L' Altercité, Rendre Desirable la Ville Durable 2843772078

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L' Altercité, Rendre Desirable la Ville Durable
 2843772078

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JACQUES DEBOUVERIE, préface de Claude Grive!

,

L'ALTER CITE Rendre désirable la ville durable

ÉDIT I ONS

Charles Léopold Mayer

l'a/tercité

Copyrighted riatenat1

Jacques Oebouve rie

,

L'ALTERCITE Rendre désirable la ville durable

Préface de Claude Grivel

Éo1 1 1 o• s Charles Léopold

Mayer

38 rue Saint-Sabin ?SOL 1 Paris Tél.: 0143 14 75 75/www.eclm.fr

Maison d'édition de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l'Homme (www.fph.ch). les llditions Charles Léopolcl Mayer (ECI.M) offrenr un se1.vicc édîtoriaJ aux acteurs de Ja rran­ sition écologique. sodale et économique. Elles éditent ainsi des ouvrages qui doive1u leur permettre de développer. mettre en forme et diffuser Jeur plaidoyer. autour de quatre grands thèmes: transi· tion vers des sociétés durabJes. gouvernance légitime et coopéra­ tions régionales. éthique et responsabilité. information àtoyenne. Les ECLM sont membres de la Corcdcm (Communauté de sites res­ sources pour une démocratie mondiale, www.coredem.info). et de l'1\lliance internationale des éditeurs indépendants (wv1w.alliance. editeurs.org). Vous trouverez des compléments à cet ouvrage sur le site de la mai­ . son d édition.

© Éditions Charles Léopold Mayer. 2017 Essai n ° 225 ISBN: 978·2-84377-207-8 Mise en pages: La petite Manufacture - Delphine Mary Conception graphique: Nicolas Pruvost

l'auteur Jacques Debouverie appuie ou an ime des études d 'urbanisme opérationnel e t de planîflcarion urbaine pour Je compte de communes. d'agglomérations ou d 'autres acte urs de la ville. Spécialiste des stra régies fonciè res. progrannnariques et de développement territorial, il participe avec passion à la construction de la ville de demain. qui saura conjuguer urbanité, durabilité et bienveillance. Ingénie ur, urbaniste e t juriste de formation . il a exercé de nombreuses respon sabilité-s d 'a1nénageur. de promoteur privé ou d 'opéra teur social sur des proje ts de toutes tailles, dont certains particuliè re me nt renom n1és. en région parisienne et en province. II e nseigne et intervient comme forma teur de cadres da ns différentes instances. U livre id son expérience et ses analyses les plus fouillées. pour partager son espérance d'une ville aimable cc respectueuse des êtres hmnains. surtout les plus défavorisés. 4

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Des propositions en matière de politique foncière. logement. activité économique complètent le présent ouvrage sur le site FutUrbain: www.futurbain.com

REMERC IEMENTS t•écriture de ce.s pages aurait été impossible sans des re ncontres. ancicmlcs ou plus récentes, porteuses de sens. de qucstiorrncmcnts et d'ouverture. Ces occasions ont permis la formatio n d'une sensibi· lité ja ma is perdue de vue depuis lors, elles ont alimenté la ré flexion et permis l'élabo ration des idées contenues dans ce livre. Que ces personnes trotivent ici l'expression de ma gratitude: Jean-Paul Alduy. Paul Andreu. Daniel Biau. Martin-Luc Bonnardot. Miche l Canta l-Duparc. Denis Clerc. Thérèse Cornil. Laurent Oavczics, Michel Ocsvigne. GuiLJa ume Duval, Xavier Fouq uet. Philippe Frémeaux. Georges Gontcharoff. Ala in Guiheux. Cla ire Lanly. Elena Lasida, Denis La urent, Philippe Madec.Jean-Yves Mano, Claude Massu. Nicolas Micheli n. Antoine Pat ier. Berna rd Perret, Dominique Perrault. Pierre-Yves Penot, Jean-Franc;ois Pecit, Denis Prima rd. Thomas Rîchez. Pierre-Jean Roca. Jacq ues Toubon. Jean· Baptiste Va. Souvent. l'urbanisme manque plus précisément d 'une vision sociétale. La ville est typiquement un objet complexe et la démarche de l'urbanisme relève de la . Vécu au quotidien. l'urbanisme donne un sens positif ou négatif aux modes de vie et il a une portée symbolique considérable. L"urbanisme nous concerne a u plus haut point. Nous avons tous un avis et. parfois. les débats locaux autour de e n tant que mode opératoire et é th ique professio nne lle de l'u rbanisme : il pour rait s'avérer le moteur pertinent pour réconcilier la responsabilité et l'espérance. Le souci de l'avenir et du présent. la permanence et le c ha ngement.

111. LA VI LLE ET LA RECOMPOS ITION DES LIENS SOCIAUX La vme est à la fois objer de nature et sujer de culture; it1dividu er groupe; vécue er révée ; la chose humaine por excellence.

Cu.uoE LEV,.Sn:tiWSS

LE BO ULEVERSEMENT DURABLE OE L'INDIVID UALISATION La réalité sodale de la ville. souvenl dépeinte coinme une crise profonde et multiforme. interroge l'urbanisme. autant q ue la nouvelle donne environnementale et économiq uè. Peu t-on toutefois parler de crise socia le da ns un pays où la famiJJe reste une valeur forte. où la protection soda le fonctionne malgré tout et où les assoc iations continuent à se multiplie r? Un processus de recomposition des liens sociaux s'observe indén iablement. La modernité et la postmodcrnité au xx., siècle. peut-être désormais l'hypermodernilé. ont changé tout à la fois le rapport au passé. la manière de vivre le présent. notre identité individuelle et collective. l'idée que nous nous faisons de la rationalité et des fonctionnalités de la ville. Peut·être cette clef de lecture décrit-elle mieux la «crise ) sociale et permet· elle d'éva luer la pertinence des réponses de l'urbanisme. Essayons de décrire ces changements qui concernent )'urbanisme. D'abord. remarquons combien l'urbanisme et la modernité ont une histoire parallèle. puisque le premier prend forme avec la nai.s· sancc de la seconde. L'indivjduaUsation ou nndjviduation. c'est-à· dire la revendication de chacun à l'a utonomie de ses choix. figure sans doute parmi les grands acquis de la modernité. La postmodernité semble amplifier cette mutation de la ville contemporaine, avec son coro1laire. l'affermissement du principe démocratique.

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L'îndîvîdualisarion traduit le désîr d'émancipation de J'îndividu et implique une prise de distance du citadin par rapport aux groupes sociaux d'appartenance, aux organisations et aux institutions. L'individualisation peut être une forme d '• individualisme posi· tif' » lo rsqu'elle se fonde sur u n choix électif construisant de nou· veaux liens sociaux. un individualisme émancipateur. innovateur et profondément toJéra nt. Cette tendance·là est h uma niste et citoyenne. EJle suppose que les individ us d isposent de ressources relacionnellcs suffisantes, cc q ui constitue (hridemment une des taches de l'urbanisme en offrant une d iversité de supports matériels et immatériels pour que ces Jiens puissent s'épanouir. Mais L'individualisme négatif. une tendance à l'individu solitaire coupé de la société et au comportement anomique. peut aussi remettre en cause Je lien sodal et la volonté de vivre ensemble.jusqu'à les nier. JI peut en résulter le repli sur soi. l'égoïsme, le séparatisme social ou ethnique. voire le coinmunautarisn1e ou le tribalisme. Dans ce schéma. les individus se trouvent fragilisés lorsque les institutions ne partk ipenc pas positivement à l'autonomisation des personnes et lorsqu"eJles ne parviennent pas à contrebalancer l'affa iblisse· ment des liens traditionnels dans le travail. entre les générations, etc. Les deux tendances aboutissent ainsi à deux résultats d iffé· rents : un enrichissement des liens rèlationnels dans le premièr cas. ou une soustraction d'attaches. de protections et de reconnaissance dans le second. 1.c philosophe Georg Simmel a beaucoup écrit pour mettre en valeur ce processus de différenci~1tion des citadins les uns par rapport aux autres. Consécrations de la modernité, « les g randes villes o nt une place tout à fait unique et riche de sîgnîficatîons inestî· mables • pour «fournir le lieu du combat et des tentatives de réu· nification entre deux rnodes de détermination de la personne , : • l'indépendance i nd ividuelle et la formation d e l'originaJité personne1Je'l>.

1. En rêfèrente àRo!:IM Castelo" i flançois résentant trop distendues, sans lisibilité et sans aménités. Id . nous avons proposé de construire des logements. des commerces. des restaurants, un cinéma sur une part des espaces publics et. surtout. de retrouver les liaisons avec la place de la mairie. des cheminements et un attrait. Les villes hiérarchisent consciemment ou inconscienunent leurs espaces publics. Des espaces «majeurs t se j ustifient en effet pour des raisons patrin1ouiales. avec la mise en valeur de monuments historiques ou pour des raisons symboliques. lis participent à l'iden· tificacion de la ville et à cene des citadins dans leur ville. comme au sentiment du collectif et du partage. Pourtant. il faut lutter contre la priorité exdusive de ces espaces majeurs et contre le surinvestis· sement pour leur mise en scène. 11 ne devra it pas y avoir d'espaces publics secondaires. réservant le luxe d 'un côté et admettant la dévalorisation d'un autre. Un espace public de quartier. même de taille modeste. mérite toujours Je même traitement emblématique et la même communication valorisante des municipalités. l,'enjcu de démocratie participative compte autant sur ce point que celui d'effeccivité : la manière de décider et de réaliser influence largement l'appropriation et la vitalité futures du lieu. Cette composante participative dans les projets d'espaces communs offre un gage de réussite.justement parce qu'e11e permet d'exprimer l'énergie collec· tive évoquée par Hannah Arendt. L'intcnsî6c.'ltion passe souvent par l'arbitrage enrre des fonctio n· nalité.s plus ou moins favorables à la vie età )'agrément. tvidemment. l'éli m ination du srationnement parasite, lorsque la possibi lité se

2. n s'agissan d'une mission pour la Ville de Bruz en 2010, avec Fouquet A1ch11ecture U1ban~me mandataire, lndd[goet Fu!Urbain.

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présente. procu re les gaîns les plus appréciables. Donner la priorité ~m piéton. lui offrir la possibilité de s'arrêter. de flâne r ou de chem i ner agréablement. conforter les zones de circu lation réservées a ux bus. agrémenter leurs stations. tout cela gratifie systématiquement l'espace pubHc. Oc même, tous les espaces collectifs interstitiels pro fitent largement de l'éloig nement de la voiture. L'intérêt provient surtout du changement d'échelle : les aménités peuvent s'instaUcr en supprimant les obstacles pour le piéton. le seul utilisateur vrai de l'espace commun. La voiture nécessite par nature toutes sortes de co ntraintes.. physiques au sol, visuelles par sa présence, sonores ou sécuritaires. Concevoir en fonction du piéton crée imm3nqua blement des sensations de liberté. cela permet dïnstaller des atten tions immédiatement pen;ues par l'usager. de traiter des détails beaucoup plus fins et curieux sur tes espaces les plus fréquentés. de mettre e n valeur les volumes sensibles. les ombres. les lumières, de susciter l'idée de grarn ité et de plaisir même sans que les gens sachent précisément d'où vient cette impression. L'a utomobile crée un carcan, alors q ue rendre l'espace au piéton permet de ne pas imposer les parcours. de donner de l'a isance et de la générosité. Rendre la viHe ma rchable a utorise des micro-séjours grâce. par exemple, aux vitrines. au vendeur de c rêpes et aux bancs. S'asseoîr ou se re poser un instant pour manger un sandwich c rée une occa sion de plaîsir ou de rencontre qui rend la mobî lité attrayante. Le banc public assure ainsi une fonction de plaisir. de santé publique et de sociabilité. 4

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RÉVÉLER LES USAGES 1..e plu s souvent, les espaces pub lîcs préexiste nt à J' interven· tion des urbanistes et. lorsqu'il s'agit de leur attribuer plus d'in tensîté plaisante., la démarche. consiste d'abord à révéler les usages visibles. sous-jacents ou m~1squés. Plus généralement. il fa ut d'abord comprend re la valeur d u capital urbain déjà en place, idcnti6cr les e mbryons de centra)ité. les germes potentiels de nouveaux usages et cous les ingrédients de vie coUective. 1..a mutation conceptuelJe consiste ici à abandonne r une logique de passage au profit de logiques de destination et de station. Plutôt 4

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q ue de faire de J'espace commun notre lieu de transit er de mobî· lité. il s'agit de faire en sorte que nous nous y rendions pour y res ter, parce qu'il y a quelque chose de plaisant à y fa ire. Ainsi. nous ne franchirions plus la place du quartier dans un mouvement per pétuel, nous aurions envie d'y aller pour une pause intërcssante. Plutôt que d'embellir l'aménagement physique de l'espace. il s'agit d'enrichir l'activitë, les services, les évëncments et les occasions de rencontre. donc ranimation du lieu. Pour cela. l'aménagement va s'appliquer à révéler lès usages déjà présents en vue de les développer ou de les compléter. Un piège fréquent se présente: les usages réels diffèrent de ceux q ue ron suppose de prime abord. Par exemple. telle place fréquen tée par les lycéens attendanl leur bus laisse peu d'espace aux petits rassemblements de seniors q ui aimeraient bavarder ou jouer à la pétanque. L'appa rence de ces usages. comme J"opinion des tech niciens, voire des élus. à ce propos. ne conespond pas toujours à la réalité. Il ar r ive éga lement que des présupposés sur Ja noci vi té de certains usages. plus ou moins exprimés. plus ou moins inconscients. plus ou moins justifiés. conduisent à les contrecarrer. Reconnaît ré les usages suppose une observation détaillée. parfois délicate à mener. et surtout de prendre l'avis des cîtadîns. des pas· sants et des acteurs privés. Une fois q u'ils sont identifiés. l'objectif devient de créer d u liant, de permettre à ces usages embryonnaires. éventuellement confiden tiels ou subis sans agrément. de devenir fédél'ateurs et facte urs de vitalité grâce à quelques adaptations et parfois un embellissement. L'existence et le bon emplacement des commerces, services. écoles cr autres équipements de prox imité constituent des outils puîssants à cet égard. Les rez-de chaussée des bâtiments participent en effet gran demcnt à l'animation de l'espace public ou. au contraire, par leur aspect et la configuration des lieux. éloignent le passant et d is suadcnt toure an imation. Parfois, la prem ière intervention néces sa ire sur l'espace public consiste paradoxalement !1 obtenir une modiJication de l'usage des pieds de bâtiments, leur ouverture sur la rue. leur traitement architectural. Selon qu'eJJes sont encadrées de logements. de commerces ou de btueaux, une rue ou une place vivent différemment. Une sorte de complicité. pou rrait on dire, s'établit entl'C les fuçades. la densité des usages du bâti et l'intensité 4

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de l'espace pu bJic. L'aisance ressentie sur l'espace commun dépend de la profondeur des vues à l'intérieur des ilots. des ha11s d'entrée. des transparences des cJôr.ures. Inversement, Je bâti peut favo ri· ser un sentiment de répulsion. les gens exprimant pJus facilement leur rejet d'u n objet repoussa nt q ue leu r appréciation posit ive. Contrairement aux images d"architecture composées en perspective large, un immeuble s'appréhende par son rez·de·chaussée. Il dénote une cer tai ne idée de son ouvertu re sur Ja ville. il induit subrepcicement le plaisir ou le dépJaisir du citadin. L"ouvert ure des espaces communs aux usages tes plus lar ges pernwt d'éviter leur spécia lisation excessive, favorise le partage et pro· voque la m ise en relation des divers usagers. Ce q ui pèche Je plus souvent dans les projets d'espaces publics me semble la mauvaise

prise en compte des différences échelles d'usages: l'espace doic permettre d"être bien seul. à deux ou trois, ou à l'o ccasion d'un événenwnt collectif. ~trc entre soi mais avec les autres, sans concurrence mais sans exclusive. et d isponible pour la rencontre éventuelle. n'est·ncep1 de PleffeBouttl!eu. aévelop~ê pa.i Robert Ptstnam, don1 la mesi..ue n'est pas standardisée. Selon une é1ude de 2003 ccmmanditêe p3r le •bureau des questions du futur•, 72% des habilantsdu

Vorar1berg sontmemb1es d'au moins une as.sooation, 46 %ont une .lmvité béné'lole et 19%qoolifient leurvie comme é1a111bo1111e 011 oès t>onne. 19. S. la•tadinho el 9. lensel, « Transports urbains: vers une redéfinilicn des relations centre· périphérie•, Traits utbaim, n• 68, juin 2014, p. 22·24. Sous le nom de «l'effet calamar,., cel article

êvoque une proposition voisine. ZD. P. Bairoch, De lêricho Q Mexico. Vines el écanamie dans l'hisloire, Gallimard, 19BS.

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environ nernenta les lim itent-ils Je nombre d' h abitants? Dans nombre d'agglomérations. on o bserve la persistance d'une certaine fasci nation pour le «grand »: le Grand Paris fai t des émules. le Grand Guéret compte par exemple 28000 habitants. Le SmaU is beautij'ul d 'Ernst Fried rich Schurnacher dc.s années 1970 n'a [OU· jours pas convaincu )es responsables au pouvoir. un raisonnement sur la contrainte environ.ne.mentale. le motivait pourtant. A L'opposé. la défiance de la grande ville. voire la ha ine de la métropole, s'invite parfois chez Jes défenseurs de l'urbanisme durable. Le réseau Cittaslow (ou «v illes Jentes t) et celui des , villes e n transition • focalisent davantage leurs propositions sur des ca illes de cités plus réduites. inférieures à 100 000 habitants. L'économiste Serge Latouche. favorable à la décroissance. reprend à son compte la proposition d'unités homogènes de 30000 habitants·". un c hiffre q ui rappelle les cités-jardins d'Ebenezer Howard. En filigrane. il y a deux idées: une taille idéale favoriserait la démocracie locale et, au nom de la décroissance. l'o rganisa tion e n villages u rbains éviterait au maximu m la mobilité des hommes et des marchandises. to1.1l en assurant toutes les fonctions de base de la ville. Deux raisons incitent à douter q ue la taille compte parmi les modèles opératoires valables. D'abord. l'extrême diversité des tissus urbains déjà construits ne saurait ê tre niée. La ville déjà là ne peut être passée pour pertes et profits. li faut bien trouver une réponse pour revitaliser les centres-bourgs ruraux comme pour organiser les g randes agglonlérations. Deuxièmement, s'i l faut rapprocher les fonctions urbaines les u nes des autres pour limiter les besoins de déplacements, s'il faut promouvoir une économie plus autonome et plus circulaire à l'échelle de la ville ou du quartier. r ien ne dir que toute spécialisation doive être bannie. Pourquoi chaque unité urb~üne ne pourrait·elle pas conserver sa spécificité, comme les quartiers de Paris ou de Berlin en ont une? Pourquoi les filières locales cl'activirés économiques devraient-elles être toutes configurées à l'identique. sa ns une certaine spécialisation ?Trop d'autonomie autarcique et trop peu de parcicu larisme n'est-il pas le plus sOr moyen d'u ne

21. S. Latouche, •Vm la dé-croissance. Ècotascisire ou êcodémocratie•. le MomJe dtptomarique, nO'ttmbie 2005, p. 1, 26·27. 11 cite S'Jr ce point le philosophe Takis Fotopoulos.

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concurrence acharnée entre terrîtoires? Faut·il aller systématique· ment vers l'autosuffisance économique et énergétique. ou bien faut-i) valoriser le particularisme local autour de ses ressources. de ses avantages et de son propre projet culturel et social? Plutôt que rechercher un modèle pal"la tai11c des vi11cs, trop limitatif et trop irrespectueux des villes existantes. on préconisera un rajsonncmcnt üwersc. QuclJc que soit la population des ensembles urbains et de leur aire d'influence. Ja recherche d'un schéma polycentrique de mobilité plurielle se double d'un codicille important : il faut stopper toute urbanisation nouveJJe (habitats. centres corn1nerciaux, zones d'activités. équipements) sans offre de mobilité. En suivant le ra isonnement de Jacques Lévy. puisque l'urbanité dépend des mobilités douces et partagées et puisque la mobilité se situe à La genèse de la ville, un lien congénital existe e1nre la qualité des extensions urbaines et l'o rganisation préalable de la mobilité. U faut donc respecter l'o rdre des facteurs d ans la création de nouveaux q uartiers : J'offre de mobilité conditionne lïnstallation de nouveaux habitants, de nouvelles activités ou de nouveaux équipements. et non l'inverse. Deux autres raisons étayent cette préconisation . En premier lieu. une raison de logique juridique. Le code de l'urbanisme înter· dit de construire lorsque le terrain ne dispose pas d'une desserte en réseaux22 • une disposition bien connue de tous les maires de France. Ce motif de refus d 'une autorisat ion de construire se j ustifie par le fait que les co11ecrivîtés ne doivent pas se trouver contrai ntes d·effectuer et de financer des travaux de viabilisation simplement pour satisfaire une demande pr ivée particulière. Mais a lors. né devrait-on pas suivre ce raisonnemenr en matière de mobiJiré? Le code indique en effet q ue l'urbanisme a notamment les objectifs de cdiminution des obligations de déplacements mororisës , er de «développement des transports alternatifs à l'usage individuel de r automobi lezj ,. Su ivant cette logique, dev1·a it être in terd it tout aménagement sur un site dépourvu d'une offre de mobilité alternacive à la voiture, au mê1ne ritre qu'une absence de réseaux. Uri projet

22. Art. L11 1-11 ducode de l'u11?anisrne. 23. Art. L 101-2 du rode de l'urbanisme.

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de lotissemen t ne serait aînsi plus autorîsable sans que le lotîsseur ou la collectivité soient en mesure de proposer. par exemple. un transpol"t un commun à rnoins de 500 ou 700 rnètres (dix minutes de marche). ou des vélos électriques en libre-service. ou une aire de covoiturage. ou un transport public à la demande, etc. Une révolution fondamentale dans les pratiques. paraissant pourtant indispensable pour la cohérence du droit. En second lieu. u ne raison o pératio nnelle. Des extensions urbaines sans l'offre concom itance d'un bouquet de services de mobilité créent un formidable appel d'ai r pour la voiture dans toute !'a iré urbaine. Il s'agit d'ailleurs dé l'unique cause des phénomènes d'accroissement des mobilités locales puisque les habitants des quartiers existants n'ont pas de raison d'utiliser davantage leur voiwre en solo. Pour les agglomérations, il est préférable de régler autant que possible le problème à la source. plutôt que de réparer a posteriori les dégâts provoqués faute d'actions préventives. Pour les élus e t les urbanistes q ui adhèrent à ce constat. laquestion devient comment o rganiser cette anticipation de la mobilité sur l'extension urbaine. Les moyens disponibles touchent à la programmation urbaine et à celle des investissements. Les PLU doivent notam ment intégrer plus clairement un volet mobi Iité. pensé à partir des cent.r~1lités réparties. des transformateurs de mobilité et des nouvelles urbanisations programmées. 1::tant donné que Jes finan· cements publics se r~uéfient. il ne paraitrait pas inconvenant de mer.rre à contribution les lotisseurs et aménageu rs privés pour la mise en place de ces moyens de mobilité. à l'aide de.s dispositifs fiscaux cxisc.antslA. Ainsi. pour clairement marquer l'inversion de prîorîré. Jes collectîvirés locales pourraient poser le prîncipe d'un condirionnement des autorisarions d'urbanisme. ce q ui peut se faire à l'échelle d'une mécropoJe ou d'une région ou. plus d ifficile~ ment. d'un Scot. Citons deux exemples allant d ans cc sens. Un écoqua rticr sur l'i!e de La Réunion15 , en cours de réalisation. a ~mnoncé une offre complète de bus. de pistes cyclables et de bornes de rechargement

24. Ccmll'".t la taxe d'aménagementâ taux ,enfcrcé ou le p,ojet u1b.Jin partenariat

zs. Ecoq!lattier de 8e.a11séjou1 aSainte-Marie, dont l'opérateur est privé (C8o Territoria).

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d ans le cad re de son a ménageme nr., comporta nt la livra ison d 'un vélo é lectrique avec chaque logeme nt. En Allemagne. le re n fo rcement de l'arrnar.ure urbaine er. la périurba n isation s'accompagnent tr~1ditionnellement d'u ne extension des transports collecti fs. beaucoup mieux a nt icipée qu'en Fr,1ncc. Sa ns doute cette JH'atiquc trouve+elle son origine culturelle da ns le concept de ville n at ure si c hère aux Ul'banistcs allemands. Pas d'infrastructure ni d 'offre de mobilité alterna tive à la voi· cu re, pas d 'urbanisation : ce principe n'a den de particulièrement novateur, il figurait da ns tous les ma nuels d'a ménageme nt du terr i· coin~du xxt siècle. Si les grall(les opérations publiques prog-rammées L'o nt pris en compte. si le schéma d irecteur de la Région Île-de· France s'e n inspire. l'urbanisme courant des villes e n fait fi. Ne faut· iJ pas le réinscrire dans nos pratiques. y compris à ce niveau?

XII. LES REM ÈDES ' , A L'ETALEM ENT URBAIN L'étalement urbain. c'est-à-dire la diffusion de l'habitat indivi· duel dans les zones périurbaincs. compte. à juste titre, panni les repoussoirs de l'urbanisme durable. On ne voit pas comment son rythme actuel seuit soutenable à long terme. Depuis l'an 2000 et la loi SRU. le droit de l'urbanisme a considérablement évolué. e n ayant édicté parmi ses priorités la lutte contre l'étalement urbain.

Les lois Grenelle et suivantes ol\t aftlnné de plus en plus nettement cet objecti f. via la planification urbaine. Désormais. le Scot e t le PLU doivent intégrer un volet fonder, cc qui constitue un progrès indéniable. Malgré tout. la consommatio n fonciè re en périu rbain se poursuit à un rythme à peine réduit. Si rien ne semble pouvoir e n rayer la machine à produire du périurbain. il faut Sè rendre à l'évidence : la c lutte i contré J'éta· lement urbain ne fonc tionne pas. elle se trompe sa ns doute dans l'analyse des causes. dans l'ordre des facteurs et dans ses méthodes. Peut·être faudra ît·il d'ailleurs s'assurer que la détermination à stopper le phé nomène existe réellement. Ce c hapitre exam ine ra donc les réalités et les mythes de l'étalement urbain. les fausses et les vraies pistes p our l'enrayer. et e nfin proposera des conclusions pratiques.

LA MESURE DE L'ÉTALEMENT URBAIN 11 faudrait d 'abord s'entendre su r la sign ification donnée au

terme d 'cétalement urbain , . Da ns le langage courant, la «ville qu i s'éraJc , peut vouJoir dire l'extension des surfaces urbanisées en valeur absolue. Dans ce sen s. i ncontestablement. l'étalement urbain se poursuit avec vigueur d ans notre pays: nous consom· mons 67000 hectares par an. soit environ 0.1 % de la superficie de

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t·ALTERCITÊ

la France métropolitaine1 • En revanche, J'Agence européenne pour l'environnement retient un autre critère pour définir l'étalement u1·1)aîn : il a lieu lorsque le pourcentage d'augrncntarion des suifaces urbanisées excède celui de )a progression de population. Selon ce critère, la plupart des grandes agglonlérarions françaises ont cor1nu un rée) étalement urbain au xx. . siècle. Par exemple. Chambéry a vu sa popula tion augmenter de 36 %entre 1973 cr 2000 alors que la surface urbanisée croissait de 112 %. Cet emballement semble toutefois se ralentir depuis quinze ans2 • Notons q ue la précision de ces chiffres paraît suspecte et fait débat. Comment mtsurer récllen1tnt l'artificialisation à grande échelle? À partir de quel moment faut-i l considérer un terrain. par exemple un jardin ct·agrément. comme artificialisé'? Comment recouper les changements effectifs fr• situ, parcelle par parcelle, avec une statistique d·ensemble? Le point im.portant paraît que l'urbanisme opéra tionnel manque de repères pour mesurer les conséquences des projets. En dehors des études cartographiques c r scatistiques d 'ensemble, il faudrait une évaluation à la pa rcelle. Les PLU peuvent désormais avoir recours à des règles imposant une part minima le de surfaces non imperméabi lisées. ou «éco-aménageables ». ce que l'on a ppelle Je ccoefficient de biotope >. Des PLU plus anciens obligeaient les projets à conserver une partie du terrain «en pleine terre». l a Ville de Berlin réalise un magnifique travail d ans ce domaine. Elle a mis en applicat ion ce «coefficient de biotope » qui impose à chaque parcelle un pourcentage de végétalisation selon la situation du q uartier. avec des règles de cakul assez détaillées•. La Ville de Paris l'a i mitée sur ce point et il faudrait généraliser ce type de démarc he pour rend re public ce critère . À cette fin. la Caisse des dé pôts a créé une filiale chargée d ïnvestir 1.5 milliard sous forme de prêts à très long terme et à taux nul. Les collectivité.s vont devoir organiser leur maitrise d'ouvrage en conséquence. en vue de prendre plus nettement leur part dans la diffusion de la sobriété. Animer loca lement la transie ion énergétique, influer sur les comportements. sélectionner les investissements et les incitations. développer des régies locales de l'énergie. telles sont donc les nou· velles missions des collectivités. Pour passer de la vi lle g loutonne à la ville sobre. il fa ut partir du contexte local et des pratiques usuelles. L'État pei ne à fixer des règles applicables à tout Je pays sans expérimentations préalables. Les régions. les métropoles et les agglomérations disposent de faci lités plus grandes pour Jancer des programmes expérimentaux. les évaluer et les publier. Ce rôle de pilote peut se développer dans tous les domaines de la rénova· t.ion: chantiers pilotes. dispositifs de financement et de formation. méthodes d 'évaluation. etc. Il en va de même en éè qui concerne les filières locales de production et de distribution d 'énergie et la dîf. fusion des comportements de sobriété. Remarquons d'ailleurs que. même si la po litique allemande en matière énergétique n'est pas la panacée. sa force tient précisément a u fonctionnement autonome des Lander, qui multiplient 1es cxpérimenratîons de toutes sortes.

13. 11.ssooation Ji~er, Crêation d'1.me Socié1é de [inonumem de la ual1Sinon énergétique (SFTf), êtude de f.lisab1hté o~rntion11elle, septembre 20l]·ju1n 2014, http://p10Jet·sfte.fr/. Les C:épenses de bâtiment des collectivités étaient de 21 milliards d'euros ne en 2012 (y compris les tr.l'ta!IX neufs}.

278

l'IJ.IPLICATION OES 1ERRHOIRES 01.NS LA TRANSITIOt,

PROMOUVOIR LA CULTU RE OU « ZÉRO REJET» 1.a question des déchers, sous toutes leurs formes, ilJustre une autre nécessité de l'implication des collectivités. Le ch a ngement c1i· matiquc nous impose son C..'llendrier îrrévCL"Sible et il réclame u ne bifurcation majeure. Si les époques précédentes disposaient de res· sources consommables à souhait. la nôtre doit dès maintenant se défaire de la culture du déchet et. par conséquent. adopte r une c ult u re de sobriété et de parcimonie, visant le zéro rejet et le recyclage généralisé. L'altercité ne pe ut que s'inscrire dans ce projet et dans cette temporalité. Certains scientifiques entretiennent encore l'i llusion que des alternatives techniques permettront de prolonger le recours aux énergies fossiles et aux matières ra1·es. Ils continuent de contester la réalité de l'épuisement des ressources. Ils montrent que le pétro le non conventionnel (issu du schiste) N les autres re-ssource-s fossiles inaccessibles à ce jour pourront certainement. selon eux. disposer de technologies et de coûts d·exploication compétitifs dans le fut ur. Selon d'autres spécialistes. i1 en va de même s'agissant des matières premières. Ils observent qu'actuellement les prix d u pétrole ont ten· dance à baisser et que Je scénario d'une rareté entrainant des coOt.'i insupport"bles s·estompe. Ces débats risquent de du rer longtemps encore sans pouvoir être rranchés. Hs pou ri-aient nous cantonner d a ns une opposition stérile entre pessimisme et optimisme technologique. en oubliant que le prix de l'é nergie se détermine aussi se1on d'autres log iques sociales ou géopolitiques que la seule rareté. Les vraies justi fications. impa rables. de la transition é nergéti Prévoir un« maillage continu de nature i.

2ss

>Rendre durable lavme étalée

262

XULI.'.lM.eLlCAIUERRLT.lllRE5.DAIIS_WRANSl1JO,aN_ _ _ __,,16,...l

>Changer de méthode > Partager la sobriété ênergêtigue

261 Ill 175

> Promouvoir la culture du < zéro rejet»

279

>Siimuler l'espril de collaboration par le numérigue > Piloter la ville numérique

281 181>

>Gérer la désynchronisationdes temps

183

XIV. OOUZE PROPOSITIONS POUR L'ALTERCITt

191

t PJLOGUE , QUELLE tîHIQUE POUR L'ALTERCITt?

291

>Crée, des• régies locales de l'énergie•

ua vocationde SJ?rvic l'humain > le visage de l'altérité > le jeude la pluralité,

l'art de l'urbanité

296 300

302

> Les renversementsde priorité

304

> la ,esponsabilité sociétale des u,banistes

305

314

TABLE OES J.IA.TIÈRES

> rexigence du débat public

1llll

> Unviatique pour la route?

3fl9