Les clercs et les princes: Doctrines et pratiques de l’autorité ecclésiastique à l’époque moderne 9782357231122, 9782357230330

Fruit de la collaboration interdisciplinaire associant des juristes, des historiens, des canonistes et des théologiens,

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Les clercs et les princes: Doctrines et pratiques de l’autorité ecclésiastique à l’époque moderne
 9782357231122, 9782357230330

Table of contents :
Brigitte Basdevant-Gaudemet and Alain Tallon
Introduction
Première partie. Les ecclésiastiques dans l'Europe catholique (XVe-XVIIIe siècle). Pluralisme juridique et conflits d'autorités
Première section. Les instances romaines
François Jankowiak
Le « buon governo » et les conflits des hiérarchies administrative et religieuse dans l’État pontifical
Elena Bonora
Conflitti d’autorità tra vescovi, papato e Sant’Ufficio
Giovanni Pizzorusso
La congrégation de la Propagande : une instance centrale pour l’élaboration d’un statut juridique du clergé missionnaire
Carlo Fantappiè
L’évolution du statut canonique du clergé paroissial tridentin d’après la congrégation du Concile
Deuxième section. Clercs et hiérarchies dans l'État
Olivier Poncet
Inscrire les clercs dans l’État. La monarchie française, les ecclésiastiques et le gouvernement par l’écrit (XVIe-XVIIIe siècle)
Ignasi Fernández Terricabras
« Des créatures de Votre Majesté » Choix et contrôle des évêques par Philippe II dans les couronnes de Castille et d’Aragon (1556-1598)
Brigitte Basdevant-Gaudemet
La nature canonique des charges exercées par l’évêque et ses auxiliaires, du droit classique au code de 1917
Frédéric Meyer
Grands vicaires et officiaux des diocèses de frontière (XVIIe-XVIIIe siècles)
Jean-Louis Gazzaniga
Les curés entre collateurs, évêques, patrons et vicaires. Le point de vue des juristes français (XVIIe-XVIIIe siècles)
Troisième section. Droits et justices
Anne Rousselet-Pimont
Le juge d’Église et la loi royale, entre autonomie et soumission
Olivier Descamps
Le déclin des officialités à l’époque moderne
Ninon Maillard
Les procédures d’appel comme d’abus des dominicains à l’époque moderne
Bertrand Marceau
Entre droit cistercien, droit canonique et droit de l’État : La juridiction de l’abbé de Cîteaux au XVIIe siècle
Marc Venard
Conclusions
Seconde partie. Les ecclésiologies entre théologie et droit canonique (XVe-XVIIIe siècle)
Première section. Omnes ut universi. Les ecclésiologies dans l'Église
Patrick Arabeyre
Le spectre du conciliarisme chez les canonistes français du XVe et du début du XVIe siècle
Benoît Schmitz
Le pouvoir ecclésiastique : question canonique ou théologique ? Filippo Decio, Cajetan et le concile de Pise-Milan
Alain Tallon
Le conciliarisme au risque du concile : les ecclésiologies conciliaires au temps du concile de Trente
Bernard Barbiche and Ségolène de Dainville-Barbiche
La diplomatie pontificale à l’épreuve de la réception du concile de Trente en France (XVIe-XVIIe siècles)
Olivier Descamps
L’ecclésiologie de Benoît XIV
Charlotte de Castelnau-L’Estoile
Une Église aux dimensions du monde : expansion du catholicisme et ecclésiologie à l’époque moderne
Laurent Villemin
Sacramentalité de l’épiscopat et conciliarisme du XVIe au XVIIIe siècle
Deuxième section. Omnes ut singuli. Les ecclésiologies et les pouvoirs
Sylvio Hermann De Franceschi
Entre antiromanisme catholique et républicanisme absolutiste : Paolo Sarpi (1552-1623) et la défense du bien public au temps de la crise de l’Interdit vénitien (1606-1607)
Jean-Louis Gazzaniga
L’ecclésiologie des juristes gallicans (XVIIe-XVIIIe siècles)
Marie-France Renoux-Zagamé
Les deux puissances selon les écrits du chancelier d’Aguesseau
Hervé Legrand
Les enjeux ecclésiologiques de la codification du droit canonique Quelques réflexions sur la portée de l’option choisie en 1917
Guerric Meylan
Qui odit correptionem peribit. Genève et la discipline ecclésiastique de Calvin d’après les registres du Consistoire
Matthias Schmoeckel
L’influence des confessions religieuses dans la formation du droit international public
Patrick Arabeyre
Conclusions
Jean-Louis Gazzaniga
Conclusion générale
Résumés
Index Onomastique

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Les clercs et les princes Doctrines et pratiques de l’autorité ecclésiastique à l’époque moderne

Patrick Arabeyre et Brigitte Basdevant-Gaudemet (dir.)

DOI : 10.4000/books.enc.335 Éditeur : Publications de l’École nationale des chartes Année d'édition : 2013 Date de mise en ligne : 26 septembre 2018 Collection : Études et rencontres ISBN électronique : 9782357231122

http://books.openedition.org Édition imprimée ISBN : 9782357230330 Nombre de pages : 506 Référence électronique ARABEYRE, Patrick (dir.) ; BASDEVANT-GAUDEMET, Brigitte (dir.). Les clercs et les princes : Doctrines et pratiques de l’autorité ecclésiastique à l’époque moderne. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Publications de l’École nationale des chartes, 2013 (généré le 03 mai 2019). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782357231122. DOI : 10.4000/books.enc.335.

© Publications de l’École nationale des chartes, 2013 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

LES CLERCS ET LES PRINCES Doctrines et pratiques de l’autorité ecclésiastique à l’époque moderne

études réunies par Patrick Arabeyre et Brigitte Basdevant-Gaudemet

études et rencontres DE L’ÉCOLE DES CHARTES

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LES CLERCS ET LES PRINCES DOCTRINES ET PRATIquES DE L’AuTORITÉ ECCLÉSIASTIquE à L’ÉPOquE mODERNE

Les textes réunis dans cet ouvrage forment les actes de deux colloques internationaux : - le premier, tenu à paris les 5 et 6 novembre 2010  : «  Les ecclésiastiques dans l’europe catholique (xve-xviiie siècle). pluralisme juridique et conlits d’autorités » ; - le second, tenu à sophia antipolis les 16 et 17 septembre 2011 : « Les ecclésiologies entre théologie et droit canonique (xve-xviiie siècle) ». ces colloques ont été organisés par : - le centre Droit et sociétés religieuses de l’université paris-sud ; - le centre roland mousnier de l’université paris-sorbonne ; avec la collaboration : - du centre d’étude d’histoire juridique (institut d’histoire du droit, umr 7184) de l’université paris 2 panthéon-assas ; - de l’école française de rome ; - de l’école nationale des chartes ; - de l’institut supérieur de théologie, nice sophia antipolis ; - de l’umr de droit comparé de paris (umr 8103) de l’université paris 1 panthéon-sorbonne. Le comité scientiique était composé de : patrick arabeyre, Brigitte BasdevantGaudemet, Jean-Louis Gazzaniga, François Jankowiak, alain tallon. La présente publication a été possible grâce au soutien : - du centre Droit et sociétés religieuses et du conseil scientiique de l’université paris-sud ; - du centre roland mousnier, du conseil scientiique et de l’école doctorale ii de l’université paris-sorbonne ; - du centre d’étude d’histoire juridique (institut d’histoire du droit, umr 7184) de l’université paris 2 panthéon-assas ; - du centre Jean-mabillon de l’école nationale des chartes ; - de l’institut supérieur de théologie, nice sophia antipolis ; - de l’umr de droit comparé de paris (umr 8103) de l’université paris 1 panthéon-sorbonne.

© copyright 2013 école nationale des chartes all rights reserved. no part of this book may be reproduced or translated in any form, by print, photoprint, microilm, microiche or any other means without written permission from the publisher.

isBn 978-2-35723-033-0 issn 1760-5687

études et rencontres De L’écoLe Des chartes

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Les cLercs et Les princes Doctrines et pratiques De L’autorité eccLésiastique à L’époque moDerne

études réunies par patrick arabeyre et Brigitte Basdevant-Gaudemet

paris écoLe Des chartes 2013

Illustration de couverture : raphaël, Le couronnement de Charlemagne, musée du Vatican. © BpK, Berlin, Dist. rmn-Grand palais / mario sarri. La fresque retenue pour la couverture de cet ouvrage, œuvre de raphaël exécutée vers 1517, est emblématique des rapports d’autorité mettant aux prises la papauté et les pouvoirs séculiers à la période moderne ; dans ce Couronnement de Charlemagne (cité du Vatican, chambre (« stanza ») dite « de l’incendie du Borgo »), la rivalité est igurée par un Léon X, pape de 1513 à 1521, se substituant à Léon iii, tandis que charlemagne emprunte les traits de François ier, représenté à genoux devant le pontife alors même que le souverain français, aspirant à la couronne impériale, avait imposé son autorité en remportant les victoires de marignan et de milan puis en négociant le concordat de Bologne. Dans une optique similaire, le même raphaël, peignant saint michel terrassant le démon (huile dite Le grand saint Michel, 1518, oferte au roi de France, grand-maître de l’ordre de saint-michel, à l’occasion du mariage de Laurent de médicis, neveu du pape, avec madeleine de La tour d’auvergne), rapprochera François ier, triomphateur des ennemis de l’église, de l’archange tenu pour le protecteur du royaume. (François Jankowiak)

édition et mise en page : sophie Limoges

INTRODuCTION par

Brigitte BasDeVant-GauDemet et alain taLLon

ce volume est le fruit d’une initiative du centre Droit et sociétés religieuses de l’université paris-sud, qui avait organisé en janvier 2009 une table ronde informelle réunissant des historiens du droit et des historiens pour examiner les enquêtes communes possibles. La France se distingue en efet par un éloignement très préjudiciable entre historiens et historiens du droit, qui s’explique par des aspects institutionnels, par une formation diférente, mais qui pénalise la recherche par rapport à d’autres écoles nationales où les frontières ne sont pas aussi étanches. c’est tout naturellement autour de l’histoire religieuse que nous nous sommes retrouvés, domaine qui a notre prédilection et dans lequel des institutions savantes, comme la société d’histoire religieuse de la France, transcendent les clivages disciplinaires de l’université. ainsi des spécialistes français, mais aussi italiens, ont réléchi lors de cette table ronde aux sujets de recherche communs pour une large période moderne, allant du début du xve siècle à l’aube du xxe. Les historiens du fait religieux tentent de se repérer dans le complexe dédale des juridictions dont la rationalité n’est pas toujours établie alors que les historiens du droit veulent, quant à eux, confronter les pratiques sociales aux prescriptions juridiques que tribunaux et doctrines se doivent d’appliquer en les adaptant parfois, mais sans les enfreindre. Les contributions ici rassemblées résultent de ce riche dialogue interdisciplinaire. Le droit de l’église de l’époque moderne est mal connu. Les historiens du droit canonique centrent leurs recherches sur les collections médiévales, symbole de la splendeur du droit canonique classique. on sait que ce sont les plus grandes de ces collections que Grégoire Xiii it rassembler et publia en 1583 sous le nom de Corpus juris canonici (CJC), entreprise parallèle à celle de la confection du Corpus juris civilis. pendant plus de trois siècles, le CJC demeure le premier monument juridique, référence incontournable et seul recueil d’ensemble du

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BRIGITTE BASDEvant-gaudemet et alain tallon

droit canonique, promulgué en outre par le législateur suprême de l’Église. Pourtant, ce corpus recueille les dispositions de l’Église médiévale, souvent éloignées, et de plus en plus, des réalités de la vie religieuse des siècles ultérieurs. Certes, à côté du Corpus juris canonici, mais sans jamais l’abroger, nombreuses – et peut-être trop nombreuses – furent les autorités édictant des prescriptions pour l’Église : droit applicable à toute l’église, à certaines circonscriptions ou à certaines communautés ; à tous les chrétiens ou aux clercs séculiers, aux religieux, aux laïques ; mesure générale ou de circonstance… règles émanant du pape, d’un concile général ou particulier, d’un évêque ; ou encore d’un prince, empereur, roi de France ou d’espagne par exemple. Diversité des sources du droit et diversité des autorités édictant ces normes qui ne peuvent qu’entraîner des incertitudes et des contestations sans in. ambiguïté de la hiérarchie des normes, résultant elle aussi des débats et hésitations des doctrines, tant théologiques que politiques. Défend-on la suprématie du pape ou celle du concile général ? Les enjeux ecclésiologiques sont évidents. si la crise du conciliarisme correspond, nous semble-t-il, à une crise de l’église due à des circonstances ponctuelles et intervenant à un moment bien daté de l’histoire, les conséquences des thèses soutenues à constance puis à Bâle se font sentir longtemps encore après que le pontife romain a airmé sans équivoque sa supériorité sur le concile universel. L’ecclésiologie des temps modernes, ixant à chacun, clercs ou laïques, place et autorité dans l’église, est tributaire de la crise conciliaire qui marque le terminus a quo des recherches ici menées. une autre interrogation surgit : église ou prince ? aux débats relatifs à une hiérarchie interne à l’église s’ajoute la confrontation des deux puissances si souvent étudiée par le doyen Gabriel Le Bras. aux gallicanismes, qui par eux-mêmes sont déjà pluriels, se joignent dans chaque état d’autres tendances du juridictionnalisme en constante tension avec les courants romains. il en résulte une pluralité de sources du droit et parfois un pluralisme des systèmes juridiques, accompagnant les conlits d’autorités. La codiication de 1917 ne dissipe pas tout orage entre détenteurs de pouvoir. elle met néanmoins in à l’enchevêtrement des textes. La promulgation du code pio-bénédictin, œuvre due essentiellement au cardinal Gasparri, marque tout naturellement le terminus ad quem de nos enquêtes. première codiication du droit de l’église, le code de droit canonique de 1917 se présente comme une œuvre globale, embrassant tout le droit de l’église catholique latine. s’inscrivant dans le mouvement de codiication que les états connaissaient depuis plus d’un siècle, il se veut une œuvre de droit positif, marqué par la centralisation pontiicale, par l’ecclésiologie de la société parfaite, mais ne faisant que peu appel à la théologie. pour son élaboration, les codiicateurs ont largement puisé au droit antérieur, celui du CJC, du concile de trente, des décisions du pontife romain et des congrégations romaines. Le code apparaît

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souvent comme une clariication du droit des siècles précédents ; à ce titre aussi, il éclaire la compréhension des périodes antérieures. dans ce volume, les auteurs abordent tous un même sujet, sous des angles divers, celui des rapports de pouvoir dans l’église et de leur contextualisation idéologique. il s’agit d’étudier la condition et les fonctions des ecclésiastiques, la place qui est la leur, leur autorité et leur pouvoir, leur dépendance ou leur indépendance, les uns par rapport aux autres, selon une hiérarchie parfois airmée dans les théories ecclésiologiques, mais les ecclésiologies sont changeantes. en outre, ces ecclésiologies et leurs conséquences sur la vie pastorale doivent se concilier avec bien des exceptions juridiques faites de privilèges et de dispenses. place de chacun également, par rapport aux princes et aux autorités séculières, selon les orientations du dialogue entre les deux puissances. deux colloques internationaux se sont succédé, traitant deux facettes de cette unique recherche, l’une relative aux ecclésiastiques, l’autre davantage axée sur les conceptions ecclésiologiques. car comment apprécier la position du clergé sans référence aux doctrines d’organisation de l’église ? l’unité du sujet est évidente. l’ordre ecclésiastique dans l’europe catholique, au cours des siècles connaissant une réforme religieuse qui est très largement une réforme du clergé pour le clergé, mais pas uniquement par le clergé, est déjà très étudié pour l’évolution de sa formation, de son rôle pastoral, de sa composition sociale. il l’est beaucoup moins en tant que corps, institution, ordo, alors même qu’il occupe le premier rang dans la hiérarchie sociale. nature et contenu des fonctions, des ministères ou des oices de chacun demeurent aussi fort mal connus. La noblesse ou le « quatrième ordre », le ceto civile italien, ont donné lieu à des recherches poussées dans le sens d’une histoire socio-institutionnelle qui dans le cas du clergé a toujours été fragmentée : les évêques, les chanoines, les curés, les réguliers font l’objet de très stimulantes études. connaître le corps ecclésiastique en tant que tel, dans sa complexité et sa diversité, mais aussi dans l’unité de ses prétentions institutionnelles, de ses privilèges, de son aspiration à la participation au gouvernement de l’église pour faire de la société d’ancien régime une société chrétienne, requiert la collaboration entre des historiens de diverses formations et de divers pays. L’angle d’attaque choisi, « pluralisme juridique et conlits d’autorités », peut sembler à première vue rebattu. Les contestations relatives aux compétences des justices ecclésiastiques ou séculières ont été constantes, chacun des deux ordres dénonçant ce qu’il considère comme empiètement de l’autre partie sur ses propres prérogatives. plus largement, l’exercice du pouvoir de juridiction entendu dans le sens d’un pouvoir de gouvernement, de la jurisdictio des jurisconsultes du droit romain classique, a généré procès, traités doctrinaux canoniques ou théologiques, polémiques en tout genre dont la massivité n’a pas échappé aux historiens. Dès les temps modernes, l’interprétation de ces conlits varie : certains y voient, thèse

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Brigitte Basdevant-gaudemet et alain tallon

reprise de façon écrasante après la chute de l’ancien régime, une émancipation de l’état par rapport à l’église. d’autres, notamment au sein du clergé, préfèrent les analyser comme une compétition au sein d’une même entité, d’un même ordre voulu par dieu. écoutons Bossuet déplorant la querelle entre louis Xiv et innocent Xi en 1681 dans son sermon sur l’unité de l’église lors de l’ouverture de l’assemblée générale du clergé : malheur, malheur à l’église, quand les deux juridictions ont commencé à se regarder d’un œil jaloux ! Ô plaie du christianisme ! ministres de l’église, ministres des rois, et ministres du roi des rois les uns et les autres, quoique établis d’une manière diférente, ha ! pourquoi vous divisez-vous ? L’ordre de Dieu est-il opposé à l’ordre de Dieu ? hé ! pourquoi ne songez-vous pas que vos fonctions sont unies, que servir Dieu, c’est servir l’état, que servir l’état, c’est servir Dieu ? mais l’autorité est aveugle ; l’autorité veut toujours monter, toujours s’étendre ; l’autorité se croit dégradée quand on lui montre ses bornes1.

Le conlit est celui d’autorités d’essence aussi légitime l’une que l’autre, dont la juridiction et les sentences sont les unes comme les autres des éléments constitutifs de l’ordre divin. nous touchons là l’un des aspects essentiels de nos débats, sur la notion de pluralisme juridique : il ne s’agit pas – ou il ne devrait pas s’agir – de deux juridictions diférentes, mais bien d’autorités puisant leur légitimité à la même source. on peut aller plus loin que Bossuet et voir jusqu’où ce pluralisme juridique peut s’étendre : non seulement le droit canonique de l’église universelle, mais aussi les multiples règlements et juridictions propres aux églises à l’intérieur de chaque royaume, aux provinces, aux diocèses, aux ordres religieux ; non seulement les législations royales, mais également les jurisprudences des tribunaux séculiers en matière ecclésiastique, les libertés et franchises des royaumes et provinces, les droits des collateurs et la force de la coutume immémoriale opposée aux « innovations » de la réforme tridentine. Voir dans le pluralisme juridique d’ancien régime un simple conlit entre église et état est non seulement anachronique, mais réducteur. Dès que l’on entre dans le détail d’une afaire mettant en jeu ce pluralisme, on ne peut qu’être frappé par la complexité de celui-ci et la capacité des acteurs à en jouer à leur proit. ces stratégies peuvent se déployer d’ailleurs au sein de cadres strictement ecclésiastiques. pour donner un simple exemple parmi des milliers d’autres possibles, un servite milanais, fra Girolamo da salso, avait été accusé d’avoir conié une hostie consacrée à une femme et mis en prison par le procureur iscal du cardinal charles Borromée. connaissant la rigueur du saint archevêque, il s’évade et écrit au cardinal alexandre Farnèse, 1. cité par Jacques truchet, Politique de Bossuet, paris, 1966, p. 166.

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« d’un lieu éloigné », pour lui demander de juger sa cause comme protecteur de l’ordre des servites. il dit ne vouloir nul autre juge pour sa cause et surtout pas Borromée, car « plutôt que de tomber entre ses mains, je veux aller errant par les bois en mangeant de l’herbe comme font les bêtes tout le reste de ma vie ». il ne se constituera prisonnier que s’il est bien sûr d’être jugé par le cardinal Farnèse, ou par tout juge délégué par lui ou par son général2. Le jeu entre les autorités compétentes se double le plus souvent d’un jeu entre les droits applicables, où là encore la distinction entre un ordre juridique d’état et d’église ne tient pas. cette multiplicité des registres juridiques n’est pas propre au clergé mais, de tous les ordres de la société d’ancien régime, il est peut-être celui qui peut la pratiquer le plus largement. à la variété et à l’ampleur de ses privilèges, qui malgré les eforts des états restent sans égales pendant tout l’ancien régime, s’ajoute la dextérité avec laquelle les clercs savent jouer de la dispense pour contourner la norme, cette fois contre la volonté des réformateurs ecclésiastiques. monde du privilège, règne de la dispense, l’ordre ecclésiastique est aussi celui du trop-plein des autorités et des pouvoirs. Le pape, le concile, le roi, les cours souveraines de justice, l’évêque, l’abbé, le curé, tous peuvent prétendre à une autorité, que chaque détenteur souhaite considérer comme absolue, s’étendant sur l’église en général et le clergé en particulier et, pour parachever cette vue, donnée directement par Dieu, sans nécessité d’une médiation humaine. ce trop-plein vient, on le sait, d’un pluralisme ecclésiologique hérité de la crise des xive et xve siècles et que le concile de trente n’a pas su, pas pu ou pas voulu réduire à une conception uniforme du pouvoir dans l’église. Les pères, à trente, ont fait de l’épiscopat le moteur de la réforme pastorale à mettre en œuvre, mais n’ont pas voulu se prononcer sur la nature du pouvoir de l’évêque. L’ordinaire du diocèse reçoit-il son pouvoir de juridiction directement du christ ou bien cette juridiction lui est-elle conférée par l’intermédiaire du pape ? pendant plus de trois siècles, cette incertitude théologique pèse sur l’ecclésiologie en condamnant à l’échec toute tentative pour expliciter le lien de dépendance de l’évêque par rapport au pape. Lié à cette incertitude, le débat sur la sacramentalité de l’épiscopat prête aussi à bien des afrontements doctrinaux. La clariication se fait progressivement, le pontiicat de Benoît XiV, le plus grand pape canoniste des temps modernes, marquant un tournant décisif. Finalement, le concile de Vatican i n’a plus qu’à constater un état de fait, une dépendance de l’épiscopat par rapport à l’autorité romaine, que nul ne conteste plus à la in du xixe siècle. Le code peut ratiier cette vue sans même qu’il soit nécessaire de l’expliciter. survivances du conciliarisme, débats sur l’autorité de l’épiscopat sont des causes majeures de la

2.  archivio di stato de parme, carteggio farnesiano interno, i serie, 54, lettre datée du 1er septembre 1570.

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Brigitte Basdevant-gaudemet et alain tallon

diversité des ecclésiologies à l’époque moderne. le tableau se complique encore quand les diverses autorités qui disent partager la même conception du pouvoir dans l’église s’en disputent en fait l’exercice. l’ecclésiologie romaine peut bien faire du pape le pasteur de l’église universelle, l’exercice de son pouvoir doit-il se faire en association avec le sacré collège, sous le contrôle des congrégations – et notamment de la première d’entre elles, le saint-oice, qui en disant la foi dit aussi la loi –, en communion avec les évêques ? si, en France, le roi et le parlement sont bien d’accord sur les mécanismes de réception des actes extérieurs au royaume et notamment romains, comme sur le devoir de protection accompagné du pouvoir de correction que la monarchie doit exercer dans l’église, ils ont ensuite des pratiques fort diférentes et parfois opposées. parce que la documentation laissée par les conlits engendrés par ce pluralisme juridique donne une impression de dysfonctionnement permanent, le système a été souvent sévèrement jugé par les historiens, reprenant parfois sans beaucoup de distance critique les polémiques du temps, y ajoutant des aspirations contemporaines. il est ainsi symptomatique de voir les critiques des textes tridentins faites au moment du concile de Vatican ii. on a pu par exemple déplorer l’usage fréquent de la formule tanquam sedis apostolicae delegatus pour justiier le pouvoir de correction de l’évêque, formule utilisé dès la Ve session (17 juin 1546) et quasi systématiquement dans les décrets de réforme de la troisième période de 15621563. ainsi, bien que la nature du pouvoir de l’évêque n’ait pas été clairement établie3, en le qualiiant de délégué du siège apostolique, les textes conciliaires renforcent d’une part le lien de dépendance par rapport au souverain pontife, car la délégation est toujours révocable, mais accroissent d’autre part l’étendue des compétences que le pape peut conier à un évêque, par « délégation spéciale ». Les pères tridentins et la doctrine des temps modernes à leur suite ne tranchent pas. Le blocage, comparable, sur la question de savoir si l’obligation de résidence est de droit divin atteste lui aussi de ce qu’il est impossible de proclamer dans le contexte ecclésiologique complexe de l’église romaine du xvie siècle. plus que clariier, les pères ont voulu préserver les uns et les autres ain d’éviter toute nouvelle fracture. certes, rome mène habilement le combat pour se présenter comme la seule source d’autorité, en inversant notamment le discours réformateur qui, aux xve et xvie siècles, dénonce avant tout les abus romains. mais la papauté moderne n’est jamais parvenue totalement à imposer ce point de vue, y compris dans ses propres rangs. car le pluralisme juridique et les incertitudes ecclésiologiques, s’ils sont sources d’innombrables conlits, sont aussi la preuve d’équilibres institutionnels réels au

3.  Laurent Villemin, Pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction. Histoire théologique de leur distinction, paris, 2003.

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sein du catholicisme moderne. si l’on songe à leur nombre, rares sont d’ailleurs les conlits qui aboutissent à une rupture ouverte. cet équilibre vient du fait que ce pluralisme est aussi un instrument de régulation au quotidien de l’institution cléricale. il lui permet d’exister en tant que corps autonome, disposant de ses propres libertés. ce thème de la liberté ecclésiastique, qui vient de faire l’objet d’un ouvrage collectif récent dirigé par stéphane-marie morgain4, est étonnant par sa plasticité. au singulier, la libertas Ecclesiae est le plus souvent avancée par la papauté ou par des autorités ecclésiastiques contre les prétentions des pouvoirs temporels ; au pluriel, les libertés de l’église sont plus volontiers opposées aux empiétements romains. dans un cas comme dans l’autre, c’est avant tout l’ordre ecclésiastique et ses privilèges qu’il s’agit de défendre, le plus souvent avec un certain succès. leur érosion est réelle au cours de notre période, mais le principe reste acquis et il faudra la révolution pour le mettre à bas, avec d’ailleurs plus de diiculté que pour bien d’autres catégories de privilèges. protégé par un pluralisme juridique qui lui permet d’opposer une juridiction à une autre avec un opportunisme consommé, l’ordre ecclésiastique sait aussi mobiliser le reste de la société en défense de ses libertés, sans doute parce qu’il est le plus proche de l’idéal social de l’ancien régime, où l’autorité absolue d’un ordre social voulu par dieu est bornée par la multiplicité même de ses manifestations, garantie des privilèges de chacun. c’est aussi cet équilibre fondamental que procure le pluralisme du droit et des ecclésiologies que l’on perçoit derrière les conlits d’autorités. après ce tableau des ecclésiologies ou des pouvoirs dans l’église des temps modernes, un constat s’impose : au terme de ces siècles et après la perte de son pouvoir temporel par le pontife romain, le concile de Vatican i et dans sa ligne le code de droit canonique de 1917 ont su formuler un exposé doctrinal ecclésiologique marquant le triomphe de la centralisation romaine et présenter un droit universel de l’église catholique latine faisant leur place aux droits particuliers. si ces constructions ont été possibles au sortir de ces siècles d’une grande complexité, c’est aussi que cette période de pluralité des ecclésiologies, des autorités, des sources du droit a néanmoins mis à la disposition des théologiens et des canonistes les matériaux nécessaires pour doter l’église de la structure qui fut la sienne à l’aube du xxe siècle. ce volume éclaire bien des aspects de ces matériaux. Les deux colloques successifs, organisés par les mêmes chercheurs, apportent leur éclairage sur ces siècles méconnus entre splendeur de l’église médiévale et triomphe de la société parfaite. Dans ce volume, nous avons respecté le découpage de nos deux rencontres, l’une tenue à paris (université paris-sud et université paris-sorbonne) intitulée Les ecclésiastiques dans l’Europe catholique  : pluralisme

4.  Libertas ecclesiae. Esquisse d’une généalogie (1650-1800), dir. stéphane-marie morgain, paris, 2010.

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Brigitte Basdevant-gaudemet et alain tallon

juridique et conlits d’autorité. l’autre à sophia antipolis (institut supérieur de théologie), intitulée Les ecclésiologies entre théologie et droit canonique. le sujet était immense et il n’est certes pas épuisé mais ces approches interdisciplinaires, fructueuses, ont ouvert des perspectives nouvelles, qui n’attendent maintenant qu’à être développées. Brigitte Basdevant-Gaudemet université paris-sud Droit et sociétés religieuses

alain tallon université paris-sorbonne centre roland mousnier

premiÈre partie

les ecclésiastiques dans l’europe catholique (Xve-Xviiie siÈcle) pluralisme Juridique et conFlits d’autorités

Première section les instances romaines

le « Buon GoVerno » et Les conFLits Des hiérarchies aDministratiVe et reLiGieuse Dans L’état pontiFicaL par

François JanKowiaK

L’historiographie, y compris dans ses phases récentes, de la papauté de l’âge moderne a souligné à l’envi les zones d’ombre et déploré le peu de travaux à caractère suisamment systématique portant sur l’évolution du pouvoir pontiical et des structures de la curie romaine, sur les relations de celle-ci avec la cour pontiicale et, enin, sur les modèles et les modalités d’administration des états de l’église1. si les dernières décennies ont bénéicié de la publication de recherches importantes, concernant en particulier les relations diplomatiques2 ou l’organisation inancière de l’état pontiical3, la supposée « conspiration du silence » qui entourerait rome et ses états aux xvie et xviie siècles – ceux-ci demeurant en marge de l’analyse du développement et de l’absolutisation de l’état en europe – n’a, si l’on ose l’exprimer ainsi, pas dit son dernier mot. un élément explicatif en est 1. pour des exemples de ces « déplorations », nous nous permettons de renvoyer à François Jankowiak, La Curie romaine de Pie IX à Pie X. Le gouvernement central de l’église et la in des états pontiicaux (1846-1914), rome, 2007, p. 1-6. 2.  maria antonietta Visceglia, Roma papale e Spagna. Diplomatici, nobili e religiosi tra due corti, rome, 2010 ; paolo Broggio, La teologia e la politica : controversie dottrinali, Curia romana e monarchia spagnola tra Cinque e Seicento, Florence, 2009 ; maurizio Gattoni, Pio V e la politica iberica dello Stato pontiicio (1566-1572), rome, 2007 ; sylvio hermann de Franceschi, La crise théologico-politique du premier âge baroque. Antiromanisme doctrinal, pouvoir pastoral et raison du prince : le Saint-Siège face au prisme français, 1607-1627, rome, 2009 ; Daniele santarelli, Il papato di Paolo IV nella crisi politica-religiosa del Cinquecento : le relazioni con la repubblica di Venezia e l’atteggiamento nei confronti di Carlo V e Filippo II, rome, 2008. 3. Voir en particulier stefano tabacchi, Il Buon Governo. Le inanze locali nello Stato della Chiesa (secoli xvi-xviii), rome, 2007, ainsi que les contributions rassemblées dans les deux imposants volumes publiés sous la direction d’armand Jamme et olivier poncet  : Oices et papauté (xivexviie siècle). Charges, hommes, destins, rome, 2005, et Oices, écrit et papauté (xiiie-xviie siècle), rome, 2007.

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probablement que le « governo dei preti » est le plus souvent entendu comme domination cléricale et donc comme soumission de l’état à l’église, dans un schéma qui aurait connu peu de variations depuis le mouvement grégorien et le triomphe de la théocratie pontiicale, se nourrissant des aspirations à l’universalité propres à l’institution ecclésiale. Le fait est qu’en une particularité unique, l’état ou les états de l’église4 coïncident alors, s’agissant de leurs instances centrales, avec le gouvernement de la catholicité5. La superposition est à la fois institutionnelle et géographique, et géographique parce qu’institutionnelle, au sens où l’idée de rome est moins porteuse d’une « expression géographique » qu’elle n’est une igure de la centralité de l’église6. L’observateur est confronté à l’identité de nature, voire à la symbiose, entre le pouvoir et le dominium, les deux notions « se fondant dans une valeur neuve, posant les fondements de cet organisme politico-religieux, valide jusqu’en 1870, particulier au moyen Âge, sans équivalent dans l’europe moderne, que l’histoire nomme “état de l’église”, “état, états pontiicaux” »7. De cet état particulier, l’église forme la structure portante, véhiculant un modèle de société hiérocratique et, partant, d’état confessionnel8, au sein duquel le droit ecclésiastique recoupe en substance le droit canonique9. on ne trouve pas signe, dans cette interprétation somme toute traditionnelle, de tensions juridictionnelles, obstacle majeur que l’église des débuts de l’époque moderne afronte dans le cadre des états séculiers. La réalité est plus complexe,

4. Les deux formes s’emploient indiféremment, même si en français le pluriel est plus usité ; voir Gilles pécout, Naissance de l’Italie contemporaine (1770-1922), paris, 1997, p. 63. 5. mario caravale et alberto caracciolo, Lo Stato pontiicio da Martino V a Pio IX, turin, 1986, p. 739. comme l’écrit Giuseppe Galasso, « la coincidenza tra la direzione del governo civile dello stato e il centro dell’amministrazione della chiesa è completa. Le stesse congregazioni cardinalizie che amministrano questa, governano anche quello ; le alte cariche dello stato sono anche le alte cariche della chiesa e sono anch’esse coperte da cardinale ; i nunzi, che trattano le questioni di politica ecclesiastica nei vari paesi con cui il Vaticano è in relazione, curano anche gli interessi dello stato pontiicio ; e così via » (« Le forme del potere, classi e gerarchie sociali », dans storia d’Italia Einaudi, t. i : I caratteri originali, turin, 1989, p. 399-599, à la p. 493). 6.  Voir Federico chabod, Storia della politica estera italiana dal 1870 al 1896, Bari, 1951; rééd. 1997, chap. 2 : « L’idea di roma », p. 179-314. Bien que concernant surtout la rome de l’après 20 septembre 1870, ces développements fourmillent d’indications utiles pour les décennies précédentes. 7. ottorino Bertolini, « Le origini del potere temporale e del dominio temporale dei papi », dans I problemi dell’Occidente nel secolo VIII, spolète, 1973, p. 231-255, à la p. 231. 8. Giovanni miccoli, Fra mito della cristianità e secolarizzazione. Studi sul rapporto Chiesa-società nell’età contemporanea, turin, 1985, p.  73. sur la pérennité de cette notion, voir pier agostino D’avack, «  Lo stato della città del Vaticano come igura giuridica di stato ierocratico  », dans Annali dell’università di Ferrara, 1, 1936, réimpr. dans id., Vaticano e Santa Sede dal trattato del Laterano a Giovanni Paolo II, éd. carlo cardia, Bologne, 1994, p. 147-186. 9. Voir maria Lupi, Il clero a Perugia durante l’episcopato di Gioacchino Pecci (1846-1878) tra Stato pontiicio e Stato unitario, rome, 1998, p. Xii.

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révélant de multiples sources de conlits, dans la mesure où la présence croissante, jusqu’à l’exclusivité, des ecclésiastiques au sein de l’appareil étatique central superpose, à l’échelon de l’état pontiical, une hiérarchie ecclésiastique – celle des cardinaux-légats, des gouverneurs ou des trésoriers – à une autre, plus nettement religieuse et commune à la plupart des pays de la chrétienté, celle des archevêques et des évêques. cette question trouve ses racines proches au xiiie siècle, innocent iii en particulier accordant la inalité du pouvoir temporel à l’airmation de la liberté ecclésiastique et de l’autorité spirituelle10. ceci commande une articulation multiforme entre les spiritualia et les temporalia, traduite à la période moderne par les mutations afectant le pouvoir central : soit la igure du souverain et pontife, mais aussi la curie et les principes, renouvelés depuis la période médiévale, du « buon governo » (i) ; par ailleurs, l’intégration croissante de l’état pontiical à cet ensemble modiie la teneur mais aussi le type de relations entre centre et périphérie, suscitant des résistances parfois fortes qui se cristallisent sous la forme dominante de conlits de droits et de prérogatives directement liés à l’exercice de l’autorité (ii).

i. — Spiritualia et temporalia : le pape, la curie et le « buon governo » De façon globale, l’efort porté par l’institution pontiicale, sur le plan doctrinal comme sur celui des pratiques de gouvernement, entend concilier l’universalité de l’église, incarnée par un pontife vicaire du christ, avec la construction d’une monarchie confessionnelle ayant aussi le caractère d’une principauté italienne. La papauté s’oriente vers une monarchie « constitutionnelle », c’est-à-dire en l’espèce liée à la stricte observation et application de la législation conciliaire11 adoptée à trente et dont le pape est l’interprète, suscitant dès 1564 la création de la congrégation du concile12. L’airmation, aux accents nouveaux, du pape comme prince 10. cet héritage est perceptible au travers de remarques parfois ingénues de l’historiographie, à l’exemple de celles de Léon cristiani (Histoire de l’église depuis les origines jusqu’à nos jours de Fliche et Martin, t. XVii : L’église à l’époque du concile de Trente, paris, 1948) s’essayant à caractériser la « personnalité de paul iV » : « il placera trop haut et trop loin au-dessus de son temps la dignité pontiicale […] ; il traitera les “afaires mixtes”, c’est-à-dire celles où le spirituel et le temporel sont engagés et en quelque sorte mélangés, avec un caractère trop entier » (p. 149) ; la conclusion est alors sans appel : « évidemment paul iV s’est trompé de siècle. il aurait dû venir au monde au temps d’innocent iii » (p. 150). 11.  Giuseppe alberigo, «  L’ecclesiologia del concilio di trento  », dans Rivista di storia della Chiesa in Italia, t. 18, 1964, p. 227-242. 12. Voir Fiorenzo romita, « Le origini della sacra congregazione del concilio », dans La Sagra Congregazione del Concilio. Quarto centenario dalla fondazione (1564-1964). Studi e ricerche, cité du Vatican, 1964, p. 13-50 ; niccolò Del re, La Curia romana. Lineamenti storico-giuridici, cité du Vatican, 4e éd. 1998, p. 149 et suiv., ainsi que la contribution de carlo Fantappiè dans ce volume.

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italien conduit à une réévaluation du poids et du type de présence du domaine temporel dans le gouvernement pontiical, un domaine considéré jusque-là comme dérivant en substance de l’histoire13. elle est également dite découler de la raison naturelle, du droit des gens et d’une réalité concrète de l’exercice du pouvoir qui fait passer du patrimoine de saint-pierre à l’état pontiical. il s’agit bien de réévaluation, puisque la dimension temporelle cesse graduellement d’être tenue pour secondaire ; les possessions temporelles tendent, à compter du milieu du xve siècle, à devenir le champ ou le laboratoire d’expérimentation d’un nouveau type de pouvoir, celui du papa-re. Le fait de savoir si le pape pouvait, en tant que vicaire du christ, accepter des prérogatives de cette nature ne manque pas d’aleurer de nouveau ; dans les années 1520-1530, Guicciardini stigmatise « la double violence des prêtres, car ils disposent des armes temporelles et des armes spirituelles »14. en 1612, au témoignage de l’ambassadeur vénitien à rome, Giovanni mocenigo, le renversement est opéré : le pape détient « la puissance (« potestà ») absolue dans le gouvernement temporel, à laquelle s’ajoute la dignité pontiicale »15. L’équilibre ou l’alliance du spirituel et du temporel dans la igure du souverain pontife se traduit, de manière toujours plus nette, par une répartition fonctionnelle des tâches avec le cardinal-neveu, lequel reçoit, jusqu’à l’abolition déinitive du népotisme en 1692, la « surintendance de l’état ecclésiastique »16. Le secrétaire d’état, apparu dans l’ombre du cardinal-neveu, supplante ce dernier dans les dernières décennies du xviiie siècle et accentue la physionomie d’un gouvernement en binôme ; celui-ci est dépeint au service d’un pouvoir lui-même bifrons17 et parfois qualiié pour cette raison de « monstre », car échappant aux catégories naturelles – et traditionnelles, d’aristote à homas d’aquin – du politique. ce partage est singulièrement celui du noble et de l’ignoble, sur lequel les

13. cette histoire se trouve davantage rattachée aux donations franques qu’à celle de constantin, à laquelle rome renonce vite après la démonstration de sa fausseté par Lorenzo Valla en 1442. Voir notamment, au sein d’une abondante bibliographie, Giovanni antonazzi, Lorenzo Valla e la polemica sulla donazione di Costantino. Con testi inediti dei secoli xv-xvii, rome, 1985 (les p. 145-188 concernent les xvie et xviie siècles) ; olga-Zorzi pugliese, « he power of the text in humanistic culture : Valla and the donation of constantine », dans Scripta Mediterranea, t. 12-13, 1991-1992, p. 157-168 ; riccardo Fubini, « contestazioni quattrocentesche della donazione di costantino : niccolò cusano, Lorenzo Valla », dans Medioevo e Rinascimento, t. 2, 1991, p. 16-61. 14. Francesco Guicciardini, Ricordi, éd. r. spongano, Florence, 1951, p. 57, n. 48. 15. cité par paolo prodi, Il sovrano ponteice. Un corpo e due anime : la monarchia papale nella prima età moderna, Bologne, 1982, p. 52. 16. madeleine Laurain-portemer, « absolutisme et népotisme. La surintendance de l’état ecclésiastique », dans Bibliothèque de l’école des chartes, t. 131-2, 1973, p. 487-568, art. repris dans études mazarines, t.  i, paris, 1981, p.  403-479 ; plus récemment antonio menniti ippolito, Il tramonto della Curia nepotista. Papi, nipoti e burocrazia curiale tra xvi e xvii secolo, rome, 1999 ; 2e éd. mise à jour 2008. 17. p. prodi, Il sovrano ponteice…, p. 49.

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témoignages abondent18 ; de cette période date l’antinomie supposée entre un pape « religieux », tourné vers les impératifs spirituels et universels de l’église19, et son secrétaire d’état, étymologiquement homme du secret, de la coniance et de la conidence20, familier du pape (la pratique du népotisme le marque au premier degré) et plus « politique », dirigeant les afaires particulières des relations avec les états – et en administrant l’un d’entre eux, de nature spéciique, l’état pontiical. L’ensemble de ces principes directeurs emporte évidemment des conséquences sur le corps historique et concret de la curie, désormais conçue comme un ensemble unitaire d’organes préposés au service des deux pans de l’action pontiicale. La réforme opérée par sixte quint en 1588 par la constitution Immensa aeterni Dei érige le gouvernement par les congrégations romaines permanentes en système et modiie le centre de gravité d’une curie jusque-là placée dans la logique du gouvernement par consistoire. progressivement, les cardinaux devaient y perdre à la fois en puissance en tant que groupe établi – hors périodes de conclave – et en inluence individuelle, propre à la logique de cour, pour se muer en hauts fonctionnaires, encadrés par une éthique de service de l’église renvoyant à la conception ministérielle du pouvoir ; dans le cadre de ce Senatus divinus, les éminences (titre qui leur est accordé – peut-être aussi par compensation – à partir de 1630) en viennent à ne plus détenir d’autorité qu’en leur qualité de préfets des dicastères ou de membres du coetus des congrégations21.

18. ainsi l’ambassadeur vénitien à rome alvise mocenigo, adressant un rapport à sa hiérarchie en 1560, indique qu’il revient d’une cour où règne un prince qui, cas unique au monde, détient deux sortes de pouvoir (dominio) : « l’una, colla quale è maggiore e superiore a tutti i principi della christianità, e l’altra, nella quale è minore assai di molti altri. queste formano il dominio temporale e spirituale del papa ; sopra le quali dovendo io parlare, darò principio, come è conveniente, da quella che appartiene allo spirituale, siccome parte più nobile, quanto è più nobile lo spirito del corpo » (Relazioni degli ambasciatori veneti al senato, éd. eugenio albèri, serie ii, t. iV, Florence, 1857, p. 23). 19. trait pouvant certes se combiner avec une dimension « politique » au sens large : Bruno neveu reconnaît ainsi, parmi «  les éléments constitutifs de l’esprit du pontiicat d’innocent  Xi […] [le] gouvernement d’un pape de goûts ascétiques, de tempérament scrupuleux, qui prend ses prérogatives pour des devoirs de conscience », dans « culture religieuse et aspirations réformistes à la cour d’innocent  Xi  », réimpr. dans érudition et religion aux xviie et xviiie  siècle, préface de marc Fumaroli, paris, 1994, p. 235-276, à la p. 258. 20.  sur cette question, voir les observations de philippe Boutry, «  La secrétairerie d’état avant 1870. L’état temporel et ses héritages », dans Mélanges de l’école française de Rome. Italie et Méditerranée, t. 116/1 : Les secrétaires d’état du Saint Siège de 1814 à 1979, Actes du colloque organisé par l’école française de Rome, l’Université de Lyon III et l’Istituto Luigi Sturzo, Rome 9-11 décembre 1999, rome, 2004, p. 17-31 ; François Jankowiak, « Droit canonique et gouvernement de l’église. regards de canonistes sur le pouvoir romain (vers 1850-vers 1920) », ibid., p. 141-172, aux p. 161-166. 21.  Voir christoph weber, Senatus divinus. Verbogene Strukturen im Kardinalskollegium der frühen Neuzeit (1500-1800), Francfort, 1996.

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une autre mutation perceptible dans ces mêmes décennies regarde la prélature, laquelle prend la voie de la bureaucratisation et de la professionnalisation : la igure émergente du « bureaucrate pontiical »22 est un prélat ayant reçu une formation juridique – détenant généralement la licence in utroque – et qui fait « carrière »23 dans les instances locales, en qualité de gouverneur ou de trésorier provincial, puis passe à une nonciature et est enin afecté à un dicastère, une congrégation ou un tribunal, de la curie romaine. Le phénomène correspond à la stabilisation d’un cursus honorum, même si à ce stade les « fonctionnaires » pontiicaux ne se considèrent pas au service d’une entité publique abstraite mais à celui de la personne du souverain pontife ; la dépersonnalisation ou, si l’on préfère, l’objectivation du gouvernement central de l’église et de celui des instances locales de l’état pontiical n’intervient que de manière progressive, et n’atteint pas le degré d’aboutissement que connaissent les états séculiers européens. ceci explique notamment – aspect que nous ne développons pas ici – la coexistence et, largement, la confusion, maintenue jusqu’aux premières années du xxe siècle, entre cour pontiicale et curie romaine24. Les stratégies familiales demeurent prégnantes à l’échelon local, trait conirmé au plan central par les cardinaux secrétaires d’état jusqu’à la in du xviie siècle. reste qu’à la période moderne

22. stefano tabacchi, « L’amministrazione temporale pontiicia tra servizio al papa ed interessi privati (xvi-xvii) », dans Oices, écrits et papauté…, p. 569-599, à la p. 570. 23. Le vocable est de maniement délicat, dans la mesure où la vocation et la providence sont supposées régir ces itinéraires au service de l’église. comme l’indique claude prudhomme, « le service de l’église […] relève au départ d’une vocation, puis passe par une série d’événements imprévus qu’une perspective religieuse interprète comme l’expression d’une volonté providentielle. […] nous ne nions pas que les circonstances, la spiritualité propre à la vocation sacerdotale, la conviction d’obéir à un appel constituent des éléments à prendre en compte dans une carrière ecclésiastique. mais nous souhaitons attirer l’attention sur l’autre versant, celui des déterminations externes et des enchaînements qui modèlent les jeunes clercs et favorisent la promotion de certains sujets plutôt que d’autres » (« Les hommes de la secrétairerie d’état. carrières, réseaux, cultures », dans Mélanges de l’école française de Rome. Italie et Méditerranée, t. 110, 1998-2, p. 475-493, à la p. 475). L’expression « fare carriera » se rencontre toutefois assez fréquemment dans les sources vaticanes, au moins pour le xixe et la première moitié du xxe siècle. pour l’époque moderne, voir Yves-marie Bercé, « La carrière politique dans l’état pontiical au xviie siècle », dans Journal des savants, 1965, n° 4, p. 645-662. 24. on rappellera seulement que la première déinition rationnelle et objectivée de la curie romaine n’est livrée que par la constitution Sapienti consilio de pie X (29 juin 1908), laquelle, excluant les personnes, retient les Congregationes, tribunalia, et oicia quae Romanam Curiam componunt et quibus Ecclesiae universae negotia pertractanda reservantur ; la formule est reprise en substance par le canon 242 du code de droit canonique de 1917 : Curia romana constat Sacris Congregationibus Tribunalibus et Oiciis. Le critère organique retenu s’applique ainsi aux seules structures « constituées pour le gouvernement de l’église universelle » et prend acte de la disparition déinitive du pouvoir temporel. accessoirement, la déinition exclut d’une part l’administration du vicariat de rome, et d’autre part la famille pontiicale.

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la curie assume bel et bien le rôle de gouvernement d’un état25, lequel tout à la fois se distingue et est intégré au gouvernement local de la ville de rome (laquelle a son cardinal vicaire, son gouverneur ou encore son sénat) et à celui de l’église universelle. la rationalisation du schéma d’organisation n’évite pas – et ne cherche d’ailleurs pas à écarter – tout recoupement ou chevauchement de compétences, le personnel lui-même ne connaissant pas de réelle spécialisation entre administration temporelle et administration ecclésiastique, ce que souligne Giovanni Botero en 1599 dans son Discorso intorno allo Stato della Chiesa, qui y met en relief la raison d’état26. sur le plan institutionnel, l’un des acteurs principaux était la chambre apostolique, gérante centrale du patrimoine de l’église, connaissant en appel des causes jugées en première instance par le gouverneur de rome et l’auditeur de la chambre, tandis que le trésorier de cette même chambre tranchait les diférends en matière iscale ; elle assumait aussi le rôle de cour suprême, statuant en dernier ressort sur les afaires civiles et criminelles de particulière importance. parallèlement, la congrégation de la Consulta jugeait des procès instruits par les gouverneurs des villes et des provinces de l’état pontiical, à l’exception des trois provinces de Bologne, Ferrare et ravenne dans lesquelles les cardinauxlégats détenaient les pleins pouvoirs en matière judiciaire, faisant échapper ces circonscriptions à la juridiction ordinaire. L’établissement de la congrégation de Bono Regimine par clément Viii le 15 août 1592 entendit modiier cette coniguration : chargé du contrôle inancier des communautés locales des états de l’église, le nouveau dicastère était également doté de pouvoirs judiciaires en première et seconde instance pour le contentieux opposant la population et les autorités communales27. cette création fut suivie, dès le mois de novembre de la même année, par celle d’une congrégation ayant pour mission de réprimer le brigandage dans l’état pontiical, la constitution pontiicale la concernant portant le titre explicite d’In regendis populis28. Depuis la période médiévale, la notion de bon gouvernement, liée au mouvement communal, signiie et est igurée avant tout comme la reddition de la bonne justice, son opposé étant la tyrannie, avec 25. Voir mario caravale, « L’ordinamento temporale della chiesa dopo sisto V », dans Dopo Sisto V. La transizione al Barocco (1590-1630). Atti del Convegno di Roma, 18-19-20 ottobre 1995, rome, 1997, p. 33-59. 26. Giovanni Botero, Della Ragion di Stato. Con tre libri delle cause della grandezza delle città, éd. Luigi Firpo, turin, 1948, p. 108. 27. constitution Pro commissa nobis a Domino, 15 août 1592, dans Bullarium Romanum, iX, turin, 1865, p. 595-603. sur le fonctionnement et le personnel de la congrégation, s. tabacchi, Il Buon Governo…, ch. 3, p. 145-230. 28. son titre complet était Congregatio super gratiis et remissionibus bannitorum et criminosorum hominum Status ecclesiastici. Voir Bandino  Giacomo Zenobi, Le «  ben regolate Città  ». Modelli politici nel governo delle periferie pontiicie in età moderna, rome, 1994.

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son cortège de mort et de dévastations29. Le « buon governo » se conjugue ensuite au bien des sujets, conçu comme le fruit de l’exercice chrétien de la souveraineté, elle-même ministère de Dieu. La papauté, observe déjà Guicciardini, emploie l’autorité spirituelle aussi comme instrument et ministère du temporel30. c’est ainsi que le gouvernement d’un bon prêtre apparaît comme plus souhaitable encore que celui d’un bon laïque, car l’union de l’instructio – laquelle rejoint bientôt l’auctoritas docendi de l’état moderne – et de la prescriptio garantit au pouvoir une cohérence maximale. par là en efet, soutient vers 1450 l’humaniste enea silvio piccolomini, futur pape pie ii, l’autorité qui ne peut se contredire évite tout conlit (dissentire non potest 31) ; la délégation de fonctions déterminées à des laïques, telle l’armée ou la juridiction pénale, évite tout risque d’incompatibilité. Du magistère pontiical émane un corpus de décisions dont les titres renvoient continûment à cette « qualité » de gouvernement ; faute de recension exhaustive, on mentionnera seulement, concernant toutes deux la pénitencerie apostolique, les constitutions Ut bonus de pie V du 18 mai 1569 et Pastor Bonus de Benoît XiV en 174432. au début du xviiie siècle, le lien est exalté entre « buon governo » et félicité publique, élément d’une conscience civile très présente en italie – ainsi chez Lodovico muratori33 – et qui animera aussi, avec des accents variés, les 29.  que l’on pense au cycle de fresques d’ambrogio Lorenzetti achevées en 1339 pour le palazzo pubblico de sienne. Le thème et ses igurations allégoriques rencontrent un grand succès, surtout à l’âge baroque, par exemple chez Gaspare Venturini. Voir Il buono e il cattivo governo. Rappresentazioni nelle arti dal Medioevo al Novecento, éd. Guiseppe pavanello, Venise, 2004 et quentin skinner, « ambrogio Lorenzetti : l’artista come ilosofo della politica », dans Intersezioni, t. 7, 1987, p. 439-482. 30. Francesco Guicciardini, Storia d’Italia, éd. costantino panigada, Bari, 1929, t. i, p. 380. 31. aeneas sylvius piccolomini, Opera inedita, éd. Giuseppe cugnoni, dans Atti della Reale Accademia dei Lincei, série iii, Viii, rome, 1883, p. 319-686, à la p. 581 : Multo igitur et melius et sanctius regitur populus, qui sub bono sacerdote, quam qui sub bono laico gubernatur : potest enim hic aliquando sacerdotibus adversari, qui non sunt ei circa sacramenta subiecti. Ille qui preest omnibus, a se ipso dissentire non potest. 32. Bullarium privilegiorum ac diplomatum Romanorum pontiicum amplissima collectio… opera et studio Caroli Cocquelines, t. iV/iii, rome, 1746, n. cXV, p. 64-65 ; Sanctissimi Domini Nostri Benedicti papae XIV Bullarium, t. i, rome, 1760, n. XcV, p. 142-147. Voir carlo Fantappiè, « un dicastero per il foro interno : la riforma della curia romana di san pio X », dans La penitenzieria apostolica e il sacramento della penitenza. Percorsi storici, giuridici, teologici e prospettive pastorali, éd. manlio sodi et Johan ickx, cité du Vatican, 2009, p. 171-193, à la p. 172. 33. pour muratori, le gouvernement paternel représente la fermeture de la voie du désordre et des factions (« chiudono la strada al disordine ed alla fazione ») et de sacriice au bien public («  nel dimenticarsi in certa maniera di se stesso  », ce que l’on pourrait traduire par «  jusqu’à l’oubli de soi », formulation augustinienne de l’amour ayant conduit à la réalisation de la cité de Dieu et reprise ici à propos de la cité terrestre) ; Lodovico muratori, Opere, éd. Giorgio Falco et Fiorenzo Forti, naples, s. d., t. ii, p. 1515. Voir sergio Bertelli, Erudizione e storia in Ludovico Antonio Muratori, naples, 1960 et Corte, buon governo, pubblica felicità. Politica e coscienza civile nel Muratori. Atti della III giornata di studi muratoriani, Vignola, 14 ottobre 1995, Florence, 1996.

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despotismes éclairés d’europe centrale au siècle des lumières34. l’organisation du dicastère était calquée sur celle de la plupart des congrégations romaines permanentes, soit un cardinal préfet (qui fut parfois le cardinal-neveu), des cardinaux au rôle plutôt « décoratif »35, ayant, pour reprendre les critiques du temps, une voix délibérative sur des dossiers qu’ils ne connaissent pas, de prélats rapporteurs (ponenti), détenteurs quant à eux d’une expertise réelle, et surtout d’un secrétaire, véritable chef exécutif de la congrégation. ce secrétaire était en général choisi par le cardinal-neveu lui-même, en fonction de liens personnels ; c’est par cette voie que Giulio Donati, un des très rares laïques à occuper au xviie siècle le secrétariat d’une congrégation, assume celui de la congrégation du Buon Governo de 1630 à 1644. Le dicastère se trouvera partiellement au xviiie siècle en concurrence avec la congrégation del Sollievo, fondée en 1701 par clément Xi ain d’assainir l’économie publique ; l’accent, d’inspiration physiocratique, était porté sur l’agriculture. un autre organe, la congrégation Economica, après avoir rempli ses objectifs immédiats de réforme iscale, init par confondre ses compétences avec celle du Buon Governo. c’est toutefois en ce xviiie siècle que la congrégation parfait son idéal, notamment avec pierpaolo conti, son secrétaire de 1742 à 1759, cherchant à conjuguer service du prince et bien public. on perçoit bien par conséquent que le bon gouvernement ne fut pas compris uniquement comme une question idéologique, que canonistes et théologiens auraient traduite dans le champ politique, mais a impliqué l’élaboration de techniques propres de gouvernement et surtout engendré d’importants contentieux liés à des conlits de droits et d’autorité : la réalité est ici souvent celle des « frictions ».

ii. — « Frictions et réalités » : les hiérarchies et leurs conflits Le peu d’intérêt scientiique manifesté pour les organes du gouvernement temporel explique leur caractère encore aujourd’hui mal connu et exige d’une part de puiser les éléments d’information aux témoignages ou aux traités érudits du temps et d’autre part de faire un efort de synthèse des études plus nombreuses

34. François Bluche, Le despotisme éclairé, paris, 1968. on se souviendra, dans une veine critique qui annonce les accusations d’archaïsme portées contre l’administration de l’état pontiical, du jugement ironique de rousseau sur le projet de paix perpétuelle de l’abbé de saint-pierre et pointant «  les mots de bien public, de bonheur des sujets, de gloire de la nation, mots […] si lourdement employés dans les édits publics, qu’ils n’annoncent jamais que des ordres funestes, et que le peuple gémit d’avance quand ses maîtres lui parlent de leurs soins paternels » (Jean-Jacques rousseau, Jugement sur le projet de paix perpétuelle de M. l’abbé de Saint-Pierre [peut-être rédigé en 1756, publication posthume 1782], dans id., Petits chefs-d’œuvre de J. J. Rousseau, paris, 1846, p. 268-276, à la p. 269). 35. s. tabacchi, « L’amministrazione temporale pontiicia… », p. 577.

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– mais de qualité variable – de « micro-histoire » locale. un des points de départ possibles est fourni par le cardinal Giovanni Battista De Luca (1614-1683), membre éminent de la curie sous le pontiicat d’innocent Xi36, rédigeant dans le dernier quart du xviie siècle deux traités, l’un consacré au sacré collège et aux fonctions cardinalices (Il cardinale della S. R. Chiesa prattico), l’autre à la curie romaine dans son ensemble (Relatio Curiae romanae)37. ces premiers écrits du genre, mêlant droit et politique, représentent la curie comme un théâtre de vérité et de justice38, mais un théâtre dont, pour ainsi dire, la programmation n’est pas irréprochable. De Luca dénonce les interférences néfastes entre institutions ecclésiastiques et institutions temporelles, les premières – le surintendant de l’état ecclésiastique est le principal personnage visé – se rendant fréquemment coupables d’abus de pouvoir envers les secondes : soit une raison d’état à l’œuvre, parfois, contre la raison d’église. La hiérarchie « administrative » est quant à elle principalement composée des cardinaux-légats, pour les provinces septentrionales des états pontiicaux, et des gouverneurs, dont les zones de juridiction sont ixées dans la seconde moitié du xvie siècle39. souvent anciens référendaires du tribunal de la signature, les gouverneurs correspondaient à l’échelon local avec la Consulta et la congrégation du Buon Governo et étaient aussi les exécutants des prescriptions de la chambre apostolique. Leur étaient coniés la répression du banditisme et du brigandage, le contrôle des élections des conseils municipaux ou encore le ravitaillement des villes. ces missions débouchaient sur une autonomie technique réelle, même si l’action des gouverneurs dépendait des politiques générales arrêtées à rome ; ils n’avaient en revanche aucune possibilité de se construire une position politique forte, assimilable à un élément de contre-pouvoir. il serait néanmoins erroné de voir dans le gouverneur un simple agent d’exécution : le mécanisme du patronage des sujets, via un réseau clientélaire et la distribution de faveurs, 36.  secrétaire des mémoriaux, référendaire des deux signatures [de Justice et de Grâce] en 1677, chanoine de sainte-marie majeure (1679), De Luca est élevé au cardinalat le 1er septembre 1681 et nommé dans onze congrégations. Voir aldo mazzacane, « De Luca, Giovanni Battista », dans Dizionario biograico degli Italiani, t. XXXViii, 1990, p. 340-347 ; andrea Zanotti, Cultura giuridica del Seicento e « Jus publicum ecclesiasticum » nell’opera del Cardinal Giovanni Battista De Luca, milan, 1983. 37.  Il cardinale della S. R. Chiesa prattico, di Giovanni Battista De Luca, nell’ozio tusculano della primavera dell’anno 1675, con alcuni squarci della relazione della corte circa le congregazioni, e le cariche cardinalizie, rome, 1680 ; Relatio Curiae romanae forensis ejusque tribunalium et Congregationum, cologne, 1685. 38. selon le titre choisi pour l’édition des œuvres complètes du cardinal De Luca : heatrum veritatis & justitiae, sive Decisivi discursus per materias, seu titulos distincti…, Venise, 1726, 15 t. 39. La prosopographie d’ensemble a été réalisée par christoph weber, Legati e governatori dello Stato pontiicio (1550-1809), rome, 1994 ; également s. tabacchi, « L’amministrazione temporale pontiicia… », p. 587-597.

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de recommandations et de sollicitations, demeure très puissant. le gouverneur est en outre fréquemment le point terminal du lux de grâces distribuées, depuis rome, par le cardinal-neveu : la littérature politique du temps, à l’exemple de mezenzio (ou massenzio) carbonario, dépeint l’« arte di governo » d’un « petit prince » (« principe piccolino »), à la fois politique et chrétien40 ; le terme clef est ici celui de « prince », le distinguant par essence du reste des élites locales. cette diférenciation va croissant au long de la période, et s’airme particulièrement chez les légats – dotés en outre de facultés spirituelles – de Ferrare, de Bologne et de romagne et, à partir de 1631, d’urbino. ainsi le cardinal-légat de Bologne alessandro sforza, au début des années 1570, exerce-t-il ses fonctions avec une assez large autonomie, mais maintient une distinction nette entre son statut personnel et celui du souverain pontife, satisfaisant à ce qu’andrea Gardi nomme ses « deux logiques » de cardinal et de gentilhomme41. un demi-siècle plus tard, son successeur antonio pignatelli, légat de 1684 à 1687, s’identiie pleinement avec le service du pape et, ne se reconnaissant aucune volonté politique propre, s’enorgueillit au contraire d’ « une obéissance exacte et aveugle »42. Le phénomène put susciter des tensions avec la curie : au début xviiie siècle, un autre Bolonais, tommaso rufo, déplore qu’au sein des congrégations romaines on fasse si peu de cas de sa condition de prince de l’église (« con sì poco rilesso della mia porpora »43). une telle tension, si elle apparaît liée ici au manque d’égards et au ternissement de la dignité cardinalice, est révélatrice de la résistance aux pressions exercées par le centre sur la périphérie – si l’on accepte les termes du débat historiographique déjà ancien sur les progrès de la centralisation romaine44 –, les deux plans étant en phase de croissance ; or celle du pouvoir temporel a été réalisée essentiellement par des agents ecclésiastiques, ce dont se plaint amèrement l’autre pan de la hiérarchie ecclésiastique, celle, proprement religieuse, des archevêques et des évêques de l’état pontiical. une fois encore, peu de distance sépare la tension entre modèles ou entre traditions et les conlits d’autorité, de nature politique, administrative ou juridictionnelle, ce dernier domaine étant 40. massenzio carbonario, Il governatore politico e christiano, Fabriano, 1617. s. tabacchi, Il Buon Governo…, p. 291. 41. andrea Gardi, « cardinale e gentiluomo. Le due logiche del legato di Bologna alessandro sforza (1571-1573) », dans Società e storia, t. 20, 1997, p. 285-311. 42. umberto mazzone, «  “con esatta e cieca obedienza”. antonio pignatelli cardinal legato di Bologna (1684-1687) », dans Riforme, religione e politica durante il pontiicato di Innocenzo XII (1691-1700), éd. Bruno pellegrino, Galatina, 1994, p. 45-94. 43. archivio di stato di roma [asr], Buon Governo, serie xi, b. 77, document cité par s. tabacchi, « L’amministrazione temporale pontiicia… », p. 594. 44. roberto Bizzocchi, « chiesa e chiese tra centro e periferia », dans Società e storia, t. 41, 1988, p. 631-639.

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celui où les compétences des cardinaux-légats sont les plus larges. dès 1540, une liste d’Episcoporum petitiones de impedimentis residentiae tollendis, présentée à paul iii et réitérée après la in du concile de trente, en 1570, soulignait la situation particulièrement dure subie par les évêques de l’état pontiical45 : aux yeux des rédacteurs, la juridiction de l’évêque était anéantie par l’envoi de commissaires investis de facultés ecclésiastiques spéciales, qui lui soustrayaient également la collation des bénéices et des causes de première instance, autorisaient des processions, voire des spectacles et émettaient des normes (bandi) paralysant leur gouvernement pastoral et celui de leurs vicaires, introduisant un conlit de lois dans les diocèses au détriment des ordinaires. Les contentieux surgissant alors, dont la plupart n’ont hélas laissé que peu de traces dans les archives, combinent des arguments de nature diverse qui interdisent toute typologie ferme. L’un des plus éclairants est sans doute celui qui oppose, à Bologne, l’évêque Gabriele paleotti au cardinal-légat d’origine génoise Giovan Battista Doria46. Dès son installation en 1566, ce dernier promulgue des mesures touchant au respect du silence dans les églises, de la clôture monastique et des jours fériés, autant de sujets sur lesquels l’évêque avait récemment légiféré. paleotti s’adresse alors au cardinal alciati, préfet de la congrégation du concile47, faisant valoir que si cette action du légat était concevable avant le concile de trente, à l’époque où l’on pouvait comprendre les soupçons pesant sur le comportement des hiérarchies ecclésiastiques locales, elle cessait de l’être dès lors que lui, l’évêque, était présent et conduisait efectivement son troupeau. La contradiction est alors lagrante entre les normes tridentines adoptées au regard du pouvoir épiscopal et les règles émises par les légats et les gouverneurs. Le point saillant est qu’une telle rivalité se double ici d’un conlit d’autorité, paleotti se plaignant du peu de considération manifesté par le ministre du pape pour la dignité épiscopale. Le contentieux s’aggrave encore en 1567, lorsque le cardinal Doria fait emprisonner le notaire de l’évêque qui rédigeait les procès-verbaux de visite et séquestre plusieurs biens ecclésiastiques. après plusieurs tentatives de compromis, le cardinal-neveu, le dominicain michele Bonelli, init par approuver ouvertement les agissements du légat ; désemparé, l’évêque paleotti s’avoue la proie des « séculiers », comme s’« il n’y avait jamais eu le concile »48. pie V, délestant de la cause la congrégation du concile, établit alors une commission consultative spéciale, avec l’objectif de clariier les rapports entre 45. Voir nicole Lemaître, Saint Pie V, paris, 1994, p. 213-214. 46. Voir paolo prodi, Il cardinale Gabriele Paleotti (1522-1597), 2 t., rome, 1959-1967. 47. niccolò Del re, « i cardinali prefetti della sacra congregazione del concilio dalle origini ad oggi (1564-1964) », dans La Sagra congregazione del Concilio…, p. 265-307 [art. repris dans Apollinaris, t. 37, 1964, p. 107-149]. 48. « come se non fusse fatto concilio » : lettre de paleotti à mgr alfonso Binarino, natif de Bologne, alors vice-gérant de rome et futur évêque de rieti puis de camerino, 3 juillet 1568, citée par p. prodi, Il sovrano ponteice…, p. 264.

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les deux pouvoirs non seulement dans l’état pontiical mais aussi dans les états séculiers. la commission s’en tient toutefois soigneusement, dans un mémoire en vingt-deux points soumis au pape en 1569, à l’examen juridique et politique du cas bolonais, sans aborder les aspérités identiiées sur un plan plus général. surtout, paleotti n’obtient aucune réponse au « dubbio » demandant si les facultés et pouvoirs octroyés aux gouverneurs et aux légats étaient subordonnés aux normes tridentines. aucune autre tentative ultérieure de paleotti n’aboutira, et il se résoudra à « bever questo amaro », une quasi ciguë, consistant à coexister avec le légat ; à rome en revanche, plusieurs redoutent que paleotti veuille être la seule autorité à Bologne, de la même manière que, dans les mêmes années, madrid exprime la crainte, par le biais du gouverneur espagnol don Luis requesens49, d’une hégémonie de charles Borromée à milan50. Le comportement du pouvoir pontiical ne se distingue guère, dès lors, de celui des états séculiers.

iii. — conclusion L’autorité des évêques au sein de l’état pontiical apparaît ainsi notablement plus faible que celle de leurs homologues soumis aux souverains séculiers, car dépouillés en quelque sorte de l’intérieur de leur autorité au proit des cardinauxlégats51, instrument dont aucun souverain autre que le pape ne pouvait se prévaloir. cerner au fond la contribution qu’en tant que prince territorial le pape a fourni au processus d’absorption de la sphère religieuse dans la société au sein du nouveau pouvoir étatique autorise l’hypothèse, déjà émise par paolo prodi, d’un gouvernement pontiical à placer, par un paradoxe non sans saveur, à l’avant-garde du processus de sécularisation caractérisant l’état moderne52, processus dont les agents furent presque exclusivement des ecclésiastiques. à tout le moins, l’étude du cas romain permet d’inscrire l’état temporel des papes dans la grande rélexion 49. Voir José m. march, El Comendador Mayor de Castilla don Luis de Requeséns en el gobierno de Milán, 1571-1573 : estudio y narracín documentada de fuentes inéditas, madrid, 1943 ; 2e éd. 1946 ; pour le cadre politique d’ensemble, Gaetano catalano, « controversie giurisdizionali fra chiesa e stato nell’età di Gregorio Xiii e Filippo ii », dans Atti dell’Accademia di scienze, lettere ed arti di Palermo, t. 15, ii, 1954-1955, p. 5-306 ; paolo prodi, « san carlo Borromeo e le trattative tra Gregorio Xiii e Filippo ii sulla giurisdizione ecclesiastica », dans Rivista di storia della Chiesa in Italia, t. 11, 1957, p. 195-240. 50. sur les rapports – complexes – de Borromée avec le gouvernement pontiical, se reporter à l’analyse particulièrement fouillée d’agostino Borromeo, « san carlo Borromeo arcivescovo di milano e la curia romana », dans San Carlo e il suo tempo. Atti del Convegno internazionale nel IV centenario della morte (Milano, 21-26 maggio 1984), rome, 1986, t. i, p. 237-301. 51. soit une coniguration consistant pour l’évêque à détenir « la mitre sans l’autorité pastorale » (p. prodi, Il sovrano ponteice…, p. 289). 52. Ibid., p. 293.

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sur la construction étatique (« state-building ») moderne en europe, cessant de le considérer, en donnant là de l’ampleur à nombre de lieux communs repris du xve au xxe siècle, comme un reliquat demeuré en marge du développement politique et social de l’occident. sur le plan doctrinal, la promotion, dès la in du xviiie siècle, de l’ecclésiologie de la société parfaite, transposée en termes juridiques dans les années entourant la disparition déinitive du pouvoir temporel en 1870, s’inscrira dans la continuité d’une telle vision : comme le déclare en 1864 et en synthétisant les condamnations du Syllabus, le cardinal Giuseppe Bofondi : « le règne, à l’intérieur de l’église et de ses états, de la doctrine, de l’autorité et des mœurs » s’oppose à celui, « extérieur, des constitutions et des vices des peuples »53. à ces constitutions et à ces vices s’afrontent les vertus de l’autorité monarchique du souverain pontife et d’un « buon governo », opposées et constamment proposées en modèle, depuis le xvie siècle au moins, aux états séculiers. François Jankowiak université paris-sud Droit et sociétés religieuses

53. Giovanni Domenico mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, t. iL : Acta praesynodalia, nouv. éd. complétée par Louis petit et Jean-Baptiste martin, arnhem/Leipzig, 1923 ; réimpr. Graz, 1961, Sententia Josephi Cardinalis Bofondi, c. 23 D : Considerandus est status internus et externus Ecclesiae. Ad internum pertinent eius doctrina, auctoritas, et mores ; ad externum eius habitudo ad principes, ad popolorum constitutiones ac vices.

conFlitti d’autorità tra vescovi, papato e sant’uFFicio par

elena Bonora

in via preliminare, vorrei sottolineare come l’adozione di una prospettiva interpretativa centrata sull’inquisizione possa chiarire solo una parte delle complesse dinamiche che agivano nella chiesa, trascurando ad esempio il ruolo svolto da altri centri istituzionali ai suoi vertici : tra questi, le congregazioni cardinalizie del concilio, dei Vescovi e regolari e, più avanti, di Propaganda Fide1. nondimeno, ritengo che la deinizione dei poteri dell’inquisizione che ebbe luogo nei primi tre decenni dalla sua creazione sia stata in grado di inluenzare in modo decisivo la isionomia della chiesa postridentina sancendo al suo interno una preminenza del sant’uicio che si sarebbe dimostrata di lunga tenuta2.

1. abbreviazioni : Bullarium = Bullarium diplomatum et privilegiorum sanctorum romanorum pontiicum, vol. V-Vii, augustae taurinorum, 1860-1862 ; pastor = L. von pastor, Storia dei papi dalla ine del medio evo, roma, 1942 e ss., 16 vol. ; acDF = archivio della congregazione per la Dottrina della Fede ; asV = archivio di stato di Venezia ; BaV = Biblioteca apostolica vaticana ; SO = archivio del sant’uicio ; st.st. = stanza storica. con il termine « inquisizione » in lettera maiuscola si intende la congregazione cardinalizia.   su Propaganda Fide si veda il saggio di Giovanni pizzorusso in questo volume. sulla congregazione dei Vescovi e regolari e quella del concilio, con ampie analisi e innovative rilessioni sulla chiesa del seicento : Giovanni romeo, « confessione dei peccati e confessori nell’italia della controriforma : cosa dire del seicento ? », in Studi storici, vol. 51, n. 4, 2010, p. 967-1002 ; michele mancino, « La giustizia penale ecclesiastica nell’italia del seicento : linee di tendenza  », ibid., p.  1003-1033, nonché il recente volume di antonio menniti ippolito, 1664. Un anno della Chiesa universale. Saggio sull’italianità del papato in età moderna, roma, 2011. 2. sui conlitti tra sant’uicio e congregazione dell’indice in relazione alla censura e al controllo della cultura  : Gigliola Fragnito, La Bibbia al rogo. La censura ecclesiastica e i volgarizzamenti della Scrittura (1471-1605), Bologna, 1997 ; sulla lotta tra sant’uicio, congregazione dei riti e dell’indice per il controllo della santità e delle devozioni : miguel Gotor, I beati del papa. Santità, inquisizione e obbedienza in età moderna, Firenze, 2002.

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la congregazione dell’inquisizione fu istituita nel 1542 con la bolla Licet ab initio che aidava la lotta contro l’eresia a sei cardinali nominati dal papa e ai loro delegati attribuendo loro il potere di perseguire i crimini contro la fede senza tener conto dei privilegi degli imputati, fossero essi nobili, principi, vescovi o cardinali. ma prima di analizzare i conlitti che trovarono espressione e soluzione al centro, ossia a roma, vorrei sofermarmi in maniera molto sintetica su quanto accadeva in periferia. qui i cardinali del sant’uicio utilizzarono la preesistente rete inquisitoriale medievale, ossia i frati degli ordini mendicanti, francescani e soprattutto domenicani3. solitamente, nei secoli precedenti, nella maggior parte delle città italiane un convento si era imposto come sede del tribunale dell’inquisizione. un cambiamento importante, dopo l’istituzione della congregazione cardinalizia, fu costituito dalla centralizzazione alla quale fu sottoposta questa rete. il sant’uicio romano assunse infatti progressivamente il controllo della struttura inquisitoriale periferica arrogandosi la scelta dei conventi dove installare i tribunali (quelli dei domenicani osservanti furono privilegiati a scapito del ramo conventuale) ; la nomina degli inquisitori precedentemente designati dai superiori degli ordini ; il controllo delle loro carriere, e inine imponendo in maniera crescente la vigilanza del centro sui processi celebrati dai tribunali locali. questa rete inquisitoriale, che si stendeva sulla penisola italiana secondo una geograia diferenziata, diede luogo ad antagonismi molteplici tra gli uomini dell’inquisizione, che erano frati, e il clero diocesano, vescovi inclusi4. conlitti tra vescovi e inquisitori (o i loro rappresentanti) sulla rispettiva giurisdizione, dal momento che l’area di competenza dei tribunali inquisitoriali non coincideva sempre con i conini delle diocesi. conlitti sulla pubblicazione degli editti e sulla precedenza nel corso delle cerimonie pubbliche. conlitti riguardanti la gestione dei tribunali inquisitoriali di cui facevano parte anche i vescovi o i loro delegati - ad esempio, sulla conservazione degli archivi e dei processi, o sul luogo in cui questi ultimi dovevano essere celebrati. conlitti sull’esercizio dell’attività censoria e sulle competenze dei tribunali episcopali e di quelli inquisitoriali in relazione a reati quali le pratiche superstiziose, i duelli, le bestemmie ereticali, 3. sull’inquisizione romana in età moderna mi limito a segnalare : adriano prosperi, Tribunali della coscienza, torino, 1996 ; G. romeo, « note sull’inquisizione romana tra il 1557 e il 1561 », in Rivista di storia e letteratura religiosa, vol. 36, 2000, p. 115-141 ; id., L’inquisizione nell’Italia moderna, roma/Bari, 2002 e il recente Dizionario storico dell’Inquisizione, dir. a. prosperi, pisa, 2010, 4  vol. ricco di spunti anche per l’età moderna  : Grado Giovanni merlo, Inquisitori e inquisizione del Medioevo, Bologna, 2008. 4. su questi aspetti mi permetto di rinviare a : elena Bonora, « L’archivio dell’inquisizione e gli studi storici : primi bilanci e prospettive a dieci anni dall’apertura », in Rivista Storica Italiana, vol. 120, fasc. iii, 2008, p. 968-1002. sull’atipico assetto istituzionale dell’inquisizione nel regno di napoli : G. romeo, « una città, due inquisizioni. L’anomalia del sant’uicio a napoli nel tardo ’600 », in Rivista di storia e letteratura religiosa, vol. 24, 1988, p. 42-67.

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i delitti sessuali. conlitti tra confessori e inquisitori concernenti le rispettive facoltà d’assoluzione nei casi d’eresia5. queste rivalità e scontri, la cui eco giungeva sino alla congregazione romana, s’intensiicarono via via con l’allargarsi delle competenze degli inquisitori dalla persecuzione dell’eresia dottrinale al controllo della società. le lotte tra inquisitori e vescovi sono state molto aspre nelle città italiane, e spesso hanno visto l’equilibrio delle forze spostarsi a favore dei primi. occorre anche tenere conto del fatto che il frequente mancato adempimento dell’obbligo della residenza da parte dei vescovi accresceva la subalternità dei rappresentanti diocesani all’inquisitore locale la cui preminenza rispetto al vicario episcopale nelle cerimonie pubbliche, nelle procedure di pubblicazione degli editti, nelle modalità di celebrazione dei processi era sancita dalla normativa vigente6. ancora nel corso del seicento i cardinali del sant’uicio erano costretti a intervenire incessantemente nei contesti periferici per risolvere controversie e litigi che non riguardavano solo il rapporto con le autorità secolari7, ma erano anche interne al mondo ecclesiastico. ed era sempre a roma che trovava deinizione il quadro normativo generale entro il quale quei conlitti dovevano ricevere composizione e soluzione. se dalla periferia volgiamo lo sguardo al centro, dobbiamo constatare come, dopo la conclusione del concilio di trento nel 1563, la distribuzione delle competenze tra vescovi e inquisitori nella lotta contro l’eresia abbia rappresentato una materia di conlitto decisiva. a chi spetta condurre la lotta antiereticale ? su questo terreno si svolse ai vertici della chiesa un confronto assai duro. il concilio di trento aveva aidato ai vescovi il potere di assolvere gli eretici in foro conscientiae nei casi d’eresia occulta8. e’ evidente come l’attribuzione di tale facoltà agli ordinari privasse gli inquisitori del loro monopolio nella lotta contro l’eresia ; e soprattutto come questo genere di assoluzioni, accordate nel corso della confessione senza registrazione giudiziaria del delitto, potesse compromettere 5. sui rapporti tra confessori e inquisitori mi limito a segnalare : a. prosperi, Tribunali … ; G.  romeo, Ricerche su confessione dei peccati e Inquisizione nell’Italia del Cinquecento, napoli, 1997 ; id., « confesseurs et inquisiteurs dans l’italie moderne : un bilan », in Revue de l’histoire des religions, vol. 220/2, 2003, p. 153-165 ; id., « pio V nelle fonti gesuite : le Epistolae generalium Italiae e le Epistolae Italiae », in Pio V nella società e nella politica del suo tempo, a cura di maurilio Guasco e angelo torre, Bologna, 2005, p. 111-127 ; elena Brambilla, Alle origini del Sant’Uizio. Penitenza, confessione e giustizia spirituale dal medioevo al xvi secolo, Bologna, 2000. 6. e. Bonora, « L’archivio… », p. 979-984. 7. sull’inadeguatezza del concetto di « disciplinamento sociale » nel render conto dell’impatto dei tribunali inquisitoriali nella società italiana e dell’entità dei conlitti che essi crearono con le autorità civili : G. Fragnito, « istituzioni ecclesiastiche e costruzione dello stato. rilessioni e spunti », in Origini dello Stato. Processi di formazione statale in Italia fra medioevo ed età moderna, a cura di Giorgio chittolini, anthony molho e pierangelo schiera, Bologna, 1993, p. 531-550. 8. Sessio XXiV, canon Vi.

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tutto il sistema di punizione dell’eretico messo in piedi dall’inquisizione. in questo modo, infatti, diventava impossibile stabilire la recidività dell’imputato, premessa necessaria per la sua condanna capitale, e inoltre egli poteva più agevolmente sottrarsi all’obbligo di denunciare i propri complici. gli studiosi hanno dimostrato, in relazione alla realtà spagnola, come la Suprema che durante il concilio si era fermamente opposta all’approvazione del decreto, sia riuscita alla lunga a bloccare l’inclusione dell’assoluzione degli eretici entro l’attività pastorale dei vescovi spagnoli9. per quanto riguarda la situazione italiana, all’indomani della conclusione del concilio l’Inquisitor Maior michele ghislieri, cardinale domenicano, manifestò la propria opposizione al provvedimento, ma il ponteice impose comunque l’approvazione del decreto tridentino10. divenuto papa con il nome di pio V, il Ghislieri abrogò il decreto conciliare per mezzo della bolla In coena Domini del 156811. anche in questo caso, non è restando sul piano normativo che possiamo capire se e come provvedimenti in contrasto tra loro siano stati efettivamente recepiti. e’ certo comunque che il conlitto di carattere costituzionale tra un decreto del concilio e la bolla In coena Domini di pio V non sfuggì ai vescovi, che erano nella maggioranza di formazione giuridica, suscitando incertezza e confusione nell’applicazione della norma12. 9. Cf. stefania pastore, Il vangelo e la spada. L’Inquisizione di Castiglia e i suoi critici (14601598), roma, 2003, p.  349-368 ; ignasi Fernández terricabras, «  Le pouvoir de l’inquisition espagnole en débat ? Le saint-oice et la troisième étape du concile de trente (1562-1563) », in Inquisition et pouvoir, dir. Gabriel audisio, aix-en-provence, 2004, p. 133-146. 10. Le facoltà conferite ai vescovi in materia d’eresia furono discusse a roma nella congregazione dei Deputati al concilio del 20  gennaio 1564 (Concilium Tridentinum, Friburgo in Brisgovia, vol. iX, a cura di stephan ehses, 1924, p. 1145). nel concistoro del 26 gennaio 1564 nel corso del quale il cardinal morone propose al papa l’approvazione dei decreti conciliari, il Ghislieri dixit, magnopere se vereri, ne magnorum causa malorum esset facultas haec episcopis concessa absolvendi super haeresim (ibid, p. 1152-1156). 11. sul decreto tridentino e la bolla di pio V dal punto di vista giuridico, cf. e. Brambilla, Alle origini…, p. 483-493, 546 ss. 12.  nel 1568 l’inquisitore piacentino umberto Locati consigliava cautela nell’assolvere gli eretici nel foro interiore raccomandandone il deferimento al foro giudiziario (Praxis iudiciaria inquisitorum, Venezia, 1583, p. 7 : 1a ed. 1568). il problema se i vescovi possedessero o meno la facoltà di assolvere in foro interiore gli eretici occulti come aveva previsto il concilio veniva posto ai cardinali dell’inquisizione nei primi anni settanta del cinquecento dal cardinale Gabriele paleotti arcivescovo di Bologna (cf. paolo prodi, Il cardinale Gabriele Paleotti (1522-1597), roma, 1959 e 1967, 2 vol. : vol. ii, p. 233-234 ; G. Fragnito, « Vescovi “censori” : il tridentino alla prova », in Dai cantieri della storia. Liber amicorum per Paolo Prodi, a cura di Gian paolo Brizzi e Giuseppe olmi, Bologna, 2007, p. 30). secondo paolo prodi la normativa tridentina creò « diidenza » tra i vescovi e gli inquisitori (Una storia della giustizia. Dal pluralismo dei fori al moderno dualismo tra coscienza e diritto, Bologna, 2000, p. 298-300). La questione suscitò a lungo dubbi dalla periferia, e nel secolo successivo l’inquisizione dovette ribadire più volte che la facoltà d’assoluzione nel foro interiore era stata tolta ai vescovi : Nec possunt ex vi verborum concilii Tridentinii in cap. Licet ipsi episcopi dictos haereticos absolvere in foro conscientiae. 1609. Est enim sublata talis facultas per Bullam in

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un altro aspetto cruciale relativo alla deinizione dei poteri ai vertici della chiesa postridentina è stato il percorso travagliato attraverso il quale si giunse a stabilire chi avesse il diritto di giudicare l’eresia dei vescovi. questo processo di deinizione ebbe luogo tra gli anni quaranta e sessanta sviluppandosi non esclusivamente sul piano giuridico ma anche su quello politico. da un lato, esso riguardò almeno due generazioni di vescovi : vescovi che avevano ricevuto un’educazione umanistica ; che si erano formati in un’epoca caratterizzata dalla luidità dottrinale ; che avevano condiviso le aspirazioni di rinnovamento della chiesa ; che avevano partecipato al concilio di trento e che ora si accingevano ad applicarlo esercitando i poteri che il concilio aveva loro conferito. Dall’altro lato, c’era l’inquisizione, un potere recente che stava consolidando la propria isionomia, il proprio ruolo e la propria preminenza entro la chiesa13. chi ha la facoltà di giudicare un vescovo ? La bolla di paolo iii che aveva istituito il sant’uicio accordava ai cardinali inquisitori e ai loro delegati la prerogativa di formare e celebrare i processi d’eresia contro qualsiasi membro della compagine ecclesiastica. alla morte di paolo iii nel 1549, il suo successore Giulio iii tentò di bloccare le inchieste avviate dal cardinale inquisitore Gian pietro carafa, rappresentante delle posizioni intransigenti entro il sacro collegio sul piano religioso, e degli orientamenti antiasburgici sul piano politico. Giulio iii, secondo la successiva testimonianza del maestro del sacro palazzo, il domenicano Girolamo muzzarelli, aveva cercato invano di essere tenuto al corrente dei procedimenti che il sant’uicio andava istruendo contro autorevoli uomini di chiesa coinvolti nel dissenso religioso e al tempo stesso fautori di orientamenti iloimperiali : irritato continuamente contra l’oicio della santa inquisitione, [il papa] – racconta il muzzarelli – me commandò più volte, et una in particolar, che non si dovesse ricever depositione alcuna nel santo oicio contra cardinali o altri prelati superiori, cioè vescovi et cardinali, senza farlo sapere prima a sua santità, et io li dovessi riferire a sua santità ogni volta che fussero nominate simili persone14. Coena Domini prout declaravit sacra Congregatio super concilio et Rota coram Millino. 25 maii 1626 (acDF, SO, st. st., e4-b). altri interventi del sant’uicio : ibid., q2-n : 13 aprile 1608 (f. 8), 1617 (f. 203) ; 25 maggio 1620 (ibid.), 18 aprile e 2 maggio 1646 (f. 12). 13. su questo tema e per quanto segue mi sia consentito rinviare con maggiore ampiezza di riferimenti a e. Bonora, Giudicare i vescovi. La deinizione dei poteri nella Chiesa postridentina, roma/Bari, 2007. 14. Il processo inquisitoriale del cardinal Giovanni Morone. Edizione critica, a cura di massimo Firpo e Dario marcatto, roma, 1981-1995, 6 vol. : vol. ii, p. 804-805. il muzzarelli, che in base alla sua carica partecipava ex oicio alle congregazioni dell’inquisizione, era solito consegnare al papa i sommari dei processi via via istruiti dal sant’uicio tra cui quelli contro il cardinale Giovanni morone, il patriarca d’aquileia Giovanni Grimani e l’arcivescovo d’otranto pietro antonio Di capua, processi che Giulio  iii era solito riporre in una cassettina (ibid., vol.  Vi, p.  322). sui rapporti tra Giulio iii e l’inquisizione, cf. massimo Firpo, Inquisizione romana e Controriforma.

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nel 1555, all’indomani dell’elevazione al papato del cardinal carafa con il nome di paolo iV, si moltiplicarono gli arresti e i processi nei confronti di vescovi e cardinali. nello stesso tempo, la guerra contro l’imperatore rischiava di rinnovare l’esperienza traumatica del sacco di roma del 1527. a partire da questi anni, l’inquisizione diventò uno strumento prezioso nella lotta politica. non solo contro carlo V e il iglio, deiniti dal carafa « sangue misto d’hebrei battezzati da otto giorni », « marani iglioli del diavolo et della iniquità »15, e da lui scomunicati, ma anche contro principi italiani e contro l’aristocrazia romana di orientamenti iloimperiali che costituiva una persistente minaccia all’afermazione del potere temporale del ponteice nel suo stato16. alla morte di paolo iV nel 1559 il popolo romano si ribellò : la sede del sant’uicio fu incendiata e gli inquisitori bastonati, mentre violente manifestazioni iconoclaste avevano luogo in tutta la capitale oltrepassando, per il loro carattere di vendetta e rivalsa politica contro l’immagine e la memoria del papa inquisitore, i saccheggi rituali che solitamente si veriicavano a roma alla morte dei ponteici17. prima di chiudersi in conclave per eleggere il nuovo papa, il collegio cardinalizio liberò di prigione il cardinal Giovanni morone, il più autorevole membro del partito iloimperiale e avversario di papa carafa, reintegrandolo nel sacro collegio. contemporaneamente, i cardinali stesero le capitolazioni elettorali che il futuro papa avrebbe dovuto giurare di rispettare. uno dei primi articoli delle capitolazioni prevedeva che, qualora un cardinale fosse accusato d’eresia, la facoltà di istruire il processo doveva spettare a una commissione eletta tramite scrutinio segreto dal sacro collegio, e non ai cardinali dell’inquisizione18. Studi sul cardinal Giovanni Morone (1509-1580) e il suo processo d’eresia, Brescia, 2005 (1a ed. Bologna, 1992), in partic. p. 280-311 ; Dario marcatto, « Questo passo dell’heresia ». Pietro Antonio di Capua tra valdesiani, spirituali e Inquisizione, napoli, 2003. 15. Cf. m. Firpo, « politica imperiale e vita religiosa in italia nell’età di carlo V », ora in id., « Disputar di cose pertinenti alla fede ». Studi sulla vita religiosa del Cinquecento italiano, milano, 2003 p.  159-174, in partic. p.  170-171. La bolla contro Filippo ii di privazione del regno di napoli in Johann J.i. von Döllinger, Beiträge zur politischen, kirchlichen und Cultur-Geschichte der sechs letzten Jahrhunderte, regensburg, 1862, 2 vol. : vol. i, n. 57. 16. sull’uso dell’inquisizione contro la feudalità dello stato pontiicio  : irene Fosi, « nobili ribelli, forse eretici », in Dai cantieri della storia…, p. 161-169. 17. sui disordini seguiti alla morte di paolo iV, cf. massimo Firpo, Fabrizio Biferali, « Navicula Petri ». L’arte dei papi nel Cinquecento, roma/Bari, 2009, p. 262 ss. sui saccheggi rituali alla morte dei papi : agostino paravicini Bagliani, Il corpo del Papa, torino, 1994, in partic. p. 188-189. sul periodo di sede vacante dal punto di vista politico-istituzionale : Laurie nussdorfer, « he vacant see : ritual and protest in early modern rome », in Sixteenth Century Journal, vol. 18, 1987, p. 173-189. Cf. anche le rilessioni inali in maria antonietta Visceglia, « attentare al corpo del papa : sortilegi e complotti politici durante il pontiicato di urbano Viii », in Riti di passaggio e storie di giustizia. Per Adriano Prosperi, vol. iii, a cura di Vincenzo Lavenia e Giovanna paolin, pisa, 2011, p. 243-257. 18.  BaV, urb. lat. 1039, f.  90v-91v, Summa de li capitoli fermati tra li cardinali in sede vacante in conclave da osservarsi da chi serà papa. Le capitolazioni elettorali vennero issate dai

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il nuovo papa, il milanese pio iV, non proveniva dai ranghi dell’inquisizione. Dopo la sua elezione iniziarono le assoluzioni di vescovi e cardinali che erano stati oggetto di inchieste e processi sotto il suo predecessore. secondo quanto riferivano gli avvisi di roma, il ponteice aveva infatti dichiarato che nonostante ch’alcuni [vescovi] siano o potessero esser incorsi in censura, escomunicatione o altra condemnatione per causa d’alcuna imputatione d’heresia, che possin’essere reauditi et possono produrre le loro ragioni et saranno ispediti giuridicamente non ostante tutto quello che per li suoi anteccessori potesse esser stato giudicato19.

ma oltre a compiere scelte politiche clamorose e opposte rispetto al pontiicato precedente, pio iV introdusse anche profonde trasformazioni sul piano normativo. anzitutto, egli limitò a vantaggio della giurisdizione dei vescovi le prerogative acquisite dall’inquisizione nel controllo della società. Già all’indomani della sua elezione, il veriicarsi di una svolta anche sul piano legislativo era percepito da molti. correva voce ad esempio che il papa volesse ridimensionare le competenze dell’inquisizione, ainché « non si concernesse altro che peccati appartenenti solo all’heresia, et che delle cose fatte sotto le lenzuola non voleva rivederne conto alcuno »20. Generale era inoltre la convinzione che pio iV avrebbe ripristinato il precedente stato di cose riattribuendo agli ordinari quelle prerogative che le « constitutioni stravaganti » di paolo iV avevano aidato agli inquisitori21. e in efetti, qualche tempo dopo, pio iV istituì una commissione cardinalizia incaricata di mettere a punto una riforma generale tenendo conto delle richieste presentate dai vescovi che si trovavano a roma : una commissione che, tra l’altro, doveva cardinali all’inizio del conclave l’8 settembre 1559 (Concilium Tridentinum, Friburgo in Brisgovia, vol.  Viii, a cura di stephan ehses, 1919, p.  1). La Bulla capitulorum conclavis promulgata da pio iV il 12 gennaio 1560 durante il primo concistoro pubblico dichiarava anche nullos et irritos […] quoscumque processus contra formam similis capituli in praecedenti conclavi editi et bullae illius conirmatoriae factos (ibid., p. 2-6, la citazione a p. 4). 19. avviso del 6 aprile 1560 (BaV, urb. lat. 1039, f. 145rv). 20.  avviso del 6  gennaio 1560 (ibid., f.  117r). «  sua santità ha pur voluto tenire in piedi l’inquisitione ma solo circa le cose della religione per mantenimento della santa sede apostolica », riferiva un avviso del 13  gennaio 1560 (ibid.). il 20  gennaio 1560 Guido Giannetti da Fano informava da Venezia william cecil che il papa « non vuole che in cause de religione si proceda per via de spioni né si guarda certe cose minime » (cit. in Il processo inquisitoriale del cardinal Giovanni Morone…, vol. V, p. 563). 21. avviso del 20 gennaio 1560 (BaV, urb. lat. 1039, f. 120r). in linea con questi orientamenti, nella bolla Dominici gregis custodiae del 24 marzo 1564 (la bolla che promulgava l’indice tridentino dei libri proibiti redatto dai vescovi che rimpiazzava quello del 1558 fatto dall’inquisizione) pio iV introdusse la distinzione tra libri eretici e libri proibiti non eretici sottomettendo alla giurisdizione vescovile chi avesse letto o tenuto consapevolmente questi ultimi (G. Fragnito, Proibito capire. La Chiesa e il volgare nella prima età moderna, Bologna, 2005, p. 37 ss.).

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riunirsi proprio il giovedì, sottraendo al sant’uicio il tradizionale giorno di congregazione coram sanctissimo22. il 7 marzo 1560 alla presenza del papa si riuniva la commissione de reformatione nella quale non sedeva alcun membro dell’inquisizione23. tra le prime richieste avanzate ci fu che un vescovo non potesse esser citato a comparire personalmente davanti ai tribunali romani se non per accuse gravi che implicassero la privazione dei suoi titoli ; che i processi si tenessero alla presenza del papa cui doveva spettare la sentenza ; che a carico degli ordinari diocesani si ammettessero solo testimoni aidabili e di buona reputazione24. nel frattempo, dai primi mesi del 1560 sino all’inizio dell’estate, si susseguivano le clamorose assoluzioni di prelati, vescovi e cardinali già citati a roma o processati per eresia sotto paolo iV, ad alcuni dei quali il nuovo papa ebbe modo di esprimere il proprio rammarico per esser stati tormentati da quei « ribaldi », ossia dagli inquisitori25. Dopo il rafforzamento del sant’uicio operato sul piano normativo e politico da paolo iV, la questione che aveva alimentato l’appartata e sotterranea lotta tra Giulio iii e l’allora cardinale inquisitore carafa si traduceva ora, sotto pio iV, nelle richieste uicialmente avanzate da una parte consistente del corpo episcopale ainché nei casi concernenti l’eresia dei vescovi il nuovo ponteice facesse valere le sue prerogative contro le pretese dell’inquisizione. queste proposte furono accolte da pio iV che con le costituzioni del 14 e del 31 ottobre 1562 ridisegnò le competenze del sant’uicio. come già stabilito dalla Licet ab initio, la bolla istitutiva dell’inquisizione, i cardinali inquisitori mantenevano la facoltà di istruire e celebrare i processi contro i vescovi accusati d’eresia, inclusi quelli d’oltralpe. ma, a diferenza del passato, e contrariamente 22. « Giovedì [sua santità] fa congregatione generale per la reformatione generale, nella quale intervengono sedici cardinali et si farà ogni settimana, in che sia determinata et stabilita, et ha detto a quelli dell’inquisizione che si debbino pigliar un altro giorno ch’il giovedì per la loro congregatione » (avviso del 10 febbraio 1560, in Concilium Tridentinum…, vol. Viii, p. 6). 23. paolo iV, contrario alla riapertura del concilio, aveva invece aidato la riforma della chiesa a commissioni nominate dal papa presiedute da cardinali che facevano parte dell’inquisizione. Cf. alberto aubert, Paolo IV Carafa nel giudizio della età della Controriforma, città di castello, 1990, p. 86-88 ; Giampiero Brunelli, Il Sacro Consiglio di Paolo IV, roma, 2011, p. 33-37. 24. angelo massarelli lesse allora venticinque petitiones avanzate da una settantina di vescovi (Concilium Tridentinum…, vol.  Viii, p.  9-10). La richiesta relativa alle cause criminali contro i vescovi sarebbe stata accolta nel decreto tridentino De reformatione, Sessio  XXiV, canon  V dell’11  novembre 1563 (cf. infra). alla commissione gli ordinari chiesero anche che fossero attribuite loro facoltà d’assoluzione e privilegi pari a quelli di cui godevano i regolari e di poter essere assolti in foro conscientiae da qualsiasi crimine, scomunica o irregolarità. sui lavori nei primi mesi del 1560 della commissione de reformatione, cf. anche Concilium Tridentinum…, vol. Viii, p. 33-35, 55. 25. D. marcatto, « Questo passo »…, p. 135, Bernardino pia a ercole Gonzaga, 30 luglio 1561 : parlando con l’ambasciatore mantovano, il papa si riferiva qui al caso dell’arcivescovo d’otranto pietro antonio Di capua, imparentato con i Gonzaga.

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a quanto aveva stabilito la Licet ab initio, il sant’uicio fu privato della prerogativa di procedere, in questi casi, usque ad sententiam. tale prerogativa era infatti riservata al papa. anzi, nel motu proprio del 31 ottobre, nell’evidente tentativo di chiariicazione di un passaggio cruciale, si speciicava come il potere di emanare la sentenza inale spettasse unicamente al concistoro segreto, ossia al ponteice e al collegio cardinalizio26. all’epoca, un curiale molto vicino a pio iV indirizzava allo storico e antiquario veronese onofrio panvinio, continuatore dell’Historia de vitis Pontiicum Romanorum del platina, il consiglio di sottolineare nella sua rielaborazione della biograia del ponteice milanese come questi non fosse un sovvertitore della disciplina ecclesiastica e delle leggi, ma piuttosto un capo della chiesa che, dopo la politica temeraria e sconsiderata del suo predecessore era stato costretto a una sorta di rifondazione costituzionale (coactum [fuit] novum ius rescribere)27. come già si è sottolineato, questo novum ius riguardò soprattutto l’inquisizione. con i decreti del 1562, pio iV aveva adottato una soluzione moderata. Da un lato, aveva riportato il problema dell’eresia dei vescovi e dei cardinali sotto il controllo del papa contro le tendenze autonomistiche della congregazione del sant’uicio. Dall’altro, preservando la facoltà dell’inquisizione d’istruire i processi in quei casi, si era riservato la possibilità di utilizzare uno strumento prezioso entro il gioco politico, come dimostrano i monitori di scomunica emanati qualche mese dopo in seguito a inchieste inquisitoriali contro sette vescovi francesi ai quali il papa voleva impedire di presentarsi al concilio di trento28. Del resto, è possibile veriicare a qual punto il problema della persecuzione dell’eresia dei vescovi fosse diventato un tema cruciale entro la chiesa in quegli anni, se si prende in considerazione il dibattito che si svolse al concilio di trento alla ine del 1563 sul quinto dei ventun articoli di riforma. L’articolo riguardava le cause criminali contro i vescovi, tra cui quelle per eresia. in quell’occasione i patriarchi di Venezia e di Gerusalemme fecero riferimento alla costituzione Qualtiter et quando del iV concilio Lateranense : un passaggio intenso dove si sottolineava la necessità di sbarrare la porta alle accuse false o solo maligne contro i vescovi, nel timore che, indebolite le colonne che lo sorreggevano, l’ediicio della chiesa crollasse29. L’appello dei padri tridentini al decreto lateranense era di grandissimo rilievo, se si considera come la preoccupazione che era all’origine 26. Bullarium, vol. Vii, p. 236-239, 14 ottobre 1562 ; pastor, vol. Vii, p. 627-628, 31 ottobre 1562. 27. pastor, vol. Vii, p. 655. sui rimaneggiamenti dell’opera del panvinio a seguito di pressioni curiali cf. ibid., p. 652-664 ; a. aubert, Paolo IV …, p. 191 ss. 28. e. Bonora, Giudicare…, p. 165 ss. 29.  La costituzione Qualiter et quando del iV concilio Lateranense è in Conciliorum Oecumenicorum Decreta, a cura di G. alberigo, G. Dossetti, p. Joannou, c. Leonardi, p. prodi, Bologna, 1973 (1a ed. 1962), Conc. Lat. IV, Const. Viii, in partic. p. 238, righe 14-35 ; il voto dei patriarchi dell’11 settembre 1563 è in Concilium…, vol. iX, p. 798.

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dell’antica norma e le minuziose prescrizioni procedurali ivi menzionate volte a proteggere i vescovi contrastassero seriamente con l’esercizio del potere dell’inquisizione romana e spagnola nell’ultimo ventennio. uniti da convergenze che attraversavano trasversalmente i diversi gruppi nazionali, i vescovi domandarono allora una stretta vigilanza del papa sia sulla qualità dei testimoni d’accusa sia sugli inquisitori incaricati di formare i processi. Nec faciendum iudicium de episcopo per inquisitores30 ; tollatur inquisitorum rigorositas31 ; episcopi admoneantur, antequam contra eos procedatur32 ; quod inquisitores non possint procedere sine ordinaris33 ; commissiones iant solis episcopis34, furono le richieste avanzate dai vescovi per proteggersi. come è noto, il concilio confermò inine il principio che le cause criminali maggiori contro i vescovi erano riservate al papa35. negli stessi giorni, il caso del patriarca di aquileia giovanni grimani che, perseguito dall’inquisizione, si era clamorosamente appellato al concilio, veniva esaminato a trento da una commissione di vescovi, che inine assolsero il patriarca veneziano dall’accusa di eresia36. i primi anni del pontiicato di pio iV rappresentarono dunque un momento di radicale rideinizione dei poteri dell’inquisizione sul piano giuridico e su quello politico. ma questo ordine precario fu ancora una volta infranto dal suo successore. nel 1566 l’Inquisitor maior michele Ghislieri fu eletto papa con il nome di pio V. Ben noti sono lo zelo antiereticale del ponteice domenicano ; la sua venerazione per paolo iV ; le sue campagne antiereticali nelle città italiane ; la riattribuzione da lui operata di ampi poteri agli inquisitori nella sfera sociale e religiosa ; la protezione loro accordata con la costituzione Si de protegendis del 1569 ; l’importanza conferita alle riunioni del sant’uicio che divenne la sede istituzionale in cui il papa prendeva le decisioni politiche più importanti37. per quanto concerne il problema dell’eresia dei vescovi, pio V non osò mettere in discussione i decreti del suo predecessore e del concilio di trento che 30. Voto dell’arcivescovo di sens, ibid., p. 817. 31. Voto del vescovo di civita castellana, ibid., p. 822. 32. Voto del vescovo di treviso, ibid., p. 823. 33. Voto del vescovo di marsico nuovo, ibid., p. 823. 34. Voto del vescovo di sulmona, ibid., p. 827. alcuni vescovi si richiamarono esplicitamente al iV concilio Lateranense (ibid., p. 813, riga 38 ; p. 821, riga 34). 35. il canone fu approvato l’11 novembre 1563 (Sessio XXiV, canon V). 36. L’assoluzione fu solennemente proclamata il 17 novembre 1563 (Concilium Tridentinum…, vol. iX, p. 828-829) ; della commissione fece parte anche il cardinale di Lorena. sul caso Grimani : m. Firpo, « Le ambiguità della porpora e i “diavoli” del sant’uicio. identità e storia nel ritratto di Giovanni Grimani », in Rivista storica italiana, vol. 117, fasc. iii : L’iconograia come problema storiograico, 2005, p. 825-871. 37. sul Ghislieri, oltre alla voce di simona Feci in Enciclopedia dei papi, vol. iii, roma, 2000, p. 160-180, si vedano a. prosperi, Tribunali …, p. 146-153 e la raccolta di saggi Pio V nella società e nella politica del suo tempo…

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riservavano al papa in concistoro la sentenza inale, anche perché teoricamente queste norme erano un modo per ribadire la giurisdizione romana sugli episcopati nazionali d’oltralpe38. con la prospettiva di salvaguardare i poteri del sant’uicio, pio V escogitò un’altra soluzione di grande eicacia nel breve termine. nella bolla Inter multiplices curas del 1566, egli si scagliava duramente contro quanti, già condannati dall’inquisizione, avevano ricevuto sentenze assolutorie, e speciicava che quelle assoluzioni accordate dal papa in concistoro (consistorialiter emanatas), persino quelle pubblicate in forma di motu proprio o di breve, potevano e dovevano essere giudicate nuovamente dall’inquisizione, alla quale nella medesima bolla pio V attribuiva la facoltà di riaprire i processi anche in mancanza di nuovi elementi d’accusa39. se evidente era la volontà del papa domenicano di chiudere la parentesi moderata del pontiicato di pio iV procedendo ora contro quanti erano stati da lui assolti, del tutto inquietante era dal punto di vista giuridico l’annullamento di sentenze che il ponteice milanese aveva promulgato in forma solenne e nell’esercizio della plenitudo potestatis accompagnandole allora con l’esplicito divieto al sant’uicio e agli inquisitori locali di riaprire in futuro quei processi40. alla base del provvedimento del Ghislieri c’era il principio che i supremi giudici dell’ortodossia dovessero essere i cardinali inquisitori : conformemente a tale assioma, anche un’assoluzione conferita da un concilio universale come quella del patriarca d’aquileia poteva essere cassata. Del resto, pio V avrebbe avuto modo di liquidare sprezzantemente l’assoluzione pronunciata a favore del Grimani a trento da una commissione di vescovi deinendola « sentenza di folletto »41. il dispregio di questo papa inquisitore nei confronti di sentenze promulgate sia dal suo predecessore sia dal concilio di trento trovava dunque una chiara formulazione sul piano giuridico e un’utilizzazione immediata contro il

38. se per i vescovi la riserva papale della sentenza deinitiva nelle cause criminali maggiori, ossia implicanti la destituzione, costituiva una forma di garanzia contro l’operato delle inquisizioni, per i sovrani essa signiicava un’allargamento delle prerogative romane contro i privilegi delle loro chiese nazionali. sul discorso del cardinale di Lorena a trento in difesa dei privilegi di Francia cf. muzio calini, Lettere conciliari, a cura di alberto marani, Brescia, 1963, p. 560 : 11 novembre 1563 ; p. 565 : 13 novembre 1563. il 14 novembre il cardinale informava la regina dell’inserimento della clausola che salvaguardava i privilegi della corona, la cui temuta violazione era servita di pretesto all’ambasciatore francese per abbandonare il concilio (Lettres du cardinal Charles de Lorraine (15251574), ed. Daniel cuisiat, Ginevra, 1998, n. 889). il dibattito giuridico sulle cause maggiori tra roma e i sostenitori delle posizioni gallicane fu ricostruito dal punto di vista curiale nel 1719 dall’assessore del sant’uicio marc’antonio ansidei (acDF, SO, uV 77, 62 Varia, n. 47). 39. La bolla del 21 dicembre 1566 in Bullarium, vol. Vii, p. 499-502. 40. La bolla di pio  V invalidava anche le assoluzioni che erano state conferite dai suoi predecessori cum perpetui silentii impositione ac inhibitione ne dictum Sanctissimum Oicium, aut alii inquisitores ad ulteriora procedere possent (ibid., p. 499). 41. asV, Capi del consiglio dei Dieci, Lettere degli ambasciatori, Roma, b. 25, n. 82, 30 marzo 1569.

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dissenso religioso ai vertici della chiesa, dissenso che sarebbe stato completamente annientato sotto il suo pontiicato. la bolla Inter multiplices curas è un documento inquietante per la visione degli equilibri di potere entro la chiesa che ne sta alla base, ma nello stesso tempo ha una nettezza cristallina che non lascia dubbi sui limiti e sugli ambiti della sua applicazione. del tutto diferente è l’altra costituzione papale nata dall’analoga volontà di un altro papa inquisitore di risolvere i conlitti d’autorità ai vertici della chiesa. mi riferisco alla bolla Cum ex apostolatus oicio promulgata da paolo iV il 15 febbraio 1559 : una misura legislativa caratterizzata dall’ambiguità della sua interpretazione e dall’ampiezza e gravità delle sue implicazioni. La bolla nasceva dalla speciica volontà di paolo iV di impedire l’ascesa al papato del cardinal morone, ma era densa di potenziali sviluppi per il futuro. essa stabiliva infatti che, qualora ecclesiastici o laici di ogni ordine e grado42 si fossero macchiati d’eresia43 anche prima di ascendere alla posizione da loro attualmente occupata, allora sarebbero incorsi nella privazione dalle loro dignità e cariche eo ipso, ossia in modo automatico44. il documento ribadiva poi, con riferimento esclusivo agli ecclesiastici, che si ullo umquam tempore apparuerit aliquem episcopum etiam pro archiepiscopo seu patriarcha vel primate se gerentem aut praedictae romanae ecclesiae cardinalem, etiam, ut praefertur, legatum, seu etiam Romanum Pontificem, ante eius promotionem vel in cardinalem seu Romanum Pontiicem assumptionem, a ide catholica deviasse aut in aliquam haeresim incidisse, promotio seu assumptio de eo, etiam in concordiam et de unanimi omnium cardinalium assensu facta, nulla, irrita et inanis existat45.

La costituzione di paolo iV, quindi, si estendeva alla persona del ponteice, sofermandosi sull’invalidità della sua elezione e sullo scioglimento dei fedeli dal

42. Cuiuscumque status, gradus, ordinis, conditionis, et praeminentiae existant, etiamsi Episcopali, Archiepiscopali, Patriarchali, Primatiali, aut alia maiori dignitate Ecclesiastica, seu Cardinalatus honore, et Apostolicae Sedis ubivis locorum, tam perpetuae quam temporalis Legationis munere, vel mundana etiam Comitali, Baronali, Marchionali, Ducali, Regia, et Imperiali auctoritate, seu excellentia praefulgeant (Bullarium, vol. Vi, p. 552, il testo della bolla alle p. 551-556). 43. Qui hactenus a ide Catholica deviasse, aut in aliquam haeresim incidisse, seu schisma incurrisse, aut excitasse, seu commisisse comprehensi, aut confessi, vel convicti fuerint, ossia qualora avessero deviato dalla fede cattolica e fossero caduti nell’eresia, o fossero incorsi in scisma o l’avessero provocato, o fossero stati colti in lagrante crimine d’eresia, o l’avessero confessato, o ciò fosse risultato in base a prove (ibid., p. 552). 44. Eo ipso, absque aliquo iuris aut facti ministerio (ibid.). 45. Sed omnia et singula per eos quomodolibet dicta, facta, gesta et administrata ac inde secuta quaecumque viribus careant, et nullam prorsus irmitatem nec ius alicui tribuant (ibid., p. 554). il carattere cursivo è mio.

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vincolo dell’obbedienza nel caso questi fosse caduto nell’eresia prima dell’ascesa al sacro soglio o, addirittura, avanti il conseguimento della porpora cardinalizia. nel preambolo con il quale paolo iV elencava le ragioni che l’avevano indotto a tale passo legislativo emergeva del resto con chiarezza come l’obiettivo del papa inquisitore fosse quello di afrontare senza mezzi termini il problema dell’eventuale eresia del ponteice, ossia di colui che entro la chiesa era il giudice supremo in materia di fede : nos considerantes rem huiusmodi adeo gravem et periculosam esse, ut romanus pontifex, qui Dei et Domini nostri Jesu christi vices gerit in terris et super gentes et regna plenitudinem obtinet potestatis, omnesque iudicat, a nemine in hoc saeculo iudicandus, possit, si deprehendatur a ide devius, redargui […]46.

nell’ammettere e nel prendere in esame la possibilità che l’elezione del papa, malgrado si fosse regolarmente svolta secondo le norme del conclave e i sacri canoni, potesse essere annullata, la costituzione di paolo iV trovava un precedente nella bolla Cum tam divinis del 16 febbraio 1513 con la quale Giulio ii aveva stabilito che in caso di simonia l’elezione del papa non era considerata valida47. entrambi i provvedimenti erano dettati da valutazioni politiche contingenti : se infatti la bolla del Della rovere traeva origine dall’esperienza del recente pontiicato di alessandro Vi Borgia conseguito per mezzo di spregiudicate pratiche simoniache, la Cum ex apostolatus oicio nasceva dall’urgenza di sbarrare la strada al pontiicato a uomini di chiesa che il carafa considerava implicati nell’eresia. ma una cosa era stabilire l’illegittimità dell’elezione di un papa simoniaco attraverso l’accertamento dei fatti, altra cosa era giudicarne l’eresia, che era sostanzialmente un reato d’opinione. a chi spettava l’assunzione di tale ruolo ? al concilio universale ? al collegio cardinalizio ? paolo iV non aveva alcuna iducia nella capacità del concilio di risolvere i problemi della chiesa, e si guardò bene dal convocarlo durante il suo pontiicato. per quanto riguarda il sacro collegio, i suoi componenti si rivoltarono contro la promulgazione della bolla nel timore che, in questo modo, sarebbero stati tutti alla mercé dell’inquisizione48 : tale reazione mostra quale fosse, secondo i cardinali, l’autorità che più verosimilmente era in grado di candidarsi al ruolo di giudice supremo dell’eresia. nel lungo termine, le ambigue formulazioni giuridiche della bolla inirono per spalancare la porta all’uso del semplice sospetto d’eresia nella sfera politica, entro

46. Ibid., p. 551. il carattere cursivo è mio. 47. Bullarium, vol. V, p. 405-408 ; sull’haeresis simoniaca sarebbe tornato paolo iV con la bolla del 16 febbraio 1558 (ibid., p. 545-546). 48. pastor, vol. Vi, p. 508.

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la zona grigia e nelle situazioni d’impasse che si venivano a creare quando il sospetto non poteva essere confermato o rigettato attraverso il ricorso a un processo giudiziario. per il futuro la bolla sanciva quindi il potere dei dossiers inquisitoriali, delle delazioni dei frati e, soprattutto, della congregazione del sant’uicio entro un raggio d’azione che includeva tutti i livelli della gerarchia ecclesiastica, su su sino al vertice supremo. il sospetto d’eresia si sarebbe dimostrato un mezzo eicace per bloccare carriere ecclesiastiche avversate dal sant’uicio, come dimostrarono nei decenni successivi i casi di Filippo mocenigo, di paul de Foix, di renaud de Beaune e di rené Benoist, confessore di enrico iV, tutti autorevoli candidati all’episcopato protetti dai loro principi, la cui ascesa alle più alte dignità della chiesa fu ostacolata o deinitivamente interrotta dall’inquisizione senza sfociare in processi che i rispettivi sovrani non potevano accettare venissero celebrati di fronte alla congregazione romana contro i loro sudditi49. e ciò in contrasto con l’antica norma della purgazione canonica che prevedeva come un ecclesiastico sospetto d’eresia e sospeso dall’uicio potesse comunque con il tempo purgarsi per mezzo delle buone opere, ut infamia convertatur in bonam famam50. il provvedimento di paolo iV avrebbe anche deinitivamente legittimato l’uso dei dossiers inquisitoriali durante i conclavi per impedire candidature sgradite ai cardinali del sant’uicio, consolidando una prassi già emersa all’indomani dell’istituzione dell’inquisizione51. ma la bolla era in grado di condizionare gli esiti dell’elezione papale anche in altro modo, dal momento che in via di principio impediva l’accesso in conclave ai cardinali che fossero incorsi nelle censure ivi previste ; quando dopo la morte di papa carafa il cardinal morone già processato per eresia fu riammesso nel collegio cardinalizio e poi in conclave con voce attiva e passiva, il fatto fu percepito come una palese violazione della Cum ex apostolatus oicio52. Fu quindi probabilmente con l’intenzione di limitare gli efetti della 49. il sospetto d’eresia si rivelava così un’eicace argomento per riiutare l’investitura canonica del papa ai candidati ai beneici maggiori scelti dal re di Francia in base al concordato. Cf. i casi analizzati in G. Fragnito, « “sa saincteté se resoudra par l’advis des cardinaux de l’inquisition, sans lesquels il n’oseroit rien faire” : clemente Viii, il sant’uicio e enrico iV di Borbone », in Schifanoia, vol. 38-39, 2010 (2011), p. 143-169. sul veneziano Filippo mocenigo e l’ambasciatore paul de Foix cf. e. Bonora, Giudicare…, ad indicem. 50. Decretales, lib. V, tit. 34, cap. 10. paul de Foix, candidato all’arcivescovato di tolosa, sarebbe riuscito a conseguire la dignità episcopale piegandosi alla purgazione canonica solo dopo dieci anni di trattative della corona francese con il papa e il sant’uicio. 51.  sull’uso dei dossiers inquisitoriali nei conclavi, cf. paolo simoncelli, Il caso Reginald Pole. Eresia e santità nelle polemiche religiose del Cinquecento, roma, 1977, p.  62-73 ; m. Firpo, Inquisizione romana e Controriforma …, p. 259 ss. ; id., « eresia e inquisizione in italia (15421572)  », ora in id., «  Disputar…  », p.  202-208. per i conclavi di pio  iV e di pio  V, cf. anche e. Bonora, Giudicare…, p. 207-208 ; 251-252. 52. I processi inquisitoriali di Pietro Carnesecchi (1557-1567). Edizione critica, a cura di massimo Firpo e Dario marcatto, 2 vol., città del Vaticano, 1998-2000, vol. ii/2, p. 693, pietro carnesecchi

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costituzione di paolo iV e il suo spregiudicato uso politico che, nella bolla volta a disciplinare il conclave promulgata nel 1562, pio iV introdusse una norma che stabiliva come i cardinali incorsi in censure e scomuniche potessero comunque entrare in conclave con voce attiva e passiva53. ma soprattutto, la Cum ex apostolatus oicio rese possibile nel lungo periodo l’uso del sospetto d’eresia per mettere in discussione la legittimità del ponteice regnante ogni volta che le grandi scelte del capo della chiesa si trovarono in conlitto con quelle della congregazione dell’inquisizione54. e’ quanto avvene negli anni sessanta del cinquecento nel corso dello scontro contro la politica di concessioni religiose di pio iV verso l’impero ; e nuovamente trent’anni più tardi nel corso del confronto tra clemente Viii e il sant’uicio che si opponeva all’assoluzione di enrico iV di Francia55 : né l’uno né l’altro dei due ponteici, del resto, proveniva dai ranghi dell’inquisizione. se il sospetto d’eresia formulato sulla base della Cum ex apostolatus oicio persino nei confronti del sommo ponteice divenne un potenziale strumento della lotta politica all’interno della chiesa nelle mani dell’inquisizione, dal punto di vista teorico, ossia nell’ambito dei trattati inquisitoriali, la spinosa questione dell’eresia del ponteice continuò a essere posta, anche dopo la promulgazione della bolla, nei termini di quella teologia del primato papale che occorreva opporre verso l’esterno come granitico baluardo contro le tesi conciliariste e gli attacchi dei a Giulia Gonzaga, 6 settembre 1559. La liberazione del morone avvenuta durante la sede vacante era un’iniziativa giuridicamente controversa secondo il parere di pietro Belo, procuratore iscale del sant’uicio, che in un’inedita silloge di responsa dedicata nel 1572 a Gregorio Xiii dal iglio Lorenzo, anche lui iscale dell’inquisizione, afrontava la questione an collegium cardinalium possit sede vacante excarcerare cardinalem per praedefunctum pontiicem carceratum (BaV, Vat. lat. 5468, f. 153r). 53. La costituzione di pio iV del 9 ottobre 1562 in Bullarium, vol. Vii, p. 230-236, § 29. Devo la segnalazione della relazione tra il provvedimento di pio iV e la Cum ex apostolatus oicio a maria antonietta Visceglia che con agostino parravicini Bagliani sta preparando un ampio lavoro sui conclavi tra medio evo ed età moderna. 54.  Bruno neveu ha giustamente osservato come la storia dell’infallibilità pontiicia in età moderna non possa prescindere dal ruolo istituzionale del papa come capo del sant’uicio (Bruno neveu, « Juge suprême et docteur infaillible : le pontiicat romain de la bulle In eminenti (1643) à la bulle Auctorem idei (1794) », in Mélanges de l’école française de Rome. Moyen Âge-Temps modernes, vol. 93, 1981, p. 215-275. egli partiva però dalla premessa che il sant’uicio fosse un « tribunal pontiical suprême […] qui forme […] une même personne morale avec le chef de l’église » (ibid., p.  228). È proprio questa scontata convergenza che si vorrebbe qui mettere in discussione dal punto di vista storico, mostrando come essa fosse piuttosto l’esito di lotte e di un doloroso processo di assestamento che nel secondo cinquecento vide spesso inquisizione e papato muoversi lungo fronti contrapposti. 55. sul sospetto d’eresia nei confronti di pio iV : e. Bonora, Giudicare…, p. 250 ss. ; verso clemente Viii, ibid., p. 245 ss. ; G. Fragnito, « “sa saincteté…” ». e’ interessante notare come alla bolla di paolo iV si richiamino oggi i sostenitori del « sedevacantismo », ossia i cattolici dissidenti tradizionalisti che riiutano le innovazioni introdotte dal concilio Vaticano ii e non riconoscono l’autorità dei papi del post-concilio considerandoli eretici.

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protestanti. nondimeno, la costituzione di paolo iV ebbe una ricezione signiicativa anche in questa trattatistica proprio in relazione all’ipotesi del papa eretico. La Praxis iudiciaria inquisitorum dell’inquisitore piacentino umberto Locati del 1568 e il Directorium inquisitorum dell’aragonese nicolás eymerich, nella celebre edizione del 1578 curata e commentata dal teologo e canonista spagnolo Francisco peña con la supervisione dei funzionari domenicani del sant’uicio56, teorizzavano concordemente l’impossibilità del papa haereticus, in linea con la deinizione ricevuta dalla questione dell’eresia del papa entro i dibattiti teologicogiuridici del secolo precedente e, più recentemente, nel corso dello scontro con i protestanti. tuttavia, nell’afrontare questo tema delicato, entrambi gli scritti contenevano una succinta ma rilevante precisazione : il papa non poteva essere eretico, postquam legitime electus. e per chiarire quale fosse il signiicato di questo legitime, rinviavano entrambi alla bolla Cum ex apostolatus oicio57. qualche anno dopo la sua promulgazione, alla ine del 1564, fu sventata all’ultimo momento a roma una congiura contro pio iV. armati di pugnale, i congiurati erano giunti molto vicini a colpire il ponteice. per giustiicare il loro gesto essi afermarono che pio iV non era il « vero papa », ossia il papa legittimo. e per spiegare cosa intendessero con tale afermazione, utilizzarono le distinzioni e gli argomenti della bolla di paolo iV58. elena Bonora università degli studi di parma

56.  sul peña teologo e canonista, editore e commentatore di trattati inquisitoriali, futuro consulente del sant’uicio, cf. agostino Borromeo, « a proposito del Directorium inquisitorum di nicolas eymerich e delle sue edizioni cinquecentesche », in Critica storica, vol. 20, 1983, p. 499-547. nelle successive edizioni il commento fu ampliato con l’assistenza del maestro del sacro palazzo e del commissario generale del sant’uicio (cf. la dedica del peña al lettore del 1584) ; per la sua stesura furono utilizzati manoscritti prestati dal cardinale inquisitore Giulio antonio santoro (saverio ricci, Il sommo inquisitore. Giulio Antonio Santori tra autobiograia e storia (1532-1602), roma, 2002, p. 330). 57. La precisazione è nella Praxis iudiciaria inquisitorum di umberto Locati, uscita con dedica a pio V nel 1568, dove l’inquisitore piacentino rinviava alla bolla di paolo iV de tali materia difuse loquentem (cito dall’ed. ampliata del 1583, p. [266-267]). nel suo commento alla Quaestio XXV di eymerich, An inquisitor vel quisquam alius procedere possit contra papam deprehensum in haeresi (Directorium inquisitorum, p. 554-555, cito dall’ed. veneziana del 1595), il peña scriveva : Interim Locatus haec eadem, quae ab Eymerico dicuntur, refert in opere iudiciali verbo, papa, nu. 6 ubi addit extare bullam Pauli Quarto de hac materia difuse loquentem (ivi, p. 555). 58. sulla congiura contro pio iV mi permetto di rinviare a : e. Bonora, Roma 1564. La congiura contro il papa, roma/Bari, 2011.

la congrégation de la propagande : une instance centraLe pour L’éLaBoration D’un statut JuriDique Du cLerGé missionnaire par

Giovanni piZZorusso*

L’activité juridictionnelle de la congrégation de Propaganda Fide, dicastère de la curie romaine établi par Grégoire XV en 16221, a eu des conséquences importantes sur ce qu’on pourrait qualiier de statut juridique du missionnaire, c’est-à-dire sur l’apparat normatif des règles dans lesquelles l’activité apostolique s’inscrit. Les conséquences de cette initiative normative apparaissent à diférents niveaux et notamment dans les rapports entre les missionnaires et les institutions pontiicales (congrégations romaines, nonciatures), qui exercèrent désormais un contrôle plus attentif sur leur activité, et sur l’action des religieux sur le terrain, où ils étaient confrontés à la diiculté de transmettre la foi à des populations de tradition et de culture très diférentes tout en veillant à l’adhésion des convertis à l’orthodoxie tridentine2. * abréviations utilisées : apF : archivio storico della congregazione de propaganda Fide ; acDF, s.o., st. st. : archivio della congregazione per la Dottrina della Fede, sant’oizio, stanza storica ; Memoria rerum : Sacrae Congregationis de Propaganda Fide memoria rerum, dir. Josef metzler, 3 vol. en 5 t., Fribourg/Vienne/rome, 1971-1976. 1. on ne s’arrête pas ici sur les détails institutionnels qui caractérisent la congrégation missionnaire et sur les circonstances historiques du diicile processus de sa fondation ; renvoyons à Memoria rerum, ainsi qu’à Giovanni pizzorusso, « agli antipodi di Babele. propaganda Fide tra immagine cosmopolita e orizzonti romani (xvii-xix secolo) », dans Storia d’Italia Einaudi annali 16  : Roma città del papa. Vita civile e religiosa dal giubileo di Bonifacio  VIII al giubileo di Papa Wojtyla, éd. Luigi Fiorani et adriano prosperi, turin, 2000, p. 476-518. 2. on trouvera un exemple récent d’analyse des diicultés pour conjuguer la norme tridentine et la pratique apostolique, conduit à partir de la documentation relative aux «  doutes  » sur l’administration des sacrements que les missionnaires présentaient aux autorités romaines et à la jurisprudence que celles-ci produisaient sur le sujet, dans Mélanges de l’école française de Rome. Italie et Méditerranée, t. 121/1 : Administrer les sacrements en Europe et au Nouveau Monde : la Curie romaine et les Dubia circa sacramenta, actes du colloque tenu à rome, 22-23 février 2007, éd. paolo

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giovanni pizzorusso

dans le cadre de ce colloque portant sur les ecclésiastiques, je voudrais analyser surtout les changements qui intéressent la igure du missionnaire. l’action de la congrégation de la propagande dans l’élaboration d’un cadre normatif pour les missionnaires se développa dès les premières décennies de sa fondation et se formalisa par la réforme des facultates, les pouvoirs apostoliques accordés aux missionnaires, qui devaient constituer les guides de l’activité du religieux dans les divers domaines de la mission. en ce sens, comme le reconnaissent les historiens du droit canonique, la fondation de la propagande est un tournant historique à l’intérieur d’un processus de longue durée. en efet, l’octroi des pouvoirs spirituels aux missionnaires a toujours été un gage de la primauté du pape sur les frontières de l’expansion catholique et aussi une conirmation de son autorité universelle. au moyen Âge, cet efort de la papauté pour organiser l’activité apostolique dans un cadre normatif n’eut que des résultats médiocres. d’un coté le Corpus iuris canonici comprend, surtout dans les Decretales, des dispositions relatives aux peuples évangélisés qui, à l’époque, étaient les populations de l’orient. ces dispositions concernent de façon assez ponctuelle, telle ou telle question (les sacrements, par exemple). il s’agit d’une législation dérogatoire par rapport au droit canonique, dans l’attente de l’intégration de ces peuples à l’intérieur du cadre juridique général, mais elle montre que le ius decretalium n’a pas l’envergure nécessaire pour se confronter aux situations variées existant dans les territoires d’apostolat. il faut aussi tenir compte du fait que l’attention aux questions missionnaires restait très réduite dans l’ensemble de cet apparat normatif. de l’autre coté, à partir du xiiie siècle, l’essor des missions des ordres mendiants stimulait la demande de facultés spéciales que le pape octroya directement, sans trop se soucier des limites géographiques et temporelles de ces pouvoirs. ce système se prolongea encore dans le premier âge moderne lorsque les nouveaux ordres religieux, notamment les clercs réguliers, entrèrent en jeu, à coté des mendiants, dans l’expansion missionnaire3. Formellement, ces larges facultés restaient donc imprécises4. octroyées souvent par le pape vivae vocis oraculo, elles n’étaient Broggio, charlotte de castelnau-l’estoile et giovanni pizzorusso, 2009, p. 5-217. pour un ample panorama sur les sacrements en territoire de mission, surtout en asie, voir « politiche sacramentali tra Vecchio e nuovi mondi, secoli xvi-xviii », éd. maria teresa Fattori, dans Cristianesimo nella storia, t. 31/2, 2010. 3. Voir roland Jacques, Des nations à évangéliser. Genèse de la mission catholique pour l’ExtrêmeOrient, paris, 2003, p. 99-180 ; voir aussi James muldoon, Popes, Lawyers, and Inidels. he Church and the Non-Christian World (1250-1550), philadelphie, 1979 et id., Canon Law, the Expansion of Europe, and World Order, aldershot, 1998. 4. comme exemple du caractère extrêmement général et indéterminé des facultés, voir la bulle de Grégoire iX du 16 juin 1234 qui accordait aux franciscains des facultés ut in terris inidelium Romae remotioribus possent baptizare inideles, convertere, absolvere, et conversos, si ratio exigat, charactere clericali insignire ; voir ignatius ting pong Lee, Facultates apostolicae : S.C. de Propaganda Fide et S.C. Consistorialis, rome, 1962, p. 23.

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connues que par les Compendia ou les Collectiones rédigés par les ordres bénéiciaires, qui avaient intérêt à gonler l’ampleur des privilèges5. la concession ad perpetuum dispensait d’opérer une révision des facultés pour mieux les adapter aux réalités locales. au xvie siècle, les facultés ne provenaient pas non plus d’une source unique : outre le pape, on trouvait aussi les cardinaux protecteurs des ordres ou des pays et surtout le saint-oice. cette situation caractérisait la période que les historiens du droit canonique appellent la période du Corpus iuris et des facultés qui se termine justement en 1622 avec la fondation de la propagande6. à partir de cette date commença un long processus de durée pluriséculaire de formation du droit missionnaire qui se prolongea jusqu’à la codiication de 1917, juste après la redéinition de la juridiction de la propagande sur le monde missionnaire, dans le cadre de la réorganisation de la curie romaine promulguée par pie X en 1908 (constitution apostolique Sapienti consilio). cette période (1622-1917) est caractérisée par l’efort pour fournir un cadre d’unité juridique, dont la propagande devait être le garant en tant qu’organisme de la curie qui met en œuvre la juridiction missionnaire du pape. toutefois, à cet efort d’uniformité, s’opposait un souci d’individualisation des diférences et de lexibilité de l’intervention missionnaire : les facultates furent élaborées justement parce qu’on ne pouvait pas utiliser le jus commune de l’église dans les missions. à cause de la variété de situations qui se présentaient, les missions furent le terrain de l’exception, plutôt que de la règle7. par conséquent, et voilà la diiculté majeure dans cet efort de systématisation, on voulut fournir aux missionnaires sur le terrain la possibilité d’exercer leur ministère à l’intérieur d’un cadre de règles. cela permit, au moins en théorie, non seulement de vériier constamment l’adhésion des peuples convertis à l’orthodoxie catholique, mais aussi, dans la perspective de la plantatio ecclesiae, de former aux quatre coins du monde de nouvelles chrétientés ayant des caractères communs, sur lesquelles on puisse exercer une juridiction unitaire depuis le centre 5. Voir par exemple pour les franciscains, emmanuel rodriguez, Nova collectio previliegiorum apostolicorum, Venise, 1611. 6. sur la périodisation relative au droit des missions, voir la synthèse rapide de arcadius Larraona, « De iure missionario », dans Commentarium pro religiosis et missionariis, t. 17, 1936, p.  83-90 et p.  362-367. sur les aspects juridiques de la fondation de la propagande, amandus reuter, « De iuribus et oiciis sacrae congregationis de propaganda Fide noviter constitutae seu de indole eiusdem propria », dans Memoria rerum, t. i/1, p. 112-145 ; id., « il dicastero romano per le missioni e le sue riforme », dans Ecclesiae memoria. Miscellanea in onore del R.P. Josef Metzler, OMI, prefetto dell’Archivio segreto vaticano, éd. willi henkel, rome/Fribourg/Vienne, 1991, p.  165177. pour un encadrement général du droit missionnaire par rapport au droit canonique et une ample bibliographie très récente sur le sujet voir maurizio martinelli, « L’origine e lo sviluppo delle “Facoltà speciali” di propaganda Fide. aspetti storici », dans Ius missionale, t. 2, 2008, p. 11-36. 7. eutimio sastre santos, « La apertura del archivo del santo oicio y su relación con el archivo de propaganda Fide, enero 1990  », dans Euntes Docete. Commentaria Urbaniana, t.  51, 1998, p. 179-205, à la p. 203.

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romain. en même temps, tout en suivant la pensée missiologique du jésuite José de acosta au carme déchaux tomas de Jésus et autres, il fallait tenir compte de la diversité des contextes territoriaux et des acteurs, missionnaires et missionés, qui y agissaient, ce qui posa bien des limites au processus uniformisant ci-dessus évoqué8. ce double objectif, et les contradictions qui en dérivèrent, imposèrent un pluralisme juridique, qui entraîna des diicultés et des conlits et qui fut un déi pour le projet législatif de la propagande. l’application de ce nouveau système relatif aux facultés ne se mit pas facilement en place. la propagande et son secrétaire Francesco ingoli (en charge de 1622 à sa mort en 1649) furent confrontés à une réalité héritée des siècles passés et qui échappait à leur contrôle. c’est pourquoi la réforme de la concession des facultés opérée par la propagande, en relation avec l’inquisition, s’avèra une véritable confrontation avec les réguliers. ingoli, tout en reconnaissant que le recours aux réguliers pour la tâche missionnaire était incontournable, airma que souvent leurs privilèges devenaient de véritables abus. en 1631, dans un rapport transmis au saint-oice, ingoli citait les cas de la hollande et de l’irlande relatifs aux aumônes. quant aux abus commis aux indes, il concluait, « je ne inirai jamais de les raconter » 9. Dans le même document ingoli signalait aussi que la concession de facultés aux supérieurs des ordres religieux sans préciser le nombre des missionnaires concernés laissait aux premiers la possibilité de s’en servir à leur discrétion, sans égard pour les exigences du lieu. Le document le plus souvent mentionné comme témoignant du mauvais fonctionnement de la concession sans contrôle des pouvoirs spirituels pendant les siècles passés fut la bulle Exponi nobis fecisti qu’adrien Vi, le pape lamand, avait accordée à charles quint en 1522. ce qui gênait le plus les autorités romaines était le fait que, par cette bulle dite Omnimoda, les religieux missionnaires jouissaient de pouvoirs aussi amples que ceux des évêques et pouvaient se présenter comme des représentants du pape. tout contrôle sur eux était réservé aux supérieurs de leurs ordres d’appartenance 10. 8. Voir adriano prosperi, « L’europa cristiana e il mondo : alle origini dell’idea di missione », dans Dimensioni e problemi della ricerca storica, t. 2, 1992, p. 189-220 ; Giovanni pizzorusso, « La compagnia di Gesù, gli ordini regolari e il processo di afermazione della giurisdizione pontiicia sulle missioni tra ine XVi e inizio XVii secolo: tracce di una ricerca » dans I gesuiti ai tempi di Claudio Acquaviva. Strategie politiche, religiose e culturali tra Cinque e Seicento, éd. paolo Broggio, Francesca cantù, pierre-antoine Fabre, antonella romano, Brescia, 2007, p. 55-85; voir aussi Benoît schmitz, « Le pape et les devoirs de sa charge dans les projets de réforme autour du concile de Latran V », dans Mélanges de l’école française de Rome. Italie et Méditerranée, t. 121/1, 2009, p. 219-259. 9. « [n]on inirei mai di raccontarli », archivio segreto vaticano, fondo Borghese, ser. i, t. 469474, fol. 112-115v (« considerationi intorno all’approvazione de’ missionari del secretario ingoli mandate alli 17 dicembre 1631 alla congregatione del s.to uizio »). 10. La bulle fut promulguée à saragosse le 10  mai 1522 et connut une large difusion en amérique (elle est reproduite dans l’Historia eclesiástica indiana de Jerónimo de mendieta en 1596) et en asie. un siècle plus tard, on ne retrouvait plus à rome l’original du document et on

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Face à ce danger, le dicastère missionnaire chercha à faire remplacer les anciens privilèges par les nouvelles facultés, ce que tous les ordres réguliers n’acceptèrent pas, notamment les jésuites qui réussirent à garder leurs Privilegia indica, en gérant de manière autonome les facultés que ces derniers contenaient, sans en rendre compte à d’autres qu’au pape. les tentatives d’ingoli et de ses successeurs à la propagande, tout au long du xviie siècle, pour que le pape se prononce explicitement pour l’abolition des anciens privilèges des ordres échouèrent. la congrégation dut accepter le fait que quelques ordres se soient soumis volontairement au nouveau régime et que d’autres, notamment les jésuites, ne l’aient pas fait. il est évident que ce double régime ne resta pas sans conséquences sur les territoires de mission. en 1678, le secrétaire de la propagande urbano cerri dénonçait au pape innocent Xi qu’il existait deux sortes de missionnaires parmi les religieux : ceux qui prenaient leurs facultés, instructions, provisions, directement de la propagande et ceux qui partaient « avec le privilège de leurs religions » et étaient indépendants ou presque du dicastère missionnaire. il arrive souvent – concluait polémiquement le secrétaire – qu’ils donnent l’exemple de mauvais chrétiens plutôt que de bons « ouvriers ecclésiastiques »11. cette ambiguïté pouvait évidemment devenir concurrence ouverte, comme en témoigne la situation des missions en extrême-orient entre les jésuites et les missionnaires de la propagande12. malgré les limites que l’on vient d’évoquer, la propagande avait réussi à organiser un système de facultés reconnu et respecté par la majorité des ordres ne pouvait pas vériier le texte, ce qui donna lieu à des recherches dans plusieurs bibliothèques. Le nonce à madrid repéra inalement un exemplaire en espagne en 1628, ce qui permit à rome d’en contester l’application surtout dans les domaines portugais. sur ce document de juridiction missionnaire d’envergure planétaire, voir pedro torres, La bula Omnímoda de Adriano VI, madrid, 1948 ; cosme José costa, A Missiological Conlict between Padroado and Propaganda in the East, Goa, 1997 ; Bernard Grunberg, L’inquisition apostolique au Mexique. Histoire d’une institution et de son impact dans une société coloniale (1521-1571), paris, 1998, p. 15 et p. 214-216. 11. apF, Miscellanee Varie, t.  Xi, fol. 176v-177, «  relazione di mons.gr urbano cerri alla santità di n.s. p.p. innocenzo Xi dello stato di propaganda Fide ». 12. sur les rapports institutionnels entre la propagande et les ordres religieux, voir rafael moya, « hacia una participación fructuosa de los religiosos en las misiones de propaganda », dans Memoria rerum, t.  i/1, p.  439-464 ; Giovanni pizzorusso, «  La congregazione de propaganda Fide e gli ordini religiosi : conlittualità nel mondo delle missioni del xvii secolo », dans Cheiron. Materiali e strumenti di aggiornamento storiograico, t. 43-44 : Religione, conlittualità e cultura. Il clero regolare maschile nell’Europa d’antico regime éd. massimo carlo Giannini, 2005, p. 197-240 ; sur les jésuites, Lucien campeau, « La juridiction ecclésiastique en nouvelle-France avant mgr de Laval », dans Société canadienne d’histoire de l’église catholique. Sessions d’études, t. 39, 1972, p. 91108 et Giovanni pizzorusso, «  Le pape rouge et le pape noir. aux origines des conlits entre la congrégation “de propaganda Fide” et la compagnie de Jésus au xviie siècle », dans Les antijésuites. Discours, igures et lieux de l’antijésuitisme à l’époque moderne, éd. pierre-antoine Fabre et catherine maire, rennes, 2010, p. 539-561.

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religieux. toutefois, la réalisation de ce programme passait par un compromis avec le saint-oice, signiicatif de la déinition des compétences des deux dicastères, ainsi que du caractère opérationnel du système des facultés. en tant que suprême garant de l’orthodoxie, c’était l’inquisition qui octroyait souvent les facultés, avant la fondation de la propagande. après 1622, l’inquisition voulut garder son droit de vériication des pouvoirs accordés aux missionnaires, alors que la propagande protesta de sa meilleure connaissance des champs d’action missionnaire. une congrégation super facultatibus missionariorum, établie par le pape urbain Viii en 1633, rédigea en 1637 le texte des nouvelles facultés (ce fut surtout l’œuvre du secrétaire ingoli en collaboration avec le cardinal de l’inquisition Desiderio scaglia, dit le cardinal de crémone) et on décida qu’il revenait à la propagande d’examiner les sujets à envoyer en mission13 et d’établir les facultés à accorder d’après les nécessités des lieux et des peuples à évangéliser. Le saint-oice, pour sa part, devait ratiier les facultés proposées et autoriser la propagande à les envoyer aux destinataires14. cet aspect du processus bureaucratique n’est pas à négliger. L’inquisition, qui octroyait les facultés avant la fondation de la propagande, gardait ses droits d’intervention sur la vériication des facultés et, comme nous le dirons encore dans la suite de ce texte, sur les questions qui surgissaient dans la pratique de leur application. cela signiiait aussi que la juridiction missionnaire de la propagande n’était pas à considérer comme une activité à elle seule, 13. cette disposition était déjà en vigueur auparavant, voir les décrets du 24  juin 1623, qui obligent les supérieurs généraux des ordres à faire approuver les missionnaires auprès de la propagande avant leur départ en mission, et du 2 mai 1625 par lequel la propagande intime aux supérieurs d’envoyer des hommes de foi, de mœurs excellentes, de doctrine, bien observant de la règle, zélés dans la propagation de la foi et conscients que s’ils ne s’attèlent pas à sauver les âmes ils auront à subir la divini iudicii vindictam ainsi que la censure du pontife. en efet l’attitude des supérieurs consistant à se libérer des membres moins disciplinés de leur ordre en les envoyant en terre de mission constitua un problème constamment ressenti et denoncé par la propagande ; pour le décrets, voir Collectanea S. Congregationis de Propaganda Fide seu decreta instructiones rescripta pro apostolicis missionibus, rome, 1907, v° missionarii ; sur le respect de la règle de la part des religieux en mission, ignatio ting pong Lee, «  Disciplina religiosa et apostolatus in missionibus  », dans Commentarium pro religiosiis et missionariis, t.  36, 1957, p.  365-370 et t.  37, 1958, p.  80-88 et 194-203. 14. Le rétablissement ponctuel de l’activité de la congrégation (dite urbanienne) constituée pour la rédaction des facultés des missionnaires est exposé par saverio m. paventi, «  congregazione  urbaniana super facultatibus missionariorum  », dans Studia missionalia, t.  7, 1952, p.  217-240, à compléter avec id., «  origo congregationis urbanianae super facultates missionariorum  », dans Commentarium pro religiosis et missionariis, t.  24, 1943, p.  288-300 et t.  25, 1944, p.  73-86. La congrégation, formée par les cardinaux Bernardino spada, Laudivio Zacchia (connu comme cardinal de saint-sixte), Giovanni Battista pamphili (le futur innocent X) et le déjà nommé cardinal de crémone, travailla du 25  avril 1633 jusqu’au 7  novembre 1643, mais l’élaboration des facultés était déjà terminée lors de la réunion du 10  fevrier 1637. après cette date, les séances furent consacrées à l’application des facultés jusqu’à 1643, date à laquelle la congrégation ne fut plus considérée comme nécessaire.

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mais impliquait une collaboration constante avec les autres bureaux de la curie, notamment avec le saint-oice15. il convient de s’arrêter rapidement sur le contenu et, surtout, sur l’articulation de ces facultés. elles portaient en substance sur les diférents aspects du ministère sacré, qui sont évidemment particuliers dans les missions : l’administration des sacrements, surtout le mariage (les dispenses d’empêchements, la polygamie), les cas d’absolution d’hérésie, d’apostasie, de schisme, les cas réservés de la bulle In Coena Domini ; la lecture des livres interdits ; la récitation de l’oice divin, la concession d’indulgences, etc.16. ce dispositif de prescriptions ne constituait pas une simple liste valable partout. ingoli avait conçu une architecture normative beaucoup plus complexe. il ixait d’abord des Regulae, des règles générales qui établissaient certains paramètres : la distance des lieux de mission des églises ou des sièges épiscopaux, la possibilité de pratiquer ou non le culte et, dans le cas airmatif, de pouvoir le faire publiquement. L’objectif de ces règles était surtout de ne pas créer des conlits d’attribution entre missionnaires et clergé local et, notamment, là où il est présent, l’épiscopat. il s’agissait pour ingoli d’éviter les incertitudes d’interprétation soulevées par la bulle Omnimoda, déjà citée, mais on doit aussi prendre en considération l’importance que revêtait, aux yeux des responsables de la congrégation, la situation des territoires de frontière confessionnelle en europe. cela est conirmé par le souci de faciliter au maximum l’absolution de l’hérésie pour favoriser le passage au catholicisme et pour retenir plus eicacement les convertis. Dans les territoires où existe une autorité épiscopale, certaines facultés propres aux évêques étaient accordées aussi aux missionnaires pour le seul for interne et avec des limites temporelles. ingoli révélait que cette mesure lui avait été inspirée par l’évêque irlandais eugene matthews, mort à rome en 1623, qui soutenait que les idèles et les convertis s’adressent souvent plus volontiers aux missionnaires étrangers qu’à leur évêque17. 15. sur les rapports entre les deux congrégations, je me permets de renvoyer à mes travaux récents : Giovanni pizzorusso, « i dubbi sui sacramenti dalle missioni “ad inideles” : percorsi nelle burocrazie di curia  », dans Mélanges de l’école française de Rome, t.  121/1, 2009, p.  39-61 ; id., « congregazione De Propaganda Fide », dans Dizionario storico dell’Inquisizione, éd. adriano prosperi en collaboration avec John tedeschi et Vincenzo Lavenia, t. i, pise, 2010, p. 391-393 ; id., « Le fonti del sant’uizio per la storia delle missioni e dei rapporti con propaganda Fide », dans A dieci anni dall’apertura dell’archivio della congregazione per la Dottrina della Fede, rome, 2011, p. 393-423. 16. on trouve le texte des facultés dans plusieurs volumes des archives de la propagande et notamment dans un livret manuscrit, avec la préface d’ingoli et du cardinal de crémone, apF, Congressi Missioni, Miscellanea, t. 11 et 19. Dans les archives du saint-oice, voir acDF, s.o., st. st., nn 5 h-i. Les formules furent publiées peu après leur élaboration dans le traité du théatin angelo maria Verricelli, Quaestiones morales ut plurimum novae, ac peregrinae seu tractatus de apostolicis missionibus, Venise, 1656, sub titulum XVi. 17. ingoli exposa son projet de rédaction des facultés en 1633 dans un « Discorso del segretario ingoli, che s’ha da essaminare nella congreg[azio]ne part[icola]re circa le facoltà da darsi alli

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par ce cadre réglementaire on tient compte d’une pluralité de situations de mission ainsi que d’une diversité de typologie de missionnaires (religieux, évêques). les Formulae, les formules, les listes de facultés en faisaient état. elles diféraient selon les destinataires et les lieux. les dix formules ordinaires (réparties entre générales et particulières) distinguaient entre évêques et vicaires apostoliques d’un coté et préfets apostoliques et missionnaires de l’autre. on tenait également compte des nonces pontiicaux (dont le rôle missionnaire a déjà été souligné par Bernard Barbiche18) qui, pour exercer leur contrôle dans les pays protestants et sur les frontières confessionnelles de l’europe, avaient besoin de facultés plus amples que les évêques et les missionnaires. du point de vue géographique, trois formules portaient sur les continents extra-européens, les sept autres s’adressaient à l’europe en distinguant les pays catholiques où se trouvaient des « hérétiques » et les territoires protestants. D’autres formules, dites extraordinaires, furent préparées par ingoli pour des lieux particuliers. Leur étude permet de saisir la méthode d’ingoli pour élaborer les facultés. en efet, ces formules extraordinaires sont construites à partir des formules générales dans lesquelles on intégrait des facultés tirées d’autres formules ou élaborées ex novo. il faut se représenter une conception modulaire qui permet de mettre ensemble des éléments, comme un jouet de construction, une sorte de « Lego ». cette méthode permet aussi une synthèse entre souci d’uniformité législative et attention aux diférences, non seulement par rapport à la géographie des champs de mission, mais aussi par rapport aux hiérarchies du clergé missionnaire et à la répartition administrative des territoires (évêchés, vicariats, préfectures, missions). il faut aussi ajouter l’attention portée à l’élément temporel : les formules des facultés ont une durée de validité diférente (ad decennium pour l’asie et l’afrique, ad quindecim annos pour les indes occidentales et orientales), mais limitée dans tous les cas, ce qui rend possible une vériication périodique des conditions locales et l’adéquation aux changements intervenus. Dans un passage central de son rapport sur l’examen des facultés, ingoli exposait explicitement que le critère de son projet de réforme des facultés était axé sur le couple personnes-territoires et sur la distinction des rôles et des situations à l’intérieur de chacun des éléments de ce couple : évêques ou simples prêtres, préfets apostoliques ou religieux d’un côté ; missions auprès des protestants, des

missionarij della sac[ra] cong[regazio]ne de prop[aganda] ide  », apF, congressi missioni, miscellanea Xi, fol. 76-81v. 18. Voir Bernard Barbiche, « La diplomatie pontiicale au xviie siècle », dans Armées et diplomatie dans l’Europe du xviie siècle, actes du colloque de l’Association des historiens modernistes de 1991, paris, 1992, p. 109-127 (notamment les p. 112-114) et Giovanni pizzorusso, « “per servitio della sacra congregatione de propaganda Fide” : i nunzi apostolici e le missioni tra centralità romana e chiesa universale (1622-1660) », dans Cheiron. Materiali e strumenti di aggiornamento storiograico, t. 30, 1998, p. 201-227.

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schismatiques, des inidèles, des musulmans de l’autre côté19. cette conception n’était pas inédite : on retrouvait une hiérarchisation et une territorialisation de l’organisation des missions à l’intérieur de la compagnie de Jésus et des autres ordres réguliers, chacun avec ses propres spéciicités. L’initiative de la propagande, par le projet d’ingoli, constituait un élargissement déinitif de cette idée dans la juridiction romaine des missions, qui se réalisait par un encadrement juridique spéciique de la igure et de l’action du missionnaire. évidemment, il ne s’agit que du début d’un processus qui n’aboutira que plusieurs siècles plus tard, mais qui constitue un élément important de la transformation en cours de la igure du missionnaire. L’historiographie a beaucoup insisté, à l’instar d’adriano prosperi, sur les méthodes d’évangélisation d’inspiration jésuite et sur la formation culturelle des religieux20. L’aspect juridique qui nous intéresse ici est un élément de cet ensemble. il est marqué par la réglementation des pouvoirs apostoliques, l’implantation de la mission et l’insertion des igures de l’église séculière (évêques et clergé séculier) dans un contexte d’expansion de l’apostolat. La dimension des facultés, des limites juridiques imposées aux religieux nous aide à mieux comprendre non seulement les termes efectifs de leur action apostolique, mais aussi leur rôle dans l’établissement territorial de l’église missionnaire ainsi que, plus généralement, les conlits religieux et culturels qui surgissent avec les populations converties. Deux aspects permettent de mesurer plus concrètement l’importance des questions que le système des facultés posait pour l’histoire des missions et de la juridiction de la propagande. premièrement, la propagande relançait la question de la responsabilité apostolique des évêques. Dans plusieurs écrits, ingoli insistait sur cette démarche permetant d’envoyer en mission des prélats (évêques résidentiels ou vicaires apostoliques avec titre épiscopal) dotés d’une autorité supérieure et qui pourraient surveiller les religieux. mais cet aspect, qui a pourtant soulevé de grandes controverses entre religieux et évêques, n’est pas le seul en débat. J’ai déjà cité la polémique sur la bulle Omnimoda et on pourrait ajouter les diicultés qui, pendant les années 1620-1630, secouaient les pays-Bas où les ordres réguliers s’opposaient au vicaire rovenius (philip van rouveen)21. Dans le programme de la 19. apF, congressi missioni, miscellanea Xi, fol. 76-81v. 20. a. prosperi, « L’europa cristiana e il mondo… » ; voir aussi paolo prodi, « nouvelles dimensions de l’église : le problème des missions et la “conquête spirituelle” de l’amérique », dans id., Christianisme et monde moderne. Cinquante ans de recherches, paris, 2006, p. 397-420 ; Luca codignola et Giovanni pizzorusso, « Les lieux, les méthodes et les sources de l’expansion missionnaire du moyen-Âge au xviie siècle : rome sur la voie de la centralisation », dans Transferts culturels et métissages Amérique/ Europe xvie-xxe siècle / Cultural Transfer, America and Europe : 500 Years of Interculturation, éd. Laurier turgeon, Denys Delâge et réal ouellet, québec/paris, 1996, p. 489-512. 21. Voir eutimio sastre santos, «  el ajuste de la juridicción en el vicariato apostólico de holanda (1621-1626) », dans Euntes docete. Commentaria Urbaniana, t. 51/3, 2008, p. 153-175, t. 52/1, 2009, p. 145-181 et t. 52/2, 2009, p. 175-198.

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propagande, la igure de l’évêque était centrale puisque la congrégation recherche d’abord la stabilisation de la mission, en favorisant la présence du clergé séculier à l’intérieur d’un territoire dont les conins étaient précisément délimités. en efet, les nouvelles formules des facultés étaient en large majorité pour les évêques (avec pouvoir de les déléguer). en tant que représentants du pape, ceux-ci sont les instruments naturels de l’extension de son pouvoir et de la mise en place d’une hiérarchie, même si l’on reconnait le poids efectifs des religieux22. ce souci de hiérarchiser se retrouvait aussi là où il n’y avait pas d’évêques. d’après les suggestions d’ingoli, les facultés étaient accordées aux missionnaires par l’intermédiaire des préfets des missions. ceux-ci sont membres des ordres réguliers et ne peuvent exercer leurs pouvoirs qu’envers leurs confrères. souvent la présence simultanée de membres de plusieurs ordres fut source de conlits acharnés. ce fut le cas des antilles françaises au milieu du xviie siècle où étaient présents quatre ordres réguliers, ayant chacun son préfet. on chercha en vain à établir un évêque séculier23. pour revenir au rôle des évêques, le projet le plus ambitieux, et inalement le plus illusoire, de la propagande fut sans doute la formation du clergé indigène. grâce au pouvoir d’administrer l’ordination, les évêques missionnaires créèrent ce nouveau clergé dont l’efort de conversion se révéla plus eicace en raison de la commune origine « ethnique » avec les convertis24. en 1678, la propagande relançait la politique d’ingoli. Le secrétaire urbano cerri, dans un long rapport historique dont l’argumentation remontait à saint pierre, le premier pontife, qui envoya saint marc à alexandrie pour y établir l’église, démontrait que le christianisme a pu mieux se conserver là où la hiérarchie épiscopale a existé longtemps et il soutenait que le clergé indigène serait plus eicace, mais aussi moins coûteux pour la congrégation puisqu’il était déjà résident dans le pays. en outre, souligne cerri, tous les religieux d’europe ne suiraient pas pour constituer le clergé de l’asie : il fallait donc qu’un évêque local puisse ordonner des prêtres indigènes sans avoir recours à l’europe. cela constituerait aussi un avantage pour ces populations qui pourraient mieux proiter d’un clergé de leur langue et de leur nation25. à travers l’idée de stabilisation de 22. Le quatrième point du « discours » de Francesco ingoli exprime cette idée que le secrétaire avait déjà exposé en 1631 dans sa Relazione delle quattro parti del mondo, éd. Fabio tosi, rome, 1999, p. 274-276. 23. Giovanni pizzorusso, Roma nei Caraibi. L’organizzazione delle missioni cattoliche nelle Antille francesi e in Guyana (1635-1675), rome, 1995, p. 263-323. 24. sur les premiers tentatives de créer une hiérarchie ecclésiastique indigène, voir Giuseppe sorge, Matteo de Castro (1594-1677), Bologne, 1986 et Karl müller, « propaganda-Kongregation und einheimischer Klerus », dans Memoria rerum, t. i/1, p. 538-557. 25. cerri proposa que ce projet fût inancé par l’argent que le pape destinait à la fabrique de la basilique de saint-pierre qui était désormais presque terminée, apF, congregazioni particolari, t. 21, fol. 215-242v (dossier « missione dei vescovi »).

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la mission soumise à un évêque doté d’amples facultés, la propagande se posait comme le garant institutionnel de la « normalisation » de l’église missionnaire par la création des diocèses. ce programme d’organisation de diocèses missionnaires (qui se réalisa partiellement et lentement au il des siècles) impliquait une diférenciation institutionnelle et juridique de la igure du missionnaire : réguliers/ séculiers, préfets/vicaires/évêques… ce pluralisme existait en vertu non seulement d’une diversiication juridique des territoires ecclésiastiques (évêchés, vicariats, préfectures), mais aussi d’une variété des groupes de idèles appartenant à divers rites ou ethnies. Des formes de juridiction « personnelle » étaient conirmées par les facultés, par exemple, pour le clergé de rite oriental. La nationalité et la langue étaient également prises en compte. Dès le xviie siècle, des facultés pour un prêtre séculier irlandais aux caraïbes étaient délimitées par l’origine ethnique des idèles : missionarius in America pro sua natione. Les migrations massives des européens catholiques au nouveau monde multiplièrent par la suite ces juridictions missionnaires « personnelles » (paroisses et évêchés)26. un deuxième efet du régime juridictionnel de la propagande fondé sur les facultés fut que celles-ci constituèrent un moyen d’évaluation de l’application des principes du catholicisme tridentin sur les quatre continents où désormais se déployait l’efort missionnaire. Lorsque ces principes heurtaient les réalités et les pratiques locales, l’application des facultés par les religieux se révélait diicile voire impossible. Les missionnaires étaient alors obligés de s’adresser aux autorités romaines pour présenter leurs « doutes », les dubia (ce mot prit un sens bureaucratique standardisé dans la curie romaine). avant la fondation de la propagande, ces doutes arrivaient normalement au saint-oice. comme nous l’avons dit plus haut au sujet de la concession des facultés, malgré l’établissement d’un dicastère spécialisé sur l’évangélisation, l’inquisition continuait à être concernée par toutes les questions relatives aux hérésies ou, au moins, à l’orthodoxie doctrinale ou disciplinaire. telles étaient normalement les matières qu’on trouvait dans cette documentation arrivant à rome depuis les missions de toute la planète. après 1622, ces documents adressés à la propagande furent transmis au saint-oice pour la décision. celle-ci était renvoyée au dicastère missionnaire qui se chargeait d’en informer les missionnaires ayant présenté le doute. Le rôle de la propagande n’était pas seulement celui de passe-carte. elle était quand même concernée parce qu’elle devait fournir les renseignements tirés de ses archives et utiles à la décision : c’est la propagande qui gardait un contact continu avec les religieux sur le terrain 26. sur les constantes de l’identiication de groupe ethnique ou de nation dans le passage de l’activité missionnaire auprès des populations natives à l’assistance spirituelle des communautés catholiques immigrées aux amériques, voir Giovanni pizzorusso et matteo sanilippo, Dagli indiani agli emigranti. L’attenzione della Chiesa romana al Nuovo Mondo, 1492-1908, Viterbe, 2005.

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de mission et qui connaissait les situations locales, alors que le saint-oice, en tant qu’instance décisionnelle suprême, ne faisait ses évaluations que sur les dossiers qu’on lui fournissait27. le nombre de ces doutes fut considérable ; ils concernèrent les divers aspects de l’activité des missionnaires. l’administration des sacrements constitua un des thèmes les plus fréquents de ces recours à rome. étant donné leurs conséquences sur le vécu des convertis, souvent des minorités, dans leur société d’origine, le baptême et le mariage furent les sacrements qui soulevèrent les diicultés les plus nombreuses et variées. par exemple, pour le premier se posaient des questions sur les aspects matériels (l’eau, le geste), très importants dans le cas où le missionnaire devait agir de façon dissimulée ou dans l’urgence de l’articulo mortis. une autre question fréquente était celle de la traduction dans les langues vulgaires de la formule (un problème commun à tous les missionnaires était par exemple la traduction du mot « saint-esprit » et la formulation d’un énoncé correct de la trinité). La proximité avec les protestants fut souvent à l’origine de doutes sur la réitération du baptême, notamment pour les adultes. on posa aussi des questions plus complexes relatives aux conditions dans lesquelles le sacrement était administré et si elles garantissaient l’authenticité de la conversion. Les consulteurs du saint-oice faisaient état, dans leurs réponses, de leurs connaissances théologiques et avaient recours aux autorités, de saint homas d’aquin à Francisco suárez. ils utilisaient systématiquement l’analogie, en comparant des situations semblables existant dans diverses régions du monde. il n’est pas possible d’ouvrir ici l’énorme dossier des dubia circa matrimonium et moins encore d’aborder d’autres sujets tels les rites et les liturgies (des pratiques funéraires aux prescriptions alimentaires) qui suscitèrent également un lux très riche de doutes28. Le fait que les missionnaires aient transmis ces doutes témoigne de ce que le système normatif romain sur l’activité missionnaire se confrontait à la pratique apostolique sur le terrain et que le missionnaire jouait un rôle de médiateur entre l’orthodoxie tridentine et la réalité du catholicisme dans les pays de missions.

27. La collaboration entre les deux dicastères se régularisa après une dispute, dans laquelle le pape soutint les raisons de l’inquisition qui, outre sa primauté dans la curie romaine, revendiquait aussi son organisation de théologiens consulteurs qui étaient à même d’examiner les matières en question, voir nicola Kowalsky, «  sacra congregatio “de tuenda Fide”  », dans Pontiiciae universitatis urbanianae annales, 1965, p. 26-39 ; Josef metzler, « Die verschollene S. Congregatio “de Tuenda Fide” und ein mißglückter Bischofsrat im 17. Jahrhunderts  », dans Neue Zeitschrift für Missionwissenschaft / Nouvelle revue de science missionnaire, t.  23, 1967, p.  40-45 et id., « controversia tra propaganda e s.uizio circa una commissione teologica (1622-1658) », dans Pontiiciae universitatis urbanianae annales, 1968-1969, p. 47-62. pour les détails sur le passage des documents entre propagande et saint-oice et sur leur distribution dans les archives des deux congrégations, voir G. pizzorusso, « i dubbi sui sacramenti… », p. 40-48. 28. nous renvoyons aux ouvrages collectifs cités plus haut à la note 2.

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par conséquent, cela constituait aussi un précieux informateur pour rome, car cela instaurait, par la présentation des doutes et la vériication permanente sur le terrain de ses pouvoirs spirituels, une dialectique sur les aspects proprement juridiques mettant constamment les normes en discussion. ingoli estimait que le missionnaire aurait dû avoir une certaine marge d’interprétation et d’adaptation. toutefois le souci d’orthodoxie, qu’éprouvaient de plus en plus les religieux eux-mêmes jusqu’au xixe siècle, comme l’a démontré l’étude de claude prudhomme sur le pontiicat de Léon Xiii29, multipliait les recours à rome. on le vit par l’accroissement de la documentation des dubia, ainsi que par la nécessité pour le saint-oice non seulement de prononcer des décisions ayant une valeur générale d’instruction, mais aussi de tenir compte des spéciicités multiples que les missionnaires présentaient constamment. c’est ainsi que se constitua une jurisprudence qui devint la référence pour l’activité décisionnelle des responsables romains. cette jurisprudence en formation fut consignée dans des volumes manuscrits, outils du travail quotidien des consulteurs dans leurs bureaux30, ainsi que dans des traités imprimés31 dans lesquels le ius missionum prit forme. Déjà au xviie siècle, les traités du franciscain raymond caron, du théatin angelo maria Verricelli, du franciscain Domenico de Gubernatis, de l’assesseur du saint-oice Francesco albizzi sont les textes de référence32, très souvent cités dans les « vœux » des consulteurs, théologiens et canonistes, spécialistes de ces matières, comme Lorenzo Brancati di Lauria, Jean Damascène, Joseph-simon assemani et plusieurs autres. pour conclure, nous pouvons dire que le droit missionnaire, formé progressivement par l’adoption des facultés et par l’activité constante de vériication de l’application de celles-ci à travers l’examen des doutes, ne fut pas seulement un instrument de la juridiction pontiicale sur les missions par la déinition juridique des divers types de missionnaires, mais aussi, indirectement, un formidable agent de connaissance du monde, en fournissant un paradigme (qui est, au fond, 29. claude prudhomme, Stratégies missionnaires du Saint-Siège sous Léon  XIII (1878-1903). Centralisation romaine et déis culturels, rome, 1994. 30. par exemple, la Collectio diversorum decretorum S. O. […] quae novissime ordine alphabetico digesta sunt, acDF, s.o., st. st., q 2-n, utilisée par le consulteur Lorenzo Brancati di Lauria (je remercie elena Bonora qui m’a indiqué ce volume) et les postérieures Resolutiones theologicae quae ad rem moralem, sacramentariam, et ritualem pertinent ad Occidentalis atque Orientalis ecclesiae missionarios apostolicos informandos ex authographis congregationum Sancti Oicij ac Propagandae Fidei, acDF, s.o., st. st., p h-1. 31. Iuris pontiici de Propaganda Fide pars prima et secunda, rome, 1888-1907 et, surtout, la Collectanea Sacrae Congregationis de Propaganda Fide déjà citée. 32. raymond caron, Apostolatus Evangelicus missionariorum regularium per universum mundum expositus, anvers, 1653 ; a. m. Verricelli, Quaestiones… ; Domenico De Gubernatis, De Missionibus inter inideles, rome, 1689 ; Francesco albizzi, De inconstantia in iure admittenda vel non, amsterdam, 1683.

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tridentin33) permettant de mesurer l’autre, le divers. au centre de ce système, le missionnaire jouait un rôle de médiation dans les conlits religieux et culturels qui résultaient de la confrontation des réalités missionnaires et des prescriptions romaines et qui inondaient les tables des consulteurs et des bureaucrates romains, contraints d’évaluer, de comparer, de trancher sur les diverses questions. adriano prosperi a dressé une image du missionnaire à l’âge baroque qui le montre dans l’efort d’élaboration de méthodes pour transmettre le message apostolique et, en même temps, aux prises avec les diverses cultures, de l’asie lointaine aux campagnes italiennes, à la fois gêné par leur imperméabilité et attiré par la curiosité envers les éléments des réalités locales34. les espaces très diversiiés où se jouait ce déi sont les territoires de mission dans lesquels le missionnaire arrivait avec sa formation culturelle et religieuse35, mais aussi avec ses prérogatives spirituelles ixées à rome dans le contexte d’un droit de mission en formation. ce furent ainsi ces pouvoirs, avec l’observance de la règle de leurs ordres36, qui formèrent le statut juridique du religieux et qui lui assignèrent les limites, souvent trop étroites et inadéquates et en tout cas diférentes et négociables, de son action apostolique, en contribuant à façonner son image, son identité face aux autres réalités, en dehors de l’espace tridentin et occidental de l’église. loin d’être seulement un aspect bureaucratique et formel de la mission, les facultés (ainsi que les doutes présentés par les religieux) furent les bases pour la formation d’un proil juridique du missionnaire et, en même temps, elles furent au centre du processus d’échange d’informations et de connaissances, ainsi que de mécanismes décisionnels provoqués par la difusion et l’implantation, à travers la planète, des missions de l’église tridentine. giovanni pizzorusso università degli studi « Gabriele d’annunzio », chieti

33. paolo prodi, Il paradigma tridentino. Un’epoca della storia della Chiesa, Brescia, 2010. 34. adriano prosperi, « il missionario », dans L’uomo barocco, éd. rosario Villari, Bari/rome, 1991, p.  179-218. Voir aussi Giovanni pizzorusso, «  La congrégation “de Propaganda Fide” à rome : centre d’accumulation et de production de “savoirs missionnaires” (xviie-début xixe siècle) » dans Missions d’évangélisation et circulation des savoirs xvie-xviiie siècles, éd. charlotte de castelnau L’estoile, marie-Lucie copete, aliocha maldavski et inès Zupanov, madrid, 2011. 35. sur les notions d’espace et de territoire dans les missions, voir l’étude sur les franciscains de Giuseppe Bufon, Tra spazio e territorio. La missione francescana in epoca moderna, assise, 2006. 36. Voir Bernard Dompnier, « tensions et conlits autour des missions chez les capucins du xviie siècle », dans Cheiron. Materiali e strumenti di aggiornamento storiograico, t. 43-44 : Religione, conlittualità e cultura. Il clero regolare maschile nell’Europa d’Antico Regime, éd. massimo carlo Giannini, 2005, p. 159-184.

l’évolution du statut canonique du clergé paroissial tridentin d’aprÈs la congrégation du concile par

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i. — le rôle de la jurisprudence romaine selon le grand historien allemand du concile de trente, hubert Jedin, la réforme de l’église prévue par les décrets des sessions 24e et 25e ne sanctionna pas un fait, mais constitua seulement une possibilité. l’essentiel fut qu’elle réussit à rendre possible l’exécution des décrets. si l’on veut évaluer l’eicacité ultérieure des décrets sur la vie juridique de l’église, il suit de jeter un coup d’œil à l’édition commentée qui a été publiée par emil ludwig richter pour s’apercevoir – conclut Jedin – que les décrets des dernières sessions ont été mis en œuvre au siècle suivant par les déclarations de la congrégation du concile1. on comprend facilement que le grand déi pour le chercheur est, avant tout, de comparer le point de départ et le point d’arrivée, la formulation conciliaire avec ses nouveautés mais aussi avec ses compromis, et les applications de la jurisprudence face aux problèmes concrets. au sein de la curie romaine, un rôle très important fut immédiatement attribué à la Sacra Congregatio Cardinalium Concilii Tridentini Interpretum, dénommée simplement par la suite congrégation du concile. les décisions relatives à l’interprétation des décrets conciliaires lui étaient réservées, toutes publications de commentaires, gloses, annotations et autres genres d’interprétations les concernant étant interdites2. 1. hubert Jedin, Geschichte des Konzils von Trient, Fribourg-en-Brisgau, 1951-1976 ; Il concilio di Trento, trad. it., 2e éd., Brescia, 2010, vol. iV, t. ii, p. 263-264. 2. Voir La Sacra Congregazione del Concilio. Quarto centenario dalla fondazione (15641964). Studi e ricerche, cité du Vatican, 1964 ; pietro caiazza, «  L’archivio di stato della sacra

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le travail de cet organisme central de l’église pendant quatre siècles fut immense et essentiel pour donner une application précise à la réforme pastorale tridentine. les décrets du concile de trente ont modiié beaucoup de questions envisagées par les collections des décrétales réunies au Corpus iuris canonici. un canoniste du xviiie siècle, remigius maschat, compta avec minutie les corrections introduites aux canons des décrétales selon les diférentes modalités juridiques (abrogation, dérogation, modération ou accroissement). il en conclut qu’approximativement 319 modiications législatives avaient été opérées3. mais au-delà de l’amplitude de la révision réalisée, c’est l’extrême sensibilité des questions abordées par les pères du concile (avec toutes les diicultés politiques et les discussions préalables que nous connaissons grâce aux actes de la Görres-Gesellschaft) qui rendait les décrets susceptibles d’interprétations et d’adaptations les plus variées dans les diférents pays. enin, outre les problèmes d’interprétation déjà indiqués, d’autres allaient surgir, du fait de la réunion des synodes diocésains et des conciles provinciaux4, où de nouvelles questions étaient exposées sous l’efet des circonstances ou qui donnaient des applications particulières aux décrets conciliaires que rome se réservait de conirmer ou de désapprouver par le biais de la recognitio5. on comprend donc l’importance fondamentale de la jurisprudence romaine et l’on est surpris de constater qu’elle n’a pas encore été étudiée, ni par les historiens ni par les canonistes, malgré l’existence de plusieurs recueils des décisions de la congrégation du concile, notamment de la monumentale Collectio omnium conclusionum et resolutionum de salvatore pallottini6. congregazione del concilio (primi appunti per un problema di riordinamento) », dans Ricerche di storia sociale e religiosa, t. 42, 1992, p. 7-24 ; paolo prodi, « note sul problema della genesi del diritto della chiesa post-tridentina dell’età moderna », dans Legge e Vangelo, Brescia, 1973, p. 196198 ; alain tallon, Le concile de Trente, paris, 2000, chap. 5. 3. remigius maschat et ubaldus Giraldi, Institutiones canonicae, Ferrare, 1760, elench. i/V. 4. sur la bibliographie des synodes et des conciles voir  : Jacobus heodorus sawicki, Bibliographia synodorum particularium, cité du Vatican, 1967 ; sur la célébration des conciles provinciaux, voir eugenio corecco, La formazione della chiesa cattolica negli Stati Uniti d’America attraverso l’attività sinodale, Bologne, 1981, p. 100-126 ; pietro caiazza, Tra Stato e Papato. Concilî provinciali post-tridentini (1564-1648), rome, 1992 ; Conciles provinciaux et synodes diocésains du concile de Trente à la Révolution française, sous la direction de marc aoun et Jeanne-marie tuferyandrieu, strasbourg, 2010. 5. quelques indications dans Valentín Gómez-iglesias, « La Bula “immensa aeterni Dei” de sixto V (22-i-1588) : la revision de los decretos de los concilios provinciales », dans L’année canonique, hors série : La synodalité. Actes du VII Congrès international de droit canonique, 1992, t. ii, p. 409-415. 6. salvatore pallottini, Collectio omnium conclusionum et resolutionum quae in causis propositis apud Sacram Congregationem Cardinalium S. Concilii Tridentini interpretum prodierunt ab eius institutione anno MDLXIV ad annum MDCCCLX distinctis titulis alphabetico ordine per materias digesta, rome, 1868-1890, 17 vol.

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l’étude de l’inluence de la jurisprudence sur l’application du concile tridentin ne peut être isolée du cadre plus large des autres dicastères romains (je pense en premier lieu à la rote romaine comme tribunal d’appel) et des autres sources législatives de droit commun (constitutions apostoliques, décrets généraux, motu proprio) ou bien de droit particulier (conciles provinciaux et statuts diocésains).

ii. — l’objet de recherche à défaut de présenter une analyse d’ensemble de la jurisprudence romaine relative au statut canonique des ecclésiastiques et aux rapports ou conlits de pouvoir à l’intérieur de l’église, je voudrais me limiter à un choix de conclusiones et resolutiones qui ont pour objet le status personnel du bas clergé et le règlement de sa charge pastorale. l’attention se portera particulièrement sur la mise en œuvre des décrets tridentins concernant l’élection du curé par concours, la typologie entre curé amovibles et inamovibles, la condition juridique des vicaires et chapelains paroissiaux, les devoirs pastoraux et les prérogatives du curé et des vicaires. il faudrait, pour évoquer ces thèmes de façon exhaustive, élargir le sujet aux conlits presque permanents internes aux diocèses de l’ancien régime. ces conlits peuvent être évoqués de façon sommaire à deux niveaux diférents mais liés : le premier concerne les intérêts et les droits des particuliers et des corporations ecclésiastiques et laïques qui contrôlent le système bénéicial – qui comme on le sait ont joué un rôle essentiel pour la présentation des clercs aux oices – et les acteurs institutionnels de l’église locale (en particulier l’évêque) ; le second est relatif aux conlits entre les paroisses et les curés, d’une part, et les chapitres cathédraux, les abbayes et les couvents qui exercent à leur compte ou par délégation une activité pastorale, d’autre part. mais, par son étendue et sa complexité, ce travail est simplement impossible. c’est une raison supplémentaire pour déplacer la recherche du champ des forces institutionnelles concurrentes dans l’espace à celui des grandes transformations d’un acteur social important dans le temps. à mon avis deux phénomènes ont concerné le clergé catholique du fait des décrets tridentins et de leur mise en œuvre par la congrégation du concile : en premier lieu le passage progressif du statut privilégié du droit médiéval à la fonction ministérielle et sociale de la période moderne et contemporaine ; en second lieu, à partir de la in du xviie siècle, un processus visant à bureaucratiser et à professionnaliser le clergé investi de la charge d’âmes.

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iii. — une stratégie de sélection préalable du personnel les mécanismes juridiques de contrôle et de sélection employés par la congrégation du concile en application des décrets tridentins et des normes pontiicales qui en découlèrent correspondent à quatre secteurs principaux : l’entrée dans l’état clérical ; la promotion aux ordres sacrés ; l’admission aux oices impliquant une charge pastorale et enin la hiérarchisation des oices paroissiaux. on constate, tout d’abord, que le visage social du clergé est emprunt de diversité. Le clerc doit posséder des signes matériels distinctifs d’appartenance au même corps et des signes culturels de diférenciation par rapport aux laïques. Les décisions de la congrégation insistent, d’une façon obsessionnelle pourrait-on dire, sur l’obligation à la tonsure, au port de l’habit clérical et sur l’interdiction de la perruque7. Les autres caractéristiques, étroitement liées aux premières, qui doivent distinguer les clercs, seront : capacités personnelles, bonnes mœurs, préparation culturelle et devoirs de la charge d’âmes. pour le droit d’entrée dans l’état clérical, la congrégation du concile a donné des interprétations contradictoires, parce qu’elle était prise entre, d’une part, l’airmation du principe selon lequel il faut s’en remettre à la décision de l’évêque pour concéder ou refuser l’ordination et, d’autre part, l’obligation de conférer au moins les ordres mineurs pour permettre, conformément aux conditions posées par le droit canonique, d’entrer en possession du bénéice familial8. L’accès aux grades de l’ordre était, comme on le sait, régi par des conditions négatives ad validitatem et ad liceitatem – avec une vaste typologie des irrégularités – et des conditions positives (conirmation, bonnes mœurs, âge canonique, détention du titre patrimonial)9. La demande était soumise à toute une série de formalités bureaucratiques : attestations relatives à l’état et à la conduite personnelle (litterae testimoniales) préalables aux examens d’aptitude ; détention du titre attestant la compétence (litterae dimissioriales)10. à défaut d’une de ces conditions 7. sur le débat entre théologiens et canonistes, voir : Fulvio De Giorgi, « La parrucca dei preti. Limiti interiori all’esteriorità barocca e sacralità sacerdotale nell’ “ancien régime” », dans Le carte e gli uomini. Storia della cultura e delle istituzioni (secoli xviii-xix). Studi in onore di Nicola Raponi, milan, 2004, p. 3-42. sur la jurisprudence relative au vêtement clérical, voir : s. pallottini, Collectio omnium conclusionum et resolutionum…, t. XV, p. 269-284. 8. carlo Fantappiè, « La professionalizzazione del sacerdozio cattolico nell’età moderna », dans Formare alle professioni. Sacerdoti, principi, educatori, éd. egle Becchi et monica Ferrari, milan, 2009, p. 65-66. 9. Voir, aussi pour la jurisprudence de la congrégation du concile, pietro Gasparri, Tractatus canonicus de sacra ordinatione, 2 tomes, paris/Lyon, 1893-1894, p. 64 et suiv., n. 111 et suiv. 10. p. Gasparri, Tractatus canonicus de sacra ordinatione…, t. ii, p. 27, n. 706.

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ad liceitatem, la congrégation du concile interdisait aux évêques d’ordonner le candidat. les cas d’abus étaient punis par la suspension a divinis mais, pour la lever, on pouvait recourir à la pénitencerie apostolique. dans ce domaine, il y avait une certaine souplesse pour accorder des dispenses au titre des irrégularités les moins graves11. on peut envisager le « fonctionnariat » du clergé exerçant la cura animarum sous l’angle de la nomination, du concours et enin des devoirs pastoraux. tout canoniste sait qu’on doit distinguer entre présentation, élection et nomination. une question importante était celle des droits féodaux supprimés par le concile de trente (sess. 25, chap. 9, de reform.). contre tous ceux qui avaient réduit les bénéices ecclésiastiques en une sorte de servitude, le concile décide que la justiication du droit de patronage doit être tirée de la fondation ou dotation et prouvée par acte authentique ou autres preuves requises par le droit, ou par un grand nombre de présentations réitérées. encore en 1874 la congrégation examine une controverse entre le prince colonna, les chefs de la municipalité et les chanoines de la collégiale saint-étienne de Ferentino pour reconnaître le droit de patronage à la famille romaine12. une autre décision rendue trois ans auparavant montre l’inluence persistante d’une conception patrimoniale de la vocation sacerdotale. on demandait à la congrégation si un prêtre qui possède un riche patrimoine peut refuser une paroisse que l’évêque lui ofre. La congrégation s’est gardée de trancher la question en général. en efet, deux principes s’opposaient : celui, très ancien, selon lequel nul ne doit être élevé aux ordres sacrés si ce n’est pour les besoins et pour l’utilité de l’église et celui, plus récent, qui prenait en compte les diicultés du ministère paroissial et le fait que tous les prêtres ne possèdent pas les qualités nécessaires. mais la curie invita l’évêque à considérer le titulus ordinationis : le prêtre ordonné au titre du patrimoine contracte de moindres engagements envers le diocèse que le prêtre ordonné au titre du ministère sacré, c’est-à-dire aux frais de l’église13. 11. c. Fantappiè, «  La professionalizzazione del sacerdozio…  », p.  66 (aux notes 87-90 on trouvera indiquée la jurisprudence de la congrégation du concile). 12. La famille colonna prétendait, comme patron, présenter à l’évêque le chanoine qui était chargé de ladite paroisse et le choisir en dehors des citoyens de la municipalité. La municipalité invoquait le fait que le prince ne pouvait alléguer les preuves et que la présomption qu’un tel droit se fondait sur un privilège dû à la juridiction temporelle des colonna sur le lieu où la paroisse était située. Le prince colonna répliqua que sa famille avait exercé le droit de patronage depuis trois siècles, avant et après les décrets conciliaires, sans l’opposition de l’évêque de Ferentino. Le texte de cette décision Ferent. jurispatronatus, 28 mars 1874, igure dans Analecta Juris Pontiicii, rome, 1874, t. Xiii, p. 339-345. 13. sacra congregatio concilii, Dinien., Oicii parochialis, 26 juin 1875, dans Analecta Juris Pontiicii, t. XV, rome, 1876, col. 223-225. Le fait se réfère à un diocèse français de montagne composé de 350 paroisses, dont 90 manquent de curé ou de vicaire et sont desservies par les curés voisins. Les idèles y étaient souvent exposés au danger de mourir sans sacrements.

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iv. — le concours pour les paroisses considérons avec une attention particulière la réglementation applicable au concours (pas l’application concrète, qui a été très variée selon les pays et les périodes) pour l’institution canonique des curés comme modèle de la professionnalisation du clergé post-tridentin. le concours, introduit par le concile de trente pour les paroisses14 (sess. 24, chap. 18, de reform.), fut perfectionné par trois papes : pie V, qui déclara nulles les collations efectuées sans concours ; clément Xi, qui réglementa la pratique en détail et ordonna de mettre par écrit les actes ; Benoît XiV qui conirma l’encyclique de clément Xi et déclara la nullité du concours où les examinateurs n’émettent pas un vote explicite à la majorité des voix sur les qualités morales des candidats. ces normes législatives ont été expliquées et précisées par de nombreuses déclarations de la congrégation du concile15. sur ces bases normatives on peut décrire le déroulement du concours. Lorsqu’une paroisse devient vacante par décès ou démission du titulaire, en l’absence d’un coadjuteur ou vicaire ad interim, on désigne un économe ou administrateur dans les trois jours suivant l’avis de la vacance. chaque paroisse doit avoir son concours et son curé : la congrégation décide que le candidat approuvé dans un concours précédent ne peut être nommé recteur de la paroisse vacante à moins qu’il ne soit approuvé de nouveau. après la communication de la vacance, le délai pour pourvoir à une paroisse de collation ordinaire est de six mois. Dans la lettre de convocation du concours, on doit préciser le jour de la proposition de l’édit et la date d’expiration du terme. quiconque ne s’est pas présenté dans le délai ixé est exclu16. mais, si l’examen a été fait avant le terme de dix jours prescrit par l’édit et que nul ne se présente ensuite, le concours est valide17. après deux 14. rappelons que, malgré la décrétale Ut ecclesiastica beneicia sine deminutione conferantur d’innocent iii (Liber Extra, lib. iii, tit. Xii, cap. un.), prescrivant de donner aussi aux plus dignes les bénéices sans charge d’âmes, selon l’usage commun, on conférait librement les bénéices simples. toutefois des statuts particuliers faisaient respecter le principe du plus digne, comme dans le cas d’une constitution du pape clément Viii pour le diocèse de calahorra : Ardua inter theologos controversia eligendi digniorem, vel simpliciter dignum in hac decisione discutitur, ubi quod in beneiciis simplicibus licet verum sit dignum posse absque ulla diicultate eligi, electio tamen dignioris semper est securior (sacra romana rota, Calaguritana, Beneicii, 27 novembre 1648 dans S. R. Rotae decisionum recentiorum, pars X, 1647-1649, rome, 1666, dec. 262, p. 602-604). 15. pie  V, const. In conferendis, 18  mars 1567 et const. Apostolatus oicium, 19  août 1567 ; clément  Xi, encyclique Quo parochiales du 10  janvier 1721 ; Benoît  XiV, const. Cum illud du 14 décembre 1742 et const. Redditae nobis du 9 avril 1746. ajoutons que clément Viii avait publié un décret sur la convocation et la présidence du concours pendant la vacance du siège épiscopal et que Benoît Xiii avait institué le concours pour la nomination du chanoine théologal et pénitencier. 16. sacra congregatio concilii, 7 juillet 1625. 17. sacra congregatio concilii, Montis regalis, 2 août 1607, dans Codicis iuris canonici Fontes, éd. cardinal petri Gasparri, t. V, rome, 1951, p. 206, n. 2367.

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lettres de convocation et s’il n’y a aucun candidat, la paroisse est conférée sans concours. si le droit particulier ne réserve pas les bénéices au clergé diocésain, les ecclésiastiques des autres diocèses peuvent également s’inscrire au concours. les candidats inscrits doivent déposer auprès du chancelier la documentation relative aux services rendus à l’église et tous les autres documents propres à établir leur aptitude et leurs qualités. si le jour de l’examen n’a pas été ixé dans la lettre de convocation, les candidats inscrits au concours recevront une convocation personnelle. même s’il n’y a qu’un seul candidat admis à l’examen, on poursuit le concours jusqu’à son terme. les six examinateurs désignés pendant le synode diocésain, par l’évêque ou le vicaire général, parmi les docteurs et les licenciés en théologie ou droit canonique et approuvés par le synode à la majorité des voix18, doivent remplir leurs fonctions gratuitement. si les décrets tridentins leur ont défendu d’accepter des cadeaux, la congrégation du concile a, quant à elle, condamné les statuts synodaux qui ont voulu leur attribuer une indemnité. pour que le concours soit valide, les candidats doivent avoir prêté le serment de remplir idèlement leurs fonctions. assistent à l’examen, outre trois examinateurs synodaux, l’évêque ou, en cas d’empêchement, le vicaire général sous peine de nullité du concours19. sur la base des certiications présentées, le chancelier rédige des notes sommaires sur les mérites et les qualités des candidats. les épreuves de l’examen sont passées par les candidats devant le jury. selon les règles déjà citées (posées par clément Xi en 1721), on pose à tous les candidat les mêmes sujets, les mêmes cas pratiques et on leur demande de commenter les mêmes passages de l’évangile. on les laisse aborder le sujet comme ils le souhaitent, ain de pouvoir évaluer leurs aptitudes. tous les candidats disposent du même temps pour résoudre les cas de conscience en latin et pour rédiger le sermon dans la langue où se fait la prédication. toutes les épreuves sont écrites, signées par les candidats et, à la in du concours, consignées dans les archives de l’évêché. selon la congrégation du concile, le jury est libre de choisir les candidats au scrutin secret ; toutefois on considère comme plus utile qu’il délibère avant de voter pour avoir un jugement plus mûr et plus équitable. L’évêque n’a pas le droit de vote, mais en cas de partage des sufrages, il exprime son avis et emporte la décision. Dans les autres cas, le candidat retenu est celui qui obtient la majorité des sufrages, même si une minorité le réprouve. 18. Dans le cas où un ou plusieurs examinateurs décèdent et s’il n’y a pas la possibilité de réunir un nouveau synode, l’évêque peut demander à la congrégation du concile l’autorisation de nommer des examinateurs pro-synodaux de consensu capituli. 19. Les examinateurs ne peuvent être remplacés ou coopérer avec d’autres examinateurs différents même s’ils sont nommés par l’ordinaire. il n’est pas interdit que d’autres personnes assistent au concours sans interférer sur son déroulement.

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un des problèmes les plus controversés de la jurisprudence concerne la matière qui doit faire l’objet du scrutin. les examinateurs doivent-ils donner plus d’importance à l’instruction et aux connaissances scientiiques des candidats ou regarder surtout leurs qualités morales (prudence, intégrité, zèle, désintéressement, mérites pour les services rendus à l’église, etc.) ? la jurisprudence de la congrégation du concile et de la rote statuant en appel n’a jamais cédé sur le principe : is qui moribus et prudentia aptior est ad gubernandam ecclesiam, praeferri debet alteri magis scientiam praedito20. Doctorat, noblesse, fortune ne l’emportent pas sur la prudence, les bonnes mœurs et l’intégrité : c’est le cas qui oppose en 1613 salomon, un brillant prêtre qui avait eu plusieurs démêlés avec la justice, et un vieux et probe prêtre du nom d’antoine21. treize ans auparavant, le même tribunal avait donné raison à l’évêque qui avait préféré un prêtre du fait de ses qualités morales aux connaissances scientiiques et qualités physiques d’un autre22. plus tard, la congrégation établira que le concours est vicié et l’attribution de la paroisse nulle, si les examinateurs ne se prononcent pas sur les qualités morales ou s’en remettent aux informations de la chancellerie ou à la prudence de l’ordinaire23. pour être nommé curé il suit au candidat d’avoir été approuvé canoniquement à l’issue du concours. il n’est pas obligatoire que le choix de l’évêque se porte sur le candidat qui a obtenu plus de sufrages, si l’ordinaire juge en conscience qu’il est plus capable d’occuper utilement tel oice pour le ministère sacerdotal et le salut des âmes. Dans le cas où l’évêque qui a présidé le concours meurt avant d’avoir désigné le candidat le plus digne, un nouveau concours n’est pas nécessaire ; le pouvoir de nommer le curé passe au vicaire capitulaire24. La possibilité de faire appel contre la nomination d’un candidat qui serait notoirement inférieur à ses compétiteurs était inhérente à une procédure de concours. La constitution de pie V prévoyait que l’appel devait être interjeté dans les dix jours suivant la collation de la paroisse et qu’il impliquait la transmission des actes du concours et le contrôle de sa régularité par le juge d’appel. La nomination du curé par l’évêque ne pouvait être annulée que si le choix 20. sacra romana rota, Faventina, Parochialis, 28 juin 1613 et 13 janvier 1614, dans Analecta juris pontiicii, t. XiX, rome, 1880, col. 1103-1105. 21. L’appellant demanda une nouvelle audience, mais la rote s’en tint au premier arrêt : sacra romana rota, Faventina, Parochialis, 13  janvier 1614, publiée in extenso dans Analecta Juris Pontiicii, t. XiX, rome, 1880, col. 1103-1105. 22. sacra romana rota, Nullius Canonicatus, 4 décembre 1600. L’élu ne s’était pas présenté au nouveau concours décidé par le vicaire de rome ; en outre il avait une vue défectueuse, mais la rote avait déclaré que cette déicience n’était pas grave au point de le rendre inapte à la charge d’âmes (Analecta juris pontiicii, t. XiX, rome, 1880, col. 1101-1102). 23. sacra congregatio concilii, 22 juin 1833. 24. Le concours, dans Analecta juris pontiicii, t. iX, rome, 1867, col. 976.

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paraissait manifestement déraisonnable (irrationabilitas debeat esse manifesta)25, parce qu’une présomption jouait en faveur du jugement de l’ordinaire. mais il y avait des cas d’espèce où celle-ci perdait une grande partie de sa valeur26. dans tous les cas, il incombait à l’appelant de prouver légalement que la décision des examinateurs était déraisonnable. cette règlementation du concours ne fut pas reçue sans polémiques ni résistances dans la vie de l’église et des états, parce qu’elle mettait en cause une certaine conception théologique du ministère clérical et minait les intérêts des patrons des bénéices27.

v. — les curés : inamovibles et amovibles c’est encore en raison du système bénéicial qu’est apparue la distinction entre les curés inamovibles qui, en vertu de l’institution canonique, possèdent la cure habituelle (cura habitualis) et l’exercent directement ou la font exercer par des vicaires, et les curés amovibles qui sont délégués par les autres pour exercer la cure actuelle (cura actualis). comme on le sait, sous l’ancien régime, il existait une pluralité de situations juridiques : la plus répandue était la cure habituelle possédée par une institution ecclésiastique (le chapitre de cathédrale, une collégiale, un monastère, etc.). La situation des curés amovibles constitue une source d’innombrables conlits à l’intérieur de l’église diocésaine tant au niveau de la doctrine canonique qu’en ce qui concerne les relations concrètes des droits et des devoirs entre les classes du clergé. en la matière, les décrets tridentins se prêtaient à des interprétations diverses. Le concile avait ordonné aux évêques de pourvoir les bénéices des cures juridiquement unies à une institution ecclésiastique au moyen de vicaires aptes etiam perpetuos (sess. 7, chap. 7) et les paroisses qui n’avaient pas de limites bien ixes et d’administration unique avec un seul recteur inamovible (sess. 24, 25. ainsi la rote romaine, Ravennatensi, Parochialis, 7 décembre 1592, coram Arigonio et in Pampilonensi, Parochialis, 12 décembre 1595, coram Litta. 26. Voir sacra romana rota, Tudensis, Parochialis, 28 avril 1603, dans S. R. Rotae decisionum recentiorum, pars  iii, rome, 1645, p.  48-49. L’appel du prêtre escobar, du diocèse de tuy en espagne, est admis en raison soit de sa supériorité morale sur le concurrent et malgré son infériorité culturelle, soit parce qu’il est familier de l’évêque de tuy. 27. certains auteurs gallicans ou jansénistes ont critiqué les procédures du concours, y voyant l’expression d’une ambition coupable et réprouvée par Dieu, tandis que charles Borromée et François de sales louent cette pratique. Le canoniste Van espen évoque l’opposition de plusieurs pères tridentins à la publication d’édits pour le concours parce qu’ils auraient favorisé l’esprit d’ambition ; noël alexandre n’approuve pas les brigues, les recherches, les poursuites et les sollicitations des ecclésiastiques pour obtenir des bénéices (Analecta juris pontiicii, t. iX, rome, 1867, col. 986).

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chap. 13). Les canonistes de la curie admettaient la possibilité et la licéité de curés amovibles ad nutum28. La rote adopta une position médiane, en condamnant la coutume consistant à nommer des curés amovibles, malgré l’usage ancien, mais en reconnaissant leur légitimité et la nécessité d’une juste cause pour rendre un bénéice perpétuel29. Le courant opposé, formé par les rigoristes, les gallicans, les jansénistes, était favorable à la perpétuité des oices en raison du bien des âmes et ain de défendre les droits des curés qui ne voulaient pas être réduits à un rôle de prêtres mercenaires30. L’expérience montrait les diicultés, les discordes et l’arbitraire qui dérivaient de la nomination et de la révocation des curés soumis à de fréquents changements avant d’avoir eu le temps de connaître leur troupeau. La congrégation du concile réléchit sur les avantages et les inconvénients de l’amovibilité et conclut que celle-ci permettait une plus grande souplesse et parfois une meilleure desserte des églises. il est évident qu’un tel système fournissait des garanties plus fortes de soumission et d’obéissance du bas clergé en le rendant, disait-on, plus attentif à ses devoirs par crainte d’une révocation31. en efet les curés amovibles, comme tous les vicaires, étaient nommés parmi les personae gratae par le titulaire de la cure habituelle, sans qu’un concours soit nécessaire pour le choisir et sans que l’ordinaire ait à donner son approbation, exception faite pour ceux qui dépendaient de chapitres et de couvents (sess. 25, chap. 11, de regularibus). ils avaient les mêmes devoirs que des recteurs perpétuels et, en théorie, des droits et prérogatives identiques32.

Vi. — Les vicaires paroissiaux La situation des vicaires paroissiaux ou capellani et des coadjuteurs des curés était sûrement plus diicile. Leur statut canonique et leur condition économique ont soulevé au xviiie siècle de nombreux débats et controverses33. 28. sur les aveux de navarre, De Luca, pignatelli, Giraldi, voir Traité des curés amovibles, dans Analecta juris pontiicii, t. ii, rome, 1857, col. 1613-1619. 29. sacra romana rota, Lunae, nullius provinciae hispalen. iuris amovendi vicarium, 21 février 1707, dans S. Rotae Romanae decisiones coram reverendiss. P.D. Josepho Molines, t. iV, rome, 1728, dec. 1082, p. 511. 30. Voir la position de Louis homassin, Ancienne et nouvelle discipline de l’église, Bar-le-Duc, 1864, part. i, liv. ii, chap. 27, t. i, p. 488-494. 31. Traité des curés amovibles…, col. 1642. 32. par rapport aux droits des curés amovibles atteints de vieillesse et de maladie, voir la décision de la congrégation du concile du 25 mai 1822 (Traité des curés amovibles…, col. 1654-1657, aux col. 1656-1657). 33. Voir la communication de Jean-Louis Gazzaniga dans les actes de ce colloque, aux p. 153-172.

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le concile de trente s’était intéressé aux vicaires qui se trouvaient dans trois situations : 1) dans les paroisses dont la population était devenue trop nombreuse pour que le curé puisse suire à l’administration des sacrements et à l’exercice du culte divin ; il obligeait le curé à s’adjoindre tous les prêtres nécessaires selon l’estimation de l’évêque (sess. 21, chap. 4, de reform.) ; 2) chaque fois qu’une paroisse était vacante, en réservant à l’évêque la nomination d’un vicaire qui remplisse toutes les charges jusqu’à la prise de possession du nouveau recteur (sess. 24, chap. 18, de reform.) ; 3) lorsque le curé n’avait ni l’instruction ni l’aptitude nécessaires pour l’édiication des âmes, en attribuant derechef à l’évêque le pouvoir de lui assigner un coadjuteur ou vicaire provisoire (sess. 21, chap. 6, de reform.). comme on le comprend facilement, tous ces cas faisaient entrer en jeu les droits de l’évêque, ceux du curé et ceux des vicaires. par conséquent, la nomination des vicaires paroissiaux est réservée à l’évêque lorsqu’une paroisse devient vacante ou qu’elle a un recteur inapte. mais l’ancienne liberté des curés est aussi limitée par l’introduction de la règle selon laquelle aucun prêtre ne peut entendre les confessions des séculiers s’il n’obtient l’approbation de l’évêque (sess. 25, chap. 15, de reform.)34. Les curés peuvent donc choisir librement leurs vicaires, mais ils doivent le présenter à l’évêque pour l’approbation, avant de lui conier les fonctions du ministère sacré35. Les questions juridiques laissées ouvertes se concentraient principalement sur la nécessité de l’autorisation de l’évêque pour la nomination des vicaires et sur le cas d’inaptitude des curés.

Vii. — La protection juridique du curé selon la jurisprudence romaine, le curé ne perd pas son droit de nomination s’il ne présente pas le vicaire dans le délai ixé par l’évêque36. il peut se faire aider par un prêtre approuvé pour les confessions sans avoir besoin de l’autorisation

34. cette règle a été conirmée par de nombreux papes, de pie V jusqu’à Benoît XiV. par la bulle Cum sicut accepimus de 1629, urbain Viii révoqua tous les privilèges permettant d’entendre les confessions des séculiers sans examen et approbation de l’ordinaire (voir Lucius Ferraris, Prompta bibliotheca canonica, juridica, moralis, theologica, ascetica, polemica, rubricistica, historica…, t. ii, paris, 1865, sub Confessarius, art. i, n. 6-12). 35. La règle générale selon laquelle la nomination des vicaires est un droit du titulaire, du possesseur de la cure habituelle, pour toutes les espèces de vicaires (perpétuel, amovible, chapelains paroissiaux) reste valide aussi pour les coadjuteurs qui collaborent avec les curés dans la même église. 36. sacra congregatio concilii, Triventina, Deputatio coadjutoris, 11  janvier 1716, dans Analecta juris pontiicii, t. XiX, rome, 1880, col. 844, n. 27.

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expresse de l’évêque37. en cas d’absence pour des raisons de santé, il conserve le droit de choisir son vicaire, sous réserve de l’approbation épiscopale38. toutefois, s’il néglige de laisser un vicaire qui le remplace pour une certaine période, il appartient à l’ordinaire de nommer un économe pour l’administration de la paroisse39. après la constitution apostolique In supremo de Benoît Xiii de 1724 en vigueur pour le royaume d’espagne, il ne suit plus que les vicaires aient reçu l’approbation pour la confession, car il faut vériier qu’ils possèdent les autres qualités nécessaires à la cure d’âmes. Dans le cas contraire, l’évêque peut nommer lui-même le nouveau vicaire40. même si l’évêque jouit du droit de nommer le vicaire, les coutumes anciennes peuvent justiier des exceptions : en ce qui concerne une église « ricettizia » du diocèse de policastro en calabre – administrée in solidum par un collège des clercs – la congrégation du concile admet, contre l’évêque, le droit du curé de prendre, pour des raisons de santé, comme vicaire temporaire, un des confesseurs approuvés, sans autre permission de l’évêque, pourvu que ce soit un des membres du collège des participants de ladite église41. D’ailleurs les raisons de santé ne peuvent être facilement confondues avec l’inaptitude du curé. L’évêque de Ferentino voit annuler par la congrégation le décret par lequel il impose un vicaire à un curé sourd et de conduite peu édiiante42 ; le vicaire général du diocèse de Luz en espagne reçoit une monition de la congrégation pour avoir nommé un vicaire auprès d’un curé d’un grand âge sans tenir compte de ce que celui-ci avait déjà nommé deux prêtres43. cependant, dans le cas où le vicaire nommé par le curé n’a plus l’aptitude requise pour la charge pastorale, l’évêque peut à son gré révoquer ce vicaire et ixer un délai au curé pour en désigner un autre44. Le problème du rejet du curé par toute la population est examiné à plusieurs reprises. c’est pour cette raison que l’évêque de Gênes nomme un vicaire ain d’administrer une paroisse. La congrégation, saisie du dossier, fait observer que

37. sacra congregatio concilii, Montis Regalis, De potestate parochi, 22  mars 1681, dans Analecta juris pontiicii, t. XiX, rome, 1880, col. 843-844, n. 26. 38. Voir la décision dans Analecta Juris Pontiicii, t. V, rome, 1861, col. 859, n. 52. 39. hesaurus resolutionum Sacrae Congregationis Concilii, t. 69 p. 151-153. 40. Voir Benoît Xiii, const. In supremo, 23 sept. 1724, § 10, dans Codicis iuris canonici fontes, éd. cardinal petri Gasparri, t. i, rome, 1947, p. 603-604. 41. hesaurus resolutionum Sacrae Congregationis Concilii, t.  2, p.  80 et suiv. ; analecta juris pontiicii, t. V, rome, 1861, col. 852-853. 42. Voir la décision dans Analecta juris pontiicii, t. V, rome, 1861, col. 860-861, n. 56. 43. Analecta juris pontiicii, t. V, rome, 1861, col. 864, n. 62. 44. sacra congregatio concilii, Asculana, 24 juillet 1762 et 22 janvier 1763, dans Analecta juris pontiicii, t. XiX, rome, 1880, col. 850-852, n. 34 ; s. pallottini, Collectio omnium conclusionum…, t. Xiii, p. 517, n. 20-21.

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le concile de trente le permet lorsqu’il s’agit de curés illiterati et imperiti, mais, hormis ce cas exceptionnel, le droit du curé reste intact. tout au plus, si les dissensions s’aggravent, le bien des âmes peut imposer de transférer le curé à une autre paroisse par permutation. par jugement provisionnel, la congrégation décide qu’il faut que le curé désigne un économe ou administrateur et que son traitement soit à sa charge, tandis que tous les autres revenus de paroisse seront remis au curé45. l’attention portée à l’aspect patrimonial apparaît aussi dans le cas où l’évêque procède au démembrement d’une paroisse. si l’on prive le curé de l’église mère d’une partie de ses revenus pour doter la nouvelle paroisse, on lui accorde la nomination du recteur46. il semble évident que la congrégation du concile tient grand compte non seulement de la protection juridique mais aussi des intérêts économiques des curés qui sont liés au bénéice paroissial. elle distingue toujours l’administration spirituelle de l’administration temporelle de la paroisse. elle sauvegarde les revenus des curés et met en œuvre des formes de compensation. mais elle se préoccupe en même temps du bien des âmes. cette inalité pastorale commande la solution donnée par le dicastère romain à plusieurs controverses. rappelons la conirmation de l’ordonnance sur l’établissement d’un vicaire dans une paroisse dont la population dépasse mille habitants, malgré l’opposition du curé et la présence d’un certain nombre de prêtres séculiers et réguliers47, ou l’obligation pour un curé d’entretenir à ses frais un chapelain parce qu’il n’est pas possible d’obtenir le démembrement de la paroisse48, ou le rejet du recours du chapitre de pagliano, diocèse de palestrina, qui s’était opposé au curé et à l’évêque pour la nomination de deux vicaires dans une paroisse très peuplée49, ou encore le choix de laisser l’administration spirituelle d’une paroisse à un coadjuteur, parce que le curé n’avait pas été accepté par les paroissiens pendant plusieurs années50. 45. s. congregatio concilii, Januensi, 10 septembre 1735, dans Codicis iuris canonici fontes, éd. cardinal petri Gasparri, t. V, p. 877-878, n. 3446. Voir aussi des autres décisions analogues dans s. pallottini, Collectio omnium conclusionum…, t. Xiii, p. 517, n. 22. 46. Voir le recours de l’archiprêtre de Ferrare contre son archevêque dans Analecta juris pontiicii, t. V, rome, 1861, col. 861-862, n. 57 ; hesaurus resolutionum Sacrae Congregationis Concilii, t. 14, p. 66. 47. sacra congregatio concilii, Sabinensi, 18 septembre 1751, dans Analecta juris pontiicii, t. XiX, rome, 1880, col. 847-848, n. 31. 48. sur le recours à la congrégation par les habitants du village de riparia, diocèse de côme, voir Analecta juris pontiicii, t. V, rome, 1861, col. 862, n. 58. 49. Analecta juris pontiicii, t. V, rome, 1861, col. 862, n. 59 ; hesaurus resolutionum Sacrae Congregationis Concilii, t. 14, p. 130-135. 50. sacra congregatio concilii, Brugnatensi, Coadjutoriae, 17 janvier 1756, dans Analecta juris pontiicii, t. XiX, rome, 1880, col. 848-849, n. 32.

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viii. — les curés et les coadjuteurs en ce qui concerne la coopération entre le curé et les vicaires ou coadjuteurs dans l’administration spirituelle de la paroisse, la congrégation a airmé deux principes : le premier est qu’une église paroissiale ne peut pas avoir deux curés ; le second tient à ce que le recteur doit posséder la cure, tandis que les vicaires n’ont que son administration et son exercice. Le curé possède à la fois la cure habituelle et la cure actuelle ; le bon ordre veut que les vicaires dépendent du curé pour toutes les fonctions paroissiales et ecclésiastiques. ceci vaut aussi lorsqu’ils sont inamovibles, c’est-à-dire institués pour toute la durée de leur vie et non nommés ad tempus, comme d’ordinaire51. Dans le cas où les vicaires ont acquis des droits, la congrégation se contente, ain de prévenir les dissensions, de prendre des mesures provisoires en attendant qu’on puisse rétablir le droit commun au moment de leur vacance52. La soumission des vicaires aux curés implique le devoir d’obéissance, la ponctualité et la présence constante au service de l’église53. cependant les curés ne peuvent pas charger leurs vicaires d’une fonction paroissiale s’ils ne sont pas légitimement empêchés. Les obligations du curé sont, en efet, personnelles. il est tenu per se ipsum non seulement à l’administration des sacrements, mais aussi à faire le catéchisme et à prêcher fréquemment. il lui est défendu d’appeler des prédicateurs étrangers54. aussi en présence d’une coutume immémoriale, le curé est tenu de faire lui-même l’explication de l’évangile55. selon le concile de trente, le curé doit fournir les moyens de subsistance à ses vicaires sur les revenus de sa propre paroisse (sess. 21, chap. 4, de reform.). il appartient à l’évêque d’en ixer le montant au cas par cas56. cependant, si l’évêque veut ixer un règlement général en cette matière, il doit consulter le saint-siège. Les décisions de la congrégation font état de deux catégories diférentes pour le traitement des vicaires. à ceux qui exercent dans la même église que le curé, on préfère donner une somme globale. Lorsqu’ils sont employés dans les chapelles annexes ou des églises qui sont dans un territoire 51. Traité des vicaires paroissiaux, dans Analecta juris pontiicii, t. V, rome, 1861, col. 970 et suiv. 52. Ibid., col. 970-972, n. 133. 53. Ibid., col. 972-973, n. 134. 54. Ibid., col. 976-978, n. 141. 55. Ibid., col. 975-976, n. 138. 56. Voir Benoît Xiii, const. In supremo…, § 10. La somme devait être déterminée par l’évêque, ratione videlicet habita redditum, et emolumentorum ecclesiae parochialis, in qua [coadjutores parochorum, aut vicarii temporarii] deputati fuerint, nec non inspectis conditionibus loci, numero animarum, qualitate laboris et quantitatem impensarum, quas commissi oicii necessitas postulaverit.

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et une population distincte, on leur assigne une certaine part des revenus et émoluments57. de nombreuses complications ont surgi en ce qui concerne le calcul de ce traitement : non seulement à propos du supplément de la « congrue » qu’on doit donner aux vicaires en tenant compte des variations économiques, mais aussi à propos de leur participation aux émoluments des curés58.

iX. — quelques conclusions on peut tirer quelques conclusions de l’analyse de la jurisprudence romaine. La première constatation est le retard dans l’application du concile de trente sur beaucoup de points, phénomène qui n’a pas été mis encore suisamment en évidence. L’histoire de l’application du concile est encore en grande partie à écrire en envisageant des périodes longues et pour les diférentes institutions ecclésiastiques59. il faut prendre en compte le fait que, derrière des décisions romaines, il y avait parfois un débat doctrinal entre théologiens et canonistes, surtout entre le courant gallican ou janséniste et le courant romain. Les discussions se sont concentrées sur la probité morale du concours, sur les droits des curés, sur la validité canonique des curés amovibles et sur les rapports d’autorité à l’intérieur de la structure des oices pastoraux de l’église paroissiale. quant à la valeur des décisions authentiques de la congrégation du concile, on doit reconnaître qu’elles expriment une interprétation non seulement déclarative mais parfois extensive et corrective, c’est-à-dire créative, des décrets tridentins. si elles visent à donner une solution aux diférents problèmes dans la ligne et selon l’esprit pastoral tridentin, on ne doit pas oublier que leur nature éminemment pratique tend à accommoder le droit en vigueur aux nécessités du moment. avec ses décisions, la congrégation vise à créer un véritable droit administratif de l’église. Les critères de l’utilité, de l’urgence et de la diversité des lieux et des personnes ont persuadé les fonctionnaires de la curie qu’il n’existe pas (ou plutôt qu’on ne doit pas toujours déinir) une règle générale et abstraite et que les cas particuliers qui se présentent doivent être résolus selon ce qui paraît le plus utile. De ce fait, les principes sont constamment rapportés aux situations et aux hommes. 57. Traité des vicaires paroissaux…, col. 980. 58. Les décisions de la congrégation airment le principe selon lequel les coadjuteurs qui reçoivent une portion congrue ne peuvent pas toucher les émoluments qui proviennent de l’administration des sacrements (sacra congregatio concilii, Nepesina, 10 mai 1772, § Ex his). 59. Les décisions de la congrégation du concile conirment l’hypothèse des historiens de l’église selon laquelle une phase décisive de la réforme pastorale et du nouveau rôle du curé a été celle comprise entre le pontiicat d’innocent X et celui de Benoît XiV. mais combien de problèmes tranchés par trente restaient encore ouverts dans les diocèses ?

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entre les situations, on doit comprendre soit le facteur politique des relations entre états et église, soit la pluralité et la compétition des diférentes juridictions ecclésiastiques et séculières. la congrégation entend les arguments de part et d’autre. elle laisse parfois les choses en l’état, sans prendre de décision ou du moins une décision déinitive sur la question posée. elle se garde donc de tout régler et de tout réglementer au risque de tomber dans une hypertrophie normative. elle sait attendre. de ce point de vue, le droit canonique se révèle comme un instrument puissant, malléable, lexible qui s’avère en même temps précis et eicace pour la rationalisation de la fonction cléricale en rapport au principe-guide de l’action pastorale de l’église et à son but ultime, la salus animarum qui a été établi par le concile de trente. comme on l’a vu dans plusieurs cas, les principes et les règles du droit servent au saint-siège pour aplanir les diférends entre les prérogatives d’oices et de fonctions qui composent le diocèse : évêque, chanoines, curés, vicaires, chapelains et coadjuteurs. Dans la mise en œuvre du concile, le droit canonique devient un moyen indispensable soit pour composer de la façon la plus équilibrée les intérêts contraires des parties – on fait alors un plus large recours à l’institution de l’aequitas canonica, le droit canonique n’étant pas enserré dans un code – soit pour légitimer et donner sa stabilité à la structure hiérarchique. cependant ces propos et ces avantages de la ratio canonique devaient se heurter, à diverses reprises, à un obstacle insurmontable et manifester leurs contradictions et leur impuissance à cause du système bénéicial qui s’appliquait à tous les oices ecclésiastiques. en somme, les exigences juridiques et économiques de protection des droits privés ou corporatifs de l’église de l’ancien régime se conciliaient mal avec les inalités pastorales. carlo Fantappiè università degli studi di urbino

Deuxième section clercs et hiérarchies dans l’état

inscrire les clercs dans l’état la monarchie Française, les ecclésiastiques et le gouvernement par l’écrit (Xvie-Xviiie siÈcle) par

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les clercs ont été les relais précoces, eicaces et relativement disciplinés de la construction de l’état. si la chose paraît évidente pour la période médiévale, haute et centrale, elle est moins régulièrement évoquée lorsque l’on s’attache à retracer la genèse de l’état moderne. pourtant, si l’on se plaît à souligner la place des légistes laïques aux côtés du roi dès la in du xiiie siècle, les ecclésiastiques n’ont cessé d’accompagner la croissance de l’administration centrale et locale, à commencer par leur rôle au sein des diférentes chancelleries1. ils ont aussi joué un rôle non négligeable dans la progressive airmation de l’autorité du roi sur ses sujets, et ce jusqu’à la in du xviiie siècle, pour ne pas évoquer le rôle des évêques et des curés dans le cadre concordataire rénové au xixe siècle. cet accompagnement, cette association d’une partie de l’église à la montée en puissance de l’état a pu prendre des formes variables, qu’il s’agisse d’une participation efective et parfois dominante au gouvernement monarchique2, de la « nationalisation » progressive des ordres religieux pensés au départ sans lien étroit avec tel ou tel royaume3 ou du discours absolutiste relayé par des ecclésiastiques de haut rang

1.  hélène millet et peter moraw, «  Les clercs dans l’état  », dans Les élites du pouvoir et la construction de l’état en Europe, dir. wolfgang reinhard, paris, 1996 (Les origines de l’état moderne en europe), chap. 9, p. 237-257, aux p. 240 et suiv. 2. cédric michon, La crosse et le sceptre. Les prélats d’état sous François Ier et Henri VIII, paris, 2008. 3. pierre Blet, « Jésuites gallicans au xviie siècle ? à propos de l’ouvrage du p. Guitton sur le p. de La chaize », dans Archivum historicum Societatis Iesu, t. 29, 1960, p. 55-84 ; Benoist pierre, La bure et le sceptre. La congrégation des Feuillants dans l’airmation des états et des pouvoirs princiers (vers 1560-vers 1660), paris, 2006 (histoire moderne, 47).

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comme l’évêque Bossuet, en passant par l’encadrement des idèles, jeunes4 ou moins jeunes : le respect des préceptes chrétiens allait de pair avec l’obéissance due aux princes. cette « disciplinisation sociale »5 n’a sans doute pas toujours été aussi automatique : la simple évocation du jansénisme et de ses avatars aux xviie et xviiie siècle suirait à illustrer les limites de ce modèle historiographique6. pourtant, le recours aux structures ecclésiastiques locales par la monarchie à l’époque moderne est avéré, en particulier dans le domaine de l’écrit. Dès le xiiie siècle, l’écrit était devenu en France un relais prépondérant de l’art de gouverner dans un contexte qui ne cessait, chaque jour, chaque siècle, de lui être plus favorable. avec l’âge moderne, le rythme s’accéléra sous l’efet d’une alphabétisation croissante et de la difusion de l’imprimé. L’état a accompagné et provoqué cette pénétration toujours plus grande de l’écrit chez les sujets du roi de France. tous les moyens étaient bons pour stimuler cette dépendance à l’écrit oiciel qui empruntait volontiers les canaux de la justice ou de la iscalité. L’un d’entre eux, plus original qu’on ne l’a parfois dit, a été de mettre les clercs, par déinition maîtres de l’écrit, directement et systématiquement au service du gouvernement monarchique. par une succession de décisions, liées entre elles mais de nature et de portée très variables, la monarchie a, dès le xvie siècle, inscrit les clercs dans l’état. au sens iguré d’abord, la généralisation en 1539 de la tenue de registres paroissiaux, initialement réclamée par certains évêques, a fait des curés et desservants de paroisse de véritables agents étatiques. au sens propre ensuite, la monarchie est progressivement parvenue à systématiser unilatéralement la tenue de registres de vêture, noviciat et profession dans les communautés régulières. Les ecclésiastiques se sont ainsi retrouvés à la fois objets et acteurs de cette inscription qui a inévitablement modiié leurs rapports avec l’autorité, qu’elle fût royale ou épiscopale. L’histoire de cette réglementation a été partiellement traitée7, encore 4.  Voir le récent ouvrage de Karen e. carter, Creating Catholics. Catechism and Primary Education in Early Modern France, notre Dame (ind.), 2011. 5. pour un exposé rapide de la thèse, voir wolfgang reinhard, «  was ist katholische Konfessionalisierung ?  », dans Die katholische Konfessionalisierung, éd. wolfgang reinhard et heinz schilling, Gütersloh, 1995 (schriften des Vereins für reformationsgeschichte, 198) [autre édition parallèle münster, 1995 (reformationsgeschichtliche studien und texte, 135)], p. 419452. Voir aussi, du même auteur, «  Zwang zur Konfessionalisierung ? prolegomena zu einer heorie des konfessionellen Zeitalters  », dans Zeitschrift für historische Forschung, t.  10, 1983, p. 257-277.  6. on se contentera de renvoyer aux développements et à la bibliographie contenus dans nicolas Lyon-caen, La boîte à Perrette. Le jansénisme parisien au xviiie siècle, paris, 2010 (L’évolution de l’humanité). 7. t. Bazeille, « étude sur les registres paroissiaux antérieurs à l’établissement des registres d’état civil », dans Bulletin d’histoire et de philologie, t. 27, 1909, p. 327-359 ; Jacques Levron, « Les registres paroissiaux et d’état civil en France », dans Archivum, 1959, p. 55-100 ; roger mols, « Les origines pastorales de quelques relevés démographiques  », dans Studi in onore di Amintore Fanfani, 6  t., milan, 1962, t.  V, p.  437-461 ; rené Le mée, «  La réglementation des registres paroissiaux en France », dans Annales de démographie historique, 1975, p. 433-473.

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tout récemment8, mais il reste encore beaucoup à faire pour en mesurer les modalités d’application, le contentieux et les archives qui en sont issues. l’analyse des stratégies de production et de conservation des sources de l’histoire sociale (entendues au sens large) n’est en efet pas qu’une simple précaution méthodologique et critique. elles constituent en soi un objet historique à part entière qui en dit aussi long sur les individus et actions couchés sur le papier que sur leurs auteurs et leurs commanditaires. à cet égard, la période moderne est une étape lourde de sens pour les diférents acteurs et auteurs de l’écrit qui s’en trouvent profondément afectés dans leurs identités et dans leurs relations réciproques.

i. — le roi, le curé et le registre les origines médiévales des registres paroissiaux sont connues. liés au souci de mieux maîtriser les conditions du sacrement de mariage par la connaissance des parentés spirituelles contractées lors du baptême, prescrits par l’autorité épiscopale, les premiers registres sont apparus dans l’ouest de la France au début du xve siècle. ils ont essaimé, au gré des décisions des ordinaires, dans plusieurs diocèses du nord du royaume à la in du xve siècle. De la seule initiative de l’église, ces registres demeuraient a priori exclusivement à usage interne. en août 1539, par quelques articles célèbres de l’ordonnance de Villerscotterêts (art. 50 à 53), la monarchie généralisa et détourna le système à son proit. il s’agissait rétrospectivement d’un coup de force inouï qui démontrait une fois de plus ce que fut l’audace et l’assurance assez incroyables des légistes de François ier. Les ecclésiastiques responsables (principalement les curés, mais aussi les chapitres, collèges et monastères) devaient enregistrer les sépultures (art. 50) et baptêmes (art. 51) de leurs paroissiens et confrères, les faire contresigner par un notaire (art. 52) et remettre les états ainsi certiiés chaque année au grefe du tribunal royal le plus proche (art. 53). quelles furent les motivations et les circonstances de cette décision qui revenait à faire des curés les auxiliaires actifs du pouvoir royal9 et, de leurs registres, des actes royaux archivés comme tels dans les grefes judiciaires du roi ? La première 8.  Jean-Louis Gazzaniga, «  Vœux et profession religieuse. Législation et pratique française aux deux derniers siècles de l’ancien régime », dans Droit, administration et justice. Mélanges en l’honneur des professeurs Marie-hérèse Allemand-Gay et Jean Gay, dir. antoine astaing et François Lormant, nancy, 2011, p. 277-304. 9. Durant l’époque moderne, les curés prêtaient par ailleurs leur concours à beaucoup d’activités de communication ou de certiication au service du pouvoir royal ; en 1629, le code michau (art. 345) prévoyait la contresignature du curé au bas des registres de tailles (Brigitte BasdevantGaudemet, « Le prince législateur en matière ecclésiastique : l’exemple du code michau (1629) », dans Le prince et la norme. Ce que légiférer veut dire, éd. Jacqueline hoareau-Dodinau, Guillaume métairie et pascal texier, Limoges, 2007 (cahiers de l’institut d’anthropologie juridique, 17), p. 117-133, à la p. 125.

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et la plus évidente justiication réside dans le jugement du possessoire des bénéices ecclésiastiques que la monarchie a attiré exclusivement à elle dès la in du xve siècle. c’est d’ailleurs dans un long groupe d’articles (art. 46 à 64) dédiés à cette vaste question que igurent les quatre articles relatifs à nos registres. ajoutons pour faire bonne mesure qu’en ces temps concordataires, le Grand conseil avait reçu privativement au parlement le jugement de ces afaires et venait de voir réviser sa procédure par un édit de juillet 153910. on a pu ensuite avancer l’hypothèse d’une inluence de la législation anglaise, mise en forme par homas cromwell, garde du sceau privé et « vicegerent » de henri Viii11 : l’ordre du 5 septembre 1538 imposait aux pasteurs d’enregistrer chaque semaine les baptêmes, mariages et sépultures ayant eu lieu dans leur paroisse. Les liens entre les deux décisions, prises dans un contexte ecclésiologique foncièrement diférent, mériteraient d’être davantage creusés, si tant est que la documentation le permette. La réaction des ecclésiastiques, ordinaires comme curés de paroisse, à ces exigences n’est pas vraiment connue. il ne semble pas, en l’état actuel de la documentation, qu’elle ait été violemment contraire, tout au plus une absence de réaction a-t-elle pu marquer une forme d’opposition. malgré la menace de « dommages et intérêts des parties et de grosses amendes » (art. 52), l’ordonnance eut surtout pour efet de conforter ceux dont la pratique des registres était ancienne. La monarchie du reste n’avait nullement l’intention d’enrôler les clercs à son service en les rémunérant par exemple : lorsqu’elle le pouvait, elle préférait encore à cette époque que l’église s’occupât elle-même de ses afaires de manière autonome, moyennant paiement de sommes à la monarchie, comme lors de l’instauration en mars 1554 (n. s.) des grefes de l’insinuation ecclésiastique, également étroitement tournée vers les questions de bénéices12. L’usage potentiel de ces registres n’était toutefois nullement limité par leur motivation initiale. De la sphère bénéiciale, leur emploi pouvait insensiblement mais sûrement passer à la déinition d’un espace civil privé garanti et validé par l’autorité royale à travers une réglementation de plus en plus précise. D’une certaine manière, l’ordonnance de Blois de mai 1579 est au moins aussi importante que le texte de 1539 : elle imposait (art. 181) la présence d’un registre des mariages, donnant ainsi corps oiciellement à la célèbre trilogie baptêmesmariages-sépultures. cette fois, la décision royale connut un succès relatif dans son application dès le dernier tiers du xvie siècle : le contexte de réforme tridentine appuyait en efet ce genre d’exigences, relayé par des décisions synodales 10. paris, juillet 1539, publié dans Ordonnances des rois de France. Règne de François Ier, t. iX, paris, 1983-1992, p. 519-538, no 941. 11. anne rousselet-pimont, Le chancelier et la loi au xvie siècle d’après l’œuvre d’Antoine Duprat, de Guillaume Poyet et de Michel de L’Hospital, paris, 2005 (romanité et modernité du droit), p. 583. 12. charles Berthelot du chesnay, « Le clergé diocésain français et les registres des insinuations ecclésiastiques », dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1963, p. 241-269 ; Dominique Dinet, « Les insinuations ecclésiastiques », dans Histoire, économie et société, 1989, p. 199-221.

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prises dans les années 1580. elle marquait en outre un progrès dans le champ d’emploi de ces documents, dans la droite ligne des dispositions de l’ordonnance de moulins de février 1566 qui stipulait (art. 54) la primauté de la preuve écrite pour les afaires intéressant plus de 100 livres tournois. L’ordonnance de Blois visait en efet explicitement à « éviter les preuves par témoins », pour tout ce qui touchait à l’état des « personnes », sans plus de précision ni de limitation. il n’était plus besoin, dès lors, d’ambitionner, de posséder ou de laisser vacant un bénéice ecclésiastique pour justiier l’inscription dans ces registres et du reste les désordres dans le possessoire des bénéices pouvaient alors faire l’objet de textes spéciaux13. Lorsque fut promulguée l’ordonnance de procédure civile d’avril 1667 qui rénovait en les conirmant les dispositions antérieures, la nature royale des registres tendait à s’aicher encore plus visiblement (titre XX, art. 7 à 14). tout d’abord, les registres, bientôt tenus sur papier timbré à partir de 1674, devaient être revêtus d’un certain nombre de signatures selon les types d’actes : ils devenaient ainsi pleinement des actes royaux à valeur authentique, au même titre que des minutes de notaires. ensuite, depuis la in du xvie siècle, l’état prescripteur n’était plus tout à fait le même. sous l’inluence des théoriciens politiques, de la guerre et de ses incidences inancières et iscales, peut-être aussi d’un certain désenchantement du monde ou de l’avènement d’une forme de raison d’état14, les besoins, les dimensions et les contours de l’état avaient changé. on assiste alors à un phénomène, classique dans l’histoire de l’écrit, d’un détournement de sens, lorsqu’un outil change de nature et de inalité. airmer cette discontinuité de la signiication de la source ainsi produite est essentiel pour ne pas sombrer dans une analyse documentaire téléologique hors de propos. Les registres paroissiaux étaient désormais mis sans retenue au service d’un état qui exploitait à merveille leurs ressources informationnelles dans des domaines très divers : bien des innovations institutionnelles ou des exigences administratives du règne n’auraient pu voir le jour sans les curés et leurs registres. que l’on songe, pour s’en tenir à ces quelques exemples évocateurs, aux recherches de noblesse des années 1660 avec leur cortège de preuves généalogiques centenaires15, à l’ins-

13.  par exemple la déclaration du 9  février 1657 sur le «  recellement des corps morts des bénéiciers », publiée à paris par antoine Vitré en 1673. 14. marcel Gauchet, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, paris, 1985 (Bibliothèque des sciences humaines) ; id., « L’état au miroir de la raison d’état : la France et la chrétienté », dans Raison et déraison d’état, éd. Yves-charles Zarka, paris, 1994 (Fondements de la politique. essais), p. 193-244 ; christophe Blanquie, « Le silence et la justiication : pratiques de l’état (France, xviie siècle) », dans Cahiers du Centre de recherches historiques, t. 20, 1998, p. 29-38. 15. Jean-marie constant, « L’enquête de noblesse de 1667 et les seigneurs de Beauce », dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1974, p. 548-566 ; épreuves de noblesse. Les expériences nobiliaires de la haute robe parisienne (xvie-xviiie siècle), éd. robert Descimon et élie haddad, paris, 2010 (histoire).

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tauration du système des classes de la marine en 1669 ou de la milice en 168816, ou encore à la mise en place des tontines à partir de 1689, ces emprunts d’état gagés sur l’espérance de vie des contributeurs distribués en classes d’âge précises, extraits baptistaires à l’appui17. le recensement des diférents textes émanant de la justice du roi qui déplorent la médiocre application locale et ponctuelle de ces dispositions n’a pas été réellement entrepris. il ne semble pas qu’une fronde massive ait eu lieu : les collections parvenues jusqu’à nous sont quantitativement, mais aussi qualitativement, bien meilleures que pour la période antérieure au règne personnel de Louis XiV. La résistance vint d’ailleurs peut-être moins des auteurs des registres, le personnel ecclésiastique, que des sujets du roi eux-mêmes. Les diicultés du temps constituaient en efet parfois des obstacles à un enregistrement régulier. à la in de la guerre de succession d’espagne, la justice du roi s’était aperçue que les curés du maine négligeaient de noter le décès des enfants de moins de sept ans : sans même chercher une explication à ce phénomène qui prenait sans doute sa source dans l’impécuniosité des paroissiens au moment des obsèques de jeunes enfants, un arrêt du parlement de paris du 24 juillet 1714, rendu en forme d’arrêt de règlement général, réitéra strictement les obligations de l’ordonnance de 166718. plus grave, en 1706-1707, la iscalisation des extraits des registres paroissiaux causa de graves troubles en quercy et en périgord qui provoquèrent les commentaires de saint-simon : La nécessité des afaires avoit fait embrasser toutes sortes de moyens pour avoir de l’argent. Les traitants en proitèrent pour attenter à tout et les parlements n’étoient plus en état, depuis longtemps, d’oser même faire des remontrances. on établit donc un impôt sur les baptêmes et sur les mariages sans aucun respect pour la religion et pour les sacrements, et sans aucune considération pour ce qui est le plus indispensable et le plus fréquent dans la société civile. cet édit fut extrêmement onéreux et odieux. Les suites, et promptes, produisirent une étrange confusion : les pauvres et beaucoup d’autres petites gens baptisèrent eux-mêmes leurs enfants sans les porter à l’église, et se marièrent sous la cheminée, par le consentement réciproque devant témoins, lorsqu’ils ne trouvoient point 16.  marc perrichet, «  contribution à l’histoire sociale du xviiie siècle. L’administration des classes de la marine et ses archives dans les ports bretons », dans Revue d’histoire économique et sociale, t. 47, 1959, p. 89-112. 17. ernest coyecque, « une source de l’ancien état civil parisien. Les contrats de constitution de tontines  », dans Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, t.  42, 1915, p. 171-184 ; andrew p. trout et robert m. Jennings, he tontine : from the reign of Louis XIV to the French revolutionary era, philadelphie, 1982 (s. s. huebner Foundation monographs series, 12). 18. Arrest de la cour de parlement, qui enjoint à tous curez et vicaires de faire mention dans les registres destinez à écrire les baptesmes, mariages et sépultures de leur paroisse, des morts et sépultures des enfans à quelque age qu’ils soient décédez, paris, Veuve François muguet et hubert muguet, 1714.

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de prêtre qui voulût les marier chez eux et sans formalité. par là plus d’extraits baptistaires, plus de certitude des baptêmes, par conséquent des naissances, plus d’état pour les enfants de ces sortes de mariages qui pût être assuré. on redoubla donc de rigueur et de recherches contre des abus si préjudiciables, c’est-à-dire qu’on redoubla de soins, d’inquisition et de dureté pour faire payer l’impôt. du cri public et des murmures on passa à la sédition en quelques lieux : elle alla si loin à cahors, qu’à peine deux bataillons qui y étoient purent empêcher les paysans armés de s’emparer de la ville, et qu’il y fallut envoyer des troupes destinées pour l’espagne […]. on eut grand peine à dissiper le mouvement du quercy et les paysans armés et attroupés et à les faire retirer dans leurs villages. en périgord, ils se soulevèrent tous, pillèrent les bureaux, se rendirent maîtres d’une petite ville et de quelques châteaux, et forcèrent quelques gentilshommes de se mettre à leur tête. […] à la in il fallut laisser tomber cet édit d’impôt sur les baptêmes et les mariages, au grand regret des traitants […]19.

L’exemple, pour extrême qu’il soit sous la plume d’un duc et pair toujours prompt à stigmatiser l’administration monarchique, traduit à sa manière l’efet pervers de cette étatisation complète des registres paroissiaux dont la seule tenue aurait provoqué une crise dans l’administration des sacrements : leur assimilation à des actes administratifs paraissait alors totale. Les magistrats du roi les décrètent d’ailleurs hors de portée des juges d’église. L’avocat général Guillaume Joly de Fleury, le futur grand procureur du roi au parlement de paris sous Louis XV20, le disait ainsi vivement à l’oicial de paris qui avait pris sur lui de réformer les registres du curé de saint-eustache : « il s’agit de registres de mariages qui ont été cottez et paraphez par le juge royal »21. régulièrement, des sentences rappelaient aux curés d’avoir à faire parapher leurs registres et aux oiciers royaux de veiller à l’application des textes en ce qui les concernaient22. 19. Louis de rouvroy, duc de saint-simon, Mémoires, éd. arthur michel de Boislisle, t. XV, paris, 1901, p. 316-318. Des édits d’octobre 1691 (création de greiers-gardes et de conservateurs des registres paroissiaux) et de juin 1705 (contrôleurs des registres et des extraits) avaient créé une administration dont la réforme par édit d’octobre 1706 (réunion du contrôle des extraits au domaine royal et publication d’un tarif ) provoqua le mouvement de révolte. il fallut attendre un édit de décembre 1716 (suppression de ces oices créés depuis 1691) pour que soit mis in à ces perceptions (ibid., p. 639-642). 20. David Feutry, Guillaume-François Joly de Fleury (1675-1756). Un magistrat entre service du roi et stratégies familiales, paris, 2011 (mémoires et documents de l’école des chartes, 89). 21. Journal des principales audiences du Parlement, avec les arrêts qui y ont été rendus […], t. V, Depuis l’année 1700 jusqu’à 1710, paris, 1757, 2e partie, p. 55-64, à la p. 59 (« L’oicial n’étant juge d’église, ne peut connoître des réformations de registres de baptêmes, mariages et sépultures, et s’il le fait, il y a abus »). 22. Voir ainsi la Sentence rendue par Monsieur le Lieutenant civil sur les conclusions de Monsieur le Procureur du roy qui ordonne l’exécution des articles huit, onze et treize du titre vingt de l’ordonnance

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le chancelier d’aguesseau décida de refondre la législation pour lui redonner une nouvelle vigueur. La déclaration du 9 avril 1736 était le premier texte entièrement dédié à ces actes et marquait une étape réglementaire décisive. sur le plan archivistique, elle correspond à la vraie naissance d’une double collection de registres, auparavant tenue encore irrégulièrement en deux exemplaires dans nombre de paroisses en dépit des prescriptions de l’ordonnance de 1667. Le contrôle des cours souveraines se it à l’occasion plus étroit, certains curés étant condamnés pour négligence, voire pour faux et plusieurs registres durent ainsi être réformés sous leur autorité23. sur le plan formel, ses dispositions furent promises à une longue destinée puisqu’elles furent largement reprises lors de l’instauration de l’état civil en 1792, tandis que les registres paroissiaux anciens étaient dévolus aux communes, ce qui démontrait a posteriori leur caractère étatique. quant à leur réelle eicacité dans le contrôle de l’identité des personnes, la persistance des afaires d’usurpations d’identité et la nécessité de recourir à de nouvelles formes d’identiication doivent assez appeler l’historien à la prudence24.

ii. — Le vœu, le régulier et le registre La déclaration de 1736 rappelait et précisait également un certain nombre de dispositions relatives à la tenue des registres concernant spéciiquement les réguliers, registres dont l’histoire ne recoupe que partiellement celles des registres paroissiaux. comme l’exigeait l’ordonnance de Villers-cotterêts, chaque communauté ecclésiastique tenait des registres de sépultures de ses membres. elle dut, quelques décennies plus tard, mettre en place un autre type de document, dont on ne trouve pas d’équivalent à l’époque médiévale25, les registres de vêture, de du mois d’avril 1667, concernant les registres des baptêmes, mariages et sépultures du vingt-sept juillet 1731, paris, p. J. mariette, [1737] ; elle faisait suite à d’autres sentences rendues les 23 novembre 1675, 2 janvier 1680, 7 février 1691, 3 août 1706 et 11 décembre 1717. 23. Léon cahen, « La question de l’état civil à paris au xviiie siècle. Le conlit de 1736 », dans La Révolution française, t. 57, 1909, p. 193-212 ; édouard maugis, « une enquête du parlement de paris au xviiie siècle sur l’application des règlements d’état civil », dans Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 1920, p. 539-559 ; id., « étude de 54 arrêts du parlement sur la rédaction des registres paroissiaux », dans Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 1922, p. 637649 ; henri Blaquière, « une enquête concernant l’application de la déclaration du roi de 1736 dans le ressort du parlement de toulouse », dans Annales du Midi, 1959, p. 215-221. 24. Vincent Denis, Une histoire de l’identité : France, 1715-1815, seyssel, 2008 ; Jean-pierre Gutton, établir l’identité. L’identiication des Français du Moyen Âge à nos jours, Lyon, 2010. 25. en dépit du fait que l’écrit est très présent dans le « rite » de l’entrée en religion, telle que la prévoit par exemple la règle de saint Benoît (chap. 58), où le novice doit souscrire une petitio par laquelle il demande son admission et la placer sur l’autel durant la cérémonie (L’histoire des moines, chanoines et religieux du Moyen Âge : guide de recherche et documents, dir. cécile caby, andré Vauchez, turnhout, 2003 (L’atelier du médiéviste, 9), p. 79). il semble que l’on privilégiait, lorsque des traces écrites étaient archivées, les actes individuels, regroupés plus tard lors du classement des

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noviciat et de profession de vœux. par l’article 55 de l’ordonnance de moulins de février 1566, la royauté imposa de coucher exclusivement par écrit les professions de vœux des religieux et religieuses ainsi que les preuves de tonsures. cette disposition découlait directement de l’article précédent (art. 54) qui airmait la primauté de la preuve écrite sur la preuve orale et par témoins pour les afaires intéressant plus de 100 livres de capital. Le promoteur du texte, le chancelier michel de L’hospital, renforça la nature royale de l’exigence de ces registres en imposant leur envoi au grefe ordinaire le plus proche. rapidement, ils devinrent un des instruments de la politique monarchique en matière de construction et de préservation de l’ordre des familles. Les registres de vœux et de tonsures devinrent ainsi à leur manière un rouage du « complexe état-famille » qui parcourt l’histoire de l’état et de la société durant toute l’époque moderne26. ici encore, les intérêts de l’état, qui se mêlait également de régir les conditions desdites professions religieuses (ordonnance de Blois, mai 1579, art. 28), rejoignaient les exigences des réformateurs, sans que l’on puisse pour l’heure déterminer l’exacte inluence de ces deux sources normatives : « il y va de l’intérêt de l’état comme de l’intérêt de l’église, c’est tout un »27. Dans la droite ligne de principes rappelés dans la 25e session du concile de trente (chap. 15, de regularibus et monialibus), des conciles provinciaux (tours en 1583, Bourges en 1584) avaient enjoint les supérieurs de couvent de tenir des registres des actes de profession de vœux où seraient portés les noms, surnoms et âge du nouveau profès accompagnés des signatures de l’abbé (ou prieur conventuel), du profès et de deux ou trois témoins. sur la seule base des précisions ecclésiastiques, on commença à tenir les quelques registres qui nous été conservés. pour s’en tenir aux seules ressources des archives nationales, nécessairement partielles et lacunaires faute d’une enquête générale encore à mener, un petit nombre de registres débutent dès le premier tiers du xviie siècle pour les augustins déchaux de caen (1602), les bénédictins de Jumièges (1623) ou les bénédictins du Bec-hellouin (1628)28. Le passage du latin au français au cours du second tiers du xviie siècle est notable (annexes nos i-a et i-b). ailleurs, les clarisses d’alençon ouvrent solennellement leur premier registre en 1619 par

archives des établissements religieux par les archivistes  : voir par exemple aD orne, h  3364 à h 3371, liasses de professions de religieuses de l’abbaye notre-Dame d’almenêches, 1518-1752. 26. sarah hanley, « engendering the state : family formation and state building in early modern France », dans French Historical Studies, t. 16-1, 1989, p. 4-27, reimp. trad. fr., « engendrer l’état. Formation familiale et construction de l’état dans la France du début de l’époque moderne », dans Politix, t. 8, 1995, no 32, p. 45-65. 27. J.-L. Gazzaniga, « Vœux et profession religieuse… », p. 277. La chronologie exacte marque une forme d’antériorité royale, puisque l’ordonnance d’orléans (1560) ixait à 25 ans (garçons) et à 20 ans (illes) l’âge pour la profession (ibid., p. 287-288). 28. respectivement conservés sous les cotes an, LL 1482, LL 1002 et LL 1020.

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la mention du renouvellement des vœux de toutes les religieuses du couvent29. l’ordonnance civile d’avril 1667 bouleversa la hiérarchie prescriptive au proit de la monarchie et marqua dans ce domaine également une amélioration quantitative et qualitative des inscriptions. le texte royal précisait en particulier que les dispositions ad hoc (titre XX, art. 15-16) s’appliquaient, outre la tonsure et la collation des ordres mineurs, aux deux étapes de l’entrée en religion que constituaient, après un temps de « présélection »30, la vêture et le noviciat d’une part, la profession proprement dite de l’autre. La signature exigée du religieux était une autre obligation fondamentale, déjà sollicitée par des conciles provinciaux du règne de henri iii. La promulgation de l’ordonnance eut un efet relativement décisif sur l’ouverture des registres dans la plupart des communautés parisiennes dans les décennies 1660-1680, certaines obtempérant presque immédiatement comme à port-royal de paris en 1669, un an après la paix de l’église31. certaines communautés se mirent en règle tardivement et recopièrent en tête de leur registre les actes intervenus depuis 1667, comme le irent les Filles-Dieu de paris en 168632. point essentiel du dispositif, l’obligation de placer en tête du registre la copie de la délibération capitulaire établissant la soumission aux dispositions de l’ordonnance était le signe manifeste de la nature royale de ces enregistrements (annexe n° ii-c). La déclaration du 9 avril 1736 (art. 25-28), qui abandonnait toute référence aux actes de tonsure, apporta deux nouveautés : achevant l’assimilation aux registres paroissiaux, le texte royal réclamait les mêmes précisions – en langue française, alors que, nous l’avons vu, le latin avait en réalité de fait cédé la place depuis le milieu du xviie siècle – concernant la qualité du profès (art. 27) et faisait obligation de porter l’un des deux exemplaires du registre tous les cinq ans au grefe le plus proche (art. 28). plusieurs couvents parisiens, aiguillonnés par une sentence du lieutenant civil du châtelet de paris en date du 14 novembre 173633 suivie d’une lettre circulaire du procureur du roi deux semaines plus tard (annexe n° ii-a), procédèrent sur le champ ou au début de l’année 1737 à l’enregistrement des professions et des vêtures. Les remises au grefe furent sans doute dès lors étroitement surveillées, comme en témoignent des certiicats de remise pré-imprimés établis par le greier de la chambre civile du châtelet datés du début du règne de Louis XVi34. ailleurs, comme en Bourgogne septentrionale, 29. aD orne, h 4133, registre des professions, 1619-1787. 30. selon l’expression de Dominique Dinet, Vocation et idélité. Le recrutement des réguliers dans les diocèses d’Auxerre, Langres et Dijon (xviie-xviiie siècles), paris, 1988 (histoire), p. 49-56. 31. an, LL 1612. 32. an, LL 1655. 33.  Voir un exemplaire imprimé de cette sentence relié dans le registre des vêtures des hospitalières de la miséricorde de paris pour les années 1727-1789 (an, LL 1701). 34. Voir des exemples dans le registre des professions des jacobins de la rue saint-Dominique pour les années 1736-1778 (an, LL 1537).

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on peut même parler de commencement véritable des collections35. les moines de la trappe furent pour leur part des élèves attentifs de la déclaration de 1736 en suivant scrupuleusement le rythme de cinq ans imposé pour la rédaction et la remise de leurs registres36. l’usage que l’on it de ces registres est un autre volet de l’histoire de cette documentation. les communautés elles-mêmes, par le soin apporté à leur rédaction, par la continuité des notations, par les titres choisis pour les introduire37, par la copie des formulaires des « rites » de noviciat ou de profession38 quelquefois souscrits par les professes elles-mêmes (annexe n° i-c), par le rappel de la dimension contractuelle du vœu à travers des actes capitulaires enregistrant des dons (annexe n° i-d) ou des inventaires de biens apportés lors de l’entrée dans la communauté (annexe n° i-e), ou par l’étroite observance des dispositions royales39, marquaient l’attachement ou au contraire la distance prise avec cette obligation. point non prévu par les textes royaux, les sorties du monastère irent parfois l’objet, dans la seconde moitié du xviiie siècle, d’une signalisation, spécialement durant le noviciat avant la profession de vœux, placée en regard de la prise d’habit initiale40. La réappropriation de ces documents primaires pour la production d’une autre forme de documentation, interne au couvent ou à l’ordre, est assez rare. on note parfois que la tentation du nécrologe ou de la chronique refait surface et vient se mêler, en tête ou en in de registre, aux actes exigés par la monarchie41. une réutilisation plus moderne était, elle, encore plus inédite : outre de rares cas, encore méconnus comme le monastère 35. D. Dinet, Vocation et idélité…, p. 98 et 100. 36. aD orne, h 1827 à h 1835, registres des vêtures et professions, 1742-1787 ; le registre sans doute ouvert en 1737 n’est pas conservé dans cette série. 37. an, LL 1712, registre des professions des bénédictines du saint-sacrement à paris, 16801788 ; le titre en est  : «  registre contenant les actes ou déclarations qui doivent tenir lieu de contracts de profession aux religieuses professes de ce monastère du saint-sacrement de la rue neuve saint-Louis. numéro 8e ». 38. an, LL 1538, livres des novices des jacobins de la rue saint-honoré à paris, 1631-1670, fol. 1-6v, formules pour l’examen des novices (en latin) ; ibid., fol. 7-8v, « pour les novices convers qui n’ont pas encore fait profession » (en français). 39.  an, 1369, registre des professions du prieuré saint-martin-des-champs à paris, 16461674 ; le volume se conclut par la notation suivante  : «  1674. Depuis l’ordonnance du papier timbré [édit d’avril 1674], on a cru qu’il estoit à propos qu’il falloit changer de livre et qu’on devoit à l’advenir mettre les professions dans un registre de papier marqué ». 40. Les actes « d’expulsion » ne sont pas notés à la suite des actes de vêture ou de profession, mais peuvent être joints sous forme de feuilles volantes comme le document édité dans l’annexe n°  i-f. sur l’utilisation de ces annotations, parfois décevantes pour l’historien en raison de leur laconisme, voir D. Dinet, Vocation et idélité…, p. 59-61 et 64-69. 41. Voir par exemple an, LL 1655 : le registre des Filles-Dieu de paris, ouvert en 1686 et commençant rétrospectivement en 1667, contient d’un côté la notation des vêtures, noviciats, professions et sépultures et de l’autre la notation des actes d’élection et de conirmation des prieures.

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de sainte-catherine-du-val-des-écoliers42, on citera l’exemple fameux de la congrégation de saint-maur qui publia dès 1653 les matricules de ses membres, de toute qualité : des espaces étaient laissés en blanc pour continuer de manière manuscrite l’entretien de ces monuments commémoratifs sur la base du contenu des registres de profession tenus dans chaque couvent de l’ordre43. L’usage judiciaire qui était fait de ces registres pose davantage de problèmes d’interprétation, en l’absence d’une large enquête assise sur les archives des tribunaux au lieu de recourir à la jurisprudence sélectionnée et imprimée selon des critères idéologiques par le clergé ou les magistrats44. il semble, pour s’en tenir à cette source peut-être trop partiale de la jurisprudence, que le clergé exhalait régulièrement sa mauvaise humeur contre la justice royale qui se mêlait de juger de la validité des vœux. en 1645, le promoteur de l’assemblée du clergé, l’abbé Georges d’aubusson de La Feuillade, futur archevêque d’embrun (1649-1669) et évêque de metz (1669-1679), opposa une réplique fournie à ces empiètements. à la suite de multiples afaires portées devant les parlements de paris et de rennes45, où les juges du roi avaient donné suite à l’appel comme d’abus, il rappelait que « la connaissance des vœux de religion appartient à l’église seule ». Dans un discours argumenté46, il dénonçait la fausse neutralité de l’état qui, par la voix du parquet, déclarait ne s’intéresser qu’à l’état des personnes et non à l’engagement envers l’église dans sa « pensée » et son « intention » (omer talon)47 : 42.  an, LL  1461, «  catalogue du nom des novices du prieuré de sainte-catherine-de-Lacouture de paris, avec les dates de leur entrée et de sortie du noviciat », 1700-1788. 43.  an, LL  994, matricule imprimée en 1653, complétée de manière manuscrite jusqu’au 7 juin 1666 ; ibid., LL 995, matricule imprimée en 1653 complétée de manière manuscrite jusqu’au 3  mai 1669 ; ibid., LL  996, matricule imprimée en 1669, complétée de manière manuscrite jusqu’au 27 janvier 1705 ; ibid., matricule imprimée en 1690, complétée de manière manuscrite jusqu’au 9  juillet 1720. sur ces matricules, voir antoine du Bourg et Yves chaussy, Matricula monachorum professorum congregationis S. Mauri in Gallia ordinis sancti patris Benedicti, paris, 1959 (Bibliothèque d’histoire et d’archéologie chrétiennes) ; paul Denis et Yves chaussy, Matricula monachorum professorum reformationis abbatiae et totius sacri ordinis Cluniacensis, turnhout, 1994 (publications de l’encyclopédie bénédictine, 2). 44. serge Dauchy, « Les recueils privés de ” jurisprudence “ aux temps modernes », dans Case Law in the Making. he Techniques and Methods of Judicial Records and Law Reports, éd.  alain wijfels, 2  t., Berlin, 1997 (comparative studies in continental and anglo-american Legal history, 17), t. i, p. 237-247; Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence (xvie-xviiie siècle), dir. serge Dauchy et Véronique Demars-sion, paris, 2005. 45.  Précis par ordre alphabétique ou Table raisonnée des matières contenues dans la nouvelle collection des procès-verbaux des assemblées générales et particulières du clergé de France, paris, 1780, col. 2238-2241. ces afaires ont été analysées dans pierre Blet, Le Clergé de France et la monarchie. étude sur les assemblées générales du Clergé de 1615 à 1665, 2 t., rome, 1959 (Analecta Gregoriana, 106-107), t. ii, p. 36-43. 46. Collection des procès-verbaux des assemblées générales du Clergé de France depuis l’année 1560 jusqu’à présent, t. iii, paris, 1769, p. 254-261, aux p. 258-259. ce texte mériterait une étude attentive et spéciale, en particulier pour le relier inement aux débats philosophiques et théologiques du temps. 47. J.-L. Gazzaniga, « Vœux et profession religieuse… », p. 278.

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[…] si le parlement doit prendre connoissance au fonds et quant à la substance de la chose de tout ce qui regarde indirectement l’état, qui a liaison avec ce qui est extérieur et visible, qui a relation au temporel, il s’ensuit qu’il doit absolument juger de tout, par ce qu’en ce monde toutes choses sont mêlées et composées, il n’y a rien de pur, de simple, sans mélange et qui soit tout à fait détaché de la matière ; le surnaturel est enté sur le naturel, la grâce sur la nature, le spirituel suppose le matériel qui lui sert de sujet et de fondement ; l’être moral ne peut subsister sans l’être physique puisqu’il est nécessaire, par les principes de la philosophie, que nos actions soient premièrement corporelles, matérielles et physiques, avant qu’elles puissent prendre la qualité de morales, surnaturelles et spirituelles. c’est pourquoi il y a une équivoque très pernicieuse à votre autorité lorsqu’on vous attribue en général le jugement des choses purement spirituelles, pour ce que n’y en ayant presque point de cette nature, si on les considère indirectement dans leurs conséquences, il s’ensuit qu’on vous dépouille de toute jurisdiction, lorsqu’on fait mine de l’établir plus fortement et comme l’autorité royale étend toujours ses limites, l’accessoire lui attire le principal et ainsi elle connoît, sous prétexte du temporel, au moyen du bien de l’état pour la manutention de la police, de toutes les choses saintes et véritablement spirituelles. […] il est temps de répondre précisément à cette distinction du vœu intérieur et extérieur de ces deux obligations, l’une contractée avec dieu et l’autre contractée avec le public et avec la famille. Je dis donc que l’argument tiré de cette double obligation n’est qu’une fausse couleur et un déguisement pour servir de prétexte à s’emparer de votre juridiction.

les registres constituaient une arme remarquable aux mains de la monarchie. pour omer talon, « l’ordonnance qui doit estre la mesure de la vérité ne reçoit la preuve du vœu monachal que par escrit, dont les religieux doivent tenir registre et l’envoyer au grefe des justices ordinaires »48. pour autant, l’opinion des juristes gallicans n’était pas fermement arrêtée. Guy coquille, cité dans le commentaire que donnait philippe Bornier de l’ordonnance de 1667, était d’avis que le port de l’habit et la possession de bénéices suisaient à faire oublier le caractère défectueux de la profession écrite pour décider de la qualiication de religieux ; ce qui revenait à admettre la validité des professions tacites49, professions pourtant de peu, voire de nulle valeur en France à la diférence de ce qui s’observait en italie. Le parlement de paris était prêt à admettre la valeur d’un registre mal tenu s’il n’y avait que cette seule preuve50. pareille souplesse 48. Recueil des actes, titres et mémoires concernant les afaires du Clergé de France, 6 t., paris, 1673, t. i, 1re partie, p. 240. 49. philippe Bornier, Conférence des ordonnances de Louis XIV […], nouv. éd. revue par [charlesantoine Bourdot de richebourg], paris, 1755, p. 162. 50. Journal des principales audiences…, t. Vii, p. 199, arrêt du 22 décembre 1718.

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pouvait être invoquée à l’occasion par les gens du roi. en 1707, invité dans une complexe afaire concernant les béguines d’aire-sur-la-lys à déinir la notion de béguinage, la valeur de leurs vœux et la force rétroactive de la législation royale en artois, l’avocat général guillaume Joly de Fleury envisageait la question des registres de vœux. informé que l’acte de profession n’avait pas été signé de la béguine qui demandait son départ, il exigea l’inspection du registre dans son entier. d’après lui, ce qui importait était moins le strict respect des dispositions successives de 1566 et 1667, que la continuité et l’homogénéité des notations du registre : il n’entendait pas supprimer une communauté entière (« si on ôtoit cette preuve, on détruiroit l’état des autres religieuses ») au nom d’un non-respect des règles formelles51. La relative liberté d’appréciation des juges dans ce domaine explique peut-être le surcroît de détails imposés par le chancelier d’aguesseau en 1736. De fait, et sans qu’il soit encore possible d’en tirer des conclusions solides en l’état (inexistant) des connaissances statistiques des jugements concernant ces afaires, les exemples cités par la jurisprudence semblent aller dans le sens d’un attachement scrupuleux à la seule valeur de ces registres. on citera ainsi le cas d’un arrêt du Grand conseil rendu en 1763 en faveur d’un dénommé castille, marié et père de plusieurs enfants, contre les moines de clairvaux qui le réclamaient comme moine de l’abbaye d’orval, au motif qu’il n’avait pas signé de son nom le registre de profession de l’abbaye52. Faut-il immédiatement en tirer la conclusion que les registres et leur valeur supposée étaient devenus des instruments utiles et utilisés dans la politique royale à l’égard des religieux au moment où la pratique (commission des réguliers, 1766) et la législation (édit de mars 176853) se faisaient plus pressantes ? La réponse à une telle question impose une enquête longue et complexe, mais l’usage de ces registres depuis le xvie siècle, leur croissante précision administrative sous la tutelle de la monarchie plaideraient en faveur d’une étroite adéquation entre le statut des réguliers dans la société et le socle documentaire bâti ad hoc par la monarchie.

51. Journal des principales audiences…, t. V, 2e partie, p. 10-15, à la p. 15 ; toute cette afaire, qui fait en outre intervenir la rétroactivité des législations étrangères, mériterait un traitement spécial. 52. n. Danty, Traité de la preuve par témoins en matière civile […], 6e édition, paris, Delalain, 1769, p. 778. 53. pierre chevallier, Loménie de Brienne et l’ordre monastique, 1766-1789, 2 t., paris, 19591960 (Bibliothèque de la société d’histoire ecclésiastique de la France), t. i, p. 318-320 et 350-352.

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iii. — conclusion chacune des séries de registres (paroissiaux, de vœux) constitue un instrument de contrôle social qui vise moins à connaître les individus et à les enfermer dans les rets d’une fonction moderne de police, qu’à assurer par la production d’un outil commode, polyvalent et universel une connaissance statistique de la population française54 et le bon ordre de la société par une mise en sécurité des afaires familiales et successorales. d’une certaine manière, cette volonté de ne pas inquiéter judiciairement la société est un souci partagé par les responsables de l’action publique que sont les gens du parquet. en rapprochant dans un même texte en 1667, puis en 1736, registres paroissiaux et registres de profession religieuse, la royauté a marqué la cohérence et la convergence de ces deux outils qui sont mis dès lors au service d’une monarchie administrative soucieuse d’éclairer les angles morts de l’état des sujets du roi dans leur condition civile, à l’âge où naissent les papiers d’identité55. ce faisant, et ce point est certainement essentiel, ces innovations documentaires n’ont en efet pas produit que des efets à sens unique. la tenue des registres par des ecclésiastiques sur injonction du pouvoir royal n’a pas été inofensive pour le clergé. coucher par écrit la réalité d’un sacrement, d’un engagement de conversion interne marque une évolution majeure dans cette « promesse faite à Dieu » selon les mots de saint homas. si le vœu (et, au-delà, tout sacrement) pose bien des questions « plus générales qui relèvent du droit, de l’histoire et de l’anthropologie »56, la dimension écrite n’est certainement pas la plus à négliger. que le vœu solennel passe par l’écrit dès le moyen Âge, sous forme de cédules de forme et de contenu variables57, le démontre à l’envi. Le tour systématique, pris à l’âge moderne sous l’inluence des pouvoirs souverains (roi, pape), est une étape importante sur la voie de cette mutation anthropologique de l’occident. si l’on se place du point de vue de l’état prescripteur, de tels documents sont moins la conséquence des intentions du pouvoir, que sa marque même, l’incarnation de cette ambition : faire pénétrer le papier timbré dans les couvents ou les presbytères, obliger leur auteur à le restituer au juge royal sont des actions d’une 54. Voir ainsi la circulaire adressée par le lieutenant général de police sartine en 1773, annexe n° ii-b. De manière générale, pour cette ambiance statisticienne, on renverra à hierry martin, Arithmétique politique dans la France du xviiie siècle, paris, 2003 (classiques de l’économie et de la population. études et enquêtes historiques). 55. V. Denis, Une histoire de l’identité… 56. alain Boureau, « pour une histoire comparée du vœu », dans Cahiers du Centre de recherches historiques, 16 (1996), p. 7-10, à la p. 7. 57. charles de miramon, « Les théories du vœu dans le droit canon et la première scolastique », dans Cahiers du Centre de recherches historiques, 16 (1996), p. 17-25, à la p. 18. : « Le vœu solennel est au contraire celui écrit dans une cédule ou prononcé devant de nombreux témoins ou, mieux encore, devant l’autorité religieuse lors ou après la liturgie ».

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portée politique importante, symboliquement et historiquement. par le biais des registres exigés par l’état, rédigés sous sa tutelle, sur ses indications, pour ses besoins et archivés en partie par ses tribunaux, il s’est fatalement produit chez les ecclésiastiques français une forme d’acculturation politique et ecclésiologique qui mérite d’être versée au dossier complexe des rapports entre église et état en France à l’âge moderne. olivier poncet école nationale des chartes centre Jean-mabillon (ea 3624)

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anneXe écrire les vœuX de religion (Île-de-France, Xviie-Xviiie siÈcLes) Dossier Documentaire

sommaire i-a. acte de réception et d’engagement comme novice de l’abbaye de saintDenis (1653) i-b. acte de noviciat au monastère des chanoinesses du saint-sépulcre dit de Bellechasse à paris (1669). i-c. serment de profession d’une sœur des Filles de la croix de la maison des tournelles à paris (1675) i-d. procès-verbal de réception d’une sœur de chœur au monastère des bénédictines du saint-sacrement de la rue saint-Louis à paris (1680) i-e. inventaire des biens d’une professe au séminaire d’eu des Filles de la charité (1710) i-f. procès-verbal de renonciation à l’habit religieux (1785) ii-a. Lettre circulaire du procureur du roi au châtelet de paris à la supérieure des hospitalières de la miséricorde à paris (1736) ii-b. Lettre circulaire du lieutenant général de police de paris au supérieur des jacobins de la rue saint-Dominique à paris (1773) ii-c. acte capitulaire du couvent des jacobins de la rue du Bac à paris (1779)

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i. — consigner vêtures, noviciats et profession a. Acte de réception et d’engagement comme novice de l’abbaye de Saint-Denis. 1653, 1er juin – saint-denis. orig. an, LL 1321, fol. 9-9v, registre, papier.

anno Domini millesimo sexcentesimo quinquagesimo tertio die prima mensis junii, devotus religiosus cistertiensis dominus Jacobus Le François, natus annos circiter triginta ilius in legitimo matrimonio procreatus Jacobi Le François et anthonia du Formandelle parentum suorum de urbe montis Desiderii, dioecesis ambianensis, postquam in hoc monasterio s. Faronis in veste sua regulari permansit quindecim dierum spatio quibus in proposito vita monastica constanter perseverarit et ad probationem saepe instanterque petiit inter sacra missarum solemnia adhibitis caerimoniis et precibus solitis assistente toto conventu ac externorum frequentia per r. p. philibertum nitot priorem hujus monasterii novitiorum vestem scilicet cucullam sine maniciis suscepit, cum pridie praemissa solemni lotione edum tunica et parvo scapulari fuisset indutus. in quorum idem jubente eordem r. p. priore acta sunt haec per me scribam capituli subsignatum die mense et anno quibus supra. sic signatum « F. philibertus nitot, humilis prior », « F. cyprianus Beaugeard, subprior ». anno Domini millesimo sexcentesimo quinquagesimo tertio die undecima mensis novembris fratribus in capitulo monasterii s. Dionysii in Francia congregatis, cum D. Jacobus Le François elapso quarto mense ex quo habitum suscepit novitiorum per ignatium philibert r. p. priorem ejusdem monasterii propositus fuisset ut quid de eo sentirent ab his audiret., postquam super eo negotio singulorum vota suscepit et cum senioribus suis de eodem consilium iniit praefatum D. Jacobum Le François novitium in probatione relinquendum et retinendum censuit. in quorum idem jubente eodem r. p. priore acta sunt haec per me scribam capituli subsignatum die, mense et anno. F. ignatius philibert, humilis prior prefatus [seing]. F. Victor tixier, subprior [seing]. F. Joseph Foucqué senior [seing]. F. Ludovicus Vairon scriba capituli [seing]. predictus dominus Jacobus Le François ad ordinem suum cisterciensem remissus fuit die vigesima tertia mensis juliii ob ulcus diicilis curationis quo diu laboravit in tibia.

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F. ignatius philibert, humilis prior [seing]. F. Joseph Foucqué senior [seing]. Fr. germanus morel [seing]. F. ludovicus vairon scriba capituli [seing].

b. Acte de noviciat au monastère des chanoinesses du Saint-Sépulcre dit de Bellechasse à Paris. 1669, 19 juin – paris. orig. an, LL 1596, fol. 1v-2v, registre, papier.

aujourd’huy dix-huictiesme juin mil six cens soixante neuf sur les neuf heures du matin à l’issue de la messe célébrée par messire Jacques de Fieux58, docteur de sorbonne, abbé de Beaulieu59 et de Bellozanne60 et supérieur de ce monastère en l’église de ce mesme monastère, en présence de toute la communauté des religieuses et de plusieurs autres personnes assemblées dans ladite église au son de la cloche, honneste ille anne Vachot, née à paris sur la paroisse de saint-nicolasdes-champs, aagée de dix-huict ans, ille légitime de defunct honnorable homme nicolas Vachot, vivant maistre traiteur, et de defuncte marie soudé, ses père et mère, après avoir porté durant quelques mois l’habit de clergesse suivant les constitutions de l’ordre des chanoinesses du saint-sépulcre, ayant esté nommée sœur de saint-michel et après l’examen et espreuves accoutumeez, a pris l’habit de novice en cette maison ou monastère du sainct-sépulcre par les mains dudict sieur abbé et de la révérende mère renée de Livenne, prieure dudit monastère et a esté admise au noviciat. et a esté le présent acte de vesture et réception au noviciat signé par ladite sœur de saint-michel, par ledit sieur abbé, par ladite révérende mère prieure et par [blanc] Vachot, prestre et chanoine de sainct-marcel de paris, demeurant au collège sainte-Barbe, paroisse saint-étienne-du-mont, cousin de ladite sœur de saint-michel par honnorable homme, michel Landois, juré vendeur et controolleur de vins et bourgeois de paris, demeurant rue périgueux aux marais du temple, de ladite paroisse saint-nicolas-des-champs, son oncle, qui ont esté présents à ladite vesture avec plusieurs autres personnes. ce jour et an que dessus. 58. Jacques de Fieux (1621-1687), supérieur des chanoinesses du saint-sépulcre depuis la in des années 1650, évêque de toul (1676-1687). 59. abbaye de Beaulieu-en-Bassigny, o. cist., diocèse de Langres ; Jacques de Fieux en fut abbé de 1668 jusqu’à son décès en 1687. 60. abbaye notre-Dame de Bellozanne, o. praem., diocèse de rouen ; Jacques de Fieux en fut abbé de 1668 à 1675.

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de Fieux. s[œu]r renée de livenne d[i]te de s[ain]te-cécile, prieure. s[œu]r anne vachot dicte de saint-michel. vachot, p[re]b[st]re et chanoine [seing]. michel landois.

c. Serment de profession d’une sœur des Filles de la Croix de la maison des Tournelles à Paris. 1675, 11 novembre – paris. copie collationnée le 26 avril 1685. an, LL 1674, fol. 1, registre, papier.

Vive Jésus cruciié. Ô mon sauveur Jésus mon unique espérance, je, Gillette de Baran, prosternée en esprit d’humilité au pied de votre croix vous fais vœu de vivre en chasteté, obéissance et pauvreté durant le temps que par votre grace je feray en cette congrégation selon les constitutions d’icelle dans une parfaicte soumission à la sainte église catholique apostolique et romaine sous la protection de la très sainte Vierge marie mère de Dieu notre Dame et de glorieux saint Joseph son espoux et soubs la juridiction de monseigneur l’illustrissime et reverendissime archevesque de paris, au nom du père et du Fils et du saint-esprit, ainsi soit-il. Faict ce unziesme jour de novembre mil six cent soixante et quinze. Gillette de Baran. poitevin, sup[érieu]r. [D’une autre main] sœur Gillette Baran est décédée le 18 janvier 1709.

d. Procès-verbal de réception d’une sœur de chœur au monastère des bénédictines du Saint-Sacrement de la rue Saint-Louis à Paris. 1680, 27 octobre – paris. copie collationnée le 26 avril 1685. an, LL 1712, p. 1-2, registre, papier.

Loué soit le très saint sacrement de l’autel à jamais. Déclaration qui doit tenir lieu de contract de profession à sœur marie scolastique de Jésus première professe de ce monastère du très sainct sacrement de l’autel de la rue neuve de richelieux. aujourd’huy vingt septiesme octobre mil six cents quatre vingt nous prieure et religieuses bénédictines adoratrices perpétuelles du très saint sacrement de

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l’autel rue neuve de richelieu paroisse saint eustache estant toutes assembléez capitulairement en la manière accoustumée pour déclarer et certiier comme nous déclarons et certiions par ce présent acte que nous avons receu et incorporé à nostre dit monastère demoiselle margueritte de l’église ditte sœur marie scolastique de Jésus en qualité de sœur du chœur avec promesse et obligation de la norrir et entretenir tout le temps de sa vie saine et malade et en considération de la dévotion qu’elle a au très saint sacrement de l’autel et la grace qu’elle a receue d’estre incorporée pour le reste de ses jours à nostredit monastère, elle y a volontairement et librement fait le don de la somme de deux mille livres qui ont esté employéez aux acommodemens de cette maison où nous sommes présentement et a fourny ses meubles et habits de religion. en foy de quoy nous avons signé ce présent acte l’an et jour que dessus. signé « sr Bernardine de la conception, prieure », « sr marie de saint François de paule, sous-prieure », « sr marie de l’incarnation », « sr m. de st placide », « sr m. de Jésus », « sr m. du st sacrement », « sr m. de st Bernard », « sr m. anne de st Joachim », « sr m. oportune de ste Gertrude, secrétaire du chapitre ». collationné à son original par nous prieure et religieuses bénédictines adoratrices perpétuelle[s] du très saint sacrement de l’autel à 26 avril 1685. s[œu]r m[arie] de s[ain]t François de paule, prieure. s[œu]r m[arie] du s[ain]t sacrement sous prieure. s[œu]r m[arie] de l’incarnation discrette. s[œu]r m[arie] de s[ain]t placide, discrète. s[œu]r marie de Jésus, discrette. s[œu]r m[arie] oportune de s[ain]te Gertrude, secrétaire du chapitre.

e. Inventaire des biens d’une professe au séminaire d’Eu des Filles de la Charité. 1710, 26 juin – paris. orig. an, LL 1664, p. 116, registre, papier. Nota : les errements orthographiques n’ont pas été relevés.

Juin 1710 Le 26e juin est entré au séminaire de la ville d’eu, marie Forestier, ille de François Foretier et de catherine Davenne, ses pères et mère, laboureur habitant du village de sequeville d[iocèse] d’amiens. Baptisé le 28 juillet 1688. prit l’habit le 11 avril 1710. Fait les vœux le 25 mars 1716. elle a aporté un juste de serge gris de haut fert neuf, la cotte et le tablié de mesme à trois laise aussi neuf ; trois cotte, une violette des tofe croisée bonne avec

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une guipure dessus, une blanche de petite serge toute mainsse viellie, une verte de petite sergette viellie, un corp où il n’y a guère de balaine couvert de petite serge musqué demy usée, un tablié de serge grise demy usée, un père de bas de grosse estame ny bonne ny méchante, un père de soulier bon. six chemise de grosse toille demy usée, quatre coife cornette, trois mouchoirs de col, quatre de poche. [Dans la marge gauche, écrit dans le sens de la hauteur] sçais tricotté, ne sçais pas lire, grande, forte et de bonne santé.

f. Procès-verbal de renonciation à l’habit religieux. 1785, 7 février. – paris. orig. duplicata. an, LL 1532, non folioté, 2 pages reliées en tête du registre au xixe siècle, papier.

L’an mil sept cent quatre vingt cinq et le septième jour du mois de février, le révérend père simonot sous-prieur en chef de la maison du noviciat général des dominicains ayant assemblé les révérends pères du conseil après avoir observé les formalités prescrites par nos loix leur a exposé que le cher frère Jacques olive, novice cler admis à la profession à la pluralité des sufrages par le conseil de cette maison où il a fait douze mois révolus de probation et admis également par le conseil du couvent de chambéry où il avait été revêtu de l’habit de l’ordre a déclaré au révérend père maître qu’il n’étoit plus dans le dessein de demeurer parmi nous ; sur cet exposé les révérends pères du conseil ayant voulu s’assurer par eux-mêmes des sentimens et des dispositions passées et présentes de ce cher novice l’ont fait venir et l’ont fait paoitre au conseil où après plusieurs demandes relatives à sa vocation qui lui ont été faites il a déclaré publiquement et solennellement que ne se sentant61 pas appellé à l’ordre de saint Dominique, il ne croyoit pas pouvoir y demeurer plus longtemps et qu’il vouloit absolument en déposer aujourd’hui même les habits les révérends près du conseil ayant mûrement examiné ses raisons et ses motifs ont unanimement délibéré de faire droit à sa demande et de consentir qu’il quittât ces habits62 religieux, ce qui a été exécuté l’an et jour que cy dessus, en foy de quoi le révérend père simonot, le révérend maître et les révérends pères examinateurs et le secrétaire du conseil ont signé le présent verbal. Dont double à paris l’an et jour que cy-dessus. F. p. p. J. simonnot souprieur en chef. Le fr. J. olive se démet purement et simplement.

61. ne se sentant, correction de ne se croyant. 62. ces habits, correction de cet habit.

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Fr. chanterel examinateur. F. Bern[ard]. lambert, examinateur. Fr. t. Jacob. Fr. J. J. giraud. F. J. a. debré. F. Breyrnani, secrétaire du conseil. F. gaudibert. F. p. lizault, maître des novices.

ii. monarchie et registres de profession et de noviciat a. Lettre circulaire du procureur du roi au Châtelet de Paris à la supérieure des Hospitalières de la Miséricorde à Paris. 1736, 29 novembre – paris. orig. préimpr. an, LL 1701, non folioté, 2 pages, registre, papier.

madame63, Je vous envoye des exemplaires de la déclaration du roy du neuf avril dernier concernant la forme qui doit s’observer à l’avenir pour tenir les registres des baptêmes, mariages et sépultures, vêtures, noviciats, professions et des extraits qui en doivent être délivrez, ensemble des sentences rendues en conséquence sur mes réquisitoires par m. le lieutenant civil. Je vous prie de vous y conformer exactement et d’avoir doresnavant deux registres en papier commun, lesquels seront cottez par premier et dernier et paraphez par vous sur chaque feuillet, à quoi faire vous serez autorisé par un acte capitulaire qui sera inséré au commencement de chacun desdits registres pour y inscrire conformément à ladite déclaration tous les actes de vêture, noviciat et profession qui se feront dans votre communauté, lesquels registres vous serviront pendant cinq années consécutives à commencer du premier janvier prochain et l’un desquels vous ferez apporter au grefe de la chambre civile du chastelet, dont le greier, qui sera chargé de les recevoir, vous donnera une décharge, sçavoir pour les registres faits en exécution de ladite déclaration dans six semaines après la in de l’année 1741 et ensuite de cinq en cinq ans. Vous vous conformerez aussi aux dispositions de l’article XV de ladite déclaration, si vous vous trouvez dans la possession bien et duement establie de faire quelqu’un des genres d’actes qui y sont énoncez, auquel cas il sera nécessaire que vous ayez deux registres, dont l’un sera en papier timbré et l’autre en papier commun, cotez par premier et dernier feuillet, que vous aurez soin d’envoyer chez monsieur le Lieutenant civil pour les parapher, un mois avant le commencement de chaque année, sur lesquels deux registres vous écrirez ou ferez écrire de suite et sans aucun blanc par la personne qui sera par vous préposée à cet efet les genres 63. madame, manuscrit.

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d’actes que vous serez en possession de faire, en vous conformant au surplus aux autres dispositions portées par ladite déclaration. vous aurez attention d’en envoyer un dans six semaines au plus tard après l’expiration de chaque année audit grefe de la chambre civile du châtelet dont le greier vous donnera une décharge. Je compte que vous voudrez bien vous mettre en règle à ce égard, à commencer au premier décembre prochan pour les registres de l’année 1737. au cas que vous ayez besoin de quelques éclaircissemens, vous pourrez vous adresser à moi et je me ferai un plaisir de vous les donner. J’ai l’honneur d’être avec parfaite considération, madame64, votre très humble et très obéissant serviteur, moreau [seing]. à paris, ce 26e novembre65 1736

b. Lettre circulaire du lieutenant général de police de Paris au supérieur des Jacobins de la rue Saint-Dominique à Paris. 1773, 26 janvier – paris. orig. préimpr. an, LL 1537, non folioté, 1 page, papier.

paris, le 26 janvier 177366. Le roi désire, mon révérend père67, qu’on lui mette sous les yeux chaque année un état contenant le nombre de professions en religion et celui des personnes mortes aussi en religion dans les diférentes communautés religieuses de la ville, prévôté et vicomté de paris et sa majesté en veut un semblable dès à présent pour chacune des années 1770, 1771 et 1772. pour me conformer aux intentions de sa majesté, je vous prie de remplir pour ces trois dernières années, trois des imprimés que je vous envoie et de me les envoyer le plutôt possible. Vous voudrez bien garder les autres pour les remplir à la in de chaque année et me les adresser le premier ou le deux janvier suivant. Je suis très parfaitement, mon révérend père68, votre très humble et très obéissant serviteur, de sartine. Le p. supérieur des Jacobins de la rue saint-Dominique, faubourg saint-Germain69. 64. madame, manuscrit. 65. 26e novembre, manuscrit. 66. paris, le 26 janvier 1773, manuscrit. 67. mon révérend père, manuscrit. 68. mon révérend père, manuscrit. 69. cette indication, au bas de la page, est entièrement manuscrite.

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c. Acte capitulaire du couvent des Jacobins de la rue du Bac à Paris. 1779, 1er janvier – paris. orig. an, LL 1532, fol. 1, registre, papier.

L’an de grâce mille sept cent soixante dix neuf et le premier janvier, le révérend père homas Jacob prieur du couvent et noviciat général de l’ordre des Frères prêcheurs établis en la bonne ville de paris rue du Bacq, fauxbourg saint-Germain, ayant assemblé la communauté a dit qu’en conséquence des ordres du roy et en exécution de la déclaration de sa majesté du neuf avril mil sept cent trente six, il a fait faire le présent livre pour y enregistrer et y inscrire les actes de vêtures, noviciat et profession des religieux qui enbrasseront notre saint ordre en la forme qu’il est marqué dans la susdite déclaration et que sa majesté voulant entre autres choses que ledit registre soit paraphé par lui prieur sur chaque feuillet en suite d’un acte capitulaire par lequel il soit authorisé à le faire, il demanda pour cela le consentement de la communauté, sur quoi tous les révérends pères vaneaux ici présents ont par leur consentement authorisé et authorisent ledit révérend père prieur à parapher comme est est dit cy-dessus le présent premier registre et ont signé l’an et jour que dessus : Fr. thomas Jacob, prieur. F. alphonsus Gaudibert, supprior. F. L. B. Laliment, père du conseil. Fr. J. J. Giraud, père du conseil. F. Jean sanarens, père du conseil. F. Bernard Lambert. F. Louis Vassal. F. Jaques mazaudier, sindic. F. Jean-Gabriel calais. F. alexis Glize.

« Des créatures De Votre maJesté » choiX et contrÔLe Des éVêques par phiLippe ii Dans Les couronnes De castiLLe et D’araGon (1556-1598) par

ignasi FernánDeZ terricaBras*

pour l’église de la contre-réforme en général et pour le concile de trente en particulier, la défense du catholicisme face à la menace protestante passe par le renforcement et la restructuration de la hiérarchie ecclésiastique. pour les pères réunis à trente, c’est à l’évêque de veiller au bon comportement des clercs de son diocèse qui, à leur tour, doivent veiller à celui des idèles. Le programme d’action de la contre-réforme repose sur la igure de l’évêque1. Le renforcement du pouvoir diocésain des évêques coïncide, non par hasard, avec le déploiement du contrôle de l’épiscopat par les états. Dans certains territoires, les monarques jouissent du pouvoir d’élire les clercs qui deviendront évêques, le pape se bornant à concéder l’investiture au candidat présenté librement par le souverain. c’est le cas de la France après le concordat de Bologne. peu après, en 1523, le pape adrien Vi concède à charles quint la présentation perpétuelle à tous les évêchés d’espagne. ce droit sera le plus éminent privilège du vaste complexe de droits et de prérogatives dont le monarque jouit dans les afaires ecclésiastiques, qui est connu sous le nom de « patronato real »2. Désormais, les conseils de castille et d’aragon sont chargés de présenter des rapports au roi en vue des nominations des évêques sur les territoires relevant de leur compétence. néanmoins, le roi peut toujours porter son choix sur la personne qu’il estime la plus compétente et ce

* Je tiens à remercier m. Vicent hérail, qui a toujours suivi cette recherche, de son aide pour la rédaction de ce texte. 1. Joseph Bergin, « he counter-reformation church and its bishops », dans Past and Present, t. 165, nov. 1999, p. 30-73. 2. christian hermann, L’église d’Espagne sous le patronage royal (1476-1834), madrid, 1988.

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même si elle n’a pas été proposée par les conseillers. charles quint (1516-1556) va employer le patronage royal pour s’assurer des nominations politiquement sûres3. mais c’est son ils philippe ii (1556-1598) qui pousse à son extrême la potentialité du patronage royal pour créer un épiscopat adapté aux besoins de la monarchie.

i. — avant de devenir évêque L’étude statistique que nous avons menée ailleurs sur les évêques présentés par philippe ii en est une bonne preuve4. notre travail prend en compte les 194 prélats désignés par le roi pour gouverner les cinquante-cinq diocèses existants dans les couronnes de castille et d’aragon en 1598. comme nombre d’évêques dirigent successivement deux diocèses ou plus, deux cent soixante et onze présentations conirmées par le pape entrent en ligne de compte ici. La coïncidence de certains traits pour la majorité des évêques désignés par philippe ii nous permet de tracer le proil du type d’évêque souhaité par la couronne : castillan, noble, diplômé universitaire, d’âge avancé, honnête et avec une importante carrière préalable. c’est précisément sur cette carrière préalable que nous allons focaliser notre attention. 1. Le concile de trente précise que les évêques doivent être titulaires d’un doctorat en théologie ou en droit canonique. philippe ii présente cent neuf prélats théologiens et soixante-douze juristes5. nous mettons à part cinq présentations de quatre personnes qui avaient des diplômes universitaires de droit et de théologie et quatre autres présentations où nous sommes sûrs que les nommés n’étaient pas arrivés à obtenir un diplôme. enin, pour cinq personnes nous ne connaissons pas le type d’études réalisées. 2. La plupart des évêques présentés par philippe ii proviennent du clergé séculier. seuls trente-trois (17 %) appartiennent au clergé régulier, les ordres militaires compris6. 3. tarsicio de azcona, « reforma del episcopado y del clero de españa en tiempo de los reyes católicos y de carlos  V  » dans Historia de la Iglesia en España, dir. ricardo García-Villoslada, madrid, 1980, t. iii/1, p. 115-210. 4. nous ne présentons ici de façon très succincte que quelques données. pour le développement complet de l’étude prosopographique : ignasi Fernández terricabras, Philippe II et la Contre-Réforme. L’église espagnole à l’heure du concile de Trente, thèse de doctorat sous la direction de m. Jean-pierre amalric, université toulouse-Le mirail, 1999. 5. ignasi Fernández terricabras, « por una geografía del patronato real : teólogos y juristas en las presentaciones episcopales de Felipe ii », dans Iglesia y sociedad en el Antiguo Régimen, éd. enrique martínez ruiz et Vicente suárez Grimón, Las palmas, 1994, p. 601-610. 6. en revanche, 66,6 % des évêques désignés pour l’amérique au xvie siècle sont des religieux : paulino castañeda Delgado, Juan marchena Fernández, La jerarquía de la Iglesia en Indias. El episcopado americano (1500-1850), madrid, 1992, p. 73-79.

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3. le nombre d’évêques qui sont d’anciens membres d’un chapitre cathédral ou collégial est surprenant : cent dix-neuf prélats (61,3 %). parmi eux, soixanteneuf sont des théologiens, quarante-deux des canonistes, un n’est pas diplômé et quatre sont diplômés dans les deux disciplines. enin, nous ne connaissons pas les études suivies par trois de ces évêques. 4. La disparité entre les débouchés professionnels des juristes et des théologiens est évidente lorsqu’on calcule le nombre de clercs séculiers promus à l’épiscopat qui ont été professeurs d’université : soixante théologiens, sept canonistes et deux diplômés dans les deux disciplines. en outre, douze évêques d’ordres réguliers avaient été professeurs dans des collèges de leurs ordres, dont un seulement est juriste. 5. Les canonistes accaparent cependant d’autres catégories de charges, comme celles du saint-oice. parmi les évêques juristes étudiés, quarante ont occupé des postes de responsabilité dans l’inquisition espagnole, que ce soit en tant qu’inquisiteurs d’un tribunal de district, en tant que membres du conseil de la suprême inquisition, ou dans les deux postes au cours de leur carrière. Deux autres prélats théologiens ont été conseillers de la suprême7. 6. L’autre grand débouché professionnel pour les juristes est la carrière dans les organismes de la justice royale, que ce soient les audiences et les chancelleries, qui exercent la juridiction sur de larges circonscriptions, ou les conseils, institutions centrales de la monarchie qui combinent l’action de gouvernement et l’administration de justice8. au total, quarante-quatre des cent quatre-vingtquatorze évêques étudiés (soit 22,6 %), dont trente-sept sont des juristes, ont fait partie des chancelleries ou des conseils de la monarchie hispanique, celui de l’inquisition compris9. il faut aussi tenir compte du fait que quelques évêques s’étaient distingués, avant d’accéder à l’épiscopat, dans l’accomplissement de certains services à la monarchie qui ne donnent pas lieu à des charges permanentes : prédicateurs lors du voyage de philippe ii en angleterre, visiteurs royaux pour inspecter l’activité des fonctionnaires de tribunaux ou d’autres institutions, etc. 7. si on laisse de côté les inquisiteurs, peu d’évêques occupent des charges dans l’administration de la couronne d’aragon avant leur accès à l’épiscopat. il ne s’agit que de huit cas, y compris les fonctionnaires de l’administration royale dans la couronne et ceux qui dépendent des institutions des royaumes. peu d’évêques deviennent vice-rois et, en tout cas, ils le sont après être évêques.

7. ignasi Fernández terricabras, «  Des évêques inquisiteurs au temps de philippe ii (15561598). rélexions à propos de leur proil professionnel », dans L’Inquisition espagnole et ses réformes au xvie siècle, éd. marie-catherine Barbazza, montpellier, 2006, p. 167-184. 8. Le premier âge de l’état en Espagne, éd. christian hermann, paris, 1990. 9. au temps de philippe iii, le pourcentage atteint 44 % des évêques de la couronne de castille : helen e. rawlings, « he secularisation of castilian episcopal oice under the habsburgs, c. 15161700 », dans Journal of Ecclesiastical History, t. 38, 1987, p. 71.

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8. seuls treize prélats mènent une partie de leur carrière à rome avant d’être évêques, dont cinq sont auditeurs de la rote. 9. il est paradoxal de constater que la charge d’âmes n’a pas d’importance dans la carrière préépiscopale. nous ne connaissons que dix cas (sept théologiens et trois canonistes) où le prélat a été parfois le curé d’une paroisse. ce déicit est compensé par la bonne connaissance des structures diocésaines. en efet, un nombre important de prélats ont connu une sorte d’étape d’initiation au gouvernement diocésain comme collaborateurs d’autres évêques : trente-huit prélats (vingt et un juristes, quatorze théologiens, deux diplômés dans les deux disciplines et un pour lequel nous ne connaissons pas le diplôme) exercent comme vicaires généraux, proviseurs, juges épiscopaux, visiteurs généraux, examinateurs et autres charges diocésaines à responsabilité. on peut ajouter à ce groupe d’autres évêques qui, sans avoir ce type de charges, ont fait partie de l’entourage d’un évêque ou ont bénéicié de sa coniance. en conclusion, avant d’accéder à l’épiscopat, les futurs évêques doivent réaliser une carrière relativement longue, d’autant plus que l’âge moyen d’accès au premier diocèse est de 51 ans. Les évêques théologiens proviennent dans leur majorité des universités. Les couvents fournissent aussi plusieurs évêques théologiens, bien que philippe ii soit très modéré à propos de la désignation d’évêques réguliers. Les juristes accaparent les postes de l’administration de la monarchie, notamment ceux de l’inquisition. héologiens et juristes cherchent une place dans un chapitre. sauf quelques exceptions sporadiques, l’exercice de charges dans l’administration forale, dans la curie romaine, dans les armées ou dans la diplomatie semble n’avoir aucune importance. L’expérience directe du travail pastoral n’est pas non plus un élément pris en compte par le patronage royal. toutefois, nombre de futurs prélats ont acquis une connaissance directe des structures de gouvernement diocésain grâce à la collaboration avec un évêque en activité. Logiquement le nombre de clercs qui remplissent ces conditions est plus grand que le nombre d’évêchés. tous les aspirants évêques ne réussissent pas à obtenir une nomination. Le premier problème qui se pose à tous les « épiscopables » est de faire parvenir la « candidature » au souverain. Le système du patronage royal ne fonctionne pas seulement grâce au mérite et à la vertu, mais aussi à la latterie, à la recommandation et au remerciement des services rendus. Les études sur les réseaux de clientèles et le pouvoir des factions dans la monarchie hispanique, notamment dans la cour, ont beaucoup avancé dans les dernières années10. elles nous montrent l’importance pour devenir évêque des rapports de famille et de clientèle, aussi bien que d’autres éléments comme la relation avec la famille royale ou la

10. tout particulièrement grâce aux études de l’équipe dirigée par José martínez millán, à partir de Felipe II (1527-1598). La coniguracín de la monarquía hispana, salamanque, 1998.

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recommandation d’un évêque en fonction, d’un personnage prééminent ou d’un ministre inluent de la cour. mais il faut examiner l’inluence des factions dans chaque cas, car on ne saurait guère la transposer comme une variable statistique. une analyse d’ensemble des études réalisées par maximiliano Barrio gozalo sur l’épiscopat espagnol entre 1556 et 1840 permet de déterminer qu’une bonne partie des éléments que nous avons décelés dans l’épiscopat au temps de philippe ii se répètent tout au long de l’ancien régime et deviennent des traits structurels du patronage royal11. De ce point de vue, le règne de philippe ii marque un tournant fondamental dans l’évolution historique du patronage royal.

ii. — au service de l’église et de l’état en réalité, notre étude statistique montre que, pour le patronage royal, l’évêque apparaît plutôt comme un gouvernant. toutes les données convergent pour signaler que, dans la monarchie hispanique des habsbourg, l’épiscopat devient un échelon supplémentaire, souvent le plus haut – mais pas toujours – d’une longue carrière. Dans le cas des juristes, cette carrière est clairement liée à la couronne. Les futurs évêques connaissent un avancement graduel où les charges dans l’administration de l’église et de la monarchie alternent indistinctement. il ne semble pas que les ecclésiastiques doivent choisir l’une ou l’autre institution, mais les deux font partie également de leurs perspectives communes de promotion. Dans les chancelleries et dans les conseils, les ecclésiastiques siègent à côté des ministres laïques et réalisent le même travail qu’eux, y compris l’étude des afaires qui en principe ne sont pas religieuses. ils peuvent de plus inclure parmi leurs perspectives de promotion l’accès à l’épiscopat. La présence de clercs dans les conseils de la monarchie, qui sont les organismes les plus proches du roi, est même recommandée par les auteurs de traités politiques, car ils la considèrent utile pour traiter des afaires dans lesquelles la conscience du souverain peut être compromise12. quelques charges de la monarchie leur sont même théoriquement réservées13. Des huit présidents du conseil des indes à l’époque de philippe ii, six sont des ecclésiastiques, dont quatre deviendront évêques14. Des quarante-neuf 11. maximiliano Barrio Gozalo, El real patronato y los obispos españoles del Antiguo Régimen (1556-1834), madrid, 2004. 12. Des exemples dans Jean-marc pelorson, Les « letrados », juristes castillans sous Philippe III. Recherches sur leur place dans la société, la culture et l’état, poitiers, 1980, p. 454 et Feliciano Barrios, El Consejo de Estado de la Monarquía Española (1520-1812), madrid, 1984, p. 236. 13. par exemple, la présidence du conseil de navarre, même si philippe ii ne respecta pas toujours cette norme : Joaquín J. salcedo izu, El Consejo Real de Navarra en el siglo xvi, pampelune, 1964. 14. ernesto schafer, El Consejo Real y Supremo de Indias, séville 1935, t. i, p. 351-366 ; t. ii, p. 440-442.

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conseillers d’état, douze sont des clercs, dont huit accéderont à l’épiscopat15. ce trait est structurel dans la monarchie des habsbourg : des dix-sept présidents du conseil de castille nommés par philippe iV et par charles ii, onze sont des clercs16. Les présidences des chancelleries de Grenade et de Valladolid, les deux cours suprêmes de justice dans la couronne de castille, sont sans doute le dernier échelon pré-épiscopal de nombre de carrières ecclésiastiques. par exemple, dans la liste des candidats proposés en 1577 pour occuper la présidence de la chancellerie de Grenade, le président du conseil de castille, Diego de covarrubias, lui-même évêque de ségovie, écrit le nom de huit candidats, dont cinq accéderont par la suite à l’épiscopat17. Les ecclésiastiques qui siègent dans les tribunaux de la monarchie demandent des dispenses au pape ain de pouvoir juger les procès criminels18. plus encore, il y a des charges très importantes de la monarchie qui sont pratiquement réservées aux évêques. on considère que certains postes doivent échoir à un évêque à cause de la réputation et de l’autorité requises ou du mélange de fonctions civiles et religieuses qu’ils entraînent. c’est le cas, par exemple, des inquisiteurs généraux, qui sont tous des évêques, ou des commissaires généraux de la croisade jusqu’à la désignation du licencié pedro Velarde en 157619. Les carrières épiscopales les plus brillantes sont de bons exemples de cette situation générale20. Diego de covarrubias y Leiva, par exemple, « colegial mayor » à salamanque, est successivement professeur à l’université de salamanque (1540), auditeur de la chancellerie de Grenade (1548) et évêque de ciudad rodrigo (1559). Le roi le charge alors de visiter l’université de salamanque (1560-61), le choisit pour aller au concile de trente (1562-63) et, à son retour, le nomme évêque de ségovie (1564). covarrubias continue à participer à des activités de gouvernement et, inalement, le roi le nomme président du conseil de castille (1572). c’est pourquoi Grégoire Xiii accorde à l’évêque une dispense de résidence. encore en 1577, quelques mois avant sa mort, philippe ii le désigne comme évêque de cuenca. Diego de simancas est conié par ses parents à son oncle, l’archidiacre de cordoue. Bientôt il obtient aussi un canonicat dans la même église, qui lui donne 15. F. Barrios, El Consejo…, p. 237 et 318-336. 16. Janine Fayard, Los miembros del Consejo de Castilla (1621-1746), madrid, 1982, p. 142. 17. archives Zabálburu, madrid, 164, fol. 105. Le candidat choisi par le roi, Jerónimo roda, ne sera pas évêque à cause sûrement de sa mort subite en 1578. covarrubias conditionne la désignation du seul candidat laïque, rodrigo Vázquez, à ce qu’il accepte de prendre l’habit ecclésiastique. 18. par exemple, archivio segreto vaticano, segreteria stato – spagna, 22, fol. 122. 19. Le conseil et le commissaire général de la croisade géraient le recouvrement des bulles d’indulgences dites de la croisade. Le saint-siège accordait la plupart des sommes collectées à la couronne. 20. plusieurs exemples dans les petites biographies des conseillers de philippe ii établies sous la direction de José martínez millán et carlos J. De carlos morales dans Felipe II…, p. 315-525.

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une base économique suisante pour continuer sa carrière. il est professeur à l’université de valladolid (1540), où il avait été « colegial mayor » et, par la suite, auditeur de la chancellerie de cette ville et conseiller de l’inquisition (1559). Le roi le présente pour l’évêché de ciudad rodrigo (1564). envoyé par philippe ii à rome pour diriger l’accusation contre l’archevêque carranza, il devient évêque de Badajoz (1568) tandis qu’il est là-bas. Le roi proite de son séjour à rome pour l’envoyer à naples pendant une année comme vice-roi intérimaire. revenu en castille, il est conseiller d’état et, en 1578, évêque de Zamora21. Gaspar de quiroga y Vela commence par s’instruire à côté d’un prélat. après avoir été « colegial mayor » à salamanque et à Valladolid, il travaille au service du cardinal tavera, archevêque de tolède, qui en fait son vicaire général et écolâtre du chapitre, et de son successeur, le cardinal martínez silíceo. ensuite, quiroga est nommé pour occuper la vacance castillane d’auditeur de rote (1555) et il doit partir pour rome. Le roi en proite aussi pour lui faire visiter plusieurs organismes de naples (1559-63). à son retour à la cour, il est conseiller de castille, des indes et de l’inquisition (1565), visiteur du conseil de la croisade (1566-73) et gouverneur du conseil d’italie (1567-71), sans pour autant cesser d’être chanoine de tolède. ensuite il va être évêque de cuenca (1571), inquisiteur général et conseiller d’état (1573), archevêque de tolède (1577), cardinal (1578) et à nouveau gouverneur du conseil d’italie jusqu’à sa mort (1586-94)22. certes, l’accès à l’épiscopat n’est pas toujours le couronnement d’une carrière. il peut être le moyen de se débarrasser d’une façon honorable d’un conseiller tombé en disgrâce ou trop âgé pour continuer à exercer ses charges à la cour. Voyons, par exemple, le cas d’hernando de Vega. « colegial mayor » de salamanque, il commence sa carrière comme juge métropolitain de l’archevêque de saint-Jacques. il entre ensuite dans l’administration royale, où il est successivement inquisiteur à saragosse (1559), auditeur de la chancellerie de Valladolid (1560) et conseiller de l’inquisition (1568). il exerce aussi comme visiteur de la chancellerie de Valladolid. il accède à la présidence de cette chancellerie (1570) bien qu’il réside longtemps à madrid car il agit comme commissaire de la croisade en absence du commissaire général Velarde. en 1579, il est nommé président du conseil des Finances. en même temps, il obtient un canonicat à carthagène, où il ne réside pas, mais qui lui permet de compléter son salaire. puis il passe à la présidence du conseil des indes (1584) et, en 1591, à l’évêché de cordoue, qu’il ne peut guère gouverner, car il meurt cette même année. 21. Diego de simancas, La vida y cosas notables del Señor Obispo de Zamora, dans Autobiografías y memorias, éd. manuel serrano y sanz, madrid, 1905, p. 151-210. 22. henar pizarro Llorente, Un gran patŕn en la Corte de Felipe II : Don Gaspar de Quiroga, madrid, 2004.

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les théologiens peuvent aussi participer à cette alternance de charges. c’est le cas du franciscain Bernardo de Fresneda. sa condition de directeur spirituel de ruy gómez de silva, prince d’éboli, l’un des principaux ministres de philippe ii, lui permet d’aller avec eux en angleterre et de côtoyer le roi. celui-ci en fait son confesseur en 1554. avec le monarque, Fresneda retourne en castille où il devient juge exécuteur et fournisseur des galères royales et, en 1562, commissaire général de la croisade et évêque de cuenca. ultérieurement, il accède à l’évêché de cordoue (1571) et à l’archevêché de saragosse (1577)23. mais la carrière des théologiens, axée sur l’université et sur le chapitre cathédral, est d’habitude plus simple que celle des juristes. L’éventail des carrières reste beaucoup plus ouvert pour les canonistes. Les diplômés en droit ont devant eux, à la sortie des universités, toute une diversité de juridictions et d’emplois qu’ils peuvent indiféremment occuper au cours de leur carrière. ainsi, nous avons vu des clercs occupant d’abord des charges diocésaines qui passent ensuite à des postes de l’administration royale et, inalement, à l’épiscopat. aux carrières ofertes aux clercs juristes dans l’église (chapitres, tribunaux ecclésiastiques, visiteurs, etc.), il faut ajouter les carrières ofertes par le service royal (audiences et conseils). en même temps, il faut souligner la grande cohésion interne de l’épiscopat présenté par philippe ii. Le roi préfère les évêques cultivés, formés dans les centres universitaires de ses royaumes ou dans les couvents les plus prestigieux. il cherche des hommes qui ont déjà fait preuve de leurs capacités intellectuelles dans les salles de cours et en chaire, notamment les théologiens. cependant, cette préférence pour les universitaires n’est pas sans discrimination. La prédominance des universités de salamanque et d’alcalá montre qu’il existe une volonté de privilégier les deux centres les plus renommés, au détriment des autres universités castillanes et, surtout, de la couronne d’aragon. mais ce sont aussi les établissements universitaires les mieux contrôlés par la couronne24. De cette façon, le patronage royal crée un épiscopat d’une grande cohésion idéologique, car presque tous les évêques ont reçu une formation similaire. D’autres éléments favorisent l’assujettissement de l’épiscopat à la couronne. c’est le cas de la disparition du type d’évêque militaire des siècles antérieurs ou de la succession de plusieurs générations d’une même famille de l’aristocratie dans l’épiscopat. Les habsbourg n’ont jamais oublié la leçon des rois catholiques 23. henar pizarro Llorente, « el control de la conciencia regia. el confesor real fray Bernardo de Fresneda », dans La corte de Felipe II, dir. José martínez millán, madrid, 1994, p. 149-187. 24. José García oro, maria José portela silva, « Felipe ii y la universidad de salamanca. Las visitas del consejo real  », dans Liceo franciscano, t.  50, 1998, p.  273-422. ramón González navarro, Felipe  II y la reforma de las universidades. El caso de Alcalá de Henares, madrid, 1999. D’autre part, les dénonciations de fraude dans les diplômes décernés par les petites universités ont dû favoriser la prédilection du roi pour les universités les plus prestigieuses ; maximiliano Barrio Gozalo, El clero en la España moderna, cordoue, 2010, p. 284.

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qui, après la guerre civile castillane, avaient dû apprivoiser le haut-clergé, ni les problèmes de charles quint avec l’évêque acuña lors de la rébellion des « comunidades ». certes, il y a aussi au temps de philippe ii des évêques qui proviennent de la haute noblesse, dont la carrière se déroule souvent plus rapidement que celle de leurs collègues, mais il ne s’agit que de 17 % des cas. il n’est pas surprenant que parmi ces cinq brillantes carrières que nous venons de décrire, il n’y ait aucun membre de la haute noblesse. La plupart des évêques sont issus de la petite et de la moyenne noblesse, un groupe dont les espoirs de promotion sociale reposent sur le service à la couronne et qui ne dispose pas d’une certaine autonomie qu’ils tireraient d’états et de territoires hérités. pour eux, le mérite intellectuel et la capacité de gouverner sont des vertus essentielles pour la promotion sociale. D’autre part, bien qu’un certain nombre d’évêques puissent provenir des oligarchies locales et même de la haute noblesse, il est clair qu’au xvie siècle, le choix des évêques dans les familles nobles ne s’accompagne pas d’un renforcement du pouvoir local de ces familles au détriment de la couronne. Le fait que les mutations d’évêques soient fréquentes et qu’on ne désigne guère des évêques qui aient eu des liens préalables avec le diocèse rend très diicile ces processus si communs aux siècles précédents. Les rares familles qui comptent deux évêques sous le règne de philippe ii, qu’ils proviennent de la haute noblesse (Zapata, sandoval) ou non (cassador, robuster), ne constituent pas à cette époque des pouvoirs relativement autonomes de la couronne dans les diocèses qu’ils gouvernent, comme cela arrive à nombre de familles d’évêques contemporains en France. philippe ii cherche toujours à empêcher que le pouvoir épiscopal – et le pouvoir temporel lié aux sièges – ne devienne le complément des nombreux pouvoirs détenus localement par les familles nobles. même quand un ecclésiastique est nommé évêque, il sait parfaitement que ses perspectives de promotion dans la carrière épiscopale dépendent totalement de la couronne, à laquelle il essaie de plaire. La politique de transfert des évêques menée par la couronne limite les velléités d’indépendance d’un prélat face à la couronne, dont dépend sa mutation à des postes plus importants25. Les évêchés sont des charges à l’entière disposition de la couronne, occupés par des hommes liés aux groupes courtisans, avec une carrière politique et ecclésiastique prédéterminée dans ses traits généraux. Les ministres du patronage royal les utilisent comme les autres bénéices, soit pour récompenser les mérites personnels ou les services rendus à la couronne, soit pour satisfaire les exigences de l’amitié ou de la clientèle politique.

25. il en va de même pour le xviie siècle : antonio Domínguez ortiz, Las clases privilegiadas en el Antiguo Régimen, 3e éd., madrid, 1985, p. 226.

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iii. — Des évêques « letrados » tous les traits que nous venons d’évoquer nous permettent de comparer les évêques et les « letrados », un groupe social que l’historiographie a fait ressortir comme un élément essentiel de l’administration royale depuis les rois catholiques. au xvie siècle, la plupart des charges de la monarchie hispanique sont occupées par un personnel ayant une formation universitaire, normalement juridique. il s’agit de personnages issus dans leur majorité de la haute bourgeoisie et de la petite noblesse qui iniront par former au xviie siècle une noblesse de robe qui doit ses titres non aux mérites de guerre, mais à sa formation universitaire et à son service dans l’administration26. pour ce groupe d’universitaires, l’église et la monarchie ofrent les débouchés principaux. à l’inverse, pour l’église et pour la monarchie, les universités deviennent des centres de formation qui leur assurent l’arrivée d’un personnel doté d’une instruction théologique et juridique homogène. ce personnel leur est nécessaire pour développer le processus d’expansion institutionnelle qu’elles mènent à l’époque. en même temps, la monarchie consolide une hiérarchie de pouvoir politique composée majoritairement de « letrados », indépendante de l’aristocratie et contrôlée directement par la couronne. en réalité, l’épiscopat au temps de philippe ii est peuplé de « letrados » qui deviennent évêques. La formation et la provenance des prélats est pratiquement la même que celle des « letrados » laïques de la monarchie qui siègent dans les conseils, sauf, peut-être, que la présence de la basse noblesse est plus importante dans l’épiscopat que dans l’ensemble des « letrados ». on découvre ainsi une des conséquences fondamentales du patronage royal. Lorsqu’on concentre dans les mêmes mains les nominations pour les plus hautes charges de la couronne et de l’église, on parachève l’indiférenciation entre les unes et les autres. avec de légères nuances, les critères et les mécanismes de désignation, tout comme les traits sociologiques des candidats, seront très similaires. Dans la couronne de castille, le couronnement de cette évolution est l’instruction dictée par philippe ii en 1588. Le roi règle la procédure que doit suivre le conseil de castille pour examiner les dossiers relatifs aux nominations, qu’il s’agisse des emplois dans les conseils et autres organismes judiciaires ou des charges du patronage royal, y compris les évêques. un groupe réduit de conseillers est chargé de choisir les titulaires des postes ecclésiastiques et laïques à la disposition du roi27. 26. pour la dernière bibliographie, Letrados, juristas y buŕcratas en la España moderna, dir. Francisco J. aranda pérez, cuenca, 2005 ; paola Volpini, El espacio político del letrado Juan Bautista Larrea, magistrado y jurista en la monarquía de Felipe IV, madrid, 2010. 27. Novísima recopilacín de las leyes de España, madrid, 1805 : livre i, titre XVii, loi Xi et livre iV, titre iV, loi i.

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c’est pourquoi il n’est pas étonnant que les études connues sur le recrutement des charges civiles de la monarchie hispanique au xvie siècle coïncident remarquablement avec le proil d’évêque de l’époque. par exemple, la « castillanisation » de l’administration centrale de la monarchie, qui amène à la prédominance générale des conseillers de cette couronne, est parallèle à la prépondérance des castillans dans l’épiscopat. La progression des salaires dans la hiérarchie des « letrados » est très similaire à la croissance graduelle des revenus des futurs évêques au cours de leur carrière28. D’après richard Kagan, sous le règne de philippe ii, 40 % des places dites « de asiento » des conseils sont occupés par des professeurs de droit29. Le fait est sans doute analogue à l’importante présence de professeurs de théologie aux sièges épiscopaux. La prédominance des mêmes universités d’étude fait que la formation des évêques ressemble à celle des « letrados ». par exemple, des cent trois auditeurs de la chancellerie de Valladolid entre 1588 et 1633, seuls trois ne sont jamais passés par les universités de salamanque, alcalá ou Valladolid. Dans la chancellerie de Grenade, neuf auditeurs se trouvent dans la même situation, sur un total de quatre-vingt-quatorze30. La plupart des évêques n’ont pas été formés dans des séminaires, des couvents ou d’autres établissements spéciiquement religieux, mais dans les mêmes universités de salamanque et d’alcalá, voire dans les mêmes collèges majeurs que les dirigeants principaux de la monarchie31. particulièrement étonnante est la similitude entre les nominations des évêques et celles des délégués du pouvoir royal, notamment des corrégidors. La mobilité fréquente n’est pas le seul trait qui les rapproche. tous les corrégidors de la couronne de castille sont des castillans et la plupart sont des diplômés universitaires issus de la petite et de la moyenne noblesse32. en catalogne, les « veguer » (agents du pouvoir royal) ne doivent pas non plus avoir de liens de naissance ou de voisinage avec les régions où ils exercent leurs fonctions.

iV. — conclusion en conclusion, le patronage royal nomme des évêques en conformité à sa politique. Les évêques sont des oiciers comme les autres fonctionnaires. De la 28. J.-m. pelorson, Les letrados…, p. 248-264. 29. richard Kagan, Universidad y sociedad en la España Moderna, madrid, 1981, p. 134 ; Luis e. rodríguez-sanpedro, La universidad salmantina del Barroco, salamanque, 1986, t. iii, p. 64. 30. r. Kagan, Universidad…, p. 140 et 256. 31. ignasi Fernández terricabras, « universidad y episcopado en el siglo xvi. Las universidades donde estudiaron los obispos de las coronas de castilla y de aragón (1556-98) », dans Revista de historia moderna. Anales de la universidad de Alicante, t. 20, 2002, p. 75-96. 32. Benjamín González alonso, El corregidor castellano (1348-1808), madrid, 1970, p. 139-148.

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même extraction sociale, formés dans les mêmes universités, nommés selon les mêmes mécanismes que les autres bureaucrates, les évêques suivent une carrière où les charges religieuses et civiles se succèdent, voire se mélangent. en efet, au temps de philippe ii, la dépendance vis-à-vis de la couronne est toujours une notion claire pour les évêques et leurs familles. L’épiscopat de la monarchie hispanique entre dans un processus de contrôle par l’état (« sécularisation », selon rawlings33). Dans une bonne partie des carrières que nous avons décrites, l’épiscopat apparaît comme l’exercice d’un service au roi autant que comme un sacerdoce. chaque fois un peu plus, l’évêque semble devenir un agent de la couronne qui doit être non seulement un pasteur, mais aussi un instrument de contrôle politique de la population. La présence dans l’épiscopat d’un grand nombre de conseillers, inquisiteurs et juges des audiences prouve cette indiférenciation des fonctions épiscopales dans le système du patronage royal. L’épiscopat devient ainsi un corps dirigeant d’encadrement religieux, social et politique. il est formé d’hommes ayant une trajectoire assimilable à celle des personnages occupant les charges principales de la hiérarchie civile dépendante de la couronne, dont ils ont souvent fait partie. ceci n’empêche pas que les évêques soient dans leur immense majorité de zélés pasteurs de leurs diocésains. autant philippe ii que les ministres du patronage royal connaissent l’importante mission religieuse coniée à l’évêque de la contre-réforme et partagent les idées sur l’évêque post-tridentin. Le roi aborde ce sujet comme une afaire de conscience et demande souvent aux évêques d’agir conformément au concile de trente et de remplir leurs devoirs pastoraux. il désigne de préférence des évêques qui ont déjà fait montre de leur connaissance de la théologie dans les universités, en chaire et dans les confessionnaux des cathédrales. mais, en même temps, il nomme des hommes qui ont fait preuve de idélité à la couronne, au service de laquelle ils ont suivi une grande partie de leur carrière. Le rôle politique et social que l’évêque est appelé à jouer augmente l’importance de la désignation royale. Le roi doit s’assurer que les évêques seront non seulement des personnes compétentes, mais aussi de loyaux serviteurs de la couronne. c’est pourquoi philippe ii choisit des prélats d’âge avancé qui ont déjà montré leur capacité de service à la couronne dans plusieurs charges et qu’il connaît souvent personnellement. sans pour autant remettre en question les droits de patronage, le saint-siège ne se résigne pas au processus de contrôle royal de l’épiscopat. Les pontifes essaient constamment d’airmer leur autorité sur les évêques de la monarchie hispanique, bien que dans la pratique, le saint-siège rencontre des problèmes

33. h. e. rawlings, « he secularisation… », p. 53-79.

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lorsqu’il veut établir les mécanismes pour exercer efectivement cette autorité. Bien entendu, il faut cerner les limites des désaccords entre la couronne et la papauté. il ne s’agit jamais de problèmes sur les déinitions tridentines, pleinement partagées par philippe ii, les papes et les évêques. en revanche, d’autres questions doctrinales vont parfois afecter les rapports entre rome et la monarchie hispanique34. mais, en ce qui concerne l’épiscopat, il s’agit plutôt d’une divergence dans les domaines disciplinaire, juridictionnel et iscal. en efet, ces évêques tellement soumis au patronage royal, et si souvent appelés à siéger dans les conseils royaux, ne sauront guère s’opposer, du moins ouvertement, à la pression iscale de la couronne sur les revenus ecclésiastiques ou aux décisions juridictionnelles prises par les chancelleries et les conseils royaux au détriment de la juridiction pontiicale. même dans les conlits les plus graves entre les papes et philippe ii, ils prennent donc le parti du roi, comme ce fut le cas lors de la guerre contre paul iV. Le procès inquisitorial contre l’archevêque de tolède, Bartolomé de carranza, entre 1559 et 157635, le conlit entre philippe ii et sixte quint de 1585 à 1590 au sujet des visites ad limina36 ou les brefs de clément Viii en 1596 contre la participation des évêques aux afaires politiques37 constituent, parmi d’autres querelles, des épisodes marquants de cette résistance de rome au contrôle de l’épiscopat par la couronne. Le pontiicat de sixte quint, qui déinit un rigoureux programme centraliste et hiérarchisé en vue d’imposer partout la suprématie papale, montre clairement que le saint-siège se heurte à trop d’obstacles dans la pratique lorsqu’il essaie d’exercer réellement sa primauté sur l’épiscopat38. en somme, philippe ii engage un processus d’assimilation de l’épiscopat aux corps de l’état qui atteindra son point culminant au xviiie siècle avec la politique des Bourbons. un processus parallèle à celui vécu dans d’autres royaumes, comme 34. paolo Broggio, La teologia e la politica. Controversie dottrinali, Curia romana e Monarchia spagnola tra Cinque e Seicento, Florence, 2009. 35. Grâce aux eforts du regretté historien José ignacio tellechea idígoras, on connaît bien tous les détails du procès. Voir, parmi d’autres : Bartolomé de Carranza. Mis 30 años de investigacín, salamanque, 1984 et Fray Bartolomé Carranza. Documentos hist́ricos, madrid, 1962-1981, 6 t. 36. ramón robres Lluch, Vicente castell maiqués, « La visita ad limina durante el pontiicado de sixto V (1585-1590). Datos para una estadística general. su cumplimiento en iberoamérica », dans Anthologica annua, t. 7, 1959, p. 147-214. 37. ignasi Fernández terricabras, «  el episcopado hispano y el patronato real. relexión sobre algunas discrepancias entre clemente  Viii y Felipe  ii  », dans Felipe  II (1598-1998). Europa dividida  : la Monarquía Cat́lica de Felipe  II, dir. José martínez millán, madrid, 1998, t. iii, p. 209-223 ; José ignacio tellechea idígoras, « el episcopado hispano al inal del reinado de Felipe ii (1596-1597). La exhortación de clemente Viii y respuesta a la misma », dans Felipe II y el Mediterráneo, dir. ernest Berenguer cebrià, madrid, 1999, t. ii, p. 141-159. 38. ignasi Fernández terricabras, Philippe II et la Contre-Réforme. L’église espagnole à l’heure du concile de Trente, paris, 2001, p. 372-411.

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la France39, le portugal40 ou naples41, quoique nous ne puissions pas développer maintenant la comparaison. pour le patronage royal, cet évêque aux pouvoirs diocésains renforcés par le concile de trente apparaît avant tout comme un gouverneur ecclésiastique qui, outre la surveillance de l’orthodoxie et de la moralité de la population, doit aussi faciliter son encadrement politique. les évêques deviennent des oiciers comme les autres hauts fonctionnaires, issus des mêmes couches sociales, formés dans les mêmes universités, nommés par les mêmes mécanismes. l’évêque n’est pas seulement le directeur de l’église diocésaine, mais aussi un agent de la couronne qui reconnaît sa dépendance parce que, comme le dit le comte de tendilla en 1560, lorsqu’il demande au nom du roi l’autorisation du pape pour vendre des seigneuries de l’église, les évêques feront ce que le roi dira « en étant des créatures de Votre majesté et en dépendant de Votre majesté pour leur promotion »42. ignasi Fernández terricabras universitat autònoma de Barcelona

39. Joseph Bergin, he Making of the French Episcopate 1589-1661, new haven (conn.)/ Londres, 1996 et id., Crown, Church and Episcopate under Louis  XIV, new haven (conn.)/ Londres, 2004. 40. et cela même si au portugal il n’existe pas de droit de présentation : José pedro paiva, Os bispos de Portugal e do Império, 1495-1777, coimbra, 2006. 41. mario spedicato, « il patronato regio nel regno di napoli in età moderna tra rivendicazioni giurisdizionali e processi amministrativi » dans Stati e chiese nazionali nell’Italia di antico regime, Galatina, 2007, p. 75-97 et id., Al servizio della Chiesa e della Monarchia. L’episcopato salentino nel secolo dei lumi e della rivoluzione, Galatina, 2006. 42. archives générales de simancas, état, 888, fol. 160.

la nature canonique des charges eXercées par l’évêque et ses auXiliaires, du droit classique au code de 1917 par

Brigitte Basdevant-gaudemet

nombre de dignitaires ecclésiastiques assistent l’évêque chargé du gouvernement du diocèse. sans envisager le contenu des charges coniées aux uns et aux autres, limitons nous à quelques rélexions sur la nature canonique des fonctions, du Corpus juris canonici au Codex juris canonici, deux monuments normatifs entourant chronologiquement la recherche ici menée. les Décrétales de grégoire iX de 1234 constituent le terminus a quo de notre étude, première des grandes collections sur laquelle se construit la doctrine du droit canonique classique telle qu’elle se poursuit jusqu’au concile de trente. pourtant, il est diicile d’y saisir tant la notion que l’identiication des auxiliaires de l’évêque. Le livre iii, relatif aux clercs, traite du mode de vie des clercs, de la collation des bénéices et d’autres thèmes, sans rapport direct avec notre sujet. Le livre i, sur le gouvernement de l’église, énumère quelques-uns des oices : l’oicium sacristae ou l’oicium custodis, qui ne semblent pas essentiels dans le gouvernement du diocèse. oices du juge délégué (tit. 29), du légat (tit. 30), du juge ordinaire (tit. 31) ou simplement du juge (tit. 32) correspondent quant à eux aux fonctions d’auxiliaires. néanmoins, s’agissant du légat, les textes retiennent seulement le légat pontiical que nous n’envisageons pas ici. il est également fait mention de l’archidiacre (tit. 23) dont quelques canons exposent les missions, exercées sous l’autorité de l’évêque. Le titre 28, de oicio vicarii, laisse insatisfait : six canons, relatifs au vicaire paroissial et non au terme générique de vicarius. raymond de peñafort ne s’est pas soucié de décrire la condition ou le rôle des auxiliaires du principal pasteur responsable du gouvernement diocésain. La codiication pio-bénédictine de 1917 marque l’aboutissement de l’ancien droit canonique. Les dispositions sont bien formulées, plus précises que dans les recueils antérieurs. cette clariication était un objectif majeur des codiicateurs

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réunis autour du cardinal gasparri et elle a été réalisée. dans ce code, au livre ii consacré aux personnes, le titre 8 traite du « pouvoir épiscopal et de ceux qui y participent » ; un premier chapitre concerne l’évêque et le second est intitulé : « des coadjuteurs et auxiliaires de l’évêque ». Le chapitre ne compte que six canons (can. 350-355) tous relatifs à l’évêque coadjuteur qui n’est pas le seul, ni même le principal, auxiliaire de l’évêque. Les chapitres suivants de ce même titre du code (jusqu’au canon 486) traitent de l’ensemble des instances de gouvernement du diocèse, depuis le vicaire général (can. 366-371), jusqu’aux vicaires paroissiaux (can. 471-478) et recteurs d’églises (479-486). Les rédacteurs du code de 1917 ont eu à cœur de réglementer le gouvernement local de l’église, le pouvoir de juridiction de l’ordinaire, sans estimer nécessaire de déinir une notion juridique d’auxiliaires. ils ont précisé l’exercice des divers oices, sans recourir à des qualiications ou classiications systématiques. pas plus que les Décrétales de Grégoire iX, le code de 1917, terminus ad quem de notre recherche, ne permet de cerner la notion d’auxiliaires. entre ces deux périodes extrêmes, les écrits canoniques, romains ou gallicans, n’aident pas davantage. chacun se préoccupe des droits et devoirs des évêques et autres acteurs du gouvernement local de l’église, mais guère d’une théorie juridique encadrant les réalités concrètes. comment expliquer ces imprécisions alors que, dès le moyen Âge et par la suite dans le droit tridentin, la vie religieuse locale et la réforme pastorale doivent s’organiser autour de l’évêque ? Le gouvernement du diocèse repose sur son autorité et lui-même agit sous l’autorité du pape. Dans son diocèse, l’évêque doit tout contrôler : vie des idèles, actes du clergé, séculier mais aussi, en principe, régulier, sauf exemptions et autres privilèges certes nombreux. ses décisions doivent recevoir exécution, sous peine de sanctions. plus la charge épiscopale est lourde et plus il est nécessaire que l’évêque soit secondé. mais il importe que ces auxiliaires ne portent pas atteinte à son autorité. si le législateur canonique n’a pas édicté une réglementation d’ensemble, il existe néanmoins de nombreux mécanismes juridiques permettant de qualiier les diverses catégories de prérogatives des uns ou des autres et contribuant ainsi à l’organisation d’une curie diocésaine ou d’un gouvernement local conforme au principe hiérarchique et au principe d’autorité de l’église. Les compétences des collaborateurs du pouvoir épiscopal n’échappent pas au droit. Dresser un tableau d’ensemble des auxiliaires de l’évêque nécessiterait d’établir un catalogue long et fastidieux. raymond de peñafort ou le cardinal Gasparri s’en sont abstenus. Dans cette étude, je tenterai de saisir la nature juridique des charges exercées par les uns ou les autres, en me référant aux textes normatifs et aux doctrines canoniques, essentiellement du concile de trente au code de 1917. Déinitions et distinctions entre catégories de pouvoirs éclairent statut et compétences de

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chacun au sein du gouvernement local de l’église. les canonistes des temps modernes invoquent deux séries de déinitions ou de classiications aux contenus ou aux incidences parfois ambigus, mais sur la base desquelles peut s’établir un ordonnancement du diocèse, des prérogatives de l’évêque et de celles des multiples auxiliaires. ils opèrent une distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction, et s’attachent également à préciser les hypothèses d’exercice d’un pouvoir ordinaire ou d’un pouvoir délégué. à partir du xiie siècle, la doctrine a élaboré ces concepts, constamment invoqués par la suite jusqu’au milieu du xxe siècle. Le concile de Vatican ii et dans cette même ligne le code de 1983 n’évoquent plus la classiication. La construction doctrinale progressive et le contenu des notions ont été magistralement étudiés par Laurent Villemin1 qui expose également les raisons de l’abandon de ces doctrines. Dans la continuité du droit classique de l’église, du xvie au xxe siècle, les concepts de pouvoir d’ordre et de pouvoir de juridiction constituent l’un des fondements essentiels des constructions doctrinales relatives au gouvernement de l’église. ils ont leur place dans le code de 1917 où la distinction fait l’objet du premier canon relatif aux clercs. Le canon 108 § 3 dispose : « D’institution divine, la hiérarchie sacrée, en tant que fondée sur le pouvoir d’ordre, se compose des évêques, des prêtres et des ministres ; en tant que fondée sur le pouvoir de juridiction, elle comprend le pontiicat suprême et l’épiscopat subordonné ; d’institution ecclésiastique, d’autres degrés se sont ajoutés ». si la formulation à laquelle aboutit le code semble claire, il convient pour l’ancien droit de mentionner les doctrines car, comme l’a également montré Laurent Villemin, les notions cheminent sans cesse mais ne s’intègrent pas pour autant dans une construction immuable au cours des siècles. La prudence est de mise. Déinir ces termes est schématique et simpliicateur car les auteurs n’en font guère de théorie générale et chacun nuance l’exposé de son prédécesseur. néanmoins, les canonistes de l’ancien droit s’accordent sur plusieurs points. Le pouvoir d’ordre découle de l’ordination, c’est-à-dire du degré d’ordre d’un ecclésiastique : consécration épiscopale pour l’évêque, ordination presbytérale pour le prêtre. il est conféré à la personne de façon indélébile. Le caractère ainsi acquis – épiscopal ou presbytéral – autorise certains actes, prohibés à tout autre. Le pouvoir de juridiction est donné de façon stable et continue mais reste révocable et n’est donc pas directement lié à une personne de façon indissociable, mais est associé à une charge, une fonction, qui elle-même est stable. Le terme de juridiction doit être compris, en droit canonique, selon la signiication qu’il avait dans le vocabulaire des institutions publiques de l’empire romain. il s’agit 1. Laurent Villemin, Pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction ; histoire théologique de leur distinction, paris, 2003 ; voir notamment p. 199 à 240, où l’auteur expose les débats au cours de chacune des trois périodes du concile de trente.

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du pouvoir de « dire le droit » (jus dicere), qui comprend un pouvoir de juger, de commander, d’édicter des normes impératives ou d’administrer les personnes et les biens. Guy Du rousseau de La combe parle de la puissance d’administration. à chacune de ces deux notions correspond une catégorie particulière de hiérarchie. Le code de 1917 est clair. La hiérarchie d’ordre comprend les évêques, les prêtres et les diacres ; le pontife romain ayant le même degré d’ordre que l’évêque. en revanche, la hiérarchie de juridiction distingue le souverain pontife de l’évêque2. quant à la distinction entre un pouvoir ordinaire et un pouvoir délégué, elle réside essentiellement dans le critère de continuité, voire de stabilité mais non d’irrévocabilité des missions coniées dans le cadre d’un pouvoir ordinaire. ces deux classiications sont distinctes, mais s’articulent. elles ont des conséquences sur la condition juridique de chacun et sur les prérogatives coniées, même s’il reste des incertitudes, dues à la complexité de l’enchevêtrement des catégories. Du pouvoir d’ordre découlent des compétences liées à l’ordination conférée et au caractère que cette ordination imprime à la personne (i), alors que le pouvoir de juridiction est attaché à une fonction (ii).

i. — Le pouvoir d’ordre et les prérogatives épiscopales La distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction permet aux canonistes de préciser les prérogatives relevant de la compétence exclusive de l’évêque (1), sauf exception (2) ; un évêque qui surveille les fonctions de nombreux auxiliaires (3).

1. Le pouvoir d’ordre justiie que certaines compétences soient réservées à l’évêque au cours des décennies, théologiens et canonistes se montrent hésitants dans leurs tentatives de déinir le pouvoir épiscopal. Lors du concile de trente, les pères ne s’étaient pas pleinement accordés sur fondement et nature de ce pouvoir. ils durent renoncer à formuler une doctrine d’ensemble. néanmoins, divers points furent solennellement airmés. à la session 23 (15 juillet 1563), on proclame que l’épiscopat est d’institution divine et le canon 6 des Canons sur le sacrement de l’ordre déclare qu’il y a dans l’église catholique, par institution divine, une « hiérarchie composée d’évêques, de prêtres et de ministres »3 (par ministres, il faut entendre les diacres). Les auteurs sont désormais unanimes à considérer que l’épiscopat constitue 2. ce fut largement pour dépasser ces deux catégories que les canonistes du xxe siècle, sous l’inluence des théologiens, se sont écartés de ces schémas et ont préféré le concept de Sacra Potestas. Voir eugenio corecco, « nature et structure de la Sacra Potestas dans la doctrine et dans le nouveau code de droit canonique », dans Revue de droit canonique, t. 34, 1984, p. 361-389. 3. Les conciles œcuméniques, dir. Giuseppe alberigo, t. ii : Les décrets, vol. 2, paris, 1994, p. 1513.

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un degré d’ordre distinct et supérieur à la prêtrise4. la hiérarchie des ordres est composée des évêques, des prêtres, des diacres. le pape possède le même degré d’ordre que l’évêque qui lui-même a un degré d’ordre supérieur au prêtre. la doctrine, ixée à trente, demeure dans le code de 1917. ce degré d’ordre est acquis par la consécration épiscopale. l’évêque dont l’élection est seulement conirmée, mais pas encore consacré, ne le possède pas. il ne peut donc accomplir valablement les actes liés au pouvoir d’ordre. la consécration, lorsqu’elle intervient, imprime à l’évêque son caractère épiscopal, de façon indélébile, personnelle et non transmissible. ces airmations laissent dans l’ombre bien des questions. l’institution divine de l’épiscopat signiie-t-elle que l’évêque reçoit son pouvoir immédiatement du christ ? ou doit-on avoir recours à la médiation du pape, supérieur à l’évêque ? l’interrogation peut s’ainer : est-ce le pouvoir d’ordre ou le pouvoir de juridiction, ou l’un et l’autre, que l’évêque reçoit soit immédiatement de Dieu, soit par l’intermédiaire du pape ? Les discussions sont constantes5. Lors du concile de Vatican i, la subordination des évêques au souverain pontife s’impose et le code de 1917 s’inscrit dans cette ligne. La condition de l’épiscopat est envisagée au canon 329 § 1 qui dispose : « Les évêques sont les successeurs des apôtres et d’institution divine ; ils sont préposés aux églises particulières qu’ils gouvernent en vertu d’un pouvoir ordinaire, sous l’autorité du pontife romain ». L’institution divine de l’évêque qui possède la plénitude du sacerdoce est certaine. mais pour la juridiction, c’est-à-dire le pouvoir de gouvernement, il est soumis à l’autorité du pape. Le pontife romain a un pouvoir de juridiction suprême et entier sur l’église universelle, alors que la juridiction de l’évêque est bornée à son diocèse6. 4. La question avait été un temps discutée. ceux qui estimaient qu’épiscopat et prêtrise étaient un même ordre faisaient valoir que tous avaient comme fonction principale de consacrer l’eucharistie. 5. Laurent Villemin rapporte les débats doctrinaux. en nous référant à son livre, donnons quelques jalons. certains théologiens, surtout français ou espagnols, soutiennent que les évêques reçoivent leur juridiction directement de Dieu. D’autres, la plupart des jésuites (dont suárez, † 1617), estiment qu’ils la reçoivent du pape ; ces auteurs estiment pouvoir étayer leur thèse sur saint homas d’aquin ou sur Gratien qui pourtant n’envisageait guère ce débat (ex  : dist.  22, can.  1). mais le jésuite Bellarmin († 1621) ne tranche pas. Benoît  XiV (De synodo diocesana [1763], l. 4, c. 4.) envisage les deux catégories de pouvoirs des évêques : pouvoir d’ordre, conféré immédiatement par le christ, et pouvoir de juridiction qui, dit-il, vient du pape en conséquence du gouvernement monarchique de l’église, tel que le christ l’a institué. Le concile de Vatican i ne se prononce pas expressément mais, au concile, la primauté pontiicale est airmée en termes tels que la réponse est certaine en ce qui concerne le pouvoir de juridiction. 6. can.  218 §  1  : «  Le pontife romain… a le pouvoir de juridiction suprême et entier sur l’église universelle, tant dans les matières qui concernent la foi et les mœurs, que dans celles qui se rapportent à la discipline et au gouvernement de l’église répandue dans le monde entier  » ; ibid. § 2 : « ce pouvoir est vraiment épiscopal, ordinaire et immédiat, s’exerçant tant sur toutes les églises et chacune d’entre elles que sur tous les pasteurs et tous les idèles… ». can. 219 : « Le pontife romain, légitimement élu, obtient de droit divin, immédiatement après son élection, le plein pouvoir de souveraine juridiction ».

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on retrouve bien la double hiérarchie, l’une fondée sur l’ordre, l’autre sur la juridiction. étant lié au caractère épiscopal et intransmissible, le pouvoir d’ordre justiie que l’évêque, et lui seul, puisse accomplir divers actes, parmi les plus essentiels de la vie religieuse. toujours à la session 23 du concile de trente, le canon 4 de l’exposé doctrinal sur le sacrement de l’ordre dispose que les évêques sont les successeurs des apôtres ; ils sont placés par l’esprit saint pour gouverner l’église ; ils sont supérieurs aux prêtres car confèrent la conirmation et ordonnent les ministres de l’église, ce que ne peuvent faire ceux d’un « ordre inférieur », dit le concile7. à ces deux fonctions principales mentionnées à trente, on ajoute généralement la consécration des églises, la confection du saint-chrême, la consécration des vierges et l’ordination des évêques.

2. Exceptions pourtant, il est des hypothèses où les actes pour lesquels l’ordinaire du diocèse est en principe seul compétent en vertu de son caractère épiscopal peuvent être accomplis par d’autres. ces cas exceptionnels sont liés, soit à la qualité de certains dignitaires, soit à une délégation spéciale accordée par l’ordinaire. à côté de l’ordinaire du diocèse, peuvent procéder aux mêmes actes d’une part un évêque coadjuteur, d’autre part un évêque auxiliaire. La raison de leur compétence est simple : ils sont évêques ; ils ont le caractère épiscopal. L’existence d’un évêque coadjuteur correspond à une pratique ancienne consistant à placer un autre évêque auprès d’un prélat qui, pour des raisons diverses, se trouve dans l’incapacité d’exercer efectivement l’ensemble des missions aférentes à sa charge. Le coadjuteur est souvent nommé auprès d’un prélat âgé, fatigué ou malade. pour cette raison, il a parfois cru pouvoir espérer succéder à celui qu’il secondait. au cours des siècles, la pratique consistant à nommer des évêques coadjuteurs avec promesse de succession fut souvent tolérée, voire expressément admise. on y voyait un avantage en ce qu’elle évitait une trop longue vacance du siège et parfois le népotisme. pourtant, les canonistes distinguent les coadjutories temporaires qu’ils estiment régulières, et celles qualiiées de perpétuelles contre lesquelles ils s’élèvent8 et que le concile de trente condamne. néanmoins, la disposition conciliaire traduit les inquiétudes des pères sur l’application d’une mesure ferme. on airme que les coadjutories avec succession à venir ne doivent être accordées à personne. tel est le principe ; mais, dans une cathédrale ou un 7. Les conciles œcuméniques…, p. 1511. 8. pierre-toussaint Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéiciale, Lyon, 1770, v°  coadjuteur, t.  i, p.  549 ; l’auteur parle de coadjutories temporelles, terme qu’il convient de comprendre comme « temporaire ».

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monastère, « si une nécessité urgente ou une utilité évidente l’exige […] un coadjuteur ne sera donné avec droit de succession que si la cause a été soigneusement examinée auparavant par le saint pontife romain et s’il est certain que se rencontrent en lui toutes les qualités qui sont requises »9. Le concile tolère donc l’existence d’évêques coadjuteurs ayant droit de succession. Le coadjuteur est évêque ; sa nomination fait partie des causae majores réservées au saint-siège. il doit remplacer l’évêque incapable ; il peut conférer les ordres, conirmer, consacrer les églises, etc. quant à la qualité d’évêque auxiliaire, il s’agit d’un titre attribué à un évêque à part entière, ordonné pour la charge de l’épiscopat. parce qu’il ne peut y avoir d’évêque sans siège, il reçoit le titre d’un évêché qu’il ne peut rejoindre, en raison de circonstances militaires et politiques généralement. il est qualiié d’évêque titulaire… titulaire d’un siège qu’il n’occupe pas, souvent situé in partibus inidelium. sous l’ancien régime, le besoin d’évêques auxiliaires répondait à l’absence prolongée des évêques qui ne résidaient pas dans leur diocèse. L’auxiliaire accomplissait en leur nom et à leur place la majeure partie des tâches épiscopales10. si évêque coadjuteur et évêque auxiliaire possèdent l’ordre épiscopal, il n’en va pas de même du vicaire général11 dont la igure présente des caractères bien spéciiques. il est le premier auxiliaire de l’évêque, in spiritualibus et in temporalibus12. condition et charge du vicaire général et de l’oicial demeurent longtemps confondues et la distinction ne s’établit que lentement aux cours des temps modernes. encore au tournant du xviie et du xviiie siècle, lorsque François Ducasse publie son Traité de la juridiction ecclésiastique13, il est lui-même tout à la fois grand vicaire et oicial de condom. il s’agit de deux fonctions distinctes, que l’auteur sépare nettement dans son Traité dont la première partie est consacrée au grand vicaire et la seconde à l’oicial. néanmoins, lui-même est titulaire des deux 9. sess. 25, décret de réforme générale can. 7. 10. De nos jours, les évêques auxiliaires sont nommés soit dans les diocèses très peuplés pour aider l’évêque diocésain dans son ministère, soit à la tête de parties du diocèse ; dans le premier cas, il sont nommés vicaires généraux, dans l’autre, vicaires épiscopaux. 11. édouard Fournier, L’origine du vicaire général et des autres membres de la curie diocésaine, paris, 1940. La charge de vicaire général remonte au xiiie siècle, époque où elle n’est pas clairement distinguée de celle de l’oicial. Le vicaire général doit être prêtre, membre du clergé séculier, âgé de 30 ans au moins, gradué en droit canonique ou en théologie ; il doit posséder les qualités personnelles le rendant apte à la fonction (voir : p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire,… t. iV, p. 661-667 ; ordonnance de Villers-cotterêts, sept. 1554, dans isambert, Jourdan, Decrusy, Recueil général des anciennes lois françaises, t. Xiii, p. 400 ; ordonnance de Blois, mai 1579 art. 4, ibid., t. XiV, p. 383 ; code de 1917, can. 367). 12. Voir paolo Lancellotti, Institutiones juris canonici, Lyon, 1606, livre i, titre 15, p. 65. 13. François Ducasse, La pratique de la juridiction ecclésiastique volontaire, gratieuse et contentieuse fondée sur le droit commun et le droit particulier du royaume, 1re éd., 1695 ; nouvelle édition revue et augmentée, toulouse, 1706.

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oices, cumul qui n’est pas confusion. à la in de l’ancien régime, les canonistes tentent d’interdire le cumul14, incompatibilité reprise par le code de 1917 ain de protéger la distinction entre le for externe et le for interne. parfois, le vicaire général a été ordonné évêque. il peut alors exercer les fonctions liées au caractère épiscopal, comme un évêque auxiliaire. mais telle n’est pas la situation la plus fréquente. plus souvent, le vicaire général est prêtre. il est nommé librement par l’évêque dans une lettre de commission qui précise ses compétences, pour agir au nom de l’évêque. il possède ce « pouvoir vicaire »15 étroitement dépendant de l’évêque. il est celui qui vices gerit (qui agit à la place de)16. L’évêque le révoque également librement sans avoir à motiver sa décision. Le caractère vicarial de ses fonctions a comme autre conséquence que celles-ci s’arrêtent dès la cessation des pouvoirs du pasteur ayant efectué la nomination, suite à une translation, un décès ou d’autres causes17. Le vicaire général qui n’est généralement pas évêque ne peut, en principe, assurer les fonctions liées au caractère épiscopal18. il est cependant des cas où un prêtre, choisi par l’évêque, notamment le vicaire général, peut accomplir certains actes, réservés par le droit à l’évêque, mais réservés sauf délégation spéciale, disent les textes. cette délégation spéciale est une décision expresse et personnelle de l’ordinaire du diocèse, notiiée par écrit dans une lettre de commission, valable uniquement pour la circonstance et qui est fréquemment prise en faveur du prêtre grand vicaire. Dans l’ancien droit et encore aujourd’hui, le vicaire général peut ainsi couramment donner la conirmation, suite à une délégation spéciale de l’ordinaire. en revanche, le droit d’ordonner un prêtre ne peut pas lui être délégué. Les canonistes ne parlent pas tous d’une même voix lorsqu’ils tentent de préciser les actes que le grand vicaire peut accomplir, soit de plein droit, soit sur délégation expresse de l’ordinaire, ou ceux auxquels il ne peut jamais procéder. incertitudes qui sans doute permettent souplesse et adaptations salutaires mais peuvent aussi être source de diférends notables19. 14. Durand de maillane reconnaît dans son Dictionnaire que les deux sont encore souvent confondus ; il le déplore et ajoute que l’évêque est tenu de nommer un oicial, mais qu’il n’est pas obligé de désigner un grand vicaire si l’administration du diocèse n’est pas trop lourde. 15. L’expression liant les deux mots n’est guère usitée avant le xixe siècle, théologiens et canonistes dissertant davantage sur la condition du souverain pontife, vicaire de Jésus-christ. 16. sa juridiction découlant de celle de l’évêque, il ne peut être nommé et exercer ses prérogatives avant que l’évêque n’ait pris possession de son siège. 17. pourtant, l’art. 36 des articles organiques de 1802 dit que le vicaire général conserve ses fonctions à la mort de l’évêque. cette disposition, peu conforme au droit canonique, répondait au souci d’ordre de napoléon. 18. Voir entre autres, Jean-Baptiste Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, 7e éd., paris, 1771, v° Grands-Vicaires, t. ii, p. 564. 19. nombreuses hésitations doctrinales sur la compétence du vicaire général pour accorder des dispenses pour empêchement de mariage. peut-il bénéicier d’une délégation générale pour

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3. Les auxiliaires de l'évêque la plupart des auxiliaires de l’évêque ne participent en aucune façon au pouvoir d’ordre du chef du diocèse, tout en exerçant nombre de charges indispensables au gouvernement local de l’église. dans une conception large, on peut dire que tout prêtre, chargé de la cura animarum dans le cadre d’une paroisse est un auxiliaire de l’évêque. certains assurent plus spéciiquement un relais dans la charge de gouvernement de l’évêque : curés, doyens ou archiprêtres, archidiacres ont chacun leur oice, aux attributions spéciiques. considérer l’entourage immédiat de l’évêque conduit à citer le chapitre cathédral, ce « sénat de l’évêque »20, lieu de conseil, mais aussi de rivalités et de conlits en tous genres. mentionnons surtout la vaste et complexe nébuleuse de tous ceux qui œuvrent dans l’entourage immédiat de l’évêque, souvent choisis parmi les chanoines, donc membres du chapitre. L’oicial, juge de droit commun au for externe, pourvu d’un oice est une charge stable21. L’évêque est tenu de nommer un oicial. relations complexes et cas de désaccords entre l’évêque et son oicial ne manquent pas. également oice et charge stable est la fonction de l’économe22, assurant la gestion temporelle des biens. Les constantes modiications de la législation royale témoignent des conlits agir en ce domaine ? ou doit-il posséder des délégations spéciales, justiiées par des circonstances exceptionnelles ? nous retrouverons ces questions dans la seconde partie ; pour la doctrine du xixe  siècle, voir Francisco schmalzgrueber, Jus ecclesiasticum universum, rome, 1845, t.  iV, 2e partie, vol. 9, p. 236. 20. code 1917, can. 391 § 1. 21. Les oicialités diocésaines se sont organisées et ont précisé leurs règles de procédure au xiiie siècle, lors de l’essor doctrinal du droit savant et de la procédure romano-canonique. (paul Fournier, Les oicialités au Moyen Âge. étude sur l’organisation, la compétence et la procédure des tribunaux ecclésiastiques ordinaires en France de 1180 à 1328, paris, 1880). au moyen Âge, d’autres autorités ecclésiastiques s’étaient octroyé le droit de rendre la justice. elles avaient parfois, ou souvent, obtenu un accord formel ou une tolérance tacite de la part de l’évêque. ces créations multiples avaient été source de confusions. par souci d’ordre, pour faire cesser les conlits de compétence et assurer l’autorité de l’évêque, le législateur avait tenté de les supprimer en concentrant la compétence juridictionnelle au tribunal de l’oicial diocésain (constitution Romana Ecclesia, 1246, innocent iV ; Sexte, 1, 16, 1). Les résultats ne furent pas immédiats. Des chapitres ou des archidiacres conservèrent leur tribunal, distinct de celui de l’évêque. Les risques de discordes subsistaient et ces instances constituaient un échelon de juridiction supplémentaire, peu utile, venant alourdir la complexité de l’organisation de la justice ecclésiastique. 22. Le concile de chalcédoine (451) enjoignait déjà à chaque évêque d’avoir un économe. aux temps modernes, l’économe subsiste ; les textes insistent sur l’obligation incombant au chapitre d’en désigner un dès la vacance du siège épiscopal, période où les malversations inancières constituent un réel danger. en France, le roi s’estime maître des bénéices ; il peut percevoir, en application du droit de régale, les revenus des bénéices vacants tant que le siège épiscopal n’est pas pourvu. en conséquence, les ordonnances lui garantissent son contrôle sur les économes (p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…., v° économe, t. ii, p. 277).

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entourant la mission ; divergences entre évêque, chapitre, roi et autres autorités sont fréquentes. Les conciles médiévaux avaient déjà demandé qu’un pénitencier soit présent dans toutes les églises cathédrales23. Le concile de trente24 répète que l’évêque doit établir un pénitencier, pourvu d’une prébende convenable, maître ou docteur ou licencié en théologie ou en droit canonique, âgé d’au moins 40 ans, qui entendra les confessions. en France, les conciles provinciaux reprennent cette disposition, avec quelques aménagements locaux entraînant une diversité de situations dans le royaume, parfois source de conlits25. L’oice du prédicateur peut être rapproché de celui du pénitencier, bien que des diférences notables existent26. un maître ou un théologal doit être désigné dans chaque église cathédrale27, pour dispenser l’enseignement aux clercs de l’église et aux écoliers pauvres. son oice – et son bénéice – sont distincts de celui de l’écolâtre28, chargé du contrôle des écoles de la ville. L’écolâtre de la cathédrale est parfois en conlit avec un écolâtre de collégiale ou avec les supérieurs de 23. concile de Latran iV, sous innocent iii, 1215, can. 10, qui demande que l’évêque instaure prédicateur et confesseur. Le confesseur doit décharger l’évêque en entendant les confessions des clercs et celles des laïques pour les cas réservés. Vers la in de l’ancien régime, le pénitencier sera souvent un grand vicaire, auquel l’évêque donne le pouvoir d’absoudre les cas réservés (voir J.-B Denisart, Collection…, t. iii, p. 648). 24. sess. 24, can. 8, G. alberigo, Les conciles œcuméniques…, p. 1552. 25. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, v° pénitencier, t. iii, p. 632. 26. Dès les premiers siècles, enseigner et prêcher étaient les fonctions premières de l’évêque qu’il ne devait déléguer qu’avec une grande prudence ain d’éviter la propagation des fausses doctrines. Le principe fut constant. Dans tout le diocèse, l’évêque contrôle les prêches, que nul n’est autorisé à prononcer sans avoir été approuvé par l’ordinaire, mais contrairement à l’oice du pénitencier, la charge de prédicateur n’est pas constituée comme l’un des plus grands oices auprès de l’évêque, puisque c’est à l’évêque en premier lieu qu’il revient de prêcher dans sa cathédrale. 27. concile de Latran iii, 1179, can.  18 et la disposition se retrouve souvent. L’oice du théologal est, en revanche, l’une des grandes charges exercées dans l’entourage de l’ordinaire. statut et fonction se précisent peu à peu et sont pratiquement ixés au xve  siècle. en 1430, le concile de Bâle veut que soit nommé dans chaque cathédrale un théologal, qui soit prêtre, chanoine et licencié ou bachelier ou formé en théologie et la pragmatique sanction de Bourges de 1438 reprend la disposition. Le concile de trente (sess. 5, 17 juil. 1546, can. 1 du décret sur l’enseignement et la prédication) réairme l’obligation de désigner un théologal et de lui afecter une prébende suisante. Voir Recueil des actes, titres et mémoires concernant les afaires du clergé de France, [appelé Mémoires du clergé], paris/avignon, 1770, t. X, col. 216 et suiv. ; ordonnance d’orléans, art.  8 ; ordonnance de Blois, art.  33 et 34 ; voir encore p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, v°  héologal, t.  iV p.  605  : la nomination du théologal est parfois source de conlits entre l’évêque et le patron. 28. La charge d’écolâtre existe généralement dans l’église cathédrale mais aussi dans les collégiales. Beaucoup de canonistes estiment qu’il s’agit d’une dignité supérieure à celle du théologal en raison de la mission de surveillance générale qu’elle comprend (p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii p. 265). La nomination relève de l’évêque ou du chapitre. aux temps modernes, ses fonctions doivent se concilier avec celles du supérieur de séminaire et des diverses congrégations enseignantes ce qui amène un certain lou, voire un déclin de son autorité.

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séminaires. on pourrait encore citer chancelier29, notaire, bibliothécaire et bien d’autres, en particulier tous les familiers de l’évêque, ceux de sa « famille », jouissant de privilèges spéciiques30. quotidiennement, les auxiliaires de l’évêque collaborent au gouvernement du diocèse essentiellement par l’exercice de leur pouvoir de juridiction.

ii. — Le pouvoir de juridiction de l’évêque et de ses auxiliaires Le pouvoir de juridiction suprême appartient de droit divin au souverain pontife qui l’exerce sur tous, pasteurs et idèles de l’église universelle. L’évêque possède, également de droit divin, le pouvoir de juridiction ordinaire pour le gouvernement de son diocèse. à trente et par la suite, on discute la question de savoir si ce pouvoir lui est conféré par la médiation du pape, ou s’il lui vient directement de Dieu. si l’on admet qu’il est conféré par le pape lors de la consécration épiscopale, il faut en conclure qu’il ne peut être exercé qu’à compter de cette consécration. pape et évêque ont le même degré d’ordre. en revanche, la hiérarchie de juridiction entre l’un et l’autre et son caractère de droit divin, airmés du xvie au xixe siècles, sont solennellement répétés au concile de Vatican i31. L’évêque, ordinaire du diocèse, a autorité sur idèles, églises et biens ecclésiastiques du diocèse. sa juridiction fait de lui le pasteur établi par Jésus-christ pour assurer l’ensemble du gouvernement de l’église particulière. il prend des règlements auxquels doivent se soumettre les clercs, séculiers ou réguliers et laïques. il autorise l’érection des 29. Le chancelier est, selon une déinition simple ou simpliste, le dépositaire des sceaux de l’évêque. Là encore, des évolutions se font, qui conduisent le chancelier à s’occuper de l’enseignement et bien souvent de l’université. Les limites entres oices de chancelier ou d’écolâtre manquent de clarté. 30. on parle de la « famille » d’un prélat pour qualiier le corps des familiers qui composent sa maison, sont soumis à son autorité et sont à son service, en étant également entretenus par lui. Dans l’ancien droit, la familiarité permet à un évêque de considérer un individu comme son sujet, en vue d’une ordination. antérieure au concile de trente, l’institution est conirmée lors de ce concile ; le canon 2 de la session 14 tente de l’encadrer en interdisant aux évêques de conférer les ordres, sous prétexte de familiarité, sans l’accord de l’évêque d’origine. Le canon 9 de la session 23 prévoit qu’un évêque ne peut ordonner un familier que s’il est demeuré avec lui pendant trois ans. il doit alors lui procurer un bénéice suisant (innocent Xi précise les conditions d’ordination dans la constitution Speculatores du 4 novembre 1694 : nécessité de lettres testimoniales par l’ordinaire d’origine et remise du bénéice dans le délai d’un mois). Jean Deshusses, dans Dictionnaire de droit canonique, dir. raoul naz, t. V, col. 809. 31. concile de Vatican  i, sess.  iV, can.  3, 18 juil. 1870, constitution dogmatique Ecclesia Christi, « L’église romaine, par disposition du seigneur, possède sur toutes les autres une primauté de pouvoir ordinaire et de pouvoir de juridiction du pontife romain, qui est vraiment épiscopal, et immédiat » ; voir Les conciles œcuméniques…, t. ii, vol. 2, p. 1653.

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églises et des paroisses, qu’il doit par la suite visiter, surveille l’administration des biens pour lesquels bénéiciers ou communautés doivent le consulter avant toute aliénation ou en cas de conlit, etc. si le pouvoir de juridiction supérieur appartient à l’évêque, il caractérise aussi les fonctions exercées communément par ses collaborateurs détenant, chacun à leur niveau, un pouvoir de juridiction qui n’est institué que de droit ecclésiastique et peut être modiié par l’autorité compétente. le gouvernement du diocèse requiert stabilité, mais également souplesse. les deux exigences se combinent dans la mise en œuvre du pouvoir de juridiction car celle-ci peut être ordinaire, liée à un oice et stable, qu’elle soit propre ou vicariale (1) ou bien déléguée, liée à une personne, que cette délégation soit générale ou spéciale (2). le droit canonique applique ces distinctions à toutes les manifestations du pouvoir de juridiction ; nous les envisageons dans le cadre de l’administration du diocèse, où elles prennent une importance particulière.

1. Le pouvoir de juridiction ordinaire les collaborateurs de l’évêque possèdent habituellement un pouvoir de juridiction ordinaire que les canonistes déinissent comme celui attaché par le droit à un oice. généralement, les auxiliaires de l’évêque détiennent un oice. les publicistes de droit séculier dissertant sur les institutions monarchiques, loyseau et l’ensemble de la doctrine à sa suite, disent que l’oice est une charge publique qui, ajoutent-ils, peut être exercée dans l’état ou dans l’église32. les mécanismes sont largement les mêmes dans la société séculière ou religieuse qui seule nous intéresse ici. oices et prérogatives qui en découlent ne sont pas parfaitement déinis ; diversité selon les périodes, les états et les diocèses. le degré de dépendance ou d’indépendance, à l’égard de l’évêque ou du chapitre, fait l’objet d’évaluations divergentes auxquelles peuvent s’ajouter les dispositions prises non seulement par les autorités ecclésiales, mais aussi par un roi qui, selon la doctrine gallicane, possède autorité sur l’administration temporelle de l’église en France. Bien que mal déinies, ces fonctions s’inscrivent dans la durée et ont une certaine stabilité, due à l’oice. dans l’ancien droit, à une charge stable, liée à un oice, est aussi attachée un bénéice, bien matériel patrimonial qui assure la rémunération de celui qui exerce la fonction. on dit que le bénéice est la 32. charles loyseau, Traité des Oices, 1610 ; Brigitte Basdevant-gaudemet, Charles Loyseau (1564-1627), théoricien de la Puissance publique (thèse de droit, université paris ii, 1975), paris, 1976 ; Brigitte Basdevant-Gaudemet et hibault Joubert, « recherches sur l’évolution historique d’une terminologie : l’oice ecclésiastique », dans L’année canonique, t. 49, 2007, p. 11-46 ; Brigitte Basdevant-Gaudemet, « L’inluence du droit canonique sur le droit des fonctions publiques », dans Der Einluss der Kanonistik auf die Europäische Rechtskultur, t. ii : Öfentliches Recht, dir. Franck roumy, mathias schmoeckel et orazio condorelli, cologne/weimar/Vienne, 2011, p. 331-332.

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conséquence de l’oice : beneicium propter oicium. Dans l’entourage épiscopal, ce bénéice est souvent une prébende du chapitre cathédral attribuée à un chanoine. héoriquement, un dignitaire exerce une fonction et l’évêque lui octroie une prébende en rémunération de sa fonction. en pratique, le mécanisme contraire correspond souvent à la réalité concrète. L’oice suit le bénéice : oicium propter beneicium. c’est parce que l’on détient un bien ecclésiastique, un bénéice, que l’on est chargé de telle fonction. Face au principe selon lequel le bénéice suit l’oice, et à la réalité fréquente selon laquelle l’oice doit être exercé parce que l’on possède le bénéice, que deviennent les droits de l’évêque sur ses subordonnés ? héoriquement, l’évêque choisit ses collaborateurs, qu’il nomme et révoque, selon certaines règles, en fonction de certains critères déinis par le droit et diférents selon les oices auxquels il faut pourvoir. nomination et révocation appartiennent à l’ordinaire qui agit conformément au droit. La pratique est plus complexe : l’évêque n’est pas maître des bénéices et si l’oice suit le bénéice, il en résulte que celui qui préside au gouvernement du diocèse n’est pas libre de distribuer ou de retirer les charges. en outre, le bénéicier est en principe chargé d’exercer l’oice pour lequel il détient le bénéice. mais il est parfois tenté de s’en décharger en le faisant exercer par un autre, un « vicaire », agissant à sa place. cette réalité doit se combiner avec une autre distinction essentielle : un pouvoir de juridiction ordinaire peut être propre ou vicarial. il est qualiié de propre lorsqu’il est exercé par le titulaire de l’oice en son nom personnel. il est en revanche vicarial s’il est exercé au nom d’un autre tout en étant lié à l’oice. L’actuel code de droit canonique expose cette distinction entre pouvoir ordinaire propre et pouvoir ordinaire vicarial plus clairement que ne le faisaient les textes antérieurs33. mais Lancellotti, dans ses Institutiones publiées en 1563 à la veille de la clôture du concile de trente, distinguait déjà ceux qui servent l’église en leur nom propre, nomine proprio et ceux qui la servent au nom d’un autre, alieno, comme vicaire34. Le vicaire est celui qui remplace, qui agit à la place de. Le droit canonique connaît le vicaire de paroisse, aux côtés du curé et subordonné à lui ; depuis le ve siècle, le titre de Vicaire du christ fut reconnu à tous les évêques et progressivement plutôt réservé au pape. entre les deux, existent tous 33. Le code de 1983, can. 131 § 2 qui, conformément à l’ecclésiologie de Vatican ii, rattache cette expression à la « charge de gouvernement ». Le code reprend aussi les nouvelles catégories introduites à Vatican ii, à savoir les tria munera, ou trois charges, dont la « charge de gouvernement » (munus regendi). notons cependant la tendance persistante du législateur à faire parfois coïncider « pouvoir de juridiction » et « pouvoir de gouvernement » (can. 129). 34. p. Lancellotti, Institutiones…, livre i, titre 15, p. 63. L’auteur mentionne quatre sortes de vicaires : vicaire perpétuel dans une église paroissiale ; vicaire temporaire dans certaines fonctions ; vicaire spécial, sans charge (non ad curam) mais pour certains lieux ou actes ; vicaires généraux, ceux qui ne correspondent à aucune des trois autres catégories, nec perpetuo, nec ad curam, nec ad certum actum ; il s’agit, dit Lancellotti, du vicaire épiscopal ou du vicaire général.

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les échelons, dont celui du vicaire général. par son oice, il exerce un pouvoir de juridiction ordinaire et le fait au nom de l’évêque, c’est-à-dire qu’il détient un pouvoir vicaire. il possède une compétence générale d’administration, sauf pour les prérogatives qui lui sont formellement refusées par le droit ou que l’évêque s’est expressément réservé35. telle est la situation du premier auxiliaire de l’évêque : le vicaire général, détenteur d’un oice, qui exerce son pouvoir de juridiction ordinaire au nom de l’évêque et non pas en son nom propre. « Le grand vicaire est un prêtre auquel l’évêque communique sa juridiction volontaire et gratieuse », airme François Ducasse36. on pourrait être tenté de comparer vicaire général et vicaire capitulaire en considérant que tous deux agissent à la place de l’évêque. Les diférences sont cependant importantes. Le vicaire capitulaire est le prêtre élu par le chapitre pour administrer le diocèse lorsque l’évêque est empêché ou absent, notamment lors de la vacance d’un siège37. il s’agit bien de remplacer l’évêque et donc d’agir « à sa place » ; pourtant, le vicaire capitulaire est désigné par le chapitre. son pouvoir vicaire est donc assuré au nom du chapitre, et non de l’évêque qui n’a pas pris part à sa nomination. Le vicaire capitulaire assure l’administration et la gestion des afaires courantes. si le vicaire général peut parfois accomplir certains actes liés au pouvoir d’ordre – par exemple, donner la conirmation – c’est parce

35. Le code de 1917 ou le Dictionnaire de droit canonique dirigé par raoul naz (v° Vicaire) ne mentionnent que très peu de prérogatives comme étant refusées au vicaire général. en revanche, Durand de maillane, dans son Dictionnaire (t. iV, p. 663), énumérait, en trente-quatre rubriques, tout ce que le vicaire général ne pouvait pas faire. au xviiie siècle, on est soucieux de protéger les évêques, mais au siècle suivant, leur autorité est suisamment claire pour que de telles précautions soient inutiles. Le code de 1917 dira que le vicaire général a « pouvoir ordinaire, dans tout le territoire  » (can.  366). il agit au nom de l’évêque ; il est son «  vicaire  » et possède les mêmes prérogatives que lui, à l’exception de celles que le droit commun réserve expressément à l’évêque, ou que l’évêque s’est réservé. par exemple, limite à ses prérogatives : le vicaire général ne peut pas lui-même nommer une personne qui assurerait ses fonctions à sa place. Lancellotti (Institutiones…, p. 63) était réservé à l’égard du vicaire général. il ne peut pas enquêter, punir, priver de bénéices ou donner des bénéices, sauf commission spéciale de l’évêque ; par contre, il doit desservir par luimême, résider et représenter l’autorité de l’évêque. 36. F. Ducasse, La pratique…, 1re partie, chap. 1, sect. 1, n° 1. Les termes grand vicaire et vicaire général s’emploient l’un pour l’autre même si le second semble parfois entouré de plus de prestige. Ducasse estime que le grand vicaire exerce la juridiction de l’évêque dans tout le diocèse ; celui à qui l’évêque ne communique cette juridiction que « dans un certain détroit » est son « vicaire forain ». Dans l’ancien droit, l’expression de vicaire épiscopal est rare et n’a pas de signiication particulière, alors que de nos jours elle désigne le vicaire compétent dans une partie territoriale du diocèse. toute la première partie du traité de Ducasse concerne le vicaire général. 37. Le Corpus juris canonici dit que le diocèse vacant peut être administré collégialement par le chapitre, ou par diverses commissions, ou encore par un vicaire délégué agissant au nom du chapitre ; voir décrétale de Boniface Viii, Sexte, liv. 3, tit. 8, can. 1.

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que l’ordinaire lui en confère le droit, mécanisme qui ne joue pas en faveur du vicaire capitulaire. lors de la vacance du siège épiscopal, c’est la juridiction ordinaire de l’évêque qui passe au chapitre et peut être coniée au vicaire capitulaire pour qu’il accomplisse les actes liés à l’oice épiscopal, non ceux découlant du pouvoir d’ordre, intransmissible. le code de 1917 conirme ces dispositions38.

2. Le pouvoir de juridiction délégué un pouvoir de juridiction peut aussi être dit délégué, par opposition au pouvoir de juridiction ordinaire. l’oice, charge stable, est lié à un bénéice sur lequel l’évêque n’a pas tout pouvoir. cette relative stabilité des charges a des efets bénéiques certains : connaissance du troupeau à conduire ; possibilité de prendre une décision sans avoir recueilli, au préalable, l’accord du supérieur hiérarchique ; et tout simplement assurance d’une relative durée dans l’exercice des fonctions. pour éviter que cette stabilité ne vienne limiter l’autorité de l’évêque, ordinaire du diocèse, le pouvoir de juridiction délégué apporte la souplesse qui manque au pouvoir de juridiction ordinaire, et indispensable pour répondre aux multiples situations spéciiques. Le pouvoir délégué est celui accordé à une personne, pour elle-même, sans la médiation d’un oice et, surtout, sans la nécessité d’un bénéice. il est attribué dans une lettre de commission rédigée par écrit. il est octroyé pour une afaire, ou pour une série d’afaires, ou pour un temps. Les actes sont donc accomplis au nom de l’évêque. souvent, un dignitaire exerce un pouvoir de juridiction ordinaire, lié à un oice, et le supérieur, l’évêque par exemple, peut lui conier une mission supplémentaire dans le cadre d’un pouvoir de juridiction délégué. La délégation peut être générale (generaliter) et viser toute une catégorie d’actes ou de fonctions ; elle peut être spéciale (specialiter) et avoir un objet strictement déini et limité, dans le temps, l’espace, ou la catégorie d’actes39. nous retrouvons le cas du vicaire général, détenteur d’une juridiction ordinaire vicariale du fait de son oice de vicaire de l’évêque et qui peut donner la conirmation, sur délégation de l’évêque. au canon 368, le code de 1917 exprime cette articulation des pouvoirs, ordinaires et

38. code de 1917, can. 429 § 1 : lorsque la direction du diocèse est entravée, elle est assuré par le vicaire général ou un autre ecclésiastique choisi par l’évêque ; ibid. § 2 : quand les remplaçants de l’évêque font défaut, le chapitre constitue un vicaire capitulaire. can. 431 : en cas de vacance du siège, son administration est dévolue au chapitre qui doit (can. 432) constituer un vicaire capitulaire et un économe. can. 435 : en cas de vacance, la juridiction ordinaire de l’évêque, au spirituel et au temporel, est dévolue au chapitre et passe ensuite au vicaire capitulaire. Le chapitre et le vicaire capitulaire peuvent accomplir tous les actes que l’évêque peut accomplir du fait de son oice, mais pas les fonctions épiscopales, sauf si le vicaire capitulaire est lui-même évêque. 39. textes normatifs et doctrine recourent constamment à cette distinction ; voir par exemple, p. Lancellotti, Institutiones…, p. 63 et suiv.

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délégués, pour qualiier ses prérogatives40. le vicaire général possède, de par son oice, une juridiction ordinaire vicariale. l’ordinaire reste maître de se réserver certaines compétences et n’est pas obligé de nommer un grand vicaire. il peut aussi conférer d’autres prérogatives, par mandat spécial. c’est dans ce cadre que le vicaire général donne validement la conirmation, sans être évêque, alors que ce sacrement relève du pouvoir d’ordre. il y a délégation spéciale de la part de l’ordinaire.

iii. — conclusion les catégories juridiques analysées, sans avoir totalement disparu du code de 1983, ne sont plus au centre des raisonnements canoniques. vatican ii a utilisé le concept unitaire de Sacra Potestas qui inclut le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction et n’a pas repris explicitement la distinction. Bien qu’il ait parfois manqué de clarté, le binôme ordre et juridiction a été précieux aux temps modernes. l’acte accompli en vertu du pouvoir d’ordre appartient exclusivement à celui qui possède ce degré d’ordre, le caractère épiscopal ou presbytéral, du fait de la consécration ou ordination. quant à la distinction entre pouvoir de juridiction ordinaire et pouvoir de juridiction délégué, elle n’est pas une pure argutie théorique des juristes. selon que l’on range certains actes dans l’une ou l’autre catégorie, l’ecclésiastique jouit de prérogatives étendues, ou restreintes. les doctrines juridiques ont des conséquences pratiques. le pouvoir ordinaire laisse une autonomie d’action, une part d’initiative personnelle à son détenteur, liberté que ne donne pas la délégation, surtout si elle est « spéciale »41. 40. code de 1917, can. 368 : « De par son oice, le vicaire général a, dans tout le diocèse, la même juridiction au spirituel et au temporel que celle que l’évêque possède lui-même, de droit ordinaire à l’exception des points que l’évêque se serait réservé ou ceux qui requièrent un mandat spécial de l’évêque ». 41. L’évêque possède lui aussi une juridiction ordinaire et une juridiction déléguée. cette dernière est présentée par les auteurs gallicans comme une limite au pouvoir de l’évêque car concerne les cas dans lesquels l’évêque ne peut agir que comme délégué du saint-siège. Le concile de trente et les conciles provinciaux en font état. Les listes des prérogatives à ranger sous ce chef de compétence varient, diversité qui témoigne d’appréciations diférentes de l’indépendance plus ou moins grande laissée à l’évêque par rapport à l’autorité romaine. Les gallicans, soucieux de défendre l’autorité épiscopale contre l’autonomie que s’octroient les religieux et contre les ambitions romaines, s’eforcent de considérer comme relevant de la juridiction ordinaire diverses compétences dont les ultramontains airment le caractère délégué. Les prérogatives qu’un évêque exerce au titre de sa juridiction déléguée concernent généralement des hypothèses où, agissant comme délégué du saint-siège, le prélat peut intervenir contre une communauté ou un dignitaire ecclésiastique exempt, ou encore à la place de ce dignitaire. par exemple : placer des vicaires dans des paroisses dépendant de réguliers ; visiter les chanoines des églises exemptes ; poursuivre des clercs nonobstant un privilège d’exemption ; rétablir la clôture des monastères de moniales ; nommer coadjuteur

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cette diférence de liberté d’action revêt au moins trois aspects. le contenu d’un pouvoir délégué est toujours précisément déterminé dans la lettre de commission. la précision peut être extrême s’il s’agit d’une délégation spéciale ; elle est moins poussée dans le cas d’une délégation générale mais existe cependant. une compétence ainsi déinie est bornée à ce que le délégataire a prévu. d’autre part, la délégation étant personnelle, celui qui en bénéicie ne peut pas – sauf rares exceptions – subdéléguer les prérogatives ainsi coniées. enin, le terme auquel les fonctions cessent n’est pas le même. certes, tout auxiliaire de l’évêque peut être révoqué par celui qui préside à tout le diocèse. mais une révocation, même s’il n’est pas requis de la motiver, est une procédure plus lourde à mettre en œuvre que la simple échéance d’une commission. en conséquence, les partisans d’un pouvoir épiscopal fort ont tendance à ne comprendre sous le pouvoir ordinaire des auxiliaires que peu de prérogatives, en classant davantage sous la rubrique du pouvoir délégué des compétences que l’évêque donne seulement par commission et qu’il retire très librement. les frontières entre les diverses catégories sont mouvantes ce qui explique les incertitudes doctrinales. pourtant, les divergences se font le plus souvent sur des questions accessoires. les notions de pouvoir ou de juridiction, de pouvoir ordinaire ou délégué restent des clefs pour appréhender l’organisation du gouvernement du diocèse, comme l’atteste la relative constance des écrits des canonistes, de lancellotti au code de 1917. hiérarchie, cohérence du gouvernement du diocèse s’inscrivaient dans ces cadres dont l’absence de rigidité permettait de prendre en considération la diversité des situations. Brigitte Basdevant-gaudemet université paris-sud droit et sociétés religieuses

ou vicaire à des cures dont les titulaires sont négligents, etc. au nom de sa juridiction déléguée, l’évêque peut souvent limiter les conséquences des privilèges d’exemption. ces questions furent sources de débats et de conlits multiples. héoriquement, les privilèges d’exemption, établis au cours du moyen Âge, demeurent et s’imposent à tous. pourtant, le concile de trente et certaines décisions pontiicales des temps modernes voulurent accroître les pouvoirs de contrôle de l’évêque qui est sur les lieux et peut agir plus eicacement. pouvoirs du saint-siège, autorité de l’évêque, privilèges d’exemption furent constamment remis en cause. l’évêque ne peut pas subdéléguer les prérogatives qu’il exerce au titre de sa juridiction déléguée lorsque celles-ci lui ont été coniées expressément et à lui seul. en revanche, en l’absence de précision sur le caractère strictement personnel de la délégation, il peut subdéléguer, mais uniquement par commission spéciale.

grands vicaires et oFFiciauX des diocÈses de FrontiÈre (Xviie-Xviiie siÈcles) par

Frédéric meYer

les diocèses peuvent être, sous l’ancien régime, frontaliers à plusieurs niveaux. certains, comme ceux de lyon ou d’embrun au xviiie siècle, ont des limites qui coïncident avec une frontière politique (ici entre la France et le piémont-sardaigne). mais les frontières sont mouvantes : au fur et à mesure des annexions et des sessions (Belley devient française en 1601, la province de cambrai en 1678), d’autres se sont retrouvés à cheval sur une frontière politique (comme les diocèses de toul ou de strasbourg). plusieurs archevêques français ont des évêques sufragants étrangers (embrun avec nice, Vienne avec Genève-annecy) alors que des diocèses français relèvent de provinces étrangères (les trois évêchés lorrains de trèves, strasbourg de mayence, etc.). ces situations complexes ont des conséquences sur l’administration de ces diocèses dits « de frontière ». Leurs appareils épiscopaux, en servant pourtant un seul évêque, peuvent dépendre de plusieurs princes ; dans la partie du diocèse qui est considérée comme une enclave étrangère, les évêques se doivent d’avoir une administration particulière, une obligation restée parfois théorique. si le rôle des évêques de telles contrées a été parfois étudié, celui de leurs oiciers principaux (grands vicaires et oiciaux), qui les secondent, reste mal connu. on s’attachera à travers des exemples pris à la périphérie du royaume de France (pays-Bas, Lorraine, alsace, savoie, comtat Venaissin, pyrénées) à en montrer l’originalité1. cette frontière contre laquelle, ou sur laquelle, s’inscrit un diocèse 1. on trouvera une problématique parfois comparable dans les actes du colloque sur les oicialités dans l’europe médiévale et moderne (Des tribunaux pour une société chrétienne) tenu à troyes du 27 au 29 mai 2010, dir. Véronique Beaulande-Barraud et martine charageat (à paraître) et dans ceux publiés par marc aoun et Jeanne-marie tufery-andrieu, Conciles provinciaux et synodes diocésains du concile de Trente à la Révolution française. Déis ecclésiaux et enjeux politiques ?, strasbourg, 2010.

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Frédéric meYer

peut être politique, religieuse ou culturelle. elle n’est jamais hermétique et elle est fréquemment aussi une zone de contacts et d’échanges, propices à la création d’autant d’identités. les notables locaux et leurs familles, qui fournissent l’essentiel de l’administration diocésaine, jouent un rôle clé face à un évêque souvent d’origine étrangère au diocèse et font parfois i des frontières politiques. si une frontière de catholicité se surimpose à cette situation, on se doit d’exercer une surveillance pointue des déplacements des hétérodoxes, de leurs idées, de leurs dévotions. enin, on constate qu’en zones frontalières disputées lors de fréquents conlits, les bureaux épiscopaux entretiennent avec les pouvoirs civils des rapports particuliers, qui survalorisent le champ politique. ces administrations peuvent ainsi se trouver dirigées contre leur propre évêque, surtout lors d’occupations militaires ou lorsqu’elles sont chargées par le roi de France d’accélérer la francisation de provinces récemment annexées. ces trois points (originalité de la structure, frontières religieuses, rapports avec le politique) nous retiendront successivement.

i. — une structure propre aux diocèses de frontière politique la haute curie épiscopale est composée de grands vicaires et d’oiciaux en nombre variable. le vicaire général, ou grand vicaire (les deux termes sont équivalents), exerce la juridiction volontaire (c’est à dire administrative) et contentieuse (c’est à dire judiciaire) de l’évêque2. en France, depuis l’article 45 de l’ordonnance de Blois de 1579, il doit être prêtre et gradué (le baccalauréat suit), être né français ou avoir reçu des lettres de naturalité. Le concile de trente ne rappelle son existence qu’en cas de vacance du siège épiscopal, lorsque sont désignés par le chapitre cathédral, un économe et « un oicial ou vicaire »3. si les pouvoirs du vicaire général sont à la discrétion de l’évêque, son rôle est historiquement beaucoup plus développé que ne le disent les textes oiciels. Durand de maillane précise que le pouvoir des grands vicaires init par la révocation, la démission ou la mort de l’évêque4. L’abbé Fleury reprend l’idée de l’abaissement de l’archidiacre au proit du grand vicaire par l’évêque depuis le xiiie siècle, qui court déjà comme un poncif au siècle des Lumières : 2. si les canonistes demandent que juridiction volontaire et juridiction contentieuse soient distinguées, force est de constater que les deux fonctions sont souvent réunies en de mêmes mains. 3. Le saint concile de Trente œcuménique et général célébré sous Paul III, Jules II et Pie IV, souverains pontifes, nouvellement traduit par M. l’abbé Chanut, 3e éd., paris, sébastien mabre-cramoisy, 1686, session XXiV, chap. XVi : Des devoirs et obligations du Chapitre quand le Siège vient à vaquer, p. 345-346 ; il s’agit ici du vicaire capitulaire, précision qui ne igure pas expressément dans le texte tridentin. 4. pierre-toussaint Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéiciale, 5 t., Lyon, 1776, t. V, p. 472.

grands vicaires et oFFiciauX des diocÈses de FrontiÈre

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les évêques avoient eux-mêmes des oiciaux, pour exercer leur jurisdiction contentieuse ; et pour l’exercice de la jurisdiction volontaire, ils irent des vicaires généraux, qui, n’ayant que de simples commissions, révocables à volonté, ne pouvoient abuser de leur autorité, comme avoient fait les archidiacres5.

il a été fait justice de cette vision6. mais la méiance envers les archidiacres s’est maintenue. pourtant seul l’oicial est rendu obligatoire par le droit canonique, et le concile de trente a redit sa nécessité, puisque l’évêque ne peut exercer directement la juridiction contentieuse7. il doit être au moins licencié en droit canonique, et n’être ni laïque ni étranger8, ce qui est fondamental pour notre question. le temps n’est plus où lui aussi « il devait humilier les archidiacres », et la déclaration royale du 29 janvier 1700 permettait aux évêques de les destituer à leur gré. Le grand vicaire et l’oicial sont assez fréquemment la même personne, même si les deux fonctions n’ont en commun que leur importance aux yeux des prélats. mais la jurisprudence impose de nombreuses oicialités supplémentaires dans les diocèses. il faut normalement un oicial particulier lorsque le diocèse s’étend sur le ressort d’un autre parlement9. chargé de la juridiction contentieuse, l’oicial est « forain » lorsqu’il exerce dans une sous-partie d’un vaste diocèse entièrement français « pour la commodité des habitants ». pour la même raison, il existe aussi des « vicaires forains », chargés de relayer l’action pastorale et disciplinaire de l’évêque dans une partie de l’espace diocésain, et ils sont en cela souvent proches des doyens et des archiprêtres10. on sait que cette institution d’origine borroméenne n’a jamais vraiment réussi en France, sauf justement dans les diocèses de frontière pour les parties relevant d’un autre état. pour le propos qui nous occupe, rappelons que la politique de l’état français a imposé aux évêques étrangers ayant autorité en France, de démultiplier leur administration, en nommant un oicial « national » ou « forain » dans chaque 5. abbé claude Fleury, Institution au droit ecclésiastique, 2 t., paris, 1677 ; rééd. paris, 1771, t. i, p. 188-194, chap. XiX. 6. édouard Fournier, L’origine du vicaire général et des autres membres de la curie diocésaine, paris, 1940, p. 286 ; et pierre torquebiau, « curie diocésaine », dans Dictionnaire de droit canonique, dir. raoul naz, 7 t., paris, 1935-1965, t. iV, 1949, col. 961-971. 7. Jean-Louis Brunet, Le parfait notaire apostolique et procureur des oicialitez…, paris, 1730, t. ii, p. 517. 8. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique…, t.  iV, p.  201-220 et t.  V, p. 460-472. 9. Ibid., t. iV, p. 201-220. 10. cecilia nubola, « Les vicariats forains diocésains. quelques notes sur un modèle d’organisation de l’espace diocésain (xvie-xviie siècle) », dans Le diocèse. Espaces, représentations, pouvoirs. France, xve - xxe siècle, dir. Gérald chaix, paris, 2002, p. 198-214.

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partie française de leur diocèse. si l’évêque n’en nomme pas, le parlement français du ressort le fera. l’édit de juridiction ecclésiastique de 1695, en son article 31 réitère la nécessité d’un grand vicaire et d’un oicial particuliers pour toute partie d’un diocèse relevant d’un évêque étranger s’étendant sur le territoire français11. L’attitude du roi de France a été imitée dans d’autres états, comme en savoiepiémont12. La réciproque en revanche (un oicial étranger pour un évêque français ayant autorité à l’étranger) n’est pas systématiquement attestée. Les canonistes Jean-Louis Brunet et pierre-toussaint Durand de maillane donnent dans leurs ouvrages la liste pour la France des oiciaux forains au xviiie siècle13. Dix-sept diocèses sont cités, dont celui de Lyon pour pont-de-Vaux, vestige du temps où la Bresse était savoyarde même si elle est française depuis 1601, mais il est d’usage de conserver les oicialités foraines existantes. ce sont toutes des oicialités justiiées par la grande taille d’un diocèse ou par la présence de plusieurs parlements. Les oicialités foraines de frontière n’apparaissent pour ces auteurs qu’autour d’avignon et du comtat Venaissin pontiical (avignon, qui déborde sur la provence et le Languedoc, a un oicial forain à tarascon et un autre à Villeneuve). or, on sait qu’il en existe beaucoup plus. il y en a en Dauphiné pour les mêmes raisons que pour avignon, dans la langue de terres française pénétrant le piémont autour de Bardonnèche et d’oulx jusqu’en 1713 ; en Lorraine où les trois évêchés (metz, toul et Verdun) entretiennent depuis 1552 des oicialités foraines à Bar-le-Duc pour la mouvance et à Vaucouleurs pour la champagne14 ; en haute-alsace face à l’évêque de Bâle. on en trouve aussi ailleurs : dans le pays de Gex pour Genève, dans l’avant-pays savoyard pour Belley, en savoie pour Grenoble, etc. L’enclave pontiicale de Valréas en France justiie un oicial comtadin pour l’évêque de Vaison, avec la disposition d’un hôtel particulier sur la place de la petite ville. partout le prince local, ou ses représentants, doit agréer ces oiciaux forains, en général choisis parmi ses sujets, nommés à sa demande par un évêque étranger15. La fonction d’oicial seule est rendue obligatoire par le droit canonique, on l’a dit, à la diférence de celle de grand vicaire, puisque son titulaire a le droit de juger les causes criminelles et matrimoniales qui ont été enlevées aux chapitres. elle est parfois décomposée. à la in du xviiie siècle, à moûtiers il y a un vice-oicial, ce qu’en 11. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique…, t. iV, p. 217. 12. charles-emmanuel de Ville, Estat en abrégé de la justice ecclésiastique et séculière du pays de Savoie, chambéry, 1674, p. 42-46. 13. J.-L. Brunet, Le parfait notaire apostolique…, t. i, p. 547-549 ; p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique…, t. iV, p. 218-219. 14. rené taveneaux, Le jansénisme en Lorraine. 1640-1789, paris, 1960, p. 58-59. 15. raoul naz, dans Dictionnaire de droit canonique…, t.  Vii, 1965, col.  1107. exemple piémontais où le roi de sardaigne et le sénat de chambéry agréent l’oicial savoyard du décanat de chambéry nommé par l’évêque de Grenoble en 1727.

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terre pontiicale on appelle un vice-gérent. on nomme également des oiciaux pour représenter les plus vénérables chapitres, à lyon ou à vienne par exemple. souvent plusieurs grands vicaires honoriiques font fonction d’oicial si nécessaire. la réalité est pourtant souvent plus complexe encore, et plusieurs régions frontalières n’ont pas de vicaire ou d’oicial forains malgré la loi. durand de maillane le reconnait pour les comtadins, qui sont considérés comme régnicoles en France et où la nécessité d’un oicial français sur les parties des diocèses d’avignon en France (tarascon en provence et villeneuve en languedoc), mais aussi de vaison, de cavaillon, de carpentras, est moins sensible qu’ailleurs. J’ai observé que les oiciaux à la in du xviiie siècle sont cinq à annecy et à vienne, plus qu’à lyon (quatre), qu’à Belley et saint-paul-trois-châteaux (trois) et surtout qu’à avignon (deux) ou à die (un). il n’y a donc pas toujours autant d’oiciaux qu’il devrait y en avoir : avignon n’en a que deux (un cathédral et un forain), alors qu’il devrait en compter trois. pour Durand de maillane, dans les états du pape, il n’y a pas d’oicial, mais seulement un promoteur16. Les pouvoirs laïques aimeraient également obtenir des évêques la nomination de grands vicaires nationaux pour les parties étrangères des diocèses, comme il est obligatoire de le faire avec les oiciaux. mais les évêques résistent. Françoismaurice de Gontieri, archevêque d’avignon (1705-1742), refuse d’avoir un grand vicaire spéciique à la partie provençale de son diocèse comme veut l’y obliger le parlement d’aix17. il fait intervenir ses amis à la cour de Versailles et ses confrères évêques de région frontalière comme lui, à cambrai, metz, toul et Verdun18. aux yeux des prélats, ces grands vicaires et oiciaux de nationalité diférente, rendus obligatoires par une législation étrangère, ont un pouvoir moins grand que l’oicial principal, « cathédral », de leur curie diocésaine. ainsi pour le cardinal étienne Le camus, évêque de Grenoble (1671-1707), il est hors de question que l’oicial du décanat de savoie (à chambéry), nommé sur 16. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique…, t. iV, p. 216-220. « parmi les villes dont le siège épiscopal est étranger à la France, mais dont le diocèse s’étend sur les terres du royaume, on peut compter l’archevêché d’avignon et quelques évêchés du comtat Venaissin. ces évêques sont exacts à établir, dans la partie de leur diocèse qui appartient à la France, un oicial qui ait toutes les qualités requises ; ou bien, si cette partie est de peu de conséquences, ils obtiennent les lettres patentes dont il a été parlé [supra p. 205-206] et les font enregistrer où besoin est. on a voulu quelque fois obliger l’archevêque d’avignon d’établir dans la partie de provence un grand vicaire, comme un oicial forain. mais, soit qu’on ait considéré les grands vicaires de cet archevêque comme régnicoles, soit qu’on n’ait pas voulu assujettir ce prélat à un établissement qui, n’ayant pour objet que la juridiction volontaire, n’a pas lieu dans les diocèses de diférents ressorts, on n’y voit ensuite de l’arrêt du conseil, cité sous le mot Avignon qu’un oicial à tarascon pour la partie de provence, et un autre à Villeneuve pour la partie de Languedoc » (p. 219). 17. ignace-moly de Brezolles, Traité de la juridiction ecclésiastique contentieuse ou théorie et pratique des oicialités…, paris/nyon-La porte, 1778, t. i, p. 170. 18. Bm avignon, fonds massilian, ms. 2929, n° 28, p. 11-12.

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ordre du duc de savoie, ait un pouvoir identique à son oicial de grenoble19. il rappelle que ses oiciers n’ont que les pouvoirs qu’il veut bien leur déléguer. louis châtellier a pareillement montré la réalité peu règlementaire du diocèse de strasbourg entre 1648 et 179020. l’évêque y avait l’habitude de n’avoir qu’un seul grand vicaire et oicial, comme c’était le cas aussi en italie, pour un diocèse pourtant à cheval sur la frontière du rhin après 1681. l’occupation française lui imposa en 1684-1686 d’en nommer deux, un Français pour la partie française du diocèse et un impérial pour les territoires d’outre-rhin. dès 1690 pourtant, on retrouvait un seul grand vicaire et oicial, mais il s’interdisait de traverser le rhin ; il avait d’ailleurs délégué ses pouvoirs outre-rhin à un archiprêtre. lorsqu’un rohan devint évêque de strasbourg en 1704, puis prince d’empire en 1723, on en revint à la pratique d’un seul grand vicaire et oicial, un Français, ce qui provoqua des résistances que l’on comprend du côté allemand, compromettant ainsi l’unité du diocèse. c’est dire que les réalités locales, les traditions ne se coulent pas forcément dans les moules juridiques, quitte à multiplier les contestations et les recours. l’approche juridictionnelle, essentielle pour les hommes de l’ancien régime, et en particulier pour les oiciaux diocésains ayant en général une solide formation juridique, se heurte au pragmatisme du terrain, aux moyens souvent limités des petits diocèses (du sud de la France en particulier). l’imbrication des territoires sur de petites distances, la proximité de telle ou telle localité relevant de l’étranger mais plus accessible que la petite capitale nationale, les réseaux personnels des familles et de leurs clientèles, le bons sens aussi qui incite à des économies de moyens, poussent à des accommodements que les hommes des princes auraient refusés. les diocèses comtadins de carpentras et de cavaillon empiètent sur la provence française dans leurs parties sud-orientales, jouxtant le diocèse français d’apt, le premier pour la région de monieux, murs, sault, le second pour les localités de goult et de gordes. on s’attendrait à trouver pour ces territoires des oiciaux français distincts de ceux du comtat. en fait il n’en est rien. les évêques comtadins de la in du xvie et du début du xviie siècle ont préféré nommer comme oicial un chanoine du chapitre cathédral d’apt et surtout déléguer les fonctions de greier de l’oicialité foraine à des notaires locaux21. 19. Lettres inédites du cardinal Le Camus, évêque et prince de Grenoble (1632-1707), éd. claude Faure, paris, 1933, p. 362-364 : lettre du 12 août 1699, peut-être adressée au premier président du sénat de chambéry. L’oicial en question est m. philippe. 20. Louis châtellier, «  Frontière politique et frontière religieuse. L’exemple du diocèse de strasbourg (1648-1790) », dans études européennes. Mélanges oferts à Victor-Lucien Tapié, paris, 1973, p. 149-170, repris dans Annales de l’Est, n° spécial : Religion et piété en Alsace et Lorraine (xviie- xviiie siècles), 2003, p. 103-125. 21. aD Vaucluse, 4 G 9 et 10 : grefes de Goult et d’apt. Je remercie Bernard homas, des archives départementales du Vaucluse, de m’avoir indiqué ces documents. par exemple le chanoine

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mieux, à partir de 1603, nos deux prélats conient leurs afaires « françaises », en particulier les insinuations, les collations de bénéices, à un même notaire d’apt, Degadret, qui est aussi au service de son propre évêque. un même robin, un Français de provence, sert donc ainsi les intérêts de trois diocèses de frontière de deux nationalités diférentes. cette très forte interpénétration des diocèses est d’abord celle des hommes et des compétences, limitées parfois par l’exiguïté des diocèses. J’avais montré par ailleurs comment des afaires matrimoniales ou de mœurs relevant des oicialités sont gérées par les curies des diocèses de saint-paul-trois-châteaux, orange, Vaison et carpentras au fur et à mesure des déplacements des personnes concernées, par delà les frontières politiques22. c’est aussi certainement un afaiblissement de la notion de diocèse, dont on ne sent plus vraiment ici la réalité.

ii. — Frontières politiques et religieuses La situation se complique encore lorsque le diocèse de frontière politique est situé sur une frontière de catholicité. cela est particulièrement le cas pour l’est de la France, de la région rhénane aux alpes, face aux luthériens et aux calvinistes. Les autorités civiles et religieuses sont là particulièrement attentives à la circulation de ceux qu’elles jugent comme hétérodoxes, et les tensions interconfessionnelles restent vives au moins jusqu’au milieu du xviiie siècle. Les curies diocésaines mettent beaucoup d’énergie à surveiller les déplacements des hommes comme des livres ou autres imprimés. Les archives des diocèses de savoie sont remplies d’informations sur des domestiques, des colporteurs, des professions à talents qui circulent entre Genève et les états sardes, quitte à s’en prendre aussi aux catholiques jugés suspects. Dans le dernier quart du xviiie siècle encore, marie ruier, habitante de champigny (diocèse de tarentaise), se voit conisquer par son curé et l’oicial du diocèse des livres jugés dangereux, comme un coran, un livre de piété protestant (une Dissertation sur le Messie) et un autre du Dr tissot sur les maladies vénériennes23. La correspondance de l’évêque de Genève, michel-Gabriel de rossillon de Bernex (1697-1734), fourmille de références à de telles afaires, que ses grands antoine Grossi, théologal du chapitre cathédral d’apt, devient vicaire forain de l’évêque de cavaillon le 7 septembre 1603. 22. Frédéric meyer, La Maison de l’évêque. Familles et curies épiscopales entre Alpes et Rhône (Savoie-Bugey-Lyonnais- Dauphiné-Comtat Venaissin) de la in du xvie à la in du xviiie siècle, paris, 2008, p. 198-200. 23. aD savoie, G (tarentaise) 18. cité par élodie Dartiguepeyrou, Les oicialités de Maurienne et de Tarentaise dans la deuxième moitié du xviiie siècle, mémoire de maîtrise, histoire, dir. F. meyer, université de savoie, 2000, p. 127.

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vicaires, oiciaux et curés ont bien du mal à gérer et dont l’aspect international est partout évident. son diocèse touche à la république de genève et s’étend à la France depuis que le pays de gex est français (1601). on voit ses oiciers et luimême pris dans les afres des enjeux locaux et tenter de tenir l’équilibre entre les « trois cours » dont il dépend, turin, Versailles et rome, aux intérêts divergents. Le duc de savoie lui réclame des enquêtes sur la réalité des cultes catholiques et protestants sur les terres disputées avec Genève de saint-Victor-et-chapitre, dans le cadre de négociations politiques24. rome lui demande de sévir contre une tendance à la tolérance des protestants. L’évêque accuse alors le curé de Ville-en-sallaz d’avoir un vacher calviniste et les chartreux de pomier de ne pas réagir lorsque leurs fermiers engagent des domestiques protestants25. ces valets calvinistes, exempts de la capitation (on est en période d’occupation française), favorisent, dit-il, « la montée de l’huguenotisme [sic] dans la région »26. il soutient la création d’un collège dans la petite ville de Gex27 et les missions des jésuites à ornex28. mais il agit envers l’intendant de Dijon comme un modérateur vis-à-vis des « nouveaux convertis » du pays de Gex (français, donc soumis à la révocation de l’édit de nantes) pour maintenir la paix sociale. il en appelle en 1706 au gouverneur de Bourgogne, Louis iii de condé, pour éviter d’alourdir les taxes sur les fabriques et les confréries qui les encadrent, et encore en 1723 au duc de Bourbon pour alléger la gabelle payée par la maison des nouvelles converties29. Le soutien aux nouveaux convertis (dont la fameuse mme de warens30), de son diocèse ou des diocèses voisins, est l’un de ses principaux soucis. il intercède encore auprès de l’intendant de Bourgogne pour la veuve d’un « nc »31, auprès du résident de France à Genève pour un couple de convertis que son confrère de Die, Gabriel de cosnac, lui envoie32, etc. mais c’est aussi une charge : le

24. aD haute-savoie, 1 G 244, lettre de Victor-amédée ii du 12 décembre 1699. ces terres, et les droits qui y étaient liés, en Genevois et dans les régions de Gex et de Vaud, appartenaient avant la réforme au prieuré de saint-Victor et au chapitre de la cathédrale de Genève. Leur propriété était contestée par turin, paris et Berne. 25. académie salésienne, annecy, correspondance rossillon de Bernex, boîte  6, lettre du 20 mars 1712. 26. Ibid., lettre du 10 mai 1711. 27. aD haute-savoie, 1 G 605, lettres des 5 et 11 juin 1700. 28. aD haute-savoie, 1 G 221, lettre du 14  mai 1698 et académie salésienne, annecy, correspondance rossillon de Bernex, boîte 6, lettre du 25 février 1709. 29. académie salésienne, annecy, correspondance rossillon de Bernex, boîte 6, lettres du 11 juillet 1706 et du 3 février 1723. Valérie Fontaine, La correspondance de Mgr de Rossillon de Bernex, évêque et prince de Genève, mémoire de master 1, dir. F. meyer, université de savoie, 2004, 255 p. 30. aD haute-savoie, 1 G 291, lettre du 2 septembre 1726. 31. aD haute-savoie, 1 G 605, lettre du 25 août 1708. 32. académie salésienne, annecy, correspondance rossillon de Bernex, boîte  1, lettre du 20 septembre 1725.

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subdélégué de Belley lui rappelle la nécessité d’entretenir des écoles pour les enfants des nouveaux convertis33. en zone de frontière religieuse, la teneur des querelles théologiques prend également un tour plus menaçant qu’ailleurs, pouvant toujours être (à tort ou à raison) utilisée par les adversaires. on pense au désordre causé en savoie et en dauphiné lors du séjour de mme guyon à honon (diocèse de genève-annecy), puis dans les diocèses de grenoble et de turin à la in du xviie siècle. au siècle suivant, le « faux-sel » trouvé dans le presbytère de Versoix est jugé comme le fruit d’un complot des protestants34. Le débat autour de la bulle Unigenitus agite le pays de Gex en 1714 au lendemain de la guerre de succession d’espagne qui a relâché la surveillance de la curie diocésaine : les jésuites d’ornex dénoncent le jansénisme présumé des curés ; selon eux, Genève en proiterait pour inonder la région de catéchismes calvinistes, la confusion entraînerait des pillages d’églises par la « méchanceté d’hérétiques secrets »35. Le roi de sicile lui-même écrit que : il nous est revenu que les bruits de la dernière constitution du pape, laquelle divise si fortement les sentiments en France, commencent à exciter dans votre diocèse des contestations qui ne tendent rien moins qu’à l’introduction du jansénisme, dont les hérétiques de votre voisinage ne manqueroient pas de se prévaloir au préjudice de notre sainte religion36.

L’efervescence continue en 1729 avec l’appel du cardinal de noailles. mais tout ceci n’exclut pas des aménagements. en Lorraine, dans l’ancienne baronnie de Fénétrange, cohabitent protestants et catholiques37. Dans la douleur et l’afrontement, mais également avec beaucoup de pragmatisme, les diférentes communautés religieuses airment leur identité, les unes contre les autres, mais aussi les unes avec les autres en particulier dans les périodes de guerres (par la réalité du simultaneum, ou utilisation successive d’une même église par diverses composantes du christianisme, surtout après son élargissement au calvinisme à la suite de la paix de ryswick en 1697). L’originalité est qu’ici les minoritaires sont les catholiques. mais peu à peu, par la mainmise croissante de la France autant que par des hasards dynastiques (lorsque le palatinat en 1685, puis le duché des Deux-ponts en 1719, échoient à des princes catholiques), on passe du « mitage 33. académie salésienne, annecy, correspondance rossillon de Bernex, boîte  6, lettre du 27 février 1720. 34. aD haute-savoie, 1 G 256, lettre du 28 avril 1711. 35. académie salésienne, annecy, correspondance rossillon de Bernex, boîtes  1 (lettre du 19 avril 1714) et 6 (lettre du 10 juin 1714). 36. aD haute-savoie, 1 G 270, lettre de Victor-amédée ii du 13 octobre 1714. 37. Laurent Jalabert, Catholiques et protestants sur la rive gauche du Rhin. Droits, confessions et coexistence religieuse de 1648 à 1789, Bruxelles, 2009, p. 481.

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catholique de l’espace protestant » à une véritable « recatholicisation »38. quelle doit être, dans ces conditions, l’attitude des curies diocésaines ? comment régler les afaires matrimoniales qui constituent l’essentiel de l’activité des oicialités diocésaines ? il semble que les appareils épiscopaux soient très prudents. L’oicial de l’évêque de metz accepte assez facilement d’accorder des dispenses de consanguinité aux catholiques. Des mariages mixtes existent, sans conversion automatique du conjoint comme l’exige en principe l’oicialité. Des luthériens s’installent à Bouquenom au début du xviiie siècle, malgré l’interdiction qui leur en est faite39. Les pouvoirs laïques jouent ici un rôle déterminant. Le prince de salm exerce dans la seigneurie de Fénétrange une autorité supérieure à celle de l’oicial ou du grand vicaire de l’évêque de metz sur les mœurs, mêmes religieuses, des populations40. L’évêque de metz passe un accord avec le prince du nassau au début du xviiie siècle, prévoyant la conversion mais aussi l’expulsion réciproque des couples convertis pour se marier41. Dans le duché des Deux-ponts, en l’absence de contrat spéciique, l’usage prévaut que les garçons suivent la religion du père et les illes celle de la mère42. comme dans d’autres zones interconfessionnelles, des parents catholiques envoient leurs enfants dans des écoles protestantes, ce qui scandalise le vicaire général de l’évêque de worms, dans le palatinat, ou inversement les parents luthériens à l’école catholique de Fénétrange et de postrof43. est-ce à dire qu’il fallait pour gérer les diocèses de frontière des oiciers de plus grand talent et de plus grande souplesse que pour administrer un diocèse classique ? une étude ample serait à mener dans cette optique, qui n’a pas été faite ; on en est réduit à supposer de leur part un plus grand investissement. c’est ce que laisse entendre par exemple l’intendant d’alsace, La Grange, en déclarant en 1697 à propos du grand vicaire et oicial unique de strasbourg qui, il est vrai, choisit les curés du diocèse : « toutes choses roullent sur Luy aussi a-t-on soin de choisir pour remplir cette place un homme distingué par son mérite »44. Le jugement est sans doute excessif, qui sous estime la puissance des grands corps ecclésiastiques du diocèse, des réguliers, des patrons de cures. Le grand vicaire a peiné à se faire accepter par les populations et les autres évêques de l’empire. mais cela montre en quelle haute opinion on tient le personnage. issus de grandes 38. Ibid., p. 283. 39. Ibid., p. 376. 40. Ibid., p. 386. c’est lui qui condamne des luthériens qui sont allés faire baptiser leurs enfants par des pasteurs du comté de sarrewerden. 41. Ibid., p. 482. 42. Ibid., p. 489. 43. Ibid., p. 500. 44. Mémoire sur la province d’Alsace, bibliothèque nationale et universitaire de strasbourg, ms. 590, p. 242 : cité par L. châtellier, « Frontière politique et frontière religieuse… », p. 106, n. 14.

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familles de robe et d’église, formés à la sorbonne, peu suspects de jansénisme, les vicaires généraux de strasbourg à la in du règne de Louis XiV labourent le diocèse et tentent de se faire remarquer pour accéder à une mitre45. sur une autre frontière, celle des pays-Bas, les collaborateurs de Fénelon à cambrai doivent faire preuve de prudence comparable. Le grand vicaire Gabriel de la cropte de chantérac, le cousin de Fénelon qui a toute sa coniance, reçoit les lettres d’espagne qui sont destinées à son maître en 1701, en pleine guerre de succession d’espagne, par des canaux complexes, via paris, et des adresses multiples46. Les Français comme les autrichiens ont veillé dans les pays-Bas au xviiie siècle à la nomination d’évêques et de grands vicaires unanimement antijansénistes, sourcilleux quant au respect du formulaire d’alexandre Vii47. L’augmentation du niveau global des oiciers diocésains, le fait en particulier d’être de plus en plus souvent docteur en théologie, rend diicile l’analyse des capacités réelles des seuls oiciers des diocèses frontaliers qui ne sont pas étudiés pour eux-mêmes par les historiens. L’évêque de Genève rossillon de Bernex considère en 1709 que son grand vicaire et oicial Joseph Falcaz-Grand, docteur de sorbonne, est le meilleur ecclésiastique de son diocèse48. mais ses autres grands vicaires (les abbés pompée salteur de La salle, François Goy, JeanBaptiste ribiollet et Jean-François Fongeallaz) sont eux aussi des hommes de talents, docteurs eux aussi, ayant progressivement construit leur carrière dans le diocèse au service de diférents prélats. quant aux oiciaux, s’ils sont plus souvent des curés sortis du rang, leur longévité dans le poste (plus de dix ans) en dit la qualité49. ce qui est remarquable, c’est que les progrès touchent aussi les auxiliaires des grands vicaires et oiciaux : secrétaires, vice-oiciaux, promoteurs, etc. Dans les diocèses de tarentaise et de maurienne, entre 1768 et 1792, tous les vice-oiciaux sont également docteurs, en théologie ou en droit, de l’université de turin, et sont recrutés parmi les chanoines cathédraux50.

45. Louis châtellier, Tradition chrétienne et renouveau catholique dans le cadre de l’ancien diocèse de Strasbourg (1650-1770), paris, 1981, p. 224-226. 46. christophe Leduc, « Fénelon et ses proches collaborateurs : principes et enjeux d’une stratégie familiale », dans Fénelon, évêque et pasteur en son temps. 1695-1717, éd. Gilles Deregnaucourt et philippe Guignet, Lille, 1996, p. 179-193, à la p. 185, n. 21. 47. Gilles Deregnaucourt, « Diocèses et évêques dans les pays-Bas méridionaux : les diicultés d’une frontière religieuse et politique (xvie - xviiie siècles) », dans Quaderni della gazzada, t. 25 : Storia della Chiesa in Europa, éd. Luciano Vaccaro, 2004, p. 227-248. 48. F. meyer, La Maison de l’évêque…, p. 399. 49. Helvetia Sacra. Section I : archidiocèses et diocèses, t. iii : Le diocèse de Genève. L’archidiocèse de Vienne en Dauphiné, Berne, 1980, p. 289-290 et 313-314. 50. é. Dartiguepeyrou, Les oicialités de Maurienne et de Tarentaise…., p. 34-37.

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iii. — des relations particulières avec les pouvoirs civils les curies épiscopales dépendent aussi des stratégies politiques de leur prince. cela est particulièrement sensible en périodes de guerres et d’occupations militaires, si fréquentes dans ces régions à l’époque moderne. lorsque la savoie est occupée, une fois de plus, par les Français en 1704, l’évêque de genève-annecy rossillon envoie son oicial, reydellet, à Belley demander conseil à l’évêque pierre du laurens, sur la manière de prêter le serment de idélité au roi de France51 ! pour être maîtres chez eux, mais aussi pour exercer une inluence hors de leurs territoires, les princes utilisent largement les grands vicaires et les oiciaux de frontières. louvois avait veillé à la nomination du grand vicaire de strasbourg en 1682 et lui donnait des ordres52. plusieurs évêques de l’est français ou savoyard étaient également princes d’empire (strasbourg, genève, tarentaise, grenoble). il était tentant d’utiliser pour les princes cet état plus ou moins formel selon les cas pour peser sur les événements. charles-emmanuel ii de savoie demanda en 1664 à l’évêque de Genève d’envoyer un grand vicaire en son nom à la diète de ratisbonne53. La diplomatie du roi de France appuya patiemment la candidature de l’évêque de strasbourg armand-Gaston de rohan dans sa volonté de siéger à la diète de l’empire en le faisant investir par l’empereur54. ce qui arriva inalement en 1723, on l’a dit. en Lorraine, lorsque le duc Léopold i (16901729) retrouva ses terres en 1698 après la paix de ryswick, il chercha à créer des oicialités foraines dans les parties de ses états dépendant d’évêques étrangers, en particulier à nancy qui relève de la française toul, ou des abbayes vosgiennes qui se proclamaient exemptes (comme étival, moyenmoutier, senones)55. mais il échoua, en partie à cause de l’occupation française de 1702-1714. certes, il y avait un primat à nancy depuis 1602, nommé par le duc, mais il n’exerçait aucune juridiction territoriale56. Le diocèse de nancy ne fut créé qu’en 1777, onze ans après que la ville est devenue française.

51. aD haute-savoie, 1 G 268, lettre du 5 janvier 1704. 52. L. châtellier, Tradition chrétienne…, p. 213. 53. François mugnier, Notes et documents inédits sur les évêques de Genève-Annecy (1535-1879), paris, 1888, p. 115-116. 54. L. châtellier, « Frontière politique et frontière religieuse… », p. 120. 55. philippe martin, « Déinir le diocèse. Débats en Lorraine à propos d’une déinition (vers 1690-vers 1730) », dans Le diocèse. Espaces, représentations, pouvoirs…, p. 329-354. 56. rené taveneaux, « La vie religieuse au temps de la réforme catholique. xvie et xviie siècles », dans Histoire de Nancy, dir. r. taveneaux, toulouse, 1978, p. 200. néanmoins marie-catherine Vignal souleyreau, « religion et politique en Lorraine au tournant des xvie et xviie siècles », dans Europa moderna, t. 1, 2010, p. 51-90 (à la p. 70) avance que le duc charles iV de Lorraine (16241675) obtint du pape et de l’archevêque de trèves que les appels des trois évêchés soient interjetés à nancy.

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cet état de fait peut aller jusqu’à mettre les grands vicaires et les oiciaux forains en délicatesse avec leur évêque et à les révéler comme ses ennemis objectifs. pris entre le besoin d’une vigilance accrue envers les hétérodoxes, de maintenir l’unité de leur diocèse et l’obligation légale de nommer des oiciers relevant d’une autre nationalité dans ses parties étrangères, les évêques ont parfois des diicultés à exercer leur autorité sur ces grands vicaires et oiciaux un peu particuliers qui sont au service de leur prince ou de leur espace souvent davantage qu’au leur. ils voient leur pouvoir concurrencé, grignoté par leurs propres serviteurs. le gouvernement diocésain est aussi celui du conlit, qui révèle les équilibres locaux. Forts du soutien de leur prince, des institutions locales (parlements, états, gouverneurs, etc.) et des réseaux de notables, les oiciaux et vicaires forains, originaires de la région, n’hésitent pas à tenir tête à leur évêque. le vide du pouvoir épiscopal, pour diverses raisons, pousse à l’autonomisation des vicariats et oicialités foraines. serge Brunet nous en donne un bel exemple avec l’oicial forain du val d’aran, dans les pyrénées centrales. cette région de 5 000 habitants au xviiie siècle relève au spirituel du diocèse français de saint-Bertrand-de-comminges, mais au temporel de la couronne d’aragon depuis 1313. L’éloignement du centre de l’évêché, la géographie des montagnes, la géopolitique et des accords du xive siècle lui donnent une véritable autonomie ; l’évêque ne le visite d’ailleurs pas au milieu du xviie siècle. appelé sur place le provisor, c’est-à-dire le « vicaire général de l’évêque », l’oicial forain tient son tribunal selon les décrets tridentins, alors qu’ils ne sont pas reçus dans le diocèse. ses jugements ne vont pas en appel à l’évêque de comminges, mais directement à l’archevêque d’auch. il juge de presque tout, à la réserve de ce qui concerne les bénéices et les afaires matrimoniales et criminelles majeures. il est soutenu par les populations locales qui voient en lui un rempart contre les pouvoirs et du roi d’espagne et de l’évêque français, et il s’appuie sur deux puissants archiprêtres57. Le nouvel évêque arrivé en 1646, Gilbert de choiseul, veut changer les choses. progressivement le prélat enlève à l’oicial du Val d’aran ses prérogatives sacramentelles (autorisation de distribuer le sacrement de la pénitence, d’approuver les vicaires, d’absoudre des cas réservés) et judiciaires (excommunication pour dettes), le ravalant au rang d’un oicial classique58. mais la guerre avec la France jusqu’à la paix des pyrénées (1659) retarde cette prise du pouvoir épiscopal sur l’oicial du Val d’aran. en 1664, l’évêque tente de contourner son oicial et il délègue ses pouvoirs au promoteur de l’oicialité, chargé probablement de créer à son tour deux vice-oiciaux, un par archiprêtré. Le conseil de la vallée se dépêche de 57. serge Brunet, Les prêtres des montagnes. La vie, la mort, la foi dans les Pyrénées centrales sous l’Ancien Régime, aspet, 2001, p. 363-364. 58. Ibid., p. 383.

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contester la décision au nom de ses privilèges, ce qui fait échouer rapidement la réforme épiscopale59. on trouve des afaires de même ton, sinon exactement comparables sur la frontière alpine. étienne le camus, évêque de grenoble, tente de destituer l’oicial nommé par son prédécesseur pour le décanat de savoie, à chambéry, sylvestre dufour de mérandes, en décembre 167160. chanoine de la sainte-chapelle de chambéry, frère d’un sénateur de chambéry, soutenu par les savoyards au nom d’un nationalisme politique mais aussi religieux (tenant à la fois du molinisme contre l’évêque janséniste et du richérisme), celui-ci en appelle au parlement de grenoble. l’oicial nommé depuis grenoble est même chassé de chambéry par une « assemblée de curés ». Le camus fait intervenir le duc de savoie, le premier ministre à turin, le marquis de saint-homas pour « arrêter le cours d’un schisme qui met toute la ville de chambéry en combustion et en désordre »61 ; il inonde la cour de ses récriminations. L’afaire traîne jusqu’en mars 1672 : cet oicial très autonome est mollement condamné par le duc de savoie, qui hésite à désavouer son sénat et qui écrit à Le camus que les droits du prince doivent être encore accrus au détriment des siens62. Le cardinal ne peut admettre qu’un oicial forain puisse exercer une « contradiction » contre lui63, utiliser son sceau contre sa volonté64, donner des dimissoires65, recevoir directement les rescrits de rome ou du vice-légat d’avignon66. Les heurts ne cessent pas totalement et rebondissent sur la question de la visite pastorale. De même en 1674, le doyen de la sainte-chapelle de chambéry François de La pérouse ferait ainsi aux yeux de mgr Le camus un peu trop « l’évêque dans chambéry »67. Dans le diocèse voisin de Genève, l’évêque Jean-pierre Biord (1764-1785) rencontre des diicultés comparables avec son oicial français pour le pays de Gex, anthelme castin, qu’il a pourtant nommé et doté de larges pouvoirs, dont les 59. Ibid., p. 388-391. 60. Lettres inédites du cardinal Le Camus…, p. 34-59. 61. Ibid., p. 37, lettre 8 au marquis de saint-homas du 10 janvier 1672. 62. Lettres du cardinal Le Camus, évêque et prince de Grenoble (1632-1707), éd. p. ingold, paris, 1892, p. 187, lettre XXXii à ponchâteau, de rives, 13 décembre 1675, où il évoque la volonté du duc de savoie. 63. Lettres du cardinal Le Camus…, p. 49-53, lettre XXiii à Barillon, de Grenoble, 28 février 1672. 64. Lettres inédites du cardinal Le Camus…, p.  50-51, lettre 16 à François Bertrand de La pérouse, premier président du sénat de chambéry du 9 février 1672. 65. Lettres inédites du cardinal Le Camus…, p. 53, lettre 19 au marquis de saint-homas du 18 février 1672. 66. Lettres du cardinal Le Camus …., p. 184-187 ; et Lettres inédites du cardinal Le Camus…, p. 362, lettre 221 du 12 août 1699. 67. Lettres inédites du cardinal Le Camus…, p. 81-82, lettre 44 au duc de savoie, Grenoble, 27 février 1674.

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cas réservés à la pénitence. mais celui-ci, de sa propre autorité, préside des assemblées du clergé et même des syndics des trois-états, ce qui irrite son supérieur68. néanmoins, l’évêque doit le ménager parce que des projets de démantèlement du diocèse de genève se trament au-dessus de lui entre les cours de versailles et de turin. pour créer un diocèse savoyard à chambéry, au détriment de celui de grenoble, le roi de sardaigne accepterait de voir passer le pays de gex sous l’autorité de l’évêque français de Belley69. castin est l’informateur de l’évêque à gex : par l’abbé d’estrée, il a accès à l’archevêque de reims, le cardinal de La roche-aymon, porteur du projet. mais c’est lui également qui devra assumer à partir de 1768 le paroissien encombrant que fut Voltaire à Ferney. ainsi, les évêques et les curies diocésaines découvrent-ils à la in du xviiie siècle, avec la sécularisation de certains dossiers, que les princes ne les soutiennent plus forcément autant qu’auparavant. Des priorités nouvelles (la paix, le commerce) apparaissent, qui peuvent entrer en contradiction avec les objectifs de l’église. L’enchevêtrement des pouvoirs rend alors la direction du diocèse diicile. Les traités franco-genevois de 1754, puis franco-sardes de 1760 mettent à l’ordre du jour dans les alpes occidentales une tolérance religieuse que l’évêque de Genève Jean-pierre Biord et son bureau diocésain ne peuvent admettre. ils auront à gérer également les problèmes liés à la création dans leur diocèse de deux villes nouvelles aux portes de Genève par les princes dont ils dépendent, le roi de France à Versoix en 1770, le grand projet de choiseul, et le roi de sardaigne à carouge en 1780, y amenant une population nouvelle, parfois protestante et juive. choiseul redoutait que Biord ne s’y opposât et nommât à Versoix un clergé trop rigoriste70 ! Des intérêts géopolitiques et économiques supérieurs condamnent les prélats à ne plus autant peser sur la frontière, à admettre la mort dans l’âme que la chasse aux hétérodoxes n’est plus aussi fondamentale qu’un siècle plus tôt et que les princes attendent d’eux qu’ils se comportent en oiciers dociles de leur couronne. L’action des grands vicaires et des oiciaux des diocèses de frontière, du siège épiscopal comme des oicialités foraines, donne de la curie diocésaine une image un peu diférente de celle des diocèses classiques. Le rôle dirigeant de l’évêque y est à la fois essentiel et moins important, avec des enjeux nationaux. celui du grand vicaire, le vrai bras droit de l’évêque, s’estompe derrière celui de l’oicial, ce qui est le contraire du fonctionnement d’un diocèse classique, surtout si les 68. F. meyer, La Maison de l’évêque…, p. 270. 69. à ce sujet, voir la thèse récente d’arnaud pertuiset, Mgr Biord, évêque du diocèse de GenèveAnnecy : un prélat de frontière à la périphérie des Lumières (1764-1785), université de savoie, dir. F. meyer, 2010, p. 241-265. 70. an, h 174, Versoix, mémoire de 1769, art. 57. cité par a. pertuiset, Mgr Biord, évêque du diocèse de Genève-Annecy…, p. 130.

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deux fonctions ne s’incarnent pas dans la même personne. c’est sans doute pour l’oicial forain une petite revanche, lui qui avait l’habitude d’être dans l’ombre du grand vicaire. ces hommes de curie ont-ils apporté leur pierre à la construction identitaire liée à toute frontière ? certainement oui, lorsqu’on regarde la violence des enjeux, et parfois des oppositions, qui caractérise leur travail, qui peut les mettre en porte-à-faux avec leur évêque. les territoires formant une oicialité foraine constituent autant de petits pays, à la marque forte et soutenue par les autorités et les notables locaux. si l’on considère l’intensité de la circulation des hommes, des collaborations entre diocèses, même de ceux relevant d’états diférents, et les solutions pragmatiques qu’ils négocient jusqu’à passer par-dessus des règles strictes du droit comme dans le sud de la France ou en lorraine, c’est la réalité diocésaine qui recule. mais lorsque l’enjeu géopolitique est fort, comme en alsace ou dans les alpes, les serviteurs de l’évêque sont en première ligne et ils apparaissent d’abord comme des hommes du prince. il faudrait des études spéciiques sur ces appareils épiscopaux. ont-ils produits des textes règlementaires ou pastoraux (statuts synodaux, instructions pastorales, etc.) à la teneur propre ? il est possible qu’ils aient dû défendre une vision particulière du diocèse parfois diicile à vivre entre plusieurs espaces : la primauté de l’unité d’une entité ecclésiastique, malgré les diférences politiques ou confessionnelles pour le prélat et celle de l’entité administrative pour le roi, qui doit de plus en plus avec le temps coïncider avec les frontières politiques. Faut-il alors penser à une dramatisation supérieure de la fonction, voire à de la schizophrénie, de ces curies épiscopales ? Frédéric meyer université de Lorraine (nancy) Laboratoire cruLh

les curés entre collateurs, évêques, patrons et vicaires le point de vue des Juristes Français (Xviie-Xviiie siÈcles) par

Jean-louis gazzaniga

le sujet est immense. dans son Dictionnaire de droit canonique, durand de maillane note à l’entrée « curé » : « la matière de ce mot est si étendue qu’elle tient presque à toutes les parties du livre »1, et renonçant pour l’essentiel à traiter la question, il énumère une soixantaine de renvois. il faut compter plus d’une centaine d’entrées pour avoir quelque éclairage sur les curés dans la France d’ancien régime, même en limitant l’étude aux rapports qu’ils entretiennent avec les collateurs, évêques, patrons et vicaires. Longtemps négligés par les historiens, les curés, et en général le clergé du second ordre, sont aujourd’hui assez bien connus. De nombreuses et riches études fondées, la plupart du temps, sur les comptes rendus de visites, les registres d’insinuations, les livres comptables des fabriques, sans négliger pour autant le droit, parviennent à donner des hommes et de la fonction une photographie assez exacte2. notre propos moins ambitieux tend à mettre en évidence les rapports de pouvoir dans ce monde complexe des ecclésiastiques de la France d’ancien régime, dont le curé pourrait être le centre. encore nous placerons-nous du seul point de vue des juristes. une douzaine d’entre eux que dominent héricourt, Du rousseau 1. nous avons consulté l’édition de 1761, t. i, p. 420 ; la même remarque se retrouve dans l’édition de 1770 en 4 t. et celle de 1776 en 5 t. L’auteur, après un rapide historique, consacre l’essentiel de ses développements aux curés primitifs. L’orthographe des citations a été modernisée. 2. D’une importante bibliographie nous retiendrons la belle synthèse dirigée par nicole Lemaître, Histoire des curés, paris, 2002 et les deux ouvrages aux limites de la période que nous étudions : Vladimir angelo, Les curés de Paris au xvie siècle, paris, 2005 et ségolène de DainvilleBarbiche, Devenir curé à Paris. Institutions et carrières ecclésiastiques (1695-1789), paris, 2005.

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de la combe et durand de maillane3. tous, à quelques exceptions près, sont avocats et, pour la plupart, presque exclusivement canonistes. tous sont gallicans, exprimant cependant leur gallicanisme avec bien des nuances. ils restent idèles à la pragmatique sanction de Bourges mais s’accommodent du concordat. ils acceptent les décisions du concile de trente telles que les ordonnances royales d’orléans et surtout de Blois les ont retenues. ils font un large emploi de l’édit de 1695 et mettent au premier rang la jurisprudence des parlements. ils tiennent du moulin pour un oracle, tout en le discutant parfois. quelques-uns de leurs arguments classiques ne sont pas étrangers à notre sujet. ils manifestent une certaine déiance à l’égard de la cour pontiicale4. cela se retrouve forcément lorsqu’ils traitent des « provisions de cour de rome » ou des provinces qui, nouvellement rattachées à la couronne, ne suivent pas les règles du concordat. ils défendent les pouvoirs propres des évêques que généralement le concile de trente ne leur accorde que comme « délégués du saint-siège apostolique ». Les juristes ont une haute idée de la fonction de curé « chef et maître de son église ». pour Du rousseau de La combe, les curés sont entourés « d’un respect que les peuples ne rendent pas à de simples prêtres ». ils reprennent pour les curés le symbolisme du mariage avec son église réservé en général aux évêques. Le gallicanisme de nos avocats est largement teinté de richérisme. Louis Dubois, Jousse, Du rousseau de La combe très nettement, héricourt et Durand de maillane sont plus modérés5. ils l’expriment notamment lorsqu’ils rappellent les débats sur les pouvoirs respectifs des curés et des évêques qui ont été soulevés lors des assemblées du clergé au xviie siècle6. 3. Louis de héricourt, Les loix ecclésiastiques de France dans leur ordre naturel, paris, 1756 ; Guy Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence canonique et bénéiciale, paris, 1755 ; pierretoussaint Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique, Lyon 1761, 2 t. (nous avons utilisé cette édition et noté parfois quelques évolutions dans les éditions de 1770, 4 t. et 1776, 5 t.). 4. Jean-Louis Gazzaniga, « Le pape, la cour de rome et l’église de France, d’après le Dictionnaire de droit canonique de Durand de maillane », dans Droit international et coopération internationale. Hommage à Jean-André Touscoz, nice, 2007, p. 404-426. 5. Louis Dubois, Maximes du droit canonique de France, 4e éd., éd. Denis simon, paris, 1693, p. 147 ; Daniel Jousse, Commentaire sur l’édit du mois d’avril 1695, nouv. éd. paris, 1764, 2 t., t. i, p. 70 ; G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° curés, p. 166. 6. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° paroisse, p. 423, à propos de l’assemblée de 1655 ; Recueil des actes, titres et mémoires concernant les afaires du clergé de France [appelé Mémoires du clergé], paris, 1768, t. i, p. 672 et suiv. sur cette question, voir pierre Blet, Le clergé de France et la monarchie. études sur les Assemblées générales du clergé du 1615 à 1666, 2 t., rome, 1959, et id., « L’idée de l’épiscopat chez les évêques français au xviie siècle », dans Miscellanea historiae et ecclesiasticae, t. Viii : L’institution et les pouvoirs dans les églises de l’Antiquité à nos jours, Bruxelles/ Louvain, 1986 (Bibliothèque de la revue d’histoire ecclésiastique, 72), p. 311-323, qui reprend la belle formule : « l’ordre des prêtres n’a en ses mains que les rames du vaisseau de l’église et qu’ils ne les peuvent manier que par le commandement des évêques, entre les mains desquels Dieu en a mis le gouvernement », p. 315. ces questions sont loin d’être réglées à la in de l’ancien régime,

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enin, et cela est assez classique, les juristes critiquent fortement la politique bénéiciale, l’ambition et l’âpreté d’un certain nombre de clercs. il y a une forme d’anticléricalisme gallican chez ces hommes du palais. en ajoutant cette autre constatation : l’extrême diversité du sujet. L’étude des curés dans la France d’ancien régime n’a que l’apparence de l’unité. qui y’a-t-il de commun entre les sept cent vingt paroisses du diocèse de clermont et les vingt paroisses de celui de Grasse ? entre saint-eustache à paris avec ses soixante prêtres et la paroisse de cannes avec un curé et quatre vicaires ? plus généralement entre les cures rurales et les cures urbaines, celles des provinces riches comme la normandie et celles des provinces pauvres, Dauphiné et provence. Les titres portent la marque des diversités locales. en Bretagne, le curé est recteur, le vicaire est appelé curé. Le droit lui-même ne parvient pas toujours à faire l’unité. Les diférents modes de nomination des curés en sont la meilleure preuve. il faut également compter avec l’évolution de l’institution curiale, du concile de trente à la veille de la révolution. ces diférentes données afectent forcément la situation du curé placé au centre d’un jeu compliqué de pouvoirs et de relations qui se nouent au sein de la hiérarchie diocésaine. c’est peu dire que celle-ci est complexe. si la place éminente de l’évêque ne se discute pas, celle de ses collaborateurs et de ses subordonnés immédiats n’est pas très claire. Les juristes ne donnent pas toujours de leur rang et de leurs pouvoirs des notions très précises7. L’évêque est à la tête de son diocèse, il est « le vrai pasteur de son troupeau », « l’intendant de la maison de Dieu » (héveneau). Le curé tient de lui son autorité. tout se complique dans les rapports avec le chapitre cathédral, le vicaire général, l’oicial et plus encore avec les doyens et les archidiacres. Le curé entretient des relations avec les vicaires et les prêtres habitués qui, sous son autorité, participent à l’administration des sacrements et à la célébration du culte divin. ces relations commencent dès la nomination du curé (i), se retrouvent dans les rapports d’autorité (ii) et ceux, plus nombreux, de collaboration et de concurrence (iii).

i. — La nomination des curés qu’est-ce qu’un curé ? Les juristes se plaisent à le déinir : le curé est d’abord un pasteur, chargé d’instruire les âmes qui lui sont coniées, d’administrer les

Gérard et marguerite sautel, « une association de curés contre leur évêque à la in de l’ancien régime », dans Nonagesimo anno. Mélanges en hommage à Jean Gaudemet, paris, 1999, p. 196-201. 7. Voir dans le présent ouvrage la contribution de Brigitte Basdevant-Gaudemet, « La nature canonique des charges exercées par l’évêque et ses auxiliaires du droit classique au code de 1917 », p. 115-131.

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sacrements ; il exerce sa juridiction sur un territoire déterminé, la paroisse8. Jousse le qualiie de « seul maître de tout ce qui concerne le spirituel des paroisses »9 ; Durand de maillane en fait également un chef, un médecin et le dépositaire de l’âme de ses paroissiens10. Le curé reçoit sa charge pastorale, sa « mission canonique », de l’évêque du diocèse, « le vrai pasteur de son troupeau ». c’est entre ses mains ou celles d’un vicaire général qu’il a obligation de faire sa profession de foi11. ces fonctions requièrent des qualités que certains jugent exceptionnelles : « il faut des qualités pour cet emploi et cette fonction qui ne se rencontrent pas à tous ceux qui veulent entrer dans l’église »12 ; on en fait même l’ars artium13. elles tiennent pour l’essentiel à l’âge, aux mœurs et à la science. nous parlerons peu des mœurs. Les juristes y font cependant référence : Durand de maillane rappelle que le candidat à une cure doit être « recommandable par les vertus »14. Le premier devoir du curé est de prêcher d’exemple15. L’évêque qui nomme les curés doit veiller à « leurs vertus » et au comportement général qui, selon Jousse, doit être tel « qu’on n’aperçoive rien que de grave, de modéré et de saint dans leur maintien, dans leur démarche et dans leurs discours »16. L’âge du futur curé retient davantage l’attention. il a varié tout au long de l’ancien régime et a suscité de nombreux débats. il fallait, en principe, avoir l’âge de recevoir la prêtrise : 25 ans, ou être au moins dans l’année de sa réception. mais devait-on compter les années révolues ou l’année commencée ? Les collateurs, pour favoriser leurs candidats, avançaient l’âge requis. De jeunes clercs de 22 et 23 ans17 étaient pourvus d’une cure qui n’était donc pas desservie par 8. potier de La Germondaye, Introduction au gouvernement des paroisses suivant la juridiction du parlement de Bretagne, rennes, 1777, p. 10 ; Daniel Jousse, Traité du gouvernement spirituel et temporel des paroisses, paris, 1774, p. 239. 9. D. Jousse, Traité du gouvernement…, p. 6. 10. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° paroisse, p. 424 ; adam héveneau parle de « petits évêques ». plus modestement, d’autres rappellent que dans ses fonctions propres, le curé « tient la place de l’évêque ». 11. concile de trente, sess. 24, can. 12, rappelé notamment par G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° profession de foi, p. 115-116. 12. [François-claude Des maisons,] Les déinitions du droit canon, paris, 1668, 3 t., t. ii p. 668. 13. Abrégé des principaux devoirs d’un curé, s.  l., 1755, p.  40  : l’expression se retrouve chez p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, v° paroisse. 14. pour Du rousseau de La combe, « les ecclésiastiques sont la bonne odeur de Jésus-christ » : Recueil de jurisprudence…, v° Visa, p. 236. 15. « J’estime même que la prédication de l’exemple fait beaucoup plus d’efet sur les esprits des paroissiens, pour les exciter à travailler à leur salut que les paroles prononcées dans une chaire », Les déinitions du droit canon, t. ii, p. 669. 16. D. Jousse, Traité du gouvernement…, p. 293. 17. on rencontrait ainsi des curés de 22 ans en Bretagne. cependant, un arrêt de parlement de Bretagne du 17 juin 1608 a jugé que celui qui est nommé à 22 ans et 8 mois est incapable d’être promu aux ordres, sébastien Frain, Arrêts du parlement de Bretagne, revus et augmentés par hévin,

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un prêtre. quelques-uns se faisaient même susciter des procès pour reculer la réception du sacrement. le but, à peine avoué, étant de percevoir les fruits sans supporter les charges. rome est, pour certains, responsable de ces promotions trop jeunes18. les canonistes sont généralement hostiles aux promotions trop jeunes : « il serait à souhaiter que les cures ne fussent données qu’à des personnes à qui un plus grand âge aurait acquis plus de prudence et de retenue »19. La déclaration du 13 janvier 1742, après les plaintes du clergé de 1740, pour mettre un terme aux abus et aux discussions, ordonne que désormais les cures et bénéices à charge d’âmes ne pourraient être pourvues que par un ecclésiastique constitué dans l’ordre de la prêtrise et âgé de 25 ans accomplis, à peine de nullité des provisions et de vacance du bénéice. Le texte vise tous ceux dont on avait à se plaindre, les patrons et les clercs eux-mêmes20. Le candidat doit être issu d’une naissance légitime dont seul le pape peut le dispenser ; être français21, savoir parler la langue de ses paroissiens22. par-dessus tout, il doit être suisamment instruit à défaut d’être savant : « rien n’est en efet plus opposé à l’état et aux devoirs d’un curé établi pour éclairer et conduire, que l’ignorance qui, le rendant aveugle, le précipite lui et son troupeau dans la fosse »23. c’est une préoccupation générale, de nommer dans les paroisses des prêtres capables d’exercer la fonction. Le concile de trente l’avait airmé, conciles rennes, 1684, p. 32 ; et de 23 ans en normandie, âge retenu par quelques arrêts du parlement de paris, 25 janv. 1662, 16 janv. 1683. sur cette question, G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° curés, p. 167. 18. Denis talon faisait une distinction entre les pourvus par l’ordinaire, donc vraisemblablement connus, qui pouvaient n’avoir que 23 ans et ceux pourvus par rome qui devaient être plus âgés car le plus souvent inconnus dans le diocèse : « à rome, on donne les bénéices aux plus avides et non aux plus habiles parce qu’on n’y connaît souvent le mérite des demandeurs que par leur empressement et leur diligence ». 19. L. Dubois, Maximes du droit canonique…, p. 135. 20. « que nul ecclésiastique ne puisse être pourvu dorénavant d’une cure ou autre bénéice à charge d’âmes, soit sur la présentation des patrons, soit en vertu de ses degrés, soit à quelque autre titre et par quelque collateur que ce soit, s’il n’est actuellement constitué dans l’ordre de prêtrise et s’il n’a atteint l’âge de 25 ans accompli ». 21. Depuis une ordonnance de charles Vii de mars  1431/2 ; de même une déclaration de janvier 1681 pour les curés des pays cédés après les traités de münster, des pyrénées et de nimègue. seul le roi peut accorder une dispense même après les provisions, elle a un efet rétroactif, L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, t.  ii, chap.  2, n°  19-20. Les lettres de naturalité obtenues par des ecclésiastiques étrangers imposent quelques conditions qui tiennent à la nomination, à la promesse de se soumettre aux juridictions françaises et de choisir des vicaires français, claude de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique, 2e éd., paris, 1740, v° Lettres de naturalité, t. ii, p. 143. 22. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° idiome. 23. remarque de Durand de maillane inspirée de Luc Vi, 39, Dictionnaire…, t. ii, v° paroisse, p. 425.

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et synodes locaux l’avaient repris, l’édit de 1695 venait de le rappeler24. durand de maillane résume ce que doit savoir un curé : « premièrement sur les écritures et principalement le psautier, les canons et surtout les pénitentiaires, le rituel et le missel. Le bréviaire et l’ordinaire compris sous ces mots […] Les curés doivent être instruits de tout ce qui concerne les oices et les sacrements »25. il revient à l’évêque d’examiner les candidats qui lui sont présentés. Deux possibilités sont ofertes : l’examen par l’évêque ou son délégué, ou le concours devant un jury, tel que l’a prévu le concile de trente. il n’est pas toujours facile de distinguer les deux26. Le concours a lieu pour les cures vacantes par décès dans les mois réservés à la nomination du pape27. Durand de maillane note que quelques conciles provinciaux ont adopté les dispositions du concile de trente, mais la pratique n’aurait pas duré très longtemps. en France, le concours est apparu comme un nouveau mode de pourvoir aux bénéices qui « sans produire les avantages qu’on s’en était promis, tendait à l’anéantissement des droits des patrons », mode, en outre, sujet « à bien des inconvénients »28. il en est fait encore mention dans l’ordonnance de 1629 (art. 14). à l’assemblée du clergé de 1635, les avis ont été partagés « et depuis lors, il n’en a plus été question »29. Durand de maillane paraît bien le regretter car « le concours en lui-même a une bonne in ». il subsiste dans les provinces qui ne sont pas soumises au concordat : Bretagne30, artois31, Lorraine, pays de Gex, Bugey, Valromey, une partie du roussillon32. L’examen « est un point des plus importants de la discipline ecclésiastique »33. il est imposé à tous ceux pourvus par rome avant d’obtenir le visa de l’évêque, 24. Du rousseau de La combe note que « l’esprit de l’article 2 de l’édit de 1695 est de ne mettre dans les places de l’église que des sujets qui soient capables de l’édiier par leurs mœurs et par leur doctrine », Recueil de jurisprudence…, v° Visa, p. 232. 25. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire …, t. ii, v° science, p. 710-711. 26. marc Vénard, « examen ou concours ? rélexions sur la procédure de recrutement des curés dans la France d’ancien régime », dans Société et religion en France et aux Pays-Bas, xve-xixe siècles. Mélanges en l’honneur d’Alain Lottin, arras, 2000, p. 373-388. 27. G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° concours, p. 156. 28. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. i, v° concours, p. 353. 29. Ibid., p. 353. 30. pour le concours, les candidats devaient en principe se rendre à rome. à la demande du clergé, Benoît XiV leur accorda de concourir devant les ordinaires (bulle du 1er oct. 1740). Les clercs continuèrent d’aller à rome ; les évêques sollicitèrent une déclaration du roi (11 août 1742) pour clariier la situation et régler l’examen dans le respect des droits et des particularités de la province. 31. Le concours n’était pas du goût de tous les collateurs ; le parlement de paris est intervenu, manifestant son hostilité à cette forme de recrutement, ainsi les arrêts des 12  janvier 1660 et 22 janvier 1743, voir p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. i, v° concours, p. 354. 32. Les règles particulières sont exposées dans p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, v° concours, p. 353-355. 33. G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° Visa, p. 232.

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pour vériier si le candidat est capable de tenir le bénéice conié34. l’examen incombe à l’évêque qui accorde le visa de sa propre autorité. nul n’en est dispensé ; l’impétrant doit en principe se présenter en personne35. Bien des clercs ont tenté d’y échapper. à l’issue de l’examen qui porte sur toutes les qualités du candidat, mais non sur la validité du titre, l’évêque accorde ou refuse le visa. le refus doit être motivé, il est susceptible d’appel, simple devant le supérieur hiérarchique, d’abus devant les parlements36. ce souci constant de nommer des curés instruits oblige les évêques, certains mois de l’année, à nommer des gradués des universités. ceci s’impose aux collateurs et tout particulièrement s’agissant de la nomination des curés des villes murées, « toutes les villes et bourgs qui sont considérablement peuplés soit qu’ils soient environnés de murailles, soit qu’ils ne le soient pas »37. en ce domaine, à nouveau, tout va faire diiculté. Les candidats vont soulever de nombreuses questions. peut-on être pourvu avant d’avoir obtenu le grade38 ? Les années d’études suisent-elles ou faut-il avoir acquis le degré ? à défaut de degré, peut-on s’aider d’une paisible possession ? peut-on obtenir une dispense de degré du pape ? sur cette dernière question, la réponse négative est claire ; s’agissant de la possession, la jurisprudence des parlements et l’opinion des docteurs ont varié39. ces questions, et le peu de crédit accordé aux universités au xviiie siècle, conduisent le pouvoir royal à intervenir. La déclaration du roi du 3 mai 1736 rappelle leurs obligations aux universités. une seconde du 27 avril 1745 viendra limiter le droit des gradués40 et recommandera aux patrons et aux 34. art. 12 et 13 de l’ordonnance de Blois et art. 2, 3 et 4 de l’édit de 1695. 35. La jurisprudence des parlements n’est pas unanime. 36. toutes ces questions sont minutieusement traitées par Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° Visa, p. 227-243. 37. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° Ville, p. 844. Du rousseau de La combe rapporte la déinition de Ducasse : « un lieu fort peuplé et habité par des gens mieux élevés et plus capables de pénétrer dans les mystères de notre religion que le commun du peuple qui demeure à la campagne ; et qui par conséquent, ont besoin d’un pasteur d’une capacité distinguée », Recueil de jurisprudence…, v° Ville murée, p. 177. certains juristes critiqueront non la déinition mais le bien fondé du privilège accordé aux villes ; les campagnes mériteraient aussi des prêtres instruits « d’autant que l’âme d’un pauvre paysan de la campagne est aussi précieuse devant Dieu que celles des princes du monde », adam héveneau, Commentaires sur les ordonnances contenant les diicultez meues entre les docteurs du droict canon et civil, Lyon, 1666, p. 218. 38. il faut au moins l’avoir obtenu avant la prise de possession. ainsi plusieurs arrêts du parlement de paris, 3 janvier 1698, 12 juillet 1700, 15 mars 1701, rapportés par Du rousseau de La combe. 39. sur tout cela : L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, t. ii, chap. 2, n° 14-15, plutôt assez sévère quant aux exigences ; G. Du rousseau de La combe l’est moins : Recueil de jurisprudence…, v° Ville murée, p. 175-177 ; p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, v° Ville murée. 40. elle provoquera une longue représentation de l’université, qui rappellera les droits anciens dont elle a toujours joui paisiblement, François Boutaric ; Traité des matières bénéiciales, 2 t., s. l.,

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collateurs « de préférer celui d’entre ces gradués qu’ils jugeront le plus digne par ses qualités personnelles, par ses talents et par sa bonne conduite, de remplir les dites cures ou bénéices à charge d’âmes, encore qu’il se trouve en concurrence avec des gradués plus anciens ou plus privilégiés ». Le grade universitaire ne serait plus une garantie ! ces questions nous conduisent au droit de nomination. si l’on continue d’airmer que « l’évêque est de droit commun le collateur ordinaire de tous les bénéices de son diocèse »41, il s’en faut de beaucoup qu’il dispose de toutes les cures. L’évêque, en efet, entre en concurrence avec les patrons laïques et ecclésiastiques, la cour pontiicale, les clercs eux-mêmes qui, par le moyen de la résignation, parviennent à faire, peu à peu, de la paroisse un patrimoine familial. on considère que les évêques disposent au mieux du tiers, voire du quart des cures de leur diocèse. sur ce point, il faudrait reprendre toute la politique bénéiciale42. Bornons-nous à quelques remarques. tout d’abord, la plupart des juristes constatent l’efacement du pouvoir épiscopal et le plus souvent le déplorent. Durand de maillane évoque une histoire longue et complexe43. parmi les causes, ils retiennent généralement les provisions en cour de rome, le patronage et les résignations. si les patrons laïques, héritiers des fondateurs d’église, sont relativement peu nombreux44, en revanche, l’évêque doit compter avec le chapitre cathédral et les abbayes45. or, le droit essentiel du patron est celui de présenter un candidat à l’évêque. ce droit est même la preuve du patronage46 ; il obéit à des règles précises, de temps notamment : quatre mois pour les laïques, six mois pour les ecclésiastiques, l’évêque retrouvant ses droits

1762, publie à la in du t.  ii, la déclaration du roi du 27  avril 1745 et la représentation de l’université qui voit dans cette mesure royale, une nouvelle attaque des évêques. 41. L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, t. ii, chap. 5,1. 42. Dominique Julia, « système bénéicial et carrières ecclésiastiques dans la France d’ancien régime », dans Historiens et sociologues aujourd’hui. Journées d’études annuelles de la Société française de sociologie, université de Lille 1, 14-15 juin 1984, paris, 1986, p. 79-107. 43. « De savoir comment et pourquoi les évêques étant, de droit commun et ancien, collateurs de tous les bénéices, ils ont cessé d’être tels en fait, l’histoire en serait trop longue à la suivre dans toutes ses parties », p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. i, v° collateur, p. 310. 44. cependant si l’on en croit mathias maréchal, « en normandie et en Bretagne, il y a plus de cures et bénéices en patronage laïque qu’en tout le reste du royaume » : Traité des droits honoriiques des seigneurs dans les églises, 2 t. en un vol., paris, 1726, t. i, p. 107. 45. L’université de paris en 1745 qui se plaint des mesures qui frappent les gradués, critique la part des patrons et collateurs réguliers, constate que les évêques « ne sont maîtres que de la moindre partie des bénéices à charge d’âmes », représentation de l’université précitée dans Fr. Boutaric, Traité des matières bénéiciales, t. ii. 46. « La preuve certaine du patronage est la possession de présenter à la cure sans laquelle nul ne peut se dire patron  », G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v°  Droits honoriiques, sect. 1, n° 7, p. 255.

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propter negligentiam patroni. le patron assure la présentation, il a droit à certains honneurs47 que le curé lui doit et qui peuvent être source de conlits, voire de conlits de compétence. c’est ainsi que l’obligation de donner l’eau bénite au patron, au seigneur est de la compétence du juge séculier ; la manière de la donner est de la compétence du juge d’église48. de plus, si le titre curial appartient normalement à une personne physique, quelques chapitres, abbayes et prieurés peuvent être considérés comme curés, appelés curés primitifs. le service de la paroisse est assuré par un vicaire d’abord amovible puis perpétuel (déclaration du 29 janvier 1686)49 et considéré progressivement comme le véritable curé50. présenté par le chapitre ou l’abbaye, il est pourvu par l’évêque51. L’hostilité à ces curés primitifs est générale. ils n’ont été établis que « dans un relâchement de la discipline »52, « un temps d’ignorance »53, et ne se maintiennent que par l’usage, la tradition et la faiblesse de tout le système bénéicial54. nombreux sont ceux qui parlent de leur suppression, opinion résumée par Denis simon : « tout le monde convient que s’il y avait une réforme à faire de ce qui peut blesser le bon ordre dans la hiérarchie, on abolirait les prérogatives des curés primitifs, comme contraires à la liberté ecclésiastique »55. si les curés primitifs ont obligation d’entretenir les vicaires perpétuels, ces derniers leur rendent quelques devoirs ou honneurs qui se limitent à les accueillir pour la célébration du culte aux quatre grandes fêtes de l’année et le jour du patron de la paroisse. ces jours-là, le vicaire perpétuel ne pouvait porter l’étole, « marque de supériorité et de juridiction ». si les évêques sont limités par le droit des patrons, ils le sont plus encore par les clercs eux-mêmes. aux xviie-xviiie siècles, il semble que la résignation devienne un mode normal de désignation des cures. Les canonistes le regrettent et sont, dans leur ensemble, hostiles à ce mode de nomination. ils rappellent toujours dans l’historique, que les résignations sont apparues au xive siècle, en temps de crise ; 47. Denis simon, Traité du droit de patronage, dans m. maréchal, Traité des droits honoriiques…, t. i, p. 88. 48. sur les diférents droits, Denis simon, Traité du droit de patronage, dans m. maréchal, Traité des droits honoriiques…, t. i, p. 88 et suiv. on retrouve le contentieux dans p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, v° Bancs, eau bénite, encens, pain béni. 49. renouvelée en juillet 1690 et reprise par l’édit de 1695, art. 24. 50. ainsi un arrêt du parlement de Bordeaux, 9 août 1689, abraham Lapeyrère, Décisions sommaires du Palais, Bordeaux, 1706, p. 51 no 192 ; voir également déclarations du 5 octobre 1726, 15 janvier 1731. 51. L. Dubois, Maximes du droit canonique…, p. 139. 52. Fr. Boutaric, Traité des matières bénéiciales, p. 216. 53. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, éd. 1761, t. ii, v° Vicaires perpétuels, p. 337-338. 54. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, éd. 1776, t. ii, v° curé. 55. D. simon, Traité du droit de patronage, dans m. maréchal, Traité des droits honoriiques…, t. i, p. 65.

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qu’on les a admises comme un fait établi dont on a tenté de limiter les efets56. les résignations avec réserves de pension sont plus dangereuses encore ; elles paraissent un certain traic. s’agissant plus particulièrement des cures, il faut préserver les curés grevés d’une telle pension, en particulier ceux qui sont réduits à la portion congrue : « lorsque l’on a vu dans l’église que l’usage des pensions ne pouvait cesser, on a cherché à les rendre plus tolérables »57. ainsi l’édit de juin 1671 et la déclaration du 9 décembre 1673 ont imposé quelques conditions particulières aux résignants. ils doivent, avant de résigner, avoir servi au moins quinze ans dans la paroisse ; la pension ne doit pas s’élever au-delà du tiers des revenus ; s’il s’agit d’une cure en patronage laïque, il faut le consentement du patron58. Les juristes ne nous apprennent rien sur la multiplication des résignations au xviie siècle59, que les historiens ont depuis largement mis en évidence. au point que l’on en arrive à considérer que la résignation est le mode le plus fréquent de nomination des curés, qui échappe ainsi aux évêques. non seulement les évêques ont largement perdu le droit de nommer les curés, ils ont également perdu celui de les déplacer, y compris en proposant une paroisse plus importante, ce que remarque Durand de maillane  : «  si un curé séculier refuse d’accepter une cure plus considérable, on ne peut l’y contraindre. il est vrai qu’il y a longtemps que les évêques ne sont plus dans l’usage d’exercer dans ces occasions, leur autorité  »60. opinion isolée d’un juriste critique ou pratique généralisée qui pourrait conirmer la stabilité des curés d’ancien régime61.

ii. — Les rapports d’autorité entre le curé et ses supérieurs une fois nommé, le curé possède des pouvoirs propres dans sa paroisse ; il est obligé à certains devoirs. Jousse déinit le fondement et le contenu de ces pouvoirs62, qui peuvent se ramener à trois : instruire, administrer les sacrements et assurer le culte et gérer la paroisse. Le curé exerce ses diférents pouvoirs « en

56. « Depuis que les résignations en faveur sont tellement en usage, qu’on ne pense plus à les regarder comme contraires aux bonnes règles » note p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, éd. 1761, t. ii, v° résignation, p. 686. 57. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, éd. 1776, t. V, v° pension, p. 467. 58. Ibid., p. 467 et suiv. et L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, ii, chap. 16, no 9 et 10. 59. ils notent cependant un certain nombre de procès mais entre résignants et résignataires. 60. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° paroisse, p. 429. 61. c’est ce que notent certains historiens, voir Frédéric challet, «  qui sont les curés de paroisse ? La génération du début de l’épiscopat de massilon », dans Les gens d’église en Auvergne aux xviie et xviiie siècles, Revue d’Auvergne, n° 544-545, 1997, p. 219-231. 62. D. Jousse, Commentaire sur l’édit…, p. 67.

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vertu de son titre », il le fait sous le contrôle de l’évêque, qui veillera également au respect des obligations auxquelles il est tenu, dont la principale est la résidence. Le curé est tenu de résider dans sa paroisse (concile de trente, sess. Vi, can. 2, et sess. 23, can. 1, repris par les ordonnances d’orléans et de Blois), il « ne doit jamais abandonner un jour ni une nuit tout entière sa paroisse, comme un bon pasteur son troupeau »63. il peut cependant obtenir de son évêque une dispense qui ne doit pas excéder deux mois, sauf cause grave. Les causes graves et légitimes sont laissées à l’appréciation de l’ordinaire, mais le refus peut être soumis à l’appel simple ou comme d’abus64. Du rousseau de La combe, reprenant le concile de trente, justiie cette obligation par les devoirs imposés aux curés qui « doivent rompre au peuple le pain de la parole de Dieu, édiier par leur bon exemple, visiter les malades, administrer les sacrements »65. quelles sanctions l’évêque peut-il inliger au curé non résident ? après les admonestations d’usage l’obligeant à regagner, sous délai raisonnable, sa paroisse, on pouvait concevoir la perte des fruits voire la privation du bénéice. avant l’édit de 1695, les pouvoirs de l’évêque étaient limités, les ordonnances d’orléans et de Blois ne portaient pas de privation du bénéice. La décision de l’évêque qui l’aurait ordonnée pouvait être frappée d’abus66. on avait cependant admis que le pouvoir séculier pouvait saisir le temporel du curé non résident après en avoir informé l’évêque67. L’édit de 1695 prévoit les sanctions que l’on peut inliger au non résident, qui vont de la perte d’une partie des fruits du bénéice à sa privation (art. 23). c’est lors de la visite épiscopale que s’efectue la surveillance de l’évêque et qu’il peut inliger les éventuelles sanctions. « Le droit ou plutôt le devoir de visite auquel les évêques sont obligés, est une des matières des plus vastes du droit canonique » (Du rousseau de La combe). tous les juristes en conviennent et consacrent à la procédure, aux droits de l’évêque, aux obligations des curés, de larges développements. Le concile de trente (sess. 6, can. 4 ; sess. 14, can. 4), l’ordonnance d’orléans (art. 6), l’édit de 1695 (art. 13 et suiv.), la déclaration du 15 décembre 1698 en précisent obligation, exercice et éventuelles sanctions. tous les clercs séculiers et réguliers sont soumis à la visite de l’évêque, qui possède les 63. Les déinitions du droit canonique, t. iii, p. 681. 64. D. Jousse, Commentaire sur l’édit…, p. 158-159. 65. G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° résidence des curés, sect. iii, n° 10. 66. ainsi un arrêt du parlement de toulouse du 8 avril 1641 rendu contre l’évêque d’albi qui, après une deuxième ordonnance adressée au curé, ne le trouvant pas lors de sa visite, l’avait privé de son bénéice. La cour a statué en faveur du curé, contre l’avis des gens du roi. ; Jean albert, Arrests de la cour du parlement de Toulouse, nouv. éd., toulouse, 1731. Voir également un arrêt du parlement de Dijon, 28 juil. 1648 ; charles Févret, Traité de l’abus, Dijon, 1653, liv. iii, chap. 1, p. 241. 67. arrêt du parlement de Dijon, 11 déc. 1623 ; c. Févret, Traité de l’abus, p. 240.

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pouvoirs les plus étendus. l’édit de 1695 rappelle que les évêques « donneront tous les ordres qu’ils estimeront nécessaires pour la célébration et l’administration des sacrements et la bonne conduite des curés et autres ecclésiastiques séculiers et réguliers qui desservent lesdites paroisses » (art. 16). toute l’administration de la paroisse est ainsi soumise au contrôle de l’évêque. Le curé, en outre, doit acquitter un droit de procuration pour l’entretien du prélat visiteur et de sa suite. Le paiement peut être efectué en nature ou en argent. même les paroisses les plus pauvres y sont tenues68. Les évêques veilleront cependant à ne pas écraser les paroisses de charges trop lourdes. L’évêque visite sur les lieux mêmes de la paroisse. il ne peut, pour sa propre commodité, convoquer l’ensemble des curés d’un doyenné en un autre lieu69. en cas de conlit, les cours séculières sont compétentes. tous sont d’accord sur ces principes. La question se complique lorsque l’on aborde les limites des pouvoirs de l’évêque pendant la visite. quelle est l’étendue de son pouvoir de sanction ? au milieu du xviiie siècle, Du rousseau de La combe, qui emprunte ses propos au chapitre 10 de l’évangile de Jean sur le Bon pasteur, considère que pendant sa visite, l’évêque doit se comporter en père, pas en juge70. sans doute, mais cela ne résout par la question juridique. il semble que la jurisprudence ait évolué, les décisions comme les auteurs ne sont pas unanimes. La question qui fait diiculté est la suivante : au cours de sa visite, l’évêque peut-il condamner un curé ? Le parlement de toulouse l’avait admis pour l’évêque de cahors concernant deux curés de son diocèse : « tout de même que la cour ne soufre pas que les évêques attentent sur la juridiction séculière, aussi, elle ne permet pas que sous ce prétexte, les prêtres qui ne vivent pas comme ils doivent, demeurent dans l’impunité »71. à la in du xviie siècle, le parlement d’aix juge le contraire (26 fév. 1693). Le parlement de paris avait alors permis aux évêques de condamner les curés qui ne remplissaient pas dignement leur fonction à se retirer dans un séminaire (28 nov. 1689 ; 15 juil. 1693). La déclaration royale du 15 décembre 1698 généralise cette mesure, limitant le séjour à trois mois. aussitôt une nouvelle question se pose : l’évêque, au cours de la visite, peut-il au moins commencer une procédure contentieuse pour préserver les preuves ? héricourt penche pour l’airmation, Du perray pour la négative, Du rousseau de La combe n’a pas d’opinion tranchée. Jousse, après un arrêt de la tournelle du 19 février 1724 contre l’évêque de chartres, est très net : « l’évêque ne peut 68. arrêt du parlement de paris du 30 août 1678 ; Mémoires du clergé, t. ii, col. 1828. 69. arrêt du parlement de Bretagne, 16 juil. 1661 ; s. Frain, Arrêts du Parlement de Bretagne…, p. 20-21 70. G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° Visite, p. 251. 71. J. albert, Arrests de la cour du parlement de Toulouse, p. 198, 20 et 22 mars 1640.

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recevoir une plainte, ni commencer une procédure dans le cours de sa visite ». on l’aura compris, c’est moins des relations curés-évêques qu’il s’agit que d’un conlit de compétences jugé autrement important, même s’il participe d’un certain déclin de l’autorité épiscopale. nous l’avons dit, la hiérarchie diocésaine est complexe. si le curé dépend au premier chef de son évêque, il doit compter aussi avec les doyens et les archidiacres. Les doyens ruraux, confondus assez souvent avec les archiprêtres72, qualiiés parfois de « doyens de chrétienté »73, sont des prêtres nommés par l’évêque74 à la tête d’une circonscription regroupant plusieurs paroisses. Leur principale fonction est, selon de héricourt, de « veiller sur les curés de leur doyenné et de rendre compte à l’évêque de leur conduite ». Du rousseau de La combe leur reconnaît « une espèce d’inspection sur les curés de leur doyenné, pour avertir l’évêque de la manière dont ils se conduisent, d’indiquer et de tenir des conférences ecclésiastiques chez eux »75. toujours plus favorable à l’autorité curiale, il considère que l’archiprêtre a largement perdu ses pouvoirs, mais qu’il « garde quelque prétention inancière ». Les relations avec les archidiacres sont plus nombreuses et plus importantes. L’archidiacre demeure, en principe, « le vicaire, l’œil de l’évêque »76. La réalité est bien diférente ; on assiste plutôt au lent déclin de sa fonction. si de héricourt maintient encore une certaine valeur à la charge, Du perray considère que sa juridiction, depuis l’édit de 1695, est « imparfaite et limitée ». pour Durand de maillane, il n’y a plus de règle générale, leur rôle dépend des usages locaux. ce qui ne les grandit pas77. malgré tout, on reconnaît aux archidiacres quelques pouvoirs sur les curés ; ils président à leur « intronisation »78, ils visitent les paroisses au nom de l’évêque ;

72. Durand de maillane assimile les deux, de héricourt préfère parler de doyens ruraux. 73. c’est l’expression réservée en normandie à ceux qui exercent leur fonction à la ville par opposition aux « doyens ruraux » pour la campagne ; routier, juriste normand, les qualiie de « curés d’autres curés ». 74. Dans la plupart des diocèses, les doyens sont présentés par l’archidiacre, dans d’autres ils sont élus par les curés et présentés à l’évêque, dans d’autres enin, l’évêque les nomme seul ; L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, t. i, chap. 3, n° 20. 75. G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v°  Doyens ruraux. L’idée d’inspection est reprise par Durand de maillane. 76. L’expression, reprise du concile de trente, se retrouve chez la plupart des juristes. Jean-Louis Brunet en fait également « la main, la bouche, le cœur et l’âme de l’évêque » : Le parfait notaire apostolique, 2e éd. par p.-t. Durand de maillane, Lyon, 1775, 2 t., t. i, p. 641. 77. « en France, l’usage et la possession sont la seule règle à consulter pour connaître les droits des diférents archidiacres », p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. i, v° archidiacres, p. 117. 78. quelques archidiacres perçoivent à l’occasion un droit, notamment celui de sens. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° intronisation, qui renvoie à « entrée » ; D. Jousse, Commentaire sur l’édit…, t. i, p. 95.

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quelques-uns prétendent au droit de dépouille des curés79. seule la visite garde quelqu’intérêt. les ordonnances d’orléans de 1606 et l’édit de 1695 maintiennent en faveur des archidiacres le droit de visiter les paroisses là où les évêques « ne pourront aller en personne ». Le Grand conseil et les parlements interviennent soit pour homologuer les règlements entre évêques et archidiacres, soit pour mettre in à des diférends qui opposent les autorités diocésaines aux réguliers qui détiennent des paroisses et contestent le principe même de la visite. Les Mémoires du clergé sont pleins de ces décisions80. avec les curés séculiers, ce sont des questions de préséances qui encombrent les tribunaux. ainsi une très longue afaire soulevée par les curés d’orgeval et de chambourcy contre l’archidiacre de pincerais au diocèse de chartres, qui entendaient conserver leur étole pendant la visite parce que « c’est la marque de leur caractère ». L’archidiacre leur conteste ce droit. Le parlement se gardera d’élaborer un statut général, décidera en l’espèce que le curé ne portera pas l’étole, restera debout et découvert, l’archidiacre assis et couvert81. Les archidiacres prétendent également percevoir les fruits des paroisses de leur archidiaconé pendant la vacance ou en cas de litige. Le parlement l’a admis par un certain nombre de décisions, y compris à l’égard de paroisses dépendant des réguliers82. L’argument invoqué par les archidiacres est essentiellement inancier. ils n’ont pas de revenus propres, s’ils ne disposent pas de ce droit, ils n’ont rien d’autre, or il « faut maintenir leur dignité »83. tout cela ne fait pas très sérieux, mais manifeste que l’argent et les vanités demeurent d’importants ressorts des relations à l’intérieur de la hiérarchie diocésaine. 79. un arrêt du parlement de paris, en faveur de l’archidiacre de Josas, du 20  juillet 1684, l’a autorisé à prendre le meilleur lit, la meilleure robe… et le cheval. Le 18 mai 1711, le même parlement a jugé que les archidiacres étaient préférés aux créanciers. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. i, v° Dépouille. 80. t. ii, p. 1770 et suiv. aussi un arrêt du parlement de Dijon du 24 janvier 1620 pour des paroisses dépendant du commandeur de l’ordre de saint-Jean de Jérusalem ; une sentence arbitrale de juin 1650 en faveur de l’archidiacre du mont-saint-michel contre l’abbé et le curé. 81. parlement de paris, 3 juillet 1674, Mémoires du clergé, t. ii, col. 1814 et suiv. Févret rapporte un arrêt du parlement de rouen rendu en faveur des curés, mais cassé par le Grand conseil le 22 février 1627. L’archidiacre n’avait pas comparu à rouen, l’arrêt avait été prononcé par défaut, Traité de l’abus, liv. iii, chap. 2, p. 266-267. 82. ainsi pour le diocèse du mans (parlement de paris, 3 sept. 1605) ; en faveur de l’archidiacre de chartres (26 août 1651) ; contre les prémontrés (17 déc. 1652) et en faveur de l’archidiacre de soissons ; pour l’archidiacre de Josas (20 juil. 1684). Mémoires du clergé, t. ii, col. 1838 et suiv. en normandie, le droit de déport existe au proit des grands vicaires « à la charge pendant cette année de faire desservir ladite cure par un prêtre idoine et de faire faire les réparations urgentes », c.. de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique, t. i, v° Déport, p. 500. 83. c’est l’argument invoqué par Brignon, pour l’archidiacre de soissons ; l’avocat des curés de l’ordre des prémontrés rappelait cependant que ce droit, assimilé aux annates réprouvées par le concile de Bâle, est « odieux et abusif » et que « ce n’est point aux curés de leur archidiaconé de les nourrir, mais l’évêque puisqu’ils sont à sa charge », Mémoires du clergé, t. ii, col. 1849.

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iii. — rapports de collaboration et de concurrence en considérant le curé comme le centre de la hiérarchie diocésaine, nous devons réserver une place aux rapports qu’il entretient avec ceux qui collaborent avec lui, ou plus généralement, participent de quelque manière à l’administration des sacrements et à la célébration du culte divin dans la paroisse. la collaboration est souvent proche de la concurrence. au premier chef, il faut mentionner les vicaires « ecclésiastiques auxquels les évêques accordent des lettres de vicariat pour aider les curés »84. on parle de « coopérateur », d’« aide », voire de « secours » du curé85. il prendra assez tôt le titre de « secondaire ». Le concile de trente prévoyant que, dans toutes les paroisses où le peuple était si nombreux que le curé seul ne pouvait suire, le curé pouvait s’adjoindre autant de prêtres nécessaires à la célébration du culte divin et à l’administration des sacrements (sess. 21, can. 4). L’opportunité de la décision appartenait à l’évêque, la nomination semblait relever du curé. si l’évêque est le seul juge de la nécessité de donner des vicaires aux curés86, la nomination va soulever quelques diicultés. Dans la pratique en France, celle-ci va passer à l’ordinaire avec le consentement du curé. une déclaration du 29 janvier 1686 le conirme expressément ; les évêques peuvent établir dans les paroisses un ou plusieurs vicaires « autant qu’ils l’estimeront nécessaire ». Le consentement du pasteur est essentiel. Le Grand conseil a jugé contre l’évêque d’amiens qu’il ne pouvait nommer un vicaire sans avoir entendu le curé et sans la réquisition des habitants87. cela paraît aller de soi pour Du rousseau de La combe pour qui, le vicaire « est l’homme du curé, c’est un autre lui-même ». selon Jousse, seule la négligence du curé pourrait en dispenser l’évêque88. aussi peut-on légitimement s’interroger si l’évêque peut nommer un vicaire contre l’avis du curé invito parrocho. pour Van espen que les canonistes français citent sans le suivre, cela est impossible ; le choix du vicaire appartient au curé. Jousse, Durand de maillane, moins catégoriques, jugent ce droit de l’évêque diicile à admettre. Du rousseau de La combe, après avoir exposé toutes les opinions, tente un équilibre entre le respect dû au prélat et les droits du curé sans parvenir à trancher. D’un 84. h.-m. potier de La Germondaye, Introduction au gouvernement…, p. 23. 85. « par le mot vicaire, on entend communément un ecclésiastique qui aide le curé, et dont il remplit les fonctions en son absence ou à son défaut, et sous son autorité », D. Jousse, Traité du gouvernement…, p. 336 ; ou encore ce sont « des prêtres qui aident les curés dans leur fonction », p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, v° Vicaire. 86. Le parlement de Grenoble a jugé que l’évêque pouvait même le nommer directement lors de sa visite pastorale s’il le juge nécessaire ; il n’y a pas lieu à appel comme d’abus, 3 déc. 1665, pierre-Jacques Brillon, Dictionnaire des arrêts, nouv. éd., paris, 1727, t. V, v° Bénéices, p. 650. 87. 12 juin 1730 ; D. Jousse, Traité du gouvernement…, p. 254. 88. D. Jousse, Traité du gouvernement…, p. 253.

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côté, il admet que l’évêque nomme le vicaire laissant au curé la possibilité, s’il n’était pas satisfait de la nomination, de s’adresser à « l’évêque qui ne pourra pas s’empêcher d’y avoir égard, étant présumé ne désirer rien tant que l’ordre et la paix »89. Dans le même temps, il ne conçoit pas que l’évêque puisse donner un vicaire à un curé contre son consentement : « il paraît raisonnable qu’un curé, dont l’établissement est le droit divin, ne puisse pas être forcé de partager ses fonctions, et de donner sa coniance à une personne qui ne lui convient pas »90. L’évêque, en outre, ne perdrait rien de son autorité. Brillon rapporte une afaire plaidée devant la Grande chambre au parlement de paris en mars 1722 contre le neveu de Bossuet, évêque de troyes. L’avocat général Gilbert aurait plaidé deux heures et demie en soutenant le droit des curés. sans succès. Brillon note à ce propos qu’« il y a une bienséance à observer avec le prélat »91. rien ne paraît très assuré. Les opinions ne sont guère plus concordantes s’agissant du renvoi du vicaire. Van espen est toujours aussi catégorique, seul le curé peut renvoyer le vicaire qui ne lui convient plus. Durand de maillane considère que ce serait donner trop d’autorité aux curés sur les vicaires, « à qui il faudrait demander s’ils n’aiment pas mieux travailler dans la dépendance de leur évêque qui les protège, que dans celle des curés qui ne les respectent pas toujours assez »92. cette dernière remarque cache-t-elle quelques conlits entre curés et vicaires ? Du rousseau de La combe reconnaît à « l’évêque le droit d’approuver ou de retirer les pouvoirs des ouvriers qui travaillent dans son diocèse »93, mais espère que l’on pourra éviter le conlit entre l’évêque et le curé car « on ne doit pas présumer de la charité d’un évêque qu’il afecte sans motif raisonnable d’ôter les pouvoirs à tous ceux que le curé choisira »94. Ducasse, vicaire général de condom, a sur la nomination des vicaires des remarques qui sont certainement le fruit de son expérience. il conseille le discernement dans le choix et notamment en fonction de la personnalité du curé et surtout de se garder de nommer un vicaire à tout prix : « il est plus utile aux paroisses de n’en avoir point que d’en avoir d’ignorants et de scandaleux »95. Le vicaire exerce ses fonctions auprès du curé et sous son autorité. assez souvent dans les vastes paroisses rurales, il est placé à la tête d’une succursale, créée dans l’église ou la chapelle d’un hameau ou d’un groupe d’habitants éloignés de

89. G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° curés, p. 174. 90. Ibid., p. 175. 91. p.-J. Brillon, Dictionnaire des arrêts, t. Vi, p. 854 92. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° Vicaire, p. 837. 93. G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, p. 174. 94. Ibid., p. 175. 95. François Ducasse, La pratique de la juridiction ecclésiastique, volontaire, gratieuse et contentieuse…, toulouse, 1706, p. 150.

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la paroisse « pour la commodité des habitants »96. Le rôle que joue le vicaire dans la succursale de la paroisse peut être également une source de diicultés dans la mesure où s’il dépend toujours du curé, il jouit d’une certaine indépendance. sa position éloignée peut faire naître l’ambition de devenir curé et de faire ériger la succursale en paroisse. il invoque alors la négligence du curé, quand seul l’appât du proit le guide. c’est en tout cas l’opinion de Brunet97. avec les « prêtres habitués » résidant sur le territoire de la paroisse, les relations ne sont pas toujours bonnes, les occasions de conlit fréquentes. retenons qu’il s’agit d’une « catégorie mal déinie » mais fort nombreuse98 que justiie, le plus souvent, la célébration des messes pour les défunts. La plupart d’entre eux sont indépendants de toute autorité ; leur nomination échappe souvent aux curés. ils se regroupent en communautés de prêtres qui inissent par former une espèce de contre-pouvoir. ils célèbrent des messes, généralement dans des chapelles et en viennent parfois à « conisquer » les messes pour les défunts. mais c’est avec les réguliers que les rapports sont les plus tendus. si l’on a pu noter parfois de bons rapports de collaboration souvent imposés par la nécessité – le clergé séculier étant moins nombreux et moins bien formé99 – dans la plupart des cas, ce sont les conlits que l’on retient. ils afectent essentiellement le culte et l’administration des sacrements. La messe paroissiale est essentielle. il est rappelé « qu’aucun exercice public de religion ne devait concourir dans une paroisse avec le prône et la messe paroissiale »100. il appartient aux communautés religieuses d’adapter leurs horaires. Le curé administre les sacrements ; les paroissiens ont obligation de les recevoir dans l’église paroissiale. Les enfants sont baptisés dans la paroisse par le curé ou celui qu’il délègue ; « l’administration du baptême est un droit paroissial »101. ils y font également leur première communion. Le parlement de paris a condamné l’évêque d’auxerre qui avait autorisé les jésuites en mission dans le diocèse à faire faire la première communion à des paroissiens hors de leur paroisse. rappelant que si l’évêque peut exercer dans les paroisses de son diocèse toutes les fonctions curiales, il ne peut, en revanche, jamais les déléguer102. 96. La procédure de création d’une succursale est beaucoup plus souple que l’érection d’une nouvelle paroisse décrite par p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° paroisse. 97. J.-L. Brunet, Le parfait notaire apostolique, t. ii, p. 62. 98. Yves Durand, « Les prêtres habitués en France aux xviie et xviiie siècles », dans Combattre, gouverner, écrire. études réunies en l’honneur de Jean Chagniot, paris, 2003, p. 371-384. 99. Dominique Dinet, Religion et société. Les réguliers et la vie religieuse dans les diocèses d’Auxerre, Langres et Dijon (in xvie - in xviiie siècles), paris, 1999, t. ii, p. 665-694. 100. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° messe, p. 231. 101. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. i, v° Baptême, p. 165. L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, t. iii, chap. 1, n° 9. 102. parlement de paris, 18 mai 1756. D. Jousse, Traité du gouvernement…, p. 262-265.

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c’est également dans sa paroisse que l’on se marie, devant son propre curé. tout cela est connu, les juristes ne font que le rappeler au titre des devoirs et des droits des curés. quelques diicultés naissent à propos de la confession. le concile de trente (sess. 14), qui renvoie sur ce point au concile de Latran (1215), impose à tout chrétien de se confesser une fois l’an à son propre curé ou à celui qui en a reçu la permission. ainsi celui qui veut se confesser à un autre que son propre curé, durant le temps pascal, doit avoir obtenu permission de l’évêque ou du grand vicaire103. peut-on se confesser à n’importe quel prêtre, à un religieux ? en pratique, il s’agit de tout prêtre avec la permission du curé. ces derniers accordaient des permissions générales que le parlement de paris a condamnées104. D’après Durand de maillane, il s’agirait d’une décision isolée et la liberté domine. La seule exigence retenue est la confession au temps pascal dans la paroisse. L’obligation vise essentiellement à limiter l’inluence du religieux. toutefois, Jousse considère que l’on ne devrait jamais empêcher un paroissien de se confesser à un autre prêtre approuvé ; certains motifs peuvent conduire quelques-uns à le préférer. il évoque la honte d’avouer ses péchés au curé que l’on connaît : « c’est pourquoi un curé sage et charitable ne doit jamais refuser de permettre de se confesser à d’autres qu’à lui »105. sans être un sacrement, la sépulture est étroitement liée aux devoirs et obligations des curés. elle oppose assez souvent les curés et les communautés religieuses. il s’agit, en efet, d’un devoir106 mais aussi d’un droit accordé à tous les curés « de faire ensevelir tous leurs paroissiens dans l’église ou le cimetière de la paroisse »107. celui qui meurt ab intestat est en principe enterré dans l’église paroissiale. toutefois, la liberté de choix du lieu de sépulture est entière pour le idèle, celle-ci doit être exprimée par testament108 ; elle s’exerce généralement au proit d’une maison

103. L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, t. iii, chap. 3, n° 10. 104. un arrêt du 4 avril 1704 conirmant une ordonnance de l’évêque de chalon-sur-saône qui interdisait aux curés de donner une permission générale à leurs paroissiens de faire leur confession pascale à tout prêtre approuvé par l’ordinaire, p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t.  i, v° confessions, p. 366. 105. D. Jousse, Traité du gouvernement…, p. 279. 106. Devoir exprimé par l’avocat de l’économe de la paroisse saint-martin de marseille contre les moines de saint-Victor, Mémoires du clergé, t. iii, col. 448. 107. «  c’est au curé de conduire les corps de ses paroissiens à la sépulture et eux doivent toujours désirer d’être enterrés dans leur église paroissiale  », c. Févret, Traité de l’abus, liv.  iV, chap. 7, p. 392. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, éd. 1761, t. ii, v° sépulture, p. 727. 108. La jurisprudence n’est pas unanime. patru a longuement plaidé que la volonté exprimée à l’épouse et aux enfants pouvait suire. Œuvres diverses de Maître Patru, éd. 1732, t. i, 8e plaidoyer, p. 121-135. Du rousseau de La combe note que « les idèles doivent être inhumés à la paroisse où ils sont décédés, si autrement ils n’en ont disposé par testament » ou s’ils disposent d’une sépulture familiale. il cite un arrêt du parlement de paris du 31 mars 1631 qui aurait laissé le choix de la sépulture du défunt aux parents et une décision contraire du parlement de provence, Recueil de

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religieuse. le curé ne peut s’y opposer. il garde cependant quelques prérogatives, notamment l’heure de l’enterrement et l’itinéraire que prendra le corps pour aller de l’église paroissiale au lieu de sépulture. il conduira le corps ; il aura une part des revenus – poids de cire. tout cela est minutieusement réglé et dépend le plus souvent d’usages locaux, fréquemment sujets à contestation depuis les droits à percevoir jusqu’à la place assignée au curé dans l’église des réguliers109. comme les sépultures sont d’un bon rapport, certains curés refusent d’enterrer les paroissiens qui n’ont rien laissé à l’église. durand de maillane fait état d’une consultation insérée dans les œuvres posthumes de louis de héricourt qui stigmatise ce fait… qui ne devait pas être si rare110. la collaboration au sein de la paroisse ne s’arrête pas à l’administration des sacrements et à la célébration du culte divin. le curé doit instruire le peuple qui lui a été conié : « c’est une de leurs principales fonctions »111. au premier rang, il instruit par la prédication dont il s’acquitte par lui ou dont il conie à d’autres la charge ; selon de héricourt, en fonction de ses talents et ses occupations112. comme les curés tiennent ce devoir de leur bénéice, ils n’ont pas, dans leur paroisse, à demander une mission particulière pour l’exercer (édit 1695, art. 12). en revanche, c’est l’évêque qui nomme les prédicateurs : « le ministère de la parole est tellement propre aux évêques, que sans leur mission, personne ne peut se l’arroger »113, en particulier pour l’avent et le carême, sauf si le curé a le droit de les nommer lui-même ; il devra dans ce cas, obtenir l’approbation de l’ordinaire (édit 1695, art. 10). c’est également au curé qu’il revient de faire le catéchisme. il peut le conier à des catéchistes, qu’il nomme directement sans l’approbation de l’évêque. Le jurisprudence…, v° curés, p. 168. Jousse note à l’appui d’un arrêt du parlement de Bretagne du 19 juillet 1658 : « les idèles doivent être inhumés dans la paroisse où ils sont décédés à moins qu’ils n’en aient autrement disposé par eux, leurs parents ou héritiers », Traité du gouvernement…, p. 260. 109. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° sépulture, p. 731. 110. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° sépulture, p. 729. 111. D. Jousse, Traité du gouvernement…, p. 270 ; edme de La poix de Fréminville, Dictionnaire ou traité de la police générale, nouv. éd., paris, 1778, p. 591. 112. L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, iii, chap. 7, no 6. à propos des talents se posent, outre la capacité de se faire comprendre qui tient à la langue, les qualités personnelles qui font un prédicateur. on cite le cas de Jean de Launoy, célèbre docteur de navarre, qui aurait refusé toutes les cures, mêmes importantes, parce qu’il n’avait pas le talent de la parole. Fr. Boutaric, Traité des matières bénéiciales, p. 208. sur Jean de Launoy, les deux dernières études de Jacques Grès-Gayer, « L’aristarque de son siècle, le Dr Jean de Launoy (1601-1678) », dans Papes, princes et savants dans l’Europe moderne. Mélanges à la mémoire de Bruno Neveu, Genève, 2007, p. 269-285 et « L’électron libre du gallicanisme : Jean de Launoy (1601-1678) » dans Revue de l’histoire des religions, t. 226, juil.-sept. 2009, p. 517-543. 113. J.-L. Brunet, Le parfait notaire apostolique, p. 670. Du rousseau de La combe rappelle longuement toutes ces questions et notamment comment les religieux ont toujours essayé de se dispenser de l’approbation épiscopale, Recueil de jurisprudence…, v° prédicateur, p. 88-91.

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curé serait bien fondé à se plaindre d’un catéchisme qui serait fait hors de la paroisse114. si, au terme d’une fondation, la nomination des catéchistes est coniée aux marguilliers de la paroisse, ces derniers ne peuvent exclure le curé de leur choix et il doit être en tout état de cause appelé115. telles apparaissent quelques-unes des questions soulevées par la place du curé dans ses rapports avec celui qui le nomme, ceux auxquels il rend compte de son activité et ceux enin qui collaborent avec lui. l’ensemble est dominé, dans la France d’ancien régime, par la diversité et la complexité. les juristes rappellent les règles, mais hommes de palais, ils s’intéressent à la pratique qu’ils connaissent parfaitement et cette pratique est souvent une déviation. celle-ci se retrouve dans les deux critiques que l’on adresse le plus souvent aux clercs : l’avidité et la vanité. Les juristes portent sur l’une et l’autre un jugement sévère, les considérant, avec de bonnes raisons, comme l’origine de la plupart des conlits. quand « le devoir de leur profession », selon l’expression de simon d’olive, devrait les conduire à rechercher la paix116. ne réduisons pas les relations des curés que nous voulions mettre en évidence, aux seuls procès qu’elles engendrent. même si les sources que nous avons utilisées nous y poussent. La réalité est moins sombre. Les praticiens eux-mêmes ne se privent pas de noter qu’il ne faut jamais désespérer du comportement des hommes, s’aidant au besoin de références bibliques. Du rousseau de La combe n’y manque jamais. tout ne se réduit pas à la procédure. Louis Dubois, qui n’est pas des plus indulgents, rappelle aux curés que « leurs principales dignités et prérogatives consistent dans une parfaite union avec leurs évêques »117. pourquoi douter que certains y parviennent ? Jean-Louis Gazzaniga agrégé des facultés de droit curé de la paroisse de Grasse

114. importante consultation de dix avocats parisiens contre l’évêque d’auxerre, dans une afaire déjà citée. L’arrêt du 2 septembre 1756 lui a donné en partie raison. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, éd. 1770, v° catéchisme, p. 431. 115. arrêt du parlement de paris du 23 juillet 1706 en faveur du curé de saint-Jacques de la Boucherie, p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. i, v° catéchisme, p. 237. 116. simon d’olive, Questions notables du droit…, liv. i, chap. 28, toulouse, 1682, p. 129. 117. L. Dubois, Maximes du droit canonique…, p. 159.

Troisième section droits et Justices

le Juge d’église et la loi roYale, entre autonomie et soumission par

anne rousselet-pimont*

le juge d’église est-il soumis à la loi du roi ? oui et non, répondent les juristes et les praticiens de l’époque moderne. pour illustrer cette réponse indéterminée, des pétitions de principe en sens contraire peuvent être énoncées. retenons-en deux, choisies pour montrer l’apparente ambiguïté qu’entretient le juge d’église avec la loi monarchique. la première de ces maximes est extraite des registres du parlement de paris et date du milieu du xvie siècle. il y est dit que « les juges ecclesiastiques ne se tiennent lyés et n’observent les loix des princes temporelz »1. quant à la seconde proposition, elle est empruntée au Traité de la juridiction volontaire et contentieuse des oiciaux de Daniel Jousse. L’auteur, dont on connaît la idélité aux principes de son temps2, écrit que « les oiciaux, dans leurs sentences, ainsi que dans l’instruction des procès tant civils que criminels, sont obligés de se conformer aux loix et aux formalités établies par les ordonnances, édits et Déclarations du royaume »3. il s’agit même, selon le juriste orléanais, du premier devoir des oiciaux. cette obligation du juge d’église à se conformer à la loi royale est d’ailleurs sanctionnée, on le sait, par la procédure de l’appel comme d’abus. L’action du juge d’église est donc encadrée par deux principes a priori contradictoires : le premier, qui veut qu’il ne soit pas lié par la législation séculière ; le second qui, au contraire, le lui impose sous la menace de la procédure d’appel comme d’abus. *  Je tiens à remercier ici marie Bassano et Xavier prévost qui par leur concours lors de la préparation de cette communication ont su faciliter certaines de mes recherches. 1. an, X1a 1594, 15 juillet 1560, fol. 389. 2. Daniel Jousse (1704-1781). Un juriste au temps des Lumières, éd. corinne Leveleux-teixeira, Limoges, 2007 (ciaJ, n° 16). 3. Daniel Jousse, Traité de la juridiction volontaire et contentieuse des oiciaux et autres juges d’église tant en matière civile que criminelle, paris, 1769, p. 341.

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comment concilier ces deux exigences ? comment concilier l’autonomie du droit canonique et l’emprise, toujours plus grande à l’époque moderne, de la législation royale ? le temps, à lui seul, justiie-t-il le passage de l’autonomie à la soumission ? non, même si au cours de la période, il sert davantage la cause du droit royal que celle du droit canonique. la traditionnelle opposition entre dogme et police extérieure de l’église suit-elle à opérer une juste répartition entre compétence d’église et autorité royale ? pas totalement. il convient donc de revenir sur chacune des deux propositions énoncées et d’en préciser les fondements et la portée. et, pour commencer, intéressons-nous à la formule défendue par les canonistes.

i. — le juge d’église n’est pas lié par la loi des princes temporels le fondement de cet adage se trouve dans le Corpus juris canonici. et parmi les principaux canons avancés pour airmer la non-soumission du juge d’église à la loi civile, on doit noter ceux relevés dans les premières distinctions du décret de gratien, consacrées aux sources du droit et tout particulièrement la distinction 10. Le ton est donné dès le dictum du maître bolonais, qui pose le principe de la supériorité des constitutions ecclésiastiques sur celles des princes. suit un premier canon dans lequel le pape nicolas ier airme que les lois des empereurs s’efacent devant les lois ecclésiastiques quand elles les contredisent. « Les lois des empereurs ne sont pas au-dessus de la loi de Dieu, mais lui sont soumises ». « un jugement impérial ne peut abroger les lois ecclésiastiques ». Le pape apporte, à l’appui de son propos, deux autorités : celle d’innocent ier qui, évoquant la division des provinces par l’empereur, explique à l’évêque d’antioche que l’église de Dieu ne doit pas se conformer aux besoins changeants du monde et celle de saint Grégoire qui, à propos de la diférence entre la législation laïque et canonique relative au divorce, met en lumière la diférence entre les deux et la supériorité de la seconde sur la première. Félix iii et symmaque, dans les canons suivants, rappellent également aux princes laïques, qui voudraient imposer leurs lois à l’église, qu’ils ne peuvent empiéter sur les commandements divins et les règles évangéliques ; qu’ils doivent, au contraire, incliner la tête devant l’église au risque d’ofenser le créateur en édictant des lois qui sont de toute manière sans valeur4. cette distinction 10 est cependant mesurée, dans la mesure où elle n’écarte pas les lois des princes laïques de manière générale, mais seulement en cas de contrariété. Dans les sept canons qui composent sa seconde partie, il est, en efet, dit que les constitutions des princes temporels peuvent être dignes de révérence 4. Gratien, D. 10, c. 2, 3 et 4.

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lorsqu’elles ne sont pas contraires aux canons et qu’elles apportent un secours à l’église et à ses clercs dans les domaines qui relèvent de la compétence des princes laïques. d’autres passages du décret sont en revanche moins conciliants et c’est d’ailleurs à eux que renvoie la glose ordinaire pour conclure sous le premier canon de la distinction 10 que l’église n’est pas liée par les lois du monde et que l’empereur ne peut légiférer à propos des afaires ecclésiastiques, sauf à le faire à la demande de l’église ou si en cela il lui confère des privilèges. les principes en question se trouvent à la distinction 96, sous le long canon Bene quidem, où le pape symmaque nie la faculté des laïques à disposer à propos des choses ecclésiastiques. et c’est ensuite à la cause 33, sous l’autorité de nicolas ier, que l’on peut lire que « l’église de Dieu n’est pas astreinte aux lois du monde »5. parmi les décrétales, une place particulière doit être faite à un texte que la glose ordinaire et, à sa suite, tous les commentateurs qualiient de « fameux ». il s’agit de la décrétale Ecclesia Sanctae Mariae d’innocent iii adressée à l’évêque de trente et aux moines de saint-sylvestre. par ce texte, le pape airme que les causes ecclésiastiques ne peuvent être tranchées par des constitutions laïques, car ces lois ne lient ni la personne des clercs ni leurs biens même quand elles leur sont favorables, dès lors que l’église ne les a pas approuvées. c’est à partir de ce corpus de textes, et de quelques autres sollicités çà et là, que les canonistes ultramontains de l’époque moderne défendent le principe de la non-soumission des clercs et de leurs juges à la loi civile. on ne retiendra, à titre d’exemple, que quelques auteurs et pour commencer Lancellotti, dont les Institutes sont bien connues en France à la fois par la renommée de leur auteur, mais aussi par la traduction et le commentaire qu’en a assurés Durand de maillane au xviiie siècle. Lorsqu’il évoque la question de savoir si les constitutions civiles doivent être respectées par l’église, Lancellotti airme, de manière très générale, en mêlant certains canons de la distinction 10 du Décret aux termes de la décrétale d’innocent iii, que : « si elles n’ont rien de contraire à l’évangile, ni aux saints Décrets, on doit leur porter toute sorte de respect ; et l’église s’en sert souvent avec avantage contre les hérétiques, les tyrans et autres ennemis et persécuteurs. mais si ces constitutions ne sont pas telles, l’église n’en fait aucun cas, pas même en ce qu’elles contiennent de favorable pour elle, à moins que l’église les eût approuvées et conirmées à cet égard »6. comme le note son commentateur, « on voit ici sa doctrine sur le pouvoir des princes temporels ou plutôt sur l’autorité de leurs Lois », une doctrine qui ne prend pas le soin de distinguer les domaines 5. Gratien, c. 33, q. 2, c. 6. 6. pierre-toussaint Durand de maillane, Institutes du droit canonique et traduites en françois et adaptées aux usages présens d’Italie et de l’église Gallicane…, Lyon, 1770, t. i, p. 73-75.

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dans lesquels la loi séculière intervient (le « sujet » de ces lois), à savoir si « elles ont pour cause l’intérêt de l’état ou celui de la religion ». Lancellotti s’en tient à un simple critère personnel sans y adjoindre de critère matériel. Durand de maillane le regrette et conclut que Lancellotti « regarde toutes [les lois civiles] comme étrangères à l’église et aux ecclésiastiques ; en quoi, ajoute-t-il, il s’accorde très bien avec la constitution d’innocent iii »7. Durand de maillane accuse par ailleurs les canonistes de « renchérir » sur les textes du Corpus dans leurs explications et il cite, à l’appui de son appréciation, le cas de riccius. ce dernier, d’après l’avocat aixois, défend la maxime selon laquelle l’église et les clercs ne sont pas liés par les lois des princes temporels, dans de très nombreux cas : elle vaut à l’égard de tous les ecclésiastiques sans même en exempter les simples tonsurés ; elle vaut même quand la loi du prince est « commune et expresse » ou qu’elle comprend nommément les clercs ; elle vaut encore « nonobstant la dérogation du pape » qui « peut bien dans certaines causes particulières ordonner à quelques clercs de suivre les constitutions civiles mais ne peut imposer la même charge à tous en corps sans renverser l’ordre établi dans l’église ». il est dit aussi que la règle a « lieu pareillement pour ce qui concerne les biens ecclésiastiques ou patrimoniaux ». Les lois des princes ne doivent même pas lier les clercs « quand elles traitent des plus grands crimes, comme de lèzemajesté ». et d’une manière générale, même si elles sont favorables à l’église, les ecclésiastiques peuvent librement choisir de ne pas en user. Durand de maillane renvoie aussi, sous son commentaire de Lancellotti, aux ouvrages de prospero Fagnani, sans juger nécessaire d’entrer dans le détail de l’analyse du docteur caecus oculatissimus8. pour notre propos, il paraît pourtant utile de faire un petit détour par les Commentaria du savant docteur italien et notamment d’aller voir son commentaire de la décrétale d’innocent iii. ce commentaire couvre une petite dizaine de pages et expose la ferme position de son auteur9. Fagnani y reprend, tout d’abord, le principe posé par le texte papal à savoir que les causes ecclésiastiques ne peuvent être déinies par les constitutions 7. Ibid., t. 1, p. 74-75. on retrouve cette même situation dans le 6e tome des Institutes à propos de la partition entre juridictions ecclésiastique et séculière où Lancellotti déinit les jugements ecclésiastiques comme « ceux rendus par un Juge d’église entre des personnes ecclésiastiques » et les jugements séculiers comme « ceux que rend un Juge laïque entre des personnes séculières ». il en déduit que « comme les Loix civiles ne doivent être exécutées que par un citoyen, de même les Lois de l’église ne doivent être exercées que par les ecclésiastiques ». Durand de maillane dénonce alors à nouveau «  une acceptation trop générale  » qui ne tient pas compte du critère matériel, p. 199-201. 8. Durand de maillane évoque néanmoins rapidement les opinions de Fagnani dans son Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéiciale, Lyon, 1770, v°  constitution, t.  1, p. 696-697. 9. prospero Fagnani, Jus canonicum sive commentaria absolutissima in V. libros decretales…, cologne, 1681, t. i, p. 159-167.

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des laïques. ce principe vaut, d’après Fagnani, que la loi laïque mentionne ou ne mentionne pas les clercs ; qu’elle contienne des dispositions préjudiciables ou favorables aux clercs. si les clercs ne sont pas visés par la loi séculière défavorable, le docteur italien tient « indubitablement » qu’elle ne peut leur être appliquée. il s’agit là, d’après lui, de l’opinion commune tant des légistes que des canonistes10. Fagnani prend cependant soin de repousser, par la suite, l’opinion de Bartole, qui admet certes que les lois laïques, qui ne disposent pas nominalement au sujet des clercs et de l’église, ne peuvent avoir d’efet contre eux quand elles reviennent sur un privilège accordé, mais qui concède que ces mêmes lois peuvent être suivies in foro ecclesiastico, si aucun privilège ecclésiastique n’est en jeu et que ces lois sont « honnêtes »11. sur ce dernier point, conclut Fagnani, la pensée de Bartole est communément condamnée par les canonistes. si les lois des princes laïques ne lient pas les clercs, qu’elles leur soient ou non favorables, c’est parce que, nous dit Fagnani, ces princes soufrent d’une puissance défectueuse. c’est une incompétence ex defectu potestatis12. en efet, la puissance de statuer, précise l’auteur, dépend de la juridiction. or les églises, les personnes ecclésiastiques et leurs biens sont exemptés de la juridiction séculière. Le prince séculier n’a donc aucune autorité sur les églises et les afaires ecclésiastiques. et Fagnani de citer les termes du canon Si Imperator à la distinction 96 du Décret13 où il est dit que le prince est le ils et non le chef de l’église et qu’il doit apprendre et non enseigner ce qui appartient à l’église, discere non docere. Fagnani ajoute, ce qui appartient à l’église et à la discipline ecclésiastique14. L’église n’étant absolument pas contrainte par les lois humaines, comme le dit le canon Inter haec de la cause 3315, le canoniste italien en déduit que l’on ne doit pas appliquer les nombreuses lois intéressant l’église contenues dans le code de Justinien ni celles qui ont été prises depuis16. celles-ci n’ont aucune force coercitive à l’égard des clercs. s’ouvre néanmoins ensuite une discussion pour savoir si les clercs ne sont pas au moins tenus par la force directive des lois séculières. à en croire l’opinion de panormitain rapportée par Fagnani, il semblerait que l’argument ne puisse être retenu et que les clercs, même par honnêteté, ne soient pas tenus d’observer les lois séculières qui disposent nommément à leur sujet, lorsque la promulgation de ces lois est nulle par le défaut même d’autorité de leur auteur17. à partir d’un cas concret, Fagnani apporte cependant une réponse plus nuancée. Le cas d’espèce est le suivant : un 10. Ibid., t. i, p. 159-160, n° 2. 11. Ibid., t. i, p. 160, n° 3. 12. Ibid., t. i, p. 160-162, n° 4, 7, 17. 13. Gratien, D. 96, c. 11. 14. p. Fagnani, Jus canonicum sive commentaria…, t. i, p. 161, n° 8-9. 15. Gratien, c. 33, q. 2, c. 6. 16. p. Fagnani, Jus canonicum sive commentaria…, t. i, p. 162, n° 16-17. 17. Ibid., t. i, p. 163, n° 21.

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prince séculier a pris un édit « pour le bien public » interdisant de porter des armes ou d’en avoir chez soi. Fagnani se demande alors si un clerc pourra néanmoins porter et garder des armes en vertu de la seule autorisation de son évêque ; si les hommes du prince pourront saisir ces armes et poursuivre ceux qui les portent dans les lieux ecclésiastiques et enin, si les familiers de l’évêque pourront, de leur côté, utiliser ces armes n’importe où, en vertu de l’autorisation épiscopale. pour répondre à ces trois questions, Fagnani se livre à un long exposé dans lequel il présente diférents cas et diférentes opinions18. on peut juste relever celle du canoniste espagnol covarrubias et celle du cardinal Bellarmin, qui l’un et l’autre estiment que les clercs doivent respecter la force directive de la loi laïque, ce qui autorise, d’après covarrubias, le juge séculier à saisir les armes du clerc, mais non à prononcer contre lui une sanction même pécuniaire. quant à Bellarmin, Fagnani précise que c’est pour des motifs de sécurité publique ; pour éviter que naissent une grande confusion et une perturbation de la république, qu’il accepte que les clercs, en tant que citoyens et parties prenantes de la république tiennent compte de la loi laïque19. Fagnani conclut, pour sa part, qu’il ne faut pas donner trop d’importance aux arguments liés à la qualité de membre de la république des clercs ni aux éventuels troubles à l’ordre public et s’il reconnait que les clercs peuvent être tenus par la force directive et ex rationis dictamine, il s’oppose à ce que le juge séculier puisse saisir les armes d’un clerc. il ajoute d’ailleurs que l’opinion, sur ce point, de covarrubias est « périlleuse » et contraire tant à la liberté ecclésiastique qu’à la pratique et aux opinions les plus récentes. Fagnani poursuit d’ailleurs son propos en rappelant que l’évêque a un imperium merum dans son diocèse20 et que la raison de la loi civile ne doit pas avoir lieu quand elle est opposée aux canons21. Les concessions apportées par l’illustre docteur sont donc bien minces et la maxime selon laquelle les clercs ne sont pas liés par les lois du roi conserve toute sa force pour ce canoniste du xviie siècle. on ne s’étonnera cependant pas que ces conclusions des canonistes ultramontains n’aient pas été reçues comme telles par les juristes français.

ii. — La réception de la maxime en France au début des temps modernes, le xvie siècle ofre un panorama particulièrement intéressant, la diversité des circonstances laissant apparaître un discours 18. Ibid., t. i, p. 163-167, n° 24 et suiv. 19. Ibid., t. i, p. 163-164, n° 27 et 29. 20. Ibid., t. i, p. 164, n° 31. 21. Ibid., t. i, p. 164-165, n° 32.

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loin d’être univoque. à cette époque, certains auteurs notamment chez les canonistes se contentent d’atténuer la portée de la maxime en y introduisant quelques exceptions. dans cette catégorie, on peut citer pierre rebui qui, à la question de savoir si les statuts et les constitutions des laïques obligent les clercs et les églises, commence par répondre airmativement22. « L’église ne rejette pas servilement la loi séculière », airme-t-il, en reprenant les termes d’honorius iii23. au contraire, et toujours d’après les canons, rebui écrit que les lois « divinement promulguées par la bouche des princes » peuvent être comparées à un « temple très saint ». Le canoniste s’appuie également sur l’expérience de paul, évoquée par augustin : paul, alors qu’il était injurié par ses ennemis, n’a, en efet, pas hésité à avancer les lois civiles que sa qualité de citoyen romain lui permettait d’alléguer et rebui en conclut, avec l’évêque d’hippone, qu’on ne doit pas réprimander celui qui invoque les lois des empereurs terrestres qui lui sont secourables24. rebui cite aussi, dans son argumentaire en faveur de la soumission du juge d’église à la loi laïque, la lettre de Léon iV à l’empereur Lothaire, que l’on trouve dans la seconde partie de la distinction 10 à la suite des propos d’augustin. par cette lettre, le pape reconnaît que les lois des empereurs doivent être gardées et obéies25. pourtant, assez vite, rebui abandonne le sic pour le non. il revient alors à la première partie de la distinction 10 du Décret26 et à la décrétale Ecclesia Sanctae Mariae pour conclure, à plusieurs reprises, que les lois humaines ne s’étendent pas aux clercs. Les arguments, invoqués par rebui en ce sens, sont en partie empruntés au discours classique des canonistes ultramontains : il avance ainsi qu’aucune loi ne peut saisir ceux qui ne sont pas sujets ; qu’un supérieur ne peut pas être contraint par la loi d’un inférieur. or les législateurs laïques sont inférieurs aux clercs et à l’église27. Donc les clercs ne sont pas tenus par les lois des laïques. il s’agit là, précise-t-il, d’une irma regula28. mais, une fois le principe posé, pierre rebui accepte néanmoins d’y apporter quelques exceptions. La première n’est qu’une semi-concession et résulte de l’acceptation de la loi séculière par l’autorité ecclésiastique. si les canons approuvent les lois, les clercs doivent les suivre, mais ils n’y sont alors plus obligés par l’autorité même des lois civiles, mais par celle liée à l’approbation de l’église. c’est donc « par l’autorité des canons [que ces constitutions] tiennent lieu de lois devant le tribunal ecclésiastique ». La loi 22. pierre rebui, Commentaria in constitutiones seu ordinationes regias, Lyon, 1599, t.  i, p. 13-15. 23. X, 5, 3, 28. 24. Gratien, D. 10, c. 7. 25. Gratien, D. 10, c. 9. 26. il cite notamment Gratien, D. 10, c. 3 et 6. 27. à l’appui de cette opinion, rebui invoque l’autorité conjointe de clément iii (X, 1, 33, 4), d’innocent iii (X, 1, 33, 6) et de Grégoire iX (X, 1, 33, 16). 28. p. rebui, Commentaria…, t. i, p. 13, n° 61.

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séculière est alors appliquée par le juge d’église, non vi propria sed ratione approbationis29. rebui accepte aussi, de manière dérogatoire, que les clercs suivent les lois des princes séculiers lorsque celles-ci règlent la procédure d’un tribunal laïque devant lequel la loi canonique consent que la cause d’un clerc soit portée30. rebui considère également, et c’est une plus grande ouverture, que la règle « léchit » au sujet des biens immeubles des clercs et des actions réelles auxquels ils donnent lieu, car ces biens sont de territorio Regis et, à ce titre, ils doivent être jugés selon les constitutions du roi, ce que le docteur in utroque airme sous l’autorité notamment de Balde31. peuvent également être invoquées à l’encontre des clercs des lois civiles raisonnables et favorables qui ne contredisent pas les canons32. rebui rejoint là l’opinion de Bartole qui sera expressément écartée au siècle suivant par Fagnani. La lecture des registres du parlement de paris du xvie siècle enseigne également qu’au-delà du cercle des canonistes, la question de la soumission du juge d’église et des clercs aux lois du roi anime aussi les prises de positions des praticiens qui n’hésitent pas à s’appuyer sur le principe de l’autonomie des clercs dans des circonstances, il est vrai, assez opportunes, mais qui n’invalident pas, pour autant, la réalité de l’argument. quelques exemples tirés des archives parlementaires de cette époque illustrent ce constat. ce fut le cas lors du débat qui suivit la présentation au parlement de paris de l’ordonnance de François ier de mars 1516 sur les eaux et forêts du royaume. Le texte ne plaît pas à la cour qui dénonce, à plusieurs reprises, son caractère trop innovant et supplie le roi « soy contenter des anciennes ordonnances »33. parmi toutes les critiques adressées à cette loi, il en est une qui intéresse directement notre sujet : c’est la remontrance rédigée à propos de l’article 18 de la loi. cet article prévoyait des sanctions séculières contre les clercs qui enfreindraient la loi royale et cela pour éviter que « noz ordonnances ne soient frustratoires », précisait le roi34. à propos de ces sanctions éventuelles, la cour parisienne s’étonne. elle airme « qu’il est dangereux et semble estrange faire ordonnance sur les personnes ecclesiastiques mesmement en leur prejudice »35 traduisant là l’incertitude quant à l’autorité de la loi du roi à l’égard des clercs conformément aux leçons défendues par les canonistes. même étonnement, quelques années plus tard, dans la bouche du président charles Guillart qui, lors 29. Ibid., n° 62. 30. Ibid., n° 63-70. 31. Ibid., n° 71. 32. Ibid., n° 72-75. 33. an, X1a 1519, 11 février, fol. 58v. 34. Ordonnances des rois de France. Règne de François Ier, publiées par l’académie des sciences morales et politiques, paris, 1902-1992, t. i, n° 80, p. 354. 35. an, X1a 1519, 11 février, fol. 58v.

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de son célèbre discours tenu en présence de François ier le 24 juillet 1527, airme au roi qu’il « ne scay[t] si en droit et raison, vous pouvez faire edict et ordonnance sur ceulx qui ne sont voz subjectz »36. cette intervention qui laisse à penser, là encore, que l’autorité de la loi du roi sur les clercs du royaume, est imparfaite, doit être replacée dans son contexte. charles Guillart entend rejeter un texte modiiant le sort judicaire des causes ecclésiastiques. craignant de voir les litiges en matière bénéiciale lui échapper au proit du Grand conseil, la cour parisienne, par la bouche de son président, invoque l’impossibilité pour le roi d’user de la loi pour réformer un ordre établi par le seul consentement de l’église37. L’opposition du parlement de paris répond donc davantage à une défense ponctuelle de sa propre compétence qu’à une réfutation générale de la capacité législative du roi en matière ecclésiastique. un dernier exemple peut être encore ici évoqué : celui cité en introduction où le parlement de paris soutient que « les juges ecclesiastiques ne se tiennent lyés et n’observent les loix des princes temporelz ». on doit, là aussi, resituer cette airmation dans son contexte pour en saisir toute la portée. La cour souveraine cherche, en efet, une nouvelle fois, autant à défendre sa compétence juridictionnelle contre les empiètements envisagés par la loi du roi qu’à rappeler l’autonomie du droit canonique et de son juge. en l’espèce, il s’agissait pour les oiciers du roi de contrer l’édit de romorantin de mai 1560 qui attribuait, à nouveau, aux juges d’église la connaissance exclusive des crimes d’hérésie, ne laissant aux juges laïques que la connaissance des troubles à l’ordre public. c’était revenir sur les édits précédents qui depuis 1539 avaient associé la justice royale à la répression de l’hérésie38. pour dénoncer ce revirement, la cour rappelle, dans ses remontrances, que le roi « débiteur de justice » ne peut soufrir que ses sujets soient délaissés et abandonnés aux mains de juges non royaux ; la cour met également en avant l’incompétence notoire des juges d’église. mais surtout, et c’est ce qui nous intéresse ici, elle insiste sur le fait que les sujets seront frustrés du bénéice des édits d’apaisement pris par le roi, au lendemain de la conjuration d’amboise et qui ofraient l’amnistie pour les « crimes » d’hérésie39. si l’on applique le principe canonique selon lequel le juge d’église n’est pas lié par les lois du roi, ceux qui se sont fourvoyés dans les opinions nouvelles ne pourront plus bénéicier de la clémence royale. L’argument vient donc à point nommé pour 36. an, X1a 1530, fol. 356. 37. D’après le président Guillart, le parlement ne tient sa compétence à juger les causes bénéiciales que du consentement tacite du clergé et de l’église gallicane. aucune ordonnance écrite ne peut alors intervenir sur ce point car, ajoute-t-il, dans le cas contraire, les prélats « pourroient recourir au pape qui pourroit estre cause de susciter les anciennes querelles et questions dont n’est besoing par les exemples des choses passees ou advenues », ibid., fol. 356. 38. Voir arlette Jouanna, La France du xvie siècle. 1483-1598, paris, 2006, p. 319-321 et p. 357. 39. édit du 8 mars 1560, enregistré au parlement le 11 mars, dans a. Jouanna, La France du xvie siècle…, p. 352.

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contrer cet édit de romorantin qui représente, aux yeux des parlementaires, une atteinte à leur compétence juridictionnelle. ces airmations conjoncturelles en faveur de l’indépendance des clercs et du juge d’église à l’égard de la loi royale, même si elles renseignent sur la vigueur de la question au début de l’époque moderne, ne doivent cependant pas être tenues pour l’opinion majoritaire des praticiens français. au contraire, il est bien connu que les juristes gallicans défendent la compétence du roi à légiférer sur les afaires de l’église et à soumettre le juge ecclésiastique aux dispositions de la loi royale. pour le xvie siècle, on connaît la virulente défense de charles du moulin à ce sujet. du moulin dénonce, en efet, ceux qui persuadent le roi qu’il n’a « à cause de [sa] couronne, puissance, autorité, ne jurisdiction de statuer ou ordonner aucunement de l’estat ecclesiastique »40. au contraire, remarque-t-il, « ce n’est chose nouvelle que les rois de France aient fait loix et ordonnances touchans le fait de l’église ; principalement à in de refrener les abus et exces des ecclesiastiques, même des evesques et des papes »41, et ce faisant, les rois « n’ont fait autre chose que leur devoir »42. c’est ce principe qui s’impose, aux siècles suivants, jusqu’à ériger le droit du roi de faire des lois auxquelles les clercs doivent se conformer en « maximes certaines et incontestables »43. au xviiie siècle, Durand de maillane résume bien la position gallicane, qui est diamétralement opposée à celle défendue par Lancellotti et les siens : « on n’admet point, écrit-il, cette regle en France, que les Lois de notre souverain n’obligent, ni les ecclesiastiques, ni leurs biens, si l’église ne les approuve. ce seroit plutôt les Lois de l’église, qui dans la police extérieure n’obligeroient personne si elles ne recevoient de nos rois une autorité qu’elles n’ont point d’elles-mêmes »44 et d’invoquer l’article 10 des Libertés de l’église gallicane, d’après lequel les rois de France ont droit d’assembler des conciles dans leur royaume et de faire des lois sur les matières ecclésiastiques45. L’argumentaire des juristes gallicans, qui se ixe au xvie siècle et évolue par la suite assez peu, repose à la fois sur un constat et sur la reconnaissance d’une double qualité du monarque français. 40. charles Du moulin, Commentaire sur l’édit du roi Henri second contre les petites dates et abus de la cour de Romme, Lyon, 1564, épître dédicatoire, datée du 1er janvier 1551. 41. Ibid., préface, p. 7. 42. Ibid. Dans le même sens et à peu près à la même époque, voir aussi François Grimaudet, Commentarii ad edictum jurisdictionis judicum praesidialium, dans Œuvres, paris, 1669, p. 561. 43. Daniel Jousse, Commentaire sur l’édit du mois d’avril 1695 concernant la jurisdiction ecclésiastique, paris, 1764, p. xii 44. p.-t. Durand de maillane, Institutes du droit canonique…, t. i, p. 77. 45. pierre-toussaint Durand de maillane, Les libertez de l’église gallicane prouvées et commentées suivant l’ordre et la disposition des articles dressés par M. Pierre Pithou et sur les recueils de M. Pierre Dupuy, Lyon, 1771, t. i, p. 102 et suiv.

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le constat, c’est l’existence de lois intéressant l’église promulguées par les rois de France depuis le règne de clovis et dont certaines sont même visées dans le décret de gratien46. les juristes gallicans aiment à dresser des listes de ces lois sur lesquelles ils s’appuient pour fonder la compétence des rois de France à légiférer en matière ecclésiastique. « Le discours de l’histoire ancienne », assure ainsi charles Du moulin, est « vray tesmoin de verité »47. « il ne faut pour […] être convaincu [de la compétence royale] qu’ouvrir les histoires et y lire les sages règlements qu’ont faits nos rois en divers temps sur les matieres ecclesiastiques »48. quant à la double qualité du roi de France invoquée dans ce débat, c’est celle de protecteur de l’église et de premier magistrat politique. si le roi peut, en efet, légiférer sur les matières ecclésiastiques et lier, par sa loi, les clercs, c’est parce qu’il est le protecteur naturel de l’église. il est « conservateur et premier pilier de la religion », selon les termes de François Grimaudet49. il doit, par sa loi, donner « main-forte » à l’église et assurer l’exécution des saints décrets50. Les rois « ont été regardés comme les protecteurs de l’église et des saints canons et […] en cette qualité ils ont publié des Loix pour faire exécuter les réglemens ecclésiastiques », écrit, au siècle suivant, Louis de héricourt51. protecteur de l’église, le roi de France est aussi le premier magistrat politique du royaume et, à ce titre, ses sujets sont tenus de respecter ses lois et d’y obéir. or les clercs sont sujets du roi. ils ne forment pas « un peuple et regne separé », comme le rappelle Du moulin52. charles Févret, un siècle plus tard, tient pour un principe acquis que « l’opinion commune de tous les interpretes du droit civil et canonique [est] que les constitutions des princes faites pour le bien et utilité publique de leurs peuples, obligent non seulement les Laïques, mais aussi les

46. charles Du moulin, Conseil sur le faict du concile de Trente, paris, 1564, fol. 13v-14 : n° 34. Voir aussi le discours de François Grimaudet de 1560 rapporté par Louis régnier de La planche, Histoire de l’Estat de France tant de la République que de la religion sous le règne de François II, éd. J.-a.-c. Buchon, dans Choix de chroniques et mémoires relatifs à l’histoire de France, paris, 1875, p. 391. 47. ch. Du moulin, Commentaire sur l’édit du roi Henri second…, p. 37. 48. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique…, v° appel comme d’abus, t. i, p.  63-64. Voir aussi Louis de héricourt, Les loix ecclésiastiques de France dans leur ordre naturel et une analyse des livres du droit canonique conférez avec les usages de l’église gallicane. paris, 1771, p. 291. Voir aussi D. Jousse qui partage cette justiication par l’exemple même s’il s’en tient lui aux « loix modernes » promulguées depuis le xvie siècle, Commentaire sur l’édit du mois d’avril 1695…, p. xiv-xv ; Traité de la juridiction volontaire et contentieuse des oiciaux…, p. 401-402. 49. Discours de 1560 rapporté par L. régnier de La planche, Histoire de l’Estat de France…, p. 393. 50. rené choppin, Traité de la police ecclésiastique, dans Œuvres, paris, 1662, t. iV, p. 3. 51. L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, p. 181. 52. ch. Du moulin, Commentaire sur l’édit du roi Henri second…, épître dédicatoire.

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ecclésiastiques, comme membres du corps de l’estat et la premiere et principale partie d’iceluy ». ceux qui disent le contraire « se sont mépris », assure-t-il 53. De même, aux canonistes ultramontains qui prétendent que, par leur « vocation céleste, les clercs sont devenus les sujets de Dieu, uniquement soumis au jugement et à la puissance des ministres de l’église », Durand de maillane répond que par une « maxime authentique du droit des gens », « l’homme naît sujet dans l’état avant qu’il soit chrétien », ce qui le soumet « dès sa naissance aux Loix de sa nation »54. « on ne cesse d’être sujet pour devenir ecclésiastique ». au contraire, « on n’acquiert par là qu’un titre de plus à une parfaite obéissance aux Lois du prince »55. à l’autorité de saint ambroise, les juristes gallicans préfèrent donc celle d’optat de milève, qui airme que l’église est dans la république et non l’inverse56. Le roi en tant que magistrat politique peut donc prescrire de sa propre autorité des règles qui obligent l’église57. n’est-ce pas d’ailleurs ce que l’on peut conclure du témoignage même du christ, qui s’est soumis aux ordonnances romaines, soumission à la loi des princes qui fut, ensuite, enseignée par l’apôtre paul ? paul airme, en efet, qu’il faut que toutes âmes soient sujettes aux puissances supérieures. et les juristes gallicans se plaisent à rappeler l’analyse que saint Jean chrysostome fait de cette formule omnis anima. elle a été choisie, rappellent-ils avec l’archevêque de constantinople, pour bien signiier que personne ne peut échapper à l’autorité supérieure qu’il soit apôtre, prophète, prêtre ou moine58. c’est donc, à la fois, comme protecteur de l’église, mais aussi par sa qualité propre de magistrat politique que le roi de France peut contraindre, par sa loi, les clercs et leurs juges. Du moulin, très attaché à cet argument, précise d’ailleurs que de ce fait, le roi ne doit pas être tenu seulement pour le bras armé de l’église ; on ne peut réduire son autorité sur les clercs et les afaires ecclésiastiques à un pouvoir « subsidiaire ». Le roi n’est pas appelé « accessoirement » à intervenir en cas de négligence de l’église. il intervient à titre principal comme chef de toute justice59. 53. charles Févret, Traité de l’abus et du vrai sujet des appellations qualiiées du nom d’abus, Lyon, 1677, p. 87-88. 54. p.-t. Durand de maillane, Institutes du droit canonique…, t. i, p. 36-37. 55. Ibid., t. i, p. 77. 56. r. choppin, Traité de la police ecclésiastique…, t.  iV, p.  3-4 ; Louis Du Bois, Maximes du droit canonique de France…. Enrichie de plusieurs observations tirées des conciles et principaux points de critique de l’histoire ecclésiastique et des libertez gallicanes par Me Denis Simon, conseiller au présidial et assesseur de la mareschaussée de Beauvais, paris, 1681, t. i, p. 437. 57. L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, p. 181. 58. ch. Du moulin, Commentaire sur l’édit du roi Henri second…, p. 24 ; Jean chenu, Cent notables et singulières questions de droict decidées par arrests memorables des cours souveraines de France, partie d’iceux prononcez en Robbes rouges…, paris, 1611, p. 76 ; p.-t. Durand de maillane, Institutes du droit canonique…, t. i, p. 78-79. 59. ch. Du moulin, Commentaire sur l’édit du roi Henri second…, p. 45.

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les juristes gallicans tiennent également à contrer les propos des canonistes ultramontains en employant les mêmes armes qu’eux : l’écriture sainte, on l’a vu ; mais aussi les canons plus favorables du Décret. c’est ainsi que charles Du moulin se réfère, lui aussi, à la lettre de Léon iV, insérée dans la seconde partie de la distinction 10, par laquelle le pape s’est « expressément et humblement » reconnu sujet aux lois de l’empereur Lothaire, ils de Louis le pieux60. Dans cette lettre, Léon assure même à l’empereur que ceux qui diront le contraire devront être tenus pour des menteurs. Du moulin ne peut manquer de commenter avec délectation cette précision. il écrit alors que « cette derniere clause est fort à noter comme une censure par esprit prophetique, adjoustée pour desroger à l’ambition et usurpation des papes à venir et à la cavillation et impostures des futurs canonistes », et de citer notamment l’archidiacre et le cardinal alexandrin « lesquels, écrit-il, dans leur commentaire de ce canon, n’ont pas eu honte d’arguer ledict Leon de couardise et pusillanimité comme s’il avoit faict ladicte profession ainsi escrite par crainte »61. Le pourfendeur du concile de trente tient également à insérer dans son libelle une autre lettre du même Léon au même Lothaire dans laquelle on peut lire : « nous supplions vostre clemence, que tout ainsi que jusques à present la loy romaine (c’est à sçavoir desdicts empereurs François) a eu force et vigueur sans aucunes perturbations et qu’il n’est mémoire que pour acception de personne quelconque elle ait esté enfrainte aussi et à present qu’elle obtienne sa force et propre vigueur »62. Deux siècles plus tard, Durand de maillane entend également mettre en avant les « Décrets qui rendent hommage au juste pouvoir des princes sur [les clercs] » plutôt que les canons qui prônent leur « immunité indéinie » et qu’il tient pour « apocryphes », avant de conclure que « ce n’est que dans le moyen Âge de l’église, dans les siècles d’ignorance, qu’en cherchant à étendre la puissance des clefs au-delà de ses bornes », les clercs ont établi « comme un droit divin » de ne pas être liés par les lois des princes temporels63. Dans ce vaste argumentaire, on peut mentionner aussi le cas d’espèce invoqué par charles Févret en réponse à la casuistique canoniste. après avoir rappelé, en partant de la plus ancienne antiquité et en remontant jusqu’à l’époque contemporaine, que les princes ont le pouvoir de légiférer sur la police extérieure de l’église64, l’auteur du Traité de l’abus propose, à son tour, un exemple concret par lequel il entend prouver que les lois séculières s’imposent à tous, même aux clercs. cet exemple, Févret, qui aime faire du droit comparé, l’emprunte 60. Ibid., p. 24. ce canon se trouve au Décret de Gratien, D. 96, c. 9. 61. ch. Du moulin, Commentaire sur l’édit du roi Henri second…, p. 25. 62. Ibid., p. 25-26 63. p.-t. Durand de maillane, Institutes du droit canonique…, t. i, p. 79-80. 64. c. Févret, Traité de l’abus…, p. 48-57.

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à l’étranger : il évoque un diférend entre le cardinal Borromée, archevêque de milan et le connétable de castille, gouverneur du milanais. Le second avait pris une ordonnance interdisant de planter du riz sur des terres propres à porter du blé, du froment ou du seigle. L’archevêque prétendit que cette loi ne liait pas les clercs et « n’obligeoit que les séculiers ». il en it donc une autre qui autorisait, elle, à semer du riz dans les terres d’église. en réponse, le connétable traduisit les fermiers et laboureurs des terres ecclésiastiques devant le juge séculier pour contravention aux ordonnances, tandis que l’archevêque it publier un monitoire contre le connétable et excommunia certains oiciers du roi. après avoir invoqué l’autorité d’auteurs espagnols comme alphonso de azevedo ou Bobadilla, Févret s’appuie sur le De justitia et jure de Dominique de soto pour conclure que les clercs sont tenus d’obéir aux statuts par lesquels la juste valeur des choses est appréciée. en suivant toujours soto, il pose également cette question, qui fait écho au débat ouvert par certains auteurs autour de la valeur directive ou coactive de la loi princière : « à quoi serviraient les lois promulguées, si elles n’étaient pas accompagnées d’une force coercitive ? » et de conclure que les juges d’église qui n’appliquent pas les justes règlements politiques commettent un abus65. Deux écoles s’afrontent donc autour de la maxime « le juge d’église n’est pas lié par la loi des princes temporels » : d’un côté, des canonistes, attachés à garantir l’indépendance de l’église à l’égard du pouvoir séculier et à promouvoir la défense de l’autorité des canons et des décrétales quitte à écarter des lois séculières portant, pourtant, sur des sujets relevant incontestablement de la police du royaume ; de l’autre côté, on trouve des juristes gallicans, qui font, du roi, le garant de la liberté de l’église de France et, de sa loi, un rempart contre les pressions romaines. Les premiers font une lecture extensive de la formule, alors que les seconds ne cessent d’en limiter la portée. il est d’ailleurs possible d’apprécier l’évolution de ces frontières au travers d’un cas concret : celui de la règlementation de la procédure judiciaire, question qui intéresse au premier chef les juges d’église.

iii. — Le cas de la procédure judiciaire La procédure devant les juridictions ecclésiastiques doit-elle être réglée selon la loi royale ou selon les canons ? par laquelle de ces lois, le juge d’église est-il tenu ? La question mérite d’être soulevée car, comme le note Durand de maillane, il n’est point de matière « sur [laquelle] notre Droit François soit si souvent contraire au droit des Décrétales, que sur la matiere des jugemens et des actions »66, alors 65. Ibid., p. 87-89. 66. p.-t. Durand de maillane, Institutes du droit canonique…, t. Vi, p. 193.

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même qu’à ses débuts, la procédure française fut en grande partie inspirée par le droit canonique67. la question de savoir si les ordonnances royales régissant la procédure sont applicables ou non au juge d’église ne se pose cependant plus à partir de la seconde moitié du xviie siècle. La grande ordonnance de 1667 est claire ; l’article premier de son titre premier prévoit en efet que la présente loi et celles qui suivront devront être gardées et observées par toutes les cours de justice du royaume « tant de nous que des seigneurs et par tous nos sujets, même dans les oicialités »68. avant ce texte et, quoi qu’en disent certains auteurs qui se plaisent à souligner l’ancienneté et la continuité de cette règle69, elle n’apparaît pas évidente à tous. au début de l’époque moderne, la question de la soumission des juges d’église aux lois civiles de procédure reste l’objet d’appréciations incertaines. certains auteurs se sont, en efet, interrogés pour savoir si des lois, qui ne mentionnaient pas expressément les clercs, pouvaient être étendues à eux. et ce d’autant plus que certaines dispositions du Corpus juris canonici airmaient le contraire70. à lire les commentateurs des ordonnances royales et les arrêtistes du xvie siècle, il semble bien que des incertitudes persistent. ainsi, à propos de l’ordonnance de Villers-cotterêts, on a douté que les dispositions relatives à la manière de libeller les ajournements puissent être étendues aux juges ecclésiastiques71. La question s’est également posée à propos de l’article 54 de l’ordonnance de moulins de février 1566 qui substitue la preuve par écrit à celle par témoin pour tout contrat d’un montant supérieur à cent livres. Les juges d’église sont-ils soumis à cette exigence de la loi royale72 ? 67. L’évolution des deux procédures est clairement présentée par claude Fleury, Institution au droit ecclésiastique, paris, 1740, t. ii, p. 53-55. Voir aussi p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique…, v° procédure, t. iV, p. 144. 68. François-andré isambert, Recueil général des anciennes lois françaises…, paris, 1821-1833, t. XViii, p. 105. 69. Mémoires du clergé, t. 7, col. 647-648. Voir aussi c. Févret qui airme que « de tous temps les gens d’église se sont astreints d’observer les formes judiciaires prescrites par les Loix des empereurs et roys chrétiens », Traité de l’abus…, p. 89. c’est également l’opinion de pierre de marca, De concordia sacerdotii et imperii seu de libertatibus Ecclesiae gallicanae, paris, 1641, liv. 4, chap. 2. 70. c’est ainsi qu’est évoquée une décrétale de célestin iii insérée du titre de foro competenti par laquelle il est dit que les procès dans lesquels les clercs, étudiant ou demeurant à paris, sont parties doivent être décidés selon le droit canonique et non les dispositions des lois civiles (X, 2, 2, 9). 71. Les dispositions de l’article 16 de la loi de 1539 ne sont pas jugées opposables aux juges d’église d’après un arrêt rapporté par pierre rebui et repris par tous les commentateurs, pierre néron et étienne Girard, Recueil d’édits et d’ordonnances royaux sur le fait de la justice et autres matières les plus importantes. paris, 1720, t. i, p. 712. 72. Voir notamment Louis Le caron, Responses et décisions du droict françois conirmées par arrests des cours souveraines de ce royaume et autres, comme aussi des Conseils d’Estat et privé du Roy, et Grand Conseil, enrichies de singulières observations du droict romain, paris, 1637, liv. Xi, réponse 60, p. 555 et la jurisprudence rapportée par J. chenu, Cent notables et singulières questions de droict…, p. 75-76.

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on doit noter également l’intéressant témoignage de Jean imbert qui, dans son Enchiridion rédigé au milieu du xvie siècle, illustre bien les hésitations et les enjeux sur cette question. à propos d’un décret de citation décerné par le juge d’église, il écrit que l’exécuteur de cet acte n’a pas à tenir les formes prescrites par la loi royale parce que « la cour d’église n’est point astreinte ausdites ordonnances, quant à l’ordre et il de la procedure judiciaire ». il cite à l’appui de cette airmation le fameux canon Quod clericus du titre de foro competenti73 ainsi qu’un arrêt du parlement de paris donné, en ce sens, le 5 janvier 1543. mais, il ajoute : « toutesfois j’ay entendu par quelque Juge d’église que le procureur general du roy en la cour de parlement à paris, l’avoit menacé d’appeler comme d’abus de tout ce qui seroit fait si ledit Juge ne gardoit les ordonnances royaux, concernans la procedure criminelle. parquoy lesdits Juges d’église gardent aujourd’huy lesdites ordonnances en la façon et instruction des procez criminels et non pas le droict canon »74. Jean papon n’est pas aussi catégorique, mais ce in connaisseur de la jurisprudence du palais fait également état de la pression exercée par les juges séculiers sur les juges d’église pour les contraindre à suivre la procédure ixée par la loi royale. pour lui, rien n’est encore acquis, mais il note que les juges ecclésiastiques « commencent de suyvre ce train », à savoir celui de la procédure criminelle selon les formes laïques, ce que papon approuve75. Dans la seconde moitié du xvie, étienne pasquier se fait encore l’écho de l’autonomie des juges d’église à l’égard des lois laïques sur les formes judiciaires. « Jamais, écrit-il, nous n’entendismes forclorre les ecclesiastiques de la forme de leurs procedures pour les necessiter de suivre celles du roy, ny que les edicts que nos roys font pour les textures des procez, s’etendent aux jurisdictions et cours d’église, ains seulement quand ils contreviennent aux ordonnances qui ont esté faites sur la police et discipline de l’église en certains cas »76. c’est également l’opinion des clercs comme en atteste le règlement fait par l’assemblée du clergé, en 1605, pour ixer la procédure devant les oicialités. ce texte se veut plus proche des solutions posées par le droit séculier en la matière, mais sans être entièrement conforme aux règles prescrites par les plus récentes ordonnances royales77. 73. Voir supra n. 71. 74. Jean imbert, Enchiridion ou brief recueil du droict escrit gardé et observé ou abrogé en France, paris, 1623, p. 100-101. 75. il ajoute en efet « comme certes ils doyvent et ne pourroyent mieux faire », dans Nouvelle et cinquiesme édition du recueil d’arrest notables des cours souveraines de France par Jean Papon, conseiller du Roy et son lieutenant general au bailliage de forests, Lyon, 1568, p. 38-39. 76. étienne pasquier, Les recherches de la France, publiées sous la direction de marie-madeleine Fragonard et François roudaut. paris, 1996, liv. iii, chap. XXXiV, p. 743. 77. Le préambule de ce règlement précise que les membres de l’assemblée « ont arrêté l’ordre judiciaire et style de procéder desdites oicialités, le plus conforme qu’ils ont pu aux saints décrets,

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rien n’est donc acquis avant le milieu du xviie siècle même si l’on doit reconnaître que de plus en plus de voix portent en ce sens. ces voix développent des arguments qui sont assez classiques. c’est ainsi que pour rejeter l’autorité des règles canoniques en matière de procédure, les juristes français rappellent que les décrétales insérées dans le Corpus juris canonici, qui n’ont pas été reçues en France par les rois et l’église gallicane, n’ont aucune valeur contraignante. ces règlements « n’ont pas par eux-mêmes la force de Loix »78 et ne peuvent donc comme telles s’imposer devant les justices du royaume. est invoquée également, appliquée au cas précis des règles de procédure, la mission protectrice du roi. Le roi doit protéger ses sujets et éviter qu’ils ne soient vexés par des procédures extraordinaires ; il lui appartient donc de légiférer pour éviter de telles vexations79. mais le roi n’est pas seulement protecteur de ses sujets, il est aussi protecteur de la justice et de tous ses organes qu’ils soient ecclésiastiques ou séculiers. Le monarque doit donc, sur ce fondement également, faire des lois pour régler l’exercice de la justice d’église et ce d’autant plus que les oiciaux ne connaissent des causes contentieuses des clercs que par concession du roi quoi qu’en disent certains canonistes ultramontains80. tenant leur justice d’une concession du roi, les juges d’église sont considérés « en quelque manière » comme « oiciers du roi »81. L’argument est rappelé par de nombreux auteurs. ainsi lorsque Louis de héricourt justiie la non application en France de la décrétale de célestin iii, il avance que les juges d’église n’exercent leur justice contentieuse que « par une grâce spéciale de nos rois » et qu’à ce titre, il convient qu’ils se conforment dans leurs jugements aux ordonnances82. on peut citer encore Daniel Jousse qui rappelle que la juridiction ecclésiastique « n’est pas, à proprement parler de droit divin, mais plutôt de droit humain et politique et provenant de la concession ou permission des princes temporels »83. ordonnances royaux, et arrêts des cours de parlemens… », Mémoires du clergé, t. 7, col. 648-649 et col. 652. parmi les règles dérogatoires, on peut citer l’article 43 de ce règlement qui prévoit que « la sentence [de l’oicial] sera donnée par écrit en latin ou en françois, selon la coutume du lieu » contre les dispositions de l’ordonnance de Villers-cotterêts. par la suite, Louis Xiii uniformisera la procédure en imposant, en janvier 1629, que tous les actes des oicialités soient rédigés en français, « fors ceux qui doivent être envoyés à rome lesquels seront expédiés en latin comme de coutume » (article 27). 78. L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, p. 182-183. 79. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique…, v° procédure, t. iV, p. 144. 80. Lancellotti notamment s’oppose à cette analyse, voir p.-t. Durand de maillane, Institutes du droit canonique…, t. Vi, p. 201. 81. Voir notamment L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, p.  317 ; p.-t. Durand de maillane, Institutes du droit canonique…, t.  Vi, p.  194-195 ou id., Dictionnaire de droit canonique…, v° procédure, t. iV, p. 144. 82. L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, p. 91-92. 83. D. Jousse, Traité de la juridiction volontaire et contentieuse des oiciaux…, p. 7.

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à ces arguments généraux, tenant à l’autorité du droit canonique dans le royaume et à la justiication de la justice ecclésiastique, viennent s’ajouter d’autres considérations plus particulières. s’appuyant sur les textes, les juristes gallicans cherchent à renverser les arguments des canonistes ultramontains. c’est le cas, par exemple, de l’interprétation qu’ils donnent du chapitre Venerabilis au titre de judiciis84. ce canon est traditionnellement présenté comme ayant écarté la péremption d’instance triennale prévue par le droit romain85 dans les causes ecclésiastiques et, par là même, autorisé le juge d’église à ne pas se sentir lié par les lois séculières. or cette autorité devient, au contraire, sous la plume de charles Févret, après d’autres, une conirmation de la force des lois des princes temporels à l’égard du juge d’église. il souligne en efet que si, par ce texte, honorius iii autorise son juge délégué, le célèbre tancrède, à terminer le diférend pendant entre l’archevêque de ravenne et la communauté de cervie en passant outre la péremption d’instance de trois ans, ce n’est pas qu’il rejette la loi impériale comme non applicable in foro ecclesiatico, mais qu’il en fait une application conforme à ce qu’en disent les interprètes du droit civil. honorius justiie, en efet, cet écart par le fait que la péremption résulte de subterfuges et de circonvolutions causés par ceux-là même qui invoquent la péremption. or, précise le juriste dijonnais, il y a là une exception apportée par les interprètes du droit civil eux-mêmes à la loi properandum, ce qui lui permet de conclure qu’« en cour d’église on suit les regles et maximes du droit et des ordonnances »86. De manière plus pragmatique, certains n’hésitent pas à relever que si les juges d’église doivent se soumettre aux lois séculières relatives à la procédure, c’est aussi parce que beaucoup de ces lois ont été élaborées après consultations des états généraux du royaume dont l’église est l’une des composantes. or, « les ecclesiastiques ne se peuvent plaindre si on les oblige de suivre les Loix, qui ont esté approuvées et sous-signées par les deputez de leur ordre »87. par ailleurs, la qualité intrinsèque de ces lois doit emporter la conviction du juge d’église. certes, la procédure telle qu’elle est ixée par les lois royales a pour origine le droit canonique, mais les juges séculiers et ensuite le législateur ont su « l’accommoder à nos mœurs et nos usages » et désormais, si l’on compare, comme le conseille Louis de héricourt, les ordonnances de 1667 et de 1670 aux décrétales des papes, on « trouvera dans les ordonnances plus d’ordre, plus de netteté, plus de précision ; moins de chicanes, de subtilité, d’embarras. ainsi quand il n’y auroit point d’ailleurs de raisons qui obligeassent les Juges ecclésiastiques à s’y 84. X, 2, 1, 20. 85. c. 3, q. 1, c. 11. 86. c. Févret, Traité de l’abus…, p. 91-92. 87. c. Févret, Traité de l’abus…, p. 89.

le Juge d’église et la loi roYale, entre autonomie et soumission

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soumettre, ils devroient se faire un devoir de les suivre, comme les loix les plus sages qui aient été faites jusqu’à présent sur ce sujet »88. Le juge d’église, en France, a donc intérêt, en fait comme en droit, à suivre la loi du roi qu’il s’agisse des règles de droit substantiel intéressant la police extérieure de l’église ou des règles procédurales. La discussion sur l’autonomie ou la soumission du juge d’église à la loi monarchique qui demeure vive, surtout au début de l’époque moderne, montre également que le contrôle royal sur la justice d’église, que l’on présente plus volontiers au travers de la réduction de compétence des oicialités, passe aussi par la réduction de l’inluence du droit canonique et par l’extension de l’autorité de la loi royale. réduire le champ d’application du droit canonique en imposant au juge d’église de respecter toujours davantage la loi monarchique permet tout autant, à la royauté, de lutter contre la puissance ecclésiastique que limiter la compétence de la justice d’église. anne rousselet-pimont école de droit de la sorbonne université paris 1 umr 8103 - Droit comparé de paris

88. L. de héricourt, Les loix ecclésiastiques…, p. 340-341.

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si la période moderne est le cadre « d’édiication du système canonistique »1, c’est au cours de la « splendeur médiévale »2, et précisément dans le droit canonique classique (xiie-xive siècles), que l’on peut dater l’apogée de la juridiction ecclésiastique3. Les oicialités qui naissent à l’orée de cette époque en sont une des manifestations majeures dont paul Fournier a retracé les origines, l’essor et la procédure4. Deux facteurs ont favorisé d’une manière générale le développement des juridictions ecclésiastiques : la féodalité5 et la renaissance juridique du xiie siècle. L’ordre féodal conduit l’état à une déliquescence mais il faut noter que la situation critique du pouvoir royal n’est pas celle de toutes les institutions. en efet, l’église est pratiquement la seule organisation à conserver une certaine autorité. elle est certes contestée et connaît même une sérieuse crise. mais la réforme grégorienne, dont l’historiographie récente a nuancé de nombreuses caractéristiques, va favoriser un afermissement des structures ecclésiastiques6. La renaissance juridique du xiie siècle favorise pour sa part l’essor des enseignements de droit romain et de droit canonique7. Le développement d’un droit de juriste, 1. carlo Fantappiè, Chiesa romana e modernità giuridica, t. i : L’ediicazione del sistema canonistico (1563-1903), milan, 2008. 2. Jean Gaudemet, église et cité. Histoire du droit canonique, paris, 1994 ; la troisième partie de l’ouvrage est ainsi intitulée. 3.  sur l’histoire générale de la juridiction ecclésiastique, voir auguste Dumas, «  Juridiction ecclésiastique, histoire », dans Dictionnaire de droit canonique, t. 4, 1953, col. 236-283. 4. paul Fournier, Les oicialités au Moyen Âge : étude sur l’organisation, la compétence et la procédure des tribunaux ecclésiastiques ordinaires en France de 1180 à 1328, paris, 1880, réimpr. aalen, 1984. 5. Les féodalités. Histoire générale des systèmes politiques, dir. éric Bournazel et Jean-pierre poly, paris, 1998. 6. sylvain Gougenheim, La réforme grégorienne. De la lutte pour le sacré à la sécularisation du monde, paris, 2010. L’auteur rappelle les évolutions de l’historiographie dans l’introduction. 7. Voir Construction de l’Europe : naissance des universités et difusion du droit savant, colloque organisé le 17  mars 2006 par le centre d’histoire du droit et des institutions avec le concours

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dénotant l’autorité de la doctrine8, suscite de multiples efets. d’abord, des traités juridiques sont rédigés, notamment en matière judiciaire. c’est précisément le cas sur le thème des voies de droit. la procédure romano-canonique fait l’objet d’ordines judiciarii9 et elle se distingue par quatre traits marquants : une grande technicité, l’emploi de modes de preuves rationnels, la hiérarchisation des juridictions et le développement de la représentation judiciaire. ensuite, le renouveau des études juridiques permet la formation d’un personnel spécialisé qui va intégrer les institutions administratives anciennes ou nouvelles dans le monde séculier comme dans le monde ecclésiastique10. Les tribunaux vont recruter ces nouveaux experts, ce qui a des implications positives, comme l’amélioration sensible de toute l’organisation judiciaire. La cour de l’évêque constitue le cadre de l’essor de la justice ecclésiastique. Dans le prolongement de la longue tradition de l’audientia episcopalis11, le chef du diocèse est très sollicité. cela n’a pas manqué, très tôt, de susciter des crispations de la part de nombreux prélats qui se voyaient ainsi gênés dans l’accomplissement de leur charge pastorale12. L’évêque n’a pas hésité à conier diverses tâches à l’archidiacre13, qui est un membre de sa cour. mais la justice épiscopale est aussi de l’institut d’histoire du droit (umr 7184), de l’institut michel Villey et de l’école doctorale d’histoire du droit, sociologie du droit, philosophie du droit et droit du procès de l’université panthéon-assas (paris 2), dont les actes ont paru dans la Revue d’histoire des facultés de droit et de la culture juridique, du monde des juristes et du livre juridique, n° 28, 2008, p. 181-276. 8. Voir L’autorité de la doctrine, journée d’études du 23 septembre 2005 organisée par l’institut d’histoire du droit (umr 7184) avec le soutien de l’école doctorale d’histoire du droit, sociologie du droit, philosophie du droit et droit du procès de l’université panthéon-assas (paris 2), actes parus dans la Revue d’histoire des facultés de droit et de la culture juridique, du monde des juristes et du livre juridique, n°  27, 2007, p.  399-477, spécialement l’article d’anne Lefebvre-teillard, « L’autorité de la doctrine dans le droit canonique classique », p. 443-457. 9. Linda Fowler-magerl, ordo iudiciorum vel ordo iudiciarius. Begrif und Literaturgattung, Francfort-sur-le-main, 1984 (ius commune. sonderhefte, 19) ; id., ordines iudiciarii and libelli de ordine iudiciorum from the Middle of the Twelfth to the End of the Fifteenth Century, turnhout, 1994 (typologie des sources du moyen Âge occidental. a-iii.1, fasc. 63). 10.  Les clercs constituent une bonne partie de l’entourage des rois de France au cours de la période médiévale. Les querelles politiques tournent à l’afrontement d’argumentations juridiques. Les conseillers et les membres de l’administration royale utilisent leur formation dans les universités pour emporter la conviction. Les siècles suivants en témoignent également, voir Jean-Louis Gazzaniga, « Les clercs au service de l’état dans la France du xve siècle », dans Droits savants et pratiques françaises du pouvoir, dir. Jacques Krynen et albert rigaudière, Bordeaux, 1992, p. 253-278. 11. maria rosa cimma, L’episcopalis audientia nelle constituzione imperiali da Constantino a Giustiniano, turin, 1989. 12. Jean Gaudemet, L’église dans l’Empire romain (ive-ve siècles), paris, 1989, p. 230-240. 13. sur l’archidiacre et l’archiprêtre, voir les travaux récents de Brigitte Basdevant-Gaudemet, « L’archidiacre et l’archiprêtre au service de la réforme grégorienne d’après la législation conciliaire de 1074 à 1140 », dans Studia canonica, t. 41, 2007, p. 371-399 ; id., « L’archidiacre et l’archiprêtre

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secondée dans sa juridiction par l’archiprêtre. lors des tournées synodales, dont la procédure a été décrite par réginon de prüm au début du xe siècle14, l’archidiacre préparait l’arrivée de l’évêque et jugeait des afaires de moindre importance. La réforme grégorienne en accentue le rôle et deux juridictions prédominent à la veille de la création des oicialités : celle de l’évêque et celle de l’archidiacre. mais il ne faut pas se méprendre sur la place de la justice archidiaconale. en efet, si l’archidiacre a été considéré comme un juge ordinaire, il ne s’agit pas d’un premier degré de juridiction nécessaire pour toutes les afaires. Les décisions rendues par ce clerc sont susceptibles d’appel devant l’évêque. Dans le courant du xiie siècle, le chef du diocèse prend l’habitude de déléguer son pouvoir de juridiction à un clerc de son église. La terminologie, longtemps imprécise (ministerialis, procurator entre autres dénominations), se ixe sur oicialis. Le terme est emprunté au vocabulaire institutionnel romain. en efet, le magistrat romain était entouré d’un oicium. Dans les années 1170, Jean de salisbury, étienne de tournai et le pape alexandre iii qualiient d’oiciaux les mandataires chargés de rendre la justice au nom de l’évêque. Leur apparition intervient en angleterre puis dans le nord de la France et gagne les pays rhénans. Dans le sexte, la constitution Romana ecclesia (Vi, 2, 15, 3) d’innocent iV (1246) reconnaît oiciellement les oicialités mais rappelle aussi à cette occasion que l’oicial supplée l’évêque pour connaître toutes les causes appartenant à la juridiction épiscopale15. autrement dit, ce délégué de l’évêque n’a pas de juridiction propre. Les oicialités occupent une place notable qui soulève la question de l’étendue de leurs compétences. il faut ainsi distinguer les domaines ratione personae et ratione materiae. Les personnes qui relèvent en principe de la compétence des cours d’église sont les clercs. ils bénéicient d’un privilège de corps. ses origines remontent au Bas-empire et sa plénitude est atteinte au terme d’une décrétale du pape Lucius iii des années 1184-1185 (X, 2, 1, 8) qui requiert une application d’après le Décret de Gratien  », dans iudex et magister. Miscelánea en honor al Pbro. Nelson C. Dellaferrera, t. i : Historia del derecho, Buenos aires, 2009, p. 85-107. 14. Das Sendhandbuch des Regino von Prüm, éd. wilfried hartmann, Darmstadt, 2004. 15. Romana ecclesia (et infra) : Quum sufraganeorum Remensis ecclesiae, suorumque oicilium, qui generaliter de causis ad isporum forum pertinentibus eorum vices supplendo cognoscunt, unum et idem consistorium sive auditorium sit censendum : ab ipsis oicialibus non ad dictos sufraganeos, ne ab eisdem ad se ipsos interponi appellatio videatur, sed de iure ad Remensem est curiam appellandum. § 1. Ab archidiaconis vero aliisque inferioribus praelatis, sufraganeis subiectis eisdem, et eorum oicialibus, ad sufraganeos ipsos debet, et non ad eandem curiam omissis dictis sufraganeis appellari, nisi aliud Remensi ecclesiae de consuetudine competat in hac parte. § 2. Quum autem ad praefatam curiam ab eorundem sufraganeorum vel suorum oicialium audientia fuerit appellatum, Remensis archiepiscopus, qui pro tempore fuerit, vel oicialis ipsius nullatenus in appellationis causa interpositae ante diinitivam sententiam citent partes, nec etiam aliis illam committant, appellationis eiusdem causa proababili seu legitima non expressa […] dans Corpus iuris canonici, éd. emil Friedberg, pars secunda, Leipzig, 1879, réimpr. Graz, 1955, p. 1017.

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de la protection dans tous les pays16. les oicialités exercent également une compétence d’exception à l’égard des laïques. outre les miserabiles personae traditionnellement admises (veuves, orphelins, pénitents et pèlerins), d’autres personnes en ont bénéicié par un privilège personnel (croisés et étudiants). cette faveur leur permet de bénéicier de la justice ecclésiastique et d’éviter les défauts de la justice séculière, comme la propension au déni de justice. quant au domaine matériel, il importe de faire le départ entre les causes spirituelles et celles qui se distinguent par leur caractère criminel. dans le cadre des premières, il s’agit des afaires touchant la foi, l’administration des sacrements, les vœux, les censures ecclésiastiques, les élections et les bénéices. on y insère aussi les questions relatives à la cura animarum et leurs accessoires (ofrandes, dîmes et droit de patronat). les causes spirituelles comprennent également les biens ecclésiastiques et les biens donnés à l’église en aumône. au cours du xiie siècle, une extension de la juridiction gracieuse intervient dans le domaine de l’exécution des contrats. en efet, les obligations sont souvent constatées devant un notaire et la prestation d’un serment rend les oicialités compétentes sur le respect de la foi jurée et la sanction des parjures. Dans le cadre des secondes, le domaine matériel comprend la sanction des délits publics, qui peut donner lieu à la saisie du bras séculier pour les crimes graves. Les actes criminels commis dans les lieux saints entrent aussi dans ce champ. mais il importe de relever que les autorités ecclésiastiques et séculières peuvent agir concurremment sur de nombreux délits. c’est notamment le cas du blasphème, de l’adultère, du rapt, des infractions à la trêve de Dieu et à la paix de Dieu, de l’usure jusqu’au concile de Vienne (1312). La réairmation du pouvoir des autorités centrales monarchiques et la lutte contre la revendication d’un pouvoir universel émanant du pouvoir spirituel se traduisent dans le domaine de la justice par une concurrence acharnée17. Les cours d’église vont subir la volonté royale de les cantonner dans leur domaine spirituel. s’il est avéré que les tribunaux séculiers ne vont pas remettre en cause la compétence des oicialités tout en intervenant dans certains contentieux, comme dans les afaires matrimoniales par exemple18, au bas moyen Âge, divers moyens sont mis en œuvre pour subordonner les oicialités19. il s’agit de moyens de procédure connus : la saisie du temporel (ordre donné aux oiciers royaux 16.  sur l’évolution du privilège au cours de l’époque classique, voir J. Gaudemet, église et état…, p. 493-497. 17. maurice quénet, Histoire des institutions judiciaires, paris, 1997, p. 139-140. 18. Josette turlan, pierre-clément timbal, « Justice laïque et lien matrimonial en France au moyen Âge », dans Revue de droit canonique, t. 30 : études ofertes à Jean Gaudemet, t. ii, 1980, p. 347-363. 19. Jean-pierre royer, L’église et le royaume de France au xive siècle d’après le « Songe du Vergier » et la jurisprudence du Parlement, paris, 1969, spéc. les chapitres sur les juridictions.

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de prendre possession du temporel afecté au bénéice de tout clerc qui aurait abusé de son pouvoir), la prévention (conservation de la juridiction par le juge royal saisi le premier en dépit d’une revendication de juridiction par le juge ecclésiastique) et l’appel comme d’abus20 (possibilité d’interjeter appel d’un jugement ecclésiastique devant la justice séculière)21. le droit de prise de l’évêque est lui-même remis en cause. dans les dernières années du xive siècle, Jean Le coq22, qui défend avec ardeur l’extension des compétences royales contre les oicialités, conteste le pouvoir de coercition du chef du diocèse, en l’occurrence l’évêque de paris, pierre d’orgemont23. il fonde l’argumentation de sa plaidoirie sur l’assertion que le prélat exerce sa mission pastorale sur un diocèse, non sur un territoire. en conséquence, il a une compétence qui concerne les personnes et non le territoire. son droit de prise est donc réduit à son prétoire. un siècle plus tard, l’archevêque de reims fait arrêter une personne lors d’une tournée. Le parlement réitère à cette occasion les conditions nécessaires. il faut avoir l’autorité et la juridiction mais aussi la triple compétence ratione loci, materiae et personae. cela réduit considérablement le droit de prise à l’égard des clercs mais, surtout, il devient inefectif à l’égard des laïques. 20. robert Généstal, Les origines de l’appel comme d’abus, paris, 1951. pour la période moderne, anne Lefebvre-teillard, Les oicialités à la veille du concile de Trente, paris, 1973, p. 69-70. L’appel était dénoncé comme le plus grand mal puisque c’est le moyen pour soustraire aux oicialités toutes sortes d’afaires contentieuses et non contentieuses. 21. Jusque dans la première moitié du xve siècle, les tribunaux séculiers refusent de recevoir les appels portés contre les décisions des oicialités, voir adrien Behotte, De la juridiction ecclésiastique au royaume de France, paris, 1635, qui note ce respect mutuel dans le prolongement des thèses de pierre de cugnières, notamment sa proposition 14 présentée lors de l’assemblée de Vincennes (Nullus a curia praelatorum appellat ad curiam regiam). Dans l’ouvrage Tractatus de origine juridictionum, longtemps attribué à pierre Bertrand ayant participé à cette assemblée mais rédigé en fait par Guillaume Durand de saint-pourçain, il est indiqué que jurisdictio temporalis nullo se extendit ad spiritualia de quibus nihil novit. cette attitude reste celle de Jean masuer et de Jean Le coq. mais le renforcement du gallicanisme qui prend une tournure religieuse plus accusée modiie les rapports entre les juridictions. La pragmatique sanction de Bourges de 1438 constitue un moment de transition. non seulement la violation de la pragmatique est un cas d’ouverture d’appel mais aussi toutes les entreprises des gens d’église sur le temporel peuvent également donner lieu à une telle procédure. 22.  Katia weidenfeld, «  Le coq, Jean (Johannes Gallus)  », dans Dictionnaire historique des juristes français, xiie-xxe siècle, dir. patrick arabeyre, Jean-Louis halpérin et Jacques Krynen, paris, 2007, p. 481. 23. marguerite Boulet-sautel, Quaestiones Johannis Galli, paris, 1944, p. lxxiii-lxxvii, pour une présentation des rapports entre les juridictions à travers les questions réunies essentiellement depuis le point de vue criminel, p. 333-355 pour la question spéciique (An episcopus Parisiensis habeat prisiam clericorum suorum in villa Parisiensi, virtute sue jurisdicionis spiritualis). La plaidoirie met en opposition les argumentations avec les justiications issues des droits savants. Les éléments principaux sur pierre d’orgemont (1343-1409) sont présentés dans la note 1 de la page 42. ce dernier a eu une carrière dans l’administration royale avant d’accéder à l’épiscopat.

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ces divers moyens mis en œuvre à la in du moyen Âge vont concourir au déclin des compétences des oicialités au cours de la période moderne. ce mouvement, amorcé dans la pratique et consacré oiciellement par les ordonnances royales dès 1539, voit les cours ecclésiastiques, qui sont également contestées par les réformateurs24, subir une constante attaque en règle. les réactions sont vives à l’instar de celle de Behotte25. les atteintes ne cessent pas pour autant au point qu’il faut pratiquement deux édits en 1606 et en 1695 pour assurer le domaine résiduel en matière spirituelle des oicialités. il faudrait distinguer les situations en fonction de la géographie. en efet, les régions rattachées récemment à la couronne de France ont souvent connu un régime diférent. sous le règne de Louis XiV, la Franche-comté, qui est réunie au royaume entre 1674 et 1678, voit le sort des oicialités être nettement inléchi alors que les tribunaux ecclésiastiques occupaient une place notable26. c’est aussi le cas pour la Flandre. L’édit de 1695 donne lieu à des remontrances, notamment émanant des sujets de cette région rattachée. ces derniers soulèvent le problème de la conirmation d’anciennes ordonnances dans le texte alors même qu’elles n’ont jamais été reçues en Flandre27. L’étude du déclin des compétences des oicialités à l’époque moderne s’inscrit dans la double problématique des rapports du spirituel et du temporel mais aussi dans celle des fondements et des limites de la souveraineté de l’état en matière judiciaire. en 1984, le cnrs a lancé une action thématique sur le thème de la genèse de l’état moderne. cette question a réuni les historiens, les politistes et les historiens du droit. Divers travaux en ont résulté28, qui ont souligné les étapes et les modalités de cette naissance des structures modernes de l’état. Dans ce cadre, un aspect occupe une place notable, qui est celui de la justice. comme le précisèrent marguerite Boulet-sautel et Gérard sautel, un « duel capital pour la constitution de l’état »29 s’engage au cours du xive siècle. ce combat, qui se joue 24.  marcel reulos, «  Les attaques contre les juridictions ecclésiastiques dans les écrits des réformateurs et de la discipline des églises réformées », dans La juridiction ecclésiastique, t. ii : À partir de la Réforme, dans Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, fasc. 35, 1978, p. 25-30. 25. a. Behotte, De la juridiction ecclésiastique…, p. 2, dénonce les « entreprises des oiciers du roy, sur la iurisdiction ecclesiastique, contentieuse et volontaire ». 26. maurice Gresset, « Les juridictions ecclésiastiques bisontines à la in du xviie siècle », dans Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, t. 35 : La juridiction ecclésiastique, t. ii : À partir de la Réforme, 1978, p. 85-93. 27. rené couet de montbayeux, Remontrances faites à sa majesté par ses sujets des pays conquis sur l’édit de 1695 concernant la juridiction ecclésiastique, paris, 1700. 28. entre autres, Renaissance du pouvoir législatif et genèse de l’état, dir. andré Gouron et albert rigaudière, montpellier, 1988. Voir aussi L’état moderne, le droit, l’espace et les formes de l’état, sous la direction de noël coulet et Jean-philippe Genet, paris, 1990. 29. marguerite Boulet-sautel, Gérard sautel, « une rétrospective sur la juridiction avec pierre de cugnières », dans Justice et justiciables. Mélanges Henri Vidal, dans Recueil de mémoires et travaux

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non seulement dans la pratique mais aussi dans les joutes doctrinales, est une lutte qui s’inscrit dans la durée. au cours de la période moderne, les relations entre la justice séculière et la justice ecclésiastique s’aggravent et tournent au proit de la première. on peut le constater dans de nombreuses parties du royaume et en dehors30. la complexité de ce seul thème permet de constater l’afermissement des atteintes portées aux domaines d’intervention des oicialités. le lent déclin des cours d’église afecte autant les compétences ratione personae (i) que celles ratione materiae (ii).

i. — le déclin des compétences ratione perSonae des officialités parmi les distinctions majeures qui caractérisent les sociétés médiévale et moderne, l’opposition entre les clercs et les laïques doit être soulignée. le droit canonique s’est intéressé à ce thème, même à une période où tout pouvait sembler ixé. les canonistes ne sont pas amènes sur les rapports entre les uns et les autres. le décret de gratien (c. i, q. 7, c. 5) comprenait déjà une expression, souvent reprise, les présentant31 comme naturellement ennemis. La lente décadence des oicialités traduit notamment une perte d’inluence des clercs, voire un abaissement de leur autorité. ce phénomène afecte les plus anciens privilèges comme celui de clergie. Les origines de ce dernier remontent à l’époque romaine32 et il a connu une nette réairmation au début du moyen Âge. toutefois, à la in de cette même période, un changement peut être constaté qui se prolongera au cours de de la Société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, fasc. xvi, 1994, p. 119137, spéc. p. 119-120. pierre de cugnières est un légiste, bailli de sens, qui a pris part à l’assemblée de Vincennes de 1329 au cours de laquelle il a critiqué les compétences des oicialités et soutenu ardemment l’essor de celles des juridictions royales. il poursuivit ses activités au parlement dont il assuma la présidence en 1343. La coniance des rois successifs le conduisit au conseil secret au terme de sa carrière. 30. Georges chevrier, « Les rapports entre la justice séculière et la justice ecclésiastique dans le comté de Bourgogne pendant la première moitié du xvie siècle », dans Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, t. 24, 1963, p. 196-225. La situation du comté fait intervenir un autre élément qui est politique. cela n’empêche pas des discussions entre les membres du parlement de Dole, l’archevêché de Besançon et le conseil impérial situé à Bologne sur les empiétements des bailliages et de la cour doloise sur les compétences ecclésiastiques. 31. paul ourliac, « L’église et les laïques à la in du moyen âge : étude de droit canonique », dans Mélanges oferts au professeur Louis Falletti. Annales de la faculté de droits et des sciences économiques de Lyon II, paris, 1971, p. 473-485, repris dans études d’histoire du droit médiéval, paris, 1979, p. 607615, spec. p. 608 : Clericis oppido laici existunt infesti. 32.  outre le travail ancien mais fondamental de robert Généstal, Le privilegium fori en France depuis le Décret de Gratien jusqu’à la in du xive siècle, paris, 1921-1926, 2 t., voir également J. Gaudemet, L’église dans l’Empire romain…, p. 240-245.

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l’époque moderne. en efet, le privilège du clerc fait l’objet d’une réduction au civil (1) comme au criminel (2), alors qu’il n’a pas été remis en cause oiciellement par les autorités séculières. ces dernières agissent également pour contester les compétences que les oicialités avaient progressivement développées à l’égard des laïques ; les monopoles acquis par la pratique judiciaire dans de nombreux domaines sont remis en cause (3).

1. La portée réduite du privilège de clergie en matière civile les premières atteintes datent du xive siècle. elles reposent sur la clause d’obligation. cette dernière est un engagement du patrimoine qui devient le gage des créanciers33. en d’autres termes, les biens meubles et immeubles garantissent l’exécution des promesses. la nature d’une telle clause se rapproche de l’hypothèque avec un caractère réel qui donne compétence aux cours laïques. le clerc peut ainsi être passible des tribunaux séculiers sur le fondement de l’action hypothécaire attachée à l’action personnelle. par ce moyen, la justice séculière est en mesure de contraindre le clerc à respecter ses obligations. la saisie des biens grevés par la clause d’obligation a un efet éminemment comminatoire. il faut aussi remarquer que l’apposition du sceau royal, en dépit de nombreuses condamnations par divers conciles (compiègne en 1329, c. 3 ; Bourges en 1336, c. 12), est attributif de juridiction, ce qui permet aux juges royaux d’apprécier les actes notariés qui en sont munis. L’ordonnance de Villers-cotterêts (1539, art. 92)34 consacre la jurisprudence du parlement de paris sur ce point. en matière bénéiciale, les juges royaux vont également étendre leur domaine d’intervention. il s’agit de procès relatifs à l’attribution des bénéices avec le problème de la détermination du propriétaire. en principe, les oicialités sont compétentes mais la distinction entre le pétitoire et le possessoire permet un contournement de cette règle. Le pétitoire vise à préciser le légitime propriétaire. Le possessoire doit permettre de désigner le possesseur pendant le procès en pétitoire. Les longues procédures impliquent nécessairement de remplir l’oice. Le parlement de paris reconnaît la compétence des juges royaux saisis au possessoire

33. auguste Dumas, Histoire des obligations dans l’ancien droit français, aix-en-provence, 1972, p. 206. 34. article 92 : « que toutes parties qui seront ajournées en leurs personnes, en connoissance de cédule, seront tenues icelle reconnoïtre ou nier en personne ou par procureur spécialement fondé, pardevant le juge séculier en la jurisdiction duquel seront trouvées sans pouvoir alléguer aucune incompétence, et ce, avant que partir du lieu où lesdites parties seront trouvées, autrement lesdites cédules seront tenues pour confessés par un seul défaut, et emporteront hypothèque du jour de la sentence, comme si elles avaient été confessées », dans François-andré isambert et al., Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, t. Xii, paris, 1827, p. 618.

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sur le fondement du droit de garde générale du roi. ce dernier doit faire cesser les troubles. cela génère un important contentieux sur le fondement de l’action en complainte de saisine et de novelleté. dans le prolongement de la reconnaissance de la compétence des juges laïques par divers papes des xive et xve siècles, Léon X conirme cette situation en 1513. mais les choses restent complexes car le juge du possessoire n’apprécie que le fait et non le droit. or, la législation canonique requiert que la possession d’un bénéice repose sur un titre apparent. prendre possession d’un bénéice en l’absence d’un quelconque titre constitue un péché mortel. cela emporte une conséquence pour le juge laïque : il doit estimer les titres produits par les parties au possessoire. c’est une exigence légale imposée par l’ordonnance de Villers-cotterêts (art. 46)35. au xviie siècle, une évolution marquante achève d’abaisser le privilège. en efet, alors que la prééminence de la juridiction ecclésiastique en matière de discipline justiiait de pouvoir remettre en cause la décision rendue au possessoire en engageant une action devant l’oicial au pétitoire, cette faculté est contestée. cela suscite une vive réaction parmi les dignitaires ecclésiastiques au point que Louis XiV intervient par deux ordonnances, l’une établie en 1657 (art. 10), l’autre en 1666. toutefois, les parlements, dont la jurisprudence était visée par ces textes, refusent de les enregistrer.

2. La portée réduite du privilège en matière criminelle Les atteintes au privilège de clergie dans le domaine criminel débutent dès la in du xiiie siècle36. Dès cette époque, les juges séculiers vont contester dans une certaine mesure la qualité de clerc qui permettait de bénéicier de la protection. il est vrai que les cours d’église comme la doctrine canonique concevaient la qualité de clerc d’une manière extensive. Les ordres mineurs ne sont pas la condition sine qua non, tout au plus la tonsure suit-elle à l’attribution de ce statut. Les juges royaux exigent une stricte application des règles du droit canonique quant à l’accès aux grades ecclésiastiques. pour pouvoir remettre en cause le privilège, il faut s’attaquer à la qualité. ils s’y emploient lorsque la tonsure est accordée à certaines personnes dont les qualités (âge, statut) ne devraient pas en autoriser le bénéice. Les extensions constantes sont même dénoncées lors de l’assemblée de 35. « qu’ès matières possessoires bénéiciales, l’on communiquera les titres dès le commencement de la cause, pour quoi faire le juge baillera un seul délai compétent, tel qu’il verra être à faire selon la distance des lieux : et par faute d’exhiber, se fera adjudication de recréance ou de maintenue sur les titres et capacité de celuy qui aura fourny : qui sera exécutée nonobstant l’appel quand elle sera donnée par nos juges ressortissans sans moyens en nosdites cours souveraines », dans Recueil général des anciennes lois…, t. Xii, p. 609. 36. martial mathieu, « Le privilège du for en matière criminelle en France à la in du moyen Âge (xive-xve siècles) », dans Justice pénale et droit des clercs en Europe xvie-xviiie siècles, dir. Bernard Durand avec la collaboration de maïté Lesné-Ferret, Lille, 2005, p. 27-35.

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vincennes en 132937. le clerc doit être dégradé pour qu’il puisse être livré au bras séculier. dès le pontiicat d’alexandre iii, cette procédure devient exceptionnelle avec l’idée que la dégradation est déjà une sanction suisante ne motivant pas la livraison à la juridiction séculière. cependant, l’hérésie, auxquels sont assimilés les crimes de magie et la sorcellerie, conduit le clerc à la dégradation et à la remise aux autorités royales. Les conditions de cet abandon au bras séculier sont précisées par une décrétale d’innocent iii adressée à l’évêque de paris (1209)38. La dégradation du clerc s’impose mais surtout la remise aux autorités laïques doit s’accompagner d’un appel à éviter la mort du coupable. cette démarche n’est pas acceptable pour la royauté. Dans la seconde moitié du xiiie siècle, le roi philippe iii donne des ordres pour que les clercs portant des armes soient punis d’une amende et subissent si nécessaire la saisie de leur temporel. par la suite, le parlement de paris attribue la compétence des infractions à la sauvegarde royale aux juges royaux, même en l’absence de port d’arme de la part du clerc. comme l’extension progressive des cas royaux, la compétence reconnue aux tribunaux séculiers s’étend à toute atteinte à l’intérêt royal. cela vise les délits commis par les clercs dans l’exercice de leurs fonctions, la falsiication de la monnaie royale, véritable léau aux xiiie-xive siècles, ou bien la falsiication du sceau royal. à la in du xive siècle, l’expression « cas privilégiés » commence à être employée. La répression consiste surtout dans la saisie du temporel car les clercs échappent à la contrainte par corps. cette procédure oblige le clerc à se présenter devant le juge laïque. L’extension du domaine d’application des cas privilégiés concerne bientôt les délits communs punis par la justice séculière par des peines alictives que les oicialités ne peuvent pas inliger. cependant, un élément majeur reste incontournable pour que la procédure puisse aboutir : la dégradation du clerc résultant du délit commun. Le juge royal ne peut pas poursuivre le cas privilégié tant que cette sanction canonique n’est pas prononcée. Dans la pratique, les cours laïques n’hésitent pas à instruire l’afaire avant de saisir l’évêque pour la dégradation. cette dernière inligée, le clerc peut alors subir la peine capitale. Le juge séculier ne va pas hésiter à statuer sur la qualité de clerc lorsque des éléments notoires permettent de conclure à l’absence d’état de clerc39. c’est notamment 37. olivier martin, L’Assemblée de Vincennes de 1329 et ses conséquences. étude sur les conlits entre la juridiction laïque et la juridiction ecclésiastique au xive siècle, rennes, 1909, p.  150-172, qui présente les griefs présentés par pierre de cugnières. ce dernier dénonce les empiètements de la juridiction ecclésiastique sur des matières qui devrait relever de la juridiction séculière. sur l’analyse des thèses de pierre de cugnières, voir m. Boulet-sautel, G. sautel, « une rétrospective sur la juridiction… », p. 128-137. 38. il s'agit de la Décrétale Novimus, voir X, 5, 40, 27, dans Corpus iuris canonici, op. cit., col. 924 39. Louis de carbonnières, « Le privilège de clergie devant la chambre criminelle du parlement de paris 1375-1400 », dans Les cahiers du Centre de recherches en histoire du droit et des institutions

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le cas lorsqu’il s’agit d’une afaire de bigamie. il en est de même à propos de l’habit pour lequel le parlement de paris reconnaît aux juges royaux le pouvoir de connaître du vêtement. en efet, il s’agit d’une question de fait qui relève du temporel et non du spirituel. les juges séculiers peuvent également apprécier le caractère frauduleux de la possession d’état de clerc. il s’agit là d’une fraude notoire que les juges royaux peuvent juger. pour ce faire, ils évaluent les capacités de lecture et d’écriture des personnes invoquant la qualité de clerc. si les résultats ne sont pas satisfaisants, ils doivent présenter des lettres de tonsure dans un délai préix. devant le parlement de toulouse, le respect temporaire du privilège est bientôt remis en cause. en efet, l’invocation de la qualité de clerc est systématique avec la production de lettres de tonsure qui permettent l’impunité de véritables délinquants. des afaires vont permettre aux juges royaux de modiier l’attitude initialement bienveillante. les éléments déterminants sont la gravité du crime et la qualité du délinquant40. au cours de la période moderne, diverses ordonnances royales s’intéressent à la délicate question des délits privilégiés41. l’objectif est de mettre en place une collaboration entre les autorités judiciaires séculières et ecclésiastiques. toutefois, cette volonté royale ne doit pas masquer la poursuite et l’achèvement de la politique engagée depuis les xive et xve siècles, qui accentue le recul des compétences ecclésiastiques sur les actes délictuels commis par les clercs. en 1566, l’ordonnance de moulins établit les éléments d’une procédure, complétés par des textes postérieurs42. elle consacre la possibilité d’instruire et de juger l’afaire par les cours (CRHDI), t. 11-12 : Personnalité, territorialité et droit. Actes des journées internationales de la Société d’histoire du droit tenues à Bruxelles du 28 au 31 mai 1998, Bruxelles, 1999, p. 51-68. 40.  Jean-Louis Gazzaniga, «Les clercs criminels devant le parlement de toulouse, xve-xvie siècle  », dans Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, t. 35 : La juridiction ecclésiastique, t. ii : À partir de la Réforme, 1978, p. 52-53. 41. parmi les analyses rétrospectives, Louis de héricourt, « gallican et d’esprit régalien » selon Brigitte Basdevant-Gaudemet, indique qu’à « l’égard des afaires criminelles instruites contre les clercs, il faut y distinguer deux espèces de crimes qui y peuvent donner lieu, les uns sont des crimes purement ecclésiastiques, comme la simonie, des fautes commises dans l’administration des sacrements, l’hérésie, etc., les autres sont des crimes qui troublent l’ordre de la société civile, et qui doivent être punis par des peines temporelles et alictives. Les premiers s’appellent délit commun, les seconds se nomment cas privilegiez. Les oiciaux sont seuls juges du délit commun, mais quand le cas est privilégié, l’oicial et le Juge royal instruisent le procès conjointement, et rendent chacun une sentence séparée », dans Les loix ecclésiastiques de France dans leur ordre naturel, paris, 1730, p.  126. sur la personne de Louis de héricourt, voir Brigitte BasdevantGaudemet, «  héricourt du Vatier, Louis de (d’)  », dans Dictionnaire historique des juristes français…, p. 406-407. 42. Bernard Durand, « Délits privilégiés et délits communs en France : conlits de compétences et batailles de procédure autour du clerc délinquant  », dans Justice pénale et droit des clercs…, p. 37-61.

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royales avant de permettre aux oicialités d’être saisies43. une telle disposition ne manque pas de faire réagir les ecclésiastiques, qui saisissent le monarque. ce dernier répond en deux temps44 mais sans grand succès. le roi modiie alors le dispositif dans l’édit de melun de 1580 (art. 22)45 avec la mise en place d’une instruction conjointe, mais ce nouvel article est réservé lors de l’enregistrement de l’acte législatif46. au cours du xviie siècle, la situation n’évolue guère avant l’ordonnance de 1670, mais les projets du texte montrent que la juridiction ecclésiastique devait encore reculer en matière criminelle47. cependant, les diicultés ne cessent pas pour autant au point que Louis XiV établit un édit en février 1678 qui rappelle la procédure conjointe de l’article 22 du siècle précédent. cette législation, complétée par des déclarations ou des édits (1684, 1695, 1711), paraît atteindre le but recherché par le roi : éviter l’impunité des clercs délinquants, favoriser une clariication des jurisprudences respectives en empêchant les contradictions et abréger la longueur des procès.

3. La consécration de l’abaissement des compétences à l’égard des laïques tous les moyens sont mis en œuvre pour dissuader les plaideurs laïques de porter leur litige devant les oicialités. Les gens du roi utilisent la défense générale. Les oiciers royaux vont même jusqu’à tourmenter les personnes qui seraient tentées de s’adresser à l’oicial. ils le font en les convoquant ou en les citant. une lutte entre les évêques et les agents royaux s’engage à coup d’arguments. Les 43. article 39 : « pour obvier aux diicultés qui se sont ci-devant présentée en la confection des procès criminels des personnes ecclésiastiques, mêmement pour le cas privilégié : ordonnons que nos juges et nos oiciers, instruiront et jugeront en tous cas les délits privilégiés contre les personnes ecclésiastiques, auparavant que aucun délaissement ou renvoy d’icelles personnes à leur juge d’église pour le délit commun, lequel délaissement sera fait à la charge de retenir prison pour la peine du délit privilégié, où elle n’aurait esté satisfaite, et dont répondront les oiciers de l’évêque, en cas d’élargissement par eux fait, avant la satisfaction de ladite peine », dans Recueil général des anciennes lois…, t. XiV, paris, 1829, p. 199. 44. B. Durand, « Délits privilégiés et délits communs… », p. 41. Le roi ordonne d’abord un rapprochement des représentants du clergé avec les principaux membres du parlement de paris dans une déclaration du 10 juillet 1566. il rappelle ensuite à l’ordre les juges royaux qui doivent respecter la procédure décrite dans l’article 39 de l’ordonnance de 1566. 45. article 22 : « L’instruction des procès criminels contre les personnes ecclésiastiques, pour les cas privilégiés, sera faite conjointement, tant par les juges desdits ecclésiastiques, que par nos juges : et en ce cas seront ceux de nosdits juges, qui seront commis pour cet efet, tenus aller au siège de la juridiction ecclésiastique », dans Recueil général des anciennes lois…, t. 14, p. 470. 46. pierre Blet, Le clergé de France et la monarchie. études sur les assemblées du clergé de 1615 à 1666, paris, 1959, p.  94. Divers parlements refusent d’enregistrer l’édit (toulouse, rouen, Bordeaux et Dijon), voir B. Durand, « Délits privilégiés et délits communs… », p. 42. 47. B. Durand, « Délits privilégiés et délits communs… », p. 43-45. Le privilège fait l’objet de critiques dont l’impunité est sans doute le plus important. toutefois, le respect d’un ancien privilège et sa faible incidence sur l’exercice de la justice criminelle l’ont sauvé.

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prélats invoquent la coutume immémoriale et une possession paisible justiiant leurs compétences. les gens du roi se fondent sur la théorie des deux glaives et l’imprescriptibilité des droits du roi48. mais ils ne parviennent pas à empêcher les laïques de saisir les tribunaux d’église. la gratuité de la justice ecclésiastique est une des raisons qui expliquent un tel succès. cela justiie l’intervention royale par le moyen de l’ordonnance de villers-cotterêts de 1539. dès l’article 149, il est interdit à tout laïque d’en poursuivre un autre devant les tribunaux ecclésiastiques. dans la disposition suivante, il est également défendu aux juges ecclésiastiques de citer verbalement ou par écrit les sujets laïques du roi50. d’une manière pratiquement concomitante, l’église insiste sur le fait de ne pas protéger des « scélérats ». c’est notamment le cas dans le cadre du concile de narbonne de 155151. mais si l’action contre les personnes peine à modiier les comportements, l’intervention de la législation royale sur les matières porte davantage ses fruits.

ii. — Le déclin des compétences des officialités ratione materiae Les autorités séculières ne peuvent pas limiter leur action aux seules personnes. La volonté d’abaisser les cours ecclésiastiques suppose aussi d’empiéter sur leurs domaines de compétences matérielles traditionnelles. une distinction doit être opérée entre la matière civile (1) et les questions criminelles (2).

1. La persistance des atteintes aux compétences en matière civile Les compétences des juges ecclésiastiques trouvent leur fondement dans l’ordre spirituel. Les instances séculières vont cependant inléchir l’ensemble du système vers la prédominance du temporel. cela leur permet d’intervenir pratiquement dans un domaine qui leur était interdit : les sacrements. Les juges royaux et la doctrine vont y porter des atteintes notables. c’est notamment le cas du mariage et de la pénitence. Dès le xvie siècle, la justice royale empiète sur la compétence traditionnelle des oicialités sur ce thème par l’intermédiaire de l’appel comme d’abus. si une

48. a. Lefebvre-teillard, Les oicialités…, p. 134-136. 49. article 1 : « avons défendu et défendons à tous nos sujets, de ne faire citer, ni convenir les laïques par-devant les juges d’église, ès actions pures personnelles, sur peine de perdition de cause et d’amende arbitraire », dans Recueil général des anciennes lois…, t. Xii, p. 600. 50. article 2 : « et avons défendu à tous juges ecclésiastiques, de ne bailler ni délivrer aucunes citations verbalement, ou écrit, pour faire citer nosdits sujets purs lays, èsdites matières pures personnelles, sur peine aussi d’amende arbitraire », dans Recueil général des anciennes lois…, t. Xii, p. 600. 51. B. Durand, « Délits privilégiés et délits communs… », p. 39.

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voie ordinaire avait déjà permis de subordonner les cours d’église, la jurisprudence développe à l’époque moderne une voie extraordinaire sur le fondement de l’irrespect des dispositions de la législation royale. c’est notamment le cas de l’ordonnance de Blois de 1579 (art. 40) qui exige la célébration du sacrement par le curé de la paroisse de l’un des conjoints. La contravention à ces règles justiie la voie extraordinaire. au xviiie siècle, cette dernière supplante la voie ordinaire. Loi, jurisprudence des arrêts et doctrine prennent part à la contestation de la compétence ecclésiastique sur un thème crucial : le sacrement du mariage52. au xviie siècle, la défense de la compétence de l’état en matière matrimoniale progresse53. Les gallicans ne contestent pas que le christ ait institué le sacrement. toutefois, ils soulignent que ce dernier se grefe sur un contrat d’origine naturelle qui ne perd rien de sa nature civile par l’élévation sacramentelle. Dès lors, les autorités ecclésiastiques ne peuvent tout au plus que demander le respect du droit divin. autrement dit, cette qualiication contractuelle justiie l’attribution de compétence à la juridiction séculière. à côté d’un courant doctrinal soutenant la compétence exclusive des tribunaux royaux sur le mariage, il importe de noter l’existence d’une voie prédominante54. en efet, de nombreux auteurs prônent une distinction nette des compétences tout en promouvant une collaboration entre les autorités. cela implique de concevoir les efets dans les domaines propres des décisions rendues par les autres juridictions. reste tout de même un point d’achoppement : la diférence de conception du consentement des parents dont la place est beaucoup plus prégnante pour la législation royale. L’aboutissement de la rélexion doctrinale d’ancien régime sur le mariage est le Traité du contrat de mariage publié par pothier en 1771. Le magistrat et professeur orléanais55 allie la rélexion doctrinale à un intérêt pratique particulier. pour lui, le mariage est d’abord un contrat : « le plus excellent et le plus ancien de tous les contrats, à ne le considérer même que dans l’ordre civil, celui qui intéresse le plus la société civile… »56. comme contrat, il appartient à l’ordre politique, ce qui suppose sa 52. sur l’ensemble de la question, voir Jean Gaudemet, Le mariage en Occident. Les mœurs et le droit, paris, 1987, spéc. p. 321-334. 53. sur les positions des canonistes, voir Brigitte Basdevant-Gaudemet, «  Les doctrines canoniques sur le sacrement du mariage aux xviie et xviiie siècles », dans Revue de droit canonique, t. 42, 1992, p. 287-307, repris dans église et autorités. études d’histoire de droit canonique médiéval, Limoges, 2006, p. 429-446. L’auteur précise que jusqu’au p. Fagnan (mort en 1678), secrétaire de la congrégation du concile, les analyses se situent dans le prolongement de celles établies par la doctrine médiévale. 54. B. Basdevant-Gaudemet, « Les doctrines canoniques… », p. 444-445. 55. Robert-Joseph Pothier, d’hier et d’aujourd’hui, Actes du colloque, 10-11 décembre 1999, Orléans, dir.  Joël monéger, Jean-Louis sourioux et aline terrasson de Fougères, paris, 2001. Jean-Louis hireau, « pothier robert-Joseph », dans Dictionnaire historique des juristes français…, p. 636-638. 56. robert-Joseph pothier, Traité du contrat de mariage et de la puissance du mari, paris, 1771, p. 1.

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soumission aux lois séculières. la législation royale peut en préciser les conditions et les modalités. si le mariage est le cadre majeur des atteintes portées à la compétence juridictionnelle des oicialités en matière de sacrement, la pénitence est aussi une autre occasion d’airmer les prérogatives des juges royaux sur ce thème. le contexte de crise relatif au jansénisme et à la bulle Unigenitus soulève en efet une querelle à propos du billet de confession. les parlements sont saisis d’appel comme d’abus pour refus de sacrement. dans les années 1750, des prêtres subissent des pressions, notamment la menace de la saisie du temporel, pour les obliger à administrer les sacrements des malades57. les juges séculiers interviennent aussi sur les questions relatives au serment. traditionnellement la prestation de serment était attributive de compétence pour les oicialités sur le fondement de la foi jurée et du parjure. pour revendiquer la maîtrise du serment, les juges royaux mettent en avant la théorie de l’accessoire. le serment n’a aucun lien avec la validité du contrat mais il en assure la mise en œuvre. revendiquant la compétence sur le principal que constitue la validité du serment, ils le sont aussi sur l’exécution garantie par celui-ci, en appréciant son respect, ce qui correspond à l’accessoire. la lutte sur ce point tourne au proit de la justice séculière en raison de la vigueur des sanctions et du recours possible à la force publique. le serment prêté devant les oiciers publics désignait également les tribunaux ecclésiastiques en cas de litige. dans le cadre de la renaissance juridique médiévale, la redécouverte du droit romain avait étendu les voies de droit et les protections qui existaient dans les leges, comme les divers bénéices neutralisant une procédure. ain de contourner les efets indélicats créés par tous ces moyens, les notaires avaient pris l’habitude de faire renoncer les cocontractants aux bénéices et aux exceptions du droit romain. le but était d’éviter la remise en cause des engagements et de maintenir une certaine sécurité juridique. ces renonciations étaient renforcées par un serment. la validité des clauses de renonciation reposait sur le respect des bonnes mœurs, notion enrichie par la doctrine canonique médiévale à partir de fondements romains, mais aussi sur l’absence de mise en péril de l’âme. cette réaction de la pratique notariale face aux avantages procurés par les lois romaines a suscité l’intervention de l’autorité royale. en efet, le roi de France n’a pas hésité à accorder des lettres de rescision délivrées soit en grande chancellerie, soit en petites chancelleries. l’impétrant pouvait ainsi obtenir la remise en cause du contrat, voire la remise en l’état assortie d’une restitution en entier. toutefois, cette procédure se déroulait sous réserve du respect des droits de l’église, notamment de la compétence juridictionnelle liée à l’existence du serment. les juges royaux ne prenaient pas la peine de vériier l’établissement

57.  Bernard hours, L’église et la vie religieuse dans la France moderne. 2000, p. 313-316.

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d’une dispense d’absolution du serment qui justiierait leur saisine. au xvie siècle, même en cas de refus de dispense, les tribunaux séculiers reçoivent les lettres. au siècle suivant, le serment disparaît de la pratique notariale. La justice royale cherche également à récupérer la compétence en matière de testament. Le testament, institution d’origine romaine, a disparu au cours des périodes franque et féodale58. sa renaissance aux xie-xiie siècles et la place du legs pieux au cœur des dispositions, notamment en vue de réparer les torts occasionnés, désignent les oicialités pour juger de la validité et de l’exécution de l’acte à cause de mort. cependant, l’essor des legs profanes et de l’institution d’héritier, de nature civile, justiie une concurrence des justices. si dans un premier temps, leur concurrence se résout par la prévention, l’évolution voit triompher les juges séculiers sur le fondement de la nature civile de l’institution d’héritier.

2. La persistance des atteintes aux compétences en matière criminelle Les tribunaux royaux étendent leur compétence sur des délits à caractère religieux. Le fondement est le devoir royal issu des promesses du sacre. Le roi doit assurer le salut matériel et spirituel de ses sujets. Le versant spirituel recouvre le respect de la foi et de la morale. Les oiciers royaux vont agir quand les oicialités semblent avoir manqué de diligence dans leur action répressive. L’extension de cette compétence est également assurée par la théorie des cas royaux dont la liste n’a jamais été déinitivement ixée. Dans le cas du déclin des compétences ecclésiastiques, un rattachement à des cas préexistants de délits et de crimes de nature religieuse est opéré. c’est ainsi que la sorcellerie et le sortilège sont rapprochés du crime de lèse-majesté. La question la plus délicate est venue de l’hérésie. L’essor du protestantisme exacerbe l’opposition entre la justice d’église et les cours royales. Le droit de prise appartenant uniquement aux juges royaux, l’évêque ne peut pas procéder à une arrestation sans s’adresser au préalable aux autorités séculières. Dès 1540, la législation royale impose aux magistrats d’informer concurremment aux juges ecclésiastiques. entre 1535 et 1560, neufs édits ou ordonnances sur les questions aférentes à la nouvelle religion ont été établis. un changement intervient sous le règne de François ii. Le roi a la volonté de déinir un domaine d’intervention précis à chaque justice. L’ordonnance du 15 novembre 1549 établit une diférence de régime juridique entre l’hérésie non publique et celle accompagnée d’un scandale public. Dans le cadre de la première, les juges séculiers ne peuvent pas informer et doivent transmettre l’afaire aux oicialités, notamment en leur envoyant les accusés. Dans la seconde situation, il s’agit d’un 58. olivier Descamps, « Les formes testamentaires en France de l’époque médiévale jusqu’à la période présente en France  », dans Europäische Testamentsformen, éd. Gerhard otte, mathias schmoeckel, Baden-Baden, 2011 (schriften zum notarrecht, 23), p. 47-82.

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cas privilégié. le procès est donc poursuivi conjointement. l’oicialité statue sur le délit commun. la compétence des cours ecclésiastiques est reconnue sur ce thème sauf en cas de troubles à l’ordre public. l’acte s’apparente à un crime de lèse-majesté qui justiie une maîtrise du procès par la justice du roi. la réduction des compétences des cours ecclésiastiques en matière pénale est approfondie au cours de la période moderne et ce constat peut être établi dans l’ensemble du royaume59. il n’en demeure pas moins que les oicialités conservent quelques domaines dans lesquelles elles peuvent juger60. pour conclure, l’histoire des oicialités est celle d’un abaissement continu. les cours d’église n’en conservent pas moins des compétences tant en matières civiles (les causes matrimoniales, les causes de nullité entre autres) que dans les afaires criminelles. au cours de la période moderne, les fonctions administratives des oicialités représentent sans doute l’essentiel de leur activité61. en matière ecclésiastique, dispenses, provisions d’abbayes et brefs de sécularisation personnelles coexistent avec des fonctions « d’auxiliaire de l’administration royale »62. olivier Descamps université paris 2 panthéon-assas institut d’histoire du droit

59.  Françoise hildesheimer, «  L’exercice de la juridiction ecclésiastique dans l’archidiocèse d’arles dans l’ancien régime », dans Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, t. 35 : La juridiction ecclésiastique, t. ii : À partir de la Réforme, 1978, p. 67-84. 60. Françoise hildesheimer, « un aspect de l’exercice de la juridiction ecclésiastique : le clergé de l’archidiocèse d’arles à travers les dépositions des témoins de l’oicialité diocésaine (16601740) », dans Provence historique, t. 114, 1978, p. 333-348, a établi des statistiques sur les afaires étudiées. Les injures et voies de fait prédominent, devançant les afaires de mœurs. 61. Bernard d’alteroche, L’oicialité de Paris à la in de l’Ancien régime (1780-1790), paris, 1994, p. 91-115. 62. Ibid., p. 111-115.

les procédures d’appel comme d’aBus des dominicains à l’époque moderne par

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l’utilisation de la procédure d’appel comme d’abus par les dominicains à l’époque moderne est une illustration intéressante du thème de ce colloque consacré au pluralisme juridique et aux conlits d’autorité. l’appel comme d’abus est en efet la procédure qui met le mieux en lumière la coexistence, voire la concurrence, de diférents droits ayant vocation à s’appliquer en France1. les déinitions de l’appel comme d’abus font principalement apparaître la procédure comme une garantie oferte aux sujets du roi contre les « entreprises de la juridiction ecclésiastique »2, c’est-à-dire comme un moyen de protection contre les 1. Dans le cas qui nous intéresse coexistent notamment le droit canonique commun, le « droit particulier des jacobins » (pour reprendre l’expression d’henri-François d’aguesseau, dans Œuvres complètes. Nouvelle édition par M. Pardessus, paris, Fantin, 1819, t.  iV  : 42e plaidoyer, 14  mars 1697, p. 213) ainsi que le droit royal relatif aux religieux. 2. Févret évoque les «  bornes qui limitent la connoissance de ces deux juridictions  » (charles Févret, Traité de l’abus et du vrai sujet des appellations qualiiées de ce nom d’abus, Lyon, Jean Girin, 1667, t.  i, p.  Vii). Van espen airme que «  lorsque le juge ecclésiastique abuse de sa juridiction contre les droits du roi, et, en général, contre les libertés de l’église gallicane, on peut se pourvoir au parlement par appel comme d’abus » (Jean-claude Lucet, Principes du droit canonique universel ou Manuel du canoniste, paris, 1788, 3e  partie, titre  X, chap.  iii, p.  369). De même, Ferrière déinit l’appel comme d’abus comme «  celui qui s’interjette des ordonnances, sentences ou actes des juges d’église par celui qui prétend qu’ils ont passé leur pouvoir et entrepris sur la juridiction temporelle » (claude-Joseph de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique, toulouse, 1779, t. i, p. 106). Durand de maillane présente l’appel comme d’abus comme « une voie extraordinaire […] pour la conservation des Libertés et des privilèges de l’église gallicane » qui permet principalement « d’obvier aux entreprises des deux juridictions séculière et ecclésiastique sur les droits l’une de l’autre » (pierre-toussaint Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéiciale, Lyon, 1776, v° abus, p. 58-59). pour inir, Guyot airme qu’« on l’emploie spécialement pour désigner les entreprises des ecclésiastiques contre la juridiction et les droits des laïques » (Joseph-nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéiciale, paris, Visse, 1784, t. i, v° abus, p. 78).

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empiètements de l’autorité et du juge ecclésiastique. pourtant, l’exemple dominicain permet d’envisager l’appel comme d’abus sous un autre angle, en dehors de la confrontation traditionnelle église / état bien souvent associée à la procédure. l’utilisation du recours par les religieux leur permet en efet de contester l’autorité de leurs propres supérieurs. l’exemple de la mise en place de la réforme religieuse illustre particulièrement bien cet emploi de l’appel comme d’abus ; le retour à l’observance apparaît en efet comme un objectif commun au pouvoir royal, au pape et aux autorités centrales de l’ordre, alors qu’il suscite l’opposition d’un grand nombre de religieux. c’est cette contestation de la réforme qui donne à l’appel comme d’abus un succès singulier. de fait, si les cas d’ouverture de la procédure n’ont jamais été strictement énumérés, les auteurs ont distingué les quatre principales sources d’abus : « 1. attentats aux saints décrets et canons reçus en ce royaume ; 2. attentats aux concordats, édits, ordonnances du roi et arrêts des parlements ; 3. attentats aux droits, franchises, libertés et privilèges de l’église gallicane ; 4. entreprise de juridiction » 3. or, les religieux de France revendiquent un droit particulier – ancien, acquis parce que reçu dans le royaume – contre des normes de réforme, donc nouvelles, et issues des autorités centrales de l’ordre, donc étrangères. il s’agit alors, pour les religieux, de faire valoir une contravention à leurs privilèges4 au titre de la protection des libertés de l’église gallicane, libertés qui correspondent à « l’ancien droit de l’église opposé de tout temps aux nouveautés »5. charles Févret évoque ainsi « le péril de la nouveauté [qui] rend les dérogations odieuses et nulles […] quand elles vont contre la liberté ecclésiastique de laquelle le roy est protecteur et défenseur comme obligé de maintenir aux églises et monastères de son royaume, les privilèges et prérogatives qui leurs sont acquises »6. c’est précisément cette déinition des libertés qui autorise la lutte contre la réforme puisque cette dernière vient modiier, altérer le droit dominicain en application dans les couvents de France. il s’agit alors d’une confrontation entre des normes de même nature – canoniques, le droit dominicain étant considéré comme une branche du droit canonique –, plus précisément entre le droit 3. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique…, p. 63. 4. il ne s’agit pas d’une contravention aux constitutions de l’ordre qui n’ont jamais été homologuées au titre d’un droit applicable en France (voir h.-F. d’aguesseau, Œuvres complètes…, t. 4, p. 223, qui estime que la contravention aux statuts particuliers de l’ordre « n’est pas un moyen d’abus  »), mais d’une contravention à des règles propres à certaines circonscriptions de France (notamment aux congrégations de réforme) qui ont fait l’objet d’une réception particulière. 5. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique…, p. 66. Guyot parle de « l’ancien droit commun de l’église dans laquelle la France a toujours su se maintenir en s’opposant aux nouveautés qui pouvoient tendre à l’altérer », dans J.-n. Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence…, p. 82. 6. c. Févret, Traité de l’abus…, t. i, liv. iii, chap. i, n. 8, p. 321.

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appliqué dans les provinces dominicaines de France et les directives de réforme émanant d’autorités supérieures étrangères au royaume7. c’est donc un conlit interne à l’ordre qui est arbitré par le juge séculier. l’appel comme d’abus permet ainsi de contester l’autorité du supérieur, tant dans son pouvoir juridictionnel que dans son pouvoir normatif. le religieux peut contester toute décision prise dans le cadre des fonctions juridictionnelles attachées aux principaux oices de l’ordre et aux chapitres généraux, ainsi que toute norme ayant vocation à s’imposer dans le royaume de France dès que ces interventions contreviennent, d’après lui, au droit séculier ou au droit canonique reçu dans le royaume. l’appel comme d’abus place alors le juge séculier non seulement en arbitre des diférends nés entre les dominicains de France et leurs supérieurs mais aussi en juge de la légalité du droit dominicain, et plus particulièrement des normes de réforme.

i. — le juge séculier, censeur du droit dominicain de la réforme c’est en cas « d’abus clair et notoire, de contravention aux lois et aux ordonnances royales, aux arrêts de la cour, aux statuts des ordres approuvés par le roi, aux canons et décrets des conciles » que les réguliers peuvent former un appel comme d’abus8. cette énumération des cas, dans lesquels il apparaît justiié que les religieux de France puissent se tourner vers les tribunaux du roi, trouve sa source dans les termes d’un arrêt du parlement de paris de 15439. L’ouverture d’une action devant les tribunaux séculiers répondait donc à un certain nombre de critères qui ne font que reprendre les « quatre piliers »10 de l’appel comme d’abus précités. Dans le cas des religieux s’opposant à la réforme, le recours porte souvent sur une violation des statuts de l’ordre approuvés par le prince, c’est-à-dire sur une atteinte au droit dominicain reçu dans le royaume ; atteinte qui s’apparente implicitement à un attentat porté aux libertés et privilèges de l’église gallicane. charles Févret souligne d’ailleurs que « les ecclésiastiques entre eux se servent dudit appel comme d’abus comme d’un moyen général pour faire réparer ce qui blesse leurs coutumes anciennes, statuts approuvés et homologués et le droit public de la règle qu’ils

7. Le caractère étranger du maître général est un sujet récurrent dans les documents imprimés pour défendre la cause des religieux rebelles à l’autorité du supérieur. 8. Zeghert Bernhard Van espen, Jus ecclesiasticum universum, cologne, 1729, t.  i, partie  i, tit. XXViii : de voto obedientiæ, chap. iV, n. i, p. 180. 9. cité de même dans c. Févret, Traité de l’abus…, t. i, liv. i, chap. i, n. 5, p. 21 : l’arrêt du 19 octobre 1543 prévoit en outre que les appels seront reçus « en cas de sédition, grand tumulte et scandale ». Van espen distingue ces trois derniers cas qui permettent selon lui de recourir au bras séculier mais non d’interjeter appel. 10. étienne pasquier, Les recherches de la France, paris, 1633, liv. iii, chap. XXXiii, p. 279c.

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professent »11. Dans le cas qui nous intéresse, le droit approuvé en question est constitué par les règles particulières des circonscriptions au sein desquelles sont distribués les couvents dominicains de France. Les congrégations, créées pour abriter la réforme, ont notamment bénéicié d’un certain nombre de règles singulières qui forment un véritable droit particulier, en marge du droit commun appliqué dans les provinces traditionnelles ; droit particulier dont le caractère extraordinaire est souligné par le terme de « privilèges » qui les désigne12. Le roi apparaît comme le protecteur de cet ensemble juridique « acquis »13 et la procédure d’appel comme d’abus comme le moyen de cette protection : en principe, on ne peut déroger aux privilèges des congrégations de réforme sans abus. c’est en tout cas ce que tentent de faire valoir les religieux de la congrégation gallicane qui agitent constamment l’épouvantail de l’appel comme d’abus pour contrecarrer les mesures de réforme portant atteinte à leurs privilèges. en 1635, il s’agit de s’opposer à un bref donnant d’importants pouvoirs aux cardinaux de richelieu et de La rochefoucauld pour réformer le couvent de saint-Jacques de paris14, ou encore d’empêcher l’application d’une commission de visite du maître général octroyée à un réformateur qui ne remplit pas les conditions exigées par le droit particulier de la congrégation15. on débat alors sur la nature et la valeur des privilèges de la congrégation. Deux professeurs de théologie soutiennent que le maître général peut envoyer des commissaires au couvent de saint-Jacques de paris dès lors que les privilèges de la congrégation ont été octroyés intuitu reformationis. Le privilège a donc perdu sa valeur étant donné que la réforme s’est éteinte16 : le droit particulier de la congrégation n’a plus lieu d’être et l’appel des religieux est sans fondement. chose peu surprenante, les deux avocats du Grand conseil consultés pour se prononcer sur la même afaire ne font jamais référence à cette condition d’observance pour valider les 11. c. Févret, Traité de l’abus…, t. i, liv. i, chap. iX, n. 6, p. 135-136. 12. pour exemple, la conirmation, par le chapitre général de 1618, des privilèges octroyés à la congrégation occitane en 1612 : « conirmamus omnia privilegia et gratias concessas in aliis capitulis generalibus ad favorem reformationis hujus nostræ congregationis occitanæ…  », dans Vincentiomaria Fontana, Constitutiones, declarationes et ordinationes capitulorum generalium sanctis ordinis prædicatorum ab anno 1220 usque ad 1650 emanatæ, rome, 1655, pars secunda, cap. pro congregationem Sancti Ludovici, col. 344. 13. c. Févret, Traité de l’abus…, t. i, liv. iii, chap. i, p. 321, n. 8. 14. ministère des afaires étrangères (mae), mémoires et documents, France 823, fol. 347354 : consultation de deux avocats du Grand conseil en date du 26 octobre 1635. 15. pour le bref : mae, correspondances politiques, rome 56, fol. 54, lettre du maître général niccolò ridoli au cardinal de richelieu, 28 février 1635 ; pour la contestation : BnF, 4-LD22-62, Raisons des prieurs et religieux du grand couvent des Jacobins de Paris, pour empescher que lettres ne soient accordées par Sa Majesté à frère Jean-Baptiste Carré pour exécuter une commission qu’il dit avoir, ain de visiter ledit couvent, 1635. 16. voir supra n. 14 : consultation signée de deux théologiens de la sorbonne, Lescot et Duval.

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privilèges de la congrégation. contrairement aux théologiens, ils insistent sur les « grâces particulières » dont bénéicie la congrégation qui s’appuie sur un « légitime establissement pratiqué depuis plus de cent ans et authorisé par les arrests dudit parlement ». Les juristes rappellent en outre un arrêt « solennel » du conseil d’état de 1618 qui avait rejeté une commission identique à celle octroyée en 1635 par le maître général sur la base d’un principe ici réairmé : « la coustume de France estant de ne reconnoistre dans les congrégations de France que des supérieurs françois establis par les formes reçües, pratiquées et ordinaires de la congrégation ». il existe donc un précédent, résolu suivant la tradition gallicane, que les juristes incitent à réitérer. L’afaire du couvent de saint-Jacques illustre parfaitement le discours argumentaire déployé par les religieux lorsqu’il s’agit de s’opposer à la réforme imposée par les autorités centrales de l’ordre17. on insiste systématiquement sur ce qui s’est toujours pratiqué dans les couvents de France avec l’aval du pape, du roi de France et de ses parlements. on trouve ici l’illustration du gallicanisme qualiié d’« historien » par quentin épron18 dès lors que l’on opte pour une « vision documentaire du droit » : la défense des libertés de l’église gallicane tend, dans ce cas, à faire valoir un droit inaltérable issu de la tradition française. Dans l’exemple qui nous intéresse, les dominicains brandissent efectivement un droit particulier, ancien et ayant fait l’objet d’un consensus lors de sa création du fait de l’approbation des autorités de l’ordre, du pape et du roi de France. or, le caractère intangible de ce droit se heurte au principe même de réforme, le retour à l’observance supposant des mesures exceptionnelles. La confrontation est alors inévitable entre ce droit acquis, ixé depuis la création de la congrégation, et une volonté politique de réforme, systématiquement envisagée comme une violation des règles. pour autant, même si les religieux appuient leurs requêtes sur les principes gallicans, il est juridiquement possible de contester l’assimilation des statuts des congrégations aux libertés de l’église gallicane. ceux-ci ne sont en efet que des privilèges, par essence « muables, momentanés et transitoires »19. toutefois, si les religieux bénéicient d’un droit particulier fondé sur des privilèges, juridiquement fragiles, ces derniers sont néanmoins ancestraux et validés par le roi, ce qui suit à les renforcer face aux interventions étrangères et novatrices : le roi de France peut-il supporter que le droit qu’il a lui-même validé soit modiié

17. ces dispositions peuvent prendre la forme de décisions ponctuelles ou de dispositions juridiques via la législation capitulaire : les dispositions visant à modiier les pratiques locales pour favoriser – voire imposer – le retour à l’observance sont nombreuses dans les actes des chapitres généraux de l’époque moderne. 18. quentin épron, v° Gallicanisme, Dictionnaire de la culture juridique, dir. Denis alland et stéphane rials, paris, 2003 (quadrige), p. 762. 19. c. Févret, Traité de l’abus…, liv. i, chap. iV, p. 50, n. 13.

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ou que des supérieurs étrangers prennent des décisions contraires à ce droit ? si l’on perçoit les potentielles défaillances de l’argumentation d’un point de vue strictement normatif, force est de constater que celles-ci se trouvent compensées, d’un point de vue plus politique, par la pertinence et l’opportunité des principes gallicans dans l’utilisation que les religieux en font. pour autant, les recours des religieux se heurtent à une autre diiculté d’ordre juridique. on remarque en efet que les appels ne portent jamais sur le fond de la réforme, dont le principe ne peut être combattu sur le terrain de la protection du droit établi. le retour à l’observance est incontestablement un retour et non une véritable nouveauté20. il s’agit de revenir aux règles d’abstinence, à celles qui imposent l’oice de nuit, qui interdisent les conversations au réfectoire, etc. les pratiques contraires n’ayant jamais été entérinées par le droit21, les normes d’observance ne peuvent pas faire l’objet d’un appel comme d’abus. dès lors, les procédures concernent toujours la méthode employée pour imposer la réforme. les autorités dominicaines veulent en efet imposer des observants à la tête des couvents, quitte à heurter les règles relatives aux élections et, plus largement, la sensibilité des religieux, très hostiles à l’intrusion d’étrangers. dans ces hypothèses, il arrive que le débat dépasse le cadre de la protection des statuts pour s’orienter vers la protection du droit commun des religieux. l’exemple de la mise en place de la réforme au couvent de rouen illustre bien mon propos22. en 1661, les religieux appellent comme d’abus d’une patente du maître général qui limite le choix du prieur à un religieux réformé issu de la congrégation de Bretagne23. l’appel est reçu et l’abus constaté. le parlement tend alors à privilégier le respect du principe canonique de l’élection libre du supérieur religieux. la défense des religieux esquive toutefois un autre principe, plus moderne : les restrictions limitant la liberté d’élection ont en efet été admises en vue de la réforme24. cependant, malgré la pertinence de l’argument juridique du respect de la liberté d’élection, il est probable que l’afaire ne serait pas allée aussi loin si la 20. il ne s’agit pas d’un retour aux anciens textes mais plus exactement d’un retour au principe fondamental de soumission à la règle et aux constitutions, ce qui permet de prendre en considération l’évolution de l’ordre et de son droit. 21. marie-hérèse porte, Un foyer de spiritualité dominicaine au xviie siècle. Le monastère de Sainte-Catherine-de-Sienne à Toulouse, toulouse 1976, p. 20-21 : il n’y a jamais eu de « mitigation oicielle » permettant une vie religieuse moins stricte. 22. en 1656, le chapitre général désigne le couvent de rouen comme devant être réformé, V.-m. Fontana, Constitutiones…, cap. de reformatione ordinis, col. 572. 23. BnF, F-21278(11), [Extrait des registres de la Cour du Parlement de Rouen, donné le 19 jour de juillet 1661]. Le couvent de rouen appartient à la congrégation gallicane qui a perdu son observance et qui a vu se développer en son sein une nouvelle congrégation réformée  : la congrégation de Bretagne. 24. pietro-maria passerini, De electione canonica tractatus, rome, 1661, p. 16, n. 22 : hoc non est tollere libertatem sed restringere […].

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patente du maître général avait favorisé des religieux locaux plutôt que des étrangers. si la conservation de la liberté d’élection est le moyen d’obtenir l’annulation de la patente, les religieux se battent en réalité pour ne pas intégrer la congrégation de Bretagne25, ce qui autorise une première remarque : au regard de cette procédure particulière, et plus généralement dans la plupart des appels comme d’abus visant à s’opposer aux mesures réformatrices, l’atteinte au droit dominicain apparaît comme un argument juridique qui permet de contrecarrer l’intrusion étrangère et, à plus long terme, d’empêcher la réforme. on constate que les religieux savent utiliser à leur avantage les outils liés au pluralisme juridique dont l’appel comme d’abus est le parangon. toutefois, pour revenir au cas d’espèce de 1661, c’est en vain que les religieux obtinrent gain de cause devant le parlement car le conseil d’état revint sur la décision de la cour dès décembre 1661. Les procédures ne cessant pour autant d’entraver le retour à l’observance, un arrêt du conseil d’état du 4 avril 1662 ordonna que la vie régulière fût maintenue au couvent de rouen. L’objectif de réforme était donc primordial, au point que le roi ôta les afaires liées à la réforme du couvent de la compétence du parlement, empêchant ainsi la réception des appels comme d’abus. cette afaire illustre ainsi les cas où la procédure ne porte pas les fruits escomptés, du fait de l’évocation opérée par le pouvoir royal, ce qui conduit à une seconde remarque : à de nombreuses reprises dans les afaires de réforme, le roi agit en amont des diicultés. ainsi, en 1616, le roi écrit au parlement de paris au sujet de la commission octroyée par le maître général au prieur du couvent de Beauvais, ce dernier ayant été désigné pour la stricte observance : n’ayant rien trouvé de contraire aux droits du royaume « ains tendre au bien public et proit d’iceluy et de nostre dite ville de Beauvais », le roi approuve et conirme les statuts de réforme. il demande ensuite au parlement de contraindre les religieux du couvent « par toutes les voies deües et raisonnables » à obéir au prieur qui se trouve chargé de la mise en place de l’observance26. airmer que rien n’est contraire aux droits du royaume, c’est airmer que la commission de réforme n’est pas contraire aux libertés de l’église gallicane même si elle devait contrarier les statuts ancestraux du couvent ou de la province. Le soutien du roi à la décision de réforme du maître général se manifeste donc sur le terrain juridique puisque cette airmation revient à déclarer que la commission n’est pas susceptible d’un appel comme d’abus fondé sur la défense d’un droit particulier. 25. Les conlits liés aux questions de « nations » sont récurrents : les religieux de paris s’opposent ainsi aux religieux gascons de même que les religieux normands refusent l’entrée des religieux bretons, réformés de surcroît, dans leurs couvents. 26. pierre Louvet (o.p.), Histoire et antiquités du pays de Beauvaisis, Beauvais, 1631, p. 718-719, lettres patentes données à paris, le 9 septembre 1616.

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autre exemple, en 1622, lorsque le roi demande au parlement de venir en aide aux religieux dans l’application de la réforme. il s’agit en l’espèce de mettre en application un certain nombre de directives du maître général en faveur de la réforme de nantes, le prieur craignant qu’elles ne suscitent de la « résistance »27. or, lorsque l’on évoque la résistance des religieux vis-à-vis des directives du supérieur et que le parlement est concerné, on peut légitimement supposer que les procédures d’appel comme d’abus sont particulièrement visées par cette précaution royale. il me semble que le roi demande ici encore, à mots couverts, de ne pas donner suite aux appels comme d’abus que la réforme de nantes ne manquera pas d’occasionner. De même, en 1628, le commissaire pierre Jouauld, chargé de la gestion des couvents réformés de la congrégation de Bretagne, demandait le soutien du roi « ain qu’il puisse plus facilement fonder sur [le roi] [l]adite commission ». Le roi intervint alors auprès du parlement de Bretagne pour que le religieux fût aidé et soutenu. en fait, si le roi ne peut empêcher les oppositions à la réforme, il tente ainsi d’en annihiler l’eicacité en assurant préalablement le soutien du parlement à l’entreprise de réforme. ces démarches préventives sont autant de preuves que, dès lors qu’il s’agit de réforme religieuse, la procédure d’appel comme d’abus s’avère desservir le projet royal. en airmant son adhésion aux décisions de réforme du supérieur, même étranger, le roi conforte l’autorité du maître général et des agents de celui-ci chargés de mettre en place la réforme au niveau local. car les recours devant les juridictions séculières placent le religieux en confrontation avec l’auteur de la norme ou de la décision contestée, à savoir son supérieur, mettant le juge dans la position d’arbitrer entre le détenteur d’autorité et le religieux supposé obéissant.

ii. — Le juge séculier, arbitre entre supérieurs et religieux dominicains étant donné le vœu d’obéissance qui fonde l’engagement de tout religieux vis-à-vis de son supérieur, se pose la question préalable du droit au recours : « un religieux peut-il appeler de l’ordre de son supérieur ? »28. Le religieux dominicain

27. Jean toravel (o.p.), Les origines de la réforme des dominicains en Bretagne au xviie siècle, hors série des Documents pour servir à l’histoire de l’ordre de Saint-Dominique en France, Lyon, 1978, p. 52. 28. J.-cl. Lucet, Principes du droit canonique universel…, 1re partie, titre XXViii : « du vœu d’obédience », chap. iV, p. 108.

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promet en efet d’obéir à son supérieur « jusqu’à la mort »29. on conviendra que cet engagement s’accommode mal d’un appel comme d’abus. Le droit dominicain prohibe d’ailleurs fermement les recours aux juridictions séculières30. Les canonistes gallicans ne remettent pas en cause l’impératif canonique d’obéissance mais l’assortissent de limites dont l’appel, en principe interdit, fait partie. ainsi, selon Van espen, le religieux doit, dans un premier temps, se tourner vers son supérieur patienter et opportune […] non superbiendo aut resistendo, vel contradicendo31. si le commandement contesté est maintenu malgré ce recours gracieux, le religieux doit alors « présumer que Dieu veut qu’il obéisse et prendre ce parti, en comptant sur le secours divin », suivant ainsi les prescriptions de saint Benoît32. il est diicile d’apprécier dans quelle mesure ce secours divin parvint à contenir les religieux dans l’obéissance, mais il existe une ultime solution en cas d’échec : l’appel comme d’abus33. Les cas de confrontation entre religieux sont envisagés par les auteurs comme autant de cas particuliers d’application de la procédure. charles Févret évoque ainsi les « afaires purement ecclésiastiques » et, pour le cas particulier des religieux, l’exemple choisi concerne ceux qui « appellent des pouvoirs et commissions des vicaires, prieurs ou visiteurs généraux qu’on leur donne, si tant est qu’il y ayt quelque chose qui soit contraire au droit public ou aux statuts approuvés par leur ordre » 34. Dans le cas dominicain, un nombre conséquent de contestations entrent dans ce cadre. Lorsqu’un couvent est désigné pour la réforme, il doit être pris en main par les observants : concrètement, on va chercher à imposer au couvent une hiérarchie réformée. Lorsque le prieur en place est favorable à l’observance, c’est à lui que sera octroyée une commission lui attribuant une mission particulière de réforme. Lorsqu’il faut faire appel à un religieux étranger au couvent,

29. Regula sancti Augustini episcopi et constitutiones fratrum ordinis prædicatorum, paris, 1630, dist. 1, cap. XV : de professione, n. 1, p. 54. 30. V.-m. Fontana, Constitutiones…, cap. de appellationibus, n. 6 et 7. L’interdiction formelle de recourir à un tribunal extérieur à l’ordre est d’ailleurs une disposition moderne (dist. 2, cap. 8, text. 5) initiée par un texte de 1513, conirmée en 1515 et intégrée aux constitutions en 1518. on trouve d’autres références relatives à cette prohibition au chapitre de recursu extra ordinem, col. 544 et suiv. 31. Z B. Van espen, Jus ecclesiasticum universum…, t. i, pars i, tit. XXViii, c. iV, p. 179, n. i. 32. Ibid., p. 179, n. ii, traduction dans le Manuel du canoniste…, p. 108. 33. Ibid., n.  iV et suiv.  : le recours n’est jamais permis en matière disciplinaire, c’est-à-dire contre toutes les décisions relatives à la correction des religieux dans le cadre de leur règle. ce principe se fonde tant sur les bulles pontiicales (alexandre iii, Boniface Viii, innocent iV) que sur l’arrêt du parlement de paris de 1543 qui détermine les cas précités d’ouverture de la procédure ain que les recours ne puissent pas nuire à la correction des mœurs et «  favoriser l’audace des rebelles et des indisciplinés » (p. 180, n. Xiii). 34. c. Févret, Traité de l’abus…, liv. i, chap. iX, n. 6 : « que les gens d’église appellent comme d’abus en cas d’entreprise sur leurs droits et libertés ecclésiastiques ».

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celui-ci interviendra avec le titre de vicaire, de commissaire ou de visiteur, et muni de lettres de commission lui attribuant une juridiction exceptionnelle sur le couvent. cette nomination d’un commissaire réformé vient court-circuiter la hiérarchie – élue – du couvent. d’autre part, les mesures prises en faveur de la réforme contrarient les pratiques qui, si elles ne sont plus strictement orthodoxes, sont habituelles et anciennes. c’est la voie royale pour un appel comme d’abus. ainsi, à saint-maximin-la-sainte-Baume, en 1632, le prieur non-réformé étienne Bonnet est démis de sa charge au proit d’un observant par le chapitre de la congrégation dont dépend le couvent. le prieur appelle comme d’abus de ce qu’il considère comme une spoliation35. l’appel est reçu : en attendant la poursuite de la procédure, le prieur est rétabli dans sa charge et interdiction est faite aux religieux « d’obéir aux lettres ou patentes du général portant destitution ou suspension dudit Bonnet ». L’autorité du maître général est donc réduite à néant à partir du moment où la procédure est reçue par le juge séculier. Le fonctionnement conventuel, la hiérarchie de l’ordre, l’essence même de la vie religieuse sont donc perturbés par ce recours. cependant, cette afaire ofre un retournement de situation intéressant. en efet, le père Bonnet init par se démettre de la procédure d’appel comme d’abus. Dans le même temps, le maître général révoque la suspension du prieur. Le parlement accepte le désistement au regard de l’engagement du maître général de revenir sur la révocation et, si besoin, de punir le religieux selon les règles de l’ordre et de la congrégation. L’afaire sera réglée en interne lors de la visite du maître général ridoli. étienne Bonnet obtient ainsi la charge de prieur au couvent de revel pour atténuer la rigueur de la spoliation de sa charge à saint-maximin passée aux mains des observants36. à la procédure devant le juge séculier se substitue une négociation amiable. Là encore, cette afaire est un exemple type qui permet deux remarques d’ordre plus général. tout d’abord, un nombre assez conséquent d’appels comme d’abus et de recours devant les juridictions séculières ne vont pas jusqu’au bout. s’il est normalement impossible aux parties de se démettre37, l’abus étant d’ordre public, des cas de jurisprudence tendent à permettre les arrangements, dès lors que le procureur général conserve un droit de regard sur les termes de la négociation 35. cette procédure est citée dans pierre Dupuy, Traitez des libertés de l’église gallicane – Preuves des libertez de l’église gallicane, paris, 1639, p. 794. 36. Joseph-hyacinthe albanès, Le couvent royal de Saint-Maximin en Provence de l’ordre des frères prêcheurs, ses prieurs, ses annales, ses écrivains avec un cartulaire de documents inédits, nîmes, 2002 (fac-sim. de l’éd. marseille, 1880), p. 309-310. 37. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique…, v°  abus, p.  69  : «  les appellations comme d’abus ne sont donc sujettes ni à désertion, ni à péremption, ni à aucune in de non-recevoir » ; J.-n. Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence…, p. 86 : « les parties ne peuvent transiger sur l’abus que du consentement des gens du roi qui sont les parties principales dans ces sortes d’afaires ».

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amiable38. c’est donc avec l’accord du parlement que le maître général règle l’afaire de saint-maximin. il conserve son autorité sur ses religieux mais doit néanmoins rendre des comptes à la juridiction séculière39. le rôle d’arbitre du juge séculier est ici particulièrement évident. d’autre part, on se rend compte, à la lecture des imprimés qui circulent autour des afaires dominicaines, que la procédure d’appel comme d’abus fait oice d’épouvantail : les religieux développent tous les arguments qui pourraient justiier un recours. Dès lors qu’il s’agit de réforme, ces arguments sont nombreux : décision étrangère, norme novatrice donc atteinte caractérisée aux libertés de l’église gallicane. Les factums insistent alors sur « les raisons de nullité » ou encore les « moyens de nullités » contre telle ou telle décision du maître général40. c’est efectivement l’autorité de ce dernier qui pâtit directement de la possibilité oferte aux religieux d’agir par la voie de l’appel comme d’abus. Le caractère étranger du supérieur facilite le travail des juristes au service des rebelles. on trouve toujours une remarque relative à l’éloignement du maître général ou même à sa condition de non-régnicole dans les imprimés relatifs aux afaires de l’ordre. ainsi en 1635, les religieux du couvent parisien de saint-Jacques s’opposent à une commission de visite de leur maître général niccolò ridoli qui a pour objectif de les réformer, et développent leurs arguments contre ce Florentin de naissance installé au couvent sainte-sabine de rome : « au préjudice notable du roy et de son estat, le gouvernement de l’ordre, jusque là tempéré par l’aristocratie, dégénère en tyrannie pour dépendre non plus des lois fondamentales de son établissement, des Décrets des papes, des ordonnances des rois, ni des constitutions de l’ordre mais de la seule volonté d’une personne hors de France »41. Les piliers de l’appel comme d’abus sont présentés comme autant de garde-fous contre le pouvoir du maître général étranger42.

38. c. Févret, Traité de l’abus…, liv. i, chap. ii, p. 23, n. 9. 39. autre exemple d’appel comme d’abus sans suite dans h.-Fr. d’aguesseau, Œuvres complètes…, t.  4, p.  195  : l’afaire oppose le couvent du mans à l’un de ses religieux, Julien coutard, et l’appel comme d’abus porte sur une sentence du chapitre provincial. or, il n’y eut « nulles poursuites sur cet appel » et les parties se désistèrent « purement et simplement » pour se soumettre « au jugement de leur général ». 40. parmi d’autres : BnF, Z hoisy 302 (fol. 88), Réponse aux moyens de nullité prétendue en la patente du révérendissime père général de l’ordre des frères prêcheurs, en décision du diférend mû entre les pères de la congrégation de Saint-Louis, pour le fait de la séparation des convents qui sont deçà le Loire (sic) d’avec ceux qui sont delà ; ou encore BnF, 4-LD22-10, Raisons de nullité d’une prétendue sentence surprise à Rome, le 20 mai 1644 par le père Cochet, soi-disant vicaire général de la congrégation gallicane, ordre des frères prêcheurs. 41. BnF, 4-LD22-62, Raisons des prieurs et religieux du Grand Couvent des Jacobins de Paris, pour empescher que lettres ne soient accordées par Sa Majesté à Frère Jean-Baptiste Carré, pour exécuter une commission qu’il dit avoir ain de visiter ledit couvent, 1635. 42. un factum s’intitule même «  Le François contre l’estranger  », plaidoyer de charles de Fourcroy, 13 juillet 1613.

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lorsque les religieux défendent les statuts particuliers de la congrégation gallicane, ils insistent systématiquement sur le danger que représentent les mesures étrangères qui viennent perturber leurs privilèges. certes, dans le cadre d’un appel comme d’abus, le juge séculier ne se prononce pas sur la légitimité du supérieur mais sur la légalité d’une décision juridictionnelle ou d’un texte normatif. pourtant, du fait de l’appréciation de la légalité du texte, le juge est placé en arbitre entre le détenteur d’autorité et celui qui est censé obéir : en attendant le verdict, l’autorité du supérieur est en suspens et les religieux déliés de leur obéissance. en conclusion, la procédure d’appel comme d’abus est souvent utilisée par les religieux dominicains ain d’empêcher la réforme des couvents. Les arguments gallicans sous-tendent les requêtes : le droit particulier des congrégations est assimilé aux libertés de l’église gallicane. il s’agit d’un droit ancien, validé par les autorités séculières, qui doit résister aux nouveautés étrangères constituées par les décisions réformatrices d’un maître général non-régnicole. même si cette assimilation est théoriquement contestable, les appels comme d’abus sont suisamment pertinents pour être reçus par les cours. or, ces procédures desservent le projet royal. Du coup, elles n’aboutissent pas : soit les procédures sont désamorcées par une intervention royale en amont auprès des parlements, soit les arrêts favorables aux rebelles sont a posteriori remis en question par le pouvoir royal. toujours est-il que la procédure est souvent utilisée à contre-emploi par les religieux43. toutefois, il existe des cas où la procédure d’appel comme d’abus rencontre sa vocation première : celle qui vise à procurer au religieux une possibilité, en tant que sujet du roi, de bénéicier de la protection de ce dernier contre les abus d’autorité de sa hiérarchie. ainsi, le frère Julien coutard a-t-il pu trouver le soutien du parlement contre son propre couvent44. après quatorze années de vie religieuse, ce religieux s’était en efet vu refuser la profession tacite par le chapitre provincial. ayant formé un appel comme d’abus contre cette sentence, il voit sa cause soutenue par d’aguesseau qui argumente en sa faveur. Juridiquement, le droit commun du royaume et l’intérêt public sont contre les professions tacites (et donc a priori contre la reconnaissance de la possession d’état revendiquée par le religieux dominicain), tandis que les constitutions dominicaines reconnaissent de tels engagements. pour autant, le juriste ne met pas en avant l’application du droit dominicain mais il incite la cour à juger en toute équité. L’intérêt public peut-il en efet légitimer le rejet d’un religieux ayant fait son noviciat observant et justiiant de quatorze années 43.on peut espérer voir ces conclusions conirmées par une recherche approfondie : les archives parlementaires n’ont pas été dépouillées et mon enquête ne s’appuie que sur un nombre encore limité de procédures engagées au seul xviie siècle. 44. h.-F. d’aguesseau, Œuvres complètes…, t. iV, p. 188-228.

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de possession paisible ? la cour suit les conclusions du chancelier pour constater l’abus et rendre ainsi justice au religieux contre son couvent et sa province. on remarque alors que, dans cette afaire, il ne s’agit pas de faire prévaloir le droit séculier sur le droit religieux ou l’inverse. d’aguesseau place l’équité au-dessus de la lettre des deux droits, esquivant la question du conlit normatif qui aurait été stérile. l’« histoire peu éclatante de Julien coutard » ofre ici un cas idéal45 dans lequel la procédure d’appel comme d’abus permet le triomphe de la justice et, une fois n’est pas coutume, assure le secours d’un pauvre religieux épileptique contre sa communauté. ninon maillard université de nantes Droit et sociétés religieuses

45. D’aguesseau admet lui-même que les circonstances de l’afaire sont « singulières » : il n’y a pas d’un côté un religieux voulant renoncer à son état et, de l’autre, une communauté qui lui rappelle l’engagement inviolable qu’il a contracté, mais un religieux qui réclame la reconnaissance de son engagement et une communauté qui la lui refuse.

entre droit cistercien, droit canonique et droit de l’état : La JuriDiction De L’aBBé De cÎteauX au XViie siÈcLe par

Bertrand marceau

selon pierre-toussaint Durand de maillane, l’autorité d’un abbé supérieur se compose de trois puissances, celle d’économie (conservation des biens temporels), celle d’ordre (le service divin) et celle de juridiction (droit de correction à l’intérieur d’un monastère)1. La juridiction est donc entendue ici comme le pouvoir de l’abbé de régir impérativement les actes de ses sujets monastiques2, moines comme moniales3. De 12654 à la révolution, l’abbé de cîteaux5 n’a de

1. pierre-toussaint Durand de maillane, v° abbé, dans Dictionnaire de droit canonique, t. i, Lyon, 2e éd., 1770, p. 14-15. Dans cette rubrique, l’auteur déinit bien les pouvoirs d’ordre et de juridiction selon la distinction habituellement opérée par les canonistes ; par le terme d’économie, il désigne les prérogatives de l’abbé, administrateur du temporel de son monastère. 2. Joseph Baucher, v° Juridiction, dans Dictionnaire de théologie catholique, éd. alfred Vacant, eugène mangenot et émile amann, paris, 1924, t. Viii, col. 1977. Le pouvoir de juridiction est « le pouvoir de régir impérativement les actes des sujets ». selon l’étymologie jus dicere, « dire le droit », est le pouvoir de porter une loi, pour le gouvernement et la direction d’un autre. 3. marie-élisabeth henneau, « La juridiction de l’ordre de cîteaux sur les communautés de la branche féminine aux pays-Bas et dans la principauté de Liège, xve-xviiie siècles », dans Cîteaux et les femmes, éd. Bernadette Barrière et marie-élisabeth henneau, paris, 2001, p. 298-315. 4. Le 9  juin 1265 est publiée la bulle Parvus fons de clément  iV, dite couramment la clémentine, qui règle le fonctionnement de l’ordre suite au conlit entre l’abbé de cîteaux et celui de clairvaux. à partir de cette date, les statuts du chapitre général, qui doit se tenir tous les ans, reposent sur les délibérations des vingt-cinq déiniteurs. roger de Ganck, « Les pouvoirs de l’abbé de cîteaux, de la bulle Parvus fons (1265) à la révolution française », dans Analecta Cisterciensia, t. 27, 1971, p. 3-63. 5. Les abbés de cîteaux étudiés ici sont edme de La croix (1584-1604), nicolas Boucherat (1604-1625), pierre nivelle (1625-1635), le cardinal de richelieu (1635-1642), claude Vaussin (1645-1670) et Jean petit (1670-1692).

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juridiction ordinaire et propre que dans son abbaye et dans celles dont il est le père immédiat, comme tout père immédiat de l’ordre cistercien6. toutefois la nature exacte de cette juridiction pose problème, car l’abbé de cîteaux n’est pas seulement le père de l’une des principales iliations de l’ordre, il est aussi le chef juridique au centre des institutions, l’auctoritas prima prétendant, au xviie siècle, détenir les pouvoirs du chapitre général lorsque celui-ci ne tient pas7. Dans sa personne, l’autorité n’est ni précaire ni empruntée, étant naturellement attachée à sa qualité de chef et supérieur général8 ; cependant sa juridiction ordinaire, comme celle des quatre premiers pères (La Ferté, pontigny, clairvaux et morimond) et celle des pères immédiats vient par délégation du chapitre général9. selon l’abbé de cîteaux, sa juridiction volontaire10 comprend, dans son sens plein, un ensemble de droits importants : notamment le droit de visiter11 tous les monastères de quelque ligne ou iliation que ce soit, le droit de faire tous les actes importants concernant la réformation ou la police générale de l’ordre ; le droit de donner les mandements et les privilèges pour l’impression des livres de l’ordre ; le droit d’accorder le pouvoir et la commission tant aux quatre premiers pères qu’aux autres abbés de conférer la bénédiction abbatiale ; et le droit d’indiquer l’élection aux quatre premières abbayes (et non pas seulement lorsqu’il est en cours de visite)12. ain d’appuyer ces prétentions, les religieux de cîteaux conservent avec grand soin les privilèges en leur faveur accordés par les diférentes autorités ecclésiastiques et séculières13.

6. Le père immédiat est l’abbé d’une abbaye fondatrice et le chef des abbayes-illes, qui joint à son autorité propre sur son abbaye une juridiction sur les maisons de sa iliation. La démission d’un abbé se fait dans les mains du père immédiat. 7. Le chapitre général est l’assemblée plénière des abbés cisterciens, à la fois le tribunal souverain de l’ordre et le pouvoir suprême législatif, administratif, exécutif et judiciaire dans l’ordre. il est appelé parfois le « sénat des abbés », par exemple dans J. Lacoste, Consultation, Dijon, 1766, p. 24. 8. nous reprenons ici les termes de l’un des avocats de l’abbé de cîteaux au xviiie siècle : Drou, Au roi, et nos seigneurs de son conseil, [paris], de l’imprimerie de J. chardon, 1761, p. 8. L’autorité « dans la personne de l’abbé n’est pas une autorité précaire et empruntée ; elle lui est au contraire naturelle ; elle est inhérente à sa qualité de chef et supérieur général ». 9. r. de Ganck, « Les pouvoirs de l’abbé de cîteaux… », p. 13. 10. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique, t.  iii, 1770, p.  136  : «  La jurisdiction volontaire se sous-divise en gracieuse & pénitentielle, selon qu’elle est exercée dans le for intérieur ou extérieur ». 11. Le droit de visite est aussi un devoir, rappelé par le vingtième décret de la XXe session du concile de trente. Les chefs d’ordre doivent visiter et corriger les monastères qui dépendent d’eux, y compris ceux qui sont en commende. Gian Domenico mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, paris, 1902, t. XXXiii, col. 179-180. 12. Jean-Louis Brunet, Mémoire pour monsieur l’abbé général de l’ordre de Cîteaux, intimé et défendeur. Contre les abbés de La Ferté, de Pontigny et de Clairvaux, appelants comme d’abus et demandeurs, [paris], de l’imprimerie de claude robustel, 1730, p. 24-25. 13. pour un exemple de cet attachement, voir BnF, moreau 818, fol. 25, lettre de Jean Bougeret,

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les pouvoirs de l’abbé de cîteaux sont contestés par plusieurs autorités, à la fois internes et externes à l’ordre cistercien, entraînant des conlits de juridiction nombreux et coûteux. trois principes juridiques s’opposent de manière parfois brutale : la tradition de l’ordre, qui est un droit constitué par un ensemble de statuts et de privilèges enregistrés par chaque chapitre général, doté d’un pouvoir législatif14 ; les normes du droit canonique général15 ; et, selon l’expression de Jean Gaudemet, le « droit d’origine séculière en matière ecclésiastique »16. Fruit de la construction séculaire d’une « sphère autonome de normativité »17, la conscience d’un droit propre à l’ordre est aiguë jusqu’à la révolution ; les moines tiennent à ce droit particulier, fondé sur la tradition cistercienne, et tentent d’invoquer les privilèges et les dérogations au droit commun qu’il permet18. secrétaire de pierre nivelle, à Jacques Le Belin, avocat à Dijon, cîteaux, 4 juin 1626. « suivant ma promesse, je vous envoye le livre où aucun de nos privileges sont inserés, particulierement ceux qui nous sont concedez par innocent huictiesme [innocent Viii], et conirmez par noz roys nommement par sa majesté à present regnante, et emologuez à la cour du parlement de paris. nous avons tant et de si beaux privileges qui nous ont esté octroyés et conirmez par tous les saincts peres, fors celuy qui est à present seant [urbain Viii], que inopem me copia fecit, et fauldroit avoir une charrette pour mener tous les originaux que nous avons ceans, les conirmations d’iceux par les princes, par les parlemens, et tous les beaux arrests qui sont pour maintenir la jurisdiction de l’abbé de cisteaux sur ses monasteres », etc. 14. Le droit cistercien est ici entendu comme l’ensemble des règles régissant les rapports des religieux dans la société monastique, fondé sur la règle de saint Benoît et les décrets des chapitres généraux depuis la fondation de cîteaux en 1098, codiiés au xiiie siècle. en ce sens, voir colomban Bock, Les codiications du droit cistercien, westmalle, 1955, p.  1-4. Le droit cistercien se sépare « en deux parties distinctes : le droit constitutionnel, c’est-à-dire les textes organiques qui créent et organisent l’ordre de cîteaux ; le droit non-constitutionnel, c’est-à-dire les règles de toutes sortes, administratives, liturgiques, économiques, disciplinaires, qui régissent la vie de toutes les abbayes qui constituent juridiquement l’ordre de cîteaux tel que le déinit le droit constitutionnel », selon la division établie par Bernard Lucet, Les codiications cisterciennes de 1237 et de 1258, paris, 1977, p. 1. 15. La place du droit canonique dans une société fortement christianisée n’est pas seulement celle d’un droit spéciique propre aux institutions ecclésiastiques. Voir olivier poncet, La papauté et la provision des abbayes et des évêchés français de 1595 à 1661. Recherches sur l’esprit des institutions pontiicales à l’époque de la réforme catholique, thèse sous la direction d’Y.-m. Bercé, université parissorbonne (paris 4), paris, 1998, 2 t., p. 3. 16. Jean Gaudemet, Les sources du droit canonique, paris, 1993, p. 183. ce dernier droit trouve en France une terre d’élection, créant pour cîteaux à la fois un protecteur eicace et un législateur enclin à empiéter sur le domaine que l’ordre estime devoir être conservé suivant ses anciens privilèges. 17. alain Boureau, La loi du royaume. Les moines, le droit et la construction de la nation anglaise (xie-xiiie  siècles), paris, 2001, p.  212. «  L’ambition de l’ordre [cistercien] était de constituer une sphère autonome de normativité, coupé aussi bien des poussées du bas (les coutumes locales) que des pressions du haut (l’exercice du jus commune) ». 18. Voir an, G8 802, fol. 85-85v. appel comme d’abus de l’institution pour l’abbé de La Ferté, xviiie siècle. Lors d’une querelle du xviiie siècle sur l’institution donnée par l’abbé de cîteaux à l’abbé de La Ferté pour présider au chapitre général en son absence, les religieux appelants (les premiers pères) notent  : «  il n’y a pas de loi particulière dans l’ordre de cisteaux qui permette

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dans le contexte d’émergence des sentiments nationaux qui ont brisé le cadre médiéval de la chrétienté et qui favorisent le relâchement des liens de charité dans l’ordre, et face à la réforme qui déchire les monastères en deux observances (la commune observance d’une part, l’étroite observance de l’autre)19, la juridiction de l’abbé de cîteaux ne peut s’exercer qu’en cherchant à réorganiser les structures du gouvernement de l’ordre à son proit. la in du xvie siècle est marquée par des diminutions renouvelées afectant la juridiction de l’abbé de cîteaux, particulièrement avec la naissance des congrégations nationales et la séparation des Feuillants20. comment caractériser la position délicate de l’abbé de cîteaux pour gouverner un ordre ancien en pleine mutation ? quelle est l’étendue exacte de sa juridiction au xviie siècle ? on examinera d’abord la nature des conlits d’autorités, avant d’étudier leurs résolutions, qui mettent en lumière les évolutions de la juridiction cistercienne.

i. — La nature des conflits de juridiction temps de mutation et de crises pour l’ordre de cîteaux, le xviie siècle est un temps de conlits nombreux. La juridiction cistercienne est l’objet de contestations à l’occasion d’un impératif majeur : la réforme, voulue ou subie.

1. La réforme voulue Le premier type de conlit apparaît dans les réformes internes à l’ordre, promues et voulues par les supérieurs. Les structures institutionnelles de l’ordre ont été réorganisées en provinces, coniées à des vicaires provinciaux qui a commission du chapitre général ou de l’abbé de cîteaux. cette évolution apparaît rapidement comme une solution insuisante. en efet, la naissance de l’étroite observance conduit les monastères réformés à demander l’exclusion expresse de la juridiction ordinaire des vicaires provinciaux. or cette demande est après plusieurs années agréée par nicolas Boucherat dans sa commission de juillet 1623, qui nomme l’abbé de La charmoye étienne maugier (1608-1637) premier vicaire des

à l’abbé de se faire substituer lorsqu’il s’absente. il faut donc suivre le droit général dans l’ordre ecclésiastique et dans l’ordre religieux ». 19. polycarpe Zakar, Histoire de la stricte observance de l’ordre cistercien depuis ses débuts jusqu’au généralat du cardinal de Richelieu (1606-1635), rome, 1966. on distingue d’une part les religieux de la commune observance, majoritaires et idèles aux traditions cisterciennes, appelés les anciens, et d’autre part les religieux de l’étroite observance, réformés et pratiquant une lecture de la règle de saint Benoît plus stricte, appelés les abstinents. 20. Benoist pierre, La bure et le sceptre. La congrégation des Feuillants dans l’airmation des états et des pouvoirs princiers (vers 1560-vers 1660), paris, 2006.

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monastères réformés : cette commission exclue formellement les établissements de l’étroite observance de la juridiction ordinaire des vicaires provinciaux21. Le risque est celui d’une scission, voire d’un schisme, entre les anciens moines et les nouveaux abstinents, menaçant les équilibres internes de l’ordre. en ce sens, le conlit d’autorités peut traduire l’incapacité à poursuivre la réforme de certains monastères dans le cadre institutionnel ancien. La diiculté de faire évoluer l’ordre conduit parfois l’abbé de cîteaux à renoncer presque volontairement à ses droits, ou du moins à consentir à leur diminution. en décembre 1624, nicolas Boucherat entérine et conirme les articles conclus entre Jean-François de Gondi, archevêque de paris (1623-1654), et l’abbesse réformatrice de port-royal, angélique arnauld (1602-1630)22, en alléguant la raison suivante : « quoyque plusieurs d’iceux [articles] soient contraires à noz privileges, je n’ay faict diiculté de conirmer, eu esgard au grand desir que j’ay de concourir et cooperer de tout mon pouvoir au bien advancement spirituel de vostre maison, à l’endroict de laquelle je conserveray, voire augmenteray mon soing et afection particuliere »23.

2. La réforme subie Le deuxième type de conlit apparaît dans les réformes subies, lorsque les supérieurs cisterciens sont en désaccord avec la réformation qui s’impose à eux. un bon exemple de démembrement interne à l’ordre est celui des abbés cisterciens de castille, qui ofre le cas d’une province entière ne se reconnaissant plus dans la mère commune24. La congrégation castillane est émancipée de cîteaux depuis le xve siècle et lorsque edme de La croix veut entrer en castille au printemps 21. commission de nicolas Boucherat pour étienne maugier, Dijon, 28  juillet 1623, dans Constitutiones et acta capitulorum strictioris observantiae ordinis cisterciensis (1624-1687), éd. Julius Donatus Leloczky, rome, 1967, p. 145. Le vicariat donné à étienne maugier par nicolas Boucherat est renouvelé le 6 février 1628 par son successeur pierre nivelle. 22. sur la réforme de la mère angélique arnauld, voir Jean Lesaulnier, «  La première communauté de la mère angélique arnauld », dans, Chroniques de Port-Royal, n° 60 : Port-Royal dans la Réforme catholique (1602-1627), 2010, p. 17-30. 23. Bm de troyes, ms. 2338, fol. 12, lettre de nicolas Boucherat à angélique arnauld, cîteaux, 24 décembre 1624. Le 16 décembre 1624, l’abbé de cîteaux donne son accord pour la translation des religieuses de port-royal-des-champs à paris. ce transfert prélude au détachement de portroyal de la juridiction cistercienne, acté par le bref d’urbain Viii du 15 juin 1627. Voir BnF, fr. 15805, fol. 39, consentement de nicolas Boucherat pour les moniales de port-royal, cîteaux, 16 décembre 1624. 24. Francisco rafel De pascual, « Los orígenes de la congregación de castilla », dans Cistercium, t.  46, n°  199, 1994, p.  765-814. ain de rénover la vie religieuse, les religieux de l’observance régulière de saint Bernard fondée par martín de Vargas établissent des normes pratiques et exigeantes. moine de piedra, martín de Vargas obtient à partir de 1425 d’être exempt de la juridiction de son abbé, de l’abbé de cîteaux et du chapitre général.

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1604, il se heurte au refus de philippe iii (1598-1621)25, qui veille jalousement à l’autonomie des abbés castillans. L’abbé général se contente donc de la visite des monastères navarrais, catalans et valenciens, dont les plus importants sont poblet et santes creus26. La réforme épiscopale est le second cas de réforme subie, car les évêques sont particulièrement friands de la supervision des monastères de moniales, exemptes ou non. il est fréquent que la réforme épiscopale tende à réduire les privilèges cisterciens : ainsi l’évêque de Langres sébastien Zamet (1615-1655) visite-t-il en juillet 1622 l’abbaye du tart alors que l’abbé de cîteaux, invoquant le privilège d’exemption, lui dénie toute juridiction sur celle-ci27. Les démarches répétées de l’évêque-duc de Langres aboutissent quelques années plus tard à la translation du tart à Dijon (24 mai 1623), puis à son démembrement de l’ordre de cîteaux et au placement sous la juridiction expresse de l’ordinaire28. La colère de l’abbé général pierre nivelle, qui fait appel au parlement de Dijon, est impuissante à contrecarrer cette séparation déinitive29. De la même manière, certains évêques dénient tout pouvoir abbatial sur les moniales de leur diocèse autre que les interventions autorisées expressément, remettant en cause le privilège de l’exemption de l’ordinaire. sous les pressions épiscopales renouvelées, le domaine d’intervention de l’abbé de cîteaux se réduit car plusieurs abbayes échappent à son pouvoir30. 25. un récit de l’audience accordée par le roi à l’abbé de cîteaux à Valence est donné par Barthélemy Joly, qui accompagne edme de La croix dans son périple. Voir Barthélemy Joly, « Voyage en espagne », dans Revue hispanique, t. XX, n° 58, juin 1909, p. 509-510 et p. 536. 26. eufemià Fort i cogul, «  Viatge a poblet i a santes creus de l’abat general del císter i algunes notícies que s’hi relacionen », dans Miscellanea populetana (Scriptorum Populeti), t. 1, 1966, p. 433-446. 27. edme-Bernard Bourée, La vie de Madame de Courcelle de Pourlan, derniere abbesse titulaire et reformatrice de l’abbaye de Notre-Dame du Tart, Lyon, Jean certe, 1699, p. 102 ; Louis prunel, Lettres spirituelles de Sébastien Zamet, évêque-duc de Langres, pair de France, paris, 1911, p. 57, n. 1. L’évêque de Langres est en visite dans son diocèse lorsqu’une religieuse du tart vient le trouver à saint-Jean-de-Losne pour lui demander de visiter le couvent, d’en constater les dérèglements et d’en entreprendre la réforme. 28. Jacques Laurent et Ferdinand claudon, Abbayes et prieurés de l’ancienne France. Recueil historique des archevêchés, évêchés, abbayes et prieurés de France, t. Xii, 3e partie, paris/Ligugé, 1941, p.  590-591. Les moniales du tart se réfugient à Dijon en raison de l’insécurité qui règne dans les campagnes. Leur abbesse, Jeanne-Françoise de courcelle de pourlan, veut les ramener à une observance régulière, pour les astreindre à une règle de vie austère, inspirée à la fois par les clarisses et le jansénisme, et par cîteaux. placées sous la juridiction de l’évêque diocésain et soutenues fermement par sébastien Zamet, les abbesses deviennent triennales à partir de 1626. 29. pierre hélyot, Histoire des ordres monastiques religieux et militaires et des congrégations séculières de l’un et l’autre sexe, t. V, paris, Jean-Baptiste coignard, 1718, p. 477. La soustraction de juridiction de l’ordre de cîteaux est demandée en raison de l’opposition de pierre nivelle à la réforme et obtenue par deux brefs d’urbain Viii des 28 janvier et 27 septembre 1626. 30. Les abbayes de port-royal et du tart sont les cas plus connus, mais on pourrait citer aussi les moniales de Bussières, qui obtiennent en juillet 1628 un bref les soumettant à l’archevêque de

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3. L’échec de la réforme des cardinaux au xviie siècle, le conlit le plus rude pour cîteaux apparaît dans la réforme menée par les cardinaux, d’abord François de La rochefoucauld à partir de 162231, puis armand de richelieu à partir de 163532. La pression des cardinaux est plus forte que celle des évêques. Louis Xiii a nommé le cardinal de La rochefoucauld visiteur apostolique pour réformer en France les ordres de saint-Benoît, de saintaugustin, de cîteaux et de cluny. La nomination lui arrive de la cour de paris et non de rome, mais le pape Grégoire XV lui donne son consentement par son bref du 8 avril 162233. si leur action est vive et même brutale, car les cardinaux emploient le recours à la force armée, elle rencontre une vive résistance de la part des moines de la commune observance. L’ordonnance particulière du cardinal de La rochefoucauld du 4 janvier 1625, qui vise à protéger la réforme à clairvaux, suscite par exemple une réaction violente des religieux de clairvaux, attachés à la juridiction de l’abbé de cîteaux : il n’est pas croyable que monseigneur le cardinal ait voulu renverser ce qui a été ordonné par le sieur abbé de cîteaux, supérieur de l’ordre. […] si son bref lui donne pouvoir de visiter et réformer, il ne lui baille pas une juridiction perpétuelle pour renverser l’autorité du supérieur de l’ordre et ses jugements34.

Devant l’échec de ses premières mesures de réforme, le cardinal de La rochefoucauld mûrit ensuite une réformation complète du cœur des institutions cisterciennes : pour ce faire, la sentence réformatrice de 1634 prétend suspendre la juridiction de l’abbé de cîteaux et du chapitre général35. Là encore, la capacité de Bourges et non plus aux pères cisterciens. alain Guerrier, « quatre itinéraires de réforme en France au xviie siècle », dans Cîteaux et les femmes…, p. 276, n. 73. 31. Joseph Bergin, Cardinal de La Rochefoucauld : Leadership and Reform in the French Church, Londres/new haven, 1987. 32. Louis Lekai, «  cardinal richelieu as abbot of cîteaux  », dans he Catholic Historical Review, t. 42, n° 2, juillet 1956, p. 137-156. 33. archivio segreto Vaticano (asV), segretaria dei Brevi 658, fol. 69-70v. 34. Remontrances très humbles au roi, par les religieux de l’abbaye de Clervaux [Clairvaux], s. l., [1625], p.  36. Les religieux caractérisent l’ordonnance cardinalice comme illégale mais aussi comme illégitime car menée de l’extérieur et méconnaissant la situation réelle des monastères : si « monseigneur le cardinal se fut transporté en l’abbaye de clairvaux, il y eût vu un tel ordre, la discipline régulière si bien observée, le service si bien célébré, les religieux si bien instruits, et la piété tellement pratiquée qu’il eut reçu tout contentement », ibid., p. 29-30. 35. publiée le 27 juillet 1634, la sentence du cardinal conie le pouvoir et la tutelle de l’ordre à un vicaire général choisi parmi les membres de l’étroite observance. cette mesure est transitoire, étant conçue pour donner le temps à l’étroite observance de grandir au point de pouvoir gérer les grandes abbayes, dont le chef d’ordre. Voir François de La rochefoucauld, Sentence pour le rétablissement de l’observance régulière en l’ordre de Cîteaux, paris, 1634, 32 p.

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résistance de l’ordre a raison de la volonté de la rochefoucauld, dans la mesure où les religieux de cîteaux font appel à richelieu en invoquant la nécessité de conserver intacte la juridiction cistercienne : nos roys très chrestiens ont tousjours advoué digne de leur soin la protection de l’ordre de cisteaux, lequel ayant prins sa naissance dans les terres du royaume, s’est respandu par toute la chrestienté, la superiorité et juridiction conservée à l’honneur de la France. et sont tous les religieux de cet ordre demeurants dans les souverainetez estrangeres, en nombre presque ininy, obligez de recongnoistre la France pour leur mere commune, source et origine de leur bonheur, et sont obligez de se trouver en France toutes et quantes fois qu’ils y sont mandez par l’indiction du chapitre general convocqué par l’abé de cisteaux avec l’advis et consentement des quatre premiers peres pour recevoir la loy qui leurs est baillée en l’assemblée des peres de cet ordre36.

élu pour protéger l’ordre des attaques extérieures à l’automne 1635, et reléguant pierre nivelle à l’évêché de Luçon, le cardinal de richelieu détrompe les attentes de la commune observance et reprend le programme réformateur de La rochefoucauld. Voulant appuyer plus manifestement encore la réforme, richelieu exclut tous les religieux membres de l’ancienne observance de toute fonction de juridiction37. L’afaiblissement de l’autorité de l’abbé général est marqué dans les années 1623-1645, au temps de la réforme des cardinaux, mais la mort de richelieu et l’élection tumultueuse de claude Vaussin38 ramène à la tête de l’ordre un abbé énergique de la commune observance. en dépit de la vigueur des ofensives afectant sa juridiction, cîteaux conserve pleinement ses attributions de gouvernement au moyen de compromis subtils, qui permettent à l’abbé général de diriger son ordre en évitant le schisme.

36. archives du ministère des afaires étrangères (mae), mémoires et documents, France 810, fol.  341-342, lettre de pierre nivelle, Yves sauvageot abbé de La Ferté (1600-1655), charles Boucherat abbé de pontigny (1613-1643) et claude Largentier abbé de clairvaux (1624-1653), au cardinal de richelieu, s. l., [2 août] 1634. 37. aD de la côte-d’or, 1 F 17, fol. 24. malgré l’opposition de certains religieux de cîteaux, richelieu « prit cependant possession de l’abbaye le 15 janvier 1636 et en chassa tous les religieux anciens, leur ayant substitué des réformés ». Le 29 janvier 1636, deux semaines après son installation à cîteaux, richelieu établit vicaire général de l’ordre charles Boucherat, qui visite le collège des Bernardins de paris et exclut par sentence les abbés et religieux de la commune observance de toute fonction de juridiction. 38. Louis Lekai, « he election of claude Vaussin as abbot of cîteaux », dans Revue bénédictine, t. LXVii, n° 3-4, 1957, p. 202-219.

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ii. — les facteurs de résolution des conflits devant la multiplicité des bouleversements et la vigueur des attaques, l’abbé de cîteaux suit une politique de compromis habile, abandonnant ce qui est irrémédiablement perdu et renforçant le champ qui demeure sous son égide. il résout donc au cas par cas les problèmes épineux soulevés par l’entrelacement des diférents droits. l’abbé général s’appuie pour cela sur le soutien de la majorité des pères, français et étrangers, soutien qui lui permet d’exercer sa juridiction par la mise en œuvre de son droit de visite.

1. Le réseau cistercien : le soutien des abbés français et étrangers chaque tentative de diminution des privilèges de l’ordre amène en retour la mobilisation de toutes les forces de l’ordre ain d’en empêcher l’efet39. l’importance du réseau religieux et politique de l’ordre ofre de nombreux appuis aux religieux, qui harcèlent à chaque niveau d’autorité leurs opposants : procureur et conseil dans chaque abbaye, vicaires provinciaux ou présidents de congrégations le cas échéant, procureur général de l’ordre en cour de rome. La défense des droits cisterciens n’est solide que si les abbés de chaque province soutiennent les institutions centrales. ce sont ainsi les abbés étrangers qui par la requête du 9 février 1660 favorisent la victoire de la commune observance : si la requête est rédigée formellement par eustache de Beaufort, abbé de sept-Fons (1656-1709) et procureur des suppliants, la démarche est soutenue par les abbés et vicaires généraux de pologne, de hongrie, de Bohême, d’autriche, de styrie, de moravie, de Franconie, de Basse-allemagne, de Flandre, du comté de Bourgogne, de suisse, de toscane, de calabre, Lucanie et sicile, etc.40. en dehors des temps de crise, l’adhésion à la juridiction de cîteaux est perceptible après chaque élection abbatiale, lorsque les abbés eux-mêmes

39. pour un exemple de réaction immédiate et d’appel à la solidarité de l’ordre, voir aD de l’aube, 3 h 3276, n° 20, lettre de claude Vaussin à pierre henry, abbé de clairvaux (1654-1676), cîteaux, 28 avril 1665, 2 fol. «  pour ce qui concerne les usurpations des puissances seculieres et ecclesiastiques contre les droitz et immunitez de nostre ordre, dont vous m’avez escri, c’est une afaire de grande importance et de longue halene, qui merite bien l’emploi de tout nostre ordre pour les empescher. aussi est-ce un mal si grand et invercé qu’il est besoin de grandes puissances pour y remedier, comme nous devons faire conjointement », etc. 40. eustache de Beaufort, Requête des abbés et religieux de l’ordre de Cîteaux des pays étrangers. À nos seigneurs de parlement, s. l., [1660], 7 p.

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demandent leur conirmation auprès du supérieur général41, bien que cette conirmation génère parfois de fortes oppositions42.

2. L’exercice personnel de la juridiction : la visite le moyen le plus eicace de vériier la bonne application des statuts de l’ordre est la visite, à la fois de charité et de juridiction. dans la ligne voulue par le concile de trente, les abbés de cîteaux ont entrepris un vaste programme de visites dans le royaume de France et en dehors. pour le xviie siècle, on relève notamment le voyage dans la péninsule ibérique de edme de La croix, qui inspecte les monastères de la couronne d’aragon (1603-1604) ; les visites dans les pays germaniques de nicolas Boucherat, qui préside à prague le chapitre provincial de l’ordre (1616) ; les nombreux voyages de claude Vaussin, qui se rend une fois dans les pays germaniques (1654)43 et trois fois dans la péninsule italienne (1661-1662, 1664 et 1666). ces voyages démontrent la capacité de l’abbé général à exercer son autorité dans les abbayes étrangères au royaume de France. on constate même que l’abbé de cîteaux se rend dans certains monastères qui n’avaient jamais reçu la visite du supérieur général. ainsi à heinrichau, monastère de silésie, visité en bonne et due forme par nicolas Boucherat en janvier 1616, preuve de la juridiction transnationale intacte44. ce sont les abbés eux-mêmes qui sollicitent les 41. ainsi les abbés de wettingen, au diocèse de Bâle, sont-ils régulièrement conirmés au xviie siècle par les abbés de cîteaux : christophe Bachmann (1633-1641) par pierre nivelle en octobre 1633 ; Bernhard Keller (1649-1659) par claude Vaussin en juillet 1649 ; Gerhard Bürgisser par le même Vaussin en septembre  1659 ; Benedikt staub (1670-1672) par Jean petit en novembre  1670. andré hägler et anton Kottmann, « wettingen », dans Helvetia sacra, III/3 : Die Zisterzienser und Zisterzienserinnen, die reformierten Bernhardinerinnen, die Trappisten und Trappistinnen und die Wilhelmiten in der Schweiz, éd. patrick Braun et cécile sommer-ramer, Bâle, 1982, p. 471-476. 42. en 1616, le nonce en Flandre plaide pour la séparation des abbayes lamandes de l’autorité de cîteaux (et également de prémontré) et pour la in de la conirmation de l’abbé général lorsque les abbés sont nommés par les archiducs et que les abbayes sont inscrites sur les registres de la chambre apostolique. Voir la lettre de ascanio Gesualdo, nonce en Flandre, au cardinal Borghese, Bruxelles, 24 septembre 1616, dans asV, Fondo Borghese ii, t. 102, fol. 309 ; éditée dans Lucienne Van meerbeeck, Correspondance des nonces Gesualdo, Morra, Sanseverino, avec la secrétairerie d’état pontiicale (1615-1621), Bruxelles/rome, 1937, p. 81. 43. Le but de ce voyage est double  : à la fois visite générale des monastères allemands et présidence du chapitre de la congrégation de haute-allemagne, qui se tient à rottweil en août 1654, ain d’examiner les statuts de ladite congrégation. Leonard scherg, « Die statuten der oberdeutschen Kongregation des cistercienserordens (2). Zur Vorgeschichte des nationalkapitels in rottweil (1650-1654) », dans Analecta Cisterciensia, t. 57, 2007, p. 3-98. 44. nicolas Boucherat est assisté de Georg urat, abbé de Königsaal et vicaire général pour la Bohême, et de Jean Foucart, abbé de nizelles et docteur en théologie. Voir l’édition de la charte de visite dans heinrich Grüger, « Die Visitation des Generalabtes nicolas Boucherat in schlesien (1616) », dans Mélanges à la mémoire du père Anselme Dimier, éd. Benoît chauvin, t. ii, vol. 3, pupillin, 1984, p. 107-109.

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visites de l’abbé de cîteaux lorsque celui-ci se rend dans leur province. lorsque, à l’automne 1661, claude vaussin se rend à rome pour plaider la cause de son ordre, ce sont par exemple les moines de Faenza ou de Regina Angelorum qui réclament sa visite de juridiction, que celui-ci délaisse par manque de temps45. si l’abbé de cîteaux conserve au xviie siècle de larges attributions et peut visiter ses abbayes-illes comme le prévoit la charte de charité, c’est donc grâce à l’appui réel dont il bénéicie dans l’ordre. mais cette supériorité ne pourrait pas s’exercer sans les soutiens de la cour de rome et de la cour de France.

3. Un double appui : Rome et le roi de France Le soutien du souverain pontife est ancien et explicite, mais non pas uniforme. La papauté a sinon favorisé, du moins approuvé la création des congrégations nationales, tout en prétendant que cela ne diminuait en rien l’autorité des supérieurs cisterciens. toutefois, l’émergence des congrégations ne se traduit ni ouvertement ni immédiatement par une diminution des droits traditionnels. ainsi la congrégation romaine, approuvée en 1623 par Grégoire XV, reste-t-elle soumise à la juridiction, correction et visite des abbés de cîteaux, des premiers pères ou des commissaires du chapitre général : les religieux de cette congrégation doivent envoyer un représentant au chapitre général ; ils reçoivent les ordonnances du chapitre général ; ils doivent envoyer leurs règlements pour conirmation au chapitre général46. mais cela n’empêche pas leur évolution rapide vers des us non cisterciens. si le soutien romain n’est pas uniforme, il est toutefois constant dans les moments décisifs. c’est ainsi innocent X qui reconnaît claude Vaussin en raison de sa juridiction supérieure47, et permet un retour à l’ordre et à la commune observance. La défense acharnée de sa juridiction à rome ain que les abstinents ne prennent le pouvoir de l’ordre est à l’origine des trois voyages de claude Vaussin 45. selon le récit du secrétaire de l’abbé, claude Vaussin « n’avoit donné aucun advis à ces peres de son arrivée, mais il permet à ses religieux d’aller voir la ville, et estant à cette abbaye, on y apprit l’arrivée de mondit seigneur, et aussytost le reverend abbé veut le trouver et le saluer avec quelquesuns de ses religieux, et le pria de venir au moins disner chez eux à l’abbaye. mais monseigneur, qui n’avoit pas dessein de faire aucune visite avant que d’avoir fait à rome les plus pressantes afaires, et qui vouloit y aller de la maniere qu’on appelle en italie incognito, se contenta d’aller voir en passant cett’abbaye ». Voir Bm de Dijon, ms. 2684, fol. 701. 46. Voir la synthèse de Gofredo Viti, « congregazione cistercense romana », dans Dizionario degli istituti di Perfezione, t. ii, rome, 1975, col. 1933-1934. 47. L. Lekai, « he election of claude Vaussin… », p. 218. conscient des dangers d’une vacance prolongée de l’abbaye de cîteaux, et sous la pression croissante des abbés et des représentants étrangers à rome, innocent X se saisit personnellement de l’afaire et adresse le 29 novembre 1645 les bulles de conirmation à claude Vaussin, se fondant sur sa juridiction supérieure et écartant toute irrégularité ou illégalité, et le reconnaissant solennellement comme abbé de cîteaux et général de l’ordre tout entier.

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en italie dans les années 1660, voyages qui se déroulent dans des conditions favorables et qui préparent le bref In suprema de 1666. le bref du 19 avril 1666 entend mettre in aux querelles de l’observance, renforcer l’unité et décréter en même temps une réforme de l’ordre. alexandre Vii cherche la réconciliation des observances dans le compromis, en s’appuyant sur les autorités traditionnelles de l’ordre. La légitimité de la visite annuelle par l’abbé général et par les premiers pères est ainsi conirmée en 1666 par rome48. Les décisions romaines, qui sanctionnent la nouvelle organisation de l’ordre, doivent être reçues par les autorités politiques. Le chapitre général de l’ordre se tenant à cîteaux, il importe pour l’abbé général d’obtenir du roi de France l’enregistrement du bref du 19 avril 1666 ; c’est chose faite par les lettres patentes du 14 juillet de la même année49. Lorsque l’application de ces dispositions suscitent des controverses majeures, le conseil d’état du roi tranche en faveur de l’abbé de cîteaux, reconnaissant d’abord en 1671 son droit de visite sur tout l’ordre, puis conirmant Jean petit comme supérieur général en 1681 : sa majesté auroit ordonné que l’abbé & general de cisteaux pourroit faire ses visites quand bon luy sembleroit & qu’il le jugeroit à propos, dans toutes les maisons de l’ordre de cisteaux, de quelque iliation qu’elles fussent, tant dedans que dehors le royaume, pour y reformer & mettre les ordres que besoin seroit, pour l’observation de la regularité, discipline & institution dudit ordre50.

Lorsque les impératifs ecclésiastiques et politiques sont conciliés, le gouvernement de l’ordre fonctionne relativement bien sous la houlette de l’abbé. Le xviie siècle cistercien est un temps de tempête contre les structures traditionnelles de l’ordre, particulièrement dans les années 1620. si la position de l’abbé de cîteaux se caractérise par sa situation centrale, sa juridiction transnationale est en net repli, sous un ensemble de pressions fortes, en dépit d’une 48. Voir Alexander Papa VII. Ad futuram rei memoriam. In suprema sedis apostolicae specula, etc., édité dans Joseph-marie canivez, Statuta capitulorum generalium ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, t. Vii, Louvain, 1939, p. 427 et suiv. 49. Arrest du conseil d’Estat du roy, prononcé de la bouche de sa majesté le 14 juillet 1666, paris, sébastien cramoisy et sébastien mabre-cramoisy, 1666, 16 p. Le nonce a présenté à Louis XiV le bref du 19 avril 1666, ainsi que celui du 10 novembre 1657 (approbation de l’usage des viandes), du 8 mars 1660 (annulation des contrats entre anciens et réformés pour les pensions), du 2 juillet 1661 (annulation de certaines ordonnances de La rochefoucauld). 50. Arrest du conseil d’Estat du roy, par lequel l’abbé de Cisteaux est maintenu dans ses droits & dans ses prerogatives de chef & de superieur general de l’ordre de Cisteaux ; contre les pretentions des quatre premiers, & de quelques autres abbez dudit ordre. Du 19 septembre 1681, paris, Frédéric Léonard, 1681, p. 3.

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lutte farouche pour réorganiser à son proit les mutations qui afectent l’ordre. l’adaptation de l’ordre au morcellement moderne, qui a regroupé ses établissements dans les congrégations, a eu pour conséquence le renforcement des droits de l’abbé de cîteaux dans le royaume de France, mais l’épuisement progressif de sa capacité à exercer ses pouvoirs à l’étranger. cela est moins dû sans doute aux conlits extérieurs, certes coûteux et oppressants, qu’à l’afaissement du siège d’ordre au milieu de querelles fratricides. cîteaux s’en est relevé puissant parmi ses coabbés de France, mais amoindri par l’absence de visites régulières dans les établissements étrangers. la permanence d’une juridiction régulière transnationale à l’époque moderne doit toutefois être soulignée. ces pouvoirs sont assis sur une tradition solide et sur la conscience commune d’appartenir à l’ordre bernardin, capable de défendre les privilèges d’exemption. la juridiction de l’abbé général ne peut trouver matière à s’exercer que par le consentement des abbés cisterciens des diférentes provinces, provinces du royaume de France et provinces étrangères. la série de confrontations post-tridentines permet l’ajustement de la position cistercienne, qui doit en dernière instance se plier au droit de l’état, lorsque que celui-ci oppose au droit cistercien les limites nationales, mais qui bénéicie le plus souvent de la protection de la législation pontiicale et de la bienveillance du roi de France. Juridiction mouvante donc, en pleine évolution, qui perd certaines prérogatives mais en acquiert d’autres : juridiction active et parfois créatrice. Bertrand marceau université paris-sorbonne

conclusions de la premiÈre partie

conclusions par

marc venard

on m’aurait beaucoup surpris si l’on m’avait dit, il y a soixante ans, que j’aurais un jour à conclure un colloque de droit canonique. cette discipline était alors à mes yeux une sorte de monstre bizarre que seuls quelques spécialistes fort érudits pouvaient maîtriser. et pourtant, historien de formation, et bientôt historien du christianisme des temps modernes, je l’ai apprivoisé insensiblement, au long de recherches sur les visites pastorales, les synodes diocésains, les conciles provinciaux, etc. Je suis devenu familier du Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéiciale de durand de maillane, dont j’ai eu la chance d’acquérir (sans trop de dépense, car les bibliophiles ne se bousculent pas sur ce genre d’ouvrage) une édition de paris, de 1761 ; puis le Commentaire de Monsieur Dupuy sur le Traité des libertez de l’église gallicane de M. Pierre Pithou (paris, 1715). voilà donc les connaissances, acquises sur le tas, et les instruments avec lesquels j’ose me présenter devant vous, pour tenter de dégager les principaux apports des journées que nous avons consacrées au « pluralisme juridique » et aux « conlits d’autorité » qui ont marqué les ecclésiastiques de l’europe catholique, entre la réformation et la révolution. L’argument du colloque, signé par Brigitte Basdevant-Gaudemet, repris et ampliié par alain tallon, fait apparaître d’emblée la tension qui s’exerçait, dans les monarchies d’ancien régime, entre l’autorité de l’état et l’indépendance de l’église, entre la législation civile et le droit ecclésiastique. cette situation qu’on pouvait croire dépassée, il me semble que nous la retrouvons aujourd’hui dans le cas déplorable des prêtres pédophiles. La hiérarchie ecclésiastique avait cru longtemps pouvoir sanctionner leur faute en interne, comme un manquement à la règle du célibat, alors qu’il s’agissait d’un crime passible de la justice civile, et qui devait être dénoncé comme tel. rassurez-vous, je n’en dirai pas plus car je n’évoque ce sujet que pour montrer que l’histoire n’est jamais très loin de l’actualité.

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la première partie de notre colloque nous a transportés à rome, au siège de la papauté. on ne dit pas assez que l’un des principaux résultats de la réforme catholique, mise en œuvre par le concile de trente, a été de renforcer la centralisation romaine. rome est désormais la source et la gardienne, non seulement de la doctrine – et cela aux dépens des facultés de théologie, qui se voient réduites à un rôle subalterne –, mais aussi de la discipline et du droit. c’est à bon droit que nous avons commencé par entendre elena Bonora nous parler de la congrégation de l’inquisition, couramment appelée le saint-oice. de paul iii à pie V, les papes n’ont cessé d’augmenter sa compétence et ses pouvoirs, pour en faire un instrument de contrôle des évêques, le pape paul iV allant même jusqu’à lui donner autorité sur la doctrine des souverains pontifes. on sait que les souverains catholiques ont plus d’une fois résisté à son emprise, par exemple quand catherine de médicis a refusé de livrer à rome les évêques français, à commencer par le cardinal de châtillon, accusés d’hérésie par le saint-oice. mais celui-ci à la mémoire longue, comme le montre son opposition obstinée à certaines nominations d’évêques, celle de paul de Foix à l’archevêché de toulouse, par le roi charles iX, ou de rené Benoist sur le siège de troyes, par henri iV. toutefois, l’œuvre centralisatrice du saint-oice ne doit pas faire négliger celle, plus eicace encore, de la congrégation du concile, que nous a présentée carlo Fantappiè. pour ma part, j’avoue que c’est celle que je connais le mieux, car on ne peut pas étudier la réforme catholique sans rencontrer ses interventions en tous domaines. c’est à elle que s’adressent tous les ecclésiastiques, en particulier les chapitres de chanoines, qui s’estiment lésés par les décrets du concile de trente et l’application qu’en font les évêques. c’est elle qui révise et éventuellement corrige les décrets des conciles provinciaux. c’est à elle que sont adressés les rapports sur l’état de leur diocèse que les évêques sont obligés de remettre à l’occasion de leurs visites ad limina. en somme, la congrégation du concile est l’œil et l’oreille du saint-siège sur l’ensemble de la catholicité. on est parfois surpris de la manière dont elle exerce son pouvoir : dans bien des cas, en efet, elle atténue les ordonnances réformatrices des évêques, même quand elles sont parfaitement conformes aux décrets tridentins ; et surtout elle manifeste une partialité constante en faveur des réguliers contre les ordinaires diocésains. Dans l’ensemble, enin, elle ne fait rien pour aider les prélats réformateurs à lever les obstacles que leur oppose le système bénéicial. au-delà des mers, c’est la congrégation de la propagande qui sert la centralisation romaine. cela nous est fort bien exposé par Giovanni pizzorusso. on sait que cette congrégation a été créée en 1622 pour faire pièce au monopole hispano-portugais sur les missions lointaines. mais les conditions particulières, propres aux nouvelles églises, requièrent que rome concède aux missionnaires des pouvoirs spéciaux, les facultates, concernant l’administration des sacrements

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et des dispenses exceptionnelles. en vérité, les missionnaires n’en usent qu’avec beaucoup de timidité, dont témoignent les questions, les dubia qu’ils ne cessent d’envoyer à la congrégation de la propagande. on peut se demander si l’église catholique n’a pas ainsi laissé passer la chance d’une inculturation du christianisme dans les diverses civilisations. enin, parce que la souveraineté du pape est aussi temporelle, il a fallu trouver un compromis entre les institutions et le droit de l’état pontiical, d’une part, et ceux de l’église, d’autre part. malgré les règles du « buon governo », établies par les derniers papes du xvie siècle sous une congrégation du même nom, dont nous parle François Jankowiak, les conlits d’autorité sont fréquents entre la hiérarchie ecclésiastique et l’administration pontiicale. mes travaux sur la province d’avignon, dont la métropole et les évêchés sufragants étaient largement imbriqués dans l’état pontiical d’avignon et du comtat Venaissin, m’ont assez instruit sur ces querelles incessantes ; de sorte qu’un évêque de Vaison ira jusqu’à dire, au concile de trente, que les intrusions du pouvoir politique (le légat d’avignon) sont pour lui un des principaux obstacles à la résidence. et l’on sait les diicultés qu’un prélat aussi saint que Gabriele paleotti a éprouvées de la part du légat pontiical à Bologne. cependant, si l’on ne s’arrête pas à la chronique des conlits, il serait intéressant de chercher dans quelle mesure le souci du « buon governo » a pu préparer l’élaboration de ce qui sera « la doctrine sociale de l’église ». Laissant ensuite le siège romain, d’autres intervenants se sont attachés à étudier le statut des ecclésiastiques dans l’état. olivier poncet le fait à partir des ordonnances des rois de France au long des trois derniers siècles de l’ancien régime. il y voit une volonté constante de mettre le clergé au service de l’ordre monarchique, en s’eforçant de réduire les exemptions dont il se targue. cela suppose de faire prévaloir partout la justice royale sur les juridictions ecclésiastiques ; mais aussi d’utiliser l’encadrement ecclésiastique pour tenir en main les populations, en faisant, par exemple, tenir par les curés les registres de baptêmes, de mariages et de sépultures. mais si le maillage des diocèses et des paroisses est ainsi bien contrôlé, il est plus diicile pour le pouvoir royal de dominer la nébuleuse que forme le clergé régulier, bien qu’il rejoigne ici la préoccupation des familles ; certes, l’ordonnance de moulins a prescrit d’enregistrer les vêtures et les professions, mais la rareté des registres conservés donne à penser que l’application est restée déiciente. Face au clergé, la monarchie espagnole a mieux su imposer son autorité que la française, si l’on en croit ignazi Fernandez terricabras. et dans les royaumes de castille plus que dans ceux de la couronne d’aragon, en vertu du patronage royal qui réserve au roi la présentation de tous les évêchés. ce privilège, analogue à celui que le roi de France tient du concordat de 1516, philippe ii l’utilise habilement pour se donner un épiscopat très homogène et parfaitement aux ordres. et le roi d’espagne s’emploie à l’étendre bien au-delà des seuls évêques, sur des chapitres,

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des monastères, des hôpitaux et jusqu’à de nombreuses paroisses. le paradoxe est qu’il sait concilier cette maîtrise sur l’église avec une parfaite soumission apparente au saint siège. Brigitte Basdevant-gaudemet attire l’attention sur le personnel qui entoure les évêques dans l’exercice de leur ministère. il faut ici distinguer ce qui relève du pouvoir d’ordre et ce qui appartient au pouvoir de juridiction. dans le premier, les auxiliaires de l’évêque doivent avoir eux-mêmes reçu l’ordination épiscopale, que ce soit comme « sufragants » comme on disait autrefois, ou comme coadjuteurs, ce qui suppose l’accord de la papauté. quant à sa juridiction, l’évêque peut la conier, en toute liberté, à un vicaire général de son choix, dont il détermine lui-même les pouvoirs et pour une durée dont il est le seul maître. il y aurait intérêt à étudier systématiquement ce personnel épiscopal dont le rôle fut capital dans les temps modernes, à l’époque des princes évêques et des prélats de cour. précisément, c’est le sujet choisi par Frédéric meyer, sur un certain nombre de diocèses qui ont en commun de se situer à la périphérie du royaume de France, des pays-Bas à la provence, partagés entre plusieurs souverainetés et sur une frontière de catholicité. Descendant à l’échelon inférieur, Jean-Louis Gazzaniga s’intéresse au statut des curés de paroisse, pris entre le patron qui les présente, l’évêque qui leur confère le bénéice, les vicaires (ou pour mieux dire les secondaires) qu’ils prennent pour les seconder, sans parler des archidiacres et des doyens qui les surveillent et des oiciers du roi qui leur donnent des consignes. statut, en vérité, très divers dans l’espace – d’une province à une autre – et dans le temps – avant et après la réforme tridentine, elle-même monnayée par les statuts synodaux. comme le reconnaît le p. Gazzaniga lui-même, tout cela a été fort bien étudié, par nombre d’études diocésaines qui ont paru depuis un demi-siècle. Les dernières communications nous ont jetés plus strictement dans les questions de droit et de justice, de rapports et souvent de conlits entre droit ecclésiastique et droit civil. partant de l’adage des canonistes selon lequel « le juge d’église n’est pas lié par la loi des princes temporels », anne rousselet-pimont nous a montré combien ce principe a pu être bousculé selon les circonstances. il se heurte en France au gallicanisme royal dont sont imbus les magistrats des parlements, toujours prêts à accueillir les appels « comme d’abus » des sujets de l’église, sauf quand le pouvoir royal lui-même préfère prendre le parti de la papauté ou de l’épiscopat. ce qu’il fait volontiers contre des religieux, éternels trublions que le vœu d’obéissance n’empêche pas de contester à tout propos les actes de leurs supérieurs, comme ninon maillard nous l’a fait voir au sein de couvents dominicains, qui se rebellent, à l’époque moderne, contre des réformes venues d’ailleurs. au contraire, nous dit Bertrand marceau, le pouvoir royal soutient la juridiction de l’abbé de cîteaux qui s’étend sur une internationale

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monastique, à l’heure où les divers souverains s’eforcent de « nationaliser » les ordres religieux. Dans ce conlit de juridictions, les principales victimes ont été les oicialités diocésaines, comme l’a bien vu olivier Descamps. De siècle en siècle, leurs compétences ont été réduites au proit des tribunaux royaux, à commencer par les parlements. même le crime d’hérésie a ini par leur échapper, au xvie siècle, pour passer dans les attributions des parlements – rappelons-nous la fameuse chambre ardente du parlement de paris. sur un autre terrain, j’ai pu observer que les délits d’usure, qui étaient originellement de la compétence des juges ecclésiastiques, leur ont échappé dès avant la in du moyen Âge. et j’ai constaté récemment que l’archevêché de rouen, au xviiie siècle, avait quelque peine à faire porter devant son oicial, et non pas devant le juge civil, les litiges qui se produisaient au sein des confréries de la ville, et cela malgré les statuts de ces confréries. en terminant cette rapide revue des travaux de notre colloque, je voudrais souligner la fécondité de cette rencontre entre canonistes et historiens. Les premiers sont d’abord attentifs aux textes, qui visent à établir des règles ixes et des rapports bien déinis entre les divers lieux de pouvoir. Les seconds observent les multiples luctuations et compromis qui s’inscrivent dans l’application des règles et les querelles de frontières. à l’heure où l’on s’interroge de nouveau en France sur une déinition de la laïcité et sur les rapports entre les religions et l’état, il n’est sans doute pas inutile de confronter le droit et l’histoire pour se souvenir que les choses n’étaient pas simples à l’époque des rois très-chrétiens, avant que le régime napoléonien ne vienne enfermer les églises dans un corset que la loi de séparation a heureusement rompu. marc Venard université paris-ouest nanterre La Défense

seconde partie

les ecclésiologies entre théologie et droit canonique (Xve-Xviiie siÈcle)

Première section OMNES UT UNIVERSI les ecclésiologies dans l’église

le spectre du conciliarisme chez les canonistes Français du Xve et du déBut du Xvie siÈcLe par

patrick araBeYre

en 1697, le canoniste Jean Gerbais1 publie le célèbre discours du panormitain, prononcé à la diète de Francfort en 1442, Quoniam veritas verborum2. pour l’occasion, il le traduit en français, et il croit devoir justiier cette démarche par la raison suivante : « Le traducteur a cru qu’il estoit juste de faire parler françois un illustre canoniste italien, qui a pensé comme l’on pense en France »3. ainsi est enrôlé pour la cause du conciliarisme, une cause éminemment française donc, le célèbre niccolò tedeschi, archevêque de palerme, dit panormitain4, qui mériterait sans doute de partager avec les français Louis aleman et homas de courcelles le titre d’« hercule des Bâlois », donné par heribert müller5 – par analogie avec celui donné par aeneas silvius à nicolas de cues, l’« hercule des eugéniens ». ce canoniste « engagé » est le plus grand canoniste du xve siècle, lucerna juris, celui que tous révèrent, jusqu’à le citer presque autant de fois que les civilistes le font pour Bartole. ce rapprochement frappant, on peut aussi le voir, en images, à palerme. sur la très célèbre fresque du Triomphe de la mort, 1. Dictionnaire historique des juristes français, xiie-xxe siècle (DHJF), dir. patrick arabeyre, JeanLouis halpérin et Jacques Krynen, paris, 2007, p. 364. 2. édité très tôt et jusque dans l’édition de la pragmatique sanction de Bourges procurée par François pinsson en 1666, p. 849-918. 3. Jean Gerbais, Traité du célèbre Panorme touchant le concile de Basle mis en françois, paris, 1697. 4. sur panormitain, voir dernièrement Niccolò Tedeschi (Abbas Panormitanus) e i suoi Commentaria in Decretales, éd. orazio condorelli, rome, 2000. 5. heribert müller, « Les pays rhénans, la France et la Bourgogne à l’époque du concile de Bâle : une leçon d’histoire politique », dans Francia, t. 30, 2003, p. 113 (Louis aleman) ; id., « “et sembloit qu’on oyst parler un angele de Dieu”. homas de courcelles et le concile de Bâle ou le secret d’une belle réussite », dans Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 2003, p. 477 (homas de courcelles).

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s’amoncellent les cadavres où sont indistinctement mêlés les puissants de ce monde, empereur, papes, rois, évêque. or, le programme iconographique, sans doute ixé avant 1445, date de la mort de l’archevêque, ne peut manquer de rappeler un moment du concile avec ses deux papes, l’un avec une tiare plus petite – c’est Félix V ; une danse de mort qui compte aussi un juriste, que certains tiennent pour le panormitain lui-même, tenant un livre ouvert sur lequel on devine : Bartolus de Sassoferrato, lux juris civilis6. mais cette œuvre fameuse suggère une autre image. Les acteurs de Bâle, aux yeux du peintre ou de ses commanditaires, sont-ils alors déjà tous morts, en vérité sinon en pensée ? sur cette danse macabre, on pourrait dire que lotte un spectre : le conciliarisme. et ce spectre hante l’europe, du moins, pour ne pas paraphraser marx, il hante l’Orbis christianus pour un long moment. Bien sûr, il est encore et toujours diicile de savoir de quoi l’on parle. « avec raison, on a toujours souligné que le conciliarisme n’existe pas, qu’il y a autant de conciliarismes que d’auteurs »7 et Jürgen Dendorfer a parlé récemment de « concept multiple » auquel la recherche historique ferait perdre chaque jour davantage ses contours 8. et pourtant. Dans son dernier ouvrage, he Conciliarist Tradition, Francis oakley justiie la nécessité de sa synthèse au motif que le conciliarisme serait aujourd’hui un mouvement complètement oublié dans l’église9. Vatican i et le dogme de l’infaillibilité pontiicale auraient fait leur œuvre, rejetant le conciliarisme dans ce que l’auteur appelle une « contre-mémoire », fragile et marginale, à laquelle même Vatican ii, à la recherche d’une nouvelle ecclésiologie, n’aurait pas réussi à redonner soule de vie. cela est d’autant plus surprenant, souligne-t-il encore, que le mouvement conciliaire a été l’objet, non pas chez les théologiens, mais chez les historiens, dans le dernier demi-siècle, d’une attention très marquée. il est vrai qu’en France, ce goût a été moins vif que chez nos collègues allemands ou anglo-saxons, ces derniers associant souvent leur recherche au thème du « constitutionnalisme » (dans l’église, dans l’état), thème pour lequel on continue de témoigner ici une indiférence teintée de scepticisme. Du conciliarisme donc on ne saurait traiter que des « manifestations collectives » ou « nationales » qui s’en nourrissent : le gallicanisme, plus tard le 6.  maria Grazia paolini, «  il “trionfo”, oggi  » dans Il «  Trionfo della morte  » di Palermo  : l’opera, le vicende conservative, il restauro, [mostra al] Palazzo Abatellis, Palermo, luglio-ottobre 1989, palerme, 1989, p. 19-40. 7. h. müller, « “et sembloit qu’on oyst parler un angele de Dieu”… », p. 471. 8. Jürgen Dendorfer, « Zur einführung », dans Nach dem Basler Konzil. Die Neuordnung der Kirche zwischen Konziliarismus und monarchischem Papat (ca. 1450-1475), éd. claudia märtl, Jürgen Dendorfer, munich, 2008, p. 1-18, à la p. 6-7. 9. Francis oakley, he Conciliarist Tradition. Constitutionalism in the Catholic Church, 13001870, new York, 2003.

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richérisme, le fébronianisme ou le joséphisme10. mais le gallicanisme, comme l’ont rappelé opportunément Fr. oakley et alain talon11, c’est aussi une idéologie, un mouvement d’idées, dont le conciliarisme est l’un des principaux aliments, et cette composante idéologique est particulièrement prégnante dès les origines – celles-là mêmes que mgr martin a voulu démêler, de 1300 à 1500 environ, dans un célèbre ouvrage12. de cette distinction entre idéologie et manifestations collectives, on retiendra ici la première composante, avec cette déinition : « Le conciliarisme, dérivation de la théorie conciliaire, ne recouvre pas une réalité doctrinale clairement déinie. il désigne les théories qui émergèrent à partir du concile de Bâle, prônant une supériorité permanente plus ou moins achevée du concile sur le pape, subordonné à l’église incarnée dans le concile général » (natacha-ingrid tinterof)13. avec comme arrière-plan le cheminement de l’idée conciliaire en France à l’aube de la réforme, le présent projet est celui d’un petit essai de repérage de son fantôme dans les œuvres non pas des théologiens, alors peut-être les « ecclésiologues professionnels », mais des juristes, tout particulièrement canonistes, dans la période préliminaire aux temps modernes, celle des années 1440-1525. ce repérage étant fondé sur la présence, dans la production de ces auteurs, de considérations générales, autant qu’il est possible de les désigner ainsi, sur la question de principe de la relation entre pape et concile. Dans un premier temps, il semble indispensable de mettre en avant quelques caractéristiques communes. elles permettront d’esquisser, dans un second temps, une chronologie14. 10.  richérisme  : doctrine due à edmond richer (1559-1631), défenseur des libertés de l’église gallicane, dont l’œuvre attribue l’autorité suprême dans l’église à l’ensemble des évêques et des curés représentés dans le concile général, et prône l’indépendance absolue du pouvoir civil. Fébronianisme  : doctrine exposée à la in du xviiie  siècle par Johann nikolaus von hontheim (Justinus Febronius), qui reprend les principes gallicans et les thèses du richérisme pour aboutir à une théorie de l’organisation ecclésiastique fondée sur la négation de la constitution monarchique de l’église. Joséphisme (de l’empereur Joseph ii, 1765-1790) : désigne en autriche la subordination de la société civile à l’administration de l’état, qui est une manière pour l’état de placer la religion sous son contrôle (sous l’inluence des idées fébroniennes et jansénistes alliées aux principes gallicans). 11.  alain tallon, «  Les mutations du gallicanisme français  », dans La France et le concile de Trente (1518-1563), rome, 1997, à la p. 423 et suiv. 12. Victor martin, Les Origines du gallicanisme, paris, 1939, 2 t. 13.  entre autres déinitions données dans les dictionnaires de l’église, aldo Landi, « conciliarisme », dans Dictionnaire de la Papauté, dir. philippe Levillain, paris, 1994, p 435-437. 14.  L’abondance de la bibliographie sur le conciliarisme déie toute tentative d’exhaustivité. pour ce qui est de la France et des « années bâloises », beaucoup de ce qui suit est redevable des travaux fondamentaux de Jean-Louis Gazzaniga : L’église du Midi à la in du règne de Charles VII (1444-1461) d’après la jurisprudence du parlement de Toulouse, paris, 1976 ; id., L’église de France à la in du Moyen Âge. Pouvoirs et institutions, Goldbach, 1995 ; et d’heribert müller : Die Franzosen, Frankreich und das Basler Konzil (1431-1449), paderborn/munich/Vienne/Zürich, 1990, 2 t.

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i. — questions la première des questions générales est celle posée dans l’intitulé même de la présente rencontre : l’ecclésiologie, entre théologie et droit. plus précisément, pour ce qui concerne la thématique et la période qui sont les nôtres, l’ecclésiologie française est-elle dominée par la théologie ou par le droit (canonique) ? La réponse ne saurait être longuement développée ici dans la mesure où, comme nous allons le voir, nous avons afaire davantage à des utilisateurs qu’à des créateurs. en quelques mots sur les fondements de l’idée conciliaire, il peut être rappelé que les rélexions contradictoires de Brian tierney15 et d’antony Black16 ont mis d’abord l’accent sur l’apport du droit canonique et ensuite sur celui de la théologie, dont on ne peut nier la prépondérance dans la théorie – une prépondérance française à l’époque des assemblées de 1395 et 1408, et bien sûr du concile de constance. en action toutefois, le rôle des canonistes, dès cette époque, a été déterminant dans l’élaboration juridique de la via concilii. on pense à la formule de cosme Guymier, le glossateur de la pragmatique : « La science canonique est une espèce de théologie appliquée »17. Le concile de Bâle, quant à lui, aura été le lieu d’un des plus importants « crossover » entre droit et théologie à la in du moyen Âge (helmut walther). mais sans doute dans un seul sens : celui de la prise en compte de concepts et d’argumentations juridiques par les théologiens – en particulier sur le thème central de la représentation18. ce sens unique vaut également pour le cas français. on reviendra sur ce point en disant un mot de l’œuvre de Bernard de rosier19. mais pour tenter de répondre plus précisément à la question initiale – l’ecclésiologie française de la période est-elle dominée par la théologie ou par le droit (canonique) ? – il convient de s’attacher aux auteurs. La moisson pouvait promettre d’être belle. car au point de départ est un « concile presque français en

15.  Brian tierney, Foundations of the Conciliar heory. he Contribution of the Medieval Canonists from Gratian to the Great Schism, 1re éd., cambridge, 1955. 16.  antony Black, «  what was conciliarism ? conciliar heory in historical perspective  » [1980], dans id., Church State and Community. Historical and Comparative Perspectives, aldershot, 2003 (Variorum collected studies series, 763), n. ii. 17. cosme Guymier, gl. Legere ad Pragmaticam Sanctionem, tit. De collationibus, paragr. Primo cum : éd. F. pinsson, paris, 1666, p. 239. 18. natacha-ingrid tinterof, Le conciliarisme. Essai sur la notion de représentation, 1414-1450, thèse d’histoire du droit, université paris ii (directeur de thèse : éric Bournazel), 2010. 19.  ces considérations sont tirées, pour l’essentiel, de la lumineuse synthèse de helmut G.  walther, «  Konziliarismus als politische heorie ? Konzilsvorstellungen im 15. Jahrhundert zwischen notlösungen und Kirchenmodellen  », dans Die Konzilien von Pisa (1409), Konstanz (1414-1418) und Basel (1431-1449). Institutionen und Personen, éd. Johannes helmrath et heribert müller, ostildern, 2007, p. 31-60.

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allemagne »20, le concile de Bâle, dont les leaders incontestés sont des français : Louis aleman, amédée de talaru ou homas de courcelles ; ce dernier étant l’auteur de la plupart de décrets du concile à partir de 1437. mais précisément dans le domaine de la production doctrinale, les contributions françaises sont paradoxalement modestes. quelques noms, tout au plus, sont à retenir, parmi ceux qui ont donné une contribution dans le genre déjà constitué au xive siècle21 du de potestate pape ou, nouvellement formé, du de potestate concilii22 : pierre de Versailles (†1446), le seul prélat français à Bâle adhérent à la cause d’eugène iV23, auteur de deux mémoires dits de potestate pape ; Geofroy de montélu ou de montchoisi (†1436)24, auteur de deux traités dits de auctoritate concilii generalis ; Gilles carlier (†1472)25, auteur d’un de conciliis ; et surtout un quatrième, seul juriste au milieu de ces théologiens, qui a enseigné le droit canonique à montpellier, Jean mauroux (†1437)26. seul aussi l’ouvrage de Jean mauroux, qui présente une comparaison entre les deux pouvoirs, Tractatus de superioritate inter concilium et papam (1434), a connu une large notoriété, peut-être même est-ce l’œuvre la plus répandue issue du cercle bâlois : on en dénombre au moins quarante-huit manuscrits, succès considérable dû à la brièveté et à la simplicité du texte, qui l’a emporté sur bien d’autres volumineux traités sur le même sujet. De Bâle à pise-milan. signiicativement, l’époque du concile gallican de 15111512 ressuscite en France le genre. on songe au traité de Jacques almain (Libellus de auctoritate Ecclesie seu sacrorum conciliorum eam representantium, paris, 151227) ; chez les canonistes, le régent parisien pierre cordier livre un De potestate generalis 20. heribert müller, « Lyon et le concile de Bâle (1431-1449). études prosopographiques », dans Cahiers d’histoire, t. 28, 1983, p 33. 21.  Jürgen miethke, De potestate papae. Die päpstliche Amtskompetenz im Widerstreit der politischen heorie von homas von Aquin bis Wilhelm von Ockham, tübingen, 2000. 22.  références relevées d’après homas m. izbicki, «  a collection of ecclesiological manuscripts in the Vatican Library : Vat. lat. 4106-4193 », dans Miscellanea Bibliothecae Vaticanae, t. iV, cité du Vatican, 1990 (studi e testi, 338), p. 89-125. 23. andré coville, « pierre de Versailles (1380 ?-1446) », dans Bibliothèque de l’école des chartes, t. 93, 1932, p. 208-266. 24. heribert müller, « Zwischen Konzil und papst, Fürstendienst und ordensreform. Geofroy de montchoisi, abt von st-honorat/Lérins und st-Germain-des-prés (†1436) », dans Annuarium historiae conciliorum, t. 27-28, 1995-1996, p. 435-462, repris dans Frankreich, Burgund und das Reich im späten Mittelalter. Ausgewählte Aufsätze, éd. Gabriele annas, peter Gorzolla, christian Kleinert et Jessika nowak, tübingen, 2011, p. 264-288. 25. Bibliographie récente dans Geschichtsquellen des deutschen Mittelalters, concilium Basileense – Konzil von Basel, 1431-1449, éd. markus wesche, 2010, p. 27-28 (en ligne : www.repfont.badw. de). 26. sur les engagements de ces auteurs, voir h. müller, Die Franzosen…, t. ii, p. 765 et suiv. 27. traduction anglaise : Conciliarism and Papalism, éd. J. h. Burns et homas m. izbicki, cambridge, 1997 (cambridge texts in the history of political hought), p. 134-200.

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concilii supra papam (1511), mais c’est là le seul écrit, au demeurant modeste, de la main d’un juriste français dans le contexte de l’ample querelle parisienne28. signiicativement aussi, l’opuscule de Jean mauroux reçoit alors les honneurs de l’imprimerie, à paris vers 1513, en plein afrontement entre Louis Xii et Jules ii, sous le titre De comparatione maximi pontiicis ad sacrosanctum concilium29. Le concile semble encore, dans la querelle doctrinale, l’afaire des théologiens. non pas tout à fait cependant. en ces années de concile gallican, le conciliarisme en France a su rallier à la cause un ténor italien, le grand juriste Filippo Decio (1454-1536). son engagement pour la cause équivaut à celle d’un panormitain dans les « années bâloises », à la diférence que pour Decio, l’enrôlement français est bien réel. mais ce ralliement ne fait que souligner l’absence de grand nom français… dans ce camp comme dans l’autre : au même moment, les canonistes italiens Domenico Giacobazzi et matthias ugoni écrivent deux volumineux De concilio (1512-1523) et De conciliis (1511-1521), aux thèses opposées30. Le monde des facultés de droit françaises aurait-il donc été improductif ou bien imperméable à la dispute ? ni l’un ni l’autre en vérité. mais il se trouve : premièrement, que le canoniste français le plus prolixe du xve siècle, le toulousain Bernard de rosier, est résolument ultramontain (ou « papaliste » si l’on préfère) ; et deuxièmement, que la seule œuvre composée avec certitude par un enseignant de la faculté de décret de paris – seul vestige mais c’est un monument – est un commentaire d’ordonnance royale, pas n’importe laquelle il est vrai, la glose de la pragmatique sanction de Bourges, par cosme Guymier. Dans ces conditions, de quelle littérature dispose-t-on ? en premier lieu, d’une production essentiellement canoniste, une production pas forcément explicite comme on vient de le voir (pratiquement pas de traité de potestate pape ou de potestate concilii, etc.). une production typique aussi de la période « post-classique » française, qui n’a pas laissé de grand commentaire sur les textes du Corpus juris canonici depuis ceux de Gilles Bellemère (†1407) – les volumineux commentaires de Bernard de rosier étant considérés comme perdus31. 28. Concilium = consilium ? en 1512 est imprimé l’ouvrage de Jean montaigne : patrick arabeyre, «  aux racines de l’absolutisme. Grand conseil et parlement à la in du moyen Âge, d’après le Tractatus celebris de auctoritate sacri magni concilii du toulousain Jean montaigne (1512) », dans Cahiers de recherches médiévales, t. 7 : Droits et pouvoirs, dir. Gérard Giordanengo, 2000, p. 189-210. 29. titre adapté en référence évidente au traité de homas de Vio, Auctoritas pape et concilii sive Ecclesie comparata ou Tractatus de comparatione auctoritatis pape et concilii seu Ecclesiae universalis, rome, 1511. 30.  étudiés de manière approfondie par hermann Josef sieben, Traktate und heorien zum Konzil. Vom Beginn des Großen Schismas bis zum Vorabend der Reformation (1378-1521), Francfortsur-le-main, 1983. 31.  pour une vue d’ensemble, paul ourliac et henri Gilles, La période post-classique (13781500). La problématique de l’époque, les sources, paris, 1971 (histoire du droit et des institutions de l’église en occident, t. Xiii/1). pour un aperçu de l’œuvre des canonistes français « enseignants »,

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l’école française a cependant laissé des ouvrages issus de l’enseignement, qui intéressent de plus ou moins près notre propos : gloses de la pragmatique par le parisien cosme Guymier, glose du concordat par le toulousain Jean d’ayma, gigantesque répétition de la décrétale Raynutius par le toulousain enseignant à cahors, Guillaume Benoît. ce n’est pas tout : l’époque a également connu une elorescence de répétitions, genre particulièrement en honneur à la in de l’ère bartoliste. c’est même alors la naissance du genre moderne du traité « juridico-politique », dont la matière ecclésiastique semble faire le plus souvent l’objet. Le traité de Jean de selve, Tractatus de beneicio (1509), est peut-être parmi les tout premiers à être dénommé comme tel en France32.

ii. — périodes on peut distinguer trois grands « moments » de production, dépendants à la fois des manifestations conciliaires et des mouvements de la politique royale française33.

1. Les années bâloises (1430-1440) il est inutile de revenir sur Jean mauroux34, fervent soutien du concile, dont l’œuvre déjà citée est un véritable « résumé du conciliarisme » (h. müller), mais avec des formules souvent fortes : y est contesté au pape, par exemple, jusqu’au droit de porter le titre de « souverain pontife ». L’adhésion ouverte aux idées conciliaires est, semble-t-il, générale chez les canonistes français présents à Bâle, tel pierre soybert35. Docteur en décrets, évêque voir patrick arabeyre, « De quelques œuvres issues de l’enseignement du droit canonique dans les universités françaises du xve siècle et de la première moitié du xvie siècle », dans Proceedings of the hirteenth International Congress of Medieval Canon Law, esztergom, éd. peter erdö et s. anzelm szuromi, cité du Vatican, 2010, p. 669-691. 32. avant celui de Jean montaigne (1512), mais après les Tractatus de Jean de terrevermeille (†1430) : voir DHJF, p. 734. 33. pour plus de détails concernant les juristes et les œuvres cités, je me permets de renvoyer à patrick arabeyre, Les idées politiques à Toulouse à la veille de la Réforme. Recherches autour de l’œuvre de Guillaume Benoît (1455-1516), toulouse, 2003 (études d’histoire du droit et des idées politiques, 7), p. 449-559. 34. DHJF, p. 552, d’après h. müller, Die Franzosen…, t. ii, p. 543-572. 35.  sur pierre soybert, voir DHJF, p.  723 ; ajouter  : andré Vauchez, «  Les interventions disciplinaires des évêques dans le domaine du culte des saints et de la fréquentation des sanctuaires à l’époque médiévale : un exemple français », dans Proili giuridici e storia dei santuari cristiani in Italia, dir. G otranto, Bari, 2005, p. 127-136 ; pour notre propos, surtout J.-L. Gazzaniga, L’église de France…, index (articles de 1982, 1987 et 1991).

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réformateur de saint-papoul de 1426 à 1451, il rédige, sans doute en 1436, un mémoire, jusqu’ici complètement passé inaperçu, intitulé Quod concilium Basiliense potest indulgentias concedere36, destiné sans doute à convaincre le roi charles vii du bien-fondé de la décision du concile à cet égard. le contenu est exemplaire. le christ, caput essentiale Ecclesie, a donné le pouvoir et la juridiction ordinaire à l’église universelle. le concile, qui la représente, a donc, pour la cause de la Foi, la juridiction universelle sur tous les membres du corps mystique du christ : et tunc Orbis magis est Urbe (saint Jérôme, ép. 146). si le pape agit contre la justice, il doit réparer ; s’il persiste, il « scandalise » l’église, et s’il « altère » le statut de l’église, il doit être blâmé publiquement, car on ne peut lui obéir contre le droit divin et naturel. comme on le constate, les raisonnements de panormitain aleurent. Dans les années 1440, la parole est au camp adverse, car c’est alors que le canoniste français dominant de la période « post-classique », Bernard de rosier37, a composé son œuvre ecclésiologique. pur produit de l’université de toulouse, son « proil » correspond parfaitement aux caractéristiques supposées du groupe des « papalistes » méridionaux, ces aspects sont désormais bien connus. remarquables pour notre propos sont les rélexions ecclésiologiques de Bernard de rosier par leur ainité avec celles qui sont agitées dans les milieux romains, au moment précisément où la papauté l’emporte. Dès 1439, la lecture de deux mémoires rédigés à l’occasion de la réunion des états de Languedoc atteste que l’argumentaire est déjà parfaitement constitué. Le premier d’entre eux en particulier38 est un recueil d’autorités destinées à démontrer la suprématie du saint-siège, qui sont tirées des écritures, des pères, du Décret et de divers auteurs « modernes » dont l’orientation est bien connue (pierre de La palu, alvarez pelayo, Durand de saint-pourçain, agostino trionfo d’ancône). Là se trouve en une quinzaine de feuillets tout un « magasin » d’arguments dans lequel Bernard de rosier n’a pas cessé de puiser pour composer, sous des formes diverses, les grands traités publiés dans les années suivantes : le Promptuarium Ecclesiæ (toulouse, 1440), l’Accensus veri luminis (rome, 1444) et l’Agoranimus de sacro principatu (rome, 1446-1447). cette œuvre ecclésiologique toujours inédite n’a été que très peu étudiée en dépit de l’inluence qu’on a su lui reconnaître (mgr hubert Jedin par exemple). comme on l’a maintes fois suggéré – en premier lieu paul ourliac –, les arguments déployés mériteraient d’être confrontés avec ceux des canonistes italiens que la papauté a mis à son service à propos des afaires françaises : pierre del monte († 1457), auteur, après 1447, d’un Contra impugnantes sedis apostolice auctoritatem 36. Bibliothèque Vaticane, Vat. lat. 4130, fol. 32v°-43. 37. DHJF, p. 677-678. 38. Bibliothèque Vaticane, Vat. lat. 4139, fol. 21-36.

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dédié à nicolas V, qui est bien plus qu’un traité contre la pragmatique sanction39 ; ou bien héodore de Leliis († 1466), qui a également laissé un « dit » Tractatus contra Pragmaticam Sanctionem40. Karl Binder a fortement suggéré que bien des conceptions du cardinal Jean de torquemada (1388-1468)41, défenseur des thèses ultramontaines à Bâle mais aussi en France et père de la célèbre Summa de Ecclesia (rédigée entre 1448-1449 et 1453), pouvaient s’apparenter à celles de Bernard de rosier42. et s’agissant de l’Agoranimus de sacro principatu, martin Grabmann enin a mis en évidence le caractère davantage « théologico-dogmatique » que juridique de ses démonstrations43, ce qui était déjà vrai du Promptuarium. cette tonalité correspond bien au renouveau de la pensée théologique sur le pouvoir ; des contributions de ces toutes dernières années ont ainsi mis l’accent sur le paradigme « biblische tradition vs Kanonistik »44. 39. paul ourliac, « La pragmatique sanction et la légation en France du cardinal d’estouteville (1451-1453)  » (1938), dans études d’histoire du droit médiéval, t.  i, paris, 1979, p.  378-382 ; l’œuvre a été éditée par mario Zanchin, Il primato del Romano Ponteice in un’opera inedita di Pietro del Monte del secolo xv, Vigodarzere, 1997 ; dernièrement  : Dizionario biograico degli Italiani, t. XXXViii, 1990, p. 141-146 ; David rundle, « a renaissance bishop and his books : a preliminary survey of the manuscript collection of pietro del monte (c. 1400-57) », dans Papers of the British School at Rome, t. 69, 2001, p. 245-272. 40. p. ourliac, « La pragmatique sanction… », p. 383 ; dernièrement : Dizionario biograico degli Italiani, t. XXXVi, 1988, p. 506-509 ; walter Brandmüller, « simon de Leliis de teramo. eine Konsistorial-advocat auf den Konzilien von Konstanz und Basel », dans Annuarium historiae conciliorum, t. 12, 1980, p. 229-268, aux p. 255-258 ; homas prügl, « Konzil und Kardinäle in der Kritik. Das Kirchenbild in den polemischen schriften des teodoro de’ Lelli », dans Nach dem Basler Konzil…, p. 195-234. 41. Dernièrement : Javier Lopez de Goicoechea Zabala, Dualismo cristiano y Estado moderno. Estudio hist́rico de la summa de ecclesia (1453) de Juan de Torquemada, salamanque, 2004 ; ulrich horst, «  Kardinal Juan de torquemada op und die Lehrautorität des papstes  », dans Annuarium historiae conciliorum, t. 36, 2004, p. 389-422 ; homas prügl, « modelle konziliarer Kontroverstheologie. Johannes de ragusa op und Juan de torquemada op auf dem Basler Konzil », dans Die Konzilien von Pisa (1409)…, p. 257-287. 42. Karl Binder, Wesen und Eigenschaften der Kirche bei Kardinal Juan de Torquemada, innsbruck, 1955, p. 33, 69-70, 82, 86, 90-91, 98-99, 111-113, 118 et 133 ; id., Konzilsgedanken bei Kardinal Juan de Torquemada, Vienne, 1976, p. 158 et 160-163 (d’après le Promptuarium Ecclesie). Des deux manuscrits connus de ce traité, le premier (Vat. lat. 1019) a appartenu au cardinal torquemada ; le second (Vat. lat. 1020) au cardinal pierre Barbo, futur paul ii. en outre, dans un inventaire de livres manquants dans la bibliothèque d’eugène iV après son retour à rome (avant janvier 1443) igurent le Promptuarium Ecclesie et le traité de Guillaume de montjoie sur le pouvoir pontiical. Les deux volumes sont portés dans l’inventaire de la bibliothèque d’eugène iV de 1443 avec la mention postérieure que, le 19 février 1447, Jean de torquemada se les était fait remettre (Jacques monfrin, « à propos de la bibliothèque d’eugène iV », dans Mélanges de l’école française de Rome. Moyen Âge, t. 99, 1987, p. 106 et p. 117 n. 42). 43.  martin Grabmann, Studien über den Einluß der aristotelischen Philosophie auf die mittelalterischen heorien über das Verhältnis von Kirche und Staat, munich, 1934, p. 101-102. 44. ainsi J. Lopez de Goicoechea Zabala et t. prügl à propos de l’œuvre de torquemada (voir n. 41).

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dans un autre ordre d’idées, on s’est aussi beaucoup intéressé dernièrement à la déinition des pouvoirs des cardinaux : « est-ce que l’impulsion corporative-constitutionnelle donnée par le concile ne s’est pas concrétisée dans une redéinition du sacré collège ? », se demande Jürgen Dendorfer45. D’où un intérêt nouveau pour les traités sur les cardinaux, dont celui de Bernard de rosier (1445-1446) est l’un des prototypes, révélateur de surcroît d’une pensée qui n’est pas univoque46 ; rappelons ici que le traité de potestate cardinalium a été édité à rome en 1564 par hieronimo manfredi qui s’en est attribué la paternité47. L’œuvre est ainsi représentative du parti pris contre le conciliarisme propre au « solstice » des années 1440, mais elle demeure singulière parce qu’elle ne trouve sa postérité qu’en italie, dans les milieux intellectuels proches de ses conceptions ecclésiologiques. D’un point de vue exclusivement doctrinal, on s’accorde aujourd’hui à penser que la période « nach dem Basler Konzil », pour reprendre le titre d’un tout récent colloque portant sur les années 1450-1475, est peut-être moins celle de l’opposition frontale entre « conciliarisme » et « monarchie pontiicale » que celle de la recherche d’une « troisième voie » (homas wünsch). en France toutefois, la querelle de principe paraît absorbée dès les années 1440 par les prises de position pour ou contre la pragmatique. mais il ne faut peut-être pas se dépêcher de voir en cette heure le passage de la cause du concile à la cause du gallicanisme. homas prügl a rappelé dernièrement fort à propos la distinction à faire entre les positions favorables ou non au « conciliarisme » et les positions favorables ou non à l’ordonnance royale de 143848. Le traité contre la pragmatique de Bernard de rosier49, qui vaudra longtemps à son auteur une réputation d’extrémiste, illustre de la même façon cette complexité nouvelle.

2. Les années « pragmatiques » (1480-1510) Des années 1440 aux années 1480, il n’existe à ma connaissance aucune œuvre juridique française comportant ne serait-ce qu’un écho de la querelle 45. J. Dendorfer, « Zur einführung »…, p. 9. 46.  D’où l’embarras d’aldo Landi, qui pense que Bernard de rosier est chancelier de l’université de paris : Concilio e papato nel Rinascimento, 1449-1516 : un problema irrisolto, turin, 1997, p. 111-112. 47.  pas signalé dans nicoletta pellegrino, «  nascità di una “burocrazia”  : il cardinale nella trattatistica del xvi secolo  », dans «  Familia  » del Principe e famiglia aristocratica, éd. cesare mozzarelli, rome, 1988, t.  ii, p.  631-677 ; voir aussi Jürgen Dendorfer, «  ambivalenzen der reformdiskussion in Domenico de’ Domenichis De episcopali dignitate », dans Nach dem Basler Konzil…, p. 165-194, aux p. 173-185 et t. prügl, « Konzil und Kardinäle… », p. 211. 48. Dans son compte rendu de l’édition par mario Zanchin du traité de pierre del monte (voir n. 39) : Annuarium historiae conciliorum, t. 30, 1998, p. 549-554. 49. analyse dans J.-L. Gazzaniga, L’église du Midi…, p. 125-129.

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conciliaire. puis, brusquement, au lendemain de la mort de Louis Xi, c’est le réveil, et alors véritablement une « explosion de gallicanisme » (selon l’expression de pierre imbart de La tour). en 1486, cosme Guymier, avant de faire carrière au parlement (il meurt en 1503, président aux enquêtes), publie le cours qu’il a professé à la faculté de décret de paris, la Caroli septimi Pragmatica Sanctio glossata, aussitôt considérée comme la glose ordinaire de la pragmatique. il y présente des thèses défavorables au pouvoir pontiical et soutient la doctrine conciliaire. De l’enseignement du centre parisien au xve siècle, ce commentaire est, signiicativement, le seul vestige. cette même année 1486 – le 29 novembre – voit, à toulouse cette fois, l’achèvement, par étienne aufréri (1458-1511), nouveau docteur régent en droit canonique à l’université, de la repetitio sur la clémentine Ut clericorum, rélexion ambivalente sur les rapports entre pouvoirs laïque et ecclésiastique. comme on l’aperçoit, dans ces années post-conciliaires, ce qui a changé, c’est le passage de l’explicite à l’implicite. autrement dit, le moteur principal de la production des juristes français n’est plus la rélexion sur les pouvoirs dans l’église universelle, mais sur l’organisation de l’église de France. trois domaines sont concernés : la pragmatique ; le désordre bénéicial ; la concurrence entre les deux justices. mais en tout cela, la question de principe aleure, je pense l’avoir démontré sur ce dernier point50 et je n’y reviendrai pas ici. au premier titre – l’exégèse de la pragmatique –, l’époque a connu deux commentaires, le premier sous l’apparence la plus classique de la glose, celui de cosme Guymier51. La thèse non encore publiée de tyler Lange et l’article qu’il en a tiré dernièrement ont eu le grand mérite de ramener ce juriste sous la lumière52. La rome de Guymier est conciliariste, car sous l’autorité certes extraordinaire du concile général, le pape, autorité suprême, est lanqué d’un sénat, qui n’est autre que le collège des cardinaux – et appliquant ainsi l’ecclésiologie conciliariste à la France, il y voit l’équivalent du parlement de paris. même tonalité chez le second exégète de la pragmatique, Guillaume de monserrat53. Dans la première partie de son Commentum (1501) sont exposés les

50.  patrick arabeyre, «  Les deux justices. Les deux pouvoirs. La production doctrinale des juristes méridionaux sur les rapports entre justice ecclésiastique et justice royale, de Bernard de rosier à Guillaume Benoît (deuxième moitié du xve siècle) », dans Les justices d’église dans le Midi (xie – xve siècle), toulouse, 2007 (cahiers de Fanjeaux, 42), p. 373-397. 51. DHJF, p. 392-393. 52.  tyler Lange, Heresy and Absolute Power. Constitutional Politics in Early Reformation France, ph.D. university of california, Berkeley, 2009 ; id., «  Gallicanisme et réforme  : le constitutionnalisme de cosme Guymier (1486) », dans Revue de l’histoire des religions, t. 226, 2009, p. 293-313. 53. DHJF, p. 570.

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fondements du régime de l’élection54. le principe en est énoncé dès les premières phrases : l’autorité du concile de Bâle qui a permis de légitimer une liberté sans entrave est, sur cette question, exclusive de celle du pontife romain. L’érection des évêchés et leur « juridiction » appartiennent au pape, la « considération » des personnes et donc leur désignation regardent le concile. L’« urgente utilité et l’éminente nécessité » de la réforme est du domaine propre du second au détriment du droit de disposition du premier. Dans ce cadre, le concile peut être dit supérieur au pape. tout cela est sans contredit : il n’y a que des esprits malades (insani) pour douter encore (dubitatur hodie et dubitabitur etiam usque in inem seculi) que le concile de Bâle puisse être considéré comme un concile général sous prétexte qu’il fut réuni sans l’autorisation d’eugène iV. au second titre – le désordre bénéicial, dont la thèse récente de Véronique Julerot a démonté tous les ressorts pour le règne de charles Viii55 –, une œuvre se détache, le Traité du bénéice de Jean de selve (1509). à la diférence des exégètes précités, Jean de selve l’aîné56 considère que le droit du bénéice ne se fond pas dans un commentaire de la pragmatique. La raison profonde de sa position en est qu’en la matière, la prééminence doit revenir au souverain pontife57. sur le fait de savoir si le pape peut pourvoir aux bénéices collatifs et électifs au préjudice des collateurs ordinaires ou des électeurs, selve écrit que « la question semble, au premier abord, facile », car il entend bien que la réponse est positive. c’est seulement parce que le concile de Bâle a levé un « grand doute » à ce sujet qu’il y a nécessité d’engager une discussion. selve vise ainsi la thèse de monserrat sur la compétence exclusive du concile en matière de désignation aux bénéices. selon selve, le pape détient, tout au contraire, la juridiction sur toute cause ecclésiastique ; or, l’élection est une cause ecclésiastique ; ergo, le pape, qui ne saurait se trouver sur ce terrain « au-delà des termes de son pouvoir », peut disposer sur la matière des élections. Les élections relèvent en efet du droit positif. et comme le pape est au-dessus du droit positif, il peut disposer sur la question : et sic videntur cessare omnia argumenta. sur le fait de savoir si le concile peut conférer des bénéices, selve objecte qu’un concile ne peut mériter que le nom de « conciliabule » ou de « conventicule » quand il n’est pas présidé par le pape. or, le pape est réputé « Dieu sur terre » pourvu qu’il soit élu légitimement (sinon il est « Diable sur terre ») ; il n’a pas de supérieur ; il n’est jugé 54. De potestate generalis concilii etiam Basiliensis. Et unde et qualiter episcopatuum electiones et eorum institutiones et provisiones originem habuerunt (Caroli septimi Francorum regis Pragmatica Sanctio, éd. F. pinsson, paris, 1666, p. 617-634). 55. Véronique Julerot, « Y a ung grant desordre ». élections épiscopales et schismes diocésains en France sous Charles VIII, paris, 2006. 56. DHJF, p. 706-707. 57.  il est piquant de noter que les opinions «  ultramontaines  » de selve sont ainsi parfois rectiiées par les notes de Du moulin comprises dans l’édition de paris, 1628.

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que par dieu et est désigné par le droit divin, etc. comme on voit, les maximes de l’absolutisme pontiical ont encore quelque écho en France (méridionale ?). les questions de principe se retrouvent enin dans des œuvres de la canonistique française, dont le propos « politique » est plus caché encore, les répétitions d’étienne aufréri ou de Guillaume Benoît, qui dévoilent les facettes multiples d’un « gallicanisme méridional ».

3. Les années polémiques (1510-1525) Le réveil de la littérature polémique est caractéristique du concile « gallican » de pise-milan de 1511-151258. L’opposition ouverte entre Louis Xii et Jules ii va encourager les polémistes des deux camps. à paris, bastion du conciliarisme, le concile fournit une nouvelle occasion aux canonistes et aux théologiens de mettre en doute la suprématie pontiicale, tel l’ancien doctor holosanus pierre cordier, auteur d’un De potestate generalis concilii supra papam, consultation en réponse au premier opuscule de cajetan en faveur de Jules ii (1511). à toulouse même, le docteur et avocat nicolas Bertrand participe à la polémique aux côtés des gallicans dans sa « réponse de l’université de toulouse au sujet du concile de pise », consultation en réplique à la demande de Louis Xii sur la conduite à tenir à l’égard du pape (1510). Le conciliarisme appuyé des doctores holosani Bertrand et cordier ne laisse pas de surprendre : le mouvement paraît alors général chez les canonistes. La littérature de polémique (répétitions et traités) fait resurgir la querelle doctrinale – présente à la période présente dans la pensée universitaire, mais « cachée » – indépendamment cette fois de la pensée sur la pragmatique. il faut distinguer les circonstances, qui semblent avoir produit, dans tous les cas, les mêmes efets « épidermiques ». Dans la première, seuls des témoignages issus des rangs des facultés de droit paraissent connus (orléans et surtout toulouse). Le 30 juillet 1510, Louis Xii décide de convoquer une assemblée du clergé qui se tiendrait à orléans et qui est transférée à tours le 28 août. tout en convoquant les évêques, il sollicite par le même courrier l’avis des universités et des parlements. c’est cette lettre que reçoit le parlement de toulouse, le 12 août 1510. La réponse est lue devant la cour, le 22 août suivant : elle est l’œuvre d’étienne aufréri à qui on avait conié cette tâche dès réception de la lettre59. 58.  La bibliographie antérieure se retrouve dans la toute dernière contribution de nelson h.  minnich, «  councils of the catholic reformation. a historical survey  », dans he Church, the Councils and Reform. he Legacy of the Fifteenth Century, éd. Gerald christianson, homas m. izbicki et christopher m. Bellitto, washington, 2008, p. 27-59, aux p. 44-52. 59. Jean-Louis Gazzaniga, « Le conlit de Louis Xii et Jules ii devant le parlement de toulouse (1510-1512) », dans Revue historique de droit français et étranger, 1979, p. 623-630, repris dans L’église de France…, p. 67-74.

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la réponse de l’université peut sans aucun doute être rapprochée du petit traité que nicolas Bertrand60, professeur à l’université et avocat au parlement de toulouse (vers 1506) a inséré dans son célèbre Opus de holosanorum gestis (1515)61. une seule batterie d’arguments fera résonner la tonalité de l’ensemble : peut-on avoir recours au concile sans le pape et qui peut alors convoquer le concile ? en cas de « nécessité urgente », l’empereur (et le roi, glisse Bertrand) peut le convoquer, sur la défaillance du pape et des cardinaux. Dans la situation de schisme, les prélats eux-mêmes peuvent s’assembler sans le pape. ces éventualités, insiste l’auteur, sont prévues par divers auteurs, dont pierre del monte, dans son Traité sur le pouvoir du pape. c’est toute l’habileté de Bertrand de le citer ici. Le juriste et humaniste italien avait en efet consacré une partie de son ouvrage au concile et à la question de savoir si et quand le concile était supérieur au pape. or, del monte, nonobstant ses positions strictement papalistes en la matière, avait reconnu la validité de l’argument de la « nécessité » pour une convocation du concile sans le pape. Filippo Decio, consulté par les organisateurs de l’assemblée de pise sur le fondement juridique de leur entreprise62, se souviendra aussi, comme le fait ici Bertrand, que le juriste vénitien avait soutenu les droits de la minorité des cardinaux à se constituer en concile sur la défaillance de la majorité63. L’exemple historique est celui de la déposition de Jean XXiii à constance, que Bertrand allègue d’après l’Histoire de la papauté de platina. Dans ses dernières phrases Bertrand versait dans l’exaltation royale. c’est là une raison supplémentaire de le rapprocher de la repetitio sur la loi jurisjurandi (Cod., 4, 1, 2) du professeur orléanais Jean pyrrhus d’angleberme analysée par marguerite Boulet64. Les traits communs sont nombreux. plus nettement encore que pour Bertrand, c’est parce que le roi de France est la vivante image de Dieu sur terre que la guerre au roi est une ofense à Dieu. sur la question de l’illégitimité de la cause pontiicale, le juriste orléanais se fonde sur un seul argument : le pape n’a pas la puissance des armes, il ne possède que la « clef de discrétion » 60. DHJF, p. 79-80. 61. Tractatus … de bello inter summum pontiicem dominum Julium secundum et Ludovicum hujus nominis duodecimum, Francie optimum utique regem christianeque religionis fautorem constantissimum ac tuitorem invictissimum, an videlicet justum ex dispositione irmandum sit necne…, toulouse, 1515, fol. 73v-78. Le traité a été très sommairement analysé par Jacques poujol, L’évolution des idées absolutistes en France de 1498 à 1559, thèse de doctorat, université paris-sorbonne, 1955, dactyl., p. 183-184. 62. olivier de La Brosse, Le pape et le concile. La comparaison de leur pouvoir à la veille de la Réforme, paris, 1965, p. 66-67. 63. remigius Baümer, Nachwirkungen des konziliaren Gedankens in der heologie und Kanonistik des frühen 16. Jahrhunderts, münster, 1971, p. 31 et 53. 64. marguerite Boulet, « une repetitio de pierre d’angleberme sur la loi Jurisjurandi (C., iV, 1, fr. 2) », dans Revue historique de droit français et étranger, 1948, p. 323-344 ; voir aussi cornelia m. ridderikhof, Jean Pyrrhus d’Anglebermes. Rechtswetenschap en Humanisme aan de Universiteit van Orleans in het begin van de 16e eeuw, Leyde, 1981, p. 221-231.

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(ou de science), la « clef de puissance » étant coniée aux princes temporels. mais le concile n’a ici guère de rôle. La violence de ton est encore plus grande dans les Allegationes super bello Italico (1512) de Vincent cigauld65. marguerite Boulet avait également décelé, non sans raison, une parenté entre certains chapitres de cette œuvre méconnue et les questions traitées par d’angleberme dans sa repetitio, lesquelles correspondent aux articles débattus à l’assemblée de tours de septembre 151066. ce licencié in utroque était juge ordinaire du comté et de la ville de Brioude, dont il était originaire. son ouvrage se présente comme un traité sur la légitimité des guerres d’italie. « Les citations bibliques, les déclarations belliqueuses et les efusions de mystique monarchiste se bousculent sous sa plume » (Jacques poujol), au demeurant peu prolixe en citations juridiques. quand il se demande s’il est permis au souverain pontife de faire la guerre aux rois très chrétiens, cigauld tombe dans une virulente polémique antipapale. il estime par exemple que la tonsure ecclésiastique est le signe que les papes ont abandonné toutes prétentions sur le temporel : ne rasait-on pas la chevelure des rois déposés ? il en vient même à penser qu’il serait légitime d’administrer l’église seulement selon la Bible. son culte de la monarchie française enin va jusqu’à lui faire attribuer au roi un pouvoir spécial : un droit de regard spirituel sur le pape, celui de contrôler sa foi. autre circonstance : la querelle entre cajetan et Jacques almain. Le seul canoniste français à prendre part à l’ample querelle parisienne est pierre cordier67, probablement un doctor holosanus mais qui, à l’époque du concile de pise, enseignait à paris et c’est à la faculté de décret qu’il dut rédiger son traité, adressé aux pères conciliaires68. Le titre (De potestate concilii supra papam contra cardinalem Caietanum ou Anticaietanum ratiocinium dyodecaplum) et l’incipit révèlent qu’il s’agit non pas d’un véritable traité, mais d’un catalogue d’autorités scripturaires et juridiques, en faveur de l’autorité du concile général ; cet argumentaire, présenté comme une réponse à celui de cajetan, est donc postérieur au 19 novembre 1511, date de l’impression du premier opuscule du cardinal69. 65. DHJF, p. 192. sur son œuvre, voir J. poujol, L’évolution…, p. 180-183 et enzo sciacca, « Ferrault, chasseneuz et Grassaille : alle origini della teoria della sovranità nel pensiero politico moderno  », dans Studi in onore di Cesare Sanilippo, t.  Vii, milan, 1985, p.  695-752, aux p. 706-709. 66. m. Boulet, « une repetitio… », p. 332. 67. DHJF, p. 205-206. 68. D’après augustin renaudet, Préréforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d’Italie (1494-1517), paris, 1916, p. 553-554, pierre cordier, chargé de plaider la cause du synode français en écosse et au Danemark, déclarera dans une lettre adressée au concile de Lyon qu’« il a réfuté, en écosse, les partisans de cajetan ». 69. L’unique manuscrit que l’on connaisse est conservé à la bibliothèque de l’université royale de Leyde, BpL 41, fol. 395v°-408v° ; il s’en trouve peut-être un second à la bibliothèque municipale de Besançon, ms. 398.

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de ce recueil d’autorités, peu est original. Bien des armes antipontiicales, principalement celles que l’on tirait de l’écriture, avaient été rodées et usées à Bâle. plus étonnant est, comme chez Bertrand, l’utilisation d’auteurs ordinairement allégués par la partie adverse, mais dont l’invocation paraissait sans doute prestigieuse : ainsi pierre del monte et Jean de torquemada pour le xve siècle. quoi de plus satisfaisant pour l’esprit que d’opposer au théologien dominicain cajetan l’autorité de ces beaux esprits, et plus encore celle du maître des prêcheurs torquemada ? Les attaques sont vives et sans nuances. en voici quelques morceaux choisis. L’église est le véritable dépositaire du pouvoir des clefs ; le pape ne fait que l’exercer, tanquam minister tantum. Le concile ne peut errer alors que le pape peut errer et pécher. seul le concile peut alors le juger et il le devra car un pape « scandaleux » doit être condamné comme le diable. La métaphore du corps mystique (la « raison naturelle ») est interprétée dans un sens favorable au concile. Le pape demeure caput ministeriale Ecclesie ; mais il ne représente qu’un membre et non tout le corps. et si la tête est malade, il est licite aux autres membres de la soigner ain que la maladie de la tête ne gagne tout le corps. L’histoire de l’église est également mise à contribution dans une visée anti-pontiicale. Les turpitudes de nombreux pontifes attestent la faiblesse des hommes ; seule l’église demeure sainte. il n’est pas jusqu’à la Donation qui ne serve à appuyer la thèse de la supériorité du concile : elle montre qu’alors que le primat du pape ne vient que de constantin, celui de l’église vient du christ.

iii. — conclusion De cette vague déferlante de conciliarisme et de néogallicanisme, que resterat-il à l’heure du concordat ? L’unanimisme est-il désormais de rigueur, chez les canonistes comme chez les théologiens français ? pas tout à fait. au royaume de France, le conciliarisme a évidemment partie liée avec le sort de la pragmatique puis du concordat – l’existence d’un gallicanisme non-conciliariste en est la preuve en creux. quelques voies discordantes se font donc encore entendre : le triomphe de l’idée d’entente directe entre le roi et le pape ne pouvait que satisfaire les méridionaux. L’opinion de Jean d’ayma, glossateur toulousain du concordat (1525), est ainsi viscéralement anticonciliaire. mais, eu égard à l’« honneur du royaume et à l’antique observance commune du royaume », il déclare préférer faire taire son audace. à bien des égards, cette glose pose le dernier jalon d’une rélexion ouverte par la promulgation de la pragmatique, au moment précis où, à l’université de toulouse comme ailleurs, les canonistes perdent de leur magistère face aux civilistes touchés les premiers par la rénovation humaniste.

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les canonistes étaient alors encore divisés (à l’inverse des théologiens, unanimes), mais après l’entreprise isolée et méconnue de Jean d’ayma, tous les canonistes sont gallicans, et c’est guymier qu’on réédite jusqu’en 1666 – en souhaitant comme probus dans ses additions à la glose parisienne (1546) le recours au concile pour rétablir la pragmatique. c’est cette image igée sans doute que présente le droit canonique pour le restant du xvie siècle70. mais le conciliarisme français n’est pas seulement étroitement circonstanciel, il recèle une question de principe qui a son propre cheminement souterrain – sans doute universitaire. c’est une pensée sur le pouvoir : Konziliarismus als politische heorie. Le « modèle ecclésial » est encore une fois à l’œuvre, à la fois le modèle du « constitutionnalisme » européen (B. tierney, K. pennington), mais aussi le modèle du « non-droit » (enormitas, J. héry), donc de l’absolutisme moderne. politiquement, la résistance est désormais du côté des conciliaristes. car en France, avec le concordat en particulier, c’est le rêve de philippe le Bel qui est enin réalisé : le roi de France est « pape en son royaume »71. patrick arabeyre école nationale des chartes centre Jean-mabillon (ea 3624)

70.  Jacques chifoleau, «  Baluze, les papes et la France  », dans étienne Baluze, 1630-1718. érudition et pouvoir dans l’Europe classique, actes du colloque de tulle, 21 octobre 2006, dir. Jean Boutier, Limoges, 2008, p. 163-246. 71.  Julien héry, «  philippe le Bel, pape en son royaume  », dans L’histoire, n°  289, 2004, p. 14-17.

le pouvoir ecclésiastique : question canonique ou théoLoGique ? FiLippo Decio, caJetan et Le conciLe De pise-miLan* par

Benoît schmitZ

s’il est bien connu que le concile de pise-milan, convoqué contre Jules ii par un groupe de cardinaux dissidents avec le soutien du roi de France et de l’empereur, a donné lieu à une controverse doctrinale entre un théologien papaliste, le maître général des dominicains cajetan, et un théologien conciliariste, le docteur parisien Jacques almain1, on sait moins que cet afrontement sur le * abréviations  : BaV  : cité du Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane ; Grat.  : Decretum Gratiani. Cum glossis Ioannis heutonici […] & annotationibus Bartholomei Brixiensis…, Venise, Lucas antonius de Giunta, 1514 ; FDC : Filippo Decio, « consilium cLi philippi Decii… », dans Monarchiæ S. Romani Imperii…, éd. melchior Goldast, Francfort-sur-le-main, nicolas hofmanni, 1614, t. ii, p. 1667-1676 ; FDS : Filippo Decio, « sermo […] pro justiicatione concilii pisani, nunc mediolani residentis », dans Monarchiæ S. Romani Imperii…., p. 1677-1682 ; CDCA : cajetan, Scripta theologica, t. i : De comparatione auctoritatis papæ et concilii cum Apologia eiusdem tractatus, éd. Vincentius m. iacobus pollet, o. p., rome, 1936, p. 9-197 ; DBI : Dizionario biograico degli italiani, rome. 1. sur la controverse entre cajetan et Jacques almain, voir olivier de La Brosse, o. p., Le Pape et le Concile. La comparaison de leurs pouvoirs à la veille de la Réforme, paris, 1965 ; Francis oakley, « almain and major : conciliar theory on the eve of the reformation » (1965), dans American Historical Review, t. 70, 1965, réimpr. dans id., Natural Law, Conciliarism and Consent in the Late Middle Ages. Studies in Ecclesiastical and Intellectual History, Londres, 1984 (collected studies series, 189), n°  X, p.  673-690 ; id., «  conciliarism in the sixteenth century  : Jacques almain again  » (1977), dans Archiv für Reformationsgeschichte, t.  68, 1977, réimpr. dans id., Natural Law…, n° Xii, p. 111-132 ; Katherine elliot van Liere, « Vitoria, cajetan and the conciliarists », dans Journal of the History of Ideas, t. 58, 1997, p. 597-616, aux p. 601-607 et aux p. 612-614 ; F. oakley, he Conciliarist Tradition. Constitutionalism in the Catholic Church 1300-1870, oxford/ new York, 2003, p. 112-127 ; Frédéric Gabriel, « La loi du magistère. pouvoir ministériel et formes ecclésiales dans la controverse entre cajétan et almain (1511-1512)  », dans Hétérodoxies croisées entre France et Italie, xvie-xviie siècles, éd. Gigliola Fragnito et alain tallon, actes des journées d’étude des 30 et 31 mai 2011 à l’école française de rome, à paraître.

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terrain théologique a été précédé par une autre querelle dont l’enjeu était de dire si le pouvoir ecclésiastique était une question canonique ou théologique. ce débat, qui s’inscrivait dans la continuité de la rivalité entre juristes et théologiens2, trouvait son origine directe dans la place donnée par les prélats opposés à Jules ii à la légitimation par le droit. ils ne se contentèrent pas en efet de claironner que l’assemblée convoquée à pise était voulue par Dieu3, mais proclamèrent son bien-fondé. Dans la compétition qui opposait celle-ci au concile que le pape entendait réunir au Latran, les arguments qui étaient développés en faveur de la première et que rapportait l’ambassadeur lorentin roberto acciajuoli témoignaient de la précellence de la ratio juris sur tout autre mode de légitimation : venendo hieri in ragionamento con sanseverino et parlando del concilio che il papa disegna fare a roma, ritrassi che il fondamento loro è in su la preventione, perche dicono che il papa, sendo posteriore a denuntiarlo et ordinarlo per la negligentia sua, viene a perdere l’auctorita et potesta sua, et in questo et in molte altre cose s’intender esser devoluta in sino che non è absoluto il concilio4.

Le raisonnement coninait parfois à un formalisme juridique dont ses auteurs ne semblaient pas soupçonner qu’il serait insuisant pour trancher le diicile problème du pouvoir légitime : per questi cardinali una volta si fa gran sollicitudine, e quali monstrono al re che il papa è chiamato juridicamente, et sendo chiamato juridicamente, le constitutione che fara el concilio saranno anchora juridiche ; le quali quando el papa non observi, el re potra procederli contro come scismatico et inobediente al concilio, et che non ia [sia] nessuno che di ragione lo possa caricare5.

réunis à Lyon à la in du mois d’août 1511, les prélats et docteurs français qui s’apprêtaient à rejoindre pise entendaient eux aussi défendre « per piu juridico » le concile condamné par Jules ii6. La même coniance dans l’eicacité du droit se manifesta aussi quand le cardinal Briçonnet indiqua à machiavel que les pères 2. Voir Jacques Krynen, « Les légistes “idiots politiques”. sur l’hostilité des théologiens à l’égard des juristes, en France, au temps de charles V », dans héologie et droit dans la science politique de l’état moderne. Actes de la table ronde de Rome (12-14 novembre 1987), rome, 1991 (collection de l’école française de rome, 147), p. 171-198. 3.  Voir Le concile gallican de Pise-Milan. Documents lorentins (1510-1512), éd. augustin renaudet, paris, 1922, n° 94, p. 66 ; n° 222, p. 219 ; n° 415, p. 477. 4. Lettre de roberto acciajuoli aux Dix, Grenoble, 22 juin 1511, ibid., n° 80, p. 58. 5. Lettre de roberto acciajuoli aux Dix, Valence, 16 juillet 1511, ibid., n° 101, p. 72. Je souligne. 6. Lettre de roberto acciajuoli aux Dix, Lyon, 26 août 1511, ibid., n° 172, p. 149.

Filippo decio, caJetan et le concile de pise-milan

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conciliaires n’excuseraient plus à l’avenir l’absence des autorités lorentines lors des sessions, « havendo loro in questa prima sessione leghate le mani al ponteice »7. en France, des traités insistèrent également sur le bon droit du roi de France et de ses alliés du sacré collège en se fondant sur des critères juridiques. nicolas Bertrand, avocat au parlement de toulouse, indiquait ainsi au début de son Tractatus de bello inter Julium secundum et Ludovicum duodecimum : solis jurium decisionibus omnes dubitationes decidi poterunt8. cette conception d’une légitimité déinie par le respect des procédures prévues par le droit explique que les promoteurs du concile de pise aient pris soin, avant de le convoquer, d’obtenir les avis favorables de juristes réputés, selon la pratique traditionnelle des consultations juridiques9. en ayant recours à leur expertise plutôt qu’à celle des théologiens, ces prélats cherchaient à faire reconnaître qu’ils agissaient à bon droit dans une situation bien déterminée – le conlit qui les opposait à Jules ii –, et non à dresser d’emblée contre la papauté tout l’édiice de l’ecclésiologie conciliariste. L’enjeu n’était pas d’abord de s’ailier à une doctrine et de défendre une conception d’ensemble du gouvernement de l’église, mais d’établir la licéité d’un certain nombre d’actes. parmi tous ces avis, le plus inluent fut le Consilium composé par Filippo Decio, l’« un des plus grands jurisconsultes de ce temps » selon son ancien élève Francesco Guicciardini10. Decio rédigea ce 7.  Lettre de piero del nero, capitaine, et niccolò Zati, podestat de pise, aux Dix, pise, 5 novembre 1511, dans ibid., n° 409, p. 463-464. 8. nicolas Bertrand, Tractatus domini Nicolai Bertrandi […] de bello inter […] Julium secundum et Ludovicum […] duodecimum…, dans id., …opus de holosanorum gestis ab urbe condita…, toulouse, Johannes magni Johannis, 1515, fol. 73v. sur n. Bertrand, voir la notice de Géraldine cazals, dans Dictionnaire historique des juristes français, xiie-xxe siècle, éd. patrick arabeyre, JeanLouis halpérin et J. Krynen, paris, 2007, p. 79-80, et p. arabeyre, Les idées politiques à Toulouse à la veille de la Réforme. Recherches autour de l’œuvre de Guillaume Benoît (1455-1516), toulouse, 2003, p. 125-126 et p. 545-549. 9. Guido rossi, Consilium sapientis iudiciale. Studî e ricerche per la storia del processo romanocanonico, t. i : Secoli xii-xiii, milan, 1958 ; osvaldo cavallar, « Lo “stare fermo a bottega” del Guicciardini : giuristi consulenti, procuratori e notai nel rinascimento », dans Consilia im späten Mittelalter. Zum historischen Aussagewert einer Quellengattung, sigmaringen, 1995, p. 113-144 ; Legal Consulting in the Civil Law Tradition, éd. mario ascheri, ingrid Baumgärtner et Julius Kirshner, Berkeley, 1999 (studies in comparative Legal history) ; m. ascheri, « il consilium dei giuristi medievali », dans consilium. Teorie e pratiche del consigliare nella cultura medievale, éd.  carla casagrande, chiara crisciani et silvana Vecchio, Florence, 2004 (micrologus’ Library, 10), p. 243-258 ; ulrich Falk, Consilia. Studien zur Praxis der Rechtsgutachten in der frühen Neuzeit, Francfort-sur-le-main, 2006 (rechtsprechung materialien und studien, 22) (non vidi). 10. Francesco Guicciardini, Histoire d’Italie. 1492-1534, éd. Jean-Louis Fournel et Jean-claude Zancarini, paris, 1996, t. i, 1492-1513, liv. X, chap. Xi, p. 779. sur F. Decio, voir la notice d’aldo mazzacane dans DBI, t.  XXXiii, 1987, p.  554-560, et Francisco Boeza, Vita Domini Philippi Decii…, dans F. Decio, In Digestum Vetus & Codicem Commentarii…, Venise, apud iuntas, 1596, fol. [1]-[3v] et 1-2v.

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texte, publié à pavie et à paris11, à la demande de Louis Xii qui, contre une généreuse rétribution, l’avait fait venir dans la ville lombarde en 1505 pour y tenir une chaire de droit canonique. Les autres textes s’en inspirèrent et reprirent les arguments qui y étaient développés 12. L’autorité dont jouissait ce mode de justiication apparut particulièrement bien lorsque Filippo Decio et son collègue Girolamo Bottigella13 résolurent le 1er novembre 1511, après l’ouverture de l’assemblée pisane, les objections et les doutes soulevés par les Français, partagés, semble-t-il, entre leurs scrupules religieux et leur crainte de Louis Xii. La virtuosité des deux juristes en la circonstance leur valut l’admiration du cardinal carvajal et des autres savants : « et veramente si puo dire, come da costoro medesimi sono tenuti, siano el fondamento et le columne di questa opera »14. c’est à ce Consilium de Decio que cajetan semble avoir répondu lorsqu’au début de son De comparatione auctoritatis Papæ et concilii, publié à rome le 19 novembre 1511, il notait que le problème en cause était une question principalement théologique et seulement secondairement canonique : et ne quis putet ponere me falcem in messem alienam, præmitto quod, quia auctoritas papæ immediate est a Deo et revelata in sacra scriptura, et auctoritas ecclesiæ universalis immediate dicitur esse a Deo, ut constantiense concilium declaravit, ideo materia isto primo et principaliter est theologorum, quorum est sacram scripturam et divina opera scrutari, secundario autem, in quantum scilicet est in sacris canonibus declarata, ad canonistas spectat. propter quod graviter errant in hac re canonistis primo deferentes. oportet ergo virum docilem utrosque, theologos et canonistas, in re hac perspicere, et in suo quemque loco

11.  J’utilise la réédition de melchior Goldast  : FDC. sur ce texte, voir walter ullmann, « Julius ii and the schismatic cardinals », dans Schism, Heresy and Religious Protest, éd. Derek Baker, cambridge, 1972 (studies in church history, 9), p. 177-193, aux p. 181-187. 12.  D’après les informations de l’ambassadeur lorentin auprès des autorités françaises de milan : « io mando alle signorie Vostre con le presenti una nota facta per uno di questi doctori, che maneggiava qui le cose de cardinali, delle ragioni insulle quali è fondato il concilio mosso. Vedro anche di havere la copia di tucto quello che messer philippo Decio ha consigliato ; et la mandero alle signorie Vostre. ne credo che mi fussi molto diicile havere ancora li scripti di questi altri doctori che hanno consigliato questa materia, quando venissi a proposito a quelle ; benche secondo ho ritracto tucti quelli che hanno scripto di poi, si sono fondati in su motivi di messer philippo Decio ». Lettre de Francesco pandolini aux Dix, milan, 10 septembre 1511, dans Le concile gallican…, n° 213, p. 206. Voir deux consultations anonymes allant dans le même sens que celle de Decio : BaV, Barb. lat. 843, fol. 234-240v et fol. 244-246. 13. sur Girolamo Bottigella (Botticella, Butigella), voir la notice de piero craveri dans DBI, t. Xiii, 1971, p. 462-463. 14. Lettre des commissaires lorentins rosso ridoli et antonio portinari aux Dix, pise, 2 novembre 1511, dans Le concile gallican…, n° 398, p. 451.

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honorando theologiæ primatum dare, utpote quæ ex propriis potest hoc determinare. canonicum autem ius nonnisi ad theologiam recurrat, auctoritatem scilicet sacræ scripturæ, quæ vera theologia est15.

cette airmation du primat à donner aux théologiens sur les canonistes, que l’on retrouve dans le De prima Orbis sede (1512) du dominicain aragonais cipriano Benet, docteur parisien devenu professeur de théologie à rome16, visait directement, quoiqu’elle ne le citât point, Filippo decio, qui avait cru l’emporter sur la doctrine opposée à la sienne en situant la question de l’autorité dans le domaine de la discipline ecclésiastique, où le droit canonique prenait le pas sur la théologie : et nobis suicit quod opinio dicta glossa communiter approbata sit à doctoribus juris canonici […]. nec curandum est quod theologi aliter dicant, quia in ista materia magis standum est doctoribus canonum, quàm theologiæ magistris, quia hîc non agitur de articulis idei, sed de moribus & integritate vitæ, quo casu magis credendum est professoribus canonum, prout est in matrimonio, in voto, in decimis, in usuris, quia ista respiciunt moralem philosophiam17.

D’un côté comme de l’autre, il ne s’agissait pas de se priver des apports de la discipline jugée en l’espèce de second rang, mais d’établir le point de vue d’où devait se trancher la querelle. Je voudrais montrer ici que ce désaccord sur la science maîtresse en matière ecclésiologique n’était pas que le fruit d’une rivalité académique, ni n’était seulement un problème de choix des autorités et de la doctrine de référence pour résoudre la querelle entre le conciliarisme et le papalisme. ce qui était en cause, c’était la manière de poser la question du pouvoir dans l’église. Le Consilium de Decio résolvait quatre dubia d’ordre juridique et ouvrait la voie à l’action des cardinaux contre Jules ii. Le premier dubium portait sur les cas où le pape pouvait être mis en accusation18. L’autorité principale était ici le fameux canon Si papa en vertu duquel le pape a nemine est judicandus, nisi deprehendatur a ide devius19. selon la doctrine commune, le souverain pontife coupable d’hérésie pouvait donc être jugé20. toute la diiculté était de savoir s’il 15. CDCA, n° 7, p. 15-16. 16. cipriano Benet (ou cypriano Beneto), De prima Orbis sede […] nuperrime editum, rome, iaco. mazocchius, 1512, fol. [3v]. Voir aussi ibid., fol. [66]. sur ce texte de Benet, voir ulrich horst, o.  p., Zwischen Konziliarismus und Reformation. Studien zur Ekklesiologie im Dominikanerorden, rome, 1985, p. 55-67. 17. FDC, n° Xi, p. 1670 18. FDC, nos ii-XVi, p. 1668-1672. 19. Grat., D. 40, c. 6, fol. 63. 20. FDC, n° V, p. 1669.

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était également passible d’un tribunal pour un crime notoire, dont il refusait de se corriger et par lequel il scandalisait l’église : la réponse de Decio était positive au terme d’un parcours typiquement scolastique où il avait pris soin d’exposer les objections, d’énoncer sa propre thèse et d’apporter une solution aux arguments de la thèse contraire21. il suivait ainsi la position de la « glose ordinaire » qui considérait qu’un tel cas rendait le pape suspect d’hérésie et que, par conséquent, le canon Si papa s’appliquait22. sans incriminer directement Jules ii, il donnait comme exemples d’un tel crime la simonie et le schisme, deux accusations faciles à brandir contre ce pape en raison des conditions de son élection et de son refus prévisible d’obéir au concile que les cardinaux songeaient à réunir23. Decio répondait aussi de manière airmative au second dubium24 : le pape était tenu par son serment de convoquer un concile dans les deux ans après son élection et ne pouvait s’en absoudre lui-même. à la troisième question, qui concernait le rôle du concile général lorsque le pontife pouvait être mis en accusation, le juriste répondait avec la même netteté que le concile était alors le juge du pape25. Le problème le plus épineux était posé par le quatrième et dernier dubium26 : les canonistes avaient certes établi d’une manière qui ne faisait pas diiculté que la convocation du concile universel cessait d’être une prérogative du souverain pontife lorsqu’il s’agissait de le juger et qu’elle était alors dévolue au sacré collège, puis, si ce dernier faisait défaut, à l’empereur ; mais qu’en était-il si la major pars des cardinaux faisait cause commune avec le pape ? La minor pars pouvait-elle réunir de sa seule autorité le concile ? c’était le point crucial car les prélats réfugiés à milan ne représentaient qu’une petite fraction du collège. si l’on en croit le disciple et biographe de Decio, Francisco Boeza, la sagacité du juriste permit de sauver une entreprise conciliaire qui risquait d’achopper à cet obstacle : solus Decius viam aperuit, & probabilibus rationibus demonstravit, quod prædicti cardinales etiam ut singuli hoc facere possent27. Le Consilium assimila en efet le cas des cardinaux idèles au pape au cas du pontife : de la même façon que celui-ci perdait le droit de convoquer le concile chargé de le juger, les membres du sacré collège qui ne se désolidarisaient pas de lui ne détenaient plus un droit de convocation qui n’était dévolu qu’à ceux qui rompaient avec lui28. Decio concluait son propos en soutenant que les cardinaux présents à milan pouvaient convoquer le concile général au nom 21.  Ibid., respectivement nos  ii-iV, p.  1668-1669 ; nos  V-Xi, p.  1669-1670 et nos  Xii-XVi, p. 1670-1672. 22. Ibid., n° V, p. 1669. Voir Grat., Gl. A ide devius ad Grat., D. 40, c. 6, fol. 63. 23. Ibid., n° XV, p. 1671. 24. Ibid., nos XVii-XXi, p. 1672-1673. 25. Ibid., n° XXii, p. 1673. 26. Ibid., nos XXiii-XXViii, p. 1673-1676. 27. F. Boeza, Vita…, fol. [3], col. 1. 28. FDC, n° XXV, p. 1674.

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du collège cardinalice puisque totum jus collegii in ipsis residere videtur, ex quo alii adhærentes papæ simul cum papa in casu isto excluduntur29. la rationalité juridique évitait au professeur de pavie d’avoir à trancher de manière abrupte le problème de la hiérarchie du concile et du pape. l’approche par cas permettait une grande modération. decio ne citait ni Hæc Sancta ni Frequens et ne reprenait pas le leitmotiv à gros grain du conciliarisme : concilium est supra papam. tout au plus rappelait-il que l’on avait utilisé l’interprétation donnée par la « glose ordinaire » du canon Si papa contre eugène iV au concile de Bâle30. avec l’indiction du concile de Latran et l’ouverture de celui de pise, l’argumentation tendit toutefois à se radicaliser : dans le Sermo conçu alors que l’assemblée pisane venait de débuter, Decio ne se contenta pas de répéter ce qu’il avait dit dans son Consilium, mais durcit sensiblement son propos. il évoquait d’abord la nécessité d’une réforme de l’église in capite et in membris31 et précisait qu’il fallait y procéder mediante salutari remedio concilii32. parmi les canons auxquels il se référait pour prouver que factum in concilio irmius reputatur, le juriste citait le décret Frequens33. après cette prise de position conciliariste, il expliquait que le problème était désormais de savoir lequel des deux conciles devait prévaloir34. pour résoudre un premier dubium, portant sur la validité juridique de la convocation du concile de pise, Decio reprenait les arguments développés plus longuement dans son Consilium pour conclure dans le même sens. Là aussi, il donnait à son propos une tonalité encore plus défavorable au papalisme. Deux cas faisaient selon lui exception à la règle énoncée par le Décret de Gratien à partir d’une lettre du pape pélage ii, selon laquelle sans l’autorité du siège apostolique, ce n’était pas un concile, mais un conventicule ou un conciliabule, qui était célébré35. Le consentement du pape n’était plus requis en premier lieu lorsque le concile devait se réunir contre lui. Decio en embrassait cette fois l’entière conséquence : tali casu, quando contra papam agitur, concilium est supra papam, & illum judicare potest36. La seconde possibilité se rapportait à la promesse inaccomplie de Jules ii, mais était reliée de façon désormais parfaitement explicite à la faute de négligence quant à la réunion du concile. à ce double titre, le pontife avait perdu sa prérogative : elle appartenait désormais aux cardinaux, du moins à ceux qui ne se rendaient pas coupables à leur tour de négligence37. Le second 29. Ibid., n° XXViii, p. 1675. 30. Ibid., n° V, p. 1669. 31. FDS, n° ii, p. 1677. 32. Ibid., n° iii, p. 1677. 33. Ibid., n° iii, p. 1677-1678. 34. Ibid., n° iV, p. 1678. 35. Grat., D. 17, c. 5, fol. 22. 36. FDS, n° V, p. 1678. Je souligne. 37. Ibid., nos V-Vii, p. 1678-1679.

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dubium concernait la valeur de la bulle Sacrosanctæ Romanæ Ecclesiæ du 18 juillet 1511 : Decio répondait point par point à cette condamnation du concile de pise et expliquait pourquoi ce dernier pouvait se poursuivre optimo jure, sans tenir compte de censures spirituelles sans efets apud Deum et apud Ecclesiam ejus et de la convocation sans fondement juridique d’une autre assemblée à rome38. alors que la rupture entre le pape et le concile était désormais pleinement consommée, Decio plaidait donc sans ambiguïté pour la légitimité du synode pisan. tout l’art du juriste consistait à dégager la règle correspondant à chaque cas et non à déduire de la révélation une idée d’ensemble de la distribution du pouvoir dans l’église. Le Consilium pesait les droits du pape avec la balance qui servait pour n’importe quel autre acteur39. ce qui se passait dans les églises particulières, où un évêque pouvait être déposé pour mettre in à un scandale et où un prélat fautif perdait ses prérogatives au bénéice du chapitre, était érigé en norme pour l’église universelle40. si Decio n’envisageait pas la papauté comme une institution à part, surplombant la communauté ecclésiale du haut de sa plenitudo potestatis, il n’ignorait évidemment pas que le droit canonique lui avait reconnu un certain nombre de privilèges conformes au principe selon lequel prima sedes a nemine judicatur. L’imbrication des règles et des exceptions obligeait à une casuistique ine, même lorsque la norme semblait pouvoir être tirée directement de l’évangile. ainsi en allait-il de la correction fraternelle, dont la procédure était prescrite par le christ en matthieu 18, 15-17. hostiensis avait soutenu que, dans la mesure où l’église militante n’avait pas le pouvoir de juger le pape, on pouvait reprendre celui-ci, lorsqu’il péchait, par des reproches, mais on ne pouvait pas porter contre lui une sentence41. Decio répliquait que cela était vrai regulariter, mais ne valait pas dans les cas d’hérésie et de crime scandaleux. ces exceptions à la règle qui exemptait le pontife de la règle énoncée par le Dic Ecclesiæ conirmaient en fait cette dernière : tunc tota regula Evangelica habet locum in summo pontiice, cum per tali crimine accusari possit42. une démarche similaire permettait plus loin au juriste de dénicher à nouveau la règle dans l’exception. Le problème était de montrer que le concile 38. Ibid., nos Viii-Xiii, p. 1679-1682. 39.  De la même façon qu’on pouvait résister par les armes à un juge faisant quelque chose extrajudicaliter, on pouvait résister au pape coupable, à tout le moins par la voie du droit. FDC, n° Viii, p. 1670. Le pape pouvait être jugé en cas de scandale, car le droit romain, le droit civil et le droit canonique prévoyaient que le scandale afranchissait des règles communes. Ibid., n° Vii, p. 1670. Le pontife était lié par sa promesse car le serment était de droit divin et, comme prince, il était tenu par le contrat qu’il avait passé. Ibid., n° XVii, p. 1672. 40. Ibid., n° Vi, p. 1669, et n° XXVi, p. 1674-1675. 41. Ibid., n° ii, p. 1668. 42.  Ibid., n°  Xii, p.  1671. L’assujettissement du pontife à la règle évangélique était rappelé avec encore plus de netteté dans le Sermo, où Decio faisait référence au canon Sunt quidam (Grat., c.  25, q.  1, c.  6, fol.  462v), qui indiquait que le pape devait conirmer usque ad animam & sanguinem les lois édictées par le christ, ses apôtres et, à leur suite, les pères. FDS, n° iX, p. 1679.

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n’était pas seulement le juge du pape lorsqu’il était tombé dans l’hérésie, mais dans tous les cas où il pouvait être accusé. ce n’était certes pas regulariter que le concile pouvait juger le pontife, mais par exception ; mais une fois que l’on se plaçait dans le cadre de ces cas exceptionnels, il fallait bien supposer qu’il y avait un juge car sinon ces exceptions étaient établies pour rien ; dès lors, decio concluait que si c’était specialiter que le pape pouvait être jugé dans certains cas, c’était ordinario jure que le concile était alors son juge43. dans cette manière subtile de promouvoir l’assemblée conciliaire, il faut voir la marque d’une logique juridique pour laquelle « c’[était] au moment même de l’exception, lorsqu’une solution se [saisissait] en sa circonstance la plus extrême, que son degré de généralité [était] au plus haut » et qui procédait à une « stabilisation de l’exceptionnel »44. car ce qui ressortait de l’analyse de Decio, c’était que ce qui semblait déroger au statut particulier du pape avait en fait une valeur générale. aucun privilège pontiical ne pouvait être opposé lorsqu’il y allait du sort de l’église universelle45. sa défense primait les droits du pape car il aurait été absurde de le laisser la troubler et la détruire46. L’interprétation juridique passait au tamis de l’intérêt ecclésial toutes les situations47 ; elle promouvait une conception fonctionnelle du pouvoir du pontife : Papa positus est ut vitia extirpet, excessus corrigat, & mores reformet, ce qui le conduisait par exemple à priver de leur royaume les princes incapables ; mais s’il tombait dans le péché et faillait ainsi à sa mission, il revenait au concile d’accomplir à son tour cette fonction en le déposant48. Decio rejoignait ainsi pleinement le discours des théologiens conciliaristes : en dernier ressort, le pouvoir suprême dans l’église était détenu par le concile et non par la papauté. un même mode de raisonnement se retrouve chez la cheville ouvrière du concile de pise, Zaccaria Ferreri, abbé de san Benedetto di monte subasio, qui publia à la demande des promoteurs du synode une Apologia sacri Pisani concilii moderni, datée du 27 septembre 151149. il répondait minutieusement aux objections portées contre la validité des actes accomplis par les cardinaux dissidents. Le bon droit du concile de pise était démontré moins à partir d’une conception

43. FDC, n° XXii, p. 1673. 44. Yan homas, « L’extrême et l’ordinaire. remarques sur le cas médiéval de la communauté disparue », dans Penser par cas, éd. Jean-claude passeron et Jacques revel, paris, 2005 (enquête, 4), p. 46, réimpr. dans id., Les opérations du droit, éd. marie-angèle hermitte et paolo napoli, paris, 2011 (hautes études), p. 209. 45. FDC, n° X, p. 1670, et n° XXi, p. 1673. 46. Ibid., n° iX, p. 1670. Voir aussi ibid., n° XXVii, p. 1675. 47. Voir l’usage très fréquent chez Decio de l’expression pro interesse universalis Ecclesiæ, par exemple ibid., n° XXViii, p. 1676. 48. Ibid., n° Vi, p. 1669. 49. sur Zaccaria Ferreri, voir la notice de eckehart stöve dans DBI, t. XLVi, 1996, p. 808-811. J’ai utilisé la réédition de l’Apologia dans Monarchiæ S. Romani Imperii…, p. 1653-1665.

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a priori de l’église que d’une casuistique ine qui, pour chaque fait, prouvait que le juste était de son côté. la pensée de Ferreri suivait ici le même mouvement que celle de decio. à la règle qui voulait que seul le pape pût convoquer un concile général, il opposait : Ea tamen regula exceptiones habet tam fere communes, quam sit ipsa regula50. La légitimité s’appréciait en situation car elle dépendait d’une bonne régulation des pouvoirs. L’approche théologique était complètement diférente. Le plan adopté par cajetan dans son De comparatione était révélateur. Le premier chapitre établissait la vérité de la proposition : Papa habet supremam potestatem in Ecclesia Dei. puis le dominicain passait à l’examen dialectique des deux grands types de diicultés soulevées contre ce principe. Dans les chapitres ii à iV, il comparait le pouvoir de pierre à celui des autres apôtres ; puis, des chapitres V à XXViii, il démontrait la supériorité du pape sur le concile. Dans cette troisième et dernière partie, de loin la plus longue, il choisissait signiicativement de dresser la comparaison du pouvoir pontiical et du pouvoir conciliaire en deux temps : la confrontation était d’abord menée simpliciter et absolute (chapitres V à XVi), puis in casibus, primo hæresis, secundo incorrigibilitatis, et demum in eventibus, c’est-à-dire lorsque le péché du pape mettait en péril l’église ou lorsque des événements comme la folie ou la captivité la menaçaient sans qu’une faute fût imputable au pontife (chapitres XVii à XXViii). Les cas et les exceptions que les canonistes mettaient au centre de leur rélexion étaient ici rejetés à la périphérie du raisonnement comme autant de circonstances limites qu’il fallait envisager mais qui ne pouvaient remettre en cause ce qui avait été solidement établi dans les seize premiers chapitres sur le terrain des principes, à savoir que le pape était divino jure supra concilium et Ecclesiam. Dans ce cadre, les exceptions à la règle donnée par Dieu ne pouvaient être de droit humain, mais devaient être de droit divin, ce qui disqualiiait tous ceux qui se prévalaient du droit canonique en cette matière51. Dès lors, quia igitur ad solam divinam legem spectat determinare casus depositionis papæ, in ipsa et ex ipsa scrutari oportet, quot sunt casus depositionis papæ52 : le chapitre XXVi montrait à partir des principes théologiques certains, de l’autorité des saints docteurs et surtout des écritures que seul le cas d’hérésie au sens propre était prévu par la loi divine, unique norme applicable à qui n’avait pas d’autre supérieur que Dieu et qui était dominus juris positivi53. Des principaux textes sacrés invoqués, cajetan faisait une exégèse qui manifestait que l’inidélité doctrinale était mise sur un autre plan que la corruption morale : elle constituait donc la seule exception divinement instituée54. à l’instar du cas 50. Ibid., n° 11, p. 1657. 51. cajetan consacrait le chapitre XXV à le démontrer : CDCA, nos 364-378, p. 161-166. 52. Ibid., n° 379, p. 167. 53. pour cette expression, voir ibid., chap. XXV, n° 372, p. 164. 54. Ibid., chap. XXVi, n° 396, p. 172. Voir aussi ibid., chap. XXV, n° 367, p. 162.

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d’incorrigibilité du pape dans un crime notoire et scandaleux, les divers événements qui pouvaient menacer l’église ne valaient déposition que jure humano, ce qui ne pouvait s’appliquer au souverain pontife55. le théologien n’était pas pour autant indiférent aux nécessités concrètes de la vie ecclésiale : en cas de démence déinitive, il estimait par exemple que les cardinaux pouvaient procéder à une nouvelle élection car le siège était alors vacant, cum sit mortuus vita rationali, secundum quam homo est subjectum papatus56. L’efet pratique était le même que celui d’une déposition, mais cette solution respectait le principe qui afranchissait le pape de tout supérieur sur la terre et n’ouvrait aucune brèche dans la suprématie pontiicale. cette ligne de force de son analyse était encore plus évidente dans certaines pages très subtiles qu’il consacrait au cas de l’hérésie du pape57. Le point de départ était là aussi l’écriture : In divino autem jure non exprimitur subjectio, sed separatio, cum casus hæresis excipitur […]. Constat autem quod separare se potest Ecclesia a papa sola ministeriali potestate qua potest ipsum eligere58. par conséquent, papa factus hæreticus et perseverans habet in terris potestatem non superiorem se, sed ministerialem ad sui depositionem59. cela signiiait que l’église et le concile qui la représentait n’avaient pas un pouvoir sur le pape, que le christ était le seul à détenir – la papauté étant une institution divine –, mais un pouvoir sur la conjonction du pontiicat et de tel individu – car celle-ci était l’œuvre des hommes60. en rigueur de termes, on ne pouvait donc pas dire, même en cas d’hérésie, que le pape avait sur terre un pouvoir supérieur à lui61. Deux approches de la question du pouvoir dans l’église se distinguent donc nettement. Le droit canonique mettait en œuvre un raisonnement par cas, grâce auquel les diférentes normes et situations étaient articulées : une casuistique ine tirait de l’imbrication des règles et des exceptions la solution conforme à l’intérêt de l’église. La théologie privilégiait quant à elle un raisonnement par principes, qui partait de l’écriture sainte pour trancher absolute et simpliciter la question de la primauté du pape ou du concile : cas et exceptions n’étaient alors que des circonstances limites qui ne pouvaient pas remettre en cause ce qui avait été établi sur le terrain des principes. D’un côté, on recherchait pour chaque situation le juste rapport hiérarchique entre les institutions ecclésiastiques ; de 55. Ibid., chap. XXViii, nos 430 à 443, p. 190-193. 56. Ibid., n° 440, p. 192. 57. Ibid., chap. XX et XXi, nos 275 à 312, p. 125-139 58. Ibid., n° 280, p. 126-127. 59. Ibid., n° 282, p. 127. 60. Ibid., n° 290, p. 130. 61. Ibid., n° 312, p. 139. pour replacer la position de cajetan au sein des solutions diverses adoptées par les théologiens dominicains quant au problème du pape hérétique, voir Jefrey a. mirus, « on the deposition of the pope for heresy », dans Archivum Historiae Pontiiciae, t. 13, 1975, p. 231-248.

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l’autre, on s’eforçait de déterminer dans l’absolu quel était le détenteur de la suprema potestas ecclesiastica62. pour être opposées, ces deux approches n’étaient pas nécessairement incompatibles et pouvaient être combinées. dans son De concilio tractatus, probablement rédigé entre 1512 et 1523, mais publié seulement en 1538, le juriste domenico Jacovacci (ou giacobazzi) savait allier les qualités du discours théologique à celles du discours juridique : tout en airmant nettement la suprématie du pape dans l’église comme un principe surplombant tous les cas que l’on pouvait isoler, Jacovacci était attentif à la diversité des situations concrètes63. De son côté, le théologien conciliariste John major (ou Jean mair) assouplissait le discours conciliariste en revenant – dans la digression qu’il consacra, au sein de son commentaire de l’évangile selon saint matthieu de 1518, à l’autorité du concile – aux formulations privilégiées par les canonistes : le pape détenait regulariter le pouvoir suprême dans l’église mais il était possible d’en appeler au concile casualiter, c’est-à-dire lorsque le pontife errait ou agissait mal64. ce recours au vocabulaire juridique permettait une vision moins exclusive de l’articulation des pouvoirs dans l’église et témoignait du souci de présenter l’ecclésiologie parisienne d’une manière moins abrupte. aucune concession n’était cependant faite sur le fond. un certain lottement dans l’usage des concepts juridiques trahissait l’emprunt supericiel et la portée de ce 62. Je remercie vivement patrick arabeyre et marie-France renoux-Zagamé de leurs remarques sur la manière de formuler la diférence entre ces deux démarches. plutôt que de parler d’une approche inductive et d’une approche déductive, je suis donc leur suggestion de distinguer un raisonnement par cas et un raisonnement par principes. Je précise aussi que cette opposition vaut pour la controverse étudiée dans cet article et qu’elle s’explique sans doute en partie par le fait que sont ici aux prises, du côté du droit, un bartoliste, qui pratique en l’espèce le genre bien particulier du consilium, et, du côté de la théologie, un métaphysicien. il ne faut donc pas l’absolutiser (la casuistique n’était pas étrangère aux théologiens et les juristes savaient ériger les normes en principes). reste que cette opposition indique une tendance et que d’autres recherches permettraient de savoir dans quelle mesure on peut la généraliser et s’en servir pour cerner la raison juridique et la raison théologique. 63.  J’ai utilisé la dernière réédition  : Domenico Jacovacci, …de concilio, dans Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, éd.  Joannes Dominicus mansi, Graz, 1960, t.  0  : Introductio seu apparatus…, p. 1-580. sur le principe de la suprématie pontiicale, valable en toute circonstance, voir ibid., p. 512, col. 2 et p. 513, col. 1. quant au souci de considérer les problèmes liés à chaque situation, il est évident si l’on regarde la table des matières : de la convocation du concile à sa compétence sur la déposition des papes, les dix livres donnaient des réponses à qui s’y reportait pour savoir ce qui pouvait, ou non, être légitimement et licitement fait. sur Jacovacci, voir, en premier lieu, la notice de rotraud Becker dans DBI, t. LXii, 2004, p. 111-116. 64. In Christo est suprema potestas regularis & casualis independens, qui potest omne quod non implicat contradictionem  : in pontiice est suprema potestas ecclesiastica regularis, qua potest in Ecclesiæ ædiicationem, à quo non licet appellare regulariter ; sed cùm possit errare, & malè agere, non esset rationabile quòd non liceret à tali sententia appellare casualiter. John major, « Disputatio de authoritate concilii, supra pontiicem maximum », dans Joannes Gerson, Opera omnia, éd. m. Lud. ellies du pin, anvers, 1706, t. ii, col. 1142.

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raisonnement à la manière des canonistes était soigneusement limitée puisque major laissait entendre que la supériorité de l’église sur le pape ne s’entendait pas casualiter mais absolument lorsque le concile était réuni65. c’était en fait en théologien que le professeur de la faculté de théologie de paris tranchait le problème du pouvoir dans l’église. un raisonnement philosophique servait de relais entre le discours juridique et ce qui avait été établi plus haut d’un point de vue théologique : est una alia quodammodò superior potestas & illimitatior, scilicet potestas concilii, quod non potest errare in ide, vel esse in quolibet ejus membro peccato obnoxio, à quo in terra non licet appellare, sed in sententia ejus standum est ultimatè, sicut in specialissima jubet plato quiescere66.

ce pouvoir correspondait à celui que le christ avait institué par le Dic Ecclesiæ : l’église avait reçu le pouvoir de corriger tous les frères et nul frère, pas même le pape, n’en était exempt67. major ne cherchait pas à bâtir la ine casuistique des juristes mais montrait que la bonne interprétation de l’évangile consacrait la prééminence absolue du concile sur le pontife. revenir aux écritures pour en déduire la distribution légitime du pouvoir dans l’église, c’était prendre à bras-le-corps la question ecclésiologique et retrouver le cours du grand débat entre conciliarisme et papalisme. L’approche juridique permettait à l’inverse de contourner en partie ces problèmes brûlants en apportant des solutions adaptées à chaque cas : plaider le bon droit du pape ou des cardinaux dissidents en examinant la licéité et la validité des actes de juridiction qu’ils posaient dans des situations bien déterminées, c’était faire l’économie d’une conception globale et a priori de la hiérarchie ecclésiastique, c’était se dispenser d’identiier de manière univoque le détenteur du pouvoir suprême. Dans cette perspective, le droit canonique faisait surtout obstacle aux formules unilatérales de 65. Dans le passage suivant, major passait ainsi dans la même période d’un concept juridique (regulariter) à des concepts philosophico-théologiques (habitualiter et virtualiter) alors que l’on aurait attendu en bonne logique le couple regulariter/casualiter ou le couple actualiter/habitualiter : Romanus pontifex est regulariter super totam Ecclesiam, pro aliqua parte, vel est super totum corpus, cui præest, tanquam caput regulariter  : sed habitualiter & virtualiter, Ecclesia est super ipsum ; & si concilium esset collectum, universalem Ecclesiam repræsentans actualiter, habet superioritatem, & eam exercere potest in papam. Ibid., col. 1139. un peu plus loin, dans un parallèle pas tout à fait équilibré, il accordait davantage au roi qu’au pape : Ad politiam verò regalem, non requiritur quòd rex sit super omnes sui regni, tàm regulariter, quàm casualiter, ut ex dictis liquet : sed sat est, quòd rex sit super unumquemlibet, & super totum regnum regulariter ; & regnum sit super eum casualiter, & in aliquo eventu. Sic est etiam de politia ecclesiastica ; papa regulariter est super unumquemlibet, & super omnes in christianismo dispersos casualiter : sed quando concilium universale est congregatum, est super romanum pontiicem. Ibid., col. 1141. en apparence, le propos était plus conciliant que celui d’almain mais, en réalité, il restait identique. 66. Ibid., col. 1142. 67. Ibid., col. 1135.

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la théologie papaliste, ce que l’on a eu tendance à oublier en raison de la vigueur de la polémique gallicane et protestante contre les canonistes italiens. decio sut d’ailleurs parfaitement jouer des solutions prudentes que permettait d’élaborer le droit pour ne pas trop se compromettre et se ménager une porte de sortie honorable en cas d’échec de l’entreprise conciliaire68. dans ses conseils, il semble être resté le plus possible sur le terrain du droit, en évitant d’émettre des jugements trop développés sur le fait. il ne participa aux diférentes sessions que sur réquisition du roi de France ou sur les instances des cardinaux. à lyon, où l’on avait exigé sa présence pour répondre à cajetan, il se limita d’abord à déclarer que, pour ce qui concernait le droit canon et le concile, l’interprétation du dominicain était fausse et empiétait sur la science canonique, au rebours de ce à quoi le théologien s’était lui-même engagé au début de son ouvrage ; il prépara ensuite des responsiones demeurées manuscrites69. c’était s’en tenir prudemment à une prise de position technique, sans trancher sur le fond du conlit, et se réfugier derrière les désaccords entre canonistes et théologiens ; mais c’était aussi défendre une nouvelle fois avec vigueur la compétence propre des juristes. de la mission qui leur incombait et de l’autonomie qu’elle leur conférait, decio se montrait très conscient. dans une lettre à Jules ii, il citait pour sa défense un vers d’ovide : Si fuit errandum, causas habet error honestas70. et au moment de recevoir l’absolution que lui accorda son ancien étudiant, le pape Léon X, il n’abjura le schisme qu’en précisant qu’il en était innocent, puisqu’il n’avait fait qu’écrire, sur réquisition du roi, bona ide, quæ sibi juri consona videbantur71. La controverse doctrinale qui entoura le concile de pise ne se limita pas à cette approche juridique, qui avait le mérite de la prudence et du pragmatisme, mais ne répondait pas au souci de formuler l’ordre parfait que le christ ne pouvait manquer d’avoir institué pour le gouvernement de son église. La plenitudo potestatis devait pouvoir être située simpliciter et absolute, sous peine de n’être qu’une formule vide de sens. Benoît schmitz école française de rome université paris-sorbonne

68.  sur l’attitude de Decio, voir a.  mazzacane dans DBI, p.  557-559 et F.  Boeza, Vita…, fol. [3]-1v. 69. F. Boeza, Vita…, fol. 1, col. 2. 70. Ibid., fol. [3v], col. 2. Voir ovide, Héroïdes, éd. henri Bornecque, trad. marcel prévost, paris, 1928 (collection des universités de France), p. 43. 71. F. Boeza, Vita…, fol. 1v, col. 1.

le conciliarisme au risque du concile : Les eccLésioLoGies conciLiaires au temps Du conciLe De trente par

alain taLLon

Dans la crise de la chrétienté ouverte par la réforme, le seul point d’accord, au moins en apparence, qui perdure dans les interminables querelles entre frères ennemis est l’airmation qu’un saint concile apportera la vérité et l’union. cette certitude venait de l’héritage des débats ecclésiologiques de la in du moyen Âge, où le concile s’était imposé comme le moyen de résoudre la division de l’église1. que dans les faits, et jusqu’à Latran V, les divers conciles n’aient jamais été à la hauteur de cette espérance ne suit pas au xvie siècle à démentir cette sorte de lieu commun des divers discours ecclésiologiques. un conciliarisme difus se résume à l’airmation que l’esprit saint assiste l’église réunie en concile, et que ce dernier ne peut donc errer. restait bien sûr à préciser ce qu’était un concile légitime et ce qui ne l’était pas : c’est sur ce point qu’à l’héritage des controverses du siècle passé s’ajoutent les oppositions profondes entre les ecclésiologies des diférentes confessions, voire à l’intérieur de chacune d’entre elles. La polémique révèle alors la pure apparence de ce consensus autour de l’institution conciliaire, qui devient au contraire le révélateur d’antagonismes profonds. La crise luthérienne survient alors même que le débat ecclésiologique en europe est dominé par les séquelles de l’afrontement autour du concile de pise, réuni par Louis Xii et maximilien contre le pape Jules ii, et du concile de Latran V que Jules ii, puis Léon X avaient eicacement utilisé comme moyen de contrer le « conciliabule ». La pleine soumission de l’église gallicane au concile romain

1.  Dans une bibliographie des plus riches, on renverra au dernier ouvrage collectif sur la question du conciliarisme et de son héritage à la in du xve siècle et au début du xvie siècle, he Church, the Councils, and Reform. he Legacy of the Fifteenth Century, éd. Gerald christianson, homas m. izbicki et christopher m. Bellito, washington D.c., 2008.

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fut garantie par la paix entre François ier et Léon X et la signature d’un concordat, ratiié par les pères conciliaires, qui enterrait avec la pragmatique sanction de Bourges à la fois les thèses conciliaristes et les vieux préceptes gallicans. La monarchie française, qui avait été le seul pouvoir politique dans la chrétienté à oser aller jusqu’au bout de l’appel au concile contre le pape, continuait formellement de défendre l’héritage conciliariste, mais préférait désormais s’entendre avec rome pour assurer sa tutelle sur l’église gallicane. Le pouvoir impérial, si souvent sollicité de patronner la réunion d’un concile, se montra plus réservé encore. maximilien avait abandonné très rapidement le concile de pise et charles quint, s’il fut le seul soutien politique quelque peu ferme et constant d’une solution conciliaire à la crise religieuse, n’eut jamais sur la nature même du concile et sa place dans l’église une position très audacieuse2. L’efacement du conciliarisme politique ne pouvait manquer d’avoir des conséquences sur le conciliarisme doctrinal : son bastion, la faculté de théologie de paris, avait adhéré avec une certaine réserve au concile de pise, mais avait défendu contre les théologiens romains l’orthodoxie conciliariste. après 1516, cette orthodoxie est clairement considérée comme subversive par le pouvoir royal, comme le montre la répression qui suit l’appel au concile de l’université de paris contre le concordat. Les théologiens parisiens et avec eux toute la tradition gallicane préservent la lamme, mais sont bien obligés de le faire dans une certaine discrétion. La crise du conciliarisme précède donc la crise de la réforme, mais il est certain que cette dernière en modiie considérablement les données. une étude récente de christopher spehr montre bien l’évolution de Luther sur cette question du concile3. La mise en cause du pouvoir pontiical est dès les premières passes d’armes assimilée par les adversaires de Luther au conciliarisme traditionnel : prieras interprète ainsi la réponse de Luther aux premières réactions hostiles aux quatre-vingt-quinze thèses, relevant que le théologien saxon cite le panormitain4. Le fait que l’université de paris fasse appel au concile du concordat de Bologne le 27 mars 1518 frappe aussi par sa concomitance. pourtant, christopher spehr montre de façon convaincante que la similitude entre le texte parisien et le propre appel de Luther au concile est purement formelle et concerne des formules habituelles dans ce genre de texte5. Luther puise dans l’arsenal traditionnel du conciliarisme, n’hésitant pas à reprendre par exemple le décret Haec Sancta du concile de constance, à rappeler la condition humaine du pape, soumise à l’erreur, et

2. Voir Charles Quint face aux Réformes, éd. Guy Le hiec et alain tallon, paris, 2005. 3. christopher spehr, Luther und das Konzil : zur Entwicklung eines zentralen hemas in der Reformationszeit, tübingen, 2010. 4. Ibid., p. 67. 5. Ibid., p. 97-99.

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l’exemple de pierre repris par paul6. pour autant, sa conception du rôle du concile évolue en même temps que l’ensemble de sa pensée ecclésiologique qui se précise au fur et à mesure des disputes avec ses adversaires. la dispute de leipzig de 1519 avec Jean eck porte ainsi en partie sur l’autorité des conciles : Luther distingue alors clairement l’autorité de l’écriture, divine, et celle, purement humaine, des autorités ecclésiastiques, conciles compris. ces autorités sont de l’ordre de la créature, et peuvent donc errer, même si la possibilité qu’un concile puisse errer en matière de foi n’apparaît pas encore clairement7. après Leipzig, Luther en vient à airmer sa totale liberté de trier parmi les décisions des autorités ecclésiastiques, qu’il s’agisse du concile, des universités ou du pape8. il maintient cependant une hiérarchie entre ces autorités, airmant la supériorité du concile sur le pape en reprenant une citation de saint Jérôme : si autoritas quaeritur, maior est orbis urbe9. Le concile qui peut avoir une autorité selon Luther est, comme il le formule au début de l’année 1520, un concile « libre et chrétien », qualiicatifs qui deviennent le leitmotiv de Luther puis de tous les réformateurs. Leur sens est précisé dans les grands écrits de l’année 1520, notamment dans l’Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande, où Luther exhorte à abattre le troisième mur dressé par les « romanistes », à savoir le pouvoir que le pape prétend de convoquer et de conirmer les conciles et où il dresse un programme de réforme que le futur concile devra mettre en place, sous l’autorité de l’empereur. cette conception du concile libre et chrétien aboutit à une reformulation oicielle de son appel le 8 novembre 1520, où le pape est clairement qualiié d’antéchrist et où l’empereur, les princes et les magistrats de tout l’empire sont exhortés à adhérer à son appel10. pour autant, le concile n’a d’autorité pour Luther que par sa stricte conformité à la parole de Dieu, comme il le proclame à nouveau publiquement dans le célèbre face-à-face avec charles quint à la diète de worms le 17 avril 1521 : Je ne puis soumettre ma foi ni au pape, ni au concile, parce qu’il est clair comme le jour qu’ils sont souvent tombés dans l’erreur et même dans de grandes contradictions avec eux-mêmes. si donc je ne suis convaincu par le témoignage des écritures ou par des raisons évidentes; si l’on ne me persuade par les passages mêmes que j’ai cités, rendant ainsi ma conscience 6. martin Luther, D. Martin Luthers Werke, weimar, 1884, t. ii, p. 36-37. 7. c. spehr, Luther und das Konzil…, p. 161-162. 8.  Proinde volo liber esse et nullius seu Concilii seu potestatis seu universitatum seu pontiicis autoritate captivus ieri : quin conidenter conitear quicquid verum videro sive hoc sit a Catholico sive haeretico assertum, sive probatum, sive reprobatum fuerit a quocunque Concilio, Ibid., p. 172. 9. Primum determinatum illic est, Concilium esse supra Papam, quod ego verissimum iudico. Nam et Hieronymus ad Evagrium dicit : si autoritas quaeritur, maior est orbis urbe, Ibid., p. 172. 10. m. Luther, …Werke, t. Vii, p. 74-82 pour le texte latin et p. 83-90 pour le texte allemand. il faut noter que seul le texte allemand parle d’un concile libre et chrétien («  frei christlich concilium », p. 85).

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captive de la parole de dieu, je ne puis et ne veux rien rétracter, car il n’est pas prudent pour le chrétien de parler contre sa conscience. dieu m’assiste ! amen11.

le concile n’est plus l’église assemblée dans l’esprit saint, il est une autorité humaine : Luther s’éloigne de plus en plus par la suite des thèses conciliaristes, et son jugement sur le concile de constance, qu’il avait utilisé en 1518-1519 contre ses adversaires romains, devient de plus en plus négatif, en lien notamment avec sa réévaluation de l’œuvre de Jean huss12. si l’ecclésiologie luthérienne laisse encore une place à l’autorité des conciles, c’est très largement pour des raisons opportunistes : pour se distinguer de la réforme radicale, il faut insister sur la conformité des églises évangéliques avec les premiers conciles œcuméniques, notamment sur la question trinitaire ; face aux adversaires catholiques, il est tentant d’en appeler au prestige du concile, d’autant plus que depuis plus d’un siècle la déinition non seulement de l’autorité des conciles, mais même de leur modalité de convocation et de fonctionnement divise profondément le monde catholique. Le concile « libre et chrétien » qui devait résoudre les querelles théologiques et faire émerger la vérité restait cependant un concile virtuel. si le rôle des princes séculiers et principalement de l’empereur, notamment pour sa convocation, était régulièrement avancé, c’était bien le seul point sur lequel les réformateurs donnaient une indication sur la nature et le fonctionnement de l’assemblée conciliaire. pour le reste, ils éludaient prudemment de se prononcer sur la qualité des participants, les modes de délibérations, les modalités de décision. quant à l’autorité des décisions d’un tel concile, elle se situait dans un « no man’s land » entre la seule source de la révélation, l’écriture, et les décisions purement humaines de police ecclésiastique. seul le rejet d’un concile « papiste » faisait l’objet d’une prise de position claire et unanime. La réunion du concile de trente fournit de nombreuses occasions au monde réformé de préciser tous les points qui pour lui rendaient cette assemblée parfaitement illégitime. une synthèse à peu près complète est faite en 1547 par calvin dans son édition commentée des actes du concile, traduite en français dès l’année suivante13. Le ton polémique est donné dès l’épître « au lecteur idèle ». caton disait qu’il ne pouvait convaincre les romains de renoncer à leurs banquets car on ne peut

11. il existe on le sait de nombreuses versions de cette célèbre déclaration qui circulèrent dès 1521, Lucien Febvre, Un destin : Martin Luther, paris, 1928, p. 117-118. 12. c. spehr, Luther und das Konzil…, p. 266. 13. Jean calvin, Les actes du concile de Trente. Avec le remede contre la poison, [Genève,] 1548, 347 p.

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parler à des ventres sans oreilles. la tâche est pire encore avec les romanistes car ils y ajoutent une ambition aveugle. calvin n’a pas d’espoir de les réduire, mais veut montrer leur impiété : De fait, il n’en faut point demander un chef d’œuvre plus notable que ces beaux actes du concile de trente, que je produis, où ils ont tellement dégorgé ce qu’ilz avoyent au profond de l’estomac que nul n’a plus occasion de douter quel estat nous aurions en l’eglise si la chose leur estoit mise en main14.

calvin reconnaît que le nom de concile universel est tenu en grande estime dans l’église chrétienne : Dieu dès les commencements du christianisme a utilisé les conciles comme « remède ordinaire pour guérir les maladies de son église, à savoir que de sainctz evesques s’assemblassent et après avoir invoqué son nom, conclussent des matières, selon qu’ils estoyent enseignez par le sainct esprit »15. on notera la description du saint concile d’après calvin, inalement assez conservatrice. mais calvin insiste immédiatement sur le fait que toute assemblée n’est pas un concile et que l’on ne peut se ier au seul nom, « ain que la foy n’acquiesce pas legierement à ce qui aura esté determiné par les hommes de leur seule phantasie, ains qu’elle adhere seulement à ce qui est de Dieu ». on ne peut considérer que la publication par le pape suit à donner une autorité à un concile, ou que toute assemblée est inspirée par l’esprit saint. saint augustin a dit ne pas vouloir avancer les résolutions du concile de nicée contre un de ses adversaires ariens, disant que seule l’écriture, commune à tous, pouvait trancher 16. calvin ne va guère plus loin dans sa discussion de l’autorité des « vrais » conciles de l’antiquité, alléguant que le concile de trente en est de toute façon très loin. c’est donc en négatif que se trace l’ecclésiologie conciliaire calvinienne, par le rejet de l’assemblée tridentine. calvin rappelle les espoirs mis dans un concile de réforme, mais les qualiie de folie : on ne peut rien attendre de ceux qui ont la puissance de le tenir (ce qui sous-entend le pape, mais aussi l’empereur). certes le pape a peur du concile : combien qu’il seust que le concile ne seroit sinon une troupe de gens apostez pour lui complaire comme locatifs et que luy seul y auroit toute authorité, neantmoins la mauvaise conscience peut tant qu’il trembloit toutesfois et quantes qu’on faisoit mention du concile. car ceste tyrannie de la papauté est si énorme que ceux mesmes qui désirent que le siege papal soit maintenu en son entier jugent bien que on le doit restraindre17. 14. Ibid., p. 4-5. 15. Ibid., p. 7. 16. Ibid., p. 8. 17. Ibid., p. 10.

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calvin reconnaît là l’autonomie du concile de trente à l’égard du saint-siège, même s’il le fait de mauvais gré, de même l’existence d’une diversité et même de dissensions au sein du camp romain, entre partisans de l’autorité pontiicale et tenants du conciliarisme. Face à ces derniers, calvin marque bien la limite de l’autorité qu’il accorde aux conciles, refusant ainsi que l’on ne puisse pas à nouveau débattre de ce qui aurait été décidé dans des conciles passés ou le concile présent : « car autrement, quelle diférence y auroit-il entre la parolle de Dieu et le jugement des hommes ? »18. Le réformateur fait à nouveau une exception pour les conciles anciens, mais trente en est bien loin et « les conciles ausquelz ilz nous veulent attacher sont telz qu’on n’y apperçoit que bestise, avec une cruauté sauvage »19. calvin s’attaque ensuite à l’argument comme quoi le concile ne peut errer parce qu’il représente l’église. il conteste ce point non sur le fond, mais en rappelant les conditions dans lesquelles le concile s’est tenu, avec seulement une quarantaine de prélats, au niveau intellectuel lamentable. canonistes de formation, ils ne savent pas un mot de théologie et ce ne sont pas les théologiens qui les assistent, « quelques babillards de moynes audacieux, lesquelz chassent après des mitres ou des chapeaux »20, qui vont leur permettre de compenser leur ignorance. L’argument d’illégitimité intellectuelle ne vient pas tant du mépris humaniste pour la théologie scolastique que du souci d’aviver les divisions du camp adverse. calvin veut bien montrer que tout le monde méprise les participants au concile de trente, y compris dans leur camp : si on avoit aujourdhuy rapporté à messieurs de la sorbone que le concile de trente fust discordant à leurs déterminations en un seul poinct, incontinent les cerveaux de noz maistres s’eschauferoyent pour crier alarme. et non seulement ne tiendroyent conte de l’authorité du concile, mais degraderoyent par testes tous ceux qui y sont21.

plus loin, le réformateur insiste sur la faible fréquentation du concile et ironise sur sa prétention à se qualiier d’œcuménique : « si c’estoit seulement un synode provincial, ilz devroyent avoir honte de se trouver si peu »22. ce concile n’est donc pas chrétien et il ne remplit pas non plus la seconde condition de validité martelée par les réformateurs depuis 1520, la liberté de vote. Là encore, calvin reprend des dénonciations qui avaient déjà été faites dans le camp catholique, où certains princes ou certains prélats avaient très vite parlé 18. Ibid., p. 13. 19. Ibid. 20. Ibid., p. 16. 21. Ibid., p. 17. 22. Ibid., p. 86.

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du « saint-esprit arrivant par la poste de rome »23. pour calvin, les pères n’ont eu aucune liberté. Le pape a contrôlé tous leurs décrets. Je ne parle que de choses qui sont cogneues à tout le monde. si tost qu’il y a un decret composé, les postes courent à rome pour savoir ce qu’il plaira à leur idole d’en ordonner. Le sainct pere appelle son conseil estroit pour examiner le paquet. Là on retrenche, ou on adiouste, ou bien on change selon l’advis qu’on a. Les postes retournent. une session nouvelle se tient. Le secretaire prononce ce que nul n’oseroit repousser. messieurs les asnes baissent les aureilles pour faire semblant d’y consentir24.

L’absence de liberté du concile explique qu’il ne soit pas le lieu de discussion attendu par toute la chrétienté, mais celui de condamnations prononcées a priori contre tous les adversaires de l’église romaine25. mais comment les pères conciliaires pourraient-ils s’ériger en juges, quand pour calvin ils sont les premiers auteurs du méfait, à savoir les abus et superstitions qui ont été introduits dans l’église26 ? L’examen des décrets des premières sessions est l’occasion pour calvin de revenir sur la vieille polémique juridique sur l’autorité légitime pour convoquer le concile. il la refuse bien sûr au pape et rappelle que les premiers conciles ont été convoqués par l’empereur27. mais le réformateur ne s’attarde guère sur ce point : les projets de charles quint ne lui plaisent pas plus que les décrets de trente et l’insistance sur le rôle de l’empereur en matière religieuse serait dangereuse pour la réforme quelques mois après mühlberg et en pleine incertitude sur le destin du parti évangélique dans l’empire. Dans le détail du commentaire, calvin cherche à dévoiler la réalité du projet tridentin. Les légats pontiicaux ont ouvert le concile par de belles phrases sur la réforme des abus et sur la nécessité de suivre seul Jésus-christ, mais elles n’ont eu aucun efet. Les pères tridentins ne cherchent qu’à condamner ceux qu’ils appellent hérétiques. toute la chrestienté attendoit un concile où on traitast à bon escient de toutes les questions qui sont aujourd’huy debattues ; messieurs les prelatz protestent qu’ilz ne sont assiz a trente que pour condamner tout ce qui ne leur plaist pas28.

23. alain tallon, La France et le concile de Trente, rome, 1997, p. 47. 24. J. calvin, Les actes du concile de Trente…, p. 19. 25. Ibid., p. 49. 26. Ibid., p. 52. 27. Ibid., p. 86-87. 28. Ibid., p. 49.

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il s’agit de bien attribuer la responsabilité de la rupture religieuse, dont calvin sait bien qu’elle épouvante de nombreux idèles, aux seuls « romanistes » et de ne pas les laisser apparaître comme prêts aux concessions. ils ne veulent nullement toucher à la racine du mal, des « idolâtries » les plus exécrables pour calvin jusqu’aux superstitions. De longs développements rappellent les points en controverse, l’autorité de l’écriture, les abus des sacrements, le culte des saints et de la Vierge, la primauté romaine. calvin vise avant tout les discours des théologiens mendiants, reprenant la polémique contre la théologie scolastique à laquelle il assimile entièrement le discours conciliaire. en ce qui concerne les abus, il se moque de la timidité des réformes proposées, par exemple sur la résidence29. La polémique calvinienne est reprise dans les autres traités d’inspiration réformée qui ponctuent l’histoire heurtée du concile de trente. quand en 1551 le concile s’ouvre à nouveau à trente, pierre Viret en dénonce l’imposture dans un ouvrage fréquemment réédité, les Dialogues du combat des hommes contre leur propre salut, et contre le devoir et le besoin qu’ils ont de s’en enquerir par la Parole de Dieu30. De façon plus nette que calvin, Viret s’inscrit en faux contre l’argument de l’obéissance aux princes. c’est bien plutôt aux princes d’obéir à la parole de Dieu telle qu’elle est annoncée par ses ministres31. Les princes, et charles quint est ici visé, mais aussi henri ii, en plein contexte de la crise gallicane, ne se mettront de toute façon jamais d’accord entre eux pour réunir un concile chrétien et beaucoup parmi eux sont favorables à l’antéchrist romain32. L’attente du concile et des ses résolutions est vaine, car elle empêche certains chrétiens de bonne foi de s’ouvrir à la vérité33. et d’ailleurs, quel concile ? qui va l’assembler ? s’il faloit reformer et abolir un bordeau, à qui en voudrois-tu donner la charge ? La voudrois-tu donner au maistre du bordeau, et que luy y presidast, et que ses maquereaux et maquerelles, putiers et putains en baillaissent leur voix et sentences et que la détermination en ist faicte selon iceux ?34.

comme exemple des erreurs et même des abominations que peuvent produire les mauvais conciles, Viret développe la décision du concile de constance de ne 29. Ibid., p. 337. 30. J’ai utilisé l’édition suivante, datant de 1561 où le concile doit se réunir pour la troisième fois : pierre Viret, Dialogues du combat des hommes contre leur propre salut, et contre le devoir et le besoin qu’ils ont de s’en enquerir par la Parole de Dieu, [Genève,] 1561. 31. Ibid., p. 99. 32. Ibid., p. 159. 33. Ibid., p. 146. 34. Ibid., p. 154.

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pas respecter le sauf-conduit de Jean huss, avec l’argument que l’on n’a pas à garder la foi aux hérétiques : une telle maxime « abolit la société humaine »35. La rélexion réformée sur les conciles abandonne assez largement le terrain strict de l’ecclésiologie pour se situer dans le domaine politique, ce qui est logique avec l’insistance sur l’autorité purement humaine des assemblées conciliaires, soumises à la parole de Dieu. en France, dans les années 1560, le concile est pensé dans le seul cadre politique du royaume, autour du concile national. il permet de récupérer des thèmes chers aux gallicans, par l’exaltation notamment du modèle historique des conciles francs. pour autant, la méiance demeure face à toute assemblée qui risquerait de proposer une solution de compromis dont calvin, puis Bèze, ne veulent pas plus que du papisme. chaque fois que le thème du concile national est mis en avant, les conditions strictes sont rappelées par les autorités théologiques des églises réformées. c’est encore le cas quand henri iV après son accession au trône voit dans le concile national la possible solution à l’aporie politique d’un roi protestant dans un royaume catholique. héodore de Bèze résume alors plus de soixante-dix ans de rélexions et de polémiques des églises issues de la réforme sur le thème du concile dans sa lettre au roi ouvrant le traité qu’il lui dédie, Traicté des vrayes, essencielles et visibles marques de la vraye Eglise Catholique, paru en 1592 à Genève et à La rochelle. Le réformateur met en garde le roi de France contre toute tentation d’irénisme et évoque longuement la question du concile : quant aux conciles, nous n’ignorons, Dieu merci, mais tenons pour tres precieuse à tres bonnes enseignes, l’excellente promesse faite par Jesus christ à ceux qui seront assemblés en son nom, quand ils ne seroyent en nombre que deux ou trois. et combien de fois toutes nos eglises en general, et Vostre majesté en particulier, se sont soubmis touchant le crime d’heresie qui leur est imputé, à un concile national François, mais dressé et formé sur le vray patron des conciles vrayement chrestiens ? car d’en accepter un auquel les parties ayans declaré leurs animosités forcenees si longuement et en toutes sortes, soyent juges et parties, quelle raison y auroit-il ? et d’en attendre un vrayement universel, il n’y en a point d’apparence, si ce n’est celui que le Fils de Dieu celebrera pour donner le dernier arrest, et peut estre bientost. au reste qui doibt estre tenu coulpable du mespris des conciles, ou ceux qui n’en ont desadvoué, ni ne voudroyent desadvouer un seul digne de ce nom, general ni particulier, ancien ni plus recent, pourveu que la pierre de touche, qui est la parole de Dieu, en face l’espreuve ? ou bien celui qui de parole et d’efect maintient qu’il est par dessus les conciles ? qui remplit ses bulles de clauses derogatoires des decrets vieux et nouveaux ? et qui au veu et au sceu de tout le monde,

35. Ibid., p. 227.

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craignant la diminution de ses tailles, a de nostre memoire aboli le concile de Basle ? degradé la pragmatique sanction, fermé la porte des elections chrestiennes et legitimes, par laquelle seule toutesfois reglee selon la parole de dieu, on peut ordinairement entrer en l’administration de la maison de dieu et des biens ecclesiastiques36 ?

le réemploi des thèmes gallicans favoris autour du concile de Bâle est assorti cependant d’une réserve par Bèze qui rappelle que les réformés ne considèrent pas ce concile comme ayant une réelle autorité. mais il continue son entreprise de récupération des thèmes gallicans en attaquant violemment le concordat de Bologne et la nomination royale aux bénéices, véritable crime qui a été la cause de l’extinction de la lignée de François ier. pour revenir aux conciles, j’espere que les plus raisonnables et equitables d’entre ceux qui en font un si fort bouclier contre nous, m’advoueront qu’à grand peine de cent ordonnances canoniques une seule est gardée entr’eux. et quant aux points de doctrine, nous n’en sçaurions appeler à aucun juge nullement suspect ni reprochable, qu’au seigneur mesmes, qui a declaré et enregistré tout son conseil touchant nostre salut par les prophetes et les apostres, advoués et recognus pour tels par les deux parties qui sont en debat aujourd’huy37.

tout le pragmatisme de la conception réformée du concile trouve son aboutissement dans cette mise au point de héodore de Bèze. La relativisation de son autorité était la condition indispensable au respect de la seule autorité de la parole, pierre angulaire de l’ecclésiologie protestante, et le moyen commode de nier au concile de trente, mais aussi à tout autre type de concile, la capacité non seulement de réfuter les réformateurs, mais aussi de « moyenner » entre la vérité et l’erreur. Face à la conception protestante de la place des conciles dans l’église qui émerge de façon assez cohérente dès les années 1520 et s’oppose au concile de trente comme aux autres projets de réunions conciliaires, quelle est la position du monde catholique ? il ne faut pas oublier que l’ecclésiologie conciliaire n’y était pas unique, mais vivait sur des clivages que la crise de 1511 avec le concile de pise avait ravivés. or, on assiste assez rapidement à une forme d’union entre les adversaires de la veille, dès qu’il fut clair pour eux que la contestation luthérienne visait le pouvoir de l’église en matière de déinition de la foi et d’économie du salut, que

36. héodore de Bèze, Correspondance, t. XXXii (1591), éd. alain Dufour, Béatrice nicollier et hervé Genton, Genève, 2009 (travaux d’humanisme et renaissance, 460), p. 147 37. Ibid., p. 149.

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cette église soit incarnée par le pontife romain ou par le concile général38. mais cette union passe plus par le silence que par un réel compromis sur les points en conlit depuis le début du xve siècle. ce silence s’explique par le souci de ne pas tomber dans le piège tactique tendu par les réformateurs cherchant à jouer sur les divisions ecclésiologiques de leurs adversaires, mais on peut aussi le comprendre par le réel lottement qui marque le monde catholique sur le pouvoir et la nature du concile après un siècle de querelles virulentes et l’épisode le plus récent des polémiques entre théologiens romains et parisiens autour du concile de pise. Le cas le plus frappant est bien sûr le mutisme du concile de trente sur ces points que chacun avait pourtant bien en tête. Le seul moment où ces vieux débats s’invitent dans l’enceinte conciliaire se situe au début du concile. L’évêque de Fiesole, Braccio martelli, déclare le 4 janvier 1545 que le concile, tamesti adhuc pusillus est, n’en représente pas moins l’église universelle que constance ou Bâle et demande donc l’ajout à la titulature oicielle du concile de la mention Ecclesiam universalem repraesentans. De façon signiicative, cette intervention n’est pas reprise dans le diaire oiciel du secrétaire du concile angelo massarelli39. cependant elle semble avoir rencontré à l’origine un certain consensus40. Le 1er avril 1546, martelli revient à la charge dans une nouvelle intervention qui cette fois irrite au plus au point les légats pontiicaux. Le cardinal marcello cervini se charge de répondre par une avalanche d’auctoritates accumulées du côté romain depuis les débuts de la controverse entre papauté et concile41. L’épisode est révélateur par sa brièveté et son aspect inalement assez peu conlictuel. martelli propose l’ajout sans susciter d’abord d’oppositions fortes et le refus net des légats en avril ne provoque pas de blocage particulier. on constate le silence des traditionnels défenseurs de l’ecclésiologie conciliariste, à commencer par la maigre délégation française42. ce silence se retrouve tout au long des diférentes périodes du concile où les timides résurgences du conciliarisme se limitent à quelques efets rhétoriques, souvent en marge des débats conciliaires eux-mêmes. cela est sans doute à mettre en rapport avec l’incapacité tridentine à déinir le pouvoir dans l’église. mais alors que la nature du pouvoir épiscopal, la déinition du pouvoir pontiical, le rôle même des princes dans l’église occupent pendant de long mois les pères conciliaires et sont des pierres d’achoppement importantes, le discours 38. Voir sur le sujet Benoît schmitz, « Les thèses gallicanes sur le pouvoir pontiical à l’épreuve du protestantisme » dans Hétérodoxies croisées. Catholicismes au pluriel entre France et Italie, xviexviie siècles, éd. Gigliola Fragnito et alain tallon, rome, actes des journées d’étude des 30 et 31 mai 2011 à l’école française de rome, à paraître. 39.  Concilium Tridentinum. Diariorum, actorum, epistularum tractatuum nova collectio, t.  i, Fribourg-en-Brisgau, 1961, p. 14 et 367. 40. Concilium Tridentinum…, t. X, p. 299. 41. Ibid., t. V, p. 47-50. 42. a. tallon, La France et le concile de Trente…, p. 431-432.

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conciliariste – mais aussi d’une certaine manière son opposé du côté romain – ne se fait aucune véritable place à trente. l’éclipse du discours ecclésiologique sur le concile ne concerne pas seulement les débats tridentins. hors de l’enceinte conciliaire, on constate la même atonie du conciliarisme traditionnel, y compris dans ses bastions les plus assurés. la France gallicane du milieu du xvie siècle défend toujours la supériorité du concile sur le pape, mais se garde bien de traduire cette unanimité de façade dans une politique cohérente ou même dans une ecclésiologie plus élaborée. La critique du concile de trente vient bien plus du monde des juristes que de celui des théologiens. ce fait explique peut-être leur capacité à reprendre les thèmes développés par la polémique protestante, comme le montre le cas de charles Du moulin. son Conseil sur le fait du concile de Trente de 156443, matrice de l’opposition gallicane dans sa version parlementaire aux décrets du concile, part d’une contestation avant tout politique du concile en terme d’autorité : seul le pouvoir temporel peut convoquer un concile impartial. mais Du moulin montrait bien en même temps l’évolution du conciliarisme gallican le plus traditionnel vers une approche, sur le modèle de la controverse protestante, purement historique ou politique du pouvoir des conciles, délaissant le terrain ecclésiologique proprement dit. quelle est l’autorité du concile dans l’église ? Le xvie siècle a révélé sur cette question l’incertitude profonde de ses ecclésiologies dans leurs oppositions mêmes. Le concile de trente ne permet pas de la trancher, par son incapacité générale à penser le pouvoir dans l’église. mais cette incapacité a justement fait sa force, car elle lui permet de surmonter le pluralisme ecclésiologique préexistant à la réforme en s’en accommodant. L’ecclésiologie conciliariste y perd une partie de son sens et se partage après trente entre une utopie rêvant d’un concile idéal mettant in aux divisions et une historicisation qui assure sa survie comme pétition de principe, souvent pleine d’anachronisme et de rancœur. alain tallon université paris-sorbonne centre roland mousnier

43. charles Du moulin, Omnia quae extant opera, t. V, paris, 1681, p. 351.

la diplomatie pontiFicale à l’épreuve de la réception du concile de trente en France (Xvie-Xviie siÈcles) par

Bernard BarBiche et ségolène de dainville-BarBiche

dans la longue histoire des rapports diiciles entre ecclésiologie romaine et ecclésiologie gallicane, dont les antagonismes se sont cristallisés à l’occasion du grand schisme d’occident, le concile de trente (1545-1563) est une étape révélatrice des divergences et des ambiguïtés de cet afrontement séculaire. dès la clôture du concile, le saint-siège entreprit de le faire recevoir, c’est-à-dire de le faire reconnaître oiciellement dans le royaume de France, de façon qu’il s’impose à tous les idèles, clercs et laïques. les diplomates pontiicaux furent chargés d’œuvrer en ce sens, sans jamais obtenir aucun résultat durable. le but faillit être atteint en 1593, quand les états généraux de la ligue, réunis par le duc de mayenne, lieutenant général de l’état royal et couronne de France, déclarèrent recevoir le concile, à la demande du légat pontiical, le cardinal de plaisance. mais cette décision fut annulée, comme tous les actes de cette assemblée, après la défaite de la ligue et l’entrée de henri iV dans sa capitale, le 22 mars 1594. peu après, en 1595, le roi, pour obtenir son absolution de clément Viii, dut s’engager à faire recevoir le concile, et de fait il mit toute son autorité au service de cette cause, mais se heurta à l’opposition intraitable du parlement de paris. Le concile de trente ne sera jamais reçu oiciellement en France. toutefois, certains décrets (portant sur le mariage, la discipline ecclésiastique) furent intégrés dans la législation royale, en l’espèce la grande ordonnance de Blois de mai 1579. par ailleurs, l’assemblée du clergé de 1615 décida d’appliquer le concile et en prescrivit la mise en œuvre par les évêques dans leurs diocèses. L’histoire de ces cinquante années d’eforts infructueux a été fort bien écrite par Victor martin dans sa grande thèse Le gallicanisme et la réforme catholique publiée en 19191 et il n’y a 1. Victor martin, Le gallicanisme et la réforme catholique. Essai sur l’introduction en France des décrets du concile de Trente (1563-1615), paris, 1919.

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pas lieu de reprendre ici plus longuement ce qui a été si bien étudié et exposé il y a presque cent ans. nous voudrions simplement prolonger cette étude à la lumière de nouvelles sources et de récents travaux pour tenter de répondre à quelques questions qui font encore discussion. tout d’abord, quelle a été exactement la portée de la décision de l’assemblée du clergé de 1615 ? certains historiens ont considéré qu’il s’agissait là d’une décision capitale2, d’autres au contraire y ont vu un « non-événement », les évêques français ayant appliqué le concile dans leurs diocèses dès les années 1580, comme en témoignent entre autres les nombreux synodes qui se sont tenus à cette époque3. cette évolution a-t-elle désarmé les préventions du saint-siège, celui-ci a-t-il renoncé à réclamer la réception du concile, ou bien a-t-il poursuivi ses instances, et jusqu’à quand ? Jusqu’à quand le concile de trente a-t-il interféré dans les relations entre la France et le saint-siège ? Vaste programme, qui mériterait assurément d’autres thèses de même ampleur que celles de Victor martin et d’alain tallon4. aussi nous contenterons-nous d’apporter quelques éléments de réponse en nous appuyant pour l’essentiel sur un corpus de sources bien circonscrit. en premier lieu, nous examinerons les instructions données aux deux grandes catégories de diplomates pontiicaux, légats a latere et nonces, qui ont été envoyés en France au cours du siècle qui a suivi la clôture du concile. en second lieu, nous observerons, en nous appuyant sur les registres du parlement de paris, les conditions dans lesquelles les légats a latere ont pu exercer leurs facultés5.

i. — Les instructions aux légats et aux nonces notre premier observatoire est celui que nous ofrent les instructions données aux nonces et aux légats par les cardinaux neveux lors de leur nomination. ces instructions sont aisément accessibles pour la période 1592-1623 grâce à l’excellente édition critique qui en est procurée par les soins de l’institut historique allemand de rome6. c’est là que l’on peut le mieux suivre, de pontiicat en 2. pierre Blet, Analecta Gregoriana, 106-107 : Le clergé de France et la monarchie. étude sur les assemblées générales du clergé de 1615 à 1666, rome, 1959, 2 t., t. i, p. 125-133. 3.  Histoire du christianisme des origines à nos jours, t.  Viii  : Le temps des confessions (15301620/1630), dir. marc Venard, paris, 1992, p. 443-444, 470. 4. alain tallon, La France et le concile de Trente (1518-1563), rome, 1997 (Bibliothèque des écoles françaises d’athènes et de rome, 280). 5.  sur les légats a latere et les nonces, nous nous permettons de renvoyer à nos précédents travaux sur le sujet, réunis dans le recueil suivant  : Bernard Barbiche avec la collaboration de ségolène de Dainville-Barbiche, Bulla, legatus, nuntius. études de diplomatique et de diplomatie pontiicales (xiiie-xviie siècle), paris, 2007 (mémoires et documents de l’école des chartes, 85). 6.  La collection «  Instructiones pontiicum Romanorum  », qui a commencé à paraître en 1984, comprend aujourd’hui sept volumes et couvre la période 1592-1623. Les pontiicats de

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pontiicat, l’évolution des préoccupations et les directives du saint-siège vis-à-vis de la réception en France du concile de trente, à défaut d’utiliser les correspondances dont la publication est encore très incomplète pour le xviie siècle et dont le dépouillement dépasserait le cadre imparti à une communication. sans revenir sur les négociations menées auprès des derniers valois, étudiées par victor martin, nous nous appuierons sur les nonciatures postérieures au rétablissement des relations diplomatiques entre la France et le saint-siège après l’absolution de henri iV par clément Viii le 17 septembre 1595. en préambule, il faut rappeler les conditions dans lesquelles le premier Bourbon a été réconcilié avec l’église romaine. Les deux procureurs du roi, Jacques Davy du perron et arnaud d’ossat, avaient âprement négocié la levée des censures fulminées par sixte quint contre henri de navarre en 1585. L’afaire était particulièrement délicate puisque le pénitent était relaps. comme tous les pécheurs qui sollicitent le pardon de l’église, il dut prendre un certain nombre d’engagements (ce que les théologiens dénomment la « satisfaction » et que nous appelons communément une « pénitence »). Du perron et d’ossat réussirent à écarter de la liste des engagements « oiciels » certains points souhaités par le pape, comme la participation de la France à une ligue des princes chrétiens contre le turc. mais ils durent accepter au nom du roi de promettre la réception du concile. tout au plus réussirent-ils à atténuer la rigueur de cet engagement en l’assortissant d’une clause restrictive : le roi promettait de faire publier et observer le concile « excepté aux choses qui ne se pourront exécuter sans troubler la tranquillité du royaume et s’il s’en trouve de telles »7. Le pape avait accepté cette clause mais la réception du concile en France n’en restait pas moins à ses yeux une priorité absolue8. pour sceller la réconciliation entre la papauté et le roi très chrétien, clément Viii envoya un légat a latere dès le printemps 1596 en la personne du cardinal alexandre de médicis, dit le cardinal de Florence, premier de la douzaine d’envoyés pontiicaux que nous avons retenus pour notre propos. L’instruction qui fut remise au légat le 10 mai 1596 ne fait mention que très brièvement du concile de trente. elle fait d’abord allusion à l’acceptation éphémère du concile par les états généraux de la Ligue trois ans auparavant. puis elle rappelle l’engagement pris par le roi de faire recevoir le concile pour obtenir son absolution, engagement que le légat devra faire respecter9. clément Viii et de Grégoire XV ont été traités par Klaus Jaitner et celui de paul V par silvano Giordano, qui travaille maintenant sur le pontiicat d’urbain Viii. 7. V. martin, Le gallicanisme…, p. 284. 8. B. et s. Barbiche, Bulla, legatus, nuntius…, p. 349-350. 9. Klaus Jaitner, Die Hauptinstruktionen Clemens’  VIII. für die Nuntien und Legaten an den europäischen Fürstenhöfen, 1592-1605, tübingen, 1984, 2 t. (Instructiones pontiicum Romanorum), t. ii, p. 459. La minute de cette instruction porte des corrections de la main du pape, notamment dans le passage relatif à la réception du concile.

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les instances du cardinal de Florence n’ayant obtenu que de vaines promesses et n’ayant pas été suivies d’efet, des directives plus précises et plus pressantes furent données au premier nonce en France nommé après le retour du légat, en février 1599 : Gasparo silingardi, évêque de modène10. on retrouve d’abord l’évocation des conditions imposées au roi comme pénitence en 1595. Le cardinal pietro aldobrandini insiste sur l’obligation morale contractée par le roi, qui doit d’autant plus s’y conformer en conscience qu’il tient à sa réputation d’homme de parole. puis l’instruction s’étend longuement sur les bienfaits que le concile ne manquera pas de produire s’il est oiciellement reçu dans le royaume : introduction de la réforme catholique, extirpation de l’hérésie. Le nonce est chargé de frapper à toutes les portes (« bussare ogni porta »), y compris à celles des parlementaires, pour parvenir au but ixé. Le pape est conscient, en efet, que le parlement de paris représente l’obstacle principal à surmonter pour la réception du concile de trente en France. aussi s’eforce-t-il de réfuter l’argument selon lequel les décrets du concile menacent les libertés et privilèges de l’église gallicane. en attendant, le nonce devra exhorter les évêques à mettre en pratique le concile de trente par les visites pastorales et la tenue de conciles provinciaux et diocésains. silingardi crut aboutir au printemps 1600. henri iV it préparer un projet de lettres patentes. mais la bonne volonté du roi se heurta à l’opposition farouche du parlement, exprimée par son premier président achille de harlay. pour le parlement qui s’érigeait en défenseur de la constitution coutumière du royaume, certains décrets du concile de trente étaient contraires aux libertés de l’église gallicane, au pouvoir suprême du roi de France, aux anciens usages du royaume et à sa propre autorité11, tandis que rome soutenait que le concile de trente, qui ne traitait que de dogme et de réforme du clergé, ne mettait nullement en péril les privilèges de l’église de France. en déinitive, silingardi pensait que le moyen le plus eicace qui pouvait être utilisé pour parvenir à l’objectif poursuivi était de rappeler au roi qu’il avait promis de faire recevoir le concile et que son absolution n’était pas valide tant qu’il n’aurait pas tenu sa promesse. mais il se rendait compte que cet argument risquait de susciter de nouveaux troubles dans le royaume. à la in de la légation du cardinal aldobrandini, légat en 1600-1601 pour la négociation du traité de Lyon, le roi lui promit de terminer l’afaire dans les deux mois, une promesse qui ne fut pas tenue12. Les instructions des deux nonces suivants, innocenzo Del Bufalo en 1601 et mafeo Barberini en 1604, répètent presque mot pour mot 10. Ibid., p. 585-587. 11. Bertrand haan, Correspondance du nonce en France Gasparo Silingardi, évêque de Modène (1599-1601), rome, 2002 (Acta nuntiaturæ gallicæ, 17), p. 157, 328-329. 12. V. martin, Le gallicanisme…, p. 327-329 ; B. haan, Correspondance…, p. 524-526.

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celle de silingardi à propos de la réception du concile de trente13. ils n’eurent pas plus de succès. l’instruction du nonce roberto ubaldini, premier nonce nommé par paul V en 1607, n’a été que très partiellement conservée14. il faut donc attendre celle de son successeur Guido Bentivoglio en 1616 pour trouver une nouvelle expression de la position du saint-siège à l’égard de la réception du concile de trente en France15. or, celle-ci a radicalement changé. entre-temps, en efet, le 7 juillet 1615, l’assemblée du clergé de France avait déclaré qu’elle acceptait le concile et conié aux synodes provinciaux et diocésains le soin de publier son acceptation. cette décision, bien que n’émanant pas du pouvoir royal, avait pleinement satisfait le pape. Du point de vue des relations entre la France et le saint-siège, mises en valeur par les travaux du père Blet, on ne peut donc pas qualiier de « non-événement » la décision collective prise par le clergé de France, même si beaucoup d’évêques appliquaient déjà le concile dans leurs diocèses depuis plus de trente ans. L’instruction du nonce ottavio corsini, nommé en avril 1621 par le nouveau pape Grégoire XV16, montre que celui-ci se contente à son tour de la réception du concile par l’assemblée du clergé de France de 1615. mais elle rappelle que cette assemblée a demandé que la décision d’accepter le concile soit prise partout en France dans les synodes provinciaux et diocésains, ce qui n’a pas encore été exécuté. D’où le risque que la décision prise en assemblée générale ne soit pas appliquée partout sur le terrain. Le nonce devra soumettre cette préoccupation au cardinal de La rochefoucauld et à l’évêque de Luçon, c’est-à-dire richelieu, qui n’est encore ni cardinal ni principal ministre, mais qui depuis 1614 s’est fait remarquer par ses interventions en faveur du concile. Le long pontiicat d’urbain Viii marque un revirement. L’instruction du nonce Bernardino spada en 162417 rappelle que la réception oicielle du concile fut, en 1595, l’une des obligations imposées par clément Viii à henri iV pour l’octroi de son absolution. Le nonce doit reprendre les tractations pour la réception du concile de trente avec le roi et les ministres. ce retour en arrière, cette exhumation de l’argumentaire ancien de l’absolution de henri iV s’explique par le fait que mafeo Barberini, avant de devenir urbain Viii, a été nonce en France au temps de clément Viii et de henri iV (1604-1606). il sait très bien 13. K. Jaitner, Die Hauptinstruktionen Clemens’ VIII. …, t. ii, p. 676-678 et 738-740. 14.  silvano Giordano, Le istruzioni generali di Paolo  V ai diplomatici pontiici, 1605-1621, tübingen, 2003, 3 t. (Instructiones pontiicum Romanorum), t. i, p. 507-510. 15. Ibid., t. ii, p. 1039-1040. 16.  K. Jaitner, Die Hauptinstruktionen Gregors  XV. für die Nuntien und Gesandten an den europäischen Fürstenhöfen, 1621-1623, tübingen, 1997 (Instructiones pontiicum Romanorum), t. ii, p. 547-549. 17. auguste Leman, Recueil des instructions générales aux nonces ordinaires de France de 1624 à 1634, Lille/paris, 1919, p. 35-36.

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que les décisions du clergé de France n’ont pas de caractère oiciel, et que le moyen le plus sûr de faire appliquer le concile partout en France est d’intégrer la totalité des décrets tridentins dans la législation royale. tout en n’ignorant pas les obstacles que constituent les huguenots et le parlement, il voudrait obtenir comme pape ce qu’il n’a pas obtenu comme nonce. sans plus de succès d’ailleurs. aussi l’instruction du nonce guidi di Bagno en 162718 répète-t-elle à cet égard celles de son prédécesseur, tout en notant que l’obstacle huguenot a été levé par Louis Xiii. mais lors des nominations des nonces Bolognetti en 163419 et scotti en 163920, pendant le ministériat du cardinal de richelieu, le saint-siège semble abandonner la partie ; il se contente d’insister sur l’application des décrets tridentins. tout au plus le pape rappelle-t-il une dernière fois à scotti que la réception et l’application du concile furent l’une des conditions mises en 1595 à la réconciliation (« ribenedittione ») de henri iV. mais quelle portée pouvait bien avoir cet argument, alors que le trône de France était désormais occupé par un roi dévot dont l’orthodoxie était irréprochable ? La menace maintes fois brandie au temps de clément Viii de l’invalidation de l’absolution de 1595 n’avait plus aucun sens sous urbain Viii. Dans l’instruction remise au nonce Fabrizio spada en janvier 1674, il n’est plus fait aucune allusion à la réception du concile de trente dans le royaume de France, pas plus d’ailleurs que dans sa correspondance qui a été éditée21. il en est de même pour le nonce angelo maria ranuzzi22, en poste à paris de 1683 à 1689. La cause du concile est désormais entendue de ce côté des alpes : les canons doctrinaux s’y appliquent ; l’esprit de la réforme tridentine soule, mais par le truchement de la législation royale, comme l’édit d’avril 1695 en fournit un ultime exemple pour le xviie siècle23. L’ecclésiologie gallicane ne manque pas d’autres points de friction pour manifester ses divergences vis-à-vis de l’ecclésiologie romaine, comme le conciliarisme et l’origine des pouvoirs des évêques qui avaient été plus ou moins éludés à trente. 18. Ibid., p. 124-126. 19. Ibid., p. 176. 20. pierre Blet, Correspondance du nonce en France Ranuccio Scotti (1639-1641), rome-paris, 1965 (Acta nuntiaturæ gallicæ, 5), p. 94. 21. ségolène de Dainville-Barbiche, Correspondance du nonce en France Fabrizio Spada (16741675), rome, 1982 (Acta nuntiaturæ gallicæ, 15). 22.  Bruno neveu, Correspondance du nonce en France Angelo Ranuzzi (1683-1689), rome, 1973, 2 t. (Acta nuntiaturæ gallicæ, 10-11). 23. L’édit d’avril 1695 portant règlement pour la juridiction ecclésiastique, qui répondait à des plaintes des assemblées du clergé de France, avait été préparé par l’archevêque de paris François de harlay de champvallon. il renforçait les pouvoirs des évêques, notamment à l’égard des réguliers de leur diocèse. pierre Blet, Le clergé de France, Louis XIV et le Saint Siège de 1695 à 1715, cité du Vatican, 1989 (Collectanea Archivi vaticani, 25), p. 37-60. pour le texte de l’édit, voir François-andré isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, t. XX : 1686-1715, paris, 1850, p. 243-257.

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ii. — les facultés des légats a latere les légats furent, bien avant les nonces, les plus anciens agents de la diplomatie pontiicale, puisqu’on les voit apparaître dès le ive siècle. à la in du moyen Âge et dans les deux premiers tiers du xvie siècle, ils furent encore nombreux à sillonner les routes de la chrétienté, tandis que se mettait en place progressivement le réseau des nonciatures et, d’une façon plus générale, des représentations diplomatiques permanentes. après le concile de trente, ils se irent plus rares, du fait que le concile avait renforcé les pouvoirs des ordinaires et que les nonces, presque toujours évêques, représentaient désormais le pape auprès des souverains. mais en France, la crise provoquée en 1589 par l’accession d’un huguenot au trône entraîna une recrudescence temporaire de ce type d’intervention pontiicale : dans les dix premières années du règne de henri iV, cinq légats a latere furent ainsi envoyés dans le royaume, d’abord auprès de la Ligue, puis auprès du roi absous par clément Viii et rentré dans le giron de l’église catholique romaine. par la suite, c’est-à-dire au xviie siècle, on ne compte plus que quatre légats en France, chargés de brèves missions honoriiques ou diplomatiques plus que pastorales. au total, treize légats a latere furent nommés dans la centaine d’années qui suivit la clôture du concile de trente. La première légation eut lieu en 1571-1572 et la dernière en 1668, après quoi il faudra attendre 1801 pour voir arriver en France un nouveau légat en la personne du cardinal Giovanni Battista caprara, nommé par pie Vii. Les légats a latere se distinguaient des nonces, en France tout au moins, en ceci qu’ils étaient normalement investis – outre leurs attributions proprement diplomatiques – de pouvoirs canoniques et spirituels habituellement réservés au pape et qui étaient détaillés dans des bulles appelées facultés. ces bulles, comme tous les actes pontiicaux, n’étaient exécutoires en France qu’après obtention de l’autorisation royale (lettres de placet) puis vériication et enregistrement par les parlements. Depuis le xve siècle, le parlement de paris avait mis en place une réglementation tatillonne qui encadrait très étroitement les conditions d’exercice de ces facultés24. or, après le concile de trente, les bulles de facultés des légats furent enrichies de références aux décrets tridentins. il y avait donc une chance (ou, pour les gallicans, un risque) que ceux-ci fussent par ce biais appliqués en France, pour des durées certes limitées et dans des domaines à vrai dire bien circonscrits. cette nouveauté a été relevée par le parlement dès 1572 et dans un premier temps elle ne semble pas avoir fait diiculté. Les légats envoyés en France entre 1571 et 1592 ont obtenu aisément l’enregistrement de leurs bulles, surtout au temps de la Ligue, puisque les ligueurs voyaient dans les légats des 24. Voir B. et s. Barbiche, Bulla, legatus, nuntius…, notamment p. 225-298.

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alliés contre henri iV, le roi huguenot. mais après l’absolution de ce dernier par clément Viii, les choses changèrent et la venue de deux légats, en 1596 et en 1625, provoqua des incidents diplomatiques. sur les treize légats a latere qui furent envoyés en France entre 1571 et 1668, onze reçurent des facultés, dont neuf seulement, pour des raisons diverses25, furent soumises au placet du roi et à la vériication du parlement de paris. c’est donc sur ces neuf cas que nous devons ixer notre attention. Le 7 janvier 1573, le parlement enregistra sans diiculté la bulle du cardinal Flavio orsini, chargé d’une mission de paix entre la France et l’espagne, sous réserve des conditions habituelles ixées par la cour depuis la in du xve siècle : le légat ne restera dans le royaume que tant qu’il plaira au roi, il laissera en France à son départ ses registres et son sceau. Les magistrats se contentèrent d’arrêter « pour le regard du decret du concille de trante que l’execution sursoira jusques ad ce que la volunté du roy entendue en ayt esté ordonné ». Le registre ne fait pas état de la décision du roi. mais c’est un fait que la restriction formulée par le parlement n’eut aucune incidence sur l’utilisation par le légat de ses facultés. orsini avait commencé à en faire usage (modérément) dès le début d’octobre 1572, pendant son voyage, et il récidiva dès son arrivée à paris à la in de novembre. cette anticipation tout à fait irrégulière ne retint pas l’attention du parlement26. Le 26 janvier 1590, en vériiant les bulles du cardinal enrico caetani validées par le placet du roi de la Ligue, charles X (le cardinal charles de Bourbon), le parlement ligueur ne it même pas mention du concile. sur la réquisition du procureur général, il ordonna que les bulles seraient enregistrées, imprimées, traduites en français suivant la coutume, et difusées dans toutes les juridictions du royaume27. on peut faire les mêmes observations à propos de l’enregistrement des bulles de marsilio Landriano, le 31 mai 159128, et du cardinal Filippo sega, dit le cardinal de plaisance, le 27 octobre 159229, après validation par des lettres patentes du duc de mayenne, lieutenant général de l’état royal et couronne de France. curieusement, le dispositif de l’arrêt d’enregistrement du 27 octobre 1592 25. Ibid., p. 292-297. Le cardinal michele Bonelli (1571-1572) fut reçu par la cour à Blois, n’y resta que trois semaines et ne semble pas avoir demandé l’enregistrement de ses facultés. Le cardinal Filippo Boncompagni (1574) rencontra henri iii à Venise et n’entra pas dans le royaume de France. Le cardinal Giovanni Francesco morosini (1588) ne reçut pas de facultés. Le cardinal pietro aldobrandini (1600) ne vint que jusqu’à Lyon où il bénit le mariage du roi et présida à la signature du traité entre la France et la savoie. 26. an, X1a 1638, fol. 184v. Voir aussi B. et s. Barbiche, Bulla, legatus, nuntius…, p. 299-307. 27. an, X1a 1718, fol. 339-339v. 28. an, X1a 1721, fol. 146v-147. marsilio Landriano n’était pas cardinal mais seulement nonce cum facultatibus legati a latere. L’arrêt se contente de préciser : « sans prejudice toutesfois tant de l’authorité et juridiction royalle, droictz de la couronne et nomination aux beneices suyvant les concordatz que libertez de l’eglise gallicanne ». 29. an, X1a 1725, fol. 247v, 248-248v.

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manque dans le registre, mais on peut le lire dans toute sa sobriété à la suite du texte imprimé des facultés30. on ne trouve dans les arrêts aucune allusion aux citations des décrets tridentins contenues dans les bulles de ces trois envoyés pontiicaux qui furent très bien reçus par les autorités et le parlement de la ligue31. tout autre fut l’attitude du parlement quand arriva le légat suivant, alexandre de médicis dit le cardinal de Florence, nommé par clément Viii le 3 avril 1596 pour sceller le rétablissement des relations diplomatiques entre la France et le saint-siège, rendu possible par l’absolution de henri iV par le pape, le 17 septembre 1595. Le légat était impatiemment attendu par le roi fraîchement converti, qui comptait sur sa présence pour dissiper la méiance de ses sujets catholiques (surtout des extrémistes) et œuvrer à la réconciliation nationale rendue possible par son abjuration récente. pour manifester sa joie, henri iV réserva un accueil empressé au légat. il alla l’accueillir lui-même à montlhéry le 19 juillet 1596, ce qui ne s’était jamais vu. Deux jours plus tôt, il avait demandé au parlement de procéder « en toute diligence » et « toutes afaires cessantes » à la vériication des facultés, insistant sur le respect et l’honneur qui devaient être portés au cardinal, animé des meilleures intentions. La cour, cette fois, décida d’examiner le problème à fond. après s’être référée aux traces laissées dans ses registres par les précédentes légations, elle rendit le 19 juillet (le jour même de la rencontre entre le roi et le légat), après avoir entendu une harangue enlammée de l’avocat du roi Louis servin, un arrêt qui rappelait les conditions habituelles d’exercice de la légation, mais ajoutait : « Le tout sans approbation du concille de trente mentionné auxdictes bulles à la in desquelles sera le present arrest inceré à ce qu’il soit notoire à tous ». or, l’arrêt du parlement mentionnant son opposition au concile de trente devait être imprimé à la suite des bulles et difusé dans tout le royaume. La réaction du légat ne se it pas attendre. il envoya deux évêques pour faire savoir à la cour que si elle jugeait nécessaire de rendre public son arrêt, il préférait renoncer à exercer ses facultés, et qu’il se contenterait de demeurer près du roi sans faire usage de ses pouvoirs canoniques ; dans ces conditions, il demandait la restitution de ses bulles. Le saint-père, disait-il, « ne pourroit approuver qu’il eust usé de ses facultés avec ceste clause ainsi publiée ». Le roi, embarrassé, intervint de son côté et le parlement dut céder. Le 26 juillet, il arrêta « du très exprès commandement du roy eu egard à l’estat de ses afaires » que son premier arrêt ne serait pas inséré à la in des bulles, sur lesquelles serait simplement portée la mention suivante : « Leues, 30. « Leu, publié et enregistré ouÿ et ce requerant le procureur general du roy ». BnF, e. 4356. 31. sur les légats du temps de la Ligue, voir anne-cécile tizon-Germe, « Juridiction spirituelle et action pastorale des légats et nonces en France pendant la Ligue (1589-1594) », dans Archivum historiæ pontiiciæ, t. 30, 1992, p. 159-230 ; et ead., « La représentation pontiicale en France au début du règne de henri iV (1589-1594). cadre politique, moyens humains et inanciers », dans Bibliothèque de l’école des chartes, t. 151, 1993, p. 37-85.

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publiées et registrées oÿ et consentant le procureur général du roy aux charges et modiications contenues au registre qui demeurera en la forme ordonnée par ladite cour »32. après cet incident, le cardinal de Florence put exercer sa légation dans des conditions normales, expédiant en deux ans plus de sept mille actes de juridiction canonique et spirituelle33. mais le parlement « omit » de transcrire dans son registre les bulles du légat. Lors de la légation du cardinal François de Joyeuse, chargé en juillet 1606 de représenter le pape au baptême du dauphin, le parlement émit la même réserve qu’en 1596 et arrêta les 14 et 17 août que les bulles seraient enregistrées « sans approbation du concille de trente mentionné èsdites bulles, à la in desquelles sera le présent arrest inséré à ce qu’il soit notoire à tous »34. mais dans les impressions oicielles, on ne trouve plus aucune formule de rejet des décrets tridentins, et l’on peut lire au contraire des commentaires aussi aimables que conciliants. La cour soulignait que le cardinal de Joyeuse était « bon François, idele serviteur et afectionné à la personne du roy son prince naturel et à l’estat »35. cette fois, les bulles du légat furent transcrites dans le registre. mais en 1625, de nouveau, les facultés du légat Francesco Barberini provoquèrent un psychodrame à la cour et au parlement. neveu du pape urbain Viii, ce jeune cardinal de vingt-huit ans était chargé de rétablir la paix en italie, où la France et l’espagne s’afrontaient sur le sort de la Valteline. urbain Viii, mafeo Barberini, qui avait été nonce en France, voulait renouveler les grandes médiations pontiicales de clément Viii à Vervins et à Lyon dont il avait été le témoin dans sa jeunesse. comme dans les cas précédents, la bulle de facultés du légat contenait plusieurs références explicites aux décrets tridentins (huit très précisément). s’y ajoutaient deux autres défauts : l’omission du titre de roi de navarre dans la titulature du roi de France et une mention de la bulle In Cœna Domini, une très ancienne pomme de discorde entre la France et rome puisqu’elle contenait une série d’excommunications contre les agents de l’autorité séculière qui empiéteraient sur la juridiction ecclésiastique. La citation de la bulle In Cœna Domini ne fut pas relevée, mais l’absence du titre de roi de navarre suscita l’indignation des magistrats, car elle semblait reconnaître la souveraineté espagnole sur la totalité de la navarre. cette omission, qui existait déjà dans la bulle du cardinal de Joyeuse, était alors passée inaperçue. en 1625 elle retint l’attention des magistrats, et 32.  an, X1a 1744, fol.  390v-391v, 393v-395v. cette formule fut abrégée dans l’édition imprimée des facultés : « Leues, publiées et registrées oÿ et consentant le procureur general du roy, aux charges du registre », BnF, e. 4720. 33. B. et s. Barbiche, Bulla, legatus, nuntius…, p. 407-421. 34. an, X1a 1810, fol. 2. 35. à la suite du texte des facultés fut imprimé l’arrêt suivant : « Leues, publiées et registrées ouÿ et consentant le procureur general du roy pour avoir lieu de ce jour et en jouyr bien et deuement ainsi que ses predecesseurs ont faict, aux charges du registre ». BnF, Lb35. 1160.

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Louis Xiii en personne dut intervenir pour dénouer la situation : un arrangement fut trouvé (on invoqua une inadvertance de la chancellerie pontiicale) et les facultés du légat furent inalement vériiées le 10 mai 162536. mais, comme cela s’était produit en 1596, elles ne furent pas matériellement transcrites dans le registre37. cet incident, encore plus violent que celui de 1596, n’a pas eu de conséquences fâcheuses sur la suite de la légation. Les deux dernières légations eurent lieu au début du gouvernement personnel de Louis XiV. en mars 1664, le pape alexandre Vii envoya son neveu le cardinal Flavio chigi présenter au roi de France les excuses du saint-siège à la suite de l’afaire de la garde corse. chigi resta à la cour à peine plus d’un mois. cette fois, le parlement releva la référence à la bulle In Cœna Domini. néanmoins, il enregistra les facultés sans diiculté le ler juillet. son arrêt réservait les droits du roi et rappelait les règles à observer pour l’exercice de la légation. il déclarait que la vériication était faite « sans approbation du concile de trente ny de la bulle In Cœna Domini », mais sans exiger que cette clause fût inscrite au pied des bulles imprimées38. quatre ans plus tard, le cardinal de Bourbon-Vendôme, dit le cardinal de Vendôme, représenta le pape clément iX au baptême du Grand Dauphin, célébré le 24 mars 1668 à saint-Germain-en-Laye. ses pouvoirs canoniques étaient valables trois mois. cette fois encore, le parlement l’enregistra sans diiculté, reprenant la formulation utilisée pour les bulles du cardinal chigi39. cette légation fut la dernière de l’ancien régime.

iii. — conclusion Les deux sources que nous avons interrogées, instructions aux nonces et archives du parlement, sont concordantes. Le problème de la réception du concile de trente en France, qui a provoqué de nombreuses tensions entre le saint-siège et la France jusqu’au pontiicat d’urbain Viii, est passé ensuite au second plan dans les relations entre les deux cours. La papauté s’est résignée à l’absence de réception oicielle en constatant que, de fait, le concile était appliqué par les évêques français, dans un royaume où la réforme catholique déployait tous ses feux. De même, elle s’est résignée à ce que Louis XiV, à l’imitation de henri iii avec l’ordonnance de Blois, promulgue un règlement sur la juridiction

36. an, X1a 1959, fol. 85v, 87v-88. 37. clément pieyre, « un pouvoir et son exercice : les facultés du cardinal Francesco Barberini, légat a latere en France en 1625 », dans Archivum historiæ pontiiciæ, t. 43, 2005, p. 47-138. 38. an, X1a 8394, fol. 144v-145. 39. an, X1a 8395, fol. 256v-257.

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ecclésiastique par l’édit d’avril 1695, tranchant entre autres de sa propre autorité l’épineuse question de la juridiction des évêques sur les réguliers40. on peut s’interroger sur les raisons de ce rejet en bloc du concile de trente par le parlement. une relation des débats auxquels donna lieu la vériication de la bulle de facultés du légat Barberini en mai 1625, publiée par clément pieyre en 200541, fournit quelques clés supplémentaires de compréhension qui s’ajoutent à celles qu’a données Victor martin. Les parlementaires les plus modérés, reconnaissant les bienfaits du concile en matière de foi et de lutte contre l’hérésie, ne récusaient que les dispositions qui touchaient au temporel. ils étaient disposés à une acceptation restrictive. mais les plus fermes défenseurs du gallicanisme parlementaire soutenaient que le concile de trente donnait au pape la puissance de déposer un roi excommunié et de conier son royaume à un autre, ce qui était contraire au dogme gallican de la souveraineté absolue du roi de France au temporel. ce furent les partisans du rejet en bloc du concile qui l’emportèrent. cette attitude intransigeante doit être replacée dans le contexte des assassinats successifs de henri iii et de henri iV, ainsi que des controverses développées depuis les premières années du xviie siècle autour de la doctrine du cardinal jésuite robert Bellarmin sur le pouvoir du pape au temporel42. L’échec apparent que constitue pour la diplomatie pontiicale la non-réception du concile de trente en France n’est-il pas en réalité un succès ? en temporisant, en se contentant d’une application de fait du concile, le saint-siège a écarté les risques de création d’une église gallicane schismatique. il est vrai que, de part et d’autre, il y avait une volonté de ne pas aller jusqu’à la rupture. il n’en sera plus de même en 1790. Bernard Barbiche école nationale des chartes

ségolène de Dainville-Barbiche archives nationales

40. Voir supra n. 23. 41. clément pieyre, « Le parlement de paris et la vériication de la bulle de facultés du légat Francesco Barberini (6-10 mai 1625) », dans Annuaire-bulletin de la Société de l’histoire de France, 2003, p. 33-75. 42. Voir sylvio De Franceschi, « La genèse française du catholicisme d’état et son aboutissement au début du ministère de richelieu. Les catholiques zélés à l’épreuve de l’afaire santarelli et la clôture de la controverse autour du pouvoir pontiical au temporel (1626-1627) », dans Annuairebulletin de la Société de l’histoire de France, 2001, p. 19-63 ; id., La crise théologico-politique du premier âge baroque. Antiromanisme doctrinal, pouvoir pastoral et raison du prince : le Saint-Siège face au prisme français, 1607-1627, rome, 2009 (Bibliothèque des écoles françaises d’athènes et de rome, 340).

l’ecclésiologie de BenoÎt XiV par

olivier Descamps

« Le saint-siège ne peut pas être gouverné si celui qui le gouverne n’a pas soin de s’entendre avec les princes qui sont aujourd’hui »1. cette assertion soutenue par le pape Benoît XiV dans sa correspondance exprime un des traits majeurs de son caractère. il s’agit pour le pontife romain d’être pragmatique2, ce qu’il qualiie lui-même de « seconde nature ». cette disposition d’esprit inluence sa politique temporelle et, d’une manière générale, toute l’ecclésiologie de son long pontiicat (1740-1758). cette partie de la théologie s’intéresse à la manière dont l’église se conçoit en tant qu’institution. Les traits dominants de l’ecclésiologie classique dont relève notre étude ont été précisés par le dominicain étienne ménard. il distingue trois caractères qui délimitent en partie notre sujet. Le premier aspect concerne la conception de l’église « comme un unique royaume divisé en provinces, dont le point d’appui et le centre de gravité est le pape »3. Le second intéresse les rapports entre le pontife romain et le corps épiscopal dans le monde chrétien. Le troisième, enin, vise à assurer une autonomie et une liberté de la société ecclésiastique vis-à-vis des pouvoirs séculiers. c’est essentiellement en termes de pouvoir qu’il importe d’envisager cette ecclésiologie4. en crise perpétuelle, son histoire est marquée par les rapports conlictuels entre la papauté et les états, le conciliarisme, les réformes successives du xvie siècle, constituant une suite ininterrompue de luttes externes et internes. avant d’être élu à la tête de l’état pontiical, prospero Lambertini a déjà une longue expérience pastorale et curiale. né en 1675 à Bologne, il poursuit des études

1. Lettre au cardinal de tencin, 9  juin 1751, dans emile De heeckeren, Correspondance de Benoît XIV, 1742-1756, paris, 1912, t. 2, p. 122. 2. maria antonietta De angelis, Prospero Lambertini (Benedetto XIV). Un proilo attraverso le lettere, cité du Vatican, 2008, p. 161. 3. étienne ménard, L’ecclésiologie hier et aujourd’hui, paris, 1966, p. 17-18. 4.  il faut attendre l’école de tübingen au xixe siècle pour que s’amorce un changement de perspective.

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de théologie et de droit canonique5. le jeune bolonais intègre le collège des avocats consistoriaux au sein duquel il doit faire l’éloge des vertus des personnes dont le procès en canonisation est instruit. membre de la curie, il exerce les fonctions de promoteur de la foi au sein de la congrégation des rites avant de rejoindre celle du concile6. il accède à l’épiscopat en 1724 avant d’occuper le siège archiépiscopal d’ancône en 1727. créé cardinal en 1728, il se voit conier l’archevêché de Bologne en 1731, présidant ainsi aux destinées du diocèse de sa ville natale. sans doute inluencé par charles Borromée, lambertini accorde une importance spéciale à l’activité paroissiale, qu’il dirige avec rigueur et compassion. on lui a reproché une tendance janséniste qui ne correspond pas à ses conceptions7. Fin lettré8, auteur d’une œuvre considérable publiée en peu de temps, lambertini afectionne particulièrement le genre épistolaire qui est une source d’une grande richesse pour apprécier les traits marquants de son pontiicat. l’historiographie récente s’en est récemment inspirée pour renouveler le portrait du successeur de pierre9. le conclave qui l’élit à la plus illustre magistrature est l’un des plus longs de l’histoire. en efet, l’élection, tributaire des enjeux de la politique européenne, n’aboutit qu’après six longs mois. le sacré collège comprend alors soixante-neuf cardinaux se décomposant entre un vieux collège et un Jeune collège. dans le premier, c’est le parti espagnol qui prédomine tandis que le second abrite les partisans des autrichiens et des Français. l’accord sur diverses personnes ne se faisant pas, le nom de lambertini est alors suggéré par le cardinal de tencin10. l’archevêque de Bologne a le mérite de ne pas avoir une position tranchée entre les factions. à la surprise suscitée par l’évocation de son nom succèdent les compromis puisqu’il est élu au terme du 255e scrutin. sa personnalité semble rassurer les puissances ou, à 5. raoul naz, v° Benoît XiV, dans Dictionnaire de droit canonique, t. 1, paris, 1953, col. 752. ses qualités de canoniste lui ont valu d’être considéré par schulte comme le « véritable fondateur de la science historico-juridique moderne  » (Livario oliger, «  Benedetto  XiV canonista  », dans Enciclopedia cattolica, t. ii, Florence, 1949, col. 1283). 6.  mario rosa, «  tra muratori, il giansenismo e i lumi  : proilo di Benedetto  XiV  », dans Riformatori e ribelli nel’700 religioso italiano, Bari, 1969, p. 50. 7. il a fait révoquer un prêtre soupçonné de jansénisme (Léon-pierre raybaud, Papauté et pouvoir temporel sous les pontiicats de Clément XII et Benoît XIV. 1730-1758, paris, 1963, p. 65-67). 8.  olivier échappé, «  permanence et innovation dans la doctrine canonique  : l’exemple de Benoît XiV, une dialectique ? », dans L’année canonique, t. 42, 2000, p. 7-20. 9. m. a. De angelis, Prospero Lambertini (Benedetto XIV)…, passim. 10.  chef de la faction française lors du conclave, une longue amitié lie les deux hommes. L’archevêque de Lyon a contribué à l’élection de Lambertini. promis a priori à un brillant avenir en France, puisqu’on lui prédit le secrétariat aux afaires étrangères, il occupe des fonctions de chargé d’afaires à rome en attendant une promotion qui ne viendra jamais en raison de son caractère d’intrigant connu à la cour. son jugement sur le pape Benoît XiV change radicalement puisque du « gai convive », il découvre « un vertueux prélat, un érudit de valeur et un politique avisé ». maurice Boutry, Le cardinal de Tencin et le Saint-Siège (lettres inédites au pape Benoît XIV), paris, 1899. id., L’abbé de Tencin, chargé d’afaires à Rome (1721-1724), paris, 1901.

l‘ecclésiologie de BenoÎt Xiv

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tout le moins, leurs partisans au sein du conclave. ce qui intéresse les cours et les princes n’est guère louable puisqu’il s’agit de voir la tiare portée par un homme malléable. si l’on s’en tient aux propos peu amènes de choiseul, ambassadeur de la monarchie française dans la ville éternelle de 1753 à 175611, le nouveau pape cumule de nombreux défauts dont la timidité, le caractère inluençable, la vanité, tout juste compensés par de l’esprit et de la sagesse. son « esprit ouvert »12 est pourtant reconnu. rétrospectivement considéré comme le pape des Lumières, il entretient des correspondances avec des igures centrales de cette période comme Voltaire. L’écrivain qui voulait « écraser l’infâme » lui dédie son Mahomet publié en 1742. cette ouverture aux idées, si elle a des limites, se traduit notamment par un soutien aux évolutions scientiiques. Benoît XiV fait retirer de l’Index des ouvrages favorables à l’héliocentrisme. il autorise même la création d’une faculté de chirurgie et d’un musée d’anatomie, ce qui suppose l’admission de la dissection jusque-là réprouvée. son goût pour les arts est également salué. il fait construire la façade de la basilique sainte-marie-majeure et, surtout, permet la sauvegarde, si ce n’est le sauvetage, du colisée en le proclamant sanctuaire des martyrs ain de mettre un terme à son démantèlement pierre par pierre. si l’intérêt qu’il nourrit envers la pastorale est souligné13 et ses qualités de canoniste largement louées14, le pape se voit aussi reprocher une méconnaissance des afaires publiques. mais ces critiques sont aujourd’hui nuancées. « rectitude, impartialité et spiritualité »15 sont les traits majeurs de sa personnalité. alliant une propension à la conciliation à une grande lucidité sur les évolutions de son temps, Benoît XiV cherche à rétablir l’état pontiical en crise. en efet, la situation n’est guère glorieuse et le siège apostolique est tributaire de l’ordre résultant de trois guerres notables16. Le premier conlit est la guerre de

11. Jean-pierre Bois, v° choiseul, étienne-François, dans Dictionnaire des ministres des Afaires étrangères. 1589-2004, sous la direction de Lucien Bély, Georges-henri soutou, Laurent héis et maurice Vaïsse, paris, 2005, p. 166-167. 12. mario rosa, v° Benoît XiV, dans Dictionnaire de la papauté, dir. philippe Levillain, paris, 1994, p. 214. 13. Luca Brandolini, « Benedetto XiV di fronte ad alcuni movimenti riformistico-liturgico del secolo XViii », dans Ephemerides Liturgicae, t. 88, 1974, p. 447-470. 14.  pie  Xii, La igura e l’opera di Benedetto  XIV, Bologne, 1959, p.  19-22. ce texte est un discours que le pape pie  Xii devait prononcer en novembre 1958 pour le «  bicentenaire d’un grand législateur ». paru en avril 1959 dans l’Osservatore romano, il a fait l’objet d’une publication qui comprend également un second texte d’un dominicain, le père Luigi ciappi sur « il concetto cattolico della santità in s. tommaso d’aquino e in Benedetto XiV ». 15. tarcisio Bertone, Il governo della Chiesa nel pensiero di Benedetto XIV, rome, 1977, p. 35. 16. michele monaco, « Benedetto XiV e il governo dello stato della chiesa », dans Benedetto XIV (Prospero Lambertini). Convegno Internazionale di studi storici sotto il patrocinio dell’Archidiocesi di Bologna. Cento (6-9 dicembre 1979), t. ii, cento, 1981, qui analyse le pontiicat autour de trois phases. La première couvre le conclave, la seconde déterminée par la « tempête de la guerre de succession d’autriche » s’achève en 1745 et la dernière se termine avec le décès du souverain pontife en 1758.

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succession d’espagne (1702-1713) qui marque le recul de l’hégémonie française et l’avènement d’un « nouveau règlement territorial européen »17. Le second conlit est la guerre de succession de pologne (1733-1738) dont le règlement par le traité de Vienne (1738) ne semble guère convenir à l’espagne qui perd la toscane mais gagne les royaumes de naples et de sicile. Dès lors, elle n’a de cesse de récupérer les territoires perdus. enin, une ultime guerre de succession, celle d’autriche (1740-1748), afecte les débuts du pontiicat. La succession de l’empereur autrichien charles Vi, réglée avant son décès, doit revenir à sa ille l’archiduchesse marie-hérèse. mais cette situation, reconnue par certaines nations, est contestée par d’autres qui souhaitent accroître leur territoire. Des coalitions se forment au gré des intérêts de chacun. Les états pontiicaux en subissent les conséquences, notamment dans la partie nord de la péninsule18. ils sont le théâtre de l’opposition entre espagnols et autrichiens19. Dans ce contexte, la curie, critiquée dans toute l’europe, oscille entre Vienne, paris et madrid20. ce long pontiicat est à la charnière entre une ère au cours de laquelle l’état pontiical et l’autorité de rome s’afermissent21 et celle d’une vive contestation22. Les états, dont la souveraineté se renforce progressivement, étendent leur suprématie sur les institutions ecclésiales de leur pays. si l’on ne peut pas parler d’églises nationales23, en revanche, l’airmation de l’indépendance de ces structures vis-à-vis de la papauté et l’accroissement de leurs prérogatives en matière ecclésiastique24 sont connus. 17. Jean-pierre Bois, L’Europe à l’époque moderne. Origines, utopies et réalités de l’idée d’Europe. siècle, paris, 1999, p. 134. philippe V, petit-ils de Louis XiV, est à la tête de l’espagne et de ses colonies mais renonce à ses droits sur le trône de France. il cède surtout à l’empereur des territoires qui deviennent autrichiens, notamment les possessions d’italie. ces dernières font l’objet d’un partage entre la savoie, qui prend la direction de la sicile, et l’empire. 18. Lucien Bély, Les relations internationales en Europe. xviie-xviiie siècles, paris, 1998, p. 500-501. 19. Les autrichiens négocieront avec la papauté un concordat en 1757 dont le contexte de la guerre de sept ans conditionne en partie le contenu, voir mario taccolini, L’esenzione oltre il catasto. Beni ecclesiastici e politica iscale dello Stato di Milano nell’età delle riforme, milan, 1998, p. 52. 20.  michael F. Feldkamp, La diplomatie pontiicale de Sylvestre Ier à Jean-Paul II. Une vue d’ensemble, paris, 2000, p. 73. 21. Du point de vue de la législation, voir charles Lefebvre, marcel pacaut et Laurent chevailler, L’époque moderne (1563-1789). Les sources du droit et la seconde centralisation romaine, paris, 1976, p. 28-29, qui voient en lui « un successeur d’innocent iii avec cette volonté maintes fois marquée et de créer de nouvelles lois nécessaires à l’église, et d’assurer une plus parfaite interprétation et exécution des lois antérieures ». 22. olivier chaline, « De la réforme catholique aux Lumières (1534-1799) », dans Histoire de la papauté. 2000 ans de missions et de tribulations, dir. Yves-marie hilaire, paris, 2003, p. 345 et suiv. 23. L’expression « églises nationales », d’apparition récente, doit être utilisée avec beaucoup de prudence, voir Brigitte Basdevant-Gaudemet, « églises nationales. histoire d’une expression », dans L’Année canonique, t. 43, 2001, p. 15-24, repris dans ead., église et Autorités. études d’histoire du droit canonique médiéval, Limoges, 2006, p. 285-295. 24. Francesco ruini, Relazioni tra Stato e Chiesa. Lineamenti storici e sistematici, éd. Francesco margiotta Broglio, Bologne, 1974, p. 88-92. xvie-xviiie

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dans ce contexte, quelle est l’ecclésiologie de Benoît XiV ? concevant l’église comme une « société des âmes » et une « société juridique »25, le souverain pontife va engager des actions pour assurer la pérennité et la modernisation des institutions dont il a la charge. pour prendre la mesure des politiques mises en œuvre, il convient d’analyser non seulement les entreprises diplomatiques incessantes mais aussi les actes pontiicaux. il importe aussi de se reporter aux œuvres de prospero Lambertini26. si l’attention est souvent portée sur l’ouvrage qui it sa renommée à propos de la procédure de béatiication et de canonisation27, Benoît XiV est également l’auteur de nombreux livres qui donnent des précisions sur son ecclésiologie. il s’agit notamment des Institutiones ecclesiasticæ, éditées en italien vers 1731-1735, dont les cent sept articles abordent des questions qui intéressent les rapports internes à l’église. D’importantes indications sont présentées dans le De synodo diocesana, édité en 1748, notamment dans deux livres sur les treize qui le composent. Dans ce vaste domaine d’étude, la question importante des missions nécessite des développements spéciiques et ne peut être traitée ici28. entre son action et ses écrits, il est possible de constater que Benoît XiV s’attelle dès son élection à mener une politique concordataire de concession (i). en outre, il s’ingénie à réformer les institutions ecclésiastiques dont il occupe la charge suprême (ii).

i. — une politique concordataire de concession Historia concordatum, historia dolorum, airme pier Virginio aimone à propos des concordats de l’époque contemporaine29. mais ce constat vaut également pour la période précédente. Le concordat, dont le développement se situe clairement 25. t. Bertone, Il governo della Chiesa…, p. 59. 26. r. naz, v° Benoît XiV, dans Dictionnaire de droit canonique, col. 755 à 761. 27. une récente réimpression de cette œuvre, publiée initialement en 1734, avec une traduction le démontre encore. Benoît  XiV (prospero Lambertini), De servorum Dei beatiicatione et beatorum canonizatione / La Beatiicazione dei servi di Dio e la canonizzazione dei beati, t. i/1, cité du Vatican, 2010. pour un commentaire historico-juridique, voir Giuseppe Della torre, « santità ed economia processuale. L’esperienza giuridica da urbano Viii a Benedetto XiV », dans Finzione e santità tra medioevo ed età moderna, éd. Gabriella Zarri, turin, 1991, p. 231-263. sur l’analyse de la procédure de béatiication, nous renvoyons à stéphane Boiron, Saints et reliques, des décrétistes à Benoît XIV, thèse de droit, université paris Xi, 1997. 28. sur l’essor des missions à l’époque moderne, voir chap. 1 (Les missions des amériques) et 2 (espoirs et déboires du christianisme en asie) de l’Histoire générale du Christianisme, t. ii : Du xvie siècle à nos jours, dir. Jean-robert armogathe et Yves-marie hilaire, paris, 2010, p. 241-286 29. pier Virginio aimone, « Kirche und Konkordate. Kann die Kirche des Zweiten Vatikanischen Konzils noch Konkordate schließen? heologische und ekklesiologische Voraussetzungen des Konkordatären systems zwischen staat und Kirche  », dans Flexibilitas iuris canonici. Festschrift für Richard Puza zum 60. Geburtstag, éd. andreas weiß et stefan ihli, Francfort-sur-le-main, 2003, p. 569.

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au cours de l’ère moderne30, a fait l’objet d’études qui permettent d’en cerner l’histoire31, la déinition et la nature32. il s’agit d’un traité international33 entre le saint-siège et un état qui aborde des sujets religieux concernant les deux puissances34. cette convention exprime une tension entre « la liberté de l’église et le respect de l’état »35. Benoît XiV suit toujours la même méthode. il prend d’abord part aux premières phases de la négociation avant de laisser le soin à des représentants de coniance de inaliser l’acte déinitif36. Les thèmes de dissensions sont nombreux37 tout comme le nombre de concordats signés entre 1740 et 175738. Les dispositions de ces derniers, dont plusieurs visent à régler un conlit né d’un premier concordat (royaume de sardaigne, espagne et royaume de naples), établissent de larges concessions39 qui renforcent l’indépendance des églises des principales nations européennes. Du reste, l’inluence du cardinal Valenti, secrétaire d’état au début du pontiicat, sur la méthode diplomatique du pontife romain doit être soulignée40. cette politique favorable aux puissances 30. Jean Gaudemet, « Les concordats dans l’histoire », dans Flexibilitas iuris canonici…, p. 557568, spec. p.  557. L’auteur retrace l’histoire millénaire de ce type d’accord et s’intéresse à deux questions : les parties à l’accord et les questions abordées. Les thèmes varient en fonction des époques. 31. Jean Gaudemet, « à travers l’histoire des concordats », dans Revue d’éthique et de théologie morale, « Le supplément », n° 199, décembre 1996, p. 33-43. Jean Julg, L’église et les états. Histoire des concordats, paris, 1990. 32. Franck roumy, « Le concept de concordat dans la doctrine canonique des xvie-xviiie siècles », dans Les origines historiques du statut des confessions religieuses dans les pays de l’Union européenne, dir. Brigitte Basdevant-Gaudemet et Francis messner, paris, 1999, p. 35-49. L’auteur analyse les débats sur la nature des concordats et rétablit la chronologie entre la thèse contractuelle qui précède la thèse légale. 33.  Brigitte Basdevant-Gaudemet, «  Les concordats, une procédure parmi d’autres  », dans Flexibilitas iuris canonici…, p. 585-600. 34. Francesco margiotta Broglio, v° concordat, dans Dictionnaire de la papauté, p. 442. c’est une spéciicité par rapport aux autres traités internationaux : les « matières concordataires touchent en même temps au domaine temporel et au domaine spirituel », voir Joël-Benoît d’onorio, « Les concordats et conventions post-concilaires », dans Le Saint-Siège dans les relations internationales. Actes du colloque organisé les 29 et 30 janvier 1988 (Aix-en-Provence), dir. Joël-Benoît d’onorio, paris, 1989, p. 195. 35. J. Gaudemet, « à travers l’histoire des concordats », p. 33. 36.  m. rosa, «  tra muratori…  », p.  55 et p.  58. cette pratique des négociations directes suppose l’absence de consultation du collège cardinalice, ce qui ne manque pas de susciter des oppositions au sein de la curie. 37. ch. Lefebvre, m. pacaut et L. chevailler, L’époque moderne (1563-1789)…, p. 43. 38.  cinq concordats  ont été signés  : 5  janvier 1741 avec la sardaigne, 2  juin 1741 avec le royaume de naples, 30 août 1745 avec le portugal, 11 janvier 1753 avec l’espagne et 17 décembre 1757 avec le duché de milan. La traduction italienne des textes des concordats igurent dans angelo mercati, Raccolta di concordati su materie ecclesiastiche tra la Santa Sede e le autorità civili, t. i : 1098-1914, cité du Vatican, 1954. 39. pio ciprotti, « spigolature tra l’attività concordataria di Benedetto XiV », dans Benedetto XIV (Prospero Lambertini)…, p. 862, parle « d’insolite largesse dans les concessions ». 40. Valenti soutient dans une lettre du 25 décembre 1754 adressé à choiseul « que la cour de rome devait faire tout ce qui était en elle pour contenter les grandes puissances, et qu’elle

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séculières concerne autant les matières bénéiciales et législatives (1), que les questions juridictionnelles (2) et le domaine iscal (3).

1. Les concessions en matière bénéiciale et législative les cinq concordats illustrent la volonté des pouvoirs séculiers de maîtriser la nomination aux bénéices. le régalisme41 propre à la péninsule ibérique connaît une intensité variable. elle va de la rigueur quasi absolue à l’instar du concordat portugais42 à une approche plus souple à travers un droit de patronage reconnu au souverain espagnol tout en étant limité. en efet, le concordat du 11 janvier 1753 conclu entre Ferdinand Vi et Benoît XiV instaure un régime qui conduit l’église à une sujétion envers l’état43. toutefois, si le monarque espagnol peut nommer et présenter aux bénéices, la provision reste entre les mains du pape. Le roi patronne près de douze mille oices mais cinquante-deux lui échappent. Le pape veut pouvoir récompenser les prélats méritants. il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une victoire du régalisme qui place l’espagne au même niveau que la France et l’empire. Dans le contexte de la péninsule italique, le juridictionnalisme44 connaît également un nouvel essor. La matière bénéiciale soulève de telles diicultés qu’il faut parfois lui consacrer une convention spéciique. c’est le cas notamment lors des ne pouvait nullement se mêler de leurs afaires intérieures que pour les aider quand elle en était requise. Le système m’a fait beaucoup d’ennemis et m’en fera encore, mais je le crois si utile au saint-siège que je ne le changerai pas », dans Josef Gelmi, La segretaria di Stato sotto Benedetto XIV (1740-1758), thèse de l’université grégorienne, trente, 1975, p. 45-46. 41. Le régalisme espagnol est ancien et s’ordonnait autour de la permission royale et du droit de présentation. La première, désignée aussi par les termes de retenue des bulles, supposait l’aval du monarque pour que la législation pontiicale soit appliquée en espagne. Le second impliquait pour le pape le pouvoir de nommer les évêques présentés par le souverain. José andrés-Gallego et anton pazos, Histoire religieuse de l’Espagne, paris, 1998, p. 21. 42. m. rosa, « tra muratori… », p. 58. pour le texte, voir a. mercati, Raccolta di concordati …, p. 405. Les relations avec le portugal se sont rapidement dégradées puisque la rupture des relations diplomatiques est consommée en 1750 à propos des missions. 43. christian hermann, « Le patronage royal espagnol : 1525-1750 », dans état et église dans la genèse de l’état moderne. Actes du colloque organisé par le CNRS et la Casa de Velasquez. Madrid, 30 novembre et 1er décembre 1984, éd. Jean-philippe Genet et Bernard Vincent, madrid, 1986, p. 271. 44. F. ruini, Relazioni tra Stato e Chiesa… L’auteur présente une approche systématique de cette notion qui recouvre un certain nombre de droits  : le jus advocatiæ ou jus protectionis qui permet au souverain de protéger l’église et qui associe l’état à la réalisation des ins de l’institution ; le jus inspectionis justiiant un contrôle de la puissance souveraine sur le fonctionnement de la vie ecclésiastique ; le jus cavendi ou droit de contrôle préventif des actes du gouvernement pontiical ; le jus exclusivæ qui est l’intérêt pour le pouvoir étatique de maîtriser les oices ecclésiastiques majeurs, ceux qui ont des implications civiles ; le jus dominii eminentis qui est le droit que s’arroge les états sur le patrimoine de l’église ; et, enin, le jus reformandi qui suppose une intervention étatique sur l’unité et la pureté de la foi catholique en luttant, entre autres, contre les hérésies.

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négociations avec la sardaigne. six articles précisent ainsi le régime juridique des bénéices tant du point de vue de leur vacation que de leurs charges, notamment inancières. il est prévu que la chambre apostolique puisse collecter les taxes sur les bénéices quelles que soient leur nature et leur origine (de libre collation ou régalienne) dans les diocèses du piémont et de montferrat à l’exclusion des terres cédées à la France après les traités de paix45. le pape, qui concède beaucoup et le reconnaît dans sa correspondance avec le cardinal de tencin à propos du portugal, sait aussi refuser. c’est ce qu’il n’hésite pas à faire lorsque le pouvoir portugais demandait le droit d’instituer des évêques aux indes. le souverain pontife s’y oppose fermement, protégeant ainsi les droits traditionnels et les intérêts de la France dans ces terres de missions46. si le pouvoir de nommer les prélats est revendiqué par les autorités séculières, un autre aspect illustre la progression des puissances temporelles. il s’agit de l’exequatur des textes pontiicaux. les concordats conclus en 1741 avec le royaume de sardaigne et celui de naples illustrent ce contrôle sur l’application des sources du droit ecclésiastique. le régime juridique varie en fonction des négociations menées de part et d’autre. Benoît XiV accepte que l’exécution des textes en contradiction avec la législation séculière soit suspendue. Le document litigieux serait alors adressé au nonce de turin ou aux ministres apostoliques résidant à rome ain d’opérer les corrections nécessaires avant la publication47. Le pouvoir sarde accepte une concession en ne soumettant pas à un visa les bulles dogmatiques, les brefs disciplinaires et les décrets de la pénitencerie et des congrégations romaines48. Le pouvoir napolitain, quant à lui, parvient à maintenir la maîtrise des dispositions pontiicales49. cependant, dans un des articles secrets (article 2), le roi s’engage à donner des ordres pour une application rapide des textes émanant des institutions de la papauté. une telle insertion peut éviter la propagation de la pratique courante de l’exequatur peu prisée par le pontife romain50. cette question anime encore les dernières années du pontiicat. en efet, un décret du 7 septembre 1754 du sénat vénitien établit la nécessité d’un visa apposé sur certains documents provenant de la curie romaine pour en permettre l’exécution dans la république51. Benoît XiV s’engage alors dans de délicates négociations qui aboutissent, avec l’appui de la France qu’il a sollicité, à une suspension de 45. a. mercati, Raccolta di concordati…, p. 336-337. 46. m. rosa, « tra muratori… », p. 58. 47. Giorgio Dell’oro, Il regio economato. Il controllo statale sul clero nella Lombardia asburgica e nei domini sabaudi, milan, 2007, p. 286. 48. m. rosa, « tra muratori… », p. 56. 49. Francesco conci, La Chiesa e i vari stati. Rapporti, concordati, trattati. Per una storia del diritto concordatario, naples, 1954, p. 48. 50. p. ciprotti, « spigolature tra l’attività… », p. 864. 51. t. Bertone, Il governo della Chiesa…, p. 116-117.

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l’application du texte à partir du 1er avril 1758. en revanche, son décès le prive de connaître le retrait pur et simple du décret que son successeur clément Xiii a instamment demandé.

2. Les concessions juridictionnelles un des points âprement négocié entre le siège apostolique et les pouvoirs séculiers est l’étendue juridictionnelle ratione personæ et ratione materiæ. c’est l’un des aspects longuement développé dans le concordat du 5 janvier 1741 conclu avec le royaume de sardaigne et plus précisément dans l’instruction du 6 janvier 1742 adressée aux évêques sardes sur l’immunité et l’exercice de la juridiction ecclésiastique. L’accord du 2 juin 1741 établi avec le royaume de naples s’intéresse également aux protections juridictionnelles et à la répartition de la juridiction52. La comparaison des deux textes permet de dégager des points de rapprochement et des diférences notables sur les diférentes immunités. Du point de vue des immunités locales, si le concordat sarde abolit le droit d’asile, le napolitain présente un régime qui vise à le limiter. c’est le cas quant aux personnes pouvant en bénéicier. sont ainsi exclus les incendiaires, les maîtres chanteurs, les empoisonneurs, les assassins et les commanditaires de meurtre, les falsiicateurs de cédule et de documents de crédit, les marchands faillis frauduleux. à cette approche ratione personæ s’ajoute une déinition ratione loci particulièrement précise. Le droit d’asile est réservé aux églises urbaines, aux églises rurales conservant le saint sacrement ou qui sont des paroisses ou des iliales de paroisses avec charge d’âmes. il concerne aussi les âtres entourés de murs, les portiques, les escaliers, les portes intérieures et latérales, les façades principales de ces églises. en revanche, sont exclus certains lieux comme, par exemple, toutes les autres églises rurales, mais aussi les monastères ou couvents53. quant aux immunités personnelles, l’idée commune aux deux concordats est la réduction du privilège du for. trop de clercs bénéiciaient de cette protection. Les conditions ratione personæ sont clairement déterminées. Le concordat napolitain précise que l’immunité pourra être sollicitée par les clercs qui respectent les conditions prescrites par le droit canonique. Les religieux doivent également revêtir leur habit et vivre sous la direction de leur supérieur légitime. Les autorités séculières peuvent procéder à l’incarcération et au jugement des clercs qui ont commis un assassinat. cependant, la décision inale doit être précédée de la saisine d’un tribunal mixte qui décidera de la perte du statut clérical. Le concordat sarde pour sa part indique les modalités pour obtenir le concours du bras séculier dont les conditions sont très souples. en efet, il n’est pas nécessaire de donner le titre de 52. a. mercati, Raccolta di concordati…, p. 338-361. 53. andrea melpignano, L’anticurialismo napoletano sotto Carlo III, rome, 1965, p. 87.

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la cause et les qualités des parties. le domaine d’application est lui-même étendu puisque les matières civiles comme les questions criminelles sont concernées54.

3. Les concessions iscales Benoît XiV concède également sur l’imposition du patrimoine des églises. plusieurs accords comprennent des dispositions relatives aux taxes et exemptions des biens ecclésiastiques. Le concordat conclu avec le royaume de naples s’intéresse notamment à ces immunités réelles. La situation antérieure aux négociations était favorable à l’église napolitaine dont les paroisses, les séminaires, les hôpitaux et les bénéices coniés aux ordinaires comme patrimoine sacré échappaient à toutes impositions55. Les dispositions soumettent tous les biens ecclésiastiques aux impôts au même titre que les laïques, à l’exception de ceux qui étaient attribués aux ordinaires jusqu’au sous-diaconat. L’immunité réelle est réduite dans son étendue de sorte que les ermites, entre autres, ne bénéicient plus d’exemptions. La question iscale posait des diicultés en espagne. en efet, grand propriétaire foncier, l’église n’en est pas moins exempte d’imposition, ce qui fait peser la charge sur la population. ce problème, déjà ancien56, donne lieu à des mesures qui ont permis de taxer les propriétés. au xviiie siècle, le débat reste vif, et le concordat de 1737 tentait déjà dans les articles 7 et 8 de réduire l’immunité des biens d’église. Le concordat avec le duché de milan (17 décembre 1757) s’inscrit dans le cadre de la volonté de l’impératrice marie-hérèse de mettre en place un nouveau cadastre. La négociation prend place également dans le contexte diicile de la guerre de sept ans dont le théâtre des opérations se situe loin de l’italie, mais dont le inancement justiie de nouvelles mesures à propos des biens ecclésiastiques57. huit articles précisent le contenu de l’accord diplomatique qui établit un régime diférencié en fonction de la date d’acquisition des biens58 et en tenant compte de la nature des droits exercés sur ceux-ci. Dès lors, une taxe sur la propriété ou sur le bail doit être acquittée. Des cas d’exemption font aussi l’objet d’une détermination précise, notamment à propos des cas des hôpitaux. cette politique de concession, premier volet de son ecclésiologie, est diversement appréciée. accusé de faiblesse et de céder devant les puissances séculières, le 54. article 4 de l’instruction du 6 janvier 1742, dans a. mercati, Raccolta di concordati…, p. 368. 55. a. melpignano, L’anticurialismo napoletano…, p. 86. 56. Brigitte Journeau, église et état en Espagne au xixe siècle. Les enjeux du concordat de 1851, Villeneuve d’ascq, 2002, p. 20-21. 57. m. taccolini, L’esenzione oltre il catasto…, p. 64 seq. 58.  cette méthode était déjà présente dans l’article  6 de l’instruction du 6  janvier 1742 précisant les articles du concordat conclu avec le royaume de sardaigne. a. mercati, Raccolta di concordati…, p. 370.

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pape est aussi approuvé pour son attitude qui lui vaut l’estime de toutes les cours d’europe59. dans cette action, il s’est davantage laissé inspirer par son intuition évangélique et pastorale que par une vision politique.

ii. — la modernisation des institutions ecclésiastiques dans la bulle Omnium sollicitudinem du 19 septembre 174460, qui concerne notamment le rite des malabares, Benoît XiV décrit l’église comme la société de ceux qui agissent en tant que membres du corps mystique de Jésus-christ et ce, à la lumière des évangiles et en vue de la vie éternelle. il privilégie une vision religieuse des institutions ecclésiastiques. Du reste, la première encyclique du successeur de clément Xii, Ubi primum du 3 décembre 1740, présente d’une certaine façon le programme ixé résolument tourné vers la pastorale61. Dans une approche classique de l’ecclésiologie, Benoît XiV n’hésite pas à préciser les pouvoirs d’ordre et de juridiction62. mais il importe également d’analyser les réformes ecclésiastiques (1) et administratives (2) car elles permettent de prendre la mesure du mouvement de modernisation engagé par le successeur de pierre.

1. Les réformes ecclésiastiques Benoît XiV entreprend des réformes liturgiques. il poursuit l’efort de ses prédécesseurs quant à la querelle des rites. en 1744, il interdit les rites chinois et malabare63. Le mariage est aussi reconsidéré, ce qui lui donne l’occasion de reconnaître une pratique courante : la possibilité des unions entre catholiques et protestants. La diicile question janséniste qui divise sévèrement le royaume de France le conduit à chercher une solution acceptable dans la bulle Ex omnibus Christiani orbis (1756)64. L’autorité de la papauté, progressivement réairmée après la crise conciliariste, doit être maintenue. Dans son ouvrage De synodo diocesana, l’ambition du pape est de fournir des analyses en vue d’un synode diocésain. en efet, Lambertini a constaté un grave problème d’ignorance de la législation pontiicale et des décisions des congrégations qu’il veut soumettre à 59. t. Bertone, Il governo della Chiesa…, p. 46. 60. Sanctissimi domini nostri Benedicti Papae XIV Bullarium, Venise, 1778, t. i, p. 177. 61.  Battista mondin, Nuovo dizionario enciclopedico dei papi. Storia e insegnamenti, rome, 1995, p. 418. 62.  t. Bertone, Il governo della Chiesa…, p.  79-96. Voir du point de vue ecclésiologique, Laurent Villemin, Pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction : histoire théologique de leur distinction, paris, 2003. 63. alain Forest, « espoirs et déboires du christianisme en asie (xviie-xviiie s.) », dans Histoire générale du Christianisme…, p. 281-283. 64. m. rosa, v° Benoît XiV, dans Dictionnaire de la papauté, p. 218.

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cette assemblée. il précise notamment les rapports entre le synode et le pouvoir central. dans le livre iX, il indique ainsi qu’il est interdit aux prélats de prendre des décisions qui empiètent sur le domaine de compétence du siège apostolique. La conformité au jus commune est de rigueur. Dans le livre Xiii, il n’hésite pas à soutenir la caducité des dispositions synodales qui s’y opposeraient. Benoît XiV proite ainsi de cette occasion pour asseoir la suprématie pontiicale. cette primauté du souverain pontife vaut également à l’égard des ordres religieux65. il s’emploie à les réformer en prônant un retour à l’esprit d’origine des fondateurs et rappelle la mission propre de chaque ordre. Le pouvoir du pape est exercé à deux moments. D’abord lorsqu’il approuve la création de nouvelles congrégations. c’est le cas des passionistes, un ordre fondé par saint paul de la croix en 1720, reconnu en 1741, et des redemptoristes, créé par saint alphonse de Liguori en 1732, approuvé en 174966. ensuite, lorsqu’il intervient au cours de l’élection des nouveaux généraux67. une inquiétude majeure de Benoît XiV concerne la faiblesse du niveau intellectuel des prélats et leur manque de discipline. Le souverain pontife connaît parfaitement les hommes qui animent les structures centrales de l’état. il conie au cardinal de tencin que peu de prélats du sacré collège méritent le chapeau cardinalice68. en dépit de cette déiance, il est bien obligé de s’en accommoder. mais ce constat vaut aussi pour une bonne partie des évêques dont il tente d’améliorer le recrutement. La constitution Ad apostolicæ servitutis onus (17 octobre 1740) établit une congrégation spéciale pour le choix des prélats lors de la vacance du siège épiscopal69. L’idée qui préside à cette instauration est la nécessité d’avoir un clergé ayant une culture théologique et juridique suisante mais aussi une intégrité morale au-dessus de tout soupçon. La charge d’assurer le gouvernement des idèles justiie une telle exigence. ce thème du bon choix est au cœur de la création de la congrégation Super promovendis dont l’objet est de régler les problèmes relatifs à l’obligation de résidence, trop souvent transgressée70. L’exigence de discipline vaut donc pour tous les clercs.

65. teodosio Lombardi, « Benedetto XiV e gli ordini religiosi », dans Benedetto XIV (Prospero Lambertini)…, t. i, p. 511-603. 66. Giuseppe orlandi, « Benedetto XiV, s. alfonso maria de Liguori e i redentoristi », dans Benedetto XIV (Prospero Lambertini)…, t. i, p. 607-627. 67. t. Bertone, Il governo della Chiesa…, p. 29. 68. m. Boutry, Le cardinal de Tencin…, p. 6. Dans une lettre du 7 décembre 1742, il émet ce jugement incisif que « notre cour n’est pas fertile en grands hommes ». 69. niccolò del re, «  Benedetto  XiV e la curia romana  », dans Benedetto  XIV (Prospero Lambertini)…, t. 1, p. 646-647. 70. Le prolongement de cette création est la restructuration d’une ancienne congrégation de la résidence des évêques, fondée par urbain  Viii en 1636, par la constitution Ad universae Christianae Reipublicae du 3 septembre 1746.

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dès 1740, Benoît XiV instaure également au côté de la congrégation du concile – d’où son surnom de «  concilietto »71 – un organe subsidiaire, la congrégation Super statu ecclesiarum72. chargée de recevoir les rapports sur la situation des diocèses établis par les clercs locaux, les documents reçus par cette instance suivent un questionnaire établi par le pape lorsqu’il était secrétaire de la congrégation du concile. ils permettent de résoudre les afaires ordinaires et de soulager ainsi la structure à laquelle elle est attachée. cette obligation de rédiger un rapport se trouve étendue aux abbés, aux églises avec une juridiction quasi épiscopale73. souvent décriée pour sa lenteur, la congrégation du concile peut répondre plus rapidement aux évêques. il conie à ce dicastère toutes les causes de nullité de mariage dont l’appel est interjeté devant le saint-siège74. cette politique illustre la volonté du pape de moderniser les structures ecclésiastiques dont les réformes administratives vont tenter d’améliorer l’eicacité.

2. Les réformes administratives Benoît XiV mène trois réformes importantes : institutionnelle, inancière et commerciale. sur le plan institutionnel, il procède à un recadrage de la congrégation du Bon Gouvernement75, dont les pouvoirs juridictionnels n’avaient cessé d’augmenter et qu’il ramène dans les limites initiales de 1693. Le souverain pontife règle notamment un conlit de juridiction avec la congrégation de l’immunité sur des questions de responsabilité. La bulle Gravissimarum du 14 octobre 1753 précise l’étendue des pouvoirs76. sur le plan inancier, la situation de crise de l’état pontiical conduit le souverain pontife à prendre des mesures d’économies en vue d’améliorer l’appareil inancier pontiical. clément Xii avait tenté de résoudre le problème en voulant simpliier le système iscal mais il n’était pas disposé à renoncer à la tutelle sur

71. niccolò del re, La Curia romana. Lineamenti storico-giuridici, cité du Vatican, 1998, p. 406. 72. congrégation établie par la constitution Decet romanum Pontiicem du 23 novembre 1740, dans Bullarium…, t. i, p. 11-12. 73. n. del re, « Benedetto XiV e la curia romana », p. 648. 74. constitution Iustitiae et pacis du 9 octobre 1746, dans Bullarium…, t. i, p. 59-64. 75.  stefano tabacchi, Il buon governo. Le inanze locali nello Stato della Chiesa (secoli XVIXVIII), rome, 2007, p.  406-407. créée en 1592 par clément  Viii, cette congrégation devait veiller aux intérêts administratifs, économiques et inanciers des communes situées dans les états pontiicaux. cette mission lui permettait de contrôler les comptes en vériiant les bilans. mais progressivement, elle a étendu ses prérogatives sur d’autres aspects comme la construction des rues, le cadastre ou le développement de l’agriculture. 76. Ibid.

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les inances des communautés77. Benoît XiV s’emploie à uniformiser les structures administratives. La constitution Apostolicæ Sedis ærarium (18 avril 1746)78 déinit une méthode unitaire d’administration79 en supprimant notamment trois comptabilités présentes au sein de la chambre apostolique. poursuivant un efort de rationalisation, l’enregistrement des entrées et des sorties de la chambre apostolique, la formation de bilans annuels et la reddition des comptes sont imposés. La constitution établit aussi la congrégation économique80 qui doit contrôler les inances pour permettre une réduction des dépenses. La réforme du commerce, enin, vise à libérer le commerce. si la condamnation de l’usure81 est réitérée, la liberté de circulation du grain constitue un problème sensible. en efet, le pape doit intervenir pour casser des édits de gouverneurs qui taxaient les grains produits dans leur juridiction malgré le principe de la liberté du commerce82.

iii. — conclusion Force est de reconnaître que Benoît XiV a tenté de redonner de la vigueur aux institutions ecclésiastiques tout en cherchant à reprendre les positions perdues. il s’est eforcé d’appréhender avec mesure les mutations de la société. il a dû afronter les cardinaux « papabili » et leurs actions secrètes au sein de la curie. sa volonté de sortir l’institution multiséculaire de son isolement l’a sans doute conduit à faire trop de concessions envers les princes séculiers. cependant, ses réformes ont permis un « aggiornamento » nécessaire. olivier Descamps université paris 2 panthéon-assas institut d’histoire du droit

77. Ibid., p. 401. 78. Bullarium…, t. i, p. 15-24. 79. m. rosa, v° Benoît XiV, dans Dictionnaire de la papauté, p. 217. 80. n. del re, La Curia romana…, p. 406-407. 81.  pour une vision synthétique du débat depuis les origines mais l’oubli du rappel de la réitération de la condamnation par Benoît XiV, voir rosario spina, sonia stefanizzi, L’usura. Un servizio illegale oferto dalla città legale, milan, 2007, p. 1-13. 82. Motu proprio du 30 mai 1749, dans Bullarium…, t. ii, p. 40-42.

une église auX dimensions du monde : eXpansion Du cathoLicisme et eccLésioLoGie à L’époque moDerne par

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un des faits majeurs du début de l’époque moderne est l’expansion géographique de l’église catholique. alors que le monde connu par les européens s’élargit, ses conins sont atteints par des missionnaires, des diocèses et des paroisses sont créés en amérique, en asie et en afrique. Beaucoup célèbrent cette extension de l’église. Le chroniqueur castillan Francisco López de Gómara qualiie en 1552 la découverte des indes occidentales comme « le plus grand événement qui s’est produit dans le monde depuis sa création, si l’on excepte l’incarnation et la mort de celui qui l’a créé »1. ce n’est pas tant la découverte géographique de l’amérique que l’ampliication de la difusion du christianisme dans le nouveau monde qui prend ainsi sens dans une histoire du salut. Le roi philippe ii, patron de l’église d’outre-mer, se réjouit après la conquête des philippines de 1564 que le canon de la messe soit célébré à toutes les heures du jour dans son empire. Dès 1622, la congrégation romaine de la Propaganda Fide archive une correspondance qui traite des diverses réalités d’une religion devenue mondiale2. cette expansion est somptueusement mise en image dans la rome de l’âge baroque, sur le plafond de l’église saint-ignace-de-Loyola, peint par le jésuite andrea pozzo, en 1685. paradoxalement, ce changement d’échelle ne semble pas avoir transformé en profondeur l’organisation de l’église. L’absence de rélexion missiologique de l’assemblée œcuménique de trente, le renforcement de la romanisation et de 1. Francisco López de Gómara, Hispania victrix, 1552, préface adressée à charles quint, cité par Joseph perez, L’Espagne du xvie siècle, paris, 1973, p. 187. 2. La mondialisation de l’église romaine a sa propre logique qui ne se confond pas avec celle des empires espagnol et portugais. pour une rélexion sur la première mondialisation dans le cadre de la monarchie ibérique (1580-1640), voir serge Gruzinski, Les quatre parties du monde. Histoire d’une mondialisation, paris, 2004.

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la centralisation de l’église catholique ont longtemps été interprétés comme le signe que ce changement d’échelle a eu inalement une importance relative. pour l’église du xvie siècle, la préoccupation principale, dès la rupture luthérienne, a été la scission de la catholicité. dans l’historiographie classique, les mondes non-européens où se déploie l’église à partir de la in du xve siècle sont traités comme des périphéries lointaines, des appendices des mondes ibériques. les efets sur le catholicisme moderne de la révolution d’espace ne sont guère analysés3. c’est des historiens italiens qu’est venu l’efort de penser la question d’un catholicisme aux dimensions du monde d’un point de vue de l’institution de l’église elle-même. dans un article intitulé « nouvelles dimensions de l’église : le problème des missions et la «conquête spirituelle de l’amérique» » de 1979 et qui restera isolé dans la suite de son œuvre4, paolo prodi aborde de nombreuses questions essentielles. La transplantation du christianisme dans le nouveau monde est posée comme un problème, non comme une évidence, et de nombreuses pistes sont ouvertes pour penser les nouvelles dimensions de l’église tant depuis le centre et la papauté (l’évangélisme et la renaissance de la missio apostolique) que depuis les terrains missionnaires (le lien entre évangélisation et conquête coloniale est souligné ainsi que le principe de la minorité perpétuelle des indiens). L’année suivante, adriano prosperi, dans un article fondamental « «otras indias» : missionari della controriforma tra contadini e selvaggi » qu’il développera par la suite5, pense l’action missionnaire en europe et hors d’europe dans le même mouvement, montrant ainsi l’importance du motif des indes et de la mission pour le catholicisme italien de la contre-réforme. pour ces deux historiens, l’expansion de l’église ne se joue pas dans les seuls espaces périphériques et lointains, mais a des implications au cœur du monde catholique6.

3.  parmi les classiques de l’historiographie française, citons Jean Delumeau, Le catholicisme entre Luther et Voltaire, paris, 1971 ; rééd. revue et augmentée avec monique cottret, paris, 2010. Le chapitre « une religion mondiale » passe en revue, de manière supericielle, les succès et les échecs de cette extension du catholicisme. L’Histoire du christianisme, paris, 1995, contient des chapitres sur l’église missionnaire, dont la remarquable synthèse d’alain milhou sur « Découvertes et christianisation lointaine » dans le tome Vii : De la Réforme à la réformation (1440-1530), dirigé par marc Venard. il me semble cependant qu’il n’y a pas dans l’œuvre générale de tentative de penser le christianisme moderne à partir du changement d’échelle. 4.  paolo prodi, Christianisme et monde moderne. Cinquante ans de recherches, paris, 2006 (hautes études), chap. 20 : « nouvelles dimensions de l’église : le problème des missions et la «conquête spirituelle de l’amérique» », p. 397-420. 5. Scienze, credenze occulte, livelli di cultura, Florence, 1980, p. 205-234. Voir également adriano prosperi, « L’europa cristiana e il mondo : alle origini dell’idea di missione », dans Dimensioni e problemi della ricerca storica, 1992/2, p. 189-220 et enin id., Tribunali della coscienza. Inquisitori, confessori, missionari, turin, 1996. 6.  Voir les travaux de Giovanni pizzorusso, spécialiste des questions missionnaires pensées depuis rome et non depuis les terrains missionnaires. entre autres, «  agli antipodi di Babele.

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dans cet article, je proposerai quelques rélexions sur les transformations du catholicisme moderne pour s’adapter aux nouvelles dimensions de l’église, inspirées par cette bibliographie et par mes propres recherches sur le catholicisme du Brésil colonial à partir des archives romaines et des archives locales7. Je tenterai donc de comprendre pourquoi le changement d’échelle n’a pas entraîné de bouleversement du point de vue de l’ecclésiologie, entendue comme l’organisation et la nature de l’église. c’est en qualité d’historienne que j’aborderai ces questions qui ont une dimension théologique et juridique. après avoir réléchi à l’organisation de cette église aux dimensions du monde, nous tenterons de voir quelles furent les adaptations théologiques et canoniques pour répondre à ces nouvelles dimensions.

i. — le processus d’élargissement : des structures ecclésiastiques à l’échelle mondiale à partir du xve siècle, l’église atteint de nouvelles dimensions même si, depuis le xiiie siècle, des initiatives missionnaires individuelles ont tenté de difuser le christianisme hors d’europe8. au xve siècle, la papauté accompagne l’expansion maritime ibérique en la légitimant par une série de bulles pontiicales, tissant des liens structurels et durables entre expansion commerciale et coloniale et dilatation du christianisme et de l’église9. L’expansion de l’église est un processus pragmatique sans projet préétabli, rome se borne à intervenir chaque fois qu’on la sollicite pour un motif qui lui paraît juste. Les plus célèbres de ces textes pontiicaux sont propaganda Fide tra immagine cosmopolita e orizzonti romani (XVii-XiX secolo ) », dans Storia d’Italia. Annali 16 : Roma la città del papa. Vita civile e religiosa dal giubileo di Bonifacio VIII al giubileo di papa Wojtyla, éd. Luigi Fiorani et adriano prosperi, turin, 2000, p. 476-518. 7.  Je travaille depuis longtemps sur la constitution d’un catholicisme local adapté à une société coloniale et esclavagiste, d’abord à partir des archives de la compagnie de Jésus puis des congrégations pontiicales. charlotte castelnau L’estoile, Les ouvriers d’une vigne stérile. Les jésuites et la conversion des Indiens au Brésil 1580-1620, Lisbonne/paris, 2000. Voir aussi Mélanges de l’école française de Rome. Italie-Méditerranée, t. 121/1 : Administrer les sacrements en Europe et au Nouveau Monde. La Curie romaine et les dubia circa sacramenta, dir. paolo Broggio, charlotte de castelnau L’estoile et Giovanni pizzorusso, 2009, et notamment l’introduction «  Le temps des doutes  : rome et l’administration des sacrements xvie-xxe siècles », p. 5-22 et mon article « Le mariage des inidèles au xvie siècle : doutes missionnaires et autorité pontiicale », p. 95-121. 8.  sur le passage des missions médiévales aux missions modernes, voir Luca codignola et Giovanni pizzorusso, « Les lieux, les méthodes et les sources de l’expansion missionnaire du moyen Âge au xviie siècle : rome sur la voie de la centralisation », dans Transferts culturels et métissages Amérique/Europe xvi-xxe siècles / Cultural Transfer, America and Europe, 500 years of interculturation, dir. Laurier turgeon, Denys Delâge et réal ouellet, québec, 1996, p. 489-512. 9. charles-martial de witte, « Les bulles pontiicales et l’expansion portugaise au xve siècle », dans Revue d’histoire ecclésiastique, t. 48, 1953, p. 683-718 ; t. 49, 1954, p. 438-461 ; t. 51, 1956, p. 413-453 et p. 809-836 ; t. 53, 1958, p. 5-46 et p. 443-471.

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la bulle Romanus Pontifex de nicolas V du 8 janvier 1455, à destination de la couronne portugaise, ainsi que la bulle Inter Caetera d’alexandre Vi de mai 1493 au retour de colomb en europe, à destination de la reine de castille. La papauté accompagne et suit, répondant à la demande des souverains ibériques. Faisant face en europe à la pression ottomane, le pape dispose d’une marge de manœuvre limitée et est prêt à faire des concessions d’autant que le projet d’expansion des souverains portugais et espagnols a une forte dimension antimusulmane. La papauté n’invente pas de nouveaux instruments pour encadrer l’élargissement de la chrétienté occidentale, elle se contente d’utiliser des modèles anciens, comme la croisade, la guerre juste. Les interventions pontiicales prennent sens dans le cadre des théories canoniques relatives à l’absence de droits des inidèles d’innocent iV et d’hostiensis10. Dans la rhétorique pontiicale, l’objectif des découvertes et des conquêtes des princes est désigné par l’expression le « bien des âmes », qui apparaît dans la bulle Romanus Pontifex de 1455 et qui désigne la conversion des populations. c’est pour faire le « bien des âmes » que les princes reçoivent des faveurs comme le monopole de commerce et de pêche, les droits sur les territoires, pour eux et leurs héritiers. Le pape garantit ces droits : ceux qui ne les respectent pas encourent l’excommunication. Le monde extra-européen est exposé dans sa diversité. Les populations rencontrées par les portugais au cours de leurs navigations sont appelés sarrasins ; païens et autres « ennemis de la foi » ; indiens qui honorent le nom du christ (les éthiopiens du prêtre Jean) ; païens ignorant la loi du christ. La bulle de 1493 évoque les hommes rencontrés par colomb comme « des habitants aptes à être évangélisés »11. à cette diversité des populations répond la diversité des actions des souverains en vue du bien des âmes. L’envoi d’hommes doctes pour prêcher est prévu (1493) mais aussi la guerre juste, la captivité et la déportation vers des terres chrétiennes (1455), vues d’emblée comme légitimes, car elles permettent « la conversion à la sainte foi », notamment quand les païens sont a priori des ennemis du christ. La doctrine du salut universel accompagne les navires européens et donne sens au mouvement d’expansion. 10.  L’absence de personnalité juridique des inidèles justiie que les princes chrétiens envahisseurs demandent au pape conirmation de leur conquête. selon hostiensis, canoniste du xiiie siècle, les titres de propriété dont pouvaient jouir les inidèles en vertu du droit des gens ont disparu à l’avènement du christ qui a légué sa potestas universelle à son vicaire le pape. celui-ci peut reprendre la juridiction dont les inidèles jouissent à titre précaire et l’attribuer à un prince chrétien. cette doctrine sera remise en cause par Francisco de Vitoria et la seconde scolastique qui fondent la légitimité de la domination espagnole sur une ébauche de droit international. a. milhou, « Découvertes… », p. 530. 11.  L’indien de colomb est le prototype du gentil sans secte ou sans loi, susceptible de se convertir rapidement à la vraie religion, modèle élaboré par raymond Lulle, franciscain de la in du xiiie siècle. a. milhou, « Découvertes… », p. 530.

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la création de diocèses et l’institution du patronat des souverains ibériques marquent la seconde étape de ce processus d’expansion de l’église. dans le monde portugais, le premier diocèse d’outre-mer est créé à Funchal, dans les îles de madère en 1514. avant cette date, la juridiction ecclésiastique sur les terres d’outre-mer appartenait à l’ordre du christ12. l’immense archevêché est redécoupé en fonction de l’implantation territoriale des portugais, processus lent et progressif. leur empire est avant tout maritime et les terres sous domination coloniale, en asie ou en amérique, se réduisent pendant longtemps à des îlots de présence européenne. en 1534, le diocèse de goa est créé avec une juridiction allant du cap de Bonne-espérance à la chine. en 1557, goa devient archevêché métropolitain sur les diocèses nouvellement créés de cochin, malacca puis macao (1575). dans l’atlantique, salvador de Bahia devient évêché en 1551 et reste sufragant de lisbonne jusqu’en 1676, où le diocèse devient archevêché métropolitain sur les diocèses de rio de Janeiro et de pernambouc, nouvellement créés. en afrique, le ils du roi dom afonso ier du Kongo, Dom henrique, avait été nommé évêque d’utique en 1516, titre honoriique qui célébrait la conversion de la famille royale congolaise au christianisme. ce n’est cependant qu’en 1597 que salvador du Kongo devient évêché, moment d’implantation territoriale des portugais en afrique après la conquête de l’angola13. Dans le monde espagnol où la conquête territoriale est très rapide, les structures ecclésiastiques suivent le mouvement d’avancée des conquistadors et l’implantation des structures administratives civiles. archevêchés et évêchés se multiplient sur l’ensemble du territoire des indes occidentales : en 1511, création des premiers évêchés des antilles puis sur le continent. mexico et Lima sont sièges d’archevêchés dès 1546 avec des dizaines d’évêchés sufragants, manille aux philippines est archevêché en 1595 avec trois diocèses sufragants. on peut parler de véritable maillage ecclésiastique aux indes de castille. Le monde connu s’est agrandi, le nombre de diocèses couvrant la surface de la terre aussi. plus qu’une simple circonscription d’administration ecclésiastique, le diocèse est considéré, depuis l’antiquité, comme l’unité locale de l’église universelle14. à Goa, Lima ou mexico où sont célébrés plusieurs conciles provinciaux au xvie siècle, qui sont des sièges de tribunaux inquisitoriaux, des villes hérissées 12. ordre religieux militaire, chargé de l’expansion maritime depuis 1415 et lié à la famille royale ; le maître est toujours un membre de la famille royale. L’ordre est incorporé comme les autres ordres militaires du portugal à la couronne en 1551. 13. pour l’église portugaise d’outre-mer, voir charles r. Boxer, he Portuguese Seaborn Empire, new York, 1969 ; trad. port. anna olga de Barros Barreto, O imperio marítimo portugués (14151825), Lisbonne, 1969 ; rééd.  1992. Luanda remplace rapidement salvador du congo comme siège de l’évêché. 14. peter Brown, he Rise of Western Christendom : triumph and diversity, A.D. 200-1000, 2e éd., oxford, 2003, p. 1-34.

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de clochers et remplies de couvents, existe le sentiment d’appartenir pleinement au monde catholique et non d’être des périphéries du monde chrétien. le patronat, régime juridique des églises d’outre-mer, est souvent compris comme un régime particulier, un écran entre rome et les mondes extra-européens. les princes ibériques ont reçu le « droit de patronat »15 sur ces terres ; selon la déinition du Dictionnaire de droit canonique, il s’agit de la somme de privilèges, accompagnés de certaines charges, qui, en vertu de la concession de l’église, appartiennent aux fondateurs catholiques16. Les princes ibériques reçoivent délégation du pape pour inancer la construction des églises, maintenir la hiérarchie ecclésiastique, envoyer des religieux chargés de convertir les païens ; en échange, ils reçoivent l’énorme privilège de proposer les évêques, recouvrir la dîme et administrer les impôts ecclésiastiques17. Là encore, ce n’est pas une nouveauté liée aux découvertes : le royaume de Grenade reconquis sur les musulmans est aussi sous le régime du patronat (1486). celui-ci est ainsi une forme de conséquence et de récompense des reconquêtes et des conquêtes. Le patronat explique le lien étroit entre l’église et l’état dans les sociétés coloniales. Le clergé est un instrument pour la couronne, investi d’un rôle pour l’administration temporelle des populations autochtones. il existe ainsi une forme de fonctionnarisation du clergé dans les terres d’outre-mer. La Mesa de Consciência e Ordens pour l’empire portugais, le conseil des indes pour l’empire espagnol sont des administrations royales chargées, entre autres, des afaires ecclésiastiques d’outre-mer. De nombreuses questions spirituelles des indes sont du ressort des assemblées (« juntas ») de théologiens de la couronne et se déroulent dans un cadre national. Les souverains ibériques, patrons de leurs églises d’outre-mer, se doivent d’agir chrétiennement dans leurs indes ; en contrepartie, ils exigent une grande marge d’autonomie pour les afaires religieuses de leurs empires. tout au long de la période moderne, la question du patronat focalise les tensions entre papauté et monarchies ibériques. certains défenseurs des privilèges des rois ibériques airment que les rois sont des sortes de nonces du pape et que leur législation ecclésiastique a force de décrets canoniques, mais il s’agit là de discours militants. Le patronat ecclésiastique sur les églises ibériques d’outre-mer est comparable aux ambitions des autres souverains sur leurs églises nationales. Dans le concordat de Bologne de 1516 entre le pape et François ier, le roi de France obtient de procéder à toutes les nominations d’évêques dans le royaume, pouvoir que les 15. Jules ii donne un droit de patronat sur l’ensemble de l’église du nouveau monde en 1508 ; le portugal obtient le même droit de patronage universel sur ses terres d’outre-mer en 1514. Le droit de patronat est implicitement compris dans les bulles antérieures de donation. 16. Voir « Bénéices », dans Dictionnaire de droit canonique, dir. raoul naz, paris, t. ii, col. 691. 17. c. r. Boxer, O Império…, p. 227.

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souverains ibériques ne possèdent que dans leurs terres d’outre-mer. le pouvoir du roi de France sur son église est tel que la création d’un empire français outremer au xviie siècle ne nécessite pas la négociation d’un patronat avec rome, car le roi est déjà pourvu des principaux pouvoirs. par la cession du droit de patronat, la papauté du début du xvie siècle reconnaît sa dépendance vis-à-vis des souverains ibériques pour ancrer son action dans les terres d’outre-mer sans renoncer à sa primauté spirituelle universelle. les travaux récents montrent que la papauté n’a jamais renoncé à la missio apostolique, même au xvie siècle et malgré les concessions faites aux souverains ibériques18. les célèbres bulles de paul iii de 1537, en réponse à des doutes adressés par des religieux de nouvelle-espagne, statuent sur l’aptitude au salut des indiens, condamnent leur mise en esclavage, précisent les conditions de l’administration des sacrements du baptême et du mariage aux néophytes. Déclenchant le mécontentement de charles quint qui exige désormais le placet royal pour la réception des bulles pontiicales en amérique19, ces textes montrent la volonté du pape d’airmer sa primauté sur les questions spirituelles. La non-convocation des évêques américains au concile de trente est certes une victoire politique pour charles quint, patron jaloux de l’église d’outre-mer, mais les décrets du concile s’appliquent de fait dans les territoires d’outre-mer du portugal et de la castille dès la in du concile. c’est aussi le moment où la papauté, puissante mais inquiète face aux dénonciations des échecs de l’évangélisation aux amériques, s’engage dans un processus de reprise en main de l’église d’outre-mer avec, par exemple, la rédaction d’exhortations à la propagation de la foi en 1568, ou la tentative d’envoyer un nonce aux amériques que philippe ii fera échouer. Finalement, la Propaganda Fide est fondée en 1622. elle tente autant que faire se peut d’atteindre les quatre parties du monde et de contourner l’écran du patronat. si les territoires des indes espagnoles sont diicilement atteints par les missionnaires apostoliques20, l’empire portugais d’asie, en pleine décomposition sous les assauts des compagnies de commerce hollandaises, est un champ privilégié pour la propagande, qui crée des vicariats apostoliques dans les espaces autrefois inclus dans le maillage ecclésiastique dépendant de la couronne portugaise. Les vicaires apostoliques ont rang épiscopal et sont chargés de gouverner au nom 18. Voir p. prodi et G. pizzorusso, déjà cités, ainsi que Administrer les sacrements… 19. Les lois de 1542 interdisant l’esclavage indien sont une réponse de l’empereur à la pression pontiicale. 20.  au Brésil où l’église est faible institutionnellement, la Propaganda tente de pénétrer, proitant de l’épisode du pernambouc hollandais (1630-1654). Des missionnaires apostoliques, capucins de la province de Bretagne, s’installent au pernambouc puis restent une fois les hollandais expulsés ; ils ont un rôle d’informateurs pour la Propaganda. ils sont expulsés en 1702 et remplacés par des capucins italiens, eux aussi munis de privilèges apostoliques. pietro Vittorino regni, Os Capuchinhos na Bahia, t. i : Os Capuchinhos franceses, Bahia, 1988.

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du pape l’église d’un territoire de mission ; ils reçoivent le titre d’évêque in partibus inidelium 21. l’église d’asie est alors partagée entre les anciens diocèses du patronat (goa, malacca, macao) et les nouveaux vicariats apostoliques de la Propaganda coniés aux missions étrangères de paris. elle devient un véritable enjeu international entre rome, le portugal et la France. reprenant le modèle d’expansion du premier millénaire, l’église se déploie à l’époque moderne en diocèses, églises particulières. pour le pape, ces diocèses restent clairement soumis à la centralité romaine, malgré la distance. le principe de la visite ad limina est maintenu pour les évêques d’outre-mer, preuve que sur le plan spirituel, le lien reste direct entre l’église de rome et les mondes extraeuropéens, nonobstant l’existence du patronat22. c’est à la papauté de veiller à la mise en application des décrets du concile et les doutes doivent être envoyés depuis le monde entier à rome, où ils sont traités par la congrégation du concile ou par la Propaganda Fide et le saint-oice23. les nouvelles dimensions de l’église n’entraînent pas de véritable changement sur le plan des structures ecclésiastiques. le modèle est l’implantation territoriale et la création d’un maillage ecclésiastique : archevêché, évêché, paroisse. Les vicariats apostoliques sont des solutions provisoires utilisées par la papauté pour contourner le patronat ibérique quand il devient un handicap et non plus un instrument pour la propagation de la foi. La conviction qui accompagne cette expansion mondiale de l’église catholique romaine, et cette multiplication des diocèses, est que l’église et le monde se confondent. Le héraut de cette idéologie est le secrétaire de la congrégation de la Propaganda Fide, Francesco ingoli qui intitule son rapport sur l’état de l’église dans le monde, Les quatre parties du monde24.

ii. — L’interprétation des nouvelles dimensions : conservatisme et prudence Luther est excommunié en 1521, année où cortés entre dans mexico. cette coïncidence chronologique explique sans doute un manque d’audace théologique de l’église face à l’expansion de la chrétienté. au concile de trente, dans un contexte de confrontation avec les protestants, la doctrine catholique est 21. c. Boxer, O império…, p. 227-244. 22. Les évêques d’outre-mer se contentaient d’envoyer leur rapport et ne se rendaient pas à rome pour la visite. Voir philippe Boutry, Bernard Vincent, Les chemins de Rome : les visites ad limina à l’époque moderne dans l’Europe méridionale et le monde hispano-américain (xvie-xixe siècle), rome/paris, 2002. 23. c’est ce type de documents qui a constitué la matière de notre dossier dans les MEFRIM, Administrer les sacrements… 24. Francesco ingoli, Relazione delle quattro parti del mondo (1633), éd. Fabio tosi, rome, 1999.

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clariiée et la tradition redéinie sans innovation théologique. il y a même une forme d’hostilité à toute originalité spirituelle. en droit canonique, le Corpus iuris canonici demeure essentiel. en l’absence des évêques d’outre-mer, les questions missionnaires, évoquées, restent subordonnées à la grande afaire de la condamnation du protestantisme25. au moment même où l’église connaît une expansion territoriale sans précédent, se développe une mentalité de forteresse assiégée, du fait de l’avancée de l’islam en europe et de la rupture protestante. c’est sans doute ainsi que s’explique le faible impact des nouvelles dimensions de l’église sur le contenu de la foi. toute innovation ou modiication de la tradition est suspecte. la création de la congrégation du saint-oice (1542) et de l’index témoigne de cette crispation. la découverte de l’homme américain pose cependant des questions nouvelles qui donnent lieu à une rélexion théologique, construite dans la péninsule ibérique mais qui circule dans l’ensemble du monde catholique26. le cadre interprétatif est le monogénisme, l’unité des diférentes races humaines qui toutes descendent d’adam et Ève, et l’universalité des normes sociales. tous les hommes suivent la loi naturelle imprimée par dieu dans le cœur des hommes et même s’il existe de nombreuses lois (jus gentium), celles-ci sont toujours conformes à la loi naturelle. la bulle Sublimis Deus de paul iii de 1537 s’inscrit dans cette perspective en déinissant l’indien comme homme suivant la loi naturelle, apte à la salvation et ne pouvant être mis en esclavage par nature. La condamnation de l’esclavage des indiens n’est pas une nouveauté théologique, elle s’inscrit dans une pensée thomiste classique. Dans les sociétés chrétiennes, l’esclavage est légitimé par l’achat ou la captivité en guerre juste. il est donc injuste de réduire les indiens en esclavage pour la seule raison qu’ils sont indiens. on peut réduire en esclavage les indiens faits captifs au cours d’une guerre juste, mais une fois la conquête achevée, il n’y a plus en principe de guerre juste si ce n’est aux frontières. ce n’est bien sûr pas l’institution de l’esclavage qui est ici condamnée. au même moment, les théologiens estiment que les africains que l’on achète sur les marchés africains ont été faits esclaves selon les lois de leur propre pays, ils sont donc des esclaves légitimes27. une interrogation fondamentale est de savoir pourquoi les indiens inclus dans l’humanité n’ont pas eu connaissance de la venue du sauveur pour leur 25. alain tallon, Le concile de Trente, paris, 2000, p. 57. 26.  anthony pagden, he Fall of Natural Man. he American Indian and the Origins of Comparative Ethnology, cambridge, 1986. 27.  ce n’est qu’en 1839, dans un contexte international de condamnation de l’esclavage, que la papauté condamne elle aussi toute forme d’esclavage. sur les questions de l’église et de l’esclavage au xvie siècle, voir carlos alberto de moura ribeiro Zeron, Ligne de foi : la Compagnie de Jésus et l’esclavage dans le processus de formation de la société coloniale en Amérique portugaise (xvie-xviiie siècles), paris, 2009.

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rédemption. certains répondent que l’apôtre homas est passé par l’amérique mais que les indiens ont oublié le contenu du message évangélique. de même, la diiculté de la conversion des indiens au christianisme reste un obstacle pour les hommes d’église, qu’ils soient universitaires en europe ou engagés sur les terrains missionnaires. s’appuyant sur une branche de la psychologie aristotélicienne, les ecclésiastiques présentent les indiens comme des sortes d’enfants dont les facultés rationnelles, certes complètes, sont restées cependant à un niveau potentiel plutôt que réel. de là, l’idée que les indiens sont provisoirement dans une minorité politique et religieuse. il faut donc qu’ils vivent sous la tutelle du pouvoir politique et du pouvoir religieux et qu’ils soient éduqués et civilisés pour atteindre un jour leur majorité. les hommes du xvie siècle développent ainsi des stratégies intellectuelles pour traiter de ce qui est conceptuellement neuf à partir d’idées anciennes, puisées notamment chez aristote. il n’y a pas, au départ, de véritable impact du nouveau monde sur l’ancien car les intellectuels refusent de faire face à la vraie dimension de ce qui est une confrontation avec l’altérité et qui, à terme, remet en cause le principe de l’universalité des normes sociales28. le mariage des inidèles est un observatoire particulièrement intéressant pour comprendre comment l’église fait face aux nouvelles diicultés29. la question se pose partout où se convertissent des inidèles adultes. comment l’église doit-elle traiter les mariages contractés selon les lois antérieures au christianisme ? les canonistes ont recours à saint paul disant, dans la première lettre aux corinthiens (1 cor. 7, 12-15), que l’union de deux païens reste valide après la conversion au christianisme. ce principe demeure au moyen Âge dans le droit classique de l’église ; le mariage est une institution divine de droit naturel, qui prend des formes diverses selon les lois des diférentes sociétés (jus gentium) et qui atteint sa forme parfaite avec la loi chrétienne. un païen se convertissant au christianisme doit donc garder l’épouse qu’il avait avant la conversion ; le baptême des conjoints et leur bénédiction transforme leur union en sacrement de mariage. en cas de polygamie, et la question est posée pour des mariages de néophytes en palestine au début du xiiie siècle, c’est la première union qui est reconnue comme valide et transformée en mariage chrétien30. au xvie siècle, avec la multiplicité des terrains missionnaires, la diversité des peuples rencontrés, l’intense volonté de prosélytisme et la crise du mariage en europe, ces questions concernant le mariage des inidèles prennent une nouvelle 28. a. pagden, he Fall of Natural Man… 29. c. de castelnau-L’estoile, « Le mariage des inidèles… ». 30.  Décrétales de Grégoire  iX (1234), 4, 19, 8. sur la question du mariage en nouvelleespagne, voir l’ouvrage de pierre ragon, Les Indiens de la découverte. évangélisation, mariage et sexualité, paris, 1992.

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acuité. toute une rélexion est menée sur les terrains missionnaires, dans les universités où le mariage est une matière essentielle du cours de théologie morale, à la curie romaine où la papauté considère la doctrine du mariage de son ressort. dans les années 1630, la nouvelle Propaganda Fide organise une commission de rélexion sur la polygamie. la diiculté est de faire coïncider la pratique missionnaire et ses exigences de pastorale avec la doctrine de l’église. pour les missionnaires, la conversion des inidèles, tant souhaitée, doit passer par des concessions et s’adapter aux demandes des convertis. les pratiques endogamiques largement répandues posent problème. les convertis veulent épouser ou garder des femmes avec qui ils sont liés par des relations de parenté ou d’ainité. le pape peut accorder des dispenses, ce qu’il fait à partir des années 1560 sous la forme de privilèges pour une durée de vingt ans, privilèges qui seront renouvelés jusqu’au milieu du xviiie siècle. l’autre diiculté qui se révèle majeure est la question de savoir quelle est la véritable union en cas de polygamie. la solution canonique considérant la première union comme la véritable est diicile à accepter pour les convertis, qui préfèreraient que soit reconnue comme véritable épouse la dernière, qui est souvent la plus chérie comme le rapportent, dans leurs doutes, les missionnaires. ces exigences doctrinales provoquent un certain désordre sur les terres de mission, elles empêchent des conversions, provoquent des retours au paganisme ou tout simplement ne peuvent empêcher une pratique secrète de la polygamie. Face à ces diicultés, la papauté intervient à trois reprises sur le sujet : la bulle Altitudo Divini Consilii de paul iii en 1537, la bulle Romani Pontiicis de pie V en 1571, la bulle Populis ac nationibus de Grégoire Xiii en 158531. il est intéressant de mettre en regard ces trois bulles. paul iii en 1537 ouvre une large brèche dans le principe de la validité de la première union : en efet, le texte précise que si le converti a oublié qui était sa première femme, il peut se marier avec la femme qui reçoit le baptême avec lui. il y a là une forme d’adaptation aux temps nouveaux, la marque d’une église érasmisante où les questions de pastorale l’emportent sur la tradition. en 1571, pie V va plus loin en omettant toute référence à la première union et en déclarant une nouvelle règle : en cas d’union inidèle polygame, la vraie épouse chrétienne sera celle qui se baptisera avec son mari. pour des esprits du xvie siècle, formés à la théologie, ce type de déclaration équivaut à une déclaration de toute puissance pontiicale : elle signiie que le pape peut annuler les unions matrimoniales inidèles. La postérité donnera le nom de privilège « pétrin » à cette possibilité. La bulle prévoyant les oppositions airmait sa toute puissance

31.  ces trois textes sont dans Josef metzler, America pontiicia primi saeculi evangelizationis, 1493-1592, cité du Vatican, 1991, t. i, p. 361-364 ; t. ii, p. 894-5 ; t. iii, p. 1228-30.

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et la condamnation des opinions contraires. le jésuite José de acosta, dans un passage qui ne sera pas publié de son manuel de missiologie De procuranda Indorum Salute, s’étonne avec une ironie cinglante que l’autorité des grands pontifes soit contraire aux opinions des grands théologiens. derrière la dénonciation de la démesure pontiicale, le véritable enjeu est que le texte de pie V fragilise l’institution du mariage comme institution de droit naturel puisque le mariage des inidèles ne serait pas indissoluble, remettant aussi en cause une universalité des normes sociales. un homme comme acosta aux prises avec la question de la diversité humaine semble particulièrement sensible aux efets indirects d’un tel texte. Le missionnaire jésuite n’est pas le seul à réagir : la bulle, envoyée sur tous les terrains missionnaires, déchaîne une série de doutes et de questionnements. en 1585, Grégoire Xiii, pape juriste et idèle à la tradition, élabore une nouvelle bulle, Populis ac nationibus, sur le sujet et revient à la tradition paulienne : le mariage des inidèles est valide mais dans certains cas exceptionnels, on peut ne pas en tenir compte. c’est ce qu’on appelle le privilège « paulin », qui s’appuie sur un passage de la première Lettre aux corinthiens de saint paul (1 Cor. 7, 16). Dans le contexte de la in du xvie siècle, esclavage, captivité et déportation sont les cas exceptionnels où les unions inidèles peuvent être dissoutes. Les captifs qui se convertissent ont le droit de se remarier sans tenir compte des unions antérieures car, de fait, ils ne peuvent plus s’unir à leurs anciens conjoints. La bulle, destinée selon la lettre du texte, au Brésil, à l’angola et l’éthiopie, c’est-à-dire à l’empire portugais esclavagiste, s’adresse aussi à tous les habitants des indes ; de fait, elle sera utilisée dans tous les terrains missionnaires jusqu’au xxe siècle, au-delà de la situation de l’esclavage. elle igure aux Fontes du code de droit canonique de 191732. il me semble que son succès tient au fait qu’elle s’inscrit dans la tradition juridique de l’église (en réairmant le principe de la validité de la première union tout en ouvrant une possibilité de contournement par privilège apostolique) et n’implique aucune nouveauté théologique. La question du mariage des inidèles convertis est un exemple des tentatives de l’église pour encadrer les nouveautés rencontrées. Les ecclésiastiques des xvie et xviie siècles ne sont pas prêts à faire face à la remise en cause du principe de l’universalité des normes ou de la doctrine. ils préfèrent multiplier les solutions dérogatoires : dispenses, facultés, privilèges, mais maintenir la doctrine dans son

32. code de 1917, can. 1125 : Ea quae matrimonium respiciunt in constitutionibus Pauli III altitudo, 1 Iun. 1537 ; S Pii V romani pontiicis, 2 Aug. 1571 ; Gregorii XIII populis, 25 Ian. 1585, quaeque pro peculiaribus locis scripta sunt, ad alias quoque regiones in eisdem adiunctis extenduntur. Dans les Fontes du code de 1917, on trouve huit constitutions pontiicales citées in extenso, parmi elles, les trois bulles du xvie siècle sur le mariage des inidèles sont transcrites comme documenta Vi, Vii et Viii. c’est bien là le signe de leur importance. Codex iuris canonici, rome, 1918. Le code de 1983 (can. 1148-1150) conserve le privilège paulin.

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intégralité et son unité. élargir l’œcumène chrétien sans modiication majeure du dogme, tel est le déi de l’église. la solution réside dans la mise en place d’un régime juridique d’exception : le jus missionnarium.

iii. — JuS commune, JuS miSSionarium : le recours au régime juridique d’exception pour l’église, l’élargissement de la catholicité est perçu comme un processus temporel. L’objectif est que les nouvelles terres deviennent pleinement chrétiennes et que le droit canonique commun s’y exerce. avant d’atteindre cet objectif, un régime juridique exceptionnel, le droit missionnaire, conjugaison de facultés pour le clergé et de privilèges pour les idèles, s’applique. en principe, ce droit dérogatoire est vu comme provisoire, jusqu’à ce que le régime ordinaire de l’église établie puisse s’appliquer33. Les missionnaires depuis le moyen Âge sont dotés de facultés, c’est-à-dire de pouvoirs spirituels exceptionnels. il s’agit pour eux de pouvoir assouplir les règles du droit canonique ou d’accorder des bénéices spirituels aux idèles le demandant. c’est ainsi que les missionnaires, qui sont loin de leur ordinaire (l'évêque), peuvent dispenser des empêchements ordinaires de mariage, peuvent absoudre des cas réservés comme l’hérésie ou concéder des indulgences. Le nouveau contexte missionnaire né des découvertes donne de l’ampleur à ce phénomène des facultés. en 1522, une bulle d’adrien Vi Omnimodam Nostram [Romani Pontiici] auctoritatem in perpetuum accorde une grande liberté d’action aux ordres religieux et aux missionnaires qui peuvent agir in utroque foro au nom du pape. cette bulle, qui prend sens dans l’évangélisation primitive de la nouvelle-espagne, tombe rapidement en désuétude. à partir de la seconde moitié du xvie siècle et de la reprise en main tridentine, l’obtention de facultés est plus diicile et doit être négociée. La compagnie de Jésus se distingue des autres ordres par l’obtention d’une série de facultés dans la seconde moitié du xvie siècle : notamment des facultés de dispenses matrimoniales jusqu’au second degré. ces facultés sont négociées au moment où les jésuites ne sont pas encore dans l’empire espagnol mais ont quasiment le monopole de l’évangélisation dans l’empire portugais, monde où le maillage ecclésiastique est faible et où la présence des évêques est dispersée. ces facultés apostoliques réservées aux

33.  sur les facultés, voir Bernard Dompnier, «  L’administration des sacrements en terre protestante à la lumière des facultates et des dubia des missionnaires (xviie-xviiie siècles)  », dans Administrer les sacrements…, p.  23-38. sur la distinction entre régime ordinaire et régime missionnaire, voir Giovanni pizzorusso, «  i dubbi sui sacramenti dalle missioni ad inideles. percorsi nelle burocrazie di curia », dans Administrer les sacrements…, p. 39-61.

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jésuites peuvent apparaître comme la contrepartie au quatrième vœu, qui est un vœu d’obéissance au pape. la proclamation des décrets tridentins dans les terres du patronage ibérique (l’amérique espagnole et portugaise, l’afrique et l’inde portugaise) est le signe fort que désormais dans les territoires outre-mer coexistent une église établie (avec hiérarchie épiscopale et système de paroisses) et une église missionnaire, un régime juridique ordinaire et un régime juridique d’exception. à lima et à mexico, des conciles provinciaux sont organisés pour recevoir et appliquer les décrets. au Brésil, où les structures ecclésiastiques sont moins fortes, les règles du concile s’appliquent aussi en principe. la création de la congrégation de la Propaganda Fide en 1622 permet de clariier ces questions. la congrégation s’intéresse au monde entier mais sa juridiction s’exerce là où la hiérarchie manque ou est insuisamment présente, là où les catholiques sont une minorité. dans les espaces tridentins formés, c’est la congrégation du concile qui est chargée de surveiller les territoires. ainsi, en amérique comme en europe coexistent espaces missionnaires et espaces ordinaires. quand le secrétaire de la Propaganda Fide, Francesco ingoli, fait un tour du monde virtuel en écrivant une description des quatre parties du monde, il a soin de donner, pour chaque lieu, la distance par rapport au siège de l’ordinaire, la taille des paroisses, le type de populations ; il s’agit là de dire si le régime ordinaire ou le régime missionnaire s’applique en ce lieu. un des premiers objectifs de la congrégation est de clariier les facultés des missionnaires et de les uniier. c’est l’œuvre d’une commission qui au terme de plusieurs années de travail produit dix formules de facultés censées s’appliquer à toutes les situations, deux formules concernent les espaces extra-européens, le reste concerne l’europe. concrètement, chaque missionnaire apostolique qui part dans une région donnée est muni d’un texte imprimé spéciique où sont recensées toutes les facultés dont il dispose. ainsi la mission est déinie, non pas comme un espace géographique mais comme un espace juridique où le clergé a besoin de facultés. aux facultés du clergé correspondent les privilèges des idèles, autre instrument juridique en terre de mission. dans les bulles du xvie siècle apparaît l’idée que les idèles nouvellement convertis ne peuvent être soumis au même régime d’exigence que les vieux chrétiens. les textes pontiicaux sur le mariage se justiient en évoquant les « faibles indiens », incapables de supporter la continence. ainsi, le pape assouplit les règles du mariage en dispensant des empêchements de mariage pour parenté et pour ainité ; ces empêchements étant le principal instrument de pression de l’église sur la société depuis le milieu du moyen Âge. ce sont les fameuses facultés accordées par pie iV en 1563 et renouvelées jusqu’à clément Xiii en 1766, elles sont accordées pour une durée de vingt ans,

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d’où leur nom de facultés vicennales. elles accordent aux jésuites « la faculté de dispenser les néophytes pour tous les degrés de consanguinité et ainité non interdits par le droit divin », soit seulement le premier degré (parents/enfants, frères/ sœurs). si la question des dispenses matrimoniales est de loin la plus importante, il existe cependant d’autres dispenses. Les règles du jeûne sont aussi assouplies : l’interdiction de produit lacté ou d’œufs pendant le carême est diicilement soutenable pour des indiens car, précisent les textes, ils n’ont pas les moyens de contourner ces règles en achetant des bulles de croisade ! ce sont donc des raisons inancières qui justiient cet assouplissement et non une nature particulière des indiens qui les rendrait inaptes à la privation. De manière générale, toute modiication de la règle commune pour s’adapter aux nouveaux idèles est perçue comme devant être provisoire et toujours contrôlable par la hiérarchie. Le mécanisme de contrôle fonctionne sur un centralisme romain rigide. Le pape ayant proclamé qu’il est le seul à pouvoir interpréter le concile, les doutes sur les sacrements qui peuvent parfois sembler mineurs aluent à rome à la Propaganda Fide, qui les transmet au tribunal du saint-oice qui a une juridiction universelle. ce mécanisme centralisateur est en place au xviie siècle. au cours de mon enquête autour des mariages indiens au Brésil, j’ai ainsi travaillé sur des doutes envoyés par des capucins bretons qui étaient missionnaires dans la région du leuve são Francisco à l’intérieur du nordeste brésilien. à plusieurs reprises, les capucins demandent à rome d'assouplir les règles du mariage à l'attention des indiens convertis34. Le consulteur du saint-oice qui leur répond, le cardinal franciscain Lorenzo Brancati, est spécialisé dans les questions de l’église d’outre-mer. Dans une longue dissertation, il refuse la demande des capucins, développant l’argument selon lequel « le risque est que la loi tout entière soit progressivement dispensée au bénéice de ceux qui veulent se convertir », « la loi chrétienne ne doit pas s’accommoder à la volonté des récipiendaires de cette loi mais cela doit être le contraire ». il conclut au maintien des règles qui ont fonctionné pendant seize siècles35. cette dissertation du cardinal montre que les temps ont changé depuis les années 1560 où la papauté adaptait le droit du mariage pour répondre aux demandes des missionnaires. en cette in du xviie siècle, période où les tensions autour des rites asiatiques deviennent plus sensibles, l’assouplissement des règles 34. une de ces lettres se trouve aux archives de la congrégation de la Propaganda Fide (abrégé apF), Scritture Originali riferite nelle congregazioni generali (abrégé SOCG), apF, SOCG 497, is. 36-37v ; elle est publiée dans les annexes de p. V. regni, Os Capuchinhos franceses, p. 336-337. 35. Le document se trouve à l’archivio della congregazione per la Dottrina della Fede (abrégé acDF) ; dans le fondo santo oizio (abrégé s.o.), série stanza storica (st.st.), Volumi dei consultori conventuali dei ss apostoli (uV) ; acDF, s.o., st. st., uV. 18, p. 816-831.

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est refusé. les propos du cardinal sur un problème mineur, les indiens kariri ne sont que quelques centaines dans un espace absolument isolé, sont cependant essentiels. en efet, ils font comprendre que dans les débats sur l’adaptation, c’est l’unicité de la loi chrétienne qui est en jeu. une seule loi pour une église aux dimensions du monde, tel est le point de vue du cardinal Brancati. c’est cette même opinion qui conduit le tribunal du saint-oice à condamner au xviiie siècle les rites chinois puis malabars, mettant ainsi des limites strictes aux eforts d’accommodation des missionnaires. Le droit missionnaire est un régime juridique d’exception, fait de privilèges et de facultés provisoires, limités dans le temps (vingt ans), dans l’espace (les lieux où l’église n’est pas encore complètement établie) et s’appliquant à des individus particuliers. il a pour vocation de s’efacer devant le droit universel, ce que Brancati appelle « la loi chrétienne ».

iV. — Les ambiguïtés du statut de néophyte : religion et colonisation présenté dans la rhétorique pontiicale et souvent repris tel quel par l’historiographie, le régime dérogatoire pour les néophytes est interprété comme un efort pastoral, le fruit d’une bienveillance paternelle pour ces nouveaux idèles des mondes lointains. La catégorie de néophyte est peu claire et l’explorer revient à réléchir aux mécanismes qui lient les nouvelles dimensions de l’église et la colonisation à l’époque moderne. selon le Dictionnaire de droit canonique de raoul naz, le néophyte est celui qui est né depuis peu de temps, c’est un chrétien baptisé à l’âge adulte, arrivé à la vie chrétienne après sa naissance. cela constitue un empêchement à la réception des saints ordres, mais de durée limitée36. il n’est donc pas étonnant que le terme de néophyte soit spéciiquement employé dans la bulle de pie iV sur la dispense des empêchements de mariage. Les néophytes ayant été baptisés adultes, ils sont donc déjà mariés quand ils se baptisent. Le pape leur accorde « très généreusement » le droit de rester avec leur ancienne épouse malgré les interdictions de parenté et d’ainité qui existent dans la loi chrétienne. ce sont ces privilèges qui sont maintenus jusqu’en 1766 car il y a toujours de nouveaux néophytes, c’est-à-dire des indiens d’amérique, des asiatiques ou des africains qui se convertissent adultes. au départ, le terme de néophyte se rapproche sans se confondre avec l’expression « celui qui est converti depuis peu de temps, le nouveau dans la foi ». Les bulles pontiicales emploient les expressions Indi noviter ad idem conversi (paul iii,

36. r. naz, Dictionnaire…, t. Vi, col. 997.

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1537), Neophytorum qui recenter ad idem nostram catholicam, eorum caecitate miserante Domino, conversi sunt (pie V, 6 juillet 1569 pour les indiens du Brésil). en ce sens, c’est un état provisoire, destiné à passer. certains textes parlent d’une durée de dix ou douze ans pendant laquelle on est nouveau dans la foi37. cependant, dans le contexte des indes occidentales, le sens précis et canonique de néophyte est progressivement transformé. Les privilèges pour les néophytes sont perpétuellement prolongés comme s’ils ne sortaient jamais de cette catégorie. néophyte en vient à désigner tous les indiens chrétiens même baptisés dès leur naissance et descendants d’indiens chrétiens. Le maintien de cette catégorie signale que les indiens sont progressivement considérés comme des chrétiens de second rang. L’historien Juan carlos estenssoro a bien montré ce mécanisme qui se met en place dans les années 1570 au pérou et procède tant des autorités civiles qu’ecclésiastiques. L’évangélisation doit rester un processus inachevé pour justiier la prolongation de la domination espagnole sur ces terres38. Les indiens sont condamnés à être d’éternels mineurs et leur christianisme n’est jamais considéré comme complet. L’interdiction d’accès au sacerdoce illustre cette minorité religieuse. De même, l’exemption du for inquisitorial, présentée comme un privilège lié à la nouveauté de la conversion dans les décrets de fondation des tribunaux de mexico et Lima en 1571, est une autre marque de ce statut de mineur. Les tribunaux royaux ou épiscopaux qui poursuivent les indiens pour idolâtrie sont d’ailleurs plus sévères que l’inquisition. La redécouverte de l’idolâtrie par le clergé péruvien au début du xviie siècle est lue comme une mise en scène spectaculaire de la résistance indienne à la christianisation, manière pour l’église coloniale et la couronne de démontrer ce statut de minorité religieuse des indiens, pivot de la domination espagnole. certains indiens du pérou tentent au cours du xviie siècle de se faire reconnaître comme des chrétiens à part entière. La demande de reconnaissance de la sainteté d’un des leurs, puis la revendication de l’ordination sont interprétées comme une tentative de sortir du statut de néophyte et de revendiquer une identité chrétienne. rome est prête à entendre les arguments de ses lointains idèles, mais l’église coloniale tente de retarder le plus possible l’autonomie religieuse des indiens. ce n’est qu’en 1766 que les indiens de l’empire espagnol ont accès au sacerdoce39. cet exemple très intéressant qui peut être étendu à d’autres terrains coloniaux, et à d’autres populations comme les esclaves africains ou leurs descendants, permet de montrer un écart entre le droit canonique de l’église universelle et ses interprétations locales. Les acteurs subalternes, qu’ils soient indiens du pérou ou esclaves 37. paolo Broggio, « Le congregazione romane e la confessione dei neoiti del nuovo mundo tra facultates e dubia », dans Administrer les sacrements…, p. 173-191. 38. Juan carlos estenssoro Fuchs, Del Paganismo a la Santidad. La incorporacín de los Indios del Perú al Catolicismo, 1532-1750, Lima, 2003. 39. Ibid.

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du Brésil, en ont parfois été conscients. ils ont joué de ces diférences pour tenter de faire reconnaître leurs droits, ils ont fait appel à rome des décisions qu’ils jugeaient iniques et ont parfois été entendus40. l’historien trouve des traces dans les archives de ces démarches qui n’en restent pas moins exceptionnelles. au-delà de ces tentatives isolées de faire reconnaître les droits des chrétiens des nouveaux mondes, reste le mécanisme qui lie domination coloniale et christianisation des indigènes. de même que les découvertes et les conquêtes fondent leur légitimité aux xve et xvie siècles sur le droit de l’église, la domination coloniale se maintient jusqu’au xviiie siècle sur l’idée d’une minorité religieuse des païens convertis. Dans les mondes asiatiques où il n’y a pas de domination coloniale européenne comparable à l’amérique, les indigènes ont plus rapidement accès au sacerdoce. une histoire de l’église aux dimensions du monde ne peut se limiter à l’analyse de la rhétorique du centre, elle doit étudier les logiques locales d’une institution insérée dans des sociétés coloniales. Dans les sociétés où les projets de christianisation et de colonisation sont intimement liés, et où l’église est dépendante du pouvoir civil, l’église locale participe des mécanismes de domination et d’exclusion sociale qui fondent la société coloniale41. La religion catholique ne peut pourtant être réduite à ce rôle, elle est aussi un langage que les subalternes s’approprient et qu’ils revendiquent comme leur, comme le prouvent la revendication de pouvoir se marier dans le cas des esclaves, ou la revendication de l’ordination pour les indiens ou les hommes libres de couleur. Dans cette revendication, ils peuvent trouver appui auprès des autorités centrales de l’église qui défendent une loi chrétienne unique valable sur toute la terre et refusent des adaptations risquant de remettre en cause l’idée de vérité théologique. charlotte de castelnau-L’estoile université paris-ouest nanterre La Défense

40. charlotte de castelnau-L’estoile, « La liberté du sacrement. Droit canonique et mariage des esclaves dans le Brésil colonial », dans Annales. Histoire, sciences sociales, novembre-décembre 2010, p. 1349-1383. 41.  charlotte de castelnau-L’estoile, «  Des sociétés coloniales catholiques en amérique ibérique à l’époque moderne », dans Religions et colonisation, xvie-xxe siècles, dir. Benoît Falaize et Dominique Borne, ivry-sur-seine, 2009, p. 19-33.

sacramentalité de l’épiscopat et conciliarisme du Xvie au Xviiie siÈcle par

laurent villemin

la présente contribution se propose de suivre le traitement de la question de la sacramentalité de l’épiscopat tel qu’il est réalisé par des théologiens et des juristes dans la période qui s’étend de la in du concile de trente jusqu’au milieu du xviiie siècle. cette question qui pourrait paraître quasi anecdotique comporte cependant une double valeur de symptôme pour la recherche. D’une part, elle met côte à côte théologiens et canonistes et permet de voir les liens (ou l’absence de liens) qui existent entre eux sur une période donnée. D’autre part, les recherches que j’ai dû faire pour préparer cette communication m’ont amené, si ce n’est à changer, au moins à relativiser une hypothèse qui était mienne depuis longtemps concernant le lien entre la théologie de la sacramentalité de l’épiscopat et la conception du pontiicat suprême. en d’autres termes, je croyais auparavant que les tenants de la sacramentalité de l’épiscopat étaient plutôt des conciliaristes, ou des théologiens ou des juristes qui cherchaient à relativiser le pouvoir et le rôle du pape1. en bref, pour eux, airmer la sacramentalité de l’épiscopat, c’est dire que l’évêque reçoit tous les pouvoirs dans sa consécration et que la juridiction qui lui vient du pontife romain ne lui confère aucun pouvoir supplémentaire, mais lui attribue une materia subjecta (pour reprendre l’expression de saint homas) ou assure une régulation. on voit l’intérêt que les conciliaristes pouvaient tirer d’une telle ecclésiologie. De l’autre, les défenseurs du pontiicat suprême étaient davantage portés à relativiser la place de la consécration pour porter l’accent sur la potestas jurisdictionis. ces derniers seront de fervents promoteurs de la distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction. ce schéma reste globalement valable mais j’ai découvert, en travaillant sur certains théologiens et canonistes après le concile de trente, qu’il était moins 1. on en trouvera des traces dans Laurent Villemin, Pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction. Histoire théologique de leur distinction, paris, 2003.

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pertinent que dans la période qui a précédé ce même concile. Je voudrais montrer que l’on trouve de grands ultramontains qui airment la sacramentalité de l’épiscopat. mon exposé se déploiera en deux parties. Je reviendrai d’abord sur la question de la sacramentalité de l’épiscopat pour montrer comment le doute à son sujet s’est insinué chez les théologiens et les enjeux canoniques et théologiques de la question. dans un second temps, je passerai en revue les positions de certains grands juristes et théologiens pour montrer que la situation est plus complexe qu’on ne l’envisage habituellement.

i. — la question de la sacramentalité de l’épiscopat la recherche historique constate qu’aussi loin qu’on remonte dans le temps, un évêque a toujours été consacré par un rite liturgique. la question qui se pose est donc de connaître la nature de cette consécration : est-elle ou non sacramentelle ? La question a commencé à surgir au moyen Âge dès qu’on a voulu déinir des critères de sacramentalité et ixer un septénaire. L’antiquité ne se posait pas ce genre de questions. hugues de saint-Victor († 1141) est l’un des premiers à rédiger un traité De sacramentis. pour lui, l’ordre est un véritable sacrement qui confère un « oice » (oicium) et un « pouvoir » spirituel (potestas). Dans sa classiication des sacrements, l’ordre se situe entre le mariage et l’extrême onction ! pierre Lombard († 1164) écrit dans les Sentences : « Le sacrement de l’ordre est un signe sacré par lequel est conféré un pouvoir spirituel et un oice à celui qui est ordonné ». Les termes sont les mêmes que ceux employés par hugues de saintVictor, mais on note que l’ordre des termes « pouvoir » et « oice » est inversé. par oice il faut comprendre une charge précise, comme par exemple la charge de curé ou d’abbé. La potestas apparaît comme une compétence qui est liée à la personne qui reçoit le sacrement. on peut alors se poser la question de savoir si on peut être ordonné sans recevoir une charge précise (ordinations absolues). Les réponses d’hugues de saint-Victor et de pierre Lombard sont cohérentes sur ce point : oicium et potestas sont liés. or l’histoire qui suit met progressivement l’accent sur la potestas au point d’oublier parfois l’oicium. on sait que les Sentences de pierre Lombard ont structuré toute la théologie pendant deux siècles. et l’idée selon laquelle l’ordination confère un pouvoir devient petit à petit un bien commun de la théologie. D’où la question : quel est ce pouvoir ? et quel est l’objet de cette potestas ? Dans le cas du sacrement de l’ordre, on se concentre alors sur la consécration de l’eucharistie et le pouvoir de remettre les péchés. mais si le pouvoir conféré par le sacrement de l’ordre est celui de consacrer l’eucharistie, il n’y a pas de diférence entre l’évêque et le prêtre : l’évêque n’a pas plus de pouvoir que le prêtre. et si

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l’épiscopat ne difère pas du presbytérat, l’épiscopat est bien une dignitas, mais pas un ordo. c’est la position qui va être tenue par tous les grands scolastiques. un autre point de vue a cependant existé face à celui des religieux : celui des séculiers pour qui l’épiscopat est bien un ordo et un sacramentum. Les séculiers parisiens tentent ainsi de résister à la thèse de l’université de paris. parmi eux Guillaume de saint-amour, nicolas de Lisieux, Gérard d’abbeville, dont les noms ont été quelque peu oubliés du plus grand nombre, mais dont les œuvres ont été conservées. toujours est-il que la position dominante des universitaires parisiens du xiiie siècle a fait entrer l’épiscopat dans une grande turbulence et que cela a perduré jusqu’au concile Vatican ii. L’épiscopat est une dignitas et non un sacrement. au concile de trente, l’ordre est traité à la in du concile, à partir de la XXiiie session. La question de la sacramentalité de l’épiscopat n’est pas expressément dirimée. Concile de Trente, canon 7 de la XXIIIe session : si quelqu’un dit que les évêques ne sont pas supérieurs aux prêtres ; ou qu’ils n’ont pas le pouvoir de conirmer ou d’ordonner ; ou que le pouvoir qu’ils ont leur est commun avec les prêtres ; ou que les ordres conférés par eux sans l’accord ou l’appel du peuple ou de quelque puissance civile sont nuls ; ou que ceux qui n’ont pas été légitimement ordonnés ni envoyés par une autorité ecclésiastique et canonique, mais viennent d’ailleurs, sont des ministres légitimes de la parole et des sacrements ; qu’il soit anathème.

il y a donc bien une diférence entre les prêtres et les évêques. L’évêque doit avoir été légitimement consacré. mais le concile de trente n’en dit pas plus à cause d’une profonde dissension entre les évêques. pour les uns, l’épiscopat est une dignitas, une juridiction qui trouve son origine chez le pontife romain. c’est le point de vue des jésuites, des pères espagnols et des romains. pour les autres, c’est un ordo conféré par la consécration que le pape conirme par une reconnaissance et après laquelle le pape conie une juridiction. c’est notamment la position des pères français et germaniques. mais cette déinition conduit au risque que certains évêques ordonnés ne soient pas en communion avec le pape. on perçoit bien ici le lien entre la question de la sacramentalité et celle du conciliarisme. Le concile a aussi voulu éviter le risque de faire ressurgir la récente crise conciliariste : en disant que c’est le pape qui fait les évêques, on élimine tout risque de conciliarisme. La question était donc, d’une part, politiquement marquée, et d’autre part, dangereuse pour l’unité de l’église qui risquait d’éclater alors même que le concile de trente visait à ressouder l’unité de l’église face aux réformateurs. La question était trop vive pour être traitée sereinement à trente. il faudra attendre le concile Vatican ii et sa constitution dogmatique sur l’église Lumen gentium pour que la question de la sacramentalité de l’épiscopat soit déinitivement tranchée :

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Lumen gentium 21b : pour remplir de si hautes charges, les apôtres furent enrichis par le christ d’une efusion spéciale de l’esprit-saint descendant sur eux (cf. Ac l, 8 ; 2, 4 ; Jn 20, 22-23) ; eux-mêmes, par l’imposition des mains, transmirent à leurs collaborateurs le don spirituel (cf. 1Tm 4, 14 ; 2Tm 1, 6-7) qui s’est communiqué jusqu’à nous à travers la consécration épiscopale. Le saint concile enseigne que, par la consécration épiscopale, est conférée la plénitude du sacrement de l’ordre, que la coutume liturgique de l’église et la voix des saints pères désignent en efet sous le nom de sacerdoce suprême, de réalité totale du ministère sacré. La consécration épiscopale, en même temps que la charge de sanctiier, confère aussi des charges d’enseigner et de gouverner, lesquelles cependant, de par leur nature, ne peuvent s’exercer que dans la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres.

il est donc clair que la consécration épiscopale confère au sein du sacrement de l’ordre la plénitude de ce sacrement. on mesure cependant le chemin entre la mise en question de la sacramentalité de l’épiscopat à la in du xiie siècle et le texte de Vatican ii qui vient dirimer le problème. c’est dans cet entre-deux, et spécialement entre le xvie et le xviiie siècle, que théologiens et canonistes vont exposer des positions variées.

ii. — théologiens et canonistes entre le xvie et le xviiie siècle nous voudrions maintenant scruter la position de quelques théologiens, mais surtout de canonistes.

1. Robert Bellarmin2 (1542-1621) on ne présente plus ce fervent défenseur du pontiicat romain. notre recherche a porté essentiellement sur les trois tomes issus de son enseignement de la théologie de controverse : Disputationes de controversiis idei adversus huius temporis haereticos (1596-1598). il s’oppose à des contradicteurs qui disent que la juridiction vient de l’ordination. La réponse est subtile : quatrièmement ils objectent que pour exercer l’ordre de l’épiscopat, la juridiction est nécessaire, donc Dieu qui confère l’ordre, confère aussi la 2. Voir X. Le Bachelet, art. « Bellarmin », dans Dictionnaire de théologie catholique, éd. alfred Vacant, eugène mangenot, émile amman, paris, 1908, t.  ii/1, col.  560-599 et Jean-robert armogathe, art. « Bellarmin », dans Dictionnaire critique de théologie, dir. Jean-Yves Lacoste, paris, 2002, p. 157-158.

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juridiction. Je réponds que l’un et l’autre sont conférés par dieu, mais l’un immédiatement, l’autre de manière médiate ; parce que l’un, c’est-à-dire le pouvoir d’ordre, requiert le caractère et la grâce, que dieu seul peut produire ; l’autre, c’est-à-dire la juridiction, requiert seulement la volonté du supérieur. cinquièmement ils objectent que le pontife suprême appelle les évêques « frères » et « collègues », donc qu’ils sont mis à la tête de l’église par un seul père commun, Dieu. Je réponds que d’abord ils sont appelés « frères » en raison de l’ordre épiscopal dans lequel ils sont égaux. Deuxièmement, selon la juridiction, parce que les évêques sont associés par le pontife pour soutenir sa propre charge3.

La réponse à la première objection souligne que l’ordre et la juridiction viennent de Dieu et Bellarmin tombe d’accord là-dessus avec ses contradicteurs. par contre, il airme que l’un, le pouvoir d’ordre, vient immédiatement et l’autre, le pouvoir de juridiction, de manière médiate. aucune raison ou justiication d’ordre théologique n’est ici avancée, si ce n’est que l’un concerne la grâce de Dieu et l’autre seulement la volonté du supérieur. on pourra estimer l’argument relativement faible. Dans la seconde objection que nous rapportons ici, on notera simplement l’égalité dans l’épiscopat entre le pontife et les évêques, mais également l’association des évêques dont Bellarmin fait état pour soutenir la charge du pape. il y a également une prise de position théologique majeure dans l’utilisation du terme d’ordo episcopalis. L’épiscopat est donc bien envisagé par Bellarmin comme un ordre. D’ailleurs dans le De Clericis on lit : mais l’église catholique reconnaît la distinction, et enseigne de droit divin que l’épiscopat est plus grand que le presbytérat, aussi bien par le pouvoir d’ordre que par le pouvoir de juridiction : ainsi parle en efet le concile de trente à la session 23, chapitre 4 […]. nous renonçons donc à cette question qui relève de la dispute sur les sacrements ; y a-t-il un seul ordre, un seul sacrement de l’épiscopat, et du presbytérat, ou deux ? nous entreprenons de démontrer trois choses. premièrement, que l’évêque est plus grand que le prêtre de droit divin, parce qu’il détient le pouvoir d’ordre. Deuxièmement, qu’il est plus grand même quant à la juridiction. 3.  robert Bellarmin, Disputationes de controversiis idei adversus huius temporis haereticos, ingolstadt, 1596-1597, t.  i  : De Romano Pontiice, liv.  iV, chap.  XXV, col.  1072  : QUARTO obiiciunt, ad ordinem Episcopatus exercendum necessaria est iurisdictio, ergo Deus qui confert ordinem, confert etiam iurisdictionem. RESPONDEO, utrumque a Deo conferri, sed unum immediate, alterum mediate ; quia unum ; id est, potestas ordinis requirit characterem, et gratiam, quam solus Deus eicere potest ; alterum, id est, iurisdictio solum requirit superioris voluntatem. Obiiciunt QUINTO, summus Pontifex Episcopatus vocat fratres, et collegas, igitur ab uno communi Patre Deo Ecclesiae praeiciuntur. RESPONDEO, primum vocari fratres ratione ordinis Episcopalis, in quo sunt aequales. Secundo ratione iurisdictionis, quia assumuntur Episcopi a Pontiice ad suum ipsius onus sustentandum, non ad aliquod inferius ministerium.

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troisièmement que les évêques dans l’ancienne église ne se rassemblent pas dans l’assemblée des prêtres, comme des consuls en sénat, mais comme des rois et des princes dans l’assemblée des conseillers4.

il est clair que Bellarmin prend franchement parti, si ce n’est pour la sacramentalité de l’épiscopat, au moins pour sa supériorité sur le presbytérat, tournant ainsi le dos à toute une école de la théologie médiévale qui considérait que, du point de vue de l’ordre, l’évêque n’était pas supérieur au prêtre car il n’avait pas davantage de pouvoir que celui-ci sur le corps eucharistique.

2. Gianvincenzo Bolgeni5 (1733-1811) avec cet auteur, nous faisons un saut de deux siècles. Bergamasque, entré dans la compagnie de Jésus en 1747, il devient professeur de philosophie et de théologie à macerata. il est particulièrement connu pour son combat contre les jansénistes et les joséphistes. L’episcopato ossia della potestà di governar la Chiesa. Dissertazione divisa in due parti6 ne fait pas exception à la règle de l’œuvre polémique. alors que la première partie présente dans une visée apologétique sa conception de l’épiscopat, la seconde réfute les thèses de gennaro cestari, qui n’a rien d’un théologien de renom. il a également à son actif un certain nombre d’ouvrages de sciences naturelles… c’est un prêtre érudit du royaume de naples qui, excédé par les fréquentes et trop longues vacances de sièges épiscopaux dans son royaume, préconise que le peuple élise les évêques qui pourraient très bien se passer d’une conirmation de leur élection par rome. il développe cette théorie dans Lo spirito della giuridizione ecclesiastica sull’ordinazione de’ vescovi (naples, 1788). dès la première phrase de son livre de présentation de l’épiscopat, g. Bolgeni s’exprime ainsi : Les évêques sont disposés par l’esprit saint pour diriger l’église de Dieu : par conséquent l’épiscopat n’est pas autre chose que le pouvoir de diriger

4. Ibid., t. i : De membris Ecclesiae militantis, liv. i, chap. XiV, col. 1593-1594 : At Ecclesia Catholica distinctionem agnoscit, ac docet iure divino Episcopatum Presbytero maiorem esse, tum ordinis potestate, tum etiam iurisdictione : sic enim loquitur Concilium Trident. Sess 23, cap 4. […] Nos igitur omissa illa quaestione, quae ad disputationem de Sacramentis pertinet ; sitne unus ordo unumue Sacramentum Episcopatus, et Presbyterii, aut duo : tria demonstrare conabimur. PRIMO, iure divino maiorem esse Episcopum Presbytero, quod attinet ad ordinis potestatem. SECUNDO, maiorem esse etiam quantum ad iuris dictionem. TERTIO, Episcopos in veteri Ecclesiae non fuisse in coetu Presbyterorum ; quasi Consules in senatu sed quasi Reges ac Principes in coetu Consiliariorum. 5. Voir p. Bernard dans Dictionnaire de théologie catholique, t. ii/1, col. 944-947. 6.  Gianvincenzo Bolgeni, L’episcopato ossia della potestà di governar la Chiesa. Dissertazione divisa in due parti, rome, 1789.

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et de gouverner cette même église, ceci comprenant le pouvoir dit d’ordre et le pouvoir dit de juridiction, lesquels deux pouvoirs nous distinguerons et expliquerons par la suite (inf. num. 78. seqq.)7.

dans un premier temps, il airme explicitement que « l’ordre peut être conféré, ainsi que le caractère épiscopal, sans que soit conférée aucune juridiction, qu’elle soit ordinaire, propre, ou native ». La démonstration d’une telle possibilité se limite à une liste d’exemples : celui des évêques coadjuteurs, des chorévêques, des évêques ordonnés pour le seul honneur et des évêques déposés ou qui ont renoncé à leur charge épiscopale. à propos de ces derniers, G. Bolgeni airme : Voici un évêque, qui a non seulement le caractère, mais également le rang et les honneurs d’un évêque ; pourtant il n’a aucune juridiction sur aucun peuple ex propria auctoritate sur un véritable peuple, ou une église, et il ne peut exercer le ministère épiscopal si ce n’est par juridiction déléguée et provisoire, nisi concessionis ratione. il peut donc avoir l’ordre, et le caractère épiscopal sans en avoir la juridiction8.

L’élection, même si elle donnait la juridiction, ne donnerait pas l’ordre. or, l’épiscopat comporte les deux. L’auteur donne également l’exemple du vicaire capitulaire qui gouverne le diocèse pendant la vacance du siège sans être évêque mais en ayant la juridiction épiscopale. il avance comme raison la nécessité que l’église n’erre pas à cause d’un évêque élu qui ne serait pas consacré ou d’un vicaire capitulaire qui ne pourrait exercer sa juridiction épiscopale et il conclut : « il est donc indubitable que la juridiction épiscopale puisse être séparée de l’ordre et exercée même par quelqu’un qui n’est pas évêque du point de vue du caractère ». nous ne sommes plus ici en présence d’une distinction entre le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction, mais bien d’une séparation et l’auteur n’hésite pas à employer ce vocabulaire. c’est l’aspect essentiel auquel aboutit la systématisation de G. Bolgeni dans ce premier ouvrage. La suite de son livre concerne davantage la juridiction et ses multiples divisions dans lesquelles nous n’entrerons pas car elles dépassent les limites strictes de notre sujet. 7. Ibid., p. 1 : « Vescovi sono posti dallo spirito santo a reggere la chiesa di Dio : L’episcopato pertanto altro non è che la potestà di reggere e governare questa medesima chiesa, intentendo si la potestà chiamata di ordine, si la potestà chiamata di giurisdizione, le quali due potestà distingueremo, e spiegheremo in appresso (inf. num. 78. seqq.) ». 8. Ibid., p. 151 : « ecco un Vescovo, che ha non solamente il carattere, ma ancora il rango, e gli onori di Vescovo ; eppure non ha giurisdizione alcuna ex propria auctoritate sopra verum populo, o chiesa, e che non puo esercitare il ministro episcopale se non per giurisdizione delagata e precaria, nisi concessionis ratione. si puo dunque avere l’ordine, et il carattere episcopale senza averne la giurisdizione ».

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le même auteur publie en 1791 un opuscule contenant trois textes. Analisi e difesa del libro intitotato [sic] L’episcopato et Dissertazione di Gianvincenzo Bolgeni sulla giurisdizione ecclesiastica in confutazione di una diatriba del teologo Giorgio Sicardi9. les deux premiers recueils (Analisi e difesa) portent sur l’ouvrage dont nous venons de rendre compte. le premier est une reprise synthétique des idées développées et le second une défense contre les attaques dont l’opuscule a pu faire l’objet. on ne relève aucun développement nouveau qui ne reprenne déjà ce que nous venons de découvrir, si ce n’est que dans le chapitre premier de ses Analisi, l’auteur est encore plus explicite sur la distinction et surtout la description de l’un et l’autre pouvoir : Le pouvoir d’ordre regarde immédiatement la sanctiication interne de l’âme avec l’administration des sacrements, par le moyen desquels Dieu insule la première grâce sanctiiante, ou par lesquels la grâce déjà infuse s’accroît. Le pouvoir de juridiction regarde immédiatement le règlement externe des œuvres ordonnées au culte de Dieu et à l’exercice des vertus10.

cette distinction entre « l’interne » et « l’externe », en même temps qu’elle est employée pour la première fois, est également révélatrice d’une conception individualisée à l’extrême du sacrement qui a perdu ici sa dimension ecclésiale pour ne regarder que la sanctiication de l’âme. on ne voit plus très bien comment on pourrait alors articuler théologiquement ces deux dimensions, l’une touchant à l’essence de l’âme et l’autre étant reléguée, presque de manière péjorative, dans la dimension extérieure. Les œuvres de G. Bolgeni constituent un tournant du point de vue de l’histoire théologique de la distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction. c’est en efet la première fois qu’un traité de l’épiscopat est structuré selon cette distinction. ce choix est poussé très loin puisqu’il va jusqu’à une séparation explicitement annoncée par l’auteur entre les deux pouvoirs. Les démonstrations abondent pour prouver que l’on peut trouver un des pouvoirs sans l’autre et que cela ne s’oppose pas à la tradition de l’église. 9.  Gianvincenzo Bolgeni, Analisi e difesa del libro intitotato [sic] L’episcopato et Dissertazione di Gianvincenzo Bolgeni sulla giurisdizione ecclesiastica in confutazione di una diatriba del teologo Giorgio Sicardi, rome, 1791. une nouvelle édition qui paraît en 1824 à rome regroupe l’œuvre dont nous avons rendu compte précédemment, et qui constitue les quatre premiers volumes, et le petit livre de 1791 qui correspond au cinquième volume. 10.  G. Bolgeni, Analisi e difesa…, rome, 1791, p.  6  : «  La potestà di ordine risguarda immediatamente l’interna santiicazione delle anime coll’ amministrazione de’sacramenti, per mezzo de’quali si infonde da Dio la prima grazia santiicante, o questa gia infusa si accresce. La potestà di guirisdizione risguarda immediatamente l’esterno regolamento delle opere in ordine al culto di Dio, e all’exercizio delle virtù ».

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regardons à présent du côté de quelques juristes. dès la in du xvie siècle, on va assister à une loraison d’œuvres en matière de droit canonique d’une remarquable ampleur tant du point de vue de leur qualité que de leur volume et qui organisent et systématisent les idées anciennes. malgré la diversité des méthodes auxquelles nous ferons allusion, il ne semble pas arbitraire de classer ces canonistes sous l’appellation générale de l’universum ius canonicum. il s’agit d’un commentaire des Décrétales qui emprunte sa méthode à la fois aux Institutiones et à une lecture plus libre selon les auteurs.

3. Giovan Paolo Lancellotti11 (1522-1590) lancellotti reprend la méthode des Institutiones héritée du droit romain. avec l’appui de paul iV, il rédige le texte de son enseignement sur le modèle des Institutes de Justinien. ayant attendu en vain que le pape les promulgue, il les publie sous le titre Institutiones iuris canonici (pérouse, 1563). cet ouvrage sera traduit en français par le gallican pierre-toussaint Durand de maillane, sous le titre Institutes du droit canonique, Lyon, 1770. Dans le titre V, De Episcopis et Summo Pontiice, G. Lancellotti précise à de nombreuses reprises au sujet de l’évêque qu’il exerce une potestas tam Ordinis quam iurisdictionis ou encore potestatem Episcoporum esse ordinis, et iurisdictionis12, mais nous n’avons trouvé aucun passage où l’auteur prend le soin de préciser ce qu’il entend par l’un et l’autre pouvoir. on retrouve également la distinction quand il est question des pouvoirs que peut exercer l’évêque après sa conirmation, d’une part, et après sa consécration, d’autre part. L’auteur, en citant d’ailleurs le panormitain — comme il le fait souvent —, reprend une position que l’on peut maintenant qualiier de classique, à savoir qu’ après sa conirmation l’évêque dispose du pouvoir de juridiction et qu’une fois consacré il possède le pouvoir d’ ordre. La position du canoniste est donc ici d’airmer la sacramentalité de l’épiscopat et que, si la consécration confère l’ordre, la conirmation donne la juridiction.

4. Agostino Barbosa13 (1590-1649) D’origine portugaise, il étudie à coimbra puis à rome. il devient consulteur de la congrégation de l’index avant de repartir à madrid en 1634 et, proche de philippe iV, d’être nommé évêque de ugento. une œuvre de Barbosa nous occupera davantage : son Iuris ecclesiastici universi libri III in quibus de personis, 11. sur paolo Giovan Lancellotti, on consultera le Dictionnaire de droit canonique, dir. raoul naz, paris, 1957, t. Vi, col. 333 et charles Lefebvre, art. « Lancellotti », dans Catholicisme, paris, 1967, t. Vi, col. 1757-1758. 12. paolo Giovan Lancellotti, Institutiones iuris canonici, liv. i, tit. V, 42. 13. pour une bibliographie complète, on consultera le Dictionnaire de droit canonique, t. ii, col. 387.

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de locis, de rebus ecclesiasticis plenissime agitur14 se présente comme une approche et une présentation de l’ensemble du droit canonique. la consultation de l’index aussi bien à ordo qu’à iurisdictio oriente sans surprise le lecteur vers le chapitre Viii, De Episcopis, et eorum electione. après une présentation générale de l’épiscopat, l’auteur justiie face aux « hérétiques » que l’évêque est bien supérieur au prêtre : mais en vérité il y a peu d’opposants à ce qu’on doive tenir de foi que les évêques, aussi bien quant au pouvoir de juridiction qu’au pouvoir d’ordre, sont supérieurs aux ministres sacerdotaux ou aux prêtres. […] ensuite il est prouvé, parce qu’il est hautement reconnu pour vrai, que le pouvoir tant d’ordre que de juridiction coïncide pour les évêques dans leur diocèse […]. efectivement le pouvoir d’ordre est commun aux prêtres et aux évêques et quelques autres ministres, excepté pour conirmer, ordonner. Donc il en résulterait de manière particulièrement manifeste que les évêques sont supérieurs aux prêtres quant au pouvoir de juridiction, comme il est évident que ces derniers n’en ont aucun, mais les autres ont pleine juridiction dans leurs diocèses. mais quant au pouvoir d’ordre il en va de même, puisque conférer le sacrement de conirmation, conférer les ordres, et de nombreuses autres fonctions de l’ordre ont été réservées aux seuls évêques, et elles sont entièrement refusées aux prêtres, comme on le prouve à propos du sacrement de l’ordre15…

L’argument est qu’il y a une diférence entre l’ordre des prêtres et des évêques à partir de ce qu’ils peuvent faire.

5. Ludwig Engel16 (1600-1674)

canoniste autrichien bénédictin de melk, docteur de l’université de salzbourg, il y devient professeur de droit canonique en 1660. il est connu 14. agostino Barbosa, Iuris ecclesiastici universi libri III in quibus de personis, de locis, de rebus ecclesiasticis plenissime agitur, Lyon, 1718 (1re édition à Lyon en 1633-1634). 15. agostino Barbosa, Iuris ecclesiastici universi libri…, partie i, liv. i, chap. Viii, n° 8, 116117 : Verum his minime obstantibus, de ide tenendum est Episcopos, tam in potestate iurisdictionis, quam in potestate ordinis Sacerdotibus, seu Presbyteris Superiores esse. […] Probatur deinde, quia comprobatissimum est, tam Ordinis, quam Jurisdictionis potestatem competere Episcopis in suis Diocesibus […]. Sacerdotibus vero esse communem Ordinis potestatem cum Episcopis, exceptis ordinandi, conirmandi, nonnullisque aliis ministeriis. Ergo sit consequens manifestissimum, quoad potestatem iurisdictionis Episcopos Superiores esse Presbyteris, cum constet hos nullam, illos plenam in suis diocesibus habere jurisdictionem. Quoad potestatem vero Ordinis idem ostenditur, siquidem Sacramentum Conirmationis conicere, Ordinis conferre, multaque alia Ordinis ministeria solis Episcopis fuere reservata, et Presbyteris omnino denegantur, ut de sacramento Ordinis Probat… trad. de l’auteur 16. Voir Dictionnaire de droit canonique, t. V, col. 342-343.

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comme l’un des promoteurs et défenseurs des droits de la papauté. de ce canoniste, nous examinerons l’œuvre principale, Collegium universi iuris canonici17, qui connut plusieurs éditions et eut un grand succès jusque dans les milieux protestants. l’auteur y reprend le plan des Décrétales, mais son ouvrage, s’il se présente comme un commentaire, n’hésite pas à prendre ses distances par rapport au texte. on retrouve les éléments habituels de description du pouvoir et de la mission de l’évêque. elle se voit alors appliquée au ministère épiscopal en général et non plus seulement à la période transitoire qui sépare la conirmation de la consécration : or le pouvoir de l’évêque est divisé en pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction. Le pouvoir d’ordre dépend de l’ordre et du caractère épiscopal, ici vraiment du sacerdoce et de la consécration. et ce pouvoir consiste principalement en trois choses, à savoir conirmer, ordonner, et consacrer, et il est de coutume qu’il soit exercé en vêtements et ornements pontiicaux. Le pouvoir de juridiction est celui par lequel l’évêque est constitué juge et pasteur de son église, ain qu’il puisse trancher des procès, conférer des bénéices, visiter, corriger, et ce pouvoir lui est donné par l’élection canonique suivie de la conirmation18.

pour lui la sacramentalité ne fait pas problème mais le durcissement de la distinction entre potestas ordinis et potestas jurisdictionis fait du pouvoir de juridiction une des sources de l’épiscopat.

6. Zeghert Bernhard Van Espen19 (1646-1728) il lutte contre la conception précédente. né à Louvain, il devient titulaire de la chaire de droit canonique de l’université de cette ville. unanimement reconnu par ses pairs, sa réputation fut cependant ternie par ses thèses gallicanes en faveur des jansénistes qu’il soutint durant les vingt dernières années de sa vie. 17.  Ludwig engel, Collegium universi iuris canonici, salzbourg, 1712 (8e éd. ; la première édition paraît de 1671 à 1674). 18.  Ibid., liv.  i, tit.  XXXiii, §  5, n°  36-37, 226-227: Dividitur autem potestas Episcopi in potestatem Ordinis, et potestatem Jurisdictionis  : Potestas Ordinis dependet ab Ordine et charactere Episcopali, his vero a Sacerdotio et consecratione. Et haec potestas consistit potissimum in tribus, scil. in conirmando, ordinando, et consecrando, soletque exerceri in vestibus et ornamentis pontiicalibus. Potestas iurisdictionis est, per quam Episcopus constituitur Judex, et Pastor Ecclesiae suae, ut possit decidere lites, conferre beneicia, visitare, corrigere, etc.  : et datur haec Potestas per Canonicam electionem secuta conirmatione. 19.  Voir Dictionnaire de droit canonique, t.  iV, col.  457-461. comme bibliographie, on consultera michel nuttinck, La vie et l’œuvre de Zeger-Bernard Van Espen. Un canoniste janséniste, gallican et régalien à l’université de Louvain (1646-1728), Louvain, 1969.

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au chapitre V du titre XV de son Ius ecclesiasticum universum : De Consecratione Episcoporum20, l’auteur opère une relecture historique pour montrer que pendant de nombreux siècles l’évêque n’acquérait aucun droit avant la consécration. ce type de mise en perspective historique d’un concept est suisamment rare à l’époque pour qu’il soit cité : i. pendant de nombreux siècles la consécration des évêques ne fut pas distinguée de leur conirmation, nous ne l’avons pas noté une seule fois par le passé ; et de plus nous avons observé qu’autrefois par l’élection du clergé et du peuple aucun droit n’avait été particulièrement acquis par l’élu, et pendant de nombreux siècles on a ignoré que par l’élection l’élu acquérait le jus ad rem, mais par la conirmation le jus in re ; en efet, l’époque des pères a ignoré ceci. ii. Donc au temps de cette discipline, l’élu n’avait aucun droit dans l’administration de son église ; et un pasteur d’église ou un prélat n’était pas considéré comme tel avant la consécration ; mais l’évêque était précisément institué par la conirmation ou l’ordination. ainsi pour les pères, ordonner ou consacrer un évêque équivalait à instituer un évêque, ou à pourvoir une église d’un évêque : et on ne repère aucune diférence dans les sacrés canons durant ces dix premiers siècles de l’église. ainsi si nous regardons l’ancienne discipline de cette époque, précisément par la consécration les évêques recevaient toute autorité et le pouvoir, aussi bien en ce qui concerne ce qu’on dit être de juridiction, que d’ordre. aucun des deux n’était transmis sans l’autre chez les évêques. iii. mais l’époque ultérieure, qui commence à distinguer la conirmation de la consécration, enin a séparé aussi ce qui relève de l’ordre de ce qui relève de la juridiction. et par la conirmation avant la consécration elle a voulu transmettre ce qui relève de la juridiction chez l’évêque, bien au contraire par la conirmation elle a voulu que le pasteur ou le prélat d’église soit institué sans consécration, que le gouvernement de l’église soit rendu exécutoire, excepté ce qui relève de l’ordre, mais, pour que cela soit conféré et consacré dans son église ou pour ses sujets par d’autres évêques, il peut le permettre ou le déléguer ; comme nous l’avons exposé plus amplement dans le titre précédent cap. 4. latius ostendimus21. 20. Zeghert Bernhard Van espen, Ius ecclesiasticum universum, naples, 1766. 21. Ibid., partie i, tit. XV, chap. V, § 1-3, 215-216 : Multis seculis Consecrationem Episcoporum haud fuisse ab eorum Conirmatione sejunctam, non semel in praecedentibus notavimus ; ac insuper observavimus, olim per electionem Cleri, et Plebis nullum proprie jus Electo fuisse acquisitum, multisque seculis ignotum fuisse per electionem acquiri Electo jus ad rem, per Conirmationem vero jus in re ; haec enim Patrum aetas ignoravit. ii. Hac ergo disciplina durante, Electus nullum ius habebat in administratione habebat ; neque Ecclesiae Pastor, aut Praelatus habebatur ante Consecrationem ; sed demum per Consecrationem, sive Ordinationem Episcopus constituebatur. Unde Patribus idem erat, Ordinare aut Consecrare Episcopum; et constituere Episcopum, aut Ecclesiae de Episcopo providere : neque inter illa decem primis Ecclesiae

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iii. — conclusion on aura donc repéré que les théologiens et les canonistes qui défendent la sacramentalité de l’épiscopat ne sont pas que les conciliaristes ou autres gallicans. les derniers auteurs cités montrent que l’on peut à la fois opter pour la sacramentalité de l’épiscopat et défendre un pouvoir fort du pontife romain. on aura également constaté que, inalement, la question est moins celle de la sacramentalité de l’épiscopat que celle des efets de cette ordination. la question de la sacramentalité est tranchée à vatican ii. La question des efets l’est-elle clairement ? La réponse à cette question nous sortirait de notre époque. Laurent Villemin institut catholique de paris

seculis in Sacris Canonibus ullum discrimen reperitur. Itaque si pristinam illorum temporum disciplinam spectemus, per Consecrationem demum, omnem accipiebant Episcopi auctoritatem, et potestatem ; tam quoad ea quae jurisdictionis, quam quae Ordinis dicuntur. Neque illa sine his in episcopos transibant. iii. At posterior aetas, quae Conirmationem a Consecratione distinguere coepit, etiam ea, quae iurisdictionis sunt, ab his, quae Ordinis sunt tandem separavit ; atque per Conirmationem ante Consecrationem, quae jurisdictionis sunt in Episcopum transire voluit ; imo per Conirmationem Pastorem, ac Praelatum Ecclesiae sine Consecratione constitui ; omnesque regimen Ecclesiae committi : solis iis exceptis, quae Ordinis sunt ; quae tamen ut in Ecclesia sua, aut Subditis suis per alios Episcopos conferantur, et impedantur, permittere, aut delegare potest ; uti titulo praecendenti cap.  4 latius ostendimus.

Deuxième section OMNES UT SINGULI les ecclésiologies et les pouvoirs

entre antiromanisme catholique et répuBlicanisme aBsolutiste : paoLo sarpi (1552-1623) et La DéFense Du Bien puBLic au temps De La crise De L’interDit Vénitien (1606-1607) par

sylvio hermann De Franceschi

au premier âge baroque, le souverain pontiicat doit afronter le feu roulant de critiques particulièrement virulentes et qui lui sont adressées du sein même de la catholicité. on assiste alors à un vaste mouvement de consolidation d’un antiromanisme catholique dont les origines remontent au moyen Âge mais qui tire désormais proit de l’expression récente des doctrines de la raison d’état1. pour la première fois formulée dans les célèbres Disputationes de controuersiis christianæ idei (1586-1593) du jésuite robert Bellarmin (1542-1621), la thèse de la potestas indirecta du pontife romain in rebus temporalibus – qui revendique pour le pape le droit d’intervenir au temporel pour autant que les intérêts du 1. sur les doctrines de la raison d’état, voir d’abord les études classiques de Giuseppe tofanin, Machiavelli e il tacitismo : la politica storica al tempo della controriforma, padoue, 1921 ; rééd. naples, 1972 ; de Friedrich meinecke, Die Idee der Staatsräson in der neueren Geschichte, munich/Berlin, 1924 ; L’idée de la raison d’état dans l’histoire des Temps modernes, trad. fr. maurice chevallier, Genève, 1973 ; d’étienne huau, Raison d’état et pensée politique à l’époque de Richelieu, postface de Gérard  mairet, paris, 1966 ; rééd. paris, 2000 ; et de rodolfo De mattei, Il problema della « ragion di Stato » nell’età della Controriforma, milan/naples, 1979. consulter ensuite La raison d’état : politique et rationalité, éd. christian Lazzeri et Dominique reynié, paris, 1992 ; Le pouvoir de la raison d’état, éd. ch. Lazzeri et D. reynié, paris, 1992 ; et Raison et déraison d’état, dir. Yvescharles Zarka, paris, 1994, en particulier marcel Gauchet, « L’état au miroir de la raison d’état : la France et la chrétienté », p. 193-244. pour une présentation synthétique, consulter Gérald sfez, Les doctrines de la raison d’état, paris, 2000 ; et pour un récent état des lieux, voir Revue de synthèse, t. 130/2, 2009 : Réalisme et mythologie de la raison d’état. 1. Une question de mémoire historique, dir. Laurie catteeuw, et t. 130/3, 2009 : Réalisme et mythologie de la raison d’état. 2. Des combats pour l’histoire, dir. Laurie catteeuw.

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spirituel le requièrent – suscite de très hostiles réactions de la part de nombre de théologiens catholiques2 ; elle est au cœur des débats engendrés, au début du xviie siècle, par la crise de l’interdit vénitien (1606-1607)3. Face aux prétentions des défenseurs du saint-siège et aux arguments du cardinal Bellarmin, qui a pris part très active à la querelle, il est revenu au servite vénitien paolo sarpi (15521623) de justiier l’attitude de la sérénissime et d’incarner pour longtemps en péninsule italienne le ier rejet d’une centralité romaine instaurée dans l’église par les pères tridentins4. sarpi devait rapidement devenir le glorieux symbole d’une résistance acharnée des catholiques antiromains à l’incroyable volonté de puissance développée par le pontiicat post-tridentin. 2. sur l’ecclésiologie de Bellarmin, voir Joseph de La servière, La théologie de Bellarmin, paris, 1909 ; Franz Xaver arnold, Die Staatslehre des Kardinals Bellarmin. Ein Beitrag zur Rechts- und Staatsphilosophie des konfessionellen Zeitalters, munich, 1934 : et, plus récemment, Franco motta, Bellarmino. Una teologia politica della Controriforma, Brescia, 2005, et stefania tutino, Empire of Souls. Robert Bellarmine and the Christian Commonwealth, oxford, 2010. on se permet également de renvoyer à sylvio hermann De Franceschi, «  L’autorité pontiicale face au legs de l’antiromanisme catholique et régaliste des Lumières : réminiscences doctrinales de Bellarmin et de suárez dans la théologie politique et l’ecclésiologie catholiques de la mi-xviiie siècle à la mixixe siècle », dans Archivum Historiæ Pontiiciæ, t. 38, 2000, p. 119-163 ; id., « Le pouvoir indirect du pape au temporel et l’antiromanisme catholique des âges pré-infaillibiliste et infaillibiliste  : références doctrinales à Bellarmin et à suárez dans la théologie politique et l’ecclésiologie catholiques du début du xixe siècle à la mi-xxe siècle », dans Revue d’histoire de l’église de France, t. 88, 2002, p. 103-149, et id., « Le modèle jésuite du prince chrétien. à propos du De oicio principis Christiani de Bellarmin », dans xviie siècle, n° 237, 2007, p. 713-728. 3. Voir s. De Franceschi, Raison d’état et raison d’église. La France et l’Interdit vénitien (16061607)  : aspects diplomatiques et doctrinaux, paris, 2009, et id., La crise théologico-politique du premier âge baroque. Antiromanisme doctrinal, pouvoir pastoral et raison du prince : le Saint-Siège face au prisme français (1607-1627), rome, 2009. 4.  sur sarpi, voir en premier lieu les études classiques de Federico chabod, La politica di Paolo Sarpi, rome, 1952, repris dans id., Scritti sul Rinascimento, turin, 1967, p.  459-590 ; de Gaetano cozzi, Paolo Sarpi tra Venezia e l’Europa, turin, 1979 ; de David wootton, Paolo Sarpi. Between Renaissance and Enlightenment, cambridge, 1983 ; et de Vittorio  Frajese, Sarpi scettico. Stato e Chiesa a Venezia tra cinque e seicento, Bologne, 1994. pour de récentes mises au point, voir Paolo Sarpi. Politique et religion en Europe, éd. marie Viallon, paris, 2010. on se permet également de renvoyer à s. De Franceschi, « Les irrémédiables brisures de la chrétienté de l’histoire. paolo sarpi entre idée italienne et idéal chrétientaire », dans Le sentiment national dans l’Europe méridionale aux xvie et xviie siècles (France, Espagne, Italie), éd. alain tallon, madrid, 2007, p. 273293, id., « paolo sarpi et Fulgenzio micanzio. L’extrémisme catholique antiromain du début du xviie siècle », dans Antiromanisme doctrinal et romanité ecclésiale dans le catholicisme posttridentin (xvie-xxe siècles). Actes de la journée d’études de Lyon (30 novembre 2007), éd. s. De Franceschi, Lyon, 2009 (chrétiens et sociétés. Documents et mémoires, 7), p. 45-71 ; id., « antiromanisme catholique et liberté ecclésiastique. La question de la libertas ecclesiastica au temps de l’interdit vénitien (1606-1607) », dans Libertas ecclesiæ. Esquisse d’une généalogie (1650-1800), éd. stéphane-marie morgain, paris, 2010, p. 113-133 ; et id., « romanité et universalité de la communauté ecclésiale. Le débat catholique sur les caractères de la véritable église au temps de paolo sarpi », dans Paolo Sarpi. Politique et religion…, p. 105-138.

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les causes ponctuelles de la crise vénitienne qui éclate un an après que le pape paul V a accédé au trône de saint pierre sont connues. Le 17 avril 1606, le nouveau pontife fulmine la bulle Superioribus mensibus par quoi il excommunie le doge et le sénat de la sérénissime et impose au territoire de la république lagunaire le plus drastique des interdits ecclésiastiques. à l’origine de la sentence pontiicale, l’adoption par la seigneurie de trois lois qui allaient, d’après paul V, à l’encontre de la liberté de l’église : la première, du 23 mai 1602, réglait la question de la dévolution des biens immeubles autrefois ecclésiastiques et depuis détenus en emphytéose par des laïques en tranchant l’épineux dilemme au détriment des gens d’église dans le cas d’une extinction de la lignée directe de l’emphytéote ; la deuxième, du 10 janvier 1603, interdisait la construction d’édiices religieux, églises, monastères, hospices, sans l’expresse autorisation préalable du pouvoir séculier ; la troisième, du 26 mars 1605, limitait sévèrement la capacité des sujets vénitiens de faire des legs pieux et faisait prohibition d’aliéner perpétuellement des biens immeubles laïques en faveur de personnes ecclésiastiques sans accord de la puissance lagunaire. autre grief retenu par le souverain pontife à l’encontre des autorités vénitiennes, la bruyante incarcération, durant l’été 1605, de scipione saraceni, chanoine de Vicence, accusé d’avoir rompu les sceaux publics apposés aux portes de la chancellerie de l’évêché vicentin, alors vacant, et surtout d’avoir poursuivi de ses indécentes assiduités une veuve de la noblesse du lieu, allant jusqu’à souiller sa porte d’excréments après que ses avances véhémentes ont été, et fort vaillamment, repoussées. presque au même moment, le redouté conseil des Dix se saisissait de la personne de marcantonio Brandolin Valdemarin, abbé de nervesa, à qui l’on reproche, entre autres, empoisonnement, homicide, inceste, parricide, escroqueries, stupre, viols et violences diverses. assurément peu fréquentable, l’abbé entretient chez lui un prêtre sinistrement renommé pour ses pratiques de sorcellerie et ses vénéneuses compétences ; il fait régulièrement bastonner ses concitoyens quand ils ont le malheur de lui déplaire ; il entretient des relations charnelles avec sa propre sœur. si la dignité ecclésiastique du chanoine et de l’abbé pouvait sans doute leur valoir le droit de n’être déférés que devant un tribunal d’église, la gravité des chefs d’inculpation, criminels ou relatifs à l’ordre public, les qualiiait sans contredit pour une justice civile. on n’entend pas ici revenir sur le détail des événements qui ont jalonné une crise diplomatique d’une très rare intensité, mais plutôt s’intéresser à la portée doctrinale du discours tenu par les autorités lagunaires et leurs défenseurs. nommé consulteur in iure de la sérénissime le 28 janvier 1606, sarpi a mis ses compétences de canoniste et de théologien au service de la cause vénitienne dès le début du conlit. au il des nombreux textes qu’il rédige entre 1606 et 1607, le servite construit une ecclésiologie antiromaine qui va lui valoir l’estime et

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même la sympathie des gallicans5, mais qui, par sa violence, son intransigeance et son extrémisme, dépasse manifestement les conséquences régalistes du gallicanisme classique pour déboucher sur l’expression d’un républicanisme désormais clairement absolutiste. dans sa célèbre étude sur l’Histoire de la raison d’état (1860), le publiciste italien giuseppe Ferrari (1811-1876)6, acquis à la cause du risorgimento, faisait de sarpi un penseur machiavélien qui avait opposé la dimension républicaine de l’œuvre de l’illustre secrétaire lorentin au machiavélisme monarchique adopté par la papauté. dans son combat contre le cardinal Bellarmin et les jésuites romains, le servite s’était fait l’apologiste d’une raison d’état encore plus puissante et débridée que celle qu’il dénonçait chez ses adversaires : « tous les instrumenta imperii, tous les arcana imperii, toutes les abominations du machiavélisme, [sarpi] les met au service de l’inquisition politique avec une peridie dont l’efronterie calme et réléchie donne le frisson. nulle part je n’ai vu un écrivain plus intimement persuadé de la nécessité de l’imposture »7. Dressant le catalogue des mesures le plus efrayantes prônées par sarpi pour assurer la stabilité du régime républicain à Venise, Ferrari donnait à voir un religieux sans aucun scrupule et dont le cynisme n’avait rien à envier à celui de machiavel lui-même. Ferrari ne méconnaissait pourtant pas les contraintes exercées par la situation politique à 5. sur l’ecclésiologie gallicane, outre les travaux classiques de Victor martin, Le gallicanisme et la réforme catholique. Essai historique sur l’introduction en France des décrets du concile de Trente (1563-1615), paris, 1919 ; id., Le gallicanisme politique et le clergé de France, paris, 1929 ; id., Les origines du gallicanisme, paris, 1939, 2 t. ; et de Joseph Lecler, « qu’est-ce que les Libertés de l’église gallicane ? », dans Recherches de science religieuse, t. 23, 1933, p. 385-410 et p. 542-568, et t. 24, 1934, p. 47-85 ; voir aimé-Georges martimort, Le gallicanisme de Bossuet, paris, 1953 ; william J. Bouwsma, « Gallicanism and the nature of christendom », dans Renaissance. Studies in honor of Hans Baron, éd. anthony molho et John tedeschi, Dekalb (ill.), 1971, p. 809-830, repris dans id., A Usable Past. Essays in European Cultural History, Berkeley/Los angeles/oxford, 1990, p. 308-324 ; a.-G. martimort, Le gallicanisme, paris, 1973 (que sais-je ?) ; et plus récemment a. tallon, Conscience nationale et sentiment religieux en France au xvie siècle. Essai sur la vision gallicane du monde, paris, 2002 ; et Françoise hildesheimer, « entre droit et théologie. L’absolutisme gallican », dans Les cours d’Espagne et de France au xviie siècle, éd. chantal Grell et Benoît pellistrandi, madrid, 2007 (collection de la casa de Velázquez, 98), p. 263-278. consulter aussi s. De Franceschi, « La genèse française du catholicisme d’état et son aboutissement au début du ministériat de richelieu : les catholiques zélés à l’épreuve de l’afaire santarelli et la clôture de la controverse autour du pouvoir pontiical au temporel (1626-1627) », dans Annuaire-bulletin de la Société de l’histoire de France, 2001, p. 19-63, et id., « Gallicanisme, antirichérisme et reconnaissance de la romanité ecclésiale : la dispute entre le cardinal Bellarmin et le théologien parisien andré Duval (1614)  », dans Papes, princes et savants dans l’Europe moderne. Mélanges à la mémoire de Bruno Neveu, éd. Jean-Louis quantin et Jean-claude waquet, Genève, 2007, p. 97-121. 6. sur Ferrari, outre les pages désormais classiques de walter maturi, Interpretazioni del Risorgimento. Lezioni di storia della storiograia, préf. ernesto sestan, turin, 1962, p.  159-178 ; voir silvia rota Ghibaudi, Giuseppe Ferrari. L’evoluzione del suo pensiero, 1838-1860, Florence, 1969 ; et mario schiattone, Alle origini del federalismo italiano : Giuseppe Ferrari, Bari, 1996. 7. Giuseppe Ferrari, Histoire de la raison d’état, paris, 1860 ; rééd. paris, 1992, p. 296.

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laquelle sarpi était confronté : « ces idées d’enfer, exposées dans un style lucide, avec une assurance que ne donnerait jamais une perversité individuelle, forment ce qu’on doit appeler la raison d’être de Venise, ainsi rappelée à cette prudence qui se méiait si justement de son peuple léger et des rébellions de ses villes, trop ouvertes à l’inluence italienne, aux foudres de l’église et à des ennemis maîtres du monde »8. soucieux de défendre Venise contre les ambitions du pontiicat romain et les prétentions hégémoniques de l’espagne, sarpi avait été conduit à prendre des positions que ne devaient pas comporter son appartenance à un ordre religieux et sa double qualité de canoniste et de théologien – il avait sacriié sa morale de chrétien par patriotisme : « c’est ce même sarpi qui expia sa liberté prématurée par une immoralité non moins exceptionnelle, mais désormais vertueuse dans une république où tout avait toujours été soumis au principe exclusif de l’indépendance politique, d’après ce mot célèbre : soyons d’abord vénitiens et ensuite chrétiens »9. si moralement douteux qu’il fût, le républicanisme sarpien ne méritait apparemment pas moins d’être embrigadé au service d’idéaux « risorgimentaux » qui se heurtaient encore et toujours à l’autorité pontiicale. si l’ecclésiologie sarpienne a fait l’objet de nombreuses études et si l’on connaît bien désormais les sources auxquelles sarpi a puisé pour défendre une conception résolument séparatiste des rapports entre puissances spirituelle et temporelle, il manque encore une mise en lumière des principaux traits de son républicanisme. si documentée qu’elle soit, l’étude fondamentale de william J. Bouwsma (19232004) sur Venice and the Defense of Republican Liberty (1968) s’est surtout, et paradoxalement, contentée de déinir l’idéal républicain de sarpi par le refus qu’il a opposé aux revendications théocratiques du saint-siège10. orientation d’autant plus étonnante que l’objectif explicite du livre de Bouwsma était de traquer à Venise les indices d’une rémanence de ce que l’historien allemand hans Baron (1900-1988), dans un ouvrage célèbre sur l’histoire de la république lorentine, avait appelé en 1955 Bürgerhumanismus, soit un humanisme civique11. il ne s’agit pas ici d’entrer en dispute avec des thèses historiographiques qui ont fait couler beaucoup d’encre12, mais d’essayer de voir ce qui, dans l’œuvre ecclésiologique de sarpi, s’exprime d’un vocabulaire et d’une mentalité traditionnellement 8. Ibid., p. 296. 9. Ibid., p. 297. 10. w. J. Bouwsma, Venice and the Defense of Republican Liberty. Renaissance Values in the Age of the Counter Reformation, Berkeley/Los angeles, 1968 ; rééd. 1984. 11. hans Baron, he Crisis of the Early Italian Renaissance. Civic Humanism and Republican Liberty in an Age of Classicism and Tyranny, princeton, 1955 ; rééd. 1966. 12. pour un bilan des discussions autour des interprétations de hans Baron, voir Renaissance Civic Humanism. Reappraisals and Relexions, éd. James hankins, cambridge, 2000. pour une étude récente du républicanisme italien au xvie siècle, voir renaud Villard, Du bien commun au mal nécessaire. Tyrannies, assassinats politiques et souveraineté en Italie, vers 1470-vers 1600, rome, 2008.

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républicains, de comprendre comment son éventuel républicanisme a pu structurer son ecclésiologie antiromaine et, à partir de quelques exemples, de montrer dans quelle mesure les défenseurs de la papauté ont été contraints d’adapter leurs réponses à un type de discours qui leur était profondément étranger. la substance des positions sarpiennes est expressément formulée dès le début de la crise de l’interdit dans un consulto – justement tenu pour capital – de la in du mois de janvier 1606. Le servite y revient longuement sur le contenu des lois vénitiennes incriminées par le saint-siège. L’ensemble de sa démonstration repose non pas tant sur une mise en cause de la libertas ecclesiastica que sur la nécessité de défendre le bien public, « il ben publico ». à suivre sarpi, les lois vénitiennes n’ont pas violé le droit de l’église de recevoir de la part de laïques, en legs, en donation ou en aliénation, des biens immeubles ou encore celui d’obtenir la permission d’édiier en un lieu donné églises, couvents et monastères. au contraire, la récente législation n’est qu’une application rigoureusement civile du principe de souveraineté : « en vertu de sa puissance souveraine, le prince a promulgué une loi qui s’applique aux personnes privées et qui prescrit de quelle manière elles peuvent disposer de leurs biens immeubles, ce qu’il peut faire par droit naturel dans la mesure où les jurisconsultes déinissent la possession comme la faculté d’user de ses biens pour autant que la loi l’autorise »13. en interdisant à ses sujets de faire sans autorisation préalable ce qui leur était auparavant permis sans condition, le prince n’a lésé personne. certes, l’église ne peut plus s’approprier de biens immeubles de manière incontrôlée, mais, souligne sarpi, elle n’a en rien été spoliée : « on ne lui a rien pris ; on s’est contenté, par souci du bien public, de restreindre le droit des laïques. L’église n’essuie qu’une perte accidentelle ; elle ne peut donc prétendre qu’on lui ait fait une injustice »14. au surplus, note sarpi, les Vénitiens les plus zélés à l’égard de la puissance ecclésiastique peuvent toujours vendre à des laïques des biens immeubles dont ils ofrent ensuite le prix de vente en numéraire à l’église : la loi ne l’interdit pas. si n’importe quel sujet peut prendre, sans ofenser la liberté ecclésiastique, des dispositions testamentaires pour que ses biens ne reviennent pas à l’église, à plus forte raison le prince souverain, dont le pouvoir sur les biens immeubles sis sur le territoire de sa principauté est plus grand que les droits conférés au propriétaire par la possession, peut-il décider de 13. paolo sarpi, Consulto 1, 20-28 janvier 1606, dans Consulti, éd. corrado pin, vol. i : 16061609, t. i  : I consulti dell’Interdetto (1606-1607), pise/rome, 2001, p. 191-206, à la p. 197 : « per la facultà della sua potestà suprana, [il principe] ha dato legge alli privati in che muodo possino disponere delli suoi stabili, il che il principe può far per legge di natura, imperciò che li giurisconsulti diiniscono il dominio che sia una facultà di usare la cosa sua quanto la legge concede ». 14. Ibid., p. 197 : « se la chiesa perciò non può ricevere quello che poteva prima o non in quel muodo, non li è stato levato niente del suo, ma per il ben publico è stato ristretto il dominio al laico. Laonde accidentalmente la chiesa ha meno di quello che aveva, e per tanto non se gli fa ingiuria ».

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mettre un frein aux incessantes dévolutions en faveur de la puissance spirituelle15. de refuser au prince de faire ce qu’il est licite à un sujet de faire revient à mettre le second au-dessus de la loi ; or, note sarpi, platon a montré qu’il n’y avait pas de plus grand inconvénient pour la santé du corps politique que d’admettre qu’il y eût quelque chose de supérieur à la loi16. référence platonicienne qui est un indice de préoccupations caractéristiques d’une forme de républicanisme. on a trop souvent réduit l’œuvre sarpienne au seul témoignage d’un antiromanisme catholique si exceptionnel qu’il tendait à se rapprocher des thèses protestantes. s’il ne s’agit pas ici de nier son évidente appartenance à une généalogie européenne du régalisme ou du juridictionalisme, force est pourtant de convenir, à la lire de près, qu’elle présente, et il ne pouvait en être autrement, nombre de traits propres au républicanisme vénitien, lui-même imbu des thèses politiques formulées à Florence au tournant des xve et xvie siècles. à souligner, un premier point, et d’importance : sarpi fonde le plus souvent ses raisonnements sur l’acceptation du principe moderne de souveraineté. ainsi, à propos de la loi du 10 janvier 1603, le servite explique-t-il que de dire que les églises relèvent de la sujétion du prince revient à dire qu’il a pouvoir sur elles, mais que de dire qu’on ne puisse en édiier sans sa préalable permission n’est pas autre chose que d’airmer qu’il a pouvoir sur le fonds destinés à les accueillir17. prérogative que nul ne peut dénier au souverain : « personne ne refusera au prince la puissance sur le terrain, la supericie et le fonds de tout son principat et sur les personnes privées qui le possèdent, puisqu’il s’agit là d’un droit divin, attesté manifestement par les saintes écritures et par les docteurs, laquelle puissance du prince, qu’ils appellent majesté ou souveraineté, est nettement distinguée du pouvoir détenu par le sujet, ainsi que l’a noté sénèque, et lui est tellement supérieure que le prince peut prendre possession de ce qui appartient à ses sujets mais que ceux-ci ne peuvent en aucune manière préjudicier à la puissance princière »18. 15. Ibid., p. 200 : « con ottima ragione li giurisconsulti hanno notato molti casi dove un privato per testamento o per contratto può impedire che la robba sua non vada nella chiesa, come nelle emiteusi, e questa senza ofesa della libertà ecclesiastica, concludendo che non debbe esser proibito al principe quello che vien concesso al privato, e certo concludono evidentemente, perché maggior è la potestà del principe sopra tutti li stabili del suo imperio che il dominio de’ privati ». 16. Ibid., p. 200 : « e negare che non si possi statuir per leggi tutto quello che li privati possono pattuir fra loro senza torto di nissuno è un metter li sudditi sopra la legge, contra quello che platone dice essere grande inconveniente nella republica, che vi sia cosa piú sapiente e potente della legge ; potrà un privato ordinare che le cose sue non vadino nella chiesa, e il principe o la legge non potrà farlo ? » 17. Ibid., p. 202 : « il dire che le chiese siino soggette al principe è dire che abbi potestà sopra di loro ; il dire che non si fabricano senza licenza è dire che abbia potestà sopra il fondo, dove si possono fabricare ». 18. Ibid., p. 202 : « nissuno negarà al principe la potestà sopra l’area, la supericie e il fondo di tutto il suo imperio e sopra li privati che lo possedono, perché questo è de iure diuino, come nella

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référence implicite mais classique au De clementia de sénèque et qui est l’une des marques du tacitisme républicain à quoi david wootton, dans son étude de 1983, a relié les convictions politiques de sarpi. le servite le répète : « Dans un état bien ordonné, la souveraineté exige que le prince puisse disposer de chacun et de tous les biens, de même que l’exigent nécessité et utilité du bien public, et que personne ne puisse de lui-même faire quoi que ce soit contre la volonté du prince »19. c’est assurément là l’expression d’un absolutisme républicain dont l’application, strictement séculière, justiie la résistance civile aux injonctions romaines au nom d’une défense du bien public en charge de quoi est imprescriptiblement le prince. De faire construire une église n’est pas nécessairement une bonne action. un acte doit s’apprécier non seulement ratione materiæ, mais aussi et surtout ex circumstantiis : « édiier une église quand et où il le faut est chose méritoire, mais quand, où et comme il ne le faut pas est péché, car c’est aller à l’encontre de l’interdiction du prince, à qui il appartient de décider en quels lieux il convient au bien public qu’il y ait une église »20. aux revendications pontiicales justiiées par un recours trop rapide à la notion de liberté ecclésiastique, sarpi opposait la souveraineté d’un principat absolu chargé de veiller à l’intègre conservation du corps politique. Face à la théocratie débridée dont rêvaient encore nombre de canonistes romains hostiles aux accommodements proposés par Bellarmin, le servite vénitien construisait un absolutisme civil non moins efréné et qui s’alliait avec une ecclésiologie ouvertement antiromaine. publiées avant l’été 1606, les célèbres Considerazioni sopra le censure di Papa Paulo Quinto sont sans contredit l’un des ouvrages les plus importants de sarpi ; elles sont d’ailleurs presque immédiatement censurées par décret du saint-oice rendu le 20 septembre suivant. rédigé sous le coup de l’indignation et dans l’atmosphère eniévrée des débuts de la crise, le livre développe les positions retenues par le consulto de janvier 1606 et récuse le bien-fondé des réclamations pontiicales en défendant la conception républicaine d’un pouvoir civil auquel mission a été remise de protéger les intérêts publics. « interesse publico, ben publico, utilità publica », toutes notions typiques sacra scrittura è manifesto e li dottori attestano, la qual potestà del principe, che dicono maiestà o sopranità, è separata in tutto dal dominio che ha il privato, come notò seneca, e tanto è superior a quello che il principe può levar il dominio al privato, e questo non può in alcun conto pregiudicare alla potestà del principe ». 19. Ibid., p.  202  : «  questa sorte di sopranità in una ben ordinata republica ricerca che il principe possa di qualunque cosa e persona disponere, sí come ricerca la necessità e utilità del ben publico, né il privato possi far cosa alcuna del suo contro la proibizione del principe ». 20. Ibid., p. 203 : « Fabricar chiese dove e quando conviene è buona cosa ; dove, quando e come non conviene è peccato ; tale è il farlo contro la proibizione del principe, al quale partiene giudicare in quali luoghi convenga al ben publico che ci sii chiesa ».

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du républicanisme italien en général, et du vénitien en particulier, et dont les origines doctrinales remontent aux jurisconsultes du iie siècle, ulpien, paul et papinien21. Dès les premières lignes des Considerazioni, sarpi cherchait à rassurer le lecteur chrétien et airmait que la sérénissime avait toujours considéré qu’un bon gouvernement reposait sur une piété sincère : « La république de Venise a toujours estimé que le principal fondement d’un empire ou d’une domination était la religion authentique et la piété, et elle a reçu en grâce singulière de Dieu le fait d’être née, d’avoir été élevée et d’avoir grandi dans le véritable culte divin, qu’elle a toujours cherché avec beaucoup de sollicitude à renforcer, et notamment en multipliant les édiices religieux »22. pour autant, ajoute aussitôt le servite, la conservation de l’état passe également nécessairement par l’exemplaire administration d’une justice à l’abri de la corruption et qui préserve la propriété et la réputation des sujets des atteintes que lui portent les malfaiteurs : « en conservant chacun dans la pleine possession de ses biens et en défendant et protégeant l’honneur de chacun, la république a assuré et heureusement perpétué le repos et la tranquillité publics »23. impératif justicier qui a imposé à la sérénissime de prendre des mesures à l’encontre des ecclésiastiques quand ils étaient criminels, les exemptant toutefois de la juridiction des magistrats civils dans le cas de délits communs. à suivre sarpi, l’impartiale attitude du pouvoir lagunaire a seule permis le maintien des libertés républicaines : « [par sa politique], la république a continué à jouir et à bénéicier, avec le repos public, de la liberté antique et indépendante de son propre gouvernement24 ». L’argumentation du servite faisait ouvertement fond sur un républicanisme inexpugnable et qu’il dressait en rempart contre les usurpations d’ecclésiastiques peu scrupuleux. 21. pour une présentation historique de la notion d’intérêt, voir c. Lazzeri, « Interest, publice interest, utilitas publica et communis », dans henri de rohan, De l’intérêt des princes et des états de la chrétienté, éd. c. Lazzeri, paris, 1995, p. 10-57. consulter aussi Domenico taranto, Studi sulla protostoria del concetto di interesse. Da Commynes a Nicole (1524-1675), naples, 1992 ; Politiques de l’intérêt, éd. D. reynié et c. Lazzeri, Besançon, 1998, en particulier D. taranto, « raison d’état et raison d’intérêt dans la pensée politique italienne de Botero à sarpi », p. 87-118 ; et Lorenzo ornaghi et silvio cotellessa, Interesse, Bologne, 2000. 22. p. sarpi, Considerazioni sopra le censure della Santitá di Papa Paulo V contra la Serenissima Republica di Venezia, Venise, 1606, repris dans id., Opere, éd. Gaetano et Luisa cozzi, 2 t., milan/ naples, 1969 ; rééd. 1997, t. i, p. 153-217 [p. 153] : « stimò sempre la republica di Vinezia che il fondamento principale d’ogni imperio e dominio fosse la vera religione e pietà, et ha conosciuto per grazia singolare di Dio l’esser nata, educata et accresciuta nel vero culto divino, il quale ella ha con molta sollecitudine procurato sempre di accrescere, specialmente con fabricar molti ediici sacri ». 23. Ibid., p. 154 : « per il che conservando ciascuno in possesso delli suoi beni, con difesa e protezzione speciica dell’onore d’ogn’uno, [la republica] ha mantenuta e perpetuata felicemente la quiete e tranquillità publica ». 24. Ibid., p. 154 : « onde s’è continuato a godere et essercitare con la quiete publica l’antica et independente libertà del suo vero dominio ».

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la crise qui venait de s’ouvrir entre la cité lagunaire et l’autorité pontiicale soulevait, à travers le débat autour de la loi du 26 mars 1605, la question – sans conteste cruciale en régime républicain – de la propriété. sarpi rappelle que « la république a toujours cherché à faire en sorte que ses sujets fussent abondamment pourvus de possessions et de biens immeubles, sachant qu’il était principalement de très utile service à la sécurité publique que les personnes privées fussent à leur aise »25. or, relève le servite, depuis plus de trois siècles, les ecclésiastiques ont constamment accru leurs possessions foncières au détriment des revenus non seulement des personnes privées, mais aussi de la république, puisqu’ils bénéicient de conséquentes exemptions iscales. Les dispositions prises par la loi du 26 mars 1605 répondaient donc à un besoin vital du gouvernement de Venise, dont il s’agissait de sauvegarder les ressources inancières26. au surplus, l’évolution qui se dessinait ne pouvait manquer d’être fatale à la cité lagunaire : « Dans la mesure où les ecclésiastiques ne peuvent jamais aliéner leurs biens, sinon avec quelque avantage, et où les églises sont perpétuelles, si ces mêmes ecclésiastiques avaient toujours acquis et les séculiers toujours vendu, il était nécessaire à la in que tous les biens fussent aux mains des ecclésiastiques et que fussent éteintes toute noblesse et toute condition civile, le monde se réduisant inalement à deux conditions, d’ecclésiastique ou de vilain »27. il en allait de la pérennité même du pouvoir républicain de se prémunir contre une véritable expropriation générale de son territoire au bénéice de la puissance spirituelle. quant à l’interdiction d’édiier églises, couvents, hospices ou monastères sans autorisation du pouvoir dogal, sarpi la justiiait derechef en recourant à une légalité rigoureusement républicaine. pas plus qu’elle ne devait accepter qu’une communauté étrangère élût domicile sur son sol, se donnât un chef et traitât ensuite avec les sujets vénitiens, la sérénissime ne pouvait tolérer que des prêtres dépendant d’une autorité autre que la sienne et susceptibles de s’emparer de la volonté de ses ressortissants au moyen de la confession se réunissent sans sa permission dans un monastère : la conservation 25. Ibid., p.  154  : «  similmente la republica in ogni tempo ha procurato di tenere li suoi soggetti abondanti di possessioni e beni stabili, sapendo che alla sicurtà publica principalmente era di utilissimo servizio se il priva-to fusse stato commodo ». 26. Ibid., p. 154-155 : « imperò che diminuendosi sempre il numero delli cittadini che attendono e servono al governo civile, e mancando la quantità de’ beni loro, sopra i quali le publiche rendite sono fondate, e per il contrario crescendo il numero degli ecclesiastici che pretendono essenzioni da tutti li carichi necessari alla republica, et augumentandosi la quantità de’ beni loro, che pretendono pure essere essenti, era necessario che le cose publiche si andassero sommamente diminuendo ». 27. Ibid., p. 155 : « aggiungevasi che non potendo mai gli ecclesiastici alienar cosa alcuna, se non con qualche loro avantaggio, et essendo le chiese perpetue, se essi sempre acquistassero, e li secolari sempre diminuissero, era necessario in ine che restassero tutti li beni in mano degli ecclesiastici, e si estinguesse ogni nobiltà et ogni civiltà, riducendo il monde a due condizioni d’uomini, ecclesiastici e villani ».

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et le repos de l’état l’exigeaient28. en déinitive, sarpi ramenait le diférend entre la papauté et les autorités lagunaires à des dimensions strictement temporelles. à l’œuvre, dans le discours sarpien, l’indéniable hantise d’une efrayante extinction de la république et d’une mortifère absorption de la société séculière par le clergé – de la part d’un servite, le propos ne manquait pas de saveur. sarpi le dit haut et fort : « Le bien public exige que soit conservé ce membre essentiel de la république, c’est-à-dire le séculier, qui supporte le poids des dépenses et des actions publiques, par les personnes comme par les biens, ain qu’il n’arrive jamais, comme le dit ulpien, que la république soit dépourvue d’hommes et de ressources. La loi est donc juste et opportune par quoi le prince protège ce membre, de telle sorte que conservant ses biens, il apporte les forces nécessaires au service de la république »29. que les ecclésiastiques issent les frais des lois vénitiennes incriminées par la papauté, sarpi ne le niait pas, mais il soutenait que la conséquence était strictement accidentelle et, comme telle, nullement répréhensible. Le principe était derechef rappelé : « Le prince doit veiller au maintien de la tranquillité et des forces de son état. s’il s’ensuit que les ecclésiastiques voient leurs richesses diminuer, le prince ne doit pas s’en préoccuper »30. La démonstration sarpienne en appelait, du reste, aux règles du bon gouvernement, « buon governo ». La métaphore anatomique du corps politique surgissait opportunément – elle était un lieu classique du discours sur l’art de gouverner : « Le sénat pourra faire d’autres lois relatives aux biens de ses sujets et nécessaires à son bon gouvernement quand il sera de besoin, et il en fait une aujourd’hui relative aux ecclésiastiques, parce qu’il convient d’assurer l’équilibre du corps de la république pour empêcher qu’un membre ne croisse davantage qu’il ne 28. Ibid., p. 166 : « Li fondamenti di ciò non sono men ragionevoli, legali e legitimi che necessari ; perché sì come non sarebbe permesso ad un numero di persone d’alieno stato, contrarie di costumi e con ini diversi da quelli d’una republica, che entrassero nello stato di lei e si riducessero in un sol luogo insieme, si facessero un capo e trattassero con li soggetti del prencipe in secreto, poiché questa, come sospetta e perniziosa conventicula, sarebbe subito impedita, così, col pretesto di un monasterio nuovo potendo venir insieme sotto un capo molti di altre nazioni, alle volte contrari di costumi e di sensi, e per la commodità che hanno di trattare per le confessioni o altri colloqui spirituali, insinuandosi con li sudditi del prencipe, e così corromperli nella fedeltà, questo similmente con ottima ragione deve esser molto bene avvertito, per la publica conservazione e quiete dello stato ». 29. Ibid., p. 171 : « il ben publico ricerca che si conservi questo membro principalissimo della republica, cioè il secolare, che porta li pesi, fa le fazzioni publiche, così personali come reali, acciò non avvenga quello che ulpiano dice, quod uiribus et uiris destituta erat respublica [De muneribus et honoribus, lex 3, Digesta, l, tit. iv]. È adunque giusta la legge, et è conveniente che sia questo membro protetto dal prencipe, sì che, conservandosi li suoi beni in esso, resti colle forze necessarie per servir la republica ». 30. Ibid., p. 172 : « Deve il prencipe curare che la tranquillità e le forze del suo imperio si mantenghino. se di qua viene che gli ecclesiastici non averanno maggior abondanza, a questo non debbe risguardare il prencipe ».

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doit au détriment des autres, qu’il ne leur ôte ce qui doit leur revenir et que, ne pouvant de lui-même digérer le superlu, il ne se remplisse d’humeurs peccantes d’où procèdent d’abord en lui inirmité, puis corruption dans tout le corps »31. si on laissait l’église en pleine liberté d’agrandir son patrimoine, nul doute qu’elle ne inît par devenir propriétaire de l’ensemble du territoire vénitien. il y a, chez le servite, la claire conscience d’un formidable et périlleux renversement historique par où la puissance spirituelle menace la survie même de la république. sarpi le reconnaît : dans les temps anciens, l’église avait de surabondantes propriétés, mais dans la mesure où elle redistribuait ses richesses aux pauvres, son opulence était au service de la prospérité républicaine32 ; chacun essayait d’accroître les possessions ecclésiastiques, car on savait qu’elles participaient grandement à l’utilité publique, et qu’il ne s’ensuivait « aucune monstruosité, les biens de l’église étant comme des biens communs qui contribuaient à la croissance proportionnée de tout le corps »33. coniguration sans rapport avec la situation qu’afronte la sérénissime au début du xviie siècle. La pression foncière de l’église est devenue telle qu’elle menace désormais de ruine la république34. La loi du 26 mars 1605 a été prise par nécessité publique ; le salut de la sérénissime imposait d’encadrer et même de limiter désormais la croissance désordonnée de la propriété immobilière ecclésiastique. Le principe, essentiel au républicanisme, d’un gouvernement civil chargé de veiller au bien commun et à l’intérêt public en restreignant, si besoin en était, la liberté des uns pour préserver la prospérité et l’harmonie de tous était ici 31. Ibid., p. 174 : « potrà fare il senato altra legge sopra li beni delli sudditi suoi, conveniente al suo buon governo, quando ne sarà di bisogno : e la fa al presente sopra gli ecclesiastici, perché conviene tener così regolato il corpo della republica, acciò che un membro non cresca più del dovere, sì che faccia il corpo mostruoso, e prendendo più alimento del conveniente, danniichi le altre membra, togliendo loro il suo debito ; e per se stesso non potendo digerire il superluo, si riempia di mali umori, onde nasca prima inirmità in lui, e poi corrozzione di tutto il corpo ». 32. Ibid., p. 174 : « anticamente già, quando l’ecclesiastico era governato secondo la maniera che li santi apostoli lo instituirono, e li santi padri a loro imitazione seguitorono d’osservare, era cosa utile che avesse molti beni ; e nel corpo della republica era come un stomaco che prendeva tutto il cibo sì, ma ne digeriva poco per sé e molto per gl’altri. così gl’ecclesiastici, possedendo molto, e participando delle rendite delli beni per sé parchissimamente, e tutto il rimanente dando in elemosina, erano molto proicui alla republica ». 33. Ibid., p. 174 : « per il che anco tutti procuravano accumular loro possessioni e beni, poiché quanto più avevano, tanto riusciva in maggior utilità publica, nella quale erano gli ecclesiastici tutori e procuratori per li poveri e bisognosi, sì che non seguiva nissuna mostruosità, essendi li beni ecclesiastici come beni communi, che faceano accrescimento in tutto il corpo proporzionatamente, e non in una parte sola ». 34. Ibid., p. 174-175 : « ma mutata questa lodevole consuetudine, li beni e facultà passate negli ecclesiastici eccedono in grandezza, e ciò è troppo sproporzionato al corpo della republica, alla quale sarebbe di grandissimo incommodo quando più crescesse, né si potrebbe reggere, ma sarebbe necessario o che si riducessero alla debita misura, o che ne succedesse la rovina di tutto il corpo ».

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sévèrement appliqué pour discréditer les prétentions du saint-siège. extrêmement drastique, le discours de sarpi devait heurter violemment les convictions des défenseurs de la papauté. les Considerazioni se sont attiré nombre de réponses, et des plus exaspérées, mais l’une des plus circonstanciées a certainement été l’Antidoto alle velenose considerationi di Fra Paolo di Venetia que le jésuite hernando de la Bastida (1571-1637) – qui était, par ailleurs, en train de s’illustrer en plaidant la cause de la compagnie de Jésus au sein des congrégations de auxiliis – publie en 1607. si les deux premières parties de l’ouvrage sont consacrées à montrer les erreurs doctrinales et la claire hétérodoxie catholique de sarpi, la troisième partie, de manière assez originale de la part d’un théologien partisan de la papauté, fait porter son efort sur l’argumentation républicaine du servite. Le p. de La Bastida commence par relever le fait que, à en croire sarpi, le pape entend priver les Vénitiens de leur liberté naturelle, alors que le pouvoir dogal essaie au contraire de la leur conserver35. D’après le jésuite, il n’en est malheureusement rien, et la doctrine de sarpi ne peut conduire qu’à la ruine complète des libertés républicaines. ainsi de la loi du 26 mars 1605 et de la justiication qu’en fait le servite : « ce principe de Fra paolo est si préjudiciable et contraire à la liberté des vassaux qu’il s’ensuit clairement que les sujets vénitiens ne sont pas libres de disposer de leurs biens pour quelque raison que ce soit et que le doge pourra, selon son bon plaisir, faire une loi, bonne et juste selon cet auteur, qui interdise à ses sujets de donner, de léguer ou de vendre leurs biens sans sa permission à une personne qui leur serait même apparentée »36. il était en efet diicile de supposer que des particuliers qui ne pouvaient aliéner leurs possessions pour assurer le salut de leur âme le pussent librement faire pour des motifs encore moins importants. sarpi était en déinitive accusé d’annihiler le droit républicain de propriété et de réduire en pitoyable sujétion les Vénitiens, désormais placés sous la souveraine domination d’un seigneur absolutiste : « De quoi s’agit-il d’autre que de faire des 35. hernando de La Bastida, Antidoto alle velenose considerationi di Frà Paolo di Venetia sopra le censure di N. S. P. Paolo V, nel quale si scuoprono gli errori, spropositi et inganni di questo autore, rome, 1607, 3e partie : Nella quale si mostra che la tela di ragno ordita da Fra Paolo nel suo libro è indrizzata a prendere i vassalli di Venetia e succhiar loro il sangue della libertà e della robba, e privare quello stato della vera fede e inalmente rovinarlo del tutto, chap. 1 : Quanto pregiuditiale sia la dottrina di Fra Paolo alla libertà naturale de’ vassalli di Venetia, p. 169 : « La cosa di che più si pregia Fra paolo, e con che più s’afatica d’ingannare il popolo, è persuadergli che queste rotture e dissensioni nascono dal pretender il papa di privar i Venetiani della sua libertà naturale, et il Doge di Venetia di conservarla ». 36.  Ibid., 3e  partie, chap.  1, p.  170  : «  questo principio di Fra paolo è così pregiuditiale e contrario alla libertà de’ vassalli che chiaramente da esso ne segue che non hanno i sudditi de’ Venetiani libertà per disporre delle robbe loro in nessuna sorte di cose, e che potrà il Doge a suo beneplacito far una legge buona e giusta secondo l’auttore che prohibisca loro il donare e lasciare in testamento, né vendere la sua robba a niuna persona, ancorché parente stretta et intrinseca senza sua licenza ».

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pauvres vassaux de venise à l’avenir de simples administrateurs de leurs biens et du doge et du sénat les maîtres absolus de ces mêmes biens ? mais le plus beau est que pendant que Fra paolo ourdit une trame aussi préjudiciable aux vassaux, il prétend leur faire croire qu’il agit et écrit en faveur de leur liberté37 ». en lieu et place du républicanisme mensongèrement afecté par sarpi, le p. de La Bastida donnait à voir un absolutisme sournois qui s’introduisait subrepticement au sein des institutions de la république pour en subvertir les libertés fondatrices. tyrannie – lourd de signiications, le mot ne tardait pas à arriver : « Dans son ouvrage, Fra paolo adopte pour premier principe que le prince est davantage patron et seigneur des biens détenus par les particuliers qu’eux-mêmes, chose qui, si elle était aussi vraie qu’elle est fausse en réalité, suirait à imposer aux vassaux de Venise un joug plus dur et plus pesant qu’aucun qui ait jamais été imposé à une nation par n’importe quel tyran de scythie »38. Désormais potentat absolu, le doge tenait le moindre de ses sujets à sa merci, et le p. de La Bastida reprochait à sarpi d’ouvrir la voie à une oppression tyrannique. en d’autres termes, la doctrine sarpienne visait à une radicale éversion du républicanisme. Dans l’ardeur d’une crise sans précédent, le pouvoir lagunaire avait cru habile de faire justiier sa cause par un appel à la défense des libertés républicaines et du bien public – stratégie que sarpi avait respectée à la lettre. il semble pourtant que le discours tenu par le servite ait passé son but. en insistant sur les prérogatives absolutistes du chef temporel, sarpi a paradoxalement donné occasion aux partisans du saint-siège de se présenter eux-mêmes en sincères défenseurs d’un républicanisme authentique. en 1607, le p. de La Bastida n’hésitait pas à comparer la conception sarpienne de l’autorité dogale au despotisme turc39. si le servite s’était prudemment gardé d’évoquer le concept moderne – mais évidemment hétérodoxe – de raison d’état, son contradicteur jésuite ne s’était pas laissé abuser, et il rapportait les positions de sarpi à une notion dont il dénonçait les conséquences certes antichrétiennes, mais aussi, et là est en dernier lieu la profonde originalité

37. Ibid., 3e partie, chap. 1, p. 171 : « che altro è questo, se non fare che i poveri vassalli di Venetia siano per l’avvenire meri amministratori delle lor’ robbe e facoltà, et il Doge et il senato signore assoluto di esse. ma il bello è che mentre Fra paolo sta ordendo una trama così pregiuditiale a’ vassalli, pretende darli ad intendere che s’afatica e scrive in difesa della libertà loro ». 38. Ibid., 3e partie, chap. 1, p. 172 : « mette Fra paolo nel suo libro come primo principio che il prencipe è più padrone e più signore delle robbe de’ particolari che essi medesimi, cosa che, se fosse vera, com’è falsissima, bastaria ad imporre a’ vassalli di Venetia il più duro et grave giogo che giamai s’imponesse a veruna natione da qualsivoglia tiranno di scithia ». 39. Ibid., 3e partie, chap. 1, p. 170 : « agli idioti et ignoranti, basta per aborrire simil dottrina il vedere che con essa si toglie loro in un tratto il dominio delle robbe et la libertà naturale che hebbero in dal ventre della madre et si caricano d’un giogo più pesante et meno tolerabile di quello che il Gran turco impone a’ suoi vassalli, non essendo sì balordi i sudditi de’ Venetiani, né sì poco zelanti della loro libertà che habbiano da permettere che tal dottrina pigli piede ».

paolo sarpi et la déFense du Bien puBlic

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de l’ouvrage du p. de La Bastida, antirépublicaines40. Dès l’époque de la crise de l’interdit, le républicanisme de sarpi s’est efacé derrière son absolutisme efréné : ambivalence qui explique que le servite ne se soit en déinitive jamais imposé comme l’étendard des défenseurs italiens de l’idée républicaine. sylvio hermann De Franceschi université de Limoges ea 4270 criham

40. Ibid., 3e partie, chap. 4, Che per le stesse porte che la dottrina di Fra Paolo apre all’heresia, introduce in Venetia la totale rovina e distruggimento del suo Stato, p. 203 : « tutto il libro di Fra paolo e le ragioni che in esso adduce sono di quelle ch’il mondo chiama hoggi ragioni di stato, perché le detta, soggerisce et insegna la sfrenata voglia di conservare il proprio dominio. e però potrebbe parer ad alcuno che questa dottrina esterminatrice, come s’è mostrato, della robba, libertà e religione de’ vassalli Venetiani, fosse almeno buona e giovevole per la conservatione dello stato di quella serenissima republica, poiché secondo il corso de’ tempi d’hoggi, prevalgono per i nostri peccati le ragioni di stato alle leggi divine ».

l’ecclésiologie des Juristes gallicans (Xviie-Xviiie siÈcles) par

Jean-louis gazzaniga

les juristes ne sont pas théologiens ; les canonistes, tout en reconnaissant les rapports étroits qui existent entre le droit et la théologie, marquent assez souvent les limites de leur compétence. ils s’interdisent de traiter ce qu’ils prétendent ignorer. Jean-louis Brunet, dans la préface à son Histoire du droit canonique, note qu’il a tenté de rassembler « ce qui ne se rencontre que dispersé dans quantité d’autres [ouvrages] dont la plupart sont des livres de théologiens et comme tels inconnus assez souvent aux jurisconsultes et dont plusieurs d’entre eux s’interdisent la lecture comme de livres qui ne sont pas de leur compétence »1. Durand de maillane, dans l’« avertissement au lecteur » de la 1re édition de son Dictionnaire de droit canonique, résume plus nettement encore : « nous nous sommes abstenus de parler de ce qui appartient à la théologie… La théologie n’est pas de notre ressort »2. il le rappelle à l’occasion3. ces remarques, si on ne les prenait pas pour des formules convenues, pourraient décourager celui qui entend traiter, même rapidement, de l’ecclésiologie des juristes gallicans. La lecture plus attentive de leurs œuvres donne une toute autre impression. Le même Durand de maillane dans l’Instruction sur la manière d’étudier le droit 1. Jean-Louis Brunet, Histoire du droit canonique et du gouvernement de l’église, paris, 1720. olivier patru oppose les théologiens « spéculatifs » aux canonistes pratiques et recommande de mettre « à part tout ce que disent les théologiens qui ne fondent d’ordinaire leurs décisions que sur des principes spéculatifs », Œuvres diverses contenant les plaidoyers, harangues, lettres et vies de quelques uns de ses amis, paris, 1732, t. i, p. 237. 2. pierre-toussaint Durand de maillane, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéiciale, paris, 1761. 3.  «  L’on ne doit pas s’attendre à trouver ici des dissertations théologiques »  : p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, Lyon, 1776, t. iV, v° pape, p. 263. nos références sont empruntées principalement à cette édition (cité Dictionnaire…). pour faciliter la lecture, nous avons rétabli l’orthographe moderne.

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canonique, qu’il donne à la troisième édition de son Dictionnaire précise : « La science du droit canonique a beaucoup de rapport à la théologie et l’on peut dire qu’elle dérive de la même source, mais dans l’usage, on en fait deux sources comme séparées, qui ont chacune leur objet distinct. L’une s’occupe ou traite du dogme dans la religion et l’autre de sa discipline »4. si tous reconnaissent que le dogme est immuable et la discipline variable, car elle dépend « du génie et des mœurs des diférentes nations qui la composent [l’église] »5, leurs rapports sont nombreux et ces juristes qui se gardent de la théologie en font plus souvent qu’ils ne le disent. il suit pour s’en convaincre de parcourir leurs travaux. Deux traits permettent de le mettre en évidence. Loin de négliger les théologiens, ils les citent fréquemment. Les références à saint augustin sont nombreuses, un peu moins à saint homas d’aquin. s’agissant de leurs contemporains, ils se reportent le plus souvent à l’oratorien Louis homassin (1619-1695) et au dominicain noël alexandre (1639-1724), que Durand de maillane considère comme un « de nos plus savants théologiens »6. ils connaissent parfaitement les pères de l’église et marquent, comme de bons gallicans, leur préférence pour saint cyprien. par ailleurs, les notes théologiques abondent dans certaines rubriques canoniques. au premier chef, à propos des sacrements, mais également s’agissant de dictionnaires, il faut tenir compte d’entrées plus générales telles : foi, religion, théologie, tradition. non seulement les canonistes empruntent à la théologie bien de leurs arguments, mais lorsqu’ils abordent les questions touchant à l’église ils deviennent théologiens eux-mêmes. on a bien souvent noté que l’ecclésiologie est née du droit canonique. si, progressivement, elle a pris son indépendance, les rapports restent étroits. pour les canonistes gallicans cela devient une évidence. Le gallicanisme, tous ses historiens l’ont relevé, porte en lui-même, avec bien d’autres traits qui le caractérisent, une certaine conception de l’église, une ecclésiologie. nous voudrions le mettre en évidence pour les juristes des xviie et xviiie siècles. après un rapide portrait de groupe (i), nous analyserons leur conception de l’église, du pape et du concile et des évêques (ii).

4. p.-t. Durand de maillane, Instruction sur la manière d’étudier le droit canonique, dans id., Dictionnaire…, p. ix. 5.  p.-t. Durand de maillane, Instruction…, p.  xxviii ; voir également l’Avertissement à la 1re édition du Dictionnaire. 6. Durand de maillane renvoie à un Dictionnaire théologique comme dans les afaires civiles, il renvoie à celui de Ferrière ; il fait de nombreux emprunts au Dictionnaire des cas de conscience dont l’auteur est « si connu », vraisemblablement Jean pontas (1638-1728), et dont la 1re édition est de 1715, réédité fréquemment tout au long du xviiie siècle.

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i. — portrait de groupes des juristes gallicans qui sont ces juristes gallicans7 ? ce sont des praticiens, avocats pour la plupart, qui écrivent pour d’autres praticiens. des hommes de palais qui ont l’habitude de la barre et de l’argumentation organisée pour la défense d’une cause. cela est très net dans les plaidoiries, cela se perçoit encore dans les ouvrages. ils ont tous été formés moins par les facultés, qui leur ont donné une teinture de droit romain et plus tardivement de droit français, que par la pratique chez un procureur ou un avocat plus ancien. le goût ou la clientèle les a conduits au droit canonique, ils en ont fait leur spécialité tant la matière ofrait alors à la pratique une large provende, que dominaient la politique bénéiciale et le mariage8. ces ouvrages pratiques, destinés à des praticiens qui s’intéressent avant tout à la jurisprudence des parlements, sont assez loin des spéculations théologiques. cependant, ces avocats et magistrats amenés à défendre ou à juger un évêque, une maison religieuse, un bénéicier qui se voit opposer un adversaire nommé par rome, ou à contester l’application d’une bulle pontiicale, s’élèvent alors, au-delà des arguments juridiques, jusqu’aux principes. canonistes, ils sont gallicans, avec toutes les nuances que peut comporter le gallicanisme parlementaire dont ils sont les représentants. entendons qu’il y a parmi eux des gallicans modérés et d’autres plus radicaux, que certains sont plus ou moins richéristes, plus ou moins teintés de jansénisme. considérons également que les réactions ne sont pas forcément les mêmes en 1650 et en 1750. malgré leurs diférences ils expriment tous le fonds commun gallican que l’on peut brosser à grands traits. ils se retranchent tous derrière les Libertés de l’église gallicane, telles qu’exprimées par le « savant pithou », dont le roi est le protecteur et les parlements les vigilants gardiens. ils rappellent tous avec une parfaite unanimité que ces libertés ne sont ni des privilèges, ni des concessions pontiicales, encore moins des usurpations, mais des franchises que l’église de France a su garder dans la pureté des

7. outre le Dictionnaire de droit canonique de Durand de maillane et l’Histoire du droit canonique de Jean-Louis Brunet, nous avons consulté, toujours de Brunet, Le parfait notaire apostolique, 2e éd., Lyon, 1775 (avec les notes de Durand de maillane), François Ducasse, La pratique de la juridiction ecclésiastique, 4e éd., toulouse, 1718 ; Les œuvres de feu noble Scipion Dupérier, toulouse, 1721, 2 t. ; Les œuvres de Maître Simon d’Olive, toulouse, 1649, 2 t. ; François de Boutaric, Traité des matières bénéiciales, s. l. [toulouse], 1762, 2 t. ; et plus particulièrement Louis de héricourt, Les loix ecclésiastiques de France dans leur ordre naturel, paris, 1756 (cité Loix ecclésiastiques…) ; Guy Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence canonique et bénéiciale, paris, 1755 (cité Recueil…) ; charles Févret, Traitté de l’abus, Dijon, 1653 (cité Traité…). 8. Jean-Louis Gazzaniga, « avocats canonistes et gallicans, xviie-xviiie siècles », dans Hommage à Romuald Szramkiewicz, dir. Jacques Lafon, Jean-Louis harouel, marie-Bernadette Bruguière et al. paris, 1998, p. 109-133 et id., « Défendre par la parole et par l’écrit », dans études d’histoire de la profession d’avocat, toulouse, 2004, p. 169-190.

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principes et des droits déinis dans les premiers siècles. elles sont « la possession dans laquelle s’est maintenue l’église de France de conserver ses anciennes coutumes qui sont la plupart fondées sur les canons et sur la discipline des premiers siècles »9. De cette déinition retenons un attachement à la tradition, à tout ce qui est ancien : « L’ancienneté a toujours été regardée dans l’église comme un titre légitime de préférence »10. L’ancienneté est celle de la primitive église, « lorsque les choses étaient en leur pureté et en leur perfection »11. Des premiers siècles de l’église, on retient l’exemple, le modèle, le « crayon », plaidera patru, des siècles suivants ; mais surtout ces siècles au cours desquels les premiers conciles ont ixé les dogmes de foi et la discipline de l’église. De là découle forcément une préférence accordée aux anciens canons, aux coutumes primitives et la méiance à l’égard des nouveautés. celles-ci commencent avec les Fausses décrétales qui « ont étendu l’autorité du saint-siège au-delà des anciennes bornes »12, on les retrouve dans le Décret de Gratien que Durand de maillane juge sévèrement et a fortiori dans les recueils de décrétales. autant dire que l’histoire est l’un des arguments forts de tous les juristes gallicans et spécialement l’histoire la plus ancienne. s’ils ne possèdent pas toute l’érudition dont les théologiens et les historiens gallicans font preuve, ils savent fort adroitement utiliser leurs travaux13. pour l’essentiel, sans entrer dans le détail, retenons qu’ils s’en tiennent généralement à claude Fleury (1640-1723), dont Durand de maillane fait un éloge appuyé dans son Instruction sur la manière d’étudier le droit canonique14. ils citent plus rarement Louis maimbourg (16101686), sauf son Traité historique de l’établissement et des prérogatives de l’église de Rome et de ses evesques (1685), qui lui valut la condamnation romaine. Brunet, plus

9.  L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre  i, chap.  XVii, n°  3, p.  112 ; dans le même sens c. Févret, Traité…, livre i, chap. 3, n° 13, p. 40 ; J.-L. Brunet citant Bossuet évoque cette liberté que «  Jésus-christ nous a acquise par son sang  », Histoire du droit canonique…, p.  180 et dont le premier fondement est de « mettre de justes bornes à l’autorité du pape et (faire) voir quelle était l’autorité des évêques », ibid., p. 141 ; même idée exprimée par Durand de maillane, faisant référence au concile d’éphèse, Dictionnaire…, t.  iii, v°  Liberté, p.  471-472 ; sur ces questions, voir récemment Frédéric Gabriel, « Liberté romaine, libertés gallicanes : quel empire ? église, institutions et espaces juridictionnels (1461-1652) », dans Libertas ecclesiae. Esquisse d’une généalogie (1650-1800), dir. stéphane-marie morgain, paris, 2010, p. 135-158. 10. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. i, v° ancien ; il renvoie aux entrées « concours », « ordination », « préséance ». 11. simon d’olive, Questions notables, t.  i, p.  8 ; o. patru, Œuvres…, t.  i, p.  46-47 et p. 254 ; L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. iV, p. 44 ; p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, vo acquisition, Juridiction. 12. philippe macquer, Abrégé chronologique de l’histoire ecclésiastique, paris, 1768, t. ii, p. 289. 13. Bruno neveu, érudition et religion aux xviie et xviiie siècles, paris, 1994. 14. Durand de maillane cite assez souvent macquer pour son Abrégé chronologique qui, sur le modèle de celui du président hénault, lui paraît très commode.

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radical, le juge « un auteur qui n’est point suspect en ces matières ». si l’histoire ancienne a la faveur des gallicans, ils évoquent, dans l’histoire la plus récente, le diférend entre philippe le Bel et Boniface Viii pour stigmatiser les excès du pouvoir pontiical15 ; le Grand schisme, les conciles de constance et de Bâle pour soutenir la supériorité du concile sur le pape comme l’a fait « le fameux Gerson »16. en juristes gallicans, ils défendent toujours l’autorité du roi et tout spécialement le droit qu’il possède de légiférer dans les matières ecclésiastiques. Les ordonnances royales ont une place de choix dans leur argumentation. un texte toutefois tient le premier rang, la pragmatique sanction de Bourges (1438). pourtant abolie par le concordat de Bologne, elle reste la référence absolue ; elle est pour Durand de maillane « le règlement toujours cher aux Français »17. tous les juristes l’invoquent, les avocats plaident son application devant les parlements (o. patru). elle est élevée au rang de « mythe »18. son autorité est encore renforcée par la référence à la pragmatique sanction de saint Louis, « le saint roi », dont nos juristes croient ou feignent de croire à l’authenticité19. Le concordat de Bologne paraît en retrait, quoique présenté comme « l’un des monuments de la discipline gallicane » ; les juristes donnent quelque peu l’impression de l’appliquer par défaut. tous, en l’invoquant, tentent de justiier le maintien de la pragmatique sanction dans tout ce qui n’est pas contraire au concordat20. tous ces juristes se gardent des ultramontains, de leurs arguments, ils les citent relativement peu et presque toujours pour les critiquer. chez Durand de maillane, les emprunts sont plus nombreux. il pratique Giovan paolo Lancellotti (1522-1590), dont il a traduit les Institutes21, et prospero Fagnani (1588-1678), dont les Commentaria absolutissima in quinque Decretalium libros font la synthèse des canonistes antérieurs22. si tous se méient des ultramontains, c’est, en partie,

15.  Jean-Louis Gazzaniga, «  La bulle Unam Sanctam  : “un pétard mouillé”  », dans Libertas ecclesiae. Esquisse d’une généalogie (1650-1800)…, p. 105-108. 16. J.-L. Brunet, Histoire du droit canonique…, p. 294. 17. il l’évoque le plus souvent comme « notre pragmatique » (Dictionnaire…, v° interdit, intrus, messe), dont « les règlements sont toujours bons à suivre », Dictionnaire…, t. ii, v° élection, p. 489. 18. philippe sturmel, « La pragmatique sanction de Bourges (1438) à l’origine de la laïcité française ? contribution à l’histoire du gallicanisme », dans Annuaire Droit et Religion, t. 3, 2008, p. 225-275. 19.  J.-L. Brunet évoque les doutes que l’on peut émettre contre l’authenticité, mais ils ne changent pas sa conviction, Histoire du droit canonique…, p. 56-60. 20. L’historique qu’en fait Durand de maillane est plutôt tendancieux. 21.  sur les mobiles qui l’ont conduit à cette entreprise, voir maria Gabriella carra, «  Les rapports entre droit canonique et droit gallican en France à la in du xviiie siècle », dans Le droit ecclésiastique en Europe et ses marges (xviie-xxe siècles), dir. Brigitte Basdevant-Gaudemet et François Jankowiak, paris, Louvain, 2009, p. 191-200. 22. sa critique de rome et de la cour romaine est d’abord celle des ultramontains, Jean-Louis Gazzaniga, « Le pape, la cour de rome et l’église de France d’après le Dictionnaire de droit canonique

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à cause de leur fausse interprétation des libertés gallicanes. l’on croit ou l’on fait croire à rome que l’église gallicane est en état de rupture. or s’il est un thème cher à tous les gallicans, c’est à la fois le lien toujours maintenu avec le siège apostolique et le respect dû à la personne du pape. l’église gallicane est toujours unie à l’église romaine ; elle a toujours été en communion avec elle ; son ancienneté parle en sa faveur ; les papes n’ont pas eu de plus idèle soutien, l’histoire en porte témoignage. telle est l’argumentation généralement présentée. charles Févret devient lyrique : « l’église romaine était l’esprit principal qui animait toutes ses facultés et puissances, le centre auquel elle réunissait toutes les lignes de sa circonférence, le soleil duquel elle empruntait toutes ses plus divines clartés et les plus resplendissants rayons de sa gloire, bref c’était le premier modèle duquel elle suivait tous les mouvements »23. La plupart des juristes préciseront qu’il s’agit d’une unité de foi ; pour la discipline, l’église gallicane retrouve toute sa liberté, « car quoique nous ayons nos usages, nos maximes particulières en ces matières, on ne doit jamais oublier que rien ne nous sépare et ne nous a, en aucun temps, séparé des romains en ce qui est de foi »24. on retrouve la même unanimité s’agissant du respect que l’on doit à la personne du pape. malgré les nombreuses critiques adressées à la cour romaine et les oppositions doctrinales contre le pouvoir pontiical, que nous reverrons, le pape est toujours préservé. même pour les papes les plus sévèrement jugés, comme Grégoire Vii et Boniface Viii, il y a chez les juristes une certaine modération dans les propos. Le pape a été abusé, mal conseillé25. scipion Dupérier (15881667), avocat au parlement de provence, plaidant contre une dispense pour défaut d’âge « proteste hautement que [son] intention ne sera jamais de rien dire qui ofense cette sainte autorité ». précaution oratoire sans doute, mais qui rejoint une opinion générale26. de Durand de maillane », dans Droit international et coopération internationale. Hommage à JeanAndré Touscoz, paris/nice, 2007, p. 413-415. 23. c. Févret, Traité, livre i, chap. 3, n° 4, p. 37. 24.  p.-t. Durand de maillane, Instruction…, p.  xxvii ; dans son Dictionnaire…, il cite longuement Bossuet qui, à propos de l’église de rome, évoque la « mère des églises et mère de tous les idèles, église choisie par Dieu pour unir ses enfants dans la même foi et dans la même charité, nous tiendrons toujours à ton unité par le fond de nos entrailles », t. iii, v° Libertés, p. 472 ; il ne manque pas de rappeler la foi « qui nous lit à la communion romaine », t. iV, v° ultramontain, p. 508. 25. ainsi les critiques d’olivier patru contre les brefs et les bulles du pape, Jean-Louis Gazzaniga, « olivier patru, juriste gallican », dans Biennales du barreau de Clermont-Ferrand, 2010, p. 182. 26. Les œuvres de feu noble Scipion Dupérier, toulouse, 1721, t. ii, p. 326. La plupart des juristes précisent que par respect pour la personne du pape, il n’est pas d’usage d’appeler directement d’un rescrit pontiical, mais seulement de son exécution, c. Févret, Traité…, livre  i, chap.  2, n°  15, p. 22 ; livre ii, chap. 1, n° 3, p. 105.

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tels apparaissent, rapidement évoqués, ces quelques juristes gallicans qui développent dans leurs œuvres, pour les besoins de leur argumentation, en présentant le droit canonique appliqué en France, quelques thèmes ecclésiologiques.

ii. — conceptions gallicanes de l’église et de son organisation 1. L’église si les canonistes, à propos de l’église, s’intéressent avant tout à l’institution, puis aux bâtiments, cela ne les empêche pas de relever des déinitions plus théologiques. ainsi d’héricourt la présente comme la « mère commune de tous les idèles », expression que l’on retrouve souvent27 et, s’inspirant de saint cyprien, il reprend l’image traditionnelle du « troupeau uni au pasteur qui doit la conduire et la gouverner »28. Du rousseau de La combe rapporte une déinition classique : « L’église est l’assemblée des idèles qui, sous la conduite des pasteurs légitimes, sont un même corps, dont Jésus-christ est le chef »29, déinition reprise mot pour mot par Durand de maillane30, qui poursuit avec la distinction entre l’église spirituelle ou mystique et l’église matérielle ou locale. Les théologiens distinguent dans la première l’église triomphante, la Jérusalem céleste, l’église soufrante, le purgatoire et l’église militante, « celle des idèles qui sont sur la terre. elle est ainsi nommée à cause des combats qu’elle a à soutenir tant qu’elle subsistera ». en canoniste, il rapporte ce qu’est un idèle, ce qui le distingue d’un inidèle, d’un hérétique, d’un excommunié ; les caractères de l’église chrétienne : l’unité, la sainteté, la catholicité, l’apostolicité31. si la symbolique du troupeau s’applique traditionnellement à l’église, la symbolique militaire qui évoque le combat convient parfaitement à la hiérarchie ecclésiastique à laquelle les canonistes font souvent référence. L’église est aussi pour J.-L. Brunet « le clergé ou l’état ecclésiastique »32 et la hiérarchie ecclésiastique est « une sainte principauté et un ordre de personnes consacrées qui par certaines lois élèvent le peuple à la connaissance de Dieu et à son amour sous l’étendard de Jésus-christ, chacun suivant le rang qu’il tient dans l’église et le pouvoir qui

27. L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. Xii, n° 4, p. 89. J.-L. Brunet évoque « la société de tous les idèles », mais également « la mère commune des idèles [qui] n’a point d’intérêt qui ne soit commun à tous ses enfants », Histoire du droit canonique…, p. 382. 28. L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. i. pour Brunet, « les idèles sont les brebis que nourrissent les pasteurs », Le parfait notaire…, t. i, p. 196. 29. G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° église, p. 264. 30. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° église, p. 477. 31. il s’inspire d’un Dictionnaire théologique et du Catéchisme de Montpellier. 32. J.-L. Brunet, Histoire du droit canonique…, p. 382.

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lui est attaché »33. Durand de maillane n’est pas loin de l’identiier à l’église ellemême : la hiérarchie est dans l’église « comme un ordre, elle représente une suite merveilleuse de ministres qui par leurs diférentes fonctions, forment cette belle église que l’écriture compare à une armée rangée en bataille »34. La hiérarchie ecclésiastique les conduit à traiter du gouvernement de l’église. ce n’est pas une monarchie35 ou pour le moins tempérée d’aristocratie36. ce n’est pas la force qui impose mais, comme le note J.-L. Brunet, l’humilité et la charité qui œuvrent pour le bien et l’utilité37. Du rousseau de la combe résume parfaitement une opinion commune : « Le gouvernement ecclésiastique n’est point un empire où tout doit céder à l’autorité, c’est un gouvernement de douceur, de concorde et d’union, où la raison et l’équité ont seuls droit de commander »38. il y a forcément dans ces remarques déjà les éléments d’une certaine conception du pouvoir pontiical limité par le concile et les droits des évêques.

2. Le pape et le concile en abordant l’autorité pontiicale, héricourt, plutôt modéré, conseille de se tenir loin des excès des ultramontains, mais également de ceux qui professent une entière indépendance à l’égard du saint-siège et ne laissent au pape qu’un vain titre de chef de l’église, sans aucune juridiction39. on peut considérer, à quelques nuances près, que cette position représente assez bien celle des juristes de sa génération. en premier lieu la prééminence de l’église de rome n’est pas mise en cause : « L’église romaine depuis les apôtres, airme Févret, a eu la primauté par-dessus toutes les autres, c’est pourquoi elle a été première, principale, universelle »40. pour Durand de maillane, elle est « l’église de tous les idèles, la source et la mère de toutes les autres »41. 33. J.-L. Brunet, Le parfait notaire…, t. i, p. 194. 34. il fait référence à l’épître aux corinthiens, chap. 12 et à l’épître aux éphésiens, chap. 4, 4-16 qui comparent l’église à un corps, Dictionnaire…, t. iii, v° hiérarchie, p. 182. 35. J.-L. Brunet, Histoire du droit canonique…, p. 138-140. 36. c’est l’opinion de Louis de héricourt qui cite à ce propos olivier patru : « quoiqu’il n’y ait point de monarchie dans l’église, il ne s’ensuit pas de là qu’il n’y ait point de primauté ; il est certain au contraire, par les mêmes raisons, qu’il y en a une, mais qui est sainte, qui est apostolique, qui est sans domination, qui s’accorde avec la charité », Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. XVii, p. 111. 37. J.-L. Brunet, Histoire du droit canonique…, p. 175. 38. G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° concile, p. 147 ; Durand de maillane citant Barbosa rappelle que « le pape est pasteur, son gouvernement doit être doux [c’est un ultramontain qui parle] et n’avoir rien d’impérieux, ni qui se ressente de la domination des princes de la terre », Dictionnaire…, t. iV, v° pape, p. 266. 39. L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. XVii, p. 110. 40. c. Févret, Traité…, livre iii, chap. iii, p. 273. 41. Brunet évoque « la première de toutes les églises », Histoire du droit canonique…, p. 287 ; o. patru fait du Latran « la cathédrale de l’univers », Œuvres…, t. i, p. 287.

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le pape tient « le premier rang dans la hiérarchie », il est le premier de tous les évêques, « le chef visible de l’église catholique »42 ; « le premier de tous les pasteurs, comme le chef de toutes les églises, comme ayant une autorité et une juridiction sur chaque pasteur et sur chaque église»43. pour Du rousseau de La combe, le pape est le premier de tous les évêques « par le même droit et de la même manière que saint pierre est le premier des apôtres »44. J.-L. Brunet qui voit en lui le « père commun » de toute l’église associe, à l’autorité de pierre, celle de paul, au « chef du collège apostolique », le « docteur des nations », ce qui, à l’époque, rappelle des condamnations passées et n’est pas sans poser quelques diicultés45. Durand de maillane reprend le titre du « père commun dans la chrétienté » citant omer talon, et rappelle que le pape est le vicaire de Jésus-christ, le chef visible de l’église46. comme rome est le centre de l’unité chrétienne, le pape exerce un ministère d’unité : s’il tient le premier rang dans la hiérarchie ecclésiastique, s’il exerce une espèce de « surintendance » (héricourt) sur toutes les églises particulières, c’est « pour la conservation du dépôt de la foi et la discipline ecclésiastique »47. nos auteurs citent abondamment saint cyprien et optat de milève. La primauté est incontestable ; tous les juristes l’admettent48. à ces diférents titres, le pape mérite respect et révérence ; c’est pour nos juristes un absolu49. malgré tout, note Brunet, « cette primauté ne le rend pas d’un sacerdoce diférent de ses collègues »50, opinion partagée par Durand de maillane : « par rapport à l’ordre,

42. L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. iV, p. 44. 43. Ibid., p. 111. pour Dupérier, « il est donc vrai que le pape étant le chef souverain de l’église, il est aussi arbitre souverain des choses qui la regardent », Œuvres…, p. 326. 44. G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° pape, sect. ii, p. 29. plus loin il précisera  : «  La primauté est donnée à pierre pour montrer qu’il n’y a qu’une église de Jésus-christ et une chaise », v° évêques, sect. i, p. 293, il en fait également « le chef ministériel de l’église » et « le patriarche d’occident ». 45.  J.-L. Brunet, Histoire du droit canonique…, p.  287. sur l’autorité de pierre et de paul, Bruno neveu, « saint paul et rome : à propos d’une controverses sur la primauté pontiicale », dans homo religiosus. Autour de Jean Delumeau, paris, 1997, p. 446-452. 46. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. iV, v° pape, p. 263. 47. L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. iV, p. 44. 48.  «  il n’y a pas de catholiques qui ne reconnaissent et qui ne révèrent dans le pape une primauté réelle de droit divin, non seulement d’honneur et de préséance, mais encore d’autorité et de juridiction canonique sur tous les évêques et les conciles particuliers », G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° pape, sect. ii, p. 31, repris par Durand de maillane. 49. « Je sais le respect que nous devons tous à tout ce qui vient de la main des papes ; je sais qu’ils sont les économes souverains de l’héritage du seigneur », o. patru, Œuvres…, 1772, 16e plaidoyer, p. 270. Brunet rappelle que le pape « mérite et nos respects et une obéissance iliale canonique », Histoire du droit canonique…, p. 189, et va jusqu’à ajouter : « ce n’est qu’avec les sentiments des enfants les plus tendres que nous apportons quelque restriction à ses prérogatives », ibid., p. 270. 50. J.-L. Brunet, Histoire du droit canonique…, p. 123.

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il n’est rien en dessus de l’épiscopat et le pape à cet égard n’est pas plus qu’un évêque »51. De plus, l’obéissance légitime qui lui est due ne saurait être considérée comme une autorité sans bornes. tout d’abord, et cela est parfaitement clair pour tous les gallicans, l’indépendance du temporel est la limite absolue à toute autorité ecclésiastique52. il n’y a de ce point de vue ni pouvoir direct, ni indirect : « L’opinion contraire des ultramontains, rappelle d’héricourt, est opposée à la parole divine, à la tradition ecclésiastique, aux exemples des saints et à la tranquillité publique »53. s’agissant des questions proprement internes à l’église, l’autorité du pape n’est pas illimitée ; elle doit être réglée par les saints canons, l’écriture sainte et la tradition. tous les gallicans sont unanimes54. encore faut-il distinguer entre la foi et la discipline. s’agissant de cette dernière, elle est variable, elle dépend de traditions particulières55. Les traditions gallicanes limitent l’autorité pontiicale en France. Les canonistes les développent longuement. Les titres que les ultramontains donnent au pape se discutent : « ordinaire des ordinaires, évêque universel, n’ont pas en France la même signiication qu’on leur donne en italie »56. Les limitations aux pouvoirs du pape sont nombreuses : ainsi on n’applique pas en France la bulle In Coena Domini, pas davantage la bulle Litteris ; le pape ne peut rien contre la juridiction des évêques57, il ne peut nommer de coadjuteurs aux évêchés sans le consentement du roi, il ne peut exercer de prévention contre le patronage laïque. nous pourrions multiplier les exemples. en outre, l’autorité que l’on reconnaît au pape lui est personnelle58, elle

51. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, 1761, t. ii, v° pape, p. 262. 52.  «  et d’ailleurs, plaide patru, il n’y a ni pape, ni concile même œcuménique qui puisse détruire, qui puisse altérer les droits du roi et les augustes prééminences de sa couronne  », Œuvres…, t. i, 18e plaidoyer, p. 427-428. 53. L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. iV, p. 45, fait référence aux articles 4 et 18 des Libertés de l’église gallicane, à la Déclaration de 1682, cite l’attitude d’innocent iii et les exemples contraires et malheureux de Grégoire Vii et Boniface Viii. 54. ainsi cette remarque de simon d’olive à propos de l’autorité « absolue et extraordinaire » du pape [qui] « ne produit point ses efets en ce royaume où elle se trouve bornée à l’observation des saints décrets et anciens conciles et réduite à un juste tempérament par les privilèges et libertés de l’église gallicane », Questions notables…, t. i, p. 106. 55. « La discipline, conirme Durand de maillane, peut et doit même très souvent être diférente selon la diversité des lieux, des génies et des mœurs du peuple », Dictionnaire…, t. V, v° trente, p. 442, tout le passage est un commentaire du père alexandre en faveur du concile. 56. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. iV, v° pape, p. 263 ; il reprend la même idée t. iV, v° ordinaire, p. 232. 57.  Ibid., t.  i, v°  Amoto quolibet illicito detentore ; voir également t.  iV, v°  Motu proprio et nonobstance. 58. « Les évêques de France ne reconnaissent pour supérieur ecclésiastique, que la personne même du pape, que Jésus-christ a établi pour être le chef visible de son église », L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. Viii, n° 10, p. 62.

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ne peut s’étendre aux congrégations romaines59 ni aux légats, dont les pouvoirs sont strictement encadrés60. la grande question qui fait diiculté est celle de l’autorité du pape en matière de foi. s’il est le garant de l’unité, si le dépôt de la foi lui a été conié, le pape est-il pour autant infaillible ? nos canonistes n’entrent pas dans de longs développements théologiques. selon leur habitude, ils évoquent l’argument historique et se gardent des nouveautés. ces nouveautés sont introduites par les ultramontains aux xive et xve siècles et répétées depuis par les docteurs italiens. L’excès même de leurs arguments en vient à afaiblir l’autorité qu’ils veulent défendre61. s’agissant de l’infaillibilité pontiicale, on peut assez bien résumer la position des juristes gallicans par quelques remarques. tout d’abord, ce n’est pas un dogme de foi, mais une opinion ; ensuite faut-il distinguer entre le pape personne privée et le pasteur universel. personne privée, on peut considérer le pape comme n’importe quel docteur. comme pasteur ou souverain pontife, s’il se prononce ex cathedra, les juristes, comme un certain nombre de théologiens gallicans, considèrent que l’infaillibilité n’est pas absolue. ils rappellent notamment, à partir de Fleury ou de maimbourg, que de nombreux papes se sont trompés, ont reconnu leurs erreurs, quelques uns sont tombés dans l’hérésie. ain d’éviter de se perdre dans une argumentation théologique qu’ils maîtrisent mal, les canonistes préfèrent éviter de conclure. tout au plus considèrent-ils que l’infaillibilité n’étant pas un dogme de foi, on reste libre de douter. J.-L. Brunet résume assez bien la position générale : « Je veux pour 59.  «  nous ne reconnaissons point en France l’autorité, la puissance, ni la juridiction des congrégations qui se tiennent à rome que le pape peut établir comme bon lui semble  », p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. ii, v° congrétation, p. 103, la citation est empruntée à omer talon. 60. Du rousseau de la combe précise : « ce n’est pas sur le droit canonique moderne qu’il convient d’examiner le pouvoir des Légats du pape en France : mais sur les arrêts du parlement qui ont vériié leurs facultés et leurs pouvoirs, et dans lesquels on voit les véritables maximes du royaume  », Recueil de jurisprudence…, v°  cardinaux, p.  94 ; voir également c. Févret, Traité…, livre iii, chap. 2, p. 259-260 ; p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, v° Légat ; les articles 11 et 12 des Libertés de l’église gallicane ; sur cette question, voir B. Barbiche et s. de Dainville-Barbiche, « Les légats a latere en France et leurs facultés aux xvie et xviie siècles », dans Archivum historiae pontiiciae, t. 23, 1985, p. 93-165 et eid., « Les pouvoirs des légats a latere et des nonces en France aux xvie et xviie siècles », dans échanges religieux entre la France et l’Italie du Moyen Âge à l’époque moderne, éd. m. maccarrone et a. Vauchez, Genève, 1987, p. 259277 , rééd. dans B. Barbiche, Bulla, legatus, nuntius : études de diplomatique et de diplomatie pontiicales, xiiie - xviie siècles, paris, 2007 (mémoires et documents de l’école des chartes, 85), p. 193-211. 61.  «  souvent en voulant porter au-delà des bornes une puissance légitime, on en afaiblit l’autorité dans l’esprit des personnes qui ne savent point distinguer ce qui est de droit d’avec ce que les hommes ont imaginé par complaisance », L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. V, p. 44.

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le présent simplement en conclure que l’infaillibilité du pape est une opinion dont on peut raisonnablement douter, cela me suit pour la démonstration »62. en revanche, tous sont d’accord pour admettre qu’en matière de foi, les décisions du pape doivent être conirmées par l’église : « c’est entre les mains de l’église que Dieu a mis en dépôt toutes les vérités de la foi et qu’ainsi nous devons acquiescer à ses décisions »63. L’église s’exprime par les conciles œcuméniques, que tous les gallicans reconnaissent comme supérieurs au pape : « Le concile, pour les choses spirituelles, n’a point d’autorité supérieure et ne dépend de personne que de Dieu »64. seul « ce tribunal suprême a reçu le don de l’infaillibilité »65. encore faut-il s’entendre sur ce qu’est un concile œcuménique ? quelle est l’autorité qui le convoque ? qui conirme ses décrets ? autant de questions qui alimentent une controverse bien connue, née au moment du Grand schisme et des conciles de constance et de Bâle, que la réception du concile de trente a ranimée. J.-L. Brunet reprend cela tout au long de son Histoire du droit canonique66, ainsi que Durand de maillane dans les diférentes entrées de son Dictionnaire67. cet attachement à 62. J.-L. Brunet, Histoire du droit canonique…, p. 281 ; scipion Dupérier, après avoir distingué dans les décisions pontiicales ce qui « vient de la chaire » et « ce qui vient du tribunal » préfère ne pas se prononcer sur les premiers « sans examiner si en ce point il est vrai qu’il ne peut point errer ». il est plus à l’aise pour airmer qu’en tant que juge, il peut se tromper comme n’importe quel juge, Œuvres…, t. ii, p. 327-328. olivier patru reprend la question de l’infaillibilité à propos du contenu des bulles pontiicales et prend l’exemple souvent cité : le pape peut-il se tromper en canonisant un saint ? il en vient à discuter l’opinion de saint homas qui recommande de « croire pieusement, qu’en cela l’église ne peut se tromper. », Œuvres…, t. i, p. 271. 63. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. iii, v° Foi, p. 97-98. 64. J.-L. Brunet, Histoire du droit canonique…, p. 143, qui s’exprime tout aussi naturellement dans Le parfait notaire… : la supériorité du concile sur le pape est une « vérité incontestable dont nous ne nous départirons jamais, quelque efort que puissent faire les partisans de la cour de rome », t. i, p. 397. 65. L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. XiV, n° 15, p. 98 ; « les conciles ont toujours été composés d’évêques, comme étant les premiers pasteurs à qui Dieu a donné les clefs de la doctrine et de la juridiction », G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° concile, sect. Viii, p. 147. « Le tribunal de l’église universelle, laquelle est sans contredit infaillible et représentée par un concile général, est par-dessus celui du pape », J.-L. Brunet, Histoire du droit canonique…, p. 198, citant Louis maimbourg. Durand de maillane rappelle que les évêques « sont juges en première instance des matières de la foi et il n’y a que l’autorité infaillible et divine de l’église qui puisse les engager à une soumission aveugle  », Dictionnaire…, t.  iii, v°  Liberté, p. 489. 66.  il considère que les conciles n’ont pas besoin de la conirmation du pape au sens où l’entendent les ultramontains, à savoir que seule elle leur confère l’autorité, l’acceptation par le pape suit, Histoire du droit canonique…, p. 259 et suiv. 67.  conciles de constance, Bâle, pise, Latran et trente. contre les canonistes romains, il reprend les arguments historiques, les opinions du « fameux » Gerson et se plaît à leur opposer le panormitain, « le célèbre panorme », Dictionnaire…, t. i, v° Bâle, p. 250. Dans son Instruction sur la manière d’étudier le droit canonique, il félicite Gerbais (1629-1699) de l’avoir traduit : « il était juste de faire parler français un illustre canoniste italien qui a pensé comme l’on pense en

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la supériorité du concile sur le pape justiie l’appel au concile cher aux gallicans, qui en soulignent cependant lucidement toute l’ineicacité, « souvent infructueux et sans succès »68. Défendre l’autorité du concile en limitant celle du pape, c’était pour les gallicans le meilleur argument pour mettre en avant l’autorité épiscopale.

3. L’évêque La valorisation de la igure épiscopale est une question importante. si les juristes ne participent pas en tant que tels au débat théologique qui l’anime, ils ne peuvent l’ignorer. ils l’expriment notamment dans la déinition de la fonction, sa symbolique, son rapport à l’autorité pontiicale et surtout l’ensemble des pouvoirs qui lui sont coniés, domaine où ils sont forcément plus à l’aise. Les évêques sont les « successeurs des apôtres »69, mis à la tête du troupeau qui leur a été conié. ils sont à la fois pasteurs70 et intendants, mais également époux de leur église – l’anneau qu’ils reçoivent en exprime parfaitement le symbole71. comme pour le pape, ils exercent un ministère d’unité et leur gouvernement ne doit pas avoir un « air de domination que Jésus-christ et saint pierre leur ont si expressément recommandé d’éviter »72. L’importance de l’évêque est telle que « l’épiscopat est, pour Du rousseau de La combe, la plus ancienne, la plus éminente et la plus nécessaire de toutes les dignités ecclésiastiques »73. L’une des grandes questions qui se pose alors est de savoir si les évêques tiennent leur pouvoir directement de Jésus-christ ou par l’intermédiaire du pape. pour les ultramontains, tels que leurs arguments sont présentés par nos juristes, les évêques exercent leur autorité comme délégués du saint-siège. c’est ce qu’exprime très souvent le concile de trente. Les gallicans ne peuvent souscrivent à cette France », Instruction…, p. xxxi. pour Du rousseau de la combe, la conirmation est « une des questions les plus importantes et les plus controversées », il se range à l’opinion commune, Recueil de jurisprudence…, v° concile, sect. Xii, p. 151. 68. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. i, v° appel. 69. Fr. Ducasse, La pratique…, p. 162. 70. « Le pasteur général du diocèse », J.-L. Brunet, Le parfait notaire…, t. i, p. 242. 71. « Les évêques, contractant une espèce de mariage spirituel avec leur église, reçoivent l’anneau à leur consécration », Dictionnaire…, t. i, v° anneau, p. 158 ; Fr. Ducasse, citant innocent iii, rappelle que l’évêque contacte « un mariage spirituel avec son église », La pratique…, p. 13. sur l’élaboration juridique du symbolisme, Jean Gaudemet, « note sur le symbolisme médiéval. Le mariage de l’évêque », dans L’année canonique, t. 22, 1978, p. 71-80. 72. L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. 1, p. 17 avec référence à la première lettre de pierre, 5, 1-4. 73.  G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v°  évêque, sect.  1, p.  293. Durand de maillane citant le père homassin note que « l’église ne peut subsister sans évêque, non plus qu’un corps sans âme et sans chef qui possède la plénitude de la vie et qui viviie tous les membres par ses inluences continuelles », Dictionnaire…, t. ii, v° épiscopat, p. 526.

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opinion. comme toujours, ils mettent en avant l’écriture sainte, la tradition la plus ancienne de l’église et les libertés gallicanes. c’est à tous les apôtres que Jésus-christ a conié les clefs du royaume des cieux : « il promet, dit héricourt, à saint pierre et en sa personne à tous les pasteurs dont saint pierre est le chef, de lui donner les clefs du royaume du ciel »74. aussi tous les successeurs des apôtres, « ces premiers ministres de l’évangile » ont la même autorité que le christ avait promise. pour Durand de maillane, citant Dubois : « L’institution des évêques et la subordination qui est dans la hiérarchie ecclésiastique sont de droit divin. Les évêques sont tous successeurs des apôtres, lesquels avaient une puissance égale à saint pierre »75. si les ultramontains reconnaissent volontiers le premier terme de la proposition (Barbosa), en revanche ils considèrent que ce privilège était propre aux apôtres, qu’il ne s’est pas transmis à leurs successeurs. Les évêques recevraient donc leur autorité par l’intermédiaire du pape76. L’histoire, selon les gallicans, dément cette airmation. héricourt et Du rousseau de La combe notamment reprennent l’histoire des premiers siècles de l’église et mettent en évidence quelques grandes igures de l’épiscopat. ils insistent sur la solidarité entre tous les évêques, chacun ayant en charge son troupeau et tous part ensemble au troupeau tout entier : « L’épiscopat est un et chaque évêque en possède solidairement une portion »77. La conclusion s’impose d’elle-même, les évêques ne tiennent pas leur autorité du pape, pas plus que les apôtres ne la tenaient de pierre (homassin). en France, rappelle Durand de maillane, « les évêques reçoivent leur juridiction immédiatement de Jésus-christ »78. on ne leur reconnaît pas « cette qualité de délégué du siège apostolique, que le concile de trente donne à l’évêque en tant d’occasions particulières »79. citant homassin et héricourt, il conclut : « les évêques tenant leur dignité de Jésus-christ même, on est surpris de voir des prélats prendre la 74. L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. 1, p. 16. 75. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. iii, v° Juridiction, p. 410. 76. c. Févret rappelle que pour les ultramontains, les évêques tiennent leurs pouvoirs du pape, toute la terre est son diocèse et les évêques ses vicaires (Gómez). en France, en revanche, « on a tenu de tout temps, ces prétentions odieuses », Traité…, livre ii, chap. Vi, n° 1, p. 207-208. Durand de maillane résume leur argumentation à peu près dans les mêmes termes : « Le pape est l’ordinaire des ordinaires et les prélats n’ont dans l’église de juridiction que par participation à la sienne » ; il précise : « on est bien loin en France de penser comme Léon et Fagnan », Dictionnaire…, t. iii, v° Juridiction, p. 420. 77. G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° évêques, sect. i, p. 293 ; L. de héricourt, Loix ecclésiastiques…, livre i, chap. 1, p. 16. 78. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. iii, v° Juridiction, p. 409. 79. Ibid., t. ii, v° évêque, p. 555. Dans l’édition que Durand de maillane donne du Parfait notaire apostolique de Brunet, il précise à propos de l’exemption des protonotaires de la juridiction des ordinaires : « en France, nous croyons que les évêques ont une juridiction indépendante de la délégation du pape », t. i, p. 71.

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qualité d’évêque ou d’archevêque par la grâce de dieu et du saint-siège apostolique »80, ce qui contrevient aux libertés gallicanes, comme une forme d’ingérence de l’autorité pontiicale81. Des principes découlent les pouvoirs de l’évêque dans son diocèse. L’évêque est législateur, « ce droit est essentiellement attaché à l’autorité et à la juridiction que son caractère lui donne »82, il est juge et gardien de la foi83. il a le devoir de prêcher : « La prédication est la propre fonction des évêques. c’est à eux en la personne des apôtres que Jésus-christ a dit : euntes docete omnes gentes »84. il peut accorder des dispenses, Durand de maillane note « qu’il est toujours odieux de restreindre le pouvoir des évêques, à qui, en matière de dispenses, il est permis tout ce qui ne leur est pas expressément défendu »85. L’évêque ne partage son pouvoir avec personne ; le chapitre n’a pas de droit de participation au gouvernement du diocèse. L’évêque appelle à son conseil qui il veut86. il a le droit et le devoir de visiter son diocèse : droit attaché au caractère épiscopal, « fondé sur la qualité de premier pasteur et par conséquent de droit divin »87. rien ne devrait entraver l’autorité de l’évêque dans son diocèse, ce qui suit à justiier l’opposition classique des gallicans à l’exemption. il y entre à la fois une question de principe mais également une critique toute aussi classique des réguliers88. La seule exemption possible et admissible serait celle fondée sur les abus des évêques eux-mêmes89. il y aurait bien d’autres questions à évoquer, nous avons retenu ces quelques exemples, mis en avant par les canonistes à la in de l’ancien régime bien représentatifs des débats de leur temps. nous avons volontairement écarté les querelles

80. Ibid., p. 555. 81. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. i, v° coadjuteur, p. 523-524. 82. Ibid., t. iV, v° mandements, p. 26. 83. « Les évêques ont par institution divine et par l’essence de leur dignité, le droit de juger en 1re instance des causes qui regardent la foi ; ils sont à cet égard les juges naturels des questions élevées dans leurs diocèses », Dictionnaire…, t. i, v° Doctrine, p. 562, la remarque a disparu de la troisième édition ; Daniel Jousse, Commentaire sur l’édit du mois d’avril 1695, paris, 1764, art. 30, p. 234 ; G. Du rousseau de La combe, Recueil de jurisprudence…, v° Doctrine, p. 246. 84.  p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t.  iV, v°  prédicateur – prédication, faisant référence à la inale de l’évangile de matthieu 28,19. pour F. Ducasse, « La prédication est le propre emploi des évêques, qui sont les successeurs des apôtres, et ils en doivent exercer les fonctions ou par eux-mêmes ou par le ministère d’autrui », La pratique…, p. 162. 85. p.-t. Durand de maillane, Dictionnaire…, t. i, v° Bâtard, p. 282. 86. Ibid., t. i, v° chapitre, p. 458-459. 87. Ibid., t. V, v° Visite, p. 496. 88. Ibid., t. ii, v° exemption, p. 585. 89.  o. patru le plaide contre l’évêque de nevers après avoir expliqué qu’il ne défendait pas l’exemption monastique, Œuvres…, t. i, p. 55.

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théologiques et juridiques qui avaient animé la in du xvie siècle et en grande partie tout le xviie siècle. si elles restent présentes, elles sont largement apaisées. d’autres problèmes sont au cœur des préoccupations dans les années 1750 et jusqu’à la veille de la révolution : l’église, les pouvoirs respectifs du pape et des évêques en révèlent quelques aspects. Jean-Louis Gazzaniga agrégé des facultés de droit curé de la paroisse de Grasse

les deuX puissances selon les écrits du chancelier d’aguesseau par

marie-France renouX-zagamé

« rien n’est plus propre à faire naître le goût des véritables principes de la partie supérieure du droit ecclésiastique », entendons celle où il est traité des « querelles de puissance » entre l’état et l’église que « les discours de mm. les avocats généraux »1. cette airmation du chancelier d’aguesseau touche un point important : à travers l’action des gens du roi, les magistrats jouent un rôle essentiel dans la ixation et la mise en œuvre du gallicanisme des hommes de droit dans la monarchie des temps modernes. elle peut être illustrée de manière exemplaire à travers les multiples textes écrits qui expriment l’action que, de 1699 à 1717, il mena en tant que membre du parquet. au sein des treize volumes in-quarto destinés à rassembler les traces écrites de ses activités, nombreux sont les textes qui concernent « les afaires ecclésiastiques ». soit qu’ils relatent son action, soit qu’ils en soient les moyens, ils fournissent des éléments précieux pour mieux comprendre, à travers leur mise en œuvre par l’un des principaux magistrats du règne de Louis XiV, les fondements, le contenu et les conséquences des convictions gallicanes qui animent le monde de la robe durant ces décennies où les formes institutionnelles propres à la monarchie absolue se ixent. ces écrits sont nombreux, mais de caractères divers. nombre de plaidoyers prononcés par l’avocat général d’aguesseau de 1691 à 1700 traitent de questions où, soit par le caractère des parties au procès, soit par la nature de la cause, 1. Fragment d’une Ve instruction qui n’a pas été achevée sur l’étude du droit ecclésiastique, dans Œuvres de M. le chancelier d’Aguesseau, paris, 1759-1789, t. i, p. 415-441. L’éditeur l’a intégrée dans les Instructions sur les études propres à former un magistrat, publiées dans ce premier tome. pour une présentation générale de la pensée et de l’œuvre de ce magistrat, on peut se reporter aux actes du colloque qui lui avait été consacré en 2003, actes publiés en 2009 dans l’ouvrage collectif Les penseurs du Code civil, partie i : « Le chancelier d’aguesseau : la raison juridique au seuil des Lumières », p. 15-106.

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le « droit ecclésiastique »2 entre en jeu : comme le veut la procédure de l’appel comme d’abus, l’intervention du représentant du parquet tend à vériier que les hommes d’église respectent les règles du droit ecclésiastique, et c’est ainsi au titre de la fonction attribuée traditionnellement au roi de protecteur de l’église, que d’aguesseau intervient. outre ces interventions qui relèvent du contentieux, les gens du roi sont également appelés à jouer un rôle moins visible, mais important, dans les afaires plus politiques qui conduisent le gouvernement monarchique et la cour de rome à œuvrer en commun, pour trouver des solutions sur des questions relevant soit de la discipline ecclésiastique, soit de la foi. à ce titre, les discours et les réquisitoires prononcés lors de l’enregistrement des constitutions du souverain pontife, auxquelles le monarque demande à ses juges de donner pleine validité, sont en permanence une occasion pour les représentants du parquet de dénoncer les « fausses maximes » et, en contrepoint, de rappeler les « véritables principes », entendons les conditions auxquelles doit répondre toute décision venue de rome, pour valoir comme loi à l’intérieur du royaume3. souvent également, c’est un « conseil » qui leur est demandé, soit par le roi ou ses ministres, soit, quoique plus rarement et de manière plus discrète, par tel ou tel prélat. La réponse prend alors la forme d’un mémoire, dont l’argumentation souvent longue et vigoureuse présente les diférents éléments, exemples historiques, raisons de fond, règles, usages, permettant de mieux cerner, d’une part, les conditions de la régularité juridique de l’action projetée, d’autre part, les conséquences éventuelles que la cour de rome ne manquerait pas de tirer de tout manquement, si anodin puisse-t-il paraître, aux maximes qui doivent régir les relations des deux puissances. outre les nombreux et fort denses mémoires rédigés par lui dans ces occasions, la relation que fait d’aguesseau de ses multiples interventions dans les relations entre la cour de rome et le gouvernement de Louis XiV entre 1697 et 1710 permet de prendre la mesure de la vigilance et du « zèle » déployés par lui – et plus généralement par les gens du roi – pour conserver « ces limites immuables que la main de Dieu a placées entre deux puissances qui portent le caractère de la sienne et qui doivent également concourir au bonheur de la société »4. La formule mérite d’être citée, car elle énonce avec précision l’une des principales diicultés de l’action des représentants du parquet : il ne s’agit pas seulement en efet de maintenir l’indépendance de deux puissances étrangères l’une à l’autre, mais, parce qu’elles ont la même origine divine, les mêmes sujets, et nombre de buts communs, d’empêcher que dans cet indispensable « concours » l’une ne réussisse à prendre le pas sur l’autre. 2. D’aguesseau utilise couramment cette expression, qui lui permet de viser l’ensemble des normes permettant de régir le statut, les biens, et l’action des membres du clergé, qu’elles viennent de l’église ou du droit laïque. 3. Œuvres de M. le chancelier…, t. i, p. 427. 4. Ibid., t. Xiii, « présentation », p. XX.

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menée à travers les écrits de d’aguesseau, l’étude des textes qui relatent ou expriment l’action des membres du parquet permet de mieux comprendre les ressort cachés, et certaines des visées, peut-être inconscientes, du gallicanisme de la robe. sur ce point, certains des conseils que, dans ses œuvres à vocation didactique, il dispense au futur magistrat sur les moyens de comprendre le fond des choses en matière de droit ecclésiastique se révèlent suggestifs5. parmi les livres dont il présente la lecture comme indispensable – « ceux qui doivent être lus dès à présent » –, il airme en efet que l’ouvrage que Grotius consacre à la question des pouvoirs de l’état sur les choses sacrées, le De imperio summarum potestatum circa sacra6, peut être considéré comme le « plus propre à donner lieu d’aller jusqu’au fond d’une matière si importante », on peut même « le regarder comme la partie métaphysique »7. or, dans cet ouvrage, comme le rappelle la note insérée à ce point par l’éditeur, le fondateur de l’école du droit naturel moderne en vient, comme il est de règle chez les théoriciens protestants, à ne reconnaitre que la seule puissance temporelle. il s’agit là d’un excès certes opposé à celui dans lequel tombent les ultramontains lorsque, pour assurer la suprématie de la puissance spirituelle, ils s’eforcent d’en faire dépendre la puissance temporelle, mais il n’est pas moins condamnable. sans doute le magistrat français n’omet-il pas de rappeler que c’est un livre « qu’on ne saurait lire avec trop de précaution », qu’il « faut s’attacher à en épurer les premières notions », ain de se donner les moyens de « démêler exactement le vrai et le faux », mais, ajoute-t-il, « la diférence qui les sépare est quelquefois si déliée, qu’elle échappe à des yeux médiocrement attentifs ». qu’est-ce à dire, sinon qu’entre « le faux » – une église entièrement soumise à l’état, voire confondue avec lui, telle que la présentent Grotius et plus généralement les penseurs de la réforme – et « le vrai » – entendons ce qui serait, dans l’esprit de d’aguesseau, le véritable statut de la puissance spirituelle au regard de la puissance étatique – la « diférence » est, au fond, quasi imperceptible ? ce serait sans doute aller trop loin que de voir là la vérité cachée du gallicanisme de la robe. mais que les gens du roi, et à travers eux le monde de la robe, soient sur le chemin qui y mène, c’est ce que je voudrais tenter de montrer en présentant les enseignements que l’on peut tirer des écrits de d’aguesseau sur la question des relations entre les deux puissances, et à travers elle sur le statut accordé à l’église, d’une part, dans le domaine du droit privé, où la modération semble régler l’action du juge, d’autre part, dans celui des « querelles de puissance », où le « zèle » des défenseurs de l’état que sont les magistrats du parquet l’emporte assurément.

5. Voir n. 1. 6. achevé dans les années 1616-1617, cet ouvrage sera publié en 1647. 7. Œuvres de M. le chancelier…, t. i, p. 419.

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i. — questions de droit privé : la modération du juge nombre de plaidoyers de l’avocat général d’aguesseau interviennent en efet dans des afaires ecclésiastiques par leurs matières et leurs acteurs, mais on peut les considérer comme relevant du contentieux privé dans la mesure où, selon la formule consacrée, elles naissent et meurent au royaume, ce qui exclut celles où le souverain pontife intervient. Le terme droit privé n’est cependant que partiellement adéquat puisque, d’aguesseau le rappelle, pour l’essentiel les matières ecclésiastiques relèvent du droit public8 : c’est en efet au nom de l’intérêt, ou de l’utilité publique, ou encore, la formule est fréquente, du « repos des familles » que l’avocat du roi intervient. sur les principales questions relevant de ce domaine, il est bien évidemment diicile, en se fondant sur les seuls plaidoyers de d’aguesseau, de dégager des orientations jurisprudentielles. mais force est de reconnaître que, même s’il semble donner tort un peu fréquemment aux demandes venant du monde ecclésiastique ou aux argumentations fondées sur le seul droit canonique, l’avocat du roi reste modéré : il écoute et il discute. c’est au demeurant sa fonction de le faire puisque, comme on le sait, l’intervention du parquet doit conduire son représentant dans un premier temps à mettre en balance les deux argumentations, avant, dans un deuxième moment, de proposer selon les règles du débat dialectique une synthèse. ces contraintes l’obligent en conséquence à rappeler, même dans les cas où la jurisprudence semble ixée, les arguments des adversaires : on peut ainsi entendre l’ordre de saint Dominique plaider le caractère illégitime de l’intervention du magistrat civil dans ses afaires intérieures9, ou encore un avocat tenter de démontrer que, quoiqu’en dise la jurisprudence, il y a une grande diférence entre le rapt de séduction et l’enlèvement par la force10. elles le conduisent également à confronter – selon les rigoureuses méthodes mises alors en œuvre par les gens du roi – les données juridiques hétérogènes qui doivent ou peuvent intervenir. elles l’obligent enin à présenter une conciliation puisque, même si elle n’est pas contraignante pour eux, il appartient à l’avocat général, par ses conclusions, de proposer aux juges une solution. pour ce faire, il lui arrive parfois de faire triompher l’un ou l’autre droit – avouons-le plutôt l’un que l’autre – mais le plus souvent, il tente, en jurisconsulte, soit de faire concorder les diférentes sources à 8. Œuvres de M. le chancelier…, t. i, p. 416. 9. s’agissant d’une question liée à la profession des religieux, l’avocat de l’ordre airme qu’elle ne « regarde que l’intérieur du monastère » et « ne peut jamais former une obligation civile, un engagement légal, un état politique » (ibid., t. iV, p. 64). 10. Dans un plaidoyer, un avocat demande « où est la preuve de la violence », et l’avocat général lui répond : « qu’on ne dise point qu’il n’y a point d’enlèvement, ni de violence. La subordination est beaucoup plus dangereuse ; elle ravit le cœur, l’autre ne ravit que le corps » (ibid., t. iV, p. 98).

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utiliser, en menant de savantes mises en parallèle, soit de les uniier en remontant à des principes généraux du droit. il n’est pas rare alors qu’il fasse intervenir soit le droit romain au titre de raison écrite, soit le droit naturel, qu’il entend, selon les formules reprises alors par l’ensemble des hommes de droit en France, comme le droit que l’auteur de la nature a gravé dans les cœurs, c’est-à-dire une igure du droit naturel qui relève pour l’essentiel de la tradition scolastique, ou, si l’on préfère, du droit naturel classique11. quelques exemples permettront de mieux saisir les procédés et leurs résultats. un certain nombre de causes mettent en jeu des personnes ecclésiastiques, ainsi quand il est question de la mise en œuvre du droit de patronage, ou encore quand une contestation s’élève sur la régularité des vœux qui permettent l’entrée dans le clergé régulier. en ce qui concerne le droit de patronage, certaines afaires conduisent d’aguesseau à s’interroger sur le droit commun qui doit s’appliquer pour le cas où les règles posées par le fondateur demanderaient à être interprétées12. mais, après s’être un moment interrogé sur la possibilité d’utiliser les règles du droit romain – en l’espèce les règles régissant le droit de patronage des maîtres à l’égard de leurs afranchis –, le représentant du parquet doit reconnaître que ce sont les règles du droit canonique qui doivent s’appliquer, ce qui le conduit, dans une afaire, à écarter une intervention des agents du roi, lesquels, en raison de l’ouverture de la régale, avaient tenté de « prévenir » un patron prétendu faussement défaillant : « quelque grande que soit sa puissance », airme son avocat, le roi « la soumet aux règles auxquelles les collateurs ordinaires sont soumis », car sa mission est de maintenir les patrons « contre les entreprises de la cour de rome », non de les prévenir lui-même13. si ce sont les intérêts bien compris de l’église de France qui semblent alors protégés, il en va diféremment dans une autre espèce, où il s’agit de savoir si les bénéices qui dépendent absolument des seigneurs temporels, c’est-à-dire dont non seulement le patronage, mais la collation leur appartient, sont soumis aux autorités ecclésiastiques, au moyen du droit de dévolut ou de dévolution qui leur permettrait de se substituer éventuellement aux collateurs défaillants. selon d’aguesseau, ces bénéices, « assez communs en France », ne doivent pas, comme le voudraient les ultramontains, être considérés comme des « abus », tolérés plutôt qu’approuvés, c’est-à-dire au mieux comme des privilèges14. Les coutumes,

11. nous nous permettons de renvoyer sur ce point à notre article « Le recours au droit naturel dans la casuistique judiciaire de la France classique : les plaidoyers de l’avocat général d’aguesseau », dans Un dialogue juridico-politique : le droit naturel, le législateur et le juge, aix/marseille, 2010, p. 129-144. 12. Œuvres de M. le chancelier…, t. ii, p. 489. 13. Ibid., t. ii, p. 497. 14. Ibid., t. iV, p. 312.

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rappelle-t-il, en disposent comme d’un droit patrimonial15, et surtout l’intérêt du roi est trop joint en cette occasion à celui des seigneurs pour les séparer. il est en efet fréquent que le roi confère ces bénéices « comme étant aux droits des seigneurs », or personne n’a jamais entendu dire que le roi reconnût le droit de dévolution. en outre le souverain – et donc son avocat en son nom – est en droit de soutenir les privilèges temporels de ses sujets, qui ne peuvent reconnaître d’autre supérieur que lui : « tous les droits ne se réunissent-ils pas dans la personne du souverain, auxquels ils remontent ? »16. à travers cette argumentation, l’une des visées du magistrat se dessine : s’eforcer, autant que faire se peut, de refermer le monde institutionnel et juridique sur lui-même, suggérer, par la force du discours, qu’il forme, ou en tous les cas devrait former, un ensemble clos soumis à la seule autorité de l’état. si le souci de protéger les intérêts supérieurs de la chose publique semble l’emporter lorsqu’il s’agit du droit de patronage, la volonté de faire respecter le libre exercice de la volonté des individus trouve également place dans les interventions où l’avocat du roi est confronté à des afaires où il est question des vœux qui marquent pour les religieux l’entrée au monastère, mais également la mort au monde, puisqu’ils cessent « de faire partie de la grande société des hommes »17. Des intérêts divers doivent alors être respectés et donc conciliés : ceux de la communauté religieuse, mais également ceux de l’individu, qui ne doit pas plus être contraint qu’être engagé témérairement, ceux enin de la société, car « l’intérêt public » est concerné : favoriser « les retours inconstants », ou les « caprices frivoles d’un religieux qui prétendrait toujours n’avoir été ni volontairement ni légitimement engagé », irait à l’encontre du « repos des familles »18. ces diverses considérations expliquent que d’aguesseau accorde aux règles du droit canonique la place qui ne peut leur être refusée, mais s’eforce également de les interpréter à la lumière de principes plus généraux. ainsi, s’il faut rejeter de manière générale les professions tacites, c’est certes parce qu’elles sont « contraires à la pureté des canons, à la sainteté de la discipline »19, mais c’est aussi parce qu’il faut « ixer l’inconstance naturelle des hommes », et surtout assurer l’état des personnes en donnant des moyens de le prouver, l’intérêt public le demande20. De même, s’il convient que le juge vériie la liberté de l’engagement des religieux – et nombreuses, rappelle-t-il, sont les causes portées en l’audience du parlement sur ces questions21 – c’est pour

15. Œuvres de M. le chancelier…, t. iV, p. 313. 16. Ibid., t. iV, p. 315. 17. Ibid., t. iV, p. 116. 18. Ibid., t. iV, p. 119. 19. Ibid., t. iV, p. 50. 20. Ibid., t. iV, p. 69-70, 75. 21. Ibid., t. iV, p. 106.

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des raisons qui relèvent tout à la fois de l’ordre divin et de l’ordre civil. la servitude des religieux « ne peut être agréable à Dieu que lorsqu’elle est volontaire »22. il s’agit là d’un principe « écrit dans les canons, autorisé par les lois et par les arrêts » ; mais il est également « « gravé pour ainsi dire dans les cœurs par la main même de l’auteur de la nature »23, entendons qu’ils relèvent du droit naturel, car, rappelle l’avocat, « la volonté, la liberté sont, à la vérité, l’âme, le fondement, la base de tous les contrats »24. Dans les deux espèces, le processus de généralisation permet à l’avocat de tisser les liens abstraits qui lui permettent d’insérer les règles du droit canonique dans un ensemble plus vaste, dominé par les principes du droit naturel, et, là aussi, de faire surgir, au moins pour un moment, l’image d’une possible et souhaitable unité du droit. La démarche est proche dans une autre afaire, où il s’agit des conséquences inancières de l’érection d’un nouvel archevêché. comme elle s’est faite en distrayant un certain nombre d’évêchés, elle a donné lieu à une indemnité au proit du prélat dépouillé, indemnité à prélever sur les dîmes. La question est de savoir quel est celui des deux prélats qui doit payer, lorsque survient une modiication inattendue de revenu, due à une augmentation de la portion congrue payable sur les dîmes. cette afaire est d’abord l’occasion pour l’avocat général de vériier tout au long la conformité de l’opération tant avec les règles du droit ecclésiastique qu’avec les règles du droit étatique, puisque l’intervention du roi est indispensable. il assume ici, au nom du roi et avec beaucoup de vigilance, la mission de protecteur dont celui-ci est chargé à l’égard de l’église. quant à la solution de la contestation, il la trouve, sans autre justiication, directement chez les jurisconsultes romains : « quoique cette cause, et par la qualité des parties et par le sujet de la contestation paraisse entièrement ecclésiastique, elle doit néanmoins être décidée par les principes du droit civil »25. s’il est certes préférable d’éviter de parler de vente, l’accord entre les deux prélats peut néanmoins aisément trouver place dans les diférentes catégories de contrat que propose le droit romain, et dès lors l’utilisation des principes généraux qui régissent cette matière conduit sans diiculté à la solution. ici c’est donc l’appel à des principes empruntés à la raison écrite qui sert de fondement aux conclusions du parquet. mais, dans l’univers conceptuel dans lequel s’inscrivent ces argumentaires, la raison écrite sert traditionnellement de truchement à la raison non-écrite, elle est l’expression privilégiée du droit naturel. Les centaines de pages d’argumentation serrée que l’avocat général construit pour tenter d’accorder les règles posées par les deux puissances dans le domaine 22. Ibid., t. iV, p. 107. 23. Ibid., t. iV, p. 117-118. 24. Ibid., t. iV, p. 118. 25. Ibid., t. ii, p. 384.

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des causes matrimoniales fournissent également de bons exemples de la mise en œuvre de cette méthode, qui permet au juge laïque, en montrant les liens intellectuels qui rattachent les règles du droit canonique aux principes généraux du droit, de réduire autant que faire se peut leur altérité au regard du droit étatique. ici en efet, comme nul ne l’ignore, l’opposition est frontale, puisque l’un des buts poursuivis par l’état, et ses juges l’ont puissamment aidé à le faire triompher, c’est d’empêcher que les mineurs se marient sans le consentement des pères, alors que les pères du concile de trente ont conirmé que, pour l’église, ce consentement n’était pas de l’essence du mariage. aux yeux de l’avocat général, il est essentiel de combler la fracture, de montrer que les deux puissances au fond s’accordent26, même si, à s’en tenir à la lettre des textes, l’opposition semble patente. il y va d’abord de la conscience du magistrat : comment un juge chrétien pourrait-il ne pas trembler en songeant qu’il « va peut-être… rompre des liens que la main de Dieu même a formés »27 ? il y va aussi de la stabilité de la société, car les mariages, « qui conservent la paix et la tranquillité des familles », « sont les premiers fondements de la société civile »28. D’où la variété des arguments utilisés, et surtout la latitude laissée à l’interprétation du juge. comme souvent dans les plaidoyers de d’aguesseau, le recours à l’histoire joue un rôle important en permettant de faire surgir une sorte d’essence intemporelle de l’institution : le refus de considérer le consentement des pères comme une condition de validité du mariage est, ne cesse de rappeler l’avocat général, une opinion nouvelle due à « la subtilité de quelques canonistes »29. mais sur le long cours, et pour le plus grand bonheur des familles, « jamais le droit naturel et positif, les lois civiles et canoniques, l’église et l’état n’ont été ni si longtemps ni si parfaitement en accord que sur cette matière »30. cette remise en perspective historique, destinée à disqualiier les arguments contraires, justiie l’étonnante liberté avec laquelle l’avocat de l’état interprète les textes : c’est en s’appuyant sur ce que doit être l’intention de chacun des deux législateurs pour ne pas être en contradiction, soit avec lui-même, soit avec l’autre, qu’il se donne les moyens de leur faire dire ce que manifestement ils n’ont pas dit. ainsi du côté des règles civiles ; si le législateur étatique a dû user de moyens obliques pour fournir à ses juges les bases leur permettant, en assimilant l’absence de consentement à un rapt de séduction, d’annuler au civil des mariages parfaitement valides au regard du seul droit canonique, c’est « par respect » pour l’église. ainsi également se justiie 26. Œuvres de M. le chancelier…, t. ii, p. 163. 27. Ibid., t. ii, p. 291. 28. Ibid., t. iii, p. 69. 29. Ibid., t. iii, p. 82. 30. ces formules se retrouvent quasiment à l’identique dans deux plaidoyers (ibid., t. ii, p. 161 et t. iii, p. 81).

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l’interprétation des canons du concile de trente, et l’explication de l’obscurité que l’avocat général y discerne : pour ne pas être en désaccord avec l’interprétation traditionnelle et pour respecter les exigences de la société civile, les pères tridentins ont délibérément choisi des formules « obscures », car, sur le fond, leur volonté était de permettre à chacun de suivre les règles et les usages de son pays31. ici également une forme d’unité est rétablie, elle est plutôt fondée sur les exigences du droit national, mais constamment, dans ces argumentaires, le droit français est présenté comme l’expression du droit juste en soi. à travers un contrôle dont la vigilance ne se dément jamais, c’est donc pour l’essentiel la volonté de concilier, voire d’uniier, qui anime prioritairement le magistrat lorsqu’il lui revient de se prononcer sur des questions qui concernent, pour l’essentiel, des intérêts particuliers. mais il n’en va pas de même lorsqu’il est confronté à des « querelles de puissance ».

ii. — Les « querelles de puissance » : le zèle du magistrat Lorsque d’aguesseau est amené à intervenir, soit dans des afaires contentieuses, dont la décision est suspendue à l’examen par le juge de la validité d’une décision du souverain pontife, soit dans des afaires plus directement politiques, le ton et la manière changent. il n’est plus alors question de débattre, mais de combattre. Dépourvues de toute légitimité même potentielle, les positions de l’adversaire ne sont plus que des places fortes à emporter ou à détruire. Loin que l’argumentation du représentant du parquet vise à dissimuler ou à réduire un désaccord qui n’est plus nié, elle se fonde au contraire sur cette discorde, pour la présenter comme la base permanente à partir de laquelle il convient de comprendre les actes des uns et des autres : ceux bien sûr de la cour de rome, toujours et uniquement attachée à étendre son empire illégitime sur le monde chrétien, mais également ceux du roi et de ses ministres, qui ne doivent jamais oublier qu’ils n’ont pas seulement afaire au « père commun de tous les chrétiens »32, auquel ils ne sauraient refuser le respect et l’obéissance qui lui dont dus, mais aux « latteurs » de son entourage – le terme revient constamment dans la bouche ou sous la plume du magistrat –, lesquels, pour mieux assurer leur propre pouvoir, s’eforcent en permanence de porter au-delà de ses bornes la légitime autorité qui revient au successeur du prince des apôtres. ce désaccord impossible à résoudre est le fondement du combat que le magistrat du roi se sent en permanence dans l’obligation de mener pour remplir les devoirs de sa charge : que ce soit dans l’exercice direct de ses fonctions judiciaires, ou bien 31. Œuvres de M. le chancelier…, t. ii, p. 163-164. 32. Ibid., t. i, p. 236.

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lorsqu’il est amené à éclairer les diférentes autorités qui peuvent le consulter, en leur présentant les bases et surtout les conséquences juridiques des diférents choix qui s’ofrent à eux, il lui revient, en vertu du « serment inviolable » qui l’attache à sa mission, de défendre et d’assurer, contre les incessantes attaques ou manœuvres des ultramontains, l’indépendance souveraine qui est la condition d’existence de l’état. mais si veiller à ce que les « bornes » qui séparent les deux puissances ne soient pas déplacées est le but ultime et fondamental de l’action des gens du roi, ils n’ont garde d’oublier que l’indépendance de l’état est liée à l’autonomie dont peut – et donc doit – bénéicier l’église gallicane. ainsi se comprend le lien établi entre les deux problématiques : « entre le pouvoir des évêques comparé avec celui du pape, et les maximes fondamentales de nos libertés », il y a « une liaison si étroite » qu’on ne peut « attaquer l’un sans faire quelque préjudice à l’autre, c’est-à-dire à nos libertés »33. constamment, c’est ainsi le statut des évêques du royaume qui est au centre des préoccupations et de la vigilance des gens du roi, et souvent c’est à la défense du droit des prélats à participer, sous des formes éventuellement diverses, aux décisions du souverain pontife que se consacre le « zèle » qu’ils demandent au roi de leur permettre de déployer34. La contrepartie de cette défense des droits de l’épiscopat, c’est bien évidemment la volonté de maintenir l’autorité du souverain pontife à l’intérieur des limites que les canons lui assignent aux yeux des magistrats gallicans. elle est si forte chez d’aguesseau qu’elle entraîne un changement de manière et de style dans les plaidoyers où il est confronté à une décision pontiicale : la modération et le respect des opinions diférentes dont, à l’ordinaire, il prend grand soin de faire preuve cède la place à une sorte d’acharnement argumentatif : aucun acte exprimant cette « autorité absolue » que les papes modernes revendiquent ne saurait trouver grâce à ses yeux. il faut ici le suivre dans l’une de ces afaires où l’une des parties a cru trouver la sauvegarde de ses prétentions en obtenant un bref du souverain pontife35. il s’agit d’une dispense accordée par le pape au ils d’un clerc, pour couvrir le vice de sa naissance et lui permettre d’entrer dans un chapitre. Détruire l’autorité et donc la validité de cette intervention n’est pas chose facile. sur le fond en efet, bien que les canons des derniers conciles aient validé l’empêchement constitué par le vice de naissance, on peut considérer, et d’aguesseau ne peut s’empêcher de le reconnaître, qu’il est préférable de prendre en compte les seules « qualités personnelles » et que, même s’ils en sont « la preuve et souvent les imitateurs », il n’est pas juste de faire porter aux enfants la peine des dérèglements de leurs pères. c’est au demeurant ainsi, il le rappelle, qu’on a longtemps pensé. L’église d’orient suit toujours cette ancienne discipline, et pour ce qui est de l’église romaine, l’autorité 33. Œuvres de M. le chancelier…, t. Xiii, p. 287. 34. Ibid., t. Xiii, p. 303. 35. Ibid., t. ii, p. 579-596.

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pontiicale est venue corriger la rigueur des canons en accordant systématiquement des dispenses. à s’en tenir donc « à la force du droit commun qui rend le pape dispensateur légitime de ces grâces »36, il faudrait reconnaître au bref pontiical l’autorité qui lui est due. mais c’est mal connaître la pugnacité de l’avocat général en face de tout ce qui vient de rome que de croire qu’il va s’incliner, comme il le fait pourtant presque toujours, devant l’autorité du droit commun. en l’espèce, remarque-t-il, le bref ne se contente pas de déroger aux canons, il est contraire à la loi particulière du chapitre dans lequel il permet à l’impétrant d’entrer. œuvre d’un duc, le duc d’aquitaine, qui exerçait l’autorité souveraine au xie siècle dans cette région, ce statut a par la suite été conirmé par des lettres patentes du roi. D’ordinaire d’aguesseau ne porte pas une grande considération à ce qui vient de ces siècles de confusion et d’anarchie, encore moins aux actes d’un seigneur qu’il tiendrait plutôt pour un usurpateur. mais, en face d’une intrusion du pape dans la vie de l’église de France, les convictions qui, à l’ordinaire, guident son raisonnement semblent s’évanouir, et c’est en soutenant que le bref du pape ne pouvait pas déroger à ce statut qu’il va réussir à l’écarter. Le raisonnement suivi est classique, mais les termes utilisés témoignent qu’il s’agit pour lui d’un combat essentiel. comme le fait toujours le juge monarchique lorsqu’il entend éprouver la validité d’un acte émanant d’une autorité souveraine, il commence par contourner l’interrogation sur le pouvoir, la questio potestatis du droit savant, en feignant de sonder la réalité de la volonté qui s’exprime dans l’acte. Le but est de montrer qu’elle est dépourvue des qualités qui assurent sa validité : « quelque étendue qu’on donne au pouvoir du pape, il ne peut accorder que ce qu’il connaît »37, et, en l’espèce, il ne peut avoir eu l’intention de déroger à des statuts qu’on ne lui a point exposés. mais le magistrat quitte immédiatement cet argument de précaution pour attaquer frontalement : les aurait-il connus, l’aurait-il voulu, il n’aurait pas été au pouvoir du pape de déroger « à une loi civile revêtue de l’autorité souveraine » : en tant que telle, c’est une « loi indépendante de celles de l’église », et le pape ne peut y contrevenir sans « entreprendre sur la juridiction royale »38. au demeurant, le bref du pape ne contrevient pas seulement aux principes et aux règles qui lui interdisent de remettre en cause les souverainetés temporelles, il va également à l’encontre de ceux qui fondent et régissent son véritable pouvoir, tel au moins que le déinissent les jurisconsultes gallicans. même pour cette obscure afaire, l’avocat du roi n’hésite pas à déployer les propositions qui constituent le cœur du gallicanisme parlementaire : « nous n’avons point reçu en France cette autorité absolue, indéinie et arbitraire que les latteurs de la cour de rome ont attribuée au pape. son pouvoir, quelque grand qu’il soit, est borné et limité par les canons ». 36. Ibid., t. ii, p. 588. 37. Ibid., t. ii, p. 590. 38. Ibid., t. ii, p. 592.

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Jamais on n’a soufert que le pape ait donné atteinte à la pureté de ces maximes, c’est l’un des principaux articles de nos libertés39. ici, à l’évidence, l’intervention du souverain pontife est perçue comme celle d’une « puissance étrangère »40. Le contenu du discours que d’aguesseau prononce en 1699 pour requérir au nom du roi l’enregistrement de la bulle qui termine l’afaire du quiétisme en condamnant le livre de Fénelon consacré aux Maximes des saints41 conirme le lien ainsi établi entre la revendication de l’indépendance de l’état à l’égard des autorités religieuses et la défense des formes institutionnelles permettant aux membres du clergé gallican de concilier la part d’indépendance nécessaire à l’exercice de leur mission avec leur statut de sujets soumis à l’autorité de l’état. ce discours, véritable modèle du genre, peut être considéré comme une sorte de monument ou de manifeste des thèses qui structurent le gallicanisme de la robe. Du côté des fondements, il exprime avec clarté et même éclat ce que le discours du droit préfère en général suggérer, mais qui est sans doute essentiel. si le roi – et donc ses magistrats pour lui et en son nom – ne peut en aucune manière tolérer qu’à l’intérieur du royaume le souverain pontife prétende exercer directement une autorité véritable, c’est certes d’abord parce qu’il y va de l’indépendance souveraine et donc de l’existence de l’état, mais c’est aussi parce qu’il y va de la mission proprement spirituelle que le prince continue pour ces esprits à partager avec le prêtre. même si elles agissent avec des moyens diférents, il ne faut jamais oublier que les deux puissances ont « la même origine » : « également émanées de Dieu », elles ont en conséquence le « même caractère »42, les mêmes sujets, et nombre de visées communes. c’est pourquoi, malgré les bornes qui les séparent, elles ont besoin l’une de l’autre et doivent quasiment en permanence collaborer : si l’église donne au roi des sujets obéissants, la mission du roi, airme son procureur dans ce réquisitoire, c’est de faire régner Dieu en sa place43, c’est-à-dire, pour reprendre les termes précis que d’aguesseau utilise ailleurs, de « faire pour Dieu tout ce qui ne peut être fait que par un roi »44. en demandant à ses juges d’enregistrer la bulle pontiicale, le roi concourt avec l’église « à la in qui leur est commune, c’est-à-dire à la gloire de celui qui prononce ses oracles par la bouche de l’église et les fait exécuter par l’autorité des rois », il joint « les armes visibles de la puissance royale à la force invisible de l’autorité ecclésiastique »45. 39. Œuvres de M. le chancelier…, t. ii, p. 591. 40. Ibid., t. Xiii, p. 342. 41. Réquisitoire pour l’enregistrement de la bulle contre le livre des maximes des saints, ibid., t. i, p. 233 (1699). 42. Œuvres de M. le chancelier…, t. i, p. 416. 43. « que le Dieu qu’il fait régner en sa place, étende le cours de sa vie au-delà des bornes de la nature » (Œuvres de M. le chancelier…, t. i, p. 236). 44. Œuvres de M. le chancelier…, t. i, p. 415. 45. Ibid., t. i, p. 234-235.

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on comprend que l’avocat général retrouve dans ce réquisitoire les formules classiques venues de l’empire romain chrétien : en faisant appliquer la décision du pape, le souverain agit comme un « évêque extérieur »46 ; « plein de ce double esprit qui forme les grands rois et les grands évêques », « animé d’un cœur royal et sacerdotal », il est « roi et prêtre tout ensemble »47. c’est pourquoi, conclutil, en reprenant et en développant, sans toutefois le citer, les formules de saint pierre Damien48, il convient de respecter « la majesté du roi dans les décrets du souverain pontife et la sainteté du souverain pontife dans les ordonnances du roi »49. cette imbrication constante et nécessaire de l’action des deux puissances justiie la nécessité de l’intervention du juge : « bien loin d’altérer » la concorde « entre l’empire et le sacerdoce », le parlement l’afermit50 car, en rappelant et en faisant respecter les règles qui maintiennent les deux puissances distinctes dans leurs actions communes, il empêche qu’elles ne se confondent au risque que l’une absorbe ou à tout le moins subjugue l’autre. L’équilibre toutefois n’est qu’apparent : tel que le conçoivent les gens du roi, ce nécessaire contrôle judiciaire s’exerce pour l’essentiel sur les autorités ecclésiastiques, et, s’agissant des relations de collaboration entre les deux puissances, il tend avant tout, ce réquisitoire le conirme, à défendre, contre rome, les prérogatives des évêques gallicans : il s’agit de maintenir leur droit, fondé sur « la parole de Jésus-christ même », entendons sur le droit divin, à être juge aussi bien que le pape des causes de la foi, et donc à n’accepter les décisions de rome sur ce point que par voie de jugement, « soit que leur jugement précède, soit qu’il accompagne ou qu’il suive celui du premier siège »51. objet depuis des siècles de contestations entre rome et le clergé français, et substitut de l’adhésion aux thèses conciliaristes, la défense de l’institution divine des évêques prend ainsi une grande importance dans les discours des représentants du parquet. elle leur permet de s’opposer à ce qu’ils veulent à tout prix interdire, et qui est, selon eux, la visée profonde de la cour de rome, l’exercice par le pape d’une autorité directe et immédiate à l’intérieur même du royaume. Le lien entre 46. Lorsque ce discours lui fut lu, Louis XiV se montra tout d’abord « blessé » de ce qualiicatif, et d’aguesseau dut lui faire l’histoire de la formule pour qu’il accepte son maintien. madame de maintenon, de son côté, entendit dans ce discours «  une espèce de langage prophétique  ». La remarque étonna le procureur – « je ne m’étais pas attendu qu’on m’attribuât cette qualité » – mais elle traduit non sans une certaine justesse la perception de l’imprégnation religieuse de ses propos (ibid., t. Xiii, p. 188). 47. Œuvres de M. le chancelier…, t. i, p. 235. 48. Ita sublimes istæ duæ personæ tanta sibimet invicem unanimitate jungantur ut… rex in romano pontiice et romanus pontifex inveniatur in rege. cette formule conclut la Disputatio synodalis (Patrologia latina, t. cXLV, col. 86). 49. Œuvres de M. le chancelier…, t. i, p. 241. 50. Ibid., t. i, p. 241. 51. Ibid., t. i, p. 237-238.

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les deux apparaît avec clarté dans les mémoires52 par lesquels d’aguesseau s’eforce – avec un succès au demeurant inégal, mais il n’intervient qu’à titre de conseil – de corriger, dans les textes qui marquent les échanges entre les deux puissances, tout ce qui pourrait contribuer au triomphe des thèses romaines. entre deux puissances qui s’eforcent de concourir en se fondant sur des principes antagonistes, « les exemples ont souvent plus de force que les lois »53. chaque acte, chaque texte surtout, peut ainsi contribuer à créer, à ixer ou à changer la règle, tout peut être décisif car, d’une certaine manière, le droit est en gestation permanente. La recherche juridiquement impossible de règles vraiment communes init dès lors par se résoudre en de véritables batailles de grammairiens qui opposent, sur les mêmes textes, corrigés et recorrigés, les juristes des deux puissances. chacune au fond s’eforce d’obtenir un résultat identique : à travers les points sur lesquels l’accord se fait, faire accepter à l’autre, sans qu’elle en ait conscience, certaines conséquences qui leur sont liées et qui sont susceptibles de modiier ses prétentions. à ce jeu, selon la relation qu’en fait d’aguesseau, la cour de rome se montre particulièrement habile, contrairement aux ministres du roi et aux prélats du royaume qui se révèlent souvent « peu instruits », quand ils ne sont pas « prévenus »54. sur le fond, rien que de très classique dans le contenu des « véritables principes » dont le magistrat s’eforce d’obtenir, sinon la reconnaissance, du moins l’absence de condamnation, comme dans celui des « fausses maximes » dont il s’attache à déceler la présence cachée dans les textes venus de la cour de rome, ou corrigés par elle. au titre des principes à défendre, la volonté de préserver le droit des évêques le conduit en permanence à maintenir leur participation à la direction de l’église : lorsqu’ils acceptent les décrets pontiicaux, ce ne peut être par pure obéissance, mais parce qu’ils les trouvent « conformes à la tradition », dont ils sont tous « solidairement les dépositaires et les témoins »55. au titre des maximes à combattre, la principale préoccupation du magistrat, lorsqu’il est confronté à un texte venu de rome, c’est de traquer et d’obtenir la suppression de tout ce qui pourrait suggérer que la France reconnaît au pape « une autorité immédiate à l’intérieur du royaume »56. D’où, par exemple, la dénonciation de l’absence d’adresse dans un texte : selon lui, ce retranchement en apparence anodin est destiné à accréditer l’idée que « la seule parole du pape forme loi, pourvu qu’elle soit entendue dans rome », et que « tout le monde chrétien est obligé de s’y soumettre »57.

52. ils sont rassemblés au tome Xiii des Œuvres de M. le chancelier… sous le titre Mémoires historiques sur les afaires de l’église de France depuis 1697 jusqu’en 1710, p. 161-534. 53. Œuvres de M. le chancelier…, t. i, p. 431. 54. Ibid., t. Xiii, p. 207. 55. Ibid., t. Xiii, p. 317. 56. Ibid., t. Xiii, p. 302. 57. Ibid., t. Xiii, p. 331.

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mais c’est surtout l’état d’esprit qui se fait jour à travers les interventions du magistrat français qui retient l’attention. La dénonciation des « abus » et des « entreprises de la cour de rome », de cette cour « si subtile, si adroite »58, est permanente dans sa présentation, et il faut ici l’écouter pour prendre vraiment la mesure de l’extraordinaire déiance des magistrats français à l’égard de la papauté. c’est une « puissance qui sait proiter de tout, qui acquiert tous les jours, qui ne perd jamais rien, qui a plusieurs fois établi un droit sur un seul acte »59. elle regarde toute concession comme un droit acquis60, elle « expliquera tous les jours en sa faveur les titres les plus innocents »61. « selon l’usage des poltrons qui se croient les plus forts », elle croit toujours pouvoir « abuser impunément de la faiblesse de son adversaire »62, car elle n’oublie jamais « cet art qui lui est si ordinaire, cette politique dont elle s’est si souvent servi contre nous, de se servir du besoin qu’elle croit que nous avons d’elle »63. Dans tout texte venu de la cour de rome – comme dans toutes les corrections qu’elle entend apporter aux écrits des évêques français – il convient donc de chercher « les pièges », le « venin », les « mystères », qui y sont « cachés »64, la simplicité même n’est jamais qu’apparente65, et le but poursuivi toujours le même, « nous engager à nous relâcher de nos plus justes prétentions »66. en permanence donc, l’action du magistrat vise à puriier « le langage de rome » de tous les dangers que peuvent recéler les plus anodins de ses éléments. toutes les propositions sont ainsi passées au crible d’un minutieux examen, qui permet à d’aguesseau de faire apparaître les possibles « suites dangereuses » que rome pourrait par la suite tirer de l’acceptation irréléchie de certaines d’entre elles. à le suivre dans ses méticuleuses démonstrations, la méiance du magistrat peut certes se révéler justiiée. mais l’espèce d’acharnement qui anime en permanence son action init par susciter l’interrogation : la cour de rome est-elle vraiment le plus grand ennemi du royaume ? pour quelque peu outrée que nous paraisse la déiance sur laquelle elle repose, l’action des gens du roi durant ces décennies ne s’en inscrit pas moins dans une tradition qui semble ne plus guère varier depuis la mise en place de la monarchie absolue. La volonté de préserver les droits du roi et les maximes du royaume passe ainsi par la défense d’une ecclésiologie, qui n’est certes pas sans garants historiques, 58. Ibid., t. Xiii, p. 205, 325. 59. Ibid., t. Xiii, p. 332. 60. Ibid., t. Xiii, p. 273. 61. Ibid., t. Xiii, p. 291. 62. Ibid., t. Xiii, p. 301. 63. Ibid., t. Xiii, p. 392. 64. Ibid., t. Xiii, p. 205, 337, 367. 65. Ibid., t. Xiii, p. 324. 66. Ibid., t. Xiii, p. 392.

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mais qui, à la césure des xviie et xviiie siècles, est à l’évidence peu conforme avec celle qui rallie les sufrages romains et qui va au demeurant bientôt l’emporter, comme le pape ne manque pas de le rappeler avec ironie lorsqu’il airme qu’il pourrait faire condamner quand il le voudrait les thèses françaises sur le droit divin des évêques67. c’est cette écclesiologie cependant que les magistrats s’attachent à imposer ou à préserver par tous les moyens à leur disposition. dans le quotidien des audiences, telle qu’on peut en dessiner les voies et les résultats à travers les plaidoyers de d’aguesseau, l’action des magistrats vise avant tout à vériier que les autorités ecclésiastiques respectent les règles qui doivent leur permettre d’assurer leur mission, et elle prend ainsi certaines des formes de ce qu’on appellera plus tard le contrôle de constitutionnalité. même si elle ne peut être mise en œuvre que sous le regard du juge, appelé dès lors à jouer un rôle essentiel dans les relations quotidiennes des deux puissances, la forme d’autonomie reconnue à l’église n’est pas remise en cause. les choses changent en revanche du tout au tout lorsque les données de l’afaire où ils interviennent ne permettent plus aux magistrats de faire semblant d’ignorer que les questions spirituelles, et les prélats qui en ont la charge, relèvent également d’une puissance extérieure à l’état, d’une « puissance étrangère ». contrôler, à l’intérieur du royaume, des prélats qui, tout en revendiquant l’autonomie nécessaire à l’exercice de leur mission, acceptent, bon gré mal gré, de se reconnaître comme soumis à l’autorité du prince et à la surveillance de ses magistrats, ne demande que de l’attention. mais comment préserver cet équilibre complexe lorsque l’intervention du souverain pontife rend sensibles, évidents, les liens qui soumettent à une autorité indépendante de celle du monarque ceux qui dirigent l’esprit de ses sujets ? Le caractère quasi obsessionnel du zèle que les gens du roi déploient pour maintenir coûte que coûte les formes institutionnelles qui permettent de gommer autant que faire se peut cette dépendance ressemble fort à un aveu d’impuissance.

marie-France renoux-Zagamé université paris 1 panthéon-sorbonne

67. Œuvres de M. le chancelier…, t. Xiii, p. 267, 272.

les enJeuX ecclésiologiques de la codiFication du droit canonique quelques réFleXions sur la portée de l’option choisie en 1917* par

hervé legrand

nous sommes désormais à un demi-siècle de distance du concile vatican ii, un concile avant tout ecclésiologique, a-t-on souvent répété, non sans raison1, et auquel on attribue aussi le mérite d’avoir renoué avec l’ecclésiologie de communion, par delà l’ecclésiologie sociétaire et juridique, issue de Vatican i et de la codiication de 1917. cette ecclésiologie de communion devait assurer la reviviscence des églises locales, condition sine qua non de tout rapprochement œcuménique, ce dernier requérant, en efet, que la communion de l’église soit toujours comprise et simultanément mise en œuvre comme une communion d’églises au pluriel. telle paraît bien avoir été la remarquable intuition de Jean XXiii exprimée dans les attendus de sa convocation de Vatican ii où il liait ensemble les réformes ecclésiologiques et la visée œcuménique2. en annonçant simultanément un synode diocésain pour rome et une réforme générale du droit canon, Jean XXiii signiiait que l’aggiornamento devait revitaliser en même temps les églises diocésaines, ou locales, et le rôle de l’épiscopat dans l’église3, ce qui demandait une sérieuse réforme du droit en vigueur, que le concile préparerait. * abréviations : AAS = Acta Apostolicae Sedis ; CIC = Codex Iuris Canonici ; CN = Communionis Notio ; LG = Lumen Gentium. 1. en un sens diférent, on verra christoph heobald qui voudrait voir l’apport le plus profond de ce concile dans la constitution Dei Verbum sur la révélation : La réception du concile Vatican II, t. i : Accéder à la source, paris, 2009 ; promulguée en dernier, elle n’a pas inluencé le corpus conciliaire. 2. Osservatore romano, 26-27 janvier 1959 : « Le concile n’a pas seulement pour but le bien du peuple chrétien […], il veut être aussi une invitation aux communautés séparées pour la recherche de l’unité ». 3. Les travaux d’angelo roncalli sur saint charles Borromée l’avaient préparé à penser ainsi.

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ce programme devint celui des évêques. la plupart de ceux qui s’exprimèrent désiraient que la collégialité des évêques reprenne vie, car ils ressentaient la « monarchie papale », spécialement sous sa forme absolutiste issue de l’interprétation maximaliste des dogmes de Vatican i4, comme un handicap pastoral et missionnaire5 et une pierre d’achoppement œcuménique6. Leur soutien constant au secrétariat pour l’unité des chrétiens et leur vote massif en faveur de la collégialité épiscopale destinée à rééquilibrer Vatican i illustrent bien la force du lien qu’ils mettaient entre les réformes ecclésiologiques et l’œcuménisme. L’intuition de Jean XXiii fut ainsi parfaitement saisie quant à ses intentions ; mais le fut-elle s’agissant des réformes institutionnelles ? cinquante ans après, cela paraît bien moins évident7. pourquoi en a-t-il été ainsi ? parce que, semble-t-il, Vatican ii n’a pas prêté attention à la dimension canonique de ses requêtes ecclésiologiques. La constitution sur l’église elle-même en témoigne. Dès 1975, antonio acerbi relevait que deux ecclésiologies y coexistaient sans synthèse, l’ancienne, dite sociétaire ou juridique, et la nouvelle, dite 4.  en sciences politiques, on déinit l’absolutisme comme «  le régime où le détenteur de la puissance attachée à sa personne, concentrant entre ses mains tous les pouvoirs, gouverne sans aucun contrôle  »  : henri morel, «  absolutisme  », dans Dictionnaire de philosophie politique, dir. philippe raynaud et stéphane rials, paris, 1996, p. 1. selon antonio acerbi, « le caractère totalement discrétionnaire/non-questionnable de l’exercice de l’autorité papale » se vériie dans le fait que « personne, jamais, en aucune circonstance, pour nul motif, en quelque forme que ce soit, ne peut dire au pape : “pourquoi fais-tu cela ?” ». Discrétionnaire ne veut pas dire arbitraire ou despotique; cela veut dire simplement « selon le jugement du pape, jugement que l’on peut et doit estimer prudent, mais qui relève entièrement de lui-même. cela ne vaut pas seulement pour les actes suprêmes de gouvernement et de magistère, mais pour tous les actes qui procèdent du pape, de quelque manière que ce soit […]. L’autorité du pape n’est limitée que par le droit naturel et par le droit divin et doit être exercée non ad destructionem sed in aediicationem Ecclesiae, mais dans le respect de ces limites et de cette direction elle est coniée à sa seule appréciation personnelle ». en résumé, à l’instar du prince legibus solutus, le pape n’est lié que par la loi naturelle et la loi divine, et son pouvoir s’exerce avec une seule limite constitutionnelle, l’existence des évêques comme pasteurs ordinaires, de droit divin, de leurs églises particulières (can. 329,1) : « per una nuova forma del ministero petrino », dans Il ministero del papa in prospettiva ecumenica, éd. antonio acerbi, milan, 1999, p. 303-305. tel est efectivement le droit en vigueur, voir CIC, can. 333, § 3 et 337, § 3. 5. Le motu proprio Pastorale munus, dans AAS, t. 56, 1964, p. 5-12 ne laisse aucun doute sur leur degré de sujétion au pape  : parmi les quarante-huit privilèges qui y sont «  concédés  » aux successeurs des apôtres eux-mêmes, on notera le pouvoir « de permettre à un prêtre de célébrer la messe deux fois le dimanche» (p. 7), d’autoriser de « pieuses femmes à laver des puriicatoires» (p. 10), et de « conserver le saint-sacrement dans leur chapelle privée » (p. 12). 6. paul Vi lui-même dira que « Le pape, nous le savons bien, est l’obstacle le plus grave sur le chemin de l’œcuménisme », Allocution au secrétariat pour l’unité des chrétiens, dans AAS, t. 59, 1967, p. 98. 7. Voir hervé Legrand, « où en sont les réformes ecclésiologiques envisagées à Vatican ii ? », dans Vatican II, un avenir oublié ?, dir.  alberto melloni et christoph heobald, paris, 2005, p. 118-139.

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de communion8, nourrissant ainsi des tensions qui se sont manifestées depuis, de manière répétitive. plus généralement, elles se fondent, selon nous, dans le fait que les pères conciliaires n’ont pas accompagné leurs options ecclésiologiques des déterminations canoniques qu’elles requéraient. de tous les documents de vatican ii, seule la constitution Sur la liturgie se préoccupa de garantir sa mise en œuvre, en recourant à quarante-neuf prescriptions normatives. par la suite, Christus Dominus sera, presque seul, à recourir à cette méthode, énonçant toutefois plus de vœux que de normes9. les autres décrets en restèrent aux vœux. tout aussi signiicatif enin, vatican ii ne consacra pas une seule séance plénière à la réforme du Codex Iuris Canonici de 1917. De même, il s’abstint d’édicter la moindre directive contraignante pour la réforme de la curie, pourtant fortement réclamée par les pères10. Le langage même de Vatican ii conirme ce diagnostic : on y repère mille cent trente cinq emplois du terme « église », mais seulement cinq mentions du droit canon11, preuve, à elle seule, qu’il s’est abstenu de dessiner un droit homogène à son ecclésiologie. comment l’expliquer ? peut-être par le fait qu’à l’époque le droit canon, coupé de sa riche histoire, n’ofrait qu’une vision étriquée de l’église à une majorité d’évêques sensibilisés aux divers renouveaux liturgique, biblique, patristique, œcuménique. mais il n’y avait pas eu de renouveau canonique. Le code de 1917, détaché tant de la théologie que de l’histoire du droit, continuait d’imposer sa normativité. Vatican ii ne mit donc pas un terme à la « wirkungeschichte » du Codex qui façonne encore notre présent. pour éclairer l’articulation qui existe ou devrait exister entre le droit et la théologie et plus spéciiquement l’ecclésiologie12, il s’impose donc d’analyser celle que le code de 1917 a adoptée, tant elle demeure prégnante. on s’y attellera de la manière la plus critique possible parce que la méconnaissance de l’articulation entre théologie et droit dont témoigne Vatican ii sous l’inluence du Codex, continue de produire ses efets dans la vie actuelle de l’église.

8.  antonio acerbi, Due ecclesiologie. Ecclesiologia giuridica ed ecclesiologia di comunione nella Lumen Gentium, Bologne, 1975. 9. Le décret se conclut en renvoyant leur élaboration au code à venir, n’ayant porté lui-même de normes contraignantes qu’au n.  8. Les autres décrets se contentent de vœux (Presbyterorum ordinis 20 et Ad gentes 16 et 29). 10. sur les critiques de la curie par les évêques, voir rené Laurentin, L’enjeu du Concile, Bilan de la deuxième session, paris, 1964, p. 111-144. 11.  Lumen Gentium 45, Ad gentes 19, Christus Dominus 44, Optatam totius 16, Apostolicam actuositatem 1. 12. Vue d'ensemble de la question dans rené metz, « Le problème d'un droit de l'église dans les milieux catholiques de la seconde moitié du xixe siècle à la période postconciliaire (18701983) », dans Revue de droit canonique, t. 35-36, 1985-1986, p. 222-244.

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i. — le contexte canonique, culturel et politique de la codification de 1917 1. La nécessité de simpliier l’accès au droit canonique à la in du xixe siècle avant même de parler des choix techniques, inévitablement idéologiques pour une part, qui devaient conditionner la codiication, il faut prendre la mesure des nécessités pratiques contraignant l’église catholique du xixe siècle à procéder soit à une compilation soit à une codiication de son droit. Jusqu’au tout début du xxe siècle, ceux qui avaient besoin de connaître les lois de l’église devaient recourir à toute une série d’ouvrages: d’abord à un ensemble de collections (les unes oicielles, les autres privées) tant des canons des conciles que des décrétales des papes, la plus récente étant le Corpus Iuris Canonici de sixte iV (†1484). ensuite aux décrets du concile de trente, une afaire fort complexe, puisque la congrégation du concile, chargée de l’interprétation authentique de ses décrets, avait produit dix-sept volumes in-quarto de « conclusions et résolutions ». restaient les décrets des autres congrégations romaines ! il était presque impossible de s’y retrouver, les textes n’étant pas toujours accessibles. on imagine aussi la diiculté que représentait l’enseignement du droit, notamment à destination des futurs pasteurs. il fallait résoudre ces diicultés d’autant plus qu’avec la in de l’ancien régime et l’expansion de l’église catholique hors de l’occident, beaucoup de dispositions étaient tombées en désuétude. au moment des consultations préparatoires à Vatican i, beaucoup d’évêques étaient intervenus à ce sujet : « nous croulons sous les lois »13, ou comme le disaient joliment des évêques du royaume de naples et de sicile, en une formule qui aura beaucoup de succès : « Le droit ecclésiastique actuel fournirait la charge de plusieurs chameaux »14. plusieurs solutions furent proposées : les uns souhaitaient un recueil des décisions conciliaires et des documents pontiicaux en vigueur, et se prononçaient donc pour une compilation ; les autres demandaient une codiication de type moderne, inspirée notamment du code napoléon et des autres codes européens qui lui étaient homogènes. D’aucuns sceptiques, tel hefele, disaient : « il y faudra un chameau de plus ! » L’interruption involontaire de Vatican i et l’efondrement des états du pape mirent les projets en sommeil jusqu’à l’avènement de pie X.

13. un groupe d’évêques français, Collectio Lacensis, t. Vii, p. 840. 14. Ibid., p. 826.

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2. Les paramètres culturels, politiques et ecclésiologiques qui ont fait opter pour la codiication au temps de Pie X plutôt que pour une compilation l’option codiicatrice a été étudiée et considérablement approfondie par carlo Fantappiè dans son étude Chiesa romana e modernità giuridica15. parmi de nombreux mérites, il a eu celui de redonner sa juste place à gasparri dans cette entreprise. on savait déjà qu’il avait joué un rôle central dans la rédaction du code ; c’était au point que lui-même s’en considérait l’auteur. Fantappiè montre, en revanche, que ce code n’est pas un code d’auteur : c’est en fait une grande entreprise juridique collective, dirigée par Gasparri. en réalisant la codiication de son droit, et dans la forme qu’elle a revêtue, c’est bien l’église de rome qui s’est détachée de sa longue tradition canonique médiévale et qui a adopté, par mimétisme, non seulement les techniques mais aussi l’esprit juridique des états sécularisés de l’époque. ce qui oblige à se poser des questions bien intéressantes, notamment celle-ci : les auteurs du code ont-ils choisi de quitter l’univers du Corpus Iuris pour le Codex Iuris Canonici avec la lucidité requise ? ont-ils mesuré la radicalité de la sécularisation interne du droit canonique qu’ils induisaient en recourant à des méthodes et à des catégories empruntées au droit séculier, en ne prenant en compte que le simple constat de leur eicacité sociale ? on s’explique aisément l’importance du dernier facteur. Lorsque pie X, trente ans après Vatican i, opte pour une codiication, les évêques sont toujours majoritairement européens, ou d’origine européenne, et de culture latine16. ils ont expérimenté combien le code civil avait simpliié la vie juridique dans les pays vivant sous le code napoléon ou des codes du même genre. il leur paraissait naturel de faire dans l’église ce que l’on avait fait dans leurs états, à savoir remplacer un ensemble confus et trop vaste de règles diverses par un code simple, clair et précis. Les dix-huit ans d’enseignement du droit canonique du cardinal Gasparri à paris de 1880 à 1898, dans un milieu particulièrement favorable à la codiication, l’avaient également prédisposé en ce sens. car, alors que des canonistes allemands se montraient réservés à cet égard17, ses collègues parisiens turinaz18 et périès19

15. carlo Fantappiè, Chiesa romana e modernità giuridica, milan, 2008, 2 t. on verra la présentation que l'auteur fait de son ouvrage : « Du Corpus au Codex Iuris Canonici : un changement de paradigme », dans L'année canonique, t. 50, 2008, p. 221-231. 16. Voir roger aubert, Vatican I, paris, 1964 (histoire des conciles œcuméniques, 12), p. 100. 17. cela s'explique sans doute par l'inluence de savigny sur les études juridiques dans l'espace germanique. 18. charles-François turinaz, « De l’étude et de la pratique du droit canonique en France à l’heure présente  », dans Compte-rendu du congrès scientiique international des catholiques tenu à Paris du 1er au 6 avril 1891, paris, 1891, t. i, p. 17-34. 19. Georges périès, « Le droit canonique et les besoins actuels de l'église (codiication et rénovation) », dans Journal du droit canonique et de la jurisprudence canonique, t. 12, 1892, p. 206-223.

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militaient en ce sens, tandis que pillet20 et deshayes21 avaient déjà élaboré des essais pour en démontrer la faisabilité et l’utilité22. malgré la faveur dont jouissait le recours à la codiication, une question demeure : comment pie X a-t-il pu soutenir sans réserve une telle modernisation, sans frein pourrait-on dire, de la législation canonique et de la pastorale, alors que simultanément il condamnait, avec la dernière énergie, la modernité en exégèse, en philosophie et en théologie ? il est probable que pour ses conseillers l’instrument proposé était neutre et surtout que, dans sa modernité même, il serait très eicace pour combattre le modernisme théologique et social. après la perte de son pouvoir temporel, l’église de rome avait besoin de cette modernisation purement instrumentale pour la mise en œuvre de l’ambitieux projet religieux, culturel et politique de pie X. au plan religieux, la technique des codiications modernes issues du code napoléon, qui tendait à réduire le droit à la loi, et la loi à la volonté du prince comme unique législateur, s’avérait idéale pour traduire disciplinairement les principes airmés à Vatican i. on garantirait ainsi au saint-siège centralité institutionnelle et primauté juridictionnelle, en lui permettant d’éliminer les droits particuliers des églises nationales et d’airmer la primauté du pape au sein de l’église universelle. au plan politique, la même technique tendait à faire du saint-siège un organisme juridique autonome et indépendant, dans la ligne du droit public ecclésiastique qu’il cultivait déjà depuis quelques décennies23. cette technique lui permettrait aussi d’airmer sa souveraineté politique et éthique face aux états, et peut-être même de réintégrer leur concert, grâce à la multiplication des accords concordataires et à l’instauration, onze ans plus tard, de l’état de la cité du Vatican24. selon Fantappiè, ce mimétisme étatique se révéla de fait un rempart positif face aux états totalitaires du premier xxe siècle. 20. albert pillet, Jus canonicum generale distributum in articulos, paris, 1890 et 1902. il s’est expliqué sur la méthode qu’il préconisait dans De la codiication du droit canonique, Lille, 1897. 21. Florent Deshayes, Memento iuris publici et privati ad usum seminariorum et cleri, paris, 1895 et 1902. 22. Voir Giorgio Feliciani, « Gasparri et le droit de la codiication », dans L'année canonique, t. 38, 1995-1996, p. 27. signalons aussi silvia raponi, « il movimento per la codiicazione canonica  : il dibattito nelle riviste e le compilazioni private in Francia alla ine del XiX secolo  », dans Quaderni di diritto e politica ecclesiastica, 2002/1, étude qui nous est restée inaccessible. sur ces quatre auteurs, voir alain Farret, « compilation ou codiication ? relecture, un siècle après, du canoniste contemporain », dans L’année canonique, t. 38, 1995-1996, p. 305-317. 23. sur le droit public ecclésiastique, voir antonio de la hera et charles munier, « Le droit public ecclésiastique à travers ses déinitions », dans Revue de droit canonique, t. 14, 1964, p. 32-63. 24.  La souveraineté temporelle du pape sur l’état du Vatican – une curiosité pittoresque, à l’instar de monaco, pour les simples idèles – est pour les orthodoxes à la fois un signe de la sécularisation de la papauté (les grecs se souviennent du « chef des croisés » et des papes guerriers de la renaissance) et une source de frictions : Jean-paul ii aurait usé de cette qualité pour imposer

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mais laissons-là l’évaluation de la fécondité historique du code de 1917 pour interroger quasi-exclusivement l’articulation qu’il ofre entre droit et ecclésiologie. l’option pour la codiication de préférence à la compilation est déjà lourde de conséquences ecclésiologiques, indépendamment de la conceptualité du code proprement dite.

ii. — la portée ecclésiologique du choix de la codification de préférence à la compilation Jusqu’au xiie siècle, le droit restera partie intégrante de la théologie ; jusqu’au xviie siècle, les grands canonistes sont également de bons théologiens, mais peu à peu le droit acquiert une grande autonomie que le code de 1917 mènera à son terme, en optant, à titre de principe, pour la codiication, de préférence à la compilation traditionnelle. pour les praticiens, l’innovation fut un soulagement pour les raisons déjà détaillées : ils recevaient une législation brève, facilement accessible, rationnellement cohérente, assez proche de l’esprit du droit séculier en vigueur. La codiication, parée aussi des prestiges de la modernité, fut presque unanimement et immédiatement reçue. mais loin d’être seulement pratique, cette innovation était en même temps grosse de conséquences théologiques et ecclésiologiques considérables, parce qu’elle adoptait les catégories du droit romain, comme déjà dans le manuel de Lancellotti au xvie siècle25, et surtout elle prenait racine dans la philosophie du droit naturel, tel qu’on le conçoit à partir du xviie siècle. elle est plus encore solidaire du rationalisme propre aux Lumières qui veut que la raison ordonne aussi les systèmes législatifs, perspective que Benoît XV reprendra sans réserve en présentant le droit romain comme ratio scripta dans la constitution Providentissima qui promulgue le code. et de même que, dans tout l’espace de culture romanogermanique, les codiications européennes furent des instruments particulièrement eicaces de l’uniication des états modernes émergeant de l’ancien régime, la codiication de 1917 – la toute dernière en occident – va servir aussi à uniier l’église sous un mode universaliste, en réduisant au minimum le droit coutumier (can. 5 et 27) et en privilégiant un législateur unique26. sa visite à des églises orthodoxes soumises à des états qui avaient leurs raisons pour l’inviter. ce statut de chef d’état ne favorise pas non plus la réception de la primauté romaine par les églises de la réforme selon Lukas Vischer, longtemps secrétaire général de Foi et constitution : « Der heilige stuhl, der Vatikanstaat und das gemeinsame Zeugnis der Kirchen. eine zu wenig diskutierte ökumenische Frage », dans Œkumenische Skizzen, Francfort-sur-le-main, 1972, p. 166-193. 25. Institutiones iuris canonici, rome, 1563. 26. il est signiicatif qu’un décret de la congrégation des séminaires et universités du 7 août 1917 présente le Codex comme unicum et authenticum iuris canonici fontem (AAS, t. 7, 1917, p. 439).

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ajoutons à cela que l’ancien système des décrétales conservait les circonstances particulières qui avaient donné lieu à la norme autant que ses motifs théologiques. ce qui obligeait le juge à les étudier et à les interpréter. un tel droit était plus souple que celui de la norme abstraite du Codex et laissait du jeu aux adaptations nécessaires dans des situations locales et culturelles bien diverses, ce qui était un avantage pour un droit qui se veut universel. mais désormais on a un droit théoriquement apte à faire face à toutes les hypothèses possibles. on notera aussi qu’un tel droit ignore la perspective même d’une communion des églises, celle-ci étant résorbée dans la communion de l’église, comme le montre le vocabulaire même de la constitution de promulgation Providentissima qui présente le code comme étant pro universa ecclesia, quoique le canon 1 précise qu’il ne concerne que l’église latine. notons enin, concernant la relation entre le droit et l’ecclésiologie, que le mimétisme par rapport aux codiications séculières entraîne un positivisme tant de la méthode canonique que de sa conceptualité, consacrant la quasi totale autonomie du droit par rapport à la théologie.

1. La méthode positiviste de la codiication de 1917 consacre l’autonomisation du droit par rapport à la théologie Le code de 1917 manifeste son positivisme de méthode en séparant complètement le droit de la théologie. ceci se vériie matériellement dans le fait qu’il omette la traditionnelle profession de foi trinitaire initiale et qu’il ne cite jamais l’écriture ! il se modèle sur les codes séculiers du xixe siècle. s’inspirant de leur positivisme et de leur rationalisme, il présente, sous une forme systématique, l’ensemble des règles en vigueur et expose un droit dont la source quasi-unique est le législateur, tout droit antérieur n’ayant désormais qu’une valeur historique27. il fait ainsi table rase du droit coutumier, ses rares survivances n’ayant d’autre légitimité que l’approbation hiérarchique, comme le stipule le canon 528. toutefois le canon 2 n’abolit pas « les rites et cérémonies liturgiques réglementés par les livres approuvés », mais c’est au motif de leur approbation préalable par le législateur. Le Codex prenait ainsi ses distances par rapport à la liturgie. considérée traditionnellement comme source de droit, comme le montre le plan sacramentaire du Décret de Gratien, elle a désormais un statut consécutif et non plus instaurateur : 27. encore que le canon 29 considère la coutume comme un excellent interprète de la loi. 28.  «Les coutumes soit universelles soit coutumières, actuellement en vigueur et contraires aux dispositions du code, si elles sont expressément réprouvées par les mêmes canons, doivent être corrigées comme des corruptions du droit, même si elles sont immémoriales ; les autres coutumes (= non réprouvées), centenaires et immémoriales, peuvent être tolérées si les ordinaires estiment qu’il est impossible de les faire disparaître ; les autres coutumes doivent être tenues pour supprimées, à moins que le code n’ait expressément décidé le contraire ».

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elle devient l’objet de la réglementation du législateur29. par ailleurs, le Codex exclut que les églises locales puissent être sources de droit car seules les décisions du législateur suprême30 peuvent faire jurisprudence. ainsi le droit nouveau se constitue, selon une méthode toute séculière, sans référence intrinsèque à la théologie et selon une ecclésiologie étriquée puisque la hiérarchie y semble le seul sujet de droit.

2. Le schème organisateur du codex, emprunté au droit romain (personae, res, actiones), réduit l’ecclésiologie à n’être qu’un traité du droit des clercs l’adoption du schéma sujet/objet de gaius ne permet de reconnaître dans l’église, à titre de principe, que des individus juxtaposés ; du fait de la conceptualité séculière qu’il adopte, le code ne peut envisager l’église comme communion d’églises31 ni même comme communion tout court : il se réduit à un traité du droit des personnes dans l’église, en fait au droit de la hiérarchie. il procède, en efet, à la manière du civil. il déinit d’abord les règles générales (normae generales) et, tout de suite après, il établit le droit des personnes, puis le droit des actions en justice (actiones). à partir du canon 108 (pars prima de personis), il déinit les clercs comme sujets de droit qui ont à leur disposition les res (choses) que sont les sacrements ; en revanche, les laïques ne se voient consacrer qu’un unique canon, général et positif : ils « ont le droit de recevoir du clergé, conformément aux règles de la discipline ecclésiastique, les biens spirituels et spécialement les secours nécessaires au salut » (can. 682). Dans ce cadre un droit de la communion ne peut pas se déployer. La perspective générale est d’ailleurs structurellement individualiste comme l’exprime le canon 87 au sujet du baptême : « par le baptême, l’être humain est constitué personne dans l’église du christ, avec tous les droits et devoirs du chrétien ». ainsi l’appartenance à l’église est comprise en termes de droits individuels, et non en termes de droit constitutionnel. il est encore signiicatif que, par le biais d’un De clericis in specie, tout le droit public de l’église et des églises soit inséré précisément dans le droit des personnes ! Bref, l’individu chrétien est reconnu sans les liens de communion qu’il a avec les autres chrétiens. ces individus juxtaposés trouvent chez les clercs, identiiés à l’institution, comme on vient de le signaler, les moyens de poursuivre leur in, à savoir la sainteté individuelle. pour n’avoir pas mis au point de départ 29. on comprend ainsi aisément que paul Vi ait réclamé de mgr Lefebvre la reconnaissance de son « devoir de requérir son adoption [du nouvel Ordo Missae] par l’ensemble du peuple chrétien », dans La documentation catholique, t.  73, 1976, p.  1059. seul un indult pontiical très restrictif permettra à nouveau l’ancien Ordo, voir AAS, t. 76, 1984, p. 1088-1089. 30. Législateur « suprême » reste peut-être plus juste que législateur « unique », car l'évêque peut légiférer dans certaines limites. 31. il est signiicatif que dans tout le Codex le terme église ne soit au pluriel qu'une unique fois, au canon 329 : « les évêques sont préposés aux églises particulières ».

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la communion des chrétiens, le code fait de l’église catholique l’église du clergé et son droit devient presque sans exception un droit du clergé32.

3. L’inluence persistante du Code de 1917 par delà le dernier concile et le Code révisé de 1983 délaissant une analyse du Codex poursuivie ailleurs33, on se bornera ici à une double remarque : il n’y a pas de neutralité de la conceptualité juridique par rapport aux réalités de la foi ; de plus, en ce domaine, comme en d’autres, on ne peut pas non plus « se conformer à ce monde-ci », comme saint paul le rappelait déjà aux romains (12, 2). Dans le cas présent, par conservatisme et pour mieux combattre le monde, on a fortement sécularisé l’église catholique de l’intérieur. en même temps, cette opération s’est révélée comme le fruit le plus tardif de la pensée juridique bourgeoise, cette pensée qui s’écroule dans le désastre de la guerre 1914-1918 et qu’un maurice hauriou, fondateur de l’école institutionnaliste française, ne cessa de dénoncer parce qu’elle faisait du législateur la seule source du droit, et de l’individu le seul sujet de droit, exprimant ainsi la vive insatisfaction de beaucoup face à l’individualisme du code napoléonien et au caractère livresque et positiviste de la jurisprudence. un tel constat montre bien que le rapport de l’église à la société se joue sans doute moins dans ses discours que dans sa pratique et sa structure… Bref, délaissant d’autres analyses, y compris celle du Codex de 1983, qui n’est qu’un code légèrement révisé, on se limitera, pour terminer, à signaler comment la conceptualité du code de 1917 pourrait être à la racine d’un certain nombre des diicultés de l’église actuelle. Loin de pousser au découragement, ce constat devrait être une énergique invitation à redonner toute leur importance aux études de droit canonique : elles détiennent plus d’une clé de notre avenir, à condition d’accepter la contrainte du dur labeur du concept !

iii. — prédominance d’une vision universaliste de l’ecclésiologie La conception de l’église comme sujet transpersonnel aboutit à la prédominance d’une vision universaliste de l’ecclésiologie qui désamorce le retour à la tradition voulu par Vatican ii. La juxtaposition des concepts de Gaius, en provenance du droit privé, et du concept d’église société parfaite, en provenance du droit public, a instauré 32. un unique canon général positif leur est consacré (can. 682) ! Voir surtout ulrich stutz, Der Geist des codex iuris canonici, stuttgart, 1918 (Kirchenrechtliche abhandlungen, 92-93), p. 83-88. 33. Voir hervé Legrand, « Grâce et institution dans l’église : les fondements théologiques du droit canonique », dans L’église : institution et foi, Bruxelles, 1979, rééd. 1993, p. 139-172.

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l’église en sujet transpersonnel qui s’accommode seulement d’une ecclésiologie universaliste, d’une catholicité peu assurée. dans le Codex, l’église est un sujet transpersonnel en ce sens qu’à la limite, elle est indépendante des idèles qui, eux-mêmes, vivent leur vie chrétienne d’une façon très privatisée : il préconisait les messes privées, la communion individuelle hors de la messe, la pénitence privée, les ordinations absolues, autant de pratiques homogènes à cette conception du droit. on avait cru cette conception dépassée dans l’énoncé, idèle à la théologie patristique, de Lumen Gentium 23 enseignant que « l’église catholique, une et unique, existe dans et à partir des églises particulières », ce qui permettait et même obligeait à la considérer comme une communion d’églises, toutes sujets de droit, à divers titres. ce retour à la tradition, assez neuf, pouvait favoriser la pastorale et l’œcuménisme. pourtant façonnée par la mentalité induite par la codiication de 1917, la curie romaine, surtout à partir de la seconde moitié du pontiicat de Jeanpaul ii, n’a cessé de récuser cette perspective, en pratique comme en théorie, dans des documents d’autorité doctrinale mineure mais d’un grand poids canonique.

1. communionis notio (1992) : un document matriciel Communionis Notio, une simple lettre de la congrégation pour la Doctrine de la Foi34 a pour but avoué de corriger l’assertion de Lumen Gentium 23. elle airme, au terme de raisonnements complexes que l’on détaillera, que « la formule du concile Vatican ii : “L’église dans et à partir des églises” (Ecclesia in et ex Ecclesiis, LG 23) est inséparable de cette autre formule : “les églises dans et à partir de l’église” (Ecclesiae in et ex Ecclesia) ». une lecture attentive de tout le document révèle que le terme « inséparable » est ici un euphémisme, car on y expose clairement l’axiome suivant : « L’église universelle est une réalité ontologiquement et chronologiquement préalable à toute église particulière singulière ». cette proposition est certainement vraie, si l’on entend par là qu’aucune église ne peut se dire catholique hors de la communion de l’église entière, du réseau de traditio-receptio qui constitue la Catholica à travers l’espace et le temps. mais les concepts utilisés renvoient à une compréhension transpersonnelle de l’église qui ne convainc guère si l’on suit attentivement le vocabulaire et les images qui explicitent la phrase citée : ontologiquement […] l’église, une et unique […] précède la création, et donne naissance aux églises particulières comme à ses propres illes ; elle s’exprime en elles, elle est mère […] des églises (cn 9).

34. AAS, t. 85, 1993, p. 838-850.

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cet axiome sera repris dans toute une série de documents disciplinaires subséquents, notamment dans Apostolos suos (1997) et la Lettre secrète de la congrégation pour la doctrine de la foi (2000), il importe donc d’analyser les diicultés auxquelles il se heurte. a. première diiculté : la priorité ontologique de l’église universelle sur « toute église particulière singulière » est une assertion qui oblige à imaginer que l’église universelle pourrait exister préalablement aux processus concrets, confessants et sacramentels qui l’instituent, et indépendamment de ces mêmes processus, donc abstraction faite des croyants et des sacrements de la foi. c’est-à-dire comme ce sujet transpersonnel mis en œuvre par le Codex. une telle église serait un « être de raison »35 que rien n’oblige à postuler, pas même la préexistence de l’église dans le dessein de Dieu, car on ne voit pas pourquoi le dessein de Dieu ne pourrait pas inclure la simultanéité de l’église et des églises36. b. Deuxième diiculté : la « maternité de l’église universelle à l’égard des églises particulières » fonderait cette priorité. La maternité de l’église à l’égard de la foi des idèles est bien attestée dans toute la tradition37, tout comme la maternité d’une église fondatrice vis-à-vis de celle qu’elle a fondée. en revanche, l’idée de la maternité de l’église universelle à l’égard de toutes les églises locales ne semble jamais avoir été formulée38. c. troisième diiculté : ce discours de maternité universelle, surtout quand en même temps les concepts de catholicité et d’universalité deviennent interchangeables, abandonne, comme dans la Note secrète39, la tradition ecclésiologique que nous avons en commun avec l’église orthodoxe40. notamment en airmant 35. selon henri de Lubac : « une église universelle, antérieure, ou supposée existante en dehors de toutes les églises particulières, n'est qu'un être de raison », dans Les églises particulières dans l'église universelle, paris, 1971, p. 54. il s’est vu approuver, par exemple, par les cardinaux congar et Kasper. 36. De cette idée de préexistence formulée dans Le Pasteur d’hermas et chez clément d’alexandrie, tous deux inluencés par le gnosticisme, on ne saurait tirer aucune conclusion de cet ordre. 37. Voir Karl Delahaye, ecclesia mater chez les Pères des trois premiers siècles, paris, 1964 (Unam Sanctam, 46). 38. Le titre de mater et magistra de tous les idèles signiie autre chose (voir Latran iV, can. 2, 4, 5 et Lyon ii, can. 1). seul clément Vi d’avignon (1342-1352) prétendit que « L’église romaine [et non universelle] institua toutes les églises patriarcales, métropolitaines, cathédrales et toutes les dignités de tout ordre existant en leur sein. à son pasteur et maître, le pontife romain, revient la pleine disposition de toutes les églises, dignités, oices et bénéices ecclésiastiques » : Baronius, Annales ecclesiastici, éd. a. heiner, t. XXV, Bar-le-Duc, 1872, p. 350. 39. n° 10 : « L’église universelle n’est pas la sœur mais la mère de toutes les églises particulières ». 40. à anselme de havelberg qui lui parle de « rome, la très sainte mère de tous », nicétas de nicomédie répond (1136) : « nous ne refusons pas à l’église romaine le primat parmi ses sœurs », dans Patrologia latina, t. cLXXXViii, p. 1217 et 1219 ; le patriarche Jean X camateros répond aussi à innocent iii : « où trouves-tu que le christ ait dit dans les saints évangiles que l’église des romains est une mère universelle ? […] L’église des romains a le premier rang parmi des sœurs, égales en dignité, nées du même père », dans Patrologia latina, t. ccXiV, p. 757.

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que le successeur de pierre « appartient déjà à l’essence de toute église particulière “de l’intérieur” » (cn 13). cette formulation veut sûrement dire que la communion avec l’évêque de rome relève de la catholicité de l’église, mais elle a pu être comprise, à l’instar de Bismarck dans sa fameuse Dépêche, comme instaurant un double épiscopat dans chaque diocèse, ce que Vatican i et pie iX ont clairement récusé41. cette conception transpersonnelle crée enin toute une série de diicultés, qui prennent la forme d’une désintégration en chaîne. énumérons-en quelques-unes.

2. Les conférences épiscopales ne sont plus vues comme des organes de la communion entre les églises locales, mais comme des organes de l’église universelle, émanant de la primauté romaine LG 23 attendait des conférences épiscopales une légitime pluriformité dans l’église, à l’instar des patriarcats anciens, parce que les églises locales et leurs regroupements sont évidemment des sujets de droit et d’initiative au sein de la communion ecclésiale. ce vœu ne s’est pas réalisé du fait du statut canonique fort modeste qu’elles ont reçu dès l’origine. pour qu’on ne croie pas qu’elles auraient en elles-mêmes leur fondement, Apostolos suos a tenu à préciser que leur existence est suspendue à l’acte du saint-siège qui les institue et qui détermine leurs pouvoirs (nn. 13, 20)42. il leur retire aussi le magistère authentique qu’elles exerçaient selon le canon 753 du code de 1983, sauf à devoir être unanimes43. Des évêques « réunis dans la conférence épiscopale », on attend d’ailleurs qu’ils « veillent surtout à suivre le magistère de l’église universelle et à le faire connaître opportunément au peuple qui leur est conié » (n. 21). Bref, d’être des relais de l’enseignement du saint-siège44, qui se réserve le strict contrôle de l’interprétation de la foi chrétienne dans les cultures du monde entier. 41.  pie  iX approuve de «  sa pleine autorité apostolique  » la réfutation de Bismarck par les évêques allemands, voir heinrich Denzinger, Symboles et déinitions de la foi catholique, éd. peter hünermann et Joseph hofmann, paris, 1997, n. 3112-3117. 42. selon le n. 20, pour que l’exercice conjoint de leur ministère pastoral en conférence « soit légitime et s’impose aux diférents évêques, il faut l’intervention de l’autorité suprême de l’église qui, par la loi universelle ou par des mandats particuliers, conie des questions déterminées à la délibération de la conférence épiscopale ». 43. n° iV, art. 12 : « pour que les déclarations doctrinales de la conférence des évêques puissent constituer un magistère authentique et être publiées, il est nécessaire qu’elles soient approuvées à l’unanimité des membres évêques ou bien que, approuvées en séance plénière, au moins par les deux tiers des prélats ayant voix délibérative, elles obtiennent la reconnaissance (recognitio) du saint-siège ». c’est l’unique exigence d’unanimité dans le droit en vigueur. 44. puisque la recognitio veillera à ce que « la réponse doctrinale » des évêques « ne porte pas préjudice à des interventions du magistère universel, mais plutôt qu’elle les prépare » (n. 22, in ine).

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3. Le collège des évêques est conçu exclusivement comme un organe de l’église universelle, et l’épiscopat devient une qualité individuelle, l’évêque étant déraciné de la communion des églises Apostolos suos (1998) airme que « le collège des évêques en tant qu’élément essentiel de l’église universelle est une réalité antérieure au fait de présider une église », et il en donne comme preuve que « il est évident pour tous qu’il y a de nombreux évêques qui ne sont pas à la tête d’une église »45. on a, semble-t-il, trop peu commenté cette airmation qui, prise au sérieux, ferait de l’ordination absolue à l’épiscopat la matrice de sa compréhension comme haut personnel dirigeant de l’église universelle, sans intégration dans une église concrète alors que la nécessité doctrinale de cette insertion est toujours attestée par la nomination de tels évêques à la tête d’un diocèse disparu, appelé naguère in partibus inidelium. Le sacrement de l’ordre est ainsi traité de façon tout aussi individualiste que le baptême au canon 87 du code de 1917. ni dans l’un ni dans l’autre cas, il ne paraît signiicatif de mentionner que l’une et l’autre grâce sont relationnelles. qu’il s’agisse là d’un « point aveugle » a pu se voir récemment quand plusieurs cardinaux honoraires, largement octogénaires, ont insisté pour être ordonnés évêques, alors qu’ils n’exerceront jamais un tel ministère. Des théologiens comme congar et de Lubac avaient naturellement refusé une telle ordination.

4. L’ecclésiologie transpersonnelle de communionis notio entraîne des dissociations en chaîne Le collège des évêques succèderait, comme on l’a noté, au collège des Douze sans autre médiation que la seule ordination épiscopale, au sens strictement rituel du terme, ce qui manifeste qu’aucun corps intermédiaire ne saurait plus exister, entre l’évêque singulier et le pape, qui ne soit de création papale. La renonciation de Benoît XVi à sa qualité de patriarche d’occident, quelles qu’en soient les motivations46, semble s’insérer dans ce même mouvement d’érosion des églises régionales qui ne sauraient plus avoir de statut de plein droit47. Dans la même logique, le statut des évêques diocésains a été rabaissé. quand on se réfère aux votes de Vatican ii favorables à plus de 80 % à la collégialité 45.  Voir AAS, t.  90, 1998, p.  759, avec la note 54. De fait, 43  % des évêques catholiques ne sont pas des évêques diocésains, proportion impressionnante, même s’il faut y inclure 17 % d’évêques émérites. 46. Voir hervé Legrand « il papa patriarca in occidente : attualità di un titolo inattuale », dans Nicolaus, t. 34, 2007, p. 19-42. 47.  Le langage du canon 57, §  1 du cceo fait, en efet, du patriarcat une création aussi bien de la primauté papale ou du concile  : «  L’érection, le rétablissement, la modiication et la suppression des églises patriarcales sont réservées à l’autorité suprême de l’église ».

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épiscopale dont on attendait la revalorisation de l’épiscopat, on constate assez paradoxalement que ces mêmes documents curiaux attribuent à l’évêque diocésain un statut plus modeste qu’au temps de pie Xii : vis-à-vis du pape, il a désormais un statut identique, dans sa capacité d’action, à celui d’un vicaire général vis-àvis de son évêque48 ; au moins ce statut est-il meilleur dans le code des canons des églises orientales49. Le statut des diocèses comme églises locales subit la même érosion. en peu d’années, les vicariats aux armées deviennent des diocèses50, puis toutes les circonscriptions ecclésiastiques territoriales leur sont équiparées en droit51, cependant que l’on crée la prélature personnelle52, et tout récemment l’administration apostolique personnelle coniée, dans un diocèse existant, à un évêque autre que l’évêque diocésain53 tandis que se multiplient les ordinariats pour les catholiques orientaux54 et maintenant pour les anciens anglicans55. s’agirait-il là de mesures empiriques qui ne méritent nulle attention ? ce n’est pas si certain quand on constate que le premier dictionnaire d’ecclésiologie jamais édité, qui vient de paraître à rome en 2010, n’a pas retenu le terme de « diocèse » alors qu’il consacre trois entrées aux « circonscriptions » ecclésiastiques : orientales, personnelles, territoriales56. on y trouve certes un article « chiesa locale », mais il n’envisage pas spéciiquement le diocèse. comment ne pas y prêter attention ? peut-être les catégories traditionnelles de la communion des églises seraient-elles en train de succomber devant celles du territoire de l’église universelle, objet

48. Georg Bier conclut ainsi sa thèse d’habilitation, Die Rechtsstellung des Diözesanbischofs nach dem Codex Iuris Canonici von 1983, wurtzbourg, 2001 (Forschungen zur Kirchenrechtswissenchaft, 32), p. 376. Le can. 480 prévoit : « Le vicaire général et le vicaire épiscopal doivent rendre compte à l’évêque diocésain tant des principales afaires à traiter que de celles déjà traitées, et ils n’agiront jamais contre la volonté ou le sentiment de l’évêque diocésain ». 49.  Voir hervé Legrand, «  L’évêque éparchial. quelques évaluations ecclésiologiques et œcuméniques des options systématiques du cceo », dans ius ecclesiarum vehiculum caritatis. Atti del simposio internazionale per il decennale dell’entrata in vigore del codex canonum ecclesiarum orientalum, cité du Vatican, 2004, p. 117-144. 50.  cette transformation est antérieure au code de 1983, voir la constitution apostolique Spirituali militum curae, AAS, t. 72, 1980, p. 47. 51. cic, can. 368, qui vaut des prélatures et abbayes territoriales, des vicariats et préfectures apostoliques, et de l’administration apostolique constituée façon permanente. 52. cic, can. 294-297, la prélature de l’Opus Dei en est l’unique exemple jusqu’à maintenant. 53. par la lettre Ecclesiae Unitas, AAS, t. 94, 2002, p. 267-268. 54. Voir hervé Legrand, « Les catholiques orientaux dans les diocèses latins : un test pour la catholicité de l’église ? », dans L’année canonique, t. 53, 2011, p. 63-80. 55. Voir hervé Legrand, « épiscopat, episcopè, église locale et communion des églises dans la constitution apostolique Anglicanorum coetibus », dans Cristianesimo nella storia, t. 32, 2011, p. 405-423. 56.  Dizionario di ecclesiologia, éd.  Gianfranco calabrese, philip Goyret, orazio Francesco piazza, rome, 2010.

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d’une cartographie sacrée – bureaucratique et toute moderne57, déjà acceptée dans le code des canons des églises orientales58 ? Fort logiquement aussi, dans cette église conçue comme sujet transpersonnel, la vie synodale se voit considérablement limitée : l’instruction sur les synodes diocésains, commune aux congrégations pour les évêques et pour l’évangélisation des peuples, leur interdit de formuler un simple « vœu à transmettre au saint-siège », s’il divergeait « des thèses ou des positions [tenues par] la doctrine perpétuelle de l’église ou le magistère pontiical ou concernant des matières disciplinaires réservées à l’autorité ecclésiastique supérieure ou à une autre ». Les églises locales ne sont donc des sujets de droit que dans des limites très restreintes. même dans le domaine disciplinaire, où beaucoup de matières sont libres, elles doivent cultiver la conformité à « l’église universelle »59.

iV. — conclusion en conclusion, le renouveau du droit canonique s’obtiendra par un travail commun aux historiens du droit, aux canonistes et aux théologiens. L’objectif est-il hors de portée ? une comparaison encourageante vient à l’esprit : en 1950, la tâche d’ouvrir l’église catholique à l’œcuménisme paraissait totalement utopique et pourtant, quinze ans après, Vatican ii adoptait l’admirable décret Unitatis redintegratio. Depuis l’église catholique « s’est engagée irréversiblement » sur ce chemin, comme Jean-paul ii l’a conirmé dans son encyclique sur l’œcuménisme60. en peu de mots, la voie du renouveau passe par le refus de la déthéologisation du droit canonique préconisée par d’aucuns61 : l’axiome ubi societas, ibi ius est une impasse. elle requiert de désenclaver une rélexion canonique assez autarcique, plus en contact avec les catégories du droit civil qu’avec celles de la théologie, comme paul Vi l’a déploré à plusieurs reprises62. il faudra s’atteler à la 57. elle a son origine dans la demande de napoléon ier de refaire entièrement la carte des diocèses de l’église de France pour la faire coïncider, autant que possible, avec celle des départements. 58. Voir le can. 57, § 1 du cceo cité supra note 45 selon lequel les patriarcats peuvent être créés, rétablis, modiiés, supprimés… 59. Instructio de synodis diocesanis agendis, n. iV, 4, AAS, t. 89, 1997, p. 706-727. 60. Voir Jean-paul ii, Ut unum sint 3, dans La documentation catholique, t. 92, 1995, p. 568. 61. Dans l'éditorial programmatique de la section canonique de la revue Concilium, n° 8, 1965, et dans les articles du n°  28, 1967, par les contributions de teodoro ignacio Jiménez urresti, « héologie et droit canonique, deux sciences diférentes » et Luis de echeverria, « héologie et droit canonique ». cette option fut clairement désavouée dans l'éditorial du n° 167, 1981. 62. La théorisation de cette proximité, voire identiication, est l'œuvre de l'école des canonistes laïques italiens, voir Vincenzo del Giudice, Nozioni di diritto canonico, 11e éd., milan, 1962, ou, en France, Louis de naurois (« canonique (droit) », dans Encyclopaedia universalis, t. iii, 1968, p. 880-884). ce que paul Vi récuse, « allocution au congrès international de droit canonique du

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question du statut épistémologique et théologique du droit canonique. l’église ne pouvant être une institution extérieure aux personnes qui la constituent, ni la simple addition ou succession d’actes servant au salut des individus. la meilleure approche de cette tâche serait de comprendre l’église comme un ensemble organique de processus instituants, confessants et sacramentaires, aussi personnels que constitutionnels, par lesquels, selon la grâce qui s’actualise dans l’évangile, dieu le père rassemble son peuple, le christ construit son corps et l’esprit-saint fait de ce corps son temple63. on voit combien cette approche se distingue de la perspective d’une société dont la fondation pourrait être attribuée au christ. celui-ci est bien plutôt son fondement. mais exposer cela demanderait un exposé d’une longueur analogue à la présente analyse. la tâche indiquée est urgente pastoralement et œcuméniquement. elle demande une nouvelle réception de vatican i, corrigeant celle qui a tant conditionné le code de 1917 qui, par sa compréhension de la juridiction universelle et immédiate du pape, tendait à faire de l’église universelle une sorte d’unique diocèse du pape. cette re-réception se dessine déjà64. Lorsqu’il n’était que théologien, Benoît XVi l’a dessinée, écrivant qu’en matière de primauté, on ne devait pas demander aux orthodoxes d’aujourd’hui plus que ce que les orientaux avaient accepté au premier millénaire65, une position qu’il a légitimée en la rééditant sous son nom de Benoît XVi. hervé Legrand o.p. institut catholique de paris

17 septembre 1973 », dans La documentation catholique, t. 70, 1973, p. 804 : « Votre première préoccupation ne sera pas d'établir un ordre juridique calqué sur le droit civil ». 63. Lumen gentium 4 a remis cette perspective en valeur : « L'église dans son ensemble apparaît comme le peuple uni de l'unité du père, du Fils et du saint-esprit », ce qui implique ce qu'on appelle souvent une ecclésiologie de communion, qu'on ne peut développer ici. 64. Voir hervé Legrand, « herméneutique et vérité des énoncés dogmatiques en contexte œcuménique », dans Recherches de science religieuse, t. 94, 2006, p. 53-76, qui montre la légitimité d'une re-réception de Vatican i. 65. il a encore précisé sa position : « L’image d’un état centralisé, que l’église catholique ofrit d’elle-même jusqu’au concile, ne découle pas de la charge de pierre, […] le droit ecclésial unitaire, la liturgie unitaire, l’attribution unitaire des sièges épiscopaux à partir du centre romain – tout cela ce sont des choses qui ne font pas nécessairement partie de la primauté en tant que telle », dans Joseph ratzinger, Le nouveau peuple de Dieu, paris, 1971, p. 68.

QUI ODIT CORREPTIONEM PERIBIT genÈve et la discipline ecclésiastique de calvin d’aprÈs les registres du consistoire par

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Post tenebras lux. la ville de genève découvre ces mots au cœur du xvie siècle. ils forment la devise de la cité et symboliseront bientôt les ambitions de la réforme sur les rives du Léman. après les ténèbres de la domination savoyarde et de la papisterie vient enin la lumière de Berne et de l’évangile. Genève doit devenir une citadelle pour garantir l’émancipation déinitive de ses habitants et donner bientôt refuge aux protestants d’europe qui solliciteront de l’aide. Dans toute citadelle, il faut de la discipline. elle sera assurée par l’institution prévue à cet efet : le consistoire. son secrétaire donne à la marge une idée de ce que pourrait être la fonction exacte du consistoire. au commencement du registre pour l’année 1548, il paraphrase la Vulgate, en abrégé, pour écrire : Qui odit correptionem peribit1. celui qui hait la réprimande périra. ainsi, de citations en formules, se dessine toute la rigueur que calvin promet à sa cité d’adoption. il faut seulement se méier des idées reçues. La devise de la ville, pour commencer, n’est pas une création des pasteurs. elle est l’œuvre des artisans de l’indépendance genevoise2. De même, la correction telle que calvin la conçoit n’est pas celle que le scribe laisse entendre. selon l’Institution de la religion chrétienne, la correction est un témoignage de l’amour de Dieu et se distingue de la vengeance. Loin du jugement qui signiie la colère de Dieu, la correction appartient au père de famille qui enseigne à son 1. Registres du Consistoire de Genève au temps de Calvin, éd. homas a. Lambert et isabella m. watt, dir. robert m. Kingdon, t. iV : 1548, Genève, 2007 (travaux d’humanisme et renaissance, 429), p. 1. 2.  syndics et conseil décident, in novembre 1535, de faire frapper des pièces de monnaie portant la devise Post tenebras lucem, corrigée en 1542 pour devenir inalement Post tenebras lux. calvin ne s’installe à Genève qu’en juillet 1536 ; voir alfred Dufour, Histoire de Genève, paris, 1997, p. 43 et 47.

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enfant et le rend « plus advisé pour le futur »3. Donc, il semblerait opportun d’envisager la discipline genevoise avec une certaine nuance. c’est ce que pensent les philosophes des Lumières. suivant la discussion du brame et de l’européen, sur le sujet de savoir où l’on pourrait trouver le meilleur des états, Voltaire, en son Dictionnaire philosophique, fait dire au premier qu’il choisirait « [c]elui où l’on n’obéit qu’aux lois ». L’auteur lui-même ajoute, en note, pour suggérer le nom d’une destination idéale en matière d’accomplissement politique : « Voyez l’article Genève dans l’encyclopédie »4. D’alembert formule, en efet, sur le propos une opinion qui reste de la même veine puisqu’il écrit que « [l]es ecclésiastiques font encore mieux à Genève que d’être tolérans »5. Les adversaires les plus scrupuleux des fanatismes s’accordent donc, en leur temps, pour reconnaître aux syndics et aux pasteurs genevois du xviiie siècle le mérite de conduire en leur république un modèle de parfaite administration politique. Voltaire et D’alembert ne sont pourtant pas dupes du passé et savent pertinemment que calvin, responsable, entre autres, du supplice de michel servet, it au moins « une action très blâmable »6. ils ne sont pas davantage ignorants des diicultés de leur temps et connaissent la situation des Genevois modernes, profondément atteints par le conlit de la ville haute contre la ville basse. JeanJacques rousseau, défenseur des faubourgs et du peuple de saint-Gervais, n’a pas manqué d’ailleurs de dénoncer certaines compromissions dans sa Lettre à D’Alembert sur les spectacles. Voltaire lui-même manie très probablement l’ironie en son Dictionnaire philosophique, lorsqu’il suggère à son brame de chercher la cité parfaite du côté du Léman7. Le point de vue des philosophes, restitué ainsi dans sa complexité, n’en sème pas moins le trouble. rousseau et D’alembert s’accordent sur l’essentiel pour relever l’exemplarité des mœurs du clergé de Genève. La réformation de calvin pourrait avoir eu pour efet d’imposer aux habitants un légalisme, aussi rude que nécessaire, suscitant inalement, deux siècles plus tard, l’adhésion critique et calculée des chantres de la raison. pour mesurer justement 3. Jean calvin, Institution de la religion chrétienne, éd. olivier millet, Genève, 2008, t.  ii, chapitre V : « De pénitence », p. 792-793. 4. Voltaire, Dictionnaire philosophique, paris, 1967, p. 188 et n. 5. Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éd.  Diderot et D’alembert, t. Vii, paris, 1757 ; rééd. stuttgart/Bad cannstatt, 1995, p. 578 : « Les ecclésiastiques font encore mieux à Genève que d’être tolérans ; ils se renferment uniquement dans leurs fonctions, en donnant les premiers aux citoyens l’exemple de la soumission aux lois. Le consistoire établi pour veiller sur les mœurs, n’inlige que des peines spirituelles. La grande querelle du sacerdoce et de l’empire, qui dans des siècles d’ignorance a ébranlé la couronne de tant d’empereurs, et qui, comme nous ne le savons que trop, cause des troubles fâcheux dans des siècles plus éclairés, n’est point connue à Genève ; le clergé n’y fait rien sans l’approbation des magistrats ». 6. Ibid. 7. José-michel moureaux, « La politique de Voltaire dans le Portatif : de la première édition à l’article “ maître ” », dans Revue d’histoire littéraire de la France, t. 95, 1995, p. 175.

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l’efort de correction imposé à la cité par l’ecclésiologie calvinienne, les registres du consistoire de genève sont ainsi d’une aide précieuse. le gouvernement spirituel est organisé par les ordonnances ecclésiastiques du 20 novembre 1541. il doit être assuré par l’entremise de quatre oices : les pasteurs, les docteurs, les anciens et les diacres. Les premiers reçoivent pour mission de faire connaître la parole de Dieu et d’administrer les sacrements. mais il leur appartient également de corriger promptement, avec l’aide des douze anciens, chargés de la surveillance nécessaire des diférents quartiers de la ville8. Le consistoire, composé pour partie des pasteurs, est évidemment institué pour faciliter cette œuvre commune de correction des mœurs déviantes. mais la détermination de son statut juridique n’a pas manqué de causer des tensions particulièrement vives entre les prédicateurs et les magistrats de la ville. calvin et Farel, à l’origine de leur prédication, pensaient la réforme en termes de discipline, de doctrine et d’ecclésiologie ministérielle. en 1536, lorsqu’ils commencèrent leur collaboration, les Genevois venaient tout juste, en conseil général, d’accepter de vivre selon l’évangile, surtout pour souligner l’échec de l’évêque pierre de la Baume, mais également pour entretenir l’alliance bernoise et tenir la savoie à bonne distance. La conversion était donc autant afaire de foi que de politique. Les réformateurs, pourtant, élaboraient de grands et ambitieux projets. en 1537, ils donnèrent aux bourgeois et aux habitants trois textes fondateurs : les Articles baillés par les prêcheurs, puis l’Instruction et confession de foi, dont on use en l’église de Genève, et enin la Confession de la foi, laquelle tous bourgeois et habitants de Genève et sujets du pays doivent jurer de garder et tenir. il était alors question des sacrements et de l’écriture, dans la droite ligne de l’Institution de la religion chrétienne, parue dans sa première version, à Bâle, quelques mois plus tôt. mais en plus du salut et de la recherche de la vérité, calvin et Farel se souciaient pragmatiquement de la vie chrétienne et délimitaient sans ambiguïté la puissance du pasteur. en matière d’ecclésiologie, la Confession de foi insistait sur la commission divine accordée aux ministres de la parole. ambassadeurs de Dieu, responsables du gouvernement du peuple, ils devaient 8. Les sources du droit du canton de Genève, t. ii : De 1461 à 1550, éd. émile rivoire et Victor van Berchem, aarau, 1930, n° 794. ordonnances ecclésiastiques, conseil général, 20 novembre 1541, p. 377 : « quant est des pasteurs, que l’escripture nomme aussi aulcunesfois surveillans, anciens et ministres, leur oice est d’annuncer la parolle de Dieu pour endoctriner, admonester, exorter et reprendre tant en publicq comme en particulier, administrer les sacremens et faire les corrections fraternelles avec les anciens ou commis » ; ibid., p. 382 : « s’ensuit le troisiesme ordre qui est des anciens qui se diront estre commis ou deputez par la seigneurie au consistoire. Leur oice est de prendre garde sus la vie de chascun, d’admonester amiablement ceulx qui verront faillir et mener vie desordonnee, et là où il en seroit mestier, faire rapport à la compaignie qui sera deputee pour faire les corrections fraternelles, et lors les faire communement avecq les aultres ».

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recevoir « puissance de commander, défendre, promettre et menacer »9. La dignité reconnue aux magistrats, plus précisément déinie dans l’Instruction, ne pouvait alors se concevoir qu’à l’exemple de celle du pasteur. princes et magistrats étaient, en efet, directement sommés « de penser à qui ils servent en leur oice et de ne faire rien indigne des ministres et lieutenants de Dieu »10. Les réformateurs nourrissaient ainsi ouvertement le projet de concevoir l’indépendance de l’église genevoise vis-à-vis des conseils de la cité. calvin désirait par dessus tout que l’église fût habilitée à prononcer l’excommunication sans en référer à l’autorité civile11. en date du 13 mars 1537, le petit conseil, pressé par le parti français qui soutenait les réformateurs, décidait de faire observer les Articles. mais rapidement, la « presbytérocratie » promise aux habitants fut rejetée par le parti vieux-genevois12. sommés de se rendre en la cathédrale saint-pierre pour y jurer la Confession de foi calvinienne, les citoyens commencèrent de se détourner des pasteurs dès le mois de juillet 1537. soucieux de modération, conscients qu’une partie de la population était attachée à la réforme bernoise, plus souple et plus luthérienne, les conseils choisirent de bannir calvin et Farel en avril de l’année 1538. trois ans plus tard, de retour à Genève, calvin constate, malgré la renommée nouvelle dont il proite, que la controverse n’a pas radicalement évolué en faveur de ses opinions car le contenu des ordonnances ecclésiastiques atteste d’une intervention manifeste de la seigneurie dans les afaires d’église. celles-ci prévoient, sans doute, l’institution du consistoire et, sur ce point, calvin obtient satisfaction en matière d’ordre et de bonne police ecclésiastique13. 9. Calvin homme d’église. Œuvres choisies du réformateur et documents sur les églises réformées du xvie siècle, Genève, 1971, « confession de foi de 1537 », xx : « ministres de la parole », p. 25 : « et ne leur attribuons autre puissance ni autorité sinon de conduire, régir et gouverner le peuple de Dieu à eux commis par icelle parole : en laquelle ils ont puissance de commander, défendre, promettre et menacer, et sans laquelle ils ne peuvent et ne doivent rien attenter ». 10. Jean calvin, Œuvres, éd. Francis higman et Bernard roussel, paris, 2009, « instruction et confession de foi dont on use en l’église de Genève », « Du magistrat », p. 267. 11.  Calvin homme d’église…, p.  5-6  : «  il faut donc que ceux qui ont la puissance de faire cette police mettent ordre que ceux qui viennent à cette communication soient comme approuvés membres de Jésus-christ. pour cette cause, notre seigneur a mis en son église la correction et discipline d’excommunication, par laquelle il a voulu que ceux qui seraient de vie désordonnée et indigne d’un chrétien et qui mépriseraient, après avoir été admonestés, de venir à amendement et de réduire à la droite voie, fussent déjetés du corps de l’église et, quasi comme membres pourris, coupés jusqu’à ce qu’ils revinssent à résipiscence, reconnaissant leur faute et pauvreté ». 12. émile G. Léonard, Histoire générale du protestantisme, t. i : La Réformation, paris, 1988, p. 288. 13. Les sources du droit du canton de Genève, t. ii : De 1461 à 1550…, n° 794. ordonnances ecclésiastiques, conseil général, 20 novembre 1541, p. 388 : « De l’ordre qu’on doibt tenir envers les grands, pour observer bonne pollice en l’eglise. que les commis susdictz dont il a esté parlé s’assemblent une fois la sepmaine avec les ministres, assçavoir le jeudy, pour veoir s’il n’y a nul desordre en l’eglise et traicter ensemble des remedes quand il en sera besoing ».

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son désir était, en 1537, de créer, par l’intermédiaire de la seigneurie, une charge élective de bonnes personnes, justes et incorruptibles, lesquelles, distribuées dans les quartiers de la ville, auraient été responsables de la surveillance des mœurs. en avertissant les ministres, ces bonnes personnes auraient pu faire oicieusement les admonestations d’usage et encourager la repentance. en cas d’obstination, une dénonciation oicielle devant l’église, suivie d’une procédure de jugement, aurait abouti à la sentence d’excommunication. calvin envisageait peut-être d’associer le ministre et ces bonnes personnes, élues ain de veiller au gouvernement personnel de chacun, dans le prononcé des sanctions14. il dessinait donc autant les contours statutaires du consistoire que l’action des oiciers appelés inalement « anciens » en 1541. ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que ses anciens deviendraient des créatures du conseil de la cité, d’une part, puis que son consistoire serait relativement entravé dans le prononcé de ses sentences, d’autre part. Les anciens sont envisagés par le conseil genevois comme des oiciers chargés de prendre garde à la vie de chacun. ils admonestent amiablement mais ne disposent pas de l’autorité nécessaire pour prononcer les corrections fraternelles. en ce sens, ils sont collaborateurs indispensables des pasteurs et agents du consistoire. par rapport aux articles de 1537, les espérances de calvin trouvent ici leur pleine réalisation. La manière de désigner les anciens, en revanche, s’éloigne sensiblement de la cité cléricale idéale souhaitée par le réformateur. Les ordonnances ecclésiastiques prévoient, en efet, une nomination par le petit conseil, en concertation avec les pasteurs, suivie d’une approbation par le conseil des Deux cents. prononçant le serment de idélité dans les mêmes termes que les pasteurs et jurant de « garder et mantenyr l’honneur et le prouit de la seygniorie et de la cité », ils sont très clairement appelés « commis ou députés par la seigneurie au consistoire »15. 14. Calvin homme d’église…, p. 7-8 : « et, pour ce faire, nous avons délibéré requérir de vous que votre plaisir soit ordonner et élire certaines personnes de bonne vie et de bon témoignage entre tous les idèles, pareillement de bonne constance, et qui ne soient point aisés à corrompre, lesquels étant départis et distribués en tous les quartiers de la ville, ayant l’œil sur la vie et gouvernement d’un chacun ; et s’ils voient quelque notable vice à reprendre en quelque personne, qu’ils en communiquent avec quelqu’un des ministres pour admonester quiconque sera en faute et l’exhorter fraternellement à se corriger. et si on voit que telles remontrances ne proitent rien, l’avertir qu’on signiiera à l’église son obstination ; et lors, s’il se reconnaît, voilà déjà un grand proit de cette discipline. s’il n’y veut entendre, il sera temps que le ministre, étant avoué de ceux qui auront cette charge, dénonce publiquement en l’assemblée le devoir qu’on aura fait de le retirer à amendement et comment tout cela n’a rien proité. adoncques on connaîtra s’il veut persévérer en la dureté de son cœur, et lors sera temps de l’excommunier… ». 15. Les sources du droit du canton de Genève, t. ii : De 1461 à 1550…, n° 794. ordonnances ecclésiastiques, conseil général, 20 novembre 1541, p. 382-383 : « s’ensuit le troisiesme ordre qui est des anciens qui se diront estre commis ou deputez par la seigneurie au consistoire. pareillement nous avons déterminé que la maniere de les eslire soit telle, c’est que le conseil estroit advisé de

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ain de parvenir à ses ins, le consistoire reçoit juridiction suisante pour prononcer des peines telles que l’invitation à s’abstenir de la cène, ou encore la séparation de l’église. en toutes circonstances, le prononcé des sentences se trouve néanmoins placé sous la surveillance des magistrats, dès lors que les pasteurs et les anciens envisagent de ne pas se contenter de simples remontrances. tout en rappelant le principe de juridiction séparée qui gouverne les rapports de compétence du temporel et du spirituel, les ordonnances de 1541 ne manquent donc pas de souligner que les velléités de sanctions seront rapportées au conseil, lequel « sur leur relation advisera d’en ordonner et faire jugement selon l’exigence du cas »16. Genève se conforme de la sorte aux usages bernois ou strasbourgeois, et l’excommunication, temporaire ou déinitive, devient préoccupation de la cité entière. calvin, conformément aux Articles de 1537, eût souhaité plus d’indépendance pour la compagnie des pasteurs et son consistoire. Le souvenir de l’exil apaisant pour un temps son irritation, il choisit de se contenter des compromissions de 1541 pour enin commencer son œuvre de réformation. Lorsque calvin donne à la cité son consistoire, il l’envisage comme un jury susceptible de faire appliquer indistinctement son catéchisme, dans le respect de ses ordonnances ecclésiastiques. s’il n’est pas mis en place pour asservir le idèle à son église, ni pour la bonne administration du conseil, il n’en demeure pas moins investi d’une mission de garde délibérément entendue comme intrusive. L’élection des anciens, ou commis, doit en efet assurer la désignation d’oiciers en nombre suisant pour que le gouvernement spirituel puisse « avoir l’œil par tout »17. La rigueur devient exigence collective et ne soufre aucune exception. Les ordonnances ecclésiastiques établissent ainsi une liste de crimes et de vices dont la sanction doit garantir l’intégrité des pasteurs. ces manquements graves ne seront sûrement pas ignorés non plus s’ils sont perpétrés par un simple citoyen. Les nommer les plus propres qu’on pourra trouver et les plus suisans, et pour ce faire appeller les ministres pour en communiquer avec eulx, puys qu’ilz presentent ceulx qu’ilz auront advisé au conseil des Deux centz lequel les approuvera. si les trouvent dignes, après esté approuvez, qu’ilz facent serment particulier dont la forme sera dressee comme pour les ministres » ; Ibid., n° 799. serment des prédicants et des diacres. B., p.c., 30 mai 1544, p. 392-393. 16. Les sources du droit du canton de Genève, t. ii : De 1461 à 1550…, n° 794. ordonnances ecclésiastiques, conseil général, 20 novembre 1541, p. 388-390 : « s’ensuyvent les personnes que les anciens ou commis doibvent admonester et comme on doibvra proceder » ; et plus particulièrement, p. 389-390 : « et que tout cela se face en telle sorte que les ministres n’aient nulle jurisdiction civile et ne usent sinon du glaive spirituel de la parolle de Dieu, comme sainct paul leur ordonne ; et que par ce consistoire ne soit en rien derogué à l’auctorité de la seigneurie ne à la justice ordinaire, mais que la puissance civile demeure en son entier. et mesmes où il sera besoing de faire quelque punition ou contraindre les parties, que les ministres avec le consistoire, ayant ouy les parties et faict les remonstrances et admonitions telles que bon sera, ayent à raporter au conseil le tout, lequel sur leur relation advisera d’en ordonner et faire jugement selon l’exigence du cas ». 17. Ibid., p. 383.

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infractions référencées comme des crimes sont considérées comme « intolérables » de la part d’un ministre. Le pasteur qui commet le péché d’hérésie, de schisme, de blasphème, de simonie ou de brigue, risque la déposition de son oice en plus des autres sanctions civiles et des peines ordinaires. il en va de même en cas de vol, de parjure, de paillardise ou encore d’ivrognerie. La danse est aussi qualiiée de pratique dissolue. Les infractions référencées par ailleurs comme des vices sont dans une certaine mesure (« aucunement ») qualiiées de supportables, « moyennant qu’on en face admonition fraternelle ». La vaine curiosité, l’avarice, la colère, la médisance ou encore un accoutrement dissolu requerront donc de quiconque s’en rendra coupable, pasteur ou citoyen, une prompte repentance après remontrance. La seigneurie de Genève reste compétente pour assurer, bien entendu, la répression des crimes qui tombent sous le coup des lois civiles. mais il appartient, semble-t-il, au consistoire de concevoir la « premiere inquisition » des crimes et vices ci-dessus relevés, situés hors de la compétence civile, qui portent atteinte à l’honneur du ministère ecclésiastique et révèlent « tous scandalles de vie »18. Dans tous les quartiers, les anciens réprimanderont les mauvais plaisantins, les citoyens qui s’adonneront à la boufonnerie, vice nommément identiié sous le nom de « scurrilité ». chacun devra surveiller dorénavant son langage, oublier ses querelles et ses ruses procédurières pour se plier aux admonestations, certes fraternelles, mais qui ne manqueront pas de se réitérer, en cas de besoin, jusqu’à la menace de privation de la cène.

18. Ibid., p. 379-380 : « mais premierement fault noter qu’il y a des crimes qui sont du tout intolerables en un ministre, et y a des vices qu’on peut aucunement supporter moyennant qu’on en face admonition fraternelle. Les premiers sont : heresie. scisme. rebellion contre l’ordre ecclesiasticque. Blaspheme manifeste et digne de peine civile. simonie et toute corruption de presentz. Brigue pour occuper le lieu d’un aultre. Delaisser son esglise sans congé licite et juste vocation. Faulceté. perjure. paillardise. Larrecins. Yvrognerie. Basterie digne d’estre punie par les loix. usure. Jeux defendus par les loix et scandaleux. Dances et telles dissolutions. crimes emportant infamie civile. crime qui meriteroit en un aultre separation de l’esglise. Les seconds : Façon estrange de traicté l’escripture, laquelle tourne en scandalle. curiosité de chercher questions vaines. advancer quelque doctrine ou façon de faire non receue en esglise. negligence à estudier et principallement à lire les sainctes escriptures. negligence à reprendre les vices, prochaine à latterie. negligence à faire toutes choses requises à l’oice. scurrilité. menterie. Detraction. parolles dissolues. parolles injurieuses. temerité. maulvaise cautelle. avarice et trop grande chicheté. cholere deshordonnee. noises et tenseries. Dissolution indecente à un ministre tant en habilemens comme en gestes et aultre facon de faire. quant est des crimes qu’on ne doit nullement pourter, si ce sont crimes civilz, c’est à dire qu’on doibve punir par les loix, si quelqu’un des ministres y tombe, que la seigneurie y mette la main et que, oultre la peine ordinaire dont elle a coustume de chastier les autres, elle le punisse en le deposant de son oice. quant des aultres crimes dont la premiere inquisition appertient au consistoire ecclesiasticque, que les commis ou anciens avec les ministres veillent dessus. et si quelqu’un en est convaincu, qu’ils en facent le raport au conseil avec leur advis et jugement, ainsi que le dernier jugement de la correction soit tousjours reservé à la seigneurie ».

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les registres du consistoire font mention, indubitablement, d’une surveillance des mœurs particulièrement serrée. il se réunit chaque jeudi au cloître du chapitre de la cathédrale de saint-pierre de genève. depuis le 8 décembre 1541, le conseil a décidé qu’un syndic devait assister aux séances du consistoire. le syndic président du consistoire pour l’année 1542, nommé par le conseil le 9 février 1542, est claude pertemps. mais, absent de Genève, il est remplacé, pour plusieurs séances, par Domaine d’arlod, syndic sortant, et comptant parmi les premiers Genevois qui se déclarèrent partisans de la réforme. parmi les ministres, siègent, en outre, calvin et Viret19. Dès que l’institution commence à fonctionner, pasteurs et anciens, sous la surveillance du syndic président, entendent les bourgeois et habitants qui ne témoignent pas d’une considération suisante pour l’évangile. plus particulièrement, le consistoire exige de chacun et de chacune une assiduité sans faille aux sermons, ne tolérant en la matière aucun écart de conduite20. Le 23 février 1542, le premier magistrat Domaine d’arlod rappelle ainsi qu’un tumulte s’est élevé un certain dimanche à saint-Gervais, pendant le sermon du soir. en réalité, une femme, anne perrin, a simplement ri d’un homme installé derrière elle, laissant entendre par cette licence qu’elle se moquait de la parole de Dieu. convoquée pour répondre de sa légèreté, elle écoute les remontrances du consistoire qui lui demande, à l’avenir, de se montrer plus « constante » ain de ne plus troubler l’église et de vivre toujours dans la crainte du seigneur21. une autre cause fait état de l’attitude répréhensible de Jane mermet, veuve de tyvent mermet, et belle-mère du secrétaire François Béguin. secrétaire de la Justice, procureur général jusqu’en 1540, membre des LX et bientôt syndic, François Béguin est un homme inluent dans la cité de Genève. en dépit de la dignité de son gendre, Jane mermet ne se comporte pas comme une chrétienne exemplaire. elle éprouve quelques diicultés pour tenir sa langue. en ce jeudi 9 novembre 1542, il lui est reproché de ne pas assister suisamment aux sermons, mais surtout de « barboter » pendant la prédication. pour ne rien arranger, en entrant dans la salle d’audience, à la barbe de calvin, elle s’exclame : « que diable me veut-on ici ! » Devant tant de familiarité, le consistoire se contente pourtant d’admonestations, défendant formellement à Jane mermet de barboter 19. Registres du Consistoire de Genève…, t. i : 1542-1544, Genève, 1996, jeudi 16 février 1542, p. 1 et 2, n. 1 à 6 (travaux d’humanisme et renaissance, n° 305). 20. en cela le consistoire se conforme aux ordonnances ecclésiastiques ; voir Les sources du droit du canton de Genève, t. ii : De 1461 à 1550…, n° 794. ordonnances ecclésiastiques, conseil général, 20 novembre 1541, p. 388 : « si quelcun est negligent de convenir à l’eglise, tellement qu’on apperçoyve un mespris notable de la communion des idelles, ou si quelcun se monstre estre contempteur de l’ordre ecclesiasticque, qu’on l’admoneste ; et s’il se rend obeissant, qu’on le renvoye amyablement. s’il persevere de mal en pis, après l’avoir trois fois admonesté, qu’on le separe de l’eglise et qu’on le denonce à la seigneurie ». 21. Registres du Consistoire de Genève…, t. i, p. 7.

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encore pendant les sermons22. Bien que triviale en apparence, cette cause permet deux constatations d’importance. d’une part, elle souligne que le consistoire ne tient pas compte de la dignité des genevois lorsqu’il administre sa discipline23. elle laisse entendre, d’autre part, que le devoir de correction est bien davantage afaire de pédagogie que de contrôle social. si Jane mermet s’en tire à bon compte, c’est parce qu’elle a su, dès sa première audience, le 9 novembre, réciter convenablement, d’abord l’oraison, puis la confession. régulièrement, les personnes sommées de se présenter doivent démontrer leur attachement à la foi réformée en exposant leur connaissance du catéchisme de la cité. selon les préconisations de la Confession de foi de 1537, les idèles se doivent de connaître les dix commandements, le symbole des apôtres, le notre père et les sacrements. en consistoire, pasteurs et anciens demandent que l’on récite l’« orayson », autrement dénommée « notre père » ; ils insistent sur la bonne intelligence de la « confession », ou encore « symbole des apôtres ». chaque citoyen, bourgeois ou habitant doit par ailleurs instruire convenablement ses enfants et toute sa domesticité de manière à promouvoir la parole de Dieu. pour cette raison, antoine servoz, cordonnier établi dans une maison bourgeoise sur le pont du rhône, interrogé sur ses prières, sur sa présence au sermon dominical, se croit obligé de préciser dans ses réponses que son ils, âgé de trois ans seulement, « ne le sceroyt encore entendre ». recevant les admonestations, il obtient un délai de quinze jours qu’il lui faudra mettre à proit pour mieux savoir le symbole des apôtres24. Le consistoire se montre donc soucieux de l’instruction de la population. il s’eforce de suivre, semaine après semaine, les progrès des individus les plus ignorants. maître robert Breysson, bâtier-aubergiste de son état, commence par subir le courroux du syndic pertemps, le 23 mars 1542. trois semaines auparavant, il a omis en efet de répondre à une première convocation, négligeant d’accomplir son devoir vis-à-vis de l’institution. sommé d’expliquer son absence, il est ensuite interrogé sur ses prières et déçoit fortement les prédicants, calvin, henri et champereaulx, siégeant ce jour, puisque « [d]e sa foy n’en az rien scez dire ». compte tenu du peu d’attention manifestée par ailleurs à l’audition des sermons, robert Breysson, honorablement admonesté, reçoit l’injonction de se présenter tous les jeudis jusqu’à pâques et même plus tard, le temps pour lui de justiier d’une instruction suisante25. Le 6 avril, il s’avère qu’il est capable de

22. Registres du Consistoire de Genève…, t. i, p. 136, et n. 573, puis p. 144. 23. sur cette question du consistoire genevois, envisagé comme source objective, voir christian Grosse, « rationalité graphique et discipline ecclésiastique. Les registres du consistoire de Genève à l’épreuve (xvie - xviiie siècles) », dans Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 153, 2007, p. 550-551. 24. Registres du Consistoire de Genève…, t. i, p. 15-16. 25. Ibid., p. 18.

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dire son Pater, mais n’a rien retenu du sermon de pierre viret prononcé pourtant le dimanche précédent. l’avis du consistoire se fait alors plus rude : robert Breysson subit des remontrances « plus aygres » ; on exige qu’il ait une bible en sa maison. mais surtout, il lui est fait défense de venir à la cène jusqu’à ce qu’il sache correctement ses prières26. pasteurs et anciens n’aiment rien moins que les récidivistes. conformément à la correction telle que déinie par calvin, ils se montrent magnanimes en cas de première ofense. Leur attente, concernant le pécheur, est entièrement tournée vers son amendement et vers l’avenir. en cas de récidive, il est alors entendu que le futur se présente plutôt mal et les admonestations se font volontiers plus sévères. maître robert, visiblement peu ému par sa mauvaise conduite, reçoit par la suite quelques convocations qu’il oublie d’honorer27. Finalement, à la date du 20 juillet, il daigne se déplacer devant le consistoire, lequel constate que le bâtier-aubergiste est certes capable de dire l’oraison et la confession, mais poco seulement. Devant tant d’ignorance, l’avis préconise qu’on le « remette à messieurs », c’est-à-dire au conseil, pour de plus contraignantes remontrances. qualiié en la cause d’homme « dehespéré » et de mauvais propos, maître robert sera condamné par le conseil quatre jours plus tard. il recevra alors l’obligation de se rendre tous les jours au sermon, jusqu’à ce qu’il sache dire le symbole des apôtres, et de se rendre au catéchisme pendant une année entière28. Le 5 septembre, l’obstination du consistoire porte ses fruits. Le bâtier sait enin sa confession et son « orayson, communement ». inutile de se montrer pointilleux, l’avis suggère de rendre la cène au bon robert. outre la démonstration de la pédagogie contraignante du consistoire, le suivi de cette cause autorise deux observations supplémentaires. Face à l’obstination des Genevois, pasteurs et anciens ne peuvent ignorer l’autorité civile pour espérer mener à bien leur mission de correction. Lorsque les remontrances ne suisent plus, le renvoi devant le conseil devient indispensable pour l’eicacité de la discipline ecclésiastique. en ce sens, l’activité du consistoire, au temps de calvin, se révèle conforme à la lettre des ordonnances ecclésiastiques de 1541. elle illustre le partage des tâches, l’absence de juridiction civile au proit du consistoire et la soumission de principe de l’institution au contrôle de la puissance temporelle29. même la privation de la cène, comme les admonitions et remontrances, se 26. Ibid., p. 31-32. 27. Registres du Consistoire de Genève…, t. i, p. 79 et 83, soit pour les 22 juin et 6 juillet 1542. 28. Ibid., p. 91 et n. 419. 29.  sur l’absence de juridiction civile au proit du consistoire, voir Les sources du droit du canton de Genève, t. ii : De 1461 à 1550…, n° 794. ordonnances ecclésiastiques, conseil général, 20 novembre 1541, p. 389 : « et que tout cela se face en telle sorte que les ministres n’aient nulle juridiction civile et ne usent sinon du glaive spirituel de la parolle de Dieu, comme sainct paul leur ordonne ; et que par ce consistoire ne soit en rien derogué à l’auctorité de la seigneurie ne à la justice ordinaire, mais que la puissance civile demeure en son entier ».

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présente, en efet, sous forme d’avis. à proprement parler, le consistoire ne formule pas de sentences ; il prononce formellement des recommandations que le conseil, théoriquement, reste libre de suivre ou de rejeter. en matière d’excommunication, la compétence du consistoire ne devient oiciellement exclusive qu’en 1561, lors de la révision des ordonnances ecclésiastiques30. d’ici là néanmoins, l’avis du consistoire, techniquement parlant, procédera davantage de l’avis conforme que de l’avis simple. la cause de robert Breysson laisse donc deviner un consistoire relativement libre dans ses compétences, mais toujours soucieux de ses rapports avec l’autorité civile. l’ecclésiologie calvinienne paraît ainsi se fondre totalement dans le compromis élaboré diicilement en 1541. au titre de la seconde observation, le cas du bâtier-aubergiste souligne que l’institution disciplinaire genevoise entend clairement placer certains métiers sous surveillance. son attention se porte tout particulièrement sur certaines professions soupçonnées de gâter trop promptement la ferveur chrétienne des citoyens. en raison des personnes qu’ils emploient, des clients qu’ils reçoivent, les hôteliers plus que d’autres pourraient ralentir les progrès de l’évangile. le consistoire, à la moindre suspicion, convoque et admoneste pour le bien de la population. la propagation de la foi est entendue comme une préoccupation essentielle. ceux qui se posent ouvertement comme contempteurs de l’ordre ecclésiastique, selon les termes des ordonnances, s’attirent immédiatement les foudres du consistoire31. Jane Bonna, mère du syndic claude Bonna, dit pertemps, est une femme veuve respectable. elle quitte néanmoins souvent la ville pour entendre la messe en d’autres lieux. interrogée sur ses convictions, elle déclare fréquenter les sermons, vouloir vivre chrétienne pour toujours et demeurer convaincue qu’il n’existe qu’un seul dieu. perplexes, les pasteurs poussent plus loin l’interrogatoire. la discussion devient théologique, si animée que le scribe ne peut plus suivre et laisse trois phrases inachevées. le consistoire insiste, lui demande pourquoi elle n’assiste pas à la cène à genève. Jane répond, excédée, « qu’elle vaz ou il luy semble bon ». La décision qui s’ensuit est 30.  Les sources du droit du canton de Genève, t.  iii  : De 1551 à 1620…, n°  1008. édits ecclésiastiques – excommunications – mariages, conseil général, 13  novembre 1561, p.  127, et n°  1188. ordonnances ecclésiastiques, conseil général, 3  juin 1576, titre iii. Sensuit le troisieme ordre du gouvernement ecclesiastique, asçavoir des anciens. chapitre ii. Du Consistoire, art. 94, p. 333-334 : « nous avons ordonné que ci après ceux qui auront esté excommuniez par le consistoire, s’ils ne se rangent après avoir esté deuement admonestez, mais persistent en leur rebellion, soyent declarez par les temples, en la predication du dimanche, estre retranchez du troupeau de l’eglise, jusques à ce qu’ils viennent recognoistre leur faute et se réconcilier à toute l’eglise » ; voir également o. weber, « compétence de l’eglise et compétence de l’état, d’après les ordonnances ecclésiastiques de 1561 », dans Regards contemporains sur Jean Calvin, paris, 1965, p.  83  : «  D’après les ordonnances de 1561, cet acte – l’excommunication – est exclusivement l’afaire du consistoire. mais il doit en rendre compte au magistrat ». 31. Voir supra, n. 20.

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à la mesure de cette efronterie caractérisée : Jane Bonna est « remise comme hors de la foy », sommée par ailleurs de comparaître chaque jour au sermon à compter du vendredi 31 mars 154232. Le mardi suivant, l’interrogatoire reprend, dans le but de mieux cerner les erreurs de la veuve, laquelle aggrave alors sa cause en airmant que la vierge marie « est son advocate » ! plaçant sa foi et coniance en Dieu, elle ne veut compter que sur lui pour obtenir son pardon. son discours favorable à la sainte église conteste, en outre, ouvertement la légitimité des ministres en matière de correction. elle termine en précisant durement que son ils, seigneur syndic, a choisi d’être « herige », mais qu’elle ne voulait pas l’être. ce mot d’« herige », en vieux genevois, signiie à la fois sorcier et hérétique. L’avis du consistoire, compte tenu d’une telle violence, conirme inévitablement les précédentes sanctions : il prive la veuve Bonna de la cène et la déclare de nouveau hors de l’église33. cette cause révèle que certains comportements sont considérés comme particulièrement graves aux yeux du gouvernement ecclésiastique. il ne s’agit pas seulement de la contestation des nécessités de la réforme, mais surtout de l’opposition ostensible et véhémente en la matière. Jane Bonna ne laisse au consistoire aucune alternative compte tenu de ses prises de position clairement contraires à l’ordre établi. ses paroles comme ses actes l’érigent en adversaire autant des ministres que de la seigneurie. L’infraction qui provoque son renvoi devant messieurs, le 13 juillet, ne laisse pas de place au doute à cet égard : la veuve est remise au conseil pour rébellion34. L’ecclésiologie réformée de la ville de Genève, telle que la pratique du consistoire permet de la deviner au temps de calvin, s’organise autour d’une condamnation systématique du désordre, du « mal gouvernement » préjudiciable à l’honnêteté des mœurs35. La rébellion, comme la paillardise, ou encore les injures publiques, sont autant de comportements que les pasteurs et anciens pourchassent sans ménager leur peine. mais l’institution n’est pas seulement afaire de police des auberges et des licences grivoises. calvin a pris soin dans l’Institution de la religion chrétienne de formuler certaines critiques précises sur le sujet du droit canonique classique. en matière de mariage, notamment, reprenant l’étude du Décret de Gratien et des canonistes médiévaux, ses attaques, théologiques au commencement, ont évolué ensuite sur le terrain du droit. à l’image des autres grands réformateurs, calvin n’envisage pas le mariage comme un sacrement36. il s’eforce surtout de

32. Registres du Consistoire de Genève…, t. i, p. 23-24. 33. Ibid., p. 26-27 ; Jane Bonna est convoquée de nouveau les 15 et 29 juin, ibid., p. 79 et 83. 34. Registres du Consistoire de Genève…, t. i, p. 85-86. 35. à propos du « mal gouvernement » de Jacques Furbi, voir ibid., p. 36-38, et n. 178. 36. John witte Jr. et robert m. Kingdon, Sex, Marriage and Family in John Calvin’s Geneva, Grands rapids (mich.)/cambridge, 2005, p. 39 : « marriage, however, is not a sacrament of the heavenly Kingdom ».

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proposer une nouvelle application de la distinction classique entre promesses de futur, les iançailles, et promesses de présent, le mariage lui-même37. son approche le conduit à considérer que les premières créent, non pas une « obligation de conscience au mariage », mais plutôt l’« état de mariage » et permettent de faire valoir un droit au mariage qui peut être invoqué en justice38. De simples paroles échangées en pleine connaissance de cause et en présence de témoins peuvent ainsi déboucher sur une obligation et imposer l’échange des consentements39. Dans la continuité de cette appréhension contractuelle, le consentement des pères, souhaitable selon la position canonique moderne, devient indispensable pour les enfants mineurs, à peine de nullité. calvin commence à rédiger, dès 1545, une ordonnance sur les mariages, en collaboration avec les conseils de la ville. L’homologation n’interviendra qu’en 1561, mais, avant cette date, l’activité du consistoire permet de mesurer l’impact de la doctrine de calvin en matière de mariage et d’apprécier le contenu des édits ultérieurement adoptés40. pasteurs et anciens ont ainsi pour fonction de mesurer les efets juridiques des promesses échangées pour préparer les décisions de la juridiction civile. en matière de parole 37. sur la distinction, voir anne Lefebvre-teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, paris, 1996, p. 133-135. 38. Jean Gaudemet, Le mariage en Occident, paris, 1987, p. 280. 39. J. witte Jr. et r. m. Kingdon, Sex, Marriage and Family…, p. 41-42 : « engagements were future promises to be married. marriages were present promises to be married. But, unlike the medieval canonists, calvin removed the need for the parties to use speciic formulaic words : any clear indication of an intent to marry would do. he softened the distinction and shortened the duration between engagements and espousals. and he insisted that these contracts be public as well as private in nature ». 40. Les sources du droit du canton de Genève, t.  iii  : De 1551 à 1620…, n°  1008. édits ecclésiastiques – excommunications – mariages, conseil général, 13 novembre 1561, p. 127, et n° 1188. ordonnances ecclésiastiques, conseil général, 3 juin 1576, titre iii. Sensuit le troisieme ordre du gouvernement ecclesiastique, asçavoir des anciens. chapitre iV. Des promesses de mariage et de l’accomplissement d’icelles, art. 122, p. 337-338 : « que toutes promesses de mariage se facent honnestement et en la crainte de Dieu, et non point en dissolution ne par legereté frivole, comme en tendant seulement le verre pour boire l’un à l’autre, sans s’estre premierement accordé de propos rassis. et que ceux qui feront autrement soyent chastiez. mais à la requeste d’une des parties qui se diroit avoir esté surprise, telle promesse de mariage soit rescindee » ; art. 124, p. 338 : « que nulle promesse de mariage ne se face clandestinement, sous condition ou autrement, entre les jeunes gens qui n’auront point encores esté mariez, mais qu’il y ait pour le moins deux tesmoins, gens de bien et de bonne reputation, et qui sçachent en quelle authorité se font les promesses ; autrement le tout sera nul » ; art. 128, p. 338 : « après une promesse de mariage faicte, que le mariage soit accomply dans six semaines, s’il n’y avoit cause raisonnable pour le diferer plus longuement ; autrement qu’on appelle les parties au consistoire pour leur remonstrer ; s’ils n’obeïssent, qu’ils soyent renvoyez devant le conseil, pour estre contraincts d’accomplir leur mariage » ; chapitre iii. Des mariages et premierement des personnes qui se peuvent marier, art. 100, p. 334-335 : « que nuls jeunes gens qui n’ont jamais esté marriez, soyent ils on illes ayans encor leurs peres vivans, n’ayent puissance de contracter mariage sans congé de leursdits peres, sinon qu’estans parvenus en aage legitime, asçavoir le ils à vingt ans et la ille à dixhuict… ».

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donnée, le gouvernement ecclésiastique fait preuve d’une sévérité constante. ses sentences peuvent avoir pour but de punir les manipulateurs et de protéger les illes mères. pierre rapin a eu l’audace de se iancer avec deux femmes, promettant le mariage à la seconde dans le seul but de la connaître par duperie. convoqué devant le consistoire, il est renvoyé devant le conseil qui le condamne à subir le fouet avec une mitre sur la tête, puis au bannissement41. un autre pierre, pierre magnin, a séduit louise du Bioley, servante chez pierre de sales à genthod. malgré sa promesse, il abandonne sa conquête, enceinte, et refuse de se marier. une première fois convoqué, il entend les admonestations, accepte de relever l’enfant et de consentir à l’union. les semaines passent, puis les mois, mais pierre magnin ne s’est toujours pas exécuté. Finalement, la maîtresse de la servante paraît au consistoire. elle se présente lanquée d’un témoin, drapier de chambéry et bourgeois de genève depuis 1532, et exige que magnin honore sa parole. le 26 juin, puis le 3 juillet 1542, le conseil, suivant la résolution du consistoire, lui ordonne de prendre charge de l’enfant et d’épouser louise du Bioley sous la menace de l’envoyer en prison42. ces diverses causes témoignent d’une attention constante des ministres et anciens en faveur du respect des engagements matrimoniaux régulièrement pris. la pratique montre que les avis du consistoire se situent dans la continuité des travaux législatifs de calvin en matière de mariage, d’une part. elle révèle, d’autre part, que le souci de correction ne regarde pas que les mœurs, mais permet aussi la mise en œuvre de la responsabilité de certains contractants indélicats. ce qui importe, au bout du compte, c’est que l’obligation librement consentie soit suivie d’efet43. l’ecclésiologie calvinienne, au commencement de la réformation genevoise, apparaît donc comme une dialectique subtile  : elle orchestre une étroite collaboration des conseils et du consistoire, laquelle induit, pour la cité, une théocratie modérée par l’intervention constante de l’autorité civile. La tonalité des avis devient certes rude lorsque comparaissent les hypocrites, les opiniâtres, mais la sévérité des corrections ne choque pas de prime abord. Le consistoire se montrera plus dur, parfois injuste, après le décès de calvin, lorsque, sous l’inluence de héodore de Bèze, les excommunications annuelles iniront par représenter 4 % de la population44. en attendant ces sévérités extrêmes, 41. Registres du Consistoire de Genève…, t. i, p.  3, 15 et n. 67. 42. Registres du Consistoire de Genève…, t. i, p. 3, 55-56, 81 et n. 373. 43. Voir par ailleurs la cause de pierre Bertet, dit talabard : accusé de battre publiquement sa femme, il reçoit les admonestations de vivre chrétiennement en sa vocation. Le rôle du consistoire serait peut-être ainsi de surveiller les vocations, de protéger tout autant que de corriger, voir ibid., t. iV : 1548, p. 46. 44.  william e. monter, «  he consistory of Geneva, 1559-1569  », dans Bibliothèque d’humanisme et Renaissance, t. 38, 1976, p. 467-484.

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caractéristiques de la in du xvie siècle, pasteurs et anciens, au commencement de l’institution, restent sensibles à la notion d’admonestation fraternelle telle que suggérée par l’Institution de la religion chrétienne. La discipline ecclésiastique demeure enin une afaire technique : le consistoire ne crée pas formellement de jurisprudence, mais son activité, comme en témoignent les causes matrimoniales, nourrit néanmoins indubitablement la rélexion des pasteurs, des syndics et très sûrement la production normative genevoise. Guerric meylan université paris-sud Droit et sociétés religieuses

l’inFluence des conFessions religieuses dans la Formation du droit international puBlic par

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en 1934, le célèbre juriste et internationaliste américain James Brown scott (1866-1943), initiateur entre autres choses de la cour permanente d’arbitrage en 1899, publia un travail sur la conception catholique du droit international public1. dans la perspective de Brown scott, la confession religieuse de Francisco de vitoria et de Francisco suárez a introduit des principes théologiques dans le droit des gens. Bien que Brown scott n’envisageât pas une conception chrétienne, il attribuait un rôle important à des dogmes particuliers de l’église catholique romaine. c’est donc la seule matière juridique dont on a déjà constaté la confession. mais est-ce qu’on peut vraiment parler d’une « conception catholique » du droit international public ? cette question se situe dans le cadre d’une recherche sur l’inluence de la réforme protestante sur le droit. on a toujours reconnu l’importance de la foi au xvie siècle pour les populations comme pour les juristes. D’autre part, quelques auteurs ont démontré l’inluence de la nouvelle théologie sur le nouveau droit ecclésiastique protestant – sans pape – et le droit du mariage que Luther ne considérait plus comme sacrement mais comme « ein äußerlich weltlich Ding », donc comme une chose purement séculière2. en 1.  James Brown scott, he Catholic Conception of International Law. Francisco de Vitoria, Founder of the Modern Law of Nations, Francisco Suárez, Founder of the Modern Philosophy of Law in General and in Particular of the Law of Nations. A Critical Examination and a Justiied Appreciation, washington (D.c.), 1934, réimpr. clark (n.J.), 2008. en sens contraire, alexandre passerin d’entrèves, Natural Law. An Introduction to Legal Philosophy, Londres, 1951, réimpr. 1994, p. 55, enseignait qu’il n’y avait aucune inluence de la théologie sur le droit naturel. 2. Voir surtout les œuvres de John witte Jr., par exemple, Law and Protestantism : the Legal Teachings of the Lutheran Reformation, cambridge, 2002 ; id., he Reformation of Rights  : Law,

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dehors de ces conséquences évidentes, on a rarement analysé la relation entre la réforme protestante et la dogmatique juridique, bien que harold Berman l’ait considérée comme la deuxième grande révolution juridique après celle de grégoire Vii et avant celles d’angleterre, de France et de russie3. Dans la méthodologie juridique et dans le droit pénal, on trouve l’inluence de la réforme protestante dans l’œuvre des juristes et plus on pousse l’analyse, plus cette inluence apparaît. sur la base de l’autorité de James Brown scott la question de la confession religieuse du droit international se pose particulièrement. mais y a-t-il seulement inluence dominante de l’école espagnole, ou bien, en outre, cette inluence est-elle marquée par un catholicisme prononcé ? Le rôle réel de l’école de salamanque sur l’évolution du droit en général et particulièrement du droit international public est bien connu. mais peut-on ignorer les contributions de célèbres protestants comme hugo Grotius, samuel von pufendorf, christian wolf ou emeric de Vattel ? ces noms conduisent à s’interroger sur le caractère du droit international, véritablement catholique romain ou peut-être plutôt protestant4. une anecdote lors des discussions pour la convention de La haye pour le règlement paciique des conlits internationaux en 1899 démontre l’importance que conservait Grotius même à cette époque, fondamentale pour la création du droit international moderne : le Vatican voulait participer à ces négociations, mais la communauté internationale le refusa parce que le livre De iure belli ac pacis libri tres de Grotius igurait encore à l’Index librorum prohibitorum de l’église catholique romaine. Le représentant du saint-siège ne put participer à la conférence qu’après suppression de cette mention5. cet épisode nous convainc que l’œuvre de Grotius contenait des implications théologiques inopportunes pour l’église catholique romaine, et cette indication n’était pas seulement un accident. pourtant, Grotius lui-même croyait sa théorie valable même en l’absence de dieu. il voulait ainsi souligner que son système juridique ne dépendait pas de la religion. Donc il vaut la peine de rechercher si on trouve des traces du protestantisme dans l’œuvre de Grotius. Religion and Human Rights in Early Modern Calvinism, cambridge, 2008 ; pour les aspects prosopographiques, voir christoph strohm, Calvinismus und Recht. Weltanschaulich-konfessionelle Aspekte im Werk reformierter Juristen in der Frühen Neuzeit, tübingen, 2008 (spätmittelalter, humanismus, reformation, 42). 3. harold J. Berman, Law and Revolution, t. ii : he Impact of the Protestant Reformations on the Western Legal Tradition, cambridge (mass.), 2006. 4. Dans ce sens déjà la remarque de peter haggenmacher, Grotius et la doctrine de la guerre juste, paris, 1983, p. 486. 5.  Voir hasso hofmann, «  hugo Grotius  », dans Staatsdenker in der Frühen Neuzeit, éd.  m.  stolleis, 3e éd., munich, 1995, p.  52-77, plus spéciiquement p.  54 ; Index Librorum Prohibitorum (1600-1966), éd. Jésus martinez De Bujanda, montréal/Genève, 2002, p. 409.

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pourtant, on a déjà soutenu que l’inluence de vitoria et celle de suárez étaient aussi importantes que celle de grotius et qu’on y trouvait toujours les termes et la philosophie de la scholastique6. évidemment, on ne peut pas trancher cette question sur la seule base des convictions des auteurs. en revanche, il faut analyser les dogmatiques sur le droit international public et les comparer aux doctrines confessionnelles. d’abord on pourra commencer par présenter les arguments de Brown scott en analysant les œuvres de vitoria et de suárez. ensuite, il faudra les comparer à l’œuvre d’hugo grotius. cela renvoie à la vieille discussion consistant à savoir si le titre de « père du droit international » appartient à un membre de l’école de salamanque ou à Grotius. en tous cas, l’un et l’autre comptent pour le développement du droit international classique7. Bien qu’il faille nommer d’autres auteurs notables pour le développement du droit des gens, comme samuel von pufendorf, christian wolf ou emeric de Vattel, tous protestants, il est possible de se concentrer sur Grotius. surtout si l’on constate des traces du protestantisme, la preuve sera suisante. réciproquement, les œuvres de Vitoria et suárez suiront pour prouver les inluences catholiques. si on ne peut pas trouver de lien entre ces œuvres juridiques et leur théologie, on peut en déduire que l’inluence de la dogmatique théologique ne jouait pas un grand rôle à cette époque. mais comment peut-on constater une inluence de la théologie sur le droit ? à ce point de vue, l’analyse de Brown scott est peu utile parce que l’auteur n’argumente pas, mais démontre. Dans une exégèse des textes classiques de Vitoria et suárez , il analyse quand et à quel degré les auteurs font référence à la théologie et à l’autorité du pape et du concile. il s’agit là d’un argument tout à fait valable. si le droit international se trouve fondé sur l’autorité suprême du pape ou du spirituel, l’église catholique romaine se trouve en position de suprématie par rapport au droit. Dans cette ligne, on peut déinir au moins quatre questions particulières : 1. est-ce que les auteurs connaissent un droit international distinct du droit naturel ? on sait que le terme jus gentium du droit romain désignait traditionnellement le droit romain applicable chez les autres peuples contrairement au jus civile des romains, en vigueur chez eux. est-ce que nos auteurs utilisent déjà ce terme dans le sens moderne (i) ?

6.  ainsi ernst reibstein, Völkerrecht. Eine Geschichte seiner Ideen in Lehre und Praxis, t.  i, Fribourg/munich, 1957 (orbis academicus), p.  334 ; otto Kimminich, «  Die entstehung des neuzeitlichen Völkerrechts », dans Pipers Handbuch der politischen Ideen, t. iii, éd. iring Fetscher et herfried münkler, munich/Zurich, 1985, p. 73-100, voir p. 91-92. 7.  il s’agit d’une question qui remonte à pufendorf, qui attribuait cette opinion à Grotius, voir a. passerin d’entrèves, Natural Law…, p. 53 ; pour Vitoria comme « père », ernst-wolfgang Böckenförde, Geschichte der Rechts und Staatsphilosophie, tübingen, 2002, p. 338.

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2. est-ce que ces princes jouissent d’une puissance suprême, ou suivant Bodin, souveraine dans ces domaines ? par exemple, les monarques peuvent-ils entreprendre une guerre sans l’accord des évêques ? ces princes, en conséquence, sont-ils juridiquement vraiment égaux ? ainsi peut-on prouver que l’église ne conserve pas un rôle suprême (ii) ? 3. attribue-t-on un rôle suprême ou du moins important au pape ou est-ce que la force spirituelle est toujours reconnue dans ces systèmes du droit, surtout dans le droit international (iii) ? 4. est-ce que le droit dépend de la théologie, ou a-t-il d’autres sources de valeurs8 ? (iv) peut-être pourrait-on formuler d’autres questions plus théologiques et subtiles. mais plus on déinit les problèmes théologiques, moins on trouvera de distinction entre les confessions. suivant l’ordre chronologique, commençons par Francisco de vitoria, op (ca. 1483-1546) en continuant avec Francisco suárez, s.J. (1548-1617) pour envisager quelques représentants importants de l’école espagnole. comme exemple des plus importants des internationalistes protestants après la réforme protestante, mis à part quelques précurseurs9, il faut analyser l’œuvre d’hugo Grotius (15831645). tous les trois, Vitoria10, suárez11 et Grotius12 sont qualiiés de fondateurs du droit international public.

8. sur l’importance de l’indépendance du droit international vis-à-vis la théologie et de l’égalité des princes pour la genèse du droit international moderne, voir slim Laghmani, Histoire du droit des gens. Du jus gentium impérial au jus publicum europaeum, paris, 2003, p. 54-55. 9. Voir baron carl Kaltenborn von stachau, Die Vorläufer des Hugo Grotius auf dem Gebiete des ius naturae et Gentium sowie der Politik im Reformationszeitalter, Leipzig, 1848, réimpr. La Vergne (tenn.), 2011 ; plus précis encore, p.  haggenmacher, Grotius et la doctrine de la guerre juste…, p. 354 mentionne les protestants avant Grotius, mais sans en présenter l’inluence religieuse. 10. James Brown scott, he Spanish Origin of International Law. Lectures on Francisco de Vitoria (1480-1546) and Francisco Suárez (1548-1617), washington (D.c.), 1928, p. 21 ; Josef soder, Die Idee der Völkergemeinschaft. Francisco de Vitoria und die Philosophischen Grundlagen des Völkerrechts, Francfort-sur-le-main, 1955 (Völkerrecht und politik, 4), p.  142 comme «  fondateur  » ; rolf hentschel, «  Francisus de Victoria und seine stellung im Übergang vom mittelalterlichen zum neuzeitlichen Völkerrecht », dans Zeitschrift für öfentlichesRecht t. 17, 1937, p. 319-391, p. 356 et passim, qui le présente comme charnière entre moyen Âge et temps modernes ; e. reibstein, Völkerrecht…, p. 279-280. 11. ernest nys, Les origines du droit international, Bruxelles/paris, 1894, p. 138. 12.  arthur eyinger, Compendium volkenrechtsgeschiedenis, 2e éd., Deventer, 1991, p.  91; e. reibstein, Völkerrecht…, p. 334, mais Grotius se pose comme continuateur de Vitoria et suárez ; o. Kimminich, « Die entstehung des neuzeitlichen Völkerrechts »…, p. 91 comme « incontesté ».

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i. — un droit international distinct du droit naturel ? dans l’œuvre de vitoria, le droit naturel et le jus gentium sont parfois mentionnés, mais sans explications développées13. parfois le droit naturel est vu comme appartenant au passé antérieur au péché originel14 ; d’autres fois le droit naturel est considéré comme immuable15. vitoria utilise le terme pour trouver des arguments basés sur la pratique humaine générale. cela explique le pouvoir de l’homme sur la femme16 ou les règles de base du commerce17. mais il y a des choses plus fondamentales que le droit naturel, par exemple l’église qui surpasse le droit de la nature et trouve son fondement dans le droit divin18. dans son commentaire sur la Secunda Secundae de homas d’aquin, vitoria admet qu’il se trouve une diférence entre le droit naturel et le jus gentium19. à son avis le jus gentium appartient plutôt au droit positif. pourtant, il est diicile de séparer le jus gentium de ce droit naturel, parce que son contenu appartient au droit naturel même ou en est dérivé20 :

13. sur la conception du droit naturel de Vitoria, voir J. soder, Die Idee der Völkergemeinschaft…, p.  111-112, et p.  129-130 sur sa conception du jus gentium. sur la place de Vitoria dans l’histoire du droit naturel, voir Felix Flückinger, Geschichte des Naturrechts, Zurich, 1954, 2 t. ; Gerhard otte, Das Privatrecht bei Francisco de Vitoria, cologne/Graz, 1964 (Forschungen zur neueren privatrechtgeschichte, 7), p.  24-25 ; patrick huser, Vernunft und Herrschaft. Die kanonischen Rechtsquellen als Grundlage natur– und völkerrechtlicher Argumentation im zweiten Prinzip des Traktates principia quaedam des Bartolomé de Las Casas, Vienne/Zurich/Berlin, 2011 (religionsrecht im Dialog, 11), p. 43-44. 14.  Francisco de Vitoria, De potestate ecclesiae I, dans Vorlesungen, t.  i  : Völkerrecht, Politik, Kirche, éd. ulrich horst, heinz-Gerhard Justenhoven et Joachim stüben, stuttgart/Berlin/ cologne, 1995 (heologie und Frieden, 7), p. 162-277, iV.2, p. 216 : quod fuerit in lege naturae. 15. Francisco de Vitoria, De potestate civili, dans Vorlesungen…, t. i, p. 114-161, i. 8, p. 132 ; id., De potestate papae et concilii …, p. 352-435, i. 1, p. 358. 16. Francisco de Vitoria, De Indis, dans Vorlesungen…, t.  ii  : Völkerrecht – Politik – Kirche, éd. u.  horst, h.-G. Justenhoven et J. stüben, stuttgart/Berlin/cologne, 1997 (heologie und Frieden, 8), p. 370-541, ici i. ii. i, 2, p. 412. 17. Ibid., iii. ii. i, p. 47. 18. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae I, dans Vorlesungen…, t. i, iii. 1, p. 206. pour sa théorie du droit naturel voir e. w. Böckenförde, Geschichte der Rechts und Staatsphilosophie…, p. 319-320 ; heinrich albert rommen, Die Staatslehre des Franz Suárez S.J., mönchengladbach, 1926, p. 284285 ; pour cet auteur, élève de carl schmitt, et son œuvre voir christoph scheuren-Brandes, Der Weg von Nationalsozialisten Rechtslehren zur Radbruchschen Formel. Untersuchungen zur Geschichte der Idee vom « unrichtigen Recht », paderborn, 2006, p. 43-44. 19. Francisco de Vitoria, Comentarios a la Secunda secundae de Santo Tomás, éd. Vicente Beltrán de heredia, t. iii, salamanque, 1934, sur iiaiiæ, q. 58, art. 3, obj. 2, p. 14. 20. F. de Vitoria, De Indis, dans Vorlesungen…, t. ii…, i. iii. i. i, p. 460. pour la notion du droit naturel dans la seconde scholastique voir aussi p. haggenmacher, Grotius et la doctrine de la guerre juste…, p. 489-490.

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probatur primo ex iure gentium, quod vel est ius naturale vel derivatur ex iure naturali (inst., de iure naturali et gentium) : quod naturalis ratio inter omnes gentes constituit, vocatur ius gentium.

comme expression de justice, le jus gentium est applicable dans l’ordre universel21 pour tout le monde et l’ensemble de l’humanité22. Dans cette unité juridique, le monde semble comme une république23. pourtant, en considérant les questions juridiques concrètes abordées par Vitoria, le jus gentium semble parfois déjà proche du droit international et distinct du droit naturel24. ainsi, il est proche du droit positif25. il semble que le jus gentium a été plus utilisé que le droit naturel dans les matières internationales comme le traitement des voyageurs et des pèlerins ou les légations. mais beaucoup de matières touchent aux deux catégories de droit. Le dominium des princes est soumis au droit naturel et en même temps au jus gentium26 ; sans citoyenneté on reste exclu du droit naturel et du jus gentium27. Vitoria reconnaît la possibilité que toute l’humanité se donne des lois, droit pour tous qu’il appelle également jus gentium28. comme exemple, il cite le droit des légations, mais cette construction reste sans conséquence pour le reste. il demeure qu’on trouve des explications de Vitoria sur les contacts entre états et

21. antonio truyol y serra, « el derecho de gentes como orden universal », dans La escuela de Salamanca y el derecho internacional en America. Del pasado al futúro, salamanque, 1993, p. 17-25 ; Juan antonio carillo salcedo, « aportación de Francisco de Vitoria a los fundamentos ilosóicos de los derechos humanos », dans La escuela de Salamanca y el derecho internacional en America. Del pasado al futúro, salamanque, 1993, p. 49-54 ; Francisco titos Lomas, La ilosoia politica y juridica de Francisco de Vitoria, cordoue, 1993, p. 183-184. 22. ainsi Juan cruz cruz, « La soportable fragilidad de la ley natural : consignación transitiva del jus gentium en Vitoria », dans Ley y dominio en Franciso de Vitoria, pampelune, 2008 (colección de pensamiento medieval y renacentista, 100), p. 13-40, à la p. 17 ; id., Fragilidad humana y ley natural. Cuestiones disputadas en el Siglo de Oro, pampelune, 2009 (colección de pensamiento medieval y renacentista, 111), p. 146, p. 168-169 ; également antonio truyol y serra, Histoire du droit international public, paris, 1995, p. 50. 23. José miguel Viejo-Ximénes, « Totus orbis, qui aliquo modo est una republica. Francisco de Vitoria, el derecho de gentes y la expansión atlántica castellana », dans Revista de estudios hist́ricojurídicos, t. 26, 2004, p. 359-391. 24.  ainsi Daniel Deckers, Gerechtigkeit und Recht. Eine historisch-kritische Untersuchung der Gerechtigkeitslehre des Francisco de Vitoria (1483-1546), Fribourg, 1991 (studien zur theologischen ethik, 35), p. 361-362. 25. Vicente Luciano pereña, « el concepto del derecho de gentes en Francisco de Vitoria », dans Revista española de derecho internacional, t. 5, 1952, p. 602-628, à la p. 612. 26. F. de Vitoria, De Indis, dans Vorlesungen…, t. ii, iii. iii art. iii(X) 1, p. 536 : secundo : Primum patet, quia dominia sunt de iure gentium et de iure naturali, et sic non tollitur ei dominium. 27. F. de Vitoria, De Indis, dans Vorlesungen…, t. ii, i. iii. i. 4, p. 466. 28. F. de Vitoria, De potestate civili, dans Vorlesungen…, t. i, i. 21, p. 156 : Habet enim totus orbis, qui aliquo modo est una res publica, potestatem ferendi leges aequas et convenientes omnibus, quales sunt in iure gentium.

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sur les matières qui font partie aujourd’hui du droit international public. c’est pourquoi on décèle une approche internationaliste dans son œuvre29. le jus gentium dans l’œuvre de vitoria n’est pas encore une matière internationale, mais reste proche du modèle romain et désigne des règles valides pour tous les peuples. parce que les hommes se vivent dans une société mondiale, ils n’ont besoin que d’un droit équitable dérivé de la nature30. on a déjà souvent analysé le rôle important de Francisco suárez pour la conception moderne du jus gentium au sens du droit international public31. d’abord il crée une distinction nette entre droit naturel et jus gentium, bien qu’ils soient très semblables32. le droit international n’est pas toujours logique comme le droit naturel, mais parfois arbitraire33, et ne peut intégrer qu’un groupe des pays34. surtout, seul le jus gentium peut être changé par l’homme35. le droit naturel, en revanche, est « dieu-donné » et immuable36. ensuite il explique la diférence par rapport au droit civil, qui est écrit, alors que le droit international dépend largement des coutumes37. il s’applique dans le commerce entre les états38 et de cette manière se distingue du droit civil des états. ainsi, suárez crée une nouvelle catégorie juridique pour les afaires entre états39. 29. Juan cruz cruz, « Ius gentium bei Vitoria: ein internationalistischer ansatz, » dans Lex und ius. Beiträge zur Begründung des Rechts in der Philosophie des Mittelalters und der frühen Neuzeit, éd. alexander Fidora, matthias Lutz-Bachmann, andreas wagner, stuttgart/Bad cannstatt, 2010 (politische philosophie und rechtstheorie des mittelalters und der neuzeit. texte und untersuchungen, untersuchungen, ii.1), p. 301-332. 30. p. huser, Vernunft und Herrschaft…, p. 47. 31.  Voir déjà J.  Brown scott, he Catholic Conception…, p.  164-165 ; ensuite Luciano pereña Vicente, « La genesis suareciana del ius gentium », dans Francisco suárez, De legibus, t. iV : II 13-20, éd. Luciano pereña et al., madrid, 1973 (corpus hispanorum de pace, 14), p. xix-lxxii ; h. rommen, Die Staatslehre des Franz Suárez S.J…, p. 46-47 et p. 49-50 ; e. reibstein, Völkerrecht…, p. 313-314. 32. F. suárez, De legibus, éd. Josef de Vries s.J., dans id., Ausgewählte Texte zum Völkerrecht, tübingen, 1965, (Klassiker des Völkerrechts, 4), 28-79, ii.19, p. 54. 33. F. suárez, De legibus…, 20-27, disp. 1, sectio 2, p. 22. 34. J. cruz cruz, Fragilidad humana y ley natural…, p. 192. 35. F. suárez, De legibus, dans id., De legibus, t. iV, 20, p. 139. 36.  sur la position de suárez vis-à-vis la tradition de homas d’aquin, voir matthias LutzBachmann, « acerca del concepto de normatividad del derecho : Ius Gentium en Francisco suárez y tomás de aquino », dans Raźn práctica y derecho. Cuestiones ilośico-jurídicas en el Siglo de Oro espanol, éd. J. cruz cruz, pampelune, 2011 (colección de pensamiento medieval y renacentista, 123), p. 31-47 ; pour le théocentrisme du droit naturel, voir pedro suñer, « teocentrismo de la ley natural », dans F. suárez, De legibus, t. iii : II 1-12, madrid, 1974 (corpus hispanorum de pace, 13), p. xxxviii-lv ; eleuterio elorduy s.J., « introducción », dans Francisco suárez, Defensio Fidei, t. iii : Principatus Politicus, madrid, 1965 (corpus hispanorum de pace, 2), p. cxcv. 37. F. suárez, De legibus…, ii.19, p. 60. 38. Ibid., p. 64. 39. Dans ce sens aussi p. haggenmacher, Grotius et la doctrine de la guerre juste…, p. 349, mais néanmoins (p. 357) il cite une déinition assez proche, par l’anglais richard hooker, de 1594.

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pourtant, les liens avec la religion, voire avec la catholicité, ne sont pas très clairs. peut-être la rélexion de la théologie morale pousse-t-elle suárez à donner une certaine valeur juridique à la communication entre les états. c’est justement dans son œuvre Défense de la foi catholique et apostolique contre les erreurs de la secte anglicane qu’il développe le plan d’un gouvernement politique par des princes souverains unis dans l’église et sous le contrôle du pape40. en efet, on a déjà décrit son approche comme l’idée d’une orbite chrétienne41. les inluences de vitoria et de suárez sur grotius sont connues42. ainsi, la nouvelle catégorie ne posait plus de problème, et grotius ne sentait pas la nécessité de la prouver. il déinit le jus gentium comme droit accepté par les peuples 43: Latius autem patens est ius gentium, id est quod gentium omnium aut multarum voluntate vim obligandi accepit.

il suit en principe l’argumentation de suárez et montre brièvement les diférences avec les autres catégories de droit, notamment le droit civil – normalement écrit à la diférence du droit international coutumier. pourtant, parce qu’il ne veut pas analyser le droit international positif, il se concentre sur le jus gentium issu du droit naturel44. ainsi, pour lui, les deux catégories sont très proches45. comme premier résultat de notre analyse constatons qu’à partir de suárez nous avons une catégorie claire du droit international. il s’agit sans doute d’une contribution majeure de l’école espagnole à la doctrine. 40. Francisco suárez, Defensio idei catholicae, paris, 1859 (opera omnia, 24), iii.5, p. 227, n.  7 sur l’indépendance des rois d’espagne, de France et d’angleterre vis-à-vis l’empereur. Voir déjà merio scattola, «  eine innerkonfessionelle Debatte. wie die spanische spätscholastik die politische heologie des mittelalters mit der hilfe des aristoteles revidierte  », dans Politischer Aristotelismus und Religion in Mittelalter und Früher Neuzeit, éd. alexander Fidora et al., Berlin, 2007 (wissenskultur und gesellschaftlicher wandel, 23), p. 139-161, à la p. 154. 41.  J.  soder, Die Idee der Völkergemeinschaft…, p.  53 ; a.  truyol y serra, Histoire du droit international public…, p. 50. 42. peter Borschberg, « critical introduction », dans Hugo Grotius, Commentarius in heses XI, Berne/Berlin/Francfort-sur-le-main. et al., 1994, p. 15-193, aux p. 48-49, et p. 99-100 ; J. Brown scott, he Catholic Conception…, p. 127. 43. hugo Grotius, De jure belli ac pacis libri tres, éd. Bernadina Johana aritia De Kanter van hettinga tromp et r. Feenstra, aalen, 1993, i.i.14, 41 ; voir peter haggenmacher, « Genèse et signiication du concept de ius gentium chez Grotius », dans Grotiana, t. 2, 1981, p. 44-102, aux p. 45-46, qui distingue entre un jus gentium primarium – issu du consensus universel des hommes – et celui secundarium – créé par le consensus des états. p. haggenmacher, Grotius et la doctrine de la guerre juste…, p. 523 pour une analyse de la notion du jus gentium dans le De jure belli ac pacis. 44. p. haggenmacher, Grotius et la doctrine de la guerre juste…, p. 466, fait encore la diférence entre deux étapes de la conception du droit naturel chez Grotius. pourtant, ces déinitions, qu’il appelle le volontarisme grotien (p. 469), n’ont rien à faire avec le mécanisme avec lequel Grotius établit les règles de son droit naturel. 45. e. reibstein, Völkerrecht…, p. 335.

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ii. — une souveraineté laïque ? déjà, selon vitoria tous les princes établissent des gouvernements valables, même les princes païens46, à l’exception des indiens qui étaient des esclaves et en conséquence ne pouvaient pas établir un gouvernement légitime47. pourtant, quand l’église constate qu’un crime d’hérésie a été commis par un prince, toujours selon les conceptions de vitoria, le prince hérétique perd ses possessions, qui sont conisquées48. en termes assez clairs, vitoria nie l’existence d’un maître du monde. selon lui, ni le droit divin, ni le droit naturel, ni le droit positif n’y font référence49. même l’empereur ne règne pas sur le monde50. en conséquence, les princes séculiers sont traités comme égaux juridiquement. la seule exception dans l’œuvre de vitoria concerne le pape, comme nous l’avons vu, qui garde une suprématie par sa fonction spirituelle. l’idée de la souveraineté des princes ou de la raison d’état sont étrangères à la pensée vitorienne51. suárez reste idèle à cette position. pour lui l’empereur n’a pas de pouvoir suprême sur les autres princes et ne peut pas être regardé comme maître du monde52. tous les princes légitimement investis de leurs fonctions sont considérés comme justes53. ils se caractérisent par leur pouvoir suprême dans les royaumes54. l’essentiel pour lui est la potestas suprema, qui marque le gouvernement temporel55. elle est fondée sur le droit de juridiction (suprema jurisdictio)56. ici, suárez s’appuie sur les fameuses décrétales d’innocent iii Per Venerabilem et 46. F. de Vitoria, De Indis …, i.3, p. 392 ; sur sa doctrine sur les princes – et celles des autres auteurs de l’école espagnole –, voir Bernice hamilton, Political hought in Sixteenth-Century Spain, oxford, 1963, p. 163-164. 47. F. de Vitoria, De Indis…, i.1, p. 386. 48. F. de Vitoria, De Indis…, i.7, p. 394. 49. F. de Vitoria, De Indis…, ii.2, p. 412. 50.  ainsi déjà J.  Brown scott, he Catholic Conception…, p.  4 et suiv. ; wolfgang preiser, Macht und Norm in der Völkerrechtsgeschichte. Kleine Schriften zur Entwicklung der internationalen Rechtsordnung und ihrer Grundlegung, Baden-Baden, 1978, p.  60 ; Karl-heinz Ziegler, Völkerrechtsgeschichte, munich, 1994, § 31.V.1, p. 168. 51. ainsi déjà werner Führer, « spätscholastik und Völkerrecht. Francisco de Vitorias Beitrag zum politischen Denken der neuzeit », dans Spaniens Beitrag zum politischen Denken in Europa um 1600, éd. reyes mate, Fr. niewöhner, wiesbaden, 1994, p. 181-196, à la p. 195. 52. F. suárez, Defensio idei catholicae…, iii.5.7, p. 88, iii.5, p. 227 n. 7. 53. F. suárez, Defensio idei catholicae…, iii.1, p. 203 n. 3. 54. F. suárez, Defensio idei catholicae…, iii.5, p. 227 n. 6. 55. F. suárez, Defensio idei catholicae et apostolicae adversus Anglicanae sectae errores, iii.5, éd. J. de Vries s.J., dans id., Ausgewählte Texte zum Völkerrecht, p. 80-107, à la p. 80 ; sur l’importance du droit canonique pour de Vitoria – ce qui vaut également pour suárez –, voir G.  otte, Das Privatrecht bei Francisco de Vitoria , p. 37. 56. F. suárez, Defensio idei catholicae…, iii.5.10, p. 92.

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Novit57. cette souveraineté est la marque du prince parfait, également de l’état parfait58. ainsi, seuls les princes ne reconnaissant pas de supérieur59 peuvent entreprendre des guerres60. cela reste valable aussi pour les princes païens. pour cette raison, suárez n’admet pas l’expropriation des princes inidèles, pas plus que leur expropriation à cause de leur foi61. toutefois, suárez réfute l’opinion du roi Jacques V d’écosse (Jacques ier d’angleterre) qui considérait le roi comme immédiatement désigné par Dieu62. en revanche, il soutient que le pouvoir est conié d’abord au peuple, qui a le choix de le transmettre au roi63. il est ainsi déjà proche du concept d’une souveraineté du peuple64. on peut constater que suárez est prêt à considérer tous les princes, chrétiens ou païens, sur une base d’une égalité totale. pourtant, pour compléter ce cadre, il faut regarder la position du pape (infra partie iii). La réception des idées de Jean Bodin par hugo Grotius est connue65. une guerre publique nécessite qu’une puissance souveraine l’ait déclenchée 66. seule la plus haute instance d’un pays a le droit d’entreprendre une guerre. Grotius déinit cette puissance souveraine comme une autorité dont nul ne peut contester les actes67. peu importe la façon dont cette autorité suprême est établie ou construite dans un état ; ici Grotius est beaucoup plus tolérant ou indiférent que suárez. seul compte le fait que cette autorité a le pouvoir efectif de régner sur le peuple68. ainsi la souveraineté efective est le seul critère, tous les princes souverains ont le droit de déclencher une guerre et, en conséquence, sont parfaitement égaux.

57. Voir F. suárez, Defensio idei catholicae…, iii.5.10, p. 92 ; sur cette argumentation basée sur le droit canonique voir m. scattola, « eine innerkonfessionelle Debatte… », p. 144-145. 58. J. Brown scott, he Catholic Conception…, p. 445. 59. pour ces communautés parfaites dans l’œuvre de suárez voir sergio raúl castaño, « La Summa potestas como superiorem non recognoscens en el plano temporal. La cuestión en Franciso de Vitoria y en su entorno doctrinal y epocal inmediato », dans Ley y dominio en Franciso de Vitoria…, p. 107-117, à la p. 113. 60. F. suárez, De caritate, paris, 1858 (opera omnia, 12), disp. 13 sectio ii n. 1, p. 739 : princeps qui superiorem in temporalibus non habet ; J. Brown scott, he Catholic Conception…, p. 440. 61. F. suárez, De triplici virtute theologica, Fide, Spe et Charitate, éd. J. de Vries s.J., dans id., Ausgewählte Texte zum Völkerrecht…, p. 108-205, à la p. 114. 62. F. suárez, Defensio idei catholicae…, iii. 2, p. 209 n. 10. 63. F. suárez, Defensio idei catholicae…, iii. 3, p. 216 n. 12. 64. Voir sur ce point, wilhelm schmidt-Biggemann, « Die politische philosophie der Jesuiten : Bellarmin und suárez als Beispiel », dans Politischer Aristotelismus und Religion in Mittelalter und Früher Neuzeit, éd. a. Fidora et al., Berlin, 2007 (wissenskultur und gesellschaftlicher wandel, 23), p. 163-178, p. 170. 65. p. Borschberg, « critical introduction… », p. 53. 66. h. Grotius, De jure belli ac pacis…, i. 3. 1, 89 ; pour une présentation de cette compétence de guerre, voir p. haggenmacher, Grotius et la doctrine de la guerre juste…, p. 141. 67. h. Grotius, De jure belli ac pacis…, i. 3. 7, p. 100 n. 1. 68. h. Grotius, Commentarius in heses XI…, i. 1, p. 156.

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même l’empereur n’est qu’un prince souverain de son territoire. Jadis il avait plus d’autorité, peut-être, mais le droit s’applique aussi à lui, et de cette manière il doit accepter d’avoir perdu ses privilèges. il en résulte qu’il ne peut pas être regardé comme maître du monde69. apparemment on trouve déjà cette notion d’égalité des princes chez vitoria et suárez. grotius, semble-t-il, n’a pas changé grande chose sur ce point. donc, ce fut l’école de salamanque qui a créé et développé l’idée abstraite d’un système juridique du droit international basé sur les princes souverains. Jusqu’ici l’opinion de Brown scott est clairement conirmée. mais il reste à analyser le rôle du pape dans les œuvres de ces trois juristes.

iii. — le rôle du pape dans le système international dans le principe, Francisco de vitoria faisait la distinction entre le pouvoir séculier et le pouvoir spirituel70. l’église n’a pas de fonctions dans le gouvernement civil. dans le pouvoir spirituel, on peut distinguer entre le pouvoir d’ordre et de juridiction71. grâce à cette division générale, vitoria peut assurer que le pouvoir séculier ne dépend pas du pape72. le pape n’a pas le droit de juger les actions du gouvernement civil, même en appel73. il n’exerce pas de pouvoir temporel et n’a pas d’autorité légitime sur les acteurs du gouvernement civil74. dans cette perspective, vitoria constate que le pape n’est pas le monarque du monde75. pourtant, comme vicaire du Jésus-christ, il doit être considéré comme le vrai seigneur du monde76.

69. h. Grotius, De jure belli ac pacis…, ii. 22. 13, p. 560. 70. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, i. 3, p. 170 : Necesse est in ecclesia praeter civilem et laicam potestatem esse aliam spiritualem. une discussion approfondie avec les considérations des contemporains se trouve dans ulrich horst, Die Lehrautorität des Papstes und die Dominikanerheologen der Schule von Salamanca, Berlin, 2003 (quellen und Forschungen zur Geschichte des Dominikanerordens, neue Folge, 11), p. 44, p. 48 et p. 160. 71. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, ii. 2, p. 184. 72. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, V. 3, p. 236. 73. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, V. 5, p. 238. 74. F. de Vitoria, De Indis…, ii.6, p. 424. 75. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, V. 2, p. 232 ; également id., De Indis…, ii. 5, p. 422 ; le pape n’est pas dominus civilis aut temporalis totius orbis. J. Brown scott, he Catholic Conception…, p. 5-6, soulignait seulement cet aspect. 76. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, V, p. 254 n. 15. Dans B. hamilton, Political hought in Sixteenth-Century Spain…, p.  165, le rôle du pape est présenté d’une manière trop réduite.

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pour vitoria, le pouvoir spirituel de l’église est de droit divin77. celle-ci exerce un rôle particulier parce qu’elle garde les deux clés du ciel78. elle contrôle le péché pour le bien de l’âme. le pape comme responsable du pouvoir spirituel peut annuler des lois civiles, déposer les princes ou imposer un autre monarque dans des cas spéciiques79. dans cette fonction, le pape peut commander aux princes, aux rois et même à l’empereur80. ainsi le pouvoir civil, au fond, reste assujetti au pouvoir ecclésiastique81. en cas de nécessité, le pape peut même exercer le pouvoir séculier ou révoquer la loi d’un prince, s’il a préalablement réagi par son pouvoir spirituel mais sans atteindre son objectif82. Bien que les princes aient une priorité pour déinir ce qui est important pour le pays, le pape garde le droit de déinir ce qui est nécessaire pour éviter le péché83. de cette manière, c’est le pape lui-même qui déinit quand il faut intervenir dans le gouvernement civil. pour fonder cette opinion, vitoria évoque la fameuse bulle Unam Sanctam de Boniface Viii84 et l’exemple du pape Zacharie qui déposa le dernier roi mérovingien pour déclarer pépin roi des Francs85. Le pouvoir suprême du pape peut être appelé indirect et n’est qu’une possibilité86, qui néanmoins reste réelle. ainsi, le jus gentium ne peut pas s’opposer aux préceptes du droit naturel87. La doctrine de suárez fait également état du droit que possède le pape de contrôler tous les princes injustes, d’autant plus que l’église déinit le bien commun88, ce qui requiert la recta ratio89. si le prince n’obéit pas aux commandements du bien commun, il devient un tyran. en conséquence, le pape peut

77. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, iii. 4, p. 208. sur la supériorité du pape dans le droit européen et particulièrement dans la pensée de Vitoria, voir paulino castañeda Delgado, La teocracía pontiical en las controversias sobre el Nuevo Mundo, mexico, 1996, p. 436-437 et p. 444445, surtout pour les afaires américaines ; Ludwig Buisson, Potestas und Caritas. Die päpstliche Gewalt im Spätmittelalter, cologne/Vienne, 1982, p. 216-217. 78. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, i. 6, p. 172. 79. F. de Vitoria, De Indis…, ii.7, p. 426. 80. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, V. 12, p. 248. 81. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, V. 10, p. 244. 82. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, V. 13, p. 250. 83. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, V. 14, p. 252. 84. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, V. 14, p. 254. 85. F. de Vitoria, De potestate ecclesiae…, t. i, V. 19, p. 260. 86. m. scattola, « eine innerkonfessionelle Debatte… », p. 160. 87. mariano Fazio et pedro mercado cepeda, « Las dimensiones política y juridica del totus orbis en Francisco de Vitoria », dans Ley y dominio en Franciso de Vitoria …, p. 205-225, à la p. 216. 88. ángela García de Bertolacci, « origen y naturaleza del poder político en la Defensio idei », dans La gravitacín moral de la ley según Francisco Suárez, éd.  J. cruz cruz, pampelune, 2009 (colección de pensamiento medieval y renacentista, 109), p. 173-186. 89. Laura e. corso de estrada, « La predicación de racionalidad de la ley natural », dans La gravitacín moral…, p. 73-82, aux p. 74-75.

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punir les rois et même les déposer quand ils ne veulent pas se laisser corriger90. suárez considère cette intervention de la puissance temporelle nécessaire pour l’église. de même, toujours selon suárez, le pape a le droit de libérer le peuple de son obligation de idélité envers son prince91. il discute cette position à la lumière des objections tirées de l’ancien testament, de l’histoire et de la littérature. en déinitive, il conclut que le pouvoir temporel est aussi conié aux princes pour assurer les buts du pouvoir spirituel. de cette manière, le pouvoir spirituel a besoin de moyens pour contrôler l’ordre juste92. ainsi selon suárez, le pouvoir temporel créé par dieu est principalement l’instrument de l’église. il n’a pas seulement l’obligation de protéger l’église93 et de soutenir la mission chrétienne94, mais aussi de se laisser contrôler par le pouvoir spirituel. suárez airme que le pape n’a pas un pouvoir direct au temporel, hors son territoire, mais il a un pouvoir indirect95 : sed pro christianis principibus est secundo notandum, summum pontiicem, quamvis non habeat directam potestatem in temporalibus extra suum dominium, habere indirectam ex c. Venerabilem, de electione, et capit. novit, de judiciis. hoc ergo habet jus avocandi sibi causam belli, et potestatem ferendi sententiam, cui partes tenentur obedire, nisi manifestam faciat injustitiam ; nam id certe necessarium est ad bonum spirituale ecclesiae et ad ininita prope mala devitanda ; quapropter soto, ad rom 12, dixit raro inter principes christianos bellum justum, quia aliam viam expeditam habere possunt ad terminandas causas communes. sed nihilominus interdum pontifex non interponit auctoritatem, ne fortasse sequantur majora mala ; tunc vero principes supremi non tenentur facultatem a pontiice extorquere, sed quandiu non prohibentur, possunt jus suum prosequi ; oportet tamen cavere, ne ipsi in causa sint ut pontifex non audeat se interponere, nam tunc non excusabuntur a culpa.

Le pape peut donc apprécier la cause de la guerre. il peut prononcer un jugement impératif pour les parties, dès lors qu’il n’est pas injuste. ce règlement, suárez le trouve nécessaire pour le bien spirituel de l’église et pour éviter des maux ininis. il cite de soto disant que les guerres justes sont rares chez les princes 90. F. suárez, Defensio idei catholicae…, iii. 23, n. 1, 2, 314-315; n. 10, p. 317. 91. F. suárez, Defensio idei catholicae…., iii. 23, n. 22, p. 321. 92. F. suárez, Defensio idei catholicae…, iii. 30, n. 11, p. 351 ; J. Brown scott, he Catholic Conception…, p. 167-168. 93. sur ce point, voir w. schmidt-Biggemann, « Die politische philosophie der Jesuiten… », p. 172. 94. J. soder, Die Idee der Völkergemeinschaft…, p. 136. 95. F. suárez, De caritate…, disp. 13 sectio i n. 1, p. 740 n. 5.

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chrétiens, parce qu’ils ont d’autres solutions pour leurs conlits. néanmoins, quelquefois le pape intervient pour éviter des conséquences plus graves. mais tant que le pape ne les en empêche pas, les princes peuvent exercer leurs droits. ils doivent faire attention à se comporter de telle façon que le pape n’ose pas intervenir, parce qu’autrement ils ne seront pas exempts de faute. il s’ensuit que l’égalité des princes ne décrit pas suisamment la structure du droit international. la puissance spirituelle, représentée uniquement par le pape, garde une primauté politique, dans la tradition du haut moyen Âge. la souveraineté des princes est considérablement diminuée quand on regarde l’autorité du pouvoir spirituel ; elle ne donne qu’un droit d’autonomie interne et de comportement libre, conforme aux règles morales, envers les autres peuples96. ainsi, cette communauté des princes chrétiens d’europe n’est qu’un petit club sous la direction de l’église catholique. c’est seulement avec grotius, bien sûr, que cette primauté pontiicale disparaît. comme calviniste il ne reconnaît plus une place particulière à l’évêque de rome. ainsi il ne traite dans son œuvre que des prérogatives des évêques, qui, selon son système du droit international, sont tous égaux et, surtout, n’ont pas de puissance temporelle sur les hommes97. en revanche, ce sont maintenant les princes souverains qui ont le droit de régler les afaires ecclésiastiques98. c’est justement à cette extension du pouvoir princier sur les choses sacrées qu’on reconnait la souveraineté99. en conséquence, ce n’est qu’avec grotius qu’on trouve une égalité parfaite parmi les princes du monde. cette nouvelle approche ne regarde plus les structures internes d’un pays, cela n’a plus aucune incidence sur le droit international. c’est la fameuse idée de « black box », suivant laquelle la sphère internationale n’est pas concernée par la façon dont les décisions sont prises dans un état. La base est une nouvelle laïcité du droit. c’est pourquoi il faut analyser le fondement du droit dans l’œuvre des ces trois auteurs.

96.  Voir alejandro auat, «  soberaniá en Vitoria  : claves transmodernas para un principio cuestionado », dans Ley y dominio en Franciso de Vitoria…, p. 227-236, aux p. 231 et 233. 97. h. Grotius, De jure belli ac pacis…, ii.22.14, p. 561. 98. h. Grotius, De imperio summarum potestatum circa sacra. Critical Edition with Introduction, English Translation and Commentary, éd. harm-Jan van Dam, Leiden/Boston/cologne, 2001, t. 1, V.12, p. 276 ; sur cette œuvre, voir l’introduction (p. 1-151), ensuite harm-Jan van Dam, « De imperio Summarum Potestatum circa Sacra », dans Hugo Grotius heologian. Essays in Honour of G. H. M. Posthumus Meyjes, éd. henk J. m. nellen et edwin rabbie, Leiden/new York/cologne, 1994, p. 19-39. 99. h. Grotius, De imperio summarum potestatum…, V.3, p. 262.

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iv. — l’indépendance du droit en raison de son fondement l’origine céleste du droit est évidente dans l’œuvre de vitoria. celui-ci considère dieu comme origine du pouvoir100. le gouvernement est nécessaire pour régler la vie sociale101. comme il y a des communautés également parmi les païens, il faut accepter qu’il y ait des princes légitimes même en dehors des chrétiens102. le pouvoir et tous les hommes sont liés d’abord par la loi divine, qui déinit les vertus103. les lois établies par les gouvernements obligent ensuite tous les sujets104. leur force, cependant, fait défaut quand ils contredisent la loi divine et entraînent un péché mortel ou même léger105. en dehors de ce gouvernement séculier, le pape est là pour veiller sur le gouvernement temporel106. ainsi, la loi n’est autre chose qu’un moyen pour atteindre les ins spirituelles, contrôlées et administrées par l’église. ce lien entre la religion et la loi se trouve longuement expliqué par suárez. la loi n’est pas autre chose que le précepte de l’honnêteté107. elle a été créée pour une société parfaite et le bien de la communauté108. même la puissance suprême de l’état est soumise à dieu 109 : Dominus enim judex noster, Dominus legifer noster, Dominus rex noster. De cette manière, il apparaît que la loi doit se conformer aux préceptes de la religion110. si elle y manque, elle ne perd pas seulement sa raison, mais également elle ne peut plus obliger les personnes111. en somme, la loi est un moyen pour la théologie de diriger les gens vers la vraie religion et de les empêcher de pécher112. Grotius, en revanche, déclare son système valable même dans le cas où Dieu n’existe pas ou ne se soucie pas de l’humanité113. De cette manière il souligne

100. F. de Vitoria, De potestate civili…, i. 1, p. 118. 101. F. de Vitoria, De potestate civili…,, i. 5, p. 26. 102. F. de Vitoria, De potestate civili…, i. 9, p. 136. 103. F. de Vitoria, De potestate civili…, i. 16, p. 146. 104. F. de Vitoria, De potestate civili…, i. 15, p. 142. 105. F. de Vitoria, De potestate civili…, i. 18, p. 152. 106. F. de Vitoria, De potestate civili…, i. 17, p. 148. 107. F. suárez, De legibus, t. i, éd. Luciano pereña, madrid, 1971 (corpus hispanorum de pace, 11), i. i. 6, p. 15 : regula recta et honesta, potest lex appellari. 108. F. suárez, De legibus…, t. i, i. Vi. 21, p. 123 ; i. Vii. 1, p. 129. 109. F. suárez, De legibus…, t. i, i. Viii. 2, p. 148. 110. F. suárez, De legibus, t. ii, éd. Luciano pereña, madrid, 1972 (corpus hispanorum de pace, 12), i. iX. 8, p. 10. 111. F. suárez, De legibus…, t. ii, i. iX. 11, p. 14. 112. sur les motifs religieux de Vitoria, voir heinz-Gerhard Justenhoven, « Las raíces teológicas de la ley internacional según Francisco de Vitoria », dans Raźn práctica y derecho…, p. 87-98. 113. h. Grotius, De jure belli ac pacis, prol. 11, 10 ; voir christoph Link, Hugo Grotius als Staatsdenker, tübingen, 1983 (recht und staat in Geschichte und Gegenwart, 512), p. 14.

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à la fois la logique de sa doctrine et l’indépendance du droit par rapport à la théologie. c’est pourquoi c’est seulement chez grotius que l’on trouve un enseignement juridique qui ne s’appuie plus sur la théologie. cela dit, il y a également des traces de protestantisme dans sa vision du droit naturel114. grotius, on le sait, était aussi théologien de formation comme vitoria et suárez, mais en bon calviniste, il construit sa théorie d’une manière indépendante115. d’une part, il suit les préceptes de Jacobus arminius (1560-1609), un théologien important aux pays-Bas. quand son enseignement est condamné en 1618, le ministre de l´époque grotius, en tant que farouche adepte d’arminius, est condamné pour haute trahison et doit s’enfuir par la suite. pour arminius la perte de l’égalité avec dieu après la chute d’adam était une peine. mais substantiellement, il considérait la nature de l’homme coupable identique à son état originel, parce que dès l’origine l’homme avait un penchant pour le mal. c’est pourquoi, la nature de l’homme n’avait pas changé lors du péché originel. la tendance à commettre des crimes existe dans le sang de l’homme, par propagation, non par imagination humaine116. ainsi grotius peut, en tant qu’arminien, airmer l’existence d’une nature stable et constante de l’homme, dont il déduit les préceptes nécessaires. pourtant, cette position n’était pas partagée par les autres calvinistes, ni par la majorité des luthériens, ni par le concile de trente. dans son œuvre De jure praedae commentarius, grotius part de deux préceptes fondamentaux, le droit de la légitime défense et le droit de se procurer des choses nécessaires pour survivre117. dans cette œuvre, toutes les autres règles et lois en sont déduites. ainsi, les normes plus précises sont développées d’une manière « séculière » sans référence à la théologie118. on peut donc vraiment parler d’un système laïque, bien que Grotius soit loin d’être agnostique119. L’œuvre de Grotius se propose aussi des buts éthiques. Déjà l’œuvre célèbre Vindiciae contra tyrannos de 1579, attribuée à philippe Duplessis-mornay 114. sur l’interprétation classique du droit naturel dans l’œuvre de Grotius, voir richard tuck, Natural Rights heories. heir Origin and Development, cambridge, 1979, p. 58-81. 115. sur sa théologie, voir Jacqueline Lagrée, « Droit et théologie dans le De satisfactione Christi de hugo Grotius », dans Politique, droit et théologie chez Bodin, Grotius et Hobbes, éd. Luc Foisneau, paris, 1997, p. 193-212. 116.  Voir anselm schubert, Das Ende der Sünde. Anthropologie und Erbsünde zwischen Reformation und Aufklärung, Göttingen, 2002 (Forschungen zur Kirchen– und Dogmengeschichte, 84), p. 194 avec n. 334 : propagatione, non imaginatione. 117. hugo Grotius, De jure praedae commmentarius, éd. h. G. hamaker, hague, 1868, réimpr. 2006, p. 10. 118. ainsi pour le droit de la guerre, wilhelm G. Grewe, Epochen der Völkerrechtsgeschichte, Baden-Baden, 1984, p. 259-260. 119. Voir Jan paul heering, « hugo Grotius’s De Veritate Religions Christianae », dans Hugo Grotius heologian…, p. 41-52.

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(1549-1623) ou à hubert languet (1518-1581)120, déinit une raison particulière pour une guerre juste. quand un prince constate que les limites de la justice et de la piété sont violées dans un autre pays, il peut intervenir pour la protection de ce peuple voisin121. on trouve également cette justiication de la guerre chez grotius, un peu cachée, mais néanmoins claire122. un prince a le droit de déclencher une guerre au proit d’un autre peuple s’il défend ainsi l’honnêteté et la vraie religion. on trouve ainsi les premières traces de l’intervention humanitaire, laquelle se trouve bien en dehors du « système » grotien de la guerre juste123. Bien que les protestants ne suivent plus le pape et les préceptes de l’église, les valeurs éthiques, surtout quand elles sont liées à la foi et à la religion, les obligent à faire la guerre. au fond, cette indépendance du droit n’est que formelle. matthias schmoeckel université de Bonn

120. Voir George Garnett, « editor’s introduction », dans stephanus Junius Brutus, Vindiciae contra tyrannos, cambridge, 1994, p. lxxvi. 121. stephanus Junius Brutus, Vindiciae contra tyrannos, ursel, 1600, qu. 4, p. 185 : Breviter, si princeps ixos pietatis & justitiae limites violenter transilit, poterit vicinus piè justèque extra limites suos prosilire, non ut invadat aliena, sed ut suis illum contentum esse subeat : quin impius & injustus erit, si negligat. 122. h. Grotius, De jure belli ac pacis…, ii. 25. 8. 2, 597. 123. pour ce système voir p. haggenmacher, Grotius et la doctrine de la guerre juste…, p. 550.

conclusions de la seconde partie

conclusions par

patrick araBeYre

« La science canonique est une espèce de théologie appliquée »1, écrit, en 1486, le glossateur de la pragmatique sanction de Bourges, le canoniste cosme Guymier. La formule n’est pas de lui, mais elle est tout de même assez récente, puisqu’on la lit, semble-t-il pour la première fois, sous la plume de saint antonin de Florence dans sa Summa theologica (iii:V:ii §2)2. quelle est la science serve de l’autre ? si la question est sans fondement, serait-ce alors que l’ecclésiologie, comme arlequin, est vouée à servir deux maîtres ? tel est sans doute le versant théorique (théologique) de la confrontation église / pluralisme juridique, qui fonde l’idée de notre double rencontre, et singulièrement de la seconde. Scientia canonica non est pars theologiae, airmera hautement Joseph Gibalin dans son De scientia canonica et hieropolitica (1670, t. i, p. 20), mais l’union, souhaitée par tous, est aussi un combat. si l’on veut croire encore que les sacrements de l’église auraient pu engendrer avant le xiie siècle – naissance du droit canonique moderne – un ordonnancement institutionnel qui se suirait à lui-même, il en est évidemment bien au contraire à l’époque qui est la nôtre. D’une certaine manière, la distinction n’est pas sans rappeler la distinction que l’on voit s’exacerber au moyen Âge entre sacramentalité et juridicisation3. Laurent Villemin fait ainsi remonter loin les origines de la décision du concile Vatican ii de se prononcer en faveur de la sacramentalité de 1. cosme Guymier, gl. Legere ad Pragmaticam Sanctionem, tit. De collationibus, paragr. Primo cum  : éd. Fr. pinsson, paris, 1666, p.  239. Formule relevée par tyler Lange, «  Gallicanisme et réforme : le constitutionnalisme de cosme Guymier (1486) », dans Revue de l’histoire des religions, t. 226, 2009, p. 295. 2.  peter howard, «  Non parum laborat formica ad colligendum unde vivat  : oral discourse as the context of the Summa theologica of st. antoninus of Florence  », dans Archivum fratrum prædicatorum, t. 59, 1989, p. 89-148, à la p. 128. 3. Laurent Villemin, Pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction. Histoire théologique de leur distinction, paris, 2003, « avant-propos ».

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l’épiscopat. du concile de trente au xviiie siècle, la position des théologiens et des canonistes échappe à leur engagement conciliariste ou papaliste. mais ces engagements-là dessinent aussi le tableau de fond de la période, de Bâle à vatican ii. Les ecclésiologies entre théologie et droit canonique ? se déinissent-elles dans les matières touchant à Dieu et à l’homme ou bien dans les matières touchant aux individus (sujets de droit) ? Les églises évoluent dans ce pluralisme. et avant même qu’il y ait plusieurs églises, le concile questionne au sortir du moyen Âge le pouvoir ecclésiastique : question canonique ou question théologique ? Benoît schmitz montre bien que dans l’épilogue de la grande crise bâloise, c’est-à-dire le concile gallican de pise-milan, la controverse, en faisant apparaître le désaccord sur la science maîtresse en matière ecclésiologique, renvoie à deux manières de poser le problème du pouvoir dans l’église. certes, le monde des canonistes français, pourtant partagé pendant le demi-siècle précédent, s’aligne au début du xvie siècle sur les thèses conciliaires (patrick arabeyre), mais est-ce pour céder déinitivement le terrain et la manière ? La question ne peut se comprendre bientôt qu’au regard des ecclésiologies issues de la réforme et contre celle-ci. Le côté catholique est ébranlé : l’embarras de toujours envers l’ecclésiologie conciliaire (et donc non dissipé au moment de la confrontation protestante) conduit au silence l’ecclésiologie post-tridentine. « Juristen, böse christen », le cri de Luther aurait dû rendre les choses plus simples de l’autre côté, une ecclésiologie simpliciter, une ecclésiologie qui aurait dû être ouverte au concile, un « concile libre et chrétien », mais qui ne se déinit in ine que comme un anti-concile, un anti-concile de trente, rejetant ainsi dans le passé toute l’elorescence idéologique des derniers temps de l’avant-protestantisme (alain tallon). Bien sûr, il y a Genève, où calvin essaie d’imposer, sinon avec exaltation du moins avec conviction, une ecclésiologie à la mesure d’une cité (Guerric meylan), urbs non pas orbis. précisément, le droit, dans sa dimension encore résolument universelle (« catholique ») à l’époque moderne, a continué de penser le monde en largeur – est-il seul désormais à le faire ? ainsi en la matière du droit international public, où la loi n’est sans doute guère protestante ou catholique, qu’on la scrute chez les auteurs de l’école de salamanque ou chez Grotius. La valeur théologique n’est cependant pas absente, mais plus diaphane (matthias schmoeckel). c’est que l’église est ouverte depuis le xvie siècle aux dimensions du monde. Le processus est pragmatique qui, sans projet préétabli, utilise des modèles anciens pour répondre à la dilatatio mundi. ici l’afaire de structure (droit ecclésiastique) est la plus facile à résoudre (diocèses, primauté romaine) ; plus délicate est en efet l’afaire de foi (théologie), rien ne doit céder ici à la contradiction du monde pas davantage qu’hier au protestantisme ou à l’islam (charlotte de castelnau-L’estoile).

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conclusions

au reste, l’ecclésiologie des derniers siècles de l’ancien régime demeure doublement double : science canonique / théologie et aussi ecclésiologie romaine / ecclésiologie gallicane, toutes deux à la fois empreintes de droit et de théologie. est-ce là la clef d’interprétation de la pensée politico-religieuse française à l’époque moderne ? rien n’est moins sûr : les instructions aux nonces et l’enregistrement des facultés des légats a latere par le parlement de paris dans la centaine d’années qui ont suivi la clôture du concile de trente montre bien que la réception des décrets tridentins a cessé d’être une pomme de discorde entre le saint-siège et la France après 1640 (ségolène de Dainville-Barbiche et Bernard Barbiche). La petite musique du gallicanisme traditionnel s’entend en revanche à la lecture de tous les juristes versés dans le commentaire des « lois ecclésiastiques » des xviie et xviiie siècles en France. cette ecclésiologie-là n’est encore une fois pas seulement nourrie de droit canonique mais sait chercher ses aliments dans la théologie : le gallicanisme aussi est théologie et droit (Jean-Louis Gazzaniga). mais il y a rome, encore et toujours. Les convictions gallicanes n’exigent pas que la juridiction ecclésiastique soit atteinte à toute mesure, c’est la relation entre le gouvernement ecclésiastique et la cour de rome qui en décide autrement : à la hauteur du chancelier de France d’aguesseau, il en va de l’indépendance souveraine de l’état (marie-France renoux-Zagamé). au reste, l’ecclésiologie romaine ne cesse de se débattre. elle peut encore ne pas craindre le républicanisme absolu d’un sarpi, qui donne maladroitement l’occasion aux partisans du saint-siège de se présenter eux-mêmes en sincères défenseurs d’un républicanisme authentique (sylvio hermann De Franceschi). sous le pontiicat de Benoît XiV, que l’on dit « éclairé » – seul modèle laïque désormais pour l’ecclésiologie romaine ? –, elle se défait de sa puissance par la grâce des concordats, cédant le pas devant les velléités d’autonomie des états (olivier Descamps). La conclusion est ouverte, hervé Legrand l’a bien montré, car l’ère contemporaine ne résoud pas l’équation. L’église a beau autonomiser le droit canonique par une codiication à la « napoléonienne ». Les théologies de Vatican i et de Vatican ii, tout en s’opposant, cherchent toujours une ecclésiologie des églises. La dialectique de l’un et du multiple, dans des débats qui, au regard de l’histoire, sont résolument politiques, s’applique encore à la question centrale de la souveraineté. patrick arabeyre école nationale des chartes centre Jean-mabillon (ea 3624)

conclusion générale

conclusion générale par

Jean-louis gazzaniga

pour la plupart des historiens du droit canonique, il y a d’abord la grande période de la formation, puis l’épanouissement du droit classique des xii exive siècles d’où naîtra le Corpus Iuris Canonici. suit une génération de disciples qui ne savent plus inventer. au xive siècle tout est dit. Le déclin des facultés de droit consommé aux xviie et xviiie siècles n’est certes pas la seule cause du désintérêt mais le révélateur d’un retrait de l’enseignement du droit de l’église. L’impérialisme du droit classique domine, il a ini par s’imposer à la recherche. si quelques noms échappent à l’oubli, Fagnan, Lancellotti, ils passent pour d’habiles compilateurs. Les Français sont pour l’essentiel gallicans. or, ces siècles négligés sont riches d’enseignements ; c’est en tout cas ce que prouvent les vingt-six contributions que l’on vient de lire. Dans le cadre très général de l’europe à l’époque moderne, deux colloques tenus respectivement à paris (novembre 2010) et à sophia antipolis (septembre 2011) ont réuni canonistes, historiens et théologiens pour traiter tour à tour des ecclésiastiques et des ecclésiologies. pour simpliier : les institutions et les hommes face aux doctrines et aux principes. il ne saurait être question dans cette conclusion de résumer de façon confuse ce que les auteurs ont contribué à clariier, mais à présenter quelques traits communs qui traversent la période et se trouvent dans les sujets abordés. L’église de l’époque moderne est profondément marquée par le concile de trente. c’est une évidence. au regard des principes, l’église sort diicilement, à la in du xve siècle et tout au long du xvie siècle, du débat qui avait animé la in du moyen Âge : le pape et/ou le concile. Les canonistes français entretiennent toujours la lamme conciliariste malgré la présence de solides ultramontains. La discussion est particulièrement vive lorsqu’il s’agit de justiier le concile de pise-milan ; elle n’est pas achevée lors du concile de trente lui-même qui garde le silence sur le pouvoir du concile.

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Jean-louis gazzaniga

s’agissant des institutions, le concile va marquer durablement l’église. quelques aspects seulement sont ici évoqués, notamment le statut du clergé qui s’oriente vers une espèce de professionnalisme du pasteur d’âmes ; la pastorale est la meilleure réussite du concile. parce que l’église post-tridentine s’ouvre aux dimensions du monde, ce que marque tout spécialement la congrégation de la propagande (1621), elle met en place lentement le « statut du missionnaire », en tenant compte de bien des diversités locales. L’organisation progressive des congrégations romaines qui participe à la centralisation est l’un des fruits du concile, qu’il s’agisse du saint-oice (1542) ou de la congrégation du concile à laquelle tous les juristes de l’époque moderne font référence. comment négliger également à l’intérieur même du pouvoir romain, l’autorité temporelle du pape, que l’organisation de la curie par sixte quint en 1588 va permettre. au xviiie siècle, l’œuvre est parachevée par Benoît XiV dans l’organisation de nouveaux rapports entre rome et les états. parler de la place éminente du concile de trente conduit forcément à en aborder la réception, l’application et les oppositions. L’œuvre de la diplomatie pontiicale est essentielle, elle connaît en France, malgré quelques belles réussites, un échec oiciel. L’opposition au concile se double d’une opposition à l’autorité absolue du pape face à la revendication d’indépendance des états. celle-ci est parfois violente, sous la plume de paolo sarpi, défendant la sérénissime, beaucoup plus mesurée chez les juristes gallicans qui gardent révérence au pape et s’élèvent contre toute idée de rupture. De ces multiples débats, la théologie, le droit canonique et le droit civil ont leur part. rien ne le montre mieux que les discussions sur la sacramentalité de l’épiscopat et sur l’élaboration du droit international public où se jouent l’héritage de la théologie médiévale et le droit moderne pour parvenir à l’airmation d’un droit laïque. ne retrouve-t-on pas dans le code de 1917, les inluences de la tradition la plus ancienne de l’église et celle du droit romain ? comment négliger, à titre de comparaison dans une étude des rapports entre l’ecclésiologie et le droit, l’organisation de la Genève de calvin ? Le droit retrouve toute sa place lorsqu’il s’agit, face à l’église romaine, d’aborder les églises locales. De la même façon s’y retrouvent toutes les traditions et se nouent tous les conlits. ils sont à la fois internes – propres au droit de l’église – et externes, face au pouvoir laïque. Les évêques, institués par le pape, sont le plus souvent nommés par le souverain. à la tête du diocèse, l’évêque est autant un pasteur, ce qu’a rappelé le concile, que l’homme du roi. L’exemple de la politique de philippe ii en castille et aragon est très net. Le choix des grands vicaires et oiciaux dans les diocèses frontières n’est pas anodin. Le droit des auxiliaires de l’évêque qui paraît absent des grands textes s’élabore peu à peu, sans grande unité, mais dans un jeu de pouvoir complexe. Dans ce même jeu se retrouvent les curés, dont le pouvoir royal s’occupe au moins autant que le droit canonique.

conclusion générale

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les clercs au service de l’état maintiennent également une étroite relation entre les deux pouvoirs et le plus souvent une surveillance de l’église. celle-ci est particulièrement nette s’agissant de la juridiction ecclésiastique. les principes certes sont maintenus, le chancelier d’aguesseau ne remet pas en cause l’autonomie de l’église et la rappelle à la charnière des xviie et xviiie siècles. Dans la pratique, il en va tout autrement : c’est du déclin progressif mais continu des tribunaux d’église qu’il s’agit. La pratique de l’appel comme d’abus, les rapports des juges d’église et de la loi royale ainsi que le contrôle de la juridiction de l’abbé de cîteaux sont quelques unes des manifestations de cette politique qui ne laissera plus aux tribunaux d’église que les seules questions spirituelles, alors que ne cesse de s’étendre la justice laïque aux afaires religieuses elles-mêmes. ces quelques remarques ne donnent qu’un aperçu de la richesse des communications présentes. entre autres mérites, soulignons-le à nouveau, elles ont permis à des historiens, juristes, canonistes et théologiens de confronter leurs recherches. ce n’est pas rien. elles ont, en outre, cette autre qualité de mettre en évidence l’importance du droit et des institutions de l’église à l’époque moderne que l’on a eu trop tendance à négliger. Jean-Louis Gazzaniga agrégé des facultés de droit curé de la paroisse de Grasse

résumés

Le « buon governo » et les conlits des hiérarchies administrative et religieuse dans l’état pontiical, par François Jankowiak La question du pluralisme juridique, afronté à la logique de la centralisation et à « l’absolutisation » du pouvoir du pape, et celle du conlit d’autorité paraissent particulièrement pertinentes pour aborder l’évolution du pouvoir central de l’église romaine sur l’arc temporel xvie-xviiie siècles. Le schéma institutionnel promu par sixte quint en 1588, érigeant les congrégations permanentes de la curie en système, détermine un état confessionnel et temporel, renvoyant aux prérogatives du pape souverain et pontife, campé après trente en garant paternel du « buon governo » d’un principat civil ayant progressivement triomphé des résistances nobiliaires. néanmoins, si ce processus de « domestication » politique et d’uniication juridique porte d’importants fruits aux xvie et xviie siècles, les logiques émanant de la « double monarchie » contraignent une hiérarchie ecclésiastique et une hiérarchie administrative composée elle aussi de clercs à une coexistence diicile ; les frictions se manifestent surtout en matière de justice, de propriété et de iscalité, révélant, en dépit des constructions doctrinales exaltant l’harmonie des juridictions spirituelle et temporelle, de profondes tensions entre raison d’église et raison d’état. conlitti d’autorità tra vescovi, papato e sant’uicio, par elena Bonora cet essai se propose de présenter les conlits qui traversent l’église romaine dans les trente années après l’institution de la congrégation cardinalice du saint-oice en 1542. on ne peut pas, à proprement parler, utiliser le concept de « pluralisme juridique » à propos de la relation entre le droit inquisitorial et le droit canonique de l’époque dans la mesure où le premier se fonde sur ce dernier. cependant il est tout à fait légitime de parler de « conlits d’autorité » à propos des oppositions dans la déinition des pouvoirs du saint-oice entre les diférents chefs de l’institution ecclésiastique. ces conlits sont par ailleurs accompagnés du diicile établissement

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résumés

des normes juridiques fondamentales, lesquelles devraient être capables, pour leur part, de déterminer de manière pérenne la physionomie de l’église post-tridentine. la congrégation de la propagande : une instance centrale pour l’élaboration d’un statut juridique du clergé missionnaire, par Giovanni pizzorusso La congrégation de Propaganda Fide, le dicastère missionnaire de l’église fondé en 1622, élabore, en collaboration avec le saint-oice, un nouveau cadre normatif pour le missionnaire cherchant à mettre de l’ordre dans les facultates apostolicae, les pouvoirs spirituels accordés auparavant sans un critère uniforme. L’exigence d’uniformisation juridictionnelle se confronte aux diférences de lieux et de hiérarchies (missionnaires, préfets, vicaires, évêques) et donne lieu à un pluralisme juridique qui fait état de la nécessité (exprimée par les « doutes » transmis à rome par les missionnaires et par l’énorme jurisprudence qui en dérive) d’adapter ces normes d’inspiration tridentine à la pratique sur le terrain. ces diicultés obligent les missionnaires à un efort d’observation et d’information très ponctuelle des autorités romaines. par conséquent, la dimension juridique constitue une composante très importante du proil du missionnaire de l’époque post-tridentine. L’évolution du statut canonique du clergé paroissial tridentin d’après la congrégation du concile, par carlo Fantappiè pendant quatre siècles, la jurisprudence de la congrégation du concile a été essentielle pour permettre une application graduelle mais résolue de la réforme pastorale catholique. L’article porte sur la mise en œuvre des décrets tridentins qui concernent la typologie et l’élection du curé, mais aussi la condition juridique, les prérogatives et les devoirs pastoraux des vicaires et des chapelains paroissiaux. on tend à montrer, au niveau normatif, d’une part le passage progressif du status privilégié du droit médiéval à la fonction ministérielle et sociale des périodes moderne et contemporaine, et d’autre part l’extension d’un processus visant à bureaucratiser et à professionnaliser le clergé avec charge d’âmes. inscrire les clercs dans l’état. La monarchie française, les ecclésiastiques et le gouvernement par l’écrit (xvie-xviiie siècle), par olivier poncet Les ecclésiastiques ont accompagné à des titres divers la construction de l’état moderne qui de son côté a favorisé la pénétration toujours plus grande de l’écrit

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chez les sujets du roi de France. l’un des canaux par lesquels a transité cette dépendance à l’écrit oiciel a été l’enrôlement des clercs, par déinition maîtres de l’écrit, directement et systématiquement au service du gouvernement monarchique qui a ainsi inscrit les clercs dans l’état. la présente contribution examine les efets croisés de la généralisation progressive entre le xvie et le xviiie siècle des registres paroissiaux et des registres de vêtures, noviciat et profession de vœux. ces registres exigés par l’état, rédigés sur ses indications, pour ses besoins et archivés en partie par ses tribunaux, ont sans doute contribué chez les ecclésiastiques français à une forme d’acculturation politique et ecclésiologique qui mérite d’être versée au dossier complexe des rapports entre église et état en France à l’âge moderne. « Des créatures de Votre majesté ». choix et contrôle des évêques par philippe ii dans les couronnes de castille et d’aragon (1556-1598), par ignasi Fernández terricabras Depuis 1523, les rois d’espagne présentent au pape les candidats à l’épiscopat. philippe ii (1556-1598) utilise ce pouvoir pour constituer un épiscopat adapté aux besoins de la monarchie. La récurrence de certains traits dans les carrières des évêques de cette période montre que, pour le patronage royal, l’évêque apparaît plutôt comme un gouvernant. L’épiscopat devient l’un des plus hauts échelons d’une longue carrière clairement liée à la couronne, dans laquelle les charges dans l’administration de l’église et de la monarchie alternent indistinctement. La ressemblance avec le proil des « letrados », les diplômés en droit présents dans l’administration, est remarquable. Bien que les papes essaient d’airmer leur autorité sur les évêques espagnols dans le domaine disciplinaire, dans la pratique, c’est la couronne qui les contrôle. La nature canonique des charges exercées par l’évêque et ses auxiliaires, du droit classique au code de 1917, par Brigitte Basdevant-Gaudemet ni le Corpus juris canonici promulgué en 1582 par Grégoire Xiii, ni le Codex de 1917 ne se soucient de déinir la nature des prérogatives des dignitaires ecclésiastiques assistant l’évêque dans le gouvernement de son diocèse. pourtant, à partir du droit classique de l’église puis au cours des temps modernes, la doctrine canonique forge et développe les notions de pouvoir d’ordre ou de pouvoir de juridiction, de pouvoir de juridiction ordinaire ou délégué, de pouvoir propre ou de pouvoir vicaire, de délégation générale ou de délégation spéciale. Bien que

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les canonistes ne soient pas unanimes sur les déinitions à donner à ces concepts, ni sur leurs conséquences pour déterminer les mécanismes du gouvernement diocésain, c’est à partir de ces expressions qu’ils dissertent sur le gouvernement local de l’église. selon qu’un auteur qualiie telle ou telle prérogative comme étant exercée dans l’un ou l’autre de ces cadres, il attribue au titulaire du pouvoir une autorité largement indépendante ou, au contraire, étroitement subordonnée au pouvoir de l’ordinaire. grands vicaires et oiciaux des diocèses de frontière (xviie-xviiie siècles), par Frédéric meyer La frontière sur laquelle s’inscrit un diocèse peut être politique, religieuse, culturelle et impose aux appareils épiscopaux des attitudes particulières. si le rôle des évêques de telles contrées a été parfois étudié, celui de leurs oiciers principaux (grands vicaires et oiciaux) reste mal connu. à travers des exemples pris à la périphérie du royaume de France (pays-Bas, Lorraine, alsace, savoie, comtatVenaissin, pyrénées), la communication montre qu’un diocèse de frontière politique se doit d’avoir des oicialités foraines, mais que l’obligation reste parfois théorique. une frontière de catholicité impose une surveillance des déplacements des hétérodoxes et des rapprochements entre confessions. Les notables locaux, qui fournissent l’essentiel de l’administration diocésaine, jouent un rôle clé face à un évêque souvent d’origine étrangère au diocèse. Les bureaux épiscopaux entretiennent avec les pouvoirs civils des rapports particuliers, parfois dirigés contre leur propre évêque. Les curés entre collateurs, évêques, patrons et vicaires. Le point de vue des juristes français (xviie-xviiie siècles), par Jean-Louis Gazzaniga Les curés dans la France d’ancien régime se trouvent au centre d’un jeu compliqué de pouvoirs et de relations avec l’évêque qui les nomme, les patrons qui les présentent, les vicaires qui les assistent, les prêtres habitués et les religieux avec lesquels ils entrent souvent en concurrence. Le droit canonique, les ordonnances royales, la jurisprudence des parlements, tels que les exposent les juristes français des xviie et xviiie siècles, avocats gallicans, richéristes, pour la plupart, forment l’essentiel de la matière de cette étude et en ixent le cadre et les limites : un exposé de règles et les éventuels conlits que leur application peut engendrer.

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le juge d’église et la loi royale, entre autonomie et soumission, par anne rousselet-pimont le juge d’église se trouve à l’égard de la loi royale dans une situation apparemment contradictoire. d’un côté, il suit l’adage défendu par les canonistes selon lequel le juge d’église n’est pas lié par la loi des princes temporels. il applique le droit canonique et doit préférer en cas de conlit les lois de l’église aux lois civiles. mais d’un autre côté, le juge d’église des xvie-xviiie siècles sait que, dans le royaume de France, ses sentences peuvent être cassées en cas de contravention aux ordonnances, édits et déclarations royales dans le cadre d’une procédure d’appel comme d’abus. Le but de cette communication est de rappeler quelles sont les obligations du juge d’église à l’égard de la loi monarchique et quelles sont les justiications de sa soumission à la loi royale. Les auteurs ne furent pas tous d’accord, notamment au début de l’époque moderne, sur l’étendue de cette soumission, et cela même dans le camp monarchique. ces hésitations traduisent à la fois l’évolution des rapports entre église et pouvoir monarchique mais aussi la place croissante de la législation royale au sein du pluralisme juridique de l’ancien droit. La loi monarchique ne cesse en efet d’étendre son emprise sur le juge d’église, preuve que dans la traditionnelle lutte menée par la royauté contre les justices dites concurrentes, le contrôle sur la nature de la règle appliquée est tout aussi important que l’atteinte directe portée aux compétences des juges d’église. Le déclin des oicialités à l’époque moderne, par olivier Descamps au cours de la période moderne, les oicialités subissent un progressif déclin dont les origines remontent au xive siècle. La justice royale s’était engagée initialement dans une lutte contre les tribunaux ecclésiastiques en empiétant sur leurs compétences à l’aide de divers moyens de procédure (saisie du temporel, prévention, appel comme d’abus). Les ordonnances (1539, 1579) complètent le dispositif ain de réduire au civil comme au criminel les domaines traditionnels ratione personae et materiae des juridictions d’église. L’airmation de la souveraineté du roi de France et le contexte gallican constituent des facteurs qui vont favoriser l’abaissement de ces cours. au xviiie siècle, il ne leur reste guère que les questions spirituelles et des fonctions d’administration.

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les procédures d’appel comme d’abus des dominicains à l’époque moderne, par ninon maillard l’appel comme d’abus est avant tout envisagé comme une procédure permettant de contester une décision de la juridiction ecclésiastique devant le tribunal séculier. si l’entreprise de juridiction est l’aspect le plus connu de l’appel comme d’abus, les actions engagées par les dominicains de France permettent d’insister sur un aspect plus marginal de la procédure, utilisée pour lutter contre la réforme de l’ordre. objectif prioritaire des autorités de l’ordre, mais aussi objectif soutenu par le roi, la réforme suppose un bouleversement des pratiques orchestré par le droit et imposé par les supérieurs de l’ordre. or, la norme et les décisions réformatrices sont assimilées à d’intolérables nouveautés, ce qui permet aux religieux de s’abriter derrière le maintien de leurs privilèges au titre de la préservation des libertés de l’église gallicane. dans le cadre de ces recours dominicains, le juge séculier se trouve en position d’apprécier la légalité du droit religieux et se place en arbitre entre les supérieurs, détenteurs de l’autorité, et les religieux, en principe soumis du fait de leur vœu d’obéissance. toutefois, le soutien royal aux observants vient contrecarrer l’opportunité oferte par la procédure et la plupart de ces appels comme d’abus à contre-emploi n’aboutissent pas. entre droit cistercien, droit canonique et droit de l’état : la juridiction de l’abbé de cîteaux au xviie siècle, par Bertrand marceau De 1265 à la révolution, l’abbé de cîteaux n’a de juridiction ordinaire et propre que dans son abbaye et dans celles dont il est le père immédiat. toutefois la nature exacte de cette juridiction pose problème, car l’abbé général est aussi le chef juridique au centre des institutions de l’ordre de cîteaux. Dans sa personne, l’autorité n’est ni précaire ni empruntée, étant naturellement attachée à sa qualité de chef et supérieur général. cette déinition théorique est contestée aussi bien par certaines autorités internes à l’ordre que par des autorités externes ecclésiastiques et séculières. au xviie siècle, une série de confrontations permet l’ajustement de la position cistercienne, qui bénéicie le plus souvent de la protection de la législation pontiicale et de la bienveillance du roi de France, mais qui doit en dernière instance se plier au droit de l’état, lorsque que celui-ci oppose à la juridiction de l’abbé de cîteaux les limites nationales.

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le spectre du conciliarisme chez les canonistes français du xve et du début du xvie siècle, par patrick arabeyre Dans la période préliminaire aux temps modernes (1440-1525), quelle est l’importance et la valeur de la production des canonistes français au regard de la grande querelle du temps : le pape et le concile ? au point de départ est un « concile presque français en allemagne », selon l’expression d’heribert müller, le concile de Bâle ; à l’arrivée un concile « gallican », celui de pise-milan. L’absence de grand nom, à l’égal de panormitain ou de Filippo Decio, ne doit pas laisser croire que le monde des facultés de droit françaises aurait été improductif ou bien imperméable à la dispute. mais il se trouve que parmi les canonistes français les plus prolixes du xve siècle igurent des ultramontains résolus et que la pensée universitaire gallicane est alors tapie dans des œuvres non explicites. toutefois, des années bâloises aux années de polémique, le monde des canonistes, pourtant partagé, s’aligne en in de période sur les thèses conciliaires, au risque de donner à la veille de la réforme une image igée, qui laisse invisibles les marques de la controverse. Le pouvoir ecclésiastique : question canonique ou théologique ? Filippo Decio, cajetan et le concile de pise-milan, par Benoît schmitz pour légitimer le concile de pise-milan convoqué contre Jules ii, les cardinaux dissidents et le roi de France ont privilégié les arguments juridiques. parmi les Consilia qu’ils sollicitèrent à l’appui de leur cause, le plus inluent fut celui de Filippo Decio, qui airmait que le pouvoir ecclésiastique était du ressort des canonistes et non des théologiens. cajetan semble lui avoir répondu directement en expliquant au début de son De comparatione auctoritatis papae et concilii que la question était principalement théologique et seulement secondairement canonique. Je voudrais examiner ici cet aspect méconnu de la controverse du début des années 1510 en montrant que ce désaccord sur la science maîtresse en matière ecclésiologique correspondait à deux manières de poser le problème du pouvoir dans l’église : là où les juristes développaient une casuistique destinée à articuler l’autorité du pape et celle du concile, les théologiens s’eforçaient d’identiier absolute et simpliciter le détenteur du pouvoir suprême.

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Le conciliarisme au risque du concile : les ecclésiologies conciliaires au temps du concile de trente, par alain tallon L’airmation par les réformateurs de l’autorité de la seule écriture n’afectait pas que le pouvoir pontiical, mais posait aussi la question de l’autorité des conciles. si les ecclésiologies issues de la réforme conservent cette notion, elles ne parviennent à déinir le « concile libre et chrétien », seul à avoir une réelle autorité, que négativement, notamment face au concile de trente. Du côté catholique, le silence sur le pouvoir du concile dans l’église contraste avec l’intensité des débats qui avaient immédiatement précédé la crise religieuse de la réforme. ce silence permet de laisser ouverte la question ecclésiologique dans le catholicisme post-tridentin. La diplomatie pontiicale à l’épreuve de la réception du concile de trente en France (xvie-xviie siècles), par Bernard Barbiche et ségolène de Dainville-Barbiche Le concile de trente, source de tensions entre l’ecclésiologie romaine et l’ecclésiologie gallicane, n’a jamais été reçu oiciellement en France en raison de l’opposition irréductible du parlement de paris, mais il a été appliqué par les évêques français dès les années 1580. L’assemblée du clergé de 1615 a pris collégialement la décision de l’accepter. L’étude des instructions aux nonces et de l’enregistrement des facultés des légats a latere par le parlement dans la centaine d’années qui ont suivi la clôture du concile montre que la réception des décrets tridentins a cessé d’être une pomme de discorde entre le saint-siège et la France après 1640. L’ecclésiologie de Benoît XiV, par olivier Descamps Le pontiicat de Benoît XiV (1740-1758) constitue un moment décisif dans l’histoire de la papauté. en efet, parachevant l’époque de la réairmation de l’autorité du siège apostolique, il ouvre une nouvelle ère dans les rapports avec les puissances séculières. L’ecclésiologie de l’ancien archevêque de Bologne, prospero Lambertini, s’ordonne autour d’une politique concordataire de concession et de l’engagement de nombreuses réformes ain de moderniser les structures centrales et locales de l’église. cédant le pas devant les velléités des états, la papauté octroie à travers cinq concordats de larges prérogatives dont la plus emblématique est le pouvoir de nomination aux oices. cependant, ce n’est pas dans le seul domaine de la provision aux oices que le pape, sous l’impulsion du secrétaire

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d’état valenti, accorde des largesses. il le fait également en matière législative, juridictionnelle et iscale. les réformes, quant à elles, visent essentiellement à rationaliser une administration pléthorique, notamment dans le domaine iscal. il s’agit aussi de libérer le commerce. une église aux dimensions du monde : expansion du catholicisme et ecclésiologie à l’époque moderne, par charlotte de castelnau-L’estoile L’article s’intéresse aux conséquences des nouvelles dimensions de l’église à l’époque moderne sur la nature et l’organisation même de l’église. L’expansion de l’église est un processus pragmatique sans projet préétabli qui utilise des modèles anciens pour répondre à la demande des souverains ibériques. La doctrine du salut universel accompagne les navires européens tissant des liens structurels et durables entre expansion mercantile et coloniale et expansion du christianisme et de l’église. sur le plan des structures ecclésiastiques, on peut noter la création des diocèses, unité locale de l’église universelle, sur les territoires nouvellement atteints, l’institution du patronat des souverains ibériques, et le maintien de la centralité romaine et de la primauté spirituelle de la papauté. sur le plan théologique, il y a un faible impact des nouvelles dimensions de l’église sur le contenu de la foi. L’expansion catholique est contemporaine d’une grande prudence du fait de l’avancée de l’islam en europe et de la rupture protestante. Les ecclésiastiques préfèrent multiplier les solutions dérogatoires : dispenses, facultés, privilèges mais maintenir la doctrine dans son intégralité et son unité. élargir l’œcumène chrétien sans modiication majeure du dogme, tel est le déi de l’église. La solution réside dans la mise en place d’un régime juridique d’exception : le jus missionnarium. en principe, ce droit dérogatoire est vu comme provisoire, jusqu’à ce que le régime ordinaire de l’église établie puisse s’appliquer. cependant, dans les sociétés coloniales catholiques, la catégorie de néophyte se maintient pour caractériser les indiens, pourtant baptisés dès la naissance. explorer cette catégorie juridique revient à réléchir aux mécanismes qui lient les nouvelles dimensions de l’église et la colonisation à l’époque moderne. sacramentalité de l’épiscopat et conciliarisme du xvie au xviiie siècle, par Laurent Villemin à partir de la in du xiie siècle, la plupart des théologiens ont remis en question la sacramentalité de l’épiscopat. L’article revient, dans une première partie, sur les raisons de ce changement fondamental et sur la décision du concile Vatican ii

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de se prononcer en faveur de la sacramentalité de l’épiscopat. dans un deuxième temps, l’auteur examine quelques théologiens et canonistes entre la in du concile de trente et le xviiie siècle (Bellarmin, Bolgeni, lancellotti, Barbosa, engel, van espen). cet examen montre que la position concernant la sacramentalité de l’épiscopat n’est pas liée, à cette époque, à la position conciliariste ou papaliste des auteurs en question. entre antiromanisme catholique et républicanisme absolutiste : paolo sarpi (1552-1623) et la défense du bien public au temps de la crise de l’interdit vénitien (1606-1607), par sylvio hermann De Franceschi il est revenu au servite vénitien paolo sarpi (1552-1623) de défendre les droits de la sérénissime contre les revendications du saint-siège lors de la crise de l’interdit (1606-1607). pour asseoir sa démonstration et consolider l’expression d’une ecclésiologie catholique antiromaine, sarpi a délibérément recouru à un vocabulaire et à des thèmes caractéristiques du républicanisme italien et il a justiié la cause de Venise par un appel à la défense des libertés républicaines et du bien public. il semble pourtant que le discours tenu par le servite ait passé son but. en insistant sur les prérogatives absolutistes du chef temporel, sarpi a paradoxalement donné occasion aux partisans du saint-siège de se présenter eux-mêmes en sincères défenseurs d’un républicanisme authentique, ainsi qu’en témoignent notamment les arguments développés contre les thèses du servite par le jésuite hernando de La Bastida (1571-1637). L’ecclésiologie des juristes gallicans (xviie-xviiie siècles), par Jean-Louis Gazzaniga Les canonistes gallicans des xviie et xviiie siècles, Févret, de héricourt, Brunet, Durand de maillane parmi les plus célèbres, se veulent d’abord praticiens. Leurs œuvres sont destinées aux avocats qui doivent y trouver les arguments de nature à emporter la conviction des juges. avant tout juristes, traitant de questions ecclésiastiques, ils ne peuvent ignorer la théologie, bien qu’ils s’en défendent. peu sensibles aux débats doctrinaux, ils en viennent à propos de l’église, du pape, du concile, des évêques, à présenter les grandes lignes d’une ecclésiologie gallicane. L’exposé est classique, bien argumenté – ces juristes connaissent plus de théologie qu’ils ne le disent –, c’est l’opinion du palais.

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les deux puissances selon les écrits du chancelier d’aguesseau, par marie-France renoux-zagamé les nombreux écrits du chancelier d’aguesseau qui concernent « les afaires ecclésiastiques » permettent, à travers leur mise en œuvre par l’un des principaux magistrats du règne de Louis XiV, de mieux comprendre les fondements, le contenu et les conséquences des convictions gallicanes qui animent le monde de la robe à la charnière des xviie et xviiie siècles. Dans le quotidien des audiences, pour vigilant qu’il soit, le contrôle des magistrats ne remet pas en cause l’autonomie reconnue à l’église. il n’en va pas de même lorsque d’aguesseau intervient dans les afaires plus politiques où le gouvernement monarchique et la cour de rome doivent concourir, soit lors de l’enregistrement des constitutions pontiicales, soit au titre du conseil, pour présenter au gouvernement les conditions de la régularité juridique de l’action projetée. Les mémoires ainsi rédigés permettent de prendre la mesure du « zèle » déployé par les gens du roi pour défendre, contre les incessantes manœuvres des ultramontains, l’indépendance souveraine de l’état ainsi que l’autonomie dont doit bénéicier l’église gallicane. Les enjeux ecclésiologiques de la codiication du droit canonique. quelques rélexions sur la portée de l’option choisie en 1917, par hervé Legrand en optant en 1917 pour la codiication de son droit, plutôt que pour sa compilation, l’église catholique l’a autonomisé par rapport à la théologie. inspirée des codiications issues des Lumières, notamment celle de napoléon, elle emprunte son schéma organisateur (personae, res, actiones) au droit privé romain, et le juxtapose au concept de société parfaite, emprunté au droit public. un tel instrument permettait d’atteindre les objectifs de Vatican i, mais au prix d’une sécularisation de l’église, conçue comme un sujet transpersonnel, et de son droit, devenant la loi édictée par le législateur suprême, dans le contexte positiviste et rationaliste du temps. Vatican ii n’a pu surpasser ces options, reconduites par le code seulement révisé de 1983. cette faiblesse est l’une des causes du conlit herméneutique récurrent relatif au statut des églises locales, de l’épiscopat, de la collégialité, de la synodalité, soulevant une question aussi œcuménique que pastorale : la communion de l’église n’est-elle pas simultanément communion d’églises ?

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Qui odit correptionem peribit. genève et la discipline ecclésiastique de calvin d’après les registres du consistoire, par guerric meylan Post tenebras lux. après les ténèbres, la lumière. la devise de la république de genève n’est pas l’œuvre de Jean calvin. ce sont les « eidguenots », artisans de l’indépendance genevoise, qui l’ont adoptée après l’échec de l’évêque pierre de la Baume. La constitution oligarchique de la cité est également la conséquence de la reprise en main des conseils par les défenseurs de la commune. au cœur du xvie siècle, calvin, retenu à Genève par l’insistance de Guillaume Farel, ne doit pas être présenté seulement comme un guide exalté, soucieux des intérêts des grands et indiférent aux malheurs des plus humbles. homme de conviction néanmoins, il parvint à imposer la réforme dans sa cité d’adoption en lui dictant une stricte ecclésiologie. L’institution du consistoire, chargée de la correction des mœurs, permet de mesurer l’exacte teneur d’une discipline calvinienne plus pédagogique qu’autoritaire en sa concrétisation. L’inluence des confessions religieuses dans la formation du droit international public, par matthias schmoeckel D’abord il faut souligner l’indépendance scientiique du droit par rapport à la théologie. Les questions de rédemption, de salut éternel, etc. ne se posent pas dans la jurisprudence. certes, il y des inluences entres ces sciences, dont quelques exemples sont expliqués ici. pourtant, ce n’est jamais la loi qui est protestante ou catholique, mais son auteur et l’environnement. plus exactement, le droit est « catholique » (dans son sens originel d’« universel ») dans la mesure où il concerne vraiment tout le monde. Lorsque le lien ecclésiastique et théologique fut coupé au xvie siècle, ce fut grâce au droit que les peuples purent encore conclure des contrats et établir les fondements d’une coniance grâce à l’unité et à la « catholicité » du droit. en ce qui concerne l’inluence des confessions sur le droit international public, le résultat de notre investigation est hétéroclite. D’une part, l’école de salamanque créait les structures d’un droit international public sur le fondement des princes souverains, égaux et seuls représentants de leurs pays. elle développait une grande partie des normes qui formaient le droit international public naissant. Dans cette perspective, la création du droit international se rattache à l’école espagnole. surtout, les auteurs espagnols donnaient une valeur plus grande à l’état que les auteurs médiévaux, en particulier homas d’aquin. pourtant, en regardant le

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rôle encore attribué au pape par ces auteurs, leurs œuvres gardent des traditions et des aspects médiévaux, en particulier la supériorité du pape, pour poursuivre les buts spirituels de la vie humaine. ce fut seulement grotius qui introduit un droit vraiment laïque, faisant une distinction claire entre le droit et l’église. néanmoins, même dans les œuvres des protestants, les valeurs continuent à jouer un rôle important, comme le démontre l’exemple de l’intervention humanitaire. la valeur théologique entraine une obligation juridique d’intervenir pour défendre des convictions propres. ce sont ces théories qui trahissent l’héritage de la pensée théologique.

indeX onomastique les références renvoient aux numéros de page ; l’ajout de « n » après le chifre indique que la référence se trouve dans les notes de bas de page ; l’indication « et n » après le chifre signiie que la référence se trouve à la fois dans le corps du texte et dans les notes de bas de page. L’index ne reprend pas les noms des auteurs modernes. Les renvois aux noms de personnes sont faits au nom, sauf pour les papes, les rois et reines, les noms de saints et de saintes, les personnes qui n’ont pas de nom patronymique. Les références en italique se rapportent à des noms géographiques ; leur localisation exacte n’est pas précisée, sauf en cas d’ambiguïté. p. arabeyre abbeville (Gérard d’) : 343. acciajuoli (roberto) : 272 et n. acosta (José de) : 50, 334. acuña (antonio de) : 113. adam, premier homme : 331, 454. adrien Vi, pape : 50, 105, 335. afonso ier, roi du Kongo : 327. Afrique : 54, 323, 327, 336. aguesseau (henri-François d’) : 86, 92, 213n, 214n, 223n, 224 et n, 225 et n, 389-404, 461, 467. Aire-sur-la-Lys, béguines : 92. Aix-en-Provence, parlement : 141, 164. albert (Jean) : 163n, 164n. Albi, évêque : 163n. albizzi (Francesco) : 59 et n. Alcalá de Henares, université : 112, 115. alciati (Francesco) : 28. aldobrandini (pietro) : 300, 304n. aleman (Louis) : 253 et n, 257. alembert (Jean Le rond d’) : 424 et n. Alençon, couvent des clarisses : 87. alexandre iii, pape : 197, 204, 221n. alexandre Vi, pape : 42, 326. alexandre Vii, pape : 147, 238, 307.

alexandre (noël) : 69n, 374, 382n. Alexandrie : 56. alexandrin, cardinal : voir san Giorgio (Giovanni antonio). Allemagne : 235, 236n, 257. almain (Jacques) : 257, 267, 271 et n, 283n. Almenêches, abbaye : 87n. Alpes : 143, 151, 152, 302. alphonse de Liguori, saint : 320. Alsace : 137, 140, 152 ; intendant : voir La Grange (Jacques de). Amboise, conjuration : 183. ambroise, saint : 186. Amérique(s) : 50n, 57 et n, 106n, 323, 324, 327, 329, 332, 336, 338, 340 ; indiens : 338. Amiens, évêque : 167. Ancône : 260 ; évêque : voir Lambertini (prospero). angleberme (Jean-pyrrhus d’) : 266, 267. Angleterre : 107, 112, 197 ; révolution : 440 ; roi  : 446n, voir henri  Viii, Jacques ier. Angola : 327, 334.

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indeX onomastique

Annecy : 141 ; voir aussi Genève-annecy. ansidei (marc’antonio) : 41n. Antilles : 56 ; évêchés : 327. Antioche, évêque : 176. antoine, prêtre : 68. antonin de Florence, saint : 459. Apt, chapitre cathédral : 142, 143n ; diocèse : 142 ; grefe : 142n ; notaire : voir Degadret (Jacques). Aquilée, patriarche  : voir Grimani (Giovanni). Aquitaine, duc : 399. Aragon, conseil : 105 ; couronne : 105118, 149, 236, 245, 466 ; roi : voir Ferdinand ii. archidiacre (l’) : voir Baysio (Guido de). aristote : 20, 332. arlequin : 459. arlod (Domaine d’) : 430. arminius (Jacobus) : 454. arnauld (angélique) : 231 et n. Artois : 92, 158. Asie : 48n, 50n, 54, 60, 323, 327 ; clergé : 56 ; église : 330 ; empire portugais : 329. assemani (Joseph-simon) : 59. Atlantique, océan : 327. aubusson de La Feuillade (Georges d’) : 90. Auch, archevêque : 149. aufréri (etienne) : 263, 265. augustin, saint : 181, 289, 374. Autriche : 235, 255n ; guerre de succession : 311n, 312. Auxerre, évêque : 169, 172n. Avignon : 140, 141 et n, 416n ; archevêché : 141n ; archevêque : 141n, voir Gontieri (François-maurice de) ; diocèse : 141 ; état pontiical : 245 ; légat : 245 ; province ecclésiastique : 245 ; vice-légat : 150. ayma (Jean d’) : 259, 268, 269.

azevedo (alphonso de) : 188. azpilcueta (martin de), dit navarre  : 70n. Bachmann (christoph) : 236n. Badajoz, évêque : voir simancas (Diego de). Balde (Baldus de ubaldis) : 182. Bâle : 425 ; concile : 6, 128n, 166n, 253n, 254, 255, 256, 257, 259, 261, 264, 268, 277, 294, 295, 377, 384 et n, 460 ; diocèse : 236n ; évêque : 140. Barberini (Francesco) : 306, 308. Barberini (mafeo) : voir urbain Viii. Barbo (pierre) : voir paul ii. Barbosa (agostino)  : 349-350, 380n, 386. Bar-le-Duc : 140. Bardonnèche : 140. Bartole (Bartolus de saxoferrato) : 179, 182, 253, 254. Baysio (Guido de), dit l’archidiacre  : 187. Beaufort (eustache de) : 235 et n. Beaulieu-en-Bassigny, abbaye : 97 et n ; abbé : voir Fieux (Jacques de). Beaune (renaud de) : 44. Beauvais  : 219 ; couvent dominicain  : 219 ; évêque : voir coligny (odet de, cardinal de châtillon). Bec-Hellouin, bénédictins : 87. Béguin (François) : 430. Behotte (adrien) : 199n, 200 et n. Bellarmin (robert), saint : voir robert Bellarmin. Bellemère (Gilles) : 258. Belley : 137, 140, 141, 148 ; évêque : 151, voir Du Laurens (pierre) ; subdélégué : 145. Bellozanne, abbaye : 97 et n ; abbé : voir Fieux (Jacques de). Belo (Lorenzo) : 45n.

indeX onomastique

Belo (pietro) : 45n. Benet (cipriano) : 275 et n. Benoist (rené) : 44, 244. Benoît, saint : 86n, 221, 229n, 230n. Benoît Xiii, pape : 66n, 72 et n, 74n. Benoît XiV, pape : 9, 24, 66 et n, 71n, 75n, 123n, 158n, 309-322, 461, 466. Benoît XV, pape : 411. Benoît XVi, pape : 418, 421 et n. Benoît (Guillaume) : 259, 265. Bentivoglio (Guido) : 301. Bernard, saint : 231n. Berne : 144n, 423. Bertet (pierre) dit talabard : 436n. Bertrand (nicolas) : 265, 266 et n, 268, 273 et n. Bertrand (pierre) : 199n. Besançon, archevêché : 201n. Bèze (héodore de) : 293, 294 et n, 436. Binarino (alfonso) : 28n. Biord (Jean-pierre) : 150, 151. Bismarck (otto von) : 417 et n. Blois : 304n ; ordonnance : 82, 83, 87, 125n, 128n, 138, 154, 159n, 163, 208, 297, 307. Bobadilla  : voir castillo de Bobadilla (Jerónimo). Bodin (Jean) : 442, 448. Boeza (Francisco) : 273n, 276 et n, 284n. Bofondi (Giuseppe) : 30 et n. Bohême : 235, 236n. Bolgeni (Gianvincenzo) : 346-349. Bologne  : 28 et  n, 29, 201n, 245, 309 ; concordat  : 44n, 105, 154, 158, 245, 259, 268, 269, 286, 294, 328, 377 ; évêque puis archevêque : voir Lambertini (prospero), paleotti (Gabriele) ; légat : 27, voir Doria (Giovan Battista), pignatelli (antonio), sforza (alessandro) ; province : 23.

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Bolognetti (Giorgio) : 302. Boncompagni (Filippo) : 304n. Bonelli (michele) : 28, 304n. Boniface Viii, pape : 132n, 221n, 377, 378, 382n, 450. Bonna (claude), dit pertemps : 430, 431, 433. Bonna (Jane) : 433, 434 et n. Bonne-Espérance, cap : 327. Bonnet (étienne) : 222. Bordeaux, parlement : 161n, 206n. Borghèse (scipione) : 236n. Bornier (philippe) : 91 et n. Borromée (charles), saint : 8, 9, 29 et n, 69n, 310, 405n. Borromée (Frédéric) : 188. Bossuet (Jacques-Bénigne), évêque de meaux : 8, 80, 168, 376n, 378n. Bossuet (Jacques-Bénigne), évêque de troyes : 168. Botero (Giovanni) : 23 et n. Bottigella (Girolamo) : 274 et n. Boucherat (charles) : 234n. Boucherat (nicolas) : 227n, 230, 231 et n, 236 et n. Bougeret (Jean) : 228n. Bouquenom : 146. Bourbon (famille) : 117, 299. Bourbon (charles de), charles X, « roi de la Ligue » : 304. Bourbon (Louis de), duc de Vendôme : voir Vendôme (Louis de Bourbon, duc de). Bourbon-condé (Louis iii de) : 144. Bourbon-condé (Louis iV-henri de), dit le duc de Bourbon : 144. Bourdot de richebourg (charles antoine) : 91n. Bourée, edme-Bernard : 232n. Bourges, archevêque : 233n ; concile : 87, 202 ; pragmatique sanction : 128n, 154, 199n, 253n, 256, 258, 259,

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261, 262, 263, 264, 265, 268, 269, 286, 294, 377 et n, 459. Bourgogne : 88 ; comté : 235 ; gouverneur : voir Bourbon-condé (Louis iii de) ; intendant : 144. Boutaric (François) : 159n, 160n, 161n, 171n, 375n. Brancati (Lorenzo), di Lauria : 59 et n, 337, 338. Brandolin Valdemarin (marcantonio) : 359. Brésil  : 325, 329n, 334, 336, 337 ; esclaves : 340 ; indiens : 339. Bresse : 140. Bretagne : 155, 156n, 158, 160n ; congrégation dominicaine : 218 et n, 219, 220 ; parlement : 156n, 164n, 171n, 220 ; province des capucins : 329n. Breysson (robert) : 431, 432, 433. Brezolles (ignace-moly de) : 141n. Briçonnet (Guillaume) : 272. Brignon, avocat de l’archidiacre de soissons : 166n. Brillon (pierre-Jacques) : 167n, 168 et n. Brioude, juge : voir cigauld (Vincent). Brunet (Jean-Louis) : 139n, 140 et n, 165n, 169 et  n, 171n, 228n, 373 et n, 375n, 376 et n, 377n, 379 et  n, 380 et n, 381 et n, 383, 384 et n, 385n, 386n. Bruxelles : 236n. Bugey : 158. Bürgisser (Gerhard) : 236n. Bussières-les-Nonnains, abbaye : 232n. Caen, couvent des augustins déchaux : 87. caetani (enrico) : 304. Cahors : 85 ; évêque : 164 ; université : 259. cajetan : voir Vio (homas de). Calabre : 72, 235.

Calahorra, diocèse : 66n. calvin (Jean) : 288 et n, 289, 290, 291 et n, 292, 293, 423-437, 460, 466. Cambrai : 141, 147 ; archevêque : voir Fénelon (François de salignac de La mothe-) ; grand vicaire : voir La cropte de chantérac (Gabriel de) ; province ecclésiastique : 137. Camerino, évêque  : voir Binarino (alfonso). Cannes, paroisse : 155. caprara (Giovanni Battista) : 303. carafa (Gian petro) : voir paul iV. Caraïbes : 57. carbonario (mezenzio ou massenzio) : 27 et n. carlier (Gilles) : 257. carnesecchi (pietro) : 44n. caron (raymond) : 59 et n. Carouge : 151. Carpentras, diocèse : 141, 142, 143. carranza (Bartolomé de) : 111, 117. Carthagène : 111. carvajal (Bernardino López de) : 274. cassador (famille) : 113. Castille  : 111, 112, 231, 327, 329 ; abbés cisterciens : 231 ; connétable : voir Fernández de Velasco (Juan) ; conseil : 105, 110, 114 ; conseiller : voir quiroga y Vela (Gaspar) ; couronne : 105-118, 245, 466 ; président du conseil : voir covarrubias y Leiva (Diego de) ; reine : voir isabelle ire. castille, moine de l’abbaye d’orval : 92. castillo de Bobadilla (Jerónimo) : 188. castin (anthelme) : 150, 151. caton : 288. Cavaillon, diocèse : 141, 142 ; évêque : 143n. cecil (william) : 37n. célestin iii, pape : 189n, 191. cerri (urbano) : 51 et n, 56 et n.

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Cervie, communauté : 192. cervini (marcello) : voir marcel ii. cestari (Gennaro) : 346. Chalcédoine, concile : 127n. Chalon-sur-Saône, évêque : 170n. Chambéry : 141, 150 ; décanat : 140n ; diocèse : 151 ; drapier : 436 ; saintechapelle : 150 ; sénat : 140n, 142n ; sénateur : 150. Chambourcy, curé : 166. Champagne : 140. champereaulx (aimé) : 431. Champigny, habitante  : voir ruffier (marie). chanut (martial) : 138n. charles Borromée, saint : voir Borromée (charles). charles quint, empereur : 36, 50, 105, 106, 113, 286, 287, 291, 292, 323n, 329. charles Vi, empereur : 312. charles ii, roi d’espagne : 110. charles Vii, roi de France : 157n, 260. charles Viii, roi de France : 264. charles iX, roi de France : 244. charles  X, «  roi de la Ligue  »  : voir Bourbon (charles de). charles iV, duc de Lorraine : 148n. charles-emmanuel ii, duc de savoie : 148. Charmoye (La), abbaye : 230 ; abbé : voir maugier (étienne). Chartres, archidiacre : 166n ; diocèse : 166 ; évêque : 164. chenu (Jean) : 186n, 189n. chigi (Flavio) : 307. Chine : 327. choiseul (étienne-François de)  : 151, 311, 314n. choiseul (Gilbert de) : 149. choppin (rené) : 185n, 186n. ciappi (Luigi) : 311n.

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cigauld (Vincent) : 267. Cîteaux, abbaye  : 227-239 ; abbé  : 227-239, 246, 467, voir Boucherat (nicolas), La croix (edme), nivelle (pierre), petit (Jean), richelieu (armand Jean du plessis, cardinal de), Vaussin (claude) ; ordre : 227239 ; religieux : 227-239. Ciudad Rodrigo, évêque : voir covarrubias y Leiva (Diego de), simancas (Diego de). Clairvaux, abbaye : 228, 233 et n ; abbé : 227n, voir henry (pierre), Largentier (claude) ; religieux : 92, 233. clément d’alexandrie, saint : 416n. clément iii, pape : 181n. clément iV, pape : 227n. clément Vi, pape : 416n. clément Viii, pape : 23, 45 et n, 66n, 117, 297, 299 et n, 301, 302, 303, 304, 305, 306, 321n. clément iX, pape : 307. clément Xi, pape : 25, 66 et n, 67. clément Xii, pape : 319, 321. clément Xiii, pape : 317, 336. Clermont, diocèse : 155. clovis ier, roi des Francs : 185. Cluny, ordre : 233. Cochin, diocèse : 327. Coimbra : 349. coligny (odet de, cardinal de châtillon) : 244. colomb (christophe) : 326 et n. colonna (famille) : 65 et n. Côme, diocèse : 73n. Compiègne, concile : 202. Comtat Venaissin : 137, 140, 142, 245 ; évêchés : 141n. Condom, vicaire général et oicial : voir Ducasse (François). congar (Yves) : 416n, 418. constantin, empereur : 20n, 268.

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indeX onomastique

Constance, concile : 6, 256, 266, 274, 286, 288, 292, 295, 377, 384 et n. Constantinople, archevêque : 186. conti (pierpaolo) : 25. coquille (Guy) : 91. cordier (pierre) : 257, 265, 267 et n. Cordoue, archidiacre  : 110 ; évêque  : voir Fresneda (Bernardo de), Vega (hernando de). corsini (ottavio) : 301. cortés (hernán) : 330. cosnac (Gabriel de) : 144. couet de montbayeux (rené) : 200n. courcelle de pourlan (Jeanne-Françoise de) : 232n. courcelles (homas de) : 253 et n, 257. coutard (Julien) : 223n, 224, 225. covarrubias y Leiva (Diego de)  : 110 et n, 180. cromwell (homas) : 82. Crémone, cardinal  : voir scaglia (Desiderio). Cuenca, évêque : voir covarrubias y Leiva (Diego de), Fresneda (Bernardo de), quiroga y Vela (Gaspar). cues (nicolas de) : 253. cugnières (pierre de)  : 199n, 201n, 204n. cyprien, saint : 374, 379, 381. Danemark : 267n. Danty (n.) : 92n. Dauphiné : 140, 145, 155. Da salso (Girolamo) : 8. Decio (Filippo) : 258, 266, 271-284. Degadret (Jacques) : 143. De Gubernatis (Domenico) : 59 et n. Del Bufalo (innocenzo) : 300. Della rovere (Giuliano) : voir Jules ii. Del nero (piero) : 273n. De Luca (Giovanni Battista) : 26 et n, 70n.

Denisart (Jean-Baptiste) : 126n, 128n. Deshayes (Florent) : 410 et n. Des maisons (François-claude) : 156n. Deux-Ponts, duché : 145, 146. Di capua (pietro antonio) : 35n, 38n. Diderot (Denis) : 424n. Die : 141 ; évêque : voir cosnac (Gabriel de). Dijon : 229n, 231n, 232 et n ; intendant : 144 ; parlement : 163n, 166n, 206n, 232. Dole, parlement : 201n. Dominique de Guzmán, saint (ordre) : 392. Donati (Giulio) : 25. Doria (Giovan Battista) : 28. Drou, avocat de l’abbé de cîteaux : 228n. Du Bioley (Louise) : 436. Dubois (Louis) : 154 et n, 157n, 161n, 172 et n, 186n, 386. Ducasse (François) : 125 et n, 132 et n, 159n, 168 et n, 375n, 385n, 387n. Dufour de mérandes (sylvestre) : 150. Du Laurens (pierre) : 148. Du moulin (charles) : 154, 184 et n, 185 et n, 186 et n, 187 et n, 264n, 296 et n. Dupérier (scipion)  : 375n, 378 et  n, 381n, 384n. Du perray (michel) : 164, 165. Du perron (Jacques Davy) : 299. Duplessis-mornay (philippe) : 454. Dupuy (pierre) : 184n, 222n, 243. Durand de maillane (pierre-toussaint) : 124n, 125n, 126n, 127n, 128n, 132n, 138 et n, 139n, 140 et n, 141 et n, 153, 154 et n, 156 et n, 157n, 158 et n, 159n, 160 et n, 161n, 162 et n, 165 et n, 166n, 167 et n, 168 et n, 169n, 170 et n, 171 et n, 172n, 177 et n, 178 et n, 184 et n, 185n, 186 et n, 187 et n, 188 et n, 189n,

indeX onomastique

191n, 213n, 214n, 222n, 227 et n, 228n, 243, 349, 373 et n, 374 et n, 375n, 376 et n, 377 et n, 378n, 379 et n, 380 et n, 381 et n, 382n, 383n, 384 et n, 385n, 386 et n, 387 et n. Durand de saint-pourçain (Guillaume) : 199n, 260. Du rousseau de La combe (Guy) : 122, 153, 154 et n, 156n, 157n, 158n, 159n, 160n, 163 et n, 164 et n, 165 et n, 167, 168 et n, 170n, 171n, 172, 375n, 379 et n, 380 et n, 381 et n, 383n, 384n, 385 et n, 386 et n, 387n. Duval (andré) : 216n. éboli, prince : voir Gomez de silva (ruy). eck (Jean) : 287. écosse : 267n ; roi : voir Jacques V. Embrun, archevêque : 137, voir aubusson de La Feuillade (Georges d’) ; diocèse : 137. engel (Ludwig) : 350-351. éphèse, concile : 376n. escobar, prêtre : 69n. Espagne : 51n, 69n, 72, 85, 147, 304, 306, 312 et n, 315 et n, 318, 361 ; évêchés : 105 ; guerre de succession : 84, 145, 147, 312 ; roi  : 6, 149, 446n, voir charles  ii, philippe  ii, philippe iii, philippe iV, philippe V ; royaume : 72, 314 et n. estrée, abbé : 151. éthiopie : 334. étival, abbaye : 148. Eu, séminaire des Filles de la charité : 95, 99. eugène iV, pape : 257, 261n, 264, 277. Europe : 7, 17, 18, 25, 30, 53, 54, 56, 243, 254, 285, 312, 324, 325, 326, 331, 332, 336, 465 ; cours : 319 ; princes chrétiens : 452 ; protestants : 423. Ève, première femme : 331.

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Extrême-Orient : 51. eymerich (nicolas) : 46 et n. Faenza ou Regina Angelorum, abbaye : 237. Fagnani (prospero) : 178 et n, 179 et n, 180, 182, 208n, 377, 386n, 465. Falcaz-Grand (Joseph) : 147. Farel (Guillaume) : 425, 426. Farnèse (alexandre) : 8, 9. Febronius (Justinus) : 255n. Félix iii, pape : 176. Félix V, antipape : 254. Fénelon (François de salignac de La mothe-) : 147 et n, 400. Fénétrange, baronnie, seigneurie : 145, 146 ; école catholique : 146. Ferdinand ii, roi d’aragon : 112, 114. Ferdinand Vi, roi d’espagne : 315. Ferentino, collégiale saint-etienne : 65 ; évêque : 65n, 72. Fernández de Velasco (Juan) : 188. Ferney : 151. Ferrare, archiprêtre  : 73n ; légat  : 27 ; province : 23. Ferrari (Giuseppe) : 360 et n. Ferraris (Lucius) : 71n. Ferreri (Zaccaria) : 279 et n, 280. Ferté (La), abbaye : 228 ; abbé : 229n, voir sauvageot (Yves). Ferrière (claude et claude-Joseph de) : 157n, 166n, 213n, 374n. Févret (charles)  : 163n, 166n, 170n, 185, 186n, 187 et n, 188, 189n, 192 et n, 213n, 214 et n, 215 et n, 216n, 217n, 221 et n, 223n, 375n, 376n, 378 et n, 380 et n, 383n, 386n. Fiesole, évêque : voir martelli (Braccio). Fieux (Jacques de) : 97 et n. Flandre : 200, 235, 236n. Fleury (claude) : 138, 139n, 189n, 376, 383.

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indeX onomastique

Florence : 363 ; cardinal : voir médicis (alexandre de), Léon Xi. Foix (paul de) : 44 et n, 244. Fongeallaz (Jean-François) : 147. Fontana (Vincenzo maria) : 216n, 218n, 221n. Foucart (Jean) : 236n. Fourcroy (charles de) : 223n. Frain (sébastien) : 156n, 164n. France : 5, 10, 80, 81, 91, 94, 105, 113, 127n, 128, 130, 137, 138, 139, 140, 141 et n, 142, 143, 144, 145, 149, 152, 153, 155, 158, 165n, 167, 172, 177, 180, 184, 191, 193, 197, 213, 214n, 223, 229n, 233, 234, 239, 246, 247, 253, 254, 255 et n, 257, 258, 259, 261, 262, 263, 265, 269, 273, 293, 296, 297-308, 310n, 315, 316, 330, 379, 382, 383n, 385n, 386 et n, 393, 399, 402, 420n, 461, 466 ; chancelier : voir aguesseau (henriFrançois d’) ; cour : 237 ; coutume : 217 ; dominicains (couvents dominicains, provinces dominicaines)  : 213-225 ; église  : 188, 263, 375, 376, 393, 399, 420n ; évêques  : 382n ; privilèges : 41n ; révolution : 440 ; roi  : 6, 44n, 80, 138, 140, 148, 153, 184, 185, 186, 196n, 209, 217, 237, 238, 239, 245, 266, 269, 271, 273, 284, 293, 328, 329, 446n, voir charles Vii, charles Viii, charles iX, clovis ier (roi des Francs), François  ier, François  ii, henri  ii, henri  iii, henri  iV, Louis  iX, Louis  Xi, Louis  Xii, Louis  Xiii, Louis  XiV, Louis  XV, Louis  XVi, pépin le Bref (roi des Francs), philippe iii, philippe iV ; royaume : 118, 137, 200, 215, 236, 239, 246, 268, 319 ; trône : 312n. Francfort, diète : 253.

Franche-Comté : 200. François de sales, saint : 69n. François ier, roi de France : 81, 182, 183, 286, 294, 328. François ii, roi de France : 210. Franconie : 235. Fresneda (Bernardo de) : 112. Funchal, diocèse : 327. Furbi (Jacques) : 434n. Gaius, jurisconsulte : 413, 414. Gasparri (pietro) : 6, 64n, 66n, 72n, 73n, 120, 409. Gênes, évêque : 72. Genève : 140, 143, 144, 145, 151, 293, 423-437, 460, 466 ; bourgeois : 436 ; cathédrale saint-pierre : 426, 430 ; chapitre de la cathédrale  : 144n ; évêque : voir La Baume (pierre de) ; quartier saint-Gervais  : 424, 430 ; pont du rhône : 431 ; république : 144 ; seigneurie : 429. Genève-Annecy, diocèse : 145, 150, 151 ; évêque : 137, 148, voir Biord (Jeanpierre), rossillon de Bernex (michelGabriel de) ; grand vicaire  : voir Falcaz-Grand (Joseph), Fongeallaz (Jean-François), Goy (François), ribiollet (Jean-Baptiste), salteur de La salle (pompée) ; oicial : voir reydellet (Louis-emmanuel). Genevois : 144n. Genthod : 436. Gerbais (Jean) : 253 et n, 384n. Gerson (Jean) : 282n, 377, 384n. Gesualdo (ascanio) : 236n. Gex : 144 et n, 151 ; pays : 140, 144, 145, 150, 151, 158. Ghislieri (michele) : voir pie V. Giacobazzi (Domenico) : 258, 282 et n. Giannetti (Guido), da Fano : 37n. Gibalin (Joseph) : 459.

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gilbert de voisins (pierre) : 168. Giraldi (ubaldo) : 62n, 70n. Girard (etienne) : 189n. Goa, diocèse : 327, 330. Goldast (melchior) : 271n, 274n. Gómez (Luis) : 386n. Gómez de silva (ruy) : 112. Gondi (Jean-François de) : 231. Gontieri (François-maurice de) : 141. Gonzaga (ercole) : 38n. Gonzaga (famille) : 38n. Gonzaga (Giulia) : 45n. Gordes : 142. Goult : 142 ; grefe : 142n. Goy (François) : 147. Grasse, diocèse : 155. Gratien, auteur du Décret : 123n, 176 et n, 177n, 179n, 181n, 185, 187n, 197, 201, 277, 376, 412, 434. Grégoire  ier, pape (saint Grégoire le Grand) : 176. Grégoire Vii, pape : 378, 382n, 440. Grégoire iX, pape : 48n, 119, 120, 181n, 332n. Grégoire Xiii, pape : 5, 45n, 110, 333, 334 et n. Grégoire XV, pape : 47, 233, 237, 299n, 301. Grenade, auditeur de la chancellerie : voir covarrubias y Leiva (Diego de) ; chancellerie : 110, 115 ; royaume : 328. Grenoble  : 140, 150, 272n ; diocèse  : 145, 151 ; évêque : 140n, 148, voir Le camus (étienne) ; oicial : 142 ; parlement : 150, 167n. Grimani (Giovanni) : 35n, 40 et n, 41. Grimaudet (François) : 184n, 185 et n. Grossi (antoine) : 143n. Grotius (hugo) : 391, 440, 441 et n, 442 et n, 446 et n, 448 et n, 449 et n, 452 et  n, 453 et  n, 454 et  n, 455 et n, 460.

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Guérin de tencin (pierre-paul), dit le cardinal de tencin : 309n, 310 et n, 316, 320. Guicciardini (Francesco) : 20 et n, 24 et n, 273 et n. Guidi di Bagno (niccolò) : 302. Guillart (charles) : 182, 183 et n. Guise (charles de), cardinal de Lorraine : 40n, 41n. Guymier (cosme) : 256 et n, 258, 259, 263, 269, 459 et n. Guyon (Jeanne-marie Bouvier de La motte-), dite madame Guyon : 145. Guyot (Jacques-nicolas) : 213n, 214n, 222n. habsbourg (famille, monarchie) : 109, 110, 112. harlay (achille de) : 300. harlay de champvallon (François)  : 302n. hauriou (maurice) : 414. havelberg (anselme de) : 416n. hefele (Karl Joseph von) : 408. Heinrichau, abbaye : 236. hélyot (pierre) : 232n. hénault (charles-Jean-François) : 376n. henri Viii, roi d’angleterre : 82. henri ii, roi de France : 292. henri iii, roi de France : 88, 304n, 307, 308. henri iV, roi de France : 44, 45, 244, 293, 297, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 305, 308. henri, prédicant à Genêve : voir La mare (henri de). henrique (dom), évêque d’utique : 327. henry (pierre) : 235n. héricourt (Louis de)  : 153, 154 et  n, 157n, 159n, 160n, 162n, 164, 165 et n, 169n, 170n, 171 et n, 185 et n, 186n, 191 et n, 192, 193n, 205n,

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375n, 376n, 379 et n, 380 et n, 381 et n, 382 et n, 383n, 384n, 385n, 386 et n. hermas, auteur du Pasteur d’hermas : 416n. hévin (pierre) : 156n. Hippone, évêque : voir augustin, saint. Hollande : 50. Hongrie : 235. honorius iii, pape : 181, 192. hontheim (Johann nikolaus von) : voir Febronius (Justinus). hooker (richard) : 445n. Hostiensis : voir suse (henri de). huss (Jean) : 288, 293. Île-de-France : 95. imbert (Jean) : 190 et n. Inde(s) : 50, 54, 316, 323, 324, 327, 328, 329, 334, 336, 339 ; conseil : 109, 111, 328 ; conseiller : voir quiroga y Vela (Gaspar). ingoli (Francesco) : 50 et n, 51, 52, 53 et n, 54, 55, 56 et n, 59, 330 et n, 336. innocent ier, pape : 176. innocent iii, pape : 19 et n, 66n, 128n, 177, 178, 181n, 204, 312n, 382n, 385n, 416n, 447. innocent iV, pape : 127n, 197, 221n, 326. innocent Viii, pape : 229n. innocent X, pape : 52n, 75n, 237 et n. innocent Xi, pape : 8, 21n, 26, 51 et n, 129n. innocent Xii, pape : 27. Irlande : 50. isabelle ire, reine de castille : 112, 114, 326. Italie  : 24, 91, 142, 237n, 238, 262, 306, 312n, 318, 382 ; conseil : 111 ; guerres : 267.

Jacovacci (Domenico) : voir Giacobazzi (Domenico). Jacques ier, roi d’angleterre : 448. Jacques V, roi d’ecosse : voir Jacques ier, roi d’angleterre. Jean, saint : 164. Jean chrysostome, saint : 186. Jean Damascène, saint : 59. Jean XXiii, antipape : 266. Jean XXiii, pape : 405 et n, 406. Jean X camateros, patriarche de constantinople : 416n. Jean (le prêtre) : 326. Jean-paul ii, pape : 410n, 415, 420 et n. Jedin (hubert) : 61, 260. Jérôme, saint : 260, 287. Jérusalem  : 379 ; ordre de saint-Jean  : 166n ; patriarche : 39. Jésus (tomas de) : 50. Joly (Barthélemy) : 232n. Joly de Fleury (Guillaume) : 85, 92. Josas, archidiacre : 166n. Joseph ii, empereur : 255n. Jouauld (pierre) : 220. Jousse (Daniel) : 154 et n, 156 et n, 162 et  n, 163n, 164, 165n, 167 et  n, 169n, 170 et  n, 171n, 175 et  n, 184n, 185n, 191 et n, 387n. Joyeuse (François de) : 306. Jules ii, pape : 43, 258, 265, 271, 272, 273, 275, 276, 277, 284, 285, 328n. Jules iii, pape : 35 et n, 38. Jumièges, bénédictins : 87. Junius Brutus (pseudonyme) : 455n. Justinien, empereur : 179, 349. Kasper (walter) : 416n. Keller (Bernhard) : 236n. Königsaal, abbé : voir urat (Georg). La Bastida (hernando de)  : 369 et  n, 370, 371.

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la Baume (pierre de) : 425. Lacoste (J.) : 228n. La croix (edme de) : 227n, 231, 232n, 236. La cropte de chantérac (Gabriel de) : 147. La Grange (Jacques de) : 146. La Haye, convention : 440. La mare (henri de) : 431. Lambertini (prospero) : voir Benoît XiV. Lancellotti (Giovan paolo) : 125n, 131 et n, 132n, 133n, 135, 177, 178 et n, 184, 191n, 349 et n, 377, 411 et n, 465. Landriano (marsilio) : 304 et n. Langres, diocèse  : 97n ; évêque  : voir Zamet (sébastien). Languedoc : 140, 141 et n ; états : 260. Languet (hubert) : 455. La palu (pierre de) : 260. La pérouse (François de) : 150. Lapeyrère (abraham) : 161n. La poix de Fréminville (edme de) : 171n. Largentier (claude) : 234n. La roche-aymon (charles-antoine de) : 151. La rochefoucauld (François de), cardinal : 216, 233 et n, 234, 238n, 301. Latran, iiie concile : 128n ; iVe concile : 39 et  n, 128n, 170, 380n, 416n ; Ve concile : 272, 277, 285, 384n. Launoy (Jean de) : 171n. Le Belin (Jacques) : 229n. Le camus (étienne) : 141, 150. Le caron (Louis) : 189n. Le coq (Jean) : 199 et n. Lefebvre (marcel) : 413n. Leipzig, dispute : 287. Leliis (héodore de) : 261. Léman, lac : 423, 424. Léon iV, pape : 181, 187. Léon X, pape : 203, 284, 285, 286, 328.

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Léon Xi, pape : 299, 300, 305, 306. Léon Xiii, pape : 59. Leoni (Gianfrancesco) : 386n. Léopold ier, duc de Lorraine : 148. Lescot (Jacques) : 216n. L’hospital (michel de) : 87. Lima, archevêché : 327, 336 ; tribunal : 339. Lisbonne, archevêché : 327. Lisieux (nicolas de) : 343. Locati (umberto) : 34n, 46 et n. Lombard (pierre) : 342. López de Gómara (Francisco) : 323 et n. Lorenzetti (ambrogio) : 24n. Lorraine : 137, 140, 145, 148, 152, 158 ; duc : voir charles iV, Léopold ier. Lorraine (charles de)  : voir Guise (charles de). Lorraine (charles de)  : voir mayenne (charles de Lorraine, duc de). Lothaire ier, empereur : 181, 187. Louis ier le pieux, empereur : 187. Louis iX (saint Louis), roi de France : 377. Louis Xi, roi de France : 263. Louis Xii, roi de France : 258, 265, 273, 274, 285. Louis Xiii, roi de France : 191n, 233, 302, 307. Louis XiV, roi de France : 8, 84, 147, 200, 203, 206, 238n, 307, 312n, 389, 390, 401n. Louis XV, roi de France : 85. Louis XVi, roi de France : 88. Louvain : 351. Louvet (pierre) : 219n. Louvois (François-michel Le tellier, marquis de) : 148. Loyseau (charles) : 130 et n. Luanda, évêché : 327n. Lubac (henri de) : 416n, 418. Lucanie : 235.

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lucet (Jean-claude) : 213n, 220n. Lucius iii, pape : 197. Luçon, évêque  : voir nivelle (pierre), richelieu (armand Jean du plessis, cardinal de). Lugo ou Luz, diocèse : 72. Lulle (raymond) : 326n. Luther (martin) : 286, 287 et n, 288, 330, 439, 460. Lyon : 141, 272 et n, 284, 349 ; archevêque : voir Guérin de tencin (pierrepaul) ; concile  : 267n ; iie  concile œcuménique : 416n ; diocèse : 137, 140 ; traité : 300, 304n, 306. Macao, diocèse : 327, 330. Macerata : 346. machiavel (nicolas) : 272, 360. macquer (philippe) : 376n. Madère, îles : 327. Madrid : 29, 51n, 111, 312, 349. magnin (pierre) : 436. maimbourg (Louis) : 376, 383, 384n. Maine, curés : 84. maintenon (Françoise d’aubigné, marquise de) : 401n. mair (Jean) : voir major (John). major (John) : 282 et n, 283 et n. Malacca, diocèse : 327, 330. manfredi (hieronimo) : 262. Manille, archevêché : 327. Mans (Le), couvent dominicain : 223n ; diocèse : 166n. marc, saint : 56. marca (pierre de) : 189n. marcel ii, pape : 295. maréchal (mathias) : 160n, 161n. marie-hérèse, impératrice : 312, 318. marillac (michel de) : 81n. Marseille, abbaye saint-Victor : 170n ; paroisse saint-martin : 170n. martelli (Braccio) : 295.

martínez silíceo (Juan) : 111. marx (Karl) : 254. maschat (remigius) : 62 et n. massarelli (angelo) : 38n, 295. masuer (Jean) : 199n. matthews (eugene) : 53. matthieu, saint : 278, 282, 387n. maugier (étienne) : 230, 231n. Maurienne, diocèse : 147. mauroux (Jean) : 257, 258, 259. maximilien ier, empereur : 285, 286. Mayence, province ecclésiastique : 137. mayenne (charles de Lorraine, duc de) : 297, 304. mazzolini (silvestro), da prierio : 286. médicis (alexandre de) : voir Léon Xi. médicis (catherine de) : 244. Melk, abbaye : 350. Melun, édit : 206. mendieta (Jéronimo de) : 50n. mermet (Jane) : 430, 431. mermet (tyvent) : 430. Metz, évêché : 140 ; évêque : 141, 146, voir aubusson de La Feuillade (Georges d’). Mexico  : 330 ; archevêché  : 327, 336 ; tribunal : 339. Milan  : 29, 274n, 276 ; archevêque  : voir Borromée (charles), Borromée (Frédéric) ; duché : 314n, 318. Milanais, gouverneur : voir Fernández de Velasco (Juan). mocenigo (alvise) : 21n. mocenigo (Giovanni) : 20. mocenigo (Filippo) : 44 et n. Modène, évêque  : voir silingardi (Gasparo). Monaco, principauté : 410n. Monieux : 142. monserrat (Guillaume de)  : 263, 264 et n. montaigne (Jean) : 258n, 259n.

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montchoisi (geofroy de) : 257. monte (pierre del) : 260, 262n, 266, 268. montélu (Geofroy de) : voir montchoisi (Geofroy de). Montferrat : 316. montjoie (Guillaume de) : 261n. Montlhéry : 305. Montpellier, université : 257. Mont-Saint-Michel (Le), archidiacre  : 166n. Moravie : 235. Morimond, abbaye : 228. morone (Giovanni) : 34n, 35n, 36, 42, 44, 45n. morosini (Giovanni Francesco) : 304n. Moulins, ordonnance : 83, 87, 189, 205, 245. Moûtiers : 140. Moyenmoutier, abbaye : 148. Mühlberg, bataille : 291. Münster, traité : 157n. muratori (Lodovico) : 24 et n. Murs : 142. muzzarelli (Girolamo) : 35 et n. Nancy : 148 et n ; diocèse : 148. Nantes : 220 ; édit : 144. Naples : 111, 346 ; royaume : 32n, 36n, 118, 312, 314 et n, 316, 317, 318, 346, 408. napoléon ier, empereur : 126n, 420n ; code : 408, 409, 410. Narbonne, concile : 207. Nassau, prince : 146. Navarre  : 171n, 306 ; conseil  : 109n ; roi : 306. navarre (henri de) : voir henri iV. navarre : voir azpilcueta (martin de). néron (pierre) : 189n. Nervesa, abbé : voir Brandolin Valdemarin (marcantonio). Nevers, évêque : 387n.

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Nice, évêque : 137. Nicée, concile : 289. nicolas ier, pape : 176, 177. nicolas V, pape : 261, 326. nicomédie (nicétas de) : 416n. Nimègue, traité : 157n. nivelle (pierre) : 227n, 229n, 231n, 232 et n, 234 et n, 236n. Nizelles, abbé : voir Foucart (Jean). noailles (Louis-antoine de) : 145. Nordeste : 337. Normandie  : 155, 157n, 160n, 165n, 166n. Nouvelle Espagne : 329, 332n, 335. Occident  : 30, 93, 408, 411 ; grand schisme : 297 ; patriarche : 381n, 418. olive (simon d’) : 172 et n, 375n, 376n, 382n. optat de milève, saint : 186, 381. Orange, diocèse : 143. orgemont (pierre d’) : 199 et n. Orgeval, curé : 166. Orient : 48 ; église : 398. Orléans, assemblée du clergé  : 265 ; ordonnance : 87n, 128n, 154, 163, 166 ; université : 265. Ornex : 144 ; jésuites : 145. orsini (Flavio) : 304. Orval, abbaye : 92. ossat (arnaud d’) : 299. Otrante, archevêque  : voir Di capua (pietro antonio). Oulx : 140. ovide : 284 et n. Pagliano, chapitre : 73. Palatinat : 145, 146. paleotti (Gabriele) : 28 et n, 29, 34n, 245. Palerme : 253 ; archevêque : voir tedeschi (niccolò), dit panormitain.

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Palestine : 332. Palestrina, diocèse : 73. pallottini (salvatore) : 62 et n, 64n, 72n, 73n. pamphili (Giovanni Battista)  : voir innocent X, pape. pandolini (Francesco) : 274n. panormitain : voir tedeschi (niccolò). panvinio (onofrio) : 39 et n. papinien : 365. papon (Jean) : 190 et n. Paris : 82n, 83n, 144n, 147, 189n, 219n, 243, 257, 258, 264n, 265, 267, 274, 302, 304, 312, 409 ; archevêque : voir Gondi (Jean-François de), harlay de champvallon (François) ; châtelet : 88, 95, 101 ; collège de navarre  : 171n ; collège des Bernardins : 234n ; cour : 233 ; couvent de saint-Jacques : 216, 217, 223 ; couvent des bénédictines du saint-sacrement : 89n, 95, 98 ; couvent des chanoinesses du saintsépulcre : 95, 97 ; couvent des Filles de la croix de la maison des tournelles : 95, 98 ; couvent des Filles-Dieu : 88, 89n ; couvent des hospitalières de la miséricorde : 88n, 95, 101 ; couvent des jacobins de la rue du Bac  : 95, 103 ; couvent des jacobins de la rue saint-Dominique  : 88n, 95, 102 ; couvent des jacobins de la rue sainthonoré : 89n ; curé de saint-Jacques de la Boucherie : 172n ; curé de sainteustache : 85 ; dominicains : 219n ; évêque : 204, voir orgemont (pierre d’) ; faculté de décret : 258, 263, 267 ; faculté de théologie : 283, 286 ; lieutenant général de police  : 95, 102 ; monastère de port-royal : 88, 231n ; missions étrangères  : 330 ; monastère de sainte-catherine-du-Val-desécoliers : 90 ; oicial : 85 ; parlement :

10, 82, 84, 85, 90, 91, 157n, 158n, 159n, 164 et n, 166 et n, 168, 169 et n, 170 et n, 172n, 175, 182, 183 et n, 190, 199, 201n, 202, 204, 205, 206n, 215, 217, 218, 219, 220, 221n, 222, 223, 224, 229n, 247, 263, 297, 298, 300, 302, 303, 304, 305, 306, 307, 308, 383n, 394, 401, 461 ; paroisse saint-eustache : 155 ; prieuré de saint-martin-des-champs : 89n ; prieuré de sainte-catherine de La couture : 90n ; sorbonne : 147, 216n ; université : 160n, 262n, 286, 343. pasquier (étienne) : 190 et n, 215n. passerini (pietro maria) : 218n. patru (olivier) : 170n, 373n, 376 et n, 377, 378n, 380n, 381n, 382n, 384n, 387n. paul, saint : 181, 186, 287, 332, 334, 381 et n, 414, 428n, 432n. paul de la croix, saint : 320. paul ii : 261n. paul iii, pape : 28, 35, 244, 329, 331, 333, 334n, 338. paul iV, pape : 19n, 35, 36 et n, 37, 38 et n, 40, 42, 43 et n, 44, 45 et n, 46 et n, 117, 244, 349. paul V, pape  : 299n, 301, 359, 364, 369n. paul Vi, pape : 406n, 413n, 420 et n. paul, jurisconsulte : 365. Pavie : 274, 277. Pays-Bas : 55, 137, 147, 246, 454. pélage ii, pape : 277. pelayo (alvarez) : 260. peña (Francisco) : 46 et n. peñafort (raymond de) : 119, 120. pépin le Bref, roi des Francs : 450. périès (Georges) : 409 et n. Périgord : 84, 85. Pernambouc : 329n ; diocèse : 327. Pérou : 339.

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Pérouse : 349. perrin (anne) : 430. pertemps (claude) : voir Bonna (claude). petit (Jean) : 227n, 236n, 238. philippe ii, roi d’espagne : 36n, 105118, 245, 323, 329, 466. philippe iii, roi d’espagne : 107n, 232 et n. philippe iV, roi d’espagne : 110, 349. philippe V, roi d’espagne : 312n. philippe iii, roi de France : 204. philippe iV le Bel, roi de France : 269, 377. Philippines : 323, 327. piccolomini (enea silvio, Æneas silvius) : voir pie ii. pia (Bernandino) : 38n. pie ii, pape : 24 et n, 253. pie iV, pape : 37 et n, 38, 39, 40, 41, 44n, 45 et n, 46 et n, 336, 338. pie V, pape : 24, 28, 34 et n, 40 et n, 41 et n, 44n, 46n, 66 et n, 68, 71n, 244, 333, 334 et n, 339. pie Vii, pape : 303. pie iX, pape : 417 et n. pie X, pape : 22n, 49, 408, 409, 410. pie Xii, pape : 311n, 419. Piedra, abbaye, moine  : voir Vargas (martín de). Piémont : 140 ; diocèses : 316. Piémont-Sardaigne, royaume : 137. pierre, saint : 56, 280, 287, 310, 319, 359, 381 et n, 385 et n, 386, 397, 417, 421n. pierre Damien, saint : 401. pignatelli (antonio) : voir innocent Xii. pignatelli (Giacomo) : 70n. pillet (albert) : 410 et n. Pincerais, archidiacre : 166. pinsson (François) : 253n, 256n, 264n, 459n. Pise, podestat : voir Zati (niccolò).

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Pise-Milan, concile : 257, 265, 266, 267, 271-284, 285, 286, 294, 295, 384n, 460, 465. pithou (pierre) : 184n, 243, 375. Plaisance, cardinal : voir sega (Filippo). platina : voir sacchi (Bartolomeo). platon : 363 et n. Poblet, abbaye : 232. Policastro, diocèse : 72. Pologne : 235 ; guerre de succession : 312. Pomier, chartreux : 144. pontas (Jean) : 374n. Pont-de-Vaux : 140. Pontigny, abbaye  : 228 ; abbé  : voir Boucherat (charles). portinari (antonio) : 274n. Port-Royal des Champs, abbaye : 231n, 232n ; abbesse  : voir arnauld (angélique) ; religieuses : 231n. Portugal : 315n, 316, 327n, 328n, 329, 330 ; royaume : 118 et n, 314n. Postrof, école catholique : 146. pothier (robert-Joseph) : 208 et n. potier de La Germondaye (henrymarie) : 156n, 167n. pozzo, andrea : 323. Prague : 236. Prémontré, abbaye : 236n. prieras (sylvestre)  : voir mazzolini (silvestro), da prierio. probus (philippe) : 269. Provence : 140, 141 et n, 142, 143, 155, 246 ; parlement : 170n, 378. prüm (réginon de) : 197 et n. pufendorf (samuel von) : 440, 441 et n. Pyrénées : 137, 149 ; traité : 149, 157n. Quercy : 84, 85. quiroga y Vela (Gaspar de) : 111. ranuzzi (angelo maria) : 302. rapin (pierre) : 436.

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Ratisbonne, diète : 148. ratzinger (Joseph) : voir Benoît XVi. Ravenne, archevêque : 192 ; province : 23. rebui (pierre) : 181 et n, 182, 189n. régnier de La planche, Louis : 185n. Reims : 197n ; archevêque : 197n, 199, voir La roche-aymon (charlesantoine de). Rennes, parlement : 90. requesens (Luis) : 29. Revel, couvent dominicain : 222. reydellet (Louis-emmanuel) : 148. Rhin : 142. ribiollet (Jean-Baptiste) : 147. ricci (Giovanni Luigi) : 178. richelieu (armand Jean du plessis, cardinal de) : 216 et n, 227n, 233, 234 et n, 301, 302. richer (edmond) : 255n. richter (emil Ludwig) : 61. ridoli (niccolò) : 216n, 222, 223. ridoli (rosso) : 274n. Rieti, évêque : voir Binarino (alfonso). Rio de Janeiro, diocèse : 327. Riparia : 73n. robert Bellarmin, saint : 123n, 180, 308, 344-346, 357, 358 et n, 360, 364. robuster (famille) : 113. Rochelle (La) : 293. roda (Jerónimo) : 110n. rodriguez (emmanuel) : 49n. rohan (armand-Gaston de) : 142, 148. Romagne, légat : 27. Rome : 10, 17, 18 et n, 20 et n, 21n, 26, 27, 29, 32, 33, 34n, 36, 37, 38, 41n, 46, 50n, 51n, 53, 57, 58, 59, 60, 62, 108, 111, 117, 144, 150, 157 et n, 158 et n, 191n, 237 et n, 238, 244, 260, 261n, 262, 263, 272, 274, 275, 278, 286, 291, 298, 300, 306, 310n, 312, 316, 323, 324n, 325, 328, 329, 330 et n, 337, 339, 340, 346, 348n,

349, 375, 377n, 378, 381, 383n, 390, 399, 401, 402, 403, 405, 416n, 419, 461, 466 ; basilique saintpierre : 56n ; basilique saint-Jean de Latran : 380n ; basilique sainte-marie majeure : 26n, 311 ; cour : 144, 154, 160, 233, 235, 237, 314n, 377n, 384n, 390, 393, 397, 399, 401, 402, 403, 461 ; couvent sainte-sabine : 223 ; église : 330, 376, 378n, 380, 409, 410 ; église saint-ignace-deLoyola  : 323 ; évêque  : 417, 452 ; gouverneur : 23 ; monastère saintsylvestre : 177 ; vicaire : 68n ; vicariat : 22n ; vice-gérant : voir Binarino (alfonso) ; ville : 23. Romorantin, édit : 183, 184. roncalli (angelo) : voir Jean XXiii, pape. rosier (Bernard de) : 256, 258, 260, 261, 262 et n. rossillon de Bernex (michel-Gabriel de) : 143, 144n, 145n, 147, 148. Rottweil : 236n. Rouen : 166n ; archevêché : 247 ; couvent dominicain : 218 et n, 219 ; diocèse : 97n ; parlement : 166n, 206n. rousseau (Jean-Jacques) : 25n, 424. Roussillon : 158. routier (charles) : 165n. rovenius : voir Van rouveen (philip). ruier (marie) : 143. rufo (tommaso) : 27. Russie, révolution : 440. Ryswick, paix : 145, 148. sacchi (Bartolomeo), dit platina  : 39, 266. saint-amour (Guillaume de) : 343. Saint-Bertrand de Comminges, diocèse : 149 ; évêque  : 149, voir choiseul (Gilbert de). Saint-Denis, abbaye : 95, 96.

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Saint-Germain-en-Laye : 307. Saint-Jacques de Compostelle, archevêque : 111. Saint-Jean-de-Losne : 232n. Saint-Maur, congrégation : 90. Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, couvent dominicain : 222, 223. Saint-Papoul, évêque  : voir soybert (pierre). Saint-Paul-Trois-Châteaux  : 141 ; diocèse : 143. saint-pierre (charles-irénée castel de), dit l’abbé de saint-pierre : 25n. saint-simon (Louis de rouvroy, duc de) : 84, 85n. Saint-Sixte, cardinal  : voir Zacchia (Laudivio). saint-thomas (Guillaume-François carron, marquis de) : 150 et n. saint Victor (hugues de) : 342. Saint-Victor-et-Chapitre : 144 et n. Salamanque : 110, 111 ; école : 440, 441, 449, 460 ; université : 110, 112, 115. sales (François de), saint : voir François de sales. sales (pierre de) : 436. salisbury (Jean de) : 197. salomon, prêtre : 68. Salm, prince : 146. salteur de La salle (pompée) : 147. Salvador de Bahia, évêché : 327. Salvador du Kongo, évêché : 327 et n. Salzbourg, université : 350. San Benedetto di monte Subasio, abbé : voir Ferreri (Zaccaria). sandoval (famille) : 113. san Giorgio (Giovanni antonio), dit cardinalis Alexandrinus : 187. sanseverino (Federico di) : 272. Santes Creus, abbaye : 232. santoro (Giulio antonio) : 46n. São Francisco, leuve : 337.

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saraceni (scipione) : 359. Saragosse : 50n, 111 ; archevêque : voir Fresneda (Bernardo de). Sardaigne  : 316 ; roi  : 140n, 151 ; royaume : 314 et n, 316, 317, 318n. sarpi (paolo) : 357-371, 461, 466. Sarrewerden, comté : 146n. sartine (antoine de) : 93n. Sault : 142. sauvageot (Yves) : 234n. savigny (Friedrich carl von) : 409n. Savoie  : 137, 140, 145, 148, 304n, 312n, 425 ; décanat  : 141, 150 ; diocèses : 143 ; duc : 142, 144, 150 et  n, voir charles-emmanuel  ii, Victor-amédée ii. scaglia (Desiderio) : 52 et n, 53n. schmalzgrueber (Francisco) : 127n. schmitt (carl) : 443n. scott (James Brown) : 439 et n, 440, 441, 442n, 445n, 446n, 447n, 448n, 449 et n, 451n. scotti (ranuccio) : 302. Scythie : 370 et n. sega (Filippo) : 297, 304. Ségovie, évêque : voir covarrubias y Leiva (Diego de). selve (Jean de), l’aîné : 259, 264 et n. sénèque : 363, 364 et n. Sens, archidiacre  : 165n ; bailli  : voir cugnières (pierre de). Senones, abbaye : 148. Sept-Fons, abbé : voir Beaufort (eustache de). servet (michel) : 424. servin (Louis) : 305. servoz (antoine) : 431. sforza (alessandro) : 27. sicardi (Giorgio) : 348. Sicile : 235, 312n ; roi : 145 ; royaume : 312, 408. Sienne, palazzo publico : 24n.

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indeX onomastique

Silésie : 236. silingardi (Gasparo) : 300, 301. simancas (Diego de) : 110, 111n. simon (Denis) : 154n, 161 et n, 186n. sixte iV, pape : 408. sixte quint, pape : 21, 117, 299, 466. Soissons, archidiacre : 166n. soto (Domingo de) : 188, 451. soybert (pierre) : 259 et n. spada (Bernardino) : 52n, 301. spada (Fabrizio) : 302. staub (Benedikt) : 236n. Strasbourg, diocèse : 137, 142 ; évêque : 142, 148, voir rohan (armandGaston de) ; grand vicaire : 146, 148 ; vicaires généraux : 147. Styrie : 235. suárez (Francisco) : 58, 123n, 439, 441, 442 et  n, 445 et  n, 446 et  n, 447 et n, 448 et n, 449, 450, 451 et n, 453 et n, 454. Suisse : 235. suse (henri de) : 278, 326 et n. symmaque, saint, pape : 176, 177. talaru (amédée de) : 257. talon (Denis) : 157n. talon (omer) : 90, 91, 381, 383n. tancrède de Bologne : 192. Tarascon : 140, 141 et n. Tarentaise, diocèse : 143, 147 ; évêque : 148. Tart (Le), abbaye : 232, 232n ; abbesse : voir courcelle de pourlan (JeanneFrançoise de) ; moniales : 232n ; religieuse : 232n. tavera (Juan pardo de) : 111. tedeschi (niccolò), dit panormitain  : 179, 253 et n, 254, 258, 260, 286, 349, 384n. tencin (cardinal de)  : voir Guérin de tencin (pierre-paul).

Tendilla, comte : 118. terrevermeille (Jean de) : 259n. heveneau (adam) : 155, 156n, 159n. homas, saint, apôtre : 332. thomas d’aquin, saint  : 20, 58, 93, 123n, 341, 374, 384n, 443, 445n. homassin (Louis)  : 70n, 374, 385n, 386. honon : 145. tissot (simon-andré) : 143. Tolède, archevêque  : voir carranza (Bartolomé de), martínez silíceo (Juan), quiroga y Vela (Gaspar), tavera (Juan pardo de) ; chanoine : voir quiroga y Vela (Gaspar). torquemada (Juan de) : 261 et n, 268. Toscane : 235, 312. Toul : 141, 148 ; diocèse : 137 ; évêché : 140 ; évêque : voir Fieux (Jacques de). Toulouse : 260, 263, 265 ; archevêché : 44n, 244, voir Foix (paul de) ; parlement : 163n, 164, 205, 206n, 265, 266, 273 ; université : 260, 265, 266, 268. tournai (étienne de) : 197. Tours, assemblée du clergé : 265, 267 ; concile : 87. Trappe (La), abbaye : 89. Trente, concile : 6, 9, 19, 28, 33, 35, 39, 40, 41 et n, 61, 62, 65, 66, 70, 72, 74, 75 et n, 76, 87, 105, 106, 110, 116, 118, 119, 120, 121n, 122, 123, 124, 128 et n, 129 et n, 131, 134n, 135n, 138, 139, 154, 155, 156n, 157, 158, 163, 165n, 167, 170, 187, 228n, 236, 244, 245, 285-296, 297308, 323, 329, 330, 341, 343, 345, 384 et n, 385, 386, 396, 397, 408, 454, 460, 461, 465, 466 ; évêque : 177. Trèves, archevêque  : 148n ; province ecclésiastique : 137.

indeX onomastique

trionfo (agostino), d’ancône : 260. Trois évêchés (Les) : 137, 140, 148n. Troyes, évêque : 168, voir Benoist (rené), Bossuet (Jacques-Bénigne). Tübingen, école : 309n. Turin : 144n, 150, 316 ; cour : 144, 153 ; diocèse : 145 ; université : 147. turinaz (charles-François) : 409 et n. Tuy, diocèse : 69n ; évêque : 69n. ubaldini (roberto) : 301. Ugento, évêque : voir Barbosa (agostino). ugoni (mattia) : 258. ulpien : 365, 367 et n. urat (Georg) : 236n. urbain Viii, pape : 52, 71n, 229n, 231n, 232n, 299n, 300, 301, 302, 306, 307, 320n. Urbino, légat : 27. Utique, évêque : voir henrique (dom). Vaison-la-Romaine, diocèse : 141, 143 ; évêque : 140, 245. Val d’Aran : 149 ; oicial : 149. Valence [espagne] : 232n. Valence [France] : 272n. Valenti-Gonzaga (silvio) : 314 et n. Valla (Lorenzo) : 20n. Valladolid : 111 ; chancellerie : 110, 111, 115 ; université : 111, 115. Valois (rois) : 299. Valréas : 140. Valromey : 158. Valteline : 306. Van espen (Zeghert Bernhard)  : 69n, 167, 168, 213n, 215n, 220n, 221 et n, 351-352. Van rouveen (philip) : 55. Vargas (martín de) : 231n. Vatican, cité  : 18n, 410 et  n, 440 ; ier concile : 9, 11, 123 et n, 129 et n, 254, 405, 406, 408, 409, 410, 417,

501

421 et n, 461 ; iie concile : 10, 45n, 121, 131n, 134, 254, 343, 344, 353, 405, 406, 407, 414, 415, 418, 420, 459, 460, 461. Vattel (emer(ich) de) : 440, 441. Vaucouleurs : 140. Vaud : 144n. Vaussin (claude) : 227n, 234, 235n, 236 et n, 237 et n. Vàzquez (rodrigo) : 110n. Vega (hernando de) : 111. Velarde (pedro) : 110, 111. Vendôme (Louis de Bourbon, duc de), dit le cardinal de Vendôme : 307. Venise : 37n, 304n, 357-371 ; patriarche : 39. Venturini (Gaspare) : 24n. Verdun : 141 ; évêché : 140. Verricelli (angelo maria) : 53n, 59 et n. Versailles, cour : 141, 144, 151. Versailles (pierre de) : 257. Versoix : 151 et n ; presbytère : 145. Vervins, traité : 306. Vicence, chanoine  : voir saraceni (scipione). Victor-amédée ii, duc de savoie : 144n, 145n. Vienne [autriche] : 312 ; traité : 312. Vienne [France] : 141 ; archevêque : 137 ; concile : 198. Ville (charles-emmanuel de) : 140n. Ville-en-Sallaz, curé : 144. Villeneuve-lès-Avignon : 140, 141 et n. Villers-Cotterêts, ordonnance  : 81, 86, 125n, 189, 191n, 202, 203, 207. Vincennes, assemblée : 199n, 201n, 204. Vio (homas de), dit cajetan  : 258n, 265, 267 et n, 268, 271-284. Viret (pierre) : 292 et n, 430, 432. Vischer (Lukas) : 411n. Vitoria (Francisco de) : 326n, 439, 441 et n, 442 et n, 443 et n, 444 et n,

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indeX onomastique

445, 446, 447 et n, 449 et n, 450 et n, 453 et n, 454. Vitré (antoine) : 83n. Voltaire (François marie arouet, dit) : 151, 311, 424 et n. warens (Louis-eléonore de) : 144. Wettingen, abbé : 236n, voir Bachmann (christoph), Bürgisser (Gerhard), Keller (Bernhard), staub (Benedict). wolf (christian) : 440, 441. Worms, diète : 287 ; évêque : 146. Zacchia (Laudivio) : 52n. Zacharie, pape : 450. Zamet (sébastien) : 232 et n. Zamora, évêque : voir simancas (Diego de). Zapata (famille) : 113. Zati (niccolò) : 273n.

taBle des matiÈres

Introduction par Brigitte Basdevant-gaudemet et alain tallon.........................

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première partie les ecclésiastiques dans l’europe catholique (Xve-Xviiie siÈcle). pluralisme Juridique et conFlits d’autorités Première section

les instances romaines Le « buon governo » et les conlits des hiérarchies administrative et religieuse dans l’état pontiical par François Jankowiak .................................................................. 17 Conlitti d’autorità tra vescovi, papato e Sant’Uicio par elena Bonora ............................................................................ 31 La congrégation de la Propagande : une instance centrale pour l’élaboration d’un statut juridique du clergé missionnaire par giovanni pizzorusso ................................................................ 47 L’évolution du statut canonique du clergé paroissial tridentin d’après la congrégation du Concile par carlo Fantappiè ........................................................................ 61

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taBle des matiÈres

Deuxième section

clercs et hiérarchies dans l’état Inscrire les clercs dans l’état. La monarchie française, les ecclésiastiques et le gouvernement par l’écrit (xvie-xviiie siècle) par olivier poncet .......................................................................... 79 « Des créatures de Votre Majesté ». Choix et contrôle des évêques par Philippe II dans les couronnes de Castille et d’Aragon (1556-1598) par ignasi Fernández terricabras ................................................ 105 La nature canonique des charges exercées par l’évêque et ses auxiliaires, du droit classique au code de 1917 par Brigitte Basdevant-gaudemet ............................................... 119 Grands vicaires et oiciaux des diocèses de frontière (xviie-xviiie siècles) par Frédéric meyer ......................................................................... 137 Les curés entre collateurs, évêques, patrons et vicaires. Le point de vue des juristes français (xviie-xviiie siècles) par Jean-louis gazzaniga ............................................................... 153 Troisième section

droits et justices Le juge d’église et la loi royale, entre autonomie et soumission par anne rousselet-pimont .......................................................... 175 Le déclin des oicialités à l’époque moderne par olivier descamps ...................................................................... 195 Les procédures d’appel comme d’abus des dominicains à l’époque moderne par ninon maillard........................................................................ 213 Entre droit cistercien, droit canonique et droit de l’état : la juridiction de l’abbé de Cîteaux au xviie siècle par Bertrand marceau ................................................................... 227

taBle des matiÈres

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conclusions de la première partie Conclusions par marc venard ............................................................................. 243 seconde partie les ecclésiologies entre théologie et droit canonique (Xve-Xviiie siÈcle) Première section

omneS ut univerSi. les ecclésiologies dans l’église Le spectre du conciliarisme chez les canonistes français du xve et du début du xvie siècle par patrick arabeyre ....................................................................... 253 Le pouvoir ecclésiastique : question canonique ou théologique ? Filippo Decio, Cajetan et le concile de Pise-Milan par Benoît schmitz ......................................................................... 271 Le conciliarisme au risque du concile : les ecclésiologies conciliaires au temps du concile de Trente par alain tallon .............................................................................. 285 La diplomatie pontiicale à l’épreuve de la réception du concile de Trente en France (xvie-xviie siècles) par Bernard Barbiche et ségolène de dainville-Barbiche ...... 297 L’ecclésiologie de Benoît XIV par olivier descamps ...................................................................... 309 Une église aux dimensions du monde : expansion du catholicisme et ecclésiologie à l’époque moderne par charlotte de castelnau-l’estoile ........................................ 323 Sacramentalité de l’épiscopat et conciliarisme du xvie au xviiie siècle par laurent villemin ...................................................................... 341

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taBle des matiÈres

Deuxième section OmneS ut Singuli. les ecclésiologies et les pouvoirs

Entre antiromanisme catholique et républicanisme absolutiste : Paolo Sarpi (1552-1623) et la défense du bien public au temps de la crise de l’Interdit vénitien (1606-1607) par sylvio hermann de Franceschi ............................................. 357 L’ecclésiologie des juristes gallicans (xviie-xviiie siècles) par Jean-louis gazzaniga ............................................................... 373 Les deux puissances selon les écrits du chancelier d’Aguesseau par marie-France renoux-zagamé ............................................... 389 Les enjeux ecclésiologiques de la codiication du droit canonique. Quelques rélexions sur la portée de l’option choisie en 1917 par hervé legrand .......................................................................... 405 qui odit correptionem peribit. Genève et la discipline ecclésiastique de Calvin d’après les registres du Consistoire par guerric meylan ........................................................................ 423 L’inluence des confessions religieuses dans la formation du droit international public par matthias schmoeckel .............................................................. 439 conclusions de la seconde partie Conclusions par patrick arabeyre ....................................................................... 459 conclusion générale Conclusion générale par Jean-louis gazzaniga ............................................................... 465 Résumés..................................................................................................... 469 Index onomastique ..................................................................................... 483

IMPRESSION, BROCHAGE

Imprimeur - Relieur

42540 ST-JUST-LA-PENDUE JUIN 2013 DÉPÔT LÉGAL 2013 N° 201306.0044

IMPRIMÉ EN FRANCE

Fruit de la collaboration interdisciplinaire associant des juristes, des historiens, des canonistes et des théologiens, français comme étrangers, ce volume aborde les multiples facettes des relations d’autorité entretenues tant au sein de l’institution ecclésiale qu’entre les princes et les clercs à l’époque moderne. les approches sont nombreuses qui permettent de saisir ces dialogues riches et nuancés tenus par ceux qui servent tout à la fois monarchie et pouvoir spirituel. Formulation de normes juridiques subtiles, souvent susceptibles d’exceptions ; invention d’un pragmatisme sous l’empire des circonstances. telle est la réalité quotidienne, politique, religieuse, sociale, et telles sont les relations entre les divers degrés de la hiérarchie ecclésiastique ou avec les monarques souverains. la modernité connaît le phénomène conjugué de la centralisation pontiicale et de la centralisation monarchique, en pleine croissance, parallèlement à l’essor d’une sécularisation dans laquelle spirituel et temporel s’airment, voire s’afrontent, en deux sphères bien distinctes. Roi, ministres, parlement, doctrines politiques séculières ; pape, évêques, curés, religieux, orientations canoniques ; inspirés par la raison d’État ou celle d’Église, tous président ensemble aux destinées des populations. Leur coexistence et l’harmonie de leurs actions, pour être désirées et même idéalisées, ont-elles toujours résisté à l’épreuve de l’histoire ?

ISBN 978-2-35723-033-0

Prix France : 30 €