 1300 (on recense plus de deux milles statues et reliefs). Toute la teneur de la sculpture gothique française est contenue dans ces œuvres, tant et si bien que l’on y retrouve l’apogée – les statues à la porte de la façade occidentale de la cathédrale de Reims (voir p. 40) – et

140. Tilman Riemenschneider, Retable du Saint-Sang, église Saint-Jacques, Rothenburg ob der Tauber (Allemagne), 1499-1505. Tilleul, h : 900 cm. In situ.

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le déclin qui commence au début du XIVe siècle, et qu’expriment, en dépit de leur beauté, toutes les autres pièces de cette cathédrale.

La Sculpture gothique aux Pays-Bas La sculpture néerlandaise a certes, aux XIVe et XVe siècles, montré des signes de qualité aux Pays-Bas, mais c’est toutefois à la cour du duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, grand amateur d’art qui a fait appel à des artistes flamands pour la décoration de la chartreuse de Champmol, dont il est le fondateur, qu’elle a connu son apogée. Parmi ces sculpteurs, on retient essentiellement l’œuvre de Claus Sluter, qui de 1383 jusqu’à sa mort, a exercé à Dijon. Au titre de ses chefs-d’œuvre, une Vierge entre les représentations du duc et de sa femme, tous deux priant, à la porte de l’église de la chartreuse, ou encore le monument funéraire de Philippe le Hardi, avec ses quarante statues d’albâtre de personnages endeuillés, à côté du tombeau et enfin, la fontaine de Moïse, réalisée autour de 1400 dans la cour de la chartreuse, dont ne demeure qu’une partie du socle représentant six prophètes, dont Moïse. Ces œuvres s’écartent considérablement de la typologie gothique, en ce qu’elles présentent une manière de voir très monumentale, des motifs très vigoureux, ainsi qu’une tendance très nette à l’individualisation, particulièrement exacerbée dans le monument funéraire et les quarante statues. Ces œuvres sont précurseurs de la manière de voir et de représenter la nature, qui, aux Pays-Bas comme en Italie, vont conduire, aussitôt son apparition, à une rupture totale dans l’histoire de l’art.

141. Statuette : Vierge à l’Enfant, trésor de la Sainte-Chapelle, Paris (France), vers 1260-1270. Ivoire d’éléphant, traces d’or et de peinture, h : 41 cm. Musée du Louvre, Paris (France).

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La Sculpture funéraire gothique Les sculpteurs ont cherché dans l’art funèbre à s’ouvrir un nouveau champ d’action, plus propice. Si la sculpture s’était perdue dans l’absence d’expression et le maniérisme, à trop travailler pour les édifices religieux, elle retrouva une seconde jeunesse et son désir d’exprimer les émotions individuelles, par une approche d’observation de la nature. Tout commence dans la première moitié du XIVe siècle, où les sculpteurs développent des œuvres funèbres de pierre et de métal, puis, plus tard, des gisants sur les tombeaux, œuvres qui seront plus ou moins richement décorées. C’est en Angleterre que les artistes seront les plus actifs, étant donné que les petites dimensions des églises ne laissaient que peu de possibilités. Les Lords et Ladies firent élever de magnifiques monuments parfois de leur vivant, afin de témoigner aux générations suivantes de leur fierté personnelle et de la hauteur de leur statut. Cette tendance à l’auto-vénération, cette mise en valeur de l’individu pardessus les masses, constituent pour l’art anglais une période caractéristique, où la sculpture et la peinture de portraits ont eu à tenir les premiers rôles. Le monument-maître à la mémoire du roi Henri VII dans l’abbaye de Westminster, celui d’Edouard Plantagenet, fils d’Edouard III, connu sous le nom de « prince noir », et érigé alors qu’il était encore enfant, dans la cathédrale de Canterbury, et celui enfin de Richard de Beauchamp, treizième comte de Warwick, dans l’église du même nom, ont toutefois été réalisés grâce à la collaboration d’artistes italiens et néerlandais. La sculpture gothique allemande avait un aspect féminin très dominant, qui s’explique sûrement par le statut particulier

142. Adam, côté sud du transept, cathédrale Notre-Dame, Paris (France), vers 1260. Pierre polychrome, h : 200 cm. Musée national du Moyen Âge – Thermes et hôtel de Cluny, Paris (France).

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143. Reliquaire du bras de saint Laurent, vers 1175. Cèdre et argent partiellement doré. Stiftung Preussischer Kulturbesitz, Berlin (Allemagne). 144. Sceptre de Charles V, trésor de l’abbaye de Saint-Denis (France), 1364-1380. Or (sommet), argent doré (hampe), rubis, verres colorés, perles, h : 53 cm. Musée du Louvre, Paris (France). 145. Vierge ouvrante, vers 1400. Tilleul polychrome, h : 20 cm. Musée national du Moyen Âge – Thermes et hôtel de Cluny, Paris (France). 146. Vierge à l’Enfant, offerte par la reine Jeanne d’Évreux à l’abbaye de Saint-Denis (France) en 1339, 1324-1339. Argent doré, émaux de basse-taille sur argent doré, pierres et perles, h : 68 cm. Musée du Louvre, Paris (France).

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de la Vierge Marie et aussi par l’influence de la poésie courtoise, qui vouait à la femme une adoration particulière. Cette tendance a été préservée jusqu’au plus profond du XVe siècle et lui a conféré une substance particulière, tant et si bien qu’elle est réapparue au XIXe siècle, servant de modèle à un âge fatigué, improductif et pris d’un vertige de l’imitation. Ce qu’il y a de mieux dans la sculpture protogothique allemande se retrouve dans les cathédrales de Strasbourg et de Fribourg (voir p. 27). Les sculptures de Fribourg sont sensationnelles en ce qu’elles parviennent à assumer l’héritage roman, tandis que celles de Strasbourg relèvent typiquement de l’esprit gothique. À la porte sud du transept, dans les statues de l’Ecclesia, de l’Église triomphante, et de la Synagogue vaincue, le gothique se présente dans ses premiers développements. Cela concerne aussi les statues des vierges folles et vierges sages de la porte sud de la façade, à qui le diable tentateur offre un bijou. Elles sont déjà représentées avec tous les défauts et toutes les vertus, avec des incurvations et des enroulements impropres au corps humain, des habits conventionnels qui masquent complètement le corps, et le visage illuminé d’un sourire complaisant, sourire qui signifie encore quelque chose, mais qui se changera vite en une simple grimace. On pourrait les interpréter comme dégénératives, mais les contemporains des artistes de cette époque n’en avaient certainement pas l’idée. Ils voyaient certainement dans ce sourire éternel le symbole d’un âge d’or, témoignage d’un idéal inaccessible. C’est toute la volonté des artistes que de rendre, à leur manière, le temps éternel, et de ce point de vue, on peut dire qu’ils satisfaisaient l’esprit de leur époque. Le monument funèbre, qui devait perpétuer l’image du défunt, ne fut plus,

147. Apôtre pensif, provenant de la Sainte-Chapelle, Paris (France), 1241-1248. Pierre, h : 165 cm. Musée national du Moyen Âge – Thermes et hôtel de Cluny, Paris (France).

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avec la montée en puissance des villes et de la bourgeoisie, le privilège de la noblesse. À côté des princes et des chevaliers, les bourgeois enrichis dans le commerce et l’industrie cherchèrent et trouvèrent dans les églises, en sachant se montrer généreux, le lieu privilégié pour leur repos éternel. Ils ne souhaitaient bien évidemment pas que le décor de leur tombeau fût moins solennel que ceux des princes et de seigneurs. Au début, on ne rencontrait que deux types de monuments funèbres : les tombeaux, qui trouvaient généralement place dans les chapelles du chœur ou celles des bas-côtés de la nef, et de simples stèles, lesquelles étaient fixées soit sur les piliers soit au sol, pour y signifier l’endroit où était la tombe. Comme les gisants sur les tombeaux apparaissaient sous la forme de personnages en tenue, comme s’ils attendaient quelque chose, on peut en déduire que le monument mural vertical constitue la première technique utilisée, puis que cette technique fut ensuite simplement imitée pour les gisants en position allongée. Mais peut-être la volonté profonde était-elle de représenter les défunts de telle manière qu’ils fussent à tout moment prêts à être rappelés. Ainsi pourrait alors s’expliquer la présence régulière d’ogives ou de baldaquins très élaborés au-dessus du chef du défunt. De même que le tombeau, le monument mural prit, à la fin du Moyen Âge, des allures de plus en plus architecturales et monumentales. C’est toutefois pendant la Renaissance que ces deux formats connurent leur plus haut niveau de finition. Le bronze fut aussi très tôt utilisé à des fins funéraires, au début bien sûr, pour de simples stèles. Lorsqu’elles furent scellées dans le sol des églises, elles se trouvaient exposées aux dégradations, dont même la vénération naturelle des vivants ne les protégeait pas. De ces considérations, est apparue, dans le Nord de l’Allemagne, une variété de stèle

148. Robert de Lannoy, Saint Jacques le Majeur, église Saint-Jacques-de-l’Hospital, Paris (France), 1326-1327. Pierre, 175 x 58 cm. Musée national du Moyen Âge – Thermes et hôtel de Cluny, Paris (France).

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La décoration des églises gothiques, destinée à honorer les morts, ne devait pas aboutir à négliger les besoins de recueillement des vivants. Les nombreuses forces réunies autour de la papauté avaient très tôt appris à maîtriser les âmes des fidèles selon leur vouloir. L’Église devait demeurer dans l’esprit des fidèles du matin jusqu’au soir, et à cet égard, elle avait besoin d’un endroit accueillant. Les besoins d’aménagement des églises augmentaient en effet dans les mêmes proportions qu’augmentait le nombre incalculable de ses serviteurs et la disproportion de l’organisation des cérémonies de la messe. À côté du maître-autel se trouvait toute une rangée d’autels secondaires, dont la structure ne connaissait pas de frontières. À cela venaient encore s’ajouter les pupitres pour les chanteurs et les ambons, les chaires, les tabernacles et les sacraires, les confessionnaux et les stalles pour les ecclésiastiques.

funéraire, constituée uniquement de laiton, gravées de représentations très libres et aux encadrements sculptés avec beaucoup de finesse. Comme ces stèles ont été exportées un peu partout depuis l’Allemagne du Nord, il y a fort à parier qu’elles répondaient à une certaine nécessité.

Les stalles ont été déterminantes pour le développement de l’art de la sculpture sur bois dans les églises. Peut-être est-ce le soin extrême apporté à ces sièges, non capitonnés et faits d’un bois souvent très dur, qui a permis à la sculpture d’acquérir cette grande habileté dans le travail du bois. La croyance au fait que les voies du paradis étaient ouvertes à ceux qui servaient le clergé était si répandu dans la population, que les artistes comme les profanes rivalisaient à rendre le séjour terrestre du clergé le plus agréable possible. Les artistes, et avec eux l’art tout entier, en ont certainement tiré le plus grand profit. Les artistes soutenus

149. Jean de Liège, Charles IV le Bel (mort en 1328) et Jeanne d’Évreux (morte en 1371), sa femme, tenant chacun un sac contenant leurs entrailles, 1371-1372. Marbre, 135 x 36 x 16 cm. Musée du Louvre, Paris (France). 150. Charles V et Jeanne de Bourbon, 1365-1380. Pierre, 194 x 50 x 44 cm et 195 x 71 x 40 cm. Musée du Louvre, Paris (France).

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par de pieux donateurs avaient parfois la possibilité de mener leurs projets les plus ambitieux jusqu’au bout. Ceci ne fut toutefois le cas en Allemagne qu’à partir du XVe siècle À partir de là, l’art, pris d’une observation nouvelle et débridée de la nature, atteignit une nouvelle apogée au XVIe siècle. Cette affirmation ne vaut pourtant que pour la sculpture et la peinture. L’architecture en effet demeura longtemps encore soumise aux modes de pensée et de construction gothiques, et refusa même de les abandonner lorsque la Renaissance se mit, depuis l’autre côté des Alpes, à atteindre les régions du Nord. Les plus belles pièces de sculptures de bois, de pierre et de bronze de la fin du Moyen Âge appartiennent déjà, de toute façon, à cette époque de l’histoire de l’art que l’on nomme Renaissance. La sculpture sur bois gothique avait cependant déjà permis la réalisation de chefs-d’œuvre : que l’on pense par exemple à la statue de bois de sainte Élisabeth, dans l’Elisabethkirche de Marbourg, qui tient une maquette de l’église dans la main gauche et donne de la droite une miche de pain à un mendiant éreinté, qui se tient à ses pieds. Rien dans cette œuvre ne rappelle le traitement maladroit et cette suffisance à vouloir imiter les plissures des vêtements, comme ce fut le cas dès le XIVe siècle. Dès le début les artistes avaient imité les tissus de velours et de satin, lourds et à la mode, puis avaient conservé ces habitudes au détriment de l’observation de la réalité, à laquelle ils aspiraient pourtant. C’est la raison pour laquelle les sculptures de bois furent complètement peintes, souvent dans des couleurs réelles. Seuls les vêtements des saints étaient dorés.

Comme pour la sculpture romane, la sculpture gothique n’échappa pas à la richesse des décors plastiques de l’ensemble du mobilier religieux : autels, stalles, bénitiers, calices, lustres, ostensoir, encensoir, houlettes, châsses, etc., bien qu’aux débuts, comme c’était aussi le cas de l’architecture, les tendances romanes et gothiques eussentelles tendance à se mélanger. L’art gothique alla se répandre bien au delà des frontières de l’Europe de l’Ouest, jusqu’en Europe de l’Est, avec bien sûr des adaptations régionales, surtout dans les régions d’obédience catholique, comme en Pologne et en Hongrie. Les Cisterciens ont exercé là-bas une influence considérable sur l’architecture et l’ornementation des églises. Les pays de tradition orthodoxe sont en revanche restés liés au style byzantin, utilisant essentiellement de la brique comme matériau de construction, sans jamais développer de caractéristiques très nationales. L’église Sainte-Marie de Cracovie, commencée en 1226, de même que la cathédrale sur la Wawel, construite entre 1320 et 1359, constituent deux exemples remarquables d’art gothique. La basilique de brique dispose d’une tour au toit de gothique classique, surmonté d’une couronne dorée. La cathédrale de Poznán, quant à elle, est munie d’un déambulatoire de style français. Ces deux édifices sacrés comptent parmi les plus beaux exemples de l’art gothique dans cette partie de l’Europe.

151. Claus Sluter, Portail de la chapelle, chartreuse de Champmol, Dijon (France), 1389-1394. In situ.

187

152. Lupo di Francesco, Sarcophage de sainte Eulalie, cathédrale Sainte-Eulalie, Barcelone (Espagne), 1327-1339. Marbre. In situ.

188

189

190

Conclusion

V

ers la fin du XIVe siècle, un nouvel esprit tendait à toujours plus se manifester. Comme Giotto, qui fut tout à la fois poète, peintre, architecte et sculpteur, Andrea di Cione, connu sous le nom d’Orcagna, fut l’un des précurseurs de cet esprit universel. De leur influence à Florence est né le style nouveau, à la fin du premier quart du XVe siècle, au début de la Renaissance.

Partant d’Italie, se développant dès le milieu du XIVe siècle, le mouvement Rinascimento, en Français Renaissance, se sépara nettement du Moyen Âge et s’accompagna d’humanisme et de réforme. Ce mouvement s’apparenta à une redécouverte et à une réappropriation des arts de l’Antiquité grecque et romaine. La Renaissance a conduit à l’étude intensive des poètes longtemps oubliés, et à l’admiration pour la sculpture ainsi que pour l’architecture de cette époque, bien qu’en état de fort délabrement.

Les débuts remontent certainement à la Divine Comédie de Dante Alighieri, avec le personnage de Giovanni Boccaccio et son Decamerone, ou encore aux Poèmes à Laura de Pétrarque. Ces développements laissent à penser que la connaissance et les évidences des hommes avaient grandement changé. Mais l’un des premiers à avoir essayé de se séparer du gothique, avant même que cela vienne à l’esprit des poètes, fut le sculpteur et maître d’œuvre pisan Giovanni Pisano, à qui l’on doit une série de sculptures à la cathédrale de Sienne, ainsi que quelques Vierges de marbre à Pise et à Padoue. D’une importance toute aussi primordiale furent les recherches et les découvertes en matière de sciences naturelles et de techniques, effectuées dans l’actuelle Scandinavie, mais aussi aux Pays-Bas et en Allemagne. En 1448, Gutenberg invente l’imprimerie et en 1510,

153. Andrea Bonaiuti (dit Andrea da Firenze), Exaltation de l’Œuvre des dominicains (Via veritatis), chapelle degli Spagnoli, église Santa Maria Novella, Florence (Italie), vers 1365-1367. Fresque. In situ.

191

Peter Henlein, la montre à gousset. Dans le domaine des sciences naturelles, la découverte de l’Amérique par les explorateurs Bartolomeu Diaz, Christophe Colomb, Giovanni Cabot, Vasco de Gama et Fernão de Magalhães, se situe au premier rang des découvertes. En Italie, c’est l’architecture qui commença à se laisser inspirer par les modèles classiques ; plus tard, la sculpture, qui cherchait un rapport encore plus direct à la nature, prit le pas. Toutes deux ont toutefois dû lutter, jusque très tard dans le XVe siècle, contre l’esprit du gothique, que l’on qualifia de barbare, que l’on classa au titre des œuvres bâclées, et que l’on plaça finalement à l’opposé du nouveau style, héritier de l’Antiquité. Les sculpteurs, quelque peu hésitants, laissèrent cependant l’avantage aux maîtres d’œuvre : lorsque le sculpteur et architecte, Filippo Brunelleschi se rendit à Rome, afin de procéder à des fouilles sur des monuments antiques, le sculpteur et joailler Donatello, ne l’accompagna qu’à titre d’assistant. Ce n’est que plus tard, lorsque les fouilles dévoilèrent de magnifiques sculptures, que l’enthousiasme des sculpteurs s’amplifia, vers la fin du XVe siècle, tant et si bien que Michelangelo enterra une de ses œuvres, afin qu’on puisse la découvrir et l’apprécier en tant que pure pièce de l’Antiquité.

154. Lorenzo Maitani, Jugement Dernier, façade occidentale, cathédrale d’Orvieto (Italie), 1310-1330. Marbre. In situ. 155. Diptyque des « Histoires de la Vierge », deuxième quart du XIVe siècle. Ivoire polychrome, h : 29 cm. Museo del Bargello, Florence (Italie).

192

193

Bibliographie Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexikon, Verlag Traugott Bautz, Bd. XXVII BBKL Nordhausen, 2007. Die virtuelle Galerie der 25.000 Meisterwerke, Francfort : Zweitausendeins- Verlag. Frey, Winfried, Das jüdisch gsatz Ihn welchem Gott geschicht großer tratz, Hambourg : Vortrag im Mai, 1992. Lafort, Remy et John M. Farley, The Catholic Encyclopedia, vol. IV, New York : Robert Appleton Company, 1908. Müseler, Carl, Geist und Antlitz der Gotik, Berlin : Safari-Verlag Carl Boldt, 1940. Rosenberg, Adolf, Handbuch der Kunstgeschichte, Bielefeld : Velhagen & Klasing, 1902.

194

Liste des illustrations Architecture Allemagne Cologne, église Saint-Pierre-et-Sainte-Marie

68, 70, 71

Fribourg-en-Brisgau, cathédrale de Fribourg-en-Brisgau

73

Madgebourg, cathédrale Sainte-Catherine-et-Saint-Maurice

66

Nuremberg, église Saint-Laurent

72

Autriche Vienne, cathédrale Saint-Étienne, (Autriche)

69

Belgique Bruges, beffroi

89

Bruxelles, cathédrale Saint-Michel-et-Sainte-Gudule

86

Espagne Burgos, cathédrale de Burgos León, cathédrale de León Palma de Majorque, cathédrale Santa Maria, Berenguer de Montagut

90 92, 93 91

France Amiens, cathédrale Notre-Dame Arras, hôtel de ville

32, 33 88

Avignon, cathédrale Notre-Dame-des-Doms et palais des Papes

46-47

Beauvais, cathédrale Saint-Pierre

12, 35

Chartres, cathédrale Notre-Dame

34, 36, 37, 38, 39

Laon, cathédrale Notre-Dame

10

195

Mont-Saint-Michel, abbaye du Mont-Saint-Michel Paris, cathédrale Notre-Dame Paris, Sainte-Chapelle (ancienne chapelle royale)

30 20, 21, 22, 23 24, 25

Reims, cathédrale Notre-Dame

40, 41, 42-43

Rouen, cathédrale Notre-Dame

44, 45

Saint-Denis, église Saint-Denis (ancienne église abbatiale bénédictine)

18, 19

Senlis, ancienne cathédrale Notre-Dame Strasbourg, cathédrale Notre-Dame

15 26, 27, 28, 29

Italie Assise, basilique Saint-François Florence, cathédrale Santa Maria del Fiore et campanile

80-81, 82 83

Milan, cathédrale Santa Maria Nascente

76-77

Pise, baptistère, cathédrale et campanile

74, 75

Sienne, Il Campo, Palazzo Pubblico et Torre del Mangia

85

Sienne, Duomo, Giovanni Pisano

79

Venise, palais des Doges

84

Royaume-Uni Cambridge, chapelle du King’s College Canterbury, cathédrale de Canterbury Ely, cathédrale d’Ely

65 48, 49 55

Exeter, cathédrale Saint-Pierre

63, 64

Gloucester cathédrale de Gloucester (ancienne église abbatiale bénédictine)

60, 61

Londres, église abbatiale de Westminster

50, 51

Salisbury, cathédrale de Salisbury

52, 53

Wells, cathédrale de Wells

56, 57, 58, 59

Manuscrit enluminé Bible : Louis IX et la reine Blanche de Castille

136

Bible historiale : Nouveau Testament (frontispice), Guyart des Moulins

149

Bible historiale : Trinité trônante (feuillet introductif), Guyart des Moulins

148

196

Brevarium ambrosianum, dit Il Beroldo, Giovanni de’ Grassi Chanson de geste : chantier, Girart de Roussillon

146 14

Manuscrit de Heidelberg (« Minnessang ») : Minnesänger, Walther von der Vogelweide

142

Manuscrit de Heidelberg (« Minnessang ») : Minnesänger, Heinrich Frauenlob dirige son orchestre, Walther von der Vogelweide

143

Missel de Reims (Missale Remenense) : Crucifixion (haut) et Déposition (bas)

138

Missel de Saint Louis : le Christ dans une mandorle entouré des symboles des évangélistes

137

Les Petites Heures de Jean de Berry : la naissance de Jean-Baptiste et le baptême de Jésus, Jean Le Noir

147

Les Très Riches Heures du duc de Berry : le mois de mai, Les Frères Limbourg

150

Les Très Riches Heures du duc de Berry : la tentation du Christ, Les Frères Limbourg

151

Vie de saint Denis : l’entrée de saint Denis à Paris

145

La Vie et les miracles de Notre-Dame : récit de la damnation d’un prêteur sur gages et de la rédemption d’une mendiante, à qui la Sainte Vierge accompagnée de vierges apparaît, Gautier de Coinci Windmill Psautier : psaume 1 (Beatus Vir)

144 141

Peinture Adoration des Mages, Gentile da Fabriano

119

Adoration des Mages, Lorenzo Monaco

116

Annonciation (panneau central d’un triptyque), Maître de l’Annonciation d’Aix

135

Annonciation, Maître français

134

Châsse de sainte Ursule, Hans Memling Crucifixion, Altichiero da Zevio

97 128-129

Cycle de la vie de Joachim (vue d’ensemble), Giotto di Bondone

126

Cycle de la vie de saint François : le crucifix de saint Damien parlant à saint François, Giotto di Bondone

120

Cycle de la vie de saint François : saint François recevant les stigmates, Giotto di Bondone

123

Cycle de la vie de saint Sylvestre : résurrection des deux mages, , Maso di Banco

133

Décoration de la chambre dite « du cerf », palais des Papes, Avignon (France)

153

Décoration de la chambre dite « du pape », palais des Papes, Avignon (France), Jean Dalbon

152

Dessin de la tour de la cathédrale de Laon,Villard de Honnecourt

11

Diptyque de la justice de l’empereur Otton III: l’épreuve du feu, Dirk Bouts

105

Exaltation de l’Œuvre des dominicains (Via veritatis), Andrea Bonaiuti (dit Andrea da Firenze)

190

Madone au buisson de roses, Stefan Lochner

103

Madone au pare-feu, Robert Campin (Maître de Flémalle)

102

197

Maestà, Simone Martini

125

Maestà, Duccio di Buoninsegna

130

Naissance de la Vierge, Pietro Lorenzetti

122

Parement de Narbonne Polyptyque du Jugement Dernier, Rogier Van der Weyden

16-17 112-113

Polyptyque Stefaneschi (recto), Giotto di Bondone

121

Retable de Dijon : Annonciation et Visitation (panneau de gauche), Melchior Broederlam

114

Retable de Dijon : présentation au temple et fuite en Égypte (panneau de droite), Melchior Broederlam

115

Retable de Dortmund : la mort de la Vierge (panneau central) Conrad von Soest

100

Retable de l’Annonciation, Simone Martini et Lippo Memmi

118

Retable de Saint-Pierre (volets ouverts), Maître Bertram

101

Retable de Wildunger, Conrad von Soest

109

Retable dit La Perle du Brabant : l’Adoration des Rois mages (panneau central), Dirk Bouts

111

Retable du Saint Sacrement : la Cène, Dirk Bouts

104

Sainte Barbara, Jan Van Eyck

6

Scènes de la vie de la Vierge, Giovanni da Milano

127

Scènes de la vie de la Vierge, Taddeo Gaddi

132

Tabernacle de la Vierge, Andrea Orcagna

131

Triptyque de l’Adoration de l’Agneau mystique, dit Retable de Gand, Hubert et Jan Van Eyck Triptyque du Jugement Dernier (panneau central), Hans Memling Triptyque Portinari : l’Adoration des bergers, le commanditaire, sa famille et des saints patrons, Hugo Van der Goes La Vierge et l’Enfant en majesté, parmi les anges et les saints, dit Ognissanti Madonna, Giotto di Bondone

98-99 108 106-107 94

Sculpture Adam

179

Apôtre pensif

182

Chaire, Giovanni Pisano

164

Chaire, Nicola Pisano

163, 165

Charles IV le Bel (mort en 1328) et Jeanne d’Évreux (morte en 1371), sa femme, tenant chacun un sac contenant leurs entrailles, Jean de Liège

184

Charles V et Jeanne de Bourbon

185

Le Christ avec saint Jean, dit Groupe de Sigmaringen

170

198

Diptyque des « Histoires de la Vierge » Homme malade à la fontaine, Arnolfo di Cambio

193 166-167

Jugement Dernier, Lorenzo Maitani

192

Pietà Röttgen

171

Portail de la chapelle, chartreuse de Champmol, Claus Sluter

186

Porte du portail sud, baptistère San Giovanni, Andrea Pisano

160

Reliquaire du bras de saint Laurent

180

Reliquaire du Saint-Corporal de Bolsena, Ugolino di Vieri

9

Retable de la Vierge : Dormition de la Vierge (panneau central), Veit Stoss

175

Retable du Saint-Sang, Tilman Riemenschneider

176

Roi sur son cheval, dit Le Cavalier de Bamberg

172

Saint Jacques le Majeur, Robert de Lannoy

183

Sarcophage de sainte Eulalie, Lupo di Francesco

188-189

Sceptre de Charles V

180

Statuette : Vierge à l’Enfant

178

La Synagogue

173

Tombe du roi Édouard II

169

Toubal-Caïn, le forgeron, Andrea Pisano et Giotto di Bondone

162

Vierge à l’Enfant

181

Vierge ouvrante

180

Vitrail L’Abbé Suger de Saint-Denis aux pieds de Marie

155

Histoire de l’Enfance et de la Passion du Christ et Arbre de Jesse

157

La Nativité, détail du vitrail de l’Histoire de l’Enfance du Christ

154

Saint Eustache part pour la chasse, détail du vitrail de la Vie de saint Eustache

158

199

Collection Art of Century L’Expressionnisme abstrait

Le Cubisme

Le Pop Art

L’Abstraction

Le Dadaïsme

Le Post-Impressionnisme

American Scene

L’Expressionnisme

Le Préraphaélisme

Arts & Crafts

Le Fauvisme

Le Rayonnisme

L’Art Déco

La Figuration libre

Le Réalisme

L’Art informel

Le Futurisme

Le Régionalisme

L’Art nouveau

L’Art gothique

L’Art de la Renaissance

Arte Povera

Hudson River School

Le Rococo

Le Réalisme américain

L’Impressionnisme

L’Art roman

Le Baroque

Le Maniérisme

Le Romantisme

Le Bauhaus

L’Art minimal

L’Avant-Garde russe

L’Art byzantin

L’Art naïf

L’École de Barbizon

Camden Town Group

Le Naturalisme

Le Réalisme social

COBRA

Le Néo-Classicisme

Le Surréalisme

Le Constructivisme

Le Nouveau Réalisme

Le Symbolisme

D

éveloppé à travers l’Europe pendant plus de 200 ans, l’art gothique est un mouvement qui trouve ses racines dans la puissante architecture des cathédrales du nord de la France. Délaissant la rondeur romane, les architectes commencèrent à utiliser les arcs-boutants et les voûtes en berceau brisé pour ouvrir les cathédrales à la lumière. Période de bouleversements économiques et sociaux, la période gothique vit aussi le développement d’une nouvelle iconographie célébrant la Vierge, à l’opposé de la thématique terrifiante de l’époque romane. Riche de changements dans tous les domaines (architecture, sculpture, peinture, enluminure, etc.), l’art gothique s’effaça peu à peu face à la Renaissance italienne.