La Correspondance de Guillaume Budé et Juan Luis Vives 9462700362, 9789462700369

Témoignage intéressant sur la vie intellectuelle et la vie tout court des grands humanistes Le présent recueil entend a

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French Pages 155 [160] Year 2015

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La Correspondance de Guillaume Budé et Juan Luis Vives
 9462700362, 9789462700369

Table of contents :
TABLE DES MATIÈRES

‑ Avant-propos

‑ Introduction
Le contexte
La traduction
L’édition critique
Sigles et abréviations

- Table des épîtres

Lettre 1
Texte latin et traduction française
Commentaire
Lettre 2
Texte latin et traduction française
Commentaire
Lettre 3
Texte latin et traduction française
Commentaire
Lettre 4
Texte latin et traduction française
Commentaire
Lettre 5
Texte latin et traduction française
Commentaire
Lettre 6
Texte latin et traduction française
Commentaire
Lettre 7
Texte latin et traduction française
Commentaire
Lettre 8
Texte latin et traduction française
Commentaire
Lettre 9
Texte latin et traduction française
Commentaire 144
Lettre 10 145
Texte latin et traduction française 146
Commentaire

Appendice

Indices
Index fontium
Index nominum

Liste des illustrations

Citation preview

SUPPLEMENTA HUMANISTICA LOVANIENSIA XXXVIII

SUPPLEMENTA HUMANISTICA LOVANIENSIA Editors: Prof. Dr. Gilbert Tournoy (General Editor) Dr. Godelieve Tournoy-Thoen Prof. Dr. Dirk Sacré Editorial Correspondence: Seminarium Philologiae Humanisticae Blijde-Inkomststraat 21 (Box 3311) B – 3000 Leuven (Belgium)

Publié avec le concours de PEGASUS Limited for the Promotion of Neo-Latin Studies et de la Fondation Universitaire de Belgique

et

SUPPLEMENTA HUMANISTICA LOVANIENSIA XXXVIII

LA CORRESPONDANCE DE GUILLAUME BUDÉ ET JUAN LUIS VIVES Introduction, édition critique et annotations par Gilbert TOURNOY Avant-propos et traduction française par Monique MUND-DOPCHIE

LEUVEN UNIVERSITY PRESS 2015

© 2015 Leuven University Press / Universitaire Pers Leuven / Presses Universitaires de Louvain, Minderbroedersstraat 4, B – 3000 Leuven (Belgium) All rights reserved. Except in those cases expressly determined by law, no part of this publication may be multiplied, saved in an automated datafile or made public in any way whatsoever without the express prior written consent of the publishers. ISBN 978 94 6270 036 9 e-ISBN 978 94 6166 156 2 (e-PDF) D/2015/1869/6 NUR: 635

TABLE DES MATIÈRES ‑ Avant-propos

7

‑ Introduction  Le contexte La traduction L’édition critique Sigles et abréviations

11 11 16 17 20

- Table des épîtres

23

Lettre 1 Texte latin et traduction française Commentaire

25 26 38

Lettre 2 Texte latin et traduction française Commentaire

43 44 52

Lettre 3 Texte latin et traduction française Commentaire

55 56 62

Lettre 4 Texte latin et traduction française Commentaire

65 66 76

Lettre 5 Texte latin et traduction française Commentaire

81 82 88

Lettre 6 Texte latin et traduction française Commentaire

93 94 106

Lettre 7 Texte latin et traduction française Commentaire

111 112 124

Lettre 8 Texte latin et traduction française Commentaire

129 130 134

6

TABLE DES MATIèRES

Lettre 9 Texte latin et traduction française Commentaire

137 138 144

Lettre 10 Texte latin et traduction française Commentaire

145 146 148

Appendice149 Indices151 Index fontium 151 Index nominum 153 Liste des illustrations

157

AVANT-PROPOS S’inscrivant dans le sillage des éditions et traductions en langue fran‑ çaise de la correspondance entre Érasme et Guillaume Budé (1967) et des lettres grecques de Guillaume Budé (1977), le présent recueil entend apporter une nouvelle contribution à la connaissance d’une part non négligeable des écrits du grand humaniste. Certes, le volume consacré à l’échange de lettres entre Budé et Vives est mince: il ne comporte que dix lettres au total, les seules à avoir été conservées selon l’état actuel de nos connaissances: six lettres rédigées par Budé, qui ont été publiées par ses soins, quatre rédigées par Vives, dont une a été intégrée dans un recueil édité après sa mort, deux sont restées manuscrites, tandis que la quatrième lettre de Vives (la dixième de ce recueil) figure à titre d’exemple dans une de ses œuvres. Les sept premières lettres du recueil ont été envoyées et reçues entre 1519 et 1521, les trois dernières ont été composées entre 1529 et 1532. Malgré leur petit nombre, ces lettres apportent indéniablement, à l’instar des lettres publiées précédemment, un témoignage intéressant sur la vie intellectuelle, voire, dans le cas de Budé, sur la vie tout court, d’humanistes qui font bonne figure à côté des plus célèbres d’entre eux, Érasme et Thomas More. Il ne faut cependant pas en attendre des données nouvelles du point de vue de l’histoire des idées: à aucun moment les lettres ne servent de support à l’exposé d’un programme d’étude ou d’action, même si certains points des échanges entre Budé et Vives attestent des préoccupations philologiques ou morales qui sont ou seront développées dans leurs essais et traités. On songe en particulier aux explications fournies par Budé à Vives à propos de textes de Démosthène et d’Aristote difficiles à comprendre (cf. lettre no 5) et à l’accueil réservé par Guillaume Budé, sur recommandation de Vives, au jeune Haio Herman, qui promet d’être brillant (cf. lettres no 4 de Vives et no 6 de Budé). Il ne faut pas davantage y rechercher des opinions remarquables sur l’histoire politique de l’époque: tout au plus trouve-t-on une brève allusion de Budé à sa présence dans la suite du Roi François Ier lors de la rencontre du Camp du Drap d’Or entre le 7 et le 24 juin 1520 (cf. lettre no 7) et une non moins brève réaction de soulagement de la part de Vives à l’égard de la Paix des Dames signée le 5 août 1529 (cf. lettre no 8). En revanche, le lecteur de cette correspondance est abondam‑ ment informé des soucis que procurent à Budé ses diverses maisons, la

8 Avant-propos gestion de ses biens, une santé précaire et sa nombreuse progéniture. De même, il est mis au courant des controverses amicales et des joutes qui tournent parfois à l’aigre à l’intérieur de la République des Lettres. On mentionnera, par exemple, la rivalité de plus en plus agressive, mais qui ne s’avoue pas encore en tant que telle, entre Budé et Érasme, omnipré‑ sent dans la correspondance; l’attitude insultante adoptée par le juriste allemand Ulrich Zasius à propos de l’interprétation philologique du droit proposée par Budé dans ses Annotationes in Pandectas, attitude qui suscite la réprobation d’Érasme et de l’Allemagne érudite (cf. lettre no 4 de Vives); ou encore la polémique virulente qui a éclaté entre Germain de Brie et Thomas More, emportés l’un et l’autre par un patriotisme ombrageux, et dans laquelle Budé est invité à intervenir pour calmer les esprits (cf. lettre no 7). Soulignons enfin l’intérêt psychologique de cette correspondance entre Guillaume Budé, sensible aux propos admiratifs et flatteurs, plus désireux de donner des conseils que d’en recevoir, qui non sans coquetterie se fait prier avec insistance d’honorer la République des Lettres de nouveaux écrits, et Juan Luis Vives, plus jeune, qui témoigne du respect à un aîné qu’il admire, à qui il demande conseil, mais dont il utilise les points faibles pour mieux parvenir à ses fins. Ce nouveau volet de la correspondance de Budé est le fruit de la colla‑ boration de deux auteurs qui entretiennent des relations scientifiques et amicales depuis de nombreuses années et qui ont souhaité mettre en commun leur expérience particulière, l’un, sa connaissance de la litté‑ rature néo-latine, notamment celle qui a été produite dans le cadre des anciens Pays-Bas espagnols, l’autre, sa pratique de la traduction d’au‑ teurs anciens et les réflexions que celle-ci a entraînées à propos de ‘l’art’ de traduire. S’ils se sont réparti les tâches d’édition et de traduction, ils ont agi en étroite concertation et supervisé l’un et l’autre l’ensemble du travail. À l’instar des humanistes d’autrefois, ils ont également béné‑ ficié de l’aide de collègues et d’institutions. C’est pourquoi ils tiennent à exprimer leur reconnaissance au personnel de la Bibliothèque de l’Uni‑ versité de Louvain (Leuven), en particulier au service de prêt interbiblio‑ thécaire, s’efforçant avec zèle et compétence de leur procurer un ouvrage ou article introuvable. Ils remercient également le Dr Armin Hetzer de la Staats- und Universitätsbibliothek de Brême, qui a fourni la photocopie de deux lettres de Vives à Budé (lettres nos 4 et 9), et Ignacio J. García Pinilla de l’Universidad de Castilla-La Mancha, qui a gracieusement offert une copie de la lettre autographe de Budé conservée à la Biblio‑ teca Nacional de Madrid (lettre no 6). Leur gratitude s’adresse enfin aux



Avant-propos9

collègues et amis qui ont contribué à résoudre les difficultés d’ordre paléographique ou linguistique, Joseph Bergmans, Willy Clarysse, Edward V. George, Antoine Haaker, Lambert Isebaert, Bram Roosen, Dirk Sacré, Paul Thoen, ainsi qu’aux experts anonymes de la Fondation Universitaire. Grâce à une généreuse subvention accordée par celle-ci et par ‘Pegasus Limited for the Promotion of Neo-Latin Studies’, ce petit volume a pu être publié sans délai dans la série des Supplementa Huma­ nistica Lovaniensia. Gilbert Tournoy

Monique Mund-Dopchie

Faculteit Letteren - Latijnse literatuurstudie Seminarium Philologiae Humanisticae Katholieke Universiteit Leuven

Classe des Lettres Académie Royale de Belgique

1. Portrait de Vives (gravure par Philippe Galle, ca. 1567)

INTRODUCTION Le contexte La scène intellectuelle dans l’Europe de la première moitié du seizième siècle a été dominée par la personnalité d’Érasme. D’autres figures ont joué un rôle de premier plan et furent toutes pendant une période plus ou moins longue en relation avec lui, à savoir l’Anglais Thomas More (1477/78-1535), l’Espagnol flamand Juan Luis Vives (1493-1540) et le Français Guillaume Budé (1468-1540). Il est intéressant de noter que, si la correspondance conservée d’Érasme comprend plus de trois mille lettres, celle des trois autres n’atteint même pas un dixième de cet ensemble. On ne peut cependant pas en déduire purement et simplement qu’Érasme était beaucoup plus productif que ses contemporains en tant qu’épistolier, mais il est évident qu’il a contribué plus énergiquement - et de beaucoup - à la survie et à la propagation de sa correspondance en préparant lui-même ou en approuvant la publication de pas moins de vingt et un recueils épistolaires.1 Érasme avait presque cinquante ans quand il fit paraître un tout premier recueil, très limité, ne contenant que quatre lettres (Bâle, 1515). L’accueil favorable l’encouragea à faire sortir de presse une collection plus étendue dès l’année suivante et d’autres encore par la suite. En 1519 il prépare un nouveau volume, la Farrago nova epistolarum, qui contient non seulement une quantité considérable de lettres nouvelles, mais aussi quelques lettres qu’il a pris soin de retoucher, au total trois cent trente-trois lettres; Guillaume Budé se voit honoré de quatorze lettres, sept qui lui sont adressées et sept écrites par lui-même. Dès décembre de la même année 1519, Budé avait acquis un exemplaire, qu’il a montré à son ami Germain de Brie (Allen, ep. 1045) et à peine trois mois plus tard, le 17 février 1520, Érasme écrit à Budé que tous les exemplaires étaient vendus et qu’on lui demandait une réimpres‑ sion corrigée (Allen, ep. 1066). Il est possible que ce succès éclatant ait induit Budé, plus que quinquagénaire, à publier lui-même une première sélection de ses lettres. L’imprimeur parisien Josse Bade acheva de l’im‑ primer le 20 août 1520 et en fournit peu après une autre édition, avec un 1   Léon-E. Halkin, Erasmus ex Erasmo. Érasme éditeur de sa correspondance (Aubel, 1983), p. 11.

12 INTRODUCTION contenu identique, mais avec une composition typographique différente.2 Quand Vives se plaignit que cette sélection ne couvrait que deux ans et était en tout cas trop limitée, Budé lui fournit quelques explications ou plutôt des excuses: il n’avait pas trouvé le temps de rassembler toutes les lettres qu’il voulait, ni de revoir celles dont il disposait, parce qu’il avait été inopinément appelé à la Cour; en tout état de cause, il avait laissé de côté les lettres dont le contenu était trop délicat ou trop familier (voir la lettre 7, du 10 janvier 1521).3 Deux ans plus tard, en mars 1522, un second recueil sort de presse à Paris, les Epistolae Posteriores, et en février de l’année 1531 un dernier recueil est publié: G. Budaei ... epistolarum libri V, annotationibusque adiectis in singulas fere epistolas, Graecarum item liber I ... Avec les quelques lettres transmises séparément ou dans les collections d’autres humanistes comme Érasme, ce sont moins de deux cents lettres de Budé qui ont été conservées. Ce chiffre reste inférieur au nombre de lettres conservées tant de Thomas More que de Vives, qui cependant n’ont pas publié de recueil propre. On sait que Thomas More avait d’autres préoccupations et priorités et que sa bibliothèque et ses manuscrits furent, pour la plupart, dispersés ou détruits après son exécu‑ tion. Vives, qui lui aussi est mort avant d’avoir atteint l’âge de cinquante ans, avait conservé chez lui les copies ou les minutes d’un certain nombre de ses lettres.4 On ne saura jamais s’il avait l’intention de les publier, mais quelques années après sa mort elles parvinrent, d’une manière ou d’une autre, chez l’imprimeur anversois Guillaume Simon, qui les publia en 1556. Cette collection renferme une seule lettre du présent recueil, celle que Vives a adressée à Budé à la fin de l’année 1529 (voir la lettre no 8). Deux autres lettres de Vives à Budé ont survécu sous forme manuscrite: elles se trouvent actuellement à la Staats- und Universitätsbibliothek de Brême, où elles font partie du legs du savant suisse Melchior Goldast (1576-1635), qui en a réalisé aussi la première édition.5 Par ailleurs, dans 2  Renouard, Imprimeurs, p. 189, nos 443 et 444. Afin de distinguer celles-ci du second recueil, intitulé Epistolae Posteriores, Jacques Toussain, le premier, les a d­ ésignées par l’expression Epistolae priores, dans le titre de ses commentaires publiés à Paris en 1526: Annotata in G. Budaei epistolas tam priores quam posteriores. Ces commentaires contiennent e.a. la traduction latine des passages grecs dans les lettres de Budé. 3  Guy Gueudet, L’Art, pp. 126-128. 4  Voir par ex. LCB, III, pp. 43-44 (ep. 69): ‘Epistolas nisi reddidisses, iam eram convitiosissimis litteris efflagitaturus; nec dicas me non egere charissimi hominis dulcis‑ simis pignoribus! Quin et scrinium Darico illo praetiosius facere mihi destinavi, quo non unguenta vel iliadem malorum servem, sed tuas aliorumque amicorum epistolas, quas ostentem, ut alii magna in rationibus nomina.’ 5   Voir G. Gueudet, ‘Papiers de Guillaume Budé à la bibliothèque de Brême’, Biblio­ thèque d’Humanisme et Renaissance, 30 (1968), 155-183.



INTRODUCTION13

les trois recueils publiés par Budé de son vivant n’apparaissent que six lettres adressées à Vives. A cette petite liste de neuf lettres on a ajouté la lettre fictive, qui a été insérée par Vives comme modèle dans son De Conscribendis Epistolis.6 L’échange de lettres entre Vives et Budé a commencé immédiatement après leur double rencontre à Paris en mai et en juin 1519. La première lettre de Vives, écrite probablement au mois de juin ou de juillet, est perdue, mais on connaît la réponse de Budé, datée du 19 août 1519. Il en va de même pour les autres lettres qui ont été conservées: elles témoignent d’un échange très intense, au moins pendant les années 15191521. On peut envisager quelques éléments qui ont contribué au relâche‑ ment de leurs relations dans les années suivantes. En premier lieu, il y a la mort totalement inattendue, le 10/11 janvier 15217, du jeune mécène de Vives, le cardinal Guillaume de Croÿ, qui a plongé Vives en plein désarroi. À ce moment, Vives s’était lancé depuis quelques jours seule‑ ment, à la demande d’Érasme, dans un projet qui lui a coûté presque deux ans de sa vie et une santé ruinée: l’édition commentée de la Cité de Dieu d’Augustin. En effet, dans sa préface adressée au roi d’Angle‑ terre, Henri VIII, Vives affirme qu’il a entamé ce travail de Titan au tout début de l’année 1521 et qu’à la fin du mois de janvier il avait achevé le premier livre.8 Les rapports que Vives expédiait régulièrement à Érasme nous permettent de suivre de près à quelle vitesse il progressait. Malgré une santé compromise, il peut annoncer le 10 juillet 1521 que six livres étaient terminés (Allen, ep. 1222) et un an plus tard, il écrit à Érasme, avec un soupir de soulagement (Allen, ep. 1303): ‘Absolvi tandem, Christi gratia, 22 libros de Civitate Dei’.9 Or, dans son commentaire au § 17 du deuxième livre, rédigé sans doute au mois de février 1521, Vives se laisse emporter par son enthousiasme et son affection pour Budé et il ne peut se

6   Selon Gueudet, L’Art, p. 71, n. 202, ‘il est vraisemblable qu’il ne s’agit que d’un résumé, mais fait à partir d’une lettre authentique.’ Charles Fantazzi en publia en 1989 une édition critique dans la série Selected Works of J.L. Vives, 3. 7  Voir LCB I, 75-76. 8   Ioannis Lodovici Vivis Valentini Commentarii ad Divi Aurelii Augustini de Civitate Dei, II. Libri I-V. Curaverunt F. Georgius Pérez Durà - Iosephus M.a Estellés González (Valence, 1992), p. 25: ‘Orsus nihilominus sum scribere circiter Calendas Ianuarias anni superioris et confecto ad finem mensis primo libro ...’. 9   Pour un aperçu plus détaillé des événements, voir le catalogue Vives te Leuven. Cata­ logus van de tentoonstelling in de Centrale Bibliotheek te Leuven, 28 juni - 20 augustus 1993, onder de redactie van G. Tournoy, J. Roegiers en C. Coppens (Louvain, 1993), pp. 33-54 et pp. 96-101; G. Tournoy, ‘Juan Luis Vives and the World of Printing’, Guten­ berg-Jahrbuch 1994, 128-148, en particulier pp. 134-136.

14 INTRODUCTION retenir d’introduire un éloge d’une demi-page in-folio plein d’admiration à son égard10: par son génie, son jugement perspicace, son érudition, il surpasse tout le monde dans l’histoire de la France, et même en Italie. Sa connaissance de la littérature tant grecque que latine est sans pareille: il connaît, parle et écrit ces deux langues tout aussi bien, sinon mieux, que le français, sa langue maternelle. Il a examiné de près et expliqué chaque mot rare et difficile, chaque expression, chaque signification énigma‑ tique, tant en grec qu’en latin, et tout cela en autodidacte. Grâce à lui, la connaissance de la loi, pratiquement inexistante, est ressuscitée et il n’est pas moins spécialisé dans la philosophie. Tout cela, Budé le combine avec une intégrité extrême et une profonde religiosité. C’est un père attentionné d’une famille nombreuse, un diplomate subtil, un homme de cour honnête qui n’éveille même pas un soupçon d’irrégularité.11 Dans ce long panégyrique, on découvre à peine une critique voilée, enrobée dans une formule élogieuse: ‘Facilius tum Graece scribit, tum Latine, quam etiam earum linguarum peritissimi intelligant’. Le premier souci pour Budé n’était en effet pas d’être accessible pour tous ses lecteurs, et même Érasme lui écrit que ses propos ne sont utiles que s’il y a quelqu’un qui les a compris.12 Il suggère même que Budé est le seul à comprendre ses paroles en continuant: ‘Or, ton éloquence est partout si tendue que tu n’as pas l’air de chanter pour les oreilles de Midas, mais pour celles d’Apollon; et encore, tu y as rajouté des obscurités de Lycophron: je crois entendre l’oracle de Loxias! C’est encore pis dans ton premier réquisitoire: même moi, je n’ai pas réussi à le comprendre.’ Dans sa réponse du 26 novembre 151613, Budé reprend cette accusation et s’en défend: ‘Tu dis que les traits qui respirent une simplicité natu‑ relle se fixent mieux et plus agréablement dans les esprits des hommes et favorisent aussi davantage l’attention et l’effort des lecteurs; comme je 10   Dans la longue lettre qu’il adressa à Érasme immédiatement après son retour de Paris, Vives parle déjà de Budé dans les termes les plus élogieux (Allen IV, pp. 273-74: ep. 1108, à dater correctement du 20 juin 1519). Son mécène, le Cardinal Guillaume de Croÿ rapporte à Érasme que Vives ne finit pas de chanter les louanges de l’humaniste français (Allen IV, ep. 958, p. 568, ll. 112-114; la lettre doit être datée d’août/septembre 1519, plutôt que du mois de mai). Dans une autre lettre, adressée à François Cranevelt le 21 décembre 1520, Vives écrit que pour lui Budé est, parmi ses collègues, comme la lune parmi des astres inférieurs (LCB I, 58). Quelques années plus tard, dans son traité De ratione studii puerilis et plus précisément dans la lettre adressée à Charles Mountjoy, Vives exprime encore une fois son estime pour l’immense érudition de Budé. Voir l’édition revue par l’auteur, imprimée à Bruges en février 1526, fol. T.iiir. 11   Le texte latin intégral de cet éloge fait l’objet de l’Appendice (pp. 149-150). 12   Allen, ep. 480 (lettre du 28 octobre 1516). Pour la traduction française, voir Garan­ derie, Correspondance, pp. 77-78. 13   Allen, ep. 493. Traduction française dans Garanderie, Correspondance, pp. 84-85.



INTRODUCTION15

me suis trop éloigné de cette simplicité, il est inévitable que mon lecteur ne prenne pas spontanément plaisir à lire mes ouvrages, à moins qu’il ne s’agisse d’un lecteur aussi savant qu’attentif. ... C’est qu’à cette époque j’estimais important de n’être compris que d’une minorité ... Que j’aime les métaphores et le style figuré, je le fais à l’exemple des maîtres de la langue latine, qui ont donné à la périphrase le premier rôle dans l’élocu‑ tion et s’y sont abandonnés avec complaisance; j’aime aussi le style élevé, et je ne crois pas en avoir usé hors de propos.’ Dans sa longue lettre du 15 février 1517, Érasme revient sur le thème et résume son point de vue de cette manière14: ‘Toi, tu as préféré n’être entendu que des érudits, moi, autant que possible, du grand nombre; tu t’es proposé de convaincre, moi d’instruire et de persuader.’ Toute cette discussion sur le style complexe et baroque15 de Budé n’a certainement pas amélioré les relations entre Budé et Érasme; leur amitié peu à peu se détériore, pour mourir définitivement avec la parution du Ciceronianus d’Érasme. On imagine aisément que le jeune Vives se soit senti mal à l’aise dans cette controverse ou plutôt cette relation ambiguë. À la demande d’Érasme, qu’il considérait comme son maître, il s’était chargé dès janvier 1521 de l’édition de la Cité de Dieu. L’amitié et l’ad‑ miration profondes qu’il éprouvait pour Budé et qu’il avait exprimées dans son commentaire à la Cité de Dieu, n’ont peut-être pas changé au fil des années, mais il n’en reste guère de trace. Il se peut aussi que Vives ait pris tacitement le parti d’Érasme et qu’il ne se soit détaché de son influence que progressivement, par un processus qui a trouvé son abou‑ tissement après qu’il ait été lui-même profondément blessé par Érasme, qui a à peine mentionné le nom de Vives dans son édition intégrale d’Au‑ gustin. D’autre part Budé fut absorbé toujours davantage par ses activités à la Cour et par d’autres fonctions importantes. C’est finalement Vives qui, dans la lettre écrite à la fin de l’année 1529, donne l’impression de vouloir reprendre une correspondance plus nourrie, tout en s’excusant d’importuner un homme tellement occupé par ses fonctions publiques. Mais le résultat final ne change pas: seule une fraction minime de leur correspondance a survécu.

  Allen, ep. 531. Traduction française dans Garanderie, Correspondance, p. 116.   Pour une vue plus générale du style de Budé, voir Garanderie, Christianisme, pp. 259-284 et Jean Lecointe, L’Idéal et la différence. La perception de la personnalité litté­ raire à la Renaissance, Travaux d’Humanisme et Renaissance, 275 (Genève: Droz, 1993), pp. 639-657. 14

15

16 INTRODUCTION La traduction Traduire une correspondance est toujours chose délicate, parce qu’on n’est pas certain de disposer de l’ensemble des lettres échangées et qu’on ne connaît pas nécessairement les circonstances précises auxquelles celles-ci font allusion. Traduire un texte de Budé n’est pas davantage une tâche aisée, l’humaniste étant connu pour l’obscurité de sa langue, comme l’atteste la lecture de la lettre d’Érasme du 28 octobre 1516 et de la réponse de Budé du 26 novembre. Déjà la translation d’un texte latin en français pose des problèmes sui generis. Il convient d’une part de résoudre des différences non négligeables entre deux modes d’expression: ainsi, le latin de la prose recourt volontiers aux phrases complexes, composées d’une succession de propositions, là où le français actuel aurait tendance à privilégier les phrases courtes et simplement juxtaposées. Il convient d’autre part de comprendre et de faire comprendre certaines réalités de l’orbe gréco-ro‑ main (par exemple, des rites, des institutions, des variantes mytholo‑ giques peu répandues) qui étaient familières aux auteurs anciens mais qui ne le sont plus pour des lecteurs modernes. Or, sur ces deux points, les lettres de Budé accumulent les difficultés: l’humaniste a manifeste‑ ment une prédilection pour les périodes dans lesquelles les subordon‑ nées s’enchevêtrent et il prend plaisir à forger des métaphores savantes, fondées sur une connaissance minutieuse et profonde du monde antique et accessibles seulement à un cercle restreint d’érudits. Il eût dès lors été tentant d’offrir aux lecteurs des lettres de Budé une traduction qui privilégierait le sens au détriment de la forme en réduisant la longueur des phrases, en proposant des équivalents français pour des expressions latines - telles que les proverbes -, dont une traduction littérale ne peut rendre la saveur, et en renonçant à maintenir des métaphores obscures. Mais c’eût été en quelque sorte trahir le texte et rendre inacceptables les remarques tempérées de Vives et les critiques ironiques d’Érasme profé‑ rées à l’égard de la manière d’écrire de Budé. C’est pourquoi la traduction présentée ici s’est donné pour but de restituer les lettres de Budé dans leur vérité: les phrases longues, les particules exprimant l’enchaînement logique à l’intérieur des phrases et dans la succession de celles-ci, les réalités (realia) de l’antiquité auxquelles renvoient les métaphores ont été conservées, pour autant que la compréhension du contenu des lettres n’ait pas à en souffrir et que leur style très travaillé ne soit pas trahi par un excès de littéralité. Par ailleurs, lorsque le texte français pouvait paraître



INTRODUCTION17

étrange pour un lecteur moins averti, une explication a été fournie dans le commentaire accompagnant chaque lettre. Reste un point qui échappe à l’emprise du traducteur, à savoir le jeu de citations et d’allusions auxquels les auteurs anciens et les humanistes se sont livrés avec délectation: ici aussi, le commentaire permet de contourner la difficulté en fournissant les références aux sources qui ont inspiré cette imitatio multiséculaire. L’édition critique 1) Les sources L’édition des lettres échangées entre Budé et Vives se fonde sur les témoins suivants: 1) Le ms.a 0008 de la Staats- und Universitätsbibliothek de Brême, qui contient aux ff. 26r-27v et 28r-29v deux lettres de Vives à Budé (nos 4 et 9). 2) Ces mêmes lettres ont été publiées par Melchior Goldast dans Philo­ logicarum epistolarum centuria una (Frankfurt, 1610; rééd. 1614 et Leipzig, 1674), pp. 212-217 et 217-223. 3) La première édition de lettres de Budé, Epistolae Gulielmi Budaei Regii Secretarii (Paris: J. Bade, 20 août 1520) contient cinq lettres (nos 1, 2, 3, 5, 6). 4) Quelques mois plus tard, Bade imprime les mêmes lettres, mais avec une autre disposition typographique: il emploie d’autres abréviations et un ensemble différent de caractères grecs. 5) En février 1521 paraît chez Andreas Cratander à Bâle une réédition de cette édition. 6) La version autographe de la lettre 6 est conservée également à la Bibliothèque Nationale de Madrid, ms. 5787, ff. 274r-275v. 7) Cette version se trouve imprimée dans A. Bonilla y San Martin, Luis Vives y la filosofia del Renacimiento (Madrid, 1903), pp. 706-712. 8) Ce livre de Bonilla y San Martin a été réimprimé en 1929, avec le même texte aux pp. 136-142 du vol. III. 9) En mars 1522 Budé fait imprimer chez Bade les Epistolae Gullielmi (sic) Budaei Secretarii Regii Posteriores, contenant la seule lettre 7. 10) Les Epistolae priores et posteriores sont reprises, légèrement retou‑ chées, dans G. Budaei consiliarii regii ...Epistolarum Latinarum libri V ... (Paris: J. Bade, février 1531). 11) En 1556 paraît chez l’imprimeur anversois Guillaume Simon Ioannis Lodovici Vivis Valentini Epistolarum, quae hactenus desiderabantur,

18 INTRODUCTION Farrago, adiectis etiam iis, quae in ipsius operibus extant. Le recueil contient une seule lettre à Budé, le no 8. 13) En septembre 1557 Nicolaus Episcopius imprime à Bâle les Omnia Opera Gulielmi Budaei Parisiensis. Le premier volume porte le titre Gulielmi Budaei Parisiensis ... Lucubrationes variae cum ad studiorum institutionem ac philologiam, tum ad pietatem spectantes. Quibus adiunximus Epistolarum eiusdem Latinarum ac Graecarum libros VI. Pour le texte des lettres, l’éditeur, Caelius Secundus Curio, a suivi l’édition de Paris 1531. 14) Une impression anastatique des Omnia Opera paraît à Farnborough (Hants) en 1966. 15) Marie-Madeleine de la Garanderie, La correspondance d’Érasme et de Guillaume Budé (Paris, 1967), présente aux pp. 276-279 une édition de la lettre expédiée par Budé le 19 août 1519 (le no 1), basée sur le texte reproduit dans les Lucubrationes. 16) G. Majansius publie en 1782-1790 les Opera Omnia de Vives en huit volumes. Dans le septième volume, aux pp. 218-219, on trouve une seule lettre à Budé, le no 8. 2) L’établissement du texte Le principe général qu’on a suivi pour l’établissement du texte est le respect absolu des remaniements opérés par les deux humanistes, dans la mesure où ceux-ci sont décelables à travers les sources qui nous ont transmis leurs lettres. En ce qui concerne les quatre lettres de Vives, la décision s’est imposée d’elle-même: ce sont les manuscrits autographes et/ou editiones principes qui ont servi de base au texte publié dans la présente édition. En effet, la lettre modèle (le no 10), insérée dans les éditions du traité De conscribendis epistolis publiées pendant la vie de l’auteur a toujours été reproduite telle quelle. La lettre contenue dans la Farrago epistolarum de 1556 (le no 8), a été réimprimée sans modifications, si on excepte quelques erreurs de transcription qui ont été signalées dans l’apparat critique. Quant au texte des lettres originales (nos 4 et 9), non seulement il s’imposait de lui-même, mais il a été en outre repris - avec quelques erreurs et omissions - dans les éditions de 1610 et 1614. La situation est différente pour les lettres de Budé, dont les premières éditions sont toutes sorties de presse du vivant de l’auteur. Budé a publié un premier recueil de ses lettres à Paris en 1520; celui-ci contient cinq lettres à Vives (nos 1, 2, 3, 5, 6) et fut réimprimé la même année à Paris



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et l’année suivante à Bâle. Une autre lettre (no 7) est insérée dans les Epistolae posteriores (Paris, 1522). Ces six lettres ont été reprises dans les Epistolarum Latinarum libri V (Paris, 1531), puis dans les Omnia Opera de Bâle 1557. La confrontation des versions imprimées et, en ce qui concerne la lettre no 6, la comparaison avec le manuscrit autographe conservé à Madrid démontrent clairement que Budé a accordé beaucoup de soin à la transmission de ses lettres. Le sort réservé au texte de la lettre autographe est révélateur à cet égard: Budé a en effet introduit quelques modifications stylistiques avant de procéder à la première impression et il a encore remanié le texte en vue de l’édition de 1531, comme il l’a d’ail‑ leurs fait pour ses autres lettres. C’est pourquoi le texte retenu ici est celui qui a été établi par Budé dans l’édition de 1531, les leçons antérieures et postérieures (celles qui ont été introduites par l’imprimeur Curio dans l’édition de 1557) figurant dans l’apparat critique. 3) Critères ecdotiques Pour la présentation du texte latin, on a choisi de suivre les critères exposés dans le premier volume des Selected Works of J.L. Vives.16 L’or‑ thographe suit donc celle du Thesaurus Linguae Latinae. Pour faciliter la lecture, on a substitué aux formes abrégées les formes complètes; les signes ou accents sur les mots latins n’ont pas été pris en considération; on a différencié u et v et modernisé la ponctuation et l’emploi de capitales. En ce qui concerne les références aux auteurs classiques et leurs œuvres, on a adopté le système d’abréviations du Thesaurus Linguae Latinae … Index librorum scriptorum inscriptionum ex quibus exempla afferuntur. Editio altera (Leipzig: Teubner, 1990). Pour faciliter les renvois ultérieurs on a introduit des paragraphes et numéroté les lignes. En ce qui concerne les lettres grecques ou les parties grecques dans les lettres latines, des règles analogues ont été suivies: conformément à la pratique moderne, les signes d’accentuation et les esprits ont été placés sur la deuxième voyelle de la diphtongue, les diérèses sur le iota n’ont pas été prises en considération, la présence ou absence du iota souscrit, la notation de voyelles longues au lieu de brèves ou vice-versa et les erreurs d’accentuation ont été d’office rectifiées.

16   Voir J.L. Vives, Early Writings ... ed. by C. Matheeussen - C. Fantazzi - E. George (Leiden - New York - Copenhague - Cologne: Brill, 1987), p. x.

20 INTRODUCTION Sigles et abréviations Allen (= A): P. S. Allen - H. M. Allen - H. W. Garrod, Opus Epistolarum Des. Erasmi, 12 vols (Oxford, 1906-1958). B: Io. Lodovici Vivis Valentini Opera in duos distincta tomos ... (Basileae, 1555). BNM1: Biblioteca Nacional Madrid, MS. 5785. BUB: Staats- und Universitätsbibliothek Bremen, ms.a 0008. C: Literae virorum eruditorum ad Franciscum Craneveldium, 1552-1528, ed. H. de Vocht, Humanistica Lovaniensia, 1 (Louvain, 1928). Centuriae I: Centuriae latinae. Cent une figures humanistes de la Renais­ sance aux Lumières offertes à Jacques Chomarat. Réunies par Colette Nativel (Genève, 1997). Centuriae II: Centuriae latinae II. Cent une figures humanistes de la Renaissance aux Lumières à la mémoire de Marie-Madeleine de la Garanderie. Réunies par Colette Nativel. Avec la collaboration de Catherine Magnien, Pierre Maréchaux et Isabelle Pantin (Genève, 2006). DBI: Dizionario Biografico degli Italiani (Rome, 1960-). Delaruelle, Budé: Louis Delaruelle, Guillaume Budé. Les origines, les débuts, les idées maîtresses (Paris 1907; repr. Genève, 1970). Delaruelle, Répertoire: Louis Delaruelle, Répertoire analytique et chro­ nologique de la correspondance de Guillaume Budé (Toulouse - Paris, 1907; repr. New York, s.a.). Edicións: Enrique González, Salvador Albiñana i Victor Gutiérrez, Vives. Edicións princeps (Valencia, 1992). EGG: Enrique González y González, Joan Lluís Vives. De la Escolástica al Humanismo (Valencia, 1987). Farrago: Ioannis Ludovici Vivis Valentini Epistolarum, quae hactenus desiderabantur, Farrago, adiectis etiam iis, quae in ipsius operibus extant (Antverpiae: Guilielmus Simon, 1556). Garanderie, Christianisme: Madeleine de la Garanderie, Christianisme et Lettres profanes. Essai sur l’humanisme français (1515-35) et sur la pensée de Guillaume Budé (Paris, 1976; 2e éd. revue et augmentée, Paris, 1995). Garanderie, Correspondance: Marie-Madeleine de la Garanderie, La correspondance d’Érasme et de Guillaume Budé. Traduction inté­ grale, annotations et index biographique (Paris, 1967). GBeppr: Epistolae Gulielmi Budaei Regii Secretarii (Paris: J. Badius, 1520).



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GBeppost: Epistolae Gullielmi (sic) Budaei, Secretarii Regii, posteri­ ores (Paris: J. Badius, 1522). GBlatgr: G. Budaei ... epistolarum Latinarum lib. V ... Graecarum item lib. I... (Paris: J. Badius, 1531). GBluc: Gulielmi Budaei ... Lucubrationes variae ... quibus adiunximus Epistolarum eiusdem Latinarum ac Graecarum libros VI ... (Basileae: N. Episcopius, 1557). GT: G. Tournoy, Pour une nouvelle édition de la correspondance de J. L. Vives, Preprint Faculteit van de Letteren en de Wijsbegeerte, 77 (Kortrijk, 1992). Gueudet, L’art: Guy Gueudet, L’Art de la lettre humaniste. Textes réunis par Francine Wild (Paris: Champion, 2004). JD: Juan Luis Vives, Epistolario, ed. J. Jiménez Delgado (Madrid, 1978). Lavoie, Correspondance: Guillaume Budé, Correspondance. Tome I. Les lettres grecques adjectis paucis e latinis. Traduction, introduc‑ tion et notes par Guy Lavoie avec la collaboration de Roland Galibois (Sherbrooke, s.a. [1977]). LCB I-IV: J. IJsewijn - G. Tournoy e. a. ‘Litterae ad Craneveldium Balduinianae. A Preliminary Edition, I-IV, Humanistica Lovaniensia, 41 (1992), 1-85; 42 (1993), 2-51; 43 (1994), 15-68; 44 (1995), 1-78. MG = MG1 - MG2 - MG3 MG1: Melchior Goldast (ed.), Philologicarum epistolarum centuria una... (Frankfurt, 1610). MG2: Epistolicae quaestiones et responsiones variae, theologicae, iuri­ dicae ... (Frankfurt, 1614). MG3: Philologicarum epistolarum centuria una ... ex bibliotheca Melchi­ oris Haiminsfeldii Goldasti ... (Leipzig, 1674). ODNB: Oxford Dictionary of National Biography, 60 vols (Oxford, 2004). R: A. Bonilla y San Martín, Luis Vives y la Filosofía del Renacimiento, 3 vols (Madrid, 1903; 19292). RD: Litterae ad Craneveldium Balduinianae. Ms. à la Bibliothèque Centrale de l’Université Catholique de Louvain (Leuven). Renouard, Imprimeurs: Imprimeurs et libraires parisiens du XVIe siècle. Ouvrage publié d’après les manuscrits de Philippe Renouard par le Service des Travaux historiques de la Ville de Paris, II (Paris, 1969). Repaso: Enrique González González, ‘Humanistas contra escolásticos. Repaso de un capítulo de la correspondencia de Vives y Erasmo’, Diánoia, 29 (1983), 135-161.

22 INTRODUCTION RibV: Juan Luis Vives, Obras Completas. Primera traslación castellana integra y directa, comentarios, notas y un ensayo biobibliográfico Juan Luis Vives, valenciano, por Lorenzo Riber, 2 vols (Madrid, 19471948; repr. 1992). SWV: Selected Works of J.L. Vives. Vol. 1: Early Writings 1: De initiis sectis et laudibus philosophiae - Veritas fucata - Anima senis - Pompeius fugiens, ed. by C. Matheeussen, C. Fantazzi, E. George (Leiden: Brill, 1987). Vol. 2: Declamationes Sullanae, ed. by E.V. George (Leiden, 1989). Vol. 3: De Conscribendis Epistolis, ed. by C. Fantazzi (Leiden, 1989). Vol. 5: Early Writings 2: Epistula Forti - Vita Ioannis Dullardi - Christi Triumphus - Ovatio Mariae - Clipeus Christi - Praelectio in quartum Rhetoricorum ad Herennium - Praelectio in convivia Philelphi, ed. by J. IJsewijn, A. Fritsen, C. Fantazzi (Leiden, 1991). Vol. 6-7: De institutione feminae christianae, ed. by C. Fantazzi and C. Matheeussen, tr. by C. Fantazzi, 2 vols (Leiden, 1996-1998). Vol. 9: Declamationes Sullanae. Part Two, ed. and tr. by E.V. George (Leiden - Boston, 2012). V: Joannis Ludovici Vivis Valentini Opera Omnia, ed. Gregorius Majan‑ sius, 8 vols (Valentiae, 1782-1790). W: R. Aznar Casanova, 60 Lettres de Juan-Luis Vivès (Paris - Bruxelles, 1943). Z: Guilielmi Budaei, Regii secretarii epistolae (Basileae, Andreas Cratander, 1521).

TABLE DES ÉPÎTRES 1. Lettres publiées dans ce volume Dans la première colonne figurent les noms de l’auteur et du correspon‑ dant, dans la seconde la date, dans la troisième le lieu d’expédition. 1. Budé à Vives 2. Budé à Vives 3. Budé à Vives 4. Vives à Budé 5. Budé à Vives 6. Budé à Vives 7. Budé à Vives 8. Vives à Budé 9. Vives à Budé 10. Vives à Budé

19 août 1519 2 janvier 1519 (= 1520) 2 février 1519 (= 1520) 7 mars 23 avril 2 mai 10 janvier

1er septembre 1532 3/20 janvier 1533

Paris Marly Paris Louvain Marly Marly Romorantin

Bruges Bruges

2. Lettres perdues sûrement attestées 1. Vives à Budé 2. Vives à Budé

juillet/août 1519 fin août 1519

3. Vives à Budé

sept/oct. 1519

4. Vives à Budé

1er décembre 1519

5. Vives à Budé 6. Vives à Budé 7. Budé à Vives 8. Vives à Budé 9. Budé à Vives

31 mars 1520 avril 1520 mai/juin 1520 sept./oct. 1520 août 1532

v. no 1, § 1 v. no 2, § l et § 14 et no 4, § 1 v. no 2, § 14; no 3, § 1 et no 4, § 1 v. no 2, § 14, no 4, § 1 et no 5, § 1 v. no 5, § 1 et no 6, § l v. no 6, § 5 et § 15 v. no 7, § 12 v. no 7, § 1 et § 13 v. no 9, § 1

2. Philologicarum epistolarum centuria una ...ex Bibliotheca Melchioris Haiminsfeldii Goldasti … (Leipzig, 1674): page de titre

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1. BUDÉ À VIVES Paris, 19 août 1519 Budé n’a reçu aucun mot d’Érasme et il craint de lui avoir donné l’im‑ pression qu’il lui en voulait. Il assure Vives que ce n’est pas le cas. Quant à son envie de construire, Budé avoue que, finalement, les choses ne se sont pas déroulées comme il l’avait espéré: au bout de deux ans il a épuisé ses ressources financières; d’autre part, il en avait assez de déménager tous les six ou sept ans. En fin de compte, il a acheté une maison loin du centre de la ville, dans une zone en voie de développement; toutefois il a acheté un chat dans un sac et il a été obligé de reconstruire immédia‑ tement une partie du logis. Ce qui l’a également détourné de ses études, c’était son ardent désir de visiter la Cour. Mais trois ou quatre mois lui ont suffi pour perdre ses illusions: son vrai bonheur se situe dans ses études et sa vie à la campagne, avec sa femme et ses enfants. Budé demande à Vives de saluer Érasme de sa part, et pour convaincre ce dernier de ses bonnes intentions, il propose même de faire imprimer cette longue lettre agressive qu’il lui a adressée, si du moins Érasme ne s’en charge pas lui-même. Ed.: GBeppr, ff. 21v - 25v; Z, pp. 31-37; GBlatgr, fols. XIv-XIVr; GBluc, pp. 252-254. Garanderie, Correspondance, pp. 276-279.

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correspondance de Budé et Vives

Budé à Vives, salut [1]  De même que j’ai été comblé de joie par la lecture de ta lettre, de même un léger soupçon de tristesse, un sentiment un peu amer d’inquié‑ tude ont envahi mon âme, à cause de mon cher Érasme, qui, selon son habitude, n’a pas répondu à ce qui est déjà ma seconde lettre. Le motif de son attitude est évident: il pense que je ne sais quel élément de rivalité rance et de ressentiment obstiné m’est resté sur l’estomac à cause de cette lettre prolixe dans laquelle il a lancé avec force ses javelots enveloppés de figures de rhétorique contre un homme à moitié armé, qui ne s’y attendait pas et qui espérait que tout était apaisé et réglé. [2]  Cette lettre, j’ai néanmoins estimé qu’il fallait la conserver en tant que procès-verbal d’un très grand homme, qui, s’il est interprété en tous points de façon positive, inspirera davantage confiance. Bien que j’aie toujours ostensiblement montré que j’étais un homme très peu soupçon‑ neux, tout au moins à l’égard de mes amis, et d’une extrême simplicité, j’ai décidé de m’imposer à moi-même de ne rien considérer de plus haïs‑ sable que de penser qu’Érasme est devenu plus oisif et plus paresseux, alors que son esprit se fatigue en labeurs incessants. [3]  Je ne l’écouterai pas et je ne t’écouterai pas si tu commences à chercher des prétextes et à avancer comme excuse ses occupations qui ne permettent aucune détente, car je sais et j’observe à travers ses ouvrages publiés qu’il a toujours pris du repos pour écrire des lettres, à ceux en tout cas dont le commerce est utile à son esprit. [4]  Mais à propos de ce que tu lui as dit lorsqu’il t’interrogeait à mon sujet, j’estime que tu t’es moqué de moi de belle façon en disant notam‑ ment que j’avais affaire actuellement aux ouvriers et aux maçons, non aux lettrés et aux humanistes, puis également, (que la Philologie me pardonne!), aux pourvoyeurs de charges à la Cour, officine d’ennuis et d’impostures. Ayant engagé une guerre cruelle et implacable contre mon repos et mes finances, puisque la passion très funeste de bâtir m’a envahi, je reconnais mon erreur, je ne nie pas une faute à ce point fatale. Mais qu’aurais-je pu faire ou quelle autre échappatoire à la mort aurais-je pu trouver? Quel exil loin de la fréquentation de ma chère Philologie aurait pu m’être plus agréable? [5]  Je voudrais néanmoins que tu connaisses toute la situation. Je ne sais par quel hasard je me suis trouvé soudain en possession d’assez

Lettre 127

Budaeus Vivi salutem [1]  Ut

laetitia affectus sum litteris tuis perlectis, ita tristicula quaedam subiit animum mihi suspicio subacerbusque scrupulus ab Erasmo meo, qui pro suo more non rescripsit alteris iam litteris meis. Scilicet hoc illud est, nescio quid ille arbitratur stomacho meo haesisse aut rancidulae simultatis, aut pertinacis offensionis, ob grandem illam epistulam, in qua eloquentiae tragulas figuris involutas in hominem semiermem atque improvidum contorsit, omnia tum pacata sperantem et composita. [2]  Quam tamen ut elogium summi viri asservandam esse duxi, in bonam utique partem fidem magis facturum. Quamquam cum minime suspicacem me hominem dumtaxat ab amicis ac summae simplicitatis esse semper prae me tulerim, mihi ipsi imperare constitui, nihil omnino odiosius existimare quam Erasmum inertiorem iam esse factum et desi‑ diosiorem, animo utique fatiscente laboribus irrequietis. [3]  Neque vero aut illum aut te audiam, si causificari institeris, et excusare occupationes eius avocamenta non admittentes, utpote qui sciam et ex publicatis libris cernam numquam non illum scribendis ­epi­stulis feriatum fuisse, ad eos quidem quorum huiuscemodi commercio animi causa utitur. [4]  Sed quod ei de me te rogitanti dixisti, existimo perbelle meipsum admodumque risisse, videlicet quod diceres cum fabris mihi nunc et structoribus, non cum litteratis ac studiosis rem esse; deinde etiam (si Philologiae placet) cum aulae mancipibus, officinae scilicet molestiarum atque imposturarum. Iam primum quod bellum dirum et inexpiabile quieti ac pecuniis meis indixerim, cum mihi aedificandi libido incessit damnosissima: erratum quidem agnosco, culpamque adeo fatalem non inficior. Verum quid agerem, aut quam mihi fugam mortis consciscerem potius? Quod exilium amoenius a contubernio Philologiae meae? [5]  Sed rem totam ut cognoscas velim. Nescio quo casu contigerat ut essem repente in aere meo satis multo, ut unus quidem hominum 1. Budaeus Vivi S. GBeppr, GBlatgr, GBluc: Guliel. Budaeus Lud. Vivi S. Z 20. meipsum GBlatgr, GBluc: me GBeppr, Z

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correspondance de Budé et Vives

bien d’argent, cas unique pour un homme de lettres. Mais je suis plus que quiconque incapable par nature de compter mes sous: je n’avais pas appris à placer mon argent avec intérêt. Comme je ne pouvais absolument pas faire autrement que placer en quelque affaire cet argent qui inter‑ rompait mes études et l’écarter par n’importe quel moyen de l’intimité de ma bibliothèque, comme il n’y avait pas à proximité des annonces de vente de biens, j’ai tourné mon esprit vers une entreprise de construction, essentiellement à cause de mon esprit lui-même, que les médecins pous‑ saient à éloigner de la tension de la lecture et du commentaire, au point de me menacer de mort si je n’écoutais pas leur injonction. [6]  À l’événement qui vient d’être évoqué, s’ajoutait opportunément le fait suivant: mes proches, mes amis, ceux que je rencontrais, tout un chacun insistait pour que je rétablisse et restaure une santé qui s’était détériorée et un corps exténué et en quelque sorte taillé en pièces. Comme j’avais assez souvent promis de me soumettre à leur pouvoir et à celui des médecins, j’ai enfin quitté radicalement le mode de vie établi et, par une décision de mon esprit, j’avais presque pris congé des lettres qui, à cause de ma mauvaise santé, étaient devenues haïssables aux yeux de tous ceux qui me connaissaient. [7]  Fournissant un échantillon de mes ressources économiques, je me plaisais de façon surprenante à arpenter, à délimiter et à construire des résidences de campagne, ne prêtant dans l’intervalle aucune attention à la somme totale des dépenses, jusqu’à ce que je commençai enfin à réaliser mon erreur au cours de la troisième année, quand je me suis retrouvé ruiné et épuisé. Et cependant, je semblais, d’une manière ou d’une autre, être revenu, même tardivement, à une vie rangée et tenir compte désor‑ mais de mon âge et de ma famille quand, à nouveau, étant donné la situa‑ tion, la nécessité de construire et la mise à l’écart de mes études m’ont replongé dans mes anciens ennuis et dans le tourbillon dévoreur de patri‑ moine, dont je me félicitais être sorti une première fois. [8]  Comme j’étais auparavant recensé comme locataire, comme j’étais obligé tous les cinq ou six ans de changer de domicile, de voisinage et de paroisse, en même temps de chercher une nouvelle demeure pour mes muses et de déplacer le siège de mes dieux lares, j’ai décidé un jour d’avoir une demeure stable pour ma chère Philologie et d’arrimer l’in­strument de mes études. J’ai acheté une maison loin du centre, mais dans la partie de la ville qui a commencé récemment à être mise en valeur par des édifices magnifiques. Cette partie me convient très bien sur le plan du voisinage et elle offre un accès facile à chacune de mes propriétés.

Lettre 129 studiosorum. At sum numeratae pecuniae impotens, ut siquis alius natura: feneratoriam factitare non didiceram. Cum omnino facere nequirem, quin pecuniam studiorum meorum interpellatricem aliqua in re occuparem, aut quovis modo amolirer a contubernio bibliothecae meae, nec in vicinia proscriptiones praediorum exsisterent, ad aedifica‑

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toriam animum appuli, primum animi ipsius causa, quem a contentione lectionis commentationisque ut abducerem, medici ita mihi auctores erant, minas ut adderent etiam capitales nisi dicto audiens essem. [6]  Hoc

enim competenter quoque ad casum antedictum accesserat:

instabant propinqui, amici, obvii quique denique, ut affectam vale‑

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tudinem corpusque extenuatum ac propemodum accisum recrearem et instaurarem. In quorum potestate ac medicorum cum futurum me saepius promisissem, ab instituto tandem genere vitae migravi in universum, salutemque paene litteris dixeram destinatione animi, utpote ob adversam meam valetudinem invidiosis, apud omnes qui me noverant. [7]  Specimen

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autem oeconomicae facultatis factitans, in metandis

circumscribendisque villis et instruendis mire mihi placebam, interim rationem nullam subducens in summam universam impendiorum, quoad tertio demum anno errorem sentire coepi, tum primum scilicet, cum expeculiato mihi esse contigit et exhausto. Et tamen sic quoque, etsi sero,

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ad frugem bonam rediisse quoquo modo videbar, iamque senectutis et familiae rationem ducere, cum rursus e re nata aedificandi necessitas studiorumque avocatio in pristinam me molestiam reique familiaris voraginem revolvit, unde semel exstitisse mihimet ipse gratulabar. [8]  Siquidem

cum antea inter inquilinos censerer, et sexto aut septimo

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quoque anno domicilium, viciniam, paroeciam demutare cogerer, simul novas sedes Musis meis quaerere larariumque meum interpolare, firmare aliquando sedem constitui Philologiae meae instrumentumque figere studiorum meorum. Domum emi procul foro, sed ea in regione urbis, quae magnificis aedificiis nuper cohonestari coepit. Haec cum a vicinis mihi est accommodata, tum vero compendiosum habet exitum ad utramque meam villam.

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correspondance de Budé et Vives

[9]  Par ailleurs, j’ai acheté, comme on dit, un cochon dans un sac. Car j’ai acheté la maison après l’avoir à peine regardée, du coin de l’œil et en passant. Et il ne m’a pas été permis d’inspecter à fond l’intérieur, à cause d’un locataire. C’est pourquoi, quand j’y ai déménagé cette année, j’ai commencé à la restaurer et j’ai été contraint par la nécessité de refaire totalement une partie qui avait été détruite. S’est ajouté un autre ennui, à savoir qu’il ne m’a pas été possible d’utiliser les anciennes pierres, ni même les planchers, de peur de paraître construire pour moi plutôt que pour mes enfants. Ainsi, ce qui aurait pu être attribué au luxe dans des petites maisons de plaisance à la campagne est devenu en ville le fait d’une nécessité pressante. [10]  Voilà ce que j’ai estimé devoir attester devant toi, de peur que ne me soit porté à préjudice le fait que tu m’as rencontré chez moi (à ce qu’il semble) vêtu d’une tunique et me préoccupant de soucis de ce genre, de manière inappropriée au mode de vie d’un homme d’études. Voilà la raison de la frugalité que j’ai poursuivie pendant trois ans; quant à mon Plutus, qu’Érasme semblait jadis m’envier, je lui ai rendu les derniers devoirs: il n’a pas été emporté par le vol, par les jeux du hasard, par la force ou par un accident, mais il a été épuisé, détruit, anéanti par une grêle de pierres. [11]  Après tant de circonstances qui ont détourné mon esprit de mon comportement habituel, j’ai voulu aussi être curieux et, comme si je m’étais lié par un sacrifice expiatoire à la déesse ‘Joie de vivre’, je me suis décidé à plonger mon regard sur la Cour et même à l’intérieur de la Cour. Malheur à moi, qui ne puis nier cette expiation: en effet, il ne me suffisait pas de m’être causé pendant près de trois ans tant de tracas, d’avoir été privé du plaisir de l’étude, d’avoir consacré tant de temps à mes comptes, il me fallait encore éprouver les souffrances de l’Iliade. [12]  Cependant ‘les choses ne vont pas si mal’, comme on dit; en effet, après avoir perdu entretemps la tête pendant trois ou quatre mois, j’espère avoir fait au moins un progrès: ce monstre, certes de belle apparence mais plus trompeur et plus pernicieux que la Sirène, que nous appelons Cour et dont j’avais eu quelque expérience auparavant, j’ai commencé à le haïr et à l’avoir en horreur, comme un oiseau de mauvais augure. Si je n’avais pas disposé de dieux apotropaïques, favorables et propices, je me serais jeté en pleine gueule du monstre, puisque j’avais pris mon élan sous de mauvais auspices. [13]  À présent, j’espère avoir bien perçu la gloutonnerie séduisante de celui-ci; je ne m’en approcherai dès lors plus jamais, à moins que (étant

Lettre 131 [9]  Ceterum

(quod aiunt) porculum intra saccum mercatus. Nam

domum emi vix oculis limis per transitum inspectam. Neque enim tum licuit ob inquilinum intus eam perlustrare. Quare cum hoc anno in eam

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transivissem, reconcinnare eam adortus, eo necessario perductus sum, ut partem eius dirutam ab integro restaurarem. Deinde hoc incommodi accessit, quod ne redivivo quidem lapide uti mihi licuit, ne contignatione quidem eadem, ne ipse mihi magis quam liberis aedificare viderer. Ita quod in praetoriolis rusticis luxui imputari potuit, in urbe necessitatis

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expressae fuit. [10]  Quod

ideo testandum apud te duxi, ne mihi vitio vertatur quod

domi me tunicatum (ut arbitror) offendisti, et circa huiuscemodi curas satagitantem, haud congruenter utique studiosi viri instituto. En tibi rationem frugalitatis meae, quam triennio ego secutus: Plutum illum

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meum, quem mihi aliquando Erasmus invidere videbatur, funere tandem extuli, non latrocinio, non alea, non vi aut casu sublatum, sed lapidatione confectum, peremptum et obrutum. [11]  Post

haec tanta ingenii mei avocamenta ab solito instituto

etiam curiosus esse volui, et velut in Euthymiae numen piaculo me

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obstrinxissem, aulam inspicere sustinui atque etiam introspicere. Miserum me, qui id infitiari piaculum nequeo: scilicet parum erat totum paene triennium tot mihi negotia meipsum facessisse, studii voluptate caruisse, tantum temporis rationibus meis exemisse, nisi etiam Iliadis molestiarum periculum facerem. [12]  Tametsi

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οὐδ᾽οὕτω κακῶς, ut aiunt; nam interim ineptiens tribus aut

quattuor mensibus tantum me spero profecisse, ut speciosum quidem illud monstrum, sed Sirene pellacius exitiabiliusque, quam Aulam appel‑ lamus, haud antea mihi inexpertum, ita denique coeperim odisse et aversari ut avem inauspicatam. Quod nisi τοὺς ἀποτροπαίους θεοὺς prae­ sentes ac propitios habuissem, in medias utique fauces monstri me insi‑ nuavissem, ut quidem impetum haud auspicato ceperam. [13]  Nunc

vero ita perspexisse illecebrosam eius ingluviem me spero,

ut numquam propius accessurus sim, nisi (ut sunt humana non in homine

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correspondance de Budé et Vives

donné que le destin humain ne dépend pas de l’homme) quelque pâle génie ne commence à envier ma tranquillité d’esprit et ne m’attire à nouveau dans la Cour que j’ai fuie; que les dieux m’en préservent! Si je succombe en toute intelligence et lucidité, je consens à ce que le Dieu très bon et très grand me châtie avec la peine maximale. [14]  Et toi, tu me crois assujetti à la Cour au point de ne pas désirer être sous ma propre juridiction et au pouvoir de la philosophie? Écarte de toi, s’il te plait, mon cher Luis, cette opinion et, sauf si tu penses que je suis déloyal, crois bien que je suis maintenant rendu à moi-même, à ma chère Philologie, à mes amis et à la nation de tous les lettrés et humanistes, ceux du moins qui voudront engager et contracter une amitié avec moi, ce que tu semblais appeler par des vœux presque solennels. [15]  Moi, je préférerais cette prostitution de la liberté, cet étalage inconvenant d’activités et de ressources, ce lieu de torture pour mon âme éprise de tranquillité, à la volupté de l’étude, à l’exercice de ma plume, à l’officine de l’intelligence? Mais c’est dans cette officine que sont forgées et sculptées les représentations de l’esprit et des sens non seulement en imitation de la nature, mais aussi selon la morale. De même que vous savez que celles-ci ne périront jamais, de même vous savez qu’elles doivent être consacrées par la mémoire et la haute opinion de la postérité. [16]  Je jure par Dieu et par toutes les divinités: j’accorde plus de prix à la pratique durable, assidue, constante de ma Philologie, à la vie commune et partagée avec mon épouse, à la compagnie de mes enfants - jouis‑ sant des chatteries de mon unique fille chérie et entendant mes enfants qui font grand bruit et jouent ensemble - qu’à tous les fastes de la Cour, qu’à toutes ces mirifiques apparences de l’entourage du roi et à toutes ces fonctions de serviteur du prince, sanctionnées par la perte de la liberté. [17]  Quoi? À combien estimes-tu la vision de jardins, de pâturages, de champs exempts d’édifices qui lui font obstacle? À combien le charme des propriétés de la campagne, les promenades dans des endroits ombragés qui se dérobent à la vue, qui sont propices à la méditation, à l’étude, à la récitation, qui sont accompagnées de musique harmonieuse, qui sont absolument libres de tout souci en ce qui concerne la sécurité et la tran‑ quillité? À combien enfin ce loisir de savourer mon bonheur, lorsque je me sens vivre comme responsable de mon œuvre et réalisateur de mes travaux en parcourant mes rangées d’arbres, dont j’ai veillé, il n’y a pas si longtemps à établir les mesures et le tracé? [18]  J’estime que ceux à qui il arrive de vieillir dans le vacarme de la place publique ou dans les intrigues de la Cour, certes, profitent de

Lettre 133 sita) lividus aliquis genius securitatem mihi invidere coeperit, et velut aulae fugitivum ad eam retraxerit, quod divi omen avertant. Quod si sciens prudensque fallo, causam haud dico quin me Deus Optimus Maximus maximo quodam mactet infortunio. [14]  Et tu me arbitraris aulae mancipatum ita esse, ut nec mei iuris esse cupiam nec ditionis philosophiae? Apage, sis, mi Ludovice, istam opinionem, et nisi perfidiosum me esse putas, mihi me et Philologiae meae, amicis et litteratorum omnium studiosorumque nationi restitutum nunc esse crede, qui quidem mecum inire et contrahere amicitiam volent, id quod tu votis prope conceptis exoptare videbare. [15]  An vero ego illam libertatis prostitutionem, illam industriae et facultatis venditationem indecoram, illam denique mentis carnifi‑ cinam tranquillitatis cupidae, commentandi voluptati, stili exercitationi, ingenii officinae praeferrem? in qua officina animi sensusque simulacra cuduntur et effinguntur, non modo iconice, sed etiam ethice elaborata. Ut numquam ipsa interitura, ita perenni memoriae famaeque consecranda posteritatis scitis. [16]  Ita me Deus divique omnes iuvent: ut ego Philologiae meae iugem, assiduam, perennem consuetudinem, uxoris consortium et convictum, liberorum comitatum cum filiolae unicae blandimentis et infantium acroamatis strepitantium inter se et collusitantium, pluris esse duco quam omnes fastus aulae et mirificas illas species regii comitatus, omnes principis apparituras libertate multatas. [17]  Quid? Hortorum, pascuorum, arvorum conspectum, nullis offi‑ cientibus aedificiis liberum, quanti esse aestimas? Quanti villarum amoenitatem, ambulationes inter opaca abstrusas, meditando, commen‑ tando, recitando implicitas, rhapsodiis canoras, numeris omnibus secu‑ ritatis tranquillitatisque solutas? Quanti denique illud otium fruendae felicitatis, cum interordiniis arborum obeundis, quibus ipse metandis non pridem in versusque oblongos porrigendis interfui, velut operis curator operarumque exactor, vivere me sentio? [18]  Eos autem, quibus vel in fori strepitu vel in aulae ambitu consene­ scere contingit, aura quidem vesci ac spirare, non etiam frui vita caelique 108. officinae praeferrem, in qua officina GBlatgr, GBluc: officinae, liberis praeferrem, in qua GBeppr, Z   126. fori GBlatgr, GBeppr, GBluc: forti Z

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l’air et respirent, mais ne jouissent pas de la vie et ne sont pas capables de contempler avec admiration le ciel; car il ne leur est ni loisible ni plaisant (ô misérable condition de vie!) de vivre avec eux-mêmes et de se retrouver avec leur génie propre. [19]  Ici enfin, je n’éprouve de souffrance que lorsque m’envahit le souvenir de la ville qu’il faudra regagner, comme si le joug devait à nouveau être subi par un cheval lâché dans des pâturages. En vérité, je pense que le plaisir de la lecture, de l’étude, de l’écriture ne doit pas être échangé par ceux qui l’ont à portée de main, la faveur divine les y aidant, contre du bronze et de l’or, ni même contre les sceptres, les fais‑ ceaux et les bandeaux sacrés, qui font miroiter leur splendeur aux yeux du commun. [20]  J’ai jugé et décidé cela ni à la légère, ni dans un élan inconsidéré ni dans une vaine réflexion philosophique (comme cela arrive). C’est la sentence définitive d’une âme assurée et soutenue par une confiance inébranlable à la suite d’une profonde et longue méditation, pourvu que la Providence m’accorde de pouvoir relever de ma propre juridiction. Je pense avoir pris en considération tous les modes de vie, avoir pesé avec soin toutes les coutumes de nos compatriotes, pour autant que je dispose de suffisamment d’éléments afin d’évaluer les avantages et les inconvé‑ nients de chaque mode de vie, en quoi l’un l’emporte sur l’autre ou lui est inférieur. [21]  Aucun souvenir ne suscite autant mon hilarité que lorsque je me rappelle que toutes mes facultés, comme si elles étaient vagabondes, erraient à l’aventure dans la pensée et le soin consacrés à tout ce qui semble être particulièrement incompatible avec la philosophie et diamé‑ tralement opposé (comme on le dit dans un proverbe grec) à la vie que j’ai menée pendant près de 28 ans; lorsque je me rappelle aussi que tous mes sentiments ont quitté leur poste à cette occasion, ont divagué longuement et longtemps, comme des vagabonds et des soldats retardataires, et ont exploré beaucoup de voies qui ne convenaient nullement à mon projet, avec un résultat pas du tout désavantageux. [22]  Mes sentiments se sont retirés sans désordre dans leur forteresse, dès que le commandement de l’âme leur a enjoint de sonner la retraite, de telle sorte qu’ils acceptent maintenant volontiers les ordres de la raison et montrent ostensiblement qu’ils seront désormais soumis au pouvoir de la philosophie. Eh bien, pour parvenir à une telle disposition de l’âme, la fortune aura, me semble-t-il, peu de droits en tant qu’émule de la philoso‑ phie. Il en résulte que, grâce à un espoir plus vrai et un projet plus assuré,

Lettre 135 suspiciendi compotes esse censeo, quibus utique ipsis (o miseram vivendi condicionem) nec licet umquam nec libet secum vivere et suo versari cum genio. [19]  Ibi

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unam demum experior aegritudinem, cum mihi subit scilicet

repetendae urbis memoria, non aliter atque si iugum rursus subeundum sit equo in pascuis soluto. Enimvero lectitandi, commentandi, scripti‑ tandi voluptatem, iis quidem certe, queis ea res sub manus succedit numine aliquo aspirante, nec aere nec auro permutandam esse censeo,

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ne sceptris quidem ipsis, nedum fascibus et infulis ad vulgus splendorem suum venditantibus. [20] 

Neque id temere ipse inconsultoque impetu, aut inani (ut fit)

philosophatione iudico et statuo. Certa est haec sententia animi confir‑ mati fiducia solida subnixi, multa atque diuturna meditatione quaesita:

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det mihi modo providentia ut iuris mei esse possim. Omnia enim vitae genera considerasse, omnia instituta hominum nostratium expendisse accurate mihi videor, dumtaxat quod satis esse possit ad aestimandum quid in unoquoque genere commodi sit et incommodi, quoque aliud alii praestet aut alio deterius sit. [21]  Sed

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nihil perinde hilariter recordor, quam cum omnes animi mei

potestates commemini veluti palabundas exspatiari in earum rerum cogitatione et cura, quae maxime abhorrere a philosophia videntur, et per diametrum esse obiecta (ut est in Graecorum proverbio) ei vitae quam ego institui annos iam prope duodetriginta, omnesque sensus meos per

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occasionem a statione sua emissos, veluti errones aut emansores longe diuque pervagatos esse, et multa explorasse nihil ad institutum perti‑ nentia eventu haud incommodo. [22]  Quippe

qui in praesidia se sua haud turbide receperunt, statim

atque principatus animi receptui canendum esse censuit, ita ut imperia nunc libentes a ratione accipiant ac sese in potestate futuros philoso‑ phiae prae se ferant. Atqui in huiuscemodi constitutionem animi fortuna aemula philosophiae parum mihi iuris videtur habitura. Quo fit, spe ut certiore ac securiore proposito instructum me esse confidam adversus

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correspondance de Budé et Vives

je crois être armé contre la nécessité inéluctable du destin; il en résulte aussi que la fortune ne pourra mener des affaires avec un homme attaché par les liens les plus forts à l’étude des lettres. [23]  Je ne voudrais donc pas qu’on croie par la suite que telle a été la disposition de mon âme sans que j’aie fourni préalablement des preuves indiscutables de la chose, pourvu qu’il ne m’arrive aucun malheur sur le plan humain, ce à quoi devra veiller la divine Providence; de sa bonté dépend ce que nous pourrions faire et ce que nous faisons. ‘Ainsi donc je pense le contraire de la masse et de ceux qui la commandent; c’est pourquoi je considère avec un grand mépris ce dont ceux-ci font le plus grand cas, tandis que ces mêmes gens n’ont cure de ce que nous admirons’. [24]  Salue donc avec les mots qui sont les miens, notre cher Érasme: grâce à ce dont je t’ai parlé il n’y a pas si longtemps, tu dois déjà l’avoir persuadé que je ne lui tiens pas rigueur des termes employés. La querelle qu’il a engagée contre moi avec finesse et esprit sous forme de déclama‑ tion n’aurait pas dû m’offenser, d’autant plus qu’il n’a lancé aucun dard de façon à ce point dommageable qu’il ne puisse être arraché par lui quand il le voudra et que l’endroit de la petite blessure ne puisse être cicatrisé. [25]  Pour qu’il sache cependant combien j’ai été troublé par son comportement, je voudrais que tu l’informes que je ferai imprimer cette lettre, à moins qu’il ne m’ait précédé; et je lui ferai volontiers la proposi‑ tion suivante: à lui de décider s’il veut conclure et réaliser un pacte de ce genre avec moi à condition que nous ne conservions ni l’un ni l’autre un mauvais souvenir du différend qui nous a opposés. Néanmoins, je lui en veux de sa défiance, bien que j’aie juré ne pas lui garder rancune de ce qu’il a écrit. [26]  Tu tiens l’argument de la longue lettre que tu as réclamé, si tu as le temps de régler un compte avec moi à propos de bagatelles. [27]  Porte-toi bien. Paris, le 19 août 1519.

Lettre 137 indeprecabilem fatorum necessitatem, nec magnopere fortuna negotia facessere possit studio litterarum obhaerescenti. [23]  Huiuscemodi porro fuisse animi mei habitum credi nolim in posterum, nisi eiusce rei documenta dedero luculenta, modo nihil mihi acciderit humanitus, id quod ipsum divina viderit providentia, cuius est benignitatis quicquid possumus et praestamus: οὕτω γοῦν τἀναντία φρονῶ τοῖς τε πολλοῖς τοῖς τε τῶν πολλῶν προστατεύουσιν, ὥστε μέγα ἔγωγε φρονῶ ἐπὶ καταφρονήσει ὧν οὗτοι ποιοῦνται περὶ πλείστου, τούτων αὐτῶν αὖ δήπως οὐ κηδομένων ὧν ἡμεῖς θαυμάζομεν. [24]  Erasmum meum tuumque verbis meis saluta, cui ex iis quae tecum locutus sum non pridem, persuasisse iam debes nihilo me illi infen‑ siorem esse ob illam scriptionem. Quicquid enim in me scite ac lepide per speciemque declamationis velitatus est, offendere me non debuit, praesertim cum nihil ita noxie spicularum emiserit, ut non ab eodem ipso evelli queat cum volet, vulnusculique locus cicatrice obduci. [25]  Ut autem sciat quam eiusmodi facto eius conturbatus sim, velim ut eum certiorem facias, me epistulam eam imprimendam curaturum, nisi ipse anteverterit, feramque libens hanc ei condicionem, liceat ut ei statuere an eiuscemodi pactum concipere inireque mecum velit, ἐφ’ᾧ μὴ μνησικακήσομεν ἄμφω τῶν ἀντεπεσταλμένων ὑφ’ἡμῶν, καίτοι ἄχθομαι μὲν ἔγωγε ἀπιστούμενος ὑπὸ τούτου, καίπερ ὀμοσάμενος ἦ μὴν μὴ ἀχθεσθῆναί γε αὐτῷ ὑπὲρ τῶν γεγραμμένων. [26]  Habes quod petiisti longae epistulae argumentum, si tibi vel in nugis paria mecum facere vacaverit. [27]  Vale. Parisiis, quartodecimo Kalendas Septembres M.D.XIX.

167. δήπως GBlatgr, GBluc, GBeppr: δήπος Z 173. spicularum GBlatgr, GBluc: spiculatum GBeppr, Z 179. ἡμῶν GBlatgr, GBluc: ὑμῶν GBeppr, Z 179. ἄχθομαι μὲν GBlatgr, GBluc: ἄχθομαί μεν GBeppr, Z

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correspondance de Budé et Vives

2. litteris tuis perlectis: cette lettre de Vives n’a pas été conservée. 4. pro suo more: le 21 mars 1519 Érasme écrit à Budé: ‘Ad postremas litteras tuas ... nihil omnino respondeo.’ (A, ep. 930). non rescripsit alteris iam litteris meis: ces deux lettres sont, sans doute, d’une part celle que Budé écrivit le 10 juin 1519 et confia à Vives (A, ep. 987), d’autre part, celle du 30 juin 1519 qu’Henricus Glareanus et Jacobus Ceratinus se sont chargés d’apporter à Érasme (A, ep. 992). La réponse d’Érasme (A, ep. 1004, datée c. 9 août) arriva manifestement à Paris après l’expédition de la présente lettre. 5-6. stomacho meo haesisse ... grandem illam epistulam: dans une longue lettre du 22 décembre 1518 (A, ep. 906), Érasme affirme son amitié éternelle pour Budé. À noter que Budé avait déjà exprimé la même idée dans sa lettre à Érasme du 30 juin 1519, en employant une tournure presque identique: ‘longam illam epistulam tuam ... quod tibi me infensum reddiderit.’ 35. proscriptiones praediorum: Cic. Flacc., 74: ‘praediorum pro­scrip‑ tiones cum aperta circumscriptione fecisti.’ 59-60. Domum emi procul foro, sed ea in regione urbis: la maison dans la rue Saint-Martin à Paris (maintenant le no 203), où Budé passera les derniers jours de sa vie. Dans sa lettre à Érasme du 1er février 1519, Budé avait écrit: ‘j’ai acheté récemment une maison et suis venu l’habiter, tout en y faisant faire à la hâte les réparations.’ Voir Delaruelle, Réper­ toire, p. 77, n. 1; Garanderie, Correspondance, p. 185, n. 2. 63. porculum intra saccum mercatus: ce proverbe n’existe pas dans l’Antiquité. Voir e.a. les Adages d’Érasme et les Paroemiographi Graeci, éd. E.L. von Leutsch et F.G. Schneidewin, 2 vols (Göttingen, 1839-1851; repr. Hildesheim, 1965) ; Andreas Schottus, Παροιμίαι ἑλληνικαὶ. Adagia sive Proverbia Graecorum ... (Anvers, 1612). Il est vraisemblable que Budé l’a traduit du français, où le proverbe ancien ‘acheter un cochon dans un sac’, est actuellement remplacé par l’expression plus commune: ‘acheter un chat dans un sac’. On rencontre cette dernière expression dans d’autres langues européennes: cf. en allemand: ‘die Katze im Sack kaufen’; en néerlandais: ‘een kat in een zak kopen’; en italien: ‘comprare la gatta nel sacco’; en espagnol: ‘comprar gato en saco’. Ce n’est qu’en anglais qu’on retrouve encore: ‘to buy a pig in a poke’. 66-67. reconcinnare eam adortus ... restaurarem: les travaux de restauration et de reconstruction étaient achevés début février 1520. Voir la lettre de Budé à Vives du 2 février 1520 (ci-après ep. 3, l. 16: ‘villa urbana absoluta est.’)

Lettre 139 68. redivivo ... lapide: cp. Cic Verr. 2, 1, 147: ‘nullo lapide redivivo’. 75. Plutum: dieu de la richesse. 75-76. Plutum illum meum, quem mihi aliquando Erasmus invidere videbatur: pour les allusions fréquentes à la richesse de Budé dans les lettres d’Érasme et la réplique de Budé, voir A, epp. 421, 435, 480, 493, 531; à la fin de sa lettre du 5 février 1517 (A, ep. 522), Budé adjure Érasme de ne pas l’envier, et dans celle du 1er février 1519 (A, ep. 915) il répète qu’il prend au sérieux ses allusions à ses richesses. 80. Euthymiae numen: le nom grec εὐθυμία, ‘bonne humeur’ ou ‘enjouement’, considéré ici comme une divinité. 84-85. Iliadis molestiarum periculum facerem: l’Iliade d’Homère contient toutes les formes possibles d’adversité. Voir Cic. Att. 8, 11, 3: ‘Tanta malorum impendet Ἰλιάς; Érasme, Adagia, 229: ‘Ilias malorum’, tiré du proverbe grec Ἰλιὰς κακῶν. 86. οὐδ᾽οὕτω κακῶς: dans son Septem sapientium convivium, 2 (= Moralia, 147C), et aussi dans son De Tranquillitate animi, 6 (= Moralia, 467C) Plutarque évoque un jeune homme qui jette une pierre sur une chienne qui aboie. Il la manque, et, la pierre frappant sa belle-mère, il s’exclame: ‘οὐδ᾽οὕτω κακῶς’ (‘Pas si mal’). À noter que Budé avait publié dès 1505 une traduction latine du De tranquillitate animi de Plutarque. Un manuscrit très soigné de cette traduction se trouve à la Bibliothèque de Genève (Ms. lat. 124). Jacques Toussain (†1547) ou Tus(s)anus, disciple préféré de Budé et plus tard professeur de grec au Collège Royal, publia en 1526 (= 1527) un commentaire sur les lettres de Budé, dans lequel sont traduits en latin presque tous les passages grecs des lettres de Budé. On trouve la descrip‑ tion technique de cette édition, intitulée Annotata in G. Budaei episto­las tam priores quam posteriores, dans Renouard, Imprimeurs, II, 232 (no 563). Ces traductions se trouvent dans l’édition de 1531 (=GBlatgr) en bas de page. C’est cette dernière édition qui servira de référence, mais si besoin en est, l’édition de 1526 sera également prise en considération. Le passage en question est traduit par: ‘Neque sic male’. Sur J. Toussain, voir la notice de P. Bietenholz dans CE III, 336-337, ainsi que J.-F. Maillard - J.M. Flamand, La France des humanistes. Hellé­ nistes, II (Turnhout, 2011), pp. 369-569. 86-87. tribus aut quattuor mensibus: Budé était probablement retourné à la Cour au début de l’année 1519. Sa lettre du 6 mars 1519 (A, ep. 924), adressée à Érasme, montre que François Ier lui avait ordonné d’accompagner Étienne Poncher (nommé archevêque de Sens le 19 mars

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correspondance de Budé et Vives

1519) et Artus Gouffier, seigneur de Boisy et Grand-Maître responsable de l’Hôtel du Roi, à Montpellier, en vue des négociations entre Charles de Habsbourg et François Ier. L’ambassade partit de Paris le 21 mars (A, ep. 929, du 19 mars: ‘hoc triduo’) et arriva à Montpellier le 3 mai. Gouffier étant mort à Montpellier dix jours plus tard, le 13 mai, il est vraisemblable que Budé soit retourné directement à Paris, où il rencontra Vives deux fois avant que l’humaniste espagnol ne quitte Paris le 15 juin 1519. 88. Sirene pellacius exitiabiliusque: les Sirènes étaient des oiseaux au visage de femme, qui vivaient sur trois îles rocheuses, qu’on situait géné‑ ralement sur la côte sud-ouest de l’Italie, à l’entrée du détroit de Messine. Leur chant magique attirait tellement les navigateurs qu’ils perdaient le contrôle de leur bateau et faisaient naufrage. 90. τοὺς ἀποτροπαίους θεοὺς: les dieux qui détournent le mal, comme Jupiter, Apollon ou Hercule; en latin on trouve le verbe ‘averruncare’, d’où le dieu Averruncus. Toussain écrit dans son commentaire: ‘Averun‑ canos (sic) deos, hoc est mala arcentes’. 92. haud auspicato: cf. Ter., Andr. 807-808: ‘haud auspicato / huc me appuli’. 97. causam haud dico quin: cf. Plaut., Capt. 625-626: ‘nullam caussam dico quin mihi / et parentum et libertatis apud te deliquio siet.’ 100. Apage, sis: interjection employée fréquemment par Plaute et par Térence. 114. filiolae unicae: Budé avait épousé c. 1506 Roberte Le Lieur, qui lui donna onze ou douze enfants. Voir Garanderie, Correspondance, p. 185, n. 1 et notices (parfois divergentes!) dans CE I, 212-217 et dans Centuriae I, 221-231. Dans la seconde édition du De asse (14 Octobre 1516), Budé affirme qu’à cette date il était père de six garçons et d’une fille: ‘Illi vero saepe commentanti aures obtundunt iucundo quiritatu, unica cum sorore lusitantes.’ Sa lettre à Érasme du 1er mai 1516 (A, 403) et celle du 19 janvier 1517 à son frère Louis confirment ces données. Dans la lettre à son frère, Budé indique que sa femme a accouché d’un huitième enfant. Un enfant est probablement mort avant le 9 septembre 1518, quand Budé annonce à Thomas More la naissance d’un septième fils. Un autre doit être décédé avant le 2 février 1520, quand il écrit à Vives qu’il est père de six enfants en vie (voir ci-après ep. 3, § 6). Sur cette situation familiale quelque peu embrouillée, voir Delaruelle, Répertoire, p. 13 et Lavoie, Correspondance, pp. 90-91 et p. 97, n. 17.

Lettre 141 148-149. per diametrum ... Graecorum proverbio: le Thesaurus Linguae Graecae nous informe que cette expression se rencontre une fois dans le Comment écouter de Plutarque et dans le De l’utilité des parties du corps humain de Galien, deux fois dans le Timée de Platon et dans les Vies des philosophes de Diogène Laerce et neuf fois dans Aristote (une fois dans le Le ciel, l’Éthique à Eudème et l’Éthique à Nicomaque; deux fois dans l’ Histoire des animaux; quatre fois dans La marche des animaux). Voir aussi Érasme, Adag. 945 (ASD II.2, p. 450): ‘Ex diametro opposita. Diametro distant.’ 163. nisi eiusce rei documenta dedero luculenta: Budé publiera à Paris en 1520 son De contemptu rerum fortuitarum. 163-164. modo nihil mihi acciderit humanitus: voir Cic. Phil. 1, 4 et le commentaire d’Aulu-Gelle 13,1. 165-168. Traduction latine de Jacques Toussain dans GBlatgr: ‘ita certe in diversum sentio quam vulgus vulgique praesides, ita ut quae plurimi faciant, ea fortiter ego magnificeque contemnam; iisdem contra pro nihilo ducentibus quae nos admiramur.’ 169. Erasmum meum tuumque: voir la lettre écrite par Vives à Érasme le 20 juin 1519 (A, ep. 1108, datée erronément du 4 juin 1520), ll. 71-72: ‘Budaeum iam olim tuum, nunc meum, immo vero nostrum.’ Sur la date correcte de cette lettre, voir G. Tournoy, ‘ The correct date of a letter by Juan Luis Vives to Erasmus’, Studia Philologica Valentina, 14, n.s. 11 (2012), 11-15. 176-177. me epistulam eam imprimendam curaturum, nisi ipse anteverterit: Budé avait écrit dans sa lettre du 30 juin 1519 à Érasme (A, ep. 992) qu’il n’était pas du tout irrité contre lui et qu’il ne voyait pas d’inconvénient à ce qu’Érasme fasse imprimer les deux lettres de Budé (A, ep. 915 et 924) ainsi que sa propre longue lettre (A, ep. 906). Érasme n’hésite effectivement pas à insérer ces lettres dans son recueil intitulé Farrago nova epistolarum (Bâle, octobre 1519). 178-181. Traduction latine de Jacques Toussain dans GBlatgr: ‘Hac lege ne quae a nobis invicem scripta sunt, eorum memoriam refricemus, quamquam feram equidem moleste quod fidem ipse mihi non habeat vel iurato, non iniqui me aut mali ab eo scripta consuluisse.’

3. Epistolae Gulielmi Budaei Regii Secretarii (Paris: Josse Bade, 20 août 1520, première édition, 2me tirage): page de titre

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2. BUDÉ À VIVES Marly, 2 janvier 1520 Budé prie instamment Vives de le laisser jouir quelque peu d’un repos bien mérité en raison des œuvres qu’il a déjà publiées: il ferait mieux d’importuner l’infatigable Érasme avec de telles demandes pressantes. Il a envoyé deux lettres à Érasme et il s’étonne qu’aucune ne soit arrivée. En revanche, il n’avait pas écrit à Vives, puisqu’il ne trouvait pas de messager et que c’était au tour de Vives d’écrire. Depuis, il a reçu deux lettres de Vives en quatre jours. Il se hâte de répondre à la première et lorsqu’il trouvera un peu de temps, il répondra aussi à la seconde. Cette lettre porte la date ‘postridie Kalendas Ianuarias M.D.XIX’. Cette date est évidemment exprimée selon l’Ancien Style, puisque l’amitié entre les deux humanistes ne débuta qu’en juin de l’année 1519 (voir la lettre précédente, § 24). De plus, Budé y mentionne ses deux lettres à Érasme, en l’occurrence celles de septembre 1519 (A, epp. 1011 et 1015). GBeppr, ff. 25v- 28r; Z, pp. 38-41; GBlatgr, fols. XIVr- XVv; GBluc, pp. 255-256.

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correspondance de Budé et Vives

Guillaume Budé à Luis Vives, salut [1]  Maintenant, maintenant je comprends ce que j’ai imprudemment soulevé contre moi. J’ai écrit - je pense - que je fournirais des preuves indiscutables du rétablissement presque complet de mon âme et de sa détermination à s’en tenir à une ferme résolution. Prends garde, il se pourrait que tu m’aies arraché précipitamment la promesse de grandes œuvres et de grands écrits. En effet, par ta lettre qui en exprime le vif désir, que fais-tu d’autre que de me réclamer l’exécution de ma promesse téméraire et de m’exhorter à me souvenir de l’attente que j’ai provoquée à mon sujet ? [2]  Las, ami très cher, veille à ne pas peser sur moi ni à m’accabler par un jugement hâtif. Je n’ai pas pensé que tu interpréterais mes paroles de cette façon. Qu’en est-il si je réclamais que mes paroles soient comprises de la façon suivante: j’ai décidé que je couverais désormais l’étude des lettres, que je m’attacherais au culte et à l’observance de la philosophie de manière à ne pouvoir en être détourné par aucun espoir d’honneurs et de biens matériels ni à être porté vers ces préoccupations et curiosités qui ont des bagatelles pour objet? Est-ce que tu rechigneras à être indulgent à mon égard sur ce point? [3]  Je te serai infiniment reconnaissant, mon cher Vives, de me permettre de jouir librement et pleinement du loisir que depuis longtemps je désire ardemment, plus que tout autre homme. Si tu ne m’accordes pas un loisir qui n’est ni rempli d’affaires ni abondant en labeurs, alors tu me replonges dans ces ennuis mêmes dont je m’étais dégagé avec joie en présentant mes compliments à la Philologie. [4]  Non que je refuse, si de ce loisir devait naître spontanément une tâche pour mon esprit (comme cela arrive), de m’y engager de tout mon cœur; mais je supporte mal et crains ton attente, qui est en train de calculer exactement mon loisir, qui gâche le plaisir que je prends à lire et le temps que je consacre à l’étude et surtout qui semble exiger que je fonce tout droit d’un travail champêtre, réalisé en plein air, à un travail dans l’ombre d’un intérieur, semblable à celui d’un meunier près de sa meule. [5]  Ta magnifique opinion de moi pèse tellement que je suis forcé de ployer sous ton estime comme sous un poids excessif et trop lourd. Ne sera-t-il même pas permis à Budé d’interrompre ses activités dans



Lettre 2

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Guilielmus Budaeus Ludovico Vivi salutem [1]  Nunc,

nunc intelligo imprudens quid in me admiserim. Scripsi (ut opinor) animi mei iam paene compositi atque in certum quoddam propositum confirmati luculenta me argumenta daturum. Hoc vide, ne tu praepropere quasi grandium quorundam operum conscriptionumque pollicitationem arripueris. Ecce enim praegestientibus his tuis litteris, quid aliud quam me temerariae huius pollicitationis appellas, et admones ut commeminerim quam de me exspectationem excitarim? [2]  Heus tu, vir amicissime, vide tuo ne praeiudicio mihi gravis sis et molestus: non ego mea verba sic a te exauditum iri putavi. Quid si ego ita intelligi verba mea postulem: statuisse me posthac sic litterarum studio incubiturum, sic philosophiae cultui observantiaeque haesurum, ut nulla spe nec honorum nec bonorum avelli inde possim, et ad istas nugarum curas curiositatesque adduci? Num in eo mihi indulgere gravabere? [3]  Amabo te, mi Vives, liceat mihi per te otio hoc libere pleneque frui, cuius cupientissimus iamdiu sum ut si quisquam hominum. Qui si hic mihi otium non indulges quod idem non negotii plenum sit laboribusque fetum, nimirum in eandem rursus molestiam me revolvis, e qua emer‑ sisse gaudebam ipse Philologiaeque gratulabar. [4]  Non quod recusem si ex hoc (ut fit) otio negotium sponte ingenii mei enascatur, in id toto etiam pectore incumbere, sed exspectationem istam tuam otii mei rationem exacte subducentem et gravor et vereor, quae mihi legendi voluptatem meditandique spatium adimit, quippe quae hoc exigere videtur, ut a labore campestri ac subdiali ad umbratilem protinus me conferam et tamquam pistrinarium. [5]  Sic ista tua de me magnifica opinione oneras, ut succumbere existi‑ mationi tuae quasi oneri iniquo et praegravanti cogar. Itane vero Budaeo cessare ne in secessu quidem non licebit citra inertiae ac desidiae crimen? 14. curiositatesque GBeppr, Z, GBluc: curositatesque GBlatgr   17. laboribusque GBlatgr, GBluc: et laboribus GBeppr, Z   26. opinione oneras GBeppr, Z, GBlatgr: opinione me oneras GBluc

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correspondance de Budé et Vives

quelque retraite, sans encourir l’accusation d’indolence et de paresse? Ô Jupiter protecteur de l’amitié, qu’est-ce ceci sinon une amitié tyrannique? Des hommes excessivement amicaux et préoccupés de ma renommée au-delà de toute mesure ne me permettront-ils pas de demeurer caché pour le plaisir de mon esprit et de vivre quelque temps dans un oubli tranquille? Pourquoi, avec ton esprit empressé, inapte au repos, ne recherches-tu pas toi-même ce type d’honneurs? Pourquoi m’obliges-tu, moi, un homme aspirant au repos et désormais moins soucieux de gloire, à comparaître une nouvelle fois devant le tribunal des princes des belles lettres? Dans ce tribunal, je sais au prix de quel péril pour leur réputation ils entreprennent cette action, ceux qui engagent en public de nouvelles controverses. [6]  Permets-moi, cher ami, de rester un peu de temps en compagnie de moi-même. Lis, agis avec cet infatigable Érasme, dont l’âme se repaît d’un travail continuel et se vivifie dans les difficultés, qui ne peut avancer aucun motif qui lui interdise de se livrer tout entier à la passion de lire, d’étudier, d’écrire, à qui la perception des attentes et de l’opinion publiques impose, à l’instar de quelque Eurysthée, des travaux continus et pérennes, comme s’il s’agissait de tous les travaux d’Hercule. [7]  Les deux épreuves déjà endurées suffisent, à mon avis, pour me valoir une mise en congé. Si jamais j’ajoute une troisième à celles qui ont déjà été accomplies, celle-là sera de toute façon considérée comme un petit supplément en ce qui concerne l’estime dont je suis déjà l’objet. En effet, pour un homme attaché à son épouse et à ses enfants, quelle cause, quelle occasion, quel plaisir enfin peuvent être à ce point importants qu’il déploie dans la compétition des Lettres et de l’écriture ses esprits déjà affaiblis et émoussés par l’âge et par d’autres circonstances? [8]  Cependant mes meilleurs amis, d’une fidélité on ne peut plus éprouvée, agissent avec moi et me menacent comme si j’étais un fainéant, comme si mes publications, qui constituent des preuves de mon activité, n’étaient que des préludes de ce qui est attendu. Eh bien je me suis (à ce qu’il me semble) grandement trompé d’opinion, moi qui espérais avoir déjà été gratifié de la baguette de mise en congé conformément au jugement de tous, eu égard au fait que j’avais depuis longtemps recouru à la dispense de charges, personne ne s’y opposant. [9]  Maintenant l’affaire me retombe sur le dos (à ce que je vois) à cause de votre erreur à vous qui estimez à un trop grand prix mon activité; ainsi, il me faut non seulement descendre à nouveau dans l’arène et y suer sang et eau à cause du salaire de gloire que vous me payez avec empres‑ sement, mais aussi me trouver dans l’impossibilité d’éviter l’ignominie,



Lettre 2

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O Iuppiter, amicitiae praeses: quid est si haec imperiosa amicitia non est? Mihi igitur per homines immodice amicos ac mei nominis praeter modum

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studiosos animi gratia latere atque in oblivione tranquilla esse aliquan‑ tisper non licebit? Quin tu is ipse in hoc ipsum decus potius cum isto strenuo animo atque irrequieto? Cur hominem me quietis appetentem, gloriae iam minus cupidum, ad iudicium rursus ipse vadaris hominum litterarum praesidum? Quo in iudicio novi quanto discrimine famae suae

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facinus suscipiant ii qui novas controversias in medium deducunt. [6]  Sine

me, quaeso, vir amice, paululum mecum esse. Lege, age, cum

illo infatigabili Erasmo, cuius animus opere perenni pascitur, et rerum vegetatur difficultate, qui causam obtendere nullam potest quominus totus esse debeat in contentione legendi, commentandi, scribendi; cui velut

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omnium laborum Herculi, publicae exspectationis opinionisque sensus, quasi quidam Eurystheus labores continuatos iniungit et perennes. [7]  Mihi

una aut altera aerumna exanclata abunde sunt (ut arbitror) ad

emerendam rudem. Duabus iam confectis si tertiam olim addidero, ea pro corollario habebitur utique existimationis de me conceptae. Etenim

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homini uxori ac liberis obstricto quae causa esse tanta, quae occasio potest, quae voluptas tanta denique, ut in litterarum et scribendi conten‑ tione spiritus iam ab aetate et alias languidiores obtusioresque fundat? [8]  At vero amicorum meorum optimus quisque et spectatissimae fidei

ita mecum nunc agit, sic mihi iam ut cessatori instat, quasi ea, quae iam

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a me edita sunt industriae documenta, velut prolusiones fuerint eorum quae exspectantur. Atqui ipse (ut video) longe opinione falsus sum, qui sperabam rude iam me donatum omnium iudicio, utpote qui iamdiu usurpassem immunitatem nullo intercedente. [9]  Nunc

vero eo mihi res recidit (ut video) errore scilicet vestro

industriam meam nimiopere aestimantium, ut non modo gloriae prolixe a vobis erogatae auctoramento rursus in arenam descendendum sit ac desudandum, sed etiam nisi me in ludum revocaverim, vitare ipse ut 34. rursus ipse vadaris GBlatgr, GBluc: rursus vadaris GBeppr, Z   56. prolixe GBeppr, Z: prolixae GBlatgr, GBluc

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correspondance de Budé et Vives

à moins de me relancer dans le jeu. Et voilà peut-être ma récompense pour avoir répudié l’ambition. D’où me viendra dès lors la confiance en moi pour me montrer à nouveau? D’où me viendra le repos procuré par mes occupations familiales et par la lecture auxquelles je tiens tellement? [10]  Mais si tu as décidé toi-même de ne pas écouter mes justifications, permets-moi au moins de faire mes bagages de soldat à l’endroit où j’ai installé mon atelier de loisir studieux et de tranquillité de l’âme, bien que je n’implore rien de moins de la Divinité que la libération de mes soucis et de mes tracas et que je ne souhaite ni ne demande rien d’autre. Assurément, tu accorderas ce laps de temps à une âme qui se ressaisit. Quoi? La plume émoussée et rongée en quelque sorte par la rouille d’une longue inaction, tu estimes qu’elle ne réclame pas de nombreux recours à la pierre à aiguiser, de nombreux polissages effectués par une lecture pénétrante et délicate? [11]  Ne va pas, cher ami, me presser avant que s’achève le jour qui te permettrait de me citer en justice à propos de cette promesse inconsi‑ dérée ni agir avec moi comme si le délai est déjà sur le point d’expirer à moins que je soumette sous peu quelque ouvrage achevé à ta sentence et à celle des doctes. En effet, que puis-je fournir de digne de ton espoir et de ton estime aussi soudainement? [12]  Cependant, j’aurai pris en considération sous peu ou en tout cas dès que possible cet ouvrage, quel qu’il soit, si le seul espoir – essentiel – de conserver et de retenir mon loisir à mains serrées (comme on dit) ne lui tord pas le cou auparavant. Mais en m’exhortant à achever les Annota­ tions aux Pandectes, tu gaspilles ta peine comme on dit. Car j’ai transmis une fois pour toutes avec plaisir le flambeau de cette entreprise à ceux qui, vu mon retrait indiscutable, ont occupé sans hésiter ma fonction, considérée comme sans titulaire. [13]  Tu t’étonnes que je n’écrive pas: je voudrais que tu saches que j’ai répondu en grec et en latin à la lettre toute récente d’Érasme. J’ai envoyé la première lettre à Herman, un ami d’Érasme, j’ai donné la seconde à Gourmont, qui était venu ici par hasard avec un de mes amis; je ne puis suffisamment m’étonner de ce qui est arrivé à ces lettres, si elles n’ont même pas été livrées à ce jour. [14]  En ce qui te concerne, je ne t’ai pas répondu puisque c’était, semble-t-il, ton tour d’écrire. Ensuite, je n’ai trouvé personne qui accepte la responsabilité de te faire parvenir une lettre. J’ai reçu deux lettres de toi durant ces quatre derniers jours, alors que j’étais en ville pour une affaire qui réclamait tous mes soins. Maintenant, l’occasion s’est présentée de



Lettre 2

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ignominiam nequeam. En mihi praemium fortasse pro repudiata ambi‑ tione. Undenam autem mihi fiducia denuo prodeundi? Unde porro otium

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a curis familiaribus et lectione qua magnopere oblector? [10]  Sin

tute causificationibus non auscultare statuisti, sinito saltem

me sarcinas hic componere, ubi otii litterarii officinam institui animique tranquillitatis, quamquam nihil minus quam curarum sollicitudinumque vacationem divinitus exoro, cum nihil magis optem oremque. Dabis certe

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spatium animo sese recolligenti. Quid? Stilum velut rubigine quadam diuturnae inertiae exesum atque obtusum, non poscere cotem multam arbitraris, multam expolitionem lectionis acris et elegantis? [11]  Noli

igitur, vir amice, ante diem urgere, qui nondum ipse ita cessit

ut appellare me de inconsulta illa pollicitatione possis, atque ita mecum

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agere, quasi mora iamiam intercessura sit, nisi opus aliquod confectum propediem praestitero arbitratu tuo atque doctissimorum. Nam quid ego praestare tam repente potero dignum spe tua et existimatione? [12]  Hoc

ipsum tamen quale sit aut propediem ipse aut certe primo

quoque tempore videro, si spes una ac praecipua amplectendi retinen‑

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dique consertis (ut dicitur) manibus otii non decollarit. Verum quod de Annotationibus in Pandectas peragendis mones, actum agis, ut aiunt. Semel enim lampadem huius incepti illis libens tradidi, qui me non dubie cessante vices meas occuparunt ut caducas. [13]  Quod

miraris me non scribere, velim ut scias Erasmi epi­­stulae

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novissimae Graece et Latine rescripsisse. Priores litteras misi ad Hermannum Erasmi amicum, posteriores Gourmontio dedi, qui forte huc venerat cum homine mihi amico. His litteris quid factum sit mirari satis nequeo, si ne nunc quidem redditae sunt. [14]  Tibi

autem non rescripsi, quando vices tuae iam esse scribendi

videbantur. Deinde nullum inveni qui se litteras ad te perferendas cura‑ turum reciperet. Binas hoc quatriduo a te accepi, cum in urbe essem ob negotium quod me totum poscebat. Nunc occasio se obtulit ut hinc 62. Sin tute GBlatgr, GBluc: Quod si tu GBeppr, Z   71. intercessura sit GBlatgr, GBluc: intercessura GBeppr, Z

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correspondance de Budé et Vives

t’écrire rapidement d’ici et j’ai fait attendre pour cela le messager qui m’a apporté la lettre en ville. Je répondrai à ton autre lettre dès que possible. Ici aussi, j’ai peu de loisir et une affaire de famille me force à courir sans cesse en ville. [15]  Porte-toi bien. Je souhaite que tu vives heureusement afin d’être longtemps notre Vives et d’illustrer (ce que tu fais actuellement) les bonnes lettres. [16]  De notre Marly, le 2 janvier 1519.



Lettre 2

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properanter scriberem, ac nuntium tamdiu ob id moratus sum, qui litteras in urbem pertulit. Ad alteras tuas litteras rescribam cum licebit. Parum est enim hic quoque mihi otii, et ad urbem subinde concursare res me cogit familiaris. [15]  Vale et feliciter vive, ut diu nobis Vives sis et (quod nunc facis) litteras bonas illustres. [16]  Ex Marliano nostro, postridie Kalendas Ianuarias M.D.XIX.

4. Colophon de la première édition (Paris, 1520)

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correspondance de Budé et Vives

4. luculenta me argumenta daturum: voir la lettre précédente de Budé, du 19 août 1519, § 23: ‘nisi eiusce rei documenta dedero luculenta.’ On se demande pourquoi Budé ne veut pas faire mention de son De contemptu rerum fortuitarum, qui sera imprimé quelques mois plus tard. 29. O Iuppiter, amicitiae praeses: Zeus, dieu de l’amitié (ὁ Ζεὺς ὁ Φίλιος), qui apparaît e.a. dans les œuvres de Lucien (par ex. Toxaris, 11-12). Déjà dans sa lettre à Jean Lascaris du 10 juin 1516, Budé emploie l’expression ‘πρὸς Δία τὸν φίλιον’ (‘au tribunal de Zeus, dieu de l’amitié’); voir GBeppr, fols. 112v-114v et la traduction française par Lavoie, Corres­pondance, p. 145. De même, dans sa lettre du 1er août 1528, Budé en appelle à ‘Zeus lui-même, protecteur de l’amitié’ (‘ipsius ... Διὸς τοῦ φιλίου’); voir GBlatgr, fols. cxxxiir - cxxxiiiv. Cf. Luigi-Alberto Sanchi, ‘La correspondance de Guillaume Budé et Jean Lascaris’, dans La société des amis à Rome et dans la littérature médiévale et humaniste. Études réunies par Perrine Galand-Hallyn, Sylvie Laigneau, Carlos Lévy et Wim Verbaal (Turnhout: Brepols, 2008), pp. 383-396 (pp. 385-86). 41. omnium laborum Herculi: Hercule est le nom latin du héros grec Héraclès, fils de Zeus et d’Alcmène, célèbre par ses douze travaux. 42. Eurystheus: c’était sur l’ordre d’Eurysthée, inspiré par Junon, qu’Hercule accomplit ses exploits. 43. una aut altera aerumna exanclata: la mention d’Hercule dans la phrase précédente a entraîné l’emploi du mot rare et archaïque ‘exanclata’, inspiré par Cic. Ac. 2, 108: ‘Herculi quendam laborem exanclatum a Carneade.’ 43-44. ad emerendam rudem: la ‘rudis’ était la baguette d’honneur, que recevait le gladiateur mis en congé, d’où la signification généralisée ‘être admis à la retraite’; voir aussi l. 53: ‘rude iam me donatum’ et cf. Hor. epist. 1, 1, 2: ‘spectatum satis et donatum iam rude.’ 44. Duabus iam confectis: ses Annotationes in Pandectas, publiées en 1508, et son De Asse (1515). 63. sarcinas hic componere: cf. ep. 3, § 8 et ep. 4, § 8. 76. consertis (ut dicitur) manibus: Liv. 1, 25, 5: ‘Consertis deinde manibus’. 77. Annotationibus in Pandectas peragendis: en 1519 Josse Bade avait imprimé la deuxième édition des Annotationes in quatuor et viginti Pandectarum libros; voir Renouard, Imprimeurs, p. 286, no 745; Inven­ taire chronologique des éditions parisiennes du XVIe siècle d’après les manuscrits de Philippe Renouard, II. 1511-1520 (Paris, 1977), p. 518, n° 2006.



Lettre 2

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77. actum agis: Ter., Phorm., 418-419: ‘actum, aiunt, ne agas!’, et Plaut. Pseud. 260: ‘Rem actam agis’; et Érasme, Adagia, 370 (ASD II, 1, p. 456). Quelques mois auparavant, dans sa lettre du 12 novembre 1519 adressée à Salmon Macrin, Budé s’était exprimé de façon semblable à ce propos (GBeppr, fol. 30v): ‘Quare ne diutius erres, de Annotationibus actum iam agunt, qui me eo de nomine appellant, quando eiusce rei absolvendae eos expromissores dare possum ...’. 80-81. Erasmi epistulae novissimae Graece et Latine rescripsisse: les deux épîtres de Budé (A, ep. 1011, entièrement grecque, et ep. 1015, mi-grecque, mi-latine) sont une réponse à la lettre grecque qu’Érasme avait expédiée à Budé c. le 9 août 1519 (A, ep. 1004); toutes deux portent la date du 15 septembre 1519, mais Allen suppose que la lettre entière‑ ment grecque avait été écrite quelques jours auparavant. 81-82. ad Hermannum Erasmi amicum: Haio Herman ou Hermannus Phrysius ou Humpius (1498/1500 - 1539/1540); en ce qui le concerne, voir la notice par C.G. van Leijenhorst dans CE II, 157-158. Budé affirme ici qu’il avait envoyé la lettre grecque adressée à Érasme à Herman, qui était censé la remettre à son destinataire. Il pensait qu’Herman était toujours à Paris. Mais dans un post-scriptum à la seconde lettre, Budé explique que le jeune homme avait déjà quitté la capitale pour fuir la peste et que la lettre lui avait été renvoyée. Il la confia alors à un autre messager (certainement pas Gourmont), tout en prenant soin de changer la date en inscrivant 15 septembre, ce qui était en fait la date de l’expédition. 82. Gourmontio: l’imprimeur Gilles de Gourmont était probablement le porteur de cette lettre. 85. quando vices tuae iam esse scribendi videbantur: le reproche implicite de Budé n’était pas du tout justifié: une lettre de Vives, datée du 1er décembre, ne fut livrée que le 23 avril (voir ci-après, ep. 5) et Budé lui-même confesse dans les lignes suivantes qu’il a reçu deux autres lettres en quatre jours. Aucune de ces lettres n’a été conservée. 87. Binas hoc quatriduo a te accepi: Vives a donc immédiatement répondu à la lettre de Budé du 19 août. Comme il n’a pas reçu de réponse, il a expédié encore une autre lettre. Toutes deux sont arrivées à destina‑ tion, mais avec un délai de plusieurs mois.

5. Gulielmi Budaei, Regii Secretarii epistolae (Bâle: A. Cratander, 1521): page de titre

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3. BUDÉ À VIVES Paris, 2 février 1520 Budé espère que Vives a reçu sa dernière lettre, dans laquelle il se défend contre ses accusations. Il explique que, depuis qu’il a déménagé à Marly, le courrier livré à son adresse parisienne lui parvient souvent avec quelque retard. Il ne se rend qu’une ou deux fois par mois à Paris, et de plus, depuis le début de l’hiver, il est sous l’emprise de la maladie dont il souffre tous les deux ans depuis une quinzaine d’années. Si Vives a appris qu’il avait créé un nouvel ouvrage, il a été probable‑ ment induit en erreur par une réimpression d’une de ses œuvres anté‑ rieures. En tout cas il ne devrait pas s’attendre à quelque chose de neuf tous les six mois: Budé n’a pas d’inspiration, il est malade et à cause de ses multiples responsabilités il n’a même pas encore pu déballer ses livres et cela cinq mois après leur arrivée à Marly. Sa grande famille mérite toute son attention et il a besoin de se détendre après ses voyages diplo‑ matiques et l’agitation rencontrée à Paris. Budé se réjouit du fait que sa lettre est parvenue à Érasme et il demande à Vives de saluer celui-ci quand il le rencontrera. GBeppr, ff. 19 r- 21r; Z, pp. 28-31; GBlatgr, fols. Xr - XIv; GBluc, pp. 250-252.

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correspondance de Budé et Vives

Guillaume Budé à Luis Vives, salut [1]  J’espère que tu as reçu ma justification à propos de ce dont tu semblais m’accuser - avoir négligé mon devoir -, si du moins tu as reçu la lettre que je t’ai envoyée récemment. Je n’ai toutefois pas eu le bonheur de voir le noble Allemand et le Britannique mentionnés dans ta lettre. En l’occurrence, je ne doute pas avoir perdu un gain non négligeable sur le plan de l’amitié à laquelle j’ai destiné les pages principales de mon livre de comptes. En effet, j’ai reçu tes deux lettres le même jour quand je suis arrivé de la campagne en ville. La dernière m’a été remise par hasard plutôt que de propos délibéré; car elle avait été confiée un peu légèrement à des mains étrangères qui l’avaient déjà ouverte avant qu’elle ne tombe entre les miennes. [2]  Ainsi donc, pour que je te trouve mieux disposé à mon égard, il faut que tu saches ceci: vivant maintenant à la campagne, je ne me rends qu’à peine deux fois par mois en ville, et encore si j’y suis forcé, car j’ai transféré en grande partie ma bibliothèque dans mon village de Marly où je passerai l’été prochain, si je vis aussi longtemps. Il y a encore là-bas des affaires qui exigent ma gestion et ma présence, même si ma résidence urbaine est achevée. C’est pourquoi, je ne puis recevoir moi-même immé‑ diatement les lettres envoyées à ma demeure en ville, puisque je vis dans ma maison de campagne, ni avoir des messagers sous la main. [3]  J’ai également été gravement malade au début de l’hiver, ce qui m’est arrivé à peu près tous les deux ans et parfois même chaque année depuis quinze ans, encore qu’il n’y ait aucune saison qui ne soit particu‑ lièrement apte à provoquer mes maux de tête; en dehors des migraines, je ne souffre pratiquement d’aucune autre maladie. [4]  Venons-en aux félicitations que tu m’adresses et que tu t’adresses à propos du nouveau livre: je ne puis supporter aisément la joie injustifiée qui t’emporte quand tu considères comme un nouvel ouvrage un texte qui a déjà été envoyé au minimum quatre fois chez l’imprimeur. J’entends dire en effet qu’un de mes ouvrages sera réédité sous peu. C’est de là que provient, je pense, cette rumeur qui est parvenue jusqu’à toi. [5]  Je ne puis m’empêcher, cher ami, de m’irriter contre toi à cause de cet espoir assez opiniâtre que je te vois concevoir à propos de mon activité, comme si un homme tel que moi, dont l’esprit est déjà épuisé, à qui un cœur vif fait défaut à cause de sa mauvaise santé, devait publier



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Guilielmus Budaeus Ludovico Vivi Salutem [1]  Spero

te purgationem meam accepisse de eo quod neglecti me officii insimulare videbare, si tamen litteras accepisti quas nuper ad te dedi. Nec Germanum autem illum nobilem nec Britannum videre mihi contigit, quorum tu in litteris tuis meministi. Qua in re non dubito me compendium non spernendum amisisse in ratione amicitiae, cui kalen‑ darii mei paginas praecipuas destinavi. Nam binas tuas litteras uno die accepi, cum rure in urbem venissem. Postremae autem casu magis quam destinato mihi redditae fuerunt; temere enim creditae alienis manibus fuerant, a quibus iam resignatae in meas inciderunt. [2]  Proinde ut te iam utar placatiore, nosse hoc oportet: ruri me nunc agentem vix bis in mense, nec nisi coactum in urbem ventitare, quippe qui litterariam supellectilem bona ex parte in Marlianum vicum meum transtulerim, ubi aestatem venientem exacturus sum, si tamdiu vixero. Et est adhuc ibi quod procurationem meam poscat et praesentiam, etiam si villa urbana absoluta est. Quare nec litteras statim urbanae domi redditas accipere ipse possum, cum in villa sum, nec sub manu tabellarios habere. [3]  Aegrotavi etiam graviter ab ineunte hieme, id quod alternis ferme annis et interdum singulis sollemne mihi fuit hactenus post annos abhinc quindecim, quamquam nulla non mihi tempestas ad capitis gravedinem satis apta est; praeter quem morbum alium fere non experior. [4]  Ceterum quod de opere illo novo mihi tibique gratularis, non facile patior falso te gaudio duci, qui novum opus esse putas, quod iam quater minimum sub prela missum fuit. Audio enim nescio quid operum meorum propediem rursus editum iri. Unde enatum illum rumorem esse arbitror, qui ad te usque manavit. [5]  Hic facere nequeo, vir amicissime, quin tibi succenseam de hac ipsa spe improbiore, quam de me meaque industria concipere te video, quasi vero homini mihi ingenio iam effeto, animo etiam alacriore defecto ob malam valetudinem, sexto quoque mense aliquid edendum sit, cum toties

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quelque chose tous les cinq mois, alors que j’ai certifié tant de fois que je n’ai accouché d’à peu près rien, sinon de loisir. Et toi, tu as décidé, à ce qu’il me semble, de transformer mon loisir en embarras exempt de loisir. Las, je t’en conjure, veille à te montrer suffisamment équitable à mon égard, toi qui ne me permets pas de me reposer pendant ces quelques mois, alors qu’une exemption de charge avait été demandée et sanc‑ tionnée par un congé mérité de quatre ans. [6]  Des lois vénérables et sévères ont été très bienveillantes à l’égard de ceux qui ont pu invoquer, parmi les motifs de refus de charges publiques, le droit de trois enfants en Italie, d’enfants en plus grand nombre dans les provinces. Pour ma part, alors que j’ai le double de cette progéniture - je parle des enfants survivants et que je dois nourrir -, je suis censé figurer parmi ceux qui remplissent leur charge, selon ton avis et celui de presque tous mes amis; et je ne figure pas parmi ceux qui sont exemptés de charges, comme si j’étais placé dans la catégorie des ‘sans enfants’. [7]  Avec mes amis, veille donc encore et encore à me connaître suffi‑ samment, à considérer mes facultés avec suffisamment d’attention, à agir enfin avec moi selon ce qui est juste et bon, vous qui m’interpellez au nom du public comme si j’étais un de ces hommes très riches qui peuvent continuellement apporter quelque chose de mémorable dans la chambre du trésor instituée pour veiller au bon entretien du Musée grec et romain. C’est à votre cher Érasme que revient ce rôle ou à un homme de son envergure, s’il doit en exister un dans l’avenir, dont les ressources de l’esprit et les richesses de l’érudition dépassent le niveau de la classe fortunée de ceux qui finançaient les triérarques chez les Grecs, ainsi que le niveau des premières centuries chez les Romains. [8]  Alors que je devrais figurer parmi les prolétaires plutôt que dans les classes imposables - car je pourrais obtenir une dispense en étant parmi les infirmes, si je le voulais - je n’obtiens de votre part ni ce qui est juste ni ce qui est équitable puisque vous ne semblez pas admettre une absence de charges pour ceux qui les ont un jour assumées. Si ton attente impatiente s’obstine à vouloir agir avec moi selon le droit, comme si je prenais plaisir à avancer ces prétextes et d’autres et comme si je ne parlais pas conformément au sentiment de mon âme, permets-moi au moins de défaire les bagages qui sont encore ficelés et que je me suis fait apporter à Marly récemment, c’est-à-dire il y a cinq mois, et de constituer ma bibliothèque. [9]  Car je n’ai pas encore classé mes cassettes et mes étagères ni décidé de leur localisation respective. Accorde-moi du temps pour respirer



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testatus sim nihil me propemodum nisi otium parturire. At tu hoc ipso ex otio negotium (ut video) facessere mihi instituisti. Eia tu vide, obsecro, ut satis aequum te mihi praebeas, per quem pauculos hos menses cessare mihi non licet, cui quadriennii vacatione iusta etiam immunitas quaesita videbatur et concessa. [6]  Leges priscae et severae multum iis indulserunt, qui ius trium liberorum in Italia, aut in provinciis plusculorum citare potuissent inter causas detrectandorum munerum publicorum. Ipse cum geminato eo numero auctus sim, etiam superstitum et alendorum, inter munifices censeor existimatione tua et amicorum fere omnium; inter immunes praetereor quasi orbitate praeditus. [7]  Vide igitur tu cum illis etiam atque etiam ut satis me noritis, ut facultates meas satis attente expenderitis, ut denique ex aequo bonoque mecum agatis, qui perinde ipsi me publico nomine appellatis atque si unus essem eorum praedivitum, qui inferre identidem aliquid memora‑ bile possunt in gazophylacium, quod ad tuenda sarta tecta Musaei insti‑ tutum est et Graeci et Romani. Erasmo vestro convenit ea functio, et si quis posthac exsistet ei aequiparandus, cuius opes ingenii atque erudi‑ tionis copiae trierarchiae censum inter Graecos, inter Romanos primae cuiusque superant centuriae. [8]  Ego cum inter proletarios censeri potius quam inter classes debeam, utpote qui inter causarios usurpare vacationem possim, si velim, nec ius tamen nec aequum apud vos obtineo, qui immunitatem ipsi agnoscere non videmini, inter eos quidem, qui aliquando munia subierunt. Quo iure mecum agere si ista tua exspectatio gestiens obstinaverit, quasi scilicet delicias nunc faciam, cum haec et huiuscemodi causificor, nec loquar ex sententia animi: sine me saltem sarcinas adhuc obligatas solvere, quas nuper, id est ante quinque menses in Marlianum meum importandas curavi, supellectilemque componere. [9]  Hauddum enim scrinia digessi et pluteos locumque unicuique constitui. Da spatium respirandi a iactatione urbica et peregrina aestatis 48-49. ingenii atque eruditionis copiae trierarchiae GBlatgr, GBluc: ingenii, eruditio­ nisque copiae tetrarchiae GBeppr, Z

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après l’agitation de la ville et de mes ambassades de l’été dernier. Souffre que j’oublie tout cela pour me consacrer totalement aux affaires qui me pressent et qui attendent notre loisir. J’ai à peine ajusté et construit mon cabinet et toi, tu estimes que l’ouvrage est non seulement raboté et dégrossi, mais aussi assemblé et approuvé et tu demandes qu’il soit déjà montré, comme si cela relevait d’un pacte ou d’une convention. [10]  Tenez compte, je vous en supplie, du temps et de ce qui peut se faire à mon avantage ou à mon détriment; dans ce cas, je ne répugnerai peut-être pas à fournir quelque chose, ce que du moins mes facultés me permettront d’apporter. À cette condition toutefois: qu’il soit stipulé que moi-même et ma réputation soyons protégés contre l’attente du public et la vôtre, celle des amis, et qu’il ne me soit pas préjudiciable de n’avoir pas fourni mes prestations annuelles chaque année à cet égard, soit dans ce lieu de retraite, soit lors de mon loisir urbain, puisque ces études, si passionnantes soient-elles, ne peuvent en aucune façon me libérer de mes préoccupations familiales et des sources de distraction d’ordre financier et conjugal, étant donné que depuis longtemps ma Philologie a trouvé en ma femme son unique rivale. [11]  C’est pourquoi je pense qu’il me faut lutter davantage et de toutes mes forces, autant que faire se peut, pour réunir les deux dans la cama‑ raderie et dans les liens incontournables de l’hospitalité. Car, l’une, j’ai l’obligation de l’entourer et de la serrer dans mes bras, l’autre, je l’ai toujours embrassée avec un plaisir extrême, depuis que j’ai décidé de cultiver mon esprit pour engranger une bonne récolte. J’honorerai et j’ai honoré l’une en tant qu’ornement de ma vie, j’ai fondé et je continuerai à fonder sur l’autre mes raisons et motifs de vivre; à l’une, j’ai confié mon corps, à l’autre mon esprit. [12]  Je suis heureux à la pensée qu’Érasme a reçu mes deux lettres après la lettre rédigée en grec qu’il m’a adressée. Je craignais en effet que, si celles-ci avaient disparu, il m’en voudrait d’être peu empressé, sous prétexte que je ne lui avais pas répondu. Quand tu le rencontreras, tu le salueras de ma part en ces termes: ‘Je fais le plus grand cas de l’ami, ce dont j’ai déjà eu, pour ma part, l’occasion de fournir une preuve tout à fait mémorable et qui sera évidente pour ceux qui liront les lettres que nous avons tous deux déjà écrites et celles qui sortiront plus tard.’ [13]  Porte-toi bien. J’ai salué ceux qui tu m’avais demandé de saluer. Paris, le 2 février 1519.



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novissimae; patere me illorum oblivisci, totus ut sim in iis quae instant et otium nostrum manent. Vixdum fabricam concinnavi et instruxi, et tu opus non modo dedolatum atque exasciatum, sed compactum quoque esse arbitraris et probatum, iamque praeberi quasi ex pacto postulas et convento. [10]  Habetote, quaeso, rationem temporis, eiusque quod commodo meo fieri potest aut incommodo, et ego fortasse praestare quaedam non gravabor, quae ferre quidem certe facultates meae poterunt. Cum eo tamen, mihi ut cautum sit existimationique meae ab exspectatione publica vestraque amicorum, fraudi ne sit si sollemnes quotannis praestationes in eam rem non pensitarim, vel in hoc ipso secessu, vel in urbano otio, quando mihi haec studia quantumvis ferventia vacationem iam nullam praestare possunt a curis familiaribus avocamentisque rei oeconomicae et uxoriae, quam unam Philologia mea aemulam iamdiu habere coepit. [11]  Quo mihi nunc magis omni ope contendendum esse duco, ut quoad eius fieri poterit, contubernio ipsas hospitalique necessitudine coniungam. Quippe cum alteram amplectendam retinendamque neces‑ sario habeam, alteram summa voluptate semper sim exosculatus, ex quo ad frugem aliquam bonam excolendum mihi animum esse statui, illamque veluti instrumentum vitae colam coluerimque: ad hanc omnes vitae rationes vivendique causas contulerim et referam: illi denique corpus, huic animum desponderim. [12]  Gaudeo Erasmum ambas meas epistulas accepisse post Graecam ab eo ad me scriptam. Verebar enim ne si intercidissent, ipse mihi succen‑ seret ut parum officioso, tamquam non rescripsissem. Salutabis eum verbis meis, cum hominem conveneris. Τοῦτον γὰρ περὶ πλείστου ποιοῦμαι τὸν φίλον, οὗ πεῖραν ἔφθην ποιήσας ἔγωγε ἀξιολογωτάτην καὶ ἐπι­φανεστάτην γε δὴ ἐσομένην τοῖς ἐντευξομένοις ταῖς ἐπιστολαῖς ταῖς ἀμφοῖν ἡμῶν ἤδη τε καὶ εἰς τὸ ὕστερον ἐξιούσαις. [13]  Vale. Salutavi quos salutandos mandasti. Parisiis, postridie Kalendas Februarias, M. quingentesimo undevicesimo. 65. arbitraris GBlatgr, GBluc: autumas GBeppr, Z   87. πλείστου GBlatgr, GBluc: πλείγου GBeppr, Z

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3. litteras accepisti quas nuper ad te dedi: la lettre expédiée par Budé le 2 janvier 1520 (voir plus haut la lettre no 2). 4. Nec Germanum autem illum nobilem nec Britannum: ni l’Alle‑ mand ni l’Anglais ne sont facilement identifiables. 5. in litteris tuis: cette lettre de Vives n’a pas été conservée. 16. villa urbana: voir ep. 1, § 9. 19-20. post annos abhinc quindecim: bien qu’une date exacte ne puisse être avancée, il est certain que la maladie de Budé, une sorte de migraine chronique, apparaît plus ou moins au moment de son mariage. Dans sa lettre du 14 mars 1510 à Jean Lascaris, Budé affirme qu’il en était affligé depuis cinq années entières; dans une autre à Érasme, datée du 7 juillet 1516 (A, ep. 435), il se plaint que la maladie le gênait continuelle‑ ment depuis onze ans. Mais dans son De Philologia (1532) il dit qu’il en souffre depuis presque vingt-huit ans, alors que la première édition du De asse (Paris, mars 1515) mentionne qu’il en souffrait depuis plus de sept ans. Dans la lettre à Vives du 1er septembre 1532 (voir ci-après, ep. 9), on lit qu’elle avait commencé immédiatement après que Budé se soit voué aux études: ‘pituitae infestatione et gravedine capitis subinde repetente ab studiis’. Voir Delaruelle, Répertoire, p. 2 et n. 5, et Delaruelle, Budé, pp. 84-85; G. Lavoie, ‘Guillaume Budé à son médecin: un inédit sur sa maladie’, Renaissance et Réformation, XXVI/1 (1991), 37-56. 22-24. opere illo novo ... quod iam quater minimum sub prela: le nouvel ouvrage de Budé, publié plus tard en 1520, est son De contemptu rerum fortuitarum. Voir Delaruelle, Répertoire, p. 132, n. 1 et Imprimeurs et libraires parisiens, II, pp. 188-189, n° 442. Il semble assez étrange que Budé ne mentionne pas ici cette œuvre, mais essaie de détourner l’attention du lecteur vers une nouvelle édition d’une œuvre antérieure. Il fait très probablement allusion à sa traduc‑ tion latine de quelques traités de Plutarque, qui ont été en effet imprimés quatre fois ou plus: la première édition chez Bade en 1505, réimprimée encore la même année à Paris pour Olivier Senant, puis encore à Paris en 1510 et 1514 et en 1510 à Rome. Bade était aussi responsable de la nouvelle édition, celle du 20 juin 1521. Voir Jeroen De Keyser, ‘Bis repetita placent? Guillaume Budé’s Two Translations of Basil’s Second Letter to Gregorius’, Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 74 (2012), 103-117, particulièrement pp. 112-113. 25. propediem rursus editum iri: une autre œuvre de Budé qui fut réimprimée est constituée par ses Annotationes in quatuor et viginti Pandectarum libros. Selon Delaruelle, Répertoire, p. 92, n. 1, c’était à



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cette œuvre que Budé faisait allusion. Elle fut éditée à nouveau chez Bade, qui avait imprimé deux éditions antérieures, celle de 1508 et celle de 1519. Voir Delaruelle, Budé, pp. xx-xxi; Imprimeurs et libraires parisiens, pp. 55-56, no 87; p. 200, no 476; et p. 286, no 745. 34. quadriennii vacatione: Budé estimait avoir droit à une période de repos après la publication de son œuvre maîtresse, les cinq livres du De Asse et partibus eius (Paris, mars 1515 et octobre 1516), qui l’établissait en une fois comme l’humaniste principal en France. 36-37. ius trium liberorum: plusieurs privilèges furent accordés aux parents de naissance libre (‘ingenui’) de trois enfants ou plus par l’empe‑ reur romain Auguste, qui promulgua en l’an 9 de notre ère la Lex Papia Poppaea. 38-39. Ipse cum geminato eo numero auctus sim, etiam super­ stitum et alendorum: sur les enfants de Budé, voir ep. 1, § 16. 46. gazophylacium: c’est-à-dire l’imprimerie, selon la remarque de J. Toussain. ad tuenda sarta tecta: cf. Cic. fam. 13, 11, 1: ‘sarta tecta aedium sacrarum tueri.’ 46-47. Musaei ... Graeci et Romani: le ‘Musaeum’ était un endroit consacré aux Muses. Budé vise ici spécialement la littérature et la culture gréco-romaines. 49-50. trierarchiae censum inter Graecos, inter Romanos primae cuiusque superant centuriae: à Athènes la triérarchie était la plus lourde des liturgies: l’État imposait aux citoyens les plus riches le comman‑ dement et les dépenses d’entretien et de réparation d’une trière pour la période d’un an. Les navires étaient construits aux frais de la Cité, qui payait aussi le salaire de l’équipage. Voir Vincent Gabrielsen, Financing the Athenian Fleet: Public Taxation and Social Relations (Baltimore - Londres, 1994), passim; Christophe Flament, Une économie moné­ tarisée: Athènes à l’époque classique (440-338). Contribution à l’étude du phénomène monétaire en Grèce ancienne (Louvain - Namur - Paris - Dudley, MA, 2007), pp. 84-88; Jean-Nicolas Corvisier, Les Grecs et la mer (Paris, 2008), pp. 151-154. Dans le cinquième livre de son De Asse et partibus eius, Budé s’at‑ tarde sur les divers groupes de citoyens en Grèce et à Rome, en fonction de leur richesse: ‘Aristoteles in secundo libro Politicon auctor est Solonem Atheniensem quatuor census instituisse ... Primum, secundum et tertium ad magistratus et honores admitti duxit, eosque divitum nobi‑ liumque appellatione censeri. ... Servius etiam Tullius hoc exemplo

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classes quinque civium Romanorum descripsisse videtur.’ Voir De asse (Paris, 1532), fols. cxxvr - cxxvir. Dans sa description du recensement des citoyens romains Budé suit pour une large part Tite-Live, Ab urbe condita, 1, 42-43. Les citoyens trop pauvres pour être recensés dans une des cinq classes étaient regroupés dans une seule centurie capite censi. Ils ne payaient pas d’impôts et n’avaient pas d’obligations militaires. Ils étaient probablement équivalents aux proletarii, bien qu’Aulu-Gelle dans ses Noctes Atticae 16, 10 en fasse un groupe à part. 57. sarcinas adhuc obligatas solvere: cf. ep. 2, § 10 et ep. 4, § 8. 58. ante quinque menses in Marlianum meum: selon cette informa‑ tion, Budé avait emménagé dans sa résidence à Marly en septembre 1519. Les premières lettres partant de cette adresse portent en effet la date du 15 septembre et étaient adressées à Érasme (A, 1011 et 1015; voir ep. 2, § 13). Cette propriété avait été achetée par son grand-père, Dreux Budé, en 1464. Elle était située à Marly-la-Ville, à 21 km au nord de Paris. Voir Delaruelle, Guillaume Budé, p. 61, n. 1 et G. Gueudet, ‘Papiers de Guillaume Budé à la bibliothèque de Brême’, BHR, 30 (1968), 155-183 (p. 158). Guillaume Budé écrit le 19 janvier 1517 à son frère Louis qu’il a décidé d’y construire une maison. Voir Delaruelle, Répertoire, p. 12. 84. ambas meas epistulas: publiées par Allen (ep. 1011 et ep. 1004); voir ep. 2, § 13. 87-90. τοῦτον ... ἐξιούσαις: dans la traduction latine de J. Toussain in GBlatgr: ‘Eum enim plurimi facio amicum, cuius equidem periculum prius feci commemoratu dignissimum, atque adeo nostras amborum epistolas et iam emissas et posthac exituras lecturis perquam illustre futurum.’

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4. VIVES À BUDÉ Louvain, 7 mars Réponse aux lettres 2 et 3. Tout en acceptant les excuses de Budé, Vives se permet une remarque humoristique et s’étend sur les termes ‘otium negotium’ et sur le ‘ius trium liberorum’; il est en effet toujours persuadé que Budé est en train de préparer une nouvelle œuvre. En ce qui concerne son conflit avec Zasius, Vives rassure Budé en signalant que, d’après Érasme, tout le monde germanique s’est indigné contre cet homme et que quelqu’un ripostera. Il se demande dès lors si le silence ne vaut pas mieux qu’une réplique. Érasme l’a prié de saluer Budé de sa part; il n’a pas écrit, parce que c’est au tour de Budé d’écrire. En relisant plus attentivement les lettres de Budé à Érasme, publiées dans la Farrago nova (1519), Vives n’y trouve rien de vexant, tout comme Érasme lui-même. Vives souhaite à Budé bon vent à l’occasion de son déménagement à Marly. Le jeune Haio Herman se trouve chez lui à Louvain et il le recom‑ mande à Budé. BUB, fols. 26r-27v; MG, pp. 217-223. Selon le catalogue de la British Library, l’édition de 1614 n’est qu’un double de la Philologicarum episto­ larum centuria una, sauf pour le titre et la partie préliminaire.

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correspondance de Budé et Vives

Luis Vives adresse ses salutations au très illustre Guillaume Budé [1]  J’ai reçu tes deux lettres traitant à peu près du même sujet, qui contiennent ta réponse à mes trois lettres. Cependant, il y a dans les miennes beaucoup de passages que j’aurais aimé ne pas te voir passer sous silence et dont tu parleras quand tu en auras le temps. Tes deux lettres ont été envoyées depuis Marly, la première, le 2 janvier, la seconde, le 2 février. Je te fournis ces renseignements de façon aussi précise puisque tu désires savoir si elles m’ont été remises. Il y a en effet une négligence incroyable dans la remise des lettres - ou est-ce de la malhonnêteté ou les deux à la fois -, quand celles-ci sont apportées avec retard et même après avoir été décachetées, comme me semble l’avoir été ta seconde lettre, de même que la mienne qui est chez toi. Nous faisons bien de ne rien écrire que nous puissions regretter si la chose est portée à la connaissance du public et divulguée: afin d’éviter quelque problème de ce genre, écris en grec, pour ma part, j’agirai ainsi. [2]  Je vois que tu prends mal, et même avec irritation à notre égard, le fait que nous voulions que toi ou plutôt tes écrits sortent de l’ombre et soient portés à la lumière et au grand jour et que nous y veillions. Mais si l’autorité de tes amis a encore quelque valeur à tes yeux, je suis telle‑ ment assuré d’obtenir ce résultat que j’ai déjà garanti aux nombreuses personnes qui le souhaitaient qu’il était déjà obtenu. Vois pour ta part si tu décides d’être davantage irrité contre moi parce que je me suis telle‑ ment permis de m’immiscer dans tes affaires ou si tu estimes devoir honorer la confiance et la promesse d’un très grand ami. De mon côté, puisque je me suis mis dans une position dont je puis difficilement sortir sans honte, je serai pour toi un créancier, point désagréable certes, mais tellement assidu et acharné que, même si tu estimes ne rien devoir à notre amitié, tu estimeras devoir quelque chose à mon zèle et tu pourras dès lors implorer avec plus de raison la protection de Zeus philios. [3]  J’accepte toutes tes justifications. Comment puis-je en effet ne pas marquer mon approbation pour tout ce qui provient du grandissime Budé, dont j’admire et vénère extraordinairement l’esprit et les mœurs? Mais face à toutes tes excuses, et, mieux encore, face à toutes tes réfutations, je pourrais chanter de façon plaintive ce seul vers: ‘Avec tes prétextes, tu fais languir nos amours’; ajoutons encore ceci, que Platon a écrit à Archytas: ‘Nous ne sommes pas nés pour nous seuls’.



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Ludovicus Vives salutem dicit Guilielmo Budaeo viro clarissimo [1]  Binas tuas litteras accepi eodem fere argumento, quibus ternis meis

respondes. Quamquam multi sunt loci in meis, quos noluissem tacitos dimisisses, de quibus cum vacaverit aliquid dices. Utraeque litterae tuae datae sunt ex Marliano, priores postridie Kalendas Ianuarias, posteriores postridie Kalendas Februarias. Haec ita exacte addo, quoniam scire cupis, an mihi sint redditae. Mira est enim negligentiane an improbitas in reddendis litteris, an utrumque, cum ut sero perferantur et resignatae, quales mihi videntur fuisse alterae tuae, ut meae istic fuerunt. Bene habet, quod nihil scribimus, quod si proferatur et evulgetur, doleamus: ἵνα στρέψῃς τοιοῦτόν τι, ἑλληνιστὶ γράψον οὕτως κ᾽ᾀγὼ ποιήσομαι. [2]  Video te moleste ferre, succensere etiam nobis, quod te seu tua potius ex umbra ista in lucem atque apertum proferri velimus idque curemus; quin etsi quid apud te amicorum tuorum valet auctoritas, illud me usque adeo perfecturum confido, ut pro perfecto multis exop‑ tantibus iam promiserim. Tu hic videris, an eo magis mihi succensere constitueris, quod tantum mihi tuis in rebus licere permiserim, an fidem promissumque hominis tibi amicissimi praestandum per te censeas. Ego quando in hunc locum progressus sum, ex quo regredi sine pudore vix possum, flagitator ero tibi non molestus quidem, sed tam assiduus et acer, ut si nihil nostrae amicitiae, huic certe diligentiae aliquid tribuendum habeas et tunc causatius fidem Διὸς Φιλίου implorare possis. [3]  Causificationes tuas omnes accipio. Qui possum enim non probare, quicquid a summo illo Budaeo, cuius ingenium moresque singula‑ riter admiror et colo, profectum est? Sed istis tuis omnibus excusatio‑ nibus atque adeo recusationibus illum unum versum possem querulus occinere: ‘Causando nostros in longum ducis amores’; tum et id, quod ad Archytam Plato scripsit: ‘Non nobis solis nati sumus’. 5. Marliano BUB: Martiano MG   11. ἵνα MG: ἵνα BUB  στρέψῃς correxi e στράψῃς BUB, MG  γράψον BUB: γράφον MG  κ᾽ᾀγὼ scripsi: κ᾽ᾄγω BUB, κᾴγω MG3, κἄγω MG1   28. scripsit MG, s.l. add. Vives BUB

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[4]  Je ne puis m’empêcher, abstraction faite un petit moment de l’éclat de ton autorité, d’oser examiner de plus près et de passer au crible tes prétextes. Et parce que je crois qu’une copie de la lettre que tu m’as envoyée est restée chez toi, je ne répéterai pas tes paroles. Ces brillants arguments que tu fourniras d’ici peu au monde comme justification de ton loisir, moi, j’ai compris qu’ils consisteront en œuvres magnifiques et éclatantes; je persiste dans cette opinion et je crois et j’espère que cela arrivera, quelle que soit la façon dont tu le dissimules. [5]  De ton côté, qu’as-tu à dire, si je réfléchis à propos d’un futur loisir qui sera désormais très élevé et très agréable? Ce ne seront pas, mon cher Budé, des démonstrations, et certainement pas indiscutables, comme tu le promets toi-même, puisque tu gardes tout à l’intérieur de toi, confor‑ mément à la pratique et aux mœurs du cytharède d’Aspendos. Comment peux-tu faire savoir aux Italiens, aux Espagnols, aux Allemands, aux Danois, aux Hongrois, aux Britanniques, comment peux-tu faire savoir à tes compatriotes français et même aux Parisiens au-delà des ponts que tu disposes dorénavant de loisir, s’ils ne voient pas les signes d’un enfante‑ ment, les monuments qui conserveront le souvenir de ce loisir? Lesquels de ces peuples et de ces nations auraient su que tu disposais de loisir à un moment donné, s’ils n’avaient vu les Adnotationes et le De asse? Tes amis et moi-même saurons assurément toujours ce que tu fais, si tu disposes de loisir ou si tu n’en disposes pas à cause de tes affaires; mais pour les gens de l’extérieur, à qui rien n’est parvenu sinon ta réputation et ta gloire, ton loisir ne pourra être manifesté que par des œuvres qui en sont les justifications; puisque tu as promis d’en fournir, et même d’indiscutables, demande-toi en quoi elles pourraient différer de celles que j’ai imaginées; de fait, on ne perçoit distinctement le soleil qu’à travers son éclat. [6]  En effet, quand tu te plains que nous ne te permettons même pas d’interrompre tes activités dans quelque retraite, je ne sais ce que tu désignes par ‘interrompre tes activités’: est-ce ce qu’Épicure a attribué à ses dieux qui n’ont aucun tracas en ce qui les concerne et n’en infligent aucun à autrui? Tu ne voudrais pas vivre, je pense, si tu ne devais pas faire autre chose dans ta vie. J’estime pour ma part qu’ ‘interrompre ses activités’, c’est habiter avec soi-même à l’écart des tumultes de la Cour et de la ville, à l’écart des soucis pénibles, c’est lire et écrire pour soi et pour d’autres. Je vois que Cicéron a appelé cela ‘être oisif’, ‘interrompre ses activités’, ‘consacrer ses loisirs’, ‘ne rien faire ‘. Et les Grecs ont appelé ‘scholē’ ce genre d’exercice que tu dis être pour toi une activité haïssable et dont tu nies qu’il fait tes délices.



Lettre 4 [4]  Non

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possum me continere, quin seposito paulisper fulgore tuae

auctoritatis audeam inspicere atque inquirere in tuas istas causifica‑

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tiones. Et quia credo exemplum epistulae ad me tuae penes te remansisse, non repetam tua verba. Luculenta illa argumenta, quae brevi tamquam rationem otii tui daturus es mundo, ego magnifica et praeclara opera futurum interpretatus sum; in qua sententia persisto, et id - quamlibet dissimules - fore credo et spero.

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[5]  Tu vero quid inquis, si de altissimo et gratissimo posthac otio futuro

intelligam? Ista, mi Budaee, non erunt documenta et ea, ut tute polliceris, luculenta, cum tibi intus omnia more et modo Aspendii cytharoedi. Qui potes Italos, Hispanos, Germanos, Danos, Pannonios, Britannos, qui potes vel tuos istos Gallos, etiam Parisienses transpontanos docuisse, te in

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otio iam esse, nisi partus indicia, monumenta otii viderint? Quae istarum gentium et nationum te in otio fuisse aliquando nosset, si Annotationes, si De asse non conspexissent? Ego et amici alii tui sciemus quidem semper quid agas, otiosusne sis an negotiosus; exteris hominibus, et ad quos nihil praeter nomen et gloria tua permanavit, istud declarari non poterit, nisi

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iis rebus, quae sunt argumenta otii; quae cum daturum te promiseris, et eadem luculenta, vide quid aliud futura sint, quam quae ego conieci; acute scilicet solem ex splendore. [6]  Nam quod quereris tibi per nos cessare ne in secessu quidem licere,

quid tu appelles ‘cessare’ nescio: an illud quod tribuit Epicurus suis diis,

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qui nihil habent ipsi negotii neque alteri exhibent? Ne vivere quidem, ut puto, velis, si aliud in vita facturus non sis. ‘Cessare’ ego iudico extra aulicos et urbanos tumultus, extra molestas curas secum habitare, legere, scribere et sibi et aliis; hoc video Ciceronem appellasse ‘feriatum esse’ et ‘cessare’ et ‘agere otia’ et ‘nihil agere’; et Graeci genus hoc exerci‑ tamenti dixerunt σχολήν, quod tu tibi odiosum negotium esse dicis, et facere delicias te negas. 35. dissimules correxi e dissimiles BUB, MG   56. σχολήν BUB: σχολὴν MG

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correspondance de Budé et Vives

[7]  Qu’est-ce qui a plus de poids que tes délicieuses protestations? Mais tu crains une sentence: laquelle, de qui? Ne te connais-tu pas toi-même? Ignores-tu que tu présides le tribunal suprême des lettres, qui a à connaître de tous les autres mais rien de lui-même? D’autres font appel à toi, mais toi, à qui fais-tu appel? Tu es le censeur à qui sont confiés la connaissance et le pouvoir sur nos mœurs et nos esprits, tandis que cette connaissance et ce pouvoir sur les tiens ne sont confiés à personne? Tu dis que tu as donné satisfaction à l’attente publique en ayant enduré deux épreuves; en effet, tu l’aurais peut-être satisfaite si les épreuves avaient été légères ou si tu t’étais engagé avec peu de diligence dans cette affaire. [8]  En réalité, ton activité si diligente dans une chose si ardue pousse l’esprit des gens à rechercher et à exiger de toi de nombreux autres travaux. Selon toi, de combien d’autres travaux Hercule aurait-il dû se charger s’il avait vécu plus longtemps? La nature des choses fait en sorte que les paresseux, les indolents, les mollassons acceptent aussitôt un congé, qui leur est même spontanément offert, tandis que les courageux, les zélés, les industrieux, les diligents sont presque toujours maintenus en fonction, au point d’être ramenés à leurs charges immédiatement après leur mise en congé. Nous te permettrons de faire et de défaire tes bagages, de respirer et de te reprendre comme si tu avais été ballotté et secoué dans une tempête. [9]  Qui, crois-tu, acceptera cette excuse à propos de ta plume qui doit être nettoyée et aiguisée, s’il voit tes lettres, qui, bien sûr, montrent à suffisance que ta plume est rouillée, très détériorée et très usée par la moisissure? Garde le silence, je t’en conjure, sur tes vacances de quatre ans, de peur que ne te soit dommageable le fait que tu aies quitté les enseignes sans en avoir reçu l’ordre du commandement des lettrés et de l’unanimité publique des érudits qui dirigent l’armée de la Philologie. Pour éviter de paraître avoir été absent pendant ce temps plutôt qu’occupé à quelque grand et laborieux ouvrage, écris maintenant quelque ouvrage, que personne ne pourra croire avoir été fait en moins de quatre ans. [10]  Tu allègues le droit de trois enfants, qui eut beaucoup de poids dans l’antique Latium. Mais le droit de trois livres a plus de poids dans nos Latium et Hellade actuels et il pèse de manière à te permettre de te reposer par intervalles, de gérer et administrer les affaires familiales, mais aussi de retourner entretemps à tes fonctions et de ne pas devenir paresseux et inoccupé dans la république. Notre Érasme ne veut même pas que le droit de trente livres lui vienne en aide pour le dispenser d’as‑ sumer sa fonction publique et de s’acquitter de ses autres charges. En



Lettre 4

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[7]  Quae

possunt esse maiores istis tuis tam delicatulis recusatio‑ nibus? At iudicium reformidas. Quod? Cuius hominis? Tu non nosti te? An ignoras summum te tribunal litterarium obtinere, quod de reliquis omnibus cognoscit, nullum de ipso? Ad te ab aliis provocatur, a te vero ad quem? Censor es, cui de moribus et ingeniis nostrum omnium permissa est cognitio et potestas, de tuis nemini? Nam quod satisfecisse publicae exspectationi te dicis duabus aerumnis exanclatis, satisfecisses forte, si vel aerumnae fuissent leves vel parum strenue in ea re gessisses te. [8]  Nunc tam strenua tua opera in re tam ardua animos hominum incitat ad requirendas et efflagitandas abs te alias complures. Quot putes fuisse alios Herculi labores subeundos, si diutius vixisset? Ita fert rerum ipsarum natura, ut ignavi, segnes, inertes missionem continuo accipiant etiam voluntario oblatam; fortes, seduli, industrii, strenui semper fere in officio retineantur, quin et post missionem subinde revocentur ad munia. Sarcinas tuas per nos et componere tibi et disponere licebit, et respirare et colligere te velut in tempestate iactatum et exagitatum. [9]  De stilo purgando et exacuendo talem excusationem quem putas accepturum, qui epistulas videat tuas? Quae videlicet satis ostendunt stilum tuum rubiginosum et situ nimium marcidum consumptumque esse. De quadriennii vacatione, obsecro, taceas, ne tibi fraudi sit, quod iniussu potestatis litterariae consensusque eruditorum publici, qui est exercitus Philologiae imperator, a signis abscesseris. Quo tempore ne abfuisse videaris, sed intentus operi alicui magno et laborioso fuisse, fac nunc aliquid, quod nemo credat minore tempore quam quadriennio fieri potuisse. [10]  Ius trium liberorum allegas, quod multum valuit in antiquo Latio. At in hoc novo Latio et Hellade plus valet ius trium librorum, et valet quidem ut interquiescere liceat ac rem familiarem revisere et curare, sed ut interim ad munera redeas, nec piger cessatorque in republica fias. Erasmus noster ne triginta quidem librorum ius sibi adiumento esse vult, quo minus et magistratus gerat et reliqua munia obeat. De me nihil est 59. iudicium reformidas MG, BUB ubi post iudicium verbum non deletum est   60. summum te MG, BUB ubi ante summum verbum te deletum est    64. exanclatis BUB: exantlatis MG   77. vacatione BUB: vocatione MG    79. philologiae: MG, BUB ubi philo- scriptum s.l. pro theo- deleto   85. ac MG, BUB s.l.add. pro ad deletum

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ce qui me concerne, il n’y a rien qui puisse jusqu’à présent être objet de plainte pour quiconque. Je ne suis pas encore en retard dans mes publi‑ cations: mon heure viendra. Et quand bien même je ne pourrais pas alors enfanter, je serai du moins satisfait de vous encourager à la manière d’une accoucheuse, de vous pousser à enfanter et de vous aider à accoucher. En voilà assez sur ce sujet. [11]  En ce qui concerne les Pandectes et ton adversaire, je vois à peu près de quel vieillard tu parles, à qui un total de trois Anticyres ne suffi‑ rait pas. Érasme m’a dit que tout ce que l’Allemagne compte d’éminents lettrés lui était hostile à cause de cette affaire et il ne mérite pas ta colère. Il ne manquera pas de gens pour lui répondre en prenant parti pour toi si du moins une réponse plus adéquate que le silence peut être rétorquée à des paroles de ce genre. Car si lui-même a fait la guerre à l’éloquence, personne ne devra craindre que cette reine de toutes choses accepte de laisser impunie la violation de sa majesté, elle devant qui même les armées les plus braves ont cédé. C’est pourquoi je ne suis pas chagriné par ce que tu me dis sur l’enterrement de l’éloquence, à laquelle depuis longtemps je me suis adonné et voué tout entier: avec quelle sérénité elle approuve même cette démarche, à toi et à tes semblables d’en juger; mais je ne m’y suis pas moins voué. [12]  En vérité, l’éloquence n’est pas périssable, elle vivra et sera vigoureuse tant qu’il y aura des hommes; et à supposer que tous ceux-ci périssent, elle se retrouvera parmi les esprits célestes, chérie de tous et agréable à tous. Dès lors, aucun présage, aucun cri de cet oiseau sinistre que ce méchant augure a vu ne doit freiner et retarder l’œuvre commencée. C’est en effet un oiseau auquel il ne faut accorder aucune confiance quand il s’agit de prédire l’avenir de l’éloquence. Mais de cette affaire, on pourrait peut-être discuter davantage une autre fois. [13]  Érasme te rend ton salut mais il ne t’écrit pas puisque c’est à ton tour d’écrire. Les lettres que tu lui as envoyées et qui se trouvent au tout début de la Nova Farrago, maintenant que je les lis et relis avec plus d’attention et de minutie, ne sont en aucune façon offensantes et même me plaisent énormément. Érasme, pour sa part, en est venu au même avis et au même sentiment. C’est pourquoi, si je t’ai écrit quelque chose à leur sujet, pardonne-moi, je t’en prie, car je les avais parcourues alors peu attentivement. [14]  Que ta migration à Marly te soit heureuse et favorable. Le bourg, à mon avis, deviendra plus célèbre et plus cultivé grâce à ta présence et tout ira mieux dans ta propriété, lorsque tu l’auras sous ta vue. Il est un



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adhuc quod queri quisquam possit. Nondum serus sum ad edendum: veniet et mea tempestivitas. Quod si ne tum quidem parere potuero, satis fuerit tamquam obstetricem vos ad pariendum hortari, incitare, et ut enitamini iuvare. De his hactenus. [11]  Iam de Pandectis et obnuntiatore illo tuo, propemodum intelligo de quo loquaris sene, cui totae tres Anticyrae non suffecerint. Erasmus mihi dixit doctissimum quemque ex Germania esse illi eam ob rem infestum, nec dignus est, cui tu irascaris. Non deerit, qui ei pro te respon‑ deat, si modo responsum potest eiusmodi verbis inveniri aptius silentio. Quod si ipse contra eloquentiam bellum suscepit, nemini verendum est, ne regina illa rerum violatam suam maiestatem inultam esse patiatur, cui etiam fortissima saepe cesserunt arma. Quocirca in moerore non sum, quod mihi de funere eloquentiae dixeris, cui me iampridem dedi devo‑ vique totum; quam placide illa et approbante, tuum tuique similium esto iudicium: sed devovi tamen. [12]  Verum enimvero mortalis eloquentia non est, quae vivet et vigebit quamdiu homines erunt; et si hi omnes intereant, inter caelestes illas mentes versabitur omnibus cara omnibusque iucunda. Proinde nec aliquid augurium et occentus obscenae illius oscinis, quam malus ille vidit augur, reprimere et retardare de incepto debet opere. Avis enim ea est, cui nulla in eloquentiae auspiciis fides. Sed de hac re forsan alias prolixius. [13]  Erasmus resalutat te, non scribit, quoniam tuae nunc sunt scri‑ bendi vices. Epistolae illae ad eum tuae, quae sunt in principio huius novae farraginis, me nunc, cum eas attentius et consideratius lego rele‑ goque, usque adeo non aliqua in re offendunt, ut mirifice me oblectent. In eandem sententiam eundemque affectum adductus est et Erasmus ipse. Quocirca si quid umquam ad te de illis scripsi, ignosce, quaeso, mihi, qui tunc parum attentus eas percurreram. [14]  Sit tibi felix prosperumque quod in Marlianum tuum demigrasti. Vicus, ut existimo, fiet celebrior excultiorque praesentia tua, et omnia in tua villa melius curabuntur te spectatore. Vetus est Catonis illud: ‘Frons 94. Anticyrae BUB: anticifrae MG   102. placide correxi e placida BUB, MG   105-106. illas mentes BUB: illos montes MG   109. ea MG, BUB add. s.l. pro illa deleto   118. Marlianum BUB: Martianum MG

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vieil adage de Caton: ‘le front l’emporte sur l’occiput’. Plus ancien encore est l’adage d’un Libyen mentionné par Aristote: ‘les pas du propriétaire sont le meilleur fumier pour le champ’, mais, comme on dit ‘cela revient à apporter des chouettes à Athènes’. [15]  Voilà ce que j’ai à répondre à ta première lettre ou plutôt aux deux. En effet, qu’y a-t-il de différent dans la seconde lettre? Mais je t’en dirai aussi quelques mots quand j’en aurai le temps. Je voudrais que, dans l’in‑ tervalle, tu acceptes cette lettre en considérant qu’elle répond à chacune de tes deux lettres. Si j’ajoute quelque chose, tu me le porteras en compte comme pourboire reçu, tu ne l’imputeras pas à l’acquittement d’une dette. [16]  Porte-toi bien. Louvain, le 7 mars. [17]  (De la main de Vives:) Salue de ma part les amis que tu salues habituellement. Ici, un jeune Frison, Herman, d’esprit agréable et d’une érudition peu commune, est plein de zèle pour toi et m’a demandé de te le recommander. C’est ce que je fais et je ne doute pas qu’il ne te soit pas très agréable sous peu par ses qualités. Je n’ai pas besoin de rappeler ses qualités: tu les connaîtras immédiatement. (Au verso:) Au très illustre Guillaume Budé, secrétaire du Roi très Chrétien, dans sa propriété de Marly ou à Paris. (Autre main:) Vives.



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occipitio prior est’. Vetustius et illud Lybici cuiusdam apud Aristotelem: ‘Optimus agro fimus domini vestigia’; ἀλλὰ γλαῦκας, ὥς φασίν, ἐς ᾽Αθήνας. [15]  Haec ad priorem tuam epistulam seu ad utramque potius. Quid enim aliud est in posteriore? Sed ad hanc quoque paucula respondebo, cum vacabit. Tu interea hanc ita accipias velim, ut putes responsionem esse utriusque tuae. Si quod addidero, corollarium acceptum mihi referes, non pro solutione computabis debiti. [16]  Vale. Lovanii, Nonis Martii.

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[17]  (manu Vivis:) Saluta meis verbis amicos, quos soles. Hic Hermannus

Phrysius iuvenis amoeno ingenio et eruditione neutiquam vulgari tui est studiosissimus, precatusque est me, ut se tibi commendarem. Id ego facio, nec dubito, quin sit tibi suis dotibus brevi commendatissimus. Quas dotes commemorare me necesse non est: tu eas continuo nosces. (A tergo, fol. 27v:) Viro Clarissimo Guilielmo / Budaeo a secretis Christi-/anissimi Regis / In suo Marliano / aut Parrhisiis. (alia manu posteriore:) Vives.

122. γλαῦκας, ὥς φασίν scripsi: γλαυκάς, ὡς φάσιν BUB, MG   Ἀθήνας MG: Ἀθηνάς BUB   128. Martii MG, BUB corr. e Martiis   134-136. BUB, om. MG

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2. Binas tuas litteras: les lettres expédiées par Budé le 2 janvier et le 2 février 1520 (voir plus haut ep. 2 et 3). ternis meis: aucune de ces lettres de Vives n’a été conservée. 4-5. Utraeque litterae tuae datae sunt ex Marliano: Vives se trompe: Budé a expédié la seconde lettre, celle du 2 février, de Paris; voir ci-dessus, ep. 3. 22. fidem Διὸς Φιλίου: dans sa lettre du 2 janvier 1520 (voir ep. 2, § 5), Budé s’exclame: ‘O Juppiter, amicitiae praeses.’ 27. Causando nostros in longum ducis amores: Verg. ecl. 9, 56. 28. Archytam: Archytas était un philosophe pythagoricien de Tarente, ami de Platon. Plato scripsit: ‘Non nobis solis nati sumus’: Cic. off. 1, 22: ‘Sed quoniam, ut praeclare scriptum est a Platone, non nobis solum nati sumus ortusque nostri partem patria vindicat, partem amici.’ 32. Luculenta illa argumenta: Vives reprend les mots employés par Budé; voir ep. 2, § 1. 33-34. praeclara opera futurum interpretatus sum: d’après les règles de la grammaire classique on attend ‘futura’. Mais Vives, dans ses ouvrages de jeunesse, considère le participe futur dans une proposi‑ tion infinitive comme indéclinable. Il s’est laissé guider sans doute par Aulu-Gelle, qui commente dans ses Nuits attiques 1, 7 un cas analogue de Cicéron (Verr. 6, 167): ‘hanc sibi rem praesidio sperant futurum’. Sur cette utilisation, voir G. Tournoy, compte rendu de J.L. Vives, Decla­ mationes Sullanae. Part Two ... by Edward V. George (Leiden - Boston 2012), dans Neo-Latin News, 62/1-2 (2013), 59-62 et ‘Anecdota Vivica (II)’, à paraître dans HL, 64 (2015). 38. Aspendii cytharoedi: les joueurs de lyre d’Aspendos (ville de Pamphylie) ne jouaient que pour eux-mêmes, ce qui veut dire qu’ils n’étaient intéressés que par leur propre profit et rien d’autre. Érasme a traité de ce sujet dans son Adag. no 1030: ‘intus canere, Aspendius citha‑ roedus’; voir ASD, II, 3, pp. 53-54. 40. Parisienses transpontanos: Vives pense sans doute aux Franci­ liens, soit les habitants de l’Ile-de-France, délimitée par la Marne, l’Oise et la Seine. 48. acute scilicet solem ex splendore: cf. Sancti Anselmi ...Opera ..., éd. Gabriel Gerberon, 2me éd. (Paris, 1721), p. 184: ‘sicut enim ex splen‑ dore Solis ipsum Solem sentimus, antequam illum perspicue videamus, sic ex mentis nostrae speculatione Deum sentimus, quando verum quid ex ipsa veritatis luce perspicimus.’



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49. tibi per nos cessare ne in secessu quidem licere: voir ep. 3, § 5. 50. Epicurus: philosophe grec (341 - 270 av. J.-C.) qui affirmait que les dieux ne s’occupaient pas du tout des hommes. 52. ‘Cessare’: voir ep. 2, § 5. 54-55. hoc video Ciceronem appellasse ‘feriatum esse’ et ‘cessare’ et ‘agere otia’ et ‘nihil agere’: Cf. Cic. nat. 1, 102: ‘deum sic feriatum volumus cessatione torpere ut, si se commoverit, vereamur ne beatus esse non possit’; Cic. de orat. 2, 24: ‘hoc ipsum nihil agere et plane cessare delectat’; Cic. nat. 3, 93: ‘cur tam multos deos nihil agere et cessare patitur?’ 56. odiosum negotium: jeu de mots avec ‘otiosum negotium’. 57. facere delicias: voir ep. 3, § 8. 64. te dicis duabus aerumnis exanclatis: voir ep. 2, § 7: ‘Mihi una aut altera aerumna exanclata abunde sunt.’ 67-68. Quot putes fuisse alios Herculi labores subeundos: cf. ep. 2, § 6. 72. Sarcinas tuas: cf. ep. 2, § 10 et ep. 3, § 8. 76. stilum tuum rubiginosum et situ nimium marcidum consumptumque: cf. ep. 2, § 10. 77. De quadriennii vacatione: cf. ep. 3, § 5. 84. ius trium librorum: Vives joue sur les mots ‘librorum’ et ‘libe­ rorum’ de la phrase précédente, faisant allusion au ‘ius trium liberorum’ (également mentionné dans ep. 3, § 6). 93. de Pandectis et obnuntiatore illo tuo: dans sa lettre du 17 juillet 1519 à Claude Chansonnette, Budé déclare que le juriste allemand Ulrich Zasius lui a cherché ouvertement querelle dans ses Lucubrationes et plus précisément dans son commentaire de la loi de Sextus Pomponius, De origine iuris. Froben a imprimé cette œuvre à Bâle en 1518, accompa‑ gnée d’une lettre élogieuse d’Érasme à Boniface Amerbach (A, ep. 862). Dans sa nouvelle édition des Annotations aux Pandectes Budé avait déjà modéré le ton de quelques passages jugés trop virulents. Quelques jours après, le 25 juillet 1519, Budé écrit directement à Zasius. Il explique qu’il avait reçu de Chansonnette un exemplaire des Lucubrationes et exprime son sentiment d’avoir été traité de manière peu courtoise, tout en répétant les arguments allégués dans sa lettre à Chansonnette. Voir Delaruelle, Répertoire, epp. 38 et 39 (pp. 67-72); G. Kisch, Gestalten und Probleme des Humanismus und Jurisprudenz. Neue Studien und Texte (Bâle, 1969), pp. 42-60. 94. sene: dans sa lettre du 16 mai 1520 Érasme appelle Zasius ‘egregius

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ille senex’ (A, ep. 1103, l. 24); de son côté Zasius se qualifie lui-même de ‘senex’ dans sa lettre à Érasme du 13 juillet 1520 (A, ep. 1121, l. 37 ‘Senex enim quamvis sim ...’). cui totae tres Anticyrae non suffecerint: Anticyra est le nom de trois villes de l’Antiquité, toutes trois réputées pour l’ellébore, plante employée comme remède pour les maladies mentales; cf. Gell. 17, 15. Horace mentionne les trois villes en même temps dans son ars, 300: ‘tribus Anti‑ cyris caput insanabile’; le pluriel est employé aussi par Pers. 4, 16: ‘Anti‑ cyras melior sorbere meracas.’ 98. si ipse contra eloquentiam bellum suscepit: le jurisconsulte Zasius avait peu de considération pour l’approche philologique de textes juridiques telle qu’elle était réalisée par Budé. Dans une lettre du 13 novembre 1519 il écrit à Boniface Amerbach avec un certain dédain au sujet de Budé: ‘Tolle Graecitatem, quid in eo summopere est prae te aliisque doctis suspiciendum?’ Cf. Ios. Ant. Rieggerus (ed.), Udalrici Zasii epistolae ad viros aetatis suae doctissimos ..., 2 tomes (Ulm, 1774), II, 21; Delaruelle, Répertoire, p. 71n. 101-103. eloquentiae dixeris cui me iampridem dedi devovique totum … sed devovi tamen: dans sa lettre adressée à Guillaume de Croÿ qui introduit le cinquième psaume pénitentiel, Vives avait promis qu’il se consacrerait complètement à la prose élégante: ‘Satis mihi fuit ... periclitari stilum in eo scribendi genere, cui nos aliquando totos sumus tradituri.’ Cf. E. George, ‘Rhetoric in Vives’, in Ioannis Lodovici Vivis Valentini Opera Omnia. I. Volumen introductorio, coord. A. Mestre (Valencia, 1992), pp. 113-177 (pp. 122-123 et 136). 107. obscenae illius oscinis: Gell., 13, 14, 6: ‘montem istum exclu‑ serunt, quasi avibus obscenis ominosum’; Verg. Aen. 12, 876: ‘obscenae volucres.’ 111-112. Erasmus ..., non scribit, quoniam tuae nunc sunt scribendi vices: la mention fréquente de cette formule prouve que les règles de la correspondance étaient assez strictes. Dans sa lettre à Budé du 15 octobre 1519 (A, ep. 1023), Érasme signale que Christophe de Longueil l’a informé que Budé s’était plaint de ne pas avoir reçu de réponse à ses deux dernières lettres (ep. A, 987 et A, ep. 992). Cette réponse, qui se situerait en août 1519 (A, ep. 1004), était parvenue à Budé à peine quelques heures après le départ de ce dernier de Paris. Budé répond par ses lettres de septembre 1519 (A, ep. 1011 et ep. 1015) et reçoit une réplique d’Érasme le 17 février 1520 (A, ep. 1066). Une nouvelle réponse de Budé est datée du 26 février (A, ep. 1073), mais n’est pas encore parvenue à Érasme le 7 mars: voir ci-après, ep. 6, § 15.



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112-113. Epistolae illae ad eum tuae, quae sunt in principio huius novae farraginis: en octobre 1519 Froben publie à Bâle une nouvelle collection de 333 lettres écrites par ou adressées à Érasme, la Farrago nova epistolarum Des. Erasmi Roterodami ad alios, et aliorum ad hunc: admixtis quibusdam, quas scripsit etiam adolescens. Celle-ci commence par la correspondance intensive entre Érasme et Budé et la toute première lettre est celle d’Érasme du 22 février 1518 (A, ep. 778), suivie par la réponse de Budé du 12 avril 1518 (A, ep. 810). 118. in Marlianum tuum: Budé a déménagé en septembre 1519; cf. ep. 3, § 8. 120-121. Vetus est Catonis illud: ‘Frons occipitio prior est’: Cato, agr. 4, 1. Vives emploiera le même proverbe dans le second livre de son traité sur l’éducation de la femme chrétienne. Voir J.L. Vives, De insti­ tutione feminae christianae, éds C. Fantazzi et C. Matheeussen, 2 vols (Leiden - Boston - Cologne, 1996-1998), II, 144. Érasme a recueilli ce proverbe dans ses Adagia, 119; voir ASD, II, 1, pp. 235-237. 121-122. apud Aristotelem: ‘Optimus agro fimus domini vestigia’: Arist. Oec. 1345 a 1-5; le passage entier, en grec, accompagné de la traduction d’Érasme, se trouve dans Adagia, 119 (ASD, II, 1, p. 236): ‘alter rogatus, quod stercus esset optimum, “domini vestigia” inquit.’ 122. γλαῦκας … ἐς Ἀθήνας: l’équivalent en français est: ‘apporter de l’eau à la rivière’. Pour ce proverbe et ses sources classiques, voir Érasme, Adag. 111 (ASD II, 1, pp. 222-224), intitulé ‘Ululas Athenas’. 129-130. Hermannus Phrysius: à propos de Haio Herman ou Herman­nus Phrysius, voir ep. 2, § 13.

6. Lettre originale de Vives, conservée à la Staats- und Universitätsbibliothek de Brême, ms. a 0008 (lettre 4)

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5. BUDÉ À VIVES Marly, 23 avril Budé a reçu deux lettres de Vives, l’une du 1er décembre, l’autre du 31 mars. Dans la dernière, Vives se plaint de ne pas avoir reçu de réponse à sa question. En fait, Budé ne savait pas immédiatement quoi répondre. Mais puisque Vives insiste, il donne son opinion à propos d’un sujet que celui-ci pourrait traiter dans son œuvre: Vives ne devrait pas s’attaquer à un thème trop vaste, mais à un sujet adapté à ses forces, de préférence dans le domaine de la philosophie ou de la théologie; il ne devrait pas craindre d’éventuelles réactions de jalousie, mais prendre Érasme comme exemple de ténacité intrépide. Budé ne sait rien à propos de Haio Herman ou des Declamationes de Vives. Il sera à Marly pendant l’été, mais il devra de temps en temps retourner à Paris pour régler ses affaires. À la fin de sa lettre, il explique quelques problèmes philologiques suscités par des textes de Démosthène et d’Aristote. GBeppr, fols. 81v-83v; Z, pp. 120-125; GBlatgr, fols. XLVIIr-XLVIIIr; GBluc, pp. 289-290.

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Guillaume Budé à Luis Vives, salut [1]  J’ai

reçu tes lettres, l’une écrite le 1er décembre, l’autre le 31 mars. Aucune autre lettre depuis ce temps. C’est pourquoi je ne voudrais pas que tu t’irrites contre moi parce que je n’ai pas répondu à ton attente. Je reconnais que tu as eu raison de me réprimander dans ta dernière lettre, parce que, dans une lettre assez longue, j’ai mis par écrit tous les sujets sauf celui que tu désirais si fort. La raison en a été la suivante: comme je n’avais pas un jugement tout prêt sur le point à propos duquel tu sollicitais mon avis, je ne me suis pas emparé avec plaisir de ce sujet de rédaction. [2]  Même maintenant, je n’ai rien à écrire qui soit digne de ton attente, sauf si je me range à ton avis. Mais je craignais que tu n’interprètes mon silence moins comme le résultat de mon jugement, que comme celui de mon renoncement et de ma paresse. Ainsi donc, comme je poursui‑ vais autre chose avec mon esprit et ma plume, soit cela m’est sorti de la mémoire, soit je n’ai pas voulu gonfler la juste taille de la lettre par un ajout qui ne me semblait pas devoir répondre à ta requête. Maintenant, puisque je suis à nouveau sollicité, il faut que je dise ce que je pense. [3]  Ton problème était de trouver un sujet et une matière hors du commun pour fournir la démonstration et la preuve de ta bonne nature, qui a été formée dans les Lettres les plus belles et les plus raffinées. Ton problème était surtout de déterminer quel était le genre approprié pour cela. En effet, si tu t’attelais à des choses banales et légères, tu semblerais le faire facilement et tu n’en retirerais, disais-tu, aucune gloire. [4]  Mais si tu choisissais quelque chose d’utile, outre le fait que cela te procurerait beaucoup de tracas, tu ne parviendrais pas à la gloire escomptée, vu le nombre et la difficulté des corrections à apporter. Les œuvres des philosophes et des théologiens actuels sont en effet à tel point corrompues qu’il est moins difficile de les refaire que de les corriger avec élégance. [5]  Telles semblent donc être à peu près les difficultés auxquelles tu te trouves confronté. Il me faut, je pense, te dévoiler ma pensée à leur propos, puisque tu me le demandes en tant qu’ami. Ma pensée est à peu près identique à la tienne sur toute l’affaire. Les choses qui ne se présentent pas bien, il faut soit les réarranger complètement soit les laisser en l’état; car, si tu rétablis le rythme de l’une mais pas de l’autre, tu ne manqueras pas d’être privé de la gloire de la découverte lorsque



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Guilielmus Budaeus Ludovico Vivi salutem [1]  Litteras unas accepi tuas Kalendis Decembribus scriptas, alteras pridie Kalendas Apriles. Praeterea nullas ab eo quidem tempore. Quare nolim ut mihi succenseas si exspectationi tuae non satisfeci. Poste‑ rioribus litteris fateor me iure a te taxatum, qui in longa satis epistula omnia potius scripserim quam id quod maxime cupiebas. In causa fuit, quod cum in promptu non haberem quid ea de re censerem de qua tu me sententiam rogabas, id argumentum scribendi non libens arripui. [2]  Ipse vero ne nunc quidem habeo quid dignum exspectatione tua scribam, nisi in sententiam tuam pedibus eam. Sed verebar ne id tu non tam iudicii quam detrectationis atque inertiae esse interpreta‑ rere. Itaque cum aliud animo stiloque tum agitarem, vel id memoria mihi excidit, vel eo additamento extendere epistulae magnitudinem iustam nolui, quod mihi non satisfacturum postulationi tuae videbatur. Nunc quando iterum appellor, necesse est ut dicam quod sentio. [3]  Ἦν τὸ ἀπόρημα τὸ σὸν περὶ τοῦ ὑποθέσεώς τινος καὶ ἀφορμῆς οὐ τῆς τυχούσης λαβέσθαι, εἰς τὸ ἔλεγχόν τινα καὶ ἐπίδειγμα δοῦναι τῆς εὐφυίας τῆς σῆς, ἐν τοῖς καλλίστοις τε καὶ σπουδαίοις τῶν λόγων ἐξησκημένης. Ἠπορεῖτο δὲ μάλιστά σοι ὁποῖόν τι τὸ γένος εἰς τοῦτο εἴη ἐπιτήδειον. Εἰ γὰρ τῶν τυχόντων τινὸς ἅψαιο καὶ τῶν λεπτολογημάτων, ῥᾳδίως μὲν ἂν μεταχειρίσασθαι ἐδόκεις, οὐκ ἀξιεπαίνετον δὲ ἔφης ἔσεσθαι. [4]  Εἰ δέ τι τῶν προὔργου ἀνέλοιο, τοῦτο δὴ πρὸς τῷ πολλά σοι πράγματα παρασχεῖν, καὶ οὐκ ἂν ἀποβῆναί γε εἰς προκειμένην σοι δόξαν, διὰ τὸ πολὺ καὶ δυσχερὲς τῶν διορθωθησομένων. Οὕτω γὰρ εἶναι τάδε τῶν νεωτέρων φιλοσόφων τε καὶ θεολόγων, διεφθαρμένα, ὥστε καὶ ἧττόν ἐστι ταῦτα ἀνανεώσασθαι δυσχερὲς ἢ ἐπανορθῶσαι κεκαλλιεπημένως. [5]  Ταῦτα μὲν οὖν οὕτω σοι σχεδὸν διηπορῆσθαι ἔοικε. Περὶ ὧν ἀνάγκη μοι ὡς οἶμαι αἰτουμένου σου φίλου τὴν γνώμην ἀποφαίνεσθαι τὴν ἐμήν. Αὕτη δέ ἐστι ὅμοια σχεδὸν φρονοῦσα τῇ σῇ περὶ τοῦ πράγματος ὅλου. Τὰ γάρ τοι μὴ καλῶς κείμενα ἤτοι μεθαρμόσαι δεῖ ὁλοσχερῶς, ἢ κατὰ χώραν ἔχειν ἐᾷν, ἐπεὶ ἢν πῇ μὲν ἐπιρρυθμίσῃς, πῇ δ’οὔ, οὐκ ἂν φθάνοις τῆς δόξης τοῦ εὑρέματος ἀποστερηθείς,

11. detrectationis GBlatgr, GBluc: causificationis GBeppr, Z   18. καλλίστοις GBeppr, Z, GBluc: κολλίστοις GBlatgr   22. προὔργου GBluc: προὔγου GBeppr, Z, GBlatgr   27. ἀνάγκη GBlatgr, GBluc: ἀνάγκῃ GBeppr, Z   28. ὡς scripsi: ὣς GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc

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quelqu’un, s’attaquant aussitôt à ce que tu as délaissé, effaçant le souvenir de ce que tu as corrigé, s’attribuera au final toute la gloire de la correction. J’ai moi-même subi cela de nombreuses fois de la part de ceux qui avaient annoté dans les Pandectes les passages qui étaient incompréhensibles pour la plupart des gens. Si tu recours à mes conseils, tu choisirais de ne pas aborder dès le début des choses qui ne dépendraient pas totalement de ton amour du travail plutôt que de les laisser inachevées, traçant en quelque sorte le chemin de la glorification de ceux qui les auront menées à terme, comme cela m’est arrivé. [6]  Il vaut mieux, me semble-t-il, entreprendre les choses dont tu peux espérer maîtriser davantage l’accomplissement. Assurément, il n’y aurait pratiquement rien dans ce qui est traité par les théologiens et par les philosophes, qui ne pourrait être poursuivi par toi, qui aimes consacrer admirablement et exactement ton travail à l’élégance du langage. Mais si tu crains l’envie, si tu es écrasé par le fardeau à cause des gens, qui, hostiles à ceux qui sont plus cultivés, aiment la chicane et ont l’habi‑ tude de se dresser en groupe et avec hargne contre ceux qui osent entre‑ prendre quelque chose de neuf, comment pourrais-tu manifester ton âme généreuse et merveilleusement habile à défendre ton cher Érasme, qui, le premier et le seul, n’a pas hésité à susciter et à supporter l’envie; et cela, il continue à le faire avec la fougue de la jeunesse et avec courage. Avec courage et noblesse, il a apprivoisé les plus féroces d’entre eux; imite-le et prépare-toi à intégrer le parti des amoureux des belles lettres. [7]  À propos de ce que tu écris au sujet d’Herman et des Déclamations, je n’ai pas encore découvert ce qu’il en était. Je passerai l’été ici, mais il me faudra souvent aller en ville pour des affaires, voire des affaires liti‑ gieuses; de peur que tu ne croies que je me trouve dans un profond loisir, je compte éditer sous peu des lettres et un opuscule, pour donner congé aux rouspéteurs comme s’il s’agissait de créanciers très menaçants. [8]  Chez l’Orateur, la leçon correcte dans la harangue Sur la Paix est προεῖσθαι avec plus ou moins la signification suivante: tout d’abord, je vois que la situation actuelle est aux prises avec de grandes difficultés et turbulences, non seulement parce nous avons été confrontés à bien des pertes et abandons au point qu’il ne vaut vraiment plus la peine de donner son avis, mais aussi parce que l’état d’esprit des gens à l’égard de ce qui nous reste est à peu près celui-ci: on ne se met pas d’accord sur ce qu’il vaut mieux faire à propos d’une seule chose, mais sur ce qui semble utile tantôt à l’un tantôt à l’autre; προεῖσθαι et προέσθαι sont des formes fréquentes chez cet auteur et chez d’autres. Lui-même dit plus loin dans le



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ὁπότε ἐγχειρῶν τις παραχρῆμα τοῖς ἐγκαταλελειμμένοις ὑπό σου, τήν τε μνήμην ἐξαλείψας τῶν ἐπηνωρθωμένων σοι, καὶ δόξαν δὴ πᾶσαν τελευτῶν κομιεῖται παντὸς τοῦ κατορθώματος. Ὅπερ ἔγωγε ἤδη πέπονθα ἐν πολλοῖς, ὑπὲρ τῶν προεπισημειωσαμένων εἰς τὰ τῶν πανδεκτῶν δυσνόητα τοῖς πολλοῖς. Εἰ οὖν χρῷό μοι συμβούλῳ, μᾶλλον ἂν σύγε ἕλοιο τῶν πραγμάτων μὴ ἅπτεσθαι ἐξαρχῆς τῶν μὴ πάντως εἰξόντων τῇ φιλοπονίᾳ τῇ σῇ, ἢ ταῦτα ἡμιτελῆ καταλιμπάνειν, οἱονεὶ προωδοπεποιημένα τῇ τῶν διαδεξομένων τὸ ἔργον εὐδοκιμήσει, ὥσπερ ἐμοὶ συνέβη. [6]  Τοιαῦτα μέν τοι ὡς ἔοικεν ἐπιτηδεύειν βέλτιον, ὧν σύ γε ἐλπίσαις ἂν εὐμεταχείριστόν σοι τὴν διέξοδον ἔσεσθαι. Καὶ μὴν οὐδ’ἂν ἕν σοι σχεδὸν τῶν περὶ τὰ θεολογούμενά τε καὶ φιλοσοφούμενα ἀνέφικτον εἴη, δεινῶς γε δὴ καὶ ἀκριβῶς φιλοπονοῦντι περὶ τὴν καλλιλογίαν. Εἰ δὲ δὴ τὸ ἐπίφθονον δέδιας καὶ τὸ ἐπαχθὲς βαρύνῃ τοῦ πράγματος διὰ τουτουσὶ τοὺς φιλαιτίους τοῖς ἀστειοτέροις ἐχθροὺς, οἵτινες εἰώθασιν ἐπιφῆναι ἀθρόοι τε καὶ χαλεποὶ τοῖς καινοτομεῖν τι τολμήσασι, πῶς ἂν γενναῖος εἶναι σὺ δοκοίης τὸν θυμὸν, καὶ δεινὸς συνειπεῖν τῷ Ἐράσμῳ σου, ὃς πρῶτος καὶ μόνος ἀνελέσθαι τε καὶ ὑπομεῖναι τὸν φθόνον οὐκ ἠυλαβήθη. Καὶ τοῦτό γε ποιῶν διατελεῖ νεανικῶς τε καὶ εὐτάκτως. Ἧι δὴ αὐτὸς προθυμίᾳ τε καὶ γενναιότητι χειροηθεστέρους ἤδη τοὺς θηριώδεις αὐτῶν παρεσκεύασε, μίμησαι δὴ τὸν ἄνδρα, καὶ αὐτὸς ἐν μέρει τοῖς τῶν σπουδαίων λόγων ἐφιεμένοις ἐνδείκνυσθαι παρασκευάζου. [7]  Quod de Hermanno et Declamationibus scribis, hoc quid sit nondum rescivi. Aestatem hic acturus sum, sed saepe in urbem commeare mihi necesse ob negotia etiam litigiosa; ne tu me versari alto in otio putes, brevi epistulas et opusculum editurus sum, ut homines flagitanteis quasi creditores instantiores dimittam. [8]  Apud Oratorem ἐν τῷ περὶ εἰρήνης προεῖσθαι recte legitur, in hanc ferme sententiam: primum quidem video res huius temporis magna diffi‑ cultate implicatas esse atque turbulentia, non ob id tantum quod multa ita proiecta sint et derelicta, nullum iam ut sit operae pretium recte de iis censere, sed etiam quod de ceteris is paene sit sensus hominum, ut ne de unica re tantum inter omnes conveniat quid sit factu optimum, sed ut huic hoc modo, illi alio conducibile esse videatur. Προεῖσθαι et προέσθαι verba sunt apud eum aliosque auctores frequentia. Ipse infra hac eadem 36. συμβούλῳ GBlatgr, GBluc: συμβούλω GBeppr, Z   64. frequentia. Ipse GBeppr, Z, GBlatgr: frequentia. et Lysias ipse GBluc

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même discours καὶ τὰ προειμένα ἔσται βελτίω (sc. ‘ce qui est dépensé sera meilleur’). Lysias: ὅτι ἡμῖν οὐδὲν προεῖνται τῶν σφετέρων αὐτῶν (sc. ‘ils ne dépensent pour nous aucune portion de leurs biens’), ils ne dépensent rien; προίεμαι, προεῖμαι comme τέθειμαι. [9]  Chez Aristote dans le traité De l’interprétation, un passage très obscur doit être compris, à mon avis, de la façon suivante: λόγος δέ ἐστιν αὐτοῦ τὰ μὲν ἄλλα κατὰ τὰ αὐτά. Ὅτι δὲ μετὰ τοῦ ἐστίν, ἢ ἦν, ἢ ἔσται, οὐκ ἀληθεύει ἢ ψεύδεται. La définition du cas du nom, dit-il, (c’est en effet ainsi qu’Aristote a l’habitude d’employer λόγος) est la même que celle du cas direct: la même définition vaut pour ‘Philonis’ et pour ‘Philo’. En effet, de même que le nom est une unité sémantique conventionnelle sans spécification du temps, de même cette définition vaut pour tous les autres de ses cas, à cette seule exception que, joint aux trois temps du verbe être, le cas ne produit pas encore un énoncé parfait. En effet l’énoncé Φίλωνός ἐστιν n’est ni vrai ni faux sauf si on ajoute quelque chose d’autre. L’expression κατὰ τὰ αὐτὰ est de l‘attique et signifie la même chose que κατὰ τὸν αὐτὸν τρόπον (de la même manière). [10]  Voilà ma réponse à chacune de tes deux lettres; tu l’aurais obtenue plus rapidement si j’avais eu sous la main l’Organon d’Aristote. Je te félicite pour ce progrès dans l’art de la rhétorique, admirable et digne d’applaudissements, ce dont Érasme m’a convaincu. [11]  De notre Marly, le 23 avril.



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oratione καὶ τὰ προειμένα ἔσται βελτίω. Λυσίας: ὅτι ἡμῖν οὐδὲν προεῖνται τῶν

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σφετέρων αὐτῶν nihil dilargiuntur; προίεμαι προεῖμαι ut τέθειμαι. [9]  Apud

Aristotelem ἐν τῷ περὶ ἑρμηνείας locus obscurissimus sic, ut

opinor, intelligendus: λόγος δέ ἐστιν αὐτοῦ, τὰ μὲν, ἄλλα κατὰ τὰ αὐτά. Ὅτι δὲ μετὰ τοῦ ἐστὶν, ἢ ἦν, ἢ ἔσται, οὐκ ἀληθεύει, ἢ ψεύδεται. Eadem, inquit, est definitio (sic enim λόγον usurpare solet Aristoteles)

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casus nominis quae et recti est; hoc est: eadem Philonis quae est Philon. Ut enim nomen est φωνὴ σημαντικὴ κατὰ συνθήκην ἄνευ χρόνου, sic etiam casuum eius ceteris in omnibus ea est definitio, hoc tantum excepto, quod cum tribus temporibus substantivi verbi iunctum nondum perfectam enuntiationem facit. Neque enim aut verum aut falsum est enuntiatum

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Φίλωνός ἐστιν, nisi aliud addatur. Est autem κατὰ τὰ αὐτὰ Attice, idem quod κατὰ τὸν αὐτὸν τρόπον. [10]  En

tibi ad utramque epistulam, quod citius habuisses, si Organum

hic Aristotelis habuissem. Gratulor tibi mirificum et plaudendum in rhetoricis profectum, cuius fidem mihi fecit Erasmus. [11]  E

Marliano nostro, nono Kalendas Maias.

65. βελτίω scripsi: βελτίῳ GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc   66. τέθειμαι GBlatgr, GBluc: τέθειμμαι GBeppr, Z   68. δέ ἐστιν scripsi: δὲ ἐστὶν GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc

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2-3. Litteras unas accepi tuas Kalendis Decembribus scriptas, alteras pridie Kalendas Apriles. Praeterea nullas ab eo quidem tempore: Vives avait néanmoins écrit une troisième lettre entre les deux dates mentionnées: celle-ci est datée du 7 mars 1520 et elle est la seule qui ait été conservée (voir ep. 4 ci-dessus). 16-51. Ἦν τὸ ἀπόρημα ... παρασκευάζου: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Tua erat quaestio de hypothesi quapiam argumento minime triviali capessendo ad indicium specimenque ingenii optimis ac liberalibus exculti literis exhibendum. Haesitabas enim quodnam potis‑ simum tibi eam in rem doctrinae genus accommodatum esset. Si quod namque vulgarium (ed. 1526: vulgatum GBlatgr) ac minutorum operum attigisses, haud magno quidem negocio videbaris illud pertractaturus. Caeterum laudem plausumque meriturum negabas.’ Sin eorum quae operae sunt precium adlatura quidpiam suscepisses, id praeterquam quod multa tibi negocia facesseret, ne sic quidem ad propo­ sitam tibi gloriam evasurum, propter multorum recte ordineque locan‑ dorum difficultatem. Adeo enim esse depravata et philosophorum et theologorum scripta, ea ut ab initio in totum innovare minoris sit negocii quam scitis verbis et excultis sarcire et instaurare. Sunt haec fere, opinor, quae ancipiti animo te et consilio esse cogebant; de quibus sententiam ut proferam meam necesse mihi arbitror, te quidem id postulante. Porro tecum propemodum similiter universa de re sentio. Nam perperam sita vel prorsus reconcinnanda (ed. 1526: reconcinanda GBlatgr) sunt, vel ne movenda quidem. Sicubi namque iunctura venusta repolieris, alibi autem non attigeris, causam haud dices quin inventi commendatione frauderis. Quandoquidem adorsus mox quispiam quae ipse transmiseris et tibi instauratorum memoriam obscurabit et gloriam denique omnem operis egregie feliciterque profligati reportabit. Id quod mihi iam in non paucis usu venisse persentisco ab iis qui post me locos Pandectarum multis intellectu difficiles adnotarunt. Proinde me si consu‑ lentem audis, satius tibi duxeris, ne inchoanda quidem esse quae non tuae prorsus industriae sint obsecundatura quam inchoata relinquere velut aditum viamque aucupandae gloriae opus ipsum excepturis munientia, quemadmodum nobis contigit. Itaque talia potius censeo tibi instituenda quorum explicationem fore tractabilem speraris, quamquam nihil propemodum sit in iis quae de rebus et divinis et naturalibus disseruntur, quod acri, quod exquisito studio dicendique venusta dignitate assequi non possis. Quod invidiam si reformidas, si rei ipsius taedium gravaris ob istos contentiosos rabulas



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elegantioribus hominibus infestos, quibus moris est confertim et fero­ citer in novi quippiam molientes insurgere, quonam pacto forti esse animo praeditus videare, tuoque constanter Erasmo patrocinari? Qui et primus et solus invidiam in se suscipere atque sustinere veritus non est, quod iugiter prosequitur idque strenue ac fortiter. Qua quidem alacritate et generositate mansuetiores iam qui ex eis ferinos induerunt mores et animos effecit. Sectare igitur virum, vicissimque bonarum ipse literarum studiosis ingenii istius specimen adorna.’ 42. περὶ τὰ θεολογούμενά τε καὶ φιλοσοφούμενα: il est bien possible que Vives ait été influencé par ce conseil, quand il s’attaqua quelques mois plus tard, à la demande d’Érasme, à l’édition commentée de la Cité de Dieu de saint Augustin, ce qui s’avérera son entreprise philologique de loin la plus difficile et peut-être aussi la plus frustrante. Vers la fin janvier 1521, le premier livre était prêt et le 10 juillet 1521 Vives signale à Érasme qu’il avait revu six livres (A, ep. 1222). Pour un aperçu plus détaillé de son rythme rapide, voir le catalogue Vives te Leuven. Cata­ logus van de tentoonstelling in de Centrale Bibliotheek te Leuven, 28 juni - 20 augustus 1993, onder de redactie van G. Tournoy, J. Roegiers en C. Coppens (Louvain, 1993), pp. 33-54 et pp. 96-101; G. Tournoy, ‘Juan Luis Vives and the World of Printing’, Gutenberg-Jahrbuch 1994, 128-148, spécialement pp. 134-136. 52. de Hermanno: Haio Herman; à son propos, voir ep. 2, § 13. Budé le rencontrera le jour suivant (voir ep. 6, § 1). Declamationibus: dans une des lettres aujourd’hui perdues, probable‑ ment celle du 31 mars 1520, Vives doit avoir annoncé qu’il avait envoyé ses Declamationes Syllanae à l’impression. Cette œuvre a en effet été imprimée par Michel Hillen à Anvers en avril 1520. Pour une description complète de cette édition, voir Edicións, pp. 132-133 et l’introduction à J.L. Vives, Declamationes Sullanae. Part one: Introductory material, Declamationes I and II. Edited and translated with an Introduction by Edward V. George (Leiden - New York - Copenhagen - Cologne, 1989), pp. 6-7 (= P). 55. brevi epistulas et opusculum editurus sum: le De contemptu rerum fortuitarum de Budé sortit de presse sans doute quelques jours plus tard, puisqu’il laissait un exemplaire pour Vives entre les mains de J. Toussain avant de partir avec la Cour. Budé était déjà à Ardres le 17 mai; son départ de Paris peut donc être situé vers le 10 mai; l’impression de son premier recueil de lettres se prolongea jusqu’au 20 août 1520; voir ci-après, ep. 7, § 13.

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57. Apud Oratorem ἐν τῷ περὶ εἰρήνης προεῖσθαι: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Apud oratorem in oratione de pace largiri.’ Le passage qui nous occupe est celui de Démosthène, Sur la paix, 5, 1. Dans le manuscrit le plus fiable, le Par. gr. 2934 du 10e ou 11 e siècle, on lit προέσθαι, ce qui a été corrigé en προεῖσθαι. 63-64. προεῖσθαι et προέσθαι verba sunt apud eum aliosque auctores frequentia: selon le Thesaurus Lingae Graecae, la forme προέσθαι se trouve 30 fois chez Démosthène et plus de 200 fois dans tous les auteurs grecs présents dans le TLG. Budé la reprend dans ses Commentarii linguae Graecae (Paris: Robert Estienne, 1548), p. 554. 64-65. Ipse infra hac eadem oratione καὶ τὰ προειμένα ἔσται βελτίω: la citation de Démosthène, Sur la paix (Philippique, 5, 3) est erronée. Le texte grec dit: ‘καὶ τὰ παρόντ᾽ἔσται βελτίω καὶ τὰ προειμένα σωθήσεται’ (‘la situation présente s’améliorera et les pertes seront réparées’). 65-66. καὶ τὰ προειμένα ...τέθειμαι: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Profusa erunt meliora. Lysias, quod nobis nihil largiuntur de rebus suis.’ 65. Λυσίας: ὅτι ἡμῖν οὐδὲν προεῖνται τῶν σφετέρων αὐτῶν: Lysias, orat. 21, 12. 67. Apud Aristotelem: Budé cite, traduit et commente ici Aristote, De interpretatione, ch. 2. Voir Aristotle, The Categories - On Interpreta­ tion. Ed. and tr. by Harold P. Cooke. Prior Analytics. Ed. and tr. by Hugh Tredennick (Cambridge/Mass. - Londres, 1938, repr. 2002), pp. 116-119. 67. ἐν τῷ περὶ ἑρμηνείας: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Apud Aristotelem in libro de Enunciatione.’ Le De interpre­ tatione d’Aristote est la seconde partie de l’Organon. 68-69. λόγος δέ ἐστιν ... ἢ ψεύδεται: ce passage n’a pas été traduit par J. Toussain, ni dans GBlatgr ni dans la première édition de 1526. 72. Φωνὴ σημαντικὴ κατὰ συνθήκην ἄνευ χρόνου: citation du début du même chapitre 2 d’Aristote, De interpretatione. Dans la traduction latine de J. Toussain, mais en référence ici (GBlatgr), tout comme dans l’édi‑ tion de 1526, à λόγος δέ ἐστιν, etc.: ‘Ut nomen est vox significativa iuxta iuncturam sine tempore.’ 76. Φίλωνός ἐστιν: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Enunciatum Philonis est.’ 76. κατὰ τὰ αὐτά: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Iuxta eam.’ Une correction manuscrite dans la marge droite de l’exem‑ plaire conservé à la Bibliothèque de l’Université de Cambridge propose:



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‘eadem’, ce qui est la leçon de l’édition de 1526. κατὰ τὸν αὐτὸν τρόπον: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Iuxta eundem modum.’ 78-79. Organum ... Aristotelis: l’Organon est le nom d’une collec‑ tion de traités logiques d’Aristote divisée en six parties: Catégories, De l’interprétation, Premiers Analytiques, Seconds Analytiques, Topiques, Réfutations sophistiques. 80. cuius fidem mihi fecit Erasmus: dans sa lettre du 17 février 1520 Érasme écrit (A, ep. 1066): ‘Is nunc declamat ...incredibili felici‑ tate. ... Nunc ita numeros praestat ut non videam his temporibus qui in hac palaestra queat illi palmam praeripere.’ Érasme fait allusion ici aux Declamationes Syllanae, que Vives avait publiées à son instigation; dans sa préface à l’édition d’Anvers il note (A, ep. 1082): ‘Lodovicus Vives, dum alii clamant, gnaviter declamat, veteris exempli novus auctor.’

7. Lettre originale de Budé, conservée à la Biblioteca Nacional de Madrid, ms. 5785 (lettre 6)

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6. BUDÉ À VIVES Marly, 2 mai Budé a rencontré Haio Herman le jour qui a suivi l’envoi de la lettre précédente. Tous deux se sont joints à Bérauld pour prendre un repas chez Germain de Brie. Ce même jour il a reçu deux lettres de Vives, l’une par l’intermédiaire de Herman, l’autre l’attendant à son domicile à Paris. Budé remercie Vives de lui avoir envoyé Herman, qui lui a fait une impression excellente, même s’il est trop modeste. Mais Budé est irrité contre Vives parce que celui-ci continue à le pousser à publier ce grand ouvrage dont il aurait parlé dans une lettre à Tunstall. Budé a publié il y a quelques années les cinq livres du De Asse, ce qui devrait lui donner droit à un peu de repos. D’autre part, on peut confier sans problème à Alciat la poursuite de ses Annotationes in Pandectas. Budé a entamé plusieurs projets, qu’il a délaissés puisque l’inspiration lui manque pour les mener à bonne fin. Budé prie Vives de transmettre ses salutations à Érasme; il n’a reçu aucun message de sa part depuis qu’il a confié une lettre à son intention à son serviteur, qui devrait être de retour sous peu. Il ne désire pas répondre à la question que Vives a posée dans sa seconde lettre. Mais il lui dit toutefois globalement que, même s’il n’est pas d’accord avec tout, il estime que Vives a très bien réglé l’affaire et il est content de l’appel de Vives à la circonspection. La lettre autographe, dont Ignacio García Pinilla a aimablement fourni une copie, est conservée à Madrid, Biblioteca Nacional, MS. 5785, fols. 274r-275v (=BNM1). Une description de ce manuscrit se trouve dans l’In­ ventario general de manoscritos de la Biblioteca Nacional XII (5700 a 7000) (Madrid, 1987), p. 23. Ed.: GBeppr, fols. 99r-102v; Z, pp. 147-152; GBlatgr, fols. LVIIr-LIXv; GBluc, pp. 299-301; R III, 136-142 (= 706-712). Budé a introduit quelques modifications stylistiques avant d’envoyer la lettre à l’imprimerie, et il l’a encore revue pour l’édition de 1531.

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Guillaume Budé à Luis Vives, salut [1]  Je t’avais écrit il y a peu de jours que je n’avais pas vu le Frison Herman. Mais le hasard a fait que je l’ai rencontré le jour qui a suivi celui où j’ai cacheté ma lettre. J’ai en effet déjeuné avec lui et avec Nicolas Bérauld - homme bien connu de toi et de nombreux grands savants, qui est en quelque sorte l’hôte des savants étrangers dans notre cité - chez Germain de Brie, homme doté d’un savoir exceptionnel et d’un esprit remarquable. Ce même jour, j’ai reçu tes deux lettres, l’une de la main d’Herman, l’autre à ma maison citadine, où elle attendait mon retour ou plutôt mon arrivée. [2]  Tout d’abord en ce qui concerne le Frison, je te suis infiniment reconnaissant de nous avoir mis en rapport avec un tel homme. En effet, pour autant que nous ayons pu en juger à partir d’une rencontre d’une heure, c’est un jeune homme honnête et aussi noble par la naissance que par l’éducation et qui fournit de nombreux et remarquables signes d’une telle nature; il s’est lancé dans une voie qui laisse espérer (à mon avis) une érudition et une science de premier ordre; toutefois, nous sommes presque irrités contre lui, parce que, parmi les hommes de son rang, il n’a pu être poussé à renoncer pendant tout ce temps à sa modestie et à sa réserve innées malgré la compagnie amicale de l’hôte et des convives. [3]  Ensuite, je ne détermine pas encore clairement dans quel sens je dois interpréter le fait que tu n’acceptes pas mes excuses et que tu rabaisses à ta guise, avec éloquence plutôt qu’avec indulgence, les argu‑ ments de ma défense comme s’ils étaient mal fondés; c’est pourquoi je n’ose pas m’engager plus avant en alléguant ceci ou cela. Dans quelle direction orienter en effet ma plume lorsque je me vois écrasé par mes propres écrits? Toutefois, la question ne porte pas sur le fait, mais sur l’interprétation. Puisque vous, hommes de qualité, c’est-à-dire capables de vous exprimer et maîtres dans l’art des paroles et des phrases, êtes les plus forts en controverses de ce genre, je suis résolu à ne pas entrer en compétition de peur de tomber aussi dans le piège des dépenses d’un procès. [4]  Tu dis même que, croyant en mes paroles, tu t’es porté garant de ma future activité, de sorte que désormais tu n’as plus les mains libres pour te délier de ta promesse. Et puisque (dis-tu) ‘je me suis mis par ma promesse à ton sujet dans une position dont l’honneur m’interdit de



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Guilielmus Budaeus Ludovico Vivi salutem [1]  Hisce paucis diebus scripseram Hermannum me Phrysium non vidisse. At ita casus tulit ut cum Hermanno sim congressus postridie quam litteras obsignavi. Cum eo enim pransus sum, et cum Nicolao Beraldo, homine tibi doctissimisque multis bene noto, doctorum hominum in urbe nostra veluti xenagogo, apud Germanum Brixium, virum doctrina singu‑ lari ingenioque eximio praeditum. Eodem die litteras a te binas accepi: unas Hermanni manu, alteras domi meae urbanae, reditum meum manenteis, vel adventum potius. [2]  Primum igitur de Phrysio: valde te amo, qui talem nobis hominem conciliaris. Nam quantum iudicare ex unius horae convictu potuimus, iuvenis est ingenue atque etiam generose natus et educatus, plurimas insignesque notas indolis eiuscemodi referens: in spem (ut opinor) inco‑ hatus primariae eruditionis atque doctrinae; quamquam ei paene succen‑ suimus, quod inter homines suae sortis nulla usqueadeo invitari familiari comitate convivatoris et convivarum potuit, ut innatam modestiam pudoremque tantisper deponeret. [3]  Deinde quod excusationes non accipis, defensionumque mearum argumenta quasi male solida elevas pro arbitratu tuo facunde magis quam indulgenter, ita ut ulterius progredi hoc atque illud causando non ausim, nondum plane statuo utram in partem accipere debeam. Quo enim stilum promoveam, cum urgeri me chirographis meis videam? Tametsi non facti quaestio est, sed interpretationis. In cuiusmodi controversiis cum vos, viri boni, id est dicendi periti et artifices verborum sententia­r umque, plurimum valeatis, certum est mihi non contendere, ne in fraudem quoque litis impendiorum incidam. [4]  Et ais te verbis meis credentem, velut expromissorem futurae meae industriae esse factum, ut iam integrum tibi non sit fidem tuam luere. Et quando, inquis, ‘in hunc locum de te pollicendo progressus sum, unde

1. Guilielmus Budaeus Ludovico Vivi GBlatgr, GBluc, GBeppr, Z: Budaeus Vivi salutem BNM1, R   2. Hisce GBlatgr, GBluc: His BNM1, R, GBeppr, Z    3. ut cum GBlatgr, GBluc: ut BNM1, R, GBeppr, Z   4. sum: s.l. add. Budaeus in BNM1   13-14. incohatus BNM1, R: inchoatus GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc    20. hoc atque illud causando GBlatgr, GBluc: causificando BNM1, R, GBeppr, Z    21-22. Quo enim stilum promoveam GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: Non enim iam stilum promoveam in mg. sinistro add. Budaeus in BNM1, R   25. est mihi non GBlatgr, GBluc: est non BNM1, R, GBeppr, Z   26. litis impendiorum GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: impendiorum litis BNM1, R

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sortir’, veille à honorer le plus tôt possible la promesse d’un très grand ami. Qu’arriverait-il si, alors que tu as honte de reculer un pied trop vite avancé, je répugne à l’avancer? Qu’arriverait-il si, à mes risques et périls, je voulais et exigeais que tu renonces à cette promesse précipitée que tu as faite à des amis, alors que moi, je n’hésite pas à me dégager de cette promesse inconsidérée et un peu présomptueuse pour pouvoir jouir d’un loisir dédié à l’étude des Lettres, non à l’ennui de l’écriture? Car je considère que ce loisir n’est pas encore suffisamment bien établi, même si je le souhaite. Eh bien, si tu rejettes cette proposition, je t’inviterai à te souvenir que tu as promis une action qui ne dépend pas de toi et qui est périlleuse pour nous deux. [5]  Tandis que j’agite cela dans mon esprit, voici que survient encore, suite à une nouvelle lettre de toi plus récente, une autre et nouvelle injonc‑ tion à me mettre au travail, ainsi qu’une sorte de dénonciation de mon ignominie si quelque ouvrage digne d’une si grande attente ne sort pas bientôt d’ici. Et tu m’ordonnes d’attendre une grande lettre de toi concer‑ nant je ne sais quelle allusion qui m’a échappé dans une lettre que j’ai écrite à Tunstall à propos d’un traité dont les contours ne sont pas fixés dans des limites étroites. Bien que je n’aie pas cette lettre ici, je pense n’avoir fait aucune promesse ferme qui permettrait à un juge équitable à mon égard de te donner l’autorisation de m’intenter un procès. [6]  C’est pourquoi imagine une autre raison d’écrire qui soit plus attrayante, si tu veux m’en croire, à moins que tu ne préfères renoncer à traiter avec moi et voir ta proposition repoussée dès la première expres‑ sion d’une réserve. Car si, poussé par tes paroles et vaincu par la persua‑ sion, je laisse échapper de mes mains une œuvre de ce type et si celle-ci se révèle très inférieure à l’attente que tu as suscitée, ce sera assurément pour moi une cause de déshonneur et finalement pour toi un motif de honte puisque tu auras engagé aussi inconsidérément ta parole et la répu‑ tation d’un ami. Tu connais ce proverbe – je le sais – ‘cautionner, c’est se ruiner’, mais tu ne te rappelles pas assez à quelle fin nous sommes avertis que la ruine accompagne la caution. Et Salomon au chapitre XVII de ses Proverbes sacrés dit que ‘le sot s’applaudit et se félicite lui-même de cautionner son propre ami’. En effet, tu tiens de nous ces cinq cautions, pourvues et riches de si nombreuses et si grandes ressources, de sesterces, de poids, de mines et de talents, regorgeant enfin d’une extrême abon‑ dance de richesses, les nôtres et les étrangères, grâce auxquelles tu es assuré qu’on a suffisamment pris soin de ta promesse et (je pense) de l’opinion qu’on a de nous.



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regredi pudor vetat’, vide ut promissum hominis tibi amicissimi primo quoque tempore praestes. Quid si cum pedem referre te pudeat praepro‑ pere provectum, me proferre pigeat? Quid si autem periculo meo renun‑ tiare te illam amicis praecipitem pollicitationem velim et postulem, cum ego quoque renuntiare inconsultam iactantiunculam non dubitem, ut hoc perfrui otio ad litterarum studium possim, non ad scriptionum taedium, quod nondum tamen ipsum satis constitutum habeo, etiamsi in voto habeam? Atqui si hanc condicionem respuis, meminisse iubebo alienum te factum communi periculo promisisse. [5]  Ecce autem rursus cum haec animo agito, altera novaque ex epistula tua recentiore, operae indictio quasique ignominiae denun‑ tiatio, nisi quid mox dignum tanta exspectatione hinc exierit. Et iubes me exspectare epistulam a te grandem de hoc, quod ad Tonstallum scribenti nescio quid mihi excidit de commentatione non ita valde angustis finibus circumscripta. Hic etsi epistulam illam non habeo, tamen nihil ita certum promisisse me arbitror, unde tibi mecum actionem aequus mihi iudex dare possit. [6]  Quare argumentum aliud scribendi festivius comminiscere, si me audies, nisi te summoveri mecum agentem, intentionemque tuam depelli prima quaque exceptione mavis. Quod si verbis tuis perpulsus et suasione evictus aliquid emisero manibus eiuscemodi, et longe id inferius exspectatione quam tu excitasti fuerit, nimirum ut mihi mox dedecori, sic tibi tandem futurum est pudori, ut qui inconsultius fidem tuam amicique obstrinxeris existimationem. Nosti illud, scio, ἐγγύη πάρ’ ἄτη, - sed parum meministi quo admonemur sponsionis comitem esse noxam. Et Solomon capite decimoseptimo sacrorum Proverbiorum ἀνὴρ ἄφρων (inquit) ἐπικροτεῖ καὶ ἐπιχαίρει ἑαυτῷ ὡς καὶ ἐγγυώμενος τὸν ἑαυτοῦ φίλον. At enim praedes illos quinque nostros, tot tantisque facultatibus idoneos et locupletes habes: sestertium, pondo, minarum et talentorum summis et nostris denique externisque copiis exuberantes, quibus satis cautum esse fidei tuae confidis et nostrae (ut arbitror) opinioni. 30-31. primo quoque tempore GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: deest BNM1, R  34. iactantiunculam GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc, R: iactatiunculam BNM1 35. post ocio verbum possim del. Budaeus in BNM1; litterarum studium GBlatgr, GBluc: studium BNM1, R, GBeppr, Z   39. novaque: s.l. add. Budaeus in BNM1 43. de commentatione in mg. sinistro add. Budaeus in BNM1   51. mihi BNM1, R, GBeppr, Z, GBluc: nihil GBlatgr    53-54. ἐγγύη πάρ’ἄτη scripsi: ἐγγύῃ πάρ’ ἄτη BNM1, GBeppr, Z; ἐγγύῃ πάρ’ ἄτῃ R, GBlatgr, GBluc   55. capite decimosep‑ timo GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc, R: capite decimo BNM1   55-56. ἀνὴρ ἄφρων (inquit) GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: ἀνὴρ (inquit) BNM1, R   56. ἐπικροτεῖ BNM1, GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc ἐπιηροτεῖ R

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[7]  Qui sait si je me comporterai pareillement dans l’accomplisse‑ ment d’un autre genre d’ouvrage? Peut-être bien qu’il y avait chez moi, prêtes à l’emploi comme de l’argent comptant, des annotations destinées seulement à ressusciter l’usage des mots antiques et éveiller la mémoire des choses anciennes, laquelle autrefois déjà s’était assoupie et était à peu près étouffée. Nous avons décidé d’intercaler dans celles-ci (sc. les annotations du De asse), des digressions à titre de suppléments de l’ou‑ vrage afin de dissiper la répugnance inspirée par un texte rébarbatif et, à d’autres égards, ennuyeux, par l’insertion de ces dernières en tant qu’or‑ nements. De même, il a fallu de temps en temps saupoudrer ces annota‑ tions de bons mots, comme des grains de sel dans des mets qui autrement seraient, pour le commun des mortels, insipides, refroidis et n’attireraient aucun lecteur par leur saveur. [8]  Je me suis dès lors abondamment et longuement appuyé sur ce que j’avais économisé peut-être depuis longtemps, j’ai mesuré aussi à partir de ce qui me venait d’autrui ou assurément de l’extérieur et j’ai compté avec le même zèle et la même honnêteté les milliers de sesterces comme les simples sesterces, les talents comme les sesterces, avec leurs poids. En effet, la tâche de commenter, obstinée et opiniâtre, m’avait donné accès à un garde-manger d’auteurs classiques et riches, qui a permis de produire un trésor en poids, en nombre et en dimension. Et si un autre continue après moi à extraire du même lieu et à produire, je pense qu’on ne lui sera pas plus reconnaissant que s’il déposait à nouveau, lors d’un repas d’invités, des plats à demi-consommés et très souvent repassés. Et il ne sera pas permis de trouver dans cet ouvrage ce qu’il a été permis de trouver dans les Annotationes. [9]  Toutefois, cette affaire désormais ne me concerne plus puisqu’Al‑ ciat, qui est mon ami et qui est supérieurement instruit dans chacune des deux langues, semble s’être approprié cette tâche. Je lui permets de le faire pourvu que cela se fasse sans appropriation de ce qui me revient, d’autant plus qu’il gérera la chose dans le domaine qui lui est quasiment échu par le sort et par son mérite et qu’il mènera l’affaire en bonne partie comme s’il s’agissait de son argent, lui qui est à l’évidence un juris‑ consulte destiné à rétablir les lois. Cependant, lui aussi devra se méfier de ceux qui jugent habile de soutirer des gerbes de la moisson d’autrui en prétextant qu’ils glanent. [10]  Mais revenons à toi, avec qui j’ai affaire maintenant: si, à ton insti‑ gation, je voulais mettre à l’épreuve mon esprit et mon activité dans cet autre genre dans lequel tu as persisté avec opiniâtreté à m’imposer et à



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[7]  Quis

scit an in alio genere solvendo perinde futurus sim? Illa fortasse regesta et velut in numerato erant penes me, quae hactenus prompta sunt ad interpolandum usum antiquorum verborum prisca­ rum­que rerum memoriam exsuscitandam, quae iam olim consopita et prope obruta erat. Quibus etiam digressiones intercalandas duximus veluti operis corollaria, ut lectionis refractariae fastidium et alioqui taediosae his tamquam emblematis insertis discuteretur. Quibus rursus ipsis sales interdum modice aspergendi fuerunt, ut rebus alioquin insulsis ad vulgus et frigentibus nec gustu lectorem quemlibet invitantibus. [8]  Tum igitur copiose et prolixe fortasse diuturna fretus parsimonia atque etiam ex alieno aut certe adventicio mensus sum, nec segnius maligniusque sestertia quam sestertios, nec talenta quam sestertia pondoque adnumeravi. Etenim aditum mihi patefecerat commentatio obnixa et pervicax ad penus auctorum classicorum et locupletum, unde promere licuit dapsiliter pondere, numero et mensura. Quod si indidem post me promere et apponere alius institerit, existimo non maiorem eum gratiam laturum, quam si in condicto convivio semesa obsonia reponeret saepiusque repetita. Nec in hoc inventum licebit quod in Annotationes licuit. [9]  Quamquam hoc ad me iam non pertinet, quod Alziatus, homo mihi amicus et apprime utraque lingua doctus, suum fecisse videtur. Idque per me licet ut fecerit, quod modo sine captione mea fiat, praesertim cum in provincia rem gerat, quae ferme et sortito ei obtigit et merito; et quasi in aere suo bona ex parte negotietur, homo scilicet iuris consultus in legibus restituendis. Sed tamen et ipsi cavendum erit ab illis qui sollertiam esse censent ex aliena segete per speciem spicilegii manipulos subducere. [10]  Sed ut ad te redeam, quicum mihi nunc res est: si te auctore in illo alio genere in quo operas indicere mihi iniungereque obstinasti, pericli‑ tari ingenium velim et industriam, videamus quid explicare queam et 65. Quibus etiam digressiones GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: Quibus digressiones BNM1, R veluti GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: quasi BNM1, R   66. ante fastidium verbum studium del. Budaeus in BNM1   67. tamquam GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: velut BNM1, R    67-68. rursus ipsis sales interdum modice Blatgr, GBluc: rursus ipsis sales interdum BNM1, R; etiam ipsis sales interdum GBeppr, Z   71-72. segnius maligniusque GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: segnius BNM1, R   79. licuit GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: homo doctus tentavit BNM1, homo doctus senserit R   80. Alziatus GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc, R: Alsiatus BNM1

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m’infliger des travaux, voyons ce que je pourrais développer et accom‑ plir. Moi qui, à partir de textes mis en réserve et de côté, ai entrepris d’éditer généreusement et abondamment avec quelque succès, j’aurai publié, comme si j’étais doté à présent d’une nouvelle nature, des monceaux déjà rassemblés en tant qu’argument tout à fait banal en faveur de ma renommée, j’aurai dès maintenant commencé à me lasser des eaux pluviales et collectées, j’aurai décidé de puiser et de fournir de l’eau à partir de mes propres ressources? Bientôt tout semblera épuisé et peu abondant. Voulant éviter cela, je me serai attaché à produire avec effort des œuvres très profondes et à frapper mon pupitre du genou ou du talon pour répandre davantage ce qui coulerait plus abondamment? J’aurai peut-être troublé le contenu du récipient, j’y aurai puisé jusqu’à la lie et je ne pourrai pas délibérer avec moi-même ici, dans la solitude, pour savoir s’il s’agit d’une tare d’un esprit agité de façon immodérée et désordonnée ou d’une erreur de jugement qui me fait assimiler à de la vase ce qui coule en surabondance et en masse. [11]  En effet, ce que je vois assez bien dans les écrits d’autrui, je ne le reconnais ni ne le discerne dans les miens, sinon après un certain délai, que tu ne m’accordes pas, alors que pour l’instant, mon naturel me porte à répandre de l’abondance plutôt que de la frugalité. À moins que le senti‑ ment de la vieillesse qui approche ne me pousse à pencher vers l’esprit d’économie, je crains de ne pas pouvoir tenir la mesure et obtenir votre approbation à vous qui empruntez à de grands auteurs les mesures et les nombres conformes aux règles; il ne m’est pas possible de faire pareille chose, car je n’y ai jamais été habitué depuis ma jeunesse, et, en même temps, je me suis consacré maintenant dans ce village à des affaires rustiques et sans art. [12]  Dans ce désir particulier comme dans d’autres désirs honnêtes, je me soumets à la nature de sorte que je ne recours à aucune mesure autre que la marche continue de ma vivacité d’esprit pour défendre et poursuivre l’œuvre commencée et, dans ce genre, seulement ce qui est traitable parmi les idées qui se présentent. Comme celles-ci surgissent souvent sous une apparence inhabituelle, je ne puis utiliser un matériel tiré d’ailleurs pour les juger et les interpréter. Sauf si une plume se trouve immédiatement à disposition sous la main, l’entreprise de commenter est fatalement immobilisée dans la glaise. Eh bien, j’ai un esprit chagrin autant que généreux, de sorte que si la plume ne reçoit pas sur-le-champ ce que celui-ci répand, elle réduit la voilure et se dirige ailleurs. [13]  Ainsi, j’ai commencé beaucoup de choses, qui ont été interrom‑ pues et abandonnées parce que je n’ai pu ramener par la suite mon esprit



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perficere. Ego qui ex conditis et repositis edere liberaliter et copiose

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institui aliquo cum successu, novo velut ingenio nunc induto, acervos iam collectos argumentum utique obsoletum gloriae transmisero, aquas pluvias et collecticias iam fastidire coepero, de meo vivoque haurire statuero et apponere? Exigua mox omnia ieiunaque videbuntur. Hoc vitare volens, excutere ima et adniti institero, pluteumque genu aut calce

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tundere, quo magis eliciam quod uberius fluat? Conturbavero fortasse conceptacula rerum, et de faece hausero, nec statuere hic in solitudine potero ipse mecum, id ne vitium sit ingenii immodice turbideque infer‑ vescentis, an iudicii culpa, faeculentum esse arbitrantis quod fluit exube‑ ranter atque conferctim. [11]  Nam

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quod in alienis scriptis satis video, in meis non agnosco nec

diiudico nisi ex intervallo, quod mihi non concedis, cum interim natura proclivior sim ad copiam fundendam quam ad frugalitatem. Quod nisi appetentis iam senectutis sensus ad parsimoniam me vergere compulerit, vereor ut modum tenere possim, vobisque me probare qui modos nume‑

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rosque legitimos magnis ab auctoribus mutuamini; quod item mihi non licet, qui a puero iis numquam assuevi, simul qui in hoc vico ad rustica iam et incondita me transtuli. [12]  Et

cum in aliis honestis desideriis, tum in hoc ipso naturae

inservio, nullum plerumque ut modum alium adhibeam quam quantus

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est tenor alacritatis animi ad rem coeptam tuendam et prosequendam, et in hoc genere tantum quanta est tractabilitas sensuum sese proferen‑ tium. Qui mihi inusitata ipsi specie saepenumero cum se sistant, aliunde hausto apparatu ad indicandos eos interpretandosque uti nequeo. Quod nisi stilus appositus praesto sit et sub manu, in luto ut haereat commen‑

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tatio necesse est. Atqui ingenium habeo ut liberale sic morosum, ut nisi stilus ex tempore excipiat quae ab eo funduntur, contrahat mox sinum, alioque se convertat. [13]  Sic multa a me coepta ob id interrupta sunt et desita, quod ad inter‑

pellatas commentationes revocare animum non potuerim postea eadem

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aux commentaires interrompus avec cet entrain même qui constitue le génie des œuvres. En effet, l’eau stagne sans cesse (dit-on), si le fleuve de l’éloquence n’est pas dirigé par le plaisir d’écrire. En ce moment, si je demande un délai un peu plus long pour réparer ma plume, toi, tu diras qu’il s’agit d’un ajournement qui élude le problème et d’un refus de travailler. C’est pourquoi je n’ajouterai pas un mot de plus, sauf pour t’avertir à nouveau que l’affaire nous met en danger toi et moi; du reste, si vraiment ‘ce qui concerne des amis est commun’, il faut que tu sois soucieux de ma réputation presque autant que moi. Par ailleurs, il n’est aucunement à craindre, de mon point de vue, que j’aie souillé ta Philo‑ logie bien-aimée par une annonce récente de ses funérailles, comme le ressent ton âme à propos de l’oiseau de présage qui a semblé par son bruit faire retentir un auspice manifeste. [14]  Tu me demandes par ailleurs de te pardonner ce que tu m’as un jour écrit à propos d’un homme qui nous est cher à toi et à moi comme si tu soutenais davantage son parti: je n’en ferai rien. En effet, je ne vois pas de motif pour estimer que tu mérites mon pardon dans cette affaire, vis-à-vis de laquelle j’ai moi-même reconnu ma faute dans une lettre scellée. Si tu as parlé du fond du cœur, c’est bien, et l’affaire est terminée sans inconvénient et sans mal; je ne puis me repentir d’une affaire qui a bien tourné avec lui comme tu m’en as convaincu. Cependant, je me suis rendu compte plus tard que ‘quelques dangers ont été témérairement encourus de façon assez fine sous une apparence de niaiserie; suite à cela, j’ai compris que vous étiez mécontents des réponses que je lui avais adressées’, ce qui ne m’apparaissait pas auparavant, car j’étais fort du sentiment que j’avais d’une amitié constamment maintenue. Tu salueras en mon nom Érasme, dont je n’ai reçu aucune lettre depuis que son serviteur est parti d’ici avec le mienne, mais dont la venue en ville est annoncée chaque jour. [15]  Je ne répondrai pas au contenu de ton autre lettre, puisque je n’en ai pas le temps et que je ne me vois pas capable de t’égaler en analysant ce sujet auquel tu as prêté une attention soutenue et que tu développes avec éloquence et abondance. Cependant, ‘je ne pense pas la même chose que toi dans tous les domaines’. Mais dans les mises en garde que tu m’adresses à la fin de ta lettre, je reconnais le rôle d’un ami et d’un juge sage. Il me plaît en effet que tu estimes devoir mettre en garde ‘à propos de la masse des trivialités qui se rencontrent’.



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alacritate, quae genius est operum. Aqua enim identidem haeret (ut dicitur) nisi flumen orationis deducatur voluptate scribendi. Hic si diem aliquam petiero longiusculam ad stilum reconcinnandum, tute frustrato‑ riam hanc dilationem esse dices laborisque detractionem. Quare verbum ultra non addam, nisi te hoc iterum admoneam, tuo meoque periculo rem agi; et alioqui si τὰ τῶν φίλων κοινά, de existimatione mea sollicitum te ex aequo propemodum mecum esse oportet. Ceterum periculum nullum est, ut video, ne Philologiam tuam funestarim indicto nuper funere illius tibi deamatae, ut quidem est animi tui sensus de oscine, quae obstrepere visa est liquido auspicio. [14]  Quod petis ut ignoscam de eo quod aliquando ad me scripsisti de homine tibi mihique amico, quasi ab eo magis steteris, non faciam. Neque enim causam esse video cur te venia dignum putem in ea re, cuius ipse culpam agnovi litteris obsignatis. Quod si tu ex animi sententia loquutus es, bene habet, nec incommode aut infeliciter res cessit, nec me poenitere potest eius rei quam bene vertisse mihi tu cum illo persuasisti. Tametsi mihi postea aestimanti ἔνια παρακεκινδυνεῦσθαι ὀξυμώρως ἔοικεν, ἐξ οὗπερ ὑμᾶς κατέμαθον ἀπαρέσκεσθαι τοῖς ὑπ’ἐμοῦ ἀντεπεσταλμένοις αὐτῷ, quae prius ipsa non item videbantur, freto scilicet conscientia retentae semper amicitiae. Erasmum mihi salutabis, cuius litteras nullas accepi, ex quo famulus eius cum litteris meis hinc abiit, sed eius quotidie in urbem exspectatur adventus. [15]  Ad alterius tuae epistulae argumentum non rescribam, quando mihi nec vacat, nec video me paria tecum facere in ea re explicanda posse, quam tu acriter animadversam diserte et copiose persecutus es. Nec tamen ἐν πᾶσιν ὅμοια φρονῶ σοι. Sed in eo quod me admones in fine epistulae, agnosco et amici hominis partes et iudicis prudentis. Placet enim, quod περὶ σωροῦ τῶν τυχόντων καὶ τυχουσῶν cavendum esse censes. 128. indicto nuper GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: indicto tibi BNM1, R   129. est BNM1, R, GBeppr, GBlatgr, GBluc: ex Z    133. causam esse video cur te venia dignum putem GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: causam cur te venia dignum esse putem video BNM1, R    136. mihi tu cum illo GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: tu cum illo mihi BNM1, R   137. ἔνια scripsi: ἕνια BNM1, R; ἕνϊα GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc 139. ipsa s.l. add. Budaeus in BNM1   non item GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: item non BNM1, R   145. post tu Budaeus exp. bene in BNM1   acriter animad‑ versam diserte et copiose persecutus es GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: animadversam acriter persecutus es diserte et copiose BNM1, R   148. τῶν τυχόντων καὶ τυχουσῶν GBeppr, Z, GBlatgr, GBluc: τῶν τυχόντων BNM1, R

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[16]  Porte-toi bien, homme très savant, et – c’est ce que tu fais – accorde-moi ton affection pour que je puisse te la rendre de façon plus équitable. De notre Marly, le 2 mai.



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[16]  Vale, vir doctissime, et - quod facis - me ama, quo iustius te redamem. E Marliano nostro, postridie Kalendarum Maii.

150. redamem BNM1, R, GBlatgr, GBluc: redamen GBeppr    151. Budaeus add. in BNM1: Exemplum recognoscens (recognosceris R) litterarum quas paucis diebus ad te scripsi, ἐδόκει pro ἐδόκεις scriptum esse animadverti, hoc modo emendandum μεταχειρίσασθαι ἂν ἐδόκεις.

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2. Hisce paucis diebus scripseram: voir la lettre précédente, du 23 avril 1520. Hermannum ... Phrysium: à propos de Haio Herman, voir ep. 2, § 13. 3-4. postridie quam litteras obsignavi: il a donc rencontré Herman le 24 avril. 4-6. cum Nicolao Beraldo ... in urbe nostra veluti xenagogo: en 1511 l’humaniste français Nicolas Bérauld (ca. 1470 - ca. 1545) tenait déjà une pension à Orléans, où il enseignait le droit romain. Quand il déménagea à Paris en 1512, il continua de maintenir un pensionnat et beaucoup d’étudiants étrangers trouvèrent un gîte chez lui. À son propos, voir les notices de Marie-Madeleine de la Garanderie dans CE I, 126-128 et de Perrine Galand-Hallyn dans Centuriae II, 71-78. 6. apud Germanum Brixium: Germain de Brie (ca. 1490 - 1538). Dans sa lettre du 5 avril 1520 Budé chante l’éloge de son excellente table; voir Delaruelle, Répertoire, p. 110, no 65. Sur Germain de Brie, voir la notice de Marie-Madeleine de la Garanderie dans CE I, 200-202 et dans Centuriae I, 305-310. On consultera aussi Garanderie, Christia­nisme, pp. 133-160 ainsi que J.-F. Maillard - J. Kecskeméti - C. Magnien - M. Portalier, La France des humanistes. Hellénistes, I (Turnhout: Brepols, 1999), pp. 11-40. 7. litteras a te binas: une seule de ces lettres de Vives a été conservée, celle du 7 mars 1520. Il y recommande Haio Herman (voir plus haut, ep. 4, § 17), qui a probablement porté cette lettre à Paris. 10-11. qui talem nobis hominem conciliaris: voir ep. 4, § 17. 24. viri boni, id est dicendi periti: Quint., inst. 12, 1, 1: ‘Sit ergo nobis orator, quem constituimus et qui a M. Catone finitur “vir bonus dicendi peritus”.’ 39-40. ex epistula tua recentiore: cette lettre de Vives n’a pas été conservée. 42. ad Tonstallum scribenti: voir la fin de la lettre que Budé a adressée le 19 mars 1517 à Cuthbert Tunstall (1474-1559), diplomate, ami d’Érasme et de Thomas More et évêque de Londres à partir de 1521 (GBluc, pp. 356-364). À son propos, voir les notices de James McConica dans CE III, 349-354 et de D.G. Newcombe dans ODNB, 55 (Oxford, 2004), pp. 551-555. 53-54. ἐγγύη πάρ’ἄτη: vieux proverbe grec à propos des dangers de se porter garant, cité dans un fragment de Cratinus, rival d’Aristophane. Budé pourrait l’avoir emprunté à Platon, Charmides, 165a, un dialogue dans lequel Socrate est supposé avoir un remède pour le mal de tête de



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Charmides, ‘gravedo’ étant aussi un tourment périodique pour Budé. 55. capite decimoseptimo sacrorum Proverbiorum: cf. Vulg. prov. 17, 18: ‘Stultus homo plaudet manibus, cum spoponderit pro amico suo.’ 56-57. ἐπικροτεῖ ... τὸν ἑαυτοῦ φίλον: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Vir stultus sibi ipse plaudet et gaudet ut pro suo amico spondens.’ 57. praedes illos quinque nostros: les cinq livres du De asse. 67-69. Quibus rursus ipsis sales ... invitantibus: Budé réfute ici les critiques formulées par plusieurs contemporains (e.a. Érasme) contre les digressions extrêmement longues (presque un tiers du livre) insérées dans son De asse. Voir à ce propos Marie-Madeleine de la Garan­derie, ‘L’har‑ monie secrète du De Asse de Guillaume Budé’, Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 27 (1968), 473-486. Toussaint avait déjà noté (GBlatgr, fol. LVIIIr): ‘Hoc autem dicit propter digressiones Assis, quae a paucis plane intelliguntur.’ 70-79. Le paragraphe évoque la description de la frugalité de Tibère par Suétone (Tib. 34): ‘Et ut parsimoniam publicam exemplo quoque iuvaret, sollemnibus ipse cenis pridiana saepe ac semesa obsonia apposuit dimi‑ diatumque aprum, affirmans omnia eadem habere quam totum.’ (mes italiques). 75. pondere, numero et mensura: cette combinaison se lit dans les Institutes du juriste Gaius (milieu du IIe siècle), II, § 196 pour désigner des choses échangeables en toute liberté (‘res fungibiles’): ‘Sed eas quidem res quae pondere, numero, mensura constant, placuit suffi‑ cere ... veluti vinum, oleum, frumentum, pecuniam numeratam.’ On la rencontre fréquemment dans les traités politiques du moyen âge pour indiquer le pouvoir absolu (‘plenitudo potestatis’) du pape; par ex. Gilles de Rome (1247-1316), De ecclesiastica potestate 3, 12: ‘Quod in ecclesia est tanta potestatis plenitudo, quod eius posse est sine pondere, numero et mensura.’ D’autre part, ce verset se lit déjà dans Vulg. Sap. XI, 20 (21): ‘sed omnia in mensura, et numero et pondere disposuisti’ (‘Mais tu as tout réglé avec mesure, nombre et poids’), et fut commenté e.a. par saint Augustin et Thomas d’Aquin. Voir aussi A. Gabbey, ‘ “Pondere, numero et mensura”. Roberval et la géométrie divine’, Revue de synthèse, 4e sér., nos 2-3-4 (2001), 521-529. 80-81. Alziatus, homo mihi amicus: Andreas Alciatus (Alciato) ou André Alciat (1492 - 1550), né à Milan ou à Alzata (près de Come) étudie le droit à Pavie pour devenir un des meilleurs juristes de son temps. Budé

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le rencontre en 1519 et écrit quelques mois plus tard, le 21 février 1521, à Christophe de Longueil qu’Alciat avait prouvé par l’édition des Paradoxa et des Dispunctiones qu’on pourrait facilement lui confier la poursuite des Annotationes in Pandectas; ces deux ouvrages avaient été publiés à Milan en 1518. Voir GBluc, pp. 272-275 et Delaruelle, Répertoire, p. 97. Sur Alciat, voir les notices de R. Abbondanza dans DBI II (Rome, 1960), 69-77; de Virginia W. Callahan dans CE I, 23-26 et de Daniel Russell dans Centuriae I, 51-55. Denis L. Drysdall a publié récemment Andreae Alciati contra vitam monasticam epistula - Andrea Alciato’s Letter against Monastic Life. Critical Edition, Translation and Commen­ tary, Supplementa Humanistica Lovaniensia, 36 (Leuven University Press, 2014). 86. ex aliena segete per speciem spicilegii manipulos subducere: le commentaire de J. Toussain est ainsi conçu (GBlatgr): ‘Id est, prae‑ textu pusillae interpretationis ab eo praetermissae, qui primus commen‑ tarios scripsit, integrum locum vel inventum memorabile compilare vel suppilare ... Spicilegium facere id quod facere pauperibus in aliena segete licet post manipulos colligatos et in decadas compositos. Dicitur etiam καλαμᾶσθαι. Ex quo dictum Antigoni emanavit, ἀλέξανδρος μὲν ἐθέριζε τὴν ἀσίαν, ἐγὼ δὲ καλαμῶμαι, Alexander in Asia messem faciebat in qua ego spicilegium.’ 90. Ego qui ex conditis et repositis: cf. Cic. de orat. 1, 3, 12: ‘quia ­ceterarum artium studia fere reconditis atque abditis e fontibus hauriuntur.’ 92-93. aquas pluvias et collecticias iam fastidire coepero: Budé compare son activité littéraire à celle de Cicéron, décrite par Quint. inst. 10, 1, 108-109: ‘Nam mihi videtur M. Tullius, cum se totum ad imita‑ tionem Graecorum contulisset, effinxisse vim Demosthenis, copiam Platonis, iucunditatem Isocratis. Nec vero quod in quoque optimum fuit, studio consecutus est tantum, sed plurimas vel potius omnis ex se ipsa virtutes extulit immortalis ingenii beatissima ubertas. Non enim “pluvias”, ut ait Pindarus, “aquas colligit, sed vivo gurgite exundat”.’ 95-96. pluteumque genu aut calce tundere: cf. Pers. 1, 106: ‘Nec pluteum caedit nec demorsos sapit unguis’; Érasme, Adagia, 2596 (ASD II.6, p. 390) et Adagiorum Collectanea, 240 (ASD II.9, p. 122). 97. de faece hausero: cf. Cic. Brut. 244 et Érasme, Adagia, 904: ‘De fece haurire’ (ASD II.2, p. 416). 115. in luto ut haereat: cf. Ter. Phormio, 780 et Érasme, Adagia, 399 (ASD II.1, pp. 472-474).



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121-122. Aqua enim identidem haeret (ut dicitur): voir Érasme, Adagia, 400: ‘In aqua haeret’ (ASD II.1, p. 474). 126. τὰ τῶν φίλων κοινά: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Bona amicorum communia.’ C’est le tout premier proverbe traité par Érasme dans ses Adagia; voir ASD II.1, pp. 84-86: ‘Amicorum communia omnia.’ 129. animi tui sensus de occine: voir plus haut, ep. 4, § 12. 129-130. de oscine, quae obstrepere visa est liquido auspicio: cf. Plaut., Epid. 183: ‘liquido exeo foras auspicio, avi sinistera’, et Id., Pseud. 761-62: ‘ducam legiones meas / avi sinistera, auspicio liquido atque ex sententia.’ 132. de homine: Érasme. 137-138. ἔνια παρακεκινδυνεῦσθαι ... ἀντεπεσταλμένοις αὐτῷ: Dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Nonnulla sententiis ex periculo petitis visa sunt attentata, ubi vobis intellexi quae ipse scrip‑ sissem, displicere.’ 141. cum litteris meis: la lettre du 26 février 1520, qui n’était pas encore arrivée chez Érasme à Louvain le 7 mars, comme l’indique la lettre écrite le même jour par Vives (voir ci-dessus, ep. 4, § 13: ‘Erasmus resalutat te, non scribit, quoniam tuae nunc sunt scribendi vices.’). 143. Ad alterius tuae epistulae argumentum: la lettre de Vives n’ayant pas été conservée, il est difficile de se faire une idée précise de la question traitée. 146. ἐν πᾶσιν ὅμοια φρονῶ σοι: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Nec tamen de omnibus similis tecum mihi sententia.’ 148. περὶ σωροῦ τῶν τυχόντων καὶ τυχουσῶν: J. Toussain interprète le texte grec de la façon suivante (GBlatgr): ‘De farragine trivialium esse censes, ubi τῶν τυχόντων subaudi γραμμάτων et τυχουσῶν supple ἐπιστολῶν.’ Puisqu’en cas de doute Toussain pouvait consulter Budé lui-même, le message exprimé par cette allusion hermétique viserait ainsi la masse des écrits et des lettres.

8. E  pistolae Gullielmi Budaei, Secretarii Regii, Posteriores (Paris: J. Bade, 1522): page de titre

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7. BUDÉ À VIVES Romorantin, 10 janvier La lettre que Vives a expédiée au domicile de Budé a été envoyée à Romorantin, où séjournaient le Roi et sa Cour et où lui-même s’était rendu. Il est tout à fait d’accord avec Vives qui se plaint de la malveil‑ lance dont les auteurs sont l’objet. Pour cette raison il a décidé de traiter uniquement de thèmes moins délicats. Même Érasme a été victime de ces attaques méchantes. Budé lui-même plaide coupable à propos d’une lettre adressée à Érasme; heureusement sa maladresse n’a pas eu de suites irréparables. À propos du conflit entre Germain de Brie et Thomas More, Budé ne dispose pas vis-à-vis de Germain de Brie d’une autorité semblable à celle d’Érasme ou Vives vis-à-vis de More. Lui-même, ainsi que quelques autres, ont tout fait pour arrêter de Brie, mais en vain. Quant aux Declamationes de Vives et à son désir d’une censure implacable, Budé rappelle qu’il a déjà exprimé une opinion favorable. Il est convaincu que Vives, s’il continue à œuvrer pour l’excellence, sera bientôt hautement apprécié, comme Érasme l’a déjà dit dans une lettre qu’il a reçue. Sur le point de partir de Paris, Budé avait demandé à Toussain d’ex‑ pédier à Vives un exemplaire de son De contemptu rerum fortuitarum. Répondant à quelques remarques de la part de Vives concernant l’édition de son premier recueil de lettres, il explique qu’il a dû interrompre le travail de collecte et de sélection, parce qu’il a été appelé à la Cour. Une lettre de Linacre s’est glissée dans la collection. Il n’y a pas inséré ses lettres à Érasme déjà publiées ailleurs, pour éviter d’être accusé de vanité. Du fait de sa longue absence il n’a pas encore vu le Somnium de Vives. Il répondra plus tard aux autres questions que Vives a abordées dans sa lettre. GBeppost, ff. 31v - 35v; GBlatgr, fols. LXXXIIIr - LXXXVv; GBluc, pp. 327-330.

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Budé à Vives, salut [1]  Ta lettre est arrivée ouverte à ma maison, comme c’est quasiment l’habitude pour les tiennes, et de là elle m’a été transmise. Tu te plains de la condition inique de ceux qui écrivent souvent, qu’une inimitié extrê‑ mement malveillante et très nuisible a l’habitude d’attaquer en raison de ce qui est considéré quasiment comme un droit acquis par les mœurs de ce temps: tu me sembles avoir bien évalué le fait et l’avoir exprimé dans les termes les plus appropriés. Eh bien, pour ma part, j’estime que cette pratique et cette habitude sont en quelque sorte une torture cruelle pour les âmes à tel point que j’ai décidé, surtout pour cette raison, de tourner mes projets d’écriture vers des sujets qui semblaient tenir ma plume extrêmement éloignée de cet échange d’injures mordantes. [2]  J’avais observé qu’Érasme de Rotterdam, honneur de notre époque, n’avait pu, malgré l’excellence d’un savoir éminent et le mérite d’une activité exceptionnelle et inhabituelle, se soustraire à la loi commune de condamnation pour accusation fausse. Je savais d’expérience combien il est parfois agréable de remuer longtemps dans la bouche et de mâcher cet électuaire de rivalité produit par un estomac plutôt irritable et bilieux, qui est amer pour les écrivains et qui provoque la ruine totale des esprits consacrant leurs forces aux dissertations les plus nobles. C’est pourquoi, lorsque j’ai compris mon erreur, j’ai commencé à avoir honte de moi, qui avais autrefois commis à la légère des fautes de ce genre, puis à avoir pitié de tels et tels que je voyais souffrir comme des rats dans la poix (comme on dit) dans cette joute et ce combat, et dont certains même auraient dû particulièrement être soustraits à ce supplice et à cette épreuve. [3]  Lorsque j’ai un jour écrit moi-même à Érasme pour avoir un échange sur cette affaire, j’ai pu sembler, à cause de ma gaucherie (comme je le pense) ou de mon infortune, m’être heurté de propos délibéré et sciem‑ ment contre l’écueil que je disais devoir éviter et contourner à tout prix; toutefois, l’issue finalement s’est révélée ni nuisible ni honteuse, puisque l’affaire a bien tourné grâce à la puissance de l’amitié, qui a été constam‑ ment et de bonne foi cultivée et observée de part et d’autre. [4]  Grâce à cette réflexion, m’étant tenu en dehors d’un conflit mémo‑ rable ni indécemment, comme je m’en persuade moi-même, ni de façon odieuse, j’ai nourri des sentiments tels que j’ai estimé devoir laisser de côté, sinon même mépriser, certains qui se dressent aussitôt après lui et



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Budaeus Vivi salutem [1]  Litterae tuae domi meae resignatae redditae sunt, ut fere tuae solent, indeque ad me missae. Quod quereris de iniqua scriptitantium condi‑ cione, quibus quasi iure quodam moribus huius aetatis recepto inces‑ sere malevolentissima fere simultas et nocentissima solet, id tu et recte aestimasse et verbis videris appositis expressisse. Atqui ego eum morem et institutum veluti quandam carnificinam animorum tam acerbam esse iudico, eam ut ob rem maxime scribendi intentionem ad ea argumenta detorquere instituerim, quae longissime ab ista amarae velitationis vicis‑ situdine abducere stilum videbantur. [2]  Animadverteram Erasmum Roterodamum, huius aetatis decus, nec doctrinae eminentis praestantia nec industriae singularis et inusitatae merito lege illa vulgari calumniae ferendae solvere se potuisse. Noveram et expertus eram quam suave sit interdum irritabilioris stomachi bilio‑ sique scriptoribusque amarum illud ecligma contentionis in ore versare diu atque commanducare, summa cum pernicie ingeniorum ad hone­ stissimas commentationes contendentium. Itaque intellecto errore pudere mei primum memet coepit, qui in ea specie nonnihil olim temere admi‑ sissem; deinde aliquorum miserescere, quos ὅσα μῦς ἐν πίσσῃ (ut aiunt) perpeti in ea palaestra concertationeque cernebam, nonnullos etiam quos in primis exemptos ei supplicio aerumnaeque oportebat. [3]  Qua de re cum ipse ad Erasmum scripsissem aliquando exercendae vicissitudinis gratia, rusticitate mea (ut opinor) vel infelicitate factum est, in eum ut scopulum impegisse sciens prudensque existimarer, quem ego maxime aversandum esse dicebam et vitandum; tametsi eventu ad extremum nec noxio nec pudendo, quando res ea bene vertit, omnia utique moderante numine amicitiae utrimque cultae et observatae constanter et bona fide. [4]  Τοσοῦτο δὲ φρόνημα τῇ μελέτῃ ἐκείνῃ ἀνειλόμην, ἀπαλλαγεὶς δήπου ἀγῶνος ἀξιομνημονεύτου οὔτ’ἀσχημόνως ὥστε πείθω ἐμαυτὸν οὔτ’ἀπεχθανομένως ὥστ’ἐνίους, μετὰ τοῦτον εὐθὺς ἐπιφυομένους καὶ οἷον ἡμῶν ἤδη ἐπικαθημένων

21. ei GBlatgr, GBluc: eo GBeppost   31. ὥστ’ἐνίους μετὰ τοῦτον εὐθὺς GBlatgr, GBluc: ὥστε τοὺς μετὰ τοῦτον GBeppost

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qui m’attaquent comme si nous étions désormais inactifs. Car j’atteste ou dis d’une certaine façon à mots couverts ceci: je ne suis pas épuisé, je ne suis pas lâche, je ne manque pas de moyens de défense s’il faut riposter à ceux qui semblent aimer la bagarre. [5]  À cette opinion s’est ajoutée la conscience que je devais me repentir d’une faute dont l’examen tardif (pour l’avouer naïvement) m’a poussé en quelque sorte à m’absoudre moi-même de laisser de côté avec équanimité un vice qui m’était étranger, mais dont je ne pouvais d’aucune façon me libérer; cependant, ceci aurait dû d’autant plus m’amener à l’équanimité du fait de ma longue expérience que je pouvais constater que c’était la juste punition d’un homme peut-être trop soucieux de sa gloire (combien d’entre nous ont osé dire et soutenir, s’ils voulaient être crédibles, qu’ils étaient innocents de cette faute), au point de risquer le déshonneur pour avoir imprudemment et inconsidérément espéré faire briller son nom. [6]  La contagion de ce mal, qui se répand largement chez les savants, a même envahi une paire illustre de mes amis à cause de l’action et de l’imposture mémorable de quelque mauvais génie; celui-ci les provoque et les dresse presque l’un contre l’autre dans un combat qui dépasse par ses excès celui que réclameraient la dignité et la valeur morale de l’un et de l’autre et qui s’enflamme d’une façon plus cruelle que mon esprit ne l’avait imaginé. Dans cette affaire, je crains que toi, mon ami, ou quelque autre de ceux qui me veulent du bien, ne croient que je manque parfois à mes devoirs. En effet, ta lettre semble indiquer quelque chose de ce genre, puisqu’elle me rappelle amicalement mes obligations et qu’en particulier elle me titille de façon intelligente comme si je me démenais davantage en faveur de mon compatriote et de mes relations d’ici. [7]  Pour ma part, je consens à ce qu’il m’arrive d’être privé de tout fruit de l’amitié et de la bonne opinion d’un homme de bien sauf si, dans le but de mettre fin à cette controverse, j’ai joué et assumé de bonne foi le rôle d’un ami à double face à l’égard de l’un et l’autre. Et si Érasme et toi n’acceptez pas ma justification, veillez à être des juges suffisamment équitables de l’action d’autrui et à accomplir votre devoir; moi-même, par ma foi, j’aime et approuve votre homme, selon son mérite, comme il est juste que soit aimé un homme doté d’intelligence, de science, d’urbanité, de charme, de l’art agréable de la conversation et, à ce que je pense, de convivialité. Je crois, en ce qui me concerne, avoir confirmé durant ces neuf mois mon amitié par une bienveillance réservée aux intimes et par une relation serviable; il n’y a pas si longtemps, lui-même avait estimé devoir créer des liens d’amitié avec moi par une lettre très aimable et un présent très agréable et approprié.



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ἀνταιρομένους ἐμοί, παρετέους ἡγησάμην, μὴ γὰρ δὴ καὶ παροπτέους εἴποιμι, τοσοῦτο γε δὴ διαμαρτυρόμενος ἢ ὁπωσδήποτε αἰνιττόμενος, μήτ’ἀτονεῖν ἐμέ, μήτ’ἀποδειλιᾶν, μήτε αὖ καταδεᾶ τῶν ἀμυντηρίων εἶναι, εἰ ἀνταγωνιστέον τηλικοῖς δὲ ἠξίουν τοῖς φιλονεικητικῶς ἔχειν δοκοῦσιν. [5]  Accessit huic opinioni culpae mihi poenitendae conscientia, cuius sera reputatio (ut ingenue fatear) perpulit me ut veluti mihi ignoscerem ipse alieno vitio aequanimiter transmittendo, cuius me absolvere haud‑ quaquam sustinebam; tametsi quid me adductitare magis longo usu ad animi aequitatem debuit, quam quod animadvertere poteram iustam eam esse multam hominis immodice fortasse studiosi gloriae (cuius culpae quotus quisque nostrum insontem dicere sese ausit et contendere si sibi credi velit?) inde ut ignominiam propulset, unde nomen inclarescere inconsulte speravit et improvide? [6]  Huius mali contagio inter doctos late gliscens, ad unum etiam par insigne amicorum meorum arrepsit improbi cuiuspiam genii opera et impostura memorabili, idque nunc exercet et propemodum collidit certa‑ mine longe iniquiore quam pro utriusque dignitate et probitate, atro‑ ciusque exardescente quam umquam ipse animo conceperim. Qua in re vereor ne tu, homo mihi amicus, aut aliorum quispiam mihi bene cupien‑ tium officium meum interdum desideret. Τοιοῦτο γάρ τι ἐνδείκνυσθαι ἡ ἐπιστολή σου δοκεῖ, οἱονεὶ ἀναμιμνήσκουσά με προσφιλῶς τοῦ καθήκοντος καὶ δὴ καὶ συνετῶς καθαπτομένη καθαπερεὶ ἐπιπλέον σπουδάζοντος τῷ ἡμεδαπῷ καὶ συνήθει τῷ ἐνταῦθα. [7]  Mihi autem ipse non deprecor quominus omni amicitiae fructu carere contingat opinioneque boni viri, nisi in hac dirimenda controversia amici partes in utrumque ancipitis usurpavi bona fide et implevi. Quod si tu cum Erasmo purgationem meam non accipitis, videte ut satis aequi sitis aestimatores operae alienae exactoresque officii: ipse mediusfidius vestrum istum ita merito suo amo proboque, ut aequum est hominem amari ingenio, doctrina, urbanitate, lepore suavique sermocinationis usu praeditum, et (ut puto) convictu. Quicum ipse intra hos novem menses amicitiam me sanxisse confido familiari comitate usuque officioso, quam ipse mecum ineundam non pridem suavissima epistula et munere iucun‑ dissimo duxerat et apposito. 34. μήτ’ἀποδειλιᾶν GBeppost: μήτ’ἀποδειλιᾷν GBlatgr, GBluc   52. με προσφιλῶς τοῦ GBlatgr, GBluc: με τοῦ GBeppost   53. σπουδάζοντος τῷ ἡμεδαπῷ GBlatgr, GBluc: σπουδάζαντος τῷ ὑμεδαπῷ GBeppost   59. ipse GBlatgr, GBluc: ipso GBeppost

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[8]  Puisque vous avez tenu jusqu’aujourd’hui celui-là en votre pouvoir au nom du droit d’une amitié confirmée, vous estimez juste que celui-ci, qui est un compatriote plutôt qu’un ami, relève de mon pouvoir alors qu’il s’est imposé jusqu’à présent dans cette seule affaire de ne dépendre d’aucun de ceux qu’il honore et respecte, tandis que, sous d’autres rapports il est naturellement peu maussade et généreux à l’égard de ses amis. Vous m’octroieriez donc à l’égard de notre ami un pouvoir égal à celui que vous exercez à l’égard de votre ami, qui est aussi le mien; vous me présenteriez en outre un homme qui est semblablement disposé à se laisser présen‑ tement fléchir et qui manifesterait un esprit pareillement malléable et non opiniâtre dans cette controverse; enfin, vous me feriez subir pendant tout ce temps une persuasion sur mesure, capable d’entraîner extraordi‑ nairement les âmes des hommes, même grincheux, à plus forte raison celle d’un homme généreux et affable; et alors, vous m’en voudriez si je ne maintenais pas notre homme dans le devoir, comme vous l’entendez. Plaise au ciel que cette controverse puisse prendre fin selon votre bon plaisir de la même façon que vous revendiquez le droit, défendez ce qui est juste et bon ou ce qui semble convenir à l’honneur de chacune des personnes concernées et être dans l’intérêt et la dignité des Lettres; c’est à travers elles que nous désirons de toutes nos forces être appréciés et méritons à notre avis de l’être. [9]  Si un grand loisir m’était accordé ici et si mon esprit n’était pas appelé ailleurs, ceci aurait pu être tout à fait la matière d’une lettre plus longue; car je désire grandement être disculpé non seulement vis-à-vis de toi et d’Érasme, mais aussi vis-à-vis de celui dont la réputation est on ne peut plus justement l’objet des efforts que vous faites pour qu’elle soit ‘bien entretenue’. Cependant, la pointe aiguë de ce conflit, comme si elle était trempée dans l’eau du Styx, te semble gagner la tête et les parties vitales du corps, être dirigée dans la gorge et être poussée comme par une main criminelle, ce que j’ai peine à croire; je pense connaître suffi‑ samment notre homme, qui, sans doute, a combattu dans cette cause avec des expressions feutrées et peut-être blessantes, avec les aiguillons de plaisanterie qui leur sont attachés, d’autre part, respecte Dieu et cultive la beauté morale; bien que je ne sois absolument pas d’accord avec lui dans cette affaire, je perçois ce qu’il ne comprend pas dans cette querelle qui va s’amplifiant: il a aiguisé dans cette affaire sa plume, de façon plus cruelle qu’il ne convient à ses mœurs et à son esprit, contre la pierre (pour ainsi dire) de l’opiniâtreté et de l’inflexibilité, qui revêt l’aspect vain d’une haine (comme on dit) vatinienne; à moins que je n’aie été abusé, comme



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[8]  Istum autem ipsum cum confirmatae amicitiae iure in potestate vos

hactenus habueritis, dignum nimirum esse censetis ut hic quoque nostras magis quam noster in auctoritate mea sit, qui ne in cuiusquam quidem adhuc esse sibi imperavit eorum quos colit et observat, dumtaxat hac una in re, alioquin ingenio natus haud moroso et amicis sese dedenti. Parem igitur mihi faceretis in nostrum potestatem, atque vos in vestrum illum eundemque meum habetis; hominem etiam mihi praeberetis eadem in praesenti placabilitate ingenioque perinde ductili nec offirmato in hac controversia; denique vestram istam mihi suadam tantisper accommo‑ daretis, δεινὴν ἀνθρώπων ψυχαγωγόν, καίπερ δυσαρεστουμένων, μή τί γε δὴ εὐγνώμονος καὶ ἐπιεικοῦς ἀνδρός; tum deinde succenseretis nisi in officio nostrum hunc continerem pro arbitratu vestro. Utinam autem haec controversia tam componi vestro posset arbitrio, quam vos ius postu‑ latis bonumque defenditis et aequum, aut quam id ad utriusque eorum existimationem pertinere videtur, quorum de re agitur, atque e re esse dignitateque litterarum queis nos censeri maxime volumus, ac dignum esse ducimus. [9]  Hic si mihi altum esset otium, nec animus alio avocaretur, hoc omnino esse poterat argumentum epistulae longioris, cum ego magno‑ pere purgatum me cupiam, tum apud te et Erasmum, tum apud eum ipsum cuius existimationem ipsi sartam et tectam esse meritissimo laboratis. Quamquam huius contentionis mucro quasi Stygio lacu tinctus, caput et vitalia petere tibi videtur in iugulumque intendi, et quasi noxae manu adigi, id quod ego vix mihi persuadeo, qui hunc nostrum novisse me satis putem, ut charientismis fortasse vulnificis haerentibusque aculeis cavil‑ lorum in hac causa pervelitatum, sic Dei reverentem alioquin et hone­ statem colentem; a quo cum in hac re vehementer dissentiam, agnosco quod ille nunc contentione gliscente non percipit: stilum ipsum atrocius in hoc certamine quam pro moribus et ingenio exacuisse suo ad cotem (ut sic loquar) pervicaciae et implacabilitatis, quae speciem inanem praebet odii (ut aiunt) Vatiniani, nisi si mihi imposuit et multis elegans 66. Istum autem ipsum GBlatgr, GBluc: Hunc ipsum GBeppost   70. ingenio natus haud GBluc: ingenio haud natus GBlatgr, ingenio cum natus sit nec GBeppost

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beaucoup, par un mode de vie élégant et pas du tout désagréable, dispo‑ sant des bons offices de l’amitié grâce auxquels il a eu de l’influence sur presque toutes les classes sociales et a été soutenu par de grandes amitiés. [10]  Pour résumer: ni moi ni quelques autres qui sommes soucieux du renom de chacun des deux n’avons cessé d’agir et de tout tenter, en partie par l’action en faveur d’un ami et compagnon, en partie par des paroles conçues et prescrites pour respecter ce qui est juste et honnête, jusqu’à ce que nous nous soyons enfin rendu compte que la persuasion qui fléchit les âmes était impuissante lorsque les oreilles d’une âme trop violem‑ ment irritée et excitée étaient fermées aux avertissements et exhortations. Étant donné que votre homme, qui est aussi le mien, si je ne m’abuse, est doté d’une âme équitable et honnête, il me pardonnera de toute façon et excusera une tâche qui m’est odieuse et lourde à porter, celle de me prononcer à propos de l’affaire qui est objet de controverse entre eux, en l’occurrence sur le point suivant: lequel des deux s’est rendu jusqu’à présent acceptable à mes yeux par son équité et par sa modération? Et il n’exigera pas, au nom du droit de l’amitié, que je me risque à m’engager dans un parti ou dans un autre et que je continue à risquer de souiller cette amitié et d’entrer en collision avec elle. [11]  Mais il y a des situations dans lesquelles on doit prendre parti et en outre courir des risques dans une affaire concernant autrui; il y en a même dans lesquelles on est confronté à un procès préjudiciable et contraire à son devoir au point de mériter le blâme et de faire un emprunt (pour le dire ainsi) au motif de préserver et d’augmenter l’amitié. En revanche, c’est le propre d’un ami lâche et indolent de regarder avec indif‑ férence des amis qui se battent ou d’accompagner seulement de vœux et de compassion leur conflit entré trop violemment en ébullition. Le juste milieu (selon moi) consiste à intervenir dans le procès avant que l’un des deux ne subisse un préjudice et de ne s’acquitter de ce devoir que tant qu’il est possible de tempérer par une intervention des esprits échauffés. Lorsqu’on réalise la vanité de son conseil, il faut veiller à ne pas aller plus avant dans un empressement haïssable, si on veut préserver l’amitié et n’être injuste à l’égard d’aucune des deux parties. Et certes, à partir de ce que j’ai fait récemment et dans l’idée que j’ai donné des conseils en écrivant au sujet de telles querelles et en appuyant ma démonstration par l’exemple, je pense avoir suffisamment manifesté, il me semble, que je n’étais pas trop charmé par ceux qui lançaient de tels traits.



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minimeque morosa vitae consuetudo atque officiis amicitiae praedita, quibus apud omneis ferme ordines gratiosum se fecit et magnis amicitiis subnixum. [10]  Ad

summam hoc habeto: non prius me et aliquot alios utriusque

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nominis studiosos, cum eo actione pro amico partim et sodali, partim verbis in aequum honestumque conceptis et praescriptis agere et experiri acriter desiisse, quam flexanimam tum demum esse non posse suadam animadvertimus, cum monitis et hortamentis obstruuntur aures animi vehementius exacerbati aut incitati. Qua est autem animi aequitate et

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probitate vester iste, et idem meus, nisi fallor, illam utique operam mihi invidiosam ac praegravem remittet et condonabit, sententiam dicendi de re inter eos controversa, id est: uter eorum aequitate et moderatione sese mihi magis hactenus approbarit; neque pro amicitiae iure exiget ut in partes has vel istas descendere pericliter, atque amicitiam ipsam temerare

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periclitando pergam in eamque offensare. [11]  At

est cum in re aliena litem tuam facere periclitarique porro

debeas: est etiam cum liti ita te incommode vel inofficiose offeras, ut repre‑ hensionem mereare, versuramque quandam (ut itam dicam) in ratione tuendae et augendae amicitiae facias. Rursus inertis est amici et secordis

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digladiantes amicos cum securitate spectare, aut votis tantum et condole­ scentia prosequi eorum concertationem acrius infer­ve­scen­tem. Medium (ut opinor) horum est liti intercedere citra alterutrius offensionem hacte‑ nusque officio perfungi quoad interventu moderari flagrantibus animis possis. Ubi frustra esse consilium tuum intellexeris, ulterius ut ne tendas odiosa sedulitate, si amicitiam servare utramque velis ac neutri iniquus esse. Καίτοι ἐξ ὧν ἔγωγε ἄρτι πεποίημαι καὶ οἱονεὶ εἰσηγησάμην γράψας τε περὶ τῶν τοιούτων ἐρίδων καὶ παραδείγματι ἐνδεικνύμενος, ἱκανῶς (οἶμαι) ἀποφήνασθαι δοκῶ μὴ λίαν ἀρεσκόμενος τοῖς τὰ τοιαῦτα ἀκροβολιζομένοις. 97. atque GBlatgr, GBluc: et GBeppost

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[12]  Ce que tu demandes à propos de tes Declamationes Syllanae, il me semble que c’est comme si tu désirais me mettre à l’épreuve et me voir démontrer combien je pourrais être malhonnête et calomnieux si je le voulais. Tu possèdes, je pense, un éloge de ma main attestant combien j’approuve ce travail. Pourquoi donc fais-tu de nouveau de moi un Aris‑ tarque, moi, un homme qui ne dispose désormais d’aucun loisir littéraire et qui vit loin des livres? Cependant, si j’avais ton livre dans mes bagages, j’assumerais pendant quelques jours le rôle et la volonté d’un taquin dans la mesure où il me serait permis de me trouver en situation d’hôte et je te créerais peut-être, comme à moi, des embarras par une dureté d’accusa‑ teur. Je ne te demande pas de faire la même chose pour mes propres écrits de peur que tu me forces à me déplaire à moi-même: lorsque je me suis vu sur le rivage je semble être beau, tandis que toi, tu veux être approuvé même par Momus - à ce que je comprends - en réclamant que je t’intente un procès pour la moindre faute. Allons, puisqu’il faut essayer de te faire plaisir quand tu exprimes le désir de recevoir mon avis, accepte celui-ci, que j’ai exprimé avec peine pour moi-même qui suis particulièrement dur à la détente en ce genre d’affaire: pour autant que j’ai pu récem‑ ment y porter mon attention au cours d’une lecture faite en voyage et à des moments perdus, pour autant que j’ai pu à partir de là me faire un jugement sur ton ouvrage, oui, j’oserais affirmer que tu obtiendras une gloire immense en quelques années, si tu rivalises avec toi-même dans des futurs traités pour démontrer que tu auras progressé en proportion du temps qui se sera écoulé depuis la rédaction de ce texte-ci. J’ai compris que ton cher Érasme était de cet avis grâce à une lettre qu’il m’a écrite. [13]  J’avais confié à ton attention, en quittant la ville, un petit livre à ton cher Toussain, le De contemptu rerum fortuitarum, rejeton unique de notre Marly; ta lettre ne m’apprend pas si tu l’as reçu ou non. Tu as écrit à propos de mes lettres qu’elles semblaient peu nombreuses et avoir été écrites à peu près en l’espace de deux ans; je me rappelle qu’en t’écri‑ vant, je t’avais annoncé quelque chose à ce sujet, bien que j’aie publié un nombre inférieur à ce que j’avais à l’esprit; mais je n’ai pu récupérer et passer au crible les autres, parce que j’ai été mandé à l’improviste à la Cour, au moment où une bonne partie d’entre elles avait été envoyée à l’impression. Pendant ces deux ans, j’avais écrit de l’étranger à mes amis de la ville beaucoup de lettres, dont les unes m’ont été remises trop tard et n’ont pas pu être mises en ordre et recensées, les autres ont été suppri‑ mées parce que je ne voulais pas que les contenus en soient divulgués. Si Dieu me donne un jour un loisir, pas celui d’autrefois (je n’y compte



Lettre 7 [12]  De

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Syllanis tuis quod postulas perinde mihi esse videtur atque si periculum facere cupias et me documentum dare quam improbus et συκοφαντικός esse possim, si velim. Habes, ut opinor, manu mea testatum elogium, quam opus id probaverim. Quid igitur iterum Aristarchum me facis, hominem iam nullius otii litterarii et procul libris agentem? Tamen si in sarcinis librum tuum haberem, cavillatoris personam et voluntatem ad aliquot dies induerem, quatenus quidem versari in hospitio liceret, et tibi negotium mihique adeo facesserem fortasse delatoria acrimonia; quod item te in meis scriptis factitare non postulo, ne mihi displicere me cogas, qui cum in litore me vidi bellus esse videor, tute etiam Momo probari vis, ut intelligo, qui me arcessere te cuiusvis culpae postules. Age quando tibi morigerandum est iudicii mei cupido, hoc habeto, quod vix mihi expressi huiuscemodi rei tenacissimo; equidem quantum animadvertere dudum potui in lectione viatoria et succisivi otii, indeque iudicium operis tui facere, si futuri temporis commentationibus ita tecum ipse certaveris, ut ad portionem profecisse posthac temporis super hanc conscriptionem te ostenderis, ausim affirmare ingentem te paucis annis famam excitaturum. In qua sententia Erasmum tuum esse ex epistula eius intellexi ad me scripta. [13]  Libellum ad te mittendum Tussano tuo dederam urbe digre‑ diens, De contemptu rerum fortuitarum, unicam Marliani nostri feturam, quem utrum acceperis ex litteris tuis non intellexi. De epi­­ stulis meis quod scripsisti, numero paucas videri atque intra biennium fere scriptas, memini me nonnihil ea de re praedicere ad te scri‑ bentem, quamquam pauciores ediderim quam animo destinaveram; sed reliquas contrahere et recognoscere non potui in aulam tum impro‑ viso accersitus, cum iam sub prela bona pars earum esset emissa. Intra id ipsum biennium peregre multas scripseram ad amicos urbanos, quarum partim sero mihi remissae in ordinem digeri et recenseri non potuerunt, partim ideo suppressae quod argumenta pervulgari nolebam. Quod si mihi Deus aliquando otium non pristinum (quod despero) sed 134. bellus GBlatgr, GBluc: bellulus GBeppost

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point), mais d’une durée moyenne, j’éditerai seulement les lettres écrites et à écrire à la suite de celles qui ont déjà été éditées, à condition qu’après avoir été envoyées, elles me soient rendues par mes amis et se retrouvent entre mes mains. En effet, des lettres que j’envoie fréquemment à mes amis très intimes, je ne conserve aucune copie et il en va parfois de même pour d’autres lettres. [14]  J’avais commencé à me convaincre d’écrire plus volontiers en grec, interpellé en quelque sorte par Linacre, à travers une lettre composée en grec; il en résulte que cette lettre a été découverte parmi les miennes, qu’elle s’est échappée en quelque sorte furtivement en compagnie des miennes et qu’elle a été la seule à être publiée en mon absence, alors que je possédais un nombre non négligeable d’autres lettres que je préférais aux miennes. Les lettres que j’ai adressées à Érasme, je ne les ai pas envoyées à l’impression de peur qu’elles ne paraissent me plaire excessi‑ vement ou que je semble avoir voulu augmenter le volume en apparence, alors qu’il n’y a du reste aucun de mes amis avec lequel j’aurais pratiqué plus volontiers un échange de services de ce genre. [15]  Je n’ai pas encore vu ton Somnium à cause d’une absence déjà longue, qui m’habituera (je pense) à l’indolence dans ces campements jusqu’au moment où l’amour passionné de la philologie se sera insensi‑ blement fané et où le peu de savoir que j’avais se sera dissipé. Voilà une réponse à toutes tes questions, une réponse précise et sans duplicité. Je n’avais pas de temps à perdre pour des jeux d’enfant, je veux dire pour les railleries d’Érasme au sujet de mes écrits, lui que l’assemblée des plus grands savants déclare fermement être de loin le meilleur de ceux qui sont parvenus au sommet de la culture à notre époque. [16]  Porte-toi bien. Romorantin, qui n’est qu’une bourgade, noble résidence royale pour quelqu’un qui n’est pas de basse naissance, le 10 janvier.



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mediocre dederit, eas tantum editurus sum quae ab illis iam editis scriptae sunt et scribendae, si tamen emissae in manus redierint, ab amicis relatae. Nam earum quas familiariusculis amicis missito, exempla non asservo, ne aliarum quidem interdum. [14]  Una

epistula Graece quasi appellatus a Linacro, animum scri‑

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bendis Graecis libentius adiicere coeperam; quo factum est ut inter meas reperta, veluti παρεκδῦσα μετὰ τῶν ἐμῶν exierit unica, me absente, cum et alias non paucas haberem quas meis anteferrem. Quas vero ad Erasmum scripseram, edendas non mandavi, ne aut mihi illae perplacere vide‑ rentur, aut ego cumulum in speciem augere voluisse, cum alioqui nullus

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sit amicorum, quicum alacrius officii vices huiuscemodi usurpaverim. [15]  Somnium

tuum nondum vidi per absentiam iam diuturnam, quae

tamdiu ipsa (ut arbitror) in his me stativis assuefaciet inertiae, quoad philologiae amor ille vehemens sensim exoleverit, et quantulum erat cumque doctrinae effluxerit. Habes iam ad omnia (ut opinor) quae petebas ἐσπουδασμένα γε δὴ καὶ ἀνυποκρίτως ἔχοντα· πρὸς δὲ τὰ πεπαιγμένα οὐκ

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ἐσχόλαζον. Λέγω δὲ τὰ ὑπ’ Ἐράσμου εἰρωνευμένα περὶ τῶν ἐμοὶ γεγραμμένων, ὃν δὴ πάμπολυ ἀριστεύσαντα τῶν εἰς ἄκρον τῆς παιδείας καθ’ἡμᾶς ἀφιγμένων ἡ τῶν ἐλλογιμοτάτων σύγκλητος εὐσταθῶς ἀποφαίνεται. [16]  Vale,

Romorantii, quae κωμόπολις est tantummodo regia haud

ignobili nobilis, IIII Idus Ianuarias.

164. edendas GBlatgr, GBluc: edi iterum GBeppost   171. ἀνυποκρίτως GBlatgr, GBluc: ἐναποκρίτως GBeppost   174. ἐλλογιμοτάτων GBeppost: ἐλλογιμωτάτων GBlatgr, GBluc

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correspondance de Budé et Vives

6-8. eum morem ... tam acerbam esse iudico: Budé s’est plaint plu­ sieurs fois des attaques qu’il a dû endurer. Voir par ex. ses lettres du 9 septembre 1518 à Thomas More, du 17 juillet 1519 à Claude Chanson‑ nette, ou du 21 février 1520 à Christophe de Longueil; on peut lire les résumés de ces lettres dans Delaruelle, Répertoire, pp. 39-41, pp. 67-70, pp. 96-99. 8-10. eam ut ob rem ... ad ea argumenta detorquere instituerim, quae longissime ab ista amarae velitationis vicissitudine abducere stilum videbantur: un premier exemple de ce nouveau style est constitué par le De contemptu rerum fortuitarum, rassemblant une série plutôt disparate d’idées et d’opinions philosophiques, conçue en forme de dialogue avec son frère aîné Dreux. Ce traité sortit des presses de Josse Bade à Paris en 1520. 11-35. Erasmum Roterodamum: l’histoire complexe des relations entre Érasme et Budé débute au printemps de 1516 par quelques lettres de l’un et de l’autre, pleines de louanges pour les accomplissements respec‑ tifs. Mais après la lettre de Budé du 21 décembre 1517 (A, ep. 744), le ton change et il devient difficile de faire la distinction entre plaisanteries et propos caustiques, à telle enseigne que Budé se résout à mettre fin à leur amitié par sa lettre du 31 octobre 1518 (A, ep. 896). Érasme n’accepte pas cette issue (A, ep. 906), et ainsi leur amitié, ou plutôt leur guerre froide, continue jusqu’au silence de l’an 1528. Voir Louis Delaruelle, ‘Une amitié d’humanistes’, Le Musée belge, 9 (1905), 321-351; Pierre Mesnard, ‘Érasme et Budé’, Bulletin de l’Association Guillaume Budé, IV.3 (1965), 307-331; Garanderie, Correspondance, pp. 13-15 et passim; Yvonne Charlier, Érasme et l’amitié (Paris, 1977), pp. 205-209 et passim; Marc Laureys, ‘Erasmus and Guillaume Budé. The limits of toleration in a humanistic friendship’, in Uwe Baumann - Arnold Becker - Astrid Steiner-Weber (Hg.), Streitkultur. Okzidentale Traditionen des Streitens in Literatur, Geschichte und Kunst (Bonn, 2008), pp. 271-231. 19. ὅσα μῦς ἐν πίσσῃ (ut aiunt): proverbe grec expliqué par Érasme dans Adag. 1267: ‘Quanta mus apud Pisam’ (ASD II, 3, p. 286). Dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Quae mus in pice.’ 29-35. Τοσοῦτο δὲ φρόνημα ... ἔχειν δοκοῦσιν: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Tantos illa meditatione spiritus suscepi, defunctus videlicet commemorabili certamine nec indecore, ut mihi ipse videor nec fastidiose, ut nonnullos post hunc insurgentes et velut nobis iam residentibus, in me infesto animo contendentes dimittendos censeam ne dicam aspernandos. Id quidem contestans aut quomodolibet innuens



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me neque fatiscere neque extimescere neque adminiculis indigere, si tantillos adversarios praelio dignos existimarem.’ 45-46. ad unum etiam par insigne amicorum meorum arrepsit: allusion à la querelle entre Germain de Brie et Thomas More. Un exploit naval de la France avait donné lieu à un poème chauviniste de G. de Brie: Chordigerae navis conflagratio (Paris, 1513). Ce poème pousse More à publier à Bâle en 1518 quelque dix épigrammes contre de Brie (cf. A, ep. 1087), qui riposte avec son Antimorus (Paris, mars 1520), auquel More répond par une longue Epistola ad Germanum Brixium (London, 1520). Grâce aux efforts de leurs amis respectifs, Érasme en tête, la dispute se termine vers la fin de l’an 1520. Voir tous les textes sur ce sujet dans The Complete Works of St. Thomas More. Vol. 3, part II (The Latin Poems), ed. Clarence H. Miller, Leicester Bradner, Charles A. Lynch and Revilo P. Oliver (New Haven - London, 1984), epigr. 188-195 et 266-269 et les Appendices A - C, pp. 427-694. Sur Germain de Brie, voir plus haut, ep. 6 § 1; Guy Lavoie, ‘La fin de la querelle entre Germain de Brie et Thomas More’, Moreana, 13, no 50 (1976), 39-44. Sandra Provini a procuré une édition du poème Chordigerae navis conflagratio, avec traduction et commentaire, dans son livre Germain de Brie, Pierre Choque, L’incendie de la Cordelière (La Rochelle, 2004). 51-54. Τοιοῦτο γάρ ... ἐνταῦθα: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Tale enim quid indicare videtur epistola tua benigne me admonens officii atque etiam prudenter obiurgans, quasi hic indulserim nostrati et familiari.’ 64. epistula et munere: la première lettre conservée de More à Budé est celle d’août 1518. Dans sa réponse, Budé remercie More pour la paire de chiens qu’il lui a offerte et qui lui a été remise par Thomas Lupset. Voir Elizabeth Frances Rogers, The Correspondence of Sir Thomas More (Princeton, 1947), nos 65 et 66, pp. 129-132. 67-68. nostras magis quam noster in auctoritate mea sit: dans sa lettre du 9 août 1520 Érasme avait demandé à Budé d’intervenir dans la lutte entre More et Germain de Brie et de faire usage de son autorité vis-à-vis de ce dernier (A, ep. 1133, ll. 22-23): ‘Obsecro te per Musas ut vestra autoritas iuvenilem istum ἐνθουσιασμὸν coherceat.’ Selon la lettre qu’avait adressée More à Érasme en mars ou avril 1520, Budé avait déjà essayé de réfréner de Brie (A, ep. 1087, ll. 437-439). 75-76. δεινὴν ἀνθρώπων ... ἀνδρός: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Denique vestram istam mihi suadam tantisper accommodare hominum vel morosorum animis flectendis mire effi‑ cacem, nedum candidi viri et civilis.’

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85. apud eum ipsum: Thomas More. 96. odii (ut aiunt) Vatiniani: Publius Vatinius a été en 56 av. J.-C. un témoin à charge contre P. Sestius, qui était défendu par Cicéron. Ce dernier, avec son In P. Vatinium testem interrogatio, se répandait en invectives acerbes contre lui, l’accusant de toutes sortes de vices. De cette manière il insufflait au peuple romain une haine farouche contre Vatinius. L’expression se trouve déjà dans Catull. 14, 3: ‘odissem te odio Vatiniano.’ Voir Érasme, Adag. 1194: ‘Odium Vatinianum’, dans ASD II, 3, p. 206. 122-124. καίτοι ἐξ ὧν ἔγωγε ... ἀκροβολιζομένοις: pas traduit par J. Toussain. 125. De Syllanis tuis: la première édition des Declamationes Syllanae quinque de Vives parut chez Michel Hillen à Anvers en avril 1520; un exemplaire en fut évidemment expédié immédiatement à Paris. Il n’était pas encore parvenu à Budé le 23 avril; voir plus haut, ep. 5, § 7. 127-128. manu mea testatum elogium: cette lettre de Budé n’a pas été conservée. 128. Aristarchum: Aristarque de Samothrace (c. 216 - 144 av. J.-C.) a été le chef de la bibliothèque d’Alexandrie. Il fut tellement célèbre pour sa critique textuelle qu’il devint le prototype de tous les critiques sévères. 134. cum in litore me vidi bellus esse videor: allusion à la déclama‑ tion d’amour adressée au bel Alexis par le berger Corydon dans Verg. ecl. 2, 25-27:   ‘nec sum adeo informis: nuper me in litore vidi,   cum placidum ventis staret mare. Non ego Daphnin   iudice te metuam, si numquam fallit imago.’ 134. Momo: dans la mythologie grecque, Momus était un dieu banni de l’Olympe par Zeus après qu’il ait été le juge des réalisations de trois autres dieux et ait trouvé dans chacun d’elles quelque chose à blâmer. Dans la République de Platon, VI, 487a, Glaucon disait à Socrate que ‘Momus lui-même n’y trouverait rien à redire’. 138. in lectione viatoria: Budé était encore à Marly le 2 mai 1520 (voir ci-dessus, ep. 6). Le roi François Ier lui avait demandé de l’accompagner lors de la rencontre avec le roi anglais Henri VIII au Camp du Drap d’Or, situé dans la vaste plaine entre Ardres et Guînes. Henri VIII s’installe à Guînes (territoire anglais) et François Ier à Ardres (territoire français), d’où Budé expédie le 17 mai une lettre à son ami Guillaume du Maine; voir Delaruelle, Répertoire, pp. 117-118. Budé avait emporté avec lui les Declamationes de Vives; ce livre était donc arrivé à Paris vers la fin avril ou début mai.



Lettre 7

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142-143. In qua sententia Erasmum tuum esse ex epistula eius intellexi ad me scripta: voir la lettre de Budé du 23 avril 1520 (cf. ci-dessus, ep. 5, § 10), faisant mention de la lettre d’Érasme du 17 février 1520 (A, ep. 1066, ll. 55-61). Érasme écrit aussi à More en juin 1520: ‘Is unus est de numero eorum qui nomen Erasmi sint obscuraturi’ (A, ep. 1107). 144-145. Libellum ad te mittendum ... urbe digrediens, De contemptu rerum fortuitarum: cet ouvrage de Budé doit donc avoir été imprimé peu avant son départ, probablement aux alentours du 10 mai. 144. Tussano tuo: Jacques Toussain ou Tus(s)anus (†1547) fut l’élève de Budé et devint plus tard son ami et le tuteur de ses enfants. L’emploi de ‘tuo’ fait supposer que Vives et Toussain se sont liés d’amitié proba‑ blement pendant la visite de Vives à Paris en juin 1519. Sur Tusanus, voir ep. 1, § 12. 146. quem utrum acceperis ex litteris tuis non intellexi: aucune des lettres expédiées par Vives à Budé entre octobre 1520 et janvier 1521 n’a été conservée. 146-147. De epistulis meis quod scripsisti: au moment où Budé devait quitter Paris il était en train de superviser la publication de son premier recueil de lettres, les Epistolae Gulielmi Budaei Regii Secretarii, qui sortit des presses de Josse Bade le 20 août 1520. Un exemplaire en fut sans doute immédiatement expédié à Vives, qui le commenta dans une lettre aujourd’hui perdue. 150-151. in aulam tum improviso accersitus: au début de mai; voir le commentaire au paragraphe précédent. 160. Una epistula ... a Linacro: la lettre de Thomas Linacre, du 10 juin 1517, inc. ‘Cum tua in me’, se trouve imprimée aux fols. 17v-18r du premier recueil des lettres de Budé. La réponse, du 10 juillet, se lit aux fols. 14v-17r. Voir Delaruelle, Répertoire, p. 23. Thomas Linacre (ca. 1460 - 1524) fut nommé médecin du roi Henri VIII en 1509 et, en 1514, de sa soeur Mary Tudor (1496-1533), qui épousa le 9 octobre 1514 Louis XII et devint reine de France. Linacre accom‑ pagna celle-ci à Paris et y rencontra Budé. À son propos, voir les notices de Charles B. Schmitt dans CE II, 331-332 et de Vivian Nutton dans ODNB, 33 (2004), pp. 803-806. 162. παρεκδῦσα μετὰ τῶν ἐμῶν: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Veluti cum meis obiter exiens.’ 163-164. Quas vero ad Erasmum scripseram, edendas non mandavi: à la fin de l’édition de 1520 on peut lire trois lettres d’Érasme, imprimées

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correspondance de Budé et Vives

ici pour la première fois. (A, epp. 1011, 1015 et 1073). Plusieurs autres lettres de Budé à Érasme avaient trouvé une place dans les recueils publiés auparavant par Érasme, la première étant celle du 1er mai 1516 (A, ep. 403) dans les Epistolae aliquot illustrium virorum ad Erasmum Roterodamum et huius ad illos (Louvain, 1516); cette lettre a été imprimée à nouveau dans les Epistolae sanequam elegantes ... (Louvain, 1517 et Bâle, 1518), accompagnée de trois autres (A, epp. 421, 499 et 522). Une seule lettre nouvelle (A, ep. 744) apparaît dans Auctarium selectarum aliquot epistolarum Erasmi ... (Bâle, 1518), suivie de huit nouvelles lettres dans la Farrago nova epistolarum Des. Erasmi (Bâle, 1519), notamment A, epp. 810, 819, 896, 915, 924, 929, 987 et 992. 167. Somnium tuum nondum vidi: dans une de ses lettres aujourd’hui perdues Vives doit avoir informé Budé que cet ouvrage avait été imprimé; il est plus que probable que Vives en a expédié un exemplaire à son adresse de Paris. La lettre-préface introduisant son Somnium et Vigilia et dédiée à Érard de la Marck est datée du 28 mars 1520. L’ouvrage a été imprimé immé­ diatement après, en avril 1520, par le typographe anversois Jean Thibault, sans donner toutefois satisfaction à Vives, qui l’appelait un ‘cacographus ... nomine Ribault’. Voir LCB I, 28-29, ep. 8. 171-174. ἐσπουδασμένα γε ... ἀποφαίνεται: dans la traduction latine de J. Toussain (GBlatgr): ‘Habes iam ad omnia ut opinor, quae petebas, serio quidem scripta et expeditam responsionem admittentia. Nam ad ioco dicta mihi non suppetebat ocium, idest ea quae de meis scriptis Erasmus dissimulanter innuit, quem quidem omnium qui ad fastigium hac tempestate pervenerunt eruditionis, longe esse praestantissimum senatus doctissimorum virorum constanter declarat.’

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8. VIVES À BUDÉ

Vives aimerait bien reprendre avec Budé l’échange de lettres interrompu depuis quelque temps. Son beau-frère Nicolas Valdaura, qu’il lui recom‑ mande vivement, vient à Paris pour étudier la médecine et peut donc servir de relais. La lettre n’est pas datée, mais la chronologie peut facilement être établie grâce à deux éléments qui y figurent. En premier lieu, Valdaura apportera à Budé un exemplaire d’un livre que Vives avait achevé l’été dernier (‘proxima aestate’), à savoir le De concordia et discordia in humano genere. Or, la première édition de cet ouvrage a été imprimée par Michel Hillen à Anvers en 1529. En second lieu, Vives confesse qu’il avait eu l’intention de s’enfuir à Paris en octobre pour éviter la peste, mais qu’il reçut quasiment à mi-chemin, en Artois, des nouvelles moins alarmantes, ce qui le poussa à retourner chez lui. Farrago, fols. 40v - 42r; V VII, 218-219.

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correspondance de Budé et Vives

Vives au sieur Guillaume Budé, salut [1]  Je t’aurais ramené à notre habitude interrompue de nous écrire si je ne craignais de paraître agir de façon impudente, en augmentant ou plutôt en te créant des tracas alors que tu es un homme occupé par des fonctions publiques. C’est pourquoi je ne demande pas que tu dialogues par lettres avec moi aussi souvent que tu as eu autrefois l’habitude de le faire, ce qui m’apportait un maximum de plaisir et de profit. Néanmoins, je te demande entretemps de ne pas rechigner à m’envoyer quelque lettre. En effet, je voudrais que tu me croies sur ce point: rien ne m’est plus agréable que notre amitié et tout ce qui renouvelle le souvenir de celle-ci m’est très précieux. [2]  Tu auras maintenant quelqu’un à qui tu pourras remettre plus faci‑ lement ce que tu voudrais me faire parvenir. En effet, Nicolas Valdaura, le frère de ma femme, qui, en plus de la parenté par alliance, me tient même lieu de frère germain, part à Paris à cause de ses études. Car il va se consacrer à l’art de la médecine, qu’il est très désireux d’acquérir. C’est lui qui te remettra cette lettre. [3]  Si tu as reçu un jour parmi les tiens quelqu’un sur ma recomman‑ dation, ce dont je te suis infiniment reconnaissant, tu recevras celui-ci, mon très illustre et très cher Budé, comme un autre moi-même. Ne va pas considérer que ce soutien relève des recommandations banales. Je n’ai rien de plus cher que ce jeune homme; si tu éprouves sa culture, sa douceur, sa modestie, je ne doute pas que tu le jugeras digne de ton affec‑ tion. Rien ne peut être plus doux et plus modéré que lui. [4]  C’est pourquoi, si jamais notre affection a eu quelque prix pour toi, tu l’accueilleras à bras ouverts, comme si c’était moi et tu en feras un familier de tes grands amis médecins et surtout de Ruellius, dont la fréquentation lui sera d’une très grande aide. [5]  Néanmoins, j’ai à peine commencé à parler de Valdaura, si je consi‑ dère mon esprit et mes sentiments; mais si je considère ta sagesse et notre affection mutuelle, j’en ai déjà trop dit. Tu oseras assurément m’écrire maintenant avec une sécurité plus grande puisque la paix, comme on l’espère, a été solidement conclue par les souverains - plaise au ciel -, aussi rare et longue que désirable et espérée, et en plus nécessaire, où une gloire éclatante a été obtenue par des princesses royales.



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Vives Domino Guilielmo Budaeo salutem [1]  Revocarem te ad intermissam nostram scribendi consuetudinem, ni metuerem ne impudenter viderer facere, qui tibi, homini publicis func‑ tionibus occupato, negotium adderem, hoc est, facesserem. Itaque non postulo, ut tam crebro mecum per litteras alloquare, quam aliquando facere es solitus, quod erat mihi cum delectationis plenissimum, tum etiam fructus. Interdum tamen rogo te ne graveris aliquid ad me litte‑ rarum dare. Nam hoc velim mihi credas, nihil amicitia nostra esse mihi iucundius, et gratissimum esse quicquid illius memoriam renovat. [2]  Nunc habebis cui commodius poteris tradere, si quid ad me perlatum velis. Nam hic Nicolaus Valdaura, uxoris meae frater, qui est mihi praeter affinitatem etiam fratris germani loco, Lutetiam studiorum gratia proficiscitur. Est enim medicae arti daturus operam, cuius perno­ scendae est cupidissimus: hic tibi has litteras reddet. [3]  Si quem umquam habuisti ex mea commendatione inter tuos, quo nomine maximam tibi habeo gratiam, hunc habebis non aliter, Budaee clarissime et carissime, quam me ipsum. Cave putes commendationem hanc esse ex illis vulgaribus. Neminem habeo iuvene hoc cariorem; cuius humanitatem, mansuetudinem, modestiam si gustaveris, non dubito quin sis eum iudicaturus amore tuo dignum. Nihil eo potest fieri mitius ac moderatius. [4]  Itaque si quid umquam apud te benevolentia nostra valuit, hunc non aliter quam meipsum complecteris, efficiesque illum familiarem maximis istis amicis tuis medicis, Ruellio imprimis, cuius consuetudo plurimum huic adiumenti adferet. [5]  Sed de Valdaura vix coepi dicere, si animum et affectum meum spectem; sin tuam prudentiam et amorem nostrum mutuum, nimis iam multa. Τολμήσῃς ἂν καὶ νύν ἀσφαλέστερον πρὸς ἡμᾶς γράφειν, εἰρήνης, ὡς ἐλπὶς, ἠρεισμένης παρὰ τῶν Βασιλέων, utinam tam rara et diuturna, quam grata et optata, adde etiam necessaria, in quo praeclarum est decus quae‑ situm principibus feminis.

18. iuvene Farrago: juvenem V   20. sis Farrago: si V   27. spectem Farrago: expectem V   27. mutuum Farrago: tuum V   28-29. Τολμήσῃς ἂν καὶ νύν ἀσφαλέστερον πρὸς ἡμᾶς γράφειν, εἰρήνης, ὡς ἐλπὶς, ἠρεισμένης παρὰ τῶν Βασιλέων correxi ex θολημήσης ἂν καὶ νήω ἀσφαλέστερον πρὸς ἡμᾶς γράφειν εἰρήνης ὡς ἐλπης ειρεις (ρεις V) μένης παρὰ τῶν Βασιλέων (Βαριλέων V) Farrago, V

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[6]  Il s’en est fallu de peu que je parte à Paris au mois d’octobre pour éviter la peste qui ravageait très cruellement cette région et dont je ne doute pas que tu aies entendu parler. Mais, comme j’avais quitté la maison dans cette intention et comme j’étais arrivé en Artois, des Espa‑ gnols m’ont retenu à Lens, ainsi que des nouvelles plus heureuses, qui venaient tous les jours de Flandre, annonçant que la chose s’atténuait. En effet, elle n’a sévi nulle part plus que huit jours. [7]  Tu recevras de mon cher Valdaura le livre De concordia que j’ai rédigé l’été dernier tandis que je m’apitoyais sur notre époque. Et puisque je ne puis fournir de remède à tant de maux, vu mon peu de forces, je manifeste mon état d’esprit au moins sur papier. C’est cela uniquement qui me console et en tout cas m’apaise. Porte-toi bien.



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[6]  Parum

abfuit quin mense Octobri Lutetiam sim profectus vita‑ bundus eam luem, quae in regionem hanc saevissime grassabatur; de qua non dubito quin audieris. Sed cum domo ea mente discessissem, et Artesiam essem ingressus, Hispani quidam Lensi sunt me remorati, et laetiores nuntii qui e Flandria quotidie adferebantur rem mitescere. Nam nusquam supra octo dies saeviit. [7]  Accipies a Valdaura meo librum De concordia scriptum a me proxima aestate, dum me horum temporum miseret. Et quando remedium tot malis adferre nequeo propter imbecillitatem virium, chartis saltem animum meum testor. In quo uno me consolor et utcumque acquiesco. Vale.

33. luem Farrago: lucem V   35. Lensi: corr. e Leusi Farrago, V

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correspondance de Budé et Vives

3-4. homini publicis functionibus occupato: Budé fut promu en 1522 maître de la Librairie et maître de Requêtes de l’Hôtel du Roi, ce qu’il cumulait avec des fonctions dans l’administration de la ville de Paris. 11. Nicolaus Valdaura: Nicolas était le frère de Marguerite, la femme qu’avait épousée Vives le 26 mai 1524. Il avait déjà séjourné à Paris dix ans auparavant et à ce moment-là Vives l’avait recommandé à son ami Juan Fort à la fin de sa lettre (son traité In pseudo-dialecticos) datée du 13 février 1519. Nicolas a probablement dû interrompre ses études en raison de la maladie et de la mort de son père Bernardo en janvier 1521 (cf. LCB, epp. 2 et 38). En 1529 il reprend celles-ci à la Sorbonne et étudie également en Italie avant de retourner à Bruges pour y devenir médecin de la ville. En aucun cas il ne peut être identifié au Nicolas Valldaura, marchand à Valence, qui a été condamné par l’Inquisition à Valence en 1500 et qui a pu s’échapper à Bruges, comme l’a proposé E. González González, ‘Vives: un humanista judeoconverso en el exilio de Flandes’, dans The Expulsion of the Jews and their Emigration to the Southern Low Coun­ tries (15th - 16th c.), éd. L. Dequeker et W. Verbeke, pp. 35-81 (p. 51). Ce dernier était en réalité le fils de Gabriel Valldaura, qui, lui aussi, a été condamné par l’Inquisition et mourut avant 1500 (‘fijo de Gabriel Valldauro quondam, condepnado’), alors que le prénom du beau-père de Vives, et donc du père de notre Nicolas (celui de la lettre), était Bernardo. 24. Ruellio: Jean (du) Ruel ou de la Ruelle (1474-1537), médecin et botaniste; médecin de François Ier à partir de 1509 et régent de la faculté de médecine à Paris. À son propos, voir la notice de Paul Jovet - J.C. Mallet, in Dictionary of Scientific Biography, XI (New York, 1975), pp. 594-595. 30-31. decus quaesitum principibus feminis: allusion à la ‘Paix des Dames’ (Cambrai, août 1529), le traité qui mettait fin à la guerre entre François Ier et Charles Quint, négocié par Marguerite d’Autriche, la tante de ce dernier, et Louise de Savoie, la mère de François Ier. 32-37. Vives donne quelques détails supplémentaires à propos de ce voyage projeté à Paris dans sa lettre (non datée) à Anthony Barker (GT ep. 175): alors que, se trouvant à Lille, sa femme avait déjà pris le chemin du retour, Vives continua son voyage en compagnie de son beau-frère. Mais en Artois quelques Espagnols le retinrent et des nouvelles réconfor‑ tantes à propos de la suette anglaise l’ont amené à retourner à la maison. 33. eam luem: la suette anglaise. Érasme écrit dans sa lettre du 22 octobre 1529 à Louis Beer (A, ep. 2225): ‘In Galliis odiosissime ludit



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pestis, sudor letalis turbat totam Brabantiam ac Flandriam usque ad Argentoratum, ubi terret omnes, paucos tamen tollit e medio.’ Voir égale‑ ment la lettre d’Érasme à Charles Utenhove (A, ep. 2209), spécialement les ll. 106-164. 35. Hispani quidam Lensi: la ville de Lens, située en Artois, entre Lille et Arras (40 km au sud de Lille et 20 km au nord d’Arras), a été prise par les troupes espagnoles en 1526. Cet élément a suggéré la lecture ‘Lensi’ au lieu de ‘Leusi’. 38-39. librum De concordia scriptum a me proxima aestate: en réalité Michel Hillen a imprimé à Anvers en 1529 trois ouvrages réunis de Vives: De concordia et discordia in humano genere ad Carolum V Caesarem Libri Quatuor. De pacificatione, Liber unus. Quam miser esset vita Christianorum sub Turca, Liber unus. Pour une description complète de cette édition du point de vue technique, voir Edicións, pp. 174-176; pour le contenu, voir le catalogue VivLeuv, pp. 147-149 (no 51).

9. Ioannis Ludovici Vivis Valentini Epistolarum, quae hactenus desiderabantur, Farrago ... (Anvers: Guillaume Simon, 1556), ff. 40v-41r (lettre 8)

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9. VIVES À BUDÉ Bruges, 1 septembre 1532 Budé ne sait plus quelle direction donner à sa vie et demande à ce pro‑ pos un conseil à Vives. Celui-ci répond que ce n’est pas à lui de donner des conseils à Budé, qui est plus âgé, plus sage et plus expérimenté que lui. Néanmoins, il veut bien servir de caisse de résonance. Il a compris qu’aussi bien l’état de santé de Budé que ses affaires familiales le tiennent à l’écart de ses études bien-aimées, et il reconnaît qu’une telle vie, sans culture, ne vaut pas la peine d’être vécue. Vives conseille à son aîné de tenir l’esprit et le corps en équilibre et, s’il ne lui est plus possible d’agir en première ligne, de s’effacer et de se rendre utile par ses conseils et ses suggestions. Se référant à la parabole des talents dans la Bible, Vives affirme que lui aussi trouve une consolation dans cette pensée, quand un rhume ou un mal de tête l’empêchent de se vouer à l’étude. Vives se réjouit du fait que l’épouse de Budé est tout à fait rétablie. Il demande à l’humaniste de la saluer de sa part et présente ses meilleurs souhaits à tous deux. BUB, fols. 28r-29v (endommagé quelque peu à droite); MG, pp. 212-217; une reproduction partielle de cette lettre dans l’édition de 1610 se trouve dans Edicións, p. 271. Selon le catalogue de la British Library, l’édition de 1614 n’est qu’un duplicata de la Philologicarum epistolarum centuria una sauf en ce qui concerne le titre et la partie préliminaire.

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correspondance de Budé et Vives

Luis Vives au très illustre Guillaume Budé, salut [1]  J’ai reçu la lettre dans laquelle tu m’entretiens de l’aménagement du temps qu’il reste à vivre. Pour ma part, mon Budé, je suis assuré de tenir en toi celui qui a décrit avec honnêteté et sagesse ses raisons de vivre et en moi celui qui n’est pas capable de donner un conseil à un tel homme, que je prenne en considération ton âge, ou ton esprit et ton savoir, ou ta sagesse et ton expérience de la vie. [2]  C’est pourquoi tu as écrit plutôt pour délibérer avec toi-même par cette méditation sur ce qu’il fallait faire ou pour attester plus clairement ton inclination et tes bonnes dispositions à mon égard en m’associant en quelque sorte à tes délibérations intimes et très profondes sur ce qui est essentiel; quelle que soit l’intention qui t’a fait faire cela, celle-ci est indiscutablement excellente et particulièrement bienveillante. Pour ma part, je jouerai le rôle du personnage que tu m’imposes. La dépense de ce petit morceau de papier écrit aura été légère et léger sera, sous d’autres rapports, le contenu, sinon des autres lettres, du moins assurément de celle-ci. Nous observons ce qui arrive dans la vie publique et privée, à savoir que les responsables de la conduite générale des affaires ont besoin des services des autres pour s’acquitter de leurs fonctions; de même, notre esprit, chef et commandant de la vie des mortels, a besoin du corps comme domestique, tant qu’il est contenu par lui. En effet, tu n’aurais pas la force d’intégrer et d’atteindre les choses cachées dans la nature, de faire jaillir et d’observer la lumière de la vérité, ni tout bonne‑ ment de justifier une décision si, à cette fin, l’activité des instruments du corps ne se montrait pas soumise aux facultés de l’intelligence. Ce corps, soit par désaccoutumance devient désobéissant, réfractaire, exubérant et fougueux dans le loisir, soit perd ses forces à cause de la maladie ou de la vieillesse, qui est aussi une maladie. [3]  J’entends dire depuis un certain temps que tu te trouves éloigné du camp de ta Philologie non sans éprouver une immense nostalgie du service militaire qui t’était tellement cher et agréable. Car le souci de ta santé et des affaires familiales t’en a écarté. Pour ma part, j’estime qu’est invivable, comme tu le dis, et tout à fait semblable à la mort, la vie qui se mène sans la culture de l’esprit. Mais à l’inverse, il te faut veiller à ne pas négliger le corps tandis que tu cultives l’esprit. C’est pourquoi je pense que tu dois mener les actions suivantes: reprendre doucement en



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Ludovicus Vives Guilielmo Budaeo viro clarissimo salutem [1]  Epistolam

tuam accepi, qua communicas mecum de eo, quod superest, vitae tempore collocando. Ego vero, mi Budaee, et eum te esse compertum habeo, qui vitae tuae rationes probe et sapienter habeas descriptas, et me eum, qui consilium tali viro dare non sim idoneus, sive aetatem spectem, sive ingenium atque eruditionem, sive prudentiam ac rerum usum. [2]  Itaque scripsisse te potius ut commentatione illa tu ipse tecum, quid agendum esset, consultares, vel ut apertius animum et voluntatem erga me tuam testificarere, qui me velut ad intimas et gravissimas deli‑ berationes admitteres de summa rerum; quacumque id mente feceris, indubie optima et cumprimis benevola. Ego partes eius personae sustinebo, quam ipse mihi imponis. Leve fuerit tantulae chartae dispen‑ dium, et erit alioqui, si non aliarum, huius certe epistulae argumentum. Quemadmodum in re et publica et familiari evenire cernimus, ut qui summae rerum praesunt, indigeant aliorum ministerio ad functiones suas obeundas, ita et animus noster, dux et imperator vitae mortalium, famulatu eget corporis quamdiu eo continetur. Nec enim vel res in natura abditas penetrare et assequi, et veritatis lucem exsculpere atque intueri, nec consilium expedire ulla prorsum ratione valeas, nisi ad haec opera instrumentorum corporis obsequens sese praebeat ingenii facultatibus. Corpus hoc vel desuetudine fit immorigerum et refractarium, otio luxu‑ rians feroxque, vel morbo aut senio, qui et morbus est, amittit vires. [3]  Iam olim audio te a Philologiae tuae castris abesse, non sine ingenti desiderio militiae tibi adeo carae iucundaeque. Inde enim te et valetu‑ dinis tuae et rei familiaris abstraxit cura. Equidem ἀβίωτον, ut ipse dicis, et plane θανάτῳ ὁμοῖον existimo esse eam vitam, quae absque ingenii cultu traducitur. Sed illud est vicissim cavendum ne, dum ingenium excolis, amittas corpus. Quocirca ita sentio faciundum, ut ingenio isti tuo sive emansori sive iusta de causa exauctorato molliter manum iniicias et 1. Lodovicus Vives MG: Vives BUB   30. et MG, s.l. scriptum pro adque deleto BUB

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main ton esprit, comme un soldat retardataire ou bénéficiant d’un congé dûment accordé, ramener celui-ci dans le camp de la Philologie et l’em‑ ployer à quelque fonction militaire après une longue désaccoutumance, mais en commençant avec douceur et avec une activité modérée. Si ton esprit poursuit fermement cela sans aller jusqu’à endommager sa robus‑ tesse et ses forces, permets-lui de revenir à son ancien service militaire, soit continuellement soit par intervalles. Ton âme embrassera le service militaire non sans une immense ardeur, car elle aime par nature les exer‑ cices de ce genre, sauf si j’ai fait des fausses conjectures à son sujet à partir des nombreux exemples qu’elle a produits d’une manière variée. [4]  Et si l’âge et les travaux antérieurs lui ont beaucoup ôté de de cette ardeur et de cette énergie ancienne, si elle peut néanmoins continuer le service militaire sans dommage important, qu’elle contribue à l’art de la guerre, sinon par les muscles et la force, au moins par le conseil et les avertissements qu’une longue pratique des choses et tant de campagnes de guerre prodigueront facilement. Mais si elle commence à invoquer une maladie sérieuse ou une santé contraire au point que le corps ne puisse plus rendre des services suffisants à la volonté et si elle ne cesse de ressentir la nostalgie de sa maison, qu’elle obtienne son congé définitif, juste et honorable comme celui qui est accordé aux vétérans à la date et au nombre fixés par la loi. Il faut écouter en cela le conseil d’Horace: ‘Quand tu juges le moment voulu, renvoie le cheval vieillissant’. Il vaut mieux que ton âme se promène, libre et détachée, où elle voudra, sans comman‑ dement, sans serment militaire et sans ordres, plutôt que de succomber médiocrement et continuellement sous les fonctions guerrières et de ne pouvoir éditer les travaux propres à satisfaire l’attente d’hommes qui comparent son antique gloire militaire avec les faits présents. [5]  Et elle ne sera pas totalement inutile grâce à ses vœux et à l’auto‑ rité de son nom et, installée chez elle, elle sera consultée par le guerrier, comme Pontius Herennius, père du général samnite. Je pense assurément que toutes les affaires humaines et surtout celles qui sont menées pour le bien public sont régies par une sorte de signal de la Providence. Si celle-ci te donne des forces pour agir, interprète cela comme une invita‑ tion à agir; mais si elle te les enlève, tiens pour certain qu’elle ne cherche pas à te pousser au travail et qu’elle te prescrit le loisir. Un autre se verra confier la mission que tu allais assumer. Tels sont les principes universels du Christ dont nous sommes seulement les serviteurs. À celui auquel est



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reducas illud in castra Philologiae, atque ex diutina dissuetudine muneri cuipiam adhibeas militari, sed levi initio et modicae operae. Id si strenue exsequitur citra noxam ullam roboris ac virium, sinito illud ad pri­­stinam militiam vel continenter reverti, vel per intervalla. Quam militiam animus tuus non sine ingenti alacritate capesset, natura sua eiusmodi

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exercitationum amans, nisi falsas coniecturas de illo accepi ex multis, quae varie edidit documenta. [4]  Quod si aetas et labores anteacti multum de ardore illo et acrimonia

vetere detraxerint, manere tamen in militia possit sine luculento sui detri‑ mento, adiuvet rem militarem, si non lacertis et robore, at saltem consilio

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atque admonitionibus, quas longus rerum usus et tot bellis merita stipendia facile suppeditabunt. Sin vero causificari coeperit morbum sonticum aut adversam valetudinem, ut voluntati non sufficiat corpus, et domum respectare institerit, impetret sane missionem iustam et honoratam velut emeritis legitimo tempore et numero stipendiis. In quo audiendus erit

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monitor ille Horatianus: ‘solve senescentem maturus equum’. Satius est ut liber et solutus ambulet pro arbitratu suo, quo volet, sine imperio, sine sacramento et signis, quam ut mediocriter bellicis muniis succumbat continuo, nec ea possit edere opera, quae exspectationi hominum satisfa‑ cerent, conferentium pristinam militarem laudem cum factis praesentibus. [5]  Neque

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vero erit omnino inutilis votis et auctoritate nominis: et vel

sedens domi consuletur ab armato milite, ut Pontius Herennius pater Samnitici imperatoris. Profecto cum humana omnia, tum ea potissimum, quae ad publicas utilitates elaborantur, peculiari quodam nutu Providen‑ tiae regi arbitror. Si vires ad agendum tribuit, interpretare praecipi tibi ut agas; sin adimit, pro explorato sit non esse illi cordi, ut ad opus accedas, et otium tibi indici. Mandabitur alteri, quam tu eras obiturus provinciam. Haec Christi sunt universa, cuius nos nihil aliud quam ministri sumus. 31. illud MG, s.l. add. BUB  atque MG, s.l. scriptum pro et deleto BUB   39. vetere: correxi e veteri BUB, MG   40. adiuvet MG: iuvet s.l. scriptum pro -imeret deleto BUB   43. ut BUB: et MG   45. emeritis MG: ri s.l. scriptum pro n deleto BUB   57. otium scripsi: ocium MG, add. in mg. sinistro pro acuti deleto BUB

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correspondance de Budé et Vives

assigné un travail, sont données des forces proportionnées au travail: de la même façon, le chef qui délègue la protection d’une forteresse prévoit aussi la défense qui convient. Nous en sommes clairement avertis dans la parabole des talents que Dieu a confiés à ses serviteurs pour gagner leur vie en faisant du commerce. Je n’utilise pas ces mots uniquement pour donner des conseils à mes amis, mais cette réflexion même me console de ma mauvaise santé, quand je suis tenu soudain à l’écart, contre mon gré et en gémissant, des études qui me sont les plus chères de toutes les choses par un accès de pituite et des maux de tête. [6]  Je pense que nul n’ignore avec quel soin tu t’occupes de ta femme et de tes enfants, à moins qu’il n’y ait quelqu’un qui ne te connaisse même pas de nom; et tu agis non seulement en homme sage, mais aussi en homme pieux, car tu te souviens des préceptes de l’apôtre Paul. Néanmoins il faut tenir compte des tiens seulement de manière à ne pas permettre que leur manque quoi que ce soit dans le domaine de la nourriture et des conditions matérielles de leur vie ou dans ce qui a trait à une éducation honnête et digne de toi. Mais que ceux-ci grâce à ton labeur fassent leur plein de délices et de toute espèce de plaisirs et qu’ils aient en abondance des richesses et des ressources qui portent au faste et à l’arrogance, voilà ce que tu ne dois absolument pas réaliser ou souhaiter. En effet, qu’est-ce qui concorde moins avec les préceptes relatifs à la traversée de cette vie dont tu as lu la plupart et dont tu as rédigé un grand nombre? [7]  Tel est l’avis de mon âme: si je suis d’accord avec toi à ce sujet, je m’en réjouirai; sinon, je te serai très reconnaissant d’être réprimandé et châtié par toi, non seulement à propos des ouvrages que nous avons d’une certaine façon écrits pour rire (et dans ce cas, tu n’as pas besoin de mon conseil), mais aussi à propos d’ouvrages sérieux, comme mes livres De disciplinis et autres, si tu as eu le temps de les regarder. [8]  (De la main de Vives:) Je me réjouis que ta femme ait repris des forces. Tu lui adresseras beaucoup de salutations de ma part. Je vous souhaite toutes les prospérités et tous les bonheurs. Bruges, le 1er septembre 1532. (Sur le dos, fol. 29v:) Au très illustre Sieur Guillaume Budé, Secrétaire du Roi de France (une autre main postérieure) Vives



Lettre 9

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Cui opus assignatur, eidem et operi vires pares: ut qui princeps arcem delegat tuendam, hic etiam praesidium conveniens prospicit. Huius rei dilucide admonemur in talentis, quae Dominus servis concredidit ad negotiationem. Neque ego haec usurpo verba solum in consiliis amicis dandis, sed de hac ipsa cogitatione in adversa mea valetudine solatium sumo, cum pituitae infestatione et gravedine capitis subinde repetente ab studiis, quae mihi multo omnium carissima sunt, invitus et gemens divellor. [6]  Uxoris et liberorum quam curam gesseris, puto nemini ignotum esse, nisi si quis te nec novit de nomine; et facis pro viro non solum sapiente, sed pio etiam, quique praeceptorum meministi Pauli apostoli. Sed hactenus tamen habenda illorum ratio, ne quid eis patiaris deesse sive ad victum et cultum, seu ad honestam et te dignam educationem. Ut vero illi per laborem tuum deliciis et omni voluptatum genere sese expleant, et opibus ac copia rerum omnium ad fastum atque ad arrogan‑ tiam abundent, nullo penitus modo vel procurare debes vel optare. Quid enim minus congruit iis praeceptis aevi huius transigendi, quae ipse et legisti plurima et scripsisti permulta? [7]  Haec est animi mei sententia, in qua εἰ μὲν ὁμοφρονῶ σοι gaudebo; εἰ δὲ μὴ, νουθετεῖσθαι καὶ παιδεύεσθαι παρά σου magnam habebo gratiam, non in hisce tantum, quae sunt a nobis quodam modo πεπαιγμένα (neque enim tibi consilium hoc meum est opus), verum etiam in seriis, velut in libris meis de disciplinis et aliis, si quos meos vacavit inspicere.

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[8]  (manu Vivis:) Uxorem tuam convaluisse gratulor. Illi salutem ex me

dices plurimam. Opto vobis fausta omnia et felicia. Brugis, Kalendis Septembribus 1532. (A tergo, fol. 29v:) D. Gulielmo Budaeo / a libellis Regis Galliae / Viro Clarissimo / (alia manu posteriore:) Vives. // 62. verba scripsi: verbis BUB, MG   65. carissima scripsi: charissima MG et sine dubio in mg. sinistro BUB, ut e signo in textu addito liquet; at nunc haec chartae particula abscissa est   71. honestam MG: in BUB correctum ex honestatem, deleta ultima parte tem additoque signo abbreviationis supra litteram a   81. vacavit: BUB, MG3: vocavit MG1   82-84. BUB manu Vivis add., MG   85-87. D. Gulielmo … Vives BUB, om. MG

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correspondance de Budé et Vives

2. Epistolam tuam: cette lettre de Budé n’a pas été conservée. 26-28. Equidem ... traducitur: cf. Seneca, epist. 82, 3: ‘Otium sine litteris mors est et hominis vivi sepultura.’ 46. monitor ille Horatianus: Hor. epist. 1, 1, 8: ‘solve senescentem mature sanus equum.’ 52-53. Pontius Herennius pater Samnitici imperatoris: pendant la deuxième guerre samnite, en 321 av. J.-C., l’armée romaine se trouva piégée par les Samnites, sous le commandement de Gaius Pontius, dans les fourches Caudines, un passage étroit entre deux montagnes près de Bénévent. Les Samnites consultèrent Herennius Pontius, le père âgé de leur commandant, pour savoir comment tirer profit de cette situation. Au premier messager celui-ci répondit: ‘Laissez-les aller’, et au second: ‘Tuez-les tous’. Mais ses conseils ne furent pas suivis et l’armée romaine dut passer sous le joug des lances samnites. Voir Liv., 9, 1-6. 61-62. talentis, quae Dominus servis concredidit ad negotiationem: pour la parabole des talents, voir Vulg. Matth. 25, 14-30 et Luc. 19, 12-27. 67. Uxoris et liberorum: Budé avait épousé Roberte Le Lieur; voir plus haut, ep. 1, § 16. 69. praeceptorum meministi Pauli apostoli: Vulg. Eph. 5, 22-6, 4 et Col. 3, 18-21. 80-81. libris meis de disciplinis: la première édition des De disci­ plinis libri XX de Vives avait été imprimée à Anvers en juillet 1531.

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10. VIVES À BUDÉ Bruges, 3 janvier 1533 Vives n’a certainement jamais eu l’intention d’expédier cette lettre. Il l’a insérée comme exemple dans son traité De conscribendis epistolis, comme le montrent clairement les différentes dates et places mention‑ nées, ainsi que la phrase qui suit le texte: ‘Epistula haec una suffecerit pro exemplo ad ostendendam formulam.’ Charles Fantazzi, qui en a énuméré et discuté les diverses éditions (pp. 17-19), a fourni une édition critique et une traduction anglaise dans SWV 3, pp. 90-92.

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correspondance de Budé et Vives

J uan Luis Vives souhaite une vieillesse facile à son cher Guillaume Budé. [1]  Bruges, le 3 janvier 1533. On raconte que César est à Mantoue et que de là il partira pour Bologne. Nous célébrons l’Épiphanie du Seigneur. Déjà on tient pour certain que celui-ci rencontre le Pape et discute quoti‑ diennement de choses très importantes qui sont au premier rang utiles à toute la chrétienté. Nous sommes le 8 janvier. On rapporte qu’ils traitent du concile. Que le Christ leur donne en partage son Esprit. [2]  Nous sommes déjà le 10e jour du mois. Je suis à Gand en partance pour Bruxelles. J’ai reçu ta lettre avec deux lettres dans le même petit paquet. J’ai répondu à presque tout, sauf à propos de ton parent, que je n’ai pas encore vu, mais qui est attendu ici chaque jour. Cette lettre, qui m’a échappé parce que j’étais sur le point de partir n’a pas encore été envoyée à ce jour, qui est le 13e du mois précité. [3]  Je suis arrivé à Bruxelles, j’ai rencontré ton ami, que j’ai harangué à propos de ton affaire. Il me promet son entière collaboration. Toi, comme tu en as l’habitude, quoi qu’il arrive, aie de la grandeur d’âme. Je te souhaite l’appui du Christ. [4]  Je suis déjà honteux d’avoir conservé si longtemps la lettre, nous sommes le 20e jour du mois. Suite aux choses dont celui-là a parlé avec Scaevola, il ne semble pas qu’il ait à ton égard l’état d’esprit que nous imaginions lorsqu’il était ici. Mais tant que le Christ est bien disposé à ton égard, tu peux négliger facilement les intérêts humains. [5]  Tu auras le bonjour de notre Cranevelt. Salue de ma part ton épouse. P. de Brie recevra mon bonjour empressé et prévenant. De même Bérauld et Toussain. Quoi d’autre? Qu’ajouter? En effet, je crains que dans la lettre tant de fois prise en main, il manque quelque chose que je regret‑ terais ne pas avoir écrite. Rien ne me vient à l’esprit; que le Christ soit avec toi.



Lettre 10

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Ioannes Ludovicus Vives Guilielmo Budaeo suo facilem senectam optat

[1]  Brugis, tertio die Ianuarii, M.D. XXXIII. Caesarem narrant esse Mantuae, inde profecturum Bononiam. Agimus Epiphaniam Domini. Iam pro certo habetur illum cum Pontifice congredi et maximis de rebus quottidie consultare quae sunt toto Christiano nomini cum primis utiles. Hic dies est octavus Ianuarii. De concilio ferunt illos agitare. Christus illis impartiatur suum Spiritum. [2]  Dies est iam decimus mensis. Sum Gandavi proficiscens Bruxellam. Accepi litteras tuas duabus epistulis eodem fasciculo. Ad omnia ferme respondi praeterquam de necessario illo tuo, quem nondum vidi, sed exspectatur hic cottidie. Haec epistula, quia fefellit me qui erat profec‑ turus, nondum est missa in hunc diem, qui est praedicti mensis decimus tertius. [3]  Perveni Bruxellam, conveni amicum tuum, quem sum de negotio tuo allocutus. Pollicetur suam operam omnem. Tu, ut soles, quicquid evenerit, magno sis animo. Opto tibi favorem Christi. [4]  Iam pudet me tam diu asservatae epistulae: vicesimus est mensis. Ex iis, quae ille est cum Scaevola collocutus, non videtur esse eo in te animo, quem existimabamus cum hic esset. Sed dum Christus bono sit in te animo, humanas utilitates facile neglexeris. [5]  Salvebis a Cranaveldio nostro. Uxori tuae salutem ex me. P. Brixius salvebit a me officiose et accurate; item Beraldus et Tusanus. Quid etiam? quid ad haec? Nam vereor ne in epistula toties in manus resumpta desit aliquid quod non esse adscriptum doleam. Nihil occurrit, adsit tibi Christus.

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correspondance de Budé et Vives

3-4. Caesarem ... Bononiam: Charles Quint quitta Vienne le 13 novembre 1532; après avoir rendu visite au duc de Mantoue, il se mit en route pour Bologne, où il séjourna jusqu’au 28 février. 5. illum cum Pontifice congredi: à Bologne Charles Quint rencontra le pape Clément VII. 7. De concilio: l’empereur discuta avec le pape du problème d’un nouveau concile. 15. amicum tuum: est-ce le personnage désigné quelques lignes plus bas sous le nom de ‘Scaevola’? Dans ce cas il s’agirait d’un ami qui pourrait résoudre un problème probablement d’ordre juridique. Plusieurs membres de cette famille romaine étaient célèbres en raison de leur expertise juridique, comme par ex. Q. Cervidius Scaevola, le maître de Papinianus; Q. Mucius Scaevola, loué par son élève Cicéron; ou encore le célèbre jurisconsulte P. Mucius Scaevola. 22. Cranaveldio nostro: François Cranevelt (1485-1564), naquit à Nimègue. En 1515 il fut nommé pensionnaire de la ville de Bruges et vécut dans cette ville jusqu’en 1522, quand Charles Quint le nomma conseiller du Parlement de Malines, la Cour suprême des Pays-Bas jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. À son sujet, voir C, passim, et la notice de C.C. van Leijenhorst in CE I, 354-355. Uxori tuae: Budé avait épousé Roberte Le Lieur; voir ci-dessus, ep. 1, § 16. P. Brixius: le nom correct de l’ami commun de Vives et de Budé était Germain de Brie (Brixius); à son propos, voir ep. 6, § 1 et ep. 7, § 6. L’emploi d’un prénom fictif pourrait être une autre indication que toute cette lettre est fictive. 23. Beraldus et Tusanus: deux autres amis de Budé. Sur Nicolas Bérauld, voir ep. 6, § 1; sur Jacques Toussain, voir ep. 1, § 12.

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APPENDICE L’éloge que fait Vives de Budé dans son Augustin, Cité de Dieu, II, 17

commentaire à

Ioannis Lodovici Vivis Valentini Commentarii ad Divi Aurelii Augu­ stini de Civitate Dei, II. Libri I-V. Curaverunt F. Georgius Pérez Durà - Iosephus M.a Estellés González (Valencia, 1992), pp. 206-207), corrigé d’après la première édition (Bâle, 1522), p. 53. Plura et exactissima Gulielmus Budaeus in annotationibus Pandectarum explicans illud a iuris consultis antea non satis intellectum: ‘Ius est ars aequi et boni.’ Quo viro Gallia acutiore ingenio, acriore iudicio, exactiore diligentia, maiore eruditione nullum unquam produxit; hac vero aetate nec Italia quidem. Nihil est usquam vel Graecorum, vel Latinorum scrip‑ torum, quod ille non evolverit, legerit, excusserit. Graeca et Latina iuxta et summe callet. Tam facile utraque lingua loquitur quam Gallica, quae est ei vernacula, haud scio an etiam facilius. De libro Graeco quae sunt scripta, leget Latine, de Latino Graece. Haec quae videmus tam elabo‑ rate, tam exculte ab eo conscripta, ex temporali sunt ei facultate parta. Facilius tum Graece scribit, tum Latine, quam etiam earum linguarum peritissimi intelligant. Nihil est tam reconditum, tam abstrusum in his linguis, quod non pervestigarit, adierit, inspexerit, et velut Cerberum e tenebris produxerit in lucem. Infinitae sunt seu vocum significationes, seu loquendi figurae ac proprietates, quas unius Budaei opera sciunt homines studiosi prioribus seculis ignoratas. Et haec quidem omnia tanta et tam admirabilia ipse per se sine magistro ullo perdidicit. Felix ac foecundum ingenium, quod in se uno invenit et doctorem et discipulum et docendi viam rationemque. Et cuius decimam partem alii sub magnis magistris vix discunt, ipse id totum a se magistro edoctus est. Nihil dixi de scientia iuris, quae per ipsum instaurari collapsa iam coepit; nihil de philosophia, cuius ipse in libris de Asse id specimen aedidit, quod aedere non potuit nisi homo, qui in omnium philosophorum libris assiduo versatus esset maximosque in eis progressus haberet. Accedit his omnibus, quod haud dubie caeteras res universas excellit, probitas tantae doctrinae congrua decensque, tam rara, tamque admira‑ bilis, ut sine caeteris ingenii dotibus monumentisque miraculum posset

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videri, ut eruditione, ita et probitate superiorem non habet. Qui in omni vita actibusque tam variis primas semper religioni partes attribuit. Qui vir coniugatus liberorum plenus, nunquam commodis ullis et rei familiaris incrementis transversus est actus, semper seque, suamque fortunam rexit et moderatus est; nec a fortuna quantum vis magna spe proposita, abripi sese permisit. Semper se ipsum habuit in sua potestate. Homo versatus in legationibus, in aula, inter principes viros nihil unquam gratiae dedit, nulli assentari in animum induxit; patrimonium nunquam auxit, quod a recto vel pilum latum deflectere non sustinuit, in se ipsum acrior quam in alios iudex. Muneribus invidiosissimis functus, non invenit a quo labecula spargeretur ulla vel suspitione criminis quamlibet levi perstrin‑ geretur etiam in libera gente, nec omnino muta et satis suspicaci. Sentio me modum destinatae brevitatis egressum, dum me loquendi de amico longe optimo dulcedo tenuit. Nunc ad institutum revertar.

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INDICES Le chiffre romain indique la lettre, le chiffre arabe le paragraphe. Un chiffre romain suivi de intr. renvoie à l’introduction précédant cette lettre; un c ajouté après le paragraphe renvoie au commentaire; le signe +c indique un nom qui se rencontre tant dans le texte latin que dans le commentaire. Les noms de Guillaume Budé, de Dieu / Christ et de Juan Luis Vives n’ont pas été repris. Index Fontium Aegidius Romanus (Gilles de Rome) De ecclesiastica potestate, 3, 12: VI, 8c Anselmus De similitudinibus, cap. 165: IV, 5c Aristoteles De interpretatione, cap. 2: V, 9c Catullus 14, 3: VII, 9c Cicero Ac. 2, 108: II, 7c Brut. 244: VI, 10c de orat. 1, 3, 12: VI, 10c de orat. 2, 24: IV, 6c fam. 13, 11, 1: III, 7c Flacc. 74: I, 5c nat. 1, 102: IV, 6c nat. 3, 93: IV, 6c Verr. 2, 1, 147: I, 9c Verr. 6, 167: IV, 4c

119: IV, 13c 229: I, 11c 370: II, 12c 399: VI, 12c 400: VI, 12c 904: VI, 10c 945: I, 21c 1030: IV, 5c 1194: VII, 9c 1267: VII, 2c 2596: VI, 10c Adagiorum Collectanea 240: VI, 10c Gaius Instituta, II, 196: VI, 8c. Gellius 1, 7: IV, 4c 13, 14, 6: IV, 12c 16, 10: III, 7c 17, 15: IV, 11c

Demosthenes De pace 5, 1: V, 8c De pace 5, 3: V, 8c

Horatius ars, 300: IV, 11c epist. 1, 1, 2: II, 7c epist. 1, 1, 8: IX, 4c

Erasmus Adagia 1: VI, 13c 111: IV, 13c

Livius 1, 25, 5: II, 12c 1, 42-43: III, 7c 9, 1-6: IX, 5c

152 Indices Lysias Orat. 21, 12: V, 8c

Seneca epist. 82, 3: IX, 3c

Persius 1, 106: VI, 10c 4, 16: IV, 11c

Suetonius Tib. 34: VI, 8c

Plato Charmides, 165a: VI, 6c

Terentius Phorm., 418-419: II, 12c Phorm., 780: VI, 12c

Plautus Epid. 183: VI, 13c Pseud. 260: II, 12c Pseud. 760-61: VI, 13c

Vergilius Aen. 12, 876: IV, 12c ecl. 2, 25-27: VII, 12c

Plutarchus Moralia 147C: I, 12c; 467C: I, 12c Quintilianus inst. 10, 1, 108-109: VI, 10c; 12, 1, 1: VI, 3c

Vulgata Eph. 5, 22-6, 4: IX, 7c Col. 3, 18-21: IX, 7c Luc. 19, 12-27: IX, 7c Matth. 25, 14-30: IX, 7c prov. 17, 18: VI, 6c sap. 11, 20 (21): VI, 8c.



Indices153

Index Nominum Alciatus (Alziatus), Andreas / Alciat, André: VI, intr., 9+c

Chansonnette, Claude: IV, 11c; VII, 1c

Alcmene / Alcmène: II, 6c

Charles Quint (Charles de Habsbourg): I, 12c; VIII, 5c; X, 1+c, 5c

Alexander Magnus: VI, 9c

Charmides: VI, 6c

Alexis: VII, 12c Amerbach, Boniface: IV, 11c

Cicero, M. Tullius / Cicéron: IV, 6+c; VI, 10c; VII, 9c; X, 3c

Antigonus: VI, 9c

Clemens VII / Clément VII: X, 1c

Apollo: I, 12c

Corydon: VII, 12c

Aquinas / d’Aquin, Thomas: VI, 8c

Cratinus: VI, 6c

Archytas: IV, 3+c

Cranaveldius, Franciscus / Cranevelt, François: X, 5+c

Aristarchus: VII, 12+c Aristophanes / Aristophane: VI, 6c Aristoteles / Aristote: I, 21c; III, 7c; IV, 13; V, intr., 8c, 9+c, 10+c Augustus / Auguste (empereur): III, 6c Augustin (st.): V, 6c; VI, 8c Averruncus: I, 12c Bade, Josse: III, 4c; VII, 1c, 13c Barker, Anthony: VIII, 6c Beer, Louis: VIII, 6c Beraldus, Nicolaus / Bérauld, Nicolas: VI, 1+c; X, 5+c Brixius, Germanus / de Brie, Germain: VI, intr., 1+c; VII, intr., 6c, 8c; X, 5c

Croÿ, Guillaume de: IV, 11c Demosthenes / Démosthène: V, intr., 8c; VI, 10c Diogenes Laertius / Diogène Laerce: I, 21c Epicurus: IV, 6+c Erasmus, Desiderius / Érasme: I, intr., 1+c, 2, 9c, 10+c, 12c, 16c, 21c, 24+c, 25c; II, intr., 6, 13+c; III, intr., 3c, 7, 8c, 12; IV, intr., 5c, 10, 11+c, 13+c; V, intr., 6+c, 10+c; VI, intr., 5c, 14+c; VII, intr., 2+c, 3+c, 7, 8c, 9, 12+c, 14+c; VIII, 6c,

Brixius, P.: X, 5+c

Estienne, Robert: V, 8c

Budé, Dreux (grand-père): III, 8c Dreux (frère): VII, 1c Louis (frère): I, 16c; III, 8c

Euthymia: I, 11c

Cantiuncula: v. Chansonnette

Eurystheus: II, 6+c

Fort, Juan: VIII, 2c

Cato, M. Porcius: IV, 13; VI, 3c

François Ier: I, 12c; VII, intr., 12c; VIII, 5c; IX, 8

Ceratinus, Jacobus: I, 1c

Froben, Jean: IV, 13c

154 Indices Galenus / Galien: I, 21c Glareanus, Henricus: I, 1c Glaucon: VII, 12c

Morus / More, Thomas: I, 16c; VI, 5c; VII, intr., 1c, 6c, 9c, 12c Musa / Muse: I, 8

Gouffier, Artus: I, 12c Gourmontius, Aegidius / Gilles de Gourmont: II, 13+c

Papinianus: X, 3c

Henri VIII: VII, 12c

Philologia / Philologie: I, 4, 8, 14, 16; II, 3; III, 10, 12; IV, 9; VI, 13; IX, 3

Hera / Héra: II, 6c Hercules / Héraclès: I, 12c; II, 6c, 7c; IV, 8+c Herman, Haio (Hermannus Phrysius, Humpius): II, 13+c; IV, intr., 17+c; V, intr., 7+c; VI, intr., 1+c, 2 Hillen, Michel: V, 7c; VII, 12c; VIII, intr.,7c Homère / Homerus: I, 11c

Paulus (apostolus): IX, 6

Philon: V, 9+c Plato / Platon: I, 21c; IV, 3+c; VI, 6c; VI, 10c Plutarchus / Plutarque: I, 12c, 21c; III, 4c Plutus: I, 10+c Pomponius, Sextus: IV, 11c Poncher, Etienne: I, 12c

Humpius, Hermannus: v. Herman, Haio

Pontius Herennius (pater): IX, 5+c

Isocrates / Isocrate: VI, 10c

Providentia / Providence: IX, 5

Iuppiter /Jupiter: I, 12c; II, 5+c; IV, 2+c; VII, 12c

Pontius Herennius, Gaius: IX, 5c

Ruellius Johannes / Ruel, Jean: VIII, 4+c

Lascaris, Jean: II, 5c; III, 3c Le Lieur, Roberte: I, 16c; IX, intr., 6+c, 8; X, 5+c Linacre, Thomas: VII, intr., 14+c Longolius, Christophorus / Christophe de Longueil: IV, 13c; VI, 9c; VII, 1c

Salmon Macrin, Jean: II, 12c Salomon: VI, 6 Scaevola, P. Mucius: X, 3+c Scaevola, Quintus Cervidius: X, 3+c

Louis XII: VII, 14c

Scaevola, Quintus Mucius: X, 3+c

Louise de Savoie: VIII, 5c

Schottus, Andreas: I, 9c

Lucianus / Lucien: II, 5c

Senant, Olivier: III, 4c

Lysias: V, 8+c

Servius Tullius: III, 7c Sestius, Publius: VII, 9c

Maine, Guillaume du: VII, 12c

Siren / Sirène: I, 12

Marck, Érard de la: VII, 14c

Socrates / Socrate: VI, 6c; VII, 12c

Marguerite d’Autriche: VIII, 5c

Solomon: VI, 6

Momus: VII, 12+c

Solon: III, 7c



Indices155

Thibault, Jean: VII, 14c

Valdaura, Bernardo: VIII, 2c

Thomas Aquinas / d’Aquin: VI, 8c

Valdaura, Marguerite: VIII, 2c, 6c

Tiberius / Tibère: VI, 8c

Valdaura, Nicola(u)s (fils de Bernardo): VIII, intr., 2+c, 5, 6c, 7

Tonstallus: v. Tunstall Toussain / Tus(s)anus, Jacques: I, 12c, 23c, 25c; III, 7c, 12c; V, 3-6c, 7c, 8c, 9c; VI, 6c, 9c, 13c, 14c, 15c; VII, intr., 2c, 4c, 6c, 8c, 11c, 13+c, 14c; X, 5+c Tudor, Mary: VII, 14c

Valldaura, Gabriel: VIII, 2c Valldaura, Nicolas (fils de Gabriel): VIII, 2c Vatinius, Publius: VII, 9c

Tunstall, Cuthbert: VI, intr., 5+c Zasius, Ulrich: IV, intr., 11c Utenhove, Charles: VIII, 6c

Zeus: v. Iuppiter

10. G. Budaei ... epistolarum Latinarum lib. V ... Graecarum item lib. I. ... (Paris: J. Bade, 1531): page de titre

LISTE DES ILLUSTRATIONS

1. Portrait de Vives (gravure par Philippe Galle, ca. 1567) 2. Philologicarum epistolarum centuria una ...ex Bibliotheca Melchioris Haiminsfeldii Goldasti… (Leipzig, 1674): page de titre 3. Epistolae Gulielmi Budaei Regii Secretarii (Paris: Josse Bade, 20 août 1520, première édition, 2me tirage): page de titre 4. Colophon de la première édition des Epistolae Gulielmi Budaei Regii Secretarii (Paris: Josse Bade, 20 août 1520) 5. Gulielmi Budaei, Regii Secretarii epistolae (Bâle: A. Cratander, 1521): page de titre 6. Lettre originale de Vives, conservé à la Staats- und Universitäts­ bibliothek de Brême, ms. a 0008 7. Lettre originale de Budé, conservée à la Biblioteca Nacional de Madrid, ms. 5785 8. Epistolae Gullielmi Budaei, Secretarii Regii, Posteriores (Paris: J. Bade, 1522): page de titre 9. Ioannis Ludovici Vivis Valentini Epistolarum, quae hactenus desidera­ bantur, Farrago ... (Anvers: Guillaume Simon, 1556), ff. 40v-41r 10. G. Budaei ... epistolarum Latinarum lib. V ... Graecarum item lib. I.... (Paris: J. Bade, 1531): page de titre

SUPPLEMENTA HUMANISTICA LOVANIENSIA 1. Iohannis Harmonii Marsi De rebus italicis deque triumpho Ludovici XII regis Francorum Tragoedia, ed. by G. Tournoy, 1978. 2. Charisterium H. De Vocht 1878-1978, ed. by J. IJsewijn & J. Roegiers, 1979. 3. Judocus J. C. A. Crabeels. Odae Iscanae. Schuttersfeest te Overijse (1781), ed. by J. IJsewijn, G. Vande Putte & R. Denayer, 1981. 4. Erasmiana Lovaniensia. Cataloog van de tentoonstelling, Universiteitsbiblio­ theek Leuven, november 1986. Ed by C. Coppens, J. IJsewijn, J. Roegiers, G. Tournoy, 1986. 5. Jozef IJsewijn, Companion to Neo-Latin Studies. Part I: History and Diffusion of Neo-Latin Literature, 1990. 6. Petrus Bloccius, Praecepta formandis puerorum moribus perutilia. Inleiding, Tekst en Vertaling van A. M. Coebergh-Van den Braak, 1991. 7. Pegasus Devocatus. Studia in Honorem C. Arri Nuri sive Harry C. Schnur. Accessere selecta eiusdem opuscula inedita. Cura et opera Gilberti Tournoy et Theodorici Sacré, 1992. 8. Vives te Leuven. Catalogus van de tentoonstelling in de Centrale Bibliotheek, 28 juni-20 augustus 1993. Ed. by G. Tournoy, J. Roegiers, C. Coppens, 1993. 9. Phineas Fletcher, Locustae vel Pietas Iesuitica. Edited With Introduction, Translation and Commentary by Estelle Haan, 1996. 10. The Works of Engelbertus Schut Leydensis (ca. 1420-1503). Ed. by A. M. Coebergh van den Braak in co-operation with Dr. E. Rummel, 1997. 11. Morus ad Craneveldium: Litterae Balduinianae novae. More to Cranevelt. New Baudouin Letters. Ed. by Hubertus Schulte Herbrüggen, 1997. 12. Ut granum sinapis. Essays on Neo-Latin Literature in Honour of Jozef IJsewijn. Ed. by Gilbert Tournoy and Dirk Sacré, 1997. 13. Lipsius en Leuven. Catalogus van de tentoonstelling in de Centrale Bibliotheek te Leuven, 18 september-17 oktober 1997. Ed. by G. Tournoy, J. Papy, J. De Landts­ heer, 1997. 14. Jozef IJsewijn, with Dirk Sacré, Companion to Neo-Latin Studies. Part II: Liter­ ary, Linguistic, Philological and Editorial Questions, 1998. 15. Iustus Lipsius, Europae lumen et columen. Proceedings of the International Col­ loquium Leuven 17-19 September 1997. Ed. by G. Tournoy, J. De Landtsheer, J. Papy, 1999. 16. Myricae. Essays on Neo-Latin Literature in Memory of Jozef IJsewijn. Ed. by Dirk Sacré and Gilbert Tournoy, 2000. 17. Petrus Vladeraccus, Tobias (1598). Ed. with an introduction and commentary by Michiel Verweij, 2001. 18. Self-Presentation and Social Identification. The Rhetoric and Pragmatics of ­Letter Writing in Early Modern Times. Ed. by T. Van Houdt, J. Papy, G. Tournoy, C. Matheeussen, 2002. 19. Tuomo Pekkanen, Carmina Viatoris, 2005. 20. Die Marias von Cornelius Aurelius. Einleitung, Textausgabe und Anmerkungen von J.C. Bedaux, 2006. 21. Justus Lipsius (1547-1606).Een geleerde en zijn Europese netwerk. Ed. by J. De Landtsheer, D. Sacré, C. Coppens, 2006.

22. Iosephus Tusiani Neo-Eboracensis, In nobis caelum. Carmina Latina. Raccolta, edizione e traduzione in lingua italiana con aggiunta di Prefazione e di Indici di Emilio Bandiera, 2007. 23. «Cui dono lepidum novum libellum?». Dedicating Latin Works and Motets in the Sixteenth Century. Ed. by Ignace Bossuyt, Nele Gabriëls, Dirk Sacré & Demmy Verbeke, 2008. 24. Spanish Humanism on the Verge of the Picaresque: Juan Maldonado’s Ludus Chartarum, Pastor Bonus and Bacchanalia. Ed. with introd., trsl., and notes by Warren Smith & Clark Colahan, 2009. 25. The Neo-Latin Epigram. A Learned and Witty Genre. Ed. by Susanna de Beer, Karl A.E. Enenkel & David Rijser, 2009. 26. Syntagmatia. Essays on Neo-Latin Literature in Honour of Monique MundDopchie and Gilbert Tournoy. Ed. by Dirk Sacré & Jan Papy, 2009. 27. De Paus uit de Lage Landen Adrianus VI 1459-1523. Catalogus bij de tentoon­ stelling ter gelegenheid van het 550ste geboortejaar van Adriaan van Utrecht. Ed. by Michiel Verweij, 2009. 28. Ad fines Imperii Romani anno bismillesimo Cladis Varianae. Acta Conventus Academiae Latinitati Fovendae XII Ratisbonensis. Ed. by Jan-Wilhelm Beck, 2011. 29. Aline Smeesters, Aux Rives de la lumière. La poésie de la naissance chez les auteurs néo-latins des anciens Pays-Bas entre la fin du XV e siècle et le milieu du XVII e siècle, 2011. 30. Roger Green, Philip Burton, Deborah Ford, Scottish Latin Authors in Print up to 1700. A Short-Title List, 2012. 31. Terence O. Tunberg, De rationibus quibus homines docti artem Latine colloquen­ di et ex tempore dicendi saeculis XVI et XVII coluerunt, 2012. 32. The Early Modern Cultures of Neo-Latin Drama, Ed. by Philip Ford & Andrew Taylor, 2013. 33. Neo-Latin Commentaries and the Management of Knowledge in the Late Middle Ages and the Early Modern Period (1400 -1700), Ed. by Karl Enenkel & Henk Nellen, 2013. 34. The Art of Arguing in the World of Renaissance Humanism, Ed. by Marc Laureys & Roswitha Simons, 2013. 35. Neo-Latin Philology: Old Tradition, New Approaches. Proceedings of a Conference Held at the Radboud University, Nijmegen, 26-27 October 2010, Ed. by Marc van der Poel, 2014. 36. Andreae Alciati Contra Vitam Monasticam Epistula. Andrea Alciato’s Letter against Monastic Life, Critical Edition, Translation and Commentary by Denis L. Drysdall, 2014. 37. Jean van Havre (Joannes Havraeus), La Citadelle de la vertu ou la véritable tranquillité de l’âme. Arx virtutis sive de vera animi tranquillitate (1627). Introduction, traduction et notes de S. Mercier, 2014. 38. L a correspondance de Guillaume Budé et Juan Luis Vives. Introduction, édition critique et annotations par G. Tournoy, avant-propos et traduction française par M. Mund-Dopchie, 2015. For more information about the series, please contact [email protected] or visit our website www.lup.be