Jean de Berry et l'écrit ; Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France 9791035105785, 9791035102852, 9782357231443

De Jean de Berry, l'histoire a retenu l’image d’un prince mécène et bibliophile, ardent défenseur de la couronne au

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Jean de Berry et l'écrit ; Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France
 9791035105785, 9791035102852, 9782357231443

Table of contents :
Les archives départementales du Cher et la commémoration du 600e anniversaire de la mort de Jean de Berry
Xavier Laurent

Introduction. Jean de Berry et l'écrit diplomatique
Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

Imitatio regis ? Pour une diplomatique des actes de Jean de Berry
Mélissa Barry, Cléo Rager, Élisabeth Schmit, Marie-Émeline Sterlin, Clémence Lescuyer

La signature de Jean de Berry : marque de prestige, signe de pouvoir
Claude Jeay

Sigillum Iohannis filii regis et paris Francie. Les sceaux de Jean de Berry, entre tradition et innovation
Clément Blanc-Riehl, Marie-Adélaïde Nielen

Écritures de chantier. La chambre des comptes de Bourges et la politique monumentale de Jean de Berry
Thomas Rapin

Fils et filles de roi de France, du XIIe au XVe siècle : du lignage au royaume
Olivier Guyotjeannin

Sons of the King of England. Personal identity and family relationships of three Princes of Wales in Late Medieval England
Sean Cunningham, Paul Dryburgh

Écrire et signer à la chancellerie d’un contemporain de Jean de Berry, Louis II de Bourbon (1356-1410)
Olivier Mattéoni

La chancellerie d’Anjou-Provence d’après le journal de Jean Le Fèvre (1381-1388)
Jean-Michel Matz

The Chancery of the duke of Brittany around 1400: personnel, practices and policy
Michael Jones

Pratiques diplomatiques chez les premiers rois de Navarre de la dynastie des Évreux (1328-1387)
Philippe Charon

Les éditions d’actes princiers (XIIe-XVe siècle) : bilan à l’heure du numérique
Olivier Canteaut, Jean-François Moufflet

Le corpus des actes de Jean de Berry. L’état des sources
Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

Le corpus des actes de Jean de Berry dans le fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges
Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni, Xavier Laurent

Citation preview

Jean de Berry et l’écrit

Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France

Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni (dir.)

DOI : 10.4000/books.psorbonne.54103 Éditeur : Éditions de la Sorbonne, École nationale des Chartes Lieu d'édition : Paris Année d'édition : 2019 Date de mise en ligne : 3 avril 2020 Collection : Histoire ancienne et médiévale ISBN électronique : 9791035105785

http://books.openedition.org Édition imprimée Date de publication : 21 février 2019 ISBN : 9791035102852 Nombre de pages : 320   Référence électronique GUYOTJEANNIN, Olivier (dir.) ; MATTÉONI, Olivier (dir.). Jean de Berry et l’écrit : Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 2019 (généré le 08 avril 2020). Disponible sur Internet : . ISBN : 9791035105785. DOI : https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.54103.

© Éditions de la Sorbonne, 2019 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Jean de Berry et l’écrit

Histoire ancienne et médiévale – 159 collection dirigée par Geneviève Bührer-Thierry et Violaine Sebillotte

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Études et rencontres de l’École des chartes – 54

École nationale des chartes

Jean de Berry et l’écrit Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France Actes des Journées d’études des 16 et 17 juin 2016, Bourges, hôtel du département et archives départementales du Cher sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni

Ouvrage publié avec le concours de la Commission de la recherche de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, du centre Jean-Mabillon (EA 3624, École nationale des chartes) et du LaMOP (UMR 8589, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

éditions de la sorbonne/école nationale des chartes 2019

Couverture : Don d’un cens de 40 sols par le duc Jean de Berry sur une maison pour la Sainte-Chapelle de Bourges, 1414, archives départementales du Cher, 8 G 1844 [TSC 236] © Éditions de la Sorbonne, 2019  212, rue Saint-Jacques, 75005 Paris  www.editions-sorbonne.fr – [email protected] ISBN : 979-10-351-0285-2  ISSN : 0290-4500 © École nationale des chartes, 2019  65, rue de Richelieu, F-75002 Paris,  www.chartes.psl.eu – [email protected] ISBN : 978-2-35723-144-3 ISSN : 1289-7566 Les opinions exprimées dans cet ouvrage n’engagent que leurs auteurs. « Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Il est rappelé également que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre. »

Les archives départementales du Cher et la commémoration du 600e anniversaire de la mort de Jean de Berry Xavier Laurent

N

’en déplaise aux esprits chagrins, Jean de Berry n’est pas victime d’un acharnement commémoratif ! Les cinq cents ans de la mort du duc sont passés inaperçus : en 1916, les yeux étaient braqués sur Verdun et la Somme. Le 600e anniversaire de sa naissance n’a donné lieu à aucune réjouissance : en 1940, les Allemands défilaient dans Bourges occupé. Les circonstances étaient moins tragiques un demi-siècle plus tard, en 1990, mais le bicentenaire de la Révolution française avait sans doute épuisé les institutions culturelles, qui passèrent le 650e anniversaire de Jean de Berry sous silence. En fin de compte, le souvenir du prince n’a été célébré qu’en 1966. Le 550e anniversaire de sa mort a donné lieu à une exposition à la maison de la culture de Bourges, dont les locaux avaient été inaugurés par André Malraux deux ans plus tôt1. Jean Favière, conservateur des musées de Bourges, et JeanYves Ribault, directeur des archives départementales, avaient conçu un parcours historique visible dans la galerie d’exposition et la mezzanine. Le cinéma de la maison de la culture diffusait le Henry V de Laurence Olivier, une messe de Guillaume de Machaut était donnée dans la chapelle des Annonciades et les comédiens de la troupe de Gabriel Monnet interprétaient un florilège de textes du xve siècle. Hors de tout cycle commémoratif, ce sont deux expositions, organisées à Bourges à cinquante ans d’intervalle, qui ont le mieux servi la connaissance de Jean de Berry2. En 1954, Jean Favière, sous le titre Chefs-d’œuvre des peintres enlumineurs de Jean de Berry et de l’école de Bourges, était parvenu à rassembler au

1. « Jean de Berry et son temps : 550e anniversaire de la mort du duc de Berry », Almanach de la maison de la Culture de Bourges, 1966. 2. Jean Favière (dir.), Chefs-d’œuvre des peintres enlumineurs de Jean de Berry et de l’école de Bourges, catalogue d’exposition, Bourges, 23 juin-4 septembre 1951 ; Béatrice de Chancel-Bardelot et Clémence Raynaud (dir.), Une fondation disparue de Jean de France, duc de Berry. La Sainte-Chapelle de Bourges, Paris/Bourges, Somogy Éditions d’art/Musée du Berry, 2004. Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

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Les archives départementales du Cher

musée du Berry le Psautier, Les Petites Heures et Les Grandes Heures de Jean de Berry prêtées par la Bibliothèque nationale de France, ainsi que les Très Belles Heures venues pour l’occasion de Bruxelles. Il avait même rassemblé les fragments des Très Belles Heures de Notre-Dame partagés entre le musée de Turin, le Louvre et la Bibliothèque nationale de France ! En 2004, une exposition conçue par Béatrice de Chancel-Bardelot et Clémence Raynaud dressait le bilan des recherches portant sur le palais ducal de Bourges. Alors que se tenait à Paris l’exposition sur les arts au temps de Charles VI, la maquette et les sculptures de la Sainte-Chapelle bénéficiaient au musée du Berry d’une scénographie rénovée et d’un catalogue de référence. En tenant compte de cet héritage, quel pouvait être le parti à adopter pour le 600e anniversaire de la mort de Jean de Berry ? À l’été 2014, une première réunion aux archives départementales du Cher rassemblait le service du patrimoine de Bourges, labellisée ville d’art et d’histoire, les musées municipaux, la bibliothèque, le Centre des monuments nationaux, gestionnaire du palais Jacques-Cœur et de la crypte de la cathédrale, le château-musée de Mehun-sur-Yèvre, des représentants de la société d’archéologie et d’histoire du Berry et de l’association des amis de la cathédrale. L’idée qui s’imposa fut celle d’une année Jean de Berry, avec un cycle de conférences en guise de fil rouge, les « mercredis Jean de Berry », des expositions dans chacune des institutions participantes, consacrées à des thématiques directement liées à leurs fonds ou collections, des visites guidées organisées par le service du patrimoine, un concert de musique médiévale à la cathédrale, des rendez-vous à Mehun-sur-Yèvre et une invitation adressée aux associations pour qu’elles s’emparent du sujet. Les vicissitudes de la vie politique – les élections municipales venaient d’avoir lieu et les cantonales étaient à venir – et les réalités financières ont retardé ces projets sans les transformer radicalement. Le soutien intellectuel et financier de la direction régionale des Affaires culturelles a constitué un élément de continuité apprécié de tous les partenaires. Le programme de l’année Jean de Berry a pu paraître en mars, au moment où était inaugurée l’exposition sur l’ours au muséum d’histoire naturelle. Initialement présentée à Toulouse, cette exposition, dont les ours des Pyrénées, Cannelle et Paloma, constituaient l’attraction principale, consacrait une section à l’utilisation du plantigrade comme animal emblématique par Jean de Berry. Dans la lignée des travaux de Michel Pastoureau3, elle montrait un moulage de l’ours du gisant, une charte ornée de Louis d’Orléans avec un

3. Michel Pastoureau, L’ours. Histoire d’un roi déchu, Paris, Seuil, 2007 (La librairie du xxie siècle).

Xavier Laurent

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ours portant l’étendard du duc de Berry, ainsi que des prêts de la bibliothèque municipale de Bourges et du château-musée de Mehun-sur-Yèvre. À partir du mois de juin, le musée du Berry mettait également en valeur ses collections de sculptures avec l’exposition Jean de Berry et les tailleurs de rêves. Les vestiges de la Sainte-Chapelle étaient complétés par le prêt de la Vierge à l’Enfant des Célestins de Marcoussis, œuvre majeure de Jean de Cambrai, et du panneau du maître de la chute des anges rebelles, mis en dépôt par la ville de Bourges au Louvre en 1967. Au moment des journées du patrimoine, la bibliothèque municipale inaugurait une exposition consacrée aux manuscrits offerts par Jean de Berry à la Sainte-Chapelle, soit neuf volumes, dont sept ont été réalisés du vivant du duc, et deux sont de facture plus ancienne. À la découverte des originaux, rarement exposés, s’ajoutait la révélation de détails iconographiques et matériels par des tirages photographiques soigneusement choisis. Les archives départementales se sont, quant à elles, chargées de deux expositions. Montrée au palais Jacques-Cœur en partenariat avec le Centre des monuments nationaux, Jean de Berry, prince des images était une exposition biographique, qui présentait les principaux épisodes de la vie de Jean de Berry et les resituait dans leur contexte. Trois thématiques étaient abordées : le duc de Berry était présenté comme un acteur de la guerre de Cent Ans, comme un seigneur dans la France féodale et comme un mécène. En l’absence de gardiennage et de conditions de température et d’hygrométrie contrôlables, cette exposition ne présentait pas de documents originaux mais faisait largement appel à des images provenant des manuscrits enluminés commandés par Jean de Berry et ses contemporains. Pour s’adresser au public familial, des jeux étaient insérés dans le parcours et un illustrateur pour la jeunesse, François Place, était intervenu pour représenter des scènes jamais montrées dans les manuscrits et tisser un lien entre les images médiévales et les créations d’aujourd’hui. Ces illustrations étaient principalement utilisées dans de courts films d’animation de cinq minutes projetés dans des salles du palais. Le mobilier avait été réalisé avec l’aide d’un scénographe par l’équipe des archives départementales. Pour l’exposition Jean de Berry, le pouvoir de l’écrit, présentée dans la salle d’exposition temporaire des archives départementales du Cher, le parti pris consistait à exposer une sélection d’actes scellés provenant en majorité du fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges, en introduisant des notions de diplomatique et de sigillographie accessibles au grand public. Le parcours, largement conçu par un stagiaire de l’École nationale des chartes, Pierre Pocard, a puisé dans le travail de transcription, d’édition et de commentaire réalisé dans le cadre du séminaire dirigé par Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni.

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Les archives départementales du Cher

Le programme de l’année Jean de Berry a été suffisamment fourni et cohérent pour attirer un public nombreux et fidèle. Les expositions ont totalisé plus de 50 000 entrées, les conférences du mardi et les visites du service du patrimoine étaient fréquentées par 80 auditeurs en moyenne. La Missa de Franza donnée par l’ensemble Scandicus dans la cathédrale le 17 juin a fait forte impression. Les animations organisées à Mehun-sur-Yèvre ont rencontré le même succès. En revanche, le public scolaire a été peu présent, ce qui ne manque pas d’étonner tant les commandes de Jean de Berry sont bien représentées dans les manuels scolaires. Les élus du département et de la ville de Bourges ont trouvé le projet assez fédérateur pour lui ajouter un volet touristique et convivial, les fêtes médiévales, qui ont animé le centre-ville de Bourges les 10 et 11 juin. Preuves de réussite, des événements qui n’avaient pas été inscrits au programme sont venus s’y greffer, comme les restitutions de Bourges au début du xve siècle par l’aquarelle et l’animation en trois dimensions, présentées dans la salle du duc Jean, siège du conseil départemental. L’armée de l’Air a même baptisé du nom de Jean de Berry un avion AWACS stationné à une quinzaine de kilomètres de Bourges, sur la base d’Avord ! Pour les archives départementales du Cher, il était surtout important de sortir d’une vision du prince confinée à son rôle de mécène, de mieux faire connaître les documents qu’elles conservent et de contribuer au progrès de la recherche historique. Les journées d’études des 16 et 17 juin 2016 correspondaient parfaitement à ces trois objectifs. La publication des communications prononcées lors de ces rencontres et la présentation, sur le site Internet des archives départementales du Cher, du travail de transcription et d’édition mené dans le cadre du séminaire universitaire dirigé par Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni prouvent que l’année Jean de Berry n’était pas un feu de paille. Elles sont un encouragement à poursuivre la recherche, sans attendre 2040 et le 700e anniversaire de la naissance du duc Jean ! Xavier Laurent Archives départementales du Cher

Introduction

Jean de Berry et l’écrit diplomatique Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

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é en 1340, Jean de Berry meurt le 15 juin 1416, à l’âge de 76 ans, à Paris, dans son hôtel de Nesle, entouré de sa fille Marie, duchesse de Bourbonnais, et de deux de ses petits-enfants, Charles de Bourbon et Bernard d’Armagnac. Conformément à sa volonté, il est inhumé dans la SainteChapelle de Bourges, qu’il avait fondée en 1392 et qui avait été consacrée, une fois achevée et dotée, à Pâques 14051. Jean de Berry est l’une des figure politiques marquantes du royaume de France de la seconde moitié du xive et du début du xve siècle. Il n’est que de lire les auteurs du temps, Jean Froissart, Enguerrand de Monstrelet, Christine de Pizan ou encore Michel Pintoin2, pour évaluer la place qui fut la sienne et le rôle qu’il joua dans les affaires du pays. Jean de Berry est le troisième fils de Jean II le Bon et de Bonne de Luxembourg. Il est le frère de Charles V. Comme ses autres frères, Louis d’Anjou et Philippe le Hardi, son père l’avait doté de plusieurs territoires en apanage : en 1356, il est fait comte de Poitiers. En 1359, son frère Charles, alors régent du royaume, lui donne le comté de Mâcon. En 1360, Jean reçoit en apanage les duchés de Berry et d’Auvergne lorsque le Poitou est cédé aux Anglais après le traité de Brétigny-Calais. Une fois sur le trône, Charles V lui confirme l’apanage, auquel il ajoute le comté de Poitou, à charge pour Jean de le reconquérir. C’est ce qu’il s’emploie à faire. En décembre 1372, il prête hommage pour le Poitou à son frère le roi, qui récupère le comté de Mâcon. Jean est désormais, jusqu’à sa mort, duc de Berry et d’Auvergne et comte de Poitou. La reconquête effectuée, Jean de Berry est chargé de plusieurs 1. Sur la Sainte-Chapelle de Bourges, Béatrice de Chancel-Bardelot et Clémence Raynaud (dir.), Une fondation disparue de Jean de France, duc de Berry. La Sainte-Chapelle de Bourges, Paris/Bourges, Somogy Éditions d’art/Musée du Berry, 2004. 2. Voir par exemple l’éloge posthume, en demi-teinte, que Michel Pintoin dresse du duc de Berry au moment de sa mort : Chronique du religieux de Saint-Denis, Louis Bellaguet (éd. et trad.), t. 6, Paris, Imprimerie De Crapelet, 1852 (rééd. CTHS, 1994, vol. 3, avec une préface de Bernard Guenée), p. 28-35 (liv. XXXVII, chap. vi). Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

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Introduction

commandements sous forme de lieutenance générale. À la mort de Charles V, en 1380, il est au nombre des oncles du nouveau roi qui prennent en charge le gouvernement du royaume. Jean de Berry se spécialise dans les affaires de Languedoc après la mort de son frère Louis d’Anjou, auquel il succède comme lieutenant du roi dans cette province et, de façon nominale, en Guyenne. Mais son gouvernement des terres du Sud est mal jugé pour son recours à une fi calité pesante. Il est démis de la charge en septembre 1389 quand Charles VI visite le Midi de son royaume. Les premières crises de folie du roi à partir de 1392 le ramènent sur le devant de la scène politique, avec son frère Philippe le Hardi. Dans la tension qui apparaît entre Philippe et le frère de Charles VI, Louis d’Orléans, il adopte d’abord le parti de Philippe, mais à partir de 1404, quand le conflit devient plus tendu avec le nouveau duc de Bourgogne, il se présente en médiateur. Après l’assassinat de Louis d’Orléans en 1407, il se range du côté des Armagnacs, même s’il n’est pas indifférent aux tentatives de Louis de Guyenne pour créer un tiers parti, dans les années 1412-1413. Sur Jean de Berry, l’historiographie n’a pas toujours été tendre3. Il a pu être présenté, à partir du récit de plusieurs chroniqueurs contemporains, ici comme un piètre politique, là comme un prince dépensier, ailleurs comme un dirigeant sans grand scrupule. L’image est sans doute plus complexe, et les questionnements des historiens, selon les époques et les points de vue, ont mis en avant tel ou tel aspect du personnage. Tous cependant ont retenu une caractéristique : le goût du duc pour les arts et son amour des livres. Son dernier biographe, Françoise Autrand, insiste sur deux choses. D’abord l’image d’un prince au service de l’État royal. Jean de Berry sert le roi. Plus précisément, c’est son action au service de la diplomatie royale qui est mise en avant par Françoise Autrand. Sous sa plume, Jean de Berry a droit au qualificati de « diplomate de carrière4 ». Il y a ensuite la signification de son activité de commanditaire, de protecteur des arts et de bibliophile. Loin d’être seulement une forme de magnificence, l’art est aussi un message politique. Rappelons le sous-titre du livre de Françoise Autrand : « L’art et le pouvoir ». Cette dimension éclate particulièrement dans le manuscrit des Très Riches Heures, dont la réalisation doit être replacée dans son contexte – celui de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons –, d’où une possible lecture politique. Pour Françoise Autrand, les Très Riches Heures constituent un manifeste pour la paix. Plus généralement, le souci du beau chez Berry renvoie à une « dimension esthétique du pouvoir ». 3. Françoise Autrand, Jean de Berry. L’art et le pouvoir, Paris Fayard, 2000. Le chapitre i est intitulé : « Une mauvaise réputation », p. 11-26. 4. Ibid. C’est le titre du chapitre xviii, p. 393-417.

Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

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Prince serviteur du roi, Jean de Berry a été récompensé par un riche apanage qui, une fois constitué, « avait besoin moins d’élargissement que de gouvernement5 ». À cette fin, Jean de Berry, comme les autres princes, apanagistes ou non, a mis sur pied dans sa principauté des institutions qui prennent exemple sur l’administration royale. L’imitatio regis se manifeste clairement dans le cas de la chambre des comptes que le duc crée à Bourges en 1379. À plusieurs reprises, la charte de fondation renvoie à la « Chambre des comptes de monseigneur le roy a Paris », dont les pratiques doivent servir de modèle aux nouveaux conseillers de la chambre berruyère6. Un autre organe de gouvernement a sans doute été le lieu du déploiement de cette imitatio regis : la chancellerie. En tout cas, on peut le penser à partir de mentions rassemblées, ici et là, dans les travaux relatifs au duc. C’est qu’aucune étude n’existe sur la chancellerie du duc de Berry. Dans sa monographie sur le gouvernement de l’apanage de Jean de Berry, parue en 1934, René Lacour, bien qu’il fournisse en annexe une liste des chanceliers et une liste des secrétaires fort utiles, ne consacre aucun développement à la chancellerie ducale et à l’écriture des actes en chancellerie7. Il en est de même dans l’ouvrage de Françoise Lehoux, Jean de France, duc de Berri. Sa vie, son action politique (1340-1416). Paru en 1966, véritable bible sur la vie du duc en trois volumes de texte et un d’index, l’ouvrage ne s’intéresse pas aux structures de l’administration de l’apanage et il ne comprend pas non plus de présentation de la chancellerie8. Ce constat n’est certes pas étonnant. Il est le reflet d’un état de fait ancien : la diplomatique princière n’a finalemen retenu l’attention que depuis peu, s’inclinant devant la diplomatique royale, en tout cas en France. C’est cette lacune qui nous a conduits à envisager un travail d’édition et d’analyse des actes de ce prince des fleurs de lis. Notre enquête, qui s’inscrit dans le cadre d’un séminaire de recherche commun à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’École nationale des chartes lancé en 2011, s’est voulue dès l’origine une contribution à une meilleure connaissance de l’acte princier des xive et xve siècles, un domaine dont il faut reconnaître que, s’il a été illustré par divers historiens et diplomatistes, il ne le fut que de façon discontinue, incomplète, et en se privant de surcroît des frissons du comparatisme. En ce sens notre préoccupation était de pouvoir tester ce que d’aucuns appellent une nouvelle histoire politique plus

5. Françoise Autrand, Jean de Berry…, op. cit., p. 328. 6. AN, J 185, no 45, édité dans René Lacour, Le gouvernement de l’apanage de Jean, duc de Berry (13601416), Paris, Picard, 1934, p. 66-70. 7. Ibid., p. xiv-xvi (liste des chanceliers et des secrétaires). 8. Françoise Lehoux, Jean de France, duc de Berri. Sa vie, son action politique (1340-1416), Paris, Picard, 1966-1968, 4 vol.

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Introduction

étroitement liée aux questionnements de la diplomatique. Il nous a semblé que le sixième centenaire de la mort du duc de Berry, retenu au titre des commémorations nationales pour l’année 2016, pouvait être l’occasion d’un premier bilan pour nos travaux9. Dans quelle mesure la collecte et le traitement des actes du duc de Berry permettent-ils de vérifier et de prolonger certains paradigmes bien reçus, comme le rôle de relais des chancelleries apanagistes, de leur production dans la construction du territoire et dans l’accoutumance aux méthodes royales de gouvernement ? Tel est le questionnement qui a motivé notre démarche.

La diplomatique princière : la lente construction d’un champ de recherche La diplomatique de l’acte princier s’est d’abord constituée en Allemagne, dès la fin du xixe siècle, où elle gagna sa légitimité à analyser la compétition documentaire entre princes (et/ou évêques) et empereur, une compétition qui devait donner à la production scripturale princière des formes, une langue, une présentation captées de celles des privilèges impériaux. Les diplomatistes français emboîtèrent le pas à leurs voisins, et concentrèrent leur étude sur le rapport d’usurpation/imitation des formes et formules royales, à commencer par la formule dévotionnelle gratia Dei, utilisée par certains princes tant aux ixe-xe siècles qu’aux xive-xve siècles. Illustré par quelques grands savants, ce domaine de recherche, qui rencontrait sur son chemin le paradigme dominant de la principauté territoriale usurpatrice, peina bientôt à réunir des corpus, à étudier les chancelleries. Mais, plus récemment, il bénéficia de la vague d’études sur les pratiques de l’écrit, sur la communication entre le prince et ses sujets, en somme sur l’un des ingrédients de la genèse de l’État moderne, ses agents, ses modes opératoires : la diplomatique y lit des phases successives d’emploi d’un « style haut », d’une rhétorique d’État, l’emprunt à double sens de formules, d’un lexique typé, la constitution d’un corps de hauts commis de l’État, polyvalents dans leur maîtrise linguistique10, aptes à intégrer le premier cercle de l’entourage du prince et à partager ses secrets – bref, des secrétaires. 9. Commémorations nationales 2016, Paris, Centre des monuments nationaux/Éditions du patrimoine, 2015. La notice de présentation sur Jean de Berry est due à Françoise Autrand, p. 38-40 : « Jean, duc de Berry. Vincennes (Val-de-Marne), 30 novembre 1340-Paris, 15 juin 1416 ». Pour une mise en contexte de cette commémoration, voir dans le présent volume, Xavier Laurent, « Les archives départementales du Cher et la commémoration du 600e anniversaire de la mort de Jean de Berry », p. 5-8. 10. Voir Sébastien Barret et Benoît Grévin, « Regalis excellentia ». Les préambules des actes des rois de France au xive siècle, 1300-1380, Paris, École des chartes, 2014 (Mémoires et documents de l’École des chartes, 98).

Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

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Si le programme est alléchant, le bilan reste déséquilibré. De trop rares études se sont concentrées, pour les xiie-xiiie siècles, sur la maîtrise et l’investissement croissant des « princes » et hauts barons dans l’écrit documentaire – actes et documents de gestion au plus large, ainsi Jean-François Nieus pour Saint-Pol11, Theodore Evergates pour la Champagne12 –, mais sans guère débusquer de spécificité diplomatique ni d’influence royale. Pour la fin du Moyen Âge, études et corpus sont encore très dispersés, même s’ils ont pris depuis quelque temps des couleurs. Les actes des ducs de Bretagne ont été mis en valeur par les éditions de Michael Jones, pour les actes concernant le duc Jean IV (1357-1399), soit 3 volumes pour un total de 1 442 actes13, de René Blanchard pour les lettres et mandements de Jean V, duc de Bretagne (14021442), en 5 volumes14, et, plus récemment, de Marjolaine Lémeillat pour les actes de Pierre de Dreux (1213-1237) et de Jean Ier (1237-1286)15. À ces éditions s’ajoutent les études de Jean Kerhervé sur la chancellerie de Bretagne au temps de François II (1458-1488), de Louis XII et de la duchesse Anne16. D’autres chancelleries princières ont été scrutées, et on possède, pour certaines d’entre elles, de belles analyses ponctuées d’éditions. Ainsi en est-il de l’étude très riche de Chantal Reydelet sur la chancellerie dauphinoise d’Humbert II (13331349)17, ou encore de celle d’Anne-Lise Rey pour la Bourgogne pré-Valois18 – mais le travail porte ici principalement sur les chanceliers et les secrétaires. 11. Les chartes des comptes de Saint-Pol (xie-xiiie siècle), Jean-François Nieus (éd.), Brepols, Turnhout, 2008 (ARTEM, 11). 12. Feudal Society in Medieval France. Documents from the County of Champagne, Theodore Evergates (éd.), Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1993, et Littere Baronum. The Earliest Cartulary of the Counts of Champagne, Toronto, University of Toronto, 2003 (Medieval Academy Books, 107). 13. Recueil des actes de Jean IV, duc de Bretagne, Michael Jones (éd.), Paris/Rennes, université de Haute Bretagne-Rennes 2, 1980-1983, 2 vol., et t. III, Supplément, Bannalec, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2001. 14. Lettres et mandements de Jean V duc de Bretagne (1402-1442), René Blanchard (éd.), Nantes, Société des bibliophiles bretons, 1889-1895 (Archives de Bretagne, 4-8), 5 vol. 15. Actes de Pierre de Dreux, duc de Bretagne (1213-1237), Marjolaine Lemeillat (éd.), Rennes, PUR/ Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 20 13 (Sources médiévales de l’histoire de Bretagne, 1), et Actes de Jean Ier, duc de Bretagne (1237-1286), Rennes, PUR/Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2013 (Sources médiévales d’histoire de Bretagne, 2). 16. Jean Kerhervé, « La chancellerie de Bretagne sous Louis XII et Anne de Bretagne, 14991514 », dans Powerbrokers in the Late Middle Ages/Les courtiers du pouvoir au bas Moyen Âge, Robert Stein (éd.), Turnhout, Brepols, 2001 (Burgundica, IV), p. 199-233. 17. Chantal Reydelet, « La chancellerie d’Humbert II dauphin de Viennois (1333-1349) », Archiv für Diplomatik, 20, 1974, p. 241-383. 18. Anne-Lise Rey, « La chancellerie et les actes d’Eudes IV duc de Bourgogne (1315-1349) », Bibliothèque de l’École des chartes, 135, 1977, p. 23-71.

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Pour les ducs Valois de Bourgogne, les publications, bien qu’importantes, ne couvrent qu’une partie de la documentation princière : citons l’édition des ordonnances de Philippe le Hardi, Jean sans Peur et Philippe le Bon19 – mais le matériau concerne surtout les pays de par-deça (Flandre, Brabant, Hainaut) –, le catalogue des actes de Charles le Téméraire (1467-1477) par Henri Stein, actualisé, pour les mandements de Charles, comte de Charolais, par Sonja Dünnebel20, sans oublier l’étude de Pierre Cockshaw dédiée au personnel de la chancellerie de Bourgogne-Flandre pour la période 1384-147721. La chancellerie de Louis de Bourbon, prince contemporain et compère de Jean de Berry, dont l’édition des actes est en cours d’achèvement, a déjà fait l’objet de contributions, et les actes des journées d’études de Bourges en comprennent une nouvelle. Malgré la progression notable du nombre de travaux sur les chancelleries princières22, si l’on compare cette production à celle qui s’attache aux actes et à la chancellerie des rois de France, perce toujours en négatif le poids écrasant d’une royauté riche, centralisée, unificatrice, rhétorique, comme

19. Ordonnances de Philippe le Hardi, Marguerite de Maie et de Jean sans Peur, 1381-1419, Paul Bonenfant, John Bartier, Andrée Van Nieuwenhuysen (éd.), Bruxelles, Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique, 1965-1974, 2 vol. ; Ordonnances de Jean sans Peur, 1405-1419, Jean-Marie Cauchies (éd.), Bruxelles, Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique, 2001 ; Les ordonnances générales de Philippe le Bon (1430-1467), Jean-Marie Cauchies (éd.) (avec la collaboration de Gilles Docquier), Bruxelles, Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique (Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 1re série, 2e section, t. 1), 2013. 20. Henri Stein, Catalogue des actes de Charles le Téméraire, 1467-1477, mit einem Anhang, Urkunden und Mandate Karls von Burgund, Grafen von Charolais, 1433-1467, bearb. von Sonja Dünnebeil, Sigmaringen, Jan Thorbecke, 1999 (Instrumenta, 3). 21. Pierre Cockshaw, Le personnel de la chancellerie de Bourgogne-Flandre sous les ducs de Bourgogne de la maison de Valois, 1384-1477, Kortrijk-Heule, U.G.A., 1982 (Anciens pays et assemblées d’états, 79) ; Prosopographie des secrétaires de la cour de Bourgogne, 1384-1477, Ostfildern, Jan Thorbecke, 2006 (Instrumenta, 16). 22. Signalons encore pour les comtés de Flandre et de Hainaut la thèse de Els De Paermentier, soutenue en 2010 à l’université de Gand, Charter Production and the Organisation of the Comital Chancery in Flanders and Hainaut (1191-1244), et celle d’Aurélie Stuckens soutenue en 2016 à l’université de Namur, Les hommes de l’écrit. Agents princiers, pratiques documentaires et développement administratif dans le comté de Flandre (1244-1305). Pour les principautés d’empire, Ellen Widder, Kanzler und Kanzleien im Spätmittelalter: eine histoire croisée fürstlicher Administration im Südwesten des Reiches, Stuttgart, W. Kohlhammer Verlag, 2016 (Veröffentlichungen der Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg, Reihe B, 2014). Pour les « seigneuries » italiennes, points de départ commodes dans le volume dirigé par Guido Castelnuovo et Olivier Mattéoni, « De part et d’autre des Alpes » (II). Chancelleries et chanceliers des princes à la fin du Moyen Âge, Chambéry, université de Savoie, 2011.

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l’atteste avec vigueur sur ce dernier point la publication de Sébastien Barret et Benoît Grévin sur les préambules des actes des rois de France au xive siècle23. Les choses évoluent heureusement, et des rencontres commencent à attirer l’attention. Deux sont à signaler, qui reflètent l’intérêt plus soutenu porté à la diplomatique princière depuis trente ans : • d’une part le congrès international de diplomatique de Munich, 1983, publié un an plus tard sous le titre : Landesherrliche Kanzleien im Spätmittelalter (VI. internaz. Kongreß für Diplomatik, München, 1983), Munich, 1984, 2 vol., publication doublée d’un catalogue d’exposition24 ; • d’autre part, la table ronde de Chambéry de 2008, publiée en 2011 sous le titre : « De part et d’autre des Alpes » (II). Chancelleries et chanceliers des princes à la fin du Moyen Âge25. Placée sous le signe de la comparaison entre espaces italien et français, cette confrontation a permis de dégager similitudes et différences, spécificités et convergences, dans les profils des hommes d’écrit ou les organisations internes des instances d’écriture, même s’il convient de noter que les différences entre les deux espaces sont sans doute moins nombreuses que les points de rapprochement. Après que l’on s’est longtemps focalisé sur les captations de formats et de formules (telle la célèbre formule de légitimation « par la grâce de Dieu ») qui seraient les « symptômes » d’une faiblesse royale dramatique autant que temporaire, et ce tant aux xe-xie siècles qu’au xve siècle, les travaux suscités ont permis un recentrage du questionnement. En rapportant les actes à leur contexte et en sondant leurs silences, s’est finalement dévoilé, derrière les tensions et l’émulation, certes bien réelles, entre princes et rois, un large espace de connivence et de collaboration, d’emprunt et d’hommage tacites à une chancellerie royale inventive, relativement normée et cohérente, qui a permis de transmuer actes et lettres en outils de domination, en épiphanie du pouvoir. Ce serait donc par nécessité que les gens du prince ont capté des traits royaux d’écriture. Miroir, mais aussi kaléidoscope de l’acte royal, l’acte princier parcourt le trajet de la grâce récapitulative : il se charge en traits royaux, avant de s’en faire le relais dans le royaume. Ce mouvement est d’autant plus sensible que la diplomatique princière est très syncrétiste, qu’elle crée parfois de véritables patchworks, une marqueterie juxtaposant traits diplomatiques

23. Sébastien Barret et Benoît Grévin, « Regalis excellentia »…, op. cit. 24. Publication accessible sur le site de l’École des chartes en numérisation texte : http://elec. enc.sorbonne.fr/cid/cid1983/. 25. Guido Castelnuovo et Olivier Mattéoni (dir.), « De part et d’autre des Alpes » (II)…, op. cit.

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traditionnels (pris jusqu’à l’acte privé) et emprunts royaux, quelquefois à la limite du contresens et de l’« aberration diplomatique ».

Les actes de Jean de Berry Aux xive et xve siècles, l’évolution est exacerbée, et parfois différente, chez les princes apanagistes, surtout chez ceux qui n’héritent pas de territoires déjà structurés, de modes d’exercice du pouvoir rôdés, de traditions diplomatiques consistantes : les apanagistes créent alors, largement de toutes pièces, de nouveaux standards rédactionnels – c’est peut-être le cas de Louis d’Orléans, c’est le cas à coup sûr de Jean de Berry. Pour ce dernier, il faut noter la faiblesse des traditions diplomatiques princières dans ses territoires, avec, en guise de principauté, un assemblage de dominations hétérogènes que le duc va s’attacher à centraliser avec détermination autant qu’il le peut, un duc dont le lien qui l’unit au roi – son père d’abord, son frère ensuite, son neveu enfin – est très fort. Berry y répond avec l’appui de la cour royale, par l’importation de modèles diplomatiques, d’outils administratifs et d’hommes, hommes semble-t-il toutefois peu nombreux, mais il est vrai que leurs collègues « locaux » jouent souvent la même partition. Ajoutons que, s’il y a une diplomatique princière, s’il y a une diplomatique apanagiste, il y a aussi une diplomatique de lieutenance – la lieutenance générale –, dont les actes semblent encore beaucoup plus proches du strict modèle royal. Cela tient-il aux équipes ou à la production particulièrement standardisée que délivre par essence un lieutenant général : levée et exemptions d’aides, mises en défense de villes et de territoires, sauvegardes, etc. ? Ce point est bien sûr important puisque le duc de Berry a été à plusieurs reprises dès les années 1370 lieutenant du roi en Languedoc et ailleurs : une part des actes du corpus, dont la proportion est pour l’instant difficile à évaluer, relève de cette charge. À tous ces titres, le corpus des actes et lettres de gouvernement de Jean de Berry, bien que difficile à rassembler26, constitue une base documentaire diversifiée. Celle-ci est, en effet, à la fois massive (étendue spatiale d’un apanage prolongé de quelques belles acquisitions, mais aussi agrégat de terres rétives aux pouvoirs centraux, confrontés à une sourde hostilité : « pacific tion » du Poitou, lieutenances en Languedoc), centrale (par ses remplois éclatants et aussi son rôle de relais), spécifique (diplomatique d’apanage gérée par des clercs tantôt pris aux élites locales, tantôt « prêtés » par l’administration royale, absence de tradition). Bref, plus encore qu’un acte princier, le

26. Voir plus loin, pour la question des sources, Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, « Le corpus des actes de Jean de Berry. L’état des sources », p. 287-293.

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produit fini à analyser serait un acte de « fils de roi de France » – occasion de mesurer la force de pénétration de l’acte Valois des temps de guerre. Un dernier trait enfin, bien connu : comme celles d’Alphonse de Poitiers, les dépouilles de Berry passent au roi, et l’on sait toute l’importance qu’elles auront rapidement dans la construction et dans la consolidation du « royaume de Bourges », quand il s’est agi pour Charles VII, coupé de ses bases parisiennes, de s’imposer face à l’Anglais et au Bourguignon. Au total, Jean de Berry présente bien des atouts : une multiplicité des charges, un large spectre d’activités, un arc chronologique important compte tenu de la longévité du prince (une séquence de quasiment soixante ans pour la production scripturale, ce qui est un riche avantage pour scruter permanences et évolutions). Les textes ici rassemblés sont à lire comme un premier bilan d’un travail en cours. La diplomatique de Berry y est analysée sous un angle complet (structure des actes27 et des écritures comptables28, signature29, sceaux et pratiques de scellement30). Des éléments fournis, il ressort un poids important du tropisme royal, jusque dans la signature du duc ou les lettres ornées et historiées, façon pour le prince des fleurs de lis que Berry est et dont il revendique le statut, de manifester son appartenance à la maison de France et au sang royal, et de dire la place éminente qu’il occupe auprès du roi. Une position que le titre de « fi s de roi de France », utilisé quasi systématiquement dans l’intitulatio des actes, renforce31. Et même si le duc sait innover – ainsi pour les deux sceaux en pied qu’il adopte –, l’innovation n’est pas mise au service d’une revendication souveraine princière excessive. Au contraire, elle sert à magnifier la fidélité de l’apanagiste, qui reste fondamentalement sous la

27. Mélissa Barry, Cléo Rager, Élisabeth Schmit, Marie-Émeline Sterlin, Clémence Lescuyer, « Imitatio regis ? Pour une diplomatique des actes de Jean de Berry », p. 21-35. 28. Thomas Rapin, « Écritures de chantier. La chambre des comptes de Bourges et la politique monumentale de Jean de Berry », p. 85-112. 29. Claude Jeay, « La signature de Jean de Berry : marque de prestige, signe de pouvoir », p. 37-58. 30. Clément Blanc-Riehl et Marie-Adélaïde Nielen, « Sigillum Iohannis filii regis et paris Francie. Les sceaux de Jean de Berry, entre tradition et innovation », p. 59-83. 31. Olivier Guyotjeannin, « Fils et filles de roi de France, du xiie au xve siècle : du lignage au royaume », p. 113-131. La situation française est comparée dans le présent volume avec la situation anglaise : Paul Dryburgh et Sean Cunningham, « Sons of the King of England. Personal Identity and Family Relationships of Three Princes of Wales in Late Medieval England », p. 133-158.

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souveraineté royale32. Retenons néanmoins que, si les traits royaux dans l’acte princier, chez Berry, sont évidents, sorte d’hommage à la chancellerie royale, des variations existent aussi – ainsi en matière de cire et d’attache de sceaux33, on encore dans la duplication de formules34 –, sans parler de certaines aberrations par rapport aux usages royaux35, comme si le duc voulait faire mieux ou différemment, comme si une part de routine et d’indolence devait avoir aussi sa place dans nos reconstitutions. La comparaison avec d’autres corpus princiers, qui est ensuite proposée, montre que le modèle royal d’écriture a largement irrigué les chancelleries princières contemporaines, et que le « cas Berry » doit s’analyser en contexte. Qu’ils soient « fils de roi de France » comme Louis d’Anjou36, « pair et chambrier de France » comme Louis de Bourbon37, duc « souverain » dans son duché comme Jean IV de Bretagne38, les écrits de ces princes ont su capter bien des usages et des pratiques de la chancellerie royale. Témoin de la force de celles-ci : Charles, roi de Navarre et comte d’Évreux, s’est attaché à mettre en place dans son royaume ibérique des pratiques de chancellerie calquées sur celles de la chancellerie royale française39. Au-delà, le présent volume est une invite à prolonger un chantier qui n’en est qu’à ses débuts. Et le constat ne vaut pas seulement pour Berry. Il vaut aussi pour bien d’autres princes et grands seigneurs40. Mais, pour pister au mieux les formules et leur incessante recomposition, le chantier doit aller, d’une part, vers des analyses lexicométriques plus systématiques – et les outils informatiques sont là désormais pour y aider –, et, d’autre part, vers 32. Clément Blanc-Riehl et Marie-Adélaïde Nielen, « Sigillum Iohannis filii regis… », art. cité. 33. La cire rouge remplace souvent la « jaune » qu’osait la chancellerie royale ; les lacs de soie verte (très rarement verte et rouge) se voient parfois tisser en cordons. 34. La duplication de certaines formules débouche sur des reprises de broderies plus ou moins voyantes, de retouches aboutissant à des résultats parfois incertains, comme pour la « certaine science et grace especial », où toute une série de variations sont possibles. 35. Comme par exemple l’adjonction d’une corroboration (annonce de sceau) aux mandements (alias lettres patentes sur simple queue). 36. Jean-Michel Matz, « La chancellerie d’Anjou-Provence d’après le journal de Jean Le Fèvre (1381-1388) », p. 187-209. 37. Olivier Mattéoni, « Écrire et signer à la chancellerie d’un contemporain de Jean de Berry, Louis II de Bourbon (1356-1410) », p. 159-185. 38. Michael Jones, « The Chancery of the duke of Brittany around 1400: personnel, practices and policy », p. 211-226. 39. Philippe Charon, « Pratiques diplomatiques chez les premiers rois de Navarre de la dynastie des Évreux (1328-1387) », p. 227-251. 40. Parmi les projets d’édition de corpus princiers en cours, on signalera celui de Pierre Courroux sur les actes des seigneurs d’Albret.

Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

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une étude des secrétaires pour mieux les fixer aux actes afin de dégager itinéraires professionnels et savoir-faire diplomatiques. Pour ce faire, la constitution de corpus et d’éditions est un préalable. C’est sur cette question que se clôt le colloque. La présentation des corpus diplomatiques royaux et princiers actuellement disponibles, qui déborde vers des questions heuristiques d’édition, dit le travail accompli et les chantiers à ouvrir41. Celui de Berry – cette publication le montre – est en cours. L’édition de dossiers paléographiques effectués par les étudiants de notre séminaire et mis en ligne sur le site des archives départementales du Cher, en est une illustration, à côté de l’édition du corpus à laquelle nous continuons de travailler42. Olivier Guyotjeannin École nationale des chartes, PSL /Centre Jean Mabillon

Olivier Mattéoni Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/LaMOP (UMR 8589)

41. Olivier Canteaut et Jean-François Moufflet, « Les éditions d’actes princiers (xiie-xve siècle) : bilan à l’heure du numérique », p. 253-286. 42. Voir infra, Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni et Xavier Laurent, « Le corpus des actes de Jean de Berry dans le fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges », p. 295-312.

Imitatio regis ? Pour une diplomatique des actes de Jean de Berry Mélissa Barry, Cléo Rager, Élisabeth Schmit, Marie-Émeline Sterlin, Clémence Lescuyer

C

ette enquête s’appuie sur le travail mené depuis janvier 20 11 dans le cadre du séminaire de paléographie et édition de textes consacré aux actes du duc Jean de Berry1. Dans la perspective des journées d’études dédiées à Jean de Berry et l’écrit les 16 et 17 juin 2016, nous avons entrepris d’analyser le corpus ainsi constitué, ce qui a permis de dégager comme problématique centrale la comparaison entre la chancellerie ducale de Berry et la chancellerie royale française. Si le contenu des actes de Jean de Berry a été largement étudié, il n’en va pas de même pour leur contexte de production et leur forme, qui n’ont jamais fait l’objet d’analyses spécifiques, à l’inverse des actes de la chancellerie royale2. Dans cette entreprise encore largement en chantier, nous

1. Cet atelier, commun à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’École nationale des chartes, se fixe comme ambition l’édition des actes de Jean de Berry et consiste en la préparation de nombreux dossiers, combinant édition, transcription paléographique et commentaire historique et diplomatique. Il a notamment donné lieu à une édition en ligne sur le site des archives départementales du Cher : http://www.archives18.fr/article.php?larub=369&titre=lesactes-de-jean-de-berry-dans-le-fonds-de-la-sainte-chapelle-de-bourges. La présente enquête a donc bénéficié des conseils des organisateurs du séminaire, Olivier Mattéoni et Olivier Guyotjeannin, ainsi que des travaux effectués par les étudiants ayant fréquenté le séminaire ces cinq dernières années. Nous les remercions tous chaleureusement. 2. La bibliographie sur la chancellerie royale française au Moyen Âge est extrêmement riche, qu’il s’agisse de travaux généraux ou d’études qui éclairent des aspects spécifiques comme les pratiques d’écriture, de validation ou d’enregistrement des actes, certains types documentaires particuliers ou le personnel de chancellerie. D’autres études se sont attachées à une période ou un règne particulier. Il est difficile d’en dresser une liste exhaustive, mais on peut citer Georges Tessier, Diplomatique royale française, Paris, Picard, 1962 ; Kouky Fianu, DeLloyd J. Guth (dir.), Écrit et pouvoir dans les chancelleries médiévales : espace français, espace anglais. Actes du colloque international (Montréal, 1995), Louvain-la-Neuve, Fédération internationale des instituts d’études médiévales, 1997 (Textes et études du Moyen Âge, 6) ; Olivier Guyotjeannin, « L’écriture des actes à la chancellerie royale française, xive-xve siècles », dans Marie-Clotilde Hubert, Emmanuel Poulle et Marc H. Smith (éd.), Le statut du scripteur au Moyen Âge, Paris, École des chartes, 2000 (Matériaux pour l’histoire, 2), p. 97-110 ; Claude Jeay, Signature et pouvoir au Moyen Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationales des chartes, 2019

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Imitatio regis ?

avons simplement tenté de dégager quelques pistes de réflexion, qui doivent être pensées comme autant d’invitations à l’étude. Nous présenterons le corpus étudié, sa composition, ses caractéristiques et ses limites, ainsi que la méthode employée pour l’exploiter, avant de nous attarder sur son analyse interne et d’émettre quelques remarques sur les liens entre la chancellerie ducale de Berry et la chancellerie royale française.

Présentation du corpus et de la méthode Le corpus étudié est composé de 67 actes, datés entre 1365 et 14153. Ces documents de la chancellerie ducale sont conservés aux Archives nationales, à la Bibliothèque nationale de France, aux archives départementales du Cantal et du Cher, ou encore aux archives communales de Bourges et de Riom, dispersion qui en rend l’inventaire difficile Pour appréhender ce corpus, nous avons mis au point une grille d’analyse permettant de saisir, outre les données d’identification de chaque acte (lieu de conservation, cote), un ensemble de caractères externes : le format de l’acte, la justification, la présence de mots coupés en fin de ligne, de points d’ouverture ou de fermeture du discours, de traits sur les parties non écrites, la présence de majuscules, de décorations et d’abréviations. Puis les caractères internes et les parties du discours ont retenu notre attention : le type d’action juridique, le ou les bénéficiaires de l’acte, l’auto-désignation de l’acte, la suscription, l’adresse, le salut, l’exposé, les verbes du dispositif et les formules liées à ce dispositif, la clause injonctive ; les signes de validation : la corroboration, le sceau et l’attache, et enfin les mentions hors teneur : signature éventuelle du duc, mention de commandement, signature du secrétaire (puisque c’est là le titre exclusif des rédacteurs des actes ducaux), présence éventuelle du visa du chancelier, et enfin mention d’enregistrement. Soulignons d’emblée deux limites à notre travail. D’une part, il va de soi que les actes étudiés ne représentent qu’un petit échantillon (autour de 10 à Âge, Paris, École des chartes, 2015 (Mémoires et documents de l’École des chartes, 99) ; Hélène Larcher, « Tam Parisius quam alibi ». Unité et pluralité de la chancellerie royale au temps de Charles VII, 1418-1461, thèse de l’École des chartes, 2008 ; Sébastien Barret et Benoît Grévin, « Regalis excellentia ». Les préambules des actes des rois de France au xive siècle, 1300-1380, Paris, École des chartes, 2014 (Mémoires et documents de l’École des chartes, 98). Pour un bilan sur les éditions du corpus diplomatique royal, voir la contribution d’Olivier Canteaut et Jean-François Moufflet dans ce même volume, p. 253-286. 3. Il ne s’agit que d’une part minime de l’ensemble du corpus des actes de Jean de Berry dont il est difficile de dire, en raison de la dispersion documentaire, à combien il s’élève exactement au total. Une première pesée effectuée par Olivier Mattéoni et Olivier Guyotjeannin situe le corpus entre 500 et 600 actes.

Mélissa Barry, Cléo Rager, Élisabeth Schmit, Marie-Émeline Sterlin, Clémence Lescuyer

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15 %) de l’ensemble des actes émanant de la chancellerie de Jean de Berry ; et

même si cet échantillon couvre une période de cinquante ans, correspondant à l’essentiel de la vie politique du duc (1360-1416), sa représentativité reste incertaine4. Par ailleurs, il faut noter le poids important des actes du fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges qui semblent présenter, comme nous le verrons, certains caractères spécifiques. D’autre part, une limite à l’analyse de ce corpus réside dans l’absence de photographies pour une partie des actes (20 environ), ce qui a réduit l’étude précise des caractères externes à 46 actes sur 67, soit un peu moins de 70 % du corpus.

AD Cher, 8 G 1986 [TSC 1538], 1402

Du point de vue des caractères externes, on constate tout d’abord une certaine homogénéité formelle, avec une constance du format horizontal, une justification au moins partielle pour la quasi-totalité d’entre eux (45 sur 46), et une très grande rareté des mots coupés en fin de ligne. Les actes de ce corpus témoignent donc d’une réalisation soignée. L’usage de points d’ouverture et/ 4. Pour une mise en perspective avec d’autres princes contemporains, voir Guido Castelnuovo et Olivier Mattéoni (dir.), « De part et d’autre des Alpes » (II). Chancelleries et chanceliers des princes à la fin du Moyen Âge, Chambéry, université de Savoie, 2011.

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Imitatio regis ?

ou fermeture du discours est fréquent (32 sur 46 soit 70 % des actes). Tous les actes, à l’exception de deux, font l’objet d’abréviations usuelles et répétées, comme dans la plupart des chancelleries contemporaines. Un peu plus de la moitié des actes (26 sur 46) ont été décorés, qu’il s’agisse de simples hastes et hampes sur la première ligne, d’un traitement graphique particulier soulignant les différentes parties du discours, d’oculi signalant l’emplacement de l’attache ou, surtout, de premières lettres richement décorées de cadelures. Par ailleurs, si l’intégralité des actes est auto-désignée par le terme de « lettres », on distingue en réalité trente-cinq mandements, vingt-quatre lettres patentes (en majorité des lettres de donation), et cinq chartes, sans répartition chronologique significativ 5. Concernant la répartition des actes par bénéficiaires, on dénombre vingt-huit actes en faveur de laïcs (dont treize agents ducaux et trois membres de la famille de Jean de Berry), et dix-sept autres dédiés à des clercs ou institutions religieuses. Enfin, cinq actes sont adressés au roi de France et font l’objet d’un traitement particulier de la part des secrétaires. Une fois les données réunies et harmonisées, nous avons d’abord procédé à une analyse interne du corpus, en cherchant à percevoir pour chaque critère de possibles variations en fonction de la chronologie, mais aussi des bénéficiaires des actes, des secrétaires, ou du type d’action juridique. De là, il a été possible d’établir un bilan intermédiaire sur les pratiques de chancellerie et de mise en page, et de dégager quelques actes ou ensembles d’actes spécifique au sein du corpus.

Analyse interne du corpus Jean de Berry à travers sa titulature Dans l’ensemble des actes étudiés, deux formes de titulature se distinguent par leur fréquence et leur longévité : « Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poitou6 », et « Jehan, filz de roy de France, duc de Berry

5. La typologie reprend ici celle établie par la Commission internationale de diplomatique, voir Robert-Henri Bautier, « Typologie diplomatique des actes royaux français (xiiie-xve siècles) », dans Diplomatique royale du Moyen-Âge, xiiie-xive siècles, Porto, Faculdade de Letras da universidade do Porto, 1996 (consultable sur le site de l’École des chartes : http://elec.enc.sorbonne.fr/ cid/cid1991/art_01). 6. Cette titulature concerne dix actes du corpus, émis entre 1377 et 1391. AN, P 1357², no 425, 13 août 1377 ; P 1357², no 435, 13 août 1377 ; J 185 B, no 38, 2 septembre 1378 ; J 187 A, no 5, 29 avril 1383 ; J 187 A, no 6, 28 février 1385 (n. st.) ; J 187 A, no 11, 3 mars 1385 (n. st.) ; J 186 A, no 66, 2 mai 1386 ; J 382, no 8, 7 juillet 1386 ; P 1381, no 3358, 5 novembre 1387. AD Cher, 8 G 1985 [TSC 1537], 12 juillet 1391.

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et d’Auvergne, comte de Poictou, d’Estampes, de Boullongne et d’Auvergne7 ». Ces deux formes permettent de relever deux constantes dans l’expression de la titulature du duc de Berry : d’abord du point de vue de la structure qui, à de rares expressions près, adopte toujours le même ordre : Jehan / fils de roi de France / titres ducaux / titres comtaux, suivis, éventuellement, de la mention de sa lieutenance et/ou de ses titres seigneuriaux. En dépit de ces similitudes, c’est bien plutôt le terme de diversité qu’il faudrait utiliser pour qualifier l’ensemble des titulatures du duc : en effet, dans le corpus étudié, pas moins de vingt-quatre formes différentes peuvent être isolées. Le vocabulaire de la titulature n’est donc pas figé, ni à l’échelle de la chancellerie, ni à l’échelle des secrétaires, puisque des actes rédigés par la même personne sont introduits par des titulatures différentes. Cette diversité s’explique en premier lieu par l’actualisation de la titulature au gré des expansions territoriales – effectives ou en cours – du prince. En 1360, Jean de Berry, troisième fils de Jean II, se voit attribuer en apanage le duché de Berry et d’Auvergne nouvellement formé, et c’est bien ce titre qui figure dans le premier acte de notre corpus8. Cette titulature initiale est ensuite modifiée à chaque évolution territoriale : en 1369, lors de la reconquête des territoires cédés aux Anglais lors du traité de Brétigny, Charles V accorde en apanage à son frère le comté de Poitou et, à titre viager, les comtés de Saintonge et d’Angoumois, une donation dont fait écho la titulature de 1372, « conte de Poitou, de Xanctonge et d’Angoulesme9 », alors même que la conquête du Poitou par le duc n’est pas encore effective. La titulature est une nouvelle fois modifiée pour retirer l’Angoumois et la Saintonge après que le duc y a renoncé en 1374 à Villepèque, en faveur de son frère le roi10. Y sont ajoutés en 1389 les comtés d’Auvergne et de Boulogne acquis par Jean de Berry grâce à son remariage avec Jeanne de

7. Cette titulature concerne dix-huit actes du corpus, émis entre 1400 et 1415. AN, P 13632, no 1248, p. [1]-[5], 3 décembre 1400 ; P 13641, no 1298, 28 août 1402 ; J 187 B, no 40 bis, 10 avril 1403 (n. st.) ; J 274, no 24 ter, 18 juin 1403 ; J 186 B, no 75, 18 juin 1403 ; J 188 A, no 66, février 1405 (n. st.) ; P 1363², no 1248, p. [5]-[6], 1er décembre 1410 ; J 186 B, no 77, 4 décembre 1410 ; P 1381, no 3338, 19 février 1411 (n. st.) ; P 13752, no 2588, 7 novembre 1414 ; P 13641, no 1297, 11 mai 1415. AD Cher, 8 G 1173 [TSC 198], 7 décembre 1404 ; 8 G 1423 [TSC 92], janvier 1405 (n. st.) ; 8 G 1452 [TSC 816], 17 mai 1412 ; 8 G 1844 [TSC 236], juin 1414 ; 8 G 1450 [TSC 193], 4 juin 1414 ; 8 G 1452 [TSC 1450], 12 janvier 1415 (n. st.) ; Sainte-Chapelle, 32, février 1415 (n. st.). 8. AN, J 166, no 32, février 1365 : « Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne ». 9. AN, J 187 A, no 4, 7 août 1372 : « Jehan, filz de roy de France, duc de Berri et d’Auvergne, conte de Poitou, de Xanctonge et d’Angoulesme ». 10. AN, J 382, no 3, 8 septembre 1374 : « NOUS, Jehan, filz de roy de France, frere de monseigneur le roy, duc de Berry et d’Auvergne, et conte de Poitou ».

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Boulogne11. On aboutit en 1400 à la titulature finale du duc, lorsque ce dernier hérite du comté d’Étampes12. Cette dernière forme est régulièrement utilisée jusqu’en 1416, où on la retrouve sur le testament ducal13. La titulature suit donc les fluctuations du pouvoir territorial de Jean de Berry. Elle est aussi adaptée en fonction de la nature de la décision et du statut juridique en vertu duquel intervient le duc : certains titres de moindre importance (« seigneur de Carlat ») ou certaines fonctions (notamment celle de lieutenant) ne sont mentionnées que lorsque le duc agit en tant que tel14. De 1377 à 1391, bien que la titulature la plus utilisée soit « Jehan, fils de roi de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poitou », les lieutenances en Languedoc et en Guyenne sont précisées à quatre reprises, dans un ordre différent selon les cas. Dans trois cas sur quatre, le document en question est un mandement : il y a donc adéquation entre l’action et la mention du statut de lieutenant du roi15. Enfin d’autres variations, plus rares à l’échelle du corpus étudié, traduisent une adaptation de la titulature à des situations spécifiques. À titre d’exemple, le pronom personnel « nous » est utilisé à quatre reprises pour introduire la titulature. Les deux premières occurrences de cette pratique – en 1374 et en 1381 – laissent penser que le « nous » était utilisé comme un moyen d’affi mer l’autorité du duc par une personnalisation du discours diplomatique, à un moment où cette autorité était justement fragilisée. En 1374, en effet, le duc doit renoncer à la Saintonge et à l’Angoumois au profit du roi ; en 1381,

11. AN, P 13721, no 2048, 11 juin 1397 : « Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, comte de Poitou, de Bouloigne et d’Auvergne ». 12. AN, P 13632, no 1248, p. [1]-[5], 3 décembre 1400 : « Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poictou, d’Estampes, de Boullongne et d’Auvergne ». 13. « Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poictou, d’Estampes, de Boullongne et d’Auvergne », testament du 25 mai 1416, édité dans Jules Guiffrey, Inventaires de Jean, duc de Berry (1401-1416), Paris, Ernest Leroux Éditeur, 1894-1896, t. 2, p. 191-195. Cette titulature est également reprise le 7 juin 1416, lorsque le duc apporte quelques ultimes modifications à son testament : ibid., p. 187-196. 14. AN, P 13632, no 1248, p. [6]-[11], novembre 1410 : « Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poictou, d’Estampes, de Boullongne et d’Auvergne et seigneur de Carlat ». La fonction de lieutenant est mentionnée dans onze actes du corpus. AN, J 211, no 41, 1er décembre 1372 ; J 186 A, no 52, 15 juillet 1381 ; J 182, no 111, 19 mars 1388 (n. st.) ; J 182, no 109, 15 avril 1388 ; J 382, no 17, 13 mai 1401. BnF, ms. lat. 26021, no 923, 8 septembre 1386. AD Cher, 8 G 1986 [TSC 1538], février 1402 (n. st.) ; 8 G 2657 [TSC 321], mai 1411 ; 8 G 278 [TSC 102], 20 juin 1411. AC Bourges, AA 7, no 1, août 1368. AC Riom, BB 124, 13 janvier 1375 (n. st.). 15. AN, J 186 A, no 52, 15 juillet 1381 ; J 182, no 111, 19 mars 1388 (n. st.) ; J 182, no 109, 15 avril 1388. BnF, ms. lat. 26021, no 923, 8 septembre 1386.

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Jean de Berry conclut une paix avec Gaston de Foix, moyennant d’importantes concessions de la part du duc16. De ce point de vue, les deux autres occurrences sont plus surprenantes et ne peuvent être expliquées de la même manière, puisqu’il s’agit de deux actes a priori moins prestigieux. Dans l’un, daté de 1411, le duc atteste avoir reçu plusieurs lettres de la part de « noz […] gens des comptes17 » ; dans l’autre, de 1415, il accuse réception de deux tableaux de la part du trésorier et du chapitre de la Sainte-Chapelle, qu’il offre à son neveu Louis, duc de Guyenne18. Ces deux actes étant rédigés par le même secrétaire, faut-il y voir une habitude individuelle, liée à un scripteur particulier ? Ou ces quatre exemples doivent-ils être considérés dans leur ensemble, constituant la marque de l’influence d’autres chancelleries ? Ces remarques sur l’affirmation du pouvoir du duc à travers la titulature amènent à poser la question de la façon dont ce dernier prend ses décisions et de la manière dont ces actes sont produits. Pratiques de chancellerie et mentions hors teneur Concernant la prise de décision, le duc peut agir seul, en présence de quelques grands ou de son conseil, ou « a la relation » de celui-ci, formule qui, comme chez le roi, indique que Jean de Berry lui a délégué son pouvoir19. On trouve même en 1365 la mention d’un mandement pris « par le conseil », sans le duc20. Jusqu’en 1403, dans la mention de commandement, le nom du duc est très souvent associé à celui du conseil ou de conseillers. Sur quarante-six actes, outre trois sans mention de commandement, le duc n’est seul que treize fois21. À partir de 1405 en revanche, le duc est beaucoup plus souvent le seul nommé (une seule exception sur dix-huit actes22). Surtout, le conseil disparaît de la mention de commandement à partir de 1399, marquant l’affirmatio de l’autorité du duc, à un moment où celui-ci est de plus en plus actif dans le gouvernement de Charles VI.

16. AN, J 382, no 3, 8 septembre 1374, et J 186 A, no 52, 15 juillet 1381. 17. AN, J 186 B, no 78, 22 juin 1411. 18. AD Cher, 8 G 1452 [TSC 817], 5 juin 1415. 19. Entre autres exemples : « Par monseigneur le duc en son conseil », AN, KK 251 (1370), ou encore « Par monseigneur le duc, monseigneur le conte de Sancerre, vous et plusieurs autres de son conseil estant en Auvergne presens », AN, P 1357², no 425 (1377). 20. BnF, ms. fr. 26006, no 192 (1365). 21. Par exemple : AN, J 166, no 32 (1365), J 1118, no 21 (1367), J 181 B, no 93 (1373), J 185 B, no 38 (1378). AD Cantal, série E, 43 (1399). AD Cher, 8 G 1452 [TSC 817] (1415). 22. AN, J 186 B, no 78 (1411).

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En ce qui concerne les secrétaires qui ont écrit ces actes, on observe tout d’abord qu’ils sont très nombreux (vingt-trois en tout). La fonction est marquée par une grande instabilité. Il ne semble pas y avoir de spécialisation en fonction du type d’acte. On note tout de même un allongement de la période d’activité de chaque secrétaire au tournant du xve siècle, notamment en la personne de Pierre de Gyves, actif durant quatorze ans (1398-1412) ou d’Érart Moriset, qui rédige dix actes de 1398 à 1411. Il est recensé par René Lacour comme secrétaire du duc de 1397 à 1401, mais le corpus étudié permet d’allonger encore la période de son activité23. En janvier 1412, Jean sans Peur contrôlant Paris fait don au dauphin d’une « maison avec cours, jardins, etc., appartenant a maistre Erart Moriset, secretaire du duc de Berry24 », qui avait quitté la capitale pour suivre le duc. Il s’agit donc manifestement d’un personnage important. Par ailleurs, l’inventaire de la collection du duc établi en 1412 évoquait déjà quatre secrétaires, Pierre de Gyves, Michel Le Beuf, Jean de Candé et Érart Moriset s’associant pour lui offrir un livre relié pour les étrennes en 140325. Trois d’entre eux sont représentés dans le corpus26. D’autre part, Françoise Autrand souligne la présence parmi les secrétaires de Jean de Berry, de juristes et diplomates compétents, tels que l’humaniste Gontier Col, ainsi que de grands professionnels de l’écriture27. La réalisation très soignée de la plupart des actes et le caractère élaboré de leurs signatures en témoignent. Plus que tout autre, Jean Flamel apparaît comme « un véritable artiste de la calligraphie28 », responsable de la décoration des actes mais aussi des ex-libris raffinés figurant en tête des ouvrages acquis par le duc, célèbre bibliophile. Le roi face au duc La nature composite du corpus rend toute élaboration d’une typologie particulièrement complexe, même si quelques ensembles de documents se distinguent des autres, que ce soit par leur thème – comme ceux qui concernent 23. René Lacour, Le gouvernement de l’apanage de Jean, duc de Berry (1360-1416), Paris, Picard, 1934, annexes, xvi. 24. BnF, ms. Dupuy, vol. 620, cité par Raimond Thomassy, Essai sur les écrits politiques de Christine de Pisan, Paris, Debécourt Libraire-Éditeur, 1838, p. xxix. 25. Jules Guiffrey (éd.), Inventaires de Jean, duc de Berry (1401-1416), op. cit., t. 1, p. 246, item 939 : « lequel livre les IIII secreteres de Monseigneur, c’est assavoir maistres Pierre de Gynes, Michiel Le Boeuf, Jehan de Candé et Erart Moriset lui donnerent, ausdictes estraines mil CCCC et III. » 26. P. de Gyves, E. Moriset et M. Le Beuf. 27. Françoise Autrand, Jean de Berry. L’art et le pouvoir, Paris, Fayard, 2000, p. 194-195. 28. Ibid., p. 467. Par exemple, voir son travail sur la page de garde du manuscrit suivant : BnF, ms. fr. 380 (Roman de la Rose). Voir figure 10 dans le présent ouvrage, infra, p. 53.

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la Sainte-Chapelle, très abondants après 141029 – ou par leur destinataire – le duc s’adressant de manière différente à ses officiers, aux ecclésiastiques, ou au roi. Dans cet ensemble, un acte attire l’attention par son caractère exceptionnel30. Unique exemple de la sorte au sein du corpus, il permet d’éclairer en creux les similitudes des autres documents. Émis à Villepèque le 8 septembre 1374, il ne semble pas – au premier regard – sortir de l’ordinaire : comme la plupart des actes de Jean de Berry, il est rédigé sur un format oblong, le texte est encadré de grandes marges de chaque côté, le premier mot et la première ligne sont enjolivés par des hastes allongées. Une lecture plus approfondie permet toutefois de constater une forte personnalisation du discours et de la forme diplomatique. Cela transparaît notamment dans la titulature, non seulement introduite par le « Nous, Jehan » déjà évoqué plus haut, mais aussi marquée par une insistance sur la filiation personnelle du duc en associant au canonique « fils de roi de France » l’expression « frère de monseigneur le roy », que l’on ne retrouve dans aucun autre document analysé. Cette personnalisation se manifeste également dans les signes de validation : l’acte est le seul du corpus à être signé de la main du duc. Enfin, le document se distingue dans le langage utilisé, les expressions « de nostre bon gré et de bonne volanté, comme bien conseillié et sanz contrainte » et « en bonne foy et en parole de filz de roy » étant absentes des autres actes, qui évoquent plutôt la « certaine science » et la « grace especial » du duc31. Le contexte politique et les conditions d’écriture de l’acte peuvent apporter quelques éléments d’explication. En ce mois de septembre 1374, la place forte de Lusignan, dernier verrou avant la fin de la reconquête du Poitou amorcée en 1369, est sur le point de céder. Mais pour traiter avec les assiégés, Jean de Berry doit absolument obtenir du roi le prisonnier d’importance qu’est Thomas Percy, ancien sénéchal anglais de Poitou, dont la rançon servira à financer la reddition de Lusignan. Pour cela, le duc rencontre son frère Charles V, qui lui demande alors de lui céder l’Angoumois et la Saintonge32. Cet acte entérine donc la renonciation du duc à ces territoires en faveur du roi ; pour autant, à aucun moment le sort de Thomas Percy n’est évoqué. On peut donc interpréter l’importante personnalisation de l’acte comme une tentative du duc d’atténuer le caractère obligé de cette renonciation pour en faire l’équivalent

29. AD Cher, 8 G 2657 [TSC 321] (1411) ; 8 G 278 [TSC 102] (1411) ; 8 G 1452 [TSC 816] (1412) ; 8 G 1844 [TSC 236] (1414) ; 8 G 1450 [TSC 193] (1414) ; SC, 32 (1415) et 8 G 1452 [TSC 817] (1415). 30. AN, J 382, no 3. 31. Une exception : AN, P 1357², no 438 (1379). 32. Françoise Autrand, Jean de Berry…, op. cit., p. 137-140.

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d’une donation « de bonne volanté » et « sanz contrainte ». Il semble toutefois que l’acte ait été rédigé dans une certaine précipitation : le duc, pris de court, n’avait pas son chancelier avec lui ; il scelle de son sceau du secret et promet de rédiger de nouvelles lettres patentes33. L’acte étant signé à Villepèque, une ferme appartenant à Gilles Malet34, célèbre libraire de Charles V, on peut également supposer des influences des notaires et secrétaires royaux ; ce qui pose la question de l’imitation éventuelle des pratiques de la chancellerie royale par la chancellerie ducale.

Imitatio regis ? Le corpus royal Afin de dégager quelques pistes de comparaison avec les actes émis par la chancellerie royale française et en l’absence d’un corpus prédéfini, nous nous sommes appuyées sur des actes jugés suffisamment représentatifs de la production de la chancellerie royale pour être édités et reproduits dans des manuels classiques de diplomatique35. La prise en compte de ces actes a avant tout été dictée par la nécessité de disposer d’outils de comparaison sur le plan des caractères externes aussi bien que des caractères internes, puisque les actes retenus sont strictement contemporains de la période d’activité de Jean de Berry (1360-1416), et se rapprochent du corpus ducal par leur typologie et par la nature de leur action juridique. Selon les mêmes critères, nous avons sélectionné pour l’étude des caractères internes un certain nombre d’actes compilés dans le formulaire établi par Odart Morchesne, notaire et secrétaire de Charles VII à Bourges dans les années 1420, afin de mieux cerner les usages en vigueur à la chancellerie royale, certes à une date plus tardive que celle du corpus ducal36. Ils ont eux

33. Françoise Lehoux, Jean de France, duc de Berri : sa vie, son action politique (1340-1416), 4 t., Paris, Picard, 1966-1968, t. 1, De la naissance de Jean de France à la mort de Charles V, p. 340. 34. Françoise Autrand, Jean de Berry…, op. cit., p. 139. 35. Georges Tessier, Diplomatique royale française, op. cit., p. 224 (AN, K 53, no 3), p. 232 (AN, K 49, no 10 et AN, K 49, no 14) ; Olivier Guyotjeannin, Jacques Pycke, Benoît-Michel Tock, Diplomatique médiévale, Turnhout, Brepols, 2006 (L’atelier du médiéviste, 2), acte n o 7 (AN, J 151, no 96), acte no 8 (AN, J 185 A, no 10), acte no 9 (AN, K 53, no 72). À ces deux titres s’ajoute Ghislain Brunel, Images du pouvoir royal. Les chartes décorées des Archives nationales, xiiie-xve siècle, Paris, Somogy Éditions d’art/Centre historique des Archives nationales, 2005, acte no 14 (AN, K 49 C, no 71), acte no 15 (AN, K 49 A, no 1), acte no 27 (AN, K 49 C, no 62), acte no 28 (AN, M 163, no 11), acte no 39 (AN, K 532 B, no 17), acte no 40 (AN, M 257 C, no 61). 36. Olivier Guyotjeannin et Serge Lusignan (éd.), Le formulaire d’Odart Morchesne dans la version du ms. BnF fr. 5024, Paris, École des chartes, 2005 (Mémoires de documents de l’École des chartes,

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aussi été choisis pour leur objet proche de celui des actes étudiés (donation, fixation des gages d’un officier, amortissement, collation d’une chapellenie). En complément et pour la période 1360-1416, nous avons également eu recours, de manière moins systématique, aux actes royaux du Poitou édités au xixe siècle par Paul Guérin37. La comparaison entre les actes ducaux et le corpus des actes royaux ainsi constitué fait apparaître de nombreuses similitudes, aussi bien du point de vue des caractères externes que des caractères internes. Caractères externes La proximité avec les usages de la chancellerie royale contemporaine est manifeste. En effet, la plupart des actes témoignent d’une réalisation soignée et parfaitement conforme au modèle royal, avec une écriture très proche, un format horizontal, des abréviations essentiellement canoniques et relativement peu nombreuses, des coupures de mots en fin de ligne limitées à quatre occurrences par acte dans les deux corpus mis en rapport, la présence d’oculi destinés à indiquer l’emplacement de l’attache, les majuscules signalant l’ouverture des différentes parties du discours, et surtout le traitement graphique particulier réservé à l’initiale et à la première ligne. De plus, on trouve dans la production de la chancellerie ducale de Berry des chartes ornées semblables à celles qui étaient émises par la royauté. Comme Charles V, figuré dans l’initiale historiée de l’acte de fondation de la SainteChapelle de Vincennes en 1379, le duc de Berry est représenté dans l’initiale J de l’acte de fondation de la Sainte-Chapelle de Bourges en 140538. Cette miniature est l’œuvre des frères Limbourg, responsables des enluminures des Belles Heures et des Très Riches Heures du duc de Berry, ce qui suggère l’emploi polyvalent de ces grands artistes, travaillant aussi bien aux livres enluminés qu’à l’ornementation d’un acte certes particulièrement solennel. Par ailleurs, on constate que Jean de Berry utilise les motifs typiques de l’iconographie des chartes royales contemporaines. On trouve ainsi des fleurs de lis, un griffon, ainsi que de nombreux poissons39. La fleur de lis est présente dans le fonds 80), [1.1], [1.6], [4.1], [4.4], [4.5], [7.1], [7.2], [9.7], [13.3], [14.10], [14.20], [14.26], [17.10], [17.17], [17.19], [17.22], [17.28]. 37. Paul Guérin (éd.), Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la chancellerie de France, Poitiers, Archives historiques du Poitou, 1881-1919, 12 vol. 38. AD Cher, J 771, pour la Sainte-Chapelle de Bourges, et AN, II AE 401 A pour la fondation de la Sainte-Chapelle de Vincennes. 39. Ghislain Brunel, Images du pouvoir royal…, op. cit., p. 42-47. Le griffon apparaît en 1364 au plus tard dans les actes royaux. Le thème du poisson se développe vers 1350 à la chancellerie royale avant de se répandre largement.

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des archives communales de Saint-Affrique et aux Archives nationales, avec une initiale ornée d’une demi-fleur de lis, ainsi qu’aux archives départementales du Cher, dans un acte qui porte également des profils humains, des figures humaines et animalières, et même une couronne40. Le poisson, pour sa part, se retrouve dans des actes conservés aux archives départementales de l’Aveyron et du Cher41. Caractères internes La désignation des actes par « ces presentes lettres », des introductions semblables pour l’exposé, les clauses injonctives et de corroboration, ou encore les notifications de type « a tous presens et a venir » ou « a tous ceux qui ces presentes verront », marquent une nouvelle fois une grande proximité entre les pratiques des chancelleries de Berry et du roi de France42. On y trouve indifféremment des clauses d’intention de type « car tel est nostre plaisir », et la mention « de grace especial » accompagne souvent le dispositif. Si des variations apparaissent, pour un même type d’acte, au sein de la production d’une même chancellerie, les différences sont minimes en ce qui concerne l’organisation des parties du discours, les principales formules et le vocabulaire utilisé dans un contexte comparable. En outre, les actes de collation de bénéfices ecclésiastiques, adressés à des clercs, sont rédigés en latin par le roi comme par le duc de Berry. Cette distinction de langue est caractéristique du début du xve siècle, où les actes en français dominent largement la production de chancellerie, le latin étant réservé aux clercs et à certains actes très solennels, souvent destinés à des institutions religieuses ou à des universités43. On ne trouve pas de préambule dans le corpus ducal ici retenu, à l’inverse des usages de la chancellerie royale, qui l’utilise en certaines occasions pour marquer l’importance des décisions, mais certains actes en sont bien pourvus44. La datation par l’année de règne est une autre caractéristique réservée 40. AC Saint-Affrique, 2 E 216 AA2, et AN, J 382, no 8 ; AD Cher, Chap. Saint-Étienne, liasse 1 [TSC 770]. 41. AD Aveyron, C 1521, 3, et AD Cher, 8 G 1935 [TSC 1436]. 42. On trouve ainsi fréquemment des formules telles que « comme », « nous avons receu l’umble supplicacion », « si donnons en mandement », « et afin que ce soit chose ferme » ou « en tesmoing de ce ». 43. Olivier Guyotjeannin et Serge Lusignan (éd.), Le formulaire d’Odart Morchesne…, op. cit., p. 43-51. 44. Par exemple, AD Cher, 8 G 1447 (D) (septembre 1403), 8 G 1447 (H) (novembre 1401). Également l’acte de fondation de la Sainte-Chapelle de Bourges, perdu mais connu par une copie-lithographie sur papier du xixe siècle : AD Cher, J 771 (reproduction dans Béatrice de

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aux actes royaux, tout comme la formule « par la grace de Dieu », systématiquement utilisée par le roi de France. Le personnel de chancellerie Une analyse du personnel de la chancellerie de Jean de Berry semble offrir un premier élément d’explication pour cette évidente parenté. En effet, plusieurs secrétaires responsables de la réalisation des actes du corpus ducal sont également passés par la chancellerie royale, avant, après, ou pendant leur période d’activité au service de Jean de Berry. C’est ainsi le cas de Gontier Col, homme de confiance que le duc « place » à la chancellerie royale au moment de la maladie de Charles VI45. Sa signature figure ainsi à trois reprises dans le corpus des actes royaux du Poitou entre 1396 et 139846. Parmi les noms moins célèbres, on peut relever ceux de Jean Des Bordes et Pierre de Manhac qui apparaissent simultanément dans le corpus des actes royaux du Poitou et le corpus ducal47. Les cas de Jean Greelle et d’Érart Moriset sont différents, dans la mesure où ils sont attestés d’abord à la chancellerie ducale, puis au service du roi48. Jean Greelle est responsable de la réalisation d’un acte à la chancellerie ducale en 1365 et de trois actes dans le corpus royal du Poitou, datés entre 1375 et 1377. Jean Des Bordes, attesté au service du duc de 1372 à 1387, réalise deux actes royaux en 1378 et 1388. Pierre de Manhac, qui travaille pour le duc entre 1387 et 1397, rédige sept actes du corpus royal entre 1381 et 1395. Enfin Érart Moriset, mentionné à la chancellerie ducale de 1397

Chancel-Bardelot et Clémence Raynaud (dir.), Une fondation disparue de Jean de France, duc de Berry. La Sainte-Chapelle de Bourges, Paris/Bourges, Somogy Éditions d’art/Musée du Berry, 2004, p. 41). 45. Françoise Autrand, « Gontier Col, un “conseiller diplomatique” de Charles VI », dans Denis Clauzel, Charles Giry-Deloison et Christophe Leduc (éd.), Arras et la diplomatie européenne, xvexvie siècles, Arras, Artois Presses Université, 1999, p. 27-45. 46. Paul Guérin (éd.), Recueil des documents concernant le Poitou…, op. cit., t. 6, DCCCXIII (AN, JJ 149, no 89, fol. 61v, 1396), DCCCXXXVII (AN, JJ 153, no 77, fol. 37, 1398) et DCCCXXXVIII (AN, JJ 153, no 94, fol. 46, 1398) ; Gontier Col apparaît dans le corpus ducal en 1386-1397. 47. Jean Des Bordes : ibid., t. 5, DCXXVII (AN, JJ 113, no 349, fol. 170, 1378) et DCCXIV (AN, JJ 132, no 81, fol. 45, 1388) ; il apparaît dans le corpus ducal en 1372-1387. Pierre de Manhac : ibid., t. 5, DCXLI (AN, JJ 118, no 395, fol. 211v, 1381), DCXLII (AN, JJ 118, no 442, fol. 233, 1381), DCLXXI (AN, JJ 124, no 277, fol. 161, 1384), DCLXXVI (AN, JJ 125, no 134, fol. 79v, 1384), DCCV (AN, JJ 131, no 1, fol. 1, 1386) ; t. 6, DCCCIV (AN, JJ 153, no 105, fol. 51, 1395) et DCCCLXXXVI (AN, JJ 158, no 334, fol. 182v, 1403) ; il est présent dans le corpus ducal en 1387-1397. 48. Jean Greelle : ibid., t. 4, DLXXXVI (AN, JJ 107, no 321, fol. 161, 1375), DXCIII (AN, JJ 108, no 276, fol. 155v, 1376) ; t. 5, DCXVI (AN, JJ 112, no 28, fol. 23, 1377) ; présent dans le corpus ducal en 1365. Érart Moriset : ibid., t. 7, DCCCCLXXXIV (AN, JJ 169, no 416, fol. 278, 1416) et DCCCCLXXXVI (AN, JJ 170, no 54, fol. 81, 1417) ; il apparaît dans le corpus ducal en 1397-1411.

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à 1411, signe deux actes royaux du Poitou après la mort de Jean de Berry, en décembre 1416 et en 1417. Il en va de même pour l’artiste anonyme responsable de l’ornementation de la charte au griffon datée de 1386, qui a également travaillé sur plusieurs chartes ornées émises par la royauté dans les années 1360 et 1370, de telle sorte qu’il semble être passé au service du duc à la mort de son frère Charles V49. Enfin, Odart Morchesne lui-même est d’abord secrétaire de Martin Gouge de Charpaigne, évêque de Clermont, un temps au service de Jean de Berry avant de devenir chancelier de Charles VII en 142250. Les pratiques de chancelleries semblables s’expliquent donc par le passage des mêmes secrétaires au service des princes.

Conclusion Les pratiques documentaires de Jean de France, duc de Berry, révèlent donc une imitation des modèles royaux par un prince des fleurs de lis. En effet, il semble que le duc ait été très fier de son appartenance au sang de Saint Louis et à la maison royale. Ce thème est déjà visible à travers la titulature employée dans ses actes : le duc ne manque jamais d’y rappeler sa filiation et son statut de « fils de roi ». Le thème est également développé dans son testament, où Jean de Berry remercie Dieu de lui avoir « donné de naitre de la tres noble et tres chretienne lignee de France ». Enfin, dans une anecdote rapportée par le Religieux de Saint-Denis, dans laquelle le duc se présente comme « fils frère et oncle de rois de France », des « titres », dit-il, « dont je puis à bon droit me glorifie 51 ». De la même manière, la fondation de la Sainte-Chapelle de Bourges, projet initié en 1392 et qui occupe une place considérable dans le corpus étudié, se fait ad instar capelle regie parisiensis, selon le modèle institué par Louis IX pour la Sainte-Chapelle de Paris à partir de 1246, ce qui souligne une nouvelle fois l’appartenance dynastique de Jean de Berry52. Surtout, loin de traduire un simple attachement familial de la part du duc, l’omniprésente imitatio regis, visible à la fois dans la fondation dynastique de la Sainte-Chapelle de Bourges, dans le fonctionnement des institutions et dans 49. AN, AE II 406, Ghislain Brunel, Images du pouvoir royal…, op. cit., p. 53. 50. Olivier Guyotjeannin et Serge Lusignan (éd.), Le formulaire d’Odart Morchesne…, op. cit., p. 8. 51. Françoise Autrand, Jean de Berry…, op. cit., p. 487. Chronique du Religieux de Saint Denys, L.-F. Bellaguet (éd.), t. 6, Paris, 1852 (Collection de documents inédits de l’histoire de France), p. 32-33 (rééd. Paris, CTHS, 1994, avec une introduction de Bernard Guenée) : Francie regum filius, frater et patruus, quorum possum titulis merito gloriari. 52. Bulle de Clément VII (1392), AD Cher, 8 G 1447.

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les pratiques documentaires de Jean de Berry, revêt une importance politique capitale, puisqu’il s’agit bien, pour le duc, d’asseoir son pouvoir dans le cadre de son apanage. Mélissa Barry, Cléo Rager, Élisabeth Schmit, Marie-Émeline Sterlin Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/LaMOP (UMR 8589)

Clémence Lescuyer École nationale des chartes

La signature de Jean de Berry : marque de prestige, signe de pouvoir Claude Jeay

L

e roi Jean le Bon et ses fils, le futur Charles V et le duc de Berry, comptent parmi les premiers princes de l’Occident médiéval à avoir leur propre signature. Par signature, il convient d’entendre l’écriture du nom associé à un paraphe, le tout autographe, à tout le moins dans un premier temps. Dès lors, plusieurs questions se posent : comment se présente la signature des premiers Valois – et plus particulièrement celle de Jean de Berry ? Comment celuici choisit-il son propre signe graphique (peut-on déterminer les influences et les modèles qui ont inspiré le prince) ? Où l’appose-t-il ? Il conviendra aussi de poser la question de l’usage (ou des usages) de la signature.

L’invention de la signature Les signatures des grands personnages de la seconde moitié du xive siècle apparaissent encore sous le regard de l’historien d’aujourd’hui comme autant d’épiphanies sur le papier ou le parchemin – ce qu’elles étaient du reste déjà à l’époque où elles ont été apposées : définitives, parachevées, elles ne fournissent aucun indice sur ce qui a motivé tel choix graphique ou l’adoption de tel paraphe. Tout au plus peut-on, en les comparant à d’autres, deviner un modèle ou supposer une influence. Il n’en va heureusement pas de même pour Jean de Berry, puisque nous disposons d’essais de plume du prince dans la marge d’un manuscrit (fig  1)1. Léopold Delisle a proposé d’attribuer ces recherches graphiques autour du nom de baptême Jehan au roi Jean le Bon, mais une étude comparée des signatures du père et du fils qui ont, il est vrai, le même saint patron, permet d’y voir à coup sûr la main du futur duc de Berry. La plupart des essais de signature sont partiels et portent soit sur la première, 1. BnF, ms. lat. 448, fol. 289, Petrus Lombardus, Commentarius in Psalmos. L’histoire du manuscrit est peu documentée, mais il est certainement entré dès le xive siècle dans la bibliothèque royale, où Jean, fils du roi de France Jean le Bon, aurait pu le consulter, voire l’utiliser dans l’apprentissage de la lecture. Il a été relié au xviiie siècle aux armes royales, qui attestent cette provenance. Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

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Figure 1 — Essais de signature de Jean de Berry (BnF, ms. lat. 448, fol. 289)

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soit sur la seconde syllabe du nom. Ils montrent que le choix de la signature se cache dans les détails, mais ces seules tentatives sont insuffisantes pour autoriser une attribution. En revanche, si l’on considère les deux paraphes les plus aboutis – qui sont des signatures à part entière –, la situation s’éclaire singulièrement. L’une rappelle effectivement la signature de Jean le Bon, le paraphe en moins, l’autre apparaît comme une version édulcorée, encore imparfaite, de la signature définitive de Jean de Berry. Inscrites l’une et l’autre dans la continuité, placées entre les deux signatures définitives de ces princes, celle de Jean le Bon à une extrémité, celle de Jean de Berry à l’autre, elles constituent bien les jalons jusqu’alors manquants qui montrent comment, partant de la première, le jeune prince entreprend peu à peu d’imaginer sa propre marque. Tout est déjà en puissance dans la « dernière » tentative : la lettre « E » mise en valeur, le nom de baptême encadré sur trois côtés, le jeu sur le module des lettres, l’alternance de traits fins ou plus épais pour donner du rythme et de l’élégance à la composition. Le prince tire immédiatement parti du potentiel graphique surgi de l’association du nom de baptême et du paraphe et, reprenant l’exemple paternel, va plus loin encore. De cette signature-là à la signature définitive du prince, équilibrée et parfaite, il ne manque pas grand-chose et l’on peut supposer que le résultat final est rapidement atteint moyennant quelques tentatives supplémentaires qui, celles-là, ne nous sont pas parvenues. Fausses signatures et signatures imitées facilitent une compréhension « intériorisée » de ce signe graphique encore bien neuf à l’époque du duc de Berry : il ne suffit pas de reproduire le plus fidèlement possible la signature originelle, ni de faire preuve d’un mimétisme servile, d’habileté ou de virtuosité graphique. Imiter parfaitement la signature de Jean de Berry (ou toute autre signature, d’ailleurs) implique avant tout de bien décomposer le geste, d’assimiler le ductus. Il faut combiner précision et vitesse d’exécution : le bon geste et la juste pression. L’une sans l’autre révèle au premier coup d’œil une pâle tentative de reproduire l’original. L’œil travaille avant la main. C’est lui qui, au moment de saisir la plume, la guidera avec toute la précision requise. Imiter la signature du prince n’est pas donné à tout le monde, ce que révèle la tentative sans prétention, dilettante, du duc de Savoie Philibert II à la fi de la grande bible historiale complétée, juste en dessous de la signature de Jean de Berry (fig  2)2. L’essai date de 1504 au plus tard, année de la mort du

2. BnF, ms. fr. 159, fol. 545v. La fille du duc de Berry, Marie de Bourbon, hérite du précieux manuscrit, qui entre dans la collection du duc de Savoie avant d’appartenir à la bibliothèque des ducs de Bourbon. Philibert devenant duc en 1497, la fourchette de datation de la signature est très resserrée : 1497-1504. Il est le fils de Philippe II de Savoie et de Marguerite de Bourbon.

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Figure 2 — Imitation de la signature de Jean de Berry par Philibert II de Savoie (BnF, ms. fr. 159, fol. 545v)

Figure 3 — Fausses signatures de Jean de Berry et de Charles V (BnF, ms. lat. 589 A, fol. 63v)

Le manuscrit faisait partie de la bibliothèque des ducs de Bourbon conservée au château de Moulins lors de la confiscation des biens du connétable Charles de Bourbon en 1523 (d’après la notice du manuscrit consultable sur le site Gallica à l’adresse suivante : http://gallica.bnf.fr/ ark:/12148/btv1b8449691v.r=%22fran%C3%A7ais%20159%22?rk=42918;4.

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prince, qui appose sa propre signature, Le duc de Savoie. Phili [Phil ?], sur le même feuillet. Jean de Berry ayant reçu le manuscrit en cadeau de la part de Raoulet d’Anquetonville avant 1402, les deux signatures sont séparées par un siècle environ. La signature personnelle de Philibert de Savoie est très cursive et peu soignée ; le duc s’y reprend parfois à plusieurs reprises pour tracer une lettre (en particulier le « c » et le « e » finaux  ; les lettres sont de grande taille et le paraphe est dépouillé, sans ornements, à peine formé par un trait de soulignement et une boucle finale. Cette signature contraste donc fortement avec la marque de Jean de Berry, toute de mesure, d’équilibre et de maîtrise. Il n’est que de considérer ensemble la signature authentique de ce prince avec l’imitation du duc de Savoie pour mesurer tout ce qui les sépare. Le résultat auquel parvient Philibert de Savoie est maladroit, grossier ; il manque de précision (l’élément final du paraphe), ne maîtrise ni la vitesse d’exécution ni l’épaisseur du trait, tantôt fin, tantôt presque gras de la signature originale. Comme pour sa propre signature, il lui faut s’y reprendre à plusieurs fois pour former certaines lettres. Le duc de Savoie a reproduit à main levée et spontanément la signature de Jean de Berry par amusement, geste gratuit insuffisamment nourri par l’observation attentive de ce qu’il a sous les yeux. Philibert n’a pas compris les gestes derrière le dessin ; il n’a pas non plus réalisé que le nom de baptême du prince est encadré par deux véritables petits « n » qu’il transforme en serpentins. Au final, le résultat est raté, pour dire les choses un peu brutalement. Cet essai surprise met de fait en lumière la maîtrise graphique requise pour arriver à un résultat satisfaisant, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de la signature d’un autre – et qu’elle s’inscrit dans une tradition, une mode alors révolues. Léopold Delisle avait déjà repéré une fausse signature de Jean de Berry dans un manuscrit du xiiie siècle, dont la qualité tranche singulièrement avec la réalisation approximative du duc de Savoie (fig  3)3. Toute la question est de savoir s’il est possible de la juger vraie sans avoir au préalable eu connaissance de la supercherie. La signature passe certainement pour authentique auprès d’un non-spécialiste, mais il semble qu’un professionnel soit à même de faire la différence puisque, lorsqu’elle a été mise sous les yeux d’un conservateur des manuscrits de la Bibliothèque nationale, celui-ci y a immédiatement vu

3. BnF, ms. lat. 589 A, fol. 63v, Garnerius de Sancto Victore, Gregorianum. Le faussaire a également réalisé un ex-libris de Charles V avec signature sur cette même page (Léopold Delisle, « Origine frauduleuse du ms. 191 Ashburnham-Barrois », Bibliothèque de l’École des chartes, 62, 1911, p. 543554, et du même, Recherches sur la librairie de Charles V, Paris, 1907, t. 1, p. 412-416).

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un faux, jugement conforté aussitôt par Delisle4. L’imitation peut donc sauter aux yeux, à condition d’être tout de même un tant soit peu spécialiste de la question. L’histoire rocambolesque de ce manuscrit a été parfaitement reconstituée par Léopold Delisle et Henri Omont5 : il a été volé au cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale avant d’être enrichi des marques de possession apocryphes de Charles V et de Jean de Berry – signatures, mention autographe pour le premier, écus fle rdelisés – afin de séduire le bibliophile et collectionneur Joseph Barrois et en tirer le meilleur prix6. Le faussaire ne s’en est pas tenu là. Ravi de la bonne affaire qu’il venait de conclure, il a récidivé en proposant au collectionneur crédule un autre manuscrit également « déshonoré par l’addition de fausses signatures », pour reprendre la formule de Delisle7. Le vendeur malveillant (ou le faussaire auquel il a fait appel) reproduit à nouveau la signature de Jean de Berry, presque à la perfection, et lui associe celle de Henri III, autre possesseur imaginaire du manuscrit. En parfait connaisseur des ouvrages conservés au cabinet des manuscrits, Léopold Delisle a identifié avec certitude la source d’inspiration du faussaire, une bible de la librairie royale qui présente sur la même page les deux signatures, ainsi que les ex-libris de Charles V, Louis XIII et Louis XIV8. Mis à part la marque du 4. « Celui-ci [“un fonctionnaire du département des manuscrits” de la Bibliothèque nationale, M. C. Couderc] n’eut pas plus tôt jeté les yeux sur la note de Charles V et la signature du duc de Berri qu’il n’hésita pas à en déclarer la fausseté. Il voulut bien me consulter à ce sujet : je n’eus qu’à le féliciter de la perspicacité avec laquelle il avait découvert une falsification, exécutée d’ailleurs avec une rare perfection » (Léopold Delisle, « Origine frauduleuse… », art. cité, p. 544). 5. Henri Omont, « Origine frauduleuse du manuscrit 191 Ashburnham-Barrois », Bibliothèque de l’École des chartes, 72, 1911, p. 220-221. Henri Omont reprend mot pour mot le titre choisi par Léopold Delisle dix ans plus tôt. 6. « Un volume muni de certificats d’une aussi glorieuse origine méritait d’être présenté à l’éditeur du livre publié en 1830 sous le titre de Bibliothèque protypographique, ou librairies des fils du roi Jean, Charles V, Jean de Berri, Philippe de Bourgogne et les siens. En effet, Barrois attachait le plus grand prix à posséder dans sa bibliothèque des livres ayant appartenu aux princes dont il avait fait connaître la composition des librairies. Le culte dont il honorait ces reliques, vraies ou fausses, est attesté par le luxe des reliures dont il aimait à les orner […]. Notre manuscrit 589 A, transformé en relique de Charles V et du duc de Berri, dut singulièrement flatter les goûts de Barrois. Ce bibliophile ne devait pas se lasser d’y contempler les signatures qui en ornaient la dernière page et de constater qu’elles étaient identiques aux signatures reproduites par lui en fac-similé au commencement de sa Bibliothèque protypographique » (Léopold Delisle, « Origine frauduleuse… », art. cité, p. 548-549). 7. Léopold Delisle, « Origine frauduleuse… », p. 550. Cet autre exemple est signalé à Delisle par Henri Omont. Thomae [Malleoli a Kempis] Dialogus novitiorum, cum vitis magistri Gherardi magni et domini Florentii [Radewijns] Daventriensis ; le manuscrit est aujourd’hui conservé à la BnF, nal 728. Peut-être est-ce aussi le contraire, cette supercherie-là ayant précédé l’autre. 8. BnF, ms. fr. 5707, fol. 367v, second volume de la bible historiale complétée, copiée pour Charles V par Raoulet d’Orléans. Léopold Delisle, « Origine frauduleuse… », art. cité, p. 551-552.

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duc, l’imitateur avait le choix pour la signature royale et a eu l’intelligence, si l’on peut dire, de ne pas en faire trop : associer à nouveau les seules signatures de Charles V et de Jean de Berry aurait pu cette fois paraître suspect9. Les deux fausses signatures de Jean de Berry apposées sur les manuscrits vendus au bibliophile Joseph Barrois, de facture habile, mettent en évidence la dextérité requise (ou en tout cas l’exercice nécessaire) pour écrire le nom du prince et tracer tout autour le paraphe. Une analyse graphique approfondie montre que le geste a été bien compris, décomposé, intériorisé, réalisé à la bonne vitesse d’exécution, ce qui témoigne d’un travail assidu pour arriver à un tel résultat. Faire un faux est un exercice particulièrement compliqué, car il faut doser le moindre trait de plume, l’inscrire dans la réalisation globale, avec toujours le risque d’en faire trop. L’alternative est simple : faire une signature trop parfaite jusque dans ses moindres détails, trop lisse, équilibrée, sans plume qui dérape, chaque élément bien à sa place ; ou essayer de donner à la fausse signature un côté naturel, réaliste, au risque qu’elle s’éloigne par trop du modèle original et qu’elle apparaisse d’emblée comme une pâle imitation de celui-ci. Du point de vue stylistique, un faussaire est souvent démasqué parce qu’il s’efforce de trop bien faire, excluant de sa réalisation les petits aléas qui justement président à l’apposition de toute signature : la concentration plus ou moins grande, les imperfections du papier, l’utilisation d’une nouvelle plume, le fait d’être dérangé ou pris par le temps – le fait de signer sans penser précisément à ce que l’on est en train de faire, aussi ; ou en tout cas de signer sans se dire qu’il faut à tout prix « faire vrai ». Lorsque Jean de Berry signe, à aucun moment il n’imagine que sa signature peut ne pas être prise pour ce qu’elle est, son geste n’est pas conditionné par cette préoccupation-là. Il convient tout de même de signaler que, lorsqu’il écrit son nom entre les pages d’un livre, le prince prend son temps, il soigne sa signature et fait les choses bien comme il faut. C’est pourquoi, aussi, une fausse signature très appliquée fait autant illusion entre les pages d’un manuscrit. Voici enfin une autre velléité, anonyme celle-ci (décidément, la signature de Jean de Berry a inspiré de nombreux imitateurs – et il n’est pas sûr que cette présentation soit exhaustive…). Il ne semble pas que cet autre essai de plume à la fin des Grandes Chroniques de France réalisées pour Charles VI soit de la main de Jean du Mas (vers 1437-1495), seigneur de l’Isle, chambellan du roi et fidèle de Pierre de Beaujeu, qui appose son ex-libris sous la marque de

9. Dans une stratégie globale, on pourrait même imaginer que le faussaire, ayant de la suite dans les idées, a d’abord proposé ce manuscrit à Barrois avant de lui présenter encore mieux, pour augmenter le prix du volume revêtu des fausses signatures de Charles V et Jean de Berry.

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Figure 4 — Essais de plume dans les Grandes Chroniques de France (BnF, ms. fr. 2608, fol. 543)

possession de Jean de Berry (fig  4) : il use d’une plume large alors que le mot « Berry » et le petit « n » à la fin de la souscription tout au bas de la page sont tracés par une plume fine, dans une encre plus sombre10. Une fois encore, ces essais de longtemps postérieurs à la marque princière tentent de décomposer le geste originel pour, en le déconstruisant, réussir à le reproduire de façon juste, même s’il s’agit là d’une réalisation fantaisiste et sans prétention. Vu 10. BnF, ms. fr. 2608, fol. 543. La notice est consultable sur le site Gallica à l’adresse suivante : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8451604g. Elle précise que l’ex-libris de Jean du Mas « a été ajouté sur celui du comte d’Armagnac, après grattage, au fol. 543 : « Et de present est a Jehan Dumas, seigneur de Lisle. Dumas ». Une autre inscription de la même main figure sur le recto du fol. 544 : « Encore le veult. Dumas. » Le livre entre ensuite dans la collection d’Anne de Beaujeu, qui inscrit son ex-libris aux folios 543v et 544v.

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la réflexion qui préside au choix de la signature et l’exercice que requiert son apposition – et à plus forte raison son imitation –, le moins que l’on puisse dire est que l’on ne se met pas à signer au hasard. Il convient à présent de voir dans quelles circonstances est utilisée la signature et pour quels usages. Nous allons pour commencer rester dans l’univers feutré de la bibliothèque du prince.

La signature marque de prestige À l’époque de Jean de Berry, dans la mouvance du « style gothique international » et de « l’effervescence emblématique », le livre occupe une place de choix, œuvre d’art et objet de prestige à la fois. Le mécénat du prince, sa passion des beaux objets, l’amènent à enrichir sa bibliothèque, commandant, achetant, recevant aussi en cadeau de nombreux manuscrits11, sa collection comptant environ trois cents ouvrages à la fin de sa vie12. Il poursuit la grande tradition remise au goût du jour par les premiers Valois en suscitant la traduction de textes latins, à l’image de son frère Charles V, qui prolonge aussi en ce domaine une politique de commande volontariste. La bibliothèque – ou pour reprendre le mot de l’époque : la librairie – du prince qui contient autant d’ouvrages de prix est une mine de connaissances, une synthèse des savoirs du temps dans de nombreux domaines, sans oublier les ouvrages de fiction poésie, romans… Mais elle est tout autant imaginée comme un instrument de prestige et, partant, de pouvoir. Tout comme Charles V qui fait visiter son trésor et notamment sa collection d’une quarantaine de couronnes brillant de mille feux à son oncle l’empereur Charles IV, Jean de Berry présente ostensiblement sa collection. Bibliothèques, trésors, cabinets de curiosités participent de l’exercice du pouvoir et sont des emblèmes à part entière. Rien de surprenant, donc, à ce que Jean de Berry appose sa marque dans ses livres. Il semble que le roi de France Jean le Bon et ses fils, Jean de Berry et son frère Charles, le futur Charles V, soient parmi les premiers à apposer leur ex-libris entre les pages de certains manuscrits. Faire figurer sa marque personnelle, autographe ou non, dans un manuscrit, lui associe le nom de son heureux possesseur, un peu comme si la qualité, voire la splendeur de l’ouvrage, rejaillissait de ce fait quelque peu sur lui.

11. Il existe par conséquent un excellent moyen pour gagner les faveurs du prince : lui offrir un manuscrit – mieux, un manuscrit commandé exclusivement pour lui. 12. La collection de livres de Jean de Berry est documentée par plusieurs inventaires réalisés entre 1402 et la mort du prince en 1416 et bien connue puisqu’elle a fait l’objet de plusieurs études.

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Pour constituer un corpus d’étude et analyser les marques de possession du prince en ses manuscrits, j’ai choisi de m’intéresser aux seuls ouvrages dont la possession est attestée, qui ont été numérisés et sont accessibles en ligne sur le site de la Bibliothèque nationale de France, Gallica13. Ils constituent un ensemble de soixante et un volumes dont la quasi-totalité provient des collections de la Bibliothèque nationale même, quatre sont conservés à la bibliothèque de l’Arsenal, un à la bibliothèque Sainte-Geneviève, un dernier à la bibliothèque municipale de Bourges. Ce corpus en vaut un autre – il a l’avantage d’offrir tout de même un nombre de manuscrits non négligeable et, qui plus est, tous consultables à distance. Soit dit en passant, la numérisation (de qualité) a en outre ceci d’intéressant qu’elle permet d’agrandir considérablement les ex-libris, de reconstituer parfois les formules grattées, de faire apparaître des détails, bref de rendre visible le moindre trait de plume. La signature s’offre ainsi au regard sous un jour nouveau, un angle inédit profitable à la recherche et autorisant au final une analyse graphique très fine, plus pointue en tout cas qu’en consultant les manuscrits originaux (à la condition, bien sûr, de mettre de côté le bonheur rare, tactile, irremplaçable, procuré par ces derniers). Le premier constat est que le prince ne signe pas tous ses manuscrits, puisqu’il appose – ou fait apposer – sa marque dans 38 ouvrages sur 61 (23 ne possèdent de ce fait ni signature ni ex-libris). Le geste, symbolique, n’est donc pas systématique. Parmi les ouvrages que Jean de Berry a choisi de distinguer, les usages sont multiples. En voici un rapide aperçu, en commençant par le plus simple. Il n’est qu’un seul manuscrit, en effet, dans lequel le duc se contente d’apposer sa signature14, qui est en tout point identique à celle qui vient d’être présentée et dont il use également pour valider et authentifier les documents15. La marque la plus courante, et de loin, est l’apposition, de la propre main du prince, d’une courte formule autographe suivie de sa signature. Cet ex-libris se trouve dans 22 manuscrits de la sélection (sur 38 ouvrages, soit dans plus de la moitié des cas)16. La mention, courte et très simple, tient tout entière dans les mots suivants : « Ce livre est au duc de Berry » (fig  5). Quels 13. Le site est accessible à l’adresse suivante : www.gallica.bnf.fr. Il a été consulté en mars et avril 2016 pour la présente communication. 14. BnF, ms. fr. 574, fol. 141, Gossuin de Metz, Image du monde, 1320-1325. Le manuscrit est réalisé pour Guillaume Flote, chancelier de France, puis entre dans la collection de Jean de Berry (avant 1401). 15. Voir infra le dernier paragraphe de la présente communication. 16. Cet ex-libris est parfaitement lisible dans seize cas ; six mentions ont été grattées et sont devenues peu lisibles (voire illisibles), mais il semble bien que ce soit la même formule qui y avait été portée.

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Figure 5 — Ex-libris de Jean de Berry (BnF, ms. fr. 263, fol. 480v, Tite-Live, Ab Urbe condita, trad. française par Pierre Bersuire)

sont les ouvrages heureusement rehaussés par la volonté et de la propre main du prince ? La liste est longue. Sur la vingtaine de titres revêtus de cette brève mention, ce sont pour un quart environ des ouvrages religieux (psautier, bible historiale, ouvrages d’exégèse biblique : Miracles de Notre Dame, commentaires, Saint-Augustin) ; un autre quart est constitué d’ouvrages d’histoire ancienne (Flavius Josèphe en premier lieu, avec trois titres, Tite-Live…) ; un troisième quart est composé d’ouvrages de philosophie (avant tout Aristote, Boèce avec un prologue et des commentaires de Nicolas Trévet, Valère Maxime, Faits et dits mémorables…) ; un quart enfi regroupe des titres récents ou redécouverts et appréciés au temps du prince (parmi d’autres : le Roman de la rose, la Cité des dames de Christine de Pisan, Boccace, le Miroir des princes de Vincent de Beauvais, le Jeu d’échecs moralisé de Jacques de Cessoles, le Livre des bonnes mœurs de Jacques Legrand et les Pèlerinages de Guillaume de Digulleville). À deux reprises, Jean de Berry substitue à cette rapide formule une mention plus circonstanciée, qui fait explicitement référence à l’ouvrage distingué ou lui offre l’occasion de développer sa prestigieuse origine et ses titres (ou les deux à la fois). Il écrit ainsi dans le Rational des divins offi es de Guillaume Durand traduit par Jean Golein : « Ce livre est a Jehan filz de roy de France duc

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Figure 6 — Ex-libris de Jean de Berry (BnF, ms. fr. 20090, fol. 218v, Bible historiale)

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de Berry et d’Auvergne conte de Poitou et d’Auvergne17 ». Ou encore : « Ceste Bible est a Jehan filz de roy de France duc de Berry et d’Auvergne conte de Poitou et d’Auvergne et de Boulongne18 » (fig  6). Il appose aussi une marque un peu plus étoffée dans un recueil d’œuvres de Guillaume de Machaut qu’il appréciait tout particulièrement : « Ce livre est au duc de Berry et d’Auvergne conte de Poictou et d’Auvergne19 ». Il est également d’autres pratiques, qui combinent ou démultiplient formules et signatures. Jean de Berry appose deux fois son ex-libris, le désormais bien connu « Ce livre est au duc de Berry », au commencement et à la fin du Livre de l’information des princes, traduit du latin par Jean Golein20. Il associe aussi, sur des feuillets différents, sa signature à son ex-libris, composé lui d’une mention autographe et d’une signature : au premier folio des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe se trouve toujours la signature du prince, qui appose une courte phrase signée de sa main (aujourd’hui disparue) à la toute fin de l’ouvrage21. Dans un psautier, le duc place simplement sa signature à la fin du volume, confiant l’inscription de l’ex-libris sur le folio de garde à son secrétaire Jean Flamel, qui lie le nom du prince et sa titulature au manuscrit : « Le psaultier qui est en latin et en françois est a Jehan filz de roy de France duc de Berry et d’Auvergne conte de Poitou d’Estampes de Bouloigne et d’Auvergne22 » (fig  7). Sept manuscrits conservent entre leurs pages un double exlibris, celui, toujours ramassé ,de Jean de Berry (« Ce livre est au duc de Berry ») et celui, plus développé et circonstancié, toujours différent, de Jean Flamel23. Quelques manuscrits enfin comptent trois marques de possession. Jean de Berry tient à distinguer plus particulièrement les bibles de sa collection par une formule plus choisie, démultipliée. Le prince insiste sur la page d’une bible historiale pour citer à deux reprises le précédent possesseur de celle-ci, qui n’est autre que son frère le roi de France : « Ceste Bible est au duc de Berry et fust au roy Charles son frere » (la formule est reprise au verso de la page suivante) ; Jean Flamel, son secrétaire, apposant la troisième inscription24. Dans une autre bible, Jean de Berry écrit successivement : « Ceste Bible est au duc de Berry » et « Ce livre est au duc de Berry », Flamel rédigeant ici encore la 17. BnF, ms. fr. 176, fol. 247v. 18. BnF, ms. fr. 20090, fol. 218v. 19. BnF, ms. fr. 9221, fol. 238. 20. BnF, ms. fr. 1210, fol. de garde A et fol. 170. 21. BnF, ms. fr. 21013, fol. 1 et 298v. 22. BnF, ms. fr. 13091, fol. 1 et 272v. 23. BnF, ms. fr. 263, ms. fr. 380, ms. fr. 598, ms. fr. 1023, ms. fr. 2810, ms. fr. 6446, naf 15944. 24. BnF, ms. fr. 5707, fol. 367v et 368v.

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Figure 7 — Ex-libris de Jean de Berry, par Jean Flamel et le duc (BnF, ms. fr. 13091, fol. 1 et 272v, Psautier)

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troisième mention25. Enfin, dans une autre bible encore, le prince distingue l’ouvrage par la formule suivante : « Ceste Bible est au duc de Berry », son secrétaire Flamel se chargeant des deux autres ex-libris26. Dans plusieurs manuscrits le prince et son secrétaire apposent leur marque entre les pages de prestigieux manuscrits. Jean de Berry ne laisse qu’à deux reprises à Flamel l’exclusivité, dont la seule signature figure dans le désormais prestigieux et bien connu volume des Grandes Heures27 et – à deux reprises – dans la bible dite de Saint Louis (fig  8)28. On l’a vu, le prince se contente d’ordinaire d’une brève mention, quelque peu étoffée l’une ou l’autre fois, tandis que les ex-libris de Flamel présentent la double caractéristique d’être très développés, s’étirant en longues formules sur la page tout entière et très travaillés, tout de lettres ornées, de cadelures, de motifs (géométriques, végétaux, poissons…). Quelques exemples valent mieux ici que des descriptions longues et détaillées, forcément en deçà de la réalité (fig  9-10). Les ex-libris, marques de possession apposées dans une bonne moitié du corpus (sans que l’on puisse expliquer le choix du prince : pourquoi la marque figure-t-elle dans tel ouvrage mais fait-elle défaut dans tel autre ?), associent le nom du prince aux précieux volumes, marque autographe ou non qui ouvre le texte, l’inaugure, s’offre en premier au regard sur les feuillets de garde et qui parfois aussi clôt l’ouvrage, l’enserrant de part et d’autre comme un écrin. Il s’agit à présent de s’intéresser aux documents d’archives proprement dits pour déterminer l’usage que le prince y fait de sa signature.

Signature et pouvoir Entrons donc ensemble dans les bureaux de la chancellerie de Jean de Berry, où sont établis les actes du pouvoir ducal : chartes, lettres sur double queue de parchemin et mandements, validés normalement par le grand sceau en cire verte ou rouge ; approchons-nous de l’entourage du prince dans lequel gravitent quelques secrétaires chargés de la préparation de sa correspondance29. L’apparition de la signature sur les documents s’explique en premier lieu par 25. BnF, ms. fr. 159, respectivement fol. de garde Bv, fol. 545v et fol. de garde Br. 26. BnF, naf 3431, respectivement fol. 4v, fol. 4r et fol. 7. 27. BnF, ms. lat. 919, premier folio de garde. 28. BnF, ms. lat. 10426, folio de garde F et folio de garde en fin de volume. 29. Au sujet de la typologie documentaire, du rôle de la signature et de ses rapports avec les différents sceaux, voir Claude Jeay, Signature et pouvoir au Moyen Âge, Paris, École des chartes, 2015 (Mémoires et documents de l’École des chartes, 99), p. 277-286, qui donne notamment les références et les cotes précises des documents dont il est question rapidement dans le présent paragraphe.

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Figure 8 — Ex-libris de Jean Flamel pour Jean de Berry (BnF, ms. lat. 10426, fol. de garde F et fol. de garde en fin de volume, bible de Saint Louis)

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53 Figure 10 — Ex-libris de Jean Flamel pour Jean de Berry (BnF, ms. fr. 380, fol. 160, Roman de la rose)

Figure 9 — Ex-libris de Jean Flamel pour Jean de Berry (BnF, naf 3431, fol. 4, bible en français)

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Figure 11 — Traité d’alliance entre Isabeau de Bavière, Jean de Berry et Louis d’Orléans (d’après Musée des Archives nationales…, Paris, 1872, p. 250)

Figure 12 — Signatures de Jean le Bon, Charles V et Charles VI (reproductions)

Figure 13 — Traité d’alliance entre Jean de Berry et le duc de Bretagne (AD Loire-Atlantique, E 177-4, 8 mai 1387)

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la multiplication des actes hors chancellerie : lettres closes (ou lettres « de par le duc ») et lettres missives. Le roi signant de plus en plus de lettres closes, les secrétaires du duc produisent eux aussi, par mimétisme, un nombre croissant de lettres sur lesquelles le duc appose sa signature30. Car les lettres hors chancellerie jouent un rôle de plus en plus important dans la manière de gouverner, ce dont témoigne par exemple la correspondance soutenue entre le roi Charles V et ses frères. Plusieurs lettres closes sont donc signées du nom du duc, exactement de la même façon qu’il appose son ex-libris dans un manuscrit. Les secrétaires du duc de Berry se conforment quant à eux en tous points à la pratique de leurs homologues au service du roi : lettre signée par le prince, contresignée par un secrétaire, close (et validée) par le sceau du secret31. Le duc signe également certains documents diplomatiques, qui engagent la parole du prince, pour confirmer la portée de l’acte et garantir, promettre son bon accomplissement. Jean de Berry, Isabeau de Bavière et Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI, signent tous les trois, le 1er décembre 1405, un traité d’alliance défensive et un engagement à s’entraider dans le climat politique tendu, pour ne pas dire à couteaux tirés, de la guerre entre Armagnacs et Bourguignons (fig. 11)32. La signature de Jean de Berry rappelle incontestablement celle de son père Jean le Bon, quoique davantage ouvragée ; un air de famille rapproche la signature de Louis d’Orléans de celle de Charles VI, son frère, elle-même directement inspirée du paraphe de Charles V (fig  12). La signature d’Isabeau de Bavière se distingue quant à elle par sa sobriété et l’absence de tout paraphe. Le prince appose sa marque sur un autre document diplomatique au moins (sans doute en existe-t-il d’autres) ; il ne s’agit pas d’une signature à proprement parler, mais d’une formule autographe (fig  13)33. Elle figure sur un traité d’alliance conclu avec le duc de Bretagne Jean IV, dans la marge inférieure, à droite sous le repli et juste au-dessus de son sceau (qui a disparu). Cette pratique connaît au moins un autre exemple, puisqu’un traité d’alliance entre Jean de Bourbon, comte de Clermont, et

30. BnF, ms. fr. 20437, fol. 1-3. 31. Les signatures ne sont jamais annoncées (au demeurant pas plus que dans les lettres royales), pas plus que le sceau du secret qui clôt les missives (on n’en voit souvent plus aucune trace, même si l’on discerne encore les petites entailles dans le papier). 32. AN, K 55, no 36. Les signatures sont reproduites dans Musée des Archives nationales : documents originaux de l’histoire de France exposés dans l’hôtel de Soubise (ouvrage enrichi de 1200 fac-simile des autographes les plus importants depuis l’époque mérovingienne jusqu’à la Révolution française publié par la Direction générale des Archives nationales), Paris, Direction générale des Archives nationales, 1872, p. 250. 33. « Il est ensi Jehan filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne conte de Poitou “n” de notre main escript “n” » (AD Loire-Atlantique, E 177-4, acte du 8 mai 1387).

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Figure 14 — Mentions autographes de Jean de Berry (1387), Bonne de Berry (1394) et Jean de Bourbon (1410)

Charles d’Orléans est aux deux noms des princes et porte leurs deux mentions autographes34. Bonne de Berry, fille du duc, authentifiera d’une façon similaire une quittance (fig  14)35. Toujours dans le domaine de la diplomatie, qui requiert tout à la fois dissimulation et contrôle, Jean de Berry signe des instructions à ses ambassadeurs pour que leur authenticité ne soit pas mise en cause, signature à laquelle s’ajoute parfois le contreseing d’un secrétaire (là encore, la pratique n’est pas systématique)36. Quelques actes de chancellerie sont à la fois scellés du grand sceau et signés par le prince, mais il faut dire d’emblée que la marque princière est rare. Aucun des actes de Jean de Berry et relatifs à la Sainte-Chapelle de Bourges conservés 34. « Nous Jehan desus noumé jurons et prometons garder ses alianses. Jehan » et « Nous Charles dessus nommé jurons et prometons garder ces aliances. Charles » (AN, K 56 D, no 25/8, acte de février 1410 [n. st.]). Je remercie Olivier Guyotjeannin de m’avoir signalé ce document et de m’en avoir fourni une reproduction et Ghislain Brunel pour les précisions diplomatiques qu’il m’a apportées au sujet de ce dernier acte. 35. « Nous Bonne de Berry avons signé ces presentes de notre prope [sic] main » (AN, J 186, no 91, quittance du 30 juin 1394). 36. Voir par exemple AN, J 1048, no 15 (avril 1389).

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aux archives départementales du Cher n’est signé de sa main, qu’il s’agisse de chartes ou de mandements37 ; il en va de même d’actes prestigieux conservés aux Archives nationales, comme le traité de mariage du prince avec Jeanne de Boulogne38. Voici tout de même un acte du 8 septembre 1374, par lequel le duc cède certaines terres, acte qui est à la fois signé, donc, et scellé du grand sceau, sceau et signature étant exceptionnellement annoncés, le sceau avant la signature toutefois : « En tesmoing de laquelle chose, nous avons fait seeller ces lettres de notre seel secret en l’absence de notre grant et les avons signees de notre main39. » Sans doute en existe-t-il quelques autres, mais une fois de plus il n’y a pas de règle établie et les signatures sont encore rares, alors, sur les actes de chancellerie40. Il en va de même, du reste, de la signature des rois Jean le Bon et Charles V qui est exceptionnelle sur les actes de chancellerie41. Jean de Berry signe également des documents financiers et des pièces comptables, à l’instar de son frère Charles V, qui a promulgué de nombreux textes pour fixer les usages en la matière et en définir les principales caractéristiques, dont les signes de validation et la place de la signature42. Des ordres aux gens des comptes, ou au président des gens des comptes, c’est-à-dire aux officiers du duc, sont à la fois signés par Jean de Berry dans la marge inférieure à gauche, et contresignés par un secrétaire dans le coin droit (ce sont les lettres closes dont il a été question plus haut)43. Jean de Berry ne signe en revanche aucune quittance, il laisse le soin à l’un de ses secrétaires d’apposer

37. Je remercie vivement Mikaël Milhorat, qui a procédé à un dépouillement exhaustif des séries anciennes G et H aux archives départementales du Cher afin de recenser tous les actes établis au nom de Jean de Berry et m’a communiqué le résultat de ses travaux. 38. Le traité de mariage est conservé sous la cote AN, J 1105, no 8 (= AE II, 411). Voir aussi d’autres actes de chancellerie : AN, J 188, no 65 ; J 382, nos 4, 8 et 9 ; J 383, nos 4 et 5 ; S 3788, no 4. Mandements non signés conservés à la Bibliothèque nationale de France : BnF, ms. fr. 20368, fol. 15-18 ; ms. fr. 20412, fol. 15-16, 18-19 et 21 ; ms. fr. 20414, fol. 3, 6, 11-13 ; charte non signée : BnF, naf 3642, no 687. 39. Jean de Berry « [quitte, renonce et delaisse ] a [sondit] seigneur le roy les contez et païs de Xantonge et d’Engolesme avecques toutes leurs appartenances et appendences, lesquelx mondit seigneur nous avoit donnez a notre vie » (AN, J 382, no 3). 40. Même si la signature prend rapidement de l’importance et va s’affirmant, le sceau conserve une place prédominante, les deux signes coexistant parfois jusqu’à la fin de l’époque moderne dans les milieux du pouvoir, même si leur présence conjointe ira en se raréfiant. Au total, la typologie des actes et la diversité des usages rappellent cependant la pratique royale érigée en modèle incontournable. 41. Claude Jeay, Signature et pouvoir…, op. cit., p. 70-73, 77-87, 96-99, 102-105. 42. Ibid., p. 57-66. 43. BnF, ms. fr. 20437, fol. 1-3. La signature, tracée avec soin, presque dessinée, fait environ 4,5 centimètres de long pour 3 centimètres de haut.

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sa propre marque, accompagnant l’un de ses sceaux, le plus souvent le sceau du secret (appendu ou plaqué directement sur le document), cachet personnel attaché à la personne du prince, quand il n’est pas fait usage de l’un de ses nombreux autres sceaux44.

Conclusion Le roi de France Jean le Bon et ses fils, son successeur Charles V et le frère de celui-ci, le duc de Berry, comptent donc au nombre des princes qui, les premiers, ont apposé leur signature sur les documents et entre les pages de manuscrits. Jean de Berry signe en ses livres comme sur les documents – exactement de la même manière. Le nom du prince est choisi une fois pour toutes, mis en forme et en écriture, pour se décliner invariablement d’une page à l’autre, d’une pièce de parchemin à l’autre. La signature quitte progressivement les chancelleries pour s’étendre aux puissants, princes et souverains, en ce milieu du xive siècle – ce dont témoigne le petit « n », qui orne le paraphe de Jean de Berry, pur produit de chancellerie45. La signature met en forme le nom personnel du duc, qui la choisit avec un soin tout particulier. Dans un livre, elle est marque de possession, signe de prestige ; sur un document elle exprime l’autorité du signataire, témoigne de sa volonté expresse et s’impose peu à peu, de signe d’authentification à signe de validation aux côtés du sceau. L’augmentation exponentielle des lettres hors chancellerie contribue sans aucun doute à promouvoir cette marque au début nécessairement autographe. De fausses signatures de Jean de Berry mettent en lumière le geste, le ductus, qui associe précision, vitesse d’exécution et, l’âge venant, force de l’habitude. Prince raffiné, mécène amateur d’œuvres d’art, de manuscrits et de beaux objets, le duc installera sa signature dans sa constellation emblématique en lui donnant une place de choix aux côtés de l’héraldique et du portrait. Grâce à la signature, le nom du prince, « Jehan », devient dans un manuscrit ou sur un document un emblème à part entière. Claude Jeay Archives départementales d’Île-et-Vilaine

44. L’usage n’est là encore pas bien arrêté, codifié, puisque d’autres quittances sont validées par le sceau spécial de cire verte, le sceau ordonné, ou encore par le grand sceau et le contre-sceau en cire rouge (BnF, ms. fr. 20368, fol. 19, 21, 27 ; PO 308, nos 2 et 3). 45. Claude Jeay, Signature et pouvoir…, op. cit., p. 351-353.

Sigillum Iohannis filii regis et paris Francie Les sceaux de Jean de Berry, entre tradition et innovation Clément Blanc-Riehl, Marie-Adélaïde Nielen

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usque dans la seconde moitié du xive siècle, sur les sceaux, l’expression de l’appartenance à la famille royale se fait pour les hommes par le truchement d’un discours soumis à un encodage mis au point à la bascule des xie et xiie siècles. Les princes, fussent-ils fils ou cousins de roi, se représentent sur leur sceau par le biais d’un cavalier galopant, de la même manière que n’importe quel seigneur. Ils expriment leur appartenance au groupe familial par l’héraldique en précisant la place qu’ils occupent au sein de leur lignée par le système des brisures, tandis que l’introduction d’éléments emblématiques leur permet dans certains cas de personnaliser les représentations. Les légendes expriment quant à elles la fi iation, tout en égrenant les titres des territoires placés le cas échéant sous leur autorité. À côté de ces grands sceaux équestres, les princes ajoutent de nouveaux modèles à usage globalement privé leur permettant de laisser libre cours à une emblématique en pleine expansion. Sous le règne de Charles V, ce système ne suffit plus ; apparaît alors un nouveau type par lequel certains grands affirment autre chose que leur appartenance au monde suranné de la chevalerie et c’est par cette représentation que le répertoire architectural fait une entrée aussi tardive que remarquable dans la production sigillaire de l’élite laïque. Les sceaux de Jean de Berry manifestent par leur nombre, leur variété, l’ancienneté ou la nouveauté de leur type les profondes mutations de la société curiale de la seconde moitié du xive siècle. Cet article est pour nous l’occasion de donner une vision d’ensemble de cette production particulière en tentant de déceler la manière dont les sceaux mettent en forme un discours.

État des sources, problématique Les sceaux de Jean de Berry sont présents en abondance dans les institutions patrimoniales françaises, et ils ont été correctement répertoriés et décrits,

Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

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en particulier dans les travaux de René Gandilhon1, de François Eygun2, de Philippe de Bosredon3, ceux de Walter De Gray Birch4 et plus récemment dans le Corpus des sceaux des reines et des enfants de France5. Ces empreintes sont nombreuses à deux points de vue : Jean de Berry a possédé de multiples matrices, pas moins de douze sans compter les contre-sceaux ; d’autre part, pour certaines d’entre elles, ces empreintes sont conservées en grandes quantités ; alors que pour d’autres il y en a peu, voire un unicum pour son grand sceau comtal. Malgré leur abondance et leur qualité, ces empreintes n’ont que peu suscité l’intérêt des chercheurs, qu’ils soient diplomatistes, sigillographes ou historiens de l’art6, et la connaissance que nous en avons se limite bien souvent aux catalogues déjà cités. Or cette production pose plusieurs questions tout d’abord liées à leur usage diplomatique. Pourquoi le duc de Berry a-t-il fait un grand usage de certaines d’entre elles, pour n’utiliser les autres qu’avec parcimonie ? Dans quelles conditions les utilisait-il ? Quelles sont les motivations de leur commande ? Dans l’introduction au tome III du Corpus consacré aux sceaux des reines et des enfants de France7, on signale tout l’intérêt qu’il y aurait à mener une étude fine du lien entre les sceaux de Jean et les documents qu’ils valident. Quand cela a pu être fait, il apparaît que ce lien n’est pas annoncé d’une manière précise, faute d’annonce du sceau. S’agit-il d’un grand sceau, d’un petit sceau, d’un sceau secret, d’un signet ? Quelle que soit la matrice, il semble que ce soit le simple terme « sceau » qui est utilisé pour l’annonce dans l’acte, contrairement aux chartes royales pour lesquelles le terme est précis. Un grand flou domine, et l’examen précis et attentif des documents, sous cet angle, permettrait de préciser les différents usages des différentes matrices possédées par le duc, et leurs liens éventuels avec non seulement le contenu de l’acte ou ses destinataires, mais aussi avec

1. René Gandilhon, Inventaire des sceaux du Berry antérieurs à 1515, précédé d’une étude de sigillographie et de diplomatique, Bourges, Impr. A. Tardy, 1933. 2. François Eygun, Sigillographie du Poitou jusqu’en 1515, étude d’histoire provinciale sur les institutions, les arts et la civilisation d’après les sceaux, Poitiers, Société des antiquaires de l’Ouest, 1938. 3. Philippe de Bosredon, Répertoire des sceaux des rois et reines de France et des princes et princesses des trois races royales françaises, Périgueux, Impr. de la Dordogne, 1893. 4. Walter De Gray Birch, Catalogue of Seals in the Department of Manuscripts in the British Museum, Londres, British Museum, 1887-1900. 5. Marie-Adélaïde Nielen, Corpus des sceaux français du Moyen Âge, t. III : Les sceaux des reines et des enfants de France, Paris, Service interministériel des Archives de France, 20 11 [désormais Corpus III]. 6. Une des rares études mentionnant les sceaux de Jean de Berry est celle d’Yves Metman, « Jean, duc de Berry, à ses plus belles heures », Club français de la médaille, 26, 1er trimestre 1970, p. 12-17. 7. Corpus III, p. 27-52.

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la mise en forme de celui-ci : acte solennel ou moins solennel, scellement sur double ou simple queue, ou encore sur attaches textiles, couleur des lacs, taille et position du sceau, reprise ou non dans l’intitulé de la légende. Ces études seraient d’autant plus intéressantes que les actes des princes sont, à partir du xive siècle surtout, conservés en très grand nombre, notamment pour Louis d’Anjou, Jean de Berry et Philippe de Bourgogne, offrant des corpus suffisamment larges pour entreprendre des études sérielles pertinentes8. Au-delà de ces aspects diplomatiques, que le travail d’édition mené actuellement sous la direction d’Olivier Guyotjeannin et d’Olivier Mattéoni, grâce au concours d’étudiants de l’École nationale des chartes et de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, va permettre de mieux connaître, les sceaux princiers de la seconde moitié du xive siècle sont des outils fabriqués à partir de types iconographiques élaborés deux siècles et demi plus tôt, perpétuant en cela une idéologie taxinomique dont les catégorisations ne correspondent plus à la société curiale de la fin du Moyen Âge. Cet univers social hautement concurrentiel et sur-emblématisé, pour reprendre l’expression de Michel Pastoureau, va conduire à la multiplication de petits sceaux d’usage secret, autorisant l’élite du second ordre à donner un cours plus libre à l’expression de ce qui différencie ses membres. Enfin, l’introduction de nouveaux types sigillaires va permettre à un tout petit nombre de princes de manifester ce qui les distingue de manière radicale, dans le cadre d’une mise en image des profonds bouleversements de la société féodale finissante Ce contexte de multiplication et d’enrichissement du répertoire sigillaire ne doit pas nous faire oublier que les sceaux sont des œuvres d’art et doivent être replacés de ce fait, au-delà des questions soulevées par le style, l’usage de modèles, celle des transferts ou encore des ateliers, dans la problématique de la fonction des images. À cet égard, le luxe de la production, la qualité supérieure d’une gravure ou l’équilibre d’une composition, apparaissent moins comme la manifestation d’un goût que comme l’expression de la puissance de princes exprimant par ce biais leur prépondérance dans le cadre d’une esthétisation du pouvoir. Le discours dont ils sont les porteurs s’apprécie autant par un programme manifestant l’agrégation à un groupe ou la prépondérance d’un de ses membres que par la qualité d’un dessin ou la virtuosité d’une façon.

8. Cette profusion est cependant à mettre en regard du plus faible nombre d’actes conservés pour les périodes antérieures, et surtout du petit nombre d’actes de reines, même et surtout pour les xive et xve siècles, au cours desquels sont par ailleurs créés les plus beaux exemplaires.

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Un discours conventionnel Le système de base formé par les figures de l’évêque bénissant, du roi en majesté, de la dame debout et du chevalier galopant, propose une classific tion schématique ne permettant pas de rendre avec beaucoup de finesse les différences de position au sein d’un même groupe et si, par l’expression de la majesté, le roi se distingue fondamentalement de tous ses sujets, l’image du chevalier commune à l’ensemble de la classe seigneuriale fait fi des différences parfois spectaculaires de condition. De la même manière, il n’existe pas de type iconographique faisant la distinction entre un fils de roi et un simple chevalier. Dès le règne de Louis VI, en raison du contexte de renforcement du pouvoir royal9, la production sigillaire de l’élite laïque se caractérise par sa grande stabilité, pour ne pas dire son grand conformisme. Si, jusque sous le règne de Charles V, les types sigillaire assignés aux rois, à leurs épouses, aux princes et aux princesses ne changent pas fondamentalement, à partir du règne de Philippe le Bel on assiste à un enrichissement du discours, phénomène allant jusqu’à affecter le grand sceau de majesté lui-même, comme en témoignent le trône orné d’aigles du sceau de Jean le Bon ou les dauphins de celui de Charles V. Mais c’est bien du vaste champ de l’emblématique que viennent les principales innovations formelles, puisque, à côté des emblèmes végétaux chers aux Capétiens, le bestiaire se fait désormais une place de choix10. Dès l’obtention de sa première matrice11, Jean de Berry suit la règle comme tous les autres, même s’il ne s’agit pas d’une règle formalisée par l’écrit. Le sceau nous montre l’image d’un cavalier galopant à droite, pourvu des éléments définissant son statut guerrier, c’est-à-dire armure, heaume et écu aux armes (fig. 1a). Fils de roi, Jean de Berry est un chevalier parmi d’autres : le type iconographique indique à quel groupe social il appartient12. Seuls le diamètre de la matrice, les termes de la légende et l’étalage de ses armes permettent de le distinguer du reste des hommes de son rang. D’un point de vue

9. Sur cette question, et notamment l’affirmation du pouvoir royal sous Louis VI, affirmation à laquelle sont associés tous ses enfants, et notamment sa fille Constance, voir Andrew Lewis, Le sang royal. La famille capétienne et l’État, France, xe-xive siècle, Paris, Gallimard, 1986 (Bibliothèque des histoires). 10. Michel Pastoureau, « Le roi des lis. Emblèmes dynastiques et symboles royaux », dans Martine Dalas (dir.), Corpus des sceaux français du Moyen Âge, t. II : Les sceaux des rois et de régence, Paris, Archives nationales, 1991 [désormais Corpus II], p. 35-48. 11. Corpus III, nos 126 et 126bis. 12. Voir Bernard Guenée, Un meurtre, une société. L’assassinat du duc d’Orléans, 23 novembre 1407, Paris, Gallimard, 1992 (Bibliothèque des histoires).

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factuel, ce premier sceau, stéréotypé, conventionnel, attendu, pose cependant quelques questions. Il semble qu’il ait été peu utilisé, puisque nous n’en connaissons qu’une seule empreinte, appendue à un document daté de juillet 135913. À ce moment, Jean de Berry, né en novembre 1340, a moins de 20 ans. Il a été apanagé par son père en juin 1357 du comté-pairie de Poitou, et il est très probable que la matrice de ce premier sceau ait été créée à ce moment-là. Âgé de 16 ans et demi, il n’a sans doute pas été associé à sa conception, et de toute façon, comme cela a été rappelé plus haut, l’encodage du discours ne laisse pas de place aux choix personnels. La légende est très dégradée sur cet exemplaire unique, néanmoins on peut y lire le titre qui vient d’échoir au tout jeune prince, celui de comte de Poitou, bien mieux visible sur le contre-sceau. Ce contre-sceau est par ailleurs utilisé comme petit sceau sur plusieurs autres documents, et ce bien plus longtemps, au moins jusqu’en 1379, malgré sa légende obsolète. L’appartenance de Jean à la lignée royale se lit dans les armoiries présentes sur l’écu de la face et sur celui du contre-sceau. C’est un semé de fleurs de lis brisé d’une bordure engrêlée, signalant, là aussi de manière très conventionnelle, qu’il est un « seigneur du sang de France », formule apparue en 1332-1335 dans le Chapel des trois fleurs de lis de Philippe de Vitry14, ou encore un « seigneur des fleurs de lis », pour reprendre l’expression employée dans le traité de Valognes en 135515. Sur ce sceau, la tête manque, le heaume était-il cimé de la double fleur de lis caractérisant les descendants de Saint Louis, ce cimier se retrouvant d’ailleurs sur certains sceaux de Jean ? Ce qui étonne dans ce sceau, ce n’est pas son aspect stéréotypé exprimant le statut d’un individu à un moment donné (ici, Jean est clairement défini comme fils de France, comme comte de Poitou), c’est la faiblesse de sa façon16. Certes l’empreinte en notre possession est mal conservée, mais la raideur des gestes 13. AN, J 185 A, no 3 et pour le contre-sceau, BnF, coll. Clairambault, reg. 50, p. 3725, et reg. 194, p. 7681. La liste établie n’est bien évidemment pas exhaustive et gagnerait à être enrichie. 14. Édité par Arthur Piaget, « Le Chapel des fleurs de lis par Philippe de Vitri », Romania, 27, 1898, p. 55-92. 15. Expressions citées et commentées par Bernard Guenée, « Le roi, ses parents et son royaume en France au xive siècle », Bulletino dell’Istituto storico italiano per il Medioevo e Archivio Muratoriano, 94, 1988, p. 439-470. 16. Il y a sans doute un effet de mode dans ces représentations stéréotypées, où l’on peut parfois supposer l’intervention d’un graveur de talent ou ayant travaillé à partir de cartons dessinés par des artistes de renom : voir Marc Gil, « L’enlumineur Jean Pucelle et les graveurs de sceaux parisiens : l’exemple du sceau de Jeanne de France, reine de Navarre (1329-1349) », dans JeanLuc Chassel et Marc Gil (dir.), Pourquoi les sceaux ? La sigillographie, nouvel enjeu de l’histoire de l’art, Villeneuve-d’Ascq, Institut de recherches historiques du Septentrion, 2011, p. 421-430.

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et des postures, tant du cavalier que de sa monture, le manque de vivacité des plis de la housse, le peu de finesse du champ quadrillé, laissent supposer que l’on n’a pas fait appel à un orfèvre de grand talent ou bien plutôt que cet objet a été gravé en urgence pour doter le prince de son premier grand sceau à l’heure où il y a péril, le roi Jean le Bon étant prisonnier des Anglais. Dès 1360, Jean change de titre. En octobre, il reçoit l’apanage des duchés de Berry et d’Auvergne. Devenu, en plus de comte de Poitou, duc et pair de Berry et d’Auvergne, il est doté d’un nouveau sceau17 (fig  1b), dont la seule empreinte connue est appendue à un document de septembre 136518. Là encore, la représentation correspond au stéréotype : on y voit un chevalier, armé, vêtu d’une armure et portant une ceinture de chevalerie, coiffé du heaume ceint d’un tortil et cimé d’un animal dont on devine peut-être le long cou. Le port des fleurs de lis ainsi que la titulature de « fils de roi de France » inscrite dans la légende situent le jeune prince dans le lignage royal. La création d’une nouvelle matrice obéit à la nécessité de traduire le changement ou plutôt l’augmentation de l’apanage du prince19. Ce sceau est de bien meilleure qualité que le précédent, soit que le nouveau statut du jeune duc ait nécessité le recours à un orfèvre plus qualifié, soit qu’il ait été possible, cette fois, de réfléchir à sa création dans de meilleures conditions. Le troisième grand sceau équestre20 de Jean (fig  1c), son deuxième sceau comme duc de Berry, dont la première empreinte connue est appendue à un acte de septembre 136721, et la plus récente à un acte de juin 141522, est le plus utilisé puisqu’on en conserve au moins quarante-cinq exemplaires dans les fonds publics. Faut-il penser que la précédente matrice a été brisée ou perdue ? Toujours est-il qu’il n’est présent qu’une seule fois, en 1365, quand la matrice suivante est utilisée à de nombreuses reprises et ce, jusqu’à la fin de la vie du prince. Par rapport à la seconde, on ne voit pas de changements notables, ni dans la titulature, la légende étant cette fois quasi complète23, ni dans l’iconographie ; le contre-sceau est par ailleurs identique, sur ce troisième sceau, à celui du deuxième, tout ceci accréditant l’hypothèse de la nécessité de remplacer la matrice précédente. Tout juste peut-on noter le recours, pour

17. Corpus III, nos 127 et 127bis. 18. AN, J 185 A, no 9, et pour le contre-sceau, AN, S 2209. 19. On ne peut lire, tant la légende est fragmentaire, le titre de « pair de France », mais il est très probable qu’il y apparaissait. 20. Corpus III, nos 128 et 128bis. 21. AD Cher, chapitre Saint-Étienne de Bourges, liasse 1, TSC 770. 22. Ibid., liasse 2, TSC 817. 23. « S. IOHANNIS FILII [R]EGIS ET PARIS FRANCIE DUCIS […] ET ALVERNIE ».

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la première fois sur un grand sceau de Jean, à ce « bestiaire » convoqué par les Valois aux côtés de la fleur de lis, puisque le champ du sceau est ici orné de quadrilobes abritant alternativement des têtes arrachées de lions et d’aigles. Le cimier, du cavalier comme celui du cheval, présente la caractéristique d’une double fleur de lis, présence végétale également rappelée par les rinceaux qui terminent la légende.

Figure 1 — a, premier sceau équestre de Jean de France, comme comte de Poitou (moulage, AN, sc/D 1081) ; b, premier grand sceau équestre comme duc de Berry (moulage, AN, sc/D 419) ; c, deuxième grand sceau équestre comme duc de Berry (moulage, AN, sc/D 420)

La question de savoir quelle est la part prise par le duc de Berry quant à la définition des sceaux qui le représentent, le terme étant considéré dans toutes ses acceptions, est en quelque sorte révélée par ce qu’est l’emblématique. Ce système de signes dont le signifié est une personne, pour reprendre une définition désormais classique, permet en principe d’enrichir l’identification pure et simple délivrée par le sceau en nous renseignant sur des options plus personnelles, et parfois selon des mobiles si intimes qu’ils sont difficiles à comprendre. Le fait est que, sur les trois sceaux équestres de Jean de Berry, ce que nous pourrions considérer comme pouvant être agrégé à ce répertoire n’a que peu de place. À peine peut-on citer la présence dans le champ de son premier sceau de ces curieuses figures en forme de « w », pour lesquelles nous n’avons pas encore trouvé d’explication. Sur le troisième, les têtes de lions et les têtes d’aigles arrachées rappellent sans doute les lions déjà présents sur le signet de Philippe le Bel24 et, comme tenants, sur le petit sceau ante susceptum de Charles IV25. Quant aux aigles si magistralement interprétés sur le sceau 24. Corpus II, no 88. 25. Ibid., no 101.

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de majesté de Jean le Bon, ou présents plusieurs fois grâce au tétramorphe, il s’agit d’un symbole fréquemment employé sur les sceaux des rois Valois et de leurs femmes. Il est probable que ces différents éléments, échappant au domaine de l’emblématique pure, ont pris une valeur qui, ne pouvant être uniquement décorative bien que participant au goût généralisé pour la saturation ornementale, renvoie à un répertoire de signes que se sont appropriés le roi et ses fils Il semble bien que, durant les années 1360-1370, l’aigle, et, dans une moindre mesure le lion, aient pu faire figure d’emblème commun à la fratrie, sans doute à la suite du choix tout à fait spectaculaire de Jean le Bon de remplacer sur son sceau le traditionnel trône de Dagobert par l’extraordinaire siège aquilin. Le fait que Louis d’Anjou, Philippe le Hardi et Jean de Berry disposèrent chacun d’un sceau présentant leurs armes sur un aigle permet peutêtre d’entr’apercevoir la mise au point d’un système emblématique26 qu’il conviendrait d’analyser dans le cadre de la relation qu’il semble entretenir avec la production sigillaire impériale27. Les sceaux équestres de Jean de Berry sont à rapprocher de ceux créés à la même période pour Louis d’Anjou28. Mis à part les termes de la légende et les armoiries princières, leur comparaison montre certaines différences : le champ du sceau de l’aîné est orné de quadrilobes encadrés alternativement d’aigles aux ailes déployées et de lions, quand le champ du sceau de Jean porte des quadrilobes brisés décorés en leur centre de fleurettes d’où naissent quatre tiges terminées par une fleur de campanule, allusion à la « monarchie végétale29 ». C’est la seule différence notable entre les sceaux de ces deux frères, créés à la même époque et auxquels on doit ajouter celui de Philippe le Hardi, dont le type est défini dans les mêmes années30. Ici, le principe selon lequel le sceau « particularise par le nom (inscrit dans la légende) et catégorise par

26. Pour Louis d’Anjou, Corpus III, no 124 (actes de 1369-1370) ; pour Jean de Berry, Corpus III, no 135 (actes de 1371 et 1372) ; et pour Philippe le Hardi, Olivier de Wrée, Sigilla comitatum flandriae, Bruges, chez J.-B. Kerchove, 1639, p. 63 (acte de 1364). 27. Robert-Henri Bautier ne voit là que l’effet d’une mode pour les trônes aux portants héraldiques, apparue avec le premier sceau de majesté de Louis IV de Bavière comme roi des Romains et diffusée durant le xive siècle à nombre de chancelleries royales européennes : « Échanges d’influences dans les chancelleries souveraines du Moyen Âge, d’après les types des sceaux de majesté », Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes rendus des séances, 1968, p. 192-220, spécialement p. 212 à 220. 28. Corpus III, nos 118 et 118bis. 29. Michel Pastoureau, dans Corpus II, p. 35. 30. Voir Olivier de Wrée, Sigilla comitatum flandriae, op. cit., n. 26.

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l’image31 », joue à plein. Les trois fils de Jean le Bon adoptent une image générique et, mis à part la légende, c’est bien à la seule héraldique qu’est conférée la vertu de distinguer les personnes, le système des brisures exprimant de manière métonymique le principe d’un encodage plaçant les sigillants devant la double nécessité de se distinguer tout en s’agrégeant à un groupe. Même si Jean de Berry et Louis d’Anjou sont désormais les seuls à être apanagés32, le cas de Philippe le Hardi étant sensiblement différent33, rien sur les sceaux des années 1360-1375 ne permet de donner une représentation de la nouveauté qui se dessine alors dans l’organisation du royaume. Mis au point à un moment très particulier du règne de Jean le Bon, le système de constitution des apanages répond à des circonstances dramatiques : il faut attendre le courant du règne de Charles V pour qu’il prenne, comme l’explique Françoise Autrand, la forme d’une première décentralisation, et c’est alors que, dans le domaine des représentations et particulièrement des représentations sigillaires, il connaîtra la mise en forme que nous préciserons plus loin.

L’emblématique ducale Avant cela, intéressons-nous aux sceaux privés dont le duc usa à l’instar de la plupart des princes du temps. Ces sceaux, dont la destination diplomatique reste à établir avec précision, échappent à la codification des grands sceaux en permettant à leur propriétaire de donner d’eux une image moins conventionnelle que celle du chevalier issu du lignage royal, une « certaine image de soi » pour reprendre l’expression employée dans un récent colloque34. Si, en principe, l’emblématique permet de rendre compte des prises de position politiques, des revendications territoriales, des liens d’amitié ou de compagnonnage, voire des liens amoureux, à la vérité l’emblématique dont Jean de Berry fait un usage profus ne répond pas à ces mobiles pour apparaître comme une expression purement personnelle dont les attendus nous échappent encore 31. Brigitte Bedos-Rezak, « Une image ontologique : sceau et ressemblance en France pré­ scolastique (1000-1200) », dans Alain Erlande-Brandenburg et Jean-Michel Leniaud (éd.), Études d’histoire de l’art offertes à Jacques Thirion. Des premiers temps chrétiens au xxe siècle, Paris, École nationale des chartes, 2001 (Matériaux pour l’histoire), p. 49. 32. Jean le Bon a révoqué en décembre 1360 toutes les aliénations du domaine faites depuis Philippe le Bel, hormis celles faites au profit de ses fils, dans un souci de cohésion familiale et d’efficacité de gouvernance (Françoise Autrand, Charles V. Le sage, Paris, Fayard, 1994, p. 433). 33. Le roi lui confère la Bourgogne en pleine propriété (Bertrand Schnerb, L’État bourguignon, Paris, Perrin, 1999, p. 41-42). 34. Journée découverte organisée par Laurent Macé, professeur d’histoire médiévale à l’université de Toulouse-Jean Jaurès, le vendredi 30 septembre 2016 : « Le sceau princier au Moyen Âge (xiie-xive siècles). Une certaine image de soi ? ».

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Figure 2 — a, sceau ordonné en l’absence du grand (moulage, AN, sc/D 428) ; b, deuxième sceau du secret (moulage, AN, sc/G 10) ; c, cinquième sceau du secret (moulage, AN, sc/D 429)

parfois. Là encore, la comparaison avec les sceaux de Louis d’Anjou est éclairante, puisque le frère aîné fit figurer sur tous ses sceaux des lions et des aigles dont nous venons de parler, sans se doter d’un emblème vraiment personnel, à moins d’interpréter comme tel les fleurettes et les soleils semant les champs treillissés de ses sceaux équestres. Chez Berry rien de tel : le prince choisit tôt ses emblèmes, qu’il conserva sa vie durant et dont il fit un usage quasi obsessionnel. Ainsi, pour les sceaux secrets35, sceau ordonné en l’absence du grand36, sceau (à la nature non spécifiée 37 et contre-sceaux38, Jean de Berry emploie deux figures caractéristiques qu’il affectionne, le cygne et l’ours, utilisés ensemble ou séparément. La présence de l’ours dans l’emblématique ducale remonte aux années 1360, tandis que le cygne saignant apparaît une quinzaine d’années plus tard, associé au plantigrade sur le sceau en pied que nous aborderons plus loin. Contrairement à une tradition fort ancienne liant sa présence à l’histoire sentimentale qu’aurait connue le duc à l’époque de sa captivité en Angleterre, le choix de l’ours a été récemment lié à un « écho phonique » que le mot Berry entretient avec bear, terme anglais désignant l’ours et que Jean de Berry aurait rapporté d’Angleterre39. Ce n’est que dans un second temps que l’ours a été associé à saint Ursin, patron du Berry, tandis que le cygne pourrait figurer à

35. Corpus III, nos 134, 136 et 137. 36. Ibid., no 131. 37. Ibid., no 132. 38. Ibid., nos 129bis et 130bis. 39. Michel Pastoureau, L’ours. Histoire d’un roi déchu, Paris, Seuil, 2007 (La librairie du xxie siècle), p. 255 et suiv.

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ses côtés par une association lexicale, ursinus étant envisagé comme la fusion de ursus et cygnus40. Sur les sceaux, les animaux sont utilisés de manière majoritaire sous la forme de tenants héraldiques en association avec le cimier ducal présentant la combinaison de deux fleurs de lis qui, dans la réalité matérielle de ce type d’ornement de parade, étaient rendues mobiles par la force des courants d’air. Alors que le cimier à double fleur de lis ne peut pas être considéré comme appartenant à l’emblématique ducale, son usage s’étant répandu alors aux princes des lis41, les deux animaux se retrouvent dans des compositions formant des jeux formels démontrant s’il en était besoin l’implication personnelle du duc dans ses commandes. Travaillant sans doute à partir de cartons fournis par les imagiers de la cour ducale, cartons que le duc devait selon toute évidence viser, les orfèvres ont su enrichir les représentations d’annotations singulières. Ainsi, alors que le quatrième contre-sceau ducal42 présente de manière classique un écu supporté par un cygne et un ours et timbré du casque cimé des fleurs de lis, sur le sceau ordonné en l’absence du grand43 (fig  2a), deux cygnes semblent juchés sur les têtes de deux ours passant sur le filet de la légende. Avant 1385, date de la plus ancienne empreinte connue de lui, le duc fit graver un sceau d’un type nouveau, le présentant debout, bâton en main et tenant son écu, aidé dans sa tâche par un cygne debout sur l’onde et un ours assis sur un rocher44. Plus novateur encore, son deuxième sceau du secret présente un ours debout portant le casque au cimier à deux fleurs de lis, muni d’un bouclier aux armes, tenant une grande bannière sur laquelle figure la devise LE TANPS VENRA45 (fig  2b). Gravée très tôt dans la carrière du prince, la première empreinte connue est datée de 1365, le sens du texte demeurant encore sujet à interprétation. Son cinquième sceau du secret46 est sans doute le plus original, on y voit en effet dans une mise en page audacieuse six ours exécutant une sorte de ronde autour de l’écu circulaire de Berry (fig  2c).

40. Ibid., p. 261-268. 41. Cette diffusion horizontale affectant les ducs d’Anjou, de Berry, de Bourgogne et de Bourbon a été interprétée comme l’expression du partage d’autorité (voir Laurent Hablot, « Caput regis, corpus regni : le heaume de parement royal à la fin du Moyen Âge », Anne-Hélène Allirot et al. (éd.), Une histoire pour un royaume (xiie-xve siècle), Paris, Perrin, 2010, p. 17-28). 42. Corpus III, no 129bis. 43. Ibid., no 131. 44. Ibid., no 132. 45. Ibid., no 134. 46. Ibid., no 137 A.

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Ces variations sur un thème héraldico-animalier ont permis de donner tardivement un sens plus précis au motif du cygne dont nous avons vu que l’interprétation de la présence originelle dans l’emblématique ducale en faisait un sous-produit de l’ours. On a pu conjecturer qu’au moment de son mariage avec Jeanne de Boulogne en 1390, Jean de Berry, prince possédant déjà le cygne dans sa panoplie emblématique, y eut recours par allusion au chevalier au cygne, modèle des vertus chevaleresques, présenté comme l’ancêtre de Godefroi de Bouillon et, par-là, de la maison de Boulogne47. La clef du roman du Chevalier au cygne étant la transmission d’un bien foncier à un homme par le mariage, Jean de Berry pouvait alors justifier sa mainmise sur le comté d’Auvergne48. Ajoutons que représenter le cygne sur son sceau était peut-être le moyen d’introduire de manière allusive la référence au comté de Boulogne dont il ne pouvait prétendre au titre qu’à la mort de son beau-père, qui adviendra en 1404.

Prince en pied49 Comme nous le notions plus haut, au début de leur carrière Jean de Berry et Louis d’Anjou furent dotés de sceaux équestres selon une tradition permettant aux princes d’exprimer leur appartenance au monde de la chevalerie, plus précisément à son élite, sans traduire la nouveauté que représentait leur promotion à la tête d’apanages considérables (fig  3). C’est que la création de ces immenses seigneuries permettait alors de répondre aux impératifs dramatiques de la fin du règne de Jean le Bon. L’avènement de Charles V ne changea pas fondamentalement la donne, le souverain confirmant de facto ses cadets à la tête de ces ensembles territoriaux dont ils avaient charge toutefois de reconquête. Jean de Berry attendra la fin des années 1360 pour enfin dominer le Poitou tout juste reconquis. La gravure de sceaux équestres retrouvait en 47. Colette Beaune et Élodie Lequain, « Histoire et mythe familiaux chez les BoulogneAuvergne », dans Danielle Bohler (dir.), Écriture de l’histoire (xive-xvie siècles), Genève, Droz, 2005 (Travaux d’Humanisme et Renaissance, CDVI), p. 395-417 ; sur le cygne, voir Michel Pastoureau, « Symbolique médiévale et moderne », Annuaire de l’École pratique des hautes études, 2008, p. 204-205 ; id., Le cygne et le corbeau. Une histoire en noir et blanc, Paris, Gutenberg, 2009. 48. Sur cette hypothèse interprétative, voir Ambre Vilain, « La légende du Chevalier au cygne sur le sceau de la ville de Boulogne-sur Mer : un hapax sigillaire », Bulletin monumental, 170/4, 2012, p. 323-328. 49. La question du « prince en architecture » est traitée de manière plus ample dans les actes du colloque Microarchitecture, figures du bâti, tenu à l’Institut national d’histoire de l’art en novembre 2014 (voir Clément Blanc-Riehl et Ambre Vilain, « Le prince en architecture. Les sceaux de Jean de Berry », dans Jean-Marie Guillouët et Ambre Vilain [dir.], Microarchitectures médiévales. L’échelle à l’épreuve de la matière, Paris, Éditions Picard, 2018, p. 109-127).

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somme dans ces circonstances belliqueuses sa justification primitive en mettant en image le mouvement vers le combat. À une date qui a longtemps été discutée 50, alors que Philippe le Hardi conserva jusqu’à la fin de ses jours le type équestre51, Jean de Berry et Louis d’Anjou ajoutèrent à leur panoplie sigillaire un nouveau type par lequel l’architecture fit une entrée spectaculaire52. Sur ces sceaux les deux princes se présentent à nous dans un système Figure 3 — Troisième grand sceau comme architecturé établi selon le principe duc de Berry (moulage, AN, sc/D 421) d’une niche surmontée d’un dais et accostée de contreforts abritant ou supportant leurs emblèmes, l’aigle des Valois pour l’aîné, l’association de l’ours et du cygne pour son cadet. Alors que la figure du sceau de Louis se détache sur un champ armorié, la bordure entourant les lis se confondant de manière astucieuse avec le filet de la légende, plus sagement les deux animaux de Jean tiennent de manière facétieuse l’écu aux armes et le cimier à fleurs de lis double. Ils sont vêtus de la même robe de cour au même col de fourrure, tiennent dans leur main droite dégantée un long bâton fleuronné et dans la main gauche le gant de la main droite. Enfin, leur tête est ceinte du chapel d’orfèvrerie mentionné dans les inventaires, sorte de couronne sans pointe ornée de gros cabochons (fig  3). Certains des auteurs qui se sont intéressés à ces deux sceaux ont tiré leur interprétation du côté d’une volonté de mettre en image par le truchement « d’attributs quasi royaux53 » les prérogatives gouvernementales de princes du 50. Yves Metman, « Jean, duc de Berry… », art. cité, p. 15 ; Jean-Bernard de Vaivre, « Le grand sceau de Jean, duc de Berry », Gazette des Beaux-Arts, 48, 1981, p. 144 ; id., « Sur quelques œuvres du mécénat de la seconde branche d’Anjou de la maison de France », Bulletin monumental, 147/1, 1989, p. 35-54 ; Georg Zeman, « Die beiden großen Siegel des Jean de Berry und des Louis II de Bourbon. Siegelkunst im Dienste fürstlicher Repräsentation », Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, 45, 1992, p. 31-50. 51. Corpus III, nos 139, 140, 141 et 142. 52. Ibid., nos 121, 129. 53. Brigitte Bedos-Rezak, « Idéologie royale, ambitions princières et rivalités politiques d’après le témoignage des sceaux (France, 1380-1461) », dans La « France anglaise » au Moyen Âge. Actes du

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sang, allant jusqu’à lier leur gravure au régime institutionnel mis en place à la mort de Charles V et durant la minorité de son successeur (1380). L’hypothèse plaçant de manière surprenante le débat au niveau d’une rivalité politique et personnelle entre princes de la même maison ne semble pas pertinente lorsque l’on prend en compte l’importance d’un grand sceau dans une stratégie représentationnelle faisant de ce medium le lieu de fixation du discours officiel. Imaginer que l’un des deux ducs réagisse en imitant l’autre, en affichant publiquement une rivalité qui pouvait être réelle, semble en contradiction avec les principes de la société de cour. Nous avons vu combien le discours diffusé par les sceaux privés, lieu en principe d’une expression plus libre, véhiculait un message emblématique dont nous pouvons convenir qu’il échappe à toute volonté polémique ou revendicative. Pourquoi dès lors concéder au grand sceau la capacité à diffuser un message de cette nature ? Cependant, l’interprétation selon laquelle les deux princes seraient hissés par le biais de ces représentations à une hauteur qu’aucun autre personnage de leur rang n’avait atteinte, l’architecture venant en quelque sorte apporter un surcroît de majesté à des figures en pied portant sceptre et couronne, ne doit pas être rejetée en bloc. Elle doit simplement être fortement nuancée, ne serait-ce que dans le choix des descripteurs, un chapel d’orfèvrerie n’est pas une couronne, un bâton n’est pas un sceptre, la robe de cour était portée par bien d’autres personnages, tandis que la station debout n’a jamais défini la majesté, même si le roi peut aussi être représenté en pied, par exemple sur les monnaies. L’unité des deux sceaux permet selon nous de placer la définitio de leur programme au plus haut niveau du pouvoir politique. Les différences stylistiques qu’ils affectent, indiquant l’intervention d’artistes différents, sans doute choisis par les princes, ne sont pas étrangères à toute codific tion. Échappant en quelque sorte aux contraintes d’une pratique soumise de manière prégnante au principe de l’imitatio, les sceaux en pied ne sont pas le fruit de la phantasia de ceux qu’ils représentent, ils se réfèrent à un modèle situé ailleurs. Il est désormais admis que le sceau de Jean de Berry a été gravé avant 137454, date du paiement de sa façon à l’orfèvre Jean de Nogent, alors que la première empreinte attestée du sceau de Louis d’Anjou remonte à l’année 1379 et, qu’en toute hypothèse, la proximité que nous venons de pointer permet de considérer qu’il fut livré à peu près à la même date. Or l’année 1374 apparaît comme une date charnière du règne ; en août fut définie par le fameux édit du bois 111e congrès national des sociétés savantes, section d’histoire médiévale et de philologie, Paris, Éditions du CTHS, 1988, t. 1, p. 480-511.

54. Voir Jean-Bernard de Vaivre, « Le grand sceau de Jean, duc de Berry », art. cité.

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de Vincennes la majorité des rois de France, puis, en octobre, ce dispositif fut complété par les ordonnances sur la régence, la tutelle et les apanages et les dots des enfants de France. La gravure des sceaux en pied peut être selon nous reliée de manière directe avec certains de ces dispositifs législatifs. Si le premier texte établit une véritable hiérarchie entre les frères, écartant Jean de Berry du système institutionnel qui serait mis en place dans le cas ou Charles V viendrait à disparaître en laissant son aîné mineur, l’ordonnance définissan le nouveau statut des apanages, en offrant un cadre juridique stable, fait de Louis d’Anjou et de Jean de Berry des rouages essentiels dans l’organisation politique du royaume dans le cadre de ce qui a même pu être défini comme une première tentative de décentralisation55. Selon nous, les sceaux en pied du milieu des années 1370 mettent en image la délégation d’autorité de princes exerçant dans les apanages tous les pouvoirs sauf la souveraineté. D’un point de vue iconographique, ces représentations sigillaires, en montrant ce qu’on a pu qualifier de type de majesté en pied, nous donnent à voir les princes dans une posture évitant soigneusement de les confondre avec la figure archétypale du souverain trônant. Tous deux se tiennent debout, le visage légèrement tourné afin d’éviter une frontalité trop marquée. Autre détail signifiant, ils tiennent de manière ostensible un gant et un bâton, un peu rapidement qualifié de sceptre. D’après les sources juridiques et littéraires56, ces deux objets symbolisent au Moyen Âge la main et le sceptre du seigneur qui, en les confiant, délègue son autorité ; la puissance de l’objet symbolique confère à son porteur la crainte et le respect que l’on doit à l’autorité de celui qui délègue. Inutile de rappeler ici l’importance du don dans le rituel de l’hommage et particulièrement dans l’investiture qui le clôt. En droit féodal, le don des gants intervenait au moment de l’investiture d’un héritage censuel, lorsque l’acquéreur remettait une paire de gants au seigneur, gants qui lui servaient durant la cérémonie d’investiture57. Sur les sceaux, ne peut-on pas interpréter le port de cet accessoire comme l’écho de l’investiture per gantum, c’est-à-dire l’expression de la délégation d’autorité et de la

55. Sur la politique des apanages, voir Françoise Autrand, Charles V…, op. cit., p. 641 et suiv. Les raisons avancées par l’auteur pour justifier le choix de Charles V seraient précisément liés à l’importance de l’apanage confié à Jean de Berry. 56. La chanson de Roland, 2e édition revue et corrigée, texte établi d’après le manuscrit d’Oxford, traduction, notes et commentaires par Gérard Moignet, Paris, Bordas (Bibliothèque Bordas), 1969, p. 43. 57. Pour une brève histoire du gant, voir Michel Pastoureau, « Le gant médiéval. Jalons pour l’histoire d’un objet symbolique », dans Le corps et sa parure, Micrologus, XV, 2007, p. 121-137, et Jacques Le Goff, « Le rituel symbolique de la vassalité », dans Pour un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1977 (Bibliothèque des histoires), p. 349-420.

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mutation foncière, dispositions dont les ducs d’Anjou et de Berry furent les bénéficiaires par la création de leur apanage58 ? Les mêmes remarques peuvent être faites pour le bâton qui en aucun cas ne peut se référer aux sceptres à proprement parler, insigne royal remis après l’onction du sacre. En revanche, que ce soit dans le cadre du rituel de l’hommage, du commandement militaire, ou bien encore dans celui de la représentation de l’autorité au travers de la masse du sergent d’armes précédent le roi et ses fils, ce type d’instrument est interprétable dans le sens d’une délégation. Si l’on suit cette hypothèse, les sceaux en pied permettaient aux frères d’ajouter une arme à un arsenal sigillaire figé dans son encodage typologique et ne permettant pas d’exprimer de manière précise leur statut, c’est-à-dire de se distinguer à l’intérieur du cercle le plus étroit du pouvoir. Exprimant leur statut de princes apanagés, ces représentations doivent être interprétées comme l’expression d’un lien de subordination à l’égard d’un souverain dont ils dépendent dans le cadre d’une pratique par ailleurs juridiquement encadrée. Nulle revendication de majesté dans des images exprimant une relation de subordination formalisée par le rituel de l’hommage. Le système des apanages tel qu’il fut créé par la force des événements dans les années 1360 et tel qu’il est défini juridiquement quinze ans plus tard bouleverse la hiérarchie nobiliaire en créant d’immenses seigneuries richement dotées, et c’est ce bouleversement même que les sceaux traduisent : les princes y affirment leur prépondérance en ajoutant au régime sigillaire commun du cavalier en armes dont ils useront jusqu’à la fin de leur existence, l’image stable d’un prince en architecture, légitimement paré des insignes d’une puissance déléguée ; en cela Berry et Anjou, princes de la maison de France, se situent bien au-dessus de la mêlée seigneuriale. Le caractère novateur de ces sceaux ne peut se comprendre pleinement que dans la relation que les figures entretiennent avec leur environnement architecturé. Alors que la représentation équestre élimine par principe le recours à l’architecture, le type équestre illustrant avant tout le mouvement d’un ordre de suractifs, il est frappant de constater que, contrairement à d’autres souverains qui y ont recours de manière profuse, la majesté des rois de France ne s’exprime pas par le truchement du répertoire architectural. Sur les sceaux, le dais architecturé fait une timide apparition sous Louis X, demeure en usage jusque sous Louis XI, sans être affecté par l’hypertrophie architecturale des sceaux de majesté anglais ou navarrais pour ne prendre que ces deux exemples. Sous le règne de Charles VII, on lui préféra la « chaière » pour fin lement la remplacer, à partir du règne de Louis XI, par le dais textile qui reste 58. Sur cette forme d’investiture, voir le Glossarium de Du Gange à l’article Investitura.

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en usage jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Ce fait, qui éloigne un peu plus encore les sceaux en pied du modèle royal, se réfère à un type de programme monumental relativement nouveau dont le règne de Philippe le Bel a vu la promotion et dont la grande salle du palais de la Cité forme la première et spectaculaire occurrence. La nouvelle aula regia exalte la dynastie en mettant en scène la continuité dynastique par le biais de statues des souverains placées dans des niches. Pour la première fois, un tel programme était développé en dehors d’un cadre ecclésial, transférant à l’intérieur d’un palais la galerie des rois des cathédrales, dans une optique moins rétrospective que prospective puisque, dès l’origine, des emplacements avaient été réservés pour abriter les effigie des futurs souverains. Ce programme était en quelque sorte complété par la statue de Philippe le Bel, installée au portail des Merciers du même palais, formant avec la figure d’Enguerrand de Marigny l’embryon d’un programme exaltant le bon gouvernement59. Ces deux ensembles disparus forment les premières occurrences d’un principe programmatique qui va connaître au début du règne de Charles V un développement spectaculaire. Dès 1364 en effet, le roi déplace sa résidence au Louvre, qui devient un des sièges de la monarchie. Les embellissements de la forteresse philippienne touchent alors les circulations verticales distribuant le logis royal par la construction de la fameuse grande vis, escalier monumental détruit au xviiie siècle mais connu par un témoignage tardif60. Cette construction en hors-d’œuvre qui servira de modèle jusqu’au xvie siècle aux escaliers castraux fut aménagée en fonction d’un programme interprété comme une mise en scène monumentale et sans doute un peu trop appuyée de la solidité de la dynastie des Valois, à une époque où Charles V n’a pas encore d’héritier mâle61. Particulièrement novateur, puisque au lieu de présenter comme au 59. Uwe Bennert, « Art et propagande sous Philippe IV le Bel : le cycle des rois de France dans la Grand’salle du Palais de la cité », Revue de l’art, 97, 1992, p. 46-59 ; id., « Ideologie in Stein: zur Darstellung französischer Königsmacht im Paris des 14. Jahrhunderts », dans Katharina Corspedius et al. (éd.), Opus Tessellatum: Modi und Grenzgänge der Kunstwissenschaft. Festschrift für Peter Cornelius Claussen, Hildesheim, Georg Olms Verlagsbuchhandlung, 2004, p. 153-163. 60. Mary Whiteley, « Deux escaliers royaux du xive siècle : les grands degrez du palais de la Cité et la grande viz du Louvre », Bulletin monumental, 147/2, 1989, p. 113-154 ; Alain Salamagne, « Lecture d’une symbolique seigneuriale : le Louvre de Charles V », dans Patrick Boucheron et Jean-Pierre Genet (dir.), Marquer la ville. Signes, empreintes et traces du pouvoir dans les espaces urbains (xiiie-xviie siècles), Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome, 20 13, p. 61-81. 61. L’interprétation dynastique ou plus précisément successorale bute sur la présence de Philippe d’Orléans, prince dont l’éventuelle accession au trône suppose la mort de ses quatre neveux. Elle n’explique pas clairement non plus la disposition des effigies. Le roi occupant comme il se doit le sommet de la composition, l’ordre hiérarchique qu’on s’attendrait à trouver

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palais la succession des rois, le programme du Louvre insistait sur la famille royale au sens le plus restreint du terme. L’escalier présentait dix statues installées dans des niches et disposées sur des piédestaux suivant le rampant de la cage. La première révolution était en quelque sorte gardée par deux sergents d’armes, puis venaient les effigies de Philippe d’Orléans, oncle du roi, celles de ses trois frères, Louis, Jean et Philippe, du couple royal et enfin les statues de la Vierge et de saint Jean. Si cet ensemble détruit au moment des travaux de modernisation du palais ne nous est connu que par une description moderne, on peut s’en faire une idée relativement précise en considérant le Beau Pilier d’Amiens (fig. 4). Cet énorme contrefort venant épauler la tour nord de la cathédrale picarde, construit à peu près dans les mêmes années que l’escalier du Louvre62, présente un programme sculpté faisant alterner de bas en haut selon trois travées les figures du cardinal de La Grange, commanditaire de l’ensemble, du roi et de la Vierge pour la première travée ; celles de l’amiral de Vienne, de Louis d’Orléans surmontée de la statue de saint Firmin, pour la deuxième, et, enfin, l’effigie de Bureau de La Rivière, celle du dauphin Charles et de saint JeanBaptiste, pour la troisième. Outre le fait que ce programme mettant en image le bon gouvernement peut apparaître comme une réponse au programme dynastique du Louvre, les deux dispositifs présentaient sans doute des affin tés. En tout état de cause, à Amiens, l’architecture formant cadre aux figure offre une proximité flagrante avec la mise en page des sceaux. Les figu es se tiennent sur un élément en saillie, simple terrasse ou piédestal, elles sont disposées sous des dais polygonaux, chacune étant placée dans une composition tripartite dont les parties latérales accueillent les éléments emblématiques, écus ou animaux. Représenter sur la façade des édifices publics la politique dynastique, le bon gouvernement, sur les sceaux le statut de prince apanagé ou l’hommage féodal, est une nouveauté relayée en province par les princes eux-mêmes. Ainsi, Jean de Berry, lors de la rénovation du palais comtal de Poitiers, opta pour un programme mettant en scène l’hommage rendu à sa personne par le

devrait inverser la place des trois frères. Si la disposition suit un ordre de succession commençant par le personnage le plus éloigné du trône, pourquoi le fils cadet est-il placé juste avant son père à la place où l’on s’attendrait à voir figurer Louis d’Anjou ? Le programme a sans doute dû prendre en compte le caractère ascensionnel de l’escalier, obligeant à placer le dernier dans l’ordre de succession en premier dans l’ordre d’ascension, à moins que ce « désordre » ne soit lié à la nouveauté que représente ce type de programme dans ce type de construction. 62. Aurélien André, « Le Beau Pilier de la cathédrale Notre-Dame d’Amiens, sa place dans l’iconographie politique du xive siècle », Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie, 667, 1er trimestre 2003, p. 543-568.

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Figure 4 — Cathédrale Notre-Dame d’Amiens, le « Beau Pilier », entre 1377-1380

biais des effigies du couple ducal entourées de celles de ses vassaux. Au-delà de la charge politique de premier plan d’un programme figeant dans la pierre la reprise en main du comté, la tour Maubergeon innove en inscrivant dans l’espace public, là où le programme du Louvre n’était vu que de quelquesuns, la figure singulière d’un prince auquel les dispositions légales confèrent et l’autorité et la capacité de fonder une dynastie. Le sceau en pied, qui lui aussi doit être considéré comme une représentation publique de l’autorité, se situe à mi-chemin entre la représentation de l’hommage dû au souverain et la représentation du prince à qui l’on rend hommage en vertu de l’autorité conférée par le roi. N’est-ce pas là l’expression la plus aboutie du principe de la délégation d’autorité ?

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Sur les sceaux, la traduction du statut de prince apanagé se fait de manière directe par la tenue des attributs symbolisant le transfert d’autorité et l’investiture, elle se fait aussi par la référence à une réalité monumentale inscrite dans un dispositif plus ample dont l’image sigillaire serait la métonymie. En cela le sceau permet de publiciser par le biais de sa diffusion dans le cercle restreint de ceux qui voient les actes la place nouvelle que Charles V assigne à ses frères. L’architecture renvoie au palais, lieu paradoxalement nouveau de l’expression monarchique, mais aussi à la résidence ducale symbolisant un pouvoir légitimement délégué. Elle matérialise une implantation territoriale s’exprimant alors par l’activité édilitaire de princes dont la puissance se manifeste d’abord par la construction ou la rénovation d’un complexe palatial. Les princes se font le relais à l’échelle de l’apanage du pouvoir monarchique qu’ils représentent au propre comme au figuré La représentation du prince en architecture connaîtra une certaine fortune. Dans les années 1380, l’infant Charles de Navarre se dota d’un sceau gravé selon le même modèle de mise en page63, sous un dais identique à celui des sceaux ducaux et présentant, comme celui de Jean de Berry, le prince accosté des animaux emblématiques des Navarre que sont les deux lévriers supportant respectivement la bannière aux armes et le heaume couronné, cimé d’un grand plumail64. Le prince se montre à nous en armes, opérant la fusion entre le type du prince en architecture et le type au pavillon choisi par certains personnages de haut rang et dont le modèle le plus abouti est le sceau que Louis II de Bourbon se fit graver dans les mêmes années65. Mais la reprise la plus signifiante et sans doute la plus fidèle au modèle mis au point au milieu des années 1375 est le sceau que se donne le dauphin Charles avant mars 142266. Le prince se tient en pied, gants en main dans une niche surmontée d’un dais et accosté de très riches remplages sur lesquels sont gravés deux écus écartelés de France et de Dauphiné. La gravure de cette superbe matrice, dont la légende est malheureusement détruite, peut

63. Le sceau est connu par une seule empreinte conservée aux archives départementales de Loire-Atlantique (E 7/9) et publiée par Faustino Menendez Pidal, Sellos medievales de Navarra, Pampelune, Gobierno de Navarra, 1995, p. 134, no 1/78. 64. Sur la signification du lévrier dans l’emblématique navarraise, Maria Narbona Carceles, « Le roi de la bonne foi. Charles III le Noble et les devises des Navarre-Evreux au xve siècle », dans Denise Turrel et al. (éd.), Signes et couleurs des identités politiques du Moyen Âge à nos jours. Actes du colloque de Poitiers, 14-16 juin 2007, Rennes, PUR, 2008, p. 477-509. 65. Voir Yves Metman, « Le bon duc Loys et les sceaux en pied », Club français de la médaille, 57, 2e semestre, 1977, p. 188-192, et Georg Zeman, « Die beiden großen Siegel des Jean de Berry und des Louis II de Bourbon… », art. cité. 66. Corpus II, no 161.

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aller dans le sens de notre interprétation, la représentation renvoyant au fait que Charles, dont le père n’est pas encore mort, tient en apanage le duché de Berry et que ce faisant il utilise le même type sigillaire dont son grand-oncle se dota dans des circonstances identiques bien que moins dramatiques67. Charles affirme ainsi que, malgré les conséquences du traité de Poitiers, il est un prince apanagé et par ailleurs dauphin, d’où l’insistance à exhiber les armes écartelées de France et de Dauphiné. En tout état de cause, la reprise d’un type mis au point quarante ans plus tôt ainsi que l’extrême qualité de sa façon, indiquant une gravure de toute évidence parisienne, témoignent d’un choix mûrement réfléchi dans les circonstances extrêmement troubles des années 1420.

Le dernier grand sceau Avant 1397, Jean de Berry commanda un nouveau grand sceau68, présentant le prince à mi-jambes, la tête ceinte d’une couronne sans fleuron ornée d’une rangée de cabochons (fig. 5). Vêtu d’une ample tunique, les épaules couvertes par un camail de fourrure formant un col très ajusté, il tient une épée levée, émergeant d’une enceinte formée d’un châtelet d’entrée, herse levée et percé d’archères, présentant dans sa partie inférieure une bordure végétale. Au-dessus de lui s’élève un dais monumental Figure 5 — Quatrième grand sceau comme flanqué de deux édicules vus de duc de Berry (moulage, AN, sc/D 422) trois-quarts sous lesquels sont fig rés deux massiers barbus, en pourpoint, présentant respectivement un casque cimé d’une grande fleur de lis double et l’écu aux armes ducales. Alors que le fond de l’édicule est orné de remplages, on aperçoit à l’extrême droite un petit 67. Ce n’est pas le point de vue de Claude Jeay, l’auteur interprétant la gravure de la matrice comme la volonté d’exprimer avec force la légitimité de l’héritier du trône, l’historien liant la gravure des sceaux de Louis d’Anjou et de Jean de Berry au régime institutionnel de 1380 (voir Claude Jeay et Michaël Milhorat, « Les sceaux de Charles VII », Revue française d’héraldique et de sigillographie, 76, 2006, p. 5-28). 68. D’un diamètre de quatre-vingt-neuf millimètres.

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bouquet d’arbres69. Gravée en minuscules gothiques et débutant par une fleur de lis, la légende dit ceci : S(igillum) incliti principis iohannis regis francoru(m) / filii / ducis bitturie et alvernie et comitis pictave(ns)is. Le sceau est connu par deux actes datés de 139770. Anciennement conservés aux archives départementales du Cher et aux Archives nationales71, tous deux étaient en cire verte appendus sur lacs de soie de la même couleur, éléments caractérisant un acte solennel. L’annonce du sceau de l’acte de Bourges décrit le sceau comme magni et specialis sigilli. Si « grand » doit être compris comme « principal », « spécial », qui n’est jamais employé dans le cadre de la diplomatique princière, qualifie alors ce qui présente un caractère particulier et qui, de ce fait, se singularise, s’oppose à ce qui est générique72. En outre, contrairement à un usage sigillaire faisant coïncider le changement de matrice avec un événement particulier, ici rien ne vient justifier objectivement la commande

69. Sur les deux empreintes qui nous sont parvenues, le revers est occupé par un contre-sceau dont la matrice a été réalisée au milieu des années 1370 (Corpus III, nos 421bis et 422bis). Il présente l’écu de Berry supporté par l’ours et le cygne, timbré du casque à double fleur de lis. Inscrit dans un trilobe à redents, le tout est entouré de la légende en minuscules gothiques : Contra sigillum magni si/gilli nostri. 70. Leurs moulages figurent dans les collections sigillographiques des Archives nationales (AN, Depaulis, no 99 et D 422). Vus encore appendus à leurs actes par les anciens auteurs, ces sceaux ont été décrits par Philippe de Bosredon, Répertoire des sceaux des rois et reines de France…, op. cit., no 156 ; René Gandilhon, Inventaire des sceaux du Berry antérieurs à 1515…, op. cit., no 4 (l’auteur mentionne de manière erronée un troisième exemplaire dans la collection Bastard de l’Estang de la Bibliothèque nationale) ; François Eygun, Sigillographie du Poitou jusqu’en 1515…, op. cit., no 23 et enfin dans Corpus III, no 130. 71. À Bourges, dans le fonds de la Sainte-Chapelle, le premier est daté de Paris le 25 janvier 1397 (TSC 306 anciennement dans la liasse 8 G 2017), donation de trois seigneuries acquises en 1370, que le duc céda en janvier 1394 à son fils Jean de Montpensier, lequel les donna finalement au chapitre de la Sainte-Chapelle précisément par l’acte du début 1397. Le second a été passé à Paris le 25 novembre de la même année (AN, J 382, no 13). Il s’agit d’un des testaments du prince, document scellé en présence du roi, du duc de Bourgogne, de Guillaume de Melun et de Jean de Montagu, par lequel Berry dispose de ses biens meubles qu’il lègue au roi (Françoise Lehoux, Jean de France, duc de Berri. Sa vie. Son action politique, Paris, Picard, 1966, t. III, p. 372, n. 1). 72. L’acte parisien le décrit plus sobrement comme « notre scel ». Si la date de la gravure ne peut pas être établie avec une très grande précision (avant janvier 1397), l’annonce du sceau de l’acte de Bourges permet peut-être d’inférer que, comme il vient d’être livré, on insiste alors sur sa nouveauté par cette formulation si particulière et que, utilisé à plusieurs reprises durant les dix mois suivants, il a perdu son caractère spécial lorsque, en novembre, on l’appose au bas du testament. La commande du dernier grand sceau de Jean de Berry a donc très bien pu précéder de quelques semaines la date de sa première utilisation connue.

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d’un objet appendu à des actes solennels que, ni le contenu ni la forme ne distinguent de leurs semblables73. Si l’analyse des éléments objectifs ne fournit aucune piste permettant de saisir le mobile de la commande du « grand sceau spécial », l’analyse iconographique permet-elle d’avancer davantage ? Le sceau offre la fusion du type du prince en architecture que nous venons d’observer et celui présentant le prince sous un pavillon faisant référence à la fonction militaire. Or la figure d’un soldat armé dans un environnement architectural renvoie à un type de représentation que l’on peut saisir dans l’allusion à peine voilée à la figuration des preux tels qu’on les rencontre aux façades de certains châteaux du tournant des années 1400 et, au-delà, à l’exaltation des vertus chevaleresques74. À cet égard, la fameuse tenture des preux conservée au Metropolitan Museum de New York offre de très grandes affinités avec le dernier sceau de Jean de Berry. Comme sur le sceau, les figures disproportionnées des preux sont inscrites dans un environnement architectural abritant des personnages secondaires présentés dans des poses expressionnistes 75. Même s’il peut paraître audacieux de considérer la représentation d’un Jean de Berry armé en façade comme une représentation de lui en preux, il n’en reste pas moins vrai que, depuis son mariage avec Jeanne de Boulogne, Jean de Berry pouvait prétendre appartenir sinon à la lignée, du moins à la famille de Godefroi de Bouillon, l’un des neuf preux et, par ce biais, tenter l’assimilation que nous avons évoquée plus haut avec le chevalier au cygne. L’exploitation à des fins politiques de récits légendaires prend un tour encore plus précis lorsque l’on sait que Jean de Berry exploita son ascendance Luxembourg pour justifier sa mainmise sur Lusignan en commandant à Jean d’Arras sa Mélusine76. Petit-fils de Jean de Bohême, modèle des princes de la seconde 73. Si l’on se penche sur la biographie ducale, à tout le moins l’événement saillant du milieu des années 1390 est la mort en novembre 1397 de son seul fils. Ceci étant, en fonction des dates dont nous disposons, la gravure de la matrice n’est pas liée à cet événement tragique marquant la fin précoce de la dynastie. 74. Apparu au début du xive siècle, le thème littéraire des neuf preux pénètre les arts visuels dans le courant du siècle. Des statues de preux ornent les façades des châteaux de Pierrefonds et la Ferté-Millon, sept preuses une cheminée au château de Coucy, tandis que le livre peint et le décor textile exploitent ce thème à la mode. 75. Tissée en France ou dans les Flandres entre 1400 et 1410, New York, The Metropolitan Museum of Art, Cloisters Collection, inv. 32.130.3. Sur la tapisserie de Jules César, un des personnages adopte la même pose que celle du massier du sceau. 76. Jérôme Devard, « Mélusine ou la noble histoire de Lusignan : miroir chevaleresque du xive siècle », dans Olivier Bertrand (textes réunis et présentés par), Sciences et savoirs sous Charles V, Paris, Honoré Champion, 2014, p. 357-375, tandis que certains épisodes en Terre sainte faisaient référence à des événements et des personnages historiques (Emmanuèle Baumgartner,

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moitié du xive siècle, il pouvait factuellement justifier ses droits sur Lusignan, tout en pointant sa filiation avec le chevalier idéal77. Cette ascendance prend dans les années 1395 un écho particulièrement précis au moment où l’Occident se lance à nouveau, à l’appel de Sigismond de Luxembourg, dans l’aventure de la croisade. Le contexte politique international du milieu des années 1390, globalement favorable à la diffusion de l’idéal chevaleresque, entre en résonance avec l’ascendance rêvée du prince. Chevalier idéal, prêt à défendre le territoire placé sous son autorité, Jean de Berry se montre à la manière d’un preux en façade d’un château renvoyant à un modèle castral en apparence merveilleux. En apparence seulement car, si l’on observe la construction plus attentivement, l’étrange combinaison d’un niveau fortifié avec un étage largement ajouré combinant une terrasse et trois baies, renvoie à un certain nombre de compositions architecturales de la seconde moitié du xive siècle, compositions particulièrement appréciées par le duc de Berry lui-même. La belle cheminée de Poitiers, construite entre 1389 et 1493, répond à une même conception « fantastique » de l’architecture, mais c’est sans doute le château de Mehunsur-Yèvre qui illustre le mieux cette conception architecturale. Ce château construit au cœur d’une seigneurie que le duc tenait de son grand-père Luxembourg renvoie là encore à cette combinaison du massif et de l’aérien, de l’opaque et du transparent. Sur le sceau, la figuration discrète de plantes au bas de la muraille ainsi que l’arbre gravé au côté du massier de droite peuvent selon nous être interprétés comme une référence à l’environnement naturel de cette construction emblématique. L’inutilité apparente du dernier sceau de Jean de Berry est l’indice de son importance dans une stratégie représentationnelle illustrant le rôle fondamental que le prince assigne aux arts dans le cadre d’une esthétisation de son autorité. La mise en scène de sa propre personne dans de somptueux cadres renforçait le pouvoir monarchique dont il était un rouage essentiel. Échappant aux contraintes d’une pratique sigillaire inscrite dans une forme d’assignation, limitant de facto l’expression personnelle, le dernier grand sceau nous donne sous ses abords grandiloquents la représentation sans doute la plus précise de la manière dont Jean de Berry se considère dans la dernière partie de son existence.

« Fiction et histoire : l’épisode chypriote dans la Mélusine de Jean d’Arras », dans Donald Maddox et Sara Sturm-Maddox, Melusine of Lusignan. Founding Fiction in Late Medieval France, Athens, Géorgie, University of Georgia Press, 1996, p. 185-200). 77. Sur l’importance de cette ascendance, voir Françoise Autrand, Jean de Berry. L’art et le pouvoir, Paris, Fayard, 2000, p. 44 et suiv.

Clément Blanc-Riehl, Marie-Adélaïde Nielen

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Conclusion Les complexes architecturaux auxquels les sceaux font référence symbolisent la présence ducale par le truchement de complexes palatiaux combinant comme le veut la tradition capétienne une résidence urbaine et une chapelle. De la même manière que le sceau représente in absentia une personne au bas d’un acte, l’architecture représente dans ses apanages un prince absent, un prince pour lequel on aménage des lieux d’apparition. Affacciato, pour reprendre un terme italien qui n’a pas d’équivalent dans notre langue, le duc se montre à nous à la manière des statues placées dans les lieux stratégiques de l’expression du pouvoir dans le cadre d’un parcours symbolique dont les effigies princières marquent les transitions et forment le point d’aboutissement78. Proposant tour à tour un chevalier galopant en armure de parade à la manière des barons du temps de Louis VII, un prince en architecture gouvernant les vastes seigneuries dont son père puis son frère l’ont investi, l’inclitus princeps se présentant en arme à la façade d’un château de rêve, les sceaux de Jean de Berry témoignent à leur manière de la carrière d’un prince à la charnière de deux mondes. Ils cristallisent sur leur petite surface un discours que nul texte ne vient aussi précisément formaliser. En cela, ils sont de précieux outils pour la connaissance du Moyen Âge finissant Clément Blanc-Riehl et Marie-Adélaïde Nielen Archives nationales

78. Alain Salamagne a mis en exergue le fait que, comme à Vincennes où l’étude royale était placée au-dessus du porche de la tour maîtresse, à Mehun, cette même étude surplombait l’accès aménagé dans le châtelet : Alain Salamagne, « Lecture d’une symbolique seigneuriale : le Louvre de Charles V », art. cité, p. 78-79.

Écritures de chantier La chambre des comptes de Bourges et la politique monumentale de Jean de Berry Thomas Rapin

Introduction L’occasion était assez rare pour être soulignée : Jean de Berry, le prince mécène, se trouve être également un passionnant sujet pour l’étude de la diplomatique. Il y a dix-sept ans déjà, Françoise Autrand réconciliait dans sa biographie le politicien et le mécène1, mais force est de constater que les clichés restent tenaces. La politique monumentale, l’esthétique architecturale et la définition du décor faisaient partie intégrante de l’exercice du pouvoir et Jean de Berry était avant tout un prince de son temps. Il appartenait à une génération d’aristocrates traumatisée par la défaite de 1356, les révoltes parisiennes et les ravages désastreux des compagnies. Il subit en outre les affres du traité de Brétigny, qui amputait son apanage, et vécut une longue captivité à Londres. Plongés dans la tourmente de la guerre de Cent Ans, les gouvernements des fils du roi Jean II formaient pour ainsi dire un ensemble aux fondations fragiles. Mais d’une manière pour le moins surprenante, cette génération tira parti d’une longue période de trêve pour mettre l’art à son service afin de restaurer sa légitimité. Inscrire Jean de Berry dans ce contexte paraissait un préalable nécessaire avant de se pencher sur notre sujet d’étude : ses comptes de construction ou plus largement ses « écritures de chantier ». Ces documents sont singuliers à deux égards. Le premier ne tient pas à la personnalité du prince, mais aux quatre dernières décennies du xve siècle. Comme nous l’évoquions plus haut, l’importance prise alors par la rénovation du paysage monumental chez les Valois fit que nombre d’entreprises dérogèrent à la règle traditionnelle du marché, c’est-à-dire de la délégation. Dans ce cas de figure, le commanditaire se contentait de charger un commis ou un proche de la surveillance de l’ouvrage. Selon les cas, celui-ci jouissait d’une 1. Françoise Autrand, Jean de Berry. L’art et le pouvoir, Paris, Fayard, 2000. Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

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autonomie plus ou moins importante pour veiller au respect des contrats passés avec les entreprises du bâtiment, au besoin avec l’appui d’artisans jurés locaux. Mais pour les grandes constructions de Jean de Berry comme de ses contemporains, on superposa, voire on substitua aux marchés la conduite en régie. Elle est le signe de l’importance qu’avaient ces entreprises aux yeux des potentats. Cette modalité conduisait le commanditaire à recruter du personnel qualifié, à l’installer sur site et à lui fournir la matière d’œuvre. L’autorité entendait ainsi exercer un contrôle « artistique » notamment sur les corps de métiers liés à l’esthétique architecturale (tailleurs de pierre, charpentiers) comme à l’iconographie (peintres, sculpteurs). Elle encadrait aussi la production et l’approvisionnement de matières onéreuses comme les pierres à sculpter, le plomb, les carreaux de faïence2, etc. Ce dispositif exigeait le recrutement de techniciens au sein de l’appareil d’État. Les princes aux fleurs de lys recrutèrent systématiquement de véritables spécialistes du bâtiment pour les placer à la tête d’administrations non sans les avoir chargés de titres et de fonctions honorifique 3. La politique Valois eut rapidement pour effet de favoriser l’émergence de dynasties de maîtres d’œuvre comme les Du Temple, les Dammartin, les Darne, les Morel ou les Poncelet, dont l’importance s’inscrivait dans la grande lignée des Montreuil, entre autres exemples fameux. Cette contribution propose d’orienter le champ d’étude non pas sur ces figures tutélaires de l’architecture flamboyante, mais sur leur entourage administratif et sur le rôle central des chambres des comptes. La deuxième singularité de notre documentation tient justement à la chambre des comptes de Jean de Berry. Contrairement à la majorité de ces institutions4, elle fut fixée en un lieu unique à Bourges par l’ordonnance ducale du 11 mai 13795. L’intégralité des comptes de construction fut donc, comme toute comptabilité émise entre 1379 et 1416, visée et contrôlée par une institution unique et centralisée.

2. Thomas Rapin, « Les relations entre les artistes de Jean de Berry et les tuiliers mudéjars du royaume d’Aragon », Bulletin monumental, 176/1, 2018, p. 21-23. 3. Thomas Rapin, « Les artistes du bâtiment installés à la cour du duc de Berry : Un privilège ? », dans Dagmar Eichberger, Philippe Lorentz (dir.), The Artist between Court and City (1300-1600). L’artiste entre la cour et la ville. Der Künstler zwischen Hof und Stadt, Petersberg, Michael Imhoff, 2017, p. 110-119. 4. Anjou : Angers ( 1 360), Aix-en-Provence ( 1 38 1 ) ; Bourgogne : Dijon et Lille ( 1 386) ; Bourbonnais : Moulins (1374) ; duché d’Orléans : Hôtel de Bohème à Paris (1388), Blois (1409) : voir Philippe Contamine, Olivier Mattéoni (dir.), La France des principautés : les chambres des comptes, xive-xve siècles, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière, 1996. 5. AN, J 185 A, no 45 ; René Lacour, Le gouvernement de Jean, duc de Berry (1360-1416), Paris, Picard, 1932, pièce justificative no 15.

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Nous proposons d’approcher en trois points le problème posé par les écritures de chantier. Tout d’abord, nous montrerons la récurrence de l’écriture de chantier dans les archives. Dans un deuxième temps, nous proposerons une présentation générique des comptes de construction. Enfin nous établirons l’état de conservation de cette comptabilité et nous tenterons de cerner comment ses lacunes peuvent affecter nos interprétations.

Emprise de la construction dans la comptabilité L’historien s’intéressant à l’histoire de l’architecture ou à l’histoire économique des chantiers dispose d’un assez large panel de sources, notamment lorsqu’il s’agit de traiter de la fin du Moyen Âge. Pour cette période, il n’est pas rare que le chercheur ait accès à des vestiges de comptabilités, sources dont on a coutume de penser qu’elles relatent les faits de manière bien plus objective que les témoignages des sources narratives ou diplomatiques. En premier lieu, les documents les plus recherchés sont les comptes de construction ou comptes des payeurs des œuvres. Dans le cas de Jean de Berry, ces documents constituent aujourd’hui un ensemble de 294 feuillets. Un seul est complet. Le reste provient de quinze volumes dispersés (tabl. 1). L’avantage de cette documentation est de fournir une riche information sérielle qui se prête bien à une exploitation autant chronologique que statistique. Cependant les pièces comptables mentionnant des ouvrages ne se limitent pas aux seuls comptes de construction et il convient de bien distinguer « compte de chantier » et « écriture de chantier ». Cette dernière expression ne fait pas référence à un type de document en particulier, mais aux mentions ayant trait à la construction dans les documents comptables en général. C’est donc l’organisation administrative dans son ensemble qu’il faut considérer, chaque niveau étant en mesure de fournir un large éventail d’informations des plus détaillées aux plus générales. Si l’on tente de reconstituer, dans une vue d’ensemble, la circulation des archives comptables que généraient les chantiers de Jean de Berry, on voit se dessiner un réseau aussi vaste que tentaculaire. À la base de cette organisation, les chantiers eux-mêmes produisaient les pièces que l’on qualifiera de « première main » : devis, contrats d’adjudication, certificats, quittances, journaux, etc. Ces pièces justificatives formaient la matière première à partir de laquelle les comptables produisaient leurs registres puis justifiaient leurs dépenses. Nous verrons que la masse impressionnante que représentait ce matériau de première main est aujourd’hui réduite à la portion congrue. Notre principal matériau d’étude – les comptes de construction rendus par les payeurs des œuvres – se situe en fait à un niveau intermédiaire et constitue par essence un témoignage indirect rédigé dans un temps second par des hommes qui n’étaient pas des techniciens de

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la construction. Effectivement, les comptes de construction n’étaient pas rendus par les maîtres d’œuvre mais par les payeurs des œuvres, c’est-à-dire par des comptables affectés aux chantiers6. Les comptes de construction entretiennent avec le reste du réseau comptable des liaisons qui sont de précieux atouts. En toute logique, les comptes des receveurs enregistraient la trace des versements concédés aux payeurs des œuvres. Ces mentions, même très laconiques, compensent ainsi de manière très précieuse la disparition des comptes de construction dont souffrent de nombreux sites. Par exemple, les comptes du receveur de Berry, Guillaume de Chauvigny, mentionnent les dotations faites au chantier de Mehun-sur-Yèvre. Des pièces émises par les services du trésorier ducal nous révèlent, ici, l’existence d’un projet d’aménagement de la Sèvre à Niort ou, là, d’une subvention accordée par le prince aux chanoines de Saint-Étienne de Gien et destinée à réparer leur église7. Ces documents mettent au jour les mouvements de fonds dont certains sont pour le moins inattendus. Ainsi, la règle ne voulait pas nécessairement qu’un chantier fût financé par une caisse située dans ses proches environs. En 1403, les travaux du château de Mehun-sur-Yèvre reçurent 1 000 francs d’or du receveur des fouages d’Auvergne ; en 1405, la collecte de la vicomté de Falaise abondait les finances du chantier ducal de l’hôtel de Bicêtre en Île-de-France8. Le grand absent de notre documentation se situe loin des chantiers et proche du prince. Il s’agit des comptes généraux, qui nous permettraient d’évaluer la part de la construction dans le gouvernement de Jean de Berry. Seuls subsistent deux avis généraux de dépense (budgets) pour l’année 13749. Ces témoignages très précieux nous dévoilent les arbitrages politiques qui étaient opérés au sein du conseil ducal, notamment en matière de construction10. L’administration en charge de la maîtrise d’œuvre formait, quant à elle, une organisation beaucoup plus simple à décrire. Au centre des décisions se tenait 6. Une exception intéressante à cette règle se trouve dans les comptes de Macé Darne, maître des œuvres du duc d’Anjou. Elle s’explique par la double fonction de Macé Darne comme maître d’œuvre et receveur (André Joubert, Étude sur les comptes de Macé Darne, maître des œuvres de Louis Ier duc d’Anjou et comte du Maine [1367-1376], Angers, imp. Germain et G. Grassin, 1899). 7. BnF, PO 2580, Le Roy 57437, no 134v ; PO 678, Chardon 15886, nos 2 et 3 ; coll. Clairambault, 218, no 6, édition dans Thomas Rapin, Les chantiers de Jean de France, duc de Berry : maîtrise d’ouvrage et architecture à la fin du Moyen Âge, thèse de doctorat dirigée par Claude Andrault-Schmitt, université de Poitiers, 2010, textes nos 11, 32 et 33. 8. AD Puy-de-Dôme, 5C 184, fol. 62 et Paris, BnF, ms. fr. 22389, no 97, édition dans Rapin, op. cit., textes nos 31 et 34. 9. AD Puy-de-Dôme, 5C 179, fol. 4-7v, édition dans Rapin, op. cit., texte no 4. 10. Les arbitrages ne modifient que très peu la part de la construction. Le premier avis prévoyait une dépense globale de 61 244 l. dont 4 940 l. pour œuvre (8,06 %) ; le deuxième une dépense globale de 78 036 l. dont 4 900 l. pour œuvre (6,27 %) (Rapin, op. cit., tableau no 9).

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le général maître des œuvres. Outre son primat artistique, cet officier gérait les affectations d’un personnel très compétent, qu’il engageait en fonction des besoins. Pour chaque site, il déléguait en outre son pouvoir à ses lieutenants – maîtres des œuvres de maçonnerie et de charpenterie –, qui prenaient la direction effective des travaux en son nom. Ces lieutenants dirigeaient les équipes en régie et contrôlaient les marchés ; ils étaient assistés dans leur tâche par des payeurs des œuvres, ceux-là mêmes qui assuraient l’intendance du chantier et qui rédigeaient les comptes de construction (tabl. 2). Pour mener à bien sa mission, le général maître des œuvres visitait les sites lors des étapes importantes : visite du prince, pose de première pierre, taille des gabarits, réception de travaux importants, etc. Cependant l’essentiel des travaux se déroulait hors de sa présence ; son contrôle s’exerçait à distance grâce aux pièces comptables qui remontaient vers la chambre des comptes à Bourges. Pour ce faire, Guy de Dammartin logea, en sa qualité de premier général maître des œuvres, dans le voisinage immédiat de la chambre des comptes11. De fait, la chambre des comptes et le bureau du général maître des œuvres ont fait partie des rares administrations sédentaires et centralisées du gouvernement de Jean de Berry. Les pièces jugées par les « gens des comptes » témoignent de sa besogne : elles sont mentionnées comme ayant été contrôlées par lui ; elles portent sa signature, la seule ayant valeur aux yeux des juges. Ainsi les quarante-trois marchés passés à Poitiers entre 1382 et 1388 par l’intermédiaire de son lieutenant Jean Guérart – donc en l’absence de Guy – comportaient tous la signature du général maître des œuvres. Au vu du nombre de chantiers, la tâche devait être gigantesque et nous sommes bien en peine d’estimer aujourd’hui le volume des pièces qu’il aurait eu ainsi à traiter – probablement plusieurs milliers –, une tâche qui suppose aussi qu’il était secondé par des aides ou des secrétaires. Les fonctions du général maître des œuvres ne se limitaient pas à assister les gens des comptes dans leurs contrôles. Ces officiers étaient dépositaires de certains pouvoirs. Lorsqu’il était informé de difficultés financières affectant les chantiers, Guy

11. L’acte de vente (1380) stipule que l’hôtel se situait rue de la Narette (actuelle rue de l’Hôtel-Lallemant), paroisse du Fourchaud, et qu’il s’entendait de la chapelle de Saint-Augustin jusqu’au cimetière de l’église Saint-Pierre-le-Puellier (AD Cher, F 222, no 4, édition dans Jacques Soyer, « Documents inédits sur le séjour et la demeure à Bourges de divers artistes », Mémoires de la Société des antiquaires du Centre, 27, 1903, p. 305-328, notice no 1). Dans la note qu’il fait sur la chambre des comptes du duc de Berry, René Monestier localise son implantation au 15, rue de l’Hôtel-Lallemant (René Monestier, « Note sur une maison de Bourges, l’ancienne chambre des comptes du duc Jean de Berry », Mémoires de la Société archéologique du Centre, 40, 1921, p. 215).

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de Dammartin savait faire jouer ses appuis pour décider les financeurs récalcitrants12. Le général maître des œuvres disposait d’importants relais ; il était un familier des premiers membres du personnel de la chambre des comptes de Bourges : Pierre Quatrecou et Ascellin de Mache, le premier entérinant la vente de son hôtel à Bourges, le second attestant le « pouvoir de mestre Guy » d’après une ordonnance du prince13. Plus tard signalons encore qu’Arnoul Belin, président de la chambre des comptes, figurait parmi les obligés de Drouet de Dammartin (1413)14. Cette première description de l’administration gérée par le général maître des œuvres ne permet cependant pas de lever entièrement le voile sur les processus en action autour des chantiers. Dans l’univers curial médiéval, les fonctions demeurent rarement fixées et les limites des compétences reconnues aux serviteurs comme aux donneurs d’ordre paraissent souvent floues. Cette porosité brouille la figure du maître d’ouvrage lui-même. Dans l’entourage de Jean de Berry, d’autres commanditaires apparaissent à la faveur de la présence d’une main d’œuvre hautement qualifié  : les proches du prince comme la duchesse15, des institutions telle que la chambre des comptes de Bourges ou la Sainte-Chapelle de Bourges16 ; des communautés urbaines comme celles de Poitiers17 ou d’Aigueperse18. Par ailleurs, le prince faisait réaliser aussi ses propres projets par d’autres services que les siens. C’est notamment le cas pour les constructions qu’il engagea à Paris, qui furent prises en charge par

12. « Messages envoyés de Bourges a Clermont et a Riom de part meistre Guy de Dampmartin, meistre dezdites euvres, liquieux apourta lettres clouses de part mon seigneur et de part luy a Raymond Coustave tresorier general contenant qu’il baillast argent pour fere ouvrer aus bastimens de Riom et de Nonnete […], liquel meistre Guy ne voulast point venir pour fere ouvrer jusques ad ce qu’il eust response du dit treshaurier […] » (AN, KK 255, fol. 9). 13. AD Cher, F 222, no 4, édition dans Jacques Soyer, « Documents inédits sur le séjour et la demeure à Bourges de divers artistes », art. cité, notice no 1, et BnF, ms. fr. 11488, fol. 14v. 14. AD Loiret, 3 E 14329, 11 février 1413. 15. AD Cher, 8 G 2122, fol. 64. 16. Au lendemain du siège de 1412, les chanoines de la Sainte-Chapelle de Bourges furent contraints de remettre sur pied les moulins de Saint-Privé-lès-Bourges. Ils recrutèrent trois des plus importants maîtres d’œuvre alors engagés sur les chantiers du prince. Bourges : AD Cher, 8 G 1952, fol. 1-11v (Philippe Goldman, « La reconstruction des Moulins-le-Roi à Bourges en 1412 », L’almanach de Brioude, octobre 2015, p. 85-90). 17. Thomas Rapin, « Les horloges publiques : un aspect méconnu du mécénat du duc Jean de Berry », Livraisons d’histoire de l’architecture, 25, 1er semestre 2013, p. 97-108. 18. Contrat entre les consuls d’Aigueperse et le maçon Jean Attour pour l’achèvement de la tour de la Chaussade sous le contrôle du lieutenant de Drouet de Dammartin : AD Puy-de-Dôme, 3 E PS 8, édition dans Thomas Rapin, Les chantiers de Jean de France, duc de Berry…, op. cit., texte no 35.

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l’administration de Charles VI19. Mais au sein même de la cour de Jean de Berry, la question de la construction n’était pas uniquement l’affaire des seuls spécialistes. Parallèlement aux seize comptes de construction conservés, une vingtaine de passages de diverses comptabilités mentionnent clairement l’intervention d’autres officiers qui ne relevaient pas de l’administration du général maître des œuvres. Ainsi, les receveurs ne se contentaient pas uniquement de verser leur dotation aux chantiers ; plusieurs mentions prouvent qu’ils reçurent également l’ordre de payer en direct certains artistes présents sur le chantier. Jean de Berry semble du reste avoir systématiquement employé ce procédé lorsqu’il s’agissait de rémunérer des artistes de haut rang comme André Beauneveu ou Jean de Cambrai, par exemple20. À la différence de la majorité des ouvriers présents sur les chantiers, ces artistes renommés étaient pensionnés dans l’Hôtel. Ils étaient rétribués à la discrétion du prince21. Ils jouissaient d’un traitement administratif particulier et d’une forme d’autonomie quant à leur contribution aux programmes architecturaux. Ainsi, une meilleure compréhension des mécanismes de décision ayant guidé les grandes entreprises architecturales nous révèlent l’importance de plusieurs fonds d’archives comptables, les plus anodins pouvant même contenir des informations capitales. Afin d’être le plus complet possible, il faut également rechercher les traces comptables de travaux plus ordinaires, de réparation ou d’entretien. Dès lors que l’on prend en considération cette catégorie d’ouvrages, la collecte des écritures de chantier devient particulièrement vaste, et pour cause : elle concernait la majorité des officiers déployés sur les domaines. Une institution se substituait ici à la figure du prince mécène : il s’agit de la chambre des

19. Thomas Rapin, « Les demeures parisiennes du duc de Berry », dans Valentine Weiss, Etienne Hamon (dir.), La demeure médiévale à Paris, Paris, Somogy/Archives nationales, 2012, p. 160-162. 20. Compte d’un receveur anonyme, 1369 (BnF, ms. fr. 23902) : paiements versés aux peintres Jean d’Orléans et Étienne Lannelier, aux maîtres d’œuvre Guy et Drouet de Dammartin (fol. 2v-3v). Compte de Guillaume de Chauvigny, receveur de Berry, 1385-1386 (BnF, PO 2580, Le Roy 57437) : paiements versés à Guy de Dammartin, aux sculpteurs André Beauneveu et Jean de Cambrai, aux enlumineurs Jean Muiere (sic) et Pierre de Constance (pièce no 133v), au couvreur Jean Le Prestre, au charpentier Étienne Pain (pièce no 134v) et à la veuve du sculpteur Jacques Collet (pièce no 135), édition dans Thomas Rapin, Les chantiers de Jean de France, duc de Berry…, op. cit., textes nos 2 et 11. 21. Compte d’Étienne Valée, maître de la Chambre aux deniers du duc de Berry, 1370-1373 (AN, KK 251) : paiements versés au maçon Jean Bertaut, au maître des œuvres de charpenterie Colin de Villars, au verrier Pierre (fol. 34v-35). Compte de Nicolas Mengin, maître de la Chambre aux deniers du duc de Berry, 1374-1378 (AN, KK 258) : paiements versés aux valets de Guy de Dammartin (fol. 61v), au peintre Guillaume Deschamps (fol. 66v), à Drouet de Dammartin (fol. 145 et 167) et au charpentier Guyart (fol. 167v), édition ibid., textes nos 3 et 6).

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comptes, qui avait la charge de garantir le rendement du domaine. Elle devait ainsi veiller à l’entretien des équipements et du patrimoine bâti (étangs, moulins, ponts, granges, petits ouvrages défensifs, etc.), en enquêtant, en diligentant des expertises et en déléguant les travaux aux officiers domaniaux22. Contrairement aux travaux engagés dans les domaines bourguignons et bien renseignés par les riches fonds de l’ancienne chambre des comptes de Dijon23, ceux de l’apanage de Jean de Berry sont moins documentés et, par voie de conséquence, très largement méconnus. Il existe néanmoins une très belle série de comptes de la baronnie de Graçay (Berry) couvrant les années 13721379, 1389-1401 et 1404-141624. Cette comptabilité fut tenue successivement par un officier de Jean de Berry, puis par des bourgeois de Graçay ayant pris la fonction de receveur à ferme25. Les ouvrages engagés se soldaient uniquement sur les excédents du domaine. En moyenne ces hommes engageaient environ 10 % des recettes (en nature et en deniers) dans des marchés qu’ils contractaient avec des entrepreneurs locaux et dont ils assuraient le contrôle. Les travaux en question faisaient alors l’objet de quelques items dans les rubriques « ouvrages » ou « réparations » (fig  1). Pour ajouter à la complexité, les deux systèmes de maîtrise d’œuvre – l’un contribuant aux grands ouvrages commandés par le prince, l’autre participant à l’exercice d’un bon gouvernement – ne fonctionnaient pas de manière hermétique et des passages de l’un à l’autre étaient possibles. La parfaite illustration nous en est fournie précisément par le compte du receveur de Graçay pour l’année 1397-139826. Durant cette période, la duchesse Jeanne de Boulogne décida de faire engager d’important travaux dans le manoir de Genouilly, localisé dans la baronnie. L’importance de l’ouvrage (50 % des

22. Le fonctionnement de la chambre des comptes d’Angers dans ce domaine est décrit par Françoise Robin, « Les chantiers des princes angevins (1370-1480) : direction, maîtrise, main d’œuvre », Bulletin monumental, 141/1, 1983, p. 21-65. 23. Jean Rauzier, Finances et gestion d’une principauté au xive siècle, le duché de Bourgogne de Philippe le Hardi (1364-1384), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996. 24. AD Cher, 8 G 2119-2132. À ce sujet, voir Alfred de Gandilhon, « Les terres de Vatan et de Graçay, et Jean de France, duc de Berry (1370-1405) », Mémoires de la Société des antiquaires du Centre, 30, 1907, p. 55-86. 25. Jean de Saint-Germain, capitaine de château et écuyer (1372-1379), Jean Vacherat (13891405) et Jean Jagaut (1406-1416), voir à ce sujet Françoise Michaud-Fréjaville, « Enchères et enchérisseurs à Graçay au temps du duc Jean (1372-1394) », Cahiers d’archéologie et d’histoire du Berry, 75, 1989, p. 15-39. 26. Compte de Jean Vacherat, receveur de la baronnie de Graçay (13 janvier 1397-13 janvier 1398) : AD Cher, 8 G 2122, fol. 1-97.

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recettes y furent employées, graph. 1)27, les délais exigés (trois mois) et le statut particulier du commanditaire excluaient de recourir aux procédures ordinaires. En conséquence, le général maître des œuvres dépêcha sur place des équipes de maçons, de charpentiers, ou encore de huchiers et les confi à la direction de son lieutenant général, Jean Guérart (fig  2). On voit clairement une forme de comptabilité étrangère à la première venir s’insérer dans le compte du receveur sous la forme d’un cahier additionnel de vingt feuillets28. Contrairement à la présentation des travaux dans la comptabilité domaniale, les œuvres sont présentées sous forme de rubriques hebdomadaires typiques des travaux dirigés en régie rendus par les payeurs des œuvres (fig  3). La typologie de cette comptabilité additionnelle trahit le statut des travaux. L’en-tête de ce cahier fournit du reste tous les éléments. Si la duchesse est présentée comme maître d’ouvrage, son degré d’autonomie apparaît néanmoins très relatif. Son ordonnance de travaux est jointe à celle de Jean Guérart et le mandement de paiement nécessitait l’approbation de la chambre des comptes. Par ailleurs, le chantier ne bénéficia d’aucune subvention particulière, provoquant par voie de conséquence un large déficit sur l’exercice (graph. 1). Jean Guérart se chargea personnellement de ce chantier dont il consigna toutes les étapes dans un cahier de feuillets papier signés et scellés par lui. C’est la copie de ce document, aujourd’hui disparu, que Jean Vacherat fit insérer à la fin de son compte.

Les comptes des payeurs des œuvres Nous devons aux payeurs des œuvres l’essentiel de ce que nous savons des chantiers de Jean de Berry (tabl. 1). Leurs comptes fournirent la principale matière documentaire sur laquelle s’appuient tous les travaux historiques depuis la publication en 1894 de la célèbre monographie d’Alfred de Champeaux et de Paul Gauchery29. Mais peu a été dit au sujet des payeurs eux-mêmes et sur la nature des liens qu’ils entretenaient avec les chantiers qu’ils géraient. Comme nous l’évoquions précédemment, ces hommes n’appartenaient pas aux métiers du bâtiment. Leur terminologie technique était directement issue des pièces fournies par les maîtres d’œuvre. Ils étaient des comptables recrutés parmi les élites locales et commis à la gestion des 27. Thomas Rapin, Les chantiers de Jean de France, duc de Berry…, op. cit., graphique no 22. Précisons que le chantier ne bénéficiait d’aucune subvention particulière et provoqua un important déficit. 28. AD Cher, 8 G 2122, fol. 64-82v. 29. Alfred de Champeaux, Paul Gauchery, Travaux d’art exécutés pour Jean de France, duc de Berry avec une étude biographique des artistes employés par ce prince, Paris, Honoré Champion, 1894.

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chantiers. Certains d’entre eux occupaient déjà des offices pour le compte du prince, d’autres des charges électives. Jean de Savignon était consul de Riom30, Étienne Gervais était chanoine et sous-chantre de Sainte-Radegonde de Poitiers31, Jean Aubereau était garde du sceau aux contrats de Lusignan32 et Gilles de Chalemaigne appartenait à la bourgeoisie de Mehun-sur-Yèvre33. On sait peu de chose sur Jean Bouton, bourgeois de Nonette34. Jean Chardon, payeur des œuvres du port de Niort, était lieutenant du trésorier, c’est-à-dire, à notre connaissance, le seul payeur des œuvres pensionné par l’Hôtel du duc35. Les payeurs des œuvres de Jean de Berry n’appartenaient à aucun corps professionnel distinct et formaient un groupe totalement hétérogène. Pourtant leurs registres révèlent tous une remarquable homogénéité typologique conférant au passage une facilité de dépouillement36. Leur structure invariante, que nous présentons ci-après, laisse clairement supposer qu’un formulaire ou plutôt un modèle a circulé sur les différents sites, probablement à l’instigation de la chambre des comptes de Bourges37, désireuse de faciliter le contrôle des registres précédant leur jugement. L’étude de ce corpus documentaire a permis de mettre en évidence trois procédures : le chantier, l’écriture et le jugement, qu’il nous paraît important de bien décrire maintenant. Le chantier En règle générale, les payeurs des œuvres se voyaient attribuer un ou deux chantiers lorsque la proximité géographique le permettait38. La première tâche du payeur des œuvres était de répondre aux ordonnances de paiement, c’est-à-dire d’assurer la solvabilité du maître d’ouvrage. L’autre tâche du payeur était de collecter soigneusement toutes les pièces reçues sur le chantier comme la copie des pièces émises afin de justifier ultérieurement de sa 30. Josiane Teyssot, « Un grand chantier de construction à la fin du xive siècle en Auvergne : le palais ducal de Riom », Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, 174, 1992, p. 162. 31. BnF, ms. fr. 20686, fol. 13v. 32. AD Vienne, C 408. 33. Thomas Rapin, Les chantiers de Jean de France, duc de Berry…, op. cit., n. 1696. 34. BnF, ms. fr. 26023, no 1348-1352. 35. BnF, PO 678, Chardon 15886, no 2. 36. Thomas Rapin, « La maîtrise d’ouvrage de Jean de France, duc de Berry (1340-1416) : reconstitution et analyse critique d’une documentation dispersée », Tabularia, 6, 2006, p. 33-73 (http://www.unicaen.fr/mrsh/craham/revue/tabularia). 37. Voir le cas de la comptabilité municipale de Dijon dans Patrice Beck, « Les comptabilité de la commune de Dijon », Comptabilités, 2, 2011 (http://comptabilites.revues.org/371). 38. Huguenin Meschin (Bourges et Mehun-sur-Yèvre) et Étienne Gervais (palais et château de Poitiers).

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dépense. Le maître d’œuvre qui encadrait la régie produisait une comptabilité journalière « alternativement » désignée comme « livre de contrôle », « papier » ou « cahier ». En 1380 par exemple, Guy de Dammartin produisait deux documents : un pour le chantier du palais de Bourges et l’autre pour celui du château de Mehun-sur-Yèvre39. Au printemps 1384, Pierre Juglar reçut un grand papier pour écrire les dépenses hebdomadaires du chantier de Riom40. Jean Guérart consigna les dépenses de l’hôtel de Genouilly sur « un quayer de papier41 ». Ces documents certifiaient le nombre de journées effectuées par chacun des ouvriers durant la semaine ainsi que le montant de leur salaire. Par ailleurs, le payeur regroupait toutes les pièces relatives aux marchés contractés par le maître d’œuvre : contrats d’adjudication, certificat de réception des travaux et quittances émises par les entreprises. L’écriture Les registres des payeurs des œuvres étaient la transcription ordonnée de ces anciennes pièces justificatives. Ces volumes couverts de cuir42 étaient d’une facture relativement soignée. Les formats variaient entre 23 × 33 et 31 × 39 centimètres. Tous les registres étaient faits de feuillets de parchemin pliés in-4o et réunis en cahiers de huit feuilles (deux bi-feuillets). Aucun payeur n’a pris le soin de folioter les feuillets car l’essentiel de la présentation résidait dans la correspondance entre les articles ou items retranscrits et les pièces justificatives qui accompagnaient le compte. Ils suivaient l’ordre chronologique pour les papiers de la régie (semaines) et l’ordre des paiements pour les marchés. On note la présence de signatures – c’est-à-dire une numérotation

39. « […] et pour faire le payement de la mise desdites œuvres ledit payeur fait receptes de deniers en grosses parties escriptes ci aprés en cest present compte ensemble pour les deux lieux dessus dis, lesquels deniers ont esté despensez particulierement tant a journees et autres menues parties par sepmaines comme en tasche et a preffait par ordennance de mestre Guy de Dampmartin general mestre d’ycelles œuvres comme plus a plain est escript et contenu ou livre de chascun desdiz lieux certiffiez soubz son saing manuel en la fin de chascune desdites sepmaines et de chascun desdits marchés. Le livre de contrerolle a esté rendu par ledit payeur avec cest present compte en ladite chambre » : BnF, ms. fr. 20686, fol. 8. 40. « Un grand papier acheté pour ecrire la mise et la depense que ce feroit en chacune semaine par maniere de contrerolle par ledit maître Pierre Juglar comme lieutenant dudit maitre Guy es œuvres dudit palais […]. A Guillaum de Couza espontiquarre [apoticaire] pour ledit papier qu’il vendit a ecrire les choses davant dites […] » : AN, KK 255, fol. 28v. 41. « […] lesquelles euvres ont este faites, parfaites et receues par ledit Jehan Guerart en la forme et maniere contenues en ung quayer de papier certiffié soubs son saing manuel et scellé de son seel […] » : AD Cher, 8 G 2122, fol. 64. 42. Le compte KK 255 des Archives nationales est le seul volume à avoir conservé sa belle couverture de cuir avec une étiquette de parchemin.

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des cahiers43 – en chiffres romains ou lettres minuscules qui permettaient au relieur de les assembler dans l’ordre. Les comptes étaient introduits par un en-tête présentant le nom du payeur, le cas échéant son appartenance à la cléricature, l’autorité qui l’avait nommé ainsi que le ou les bâtiments qui lui avaient été affectés. Ensuite, l’en-tête faisait référence à la lettre de commission que le payeur prenait généralement soin de copier dans son premier compte44. Cette autorité était très souvent corrélée à celle du général maître des œuvres, dont une transcription du « pouvoir » pouvait également suivre la commission du payeur45. Enfin, on rappelait les termes de l’exercice comptable. Aucune règle n’a semblé prévaloir à ce sujet sinon que chaque chantier s’organisait selon un calendrier local46. Les exercices s’entendaient généralement sur une durée d’un an. Comme la plupart des registres comptables, ceux des payeurs des œuvres se divisaient en deux ensembles : recettes et dépenses (tabl. 3). L’étude des recettes est très instructive. Elle permet de statuer sur l’origine des fonds : receveur général, receveur des aides pour le roi laissant apprécier le degré d’implication du prince, notamment pour obtenir la bienveillance du souverain. Ensuite, la régularité ou l’irrégularité des versements nous renseignent sur le dynamisme du binôme que formaient le payeur des œuvres et le maître d’œuvre. Par exemple, durant l’année 1386, le chantier de Riom bénéficiait d’une rente mensuelle régulière versée par le receveur. Ces versements couvraient très largement l’activité en régie et permettaient au payeur des œuvres de payer les marchés. De son côté, le chantier de Poitiers connaissait une situation totalement inverse : 75 % de l’activité était assurée par la régie. En conséquence, le payeur des œuvres devait réclamer au receveur jusqu’à deux ou trois versements par semaine pour pouvoir garantir à la caisse de solder les équipes à l’œuvre. Les dépenses occupent l’essentiel du compte et se divisent elles-mêmes en deux ensembles. Le premier est occupé par la régie, appelée autrement « journées » ou « semaines » étant donné que les rétributions se faisaient à un rythme hebdomadaire. Les marchés (dépenses pour œuvres baillées en tâche) occupent le deuxième ensemble. Ces deux ensembles devaient être enregistrés séparément du fait de la nature des pièces justificatives respectives.

43. Jacques Lemaire, Introduction à la codicologie, Louvain-la-Neuve, Institut d’études médiévales de l’université catholique de Louvain, 1989. 44. BnF, ms. fr. 20686, fol. 13-13v ; ms. fr. 11488, fol. 1-1v et 14-14v. 45. « Copie du pouvoir de maistre Guy de Dampmartin… », ibid., fol. 14v. 46. Mois de février (Poitiers), mai (Bourges et Mehun-sur-Yèvre), août (Riom), décembre (Lusignan), etc.

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La comptabilité de la régie s’appuie sur une somme de salaires quotidiens (journées) auxquels s’ajoute le paiement des matériaux et des outils (dépenses communes). Le marché est plus simple puisqu’il se résume à un paiement à réception de l’ouvrage visé au contrat. La régie avait la conséquence fâcheuse d’alourdir le volume des registres, car elle obligeait le payeur à reproduire pour chaque semaine le nombre de jours travaillés par corps de métier et par individu (hiérarchisé par niveau de salaire). Lorsque les comptes tendaient à devenir trop volumineux, la chambre des comptes recommandait visiblement au payeur de ne faire apparaître que les dépenses par semaine puis par corps de métier47. Ce passage d’une méthode que l’on peut qualifier de « développée » à « restreinte » engendre bien évidemment une perte sèche pour l’historien qui voit ainsi disparaître la quasi-totalité des patronymes48. Les marchés étaient enregistrés sur les derniers feuillets des registres. Les pièces originales de ces contrats étaient de grand format49 et fixaient avec beaucoup de détails les dimensions des ouvrages, le type de modénature, voire le répertoire stylistique attendu. Ces documents extrêmement précieux pour l’histoire de l’architecture ont été malheureusement retranscrits avec une grande brièveté, assortie éventuellement de quelques détails techniques qui pouvaient paraître au payeur éclairants voire pittoresques, comme la transformation du plan des pièces logées dans les tours du château de Poitiers du « rond au carré50 ». La plupart du temps, le payeur se contentait de mentionner les dates de signature, de certification et d’émission des quittances afin de faciliter la vérification des gens de la chambre. En toute fin de registre, les dépenses communes regroupaient des éléments importants, soit parce qu’il s’agit des

47. Dans les papiers des payeurs des œuvres, on ne conserve pas de notes émises dans ce sens. Cependant dans un compte de construction rendu par le chevalier du roi Yves Du Fou, commis à payer 2000 l. t. pour les réparations du château et du parc de Lusignan (1463-1464), nous trouvons cette mention : « […] lequel papier veu et visité par messires desdits comptes […] pour eviter les fraiz de la façon dudit compte qui seroient grans se toutes lesdites singulieres parties estoient escriptes au long et pour autres causes qui a ce les ont meuz, ont ordonné et appoinctié que, pour abregier l’expedicion de ce present compte, ledit chevalier feroit faire de tout ledit compte ung estat abregié par maniere de compte particulier, ouquel seroient en bref declairees et contenues les singulieres parties des ouvraiges et distributions desdites 2 000 l. t. par ledit chevalier pour le paiement d’iceulx […] » : BnF, ms. fr. 6737, fol. 35v. 48. Le changement de méthode se distingue très clairement dans les registres d’Étienne Gervais, payeur des œuvres du palais et du château de Poitiers, avant et après la date du 12 février 1385 (AN, KK 256 et 257 A). 49. Des chantiers de Jean de Berry, il ne subsiste plus qu’un unique contrat de maçonnerie relatif à l’achèvement de la porte de la Chaussade à Aigueperse (1407). Il se présente sous la forme d’une grande pièce de parchemin de 53,5 sur 37 centimètres : AD Puy-de-Dôme, 3E PS8. 50. AN, KK 257 B, fol. 84.

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gages des officiers en charge de l’encadrement de chantier, soit parce qu’ils se rapportent aux frais d’écritures du compte. Sachant que la plupart des registres nous sont parvenus incomplets, cette toute dernière mention s’avère extrêmement précieuse pour connaître le nombre de feuillets que contenait le registre à l’origine. Le jugement Le jugement et les annotations laissées par les auditeurs constituaient pour ainsi dire une deuxième écriture qui, en se superposant à celle du payeur, vient nous éclairer sur le regard que posait l’institution sur les écritures de chantier. On regrettera à cet égard le peu de place que leur octroient nombre d’éditions de textes. L’obligation faite aux comptables de rendre leurs comptes était assortie de plusieurs dispositions que la création de la chambre des comptes à Bourges en 1379 a grandement facilitées. Avant cette date, les officiers étaient dans l’obligation de rédiger leurs registres en trois exemplaires. L’un était destiné à la chambre des comptes du roi à Paris, le deuxième était appelé à rejoindre la cour ducale itinérante, le dernier restait en possession de l’officier51. L’installation de la chambre des comptes à Bourges réduisit considérablement ces contraintes. Le nombre d’exemplaires se montait désormais à deux. Toutes les conditions de reddition et de jugement de la comptabilité de chantier étaient portées sur chaque registre à des emplacements bien définis. Les premières annotations permettent d’identifier le propriétaire du registre, la chambre des comptes (pro camera ou pro curia) ou l’officier (pro receptore pour le receveur par exemple). Nous ne conservons aucun des registres que les payeurs des œuvres ont gardés par-devers eux. Les dates de reddition (traditus), d’audition et de clôture (auditus et clausus) étaient portées respectivement sur les premier et dernier feuillets. Elles témoignent de retards relativement importants pris par la chambre des comptes dans son fonctionnement (tabl. 4). Ainsi l’écriture des comptes du payeur des œuvres Étienne Gervais (palais et château de Poitiers, 1382-1388) fut en fait produite sous la forme d’un lot de six comptes écrits d’un même tenant après 1390 et probablement même peu de temps avant d’être présentée à la chambre des comptes au printemps 1392, soit dix ans après. On rencontre des délais similaires à Riom. Le retard n’était pas le fait des comptes de chantier ; certains comptes domaniaux attendirent trente ans ! Néanmoins après 1400, les délais parurent plus

51. En 1371, la reddition du compte du receveur de Berry a engendré de lourdes dépenses : « pour les depens dudit receveur, I vallet et II chevaulx qui vont de Bourges a Riom pour rendre ces presents comptes [la cour ducale est alors en Auvergne] et pour porter le triple en la chambre des comptes du roy notre sire a Paris […] » (BnF, ms. fr. 23902, fol. 4v).

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acceptables : six ans à Mehun-sur-Yèvre et quatre ans à Lusignan. Ces chiffres montrent deux faits. Premièrement, ils permettent de constater que les délais imposés par les ordonnances ne furent jamais respectés52. Ils montrent aussi que, dans le cas qui nous intéresse ici, les payeurs des œuvres rédigeaient leur comptabilité de manière différée, par lots et probablement au moment d’être convoqués par les gens des comptes. Ces dispositions facilitaient le contrôle, mais contraignaient le payeur des œuvres à venir en personne avec son lot de comptes (en double exemplaire) et le volume de pièces qu’il fallait déplacer dans des sacs53. En attente du jugement, le comptable restait à Bourges le temps de l’examen des comptes. Certains d’entre eux préféraient faire appel aux services d’un procureur pour l’occasion54. Le jugement, quant à lui, était préparé par un contrôle qui apparaît à travers les annotations laissées en marge des différents articles. Il s’agit d’annotations latines le plus souvent55 – videatur, loquatur, corrigatur, etc. – qui orientaient les questions des auditeurs. Elles se fondaient sur la validité des pièces justificatives fournies par le payeur et requéraient probablement l’avis du général maître des œuvres. L’opération était relativement rapide : un mois et demi pour contrôler les six comptes d’Étienne Gervais (tabl. 4). La lecture des annotations nous permet de constater que ce type de pièces n’était pas exempt d’oublis voire de fraudes. Les archives de la chambre des comptes de Dijon conservent ainsi la trace d’une tentative de Jacques de Neuilly – ancien collaborateur de Drouet de Dammartin – de se faire octroyer des rémunérations indues. Les gens de la chambre diligentèrent une enquête et firent corriger ses gages56. Les archives de Bourges révèlent de telles tentatives : peu de détails

52. Ordonnance de 1389, § 23, enjoignant de présenter ses comptes dans l’année (Henri Jassemin, La chambre des comptes de Paris au xve siècle, Paris, Picard, 1933, p. 106). 53. Les archives municipales de Poitiers conservent une très belle collection de pièces justificatives des xive et xve siècles. Elles se présentent encore dans leur état d’origine par liasse de 10 à 60 pièces maintenues par un cordon de parchemin tressé. Pour le déplacement des archives des chambres des comptes dans des coffres, des sacs ou des tonneaux, on pourra lire le récit de Joseph Croy, Notice historique sur les archives de la chambre des comptes de Blois, Blois, J. de Grampé, 1937. 54. Parmi les payeurs des œuvres de Jean de Berry, trois ont mentionné avoir eu recours à un procureur pour présenter leur comptabilité : Huguenin Meschin (Bourges et Mehun-sur-Yèvre), Jean Aubereau (Lusignan), Gilles de Chalemaigne (Mehun-sur-Yèvre). 55. Exception faite des comptes de la baronnie de Graçay, annotés en français entre 1407 et 1412. 56. Bertrand Schnerb, « L’activité de la chambre des comptes de Dijon entre 1386 et 1404 d’après le premier registre de ses mémoriaux », dans Philippe Contamine, Olivier Mattéoni (dir.), La France des principautés…, op. cit., p. 60-61.

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échappaient finalement au contrôle57. Les procédures d’attribution de marché étaient particulièrement regardées58. Si la prodigalité d’un Jean de Berry est partout soulignée, la méfiance d’un Louis XI à l’égard des maîtres maçons qui « devisent à leur avantage » et qui profitent du statut du commanditaire pour « y gagner le plus » et y avoir « bonne bourse59 » reflète probablement un préjugé partagé ou du moins l’état d’esprit des gens de comptes. C’est seulement une fois le jugement prononcé et les pièces suspicieuses validées ou écartées que les soldes étaient finalement calculés et portés à la fin de chaque partie (summa recepte, dietarum, tascharum, vadiorum, etc.) et la balance du compte inscrite au bas du dernier feuillet. Le jugement déterminait si la balance du compte penchait en faveur du payeur (Debentur solutori) ou du trésor ducal (Debet solutor). En cas de comptes audités par lot, comme ceux de Poitiers, les soldes de chacun des comptes étaient reportés et calculés sur le dernier60.

Appréhender et critiquer une comptabilité dispersée et lacunaire  La plupart des écritures des chantiers de Jean de Berry ont disparu et seul un compte nous est parvenu en entier. Le reste est aujourd’hui réduit à l’état d’épaves dispersées qu’il a fallu reconstituer. Plusieurs raisons semblent expliquer cette dispersion. La première tient à la courte histoire de la chambre des comptes de Bourges, institution éteinte précocement avec la rétrocession de l’apanage avant d’être rétablie dans la hâte par le dauphin Charles. Les archives de l’institution subirent donc plusieurs déplacements avant d’être finalement expédiées à Paris après 1436. On imagine aisément les pertes que subirent les fonds qui nous intéressent ici, et qui s’aggravèrent au dépôt de Paris. Ne revenons pas ici sur le sort des anciennes archives de la chambre des comptes

57. Les auditeurs du compte du receveur de la baronnie de Graçay Jean Jagaut (1411-1412) rayèrent ainsi une dépense de 8 l. t. destinée à une vacation « de plusieurs jours par soy donnees » afin de « faire faire lesdites reparacions dudit lieu de Genouilly, ou ledit receveur a vaqué l’espace de III jours ou environ par chacune sepmaines dudit temps deux ou III jours et aussi pour paier lesdits ouvriers de leurs journees […] ». La mention marginale apposée indique : « Soit parlé a messire [Vacherat] sur cette partie raié par l’ordonnance de mes seigneurs, heu regart que ledit hostel de Genouilly est en la terre de Graçay et pres dudit lieu » (AD Cher, 8 G 2129, fol. 79v). 58. Radiatur quia sine mandato : AD Cher, 8 G 2119, fol. 127. 59. Sophie Cassagnes-Brouquet, Louis XI ou le mécénat bien tempéré, Rennes, PUR, 2007, p. 34. 60. Le lot présenté en 1392 par Étienne Gervais contenait les comptes finissant au mois de février 1383, 1384, 1385, 1386, 1387 et 1388. Sur les derniers feuillets des comptes 1385, 1386 et 1387, après le debet/debentur, nous voyons l’annotation suivante : « Redduntur ei in fine sui computi finiti ad ultimam [diem] februarii CCC IIIIXX VII [1388 n. st.] […] » : AN, KK 256, fol. 56v, KK 257 A, fol. 39v, et KK 257 B, fol. 85v.

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de Paris, sujet sur lequel Michel Nortier a dit l’essentiel61. Toutefois, certains documents intéressant les constructions de Jean de Berry n’ont pas suivi le retour des archives à Paris et demeurèrent dans ses anciennes provinces. Par exemple, les archives départementales du Cher conservent les comptes de la baronnie de Graçay pour la raison qu’elle fut détachée du domaine princier pour être réunie au temporel de la Sainte-Chapelle de Bourges. Par ailleurs, certains dépôts d’archives départementales possèdent toujours les doubles des registres que produisirent les comptables. Les archives départementales du Puy-de-Dôme conservent ainsi plusieurs doubles de comptes du receveur des fouages et un cahier de papier contenant la comptabilité du trésorier général entre 1374 et 137762. Enfin, les services d’archives municipales ou départementales ont cherché à récupérer dans les ventes publiques des pièces intéressant l’histoire régionale. Ainsi, en 1933, une association d’historiens auvergnats fit l’acquisition d’un mandement du prince relatif au chantier de Riom et de Nonette63. Une autre raison de cette dispersion tient à la nature des comptes des constructions qui semblent avoir présenté un intérêt somme toute relatif pour les institutions de l’Ancien Régime. Les remplois en reliure des anciens comptes de construction de Jean de Berry attestent un abandon précoce de ces registres avant même les pillages des généalogistes et les destructions du bureau de triage révolutionnaire. Dans les années 1950, l’archiviste Paul Cravayat découvrit que la reliure d’un registre du chapitre Saint-Étienne réalisé dans la seconde moitié du xve siècle provenait d’un compte du payeur des œuvres du palais de Bourges64. Beaucoup plus récemment, à la faveur d’une campagne de numérisation, plusieurs feuillets d’un compte de construction du palais de Riom ont réapparu dans les pages de garde d’un manuscrit65. Le fonds constitué par les écritures de chantier fut donc très tôt dispersé. Il est possible d’estimer la perte à près de 95 %66. Cependant, même réduit à 5 %, le corpus documentaire (294 feuillets de comptabilité et 19 pièces justificatives) reste très exceptionnel pour la fin du Moyen Âge et contribue à faire du mécénat de Jean de Berry un sujet d’étude tout à fait privilégié.

61. Michel Nortier, « Le sort des archives dispersées de la Chambre des comptes de Paris », Bibliothèque de l’École des chartes, 123, 1965, p. 460-537. 62. AD Puy-de-Dôme, 5 C 184 et 179. 63. Ibid., 1 F 186, no 1. 64. AD Cher, 8 G 1116, éd. Paul Cravayat, « Fragments d’un compte de l’œuvre du palais de Bourges (1381-1382) », Mémoires de l’union des sociétés savantes de Bourges, 1953-1954, p. 7-23. 65. BM Saint-Étienne, ms. 109. 66. Thomas Rapin, Les chantiers de Jean de France, duc de Berry…, op. cit., p. 298.

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Si les documents ont beaucoup à dire, les lacunes en apprennent autant sinon davantage. Sans une étude préalable de celles-ci, c’est-à-dire sans une reconstruction du corpus original, l’édition des contenus reste de portée limitée. Une des techniques récemment éprouvée pour l’étude des sources médiévales est la codicologie ou étude du codex et de ses éléments externes67. Elle a récemment fait la preuve de sa pertinence dans le domaine des comptabilités médiévales68. Un très bon exemple des capacités de la codicologie appliquée aux comptes de construction est illustré par l’étude des deux feuillets issus des anciens comptes de la Sainte-Chapelle de Vincennes 69. Dans le cas de Jean de Berry, cette investigation permit de mettre en évidence l’existence de seize comptes de construction différents et de les attribuer (sauf un) à huit payeurs des œuvres (tabl. 1). Mais l’un des résultats les plus intéressants de l’analyse codicologique concerne le compte de Jean de Savignon, payeur des œuvres du palais de Riom (1382-1384). Ses huit cahiers furent séparés puis dispersés entre le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France et la série KK des Archives nationales70. L’accès aux volumes originaux et l’examen des éléments externes (signature des cahiers, reliure, réglure, justification, graphie, etc.) ont révélé la soustraction de onze feuillets et donc plusieurs ruptures chronologiques que la seule édition de texte n’avait pas pu mettre en évidence (tabl. 5)71. Les informations issues des écritures de chantier, une fois corrélées à un examen codicologique, peuvent ainsi se trouver considérablement enrichies. Cependant, comme toute source, elles ne peuvent être éditées sans un important apparat critique. Il est tout d’abord indispensable de rappeler que par nature les documents comptables visés par la chambre des comptes n’avaient pas vocation à établir des mémoires techniques mais à apporter des garanties de bonne gestion. Pour cette raison, ils n’éclairent en rien ou de manière très indirecte le lecteur sur les choix artistiques, stylistiques ou iconographiques du commanditaire. Par ailleurs, les comptes des payeurs des œuvres, pour ne prendre qu’eux, n’enregistraient que les ouvrages de gros œuvre qui nécessitaient une 67. Jacques Lemaire, Introduction à la codicologie, op. cit. 68. Olivier Mattéoni, « Approche codicologique des documents comptables au Moyen Âge », Comptabilités, Revue d’histoire des comptabilités, 2, 2011 (http://comptabilites.revues.org/382), et Thomas Rapin, « La maîtrise d’ouvrage de Jean de France, duc de Berry (1340-1416) », art. cité. 69. Odette Chapelot, Jean Chapelot, Jean-Pascal Foucher, « Un chantier et son maître d’œuvre : Raymond Du Temple et la Sainte-Chapelle de Vincennes en 1395-1396 », dans Odette Chapelot (dir.), Du projet au chantier : Maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre aux xive-xvie siècles, Paris, EHESS, 2001, p. 433-488. 70. BnF, ms. fr. 11488, fol. 2-5v, et AN, KK 255. 71. Thomas Rapin, Les chantiers de Jean de France, duc de Berry…, op. cit., p. 653-654.

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logistique importante. Comme nous l’évoquions plus haut, les paiements faits aux artistes ne relevaient pas de la compétence des payeurs des œuvres mais d’offi iers directement mandatés par le prince. En conséquence, si un beau jour la comptabilité complète du chantier de la Sainte-Chapelle de Bourges venait à être découverte, il est fort probable que les travaux des sculpteurs Jean de Cambrai et André Beauneveu n’y figureraient pas. Par essence, le compte de payeur des œuvres est incomplet et il le demeurera tant qu’il ne sera pas relié au reste des comptes produits dans l’apanage. Un deuxième aspect critique tiendrait dans notre confiance trop vite acquise à la bonne foi des institutions de vérification des comptes au prétexte qu’elles œuvraient pour le bien public. Même les comptables de la chambre des comptes de Bourges n’étaient pas exempts d’inexactitudes et ils contribuèrent, malgré eux, à la « mauvaise réputation » de leur seigneur. Il suffit de reprendre la litanie de reproches dont on accable Jean de Berry concernant sa gestion désastreuse notamment à propos des chantiers. L’étude des sources sembla un temps donner raison aux détracteurs : en février 1386, Étienne Gervais présentait à la chambre des comptes un déficit de 3 944 l. t. pour une recette de 6 000 l. t. (tabl. 6) ! Non content d’être « le pilleur du bien public » comme l’écrivait Jean Longnon72, Jean de Berry payait les services d’incompétents ! L’analyse codicologique et la prise en compte des annotations rendent justice au payeur. Tout d’abord, rappelons que les calculs et les soldes portés dans les registres n’étaient pas le fait des payeurs des œuvres, mais des auditeurs de la chambre des comptes, et ceux-ci sont le produit d’une totale falsification dans le cas qui nous intéresse. On s’aperçoit tout d’abord que le déficit abyssal présenté par le payeur en février 1386 est compensé à la livre près lors du jugement du compte suivant en février 1387, produisant une balance totalement équilibrée sur les deux exercices. Cette singularité cache en fait une opération de réécriture comptable par les clercs de la chambre des comptes lors de l’audition des registres au printemps 1392. Pour s’en convaincre, il faut revenir aux recettes du compte finissant au mois de février 1386. À cet endroit, les auditeurs ont biffé les deux feuillets de recettes pourtant attestées par les lettres du payeur, et leur ont substitué un bref article « Recettes » inscrit sur le premier feuillet. Par cette opération, les auditeurs annulaient les sommes prises sur la recette générale du Poitou et les reportaient sur la caisse du receveur des aides pour la guerre en Poitou. De ce fait, la recette diminuait de moitié et générait le déficit. Dans le compte finissant au mois de février 1387, on remplaça également la recette générale du Poitou par celle des aides pour la guerre, mais cette fois, l’opération engendra un important 72. Jean Longnon, Les Très Riches Heures du duc de Berry, Paris, Draeger, 1970.

104

Écritures de chantier

excédent. Ces modifications, artificielles et faites a posteriori, étaient donc de nature à fausser totalement les balances générales. Une preuve du coût réel du chantier existe pourtant bel et bien : avant de rendre son compte, le payeur des œuvres avait reporté sa propre balance. Mais pour le constater il faut accéder au volume original et consulter le verso de la couverture (non microfilmé  sur lequel on discerne sans équivoque le solde correct. Les auditeurs, qui géraient l’intégralité des finances de Jean de Berry, avaient certainement l’habitude de ce genre d’opérations de « rééquilibrage » entre comptabilités pour aboutir à la présentation convenable de la gestion de l’apanage. Cet exemple doit nous inciter à la prudence la plus extrême lorsqu’il s’agit d’employer des notions de déficit ou d’excédent provenant de comptabilités incomplètes.

Conclusion La bonne conservation des sources comptables de la fin du Moyen Âge reste un atout majeur pour les recherches à venir. En dépit du fait que ces sources sont les premières à avoir été éditées, la richesse des fonds offre toujours la possibilité de nouvelles investigations voire de découvertes ; le cas des sept feuillets du compte de construction de Riom retrouvés à Saint-Étienne en a récemment apporté la preuve. Depuis une quarantaine d’années, le regain d’intérêt pour les architectures civiles et religieuses de cette période et l’opportunité offerte par l’accès aux sources comptables ont largement contribué au renouvellement de nos connaissances. Cependant, la typologie propre à ces sources modifie les champs de recherche. Contrairement aux chantiers des grands établissements ecclésiastiques des xiie et xiiie siècles, l’histoire de la construction du xve siècle fait aussi la part belle aux constructions plus modestes ; elle se tourne davantage vers le chantier, ses modèles, son organisation et son économie. C’est encore plus récemment – au tournant des années 2000 – que de nouvelles approches des sources ont été mises en œuvre, permettant des avancées significatives. La codicologie, domaine d’abord cantonné aux manuscrits « littéraires », a su montrer toute sa pertinence sur les comptabilités, notamment parce qu’elle est particulièrement adaptée aux sources dispersées et lacunaires. Outre cet aspect technique, son atout principal est d’induire un questionnement sur des domaines aussi fondamentaux que le fonctionnement administratif, diplomatique, voire politique des institutions princières. La codicologie a permis également de mettre en évidence le formalisme intrinsèque aux comptes de construction. À travers le cas des payeurs des œuvres, il montre l’émergence d’une profession – les comptables – qui vint s’immiscer entre les officiers et les institutions et qui éloignait de fait l’écriture de chantier du chantier lui-même. Cet aspect doit

Thomas Rapin

105

être intégré à l’apparat critique au moment d’éditer le contenu technique du texte. A contrario ce formalisme offre au chercheur le très grand avantage de produire un ensemble de données sérielles facilement exploitables et qui se prête remarquablement bien au traitement informatique. Dans le cas de Jean de Berry, la saisie a été conduite à travers deux fiches de bases de données, l’une s’attachant aux caractères externes (archivage, données codicologiques, etc.), la deuxième aux caractères internes (texte, annotations, toponyme, patronyme, dates, salaires, etc.). Dès lors, l’édition de texte devient une matière exploitable par requêtes multiples : toponymiques, onomastiques, sémantiques, chronologiques et bien évidemment statistiques. Ce dernier point étant grandement facilité par la possibilité d’intégrer des calculateurs dans les fiches permettant de travailler directement avec les données chiffrées. C’est dire si la forme même de ces registres comptables est une véritable opportunité pour les actuels programmes TEI et le balisage XML des sources anciennes. Enfin, questionner l’écriture de chantier sur son histoire revient à interroger l’administration ducale dans son ensemble et le rôle de ses agents dans la politique monumentale du prince. L’apanage de Jean de Berry eut beau être administré d’une manière remarquablement centralisée, la recherche d’une procédure unique en matière de construction est une entreprise vaine. L’administration adaptait les chantiers à leur environnement propre. Ainsi, les chantiers auvergnats connurent une autonomie très large ne serait-ce que pour des raisons logistiques évidentes : lorsqu’un problème exigeait une expertise du général maître des œuvres, il fallait douze jours pour qu’un messager puisse rallier Bourges et pour ensuite revenir sur le chantier. Cependant les raisons qui régissent l’encadrement des chantiers n’étaient pas dictées uniquement par le contexte. On peut même dire que, d’une manière générale, les comptabilités trahissent bien souvent le désir plus ou moins pressant du commanditaire de voir aboutir ses projets. La volonté du prince est une dimension souvent insaisissable des documents comptables et pourtant elle portait les projets. Le sujet le plus emblématique est celui de l’iconographie, domaine sur lequel les écritures de chantier apportent un témoignage des plus précieux en montrant un commanditaire, aussi cultivé que jaloux de son image, qui se passe de ses services techniques et traite directement avec les artistes. Le prince n’entendait pas laisser à autrui le soin de bâtir son propre mythe. Thomas Rapin Campus des Métiers et de l’Artisanat Indre-et-Loire,  chercheur associé CESR (Tours) UMR 7323

106

Écritures de chantier ANNEXE 1

Les écritures de chantier du duc de Berry

Dates des exercices

Comptes des payeurs des œuvres

Nombre de feuillets conservés

Tableau 1 — Les comptes des payeurs des œuvres de Jean de Berry, 1380-1408 (294 feuillets au total). Seul le compte indiqué en gras est complet

Cote

Désignation

Payeur des œuvres

Début   (ns)

Fin   (ns)

BNF, ms. fr. 20686, fol. 13-20v

Comptes du château de Poitiers

Étienne Gervais

9 fév. 1383

7 fév. 1384

8

BNF, ms. fr. 20686, Comptes du palais et fol. 9-12v et AN, KK 256, du château de Poitiers fol. 1-56v

Étienne Gervais

8 fév. 1384

12 fév. 1385

60

AN, KK 257 A, fol. 1-39v

Comptes du palais et du château de Poitiers

Étienne Gervais

13 fév. 1385

11 fév. 1386

39

AN, KK 257 B, fol. 1-85v

Comptes du palais et du château de Poitiers

Étienne Gervais

12 fév. 1386

10 fév. 1387

85

BNF, ms. fr. 20686, fol. 21-21v

Comptes du palais et du château de Poitiers

Étienne Gervais

11 fév. 1387

29 fév. 1388

1

BNF, ms. fr. 20686, fol. 22-25v

Comptes du château de Lusignan

?

23 sept. 1386

?

4

BNF, ms. fr. 20 686, fol. 42-49v

Comptes du château de Lusignan

Jean Aubereau

2 déc. 1399

29 nov. 1400

8

BNF, ms. fr. 20686, fol. 50-57v

Comptes du château de Lusignan

Jean Aubereau

4 déc. 1402

26 nov. 1403

8

BNF, ms. fr. 11488, fol. 2-5v et AN, KK 255, fol. 1-46v

Comptes du palais de Riom

Jean de Savignon

1er août 1382

1er août 1384

51

BNF, ms. fr. 11488, fol. 6-13v

Comptes du palais de Riom

Jean de Savignon

1er août 1386

1er août 1387

8

Bibl. mun. Saint-Étienne, ms. 109

Comptes du palais de Riom

Jean de Savignon

1er août 1387

1er août 1388

7

BNF, ms. fr. 26027, no 2296-2297v

Comptes du palais de Riom

Jean de Savignon ?

1395

1396

2

BNF, ms. fr. 26023, no 1348-1353v

Comptes du château d’Usson

Jean Bouton

7 déc. 1388

24 mai 1389

6

Thomas Rapin

Nombre de feuillets conservés

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Dates des exercices

Comptes des payeurs des œuvres

BNF, ms. fr. 20686, fol. 8-8v

Comptes du palais de Bourges et du château de Mehun-sur-Yèvre

Huguenin Meschin

21 mai 1380

20 mai 1381

1

AD Cher, 8 G 1166, fol. 1-4v

Comptes du palais de Bourges et du château de Mehun-sur-Yèvre

Huguenin Meschin

21 mai 1381

21 mai 1382

4

BNF, ms. fr. 20686, fol. 58-59v

Comptes du château du Mehun-sur-Yèvre

Jean de Chalemaigne

1er oct. 1407

30 sept. 1408

2

Tableau 2 — Les maîtres des œuvres de maçonnerie de Jean de Berry (1369-1416) Fonction Généraux maîtres des œuvres

Lieutenants du général maître des œuvres

Duché de Berry

Comté de Poitou

Duché d’Auvergne

Guy de Dammartin (1369-1404) Drouet de Dammartin (av. 1392-1413)

Jean Caillou (1384-1385)

Jean Guérart (1382-1408)

Jean Guérart (1384-1409)

Pierre Juglar (1384) Hugues Jolis (1384-1386) Hugues Foucher (1386-1412)

Tableau 3 — Structure des comptes des payeurs des œuvres Recettes

Dépenses

Balance ou solde

Gages à l’année Marchés (payeur des (dépenses Gages œuvres) soldées à la à la Approvisionnement Vacations Journées semaine réception Dons divers ou dépenses d’ouvriers des (maître communes Frais ouvrages) d’œuvre) d’écriture comptable Régie (dépenses soldées chaque semaine)

A

B

A–B

108

Écritures de chantier

Tableau 4 — Poitiers. Dates de reddition et de clôture des comptes d’Étienne Gervais à la chambre des comptes de Bourges Exercice

Date de reddition des comptes

Date de clôture des comptes par les auditeurs

Fév. 1382-fév. 1383

?

?

Fév. 1383-fév. 1384

mars 1392

?

Fév. 1384-fév. 1385

mars 1392

17 mai 1392

Fév. 1385-fév. 1386

19 avril 1392

17 mai 1392

Fév. 1386-fév. 1387

26 avril 1392

17 mai 1392

Fév. 1387-fév. 1388

?

?

Tableau 5 — Reconstruction du premier compte de Jean de Savignon (1 août 1382-1er août 1384) et schémas des quatre premiers cahiers incomplets. P : côté poil ; C : côté chair ; les feuillets disparus sont indiqués en gris pâle BNF ms. fr. 11488

er

Dépôt

Fol. Cahier n

o

AN, KK 255

2-5v

1-6v

7-14v

15-22v

23-30v

31-38v

39-45v

46-46v

I

II

III

IIII

V

VI

VII

VIII

État Cahier complet

Cahier incomplet

Premier cahier (BNF, ms. fr. 11488, fol. 2-5v)

et deuxième cahier (AN, KK 255, fol. 1-6v)

Thomas Rapin

109

Troisième cahier (AN, KK 255, fol. 7-14v)

et septième cahier (AN, KK 255, fol. 39-45v)

Tableau 6 — Poitiers, résultats présentés (en livres tournois) par Étienne Gervais à la chambre des comptes de Bourges. La deuxième partie du tableau montre ces mêmes résultats après correction par les auditeurs lors de la clôture des comptes en mai 1392 (en gris) Exercice

Résultats présentés par Étienne Gervais Recettes Dépenses

Solde

Résultats corrigés par les auditeurs Recettes Dépenses

Solde

Fév. 1383-fév. 1384

2 900

2 900

Fév. 1384-fév. 1385

5 352

5 352

6 109

– 757

Fév. 1385-fév. 1386

11 090

9 944

+ 1 146

6 000

9 944

– 3 944

Fév. 1386-fév. 1387

12 886

12 310

+ 576

16 256

12 310

+ 3 945

110

Écritures de chantier ANNEXE 2

Comptes de la baronnie de Graçay (duché de Berry)

Figure 1 — Compte de la baronnie de Graçay (1396-1397). Deux marchés au chapitre « œuvres » (procédure ordinaire). Bourges, AD Cher, 8 G 2122, fol. 60, cl. T. Rapin

Thomas Rapin

111

Figure 2 — En-tête du cahier additionnel enregistrant les travaux commandés par la duchesse de Berry et conduits par Jean Guérart, lieutenant de Drouet de Dammartin. Bourges, AD Cher, 8 G 2122, fol. 64, cl. T. Rapin Transcription « Euvres et reparacions faites en l’ostel de Genouilly par le commandement et ordonnance de ma dame la duchesse de Berry es moys de septembre, octobre et novembre de CCC IIIIXX et dix sept et aussi par l’ordenance de Jehan Guerart, lieutenant general de maistre Dreux de Dampmartin, general maistre des euvres de mon seigneur le duc de Berry et d’Auvergne, comte de Poitou et de Boulongne, paiez par mandement tant de madite dame comme pour la chambre des comptes ; lesquelles euvres ont esté faites, parfaites et receues par ledit Jehan Guerart en la forme et maniere contenue en ung quaier de papier certiffié soubz son saing manuel et scellé de son seel le XXIIe jour de juillet mil CCC IIIIXX dix et huit, rendu a court. »

112

Écritures de chantier

Figure 3 — Présentation caractéristique de travaux menés en régie : nombre de jours travaillés, par individu et par corps de métier. Journées de maçons et de manœuvres, semaine du 8 octobre 1396. AD Cher, 8 G 2122, fol. 69v, cl. T. Rapin

1200

1000

800

600

400

lacune

travaux

Graphique 1 — Graçay et Genouilly, part allouée aux travaux dans les dépenses annuelles (en livres tournois) d’après les comptes de la baronnie de Graçay (1372-1416)

1415-1416

1412-1413

1411-1412

1410-1411

lacune

1409-1410

1407-1408

lacune

1406-1407

lacune

1404-1405

1400-1401

lacune

dépenses courrantes

1399-1400

lacune

1397-1398

lacune

1395-1396

1393-1394

1392-1393

1391-1392

1390-1391

lacune

1389-1390

1378-1379

1377-1378

1376-1377

1375-1376

1374-1375

1373-1374

0

1372-1373

200

Fils et filles de roi de France, du xiie au xve siècle : du lignage au royaume Olivier Guyotjeannin

T

rès tôt, les cadets capétiens se sont proclamés, dans leurs actes et sur leur sceau, « fils de roi » ou plus tard « fille de roi », un usage qui en dit long sur la solidarité, au moins proclamée, au sein d’un lignage dont Andrew Lewis a finement interprété les stratégies familiales avisées au plan anthroponymique, patrimonial, politique…, au regard des pratiques nobiliaires du temps, dans une large première période qui court du xe au xiiie siècle1. L’affaire est presque entendue : les « fils de roi » sont partout, ou presque, et presque de tous les temps. Dans une première période au moins, jusqu’au règne de Louis IX, qui dit « fil  » dit avant tout « héritier », voire « apanagiste »2. La généralisation du titre, dans le même temps étendu aux fille 3, entre les règnes de Louis IX et de Philippe IV, traduit concurremment l’appartenance à un sang, à un lignage, à un lignage saint, à une nation qu’il subsume et dont il prend le nom, « de France » – un quasi-patronyme, réduit à « Capet » par la dérision révolutionnaire. Ces usages royaux sont d’autant plus visibles que les dignitaires non-capétiens du royaume n’affichent que minoritairement des formules équivalentes, dévoilant, de façon aussi explicite que ponctuelle, des

1. Andrew W. Lewis, Le sang royal : la famille capétienne et l’État (éd. orig., Royal Succession in Capetian France: Studies on Familial Order and the State, 1981), trad. fr. Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1986. 2. C’est ainsi que Andrew Lewis, Le sang royal…, op. cit., p. 216-218, rend compte du fait que Robert d’Artois, qui est le seul de sa génération et de la suivante à ne pas recevoir de terres conquises par le roi, est aussi le seul à ne jamais se dire fils ou frère du roi dans ses actes (et seulement sur deux sceaux). 3. Voir désormais la belle étude d’Anne-Hélène Allirot, Filles de roy de France : princesses royales, mémoire de saint Louis et conscience dynastique (de 1270 à la fin du xive siècle), Turnhout, Brepols (Culture et société médiévales, 20), 2010. L’auteur a souligné avec force que l’apparition et la rapide diffusion du titre « filial » chez les femmes remonte à la génération des filles de Louis IX, qu’il accompagne la mise au point des règles de succession royale, et qu’il a très vite à faire avec la proclamation (officieuse puis officielle) de la sainteté du roi ; on peut insister aussi sur le fait que, au rebours des garçons, l’accession à la qualité de reine, par mariage avec un souverain étranger, n’entraîne pas l’abandon du titre… sauf, semble-t-il, en Angleterre. Jean de Berry et l’écrit : les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

114

Fils et filles de roi de Franc

filiations qui assoient revendications et argumen ations dans le cadre de successions embrouillées ou contestées, dans le cadre parfois aussi de mariages hypergamiques. Du coup, la formule qui s’impose très vite après quelques flottements, non pas seulement « fils/fill du roi », mais « fils/fill de roi de France », et encore, collectivement, « enfants de France », semble importante moins par son emploi lui-même que par son caractère massif, presque systématique, que par les étapes de sa fixation, que par sa rigidité assortie d’une marge de variation, parfois lourde de sens ou de sous-entendus. La formule frappe, en effet, par sa dépersonnalisation : « fils de roi de France » n’est pas « fils du roi de France », une variation occultée, à vrai dire, dans tous les actes rédigés en latin (filius regis dans les deux cas), mais aussi sur les sceaux, qui persistent dans l’emploi du latin pendant tout le Moyen Âge (seuls les sceaux de filles du roi passent au français dans les années 1360).

Les sources Les sources sont nombreuses et dispersées, et se répartissent en deux grands ensembles – actes et sceaux – qui ont leur caractère, leur tempo, leurs codes propres, et se trouvent parfois en discordance. Les sceaux Je mets en tête les sceaux des intéressés, qui forment une série fournie (surtout à compter du xiiie siècle) ; tout récemment recensés et publiés avec soin, ils sont globalement plus homogènes et plus stables que les actes, plus rigides aussi : sans doute, leur commande était-elle plus centralisée (face aux titulatures parfois plus volatiles que des rédacteurs occasionnels pouvaient mettre en tête des actes4) et, du coup, leur message plus ferme, moins inventif aussi et d’autant plus marqué d’une certaine inertie que leur détenteur n’est pas grand prince (un sceau ancien peut être utilisé après un changement de titulature). Pour la France médiévale, ces sceaux nous sont connus par deux volumes de la même entreprise : d’une part, le corpus des sceaux des 4. La constatation vaut d’autant plus aux siècles les plus anciens, où la fréquente rédaction par le destinataire brouille les cartes et doit rendre extrêmement prudent. Andrew Lewis, Le sang royal…, op. cit., p. 204, rappelle ainsi que, sur neuf chartes intitulées au nom de Robert Ier, duc de Bourgogne, cinq ne mentionnent rien d’autre que le titre ducal, quand les quatre autres proposent des variations qui vont de « fils du roi Robert » à « fils du roi Robert, frère de son fils le roi Henri ». À l’opposé, dans les deux derniers siècles du Moyen Âge, il faut avouer l’ignorance où nous sommes des modalités et des effets exacts de la présence de notaires et secrétaires du roi dans les « chancelleries » des princes du sang, une fois que l’on a posé l’hypothèse de leur rôle dans l’homogénéisation des pratiques.

Olivier Guyotjeannin

115

rois, qui intègre les sceaux utilisés avant leur avènement, comme fils aînés du roi, héritiers présomptifs (primogenitus apparaît pour le futur Louis VIII), mais plus jamais associés au trône du vivant de leur père, à partir du règne de Philippe Auguste, autrement dits leurs sceaux ante susceptum, employés avant leur accession au trône (et la plupart du temps jusqu’à leur sacre)5 ; d’autre part, les sceaux des fils cadets et des filles, recensés conjointement avec ceux des reines6. Les actes En parallèle, il convient d’examiner les titulatures auto-référentielles données en tête des actes – que leur libellé vienne de l’auteur de l’acte lui-même ou d’un rédacteur plus ou moins proche, agissant de son initiative ou suivant les directives de la chancellerie… ou tout à la fois. Cette partie du discours où se dévoile l’auteur, dite en jargon « suscription » ou intitulatio, a de tout temps fasciné les diplomatistes, qui ont consacré trois congrès, et autant de volumes d’actes, aux intitulationes des souverains latins jusqu’au seuil du xiiie siècle, sous le sobre titre d’Intitulatio7. Cette source, foisonnante et éclatée, plus sujette à variations que les sceaux, dépend de l’avancement et même de l’existence de corpus d’édition et d’instruments de recherche adéquats… Elle demande en tous cas, pour un recensement large, plus de temps que je n’ai pu y consacrer : ont été prospectées des éditions de tout genre et de bon rapport, des Preuves de l’Histoire générale du Languedoc8 à la récente enquête de Philippe Charon, qui a consacré un volume entier de son habilitation à diriger des recherches aux documents « illustrant les relations diplomatiques de Charles de Navarre »9 ; mais aussi quelques 5. Archives nationales, Corpus des sceaux français du Moyen Âge, t. II, Les sceaux des rois et de régence, Martine Dalas (éd.), Paris, Archives nationales, 1991 [désormais : Sc. t. II]. Les deux seuls rois médiévaux qui n’ont pas attendu leur sacre pour se faire représenter en majesté sont Philippe III et Charles VII. 6. Archives nationales, Corpus des sceaux français du Moyen Âge, t. III, Les sceaux des reines et des enfants de France, Marie-Adélaïde Nielen (éd.), Paris, Service interministériel des Archives de France, 2011 [désormais : Sc. t. III]. 7. Intitulatio, t. I : Lateinische Königs- und Fürstentitel bis zum Ende des 8. Jahrhunderts ; t. II : Lateinische Herrscher- und Fürstentitel im 9. und 10. Jahrhundert ; t. III : Lateinische Herrschertitel und Herrschertitulatur vom 7. bis zum 13. Jahrhundert, Graz/Cologne, 1967-1989 (Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, Ergänzungsbände, 21, 24, 29). 8. Histoire générale du Languedoc, 2e éd., revue sous la dir. d’Auguste Molinier, Toulouse, Privat, 1872-1904, 16 vol. [désormais : HgL]. 9. Mémoire inédit, 2e partie, Traités, correspondance et extraits de chroniques illustrant les relations diplomatiques de Charles de Navarre (Rouen, janvier 2016, garante Élisabeth Lalou) [désormais : Charon, HdR, t. I].

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Fils et filles de roi de Franc

fil ns archivistiques : Trésor des chartes du roi (Archives nationales, série J) pour les layettes désignées par un nom de principauté ; Trésor des chartes des ducs de Bretagne (inventaire détaillé et reproductions numérisées en ligne) ; actes du Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France accessibles en ligne via Gallica… Les données ainsi recueillies, sceaux et actes confondus, figurent au tableau donné en annexe, dont on redit tout le caractère lacunaire et provisoire.

Jean de Berry À tout seigneur, tout honneur. L’appellation « fils de roi de France » est particulièrement prégnante dans le corpus des actes de Jean de Berry (au moins dans la modeste part que nous avons déjà en mains) : en confondant les actes déjà transcrits ou simplement numérisés, nous jouons ici sur un corpus de sept sceaux et 86 actes, étagés sur un demi-siècle, de 1365 à 1415, 74 en français, 12 en latin. Au premier abord, le corpus des titulatures d’actes frappe par sa systématicité : exception qui confirme la règle, les deux seuls actes qui n’ont pas le titre « filia  » sont tous deux des « lettres de par le duc », un genre d’acte en forme de lettre, qui sert à la communication et à l’injonction pressante, autant que dépersonnalisée, et qui exclut par principe tout autre ingrédient de la titulature, comme c’est le cas des « lettres de par le roi » françaises et anglaises ; encore le contexte troublé peut-il amener à donner un surcroît de force à la formule, ainsi pour le futur Charles V (tabl. no 3310), mais en laissant tomber le « fils de roi ». Pour le reste, le titre « filia  » est toujours présent, dans la même forme, à la même place (en tête de la titulature) : « filz de roy de France » ; une qualité naturelle, suivie parfois de fonctions de gouvernement (régent, lieutenant) et toujours de dominations territoriales. La généralisation, pourtant, est trompeuse, car les actes latins sont affectés de variations inattendues, plutôt à la marge : • le balancement entre Francorum (que la chancellerie maintenait pour le roi) et Francie ; • et plus encore, en trois occurrences, l’apparition d’un titre long, regis quondam Francorum filiu , « fils du feu roi de France », qui ancre la formule dans l’histoire familiale (je ne suis pas arrivé à déterminer si et pourquoi cette variante était en rapport avec le contenu des actes concernés).

10. Tableaux ci-après en annexe.

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La génération Berry Les communautés sont frappantes avec les congénères du duc de Berry. Il semble simplement, mais il y faudra des dépouillements complémentaires, que les titulatures du duc de Bourgogne Philippe le Bon soient plus volatiles (de même que des quatre frères/beau-frère de Charles V, il est le seul à ne pas se faire représenter debout sur l’un ou l’autre de ses sceaux). Le latin des légendes de sceaux, qui montre de remarquables synchronies entre les trois fils cadets de Jean le Bon (Anjou, Berry et Bourgogne), est lui aussi bigarré : • ici encore l’on relève des allers-retours entre Francorum et Francie, rétifs à toute tentation d’explication ; • au-delà, se forgent des formules limitées apparemment aux sceaux, et apparemment concertées entre (ou pour) les trois cadets, avant tout filii regis et paris Francie – la dernière qualité étant aussi systématique sur les sceaux que quasi absente des actes écrits (tabl. nos 34-36). Le lien se fait rapidement avec l’un des types sigillaires de Berry (troisième grand sceau), une manière de demi-majesté, là encore commune avec Anjou (et plus loin Bourbon), qui insiste, sceau et titulature confondus, sur la position éminente, près du roi, de ceux que l’on appelle aussi « princes du sang » – à compter des années 1340, au cœur du conflit franco-anglais, pour Charles de Miramon, qui voit une flexure majeure dans la conception de « sang héréditaire » au début du xive siècle, dans la littérature de fictio 11. Encore faut-il remarquer que plusieurs nobles du royaume (Rohan, Coucy…), tout comme Pierre d’Alençon, Jean IV de Bretagne, le futur Charles VII en sa qualité de dauphin (1422), empruntèrent le même mode de représentation, exactement comme on le voit dans l’Empire12. C’est par contre le français qui se montre (une fois seulement) instable quand la référence au père est doublée d’une référence au frère alors sur le trône : « filz de roy de France, frere de monseigneur le roy », dit Berry en 1374 (pour un accord territorial avec Charles V). Le trait se répète en 1372 chez Louis d’Anjou (tabl. no 34) et en 1404 chez Louis d’Orléans (tabl. no 40),

11. « Aux origines de la noblesse et des princes de sang. France et Angleterre au xive siècle », dans L’hérédité entre Moyen Âge et époque moderne. Perspectives historiques, dir. Ch. de Miramon et Maaike van Der Lugt, Florence, Sismel (Micrologus Library), 2008, p. 157-210. On peut remonter à 1332-1335 pour l’expression « seigneurs du sang de France », mais dans une pièce de circonstance, l’appel à la croisade de Philippe de Vitri : Anne-Hélène Allirot, Filles de roy…, op. cit., p. 14, n. 4, qui s’appuie sur Bernard Guenée. 12. Andrea Stieldorf, Siegelkunde: Basiswissen, Hanovre (Hahnsche Historische Hillfswissenschaften, 2), 2004, p. 79.

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là encore pour un acte patrimonial/familial fort, le mariage de son fils Charles d’Orléans. Systématique, rigoureuse, mais parfois plastique, souvent concertée avec celle de ses frères, la titulature « filial  » de Berry et de ses frères s’enracine aussi dans une vieille pratique, que nous ne pouvons décrire qu’à l’aide des sceaux, complétés de quelques actes.

Le temps des créations Remontons dans le temps. Le « moment » Philippe Auguste est important, Andrew Lewis y a déjà insisté, à la mesure de la modification des pratiques de la succession royale. Un acte rare vient montrer que les rapports de pouvoir et de titulature entre le roi et son fils, héritier non associé à la couronne comme l’avaient été, tôt ou tard, les sept premiers Capétiens, conditionnent avec beaucoup de précision et de cohérence les actes du prince Louis, futur Louis VIII : faute d’original, deux copies nous font connaître un acte délivré par celui-ci en 1212, en faveur des moniales d’Avesnes-lès-Bapaume13 : « aîné du roi de France » (Francorum, disent les copies, alors que le sceau ante susceptum de Louis porte Francie), le prince royal a un sceau (de type équestre), un monogramme propres, mais l’année de règne, les grands officiers, la chancellerie sont ceux de son père. Le Guido d’Acheres cité dans la souscription de chancellerie anime sans doute le service d’écriture délégué de la chancellerie royale auprès du prince14. Il faut encore remonter d’une génération, car c’est en fait l’époque de Louis VII qui voit naître la pratique du « titre filia  », dans l’usage comme dans l’éventuel abandon : ainsi de son frère cadet Henri (tabl. no 1) quand il passe de la très patrimoniale charge de trésorier de Saint-Martin-de-Tours à l’état d’évêque – ce qui surviendra plus tard, avec des variantes multiples, quand un cadet « fils de roi de France » deviendra roi hors de France (en dehors de droits héréditaires), par exemple Charles d’Anjou/Provence (tabl. no 11).

13. Éd. Pierre Bougard et Bernard Delmaire, Le cartulaire et les chartes de l’abbaye de femmes d’Avesneslès-Bapaume, 1128-1337, Turnhout, Brepols (Artem, 19), 2014, no 68, p. 127. Il est d’autant plus difficile de trouver d’autres témoins de ces pratiques que le catalogue des actes de Louis VIII donné en annexe de la biographie de Charles Petit-Dutaillis, Étude sur la vie et le règne de Louis VIII, 1187-1226, Paris, Émile Bouillon (Bibliothèque de l’École des hautes études, Sciences philologiques et historiques, 101), 1894, ne porte que sur les années du règne. 14. Ludovicus, domini regis Francorum primogenitus… Quod ut perpetuum robur obtineat, presentem paginam sigilli nostri auctoritate et nostri nominis karactere inferius annotato precepimus confirmari. Actum apud Bapalmas anno Domini Mo CCo duodecimo, regni vero karissimi domini et genitoris nostri anno tricesimo tercio, astantibus in palatio ejusdem patris nostri quorum nomina supposita sunt et signa…

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Louis VI avait eu un sceau spécial, mais comme rex designatus (Sc. t. II, 65). Louis VII et Philippe Auguste, les deux derniers à jouir de l’association au trône par un roi affaibli, n’en eurent pas, de connu tout du moins – il est vrai que leur accession au trône comme seul roi régnant intervint peu de temps après leur association. L’effervescence est donc frappante durant le règne de Louis VI et surtout de Louis VII, où, il est vrai, l’usage du sceau se diffuse ; mais elle ne trahit aucune concertation sur la titulature : un seul Francie (qui déjà, notons-le, s’oppose au Francorum) ; un comme fils de roi (sans doute du vivant de son père), deux comme frères (de Louis VII), un comme fils et frère ; aux cas cités, il faut ajouter celui de Constance (Sc. t. III, 51), épouse puis divorcée de Raimond V, qui ne se dit pas « fille de roi », mais se fait représenter trônant en majesté… Pour les abandons, le cas de Courtenay n’est pas clair ; celui de Henri l’est : fil de roi quand il tient la prestigieuse et très lignagère charge de trésorier de Saint-Martin de Tours, il abandonne le titre quand il entre dans un autre état, l’épiscopat. Les filles de Louis VII, malgré de beaux mariages, gardent la mention de leur père. Plus tard par contre, celles qui deviennent reines d’Angleterre laissent tomber la référence « filial  ». La situation se clarifie sous Philippe Auguste, qui, on l’a déjà rappelé, inaugure le régime de la succession automatique, sans association au trône : deux sous-corpus se forment alors : les sceaux des aînés, dits simplement fils, puis « aînés » (sceau ante susceptum), ceux de leurs cadets, sur qui rejaillit la rigoureuse définition du statut de l’aîné. Pour le primogenitus, on peut créditer l’expression d’un relief assez visible pour se voir empruntée par des cousins ambitieux (le futur Philippe VI, aîné de son père Charles de Valois), mais il est vrai qu’elle est aussi utilisée en dehors de la famille royale (Bretagne, Dauphiné, Flandre) dès les années 1260-1290. Quant aux cadets et aux bâtards, ils n’avaient que des choix limités, mais une petite marge de manœuvre : du vivant de son père Philippe Auguste, Philippe Hurepel se dit « fils du seigneur roi de France » (et « fils du roi de France » sur son sceau), un titre qu’il abandonne au profit de ses seuls titres comtaux dans les actes qu’il passe sous Louis VIII et Louis IX. Les formules sont standardisées pour les fils de Philippe Auguste et de Louis VIII : filii regis Franc’. Mais dans le courant du xiiie siècle, il demeurait encore une certaine souplesse, comme en témoignent plusieurs cas relevés par Andrew Lewis. Le frère de Louis IX Robert d’Artois est ainsi le seul de sa génération à se dire « frère du roi de France » ; et encore le fait-il sur son sceau, alors que la suscription de ses actes ne souffle mot d’un rapport au père ou au frère. Cela tient pour Lewis au fait qu’il fut de sa génération le seul à ne

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pas recevoir une terre conquise par le roi. Une génération plus tard, Robert de Clermont, fils de Louis IX, offre un cas plus riche encore : il est désigné comme « fils du roi de France, comte de Clermont », puis, après la canonisation de son père, comme « fils de monseigneur Saint Louis » ; son héritier Louis est « fils aîné du comte de Clermont, seigneur de Bourbon » avant de succéder à son père ; il se dit alors simplement « comte » et plus « fil  »15.

Aux marges du lignage capétien Les ducs Valois de Bourgogne offrent une riche palette de solutions, où sans l’ombre d’un doute se traduit de façon progressivement plus marquée leur souci d’afficher leur différence16. Philippe le Hardi suit d’abord l’usage commun imposé aux fils de Jean le Bon : filii regis Francorum sur son premier sceau secret, filii regis et paris Francie sur le deuxième (1385) et sur son premier grand sceau (1385-1386) ; puis il laisse tomber le paris Francie sur ses grands sceaux suivants, à compter de 1389, pour toujours demeurer fils de roi de France, filii regis Francie, regis Francorum fili , alors que Berry et Anjou gardent le « pair de France » presque sans exception (tabl. no 36). Ce modeste indice d’une prise de distance encore très limitée se renforce sous ses successeurs. Dès 1390, en la personne du futur Jean sans Peur, alors comte de Nevers et baron de Donzy, le « patronyme » de Burgondia apparaît comme une réplique du « de France », sur les deux premiers d’une série de petits sceaux armoriaux (1390 et 1399)17 ; il est combiné, sur le troisième type, en primogeniti Burgundie18. Toujours avant leur avènement, toujours sur des sceaux armoriaux et tous deux comme comtes de Charolais, Philippe le Bon se dira primogeniti ducis Burgundie (1412-1419)19 et Charles le Téméraire, à nouveau, de Burgundia (1451-1467)20. En dehors du lignage capétien et de ses différentes branches, la pratique est diffuse, mais au total rare, relativement normalisée encore que plus variée, à la fois segmentaire et lourde de sens. Un rapide dépouillement de la collection

15. Andrew Lewis, Le sang royal…, op. cit., p. 215 et 234-235. 16. Par le truchement de la détention du comté de Flandre, on bénéficie ici des mises au point solides de René Laurent, Les sceaux des princes territoriaux belges du xe siècle à 1482, Bruxelles, Archives générales du royaume, 1993, 3 vol. [désormais : Laurent], spéc. t. I/2. 17. Laurent, t. I/2, Bourgogne 12 et 13. 18. Laurent, t. I/2, Bourgogne 14. 19. Laurent, t. I/2, Bourgogne 21. 20. Laurent, t. I/2, Bourgogne 46.

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des moulages entrepris et catalogués par Louis Douët d’Arcq aux Archives nationales suffit pour s’en convaincre21. Alençon DdA 887. Jeanne de Châtillon. 1271. Filie comitis Bles’. Comtes d’Auvergne DdA 392. Robert fils du comte Robert. 1314 ? Filii comitis R. Claromontis. Bourgogne DdA 465. Eudes, futur Eudes III. 1190. Filii comitis Burgundie. DdA 447. Eudes de Bourgogne, duc de Bourbon par mariage. 1255. Filii Hugonis ducis Burgundie. – Voir aussi une empreinte de 1259, Filii ducis Burgondie, reproduite par un copiste de Gaignières (BnF, ms. lat. 17133, p. 312). Bretagne DdA 535. Yolande fille de Pierre Mauclerc. 1253. Filie P. comitis Britanie. DdA 540. Arthur fils aîné de Jean II. 1296. Primogeniti J. ducis Britanie. Champagne DdA 571. Edmond, comte de Champagne par alliance. 1286. Filii regis Anglie. Dauphiné DdA 600. Jean aîné d’Humbert. 1295. Primogeniti Humberti Dalphini Viennensis. Les Châtillon comtes de Saint-Pol DdA 366. Gui de Châtillon, futur comte de Saint-Pol. 1221. Filii com[itis Sancti Pau]li. – DdA 365. Même appellation pour son frère Hugues, 1221. DdA 372. Jacques, deuxième fils du comte Gui III. 1289. « Fil le comte de Saint Pol ».

Couverte par une enquête récente et nourrie, la Flandre montre encore mieux la conjonction de ces différents traits22. Laurent, t. I/1, Flandre 23. Baudouin, futur Baudouin IX. 1193-1194. Filius marchionis Namurci. Laurent, t. I/1, Flandre 38. Marguerite de Constantinople avant son accession au comté. 1229-1244. Sororis comitisse Flandrensis et au contre-sceau Filie comitis Flandrie.

Le cas le plus exceptionnel est celui de Guillaume de Dampierre, régent du comté de 1246 à sa mort en 1251, et dont le sceau porte Heredis Flandrie – un sceau qu’il continue à utiliser quand, après avoir prêté hommage au roi de

21. Louis Douët d’Arcq, Catalogue de sceaux [des Archives de l’Empire], Paris, 1863-1868, 3 vol. [désormais : DdA]. 22. R. Laurent, t. I/1.

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France, il prend en tête de ses actes le titre de « comte de Flandre » (Laurent, t. I/1, Introduction, p. 111 = Flandre 42-43). Laurent, t. I/ 1 , Flandre 45-46. Guy de Dampierre, frère et successeur de Guillaume, comme régent avant son accession au comté. 1249-1250, au contresceau Filii comitisse Flandrie. Laurent, t. I/1, Flandre 53-54, 55-56, 57-58, 59-60. Robert de Béthune avant son avènement. 1265, 1265-1272, 1273-1295, 1296-1305. Primogeniti comitis Flandrie.

Essai d’interprétation Andrew W. Lewis a bien démonté la logique de l’appellation « filial  » ; sa variabilité aussi, de forme et d’emploi, due largement à la polyphonie d’actes établis en « chancellerie » ou par les destinataires. Toute sa démonstration est centrée sur la relation entre les titres (possiblement déformés par les traditions « de chancellerie ») et l’aménagement lignager de la famille capétienne, en tout premier lieu autour du droit en construction de l’apanage, qui se fixe par à-coups sous les derniers Capétiens directs depuis le règne de Louis VIII. Ce volet « patrimonial » de l’usage est incontestable, mais il ne saurait rendre compte de tout : on voit mal pourquoi donner du « fille de roi », ou encore du « fils de roi » à des non-apanagistes. Inversement, la stricte attribution du titre à des fils/frères de roi, à l’exclusion des descendants, rapproche du droit de l’apanage, qui revenait au roi en l’absence d’héritier de l’apanagiste ; en cas contraire, la qualité de fils de roi se dissolvait dans la succession. Les motifs sont donc pluriels. La force des relations manifestée par l’épithète « fils de roi » se combinait à la généralisation du même titre à tous les membres de la famille, pris génération par génération, et relevait de la gestion lignagère plus largement que des politiques patrimoniales. Il y avait eu auparavant des princes capétiens (fondus dans la noblesse et pas forcément éminents), et qui dans une titulature variée pouvaient ou non renvoyer au roi (dont ils se disaient fils, ou frère, voire oncle…). Ces fluctuations étaient en rapport avec le caractère de la production des actes. Elles se modelaient aussi sur les circonstances de l’acte : en plein xiiie siècle encore, le contexte précis (par exemple des affaires réglées dans des terres d’Empire : tableau, nos 10 et 12) explique l’absence de titre « filial » chez Alphonse ou Charles, ou au contraire son emploi (par exemple quand l’acte concernait l’apanage de l’intéressé23). En bref, elles étaient fonctionnelles, avant d’être normalisées.

23. Andrew Lewis, Le sang royal…, op. cit., p. 218.

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Le sens de l’évolution semble s’écrire dans la normalisation (incomplète) des formules. Incomplète parce que, même plus tard, elles gardent potentiellement le pouvoir de s’orner de précisions, et montrent, en bref, un mélange de rigueur et (parfois) de flottement ou de jeu personnel, de traditions plus ou moins gauchies, ainsi quand, en 1475, « Charles d’Anjou, filz et neveu de roy de Jherusalem, de Sicile, d’Aragon… » déployait et condensait les titulatures pour dire sa fierté d’être angevin24. Le titre, d’ailleurs, ne recouvrait pas tout ; il visait le court terme d’une première génération ; il était par nature immergé dans le présent : il n’y avait pas de « petit-fils de roi ». D’autres expressions apparurent alors. Le qualificatif « de France », qu’Andrew Lewis appelle joliment le « nom de famille » des Capétiens, permettait d’élargir l’emprise du lignage capétien quand d’autres titres venaient à manquer. Ce qualificatif « de France » semble apparaître subrepticement en 1299 (à propos de Louis d’Évreux, dit « Louis de France ») puis en 130325. L’évolution s’accélère aux années 1310. Pour Lewis, la pratique trouverait son origine dans un processus oral, diffus, adopté et contingenté plus tard par la chancellerie. Il permet de regrouper, alors que le titre « filia  » dénote et sépare. Il faudrait vérifier aussi une possible coïncidence chronologique avec le moment (sous Philippe le Bel ?) où le connétable du roi devient « connétable de France ». Les « princes debout » de l’époque de Jean de Berry forment un état intermédiaire entre roi et princes territoriaux ; ils participent de la sainteté lignagère (Saintes-Chapelles), sont éminents, prêts à assurer le rôle de conseil, disponibles pour assurer une régence. Le concept de « prince du sang » confortait le mouvement, même si l’expression était d’emploi plus large et diffus, et n’avait pas vocation à pénétrer l’intitulatio. Inscrit au plus intime de la succession des générations, et au plus contemporain de la politique, expression parmi d’autres d’une construction familiale brillante et fragile, le « fils de roi » fut ainsi l’un des multiples outils qui permit aux Capétiens de projeter le lignage sur le royaume. Olivier Guyotjeannin École nationale des chartes/Centre Jean Mabillon, PSL

24. AN, J 179 B, no 104, or. 25. Andrew Lewis, Le sang royal…, op. cit., p. 235.

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Fils et filles de roi de Franc ANNEXE

Tableau des appellations des fils et filles du roi sur leurs sceaux et dans leurs actes Abréviations pour les types de sceaux : gs = grand sceau ; ps = petit sceau ; cs = contre-sceau. Titre sur un sceau

Référence corpus

Titre sur un acte

Références

Abandon

Enfants de Louis VI 1. Henri clerc

Regis filiu Sc. t. III, 52 (trésorier de SM de Tours)

Abandonné quand il devient évêque

2. Robert comte de Dreux

Fratris regis Francie

Sc. t. III, 56 (gs, 1159)

Ne mentionne pas le comté de Dreux

3. Pierre de Courtenay

Fratris regis

Sc. t. III, 57 (gs, 1170)

Un autre sceau s. d. remplace par « Dominus Curtiniaci »

4. Philippe abbé

Regis filiu et frater

Sc. t. III, 59 (avant 1157) Enfants de Louis VII

5. Marie de Champagne

Regis Francorum fili

6. Alix de Blois [… Fr]anc’

Sc. t. III, 60 (gs, 1184)

Conservé dans son 2e sceau et sans doute dans le suivant

Sc. t. III, 63 (1187, 1197) Enfants de Philippe Auguste

7. Futur Louis VIII

Filii regis Francie

Sc. t. II, 74 (1214)

8. Philippe Hurepel

Filii regis Francie

Sc. t. III, 64 (1226)

Domini regis Francorum primogenitus

Enfants de Louis VIII 9. Robert d’Artois

Filius regis Francie

Sc. t. III, 65 (gs, 1237)

Cartul. de l’abbaye d’Avesnes

Olivier Guyotjeannin Titre sur un sceau 10. Alphonse de Poitiers

125 Référence corpus

Filius regis Francie

Sc. t. III, 66 (gs comme comte de Poitiers, 1249)

[…]ie

Sc. t. III, 67 (gs comme comte de Poitiers et Toulouse, 1254) mais le contre-sceau abandonne la fleu de lys pour la croix de Toulouse

Titre sur un acte

11. Charles d’Anjou

Filii regis Franc’ Sc. t. III, 70 (gs Fuiz lou roy de Filius regis 1251, 1254) France Franc’ Sc. t. III, 71 (gs, 1248) et 72 (gs, 1277)

12. Alphonse et Charles

Filii regis Francorum

Bulles communes Sc. t. III, 77-79 (1266-1270) Enfants de Louis IX

13. Futur Philippe III

Domini regis Francorum primogeniti

Sc. t. II, 80 (1267)

14. Isabelle reine de Navarre

Légende largement détruite, commence par la Navarre

Sc. t. III, 80 (1271)

15. Pierre d’Alençon

Filii regis Francorum

Sc. t. III, 81 (gs, 1271)

16. Blanche infante de Castille

Filie regis Franc’ Sc. t. III, 82 (1298)

Références

Abandon La filiatio est abandonnée sur les bulles comme comte de P. et de T. et marquis de Provence (Sc. t. III, 68-69, 1257-1263)

Cité dans acte de Robert de Honmez a/s litige : AN, J 178, no 29 (1260, or.)

Abandonné comme roi de Sicile (Sc. t. III, 73) ; idem comme roi de Jérusalem et de Sicile (AN, J 179 B, no 39, 1277, or.)

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Fils et filles de roi de Franc Titre sur un sceau

Référence corpus

17. Robert de Clermont

Filii regis Francorum

Sc. t. III, 83 (gs, s. d.)

18. Agnès de Bourgogne

Filie regis Francorum

Sc. t. III, 84 (gs, 1303)

Titre sur un acte

Références

Abandon

Enfants de Philippe III 19. Futur Philippe IV

Primogeniti Sc. t. II, 84 regis Francorum (1285)

20. Charles de Regis Francie Valois fili

Sc. t. III, 86 (gs, Filz de roy de 1303) et 87 (gs, France 1320)

21. Louis d’Évreux

Sc. t. III, 91 (gs, 1300)

Filii regis Francie

22. Marguerite reine d’Angleterre

AN, J 178 B, no 60 (1294, 1300, cop.). J 179 A, no 73 (1309, or.) ; no 84 (1314, or.). J 179 B, no 7, titre cité par le sire de Craon (1318, or.)

Sc. t. III, 93

Enfants de Philippe IV 23. Futur Louis X

Regis Francie primogenitus

Sc. t. II, 90 (1315), comme roi de Navarre

24. Futur Philippe V

Regis Francie fili

Sc. t. II, 94 (1314-1316)

25. Isabelle d’Angleterre

-

26. Jeanne de Navarre

Regis Francie fili

Sc. t. III, 96 (gs, 1336)

27. Jeanne de Bourgogne

Filie regis Francie

Sc. t. III, 99 (gs, 1339, 1341)

Enfants de Louis X, Philippe V, Charles IV

Sceau comme roi d’Aragon (sc. 90, 1288)

Olivier Guyotjeannin Titre sur un sceau 28. Marguerite Filie regis de Flandre Francie Fille de roy de France

127 Référence corpus

Titre sur un acte

Références

Sc. t. III, 100 (gs, 1356, 1372) Sc. t. III, 101 (2e gs, 1363 sic, 1372) et 104 (ps, 1367, 1374)

29. Blanche d’Orléans

Filie regis Francie et Navarre

Sc. t. III, 108 (gs, 1376)

30. Futur Philippe VI

Primogeniti domini Karoli comitis Valesie (etc.)

Sc. t. II, 106 (1er gs, 1319)

31. Futur Jean le Bon

Sc. t. II, 119 Primogeniti regis Francorum (gs, 1347)

32. Philippe d’Orléans

Filii regis Francorum

Valois

Enfants de Philippe VI

Sc. t. III, 111 (gs, 1354)112. Idem 115 (secret, 1372)

Filz de roy de France

AN, J 358, no 7 (1354, or.) ; no 9 et no 10 (1367, or.)

Enfants de Jean le Bon 33. Futur Charles V

Primogeniti Sc. t. II, 130regis Francorum 132 (dauphin, 1349-1354) Primogeniti regis Francie, Sc. t. II, 134regis Francie 136 (dauphin primogeniti et duc de Normandie, 1357-1364)

Charles ainsné fil et lieutenant du roy de France, duc de Normandie et dalphin de Viennois. Charles ainsnez fil du roy de France et regent le royaume de France, duc de Normandie et dalphin de Viennois. De par le regent le royaume de France, duc de Normandie et dauphin de Viennois

(1357, Charon, HdR, t. II, no 8, p. 30)

(1358, Charon, HdR, t. II, no 9, p. 32)

(1359, Charon, HdR, t. II, no 13, p. 41)

Abandon

128

Fils et filles de roi de Franc Titre sur un sceau

34. Louis d’Anjou

[…] Regis fil[ii

Référence corpus

illustrem principem et dominum, dominum Ludovicum, eadem [Dei] gratia ducem Andegavie et Turonie comitemque Cenomanensem ac serenissimi Sc. t. III, 121 principis (4e gs, debout, et domini, 1381) domini Caroli, divina favente Sc. t. III, 124 clemencia, (secret, 1370) regis Francie germanum et Sc. t. III, 125 pro ipsius (sic) (sceau de roi locumtenente de Sicile, 1383) in occitanis partibus se gerentem

Sc. t. III, 117 (en l’absence, Filii regis 1368, 1373) et paris Sc. t. III, 118 Francorum ; (1er gs, 1367, 1374) contre-sceau : Regis quondam Recensé aussi comme régent Francorum fili 1380 (t. II, 147) NB 2e et 3e gs lacunaires. […] Francie Filii regis et paris Francie Nati regis et paris Francie, fili regine Jherusalem et Sicilie

Titre sur un acte

Références (1372, Charon, HdR, t. II, no 86, p. 218, accord passé avec Charles II de Navarre)

Abandon

Olivier Guyotjeannin Titre sur un sceau 35. Jean de Berry

Référence corpus

Filii r[eg] i[s…] – Filii regis Francie au contre-sceau

Sc. t. III, 126 (gs comte de Poitou, 13581359)

Filii…

Sc. t. III, 127 (gs duc de Berry, 1365)

Filii regis et paris Francie

Filii regis et paris Francie Regis Francorum fili Filii regis paris Francie

36. Philippe Filii regis et de Bourgogne paris Francie Filii regis Francie Regis Francorum fili Filii regis Francorum Filii regis et paris Francie

37. Jeanne de Navarre

129

Fille du roy de France

Titre sur un acte

Références

(pour mémoire.)

Sc. t. III, 128 (2e gs duc de Berry, 1367) ; Sc. t. III, 131 (ordonné, 1370) Sc. t. III, 129 (3e gs duc de Berry, type debout, 1410) Sc. t. III, 130 (4e gs duc de Berry, 2e type debout, 1397) Sc. t. III, 134 (2e sceau secret, 1365, 1367) Sc. t. III, 139 (1er gs, 1385, 1386) Sc. t. III, 140 (2e gs, 1389, 1390, 1398 ; 3e gs, 1389) Sc. t. III, 142 (4e gs, 1403) Sc. t. III, 143 (1er secret, 1364, 1370) Sc. t. III, 144 (2e secret, 1385) Sc. t. III, 147 (1366)

Regis Francorum filiu Regis Francie filiu [même notaire que les précédentes, « de Chapelles »] Philippus, regis Francie filius dux Burgundie Filz de roy de France

AN, J 371, no 9 et no 10 (1364) AN, J 371, no 12 (1364) (1364, Charon, HdR, t. II, no 27, p. 92) AN, J 359, no 24

Abandon

130

Fils et filles de roi de Franc Titre sur un sceau

38. Marie de Bar

Fille du roy de France

Référence corpus

Titre sur un acte

Références

Sc. t. III, 149151 (1er – 3e ps, 1362, 1369, 1388) Enfants de Charles V

39. Futur Charles VI 40. Louis d’Orléans

Inconnu Regis Francorum fili Filii regis Francie

Sc. t. III, 153 (2e gs, 1401). NB Sc. t. III, 152 (1er gs) illisible Sc. t. III, 154 (1er ps, 1386)

Filz de roy de France

Filz de roy de France, frere de monsr le roy

Bibl. nat. de Fr, Joursanvault (1395, or.) AN, J 359, no 19 (1393, or.) ; no 20 (1394, or.) AN, J 359, no 26 (en forme de charte, mariage de Charles d’Orléans, 1404, or.)

Enfants de Charles VI 41. Louis de Guyenne

Primogeniti Sc. t. III, 161 Francorum regis (gs, 1410)

42. Jean de Touraine

…]cia ; sur le signet utilisé en contresc. « Johannis de Francia » Regis Francorum primogeniti

43. Futur Charles VII

Filii regis Francorum

44. Isabelle d’Angleterre

-

Ainsné fil du roy AN, J 369, no 6 et 13 (1409, de France or., resp. charte et lettre dqp) ; no 7C (1409)

Sc. t. III, 162 (gs et cs, duc de Touraine 1412) Sc. t. III, 163 (gs dauphin, fragment, cs conservé, 1416) Sc. t. II, 160 (2e gs, 1418, 1420). NB 1er et 3e gs lacunaires. Do secret, 166 (1418-1422)

Charles, fil (1422, HgL, de roi de t. X, preuves, France, regent col. 2017) le royaume, dalphin de Viennois, duc de Berry…

Abandon

Olivier Guyotjeannin Titre sur un sceau

131 Référence corpus

45. Jeanne de Bretagne

[…]e de France

Sc. t. III, 158 (2e ps, 1406, 1420 ; le 1er illisible)

46. Marie prieure de Poissy

Dame Marie de France

Sc. t. III, 159 (s. d. ; type proche de Jeanne)

47. Michelle de Charolais

Michielle de France

Sc. t. III, 160 (1419 ; type proche des précédentes)

48. Catherine d’Angleterre

-

49. Toutes les fille

« N. de France »

Titre sur un acte

Enfants de Charles VII

Enfants de Louis XI 50. Futur Charles VIII

Sc. t. II, 199 Primogeniti regis Francorum (gs, 1483)

51. Toutes les fille

« Filie regis Francie » ou « Fille… France »

Références

Abandon

Sons of the King of England Personal identity and family relationships of three Princes of Wales in Late Medieval England Sean Cunningham, Paul Dryburgh

B

y the end of the fifteenth century the status and education of the Prince of Wales – usually the first-born son of the King of England – was well established. The Prince’s position as the heir to the Crown was outlined clearly within a structure of learning and training based on the many responsibilities that the son of the king was expected to hold. Although King Henry VII’s son, Arthur (1486-1502), was heir to an usurping regime and a king who had not been born to rule, his status was defined by the evolution of the identity and role of the Prince over the previous two centuries. By 1500, the teenage Prince Arthur had a separate residence away from the royal family (at Ludlow in the Welsh Marches). That independence from his father’s court and household built his experience and spread the risk of danger to the succession of the Crown in a time of recurring conspiracy and civil war in England and Wales. Arthur held specific titles and a collection of lands that were, by then, firmly associated with the Prince and his lordship. His responsibility for widely-spread estates and the people living on them augmented his personal status as a peer of the first rank, and provided income as well as understanding of the skills that lesser lords and knights had to master. Importantly, he was also head of a council of advisers. These counsellors included nobles, religious men, administrators and politicians. They had ruled on behalf of the young Prince and defended his interests while he was a child. Learning how to interact with the different estates of the realm built Arthur’s skills in governance, trust and decision-making and softened any impact of the choices he made as he learned. These men supported the Prince as he grew into his role and prepared for personal rule as king. This council also managed the Prince’s legal jurisdictions, looked after his military power, and administered his lands – such as the earldom of March – as a single bloc. A connection to the Prince in this capacity was one of the most certain routes to service to the Crown once he became king.

Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

134

Sons of the King of England

Although he was fourteen years old and entering adulthood in 1500, Arthur retained a dedicated tutor. His education followed that of previous princes who, by the 1470s, were being educated in the latest Renaissance techniques using newly rediscovered and printed classical texts. Earlier royal education had used the king’s access to manuscript editions of the latest learning. The classroom developed the Prince’s abilities in oratory, rhetoric, history and an understanding of natural sciences. Adapting the content of established ‘mirrors for Princes’ literature and guidance on etiquette and court culture were also important in making the Prince confident within the semi-public royal role he would perform at court and in the household; but as he grew new skills could be tested in his own court, household and council. Finally and symbolically, the Prince was very visible in the heraldic identity of his father’s regime. His titles enhanced his princely role within the aristocracy. Heraldic imagery seen in, for example, the livery clothing of retainers and servants, or displayed on public buildings associated with him, built awareness of the Prince’s presence as a powerful lord. Above all, it associated his military power, growing from his landholding and official roles, with the power of the Crown. By 1497 the Prince of Wales could easily deliver five thousand soldiers to his father’s armies, including the bulk of light cavalry. This structure of learning and training followed a blueprint borrowed and developed from the Plantagenet kings of England. To some extent, the other royal sons shared this education, but the focus on preparing the next king for the responsibility of ruling meant that there was a priority in building the range of abilities that the heir would need in order to govern effectively. Prince Arthur’s brother, Henry (b. 1491), was beginning his education as a second son when Arthur died in April 1502. This shocking news forced Henry VII into a rapid reassessment of Prince Henry’s role and training. Henry assumed the title of Prince of Wales but had received none of the independent high-level training that his brother had endured since birth away from Court. Thus when Prince Henry became King Henry VIII in 1509, he brought a very different level of experience, expertise and character to his royal role – certainly not what his father had originally planned for the long transition to the reign of a Tudor King Arthur in England and Wales.1 Similarly, the adult sons of Edward III or Henry IV, were royal dukes and given lands and responsibilities that, it was hoped, would enhance their ability to support the rule of English king as his empire expanded in the later fourteenth century. We can see elements of this preparation in, for example, 1. This summary of Prince Arthur’s education, training and political role is expanded in Sean Cunningham, Prince Arthur, the Tudor King Who Never Was, Stroud, Amberley, 2016, passim.

Sean Cunningham, Paul Dryburgh

135

the provision for Edward III’s second surviving son Lionel of Antwerp, firs duke of Clarence, to be governor of Ireland in 1361.2 John of Gaunt, first duke of Lancaster and King Edward’s third surviving son, headed domestic government during periods of illness of his father and brother. After his marriage to Constance of Castile in 1371, Gaunt spent much energy and money into the late 1380s in trying to become king of Castile and Leon. His nephew King Richard II also made him duke of Aquitaine in 1389, and John spent time there building his personal lordship on behalf of the English Crown.3 This paper will explore some aspects of the developments outlined above in relation to three Princes of Wales – Edward of Caernarfon (Edward II), Edward of Woodstock (the Black Prince), and Henry of Monmouth (Henry V). These Princes each had different preparation for their reigns. Circumstance, politics, personality and diplomacy also had strong infl ences over how they were able to rule once they became king, and ultimately how successful they were at leading England between 1307 and 1422. The focus will be on how the power of the Prince developed, and how the transition between an adult Prince and his kingship was managed over time. We will follow a thematic approach underpinned by a chronology which bridges the 150 years between the English conquest of Wales and the death of, arguably, England’s most successful military monarch. We will examine areas of similar experience and approach between these men, but also markers of difference in various aspects of the title and role of the Prince of Wales.

Three Princes of Wales Edward of Caernarfon (Edward II) On 7 February 1301 King Edward I of England (1272-1307) created his eldest son, Edward of Caernarfon, Prince of Wales at a lavish ceremony before the community of the realm in parliament at Lincoln.4 This created the precedent

2. For which see Philomena Connolly, Lionel of Clarence and Ireland, 1361-1366 (unpublished PhD, University of Dublin, 1977). 3. Anthony Goodman, John of Gaunt. The Exercise of Princely Power in Fourteenth-Century Europe, London, Longman, 1992; Simon K. Walker, “John [John of Gaunt], duke of Aquitaine and duke of Lancaster, styled king of Castile and Leòn (1340-1399)”, Oxford Dictionary of National Biography [hereafter ODNB], online at http://www.oxforddnb.com./view/article/ 1 4843?docPos= 1 (accessed 13 June 2016). 4. Kew, The National Archives [hereafter TNA] C 53/87, mm. 9-8, calendared in English translation in Calendar of Charter Rolls Preserved in the Public Record Office London, 1300-1326, London, His Majesty’s Stationery Office (HMSO), 1908, p. 6. The title ‘Prince’ was not used in the documents of 7 February, where Edward is only called “the king’s son”, but the term was in general

136

Sons of the King of England

for the next seven centuries, right down to Prince Charles now, whereby the eldest son of each monarch has been given this title and its accompanying lands, rights and privileges. Until this moment, no son of the king of England had been titled as ‘Prince’ in English usage. The title had been first adopted in 1258 by Llywelyn ap Gruffudd of Gwynedd in recognition of his dominance over several important lordships in west and north Wales. The English formally recognised his title in treaties between Llywelyn and King Henry III (1216-1272) in the 1260s.5 But following twenty years of warfare and a brutally ruthless conquest, Henry’s successor Edward I brought Wales under the formal and practical control of the English Crown. By creating his son ‘Prince’, Edward created a dependent Principality to be delegated at the king of England’s pleasure; Wales was henceforth never considered a separate element of the king’s royal title but was established as the major appanage for his eldest son; to be administered for the Prince with all profits going to the individual who held the title.6 Edward received all lands under royal control in North Wales including Anglesey, and the counties of Carmarthen and Cardigan. The grant augmented a settlement on the king’s son of the earldom of Chester – a rich collection of estates centred on the county of Chester in northwest England but with valuable lands in other counties across England – and the northern French lordships of Ponthieu and Montreuil, centred on Abbeville, brought to the English Crown by Eleanor of Castile, late wife of Edward I.7 These estates had given Edward a status of more than just being “the king’s son”. A further grant to Prince Edward on 10 May 1301 added the town and castle of Montgomery and the lordship of Chirbury in the borders of Wales. Both were to be held by the Prince and his heirs “as the king himself had held them”, rendering for all lands in Wales and others in Cheshire the same services as the king had rendered for the same lands to King Henry, his father. In effect, this ensured that the Principality would remain with the

use by 1 March: John Roland Seymour Phillips, Edward II, Newhaven/London, Yale University Press, 2008, p. 85; Hilda Johnstone, Edward of Carnarvon, Manchester, Manchester University Press, 1946, p. 59-60. 5. Pipton (1265) and Montgomery (1267): J. Beverley Smith, Llywelyn ap Gruffudd, Prince of Wales, Cardiff, University of Wales Press, 1998. 6. See W. Mark Ormrod, Edward III, Newhaven/London, Yale University Press, 2010, p. 604, for discussion. 7. Edward succeeded to Ponthieu and Montreuil at Eleanor’s death in November 1290: John Roland Seymour Phillips, Edward II, op. cit., p. 77. Eleanor had inherited the county in 1279 on the death of her mother Joan, queen of Castille and daughter of Marie, countess of Ponthieu: Hilda Johnstone, Edward of Carnarvon, op. cit., p. 65, n. 4.

Sean Cunningham, Paul Dryburgh

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Prince when he became king and that each king would make a new creation upon his heir apparent whenever and wherever he decided.8 The creation of Prince of Wales, then, remained entirely in the hands of individual kings and not simply by custom or hereditary right, and legally separated the Principality from the heir to the throne. In one sense Edward I was partly following established practice in endowing heirs to the throne, from which he had benefitted before becoming king. In 1254, Henry III granted him the lordship of Ireland and the duchy of Aquitaine with the earldom of Chester.9 King John, Henry’s father (11991216), had received the county of Mortain and the lordship of Ireland in 1185, although he had not then been the heir apparent to King Henry II (11541189).10 Chester itself had been until recently held by a succession of aristocratic families, but it would become the first endowment of subsequent heirs apparent.11 Having said this, Henry never gave up title to Ireland or Aquitaine; this suggests that when Edward created the Principality, he may have been radically reinventing the Crown’s relationship with its succession. Edward of Caernarfon did not receive Ireland and had to wait until 1306 to be endowed with Aquitaine.12 But in receiving royal lands in Wales, the sixteen-year-old Edward became in another sense the personal face of the English conquest of Wales, which he then carried to future generations. Edward had been born at Caernarfon in April 1284 at the castle his father would turn into a palatial expression of English royal power in Wales.13 There is a myth, often repeated, that King Edward presented his baby son to the Welsh as their ‘Prince’ who

8. TNA C 53/87, m. 7; Francis Jones, The Princes and Principality of Wales, Cardiff, University of Wales, 1969. 9. Calendar of Patent Rolls Preserved in the Public Record Office London, 1247-1258, London, HMSO, 1908, p. 382. For comment, see Michael C. Prestwich, Edward I, Newhaven/London, Yale University Press, 1997, p. 10-14. For more on the Lord Edward and Chester see the forthcoming doctoral thesis Rodolphe Billaud, The Lord Edward and the Earldom of Chester: Lordship and Community, 1254-72 (unpublished PhD thesis, Canterbury Christ Church University, 2018). 10. Stephen D. Church, King John. England, Magna Carta and the Making of a Tyrant, London, Macmillan, 2015, p. 19-20; Mark Morris, King John. Treachery, Tyranny and the Road to Magna Carta, London, Hutchinson, 2015, p. 32-33. For John and Ireland, see Sean Duffy, “John and Ireland: the Origins of England’s Irish Problem”, in King John: New Interpretations, ed. Stephen D. Church, Cambridge, paperback edition, 2003, p. 221-245. 11. For Chester generally see Paul Howson W. Booth, The Financial Administration of the Lordship and County of Chester, 1272-1377, Manchester, 1981 (Chetham Society XXVIII, third series), p. 1-10. Edward III, for example, as Edward of Windsor received the earldom shortly after his birth in November 1312: John Roland Seymour Phillips, Edward II, op. cit., p. 422, 439. 12. See below, p. 152. 13. John Roland Seymour Phillips, Edward II, op. cit., p. 33 (and references).

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Sons of the King of England

could speak not a word of English.14 The new Principality was certainly conceived to bind his son to the Welsh by personal ties of lordship, both to fill a “vacuum created by the extinction of their native dynasties” and to ensure their future allegiance.15 Edward, now moving into adolescence, had recently served on his first military campaign in Scotland with success, and could feasibly be said to be ready for lordship. But there was another dimension, one of cultural hegemony and assimilation. In the ceremony creating him the first Plantagenet Prince of Wales at Lincoln in 1301, Edward of Caernarfon was probably invested with the signs and symbols of Welsh power, which had been taken into the royal treasury.16 These are likely to have been the golden coronet of Llywelyn ap Gruffudd seized in 1283 and presented to Westminster Abbey a year later, a finger ring and a silver or gold rod. They were certainly used in 1343 for the creation of the next Prince of Wales, the grandson of Edward of Caernarfon, who had borne this regalia “according to custom”.17 This then fused the realpolitik of the Edwardian conquest of Wales with appeals to ancient British history – King Arthur was widely believed to have been of Welsh stock and would one day return to rule across the British Isles and beyond. Llywelyn’s cornet was reputedly owned by King Arthur. 18 It is possible that King Edward was presenting his son in this way and that the Prince of Wales, in whichever individual it was vested over time, may come to be seen as the realisation of this legend. Edward of Caernarfon as King Edward II would come to rely on support from Welsh communities in his persistent struggles with his aristocracy. Within weeks of being created Prince Edward visited Wales to take the homage of communities across north Wales.19 Welsh archers regularly formed 14. Discussed by John Roland Seymour Phillips, Edward II, op. cit., p. 36, which is also the basis of what follows. 15. R. R. Davies, The Age of Conquest: Wales 1063-1415, Oxford, 2001, p. 386. 16. Around the same time as the ceremony Edward received a copy of Geoffrey of Monmouth’s Historia Regum Britannie, which is full of the legends from the ancient ‘British’ (and Arthurian) past: Hilda Johnstone, Edward of Carnarvon, op. cit., p. 18; London, British Library Additional MS 7966A, f. 31. 17. Hilda Johnstone, Edward of Carnarvon, op. cit., p. 60. 18. The Arthur of the Welsh: The Arthurian Legend in Medieval Welsh Literature, eds Rachel Bromwich and Brynley F. Roberts, Cardiff, University of Wales Press, 2008; The Medieval Quest for Arthur, eds Robert A. Rouse and Cory Rushton, London, 2005, p. 92-98, 100-105. 19. CPR 1343-5, p. 228-35; John Roland Seymour Phillips, Edward II, op. cit., p. 87. On 13 April 1301 he took the homage and fealty of the English tenants of the earldom of Chester; on 21 April he entered Wales and on 22 April more than 200 Welshmen performed homage and fealty at Flint. Another couple of hundred other men came in across northern Wales in the following fortnight.

Sean Cunningham, Paul Dryburgh

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important parts of English royal armies from the early fourteenth century.20 In a civil war of 1321-2 the royal army was supplemented by forces from Wales which targeted the castles and estates of leading opponents of the king on the borders of Wales, and towards the end of 1326 Edward fled in vain to Wales to try and save his Crown following the invasion of Queen Isabella, his wife, and her lover Roger Mortimer, which ended with Edward’s deposition and probable murder at their hands in 1327.21 This reciprocity between lordship and service continued, and was to some degree enhanced, during the Principality of Edward of Woodstock, eldest son of King Edward III (1327-1377). Edward of Woodstock (the Black Prince) Edward, better known as ‘The Black Prince’, was created Prince of Wales on 12 May 1343.22 Like his grandfather he received the Principality of Wales in its

entirety and the earldom of Chester. From birth he had been regarded as earl and had received the revenues of the county when only a baby.23 His endowment, however, also included the valuable dukedom of Cornwall, awarded on 9 February 1337 following the death of his uncle, John of Eltham, a few months before.24 But, also like his grandfather, his elevation to Prince came as he approached adolescence – he was almost thirteen – and was part of Edward’s introduction to the military and political role to which he was born as heir to the throne. Conversely, Wales was always peripheral to the Prince’s career despite, as said, being created in parliament amidst the insignia of ancient Welsh princes: he never visited his Principality throughout the next thirty-three years during which he remained Prince and apparently passed on his gold coronet to his younger brother, Lionel duke of Clarence.25 And 20. Adam Chapman, Welsh Soldiers in the Later Middle Ages, Woodbridge, Boydell Press, 2015. 21. Natalie M. Fryde, The Tyranny and Fall of Edward II, 1321-1326, Cambridge, Cambridge University Press, 1979, gives the best overall account. For the death of Edward II, see A. C. King, “The Death of Edward II Revisited”, in Fourteenth Century England IX, eds G. Dodd and J. Bothwell, Woodbridge, 2016, p. 1-21. 22. For narratives of the life and career of the Black Prince, see Richard W. Barber, The Black Prince, London, 2003; David S. Green, Edward the Black Prince: Power in Medieval Europe, London, 2007; Michael Jones, The Black Prince, London, 2017. 23. He was formally named as earl of Chester on 18 March 1333: R. W. Barber, “Edward [Edward of Woodstock; known as the Black Prince]”, ODNB, online at http://www.odnb.com/ view/article/8523?docPos=1 (accessed 12 June 2016). 24. Paul R. Dryburgh, “Living in the Shadows: John of Eltham, earl of Cornwall (1316-1336)”, in Fourteenth Century England IX, p. 24-39; Tom B. James, “John of Eltham, History and Story: Abusive International Discourse in Late Medieval England, France and Scotland”, in Fourteenth Century England II, ed. Chris Given-Wilson, Woodbridge, 2002, p. 63-80. 25. As noted in Lionel’s will: Francis Jones, Princes and Principality, op. cit., p. 113.

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Sons of the King of England

here we have a major difference between the Black Prince and both Edward of Caernarfon and Henry of Monmouth: Edward served for over three decades as Prince; this long period of waiting to become king, which was never fulfilled, was in contrast to the six years Edward of Caernarfon had to wait to be crowned and the fourteen Henry had to wait. This meant that Edward, a naturally gifted and successful military commander and flower of chivalry, who had participated as a sixteen-year-old at Crécy and had led the English to victory at Poitiers in 1356 and Najéra in 1367, gradually carved out a role which gave him considerable independence of action. As we will discuss in more detail shortly, Edward was able to use the financial resources of his lordships, his military successes and the change in political circumstances that they generated to carve out a virtually independent state for himself in Aquitaine. As a consequence of the peace of Brétigny in 1360, the English king ruled Aquitaine as a sovereign state owing no homage to France. This persuaded Edward III to endow his eldest son with a second Principality, of Aquitaine, which he received by performing homage to his father on 19 July 1362.26 His debt was one ounce of gold each year. Over the next eight years Edward administered his lordship largely in person and took the revenues to run his government. Only in 1372 did Edward return permanently to England where, following years of illness, he died in 1376, a year before his father, never having put his training for kingship in England to direct effect. Indeed, unlike both Edward of Caernarfon and Henry of Monmouth, almost everything which can be said about the Black Prince relates to his career as Prince of Wales and as the heir to the throne. Henry of Monmouth (Henry V) Edward was succeeded by his young son Richard of Bordeaux, though his time as Prince of Wales was exceptionally brief, lasting less than one year before his grandfather, Edward III, died on 21 June 1377.27 Richard ruled without producing a male heir until he was deposed in the autumn of 1399 by Henry of Bolingbroke, duke of Hereford and Lancaster, and earl of Derby, who would become Henry IV having usurped Richard’s throne.28 Henry’s son, another Henry, who had been born in Monmouth in the borderlands of Wales in 1386 and could be presented in the Welsh context in a similar manner to Edward of Caernarfon, attained the Principality therefore by political 26. The documentation for this act can be found at TNA E 30/1105-1107. 27. For Richard see Nigel Saul, Richard II, Newhaven/London, Yale University Press, 1999. 28. For Henry see Chris Given-Wilson, Henry IV, Newhaven/London, Yale University Press, 2016.

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circumstance not simply as heir to the throne of England.29 Henry, duke of Lancaster had earned the respect of many nobles by defending his and their rights against Richard II’s tyrannical demands, and his military coup removed Richard without a great struggle. But, his claim to the throne, through his late father John of Gaunt (a younger brother of the Black Prince and uncle to the deposed king), was not based on his status as a royal figure with superior rights. Rather, Henry’s claim relied on circumstance, de facto seizure of the Crown, and support of a noble faction. It also had no authority from parliament, since only the sitting king could summon the representatives of the whole realm. Henry IV pointed out his own descent from Henry III, his support from God, and Richard II’s faults as king in depriving nobles of their lands unjustly. How fully the new king’s regime would be accepted would determine how easy it would be for his heir to hold the title of Prince of Wales and fulfil the responsibilities of the role. Henry was the son of the new king but his limited visibility as an independent figure within the polity meant that the political elite had to assess his suitability as Prince of Wales and heir to the Crown before he could exercise the role of Prince as his forebears had done. Holding the titles was not enough within a usurping regime. Having just sanctioned the deposition of Richard II on the basis of his inability to uphold the common good of the realm, Henry IV was aware that he had to live up to his claims to be a better king than his cousin and predecessor. Later usurping kings like Edward IV and Henry VII seem to have heeded this lesson when they embedded their eldest sons, from a very young age, within the lordships that they would learn to rule. Henry the Prince started his new role with a solemn part in his father’s coronation procession on 13 October 1399, carrying the blunted sword representing justice.30 Such public pageantry could say as much about intent as any number of letters or proclamations. So it was important that Prince Henry became prominent and active. Complex and rapid negotiation ensured that two days later, the Commons in parliament petitioned that he should become Prince of Wales, Duke of Cornwall, and Earl of Chester. This grant provided Henry with the core lands customarily offered to previous holders of the title, Edward of Caernarfon and the Black Prince. The grant did not offer anything explicit about the inheritance of the Crown, however.

29. Christopher T. Allmand, Henry V, Newhaven/London, Yale University Press, 1997; Keith Dockray, Henry V, Stroud, 2004. 30. Chronicon Adae de Usk, A.D. 1377-1422, trans. E. M. Thompson, London, 1904, p. 187; Chronicles of London, ed. Charles L. Kingsford, Oxford, Clarendon Press, 1905, p. 49.

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Henry was given a seat in parliament by right of his Principality of Wales. His suitability for high estate was also proclaimed by offering him the Coronet, ring and gold sceptre associated with the Prince. These symbolic trappings of investiture shared some of the religious power of the king’s anointing at his own coronation; all emphasised that the new Lancastrian regime and dynasty represented continuity, tradition and right despite the deposition of the previous king.31 Henry’s part in agreeing to the imprisonment of Richard II on 16 October was rewarded with the grant of the Black Prince’s duchy of Aquitaine (previously held by Gaunt). He was also given the lands and franchises of the duchy of Lancaster, but not the title of duke, in parliament on 10 November 1399.32 Henry IV couched the grants of these two titles in terms of preserving the estates and the legacy of his honourable ancestors. Henry tried to gain authenticity for his claim by making the transition from the explicit power he demonstrated in seizing the Crown to an emphasis on his right to hold it by linking himself and his son to former Plantagenet rulers. These were important elements in securing the position of the new royal family. The titles and lands gave Prince Henry status and income. What he did with them would go a long way to building national support for the Lancastrian Crown. Prince Henry now had a profile and purpose as a lord, an administrator and, despite his youthfulness, as the most visible member of the aristocracy below the king. Henry IV had been duke of Lancaster, but by giving the lands of the duchy to his fourteen-year-old son, even within the county of Lancashire in northwest England, the king was consciously boosting the role of his heir in the polity. He was also increasing the expectation that the Prince would live on the profits of his estates and would occupy himself in running them. Since Prince Henry remained unmarried until he was about thirty-four in 1420 – well into his own reign – the duchy estates had already become absorbed into the parcel of lands supplying the Crown’s income, even if they were administered separately. From that date onwards, the duchy of Lancaster has not been granted out of the monarch’s direct control.

31. Chronica monasterii S. Albani: Johannis de Trokelowe et Henrici de Blaneforde, monachorum S. Albani, necnon quorundam anonymorum Chronica et annales, regnantibus Henrico Tertio, Edwardo Primo, Edwardo Secundo, Ricardo Secundo, et Henrico Quarto, ed. H. T. Riley, London, 1866 (Rolls Series), p. 311-312; Chronica monasterii S. Albani: Thomae Walsingham, quondam monarchi S. Albani, Historia Anglicana, ed. H. T. Riley, London, 1864 (Rolls Series), ii, p. 240. 32. Rotuli Parliamentorum ut et petitiones et placita in Parliamento. Ab Anno Decimo Octavo R. Henrici Sexti ad finem ejusdem Regni, eds J. Strachey et al., London, 1767-1832, iii, p. 426-429; Robert Somerville, History of the Duchy of Lancaster, 1265-1603, London, 1953, i, p. 144, n. 4.

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Titles and representations Each Prince of Wales under consideration in this paper was created in circumstances of political or military opportunity or difficulty for the reigning king; the community of the realm in parliament, lords and commons, assented to each creation. Both king and Prince, in whatever reign, therefore had to give attention to effective communication of rights to title and displays of power and magnificence. The self-perception and self-identification of individual princes through the nuanced languages of bureaucratic and material culture developed over the fourteenth century and showed various influences Before each of the men we are examining was created Prince, they were universally defined by their relationship to their father and, in some cases, to their brothers. At the time of their creation, each man was the eldest son of their father, the king. Edward of Caernarfon, however, had only been Edward I’s fourth son; his elder brothers, John named after his paternal great-grandfather, Henry named after his paternal father, and Alfonso named after his maternal grandfather, all having died in 1271, 1274 and 1284 respectively.33 Edward, named after England’s confessor saint, became heir to the throne at only four months old. Henry of Monmouth, of course, was born into a branch of the royal family destined not to succeed and so he had not been raised to be king. Only upon his father’s usurpation of the throne when he was aged twelve did that become a reality. A proper settlement suitable to his new-found rank was quickly found. The charters Early in their lives, therefore, we tend to find these men described as “the king’s most beloved son”, or “the king’s eldest son”, or by their title where a title had been granted very early in life, as with Edward of Woodstock, earl of Chester from the age of three. In documents prepared for the marriage of the six-year-old Edward of Caernarfon to Margaret, daughter of the king of Norway, heiress to the Scottish throne, in 1290 we find Edward unusually described as “natus et heres serenissimi principis domini Edwardi”.34 But in the charter by which Edward was created Prince of Wales in 1301 he is more conventionally termed “filio nostro karissimo”.35 33. John Roland Seymour Phillips, Edward II, op. cit., p. 40. 34. TNA C 59/4, m. 1. 35. TNA C 53/87, m. 9; CChR 1300-26, p. 6. This is also the case with notification of the grant of the duchy of Aquitaine to Edward in 1306, noticeably after the grant of the Principality of Wales: C 47/27/5/13, 14. See also DL 27/217, a quitclaim in which Henry is described as “Henri filz du dit Henri”.

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The diplomatic expands radically following each creation. The Crown adapted common royal form to express formally the broad range of titles which each Prince accumulated during his young life. In documents from 1412 Henry of Monmouth was described by his clerks thus: “Henri aisne filz au noble Roy Dengleterre e de France Prince de Gales Duc de Guyen de Lancastre e de Cornwaille e Conte de Cestre” – a relatively common form.36 This would apply whether a document was drafted in Latin or, as here, in Anglo-Norman French. Note that Henry retains the Principality of Wales, the duchy of Cornwall and the county of Chester from his predecessors, but that he has had to accept the lesser title of duke of Guienne rather than Prince of Aquitaine that his uncle, the Black Prince, had claimed, and the duchy of Lancaster. These latter lordships came to him through his father, Henry IV, and his grandfather, John of Gaunt. John had been awarded the duchy of Lancaster upon the death of Henry of Grosmont, his father-in-law in 1362.37 Under the fifteenth-centur Lancastrian kings, the duchy, the most prestigious in England, surpassed the Principality of Wales and generally became part of the king’s royal title rather than remaining with the heir to the throne.38 It is also noticeable that the “eldest son” formula has survived. This mirrors the diplomatic in many charters and letters of Edward, the Black Prince, such as the preamble to the performance of homage by Edward in 1362, which includes the style “eldest son of the noble king of England, Prince of Aquitaine and of Wales, duke of Cornwall and earl of Chester”.39 As with Henry, who had three younger brothers, Edward’s diplomatic demonstrated his seniority in succession but also delineated the specific responsibilities he had in relation to his siblings. Edward had four younger brothers who reached adulthood.40 The genius of Edward III, and one of the foundations of his success as a military leader, was the cultivation for each of his sons of an appanage appropriate to his status through the exploitation of territorial expansion and marital diplomacy. This gave them considerable independence of action, a military following and rich estates. In the case of John of Gaunt, it also generated the capacity to pursue an international agenda to win a Crown for himself and, until his son’s

36. TNA C 47/22/7 (31 May 1412). 37. Anthony Goodman, John of Gaunt…, op. cit.; Simon Walker, “John [John of Gaunt], duke of Aquitaine”. 38. Robert Somerville, History of the Duchy of Lancaster…, op. cit. 39. TNA E 30/1106 (19 July 1362). 40. W. Mark Ormrod, “Edward III and His Family”, Journal of British Studies, 26, October 1987, p. 398-422.

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usurpation, his family outside of the British Isles. Their diplomatic mirrored that of the eldest son and heir.41 ‘Prince’ or even ‘princess’ were not titles in general usage in the English royal family, then: Edward of Caernarfon’s younger half-brothers, Thomas of Brotherton (b. 1300) and Edmund of Woodstock (b. 1301), remained “the lord Thomas” and “the lord Edmund” until they received earldoms.42 As the first Plantagenet Prince, Edward’s is perhaps the most important diplomatic to look at. As mentioned above, in the charter of 7 February 1301, by which he gained the lordships which made up the Principality of Wales, Edward was only termed “the king’s son”. Nevertheless, Edward I obviously ensured a fairly precise form of words was employed and disseminated widely and quickly. The title Prince was in use by 1 March and the formula settled down by the charter of 10 May in which Edward received Montgomery, where a marginal heading “Pro Edwardo filio regis principe Wallie et comite Cestrense” was used.43 A contemporary entry in the register of Robert Winchelsey, archbishop of Canterbury (1294-1313), reads “Flower of adolescence, to the most noble lord Edward, born to the illustrious king of England, Prince of Wales, earl of Chester, count of Ponthieu and Montreuil, greetings”.44 There would be no turning back. The seals We can see these developments in charter diplomatic reflected equally as clearly in the heraldry and sigillographic terminology applied on the seals and manuscripts of the fourteenth-century princes of Wales. Personal instructions often given by word of mouth were conveyed under wax attached to or appended from charters and letters. Throughout the thirteenth and fourteenth centuries in England, the Crown developed a variety of official seals through which the personal will of the king was put into effect in an

41. TNA DL 27/156 (“Jehan filz du Roy Dengleterre e de France Duc de Lancastre Cont de Richemond Derby Nicole [e] Leycestre e Seneschal Dengleterre”). 42. Hilda Johnstone, Edward of Carnarvon, op. cit., p. 61; A. F. Marshall, “The Childhood and Household of Edward II’s Half-Brothers, Thomas of Brotherton and Edmund of Woodstock”, in Reign of Edward II: New Perspectives, eds Gwilym Dodd and Anthony Musson, Woodbridge, York Medieval Press, 2006, p. 190-204. 43. TNA C 53/87, m. 7; Hilda Johnstone, Edward of Carnarvon, op. cit., p. 60-61. 44. “Florentis adolescentie nobilissimo domino Edwardo, nato illustris regis Anglie, principi Wallie, comiti Cestrensi, Pontivi et Montis Trollii […] salutem”: Registrum Roberti de Winchelsey, archiepiscopi Cantuariensis, 1294-1308, ed. R. Graham (Canterbury & York Society), 1917, p. 739; Hilda Johnstone, Edward of Carnarvon, op. cit., p. 48.

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increasingly complex bureaucracy.45 The supreme expression was the great seal held by the royal chancellor, employed for public business at the highest level. Although by the middle of the fourteenth century, kings and their children used secret or signet seals to convey more personal instructions, initially this had been achieved by a privy (or private) seal, kept closer to the king’s person. Each Prince had an independent chancery and an army of clerks and officials to disseminate his wishes. Interestingly, the Black Prince is not known to have owned a great seal,46 and generally issued letters under a privy seal. Similarly, a unique survival from Edward I’s reign is a roll containing transcripts of 741 letters which shows that Edward of Caernarfon largely issued letters under his privy seal, the seal “which was used before we took upon the governance of our kingdom”.47 If we look at their seals we see some fascinating stylistic and heraldic language at play. One thing to stress is that the new Plantagenet princes did not adopt any of the ‘Welsh’ devices on their heraldry such as the red dragon of Cadwaladr ap Cadwallon, the last native Welsh king of Gwynedd.48 Edward I assimilated some aspects of Welsh culture but not that one. It was a King of part-Welsh descent, Henry VII, who employed Cadwaladr’s dragon as a family and royal symbol after seizing the English throne in August 1485. A special survival from the Principality of Edward of Caernarfon is a charter of 1305 by which the Prince confirms the dower granted by his father to Margaret of France, his new queen, in 1299.49 Here, in green wax with a diameter of around 8.5 centimetres is the shield of arms of the Prince. It bears the arms of England of three lions passants guardants and a label of five points. The label is the chief mark of difference employed in English heraldry between heirs to the throne and their brothers who all have that device but with varying points. In conventional English heraldry only the eldest son bears the label. Edward is known from a contemporary roll of arms to have had a blue label on his coat of arms on campaign in 1300.50 The shield is slung from a tree and sits within a cusped circle – a traceried octofoil – between foliage. The legend,

45. Chapters in the Administrative History of Medieval England, ed. Thomas F. Tout, 6 vols, Manchester, 1931-1937, esp. vol. V (1936). 46. Thomas F. Tout, Chapters, op. cit., V, p. 369. 47. “sigillato privato sigillo que utebatur antequam regni nostri gubernaculum suscepimus”: TNA C 81/56/5684. For the roll see Letters of Edward Prince of Wales, 1304-1305, ed. Hilda Johnstone, Cambridge, 1931 (Roxburghe Club). 48. Jones, Princes and Principality, p. 158, 185. 49. TNA E 41/453 (13 October 1299); printed in CPR 1292-1301, p. 451-453. 50. Hilda Johnstone, Edward of Carnarvon, op. cit., p. 83.

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though broken, reads [EDWARDUS PRIN]CEPS WALLIE COM[ES] CESTRIE ET PON’], effectively repeating charter diplomatic. On the reverse the Prince is viewed armed on horseback galloping to sinister. He wears a surcoat over a mailshirt, and on his head a ‘barrel’ or great helm topped with a crest and banner; on his horse caparison are what may be leopards to reflect the king’s coat of arms. Normally, the leopards run to dexter on a shield but on caparison they run to the sinister so as to face to the front of the horse.51 The legend reads [ED]WARDUS ILLVSTRIS REGIS ANGL[IE FILIVS]. Compare this with the seal and heraldry of Edward I, his father, from 1267 before he came to the throne and there are close stylistic similarities particularly in the five-pointed label and the equestrian figure but also notable differences in the cruder craftsmanship, less elaboration and on the lack of horse caparison.52 Edward of Caernarfon’s seal represents a high point of classic heraldic art. Though following traditional sigillographic practice, it is also to some extent a self-confident expression of a monarch in waiting. As is well known, Edward, to quote his biographer Professor Seymour Phillips, “was a man who did not fit neatly into the traditional and acceptable categories of medieval monarch; the great warrior, the lawgiver, or the man of God”.53 But here in his seal as Prince we have an expression of exactly those military qualities he would lack when king. His grandson Edward of Woodstock, though, would possess almost every quality required of a medieval monarch. The irony was he would never put those qualities into practice as king, but his seal and heraldic devices are powerful statements thereof. With the exception of the great seal he used as Prince of Aquitaine, the Black Prince used a combination of privy seals for his general use for sealing letters from his chancery and household. Eight privy seals were used throughout his life. As a chamber developed around him so he began to use a secret and signet seal from around the time he became Prince of Wales in 1343.54 The seals of his lordships – Wales, Chester and Cornwall – tended to act as great seals for business solely concerning his governance and personnel in those jurisdictions. Many of the surviving examples of the Prince’s privy seal at The National Archives are small and fragile but in figur  1 we have what may be his seal for Chester

51. Thanks to our former National Archives colleague, Dr Adrian Ailes, for this and other information on the seals. 52. TNA DL 1 0/ 1 09, letters patent surrendering the three castles of Monmouthshire – Grosmont, Skenfrith and White – to his brother, Edmund of Lancaster. 53. John Roland Seymour Phillips, Edward II, op. cit., p. 1. 54. Thomas F. Tout, Chapters, op. cit., V, p. 381.

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on a charter inspecting a previous grant for Vale Royal abbey.55 This one-sided small seal displays the three lions of England with a label of probably three, but possibly five, points – the Prince usually had a label of three points.56 It is difficult to be sure, but it is just possible the Prince reused his grandfather’s Chester seal. The legend reads SIGILL[VM] EDWARDI PRINCIPIS WALLIE ET COMITIS CESTRIE, lacking therefore any mention of the dukedom of Cornwall awarded in 1337. It certainly is similar to his second privy seal, in use from around 1337 to 1347, which similarly bears an upright shield of arms of England with the label of three points and a gothic panic of eight cusps with the legend S[IGILLUM] PRIMOGENITI REGIS ANGL[IE] DUCIS CORNUBIE ET COMITIS CESTRIE.57 Following Edward III’s assertion of his claim to the French throne through his mother, Queen Isabella, daughter of Philippe le Bel, in 1340 and his success at Crécy in 1346, the Prince adapted his iconography to include a shield of arms with France quartering England on his seal, which remained current for over ten years. The best example of the sigillographic changes that reflect England’s successes in the war with France can be seen on the seal of Edward of Woodstock used before he became Prince of Aquitaine in 1362.58 In figure 2 we can see a small round seal in red wax – the more usual colour in England for privy seals and more expensive to produce with its requirement for expensive vermilion.59 The legend is now more of a full expression of the Prince’s titles: S[IGILLUM] EDWARDI PRIMOGENITI REGIS ANGL[IE] PRINCIPIS WALLIE DUCIS CORNUBIE ET COMITIS CESTRIE. Gone is the upright shield of arms of England; it is replaced by a shield of arms of France quartering England; France having prominence in heraldry. It is surmounted by an English lion. As well as the national symbolism, this seal bears the personal devices of the Black Prince. On either side of the central shield, which is topped with a helm, is an ostrich feather. The feather became the personal badge of the Prince, adopted from the aged, blind King John of Bohemia, who had been killed fighting the Prince’s men at Crécy, and in whose honour the Prince now wore it. The ostrich feather became the chief device on Edward’s shield of peace.

55. TNA E 41/444; charter printed in CChR 1341-1417, London: HMSO, 1916, p. 196 (16 July 1354). 56. Thomas F. Tout, Chapters, op. cit., V, p. 369. 57. Ibid., p. 422, n. 1. 58. TNA E 30/1106, 1107 (19 July 1362); Thomas F. Tout, Chapters, op. cit., p. 405, n. 4, p. 425-426. 59. Elke Cwiertnia, Adrian Ailes and Paul R. Dryburgh, “Analysis of the Materiality of Royal and Governmental Seals of England with a Focus on the Great Seals (1100-1300): Methodology and Findings”, in A Companion to Medieval Seals, ed. Laura Whatley, Leiden, Brill, 2018.

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This can be seen to spectacular effect in the illumination of the charter by which King Edward made his son Prince of Aquitaine in July 1362.60 On this same charter there is a very important illuminated initial capital. In accordance with the Treaty of Brétigny in 1360 Edward III had dropped “King of France” from his style but here, within this “E” for “Edward”, there are the Prince’s arms with England quartering France. This is strange because the Prince’s seal has, as said previously, France quartering England. Taken with the Prince’s other devices used during his period of residence in Aquitaine as Prince in the 1360s, as well as his vigorous campaigning in the southwest of France and northern Spain, this gives little doubt that he, or at least the scribe who illuminated this charter, saw the Prince as a figure of great independence and power and that English power was not on the wane. His great seal of Aquitaine, in use from around 1364, bears the trappings of majesty: on the obverse the Prince sits in majesty under a canopy labelled with an ostrich feather; on the reverse is an equestrian figure in full chivalric garb with the arms, this time, of England quartering France and the Prince’s label of three points. The legend reads S[IGILLUM] EDWARDI PRIMOGENITI REGIS ANGL[IE] PRINCIPIS AQUITANNIE ET WALLIE DUCIS CORNUBIE ET COMITIS CESTRIE.61 Similar iconography can be found on coins minted by the Prince’s Gascon Exchequer around this time. Edward was clearly a master of visual expression and of using pictorial keys and devices to make personal and political points. Henry of Monmouth’s seal has a more straightforward legend S[IGILLUM] HENRICI PRINCIPIS WALLIE DUCIS AQUITANNIE CORNUBIE ET COMITIS CESTRIE. Henry repeats the layout of the Black Prince’s seal. The arms of France quarter those of England with a three-pointed label. The helm is surmounted by an English lion and ostrich feathers are presented, but they are supported by swans – the Bohun swan of Henry’s mother, Mary de Bohun.62 This was a badge adopted by Henry IV and is striking since it identifies Henry’s ancestry within the aristocracy as well as the royal family; something that was entirely absent from the seals of the other princes under discussion. This is a subtle representation of national and personal power which reflected the role that the teenage Prince Henry undertook before 1410.

60. TNA E 30/1105 (19 July 1362). 61. Catalogue of Seals in the Department of Manuscripts in the British Museum, ed. W. de G. Birch, 6 vols, London, 1887-1900, ii, no 5551. 62. TNA, SC 13/G 6.

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The Experiences We have so far talked about the men and their personal self-representation in the powerful chivalric, political and militaristic language used. But what, finall , did the Prince of Wales do as an adult when his father was alive? What use was he to the Crown in furthering its ambitions? How did the Crown ensure it retained a balance between preparing a Prince for his kingly duty and ensuring the security of succession? The answer is that individual kings followed a similar pattern of presenting their sons to various roles and responsibilities in both royal government and on campaign to broaden their experience, allowing them to demonstrate their capabilities within magnate society and to build up the portfolio of skills they would need as king. Estates, Rights and Privileges The award to the heir to the throne of several titles endowed them with the wealth and local influence to fund a semi-independent lifestyle, to govern estates and people and to build up a military following. The foundation was the estates, rights and privileges accumulated by each Prince. From 1301, for example, Edward of Caernarfon as Prince took around £5000 a year from north and west Wales and £2000 from Chester and Ponthieu, while his expenses from these estates totalled around £5500.63 These figures are broadly comparable to the appanage given to the Black Prince, who raised around £9000 a year from estates which also included the duchy of Cornwall. Similarly, Henry of Monmouth’s household accounts show how he bankrolled the war in Wales after 1400, drawing in income from his national estates to compensate for the losses to his lands in the Principality and Chester.64 Shouldering up to a third of the cost of the Welsh war put severe pressure on the Prince’s finances in 1403, and his household had to be supported by payments directly from the exchequer. Over the winter and spring of 1404-5, more than £12,000 was processed by the Prince’s officials. Between 1405 and 1413 the cost of the war rose from around £25,000 to almost £48,000.65 Although the exchequer was paying an increasing volume of these costs, it was the Prince’s infrastructure that managed and dispersed the funds. His contribution earned him praise and respect, as the speaker of the Commons expressed in 1406.66 The

63. Hilda Johnstone, Edward of Carnarvon, op. cit., p. 68, 71. 64. TNA E 101/405/17; CHES 2/77, m. 3; E 404/18/300. 65. W. R. M. Griffiths, “Prince Henry, Wales and the Royal Exchequer”, Bulletin Board of Celtic Studies, 32, 1985, p. 211; Christopher T. Allmand, Henry V, op. cit., p. 28-29. 66. TNA C 65/68, m. 18; E 404/18/300; Christopher T. Allmand, Henry V, op. cit., p. 25.

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management of his war machine also built the skills and experience of his administrators, many of whom went on to serve the Crown after the Prince became king in 1413.67 Such wealth gave all three princes a natural role at the centre of national affairs, being summoned to parliament and council meetings to provide advice to the king and raising forces from their estates for campaigns. This meant that when, as part of their training for rule, they were given custody of the kingdom, they were accepted by the community at large and could be figureheads for a government making difficult decisions. In 1297 and 1298, Edward I fought a prolonged campaign in Flanders. His son, aged only thirteen and so coming into adolescence, was named custos regni, although not before the major magnates of the kingdom had sworn fealty to him as the king’s successor should Edward not return.68 Throughout his period of regency he was advised by councillors and leading men but it was in his name as “Edward, the king’s son” that royal instructions were issued. Late in 1297 he formally reissued Magna Carta, the great charter of liberties by which royal power had been circumscribed for almost a century, to relieve complaints over arbitrary taxation and military summons.69 This had been a moment of serious tension during which Edward had to take refuge inside the walls of the city of London. Being a national figurehead came with risks as well as opportunities to learn. Both Edward of Woodstock and Henry of Monmouth shared similar experiences as teenagers. In July 1338, when Edward III left for Flanders on campaign, his son was named custos Anglie as an eight-year-old.70 He held the same office again in 1340 and 1342, incurring “great charges which it behoved the keeper of the realm to support”.71 Once he had been created Prince of Wales in May 1343, Edward played an increasingly prominent role in national affairs, particularly on the continent. His great-nephew Henry of Monmouth was similarly made the king’s

67. W. R. M. Griffiths, The Military Career and Affinity of Henry, Prince of Wales, 1399-1413 (unpublished, University of Oxford, MLitt thesis, 1980), p. 119-125. 68. For a narrative see Hilda Johnstone, Edward of Carnarvon, op. cit., p. 40-41; John Roland Seymour Phillips, Edward II, op. cit., p. 48-49, 79. 69. For the context see Michael C. Prestwich, Edward I, op. cit., p. 427-435 and id., Documents illustrating the crisis of 1297-98 in England, London, 1980 (Camden Society, fourth series 24), passim. 70. ODNB. Both Henry V and Henry VII followed precedent and set up regency councils for their young princes when they themselves were active on campaign in France. See TNA C 82/329/53, discussed in M. M. Condon, « An Anachronism with Intent? Henry VII’s Council Ordinance of 1491/2 », in Kings and Nobles in the Later Middle Ages, eds Ralph A. Griffiths and James W. Sherborne, Gloucester, Alan Sutton, 1986, p. 228-253. 71. CPR 1345-8, p. 72.

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lieutenant in Wales aged fifteen for a year by a grant of 10 March 1403, at a time when the Crown of Henry IV, his father, was threatened by a revolt in Wales led by an individual, Owain Glyn Dŵr, who himself claimed the Principality of Wales.72 Edward of Caernarfon Experience of government, then, was vitally important as well as potentially dangerous. Equally so, on both fronts, was experience of military service: every Prince fought with and separately from his father in campaigns across the dominions of the English Crown in protection and expansion of its interests. As part of knightly training, each Prince was assigned a tutor who would have taught him how to ride as he approached manhood.73 So, in 1296, with Edward I on campaign against the Scots, Edward of Caernarfon was placed in nominal charge of the defence of the south coast from French attack. A little over a year later, after dealing with the barons, an army was summoned for Scotland that was to be put under his command.74 This did not march but at the siege of Caerlaverock Castle in 1300, a herald described Edward, who was nearly seventeen and fightin in his own arms, as the leader of the rearguard, a safe commission which gave him experience of warfare and showed him off to his peers. Between 1300 and 1306 Edward fought in Scotland on four separate occasions, commanding the western army of around 300 earls, bannerets, knights and squires in 1301 and remaining in Scotland over the winter of 1303-4, helping to bring Scottish magnates to submission.75 By 1306, Edward I was too ill to command the army sent to Scotland following the usurpation of the Scottish throne by Robert Bruce, so Edward took command. This meant he had to be knighted – unlike either the Black Prince or Henry of Monmouth, he was not knighted before having gained significan experience, although this may reflect his distaste for chivalric culture. To maintain this new status, Edward was granted the duchy of Aquitaine, the isle of Oléron and the Agenais on 7 April 1306. The campaign resulted in

72. TNA E 404/18/300. He also appointed deputies to act for him when he was away from the March; TNA CHES 2/76, m. 4d. For Owain see Rees R. Davies, Owain Glyn Dŵr, Prince of Wales, Aberystwyth, 2011. 73. Nicholas Orme, From Childhood to Chivalry. The Education of English Kings and Aristocracy, 10661530, London/New York, Methuen, 1982. 74. John Roland Seymour Phillips, Edward II, op. cit., p. 78. 75. Ibid., p. 82, 89-90, 91-95.

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widespread devastation in Scotland and the capture of some of the brothers and wife of Robert Bruce.76 Henry of Monmouth The military skills of Henry of Monmouth underwent a very rapid transition once his father became King Henry IV. In January 1400 the dukes of Exeter and Surrey led a plot to capture the king at Windsor. The imprisoned Richard II was almost certainly killed after this uprising to prevent him remaining a fi urehead for rebels.77 One of the main areas where the new Prince’s estates lay – the earldom of Chester – was also a source of support for the deposed king, having supplied archers to his campaigns. Trouble was also emerging on the border with Scotland. King Henry led troops into Scotland in August 1400 and his son served in the army at the head of archers from his earldom of Chester – his first exposure to military campaigning, aged fourteen.78 The selection of troops from that specific region also suggests how the Prince’s personality drove him to approach difficult situations through personal and direct action – often risky and sometime reckless, but perhaps a symptom of his need to build credibility as a royal leader and make up for the lack of specific training for that role during his earlier life. It was the outbreak of Owain Glyn Dŵr’s uprising the following month, however, that presented the greatest challenge to the new regime. It was also the making of the man who would become Henry V. Not only did Owain declare himself to be Prince of Wales, targeting the principal lands of Prince Henry, he also threatened overall English control in Wales.79 The rebellion and warfare that followed for a decade provided Prince Henry with a huge range of challenges but it also made him into a capable administrator, military planner and tactician, and built the skills of royal leadership that would serve him so well after he became king in 1413. The crucial point to remember is that the teenage Prince took a direct and leading role in the English response to the threat from Glyn Dŵr. By April 1401

76. Ibid., p. 109-111. 77. English Chronicle of the Reigns of Richard II, Henry IV, Henry V and Henry VI Written Before the Year 1471, ed. J. S. Davies, London, 1856 (Camden Society, original series), p. 22. 78. A. L. Brown, “The English Campaign in Scotland, 1 400”, in British Government and Administration: Studies Presented to S. B. Chrimes, eds H. Heardes and H. R. Loyn, Cardiff, University of Yale Press, 1974, p. 46. 79. For the broad context of the rising, see Rees R. Davies, Conquest, Coexistence and Change: Wales 1063-1415, Oxford, 1987, ch. 17.

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the Prince had a ruling council, ‘le consiel de nostre trescher filz le Prince’,80 which was helping him to arrange garrisons in North Wales. He took part in the siege of Conwy Castle and in many other actions during 1401.81 Once his governor, Hugh le Despenser, died in autumn 1401 and the Percies departed to secure the Scottish border, the way was clear for the Prince to take the lead in the strategy against Glyn Dŵr. He showed remarkable energy, enthusiasm and willingness to become heavily involved in military planning. The resources of his Principality were severely diminished by the war, which also threatened his lands in Chester. Henry saw the Welsh uprising primarily as a rebellion against his personal authority, and the Crown was happy to give him and his council a free role in countering Glyn Dŵr. The Prince used the resources of his lands and estates to supply men, provisions and cash for wages. As the rising expanded, so the Prince attracted the support of other Marcher lords whose lands were threatened.82 That was the kind of attitude that endeared the teenage Prince to his older noble companions in arms and forged the relationships that would support the English campaigns in France after 1413. As a sideline to the Welsh rising, Prince Henry was also sufficiently experienced to take a full part in the battle of Shrewsbury in July 1403. The battle was prompted by the revolt of the Percy family. Some of their motivation related to the rise of the Prince’s personal influence in Wales and the Marches and their initial plan was to capture the Prince at Shrewsbury in July 1403.83 Support in Cheshire for the Percy claim that Richard II was not dead further complicated the political landscape that the Prince now nominally led. After being wounded in the face, Henry handed control of his campaign against Glyn Dŵr to deputies while he went on pilgrimage. Even at sixteen years of age, the Prince was confident in the officers that upheld his lordship. But as an independent power against the Welsh, it was under pressure, and during 1404 the Crown was forced to begin to support Henry’s lordship finan ially. This suggests that the endowment made to the Prince was suitable only for provision of his household and maintenance of his interests in peacetime. Prince Henry led a clever campaign to demonstrate how he and his younger 80. TNA E 404/16/452. 81. K. Williams Jones, “The Taking of Conwy Castle, 1401”, Transactions of the Caernarvonshire Historical Society, 1 978, p. 7-43; W. R. M. Griffiths, “Prince Henry, Wales and the Royal Exchequer”, p. 202. 82. Christopher T. Allmand, Henry V, op. cit., p. 22-77; 34-38. The king acknowledged that military success was also due to Henry’s leadership as Prince of Wales. See Royal and Historical Letters During the Reign of Henry IV, ed. F. C. Hingeston, London, 1860 (Rolls Series), I, p. 71-72. 83. J. M. W. Bean, “Henry IV and the Percies”, History, 44, 1959, p. 212-217; English Chronicle, op. cit., p. 28.

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brother, Thomas of Clarence, had organised resistance along the March. When this was acknowledged in parliament there was soon more flexibility in the way the national threat to Henry IV’s kingship was addressed by national resources. That process also initiated the Prince’s role in his father’s royal council.84 At the end of 1406 parliament agreed a lengthy statement settling the succession of the Crown on Henry.85 As with the other three princes, military experience from a young age had a far broader impact upon their experience as leaders, organisers and politicians at the highest social level.86 As he ended his teenage years, Prince Henry began to dominate government through the council in partnership with a series of able administrators and politicians, such as the Chancellor, Archbishop Arundel, and other aristocratic allies. All of the experience gained in defending the Marches from the Welsh uprising, managing men and mixing strategic and short-term tactical plans, left Prince Henry eager for more responsibility on the national and international scale. This did bring some tension with his father the king, especially after the Burgundian victory against the French at the battle of St Cloud in November 1411 altered the direction of English foreign policy towards the rivals in the French civil war.87 Edward the Black Prince Both Henry and Edward of Caernarfon eventually got to put their military training into practice as king, with rather mixed success! Edward the Black Prince, the most remarkable and renowned English chivalric hero of the fourteenth century, of course, did not. He spent his entire adult life as Prince of Wales and was employed in a variety of military roles; ultimately carving out for himself both an immense reputation and set of lands and titles. Much of this was founded on his participation at the English triumph at the Battle of Crécy in 1346. Knighted in the days before the battle, the Prince commanded the vanguard but was advised by the earls of Warwick and Northampton, an amazingly risky commission which had earlier helped capture Caen in July. At Crécy on 28 August the weight of the press actually fell on the Prince and his men, and he may have been captured briefl , showing us just how tenuous the succession could be. Victory at Crécy cast a heroic shadow over Edward,

84. TNA C 81/1542/1. 85. Rot. Parl, iii, 569; CPR 1405-08, p. 140. 86. Desmond Seward, Henry V as Warlord, London, Sidgwick & Jackson, 1 987, p. 25; W. R. M. Griffiths, “Prince Henry and Wales, 1400-1408”, in Michael A. Hicks (ed.), Profit, Piety and the Professions in Later Medieval England, Gloucester, Sutton, 1990, p. 57-60. 87. For an overview see Christopher T. Allmand, Henry V, op. cit., p. 52-57.

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and he was to become one of the founding knights of the Order of the Garter in 1348. This was a confraternity with both religious and military overtones. It gave ultimate expression to the chivalric culture prevalent at the court of Edward III and reflected the team ethic the king had built. 88 The Garter became the focus for tournaments and heraldic display and has survived to the present day. The gold and blue garter, probably worn as a tournament badge, reflects the colours of France while the motto ‘Honi soit qui mal y pense’ refers to Edward’s claim to France. Edward did not fi ht again until 1355. The twenty-fi e-year old Prince had now established a household separate from the king. In times of war this functioned as a military headquarters for those knights to whom he paid an annual fee and to others whom he attracted to his banner. This proved critical when Edward was sent to Aquitaine in the autumn of 1355; this was the first theatre of war in which he had independent command, and the campaign was organised by Edward’s household officers and run by a group of highly experienced knights. Formally, Edward was the king’s lieutenant with power to administer the duchy. His chevauchée as far south as Toulouse and Carcassonne, caused much damage; but both cities and Narbonne repelled his sieges and he could not draw the French to battle. This changed, famously, at Poitiers on 18 September 1356, where a smaller English force achieved a spectacular victory against the army of Jean II, securing the French king’s capture – perhaps the single most important moment in the Hundred Years War. The communications within the English army and the ability to adapt to changing circumstances secured victory. The war came to a stop as both sides negotiated over the king’s ransom. A campaign to take Rheims and secure the seat of coronation for the kings of France failed in 1359-60.89 This brought about the peace settlement of Brétigny in May 1360 where the English king won Aquitaine as a sovereign state in return for a reduction in the ransom of the French king. As we have shown above, Edward the Black Prince acquired governance of Aquitaine as duke in July 1362. This was, to that point, the pinnacle of his achievement. His military training and experience, as well as his periods of regency, had trained him to administer what was in effect an independent state. Although he took the homage of Gascon lords in person and resided there for a decade, the

88. The most recent analysis of the order is Richard W. Barber, Edward III and the Triumph of England, London, Allen Lane, 2013, p. 259-492. 89. For this campaign see Herbert J. Hewitt, The Organisation of War under Edward III, 1338-62, Manchester, Manchester University Press, 1966, p. 34. Protections for the army can be found at CPR 1358-61, p. 375-402.

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administration was, of course, in the hands of his servants. The imposition of an unpopular tax on hearths and the effective manœuvres of Charles V meant that his government was not as successful as it might have been in other hands. Nonetheless, military successes continued: an English army defeating Enrique de Trastamara, the pretender to the throne of Castile and ally of the French, at Nájera on 3 April 1367. However, the effects of disease and the poverty of the English administration and its other Castilian allies brought these triumphs to a close. Local resistance tried the Prince’s abilities as a conciliator and governor to breaking point, particularly over an area which had long shown an independent spirit from England. The peace of Brétigny effectively ended in 1369 and by 1372 the seriously ill Prince returned to England with his achievements in tatters. He died aged only forty-six in June 1376, a year before his father. * The Black Prince’s reputation has always been that of a heroic figure, largely thanks to his military successes and chivalric profile. Politically he was rather less successful. But if we look at his period as Prince of Wales, it is arguable that his long career without achieving the throne created a bridge between the first Prince, his grandfather, and the later medieval evolution of the role, in which it developed, expanded and consolidated its position as the principal appanage of the heir to the English throne. Throughout the fourteenth century, England’s heir exercised both personal and deputed power founded on valuable estates. He gained invaluable experience in government and military leadership that would fit him for his role as king. For the Black Prince and Henry V this would result in the cataclysmic triumphs of Crécy, Poitiers and Agincourt, but difficulties in the financial and political legacy bequeathed to their children. For Edward of Caernarfon as Edward II this would end in the disastrous defeat to the Scots at Bannockburn and his unprecedented deposition and probable murder. Writing under the year 1313 a biographer of Edward II wrote “Oh! What hopes he raised as Prince of Wales! All hope vanished when he became king of England”.90 This demonstrates that, ultimately, all the training and experience in the world could not overcome the individual personality of the monarch. Sean Cunningham, Paul Dryburgh The National Archives, UK 90. Vita Edwardi Secundi, ed. Wendy R. Childs, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 68-9.

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Figure 1 — Kew, The National Archives E 30/1105 illuminated initial (capital ‘E’) of the charter by which Edward III granted Aquitaine to his son, Edward [of Woodstock], Prince of Wales [1362]

Figure 3 — Kew, The National Archives E 41/444 seal of Edward [of Woodstock], Prince of Wales, for Chester on an inspeximus for Vale Royal abbey [1354]

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Figure 2 — Kew, The National Archives E 30/1106 seal of Edward [of Woodstock], Prince of Wales as Prince of Aquitaine [1362]

Figure 4 — Kew, The National Archives SC 13/G6 seal of Henry of Monmouth, Prince of Wales [1399-1413]

Écrire et signer à la chancellerie d’un contemporain de Jean de Berry, Louis II de Bourbon (1356-1410) Olivier Mattéoni

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ans le groupe des princes de sang royal du temps de Charles V puis de Charles VI, le duc Louis de Bourbon n’est pas le premier. S’il fait partie du lignage royal, il ne peut mettre en avant dans sa titulature le titre de « fil de roi de France », qu’il n’est pas, titre dont Olivier Guyotjeannin rappelle, dans le présent volume, combien il était prestigieux pour dire la hiérarchie des parents du roi1. S’il n’est pas « fils de roi », Louis de Bourbon n’en est pas moins l’oncle de Charles VI, certes oncle maternel – la sœur de Louis, Jeanne de Bourbon, femme de Charles V, a été reine de France et est la mère de Charles VI –, alors que Philippe le Hardi et Jean de Berry en sont les oncles paternels. Mais Louis de Bourbon a pour lui son ascendance. Il appartient au « sang Saint Louis », puisque la lignée des Bourbons est directement issue du saint roi. Il y a là un élément de prestige qui n’est pas étranger à la place, l’une des toutes premières, que le duc occupe dans la société politique, et plus précisément auprès du roi, dans la seconde moitié du xive et au début du xve siècle2. Les auteurs du temps ont loué le sens de l’État du duc de Bourbon, insistant sur sa fidélité à Charles V et son dévouement à Charles VI : les marmousets

1. Olivier Guyotjeannin, « Fils et filles de roi de France, du xiie au xve siècle : du lignage au royaume », p. 113-131. Pour la période qui précède, Andrew W. Lewis, Le sang royal. La famille capétienne et l’État, France, xe-xive siècle, trad. française, Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1986. Voir aussi Anne-Hélène Allirot, Filles de roy de France. Princesses royales, mémoire de saint Louis et conscience dynastique (de 1270 à la fin du xive siècle), Turnhout, Brepols (Culture et société médiévales, 20), 2010 ; Bernard Guenée, « Le roi, ses parents et son royaume en France au xive siècle », Bulletino dell’Istituto Storico Italiano per il Medio Evo e Archivio Muratoriano, 94, 1998, p. 439-470, repris dans id., Un roi et son historien. Vingt études sur le règne de Charles VI et la Chronique du Religieux de Saint-Denis, Paris, Institut de France, Diffusion De Boccard (Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, nouv. série, XVIII), 1999, p. 301324, spéc. p. 313-314. 2. Bernard Guenée, Un meurtre, une société. L’assassinat du duc d’Orléans, 23 novembre 1407, Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1992, p. 31. Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

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ont même vu en lui le modèle du bon prince, serviteur du roi3. Cette fidélité n’a en rien été incompatible, au contraire, avec le développement – qu’appuie le roi – d’une principauté territoriale qui, à la mort du duc, en 1410, se présente comme un vaste espace au centre du royaume de France, de part et d’autre de l’apanage de son cousin, le duc Jean de Berry. Outre le noyau central, le duché de Bourbon, la principauté comprend désormais le comté de Forez, acquis en 1368-1371, et la baronnie de Beaujolais, obtenue en 1400, à quoi s’ajoute, héritage de Robert de Clermont, fils de Saint Louis, le petit comté de Clermont-en Beauvaisis, au nord de Paris4. Durant son règne, le duc a doté cet espace d’une solide armature administrative, dont les rouages ont largement emprunté au modèle royal. Si la chambre des comptes de Bourbonnais créée en 1374 constitue le paradigme de cette imitatio regis – le duc de Bourbon ne cachant pas, dans la charte de fondation, que les gens des comptes qu’il venait d’instituer devaient œuvrer comme « ont acoustumé de faire les gens des comptes de monseigneur le roy a Paris5 » –, la chancellerie est un autre lieu de la fabrique des pratiques et de la culture administratives. À la différence du duc de Berry, qui doit construire quasi ex nihilo son pool d’écriture lorsqu’il prend possession de son apanage, Louis de Bourbon hérite, au moment où il monte sur le trône ducal, en 1356, d’une pratique d’écriture ancienne, forgée par ses prédécesseurs, avec ses moyens, ses habitudes, ses traditions. Si on peut postuler que le tropisme royal qui affecte les institutions princières dans la seconde moitié du xive siècle n’a certes pas épargné le milieu des secrétaires, on doit aussi considérer que l’évolution des pratiques d’écriture sous le principat ducal ne doit pas être analysée à la seule aune de l’influenc royale. Ainsi, c’est davantage en termes de confrontation entre une tradition prétendue locale d’écriture et la tradition de l’acte royal que doit se poser le questionnement autour de l’acte écrit chez Louis de Bourbon. Pour traiter cette question, plusieurs approches sont possibles6. Deux ont ici été retenues, parmi d’autres : d’abord, une étude des formules des actes

3. Françoise Autrand, Charles VI. La folie du roi, Paris, Fayard, 1986, p. 194-198. 4. Sur la constitution de la principauté bourbonnaise au temps de Louis II, je me permets de renvoyer à Olivier Mattéoni, Servir le prince. Les officiers des ducs de Bourbon à la fin du Moyen Âge (1356-1523), Paris, Publications de la Sorbonne (Histoire ancienne et médiévale, 52), 1998, p. 69-84. 5. AN, P 1386, dossier 34, fol. 1-3 ; édition dans Olivier Mattéoni, « Les Chambres des comptes de Moulins, Montbrison et Villefranche-en-Beaujolais à la fin du Moyen Âge », dans Les chambres des comptes en France aux xive et xve siècles. Textes et documents réunis par Philippe Contamine et Olivier Mattéoni, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1998, p. 48-53. 6. Voir, par exemple, dans le présent volume, les axes d’analyse retenus par Mélissa Barry, Cléo Rager, Élisabeth Schmit, Marie-Émeline Sterlin et Clémence Lescuyer pour une première

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ducaux – et le verbe « écrire », accolé à celui de « signer », utilisé dans le titre de cette présentation, est peut-être trompeur car ce n’est pas l’écriture en tant que graphie qui sera étudiée, bien qu’il y ait là un vrai objet d’étude 7, mais les formes, les mots, les tournures de phrases, leur agencement au sein du discours diplomatique, qui seront traqués et mis en lumière – ; ensuite, et tout à fait différemment, une étude des signatures des secrétaires. Si ce deuxième axe d’analyse doit beaucoup au travail pionnier de Claude Jeay, dans le sillage duquel la présente réflexion se situe8, la question des formules, dans le cas de la production des actes du duc de Bourbon, n’a pas fait l’objet d’une analyse9. Sans doute cela tient-il à l’état lacunaire des archives relatives à la chancellerie bourbonnaise : aucun recueil d’enregistrement propre à la chancellerie n’est parvenu jusqu’à nous, s’il en a jamais existé10 – nous en avons en revanche conservé pour la chambre des comptes de Montbrison, et c’est à travers ces registres que de nombreux actes de Louis II et aussi de son épouse, la duchesse Anne Dauphine, nous sont accessibles11 –, et il en est de même approche de la diplomatique des actes de Jean de Berry, ou encore l’approche de Philippe Charon pour les actes de Charles II, roi de Navarre et comte d’Évreux. 7. Comme en témoigne l’étude paléographique de Marc Smith sur la « nouvelle écriture » qui caractérise la chancellerie française au xive siècle : « L’écriture de la chancellerie de France au xive siècle. Observations sur ses origines et sa diffusion en Europe », dans Otto Kresten et Franz Lackner (éd.), Régionalisme et internationalisme. Problèmes de paléographie et de codicologie du Moyen Âge. Actes du XVe colloque du comité international de paléographie latine, Vienne, 13-17 septembre 2005, Vienne, Österreichische Akademie der Wissenschaften, 2005, p. 279-298. 8. Claude Jeay, Signature et pouvoir au Moyen Âge, Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 99), 2015. Les conclusions ici synthétisées sur les signatures des secrétaires de Louis II de Bourbon ont été énoncées lors d’une séance de séminaire à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le 1er avril 2014, séance où Claude Jeay a présenté, en parallèle, les signatures des secrétaires de Jean de Berry. Que Claude Jeay soit remercié pour ses remarques. 9. Nous avons toutefois déjà amorcé cette réflexion dans notre article « Écriture et pouvoir princier. La chancellerie du duc Louis II de Bourbon (1356-1410) », dans Guido Castelnuovo et Olivier Mattéoni (dir.), « De part et d’autre des Alpes » (II). Chancelleries et chanceliers des princes à la fin du Moyen Âge, Chambéry, université de Savoie, 2011, p. 137-178. La présente étude se veut sur ce point un approfondissement. 10. Je pense qu’il n’y a pas de pratique d’enregistrement attachée à la chancellerie au temps de Louis II, et que ce constat vaut pour une bonne partie, sinon tout le xve siècle. Le lieu de l’enregistrement, forcément partiel, a été la chambre des comptes (voir note suivante). 11. Trois registres de la chambre des comptes de Montbrison contiennent des copies d’actes de Louis II. Il s’agit de BnF, ms. lat. 10034, et AD Loire, B 1837 et B 2005. Sur ces registres : Olivier Mattéoni, « Écriture et pouvoir princier… », art. cité, p. 140, n. 10. Le registre ms. fr. 22299 de la BnF, ancien registre de la collection Gaignières, qui rassemble les regestes d’actes contenus dans dix registres de la chambre des comptes de Moulins pour la période 1400-1530, prouve que cette dernière, à l’image de la chambre de Montbrison, avait une politique d’enregistrement des actes ducaux.

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pour d’éventuels journaux de chancellerie. Surtout, les archives des ducs de Bourbon n’ont pas transmis de formulaires, ce qui rend la comparaison avec d’autres chancelleries contemporaines difficiles. Malgré ce handicap documentaire, l’étude demeure possible. En effet, en partant des textes produits par les secrétaires de Louis II et en les confrontant aux formulaires royaux, on peut espérer saisir les jeux d’influence entre les formes d’écriture développées à la chancellerie royale et les pratiques d’écriture à la chancellerie bourbonnaise. Les similitudes, mais aussi les différences devraient permettre d’évaluer jusqu’à quel point les secrétaires de Louis II ont été tributaires du modèle royal. Celui-ci a-t-il été exclusif comme le défendent les partisans de l’imitatio regis ? A-t-il cohabité avec d’autres pratiques plus autochtones ? Assiste-t-on à des évolutions qui combinent et associent, simultanément ou à des périodes différentes, pratiques internes et style royal ? Le corpus des actes de Louis de Bourbon se situe autour de 400 actes pour la période 1356-141012. S’il n’est certes pas aussi riche que pour d’autres princes contemporains – Bretagne13, Bourgogne14, Berry15 –, il n’en constitue pas moins, par sa typologie, un ensemble représentatif pour une analyse. Dans cet ensemble, quelques grands types d’actes émergent : actes de nomination à un office, rémissions, octrois d’impôt, concessions de foires et marchés, lettres de don, souffrances d’hommage, lettres de finances (quittances,

12. Je travaille depuis plusieurs années à l’édition de ce corpus, qui arrive à son terme, et de celui de Jean II de Bourbon. J’espère pouvoir livrer prochainement à la communauté, sous forme papier et numérique, ce travail, qui inclura également les actes de la duchesse Anne Dauphine. Ce travail a pour ambition de s’intégrer dans une publication plus large des actes des seigneurs et ducs de Bourbon de la fin du xiiie siècle à 1488 († Jean II), grâce au travail mené sous ma direction par deux de mes étudiants de master (Jean-Damien Généro pour les actes de Charles Ier et Agnès de Bourgogne, Valentine Martin pour les actes de Louis Ier et Pierre Ier et de leurs épouses respectives, Marie de Hainaut et Isabelle de Valois). 13. Le corpus des actes de Jean IV, duc de Bretagne, se monte à plus de 1 440 actes : Recueil des actes de Jean IV, duc de Bretagne, Michael Jones (éd.), Paris/Rennes, université de Haute BretagneRennes II, 1980-1983, 2 t., et t. III, Supplément, Bannalec, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2001. 14. Pour les ordonnances des anciens Pays-Bas bourguignons : Ordonnances de Philippe le Hardi, Marguerite de Flandre et de Jean sans Peur, 1381-1419, Paul Bonenfant, John Bartier, Andrée Van Nieuwenhuysen (éd.), Bruxelles, Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique, 1965-1974, 2 vol. ; Ordonnances de Jean sans Peur, 1405-1419, Jean-Marie Cauchies (éd.), Bruxelles, Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique, 2001. 15. En l’absence d’inventaire circonstancié, il n’est pas aisé de fournir un chiffre précis. Pour le travail d’édition qu’Olivier Guyotjeannin et moi-même encadrons dans le cadre du séminaire commun université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/École nationale des chartes, nous estimons pour l’instant le corpus entre 500 et 600 actes.

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mandements de décharge, dons d’argent). C’est que leur structuration, l’ordre des mots, le choix du vocabulaire, bref le « style », se prêtent parfaitement à une comparaison avec les formules royales. Certes, les autorités n’attendaient pas seulement des notaires de chancellerie qu’ils reproduisent toujours à l’identique les lettres et actes types. On attendait d’eux aussi une certaine inventivité qui combine connaissance des formules, compétence grammaticale et savoir-faire rhétorique16 et ce, bien que la fidélité au « stile ancien » ait souvent été avancée comme une règle que les secrétaires devaient respecter au mieux17. Les notaires et autres secrétaires de chancellerie pouvaient adapter la rédaction de l’acte aux circonstances particulières dont celui-ci devait être le reflet. Il convient donc de ne pas vouloir à tout prix rechercher dans les actes rédigés la reproduction à l’identique de formules. Il reste que la structure des actes, le choix des expressions, leur agencement renvoient à des modèles. Deux formulaires royaux ont été considérés. Le premier est le manuscrit BnF fr. 18114. Formulaire de la chancellerie de Charles VI, il contient 297 formules, dont 179 en français et 118 en latin. La plus grande partie des actes de Louis de Bourbon sont en français. C’est la raison pour laquelle ce formulaire a été retenu, au détriment d’autres registres contemporains dont la majeure partie des formules sont en latin. L’autre formulaire est celui, illustrissime, d’Odart Morchesne, qui a fait l’objet d’une remarquable édition scientifiqu sous la direction d’Olivier Guyotjeannin et de Serge Lusignan18. Bien que compilé en 1427, dans le milieu de la chancellerie de Charles VII, son caractère particulièrement complet, la grande importance des textes en français proposés – 177 formules sur un total de 268 –, les recommandations (nota) qu’il comporte, et le fait qu’il renferme de nombreuses « formules éprouvées depuis environ un demi-siècle19 » – ce qui nous situe aux années 1370 – rendent son exploitation des plus légitimes. Elle l’est d’autant plus que des similitudes existent entre le formulaire 18114 et le formulaire Morchesne, même s’il y a des différences, on le verra.

16. Odart Morchesne n’écrit-il pas que « le notaire du roy […] doit principalement estre fort fondé en gramaire ; car s’il n’est bon gramairien, difficile est qu’il saiche bien faire ne orthografier lettres » ? Le formulaire d’Odart Morchesne dans la version du ms. BnF fr. 5024, Olivier Guyotjeannin et Serge Lusignan (éd.) avec le concours des étudiants de l’École nationale des chartes et la collaboration d’Eduard Frunzeanu, Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 80), 2005, p. 443 [18a]. 17. Morchesne écrit : « Item on doit garder le stile ancien au plus pres qu’on peut, mesmement au regart des lettres communes, car la forme en est visitee de si long temps qu’il n’est ja besoing de la muer » : ibid., p. 443 [18c]. 18. BnF, ms. fr. 5024 ; référence de l’édition, supra, note 16. 19. Le formulaire d’Odart Morchesne…, op. cit., p. 79.

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Pour mener à bien la comparaison entre actes ducaux et actes types des formulaires royaux, nous avons retenu trois grands ensembles d’actes : lettres de nomination, lettres de rémission, lettres d’octroi de foires et de marchés. Nous avons rassemblé sous forme de tableaux les différentes parties du discours diplomatique en mettant en exergue les formules spécifiques de l’acte (annexes 1 à 4). Que ressort-il de la confrontation ? * Concernant en premier lieu les lettres de nomination et de retenue, largement représentées dans le corpus des actes de Louis II de Bourbon – près de 70 actes, et près de 90 avec ceux d’Anne Dauphine20 –, la comparaison de l’organisation interne des lettres fait ressortir une grande similitude avec les actes royaux. L’agencement des lettres ducales suit le plan des formules en usage à la chancellerie royale, en particulier dans l’exposé qui détaille les qualités censées être celles de l’officier désigné : « confians a plain dez sens, loyaulté et bonne diligence », ou « confians a plein des sens, loyauté, proudommie, souffisence et bonne diligence » dans les lettres ducales (annexe 1, lettres 1a et 2a), « confiens de la loyauté, preudommie et diligence », ou « confians des grans sens, loyauté, preudommie, experience et autres recommandables vertus » dans les lettres royales (annexe 1, lettres 1b et 2b). L’exposé peut aussi faire référence au témoignage d’un tiers sur l’impétrant (« pour le bon et convenable rapport a nous fait »), explicitement nommé ou non, comme dans les lettres royales. Le dispositif se caractérise par l’utilisation de plusieurs verbes qui évoquent la nomination : « ycellui avons fait, ordené et establi, faisons, ordenons et establissons par ces presentes » (annexe 1, lettre 1a). L’ensemble est suivi de clauses injonctives à destination de tel ou tel officier pour la réception du serment du nouveau promu et l’institution dans la charge, et au trésorier ou au receveur pour lui allouer ses gages une fois montrés les lettres de nomination ou leur vidimus. Tel est le plan général. Toutefois des différences, qui ne sont pas négligeables, existent. Les premières tiennent à la langue utilisée. Nous l’avons dit : le français est quasi exclusivement la langue des actes de nomination chez Bourbon21. Il y a là une différence avec les formulaires royaux, qui envisagent le recours

20. Sur la diplomatique des actes d’Anne Dauphine, voir Olivier Mattéoni et Jean-Damien Généro, « Les actes d’Anne Dauphine : étude diplomatique », dans Anne Dauphine, dernière comtesse de Forez, Montbrison, Publications de La Diana, à paraître. 21. Le même constat a été fait pour les actes de Jean IV de Bretagne : Michael Jones, Recueil des actes de Jean IV, duc de Bretagne, op. cit., I, p. 25 et 46.

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aux deux langues en fonction du type d’office. Chez Morchesne, le latin est réservé aux offices royaux qui nécessitent des compétences intellectuelles, aux offices de changeur et de notaire, aux retenues de conseiller et de maître des requêtes, ou encore de secrétaire d’honneur22. On notera néanmoins – révérence aux pratiques royales ? – que l’une des lettres bourbonnaises de nomination en latin parvenue jusqu’à nous concerne la nomination à un office de juge23. Autre différence : la mention de la « grace especial ». Elle n’apparaît jamais dans les lettres de nomination ducales alors qu’elle est courante dans les formules royales (annexe 1, lettre 1b)24. Mais les principales différences tiennent aux verbes de la nomination. En effet, les actes de la chancellerie bourbonnaise ne recourent pas aux mêmes verbes que ceux mis en avant par Morchesne. Chez ce dernier, les modèles de lettres de nomination à un office vacant par mort ou vacant par résignation, de même que de confirmation à un office, emploient le verbe « donner25 » et, plus souvent, le binôme verbal « donner et octroyer26 ». Seule la lettre simple de nomination à un office rompt avec cet usage en recourant au verbe « nommer27 » (annexe 1, lettre 2b). Les lettres de nomination bourbonnaises n’usent que parcimonieusement du verbe « donner » – trois exemples seulement28 –, et jamais du verbe « nommer ». Les secrétaires utilisent deux, trois ou quatre verbes qui se déclinent, selon les lettres, de la manière suivante :

22. Le formulaire d’Odart Morchesne…, op. cit., p. 45 ; exemples de lettres de nomination en latin : [7.15], p. 212-213 (promotion de conseiller), [7.16 et 7. 17], p. 213-215 (office de changeur), [7.18 et 7. 19], p. 215-217 (office de notaire), [8.3 et 8.5], p. 221 et 222 (retenue de conseiller sans gages), [8.6], p. 223 (retenue de conseiller et maître des requêtes), [8.7], p. 223-224 (retenue de secrétaire d’honneur). 23. Nomination de Mathieu de Marcilly, licencié en lois et doyen de l’église de Montbrison, comme juge des appeaux du comté de Forez, le 11 juin 1378 : BnF, ms. lat. 10034, fol. 85. 24. La mention de la « grace especial » se retrouve dans la majeure partie des actes types rassemblés par Morchesne : Le formulaire d’Odart Morchesne…, op. cit., p. 199-218. 25. Ibid., no 7.9, p. 206-207 : « Office sanz gaiges a simple queue ». 26. Ibid., no 7.1, p. 199 : « Office a gaige vacant par mort » ; no 7.8, p. 205-206 : « Don d’office sanz gaiges » ; no 7.11, p. 209-210 : « Office vacant par resignation ». 27. Ibid., no 7.13, p. 211-212 : « Nomination a un office » : « […] nous icellui avons aujourd’uy nommé et nommons par ces presentes a l’office de etc., pour et ou lieu de Tel […] ». On relèvera toutefois que l’acte qui sert de modèle est un acte de Louis de Guyenne, non du roi. 28. Nomination de Gauvain Michaille à la tête de la capitainerie du Fay, 7 juillet 1382, BnF, ms. lat. 10034, fol. 95v ; nomination de Pierre Colin, capitaine-châtelain de Rocheblaine et procureur ès châtellenies de Malleval, Virieu, Chavanay et Rocheblaine, à l’office « des auditions des testaments » desdites châtellenies, 17 mai 1391, AD Loire, B 1837, fol. 45 ; nomination de Jehanin de Vebret à l’office de clerc du papier de Montbrison, 9 juillet 1399, ibid., fol. 85v-86.

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« faire et ordonner29 », « ordonner et établir30 », « mettre et ordonner31 », « établir, faire et ordonner32 », « faire, commettre et établir33 », et surtout « faire, ordonner et établir34 » (36 occurrences) – d’autres combinaisons verbales existent35 –, ou simplement « retenir36 » quand il s’agit d’un conseiller, d’un procureur – mais sur ce dernier point, il y a conformité avec les formules royales de retenue au grand conseil (annexe 2, lettre 3b). Ainsi le verbe « ordonner » est massivement présent, de même que le verbe « faire ». S’il y a donc ici une différence notable avec les verbes des formules rassemblées par Morchesne, on relèvera que les choses sont moins tranchées avec les modèles du formulaire du temps de Charles VI. En effet, dans le manuscrit français 18114, les verbes « donner et octroyer » ne se retrouvent pas dans certaines formules. Comme dans les actes bourbonnais, le formulaire invite plus volontiers à recourir au binôme « faire et ordonner37 », ou au trinôme verbal « commettre, ordonner, établir38 » ou « faire, ordonner, établir39 », ou à la déclinaison qui associe « faire, ordonner, instituer, établir40 ». Le même constat vaut d’ailleurs pour la chancellerie de Bretagne où les associations verbales « ordonner et établir », « faire et établir », « faire, ordonner, établir »,

29. BnF, ms. lat. 10034, fol. 86v ; AD Loire, B 1837, fol. 84v. 30. AD Loire, B 1837, fol. 39, fol. 73 ; B 2005, fol. 14v. 31. AD Loire, B 1837, fol. 76v. 32. BnF, ms. lat. 10034, fol. 110. 33. Ibid., fol. 74. 34. Ibid., fol. 69, fol. 71, 78, 79, 87. 35. Voir le tableau de l’ensemble des combinaisons verbales possibles dans Olivier Mattéoni, « Écriture et pouvoir princier… », art. cité, p. 160. 36. Exemple : désignation de Pierre Garan comme procureur en la cour de Saint-Symphorienle-Châtel, 21 septembre 1378, BnF, ms. lat. 10034, fol. 87 : « Savoir faisons que nous avons retenu et establi nostre procureur en la court de Saint Saphorien le Chastel Pierre Garan dudit lieu […]. »  37. Office d’un clerc d’élu : « avons fait et ordonné et par ces presentes faisons et ordonnons clerc d’iceulx esleuz », BnF, ms. fr. 18114, fol. 26v. 38. Office de contrôleur de grenier à sel : « avons ordonné et commiz et par ces presentes commectons, ordonnons et establissons contreroleur du grenier a sel establi de par nous en tel lieu », ibid., fol. 27v. 39. Office d’élu : « ycellui avons fait, ordonné et establi et par ces presentes faisons, ordonnons et establissons esleu sur le fait de noz aides ordonnees pour la guerre es cité et diocese de tel lieu », ibid., fol. 82. 40. Office de procureur sur le fait des aides : « nous ycellui Tel avons fait, ordené, institué et establi, et par ces presentes faisons, ordonnons, instituons et establissons nostre procureur sur le fait des aides […] », ibid., fol. 84.

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« faire, constituer, ordonner » prédominent dans les lettres de nomination à un offic 41. Au sujet de la déclinaison des qualités, l’énumération, d’une lettre à l’autre, peut souffrir des variantes. Ainsi, si toutes les lettres bourbonnaises énumèrent un noyau commun de qualités – il s’agit majoritairement du sens, de la loyauté et de la diligence, comme dans les formulaires royaux, mais pour certains offices, une ou deux qualités supplémentaires peuvent être ajoutées, telle la « preudhommie », l’« idoineté », la « suffi ance », la « discretion42 » –, certaines lettres font référence, en sus, à un témoignage sur la personne choisie43. L’annexe 1 en fournit un aperçu. Le témoignage se décline ainsi : « pour le bon rapport », « pour le bon et convenable rapport » (lettre 1a bis, lettre 2a) ; mais d’autres formules se rencontrent : « pour le bon et notable rapport44 », « pour consideracion du bon et comendable rapport45 », « pour le bon rapport et tesmoignage46 ». Certaines lettres, à l’instar de plusieurs formules royales (annexe 1, lettre 1b, annexe 2, lettre 3b), font référence au service accompli par l’impétrant pour le prince dans le passé et dont on attend qu’il le continue à l’avenir, dans le nouvel office. L’exposé d’une lettre de nomination présente une plus ou moins grande richesse : certaines lettres ne font référence qu’aux qualités, d’autres aux qualités et au témoignage, d’autres aux qualités et au service, d’autres encore aux qualités, au témoignage et au service. Dans ce choix de présentation, il est difficile de toujours faire émerger une logique. La lecture des nota de Morchesne donne pourtant quelques clés de compréhension. Une des règles énoncées concerne les qualités à mettre en avant dans les lettres. Odart Morchesne précise qu’on doit les choisir de façon à ce que l’énumération rende compte au mieux de l’office et des vertus attendues de celui qui doit l’exercer. Et le notaire-secrétaire de Charles VII de

41. Recueil des actes de Jean IV, duc de Bretagne, op. cit., I, p. 207-208, p. 284-285, p. 299-300 ; II, p. 386, p. 419-420, p. 453, entre autres. Dans le corpus des actes de Jean IV de Bretagne, les lettres de nomination sont proportionnellement moins nombreuses que dans le corpus des actes de Louis II. 42. Qualité avancée pour maître Nicolas Archimbaut, bachelier en lois, lorsqu’il est retenu comme conseiller et avocat en la cour de Mâcon : BnF, ms. lat. 10034, fol. 100v (17 février 1384). Dans la lettre de retenue de L’Ermite de La Faye comme conseiller au grand conseil, les lettres ducales évoquent à son sujet ses « sens, loyauté, proudommie, souffisence et bonne diligence » (annexe 2, lettre 3a). 43. Le nombre de qualités dans les lettres de nomination augmente notablement après 1440 : Olivier Mattéoni, Servir le prince…, op. cit., p. 258-272. 44. AD Loire, B 1837, fol. 45. 45. Ibid., fol. 85v-86. 46. AD Loire, B 2005, fol. 25.

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convaincre par l’exemple. Au sujet d’un « capitaine de place », il faudra, dit-il, « louer » sa « vaillance », sa « prudence » et ses « services en guerre ». Pour un receveur, il conviendra d’évoquer sa « loyauté » et sa « preudommie », et pour un juge, sa « suffisance », sa « littérature », sa « preudommie » ainsi que son « amour de justice47 ». Un même souci de recommandation se retrouve pour les retenues des conseillers48. Le choix des qualités est donc important. Il aide à personnaliser la lettre en fonction de l’office considéré. À scruter les lettres bourbonnaises, nul doute que ces principes sont bien présents, même si la déclinaison des qualités n’y est pas aussi poussée que le voudrait Morchesne49. On relèvera ainsi que, pour la nomination de Mathieu de Marcilly, licencié en décret et doyen de Notre-Dame de Montbrison, comme juge des appeaux du comté de Forez – rare lettre du corpus en latin –, les qualités énoncées, à l’instar des lettres royales pour ce type d’office, sont des qualités nobles, que l’on ne retrouve pas pour les autres offices : il y est question de science, de probité, de diligence et d’insignes vertus50. À la chancellerie ducale, la réfl xion sur l’office, qui a grandement progressé durant les règnes de Charles V et de Charles VI, est connue. Elle est intégrée et restituée par le truchement de l’énumération des qualités. Il y a là une solennisation du discours au sein des lettres, qui contribue à dessiner du duc l’image d’un prince sensible aux intérêts de la chose publique, qui ne nommerait aux offices qu’en fonction de critères de compétence et de moralité51. Concernant le deuxième ensemble documentaire, les lettres de rémission52, on note une claire proximité entre lettres ducales et lettres royales53. 47. Le formulaire d’Odart Morchesne…, op. cit., no 7.9.b, p. 207. 48. Morchesne écrit pour la « retenue d’office en l’ostel du roy qui se fait soubz le seel secret » : « Item le notaire doit adviser de louet la personne retenue en office de vertu afferent a l’office, comme de noblesce, de vaillance ou de honnesteté, se c’est office de gentilhomme ; ou de experience, de neteté et diligence, se c’est a autres » (ibid., no 8.1.c, p. 219-220). 49. Le formulaire BnF, ms. fr. 18114 ne comprend pas de nota, ce qui ne nous permet pas de replacer les recommandations de Morchesne dans une continuité. 50. BnF, ms. lat. 10034, fol. 85. 51. Olivier Mattéoni, « Écriture et pouvoir princier… », art. cité, p. 162-164. 52. Je reprends ici certains éléments développés dans Olivier Mattéoni, « Les ducs de Bourbon et la grâce. Les lettres de rémission de Louis II (2de moitié du xive-début du xve siècle) », dans Julie Claustre, Olivier Mattéoni et Nicolas Offenstadt (dir.), Un Moyen Âge pour aujourd’hui. Mélanges offerts à Claude Gauvard, Paris, PUF, 2010, p. 128-136. 53. Pour les lettres de rémission du roi de France, Claude Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne (Histoire ancienne et médiévale, 24), 1991, 2 vol. ; ead., « Les clercs de la chancellerie royale française et l’écriture des lettres de rémission aux xive et xve siècles », dans Kouky Fianu, DeLloyd J. Guth (dir.), Écrit et pouvoir dans les chancelleries médiévales : espace français, espace anglais. Actes du colloque

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Les secrétaires des deux chancelleries structurent les lettres selon le même modèle (annexe 3). L’agencement des lettres bourbonnaises54 répond parfaitement aux recommandations de Morchesne en 1427. Les faits sont relatés avec précision afin que soit bien rapportée « la verité du cas ». C’est que la rémission ne doit pas être « surreptice et de nulle valeur55 ». De même, les secrétaires attachés à la chancellerie de Bourbonnais ont respecté une autre consigne de Morchesne selon laquelle le secrétaire « doit faire sa lettre par maniere que le roy pardonne le cas et l’amende et qu’il restitue la partie a sa bonne renommee et a ses biens non confisque 56 ». Autre point de ressemblance : le vocabulaire de la grâce. La similitude avec les mots déclinés dans les lettres et les formulaires royaux est grande. Pour accorder la rémission, le duc de Bourbon dit, comme le roi57, vouloir « misericorde preferer a rigueur de justice » (annexe 3, lettres 4a et 5a)58 ; il « quitte, remet et pardonne tout le cas, crime et meffait » de sa « certaine science, grace especial, autorité et puissance » (lettre 4a)59. Aux côtés de la « grace especial », le duc reprend, en l’adaptant, la formule ternaire des lettres souveraines : « de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale ». Chez les Bourbons, toutefois, l’autorité ne peut être royale ; elle se mue alors en « autorité et puissance ». Le choix des mots est riche de sens. L’accumulation des formules tend à doter le prince d’un pouvoir justicier complet – punir et pardonner –, qui tient à la fois de Dieu, la miséricorde, et d’une tradition juridique issue du droit romain, la certa scientia60. En ce sens, l’écriture de la rémission telle qu’elle s’effectue à la chancellerie bourbonnaise par la captatio du vocabulaire de la souveraineté international (Montréal, 1995), Louvain-la-Neuve, Fédération internationale des instituts d’études médiévales (Textes et études du Moyen Âge, 6), 1997, p. 281-291 ; ead., « Le roi de France et le gouvernement par la grâce à la fin du Moyen Âge. Genèse et développement d’une politique judiciaire », dans Hélène Millet (dir.), Suppliques et requêtes. Le gouvernement par la grâce en Occident (xiie-xve siècle), Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 3 10), 2003, p. 371-404. 54. Ces lettres sont au nombre de dix pour Louis II, à quoi s’ajoute une lettre de la duchesse Anne Dauphine. 55. Le formulaire d’Odart Morchesne…, op. cit., no 17-22.a, p. 424. 56. Ibid., no 17-22.b, p. 424. 57. Claude Gauvard, « De grace especial »…, op. cit., II, p. 909. 58. AN, P 13762, no 2720 et no 2747 : rémission octroyée à Barthélemy Ogier, février 1405 ; ibid., P 13762, no 2728 : rémission accordée à Vincent Alerlo et Marguerite Verne, juin 1408. 59. Ibid. 60. Sur les fondements théoriques de la certa scientia, Jacques Krynen, « “De nostre certaine science…”. Remarques sur l’absolutisme législatif de la monarchie médiévale françase », dans André Gouron et Albert Rigaudière (dir.), Renaissance du pouvoir législatif et genèse de l’État, Montpellier, Publications de la Société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays

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royale contribue à mieux asseoir le pouvoir justicier de Louis II. Cela est d’autant plus significatif que le duc n’emploie pas ces formules pour les lettres de nomination. Mais il ne s’agit pas là que d’une simple question de rhétorique. Les conditions dans lesquelles les lettres de rémission ont été octroyées révèlent qu’elles l’ont été à des moments particuliers du principat (retour de captivité d’Angleterre, prise de possession de territoires nouveaux)61. À ce titre, elles ont servi à affermir l’autorité ducale dans une principauté alors en construction. Plus largement, on note qu’entre les premières lettres de rémission, celles des années 1360, et celles des années 1400, la stratégie discursive tend quelque peu à s’enrichir : le narré devient plus ample dans les lettres de la fin du principat, le détail plus minutieux, le ton plus « flamboyan 62 ». Cet enrichissement est sans doute imputable à un homme, Étienne de Bar, talentueux secrétaire, qui a signé cinq des six lettres de rémission conservées pour la décennie 1400. Or, de Bar – qui est alors sans doute jeune car il est encore actif en 145063 – est dit secrétaire du roi en 140464. À l’évidence, il connaît formulaires et pratiques d’écriture en vigueur à la chancellerie royale. Du coup, la captation est souvent très fidèle aux recommandations des formulaires royaux. Ainsi, les lettres de rémission bourbonnaises ne mentionnent que le mois, mais jamais le jour d’octroi de la lettre65. De même, la clause réservative « sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes », que Morchesne prie de bien porter à la fin de chaque rémission, est présente dans la plupart des lettres bourbonnaises66. Cet exemple permet d’insister sur le fait que, si peu de secrétaires de Louis II

de droit écrit, 1988, p. 131-144 ; id., L’empire du roi. Idées et croyances en France, xiiie-xve siècle, Paris, Gallimard (Bibliothèque des histoires), 1993, p. 395-402. 61. Olivier Mattéoni, « Les ducs de Bourbon et la grâce… », art. cité, p. 134-135. 62. Olivier Guyotjeannin, « Conclusion », dans De part et d’autre des Alpes (II)…, op. cit., p. 291. 63. AN, P 13622, no 1081, et P 13561, no 174. 64. AN, P 13762, no 2730. Étienne de Bar est sans conteste l’un des principaux secrétaires de confiance de Louis II dans les années 1400. Pour preuve, c’est à lui que fait appel le duc pour écrire les lettres qu’il adresse à ses chevaliers et écuyers pour leur enjoindre de prendre part à « la deffense et aide des enfants d’Orléans » après l’assassinat de leur père : La chronique du bon duc Loys de Bourbon, Alphonse-Martial Chazaud (éd.), Paris, Société de l’histoire de France, 1876, p. 312. 65. Le formulaire d’Odart Morchesne…, op. cit., 17.22.f, p. 425 : « Item nota que on ne met pas es lettres de remission ou de chartre le jour qu’eles sont donnees comme on fait es autres lettres, mais seulement on y met le mois et dit on Donné ou mois de N. » 66. Ibid., 17.22.g, p. 425 : « Item nota celle clause Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en tout. »

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ont été successivement ou concomitamment notaires et secrétaires du roi67, des liens ont cependant existé entre la chancellerie ducale et la chancellerie royale, ce qui a pu favoriser diffusion et captation de formules. Les mêmes remarques quant aux similitudes peuvent être formulées pour les lettres de concession de foires et de marchés ou d’autorisation à lever un impôt. Là aussi, outre l’agencement interne qui se calque sur le modèle des formules royales, les justifications des lettres bourbonnaises rappellent l’argumentaire des lettres de la chancellerie du roi. Pour les congés d’impôt, par exemple, les arguments de défense et de fortification sont mis en avant, comme dans les formulaires royaux. On notera également que les recommandations de Morchesne pour ce type d’actes, à savoir que les dépenses effectuées sur les sommes accordées seront « comptées » devant les gens du roi – ici du duc – et que l’argent sera essentiellement employé aux réparations et fortification de la ville et « non ailleurs », sont reprises quasi à l’identique dans les lettres ducales. En outre, le dispositif recourt aux mêmes termes pour introduire la décision princière de l’octroi (« nous, attendu et consideré ce que dit est, auxdiz conseulx, bourgois et habitans de grace especial avons donné et octroié », pour la lettre ducale, texte 6a ; « Pour quoy nous, consideré ce que dit est, a iceulx exposans avons octroyé et octroyons », pour le modèle royal, texte 6b). Quant aux lettres d’établissement de foires, les lettres ducales, à l’image de celle qui octroie une nouvelle foire à la ville de Montbrison (texte 7a) – et même si son caractère exceptionnel tient à la qualité de Montbrison, capitale du comté de Forez, d’où un portrait de la ville des plus louangeurs dans l’exposé –, insistent sur le fait que la concession d’une foire est présentée comme un moyen « d’accroître et de mieux décorer » la ville et une façon d’œuvrer pour « la chose publique et le proffit commun ». De même, la requête à l’origine de la décision juridique n’est pas tue : elle est clairement mise en avant dans les lettres ducales selon le modèle royal (« nous ait esté exposé par les consuls de nostre ville de Montbrison », texte 7a ; « a la supplication de noz amez les esleuz, bourgois et habitans de la ville de Clermont en Auvergne », texte 7b), et la demande est rendue par les mots et les verbes renvoyant à la requête, à la supplique (« supplians », « supplication »). L’octroi de foires est aussi pour le duc de Bourbon l’occasion de dégager dans sa plénitude les contours qu’il entend donner à sa « souveraineté princière »

67. Autre secrétaire de Louis II de Bourbon, cité comme secrétaire du roi en 1385 : Guillaume Seguin, par ailleurs trésorier de Bourbonnais et receveur général des aides sur le fait de la guerre (AD Allier, A 160, édité dans Chartes du Bourbonnais, 918-1522, Jacques Monicat [éd.], Moulins, Crépin-Leblond et Cie éditeurs, 1952, no 224, p. 330-331).

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Écrire et signer à la chancellerie

qui éclate, sorte d’acmé, dans la formule non plus ternaire mais quaternaire de concession : « de nostre certaine science, auctorité, plaine puissance et grace especial ». Ces quelques remarques montrent que la chancellerie bourbonnaise a été largement perméable au style royal. Cette perméabilité a certes commencé avant le principat de Louis II dans la mesure où, dès la fin du xiiie siècle, les seigneurs puis les ducs de Bourbon sont dans l’orbite du roi. Au début du règne de Louis II, en effet, les actes courants et techniques, à l’image des lettres de nomination, sont déjà très imbus du style royal68. Indubitablement, le principat de Louis de Bourbon a été marqué par un approfondissement de l’imitatio regis. La structuration de la chancellerie qui s’opère alors, les liens qui existent entre secrétaires et chancellerie du roi, la proximité même de Louis II avec les cercles du pouvoir royal, ont été des facteurs favorables à cet approfondissement, qui a pu servir les prétentions ducales69. De ce point de vue, l’étude des signatures des secrétaires du duc conforte cette impression. Les travaux de Claude Jeay, dans la comparaison qu’il a tracée entre les signatures des notaires et secrétaires du roi et celles des secrétaires des princes, ont bien souligné en la matière le poids du tropisme royal70. Pour les signatures des secrétaires du duc de Bourbon (annexe 5) se retrouvent clairement les caractéristiques du type de la signature du notaire de la chancellerie royale. En effet, les signatures s’organisent autour d’un paraphe cadre, avec un élément vertical à gauche, combiné ou non avec l’initiale du nom de baptême ou du patronyme, d’un trait de soulignement, plus ou moins travaillé, et d’un paraphe final. À y regarder toutefois de plus près, le corpus permet de distinguer, chez les secrétaires de Bourbon, une certaine variété. Ainsi certaines signatures comportent des paraphes sans trait de soulignement. On a ici affaire à des signatures très simples, comme celles de Pierre de Vaucelles et de Jean Chauveaul : les ornements du paraphe sont discrets, avec un petit « n » de début et de fin, prolongé par une boucle finale simple (Chauveau), ou par une boucle finale qui se referme avec des petits points (Vaucelles). Dans le cas de la signature d’Étienne de Bar, le paraphe initial se réduit à un petit « n » placé au sommet du « D » de « de », et le paraphe fina combine une boucle simple et un long trait horizontal. Un deuxième ensemble de signatures – celles de Jean Baudereu, Pierre Desmer, Jean Babute, entre autres – réunit les éléments caractéristiques de la signature de chancellerie, avec quelques fi ritures mais sans excessivité : 68. Olivier Guyotjeannin, « Conclusion », art. cité, p. 291. 69. Olivier Mattéoni, « Écriture et pouvoir princier… », art. cité. 70. Claude Jeay, Signature et pouvoir au Moyen Âge, op. cit., p. 366-376.

Olivier Mattéoni

173

une verticale plus ou moins développée, combinée ou non avec l’initiale du nom de baptême ou du patronyme – la combinaison est parfaitement réussie pour la signature de Jean Baudereu – ; un trait de soulignement plutôt sobre, souvent linéaire ; une boucle finale simple, ou se refermant sur elle-même en formant à sa base un triangle. Enfin, un troisième ensemble de signatures, au paraphe plus complexe, peut être distingué. On relève un travail plus recherché sur l’initiale et/ou la verticale, des traits de soulignement associant boucles plus ou moins grandes, petits traits et/ou petits « n », et un paraphe final beaucoup plus travaillé et imposant, composition complexe de boucles, grandes et petites, combinées avec des petits traits, un « n » ou des points. Ainsi en est-il des signatures de Jean Cordier, particulièrement maîtrisée, ou encore de Lorin Arnier, Lorin de Pierrepont ou Colas Denis. Sur la durée du principat du duc – plus de cinquante ans –, la mise en série chronologique permet sans doute de noter une plus grande complexité entre les signatures des premiers secrétaires attestés – Vaucelles et Chauveau – et celles des secrétaires de la fin de la période. Les signatures travaillées de Cordier, Seguin et Arnier correspondent à des secrétaires actifs dans la dernière décennie du xive et la première décennie du xve siècle. Néanmoins, le mouvement n’est pas uniforme. Outre que la signature d’un secrétaire qui exerce près de trente ans n’évolue pas – c’est que la signature, arrêtée une fois pour toute, est validée et enregistrée –, les signatures des secrétaires actifs à la fin de la période ne sont pas toujours les plus recherchées. Ainsi les signatures de Rigaut et d’Étienne de Bar, qui ne comprennent pas de soulignement : le premier est actif de 1395 à 1399, le second de 1402 à la mort du duc. En revanche, tous deux optent pour « une grande boucle final  », dont Claude Jeay a montré qu’elle se répand à la chancellerie royale pendant le règne de Charles VI71. Dans le cas d’Étienne de Bar, est-ce un emprunt direct à cette tendance, lui qui a peut-être œuvré un temps à la chancellerie parisienne72 ? À l’opposé, la signature relativement complexe de Colas Denis est bien celle d’un secrétaire qui signe entre 1403 et 1406. Il reste que les signatures des secrétaires de Louis de Bourbon ont une connotation très royale. À l’image de leurs confrères parisiens ou des secrétaires de Jean de Berry, certains secrétaires n’hésitent pas à multiplier boucles et entrelacs, courbes et cercles, points et ornements. L’univers des chancelleries royale et princières est un « petit monde » : la France du roi et des princes correspond à un royaume où

71. Ibid., p. 374. 72. Il est dit secrétaire du roi en 1404 ; voir supra, note 64.

174

Écrire et signer à la chancellerie

les hommes et les écrits circulent, favorisant diffusion de pratiques, mimétisme et émulation. * Les secrétaires de Louis II de Bourbon ont été sensibles aux tendances en vigueur à la chancellerie royale. Dans le postulat posé au départ d’une confrontation entre une tradition locale d’écriture et la tradition de l’acte royal, il apparaît clairement que le tropisme royal a été marqué et, sans conteste, dominant. Les secrétaires ont su trouver dans l’acte royal les éléments formels, diplomatiques et rhétoriques à même d’orchestrer et de dire au mieux l’action ducale et ses prétentions. Il reste que cette captatio ne s’est pas toujours faite d’une manière régulière et définitive. L’exemple des verbes utilisés dans les lettres de nomination l’a montré. L’exemple des annonces de sceaux pourrait le confirme , comme l’a souligné ailleurs Olivier Guyotjeannin, qui précise qu’il y a toujours « une part de contingence et de bégaiement dans le processus tendanciel de réplication de l’acte souverain73 ». C’est que réplication ne rime pas avec servilité. Faire ce constat, c’est finalement mettre en valeur l’action des hommes, acteurs premiers de l’acte princier, avant celle de l’institution, ici la chancellerie ducale, dont on connaît d’ailleurs assez mal les rouages et les contours pour le temps de Louis II. Olivier Mattéoni Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/LaMOP (UMR 8589)

73. Olivier Guyotjeannin, « Conclusion », art. cité, p. 291.

pour le bon et convenable rapport a nous fait (2a) pour le bon rapport qui nous a esté faiz de la personne de Berthelmi Puy (1a bis)

Considérations

1. AD Loire, B 1837, fol. 58. 2. BnF, ms. lat. 10034, fol. 107. 3. AD Loire, B 2005, fol. 14v.

En tesmoing de ce, nous avons fait mectre nostre scel (1a, 1a bis, 2a)

1. Le formulaire d’Odart Morchesne…, 7.1, p. 198. 2. Ibid., 7.13, p. 211-212.

En tesmoing etc. (1b)

ils le mectent et facent mectre en possession et saisine dudit office (1a)

Corroboration probatoire et annonce du sceau

icelui mette et institue ou face mettre et instituer en possession et saisine dudit office (1b)

Si donnons en mandement par ces mesmes lettres (1a, 2a)

Clause injonctive

Si donnons en mandement […] il le mecte et induise en possession et saisine dudit office (1a bis)

Si donnons en mandement par ces mesmes presentes (1b)

ycellui avons fait, establi et ordenné et par ces presentes faisons, ordennons et establissons chastelain et capitaine de nostre chastel et ville de Maleval (1a) ycellui avons fait, ordené et establi, faisons, ordenons et establissons par ces presentes nostre procureur general en tout nostre païs et conté de Foureiz (1a bis)

avons donné et octroyé, donnons et octroyons de grace especial par ces presentes l’office de nostre chastellain ou cappitaine de tel lieu (1b) nous icellui avons aujourd’uy nommé et nommons par ces presentes a l’office de etc. (2b)

considerans les bons et continuelz services qu’il nous a longuement faiz et fait de jour en jour et esperons que encores face (1b)

confiens de la loyauté, preudommie et diligence (1b) confiens a plain des etc. (2b)

Morchesne. Office a gaiges vacant par mor 1 (1b) + Nomination à un offic 2 (2b)

Verbes de la nomination

Dispositif

confians a plain dez sens, loyaulté et bonne diligence (1a) confians a plain de son senz, loyaulté et bonne diligence (1b) confianz a plain de son senz, loyauté et bone diligence (1a bis)

Qualités

Exposé

Lettres ducales. Nomination d’Humbert de Salamar1 (1a) + Nomination de Barthélemy Puy2 (1a bis) + Nomination de Bertrand Chalp3 (2a)

Lettres de nomination

ANNEXE 1  Olivier Mattéoni 187 175

Si donnons en mandement a noz amés et feaulx gens de noz comptes, aux mestres de nostre houstel […] nostredit conseiller et chambellan, qui nous a fait aujourduy le serement acoustumé […], enregistrent es registres de nozdictes chambres des comptes […], et desdiz drois, franchises, prerogatives et libertés le facent, laissent et sueffrent doresenavant joïr et user.

En tesmoing de ce, nous avons fait mectre nostre seel

Clause injonctive

Corroboration probatoire et annonce du sceau

1. AD Loire, B 1837, fol. 81v.

avons retenu et retenons par cez presentes en nostre conseiller et de nostre grant conseil

confians a plein des sens, loyauté, proudommie, souffisence, et bonne diligence

Verbes

Dispositif

Considérations

Qualités

Exposé

Lettre ducale. Retenue de L’Ermite de La Faye conseiller1 (3a)

1. Le formulaire d’Odart Morchesne…, 8.8, p. 224.

En tesmoing de ce, nous avons fait mettre nostre seel

Si donnons en mandement par ces mesmes presentes a nostre amé et feal chancelier que, prins et receu dudit Tel le serement acoustumé, il le advoque et face advoquer a nosdiz conseilz et besoignes […] et joïr et user des prerogatives, franchises et preeminences dessus dictes.

avons retenu et ordonné, retenons et ordonnons par ces presentes nostre conseiller de nostre grant conseil

considerans les notables et prouffitables se vices qu’il nous a faiz par long temps, tant au vivant de feu nostre tres chier seigneur et pere, cui Dieu pardoint, comme depuis et fait de jour en jour en pluseurs manieres et pour autres causes a ce nous mouvans

confians des grans sens, loyauté, preudommie, experience et autres recommandables vertus

Morchesne. Retenue de conseiller du grand conseil1 (3b)

Lettres de retenue

ANNEXE 2

176 Écrire et signer à la chancellerie

sauf nostre droit en autres choses et l’autruy en toutes (4a)

1. AN, P 13762, n° 2720. 2. AN, P 13762, n° 2728.

Clause de réserve

1. Le Formulaire d’Odart Morchesne…, 17.22, p. 423-425, 17.23, p. 425426.

Sauf en autres nostre droit et l’autruy en toutes (4b)

Et afin que ce soit ferme chose etc. (4b)

l’avons restitué et restituons a sa bonne fame et renommee, au païs et a ses biens non confisquez par ban, satisfacion faite a partie civilement tant seulement, se faicte n’est ; et quant a ce imposons silence perpetuel a nostre procureur (4b)

en le restituant et remectant a sa bonne fame, rennomee ou païs et ailleurs et a ses biens non confisqués, en imposant silence perpetuel sur ce a nostre procureur present et avenir (4a) en le restituant et remectant a sa bonne fame et renommee au païs et ailleurs et a leurs biens non confisqués et imposons sur ce silence perpetuel a notre procureur et procureur de nostredicte cousine (5a)

Et afin que ce soit ferme chose et estable a tousjours mais, nous avons fait mectre nostre seel a ces presentes (4a)

voulans misericorde preferer a rigueur de justice, audit suppliant, en faveur de sadicte femme et enfans, avons au cas dessusdit quittié, remis et pardonné, quittons, remettons et pardonnons les fait et cas dessus declairés (4b)

nous avoir receu l’umble supplicacion des parents et amis charnelz de N. (5b)

nous avoir receu l’umble supplicacion de N. (4b)

Morchesne. Formulaires (4b et 5b)1

voulans misericorde de justice […], de nostre certaine science et grace especial et de nostre auctorité et puissance, avons quicté, remis et pardonné et par ces presentes quictons, remectons et pardonnons le cas, crisme, fait, larrecin et delit dessus diz (4a)

Corroboration perpétuelle et annonce du sceau

Dire la rémission

Dispositif

avoir receue humble supplicacion des parens et amis de Vincent Alerlo et Marguerite, fille de Pierre erne, noz povres subgiez (5a)

Requête, supplique nous avoir receu humble supplicacion des amis charnelz de Barthelemi Ogier dit Villars (4a)

Exposé

Lettre ducale. Rémission pour Barthélemy Ogier (4a)1 Rémission pour Vincent Alerlo et Marguerite Verne (5a)2

Lettres de rémission

ANNEXE 3

 Olivier Mattéoni 189 177

nous ait esté exposé par les consulz de nostre ville de Montbrison que, conbien que nostredicte ville soit grande et et spacieuse, bien peuplee, assise en convenable place et pays fertile, et la principal ville de nostre paÿs de Fourez, et y est nostre chambre des comptes et la propre demorance des gens de nostre conseil, de noz bally et juge dudit pays d’ancienneté, et y affluent et conviennent grand quantité de peuple marchans et aultres gens, tant des villes et lieux circonvoysins commes estrangiers, et y est la marchandise frequantee de pluseurs denrees, en icelle ville n’ait eu et encores n’a jusques a oures aucunes foires, et tres profitable chose seroit a noz et a noz successeurs contes de Fourez et habitans de nostredicte ville et du pays d’environ, et a la chose publique et le proffit commun […] voulans et desirans de toute nostre cuer le bien, decoracion et acroissement de ladicte ville et des habitans d’icelle, du pays circonvoysin et de tous noz subgez et la cohabitacion et pollicie d’icelle ville, et que pour occasion de ladicte foire, ladicte ville en sera mieulx cohabitee, peuplee et frequantee de marchans et aultres gens estrangiers et privés (7a)

Requête, supplique oÿe l’umble supplicacion de noz amez les conseulx, bourgois et habitans de nostre ville de Gannat (6a)

Exposé

Lettre ducale. Octroi d’un barrage à Gannat1 (6a) + Octroi foire à Montbrison2 (7a)

comme a la supplicacion de noz amez les esleuz, bourgois et habitans de la ville de Clermont en Auvergne, nous requerans, […] consideré ce que dit est, la loyauté et obeïssance que tousjours avons trouvee es habitans de ladicte ville de Clermont, voulens pour ce et aussi en la faveur et contemplacion de nostre amé et feal chancelier Martin, evesque de Clermont, augmenter et decorer ladicte ville de Clermont (7b)

de la partie de noz amez les bourgois et habitans de la ville de Saint Pourçain nous avoir esté exposé que (6b)

Morchesne. Octroi d’un barrage1 (6b) + Établissement d’une foire2 (7b)

Lettres de concession d’impôts et de foires

ANNEXE 4

178 Écrire et signer à la chancellerie

Pour quoy nous, de nostre certaine science, auctorité, plaine puissance et grace especial, avons octroyé et octroyons par ces presentes ausdiz consulz et habitans de nostredicte ville de Montbrison que ladicte foire soit en nostredicte ville, et des maintenant la y avons instituee, establie et ordenee, instituons, establissons et ordonnons a tousjours mais doresenavant chascun an le jour de ladicte feste de Saint Luc Euvangeliste, lendemain d‘icelle feste et le tier jour ensuyvant (7a)

nous, attendu et consideré ce que dit est, auxdiz conseulx, bourgois et habitans de grace especial avons donné et octroié et par ces presentes donnons et octroions ledit prandre, lever et recevoir […] parmi ce qu’il le mectent convertissent en ladicte repparacion et non ailleurs (6a)

1. AN, P 13762, n° 2742. 2. AN, P 13782, n° 3081.

Dispositif

1. Le formulaire d’Odart Morchesne…, 6.7, p. 192-193. 2. Ibid., 17.20, p. 420-421.

Pour quoy nous, consideré ce que dit est, a iceulx exposans avons octroyé et octroyons de nouvel par ces presentes que jusques a quatre ans prouchain venans ilz puissent lever et prendre ledit barrage […] pour l’argent qui en ystra convertir et emploier en la reparacion et soustenement desdiz pons et chaucees et non ailleurs (6b)

 Olivier Mattéoni 191 179

180

Écrire et signer à la chancellerie ANNEXE 5

Signatures des secrétaires de Louis II (1356-1410) (sélection) Parthenay. Actif en 1359 et 1360

Acte du 5 mai 1360. Paris, AN, K 48, no 6

Pierre de Vaucelles. Actif de 1358 à 1365

Acte du 6 février 1359 (n. st.). Paris, AN, P 13572, no 396 Acte du 8 août 1365. Paris, AN, P 13582, no 582

Jean Chauveau. Actif de 1360 à 1388

Acte du 11 juin 1388. Paris, AN, P 13762, no 2702

Olivier Mattéoni

181

Jean Baudereu. Actif de 1366 à 1392

Acte du 8 novembre 1366. Moulins, Arch. mun., no 116 Acte du 8 novembre 1367. Paris, AN, P 13762, no 2700

Acte de juillet 1380. Paris, AN, P 13552, no 161 Acte du 7 mars 1392 (n. st.). Paris, AN, P 13762, no 2715

Thibaud de Nully. Actif en 1376

Acte du 25 août 1376. Paris, AN, 13762, no 2716

182

Écrire et signer à la chancellerie

Lorin de Pierrepont. Actif de 1367 à 1389

Acte du 4 juillet 1368. Paris, AN, P 13672, no 1569

Pierre Desmer. Actif de 1371 à 1400

Acte du 17 avril 1371. Montluçon, Arch. mun., FF 31 Acte du 13 avril 1372. Paris, AN, P 13762, no 2719

Jean Babute. Actif de 1384 à 1404

Acte du 15 décembre 1388. Paris, AN, P 14023, no 1340 Acte de septembre 1389. Paris, AN, P 13572, no 441

Olivier Mattéoni

183

Acte du 1er juillet 1398. Paris, AN, P 13572, no 451

Guillaume Seguin. Actif de 1390 à 1393

Acte du 20 mars 1393 (n. st.). Paris, AN, P 13761, no 2624

Rigaut. Actif de 1394 à 1399

Acte du 15 décembre 1394. Paris, AN, P 13571, no 341 Acte du 27 avril 1395. Paris, AN, P 14023, no 2729, pièce 1405

184

Écrire et signer à la chancellerie

Jean Gadet. Actif de 1392 à 1408

Acte du 14 avril 1393. Paris, AN, P 13762, no 2713

Lorin Arnier. Actif de 1397 à 1408

Acte du 11 juin 1397. Paris, AN, P 13721, no 2048

Jean Chaumoise. Actif de 1401 à 1405

Acte du 1er août 1401. Paris, AN, P 13672, no 1573

Olivier Mattéoni

185

Étienne de Bar. Actif de 1402 à 1410 (et au-delà)

Acte du 2 mars 1403 (n. st.). Paris, AN, P 1381, no 3367 Acte du 5 novembre 1405. Paris, AN, P 13762, no 2748

Colas Denis. Actif de 1403 à 1406

Acte du 3 novembre 1403. Paris, AN, P 13662, no 1498

Jean Cordier. Actif en 1410

Acte du 12 janvier 1410 (n. st.). Paris, AN, P 13661, no 1474

La chancellerie d’Anjou-Provence d’après le journal de Jean Le Fèvre (1381-1388) Jean-Michel Matz

A

u milieu du xive siècle, le roi Jean II le Bon a constitué de vastes apanages en faveur de ses fils puînés. Louis devint en 1356 comte d’Anjou – comté érigé en duché en 1360 – et du Maine, et il reçut ensuite de son frère Charles V la Touraine, sa vie durant seulement. Plus tard, en 1380, ses ambitions et le soutien du pape Clément VII – dont Louis Ier d’Anjou a été le premier prince français à reconnaître l’élection, dès octobre 1378 – lui permirent d’être adopté par la reine Jeanne Ire de Naples et d’hériter ainsi de la Provence et du Regno à la conquête duquel il partit en 1382 pour y mourir deux ans plus tard1. Il est à l’origine de la seconde maison d’Anjou-Provence qui s’éteint à la mort de son petit-fils René à la fin du siècle suivant. À l’instar des autres princes territoriaux, apanagistes ou non, Louis Ier d’Anjou a doté ses territoires d’institutions à même de pouvoir les gouverner, d’autant que leur éparpillement était pour lui un défi que tous n’avaient pas à relever. Il a créé dans son apanage une chambre des comptes, attestée en 1368 lorsqu’elle conteste une donation du prince à une église d’Angers2, mais elle fonctionnait alors depuis déjà plusieurs années. Elle fut réformée une première fois en 1400 par son fils Louis II, puis à nouveau par René d’Anjou en 1437. Ses archives, conservées à partir de la fin du xive siècle, permettent d’en connaître à la fois le fonctionnement et le personnel3, sachant que la Provence 1. En dernier lieu, je me permets de renvoyer à Jean-Michel Matz, « La reine Jeanne Ire de Naples, le pape Clément VII et l’adoption de Louis Ier d’Anjou », Schola salernitana. Annali, 19, 2014, p. 41-58. 2. Charles-Jean Beautemps-Beaupré, Coutumes et institutions de l’Anjou et du Maine antérieures au xvie siècle. I : Coutumes et styles, Paris, Durand et Pedone-Lauriel, 1877-1883, t. 1, p. 536. 3. Michel Le Mené, « La chambre des comptes d’Anjou et les libéralités princières », dans Philippe Contamine, Olivier Mattéoni (dir.), La France des principautés. Les Chambres des comptes aux xive et xve siècles, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996, p. 43-54 ; Justine Moreno, Les officiers de la chambre des comptes d’Angers (1397-1424). Étude prosopographique d’après le premier « Journal » de l’institution, mémoire de master 2, dir. Jean-Michel Matz, université d’Angers, 2015, résumé (sous le même titre), Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123/1, 2016, p. 55-84. Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

188

La chancellerie d’Anjou-Provence

avait de son côté sa propre chambre, héritée (elle est attestée en 1288) de la première maison apanagée issue de Charles Ier d’Anjou. Les circonstances de la naissance de la chancellerie de Louis Ier ne sont pas mieux assurées. Elle intervient dans les années 1360-1380, qui sont « une période d’accélération dans la mise en forme du processus de rationalisation » des chancelleries princières4. Le plus ancien grand sceau du prince conservé date d’avril 13615, mais le premier « chancelier » identifié à son service semble en fonction dès 1354 (Louis n’a alors que quinze ans), soit avant la prise en main de l’apanage, et le resta jusqu’en 1360 : il s’agit de Guillaume de Chanac, abbé de Saint-Florent de Saumur, docteur en décret, connu plus tard sous le nom de « cardinal de Mende6 ». La chronologie n’est pas anodine. À l’automne 1360, le duc d’Anjou a fait partie des otages envoyés à Londres en échange de l’élargissement de son père, et ce jusqu’à sa fuite en octobre 1363. L’apparition de la chambre des comptes et l’organisation d’une chancellerie pourraient donc participer d’une tentative d’organisation – on hésite à parler de réformation générale – d’une administration de ses terres pour y affirmer son autorité. Dans la liste sûrement incomplète des chanceliers de Louis Ier d’Anjou se trouve Guillaume Pointeau (ou Pointel), un chevalier du Maine, nommé en 1377, auparavant (depuis 1369) commissaire des finances du duc dans son apanage, auquel on ne connaît pas de grade universitaire7. Pointeau est mort assassiné à Montpellier le 25 octobre 1379, lors d’une émeute causée par les exactions fiscales perpétrées par Louis en Languedoc en tant que lieutenant général de son frère Charles V8.

4. Guido Castelnuovo, Olivier Mattéoni (dir.), « De part et d’autre des Alpes » (II). Chancelleries et chanceliers des princes à la fin du Moyen Âge, Chambéry, université de Savoie, 2011, p. 10. 5. Christian de Mérindol, Le roi René et la seconde maison d’Anjou. Emblématique, art, histoire, Paris, Léopard d’or, 1987, p. 11, et catalogue, p. IX, no 2. 6. Guillaume de Chanac (†  1 383), abbé bénédictin de Saumur ( 1 354- 1 368), évêque de Chartres (1368-1371) puis de Mende (1371), nommé cardinal cette même année par son cousin Grégoire XI ; il remplit l’office de chancelier de Louis Ier entre 1354 et 1360, et peut-être en 1371 ; il assura aussi un intérim de juillet 1382 à mars 1383 (voir infra), avant de mourir en Avignon le 30 décembre : Pierre Jugie, Le Sacré Collège et les cardinaux de la mort de Benoît XII à la mort de Grégoire XI (1342-1378), thèse de doctorat, dir. Claude Gauvard, université Paris 1 PanthéonSorbonne, 2010, t. 2, p. 277-285. 7. Isabelle Mathieu, « Des hommes au service des princes : les grands officiers en Anjou et dans le Maine à la fin du Moyen Âge », dans Riccardo Rao (dir.), Les grands officiers dans les territoires angevins. Actes du colloque international (Bergame, 2013), Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 518/1), 2016, p. 207-235, http://books.openedition.org/efr/3017. 8. André Walckenaer, Louis Ier, duc d’Anjou, lieutenant général en Languedoc (1364-1380), thèse de l’École des chartes, 1890. La veuve de Pointeau entreprit des démarches contre ses meurtriers : Documents inédits pour servir à l’histoire du Maine au xive siècle, éd. Arthur Bertrand de Broussillon,

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Les sources de la pratique ne livrent donc que de rarissimes indices sur la chancellerie, et le naufrage de ses archives – on ne conserve en effet ni texte normatif venu réglementer son fonctionnement, ni volume d’enregistrement, ni protocole, ni compte – explique qu’elle n’a suscité aucune étude, à la différence de la chancellerie de la première maison d’Anjou-Provence9. À cette situation documentaire défavorable vient surtout s’ajouter le fait que les premiers Angevins ont effectivement gouverné le royaume de Sicile – puis après les Vêpres siciliennes de 1282 celui de Naples – alors que les princes de la seconde maison ont seulement dû se contenter du titre royal, malgré leurs tentatives pour s’imposer en Italie du Sud10. Leur chancellerie concerne donc seulement le fonctionnement de leurs possessions en France et en Provence, ce qui rend son histoire moins prestigieuse. En dépit de ce handicap, dans la perspective d’une histoire de la chancellerie de Louis Ier d’Anjou et de ses descendants, la décennie 1380 offre une source tout à fait remarquable : le « journal » de Jean Le Fèvre. Institué chancelier en 1381, il a tenu cet office jusqu’à sa mort en Avignon le 11 janvier 139011. Né dans les années 1330, Le Fèvre est entré chez les moines noirs de Saint-Vaast d’Arras en 1363, dont il devint l’abbé en 1370. Il a fait des études en droit à Paris et Orléans avant de figurer dans le collegium Facultatis decretorum de Paris en 1379. Entré au conseil du roi Charles V en 1370, Le Fèvre est envoyé en ambassade d’abord pour des négociations avec l’Angleterre puis au début du Grand Schisme d’Occident. Il est nommé évêque de Chartres par Clément VII le 5 mars 1380, alors qu’il vient tout juste d’achever le De planctu

Le Mans, s. n. (Archives historiques du Maine, V), 1905, no 233 (p. 245, août 1380) et no 245 (p. 264, juin 1381). 9. Andreas Kieswetter, « La cancellaria angioina », dans L’État angevin. Pouvoir, culture et société entre xiiie et xive siècle. Actes du colloque international (Rome-Naples, 1995), Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 245), 1998, p. 361-400. Stefano Palmieri, La cancellaria del regno di Sicilia in età angioina, Naples, Giannini, 2006 ; Stefano Palmieri, « La chancellerie angevine de Sicile au temps de Charles Ier (1266-1285) », et Valentina Niola, « Les formulaires de la chancellerie angevine de Charles Ier à Jeanne Ire », Rives nord-méditerranéennes, 28, 2007, respectivement p. 45-55 et 57-90. Une exception tardive pour la seconde maison d’Anjou : un court registre de la chancellerie de René d’Anjou est conservé (AN, P 13343, pièce 11, 1471-1472). 10. Christophe Masson, Des guerres en Italie avant les Guerres d’Italie. Les entreprises militaires françaises dans la péninsule à l’époque du Grand Schisme d’Occident, Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 495), 2014. 11. Pour sa biographie : Alfred Coville, La vie intellectuelle dans les domaines d’Anjou-Provence de 1380 à 1435, Paris, Droz, 1941, p. 95-139 ; Jean-Michel Matz, « Un grand officier des princes angevins à la fin du xive siècle : le chancelier Jean Le Fèvre d’après son journal », Provence historique, 64, 2014, Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Boyer, p. 313-325.

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bonorum, un des premiers traités en faveur de ce pape, en réponse au De flet Ecclesie du juriste bolonais Giovanni da Legnano, qui soutenait la légitimité d’Urbain VI12. À compter de sa nomination, Le Fèvre a tenu un « journal », depuis le 4 février 1381 jusqu’à son arrêt brutal le 13 juin 1388 alors qu’il continue à occuper son office jusqu’à son décès un an et demi plus tard. En raison des nombreuses missions remplies au nom du roi ou du pape, ce journal présente beaucoup d’interruptions jusqu’à la mort de Louis Ier en 138413, mais il gagne très nettement en régularité lorsque Le Fèvre travaille pour sa veuve, Marie de Blois14. Le journal est une source composite, à la fois main courante des actes sortis de la chancellerie et carnet très personnel de son action politique et diplomatique au service des princes angevins et de la papauté. Conformément au titre de mon étude, je ne retiendrai du journal de Jean Le Fèvre que les notes qui éclairent l’histoire de la chancellerie d’Anjou-Provence, mais cette source très riche se prête à bien d’autres lectures15. Ce document a été édité à la fi du xixe siècle par Henri Moranvillé16, mais celui-ci a supprimé par endroits des passages, comme par exemple les paragraphes consacrés à la nomination des notaires et secrétaires qui sont pourtant les seules données permettant d’entrevoir le personnel de la chancellerie. Il faut donc pour l’instant continuer à recourir au manuscrit pour avoir l’intégralité du texte, dans l’attente de

12. Texte du traité : Paris, BnF, ms. lat. 1469 ; cité par Noël Valois, La France et le Grand Schisme d’Occident, Paris, Picard, 1896-1902, t. 1, p. 127, et récemment édité par Alessandro Fabbri, All’indomani del Grande Scisma d’Occidente. Jean Le Fèvre, canonista al servizio dei Valois e il trattato De planctu bonorum in riposta a Giovanni da Legnano, Florence, EDIFIR, 2013. 13. Trois longues interruptions sont à relever : du 26 juillet 1382 au 24 février 1383 (ambassade en Flandre), du 6 mai au 16 octobre 1383, et surtout entre le 29 novembre 1383 et le 30 septembre 1384 (missions dans la péninsule Ibérique, en France et en Avignon). 14. Une longue interruption seulement : 10 octobre 1386 au 2 mai 1387. 15. Dans une perspective d’histoire politique : Marion Chaigne-Legouy, « “Pays de par deçà, pays de par delà”. Les relations entre Angevins et Napolitains sous le regard de Jean Le Fèvre, chancelier de la seconde Maison d’Anjou (1380-1388) », dans Ilaria Taddei, Anne Lemonde (dir.), Construction et circulation des idées et des pratiques politiques. France-Italie (xiii e siècle-xvie siècle), Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 478), 20 13, p. 148186 ; Jean-Michel Matz, « Princesse au pouvoir, femme de pouvoir ? L’action politique de Marie de Blois d’après le journal de Jean Le Fèvre (1383-1388) », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 129/2, 2017, p. 379-391, dans le dossier collectif rassemblé par Marie-Madeleine de Cevins, Gergely Kiss et Jean-Michel Matz (éd.), Les princesses angevines. Femmes, identité et patrimoine dynastiques, p. 263-410. 16. Journal de Jean Le Fèvre, évêque de Chartres, chancelier des rois de Sicile Louis Ier et Louis II d’Anjou, éd. Henri Moranvillé, Paris, Picard, 1887, cité désormais JJLF.

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l’aboutissement d’une entreprise éditoriale en cours qui va enfin remédier à cet état de fait17. Le journal est la source unique à partir de laquelle je propose d’étudier la chancellerie angevine dans les années 1380, à l’époque d’un autre fils – mais aussi frère et oncle – de roi de France. J’envisagerai d’abord l’office de chancelier et les fonctions multiples qu’il recouvre en réalité, ensuite l’organisation et le personnel de ce bureau d’écriture et enfin son fonctionnement et sa production18.

Le chancelier Le journal consigne toutes les modalités de la désignation d’un chancelier et les règles relatives à l’usage des sceaux. Le 4 février 1381, un secrétaire de Louis d’Anjou, Jean de Sains19, propose l’office à Le Fèvre – que le prince a dû connaître à la cour royale ou en Avignon. À cette date, la charge pourrait être restée vacante depuis la mort de Guillaume Pointeau en 1379, car une fois l’office accepté (6 février), la lettre d’office de Louis Ier « seellée de son privé seel à l’aigle20 » (le 8) et le serment prêté le lendemain, Le Fèvre écrit : « Le ixe jour monseigneur prist mon serrement aus Evangiles de le servir loyalment devant tous, le pape et le roy tant seulement exceptés, et me bailla son seel secret pour ce que le sien grand n’estoit point fait, depuis que celui que messire Guillaume Pointel son chancelier avoit, fu perdu à Montpellier où ledit messire Guillaume fut tué et occis21. » 17. Paris, BnF, ms. fr. 5015. Une nouvelle édition est en préparation par une équipe sous l’égide de Michel Hébert (UQAM, Montréal) et de moi-même, à paraître aux PUR en 2019, avec la version cette fois intégrale du journal, un ensemble de chapitres analytiques, et un index exhaustif qui fait tant défaut à l’heure actuelle. 18. Je laisse de côté l’aspect financier du fonctionnement, étudié par ailleurs : Jean-Michel Matz, « Le fonctionnement financier de la chancellerie des ducs d’Anjou-Provence d’après le Journal de Jean Le Fèvre (1381-1388) », dans Serena Morelli (dir.), Périphéries financières angevines. Institutions et pratiques de l’administration de territoires composites (xiiie-xve siècle). Actes du colloque ANR Europange (Naples-Capoue, 2014), Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 518/2), 2018, p. 56-67. 19. Sur ce personnage clé de la cour angevine, omniprésent dans le journal, Hélène Millet, « Biographie d’un évêque rescapé de la méthode prosopographique : Jean de Sains, officier des ducs d’Anjou et secrétaire de Charles VI », dans Penser le pouvoir au Moyen Âge (viiie-xve siècle). Études d’histoire et de littérature offertes à Françoise Autrand, textes réunis par Dominique Boutet et Jacques Verger, Paris, ENS Éditions, 2000, p. 181-209. 20. Sceau décrit par Christian de Mérindol, Le roi René…, op. cit., p. 230 : sceau en pied, le duc debout dans une niche gothique, la tête ceinte d’un bandeau, vêtu d’un manteau tenant sceptre fleuronné dans sa main droite, à gauche et à droite avec une aigle posée sur une colonnette. 21. JJLF, p. 1-2.

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Dans le journal, il n’est plus fait mention de sceau pendant plus d’un an, jusqu’à ce que Louis Ier d’Anjou reçoive de Clément VII l’investiture du royaume de Naples le 29 mai 1382. Deux jours plus tard, « au vespere, m’apporta maistre J. de Sains le seel de Calabre [l’héritier du Regno porte le titre de duc de Calabre] à tout le contre seing, et aussi le nouveau seel qui est d’or22 ». Deux semaines plus tard, Louis quitte Carpentras pour prendre la direction de l’Italie. Jean Le Fèvre s’apprêtait lui aussi à s’absenter longuement : « Le xxvie jour [de juillet 1382], je me parti d’Avignon par l’ordenance de nostre saint Pere, messagé de par li ordenné pour aler en Flandre ; et de la voulenté de monsegneur de Calabre [Louis], les seaulx d’Anjou que il m’avoit laissiés je baillé en depot et en garde à monseigneur le cardinal de Mende. Et est assavoir que les seaulx de Calabre je tins jusques au xiii jour de juing, que je les li rendit à Carpentras ; et il les bailla à Daniel Le Breton son varlet de chambre pour mettre en ses coffres23. » Le 26 octobre 1384, la nouvelle de la mort de Louis Ier est annoncée à Angers, où Le Fèvre avait rejoint Marie de Blois un mois plus tôt. De facto, l’office prend fin. Dès le lendemain, « je porté le seel de feu monseigneur en la chambre des comptes en la maison des Predicateurs, et le dit seel je enclos en un sac de toile et le lie très bien et y fis mettre les signés de [suit une liste de cinq noms]… ; et ledit seel ainssi enfermé je emporté24 ». Dans le même temps, à Paris, le conseil royal statue que « à Madame de droit et de coustume appartient la garde de messegneurs ses enfans et le bail de leur terres, se elle le veult prendre ». La décision parvient à Angers le 4 novembre. Là aussi dès le lendemain, Marie de Blois entame le processus de rétablissement de Le Fèvre dans son offic 25 : Samedi ensuivant, v jour de novembre, Madame me retint son chancelier, present messire Guillaume de Craon segneur de la Ferté Bernard, et maistre Jehan Haucepié à qui lettre en fu commandée. Et fis serment in verbo pontificis et sacerdotis de la servir loyalment en office de chancelier, et la conseiller contre toulx exceptés le pape et le roy, et son honneur et pourfit garder et son blasme et damage eschever, mais elle ne me bailla point son seel encore. […] [18 novembre] Madame envoia monstrer à monseigneur de Berri [venu à Angers] la grandeur de ses seaulx ; la fourme du grand li pleust asses ; il dit que le secret estoit trop grand et conseilloit qu’il fust ramené à la grandeur du contresigné. […]

22. JJLF, p. 41. 23. JJLF, p. 46. 24. JJLF, p. 56. 25. JJLF, p. 57-58, 60 et 67 pour les trois extraits successifs.

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Samedi xix jour de novembre, fu cassé le seel de monseigneur et Madame me constitua son chancelier, et li fis serrement la main au pis et l’autre sur les Evangiles de la loyalment servir et conseiller contre toulz excepté le pape et le roy de France et de exercer l’office de chancelier bien et diligemment à mon pouvoir.

Investi et disposant enfin des sceaux, Le Fèvre devient un acteur majeur du gouvernement de Marie de Blois. Chaque mission à lui confiée qui suppose un éloignement de quelque durée entraîne la remise des sceaux. C’est le cas le 9 mai 1386 : « Ce jour je commencié mon chemin à aller audevant de monseigneur de Bourgongne de par Madame, et me ordonna passer par nostre saint Pere et li dire pourquoy je aloie ; et mane tradidi ei sigillum suum magnum et sigillum Regis in deposito in coffro sigilli sui secreti26. » Il en va de même d’octobre 1386 (pour se rendre en Avignon puis en France) à son retour le 2 mai suivant où « elle me fist bailler les seaulx que elle en mon absence avoit toulzjours eu en son coffret27 ». Lors de ses déplacements, il emporte des lettres déjà scellées et utilise son propre sceau pour les lettres rédigées à titre personnel. En vertu de sa fonction et fort de l’absolue confiance de Marie de Blois, Le Fèvre dispose de tous les sceaux de première importance. Il tient évidemment le grand sceau en majesté28, et le sceau de Calabre jusqu’en 138629. Il utilise aussi le contre-sceau30, et d’après son journal, il use également du sceau du secret de la princesse31. Lorsque cette dernière quitte Paris fin mai 1388 pour se rendre à Guise (petit comté qui lui vient de son père Charles de Blois et qu’elle a porté en dot à Louis), elle baille au chancelier « son signet pour lettres missibles32 ». Le Fèvre dispose encore d’autres sceaux. Trois jours après la mort du sénéchal de Provence Foulques d’Agout le 28 décembre 1385, « Madame me bailla le seel de la seneschauciée et retint le seel de la financ  ».

26. JJLF, p. 274 (et p. 277, recouvrement des sceaux à son retour un mois plus tard). 27. JJLF, p. 321, 323, 340, et p. 357 et 359 pour une mission à la curie en juin 1387. 28. Christian de Mérindol, Le roi René…, op. cit., p. 231 : écu rond, posé sur un soleil au centre d’un cercle étoilé et embrassé par quatre bustes d’anges aux bras étendus, avec pour légende S. MARIE. DEI. GRA. REGINE IERLM ET SICILIE DUCATUS : APULIE : PRINCIPATUS : CAPUE : DUCISSE : ANDEGAVIE ET TURONIE COMITISSE PROVINCIE CENOM ET PEDEMONTIS. 29. JJLF, p. 181, il scelle « du seel de Madame et du seel du roy [Louis II] au title du duché de Calabre » ; à son retour, le 4 juin 1386, il écrit : « Elle me rendi les seaulx en disant que de celui de Calabre on ne useroit plus et que je le povoie bien faire fondre » (p. 277). 30. JJLF, p. 108, 189 (pour deux « lettres missibles de Madame ») ou p. 319 (pour des trêves). 31. JJLF, p. 96, 178 et 520. Christian de Mérindol, Le roi René…, op. cit., p. 230 : ce sceau secret est un « M » gothique couronné, tenu par deux anges, avec pour légende, en français, S. SECRET MARIE ROYNE… DU ROYAU… 32. JJLF, p. 527. Ce signet est semblable au sceau secret, mais sans les anges.

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Il mentionne plusieurs sceaux spécifiques au pouvoir judiciaire des princes, d’abord ceux des Grands Jours d’Anjou, qui sont une session annuelle de la grâce du duc (en appel) consentie par son frère Charles V dans l’apanage : Marie les lui remet à Angers en décembre 1384 et au mois d’août suivant, en Avignon, Le Fèvre les confie à Jean Le Bégut, chanoine de la cathédrale d’Angers et conseiller des princes, pour les mener en Anjou33. Par ailleurs, le 16 juin 1385, depuis la Provence, « se parti l’abbé de Saint Aubin pour s’en aller à Angiers et emporta un seel que Madame avoit fait faire pro litteris scriptis justicie et gracie en ses pais de France, et li en commis la garde et l’usage34 ». Par la nature de son office, le chancelier est donc le garde des sceaux, mais la sphère de la diplomatique princière est loin d’épuiser l’ampleur de toutes ses prérogatives. Représentant du duc et chef de son administration, il est habilité à recevoir en ses mains le serment des nouveaux offic ers, des plus modestes aux plus hauts placés35. Investi de ce rôle dans la gestion administrative et donc financière, Le Fèvre est encore un des principaux conseillers et s’affirme comme un négociateur de premier plan avec la cour de France, la curie d’Avignon ou les adversaires des Angevins en Provence. Il est devenu « cette haute figure des cours, qui régit la vie du conseil, contrôle les offices régule la grâce, patronne la diplomatie36 ». L’envergure politique du chancelier ne fait donc aucun doute. Que doit-elle à son profil et à sa formation intellectuelle ? La fidélité caractérise cet homme qui avoue à l’occasion sceller « contre [son] cœur » ou « se eschauffer » 33. JJLF, p. 77 et 151. Sur Jean Le Bégut, parent de Pierre Le Bégut (voir note 59), Jean-Michel Matz, François Comte, Répertoire prosopographique des évêques, dignitaires et chanoines des diocèses de France de 1200 à 1500. VII : Angers, Turnhout, Brepols (Fasti Ecclesiae Gallicanae), 2003 [cité désormais Matz-Comte, FEG VII], no 170, p. 264, et Jean-Michel Matz, « Le chapitre cathédral d’Angers et le service du prince. Formation intellectuelle et pratiques culturelles des chanoines officiers des ducs d’Anjou (milieu xive-fin xve siècle) », dans Isabelle Mathieu, Jean-Michel Matz (dir.), Formations et cultures des officiers et de l’entourage des princes dans les territoires angevins (milieu xiiie-fin xve siècle). Actes du colloque ANR Europange (Angers, 2015), Rome, École française de Rome (Collection de l’École française de Rome, 518/3), à paraître. 34. JJLF, p. 123 ; l’abbé de Saint-Aubin d’Angers Jean de La Péruse (1376-1385) est un des conseillers influents des ducs d’Anjou, tout comme son successeur Thibaud Ruffier (13861412), pilier de la chambre des comptes d’Angers : Justine Moreno, Les officiers de la chambre des comptes…, op. cit. 35. JJLF, p. 67 (19 novembre 1384, jour également du serment de Le Fèvre), quand Marie de Blois retient un nouveau juge ordinaire d’Anjou et du Maine, il écrit : « Je prins le serement de li sur les sains Ewangiles de loialment conseiller, des drois de Madame soustenir, de bonne justice faire, non decliner de justice ne pour faveur ne pour haine, et de non prendre dons corrumpables. » 36. Olivier Guyotjeannin, « Conclusion », dans Guido Castelnuovo, Olivier Mattéoni (dir.), « De part et d’autre des Alpes » (II)…, op. cit., p. 288.

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contre ceux qui s’expriment « très malgracieusement » devant ses maîtres ou envers lui37. Juriste, il a un « esprit vif, net, actif et consciencieux » et oppose à Giovanni da Legnano une réfutation « minutieuse et précise » dans son traité sur le schisme38. Il met au service du roi de France puis des Angevins son talent épistolaire mais aussi son éloquence oratoire39. Malheureusement, nous ne connaissons rien de sa bibliothèque pour cerner son « arsenal intellectuel40 ». Par son testament41, il lègue son bréviaire, son missel et son pontifical à ses successeurs sur le siège épiscopal de Chartres, et laisse tous ses autres livres à son ancienne abbaye Saint-Vaast d’Arras, mais sans en donner la liste.

Organisation et personnel de la chancellerie La chancellerie de Louis Ier d’Anjou est-elle déjà « une administration bien ordonnée, stabilisée, installée dans ses propres locaux, pourvue d’un personnel reconnaissable et hiérarchisé42 » ? Administration stabilisée ? À l’époque étudiée, la chancellerie angevine ne dispose pas d’un local propre. L’itinérance des princes et celle de Le Fèvre n’y sont pas étrangères, mais la chancellerie partage cette situation avec la chambre des comptes d’Anjou, qui siégeait à cette époque dans le couvent des Dominicains d’Angers alors que, curieusement, ses archives étaient déposées chez les Franciscains43. Administration ordonnée ? Le journal ne laisse pas entrevoir d’organisation particulière, mais par sa nature, cette source n’a pas vocation à s’étendre sur cette question. On relève juste qu’en 1387, Le Fèvre scelle une lettre pour un « varlet de chambre, à qui Madame donne l’office de chaufecire44 », et un audiencier est par ailleurs 37. JJLF, p. 16, 81, 109, 140, 170, 198, 242… 38. Alfred Coville, La vie intellectuelle…, op. cit., p. 109-110, et 120. 39. Outre les nombreuses mentions de parole publique dans le journal, voir Édouard Perroy, « Un discours de Jean Le Fèvre, abbé de Saint-Waast d’Arras et conseiller de Charles V (8 décembre 1376) », Mémoires de l’Académie d’Arras, 4/2, 1941-1944, p. 81-90 (discours à la curie d’Avignon contre le retour à Rome de Grégoire XI). 40. L’expression est reprise de Werner et Anke Paravicini, « L’arsenal intellectuel d’un homme de pouvoir. Les livres de Guillaume Hugonet, chancelier de Bourgogne », dans Penser le pouvoir…, op. cit., p. 261-325 ; le chancelier du Téméraire possédait une centaine de volumes (un tiers de droit, un tiers relatifs à la morale et à la religion). 41. AD Eure, G 2 (codicille). 42. Guido Castelnuovo, Olivier Mattéoni, « Introduction », dans Guido Castelnuovo, Olivier Mattéoni (dir.), « De part et d’autre des Alpes » (II)…, op. cit., p. 10. 43. François Comte, « Les lieux du pouvoir ducal à Angers au xve siècle », dans Jean-Michel Matz, Noël-Yves Tonnerre (dir.), René d’Anjou (1409-1480). Pouvoirs et gouvernement. Actes du colloque international d’Angers (2009), Rennes, PUR, 2011, p. 163-194, ici p. 166. 44. JJLF, p. 408.

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mentionné dès octobre 1384, alors qu’il n’apparaît que trois décennies plus tard, en 1413, dans la chancellerie du duc de Bourgogne Jean sans Peur45. Reste la question du personnel de la chancellerie d’Anjou-Provence, qui se heurte à un problème de vocabulaire autour du sens à donner aux mots notaires et secrétaires. Ces derniers sont-ils rattachés directement au service du prince dans des missions spécifiques alors que les premiers formeraient un milieu subordonné occupé à la seule production de l’écrit ? Les appellations comme les attributions semblent en réalité bien mouvantes. Dans certaines administrations princières, celle de Bourgogne-Flandre notamment, des secrétaires n’ont jamais joué de rôle dans la chancellerie46. Ailleurs, par exemple dans la chancellerie du duc de Berry, la rédaction des actes émanés directement de lui est de la responsabilité des secrétaires alors que les notaires ont la charge des autres écrits47. Dans la chancellerie d’Anjou-Provence, les sources ne permettent pas de trancher, car si la question ne se pose pas pour les notaires, rien ne permet d’affirmer que tous les secrétaires y ont travaillé. Quoi qu’il en soit, Le Fèvre était entouré de tout un personnel. Pour les notaires et secrétaires « retenus » – qualificatif invariablement utilisé pour les conseillers ou les officier  – au service de Louis Ier d’Anjou puis de sa veuve, il a noté la date du serment qu’il a personnellement reçu et l’apposition du seing manuel que chacun utilisera par la suite dans ses fonctions. Jusqu’à la mort de Louis en septembre 1384, ces mentions sont éparpillées au fil de la rédaction : elles sont au nombre de dix, dont cinq seulement sont données – sans qu’il explique ce choix – dans l’édition de Moranvillé. Il s’agit de sept secrétaires et trois notaires ; sept datent de 1381, les dernières (trois secrétaires) de l’année suivante. Au cours de cette période, le journal donne aussi copie (à trois reprises uniquement, aucune ne figurant dans l’édition) non de la lettre d’office, mais de la notification au chancelier – et dans un cas également aux

45. JJLF, p. 55, et p. 93-94 (gages annuels de 50 l.t.) ; voir Jean Richard, « La Chancellerie des ducs de Bourgogne de la fin du xiie au début du xve siècle », dans Landesherrliche Kanzleien im Spätmittelalter. Referate zum VI. Internationalen Kongress für Diplomatik (München, 1983), Munich, Bei der Arbeo-Gesellschaft (Münchener Beiträge zur Mediävistik und Renaissance-Forschung, 35), 1984, p. 379-413, ici p. 389. 46. Pierre Cockshaw, Le personnel de la chancellerie de Bourgogne-Flandre sous les ducs de Bourgogne de la maison de Valois (1384-1477), Courtrai/Heule, UGA (Anciens pays et assemblées d’états, 79), 1982, p. 80-82. 47. René Lacour, Le gouvernement de l’apanage de Jean, duc de Berry (1360-1416), Paris, Picard, 1934, p. 166-168.

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maîtres de son hôtel – de la nomination par le duc. Je cite la plus ancienne, les suivantes ayant recours aux mêmes formules48 : De par le duc d’Anjou et de Touraine. Chancelier. Savoir vous faisons que pour le très grand bien, souffisance et diligence de nostre bien amé maistre Jaques Biderel, nous ycellui avons au jour d’uy retenu et retenons par ces presentes en nostre secretaire aus gaiges, drois, prouffis et emolumens qui y appartiennent. Si voulons et vous mandons que receu dudit maistre Jaques le serment en tel cas acoustumé et le signé dont il vouldra user oudit office et des diz gaiges, drois, prouffis, emolumens et autres libertez et franchises qui y appartiennent sanz aucun contredit. Donné en nostre ville de Tours, soubz nostre seel de secret le xxiie jour d’aoust l’an de grace mil trois cens quatre vins et un. Amissi signum. Par monsegneur le duc. Ar[noul] La Caille. Signum manuale mei Jacobi Biderelli presbiteri superius nominati domini ducis Andegavensis secretarii est tale ut sequitur. Ja[cques] Biderel.

Sous Marie de Blois, ces lettres ne sont plus recopiées et les mentions de serment et l’apposition du seing sont toutes ramassées en quelques feuillets du journal (fol. 25 à 30) que le chancelier avait laissés vierges à l’origine, qui offrent ainsi une belle collection de signatures (voir en annexe). Les enregistrements sont au nombre de trente-huit (absents de l’édition de Moranvillé)49, et très curieusement, ils se poursuivent jusqu’en novembre 1389, soit un an et demi après l’arrêt du journal. Ils concernent cette fois vingt secrétaires et douze notaires, un autre retenu avec ces deux titres à la fois et les derniers sans titre spécifié mais avec une formule d’enregistrement rigoureusement identique. Retenus officiers « de la royne de Jherusalem et de Sicile » jusqu’à la connaissance de la mort de Louis Ier, ils le sont ensuite « de la royne et de monseigneur son aisné filz ». La chronologie du recrutement est particulièrement irrégulière : treize sont incorporés dans les services au cours des trois derniers mois de l’année 1384 (dont dix en octobre), huit en 1385, deux au début de l’année 1386, trois en 1387, cinq en 1388 et les sept derniers en 1389. Au total, entre 1381 et 1389, le chancelier livre le nom d’au moins vingthuit secrétaires (et cinq hommes retenus sans titre précisé, peut-être également secrétaires), chiffre qui paraît tout à fait considérable si on le compare

48. BnF, ms. fr. 5015, fol. 2. Une variante dans la nomination du notaire Jean Fagot (fol. 5, 18 décembre 1381 à Paris), où on peut lire : « en tel cas acoustumé et son saing dont il vouldra user, vous l’enregistrez ou faites enregistrer es livres et papiers de notre dicte chancelerie et desdiz droiz… ». 49. En fait quarante, mais deux font explicitement référence à une affectation hors de la chancellerie : Pons Rolland (originaire d’Alençon) à la cour royale d’Aix (fol. 28, 9 novembre 1387), Guillaume Verdon (d’Aix) comme notaire public (fol. 28v, le lendemain).

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aux trente-deux secrétaires connus du duc Louis II de Bourbon (1356-1410) en un long demi-siècle50. Le journal n’a aucun caractère systématique pour décliner l’identité de ces individus. Sur les trente-huit reçus au serment à partir de 1384, l’origine géographique n’est donnée que neuf fois, par le diocèse s’ils sont clercs ou par la ville de résidence ou d’origine51 ; la dispersion hors des territoires angevins ne permet pas de conclure à un recrutement « local ». Plus pauvres encore sont les mentions de grades (sur trente-huit individus, il y a deux bacheliers et trois licenciés, tous en lois) alors que l’on sait par des sources d’archives que d’autres en étaient pourvus, eux aussi en droit. Quant au statut, entre ceux qui sont mentionnés comme tels et ceux que l’on sait l’être, la moitié au moins sont des gens d’Église, pour lesquels Le Fèvre précise exceptionnellement un bénéfice ecclésiastique alors occupé (deux chanoines du Mans et un de Riez). Pour fini , le journal indique une seule fois un lien de parenté, sans doute en raison d’une homonymie entre deux notaires reçus en 1384 appelés Jean de Vaulx, dont l’un est « frere de celui de la dessus ». En revanche, il ne dit pas si les secrétaires Josseran Le Fèvre (reçu en novembre 1384) et Lucas Le Fèvre (en janvier 1385) sont ses ou des parents. L’entrée dans les services de la chancellerie marque le début d’une carrière qui peut y rester confinée ou n’être au contraire que la première étape d’un parcours dans l’administration et/ou dans l’Église pour ceux qui y sont aptes du fait de leur état. Le rapport étroit entre personnel de chancellerie et personnel de chambre des comptes ou offices financiers a déjà été relevé dans diverses administrations (Berry, Bourbon, Bourgogne, Savoie…) et celle des Angevins vient le confirme . Ainsi, sur les trente-huit hommes retenus par Marie de Blois, Henri de Sailleville, reçu secrétaire en 1385, devient le jour même contrôleur de la chambre aux deniers de la reine52, et quatre autres sont plus tard attestés à la chambre des comptes d’Anjou53 :

50. Olivier Mattéoni, « Écriture et pouvoir princier. La chancellerie de Louis II de Bourbon (1356-1410) », dans Guido Castelnuovo, Olivier Mattéoni (dir.), « De part et d’autre des Alpes » (II)…, op. cit., p. 137-178, ici p. 149. 51. Diocèses : Auxerre, Le Mans, Maillezais, Rennes, Tours, Tréguier et Verdun ; villes : Marseille et Nice. 52. BnF, ms. fr. 5015, fol. 26v (reçu le 7 mars 1385) ; JJLF, p. 93, et p. 274 (où il délivre 360 francs de gages à Le Fèvre). 53. Justine Moreno, Les officiers de la chambre des comptes…, op. cit., qui exploite le premier journal de cette institution (AN, P 13344, 1397-1424).

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• Gilet Buynart, secrétaire (2 octobre 1384), devient huissier (à partir de janvier 1385) puis clerc (1399) et enfin maître de la chambre des comptes (1404-† 1424)54 ; • Pierre Bricoan, notaire (2 octobre 1384), sergent de Moncontour en 1385, devenu secrétaire et conseiller de Louis II avant 1409, est clerc (1405) puis maître des comptes (1412-ap. 1424)55 ; • Michel de La Croix, secrétaire (3 octobre 1384), devient maître des comptes (1401-1410)56 ; • Lucas Le Fèvre, secrétaire ( 13 janvier 1385), conseiller de la reine depuis au moins 1399, est clerc (avant 1397) puis maître des comptes (1400-1407)57. Par ailleurs, des clercs reçus comme secrétaires font carrière dans l’Église – les serviteurs reçus comme notaires semblent là aussi en retrait en termes de perspectives. Yves Taillerot, du diocèse de Tours, et Pierre Le Bégut, originaire de celui de Tréguier et licencié en lois, sont tous deux assermentés en 1389 : le premier est modestement connu comme chapelain de la cathédrale d’Angers en 139258 ; le second, déjà prébendé de la collégiale Saint-Pierre-de-la-Cour du Mans en 1385 grâce à Marie, devient chanoine de la cathédrale d’Angers (1392-1421)59. Olivier Du Solier, secrétaire en 1384, et Jean Porcher, du diocèse de Maillezais, secrétaire en 1389, sont eux aussi attestés plus tard comme chanoines dans le chapitre cathédral d’Angers60, mais la plus belle carrière revient incontestablement à Guillaume Le Tort († 1403), évêque de Marseille par l’intercession de Marie de Blois61.

54. BnF, ms. fr. 5015, fol. 25 ; JJLF, p. 84 ; AN, P 13344, fol. 29v, 35 et 150 pour ses promotions, avec 258 occurrences ou signatures dans le journal entre 1397 et sa mort en 1424. 55. BnF, ms. fr. 5015, fol. 25 ; JJLF, p. 127 ; AN, P 13344, fol. 31v, 81v, 83 et 121v, avec 209 occurrences ou signatures entre 1412 et l’arrêt de la source en 1424. 56. BnF, ms. fr. 5015, fol. 25v ; AN, P 13344, avec 35 occurrences ou signatures. 57. BnF, ms. fr. 5015, fol. 26v ; JJLF, p. 78, chargé par la reine en décembre 1384, soit avant son serment au chancelier le mois suivant, d’aller quérir les sceaux des Grands Jours d’Anjou ; AN, P 13344, fol. 25 (comme conseiller), avec 117 occurrences ou signatures entre 1397 et 1407. 58. BnF, ms. fr. 5015, fol. 29v ; Recueil des historiens de la France. Pouillés. III : Pouillés de la province de Tours, éd. Auguste Longnon, Paris, Picard, 1903, p. 208 et 216. 59. BnF, ms. fr. 5015, fol. 29 ; JJLF, p. 215 ; Matz-Comte, FEG VII, no 219, p. 308. Parent de Jean Le Bégut, autre serviteur (voir supra, note 33). 60. Solier : BnF, ms. fr. 5015, fol. 26v ; Matz-Comte, FEG VII, no 215, p. 307 ; en 1385, il reçoit une prébende de la collégiale ducale Saint-Martin d’Angers par Marie de Blois (JJLF, p. 191). Porcher : BnF, ms. fr. 5015, fol. 29v ; Matz-Comte, FEG VII, no 310, p. 286. 61. Alfred Coville, La vie intellectuelle…, op. cit., p. 134-136, que je complète par d’autres sources.

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Reçu secrétaire – vraisemblablement déjà notaire – le 2 octobre 138462, natif du diocèse d’Évreux, immatriculé dans la nation de Normandie de la faculté des arts de Paris, il est bachelier in utroque iure en 1379 d’après le rotulus de l’université63. En 1384, il obtient un canonicat de la cathédrale du Mans, et en 1387 un autre à la collégiale Saint-Pierre-de-la-Cour ; avant 1384, il était aussi devenu chanoine de la collégiale comtale Saint-Martin d’Angers64. Il est encore chanoine de Cambrai lorsque Marie de Blois obtient du pape Benoît XIII sa nomination sur le siège de Marseille en octobre 139665, où il succède à un conseiller de Louis Ier d’Anjou66. Dans la lettre qu’elle avait auparavant adressée au pape pour lui demander en vain le siège d’Aix pour son protégé, elle le qualifiait de legum doctor et précisait surtout : magister in disciplina nati mei regis Sicilie, qui in servitiis sancte Ecclesie Dei atque mei et dicti regis nati mei plurimum insudavit67. On ne sait malheureusement rien de ce préceptorat, mais il enrichit la palette des fonctions exercées par un secrétaire – à la différence des notaires qui restent bien de simples scribes et exécutants. Le Fèvre mentionne souvent Le Tort dans son journal : pour des bénéfices obtenus, en tant que témoin au serment d’officiers, pour sa présence « comme notaire » lors de négociations en vue du mariage du jeune Louis II afin d’en rédiger « carte ou instrument68 », ou pour sa libération en août 1387 après avoir été capturé par des gens d’armes opposés aux Angevins près de Marseille où il se rendait pour la reine69.

Fonctionnement et production de la chancellerie Organiser une mémoire officielle de l’activité de l’État nous apparaît aujourd’hui un des devoirs du « bon gouvernement ». Historiquement, cela 62. BnF, ms. fr. 5015, fol. 25 : Istum est signum manuale mei Guillemi dicti Le Tort regine Jherusalem et Sicilie secretarii. Actum anno, mense et die quibus supra. Die subscripta recepi juramentum dicti Guillelmi. Johannes episcopus Carnotensis. On note le caractère très laconique de cette notice en regard de ce que l’on sait de lui. 63. Heinrich Denifle, Émile Châtelain, Chartularium Universitatis Parisiensis, Paris, Delalain, 1894, t. 3, p. 268. 64. Dans l’ordre de citation des bénéfices : Archivio Segreto Vaticano, Reg. Aven. 240, fol. 501 ; JJLF, p. 356, 383 ; BM Angers, ms. 768 (687), et ms. 770 (689), fol. 1, 3, 6 et 7v. 65. Joseph-Hyacinthe Albanès, Gallia Christiana novissima, t. 2 (« Marseille. Évêques, prévôts, statuts »), Valence, Imprimerie valentinoise, 1899, a rassemblé une trentaine de documents sur Le Tort (col. 386-395, no 625 à 652). 66. JJLF, p. 32 (Aymard de La Voute, reçu conseiller en 1382). 67. Joseph-Hyacinthe Albanès, Gallia Christiana novissima…, op. cit., no 628. 68. JJLF, p. 351 (31 mai 1387). 69. JJLF, p. 377 (il a passé deux mois en prison).

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suppose une production exponentielle de l’écrit et un souci de sa conservation puisqu’il s’agit à tout instant de disposer des moyens documentaires de la connaissance des réalités administratives, fondement de la gestion au présent des affaires. Pourtant, dans la chancellerie angevine, organe fondamental du développement de cette culture administrative qui est autant une culture politique, il n’est pas du tout avéré que des archives ou des recueils d’enregistrement des actes scellés ont existé du temps de Louis Ier d’Anjou ; leur apparition a pu être plus tardive, comme c’est le cas en Bretagne où la registration ne remonte pas avant l’extrême fin du xive siècle70. Appréhender le fonctionnement technique de cette chancellerie et jauger sa production à la lumière du journal de Le Fèvre se heurte à deux obstacles, chronologiquement d’abord à cause de ses interruptions, on l’a évoqué, qualitativement ensuite du fait de la grande sécheresse des annotations par lesquelles il résume les actes scellés en quelques mots seulement. Au vu du nombre d’actes – appelés tour à tour lettre, instrument, commission, mandement, exécutoire, pouvoir, retenue ou certificatio  – scellés, l’office devait être particulièrement lourd. Entre la fin de l’année 1384 et l’arrêt du journal en juin 1388, Le Fèvre a apposé un sceau sur près de 3 200 actes – 3 169 pour être précis, sous réserve d’une erreur de comptage de ma part (tabl.). Tableau — Nombre d’actes scellés par mois sous Marie de Blois (1384-1388) Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre Novembre Décembre Total

1384 — — — — — — — — — — 16 15 31

1385 29 18 44 — 20 78 68 67 129 100 40 51 644

1386 103 56 88 75 21 93 122 40 26 14 — — 598

1387 — — — — 101 57 99 168 460 246 221 164 1516

1388 191 12 61 51 36 29 — — — — — — 380

70. Jean Kerhervé, « Les registres des lettres scellées à la chancellerie de Bretagne sous le règne du duc François II (1458-1488) », dans Kouky Fianu, DeLloyd J. Guth (dir.), Écrit et pouvoir dans les chancelleries médiévales : espace français, espace anglais. Actes du colloque international (Montréal, 1995), Louvain-la-Neuve, Fédération internationale des instituts d’études médiévales (Textes et études du Moyen Âge, 6), 1997, p. 153-203, ici p. 155-156, qui note que les registres de la première moitié du xve siècle avaient déjà disparu.

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Le premier constat est l’extrême irrégularité du nombre d’actes. La polyvalence des fonctions de Le Fèvre l’explique parfois : en février 1385, il est à Paris où il s’active chaque jour à la cour royale71 ; avril est occupé par son voyage (deux semaines) vers la Provence et les négociations qu’il mène ensuite à la curie ; d’octobre 1386 à avril 1387, il a remis les sceaux à Marie pour un long périple en France. Dans d’autres cas, le chancelier est auprès d’elle et les creux témoignent alors d’une chancellerie qui tourne au ralenti : en 1385, on relève seulement 20 actes scellés (en neuf jours) en mai, 40 (en quatorze jours) en novembre et 51 (en dix-neuf jours) en décembre. À l’inverse, l’urgence politique entraîne de véritables pics de scellement : dans les derniers mois de l’année 1387, quand s’achève la guerre de l’Union d’Aix et qu’il faut complaire aux premiers soutiens, conforter les rebelles repentis ou acheter les derniers ralliements72, Le Fèvre scelle 927 actes entre septembre et novembre (soit plus de 300 par mois), parmi lesquels dominent les confirmations ou les concessions de biens, de droits, de pensions, d’offices et de bénéfices ecclésiastiques, en Provence comme dans le royaume de Naples – qui sont pour partie issus de confiscations symboliques opérées au détriment des ennemis. Si l’on passe de l’échelle mensuelle à celle journalière, les écarts sont encore plus prononcés et ils viennent confirmer l’importance de l’année 1387, qui concentre – pourtant en huit mois seulement couverts par le journal – près de la moitié (47,8 %) des actes passés entre les mains de Le Fèvre au cours de la période. À côté des nombreux jours où il ne scelle rien ou presque, on dénombre vingt-deux jours (dont dix-sept dans le second semestre 1387) avec entre 20 et 40 actes scellés quotidiennement ; il y a également six jours durant lesquels leur nombre dépasse les 40 : c’est le cas du dimanche 6 octobre 1387 (avec 43 scellements) ou de trois autres jours en fin de période avec une cinquantaine d’actes73. Le record est atteint le 5 septembre 1387 avec 70 actes et 74 autres cinq jours plus tard ! On ignore la longueur moyenne de tous ces actes, mais le personnel recensé au service de Le Fèvre devait normalement suffire à les produire, d’autant qu’à l’occasion, le scellement concerne des instruments rédigés hors de

71. Sur l’ensemble du mois, il ne scelle que trois jours (dont 16 actes sur les 18 le 21 février). 72. Voir Geneviève Xhayet, « Partisans et adversaires de Louis d’Anjou pendant la guerre de l’Union d’Aix », Provence historique, 40, 1990, p. 403-427, et Amedeo Miceli di Serradileo, « Concessioni di cariche ed uffici nel Regno di Napoli fatte da Marie de Blois, vedova di Luigi I d’Angiò, negli anni 1385-1388 a cavalieri ed altri suoi fideli durante la minore eta’del figlio Luigi II d’Angiò », Araldica calabrese, 5, 2005, p. 97-106. 73. Il y a 50 actes le dimanche 26 janvier 1388, 51 le 27 septembre 1387 et 52 le 15 octobre 1387.

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la chancellerie74. Il faut néanmoins s’interroger sur le laps de temps écoulé entre la décision politique et sa transcription administrative, et aussi sur le délai éventuel entre la rédaction d’un écrit et son scellement. Le journal ne donne que quelques rares indices pour apprécier l’efficacité de la chancellerie. En 1384, quand le juge ordinaire d’Anjou prête serment à Angers entre les mains de Le Fèvre le 19 novembre, il « eust la lettre de son office de juge » dès le lendemain75 ; en revanche, le capitaine du château d’Angers qui « fist serement à Madame » le même jour dut attendre trois semaines pour avoir sa lettre scellée76. En 1385, Marie de Blois reçoit l’obéissance des habitants de Martigues le 30 avril, et ce n’est que le 4 mai qu’ils « eurent leur lettre […] de la promesse faite à eulz le dimenche devant77 ». L’implication personnelle du chancelier dans la chaîne de production est difficilement perceptible78. Responsable du bon usage des sceaux qu’il tient, il est par l’essence même de son office le garant de la validité des actes sortis de son bureau d’écriture. Le journal reste assez peu disert sur cette dimension pourtant essentielle de la pratique de l’écrit de chancellerie qui concerne aussi bien l’exactitude des titulatures, la justesse des formules ou la correction du vocabulaire utilisé par les scribes. Avant que la mort de Louis Ier d’Anjou ne soit connue à la cour, « Madame eust son conseil » le 1er octobre 1384 à Angers. Le Fèvre précise : Deliberé fu : – Premier que les lettres de justice et aucunnes aultres seroient faites ou nom de monseigneur le roy Loys et sellées de son seel d’Anjou que il me laissa quant il s’en ala en Ytalie ; – Item que les lettres qui seront faites des choses passées en la presence de Madame la roynne seront ainsi signées : Par le roy, en la presence de la roynne en son conseil ; – Les lettres de justice qui par moy le chancelier seront passées en l’absence de Madame seront ainsi signées : Par le roy à la relacion de son conseil ; – Toutes les lettres qui passeront soubz le seel

74. Le 10 août 1386, il scelle une lettre pour « l’université du chastel de Saint Remi » par laquelle Marie de Blois la place dans son domaine en spoliant le vicomte de Turenne : « Cest lettre me fut envoiée signée et mande [Madame] que je seellasse et envoiasse en Arle à messire Raymon Bernard, et je le fis » (JJLF, p. 309). 75. JJLF, p. 67-68 ; il ajoute : « Et dont je me merveillé, il a povoir de composer en cas de crime. » 76. JJLF, p. 69 (20 novembre) et p. 74 (10 décembre). 77. JJLF, p. 104-105. 78. JJLF, quelques détails donnés : p. 108, en mai 1385 (« Par l’ordenance de Madame je dicté les lettres… », et « je fis copier l’infeudacion… ») ; p. 439 : « Ce jour Madame en la chambre du pape, nommée la chambre du Cerf, me commanda, present le pape et le chamberlan, que je feisse faire lettres à messire George [de Marle] pour l’office de seneschal de Prouvence, lequel à la requeste du pape li a ottroié » (10 octobre 1387).

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La chancellerie d’Anjou-Provence d’Anjou seront ainsi datées : Donné en tel lieu soubz nostre seel par nous ordenné et laissié pour le gouvernement de nos terres de France79.

La minorité de Louis II et la régence de Marie ont changé les usages de la diplomatique. Le 5 mai 1385, donc assez tardivement, « fu deliberé sur la maniere d’escrire et fus conclu que en Prouvence les lettres se feront : Ludovicus rex…, de auctoritate et assensu domine Marie regine genitricis et gubernatricis… ». La papauté a particulièrement veillé sur le cas du Regno, État vassal dès sa création au xiie siècle, source de bien des difficultés depuis. Lors d’un conseil, le 8 mai 1385 en présence de deux cardinaux, « fu conclu que en escripsant en Provence elle escriproit en la maniere que elle escript en France comme bail et administraresse du roy son filz. Quand au Royaulme, fu faite difficulté pour ce que aultrefois les papes en ont eu le bail ou commis à leur voulenté quant le Royaulme cheoit en mineur d’aage ; si fu cest article reservé à plus grand conseil ». Dès le 20 mai, l’affaire était réglée : Clément VII, en consistoire, « decernoit le bail et le gouvernement du roy et du Royaulme à Madame80 ». Les usages scripturaires et de validation sont rarement décrits – tout comme l’examen par le chancelier des actes produits devant lui par des quémandeurs81 – alors qu’il fallait jongler avec des modes variables selon les territoires. Il scelle des lettres « en la forme acoustumée pour les Prouvenceaulx82 », et mentionne parfois des lettres « en forme commune83 ». Par moments, le travail des scribes n’est pourtant pas exempt d’erreurs. En 1382, Le Fèvre scelle des lettres de retenue de deux écuyers de Gênes comme « familiers » du prince ; mais le lendemain, il ajoute : « Je rompi [les] ii lettres pour ce que on y avoit adiousté conseillers84. » Interpolation quelque peu fâcheuse. En avril 1386, à l’heure des troubles de la guerre de l’Union d’Aix, les habitants de Sisteron font valoir au capitaine de la ville qu’ils « trouverent faulte en la date de la seurté que leur donnoient les genz d’armes, quar y avoit donné le xviii jour d’avril l’an iiiixx et v, et il devoit avoir l’an iiiixx et vi selonc la computacion

79. JJLF, p. 54-55. 80. JJLF, p. 106-107 et p. 110 pour les citations de ce paragraphe. 81. JJLF, p. 201 (deux actes « estoient comme je croy truffés, quar il n’avoit seel authentique quelconque »), p. 203 (au sujet d’un homme venu de Naples avec une lettre de François des Baux, « je tenoie que c’estoit tromperie, je fis le varlet mettre en prison »), p. 328 et 470 (dubitabamus de fraude). 82. JJLF, p. 37 (11, 16 et 17 mai 1382). 83. JJLF, p. 402 (septembre 1387), p. 512-514 (mars 1388). 84. JJLF, p. 36-37 (17 et 18 mai). Sur cet usage, voir Hubert Nelis, « Lettres cassées de la chancellerie de Bourgogne », Revue belge de philologie et d’histoire, 6, 1927, p. 757-775.

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de ce pays85 ». Erreur de comput cette fois : en Provence, le style est celui de l’Annonciation – changement de millésime le 25 mars – alors qu’en France est suivi le style de Pâques avec un changement de millésime au 22 avril en 1386. Qu’en est-il de la langue des écrits de cette chancellerie ? Pour faire simple, la question tourne autour du processus de vernacularisation des actes administratifs86. À partir du xiiie siècle, les bureaux d’écriture des Angevins ont eu le choix entre le latin et les vernaculaires en usage dans leurs différents territoires, oïl dans l’apanage, occitan en Provence. Pour la fin du xive siècle, à la condition que la langue utilisée par Le Fèvre pour résumer brièvement chaque acte soit bien celle de l’acte lui-même, le latin était utilisé dans les écritures destinées à la Provence et au Regno et le vernaculaire pour les terres de France – ce qui explique l’alternance totalement erratique des langues dans la source. Toutefois, au début du journal, quand il scelle depuis l’Anjou ou une région voisine, il lui arrive de résumer en français des lettres pour la Provence ; en revanche, quel que soit le lieu de son émission, la production destinée à l’apanage est toujours registrée en français. Quoi qu’il en soit, dans les années 1380, le choix du vernaculaire ou du latin pour des actes de même nature découle d’une pratique alors déjà bien ancrée dans le passé. En Provence, hors de la littérature, on sait que la langue occitane était en usage dans les écritures privées ou les archives municipales au xive siècle, et le vernaculaire s’imposa bientôt aussi dans les chapitres des assemblées d’états87. En revanche, fort de la tradition sicilienne et frédéricienne88, le latin est resté prédominant comme langue de gouvernement et les grandes ordonnances des premiers comtes-rois (notamment celle de la chancellerie en 1310 par Robert Ier) l’ont maintenu durablement dans cette situation jusqu’au rattachement de la Provence à la France à la fin du xve siècle. Michel Hébert a proposé d’y voir la marque de princes qui n’étaient pas des Provençaux, mais des Français « napolétanisés » (1246-1382) et ensuite des Français tout court (1382-1481) qui « ne partag[ai]ent pas un commun vernaculaire avec leurs

85. JJLF, p. 268. 86. Olivier Guyotjeannin (éd.), La langue des actes. Actes du 11e congrès international de diplomatique (Troyes, 2003), http://elec.enc.sorbonne.fr ; Henri Bresc, Benoît Grévin (éd.), La résistible ascension des vulgaires. Contacts entre latin et langues vulgaires au bas Moyen Âge. Actes de la journée d’études (Paris X-Nanterre, 2003), Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 117/2, 2005, p. 447-718,  ; Thomas Brunner, « Le passage aux langues vernaculaires dans les actes de la pratique en Occident », Le Moyen Âge, 115, 2009, p. 29-72. 87. Michel Hébert, « Latin et vernaculaire : quelles langues écrit-on en Provence à la fin du Moyen Âge ? », Provence historique, 47, 1997, p. 281-299. 88. Voir notamment Henri Bresc, « L’héritage frédéricien en Sicile (1250-1350) », Memini. Travaux et documents, 19-20, 2016, http://journals.openedition.org/memini/816.

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sujets ». L’essor d’écritures en langue d’oïl que l’on a pu observer dans la chancellerie de Sicile à partir de 1277 contraste donc avec l’absence du vernaculaire dans les actes royaux de l’aire provençale89, mais ce mouvement de courte durée déclina dès le règne de Charles II. En Anjou et dans le Maine, le vernaculaire s’est imposé comme langue des actes dès Charles Ier, et ce quel que soit le lieu de leur émission. Le montrent, par exemple en 1279, les confirmations depuis Angers par le futur Charles II, alors prince de Salerne, des mesures de police prises par son père sur le commerce et la qualité des denrées alimentaires90. La vernacularisation des actes s’observe donc précocement, et ce même lorsqu’ils sont adressés à des établissements ecclésiastiques. En 1290, lorsque Maine et Anjou sont apportés en dot par Marguerite – fille de Charles II – à son mari Charles de Valois, la domination du vernaculaire dans la diplomatique en sortit encore renforcée et la constitution de l’apanage au profit d’un « fils de roi » issu des Valois au milieu du xive siècle n’a jamais remis en cause cet état de fait comme le montrent le journal de Jean Le Fèvre pour la fin de ce siècle et les actes conservés pour le siècle suivant. * La problématique de l’imitatio regis, soit la reprise des formes d’organisation de l’institution et la captation des usages et des styles de la chancellerie royale par celles des princes, notamment des ducs issus de la dynastie des Valois, a longtemps prévalu dans leur étude91, comme d’ailleurs dans celle de leurs Chambres des comptes. La chancellerie d’Anjou-Provence telle qu’on l’entrevoit dans le journal de Jean Le Fèvre paraît bien présenter cette perméabilité, mais seule la poursuite de l’enquête saurait l’affi mer plus avant. Deux pistes de recherche au moins devraient être prometteuses : l’étude des hommes, et celle des actes. L’étroitesse des liens entre la cour royale et la cour angevine a suscité une circulation des hommes entre elles, à commencer d’ailleurs par Le Fèvre 89. Alain de Boüard (éd.), Documents en français des archives angevines de Naples (règne de Charles Ier), Paris, De Boccard, 1933-1935, 2 vol. 90. Texte connu par l’amplification de ces mesures en 1329 par le roi Philippe VI de Valois, comte d’Anjou et du Maine – à la suite de son père Charles de Valois –, avant son avènement sur le trône : Ordonnances des rois de France de la troisième race, Paris, Imprimerie royale, 1729, t. 2, p. 30-34 (à partir du Trésor des chartes : Archives nationales, JJ 66, fol. 41v-42v) ; l’acte mentionne le « sellee monseigneur le roy de Jerusalem et de Sezile, duquel l’en use en Anjou ». 91. Serge Lusignan, La langue des rois au Moyen Âge. Le français en France et en Angleterre, Paris, PUF, 2004.

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lui-même. Une étude prosopographique comparée de tout ce personnel pourrait permettre de mesurer l’ampleur de cette mobilité des serviteurs qui a pu soutenir celle des pratiques d’écriture, à condition qu’existât une « communauté textuelle » des gens de chancellerie. En deuxième lieu, le repérage dans les dépôts d’archives et l’analyse systématique des actes sortis de la chancellerie angevine permettraient cette fois d’envisager ce qu’elle emprunte au modèle royal sur le terrain de la diplomatique. Je pense en particulier aux lettres de rémission. À l’instar d’autres princes (Bourbon, Bourgogne, Bretagne…)92, les Angevins ont usé de la grâce pour s’affirmer au sein de leurs différents territoires93. Dans le journal de Le Fèvre, on relève ainsi une bonne soixantaine de rémissions scellées par le chancelier en faveur d’individus ou de communautés d’habitants coupables de « crime de larrecin » ou d’homicide, et surtout de rébellion par adhésion à la cause des Anjou-Duras de Naples et de crimen lese majestatis. La nature des crimes explique la concentration des lettres entre 1385 et 1387 (la moitié date là aussi du seul second semestre 1387). L’étude des stratégies discursives – on sait que le règne de Charles VI coïncide par exemple avec une nette amplification du narré des crimes – et du vocabulaire de la grâce de ces rémissions devrait servir à appréhender l’influence du modèle royal et l’éventuel degré de servilité des actes de la chancellerie angevine par rapport à lui. Jean-Michel Matz Université d’Angers

92. Olivier Mattéoni, « Les ducs de Bourbon et la grâce. Les lettres de rémission de Louis II (2nde moitié du xive-début du xve siècle) », dans Julie Claustre, Olivier Mattéoni, Nicolas Offenstadt (dir.), Un Moyen Âge pour aujourd’hui. Mélanges offerts à Claude Gauvard, Paris, PUF, 2010, p. 128-136 ; Rudi Beaulant, « Du gouvernement de l’individu au gouvernement des hommes. Les normes politiques dans les lettres de rémission des ducs de Bourgogne », dans Gouverner les hommes, gouverner les âmes. Actes du 46e congrès de la SHMESP (Montpellier, 2015), Paris, Publications de la Sorbonne, 2016, p. 301-312 ; Jean-Christophe Cassard, « La grâce du duc. Remède à la violence ou affirmation de la souveraineté ? », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de la Bretagne, 72, 1995, p. 31-61. 93. Ainsi le petit-fils de René d’Anjou en Lorraine : Les lettres de rémission du duc de Lorraine René II (1473-1508), éd. Pierre Pégeot, Turnhout, Brepols (ARTEM, 17), 2013 (édition de 324 lettres, en moyen français).

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La chancellerie d’Anjou-Provence ANNEXE

Seings manuels de secrétaires et de notaires de la chancellerie (Paris, BnF, ms. fr. 5015) Figure 1 — Jacques Biderel, secrétaire (22 août 1381 ? fol. 2)

Figure 2a — Guillaume Le Tort, secrétaire (2 octobre 1384, fol. 25)

Figure 2b — Gilet Buynart, secrétaire (2 octobre 1384)

Figure 2c — Pierre Bricoan, notaire (2 octobre 1384, fol. 25)

Figure 3 — Michel de La Croix, secrétaire (5 octobre 1384, fol. 25v)

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Figure 4a — Jean de Vaulx, notaire (9 octobre 1384, fol. 26)

Figure 4b — Jean de Vaulx le jeune, notaire (30 novembre 1384)

Figure 5 — Olivier Du Solier, secrétaire (13 décembre 1384, fol. 26v)

Figure 6 — Pierre Le Bégut, secrétaire (4 mars 1389, fol. 29)

The Chancery of the duke of Brittany around 1400: personnel, practices and policy Michael Jones

I

t has long been recognized that the decades either side of the year 1400 witnessed significant institutional and procedural developments in the chancery of the Montfort dukes of Brittany. These were first discussed in detail as long ago as 1889 in a remarkable introduction by René Blanchard to his monumental edition of the Lettres et mandements de Jean V, duc de Bretagne.1 In this he not only described at length the physical characteristics of that duke’s surviving acta, their diplomatic and the organisation of his chancery, but he also set these in context by discussing the earlier history of the chancery from the days of Peter of Dreux (Mauclerc), duke of Brittany (1213-1237), in an account that remains largely authoritative.2 In this short communication, which will concentrate on the period 1379-1416 – from the return of Duke John IV (1364-1399) from exile in England to the death of Hervé Le Grant, the first keeper of the ducal Trésor des chartes –, I shall merely reinforce most of his conclusions. My remarks are based mainly on evidence from the editions of the acta of John IV and of his predecessors, Charles of Blois and Jeanne of Penthièvre, duke and duchess of Brittany (1341-1364), and on that of the first inventory of the Trésor des chartes produced by Le Grant in 1395, which I have published since 1980.3 This evidence allows us to be more precise about some matters which Blanchard treated with such mastery. It also poses questions about the political and ideological uses to which documents produced or kept

1. 5 volumes, Nantes, Société des bibliophiles bretons, 1889-1895. 2. Michael Jones, “The Chancery of the Duchy of Brittany from Peter Mauclerc to Duchess Anne, 1213-1514”, in id., The Creation of Brittany, London, Hambledon, 1988, p. 111-158 for a modern over-view. 3. Recueil des actes de Jean IV, duc de Bretagne, Paris/Bannalec, Klincsieck/Imprimerie régionale, 1980-2001, 3 vols.; Recueil des actes de Charles de Blois et Jeanne de Penthièvre, duc et duchesse de Bretagne, suivi des Actes de Jeanne de Penthièvre (1364-1384), Rennes, PUR, 1996; Le premier inventaire du Trésor des Chartes des ducs de Bretagne (1395), Rennes, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne (SHAB), 2007. Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

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The Chancery of the duke of Brittany

in the Breton chancery were put, themes which in general Blanchard did not address, but which have greatly interested more recent historians.4 As far as institutional developments are concerned, it is worth pointing out that the word “chancery” rarely occurs in Breton records before 1400. Its functions and personnel were still largely under the control of the ducal household and council, and developments, in comparison with some other principalities, hesitant.5 The office of chancellor had existed from at least the late twelfth century, although before the reign of Charles of Blois and Jeanne of Penthièvre establishing the identity and succession of ducal chancellors is problematic. It is only from that of John IV that a complete list can be suggested with any confidence. Interestingly, of the six known chancellors of this duke, three were laymen though the default position, as John V’s reign confirmed, was to appoint a bishop as chancellor.6 A vice-chancellor is mentioned for the first time in 1415. And, as already indicated, from at least 1395, a keeper of the ducal archives, le Trésor des chartes, Hervé Le Grant, a senior 4. Michael Jones, “Memory, Invention and the Breton State: The First Inventory of the Ducal Archives (1395) and the Beginnings of Montfort Historiography”, Journal of Medieval History, 33, 2007, p. 275-296, and “Archives, chancellerie et historiographie dans le duché de Bretagne vers 1400”, in Guido Castelnuovo and Olivier Mattéoni (dir.), « De part et d’autre des Alpes » (II). Chancelleries et chanceliers des princes à la fin du Moyen Âge, Chambéry, université de Savoie, 2011, p. 179-195, for the principal bibliography. It is also worth noting there were no serious attempts to follow up Blanchard’s example within Brittany by editions of the acta of other dukes for many decades. Léon Maître published a brief “Répertoire analytique des actes du règne de Charles de Blois”, Bulletin de la société archéologique de Nantes et de la Loire-Inférieure, 45, 1904, p. 247-273 containing references to a mere 60 documents, while Jacques Levron published a rather more comprehensive “Catalogue des actes de Pierre de Dreux, duc de Bretagne”, Mémoires de la société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 11, 1930, p. 173-266, which included a handful printed in extenso. In 1935 most of the acta of Conan IV (1154-1171) were published by Sir Charles Clay in the first of two volumes which he devoted to “The Honour of Richmond” (Early Yorkshire Charters, IV, Wakefield, The West Yorkshire Printing Co. for the Yorkshire Archaeological Society, Record Series, Extra series, 1, 1935), a work which (perhaps not surprisingly) gained little publicity initially within France. Following my two Recueils of ducal acta, I also co-edited with Judith Everard, The Charters of Duchess Constance and her Family, 1171-1221, Woodbridge, Boydell, 1999. Most recently, Marjolaine Lémeillat has edited the Actes de Pierre de Dreux, duc de Bretagne (12131237), Rennes, PUR/SHAB, 2013, and the Actes de Jean Ier, duc de Bretagne (1237-1286), Rennes, PUR/SHAB, 2014, while the posthumous edition of Hubert Guillotel’s magisterial Actes des ducs de Bretagne (944-1148), Rennes, PUR/SHAB, 2014, which had first been presented as a doctoral thesis in 1973, was also finally published. As a result most Breton ducal acta between the mid tenth and late thirteenth century and from 1341-1442 are now in print. A digital edition of my Recueil des actes de Charles de Blois has been published by the PUR, which includes a supplement adding more than 50 further entries, https://books.openedition.org/pur/2840. 5. Xavier Hélary et al. (dir.), Les archives princières xiie-xve siècles, Arras, Artois Presses Université, 2016, provides much relevant comparative material. 6. Michael Jones, “The Chancery of the Duchy Of Brittany…”, art. cité, p. 152-154.

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ducal secretary and notary, was in post. He had joined John IV’s service as a young man fresh from university immediately on the duke’s return from exile in 1379, only being finally replaced in 1416.7 As for those who drafted ducal letters, mandates and a wide range of other documents, fragmentary household accounts from the end of the reign of John II (1286-1305) provide the names of seven clerks, some of whom probably served as chancery clerks.8 But before 1341 the absence of names, “hors teneur”, of those responsible for drawing up individual ducal acta limits what can be known about most clerks, notaries or secretaries in the embryonic chancery, especially since no serious paleographic study of the different hands of possible chancery clerks has yet been attempted. Under Charles and Jeanne it appears that at any particular moment there were around four clerks regularly writing documents. This also seems to have been the case during John IV’s “first reign”, that is between his victory over Charles of Blois, at the battle of Auray on 29 September 1364, which ended the Breton War of Succession, and when he was once more driven into exile in England in April 1373 for pro-English policies following the resumption of the Anglo-French war in 1369. Then, after John IV had been invited to return to his duchy by a league of nobles and townsmen alarmed by Charles V’s plans to absorb Brittany into the royal demesne, from 1379 onwards, in a period of two decades during which John IV dramatically consolidated his authority by administrative innovations, financial reforms and the astute exploitation of diplomatic and military opportunities, there was an increase to six or eight regularly active chancery clerks, of whom three or four might be specifically called secretaries9. Several were also fully accredited imperial or apostolic notaries. Although an ordinance issued in 1404 by Philip the Bold, duke of Burgundy, regulating the ducal household of the young John V (then in his guardianship) only made allowance for two secretaries with salaries of 50 l. p. a. and “bouche à cour”, one “secretaire et controlle”, paid 80 l. p. a. also with “bouche à cour” for himself and his clerk, and two other secretaries at 40 l. p. a., signatures

7. Michael Jones, Le premier inventaire…, op. cit., p. 29-41 for Le Grant’s career. 8. Michael Jones and Philippe Charon, Comptes ducaux bretons 1262-1514, t. I: Comptes, inventaires et l’exécution des testaments ducaux, 1262-1352, Rennes, PUR/SHAB, 2016, Introduction, p. 18, and xxii, article 245. 9. This growth in the number of ducal secretaries closely parallels a comparable expansion in another princely chancery in this period, that of Louis II, duke of Bourbon (Olivier Mattéoni, “Écriture et pouvoir princier. La chancellerie du duc Louis II de Bourbon [1356-1410]”, in Guido Castelnuovo and Olivier Mattéoni [dir.], « De part et d’autre des Alpes » [II]…, op. cit., p. 151), with two between 1356-1365, seven 1365-1375, nine 1375-1385, and eight for the rest of his reign.

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The Chancery of the duke of Brittany

on surviving ducal acta show that certainly by 1407, usually at least eight and then shortly afterwards as many as a dozen clerks formed the main chancery staff. The names of more than 160 individual clerks occur on acta for John V’s reign, many of the more prominent of whom also employed their own clerks to assist in the task of drafting and writing documents. In addition to expanding numbers of those employed within the Breton chancery either side of 1400, perhaps more important are signs of the growing professionalism and competence of chancery officials. The very patchy evidence for the institutional history of the chancery prior to 1341 has been mentioned. Under Charles of Blois its records were dispersed in several repositories, and it is clear that some were destroyed during the course of the Breton civil war.10 The establishment of a permanent Trésor des chartes in the Tour Neuve at Nantes in 1395 was an important development, particularly since (perhaps for the first time) an attempt was made to inventory and sort its contents.11 In the next few years, other measures were taken to improve accessibility so that records could be exploited in support of ducal policies. The first surviving register of outgoing ducal lettres de justice dates to 1407, and notes taken in the eighteenth century show that there was also another register of lettres d’office being compiled at the same time, though there are some largely ambiguous hints that the practice of registration of at least some acta might go back to the mid fourteenth century, even the late thirteenth century.12 Sadly, there is then a long break (to 1462) before any more chancery registers survive, though again later extracts from now lost registers in the interim suggest continuities. Although there are no surviving formularies from the medieval Breton chancery before 1450, that is collections of model letters (usually anonymised by the elimination of proper names and dates13), cursory study of formulae

10. Michael Jones, Recueil des actes de Charles de Blois, op. cit., p. 32-38 for the organisation of the chancery under Blois. 11. Id., Le premier inventaire…, op. cit., p. 46-53 for the content and arrangement of the 1395 inventory. 12. René Blanchard, Lettres et mandements de Jean V…, op. cit., I, p. c-cxv, and see also Jones, Recueil des actes de Jean IV, op. cit., I, p. 34 for earlier practice. 13. Olivier Guyotjeannin and Serge Lusignan (eds.), Le formulaire d’Odart Morchesne dans la version du ms. BnF fr. 5024, Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 80), 2005, p. 30-42 for a discussion of how one important clerk compromised over this issue. René Prigent, “Le formulaire de Tréguier”, Mémoires de la société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, IV, 1923, p. 275-413 for an edition of the only known medieval Breton formulary (BnF, Nal 426, early 14th c., 21 folios), compiled in the diocese of Tréguier by someone who had been a student at the university of Orléans, possibly following a course in Ars dictaminis. Among its 157 model

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and diplomatic (discussed in more detail below) suggest that formularies (or now lost registers) of some kind must have been available since the wording of different types of letters remained consistent over quite long periods. At least two other surviving volumes, however, were compiled by Hervé Le Grant and his assistants around 1400 both to serve immediate needs and consciously to provide works of reference for later generations.14 Fortunately their contents have not been seriously abbreviated during transcription. The most impressive is a large folio volume still bound in its original, red morocco leather covered boards that contains copies, made by two notaries under Le Grant’s instruction, of some 150 charters, letters or other documents.15 Some of these had previously been copied specifically from other archives, sometimes even at Le Grant’s own expense, because no copy then existed in the Trésor des chartes. They range in date from 1220 to 1407, when the volume was produced. Among them are no fewer than 117 already listed in the 1395 inventory and now copied out in full pour l’utilité et profit de mondit seignour. The majority concern relations between the duke and the king of France and with the duke’s principal vassals.16 From the point of view of developing ducal authority and ideology, a smaller volume17 (already listed in the 1395 inventory) which contains the

letters are many with local references (the ms. even has a few glosses in Breton) but it contains no royal or papal letters. 14. Mention must also be made of the register (AD Loire-Atlantique, E 116), compiled in 1398 by a delegation sent to England to survey the duke’s Honour of Richmond, which contains the transcription of numerous charters from the twelfth century onwards along with other important estate documents. 15. AD Loire-Atlantique, E 236, fol. 5r: “Cy ensuit la tenour par vidimus et copie de pluseurs des lettres de tres excellent prince et seignour monseignour le duc de Bretaingne que maistre Hervé Le Grant, tresorier et garde d’icelles, a fait escripre en ce livre pour l’utilité et profit de mondit seignour desquelles ensuit les rebriches en la forme si aprés contenantes”. It is a volume of 114 folios, 295 × 335 mm with a 19th century index added by the archivist Léon Maître, though it omits some items. Robert-Henri Bautier, “Cartulaires de chancellerie et recueils d’actes des autorités laïques et ecclésiastiques”, in Olivier Guyotjeannin, Laurent Morelle and Michel Parisse (eds.), Les cartulaires. Actes de la Table ronde organisée par l’École des chartes et le G.D.R. 121 du CNRS (Paris, 5-7 décembre 1991), Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 39), 1993, p. 363-376, at p. 373, briefly sets it in context among many other similar and mainly much earlier examples of chancery registers. 16. Michael Jones, Le premier inventaire…, op. cit., p. 72-74 for a concordance between those documents listed in 1395, transcribed in this volume, or mentioned and transcribed in the Chronicon Briocense (for the importance of which see below). 17. AD Loire-Atlantique, E 132.

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The Chancery of the duke of Brittany

earliest surviving copy of the Livre des Ostz,18 a muster of ducal tenants-in-chief in 1294, acknowledging their military obligations, is perhaps of greater historical significance since it also contains a deliberately modified account of the ceremony at which John IV performed homage for his duchy to Charles V in 1366, glossed as “simple homage” in a later hand, refl cting the efforts of the ducal administration from John IV’s reign onwards to avoid recognizing that the homage they owed to the kings of France was liege, a theme already well-treated by several modern historians.19 While another important document in the volume is the earliest-known copy of a pseudo-charter destined to become well-known and much exploited in defence of ducal rights by all subsequent Montfort dukes and even taking in the credulous into modern times. This very patently forged charter, which occurs in several subsequent collections as well as in single sheet copies, is usually attributed to Duke Alan Fergent with the date 1087 or 1088, though other later medieval versions with different attributions and dates also survive. It records how the nine bishops and nine ancient barons of Brittany (the Breton equivalent of the twelve ecclesiastical and lay peers of France) allegedly recognized the sovereignty of the duke.20 He in turn declared that nobody apart from God exercised sovereignty over him, a clear reference to well-known Roman law doctrines.21 A number of other forgeries of a similar kind clearly intended to promote ducal interests, especially emphasising the “regal” and “sovereign” nature of his power, also emerge during our period, among them a pseudo-treaty between Peter Mauclerc and Louis IX (1231) and a pseudo-original relating to a fictitiou meeting of the Estates of Brittany in 1315 only finally exposed as recently as 1925!22 They are all listed in the second surviving inventory of the Trésor des chartes which dates to 1430,23 but it was clearly established 90 years ago by 18. Michael Jones, Le premier inventaire…, op. cit., no 837: “Item le papier de celx qui doyvent host au duc de Bretaingne et est ledit papier en parchemin.” 19. Cf. ibid., p. 38 and note 83. 20. Ibid., p. 78-84 for a discussion of this and some other notable forgeries; Michael Jones, “Memory, Invention and the Breton State…”, art. cit., p. 296 for an edition of one copy of the pseudo procès-verbal recording the fealty of the bishops of Brittany to “J. duke of Brittany” in the Estates allegedly held at Rennes, 9 May 1062, after the “original”, in AD Loire-Atlantique, E 59, no 3. 21. […] absque eo quod recognosceret vel haberat aliquem superiorem super se, cui de dicto Ducatu suo aliquod obsequium seu obedientiam faceret vel deberet, nisi solum Deum. 22. Barthélemy-Amédée Pocquet du Haut-Jussé, “Les faux États de Bretagne de 1315 et les premiers États de Bretagne”, Bibliothèque de l’École des chartes, 85, 1925, p. 388-406. 23. AD Loire-Atlantique, E 239, no 1, fos 3v and 4v, for which see Michael Jones, “Ordre ou désordre ? L’évidence des premiers inventaires du Trésor des chartes des ducs de Bretagne”, in Hélary et al. (dir.), Les archives princières…, op. cit., p. 132-134.

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Barthélemy-Amédée Pocquet du Haut-Jussé, whose findings have been reinforced by other more recent studies, that most were fir t drafted in the years immediately following John IV’s return from exile in 1379 and that many of the ideas that they contain also influenced the language and conduct of the duke and his council in their diplomatic contacts, especially with the court of Charles VI and with the papacy. For instance, in one celebrated incident at Avignon in 1394, papal courtiers were surprised to hear two Breton clerks claiming that their duke was “king in his own duchy”, for which temerity they were deprived of their benefices 24 Following several other historians who have considered the forgeries, intended to reinforce views on the duke’s “regalities”, I have already written about them at considerable length on more than one occasion. So I do not want to pursue that theme further here, but simply to underline that the evidence is compelling that they were produced by men with Breton chancery experience, whether with or without offic al approval, that the key period in which they were forged coincides almost exactly with that of Hervé Le Grant’s time in the chancery, and that he is the most probable compiler of the Chronicon Briocense, a rambling but pioneering account of the history of the medieval duchy of Brittany from its earliest days to his own time. For the period from the thirteenth century onwards the Chronicon Briocense draws very heavily on documents preserved even today in the Trésor des chartes des ducs de Bretagne in an account designed to reflect the political aspirations to sovereignty and independence of the Montfort dynasty. Most of the 34 documents that are quoted at length in the Chronicon Briocense are, of course, genuine (most are listed in the 1395 inventory or copied into those chancery collections just mentioned).25 Thus its author certainly had access to the forgeries, perhaps had even himself confected some of them and placed pseudo-originals among the genuine records of the chancery. But it is rather to some specific features of the formal language increasingly used by Breton clerks in a routine fashion and to possible royal chancery influences that the rest of this brief paper now turns. The argument that the duke of Brittany possessed certain “regal” rights was first clearly advanced in 1336 when John III (1312-1341) was in dispute with his aunt, Marie, countess of Saint-Pol, over their succession to John II. At one point his lawyers declared that the duchy (since 1297 a peerage of France) had once been a kingdom and Item, que le Roy et les Roys de Bretaigne pour

24. Barthélemy-Amédée Pocquet du Haut-Jussé, Les papes et les ducs de Bretagne, Paris, De Bocard, I, 1928, p. 420 citing a bull of Clement VII, 23 March 1394. 25. Cf. Michael Jones, Le premier inventaire…, op. cit., p. 72-74.

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le temps ne recognoissoyent nul soverain en terre […].26 Similar views were expressed by lawyers arguing the case of John of Montfort the elder against Charles of Blois and Jeanne of Penthièvre in 1341 over the disputed Breton succession.27 Absent from the acta of Charles and Jeanne, tentatively from the start of his reign, John IV adopted some of these claims asserting “sovereignty” to justify more routine actions. In a remission issued to the bishop and inhabitants of Quimper in October 1364 for supporting Blois and for any crimes committed against him or his father during the recent civil war, for example, the new duke promised that they and their goods soint traitez et gouvernez par Nous souverainement et ceulx de notre nacion de Bretagne comme Nous et nostre bon conseill vouldrons ordonner.28 Olivier Gauteron, who had inadvertently killed someone in self-defence, was granted a pardon in 1370 de nostre souveraineté et grace especial.29 An amortissement for the Dominicans of Rennes in 1368 was also given de nostre souveraineté et grace especial, a phrase that would soon become standard in this type of letter where it was also normal for the duke to stress the role of his predecessors as founders or protectors of the church or monastery receiving the grant and his wish to be included in their prayers or have masses said for himself and his family. In lettres de sauvegarde for the abbey of Prières in 1370, it was allegedly the abbot himself who had pointed out that nostre salvegarde soit une de nos grandes nobleces royaulx.30 In letters confirming an alliance with Edward III of England in 1372 and the terms of a commercial accord between Brittany and Guyenne, but recognizing that the king might have to come to terms with his adversaries, John IV reserved all his droiz, seignouries, juridicions, nobleces, franchises, libertez et possessions […] si entierement et franchement comme ils furent onques es temps de noz predecesseurs, rois, duz ou contes de Bretaigne.31 Following his return from exile, this “regal language” is sometimes yet more insistent. An amortissement for the Austin canons of Lamballe in 1379, for example, mentions a mass pour nous et noz heres et successours de nostre majesté royale et duchale.32 Another for a chapel at Pacé near Rennes in 1399 reserved

26. AN, K 1152, no 49, peau 8. 27. Michael Jones (ed.), “Some documents relating to the disputed succession to the duchy of Brittany, 1341”, Camden Miscellany [London, Royal Historical Society], 24, 1972, p. 1-78. 28. Michael Jones, Recueil des actes de Jean IV, op. cit., I, no 41. 29. Ibid., no 151. 30. Ibid., no 157. The abbey of Prières had originally been founded by John I in 1252 and generally enjoyed good relations with his successors, the abbots regularly acting as ducal councillors. 31. Ibid., no 190, 21 February 1372. 32. Ibid., no 323.

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nos droits de souveraineté et principauté.33 In a mandate to seneschals, alloués and baillis in 1392 to take the nuns of the abbey of Saint-Sulpice-la-Forêt into their protection, the duke recalled that en general, toutes giens de saincte Eglise avesques leurs benefices en nostre duché soint de nostre souveraineté en nostre protection et especiale sauvegarde.34 Recalling in 1388 that his predecessors had founded the abbey of Nostre-Dame de La Joie at Hennebont, his letters of protection emphasised que avons soit et doit appartenir entierement la seigneurie et obboïssance d’icelle abbaie et des appartenances de noz droiz roiaux et duchaux.35 Letters granting permission for the establishment of fairs, sometimes claimed by the Valois kings as an exclusive royal prerogative, offered another chance to assert ducal claims to comparable sovereignty. Those for a weekly fair at Châtillon-sur-Seiche, for which the abbot and monks of Saint-Melaine de Rennes had asked in 1380, begins faisons savoir a touz que comme a nous de nostre souveraineté et noble seigneurie et nobleces et non a autres de nostre duché appartienge donner et ordrenner foires et marchés.36 Those for a fair at la Poterie de Fontenay on 11 April 1380/1381 (d.s.) differ only marginally: Comme a nous de nostre souveraineté et noblesse et de nostre droit royal et duchal et non autres quieilxconques persones appartienge donner et ottroyer faires et marchiez puppliqe es lieux et places a qui et la ou il nous plaist,37 while two granted only three weeks apart in June 1385 largely repeat the same formulae.38 So does a further concession for a fair at Châtillon-en-Vendelais in 1389, at the request of its secular lord, John of Laval, lord of Châtillon,39 and one for a fair at Ploubalay near Dinan in 1392 at the request of Alan, lord of Perrier, marshal of Bretagne.40 The most impressive surviving example of John IV standing on his regal dignity following what he openly called lèse-majesté by some of his own subjects is provided by the very theatrical rituals surrounding his pardon for rebellion issued to Bishop Josselin of Rohan, the Chapter and the inhabitants 33. Ibid., II, no 1173. 34. Ibid., no 819. 35. Ibid., no 660. 36. Ibid., I, no 347. 37. Ibid., III, no 1266. 38. Ibid., II, no 546: “Savoir faisons que comme a nous entre noz droit, souverainetez et noblesces et non a autres en nostre duché appartiene donner et ordrener faires et marchez pupliques et noctaires”; ibid., no 549: “savoir faisons a touz presenz et advenir […] que comme a nous et non a autres de nostre duché de noz droits, souverainetez et nobleces royaux et duchaux appartiegne donner, ordrenner et octroier foyres et marchez es lieux et es places [ms. damaged] pour les bien et proufilt commun”. 39. Ibid., no 685. 40. Ibid., III, no 1343.

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of Saint-Malo, arranged under the aegis of a papal legate in June 1384.41 First, formal letters of remission were issued, setting out how the inhabitants were to process out of the town on foot, then on bended knee recognize that vostre majesté est offendue, petitioning him for pardon and mercy. The bishop and clergy were to follow suit, then nous recepvront comme est acoustumé les Roys, Princes et Ducs de Bretaigne, allowing the duke to appoint a captain to govern the town for the following three years. Letters in which John IV confirmed the privileges of the bishop, Chapter and townsmen followed, again underlining the crimes they had committed contre nous et nostre majesté before re-establishing them in their rights, reserving only noz droiz, nobleces et souveraineté en toutes choses.42 It can hardly be co-incidental that at this very same moment in Paris, the royal council was reminding the duke and his councillors, who were pursuing a case against the count of Alençon as lord of Fougères, that the duke was a par de France, vassal et homme lige a cause du duchié de Bretaigne du roy nostre sire et que le roy et ses predecesseurs ont usé de touz temps des droits de resort et de souveraineté ou duchié de Bretaigne and that cases of lèse-majesté were cas royaux.43 It has not been possible here to examine in any depth the extent to which the Breton chancery at the end of the fourteenth century, in using formulae that sought to enhance the duke’s “regal” or “sovereign” status, was consciously borrowing from royal practice. Nor to make a close comparison between surviving ducal acta and the models provided in the various royal formularies which survive from the reigns of Charles V and Charles VI. A few points may however be made in conclusion. First, recent work confirm that, although rather tardy in comparison with some other French princely chanceries, institutional developments and diplomatic and linguistic practices within Brittany almost exclusively followed French models.44 The occasional use of letters close “De par le duc”, for instance, or simply headed “Le

41. Discussed most recently in Michael Jones, “Malo au riche duc?: events at St-Malo in 1384 reviewed”, in Philippe Lardin and Jean-Louis Roch (eds.), La ville médiévale en deça et au-delà de ses murs. Mélanges Jean-Pierre Leguay, Rouen, Publications de l’université de Rouen, 2000, p. 229242, and id., “Malo au riche duc: retour sur les événements à Saint-Malo en 1384”, Annales de la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Saint-Malo, 2002, p. 131-44. 42. Michael Jones, Recueil Jean IV, op. cit., II, nos 510 and 511. 43. AN, J 243, no 70, and Michael Jones, “Trahison et l’idée de lèse-majesté dans la Bretagne du xve siècle”, in La faute, la répression et le pardon. Actes du 107e Congrès national des sociétés savantes, Brest 1982, Philologie et histoire jusqu’à 1610, I, Paris, CHTS, 1984, p. 91-106 for the way in which John IV and his successors nevertheless claimed and exercised the right to judge such cases. 44. The only serious exception is the occasional use of the bi-lateral indenture, a form much employed in the English royal chancery, though when it was employed, it was usually for an agreement with Englishmen rather than with Breton subjects of the duke.

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duc” or “La duchesse”, is first found during the reign of Charles of Blois and Jeanne of Penthièvre.45 It may be presumed to be an imitation of the practice of Philip VI, who employed them for a wide range of business.46 A few survive for John IV’s reign,47 but none have been found for John V. It was John IV who, from 1372 (some fifteen years after King John II began the royal tradition of signing documents), also began seriously to imitate royal practice by adding his own autograph to some important letters, also occasionally even a short holograph phrase.48 This development was briefly touched upon in the recently-published version of his thesis by Claude Jeay.49 Even more recently, he has analysed it in exhaustive and illuminating fashion in an article which appeared almost simultaneously with this colloquium in Bourges.50 There he shows convincingly that for diplomatic and financial business John IV adopted a very distinctive form of what he calls “une signature inédite, sorte de signature-souscription, un modèle non figé, original, révélateur de la position des ducs de Bretagne sur l’échiquier politique, entre France et Angleterre”,51 arguments which accord closely with the emphasis on the duke’s regal pretensions which have been the main focus of this paper. Finally, we may note that more generally the formal structure of different types of letters issued by the Breton chancery (for which, remember, no formularies now survive) seem already, at least for letters of sauvegarde, amortissement, rémission, pardon or granting fairs, as highlighted above, apart from their occasional reference to ducal regality, otherwise to follow fairly closely the phraseology and structure of similar royal letters as found in Odart Morchesne’s famous formulary of 1427 as the two examples offered here in an appendix are intended to show. As with the case of the ducal signature, more 45. Michael Jones, Recueil des actes de Charles de Blois, op. cit., nos 5 (6 June 1342, “La duchesse”), 130 (15 November 1350, “La duchesse”), 230 (17 May 1359, “Le duc”). 46. Raymond Cazelles (ed.), Lettres closes. Lettres ‘de par le roi’ de Philippe de Valois, Paris, Société de l’histoire de France, 1958. 47. Michael Jones, Recueil des actes de Jean IV, op. cit., I, nos 299 (2 April 1375 x 1379, “Par […] duc de Bretaigne”), 420 (19 August 1382, “Le duc”); II, nos 536 (4 February [1385], “Le duc”), 548 (24 June 1385, “Le duc”), 1151 (7 October [1398], “Le duc”), 1184 (10 July ca 1386-1388 x 1394, “De par le duc”) and 1186 (ca 1372, “De par le duc”). 48. Ibid., I, p. 29-30. 49. Claude Jeay, Signature et pouvoir au Moyen Âge, Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 99), 2015, p. 374-375. John IV is not mentioned by name in the published “positions” (Claude Jeay, “Du sceau à la signature : histoire des signes de validation en France [xiiie-xvie siècle]”, Positions des thèses, École des chartes, 2000). 50. Claude Jeay, “Entre France et Angleterre : Jean IV, duc de Bretagne, et la signature”, Journal des Savants, 2016/1, p. 33-51. 51. Ibid., p. 48.

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detailed study of the extent of such borrowing, as well as study of particular words or phrases, an approach which Olivier Mattéoni has used to good effect, for instance, in the case of Louis II, duke of Bourbon,52 is clearly feasible and would make a good project for future research. This would certainly throw further light on Breton chancery practices in this critical and fascinating period which I have so briefly described here. Michael Jones University of Nottingham

52. Olivier Mattéoni, « Écriture et pouvoir princier… », art. cit., p. 157-167.

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1. Order of John IV to the seneschal, alloué and other

officers of Nantes to publish a safeguard for the nuns of Bourg des Moustiers (Loire-Atlantique), Nantes, 29 August 1392 (AD Loire-Atlantique, H 352, no 155, copy in the court of Nantes, 7 September 1392, and, ibid., copy of 1594)

Ou jour de huy en pleine court, les plez tenans, ont esté leuz les lettres et mandemens de monseignour de Bretaigne contenans la forme qui ensuist : Jauhan, duc de Bretaigne et comte de Richemont, a noz seneschal, prevoust et alloué de Nantes et a noz autres justiciers de nostre duché, salut.a Combien que de nostre souveraineté toutes gens de saincte Yglise et lours benefice en nostredit duché soint en general en nostre sauvegarde, neantmains a la supplicacion et requeste de religiouse et honneste Margarite la Rabinarde, menbre du moustier de Nostre Dame d’Angiers, perriouresse dou Bourc des Moustiers, si comme elle dit, disante soy doubter d’aucuns ses mal vuillans luy estre mesfait ou donné empeschement en corps ou en biens, icelle, ses familiers et serviteurs, sondit priouré tant en chief que en menbre, touz ses biens justes, possessions et saisines quelcounques avons prins et mis et par ces presentes prenons et metons en et soubz noz protecion et sauvegarde especial et a conservacion de son droit,b si vous mandons et comandons en commetant se mestier est, et a chacun de vous, que nostre presente sauvegarde vous faictes savoir et publier en noz plez generaulx par ban et autrement et aillours es

a  voir Le formulaire d’Odart Morchesne, [2.1, 2 and 6]. A gloss on 2.2 states: Nota que la sauvegarde se doit tousjours adrecer aux justiciers du roy et non pas du royaume en general, car la congnoissance n’en appartient que aux juges royaulx…

b  Le formulaire, [2.1], Charles etc. a tous noz justiciers ou a leurs lieuxtenans, salut. A la supplicacion de Tel et de sa femme … affermans eulx doubter de pluseurs personnes leurs hayneux et malveillans… nous vous mandons et a chascun de vous, si comme a lui appartendra, que lesdiz supplians avecques leurs famille, droiz, choses, possessions et biens quelzconques vous prenez et mettez en et soubz nostre protection et sauvegarde especial, a la conservacion de leur droit tant seulement…1

1. See also [2.6], A la supplicacion de frere Jehan Perrier, religieux de l’abbaye Saint Victor lez Paris et

prieur du prieuré d’Amponville, membre de ladicte abbaye, affermant lui doubter etc., nous vous mandons et a chascun de vous, si comme a lui appartendra, que ledit suppliant, lequel avecques sa famille, droiz, choses, possessions et biens quelzconques, nous avons prins et mis et par ces presentes prenons et mettons en et soubz nostre protection et sauvegarde especial, a la conservacion de son droit tant seulement, vous maintenez et gardez en toutes ses justes possessions, droiz, usaiges etc., …

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lieux acoustumez et singulierement es personnes dont vous serez requisc et dicelle faictes tenir et garder fermement en estat sanz enfraindre, et les gardant de tors, de force, de violence et de toutes autres molestacions et oppressions indeues, et a plus grant apparoaissance de nostredicte sauvegarde et affi que aucuns ne s’en puissent ignorer, metez ou faictes metre se requis en estes penonceaux ou escuczons de noz armes es huis, portes et habitacions de ladicte religiouse et sur sondit prieuré,d et se vous ou l’un de vous trovez aucune chouse avoir esté ou estre faicte, attemptee ou invocee au contraire le faictes prestement reparer et metre au premier et deu estat a nous et a partie amender selond le case ainsi et par telle maniere que touz autres y prengent exemple, de ce faire vous donnons plain povaer et mandement especial, mandons et commandons a touz noz subgiz en ce faisant vous obeïr et diligeaument entendre. Donné en nostre ville de Nantes, le XXIXe jour d’aoust, l’an mil trais cens quatre vingz et doze, ainsin signée, Par le dux, JAUHAN,f de Maigne.g Par vertu desquelles lettres et mandements est de nostredicte courte mandé, commis, commandé a touz et chacun les sergens d’icelle faire et accomplir de point en point la tenour desdictes lettres et mandement. Et de faire et acomplir les autres chousees environ ce necessares par termes et convenable. Donné sus la merche comme l’en use es actes de nostredicte court, le samadi vaille de la mi aoust l’angevine, l’an mil trois cens quatre vingz doze. Boursier, passé.

c  [2.1], … Et ceste notre presente sauvegarde signifie et faites publier es lieux et aux personnes ou il appartendra et dont vous serez requis …

d  [2.1], … et en signe d’icelle, en cas d’eminent peril, mettez ou faites mettre et asseoir noz pennonceaulx et batons royaulx en et sur les maisons, granches, terres, bois, prez, vignes, possessions et biens quelzconques desdiz supplians … e  [2.1], … se vous trouvez estre ou avoir esté faictes ou prejudice de nostredicte sauvegarde et desdiz supplians, ramenez ou faites ramener et remettre tantost et sanz delay au premier estat et deu et faites pour ce faire a nous et ausdiz supplians amende convenable … f  Autograph signature of duke in the original. g  Jean de Maigné, former procureur of Rennes, ducal secretary and notary, active from ca 1387-1407.

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2. Licence of John IV granting permission, at the request of John of Laval, lord of Châtillon, for the establishment of a weekly market on Wednesdays and three annual fairs in his lordship of Châtillon-en-Vendelais (Ille-et-Vilaine), Vannes, before 26 June 1385 (AN, AA 55, dossier 1516, copy by Pierre Chauvet in the court of Trans [Ille-etVilaine], 26 June 1385, very damaged)

Jahen, duc de Bretaigne, comte de Monffort et de [Richemont], savoir faisons a touz presenz et advenir qui ces lettres verront et orront quea comme a nous a non a autres de nostre duché de [noz droiz], souverainetez et nobleces royaux et duchaux apparteigne donner, ordrenner et octroier foyres et marchez es lieux et es places … pour les bien et proufil commun, et nostre treschier bien amé cousin et feal messire Jehan de Laval, sire de Chasteillon nous … donné a entendre que comme en sondit lieu, ville et chastelanie de Chasteillon n’ayt a present nulles foires ne marchez ne … que jour de mercredi plus pres de ouyt ou dix lieues, combien que autreffois y ait en marché audit mercredi lequel … par cause des guerres comme il dit, et pour ce nous a supplié luy donner et octroier ledit marché audit jour de mercredi … [Chas] teillon et trois faires solpnes chacun an. Nous, en regart esdictes choses, consideranz les bons, loiaux et … messire Jahan nous a fait le temps passé et fera ou temps advenir, ay celuy de nostre grace especial et de noz souverainetez [et nobleces royaux et] duchaux avoms donné et octroié, et par ces presentes donnons et octroions licence de avoir en sadicte ville de Chasteillon … sepmaine, assavoir est au mercredi comme desur est dit, et troys foires chacun an, assavoir est au … de Saint Clement et de Saint George, a en joïr et user pour luy et pour ses heirs et aians [cause…] et en la maniere que les autres de nostre païs qui ont eu semblable grace de nous … acoustumé a joïr et user, sauff et a nous reservez en touz cas

a  see Le Formulaire d’Odart Morchesne, [17.20], Charles etc. Savoir faisons a tous presens et a venir… and [17.21], Karolus etc., Notum facimus universis presentibus et futuris…

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noz droiz, souverainetez et noblecesb… commectant si mestier est a noz seneschal, alloué et procureur de Rennes nostre present grace faire … en maniere que est acoustumé a faire en tel cas, et de la ou il n’y aura opposicion en donner … relacion pour valoir a luy et aux siens perpetuel memoire, et de nostredicte grace ainxi faite faire … messire Jahen et ses heirs pasiblement, quar ainxin le voulons et le li avons octrié de nostredicte grace… ferme et estable a touz temps nous avons fait mectre a ces lettres nostre seel.c Donné en nostre chastel de [l’Ermine…], dou mois de juign, l’an de grace mil trois cenz quatrevignz et cinq. Par le duc de son commandement. Jametd

b  [17.21], … quod nos requestam Talis, domini de Lunello, recepimus continentem quod, cum sua villa de Lunello sit magna et nobilis villa et bene populata … nobis humiliter supplicando ut pro utilitate rei publice et ipsius eciam ville duas nundinas in anno in dicta villa tenendas et decetero situandas eisdem concedere dignaremur. Nos, ipsius consanguinei nostri supplicationibus favorabiliter inclinati, auctoritate regia, certa sciencia et gracia speciali concessimus et concedimus per presentes duas nundinas generales in dicta villa de Lunello publice et magnifeste teneri, videlicet in festo Assumpcionis beate Marie Virginis et in ejusdem gloriose Virginis festo Purificacioni inde sequentis … et ritus antiquos aliis nundinis consuetos inviolabiliter observari secundum modum et formam in aliis nundinis dictarum bonarum villarum ab antiquo observatos… c  [17.21], Quare damus in mandatis tenore presencium senescallo Bellicadri et receptori Nemausi ac omnibus aliis justiciariis et officiarii nostris, presentibus et futuris, aut eorum locatenentibus quatinus dictum consanguineum nostrum et ejus successores et habitantes ipsius ville ac omnes mercatores et quascumque personas alias quas hujusmodi presens nostra concessio tangit et tangere poterit in futurum, eadem nostra presenti gracia et concessione perpetuo uti et gaudere faciant et permittant, impedimento quocumque cessante, ipsos aut eorum aliquem in contrarium nullathenus molestando seu permittendo qualitercumque ab aliis molestari … Quod ut firmu et stabile etc. d  Jamet Le Coq, clerk and ducal secretary, active from 1381-1408.

Pratiques diplomatiques chez les premiers rois de Navarre de la dynastie des Évreux (1328-1387) Philippe Charon

Karlos, por la gracia de Dios, rey de Navarra, conte d’Evreux, a nuestro amado et fiel thesorero don Garcia Miguel d’Elcart. Nos vos mandamos que a Remon Ysart paguedes o asignedes todo aqueillo que devido li puede ser en nuestra thesoreria, en tal manera que non li convienga mas retornar a nos por esta razon. Data en Pomplona, iiiio dia de octobre l’aynno de gracia mil trezientos sissanta et tres. Por el seynor rey, a relacion de maestre Johan de Haneucort, signé Peralta, et plus bas Registrata1.

C

e mandement est un des nombreux témoignages d’une pratique s’appuyant sur l’écrit que Charles, roi de Navarre et comte d’Évreux, a, comme tous ses contemporains, utilisée pendant son règne entre 1349 et 1387. Elle est, avec la parole, une façon d’agir, de gouverner, de faire reconnaître son autorité et d’exercer son pouvoir. Elle prend, dans le cas de la maison d’Évreux, un intérêt particulier dans la mesure où cette dynastie française a régné sur un royaume étranger, la Navarre, qui n’avait pas connu de souverain « résidant » avant l’installation définitive de Charles en 1361. Sur ce petit État pyrénéen régnaient, en effet, depuis la mort de Sanche VII le Fort en 1234 des dynasties d’origine française (les comtes de Champagne, les derniers Capétiens directs puis les comtes d’Évreux), dont les membres avaient fait exercer leur pouvoir par gouverneurs interposés, sauf dans de rares cas de très brefs séjours. Cette résidence permanente introduisit-elle des changements dans la pratique de l’écrit royal, dans la mesure où ce lignage princier 1. Archivo General de Navarra ( 1349-1387), María Teresa Ruiz San Pedro (éd.), Pampelune, Sociedad de Estudios Vascos (Fuentes documentales medievales del País Vasco), 1997-2003, 2, no 931, p. 573 [désormais cité Archivo… (1349-1387), suivi du numéro de volume]. Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

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avait déjà ses propres pratiques diplomatiques et où son pouvoir s’exercerait dorénavant directement, et non plus par l’intermédiaire de représentants ? Ces changements assimilèrent-ils, ou non, des modes déjà existants, en introduisirent-ils ou empruntèrent-ils à d’autres ? Afin de répondre à ces interrogations, seront questionnés, à partir des principales caractéristiques diplomatiques du mandement qui introduit mon propos, la ou les langues employée(s), la ou les titulature(s) retenue(s), le cadre de la production des actes, leur conservation, et enfin leurs formes et modes de validation (non annoncée dans le mandement introductif ).

Se faire comprendre et s’identifier Les biens de Charles II étaient tri-localisés, et de surcroît dans des zones linguistiques différentes : d’une part, au sein du royaume de France, le comté d’Évreux et ses annexes ainsi que la seigneurie de Montpellier, et, d’autre part, dans la péninsule Ibérique, le royaume de Navarre2. Cela aurait pu constituer une difficulté à l’exercice d’un pouvoir qui se traduisait par l’émission d’ordres et de décisions écrits. De ce point de vue, Charles, comme ses père et mère Philippe et Jeanne d’Évreux, se sont adaptés. Lorsque Jeanne († 1349) fut désignée en 1328 par les cortes pour succéder à son oncle, retrouvant ainsi l’héritage de son père le roi Louis le Hutin, ce fut en latin qu’elle informa les régents du royaume qu’elle leur envoyait ses représentants pour régler les conditions de son accession au trône. C’est encore en latin que les nouveaux souverains, Jeanne et son mari Philippe d’Évreux († 1343), communiquèrent à leurs sujets la date de leur prochain couronnement dans la cathédrale de Pampelune3. Le recours à cette langue, universellement comprise et lue dans la chrétienté médiévale, ne heurtait ainsi aucun sentiment d’appartenance. Les deux souverains continuèrent de l’utiliser pendant leur règne, mais ils eurent aussi recours à la langue parlée dans leur royaume, qui, si elle faisait partie de la famille des langues romanes de l’espace gallo-ibérique4, est longtemps 2. Pour tout ce qui concerne l’histoire des biens français de Charles II, je renvoie à la publication de mon doctorat, Princes et principautés au Moyen Âge. L’exemple de la principauté d’Évreux, 1298-1412, Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 93), 2014. 3. Béatrice Leroy, « À propos de la succession de 1328 en Navarre », Annales du Midi, 82, 1970, p. 137-146. 4. 4. La langue de chancellerie royale navarraise (désignée pour le xive siècle sous l’expression de « lengua romance » ou « romance navarro » par les historiens navarrais) a fait l’objet d’une récente thèse par Louis Grangé, Une scripta occitane dans la Navarre médiévale (xiiiexive siècle) : formation et fonctionnement, thèse pour l’obtention du doctorat de linguistique, Toulouse le Mirail, 2012 (https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00853045, publié le 3 novembre 2013). Voir aussi l’étude plus ancienne de Ricardo Cierbide Martinena, Estudio lingüistico de la

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restée marquée par des constructions d’ancien français, dans la mesure où les clercs navarrais ont calqué le style des mandements et autres actes écrits sur les modèles importés par les clercs français que Charles fit venir dans son royaume. Sur la période s’étendant de 1329 à 1343, près de 51 % des actes sont en navarrais, 30 % en latin et moins de 20 % en français (et ces derniers sont le plus souvent adressés à leurs représentants, eux-mêmes d’origine française). Philippe et Jeanne avaient compris qu’il leur fallait écrire dans la langue qui était familière et comprise de leurs sujets. On rencontre toujours, sous le règne de Charles de Navarre, des actes en français, mais l’écrasante majorité est dans l’idiome navarrais. L’usage du français s’explique par la présence d’officiers français dans l’administration du royaume, mais aussi dans le cercle domestique du roi. C’est sans doute la raison pour laquelle les actes relatifs à l’hôtel sont presque tous en français, les maîtres de la chambre aux deniers ayant été majoritairement français, de même qu’une part importante des responsables des différents départements de l’hôtel5. Lorsque la décision du roi concernait un officie originaire de France, attaché ou non à l’hôtel, l’acte était aussi, généralement, écrit en français. Le latin fut peu utilisé par Charles II pour le gouvernement ou l’administration de ses États. On en trouve quelques exemples lorsque les décisions touchaient des établissements ecclésiastiques (qu’ils soient d’ailleurs localisés en France ou en Navarre6), et surtout sa seigneurie de Montpellier. Un comptage des actes retrouvés de Charles II pour cette terre languedocienne montre que 36 % sont en latin, et 64 % en français. Ces derniers étaient plutôt des actes de la pratique administrative courante, adressés au trésorier ou gouverneur d’origine française. Les actes en latin sont plutôt des actes à caractère ou portée générale, des privilèges7 ou des décisions solennelles8. documentatión medieval en lengua occitana de Navarra, Bilbao, Servicio editorial de la universidad de Pais Vasco, 1988. 5. Philippe Charon, « Un hôtel royal et ses dignitaires au xive siècle. L’exemple de l’hôtel de Charles II roi de Navarre », Revue historique, 315/667, 2013, p. 49-90. 6. Par exemple, le privilège concédé au monastère navarrais de La Oliva de prendre chaque jour une charge de bois sec (Archivo… [1349-1387], no 44, acte du 15 février 1351), alors que la confirmation des privilèges de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem dans la principauté, datée du 7 juin 1354, est en français (AN, K 531, no 25). 7. Par exemple l’octroi, le 22 juillet 1372, aux consuls de Montpellier des mêmes privilèges sur la nouvelle enceinte que ceux qu’ils détenaient déjà sur la clôture de l’ancienne ville (AM Montpellier, EE 12). 8. Par exemple l’ordre, le 18 février 1371, de faire contribuer les juifs aux travaux de l’enceinte de la ville au même titre que les chrétiens (AM Montpellier, grand chartrier, armoire D, cassette 20, no 1958).

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S’il était habile d’écrire dans la langue lue et comprise de ses destinataires, l’utilisation de trois langues imposait de disposer de clercs à même d’écrire dans une, deux ou les trois d’entre elles. Aucun clerc de l’entourage français de Philippe et de Jeanne n’avait la faculté d’écrire en « roman navarrais », du moins aucune signature de scripteur trahissant une telle origine géographique ne figure au bas de leurs actes écrits dans la langue du royaume. Les actes en navarrais expédiés de France ont été écrits par des notaires du royaume qui avaient fait le voyage9. Sous le règne de Charles, les clercs d’origine française se sont mis à apprendre et écrire le navarrais. Plus tard, les notaires du royaume se mirent à leur tour à écrire le français, notamment après 1378 lorsque Charles se vit déposséder de ses bases de recrutement d’officiers français : il fallait continuer à utiliser cette langue pour donner des ordres à des officiers qui ne devaient comprendre que celle-ci, comme le maître des monnaies Pellegrin d’Auxerre – originaire de Bourgogne, Charles l’avait fait venir dans les années 1380 pour forger une nouvelle monnaie10 –, et écrire les actes destinés aux bénéficiaires des largesses royales, quand ceux-ci avaient gardé leur pratique linguistique de naissance11. On constate donc une approche pragmatique et politique d’un gouvernement par l’écrit de zones linguistiques différentes. Charles apprit même la langue de ses sujets navarrais. Pour autant, il n’en resta pas moins un prince français : son dernier testament de 1385 est rédigé en français12 ! Cela apprend beaucoup sur son état d’esprit, qui est resté fortement ancré en France, alors même que sur ses trente-huit années de règne, il en passa pratiquement vingttrois dans son royaume pyrénéen. Se faire comprendre, mais aussi faire savoir clairement au destinataire de l’acte écrit la qualité de son auteur, était tout aussi important. Philippe et Jeanne d’Évreux prirent, à partir de 1328, le titre de roi et reine de Navarre, par la grâce de Dieu, ce qui les mettait pour ainsi dire sur un pied d’égalité avec les autres rois tirant leur pouvoir, comme eux, de Dieu. Ils l’ajoutèrent aux titres qu’ils portaient de comte et comtesse d’Évreux, de

9. Archivo… (1322-1349), 1, no 125 (acte daté de Bréval du 15 juillet 1338, écrit par Juan Íñiguez de Ursúa), et nos 130, 132 et 133 (actes datés de juillet 1340 écrits par Juan Pérez de Estella). 10. Arch. gén. Navarre, seccion de comptos (désormais cité AGN), caj. 42, no 35 I (acte du 1er mai 1380). 11. Gratification accordée le 4 avril 1380 à Jacquet de Hangest, sergent d’armes originaire de Picardie, écrite en français (AGN, caj. 35, no 76 II). 12. Pierre Tucoo-Chala, « Le dernier testament de Charles le Mauvais : 1385 », Revue de Pau et du Béarn - Bulletin de la Société des sciences, arts et lettres de Pau, 2, 1974, p. 187-210.

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Mortain, de Longueville et d’Angoulême13. Cette longue énumération des terres françaises révèle la volonté, pour leurs auteurs, de se distinguer dans le monde des princes du début xive siècle en faisant état de leurs fiefs… Mais ils étaient éclatés. Tout aussi révélatrice est la façon dont Jeanne s’est présentée, à partir d’une date indéterminée : elle ajouta à ces différentes qualités, celle de « fille de roi de France ». On en trouve le premier témoignage dans un acte du 2 octobre 1337 daté de Paris : « Philippus, Dei gratia rex Navarre, Ebroycensis, Engolismensis, Moritonii, Longevilleque comes, et Johanna, filia regis Francie, eadem gratia dicti regni regina dictorum comitatuum comitissa, ejus consors14 ». Ce nouveau titre, qui traduit incontestablement une conscience aiguë de son origine, voire une revendication assumée, se généralisa progressivement : il ne figur pas, par exemple, dans un autre acte de même date, ni dans un autre daté du 10 décembre suivant15. Mais il est employé en janvier 133816, alors qu’il est à nouveau absent dans un autre de juillet 134017. Il réapparaît en octobre de la même année18. Il est ensuite systématiquement utilisé pendant son règne en solitaire, à partir de 134319. Charles II rappela l’ascendance royale de sa mère lors de la crise de la royauté de 1358, et suggéra ainsi ses droits à la couronne de France20. Charles II s’intitula invariablement « par la grâce de Dieu, roi de Navarre et comte d’Évreux ». Il ne fit jamais référence à ses autres comtés (Angoulême avait été au demeurant échangé par sa mère en 1349), ni aux autres terres normandes qu’il se fit céder (comté de Beaumont-le-Roger, notamment). Il ne 13. « Philippus, Dei gracia Navarre rex, comes Ebroicensis, Engolismensis, Longueville et Moritonii » (acte daté de Paris du 20 juillet 1328), et « Johanne, par la grace de Dieu, royne de Navarre, contesse d’Evreus, d’Engolesme, de Mortaing et de Longueville » (acte daté de Paris du 10 juillet 1328), Archivo… (1322-1349), 1, respectivement nos 35 et 36. 14. « Johana, filia regis Francie » (ibid., no 122). 15. Ibid., nos 121 et 123. 16. « Jehanne, sa compaigne, fylhe de roy de France » (ibid., no 124). 17. Ibid., no 133. 18. « Johane, sa compaigne, fille de roy de France, royne dudit royaume de Navarre et comtesse des contees dessus dites » (ibid., no 136). 19. María Dolores Barragán Domeño, « Forma diplomática de la documentación correspondiente al gobierno en solitario de Juana II (1343-1349) », Actas del primer congreso general de historia de Navarra, 22-27 septiembre 1986, t. 3 : Comunicaciones Edad Media, Pampelune, Institución Príncipe de Viana (Príncipe de Viana, anejo 8), 1988, p. 323-325. 20. Dans son discours du 15 juin 1358 devant les Parisiens à l’hôtel de ville, Charles rappelle ses origines, « des fleurs de lis de tous costez », et avance l’idée selon laquelle « eust esté sa mere roy de France se elle eust esté homme, car elle avoit esté fille seule du roy de France » (Chroniques des règnes de Jean II et de Charles V, Roland Delachenal [éd.], Paris, Société de l’histoire de France, 1910-1920, t. 1, p. 185).

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prit pas davantage le titre de seigneur de Montpellier une fois qu’il en fut mis en possession en 1369. C’est comme s’il s’agissait pour lui de nier le caractère éclaté de ses possessions ; il s’agissait peut-être aussi de marquer que ses différentes possessions françaises avaient été réunies en une seule et unique pairie. Son fils et successeur Charles III continua jusqu’en 1404 (année d’un accord intervenu entre lui-même et Charles VI) à s’intituler comte d’Évreux, faisant ainsi valoir ses droits à l’héritage maternel et paternel qui avait été conquis en 1378, puis confisqué et réuni au domaine royal en 1384 au mépris de ses droits bien réels. Son père n’avait pas cessé de faire de même jusqu’à son décès en 1387. En agissant ainsi, le père et le fils pointaient la spoliation d’héritage dont ils estimaient être victimes, chacun à leur niveau : confiscation indue par Charles, déshéritement injustifié pour l’autre. C’est ce que fit Louis de Navarre lorsqu’il fut envoyé par son frère Charles en 1364 revendiquer et conquérir un autre héritage dont ce dernier estimait être le légitime héritier, le duché de Bourgogne : il s’intitula « Loÿs de Navarre, conte de Beaumont le Roger, lieutenant de nostre tres chier seigneur et frere le roy de Navarre es terres qu’il a en France, en Normandie et en Bourgoigne », laissant éclater le programme et le but politique de sa venue en France21. La titulature chez les Évreux-Navarre, comme chez leurs contemporains, a été un moyen de marquer leur rang et d’afficher des revendications. La femme de Charles, Jeanne de Valois, fit de même, puisqu’elle s’intitulait « Jehanne, fille aisnee de roy de France, par la grace de Dieu royne de Navarre et contesse d’Evreux22 ». Le fait qu’elle rappelait ses origines royales n’est, à mon sens, pas étranger au soutien qu’elle apporta à son mari, non pas, certes, dans ses revendications au trône de Saint Louis, mais pour mieux faire ressortir encore la qualité éminente de son royal époux, entouré de fleurs de lis de toutes parts, et pour lequel elle joua le rôle de conciliatrice et d’intercesseur auprès de Charles V23.

Émettre, enregistrer et conserver Quel était le cadre de cette production trilingue, qui assurait l’exercice d’un gouvernement et asseyait des revendications politiques ?

21. Philippe Charon, « Louis de Navarre († 1376). Un prince cadet entre solidarité familiale et ambition personnelle », Bibliothèque de l’École des chartes, 169, 2011, p. 481. 22. AGN, caj. 20, no 95 III (4 novembre 1365). 23. Philippe Charon, « Jeanne de Valois, reine de Navarre et comtesse d’Évreux (1343-1373) », En la España medieval, 32, 2009, p. 29 et 45-46.

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Les dix actes conservés entre 1345 et 1349 du gouverneur de Navarre nommé par la reine Jeanne, Jean de Conflans, ont été écrits par des scripteurs qui appartenaient tous à une institution navarraise, la cort24. Il s’agissait du tribunal suprême du royaume25, et ses notaires, pour prendre le qualificati qui les désignait, mettaient donc par écrit les décisions de gouvernement. Les actes de Philippe et de Jeanne, pendant leurs séjours navarrais, étaient-ils aussi rédigés par de tels scripteurs ? On lit la signature de Français sur cinq des dix-huit actes (sur cinquante et un conservés) qui en comportent un : ils avaient donc accompagné leurs maîtres en Navarre. Le monopole (si du moins il est possible d’employer un tel terme dans la mesure où l’état de la documentation conservée nous abuse peut-être) que les notaires de la cort semblaient avoir dans l’écriture des actes de Jean de Conflans, mais aussi de ses prédécesseurs, était donc entamé. Une évolution était en marche, et elle ne se démentit pas avec l’installation de Charles II dans son royaume en 1361 ; les notaires de la cort se sont résolus à voir diminuer leur place dans l’écriture de l’acte royal au profit de collègues, eux aussi spécialistes de l’écriture, que les sources désignent sous l’expression de clercs du roi. Une autre évolution vint de la forme juridique de l’acte. Les actes des gouverneurs étant rédigés par les notaires, ils avaient de ce fait la forme d’instruments publics notariés. Cette carta publica impliquait de faire figurer à la fin dans le corps de l’acte, le nom du notaire pour donner à l’acte son caractère authentique26. Elle impliquait aussi la manifestation de l’intention de l’auteur de la décision de la faire coucher par écrit par le notaire présent, intention que l’on rencontre ainsi sous sa forme détaillée : « Et mandamos a vos, notario de la cort, que d’esto fagedes et dedes sendas sentencias de la partidas d’una tenor et forma. » Elle impliquait enfin la présence de témoins, en plus du notaire, annoncée par une formule du genre : « Testigos son de todo esto qui presentes clamados et rogados fueron en el logar, et por testigos se otorgaron… ». Ce type d’actes n’a pas été retenu par Charles, à l’exclusion des actes de diplomatie espagnole qui mériteraient à eux seuls une étude poussée et détaillée. De ce fait, les notaires de la cort ont délaissé la simple mention de leur nom et adopté la signature pour prendre la responsabilités des actes de 24. Archivo… (1322-1349), 1, nos 167 à 173, 175, 176 et 181. 25. Sur cette institution navarraise, Javier Zabalo Zabalegui, La administración del reino de Navarra en el siglo xiv, Pampelune, Universidad de Navarra, 1973, p. 485-556, ici p. 277-282 ; María Isabel Ostolaza Elizondo, « El tribunal de la Cort de Navarra durante el siglo xiv (1329-1387) », Príncipe de Viana, 178, 1986, p. 485-556 ; et Félix Segura Urra, Fazer justicia: fuero, poder público y delito en Navarra (siglos xiii-xiv), Pampelune, Institución Príncipe de Viana, 2005, p. 180-197. 26. Archivo… (1322-1349), 1, no 114 (acte du 1er août 1337).

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Charles qu’ils écrivaient. Ceux-ci comportaient également une indication de commandement, sous la forme d’une mention hors teneur27. On aurait tort, à mon sens, de rapprocher ces mentions de la liste des témoins des instruments notariés : la présence de ces derniers était requise par la forme juridique même de l’acte. Diversification des scripteurs, mais surtout modification de la forme juridique et indication de mentions de commandements, voici trois « nouveautés » introduites dans les pratiques diplomatiques navarraises, qui tranchaient avec les usages antérieurs. Les deux dernières existaient déjà dans les actes du gouvernement des domaines français des comtes d’Évreux. Il ne faut donc pas s’étonner, dans ces conditions, de l’évolution qu’a connue l’acte royal en Navarre après que ces princes furent montés sur le trône des Sanche. Ces pratiques, imitées de la chancellerie royale française – empruntées serait sans doute plus juste28 –, posent la question de l’organisation permanente d’une telle institution en Navarre. Elle n’a pas eu d’existence avant 1363. Si Philippe et Jeanne d’Evreux avaient un chancelier, celui-ci était installé en France : il les a accompagnés dans leur royaume en tant que de besoin. Charles se fit de même accompagner du sien lors de ses deux premiers séjours en 1350-1351 et 1355. Tel n’a pas été le cas en 1361. Il faut attendre l’année 1363 pour déceler des signes de la présence d’un chancelier. Il est difficile de la dater précisément, et donc de fixer la création et le développement de cette nouvelle institution, tandis que la cort se spécialisa, outre ses attributions judiciaires, dans la copie des actes royaux originaux. Charles n’appela pas le chancelier qui résidait en Normandie, et nomma à ce poste Jean de Hanneucourt, déjà présent en Navarre. Le premier exemple documenté de son exercice se trouve dans la mention hors teneur d’un acte du 5 juin 1363, donné « Por el seynnor rey, [a la relacion del abbat] de Falces et de vos maestre Johan de Henucourt29 ». Il a fallu quelque temps avant que, dans 27. Sur cette question, en attendant la publication des actes du colloque organisé par l’École des chartes (centre Jean Mabillon) et l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (LaMOP), Les mentions de chancellerie, entre technique administrative et savoir de gouvernement, tenu à Paris les 23 et 24 septembre 2013, on doit toujours recourir à Octave Morel, La grande chancellerie royale et l’expédition des lettres royaux de l’avènement de Philippe de Valois à la fin du xive siècle (1328-1400), Paris, Picard, 1900, p. 300 et suiv. 28. Robert-Henri Bautier, « Recherches sur la chancellerie royale au temps de Philippe VI », Bibliothèque de l’École des chartes, 122, 1964, p. 89-176, et 123, 1965, p. 323-459, discuté (avec l’étude de Georges Tessier, « Les chanceliers de Philippe VI », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1957, p. 359-373) par Raymond Cazelles, « Une chancellerie privilégiée : celle de Philippe VI de Valois », Bibliothèque de l’École des chartes, 124, 1966, p. 355381. Sur la chancellerie de Charles V, Georges Tessier, « L’activité de la chancellerie royale française au temps de Charles V », Le Moyen Âge, 48, 1938, p. 14-52 et 81-113. 29. Archivo… (1349-1387), 2, no 845.

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les actes, l’habitude se prenne de désigner ce nouvel officier par le pronom de la deuxième personne du pluriel, « vos » ou « vous ». En effet, pour l’année 1363 on a cinq occurrences de ce type, contre vingt où Hanneucourt n’est désigné que sous son nom. Cela traduit bien la nouveauté de l’institution. Les historiens des institutions navarraises en ont toutefois très peu parlé, l’assimilant, de manière confuse, à la cort, et en en minimisant l’importance. Ils l’ont abordée par l’intermédiaire du chancelier, auquel ils ont attribué un rôle honorifiqu 30. Or, la chancellerie avait bel et bien une existence : elle était dotée de personnel31, et était installée à Tiebas32. La décision de Charles s’explique sans aucun doute par ses origines de prince français, habitué à des pratiques administratives et gouvernementales, et donc désireux de les importer dans son royaume. La volonté de mettre son royaume au même niveau de développement institutionnel que ceux de ses voisins aragonais et castillan, où existait une chancellerie, a sans doute joué aussi. Gardait-on mémoire de toute cette production écrite ? Le 26 juillet 1368, Charles donnait l’ordre aux gens de la chambre des comptes de son royaume de rabattre de la recette du trésorier les 20 livres payées en 1350 par le titulaire de la charge de l’époque, paiement qu’ils avaient rejeté. Le scripteur de l’acte royal précisait que l’acte qu’il avait écrit était en fait un deuxième exemplaire copié à partir du « registre », l’original ayant été perdu33. C’est donc qu’il existait un bureau chargé de garder mémoire de la production royale en l’enregistrant. 30. J. Zabalo Zabalegui, La administración…, op. cit., p. 97, qui ne consacre en outre que deux pages à peine à cette institution, ce qui traduit l’idée – fausse à mon sens – de la non-importance de cette institution royale. Voir en contrepoint, l’étude de Maria Isabel Ostolaza Elizondo et Santos García Laragueta, « Las cancillerías y el documento regio navarro. Estado de la cuestión », Boletín de la Sociedad castellonense de cultura, 58, 1982, p. 396-469, qui reste malgré tout très prudente. Selon Maria Isabel Ostolaza Elizondo (« La administración del reino de Navarra durante el reinado de Carlos II », VI centenario de Carlos II de Navarra, Príncipe de Viana, 182, 1987, p. 621-636, à la p. 632), le fonctionnement intermittent de la chancellerie, en raison des absences répétées de Charles, a été un obstacle à en faire un vrai service d’administration centrale : or, Charles ne s’est absenté qu’entre mai 1369 et septembre 1372. Son analyse reste la même dans son étude sur la cort (« El tribunal… », art. cité, p. 513) : « y es raro que interveneria en la genesis documental reduciendo su relación con la expedición de documentos ». Or, à partir du moment où, en 1363, le chancelier est en Navarre, il n’y aucun exemple d’acte scellé par le sceau de la cort, et les scripteurs appartiennent tant au cercle des notaires qu’à celui des clercs du roi (Archivo…… [1349-1387], 3, 4 et 5 passim). 31. Perrinet Madgeleine passa ainsi du service de la chambre aux deniers de l’hôtel à celui de la chancellerie (Archivo… [1349-1387], 4, no 1677). 32. Suzanne Duvergé, « Registres de la chancellerie navarraise du temps de Charles le Mauvais », Bibliothèque de l’École des chartes, 97, 1936, p. 90-101, ici p. 91-92. 33. « Autregoiz signé de ma main “Par le roy”, laquele a esté perdue et je l’ai rescripte de vostre commandement sur le registre » (Archivo… [1349-1387], 5, no 1896).

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La première mention conservée de l’enregistrement d’un acte date de 1340 : elle est indiquée sous la forme « Registrata », apposée à gauche sur le pli de la copie du privilège accordé de Paris le 13 octobre par Philippe et Jeanne à la ville navarraise d’Olite34. De telles mentions sont rares, et la suivante figure sous la forme abrégée « Reg », sur un acte donné d’Évreux le 10 janvier 1360, qui nomme le titulaire d’un offic 35. Ces deux exemples attestent l’existence, au sein du royaume de Navarre, d’une procédure d’enregistrement des actes délivrés à partir de la France, alors même qu’il n’existait pas de chancellerie organisée. Un troisième témoignage se situe en janvier 1361 et concerne l’enregistrement d’un ordre de remboursement d’achats36 ; il montre que cette procédure concernait aussi les actes délivrés à partir du royaume et qu’elle touchait des décisions de moindre importance que des privilèges ou nominations. Les actes de Louis de Navarre pendant sa lieutenance en 1355-1361 et ceux de la reine Jeanne pendant sa régence en 1369-137237 étaient aussi enregistrés, et un tel système a été mis en place au sein de la principauté38 (fig. 1 et 2). On est tenté de le rapprocher de celui de la chancellerie aragonaise ou de la chancellerie pontifical 39. Il reste quatre témoignages matériels, quatre

34. Archivo… (1349-1387), 1, no 136. 35. Ibid., no 219. 36. Ibid., no 283. 37. Mention d’enregistrement sur, par exemple, un acte de Louis de Navarre du 9 février 1360 (AGN, caj. 13, no 146 I), et de la reine du 14 octobre 1370 (AGN, caj. 26, no 64). 38. Philippe Charon, Princes et principautés…, op. cit., p. 399 et n. 102 : exemples d’actes de Charles II entre le 28 décembre 1368 et le 26 février 1371. 39. Pour l’enregistrement à la chancellerie française, voir Georges Tessier, « L’enregistrement à la chancellerie royale française », Le Moyen Âge, 62, 1956, p. 39-62 ; l’introduction de Robert Fawtier aux Registres du Trésor des chartes, t. 1 : Règne de Philippe le Bel. Inventaire analytique, Jean Glénisson, Jean Guérout, Robert Fawtier (dir.), Paris, Archives nationales, 1958 ; et la journée d’études tenue aux Archives nationales le 10 mai 2011 ; voir aussi « L’art du registre en France, xiiie-xvie siècle, II, Registres princiers du Moyen Âge ». Pour les royautés espagnoles, Lope Pascual Martínez, « La cancillería de Pedro I (1350-1369) », Miscelánea Medieval Murciana, 5, 1979, p. 189-243, et « La cancillería de Enrique II », ibid., 2, 1973, p. 177-202 ; Francisco Sevillano Colom, « Apuntes para el estudio de la cancillería de Pedro IV el Ceremonioso », Anuario de historia del derecho español, 20, 1950, p. 137-241 ; et Elena Cantarell Barella et Mireia Comas Via (dir.), La escritura de la memoria: los registros. Actas de las VIII jornadas de la Sociedad española de ciencias y tecnicas historiograficas, Barcelone, PPU, 2012. Pour une vue comparative des chancelleries pontificale et française, Olivier Canteaut, « Enregistrer, pour quoi faire ? Éclairages croisés sur les pratiques d’enregistrement de la monarchie française et de la papauté d’Avignon (1316-1334) », dans L’autorité de l’écrit au Moyen Âge (Orient-Occident). Actes du XXXIXe congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, Le Caire, 30 avril-5 mai 2008, Paris, Publications de la Sorbonne, 2009, p. 299-316.

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cahiers ou registres de papier40. Le premier contient l’enregistrement de deux types d’actes de Louis pour les années 1360-1361 (« cartas communez, procedentes de consejos et de las deliberaciones », « pagas et assignaciones »)41 , les trois autres datent du règne de Charles II. L’un couvre la période juin 1365 à avril 1366 et est intitulé : « Quintus liber. De litteris communibus solum. mccclxv42 ». Cela laisse penser qu’il a été précédé de quatre autres cahiers du même type, et c’est tout à fait vraisemblable : ils correspondraient aux quatre années depuis l’installation de Charles fin 1361. Le troisième témoignage de cette activité d’enregistrement est un cahier portant pour titre : « Registrum assignationum, donationum pro una vice, remissionum, gratiarum secularium et donationum cum donatione […]43 ». Il va de septembre 1374 à mai 1375. Sur la couverture du quatrième et dernier cahier conservé a été inscrit : « Registrum Francie et Montispessulani, factum et inceptum die prima mensis septembris anno Domini CCC° LXXXIIII44 ». Il ne devait pas être le seul du genre, comme le suggère l’acte d’amortissement des acquêts de l’abbaye Notre-Dame-du-Vœu de Cherbourg, transcrit dans le cartulaire de l’abbaye : daté de Pampelune d’août 1375, il comporte la mention « Registr[ata]45 ». Il a probablement été enregistré dans un cahier qui prenait la suite de celui qui est aujourd’hui conservé. Ces registres montrent qu’il en existait plusieurs séries tenues parallèlement. En leur sein, l’enregistrement n’était pas strictement chronologique. On trouve par ailleurs en marge d’acte des mentions « dada li fue de gracia », « finca por quitar » (le destinataire n’est pas venu retirer son acte), « nichil pro singulo, quod pro rege est » (l’acte est pour le roi), « nichil », « dada de gracia », « dada le fue po amor de Dios », « gratis pro Deo » qui sont à rattacher à des procédures de chancellerie de délivrance de l’acte à son bénéficiair 46. Le cahier de Louis de Navarre est écrit de la même main. Sur le cahier de 1375 intéressant le royaume, on lit au folio 39 l’indication « Ego Johannes incepi hic registrare », qui traduit un changement de clerc registrateur. Le registre destiné à conserver la trace des actes destinés aux terres françaises porte au 40. Suzanne Duvergé, « Registres… », art. cité, p. 93-97. 41. Ce registre a été publié par Béatrice Leroy, El cartulario del Infante Luis de Navarra del año 1361, Pampelune, Institución Principe de Viana, 1981. 42. Ce registre a été publié par Florencio Idoate, Un registro de cancillería del siglo xiv, Pampelune, 1958 (tiré à part de Príncipe de Viana, vol. 74 et 75). 43. AGN, caj. 29, no 1 A. 44. Ibid., no 1 B. 45. BM Cherbourg, ms. 115, p. 189, no 202. 46. Florencio Idoate (Un registro de cancillería…, op. cit., p. 572) se trompe en écrivant pour ces formules figurant dans les registres de 1365-1366 : « fórmularias cancillerescas indicadoras de la solución o acuerdo tomado por el rey o su consejo ».

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folio 22 une indication de même nature : « J’ay registry usque huc. Guiot ». Ces mentions, en raison de leur trop petit nombre, n’autorisent aucune conclusion quant aux méthodes d’enregistrement, notamment quant à l’existence de registre propre à chaque copieur. Suzanne Duvergé a pu conclure à cette existence, sur la foi d’une seule mention du cahier d’enregistrement des dons, grâces et remises de 1374-1375 : « Dada de gracia quia alias est registrata in registro Petri Yvagnes ». Les choses ont certainement été plus complexes, et, si elles obéissaient à une quelconque logique, elle nous échappe. Plusieurs choses paraissent certaines toutefois. L’enregistrement a précédé la création de la chancellerie, le registre de Louis en témoigne, et il est vraisemblable qu’il ait été tenu par un notaire de la cort. L’enregistrement se fit une fois la chancellerie installée, aussi bien par des clercs du roi, des clercs de chancellerie que des notaires de la cort. Charles II fit rassembler à son avènement les archives des dynasties précédentes dispersées dans au moins deux dépôts, à Tiebas, non loin de Pampelune, et au château d’Estella47. Ce rassemblement date de 1363, et le choix se fixa sur cette ville, l’année même et là même où la chancellerie fut elle aussi installée. En agissant ainsi, Charles a certainement eu la conscience que l’écrit fondait les droits du royaume et permettait de les défendre. N’avait-il pas réclamé, par exemple, que soit mis par écrit son contrat de mariage avec Jeanne de Valois, la fille du roi de France, pour que soient consignés sur parchemin les apports en terres et en argent que cette union lui procurait48 ? Le dépôt de Tiebas prit la dénomination de « thesoreria » ; ce n’est sans doute pas anodin49. C’est celle qui est employée à peu près au même moment pour

47. Pour ce qui suit, Suzanne Duvergé, « Registres… », art. cité, n. 1 p. 91, et n. 2 et 3 p. 92 ; Philippe Contamine et Laurent Vissière (dir.), Défendre ses droits, construire sa mémoire : les chartriers seigneuriaux, xiiie-xxie siècle. Actes du colloque international de Thouars, 8-10 juin 2006, Paris, Société de l’histoire de France, 2011, et la contribution d’Eloísa Ramírez Vaquero et Susana Herreros Lopetegui, « Del archivo de la familia al archivo del reino: en el espejo de cartularios, inventarios y ordenanzas regias (Navarra: finales del s. xiv) », dans le cadre du programme ARCHIFAM sur les archives des familles et archives royales en péninsule Ibérique de la Casa de Velazquez, accessible en ligne : https//www.casadevelazquez.org/fileadmin/fichiers/ investigacion/Epoque_antique_medievale/2013-2014/Del_archivo_de_Familia_al_archivo_ del_reino._ERV_y_SHL.pdf, consulté le 11 mai 2015. 48. Philippe Charon, Princes et principautés…, op. cit., p. 135. 49. Ce terme ne désigne peut-être pas l’institution comptable de la trésorerie générale, comme l’affirme l’étude d’Eloísa Ramírez Vaquero et Susana Herreros Lopetegui citée à la note 47. Voir les recherches de Yann Potin sur le Trésor des chartes des rois de France déclinées à partir de sa thèse de l’École des chartes (La mise en archives du trésor des chartes [xiiie-xixe siècle], 2007), parues dans Lucas Burkart, Philippe Cordez, Pierre-Alain Mariaux et Yann Potin (dir.), Le Trésor au Moyen Âge. Bilan et méthodes de recherches, Neuchâtel, Université de Neuchâtel, 2005, et Le Trésor

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le royaume de France pour désigner l’endroit où était conservée une partie des archives du royaume, et, à plus de deux siècles de distance, pour le duché de Bretagne50. Dans ces deux cas, les archives placées dans ces lieux ont fini par en prendre le nom, celui de trésor des chartes. Est-ce à dire qu’il existait en Navarre, à Tiebas, un trésor des chartes, constitué d’archives non organiquement liées à l’activité d’une institution, mais de pièces volontairement déposées à cet endroit ? C’est probable, et cela ferait de Charles, dans ce domaine comme dans tant d’autres, un précurseur, du moins un dirigeant de haut niveau comprenant les enjeux d’une conservation centralisée des écrits royaux.

Formes et validation de l’écrit royal Avec l’introduction d’une production d’écrits sur le modèle des actes royaux français (modèle déjà adopté par Jeanne et Philippe d’Évreux, dans leur royaume comme dans leur principauté) et la création d’une chancellerie, le mode de validation de l’acte royal fut également modifié Les actes des gouverneurs étaient validés par l’apposition du sceau de la cort. Ceux de Philippe et de Jeanne ne le furent pas de cette manière pendant leurs brefs séjours en Navarre, pas plus que ceux de Charles : ils eurent tous les trois recours au sceau que gardait leur chancelier, mais aussi, pour Charles, aux siens propres, sceau dit du secret et signet51. La cort scella toutefois des actes de Louis de Navarre et de Jeanne de Valois pendant respectivement leurs lieutenance (1355-1361) et régence (1369-1372) : il n’y avait pas de chancellerie dans le royaume pendant la lieutenance du premier, et le chancelier était en France aux côtés de Charles sous la régence de la seconde. Cependant, on a des exemples d’actes scellés de leur propre sceau. Charles prit une ordonnance pour fonder de manière indiscutable l’usage exclusif de son sceau de chancellerie pour valider ses actes. On en trouve mention dans un mémoire rédigé pour répondre à la contestation émise par le bénéficiaire d’un don dont il estimait de pas avoir été entièrement payé :

au Moyen Âge. Discours, pratiques et objets, par les mêmes, Florence, Sismel (Micrologus’Library, 32), 2010. 50. Marie-Christine Rémy, « Qu’est-ce que la trésorerie des ducs de Bretagne », dans Anne de Bretagne : une histoire, un mythe. Catalogue de l’exposition présentée au château des ducs de Bretagne / musée d’histoire de Nantes du 30 juin au 30 septembre 2007, Nantes, 2007, p. 69-71. 51. Faustino Menéndez Pidal de Navascués, Mikel Ramos Aguirre, Esperanza Ochoa de Olza de Eguiraun, Sellos medievales de Navarra. Estudio y corpus descriptivo, Pampelune, Gobierno de Navarra, 1995, p. 50-54 (étude des sceaux de Charles qui mériterait d’être approfondie). Sur le signet des rois de France, Georges Tessier, Diplomatique royale française, Paris, Picard, 1962, p. 205-206.

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« Item, sera vista la ordenança del seynor rey de no seillar las lettras sino con sieillo de la chancelleria52. » On ignore la réaction de la cort. Est-ce pour éviter l’ouverture d’une résistance que Charles confi , dès le début de son règne, à ses procureurs la garde du sceau de ce tribunal53 ? Ce geste peut apparaître comme « normal » en raison de la position d’un tel personnage au sein d’une organisation judiciaire. Mais ces procureurs s’appelaient Gilles de Mouliens et Jean Pasquier : c’étaient de fidèles serviteurs, d’origine française54, à qui l’idée de contrevenir aux ordres royaux était étrangère, contrairement – malgré le danger de s’attirer la colère royale – à des officiers navarrais. À la mort de Pasquier, Charles confia ce sceau à son chancelier, Jean de Hanneucourt, d’origine française lui aussi : cela permettait de continuer à s’assurer de son bon usage. À sa mort en 1375, Charles continua de confier ce sceau au successeur du défunt, un Navarrais cette fois, Martín de Zalba55 : le risque d’une éventuelle mauvaise utilisation avait passé, la chancellerie étant, après plus d’une dizaine d’années de fonctionnement, bien assise. L’introduction, dans l’écrit royal navarrais, d’un scellement différent s’accompagna d’un langage des couleurs et d’une typologie de scellements déterminés par la nature des actes, inconnus dans le royaume, puisque la couleur de la cire du sceau de la cort était invariablement rouge56. On assiste de ce fait à l’introduction d’un système qui calque les pratiques en vigueur à la chancellerie royale française, mais qui, comme dans le royaume de France, s’en affranchit aussi. Le vert caractérisait une décision à valeur perpétuelle57, et c’était le grand sceau qui était alors employé, le sceau de majesté ; il était fixé à la charte avec des fils de soie vert (ou rouge et vert) ou un lien, dénommé « cordon » dans la description qu’en donnent certains vidimus. La première mention d’un acte scellé du grand sceau de Charles II date de juillet 136258 ; la deuxième de

52. AGN, caj. 24, no 42 II. 53. María Isabel Ostolaza Elizondo, « El tribunal… », art. cité, p. 528. 54. Sur le premier, Philippe Charon, Princes et principautés…, op. cit., dictionnaire prosopographique, notice no 199, et sur le second, Fabrice Délivré, Des universitaires partisans du roi de Navarre, vers 1350-vers 1380. Les maîtres compris dans les rémissions générales de 1355 et 1360, mémoire de maîtrise dactylographié, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1995-1996, notice no 9, p. 169. 55. María Isabel Ostolaza Elizondo, « El tribunal… », art. cité, p. 527-528. 56. Archivo… (1322-1349), 1, no 86. 57. Georges Tessier, Diplomatique royale…, op. cit., p. 236, et Olivier Guyotjeannin, Jacques Pycke, Benoît-Michel Tock, Diplomatique médiévale, Turnhout, Brepols (L’atelier du médiéviste, 2), 1993, p. 91. 58. Archivo… (1349-1387), 2, no 492 (« nous avons fait seeler ces presentes de nostre grand seel en lax de soie et cire vert »).

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décembre de la même année, et une troisième de janvier 1363, puis en mars, juin, et enfin en août59. Qui tenait le sceau de chancellerie en 1362 et au début de 1363 ? Cela reste un mystère : Jean de Hanneucourt, premier chancelier à avoir exercé en Navarre, n’est officiellement attesté dans cette fonction qu’en juin 1363. Très peu de chartes originales scellées du grand sceau de cire verte ont été retrouvées : elles sont aujourd’hui sans doute perdues pour la plupart, car elles étaient conservées dans les archives des bénéficiaires de la décision royale. Leur étude diplomatique détaillée montrerait combien elles empruntaient aux chartes de la chancellerie française, comme, par exemple, l’annonce du scellement qui pouvait prendre une formulation comme « et por mayor firmez et testimonio de las cosas sobre dichas, mandamos sieyllar las presentes en pendient de nuestro sieillo60 », ou encore « et por que las cosas sobre dichas sean firmes, estables et valederas a todos tiempos, mandamos sieillar las presentesde nuestro grant sieillo61 », et, dans une moindre mesure, l’ornement de la première lettre du nom du roi62 (fig  3). Les actes dont la portée était limitée dans le temps, comme les dons de rentes ou de revenus viagers, mais aussi les ordonnances, les remises de dettes ou d’amendes, étaient scellés du grand sceau en cire blanche ou jaune. Il y avait certainement d’autres types d’actes à être ainsi validés, mais, comme pour les chartes, le corpus documentaire conservé pour sa plus grande part dans le fonds de la chambre des comptes de Pampelune ne permet pas, dans un cas comme dans l’autre, d’en dresser de listes plus complètes. Comme à la chancellerie royale française, la différence entre simple ou double queue est difficile à faire63. Le premier mode de scellement est majoritaire (qualifié de « empna en pendient ») ; il n’a été repéré que onze témoignages entre 1350 et 1361 du second type à partir des actes édités pour cette période. Pour preuve de cette différenciation confuse (peut-être aussi dans l’esprit du personnel de la chancellerie), ces deux nominations aux fonctions de sergent d’armes : la première, du 27 août 1364, est scellée du grand sceau de cire jaune sur simple queue, la seconde, du 15 mars 1365, l’est également du grand sceau de cire

59. Ibid., respectivement nos 688, 716, 762, 843 et 896. 60. Archivo… (1349-1387), 5, no 1991 (charte du 12 février 1369). 61. Archivo… (1349-1387), 4, no 1877 (charte du 29 mai 1368). 62. Sur cette question, Ghislain Brunel, Images du pouvoir royal. Les chartes décorées des Archives nationales, xiiie-xve siècle, Paris, Somogy Éditions d’art/Centre historique des Archives nationales, 2005. 63. Georges Tessier, Diplomatique royale…, op. cit., 1962, p. 236.

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blanche, mais sur double queue de parchemin, et toutes les deux ont la même annonce de scellement64. Il n’y eut pas de systématisme dans le scellement de tels actes par le grand sceau en cire blanche. Ils pouvaient aussi être scellés du sceau du secret, uniquement de cire rouge dans ce cas, et on ne sait pas toujours si le recours à ce sceau était dû à l’absence du « grand », comme cela était parfois clairement indiqué65, ou relevait d’une volonté de se dégager des contraintes de procédures de chancellerie66. Ainsi, les concessions de mesnada (ces rentes versées en contrepartie du service militaire armée) étaient-elles scellées de cire blanche sur simple queue67, ou de cire rouge68. De même, la concession de 200 l. de rente annuelle à un sergent d’armes, « en todo el tiempo de su vida », était scellée de cire rouge sur double queue69, mais celle de 70 l. à un chambellan, également « en toda su vida », était, elle, scellée de cire blanche sur double queue70. Les nominations de capitaines de châteaux pouvaient être scellées sur simple queue de parchemin du grand sceau de cire blanche, 64. Respectivement Archivo… (1349-1387), 3, no 1173 (description du vidimus : « une carta scripta en pargamino et sieyllada con cera blanca en hempna de pargamino pendient con el grant sieyllo del muyt alto et muyt exelent princep, el seynnor don Karlos… », avec la formule de corroboration : « et en testimonio d’esto, damos li esta carta sieyllada en pendient de nuestro sieyllo »), et no 1302 (description du vidimus : « una carta escripta en pargamino sieillada del grant sieillo del seynnor rey en pendient en doble coa con cera amarieilla », avec la formule de corroboration : « Et en testimonio d’esto, damos le esta nuestra carta sieillada en pendient de nuestro sieillo »). 65. Louis de Navarre et sa belle-sœur la reine Jeanne usèrent aussi, pendant leur lieutenance et régence, de leur propre sceau en l’absence du sceau de la cort. Exemples : don du premier, le 8 décembre 1358, de remettre 10 cahices de blé à un habitant de Lesaca pour le remercier, lui et son fils, d’avoir fait revenir à l’obéissance les habitants de Lesaca et Vera, scellé « del sieillo [de la cort en ab, biffé] nostro proprio en absencia del sieillo de la cort » (AGN, caj. 13, no 120 IV) ; ordre de la seconde, le 25 juin 1372, de prendre en compte des dépenses faites du temps de la lieutenance de Louis, scellé « con nostro sieillo en absencia del sieillo de la cort » (AGN, caj. 13, no 221 II). 66. En mai 1365 (sans doute entre le 6, jour où la présence de Charles II est attestée à Pampelune [AGN, caj. 33, no 116 II] et le 17, où il y est de nouveau [AN, J 219, Conches et Breteuil, no 21]), du château de Gramont au cours d’un déplacement dans la Navarre d’outre-port, Charles prenait la décision de récompenser les enfants d’un ancien serviteur de la principauté décédé (AN, J 219, Conches et Breteuil, no 20). L’acte ne fut scellé que le 17 mai (« lecta in presencia regis et sigillata de precepto ejus xviia die maii in Pampilona », lit-on sur le repli de la charte), car le chancelier n’était pas présent à ses côtés : il était à Pampelune, au moins le 15 mai (acte donné « Por el sennor rey, a vuestra relacion », AGN, caj. 20, no 49 I). 67. Archivo… (1349-1387), 5, no 1937 (acte du 5 septembre 1368). 68. Archivo… (1349-1387), 2, no 420 (acte du 15 juin 1362). 69. Ibid., no 627 (acte du 20 novembre 1362). 70. Archivo… (1349-1387), 3, no 1343 (acte du 11 juin 1365).

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valables « quoanto sera nuestra voluntat71 », ou sur simple queue du sceau du roi de cire rouge, également « en tanto quoanto a nos plazdra72 ». Les actes d’administration courante, et singulièrement les mandements, étaient généralement scellés du sceau du secret de Charles, en cire rouge, plaqué au dos recouvert d’une feuille de papier quand le support en était le papier, sur simple queue de parchemin quand il était en parchemin. L’emploi de ce sceau était également privilégié, mais de manière non systématique, pour valider des actes relatifs à des dépenses qui le touchaient personnellement ou concernaient des personnes de son très proche entourage73, ou encore des dépenses d’hôtel74. La validation par le sceau pouvait être complétée, sans qu’il y ait davantage de règles systématiques, par l’apposition d’une signature autographe 75. En agissant de cette façon, c’est davantage la personne privée qui était impliquée que le responsable public, si on s’autorise de tels qualificatifs empruntés à une description très contemporaine des dirigeants. Charles signa ainsi certaines des quittances qu’il délivrait pour les sommes qu’il avait reçues pour son usage personnel76, comme il signait celles pour l’argent qu’il faisait

71. Archivo… (1349-1387), 5, no 1932 (acte du 30 août 1368). 72. Archivo… (1349-1387), 3, no 1074 (acte du 26 avril 1364). 73. Louis de Navarre utilisa aussi son propre sceau pour de pareilles décisions. Il donna, par exemple, le 20 janvier 1361 l’ordre au trésorier de remettre aux nourrices de sa fille 50 écus vieux en plus de 33 florins déjà attribués destinés à acheter des robes pour leur usage, et le fit sceller de son « seel secret » (AGN, caj. 14, no 10 II). 74. Même pratique chez Louis de Navarre (par exemple, ordre du 13 janvier 1361 scellé « de nuestro proprio sieyllo » pour faire déduire de la recette de Sangüesa la valeur des approvisionnements livrés pour la nourriture des bêtes de somme de son hôtel [AGN, caj. 14, no 33 VII]) que chez la reine, qui fit revêtir de son sceau personnel l’ordre de paiement des dépenses d’un médecin venu soigner des gens de son hôtel en mars 1372 (AGN, caj. 26, no 67 I). 75. Sur cette question, voir Claude Jeay, « La naissance de la signature dans les cours royales et princières de France (xive-xve siècle) », dans Michel Zimmerman (dir.), Auctor et auctoritas : invention et conformisme dans l’écriture médiévale. Actes du colloque tenu à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 14-16 juin 1999, Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 59), 2001, p. 457-475 ; du même auteur, « La chancellerie comme marque d’individualisation. La chancellerie royale française (fin xiie-xve siècle) », dans Brigitte Miriam Bedos-Rezak et Dominique Iogna-Prat (dir.), L’individu au Moyen Âge. Individuation et individualisation avant la modernité, Paris, Aubier, 2005, p. 59-78. Voir aussi les contributions de Claude Jeay, Philippe Charon, Véronique Lamazou-Duplan, Didier Bidot-Germa et Guilhem Ferrand, dans Véronique Lamazou-Duplan (dir.), Signé Fébus, comte de Foix, prince de Béarn. Marques personnelles, écrits et pouvoir autour de Gaston Fébus, Paris, UPPA/Somogy Éditions d’art, 2014. 76. Sa signature se lit, par exemple, au bas de l’acte du 9 mai 1366 ordonnant au trésorier de comptabiliser les 50 florins remis par le maître de sa chambre aux deniers « pour certaines besoignes que nous en avions a faire » (Archivo… [1349-1387], 4, no 1606).

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mettre dans ses coffres77. La signature autographe s’observe également dans le cas où la tierce personne concernée par l’acte est très liée ou très proche de son auteur : on reste toujours, en quelque sorte, dans la sphère privée. Ainsi, le 20 juin 1362, lorsque Charles donna l’ordre au trésorier de payer à son frère Louis 200 florins pour subvenir à ses besoins, les auditeurs étaient invités à prendre en compte cette somme dans les comptes de la trésorerie « par rapportant ce present mandement senz autre lettre de quittance », et le mandement, pour bien montrer la volonté royale, était revêtu de la signature autographe de Charles78. Charles ne fit pas seulement usage de son pouvoir discrétionnaire pour s’affranchir d’une règle de comptabilité (la production d’un reçu pour imputer une dépense à un comptable). Il signa aussi de simples mandements79 et des actes de correspondance administrative, comme les lettres « De par le roy80 ». Charles adressa ainsi une telle lettre, signée de sa main, à l’alcalde de Sangüesa pour qu’il remît, dans le plus grand secret, sans que personne ne le sût, une certaine somme d’argent à son porteur « car nous en avons tres grant besoigne a present81 ». La signature royale se lit enfin au bas d’actes importants ou d’ordonnances. Celle qui réglait la manière dont les gages d’officiers de la cort leur seraient payés à partir de janvier 1369 précisait que, « afin que parezca que esta ordenança viene de nuestra cierta sciencia et voluntat, nos avemos puesto nuestro signet con nuestro nombre de nuestra propria mano et mandado poner nuestro sieillo en esta present carta82 ».

77. Sa signature se lit, par exemple, au bas de la quittance du 10 mai 1363 où il reconnaissait avoir reçu du trésorier 1 000 florins « por poner en nuestros coffres » (Archivo… [1349-1387], 2, no 824). 78. Archivo… (1349-1387), 2, no 435. Sa femme signa pareillement l’ordre de paiement des frais de l’émissaire qu’elle envoya au-devant de son mari, qui revenait de trois ans passés en France (AGN, caj. 27, no 34 II, acte du 5 juin 1372). 79. Exemple, l’ordre donné le 8 juin 1369 de déduire des paiements effectués par un receveur local précisait à l’intention du trésorier auquel il était destiné « que vous sachiés que ce vient de nostre conscience et volonté, nous avons signé ces presentes de nostre main » (Archivo… [1349-1387], 5, no 2070). 80. Sur l’usage de cette correspondance administrative, premier des moyens pour administrer les États, Bernard Guenée, L’Occident aux xive et xve siècles. Les États, 6e éd., Paris, PUF (Nouvelle Clio), 1998, p. 197-198. 81. Archivo… (1349-1387), 2, no 825 : lettre « De par le roy de Navarre » datée de Viana du 17 mai sans millésime d’année, et signée de Charles. 82. Ibid., no 1995. Dans le même esprit, l’ordre donné par la reine le 10 mai 1370 de destituer, pour cause de rébellion, les officiers du seigneur d’Albret opérant sur ses terres navarraises d’outre-port, était revêtu de la signature de la reine, qui faisait préciser « et por que de las dictas cosas sobre dictas seades mas cierto en las presentes avemos scripto nuestro nombre de nuestra propria mano » (AGN, caj. 38, no 33 IV).

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La signature autographe qui manifestait la volonté expresse de son auteur en prolongeant sa décision comportait-elle un message, plus politique celui-là ? Je risque la question quand on compare la signature de Charles II de Navarre et celle de Charles V de France83 (fig  4 et 5) et qu’on lit celle de Louis de Navarre accompagnée, à quelques reprises, d’une fleur de lys stylisée (fig. 6). On est tenté d’y voir une manifestation politique consciente de leur appartenance au lignage royal de France. Il en est de même pour le grand sceau de majesté, utilisé dès le début de son règne par Charles II. Il lui donna une finesse et une majesté inconnue jusque-là pour les rois de Navarre. Le programme iconographique se rapproche des sceaux de majesté des rois de France : la main droite tient un bâton fleur elysé, les pieds reposent sur des lionceaux, du siège sortent des figures de sauvages, et le sceptre est tenu du même geste que Louis X, qui était roi de France et de Navarre84. Charles s’inscrit donc dans une double lignée, celle des rois de France et celle de ses prédécesseurs immédiats rois de Navarre. Or, Charles V répliqua à son cousin en faisant graver à son avènement un sceau le représentant non seulement en Louis X mais dans un traitement encore plus proche que n’avait pu le faire Charles II : elle posait le Valois en seul héritier légitime de Louis le Hutin, quand Charles devait réduire ses prétentions à la succession de Navarre85. Est-ce en réaction à la réunion de sa principauté au domaine royal, prononcée en 1385, que Charles II fit graver un deuxième sceau de majesté, ou estce par vieillissement du premier, en usage depuis près de trente-cinq ans86 ? Quoi qu’il en soit, ce deuxième sceau de majesté est d’un diamètre supérieur, 100 mm contre 90, et est d’une finesse inouïe, bien supérieure au premier. Charles II est assis sur un trône, ses pieds reposant sur des lions, sous un dais avec en arrière-plan une tenture aux armes de France et de Navarre (c’està-dire des chaînes et des fleurs de lys) ; à droite et à gauche du dais, deux anges jouant l’un de la viole et l’autre de la cithare, et au-dessous de chaque ange des lévriers dans leur niche. Il tient dans sa main gauche un bâton de justice

83. Claude Jeay, Signature et pouvoir au Moyen Âge, Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 99), 2015 p. 102-108 (pour Charles V) et p. 295-297 (pour Charles II). 84. Olivier Canteaut, « Louis X en majesté : du royaume de Navarre au trône de France (13091315) », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 31, 2016, p. 43-60, en ligne : https://crm. revues.org/14004. 85. Olivier Guyotjeannin, « Captio sigilli » : note sur le sceau de majesté du roi de France Charles V », Bibliothèque de l’École des chartes, 153, 1995, p. 447-457. 86. Faustino Menéndez Pidal de Navascués, « Le deuxième sceau de majesté de Charles II de Navarre. Histoire d’une matrice deux fois regravée », Revue française d’héraldique et de sigillographie, 64, 1994, p. 195-203.

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et dans la droite un bâton fleurdelysé (fig  7). Ce nouveau sceau sonne comme une réponse de défi à la perte des biens français, et est un rappel de ses origines françaises et capétiennes.

Conclusion Les origines françaises des Évreux-Navarre les amenèrent à changer les usages diplomatiques qui prévalaient dans leur royaume pour la mise par écrit de leurs actes. Le tribunal de la cort, qui avait jusque-là joué un rôle primordial dans l’écriture et la validation des actes des gouverneurs, représentants d’un pouvoir royal absent, se vit contraint d’abandonner ce rôle. Les nouvelles pratiques mises en place imitèrent celles de la chancellerie royale française, et prirent en compte les zones linguistiques des biens de la nouvelle dynastie, comme les origines linguistiquement différentes de ses serviteurs. Seul l’enregistrement, déjà en place et auquel les notaires de la cort s’appliquaient jusque-là, échappa aux changements introduits, mais ces offi iers durent le partager avec les clercs du roi, comme ils partagèrent avec eux le rôle de scripteur des actes royaux. Ces changements s’accompagnèrent de la création et du développement d’une chancellerie dans le royaume autour du chancelier que Charles II nomma auprès de lui : était ainsi complétée l’organisation étatique du royaume et sa transformation en « État moderne », avec un tribunal souverain, un conseil, un hôtel, une chambre des comptes et des archives rassemblées. La diversification des formes de l’écrit royal entraîna par ailleurs la confection, dans les dernières années du xive ou les premières du xve siècle, d’un formulaire de chancellerie87. Les cent vingt-neuf actes compilés sous forme de modèles à partir d’actes originaux – dont certains remontaient au règne de Charles II – sont soit en français, soit en latin, soit encore en navarrais ; ils assoient des pratiques rédactionnelles élaborées depuis les années 1350. Ce formulaire, déjà édité, mériterait, l’introduction étant réduite au minimum, d’être comparé avec d’autres formulaires du même genre, et singulièrement celui d’Odard Morchesne, qui lui est peu ou prou contemporain88. Cette étude comparative ne manquerait pas de faire ressortir l’imitation et l’originalité de la chancellerie navarraise. Celle-ci se posait ainsi comme un rouage consubstantiel de l’exercice du pouvoir des rois de 87. Ce formulaire a été édité par Florencio Idoate, « Un formulario de la cancillería navarra del siglo xv », Anuario de historia del derecho español, 1956, p. 517-646. 88. Olivier Guyotjeannin, Serge Lusignan (éd.), Le formulaire d’Odart Morchesne dans la version du ms. BnF fr. 5024, Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 80), 2005 accessible sur le site des éditions en ligne de l’École nationale des chartes : http://elec.enc. sorbonne.fr/morchesne/, consulté le 4 mars 2016.

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Navarre et de l’administration du royaume. À travers les pratiques diplomatiques de Charles II de Navarre, on devine aussi, avec l’usage de la signature autographe et la confection de sceaux de majesté rappelant étrangement ceux des rois de France, un programme politique pour régner en Navarre comme un roi en France. Philippe Charon Archives départementales de Loire-Atlantique

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Pratiques diplomatiques chez les premiers rois de Navarre

Figures 1 et 2 — Acte original de Louis de Navarre avec mention d’enregistrement, 4 avril 1361 (AGN, caj. 41, no 27 II), et son enregistrement (AGN, caj. 14, no 155, fol. 32)

Philippe Charon

Figure 3 — Initiale ornée d’un privilège de Charles II, février 1371 (AD Calvados, fonds du prieuré de Saint-Cyr-de-Friardel non coté)

Figures 4 et 4 bis — Signatures de Charles II, 31 mars 1371 n. st. (BnF, fr. 26010, no 1158), 13 août 1362 (Arch. corona de Aragón, cartas recebidas, Pedro III, no 6271)

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Figure 5 — Signature de Charles V

Figure 6 — Signature fleurdelysée de Louis de Navarre, 10 mai 1361 (AGN, caj. 14, no 96 II)

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Figure 7 — Deuxième sceau de majesté de Charles II (Arch. dép. Loire-Atlantique, E 7, no 9)

Les éditions d’actes princiers (xiie-xve siècle) : bilan à l’heure du numérique Olivier Canteaut et Jean-François Moufflet

L

es actes des princes laïques sont-ils le parent pauvre de la diplomatique ? Dès ses débuts, celle-ci a accordé une attention privilégiée aux actes pontificaux et aux actes royaux et a volontiers rabaissé leurs homologues princiers au rang d’« actes privés1 », alors même que les uns et les autres sont de même essence et participent de pratiques similaires2. Certes, les diplomatistes n’ont

1. Voir par exemple Oswald Redlich, « Die Privaturkunden des Mittelalters », dans Oswald Redlich, Wilhem Erben et Ludwig Schmitz-Kallenberg, Urkundenlehre, Munich/Berlin, R. Oldenbourg (Handbuch der mittelalterlichen und neueren Geschichte), 1907-1911, 3 vol., t. 2, p. 1-233. Cette définition reste canonique dans la diplomatique allemande (voir par exemple Michael Hochedlinger, Aktenkunde. Urkunden- und Aktenlehre der Neuzeit, Vienne/Munich, Böhlau/Oldenbourg, 2009, p. 25). Elle est toutefois largement critiquée depuis plusieurs décennies (voir par exemple Carlrichard Brühl, « Derzeitige Lage und künftige Aufgaben der Diplomatik », dans Gabriel Silagi (éd.), Landesherrliche Kanzleien im Spätmittelalter. Referate zum VI. internationalen Kongreß für Diplomatik, München, 1983, Munich, Arbeo-Gesellchaft (Münchener Beiträge zur Mediävistik und Renaissance-Forschung, 35), 1984, 2 vol., t. 1, p. 37-47, ici p. 44). 2. Les actes princiers sont l’un des moyens par lesquels le prince exprime sa capacité à exercer une autorité régalienne, ou du moins son aspiration à exercer une telle autorité. Dans les faits, les modes d’expression de cette autorité diffèrent profondément selon les époques et les espaces considérés (voir entre autres Les principautés au Moyen Âge. Communications du congrès de Bordeaux, 1973, Paris, Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 1979, notamment les remarques introductives de Bernard Guillemain, p. 5-8). Ces différences sont accrues encore par l’historiographie, particulièrement fournie dans le monde germanique depuis les travaux de Julius Ficker (Julius Ficker et Paul Puntschart, Vom Reichsfürstenstande: Forschungen zur Geschichte der Reichsverfassung zunächst im xii. und xiii. Jahrhunderte, 2 t. en 4 vol., Innsbruck/Leipzig, Wagner/Graz, 1861-1923 ; réimpr. Aalen, Scientia, 1984). Dans le cadre de cette étude et dans le recensement des éditions et catalogues d’actes princiers qui figure en annexe (p. 277-286) nous avons donc choisi de retenir une définition de la notion de prince plus ou moins extensive selon les espaces. Dans l’empire, nous avons pris en compte uniquement les Reichsfürsten de la fin du Moyen Âge – anticipant de ce fait la date à laquelle furent élevés à cette dignité les margraves de Bade, les ducs de Bar, les ducs de Luxembourg, les marquis de Mantoue, les ducs de Milan et les ducs de Würtemberg – ; ont aussi été pris en considération trois comtes qui possèdent une autorité indépendante sur de vastes territoires, les comtes de Hainaut, de Hollande et de Provence. En France, nous avons retenu l’ensemble des détenteurs d’un titre ducal, comtal ou même vicomtal. Enfin, dans la péninsule Ibérique et Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

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pas entièrement oublié les actes princiers : dès la fin du xixe siècle, des études d’envergure leur ont été consacrées, ainsi qu’aux chancelleries dont ils émanent3. Cet effort ne s’est pas démenti par la suite et les travaux sont aujourd’hui abondants4. Pourtant, les actes princiers eux-mêmes ont été souvent négligés par les éditeurs de textes : seuls ceux des ducs de Bretagne et des comtes de Provence, parmi tous les princes évoqués dans le présent volume, bénéficient à l’heure actuelle d’une édition scientifiqu 5. Fort heureusement, de nouveaux projets se concrétisent aujourd’hui, le plus souvent sous forme numérique6 ; l’édition des actes de Jean de Berry en fournira un nouvel exemple. Le développement de l’édition électronique scientifique et, plus globalement, les perspectives offertes par les humanités numériques stimulent en effet depuis plus d’une décennie la réalisation d’amples corpus d’actes et la diplomatique princière laïque bénéficie de ce regain d’intérêt – quoique modestement. L’heure est donc propice pour esquisser un premier bilan des éditions d’actes princiers et du renouveau qu’elles connaissent aujourd’hui, à l’image du regain d’intérêt dont jouit l’édition des textes diplomatiques dans leur ensemble.

dans le royaume d’Angleterre, où la notion de prince territorial ne fait guère sens, nous n’avons accordé d’attention qu’aux princes du sang et aux palatinats anglais de Chester et de Lancastre. 3. Une des réalisations pionnières en la matière est l’étude qu’a consacrée Franz Kürschner aux actes du duc d’Autriche Rodolphe IV (« Die Urkunden Herzog Rudolphs IV. von Österreich (1358-1365). Ein Beitrag zur speciellen Diplomatik », Archiv für österreichische Geschichte, 49, 1872, p. 1-88). 4. Parmi les travaux monographiques les plus récents, citons Aurélie Stuckens, Les hommes de l’écrit. Agents princiers, pratiques documentaires et développement administratif dans le comté de Flandre (1244-1305), thèse de doctorat dirigée par Jean-François Nieus, université de Namur, 2016 ; Ellen Widder, Kanzler und Kanzleien. Eine Histoire croisée fürstlicher Administration im Südwesten des Reiches, Stuttgart, W. Kohlhammer (Veröffentlichungen der Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Württemberg, B, 204), 2016 ; et Gaël Chenard, L’administration d’Alphonse de Poitiers (1241-1271), Paris, Classiques Garnier (Bibliothèque d’histoire médiévale, 18), 2017. Pour les principautés d’empire, on consultera notamment la bibliographie fournie par Peter Moraw, « Die Entfaltung der deutschen Territorien im 14. und 15. Jahrhundert », dans Silagi (éd.), Landesherrliche Kanzleien…, t. 1, p. 61-108, ici p. 83-85, n. 56. 5. Les actes de deux princes de Galles, Edouard de Carnavon et Edouard de Woodstock, ont également fait l’objet, pour les premiers d’une édition partielle, pour les seconds d’un inventaire d’après les registres de chancellerie (voir en annexe p. 277-279, 281-282, 284 et 286). 6. Signalons en particulier l’édition conjointe des actes des comtes de Luxembourg et des ducs de Lorraine du milieu du xiiie au milieu du xive siècle, menée dans le cadre du projet Transscript par le Centre de recherche universitaire lorraine d’histoire et l’Institut d’histoire de l’université de Luxembourg, sous la direction d’Isabelle Guyot-Bachy et de Michel Margue. Les premiers résultats du projet sont disponibles en ligne à l’adresse http://telma-chartes.irht.cnrs. fr/transscript-project (consulté le 31 octobre 2018).

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Les apports d’un siècle et demi d’érudition Les grandes entreprises éditoriales du xixe siècle, attentives au premier chef aux actes royaux, n’ont souvent abouti qu’à des réalisations modestes dans le domaine de la diplomatique princière. Certes, dans le cadre des réflexions qui ont présidé à la naissance des Chartes et diplômes relatifs à l’histoire de France7, l’Académie des inscriptions et belles-lettres envisageait en 1894 de lancer, aux côtés de deux séries dédiées respectivement aux actes royaux et aux actes des prélats, une troisième série consacrée aux actes des « grands feudataires » de l’espace français8. Si la réalisation de la première de ces séries a été menée avec persévérance depuis plus d’un siècle, non sans obstacles9, si la deuxième n’a jamais vu le jour, la série destinée aux actes des princes laïques a été ouverte rapidement, dès 1909, par la troisième publication de la collection : l’édition des actes de Henri II Plantagenêt relatifs à la France10. En réalité, cette première réalisation – relevant tout autant de la diplomatique royale que de la diplomatique princière – avait été initiée par Léopold Delisle avant même la création des Chartes et diplômes11 ; elle n’eut pas de suite. La série entra alors en sommeil pour près d’un siècle, en dépit des tentatives pour l’en sortir12. Ce n’est que récemment qu’y fut publiée l’édition des actes du comte 7. Sur les prémices de cette entreprise éditoriale, voir Henri d’Arbois de Jubainville, « Préface », dans Recueil des actes de Philippe Ier, roi de France (1059-1108), éd. par Maurice Prou, Paris, Impr. nationale (Chartes et diplômes relatifs à l’histoire de France), 1908, p. i-xiv. 8. Rapport d’Auguste Longnon à la commission des travaux littéraires, cité ibid., p. ix. 9. Pour un bilan rapide des réalisations par l’éditeur des derniers volumes parus, voir Jean Dufour, « L’édition d’actes médiévaux », Discussions, 9, 2014, Pourquoi éditer des textes médiévaux au xxie siècle ? (http://www.perspectivia.net/publikationen/discussions/9-2014/dufour_edition, consulté le 14 septembre 2017). 10. Recueil des actes de Henri II, roi d’Angleterre et duc de Normandie, concernant les provinces françaises et les affaires de France, éd. par Léopold Delisle et Élie Berger, Paris, Impr. nationale (Chartes et diplômes relatifs à l’histoire de France), 1909-1927, 4 vol. 11. Ibid., t. 4, p. i-ii. 12. À la fin des années 1970, les grands chantiers dédiés aux actes royaux jusqu’au xiie siècle paraissant alors en voie d’achèvement, Robert-Henri Bautier a tenté de remettre en chantier les séries relatives aux actes d’évêques et aux actes princiers laïques projetées par l’Académie en 1894 (André Dupont-Sommer, « Rapport sur l’état des publications de l’Académie pendant le premier semestre 1979 », Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1979, p. 382386, ici p. 385). En résulta notamment un projet d’édition des actes des ducs de Bretagne par Hubert Guillotel (id., « Rapport sur l’état des publications de l’Académie pendant le second semestre 1976 », Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1977, p. 64-67, ici p. 65), projet qui ne s’est concrétisé que récemment, en dehors des collections de l’Académie (Hubert Guillotel, Les actes des ducs de Bretagne [944-1148], Rennes, Presses universitaires de Rennes/Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne [Sources médiévales de l’histoire de Bretagne, 3], 2014). Voir également Michel Bur, « Note d’information. L’édition des chartes

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de Champagne Henri le Libéral, qu’avait lancée John Benton plusieurs décennies auparavant et que paracheva Michel Bur au terme d’un long parcours13. De son côté, le Comité des travaux historiques et scientifiques avait devancé l’Académie en accueillant dans la Collection des documents inédits sur l’histoire de France deux éditions d’actes princiers : la première, parue dès 1885, concernait les actes pour la Gascogne enregistrés par la chancellerie de Henri III ; elle était destinée à satisfaire le même intérêt pour les possessions continentales du roi d’Angleterre que celui qui animerait Léopold Delisle quelques années plus tard dans sa publication des actes de Henri II14. La seconde s’attachait aux registres d’Alphonse de Poitiers15. Néanmoins ces publications ne répondaient à aucun plan concerté : l’édition des rôles anglais relatifs à la Gascogne, dont le terme n’avait pas été fixé en 1885, fut poursuivie dans les années suivantes, au terme de quelques péripéties, jusqu’au règne d’Édouard Ier16, avant qu’Yves Renouard n’y ajoute en 1962 un dernier volume consacré à la première moitié du règne d’Édouard II17. L’édition des actes des comtes de Ponthieu par Clovis Brunel vint clore en 1930 les seules incursions de la collection dans le domaine de la diplomatique princière18. On aboutit à un constat similaire si l’on se tourne vers les principales entreprises éditoriales allemandes : toutes dévolues à la diplomatique impériale, elles ne s’attachent aux actes princiers que de manière incidente, lorsque d’Henri le Libéral, comte de Champagne (1152-1181) », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 2003, p. 933-938, ici p. 933. 13. Recueil des actes d’Henri le Libéral, comte de Champagne (1152-1181), éd. par John F. Benton et Michel Bur, collab. Michèle Courtois et al., Paris, Académie des inscriptions et belles-lettres (Chartes et diplômes relatifs à l’histoire de France), 2009-2013, 2 vol. Cette édition, entamée dès la fin des années 1950, a rejoint la collection des Chartes et diplômes au début des années 1980 (André Dupont-Sommer, « Rapport sur l’état des publications de l’Académie pendant le second semestre 1980 », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1981, p. 32-36, ici p. 35). Sur les étapes de cette entreprise de longue haleine, voir Bur, « Note d’information… », art. cité. 14. Rôles gascons, éd. par Francisque Michel, t. 1, 1242-1254, Paris, Impr. nationale (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), 1885. Francisque Michel inscrivait avant tout son travail dans la lignée des nombreux projets formés depuis le xviiie siècle pour publier les sources anglaises relatives à l’histoire de France (ibid., p. ii-viii). 15. Correspondance administrative d’Alphonse de Poitiers, éd. par Auguste Molinier, Paris, Impr. nationale (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), 1894-1900, 2 vol. Comme le signale Auguste Molinier dans son introduction, ce projet avait été lancé par Edgar Boutaric pour le Comité des travaux historiques bien avant la création des Chartes et diplômes (ibid., p. v). 16. Voir Bulletin historique et philologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1886, p. 62, qui acte la fin du projet de publication, et ibid., 1891, p. 87-88, qui relance celui-ci. 17. Voir en annexe, p. 283. 18. Voir en annexe, ibid.

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ceux-ci émanent de prétendants à la dignité impériale ou de futurs détenteurs de celle-ci19. C’est tardivement, à la fi des années 1930, que les Monumenta Germaniae Historica créèrent, à l’initiative d’Edmund Stengel, une sous-série dédiée aux actes des princes laïques antérieurs aux années 123020 ; en 1941, paraissait son premier volume21. Sa réalisation fut toutefois remise en question dès que Stengel quitta la direction des Monumenta, et elle fut abandonnée après guerre22. Elle fut toutefois ressuscitée à la fin des années 1980 pour accueillir une édition initialement conçue en dehors d’elle23 ; ce renouveau est resté sans lendemain. 19. Les Regesta imperii consacrent par exemple un volume à Henri VII avant son avènement (Die Regesten des Kaiserreichs unter Rudolf, Adolf, Albrecht, Heinrich VII., 1273-1313, 4e partie, Heinrich VII., 1288/1308-1313, t. 1, 1288/1308-August 1309, éd. par Kurt-Ulrich Jäschke, Peter Thorau, Vienne/ Cologne/Weimar, Böhlau (J. F. Böhmer, Regesta imperii, 6), 2006 ; de même, une partie du volume dédié à Charles IV concerne son principat en Moravie (Alfons Huber, Die Regesten des Kaiserreichs unter Karl IV., 1346-1378, Innsbruck, Wagner (J. F. Böhmer, Regesta imperii, 6), 18771889, 2 vol., t. 1, p. 1-22 et t. 2, p. 681-686). Nous n’avons pas tenu compte dans notre annexe de ces cas d’ampleur volumétrique très variable. Signalons par ailleurs que Böhmer, étendant le périmètre de son travail au-delà des empereurs ou des futurs empereurs, a dressé les regestes de Jean de Luxembourg et de quelques princes en parallèle à ceux de Louis de Bavière (Johann Friedrich Böhmer, Regesta imperii inde ab anno 1314 usque ad annum 1347. Die Urkunden Kaiser Ludwigs des Baiern, König Friedrichs des Schönen und König Johanns von Böhmen […], Francfort-sur-leMain, S. Schmerber, 1839, p. 180-214 et 247-255). 20. Edmund E. Stengel, « Reichsinstitut für ältere deutsche Geschichtskunde (Monumenta Germaniae historica). Jahresbericht 1938 », dans Deutsches Archiv für Geschichte des Mittelalters, 3, 1939, p. vii-xxii, ici p. xv-xvi et id., « Vorwort », dans Die Urkunden Heinrichs des Löwen, Herzogs von Sachsen und Bayern, éd. par Karl Jordan, Leipzig/Weimar, Karl W. Hierseman/H. Böhlau Nachf. (Monumenta Germaniae Historica, Diplomata, Laienfürsten- und Dynastenurkunden der Kaiserzeit, 1), 1941-1949, 2 vol., t. 1, p. vii-xiv, ici p. vii-xii. Pour une description des travaux envisagés, voir id., « Reichsinstitut für ältere deutsche Geschichtskunde (Monumenta Germaniae historica). Jahresbericht 1939 », dans Deutsches Archiv für Geschichte des Mittelalters, 4, 1941, p. vii-xxv, ici p. xvi et id., « Reichsinstitut für ältere deutsche Geschichtskunde (Monumenta Germaniae historica). Jahresbericht 1940 », dans Deutsches Archiv für Geschichte des Mittelalters, 5, 1942, p. vii-xxii, ici p. xvi-xvii. 21. Die Urkunden Heinrichs des Löwen…, op. cit. Celui-ci avait été préparé avant les projets d’E. Stengel (ibid., p. xii-xiii). 22. Theodor Mayer, « Reichsinstitut für ältere Geschichtskunde (Monumenta Germaniae historica). Jahresbericht 1942 », Deutsches Archiv für Geschichte des Mittelalters, 6, 1943, p. ix-xvi, ici p. xiv ; Friedrich Baethgen, « Monumenta Germaniae historica. Bericht für die Jahre 1943-1948 », Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 8, 1951, p. 1-25, ici p. 17. L’un des volumes programmés par E. Stengel, l’édition des actes des Babenberg, sera néanmoins mené à bonne fin après la guerre, désormais sous l’égide de l’Institut für österreichische Geschichtsforschung (voir en annexe, p. 279). 23. Horst Fuhrmann, « Monumenta Germaniae historica. Bericht für die Jahre 1987/88 », Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 44, 1988, p. i-xvii, ici p. iv et Die Urkunden und Briefe der Markgräfin Mathilde von Tuszien, éd. par Elke Goez et Werner Goez, Hanovre, Hahnsche

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D’autres pays se sont engagés avec davantage de succès sur la voie du repérage et de l’édition d’actes princiers. Ainsi, dès 1836 était publié un recueil de regestes relatifs aux ducs d’Autriche de la famille de Habsbourg, suivant le modèle des Regesta imperii24, une œuvre entièrement refondue au début du xxe siècle sous l’égide de l’Institut für österreichische Geschichtsforchung25. Le même institut publia ultérieurement des regestes relatifs aux comtes de Gorice et de Tyrol, également ducs de Carinthie, ainsi que l’édition des actes des ducs d’Autriche de la dynastie Babenberg, sans pour autant que ces travaux aient répondu à un plan d’action concerté26. Autre entreprise précoce, celle qu’initièrent les érudits belges, attirés par des princes perçus comme précurseurs de la nation. Dès 1846, la Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique reçut ainsi pour tâche de publier les actes législatifs émis dans les principautés formant le territoire belge27. Toutefois, guidée par des considérations juridiques autant qu’historiques, la Commission se fixa pour priorité la publication des lois les plus récentes, celles du xviiie siècle28. Pendant longtemps, elle ne s’aventura dans les fonds médiévaux que pour éditer quelques ordonnances des principautés ecclésiastiques de Liège, Bouillon et Stavelot29, et pour établir une liste préparatoire d’ordonnances pour le Luxembourg30. Les travaux relatifs aux actes des ducs de Bourgogne, plusieurs fois annoncés,

(Monumenta Germaniae Historica, Diplomata, Laienfürsten- und Dynastenurkunden der Kaiserzeit, 2), 1998, p. v-vi. 24. Ernst Birk, « Verzeichniss der Urkunden zur Geschichte des Hauses Habsburg », dans Eduard von Lichnowsky, Geschichte des Hauses Habsburg, Vienne, Schaumburg, 1836-1844, 8 vol., annexe. 25. Voir en annexe, p. 284. 26. Voir en annexe, p. 285 et 279, et les introductions des travaux qui y sont cités. 27. Arrêté royal du 18 avril 1846, publié dans Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de la Belgique. Procès-verbaux des séances, 1, 1848, p. ii. 28. Ibid., p. 4-5. 29. Liste chronologique des édits et ordonnances de la principauté de Stavelot et de Malmédy de 650 à 1793, Bruxelles, E. Devroye, 1852 ; Recueil des ordonnances de la principauté de Stavelot, 648-1794, éd. par Mathieu Polain, Bruxelles, E. Devroye, 1864 ; Liste chronologique des édits et ordonnances de l’ancien duché de Bouillon de 1240 à 1795, Bruxelles, E. Devroye, 1865 ; Recueil des ordonnances du duché de Bouillon, 1240-1795, éd. par Mathieu Polain, Bruxelles, Fr. Gobbaerts, 1868 ; Liste chronologique des édits et ordonnances de la principauté de Liège de 974 à 1505, Bruxelles, Fr. Gobbaerts, 1873 ; Recueil des ordonnances de la principauté de Liège, 1re série : 974-1506, éd. par Stanislas Bormans, Bruxelles, Fr. Gobbaerts, 1878. 30. Charles Laurent, « Liste des ordonnances des xiiie, xive et xve siècles concernant la province de Luxembourg », Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de la Belgique. Procès-verbaux des séances, 6, 1883, p. 377-391.

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se concrétisèrent finalement en 196531. L’entreprise a aujourd’hui abouti à la publication de six volumes, couvrant les principats de Philippe le Hardi, de Jean sans Peur et, pour une partie de ses États, celui de Philippe le Bon32. De son côté, la Commission royale d’histoire se fixa pour projet en 1899 de publier des catalogues d’actes princiers médiévaux, selon le modèle des Regesta imperii33 ; refondue en 1929 à l’initiative d’Henri Pirenne, l’entreprise aboutit à la création du Recueil des actes des princes belges34. Celui-ci fut mis en œuvre dès les années 1930 pour le comté de Namur, le comté de Flandre et l’évêché de Liège35 ; il n’a cependant pas été étendu au-delà de ces trois principautés, en dépit de divers projets formés dans les années 198036. Quant à la série des Regestes des actes des princes belges, créée en 1980 pour accueillir les actes du xiiie siècle et des siècles suivants37, elle n’accueille aujourd’hui qu’un volume consacré à l’évêché de Liège38. La carte des États-nations telle qu’elle s’est dessinée au cours des xixe et xxe siècles, n’a donc pas été sans influence sur la répartition géographique des éditions d’actes princiers. Les traditions historiographiques nationales, ainsi que leur rapport avec les identités régionales, ont eu elles aussi une influence notable. Ainsi, face à la prégnance de la documentation royale dans la production historiographique française, seules quelques régions ayant conservé une identité forte ont fait l’objet de travaux substantiels, Bretagne 31. Ordonnances de Philippe le Hardi et de Marguerite de Male du 16 octobre 1381 au 25 février 1405, t. 1, éd. par Andrée Van Nieuwenhuysen et John Bartier, Bruxelles, STC (Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 1re série, 1/1), 1965. Pour un historique du projet, voir ibid., p. v-vi et Paul Bonenfant, « Rapport sur la publication de la liste chronologique des ordonnances bourguignonnes (première série des ordonnances des Pays-Bas) », Bulletin de la Commission royale des anciennes lois et ordonnances de Belgique, 16, 1949, p. 3-16, part. p. 3-5. 32. Voir en annexe, p. 282. 33. Rapport de Godefroid Kurth, dans Compte rendu des séances de la Commission royale d’histoire, ou Recueil de ses bulletins, 5/9, 1899, p. xxv-xxvi. 34. Bulletin de la Commission royale d’histoire, 93, 1929, p. ix et ibid., 98, 1934, p. 564. 35. Pour les comtés de Namur et de Flandre, voir en annexe, p. 278-279 ; pour Liège, Actes des princes-évêques de Liège. Hugues de Pierrepont, 1200-1229, éd. par Édouard Poncelet, Bruxelles, Palais des académies (Publications de la Commission royale d’histoire. Recueil des actes des princes belges, 3), 1941. 36. Voir Walter Prévenier, « La Commission royale d’histoire pendant les vingt-cinq dernières années (1959-1984) », Bulletin de la Commission royale d’histoire, 150, 1984, p. 41-71, ici p. 55. 37. « Instructions pour la publication de regestes des actes de princes belges », Bulletin de la Commission royale d’histoire, 146, 1980, p. lvi-lxv. 38. Françoise Lecomte, Regestes des actes de Jean d’Eppes, prince-évêque de Liège, 1229-1238, Bruxelles, Palais des académies (Regestes des actes des princes belges, 1), 1991. Des projets relatifs au Brabant et à la Flandre annoncés en 1984 (Prévenier, « La Commission… », art. cité, p. 56), seul le deuxième a vu le jour, en dehors de la collection de la Commission (voir en annexe, p. 282).

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et Lorraine en tête39. De leur côté, les érudits allemands ont développé dès le début du xixe siècle le genre de l’Urkundenbuch dévolu à une ville, à une principauté ou à une région plus vaste encore 40. Bien des Urkundenbücher recueillent ainsi un grand nombre d’actes princiers, sans pour autant leur être exclusivement dévolus, ce qui a pu contribuer à masquer la production diplomatique des princes d’empire41. Du reste, le genre n’est pas inconnu hors du monde germanique42. Le bilan relativement maigre auquel ont abouti les grandes entreprises éditoriales lancées au xixe et au début du xxe siècle est ainsi en partie compensé par l’existence d’un nombre conséquent de publications dispersées, parfois confidentielle 43, et les travaux demeurés inédits ne sont pas rares en

39. Voir en annexe, p. 277-279, 281 et 283. Remarquons également que le récent catalogue des actes des comtes de Toulouse, au lieu de traiter de la totalité du principat de Raymond VII, prend volontairement comme terminus ad quem 1229, dans la mesure où le traité de Meaux-Paris consacrerait la fin de l’indépendance du comté (Laurent Macé, Catalogues raimondins : actes des comtes de Toulouse, ducs de Narbonne et marquis de Provence [1112-1229], Toulouse, Archives municipales de Toulouse, 2008). 40. Voir par exemple l’une des entreprises pionnières, au titre évocateur : Urkundenbuch für die Geschichte des Niederrheins oder des Erzstifts Cöln, der Fürstenthümer Jülich und Berg, Geldern, Meurs, Cleve und Mark und der Reichsstifte Elten, Essen und Werden, éd. par Theodor Joseph Lacomblet, Düsseldorf, Schönian/H. Voss/Schaub, 1840-1858, 4 vol. Sur cette tradition de la diplomatique allemande, voir Dietrich Lohrmann, « Évolution et organisation interne des cartulaires rhénans du Moyen Âge », dans Olivier Guyotjeannin, Laurent Morelle, Michel Parisse (éd.), Les cartulaires. Actes de la table ronde organisée par l’École nationale des chartes et le GDR 121 du CNRS (Paris, 5-7 décembre 1991), Paris, École des chartes (Mémoires et documents de l’École des chartes, 39), 1993, p. 79-90, ici p. 79-81. Sur la vivacité de cette pratique aujourd’hui encore, voir les projets récents d’Urkundenbücher – au sens très large de ce terme – présentés dans Theo Kölzer, Willibald Rosner, Roman Zehetmayer (éd.), Regionale Urkundenbücher: die Vorträge der 12. Tagung der Commission internationale de diplomatique, St. Pölten, 23. bis 25. September 2009, St. Pölten, Amt der niederösterreichischen Landesregierung (Mitteilungen aus dem niederösterreichischen Landesarchiv, 14), 2010. 41. Nous n’avons répertorié en annexe que les Urkundenbücher plaçant explicitement un prince au centre du projet éditorial. 42. Le meilleur exemple français en est probablement la monumentale collection des Chartes du Forez antérieures au xive siècle, qui fournit une édition systématique des actes du comte de Forez, mêlés à l’ensemble des productions diplomatiques foréziennes (Georges Guichard, comte de Neufbourg, Édouard Perroy et al. (dir.), Chartes du Forez antérieures au xive siècle, Mâcon/Lyon/Paris, Protat frères/Audin/C. Klincksieck, 1933-1980, 31 vol.). Le genre est également répandu en Europe de l’Est (voir, par exemple, Codex diplomaticus et epistolaris Moraviae / Urkunden-Sammlung zur Geschichte Mährens, éd. par Anton Boczek et al., Olomouc/Brno, A. Skarnitzl et al., 1836-1903, 15 vol.). 43. Tel est par exemple le cas de l’ambitieuse « préédition » des actes des princes lorrains, laïques tant qu’ecclésiastiques, parue sous forme multigraphiée à l’initiative de Michel Parisse : elle a permis la publication complète des actes des comtes de Bar jusqu’en 1214 (voir en annexe,

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la matière44. La grande diversité de cette production éditoriale témoigne des apports d’un siècle et demi d’érudition, mais le paysage très contrasté qu’elle dessine révèle bien des zones laissées dans l’ombre par les diplomatistes. Ces contrastes se manifestent non seulement dans la répartition géographique des réalisations, mais aussi dans leur distribution chronologique déséquilibrée. À un long xiie siècle, jusqu’au couronnement de Frédéric II et à la mort de Philippe Auguste, s’opposent les siècles suivants : plus les siècles passent, plus les éditions se raréfient, au point que, dans l’espace français actuel, le xve siècle est presque entièrement en jachère, à l’exception notable des cas bourguignon, breton et gascon (fig  1). Ce constat vaut d’ailleurs tout autant pour les éditions d’actes souverains : pour le roi de France comme pour celui d’Angleterre ou pour l’empereur, les premières années du xiiie siècle marquent pour l’instant la fin des travaux de publication systématique45. Pour le xive siècle, seuls les actes des rois p. 279), de ceux des évêques de Metz et de Verdun au xiie siècle, de ceux des comtes de Salm et de ceux des seigneurs de Clefmont (Actes des princes lorrains. Les évêques de Metz, éd. par Michel Parisse, [Nancy], université Nancy II [Actes des princes lorrains, 2e série, I], s. d., 2 vol. ; Actes des princes lorrains. Les évêques de Verdun, éd. par Jean-Pol Évrard, Nancy, université Nancy II [Actes des princes lorrains, 2e série, III], 1977-1982, 2 vol. ; Actes des comtes de Salm, éd. par Danièle Erpelding, Nancy, université Nancy II [Actes des princes lorrains, 1re série, II, B], 1979 ; Actes des princes lorrains. Les seigneurs de Clefmont [xie-xiiie s.], éd. par Hubert Flammarion, Nancy, université Nancy II [Actes des princes lorrains, 1re série, III, B], 1976). 44. Citons là le catalogue des registres de chancellerie du duc de Bretagne François II, réalisé dans les années 1960 par des étudiants de l’université de Nantes sous la direction d’Henri Touchard, puis la transcription de ces mêmes registres accomplie dans les années 1980 par des étudiants de l’université de Bretagne occidentale sous la direction de Jean Kerhervé (Jean Kerhervé, « Les registres de lettres scellées à la chancellerie de Bretagne sous le règne du duc François II (1458-1488) », dans Kouky Fianu et DeLloyd J. Guth (éd.), Écrit et pouvoir dans les chancelleries médiévales : espace français, espace anglais. Actes du colloque international de Montréal, 7-9 septembre 1995, Louvain-la-Neuve, FIDEM [Textes et études du Moyen Âge, 6], 1997, p. 153203, ici p. 154, n. 4). Les travaux universitaires inédits ont été exclus du recensement figurant en annexe. 45. La période couverte par la série des actes royaux dans la collection des Chartes et diplômes avait initialement pour terme l’année 1108 ; elle fut étendue quelques années plus tard jusqu’en 1223 (Arbois de Jubainville, « Préface », art. cité, p. xii). Les règnes de Louis VIII et Louis IX y ont été formellement inclus en 1980 (André Dupont-Sommer, « Rapport sur l’état des publications de l’Académie pendant le premier semestre 1980 », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1980, p. 471-475, ici p. 474), mais aucun des volumes envisagés n’est aujourd’hui publié. De leur côté, les Monumenta Germaniae historica œuvrent à la publication des actes de Frédéric II, actuellement réalisée jusqu’en 1226 ; seuls trois volumes dépassent ce terminus, celui consacré au court règne de Henri Raspe et au début de celui de Guillaume de Hollande, le très récent volume consacré aux actes d’Alphonse de Castille comme roi des Romains et un volume dédié aux actes de Manfred en Sicile (Die Urkunden Heinrich Raspes und

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Figure 1 — Répartition chronologique des éditions et catalogues d’actes princiers produits (espace français actuel)

Wilhems von Holland, t. 1, 1246-1252, éd. par Dietrich Hägermann et Jaap G. Kruisheer, collab. Alfred Gawlik, Hanovre, Hahnsche [Monumenta Germaniae historica, Diplomata regum et imperatorum Germaniae, 18], 1989 ; Die Urkunden Alfons’ von Kastilien und Richards von Cornwall, t. 1, Die Urkunden Alfons’ von Kastilien, éd. par Ingo Schwab, collab. Alfred Gawlik, Wiesbaden, Harrassowitz [Monumenta Germaniae historica, Diplomata regum et imperatorum Germaniae, 19], 2016 ; Die Urkunden Manfreds, éd. par Christian Friedl, Wiesbaden, Harrassowitz [Monumenta Germaniae historica, Diplomata regum et imperatorum Germaniae, 17], 2013). Quant aux actes du roi d’Angleterre, ils font actuellement l’objet d’une édition critique pour le règne de Henri II (Letters and Charters of Henry II, King of England 1154-1189, éd. par Nicholas Vincent et al., Oxford, à paraître) ; celle-ci fera suite au recensement des originaux conservés déjà effectué pour les règnes de Henri II et de Richard Ier (James C. Holt, Richard Mortimer, Acta of Henry II and Richard I: A Handlist of Documents Surviving in the Original in Repositories in the United Kingdom, Richmond [List and Index Society Special Series, 21], 1986 ; Nicholas Vincent, Acta of Henry II and Richard I: A Supplementary Handlist of Documents Surviving in the Original in Repositories in the United Kingdom, France, Ireland, Belgium and the USA, Richmond [List and Index Society Special Series, 27], 1996). Un recensement similaire est en préparation pour le règne de Jean (Nicholas Vincent, Acta of King John: A Handlist of Surviving Originals, Richmond [List and Index Society Special Series], à paraître).

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d’Écosse ont fait l’objet d’un travail éditorial d’envergure, couvrant soixantecinq années ; il est vrai que l’on compte moins de mille actes produits durant cette période46. Cette exception écossaise montre clairement la raison première pour laquelle les actes de la fin du Moyen Âge sont tant négligés : la croissance exponentielle des productions de chancellerie à partir du début du xiiie siècle génère une masse documentaire de moins en moins maîtrisable pour l’éditeur, sauf pour des chancelleries à l’activité réduite47. Ajoutons que le développement de la scripturalité dans l’ensemble de la société a pour partie marginalisé les actes de chancellerie dans le paysage documentaire de la fin du Moyen Âge48. En conséquence, les princes dont les actes ont fait l’objet d’une édition sont souvent les plus anciens, ou bien les plus modestes. Ainsi, alors que l’entreprise d’édition des actes des princes lorrains initiée par Michel Parisse a permis la publication des actes des comtes de Bar, ceux des ducs de Lorraine sont restés inédits49. C’est donc sur ses marges que la diplomatique princière est souvent la mieux connue, d’une part lorsqu’elle touche à la diplomatique seigneuriale, d’autre part lorsque actes princiers et actes royaux se confondent50. N’échappent guère à ce constat que les princes dont les chancelleries ont tenu des registres : les diplomatistes y trouvent aisément des milliers d’actes, une matière abondante qu’ils n’ont pas manqué de mettre à profi dans le cas des registres royaux. Certes, ces derniers ont rarement été édités dans leur intégralité, car les éditeurs ont pu être rebutés par la masse d’actes 46. The Acts of Robert I, King of Scots, 1306-1329, éd. par Archibald A. M. Duncan, Édimbourg, Edinburgh University Press (Regesta regum Scottorum, 5), 1988 et The Acts of David II, King of the Scots, 1329-1371, éd. par Bruce Webster, Édimbourg, Edinburgh University Press (Regesta regum Scottorum, 6), 1982. 47. Sur l’explosion de la production écrite à la fin du Moyen Âge, voir Paul Bertrand, « À propos de la révolution de l’écrit (xe-xiiie siècle). Considérations inactuelles », Médiévales, 56, 2009, p. 75-92. Pour une étude de cas dédiée aux actes d’une principauté entre le début du xiie siècle et le début du xive siècle, voir Godefried Croenen, « Governing Brabant in the Twelfth Century: The Duke, His Household and the Nobility », dans Wim Blockmans, Marc Boone, Thérèse de Hemptinne (éd.), Secretum scriptorum. Liber alumnorum Walter Prevenier, Louvain/Apeldoorn, Garant, 2000, p. 39-76, ici p. 47-49. 48. Voir P. Moraw, « Die Entfaltung der deutschen Territorien… », p. 87-89 et Hans Patze, « Landesgeschichte », Jahrbuch für historische Forschung, 1980, p. 15-40 et 1981, p. 11-31, ici 1980, p. 24 ; réimpr. dans id., Ausgewählte Aufsätze, Stuttgart, Jan Thorbecke (Vorträge und Forschungen, Konstanzer Arbeitskreis für mittelalterliche Geschichte, 50), 2002, p. 21-80, ici p. 32. 49. Voir en annexe, p. 279. 50. Tel est le cas pour les actes des rois d’Angleterre, ducs de Normandie et d’Aquitaine, mais aussi pour ceux de Jean l’Aveugle, roi de Bohême et duc de Luxembourg, ou encore de Charles II, roi de Navarre et comte d’Évreux.

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ainsi rassemblés ; mais le produit de l’enregistrement a souvent donné lieu à des éditions sélectives51, ou a fait l’objet d’inventaires détaillés, qu’il s’agisse des rouleaux anglais, des premiers registres de chancellerie français ou des registres angevins de Naples peu à peu reconstitués depuis 1943. Certains registres princiers ont eux aussi bénéficié de telles entreprises. Ainsi en vat-il des registres de la chancellerie du sceau privé de Jean de Gand ou de ceux de la chancellerie hollandaise au début du xive siècle, qui ont récemment été mis en lumière par une remarquable édition électronique52. Toutefois, les registres princiers sont, sauf exception, bien plus tardifs et plus rares que leurs homologues royaux : alors que l’enregistrement devient la norme dans les chancelleries souveraines à la fin du xiiie siècle ou, au plus tard, au début du xive siècle, il ne devient régulier dans bien des principautés que pendant le deuxième ou le troisième tiers du xive siècle, par exemple en Dauphiné ou en Bretagne53 ; encore, dans ce dernier cas, les registres ne sont-ils conservés qu’à partir du xve siècle, et de façon très fragmentaire54. Quant à la chancellerie de Jean de Berry, comme d’autres, elle n’a jamais eu recours à l’enregistrement. Des formulaires seraient susceptibles de compenser les faiblesses de l’enregistrement en condensant la diversité de la production de chancellerie en un nombre limité d’actes ; mais les chancelleries princières en ont rarement laissé et nous n’avons pu en identifier qu’un qui ait fait l’objet d’une édition, pour le duché de Milan55. L’explosion documentaire que connaît l’Occident à compter du xiiie siècle a eu une autre conséquence : les diplomatistes abordent plus souvent les actes de la fin du Moyen Âge par l’intermédiaire du catalogue d’actes que par celui

51. Pour la chancellerie royale française, la réalisation la plus notable est constituée par les quelque deux mille actes du Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la chancellerie de France, éd. par Paul Guérin et Léonce Celier, Poitiers, Société des archives historiques du Poitou (Archives historiques du Poitou, 11, 13, 17, 19, 21, 24, 26, 29, 32, 35, 38, 41, 50 et 56), 1881-1958, 14 vol. 52. Voir en annexe, p. 283. 53. Chantal Reydellet-Guttinger, « La chancellerie d’Humbert II, dauphin de Viennois (13331349) », Archiv für Diplomatik, Schriftgeschichte, Siegel- und Wappenkunde, 20, 1974, p. 241-383, ici p. 337-343, et Recueil des actes de Jean IV [1357-1399], éd. par Michael Jones, Paris/Rennes, C. Klincksieck/Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1980-2001, 3 vol., t. 1, p. 34. 54. Michael Jones, « The Chancery of the Duchy of Brittany from Peter Mauclerc to Duchess Anne, 1213-1514 », dans Silagi (éd.), Landesherrliche Kanzleien…, op. cit., t. 2, p. 681-727, ici p. 684 ; rééd. dans id., The Creation of Brittany: A Late Medieval State, Londres/Ronceverte, The Hambledon Press, 1988, p. 111-158, ici p. 114. Les fragments de registres conservés pour le début du xve siècle ont notamment alimenté l’édition des actes de Jean V (voir en annexe, p. 282). 55. Voir en annexe, p. 286.

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de l’édition de texte, dans la mesure où cet usage les autorise à réunir des corpus bien plus vastes, pouvant embrasser plusieurs milliers d’actes56. Le recours à des regestes, en lieu et place de transcriptions in extenso des textes, a été inauguré par les érudits dès le xviie siècle, avant d’acquérir ses lettres de noblesse dans les années 1820 sous la plume de Johann Friedrich Böhmer dans ses Regesta imperii57. Toutefois les Regesta imperii ne se limitent pas à l’analyse des actes de chancellerie : ils visent à reconstituer, sous forme annalistique, l’histoire d’un souverain en recourant à toutes les sources disponibles, y compris narratives. Aussi les actes de chancellerie y occupent-ils une place variable, pas toujours majoritaire. Ce modèle a fortement imprégné la production érudite germanophone et rayonné bien au-delà, et ce de façon précoce58. Nombre de travaux menés à l’imitation des Regesta imperii fournissent ainsi un aperçu précieux de la production diplomatique princière, quoiqu’ils n’en facilitent pas toujours l’exploitation59. Quelle que soit la méthode choisie – édition, catalogue ou regestes sur le modèle de Böhmer –, l’entreprise demeure délicate et chronophage ; la durée de réalisation de bien des projets et les déboires rencontrés par certains d’entre eux en témoignent. L’importance de la tâche a même pu conduire certains diplomatistes à renoncer à une partie des exigences du travail d’édition de peur de ne pouvoir achever sa réalisation60. Cet obstacle peut désormais 56. En découle la nécessité de modifier, pour la fin du Moyen Âge, les logiques éditoriales traditionnelles. Voir notamment Robert-Henri Bautier, « Propositions méthodologiques pour la diplomatique du bas Moyen Âge et des débuts des Temps modernes », dans Silagi (éd.), Landesherrliche Kanzleien…, op. cit., t. 1, p. 49-59, part. p. 51-52 et 56-58. 57. Sur l’histoire des regestes et sur la fondation des Regesta imperii, voir Alfred Hessel, « Zur Geschichte der Regesten », Archiv für Urkundenforschung, 10, 1928, p. 217-225, rééd. dans Harald Zimmermann (dir.), Die Regesta Imperii im Fortschreiten und Fortschritt, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau (Forschungen zur Kaiser- und Papstgeschichte des Mittelalters, 20), 2000, p. 63-71 ; et Harald Zimmermann, « Verschiedene Versuche, Vergangenheit vollständig zu vermitteln », ibid., p. 1-17. 58. Sur son influence en France, voir Yann Potin, « Le dernier garde de la librairie du Louvre. 2e partie : édition de catalogues et publication de sources au xixe siècle », Gazette du livre médiéval, 37, 2000, p. 1-8, ici p. 6-7 ; Yann Potin n’opère toutefois pas de distinction entre catalogues d’actes et regestes à la manière de Böhmer. Voir également le cas du projet de catalogues d’actes princiers belges formé par la Commission royale d’histoire, évoqué en note 33. 59. Nous avons systématiquement inclus dans notre annexe les recueils de regestes consacrés à des princes, en précisant s’ils incluent des regestes issus d’autres documents que des actes princiers. Dans ce cas, il a malheureusement été impossible de comptabiliser séparément les actes princiers analysés. 60. Michel Parisse qualifie par exemple l’édition des Actes des princes lorrains de « pré-édition », dans la mesure où l’apparat critique y demeure partiel (Actes des comtes de Bar, t. 1, De Sophie à Henri Ier, 1033-1190, éd. par Michel Parisse, Nancy, université de Nancy II [Actes des princes

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être levé en partie grâce à l’édition électronique qui permet, entre autres avantages, une publication progressive des travaux réalisés. C’est là un des atouts, mais pas le seul, du recours aux technologies numériques dans le domaine de la diplomatique.

Apports et promesses du numérique Les éditeurs d’actes médiévaux ont été prompts à percevoir tout l’intérêt qu’ils pouvaient tirer des outils informatiques61. Toutefois ce n’est qu’à compter de la fin des années 1990 et, plus encore, des années 2000 que l’édition électronique a pris son essor dans le domaine de la diplomatique. Si les réalisations sont toujours plus nombreuses aujourd’hui, le recul nécessaire à un bilan d’ensemble fait assurément défaut62. Il n’en est pas moins possible d’esquisser ici un état des apports que confère le numérique à l’édition, mais aussi des chantiers qui ont été ouverts et des champs qui, tels la diplomatique princière, demeurent en partie à défricher. L’édition imprimée est-elle toujours pertinente ? S’attacher à comparer les avantages et inconvénients de l’édition électronique face à l’édition imprimée, c’est entrer dans un « débat un peu rhétorique 63 ». Il est certain que l’on peut tomber rapidement dans des

lorrains, 1re série, II A], 1972, p. 2). Pour autant, la publication d’une version revue de ces travaux ne semble jamais avoir été envisagée. 61. La Commission d’histoire de l’Académie royale de Belgique fait ici figure de pionnière, lançant dès les années 1980 ce qui deviendra les Diplomata belgica (voir notamment Georges Declercq, Philippe Demonty, Katrien Naessens, Guy Trifin, « L’informatisation de la Table chronologique d’A. Wauters. Méthodologie du nouveau répertoire des documents diplomatiques belges antérieurs à 1200 », Bulletin de la Commission royale d’histoire, 153, 1987, p. 223-302). Plus modestement, des éditeurs tels que Jean Dufour ou John Benton ont eu recours à l’informatique dès les années 1980 pour mener à bien leurs travaux d’édition (Dufour, « L’édition d’actes médiévaux », art. cité et Bur, « Notice d’information… », art. cité). 62. Des réflexions sur l’opportunité de l’édition des textes à l’heure du numérique sont notamment formulées dans les actes de la 8e table ronde de la Gallia pontificia : Discussions, 9, 2014, Pourquoi éditer des textes médiévaux au xxie siècle ? (http://www.perspectivia.net/publikationen/discussions/9-2014, consulté le 14 septembre 2017). Voir également Antonella Ambrosio, Sébastien Barret, Georg Vogeler (éd.), Digital Diplomatics. The Computer as a Tool for the Diplomatist?, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau (Archiv für Diplomatik, Schriftgeschichte, Siegel- und Wappenkunde. Beihefte, 14), 2014. 63. Olivier Guyotjeannin, Gautier Poupeau, « Le projet d’édition électronique du Cartulaire blanc de l’abbaye de Saint-Denis et les projets électroniques de l’École nationale des chartes », Le médiéviste et l’ordinateur, 42, 2003 (http://lemo.irht.cnrs.fr/42/mo42_12.htm, consulté le 14 septembre 2017).

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considérations faciles et réductrices : comme Olivier Guyotjeannin et Gautier Poupeau le signalaient dès 2003, « l’édition électronique change tout et rien64 ». En effet, aussi intéressantes que puissent être les solutions apportées par les outils numériques, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils facilitent le processus d’édition de manière « magique » pour paraphraser Benoît-Michel Tock65. Ils ne sauraient remplacer le temps passé à transcrire les documents et à élaborer leur tradition. L’intérêt immédiat d’une édition électronique réside d’une part dans les capacités de recherche qu’elle offre, d’autre part dans les interfaces de consultation qui peuvent mettre en valeur un certain nombre de caractéristiques qu’une édition imprimée ne peut restituer aussi aisément. Ainsi en va-t-il des caractères externes du document, de la structuration du discours de l’acte ou encore des liens qui peuvent unir le texte à d’autres déclinaisons de celui-ci. Du point de vue l’éditeur, le support numérique offre également un avantage indéniable : la souplesse de publication. La masse d’actes à traiter à compter du xiiie siècle accroît le risque de voir s’interrompre des entreprises étalées sur plusieurs décennies et il contraint souvent à produire des volumes complémentaires, à l’instar des abondants addenda et corrigenda publiés pour les actes de Philippe Auguste ou pour ceux du duc de Bretagne Jean IV66. Or le caractère figé des éditions imprimées ne permet pas de les mettre à jour, en particulier en complétant le tableau de la tradition de chaque acte ou en insérant de nouveaux items dans la liste chronologique des actes. Le mode d’enregistrement du numérique, qui permet à tout moment de modifier l’état d’une édition, remédie à cette insuffisance. L’électronique offre même l’opportunité d’ouvrir de vastes chantiers et d’en publier un premier état, quand bien même celui-ci serait imparfait ou inachevé. C’est dans cet esprit que le projet Chartae Galliae, sur lequel on reviendra plus loin, a été lancé, en acceptant de publier des éditions imprimées anciennes ou des éditions qui reposent sur un seul témoin au lieu de recourir à l’ensemble de la tradition67.

64. Ibid. 65. Benoît-Michel Tock, « La diplomatique numérique, une diplomatique magique ? », dans Ambrosio, Barret, Vogeler (éd.), Digital Diplomatics…, op. cit., p. 15-21. 66. Recueil des actes de Philippe Auguste, roi de France, t. 5, Supplément d’actes, actes perdus, additions et corrections aux précédents volumes, éd. par Michel Nortier, Paris, Académie des inscriptions et belles-lettres (Chartes et diplômes relatifs à l’histoire de France), 2004 ; Recueil des actes de Jean IV…, t. 2, p. 703-708 et t. 3. 67. Sur ces principes, voir Benoît-Michel Tock, Nathalie Barré, Jean-Pierre Gerzaguet et JeanFrançois Nieus, « La publication des chartes du Nord/Pas-de-Calais », Revue du Nord, 371, 2007, p. 481-493, ici p. 488-490.

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Autre inconvénient de l’édition imprimée, elle dispose les actes selon un classement figé – suivant soit l’ordre chronologique, soit l’ordre dans lequel ceux-ci figurent au sein d’un ensemble documentaire tel qu’un registre de chancellerie –, et elle n’offre d’ordre de lecture alternatif que par le truchement peu commode d’éventuelles tables. Au contraire, l’édition électronique permet de réorganiser à volonté le matériel publié, offrant ainsi des voies d’accès démultipliées68. L’adjonction d’une reproduction numérique offre également un moyen supplémentaire d’appréhender les documents, qu’il s’agisse de compléter ainsi le projet éditorial69 ou de fournir un accès direct aux caractères externes des actes. Le volume d’images produites par les institutions de conservation favorise d’ailleurs le développement des recueils de sources en ligne. La convergence des technologies Depuis la fin des années 1990, les progrès informatiques (capacités de stockage, vitesse de traitement des données, qualité de l’imagerie numérique) ont favorisé la mise en place de vastes bases documentaires. Les acteurs de la conservation du patrimoine écrit et les structures de recherche ont développé des standards informatiques adaptés, conçus pour des besoins différents, mais qui se combinent dans des applications à même de pallier les inconvénients de l’édition imprimée. Trois grands progrès caractérisent ces deux dernières décennies. Il s’agit en premier lieu de la reproduction par imagerie numérique des documents d’archives et des manuscrits. Apparue dès le début des années 1990, la numérisation par les services d’archives et les bibliothèques a été vivement encouragée par les pouvoirs publics, qui en ont financé une partie – notamment via le plan national de numérisation du ministère de la Culture. Certes les services d’archives ont commencé par reproduire les sources généalogiques, qui sont les documents les plus demandés, et ont laissé l’initiative de la numérisation des fonds anciens aux structures de recherche70 ; néanmoins, ils ont mené

68. L’édition des registres de la chancellerie des comtes de Hollande offre ainsi la possibilité de lire les actes soit en feuilletant les registres, soit en suivant l’ordre chronologique ; s’y ajoute la possibilité d’une recherche par mots-clés ou plein texte (http://resources.huygens.knaw.nl/ registershollandsegrafelijkheid, consulté le 14 septembre 2017). 69. Le Gascon Rolls Project a ainsi choisi de ne fournir que des analyses des actes enregistrés, l’accès au texte étant fourni au chercheur grâce à leur reproduction numérique (http://www. gasconrolls.org/, consulté le 14 septembre 2017). 70. Par exemple, les manuscrits des archives départementales de Seine-et-Marne ont été numérisés par le CNRS pour alimenter la Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux gérée par

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depuis quelques années des projets spécifiquement consacrés aux documents médiévaux – même si les fonds princiers demeurent encore sous-exploités71. Parallèlement à ce mouvement de numérisation, services d’archives et bibliothèques ont développé des langages permettant de structurer les informations descriptives des sources dont ils avaient la responsabilité. Il s’agissait de transposer dans un langage informatique les catégories d’informations définies par les normes de description. Utilisé massivement par les services d’archives mais aussi par la Bibliothèque nationale de France pour les collections du département des Manuscrits, EAD72, qui définit un ensemble de balises pour formaliser en XML les informations relatives aux fonds d’archives, permet aux chercheurs de retrouver les références et la description du contenu des documents ; il n’est toutefois pas adapté à une description très fine de leurs caractéristiques physiques. L’informatisation des inventaires, quel que soit le langage de structuration utilisé, est en tout cas le socle indispensable de ce que l’on nomme aujourd’hui une « bibliothèque numérique », associant une notice descriptive et des images pour chaque document. On peut enfin convertir au format numérique le texte même du document. Ainsi transformé, celui-ci peut ensuite être qualifié et structuré par des balises permettant de caractériser les informations utiles au chercheur (parties du discours diplomatiques, individus, lieux…). On entre là dans le champ de l’édition numérique proprement dite. TEI (Text Encoding Initiative), qui repose aussi sur le formalisme de XML, est le langage idoine pour ce faire : développé depuis 1987, lui seul permet aujourd’hui de satisfaire au niveau d’exigence d’une édition critique des sources, car il fournit un ensemble de balises pour qualifier non seulement la structure d’un texte, mais aussi tout un ensemble d’informations descriptives qui relèvent de l’identification, de la description matérielle ou encore de la tradition. Le but ultime est d’offrir au chercheur une meilleure appréhension des sources, à l’aide de moteurs de recherche qui permettent de les trier selon des critères précis ou encore de rechercher directement des termes dans leur contenu.

l’Institut de recherche et d’histoire des textes (http://bvmm.irht.cnrs.fr/, consulté le 14 septembre 2017). 71. Le Trésor des chartes et les registres de chancellerie du duc de Bretagne sont à notre connaissance le seul fonds princier français qui ait fait l’objet d’une numérisation globale (https://archives.loire-atlantique.fr/, rubrique Archives numérisées, Actes et délibérations, consulté le 14 septembre 2017). Des campagnes de numérisation sont actuellement en cours pour les épaves du chartrier des ducs de Lorraine dans le cadre du projet Transscript (voir n. 6). 72. Encoded Archival Description est une transposition en langage XML des concepts définis par la norme ISAD(G) pour décrire les fonds d’archives.

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L’inconvénient de TEI est que sa mise en œuvre peut être longue, d’autant que persistent les contraintes d’établissement du texte édité. Se pose de nouveau ici la question de la faisabilité d’une édition dès que l’on aborde des périodes pour lesquelles les sources sont abondantes. De nouvelles perspectives s’esquissent cependant aujourd’hui grâce aux méthodes de reconnaissance automatisée de formes manuscrites. Ainsi le projet HIMANIS, mené sous l’égide de l’Institut de recherche et d’histoire des textes, a-t-il expérimenté entre 2015 et 2017 des technologies de reconnaissance des écritures médiévales à partir de la numérisation des registres de la chancellerie royale française des xive et xve siècles73. Celles-ci sont à présent capables de segmenter les lignes de texte, puis d’identifier lettres et abréviations et enfin de caractériser les écritures, à condition de fournir initialement à l’ordinateur un ensemble de transcriptions qui lui permette de se constituer un répertoire de formes. En résulte la possibilité de réaliser une transcription assistée par ordinateur et de rechercher en plein texte dans les actes numérisés74. La reconnaissance est imparfaite, notamment pour les registres du xve siècle dont les lignes sont difficiles à segmenter, et le résultat ne se substitue pas à une édition. Il prouve néanmoins le potentiel inédit de tels outils. Les actes princiers dans le paysage de l’édition numérique Si l’on se risque à dresser un bilan des initiatives d’éditions en ligne de documents médiévaux, on établira deux constats : celles-ci reposent dans une large part sur les travaux érudits du xixe siècle, dont elles reproduisent les lignes de force et de faiblesse ; les publications sont effectuées selon des modalités très variées, qu’il s’agisse des exigences critiques de l’édition ou des fonctionnalités offertes au chercheur. Le choix des sources éditées La place accordée aux productions diplomatiques princières parmi les sources éditées en ligne est assurément très réduite. C’est en grande partie la conséquence du caractère souvent épars des réalisations imprimées antérieures, dans la mesure où bon nombre d’éditions en ligne sont issues 73. Le projet est porté par Dominique Stutzmann, responsable de la section de paléographie. Pour plus de détails, voir le carnet de recherche dédié à HIMANIS (http://himanis.hypotheses. org/, consulté le 14 septembre 2017), ainsi que Sébastien Hamel, Jean-François Moufflet, Dominique Stutzmann, « La recherche en plein texte dans les sources manuscrites médiévales : enjeux et perspectives du projet HIMANIS pour l’édition électronique », Médiévales, 73, 2017, Le texte à l’épreuve du numérique, p. 67-96. 74. Interface de démonstration expérimentale : http://prhlt-kws.prhlt.upv.es/himanis, consulté le 14 septembre 2017.

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directement d’une rétroconversion systématique de travaux imprimés, une opération dont les Digitale Monumenta Germaniae Historica fournissent l’exemple le plus imposant75. Mais c’est aussi le fruit des principes de sélection qui ont présidé à de nombreuses réalisations. Les cartulaires et chartriers ecclésiastiques paraissent à première vue privilégiés par la publication électronique76. Ainsi, dès 2004, était lancée à l’École des chartes l’édition du Cartulaire blanc de Saint-Denis – en faisant le choix de l’encodage en TEI77 –, bientôt suivie par une entreprise de rétroconversion d’éditions de cartulaires78. Sur le même principe, le projet mené par l’université de Münster autour de Cluny oriente le chercheur vers des numérisations de recueils anciens en mode image et en mode texte (Bullarium sacri ordinis Cluniacensis, Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny de Bernard et Bruel…)79. Toutefois, nombre d’éditions de cartulaires s’inscrivent dans un cadre plus vaste répondant au modèle de l’Urkundenbuch régional, qui prédomine aujourd’hui y compris en France, dont le paysage éditorial est ainsi transformé. Les possibilités de constitution de vastes corpus, par accumulation d’éditions antérieures rétroconverties, ont en effet abouti à la naissance de plusieurs ensembles régionaux : les Cartulaires numérisés d’Île-de-France pour le vieux domaine capétien80, Scripta pour la Normandie81, le Corpus Burgundiae Medii Aevi pour la Bourgogne82. Même les éditions qui s’attachent de façon exhaustive à une période chronologique tendent à s’inscrire dans de tels cadres régionaux. Ainsi le remarquable projet Chartae Galliae, hébergé sur le site TELMA, vise l’édition en ligne de tous les actes écrits relatifs à l’espace français actuel jusqu’à la fin du xiiie siècle ; mais pour répondre à cette ambition, il agrège essentiellement des réalisations de différents projets régionaux, qu’il s’agisse des deux derniers corpus cités ou d’un ensemble d’actes

75. http://www.dmgh.de/, consulté le 14 septembre 2017. 76. Voir la liste très fournie – incluant quelques cartulaires laïques et recueils de documents divers – dressée par Michael Gervers dans le cadre du projet DEEDS (https://deeds.library.utoronto.ca/cartularies, consulté le 14 septembre 2017). 77. Gautier Poupeau, « Réflexions sur l’utilisation de la TEI pour coder les sources diplomatiques à partir de l’exemple du Cartulaire blanc de l’abbaye de Saint-Denis », Le médiéviste et l’ordinateur, 43, 2004 (http://lemo.irht.cnrs.fr/43/43-12.htm, consulté le 14 septembre 2017). 78. http://elec.enc.sorbonne.fr/cartulaires/, consulté le 14 septembre 2017. 79. http://www.uni-muenster.de/Fruehmittelalter/Projekte/Cluny, consulté le 14 septembre 2017. 80. http://elec.enc.sorbonne.fr/cartulaires/, consulté le 14 septembre 2017. 81. http://www.unicaen.fr/scripta, consulté le 14 septembre 2017. 82. http://www.cbma-project.eu, consulté le 14 septembre 2017.

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inédits du nord de la France83. Le même constat prévaut pour la récente base des Chartes originales (1121-1220) conservées en France, qui ne réunit pour l’heure que des actes en provenance des fonds lorrains84. Ce trait général se confirme hors de l’espace français, au premier chef dans l’espace germanique, où ont été transposés sous forme numérique de nombreux Urkundenbücher publiés au xixe siècle – parfois complétés de nouveaux travaux : par exemple le Preußiches Urkundenbuch ou le Württembergisches Urkundenbuch 85. Dans la même perspective se placent le Diplomatarium Norvegicum, numérisation de l’édition en vingt-deux volumes imprimés de la totalité des actes relatifs à la Norvège de 1050 à 1590 (soit 20 000 références)86 ; le Codice diplomatico digitale della Lombardia medievale, qui réunit des éditions nativement numériques à travers une interface exploitant TEI et un moteur de recherche complet, offrant même l’opportunité de cibler une recherche au sein des différentes parties du discours diplomatique87 ; ou encore les Diplomata Belgica, héritiers de la Table chronologique des chartes et diplômes imprimés concernant l’histoire de la Belgique d’Alphonse Wauters, dont l’ambition est de livrer tous les actes écrits émis dans les Pays-Bas méridionaux au moins jusqu’à 125088. La diplomatique princière a pu profiter de ces nombreuses réalisations lorsque certains Urkundenbücher s’attachent à un prince et à sa principauté : tel est le cas du Codex diplomaticus Saxoniae regiae pour les margraves de Misnie et les landgraves de Thuringe89. Les Regesta imperii Online fournissent là la matière la plus riche, en offrant un accès électronique unifié aux regestes relatifs à quelques princes laïques et ecclésiastiques, qui vient compléter la monumentale transposition numérique des Regesta imperii eux-mêmes90. Dans ce

83. http://www.cn-telma.fr//chartae-galliae, consulté le 14 septembre 2017. 84. http://www.cn-telma.fr//originaux2/, consulté le 14 septembre 2017. 85. Respectivement http://www.spaetmittelalter.uni-hamburg.de/Urkundenbuch et https:// www.wubonline.de/, consultés le 14 septembre 2017. 86. http://www.dokpro.uio.no/dipl_norv/diplom_field_eng.html, consulté le 14 septembre 2017. 87. http://www.lombardiabenicultural.it/cdlm, consulté le 14 septembre 2017. 88. http://diplomata-belgica.be, consulté le 14 septembre 2017. 89. http://codex.isgv.de/, consulté le 14 septembre 2017. Le projet ne fournit cependant qu’une numérisation image des volumes imprimés. 90. http://www.regesta-imperii.de/regesten, consulté le 14 septembre 20 17. À ce sujet, voir Dieter Rübsamen, Andreas Kuczera, « Verborgen, vergessen, verloren? Perspektiven der Quellenerschließung durch die digitalen Regesta imperii », dans Rainer Hering, Jürgen Sarnowsky, Christoph Schäfer, Udo Schäfer (dir.), Forschung in der digitalen Welt. Sicherung, Erschließung und Aufbereitung von Wissenbeständen, Hambourg, Hamburg University Press

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paysage, il convient d’accorder enfin une place à part aux ambitieux projets de l’Historische Kommission für Hessen consacrés aux landgraves de Hesse et aux comtes de Ziegenhain, qui sont les seules réalisations de ce type à ne pas résulter de la dématérialisation de travaux antérieurs et qui réunissent déjà plus d’une dizaine de milliers d’analyses91. La plupart des réalisations nativement numériques répondent toutefois à d’autres logiques : sensibles aux préoccupations du material turn et suivant les principes de l’édition documentaire qui prévalent fréquemment dans le champ de la philologie, elles se consacrent à un document unique sans prendre en compte l’ensemble de la tradition du texte92. Trois types de documents diplomatiques retiennent alors l’attention : les cartulaires, déjà évoqués ; les originaux, mis notamment à l’honneur par l’édition des chartes originales conservées en France antérieures à 112193 ; et les produits des procédures d’enregistrement. C’est par l’intermédiaire de ces derniers que sont appréhendés le plus souvent les actes princiers : les registres des comtes de Hollande de 1299 à 1345 et les rôles de la chancellerie anglaise relatifs à la Gascogne entre 1317 et 1468 ont ainsi bénéficié de remarquables réalisations94. Interfaces et fonctionnalités : quelques exemples Les opportunités nouvelles offertes par la numérisation des documents résultent d’une part d’une meilleure contextualisation permise par les interfaces de consultation, d’autre part des fonctionnalités de recherche permise par les moteurs accompagnant les éditions. Il est aujourd’hui possible d’élaborer des écrans de consultation complexes. Le standard METS permet d’embarquer et de publier sur une même page des informations structurées dans des schémas différents sans altérer cette structure. On peut bien entendu y adjoindre les images numériques du document, ce qui permet de livrer un ensemble plus complet que la plupart des éditions imprimées. Ce sont les éditions de sources narratives qui fournissent

(Veröffentlichungen aus dem Staatsarchiv der Freien und Hansestadt Hamburg, 20), 2006, p. 109-123. 91. https://www.lagis-hessen.de/de/subjects/index/sn/lgr et https://www.lagis-hessen.de/de/ subjects/index/sn/zig, consultés le 14 septembre 2017. 92. Pour un récent état du débat, voir Frédéric Duval, « Pour des éditions numériques critiques. L’exemple des textes français », Médiévales, 73, 2017, Le texte à l’épreuve du numérique, p. 13-29, part. p. 16-18. 93. http://www.cn-telma.fr//originaux, consulté le 14 septembre 2017. 94. Voir en annexe, p. 285.

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la meilleure démonstration des potentialités de cette technologie. L’édition des chroniques contenues dans le Petit Thalamus de Montpellier en est sans doute un des exemples les plus concluants95 : l’interface permet d’affiche , pour chaque témoin du texte, aussi bien sa reproduction numérique que son édition et sa traduction. La page est en outre structurée en quatre colonnes, donnant ainsi la possibilité de comparer côte à côte un même témoin sous différentes formes ou un même texte dans différents témoins. À cela s’ajoute la possibilité d’accéder aux contenus par une frise chronologique et par des index nominum et locorum, ce qui compense l’absence de moteur de recherche (fig  2). La richesse des masques de recherche compte également dans l’intérêt d’une édition électronique. Un premier niveau consiste à retrouver une chaîne de caractères dans la transcription du texte. Cependant, ce mode de recherche est limité, car on ne recherche qu’une forme lexicale – au risque de passer à côté d’autres graphies – et non un concept. L’encodage permet de conférer une signification conceptuelle à une chaîne de caractères et de qualifie ainsi un personnage ou un lieu indépendamment de leur graphie, à la manière d’un index, ou encore des informations propres à la tradition du document. Parmi les interfaces de recherche les plus complètes que l’on puisse trouver, on signalera celle des regestes des landgraves de Hesse et, réalisation encore plus poussée, celle des Diplomata Belgica, dont le panel de champs interrogeables est extrêmement complet (fig. 3). Pour autant, la contrepartie de telles fonctionnalités est le temps consacré à caractériser chaque information lors de l’encodage. Les technologies numériques ont fait une irruption dans le champ des sciences humaines encore bien proche de nous au regard de la longue histoire de l’édition critique des sources. Néanmoins, elles sont parvenues à un niveau de maturité permettant de proposer des interfaces de consultation qui n’ont rien à envier aux éditions imprimées traditionnelles, qu’elles dépassent même sur certains points, accroissant notamment la vitesse et la précision des recherches, la souplesse de manipulation de l’information et la contextualisation des documents. Les progrès techniques et l’adoption de standards censés répondre aux besoins des institutions patrimoniales et scientifique ont favorisé un vaste mouvement de rétroconversion d’éditions anciennes. Bon nombre de projets ont été animés par l’ambition de reprendre et d’améliorer l’existant. L’édition électronique n’a ainsi pas véritablement changé le paysage de l’édition diplomatique : les actes princiers continuent à y être réduits à la portion congrue, au profit de corpus régionaux de documents ; la 95. http://thalamus.huma-num.fr/, consulté le 14 septembre 2017.

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Figure 2 — Interface synoptique de l’édition du Petit Thalamus de Montpellier

Figure 3 — Champs de recherche des Diplomata Belgica

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période antérieure à la fin du xiiie siècle, voire à celle du xiie siècle, demeure amplement privilégiée. Pour autant, de nouveaux chantiers ont été ouverts, des projets ambitieux ont vu le jour, voire ont déjà été menés à terme avec succès. Le lancement de l’édition des actes de Jean de Berry s’y joint avec bonheur. Olivier Canteaut École nationale des chartes, PSL/Centre Jean Mabillon

Jean-François Moufflet Archives nationales, Département du Moyen Âge et de l’Ancien Régime/ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/LaMOP (UMR 8589)

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Essai de recensement des catalogues et des éditions d’actes princiers (xiie siècle-milieu du xve siècle) Ce recensement relève, sans prétention à l’exhaustivité, les catalogues et les éditions d’actes émis par des princes laïques en Occident entre le xiie siècle et le milieu du xve siècle96. N’ont été retenus que les travaux postérieurs à 1860 et publiés sous forme imprimée ou électronique. Ceux-ci ont été classés en deux sections chronologiques, avant et après les années 1220, puis en six ensembles géographiques : royaume de France, principautés romanophones et néerlandophones d’empire, pays germaniques, Italie, péninsule Ibérique et îles Britanniques. Au sein de chaque unité ainsi délimitée, les ouvrages sont classés par ordre alphabétique du nom de la principauté concernée, puis par ordre chronologique des actes étudiés. Lorsqu’un ouvrage traite des deux périodes considérées, il a été signalé dans chacune des sections chronologiques. Les catalogues d’actes sont dans un corps inférieur. Les éditions ou inventaires de registres de chancellerie sont signalés par un astérisque. Les travaux qui ne se limitent pas aux actes émis au nom d’un prince sont placés entre soufflets (< >). Le nombre de documents édités ou catalogués est signalé entre crochets carrés à la fin de chaque référence ; ce nombre inclut les faux et les deperdita, lorsque ceux-ci ont été répertoriés, ainsi que les éventuels addenda. Les documents comptabilisés se rapportent à la période chronologique signalée dans le titre de l’ouvrage ou restituée par nos soins.

I. XIIe siècle-premier quart du XIIIe siècle 1. Royaume de France Anjou : voir Normandie. Aquitaine : voir Normandie. Auvergne : Balouzat-Loubet Christelle, « Les chartes des comtes et dauphins d’Auvergne (fin xiie-fin xiiie siècle) », dans Xavier Hélary, Jean-François Nieus, Alain Provost et Marc Suttor (éd.), Les archives princières, xiie-xve siècles, Arras, Artois Presses université, 2016, p. 239-261, ici p. 254-261 [45 et 70 nos].

Bretagne : .

96. Sur la délimitation de la catégorie de « prince », voir n. 2. Sur les catégories de recueils pris en compte, voir n. 19, 41 et 44. Nous avons exclu la Scandinavie et les principautés latines d’Europe centrale et d’Orient.

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Guillotel Hubert et al., Les actes des ducs de Bretagne (944-1148), Rennes, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne/Presses universitaires de Rennes (Sources médiévales de l’histoire de Bretagne, 3), 2014 [171 nos]. Everard Judith et Jones Michael, The Charters of Duchess Constance of Brittany and her Family, 1171-1221, Woodbridge, Boydell, 2000 [219 nos]. Champagne : Recueil des actes d’Henri le Libéral, comte de Champagne (1152-1181), éd. par John F. Benton et Michel Bur, collab. Michèle Courtois et al., Paris, Impr. nationale (Chartes et diplômes relatifs à l’histoire de France), 2009-2013, 2 vol. [549 nos]. .

Flandre : Actes des comtes de Flandre (1071-1128), éd. par Fernand Vercauteren, Bruxelles, Palais des académies (Publications de la Commission royale d’histoire. Recueil des actes des princes belges, 2), 1938 [130 nos]. De oorkonden der graven van Vlaanderen ( juli 1128-september 1191), éd. par Thérèse de Hemptinne et Adriaan Verhulst, Bruxelles, Palais des académies (Publications de la Commission royale d’histoire. Recueil des actes des princes belges, 6), 1988-2009, 3 vol. [849 nos]. Coppieters Stochove Hubert, « Régestes de Thierri d’Alsace, comte de Flandre [11281168] », Handelingen der Maatschappij van geschied- en oudheidkunde te Gent/Annales de la Société d’histoire et d’archéologie de Gand, 5, 1901-1902, p. 209-324 ; tiré à part, Gand, V. Van Doosselaere, 1901 [168 nos, édition partielle en appendice]. Coppieters Stochove Hubert, « Regestes de Philippe d’Alsace, comte de Flandre [11681191] », Handelingen der Maatschappij van geschied- en oudheidkunde te Gent/Annales de la Société d’histoire et d’archéologie de Gand, 7, 1906-1907, p. i-xii et 1-177 ; tiré à part, Gand, Geirnaert-Vandesteene, 1906 [397 nos, édition partielle en appendice]. De oorkonden der graven van Vlaanderen (1191-aanvag 1206), éd. par Walter Prevenier,

Bruxelles, Palais des académies (Publications de la Commission royale d’histoire. Recueil des actes des princes belges, 5), 1964-1971, 3 vol. [298 nos]. Limoges : Recueil des actes des vicomtes de Limoges, xe-xive siècle, éd. par Vincent Roblain, Genève, Droz (Hautes études médiévales et modernes, 95), 2009 [198 nos]. Normandie : Regesta regum Anglo-Normannorum, 1066-1154, t. 2, Regesta Henrici primi, 1100-1135, éd. par Charles Johnson et Henry Alfred Cronne, Oxford, 1956 [1 991 nos, édition partielle en appendice]. Regesta regum Anglo-Normannorum, 1066-1154, t. 3, Regesta regis Stephani ac Mathildis imperatricis ac Gaufridi et Henrici, ducum Normannorum, 1135-1154, éd. par Henry Alfred Cronne et Ralph Henry Carless Davis, Oxford, 1968 [1 009 nos].

Normandie, Anjou et Aquitaine : Recueil des actes de Henri II, roi d’Angleterre et duc de Normandie, concernant les provinces françaises et les affaires de France, éd. par Léopold Delisle et Élie Berger, Paris, Impr. nationale (Chartes et diplômes relatifs à l’histoire de France), 1909-1927, 4 vol. [805 nos]. Ponthieu : Recueil des actes des comtes de Pontieu (1026-1279), éd. par Clovis Brunel, Paris, Impr. nationale (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), 1930 [483 nos].

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Saint-Pol : Les chartes des comtes de Saint-Pol (xie-xiiie siècle), éd. par Jean-François Nieus, Turnhout, Brepols, 2008 [384 nos]. Toulouse : Léonard Émile-G., Catalogue des actes des comtes de Toulouse. III : Raymond V (1149-1194), Paris, A. Privat, 1932 [158 nos]. Macé Laurent, Catalogues raimondins : actes des comtes de Toulouse, ducs de Narbonne et marquis de Provence (1112-1229), Toulouse, Archives municipales de Toulouse, 2008 [557 nos].

2. Principautés romanophones et néerlandophones d’empire Bar : .

Actes des comtes de Bar, t. 1, De Sophie à Henri Ier, 1033-1190, éd. par Michel Parisse, Nancy, Université de Nancy II (Actes des princes lorrains, 1re série, II, A), 1972 [62 nos]. Actes des comtes de Bar, t. 2, Thiébaut Ier, 1190-1214, éd. par Jacqueline Laplace, Nancy, Université de Nancy II (Actes des princes lorrains, 1re série, II, A), 1974 [101 nos]. Lorraine : . . .

Namur : Actes des comtes de Namur de la première race (946-1196), éd. par Félix Rousseau, Bruxelles, M. Hayez (Publications de la Commission royale d’histoire. Recueil des actes des princes belges, 1), 1936 [59 nos]. Actes de Philippe Ier, dit le Noble, comte et marquis de Namur (1196-1212), éd. par Marcel Walraet, Bruxelles, Palais des académies (Publications de la Commission royale d’histoire. Recueil des actes des princes belges, 2), 1949 [55 nos]. Provence : .

3. Pays germaniques Autriche : Urkundenbuch zur Geschichte der Babenberger in Österreich, t. 1, Die Siegelurkunden der Babenberger bis 1215 et t. 2, Die Siegelurkunden der Babenberger und ihrer Nachkommer von 1216-1279, éd. par Oskar von Mitis, Heinrich Fichtenau et Erich Zöllner ; t. 4, 2e partie, Ergänzende Quellen, 1195-1287 [et addenda], éd. par Oskar von Mitis, Heide Dienst et Christian Lackner, Vienne, A. Holzhausens Nachf. (Publikationen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, III/1, 2 et 4/2), 1950, 1955 et 1997 [549 nos]. Bade : .

280

Les éditions d’actes princiers

Bavière : voir Saxe. Brandebourg : .

Misnie et Thuringe : . Saxe et Bavière : Die Urkunden Heinrichs des Löwen, Herzogs von Sachsen und Bayern [11421195], éd. par Karl Jordan, Leipzig/Weimar, Karl W. Hierseman/H. Böhlau Nachf. (Monumenta Germaniae Historica, Diplomata, Laienfürsten- und Dynastenurkunden der Kaiserzeit, 1), 1941-1949, 2 vol. [138 nos]. Thuringe : voir Misnie. Zähringen : Heyck Eduard, Urkunden, Siegel und Wappen der Herzoge von Zähringen [10721216], Fribourg-en-Brisgau, Mohr, 1892 [23 nos].

4. Italie Montferrat : . .

Saluces : .

Toscane : Die Urkunden und Briefe der Markgräfin Mathilde von Tuszien [1076-1115], éd. par Elke Goez et Werner Goez, Hanovre, Hahnsche (Monumenta Germaniae Historica, Diplomata, Laienfürsten- und Dynastenurkunden der Kaiserzeit, 2), 1998 [268 nos].

5. Îles Britanniques Cheshire : The Charters of the Anglo-Norman Earls of Chester, c. 1 07 1 - 1 237, éd. par Geoffrey Barraclough, Preston/Gloucester, Record Society of Lancashire and Cheshire/A. Sutton (The Record Society of Lancashire and Cheshire, 126), 1988 [469 nos].

Olivier Canteaut et Jean-François Mouffle

281

II. Deuxième quart du XIIIe-milieu du XVe siècle 1. Royaume de France Anjou : *Actes et lettres de Charles Ier, roi de Sicile, concernant la France (1257-1284) extraits des registres angevins de Naples, éd. par Alain de Boüard, Paris, De Boccard, 1926 [1 139 nos, édition partielle]97. Artois : . .

Auvergne : Balouzat-Loubet Christelle, « Les chartes des comtes et dauphins d’Auvergne (fin xiie-fin xiiie siècle) », dans Xavier Hélary, Jean-François Nieus, Alain Provost et Marc Suttor (éd.), Les archives princières, xiie-xve siècles, Arras, Artois Presses université, 2016, p. 239-261, ici p. 254-261 [45 et 70 nos].

Bourgogne : voir États bourguignons. Bretagne : . . . . . Recueil des actes de Charles de Blois et de Jeanne de Penthièvre, duc et comtesse de Bretagne (13411364), suivi des actes de Jeanne de Penthièvre (1364-1384), éd. par Michael Jones, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996 ; rééd. électronique avec additions, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, http://books.openedition.org/pur/28420 [413 nos]. Maître Léon, « Répertoire analytique des actes du règne de Charles de Blois [1342-1364] », Bulletin de la Société archéologique de Nantes et de la Loire-Inférieure, 45, 1904, p. 247-273 [60 nos]. Recueil des actes de Jean IV [1357-1399], éd. par Michael Jones, Paris/Rennes, C. Klincksieck/Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1980-2001, 3 vol. [1 442 nos].

97. Actes relatifs à l’administration de l’Anjou, de la Provence et à l’ensemble des intérêts de Charles Ier en France.

282

Les éditions d’actes princiers

Lettres et mandements de Jean V, duc de Bretagne [1402-1442], éd. par René Blanchard, Nantes, Société des bibliophiles bretons et de l’histoire de France (Archives de Bretagne, 4-8), 1889-1895, 5 vol. [2 695 nos]. Champagne : .

Dauphiné : Chevalier Ulysse, Documents historiques inédits sur le Dauphiné, t. 6, Ordonnances des rois de France et autres princes souverains relatives au Dauphiné [1244-1689], précédées d’un catalogue des registres de l’ancienne chambre des comptes de cette province, Colmar, Ch.-M. Hoffmann, 1871, p. 10-186 [1 446 nos]. .

États bourguignons : Ordonnances de Philippe le Hardi et de Marguerite de Male du 16 octobre 1381 au 25 février 1405, éd. par Andrée Van Nieuwenhuysen et John Bartier, Bruxelles, STC/Ministère de la Justice (Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 1re série, 1/1 et 1/2), 1965-1974, 2 vol. [724 nos]. Ordonnances de Jean sans Peur, 1405-1419, éd. par Jean-Marie Cauchies, Bruxelles, Ministère de la Justice (Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 1re série, 1/3), 2001 [312 nos]. Ordonnances générales de Philippe le Bon, 1430-1467, éd. par Jean-Marie Cauchies, collab. Gilles Docquier, Bruxelles, Service public fédéral Justice (Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 1re série, 2/1), 2013 [50 nos]. Ordonnances de Philippe le Bon pour les duchés de Brabant et de Limbourg et les pays d’OutreMeuse, 1430-1467, éd. par Philippe Godding, Bruxelles, Service public fédéral Justice (Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 1re série, 2/2), 2005 [351 nos]. Ordonnances de Philippe le Bon pour le comté de Hainaut, 1430-1467, éd. par Jean-Marie Cauchies, collab. Gilles Docquier, Bruxelles, Service public fédéral Justice (Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 1re série, 2/3), 2010 [265 nos]. Stein Henri, Catalogue des actes de Charles le Téméraire (1467-1477). Mit einem Anhang: Urkunden und Mandate Karls von Burgund, Grafen von Charolais (1433-1467), éd. par Sonja Dünnebeil, Sigmaringen, J. Thorbecke (Instrumenta, 3), 1999 [3 046 nos]. .

Voir aussi Pays germaniques, Luxembourg. Évreux : Charon Philippe, « Actes et mandements de Charles dit “le Mauvais”, comte d’Évreux et roi de Navarre, conservés dans les collections Clairambault et Pièces originales du cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque nationale [1358-1378] », Cahiers Léopold Delisle, 44, 1995, Recueil d’études normandes offert en hommage à Michel Nortier, p. 31-47 [71 nos].

Flandre : Vandermaesen Maurice, De besluitvorming in het graafschap Vlaanderen tijdens de veertiende eeuw. Bijdrage tot en politieke sociologie van de Raad en van de Raadsheren achten de figuur van Lodewijk II van Nevers (1322-1346), t. 2, Regesten van Lodewijk II van Nevers, Bruxelles, Genootschap voor geschiedenis te Brugge (Bronnen en bijdragen tot de Vlaamse geschiedsvorsing, 6), 1999 [1 549 nos].

98. Lettres envoyées ou reçues par Charles le Téméraire.

Olivier Canteaut et Jean-François Mouffle

283

*Cartulaire de Louis de Male, comte de Flandre/Decreten van den grave Lodewyck van Vlaenderen, 1348-1358, éd. par Thierry de Limburg-Stirum, Bruges, L. de Plancke, 18981901, 2 vol. [1 490 nos]. Voir aussi États bourguignons. Gascogne et Ponthieu : *Rôles gascons [1254-1317], éd. par Francisque Michel, Charles Bémont et Yves Renouard, Paris, Impr. nationale (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), 1885-1962, 4 t. en 5 vol. [4 680, 5 139 et 1 852 nos]. *The Gascon Rolls Project ( 1 3 1 7- 1 468), édition électronique, http://www.gasconrolls.org [13 496 nos].

Limoges : Recueil des actes des vicomtes de Limoges, xe-xive siècle, éd. par Vincent Roblain, Genève, Droz (Hautes études médiévales et modernes, 95), 2009 [198 nos]. Normandie : *Vallée Aline et Viard Jules, Registres du Trésor des chartes. Inventaire analytique, 3e partie, Règne de Philippe de Valois, Paris, Archives nationales (Inventaires et documents), 1984, t. 3, p. 191-201 [inventaire du registre de la chancellerie de Jean, duc de Normandie (13471350)] [62 nos].

Poitou, Saintonge et Toulouse : *Correspondance administrative d’Alphonse de Poitiers [12671270], éd. par Auguste Molinier, Paris, Impr. nationale (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), 1894-1900, 2 vol. [2 121 nos]. Ponthieu : Recueil des actes des comtes de Pontieu (1026-1279), éd. par Clovis Brunel, Paris, Impr. nationale (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), 1930 [483 nos]. Voir aussi Gascogne. Saint-Pol : Les chartes des comtes de Saint-Pol (xie-xiiie siècle), éd. par Jean-François Nieus, Turnhout, Brepols, 2008 [384 nos]. Saintonge : voir Poitou. Toulouse : voir Poitou.

2. Principautés romanophones et néerlandophones d’empire Bar : .

Brabant : voir Royaume de France, États bourguignons. Dauphiné : voir Royaume de France, Dauphiné. Hainaut : voir Royaume de France, États bourguignons. Hollande : *Burgers Jans W. J. (dir.), Registers van de Hollandse grafelijkheid, 1299-1345, édition électronique, http://resources.huygens.knaw.nl/registershollandsegrafelijkheid [3 522 nos]. Lorraine : . .

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Les éditions d’actes princiers

Provence : . *Actes et lettres de Charles Ier, roi de Sicile, concernant la France (1257-1284) extraits des registres angevins de Naples, éd. par Alain de Boüard, Paris, De Boccard, 1926 [1 139 nos, édition partielle]99.

3. Pays germaniques Autriche : Urkundenbuch zur Geschichte der Babenberger in Österreich, t. 1, Die Siegelurkunden der Babenberger bis 1215 et t. 2, Die Siegelurkunden der Babenberger und ihrer Nachkommer von 1216-1279, éd. par Oskar von Mitis, Heinrich Fichtenau et Erich Zöllner ; t. 4, 2e partie, Ergänzende Quellen, 1195-1287 [et addenda], éd. par Oskar von Mitis, Heide Dienst et Christian Lackner, Vienne, A. Holzhausens Nachf. (Publikationen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, III/1, 2 et 4/2), 1950, 1955 et 1997 [549 nos]. . . Lackner Christian (dir.), Regesta Habsburgica. Regesten der Grafen von Habsburg und der Herzoge von Österreich aus dem Hause Habsburg, 5e partie, Die Regesten der Herzoge von Österreich, 1364-1395, Vienne/Munich, Oldenbourg/Böhlau (Publikationen des Instituts für österreichische Geschichtsforchung), 2007-2010, 2 vol. parus [1365-1375] [1 345 nos].

Bade : .

Brandebourg : .

Krabbo Hermann, « Ungedruckte Urkunden der Markgrafen von Brandenburg aus askanischem Hause [1225-1324] », Forschungen zur brandenburgischen und preußischen Geschichte, 25, 1912, p. 1-27 et 27, 1914, p. 391-430 [19 et 22 nos].

99. Actes relatifs à l’administration de l’Anjou, de la Provence et à l’ensemble des intérêts de Charles Ier en France.

Olivier Canteaut et Jean-François Mouffle

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.

Carinthie : .

Hesse : . .

Luxembourg : . Laurent Charles, « Liste chronologique des ordonnances des xiiie, xive et xve siècles concernant la province de Luxembourg [1209-1465] », Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de la Belgique. Procès-verbaux des séances, 6, 1883, p. 377-391 [108 nos].

Voir aussi Royaume de France, États bourguignons. Misnie et Thuringe : . . Palatinat du Rhin : .

Thuringe : voir Misnie. Wurtemberg : .

4. Italie Mantoue : *.

Milan : .

100. Inventaire sommaire des registres de chancellerie ; seuls l’auteur, le destinataire et la date de chaque acte sont indiqués.

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Les éditions d’actes princiers

*Registri dell’Ufficio di provvisione e dell’Ufficio dei sindaci sotto la dominazione viscontea [1385-1449], éd. par Caterina Santoro, Milan, Castello Sforzesco (Comune di Milano, Inventari e regesti dell’Archivio civico, 1), 1929, 1re partie : I registri delle lettere ducali, p. 1-434 [2 611 nos]. Stilus cancellariae. Formulario visconteo-sforzesco [c. 1450], éd. par Alfio Rosario Natale, Milan, A. Giuffrè (Acta italica), 1979 [231 nos].

Montferrat : . .

Saluces : .

5. Péninsule Ibérique Infant de Castille : Pardo Rodríguez Maria Luisa, La cancillería de don Fernando de la Cerda, infante de Castilla y Léon (1255-1275), León, Universidad de León, Área de publicaciones, 2009 [53 nos].

6. Îles Britanniques Galles : *Letters of Edward Prince of Wales, 1304-1305, éd. par Hilda Johnstone, Cambridge, The Roxburghe Club, 1931 [sine numero]. *Register of the Black Prince Preserved in the Public Record Office [1346-1365], Londres, H. M. Stationery Office, 1930-1933, 4 vol. [sine numero].

Lancastre : *John of Gaunt’s Register [1372-1375], éd. par Sydney Armitage-Smith, Londres, Offices of the Royal Historical Society (Camden Society, Third Series, 20 et 21), 1911, 2 vol. [1 797 nos]. *John of Gaunt’s Register, 1379-1383, éd. par Eleanor C. Lodge et Robert Somerville, Londres, Royal Historical Society (Camden Society, Third Series, 56 et 57), 1937, 2 vol. [1 245 nos, édition partielle].

Le corpus des actes de Jean de Berry L’état des sources Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

I

l n’existe pas de corpus constitué pour les actes du duc de Berry1. Le grand éclatement des actes passés au nom de ce prince se révèle plus grave qu’escompté, d’où la difficulté à pouvoir quantifier précisément le nombre d’actes aujourd’hui disponibles. Cela tient à un premier état de fait : nous n’avons pas trouvé trace d’une pratique d’enregistrement autre que précoce et fugace2. Il n’y a pas non plus d’équivalent du Trésor des chartes royal dans l’apanage de Berry, et aucun fonds administratif ni judiciaire n’a été conservé en tant que tel, in integro. Il convient également de garder à l’esprit que Berry, comme Bourgogne ou Bourbon, est un prince de la cour royale, qui gouverne grandement son apanage depuis Paris. Dans son hôtel de Nesle s’affairaient des secrétaires, son chancelier était souvent à ses côtés – les mentions hors teneur sont ici de première importance – et, à la mort du duc, des archives s’y trouvaient certainement. Il semble bien que les archives du duc de Berry, conservées sans doute en plusieurs endroits, aient été très tôt soumises à un processus de dispersion, d’où des pertes à l’évidence précoces. Que s’est-il passé à la mort du duc et dans les années qui ont suivi ? Que pouvons-nous en dire ?

Les actes de Jean de Berry aux Archives nationales En 1416, les archives du duc sont naturellement passées au dauphin puis roi Charles, son successeur en Berry, mais, comme celles de ce dernier, elles

1. Par acte du duc de Berry, nous entendons un acte intitulé au nom de Jean de Berry. 2. AD Cher, J 1127, acte du 5 octobre 1387 par lequel le duc de Berry octroie à son chancelier Pierre de Giac l’autorisation de posséder la tierce partie de la seigneurie et prévôté de SaintPère et de Saint-Germain-aux-Bois qui avait été auparavant possession de Guy de Norry. L’acte renvoie aux lettres données à Norry, « en las de soie et cire vert extraites des registres de nostre chancellerie et en ceste maniere signees, autrefois ainsi signees : Par monseigneur le duc, monseigneur le conte de Sancerre et vous, J. Le Masle, et extraites des registres de la chancellerie mondit seigneur, G. Seguin ». Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

288

Le corpus des actes de Jean de Berry

semblent être en grande partie restées sur place, à Bourges, apparemment négligées, après le retour du roi à Paris. Des bribes seulement furent envoyées de Bourges à Paris en 1447, et intégrées, avec leur inventaire détaillé, au Trésor des chartes (série J). Plusieurs layettes – layettes Berry3, Poitou4, Auvergne5, duc de Berry6, Étampes7 – témoignent de ce dépôt. Au total, une petite cinquantaine d’actes du duc ont été recensés, bien répartis dans le temps, et qui renvoient harmonieusement aux différents espaces de l’apanage. Les types d’actes sont également bien distribués. On peut toutefois distinguer dans cet espace deux ensembles : • Il y a d’abord les actes reçus ou délivrés et auto-archivés par le roi. Il s’agit de titres qui concernent le règlement de l’apanage, les règlements de succession, la remise des terres, par exemple. Ce sont a priori des actes établis en double, pour le roi et pour le duc. Ici, le témoignage des notes dorsales est utile, de même que les analyses et mentions des inventaires d’archives contemporains : celui de Gérard de Montaigu pour les actes du début du principat, le répertoire de 1420 pour l’ensemble du règne8. • Il y a ensuite les archives passées du duc de Berry à Charles VII, puis transférées à Paris. Il faut convenir que ces archives sont finalemen réduites d’un point de vue quantitatif, mais variées dans leur typologie. Il y a là un mélange de documents féodaux (une autre partie se trouve en série P), des dossiers comptables très intéressants mais isolés – comme par exemple le dossier Guiot de Lésignac autour du paiement sans cesse différé d’une rente à cet écuyer d’écurie en 13729, ou encore quatre pièces autour du lancement des travaux du palais de Poitiers et la construction et l’aménagement de la nouvelle tour Maubergeon en 138810. La nature de ces documents les relie a priori à la chambre des comptes de Bourges, de même qu’un dossier étoffé de documents 3. AN, J 185-189. 4. AN, J 182 et 183. 5. AN, J 274. 6. AN, J 382. 7. AN, J 159. 8. AN, JJ 278-280. 9. AN, J 187 A, no 4 et J 187 A, no 6. 10. AN, JJ 182, no 1112 (reproduction, édition et commentaire dans Olivier Guyotjeannin, Jacques Pycke et Benoît-Michel Tock, Diplomatique médiévale, Turnhout, Brepols [L’Atelier du médiéviste, 2], 1993, p. 160-163), nos 109, 110, 108. Sur le dossier, Olivier Guyotjeannin et Philippe Plagnieux, « Documents comptables et histoire de la construction : Guy de Dammartin et la cheminée de la grande salle de Poitiers », Bulletin monumental, 164/4, 2006, p. 377-382.

Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

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autour du règlement de la dot de la fille du duc, Bonne de Berry, au profi du comte d’Armagnac, vers 141011. Dans ce dossier se trouvent les actes remis par la chambre des comptes ducale, qui joue plus entièrement qu’à Paris – mais la situation se retrouve pour d’autres chambres des comptes princières – le rôle de « Trésor des chartes ». À l’évidence, la chambre des comptes de Bourges gardait par-devers elle naturellement les comptes et les pièces financières, mais aussi les titres domaniaux, les actes de succession, les testaments et autres conventions, bref ce que l’on trouvait souvent à Paris au Trésor des chartes du roi. Il faut ici scruter les mentions dorsales des actes pour restituer le circuit souvent tortueux qui a été celui des documents. Pour certains, la réception au Trésor des chartes a été immédiate, en tout cas rapide. Pour d’autres, ils ont d’abord été conservés à la chambre des comptes de Bourges – par exemple, les lettres patentes fondant la chambre des comptes elle-même, acte riche et important – avant d’être déposé au Trésor des chartes12. Certaines mentions dorsales évoquent clairement cette translation de Bourges à Paris par la formule : Ablata a Bituris. Enfin, nous disposons d’un document précieux : la liste précise de 300 documents, établie en trois exemplaires par Jean Alabat, clerc-notaire greffier du bailliage de Bourges, documents qui sont envoyés de Bourges à Paris en 1447, au Trésor des chartes du roi, soit au moment où le pouvoir de Charles VII, qui a repris Paris depuis plus de dix ans, est déjà bien avancé dans son affermissement13. Quoi qu’il en soit, il demeure un mystère des archives Berry, puisque nous n’avons conservé qu’une proportion infim par rapport à plus d’un demi-siècle d’exercice du pouvoir. À côté de la série du Trésor des chartes, l’autre fonds des Archives nationales comprenant des actes du duc de Jean de Berry est celui de la chambre des comptes (série P). Pourtant il ne s’agit pas là des actes de la chambre des comptes de Bourges qui auraient rejoint le fonds de celle de Paris comme ce fut le cas pour le fonds de la chambre d’Angers ou pour les fonds des chambres des comptes de Moulins, Montbrison et Villefranche, confisqué par François Ier en 1532. En fait les actes concernant Berry qui sont dans la série P nous sont parvenus par le biais du fonds de la chambre des comptes de Moulins. Deux ensembles peuvent être distingués :

11. AN, J 274, no 24 ter, J 186 B, no 75, J 186 B, no 77, J 186 B, no 78, P 1363, no 1248. 12. AN, J 185, no 45, édité dans René Lacour, Le gouvernement de l’apanage de Jean, duc de Berry (1360-1416), Paris, Picard, 1934, p. 66-70. 13. AN, J 1166, no 13.

290

Le corpus des actes de Jean de Berry

• pour une part, il s’agit d’accords entre les ducs de Berry et de Bourbon relatifs à des terres échangées ou encore des délimitations de seigneuries ou de justice, entre Bourbonnais et Auvergne, ce dernier territoire apanagé du duc de Berry. Ces actes ont été élaborés en double : l’un des exemplaires était destiné au duc Louis II de Bourbon. Certains sont rédigés sous la double autorité des deux princes : ainsi, par exemple, l’acte en date du 13 août 1377 par lequel Jean de Berry et Louis de Bourbon s’accordent au sujet du ressort de la prévôté de Vichy que Berry a échangée avec Louis II14 ; • une autre part, des documents concernant Berry dans le fonds bourbonnais de la chambre des comptes, correspond à des actes ducaux qui ont été intégrés aux archives bourbonnaises lorsque l’Auvergne, duché apanagé dans les mains de Berry jusqu’à sa mort, a été donnée aux Bourbons en 1425, en exécution du contrat de mariage unissant Jean de Bourbon et Marie de Berry en 140015. Au total, près d’une trentaine d’actes nous sont parvenus par ce biais. Les autres séries des Archives nationales sont de maigre rapport. Quelques rares actes du duc se trouvent dans la série K16, « Monuments historiques », dont les concepteurs n’ont manifestement pas été impressionnés par sa figure, comme ils ont pu l’être des ducs d’Orléans ou de Jean Flamel. D’autres documents sont sans doute bien cachés dans les fonds ecclésiastiques parisiens. Par exemple, une transaction foncière à Paris se trouve intégrée aux dossiers des Domaines (sous-série Q)17.

Les actes de Jean de Berry dans les archives locales Du coup, c’est vers les archives locales qu’il faut se tourner et que se situe le plus beau vivier. Mais un vivier ô combien dispersé. La géographie des actes épouse ici celle de l’apanage : Berry (département du Cher surtout), Poitou (département de la Vienne principalement), Auvergne (département du

14. AN, P 13572, no 425. 15. Un exemple : l’acte par lequel Jean de Berry donne souffrance à Louis de Listenois, sire de Montaigu, de lui bailler dans un an un dénombrement pour les terres qu’il tient de lui au duché et au comté d’Auvergne. L’acte, daté de Paris du 4 mars 1399 (n. st.), nous est parvenu par un vidimus en date du 2 novembre de la même année, AN, P 13611, no 932. 16. AN, K 184, cote 82, cote 102, cote 112. 17. AN, Q 11234 : le duc de Berry abandonne par échange au duc d’Orléans l’hôtel des Tournelles qu’il avait acquis en 1402 (17 juin 1404), signalé et reproduit dans Valentine Weiss (dir.), La demeure médiévale à Paris : répertoire sélectif des principaux hôtels, Paris, Archives nationales, 2012, p. 157.

Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

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Puy-de-Dôme, mais aussi du Cantal). Mais où chercher dans ces trois pôles berrichon, poitevin et auvergnat ? Deux ensembles se différencient : • d’abord les archives ecclésiastiques, celles des institutions qui ont été dotées voire fondées par le duc (abbayes, églises, communautés canoniales). Les séries G et H sont ici essentielles et, pour certaines, très riches. C’est le cas aux archives départementales du Cher, et notamment avec le fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges fondée par le duc, que nous avons privilégié ces deux dernières années18. • Il y a ensuite les archives communales, qui peuvent être très fournies, comportant lettres et missives envoyées par le duc aux autorités urbaines. Pour son apanage, les villes de Riom, Bourges19, Poitiers, Montferrand20, Aurillac21 et Saint-Flour22, dans une moindre mesure, ont livré une documentation plus ou moins importante (près de 25 lettres dans le fonds municipal de Poitiers par exemple23, pas loin d’une vingtaine d’actes pour la ville de Riom24). Les lettres sont soit sous forme originale – elles avaient été conservées dans les archives de la maison de ville –, soit transcrites sous forme de copies dans les registres de délibération. Mais certaines y sont seulement mentionnées : même perdues, leur existence et leur teneur doivent être relevées. Au sujet des archives urbaines, la quête ne doit pas seulement se limiter aux villes de l’ancien apanage. Nous l’avons souligné : le duc de Berry a exercé la lieutenance générale en Languedoc à trois reprises. Or, cette charge de lieutenant a laissé de nombreuses traces, lettres et missives de toutes sortes adressées à des officiers, à des communautés, et, parmi elles, à des communautés urbaines. Du coup, l’aire spatiale qu’il convient de prendre en compte est considérablement dilatée par ces lieutenances, en particulier en Languedoc. D’où un gonflement considérable du corpus. Qu’on en juge : lettres du duc de

18. Voir infra, Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni et Xavier Laurent, « Le corpus des actes de Jean de Berry dans le fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges ». 19. AM Bourges, AA 7, no 1. 20. AD Puy-de-Dôme, 3 E 113 (fonds de Montferrand), AA 14. 21. Voir Françoise Lehoux, Jean de France, duc de Berri. Sa vie, son action politique (1340-1416), Paris, Picard, 1966-1968, t. 1, p. xviii. 22. Ibid. 23. AM Poitiers, A 20, A 21, D 10, E 13, E 14, E 15, E 16, G 1, G 5, G 7, H 5, H 6, H 9, H 12, H 15, H 16, H 17, I 7, J 174, J 175, J 190 (merci à Chloé Menant, étudiante du séminaire en 2014-2015, pour nous avoir fourni cet inventaire). Voir René Lacour, Le gouvernement de l’apanage de Jean, duc de Berry…, op. cit., p. 95-96. 24. AM Riom, AA 11, 12, 15, 16, 17, 31, CC 2bis, CC 7.

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Le corpus des actes de Jean de Berry

Berry présentes dans le fonds des archives communales à Albi25, à Toulouse26, à Montauban27, à Montpellier28, à Saint-Affrique,29 à Gourdon30, et en bien d’autres lieux encore qu’il reste à explorer, mais où les inventaires d’archives communales ne précisent pas toujours la présence d’une lettre de Berry agissant comme lieutenant général.

Les actes de Jean de Berry dans d’autres dépôts Par ailleurs, des actes de Jean de Berry sont aussi conservés dans les fonds d’autres princes, reflet des relations qui existaient entre eux. On a évoqué le cas des actes conservés dans les archives de Bourbon. Ajoutons ici sept actes conservés dans le Trésor des chartes des ducs de Bretagne, numérisé et accessible sur le portail des archives départementales de Loire-Atlantique31. Mais ce n’est pas tout. Outre les pièces conservées à la Bibliothèque nationale de France – c’est là que se trouvent des actes isolés sous forme originale, rassemblés dans des registres factices, principalement des mandements (ainsi dans le BnF fr. 20414, qui renferme des actes de Charles V, se trouvent cinq actes du duc de Berry comme lieutenant32), ou sous forme de copies33. Quelques pièces sont également conservées en Angleterre, aux National Archives (TNA), et certaines sont signalées et éditées dans les Rymer’s Foedera. Il s’agit d’actes liés à l’« hostagie » du duc après le traité de Brétigny-Calais, dans les années 1360-1365 (quatre pièces)34, ou encore d’actes liés à des 25. Voir Françoise Lehoux, Jean de France, duc de Berri…, op. cit., t. 1, p. xxii. 26. AM Toulouse, AA 10, AA 45, AA 46, Layette 61. 27. Voir Françoise Lehoux, Jean de France, duc de Berri…, op. cit., t. 1, p. xxiii. 28. Ibid., p. xxi. 29. AD Aveyron, 2 E 216. Merci à Jeanne Mallet pour nous avoir signalé cet acte. 30. AM Gourdon, CC1, CC40, FF 1. 31. AD Loire-Atlantique, E 92-11, E 109-5, E 177-4 et 177-5 (alliance entre Jean de Berry et Jean de Bretagne, 1387), E 177-6 (traité d’alliance entre les ducs de Bretagne, de Berry et de Bourgogne, 1384), E 186-26, E 186-28. Voir la numérisation de ces actes sur le site des archives départementales : https://archives.loire-atlantique.fr/jcms/chercher/archives-numerisees/ actes-et-deliberations/tresor-des-chartes-des-ducs-de-bretagne/tresor-des-chartes-fr-t1_6166. 32. Autres actes dans BnF, mss fr. 20403, 20412, 20413, 20416. 33. Par exemple, le manuscrit latin 17108 comprend, à côté de copies d’actes relatifs à la fondation et à la dotation de la Sainte-Chapelle de Bourges effectuées à l’initiative de Gaignières, un original en date du 7 octobre 1402 par lequel le duc de Berry demande à son trésorier Martin Gouges de verser 1 000 l. à son secrétaire Macé Sarrebourse pour être employées à la fondation de la chapelle ducale de Bourges (p. 123). 34. TNA, E 30/215 (22 janvier 1366), E 30/223 (18 janvier 1367), E 30/282 (mai 1361), et E 30/201 (5 mai 1363, acte commun avec Philippe, duc d’Orléans, Louis, duc d’Anjou, et Louis, duc de Bourbonnais).

Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

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négociations diplomatiques dans les années 1400 et 1410 (deux pièces)35. Enfin, des actes nous ont aussi été signalés sous des longitudes éloignées. Trois se trouvent conservés à la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg dont deux comportent la signature autographe du prince. Ils ont été acquis à la fin du xixe siècle chez des marchands d’autographes parisiens, dont les catalogues devraient aussi être dépouillés36. On le voit : le corpus est considérable, et il ne nous est pas possible, en l’état d’avancement de notre travail d’édition, de dire combien d’actes il compte précisément. Nous sommes pour l’instant à environ 150 actes transcrits, il en reste donc encore beaucoup. À titre de comparaison, le corpus de princes contemporains s’établit comme suit : autour de 400 actes pour le duc Louis de Bourbon pour un principat sensiblement de la même durée que celui de Jean de Berry (1356-1410)37, et un plus de 1 440 actes pour Jean IV de Bretagne (1357-1399)38. D’après une première pesée, grossière et rapide, le corpus de Jean de Berry se situerait entre les deux, entre 500 et 600 actes. Olivier Guyotjeannin École nationale des chartes, PSL/Centre Jean Mabillon

Olivier Mattéoni Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/LaMOP (UMR 8589)

35. Ibid., E 30/348 (9 juin 1401), E 30/376 (24 janvier 1412, acte commun avec les ducs d’Orléans, de Bourbon et d’Alençon). 36. La mention et la photographie de ces trois actes (Bibliothèque de Saint-Pétersbourg, Coll8cart330-n36, Coll9-cart340-n53r, Coll9-cart340-n54r) nous ont été adressées par Ekaterina Nosova, qui a participé à notre séminaire au cours de l’année universitaire 2014-2015. 37. Olivier Mattéoni, « Écriture et pouvoir princier. La chancellerie du duc Louis II de Bourbon (1356-1410) », dans Guido Castelnuovo et Olivier Mattéoni (dir.), « De part et d’autre des Alpes » (II). Chancelleries et chanceliers des princes à la fin du Moyen Âge, Chambéry, université de Savoie, 2011, p. 137-178. 38. Recueil des actes de Jean IV, duc de Bretagne, Michael Jones (éd.), Paris/Rennes, université de Haute-Bretagne Rennes II, 1980-1983, 2 vol., et t. III, Supplément, Bannalec, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2001.

Le corpus des actes de Jean de Berry dans le fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni, Xavier Laurent

E

n 2016, pour les journées d’étude « Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France », ont été mis en ligne sur le site des archives départementales du Cher quatorze dossiers paléographiques concernant des actes de Jean de Berry dans le fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges (http://www.archives18.fr/article.php?larub=369&titre=les-actesde-jean-de-berry-dans-le-fonds-de-la-sainte-chapelle-de-bourges). Ce travail a été effectué dans le cadre du séminaire « Paléographie et éditions de textes : le corpus des actes de Jean de Berry », commun à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’École nationale des chartes. Le choix du fonds de la Sainte-Chapelle s’explique par le fait qu’il constitue sans doute l’un des plus riches en actes de Jean de Berry. Ces actes sont de surcroît de qualité, particulièrement soignés, et beaucoup sont encore munis de leurs sceaux. C’est pour les mettre en valeur que plusieurs ont été sélectionnés et présentés. À cette première salve sont venus s’ajouter quinze nouveaux dossiers à l’automne 2017. La lecture de ces dossiers, tous assortis d’un riche commentaire paléographique, diplomatique et historique, fait entrer au cœur même de la fabrique de l’acte princier, confirmant que la production scripturale à la chancellerie du duc de Berry était très imbue du style et des pratiques royales. Chaque dossier se décline en quatre parties : transcription paléographique, édition avec apparat critique, parties du discours, commentaire historique et diplomatique. Sur le plan technique, un système de visionneuse sur le site des archives départementales permet de zoomer sur la reproduction des actes, et de mettre en parallèle la transcription avec la reproduction. Nous proposons ci-dessous deux exemples de dossier, le premier concernant un acte en français, le second un acte en latin.

Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationale des chartes, 2019

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Le corpus des actes de Jean de Berry MODÈLES DE DOSSIER

I. AD du Cher, 8 G 1844 [TSC 236], fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges, 1414 Dossier préparé par Mélissa Barry, revu par Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni (http://www.archives18.fr/article.php?larub=385&titre=donationd-un-cens-de-40-sols-sur-une-maison-pour-la-sainte-chapelle-debourges-1414-)

1. Transcription paléographique 1414, juin. — Paris.

Jean, fils de roi de France, duc de Berry et d’Auvergne, etc., augmente la dotation de la Sainte-Chapelle de Bourges en abandonnant à son trésorier et à son chapitre le cens de 40 s. p. que le duc percevait chaque année sur une maison de Bourges, sise à la Porte Tornoise, jadis propriété de feu Perrin Sadon, et dont ils avaient fait l’acquisition.

Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni, Xavier Laurent

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A. Original sur parchemin, scellé de cire verte sur lacs de soie verte. 450 × 340 mm. Arch. dép. du Cher, 8 G 1844 [TSC 236](a).

Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poictou, d’Estampes, de Boulongne et d’Auvergne. Savoir faisons a tous presens et a venir que nous, desirans a nostre povoir l’augmentacion de la dotacion de nostre Saincte Chapelle de Bourges par nous au plaisir de Dieu nagueres fondee, et afin que le service divin y soit mieulx et plus honnorablement fait et celebré, avons donné, cedé et transporté, donnons, cedons et transportons, de nostre certaine science et ferme propos, perpetuelment et a tousjours, a noz chiers et bien amez les tresorier et chapittre de nostredicte chapelle, quarante sols parisis de cens que nous avions et prenions chascun an sur la maison qui fut Perrin Sadon(1), assise a la Porte tornoise(2), et laquelle lesdiz tresorier et chapittre ont naguaires acquise ; et d’iceulx quarante sols parisis de cens nous dessaisissons et devestissons, et en saisissons et vestissons par la tradicion de ces presentes lettres lesdiz tresorier et chapitre, et voulons qu’ilz en joÿssent doresenavant perpetuelment et a tousjours sanz aucun contredit ou empeschement, comme de leur propre chose. Si donnons en mandement a noz amez et feaulx gens de noz comptes a Bourges que desdiz quarante sols parisis de cens chascun an ilz mettent ou facent mettre, reaulment et de fait, lesdiz tresorier et chapitre, ou leur procureur pour eulx, en bonne possession et saisine reelle et corporelle, et d’icelle les facent joïr et user plainement, paisiblement, perpetuelment et a tousjours, sanz les empeschier ne souffrir estre empeschiez aucunement au contraire. Mandons aussi a nostre receveur de nostre demaine de nostredit païs de Berry, present et a venir, que d’iceulx quarante sols parisis de cens chascun an doresenavant il ne face recepte ne mise en ses comptes. Et afi que ce soit ferme chose et estable a tousjours, nous avons fait mettre nostre seel a ces presentes lettres. Donné a Paris, ou mois de juing, l’an de grace mil quatre cens et quatorze. (Sur le repli, à gauche :) Par monseigneur le duc. (Signé :) J. Flamel(3). a. Au dos, dans l’espace central, regeste du xvie siècle : « Lettres de don de quarente solz t. (sic) de rente faict par feu monsieur le duc Jean premier duc de Berry a sa Saincte Chapelle de Bourges. » À gauche de l’attache, cote du xve ou xvie siècle : « XIX ». À droite de l’attache, cotes des xviie et xviiie siècles : « XIX, nunc cotte 16 ; première layette des previlleiges ; nunc 1761, layette de la paroisse de Saint-Jean-le-Vieil, olim Saint-Hyppolite » ; plus bas, à hauteur du repli, regeste du xve ou xvie siècle : « Lettre de XL s. p. de rente que nostre sire de Berry premier duc prenoit sur la maison Perrin Sadon, assise a la pourte Tornaise de Bourges. » (1) Perrin Sadon est sans doute parent du clerc Jocelin Sadon (Arch. dép. du Cher, 8 G 1173 [TSC 198]). (2) La porte de Tours, porte ouest du rempart gallo-romain de Bourges.

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Le corpus des actes de Jean de Berry

(3) Jean Flamel est recensé comme secrétaire par Lacour de 1413 à 1416 (René Lacour, Le gouvernement de l’apanage de Jean, duc de Berry (1360-1416), Paris, Picard, 1934, p. xvi), mais aussi comme copiste de livres (en dernier lieu, François Avril, « Jean Flamel, copiste de manuscrits. À propos de deux copies des Sept articles de la Foi, poème attribué à Jean Chapuis », dans La rigueur et la passion. Mélanges en l’honneur de Pascale Bourgain, Cédric Giraud et Dominique Poirel [éd.], Turnhout, Brepols [Instrumenta patristica et mediaevalia, 71], 2016, p. 725-748). Il n’avait aucun lien de parenté avec l’écrivain public Nicolas Flamel, dont la légende s’est emparé.

2. Version paléographique avec abréviations Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poictou, d’Estampes, de Boulongne et d’Auvergne. Savoir faisons a tous presens et a venir que nous, desirans a n(ost)re povoir l’augmentacion de la dotacion de n(ost)re Saincte Chapelle de Bourges par nous au plaisir de Dieu nagueres fondee, et afin que le service divin y soit mieulx (et) plus ho(n)norabl(ement) fait et celebré, avons donné, cedé (et) transporté, donnons, cedons et transportons, de n(ost)re certaine science et ferme propos, p(er)p(et)uelm(en)t et a tousjours, a noz chiers et b(ie)n amez les tresorier et chapittre de n(ost)redicte chapelle, quarante sols parisis de cens que nous avions et prenions ch(asc)un an sur la maison qui fut Perrin Sadon, assise a la Porte Tornoise, et laquelle lesdiz tresorier (et) chapittre ont naguaires acquise ; et d’iceulx quarante sols par(isis) de cens nous dessaisissons (et) devestissons, et en saisissons (et) vestissons par la tradicion de ces p(rese)ntes l(ett)res lesdiz tresorier et chapitre, et voulons qu’ilz en joÿssent doresenavant perpetuelment (et) a tousjours sans aucun contredit ou empeschement, co(m)me de leur p(ro)pre chose. Si donnons en mandement a noz amez et feaulx gens de noz comptes a Bourges que desdiz quarante sols parisis de cens ch(asc)un an ilz mettent ou facent mettre, reaulment et de fait, lesdiz tresorier et chapitre, ou leur procureur pour eulx, en bonne possession (et) saisine reelle (et) corporelle, et d’icelle les facent joïr (et) user plainement, paisiblement, perpetuelme(n)t et a tousjours, sanz les empeschier ne souffrir estre empeschiez aucunement au contraire. Mandons aussi a n(ost)re receveur de n(ost)re demaine de n(ost)redit païs de Berry, p(rese)nt et a venir, que d’iceulx quarante sols par(isis) de cens ch(asc)un an doresenava(n)t il ne face recepte ne mise en ses comptes. Et afi que ce soit ferme chose et estable a tousjours, nous avons fait mettre n(ost)re seel a ces p(rese)ntes lettres. Donné a Paris, ou mois de juing, l’an de grace mil quatre cens (et) quatorze. Par mons(eigneur) le duc. J. Flamel.

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3. Parties du discours Suscription Jehan, filz de roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poictou, d’Estampes, de Boulongne et d’Auvergne (l. 1)

Notification universelle Savoir faisons a tous presens et a venir que (l. 2)

Exposé nous, desirans a nostre povoir l’augmentacion de la dotacion de nostre SaincteChapelle de Bourges par nous au plaisir de Dieu nagueres fondee, et afin que le service divin y soit mieulx et plus honnorablement fait et celebré (l. 2-4)

Dispositif intégrant une clause de tradition avons donné, cedé et transporté, donnons, cedons et transportons, de nostre certaine science et ferme propos, perpetuelment et a tousjours, a noz chiers et bien amez les tresorier et chapittre de nostredicte chapelle, quarante sols parisis de cens que nous avions et prenions chascun an sur la maison qui fut Perrin Sadon, assise a la Porte tornoise(1), et laquelle lesdiz tresorier et chapittre ont naguaires acquise ; et d’iceulx quarante sols parisis de cens nous dessaisissons et devestissons, et en saisissons et vestissons par la tradicion de ces presentes lettres lesdiz tresorier et chapitre, et voulons qu’ilz en joÿssent doresenavant perpetuelment et a tousjours sans aucun contredit ou empeschement, comme de leur propre chose (l. 4-9)

Clause injonctive no 1 (chambre des comptes) Si donnons en mandement a noz amez et feaulx gens de noz comptes a Bourges que desdiz quarante sols parisis de cens chascun an ilz mettent ou facent mettre, reaulment et de fait, lesdiz tresorier et chapitre, ou leur procureur pour eulx, en bonne possession et saisine reelle et corporelle, et d’icelle les facent joïr et user plainement, paisiblement, perpetuelment et a tousjours, sanz les empeschier ne souffrir estre empeschiez aucunement au contraire (l. 9-13)

Clause injonctive no 2 (reveceur de Berry) Mandons aussi a nostre receveur de nostre demaine de nostredit païs de Berry, present et a venir, que d’iceulx quarante sols parisis de cens chascun an doresenavant il ne face recepte ne mise en ses comptes (l. 13-15)

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Le corpus des actes de Jean de Berry

Corroboration perpétuelle et annonce du sceau Et afi que ce soit ferme chose et estable a tousjours, nous avons fait mettre nostre seel a ces presentes lettres (l. 15-16)

Date de lieu et de temps Donné a Paris, ou mois de juing, l’an de grace mil quatre cens et quatorze (l. 16)

Mention de commandement Par monseigneur le duc (repli)

Signature du secrétaire ducal J. Flamel (repli)

4. Commentaire On est ici en présence d’un acte à la réalisation soignée. En témoigne en premier lieu, parmi les caractères externes, la qualité de l’écriture. Le scribe, en conformité avec les usages contemporains, à commencer par ceux de la chancellerie royale, est bien plus parcimonieux en abréviations dans les textes français qu’en latin. Le respect des usages de la chancellerie est aussi manifesté par le refus de couper les mots en fin de ligne, dans le cadre d’une justification homogène, parfois approximative, ce qui à l’occasion oblige le scribe a en abréger rudement certains (voir « ho(n)norabl(ement) » et « p(er)p(et) uelm(en)t », l. 3 et 4). Malgré le traitement inégal des marges (généreuse à gauche, beaucoup moins large à droite), la mise en page est assez soignée, comme en atteste, entre autres, la hauteur du repli. Surtout, on remarque d’emblée le traitement graphique particulier réservé au nom du duc, la décoration du « h » mais surtout de l’initiale « J » qui, ornée de cadelures et se déployant largement dans la marge de gauche, constitue une preuve visuelle évidente du caractère solennel du document. De la même façon, on peut noter que la longue titulature ducale occupe la totalité de la première ligne, ce qui est peut-être destiné à la mettre en valeur. À ces éléments vient s’ajouter le soin que le scribe met à signaler l’ouverture et la fermeture du discours diplomatique au moyen de deux points, et plus particulièrement, à faire ressortir la scansion du discours au moyen de lettres grossies et allongées : « Jehan », « Savoir », « Si donnons », « Et afi  », signalant respectivement le début de la suscription, de la notification, de la

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clause injonctive et de la corroboration (le procédé est rendu dans l’édition par des petites capitales). Surtout, la nature du sceau et de son attache, tous deux conservés, constituent la preuve la plus sûre du caractère solennel de l’acte, dans l’esprit des « chartes » royales à valeur perpétuelle. Comme pour celles-ci, il appelle un sceau de cire verte sur lacs de soie (mais verte ici, alors qu’elle est verte et rouge chez le roi). On peut au passage relever la présence d’oculi en forme de losange dessinés par le scribe afin d’indiquer où perforer le support pour passer les lacs au moment du scellement. Certains des caractères internes de l’acte, soient la suscription isolée suivie d’une notification universelle, posant le commanditaire en majesté, et la corroboration avec mention de perpétuité (« Et afin que ce soit ferme chose et estable a tousjours »), confirment l’appartenance du document au type de la charte. Enfin, son contenu, ainsi que la formule « avons donné, cedé et transporté, donnons, cedons et transportons » (l. 4), l’identifient comme une charte de donation. Cette charte est également intéressante d’un point de vue historique. En effet, sa rédaction se situe deux ans seulement avant la mort du duc (survenue en 1416). C’est ainsi que, sans surprise, la longue titulature ducale que l’on peut lire ici se retrouve trait pour trait dans le testament de Jean de Berry (Fr. Autrand, Jean de Berry, L’art et le pouvoir, Paris, 2000, p. 325). Surtout, l’exposé révèle que le duc poursuivit jusqu’à la fin de sa vie « l’augmentacion de la dotacion de [sa] Saincte Chapelle de Bourges ». De fait, après l’ouverture officielle du projet en 1392, et malgré le rapide avancement des travaux, la Sainte-Chapelle ne put être inaugurée qu’en 1405, en raison de la difficile constitution du patrimoine nécessaire à l’entretien des chanoines. De même, si l’autre motivation invoquée par le duc pour le don (dans les faits, l’abandon) de la redevance (un « cens » très générique) de quarante sous parisis à la Chapelle peut paraître bien traditionnelle (« afin que le service divin y soit mieulx et plus honnorablement fait et celebré »), elle peut être sincère de la part d’un prince alors âgé de soixante-quatorze ans, qui avait exprimé à partir de 1403-1404 sa volonté d’être enseveli dans sa fondation. La manière dont est présentée la donation nous renseigne sur l’organisation interne de la Sainte-Chapelle, dans la mesure où les bénéficiaires du transport sont désignés comme étant « noz chiers et bien amez les tresorier et chapittre de nostredicte chapelle ». De fait, le collège de la Sainte-Chapelle de Bourges, comme celui de la Sainte-Chapelle de Paris, formait un chapitre de treize chanoines dont le trésorier, chef de la communauté, un chiffre hautement symbolique pour l’écrin de reliques de la Passion.

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Le corpus des actes de Jean de Berry

II. AD du Cher, 8 G 1846, fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges, 1402 Dossier préparé par Pierre Pocard et Pierre-Henri Vey, revu par Olivier Guyotjeannin et Olivier Mattéoni

1. Transcription paléographique

1402 (n. st.), février. — Paris.

Jean, fils du feu roi de France, duc de Berry et d’Auvergne, etc., pair de France et lieutenant du roi, donne, pour le logement du trésorier de la Sainte-Chapelle de Bourges, un hôtel proche de cette dernière que Jean a acheté à Louis de Sancerre, connétable de France, et confrontant l’hôtel ayant appartenu à feu Durand Capuche (Capucii) d’une part, et la rue Aux Larrons d’autre part ; il donne également pour le logement de deux chanoines un hôtel ayant appartenu à Jean d’Argenton, situé en face de l’église de l’abbaye de Moyenmoutier, et acheté à Thibaud Portier, chevalier et chambellan du duc ; le trésorier assignera à chaque chanoine l’espace qui lui revient. Ces biens ne viendront pas en déduction de la dotation de 3 000 livres parisis de revenu [annuel] que le duc entend constituer à sa chapelle, et sont amortis gracieusement en vertu des pouvoirs délégués au duc par ses lettres de lieutenance.

Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni, Xavier Laurent

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A. Original sur parchemin jadis scellé sur lacs de soie verte, larg. 705 mm × haut. 570/545 mm (dont repli 120 mm). Arch. dép. du Cher, 8 G 1846, nombreux passages partiellement effacés mais lisibles, sauf exceptions où la restitution est portée entre crochets carrés.

Johannes, regis quondam Francorum filius, dux Bituricensis et Alvernie, comes Pictavensis, Stamparum, Bolonie et Alvernie ac par Francie et locuntenens domini mei regis in nostris Biturie, Alvernie et Pictavie supradictis et in lingue occitane et ducatus Acquitanie patriis. Salvatoris nostri domus decorem cum prophete devocione nec immerito diligentes et laudum preconia, gratiarum acciones et precum infusiones humiliter et jugiter implorantibus et quibus potissime sumus obnixi, cupimus habitacula conferre domorum. Notum igitur facimus presentibus et futuris quod nos, premissorum et aliorum multiplicium consideracione commoti, sacrosancte cappelle nostre in nostro palacio Bituris sub prelibati almi vocabulo Salvatoris ad sui sanctissimeque Trinitatis, gloriosissime Virginis Marie et tocius curie celestis honorem per nos erecteque fundate, necnon thesaurario, capitulo, canonicis et personis ejusdem cappelle presentibus et posteris in augmentacionem patrimonii et decorem dotacionis ejusdem, ex nostris certis scientia meraque et libera voluntate, ultra summam trium milium librarum parisiencium(a) redditualium quibus ipsam capellam nostram proposuimus, peragente Domino, perdotare, in qua donacionem presentem nolumus quomodolibet comprehendi donavimus, assignavimus, deputavimus, cessimus, concessimus, transtulimus, quittavimus et dimisimus tenoreque presencium donamus, cedimus, concedimus, assignamus, transferimus et desemparamus penitus et imperpetuum donacione perpetua, pura, mera et irrevocabili, facta solenniter inter vivos, videlicet pro mansione et habitacione thesaurarii predicti domum et hospicium nostrum Bituris(1), situm prope palacium et cappellam nostram predictam, hospicio quondam Durandi Capucii ex una parte et carriere Aux Larrons vulgariter nuncupate ab alia parte contiguum, quod nuper acquisivimus a dilecto et fideli consanguineo nostro domino Ludovico de Sacrocezare, connestabulario Francie(2) ; et pro habitacione moraque et mensione(b) duorum canonicorum nostre cappelle prefate, domum et hospicium nostrum situm Bituris ante ecclesiam Monasterii medii, quod fuit quondam magistri Johannis de Argentonio(3) et quod nuper acquisivimus a dilecto et fideli milite et cambellano nostro domino Theobaldo Porterii(4), cum eorum domibus, mansionibus, virigultis(c), turribus, curtibus, parietibus, fundis, juribus, pertinenciis et appendiciis universis ; quodquidem ultimum hospicium volumus et ordinamus per dictum thesaurarium dividi et partiri duobus canonicis antedictis prout sibi videbitur [fore] opportunum et decens ad condecentem statum et disposicionem eorum, nullum in et super ipsis domibus sic donatis et translatis jus domanii, proprietatis, possessionis, census, redditus aut alterius cujuslibet retinentes. Quinymo volentes et ipsis thesaurario, cappitulo, canonicis et personis predictis concedentes quod ipsi seu eorum procurator vel ychonomus [premi]ssorum(d) sic eis donatorum et translatorum possessionem realem et corporalem eorum propria auctoritate plenarie apprehendereque

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Le corpus des actes de Jean de Berry nancisci(e). Eaque omnia sic donata, que nos habentes virtute litterarum regiarum nostre locuntenencie supradicte die nona mensis maii ultimi preteriti datarum(5) plenam et liberam potestatem admortizandi in nostris patriis antedictis regia atque nostra auctoritatibus vigoreque ipsius nostre locuntenencie et ex nostre potestatis plenitudine admor­tizavimus et serie presencium admortizamus tamquam rem propriam ecclesiasticam, sacris usibus deputatam et penitus admortizatam exnunc et imposterum perpetuo tenere, possidere et explectare quieteque pacifice valeant atque possint, absque eo quod ea vendere, distrahere, alienare vel extra manus suas ponere, dominoque meo regi et nobis aliqualem financiam, ydempnitatem(f ) [vel] rachaptum solvere seu prestare ullathenus teneantur ; quasquidem financiam, ydemnitatem(f ), rachaptum et jus rachapti aliaque jura et deveria, si que occasione premissorum debeantur, prefatis thesaurario, capitulo, canonicis et personis eorumque successoribus remisimus, quittavimus et donavimus, donamusque quittamus et remittimus totaliter per presentes. Quocirca dilectis nostris gentibus compotorum et thesaurariis necnon senescallis, baillivis, judicibus ceterisque justiciariis, commissariis et officiariis predicti domini mei regis et nostris, aut eorum locatenentibus pre­ sentibus et futuris et eorum singulis prout pertinuerit ad eosdem damus serie presencium in mandatis quatinus jamdictos thesaurarium, cappitulum, canonicos et personas cappelle jamfate preinsertis sic eis donatis et translatis cumque possessionibus et saisinis nostrisque presentibus donacione, admortizacione, remissione et gracia amodo uti et gaudere pacifice faciant atque sinant, non permittendo eis exnunc nec imposterum fieri seu prestari impedimentum seu aliquod molestamen ; quod si quovismodo fieri contigerit – quod absit – illud exnunc prout extunc tollimus, irritamus, adnullamus totaliter per presentes ac premissa sic donata a cunctorum pressuris et molestacionibus illibata preservarique salvari ad nostri jamdicti precipimus fastigium Salvatoris. Et ut hec omnia fruantur perpetuo valida firmi ate, nostrum presentibus fecimus apponi sigillum. Nostro in reliquis et alieno in omnibus jure salvo. Datum Parisius, mense februarii, anno Domini millesimo quadringentesimo primo. (Sur le repli, à gauche :) Per dominum ducem et locuntenentem. (Signé :) Moriset(6). (À droite :) Expedita in camera compotorum dicti domini ducis Parisius, in suo hospicio Nigelle(7), de ejus precepto et in ipsius dominorumque suorum compotorum presencia, ac in libro Memorialium ejusdem camere, folio IXXX IIIIto, registrata, die XVIII aprilis post Pasca, anno Domini Mo CCCC IIo. (Signé :) Viaut(8).

Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni, Xavier Laurent

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Mentions dorsales : (xv e siècle, effacée) Domus hospicii thesaurarii (…) februarii (…). – |2| Februarius IIIIC I. (xviie siècle) Donation faicte par feu monsieur le duc Jehan au proffit de sa Saincte Chappelle de Bourges de la maison de la Thezaurerie. XX. Layette des fondations. (xviiie siècle) 1761. Nunc layette de la paroisse de Saint-Jean-leViel olim Saint-Hyppolite. Cotté 26. (a) Sic A. – (b) Sic A, comprendre mansione. – (c) Sic A pour virgultis. – (d) Restitué d’après l’acte 8 G 1447 [D]. – (e) Il semble manquer un verbe comme possint. – (f ) Sic A. (1) Le logement du trésorier de la Sainte-Chapelle occupait l’emplacement de l’actuel hôtel de Panette, en face de l’ancien palais ducal. (2) Louis de Sancerre (1342-1401), connétable de France de 1397 à 1402, élevé, après la mort de son père Louis II de Sancerre à la bataille de Crécy, avec les enfants du duc de Normandie, futur Jean le Bon. Sur Louis de Sancerre, Maurice de Benguy-Puyvallée, « Louis de Sancerre, connétable de France, 1340 ?-1403 », Positions des thèses de l’École des chartes, 1904, p. 5-9, et Valérie Jouet, « Louis de Sancerre, ses dernières volontés et le Religieux de Saint-Denis », dans Saint-Denis et la royauté. Études offertes en l’honneur de Bernard Guenée, travaux réunis par Françoise Autrand, Claude Gauvard et Jean-Marie Moeglin, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 197-212. (3) Personnage non identifié ; sans doute Argenton-sur-Creuse, Indre, ch.-l. cant. (4) Thibaud Portier. Homme de basse extraction, il s’élève par le service du duc, qui le fait seigneur de Sainte-Néomaye en Poitou. Relevé en 1387 comme valet de chambre du duc Jean par René Lacour (Le gouvernement de l’apanage de Jean, duc de Berry, Paris, 1934, p. ix), devenu chambellan par la suite. Il fut également sénéchal de Berry (1399), puis de Poitou (1400 à 1405). (5) Les lettres du 9 mai 1401, par lesquelles Charles VI redonnait à son oncle la lieutenance de ses terres comme du Languedoc et de l’Aquitaine, sont éditées par G. Besse, Recueil de diverses pièces servant à l’histoire du roy Charles VI, Paris, 1660, p. 19-26. (6) Érart Moriset, relevé par René Lacour (Le gouvernement de l’apanage de Jean, duc de Berry, Paris, 1934, p. xvi) comme secrétaire du duc entre 1397 et 1401. (7) Hôtel de Nesle, résidence parisienne du duc de Berry, donnée par Charles V en 1380. (8) Viaut, relevé par René Lacour (Le gouvernement de l’apanage de Jean, duc de Berry, Paris, 1934, p. xvi) comme secrétaire exerçant les fonctions de greffier à la chambre des comptes en 1402 et 1407.

2. Version paléographique avec abréviations Johannes, regis quondam Francorum filius, dux Bituricen(sis) et Alvernie, comes Pictaven(sis), Stamparum, Bolonie (et) Alvernie ac par Francie et locuntenens domini mei regis in n(ost)ris Biturie, Alvernie et Pictavie supradictis et in lingue occitane et ducatus Acquitanie patriis. Salvatoris n(ost)ri domus decorem cum prophete devocione nec immerito diligentes et laudum preconia, gratiarum actiones et precum infusiones humiliter et jugiter implorantib(us) et quibus potissime sumus obnixi, cupimus habitacula conferre domorum.

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Le corpus des actes de Jean de Berry Notum igitur facimus p(rese)ntibus (et) futuris q(uod) nos, premissorum (et) aliorum multiplicium consideracione commoti, sacrosancte cappelle n(ost)re in n(ost)ro palacio Bituris sub prelibati almi vocabulo Salvatoris ad sui sanctissimeq(ue) Trinitatis, gloriosissime Virginis Marie et tocius curie celestis honore(m) per nos erecteq(ue) fundate, necnon thesaurario, capitulo, canonicis et personis ejusdem cappelle p(rese)ntibus et posteris in augmentacionem patrimonii et decorem dotacionis ejusdem, ex n(ost)ris certis scientia, meraq(ue) et libera voluntate, ultra summam trium milium librarum parisiencium redditualium quibus ipsam cappellam n(ost)ram proposuimus, peragente Domino, perdotare in qua donacionem p(rese)ntem nolumus quomodolibet comprehendi, donavimus, assignavimus, deputavimus, cessimus, concessimus, transtulimus, quittavimus et dimisimus tenoreq(ue) p(rese)ncium donamus, cedimus, concedimus, assignamus, transferimus (et) desemparamus penitus (et) imperpetuum donacione perpetua, pura, mera et irrevocabili, facta solenniter inter vivos, videlicet pro mansione (et) habitacione thesaurarii predicti domum (et) hospicium n(ost)rum Bituris situm prope palacium et cappellam n(ost)ram predictam, hospicio quondam Durandi Capucii ex una parte et carriere Aux Larrons vulgariter nuncupate ab alia parte contiguum, quod nuper acquisivimus a dilecto (et) fideli consanguineo n(ost)ro domino Ludovico de Sacrocezare, connestabulario Francie ; et pro habitacione moraq(ue) (et) mensione duorum canonicorum n(ost)re cappelle prefate, domum (et) hospicium n(ost)r(u)m situm Bituris ante eccl(es)iam Monasterii medii, quod fuit quondam mag(ist)ri Johannis de Argentonio (et) quod nuper acquisivimus a dilecto (et) fideli milite (et) cambellano n(ost)ro domino Theobaldo Porterii, cum eorum domibus, mansionibus, virigultis, turribus, curtibus, parietib(us), fundis, juribus, pertinenciis (et) appendiciis universis ; quodquidem ultimum hospicium volumus (et) ordinamus per dictum thesaurarium dividi (et) partiri duobus canonicis antedictis prout sibi videbitur [fore] opportunum (et) decens ad condecentem statum et disposicionem eorum, nullum in et super ip(s)is domibus sic donatis (et) translatis jus domanii, proprietatis, possessionis, census, redditus aut alterius cujuslibet retinentes. Quinymo volentes et ip(s)is thesaurario, cappitulo, canonicis (et) personis predictis concedentes q(uod) ip(s)i seu eorum procurator vel ychonomus [premi]ssorum sic eis donatorum (et) translatorum possessionem realem et corporalem eorum propria auctoritate plenarie apprehendereque nancisci. Eaq(ue) o(mn)ia sic donata, que nos habentes virtute litterarum regiarum n(ost)re locuntenencie supradicte die nona maii ultimi preteriti datarum plenam et liberam potestatem admortizandi in nostris patriis antedictis regia atque nostra auctoritatibus vigoreque ip(s)ius nostre locuntenencie et ex n(ost)re potestatis plenitudine admortizavimus (et) serie p(rese)ncium admortizamus tamq(ua)m rem propriam ecclesiasticam, sacris usibus deputatam (et) penitus admortizatam exnunc (et) imposterum perpetuo tenere, possidere (et) explectare quieteq(ue) pacifice valeant atq(ue) possint, absq(ue) eo qu(od) ea vendere, distrahere, alienare,

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vel extra manus suas ponere, dominoq(ue) meo regi et nobis aliqualem fina ciam, ydempnitatem [vel] rachaptum solvere seu prestare ullathenus teneantur ; quasquidem financiam, ydemnitatem, rachaptum et jus rachapti aliaq(ue) jura et deveria, si que occasione premissorum debeantur, prefatis thesaurario, capitulo, canonicis et personis eorumq(ue) successoribus remisimus, quittavimus (et) donavimus, donamusq(ue) quittamus (et) remittimus totaliter per p(rese)ntes. Quocirca dilectis nostris gentibus compotorum et thesaurariis necnon senescallis, baillivis, judicibus ceterisq(ue) justiciariis, commissariis et officiariis predicti domini mei regis et nostris, aut eorum locatenentibus p(rese)ntibus et futuris et eorum singulis prout pertinuerit ad eosdem damus serie p(resen)cium in mandatis quatinus jamdictos thesaurarium, cappitulum, canonicos (et) personas cappelle jamfate preinsertis sic eis donatis et translatis cumq(ue) possessionibus (et) saisinis n(ost)risq(ue) p(rese)ntibus donacione, admortizacione, remissione (et) gracia amodo uti et gaudere pacifice faciant atq(ue) sinant, non permittendo eis exnunc nec imposterum fieri seu prestari impedimentum seu aliquod molestamen ; quod si quovismodo fieri contigerit – quod absit – illud exnunc prout extunc tollimus, irritam(us), adnullam(us) total(ite)r p(er) p(rese)ntes ac p(re)missa sic donata a cunctorum pressuris et molestacionibus illibata preservariq(ue) salvari ad n(ost)ri jamdicti precipimus fastigium Salvatoris. Et ut hec omnia fruantur perpetuo valida firmi ate n(ostru)m p(rese)ntibus fecimus apponi sigillum. Nostro in reliquis (et) alieno in omnibus jure salvo. Datum Parisius, mense februarii, anno Domini millesimo quadringentesimo primo. Per dominum ducem et locunten(entem). Moriset. Expedita in cam(er)a comp(oto)r(um) d(i)c(t)i d(omi)ni ducis Parisius, in suo hospicio Nigelle, de ejus p(re)cepto et in ip(s)ius d(omi)nor(um)q(ue) suor(um) comp(oto)r(um) p(rese)ncia, ac in libro Memorialiu(m) ejusd(em) cam(er)e, folio IXXX IIIIto, reg(istra)ta, die XVIII ap(r)ilis post Pasca, anno Do(mi)ni Mo CCCC IIo. Viaut.

3. Parties du discours Suscription Johannes, regis quondam Francorum filius, dux Bituricensis et Alvernie, comes Pictavensis, Stamparum, Bolonie et Alvernie ac par Francie et locuntenens domini mei regis in nostris Biturie, Alvernie et Pictavie supradictis et in lingue occitane et ducatus Acquitanie patriis (l. 1-2)

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Le corpus des actes de Jean de Berry

Préambule Salvatoris nostri domus decorem cum prophete devocione nec immerito diligentes et laudum preconia, gratiarum acciones et precum infusiones humiliter et jugiter implorantibus et quibus potissime sumus obnixi, cupimus habitacula conferre domorum (l. 2-4)

Notification universelle Notum igitur facimus presentibus et futuris quod (l. 4)

Dispositif (avec exposé des motifs) nos, premissorum et aliorum multiplicium consideracione commoti, sacrosancte cappelle nostre in nostro palacio Bituris sub prelibati almi vocabulo Salvatoris ad sui sanctissimeque Trinitatis, gloriosissime Virginis Marie et tocius curie celestis honorem per nos erecteque fundate, necnon thesaurario, capitulo, canonicis et personis ejusdem cappelle presentibus et posteris in augmentacionem patrimonii et decorem dotacionis ejusdem, ex nostris certis scientia meraque et libera voluntate, ultra summam trium milium librarum parisiencium redditualium quibus ipsam capellam nostram proposuimus, peragente Domino, perdotare, in qua donacionem presentem nolumus quomodolibet comprehendi donavimus, assignavimus, deputavimus, cessimus, concessimus, transtulimus, quittavimus et dimisimus tenoreque presencium donamus, cedimus, concedimus, assignamus, transferimus et desemparamus penitus et imperpetuum donacione perpetua, pura, mera et irrevocabili, facta solenniter inter vivos, videlicet pro mansione et habitacione thesaurarii predicti domum et hospicium nostrum Bituris, situm prope palacium et cappellam nostram predictam, hospicio quondam Durandi Capucii ex una parte et carriere Aux Larrons vulgariter nuncupate ab alia parte contiguum, quod nuper acquisivimus a dilecto et fideli consanguineo nostro domino Ludovico de Sacrocezare, connestabulario Francie ; et pro habitacione moraque et mensione duorum canonicorum nostre cappelle prefate, domum et hospicium nostrum situm Bituris ante ecclesiam Monasterii medii, quod fuit quondam magistri Johannis de Argentonio et quod nuper acquisivimus a dilecto et fideli milite et cambellano nostro domino Theobaldo Porterii, cum eorum domibus, mansionibus, virigultis, turribus, curtibus, parietibus, fundis, juribus, pertinenciis et appendiciis universis ; quodquidem ultimum hospicium volumus et ordinamus per dictum thesaurarium dividi et partiri duobus canonicis antedictis prout sibi videbitur [fore] opportunum et decens ad condecentem statum et disposicionem eorum, nullum in et super ipsis domibus sic donatis et translatis jus domanii, proprietatis, possessionis, census, redditus aut alterius cujuslibet retinentes. Quinymo volentes et ipsis thesaurario, cappitulo, canonicis et personis predictis concedentes quod ipsi seu eorum procurator vel ychonomus [premi]ssorum sic eis donatorum et translatorum possessionem realem et corporalem eorum propria

Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni, Xavier Laurent

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auctoritate plenarie apprehendereque nancisci. Eaque omnia sic donata, que nos habentes virtute litterarum regiarum nostre locuntenencie supradicte die nona mensis maii ultimi preteriti datarum plenam et liberam potestatem admortizandi in nostris patriis antedictis regia atque nostra auctoritatibus vigoreque ipsius nostre locuntenencie et ex nostre potestatis plenitudine admortizavimus et serie presencium admortizamus tamquam rem propriam ecclesiasticam, sacris usibus deputatam et penitus admortizatam exnunc et imposterum perpetuo tenere, possidere et explectare quieteque pacifice valeant atque possint, absque eo quod ea vendere, distrahere, alienare vel extra manus suas ponere, dominoque meo regi et nobis aliqualem financiam, ydempnitatem [vel] rachaptum solvere seu prestare ullathenus teneantur ; quasquidem financiam, ydemnitatem, rachaptum et jus rachapti aliaque jura et deveria, si que occasione premissorum debeantur, prefatis thesaurario, capitulo, canonicis et personis eorumque successoribus remisimus, quittavimus et donavimus, donamusque quittamus et remittimus totaliter per presentes (l. 4-23)

Clause injonctive Quocirca dilectis nostris gentibus compotorum et thesaurariis necnon senescallis, baillivis, judicibus ceterisque justiciariis, commissariis et officiariis predicti domini mei regis et nostris, aut eorum locatenentibus presentibus et futuris et eorum singulis prout pertinuerit ad eosdem damus serie presencium in mandatis quatinus jamdictos thesaurarium, cappitulum, canonicos et personas cappelle jamfate preinsertis sic eis donatis et translatis cumque possessionibus et saisinis nostrisque presentibus donacione, admortizacione, remissione et gracia amodo uti et gaudere pacifice faciant atque sinant (l. 23-27)

Clause prohibitive non permittendo eis exnunc nec imposterum fieri seu prestari impedimentum seu aliquod molestamen ; quod si quovismodo fieri contigerit – quod absit – illud exnunc prout extunc tollimus, irritamus, adnullamus totaliter per presentes ac premissa sic donata a cunctorum pressuris et molestacionibus illibata preservarique salvari ad nostri jamdicti precipimus fastigium Salvatoris (l. 27-29)

Clause de corroboration perpétuelle avec annonce du sceau Et ut hec omnia fruantur perpetuo valida firmi ate, nostrum presentibus fecimus apponi sigillum (l. 29)

Clause de réserve Nostro in reliquis et alieno in omnibus jure salvo (l. 29)

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Le corpus des actes de Jean de Berry

Date de lieu et de temps Datum Parisius, mense februarii, anno Domini millesimo quadringentesimo primo (l. 30)

Mention de commandement Per dominum ducem et locuntenentem

Signature du secrétaire Moriset

Apostille : mention de publication et d’enregistrement par la chambre des comptes Expedita in camera compotorum dicti domini ducis Parisius, in suo hospicio Nigelle, de ejus precepto et in ipsius dominorumque suorum compotorum presencia, ac in libro Memorialium ejusdem camere, folio IXXX IIIIto, registrata, die XVIII aprilis post Pasca, anno Domini Mo CCCC IIo

Signature du greffier de la chambre Viaut.

4. Commentaire Commentaire diplomatique Tout contribue à rendre manifeste la solennité d’un acte qui affiche une volonté de validité perpétuelle, tout à fait au rebours des mandements sur simple queue, et reprend le modèle de la charte royale : écriture soignée, marges généreuses, justification du texte, absence d’adresse et de salut, notification universelle et perpétuelle (« notum igitur facimus universis presentibus et futuris »), exposé minimal. Le scellement est à ce titre révélateur : si le sceau a été perdu, des lacs de soie verte demeurent, qui évoquent les lacs de soie rouge et verte des chartes des rois de France, marqueurs de perpétuité. Jean de Berry semble donc imiter les pratiques de chancellerie du roi, tout en restant respectueux de la différence qui demeure entre son pouvoir et le pouvoir royal. De même, la suscription insiste sur les fonctions de lieutenant général, mettant sa puissance en avant tout en rappelant l’origine de celle-ci. L’ornementation est également travaillée : l’initiale est ornée et certains mots, d’un module grossi, sont mis en valeur et font ressortir l’ossature du discours diplomatique. On note aussi la présence d’un préambule, en tête de l’acte. Cet exercice de style, très rare dans les actes de Jean de Berry, montre que cette charte est d’une solennité particulière, tout comme l’exposé des motifs, coulé dans le dispositif, qui reste très général. La complexité de la syntaxe, tel usage

Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni, Xavier Laurent

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étonnant de l’enclitique -que employé avec insistance avec la valeur de et, la présence d’un vocabulaire précis et parfois précieux ne font que renforcer l’idée de puissance qui se dégage de cet acte. La volonté de rendre l’acte infrangible est patente : tous les agents ducaux sont mentionnés dans la clause injonctive ; on multiplie les verbes introducteurs du dispositif, dédoublés, comme à la chancellerie royale, au parfait et au présent ; la liste de pertinences est étoffée ; la clause prohibitive énumère tous les droits dans une recherche d’exhaustivité ; la valeur perpétuelle de la clause de corroboration (« perpetuo valida firmi ate ») est confirmée par les lacs de soie verte, qui supportaient probablement un sceau de cire verte. Tous ces éléments tendent à souligner la proximité de l’acte avec un testament. Commentaire historique Vieillissant et affligé par la mort de son dernier fils, Jean de Montmorency (1363-1397), avec qui disparurent ses espoirs de fonder une dynastie princière, Jean de Berry reporta toute son attention sur l’achèvement de la SainteChapelle de Bourges, dont il avait entamé la construction dès 1392. Ce projet, qui se voulait l’aboutissement du processus d’imitation du faste du pouvoir royal à l’échelle d’une principauté apanagiste, devenait ainsi l’ultime témoignage des rêves de grandeur du duc, en même temps que l’objet d’une dévotion personnelle sans doute accrue par la perspective de la mort. En 1403, le duc fit donc savoir qu’il désirait être inhumé dans la Sainte-Chapelle en cours de constitution. La Sainte-Chapelle ne fut finalement investie et consacrée qu’en 1405, soit treize ans après que le pape Clément VII ont donné à Jean de Berry l’autorisation d’installer un tel établissement dans sa capitale. C’est dans le contexte de l’institution de la Sainte-Chapelle que se situe la présente donation, qui marque une accélération notable du processus de constitution du patrimoine du collège chargé d’y assurer le culte. En effet, la Sainte-Chapelle n’est pas un simple écrin monumental des reliques de la Passion, mais bien une institution religieuse très prestigieuse, dont les caractéristiques sont calquées sur le modèle de la Sainte-Chapelle de Paris. La Sainte-Chapelle de Bourges, d’après l’autorisation de Clément VII adressée à Jean de Berry, devait être desservie par quarante-cinq clercs, dont treize chanoines séculiers organisés en collège, chargés du culte, treize chapelains pour les assister, treize vicaires pour les remplacer le cas échéant et six clercs de chœur pour chanter les messes (voir Béatrice de Chancel-Bardelot et Clémence Raynaud [dir.], Une fondation disparue de Jean de France, duc de Berry. La SainteChapelle de Bourges, Paris/Bourges, Somogy Éditions d’art/Musée du Berry, 2004). Tous ces desservants devaient être logés au plus près de la chapelle et entretenus pour que le culte, rendu aux heures de Paris, fût perpétuellement

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Le corpus des actes de Jean de Berry

garanti. De fait, en plus de l’édifice, Jean de Berry se devait de constituer un patrimoine capable d’accueillir et de soutenir autant d’hommes. D’où l’importance de la présente donation, datée de février 1402, et plus encore du revenu annuel de 3 000 livres parisis promis par le duc. Olivier Guyotjeannin École nationale des chartes, PSL/Centre Jean Mabillon

Olivier Mattéoni Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/LaMOP (UMR 8589)

Xavier Laurent Archives départementales et patrimoine du Cher

Table des matières Les archives départementales du Cher et la commémoration du 600e anniversaire de la mort de Jean de Berry Xavier Laurent

5

Introduction. Jean de Berry et l’écrit diplomatique Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

9

Imitatio regis ? Pour une diplomatique des actes de Jean de Berry Mélissa Barry, Cléo Rager, Élisabeth Schmit, Marie-Émeline Sterlin, Clémence Lescuyer

21

La signature de Jean de Berry : marque de prestige, signe de pouvoir Claude Jeay

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Sigillum Iohannis filii regis et paris Francie. Les sceaux de Jean de Berry, entre tradition et innovation Clément Blanc-Riehl, Marie-Adélaïde Nielen

59

Écritures de chantier. La chambre des comptes de Bourges et la politique monumentale de Jean de Berry Thomas Rapin

85

Fils et filles de roi de France, du xiie au xve siècle : du lignage au royaume Olivier Guyotjeannin

113

Sons of the King of England. Personal identity and family relationships of three Princes of Wales in Late Medieval England Sean Cunningham, Paul Dryburgh

133

Écrire et signer à la chancellerie d’un contemporain de Jean de Berry, Louis II de Bourbon (1356-1410) Olivier Mattéoni

159

La chancellerie d’Anjou-Provence d’après le journal de Jean Le Fèvre (1381-1388) Jean-Michel Matz 187

Jean de Berry et l’écrit. Les pratiques documentaires d’un fils de roi de France, sous la direction de Olivier Guyotjeannin et d’Olivier Mattéoni, Paris, Éditions de la Sorbonne/École nationales des chartes, 2019

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Table des matières

The Chancery of the duke of Brittany around 1400: personnel, practices and policy Michael Jones

211

Pratiques diplomatiques chez les premiers rois de Navarre de la dynastie des Évreux (1328-1387) Philippe Charon

227

Les éditions d’actes princiers (xiie-xve siècle) : bilan à l’heure du numérique Olivier Canteaut, Jean-François Mouffle 

253

Le corpus des actes de Jean de Berry. L’état des sources Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni

287

Le corpus des actes de Jean de Berry dans le fonds de la Sainte-Chapelle de Bourges Olivier Guyotjeannin, Olivier Mattéoni, Xavier Laurent

295