La reunion des langues, ou l’art de les apprendre toutes par une seule 9783111560397, 9783111189772

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La reunion des langues, ou l’art de les apprendre toutes par une seule
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La Reunion Des Langues, Ou L'art De Les Apprendre Toutes
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LA REUNION DES LANGUAGES

LA

REUNION

DES LANGUES, OU

L'ART

DE LES A P P R E N D R E T O U T E S PAR U N E

SEULE.

Par le P. B E S N I E R, de la Compagnie M. DC. LX X I V édition & commentaire:

de J E S U S

V i n c e n z o Lo C a s c i o

A DORDRECHT, Chez Foris Publications, Editeurs M. CM. L X X X I V

Publié par Foris Publications Holland P.O. Box 509 3300 AM Dordrecht, The Netherlands Distributeur: exclusivement Foris Publications U.SA P.O. Box C-50 Cinnaminson N.J. 08077 U.SA.

ISBN 90 6765 095 1 © 1984 Foris Publications, Dordrecht Toute réproduction ou traduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement écrit de l'editeur est illicité.

ä Gerda

L A

R E U N I O N

D E S LANGUES, OU

L'ART

DE LES A P P R E N D R E T O U T E S PAR U N E S E U L E . "Par le P. B E S N I E R , de la Compagnie de J E S u S.

9

Chez

A

PARIS,

Imprimevi? du Roy , rue Saint Jacques , aux Cicognes.

SEBASTIEN

M.

MABRE-CRAMOISY,

DC.

KAVEQ PRIVILEGE

LXXIV.

DE

SA

MAJESTÉ.

I

€ T T ) nous enfin, par le changement d'une voyelle dans une diphthongue , de cher, nous avons formé choir} qui commence à n'eftre plus à la m o d e , quoy-que ion compofé déchoir , foit encore du bel uiage. Ainiî cadere , cader , caer , car 3 kèr > cher, choir } &C déchoir, font une chaîne aiTez parfaite , mais qui ne pourroit eftre que fort défe£tueufe , fi nous avions perdu par malheur quelqu'un de fes chaînons. C'eft pour cette raifon que q u o y - q u e je confidére chaque Langue dans fa plus haute perfection ; afin néanmoins d'éclaircir fon origine , en rendant cette chaîne de mots plus fenfible & plus palpable , j'ay eilé obligé de faire mille réflexions fur les reftes du vieux Langage, fur l'ancienne orthographe, par laquelle on découvre mieux tous les changemens qui fe font faits dans la prononciation , Û. enfin fur les diiferens patois des Provinces de chaque Empire, qui parlent la mefme Langue, mais chacune à ia mode.

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Puis qu'il eft t r e s - v r a y , que le Langage le plus poli , eft bien Couvent le moins p u r , 8c le plus corrompu , ii l'on en j u g e , comme on en doit j u g e r , p a r fon origine, qui eft l'unique &C la veritable réglé. C'eft pour cela que le Provençal, le Gafcon , le Languedoc i e n , le Picard , 6C ce que nous appelions le vieux Gaulois , eft infiniment moins altéré , 8c moins éloigné de fa fource , que le Langage de la Cour du beau m o n d e , qui prend plaiiir de s'éloigner du Latin. Le Lombard , &c le Napolitain , font la plûpart du temps moins corrompus , que le Siénois, ôc le Florentin : quoy - qu'en difent les Eipag n o l s , le Catelan , ôc l'Arragonnois, eft fouvent plus pur que leur Caftillan le plus pompeux : &; pour ne nous épargner pas plus que les Efpagnols , fi nous pouvons nous glorifier avec raiion d'avoir maintenant la Langue du monde la plus polie ; nos voifins peuvent nous reprocher avec juftic e , que de toutes les dialeétes du L a t i n , il n'y en a gueres de plus corrompue: car c o m me elle ne s'eft polie qu'en s'adouciiTant, elle n'a pu s'adoucir fans une étrange corruption. Ainii le capo des Italiens , le cabo des Efpagnols , le cap de nos ancêtres , &c le kef des Picards,

1J Picards, font alterez différemment, du caput des Latins j mais il n'y en a pas qui le foit tant que le chef de nos François, qui reconnoift néanmoins la mefme origine.

C

E n'eft pas tout : comme la reiTemblance &C la connexité des Langues n'eft pas par tout la mefme, mais qu'elle fuit le plus ou le moins de communication des Nations qui les parlent ; il ne faut pas aufli que la methode foit invariable ; il faut qu'elle change félon les fujets, & qu'elle s'accommode à la diveriité des Langues. Il y a bien plus d'artifice à réduire celles qui n'ont du rapport que pour les mots -, &c il en faut beaucoup moins pour la réduction de celles qui ajoûtent à la convenance des paroles , l'analogie de l'inflexion. Et puis, les mots mefmes qui ont du rapport, en peuvent avoir en bien des manières: ils ne font pas tous, s'il m'eft permis de parler ainii, ny païens, ny alliez dans le mefme degré ; leur alliance eft tantoft plus proche, & tantoft plus éloignée > car il faut entièrement raifonner de la genéalogie des mots comme des degrez de confanguinité : Si les uns font rangez dans la mefme ligne, ou diD

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re&e , ou collacerale ; les autres biaifent un peu, ne fe répondent pas t o u t - à - f a i t de droit fil. Quelques uns iòne alliez dans les premiers degrez,les autres dans les derniers ; les uns en remontant des branches à la Touche , les autres en defeendant de la Touche aux diverTes branches : En un mot le rapport des Langues n'eil ny toujours immédiat, ny par tout dire&ement oppoTé. Je dis mefme davantage : comme il y en a quelquefois qui Tont alliées de deux ou trois coilez, àc qui depuis la première diviiion ont contracté de nouvelles ÔC de plus étroites alliances j j'avoue auill qu'il y en a quelquesunes qui Te contentent de la première alliance , bc qui n'ont preTque de rapport entre elles , qu'à cauTe de l'union &c de la liaiTon commune qu'elles ont avec leur premier principe , qui n'eft en effet autre choie que cette Langue Mere fi fameuTe, dont quelques perfonnes font tant de myftére, Tans entendre bien ce qu'ils difent. Car fi elle a autrefois Tubfifté en elle-mefme devant la première confufion des Langues , il n'en faut plus raifonner de la mefme manière, ny Te mettre l'eTprit à la gefiie, pour la retrouver encore au monde : ce n'eft plus

%-J

maintenant , comme quelques - uns fe l'imaginent fans beaucoup de fondement , une Langue particulière ¿C diftinguée des autres : de - lortc qu'il n'y a plus qu'un moyen de la retrouver, èc de la rétablir au-moins autant qu'il eit neceiTaire pour la parfaite exécution de mon deifein : C'eil de faire un choix judicieux de tout ce qu'il y a de primitif, &; de plus iimple dans ce qui nous refte de Langues i foit qu'on y coniidére les premières combinaiions des fons j foit qu'on y regarde les premières idées de l'efprit, que l'on a arrachées à ces premiers fons : afin qu'on y puik fe rapporter en fuite tous les mots eifentiels & fondamentaux de chaque Langue , comme à la première fource > qui s'étant entièrement tarie , ne fubliile plus que dans fes divers ruiiïeaux , lefquels prennent le nom de Langues originales , pour eftre coulez immédiatement de cette grande fource , où les premiers Peuples ont tous puifé. Ainil, l'on peut dire avec vérité de cette Langue Mere , qu'elle n'eil nulle part , parce qu'elle cft en effet par tout , ou dans quelques - unes de fes parties , ou dans fes effets &C fes dépendances 5 à - p e u - p r é s , comme les vertus élémentaires , &C les premières femences des D ij

z8 chofcs, ne fubiiftent dans la nature , que par les mixtes qu'elles compofenr. O n s'étonnera peut-eftre , de ce que pouvant abfolument tout réduire par cette voie feule , je n'y ay cependant mon recours que quand tous les autres moyens me manquent. Mais après tout , quoy - que cette méthode foit peut-eftre plus ingénieufe , 6C d'une plus profonde ipéculation , ce n'eft pas toûjours la plus courte , la plus naturelle, ÔC la moins embaraiTante , qui doit eftre néanmoins la plus fpirituelle, à mon égard,parce que c'eft en effet la meilleure pour mon deifein. Car enfin , pourquoy prendre des voies obliques écartées pour arriver à fon b u t , quand on peut y aller en droiture ?

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SECONDE DU

L

PARTIE

DESSEIN.

A comparaifon feule, quoy-qu'en difent quelques-uns , ne peut pas fuffire pour la perfedion de cét Ouvrage. Quelque jufte &C quelque exa&e quelle f u f t , (1 elle n e toit foûtenue du raifonnement , on auroit iujet de croire qu'elle feroit plus heureufe que iolide, on pourroit en attribuer la jufteife à quelqu'un de ces hazards extraordinaires , qui produifent quelquefois des effets furprenans. D'ailleurs, quoy-que la vivacité 6C la force de l'imagination pcnccre aifément tous les rapports des Langues, fe les imprime fortement ; elle ne donne point la certitude , &C n'ofte pas la confuilon. Il n'y a que la raiion qui aflfermiife noilre efprit dans fes connoiifances , 6c qui mette de l'ordre dans fes. idées. C'eft à elle de lier ces rapports les uns aux autres , ôC de les unir enfemble, félon la D iij



connexion naturelle qu'ils ont tous avec les mêmes Principes, dont ils dépendent en commun. Le grand point eft que ces Principes foient plauiibles ÔC raiibnnables , &: qu'on y puiile fonder Tes raifonnemens , fans rien craindre. C'eft ce qu'ont de iingulier tous les Principes de cet A r t , qui f o n t , à mon fens, infiniment plus fcniibles ÔC plus naturels, que ne le font pour l'ordinaire ceux que la Philofophie nous propofe comme des veritez inconteftables. Aufli les ay-je tous tirez de la nature mefme du fujet fur lequel je travaille, c'eft-à-dire, des biais 6c des regards difFerens ious lefquels on peut conilderer la parole. O n fera p a r - l à convaincu enfin , comme j'oie me le promettre, que le hazard n'a pas tout l'empire , ny tout le droit qu'on luy donne fur les Langues -, &C qu'on t r o u v e , fans beaucoup fe t o u r m e n t e r , dans les Langues mefmes, des raifons folides &; véritables, de tout ce qui y paroift n'en avoir p o i n t , & n'eftre qu'un pur effet d u caprice. O n verrapar les effets mefmes , qu'on s'en peut faire une fcience auffi démonftrative , àc auifi fuivie, que le font celles qui paffent pour des m o dèles accomplis en ce genre 5 &c fur tout que

l'étendue de Tes principes nous abrégé infiniment le chemin , fans qu'on foit obligé de defcendre à mille détails ennuyeux & fatigans, qui fe voient mefme beaucoup mieux, ÔC d'une manière plus noble, dans leurs principes, que dans eux-mefmes. C'eit ce qui me fait eiperer qu'une Langue , à laquelle on employoit avec chagrin des années entières, deviendra ainfi un divertiiTement de quelques heures , ou tout au plus de peu de jours. E s Paroles n'eftant autre chofe dans l'idée de tous les hommes que des ions fignificatifs , elles fe peuvent prendre ou comme des fons naturels , ou comme des figues arbitraires ; je veux dire, ou comme le propre effet du mouvement de nos organes, ou comme une naïve reprefentation des pcnfées de noftre eiprit. Lors donc que les mots paifent d'une Langue dans une autre , ils ne peuvent abfolument s'alterer dans ce paifage qu'en trois manières. Car enfin quelque altération qui s'y fafle , elle fe fera neceifairement , ou dans les fons mefmes qui compofent la parole, ou dans leur lignification, ou dans les diverfes modifications de l'un de de

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l'autre. C'eft de ces trois regards difFerens, d'où naiiTent trois fortes de Principes généraux , fur lefquels je fais roûller tout ce nouveau Syfteme de la Philofophie des Langues.

AFIN

d'y procéder avec plus d'art Se de jufteile , j'examine dans la dernière éxa&itude les organes difïerens de la v o i x , les divers mouvemens des mufcles de ces organes , &c les rapports admirables de ces mouvemens. Je me fers de ces connoiflances, pour expliquer démonftrativement le nombre précis de tous les fons iimples, qui peuvent entrer dans la compoÎition des Langues 5 pour découvrir la nature & la prononciation propre de ces fonsj &C montrer en Îuice leur affinité, les rapports des uns, la difproportion des autres , leur convenance, leur oppoiition, leur iîmpathie , 6c leur antipathie , en un mot toutes leurs combinaifons leurs mélanges, leurs diviiions , leurs diftin&ions , leurs ordres, &; leurs degrez diflferens. D'où je conclus enfin, que toutes les corruptions les plus furprenantes, qui fe font dans les mots qu'une Langue emprunte d'une autre,

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tre, en changeant, ou en tranfpofant , en ajouftant, ou en retranchant, font toutes fondées fur la Nature , qui ne fait jamais rien que dans une extrême juiteife , lors mefme qu elle nous femble agir avec le plus de négligence. Nous pouvons étudier la Nature fur la Langue Latine mefme, qui nous doit fervir de modelle aufll-bien que de principe. Elle nous apprendra premièrement, que les voyelles font prcfque contées pour rien: car quoy- qu'il y en ait qui fe changent plus facilement les unes dans les autres , félon qu'elles font ou plus ouvertes, ou plus reiferrées ; nous favons néanmoins par expcrience , qu'il n'y en a pas, qui ne puilîe abfolument fe changer dans quelque autre que ce foit : foit que ce changement foie immédiat, foit qu'il ne fe faiTe que par dcgrez. Nous n'avons qu'à comparer enfemble les differens dérivez d'un mefme mot , pour en eftre convaincus. Quel moyen , par exemple, de tirer cepi, incipio, & occupo, du verbe capio, û l'on ne fuppofe la vérité de ce principe, comme l'ont toûjours fuppofée les Orientaux , qui forment la pluipart de leurs mots par le feul changement des voyelles > E

34 x Il n'en va pas t o u t - à - f a i t de mefme des confones 5 on ne doit pas y admettre indifféremment toutes fortes d'altérations : la feule affinité des organes, eft ce qui doit regler prefxjue tous leurs changemens j les Lettres des lèvres fe changent aifez facilement les unes dans les autres > mais celles des dents, ou de la lang u e , auroient un peu de peine à fe changer dans les Lettres des lèvres, qui ne font pas du mefme ordre quelles. Car comme les confones M.B. P . V . F . n e f o n t p r e f q u e q u un mefme fon, qui n'eft modifié que par la diverfe impetuoixté de l'air qui ouvre différemment les lèvres j les lettres D . T . Z. S. doivent faire un ordre à part, ayant un rapport particulier à la pointe de la langue, qui n'a qu'à frapper les dents en diverfes manières, pour les prononcer. Ce n'eft pas qu'il n'y faille penfer plus d'une fois, avant que de décider abfolument, que deux lettres n'ont ny reifemblance , ny proportion j parce qu'il y en a quelquesunes , qui ayant un fon meflé du mouvement de plulreurs organes , fe peuvent changer différemment, ielon leurs differens rapports.: ainfi l'H n'a pas feulement rapport aux lettres du gozier, en qualité de gutturale > mais elle en a auifi en qualité d'aipiration , &C aux fif-

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fies de la langue, ôc aux iîx afpirées, des lèvres , des dents , Ô£ du palais. Que il la précipitation, ou le bégayement de certains Peuples, a mis par hazard en ufage quelques autres manières d'alterer les fons : comme elles ne font pas il-bien fondées fur la raiion -, aufli ne peuvent-elles pas rentrer dans la régularité de l'art, à moins quelles ne fuffent établies par une analogie confiante ôc régulière. D U

Ton des mots , je paiTe à la iignification, qui eft pour parler ainiî, lame de la parole , comme le ion en eft le corps. Pour le faire d'une manière , qui fe fente moins de cét air fec ôc rampant, que l'on a fujet de reprocher à la Grammaire-,je fuppofè que les Paroles n'eftant que les expreiïîons de nos penfées, &C nos peniées les images des objets : la différence des lignifications que nous donnons aux paroles , dépend principalement des manières différentes dont chaque Nation conçoit les mefmes objets, félon ce qu'elle y trouve qui la frappe davantagC * Cela m'engage à expliquer toute la fuite, ÔC la dépendance naturelle de nos idées, ÔC E ij

3* la manière dont elles fe forment , que per« fonne n'a encore bien développée. C'eil par là que je feray connoiftre, qui font les objets dont nous avons des idées propres , & combien il y en a peu ; qui font ceux que nous ne concevons que par des images étrangères, &; ne nommons en fuite qu'avec des termes figurez ; d'où vient l'alliance &c le rapport de nos idées j Se pourquoy la pluipart de nos paroles , ii on les compare à leur première origine , ne font que des metaphores, qui nous reprefentent un objet par des termes qui font propres à un autre , avec lequel il a ou de la reifemblance , ou au moins quelque affinité, qui font enfin les grands principes des Metaphores , (oit d'attribution, foit de proportion, lefquelles font non feulement la beauté , mais compofent prefque feules tout le corps des Langues. En effet, les premiers Peuples, qui ne nommoient les chofes qu'avec fageiTe , voulant donner des noms aux ouvrages de la Nature de l'Art , eûrent égard principalement au rapport naturel qu'elles avoient, ou avec quelque autre chofe qui leur eiloit plus connue, ¿C qui avoit déjà un nom arreiléj ou avec quelqu'une de leurs propriétez prédominantes j

p.

ou bien enfin, avec l'a&ion principale, qui les diltinguoit du refte des eftres. Ils fe fervirent à peu près du mefme artifice , pour impofer des noms plus expreiïlfs aux propriétez des chofes, ne les confiderant pref. que jamais que par rapport aux opérations dont elles eftoient les principes immédiats. E t pour ce qui eft des opérations meimes, comme elles ne leur eftoient pas également connues, n'eftant pas également iènhbles; ils mirent la mefme fubordination dans les termes dont ils fe fervirent pour les reprefenter, que la Nature a établie dans nos connoiifances. C'eft pourquoy, comme il n'y a rien au monde, dont ils pMent avoir une idée plus diftin&e que du mouvement des corps, qui eft ienfible à tous les fens j il ne faut pas s'étonner, fi regardant le mouvement local comme le premier &C le principal objet de leur connoiiTance,ils ne nommerent en fuite toutes les autres opérations de chaque eilre , qu'autant qu'elles avoient quelque affinité, ou avec le mouvement en général, ou avec fes différentes eipeces, ou avec quelqu'une de fes dépendances, telles que font le lieu, la figure , la fituation, l'extenfion, l'union, & la féparation; en un m o t , tous les rapports, qui font fondez £ iij

fur le mouvement de quelque manière que cc puiiTe eltre. Car il la Philofophie nouvelle, qui étudie la Nature de plus prés , prétend bien expliquer les effets naturels, en les rapportant tous au ieul mouvement de la maticre, comme à leur veritable caufe ; c'eil avec bien plus de fujet, que pour rendre raifon de tout cc qui s'eft paiTé jufques à prefent dans les Langues , on peut avoir recours aux termes, qui iignifient le mouvement , puis qu'on ne peut pas douter que tous les autres ne s'y réduifent, comme au premier principe de leur lignification. AuiTi le mouvement a - t - i l bien plus d e tendue dans les Langues, que dans la Nature : car nous y rapportons les idées mefmes les plus fpirituelles, je veux dire , celles que nous formons des opérations de noilre efprit , & des mouvemens de noftre volonté, Ainii, quand nous difons que l'eiprit, ou l'entendement s'applique à penfer , à concevoir, àdifeourir, à expliquer, à débrouiller, à démefler les matières, à découvrir la vérité i quand nous parlons du trouble, des avéri o n s , de l'agitation , & de la confternation de la volonté y pour expliquer les actions du monde les plus fpirituelles, nous nous fervon^

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d'images, qui font en effet corporelles dans leur première origine, quoy-qu'elles ayent la plufpart perdu leur iignification propre, pour en prendre une autre purement figurée. C'eft par ces principes , que je réduis à des raifons naturelles , toutes les manières imaginables, dont les mots alterent leur première lignification, pour en recevoir une autre, ou plus étendue , ou plus reiTerrée , ou tant foit peu diverfifiée , c'eft-à-dire, ou proportionelle, ou approchante. Car il eft bien difficile que les mots paiTent d'un païs à l'autre , fans qu'il leur arrive la mefme chofe qu'à ces plantes étrangères, qu'on ne peut prefque tranfplanter dans un nouveau fol, quelles ne dégenerent, en perdant quelque chofe de leur vertu, ou mefme qu'elles n'en acquerent quelquefois une nouvelle.

MAIS

comme tous les Peuples ont eâ. d'abord cette veûe générale , d'expliquer ce qu'ils penfent avec le moins d'embaras qu'il eft polfible ; de-là vient q u e , pour renfermer un grand fens en peu de mots , ils n'ont prefque pas de paroles, qui marquent précifément les idées iimples de l'eíprit détachées de tous leurs rapports. Les



paroles les plus fimples en elles - mefmes, font le plus fouvent compofées , pour ce qui eft de la lignification ; &C il n'y a pas mefme de mot un peu coniiderable , qu'on n'ait diveriifié dans chaque Langue par mille modifications différentes. C'eft de là que nous font venues toutes ces manières d'inflexion, de dérivation, de compofition, qui renferment la plus fine diale&ique -, toutes ces eipeces &c ces formes de noms, de verbes, &c de particules , qui font toute l'œconomie d'une Langue ; toute cette diveriité de nombres, de genres, de cas, de temps, de modes, & de pedonnes , qui a bien plus d'artifice qu'on ne fe l'imagine d'abord : Car l'ufage de tous les Peuples n'a pas autorifé feulement ces inventions, pour varier la cadence des mots ; mais pour exprimer avec une admirable facilité , tous les biais dont l'idée du mefme objet fe peut prefeiiterà lapeniee, félon qu'on y mefle les rapports qu'il peut avoir à les effets, ou à fes caufes , aux divers eftats dans lefquels il fublifte, aux différences du temps àc du lieu , &; à toutes les circonilances qui le peuvent accompagner , foit dans noftre efprit, foit hors de noftre efprit. Comme

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Comme ceft dans toutes ces modifications que confident principalement les différences les plus fenfibles des Langues j auifi un des plus grands fecrets de ce nouvel Art, eft d'apprendre à démeiler nettement, & dans nos idées , & dans les mots qui les reprefentent, ce quil y a de principal &c d'eifentiel, d'avec ce qui n'y eft purement qu'accefloire > de diftinguer fubtilement les premieres idées d'avec les fécondés , les fécondés d'avec les troiiiémes, les limpies d'avec les compofées ; la lignification primitive originale, d'avec fes dépendances , fes rapports , fes modifications , & íes reftri&ions diverfes ; en un m o t , de ne pas confondre, fi j'ofe ainfi parler, l'habit avec la perfonne. Car enfin ces modifications font proprement aux paroles , ce que les habits font à l'homme. Cét habit nouveau qu'on donne aux mots étrangers, pour les habiller à la mode du païs, les défigure fi fort la plufpart du temps, &C les rend li méconnoiffables , qu'ils impofent à nos eiprits, auifi - bien qu'à nos oreilles, &c fe font paíTer pour naturels 8c originaires du païs, quoy- qu'ils viennent en effet du païs de nos voifins , & quelquefois mefmc d'outre-mer. F

4 1

Il n'y a d o n c , pour juger fainement de leur origine , qu'à les confiderer tout nuds, 6c entièrement dépouillez des ornemens qui les déguifent 5 &; pour le faire avec plus de feûreté , de les fuivre pas à pas dans leurs voyages , &C d'épier les détours differens qu'ils ont pris , ôc les habits dont ils ont changé , pour venir il déguifez jufques à nous. C E

font-là les principes les plus étendus, ôc les moyens les plus infaillibles , par leiquels je découvre cét accord fecret &C m yileneux des Langues, qui fans doute paroiftra d'autant plus admirable, qu'on n'a guéres crû jufques à cette heure, qu'elles euiTent tant de liaiion. Mais comme l'application de ces principes fe peut faire en bien des manières j depeur que l'efprit ne demeure indéterminé fur ce point, je fais voir par le détail l'application qui s'en doit faire à chaque Langue en particulier , conformément à fon génie , 6C à fon propre cara&ére. C'eft ce qui m'oblige de faire une exa&e recherche du différent naturel des Langues que je prétends réduire. Je ne me contente pas de le tiier infailliblement, foie du confen-

tement général des Peuples , qui fe trompent aiTez peu dans l'idée qu'ils ont de la Langue de chaque Nation , auffi - bien que de Tes mœurs : ioit du fentiment particulier des Perfonnes favantcs , qui fans préoccupation d'efprit ont étudié leur Langue naturelle avec plus de foin. Mais, pour joindre l'évidence à la certitude , je l'examine principalement fur l'Hiftoire mefme de la Langue , qui eft la réglé la plus jufte que nous puiiïions fuivre fur ce fujet. Il a fallu pour cela étudier à fonds l'origine de chaque Peuple , fur d'autres mémoires que ceux que nous ont fourni la plufpart des Critiques , de examiner ferieufement le commerce continuel qu'il a eû avec les Nations voiiïnes les plus conilderables 5 les guerres , les différends 8c les alliances de fes Souverains avec les autres Princes j les irruptions &c les courfes des Nations conquérantes , qui en ont corrompu la Langue , à mefure qu'elles en ont ravagé le pais 5 les Colonies fréquentes que les vainqueurs y ont envoyées j enfin fes voyages d'outre-mer, & fon trafic avec les Peuples les plus éloignez : Car ce font - là les caufes les plus immédiates du mélange &c de la corruption des Langues. F ij

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O n prendra peut-eftre plaiiir à voir démef1er le fond de chaque Langue , d'avec ce que la fuite des temps, & les révolutions de l'Eftat y ont ou changé, ou ajoufté 5 ce que chaque peuple a contribué du iien pour l'enrichir j ce que la Religion , le gouvernement, &C le commerce des Sciences luy ont communiqué > ce quelle garde des reiles de ion antiquité , ôc les nouvelles acquittions quelle a faites, pour remplacer fes pertes avec plus d'avantage.

APre's

t o u t , ce n'eft encore-là que le fquelete , ou tout au plus que le corps d'une Langue. Il faut que cét amas 8c ce mélange informe de tant de fortes d'idiomes , ioit animé par un efprit fecret, qui fe répande dans tous ces membres û divers, pour les réduire à l'unité , en leur communiquant le mefme air 5 & que cét efprit foit le principe individuel de tous les effets & de tous les changemens fenfibles , qui nous font aifément diftinguer une Langue d'avec une autre. L e temperament , l'humeur , 8c le naturel des Peuples, les difpofîtions de leur efprit, leur génie , ôc leurs goufts particuliers, leurs

inclinations les plus générales Se les plus forces, leurs paillons ordinaires , & ces qualicez finguliéres, par lefquelles un Peuple le diftingue 6c fe fait remarquer entre les autres, font les marques les plus évidentes , pour découvrir le veritable génie d'une L a n g u e , puis qu'elles en font en effet les caufes les plus immédiates. C e font auiTi les premiers originaux, d'après lefquels j'ay copié tous les traits qui m'ont fervi pour en faire un portrait naïf èc reiïèmblant, &C qui tient, ce me femble, aifez du naturel. Outre cela , les mœurs des mefmes peuples , leurs couftumes, leurs loix , leur police , 6c toutes leurs manières , foit dans la paix , foit dans la guerre , font des effets il univerfellement connus, qu'il n'en faut point chercher d'autres , pour juger par proportion du génie & du cara&ére des Langues auifi feûrement que de celuy des peuples qui les parlent. Mais comme le foin qu'une Nation a de cultiver les Sciences , les A r t s , ÔC les belles Lettres, eft ce qui contribue le plus à la perfection de fa Langue j c'eft principalement fur la manière dont elle s'y eft prife, àc fur le caractère de fes Auteurs , que j'appuie daF iij

46 vantage , pour décider il elle eft modefte ou faftueufeî il elle tient plus de la moleiTe, de la douceur , &c de la délicateiTe , que d'un certain air noble , fier , &C génereux 5 il elle s'attache plus à la {implicite de la Nature , qu'aux rafînemens, & aux fubtilitez de l'Art 5 il elle eft polie jufques à l'affe&ation j ou il au contraire elle afFedte une certaine négligence , qui a fa grâce , auifi-bien que fes réglés &C Ton art ; enfin , ii elle n'eft point un peu gefnée, pour vouloir eftre trop é x a & e , ou ii elle s'accommode mieux d'un air libre 8C cavalier.

A

Y A N T découvert ce génie & ce caractère propre de chaque Langue , j'en forme l'idée la plus parfaite que je m'en puiiTe former, fuivant la manière &C les principes des Platoniciens , dont la methode m'a toûjours autant p l û , que leur do&rine me déplaift. Cette idée bien développée me fert dans la fuite d'une règle générale, pour établir les raiions propres &C véritables de tout ce qui fe paiTe dans le détail de chaque L a n g u e , de plus iingulier & de plus remarquable j foit pour le choix , le mélange, &c l'union des îons j foit pour la force &C la iignification des

mots -y foit pour l'air ÔC la manière de s'exprimer. Car il cil tres-vray, que toutes ces chofes changent fclon le génie des Peuples. Ainiî, comme les Efpagnols fe veulent diftinguer des autres Nations , par leur fafte , &C par leur gravité afie&ée > leurs mots fe font auiïitoft reconnoiftre à un certain air pompeux, qui fent fa grandeur 6c fa majefté. Au contraire , comme les Italiens font la nation du monde , qui aime le plus Ton plaifîr j il cffc naturel , que cette moleiTe fe communique à leur Langue ; èc que toutes leurs paroles ne refpirent que la douceur, la politeiTe , &C la mignardife. 11 ne faut pas qu'elles foient compofées d'autres ions, que de ceux qui peuvent flatter l'oreille 5 ils ne peuvent foufFrir tous les concours de confones, dont la rudeiTe peut tant foit peu fatiguer l'organe j mais ils aiment extrêmement les voyelles , &: les font tres-fouvent s'entrefuivre, afin de former une prononciation plus douce plus délicate. Pour ce qui regarde la fignification des paroles, afin d'y mefler l'agrément avec l'énergie, ils n'en ont prefque pas qui n'ayent quelque chofe de figuré , fe perfuadant que

48 la Métaphore reprefente les objets à l'eiprit d'une manière plus fine, èc plus divertiflante ; &C mcfme ils ont foin de ne choifir que celles qui peuvent produire de belles images. Ils ne fe font pas moins étudiez à diveriifier les mots par des modifications agréables > leur inflexion n'a rien de gefnant j tout y eft également facile &C gay. Les diminutifs iont fort à leur gouft , parce qu'ils ont quelque chofe de plus mignon. Ils font riches en dérivez 6c en compofez -, non - feulement parce que la prononciation en eft plus harmonieufe , mais aufli parce qu'ils expriment les chofes d'une manière plus naïve. En un m o t , ils oftent tout ce qui peut donner de la peine 3 &; recherchent paifionnément tout ce qui peut contribuer à la douceur d'une Langue. Jeraifonne à-peu-prés de la mefme manière fur les Langues des autres Peuples. Mais parce que le raifonnement feul peut eftre fufped à quelques perfonnes, fur tout quand il paroift trop jufte & trop plaufible 5 j'ay eû foin pour cela d'y meihager fi-bien les exemples, que fans féparer l'indu&ion du raifonnement , l'expérience & l'ufage foûtiennent la raifon, & la raifon confirme l'expérience : Et

49

Et meime les exemples font il naturellement enchaînez avec leurs principes, &: tellement diftribuez chacun dans la place qui luy eft propre, que fans qu'on y faife prefque réflexion , j'épuife imperceptiblement tous les mots eifentiels 6c fondamentaux de chaque Langue , ayant voulu moy - mefme tirer toutes les conclufions des Principes, & faire toutes les indu&ions neceiTaires -, fans rien laiiTer au travail & à ladreiTe du Le&eur, qui foufifreaifément dans ces fortes d'occafions, qu'on ie défie en quelque manière de fon efprit, pourveû qu'on le délivré entièrement de peine. J'eipere qu'un mélange auiïï diveriîfié que celuy-cy, d'hiftoire, de réflexions, 8cde critique, fouftenu de principes, de raifonnemens, & d'exemples, pourra donner quelque force d'agrément à mon ouvrage , en égayant une matière qui eft aiTez leche & aifez épineuiè d'elle-mefme, fans la rendre plus de£ agréable, par cette manière baffe èc rampante , qui a Ci fort décrié les critiques , àc qui dégoûte ordinairement d'une Science, devant mefme qu'on ait commencé à s'y appliquer. Auiïi, cét air didactique eft-il le moins propre de tous , pour enfeigner agréablement : Car comme on ne prend pas plaiiîr à fe voir

G

Ecolier, l'unique adreiTe c f t , de faire en forte qu'on puiiTe apprendre les chofes, fans s'apperceyoir qu'on aie un Maiftre.

CONCLUSION.

Y

O l L A l'idée groifiére &C générale de tout mon deiTcin , tracée en auffi peu de mots, que la briéveté d'un projet me la pu permettre. Toute raifonnable qu'elle e f t , elle ne laiiTe pas d'avoir de grands adverfaires, dont les uns foûtiennent avec chaleur , que il cette manière d'apprendre les Langues , a quelque chofe de curieux pour la fpeculation, elle eft d'ailleurs aiTez inutile pour la pratique } puis que l'ufage feul eft, difent-ils, le grand maiftre des Langues , & qu'il s'en faut entièrement rapporter à la memoire , àc à l'alïiduité d'un travail conftant &c opiniaftre. Les autres avoûent de bonne foy ion utilité, mais ils doutent fort de la poiTibilité de fon exécution 5 ne croyant pas que les Langues ayent véritablement tant de rapport, que je fuppofe qu'elles en ont 5 ou fe perfuadant au moins , qu'il cft prefque impolïible à l'eipric

humain de le trouver maintenant , quand mefme elles en auroienc eu d'abord.

P

O U R répondre aux premiers , j'avoûe qu'un de mes étonnemens eft , que des perfonnes il fpirituelles fe déclarent ii hautement contre l'efprit, en faveur de la mémoire. Je refpe&e infiniment leur mérité 3 mais après tout, je ne puis me rendre à leur fentiment. L'unique moyen, ce me femble, d'apprendre les Langues, &c de les apprendre en auifi grand nombre qu'on voudra , de le faire aifément, fans ennuy, fans confuiion, fans embaras , fans perte de temps , fans fe mettre dans le danger ordinaire de les oublier avec autant de facilité qu'on les apprend avec peine j &C qui plus e f t , de les poiîeder toutes d'une manière qui n'ait rien de bas, & qui foit digne d'une perfonne raifonnablej c'eft en un mot de donner plus à l'efprit , & à la réflexion , qu'à la memoire. Car enfin , fi la mémoire n'eft foûtenue des réflexions de l'efprit, elle ne peut pas nous conduire bien loin toute feule. Quelque heureufe qu'elle foit, elle fera toûjours lente, bornée, confufe, & infidelle. Son G ij

S2a&ion n'eft pas aflfez vive, pour nous tirer de ces longueurs fatigantes, qui dégoûtent des plus belles entreprîtes 5 6c íes efïorts font trop languiilans & trop foibles , pour exécuter en peu de temps, un deiTein d'auiïi grande haleine que celuy-cy. Eftant auifi bornée qu'elle eft, il n'eft pas pofliblc qu'elle renferme cette multitude innombrable de Langues il éloignées en apparence les unes des autres. Que fi quelquefois elle fait un effort extraordinaire, fes eípeces íe confondent bien-toft par la multitude feule j &; quand mefme elles y feroient rangées dans le plus bel ordre du monde , au-moins n'y pourroient-elles pas iubfîfter long-temps, (ans, ou s'effacer par celles qui furviennent, ou s'échapper d'elles - mefmes , n'y ayant rien qui les fixe , Se qui les arrefte. De-forte que les Langues eftant d'une fi vafte étendue, on ne peut pas s'en fier uniquement à la memoire , fans vouloir facrifier à la feule icience des mots , un temps infini ; qui nous eftant auiïi précieux qu'il le doit eftre , ie peut employer avec plus de fageife , &c de fuccés , ou à la connoiffance des chofes , ou au manîment des affaires.

S)

P

O u R fatis faire les féconds, je n'a y rien autre chofe à leur dire maintenant , iinon, que il ce de/fein leur paroiil d'abord, ou chimérique, ou temeraire, l'exécution en juftifiera bien- toft l'entreprife, & les convaincra peut-eftre, qu'il n'eit pas toujours à propos de décider d'un ton il affirmatif, fur des matières qu'on n'a pas fort approfondies-, &: qu'il ne faut pas aifément defefperer de rien, qu'on ne foit feûr d'avoir tenté toutes les voyes imaginables.

A

U refte, comme je ne crois pas m'eftre trompé dans ce qui fera le gros &c le fond de mon ouvrage, je ne prétends pas auifi, que tout ce que j'avanceray dans le détail fur la connexion des Langues, foit toujours receû, comme des véritez inconteftables, dont je fois moy-mefme fort convaincu. Je fuis trop inftruit fur la nature de la vérité, pour me croire aiTez heureux, que de l'avoir toûjours découverte dans la matière du monde la plus douteufe, &, la plus embrouillée qui fut jamais. J'avoûë mefme , que quelque reipeâ: qu'on doive à la vérité , je l'ay néanmoins abandonnée de fens - froid , en quelques enG iij

S4 droits, où elle ne me paroiiToit pas donner aiTez dans le fens ordinaire des hommes j me perfuadant qu'une conjecture bien imaginée , & débitée d'un air plauiible , eft plus au gouft des perfonnes d'efprit , qu'une vérité fade ÔC badine, comme il s'en trouve une infité dans le fujet que je traite. Je propofe donc aux Savans, ce nouveau Syfteine des Langues, non pas comme une thefe inconteftable dans toutes fes partiesj mais feulement comme une hypothefe , qui n'eft pas t o u t - à - f a i t déraifonnable j 6c qui d'ailleurs a cet avantage particulier , que quand elle feroit la plus fauiTe du monde dans la fpeculation, au moins peut-elle eftre de mife dans la pratique. Ainii, j'efpere qu'on me fera bien la mefme grâce, que font à Copernic les perfonnes les plus déclarées contre fon hypothefe, qui iont obligées d'avoûër, que toute fauiTe qu'elle eft , c'eft néanmoins une des plus commodes pour l'ufage, ÔC pour les fupputations de TAftronomie. F I N-

Extrait du Privilege du Roy.

P

A R Lettres Patentes du R o y , données à Saint Germain en Laye le y. Février 1 6 7 4 . (ignées D ' A L A N C E , ÔC fcellécs du grand Sceau de cire jaune, il eft permis à S E B A S T I E N M A B R E C R A M O 1 s Y , d'imprimer un Diicours intitulé, La Réunion des Langues,ou l'Art de les apprendre toutes par une feule, en telle forme, en tel cara&cro qu'il voud r a , durant dix années confecutives, à compter du jour que ledit Difcours fera achevé d'imprimer: A v e c défenfes à toutes autres perfonnes d'imprimer, ou faire imprimer ledit Livre, fous les peines portées par lcfditcs Lettres. Rcgiflrè fur le Livre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, le 1 3 . lévrier 1 6 7 4 . S i g n é , D . T H I E R R Y , Syndic.

EDITION & COMMENTAIRE: Vincenzo Lo Cascio Université d'Amsterdam

Ce commentaire est une élaboration d'une partie de mon article: Teorie e norme linguistiche in alcune grammatiche e in alcuni saggi del Seicento qui va paraître dans les actes du congrès sur / linguaggi nella storia del Pensiero (Mistretta mars 1984 ) T. De Mauro & F. Lo Piparo ( é d ) chez II Mulino-Bologna. Je remercie Madame Anita de Meijer-Concas d'avoir relu mon texte fiançais et Madame Gerda Lo Cascio-Plas pour tout son aide.

BESNIER, SA VIE ET SA PENSEE

Il est étrange qu'un essai d'une telle importance, contenant des idées de linguistique et d'épistémologie d'une valeur aussi remarquable (mises à part quelques naivetés) pour le siècle où il a paru, mais aussi pour l'histoire de la pensée linguistique tout court, ait eu si peu de retentissement à son époque, au point d'avoir été presque complètement oublié dans les siècles qui suivirent. Cette oeuvre du père jésuite Besnier n'est citée presque nulle part dans les histoires de la pensée linguistique du XVIIe siècle, bien que, parue en 1674, elle ait été traduite en anglais à peine un an après, et publiée à Oxford. Lia Formigari (1970:60) qui a eu l'occasion de consulter la version anglaise et qui l'a citée dans sa monographie, met en relief l'importance de cette oeuvre qui aborde des problèmes, épineux et fondamentaux à cette époque, tels que, par exemple, le rapport entre la langue et le génie du peuple et le rôle de la métaphore dans l'évolution linguistique. J'étais donc très heureux quand, après avoir découvert et lu par hasard, l'essai de Besnier et en avoir apprécié la valeur, j'ai trouvé l'éditeur hollandais, Foris Publications, disposé à publier un fac-similé de l'édition originale. Le fait que l'essai de Besnier parait maintenant chez un éditeur hollandais, est dans l'ordre des choses. Au XVIIe siècle il aurait pu arriver la même chose, étant donné qu'aux Pays Bas, à cette époque, l'imprimerie était très active au niveau international et publiait dans toutes les langues. Le XVIIe siecle a été un des siècles les plus importants de l'histoire1 > de la pensée linguistique et il pourrait sembler naturel de se demander, pour placer dans son juste cadre l'oeuvre de Besnier, quel a été le vrai 1.

De Mauro soulignait déjà en 1966 la damnatio memoriae qui a caractérisé avant 1965, dans l'historiographie linguistique, la pensée linguistique du XVI e , du XVII e et du XVIII e siècles, siècles pendant lesquels, au contraire, il y a eu une grande activité de recherches historicolinguistiques et on a jété les bases d'une relation entre les langues connues en supposant aussi une origine commune au grec, au latin et au sanskrit.

60 climat culturel qui a caractérisé cette pensée et comment les grands courants de la pensée philosophique, littéraire, linguistique ont non seulement trouvé une application dans des oeuvres considérées mineures ou restées inconnues à l'époque ou pendant les siècles suivants, mais s'en sont aussi inspirées. Généralement l'historiographie linguistique cite les noms et les idées des grands penseurs, mais n'analyse pas suffisamment leurs sources éventuelles. Par exemple, dans quelle mesure cet essai de Besnier, écrit vingt-cinq ans au moins avant Y Essay concerning human understanding de Locke, ou les Nouveaux Essais sur l'entendement humain de Leibniz, et deux siècles avant les premières grammaires comparées, a pu inspirer ou être anticipateur des idées des grands penseurs de son siècle ou des siècles suivants?

I

LE PERE BESNIER: SA VIE

Qui était Pierre Besnier? Est ce qu'il est possible de savoir quelque chose de sa vie2) et de ses oeuvres, d'expliquer pourquoi il est resté inconnu jusqu'à nos jours bien que son oeuvre ait été traduite immédiatement en Angleterre. Il a été difficile de trouver des données là-dessus. Il naquit à Tours en 1648 et il entra au noviciat à Paris le 12 janvier 1663. Selon Sommervogel (1890) il resta dans la capitale française jusqu'à 1688, date à laquelle il partit pour les missions du Levant. Mais il se peut qu'il soit parti pour l'Orient déjà auparavant. Effectivement il fit beaucoup de voyages comme diplomate et il fut célèbre pour sa mémoire extraordinaire et pour sa connaissance des langues. Il mourut à Constantinople le 7 septembre 1705. Il publia en 1674 son essai la Réunion des Langues, à l'âge donc de 26 ans. Selon Sommervogel (1890 - Vol. I) cet essai a paru aussi à Liège en 1672 in 12° chez Nicolas le Baragouin. Donc deux ans avant l'édition parisienne. Y-a-t-il là une faute des biographes? Malheuresement je n'ai pu trouver cette édition qui, d'ailleurs, n'est jamais citée. La Réunion des Langues a été traduite immédiatement en anglais en 1675 et publiée à Oxford.3) L'imprimeur anglais, dans son message au lecteur, dit: 'Meeting by chance with this ingenuous offer, I thought it might not be improper since I found it in another drefie, to make it speak another Language too, which among the most creditable of Europe, hath not desisted from its claim to Antiquity

Même si ce n'est qu'un hasard, faire traduire son travail ne devait pas 2. 3-

On trouve des renseignements sur Besnier en: Sommervogel (1886-1919), Hoefer(1855), Bouhours (1689), Brunot (1913), De Dainville (1940), Doncieux(1886),Formigari(1970), Grente (1954). Pierre Besnier: a Philosophical Essay for the Reunion of the Language or the Art of Knowing all by the Mastery of one. Printed by Hen: Hall for James Good-Oxford 1675. Traduit par Henry Roose. La "Scholar Press Limited.Menston (England) a publié en 1971 un fac-similé de l'édition anglaise.

62

être chose facile au XVIIe siècle. Besnier devait être bien connu pour qu'on le traduise si vite et dans la langue de Bacon, de Wilkins, Delgarnus, Locke etcétera, tous des savants qui travaillaient, ou avaient travaillé sur les problèmes des langues universelles et sur la relation entre pensée et langage. Mais Besnier, probablement à cause de la diversité de ses intérêts et à cause de ses nombreux voyages, n'a pas beaucoup publié. On sait qu'il s'est occupé de problèmes d'etymologie. Selon Sommervogel il aurait publié un Discours sur la science des étymologies en 1694 à Paris chez Aisson in 120 pp. 132. Ce que j'ai réussi à trouver c'est un Discours sur la science des Etymologiespublié dans le Dictionnaire Etymologique de la langue Française du père M. Ménage, paru à Paris en 1694. En effet, à cette époque, les études étymologiques inspiraient un grand intérêt et ce sujet avait déjà provoqué des querelles théoriques. Par exemple, celle entre le père D. Bouhours, fameux grammairien, et le père M. Ménage, déjà cité, étymologue très critiqué académicien de la Crusca, et précepteur de Madame de Sévigné (sur cette querelle cf. Brunot 1913 - Vol. IV pp. 2). Besnier a travaillé aussi à un projet de traduction du Nouveau Testament d'après laVulgate, sous la direction du père Dominique Bouhours qui dans son oeuvre fut aidé par le père Michel Le Teillier, théologien bien connu à la cour de Louis XIV, pour la théologie et par le père Besnier, pour les langues orientales. On ne sait pas au juste dans quelle mesure Besnier y a collaboré, mais ce fut un projet de longue durée. Dans sa monographie sur le père Bouhours, Doncieux (1886) observe que cette entreprise compta beaucoup d'années de 'labour', 'labour ingrat parce que la parution de la première partie [Paris 1697] et encore plus de la deuxième [Paris 1703] portèrent au père Bouhours beaucoup de chagrin parce que son travail eut des critiques terribles avec le plaisir de ses ennemis et parmi eux les Jansénistes'

Le père Bouhours dans son oeuvre Pensées ingénieuses des anciens et des modernes (Paris 1689) parle de Besnier. Il raconte (p. 233-234) que l'écrivain italien Tasso, dans son oeuvre, fait dire à une Sarrasine qui alla s'offrir à Aladin pour défendre Jérusalem contre les Chrétiens, qu'elle était prête à s'acquiter de toutes les fonctions 'dont il voudrait la charger' en ajoutant: L'alte non temo e l'humili non sdegno'Qe ne crains point les plus hautes et je ne dédaigné pas les plus basses). Bouhours alors dit:

63 'Un homme d'esprit qui a un talent extraordinaire pour toutes les langues et pour toutes les sciences, [le père Besnier], passant à Malthe dans son voyage de Constantinople, donna ces paroles Italiennes au Grand Maistre Cotonère pour mettre sur les Bannières de la Religion. Cela convient parfaitement à des chevaliers qui font profession des exercices les plus héroiques en combattant les infidèles et des plus humbles en servant les pauvres: de sorte que chacun d'eux peut dire justement, par rapport à ce que les Italiens nomment impresa et que nous appelions entreprise ou fonction: 'L'cdte non temo e l'bumili non sdegno'.

Naturellement dans la description des qualités du père Besnier faite par Bouhours il pourrait y avoir quelque exagération. Bouhours, dit Doncieux, (1886): 'fut prisé, loué à l'excès; mais lui même louait de si bonne gracé! par calcul? Non pas, mais d'abondance, par penchant naturel, avec le même plaisir que d'autres prennent à dénigrer' (p. 64).

Mais d'ailleurs l'hyperbole devait être une caractéristique du XVIIe siècle. Il est certain, de toute façon, que Besnier voyagea beaucoup et s'intéressa beaucoup aux mathématiques. C'était la période où la France envoyait des missionnaires partout, aux Amériques4) et dans les pays du Levant, non pas seulement pour la diffusion de la réligion Chrétienne auprès des Chinois ou des Perses ou des Tartares ou des Turcs, mais aussi pour établir des contacts politiques et surtout pour faire des recherches scientifiques de géographie, de botanique, etcétera. Le ministre Colbert, vers 1681, à la suite d'une lettre du père P. Verbiest, missionnaire en Chine, très estimé par l'empereur de Chine, président du tribunal des mathématiques à Pékin, demanda au père de Fontaney, lui aussi savant mathématicien, d'organiser une mission en Chine. La mort de Colbert causa la suspension du projet qui fut repris plus tard. Vers l'an 1684 (cf.J.P. Niceron: 1727 f° 19, cité par F. De Dainville 1940:451 ), les membres de l'Académie Royale des Sciences auraient pensé d'envoyer des missionnaires jésuites en Chine qui 'joindraient au zèle de répandre la religion, l'étude des sciences humaines'. On attendait donc des pères jésuites des tâches scientifiques importantes. L. Pflster ( 1932 - Vol. I, pp. 420-421 ), dans sa biographie sur les missionnaires jésuites en Chine, dit que

4.

Sur Les Jésuites en Amérique voir: de Rochemonteix (1895).

64 'Le père la Chaise5) qui s'employa auprès du P. Général pour lui recommander cette oeuvre apostolique, ne craint pas d'insister sur cet aspect du désir royal: il demandait qu'on lui cherchât un nombre de bons missionnaires qui ayent assez de connaissances des mathématiques pour faire en chemin et sur les lieux toutes les observations nécessaires pour rectifier les cartes marines et géographiques et surtout pour prendre connaissance des sciences et des ars principaux des Chinois'.

L'astronome Cassini fut chargé de s'occuper du projet des missions. T.D. Cassini, un des savants les plus connus dans le domaine de la géographie et de l'astronomie, de l'époque, italien d'origine (né à Perinaldo en 1625 et mort à Paris en 1712), avait été nommé par le roi, directeur de l'observatoire astronomique de Paris (voir entre autres: Voltaire, 1751: chap. XXXI). Ses travaux scientifiques étaient bien connus et le Journal des Sçavants parlait très souvent de ses découvertes. A cette occasion il projeta d'envoyer des 'Jésuites mathématiciens et bons observateurs pour prendre des longitudes et des latitudes et les déclinaisons de l'Ayman en divers endroits de l'Orient et jusques dans la Chine'.

Dans un mémoire, manuscript en possession de la Bibliothèque Nationale de Paris (no. 17420 f° 246 09 et cité par F. De Dainville 1940:452), Cassini prévoit trois départs. Le premier départ était prévu pour janvier 1685, et avait pour destination la Perse, la Grande Tartarie et le Siam. Le deuxième départ était prévu pour mai ou juin: 'Une troupe s'embarquerait à Marseille, ses membres se rendraient à Constantinople où il prendraient le père Besnier, bon mathématicien et sachant plusiers langues orientales, de là ils iraient à Alep, s'y adjoindraient le Père Barnabé également mathématicien et, par groupes ou ensemble se mettraient en route pour la Chine, multipliant, chemin faisant, les observations. Une troisième bande s'embarquerait sur les vaisseaux hollandais pour prendre les longitudes de leurs ports'.

La première mission fut conduite par le père de Fontenay lui-même, qui fut missionnaire en Chine (Voir Pfister Vol. I) et estimé par M. Cassini et M. de la Hire. La deuxième mission eut aussi lieu. Le père Avril, professeur de mathématiques au Collège de Paris, fut chargé de la mission et s'embarqua à Marseille (en janvier 1685) réjoignit Alep où il 5.

Le père La Chaise était le confesseur du roi. Sur le père La Chaise voir: R. de Chantelauze 1859.

65 prit pour compagnon le père Barnabé; ils traversèrent la Perse, puis la Mer Caspienne. Ils furent aussi en Pologne et à Moscou, mais ils ne purent pas arriver en Chine où ils voulaient arriver en passant par la Sibérie. Ils auraient eu du mal, il paraît, à obtenir des passeports. Louis XIV fut obligé d'écrire des lettres au Tzar de Russie pour lui demander de donner les passeports à ces missionnaires qui, à côté de leur mission réligieuse, devaient faire des études scientifiques utiles pour toute l'humanité. Mais je n'ai pu établir si le père Avril eut le père Besnier comme compagnon. Il n'en est pas fait mention ni dans le livre que le père Avril a écrit pour raconter son voyage: Voyage en divers Etats d'Europe et d'Asie; Paris 1692 (traduit aussi en hollandais en 1694) ni dans le Journal des Sçavants de mars 1692 (édité à Amsterdam pp. 187-204) qui fait mention de ce voyage mais qui ne cite pas le nom de Besnier. Quoi qu'il en soit, le père Avril se rendit en Turquie mais il ne cite pas notre père jésuite non plus. Il est presque certain que Besnier était allé à Constantinople en passant par Malte. Est-ce-qu'il était rentré à l'époque à Paris? Naturellement le fait qu'il voyageait et qu'il avait beaucoup d'intérêts l'empêchait d'écrire et surtout de se créer un réseau d'amis puissants dans la capitale. Pourtant il travaille avec deux linguistes, les pères Ménage et Bouhours, qui même s'ils n'étaient pas modernes et s'ils étaient contre les jansénistes et Port Royal, étaient aussi des personnages puissants et bien connus. Les deux savants étaient continuateurs des théoiries de Vaugelas6) selon lequel il n'y avait, pour étudier une langue qu'à regarder et à écouter, il ne fallait rien faire d'autre qu'observer et constater, il n'existait pas de lois mais des faits. Ménage, était un étymologiste et un puriste connu. Il avait été chargé par Mazarin et Colbert de faire 'un rôle des gens des lettres', parce qu'il les connaissait tous, français et étrangers. Madame de Sévigné et Madame de La Fayette furent ses élèves. C'était un linguiste très érudit, mais il fut très critiqué comme étymologiste. Il tenait le mercredi à Paris, une mercuriale, dont les réunions et les décisions furent célèbres (Brunot, 1913 - Tome IV p. 2). Il était donc très influent. On peut dire la même chose du père Bouhours, grammairien, puriste comme Ménage, antirationaliste lui aussi, précepteur du fils du ministre Colbert, le marquis de Saignelay. Il fréquentait le lundi le salon du 6.

"Le maître de Vaugelas, c'est le 'bon usage' et, comme il est aristocrate, le 'bon usage', c'est celui de la cour, voire celui de la plus saine partie de la Cour" (Keukenheim 1962:27). Pour Ménage et Bonhours, voir aussi Keukenheim ( 1 9 6 2 : 2 7 ) .

66 président Lamoignon, qui lui soumettait ses discours d'apparat. Il fut reconnu par La Fontaine comme un des maîtres du temps et il fut très apprécié et puissant comme linguiste et savant. Tout le beau monde tenait à son jugement. Racine lui envoyait ses pièces pour connaître son opinion sur la qualité de la langue (Brunot 1913, Tome IV: 68). Il fut célèbre pour son Entretien d'Ariste et d'Eugène publié en 1672 et qui devint une espèce de bestseller de son temps. En 1674 chez le même éditeur de la Réunion des Langues de Besnier il publie ses fameux Doutes sur la langue française proposés à Messieurs de l'Académie Française par un Gentilhomme de Province, suivis par la publication, en 1675, chez le même éditeur, des Remarques nouvelles sur la langue française. Les deux savants étaient donc puissants mais ils n'avaient pas l'esprit scientifique du mathématicien Besnier qui avait une prédisposition rationaliste et cherchait certainement des lois dans la langue et ne pouvait pas être d'accord avec les théories de Vaugelas. Malgré cela, Besnier collabora avec Ménage et Bouhours. Il était aussi connu et apprécié, comme on l'a vu, par des mathématiciens comme Cassini. Si cela est vrai, pourquoi son oeuvre n'est-elle pas citée par tous ceux qui ont écrit après lui et qui sont proches de sa théorie? Est ce que par exemple Leibniz n'a pas connu Besnier? Il était à Paris quand, en 1674, a paru la Réunion des Langues Leibniz, fit connaissance en tant que mathématicien de Cassini, comme le témoignent ses lettres et les discussions sur le Journal des Sçavants, il connut l'oeuvre de Ménage et de Bouhours7), qu'il cite dans ses Nouveaux Essais, il s'intéressait aux problèmes de la formation d'une langue universelle, il était lui aussi poliglotte. Il connaît le père La Chaise, il s'intéresse, à ce moment et plus tard, aux problèmes d'étymologie, il croit dans la relation entre langue et caractère du peuple. Lui qui avait aussi un projet de langue universelle n'a-t-il vraiment pas remarqué ce livre sur la Réunion des Langues, paru chez un des plus importants éditeurs parisiens du moment? Leibniz était arrivé à Paris en 1672 et s'y arrêta jusqu'en novembre 1676, c'est à dire jusqu'au moment où il partit pour Amsterdam (où il resta pendant un mois et y connut Spinoza) pour se rendre après à Hannovre (c.f. Y. Belaval 1952:80). Il resta pendant toute

7.

Bonhours est cité dans le livre II, chap. XI p. 118. Ménage est cité dans le livre III, chap. VI p. 272 où Leibniz cite le Dictionnaire Etymologique de M. Ménage (c'est à dire l'oeuvre qui contenait aussi l'essai de Besnier) et aussi à la page 275 et 416.

67 cette période dans la capitale française sauf un voyage de quelques mois en Angleterre où il rencontra d'autres mathématiciens. En ce temps là, Paris est peut-être la ville la plus brillante de l'Europe. Les meilleurs esprits y sont rassemblés. Leibniz ne réussit pas à entrer à l'Académie Royale des Sciences créée par le ministre Colbert pour recuillir les meilleurs savants dans le domaine de la navigation, du commerce, etcétera. Christian Huygens en fait partie. Leibniz fait la connaissance de beaucoup de personnages devenus importants dans l'histoire de la pensée humaine mais aussi de personnages influents. Naturellement il est difficile d'en établir une liste. Il n'est pas certain qu'il ait connu tous les personnages qui étaient à l'époque à Paris et qu'il cite dans ses travaux ou dans sa correspondance. Yvon Belaval (1968) en fait une petite liste, on y trouve: le nom du père La Chaise, celui de Cassini, qui avait, entre autres, tracé le méridien sur lequel Newton aurait entrepris ses calculs. Peut être fut-il en contact avec les représentants de Port Royal, Nicole, Arnauld et avec Malembranche. Leibniz fréquenta chaque jour la maison (voir Yvon Belaval, 1968:39) d'Henri Justel avec d'autres savants (Gunter Schell, 1968). Aurait-il rencontré dans une ville qui, à l'époque, comptait presque un million d'habitants, le père jésuite? Aura-t-il entendu parler de lui? Leibniz s'occupait aussi de géométrie en ce temps là (R. Taton: 1978), il apprenait à lire le Géométrie de Descartes et donc aurait pu avoir des points d'intérêt convergents avec ceux de Besnier. Y. Belaval, dans son introduction au volume Leibniz à Paris (1978), met en évidence l'importance des rapports avec les mathématiciens et observe que 'J'insiste sur les mathématiques parce que le rationalisme du XVIIe siècle s'est inspiré de leurs méthodes dans les sciences et en méthaphysique. Elles seules ouvraient la voie de ce qu'on appellerait aujourd'hui la "modernité" et que l'on se contentait d'appeller les "Modernes" par opposition aux "Anciens". AParis Leibniz parcourt cette voie avec la promptitude du génie et se classe parmi les grands mathématiciens modernes' (p. 2).

Il se peut que Leibniz ait entendu parler de Besnier ou lu son essai, et qu'il ait pris des notes, mais que plus tard en développant et en écrivant sa théorie sur le langage il n'ait plus cherché à établir les facteurs et les lectures qui avaient déterminé le dévelopment de ses idées et la formation de sa théorie. Bernard le Bouvier de Fontenelle (1717), dans son éloge de Leibniz, raconte que le philosophe allemand avait l'habitude, en lisant, de prendre des notes et de faire des remarques mais

68 que, après il ne lisait plus ce qu'il avait écrit et il citait de mémoire. 85 Mais il faut aussi considérer que si Besnier était fameux en son temps pour sa mémoire extraordinaire, et pour son énorme connaissance des langues et en tant que mathématicien, il était peut-être trop peu important à l'époque pour retenir l'attention d'un étranger qui désirait entrer dans les cercles scientifiques et politiques importants pour arriver au Roi.

8.

De Fontenelle parle de la querelle entre Newton et Leibniz sur l'invention du calcul infinitésimal et décrit le caractère et la personalité du philosophe allemand. Il dit aussi que: "il faisait des extraits de tout ce qu'il laisait et y ajoutoit ses réfléxions; après quoi il mettoit tout cela à part, et ne le regardoit plus. Sa mémoire qui etoit admirable, ne se déchargeoit point, comme à l'ordinaire, des choses qui etoient écrites; mais seulement l'écriture avoit été nécessaire pour les y graver à jamais 11 étoit toujours prêt à répondre sur toutes sortes de matières et le Roi d'Angleterre l'appeloit son Dictionnaire Vivant" (Eloge de Leibniz, écrit après la morte de Leibniz: 1717, p. 553).

II

LA REUNION DES LANGUES

Dans son oeuvre, ta Réunion des Langues, Besnier a voulu proposer une hypothèse sur l'apprentissage des langues. A cette fin, il a développé un modèle d'inspiration rationaliste et qui vise à établir et donc à trouver, des lois universelles et logiques dans les langues naturelles. Deux aspects, donc, sont fondamentaux dans cette oeuvre: l'aspect didactique et l'aspect philosophique. Il faut donc analyser cette Réunion des Langues en prenant en considération les théories qui au moment de la parution de cet essai, étaient les plus suivies, et donc en particulier, pour ce qui concerne les théories didactiques, prendre en considération les théories de Comenius et les théories de Port Royal, et pour ce qui concerne les théories philosophiques, prendre en considération le rationalisme, l'empirisme et les projets de création d'une langue universelle. En 1631, G. Comenius avait publié Janua linguarum reserata et en 1640 sa Didactica Magna Ces deux oeuvres ont eu une grande influence sur les grammaires de plusieurs siècles. Quelques années après, en 1660, parut la Grammaire Générale etRaisonnée dite de Port Royal, due à la collaboration de Arnauld et Lancelot. Lancelot avait publié dans les années précédentes des méthodes pour apprendre le latin (1644), le grec (1655), l'espagnol (1660) et l'italien (1660), et avait remarqué les analogies entre ces langues. Arnauld et Nicole seront aussi les auteurs d'une Logique ou Art de penser (1662).

1. LES THEORIES DIDACTIQUES: USAGE, MEMOIRE, RAISON. Les théories didactiques de Comenius trouvaient une application dans les grammaires de langues étrangères (cf. par exemple la grammaire italienne pour les français de N. Duez, 1651). Selon le pédagogue polonais les langues doivent être apprises non pas à travers l'étude de la grammaire, mais à travers l'usage. Le but de l'apprentissage des langues

70 était celui de communiquer, donc l'étude des langues doit être fonctionnelle. Elle doit être limitée aux besoins de chacun. Il faut donc établir une liste de mots (à peu près 8000) et une liste des centres d'intérêt pour pouvoir former les propositions nécessaires. L'apprentissage des langues étrangères doit avoir lieu à travers l'usage et à partir des structures de la langue maternelle et donc avoir caractère, qu'aujourd'hui on pourrait appeler, contrastif. Cette théorie était en opposition avec celles qui soutiennent qu'on apprend les langues en partant de la connaissance des règles de la grammaire générale pour arriver graduellement aux règles spécifiques des langues. En effet les grammaires raisonnées, ne considèrent pas Y Usage comme l'élément dont il faut partir pour arriver aux connaissances, mais plutôt comme le point d'arrivée. Les méthodes inspirées de la grammaire raisonnée de Port Royal, seront basées sur ces principes. Apprendre signifiera: analyser les catégories générales propres à chaque langue, comprendre le fonctionnement d'une langue spécifique signifiera l'apprendre. La méthode d'apprentissage est donc basée sur le raisonnement et l'analyse plutôt que sur la mémorisation des faits de langue, étant donné que le fonctionnement de la mémoire, dans l'apprentissage, inspire peu de confiance.9) Les théories seront donc partagées selon le rôle qu'on donne d'une part à la mémoire et l'usage, et de l'autre au raisonnement, à l'analyse et à la généralisation. La grammaire générale et raisonnée de Port Royal avait, comme l'ont souligné entre autres Sahlin (1928:22) et Rosiello (1967:18-19), des finalités didactiques et voulaient fournir des éléments pour une méthode d'apprentissage des langues grâce à laquelle on pût étudier toutes les langues et en même temps une méthode de classification des langues basée sur la structure logique de la raison.10) En d'autres termes, la grammaire générale, partant du postulat qu'il y a une relation évidente entre langage et pensée, propose de rendre

9.

10.

Voir Harnois (1929:21) qui dit que "Lancelot se proposait une fin pratique et immédiate: faciliter l'étude des langues. Sa grammaire générale était une méthode ety prévalait le point de vue pédagogique". Sainte Beuve dit dans son Port-Royal (vol. III) que "Port-Royal développa en grammaire une branche de la philosophie cartésienne . . . l'étude, l'analyse de la langue en général supposée inventée par la seule raison. Cette branche cartésienne implantée et naturalisée à Port-Royal dépassait un peu l'ordre habituel des idées du XVIIe siècle et devançait les travaux du XVIIIe dans lequel elle devait se continuer directement par Du Marsais Duclos, Condillac et par le dernier et le plus vigoureux peut-être de ces grammairiens philosophes, M. de Tracy." Sur Port Royal voir aussi Simone 1969, Donzé 1967, Chomsky 1967.

71

explicites les règles générales qui sont à la base du langage, et donc à la base de toutes les langues, ce qui permettra d'en comprendre la structure et de cette façon de les apprendre. La grammaire décrit comment une langue est organisée pour exprimer les pensées, elle ne s'occupe pas des phénomènes de communication ni de la spécificité historique du langage. Pourtant on ne fait pas de distinction entre grammaire descriptive et grammaire pédagogique, c'est à dire entre une grammaire qui nous explique comment est structurée une langue et une grammaire qui soit basée sur une hypothèse d'apprentissage et soit donc en même temps une méthode. Dans la pratique, même les grammaires raisonnées qui ont pour but l'apprentissage d'une langue étrangère supposent la connaissance des principes généraux qui sont propres aux langues et qu'on a appris par la langue maternelle. Les grammaires rendent explicites ces principes. Les grammaires raisonnées qui ont comme objet la description de la langue maternelle ne peuvent jamais servir à l'apprentissage de cette langue, puisque leur but est de mettre en évidence les caractères généraux et universaux du langage que les parlants connaissent intuitivement. Il existe donc deux positions différentes: a) Celle des rationalistes qui veulent établir une relation directe entre pensée et langage et qui recherchent donc les règles universelles, selon quelquesuns, innées, mais qui ne s'intéressent pas des langues vivantes et historiques ni des rapports entre l'histoire et le génie spécifique des peuples et la langue qu'ils parlent et qu'ils changent, b) Celle des empiristes qui voient dans les faits historiques la source des structures des langues et qui croient qu'on apprend les langues et qu'on forme les pensées, par l'exercice des langues. 2. BESNIER ET SON HYPOTHESE DE TRAVAIL Comme on peut le voir, Besnier s'oppose dès les premières pages à l'emploi de la mémoire dans l'apprentissage des langues et de ce point de vue il se révèle un rationaliste. Il veut formuler une hypothèse de travail pour une méthode d'apprentissage des langues basée sur la raison et une méthode qui présuppose la connaissance d'un système linguistique de base, qui nous donne les principes fondamentaux, et une série de règles dérivationnellesid'effacement, substitution, adjonction) bien limitées qui nous permette d'arriver aux langues spécifiques. Mais le choix de la langue de départ et l'établissement des règles de

72 dérivation ne sont pas basés sur des principes tout à fait rationnels, généraux et logiques, comme on s'y attendrait d'un rationaliste, mais sur l'histoire. En effet la langue de départ, le système de base, n'est pas une langue universelle, qui pour avoir justement un caractère universel, c'est à dire être le miroir parfait de la pensée humaine, doit être inventée. Elle ne sera pas non plus la langue maternelle de l'élève (ce qui serait le point de départ choisi par un empiriste), mais une langue naturelle, donc historique et réelle, qui ait les traits le plus universaux possibles. Le choix comme on peut le voir tombera sur la langue latine. Quant aux règles de dérivation qui conduisent aux autres langues, elles doivent être établies en comparant les langues historiques entre elles et en étudiant les développements historiques, l'histoire et le caractère des peuples qui les parlent.

3.

LES THEORIES SUR LA LANGUE UNIVERSELLE

Le XVIIe et le XVIIIe siècles furent caractérisés par les nombreux projets qui cherchaient à établir une langue universelle. Une langue rationnelle qui soit l'expression parfaite de la pensée et de la logique ne peut être qu'inventée étant donné que les langues naturelles ne sont pas toujours suffisamment logiques et ne sont pas connues par tous. Très souvent, les projets de langue universelle proposaient des systèmes simplifiés de traduction des mots et des concepts d'une langue dans une autre et employaient à cette fin des chiffres qui servaient comme métalangue et comme instrument de passage d'une langue à l'autre. Descartes n'avait pas été contraire à un projet de langue universelle comme système de règles qui mettent en relation une série limitée de concepts simples qu'il faut ranger par ordre et auquels il faut attribuer des signes. Mais, selon Descartes, il fallait alors faire d'abord de la vraie philosophie et connaître les concepts, fait pratiquement irréalisable selon lui (comme il l'affirme dans une lettre du 20 novembre 1629 à Mersenne). Plus tard en Angleterre, d'abord G. Delgarno (1661) et après l'évêque J. Wilkins (1668) ont construit un système artificel qui traduisait en symboles (désignés par des lettres conventionnelles) un nombre fondamental de concepts classés en 17 classes. Leibniz a pris peut-être très tard connaissance de la lettre de Descartes à Mersenne (voir les remarques à cette lettre faites par Leibniz, dans Couturat: 1903:27-28). Pour sa théorie sur la langue universelle il s'est inspiré des projets de Wilkins et Delgarno (cf. Couturat: 1901:57 etc.)

73 A l'âge de vingt ans, c'est à dire en 1666, Leibniz avait déjà conçu dans: De arte combinatoria, le plan d'une langue universelle en esquissant une symbolique universelle reposant sur la décomposition des idées en éléments simples. Dans les années suivantes il développa ce projet. Couturat (1901:55) observe qu'à l'époque: 'Le dessein de fonder une Langue universelle qui remplaçât toutes les langues nationales, soit dans le commerce soit surtout dans les relations entre les savants de toute l'Europe, procède du mouvement intellectuel de la Renaissance, qui, en renouvelant toutes les sciences et la philosophie, avait révélé l'unité fondamentale de l'esprit humain et avait fait naître l'idée de l'union internationale de tous les savants, si bien exprimée par la locution de 'Republique des Lettres'.

On voulait donc créer un système fonctionnel de communication, une sorte de lingua franca. D'autre part les rationalistes voulaient aussi trouver le système linguistique qui fût expression pure de la raison, une langue philosophique et scientifique, une langue plus logique que les langues vulgaires et naturelles. Et en effet Leibniz critique l'idée de vouloir créer une langue universelle seulement pour des fins pratiques, comme celle de la communication internationale. Selon lui, la langue universelle doit être une langue philosophique qui exprime la relation des concepts. Il propose donc d'abord de créer la 'caractéristique réelle' qui devrait traduire le système des concepts en combinaison de signes de façon que la relation entre symboles (les signes linguistiques) et les idées (ou concepts) soit naturelle et non pas conventionnelle. Mais en 1678 dans son Analysis linguarumn) il pense effectivement qu'on ne peut pas créer des artifices et des a priori et donc une langue conventionnelle, mais qu'il faut avoir recours aux langues vivantes pour en extraire les idées simples, qui doivent se combiner par une analyse logique, et pour en extraire une grammaire rationnelle à travers la simplification et la régularisation de l'ensemble des grammaires spécifiques des différentes langues naturelles, adoptant de cette façon un procédé tout à fait inductif propre à l'empirisme. Ceci lui permet, en partant des signes du langage naturel, de localiser les idées simples, d'établir les éléments irréductibles du discours (mots simples, locutions, proverbes), et les diverses manières d'assembler et de combiner les parties du discours, c'est à dire la syntaxe. 11.

Leibniz: Ànafysis Linguarum, septembre 1678 (Phil. VII C. 9 verso) et Linguae RationaUs (Phil. VII, 28-30) et Linguae Pbilosopbicae Specimen (janvier 1680 (Phil. VI, 10, b). Sur la théorie de Leibniz et son projet de langue universelle, voir aussi Coseriu 1972.

74 Pour la syntaxe générale on réduira, par des principes rationnels, les formes anomales et spécifiques des langues historiques à des formes normales, étant donné qu'il ne doit pas y avoir d'exceptions. Couturat (1901:65) observe que 'Comme l'institution de la grammaire rationnelle doit nécessairement précéder celle de la langue universelle à laquelle est destinée à s'appliquer, Leibniz, a besoin d'un idiome auxiliaire qui joue provisoirement le rôle de la langue universelle et qui serve d'intermédiaire entre les langues vivantes et la future langue rationnelle. Pour cet usage le choix du latin était tout indiqué, puisqu'il était la langue commune des savants et par suite l'idiome le plus approprié aux sciences et à la philosophie. Leibniz projette d'abord de constituer une Grammaire latine universelle qui réunirait toutes les ressources et toutes les avantages des autres langues notamment les genres et les cas, les modes et les temps, de manière à offrir toutes les distinctions et toutes les nuances qu'une langue quelconque peut exprimer'

Cette ouverture à l'étude des langues vivantes et à leur comparaison pour établir les lois linguistiques universelles, et le choix de la langue latine, comme modèle, commode parce que déjà existant, de la langue universelle, porte à y voir des points de ressemblance remarquables avec le projet de Besnier formulé déjà quatre ans auparavant. Mais Besnier ne veut pas créer une langue universelle latine parfaite mais un système linguistique synchronique-diachronique parfait qui unifie toutes (ou beaucoup de) langues naturelles. En d'autres termes, Besnier, à la différence de Leibniz, voulait formuler une hypothèse qui nous permette de trouver des lois universelles dans les langues naturelles, mais aussi trouver un système pour les apprendre et donc faire une hypothèse sur la manière économique d'assembler et d'utiliser des connaissances linguistiques. Il s'aperçoit que, dans la relation entre pensée et langage, l'influence et donc la connaissance du caractère et de l'histoire des peuples qui parlent les langues est déterminante. On peut établir les lois universelles parce que les changements qui ont portés les langues à se diversifier de leur langue matrice unique ne se seraient pas opérés par le hasard mais selon des lois de Nature et donc, au fond, prévisibles. Une analyse diachronique, ou mieux un système de lois diachroniques, qui nous explique ces diversifications devient en même temps un système utile pour apprendre, et utiliser différentes langues sur le plan synchronique. Besnier ne vise pas à créer une langue universelle unique pour communiquer et substituer les langues naturelles. Il se rend compte de la nécessité de la pluralité des langues.

75 Les grammaires de Port Royal avaient affirmé que la grammaire est l'art de parler et que parler est expliquer ses pensées par des signes que les hommes ont inventé à ce dessin. Pour eux ce qui se passe dans notre esprit est nécessaire pour comprendre les fondements de la Grammaire. Besnier apparemment est plus pratique: il veut comprendre les fondements des langues naturelles et les lois de leur évolution pour faire une hypothèse didactique quifesseappel à la raison et non pas à la mémoire; et qui offre un système de règles finies et productives permettant de générer, c'est à dire de parler et de comprendre, un grand nombre de langues. Chose très utile, à l'époque même, pour tous ceux qui voyageaient et pour les savants. Au contraire des méthodes basées sur l'usage et la mémoire et contre ces grammairiens qui voulaient établir ce qui était propre à (c'est à dire admis dans) la langue française, les grammaires générales et raisonnées, celles de Port Royal ou de Régniers Desmarais ou de Restaut, ont eu toutes comme but pédagogique celui de fournir une méthode rationnelle qui permette d'apprendre plus facilement les langues.12) Selon Sahlin (1922:21-22) la grammaire générale, basée sur l'existence de principes qui valent pour la grammaire de toutes les langues, fut peut-être encore corroborée au XVIIIe siècle par le cosmopolitisme du temps, lequel a augmenté l'intérêt pour la recherche des éléments communs à toutes les langues, une sorte de nucleus commun. Ce cosmopolitisme poussait à trouver des éléments qui puissent faciliter l'apprentissage des langues étrangères en général. Un apprentissage et une méthode basés sur la raison.13)

4.

IMAGINATION ET CREATIVITE

Selon Besnier l'apprentissage des langues est donc une chose utile plutôt qu'un plaisir de l'esprit, et pourtant il est nécessaire d'inventer une méthode qui permette d'apprendre les langues avec facilité. Selon l'auteur aucune tentative de réunion des langues en vue de leur apprentissage n'avait encore été faite et pour cause car on avait toujours basé l'enseignement sur le préjugé et le malentendu qu'il n'y avait pas de

12. 13.

Buffier par exemple souligne qu'il a voulu faire une grammaire française sur un plan nouveau pour permettre de retenir plus facilement les règles et les mots. De nombreux grammariens crurent pouvoir établir des principes universaux à partir du français, du latin ou du grec.

76 rapports entre les langues et que les langues étaient le résultat du hasard et de l'usage. Pour Besnier effectivement: 1 ) entre les langues il y a un lien et donc on peut les apprendre en les comparant 2) les langues ont une base rationnelle et donc en les comparant on doit raisonner. Le lien entre les langues est donc rationnel, les langues, même dans leur différences, sont l'expression de la raison. U imagination, c'est à dire la créativité,14), selon Besnier, nous permettra d'établir le rapport entre les langues.15) Fait important qui nous fait songer au rôle que, dans la pensée du XVIIIe-siècle et du XIXe-siècle, on donnera à l'imagination (voir p.e. G.B. Vico). Si l'imagination sert à comparer les langues16^ et à y voir des liens et des dépendances, la Raison nous aidera à établir des principes certains sur les relations et sur la façon d'y arriver. La comparaison que Besnier fait avec la géométrie,^ dans laquelle les relations et les rapports entre les figures nous semblent loin de la réalité mais dans laquelle les principes employés nous permettent de connaître la vérité dans les détails, montre le caractère déductif de l'hypothèse de l'auteur. A travers des processus déductifs, on apprendra et on connaîtra toutes les langues quand on aura appris soit les règles générales qui

14.

15. 16.

17.

Le feit que Besnier met en jeu deux catégories: la création et la raison, montre l'importance de sa pensée qui est l'expression du XVIIe et du XVIIIe siècle. Cassirer a dit au sujet de ces siècles, que l'homme est créateur et inventeur de son langage mais sur la base de principes rationaux. Le langage n'est pas production et invention divine( 1923:87). Cassirer dit aussi à propos du XVIIe et du XVIIIe siècles: "Was die Sprache betrifft, so scheint aufden ersten Blick diese Tendenz schon in jenen empiristischen und rationalistischen Theorien des Sprachursprungs wirksam zu sein, die sie, statt sie eine göttliches, mit einem Schlage fertiges Werk zu betrachten, vielmehr als eine freie Schöpfung der menschlichen Vernunft begreifen wollen. Aber die Vernunft selbst hier durchweg den Charakter der subjektiv-willkürlichen Reflexion behält, so löst sich das Problem der "Bildung" der Sprache alsbald wieder in das Problem ihrer 'Erfinding" auf. Es ist ein bewusst-zweckhaftes Verfahren, dass der Mensch in der Erfinding der ersten Sprachzeichen und in ihrer Ausgestaltung zu Worten und Sätzen ausübt (1923:87). Formigari ( 1970:60) observe queW. Wotton dans son A discourse concerningthe confusion of Languages. (London 1713-1730) s'est probablement inspiré de l'oeuvre de Besnier en comparant les langues naturelles. Le mathématicien Maupertuis (1725:5) par exemple dira que: "Comparer les langues est important non seulement pour l'influence que les langues ont sur nos connaissances mais aussi parce que on peut retrouver dans la construction des langues, les vestiges des premiers pas qu'a feit l'esprit humain". Suivre la méthode de géometriec'était une proposition de Descartes. Cette méthode comme le dit Arnauld et Nicole dans la Logique ou l'Art de penser ( 1662 IV, chap. III), consiste "principalement à commencer par les choses les plus générales et les plus simples pour passer aux moins générales et plus composées".

77 sont à la base des langues, soit les règles qui sont à la base de leur rapport. 4.1 Le Latin Mais Besnier choisit à cet effet une langue naturelle déjà existante donc formée par l'histoire et que nous connaissons déjà. Il est important de choisir une telle langue étant donné qu'on veut définir un système qui soit pratique et qui permette vraiment de créer une méthode d'apprentissage. Il est évident que si la langue de base est une langue artificielle inventée, les processus d'apprentissage vont se compliquer. Mais puis qu'elle doit servir de base universelle et rationnelle, la langue de départ ne doit pas être la langue maternelle mais une langue qui s'est déjà révélée la plus proche de la perfection et de la logique de la pensée humaine. Une langue qui soit désormais stable et pas sujette à l'évolution provoquée par l'usage. Une langue 'qui me pust servir de règle, de mésure et de principe, pour les accorder et les réunir toutes ensembles' (p. 7). Une langue qui réponde à la triade Aristotélique: universalité, proportion et certitude. Et en effet la langue latine en ce temps là était bien connue, c'était la langue de l'Europe, la langue de la science et de la religion, connue par les savants et les religieux, (qui étaient justement ceux qui au fond avaient besoin d'apprendre les langues étrangères). Le latin18) avait l'avantage d'être aussi une langue morte et donc non susceptible de changement comme cela peut arriver au contraire pour les langues vulgaires. Elle a donc, par le fait d'être une langue historique mais morte, l'avantage méthodologique de s'adapter aux langues modernes et à celles anciennes et, se trouvant à moitié du parcours historique de l'évolution du langage humain, peut nous permettre de rejoindre par dérivation, d'une côté les langues plus anciennes et de l'autre côté les langues modernes. Partir d'une langue très ancienne (comme ce sera le cas plus tard pour le Sanskrit dans la grammaire comparée) pour arriver aux langues modernes nous imposerait un itinéraire très long et plus difficile. Mais l'aspect intéressant de cette hypothèse, quelquefois opportuniste ou naïve, c'est que Besnier ne veut pas se limiter à la langue latine de Cicerón, il veut aussi prendre en considération les autres niveaux stylistiques et utiliser les différents types de langues spéciales: celle de la science, de l'histoire naturelle, de la mathématique, comme celle des beaux arts ou de la médicine. 18.

Quant au choix de la langue latine comme langue universelle, l'espagnol Sánchez dans son traité (1587) s'était appliqué à démontrer le caractère parfaitement logique de la langue latine.

78 4.2 La comparaison des langues: méthode historique et hypothèse sur l'apprentissage Les critères adoptés par Besnier pour trouver des liens entre les langues et le rapport qui les attachent au système de départ (la langue latine, comme on l'a vu) sont des critères historiques. Les langues qui ont un rôle important dans l'histoire du monde, soit du point de vue politique soit du point de vue de la culture et de la religion, en somme les langues illustres, doivent être mises en rapport: 'La Religion, l'Etat et les Sciences, sont les trois grandes règles qui m'ont servi à juger quelles langues sont en effet les plus importantes et les plus nobles' (Besnier p. 1 3 )

Il faut naturellement se placer à l'époque où ce petit essai a paru et où l'Europe, pleine d'histoire s'ouvrait, par les voyages de découverte et de mission, vers les grands pays comme la Chine ou l'Amérique et le Canada, et dont la langue était trop loin de l'histoire européenne. Besnier prend donc en considération les langues parlées dans les Etats célèbres de l'Europe. Il en choisit 24. Le père jésuite étant sensible aussi aux études étymologiques qui commençaient à être à la mode (voir par exemple la polémique sur les études étymologiques entre les grammairiens, Ménage et Bouhours, et l'essai que quelques années après Besnier lui-même écrira sur la recherche étymologique en Ménage 1694) s'aperçoit qu'il est bien difficile de trouver une seule mère pour toutes les langues bien que ceci fut le rêve des rationalistes, qui doivent inventer cette langue primaire, et plus tard descomparativistes du XIXe et du XXe siècle, qui veulent la trouver par induction et à travers l'histoire. Sur la base de ce que dit Besnier, les savants de son époque distinguaient 7 langues matrices. Il propose pourtant cette classification: Langues Matrices Romaine Grecque Teutonne Esclavonne Hébraïque Scythique Persane

Langues Dérivées Italien, Espagnol, Français, Portugais Grec vulgaire, Cophte/Egiptien Allemand, Flamand, Hollandais," Anglais, Danois Esclavon, Polonais, Moscovite Hebreu (de la Bible), langage des Rabbins et des Talmudistes. Chaldaïque, Syriaque, Ethiopien, Samaritain, Arabe Turc, petit Tartare langue employée dans l'Empire de Sophy et à la cour du Grand Mongol

79 Mais le père jésuite a besoin d'une seule matrice commune pour l'élégance de sa méthode rationnelle. Il veut proposer en effet un système 'exact' et 'simple' (critères qu'aujourd'hui on considère fondamentaux pourqu'une théorie soit adéquate) et il cherche les lois selon lesquelles les différentes langues ont pu s'éloigner de leur matrice commune. Règles d'évolution ou d'éloignement hystorique qui en même temps seront, dans sa méthode, des règles qui expliquent les processus synchroniques. Ainsi, pour réduire plus aisément les langues à leur principe, Besnier tâche 'de tenir à peu-près la mesme route qu'elles ont tenue pour s'en éloigner, autant que me le peut apprendre l'Histoire de l'antiquité, sur laquelle je fonde principalement les preuves les plus invincibles de la vérité de cet art' (p. 19)

Et en ceçi on peut se servir 'de l'origine et des Colonies des Peuples pour éclaircir l'origine et la connexion des Langues; puisqu'il doit y avoir autant de rapport entre les langues, qu'il s'en trouve à proportion entre les peuples' (p. 19-20)

Bacon, dans son oeuvre De dignitate et augmentis scientiarum, avait déjà souligné la nécessité d'une étude linguistique qui, indépendamment de l'analyse logique et abstracte du langage, étudiât les langues dans leur caractère historique, en montrant leurs particularités. La comparaison des langues sous cet aspect permettrait d'établir par la suite une langue matrice idéale, mais aussi d'expliquer l'esprit et les moeurs des peuples. Exigence, comme l'observe Cassirer (1923: 80-81), qu'on retrouvera plus tard chez Von Humboldt, mais qui maintenant, ajouterais-je, avait aussi inspiré en quelque sorte la théorie de Besnier. Rosiello (1967:24) a aussi observé que Bacon prend position contre le réalisme et l'ontologisme logique qui établissaient un lien de nécessité entre langage et raison et qu'il ouvre, avec sa position empiriste et nominaliste du problème du langage, une époque de recherches en linguistique générale mais aussi en linguistique appliquée à l'étude des différentes langues. Cette linguistique permettra la création de la méthode comparée et de la théorie 'historiciste' selon laquelle les langues sont le miroir non pas de la raison mais des structures sociales. Besnier était déjà sensible d'une certaine manière à cette ouverture bien qu'il restât, dans ses points de départ un rationaliste et bien qu'il choisît apparemment une méthode déductive. Peutêtre faudrait-il le placer entre les deux courants, étant donné que pour

80 le rationalisme la langue parfaite et universelle est un système de déductions logiques à partir de termes primitifs qui représentent des idées innées, et que l'idéal de Bacon est simplement celui de construire inductivement un modèle en partant de la comparaison des différentes langues empiriques (cf. Rosiello 1967:25). Mais, en traitant ce problème, on ne peut pas éviter de penser aussi à Leibniz ou à Vico (De Mauro, 1966:53-55), 19) auxquels on fait remonter la paternité des idées sur la relation entre les faits universels et les faits historiques. On a vu déjà comment Leibniz s'est trouvé lui aussi dans la nécessité de faire appel aux langues naturelles pour y trouver les lois rationnelles d'une langue matrice et universelle. Dans cette tentative de trouver les règles d'évolution et donc les règles de dérivation, Besnier prend aussi en considération l'ancienne orthographe pour analyser aussi les dialectes qui peuvent nous donner, eux aussi, des suggestions pour la compréhension de certains changements et nous fournir les raisons et les éléments de l'évolution. On ne fait donc aucune distinction de niveaux de langues mais en analysant on essaie de trouver aussi des raisons qui viennent de la nature même, du coeur pour ainsi dire, des langues qu'on étudie et dont le dialecte est l'expression la plus évidente. La comparaison a lieu aux divers niveaux et change de qualité et de nature, plus en surface ou plus en profondeur, selon les langues qu'on mettra en relation. Besnier ne croit pas qu'on trouvera une langue matrice des langues historiques dans la réalité; celle-ci n'existe plus dans sa structure indépendante, elle est partout et nulle part. Pour l'établir il faut trouver les principes primordiaux qui sont à la base de toutes les langues.

5.

LA RAISON

Mais attention, la méthode historique, si elle n'était pas accompagnée d'une méthode rationnelle nous exposerait à l'arbitraire de l'usage. Si donc Y imagination nous aide à pénétrer dans l'historicité des langues et à en voir les liens, elle ne nous donne pas de certitude, et elle ne nous permet pas d'éviter la confusion. C'est la raison seulement qui peut nous aider à établir les liens selon des principes généraux. Principes 19.

G.B. Vico (1668-1744) dans sa Scienza Nuova Seconda ( 1725:445 ) dit: "Come certamente i popoli per la diversità dei climi han sortite diverse nature, onde sono usciti tanti costumi diversi, così dalle loro diverse nature e costumi sono nate altrettante diverse lingue". Sur Vico, voir Pagliaro (1954).

81

plausibles ex. raisonnables, non pas des liens au hasard mais des raisons solides et vraies, même pour ces phénomènes qui sembleraient le résultat du caprice de l'histoire. Des principes, pourrait-on ajouter, si généraux et si puissants qu'ils nous abrègent le chemin et nous évitent les détails! Comment ne pas sentir dans cette position toute la modernité de ce penseur, et comment ne pas voir le charme de sa théorie quand il affirme que de cette façon, en travaillant pour des années sur une langue de départ pour trouver les principes généraux de dérivation, on arrive, à un moment donné, à la connaissance des principes qui changeront en un grand plaisir le fait de passer en peu d'heures, d'une langue aux autres. 5.1 Changement phonétiques et changements sémantiques Pour comprendre la raison des changements des langues il faut énumerer les types de changement. Ici Besnier développe une théorie formidable et très intéressante sur l'évolution phonétique et sur l'évolution sémantique. Il observe que les mots peuvent être considérés comme des sons ou comme des signes arbitraires c'est à dire comme représentation 'ingénue' de nos pensées. Sur l'arbitraire des signes les rationalistes et les empiristes se sont prononcés de manière différente, mais ici Besnier cherche les deux pistes pour formuler les principes généraux de changement. La troisième piste peut être fournie par la relation qui peut s'établir entre idées et sons. Voilà donc trois types de principes généraux sur lesquels se base le système. La manière, dont il le fait nous indique qu'il voit, dans la formation des langues et donc de la pensée, l'influence de l'histoire. Mais les changements doivent se passer selon des règles rationnelles qui sont presque 'dans le système' de la Philosophie des langues. Le premier niveau, le niveau phonétique, nous apprend selon-lui qu'il y a un nombre de sons simples qui peuvent entrer en composition dans toutes les langues. Ce sont les types de combinaisons qu'il faut étudier, combinaisons qui suivent les lois de la Nature. Besnier semble, ainsi, proposer une théorie de phonétique et de phonologie au niveau synchronique comme au niveau diachronique. La Nature (donc le système ds lois universelles) on peut l'étudier selon lui sur la langue latine. Nous découvrirons alors des lois bien précises. Nous découvrirons des lois d'évolution phonétique, et par exemple que certains sons ne peuvent se changer dans des autres. 'Les lettres des lèvres se changent assez facilement les unes dans les autres: mais celles des dents, ou de langue, auraient un peu de peine à se changer dans les lettres des lèvres' (p. 34)

82

On peut aussi trouver des lois de changement sur le plan sémantique.20) Etant donné que les mots sont l'expression de la pensée, la différence de signification donnée au mots dépend de la culture et de la nature du peuple qui parle cette langue. Besnier de cette façon met en évidence le rapport entre la pensée et le langage, entre l'histoire et le caractère d'un peuple et la langue qu'il parle. Ceci nous amène à voir comment les idées se forment et comment elles évoluent. L'évolution est expliquée et déterminée par une tendance à employer les métaphores dans le langage. Ce sont les principes des métaphores: celui d'attribution et celui de proportion qui forment à elles seules le corps des langues. Le père jésuite (p. 36) se révèle encore, une fois le précurseur d'une théorie, dont la paternité est normalement attribuée à Leibniz (voir p.e. Rosiello 1967), et selon laquelle dans l'évolution du signifié le procès de métaphorisation joue un grand rôle. 5.2 Besnier et Leibniz et le principe de métaphorisation L'anticipation à l'égard des théories de Leibniz est évidente si l'on analyse quelques passages des Nouveaux Essais sur l'entendement humain où le personnage Théophile (porteur de la pensée leibnizienne) débat sur l'arbitraire du signifié des mots et compare la nature des langues artificielles qui sont toutes conventionnelles et complètement inventées (voir les projets de Wilkins et Delgarnus) et les langues historiques, c'est à dire les langues qui sont nées des langues connues. Les langues historiques selon Théophile seraient le résultat d'une évolution, et donc d'une création, arbitraire ou casuelle ou déterminée par la nature même qui nous indique le chemin à suivre. Parmi les opérations qui comportent l'évolution des langues et qui portent à la formation de langues comme une lingua franca (ce que les Allemands appellent Rothwelsch, les Italiens lingua zerga, les Français le narquois) un rôle très important est joué, selon Leibniz, par la métaphore. En effet dit Leibniz ces lingua franca sont formées sur les langues ordinaires,

20.

Von Humboldt ( 1 8 2 5 : 1 3 5 ) écrira à propos du changement des langues "on trouve (et ce résultat m'a frappé dans le cours de mes recherches appliquées aux changements d'une même langue, pendant un certain nombre de siècles) que, quelques grands que soient ces changements sous beaucoup de rapports, le véritable système grammatical et lexicographique de la langue, sa structure en grand, restent les mêmes, et que là où ce système devient différent, comme au passage de la langue latine aux langues romanes, on doit placer l'origine d'une nouvelle langue".

83 'soit en changeant la signification reçue des mots par des métaphores, soit en faisant des nouveaux mots par une composition ou dérivation à leur mode'.

Leibniz continue: 'Il se forme aussi des langues par le commerce des différents peuples, soit en mêlant indifféremment de langues voisines, soit, comme il arrive le plus souvent, en prenant l'une pour base, qu'on estropie et qu'on altère, qu'on mêle et qu'on corrompt en négligeant et changeant ce qu'elle observe, et même en y entant d'autres mots' (p. 239)

La ressemblence avec la théorie de Besnier est évidente encore une fois. Selon Besnier au fond les peuples anciens en donnant le nom aux choses, n'ont fait que distinguer les rapports que les 'choses' avaient avec les autres 'choses' leur bien connues ou n'ont fait que distinguer les propriétés prédominantes de ces 'choses'. Ces principes d'analogie et de relation des propriétés finissent par dominer le processus de dénomination et nous donnent in nuce le processus d'évolution. En ceci le principe de Mouvement, proposé auparavant par Descartes, est utile. Du seul mouvement sont sorties les similitudes, les extensions, les analogies d'où le lieu, la figure, la situation, l'évolution, l'union, la séparation. Besnier pense probablement aussi à la théorie de Descartes quand il observe que la philosophie 'récente' rapporte tout au processus de mouvement de la Matière. Il est alors naturel de constater que le mouvement soit plus fort dans les langues, que dans la nature, étant donné qu'elles sont pénétrés des idées les plus spirituelles. Bref l'évolution de la pensée, la découverte, l'explication sont la dynamique, le mouvement qui cause le procès d'évolution. Les mots, en passant d'une langue à l'autre, sont soumis à ce principe, la manipulation modifie le signifié, l'éteint, le change, le restreint. Voilà donc une théorie qui met en évidence la dynamique intérieure des langues, qui trouve sa source dans l'activité spirituelle de l'homme et dans son histoire.21) Besnier touche à ce propos un autre problème fondamental pour la pensée linguistique de son temps: la relation entre mots et idées.22) Il affirme que les mots sont l'expression de signifiés déjà complexes. Il n'y a pas, selon le père jésuite, de mots pour les idées simples et il n'y a 21. 22.

Vico et Leibniz savent que l'hypothétique "raison sovrahistorique" ne se manifeste pas directement et immédiatement dans les langues humaines (De Mauro 1966:58-59). De Mauro ( 1966:52) a observé que les idées des relations strictes entre pensée -histoirelangue étaient nées déjà cent ans avant von Humboldt et que donc "on peut dire que déjà cent ans avant von Humboldt beaucoup de savants pensaient en termes 'humboldtiens'.

84 pas de mots qui n'ont pas été diversifiés en chaque langue. Et dans ce but ont été inventées des règles dérivationnelles et morphologiques comme: la dérivation, l'inflexion, la composition. Nous avons donc là une théorie 'transformationnelle' ou 'dérivationnelle' explicant la divergence des langues. Besnier observe que les catégories linguistiques permettent d'expliquer un tas d'idées avec une quantité très restreinte d'éléments. Ce sont surtout les modifications ( d e dérivation, inflexion, composition etc.) qui nous donnent la différence entre les langues. Il semblerait donc que, de cette façon, dans la théorie on soit sûr d'avoir le nucleus commun, le dénominateur commun, le point de départ des langues, presque la langue d'origine sur laquelle les divers peuples ont fait des manipulations pour se donner une langue à la mesure de leur caractère et de leur histoire.

53 Le génie du peuple et de la langue Besnier propose de distinguer les différents processus pour qu'il soit possible de séparer ce qui est général de ce qui est spécifique. Il insiste donc sur le rapport entre langue et histoire du peuple qui la parle et développe l'idée du génie du peuple. La langue refléterait dans ses transformations et dans sa structure le caractère des peuples. Il y aurait aussi un esprit secret (p. 44) qui leur confère d'unité: le caractère du peuple nous donne le vrai génie d'une langue et ce génie se révèle surtout dans les pages d'auteur. La découverte du génie et du caractère propres à chaque langue nous permet d'établir comment les sons ont été combinés ou transformés et d'établir la force et le signifié des mots. Besnier introduit donc ici le terme génie du peuple. Rosiello (1967:79) a observé que le terme était déjà employé dans le cercle de Port Royal, mais qu'il était utilisé pour indiquer dans les langues les aspects spécifiques qui ne peuvent pas être réduits au système logique universel, aux principes universaux, principes qui sont dus à la faculté inventive, innée dans l'homme, faculté qui n'est pas réductible à une norme. Au XVIIIe siècle, dans un contexte linguistique, le terme génie représentera une 'organisation' particulière des facultés créatrices qui présente les caractères de l'originalité. Condillac emploiera le terme génie de la langue pour indiquer un système particulier d'organisation des signes qui est l'expression du génie des nations, ou mieux l'expression des rapports logiques de la connaissance entre les idées qui forment le génie des nations. Rosiello (1967:80) observe qu'on établit de cette façon et sur la base du nominalisme sensiste, un rapport 'historiciste' entre les deux expres-

85 sions: génie de la langue et génie du peuple c'est à dire le rapport entre le système de la langue et l'ensemble des idées et des moeurs d'un peuple donné. Rosiello observe aussi que pour Condillac, comme du reste pour Vico, il y a deux facteurs qui déterminent le caractère des peuples: un facteur naturel, le climat, et un facteur historique, l'organization sociale. Le premier est déterminant pour le deuxième. Condillac (Essai, p. 98) a écrit que: 'le gouvernement influe sur le caractère des peuples, le caractère des peuples influe sur celui des langues. Tout confirme donc que chaque langue exprime le caractère du peuple qui la parle'.

Il serait naturellement intéressant de faire une comparaison entre la pensée de Condillac23) et celle de Besnier qui emploie le terme de génie, à mon avis, dans le sens 'moderne' du mot et non pas dans l'acception de Port Royal. Par exemple, Condillac, lui aussi, voit les différences entre les langues non pas seulement sur le plan phonétique mais aussi sur le plan sémantique: ' il est naturel à chaque nation de combiner ses idées selon le génie qui lui est propre, et de joindre à un certain fonds d'idées principales différentes idées accessoires, selon qu'elle est différemment affectée. Or ces combinaisons, autorisées par un long usage, sont proprement ce qui consitue le génie d'une langue' (Essai:98)

Passage qu'on peut comparer avec celui ci de Besnier. 'Le tempérament, l'humeur et le naturel des Peuples, les dispositions de leur esprit, leur génie et leurs goûts pariculiers, leurs inclinations les plus générales et les plus fortes, leurs passions ordinaires, et ces qualités singulières, par lesquelles un peuple se distingue et se fait remarquer entre les autres, sont les marques les plus évidentes, pour découvrir le veritable génie d'une langue, puis qu'elles en sont en effet les causes les plus immédiates' (pp. 44-45)

A. Joly dans son introduction à une réédition de l'oeuvre de J. Harris: Hermès ou recherches philosophiques sur la grammaire Universelle

23.

Condillac (Essais: 94-95) dira que: "Les hommes en état de se communiquer leurs pensées par des sons sentirent la nécessité d'imaginer de nouveaux signes propres à les perpétuer et à les faire connoître à des personnes absentes. Alors l'imagination ne leur représenta que les mêmes images qu'ils avoient, dés lescommencemens, rendu le langage figuré et métaphori-

que.

86 (1751) souligne (p. 50) la convergence des idées de Condillac et de celles de Harris. Le grammairien anglais lui aussi a parlé du génie des langues et a écrit: 'Cette importante occupation nous conduit a observer comment les nations, ainsi que les individus, ont des idées qui leur sont propres et particulières, et comment le génie de leurs langues se forme de ces idées particulières.' (p. 366)

Joly observe (p. 47) aussi que Harris, comme Condillac, voit les différences entre les langues, non seulement au niveau phonétique, mais aussi au niveau sémantique. Ici on pourrait se poser encore un fois cette question: Est-ce que Condillac ou Harris ont eu connaissance de l'essai de Besnier? L'essai avait été traduit en anglais en 1675; est-ce que Harris l'a lu? Il se peut naturellement que ces idées soient nées indépendamment les unes des autres.

Ill CONCLUSION

La théorie de Besnier pourrait sembler présenter des contradictions. Une de celle-ci serait, par exemple, le rapport entre la particularité historique des langues et l'idée rationnelle, qui veut fournir un modèle linguistique unique, dans un but aussi opportuniste que l'étude des langues étrangères. Mais les fins didactiques étaient peut-être au fond un pretexte et il se peut que le but et le défi étaient la formulation d'une hypothèse de travail. Naturellement Besnier s'est rendu compte du fait que son hypothèse pourrait ne pas être fidèle à la réalité et que les règles rationnelles qu'il pourrait établir par l'application de sa méthode, résultat de la combinaison du niveau de recherche historique (surtout celui 'créatif) avec le niveau rationnel pourraient sembler irréelles ou pas convaincantes. Il se rend compte qu'on pourrait lui reprocher que son hypothèse est trop spéculative et que dans la pratique on peut apprendre les langues seulement par l'usage et la mémoire. Mais naturellement pour Besnier ce qui est indispensable, c'est le raisonnement. La mémoire est précaire, limitée. La raison nous permettrait de connaître plusieurs langues à la fois. Il sait bien que d'aucuns trouveront son projet irréalisable ou douteront qu'on puisse trouver les liens adéquats entre les langues. Mais la découverte de la réalité n'est même pas importante pour lui. Besnier révélant ainsi sa nature de mathématicien et d'épistémologue trouve qu'une hypothèse bien formulée et imaginée est plus intéressante que la réalité banale. Sa position nous paraît très moderne: sa méthode ne doit pas être vue comme 'une thèse incontestable dans toutes ses parties mais seulement comme une hypothèse qui . . . a cet avantage que quand elle seroit la plus fausse du monde dans la spéculation, au moins peut elle estre de mise dans la pratique'.

C'est une hypothèse qui permet de construire une méthode déductive, probablement même pas vérifiable historiquement mais qui réussit à

88 simuler la faculté d'apprendre et d'employer les langues en partant de l'une d'elle, même si elle fonctionne d'une façon différente du système qu'on peut retrouver dans l'histoire. D'ailleurs c'est de cette façon qu'a travaillé Copernic en astronomie. Un système d'analyse, donc, qui a en même temps des traits rationnels (les règles générales et raisonnées et la méthode déductive) et des traits empiristes (comparaison des langues, génie du peuple et de la langue, histoire, usage). Un système d'analyse qui est une hypothèse de travail qui a tous les caractères d'une épistémologie moderne. En d'autres termes, la Réunion des Langues est un essai très important pour les théories qui concernent la comparaison des langues et leur évolution, pour le rapport entre langue et histoire du peuple qui la parle et qui l'emploie, mais aussi pour son importance épistémologique, pour la théorie déductive cohérente proposée et qui doit servir de paramètre de connaissance (plutôt que pour la description effective de la réalité) et servir comme stratégie didactique pour apprendre les langues étrangères. Besnier semble être un philosophe 'indépendant' comme Leibniz. Il est certainement précurseur des temps modernes. Il nous suffit en effet de comparer encore une fois la pensée du père jésuite avec ce qu'affirme Rosiello (1967:176) quand il observe que à l'intérieur de l'idéologie 'illuministe' est née l'exigence de transformer les universaux méthodologiques de la grammaire générale en universaux historiques de la grammaire comparative. C'est ce qui se passe lorsqu'à côté d'une étude synchronique représentée par la grammaire générale on accepte aussi une étude diachronique qui vise à trouver les éléments communs aux différentes langues et historiquement vérifiables. Distinction synchronique et diachronique qu'il ne faut pas sous-estimer et qui nous donne la ligne d'évolution de la pensée qui va de Hobbes à Bauzé et de celui-ci à Bopp. Sur cette ligne on pourra désormais inscrire Besnier. Si nous voulons faire une histoire de la pensée linguistique nous ne pourrons plus, à mon avis, ne pas citer la théorie de Besnier comme une théorie qui montre, à un quart de siècle du siècle des lumières quelles seront les courants de pensées qui ont eu les plus grands représentants en Leibniz, Harris, Condillac, Maupertuis, Vico, etcétera. Mais surtout on ne peut pas éviter de mettre en relief toute la modernité de cet épistémologue, qui n'aurait pas de peine comme linguiste à entrer dans la considération des linguistes modernes, qu'il soient générativistes ou pas. Université d'Amsterdam

1984

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