La Croix de Lorraine qui tue

Table of contents :
Réquisitoire définitif
Table des matières
Supplément d'information
Conclusion
Table des noms cités

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1975 André Figueras

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ET

LA CROIX DE LORRAINE QUI

TUE

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Chapitre 1

Rl:QUISITOIRE Dl:FINITIF

REQUISITOIRE DEFINITIF

Dans mes deux précédents volumes, j'ai développé un thème que peut résumer cette proposition : par une métamorphose digne d'Ovide, la Résistance, louve maigre, est devenue la vache à lait de Romulus et Rémus de bazar, créateurs, non d'une cité nouvelle, mais d'une combine sans précédent. Ce disant, ce démontrant, je n'ai d'ailleurs fait que découvrir l'Amérique. Les imposteurs qui ont usurpé l'héroïsme de quelques-uns, pour en faire cette extraordinaire Maison d'intolérance qu'est la fausse résistance, ne dupent que les nigauds honnêtes et les aveugles volontaires. Au sein même des « associations » ( voire même, et pour cause, plus qu'ailleurs), on sait on ne peut mieux à quoi s'en tenir. S'il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre, il n'y a pas non plus de « héros de la Résistance » pour ses « compagnons ». Tout ce joli monde de malfrats et de simulateurs est très renseigné sur soi-même. Mais P.aisiblement. Puisqu'il a été convenu une fois pour toutes que l'on n'admettra jamais une faille dans le système. Et que tout détenteur de « certificats », quelle que soit leur 9

provenance et leur impureté, sera couvert pour toujours, afin que la préservation des prérogatives - seule raison d'être de la baraque -, ne soit en aucun cas, et si peu que ce soit, mise en cause. D'autre part, les braves gens qui ont été, à la Libération, martyrisés, ou, pour le moins terrorisés (ce dont, aujourd'hui même, ils sont rarement encore revenus), sont certes placés pour manquer d'illusions sur les Libératueurs. Il faut souvent apprivoiser leur inquiétude. Tout de même, les témoignages finissent par aboutir à qui les recherche. Témoignages, naturellement, inégaux en qualité et en importance. Qui cependant, à force de se corroborer, atteignent à l'évidence du vrai. Si l'on ne cherchait que l'analyse historique, on finirait par les rassembler en de lourds ouvrages effrayants et lassants, dossiers noirs de la fausse résistance, qui finiraient par faire douter de la . vraie. Mais cette tâche triste et fastidieuse serait insuffisante. Qui de sérieux peut nier, aujourd'hui, que la fausse résistance soit l'essentiel de ce que l'on appelle couramment - et indûment - la Résistance ? Que l'on se méfie : comme, en ce domaine, la marée des scandales ne fait tout juste que commencer de monter, si les vrais résistants ne se hâtent pas enfin de dénoncer les faux, un jour viendra où aucun Français ne croira plus à la Résistance. Sur ce point, j'ai personnellement la conscience nette. Aux autres de faire aussi leur devoir. Aussi bien, de tout ce que j'ai moissonné, depuis 10

Faux résistants et vrais coquins », de documents nouveaux, je ne donnerai ici que quelques-uns : les plus significatifs, les plus croustillants, et même une ou deux fois - avec l'espérance que l'on voudra bien me le pardonner - les plus comiques. Parce que je suis convaincu d'en avoir dit assez pour que la question soit claire, et que je n'aime pas me répéter. Du reste, les vrais historiens n'ont aussi qu'à révoquer les faux. Moi, mon rôle est plutôt, si l'on veut bien me passer le mot, celui d'un justicier. Si je m'obstine à casser la légende, c'est pour qu'elle ne dissimule plus le crime. Sans doute était-il indispensable de dénoncer les coupables secondaires, et d'étaler leurs ignominies, afin que le problème, après tant de mensonges, soit correctement posé. Mais il faut dépasser ce stade et ses personnages, pour atteindre le responsable suprême, le criminel d'Histoire, sans qui presque rien de ce qui s'est produit d'affreux ne se serait passé. Certes, je suis convaincu de manière formelle que le général de Gaulle était un délirant de l'espèce la plus dangereuse: celle qui raisonne, échafaude, et séduit. Si l'on veut par conséquent, dans l'absolu intellectuel, lui accorder de ce fait quelques circonstances atténuantes je ne m'y . opposerai pas. Pour l'instant, ce que je dis, c'est qu'il faut commencer par ôter son nom de toutes les rues, places, avenues et boulevards qui le portent. C'est qu'il faut supprimer des manuels scolaires ces phrases inadmissibles qui induisent en erreur des «

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écoliers éblouis ». Et qu'il faut laisser aux seuls menteurs professionnels de l'U.D.R. de rabâcher la gloire du 18 juin. En réalité, en effet, le général de Gaulle ( et je le dis avec un calme surprenant de la part d'un homme comme moi, qui ai été tant trompé par lui, je le dis avec une sérénité scientifique) - le général de Gaulle était un forban fou qui, pour arriver au pouvoir, y rester, ou y revenir, n'a jamais imaginé d'autre procédé que de faire creuser le plus de tombes françaises qu'il a pu. De partisans ou d'adversaires, peu lui importait. En fait, tous les Français étaient ses ennemis, si, en quoi que ce soit, ils lui paraissaient gêner son accession ou contredire ses marottes. Car il y avait chez lui un mélange aussi écœurant que déconcertant de Caligula et de Joseph Prudhomme. Il faut donc être juste : ce monstre a perverti une génération. Bien des tueurs seraient restés de bons bougres, bien des coquins n'auraient pas dérapé, s'ils n'avaient été ensorcelés par ce Raspoutine de la politique. Et bien des héros qui sont morts par son fait, en croyant servir la France, auraient pu avoir une vie plus utile à leur pays, que leur beau trépas devenu objet de trafic. «

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Lorsqu'en 1940, Paul Reynaud, tanné par lui depuis si longtemps, et pour s'en débarrasser en quelque sorte, fit du colonel de Gaulle un s~ussecrétaire d'Etat, nous pourrions dire aujourd'hui que la nouvelle Excellence ressemblait à ce que

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donnerait le croisement de Françoise Giroud et d'un épouvantail à moineaux. Personne ne prenait au sérieux cette grande bringue cassante, avide de se faire présenter les armes. Lui, toutefois, en fou conséquent, rêvait obstinément l'empire. Aussi est-ce pour lui avant tout autre, et probablement même pour lui seul, que la défaite constitua « une divine surprise ». La défaite, cet immense déséquilibre, ne pouvait, de toute évidence, être propice qu'à un déséquilibré. Le voilà donc à Londres, embauché à tout hasard par Churchill, qui n'était pas alors en situation de négliger la moindre carte. Embauché, certes, mais encore bien mince personnage, et dont la première idée fixe va être, si l'on ose ce calembour épouvantable, de brûler ses vaisseaux. D'où, à mon avis, Mers-el-Kébir. La logique dit en effet ceci : même si Churchill a éprouvé une grande fureur de notre écroulement, c'était un homme trop réaliste pour suivre sa colère, et gaspiller des munitions, des vies, et à plus forte raison des navires de Sa Majesté - aux seuls fins d'une représaille. Du reste, tous les témoignages concordent : les officiers de marine britannique qui ont exécuté l'opération, l'ont fait avec une grande répugnance, et après avoir essayé tous les moyens de trouver un arrangement avec l'amiral Gensoul, qui, malheureusement, semble s'être un peu affolé. Si Churchill a persévéré, en dépit de tout cela, à accomplir ce qui n'est, en somme, pas autre chose qu'un forfait - c'est parce qu'il s'était laissé tourner la tête par de Gaulle. Lequel ne cessa de

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lui soutenir mordicus que Vichy avait décidé de livrer la flotte française aux Allemands. Comme cela était totalement faux, de Gaulle ne pouvait disposer d'aucune information sérieuse dans ce sens. Il n'a même pas obéi à une intuition erronée. Il a affabulé délibérément. La raison en est claire, et le résultat qu'il en escomptait (et qu'il obtint) était double. Dès alors, son choix était fait : il pré sen te rait le maréchal Pétain et tous ceux.. qui le suivaient comme des traîtres, afin d'être, lui de Gaulle, la seule vertu, le seul recours - entendez, ultérieurement, le seul maître. L'opération commençait donc par ce premier mensonge d'un prétendu projet de livraison de la Flotte. L'autre avantage immense pour lui, était de consommer la rupture entre l'Angleterre et la France, ce qui allait lui pern1ettre, à lui-de-Gaulle, de rester le seul partenaire de ceux dont il avait fait le pari (juste) qu'ils gagneraient la guerre. Les morts - anglais aussi bien que français de Mers-el-Kébir, sont donc les premières victimes sacrifiées sur l'autel de la Croix de Lorraine.

* A peu près dans Je même temps, et tout à fait dans le même esprit, lui-de-Gaulle réalisait_ une autre opération diabolique.

Il écrivait à Weygand et à Noguès pour leur proposer de prendre à leur compte le refus de l'armistice. Il se donnait ainsi les allures du désin14

téressement, en s'inclinant devant de plus hauts prestiges. Bien entendu, une réponse positive de l'un ou de l'autre de ces grands chefs l'aurait plongé dans le désespoir en le ravalant. Aussi avait-il pris grand ~oin de ne rien risquer de tel. Connaissant le tempérament de Noguès, et mieux encore celui de Weygand, il le_ur avait écrit sur un ton tel, et dans un langage si insolent, que les destinataires ne pouvaient même pas envisager de répondre à pareil message. Là encore, lui-de-Gaulle faisait coup double : en ayant l'air d'être élégant, il s'assurait en réalité de n'avoir point de patron. Et il entamait, en même temps que celle de Pétain, la démolition morale de Weygand et de Noguès, afin de ne les avoir plus sur son chemin. Ici encore, la croix de Lorraine apparaît avant tout comme un épouvantable instrument de destruction des grandes valeurs françaises. Non seulement le fou de Londres voulait être le chef, mais il voulait être le seul. Point de partage, point de discussion. Lui-de-Gaulle, un point c'est tout. Allègrement donc - car, en plus, il y mit de la joie - il saccagea le destin de nos trois plus illustres soldats vivants. Car si Weygand réussit en quelque sorte grâce notamment à sa vitalité extraordinaire à ressusciter - pour Pétain, et même pour Noguès, la fin de leur vie ne fut plus qu'une mort trop lente.

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Cependant, ce n'était pas le tout de se dire, il fallait se prouver. Or, dans une guerre comme celle qui était en route, les causeries radiodiffusées ne représentaient qu'un bien petit élément de puissance. Pour établir son existence, et la rendre intéressante, il était nécessaire de montrer des troupes, et d'aligner des pertes. Or, du petit nombre d'hommes qui se présentèrent à lui à Londres, lui-de-Gaulle n'affecta encore qu'une partie aux F.F.L. : les purs, les sincères, les candides, tout justes bons à faire quelques cadavres utiles, à Bir-Hakeim ou au Fezzan. Tous ceux, en revanche, auxquels il trouva quelque capacité à entrer dans son jeu tortueux, il les conserva auprès de soi, pour être ses complices, et au besoin ses âmes damnées. Avec tout cela, il était donc bien pauvre en combattants, et encore plus démuni de morts. Or, c'était une situation qui ne pouvait durer, à peine de le rendre, aux yeux du monde, ridicule - ou, pis encore, insignifiant.

* C'est alors que lui-de-Gaulle eut l'idée - remarquable, il faut bien le dire - de faire main basse sur la Résistance. Celle-ci, certes, constituait plus un embryon qu'une armée. En outre, elle n'avait rien de gaulliste, et n'avait pas été suscitée par la radio de Londres. Sa mince génération était toute spontanée. Des hommes très divers, trouvant insupportable l'invasion, cherchaient à lutter, d'une façon 16

ou d'une autre, contre l'envahisseur. Phénomène, en somme, honorable et banal, et plus charnel que politique. La preuve en est d'ailleurs qu'il n'y avait pas, dans ]es" débuts, UNE résistance, mais des groupuscules plus ou moins épars, et pas toujours d'accord. Si le général de Gaulle avait voulu servir les intérêts de son pays, et travailler pour la victoire, il n'y avait qu'une chose pratique à faire : transformer les plus valables de ces résistants débonnaires et inexpérimentés, en agents de renseignement liés à l'intelligence Service. En attendant que la situation évoluât, cela aurait pu avoir un sens militaire. Mais les questions militaires - c'est un fait ont toujours intéressé fort peu le général lui-deGaulle. Il n'allait pas commencer de s'y mettre au moment où il croyait toucher au ·pouvoir politique. Loin donc de se comporter vis-à-vis de Churchill èn allié loyal et coopérant, il entreprit aussitôt, par tous les moyens, de mettre en garde les résistants contre tout ce qui était anglais. Son but personnel n'étant point la victoire sur l'Allemagne, mais la domination de la France, il entendait se réserver à son usage exclusif la seule force, même petite, qui apparaissait. Richard III de Grand Guignol, il lui fallait une monture pour atteindre son royaume. La résistance étant le cheval qui se présentait, il décida de l'enfourcher - quitte, d'ailleurs, à la crever sous lui. Premier temps, donc : il rendit ce cheval rétif au cavalier anglais. Après quoi, il entreprit de l'apprivoiser, pour mieux ensuite le domestiquer.

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Pour ce faire, il ne ménagea point les subterfuges et les sucreries. Dès alors, il employa la méthode qui devait si bien lui réussir pour préparer le 13 mai : à chaque visiteur dire ce que celui-ci souhaitait entendre. Avec les gens de gauche, on ne trouvait pas plus démocrate que lui ; avec les hommes de droite, plus nationaliste. A tous ses interlocuteurs, cependant, lui-deGaulle, doué de l'aplomb le plus monumental de notre Histoire, se présentait comme « étant la France ». Impressionnant sans peine ces combattants de l'ombre tout éblouis du grand jour anglais, usant de ce qu'il faut bien appeler, du reste, les sortilèges de sa folie incan ta taire, il persuada tous ces chefs de réseaux de se mettre sous sa coupe. Quant il eut réussi cette mainmise, il entreprit un détournement de combattants. Il transféra la Résistance du service de la France, où elle essayait d'être, à son service exclusif. Il lui fit accomplir des tâches qui, pour la plupart, n'avaient rien à voir avec la bataille. Il la politisa pour mieux en faire son outil. Il y encouragea les rivalités. les concurrences et même les oppositions, pour être plus sûr de régner seul. Beaucoup des méthodes qu'il imposa provoquèrent des arrestations et des massacres dénués de toute utilité patriotique. Mais qui lui permettaient d'ardents trémolos radiodiffusés, des imprécations de plus en plus frénétiques contre le gouvernement de Vichy, et la prise à témoin du monde, qu'il était bien le chef d'un peuple de martyrs. Je crois pouvoir affirmer que la majorité des morts de la Résistance, furent, sans le savoir, des morts 18

pour lui-de-Gaulle, et non point pour la patrie. Leur trépas préparait, non la libération de leur pays, mais l'installation d'un despote. Il est vrai - et ses thuriféraires ne manquent ~ point d'en faire état qu'au micro, lui-de-Gaulle fit toujours mine de désapprouver les attentats individuels contre les militaires allemands. Il pouvait se payer ce luxe, tout en recueillant le bénéfice des fusillades d'otages, qui faisaient rudement bien dans son tableau - grâce aux rapports privilégiés qu'il entretint très vite, et qui ne devaient point finir, avec les communistes. Churchill en ayant eu bientôt sa claque, et Roosevelt ayant manifesté tout de suite une hostilité illimitée, lui-de-Gaulle, sans Staline, n'aurait rien été du tout. Mais le Kremlin n'a pas l'habitude de faire de cadeaux. Aussi bien, en la circonstance, fit-il payer au prix fort son soutien inconditionnel. Ce fut un contrat en viager. Lui-deGaulle eut droit, jusqu'au bout, à l'aide soviétique, et à l'astucieux faire-valoir en forme de contrepoint du parti communiste en France - à la condition qu'il organiserait toutes choses pour mener l'Occident vers le marxisme. Bien entendu, il est absurde de raconter que lui-de-Gaulle était franc-maçon, et qu'il penchait idéologiquement vers l'extrême-gauche. C'est le méconnaître totalement. Ce personnage n'avait d'autre culte que celui, exacerbé au-delà de l'imaginable, de son moi-de-Gaulle. Hormis ce moi-deGaulle, rien ne l'intéressait, pas plus, évidemment, la France qu'autre chose. Dans ces conditions, le « contrat du siècle » avec les Russes ne le gênait

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en aucune manière. Peu lui importait qu'après sa mort notre pays risquât d'être englouti par la marée rouge. Après lui, le Déluge. C'est pour cela qu'il remit sans vergogne et sans crainte la plupart des clés de la Résistance aux dirigeants du P.C. Se servant d'eux, d'ail]eurs, et au besoin, pour se débarrasser de ceux qui lui portaient ombrage. Certains affirment que là est le secret de l'arrestation de Jean Moulin. Cas où lui-de-Gaulle, comme d'habitude, faisait coup double : un rival éventuel, ou du moins un gêneur, disparaissait de la scène. Et en même temps, le chef d~ la France Libre en faisait un héros pour son Panthéon personnel. Par exemple, lui-de-Gaulle ne tenait certes pas à avoir, après la guerre, Brossolette vivant sur les bras, qui n'aurait pas marché à tous crins. En revanche, le cadavre de Brossolette était pour lui un chopin.

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Plus tard, à Alger, l'exécution de Pierre Pucheu fut encore un bien joli coup pour_ le général. On peut dire un coup triple, cette fois-ci. En même temps, en effet, il discréditait le général Giraud, donnait une satisfaction grande à ses fidèles partenaires communistes, et creusait irrémédiablement le fossé entre « pétainistes » et résistants. Et pour continuer sur ce point, il va sans dire que « l'épuration », avec son cortège fascinant d'erreurs et d'injustices, fut le comble de ce dévoiement de la Résistance, et de ce malheur immanent 20

que la Croix de Lorraine, comme un labarum fatal, amenait partout avec elle. Ah ! l'épuration, on peut bien dire que ce fut le chef-d'œuvre du général. Tout était réuni pour faire de ce crime contre la France une apothéose du gaullisme. Pensez à l'extraordinaire affaire : on forgeait la fable de la France résistante, ce qui permettait de rallier à soi-de-Gaulle, d'un coup, tous les lâches et tous les salopards auxquels on fournissait un triomphal quitus, et permettait d'autre part, au nom du combat imaginaire d'une nation en réalité couchée, de réclamer, sur le plan international, moult prérogative~ : - on donnait à l'allié communiste des privilèges et des apanages à n'en plus finir, resserrant ainsi l'alliance et la rendant tout à fait indissoluble ; - on éliminait physiquement, en inventant contre eux des griefs abominables, à peu près tous les hommes de caractère. Ceux que l'on ne tuait pas, on ]es brisait. Ainsi, plus personne pour s'opposer à soi-de-Gaulle, et une. foule de postes et de biens à distribuer à se~ féaux. La France, brusquement, était supprimée, et remplacée par la Gaullie. Peu de coups égaux à celui-là ont été, avouonsle, réussis à travers les siècles. Et que cela n'ait coûté que cent mille morts montre à quel point ]ui-de-Gaulle conduisit les choses avec maestria. Un maladroit, pour parvenir au même point, aurait fait un million de morts. Econome après tout de sang, l'homme à la croix de Lorraine s'est contenté du dixième, et a réussi. 21

On peut donc dire de lui que c'est un tueur remarquable.

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Je n'insiste pas sur l'épisode de Dakar, où Churchill fut une seconde fois (ce qui est plus grave pour sa mémoire), la dupe de lui-de-Gaulle. Notons toutefois que c'est la première occasion où lui-de-Gaulle amena des Français à se tirer les uns sur les autres. Il ne s'agissait encore que d'une expérience. Plus tard, il devait mettre sa méthode parfaitement au point. Et d'abord en Syrie, toujours du reste avec le système, qu'il aurait dû faire breveter, des coups doubles. Tandis qu'il se donnait ainsi des airs internationaux, et aggravait horriblement la séparation entre deux Frances, il amenait les Allemands à se montrer plus acariâtres envers le Maréchal, de sorte que celui-ci, placé dans une posi tian de plus en plus inconfortable, encaissait tous les mauvais coups, et n'avait rien pour se défendre. Ainsi, lui-de-Gaulle, en faisant s'entretuer des Français dans une campagne que rien ne justifiait, accroissait sa stature, et poussait Pétain à grands pas vers l'île d'Yeu.

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La Libération coûta aussi la vie à des Français qui n'avaient rien d'anti-gaullistes, tout au contraire, et que Je Maître sacrifia dans l'intérêt de sa comptabilité.

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Ceux des F .F .1. qui étaient sincères et braves furent raccolés brusquement pour l'Armée, et, la plupart du temps, jetés au feu sans la plus élémentaire préparation. On en vit ainsi se faire tuer fort courageusement, et sans aucune utilité sinon d'enrichir la colonne des pertes françaises à comparer à celles des Alliés. Et ce fut encore plus vrai à propos des « poches de l'Atlantique » : Royan, où s'illustra de façon sinistre le bizarre Larminat, Lorient, etc. En vérité, sur le plan militaire, il ne rimait à rien de s'esquinter les dents sur des fortifications qui tomberaient forcément toutes seules lorsque le Reich en déroute ne pourrait plus les soutenir. Au lieu de patienter en évitant des morts, l'ordre fut donné, au contraire, de multiplier les assauts, sans considération des pertes. A tel point que certains chefs de corps se rendirent fort bien compte qu'on faisait tuer du monde exprès, pour gonfler les communiqués - et s'arrangèrent pour ne suivre que de très loin les directives du Gouvernement Provisoire. Cela, c'était donc les morts en gros, la piétaille dont on avait besoin qu'elle fournit un contingent de cadavres qui permit d'étoffer les récriminations que lui-de-Gaulle ne cessait de présenter aux Alliés. Au nom d'une France qu'il affirmait indûment avoir été résistante, au nom de ses morts dont il allongeait le plus qu'il pouvait la liste, il finissait en effet par obtenir, non tout de même un siège à Yalta ( et Dieu sait s'il enragea ! ), mais, par exemple, le droit de veto à l'O.N.U ~

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Avant de passer à ses meurtres politiques, il faut donc bien voir qu'à la fin de la guerre, tout ce que lui-de-Gaulle a obtenu de pouvoirs, de droits, de moyens politiques, d'autorité diplomatique, etc., il l'a payé avec des morts : morts de la Résistance, la plupart du temps inutiles ; morts de la Libération, presque tous innocents ; morts sous l'uniforme, pour grande part sacrifiés par système, sans nécessité militaire, mais pour faire un compte politiq·ue. Au fond, la méthode est assez simple, et, quand on l'a comprise, tout le jeu gaulliste s'éclaire. Luide-Gaulle, en effet, n'était pas un homme remarquablement intelligent, loin s'en faut. Mais le désintérêt prodigieux qu'il portait aussi bien à l'humanité qu'à son pays, joint à l'adoration sans limites qu'il avait de sa propre personne, le fournirent d'un culot surhumain, qui lui permit d'accomplir avec une sérénité quasiment angélique, des abominations qui auraient fait frémir même un voyou. Sa culpabilité est, si l'on veut, un peu atténuée par cette manie de soi-de-Gaulle, qui l'empêchait de rien considérer d'autre que le triomphe de sa personne, en quoi il plaçait, avec une sorte de naïveté finalement, le bien suprême. Objectivement, lui-de-Gaulle est un des plus grands meurtriers de ilotre Histoire, mais c'est en quelque sorte l'un des moins coupables. S'il écuma, par exemple, en apprenant que Salan ne mourrait point (et c'était la deuxième fois qu'il le manquait) - ce n'était point par sadisme déconfit, ni même par haine déçue. C'est parce qu'il était persuadé 24

que le bien de lui-de-Gaulle voulait la mort de Salan, et que, pour lui-de-Gaulle, le bien de lui-deG~ulle était la loi et les prophètes. Lui-de-Gaulle était don Quichotte en ce sens qu'il travestissait complètement le réel au point de le rendre méconnaissable. Mais don Quichotte était un altruiste détraqué, qui, d'ailleurs, ne réussit jamais à faire de mal à une mouche, mais fut au contraire moqué et tabassé. Chez lui-de-Gaulle, en revanche, l'égocentrisme a la puissance d'une bombe thermonucléaire, et il ne réussit que trop à atomiser tous ceux qu'il croit nuisibles à son . expansion. Chez ce général de brigade que l'on vit peu sur les champs de bataille, don Quichotte fait ainsi bon ménage avec Pierrot le Fou. Et celui qui se fit diaboliquement passer pour le libérateur des Français, était en réalité leur Ennemi Public n° 1. Mais les moutons de Panurge ne savent malheureuesement reconnaître les bouchers qu'au moment du couteau.

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De même que les gangsters dingues défouraillent à tout bout de champ, et tuent même sans nécessité,• lui-de-Gaulle, au fur et à mesure que son pouvoir croissait, entreprit d'anéantir inutilement tout ce que !'Histoire lui faisait rencontrer. A cet égard, l'exemple à la fois le plus caractéristique et le plus aberrant est celui de l'Indochine. Placée à l'autre bout du monde, cette lointaine et merveilleuse colonie ne pouvait être en aucune

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manière concernée .par ce qui se passait en Europe, dont elle était pratiquement coupée. Le problème, là-bas, n'était pas allemand, mais japonais. Et Vichy, pas plus que Londres, n'y pouvaient rien. Nos compatriotes de là-bas, et en particulier nos militaires, y vécurent un long martyre, et beaucoup furent assassinés. C'est donc des gens dont, en tous points, le sort pouvait se comparer à celui des déportés des camps nazis. Aussi aurait-il été légitime, dès que Hiro-Hito eut capitulé, de les conforter, et au besoin de les célébrer. Pour une raison cependant qui semble échapper à toute logique, le despote décida l'inverse. Ces survivants décharnés furent traités comme des parias. Aujourd'hui encore, la métropole ne sait pratiquement rien de ce qu'ils ont subi, alors que tous les soirs la télévision se déchaîne à propos de Buchenwald ou de Neuengamme. Peut-être s'agissait-il tout simplement de complaire à Moscou, qui souhaitait s'installer dans le sud-est asiatique (et n'est-ce pas, aujourd'hui, chose parfaitement réalisée ?). En tout cas, lui-de-Gaulle accomplit tout ce qu'il fallait pour tuer l'Indochine française, comme il fit plus tard pour l'Algérie. Thierry d'Argenlieu fut son premier Christian Fauchet. N'eut été le sursaut, assurément médiocre, mais tout de même méritoire en fin de compte, de la IVe République - le sacrifice de l'une et de l'autre eut été réalisée plus tôt. Et c'est ·dans un cas pareil que la folie despotique, à la Caligula, apparaît toute nue. Si lui-deGaulle avait été un despote cohérent, il aurait eu 26

tout intérêt à sauvegarder l'Empire, qui constituait le seul moyen de cette grandeur internationale qu'il semblait ambitionner par-dessus tout. Mais le besoin de détruire était, chez lui, plus fort même que l'ambition et la mégalomanie. Il est vrai que, si j'en crois le témoignage de Suzanne Blum, qui n'a véritablement aucune raison de mentir, ce fou à lier a dit un jour à des intimes : « J'ai porté à bout de bras le cadavre de la France, et j'ai fait croire au monde qu'elle était vivante. » On comprend mieux, dès lors, qu'il se soit pris lui-même pour Pierre le Cruel, pour un Néron portatif, et qu'il n'ait rien trouvé de plus conforme à son génie que de tuer et de démolir. Bien entendu, avec de telles dispositions, il n'eut aucun mal à recruter une Bande Noire. Composée de ces gens mal conformés qui, au lieu d'aimer le travail et l'action, ne se conçoivent pas d'autre ressource que le pillage, et, pervers et profanateurs par-dessus le marché, prennent volontiers des drapeaux pour s'en torcher. La Grande Armée avait derrière elle ses détrousseurs et ses pillards, poignée de misérables que Napoléon faisait fusiller de temps en temps. Luide-Gaulle était un maître d'un autre genre : les combattants sincères qu'il avait réussi à embrigader, et qu'il faisait tuer le plus possible, pour avoir du spectacle et des bilans à présenter à l'univers - n'étaient destinés qu'à ouvrir la voie aux coquins de choc qui constituaient son entourage, et sur qui régner bâtissait son plaisir. Dans ce que l'on a appelé cet « entourage » ont figuré, il est vrai, quelques imbéciles innocents, mis

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là pour la distraction et la bouffonnerie. Le reste constitua une concentration assez remarquable de scélérats (et je n'ai besoin de nommer personne pour que l'on reconnaisse tout le monde!).

*

Attentif à supprimer carrément, ou à réduire en tout cas à l'absolue impuissance, les catégories qui le gênaient, ou qui seulement lui déplaisaient, (pétainistes, Français d'Indochine, Pieds-Noirs), lui-deGaulle ne surveillait pas de moins près les rivaux que leurs qualités, ou les circonstances, pouvaient lui susciter. Après avoir réussi à annihiler l'amiral Muselier qu'il traita ignominieusement, il se trouva en présence d'un péril beaucoup plus grave avec l'arrivée à Alger de l'amiral Darlan. Cela, toutefois, ne l'embarrassa pas longtemps, et le jeune Bonnier de La Chapelle (bien entendu sacrifié aussitôt), servit à résoudre le problème. Comme on le verra plus loin, un témoignage décisif règle une bonne fois cette question, sur laquelle déjà on avait des présomptions fortes. Pour tenter de ne rien oublier, encore qu'en matière si vaste il soit difficile d'être exhaustif, on inscrira dans la même lignée le « mystérieux » attentat, manqué de peu, contre le général Giraud - attentat exécuté par un Bonnier de La Chapelle sénégalais. Car la malédiction de la croix de Lorraine frappait impitoyablement tous ceux qui ne se courbaient pas devant ce signe. 28

Et puis, il y eut l'erreur fatale, l'éclipse, et tout le chemin à refaire. Ayant rencontré quelques oppositions du reste déférentes - chez les politiciens surgis de ]a Résistance, lui-de-Gaulle, en janvier 1946, voulut leur faire sentir le caveçon en donnant une démission, dans son esprit, fictive. A sa formidable stupeur, à son incoercible colère, il fut pris au mot, et se retrouva simple citoyen. Ç'aurait été le moment idéal, certes, pour lui faire subir un examen psychiatrique. Personne, toutefois, n'osa. Reconnaissons au tyran déchu une patience à toute épreuve. Il ne se découragea point, et reprit à zéro, ou presque, ses machines. Embusqué dans son repaire morne de Colombey-les-Deux-Eglises, comme une araignée au fond de sa toile, il prépara sans se lasser de nouveaux malheurs pour la France. Avec ce qui lui restait de moyens et de serviteurs, il harcela sans répit la IVe République, de façon à l'empêcher de réussir. En accointance plus étroite que jamais avec les communistes, il bloqua tous les projets, renversa les gouvernements, rendit la situation impossible. Surtout, il montait diaboliquement le piège algérien. Dans sa clairvoyance de paranoïaque, il avait fort bien compris qu'il ne pourrait réussir qu'au mi1ieu du drame national. Tous ses soins furent donc donnés à envenimer les abcès. La catastrophe indochinoise, subalternement étouffée par Mendès-France, n'ayant guère éblanlé les 29

Français, qui avalèrent Dien-Bien-Phu sans avoir l'air d'y prendre garde - lui-de-Gaulle ne se préoccupa plus que de faire exploser l'Algérie. Toute explosion suppose le choc de deux éléments qui réagissent l'un sur l'autre. Luidegaulle devint donc un très artificieux artificier, et il s'occupa à la fois du trinitotoluène et du détonateur. Son système consista à exacerber parallèlement le F.L.N. et les Pieds-Noirs. A l'un, il expédia Malraux et Pompidou; aux autres, Michel Debré. Quand il estima - un peu tôt - que la masse critique était atteinte, on passa aux meurtres qui devaient déclencher le feu d'artifice. Le premier fut celui d'Amédée Froger, un maire d'Algérie particulièrement remarquable et estimé, que l'on fit abattre par un Bonnier de La Chapelle arabe. Toutefois, le résultat ne fut pas ce que l'on attendait, car les remous firent long f~u. Fut alors préparé soigneusement l'assassinat du général Salan. Dans le trouble qui en résulterait, le général Cogny, de mèche, devait surgir comme par miracle, et imposer Luidegaulle. Ce fut l'affaire du bazooka, qui, après une double publication de documents ( « L'Affaire du Bazooka », par André Figueras, aux éditions de la Table Ronde, et, bien entendu les Mémoires de Salan, aux Presses de la Cité), n'a plus de mystère que pour ceux qui ont les yeux bouchés. On sait qu'un « incident de parcours », comme dirait Debré, fit rater le complot, puisqu'à la place du général visé on ne tua finalement qu'un commandant sans importance. 30

Seulement, ce bazooka inefficace risquait toujours d'être, au choix, une épée de Damoclès ou un boomerang. Bien que le procès subséquent eut été fort bien escamoté grâce aux soins précieux de Me Tixier-Vignancour (dont les rapports réels avec le gaullisme gagneraient à être mieux connus), il y avait tout de même eu un bout d'enquête aux conclusions fort claires. Le garde des Sceaux d'alors se trouva, par la suite, devenir l'opposant principal à Luidegaulle, en la personne de François Mitterrand. Les gens du bazooka, et notamment le maître-d'œuvre, se persuadèrent, à tort à ce qu'il semble, que Mitterrand détenait, quand il le voudrait, de quoi les confondre. Comme le chemin du crime est facile une fois qu'on a commencé de le parcourir, les gaullistes estimèrent donc, avec leur logique de gangsters, qu'il n'était pas prudent de laisser vivre un témoin qui pouvait tellement gêner. Si l'on en croit donc le témoignage tardif, mais apparemment sincère, de Robert Pesquet - Michel Debré demanda à }~ancien député poujadiste d'assassiner François Mitterrand. Ce n'est que parce que Pesquet se sentit trop « petite nature » pour tuer, que l'on monta, avec la complicité inconsciente de la victime, la mascarade de l'Observatoire. De même que, n'ayant pas réussi à tuer Salan, les gaullistes avaient tout essayé pour le déshonorer auprès des Algérois et de l'Armée - allant jusqu'à lui reprocher en public la défaite de DienBien-Phu - œuvre personnelle du général Navarre.

* 31

Le coup d'audace du 13 mai, joué à mi-temps par Chaban-Delmas, et où l'outil de travai] fut le général Massu - avait, sans trop de complication , ramené Luidegaulle dans les palais nationaux, mais il n'y trouvait pas son pouvoir assez assis, ni assez total. Il passa donc - probablement par l'entremise de Pompidou, dont le rôle constamment funeste ne sera jamais assez dénoncé - un marché décisif avec le F.L.N. Pour intimider (sans grand mal, il faut le dire) les Français - des saboteurs et des assassins, assurés de· l'impunité, furent lâchés sur le territoire métropolitain. De gigantesques incendies furent allumés à Mourepiane, des personnages célèbres et des policiers abattus sur la voie publique. Luidegaulle se fit présenter par ses serviteurs de !'O.R.T.F. (et en particulier par Jacqueline ~audrier, qui mérite une mention toute spéciale dans le rôle de femme de chambre), comme le seul rempart contre ces crimes - ce qui l'aida à obtenir, lors du référendum, une proportion considérable de votes favorables. Après quoi, il s'occupa bientôt, en honnête partenaire, de régler sa dette, en livrant non seulement l'Algérie, mais encore le Sahara (qui est une entité tout autre), aux tueurs qui l'avaient tant aidé. Si l'on ne connaît pas ce marché, on ne peut rien comprendre à son comportement. L'espace stratégique algérien et le pétrole étaient indispensables à l'avenir indépendant de la France. Si cet avenir avait été le souci du général Luidegaulle il

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ou d'une autre, contre l'envahisseur. Phénomène, en somme, honorable et banal, et plus charnel que politique. La preuve en est d'ailleurs qu'il n'y avait pas, dans les" débuts, UNE résistance, mais des groupuscules plus ou moins épars, et pas toujours d'accord. Si le général de Gaulle avait voulu servir les intérêts de son pays, et travailler pour la victoire, il n'y avait qu'une chose pratique à faire : transformer les plus valables de ces résistants débonnaires et inexpérimentés, en agents de renseignement liés à l'intelligence Service. En attendant que la situation évoluât, cela aurait pu avoir un sens militaire. Mais les questions militaires - c'est un fait ont toujours intéressé fort peu le général lui-deGaulle. Il n'allait pas commencer de s'y mettre au moment où il croyait toucher au pouvoir politique. Loin donc de se comporter vis-à-vis de Churchill èn allié loyal et coopérant, il entreprit aussitôt, par tous les moyens, de mettre en garde les résistants contre tout ce qui était anglais. Son but personnel n'étant point la victoire sur l'Allemagne, mais la domination de la France, il entendait se réserver à son usage exclusif la seule force, même petite, qui apparaissait. Richard III de Grand Guignol, il lui fallait une monture pour atteindre son royaume. La résistance étant le cheval qui se présentait, il décida de l'enfourcher - quitte, d'ailleurs, à la crever sous lui. Premier temps, donc : il rendit ce cheval rétif au cavalier anglais. Après quoi, il entreprit de l'apprivoiser, pour mieux ensuite le domestiquer. 17

Pour ce faire, il ne ménagea point les subterfuges et les sucreries. Dès alors, il employa la méthode qui devait si bien lui réussir pour préparer le 13 mai : à chaque visiteur dire ce que celui-ci souhaitait entendre. Avec les gens de gauche, on ne trouvait pas plus démocrate que lui ; avec les hommes de droite, plus nationaliste. A tous ses interlocuteurs, cependant, lui-deGaulle, doué de l'aplomb le plus monumental de notre Histoire, se présentait comme « étant la France ». Impressionnant sans peine ces combattants de l'ombre tout éblouis du grand jour anglais, usant de ce qu'il faut bien appeler, du reste, les sortilèges de sa folie incantatoire, il persuada tous ces chefs de réseaux de se mettre sous sa coupe. Quant il eut réussi cette mainmise, il entreprit un détournement de combattants. Il transféra la Résistance du service de la France, où elle essayait d'être, à son service exclusif. Il lui fit accomplir des tâches qui, pour la plupart, n'avaient rien à voir avec la bataille. 11 la politisa pour mieux en faire son outil. Il y encouragea les rivalités, les concurrences et même les oppositions, pour être plus sûr de régner seul. Beaucoup des méthodes qu'il imposa provoquèrent des arrestations et des massacres dénués de toute utilité patriotique. Mais qui lui permettaient d'ardents trémolos radiodiffusés, des imprécations de plus en plus frénétiques contre le gouvernement de Vichy, et la prise à témoin du monde, qu'il était bien le chef d'un peuple de martyrs. Je crois pouvoir affirmer que la majorité des morts de la Résistance, furent, sans le savoir, des morts 18

pour lui-de-Gaulle, et non point pour la patrie. Leur trépas préparait, non la libération de leur pays, mais l'installation d'un despote. Il est vrai - et ses thuriféraires ne manquent ,. point d'en faire état - qu'au micro, lui-de-Gaulle fit toujours mine de désapprouver les attentats individuels contre les militaires allemands. 11· pouvait se payer ce luxe, tout en recueillant le bénéfice des fusillades d'otages, qui faisaient rudement bien dans son tableau - grâce aux rapports privilégiés qu'il entretint très vite, et qui ne devaient point finir, avec les communistes. Churchill en ayant eu bientôt sa claque, et Roosevelt ayant manifesté tout de suite une hostilité illimitée, lui-de-Gaulle, sans Staline, n'aurait rien été du tout. Mais le Kremlin n'a pas l'habitude de faire de cadeaux. Aussi bien, en la circonstance, fit-il payer au prix fort son soutien inconditionnel. Ce fut un contrat en viager. Lui-deGaulle eut droit, jusqu'au bout, à l'aide soviétique, et à l'astucieux faire-valoir en forme de contrepoint du parti communiste en France - à la condition qu'il organiserait toutes choses pour mener l'Occident vers le marxisme. Bien entendu, il est absurde de raconter que lui-de-Gaulle était franc-maçon, et qu'il penchait idéologiquement vers l'extrême-gauche. C'est le méconnaître totalement. Ce personnage n'avait d'autre culte que celui, exacerbé au-delà de l'imaginable, de son moi-de-Gaulle. Hormis ce moi-deGaulle, rien ne l'intéressait, pas plus, évidemment, la France qu'autre chose. Dans ces conditions, le « contrat du siècle » avec les Russes ne le gênait

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en aucune manière. Peu lui importait qu'après sa mort notre pays risquât d'être englouti par la marée rouge. Après lui, le Déluge. C'est pour cela qu'il remit sans vergogne et sans crainte la plupart des clés de la Résistance aux dirigeants du P.C. Se servant d'eux, d'ail]eurs, et au besoin, pour se débarrasser de ceux qui lui portaient ombrage. Certains affirment que là est le secret de l'arrestation de Jean Moulin. Cas où lui-de-Gaulle, comme d'habitude, faisait coup double : un rival éventuel, ou du moins un gêneur, disparaissait de la scène. Et en même temps, le chef d~ la France Libre en faisait un héros pour son Panthéon personnel. Par exemple, lui-de-Gaulle ne tenait certes pas à avoir, après la guerre, Brossolette vivant sur les bras, qui n'aurait pas marché à tous crins. En revanche, le cadavre de Brossolette était pour lui un chopin.

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Plus tard, à Alger, l'exécution de Pierre Pucheu fut encore un bien joli coup pour_ le général. On peut dire un coup triple, cette fois-ci. En même temps, en effet, il discréditait le général Giraud, donnait une satisfaction grande à ses fidèles partenaires communistes, et creusait irrémédiablement le fossé entre « pétainistes » et résistants. Et pour continuer sur ce point, il va sans dire que « l'épuration », avec son cortège fascinant d'erreurs et d'injustices, fut le comble de ce dévoiement de la Résistance, et de ce malheur immanent 20

que la Croix de Lorraine, comme un labarum fatal, a menait partout avec elle. Ah! l'épuration, on peut bien dire que ce fut le chef-d'œuvre du général. Tout était réuni pour faire de ce crime contre la France une apothéose du gaullisme. Pensez à l'extraordinaire affaire : on forgeait la fable de la France résistante, ce qui permettait de rallier à soi-de-Gaulle, d'un coup, tous les lâches et tous les salopards auxquels on fournissait un triomphal quitus, et permettait d'autre part, au nom du combat imaginaire d'une nation en réalité couchée, de réclamer, sur le plan international, moult préroga ti ve5 : - on donnait à l'allié communiste des privilèges et des apanages à n'en plus finir, resserrant ainsi l'alliance et la rendant tout à fait indissoluble ; - on éliminait physiquement, en inventant contre eux des griefs abominables, à peu près tous les hommes de caractère. Ceux que l'on ne tuait pas, on les brisait. Ainsi, plus personne pour s'opposer à soi-de-Gaulle, et une. foule de postes et de biens à distribuer à se5, féaux. La France, brusquement, était supprimée, et remplacée par la Gaullie. Peu de coups égaux à celui-là ont été, avouonsle, réussis à travers les siècles. Et que cela n'ait coûté que cent mille morts montre à quel point lui-de-Gaulle conduisit les choses avec maestria. Un maladroit, pour parvenir au même point, aurait fait un million de morts. Econome après tout de sang, l'homme à la croix de Lorraine s'est contenté du dixième, et a réussi.

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On peut donc dire de lui que c'est un tueur remarquable.

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Je n'insiste pas sur l'épisode de Dakar, où Churchill fut une seconde fois (ce qui est plus grave pour sa mémoire), la dupe de lui-de-Gaulle. Notons toutefois que c'est la première occasion où lui-de-Gaulle amena des Français à se tirer les uns sur les autres. Il ne s'agissait encore que d'une expérience. Plus tard, il devait mettre sa méthode parfaitement au point. Et d'abord en Syrie, toujours du reste avec le système, qu'il aurait dû faire breveter, des coups doubles. Tandis qu'il se donnait ainsi des airs internationaux, et aggravait horriblement la séparation entre deux Frances, il amenait les Allemands à se montrer plus acariâtres envers le Maréchal, de sorte que celui-ci, placé dans une position de plus en plus inconfortable, encaissait tous les mauvais coups, et n'avait rien pour se défendre. Ainsi, lui-de-Gaulle, en faisant s'entretuer des Français dans une campagne que rien ne justifiait, accroissait sa stature, et poussait Pétain à grands pas vers l'île d'Yeu.

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La Libération coûta aussi la vie à des Français qui n'avaient rien d'anti-gaullistes, tout au contraire, et que le Maître sacrifia dans l'intérêt de sa comptabilité.

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Ceux des F.F.I. qui étaient sincères et braves furent raccolés brusquement pour l' Armée, et, la plupart du temps, jetés au feu sans la plus élémentaire préparation. On en vit ainsi se faire tuer fort courageusement, et sans aucune utilité sinon d'enrichir la colonne des pertes françaises à comparer à celles des Alliés. Et ce fut encore plus vrai à propos des « poches de l'Atlantique » : Royan, où s'illustra de façon sinistre le bizarre Larminat, Lorient, etc. En vérité, sur le plan militaire, il ne rimait à rien de s'esquinter les dents sur des fortifications qui tomberaient forcément toutes seules lorsque le Reich en déroute ne pourrait plus les soutenir. Au lieu de patienter en évitant des morts, l'ordre fut donné, au contraire, de multiplier les assauts, sans considération des pertes. A tel point que certains chefs de corps se rendirent fort bien compte qu'on faisait tuer du monde exprès, pour gonfler les communiqués - et s'arrangèrent pour ne suivre que de très loin les directives du Gouvernement Provisoire. Cela, c'était donc les morts en gros, la piétaille dont on avait besoin qu'elle fournit un contingent de cadavres qui permit d'étoffer les récriminations que lui-de-Gaulle ne cessait de présenter aux Alliés. Au nom d'une France qu'il affirmait indûment avoir été résistante, au nom de ses morts dont il allongeait le plus qu'il pouvait la liste, il finissait en effet par obtenir, non tout de même un siège à Yalta (et Dieu sait s'il enragea!), mais, par exemple, le droit de veto à l'O.N.U.

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Avant de passer à ses meurtres politiques, il faut donc bien voir qu'à la fin de la guerre, tout ce que lui-de-Gaulle a obtenu de pouvoirs, de droits, de moyens politiques, d'autorité diplomatique, etc., il l'a payé avec des morts : morts de la Résistance, la plupart du temps inutiles ; morts de la Libération, presque tous innocents ; morts sous l'uniforme, pour grande part sacrifiés par système, sans nécessité militaire, mais pour faire un compte politique. Au fond, la méthode est assez simple, et, quand on l'a comprise, tout le jeu gaulliste s'éclaire. Luide-Gaulle, en effet, n'était pas un homme remarquablement intelligent, loin s'en faut. Mais le désintérêt prodigieux qu'il portait aussi bien à l'humanité qu'à son pays, joint à l'adoration sans limites qu'il avait de sa propre personne, le fournirent d'un culot surhumain, qui lui permit d'accomplir avec une sérénité quasiment angélique, des abominations qui auraient fait frémir même un voyou. Sa culpabilité est, si l'on veut, un peu atténuée par cette manie de soi-de-Gaulle, qui l'empêchait de rien considérer d'autre que le triomphe de sa personne, en quoi il plaçait, avec une sorte de naïveté finalement, le bien suprême. Objectivement, lui-de-Gaulle est un des plus grands meurtriers de notre Histoire, mais c'est en quelque sorte l'un des moins coupables. S'il écuma, par exemple, en apprenant que Salan ne mourrait point (et c'était la deuxième fois qu'il le manquait) I ,





- ce n eta1t point par sadisme déconfit, ni même par haine déçue. C'est parce qu'il était persuadé 24

que le bien de lui-de-Gaulle voulait la mort de Salan, et que, pour lui-de-Gaulle, le bien de lui-deG~ulle était la loi et les prophètes. Lui-de-Gaulle était don Quichotte en ce sens qu'il travestissait complètement le réel au point de le rendre méconnaissable. Mais don Quichotte était un altruiste détraqué, qui, d'ailleurs, ne réussit jamais à faire de mal à une mouche, mais fut au contraire moqué et tabassé. Chez lui-de-Gaulle, en revanche, l'égocentrisme a la puissance d'une bombe thermonucléaire, et il ne réussit que trop à atomiser tous ceux qu'il croit nuisibles à son . expansion. Chez ce général de brigade que l'on vit peu sur les champs de bataille, don Quichotte fait ainsi bon ménage avec Pierrot le Fou. Et celui qui se fit diaboliquement passer pour le libérateur des Français, était en réalité leur Ennemi Public n° 1. Mais les moutons de Panurge ne savent malheureuesement reconnaître les bouchers qu'au moment du couteau.

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De même que les gangsters dingues défouraillent à tout bout de champ, et tuent même sans nécessité, lui-de-Gaulle, au fur et à mesure que son pouvoir croissait, entreprit d'anéantir inutilement tout ce que !'Histoire lui faisait rencontrer. A cet égard, l'exemple à la fois le plus caractéristique et le plus aberrant est celui de l'Indochine. Placée à l'autre bout du monde, cette lointaine et merveilleuse colonie ne pouvait être en aucune

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manière concernée par ce qui se passait en Europe, dont elle était pratiquement coupée. Le problème, là-bas, n'était pas allemand, mais japonais. Et Vichy, pas plus que Londres, n'y pouvaient rien. Nos compatriotes de là-bas, et en particulier nos militaires, y vécurent un long martyre, et beaucoup furent assassinés. C'est donc des gens dont, en tous points, le sort pouvait se comparer à celui des déportés des camps nazis. Aussi aurait-il été légitime, dès que Hiro-Hito eut capitulé, de ]es conforter, et au besoin de les célébrer. Pour une raison cependant qui semble échapper à toute logique, le despote décida l'inverse. Ces survivants décharnés furent traités comme des parias. Aujourd'hui encore, la métropole ne sait pratiquement rien de ce qu'ils ont subi, alors que tous les soirs la télévision se déchaîne à propos de Buchenwald ou de Neuengamme. Peut-être s'agissait-il tout simplement de complaire à Moscou, qui souhaitait s'installer dans le sud-est asiatique (et n'est-ce pas, aujourd'hui, chose parfaitement réalisée ?). En tout cas, lui-de-Gaulle accomplit tout ce qu'il fallait pour tuer l'Indochine française, comme il fit plus tard pour l'Algérie. Thierry d'Argenlieu fut son premier Christian Fauchet. N'eut été le sursaut, assurément médiocre, mais tout de même méritoire en fin de compte, de la IVe République - le sacrifice de l'une et de l'autre eut été réalisée plus tôt. Et c'est dans un cas pareil que la folie despotique, à la Caligula, apparaît toute nue. Si lui-deGau11e avait été un despote cohérent, il aurait eu 26

tout intérêt à sauvegarder l'Empire, qui constituait le seul moyen de cette grandeur internationale qu'il semblait ambitionner par-dessus tout. Mais le besoin de détruire était, chez lui, plus fort même que l'ambition et la mégalomanie. Il est vrai que, si j'en crois le témoignage de Suzanne Blum, qui n'a véritablement aucune raison de mentir, ce fou à lier a dit un jour à des intimes : « J'ai porté à bout de bras le cadavre de la France, et j'ai fait croire au monde qu'elle était vivante. » On comprend mieux, dès lors, qu'il se soit pris lui-même pour Pierre le Cruel, pour un Néron portatif, et qu'il n'ait rien trouvé de plus conforme à son génie que de tuer et de démolir. Bien entendu, avec de telles dispositions, il n'eut aucun mal à recruter une Bande Noire. Composée de ces gens mal conformés qui, au lieu d'aimer le travail et l'action, ne se conçoivent pas d'autre ressource que le pillage, et, pervers et profanateurs par-dessus le marché, prennent volontiers des drapeaux pour s'en torcher. La Grande Armée avait derrière elle ses détrousseurs et ses pillards, poignée de misérables que Napoléon faisait fusiller de temps en temps. Luide-Gaulle était un maître d'un autre genre : les combattants sincères qu'il avait réussi à embrigader, et qu'il faisait tuer le plus possible, pour avoir du spectacle et des bilans à présenter à l'univers - n'étaient destinés qu'à ouvrir la voie aux coquins de choc qui constituaient son entourage, et sur qui régner bâtissait son plaisir. Dans ce que l'on a appelé cet « entourage » ont figuré, il est vrai, quelques imbéciles innocents, mis

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là pour la distraction et la bouffonnerie. Le reste constitua une concentration assez remarquable de scélérats (et je n'ai besoin de nommer personne pour que l'on reconnaisse tout le monde!).

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Attentif à supprimer carrément, ou à réduire en tout cas à l'absolue impuissance, les catégories qui le gênaient, ou qui seulement lui déplaisaient, (pétainistes, Français d'Indochine, Pieds-Noirs), lui-deGaulle ne surveillait pas de moins près les rivaux que leurs qualités, ou les circonstances, pouvaient lui susciter. Après avoir réussi à annihiler l'amiral Muselier qu'il traita ignominieusement, il se trouva en présence d'un péril beaucoup plus grave avec l'arrivée à Alger de l'amiral Darlan. Cela, toutefois, ne l'embarrassa pas longtemps, et le jeune Bonnier de La Chapelle (bien entendu sacrifié aussitôt), servit à résoudre le problème. Comme on le verra plus loin, un témoignage décisif règle une bonne fois cette question, sur laquelle déjà on avait des présomptions fortes. Pour tenter de ne rien oublier, encore qu'en matière si vaste il soit difficile d'être exhaustif, on inscrira dans la même lignée le « mystérieux » attentat, manqué de peu, contre le général Giraud - attentat exécuté par un Bonnier de La Chapelle sénégalais. Car la malédiction de la croix de Lorraine frappait impitoyablement tous ceux qui ne se courbaient pas devant ce signe.

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Et puis, i1 y eut 1'erreur fatale, l'éclipse, et tout le chemin à refaire. Ayant rencontré quelques oppositions du reste déférentes - chez les politiciens surgis de ]a Résistance, lui-de-Gaulle, en janvier 1946, voulut leur faire sentir le caveçon en donnant une démission, dans son esprit, fictive. A sa formidable stupeur, à son incoercible colère, il fut pris au mot, et se retrouva simple citoyen. Ç'aurait été le moment idéal, certes, pour lui faire subir un examen psychiatrique. Personne, toutefois, n'osa. Reconnaissons au tyran déchu une patience à toute épreuve. Il ne se découragea point, et reprit à zéro, ou presque, ses machines. Embusqué dans son repaire morne de Colombey-les-Deux-Eglises, comme une araignée au fond de sa toile, il prépara sans se lasser de nouveaux malheurs pour la France. Avec ce qui lui restait de moyens et de serviteurs, il harcela sans répit la IVe République, de façon à l'empêcher de réussir. En accointance plus étroite que jamais avec les communistes, il bloqua tous les projets, renversa les gouvernements, rendit la situation impossible. Surtout, il montait diaboliquement le piège algérien. Dans sa clairvoyance de paranoïaque, il avait fort bien compris qu'il ne pourrait réussir qu'au mi1ieu du drame national. Tous ses soins furent donc donnés à envenimer les abcès. La catastrophe indochinoise, subalternement étouffée par Mendès-France, n'ayant guère éblanlé les

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Français, qui avalèrent Dien-Bien-Phu sans avoir l'air d'y prendre garde - lui-de-Gaulle ne se préoccupa plus que de faire exploser l'Algérie. Toute explosion suppose le choc de deux éléments qui réagissent l'un sur l'autre. Luidegaulle devint donc un très artificieux artificier, et il s'occupa à la fois du trinitotoluène et du détonateur. Son système consista à exacerber parallèlement le F.L.N. et les Pieds-Noirs. A l'un, il expédia Malraux et Pompidou ; aux autres, Michel Debré. Quand il estima - un peu tôt - que la masse critique était atteinte, on passa aux meurtres .qui devaient déclencher le feu d'artifice. Le premier fut celui d'Amédée Froger, un maire d'Algérie particulièrement remarquable et estimé, que l'on fit abattre par un Bonnier de La Chapelle arabe. Toutefois, le résultat ne fut pas ce que l'on attendait, car les remous firent long f~u. Fut alors préparé soigneusement l'assassinat du général Salan. Dans le trouble qui en résulterait, le général Cogny, de mèche, devait surgir comme par miracle, et imposer Luidegaulle. Ce fut l'affaire du bazooka, qui, après une double publication de documents ( « L'Affaire du Bazooka », par André Figueras, aux éditions de la Table Ronde, et, bien entendu les Mémoires de Salan, aux Presses de la Cité), n'a plus de mystère que pour ceux qui ont les yeux bouchés. On sait qu'un « incident de parcours », comme dirait Debré, fit rater le complot, puisqu'à la place du général visé on ne tua finalement qu'un commandant sans importance. 30

Seulement, ce bazooka inefficace risquait toujours d'être, au choix, une épée de Damoclès ou un boomerang. Bien que le procès subséquent eut été fort bien escamoté grâce aux soins précieux de Me Tixier-Vignancour (dont les rapports réels avec le gaullisme gagneraient à être mieux connus), il y avait tout de même eu un bout d'enquête aux conclusions fort claires. Le garde des Sceaux d'alors se trouva, par la suite, devenir l'opposant principal à Luidegaulle, en la personne de François Mitterrand. Les gens du bazooka, et notamment le maître-d'œuvre, se persuadèrent, à tort à ce qu'il semble, que Mitterrand détenait, quand il le voudrait, de quoi les confondre. Comme le chemin du crime est facile une fois qu'on a commencé de le parcourir, les gaullistes estimèrent donc, avec leur logique de gangsters, qu'il n'était pas prudent de laisser vivre un témoin qui pouvait tellement gêner. Si l'on en croit donc le témoignage tardif, mais apparemment sincère, de Robert Pesquet - Michel Debré demanda à }~ancien député poujadiste d'assassiner François Mitterrand. Ce n'est que parce que Pesquet se sentit trop « petite nature » pour tuer, que l'on monta, avec la complicité inconsciente de la victime, la mascarade de l'Observatoire. De même que, n'ayant pas réussi à tuer Salan, les gaullistes avaient tout essayé pour le déshonorer auprès des Algérois et de l' Armée - allant jusqu'à lui reprocher en public la défaite de DienBien-Phu - œuvre personnelle du général Navarre.

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Le coup d'audace du 13 mai, joué à mi-temp par Chaban-Delmas, et où l'outil de travail fut 1: général Massu - avait, sans trop de complication , ramené Luidegaulle dans les palais nationaux, mais il n'y trouvait pas son pouvoir assez assis, ni assez total. Il passa donc - probablement par l'entremise de Pompidou, dont le rôle constamment funeste ne sera jamais assez dénoncé - un marché décisif avec le F.L.N. Pour intimider (sans grand mal, il faut le dire) les Français - des saboteurs et des assassins, assurés de· l'impunité, furent lâchés sur le territoire métropolitain. De gigantesques incendies furent allumés à Mourepiane, des personnages célèbres et des policiers abattus sur la voie publique. Luidegaulle se fit présenter par ses serviteurs de l'O.R.T.F. (et en particulier par Jacqueline ~audrier, qui mérite une mention toute spéciale dans Je rôle de femme de chambre), comme le seul rempart contre ces crimes - ce qui l'aida à obtenir, lors du référendum, une proportion considérable de votes favorables. Après quoi, i1 s'occupa bientôt, en honnête partenaire, de régler sa dette, en livrant non seulement l'Algérie, mais encore le Sahara (qui est une entité tout autre), aux tueurs qui l'avaient tant aidé. Si l'on ne connaît pas ce marché, on ne peut

rien comprendre à son comportement. L'espace stratégique algérien et le pétrole étaient indispensables à l'avenir indépendant de la France. Si cet avenir avait été le souci du général Luidegaulle il

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alors directeur d'un camp de jeunesse maréchaliste, avait, en 1943, signé un texte qualifiant de crimes les bombardements américains. Texte qui avait été publié dans une feuille de chou de l'Eureet-Loir. Cependant, il était impossible de produire ce journal, que personne n'avait conservé, et dont l'unique exemp.laire subsistant était à Versailles, dans les archives de la Bibliothèque Nationale. Par un de ces hasards dont aucun Rastignac, petit ou grand, ne perd l'occasion de se servir, il se trouva que quelque adversaire de Duvillard eut vent de la chose, et qu'il chargea précisément M. d'aller copier le factum en question. M. fit mieux. Profitant de ce que la Bibliothèque Nationale est devenue le royaume de la négligence, il subtilisa de la collection le numéro en cause. Puis, au_ lieu de le remettre à celui qui l'avait mandaté, il alla le négocier contre une cravate chez le ministre des Anciens Combattants. Duvillard, qui s'exagérait sans doute l'importance de ce péché de jeunesse, fut en tout cas trop content d'accepter le marché.

*

Eh bien, nous voici donc encore tout naturellement ramenés à ouvrir de nouveaux dossiers. J'aurais pu les incorporer, certes, dans une espèce de récit plus ou moins artificiel. Je crois qu'il vaut mieux que nous les feuilletions ensemble, tels qu'ils sont sur ma table, dans leur disparate éloquence.

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Quelques. mots de commentaire suffiront à les situer. Pour le reste, puisqu'en fin de compte c'est vous, lecteurs, qui serez les premiers juges naturels du général Luidegaulle, le mieux n'est-il pas de vous livrer directement les pièces ?

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A LA KOMMANDANTUR

Comme je désire que le nombre de dossiers que nous allons donc ouvrir ensemble soit important, et par là même varié, je serai contraint parfois d'abréger. C'est bien dommage, assurément. Mais cela ne veut pas dire que ce qui n'est pas utilisé cette fois sera perdu pour autant. Du long témoignage qu'a bien voulu rédiger à mon intention M. B ... , un Alsacien qui fut interprète. à la Kommandantur d'un grand port breton, retenons pour l'heure ce qui illustre de façon dramatique (et parfois grotesque), ce que j'écrivais, dans « Faux résistants et vrais coquins », à propos de « la France collaboratrice » :

J'ai moi aussi, durant les quatre années d'occupation, connu maintes attitudes de la part de mes compatriotes français, allant de la dénonciation malveillante - dont au début nous avons été inondés, au point de publier un avis à la population selon lequel on ne tiendrait plus compte des lettres anonymes - jusqu'à l'apparition, après la libération, de « résistants » au brassard F.F.I., que j'avais vus, dans le bureau de la Kommandantur, s'engager volontairement au travail en Allemagne, très «

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souvent pour ·y rejoindre une amie qui s'ét . embauchée, et filer le parfait amour en Allemag:~ en laissant croire à l'épouse qu'on avait été désigné obligatoirement ... ... J'ai vu une femme venir à la Kommandantur dénoncer son mari d'avoir caché des armes, afin que, selon sa propre déclaration, il soit fusillé ·:pour faire place à l'ami de la femme en question. J'ai connu des femmes d' off ici ers signer un engagement volontairement pour entrer au bordel militaire des officiers allemands, pour subvenir aux études de leurs enfants, en raison de l'aoandon du gouvernement dans le paiement des délégations de solde ... ... J'ai procuré à Mme Marchal, devenue plus tard la femme du ministre Diethelm, un laissez-passer qui lui a permis de rejoindre Diethelm à Londres, et après la libét'ation, j'ai· été reçu à Paris par Diethelm en présence de Mme Marchal, je lui ai fait part de ce que j'avais constaté à la libération, et il m'a demandé de faire un rapport à l'Assemblée Constituante ... ... J'ai vu des trafiquants de ma,:ché noir qui, durant l'occupation, faisaient les caïds dans les cafés, en déclarant notamment : oui, je fais le marché noir avec les Allemands, mais en grand, pour qu'à la libération je puisse payer ... ... Non, la conduite de beaucoup de Français n'a pas été exemplaire ni digne, ni au moment de l'occupation, ni au moment de la libération, et il est probable que les dénonciateurs anonymes ont été les mêmes en 1940 et en 1944...

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... A la libération, on parla beaucoup de colla-

boration avec l'ennemi. Cela m'a fait rire, car qui, parmi ceux qui en 1945 se sont érigés en juges bien souvent pour camouf 1er leurs propres actes - a pu se vanter de n'avoir pas collaboré lorsqu'il était resté en France ? N'aurait pas collaboré le résistant C., fusillé plus tard, quand dans son magasin il ne savait trouver suffisamment de jouets et souvenirs à vendre aux Allemands ? N'aurait pas collaboré le propriétaire du café des C., qui organisait, pour les Allemands, des soirées très fréquentées, où, par exemple, une prostituée française assise nue sur une table fumait un cigare avec sa partie sexuelle ? N'a pas collaboré le chocolatier, le boucher qui venait apporter chaque jour son petit colis de vk,,nde à certain militaire ? N'ont pas collaboré les gendarmes et la police, le maire et le sous-préfet ? N'ont· pas collaboré, les juifs W. qui tenaient l'Hôtel Central? Allons donc, tout le monde a collaboré, tout le monde s'est vendu, les unes avec leur corps, les autres avec leurs marchandises, les stocks de vinsJ d'apéritifs,· de pernod, les pommes de terre, les moutons pour les camps d'aviation; il fallait vivre. il fallait gagner de quoi manger; jusqu'aux propriétaires de cinéma, venus solliciter d'être réquisitionnés pour passer des films à l'armée allemande... pas un, pas dix, tous sans exception ... ... Les Allemands, ils mangeaient _bien plus, ils buvaient bien pli,!,_~, ils s'amusaient bien plus, et ils étaients bien plus larges ... et plus faciles à plumer.

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C'est ainsi que, dès les premiers mois, une bouteille de champagne Mercier qui valait une quinzaine de francs, leur était vendue 110 francs. Le commerçant se saignait de sa marchandise , mais s'enrichissait des marks ou des francs très largement distribués par les Allemands ... ... Dans mon bureau d'interprète, je connus, seul, les dénonciations les plus ahurissantes et les affaires les plus lamentables; car certains Français se sentaient là totalement à l'aise pour, en l'absence de tout œil souvent réprobateur allemand, dire du mal de leurs compatriotes. Un beau jour, une vieille femme de plus de 70 ans entre dans mon bureau, marchant péniblement. Elle se met à pleurer : les Allemands ont arrêté son fils, celui ·qui subvenait à ses besoins, je devais supplier le commandant qu'on le relâche, elle comptait sur moi, car il était de notoriété publique que je pouvais aider. Je commençai par la dissuader de sa pensée selon laquelle j'étais le Bon Dieu en personne, et que je faisais la pluie et le beau temps à la Kommandantur, lui expliquant qu'en fait je me contentais d'expliquer en bon allemand (je parle du langage, et non de ma qualité!) au commandant les faits, et de faire appel à sa clémence, mais que toute décision dépendait de lui, et pas de moi. Ayant demandé pour quelle raison son fils avait été arrêté, elle m'avoua qu'il avait, travaillant chez l'Organisation Todt pour la construction du mur de l'Atlantique, volé aux Allemands du charbon et des couvertures de laine.

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Je fis mxilgré tout la démarche auprès du commandant, je lui dis quelle peine me faisait la pauvre vieille, et, prenant son téléphone, il ordonna la libération du prisonnier. J'informai la vieille que, lorsqu'elle serait rentrée chez elle, son fils serait sans doute déjà libre : elle me remercia en pleurs. Imaginez-vous ma surprise quand, trois jours plus tard, j'amis la même vieille dans mon bureau. Je lui demandai ce qui lui arrivait encore, et je crus ne pas bien entendre, lorsqu'elle me dit : je suis venue vous voir pour que vous fassiez remettre mon fils en prison. Le motif : libéré, mais évidemment congédié de son travail, le fils se saoûlait à la maison, et cassait à la hache tout le mobilier de la vieille. Evidemment, j'envoyai promener la vieille, car c'était trop demander de moi. Une autre fois, une paysanne s'amène: Monsieur, me dit-elle, je viens dénoncer mon mari. Je croyais mal entendre, et lui demandai des détails. Elle me raconta que son mari avait caché des armes, et lorsque je lui dis : Mais madame, si je transmettais votre dénonciation, savez-vous ce qui arriverait à votre mari ? Elle me répondit : oui, je sais, il sera fusillé. - Mais pourquoi, madame, , voulez-vous que votre mari soit fusillé par les Allemands ? Réponse : J'ai un amant, et je désire me débarrasser de mon mari. Figurez-vous dans quelle situation je me trou. vais: je transmettais la dénonciation, le mari était

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arrêté, et fusillé si l'on trouvait des armes•, - je ne transmettais pas, elle irait ailleurs pour raconter que je l'avais envoyée promener, et c'était moi qui étais fusillé. Je me suis tiré d'affaire en lui déclarant qu'elle s'était trompée de porte, qu'il fallait tourner le coin du couloir, et que là elle trouverait derrière une porte un interprète de la gendarmerie auquel elle pourrait raconter son histoire. Je devais nêanmoins l'accompagner jusqu'à cette porte, car personne de civil n'avait le droit de circuler librement dans les couloirs. C'est ainsi que, ouvrant la porte, je dis à l'Allemand: voilà une femme qui désire vous parler. Quelques jours plus tard, l'interprète vint dans mon bureau: B., me dit-il, vous m'avez amené cette femme. Vous a-t-elle raconté la même histoire incroyable qu'à moi? Je lui demandai laquelle, et. lui confirmai qu'en effet elle m'avait raconté ce genre d'histoire, mais que je ne l'avais pas prise au tragique, puisque de toute évidence il s'agissait d'une vengeance due aux rapports sexuels qu'elle entretenait avec son amant. L'Ailemand me raconta alors que cette affaire leur avait paru louche, et que, s'étant rendus sur place, ils avaient perquisitionné, et trouvé les armes, en face d'un mari qui toYnbait des cieux: de toute évidence, il n'était au courant de rien. Cuisinée, la femme avait fini par avouer; c'était elle qui, avec son complice, avait caché les armes pour compromettre son mari; elle avait été arrêtée, et le mari laissé en liberté. 56

Je vous avouerai que ce résultat m'enchanta, et si la femme a été fusillée, ce que j'ignore, je ne l'aurais pas prise en pitié une seconde. » Gageons que, si elle ne l'a point été, elle est certainement devenue par la suite une zhéroïne de la résistance. Dommage d'être obligé d'arrêter là, pour cette fois, ce témoignage remarquable, rempli d'anecdotes captivantes. Cependant, d'autres dossiers se pressent autour de nous, auxquels il faut bien réserver -leur part.

LA MORT DE

«

JEROME

»

Voici un témoignage dont il y aura une conclusion à tirer ( son auteur en 1944, a été prié par des amis d'héberger un envoyé de Londres) : « J'habitais seul avec ma femme V., à trente kilomètres de Paris. Ma maison, située sur la hauteur, à l'écart du village, est reliée à la gare par un petit chemin de terre isolé longeant la voie ferrée, de telle sorte que notre hôte pourra aller prendre le train sans être vu des gens et des Allemands dans le village. Il nous arriva sous le nom de « Jérôme », avec deux valises; je lui dis tout de suite : je ne veux rien savoir de vos activités; si vous recevez des visiteurs, ne me les présentez pas, conversez avec eux dans le jardin. Le lendemain, sa secrétaire arriva (nous n'avions qu'un lit à offrir, mais ... cela convenait. .'). Dans les débuts, Jérôme allait journellement à Paris avec une de ses valises; un jour, venant de converser avec un visiteur, il vient précipitamment vers moi: il faut que j'aille quelques jours à Paris, je cours à la gare car le train arrive, je vous laisse mes valises.

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Le lendemain ou surlendemain, la personne qui n,z'avait sollicité de recevoir Jérôme vient me voir: Monsieur P., soyez très prudent, soyez sur vos gardes, les Allemands viennent d'arrêter des gens dans V., s'ils parlaient ce serait dangereux. Il faut que je cache en particulier les valises, mais je voudrais savoir ce qu'elles contiennent, et justement elles ne sont pas fermées à clé, je les ouvre. Dans l'une, rien que des effets personnels, mais quand je passe à l'autre, quelle stupéfaction ! Sans l'a moindre cache, apparaissant instantanément à l'œil, deux objets: un très gros rouleau de billets de banque, bien ficelé, mais même pas enveloppé d'un papier quelconque, et un cahier; j'ouvre celui-ci, et lis : il nous faut tant de centaines de fusils-mitrailleurs, tant de revolvers, tant de grenades, etc.; à d'autres pages, la description complète, en clair, du code de liaison avec Londres. Je cache tout cela comme je peux, hors de la maison, dans un cagibi à outils, à lapins. Le lendemain, quand Jérôme arrive, je le semonce - je peux dire je l'engueule - en lui faisant ressortir toutes les conséquences possibles d'une telle légèreté quand il se balade dans le train, dans Paris, avec sa valise. Sa réaction ? Il se plante devant moi, se met au garde-à-vous, me salue militairement, et dit en riant : Bien mon capitaine, je prendrai des précautions ( il savait qu'à la guerre 14-18 j'étais officier de réserve). On peut dire la réaction d'un gamin insouciant. Quelques jours plus tard, il me prévient subitement, comme la première fois, qu'il part à Paris : Soyez rassuré, je ne vous laisse que des effets per-

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sonnels, tous mes documents sont dans la valise que j'emporte, je reviendrai dans quelques jours à bientôt. ' Et je ne l'ai jamais revu. Je me doutais de son sort, ce qui m'a peiné, car il m'était très sympathique. Après la fin de la guerre, sa secrétaire est venue , et me dit ce qui s'était passé : en me quittant, Jérôme allait à une réunion qui se tenait à Paris, boulevard Magenta, dans l'appartement où habitaient cette jeune femme et sa mère. Les Allemands se sont présentés, ont pris les conjurés, mais, comme la libération de Paris était imminente, ou commencée, la Gestapo n'a pas eu le temps de les interroger (heureusement pour moi et d'autres, sans doute). Les Allemands les ont emmenés en retraite avec eux, et arrivés dans la forêt de Compiègne, les ont assassinés (peut-être pour fuir plus vite). Jérôme s'appelait René G., de Limoges. Sa secrétaire Suzanne était la fille d'un des « martyrs de Chateaubriand», Victor R., ingénieur. »

Il ne s'agit pas, on le voit d'une affaire considérable. Si je la cite cependant, c'est qu'elle est caractéristique. Elle démontre en effet d'une manière particulièrement aveuglante que Luidegaulle et ses gens n'avaient point scrupule à parachuter des « agents » sans aucune qualification, et dont la destinée ne ·pouvait pas être autre que de se faire prendre rapidement, en e~traînant dans leur catastrophe tous ceux avec qui ils auraient été en contact. 60

Il est évident que ce n'est pas ainsi qu'aurait ptocédé l'intelligence Service. Alors, de deux choses l'une : ou bien le B.C.R.A. était un ramassis d'incapables, solidement planqués, du reste, et qui faisaient leur besogne n'importe comment. Ou bien, la consigne secrète de Luidegaulle était de faire prendre et massacrer du monde, pour gonfler artificiellement une résistance minuscule. De mauvais esprits compléteront peut-être cette seconde hypothèse, en suggérant que l'on n'était pas fâché en outre d'éliminer les vrais résistants, gens éventuellement incommodes, pour, le jour venu, les remplacer par des faux, que l'on aurait à sa botte. Au point où nous en sommes arrivés dans cette effrayante affaire, il est effectivement possible que tout soit possible.

AUX ALENTOURS D'ISSIGEAC Si l'on a lu « Faux résistants et vrais coquins », on n'a certainement pas oublié le récit de Mme Galibert, prisonnière d)un maquis qui assassina son mari, maire d'Issigeac, et plusieurs notables de cette petite ville. Autant dire qu'en Dordogne, où les exactions de ce genre furent multiples, le souvenir en est encore vivace, et la crainte n'est pas complètement bannie. Or, voici la très remarquable indicatioH que m'adresse un lecteur de Bergerac :

Après la révolution manquée de 1968, alors que le Pouvoir préparait les élections législatives, on vit apparaître aux confins sud du Bergeracois et du Sarladais certains individus que l'on n'avait pas oubliés. Je n'ai pu savoir, car je ne me déplace guère, s'il s'agissait de Martin, de « Soleil » ou autres, mais le résultat immédiat fut que les députés socialistes, radicaux et communistes du département furent balayés avec pertes et fracas... De Gaulle, après avoir laissé spolier, voler, massacrer des innocents, recueillit les voix des victimes qui lui firent de nouveau confiance. » «

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Peut-être, après tout, que Luidegaulle était comme Néron devant Junie, et qu'il aimait jusqu'aux pl~urs qu'il faisait couler. En tout cas, nous avons ici un nouvel exemple de sa très constante alliance avec le Diable. De même qu'en 1958 il fit donner les incendiaires de Mourepiane pour affoler les bourgeois, et faire plébisciter sa constitution, mêmement en 1968 il utilisa encore la terreur dont il avait été lui-même responsable, pour se faire restaurer. Ce qui est exactement, scientifiquement, l'une des caractéristiques de la tyrannie.

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LES PREMIERES VICTIMES DE LA CROIX DE LORRAINE

Le 3 juillet 1940, en rade de Mers-el-Kébir, le cuirassé « Bretagne », touché par les obus de nos alliés anglais, coule en quelques instants. Luidegaulle peut être satisfait. En affolant Churchill, il a réussi à créer l'irrémédiable. Il est vrai que, par sa faute, plus de mille Français meurent dans l'affaire : ce ne sont, hélas, que les premiers d'une longue liste. 64

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PRECISIONS SUR L'AUTRE CROIX

Jésus-Christ n'avait qu'une croix. A Luidegaulle, « qui n'avait pas de prédécesseur », il fallut deux croix : outre celle de Lorraine, annexée sans ver. gogne, celle de la Libération, surgie de son esprit inventif. Croix de la Libération beaucoup plus attribuée pour des raisons politiques, ou d'allégeance personnelle, que pour des motifs militaires Par exemple, et pour ainsi dire au hasard, le sultan du Maroc et Roger Wybot, qui ne prirent part ni l'un ni l'autre, pour des raisons fort différentes, aux combats de la libération, n'en furent pas moins faits compagnons. Comme, cependant, certains de ces « compagnons » prétendaient faire de cette décoration l'insigne suprême, et reléguant tous les autres, il y eut dans certains rangs quelques protestations. C'est ainsi que le chef de 1'Intelligence Service fut amené à solliciter du colonel Passy quelques précisions, qu'il fit ensuite porter à la connaissance de ses chefs de réseau français. On notera du reste, au passage, que Passy se moque du monde, oor en quoi Mohamed V, entre autres, est-il « un gaulliste méritant du début » ?

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LE GENERAL ET LE MAGE

Peut-être a-t-on entendu parler du « Mage I vanoff », un Bulgare à la barbe blanche qui adore le soleil, et guérit en faisant boire de l'eau chaude.

1

Ce personnage sur lequel il y aurait beaucoup à dire (mais ce n'en est pas l'occasion), n'a jamais réussi à se faire naturaliser français. C'est pour le moins étonnant, à une époque où l'on flanque la nationalité française à n'importe qui, et n'importe comment. Et où on ne la refuse, en principe, qu'à des gens très douteux. lvanoff a pourtant fourni à l'appui de sa demande réitérée ce qui, d'ordinaire, sous ce régime, représente le talisman par excellence: un certificat de résistance. A vrai dire extrêmement vague, mais, lorsque l'on est un zhéro de la résistance, on n'a tout de même pas besoin de se donner encore le mal d'être précis. Ce certificat, à en-tête du Ministère des Prisonniers de guerre, Déportés et Réfugiés, est signé d'un certain lieutenant-colonel Lagarde. Inutile cependant de chercher ce nom dans l'annuaire de l'Armée; c'est un pseudonyme.

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Toutefois, le personnage existe to . UJours•, 11. habite Neu1·11 y, et I·1 n ,est pas spécialem cile d'entrer en contact avec lui. Récemm ent .ct·r1 fi. ·1 f fi , en t In t rogé à ce pro pos,_ 1 . a a . rm~ _de la façon la er. catégorique n avoir Jamais dehvré le certificatlus question. Comme cependant ce certificat . en peut-être le pseudo-colonel Lagarde avait-il ex 1ste, . I commis l'imprudence de signer que ques papiers en bI . . t ure, tout simplemen anc · A moins que Ia signa , . • • t, ne soit qu une imitation. 1

Quoi qu'il en soit, ce mage-là s'est poussé da les amitiés gaullistes, au point d'intéresser fort n~ sa tentative toujours malheureuse de naturaI·ISa-a tion Pierre Billotte, Nicole de Hautecloque, Gabriel Delaunay. Mais c'est surtout un personnage directement issu de la ré sis tance, le « général » Chevance-Bertin, qui va intercéder pour lui le plus frénétiquement. Fort officieux fut-il, du reste, ce Bertin-Chevance (on dit apparemment des deux manières), car on le retrouve dédouanant quelques autres sires. C'était probablement un homme au grand cœur, qui n'aimait pas voir ses contemporains dans l'infortune. Surtout, dit-on, lorsqu'ils tune.

avaient de la for-

Il est vrai que le mage n'en possède point personnellement. Mais il est à la tête d'une association qui va bien. I

I

Or, un curieux hasard fait, d'une façon ... generale, que les hommes qui furent relevés de l'indignité nationale ou autres inconvénients, pour « ser-

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vices rendus à Ja résistance », étaient toujours des gens riches, et parfois puissamment riches.

Il est vrai que, comme la nature de leur aide à la Résistance est un secret d'Etat, il serait aventureux de rien conclure ...

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LE «DUEL» PERETTI-WYBOT

Je vous propose à présent que, sans quitter le moins du monde notre sujet, nous nous donnions un peu de bon temps. Avez-vous remarqué ceci : il ne faudrait, au fond, qu'un peu de cirage, pour faire d'Achille Peretti - personnage majeur du gaullisme - un roi nègre fort plausible : une sorte d'Idi Amine Gaga, si l'on voit ce que je veux dire. C'est d'ailleurs un bonhomme qui ne manque pas d'habileté, car, bien qu'il coure sur son compte, et en nombre non petit, des bruits assez désagréables, on arrive malaisément à en concrétiser la rumeur. Ayant personnellement réussi à retrouver, en 1973, tous les personnages dont dépendait le commissaire Peretti pendant la guerre, je suis arrivé à la conviction que sa résistance tient plus de la fantaisie que de la gloire. J'ai tout de même été fort heureux que Roger Wybot, avec son visage chiffonné d~ ne~ro-arthritique à plein temps, apporte de ,l eau .. , .a mon moulin, en railla n t , d ans 1e 1ivre qu a ecr1t pour lui Philippe B t , 1a . . . . . erner prod1g1euse mu1t1p11cat1on la guerre fi . d ' nie, es 74

du réseau « Ajax », dont Peretti s'affirb rnem res d 1 , . 1 hef (le sénateur Georges Dar e , qu une rna1t e c . d uerelle personnelle oppose au maire e longue q . . , b . ') Neuilly, aime à dire : A1ax, c est 1a onne 1essive . . w bot parlant aussi, en liant les deux choses, de m!nceaux d'or, bijoux, devises, pris aux « collaborateurs », et de l'enrichissement soudain, à la même époque, d'Achille Peretti, je ne me refusai pas le malin plaisir de rapporter tout cela dans « Minute ». Ce qui fit aussitôt bouillir Achille (Ajax n'est donc pas « sans bouillir » ? ) , et l'en traîna à une correspondance quasiment innombrable avec le directeur de « Minute », et avec moi-même. Force est, hélas, de trier dans cette littérature instructive et divertissante. Protestant contre les assertions reproduites, l'ex-président de l'Assemblée nationale affirmait, dans un premier temps, n'avoir distribué qu'à bon escient les attestations de résistance. Et il éprouvait curieusement le besoin de joindre à sa missive, photocopie d'une lettre naguère par lui reçue de Wybot, qui lui donnait affectueusement des conseils pour l'emploi du Nifluril. Je l'avoue, je ne résiste pas au plaisir de vous faire connaître ce texte émouvant. A part cela, que fis-je ? Un articulet dans « Minute », où je remarquai surtout, qu'en ce qui concerne l'or et la richesse, Peretti observait de Conrart le silence prudent. Cela fit alors qu'il écrivit, une fois de plus, à Boizeau, à Wybot, et à moi-même. Toujours, comme on verra, en gardant sur l'or un silence de même métal. Pour en terminer là-dessus, voici un aveu que

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