La constitution du texte des Regulae [Descartes Regulae ad directionem ingenii]

Descartes Regulae ad directionem ingenii

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La constitution du texte des Regulae [Descartes Regulae ad directionem ingenii]

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THOMAS J. BATA LIBRARY TRENT UNIVERSITY

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LA CONSTITUTION DU TEXTE DES REGUL/E

V

Jean-Paul

WEBER

Agrege de Philosophic Docteur es lettres Associate professor a City University of New York

LA CONSTITUTION

DU TEXTE

DES REGUL/E

SOCIETE

D’EDITION

D’ENSEIGNEMENT

_5, place de la Sorbonne — PARIS (5°)

SUPERIEUR -

• \'4-sV) en d’« appendice », a la fin des Regnlve, un « preambule » qui leur est, en fait, etranger ? La reponse est sans doute contenue dans Yhomologie strucuicde que nous avons relevee plus haut (75) entre IV-A et IV-B 1/ Th ,faC1 6 de Sa!Slr’ d’abord> Ia raison de cette homologie. La . c/bodu.s universelle de IV-A transpose, incontestablement, dans

r6^1'6 SUperieure’ le Pr°jet de la Mathesis univerr m m "» 1 est donc natureI qu’au moment de rediger la Begle IV-A, Methode MU-> Methode U-l

(76)

En definitive, la Methode P, posterieure a la scientia peniius nova, anterieure a la Mathesis universalis, serait congue, tres vraisemblablement, entre mai et octobre 1619; et le texte qui la propose serait iiresque certainement redige vers l’extreme debut du sejour dans le « poele », apres II (a), mais avant IV-B, done, fin octobre-debut novembre 1619. — Notons, au demeurant, ce que nous en apprend le P. Poisson lui-meme : « J’ai rencontre dans un Manuscrit, qu’il avait commence des les premieres annees qu’il s’appliqua serieusement a fetude »... Quand Descartes s’appliqua-t-il d’abord serieusement a Petude ? N’est-ce pas entre 1618 et 1620, lorsque l’impulsion donnee par Beeckman se traduisit bientot par une foule de decouvertes scientifiques et en meme temps de projets de Methode (77) ? — Ainsi tout semble suggerer une date oscillant autour de l’installation dans le celebre « poele », ou ont pu se cristalliser enfin et prendre forme des reflexions plus vieilles de quelques mois. Voila done notre texte authentique, date ; cela suffit, semblet-il, pour en faire un instrument de travail utile — voire indis¬ pensable. Nous avons dit plus haut (78) que, lorsque la Methode DM s’ecarte de la Methode U-l, elle se refere a la Methode P (dont nous venons de verifier que, eomme les Begles III et V, elle date du « commencement de l’hiver » de 1619-1620, au plus tard). La confrontation suivante va mettre ces nouvelles correspondances en pleine lumiere. — Nous imprimerons en petites capitales les preceptes entiers qui se correspondent de part et d’autre, les italiques faisant ressortir des analogies partielles entre DM et P. METHODE P «... il faut : 1. les connaitre (sc. les difficultes) distinctement en parti¬ cular ;

METHODE DM « Le premier etait de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse evidemment etre telle ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se presenterait si clairement et distincte-

(76) Cf. plus liaut, formule (13), p. 47. (77) Cf. egalement un autre texte de Poisson, (78) Cf. supra, p. 64.

cite plus haut, p.

65,

fin.

70

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TEXTE

DES

REGUL.E

ment a mon esprit, que n’eusse aucune occasion de mettre en doute (79).

je le

2. les depouiller de tout ce qui ne leur est point essentiel dans le sens auquel on les considere ; 3.

LES

DIVISER

REDUIRE EN

PETITES

(80)

ET

LES

PARTIES ;

Le second, de diviser chacune DES

DIFFICULTES

RAIS, QU’lL SERAIT

EN SE

AUTANT

QUE

j’EXAMINE-

DE

PARCELLES

POURRAIT,

REQUIS

POUR

ET

QU’lL

LES

MIEUX

RESOUDRE.

4. examiner avec attention chacune de ces parties, commen£ant par les plus simples ;

Le troisieme, de conduire par ordre mes pensees, en commencant par les objets les plus sim¬ ples et les plus aises a connaitre, pour monter peu a peu, comme par degres, jusques a la connaissance des plus compo¬ ses ; et supposant meme de l’ordre entre ceux qui ne se prece¬ dent point naturellement les uns les autres.

5. il faut rapporter toutes ces parties, en les eomparant les lines aux autres » —• precepte « difficile », « tant parce qu’on ne connait pas assez les termes qu’on doit comparer, qu’a cause qu’on a besoin d’un Moyen, qu’on appelle Medium dans I’Ecole qui n’est pas aise d trouver ».

Et le dernier, de faire partout (turn in quaerendis mediis, turn in difficultatum partibus percurrendis) des denombrements si entiers, et des revues si generales, que je fusse assure de ne rien omettre ».

(79) L analogie des i'ormules, assez frappante a premiere vue (comp. « connaltra » ( ) avec « que je ne... connusse » (DM), et cf. les deux « distinctement »), resiste mal au fait que 1 article de la Methode P concerne les « difflcultes », c’est-a-dire les enonces des problemes a resoudre, tandis que le precepte de la Methode DM intSresse les « choses , les termes de «jugements », bref les elements de leur solution (« parcelles », cc objets » diront les preceptes suivants ; cf. « parties » des difflcultes, art. 3, 4, 5 de la Methode P) — DM® 1 de a Mahode P constitue done, non Equivalent exact du premier precepte de DM, mais comme un pressentiment ou une ebauche de celui-ci. nr™!80*- R\dujre : 11 ne semble pas qu’il s’agisse ici d’une reduction analytioue d’une proposition k des propositions plus simples dont elle depend (cf. Regie V) • car Particle consid6re renfermerait alors deux preceptes tres differents (reduction a des’propositions

DATE DES RAGLES V, VI, VII

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Quelques mots de commentaire s’imposent. Rien a dire au sujet des preceptes 1 et 3 de la Methode DM, que Ton sait deja dependre strictement des Regies correspondantes (respectivement III et VI, celle-ci commentant la Regie V) de la Methode U-l (81), — sinon que les « articles » paralleles de la Methode P (respectivement 1 et 4) en renfermant, au plus, comme une ebauche lointaine (82). Mais le deuxieme precepte du Disconrs, etranger a U-l, correspond si parfaitement a l’article 3 de la Methode P (83) que cet article doit etre considere comme la source et le modele du precepte en question — source que nous cherchions vainement tout a l’heure (84). Et le texte latin du quatrieme precepte du Discours se refere indubitablement a la Methode P : la « recherche des moyens» (turn in quaerendis mediis) est a rapprocher du Commentaire de l’article 5 de la Methode P, lequel deplore que « le moyen » ne soit «pas aise a trouver», done implique et preconise la « recherche » de ce « Moyen » (85). Ainsi la preuve est faite que, lorsque le Discours ne reproduit pas textuellement, a peu de chose pres, les Regies de la Methode U-l (comme e’est le cas des preceptes 1 et 3), il decalque (deuxieme simples ; division en elements qui seront ensuite (art. 5) compares les uns aux autres), these difficilement recevable en raison de la simplicity et de l’univocite de tous les autres articles ; et, d’autre part, le proc6de capital de Vanalyse serait alors exprime par un seul mot dans un article qui ne lui serait meme pas consacre en entier ! — D’ailleurs, l’analyse de la R£gle V reduit, non aux « parties », mais aux « propositions », ce qui n’est pas du tout la meme chose. — Nous pensons done etre en presence d’une sorte de redondance («les r6duire »— e’est-a-dire « les diviser en petites parties »), comme dans le cas du pr4cepte 5 (« rapporter toutes ces parties » — ce que Von fera « en les comparant les unes aux autres »). II faut done rapprocher cette « division », non de l’analyse de la R6gle V, mais de la division de la R6gle XIII (432, 1/8). Cf. infra, pp. 152-153. (81) Cf. supra, pp. 63-64 et p. 62. (82) Voy. plus haut, p. 70, n. 79, pour la comparaison entre Particle 1 et le premier precepte. L’article 4 de la Methode P coincide, en gros, avec le d6but du troisiSme pr6cepte de la Methode DM (jusqu’a « et les plus aises k connaitre » — inclus ou exclu ? il n’importe guere). Mais le reste est sans repondant dans l’article 4. (83) En tenant compte de l’antecedent du pronom et de la note 80 de la page 70, Particle 3 de la Methode P pourrait se formuler ainsi : « diviser chacune des diflicult6s que j’examinerais en petites parties ». On retrouverait alors integralement le second precepte de DM, oh les mots : « autant de... qu’il se pourrait » et « qu’il serait requis pour les mieux resoudre » n’ajoutent rien de nouveau, mais se bornent k developper, de faijon assez redondante (ainsi que le notait dejd Leibniz) la recommandation contenue dans « diviser en petites parties » ou « parcelles » (Philos. Schriften, 6d. Gerh., IV, 329), (84) Cf. supra, p. 64. (85) On constate ainsi que la Methode DM peche deux fois contre l’intelligibilite : 1° par omission :1a regie de Vanalyse, necessaire pour 1 intelligence du troisieme precepte, manque ; et elle est remplacee par un precepte qui n’en constitue, au mieux, qu’un vague pressentiment (le deuxieme) ; 2° par commission : la regie de la recherche des moyens est invoquee, alors que rien ne la definit ni meme ne la suggOre : d’ou inintelligibilit6 du texte latin. Or ces fautes s’expliquent, toutes les deux, par une sorte d’ « attraction » exercee par la Methode P, attraction logiquement injustifiable, mais comprehensible psychologiquement. Cf. infra, pp. 74-75.

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precepte) ou presuppose (quatrieme precepte) certains « articles » de la Methode P. En d’autres termes, la Methode DM est une Me.'hode « synthetique», reposant conjointement sur deux Methodes distinctcs (Methode U-l et Methode P), ramassant en preceptes simultanes des regies tirees de deux Methodes successives (puisque P est anterieur a U-l) : l’infidelite partielle a chacune de celles-ci etant compensee en quelque sorte par une fidelite globale aux deux a la fois. Or, pour comprendre cette « infidele fidelite », nous pouvons choisir entre trois hypotheses. Ou hien entre P et U-l une autre Methode s’intercale au cours de la feconde reflexion methodologique d’octobre-novembre 1619 : et ce serait cette methode-la que le Discours s’efforcerait de schematiser. — Or, comme nous l’avons vu (86), une telle Methode intermediaire existe : c’est la Methode MU, la Mathematique universelle ; mais comme elle n’a rien d'une Methode universelle, on ne doit pas s’attendre que le Discours la mentionne ; et, de fait, il n’en souffle mot. Ou bien la Methode du Discours plaquerait sur des pre¬ ceptes datant authentiquement de l’installation dans le « poele » (87), d’autres regies, beaucoup plus recentes, et decouvertes, par exemple, en 1623, 1626 ou meme en 1628 (88). — Mais, dans ce cas, la Methode DM serait, non pas synthese, mais pur mensonge ; et meme double mensonge, puisque d’une part le Discours rapporterait alors a 1619 des regies tres posterieures ; puisque, d’autre part, il nous ferait croire a l’existence, a ce moment, d une Methode tres differente de celle ou de celles qui existent effectivement a cette date. Peut-on raisonnablement accuser Descar¬ tes d’un double anachronisme de cette taille ? On se rappelle les dis¬ cussions qui avaient suivi Particle memorable de G. Cantecor (89) : elles ont abouti, en fait, a constater l’inanite de son « hypercri¬ tique » de la Deuxieme partie du Discours. « Il faut distinguer ici, ecrit M. Gilson, entre la question de principe et la question de fait. En principe, toutes les illusions ou erreurs dont on parle peuvent avoir altere le recit de Descartes, mais rien ne nous permet d’affirmer a priori qu’elles l’aient effectivement altere. En fait, nous aurons a examiner dans chaque cas particulier s’il est possible de prendre Descartes en flagrant debt d’inexactitude... L’opinion que l’on peut se former sur l’historicite du Discours (86) Supra, p. 69 (formule 15). (87) C’est-a-dire le premier precepte (= Rfegle III) et le second (= article 3 de P), ainsi que quelques mots (latins) se rapportant au quatrieme (et impliquant le Commentaire de P). (88) C’est-a-dire, dans cette hypothese, les preceptes troisieme (= Reele VIi et quatrifeme ( = R6gle VII). 6 (89) La vocation de Descartes, Rev. philos., 1923, pp. 372-400.

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devra suivre l’explication idu texte et cn resulter, Pile ne peut la preceder » (90). Et il montre que, lorsqu’on prend la peine d’analyser minutieusement telle accusation precise de Cantecor, elle se reve'e sans objet (91). Le temoignage du Discours, par la resis¬ tance meme qu’il ofTre aux attaques qui le visent, acquiert ainsi un surcroit de valeur. — Mais dans le cas particulier qui nous occupe, a cette validite globale et a priori peut s’en superposer une autre, a posteriori. Quel peut etre ici le dessein de Descartes presentant au lecteur l’esquisse d’une Methode qu’il assure avoir ete inventee peu de temps apres le « commencement de l’hiver » 1619-1620 ? (92). Nous savons que son propos n’est pas d’« enseigner » la Methode (93). Et l’on se persuade aisement qu’il n’est meme pas de Vexposer d’une fagon systematique et complete, fut-ce schematiquement : les contemporains ne s’y sont pas trompes (94) ; et il faut avouer que si nous n’avions pas, en particulier, les Regies V et VI pour fonder et commenter le troisieme precepte, et la Regie VII pour expliquer le quatrieme, I’essentiel de la Methode DM nous aurait echappe irremediablement. L’intention du Discours n’est point didactique, ni dogmatique ; elle ne peut etre qu'historique : ce dont Descartes veut « parler », c’est moins de la Methode de 1619 que des circonstances de son apparition (95). Nous en voyons une preuve decisive dans les additions du texte latin. Celles-ci, au lieu d’apporter des clartes complementaires a l’expose de la Methode, y introduisent au contraire une ohscurite de plus (de quels media s’agit-il ? Pourquoi faut-il les qucerere ? Comment ? On chercherait en vain, dans le Discours, une reponse a ces problemes), et deineurent par consequent absurdes et mysterieuses dans la perspective didactico-dogmatique. Pourtant la ver¬ sion latine du Discours, non plus que le texte primitif, ne cherchc a egarer deliberement le lecteur ou a hrouiller les idees : Des¬ cartes sait de quoi il parle, puisqu’i! a le manuscrit des Regulae et des Olympiques a sa disposition, peut-etre sous les yeux ; Des¬ cartes ne veut pas obscurcir encore sa pensee, puisque l’original frangais est suffisamment equivoque du point de vue dogmatique pour que l’auteur prenne la peine de lui ajouter une enigme de plus ; et Descartes ne peut se proposer de mystifier le public (90) Commentaire du Discours de la Methode, p. 100. (91) Ibid., pp. 101, 130, 149 et 150. Cf., dans le meme sens, Sirven, op. cit., pp. 16-18. (92) AT. VI, 11, 6. (93) A Mersenne, mars 1637, AT. I, 349 : «je n’ai pas dessein de l’enseigner, mais seulement d’en parler ». •—- A (Vatier), (22 fevr. 1638) AT. I, 559 : « Mon dessein n’a point ete d’enseigner toute ma Methode dans le discours oh je la propose ». (94) Lipstorpius, Specimina philosophise cartesianse, 1653, p. 23 ; Clauberg, Defensio cartesiana adversus Jac. Revium... 1652, pp. 1-7, insistent sur le caractere « exoterique », « populaire » du Discours; cites in Gilson, op. cit., p. 79. (95) C’est ce que Descartes souligne lui-meme dans cette phrase categorique : « Ainsi mon dessein n’est pas d’enseigner ici la methode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j’ai tachd de conduire la mienne ». (Discours de la Methode, lre partie, AT. VI, 4, 7/10.)

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dont il va affronter le suffrage. Bien mieux : nous savons que les interpolations du texte latin rendent, en fait, la narration a la fois plus complete et plus precise, en fournissant des allusions a une phase genetique qui fait partie — rappelons-nous la date de la Methode P (96) — de la periode que relate precisement la Deuxieme partie du Discours. Mais nous le savons, parce que nous nous sommes places dans la perspective historique. On en conclura done que Interpolation en jeu s’assigne des buts, non structuraux, mais genetiques, qu’elle vise, non l’avenir objectif, la diffusion et la vulgarisation de la Methode cartesienne, mais son passe subjectif et secret (97). Ce qui indique que les lacunes apparentes (98) et l’apparente confusion de la Methode DM (99) dans sa version primitive (frangaise) doivent s’expliquer en meme fa^on. Mais, s’il en est ainsi, il est clair que notre « deuxieme hypothese » (100) devient inacceptable : le Discours ne peut avoir defi¬ gure profondement l’histoire des commencements de la Methode, — puisque le (texte latin s’en porte garant) cette histoire est l’unique justification (a titre d’« Idee » kantienne, il est vrai) de son recit. En sorte qu’il ne nous reste plus qu’une « troisieme hypothese », selon laquelle le schema historique du Discours n’est : — ni un decalque litteral d’une Methode arbitrairement choisie parmi d’autres de meme « phase » (101) ; — ni l’instauration d’une Methode « fantaisiste », faussement (au moins en partie) datee du sejour dans le « poele » ; -—- mais un resume ramasse, condense, synthetique (102) — et par la-meme souvent allusif — de plusieurs Methodes (103) qui se (96) Supra, p. 69. (97) C’est ce meme souci de plus grande exactitude historique — souci qui ne va pas jusqu’a la fidelite absolue — qui explique la substitution, par le texte latin, a : « en des lignes t (VI, 20, 16), de « in lineis rectis » (VI, 551), —- ce qui k la fois elimine l’idee totalement fausse de la geometrie analytique inventee des le sejour dans le «poele », et passe cependant sur ce fait que les Regulse elles-memes, dans un passage fort recent (et qui doit etre assigne, ainsi que nous le verrons plus loin, ch. XII, § 61, a l’annee 1628), parlent encore de rectangles en meme temps que de lignes droites (jouant peut-etre sur l’ambigu'ite des rectangles, composes eux-memes de lignes droites). (98) Nous pensons ici a l’absence de la regie de l’analyse [supra, p. 63), que remplace celle de la division. (99) Qui mele aux preceptes des U-l des regies appartenant en propre a P (supra, p. 69). (100) Cf. plus haut, p. 72. (101) Supra, p. 72. (102) Les conclusions de M. R. Lefevre, qui s’est livre de son cote a une minutieuse recherche concernant l’historicite du Discours dans La vocation de Descartes, corroborent entierement ces vues. Citons ces mots : « le Discours... condense, ordonne... » Descartes y « dit ce qu’il faut, comme il faut, puisqu’il ne faut pas tout dire... » Et surtout : « l’histoire devrait s’insinuer pour etablir des passages, marquer des oppositions, saisir et combler des aides, et montrer comme en relief un tableau trop aplani » (pp. 67-68). (103) Notre these ne sortira certes pas diminuee de cette remarque que, si le deu¬ xieme precepte du Discours et les mots in quserendis mediis (texte latin du 4e) se referent a la Methode P, les mots in difficultatum partibus percurrendis (ibid.) renvoient certai-

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succedent le long d’une meme periode (commencement de l’hiver 1619-1620). — La raison de l’« infidele fidelite » (104) dont nous avons parle plus haut n’est pas a chercher ailleurs. Et il s’ensuit que si la structure methodologique esquissee par le Discours de la Methode juxtapose des preceptes issus de phases genetiques difierentes, celles-ci sont assignables neanmoins — sous peine de rendre anhistorique un recit qui se veut exclusivement, sinon etroitement, historique — a une meme epoque, que le Discours definit comine etant le commencement des quartiers d’hiver 16191620. En d’autres termes, non seulement la Methode P, non seulement le precepte de Vevidence (Regie III) (105), — mais aussi bien le precepte de 1 ’analyse (Regies V et VI) et Venumeration au sens VII (a) et VII (b) (106) (Regie VII) sont decouverts vers cette epoque. Autrement dit encore, la conception de la Methode U-l tout entiere a lieu en cette fin 1619, l’evidence et sans doute l’analyse surgissant un peu avant le 10 novembre, l’enumeration suivant peut-etre a quelque intervalle la fameuse Nuit (107). La question serait seulement de savoir si de cette conception la redaction des Regies V. VI et VII est ou non contemporaine.

19. -

La redaction des Regles

V, VI

et

VII.

Nous savons deja que Descartes avait effectivement commence, des avant le 10 novembre 1619, a rediger des Regies correspondant a la Methode U-l : les Regies I, II (a + b), III (precepte de 1 ’intuition evidente) datent de cette periode (108), et rien ne permet de penser que Descartes se soit brusquement arrete apres avoir ecrit la Regie III : l’enthousiasme dont parlent les Olympiques et dont temoigne IV-A dut au contraire l’inciter a haler encore son tra¬ vail de composition. II est done hautement probable que des Regies repondant aux divers preceptes de la Methode U-l furent redigees immediatement apres la Nuit du 10 novembre 1619. Reste a savoir si ce sont ces textes-la que nous tenons dans nos Regies V, VI et VII, ou bien si celles-ci n’en representent pas nement a un passage de la Regie XIII (XIII-A2, separitim percurram... omnia simul suflicienti enumeratione complectar, 432, 5/8, comp, avec in quam minimas partes cum enumeratione dividenda, titre, 430, 9/10), plutot qu’a P. En eflet, comme on le montrera plus loin, ces textes des Regulse datent egalement du sejour dans le « poele » (phase U-2). (104) Supra, p. 72. (105) Cf. supra, p. 62. (106) La version frangaise du Discours fait allusion aux deux sens de l’enumeration : les mots « faire partout des denombrements si entiers », eclaires par le latin tam perfecte singula enumerarem ne peuvent guere se rapporter qu’a l’enumeration verificative, qui doit etre integrale et porter d’abord sur chaque element de la chaine (supra, pp. 50-51). En revanche, les mots « et des revues si generales », qui renferment une allusion aux « genres », conviennent fort bien a l’enumeration inquisitive de VII (b) (supra, pp. 52-54). (107) Cf. supra, p. 68. (108) Supra, p. 68.

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piutot quelque version posterieure, plus ou moins radicalcment modifiee. Mais plusieurs indices attestent que nous avons bien devant nous les textes originels, datant de 1619. 1°) D’abord, on comprendrait mal que Descartes eut modifie les Regies V, VI et VII tout en laissant dans leur etat primitif les Regies precedentes. Or, nous avons vu que Descartes avait bien remanie des textes anterieurs a la phase U-l — interpolation du du niveau II (b) dans la Regie II (a) ; exil de IV-B (109) — mais, en revanche, on ne trouve nulle trace de remaniements posterieurs a cette phase, alors merne que de telles retouches se seraient imposees — comme dans le cas de la Regie II qui offre, aujourd’hui encore, des contradictions patentes, ou de la Regie III, qui conteste un point fermement etabli par II (a + b) (110) et renverse la hierarchie des operations de l’esprit (111). 2°) Les Regies V et VI se targuent de rcnfermer « Ie plus haul point de l’industrie humaine » et « le principal secret de l’art » (112). Or, une autre Regie, posterieure en tout etat de cause — puisqu’elle divise deja le Traite en trois livres de dor.ze Regies chacun, alors que le debut des Reguhe ignore ces divisions compliquees (113) — affirme que toute la premiere partie de l’ouvrage ne comporte que des preceptes « preparatoires », destines seulement a « faciliter en quelque maniere l’usage de la raison » (114). II semble bien que, si Descartes avait reellement remanie les Regies V et VI, il se fut empresse de les mettre d’accord avec s,a doctrine ulterieure. 3°) Nous verrons bientot (115) qu’un texte de la Regie VIII — VIII-C — peut etre date de la fin de l’annee 1620. Or, ce texte est lui-meme incontestablement posterieur a certains elements de la Regie VIII (116), qui a leur tour presupposent « les sept Regies precedentes » (117). Cela prouve que, des avant la fin de 1629, le debut des Regulae comportait autant de Regies que le debut des Re guise actuelles. La Regie VI, en particulier, est l’objet d’une rtference precise (118). Mais e’est surtout relativement a Vexistence, des fin 1619, de la Regie VII actuelle que les preuves abondent : (109) (110) (111) (112) (113) (114) (115) (116) (117)

V. plus liaut, chap. II et I. Chap. II, et chap. Ill, pp. 34-35. Ibid.

379, 22 et 381, 8. Cf. infra, chap. VIII, § 31. 429, 314. Chap. XII, § 58. Infra, § 23, 393, 10.

(118) Comp. VIII-A, 392, 17 (gradum, serie) avec Regie VI, 383, 22 (gradibus) 25 (series). ’

DATE DES REGLES V, VI, VII

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La structure de la Regie VII, entranelant selon une loi d alternance rigoureusement observee des textes datant de deux moments differents de sa genese, n’a d’autre analogue, dans les Regular, que la structure de la Regie II (119) ; partout ailleurs, coniine nous le verrons, la structure des Regies a genese complexe est differente : alluvions successes dans la Regie VIII (120) ; super¬ position de textes avec interpolations dans les Regies XIV et surtout XII (121), superposition de textes avec inversion partielle de l’ordre chronologique dans la Regie XIII (122). — Cette analogie structurale entre les Regies II et VII montrerait deja qu’elles furent composees a des dates rapprochees. A 7 0n ne Peut guere comprendre la fusion, au sein d’une meme Regie, de deux preceptes fort differents — VII (a) et VII (b) - que comme une consequence de ce principe, enonce dans le Discours de la Methode, que « la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices » et qu’une Methode doit etre composee de « peu de preceptes » (123). Or ce principe, Descartes ne semble y avoir cru qu’au moment de concevoir la Methode U-l car, des apres 1620 (VIII-C) les preceptes de la Methode vont se multiplier au point que le projet definitif des Regulse en prevoit jusqu’a 36 (124). La Regie VII, dans son etat actuel, parait done bien etre contemporaine du projet initial de la Methode U-l (fin 1619). C. Le 4 point du Discours de la Methode (des sa version fran^aise) renvoie 'a un precepte de 1’enumeration, non point unix oque, mais double (125) ; c est done que la dualite de ce precepte est deja un fait accompli au moment oil le Discours situe la decouverte (done fin 1619). Dira-t-on alors que la Regie VII primitive, celle qui enterinait ce fait accompli, est perdue, que nous avons affaire a un texte plus recent, done plus elabore, plus ordonne ? Mais tout s’oppose a cette hypothese. Un texte ecrit a tele reposee, qui s’efforce d’ameliorer la presentation dame version jugee insuffisante eiit-il conserve le chasse-croise des passages relevant alternativement du sens verificatif et du sens inquisitif de remuneration ? Pourquoi n’avoir pas profite de cette occasion pour dedoubler la Regie, ou, du moins, pour grouper de fa§on coherente et systematique, les deux series de textes qui la composent ? (126). II semble bien, en realite, que la Regie VII que nous connaissons doive son (119) ^120) (121) (122) (123)

Comp. p. 55 (Regie VII) avec p. 31, form. (5) (Regie II). Cf. plus bas, pp. 93 (formule 23) et 101 (form. 24). Chap. X et VII, VIII, XI. Chap. IX et X. AT. VI, 18, 8/9 et 20, 26.

(124) D’apres XII-D, 428, 21 sqq [phase XII (B)] — cf. chap. VIII. — Voy. aussi Appendice D.

(125) Cf. supra, p. 62. (126) Voy. infra, Appendice D, p. 250 sq.

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desordre et sa confusion au fait que Descartes ne prit jamais la peine de la retoucher, et qu’elle nous conserve ainsi l’etat initial de la pensee cartesienne. Or, cette Regie VII, dont nous croyons avoir ainsi surabondamment prouve qu’elle suit de fort pres le processus d’elaboration d’un precepte de 1619, fait corps si intimement avec les deux Regies qui la precedent (127) qu’il est impossible, en fait, de les separer chronologiquement. — Plusieurs passages de la Regie VII, qu’on ne peut estimer interpoles, se referent, explicitement ou implicitement, a la Regie VI. Ainsi les mots « ces verites qui, nous Vauons dit plus haut, sont deduites des principes premiers et connus par eux-memes, mais non immediatement. Cela se fait en effet quelquefois par un long enchainement de consequences... » (128) (Regie VII) renvoient a : « Pour toutes les autres natures, elles ne peuvent etre autrement pergues qu’en les deduisant des premieres (sc. des natures « qu’on puisse voir par intuition de prime abord et en elles-memes »), et cela sait immediatement, soit par deux ou plusieurs conclusions differentes... Tel est partout Venchainement des consequences qui donne naissance a ces series d’objets de recherche... » (129). (Regie VI). — De meme, la phrase : « Et nous ajoutons que ce mouvement (de pensee) ne doit etre nulle part interrompu, car frequemment ceux qui essaient de faire quelque deduction trop rapide, en partant de principes eloignes, ne parcourent pas tout Venchainement des conclusions intermediaires avec un soin suffisant pour ne pas en omettre beaucoup inconsiderement » (130) (Regie VII), phrase qui veut justifier le precepte de l’enumeration « verificative » s’appuie sur cette constatation de la Regie VI : « Ces choses relatives s’eloignent d’autant plus des choses absolues qu’elles contiennent plus de rapports... subordonnes les uns aux autres. Notre regie nous avertit qu’il faut distinguer tous ces rap¬ ports et prendre garde a leur connexion mutuelle et a leur ordre naturel, de maniere qu’en partant du dernier nous puissions parvenir a ce qu’il y a de plus absolu par Vintermediate de tous les autres » (131), laquelle accuse implicitement le defaut meme (possibilite de manquer tel ou tel terme de la serie des consequences) que la Regie VII (a) chercbera a pallier. La Regie VII ne se comprend done qu’a la lumiere de difficultes surgies du sein de la Regie VI ; et, de plus, elle s’y refere explicitement (132). II n’en faut pas plus, semble-t-il, pour conclure a l’anteriorite de la Regie VI, dans sa redaction actuelle, par rapport (127) (128) (129) (130) (131) (132)

392, 1/2. 387, 15/18 [VII-A = VII (a)]. 383, 17/25. 388, 10/15 [VII-A = VII (a)]. 382, 9/16. Quas supra diximus (387, 15/16).

DATE DES RfiGLES V, VI, VII

79

a la Regie VII dans son etat le plus ancien (133). — Mais la Regie VI elle-meme n’est qu’un commentaire developpe de la Regie preeedente (Regie V). En effet, la Regie V se refere a la Regie VI en ces termes : « c’est a peine s’il est possible de prendre assez de pre¬ cautions pour ne pas s’egarer, a moins d’observer avec soin ce qui sera expose dans la proposition suivante» (134). Quant a celle-ci, les deux problemes essentiels dont elle traite sont ainsi definis par son titre : « distinguer les choses les plus simples de celles qui sont compliquees» (135), et « mettre de 1’ordre dans leur recher¬ che» (136). Or, le premier de ces problemes est pose par le titre meme de la Regie V : « Nous... resterons soigneusement fideles (a la Methode), si nous ramenons graduellement les propositions compli¬ quees et obscures a des propositions plus simples, et ensuite si, partant de l’intuition de celles qui sont les plus simples de toutes... » (137) ; et le second, par le texte de cette Regie, ou nous lisons : « beaucoup de gens... souvent examinent avec un tel defaut d’ordre les questions les plus difficiles... » (138), et : « comme sou¬ vent Vordre qu’on exige ici est tellement obscur et complique qu’il n’est pas au pouvoir de tous de reconnoitre quel il est... (a moins d’observer avec soin ce qui sera expose dans la proposition suivante ») (139). Et ainsi il apparait enfin que, si la Regie VII (a) est issue de la reflexion sur certaines apories de la Regie VI, celle-ci, pareillement, s’enracine en certaines difficultes de la Regie V, et ne se comprend qu’a partir d’elles. Ce qu’exprimera la « formule genetique » suivante : (16)

v -> VI

VII (a) -> VII (b)

Toutes sortes de raisons militent done en faveur de notre hypothese : certaines valables pour l’ensemble des Regies V, VI et VII ; d’autres visant particulierement la genese et la date de la Regie VII, dont on apergoit alors que les deux precedentes sont indissociables. Nous considererons done comme confirmee l’idee que nous avons tout a l’heure proposee a titre de conjecture : comme les Regies I a IV-A, les Regies V a VII furent redigees dans le « poele » ulmien de Descartes, les unes avant, les autres apres le 10 novembre 1619. Toutes ces Regies, se napportant a une meme Methode (ainsi que l’expose du Discours s’en porte garant), composees a une meme (133) Tous les passages qui contiennent des allusions precises k la R6gle VI sont tires de la Regie VII (a). Gf. ici, p. 78, n. 128 et 130. (134) 380, 20/22. (135) 381, 1. (136) 381, 1/2. (137) 379, 17/19. (138) 380, 2/5. (139) 380, 18/22.

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epoque, peuvent done etre reunies — au moins en premiere approx ximation (140) — en une Methode et en une « phase » unique : (17) Phase U-l = 1-* II(a + b)-> III-* IV-A-* V-* VI -* VII

Ainsi la totalite des textes formant les Regies I a VII, inclusivement, nous apparait desormais comme un « cahier de notes » consignant, au cours du sejour dans le «poele » a la fin de I’annee 1619, les decouvertes successives qu’y murit l’esprit du philosophc.

(140) Nous ne tarderons pas a voir, en effet, que la Regie VII ressortit en realite a deux « phases » legerement differentes, que nous noterons au moyen des sigles U-l et U-l'. En revanche, un passage de la Regie VIII devra etre insere dans la phase que nous avons appelee U-l. (Cf. infra, p. 90, form. 19 et 20.)

Chapitre

VI

LA REGLE VIII

SOMMAIRE. § 20. - DIVISIONS (82-86). — II faut distinguer VIII-T, VIII-A, VIII-B, VIII-C, VIII-D, VIII-E, les phases (A) et (B) (82). Independance relative de VIII-C par rapport a VIII-D (82-83). Autonomie relative de VIII-T/B par rapport a VIII-A (83-84). Autonomie de VIII-A par rapport a VIII-C et a VIII-D (84-86). Autonomie de VIII-T/B par rapport a VIII-C et a VIII-D (86). § 21. - VIII-T/VIII-B ANTPRIEUR d VII (b) (86-88). — Accord remarquable entre VIII-B et VII-B (86-87). VIII-B ne cite pas VII-B (87), alors qu’il connait les « sept regies precedentes (88). FOBMULE (18) (p. 88). § 22. - VIII-A APPROXIMATIVEMENT CONTEMPORAIN DE VII (b) (88-91). — VIII-A, qui connait l’enumeration « inquisitive», en gros contemporain de VII (b) (88-89). Raisons de l’insertion de VIII-A entre VIII-T et VIII-B (89-91). Phases U-l et U-l’ (89-91). FORMULES (19) et (20) (p. 90) ; (21) et (22) (p. 91). § 23. - VIII-C ET VIII-D (91-93). — VIII-C posterieur a VIII-T/B et a VIII-A (92) ; anterieur a VIII-D (92-93). FORMULE (23) (p. 93). § 23 bis - DATE DE VIII-C : annee 1621 (93-96). § 24. - VIII-E (97-108). — La « proposition suivante » de VIII-D ne renvoie pas a la Regie IX, mais a la Regie XII (97-98). Une reference a la Regie XII dans le meme texte (99). Difference de phase entre les deux references (99), qui definissent respectivement VIII-D et VIII-E (99-100). VIII-E plus recent que VIII-D (100-101). FORMULE (24) (p. 101). Limites de VIII-E a l’interieur de VIII-D (101-108). FORMULES (25) (phases) (p. 107), (26) (succession des textes) (p. 107), (27) (synthese des deux precedentes) (p. 107).

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20.

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- Divisions.

Nous adopterons, pour l’etude de la Regie VIII, le decoupage et les sigles suivants : VIII - T : le titre (392, 10/13). VIII - A : 392, 14 a 393, 2. VIII - B : 393, 3 a 393, 21. VIII - C : 393, 22 a 396, 25. VIII - D : 396, 26 a la fin de la Regie (mais en tenant compte du passage interpole — VIII-E). — Ce texte definira ce que nous appellerons ici la phase A [et, ulterieurement, la phase XII (A)]. VIII-E : ia 1’interieur de VIII-D, depuis denique ex compositis (399, 10) jusqu’au tertium librum integrum destinabus (399,21) inclusivement). — Ce texte definira ce que nous appellerons ici la phase B [et, ulterieurement, la phase XII (B) ]. On designera par VIII-T/VIII-B, ou encore par VIII-T/B, les deux morceaux VIII-T et VIII-B qui datent, ainsi que nous le montrerons plus loin, de la meine epoque {infra, pp. 83-84). Enhn, par Regie S (3), nous entendrons une ebauche de l’actuelle Regie XII, a laquelle VIII-D fait une allusion precise (infra p. 98 et Appendice K (p. 257). Ce decoupage, qui pent paraitre exagerement complique, est cependant justifie par les considerations suivantes : I. — Independance relative de VIII-C par rapport a. VIII-D. _ Ce point est sans doute le plus aise a etablir. En effet, dans le manuscrit de Hanovre, VIII-C est rejete tout entier en note a la fin de la Regie (1). Or, scrutant les raisons de ce rejet (2), Adam a montre que VIII-C renferme comme une esquisse imparfaite de VIII-D (3), que, par consequent, VIII-C peut etre estime une version primitive, une « premiere redaction » de VIII-D, et qu-i probahlement ne devait pas faire partie du texte definitif de la Regie VIII (4). A ces conclusions nous souscrirons d’autant plus volontiers qu’elles se trouvent renforcees et confir¬ mees par notre propre examen de la Regie IV : rappelons-nous, en ^ffct, que cette meme copie de Hanovre exile, de fa^on analogue une partie de la Regie IV (IV-B) a la fin du manuscrit, et que (1) Cf. AT. X, 393, apparat critique. (2) AT. X, 485/486. (3) Cf. la table des « repetitions ou redites », AT. X, 486. Cf. aussi infra, p. 92 sqq. (4) « N’en pourrait-on conjecturer que celle-ci (sc. notre VIII-C) n’est qu’une pre¬ miere redaction, sans doute abandonnee, et qui aurait ete rejetee a la fin, faisant place a une seconde redaction (notre VIII-D) plus complete ? » (ibid.).

LA

REGLE VIII

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1 independanee de IV-B se demontre facilement a partir de ce fait (5). VIII-C et VIII-D, tout comme IV-A et IV-B, peuvent done et doivent etre etudies separement, pour ce qui regarde leur date autant quie Leur doctrine. II. — Autonomie relative de VIII-T/VIII-B par rapport a VIII-A. — L’independance de l’ensemble forme par VIII-T et VIII-B, par rapport a VIII-A, ressortira des constatations suivantes, — Depuis « Cette regie decoule... » jusqu’a « le meme motif que la deuxieme regie» (6), \III-B se ref ere sans cesse au titre (« bien qu’ell-e paraisse settlement nous detourner de la recherche de certakies choses » renvoie a « s’abstenir d’un travail superflu » ; de meme : « elle n’ens eigne... qu’a ne pas perdre leur peine ») ’(7). Puis, a partir de : « Mais, a ceux qui connaitraient parfaitement...» jusqu’a : « au point de n’avoir plus rien a desirer » (8), VIII-B expose sa these centrale, toujours par reference a VIII-T : s’il faut, d’apres VIII-T, « s’arreter », « ne pas examiner ce qui suit » (9) le dernier objet « bien vu » « par intuition » (10), e’est que, dans cet arret meme, selon VIII-B, on aura atteint, « dans n’importe quelle science », le degre le plus haut de contentement, de telle sorte qu’on n’auira « plus rien a desirer » (11). Et pourquoi cela ? La suite de VIII-B, depuis : «Car, quiconque aura observe soigneusement» jusqu’a la fin (c’esLa-dire jusqu’a «qui pousserait plus loin la curiosite») (12), l’explique : « oblige par oette dermiere regie a s’airreter quelque part » (renvoi a VIII-T (13), le chercheur, par la-meme, « connaitra certainement » qu’ « 11 ne pourra point trouver la science qu’il cherche », en raison de la nature de la difficulte », « ou par sa condition d’homme » (14). Or, conclu¬ sion de tout ce passage, et en meme temps explication da precepte VIII-T ■—- « cette connaissance n’est pas une moindre science que celle qui decouvre la nature de la chose elle-meme » (15), et — nouvelle reference au titre —- « celui-la ne paraitrait pas avoir son bon sens qui pousserait plus loin la curiosite » (16). Ainsi, entre VIII-T et VIII-B, nulle divergence ; l’un commente (5) Cf. plus haut, pp. 6-7. (6) 393, 3/10. (7) Comp. 393, 6/9 avec VIII-T (a labore supervacuo est abstinendum). (8) 396, 10/13. (9) VIII-T (395, 11/12). (10) VIII-T : bene intueri (395, 11). (11) VIII-B (396, 11/13). (12) 393, 13/21. (13) VIII-B : 393, 14/15. Comp, avec VIII-T : ibi sistendum est (392, 11/12). (14) VIII-B : 393, 15/18. (15) VIII-B : 393, 18/20. (16) VIII-B : 393, 20/21. Comp, avec VIII-T : quod intellectus noster nequeat... et surtout avec : neque csetera quae sequuntur examinanda sunt, sed a labore supervacuo est abstinendum (392, 12/13).

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et prolonge l’autre, de telle sorte que, sans le resume de VIII-T, VIII-B serait presque inintelligible, et que, inversement, sans les explications de VIII-B, VIII-T demeurerait pour nous a peu pres lettre morte. En revanche, VIII-A est sans lien aucun avec le titre, qu’il va parf'ois jusqu’a contredire. Le debut de ce morceau veut deter¬ miner le but de la Regie VIII : celle-ci « montre », selon VIII-A, « dans quel cas il (sc. Vordre des trois Regies precedentes) est absolument necessaire, dans quel cas il est utile seulement » (17). Or, il est facile de se convaincre que ce projet ne correspond point a celui que definit VIII-T et que commente VIII-B : il n’est jamais question, dans ces derniers textes, d’ordre, de sa rigueur necessaire, ni de son possible affaiblissement. La fin que se propose VIII-A est done toute differente de celle que s’assigne VIII-T. — D’autre part, VIII-A affirme que « dans la serie qui sert a aller des choses relatives a un absolu, ou inversement » (18) — e’est-a-dire dans la « serie » des « objets de recherche » (Regie VI) (19) — « il est permis » « d’aller plus loin », meme si « nous ne connaissions pas nettement toutes choses» (20). Or, le titre annongait precisement le contraire : « dans la serie des objets a chercher » (21), « il faut s’arreter » des que l’entendement ne peut plus « voir par intuition » — e’est-a-dire connaitre — « assez bien » — e’est-a-dire nettement — quelqu’un de ses objets (22). Ainsi, le precepte qu’expose VIII-A non seulement differe de celui de VIII-T : il lui est diametralement oppose. — Il est done certain que VIII-A est bien independant, genetiquement, et de VIII-T, et de VIII-B, lequel se borne, ainsi qu’on l’a vu plus haut, a commenter le titre (23). HI. — Autonomie de VIII-A par ra,pport d VIII-C et a VIII-D. — On sait que VIII-C comp rend deux parties : (I) etude methodologique de la decouverte d’une courbe « qu’en Dioptrique on appelle anaclastique » (24), et (II) examen prealable de « toutes les verites a la connaissance desquelles suffit la raison humaine» (25). Or, dans cette deuxieme partie de VIII-C, le precepte de VIII-A (ne pas s’astreindre a observer l’ordre « strictement et (17) (18) (19) (20) (21)

VIII-A : 392, 15/16. VIII-A : 392, 17/19. 393, 24/25. Cf. 382, 3/6. VIII-A : 392, 2 ; 392, 23 - 393, 2. VIII-T : 392, 10.

(22) VIII-T : sistendum est ; satis bene intueri (392, 11/12). (23) Si Ton accepte l’independance respective de VIII-A et de VIII-B tenir pour interpole le mot Atque au debut de VIII-B (393, 3).

il faudra

(24) Depuis le debut de VIII-C jusqu’a ab illius evidenti cognitione possit impedire (395, 16). Cf. quam in Dioptricam anaclasticam vocant (393, 24). (25) Depuis : Sed demus omnium nobilissimum exemplum (395, 17) jusqu’a la fin de VIII-C. Cf. : examinare veritates omnes, ad quarum cognitionem humana ratio sufficiat (395, 18/19).

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rigoui eusement » en enumerant les differentes choses concernant « lc meme degre» ; mais aller plus loin, quancl meme nous n’en connaitrions qu’un petit nombre ou line seule (26) n’est jamais applique. Au contraire, tous les « degres » sont examines « avec rigueur » . « Apres avoir examine... en detail tout ce qui vient immediatement apres (le degre de) la connaissance de l’entendement pur, il enumerera dans le reste tous les aulres instruments de connaissance » (27) ; « il emploiera done tous ses soins a distinguer et d examiner ces trois moyens de connaitre » (28) ; « il enumeiera exactcment toutes les voies qui sont ouvertes aux homines vers la verite » (29) ; « elles ne sont pas en effet si nombreuses qu’il ne les trouve toutes facilement et par une enumeration suffisante» (30). — De meme, la premiere partie de VIII-C affirme que « si, des le second degre, il ne peut decouvrir la nature de 1 action de la lumiere, il enumerera, suivant la regie septieme [sc. VII (b) ], toutes les autres puissances naturelles... » (31). Mais peut-etre qu’en constatant rechec du mathematicien qui parce que le rapport des angles de refraction avec les angles d’incidence « regarde non la Mathematique mais la Physique » (32) — « sera force de s’arreter ici sur le seuil » (33) ; — et en enregistrant le succes de celui qui « suivant la premiere regie, desire chercher la verite en tout ce qu’il rencontre » (34) — ce qui fait qu’« il trouvera de plus que le rapport entre les angles d’inci¬ dence et les angles de refraction depend de leur changement, par suite de la diversite des milieux » (35), et appuiera sur cette decouverte tous les raisonnements ulterieurs — peut-etre done, qu’en constatant simultanement cet echec et ce succes, VIII-C ne fait pas autre chose que se referer a la « formule d’audace » de VIII-A : « il est permis cependant d’aller plus loin » ? (36) Nous ne le pensons pas. D’abord, au moment ou il s’agit de « passer outre », VIII D invoque expressement, non le debut de la Regie, mais la Regie I (37). Ensuite, on ne peut dire que ce « degre » qu’est le « rapport que gardent les angles de refraction avec les angles d’incidence» (38) soit un degre ou « nous ne oonnaissions pas nettement toutes choses, mais un petit nombre (26) (27) (28) (29) (30) (31) (32) (33) (34) (35) (36) (37) (38)

392, 395, 396, 396, 396, 395, 394, 394, 394, 394, 393, 394, 394,

22 - 393, 2. 25/28. 1/3. 7/8. 9/10. 6/9. 7. 7/8. 20/21. 22/24. 2. 20. 4/6.

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seulement» (39), etc., ainsi que l’exige VIII-A pour que per¬ mission soit donnee «d’aller plus loin ». En fait, de ce rapport, tant que nous demeurons sur le plan mathematique, nous ne savons rien, nous ne savons pas du tout ce qu’il peut etre, ainsi que le texte le demontre aussitot par une serie de raisonnements : cf. « il ne sera pas capable de rechercher minutieusement ce rapport » (40). Le passage a la Physique n’est clone pas appuye sur une connaissance incomplete des determinations purement mathematiques de ce rapport, rnais sur leur complete et deliberee ignoiance . ce qui suffit a marquer 1’opposition entre le procede preconise par VIII-A et celui qu’emploie effectivement VIII-C. Rien ne permet done d’affirmer que VIII-C tienne le moindre compte des conseils de VIII-A ; la technique de celui-ci seinble ignoree de celui-la, qui prefere, en toute occasion, se passer de cette « licence methodologique ». Or, ces memos conclusions valent egalement pour VIII-D qui, lui non plus1, n’utilise jamais la « formule d’audace » de VIII-A. II s ensuit que VIII-A est bien isole dans T ensemble de la Regie : il s’oppose a VIII-T/VIII-B : et il est etranger a tons les developpements de VIII-C et de VIII-D. Autonomie de VIII-T/VIII-B par rapport a VIII-C et a VIII-D. — Nous verrons bientot que VIII-B est anterieur au precepte denumeration au sens de VII (b) (41). Or VIII-C et VIII-D font tons deux grand usage de cette enumeration « inqui¬ sitive >> : on en deduira qu’ils sont posterieurs a l’invention de ce precepte, done posterieurs a VIII-T/VIII-B ; et, dans cette mesure, independants de ce dernier texte. 11 ne nous reste plus qu’a examiner le cas de VIII-E pour achever de justifier notre decoupage de la Regie VIII. Mats cet examen, qui ne releve que de confrontations avec VIII-D, exige a lm seul d’assez longs raisonnements, qu’il sera commode" de reserver pour la fin du chapitre (42). Au demeurant, la complexity - VIII-A—> VIII-C—>- VIII-D

(U-l)

(u-i)

(U-iQ

(U-1Q_ (84)

23 - bis.

— Date de

VIII-C.

Ici se pose un probleme important, celui de la date de VIII-C. Ce morceau est certainement posterienr aux phases U-l et U 1’, (77) VIII-C, 396, 7/8. (78) VIII-D, 398, 20 sqq. Cf. 399, 22/23. (79) VIII-C, 396, 1/3. (80) VIII-D, 398, 29 - 399, 3. (81) VIII-C, 396, 11/15. (82) VIII-D, 399, 3/4. (83) VIII-D, 398, 20 sqq. (84) Dans ces conditions, VIII-C et VIII-D se r6velent immediatement comme posterieurs aussi bien a la phase U-l qu’a la phase U-l’ (supra, p. 90). Ils defmissent respectivement, ainsi qu’on le yerra plus loin, deux phases et deux methodes bien diflerentes : U-3 (VIII-C) et A, ou XII (A) (VIII-D) (infra, pp. 107 ; 99 et 111).

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car il cite les Regies III (85), V, (86), VI (87) (phase U-l), la Regie VII (b) et renumeration « inquisitive » (88). II fut done redige posterieurement a la fin de 1619 (89). — Mais on peut preciser. VIII-C renferme une allusion transparente a la decouverte de l’« anaclastique », courbe « dans laquelle les rayons paralleles se refractent de telle sorte que tous, apres la refraction, aient un seul point d’intersection » (90). L’allusion est importante, car elle montre que la composition de VIII-C suit de fort pres la decouverte dont il s’agit : « Celle-ci (sc. l’anaclastique) a ete jusqu’ici en vain I’objet de beaucoup de recherches ; malgre cela, je ne vois pourtant rien qui puisse empecher quelqu’un, en se servant de notre methode, d’arrivev d la connaitre d’une maniere evidente » (91). C’est done, tres vraisemblablement, peu de temps apres la decouverte de l’anaclastique que notre morceau fut redige. Ainsi, une fois determinee la date de cette decouverte memorable, celle de la composition de VIII-C sera definie du meme coup avec assez de rigueur. Or, nous avons la chance de posseder sur ce probleme une etude, aussi solide que penetrante, de G. Milhaud (92). Ses conclu¬ sions, a partir d’un examen attentif du Journal de Beeckman comme de la Correspondance de Descartes, doivent etre retenues : ce n’est pas avant Vhiver 1620, ni apres la fin de Vannee 1626 que Descartes put avoir l’occasion de lire, pour la premiere fois, Kepler, de s initier ainsi aux theories de l’Optique et de s’attacher enfin a la solution du probleme de l’anaclastique (93). Et, declare Milhaud, il est fort possible que la premiere rencontre, et la plus decisive, de Descartes avec l’oeuvre keplerienne se soit produite lors de la bataille et de la prise de Prague — e’est-a-dire aux environs du 8 novembre 1620 (94). L’auteur allegue entre autres cboses une certaine note manuscrite de Descartes, en marge des Olympiques, qui associe a la date du 11 novembre 1620 le « fondement d’une inven¬ tion merveileuse » ; c est a cette date en effet que Descartes affirme avoir « commence a comprendre» ces fundamenta ; l’invention, selon Milhaud, serait celle des verres optiques, et le fondement, la theorie mathematique de l’anaclastique (95). — Il faut bien avouer que, de toutes les conjectures avancees par les erudits (85) 394, 10. (86) 394, 3 ; 395, 5/6. (87) 394, 3/4. (88) (89) (90) (91)

395, 8 ; Enumerations [sens VII (6)] : 395, 7 ; 395, 26/27 ; 396, 7 ; 396, 10. Date probable de la phase U-l’ (cf. supra, p. 91). 393, 24 - 394, 2. 395, 13/16.

(92) Ce que rappelait a Descartes la date du 11 novembre 1620, in Descartes savant. pp. 89-102. (93) Op. cit., p. 100. (94) Op. cit., pp. 100-102. (95) Ibid., p. 102.

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REGLE VIII

95

ielativement a cette note (96), la these de Milhaud est la seule exempte d arbitraire ; de sorte que la date du 11 novembre 1620 apparait bien comrae celle du debut (coepi intelligere) de la recher¬ che portant sur 1 anaclastique, et qui devait se terminer par la decouverte de celle-ci. On connait assez la rapidite avec laquelle Descartes repondait, generalement, aux defis que lui opposaient ses adversaires ou, plus simplement, ses propres investigations (97). Mais, d’autre part, la note manuscrite porte : « j’ai commence de comprendre », ce qui indique tout de meme une certaine epaisseur de duree. On peut done raisonnablement supposer que la decouverte de l’anaclastique, commencee le 11 novembre 1620, dut avoir lieu quelque temps apres cette date : disons, pour plus de securite, et sans preciser davantage, en 1621. Des lors, la redaction de VIII-C, de peu posterieure a la solution du probleme, doit se situer egalement vers 1621. Or, un autre ordre de considerations vient donner a cette date un indice de plausibilite fort eleve, — alors que deja lui donne de la consistance son accord avec nos precedentes deductions, qui nous avaient montre VIII-C posterieur au debut de 1620. — On sait que Baillet nous a conserve quelques fragments d’un opuscule de Descartes intitule Studium Bonse Mentis (98). La comparaison de cet opuscule avec VIII-C se revele fort instructive. Rappelons-nous que VIII-C presente, par rapport a la doctrine qui a fini par prevaloir dans les Regulse, cette particularite qu’il ne connait que trois facultes ou instruments de connaissance —- entendement, imagina¬ tion, sens — au lieu des quatre mentionnes dans VIII-D et ailleurs —- entendement, imagination, memoire, sens (99). La memoire est done absente de l’enumeration de VIII-C, et Descartes traduit ce dedain en distinguant « les connaissances qui remplissent ou ornent seulement la memoire » de « celles qui sont vraiment cause qu’un homme doive etre dit plus erudit » (100). On est frappe de voir que, des VIII-D et jusqu’a la phase la plus recente des Regulse, au lieu de cette doctrine qui deprecie la memoire et lui refuse le statut d’une « faculte » independante, on ne trouve plus au contraire que des textes affirmant l’autonomie et l’utilite pour la connaissance de la fonction mnemonique (101). II semble done que la theorie de rheteronomie et de l’inutilite meme de la memoire soit relativement ancienne, et qu’elle n’ait eu, dans la pensee de Descartes, qu’une existence ephemere. (96) Voir, sur celles-ci, R. Lefevre, La vocation de Descartes, p. 168, n. 2. (97) Cf. par exemple la lettre de Huygens 4 Descartes du 18 septembre 1637, laquelle Descartes r6pond par un petit traite de M6canique, d6s le 5 octobre de cette ann6e. (98) AT. X, 191-203. (99) Comp. VIII-C, 395, 28 - 396, 1 avec VIII-D, 398, 26/29. (100) 396, 11/14. (101) Cf. VIII-D (398, 26/29) ; XII-T (410, 18/19) ; XII-P (411, 6/7 et 7/9) ; XII(l)-5° (416, 7/9). Sur le sens des sigles, cf. chap. VII, p. 110.

96

LA

CONSTITUTION

DU

TEXTE

DES

REGULAR

Or, c’est precisement cette theorie-la que nous rencontrons dans le Studium Bouse Mentis : « II semblait douter que la Memoire fut distinguee de l’entendement et de l’imagination », note Baillet qui a sous les yeux le manuscrit latin (102). Citons encore cette phrase, resumant la doctrine de l’opuscule : « II ne croyait pas qu’elle (sc. la memoire) put s’etendre ou augmenter, mais seulement plus ou moins se remplir» (103) (en marge — il s’agit done, sans doute, d’une traduction litterale) (104). Et notons la presence, dans VIII-C, de l’expression bona mens (105), dont le contexte montre bien l’importance de cette notion a l’epoque ou Descartes redige ce fragment de la Regie VIII : qui serio student ad bonam mentem peruenire... (106). Resumons : la doctrine, singuliere somme toute chez Descar¬ tes, des trois facultes, celle de l’heteronomie de la fonction mnemonique ; l’idee d’une memoire capable seulement de se remplir ; l’importance du concept de bona mens — tout rapproche VIII-C du Studium Borne Mentis, tout indique vers un approximatif synchronisme de leur redaction. — Mais lorsqu’on cherche a preciser la date de la composition de ce dernier opuscule, on est amene, avec Adam, « >a ne pas trop l’eloigner... de 1621 : Descartes y fait mention, et c’est meme la seule fois qu’il en parle dans tous ses ecrits, de la Confrerie des Rose-Croix. Or il en avait entendu parler (puisque lui-meme assure qu’il n’etait pas entre directement en relations avec eux), peut etre l’ete de 1619, plus vraisemblablement l’annee 1620, lorsqu’il vit a Ulm le mathematicien Faulhaber (107). Le Studium bonse mentis, aurait done ete redige par Descartes, soit au cours de ses voyages, en 1620 ou 1621, soit en 1622 apres son retour » (108). — Au reste, Adam penche pour 1620-1621, puisqu’il classe 1’opuscule « parmi les ecrits de (la) premiere periode, 1619-1621 » (109). Ainsi, contemporain de la decouverte de l’anaclastique, VIII-C nous a paru devoir etre date de 1621 (ou de l’extreme fin de 1620) ; contemporain, grosso modo, du Studium Bonse Mentis, VIII-C doit etre, a nouveau, situe, comme ce dernier, vers 1620-1621. Des lors, le doute n’est plus guere permis : c’est — a quelques semaines ou mois pres — durant Vannee 1621 que Descartes redige VIII-C, et c’est done de cette annee que date approximativement la phase U-3 dont ce texte releve. (102) (103) (104) (105) (106) (107) (108) (109)

AT. X, 200. Ibid.

AT. 395, 395, Sur AT.

X, p. 200, 21. 21/22.

note

la rencontre de

X, 176-177. Ibid., p. 177.

a.

Descartes avec Faulhaber, cl', supra,

p.

17. n. 19

LA

REGLE

VIII

97

24. - VIII-E. Nous venons de distinguer (110), dans le texte traditionnel de la Regie VIII, les elements VIII-T/B, VIII-A, VIII-C, VIII-D, qui se suivent chronologiquement dans cet ordre. Mais il va falloir ajouter a cette serie un nouvel et dernier element, car, ainsi que nous croyons pouvoir le demontrer, le texte VIII-D renferme des additions posterieures a son etat initial. On lit, a la fin du quatrieme alinea de VIII-D (111), apres l’enonce d’un plan de recherches interessant les rapports entre l’entendement et les trois autres « facultes » : « Ainsi cette partie (sc. de la « question proposee») sera, par le moyen d’une enu¬ meration suffisante, soumise a la discussion, comme on le montrera dans la proposition snivante » (112). — La proposition suivante, dans l’etat actuel des Regulse, c’est la Regie IX. Or il suffit de comparer le «plan » de la « discussion » qu’annonce VIII-D au titre de la Regie IX, qui en resume fidelement le contenu, pour s’apercevoir qu’il n’y a pas entre eux un point commun : VIII-D

IX-T

« Il est done necessaire de voir par ordre en quoi chacune de ces facultes en particulier peut etre un obstacle, afin de nous en garder ; ou bien en quoi elle peut nous etre utile, afin d’en em¬ ployer toutes les ressources» (113).

« Il faut diriger toute la pene¬ tration de notre esprit sur ce qui est le moins considerable et le plus facile, et nous y arreter assez longtemps, jusqu’a ce que nous ayons pris l’habitude de voir la verite par intuition d’une maniere distincte et nette » (114).

Mais confrontons ce meme quatrieme alinea de VIII-D au titre de la Regie XII : VIII-D

XII-T

« Il est done necessaire de voir par ordre en quoi chacune de ces facultes en particulier peut etre un obstacle, afin de nous en

« Enfin, il faut se servir de tous les secours de Ventendement, de Vimagination, des sens et de la memoire... de telle sorte

(110) (111) (112) (113) (114)

Cf. supra, p. 93, formule (23). 398, 25 - 399, 4. VIII-D, 399, 2/4. 398, 29 - 399, 2. IX-T, 400, 13/15. 7

98

LA

CONSTITUTION

DU

garder; ou bien en quoi elle peut nous etre utile, afin d’en employer toutes les ressources ».

TEXTE

DES

REGULA2

que ne soit negligee aucune partie de Vindustrie humaine» (115) ;

— comparons, en outre, le contexte du passage tire de VIII-D avcc le debut de la Regie XII (116) : VIII-D

XU, debut

«Nous divisons d’abord tout ce qui la concerne (sc. la « ques¬ tion » de la nature et des limites de la connaissance humaine) en deux parties : car on doit le rapporter, soit a nous qui sommes capables de connaissance, soit aux choses elles-memes que Von peut connaitre ».

« Dans la connaissance, il n’y a que deux points a considerer, savoir : nous qui connaissons et les objets qui sont a connaitre ».

« Et certes, nous remarquons qu’en nous Ventendement seul est capable de science ; mais que trois autres faeultes peuvent Voi¬ der ou lui creer des empechements : ce sont Vimagination, les sens et la memoire » (117).

«Seul, certes, Ventendement est capable de percevoir la verite, toutefois il doit etre aide par Vimagination, les sens et la memoire » (118).

N’est-il pas clair que c’est bien au tit-re et au debut de la Regie XII, telle que nous la connaissons, que renvoie le quatrieme paragraphe de VIII-D, et non a la Regie IX ? Cela ne signifie pas, bien entendu, que la Regie XII tout entiere, celle qui figure dans le texte traditionnel des Regnlae, frit, a l’epoque de VIII-D, la « proposition suivante », c’est-a-dire la Regie IX. Mais, plus simplement, qu’au moment ou Descartes redige le passage que nous avons appele VIII-D, une autre Regie est deja ebauchee, ou s’ebauche dans son esprit, qui prefigure, au moins en gros, une partie du moins de notre Regie XII, et qui cependant devait occuper la place de l’actuelle Regie IX. Nous appellerons cette ebauche : Regie S (3) (« suivante » — sous sa troisieme forme (119).

(115) 410, 18/23. (116) Ce texte fait partie du passage qui sera designe plus tard par le sigle : XII-P. Cf. infra, p. 110. (117) 398, 21/24 ; 398, 26/29. (118) 411, 3/4 ; 411, 7/10. (119) Sur les autres « etats » de la Regie S, voy. infra, Appendice K.

LA

RfeGLE VIII

99

, Un Phase (A) -> Phase (B) ou U-3 designe la Methode de VIII-C [qui, ainsi qu’on le verra plus tard (173), prolonge les Methodes U-l et U-l’, et prepare celle de la phase (A) (174) ] ; (26) II(a)-> IV-B —> I-> 11(b)

III^IV-A^V->VI^VII(a)-

VIII-T/B^VII(b)^ VIII-A-+ VIII-C -^VIII-D^ VIII-E

qui svnthetise les conclusions resumees dans les formules (13), (19), (23) et (24) ; enfin : (27) P Phase SN Phase MU Phase U-l

Y

= H(a) = IV-B I, II (a +b), III, IV-A, V, VII (a), VIII-T/B

Phase U-l'

= VII (b), VIII-A ->

Phase U-3

: VIII-C ->

Phase (A)

= VIII-D —>

Phase (B)

VIII-E

(172) II est possible que notre VIII-E remplace quelques phrases qui, dans le VIII-D primitif, reliaient les deux parties de ce texte aujourd’hui separees par le texte relevant

de la phase (B). On ne peut savoir rien de precis sur le contenu eventuel du texte ainsi conjecture. (173) Infra, § 70. (174) Voir, pour cette formule (25), supra, les formules (13), (15), (22) et (23), et, pour les phases (A) et (B), pp. 99-100 et 110-111.

108

LA

CONSTITUTION

DU

TEXTE

DES

REGUL.E

qui dissocie dans les successions de la formule (26) les phases mentionnees dans la formule (25). Une discussion relative a la date des elements VIII-A, VIII-T/B, VIII-C s’avere des maintenant possible pour ces textes (mais non pour VIII-B et V1II-E, solidaires d’un ensemble de Regies que nous n’avons pas encore analysees). Cependant, il nous a paru preferable de reserver pour un chapitre special la solution des problemes de chronologie « absolue » que posent les Regies VIII a XXI (175). Nous passerons done directement a l’analyse genetique de l’essentiel de la Regie XII, analyse pour laquelle les discussions de ce chapitre se reveleront indispensables.

(175) Infra, chap. XII.

Chapitre

VII

LA REGLE XII : XII-(l), XII-(2) ET XII-(3)

SOMMAIRE. § 25. - DIVISIONS (110). —Principaux sigles relatifs a la Regie XII : XII-T, XII-R, XII-P, XII-(l), XII-(2), XII-(3), XII-Z, XII-D. Phases XII (A) (— phase A) et XII (B) (= phase B). § 26. - METHODE A SUIVRE DANS L’EX AMEN DE XII-{2) ET DE XH-(3) (110-111). — La conformite aux indications de VIII-D ou de VIII-E determinera, dans la Regie XII, deux « niveaux », respectivement XII (A) et XII (B) (110-111). Les hypotheses qui les concernent pourront etie verifiees par la coherence interne de chacun de ces niveaux, et par Pirreductibilite de Pun a l’autre (111). § 27. - DISCRIMINATION PREALABLE A PARTIR DE VIII-D ET VIII-E (111-116). L’examen des textes conduit a attribuer au niveau XII (A) les passages XII-(2)-l°, 2°, 5°, XII-(3)-2°, 3°, 4° ; au niveau XII (B) les passages XII-(2)-3°, 4°, 6°, 7°. Cas reserves : XII-(2)-0 et XlI-(3)-l° (111-116). § 28. - PREMIERE CONFIRMATION : HOMOGENE1TE DU NIVEAU XII (A) DANS XII-{2) ET XII-{3) (116-117). — Homogeneite des textes attribues au niveau XII (A) (116-117). Methode CNS (117). § 29. - DEUXIEME CONFIRMATION : IRREDUCTIBILITE DES TEX¬ TES XII (B) AUX TEXTES XII (A) (117-128). — La doctrine du niveau XII (B) (117-118). Cas de XII-(2)-6° et 7° (118-120). Cas des textes XII-(2)-3° et 4° (120-121). Incompatibilite de cette doctrine avec celle des textes XII (A) (121-128). Resume de la doctrine de XII (A) (d 128 n. 129). § 30. - CONSEQUENCES ET COMPLEMENTS : XII-{3)-l°, XII-(l) XII-(2)-0 (128-132). — XII-(3)-l° (128-129). XII (1) (129-131)/XII-(2)-0 (131). FORMULES (28) (topographie), (29) (phases XII (A) et XII (B), (30) (succession chronologique) (pp. 131-132).

110

LA

CONSTITUTION

DU

TEXTE

DES

REGUL^E

25. - Divisions.

Void les sigles relatifs a la Regie XII que nous emploierons par la suite : XII XII XII XII XII

- T : le titre (410, 18/23). - P : le preambule (410, 24 - 411, 16). - (1) : Premiere partie (411, 17 - 417, 15). - (2) : Deuxieme partie (417, 16 - 425, 6). - (3) : Conclusions (425, 7 - 428, 16). XII - (1) - 0 : introduction a la Premiere partie (411, 17 412,13). XII XII XII XII XII

-

(1) (1) (1) (1) (1)

XII XII XII XII XII XII XII XII

-

(2) (2) (2) (2) (2) (2) (2) (2)

XII XII XII XII XII - z XII - D

-

1° 2° 3° 4° 5° 0 1° 2° 3° 4° 5° 6° 7°

: : : : :

Premiere Premiere Premiere Premiere Premiere

partie, primo (412, 14 - 413, 20). partie, secundo (413, 21 - 414, 15). partie, tertio (414, 16/24). partie, quarto (414, 25 - 415, 12). partie, quinto (415,13 - 417,15).

: Deuxieme : Deuxieme : Deuxieme : Deuxieme : Deuxieme : Deuxieme : Deuxieme : Deuxieme

partie, introduction (417, 16/27). partie, primo (418, 1- 419, 5). partie, secundo (419, 6 - 420, 13). partie, tertio (425, 14 - 421, 2). partie, quarto (421, 3 - 422, 6). partie, quinto (422, 7/22). partie, sexto (422, 23 - 423, 30). partie, septimo (424,1 - 425,6).

(3) - 1" : Conclusions, primo (425, 7/19). (3) - 2° : Conclusions, secundo (425, 20 - 427, 2). (3) - 3° : Conclusions, tertio (427, 3/26). (3) - 4° : Conclusions, quarto (427, 27 - 428, 16). morceau interrompu (428, 17/20). plan du Traite (428, 21 - 430, 5).

XII (A) et XII (B) designeront respectivement les textes appartenant aux phases (A) et (B) discernees dans la Regie VIII (1). Le chapitre qu’on va lire, consacre a l’examen des elements XII-(l), XII-(2) et XII-(3) de la Regie XII, commencera par etablir le fait de la double redaction de XII-{2) et de XII-(3), pour en degager les implications ; puis viendra le tour de XII-(l).

26. -

Methode a suivre dans l’examen de

XII-(2)

et de

XII-(3).

Rappelons d’abord les resultats de notre enquete portant sur la fin de l’actuelle Regie VIII : un texte, VIII-E (phase B), est plaque sur le passage VIII-D (phase A) ; il lui est posterieur ; il annonce entre autres choses, comme appartenant a la « proposition dou(1) Voy. supra, p. 99.

la rLgle xii

:

xii

- (1), xii - (2)

et xii -

(3)

111

zi£me », une importante « demonstration qu’il ne peut y avoir d’erreur » que dans « les natures composees par l’entendement». Quant a VIII-D, ce passage ignore et la « proposition douzieme », et la « demonstration » en question (2). Cette derniere parait done bien etre une nouveaute caracterisant la phase B ; tandis que la phase A est definie par un programme de recherches dont VIII-D confie expressement la realisation a la « pro¬ position suivante » (done neuvieme), mais qui finira tout de meme par etre developpe dans TactiieUe Regie XII (3). Des lors, s’il y a dans la Regie XII que nous connaissons, et en particulier dans XII-(2) ou dans XII-(3), des elements contemporains, respectivement, de la phase A et de la phase B, nous les pourrons reconnaitre a ce que les premiers, se rattachant a VIII-D, dependront du plan que ce morceau esquisse ; tandis que les seconds offriront principalement la demonstration annoncee dans VIII-E, ou du moins l’impliqueront, totalement ou en partie. Ainsi une confrontation entre VIII-D et VIII-E dune part, et les textes de la Regie XII d’autre part, permettra de discriminer, dans la Regie XII, deux niveaux superposes, correspondant respectivement aux phases A et B de la Regie VIII, et qui seront designes par les sigles XII (A) et XII (B). Toutefois, il serait difficile d’estimer definitifs les conclusions d’une discrimination fondee exclusivement sur les resultats de l’analyse genetique de la Regie VIII. C’est pourquoi la dissociation operee selon les criteres qu’on vient de signaler ne sera consideree ici que comme hypothetique, exigeant des verifications ulterieures. Les confirmations de l’hypothese formulee a partir de la Regie VIII viendront de deux cotes : D’une part, nous tenterons de mettre en evidence I’homogeneite des textes que nous aurons attribues a la phase XII (A). D’autre part, nous chercherons a mettre en relief la coherence des passages attribues a la phase XII (B), et Yirreductibilite de leur doctrine a celle de la phase XII (A) (4). 27. -

Discrimination prealable a partir de

VIII-D

et

VIII-E.

Laissons de cote, provisoirement, XII-(2)-0 (5), et attaquonsnous directement au primo de la Deuxieme partie (XII-(2)-l°). XII-(2)-l°. — Ce texte est directement vise par le debut du passage que VIII-D (phase A) consacre a la deuxieme partie de son plan. (2) Cf. supra, pp. 97-108. (3) Cf. supra, pp. 97-99. (4) Bien entendu, par une sorte de choc en retour, la verification a posteriori des conjectures fondees initialement sur notre dissociation de VIII-D et de VIII-E constituera en meme temps une preuve indirecte de la validite de nos deductions portant sur les frontieres de VIII-E a Pinterieur de VIII-D. (5) Cf. infra, p. 131.

LA

112

CONSTITUTION

DU

TEXTE

DES

REGUL/E

VI1I-D enonce en effet : « II faut en venir ensuite aux choses m ernes et ne les envisager qu’autant que V entendement les atteint » (6).

Et XII-(2)-l° : « Nous disons done, en premier lieu, qu’il faut considerer chacune des choses en particulier, par rapport d notre connaissance, autrement que si nous en parlions comme existant reellement » (7) ; « par rapport d notre entendement » (8) ; « C’est pourquoi, ne traitant ici des choses qu autant qu elles sent percues par Ventendement » (9). XII-(2)-l° est done bien prevu, annonce par VIII-D, et appartient des lors a la couche XII (A) (plus ancienne) de la Regie XII actueile. XII-(2)-2° repond a la phrase suivante du plan VIII-D : comparons en effet : (VIII-D) : « Par mi les natures simples, il ne peut y avoir que des natures spirituelles, ou corporelles, on qui relevent des deux d la fois » (10), — avec : (XII-(2)-2° : « Nous disons, en second lieu, que les choses appelees simples par rapport a notre entendement sont purement intellectuelles, ou purement materielles, ou communes » (11). Ce passage, comme le precedent, releve done de la phase XII (A).

.

.

XlI-(2)-3°. — Ce developpement ne correspond a aucune indi¬

cation de VIII-D. En revanche, son argumentation constitue en quelque sorte l’envers de la formule centrale de VIII-E. Celle-ci affirmait qu’« il ne peut y avoir cVerreur que dans... les natures composees par l’entendement» (12) — tandis que, suivant XII-(2)-3° : « les natures simples... ne contiennent rien de faux » (13) ; et : « nous nous trompons si parfois nous jugeons que quelqu’une (des) natures simples ne nous est pas entierement connue » (14). Il est done raisonnable de penser que ce passage forme l’une des additions qu’annoncait VIII-E, et fait partie du niveau XII (B) de la Regie XII. XlI-(2)-V, qui pose des problemes delicats, sera etudie plus loin (15). (6) VIII-D, 399, 5/6. (7) XII-(2)-l°, 418, 1/3. (8) XII-(2)-l°, 418, 9. (9) XII-(2)-l°, 318, 13/14. (10) VIII-D, 399, 8/10. (11) XII-(2)-2°, 419, 6/8. (12) VIII-E, 399, 14/16. (13) XII-(2)-3°, 420, 14/15. (14) XII-(2)-3°, 420, 23/25. (15) Infra, p. 115.

LA REGLE XII

:

XII -

(1), XII - (2)

ET XII -

(3)

113

XII-(2)-5° affirme que « nous ne pouvons jamais rien comprendre en dehors de ces natures simples et de l’espece de melange ou composition qui existe entre elles » (16) ; mais ce passage n’aborde pas le probleme de l’erreur, fondamental selon VIII-E, lorsqu’on considere la composition des natures simples ; et il ne souffle mot des diverses especes de natures composees que reconnalt VIII-E (17). II est done prudent de supposer que XII-(2)-5°, qui parait ignorer les innovations de VIII-E, se re-fere au plan de VIII-D, et ressortit par consequent au niveau XII (A). XII-(2)-6°, au contraire, divise les « natures composees » en celles dont nous « experimentons » qu’elles le sont, et en cedes que nous « composons nous-memes » (18) ; e’est la classification meme de VIII-E : « parmi les natures simples, les unes sont a la verite experimentees comme telles par l’entendement..., tandis que les autres sont de sa propre composition » (19). Un peu plus loin, XII-(2)-6° montre que « fentendement ne peut jamais etre trornpe par aucune experience » intuitionnee precisement a condition qu’il ne lui ajoute pas quelque « jugement » inconsidere (20), et conclut « que nous pouvons seulement etre trompes en composant nous-memes en quelque maniere ce que nous croyons » (21). — Ces phrases reprennent egalement certains passa¬ ges de VIII-E : — sur les « natures composees » « experimentees comme telles par fentendement, avant qu’il ne les determine en rien par un jugement » (22) ; — et sur « la demonstration qu’il ne peut y avoir d’erreur » que dans les « natures composees par Ventendement » (23). II est hors de doute que XII-(2)-6°, etroitement lie a VIII-E, annonce en termes expres par VIII-E, ne doive etre attribue a la phase XII (B). XII-(2)-l°, enfm, apres avoir enumere les divers genres de cette « composition » par « nous-memes » dont parle XII-(2)-6° (24), affirme que « l’impulsion » et la « conjecture » sont le plus souvent « trompeuses » (25), et que la « deduction » meme, a moins d’y prendre garde, peut comporter « detres nombreux defauts » (26). II developpe done l’idee centrale de VIII-E sur l’erreur qui ne se (16) (17) (18) (19) (20) (21) (22) (23) (24) (25) (26)

XII-(2)-5°, 422, 7/9. Cf. VIII-E en entier, et supra, p. 106, n. 171. XII-(2)-6°, 422, 23/25. V II-E, 399, 10/13. XII-(2)-6°, 423, 1/7. XII-(2)-6°, 423, 28/30. Phrase citee supra, note 19. 399, 14/16. 424, 1 sqq. 424, 3/10. XII-(2)-7°, 424, 21 et 424, 27/425, 1. 3

114

LA

CONSTITUTION

DU

TEXTE

DES

REGUL/E

trouve que dans les natures composees par 1’entendement, et, tout comrne XII (2)-6° auquel il se rattache, il pent etre rapporte au niveau « recent » on XII (B). Passons maintenant aux Conclusions [XII-(3) ]. Nous reservons provisoirement la question de XlI-(3)-t°, qui ne peut etre resolue au moyen d’une confrontation entre les Regies VIII et XII (27). XII-(3)-2° ne renferme aucune allusion a la « demonstration sur l’erreur », ni a aucun autre passage de VIII-E. Mais il ofTre de grandes analogies avec XII-(2)-5°, dont nous savons deja qu’il appartient a la phase XII (A) : (XII-(2)-(5°) : « Et certes il est souvent plus facile » de « considerer cn meme temps plusieurs (natures simples) jointes ensem¬ ble que d’en separer une seule cles autres » (28). (XII-(3)-2°) : « on doit se clonnerde la peine, non pour connaitre ces natures simples, mais seulement pour les separer les lines des autres », et « ce n’est pas tout le monde qui separe avec la meme distinction (reference a la phrase precedente) la nature de la situation du reste du contenu de cette pensee » (29). On peut done, sans crainte de se tromper, affecter ce passage a la phase XII (A). XII-(3)-3°. — Ce passage, qui «conclut» que « toute la science humaine consiste uniquement a voir d’une maniere distincte comment ces natures simples concourent ensemble a la composition des autres choses » (30), en precisant que ce « melange » se fait par « deduction » (31), e’est-a-dire ressortit a l’entendement, ne parait meme pas soupgonner la « demonstration » dont parle VIII-E, et selon laquelle «les natures composees par l’entendement » sont le lieu privilegie de l’erreur. D’autre part, il est facile de constater que la phrase citee ne fait que reprendre et developper deux textes que nous avons situes au niveau XII (A) : (XII-(2)-2°) : « Grace a cette fagon de voir, nous pourrons dans la suite dire que tons les autres objets de connaissance sont composes de ces natures simples » (32) ; (XII-(2)-5°) : « nous ne pouvons jamais rien comprendre en dehors de ces natures simples et de l’espece de melange ou compo¬ sition qui existe entre elles » (33). Pour toutes ces raisons nous pouvons assigner XII-(3)-3° a la phase XII (A). (27) (28) (29) (30) (31) (32) (33)

Cf. infra, pp. 128-129. XII-(2)-5°, 422, 9/1 1. XII-(2)-2°, 425, 20/21 et 425, 25 - 426, 2. XII-(3)-3°, 427, 3/6. XII-(3)-3°, 427, 21/22. XII-(2)-2°, 420, 5/11. XII-(2)-5°, 422, 7/9.

LA REGLE XII

:

XII

-

(1), XII - (2)

ET XII

-

(3)

115

XII-(3)-4°. — Comme XII-(3)-3n, ce passage ignore le probleme central de V1II-E. Comme lui, il affirme que « les connaissances... ne consistent que dans line composition des choses connues par elles-memes » (34). Nous l’aft'ecterons done pareillement a la phase XII (A). L’examen preliminaire de XII-(2) et XII-> sont « de meme nature », et « ne consistent que dans une composition de choses connnes par elles-memes » (48), elles « ne doivent pas etre regardees comme plus obscures les unes que les autres » (49) : ce qui garantit l’universalite de la Methode ici exposee. Ainsi les textes que nous avons tout a l’heure reunis en une « couche » a part, en un « horizon» specifique, sur la foi de comparaisons avec VIII-D et VIII-E, se revelent egalement unis par l’elan qui les anime, et par l’homogeneite de leur doctrine. Celle-ci, nouvelle par rapport a tous les textes chronologiquement anterieurs (50), a une portee considerable, en depit de son apparente simplicity. Nous appellerons desormais cette Methode de « composition ou melange» de certaines « natures simples et connues par elles-memes » — que des exemples precis illustrent dans XII-(3)-3° — Methode CNS (« composition de natures sim¬ ples »,). Par cette rencontre, l’exactitude de nos analyses se trouve done verifiee. Mais il est permis, et il faut, aller plus loin, et montrer que les textes que nous avons isoles sous le nom de « niveau XII (B) » possedent pareillement une homogeneity et une specificite doctrinales, et que, de plus, la these qu’ils developpent se constitue en contradiction avec les termes memes de l’expose de la Methode CNS.

29. -

DEUXIEME CONFIRMATION AUX TEXTES

:

IRREDUCTIBILIT^ DES TEXTES

XII (B)

XII (A).

Meditons ces developpements qui nous ont paru « recents » — XII-(2)-3°, XII-(2)-4°, XII-(2)-6°, XIE(2)-7° [phase XII-(B) ]. Une doctrine importante et originale s’y decele, dont voici le resume. Il existe deux genres de « composition », qu’on pourrait appeler respectivement « neutre » ou « passive », et « active ». Dans la composition « neutre», l’esprit se borne a constater passivement la structure du reel sensible, ou du necessaire intelligible (51) ; dans la composition « active », le jugement s’ajoute a ce qui est (47) 427, 3/6. (48) 428, 1/2. (49) 427, 27/28. (50) Nous verrons cependant que la Methode de VIII-C (ou U-3) la prepare dans une certaine mesure. (51) XII-(2)-4°, 421, 11/15.

118

LA

CONSTITUTION

DU

TEXTE

DES

REGUL^E

ainsi apergu et « compose » avec lui line structure nouvelle (52). La verite est atteinte lorsque l’on a saisi passivement une struc¬ ture soit necessaire soit reelle (53). L’erreur resulte au contraire de l’intermission du jugement dans la structure apprehendee (54). Cette doctrine, les textes XII-(2)-6° et 7° [phase XII (B) ], qui, du reste, torment incontestablenrent un tout, en offrent d’abord un expose tres clair. « Nous disons, en sixieme lieu, que les natures appelees par nous composees nous sont connues, soit parce que nous experimentons ce qu’elles sont... » (55). Laissons de cote pour l’instant l’autre membre de la phrase : « soit parce que nous les composons nous-memes » (56). — Ainsi, nous « experimentons » des structures « composees ». — Que sont celles-ci ? — « Nous expe¬ rimentons tout ce que nous percevons par la sensation... » (57) : done, des structures sensibles ; — « et generalement tout ce qui parvient a notre entendement, soit d’ailleurs, soit d’une reflexion sur son etre propre (58) : done, des structures intelligibles ; — enfin « tout ce que nous apprenons des autres » (59) : structures sensibles encore, mais pourvues d’un sens intelligible, 1’equivalent de ce que Spinoza appellera « connaissance par oui-dire ». Toutes ces « structures » ou « compositions » sont saisies « pas¬ sivement », et par la sont exemptes d’erreur : « II faut noter a ce sujet que I’entendement ne peut jamais etre trompe par aucune experience, pourvu qu’il ait seulement l’intuition precise de la chose qui lui est presentee, selon qu’il la possede en lui-meme ou dans une image, et pourvu en outre qu’il ne juge pas que... » (60). Le texte porte certainement sur les structures sensibles, reelles. Porte-t-il egalement sur les structures necessaires, intelligibles ? II le semble bien (cf. : « il la possede en lui-meme ») (61). Mais, s’il reste un doute a ce sujet, il sera leve par XII-(2)-7° : nous pouvons, dit ce texte, eviter « l’erreur » dans la « deduction », et il suffit pour cela de se borner a recevoir passivement les « liaisons necessaires » entre les « choses » : « il a ete mis en notre pouvoir d’eviter cette erreur, a condition de ne lier jamais des choses entre dies sans voir par intuition que la liaison de 1’une avec l’autre est tout a fait necessaire » (62). (52) (53) (54) (55) (56) (57) (58) (59) (60) (61) (62)

XII-(2)-6°, 423, 23/27. Cf. infra, pp. 195-196. XII-(2)-6°, 423, 1/8. XII-(2)-6°, 23/25. Ibid., 422, 25. Ibid., 422, 25/26. Ibid., 422, 26 - 423, 1. Ibid., 422, 26. Ibid., 423, 1/4. Ibid., 423, 3. XII - (2) - 7 °, 424, 27 - 425, 3.

la r£gle xii : xii - (1), xii - (2) et xii - (3)

119

Mais d’autres «natures complexes » sont composees activement : au lieu de recevoir passivement le compose, l’esprit le tagonne — comment ? en faisant intervenir le jugement. — « Les natures appelees par nous composees nous sont connues, soit parce que nous experimentons ce qu’elles sont, soit parce que nous les composons nous-memes » (63). — « Nous composons nous-memes les objets que nous saisissons, chaque fois que nous crotons exister en eux quelque chose qu’aucune experience n’a tait percevoir a notre intelligence immediatement. Par ex., s’il arrive que l’icterique se persuade que les objets qu’il voit’sont jaunes, cette pensee qu’il a sera composee (1°) de ce que sa fantaisie lui represente et (2°) de la supposition (sc. du jugement) qu it fait lui-meme, savoir que la couleur jaune lui apparait, non par suite d un defaut de son ceil, mais parce que les objets qu’il voit sont reellement jaunes » (64). Or, si les structures passivement enregistrees sont toutes « vraies », l’intervention active du jugement est une source d’erleur. Souice d eireur dans les choses sensibles : « l’entendement ne, peut jamais etre trompe par aucune experience... pourvu... qu’il ne juge pas que l’imagination reproduit fidelement les objets des sens, ni que les sens revetent les veritables figures des choses, ni enfin ciue les choses exterieures sont telles qu’elles nous appal aissent... Mais il ny aura pas la de quoi tromper l’entendement du sage parce que, tout ce qu’il recevra de l’imagination sera certes juge (sc. passivement constate, ici) par lui comme vraiment peint en elle ; neanmoins il n affirmera jamais (sc. ne jugera jamais, au sens d une intervention active) que cela meme est passe en entier et sans aucun changement des choses exterieures aux sens et des sens a la fantaisie, a moins cl’en avoir auparavant la connaissance par quelque autre moyen » (65). -— (Cf. egalement, un peu plus loin : « La conclusion en est que nous pouvons seulement etre trompes en composant nous-memes (sc. activement) en quelque maniere ce que nous croyons » (66). _ Et source d’erreur aussi dans les choses intelligibles : la « deduction », explique XII(2)-7°, seule maniere de « composer les choses » qui garantisse leur verite, presente neanmoins « de tres nombreux defauts » (67) ; ceux-ci proviennent de « mauvaises liaisons » entre les « natures » (68). Et quand une « liaison » est-elle mauvaise ? Quand nous ne « voyons » pas « par intuition » qu’elle est « tout a fait necessaire » (69) -— c’est-a-dire quand, au lieu de constater (63) (64) (65) (66) (67) (68) (69)

XII-(2)-6°, XII-(2)-6°, XII-(2)-6°, Ibid., 423, XII-(2)-7°, Ibid., 424, Ibid., 424,

422, 23/25. 423, 20/27. 423, 1/20. 28/30. 424, 19/21. 24/25. 27 - 425, 3.

LA

120

CONSTITUTION

DU

TEXTE

DES

REGULvE

passivement une liaison et sa necessity, nous intervenons activement, soit en forgeant une relation entre des natures qui ne sont point necessairement liees entre elles — par exemple, entre « la nature du vide » et celle de « l’espace » (70), -— soit encore en « jugeant» (activement) « qu’il est possible de deduire» d’un objet « particulier » ou « contingent », « quelque chose de gene¬ ral et de necessaire » (71). On le voit : XII-(2)-6° et 7° renferment bien une theorie methodologique originale, sans equivalent dans les textes de la phase XII (A), et conforme, jusqu’ici, au resume que nous en avons donne plus haut (72). L’etude des passages XII-(2)-3° et 4° [phase XII (B) ] — moins strictement relies entre eux que les precedents — aboutira cependant aux memes conclusions. XII-(2)-4° divise les « liaisons » ou « compositions » en necessaires et contingentes. Une liaison entre deux choses est « neces¬ saire » lorsque nous pouvons constater qu’il est impossible de « concevoir » « distinctement » l’une sans l’autre (73) : « c’est de cette maniere (sc. necessairement) que la figure est unie a l’etendue... parce qu’il n’est pas possible de concevoir une figure privee de toute etendue » (74). — La composition est « contingente », au contraire, quancl elle « n’implique entre les choses aucune liaison indissoluble » (75) : e’est-a-dire lorsque, au lieu de se contenter de constater la liaison, nous introduisons celle-ci par un jugement « actif » dans les choses, — par exemple en « disant » (sc. en affirmant, en jugeant) « qu’un corps est anime, qu’un homme est vetu » (76), ou en « affirmant » que la converse d’une proposition necessaire est foreement necessaire (77). Or, de telles liaisons « contingentes» ne sont point necessairement vraies — contrairement aux relations necessaires : ainsi je puis me tromper en disant « qu’un corps est anime» (78) ; et ce serait une erreur que « d’affirmer, en partant du fait que Dieu existe, que moi aussi j’existe » (79). L’accord est done complet entre la these de XII-(2)-4° et celle de XII-(2)-6° et 7°, pour ce qui regarde les relations que nous avons appelees « intelligibles» (80), mathematiques ou metaphy(70) (71) (72) (73) (74) (75) (76) (77) (78) (79) (80)

XII-(2)-7°, 424, 21/25. XII-(2)-7°, 424, 25/27. Supra, p. 118. XII-(2)-4°, 421, 3/8. Judicemus a ici evidemment le sens « actif ». Ibid., 421, 8/11. XII-(2)-4°, 421, 23/24. Ibid., 421, 24/26. Aflirmare : 422, 6. Conversas esse contingentes : 422, 3. 421, 25. 422, 3/6. V. plus haut, p. 118.

LA REGLE XII

:

XII -

(1),

XII

-

(2)

ET XII -

(3)

121

siques. — Mais XII-(2)-3° traite, lui, des « natures simples » (81) en general. Son expose recoupe t-il, a son tour, celui de XII-(2)-6° et 7° ? Indubitablement. Ainsi, apres avoir distingue la « faculte », toute passive, « par laquelle l’entendement voit les choses par intuition et les connait», de « celle par laquelle il juge en affir¬ mant ou en niant » (82), XII-(2)-3° montre que nous pouvons nous tromper meme s’il s’agit de « natures simples » (« il peut... arriver que nous pensions ignorer des choses qu’en realite nous connaissons ») (83), « lorsque, outre cela meme que nous voyons... par intuition ou que notre pensee... saisit (passivement), nous soupgonnons (sc. jugeons) qu’il y a quelque autre chose de cache pour nous » (84) : c’est ainsi que nous errons, par exemple, lorsque « nous jugeons que quelqu’une de ces natures simples ne nous est pas entierement connue, car notre intelligence n’en saisirait-elle (passivement) que la plus petite partie..., il faut en conclure par la-meme que nous la connaissons tout entiere. Autrement, en effet, on ne saurait l’appeler simple... » (85). —- La doctrine de XII-(2)-3° sur l’apprehension passive et vraie des natures simples, et le jugement generateur d’erreur rejoint par la, en les transposant a un probleme particulier, les demonstrations de XII-(2)-6°, 7° et 4°. Ainsi tous les textes « XII (B) », que nous avons groupes et mis a part en vertu d’un indice purement externe — la concor¬ dance entre problemes et notions qu’ils etudient et ceux qu’enonce une phrase de VIII-E — se revelent, en raison de leur unite doctrinale, pourvus d’une forte coherence interne. On en conclura que notre hypothese de depart, qui discrimine les textes XII (B) du reste [XII (A) ] de XII-(2) et XII-(3) est verifiee, 'd’autant que c’est en vain qu’on tenterait de retrouver la doctrine commune de XII-(2)-3°, 4°, 6° et 7° dans les passages que nous avons assignes a la phase XII (A). Mais la demonstration ne pourra etre tenue pour achevee que si nous parvenons a etablir en outre qu’entre les textes « aneiens » — XII (A) — et « recents » — XII (B) — il y a, non seulement difference, mais bien incompatibility et contradiction. Cette derniere preuve ne sera pas difficile a administrer. Reprenons un a un, comme nous l’avons deja fait plus haut pour les textes XII (B), les developpements de la phase XII (A). Chacun d’eux presente ou implique des theses inconciliables avec (81) XII-(2)-3°, (82) Ibid., 420, (83) XII-(2)-3°, (84) Ibid., 420, (85) XII-(2)-3°, in ilia percipimus, et tation passive.

420, 14. 16/18. 420, 18/20. 20/22. 420, 23/29. — Notons la fin de ce texte : sed composita ex hoc quod ex eo quod judicamus nos ignorare, ou « juger j a le sens de consta-

122

LA

CONSTITUTION

DU

TEXTE

DES

REGULyE

celles de la phase XII (B) — ainsi qu’on ne tardera pas a s’en convaincre. Ainsi XII- VIII-T/B -> VII (b) -> VIII-A -> XIII-B (U-l)

(U-l)

(U-l')

(U-l')

(U-2)

-> XIII-C -> VIII-C (U-2)

40.

(U-3)

CONFIGURATION DEFINITIVE DE XIII-A.

Les problemes que pose XIII-A sont plus complexes, en un cer¬ tain sens. Tout d’abord, nous savons deja que XIII-A (moins XIII-D) est certainement anterieur a XIII-D et a la phase XII (B) (108). Mais le debut de XIII-A fait alors difficulte. Nous lisons, en effet : « Voici en quoi seulement nous imitons les Dialecticiens : pour donner les formes des syllogismes, ils supposent qu’on en connait les termes ou la matiere... » (109). Ces lignes se referent a la Regie X ; elles formulent une exception (« Void en quoi seulement ») a un principe general que pose cette derniere : « Nous rejetons ces formes logiques [les formes syllogistiques des Dialecticiens (110)] comme contraires a notre but » (111) ; elles emploient les memes termes que celle-ci : « Dialecticiens » (112), « formes » (113) (des syllogismes) ; le meme reproche figure de part et d’autre : « pour donner les formes des syl¬ logismes, ils supposent qu’on en connait les termes ou la matiere » (XIII-A) repond a : « les Dialecticiens ne peuvent construire avec leur art aucun syllogisme dont la conclusion soit vraie, a moins d’en avoir deja la matiere » (Regie X) (115). Ainsi, le debut de XIII-A presuppose, sans doute possible, la Regie X : done, comme celle-ci (116), il fait partie de la phase XII (B). En d’autres termes, les lignes citees forment une addition posterieure, au meme tit re que XIII-D (117), a 1’ensemble de XIII-A. — Appelons cette addition XIII-A1 ; et le texte primitif de XIII-A, XIII-A2. Quelles sont alors les limites exactes de XIII-A1 ? (108) (109) (110) (111) (112) (113) (115) (116)

Supra, p. 155, 430, 11/13. 405, 25. 406, 11/12. 405, 24 ; 406, 405, 25 ; 406, 406, 16/18. Cf. plus haut,

formule (36).

17 ; 430, 11. 2 ; 406,11 ; 406, 20 ; 430, 12. chap. 8,

§ 31.

(117) Egalement phase XII (B) [cf. supra, p. 155, formule (36)].

LA REGLE XIII

163

Aux lignes que nous avons citees font suite, dans XIII-A celles-ci : « nous aussi, nous exigeons d’avance ici que la question soit Parfaitement comprise. Mais nous ne distinguons pas, comme eux, deux extremes et un moyen : c’est de la maniere suivante que nous considerons tout notre sujet » (118). Les mots soulignes attesent que les phrases dont ils font partie continuent cedes qui les pre¬ cedent - done, depuis Atque in hoc uno jusqu’a rein totam consideramus (11J), nous avons affaire a un texte homogene, et relevant de noPofT (B)- ~ En revanche, depuis : primo, in omni quaestione . ’ e, . xte est necessaire a l’intelligence des « exemples » de la pierre d’aimant et des cordes vibrantes (121), et done comme eux il doit etre anteneur a la phase XII (B) (122). Et telle serait, par consequent, la « frontiere superieure » de XIII-A2 (123). A la frontiere inferieure de ce texte, on peut deceler une nouvelle interpolation. Rappelons ici, avec leur contexte, les lignes que nous avons reunies sous le sigle XIII-Z, et au sujet desquelles nous avons deja exprime des soupgons (124) : « Voila, concernant les termes d’une proposition, les trois points seulement auxquels doit s en tenir l’entendement pur, avant que nous n’abordions sa derniere solution, si besoin est de se servir des onze regies suivantes. Comment il faut s y prendre pour cela, c’est la troisieme partie de ce Traite qui Pexpliquera plus clairement » (125). La principale difficulty est ici que les mots « onze regies sui¬ vantes » et « troisieme partie de ce Traite » (126) ne peuvent dater que de la phase XII (B) (ou, a la rigueur, d’une phase posterieure), puisque c est VIII-E seulement [phase XII (B) ] qui introduit dans les Regulae la division en trois livres comportant chacun douze regies (127). Or nous avons deja demontre, croyons-nous, que XIII-A2 releve d’une phase anterieure a XII (B) (128). On ne peut lever cette contradiction qu’en supposant que les mots « onze regies » et « troisieme partie » forment une addition posterieure, datant precisement de la phase XII (B). Des lors, la phrase : « Com¬ ment il faut s’y prendre pour cela, c’est la troisieme partie de ce Traite qui 1’expliquera plus clairement » devra etre rattachee tout entiere a XII (B). Et il en est de meme pour le mernbre de phrase : « Si besoin est de se servir des onze regies suivantes » : dans les deux cas, les references aux « livres » ou aux « regies » ne peuvent etre (118) (119) (120) (121) (122) (123) (124) (125) (126) (127) (128)

430, 430, 430, 430,

13/15. 11/17. 17. 24 ; 431, 15. Supra, pp. 152 sq. et 156. 430, 17 : primo, in omni quaestione... V. plus haut, p. 149. 432, 8/13. Lignes 11 et 12. Cf. plus haut, pp. 101-102. Cf. plus haut, p. 158, formule (38).

164

LA

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TEXTE

DES

REGUL/E

separees de leur contexte. Voyons maintenant le debut de la phrase : « Voila, concernant les termes d’une proposition, les trois points seulement auxquels doit s’en tenir l’entendement pur, avant que nous n’abordions sa derniere solution ». Nous avons deja vu (129) que les « trois points » en jeu sont : « abstraire », « reduire a sa plus grande simplicity » et « diviser » ; ces operations sont toutes mentionnees dans XIII-A2 (130) ; il est done tres vraisemblable que les mots qui s’y referent font egalement partie de ce passage. En revanche, les mots « avant que nous n’abordions sa derniere solution » font allu¬ sion a la doctrine des « facultes » « auxiliaires », dont XIII-A2 ne renferme nulle trace, et se rattachent etroitement a « s’il est besoin de se servir des onze regies suivantes » ; comme ce dernier membre de phrase, « avant que nous n’abordions sa derniere solution » ferait done partie de Interpolation XIII-Z. En definitive, XIII-Z, passage ajoute a XIII-A2 durant la phase XII (B), se reduirait done a ces lignes : antequam ejus ultimam solutionem aggrediamus, si sequentium undecim regularum usu indigeat ; quae quomodo facienda sint, ex tertia parte hujus Tractatus clarius patebit (131). Les frontieres de XIII-A2 sent maintenant fixees avec assez de precision. C’est un texte profondement modifie, a 1’epoque XII (B), par les additions suivantes : XIII-A1 (au debut), XIII-D (au milieu), XIII-Z (a la fin). XIII-A1 est un raccord destine a mettre XIII-A2 en harmonie avec les Regies IX a XI. XIII-Z est un raccord qui situe la Regie XIII dans les livres I et II [dont le plan s’esquisse a l’epoque XII (B)]. XIII-D enfin cherche a adapter le texte ancien aux exi¬ gences d’une phase nouvelle. En resume : (45) Phase XII (B) = VIII-E ; XII-(2)-3°, 4°, 6°, 7° ; XII-(3)-l°; XII-D; IX a XI;XIII-A1, XIII-D,XIII-Z; XIV-XXI (organisation definitive)

41. — CHRONOLOGIE « EXTERNE » DE XIII-A2. Nous avons deja vu que : (44-bis;

(129) (130) (131) (132)

VII (b)-> VIII-A-* XIII-B-> XIII-C

Supra, p. 150. Ibid. 432, 10/13. Supra, p. 164.

(132)

LA REGLE XIII

165

et que : (37)

XIII-C-* XIII-A

(133)

Done, XIII-A2 (partie ancienne de XIII-A) dcil etre situe certainement apres \ III-A (phase U-l’) (134) ; el comme d’autre part il vient avant la phase XII (B) (135), on a : (46)

Phase U-l'-> X III-A2-> phase XII (B)

Mais, d’autre part, XIII-A2 est egalement anterieur a la phase XII (A). L’analyse est ici facilitee par le fait qu’un texte de la phase XII (A), savoir XII-(3)-3° (136), discute 1 ’exemple meme de la « pierre d’aimant » (137) dont traite egalement XIII-A2. Or, on ne manquera pas de noter que si XII-(3)-3° [phase XII (A)] fait reposer toute sa doctrine sur la « composition des natures simples » (138) (« on ne peut rien connaitre dans la pierre d’aimant qui ne soit compose de certaines natures simples et connues par elles-memes » (139), et pro¬ pose deux regies fondamentales : (I). « D’abord, (le chercheur) rassemble avec soin toutes les experiences qu’il peut se procurer a propos de cette pierre, (II.) puis il s’efforce d’en deduire quel melange de natures simples est necessaire pour produire tous les effets qu’il a reconnus par experience dans la pierre d’aimant » (140), — XIII-A2, pour sa part, ignore le « melange des natures simples », et va jusqu’a interdire implicitement de recourir a la deduction (par 1’entendement) du « melange de natures simples » en declarant que « l’entendement pur » « doit s’en tenir » (141) a l’abstraction, a la reduction au plus simple et a la division, — et va beaucoup moins loin que XII-(3)-3° pour ce qui regarde (I.), puisqu’il preconise, a 1’oppose de XII-(3)-3°, de s’en tenir rigoureusement aux experiences fournies par le questionneur (142). — La doctrine de la phase XII (A), tout en s’appuyant partiellement sur celle de XIII-A 2, depasse ainsi celle-ci a la fois en 1’approfondissant (reunir toutes les expe¬ riences disponibles) et en la transcendant (Pentendement (133) Supra, p. 157. (134) Supra, p. 162. (135) Ibid. (136) 427, 3/26. (137) 427, 10 sqq. (138) Sur celle-ci, v. chap. VII, p. 128, a. 129. (139) 427, 17/18. Les phrases qui precedent ce texte ne font-elles pas allusion k l’embarras auquel s’expose celui qui n’a encore a sa disposition que les preceptes de XIII-A2 ? (140) 427, 19/23. (141) 432, 8/10. (142) 431, 6/10.

166

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TEXTE

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« deduira » le melange de natures simples au lieu de se borner a « parcourir » et a « comparer » les faits). II est done clair que XIII-A2, plus fruste, plus elementaire que XII-(3)-3°, est plus ancien que les textes de la phase XII (A) developpant la Methode CNS. Or, entre la phase U-l’ (a laquelle nous savons que XIII-A2 est posterieur) (143) et la phase XII (A) nous n’avons reconnu jusqu’ici que deux phases : U-2 (e’est-a-dire XIII-B et XIII-C) (144) et U-3 (que definit VIII-C). Mais XIII-A2 est certainement posterieur a XIII-C (phase U-2) (145) ; toute la question est done de savoir si XIII-A2 est anterieur ou posterieur a VIII-C. A cette question nous croyons pouvoir donner une reponse precise. Rappelons d abord cette phrase de XIII-A2 : « Ainsi en est-il si quelqu un me demande (si petat aliquis cl me) ce qu’on doit precisement inferer sur la nature de la pierre d’aimant d’apres les expe¬ riences que Gilbert afFirme avoir faites, qu’elles soient vraies ou fausses ; de meme s il me demande (item, si petat) mon opinion sur la nature du son, en ne tenant compte precisement que de ces faits : trois cordes A, B, C, donnent le meme son, et parmi elles B est par supposition deux fois plus grosse que A, sans etre plus longue mais tendue par un poids deux fois plus lourd, tandis que C n’est pas plus grosse que A, mais seulement deux fois plus longue et tendue par un poids quatre fois plus lourd, etc. » (146). Aliquis (147) vise ici evidemment Mersenne, dont La verite des Sciences expose la question relative aux cordes d’une maniere ana¬ logue a celle de Descartes (148), et qui s’est toujours vivement interesse a la theorie de l’aimant et aux experiences de Gilbert (149). Et les mots si petat aliquis a me (150) montrent qu’il s’agit d’une ques¬ tion posee par Mersenne a Descartes (oralement, ou par lettre), et non au lecteur anonyme de quelque ouvrage de Mersenne, — auquel cas Descartes eut employe la formule si petat aliquis. XHI-A2 renferme ainsi le souvenir d’une question proposee a Descartes par Mersenne, et non pas lue par Descartes dans un ouvrage de Mersenne. Mais a quel moment le probleme des « trois cordes » put-il etre ainsi soumis a la sagacite du philosophe ? 1Mcia V{r}U des Sciences parut en 1625 (151) ; e’est done avant lb-5 que Mersenne eut l’idee de l’experience que cet ouvrage relate. (143) (144) (145) (146) (147)

Rapprochez les formules (44) (p. 162) et (37) (p. 157). Formule (41) (p. 161). U-2 posterieur a U-l' : cf. formule (43) (p. 161 Formule (39), p. 158. 431, 6/15. 431, 6.

(148) Mersenne, La Verite des Sciences, pp. 616-617. Cf. Adam in AT X p 337 n. b (le probleme resolu par Descartes est ici identique a la « question » de XIII-A2) et Correspondance du P. Marin Mersenne, t. I, p. 401, n. 1. (149) Des les Qusestiones in Genesim, col. 549 (150) 431, 6. (151) Lenoble, Mersenne ou la naissance du mecanisme, 1943, p. XV.

LA REGLE XIII

167

D autre part, les Quaestiones in Genesim, qui datent de 1623 (152), et qui comportent de nombreuses pages consacrees a la musique et k I acoustique, ignorent la question des « trois cordes » (a notre connaissance); et, par consequent, il est probable que ce n’est pas avant 1623 que ce probleine s’imposa a l’esprit du Minime. Par aileuis, il nous parait tout a fait improbable que Mersenne eut pro¬ pose de vive voix, apres 1625, a Descartes un probleme traite tout au long dans un ouvrage accessible a tons et qui n’offre plus, par conse¬ quent 1 interet de Vinedit. Ainsi, c’est seulement entre 1623 et 1625 que communication put etre donnee a Descartes, par Mersenne de la question qui figure dans XIII-A2. Or, Descartes, qui rentre en France des avant le 3 avri! 1622 (lo3), se trouve a Paris — ou demeure Mersenne — peut-etre a partii de 1 hi\ei 1622-1623 (154), et en tout cas depuis la fin de fevrier 1623 jusqu’au debut de mai 1623 (155) : on le sait ensuite dans le Poitou (156h et en septembre 1623 il entreprend son grand voyage en Italie (157). Descartes ne rentrera a Paris qu’en aout 1625 —lorsque l’ouvrage de Mersenne sera deja publie, ou du moins sur le point de l’etre. Done, c’est seulement en 1623, avant le debut de mai, que la question des « trois cordes », sous la forme que lui donnent les ReguIse, a pu etre proposee a Descartes, puisque Descartes sera absent de Paris a partir de cette date. Sans doute Mersenne est-il deja en possession a ce moment des resultats qu’il communique a 1’auteur des Regulae, conime nous l’avons indique plus haut. Mais connait-il, des 1623, eelui qui devait devenir son correspondant et ami ? Ce point nous parait avoir ete fermement etabli par M. de Y\ aid, dans son edition de la Correspondance de Mersenne (158). En effet, les lignes suivantes de La Verite des Sciences font deja songer a Descartes: « Plaise a Dieu de nous faire renaistre en ce siecle quelques nouveaux Archimedes, qui conduisent les mathematiques jusques a leur derniere perfection » (159) ; de meme que celles-ci : « j en sgay quelques autres aussi bons catholiques que bons mathematiciens, qui sont capables de perfectionner les mathematiques, s il se trouvait quelques-uns qui les obligeassent a ce labeur par la (152) (153) (154) (155) (156) (157)

Ibid., p. XII. AT. XII, p. 62. Ibid.

t. I, pp. 106 et 116. AT. I, pp. 2-3. AT. XII, p. 62, note c. Baillet,

(158) Tome I, p. 149. Sa Note sur la vie de Mersenne (ibid., p. XXIX) situe la ren¬ contre avec Descartes « a l’epoque ou Descartes se preparait a partir pour Tltalie, c’est-;kdire a l’annee 1623 ». Cf. egalement Adam, AT. XII, p. 38. (159) P. 750. Descartes lui-meme parait hante par le personnage d’Archimede dans un passage des Regulae (XIV-A, lie a XIII-A2, cf. infra, § 45) qui mentionne les couronnes d’or et d’argent (AT. X, 439, 14/15).

168

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faveur qu’on doit aux hommes doctes » (160). Enfin cette phrase parail egalement se referer a Descartes : « je desirerais que quelqu’un nous donnast une analyse, laquelle on peut comprendre en peu de temps, et de laquelle on se peut servir en toutes matieres » (161) . Ce dernier texte est particulierement interessant, car 1’ « ana¬ lyse » dont « on se peut servir en toutes matieres », c’est tres precisement la Methode de IV-A, qui est bien « une sorte d’analyse » (162) , mais qui permet de « parvenir a la connaissance de tout » (163) , et « laquelle on peut comprendre en peu de temps », comme dit Mersenne, puisqu’elle se ramene tout entiere a quelques « regies certaines et faciles » (164). La 1 erite des Sciences ayant paru en 1625, les phrases qu’on vient de lire ne peuvent guere concerner que des entrevues datant de 1623, puisque entre mai 1623 et aout 1625 Descartes voyage. Et il est tout a fait curieux de constater que Mer¬ senne parait connaitre un certain etat des Regulae qui correspond a June de leurs phases les plus anciennes (la Regie IV-A, la seule oil il soit question de Vanalyse, date de la phase U-l, fin 1619), — ainsi qu’on pouvait s’y attendre ; et non moins curieux qu’a une reference precise a une conversation avec Mersenne dans les Regulae corresponde une allusion precise aux Regulae dans un ouvrage de Mer¬ senne datant de 1625. En resume, il nous parait hautement probable, sinon certain, que Mersenne a communique a Descartes ses experiences sur les cordes avant la publication de La Xerite des Sciences, done — etant donne l’absence de Descartes — vers mars-avril 1623, et qu’a cette epoque Descartes a sen tour a soumis a Mersenne l’ebauche des Regulae (phases U-l et U-l’, tres probablement, peut-etre U-2) (165). De quand date, des lors, la redaction de XIII-A2 ? Il ne nous parait pas possible d’avancer celle-ci jusqu’au voyage en Italie entrepris en septembre 1623 ; et, en 1625, les experiences de Mersenne sont publiees, ce qui cadre mal avec le ton « personnel » du passage qui les concerne dans les Regulae. Nous croyons done, en definitive, que ejest peu de temps apres l’entretien oil Mersenne mentionna le probleme des « trois cordes » que Descartes coucha par ecrit celui-ci dans XIII-A2. C’est du reste, a priori, la solution la plus vraisemblable, et l’on ne voit guere Descartes se souvenir d’un colloque au bout de deux ans, et apres un voyage fertile en evenements et experiences. (160) semblable (161) (162) (163) (164)

L’allusion aux dons de Descartes et a sa situation mondaine parait tres vrai(Mersenne, op. cit., p. 751). P 751. AT. X, 373, 13. AT. X, 372, 6/7. AT. X, 371, 26.

(165) On pourrait se demander si la question ne fut pas posee 4 Descartes par lettre. Mais il ne semble pas que Mersenne ait connu Descartes avant le sejour parisien de celui-ci de 1622 ('?)-162.3. Et il est peu probable que Mersenne lui ait ecrit durant son voyage en Italie, a la fois parce que Descartes change alors frequemment de ville, et parce que, a cette epoque, Mersenne n’est pas encore assez familier avec le philosophe pour essayer de l'atteindre au-dela des Alpes.

169

LA REGLE XIII

Nous daterons par consequent, XIII-A2 du sejour de Descartes a Paris precedant lc depart en Italie, done, tres probablement, de mars-avril 1623 (166). Or, nous avons vu que VIII-C fut redige des 1621. XIII-A2, ainsi posterieur a la phase U-3 (VIII-C) et anterieur a la phase XII (A) (167) definit une phase nouvelle, que nous appellerons U-3’ (168). Ce qu on resumera au moyen de la formule suivante : (46 bis)

U-3

U-3'

(VIII-C)

(XIII-A2)

1621

1623

->

XII (A)

1625/1627

->

XII (B)

1628

41-bis. — CHRONOI.OGIE « EXTERNE » DE XIII-B ET DE Xlll-C. Reste a situer les deux elements de la Regie XIII dont nous ignorons encore la date : XIII-B et XIII-C. Rappelons d’abord que ces deux morceaux sont anterieurs a XIII-A2 (1623), mais posterieurs aux phases U-l et U-l’ (169). Ici encore, le probleme est done de savoir si les elements en question sont anterieurs ou posterieurs a VIII-C (1621) (170). Relisons la deuxieme partie de VIII-C (« l’exemple le plus noble de tous », 395, 17 — 396,25). La « question » etant « d’examiner toutes les verites a la connaissance desquelles suffit la raison humaine » (171), le plan de la recherche comprend les points suivants : 1° Examen de V entendement (172) ; 2° Enumeration de « tous les autres instruments de connais¬ sance » (imagination et sens) (173), et leur examen (174) ; 3° Enumeration de « toutes les voies qui sont ouvertes aux hommes vers la verite » (175) ; (166) Baillet dit : fin fevrier-debut mai (temoignage confffme par une lettre de Descartes, c.f AT. I, pp. 3-4 et Baillet, t. I, p. 118). (167) Supra, p. 165. (168) Nous verrons plus loin qu’un autre morceau fait egalement partie de cette phase : XIV-A (cf. infra, § 4 ). (169) Supra, pp. 160-161. (170) Cf. supra, p. 165. (171) 395, 17/19. (172) 395, 22/24. (173) 395, 26 ; 396, 1. (17C Nous avons quelque peu simplifie le texte, qui semble preconiser une double etude de l’entendement, avant et pres l’enumeration des « facultes » (395, 22/24 et 396, 2/3). (175) 396, 7/8.

170

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4° Separation, « touchant chaque objet, en particulier » (circa singula objecta), des « connaissances qui remplissent ou ornent seulement la memoire de celles qui sont vraiment cause qu’un homme doive etre dit plus erudit » (176) ; 5° (lacune dans Ie texte) (177) ; 6° Conclusion : les frontieres de la Methode sont cedes memos de l’esprit humain (178). Les deux premiers points (examen de l’entendement, celui de 1’imagination et des sens) correspondent a un projet qui ne sera rea¬ lise nude part dans les Regulae, dont la doctrine constante est qu’on doit ajouter a l’etude de l’entendement cede de trois autres facultes (179). En revanche, les points 3° et 4° font clairement allusion aux textes que nous avons appeles XIII-B et XIII-C, tels qu’ils figurent aujourd’hui dans les Regulae, c’est-a-dire le second suivant immediatement le premier (180). En effet, les mots « et il enumerera exactement toutes les voies qui sont ouvertes aux homines vers la verite, afin d’en suivre une de sure » (181) semblent bien se referer a 1’ « enumeration » (182) des divers genres de recherches (sous-entendu : du vrai) que l’on trouve dans XIII-B, et dont XIII-C recommit explicitement que Descartes esperait pouvoir determiner lequel d’entre eux subsumait surement la « question » a resoudre (183). La ressemblance entre les « enume¬ rations » de VIII-C et de XIII-B s’accentue encore si l’on prend garde que les « genres » de XIII-B — tout comme les « voies » de VIII-C — sont « peu nombreux » (184) : Descartes en denombre cinq elementaires (185), — et « faciles a trouver » (186), ce qui exclut toute methode particuliere destinee a en faciliter la decouverte — tel etant precisement le cas du denombrement de XIII-B. Mais, si le troisieme point du programme de VIII-C renvoie ainsi, visiblement, a XIII-B, le quatrieme point vise, non moins manifestement, XIII-C. Apres avoir affirme la neeessite d’enumerer les « voies » de recherche, Descartes preeonise, en effet, de « distinguer », « touchant chaque objet en particulier » (distinxerit circa singula objecta) des connaissances qui ne font qu’obstruer la memoire (187), cedes « qui sont vraiment cause qu’un homme doive (176) 396, 11/14. (177) Hie deficit aliquid, ecrivent en marge A et H (AT. X, 396, app. crit.). (178) 396, 19/25. (179) Cf. infra, p. 182, n. 71. (180) (181) (182) (183) (184)

La frontiere entre XIII-B et XIII-C passant par 434 396, 7/8. 432, 15 ; cf. 433, 1/3. 434, 7/10. 396, 9.

6/7

(185) Cf. 433, 1/3. DAutres, egalement possibles, sont de simples combinaisons de ces « genres » elementaires (433, 3). (186) 396, 9. (187) 396, 11/13.

LA REGLE XIII

171

£tre dit plus erudit », « ce qu’il sera encore facile de faire »... (188). Or, le propos de XIII-C, qui suit, dans l’etat actuel du texte, remune¬ ration des « genres » de recherche de XIII-B, est precisement au sujet de « chaque condition particuliere » (ad singulas [sc. conditiones] distincte intuendas) (189), de distinguer de cedes qui sont superfetatoiies et inutiles a la solution (190), des conditions vraiment necessaires a 1 intelligence du probleme (191) ; et les exemples que mentionne Descartes montrent bien que cette « separation » est passablement « facile » (192)... Et il n est pas jusqu’a la lacune de VIII-C, laquelle interrompt brusquement la « separation » que preconise Descartes, qui ne regoive une explication grace au rapprochement avec XIII-B et XIII-C : en effet, XIII-C s’interrompt lui aussi, soudain — et nous savons, par une eomparaison avec XIII-A2, qui reprend et paracheve la tlieorie de XIII C (193), que la « separation », l’« abstraction » de XIII-C devait etre suivie de plusieurs autres preceptes, dont le modele se trouve etre, en definitive, la Methode P (194). II est done tout a fait clair que la deuxieme partie de VIII-C fait allusion, de fagon precise, a l’ensemble XIII-B - XIII-C, dont elle reprend et la doctrine et l’ordre dans lequel ses differents elements se suivent, et, enfin, les possibility latentes et jusqu’aux lacunes. Or, deux hypotheses sont ici, a priori, egalement plausibles : ou bien VIII-C esquisse le plan d’un texte qui n’est pas encore redige a ce moment, mais qui va l’etre, conformement aux indications memes de ce fragment de la Regie VIII. Ou bien, au contraire, le texte auquel VIII-C fait allusion existe deja, et ce fragment se borne a en decalquer la structure et la doctrine. Et il n’est pas difficile de voir laquelle de ces deux conjectures repond a la realite : XIII-B et XIII-C forment un ensemble composite, factice, successif, dont le premier element ignore qu’il va etre bientot ecarte au profit du second, dont le second desavoue explicitement le premier ; impossible, done, de penser qu’un tel ensemble de textes ait pu etre redige apres VIII-C, conformement aux indications de ce morceau, lesquelles impliquent au contraire l’existence d’un texte congu, a cette epoque, comme homogene et un. En revanche, on peut tres bien comprendre qu’un eomplexe de textes a l’origine successif et composite, comme celui ou XIII-C soudain se substitue a XIII-B pour 1’annuler en quelque sorte, put paraitre, quelque temps apres, comme esquissant une doctrine dont chaque element, a condition d’etre convenablement developpe et approfondi, fut en harmonie avec tous les autres, bref, comme (188) (189) (190) (191) (192) (193) (194)

396, 13/15. 435, 4/5. 435, 11/12 ; 437, 14/19 ; 438, 5/6. Necessaria retinendo, 438, 6. Cf. les « enigmes » de 435, 17 sqq., etc. Cf. supra, § 38. Cf. infra, Appendice H.

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une esquisse d’un programme homogene — et que VIII-C s’inspire alors de ce programme pour en proposer a son tour un resume s’inserant dans un cadre de recherches proposees plus vaste, et comprenant notamment, d’abord, une enquete generate sur les « facultes » de 1’esprit. Ainsi, la seule hypothese a retenir quant a la succession des textes est que XIII-B et XIII-C existant deja, rediges dans cet ordre et conserves tels, sans doute parce que composes presque immediatement fun apres l’autre, alors que Descartes entreprend d’ecrire VIII-C ; tandis que 1’hypothese inverse apparait proprement comme inconcevable. Des lors, XIII-B et XIII-C, posterieurs a U-l’ et anterieurs a VIII-C, done posterieurs a la fin de 1619 mais anterieurs a 1621, defmissent une phase intermediate entre U-l’ et U-3 : phase U-2, — que nous pouvons situer vers le debut de 1620, sans doute avant que Descartes ne quitte son poele ulmien. L’ensemble des resultats acquis jusqu’a present relativement a la succession des phases pourrait done etre represente ainsi (depuis la phase U-l) : (46 ter) U-l

->

U-l' ->

U-2 -> U-3 —y

U-3' -> XII (A)^-XI 1(B)

(nov. 1619) (dec. 1619?) (deb. 1620) (1621) (1623)

(1625/

(1628)

1627)

Nous resumerons comme suit les conclusions auxquelles nous sommes parvenus au sujet de la Regie XIII :

(47)

XIII-B -a- XIII-C = phase U-2 (debut 1620)

(48)

XIII-A2 = phase U-3' (1623)

(49)

XIII-A1, XIII-D, XIII-Z = phase XII (B)

Nous pouvons aborder a present 1’etude de la Regie XIV.

Chapitre X

LES

REGLES

XIV

ET

XV

SOMMAIRE. VT„ §A ^GLE XIV •• DIVISIONS (173-174). — Distinguer ■ XIV T XIV-A1, XIV-B. XIV-A2, XIV-C (XIV-A1 + XIV-A2 = XIV-A) ’ (17i y/v

17n'

' AUTONOMIE I)E XIV-B PAR RAPPORT a XIV-A1 et XIV-A2 ~ Une ntot.e ^™anuscrit de Hanovre etablit l’anteriorite de XIV-A1 par rapport a XIV-B. XIV-B : phase XII (A) (174-175) XIV-A*3 XIV^} i*75'176)- XIV-A (rORMULES 50, 51, 52 : pp. 174, 175, 176). (FOBMTTT FSI'-fttiIiCmwt

anterieur

k

XIV-B

vr4V nXIV~(i (17fh181)- — Divergences entre XIV-C et XIV-A (1761/8). XIV-C, ses frontieres, sa phase [XII (B) 1 (178-180) Frontiers Hp n 60) (18°':l81)- FORMULE (53) (p. 181). Cas de la R^le XV (p 18R § 45. - XIV-A COMPLEMENT DE XIII-A2 (181-183). - XIV-A apparente au Commentaire final de la Methode P (181-182). XIII-A2 se sunernose aux articles 1 a 5 de la Methode P (182 ; Appendice H). La fin de XIII-A2 se relie sans transition au debut de XIV-A (182-183). Unite profonde de ces deux textes (183). FORMULES (54) et (55) (p. 183).

42. — LA REGLE XIV : DIVISIONS. Nous distinguerons dans la Regie XIV les cinq elements suivants : XIV-T : le litre (438, 9/11). XIV-A 1 : depuis Ut autem etiam imaginationis (438, 12) jusqu’a deductionem quamdam effingat (439, 1). XIV-B : depuis Eodem modo, si in magnete (439, 1/2) jusqu’a distinctissime percipiamus (439, 10). XIV-A2 : depuis Et quidem omnia haec entia (439, 11) jusqu’a secundum hoc quod utrumque sit B, etc. (439, 24). (Nous entendrons par XIV-A les textes XIV-A1 et XIV-A2 reunis.)

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XIV-C : depuis Sed quia, ut sa-epe jam monuimus (439, 24) jusqu’a la fin de la Regie. 43.

_ AUTONOMIE DE XIV-B PAR RAPPORT A XIV-A1 ET XIV-A2.

L’autonomie du passage que nous avons nomine XIV-B ressort immediatement de la constatation que voici. Le premier alinea de la Regie XIV debute en enongant sa doctrine sur les rapports entre le « cherche » et le connu (1). Cette these est ensuite illustree a l’aide de deux exemples, celui de 1’ « aveugle-ne » et celui de la « pierre d’aimant » (2). Or, une note precise, dans le manuscrit de Hanovre, au sujet du premier exemple : « Cet exemple n’est pas absolument vrai, mais je n’en avais pas de meilleur pour expliquer ce qui est vrai » (3). II en resulte : 1° que le second exemple est posterieur au premier (melius non habui) ; 2° qu’il est meilleur que le premier (melius non habui). En d’autres termes, le second exemple appartient a une couche posterieure a celle dont fait partie le premier, et que Descartes considere lui-meme comme exprimant un progres dans revolution de la Methode, ou du moins de son exposition. D’ou : (50)

XIV-A1 -> XIV-B

(4)

Cela etant, il est aise de situer chronologiciuement l’exemple « meilleur » de XIV-B. En effet, il porte sur l’aimant (5) ; et il indique que « tout ce que peut donner » « Vesprit humain » en « raisonnant » sur la pierre d’aimant, « nous croirons l’avoir obtenu, si nous percevons tres distinctement le melange d’etres ou de natures deja connus, qui produit les memes effets que Ton decouvre dans la pierre d’aimant » (6). Or, ce « melange d’etres ou de natures deja connus » nous est familier : c’est la « composition » de XII-(2)-2°, de XII-(2)-5°, de XII-(3)-3° et 4° (7), et les « natures » dont il s’agit (1) 438, 12/18. (2) 438, 18 ; 439, 1 et 439, 1/10. (3) Non absolute verum est hoc exemplum, sed melius non habui ad explicandum id quod verum est (438, apparat critique). (4) XIY-A1 comprend done le debut et le premier exemple (438, 12 ; 439, 1) ; XIV-B le second exemple (439, 1/10). (5) 439, 1/2. (6) 439, 6/10. Comp. : ab humano ingenio, naturarum mixturam, effectus producat, avec les expressions analogues de la note 8 (page suivante). (7) C’est-a-dire de la phase XII (A) (Methode CNS); supra, chap. VII. La legere diffe¬ rence de terminologie (naturae jam, notse au lieu de per se notx, 427, 18 ; 428, 1/2) s’explique sans doute, mieux que par une inadvertance ou la hate de l’auteur, par le souci d’accorder, dans la mesure du possible, cet exemple aux textes qui precedent, et ou figurent des expressions comme : unum quid jam ante cognitum (438, 13/14), natura eorum quse in propositione data sunt (438, 17/18). Du reste, distinctissime tend a reduire l’ecart entre les deux expressions.

LES RAGLES XIV ET XV

175

EtXinsfv'trr ‘ SimP‘eS * ~ c’est-a-dire les « plus cornu,es ». 1 , renferme meme une affirmation exactement Darallele aux mots cites de XIV-B : le « melange de natures simples /, nSet dans f°U- pr°d^lle t0US les effets ffu’(°n) a reconnus par experience semcnt ,d "TV “ne fois « deduit . (on, ,‘eul audacieusement affirmer qu (on) a compels la veritable nature de la pierre d amant, aulan, quelle a pu etre decouuerte par un homme el

aue XlteRPaenenrS ?0nn4e.S M8)' 11 nous Parait done indeniable q e XIV-B appartient au meme cycle d’idees que les textes ci-dessus (A)m-Ainsi: ^ ^ C’est--dire’ coniine ceux-ci, a la phase XH

(51)

XIV-Al-> XIV-B _[phase XII (A)]

Nous savons desormais que XIV-A1 est anterieur, en tout etat de cause, a la phase XII (B). Teutons de montrer a present que le exte designe par le sigle XIV-A2 continue — par-dessus XIV-B — le texte XIV-A1. A premiere vue, XIV-A2 se relie directement au morceau qui le precede (XI\ -B) : ses premiers mots, « Certes, tous ces etres dejd connus... » (9) ne renvoient-ils pas a la derniere phrase de XIV-B qm porte justement : « le melange Metres ou de natures dejd v°t/ao * (10) ? ~ Mais d’abord’ ces « ctres deja connus » de A1V _A2’ on Peut estimer qu’ils reprennent aussi bien 1’ « objet deja connu anterieurement » (11) et done les « objets donnes dans la propositmn » (12) de XIV-A1. D’autre part, il est tout de meme significatit que la doctrine centrale de XIV-B, la science envisagee comme « melange d etres ou de natures deja connus », ne figurera plus nulle part dans la Begle XIV, et qu’en particulier on n’en trouve nulle trace dans le morceau que nous avons appele XIV-A2. Enfin et surtout, le vocabulaire et les idees sont les memes de part et d’autre de XIV-B. En effet, d’apres XIV-A1, e’est sur la « similitude » (13) entre le connu et l’inconnu qu’est axee la « deduction » tout entiere (14). De meme, dans XIV-A2, e’est la « comparaison » (15) qu’on declare etre 1’essence de « tout raisonnement » (16), et cette comparaison (8) 427, 21/26. Cf. particulierement : naturarum simplicium mixtura ; effectus producendos ; ab homine (voy. supra, note 7). (9) Et quidam omnia haec entia jam nota (439, 11). (10) 439, 7/8. (11) 438, 13/14. (12) 438, 17/18. (13) XIV-A1, 438, 24. (14) 438, 24 ; 439, 1. (15) 439, 17 ; 439, 20. (16) 439, 19/21.

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doit faire apparaitre la similitude, l’identite ou l’egalite (ces dernieres, simples cas particuliers de la similitude) entre le connu et le cherche (17). — Pareillement, si dans XIV-A1 le role de 1’ « imagi¬ nation » est expressement mis en valeur (18), dans XIV-A2 l’imaginalion intervient crucialement, dans la similitude constatee entre deux sujets (19). — XIV-A1 insiste encore sur la notion de participa¬ tion : « la chose cherchee participe de la nature des objets qui nous ont ete donnes » (20). Et, de meme, XIV-A2 souligne la notion de communaute : « Cette idee commune (aux divers sujets) ne se transfere d’un sujet a un autre que par une simple comparaison » (21), etc. — Enfm, le mot « idee », qui se trouve dans XIV-A1, y signifie une notion qui depasse la sensation dont el le est cependant issue (« les veritables idees des couleurs, comme cedes que nous avons en les tirant de nos sens ») (22) ; et, dans XIV-A2, « idee » a egalement la signification d’une notion apparentee au sensible, mais transcendant la sensation singuliere (la « figure d’une couronne », que nous « imaginons », est connue « par une meme idee » « en divers sujets », par exemple dans une couronne « d’argent » ou « d’or ») (23). Ainsi, la parente entre XIV-A1 et XIV-A2 est manifeste ; et nous pouvons reunir ces deux passages sous un meme sigle, XIV-A, en leur attribuant, sur la foi de XIV-A1, une anteriorite commune par rapport a XIV-B : (52) XIV-A (= XIV-A1 + XIV-A2) ->

Mais XIV-A ?

oil rencontrerons-nous la

«

XIV-B [phase XII (A)]

frontiere inferieure

»

de

44. — XIV-C. Vers le debut du passage que nous avons designe plus haut par le sigle XIV-C, on lit les declarations suivantes : « II faut noter que les comparaisons sont dites simples et manifestes, dans tous les cas seulement oil ce qu’on cherche et ce qui est donne participent egale¬ ment d’une eertaine nature. Quant a toules les autres comparaisons, (17) (18) (19) (20) (21) (22) (23)

439, 438, 439, 438, 439, 438, 439,

15/19. 23 ; 439, 1. Imagines. 14/17. 16/18. 15/17. 20/21. 11/16.

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elles ont besoin d’etre preparees et il n’y a pas a cela d’autre motif que le suivant : la nature commune ne se trouve pas dans les deux objets d’une maniere egale, mais selon certains autres rapports ou proportions qui l’enveloppent » (24). Ainsi, d’apres ce texte, il n’y a de comparisons « simples et manifestos » que si « la nature commune » se trouve en « deux objets » « d’une maniere egale » ; la seule « participation » entre « le cherche » et « le donne » que l’on puisse « voir clairement » est Vegalite. En d’autres termes, lorsque « la nature commune » se trouve en « deux objets » d’une maniere simplement semblable, lors¬ que la « participation » entre « le cherche » et « le donne » est la similitude, la comparison n’est plus « simple et manifeste » — c’est-a-dire intuitive. M ais XIV-A implique precisement le contraire. « La figure d’une couronne », « idee commune » a une couronne d’argent et a une couronne d’or, « se transfer d’un sujet a un autre » « par une sim¬ ple comparaison » (25) ; et, puisque « nous affirmons que ce qu’on cherche est sous tel ou tel rapport semblable, identique ou egal a un objet donne » (26), comme nous l’enseigne Descartes dans la phrase suivante, nous affirmerons done, par exemple, en comparant la cou¬ ronne d’or (27) (supposee connue) a la couronne d’argent (supposee ineonnue) que la couronne d’argent est semblable (28) (mais non point identique) a la couronne d’or (sous le rapport (29) de la figure). La « simple comparaison » (30) ferait done ressortir ici un rapport de similitude. Or, il est bien evident que ce rapport est « simple et manifeste » (31), et qu’il est intuitif : la contradiction entre XIV-A1 et XIV-C est done patente. — D’une fagon analogue, on comparera entre elles deux couleurs, selon une suggestion de XIV-A1 (32). Pour se former ainsi, par ex., l’image de la couleur orange, cn la situera entre le jaune et le rouge, en affirmant qu’elle ressemble a ceux-ci. Et, ici encore, une telle ressemblance ne peut etre qu’intuitive. Mais, dira-t-on, Descartes semble bien affirmer le contraire : ne dit-il pas qu’on peut se former des « images » de couleurs qu’on n’a point vues, « grace a leur ressemblance avec les autres, au moyen d’une sorte de deduction » (33) ? — Examinons done cette phrase. D’abord, hauteur ne dit pas « une deduction », mais « une sorte de (24) (25) (26) (27) (28) (29) (30) (31)

440, 10/16. 439, 14/17. 439, 17/19. 439, 15. 439, 19. 439, 18. 439, 17. Selon 1’expression de 440, 10/11 (simplices et apertas).

(32) 438, 21 ; 439, 1. (33) 438, 23 ; 439, 1. 12

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deduction » (34). Ensuite, cette « sorte de deduction » ne nous fait pas connaitre la similitude, mais elle est fondee sur celle-ci : ex aliorum simititudine per deductionem quamdam. Du reste, cette « deduction », il n’est pas difficile de la concevoir sur le modele pre¬ sente par XI\-A2 (35) : ce que le rouge est a Vorange, Vorange lest au jaune ; il s agirait done d’une egalite entre deux ressemblances. Dira-t-on alors que e’est Vegalite qui est ici percue simplement et intuitivement, et non la ressemblance ? — Du moins faudra-t-il avouer que cette « egalite » n’a rien de quantitatif, cju’elle ne fait intervenir que du sensible et de l’imaginaire, bref la qualite. Or — et ce point est essentiel — XIV-C ne veut connaitre que la quantile. On lira, dans 1’alinea qui suit celui que nous venons de citer (36), et dont un simple coup d’oeil suffit a constater qu’il s’y rattache etroitement : « Il faut noter ensuite que rien ne peut se ramener a cette egalite (sc. entre ce qu’on cherche et ce qui est connu) si ce n’est ce qui comporte le plus et le moins, et tout cela est compris sous le nom de grandeur. De la sorte, une fois que... les termes de la difficulty ont ete abstraits de tout sujet, nous voyons ici que nous n’avons dans la suite qu’a nous occuper des grandeurs en general » (37). Cela signifie clairement que XI\ -C ne veut connaitre que des rapports quanti¬ tatif s, que e’est pour cette raison qu’il ramene tous les « rapports ou proportions », en definitive, a des egalites, e’est-a-dire, au fond, a des equations. Mais dans la comparaison entre les figures de deux couronnes, dans celle qu’on peut tenter pour connaitre une couleur « mtermediaire », il n’est point question de quantite, mais de qua¬ lite ; les comparaisons sont qualitatives ; aucune equation ne fera connaitre une couleur intermediate ; nul rapport mathematique n’est indispensable pour percevoir la ressemblance entre deux objets. — Et Ton notera ici que XIV-B [phase XII (A)] (38) ne fait, lui'non plus, intervenir que des similitudes (39), et que le « melange de natures deja connues » (40) n’a rien a voir avec une equation mathematique. Ainsi le disaccord est flagrant entre XIV-A (et XIV-B) d’une part, et XIV-C de l’autre. Il en resulte d’abord que les deux alineas de XIV-C que nous venons d’examiner (41) sont d’une date differente de celle de XIV-A (et de XIV-B). Mais a quelle phase appartiennent-ils ? Et quels sont precisement les frontieres de XIV-C ? (34) Per deductionem quamdam (438, 24 ; 439, 1). (35) 439, 21/24. (36) (37) (38) (39) (40)

C’est done le 4e alinea de la Regie XIV (440, 21/27) 440, 21/27. 439, 1/10. 439, 2. 439, 8.

(41) C’est-a-dire les alineas 3e et 4e (440, 10/27).

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Laissons de cote, pour I’instant, la fin du deuxieme alinea (42) de la Regie XIV. — Les passages qui, jusqu’ici, tranchent sur XIV-A et XI\ -B (43) possedent une individuality bien marquee : ils sont en effet exclusivement orientes vers la solution de questions mathematiqu.es (44). C’est done ees passages que vise, en particular, la cita¬ tion de la Regie XVII, produite plus haut (45), et qui permet d’assigner globalement a la phase XII (B) les Regies XIII a XXI a 1 exclusion, bien entendu, des morceaux plus anciens, « fondus dans la masse », tels que la plus grande partie de la Regie XIII, XIV-A et XIV-B (46). Done, on pourra considerer lesdits passages (47) comme appartenant a la phase XII (B) (celle des « questions parfaitement comprises » au sens mathematique de l’expression) (48). Or, une rapide exploration de la suite de la Regie XIV (depuis 440, 28) permet de montrer que la tendance « mathematisante » se perpetue a travers tous ses textes jusqu’a la fin de la Regie. Notons ici, hrievement, les formules suivantes, suffisamment explicites : — « grandeurs en general » (5e alinea, 441, 1/2) ; — « les questions parfaitement determinees ne ccntiennent presque aucune difficulty en dehors de celle qui consiste a ramener les proportions a des egalites » (6e alinea, 441, 21/24). — « Nous souhaiterions ici avoir un lecteur porte a delude de l’Arithmetique et de la Geometrie » etc. (7e alinea, 442, 1/2 ; lire la suite, jusqu’a 442, 11) ; phrase qui annonce les developpements suivants ; — « Mais, pour ne pas nous arreter trop longtemps a ces details, il sera plus court d’exposer de quelle maniere nous supposons que notre objet doit etre con§u pour demontrer a son egard le plus facilement possible tout ce qu’il y a de vrai en matiere d’Arithmetique et de Geometrie » (14e alinea, 446, 27 — 447, 3) : phrase qui porte sur tout ce qui precede, et annonce de nouvelles conside¬ rations « quantitatives » ; — « Reduire les proportions, pour compliquees qu’elles soient, au point que ce qui est inconnu soit trouve egal a quelque chose de connu » (15° alinea, 447, 13/15) ; — « Une pareille remarque jette une vive lumiere en Geome¬ trie » (188 alinea, 448, 23/24) ; — « Nous la concevrons aussi (sc. l’unite), soit simplement comme quelque chose d’etendu, abstraction faite de tout le reste, et (42) Depuis 439, 24 ; Sed quia (done depuis le dernier exemple invoque plus haut; p. 178). (43) 440, 10/27. (44) Cf. plus haut, p. 178. (45) (46) (47) (48)

P. 139. V. supra, chap. 9 et § 43. 440, 10/27. Supra, § 37.

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alors elle sera identique au point des Geometres... » (fin du 19e alinea, 450, 6/8) : comp, avec l’abstraction « mathematique » de XIII-D [phase XII (B)] (49) ; « Maintenant, afin d’exposer quelles sont de toutes ces (figures) celles dont nous allons nous servir ici (allusion a 1’alinea 20 ) (50), il faut savoir que tous les rapports qui peuvent exister entre des etres de meme genre doivent se rapporter a deux points essentiels, qui sont l’ordre ou la mesure » (21e alinea, 451, 5/8). _ Meme horizon mathematique ; Enfin, dans 1 alinea final (25e), qui se refere a ceux qui pre¬ cedent, depuis le 21° : « Apres ces remarques, il est facile de conclure que, dans les propositions, on ne doit pas moins faire abstraction ici des figures memes dont traitent les Geometres, s’il en est question que de toute autre matiere. Il ne faut en garder aucune pour notre usage, sauf les surfaces rectilignes et rectangulaires, ou bien les ignes droites... » (51) ; tout cela appartient indubitablement a la phase XII (B). Ainsi, 1 ensemble de la Regie XIV, depuis le 3e alinea inclus (52) jusqu’a la fin, ressortit a la tendance mathematique, inauguree par XII-D et XIII-D, et done a la phase XII (B). Remontons a present a6 K alinea (53)’ dont le debut — que nous avons imparti a XIV-A (54) — est certainement anterieur a XIV-B [phase XII (A)] (55), et par consequent anterieur a la phase XII (B). , La th. : les exemples qualitatifs ne sont evoques que pour etre aussitdt ecartes (cf. 451, 5/6 : quibusnam ex illis omnibus hie simus usuri). (51) 452, 14/19. (52) 440, 10 sqq. (53) 439, 11 ; 440, 9. (54) Supra, p. 176. (55) (56) (57) (58) (59)

Supra, p. 176, formule (52).

Cf. supra, p. 176. 439, 24 ; 440, 1. 406, 16/21 (Regie X). 430. 11/12.

LES REGLES XIV ET XV

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faisant commencer XIII-C a la page 439, 1. 24. — De sorte que, des maintenant, nous pouvons enoncer :

(53)

XIV-A-* XIV-B-* XIV-C (439, 24 - fin) [phase XII (A)] [ph ase XII (B)]

(60)

Tentons a present de nous faire une idee precise sur la situation chronologique de XIV-A.

45. — XIV-A COMPLEMENT DE XIII-A2. Si Bon prend la peine de relire attentivement XIV-A, on sera trappe d abord par son air de parente avec le « Commentaire final » de la Methode P. « L’article de ces regies le plus difficile a mettre en pratique dit ce texte), c’est le dernier : tant parce qu’on ne connait pas assez es termes qu’on doit comparer, qu’a cause qu’on a besoin (sc. pour cela) d un Moijen, qu’on appelle Medium dans l’Ecole, qui n’est pas aise a trouver » (62). La « comparaison », dont on reconnait ici 1’importance et la difficulty demarche ultime et essentielle que toutes les autres ne font que preparer — c’est bien la « comparaison » dont XIV-A affirme que c’est par elle « seulement que nous connaissons la verite d une maniere precise » (63). — Quant au « Moyen » dont « on a besom » dans la comparaison, on le retrouvera dans la suite du texte meme de XIV-A qu’on vient de citer. « Par exemple dans ce cas : tout A est B, tout B est C, done tous A est C, on compare entre eux (60) Nous avons deja vu que, a partir de la Regie XIV inclusivement, la quasitotalite du texte des Regulce porte sur les mathematiques (supra, § 32) et appartient a la phase XII (B). Signalons toutefois une sensible difference entre la Regie XV et la fin de la Regie XIV, celle-ci bannissant toute figure autre que le rectangle et la droite, valables egalement pour representer le continu et le nombre (452, 17/19), celle-la gardant les points pour representer la plurality ou le nombre. La Regie XV apparait ainsi comme un vestige d’une phase plus ancienne que XII (B), sans qu’il soit possible d’en preciser la « chronologie relative » ou « absolue » (peut-etre anterieure k la Mathematique universelle et contemporaine de la scientia nova : cf. Sed unaquseque juxta suam naturam, k Beeckman, 26 mars 1619, AT. X, 157, 3/4. L’important est evidemment que ce « vestige » se trouve incorpore dans la succession des Regies datant indiscutablement de la phase XII (B), quant k leur organisation defi¬ nitive, et qu ainsi il fait partie des mater iaux qui vont etre ordonnes durant cette phase. (La distinction entre la date d’origine et la date de l’utilisation definitive d’un texte ne fait veritablement probleme qu’a cette p hase, parce qu’elle est la plus recente de toutes, et porte par consequent sur des materia ux en nombre considerable datant de phases plus archa'iques). (62) Ce « commentaire » renvoie k 1’article 5 de la Methode P ; « il faut rapporter toutes ces parties, en les comparant les unes aux autres » (AT. X, 476) Cf plus haut pp. 64-65. (63) 439, 20/21.

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ce qui est cherche et ce qui est donne, c’est-a-dire A et C, sous ce rapport que Vun et Vautre est B, etc. » (64). Ainsi B est ici ce Medium qui intervient dans la « comparaison » de A et de C, et dont il est question dans le texte de Poisson. — Et nous avons deja montre plus haut que l’exemple des couleurs (65) insere, au moins implicitement, dans une comparaison entre deux couleurs « principales », la couleur « intermediate » a litre de moyen terme d’une propor¬ tion (qualitative) (66). L’accord entre la fin du texte et XIV-A est done tout a fait satisfaisant. Or, il serait facile de montrer que XII1-A2 se superpose aux arti¬ cles 1 a 5 de la Methode P (67). Et voici que maintenant XIV-A nous apparait coincider avec le paragraphe final (commentaire des 5 arti¬ cles) du texte qui l’expose. Faudra-t-il en conclure que la Methode P est le modele commun de XIII-A2 et de XIV-A ? Et, dans l’affirmative, ne s’ensuivrait-il pas que XIV-A s’enchaine directeinent et immediatement a XIII-A2, fait corps avec ce texte — et, par conse¬ quent, date de la meme epoque — c’est-a-dire de l’annee 1623 (phase U-3’) ? (68). Examinons a present la fin de XIII-A2. Ce morceau se termine par une phrase qui met en valeur le role de Ventendement pur : « Voila, concernant les termes d’une proposition, les trois points seulement auxquels doit s’en tenir l’entendement pur » (69). Or, le debut de XIV-A enonce : « Pour utiliser aussi le secours de Vimagination... » (70). Et ce n’est certainement pas par hasard que, toutes les fois que les Regulae « enumerent » les differentes « facultes » auxiliaires de l’entendement (ou, eventuellement, obstacles a son exercice), Vimaginatio suit immediatement Vintellectus (71). Ainsi, lies d’abord par la Methode P, que leur reunion epuise entierement (72), XIII-A2 et XIV-A se trouvent aussi enchaines par la sequence, fondamentale, dans les Regulae, « entendement — ima¬ gination ». Mais, de plus, on peut dire que XIII-A2 n’est pas simplement « apparente » a XIV-A, mais qu’il appelle et requiert ce dernier mor¬ ceau. En effet, la Methode de XIII-A2, pour detaillee qu’elle soit, est incomplete, puisqu’elle ne nous apprend pas a tirer la conclusion des diverses inspections et comparaisons deux a deux auxquelles elle nous convie dans sa derniere partie (73). Elle exige done un procede (64) 439, 21/24. (65) 438, 18 ; 439, 1. (66) Supra, p. 177. (67) Cf. infra, Appendice H., p. 255. (68) Supra, pp. 166-169. (69) 432, 8/10. (70) Ut autem etiam imagination^ utamur adjumento (438, 12). (71) VIII-C (395, 26 ; 396, 1) ; VIII-D (398, 26/29) ; XII-T (410, 18/19) ; XII-P (411, 6/7) ; XII-P encore (411, 7/9) ; enfin XII-(l)-5° (416, 7/9) ; sur ce dernier texte, cf. infra, p. 185. (72) Cf. supra. (73) 432, 5 ; 432, 6/7.

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complementaire qui rende ces comparaisons fructueuses et fecondes. Or, c’est ce procede (recours a un moyen terme) que nous livre nrecisement XIV-A (74). Ajoutons en outre que, tout comme XIII-A2, XIV-A est surement anteiieur a la phase XII (A) (75). Et concluons a l’unite profonde de ces deux textes c’est-a-dire a la quasi-certitude du synchronisme de leur redaction. Nous pourrons done ecrire :

Phase U-3' = XIII-A2 + XIV-A (1623)

(54)

\ oici, d autre part, le resume de nos conclusions anterieures : (55) Phase SN Phase MU Phase U-l Phase U-l' Phase U-2 Phase U-3 Phase U-3' Phase XII (A)

= = = = = = •* =

11(a) IV-B I, II (a+b), III, IV-A, V, VI, VII (a), VIII-T/B VII(b), VIII-A XIII-B — XIII-C VIII-C XIII-A2 + XIV-A VIII-D, XII (I), XII-(2)-0, U, 2°, 5°, XII-(3)-2°, 3°, 40, XIV-B Phase XII (A) = VIII-E, XII (2)-3°, 4°, 6°, 7°, XII-(3)-l°, XII-D, IX-XI, XIII-A1, XIII-D, XIII-Z, XIV-C, XV-XXI (org. def)

(74) Cf. supra, p. 181. (75) XIV-A anterieur 4 XIV-B (phase XII-A)

formule 52, p. 176.

Chapitre

LA

REGLE

XII

:

XI

XII-T,

XII-P,

XII-Z

SOM MAI RE. § 46. - LES SIGLES (184-185). — II nous reste a etudier la situation chronologique de XII-T, XII-P et XII-Z. § 47. - XII-P (185-189). — XII-P n’a rien a voir avec le contenu de la Regie XII (185-188). XII-P posterieur a VIII-C ; anterieur a XII (A) (188). Ses affinites avec XIII-A2 et XIV-A (188-189) ; phase U-3’ (189) ; FORMULE (61) (p. 189). XII-P introduit une Regie S (2) (189) : FORMULE (62) (p. 189). § 48. - XII-T (189-191). — Son equivalence avec XII-P : doctrine des quatre facultes (189) : premier point (190) ; deuxieme point (190-191) ; troisieme point (191). FORMULES (63) et (64) (p. 191). § 49. - XII-Z (191-195). — Divergence entre les sources (191-192). XII-Z posterieur a XIII-R (phase U-2) ; anterieur a XII (A) (192-193) ; phase U-3’. Regie S (2) : FORMULES (65) et (66) (p. 193).

46. — LES SIGLES. Nous avons etudie successivement les Regies IV (chap. 1), II (chap. 2), I a IV-A (chap. 3), VII (chap. 4), V, VI, VII (chap. 5), VIII (chap. 6), XII-(l), (2) et (3) (chap. 7), XII-D, IX a XI et le livre II du Traite (chap. 8), XIII et XIV (chap. 9 et 10). Le moment est venu d’achever l’examen des textes : nous tenterons, dans le present chapitre, de determiner la chronologie des trois passages de la Regie XII demeures jusqu’ici en suspens : XII-T, XII-P, XII-Z. Rappelons d’abord les « frontieres » et les sigles (1) : XII-T : Regie XII, titre (410, 18/23). XII-P (preambule) : Regie XII, alineas 1 et 2 (410, 24 - 411, 16). (1) Cf. plus haut, § 25.

LA REGLE XII

: XII-T, XII-P, XII-Z

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XII-Z : fragment inachevee, insere entre XII-(3)-4° et XII-D (428, 17/20). 47. — XII-P. Commengons par XII-P, le plus explicate des quatre morceaux sus-vises ; et demandons-nous pourquoi ce « preambule », qui veut resumer le contenu de la Regie XII, definit en fait une Regie qui n’a avec cette derniere que des rapports fort lointains. « Dans la connaissance, il n’y a que deux points a considerer, savoir : nous qui connaissons et les objets qui sont a connaitre » (2). Cette division, qui est deja celle de VIII-D (3), se retrouve egalement dans la Regie XII telle que la livrent nos sources (4). « En nous, il y a seulement quatre facultes qui peuvent nous servir a cet usage : ce sont l’entendement, l’imagination, les sens et la memoire. Seul, certes, 1’entendement est capable de percevoir la verite, toutefois il doit etre aide par l’imagination, les sens et la memoire, pour ne rien negliger par hasard de ce qui s’offre a notre industrie » (5). Les quatre facultes sont mentionnees, dans cet ordre, par VIII-D (6). L’enumeration de XII-(l) parait, au prime abord, differente : Descartes y examine successivement les sens (XII-(l)-l0) (7), le sens connnun (XII-(l)-2°) (8), l’imagination (XII-(l)-3° et 4°) (9). Mais, dans un paragraphe plus developpe (XII-(l)-5°) (10), on s’apergoit que la « force spirituelle uni¬ que » (11) « par laquelle nous connaissons proprement les choses » (12), « est dite » tantot « entendement pur », tantot « imagi¬ nation » (ou « conception »), tantot « memoire », tantot « sens » (13), le terme « d’esprit » (ingenium) la designant plus particulierement en tant qu’imagination et memoire (14). Done, si Ton fait abstraction de la partielle unification par XII-(l) des quatre « facultes » que XII-P (et VIII-D) semble vouloir maintenir distinctes, l’accord entre le preambule et le texte de 1’actuelle Regie XII parait satisfaisant. Pourtant, XII-P ne parle pas de 1’ « aide » que l’entendement peut recevoir des trois autres « facultes » (15). Or VIII-D disait : « Et, certes, nous remarquons qu’en nous l’entendement seul est (2) 411, 3/4. (3) 398, 23/25. (4) XII-(l)-0 : 411, 17/20 ; XII-(2)-0 : 417, 16/18. (5) 411, 5/10. (6) 398, 26/29. (7) 412, 14/15 ; cf. tout le passage 412, 14 ; 413, 20. (8) 413, 21 - 414, 15. (9) 414, 16 - 415, 12 ; cf. particulierement 414, 18/19 ; 414, 26/27 ; 415, 1 ; 415, 9. (10) 415, 13 - 417, 15. (11) 415, 27 ; cf. 415, 13. (12) 415, 13/14. (13) 415, 27 - 416, 8. (14) 416, 8/10 ; comp, avec 416, 2/4 et avec 416, 1/2. (15) 411, 8.

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capable de science : mais que trois autres facultes peuvent 1’aider ou lui creei• des empechements : ce sont l’imagination, les sens et la memoire » (16). Et, semblablement, XII-(l)-5° ne mentionne pas seulement les « secours » que l’entendement peut demander « a chaque faculte » (17), mais, en outre, « conclut avec certitude que, si l’entendement s’occupe de ce qui n’a rien de corporel ou de semblable au corporel, il ne pent pas etre aide par les facultes dont nous venons de purler (sc. l’imagination, les sens, la memoire, « du moins celle qui est corporelle »), mais au contraire, pour qu’il ne trouve pas en elles d’empechement, il faut ecarter les sens et depouiller autant que possible. Vimagination de toute impression distincte » (18) (faute de quoi elle serait un obstacle plutot qu’une aide). Ainsi, XH-(l) voit les rapports entre l’entendement et les autres facultes sous un angle assez different de celui de XII-P. Mais peut-etre la difference s’explique-t-elle tout bonnement par le caractere necessairement elliptique du « preambule » XII-P. Quoi qu’il en soit de ce dernier point, le disaccord est on ne peut plus net entre la « deuxieme partie » du preambule (XII-P) (19) et la deuxieme partie du texte de la Regie XII — c’est-a-dire XII-(2). (20). Rappelons cette deuxieme partie de XII-P : « Du cote de la realite, il suffit d’examiner trois ehoses, savoir : d’abord ce qui se presente spontanement, ensuite comment on connait par un autre un objet determine, et enfin quelles deductions on peut tirer de cha¬ que chose » (21). Il est clair d abord que le troisieme point de ce programme (« quelles deductions on peut tirer de chaque chose ») (22) ne sera pas traite par la Regie XII, qu’on prenne en consideration les textes datant de la phase XII (A) (XII-(2)-0, 1°, 2°, 5° ; XII-(3)-2°, 3°, 4°) ou de la phase XII (B) (XII-(2)-3°, 4°, 6°, 7° ; XII-(3)-l°) (23)’. En effet, le niveau XII (A) de la Regie comporte seulement a cet egard la suggestion que 1’on doit s’efforcer de « deduire » de toutes les experiences qu’on a pu reunir, « quel melange de natures simples est necessaire pour produire tous les effets (qu’on a) reconnus par experience » dans la realite examinee (24). Mais il ne dit pas « quelles deductions », precisement, pourront etre tirees de tel ou tel objet. Quant au niveau XII (B), s’i 1 assure que c’est par « la (16) 398, 26/29. (17) 416, 14. (18) 416, 23/28. (19) Ex parte rerum, etc. (411, 10/16). (20) 417, 16 - 425, 6 (et a fortiori avec la 3e partie, XII-(3), 425, 7 - 428, 16). (21) 411, 10/14 : Ex parte rerum tria examinare sufficit : nempe id primum quod sponte obvium est, deinde quomodo unum quid ex alio cognoscatur, et denique quienam ex quibusque deducantur. La phrase suivante est sans signification pour notre propos (22) 411, 13/14. (23) Cf. plus haut, chap. 7. (24) 427, 21/23.

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deduction seule » que nous pouvons « composer les choses de maniere a etre surs de leur verite » (25) ; s’il reconnait qu’ « il peut y avoir pourtant en elle aussi de tres nombreux defauts » (26), il conclut en affirmant simplement : « Mais il a ete mis en notre pouvoir d’eviter cette erreur, a condition de ne lier jamais de choses entre elles sans voir par intuition que la liaison de l’une avec l’autre est tout a tait necessaire » (27) ; et il ajoute : « Quant a la deduction, il en sera traite plus au long dans ce qui suit » (28) — mais, en tout cas, pas dans la Regie XII (29). Ainsi, le « troisieme point » de XII-P ne correspond a rien de precis dans aucun niveau jusqu’ici identifxe de la Regie XII. « Comment on connait par un autre tel ou tel objet » (30), enonce auparavant XII-P. Cette demarche est prealable a la deduc¬ tion, dans ce texte : il s’agit done sans doute d’une operation telle que la « designation de l’inconnu par le connu » de XIII-A2 (31), elle-meme prealable aux « inferences » sur la pierre d’aimant ou les cordes vibrantes... (32). Mais, en tout etat de cause, le niveau XII (A) de la Regie n’enseigne point a « connaitre un objet par un autre ». Sil s’agit d’une demarche anterieure a la deduction, XII-(3)-3 [phase XII (A)] n’en mentionne qu’une : « reunir des experiences » (33), et XII-(2)-l°, 2° et 5° ne parlent que de 1 apprehension ou de la « separation » des « natures simples » (34). Et s il s’agit de la deduction elle-meme (ce qui est peu probable, du reste), celle-ci ne se fait point, d’apres la couehe XII (A) de la Regie XII, a partir d’un objet, mais a partir d'un ensemble d’experienees (35). Quant au niveau XII (B), il ne connait que l’intuition et la liaison necessaire (36), et dans celle-ci on ne « connait » pas un objet « par un autre », mais on « con^oit distinctement » « l’un et l’autre » par et dans la liaison meme qui les unit (37). Ainsi, les deux derniers points de la 2“ partie de XII-P n’ont pas d’equivalent dans la Regie XII. (25) 424, 19/20. (26) 424, 21. (27) 424, 27 - 425, 3. Cf. aussi 425, 12. (28) 425, 18/19. (29) Les quelques lignes tronquees que nous avons appelees XII-Z (428, 16/20), d’une part ne peuvent en aucun cas etre considerees comme appartenant a la phase XII (B) (infra, § 48) ; d’autre part ne constituent certes pas le « developpement plus ample » (plura dicentur) auquel XII-(3)-l° (425, 19) fait allusion. (30) 411, 12/13. (31) Cf. plus haut, p. 156. XIII-A2, 430, 17 ; 431, 3 (designatum, 430, 19). (32) 431, 3/15 (deduci, 431, 6 ; inferendum, 431, 7). (33) 427, 19/20. (34) 418, 11 ; 419, 9/11 ; 422, 11. (35) 427, 19/23. (36) Cf. cette conclusion de XII-(3)-l° [phase XII (B)] : nullas vias hominibus patere etc. (425, 10 sqq) ; sur les liaisons necessaires, voir XII-(2)-4° et XII-(2)-7°, 424, 27 ; 425, 6. (37) 421, 5/8.

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Pour ce qui regarde enfin le premier (« ce qui se presente spontanement ») (38), on peut dire que, puisque dans la phase XII (A), le « simple » ne se presente pas spontanement (cf., a propos des natures simples : « il est souvent plus facile d’en considerer en meme temps plusieurs jointes ensemble que d’en separer une seule des autres : je puis, en effet, par exemple, connaitre le triangle sans avoir jamais pense que dans cette connaissance est contenue encore celle de Tangle, de la ligne, du nombre trois, de la figure, de l’etendue, etc. ») (39) ; non plus que le « compose » (le « melange des natures simples » de la phase XII (A) etant 1’oeuvre de l’entendement) (40) ; ni enfin le donne empirique, que l’on doit « rassembler avec soin » (41), — on peut dire que rien, dans cette phase XII (A), ne lui correspond. Et quant aux « liaisons necessaires » de la phase XII (B), elles sont si loin de toujours « se presenter spontanement » qu’ « il y a un grand nombre de choses qui sont souvent liees entre elles d’une maniere necessaire et que la plupart rangent (neanmoins) parmi les contingentes » (42). En sorte qu’aucun des trois points presentes d’abord par XII-P ne repond aux idees developpees en fait par la Regie XII des phases XII (A) et XII (B) : circonstance qui autorise, dans tous les cas, la conclusion qu’entre XII-P et XII-(2) et (3) il y a, a coup sur, une difference de phase ; et qui jette un doute de plus sur la concordance effective entre XII-P et XII-(l) (43). Quel serait, des lors, le niveau dont releve ce bref preambule XII-P ? Il est certain, tout d’abord, que XII-P est posterieur a VIII-C, qui ne connait encore que trois « facultes », tandis que XII-P leur ajoute, ainsi que VIII-D et la Regie XII tout entiere, une quatrieme, la memoire (44). Mais, d’autre part, XII-P ignore l’essentiel de XII-(2) et (3) : la doctiine des « liaisons necessaires » [phase XII (B) ], et la doctrine de la « composition des natures simples » [phase XII (A)]. Cela peut signifier deux choses : ou bien que XII-P est anterieur a XII (A) et a XII (B) ; ou bien qu’il leur est posterieur. Dans le premier cas, XII-P est un reste d’une Regie plus ancienne que celles redigees aux phases XII (A) et XII (B). Dans le deuxieme cas, XII-P serait l’esquisse d’une Regie jamais ecrite, epinglee au debut de la version definitive [datant de la phase XII (B) ] de la Regie XII. Or, si XII-P n’a aucun rapport avec les phases XII (A) et XII (B), en revanche, il presente des affinites precises et nombreuses (38) 411, 11/12. (39) 422, 9/14.

(40) Cf. plus haut, chap. 7, p. 128, n. 129. (41) 427, 19. (42) 421, 26/28. (43) Cf. supra, p. 186. (44) Cf. 398, 26/29 ; XII-T (410, 18/19) ; XII-(l), particulierement 416, 7/8.

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avec certains textes datant d’une epoque anterieure : avec le complexe XIII-A2 + XIV-A (45). Dans ces conditions, le doute n’est guere permis : XII-P, posterieur a VIII-C (phase U-3), anterieur aux ym?*) x1 vm *et, Xn (B)’ est' parce qu il est aPParente a A1H-A2 + XI v -A (phase U-3’), lui-meme contemporain de cette derniere phase : Phase U-3' = XII-P, XIII-A2 + XIV-A (1623)

(61)

Quelle est maintenant la Regie que, visiblement, XII-P (« preambule ») a pour tonction d’introduire ? Ici encore, la reponse est relativ ement aisee. XII-P definit une Regie qui devait comprendre : 1° une description des quatre « facultes », sans doute differente de celle de la phase (posterieure) XII (A), c’est-a-dire de XII (1) ; 2° le complexe XIII-A2 + XIV-A (correspondant aux deux premiers points de XII-P) ; 3° un passage relatif aux « deductions » dont parle le troisieme point de XII-P. Nous appellerons cette Regie — qui devait suiure la Regie VIII de la phase U-3 (c’est-a-dire VIII-T, A, B, C) — Regie S(2) (tout entiere de la phase U-3’). D’ou :

(62) RegieS(2) = XII-P, (4facultes), XIII-A2 + XIV-A, (deduction) (phase U-3') 1623

48. — XII-T. Examinons a present XII-T (le titre de la Regie XII) : « Enfin, il faut se servir de tous les secours de l’entendement, de l’imagination, des sens et de la memoire, tant pour avoir une intuition distincte des propositons simples, que pour comparer convenablement — ce qui permettra de les reconnaitre — les ehoses qu’on cherche et cedes que 1’on sait, et que pour trouver les ehoses qui doivent etre ainsi comparees entre elles, de fagon a ne negliger aucune ressource de l’industrie humaine » (46). Ces lignes ne presentent pas une division nette en deux parties, comme XII-P (47). Cependant, la distinction des quatre facultes que 1’on y trouve est identique a celle que comporte ce dernier texte. De sorte que si les trois points qu’enumere successivement XII-T se revelaient a leur tour equivalents a ceux que mentionne la (45) Cf. injra, Appendice J, p. 256. (46) 410, 18/23. (47) In nobis (411, 5) ; ex parte rerum (411, 10/11).

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deuxieme partie de XII-P (48), l’on pourrait legitimement ccnclure a la parente des deux passages, et a leur synchronisme — au moins approximatif. Or, « avoir une intuition distincte des propositions simples » de XII-T se superpose exactement a « examiner... d’abord ce qui se presente spontanement » (quod sponte obvium est) de XII-P (49). Ce point, assez evident par soi, est garanti en outre par un texte de la Regie VI (phase U-l), lequel enseigne « qu’il est necessaire, avant de nous appreter a affronter quelques questions determinees, de recueillir sans aucun choix les verites qui se presentent sponta¬ nement a nous » (sponte obvias veritates ) (50). En effet, si nous avons la curiosite de jeter un coup d’ceil sur l’exemple qui suit, et qui illustre la notion de « verite qui se presente spontanement a nous » (51), nous verrons qu’il correspond tout a fait a l’idee qu’on peut se faire d une « proposition simple » : « le nombre 6 est le double du nombre 3 » (52). Et la Regie III (phase U-l) nous apprend, en outre, que des « propositions » pareillement « simples », telles que : « un triangle est limite par trois lignes seulement, un corps spherique par une seule surface », sont connues au moyen d’une « intuition intellectuelle » — comme dans XII-T — c’est-a-dire avec « distinction » — comme dans XII-T encore (53). Ainsi, accord total entre XII-T et XII-P sur ce point. \ a-t-il egalement equivalence entre : « pour comparer (cf. plus has : « qui doivent etre ainsi compares entre elles ») (54) convenablement, ce qui permettra de les reconnaitre (ut agnoscatur), les choses qu’on cherche et eelles que Ton sait » (XII-T), — et : « comment on connait (cognoscatur) par un autre tel ou tel objet » (XII-P) ? (55). Nous avons vu (56) que ce dernier membre de phrase renvoie a XIV-A. Or, XIV-A affirme aussi que « c’est par une compa¬ rison seulement que nous connaissons (cognoscamus, A ; mais agnoscamus, H) la verite d’une maniere precise » (57), et que cette « comparison » a lieu entre « ce qu’on cherche » et « un objet donne » (58). C’est done a XIV-A que renvoie egalement XII-T. II y a bien la divergence agnoscatur (XII-T) - cognoscatur (XII-P). Mais elle se trouve attenuee, d’abord par la le§on possible agnosca¬ mus (XIV-A) du manuscrit de Hanovre (59), ensuite par ce qu’il y (48) (49) (50) (51) (52)

411, 410, 384, 384, 384,

11/14. 19/20 et 411, 11/12. 12/13. 21 sqq. 22.

(53) (54) (55) (56) (57) (58) (59)

368, 21/24 (numerotation defectueuse). Quse ita inter se debeant conferri (410, 21/22) 410, 20/21 et 411, 12/13. Cf. supra, p. 189, et Appendice J. 439, 20/21. 439, 17/19. 434, 19/21.

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a d un peu flollant dans la « connaissance » selon XIV-A, laquelle preludant (dans la perspective oil la situe XII-P) a la « deduction »’ (dont devait s’occuper, dans cette perspective, XII-Z), tend a se confondre avec la « designation de l’inconnu par le connu » dont par consequent avec sa « reconnaissance » (cf. Xlll-L, a propos de cette « designation » justement : « a quels signes ils reconnaitront l’objet cherche ») (60). De sorte que nous pouvons, en definitive, induire, de cette commune reference a XIV-A, 1 equivalence du « deuxieme point » (apres le « premier ») de’ XII-P et de XII-T. ?t1tt pXIII"A2, et

Au « troisieme point » de XII-P : « quelles deductions on peut tirer de ehaque objet » correspond le « troisieme point » de XII-T : « pour ti ouver les choses qui doivent etre ainsi comparers entre elles » (61). XII-T veut dire ici, sans doute : « pour trouver l’inconnu, d abord designe et reconnu au moyen d’une comparaison convenable » ; ce qui equivaut, en somnie, a « comment deduire, par quelle deduction trouver l’objet cherche ». Or, entre cette derniere phrase, commentant le texte de XII-T, et la phrase de XII-P : « quelles deductions on peut tirer de ehaque objet », il n’y a que 1 ecart, peu significant, entre la demarche orientee vers la solution, et la demarche orientante, par l’entramement ou la classification qu’elle propose ou annonce. II nous semble done tout a fait vraisemblable, en depit de quelques nuances d’expression ou de pensee dont on doit tenir compte, que 1’ensemble de XII-T, avec ses quatre facultes et ses trois operations, vise approximativement le meme projet que les facultes et les operations de XII-P ; et qu’ainsi, comme XII-P, XII-T doit etre situe dans la Regie S(2) et la phase U-3’ : S (2) = XII-T, XII-P, (4 facultes), XIII-A2 + XIV-A, (deduction) et : (64) Phase U-3' = XII-T, XII-P, XIII-A2 + XIV-A

49. — XII-Z. Reste XII-Z (428, 17/20). Ce passage, interrompu aussi brutalement que l’est, dans la Re¬ gie XIII, le morceau XIII-B (62), est curieux a d’autres egards encore. (60) 439, app. crit. (61) 410, 21/22 et 411, 13/14. (62) 434, 6. Cf. supra, § 35.

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II vient, dans nos deux sources, apres XII-(3)-4° (63) ; aussi, commence-t-il, dans le manuscrit de Hanovre, par Dicimus quinto (64). Mais l’edition d’Amsterdam porte ici : Dicimus octavo (65), comme si elle voulait rattacher par la XII-Z a XII-(2)-7°. Et il faut avouer que XII-Z n’a rien a voir avec XII-(3)-4° ; tandis que XII-(2)-7°, qui s’acheve sur une critique de la « deduction », debouche, tout naturellement, sur cette enumeration des divers genres de deduction que tente XII-Z. Toutefois, les editeurs d’Amsterdam sont plus suspects du souci de coherence interne que le copiste du ms. de Hanovre ne Test du souci de coherence d’aucune sorte, meme externe (66) : nous ne tiendrons done aucun compte du nurnero d’ordre octavo. Mais il est visible neanmoins, repetons-le, que ce quinto n’a rien de commun avec XII-(3)-4°. Il est done a presumer que ce morceau de quelques lignes, inacheve, n’est pas a sa place ici, apres l’edifice imposant, quoique composite, de XII-(l) (2) et (3) ; qu’il fut redige a une date differente de celle des elements divers dont se compose cet edifice; et qu’il y fut insere — un peu comme par un remords de ne pas avoir traite a fond le probleme de la « deduc¬ tion » et de ses differentes especes — sans doute au moment oil les textes XII (B) venaient s’ajouter a la version XII (A) de la Regie XII. Quelle est, des lors, la date de la redaction de XII-Z ? XII-Z est a coup sur posterieur a XIII-B (phase U-2), qu’il reproduit presque textuellement, en lui ajoutant toutefois la relation de similitude (67). D’autre part, nous savons que VIII-C (phase U-3), que XIV-A (phase U-3’) s’interessent a Yanalogie (68) : 1’interet dont temoigne XII-Z pour la similitude procede sans doute de preoccu¬ pations que manifestent ces phases. En revanche, XII (A) et, a fortiori, XII (B) ont deja depasse le stade de l’analogie simple, que XII (A) a remplacee par i’analogie complexe du melange de natures simples imitant la realite examinee par le chercheur (69). Anterieur a XII (A), posterieur a coup sur a U-2, XII-Z appartiendrait-il, des lors, a la phase U-3’ ? Cela est d’autant plus probable que XII-P (et aussi XII-T) comportent precisement l’indication d’une theorie de la deduction dont nous n’avons trouve aucun equivalent ni dans XIII-A2 ni dans XIV-A auxquels XII-P semble bien, par ailleurs, se (63) 427, 27 ; 428, 16. (64) AT. X, p. 428, app. crit. (65) Ibid. (66) Cf. sur les habitudes du copiste de H, AT, X. p. 357. L’inintelligence meme de celui-ci est quelquefois garante de ses legons, qui n’ambitionnent point d’amender le texte. (67) Comp. 433, 1/3 avec 428, 17/20. (68) 438, 24 (ex aliorum similitudine) ; 395, 9/10 (per imitationem). (69) Cf. supra, p. 128, n. 129.

LA REGLE XII

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referer. Dans notre formule (63), XII-Z remplacerait ainsi l’un des deux intervalles laisses « en blanc » ; de sorte qu’en definitive : (65) S(2) = XII-T,XII-P,(4 facultes),XIII-A2 + XIV-A, XII-Z

et :

(66) Phase U-3' = XII-T, XII-P, XIII-A2 + XIV-A, XII-Z

Nous avons ainsi acheve Vhistoire des differentes Regies, considerees isolement, telle qu’on peut l’induire a partir d’indices convergents dont la hate meme de Descartes a perseme ces textes. Deux nouveaux problemes se posent maintenant a nous. D’une part, il taut tenter d’esquisser une histoire des Regulae, considerees dans leur ensemble, a la lumiere des analyses partielles qui prece¬ dent. D’autre part, la mise en place des differents textes terminee, il est necessaire de fixer les grandes lignes d’une histoire de la Methode des Regulae. Les deux chapitres qui suivent traiteront successivement ces deux points (70).

(70) Voy. Appendice K, infra, p. 257. 13

Chapitre XII

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SOMMAIRE. § 52. - PHASE SN (194-195). § 53. - PHASE P (195). § 54. - PHASE MU (196). § 55. - PHASE U - 1 (196-197). § 56. - PHASE U - P (197-198). § 57. - PHASE U - 2 (199). § 58. - PHASE U - 3 (199-200). § 59. - PHASE U - 3’ (200-201). § 60. - PHASE XII (A) (201-204). § 61. - PHASE XII (B) (204-206).

52. — PHASE SN. Si nos deductions sont exactes, le texte le plus ancien des Regulae est forme par la couche « archaique » — II (a) — de la Regie II : II-A, II-C et II-E (moins II-R1 et sans doute II-R2) (1). Rappelons la date que nous avons assignee a la redaction des passages qui forment la Regie II (a) : extreme debut du sejour dans le « poels » — done, selon toute vraisemblance, deuxieme moitie d’oetobre 1619 (2). La Regie II (a) n’est pas, a l’origine, congue comme un chapitre d’un Traite de la Methode universelle ; au fond, on ne peut pas (1) Cf. supra, p. 31. (2) Pp. 32-33.

HISTOIRE DU TEXTE DES

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meme parler de « Regie » ; ce passage est une sorte de preambule a un u resoudre et qui, entre temps, put paraitre tout a fait oublie (16). Or, les preceptes U-2 employes ici par VIII-C” (tels que l’analyse, la synthese, la division en petites parties, l’examen attentif de celles-ci) entrainent, en definitive, un profond remaniement, sinon de la Methode ellememe, du moins de son expose. En effet, VIII-C” (et notons que deja \ III-C avait mentionne a deux reprises l’existence de precep¬ tes et done de « Regies » devant suivre la Regie VIII) (17), envisage tout un ensemble d’idees qui devront etre developpees et precisees ulterieurement : enumeration des « instruments de connaissance » (entendement, imagination, sens) (18) ; theorie de la verite et de l’erreur, lice a cette enumeration (19) ; enumeration de « toutes les voies qui sont ouvertes aux homines vers la verite » (20) ; depouillement « abstractif » des objets de connaissance (21) ; theorie des limites de fesprit humain (22). En d’autres termes, VIII-C” esquisse clairement une ou plusieurs Regies ulterieures devant systematiser ou completer la Methode telle que 1’ensemble du texte VIII-C la pratique. Or, c’est cette Regie ulterieure (ou ces Regies ulterieures) qui definira, deux ans plus tard (en 1623), la Methode U-3’. En effet, une constatation s’impose ici d’emblee : la Regie que nous avons appelee S (2) (phase U-3’), et qui comprend, d’apres la formule (65), XII-T, XII-P, un element inconnu sur les « quatre facultes », XIII-A2, XIV-A et XII-Z (23), accomplit scrupuleusement le programme des recherches de VIII-C” —a condition d’ajouter la memoire aux « trois facultes » de VIII-C. Ainsi XII-T et XII-P enumerent, d’une part les « facultes », d’autre part les « voies » qui permettent d’acceder a la verite, dans une enumeration qui se veut complete (24) ; XIII-A2 enseignera a « depouiller » l’objet de connaissance (25) ; XIV-A et XIII-A2 encore etudieront avec assez (15) (16) (17) (18) (19) (20) (21) (22) (23) (24) (25)

395, 18/19. Supra, p. 220 et pp. 222-223.

394, 395, 396, 396, 396, 396,

13/14 et 395, 10. 27 ; 396, 1. 3 sqq. 7/10. 10/15. 21/22. Supra, p. 192. § 49 et 47. 431, 25/27.

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de detail les « voies » de XII-T et de XII-P (26), et qui se reveleront telles precisement que les connait VIII-C ; XII-Z parlera de la relation de « similitude » (27), tout comme VIII-C parle de 1’ « ana¬ logic » (dont il precise qu’il sera question dans la suite du Traite). Seules les theories de la verite et de l’erreur, et des limites de l’esprit humain sont absentes de l’horizon de la Regie S (2) telle que nous l’avons reconstitute plus haut ; encore est-il tout a fait plausible de penser que ces deux questions eussent pu etre traitees dans la section « inconnue » qui devait examiner les « facultes » et leur role dans la connaissance, ou, peut-etre, dans quelque Regie « suivant » la Regie S (2) elle-meme. Qu’en conclure ? Ceci, sans doute : VIII-C annonce une Regie ulterieure, S (2), qui sera effectivement redigee a la phase U-3’. C’est cette Regie que nous allons a present tenter d’analyser du point de vue methodologique. Le lecteur ne trouvera pas iei un tableau de la Methode U-3 semblable a ceux qui resument les Methodes precedentes. En ellet, les preceptes mis effectivement en eeuvre par VIII-C’ et VIII-C” sont identiques, a peu de chose pres, a ceux de la Methode U-3’, qui ont l’avantage d’etre plus clairs. C’est done a la fin du paragraphe suivant, consacre a l’examen de cette Methode, que nous esquisserons un panorama methodologique valable a la fois pour U-3 et pour U-3’.

71. — METHODE U-3’. Un seul texte vraiment important date de la phase U-3’ : le complexe XIII-A2 + XIV-A. La Regie XIII-A2 se presente des 1’abord comme une redaction plus achevee de XIII-C, et comme une reponse nouvelle au probleme que XIII-B et XIII-C n’ont pu qu’effleurer (enoncer une technique « resolutive » capable de completer et de parachever le precepte d’analyse de la Regie V). En effet, XIII-A2 indique que la « diffi¬ culty » doit etre « bien comprise » (28) (ce qui correspond a la fois au premier precepte de XIII-C et au premier point de la Methode P) : qu’elle doit etre ensuite « abstraite de toute conception superflue » (29) (= le second precepte de XIII-C et le deuxieme point de P) ; qu’elle doit etre « reduite » et « divisee » (30) (Methode P, point 3 : « les reduire et les diviser en petites parties ») ; qu’on doit « parcourir » « separement » les experiences donnees (31) (= Methode P, (26) (27) (28) (29) (30) (31)

Cf. § 49 et 47. 429, 19. Bene intellectam, 431, 19. 431, 19/20. 432, 1/3. 432, 4/5.

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point 4 : « examiner avec attention chacune de ces parties », etc.) ; qu’on doit « comparer » « separement entre elles » les differentes « parties » de la question (ici, cordes A, B et C) (32) (= Methode P, point 5 : « il faut rapporter toutes ces parties, en les comparant les unes aux autres ») ; et enfin « embrasser tout a la fois dans une enumeration suffisante » (33) (= Regie VII (a), enumeration verificative). Ce parallelisme frappant (quoique parfois plus litteral que semantique, ainsi « reduire » et « diviser », dans XIII-A2 n’ont sans doute pas le sens que leur donne la Methode P, comme le prouvent les references aux Regies V, VI et VII [Methode U-l]) (34) merite d’etre examine avec soin. II ne s’agit certes pas ici d’accoler, purement et simplement, aux preceptes de la Methode U-l (augmentee de U-l’), ceux de la Methode P. Aussi bien la reference des preceptes de « reduction » et de « division », respectivement, aux Regies V et VI d’une part, a la Regie VII d’autre part, montre-t-elle a l’evidence que Descartes n’accueille dans XIII-A2 qu’une Methode P profondement modifiee. Mais quel est le sens de ces modifications et de cette integration tardive ? II faut ici nuancer. II n’est pas question, dans XIII-A2, de revenir sur les preceptes « propedeutiques » de la Methode U-l (intuition, deduction), acquis une fois pour toutes. De meme, la reduction (c’est-a-dire, ici, l’analyse de la Regie V) et la division [enumeration inquisitive de VII (b)] demeurent sans changement, ainsi que du reste 1’enumeration « verificative » de VII (a). En revance, d’autres moments de la Methode U-l subissent des transformations profondes. La constitution de series « paradigmatiqnes », et la comparaison avec ces series (Regie VI) (35), deviennent, dans la perspective de XIII-A2, sans objet. Ainsi, apres l’analyse, Descartes nous enjoint ici, non plus de proceder a des comparaisons aleatoires avec des paradigmes amasses au hasard et sans ordre (comme c’etait le cas de la Regie VI), mais de centrer son effort sur les elements memes de la difficulty a elucider : « parcourir separement (les experiences) l’une apres l’autre ; « comparer separe¬ ment entre elles les cordes » (36), etc. Ainsi tout un pan de la Me¬ thode U-l s’ecroule, et fait place a des preceptes inspires d’un etat anterieur de la Methode. Et, d’autre part, le precepte de l’arret de la recherche devant un terme qui resiste a l’intuition, deja mis en question par VIII-A (phase U-l’), est resolument ecarte par ces mots : « Voila, concernant les termes d’une proposition, les trois

(32) 432, 6/7. Pour une comparaison entre XIII-A2 et P, cf. Appendice H. (33) (34) (35) (36)

432, 7/8. 432, 2 et 3. Supra, pp. 219-220. 432, 5 et 6.

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points seulement auxquels doit s’en tenir Ventendement pur » (37) — qui laissent presager que d’autres efforts sont possibles dans le domaine exterieur a l’entendement pur (et done a 1’intuition), par exemple a l’aide de 1’imagination ou des sens. Aussi bien, que de tels efforts soient non seulement possibles, mais necessaires, cela resulte du caractere manifestement incomplet de la Methode de XIII-A2 : que faut-il faire au juste apres avoir parcouru les expe¬ riences, compare les faits ? Et nous savons deja (38) qu’a cette question il sera repondu par un texte lie a XIII-A2 si etroitement qu’il dut faire a 1’origine un tout avec lui, XIV-A. Enfin, on devra compter desormais au nombre des preceptes « propedeutiques » les deux premiers points de XIII-A2, visiblement exterieurs a la solution proprement dite : la « comprehension » (ou « connaissance ») de la difficulty et 1’ « abstraction » de l’enonce de tout element adventice. En resume, nous pourrons representer ainsi l’etat de la Me¬ thode apres la redaction de XIII-A2 : Preceptes propedeutiques generaux : 1) intuition, 2) deduc¬ tion (Regie III). Preceptes propedeutiques speciaux .'3) comprehension des donnees, 4) leur epuration (« abstraction » ) Regie XIII-A-2. Preceptes resolutif s : 5) analyse regressive, 6) svnthese progressive (Regie V, cf. VIII-C’), 7) division de la difficulty « en petites parties » (cf. XIII-A2 et P), 8) examen attentif de chacune de ces parties, considerees « separement », 9) comparaison de ces parties entre elles. — Preceptes complementaires : 10) enumeration verificative [Regie VII (a)], 11) possibility (ou necessity) de s’adjoindre les secours de « facultes » autres que l’entendement pur et l’intuition (XIII-A2). Ce dernier conseil, joint a la constatation faite plus haut du caractere incomplet de la Methode dans XIII-A2, nous conduit a entreprendre a present 1’examen de XIV-A, dont nous avons deja dit les liens avec XIII-A2. J Si XIII-A2 repond aux cinq « points » de la Methode P (au moins quant a leur forme, sinon toujours quant au contenu de ceux-ci) XIV-A traite expheitement d’un point que seul mentionne le « Commentaire » de la Methode P : la comparaison, qui doit etre assuree par un « Moyen (terme)... qui n’est pas aise a trouver » ; et, si XIII-A2 n’invoque que 1’ « entendement pur », XIV-A appelle a son aide une autre faculty, 1’ « imagination » (39). (37) 432, 9/10. (38) Supra, pp. 181-183 ; cf. Appendice H. (39) 438, 12.

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XIV-A suppose la « question » reduite a un etat tel qu’il ne s’agisse plus que de « deduire » « (inferer », disait XIII-A2 (40) Vinconnu de l’ensemble des donnees (ou du ccmnu) (41) : ainsi nous abordons ici le probleme au point precis oil I’avait laisse XIII-A2. Cette « deduction » s’opere, selon XIV-A, selon un seul schema, celui de la ressemblance (42) (on remarquera ici le progres sur les schemas paradigmatiques multiples, et declares inutiles, de XIII-B, auquel se substituent XIII-C et XIII-A2). Et cette ressemblance (ainsi que ses cas-limites, « identite » et « egalile ») (43) se constate, d’apres XIV-A, par une comparaison (44). On voit ainsi comment XIII-A2 + XIV-A respondent aux questions laissees en suspens par la Methode P : « connaitre suffisamment les termes » (intuitivement, distinctement, attentivement (45), repond XIII-A2, conformement aux decouvertes de la Methodes U-l), et cctrouver les Moyens destines a rendre les comparisons possibles » (et a cela XIV-A repond en invoquant le role joue dans les « deductions » par la ressemblance, l’identite ou l’egalite) (46). De sorte que toute la Methode, a Vepoque U-3’, apres l’inquietude manifestee par U-l’ (VII (b), VIII-A/B), et l’echec reconnu de XIII-B (periode archaique de la Methode U-2), se laisse comprendre comme une reflexiomassidue sur la structure et les difficultes de la Methode P, reflexion qui a conduit Descartes a admettre dans sa Methode definitive (a cette epoque) plusieurs preceptes de P, dument repenses et encadres. Et l’ensemble de cette Methode U-2, avec les divers preceptes qu’elle subsume et paracheve a la fois, devra etre represente, des lors, sous la forme schematique que voici : — Preceptes propedeutiques generaux : 1) intuition, 2) deduc¬ tion (Regie III). — Preceptes propedeutiques speciaux : 3) comprehension des donnees, 4) leur epuration (« abstraction ») (XIII-A2). — Preceptes resolutifs : 5) analyse gressive (Regie V), 7) division de parties » (cf. XIII-A2 et P), 8) examen donnees considerees « separement », 9) entre elles, dans une deduction fondee (XIV-A).

regressive, 6) synthese pro¬ la difficulty « en petites attentif de chacune de ces comparaison de ces parties sur l’idee de ressemblance

— Preceptes complementaires : 10) enumeration verificative [Regie VII (a)], 11) intervention possible de « facultes » autres que 1’entendement (imagination et sens, XIV-A). (40) 431, 7. (41) 438, 13/14. (42) Similitudine, 438, 24 ; idea communis, 439, 15/16 ; 439, 19. (43) 439, 19. (44) 439, 17 ; 439, 20 ; 439, 22 ; 440, 4. (45) Ab intellects puro, 432, 10 ; separatim, 432, 5 et 6 ; et cf. 431, 26/27. (46) Yoy. les textes cites ici, n. 42 et 44.

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Peut-on aller plus loin dans cette voie ? II semble qu’a l’epoque oil Descartes redige XIII-A2 et XIV-A (1623), on ne peut guere depasser les preceptes nombreux et precis que nous venons de resumer (et auxquels on pourrait encore ajouter plusieurs enonces relatifs a la « designation » et a la « determination » de l’inconnu selon XIII-C et surtout XIII-A2) (47). Neanmoins les difficultes intrinseques, nombreuses et graves, subsistent : la Methode, a l’epoque U-3’, est trop etroitement ajustee a une position du probleme en fonction des « donnees » proposees par l’adversaire du chercheur, ou par le hasard (48) ; il semble que Descartes vise moins a decouvrir la verite qu’a repondre aux defis qui pourraient lui etre adresses ; et, d’autre part, l’idee de ressemblance est peutetre a la fois trop vague et trop generale pour pouvoir effectivement rendre les services que Descartes va lui demander. C’est, sans aucun doute, de la meditation sur ces imperfections de la Methode U-3’ que naitra plus tard, chez un Descartes plus averti, la Methode d’analogies complexes que nous avons designee par Ie sigle CNS (composition de natures simples) (49) et assignee a la periode comprise entre 1625 et 1627 (50). 72. — METHODE CNS. L’etude des Methodes U-l’ (extreme fin 1619), U-2, U-3 (s’echelonnant sans doute le long des annees 1620 et 1621), enfin U-3’ (1623) montre que, definie pour l’essentiel aux environs du 10 novembre 1619, la Methode de Descartes (U-l) ne parvient pas a trouver son equilibre, qu’elle cherche, comme a tatons, dans plusieurs directions a la fois. En revanche, la Methode CNS [phase XII (A)] va proposer une Methode a certains egards nouvelle, efficace, et qui n’aura plus a etre modifiee, mais seulement completee [par la Methode LN, phase XII (B) ]. C’est cettc Methode, qu un intervalle de deux a quatre ans, sans doute, separe de la derniere tentative importante pour definir une Methode valable (U-3’ : 1628) et qui resume sans doute de longues meditations sur la technique de la decouverte — que nous allons a present envisager. La Methode CNS se trouve exposee (51) dans les textes suivants : VIII-D, XII-(l), XII-(2)-0, 1°, 2°, 5°, XII-(3)-2°, 3°, 4°, enfin XI\-B. VIII-D annonce une Regie « suivante » — done neuvieme — ou nous avons reconnu l’etat S(3) de cette Regie (52). C’est a S(3) qu’appartiennent, sans aucun doute, tous les textes relevant de la phase XII (A) de 1 actuelle Regie XII, et que nous venons de mentionner. Quant a XIV-B, qui vient se superposer, de l’aveu meme de (47) (48) (49) (50) (51) (52)

Supra, p. 156 et Appendice G. 431, 3 sqq. Supra, § 28 et p. 128, n. 129. Infra, § 72. Supra, § 62. Cf. supra, § 28 et 29, et § 62. Cf. Appendice K.

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Descartes (53), a XIV-A, il definit sans doute au moins une esquisse d’une Regie qui devait suivre, dans le manuscrit, la Regie S(3), et qu’on pourrait designer par le sigle SS (done Regie dixieme et, peut-etre, a cette epoque la derniere du Traite) (54). La Methode CNS proprement dite est contenue dans les points 2°, 3° et 4° de XII-(3). Son principe est que la connaissance consiste « dans une composition de choses connues par elles-memes » (55) ; et, en premiere approximation, sa structure est don nee dans ce texte : « Celui qui pense qu’on ne peut rien connaitre dans la pierre d’aimant qui ne soit compose de certaines natures simples et connues par elles-memes, n’a pas d’incertitude sur ce qu’il faut faire. D’abord il rassemble avec soin toules les experiences qu’il peut se procurer a propos de cette pierre, puis il s’efforce d’en deduire quel melange de natures simples est necessaire pour produire tous les effets qu’il a reconnus par experience dans la pierre d’aimant. Ce melange une fois prouve, il peut audacieusement affirmer qu’il a compris la veri¬ table nature de la pierre d’aimant, autant qu’elle a pu etre decouverte par un homme et a l’aide d’experiences donnees » (55). Le point essentiel de cette Methode est done la « deduction » ; les regies de celle-ei sont neanmoins a chercher ailleurs, car XII (A) n’en dit pratiquement rien. Nous avons vu cependant qu’un texte de cette phase, XIV-B, s’ajoute a XIV-A, pour le modifier, tout en l’assumant, en quelque sorte, globalement (57). Il est done tout a fait certain que l’ensemble XIV-A + XIV-B correspond, dans une large mesure, aux idees de Descartes sur la « deduction » a l’epoque XII (A) ; et l’identite de certaines formules verbales dans XII-(3)-3° [phase XII (A)] et XIV-A, renforce aussitot cette conclusion (58). Or, la « deduction », selon XIV-A, consiste essentiellement dans une « comparaison » fondee sur la « ressemblance » (59). On voit alors a la fois ce qui rattache la Methode CNS aux Methodes anterieures, en particulier a U-3’, et ce qui en fait la veritable originalite. Comme U-3’, la Methode CNS est centree sur l’idee de ressemblance. Mais, tandis que U-3’ s’arretait a une ressemblance unique, par oil le cherche « participait » au connu (60) — ainsi la connaissance d’une certaine « puissance naturelle » faisant comprendre et connaitre Faction de la lumiere (61) — la Methode CNS exige une sorte d’analogie multiple, qui fasse participer le « cherche », non pas a une seule nature simple, mais a un compose de telles natures, neces¬ saire et suffisant pour produire tous les effets que nous avons

(53) (54) (55) (56) (57) (58) (59) (60) (61)

§ 43. Cf. supra, p. 202 c. XII-(3)-4°, 428, 1/2. XII-(3)-3°, 427, 16/26. § 43. Novum aliquod genus, 427, 9/10 ; cf. 438, 14/15. Supra, p. 233, n. 42 et 44. U-3 : imitationem (395, 9/10) ; U-3' : 438, 17. 395, 6/10.

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constates par experience dans le cherche. Ainsi, consideree du cote de ses preceptes « resolutifs », la Methode CNS apparait comme une generalisation de la Methode U-3’. Mais, en fait, c’est la structure tout entiere de la Methode qui se trouve profondement modifiee a la phase XII (A). Nous avons vu que la Methode U-3’ comportait au moins 5 preceptes « reso¬ lutifs », parmi lesquels nous avons reconnu l’analyse regressive, la synthese progressive, la division en parties, l’examen de ces parties, enfin la comparaison des parties entre elles, fondee sur l’idee de ressemblance (62). Or, XII-(3)-3° ne connait qu’un seul precepte « resolutif », lui-meme fort complexe du reste : la « deduction » du « melange de natures simples » capable de se substituer a l’objet cherche (63). Et VIII-D souligne qu’un changement de perspective est intervenu a cet egard, puisqu’il traite la Methode anterieure de « certains preceptes grossiers » que Descartes avait pu « trouver » a (ses) « debuts » (in his initiis) (64) ; or, parmi ces « preceptes grossiers » figurent Venumeration ou la division, Yexamen des parties et, sans doute, la synthese (65) ; il ne reste done plus guere que, precisement, la « comparaison » (« deduction ») de XII-(3)-3° et de XIV-B, comme precepte veritablement « resolutif », tous les autres etant reduits, implicitement, a l’etat de regies « propedeutiques ». On notera ici encore que le precepte de I’ « ordre », dont il n’a plus guere ete question depuis la Methode U-l (U-l’ reconnaissant la flexibility de cette notion) (66), reapparait dans VIII-D, a deux reprises, legerement modifie : « c’est par ce qu’il y a de plus utile qu’on doit t ujours commencer la recherche », lorsqu’il s’agit de « choses egalement faciles a connaltre » (67). Les textes de la Regie XII ressortissant a la phase XII (A) renferment encore d’autres preceptes visiblement « propedeutiques « a la solution du probleme proprement dite. Ainsi, XII-(2)-l° precise

VI. —

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VII. —

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VIII.

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IX. —

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>,

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XIII. —-

Appendices

Index rerum

Table des Matieres

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18 34 48 58 81 109 133 145 173 184 194

277





IMPRIMERIE JACQUES

ET

DEMONTROND

BESANQON

DEPOT 2e

LEGAL

:



TRIMESTRE

7116 1964

-

4 404

'•

Date Due

B 1868 R43 W4

Weber, Jean Paul La constitution du texte des R

010101 000

TRENT UNIVERSITY

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DATE

222559