Imperium et sacerdotium: Droit et pouvoir sous l'Empereur Manuel Ier Comnène (1143-1180)
 9782503594156, 2503594158

Table of contents :
Front Matter
Introduction
Premier chapitre. Tradition constitutionnelle romaine et vision politique dominante
Chapitre II. Lois sacrées et Saints Canons
Chapitre III. Les présuppositions d’une expurgation canonique au XIIe siècle
Chapitre IV. Ubi Imperator ibi Ecclesia : OEcuménicité ecclésiastique – OEcuménicité politique
Chapitre V. L’idéal de la « synallélie réelle » entre l’État et l’Église
Chapitre VI. L’institution de Basileia en crise
Conclusion
Annexe – Bibliographie – Indices

Citation preview

IMPERIUM ET SACERDOTIUM

MEDIEVAL AND EARLY MODERN POLITICAL THEOLOGY

HISTORICAL AND THEORETICAL PERSPECTIVES

VOLUME 3 Series Directors Jaume Aurell, Universidad de Navarra, Pamplona Montserrat Herrero, Universidad de Navarra, Pamplona

Editorial Board Martin Aurell, Université de Poitiers António Bento, Universidade da Beira Interior, Covilhã William T. Cavanaugh, DePaul University, Chicago, IL Hent de Vries, Johns Hopkins University, Baltimore, MD Brad S. Gregory, Notre Dame University, Notre Dame, IN Paul W. Kahn, Yale University, New Haven, CT Julia R. Lupton, University of California, Irvine, CA Francis Oakley, Clark Art Institute, Williamstown, MA Heinrich Meier, Karl Friedrich von Siemens Stiftung, Ludwig‑Maximilians‑Universität, München Teófilo F. Ruiz, University of California, Los Angeles, CA

Imperium et sacerdotium Droit et Pouvoir sous l’Empereur Manuel Ier Comnène (1143-1180)

evangelos stavropoulos Avec une préface de brigitte basdevant-gaudemet

© 2021, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2021/0095/106 ISBN 978-2-503-59415-6 eISBN 978-2-503-59442-2 DOI 10.1484/M.MEMPT-EB.5.123092 ISSN 2565-862X eISSN 2565-9685 Printed in the EU on acid-free paper.

Table des matières

Préface

11

Abréviations

15

Introduction

17

L’Imperium et les responsabilités sacerdotales du Basileus-Législateur Premier chapitre. Tradition constitutionnelle romaine et vision politique dominante Publica magnificentia : Les Symboles urbains Ἔννομος ἐπιστασία (supervision légitime) La nature et les formes de l’État des Romains : Lois positives de l’État et idéologie impériale Chapitre II. Lois sacrées et Saints Canons Canons et Lois : Critères interprétatifs subjectifs et conditions objectives Νόμος – Κανών : Le vocabulaire juridique et la dialectique institutionnelle Les Images de la Loi : Sainteté et Justice. L’exemple de l’Édit christologique de 1166 Chapitre III. Les présuppositions d’une expurgation canonique au xiie siècle Changements aux critères herméneutiques de la tradition canonique L’Empereur comme protecteur et exégète de la tradition ecclésiastique et des saints canons La légitimité impériale et le droit canonique : Les positions des canonistes du xiie siècle

35 35 39 50 61 61 71 84 93 93 106 114

6

TABLE DES MATIÈRES

De la Res Publica à l’Imperium christianorum Chapitre IV. Ubi Imperator ibi Ecclesia : Œcuménicité ecclésiastique – Œcuménicité politique Extra Imperium nulla salus : Le Patriarcat de la Nouvelle Rome Constitutum Constantini : La réception idéologique d’une tradition politologique occidentale et sa délimitation juridique byzantine durant le xiie siècle La Donatio Constantini comme instrument de l’Idéologie impériale et du programme politique comnénien

131 131 145 154

Chapitre V. L’idéal de la « synallélie réelle » entre l’État et l’Église L’Empereur comme Réformateur de l’Église Vers une auto-réforme ecclésiastique L’Église comme facteur de stabilité politique

167 167 181 196

Chapitre VI. L’institution de Basileia en crise La critique du xiie siècle contre l’institution de Basileia Le scepticisme historique byzantin du xiie siècle comme forme de critique politique : L’exemple de Jean Zonaras

207 207 218

Conclusion

229

Annexe

233

Bibliographie

237

Indices

257

À mes parents

Ἐμεῖς ποὺ ξεκινήσαμε γιὰ τὸ προσκύνημα τοῦτο κοιτάξαμε τὰ σπασμένα ἀγάλματα ξεχαστήκαμε καὶ εἴπαμε πὼς δὲ χάνεται ἡ ζωὴ τόσο εὔκολα πὼς ἔχει ὁ θάνατος δρόμους ἀνεξερεύνητους καὶ μιὰ δική του δικαιοσύνη˙ πὼς ὅταν ἐμεῖς ὀρθοὶ στὰ πόδια μας πεθαίνουμε μέσα στὴν πέτρα ἀδερφωμένοι ἑνωμένοι μὲ τὴ σκληρότητα καὶ τὴν ἀδυναμία, οἱ παλαιοὶ νεκροὶ ξεφύγαν ἀπ´τὸν κύκλο καὶ ἀναστήθηκαν καὶ χαμογελᾶνε μέσα σὲ μιὰ παράξενη ἡσυχία. Γ. ΣΕΦΕΡΗΣ, ΜΥΘΙΣΤΟΡΗΜΑ, ΚΑ´

Nous qui étions partis pour ce pèlerinage Avons regardé les statues brisées, Nous nous sommes oubliés et nous nous sommes dit Que la vie ne se perd pas si facilement ; Que la mort a des chemins inexplorés Et sa justice ; Que lorsque nous mourons, debout, Confondus dans la fraternité de la pierre Unis par la dureté et la faiblesse, Les morts anciens ont franchi le cercle, Retrouvé l’existence, Et sourient dans un calme étrange. Georges Séféris, Mythologie XXI (tr. J. Lacarrière – E. Mavraki, Gallimard, 1963)

Préface

Le dialogue entre Imperium et Sacerdotium dans l’Empire byzantin du xiie siè‐ cle, telle est la belle étude qu’Evangelos Stavropoulos a présentée en juillet 2017 pour obtenir le doctorat en droit à l’Université Paris-Sud, devenue Université Paris-Saclay. J’ai eu le plaisir de suivre E. Stavropoulos au cours des cinq années d’élaboration de sa thèse à Paris et c’est également un plaisir de voir ce travail aujourd’hui publié, grâce aux éditions Brepols. L’auteur n’est pas tenté d’opérer une sorte de comparaison entre Orient et Occident. Il est particulièrement bien préparé pour nous livrer les réalités orientales du xiie siècle en les replaçant dans l’histoire propre à l’Orient et à son évolution depuis l’empire romain. Evangelos Stavropoulos apporte une contribution remarquable à nos connais‐ sances du droit et du pouvoir dans l’empire d’Orient du xiie siècle. Certes, les Byzantinistes ont déjà fort pertinemment scruté la nature et l’organisation des relations entre les deux puissances au Moyen Âge dans l’empire byzantin. Un grand nombre de leurs travaux se sont centrés sur les sources historiques ou ecclésiologiques. E. Stavropoulos innove en questionnant résolument la do‐ cumentation juridique. Pour analyser Imperium et Sacerdotium, E. Stavropoulos interroge essentiellement les sources juridiques, en remontant, chaque fois que nécessaire, à celles disponibles depuis le viie siècle car le droit du xiie siècle ne se comprend pas sans un regard vers les temps antérieurs. En Orient, la tradition romaine du droit classique se prolonge et se retrouve dans les sources juridiques du xiie siècle ; il s’ensuit une continuité marquante de la civilisation juridique romaine depuis l’Antiquité et tout au long du Moyen Âge. Le droit byzantin, la tradition des Basiliques, les Novelles depuis Justinien jusqu’à Manuel Ier sont utilisés, ainsi que les écrits et commentaires des jurisconsultes, dont naturellement Zonaras, Aristènos et Balsamon. Les sources ecclésiastiques permettent de voir les domaines de convergence ou d’écart entre droit canonique et droit de l’État et, sur cet aspect, les procès-verbaux d’assemblées synodales occupent une place fondamentale dans l’ensemble de l’importante documentation dépouillée. Pour l’auteur, la question n’est pas de savoir si, comme le disent nombre de byzantinistes, le régime politique est théocratique car tout dépend de la définition que l’on donne à ce terme. La thèse vise à montrer comment le droit de la tradi‐ tion romaine classique puis la législation byzantine sont juridiquement utilisés pour construire la relation entre Imperium et Sacerdotium. C’est dans cette continuité historique depuis plusieurs siècles, qu’il convient de se placer pour apprécier l’œuvre de Manuel Ier qui veut la renovatio ou plutôt de la restauratio imperii Romanorum. La Res publica romana est l’ordre politique

12

PRÉFACE

et juridique avec lequel il entend renouer. Jusqu’à un certain point, les traditions gréco-romaines de l’État permettent d’étayer l’empire du xiie siècle et ses liens avec le Sacerdotium. L’accession au pouvoir de Manuel Ier étant le résultat d’un coup de force, le nouvel empereur connait le risque qu’il encourt de voir sa légitimité contestée. L’appel à l’histoire d’une part, l’appel à la puissance ecclé‐ siastique d’autre part lui permettent de trouver les secours nécessaires dans les doctrines et les théories de l’État. Les donations qu’il accorde à l’Église doivent être interprétées comme signe de sa piété, pietas qui est l’une des caractéristiques fondamentales de l’Imperium alors que, parallèlement, l’Église sert la cohésion sociale. La politique ecclésiastique de Manuel Ier est délicate à saisir et peut paraitre changeante. Ce travail l’analyse, à travers les données juridiques, dans toute sa complexité. On constate qu’au cours d’épisodes variés, cette politique poursuit néanmoins un but constant : conforter l’autorité impériale et, surtout, la conforter par le droit. Législation, réformes institutionnelles, réorganisation des tribunaux, valorisation des images impériales, piété de l’empereur, tout concourt à donner ses fondements institutionnels à l’Imperium et à préciser ses liens au Sacerdotium. La pietas, valeur morale tant canonique que juridique, justifie les interventions de l’empereur dans les affaires ecclésiastiques et l’autorise à parfaire l’harmonisation entre les ordonnancements juridiques de l’Église et de l’État. L’empereur peut y procéder et le faire en fonction des préoccupations politiques qui sont les siennes en tant que responsable de l’État. L’image du Basileus, image sacerdotale voire sanctifiée, va dans le même sens car l’Église aide à la légitimation de l’État. Certains textes, comme les actes des synodes tenus à Constantinople en 1166 et 1170, affirment la suprématie impériale, au point de vue institutionnel, juridique, administratif et canonique. L’auteur montre le poids des institutions et des normes fondamentales du droit public de l’État. Ces dispositions institution‐ nelles juridiques sont plus déterminantes que la personne même du détenteur de l’autorité. L’État, dans sous tous ses aspects, est géré et gouverné par le droit. Ce droit, qui réside avant tout dans la loi et le pouvoir législatif impérial, établit des principes politiques stables et incontournables et reçoit le consensus du peuple. Il concerne aussi les institutions ecclésiastiques et – contrairement à ce que connait l’Occident – même les questions de foi ou de doctrine théologiques ou canoni‐ ques relèvent expressément de la compétence de l’empereur. Le droit canonique byzantin s’inscrit dans le droit public de l’État. Il en résulte naturellement une limite à l’autonomie de l’Église qui, pourtant, exerce une influence souvent déter‐ minante sur ce droit étatique. Le clergé patriarcal du xiie siècle est une sorte de comitatus ecclésiastique ou plutôt un sacrum consistorium chargé de responsabilités qui rappellent certaines des fonctions du Senatus Urbis constantinopolitanæ ; dans le même ordre d’idée, le droit pénal réprime l’hérésie en ce que les hérétiques sont tout à la fois des opposants à l’Église et à l’État. À travers les sources juridiques, la belle érudition que possède E. Stavropoulos lui permet de présenter avec une grande finesse l’agencement des deux puissances et la suprématie de l’Imperium dans l’Empire d’Orient du xiie siècle. Il dégage

PRÉFACE

parfaitement la théorie institutionnelle ainsi construite et éclaire cette histoire souvent trop mal connue, surtout des chercheurs du monde occidental, histoire pourtant fascinante. Brigitte Basdevant-Gaudemet Droit et Sociétés religieuses Professeur émérite de l’Université Paris-Saclay

13

Abréviations

ACHCByz B. BB BCH BD BF BHG BIDR BM BMGS BSGR Byzantiaka Byzantina Byz BZ BS ByzSym CCSG CSHB CFHB

CJ. C.I.C. C.Th. D. DOP DTC Ecl. B.

EIE/IBE ÉO Est.Byz.

Amis du Centre d’Histoire et Civilisation de Byzance, Paris, 2007Basilicorum Libri LX (Βασιλικά), v. I-VIII, Groningen, 1955-1988 (en grec). Byzantinobulgarica, Sofia, 1962Bulletin de Correspondance Hellénique, Paris, 1877Domus Byzantinus, v. 1-16, Athènes, 1987-2008. Byzantinische Forschungen, Amsterdam, 1929Bibliotheca hagiographica graeca, v. I-III, Bruxelles, 1957-1969. Bulletino dell’ Istituto di Diritto Romano, Milano, 1959Bibliothèque médiévale, Sathas, K. N. (éd.), v. I-VII, Venise, 1872-1894. Byzantine and Modern Greek Studies, London, 1975Bibliotheca scriptorum Greacorum et Romanorum Teubneriana, Walter de Gruyter, 1849Byzantiaka, Thessalonique, 1981Byzantina, Thessalonique, 1969Byzantion, Bruxelles / Paris / Boston, 1924Byzantinische Zeitschrift, Leipsig (München), 1892Byzantinoslavica, Prague, 1929Byzantina Symmeikta, Athènes, 1969Corpus Christianorum Series Greaca, Brepols, 1977Corpus scriptorum historiae byzantinae, v. I-L, Bonn, 1828-1897 (en grec). Corpus fontium historiae byzantinae, Washington D.C. / Berlin / New York / Vienne / Rome / Bruxelles / Thessalonique / Paris / Athènes, 1967- (en grec). Codex Justinianus Corpus Iuris Civilis, v. I-III, Berlin, 1817-1903. Codex Theodosianus, Theodosiani libri XVI, Berlin, Weidmann, 1905. Digesta (Πανδέκται). Dumbarton Oaks Papers, Cambridge / Mass., Washington D.C., 1941Dictionnaire de Théologie Catholique, v. I-XV, Paris, 1899-1950. Ecloga Basilicorum, Burgmann, L. (éd.) (coll. Forschungen zur Byzantinischen Rechtsgeschichte 15), Frankfurt am Main, Löwenklau, 1988 (en grec). The National Hellenic Research Foundation, Institute for Byzantine Research Échos d’Orient, v. 1-39, Paris, 1897-1941/2. Estudios Bizantinos, Madrid, 2013-

16

ABRÉVIATIONS

FM FRB GRBS Hellenica Inst. JGR JHS JÖB JRS KBE MANSI NE OCA OCP OLD PG series greaca PL series latina REB RIDA RP SC Scholia B. SG TM VV

Fontes Minores, Frankfurt am Main, 1976Regel, W. (éd.), Fontes Rerum Byzantinarium, v. I-II, Petropolis, 1892-1917 (en grec). Greek, Roman and Byzantine Studies, Duke University Press, 1958Ἑλληνικά, Athènes / Thessalonique, 1928Institutiones Justiniani (Εἰσηγήσεις). Jus Graecoromanum, v. I-VIII, Athènes, 1931 (en grec.) Journal of Hellenic Studies, London, 1880Jahrbuch der Österreichischen Byzantinistik, Vienne, 1969Journal of Roman Studies, London, 1911Centre des Études byzantines, Athènes. , J. D., Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, v. I-LIII, Paris Leipzig, 1901-1927. Νέος Ἑλληνομνήμων, v. 1-21, Athènes, 1904-1930 (en grec). Orientalia Christiana Analecta, Rome, 1935Orientalia Christiana Periodica, Rome, 1935Oxford Latin Dictionary, Oxford, 1968. Migne, J.-P., Patrologiae cursus completus v. 1-161 Paris, 1857-1866 Migne, J.-P., Patrologiae cursus completus v. 1-215, Paris, 1844-1855 Revue des Études Byzantines, Paris, 1944Revue International des Droits de l’Antiquité, Bruxelles, 1948Rhallis, G. A. / Potlis, M. (éd.), Σύνταγμα τῶν θεῖων καὶ ἱερῶν κανόνων, v. IVI, Athènes, 1852-1859 (en grec). Sources Chrétiennes, Paris, 1942Scholia in Basilicorum Libri LX, v. I-IX, Groningen, 1953-1985. Subseciva Groningana, Groningen, 1984Travaux et Mémoires, Paris, 1965Vizantijskij Vremennik, v. 1-25, Leningrad, 1894-1927.

Introduction

Le 1er avril 1081, le Domestique des Scholes Alexis Comnène entrait dans Constantinople à la tête d’un corps militaire séditieux, dans le but de renverser l’Empereur Nicéphore III Botaniate (1078-1081). Le coup d’état réussit et l’Em‐ pereur, âgé, fut contraint de se retirer au monastère de Périvleptos, abandonnant la pourpre pour revêtir l’habit monacal1. Tel fut l’acte constitutif de l’avènement de la dynastie des Comnènes sur le trône de l’Empire de la Nouvelle Rome, une famille puissante de propriétaires terriens militaires, originaire de Kastamonu de Trébizonde du Pont. Dans l’en‐ semble, la dynastie comnénienne offrit cinq empereurs au trône : i. Alexis Ier (1081-1118) ; ii. Jean II (1118-1143) ; iii. Manuel Ier (1143-1180) ; iv. Alexis II (1180-1183) ; v. Andronic Ier (1183-1185). L’entrée de la dynastie sur le devant de la scène coïncidait avec une des périodes les plus cruciales de l’Empire de la Nouvelle Rome ce qui se marque par deux séries de facteur, de caractère extérieur d’une part, intérieur d’autre part. Comme facteurs extérieurs, signalons que l’Empire se trouvait dans le tourbil‐ lon de la manifestation d’une série de fronts géostratégiques simultanés ainsi constitués : i. Les Petchenègues et les Coumans, peuples nomades de la steppe eu‐ rasiatique, opéraient du côté nord-est de l’Empire, en portant des coups décisifs. L’armée byzantine les repoussait après de très longs conflits et de lourdes pertes en effectifs humains et économiques. ii. La coalition serbo-hongroise ébranlait l’unité de la péninsule balkanique septentrionale, en créant les conditions néces‐ saire du développement de nations-États dotées d’une très profonde conscience antibyzantine, justement en raison de leur longue réduction en protectorat. iii. Les princes normands du royaume de Sicile reconnaissaient l’Empire byzantin comme le lieu idéal – géographiquement, économiquement, politiquement, idéo‐ logiquement – pour manifester leurs intentions expansionnistes, fait qui engendra, pour tout un siècle, des conflits incessants sur terre et en mer. Les intérêts byzantins vitaux dans la Grande Grèce italienne furent décisivement minés. Les Normands arrivèrent jusqu’à Larissa en 1081, en pillant systématiquement la Mer Égée et les villes byzantines côtières. L’écrasement de l’armée impériale à Brindisi en mai 1156 marqua la fin de la présence politique gréco-romaine autonome dans l’Italie du Sud. iv. Les Turcs seldjoukides et autres peuples turkmènes désordon‐ 1 Cf. Anne Comnène, Alexiade. Règne de l’Empereur Alexis I Comnène (1081-1118), Leib, B. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 1937), t. I, II.I-XII-III.III. Ioannis Zonaras, Annales, v. I-III, Pinderi, M. (rec.), CSHB, (Bonnae : Weber, MDCCCXCVII), t. III, XVIII., p. 720-733.

18

INTRODUCTION

nés, envahirent la péninsule de l’Asie Mineure à un rythme constant, réduisant l’élément gréco-romain à la marginalisation. La réaction des Byzantins et leur perception de la question furent trop tardives et, bien que ces peuples fussent affrontés de façon coordonnée par les Comnènes, il fut impossible de repousser leur avance, étant donné qu’un status quo géopolitique acquis s’était créé. v. L’espace plus étendu de l’Empire byzantin – idéellement et réellement – constitua le théâtre des opérations des deux premières croisades, dont les leviers de départ furent fondamentalement les Comnènes eux-mêmes. Les événements et leurs prolongements – idéologiques et géopolitiques – qui se prolongèrent rapidement de façon agressive sur le terrain théologique, accrurent les sentiments hostiles des deux côtés. vi. Les alliés géostratégiques des Byzantins – notamment Venise – se révélèrent des ennemis de premier ordre, car ils concluaient des accords d’alliance instables et utilisaient les traités octroyant des privilèges économico-techniques et commerciaux byzantins comme des leviers de sape de la stabilité politique intérieure. À long terme, ces alliés minaient les intérêts byzantins dans le bassin méditerranéen et apparaissaient dans la conscience des Byzantins comme un reflet idéal de la duplicité latine. Le contour historique fut marqué – théoriquement – par la lourde défaite des forces byzantines de Romain IV Diogène face aux forces seldjoukides d’Alp Arslan à Manzikert, au détroit de Tauride, en août 1071. Cette défaite venait confirmer de façon douloureuse l’effondrement des structures intérieures de l’Empire au xie siècle. Or, de la même manière, le siècle des Comnènes est associé à trois défaites « clés » sur le terrain de l’échiquier géopolitique : i. 18/X/1081 : L’armée d’Alexis Ier est vaincue à Dyrrachium par les forces du prince normand de Sicile Robert Guiscard. Les Normands avancent et s’emparent de Jannina et de Larissa. ii. V/1156 : Les Byzantins sont écrasés par les forces normandes à Brindisi. Cette défaite signifie la fin de la présence institutionnelle byzantine dans l’espace de la Grande Grèce italiote. iii. 17/IX/1176 : Les forces de Manuel Ier sont vaincues par les Turcs seldjoukides à la forteresse abandonnée de Myriokephalon. L’Empereur échappe de peu à la captivité et associe fatalement l’événement à la défaite de 1071. Désormais, et malgré les victoires importantes ultérieures, les possibilités de résistance de Manuel Ier s’épuisent. Il sombre dans la dépression avec de clairs signes paranoïaques, alimentée par une profonde angoisse messianique. Ces défai‐ tes n’impliquent pas nécessairement l’échec intrinsèque du programme politique impérial. Elles décrivent pourtant l’épuisement des résistances historiques de Byzance, malgré des efforts sincères d’adaptation à des conditions soumises à de brusques mutations. Comme facteurs internes, rappelons que l’Empire byzantin traverse la crise du xie siècle et se redresse grâce à ses profonds réflexes historiques. Nicéphore Bryenne affirmait à juste titre qu’Alexis Ier « ayant assumé le commandement des Romains dans des circonstances difficiles quand l’État romain périclitait, était

INTRODUCTION

tombé à terre et risquait de se disloquer et qu’il l’a parfaitement relevé en le portant au faîte de la gloire »2. Pour Alexis Ier Comnène cela signifiait deux choses : Premièrement, la leçon historique du xie siècle devait être vite assimilée et en profondeur, fait qui impli‐ quait une modification nécessaire et sans précédent de l’environnement établi de la conscience historique byzantine. En conséquence, Alexis Ier se devait de distinguer les situations en dehors des frontières de l’Idéologie impériale et de ses composantes métapolitiques. Il était tout au moins tenu de proposer un certain assouplissement des engagements rigoureux que la très longue vie historique romaine produisait et maintenait et, donc, aussi des traditions institutionnelles de l’État. S’il avait persisté dans la chimère de l’autorité et de l’autarcie éternelles de l’Empire romain – une conception bien ancrée qui avait pris forme sous les Macédoniens et avait été désastreusement léguée au xie siècle – soit il aurait risqué d’échouer dans un providentialisme immuable, soit il risquait d’être jeté sur les rochers des visions messianiques du sentiment d’une ivresse byzantine historique de supériorité singulière, présentant des caractéristiques clairement para-théologiques3. En second lieu, le mode de gouvernance devait tout d’abord revenir à une introversion structurelle, pour que le rétablissement nécessaire des forces centra‐ les pût se faire, et spécialement la préparation de l’armée, qui s’épuisait dans les conflits civils extrêmement couteux aux frontières d’Orient. Toutefois, cette introversion aurait semblé catastrophique, si elle n’avait pas été liée à la conscience de soi même de l’institution impériale, pour permettre à l’Empire de se montrer plus cohérent. En substance, l’Empereur devait clairement définir le contenu et la fonction de son image. Ce besoin était accru par le « chantage » de la vague spirituelle qui parcourait tout le xie siècle et s’ajoutait au puissant scepticisme his‐ torique byzantin, qui enrayait des réponses à caractère exo-historique, en donnant la priorité à l’homme, comme créateur et porteur de son histoire et même comme créateur de son propre destin. Cette introversion institutionnelle fut accompagnée d’une gouvernance de ty‐ pe centraliste, qui semble avoir été oubliée au xie siècle. Les Comnènes ne furent pas un mal historique nécessaire, mais le choix politique le plus conséquent pour l’époque, d’une dimension et d’une importance analogues à celles des Isaures et des Macédoniens. Par ailleurs, les composantes qui annonçaient le modèle d’une institution impériale christianisée, qui était dans le fond une forme de despotisme éclairé relativement désacralisé, avaient fait faillite avec l’optimisme anhistorique du xie siècle.

2 Nicéphore Bryennios, Histoire, Gautier, P. (éd.), CFHB 9, (Brussels : Byzantion, 1975), p. 71. 3 Dans le fond, s’il est possible d’utiliser la formulation de George Steiner à propos de la Révolution française et des guerres napoléoniennes, Byzance devait suivre le pas en accélération constante du temps vécu, dans un enregistrement du sentiment du temps qui induisait aussi un changement au rythme de la perception humaine : Steiner, G., In Bluebeard’s Castle, (Yale : YUP, 1971), p. 31.

19

20

INTRODUCTION

L’entrée décisive de l’aristocratie provinciale militaire sur le devant de la scène politique ne signifiait ni le recul ni l’endiguement des transformations spirituelles et sociales naissantes. En revanche, le conservatisme et les structures familiales rigides contribuèrent à la nécessité géopolitique pour l’Empire de reconstituer ses institutions, comme par exemple de l’institution des thèmes. La conscience d’eux-mêmes des gens qui étaient liés à leur terre et au lieu qui donna naissance à la puissance de leur maison, ne semble pas avoir créé d’esprit de clocher. Elle s’imposa sur l’urbanité timorée byzantine parce que, grâce à son immobilisme statutaire, elle n’acceptait pas de déplacements idéologiques de quelque sorte que ce fût. Ceci était accentué par le fait que les lettrés-bureaucrates urbains avaient du mal à réaliser que la proposition d’un changement politique ne constituait pas un exercice spirituel abstrait, mais qu’il devait être intégré dans la conjoncture historique précise. En substance, la classe des hauts bureaucrates lettrés byzantins du xie siècle ressemblait à une coalition d’une aile politique rénovatrice, en réussissant dans une large mesure à former le destin de l’Empire. Toutefois, malgré cette image moderne, les hommes étaient profondément conservateurs. Leurs conflits avec le mécanisme impérial central ne dépassaient pas les limites de la défense d’intérêts stricts. Leur coalition était régie par des règles de type fermé, dictées par de fortes considérations partisanes. En conséquence, ils furent finalement considérés par leurs contemporains comme des miasmes de la société4. Le xiie siècle comnénien fut vécu comme un printemps après l’hiver histori‐ que du xie siècle5. Ce sentiment permit de profiter de la stabilité politique, en renforçant la confiance en elle de la société byzantine. Sous Manuel Ier, le topos de la renovatio ou plutôt de la restauratio imperii Romanorum, se répétait : Théo‐ dore Prodrome appelait l’Empereur régénérescence et inauguration de la Nouvelle

4 Michel Psellos, « Λόγος κατά τινος λοιδορήσαντος αὐτὸν ἀφανῶς », in Weiss, G., Oströmische Beamte im Spiegel der Schriften des Michael Psellos, (coll. Miscellanae Byzantina Monacensia 16), (München : Institut für Byzantinistik und Neugriechische Philologie, 1973), p. 263 et passim. Idem., « Lorsqu’il se démit de la charge de protoasekrétis » (= Ὅτε παρητήσατο τὴν τοῦ πρωτοασηκρῆτις ἀξία), in BM, V, p. 171-176. 5 Eustathii Thessalonicensis, « IV. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in Regel, W. (acc.), Fontes Rerum Byzantinarium, Ι, (Petropolis : MDCCCXCII), p. 66. Cf. Stone, A. F., « Dorylaion revisited. Manuel I Komnenos and the refortification of Dorylaion and Soublaion in 1175 », REB 61 (2003), p. 183-199. Winnifrith, P., « Kaiser Manuel und die Ostgrenze : Rückeroberung und Wiederaufbau der Festung Dorylaion », BZ 55 (1962), p. 21-29.

INTRODUCTION

Rome6, renaissance des Romains7, tandis que Jean Diogène reconnaissait en sa personne le rénovateur de la ville8. Le sceptre de l’autorité des Romains9 traçait un espace où la continuité l’empor‐ tait sur la durée à l’égard à l’État. Cela signifiait que les traditions de l’État fournissaient l’axe d’une série de principes consolidés qui ne reflétaient pas de simples conjonctures idéologiques. Elles étaient par contre l’expression d’un ordo rerum qui non seulement tirait son origine des propositions de la Res publica romaine, mais les reproduisait aussi avec leurs conséquences. Cet ordre politique et juridique se répercuta au xiie siècle dans le principe de la piété comnénienne, un principe qui intégrait de très anciens mythes fondateurs, politiques et religieux, dans la tradition chrétienne et l’enseignement ecclésiastique. L’avènement sur le trône de Manuel Ier – à l’âge de 25 ans – s’accompagna d’un manque de légitimité. Cette proclamation ne fut pas exactement « non constitutionnelle », puisque Manuel était qualifié de vir optimus, comme l’image idéale du chef vertueux et compétent ; il pouvait effectivement répondre aux charges de la gouvernance10. Plus tard, cette idée fut enrichie de conceptions para-théologiques, pour établir que l’élection de Manuel Ier avait été une volonté de Dieu et non une convention de droit naturel. L’arrivée quasi « séditieuse » de Manuel Ier sur le trône et son intention de se faire reconnaître comme l’héritier légitime et non comme un usurpator, contribua au mécanisme de légitimation. Les dons économiques et les concessions à l’égard du clergé de la Grande Église constituèrent le premier levier de pression. Presque immédiatement après sa proclamation comme Empereur au campement de Cilicie, Manuel Ier ordonna au Grand Domestique Jean Axouch de se rendre le plus tôt possible à Constanti‐ nople, pour offrir – par Chrysobulle – au clergé patriarcal la somme de 100 pièces en argent. Si les dignitaires ecclésiastiques refusaient ce don, Axouch tenterait de faire fléchir leur résistance en leur offrant – par Chrysobulle – 100 pièces

6 Prodromos, « XVIII. An dem Kaiser, als er nach seinem Auszug in Lopadion weilte », in Hörandner, W., Theodoros Prodromos. Historische Gedichte, (coll. Wiener Byzantinistische Studien XI), (Wien : Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1974), p. 306. Idem., « XXXIII. », p. 369. Cf. Prodromos, « VI. Ἕτερος λόγος εὐχαριστήριος εἰς τὸν αὐτὸν αὐτοκράτορα ἐπὶ τῇ δωρεᾷ τοῦ ἐν τοῖς Μαγγάνοις ἀδελφάτου », in Theodori Prodromi, De Manganis, Bernardinello, S. (éd.), (coll. Università di Padova Studi Bizantini e Neogreci 4), (Padova : Liviana, 1972), p. 43-47. 7 Prodromos, « XVI. An den siegreichen purpugerenen Autokrator Ioannes Komnenos, als zum zehntenmal gegen die Perser auszog », in Prodromos, Historische Gedichte, p. 277. 8 Ioannis Diogenis, « XIX. Oratio ad Manuelem Comnenum Imperatorem », in FRB, p. 309. 9 Michel Italikos, « Basilikos Logos du même Italikos au Basileus et Porphyrogénète kyr Manuel Comnène », in Michel Italikos, Lettres et Discours, Gautier, P. (éd.), (coll. Archives d’Orient Chrétien 14), (Paris : Institut Français d’Études Byzantines, 1972), p. 276. 10 Ioannis Cinnami, Epitome, Rerum ab Ioanne et Alexio Comnenis gestarum, Meineke, A. (rec.), CSHB, (Bonnae : Weber, MDCCCXXXVI), p. 26, 28. Cf. Eusebius, Vita Constantini, I.21-22, 24.

21

22

INTRODUCTION

en or. Par bonheur, les dignitaires de l’Église se contentèrent du premier don et s’empressèrent de lui procurer les garanties de légitimité nécessaires11. Son don faisait dans une certaine mesure partie de ses obligations « consti‐ tutionnelles » envers l’Église. Le dépôt de l’apokoumbion sur la sainte Table entrait dans le cérémonial byzantin, signe de la faveur de l’Empereur à l’égard du Patriarche et de la dette de l’État envers Dieu12. Kinnamos mentionne que Manuel Ier déposa un apokoumbion comparable sur l’autel de sainte-Sophie13. Or rien n’interdit de considérer que les dons en argent précipités de 1143 ne faisaient pas partie d’un semblable « apokoumbion » généreux, accepté par l’Église comme un signe de la « piété » du jeune Basileus. Manuel Ier fit néanmoins preuve d’une constance remarquable : peu après son couronnement, en 1144, il émit deux nouveaux Chrysobulles14, par lesquels il étendait cette fois ses faveurs au bas clergé : i. les prêtres officiant publiquement et ii. les prêtres paroikoi. Ces allègements concernaient leur exonération du paiement de l’ensemble des impôts extraordinaires de l’État et s’appliquaient à la totalité du territoire impérial15. Les mesures législatives susmentionnées s’inscrivaient dans une planification politique de long terme, dans laquelle la place du clergé des divers degrés jouait un rôle fondamental. Manuel Ier se rendait compte que le clergé – spécialement

11 Nicetae Choniate, Historia, van Dieten, I. A. (rec.), CFHB 11 (1975), p. 80. Kinnamos, p. 29 -33. Cf. Barzos, C., La généalogie des Comnènes, (coll. Byzantine texts and studies 20a-b), I, (Thessalonique : Centre for Byzantine Studies, 1984), I, p. 391-398. 12 Sur le cérémonial impérial, voir à titre indicatif : « Les souverains entrent dans le sanctuaire, déposent leur offrande (τὸ ἀποκόμβιν) sur la sainte Table » : Constantin VII Porphyrogénète, Le livre de cérémonies, vol. I-II, VOGT, A. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 1935), I, p. 24 et passim. 13 Kinnamos, p. 33. 14 Manuelis Comneni, Nov. LII. Aurea bulla de immunitate clericum (a. 1144), in Zepos, J. – Zepos, P. (éd.), Jus Graecoromanum, I : Novellae et Aureae Bullae Imperatorum post Justinianum, (Athenis : 1931), p. 366. Balsamon, « Autre commentaire au Canon 4 du 7e Concile de Nicée », in Rhallis, G. A. – Potlis, M. (éd.), Syntagma des saints et sacrés Canons des saints et admirables Apôtres, et des saints Conciles œcuméniques et des conciles locaux et des saints Pères de chaque lieu, ΙΙ, Chartophylax, G., Athènes, 1852, p. 570. Dölger, F., Regesten der Kaiserurkunden des Oströmischen Reiches von 1025-1204, II, (München - Berlin : Beck, 1925), n. 1334 (1144), p. 63. 15 Voir Svoronos, N., « Les privilèges de l’Église à l’époque des Comnènes : un rescrit inédit de Manuel Ier Comnène », TM 1 (1965), p. 357. À titre indicatif, sur la situation économique du clergé et le système fiscal au xiie siècle, Cf. Bartusis, M. C., Land and privilege in Byzantium : the institution of pronoia, (Cambridge : Cambridge University Press, 2012), p. 66-78. Kazhdan, A., « Pronoia : the History of a Scholarly Discussion », Mediterranean Historical Review 10 (1195-1996), p. 133-163. Lemerle, P., « Recherches sur le régime agraire à Byzance : la terre militaire à l’époque des Comnènes », Cahiers de Civilisation Médiévale 2 (1959), p. 265-281. Hohlweg, A., « Zur Frage der Pronoia in Byzanz », BZ 60 (1969), p. 288-308. Magdalino, P., « The Byzantine Army and the Land : From stratiotikon ktema to Military pronoia », in Tsinakis, K. (éd.), Byzantium at War, (coll. International Symposium 4), (Athens : The National Hellenic Research Foundation, Institute for Byzantine Research, 1997), p. 15-36. Ostrogorsky, G., Pour l’histoire de la féodalité byzantine, (Bruxelles : Éditions de l’Institut de Philologie et d’Histoire Orientales et Slaves, 1954). Idem., « Pour l’histoire de l’immunité à Byzance », Byz 28 (1958), p. 165-254. Idem., « Die Pronoia unter den Komnenen », Zbornik Radova Vizantoloshkog Instituta 12 (1970), p. 41-54.

INTRODUCTION

le bas clergé – établissait des liens au sein de la population locale et garantissait son unité ; pour la population des campagnes, le prêtre n’était pas un dignitaire ecclésiastique, mais un travailleur qui peinait pour s’assurer du nécessaire, s’effor‐ çait de répondre à ses obligations fiscales à l’égard de l’État, comme tout sujet des classes moyennes ou basses. Les privilèges concédés aux prêtres visaient la même chose que l’Édit de 1173 qui obligeait les évêques à résider de façon permanente dans leurs provinces. L’objectif en était donc d’affermir l’unité de la périphérie, de la population provinciale et par conséquent de consolider la place géopolitique impériale. Ces mesures étaient en accord avec l’Édit d’Alexis Ier en 1107, au moins en ce qui concerne l’unité entre l’évêque, le prêtre et la communauté16. Cette unité constituait une relation juridique, et pas seulement naturelle, puisque non seulement elle imposait le séjour des dignitaires de l’État dans les provinces, mais constituait aussi une des obligations de l’Empereur17. Tels furent les actes juridiques relatifs aux relations de Manuel Ier avec l’Église. Mais ce qui suscita des questionnements, ce fut son implication dans la vie synodale et sa persistance à traiter de questions théologiques. Au début, il se montra plutôt indifférent, mais disposé à imposer ses conditions : Le 20 août et le 18 octobre 1143, fut jugée la demande de destitution de deux évêques de la métropole de Tyane accusés de bogomilisme. Les Synodes avaient été convoqués sur requête du Basileus. Mais ce qui est digne d’attention, c’est le fait que, sur les listes synodales, à la suite du nom du Patriarche et après l’énumération des évêques présents, figuraient les noms de deux dignitaires civils et d’un dignitaire ecclésiastique18. La présence des dignitaires civils reflétait une dévalorisation des traditions canoniques19, tandis que l’exception faite à l’archevêque de Bulgarie et le fait qu’il fut distingué des autres prélats était anticanonique et résultait sans doute de ses liens de parenté avec l’Empereur. Les grands Synodes de 1157 et surtout de 1166 et de 1170 constituèrent le comble du zèle de Manuel Ier et le prétexte pour la formation de son image comme celle d’un Empereur ayant un agenda politique rigoureusement théocratique. Sa politique ecclésiastique n’était pas indistinctement généreuse. Il faudrait, par exemple signaler l’exception concernant les Monastères, auxquels il concéda au début des privilèges et des allègements de charges, pour révoquer par la suite

16 Gautier, P., « L’édit d’Alexis Ier Comnène sur la réforme du clergé », REB 31 (1973), p. 198. 17 Cf. Kékaumenos, Strategekón, (coll. Texts d’Historiographie Byzantine 2), (Athénes : Kanakis, 1996), p. 272-275. 18 Michel l’Oxite, « Sémeioma synodal », in RP V, p. 85. 19 Voir à titre indicatif le Canon 12 de la 10e séance du Concile œcuménique dit viiie de Constantinople (869) : « Il est venu à notre connaissance qu’il n’est pas possible de se réunir en synode sans la présence d’archontes ; or nulle part les saints canons n’imposent la participation d’archontes aux synodes, mais seulement des évêques ; dès lors, nous ne rencontrons pas leur présence, à l’exception des synodes œcuméniques ; et il ne peut être légitime que les archontes temporels deviennent les spectateurs des choses qui se produisent par les prêtres de Dieu » : Hefele, Ch.-J., Histoire des Conciles d’après les documents originaux, IV.I, (Paris : Letouzey et Ané, 1911), p. 528.

23

24

INTRODUCTION

ces actes législatifs en affirmant qu’ils s’opposaient au droit en vigueur20. En restant fidèle aux traditions législatives, il interdit la construction de nouveaux monastères, tout en fournissant pourtant des motivations pour la restauration et le financement des monastères abandonnés21. Malgré son autoritarisme et sa volonté d’intervenir dans les affaires ecclésias‐ tiques, plusieurs éléments indiquent que la politique religieuse de Manuel Ier s’inspirait d’une intuition paradoxale, qui était guidée par des critères théologi‐ ques et surtout sociaux éprouvés. Deux exemples caractéristiques : i. En 1148, un juif, qui habitait à Attaleia et s’était converti au christianisme, eut recours à l’Empereur, parce que, entre autres, le serment qu’il prêtait aux tribunaux offensait sa religion paternelle, tout en offensant le nom de Dieu unique. En effet, ce serment, qui est conservé dans l’Hypomnèsis (Requête) impériale était une malédiction comportant des éléments populaires et d’intolérance très marquée. L’ordonnance de Manuel Ier prévoyait la suppression de ce serment, remplacé par un autre que le législateur avait incorporé dans le Livre du Préfet et qui n’avait que des caractéristiques théologiques n’offensant ni la confession ni l’origine de la personne22 ; ii. En 1180, l’Empereur eut un conflit avec le Synode patriarcal en raison de sa volonté de supprimer dans la Confession de Foi des Musulmans qui se convertissaient au Christianisme l’anathématisme du Dieu de Mahomet23. Manuel Ier considérait que cet anathématisme s’opposait aux doctrines et injuriait la divinité et spécialement Dieu le Père. Ce conflit atteignit son comble quand Eustathe de Thessalonique, un des plus fervents laudateurs de la dynastie, qualifia Mahomet de « chamelier pédéraste »24. Ce différend ne fut apaisé que lorsque le Synode décida de supprimer dans les livres de catéchisme la phrase « au dieu de Mahomet, anathème » et de la remplacer par la phrase plus modérée « à Mahomet et à tout son enseignement, anathème »25. La volonté politique de Manuel Ier – toujours sur les questions ecclésiastiques – se caractérise dans son ensemble par une intention de surpasser les tensions et d’apaiser les différends. Mais surtout, son programme politique et législatif renforçait la structure et la fonction publique de l’institution impériale. Cette valorisation compensait la dévaluation institutionnelle du Basileus tout au long du 20 Cette mesure fut instaurée en 964 par une Novelle relative de Nicéphore II Phokas (= Nicephori Phocæ, Nov. XIX. De monasteriis (a. 964), in JGR I, p. 249-252. Regesten, I, n. 699 (964), p. 90) pour être abrogée un peu plus tard par Basile II, comme contraire aux intérêts des Puissants et de l’Église (= Basilii Porphyrogeniti, Nov. XXVI. Quae legum Nicephori de monasteriis tillit (a. 988), in JGR, I, p. 259. Regesten, I, n. 772 (4.IV.988), p. 185). L’activation de cette mesure par Manuel Ier ne signifiait pas seulement son alignement à la législation de Phokas, mais aussi sa conformité à la loi en vigueur de la Β. V.3.8 = Νov. 131 c.7. Cf. Choniatès, p. 207. 21 Eustathii Thessalonicensis, Manuelis Comneni laudatio funebris, PG 135, 1009AB. Voir Choniatès, p. 206-208. 22 Manuelis Comneni, Nov. LV. De juramento Judeorum (a. 1148), in JGR, I, p. 373-375. 23 Darrouzès, J., « Tomos inédit de 1180 contre Mahomet », REB 30 (1972), p. 187-197. Choniatès, p. 216-220. 24 Choniatès, p. 216-217. 25 Ibid., p. 218-219.

INTRODUCTION

xie siècle et sa désacralisation systématique. Il allait presque de soi que Manuel Ier s’orienterait vers une mise en avant coordonnée des images impériales sacerdota‐ les pour rappeler le caractère divin de la Basileia et la signification de la pietas dans le fonctionnement de l’État et de la société. Évoquons aussi le phénomène du « césaropapisme byzantin » durant le xiie siècle et la problématique qui en émerge. En 1968, le professeur Stergios Sakkos publiait une étude relative à l’interpré‐ tation du verset Jn 14.28. Dans la deuxième partie, il traitait des Procès-Verbaux des synodes christologiques de 1166 et 1170. Sakkos semblait quelque peu em‐ barrassé par sa documentation et succombait à la tentation d’aller plus loin dans son travail. Le prétexte lui était fourni par la personnalité de Manuel Ier et sa politique ecclésiastique, dont Sakkos tenta de restituer l’essentiel à travers les textes des Procès-Verbaux26. Il semblerait qu’il ait été troublé par les formules « favorables au régime » : « Les Procès-Verbaux des deux Synodes [de 1166 et 1170] (…) ne sont que deux œuvres épiques, comme celles de l’Antiquité, qui exaltaient la genèse, les exploits et l’apothéose des demi-dieux des Babyloniens, des Grecs anciens et d’autres peuples, notamment asiatiques. »27 Son raisonne‐ ment rejetait a priori les caractéristiques sacerdotales de l’institution impériale, ce qui le poussait vers une critique anti-institutionnelle, qui ignorait l’histoire des institutions romaines. À titre d’exemple : « Manuel y est présenté comme le grand prêtre. Ce fait n’est pas sans rapport avec le fait que l’empereur idolâtre de l’ancienne Rome était simultanément le grand prêtre de l’État, le pontifex maximus. Cet important vestige de l’idolâtrie survit jusqu’au xiie siècle, dissimulé derrière les configurations pieuses de Byzance, sans être seulement une coutume, mais plutôt une essence ; cela nous permet d’entrevoir, comme à travers une petite ouverture, combien l’État byzantin apparaissait de temps à autre étranger à la foi chrétienne. »28 Enfin, les conclusions de sa recherche sont celles-ci : « Les deux Synodes portent explicitement toutes les caractéristiques de leur époque, une époque de déclin. (…) Un césaropapisme débridé de la part de l’empereur, une servilité infinie de la part des représentants de l’Église ; l’élément de la flagornerie s’introduisant abondamment jusque dans les Procès-Verbaux des Synodes. »29

26 Sakkos notait : « Examiner au préalable ce que disent les Procès-Verbaux des Synodes sur Manuel, n’est pas hors de propos. Car c’est ce qui nous permettra de connaître la nature et la qualité des Synodes et donc la mesure de l’influence exercée par Manuel sur ceux-ci » : Sakkos, St. N., « Mon Père est supérieur à moi », B. Querelles et Synodes durant le xiie siècle (coll. Atelier d’études de Grammatologie ecclésiastique 8), (Thessalonique : Université Aristote de Thessalonique, 1968), p. 39. 27 Actes, p. 39. 28 Ibid., p. 46-47. 29 Ibid., p. 95.

25

26

INTRODUCTION

Ces Procès-Verbaux de 1166 et 1170 ont été perçus par les historiens contem‐ porains comme le monument par excellence du césaropapisme byzantin. Pour Paul Magdalino, la corrélation était évidente : « Les événements de 1147 et de 1156 (à savoir les deux Synodes) peuvent être aisément considérés comme des essais pour les grandes assemblées et les grandes proclamations de 1166, qui constituent l’apogée du césaropapisme byzantin. »30 Un peu plus loin, il répète son opinion, en l’accompagnant d’une observation statistique : « La période ultérieure à Manuel (il se réfère à la période au moins après 116531), présentant une tendance plus forte de ‘césaropapisme’, ne fut accompagnée d’aucune abdication ou destitution de patriarche, comme ce fut le cas durant la première décennie de son règne. Entre 1156 et 1180, quatre patriarches furent intronisés, qui conservèrent leur charge jusqu’à la fin de leur vie, tandis que deux parmi eux – Luc Chrysobergès et Michel d’Anchialos – l’occupèrent pendant vingt et un ans au total. »32 Il est en effet paradoxal que, tandis que Magdalino admet que la stabilité des Patriarches n’impliquait pas une manifestation de servilité à l’égard de Manuel Ier, il continue d’utiliser le vocabulaire du « césaropapisme », en faisant abstraction du critère historique le plus important, qui aurait pu être un conflit institutionnel entre l’État et l’Église. Malgré son observation, il n’a tiré aucune conclusion, en continuant à voir dans le règne de Manuel Ier le paroxysme des conceptions césaropapistes byzantines. Michael Angold a suivi la même démarche. Dans sa monographie The Byzanti‐ ne Empire 1024-1204. A political History, sa critique simplificatrice est corroborée par des arguments puisés au droit canonique byzantin. Il observe : « L’œuvre du canoniste Théodore Balsamon (…) est indicative de la victoire de Manuel Ier et de ses partisans sur la Grande Église. Balsamon approuvait une conception réellement césaropapiste du pouvoir impérial. Il pensait que le Patriarche était en définitive responsable de ses actes devant l’empereur, qu’il décrivait comme l’‘observateur de la discipline de l’Église’. Il insistait pour dire que, si le Patriarche tombait dans l’erreur, il était soumis au jugement de l’empereur. De pareilles conceptions frôlent presque la trahison des traditions de l’Orthodoxie, qui insistaient sur l’indépendance définitive de l’Église. »33 Ces abstractions historiques peuvent conduire à une déstructuration et une sous-estimation des cadres historiques du droit et des institutions. Magdalino, en‐ couragé par les argumentations d’Angold, distinguait laconiquement la prévalence de l'Imperium sur le Sacerdotium dans l’utilisation du terme d’épistèmonarchès des

30 31 32 33

Magdalino, P., The empire of Manuel I Komnenos, 1143-1180, (Cambridge : CUP, 2002), p. 451. Ibid., p. 468. Ibid., p. 469. Angold, M., The Byzantine empire, 1025-1204 : a political history, (London - New York : Longman, 19972), p. 424-425.

INTRODUCTION

choses ecclésiastiques, terme attribué au xiie siècle à l’Empereur. Il note : « Balsa‐ mon n’hésite pas à accepter que l’empereur soit un épistèmonarchès qui peut juger un patriarche tombé dans l’erreur. »34 Tout au long de sa monographie The Empire of Manuel I Komnenos, 1143-1180, il renvoie au terme épistèmonarchès, assimilé à la politique autoritaire de Manuel Ier35. B. Tatakis, dans sa monographie La philosophie byzantine, insiste, avec la même agressivité, à propos du xiie siècle : « Comme la défense de l’orthodoxie s’identifie de plus en plus au salut de l’État, les empereurs, pour affronter les dangers intérieurs ou extérieurs, politiques ou spirituels, eurent recours au césaropapisme. Le fameux canoniste Balsamon justifie le césaropapisme, en disant que ‘la force et l’activité du Patriarche se confinent exclusivement à l’âme’. ‘L’Empereur, dit Balsamon, n’est soumis ni aux lois ni aux canons’. De cette manière, les archontes des choses temporelles sont aussi devenus archontes dans les choses spirituelles. En réalité, les empereurs étant au-dessus des lois et des canons, ils sont devenus des archontes absolus. »36 Gilbert Dagron a, à son tour, estimé que le terme épistèmonarchès des affaires ecclésiastiques faisait apparaitre les caractéristiques du césaropapisme byzantin, tant au niveau de la relation entre l’Église et l’État37, qu’au niveau du droit canoni‐ que38. Les abstractions – qui étonnent le lecteur fidèle de Dagron – conduisent à étudier le terme épistèmonarchès en relation avec la problématique chaotique de l’existence de la cérémonie de l’onction dans la tradition de l’État byzantin39. Pour Hans-Georg Beck, le « césaropapisme » de Manuel Ier fut lié à sa caricature théologique. Sa politique ecclésiastique reflétait l’image d’un Empereur mégalomane qui s’obstinait à vouloir se distinguer comme théologien. Bien qu’il semble que Beck ait pressenti la gravité des épisodes christologiques du xiie siè‐ cle40, il a préféré parodier Manuel Ier, en obscurcissant davantage les tentatives d’une exploitation lucide du matériau historique. Il écrivait : « L’Empereur Manuel Ier s’efforça obstinément de se montrer dogmatique. Or, ses efforts étaient marqués d’un tel amateurisme, que personne ne le prit vraiment au sérieux. »41 Et ailleurs : « Qui aurait envie de s’en prendre à la dogmatique risible d’un empereur comme Manuel Ier ? »42.

34 35 36 37 38 39 40 41 42

Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 471. Ibid., p. 450-451, 456, 460, 464, 478, 483, 492. Tatakis, B. N., La philosophie byzantine, (Paris : PUF, 19592), p. 137. Dagron, G., Empereur et Prêtre. Étude sur le « césaropapisme » byzantin, (Paris : Gallimard, 1996), p. 248-249. Ibid., p. 255-267. Ibid., p. 267-276. Beck, H.-G., Das Byzantinische Jahrtausend, (München : Beck, 1978), p. 138, 238, 259. Ibid., p. 138. Ibid., p. 238.

27

28

INTRODUCTION

La critique de Beck n’est guère originale, puisqu’elle ne consiste qu’en une répétition de certaines formules de Montesquieu. Pour autant, celle de Montes‐ quieu, bien qu’aphoristique, était accompagnée d’une problématique déterminan‐ te relativement à la nature même du régime politique : « Les empereurs grecs eurent si peu de prudence, que quand les disputes furent endormies, ils eurent la rage de les réveiller », affirmait Montesquieu, ajoutant qu’il s’agissait de certains empereurs, parmi lesquels figurait aussi « Manuel Comnène, proposèrent des points de foi à leur clergé et à leur peuple, qui aurait méconnu la vérité dans leur bouche quand bien même ils l’auraient trouvée. Ainsi, péchant toujours dans la forme et ordinairement dans le fond, voulant faire voir leur pénétration, qu’ils auraient pu si bien montrer dans tant d’autres affaires qui leur étaient confiées, ils entreprirent des disputes vaines sur la nature de Dieu qui, se cachant aux savants, parce qu’ils sont orgueilleux, ne se montre pas mieux aux grands de la Terre. »43 En revanche, les spécialistes de l’Histoire de l’Église ont pour leur part con‐ tourné la partie des formulations encomiastiques pour se pencher sur le fait que les décisions synodales ont favorisé l’Église, qu’elles ont sauvegardé ses acquis et renforcé le dogme. Phidas44 et Hefele45 sont des exemples caractéristiques de cette démarche. Hefele même, bien qu’il ait lu les Procès-Verbaux du Synode de 1166 du Vatic. gr. 1176, dans l’édition du cardinal Angelo Mai46 ne jugea pas important de consacrer des commentaires aux conceptions dites « césaropapistes » de Manuel Ier. La question soumise à examen n’est pas totalement inconnue grâce à la bibliographie contemporaine. Au contraire, un nombre considérable d’études ont été rédigées. Mais, dans notre étude, ce n’est pas la relation entre le Basileus et le Patriarche que nous souhaitons examiner, mais les principes sur lesquels se struc‐ turent les rapports institutionnels. Ces principes présupposent la distinction nette entre le pouvoir par lui-même et le titulaire de son exercice. Il s’agit d’étudier ici non les hommes, mais un ensemble de fonctions à caractère « constitutionnel ». Si le terme césaropapisme concerne l’évaluation de la politique de Manuel Ier, il ne correspond pas à un aspect partiel, mais aux fonctions d’un système politique précis. En l’espèce, ce système politique concerne Byzance, l’Empire romain d’Orient, que l’on considère comme ayant été administré selon les principes d’un régime politique théocratique. L’objectif central de la présente étude est d’éclairer la nature du régime politi‐ que byzantin, son identité et son caractère. En conséquence, nous tentons de re‐ formuler une série de questions : Quelle est la relation de ce régime politique avec

43 Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, (17341), XXII, p. 315. Voir aussi Burckhardt, J., Weltgeschichtliche Betrachtungen, (München : Beck, 2018), p. 146. 44 Phidas, Vl. Iο., Histoire de l’Église, II, (Athènes, 20023), p. 299-305. 45 Hefele, Histoire des Conciles, V.II, p. 1045-1052. 46 Mai, A., Script. Veter. Nova collection, IV, 1828, p. 1-96.

INTRODUCTION

les traditions gréco-romaines de l’État ? Quel est le lien de la civilisation juridique byzantine du xiie siècle avec l’environnement de la codification justinienne ? Ces questions enchâssent la problématique dite de la « théocratie » byzantine et du phénomène « césaropapiste ». Le choix du règne de Manuel Ier comme objet de recherche s’appuie sur la réception de celui-ci par les chercheurs contemporains comme la période la plus caractéristique du « césaropapisme » byzantin. La raison pour laquelle la présente étude se réfère à la dialectique de l’Impe‐ rium et du Sacerdotium est tout d’abord de nature pratique : « Un secteur de la vie publique ou un ensemble d’institutions ne peut être correctement appréhendé qu’en fonction de ses rapports avec les autres phénomènes sociaux. Par conséquent, les modèles sont des ‘réseaux’ complexes de notions et de généralisations autour de pans du champ politique et autour des principales conditions de sa consolidation. »47 L’axe de la recherche est la fonction institutionnelle et l’expression de l’Imperium. Sa référence relationnelle au Sacerdotium est : i. Historique : Elle est déterminée par les relations entre l’Église et l’État depuis l’Antiquité tardive jusqu’aux Temps Modernes. ii. Institutionnelle : Elle est décrite par le degré de coexistence et d’interaction de deux pylônes institutionnels de l’État. iii. Anthropologique, car le terme d’Imperium intègre la notion du sacré et partage dès lors la matière organique du Sacerdotium. De la même manière, c’est le Sacerdotium qui peut permettre de comprendre l’Institution impériale. L’outil fondamental de cette approche est le droit byzantin, particulièrement le droit public, dont on considère que le droit canonique fait partie. Cette orientation s’appuie sur une raison principale : Le droit byzantin constitue une terra incognita, un biotope d’ignorance. Dans leur majorité, les historiens du régime politique byzantin ont dédaigné l’étude du droit, en élaborant des réponses dépourvues de fondements puisées dans l’environnement des sources juridiques. Cette attitude – qui n’est qu’une réception généralisée de la question posée – émane en quelque sorte d’une conviction catégoriquement formulée : Le régime politique byzantin a été un régime théocratique. Cette proposition crée un préalable interprétatif qui oriente le jugement du chercheur : Si le régime est théo‐ cratique, le droit est dévalorisé, comme le pouvoir du Monarque, intrinsèquement transcendantal, épuise le pacte de la Cité, en imposant la volonté de Dieu à une société dont le sort est identifié à des facteurs supra-historiques. Mais en dehors de cela, il existe une pathologie épistémologique : Que veut-on exactement dire par régime théocratique ? Les sources retenues pour cette étude sont, au premier rang, de nature juridi‐ que. Il s’agit de saisir le droit de l’État alors en vigueur, ce pour quoi les 60 livres des Basiliques et leurs dérivés sont une base déterminante. À ce corpus, s’ajoutent les Novelles des trois empereurs Comnènes. Les commentaires herméneutiques

47 Held, D., Models of Democracy, (Stanford : SUP, 20063), p. 24.

29

30

INTRODUCTION

et exégétique apportent de précieuses réflexions et reflètent la dernière phase de la longue tradition scoliastique des prédécesseurs romains. S’agissant d’étu‐ dier l’Imperium et le Sacerdotium, nous avons naturellement dépouillé une large documentation canonique, actes du Patriarcat de Constantinople, dispositions synodales en tout premier lieu, mais aussi de nombreux actes épiscopaux et leurs commentaires doctrinaux. En plus, les dictionnaires byzantins, juridiques et étymologiques occupent une place importante parmi les sources primaires. Outre cette documentation juridique, nous avons fait appel à toutes sortes de sources pouvant compléter ou éclairer de corpus juridique et les traditions politiques. Le souci d’une lecture globale du droit au xiie siècle nécessitait aussi l’étude d’une série de sources antérieures. C’est dans ce cadre qu’a été intégrée l’approche des sources du droit canonique, dont l’étude et les commentaires ont prédominé durant le xiie siècle, notamment grâce au travail considérable des jurisconsultes, notamment d’Aristènos, de Zonaras et de Balsamon. L’étude du modèle politique byzantin et notamment de sa civilisation juridi‐ que est une question complexe, qui se prête difficilement à des généralisations. Ceci parce que dans la pensée des chercheurs, le binôme de l’homo politicus et de l’homo credens, résultat de la division moderne entre la morale et la politique, est toujours présent. Concernant le centre de la problématique, cela découle de l’attachement de la modernité à la tendance de « désacralisation » de la notion de droit, de sa réception comme un terme positiviste et objectivé, qui se forme à la suite d’un processus étroitement intérieur du consensus social48. Mais cette thèse met violemment de côté le socle archétypique et la constitution philosophique de la notion de droit et de ses émanations. Dans l’espace des recherches byzantines, cette attitude se reflète sur le dualisme État – Église. Le droit byzantin survit dans un environnement de stéréotypes, où l’observa‐ tion des phénomènes politiques constitue un privilège des historiens, mais non des historiens du droit. Le but poursuivi alors dans cette étude est de décrire ces phénomènes au travers de l’environnement du droit. C’est pour cette raison que cet axe a été considéré comme outil d’interprétation pour l’observation et l’analyse historique. Ce travail, par rapport à son noyau, peut être considéré comme une archéologie des sources, dont l’objectif est de faire revenir à la surface les notions élémentaires de l’Histoire du droit et des Institutions. Cette démarche obéit au souci d’envisager le droit byzantin comme un terrain de fouilles, de sorte que ce travail puisse mettre en évidence et énumérer les fragments du droit, pour reprendre une idée de Marie Theres Fögen49. 48 À titre indicatif, Rawls, J., A Theory of Justice, (Cambridge - London : HUP, 1971). 49 « Il en va des textes de l’Antiquité comme des pierres. Les récits de l’histoire romaine que nous livrent Tite – Live, Denys d’Halicarnasse, Diodore de Sicile, Cicéron et d’autres ne sont pas aisés à percer et apparaissent plutôt comme une accumulation naturelle, qui n’est assurément pas sans contradictions, mais d’éléments réels et imaginaires. Des historiens, en particulier des historiens du droit, se sont mis au travail pour y mettre de l’ordre. Certains ‘modules de texte’ ont été isolés et numérotés, considérés comme significatifs, d’autres rejetés comme inutilisables pour la reconstruction du bâtiment qu’il s’agit de recréer. Depuis Niebuhr, ce sont les pierres

INTRODUCTION

Cette « revisitation » visait à faire apparaître une partie de ce qui est abusive‐ ment désigné comme « civilisation constitutionnelle byzantine »50. Certes, ce terme ne correspond pas au terminus technicus de la constitutio romaine. À plus forte raison, il ne s’agit pas d’un effort pour l’intégrer dans le cadre des modèles constitutionnels actuels. D’ailleurs, il serait périlleux d’affirmer l’existence de constitutions dans le monde antique. On considère pourtant que l’ensemble des principes du droit public – tant écrits que non écrits que – constituent une excellente source d’où l’on peut extraire des règles de caractère constitutionnel, à savoir celles concernant les traditions fondamentales, les fonctions, les objectifs métaphysiques, moraux, sociaux de l’État, ainsi que la relation, les limites et les caractères de ses organes institutionnels. La question posée par le présent travail concerne donc le type et le caractère du régime politique byzantin. Comme pierre angulaire de cette restauration est ici considérée la dialectique de l’Imperium et du Sacerdotium durant le xiie siècle comnénien. Cette étude ne comporte pas de partie spéciale consacrée à la mise en avant de l’image impériale dans le droit international byzantin et notamment à la constitution et l’exécution de la politique extérieure comnénienne. La première raison en est que l’image impériale était une image œcuménique et, dès lors, sa description constitue sa projection ex rebus sur l’Œkoumène. La deuxième raison tient à ce qu’une pareille approche rendrait nécessaire une étude des images correspondantes au moins dans les royaumes occidentaux du xiie siècle. Or, il serait impossible de mener à bien une telle démarche, tant en raison d’un point de vue thématique, que par le volume de la recherche.

‘authentiquement historiques’ qui passaient, et passent encore, pour utiles ; les ‘poétiques’ passent pour inutiles. ‘Il faut déblayer beaucoup de gravats avant que les ruines utilisables soient mises à nu’. Voilà qui sonne comme le constat d’un archéologue au commencement des fouilles, mais c’est pourtant le constat d’un historien » : Fögen, M.-Th., Histoires du Droit romain. De l’origine et de l’évolution d’un système social, (Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2007), p. 2. 50 Sur l’importance de la civilisation constitutionnelle romaine-byzantine, Cf. Medvedev, I., « Y avait-il une constitution à Byzance ? Quelques considérations », in Avramea, A. – Laïou, A. – Chryssos, E. (éd.), Byzantium, State and Society. In Memory of Nicos Oikonomides, (Athens : Institute for Byzantine Studies, The National Research Foundation, 2003), p. 383-391. Beck, H.G, Res Publica Romana : Vom Staatsdenken der Byzantiner : Das byzantinische Herrscherbild, (Darmstadt : Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 1975). De Malafosse, J., La Monocratie byzantine, (coll. Recueil de la Société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions 21), (Bruxelles : Les éditions de la librairie encyclopédique, 1969). Pieler, P. E., « Zum Problem der byzantinischen Verfassung », JÖB 19 (1970), p. 51-58. Idem., « Verfassung und Rechtsgrundlafen des byzantinischen Staates », JÖB 31 (1981), p. 213-231.

31

32

INTRODUCTION

*** J’aimerais remercier de tout cœur Mme Brigitte Basdevant-Gaudemet pour la joie de la rencontre maître-élève, la confiance, l’honneur de travailler auprès d’elle et le courage et la discipline qu’elle m’a inspirés. Sans elle, le présent travail ne constituerait peut-être qu’un ensemble de pensées désordonnées.

PREMIÈRE PARTIE

L’Imperium et les responsabilités sacerdotales du BasileusLégislateur

PREMIER CHAPITRE

Tradition constitutionnelle romaine et vision politique dominante

Publica magnificentia : Les Symboles urbains Forum Constantini

Au printemps de 1105, Constantinople est frappée par une série de violents phénomènes météorologiques. Mais aucune des catastrophes matérielles provo‐ quées ne saurait être comparée à l’écroulement de la statue de Constantin Ier au Forum de Constantinople1. Déjà, le 11 mai 330, la statue dominait du haut d’une colonne de 50 mètres en porphyre au point le plus central de la capitale, à l’ombilic de l’Œkoumène romain2. Sa présence était liée à une série de fonctions de l’identité collective romaine, à un amalgame du passé historique et du destin impérial messianique3. Mais elle constituait surtout l’image de la corrélation institutionnelle de la Nou‐ velle Rome avec les anciennes traditions de l’État et un rappel de la présence de la Tychè de la ville4. Cette corrélation concernait la continuité des anciennes fonctions constitutionnelles romaines, une continuité qui constituait une source de légitimité, tant de l’État que de ses organes institutionnels au niveau de la civitas, de l’orbis romanus et de l’orbis terrorum. La statue détruite ne sera remplacée par une croix qu’à l’époque de Manuel Ier. Cet acte de l’empereur n’impliquait pas son intention d’être considéré comme un

1 Zonaras, t. III, XVIII.26, p. 755. 2 Voir Kaldellis, A., « The Forum of Constantine in Constantinople. What do we know about its original architecture and adornment ? », Greek, Roman and Byzantine Studies 56 (2016), p. 714-739. Ousterhout, R., « The life and afterlife of Constantine’s Column », Journal of Roman Archaeology 27 (2014), p. 304-326. Janin, R., Constantinople byzantine. Développement Urbain et Répertoire Topographique, (coll. Archives de l’Orient Chrétien 4a), (Paris : Institut Français d’Études Byzantines, 19642), p. 77-80. Mango, C. « Constantinopolitana : a. The Porphyry Column, Studies on Constantinople », Jahrbuch des Deutschen Archäologischen Institus LXXX (1965) p. 306-313. Idem., « Constantine’s Column in Cyril Mango, Studies on Constantinople », (Aldershot - Variorum, 1993), p. 1-6. Idem., « Constantine’s Porphyry Column and the Chapel of St Constantine », Bulletin de la Société archéologique chrétienne, 4/Χ (1981), p. 103-110. 3 Dagron, G., Naissance d’une Capitale. Constantinople et ses institutions de 330 à 451, (coll. Bibliothèque Byzantine 7), (Paris : PUF, 1974), p. 37-39. 4 Ibid., p. 43-47.

36

PREMIER CHAPITRE

nouveau Constantin le Grand5. Mais l’exaltation de la croix au Forum illustre la conception profondément enracinée selon laquelle l’Empire prenait en charge son destin historique, libéré de symbolismes idolâtriques de toute sorte. Les allusions des sources laissent percevoir que la statue du Forum décrivait plutôt les origines païennes de l’Empire que son identité chrétienne. La pointe de Glycas, par exem‐ ple, est claire sur ce point : la statue qui dominait le Forum était celle d’Apollon et ce fut seulement lors de la fondation de Constantinople que Constantin Ier lui donna son propre nom6. En effet, la statue du Forum représentait le Sol invictus christianisé7. L’exaltation de la croix constituait un acte plein à contenu constitutionnel. Le remplacement du symbole le plus central de l’Empire impliquait un déplacement des sources de la légitimité de l’État : les origines chrétiennes de l’État sont promues, en laissant au second plan les anciennes traditions romaines de l’État. Cet acte de Manuel Ier pourrait être qualifié comme une intention de refondation de l’Empire, du moins sur le plan symbolique. En général, c’est de cette façon qu’il dut le considérer lui-même puisque, comme rénovateur de cette sainte œuvre (καινουργὸς τοῦ θεῖου ἐκείνου ἔργου), il ne pouvait que décrire le renovatio imperii que son programme politique annonçait : Τὸ θεῖον ἔργον ἐνθάδε φθαρὲν χρόνῳ | Καινεῖ Μανουὴλ εὐσεβὴς αὐτοκράτωρ8. La proposition du pius princeps ne pouvait pas être source de légitimité politi‐ que9. En conséquence, il apparaît que la renovatio était aussi perçue par une partie de l’opinion publique comme un éloignement des anciens modèles étatiques romains, comme une accélération de l’écroulement des fonctions politiques et institutionnelles de l’Empire, sinon comme une hypocrisie manifeste à l’égard de Dieu et de l’État. Des critiques comme celle de Zonaras se trouvaient confrontées à un environnement de fervents partisans du régime qui ralliaient leurs intérêts 5 Voir Heather, P., « New men for new Constantines ? Creating an imperial elite in the eastern Mediterranean », in Magdalino, P., (éd.), New Constantines, The Rhythm of Imperial Renewal in Byzantium, 4th – 13th Centuries. Papers from the Twenty-sixth Spring Symposium of Byzantine Studies, St Andrews, March, 1992 (coll. Society for the Promotion of Byzantine Studies 2), (Aldershot : Variorum, 1994), p. 11-34. Mullett, M., « Alexios I Komnenos and imperial renewal », in Ibid., p. 259-268. 6 « Hoc tempore fulmen delatum in Constantini columnan, cui statua erat imposita, prius quidem Apollinis simulacrum sed deinceps Constantini nomen adepta, partem eius cum tribus cingulis dissecuit » : Glykæ, Annales, IV, p. 617. Voir aussi Alexiade, t. III, XII.IX, p. 66-67. 7 Janin, Constantinople byzantine…, op. cit., p. 79. 8 « Manuel, le pieux empereur, a restauré cette œuvre divine ruinée par le temps » : Janin, Constantinople byzantine, op. cit., p. 79-80. Ousterhout, « Constantine’s Column… », art. cit., p. 314-317. 9 Manuelis Comneni, Nov. LVI. Aurea bulla de instumentis ecclesiarum (1148), in JGR, I, p. 376. Regesten, II, n. 1372 (1148), p. 67. Voir Rösch, G., ΟΝΟΜΑ ΒΑΣΙΛΕΙΑΣ. Studien zum offiziellen gebrauch der Kaisertitel in spätantiker und frühbyzantinischer Zeit, (coll. Byzantina Vindobonensia X), (Wien : Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1978), p. 42-43. Hunger, H., Proimion. Elemente der Byzantinischen Kaiseridee in den Arengen der Urkunden, (coll. Wiener Byzantinistische Studien I), (Wien : Österreichische Akademie der Wissenschaften Kommission für Byzantinistik Institut für Byzantinistik der Universität Wien, 1964), p. 30-31, 66, 71, 102, 127, 153, 167.

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

autour de l’image de l’Empereur, dont la sacralité avait été déstructurée en raison de la profonde crise politique du xie siècle10. Cette tentative de réhabilitation de l’image impériale puise sa matière dans des caractéristiques réelles et idéelles, sans que cela signifie pour autant que les éléments réels soient dépourvus d’une intention d’idéalisation. L’idée de l’optimus est, par exemple, rappelée pour légitimer la montée quasi putschiste de Manuel Ier sur le trône et sa promotion dans les droits dynastiques par rapport à son frère aîné Isaac. Aussi les virtutes traditionnelles sont-elles soulignées en leur conférant ainsi une profondeur de connotations post – politiques, qui peut être récapitulée au travers de la proposition de l’image du Basileus comme imitateur du Christ. En tout état de cause, la légitimité impériale ne pouvait pas être puisée dans les seuls cadres constitutionnels donnés et cherchait de fait un contenu plus profond, dans une idéalisation traditionnelle mais ambivalente qui tendait vers la déification. Cela eut une résonance explicite sur le droit public, en créant une confusion au corps étatique qui était incapable de faire la distinction entre l’idéologie impériale et les lois positives de l’État11. Effectivement, il n’est pas possible de ne pas donner raison à Eustathe de Thessalonique lorsqu’il affirme que Manuel Ier était la voûte de l’État12. Il convient pourtant de remarquer que lorsque le lettré invoque la haute architecture du saint État du Basileus, il ne pense pas aux propositions constitutionnelles romaines, mais à l’Idéologie impériale13. Mutatis mutandis, l’idéologie tendait à sauvegarder la légitimité impériale et dès lors aussi le pouvoir, en puisant de façon coutumière et sélective dans les ancien‐ nes traditions romaines. La Loi comme Image : La Grande Église et l’Édit Pater maior me sit (1166)

L’idée de la Loi comme une grande image politique et cosmique est briève‐ ment présentée au Prooimion de l’Eisagogè14. La mise en exécution de cette idée 10 Voir Bury, B. J., « Roman emperors from Basil II to Isaac Komnênos », English Historical Review 4 (1889), p. 41-64, 251-285. Charanis, P., « The Byzantine Empire in the eleventh century », in Setton, M. K. – Baldwin, M. W. (éd.), A History of the Crusades, I., (Philadelphia : UPP, 1958), p. 177-219. Cheynet, J. C., « Dévaluation des Dignités et Dévaluation monétaire dans la seconde moitié du xie siècle », Byz. 53 (1983), p. 453-477. Hussey, J. M., « The Byzantine Empire in the eleventh century : some different interpretations », Transactions of the Royal Historical Society 32 (1950), p. 71-85. Jenkins, R. J. H., The Byzantine Empire on the Eve of the Crusades, (London : Historical Association, 1953). Oikonomidès, N., « L’évolution de l’organisation administrative de l’Empire byzantin au xie siècle (1025-1118) », TM 6 (1976), p. 125-152. Vlysidou, V. (éd.), The Empire in Crisis (?). Byzantium in the 11th Century (1025-1081), (coll. International Symposium 11), (Athens : National Hellenic Research Foundation, Institute for Byzantine Research, 2003). 11 Beck, Res publica…, op. cit., p. 381. 12 Eustathii Thessalonicensis, « Manuelis Laudatio funebris… », op. cit., p. 213. 13 Eustathii Thessalonicensis, « VII. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 126. 14 Epanagoge Prooemion, in JGR, II, p. 239. Voir Aerts, J. W. – van Bochove, Th. E. – Harder, M. A. – Hilhorst, A. – Lokin, J. H. A. – Meijering, R. – Radt, S. L. – Roldanus, J. – Stolte, B. H. – van der VAL, N., « The Prooimion of the Eisagoge », SG 7 (2001), p. 131-132. Voir Gaudemet, J., La Formation du

37

38

PREMIER CHAPITRE

se fit en 1065, lorsque l’Empereur Constantin X Doucas fit afficher au narthex de Sainte Sophie une de ses œuvres législatives15. Mais rien ne saurait être comparé à l’affichage monumental de l’Édit christologique de 1166 à la partie gauche du narthex extérieur de Sainte Sophie16. La conception et l’exécution de cet affichage d’un texte législatif présupposaient une série de références idéologiques fondamentales17. Or le texte en lui-même, hormis la densité de sa structure, fonctionnait de façon évocatrice, du moins dans la mesure où il constituait le dernier document législatif étendu du genre des constitutiones generales, avant la prédominance complète des leges speciales sous la forme de l’aurea bulla18. Ce choix de Manuel Ier était lié à la conception de la notion de l’espace public et de la place fonctionnelle que l’image impériale y occupait. Il convient en premier lieu d’examiner de plus près le fait suivant : les cinq plaques sur lesquelles le texte de l’Édit avait été gravé, étaient de marbre de haute qualité de Marmara et elles s’appuyaient sur de minces colonnes en porphyre. Leur hauteur – entre 4.11 et 4.12 m. – faisait d’elles la plus grande inscription conservée de l’histoire byzantine19. L’affichage de cette œuvre monumentale à l’exonarthex de la Grande Église signifiait en quelque sorte une tentative de captation de cette partie de la mémoire collective romaine20. De la même manière exactement que les représentations en mosaïque des Empereurs aux voûtes extérieures de Sainte Sophie renvoyaient aux moments les plus importants et aux idées fondamentales de l’Ordre romain du Royaume, Manuel Ier cherchait à faire partie de ce récit plutôt romanesque qu’historique21. Ce choix signifiait l’appropriation organique de l’espace de Sainte Sophie, par le biais certes de son évaluation comme le monu‐ ment le plus important de l’Empire. L’Empereur réévaluait l’ordre traditionnel de symboles au moyen de la mise en évidence de l’Édit, comme le miroir intelligible de sa piété et de son œuvre législative. On voit qu’il s’agit ici de la propagande impériale souhaitant faciliter la réception de l’Édit au travers de sa métaphore iconologique. Le passage du

15 16 17 18 19 20 21

droit séculier et du droit de l’église au ive et ve siecles, (Paris : Sirey, 1957), p. 163-176. Idem., L’Église dans l’empire romain ive et ve siecles, (Paris : Sirey, 1958), p. 467-483. Imp. Constantinos Doucas, « Nov. Ὅτι ὁ βασιλεὺς οὐκ ἔχει ἐξουσίαν ἀμείβειν τοὺς θρόνους », in RP, V, p. 274-276. Regesten, ΙΙ, n. 961 (1065), p. 15. Choniatès, p. 278. Kinammos, p. 256. Ephraem, p. 199. Anonyme, Synopsés Chronicé, in BM, VII, p. 302-303. Voir Cavallo, G. – Mango, C., « Épigraphie et Constitutions Impériales : Aspects de la Publication du Droit à Byzance », in Feissel, D. (éd.), Documents, droit, diplomatique de l’Empire romain tardif, (Paris : ACHCByz, 2010), p. 17-42. Karayannopoulos, J. E., Byzantinische Urkundenlehre. I. Die Kaiserurkunden, (coll. Textes et Études byzantins 4), (Thessaloniki : Center for Byzantine Research, 1972), p. 175. Mango, C., « The Conciliar Edict of 1166 », DOP XVII (1963), p. 317, 322-323. Voir Hunger, Literatur…, III, op. cit., p. 202. Voir Cormack, R., « The Emperor at St Sophia : Viewer and Viewed », Guillou, A. – Durand, J. (éd.) in Byzance et les Images, Cycle de conférences organisé au musée du Louvre par le Service culturel du 5 octobre au 7 décembre 1992, (coll. Louvre. Conférences et colloques), (Paris : La documentation Française, 1994), p. 223-253.

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

niveau du discours écrit au niveau de l’image soulignait que sur le plan des impressions, c’était l’image qui devait prédominer. L’appropriation de la Grande Église dépassait les limites d’une simple expression institutionnelle, mais pouvait expliquer pleinement ce choix de Manuel Ier : la Grande Église exprimait de façon récapitulative un ensemble de conceptions post-politiques, ou constituait plutôt l’image de symboles, puisque c’était elle-même qui constituait la source de sens et de pouvoir par excellence. Cela eut alors comme conséquence qu’avec l’appropriation de l’espace, l’Empereur entendait s’approprier un mécanisme ex‐ plicitement ecclésiastique : à Byzance il n’y avait pas place pour l’expression de l’individualité entre le spectateur et l’image. La sacralité de l’image fonctionnait de façon évocatrice dans la conscience du fidèle. C’était en quelque sorte à un ordre d’enregistrements analogues que visait aussi l’imagerie de la Loi.

Ἔννομος ἐπιστασία (supervision légitime) 22 Le redressement du modèle politique eusébien

En l’espèce, ce n’était pas tant la continuité politique qui prévalait, mais plutôt la transmission ininterrompue de la sainteté impériale23, qui constituait la garantie de la salus publica et du prolongement historique de l’Œkoumène romain. La continuité de l’État veut se rattacher à la monocratie d’Auguste Octavien24, tandis que le terme de la sainteté monarchique rappelle la personne de Constantin le Grand25. Ces deux points constituaient des axes fondamentaux de la théologie politique eusébienne qui, dès le début du ive siècle, furent primordiaux dans la civilisation constitutionnelle romaine et restèrent des critères constants d’inter‐ prétation de l’Histoire. Les rapports entre ces deux considérations reposent sur certaines références politiques qui acquièrent progressivement un caractère métaphysique. Un examen

22 Ἔννομος ἐπιστασία = supervision légitime : autorité revêtue de la force de la loi ; régime qui est conforme au droit, régi par le droit, avec la même autorité que celle reconnue à la loi, ayant valeur légale. 23 Pitsakis, K. G., « Sainteté et empire. À propos de la sainteté impériale : formes de sainteté ‘d’office’ et de sainteté collective dans l’Empire d’Orient ? », Bizantinistica III (2001), p. 179-227. Dagron, G., Empereur et Prêtre…, op. cit., p. 141-168. 24 Manassis, Breviarium Chronicum, p. 102-103. Zonaras, t. I, X.39, p. 431-432. Nili Doxapatrii, Notitia Thronorum Patriarchalium, PG 132, 1100B. Manasses, « Πρὸς τὸν Βασιλέα κυρόν Μανουὴλ τὸν Κομνηνόν », in Kurtz, E., « Eshche dva neizdannykh proizvedenyia Konstantina Manassi », VV XII (1905), p. 97. Voir Beck, Das byzantinische Jahrtausend…, op. cit., p. 21-22. 25 Dans le cas de figure d’Alexis Ier, l’intention de la littérature favorable au régime de l’associer à quelque chose de plus que la sainteté de Constantin Ier était très claire : Alexiade, t. III, VIII.7, p. 181. Voir Manassis, Breviarium Chronicum, p. 125-127. Buckley, P., « Alexios Komnenos as the last Constantine », in Nathan, G. – Garland, L., (éd.), Basileia : Essays on the Imperium and Culture in Honour of E.M. and M.J. Jeffreys, (Brisbane : Brill, 2017), p. 189-204.

39

40

PREMIER CHAPITRE

de l’évolution de la pensée de Michel Glykas permet de constater que l’idéalisa‐ tion de l’image d’Auguste Octavien avait déjà commencé dès l’époque de Jules César. L’incréé naturel (τοῦ μὴ γεννηθέντος) attribué à Jules César produisit une situation politique littéralement perçue comme une césure historique (une césa‐ rienne). Le pouvoir monarchique de César et en particulier l’établissement de la Res Publica sont soulignés par des termes rigoureusement positivistes : « Il donna des lois aux Romains et apporta l’indiction et l’année bissextile. »26 La sacralité de la monarchie sera récapitulée en la personne d’Octavien. Glykas mentionne : « César est aussi appelé par les Romains Auguste, quelque chose au-dessus des hommes ordinaires ; tout ce qui est hautement sacré et vénérable est appelé augusta. C’est pourquoi il fut aussi appelé vénérable, terme qui provient de la racine vénérer, comme s’il était quelque chose de sacré. »27 Sur un second plan, la monarchie romaine est associée à l’unité œcuménique que produisait la Pax Romana. Toutefois cette unité, bien qu’elle soit un exploit politique, est rehaussée au rang de la prophétie : « (Octavien) envahit toute la terre et mit fin aux toparchies, aux royaumes et aux guerres ethniques de toute sorte, pour que la prophétie d’Ésaü ‘on ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à faire la guerre’ se réalise28, ainsi que les prédictions de Daniel. »29 Pax Romana devient ainsi partie de la divine Économie, comme l’unité étatique de l’Œkoumène illustre l’unité de l’humanité face à l’histoire du Salut, de la même façon que l’institution de la Monarchie exprime l’État monarchique de la Trinité30 : « Lors de la naissance charnelle de Jésus Christ, toutes les ethnarchies furent soumises à l’Autorité romaine. »31 Cette idée, dont la propagande se faisait diachroniquement et constamment à Byzance, non seulement de la part de l’État mais aussi par l’Église, est reçue par Eusèbe32 et trouve en la personne de Constantin Ier un plein sens politique et théologique, qui consiste à illustrer la sacralité de l’organisme étatique chrétien33. Cette unité reproduit l’unité et la sacralité de l’Imperium et du Sacerdotium, en Glycæ, Annales, ΙΙΙ, p. 379. Ibid., p. 380. Ésaïe 2, 4. Glycæ, Annales, ΙΙΙ, p. 380-381. Voir Peterson, E., Der Monotheismus als politisches Problem, (Gütersloh : Gütersloher Verlagshaus, 1951), p. 90. 31 Glycæ, Annales, ΙΙΙ, p. 381, 383. Luc, 2,1-3. Cicéron, De republica, VI, 13-26. L’étoile comme corps céleste était liée non seulement à l’Incarnation du Christ, mais aussi à la naissance et au destin d’Auguste Octavien : Voir Barbone, N., « Auguste et ses Astres », in Auguste, (Paris : Réunion des Musées Nationaux - Grand Palais, 2014), p. 38-39. Kienast, D., « Alexander und Augustus », Gymnasium 76 (1969), p. 431-456. Zanker, P., Augustus und die Macht der Bilder, (München : Beck, 19973), p. 61-64. le Glay, M., La religion romaine, (Paris : Armand Colin, 19973), p. 162-165. 32 Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, I, I.V.2, SC 31, p. 21 ; I.VI.7-8, p. 24. 33 Eusèbe de Césarée, Vie de Constantin, II.19.1-2, SC 559, p. 288-291.

26 27 28 29 30

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

expulsant d’un côté le dualisme politique et ses caractéristiques polarisantes34, mais en renforçant de l’autre côté l’institution impériale d’une sacralité imparable, puisque l’Empereur devient désormais le lieutenant de Dieu sur terre, le guide du Nouvel Israël, du Royaume eschatologique chrétien35. Le paradoxe byzantin du xiie siècle consiste en un conflit interne sous-jacent de ce modèle étatique : l’idéologie impériale se tourne de façon décisive vers le programme eusébien, qu’elle considérait comme établi. En conséquence, l’aligne‐ ment du programme politique comnénien aux principes de la théologie politique d’Eusèbe ne pouvait qu’être considéré comme un exemple de la fidélité aux traditions étatiques anciennes. L’idéologie impériale puisait elle aussi de fait tant son contenu que sa forme des dans les réservoirs de la pensée eusébienne, indé‐ pendamment du fait qu’elle recyclait de cette façon des conceptions ancestrales relatives à l’institution de la basileia. De l’autre côté, les critiques de l’absolutisme comnénien, comme Zonaras, bien qu’ils reconnussent l’image idéale de la gouvernance constantinienne36, exprimaient sans crainte leurs réserves à l’égard du modèle politique eusébien : « Un parmi ceux qui partageaient les idées d’Arien », écrivait Zonaras, « était Eusèbe (…) dont on dit qu’il se détacha par la suite des croyances d’Arien (…). C’est ce qui fut écrit par d’aucuns. Toutefois, des doutes apparurent quant à savoir si les choses étaient effectivement comme Eusèbe lui-même les avaient décrites dans son Histoire ecclésiastique. En effet, dans beaucoup de passages du traité précité Eusèbe est surpris exprimer des idées d’Arius. (…) Il suppose que le Père et Créateur du Monde est un Démiurge au pouvoir absolu qui donne des ordres d’un signe royal, tandis qu’il considère que le Verbe de Dieu, deuxième en valeur, exécute les ordres paternels. Un peu plus loin il présente le Verbe comme inférieur au Père en puissance et en sagesse et comme quelqu’un à qui des pouvoirs d’importance secondaire ont été conférés ayant trait à la gouvernance et au pouvoir sur toute chose. Et d’affirmer par la suite qu’une existence d’avant le monde vit et existe, qui est inférieure à Dieu et Père de tous et qui le servit pendant la création du monde (…). Après diverses autres choses, il ajoute : ‘Par-dessus tout, en ayant reçu le droit du culte par le Père en sa qualité de Verbe de Dieu qui préexistait et fut créé avant tous les siècles, il est vénéré comme s’il était Dieu’. Tout cela et d’autres choses encore prouvent qu’Eusèbe était un adepte des croyances d’Arius (…). »37

34 Voir Farina, R., L’Impero e l’imperatore cristiano in Eusebio di Cearea. La prima teologia politica del cristianesimo, (Zurich : Pass, 1966). 35 Voir Moltmann, J., La venue de Dieu : eschatologie chrétienne, (Paris : Cerf, 2000), p. 229-232. Berkhof, H., Kirche und Kaiser. Eine Untersuchung der Entstehung der byzantinischen und der theokratischen Staatsauffassung im vierten Jahrhundert, (Zurich : Evangelischer Verlag, 1947), p. 83 et passim. 36 Zonaras, t. III, ΧΙΙΙ.3, p. 15. 37 Ibid., t. III, XIII.4, p. 21-22.

41

42

PREMIER CHAPITRE

Une première appréciation de l’extrait précité est purement théologique. Mais un examen plus approfondi permet de constater que Zonaras avance des formulations politiques extrêmement étudiées. En premier lieu au niveau du vocabulaire : « considéré comme le souverain de tout commandant d’un signe royal » (ὡς πανηγεμόνα νομίζεσθαι βασιλικῷ προστάττοντα νεύματι), « servant les ordres du père » (ταῖς πατρικαῖς ὑπουργοῦντα ἐπιταγαῖς), « à qui le royaume et le gouvernement de tout furent confiés ») (τῆς κατὰ πάντων βασιλείας καὶ ἁρχὴς εμπεπιστευμένον), « il est une substance universelle vivante et existante qui servit à la création des choses engendrées »38. Ce recours au vocabulaire impérial suggère les origines ariennes du programme politique eusébien et peut-être même son origine origénienne39. En conséquence les fonctions de la monarchie terrestre semblent aussi puiser de ce réservoir idéologique théologiquement suspect, qui semble produire aisément de l’absolutisme. Le retour aux anciennes traditions constitutionnelles romaines, c’est-à-dire à une époque « où le droit était non écrit le honoré, où le Sénat jouissait de l’estime, les citoyens étaient prospères et où le pouvoir royal était un état de droit »40, ne constituait pas une simple proposition qui s’opposait à l’absolutisme comnénien41, ni d’ailleurs une simple compulsion idéologique de retour aux mos maiorum42. La formulation de Zonaras soulignait la nécessité d’une séparation positive des pouvoirs d’avec leurs détenteurs, à savoir dans le fond la nécessité d’une nette distinction entre l’idéologie impériale et les lois positives de l’État, justement parce que cette identification impliquait une déstructuration de l’inté‐ rieur des autorités de l’État43. Cette idée avait déjà été formulée dès la fin du xie siècle dans les commentaires de Michel d’Éphèse à la Politique d’Aristote : les lois positives de l’État doivent être distinguées de ceux qui détiennent le pouvoir mais aussi des formes d’exécu‐ tion44.

38 Ibid. 39 Voir Sansterre, J.-M., « Eusèbe de Césarée et la Naissance de la théorie ‘Césaropapiste’ », Byzantion 42 (1972), p. 191-195. 40 Zonaras, t. III, ΧΙΙΙ.3, p. 15. 41 Magdalino, P., « Aspects of Twelfth-Century Byzantine Kaiserkritik », Speculum 58 (1983), p. 338. 42 Ibid., p. 343. Voir Jeffreys, E. M., « The Attitudes of Byzantine Chroniclers towards Ancient History », Byzantion 49 (1979), p. 202-207. 43 « (Alexis Ier) ne traitait pas les affaires de l’État comme si elles avaient été publiques et il ne se considérait pas comme leur économe, mais comme leur maître absolu, il croyait même et considérait le palais comme sa propre maison » : Zonaras, t. III, XVIII.29, p. 766. Suidae, I, n. 148, p. 458. Voir Karlin – Hayter, P., « Alexios I Komnenos : ‘not in the strict sense of the word an emperor’ », in Mullett, M. – Smythe, D. (éd.), Alexios I Komnenos. Papers of the second Belfast Byzantine International Colloquium 14-16 April 1989, (coll. Belfast Byzantine Texts and Translations 4.1), (Belfast : Belfast Byzantine Enterprises / School of Greek and Latin / The Quenn’s University of Belfast, 1996), p. 133-145. Kaldellis, A., The Byzantine Republic. People and Power in New Rome, (Cambridge – London : HUP, 2015), p. 46-48. 44 « Michel d’Éphèse (xiie siècle) (…) souligne la différence fondamentale qui sépare les lois positives de l’État, au moyen desquelles les magistrats administrent la société et châtient les contrevenants,

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

Or la théologie politique eusébienne favorisait les compositions abstraites, en entraînant des distinctions positivistes de ce genre. Au xiie siècle, cette théologie gagne du terrain, parce que tant elle que ses prolongements para-théologiques (Paratheologischen) alimentent un récit historique qui semble capable de conduire l’Empire au-delà des impasses, en inspirant les sentiments de sacralité, d’unicité et d’unité. Naturellement l’Église consentait à ce programme politique impérial, non tant parce qu’elle appréciait le principe de la « synallélie réelle », mais parce que la réception comnénienne du modèle eusebien soulignait qu’au moins sur le plan de l’idéologie, l’Empereur était son prisonnier. Cette convention, selon Beck, est soulignée grâce à l’intégration ne serait-ce qu’informelle de l’Église aux côtés des organes constitutionnels établis, dès le milieu du xie siècle45. En effet, cette orientation avait eu une répercussion claire sur l’espace public, comme l’Empereur, en tant que père par excellence, cherchait à s’imposer à la conscience de ses sujets. Mais l’intercesseur du consensus de l’État était d’ores et déjà l’Église, justement parce que l’idéologie impériale avait incorporé bon nombre de composantes théologiques (theologische Komponente) qui sapaient le pouvoir politique impérial apparemment inépuisable46. La dialectique de la justice séculière et de la justice divine

La définition photienne de la basileia comme une supervision légitime (ἔννομος ἐπιστασία)47 occupe une place prépondérante dans la Novelle de 1166 De diversis causis48. Le législateur considère qu’une des émanations fondamentales de cette définition, est l’exercice de la justice comme projection de la Providence divine49. Le déplacement apparent de l’épicentre de l’environnement juridique positi‐ viste vers à une interprétation de type théologique ne devrait pas être considéré comme arbitraire, mais compatible avec l’esprit de l’Eisagogè : À la 6e disposition du premier titre de l’Eisagogè, il est énoncé que l’essence de la justice consiste à séparer les choses divines des choses humaines et en conséquence le juste de l’in‐

45 46 47 48 49

des normes (…) qui défissent la forme même de l’organisation de l’État (soit aristocratique, soit démocratique) et conditionnent dans les États le bon fonctionnement des organes de pouvoir, leurs attributions, le caractère de l’autorité suprême et la finalité de tout échange politique » : Medvedev, « Une constitution à Byzance… », art. cit., p. 384-385. Beck, Das Byzantinische Jahrtausend…, op. cit., p. 87. Sur le consensus, Voir Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 494-501. Epanagoge, II.I, in JGR, II, p. 240. Synopsis Minor, II.21, in JGR, VI, p. 354. Voir Kaldellis, The Byzantine Republic…, op. cit., 62-70. Manuelis Comneni, Nov. LXVI. De diversis causis (1166), in JGR, I, p. 389-396. Regesten, II, n. 1465 (1166), p. 78-79. Voir Macrides, R., « Justice under Manuel I Komnenos : Four Novels on Court Business and Murder », FM 6 (1984), p. 122-139, 172-182. Manuelis, Nov. LXVI. De diversis causis, p. 389. Voir Hunger, Prooimion…, op. cit., p. 114-117.

43

44

PREMIER CHAPITRE

juste50. L’Eisagogè privilégie aussi d’entre les autres vertus, la vertu de la justice51, justement parce que le nom par excellence de Dieu est Juste52. En conséquence, Manuel Ier notera aussi que l’Empereur doit être juste, parce que comme élu de Dieu, il doit incarner l’archétype céleste du pouvoir53. De fait, la définition classique de la justice selon Ulpien54, constitue une émanation de ce pacte55, comme l’amour de la justice56 et l’action juste constituent des caractéristiques de Dieu57. De la justice émane la concorde civile58 ; il est dès lors évident que l’exercice de la justice comme terme structurel de la société civile illustre en substance l’élection divine du Basileus59. Le raisonnement de Manuel Ier suivant lequel le Basileus devrait placer la justice par-dessus tous les autres objectifs de la cité, puisque la Basileia procède de Dieu, est alors logique, justement parce que Dieu place la justice par-dessus tous les biens60. En substance, ce raisonnement fut une idée fondamentale de la tradition juridique byzantine61. À son tour, la remarque du commentateur Anonyme des Basiliques, selon laquelle la justice et la loi constituent des termes identiques62, crée les conditions analogues de « consécration » de la signification de la loi, puisque par ailleurs son caractère structurellement équilibrateur le qualifie de l’attribut de divin63. Dans la tradition littéraire ecclésiastique, la coïncidence du jus et du fas trouve sa formulation idéale dans la pensée de Nicètas Stèthatos (±1005-1090)64. Stètha‐ tos maintient intact l’esprit des idées civiques sur la justice, sans pourtant l’isoler de son environnement métaphysique65. De l’autre côté, la vision d’Eustathe de

50 Epanagoge, I.VI, in JGR, II, p. 240. Voir B II.1.10 = D. I.I.10. 51 Voir Platon, Politeia, 427e. Préaux, J., « Les quatre vertus païennes et chrétiennes. Apothéose et Ascension », in Bibauw, J. (éd.), Hommages à Marcel Renard, I, (coll. Lotomus 101), (Brussels : Revue des Études Latines, 1969), p. 639-657. 52 Epanagoge Prooemion, in JGR, II, p. 238. Voir Aerts – van Bochove – Harder – Hilhorst – Lokin – Meijering – Radt – Roldanus – Stolte – van der VAL, « The Prooimion of the Eisagoge », art. cit., p. 122. 53 Manuelis, Nov. LXVI. De diversis causis, op. cit., p. 389. 54 B II.1.10 = D. I.1.10. 55 « La justice est la volonté constante et permanente d’administrer le même droit à tous » (= Δικαιοσύνη ἐστὶ σταθηρὰ καὶ διηνεκὴς βούλησις ἑκάστῳ τὸ ἴδιον ἀπονέμουσα δίκαιον) : Epanagoge, I.IV, in JGR, II, p. 240. 56 Psaume 45,7. Voir Hébreux 1,9. 57 Epanagoge, Prooemion, in JGR, II, p. 237. 58 Photii Patriarchæ, Epistola ad Michaelem Bulgariæ principem ; de officio principis, PG 102, 677CD ; 693D. 59 Kékavménos, p. 262. 60 Manuelis Comneni, Nov. LXIII. Ut rescripta contra jus elicita irrita sint (1159), in JGR, I, p. 386. Regesten, II, n. 1426 (1158), p. 74. 61 Ecloga, Prooimion, in JGR, II, p. 12-17. Prochiron, Prooimion, in JGR, II, p. 114-115. Epanogoge, Prooimion, in JGR, II, p. 236-238. 62 B. Scholia, B II.1.10§ 2. 63 B II.I.14 = D I.3.2. Voir B. Scholia, B II.1.14§ 1. Suidae, II, n. 1082, p. 96. 64 Voir Tusculum, I, p. 364. 65 Nicètas Stéthatos, De l’âme, SC 81, p. 93.

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

Thessalonique relève plutôt d’un monolithisme ecclésiastique : Dans son œuvre De la Désobéissance et de l’Obéissance, il soutient que la loi constitue un don de Dieu66. Toutefois, même la loi naturelle67 et la loi ethnique68 ne furent pas de simples pactes ou conventions naturels fondés grâce à une volonté politique com‐ mune69, mais des préfigurations claires de la divine Économie du Saint Esprit70. La loi transforme ce qui est relatif à la vie en divin et le temporel en supra-temporel71. Dieu, par l’intermédiaire de Moïse, instaure sa Loi dans le monde, une loi qui ne se réfère pas pour autant simplement à une gestion des affaires humaines, mais qui cherche à devenir le moyen pour la connaissance de Dieu. Par conséquent, l’obéis‐ sance aux lois constitue la mesure de cette connaissance de Dieu72. Mais Dieu ne deviendra le législateur par excellence, le juriste et grand logothète (νομοθέτης, νομοδότης και μέγας λογοθέτης)73 qu’après avoir donné le Nouveau Testament à l’homme74. De fait alors, la justice, comme bien divin suprême, constitue dans le même temps la source du bien. De la même manière, Dieu, comme Juste, est la source de toute bonté75. Dans l’œuvre législative de Manuel Ier, la haine pour l’injustice résulte de son amour pour la loi de Dieu76. Le renforcement hagiographique de cette conception encourage l’exercice de la justice : Comme « le Seigneur juste, il aima la justice, son visage vit sa droiture »77, par conséquent le Basileus est obligé de placer le droit par-dessus toute autre fonction de l’État78. Cette proposition est reçue dans la Novelle de 1166 « sur les jours chômés », une loi qui visait à diminuer les jours chômés ecclésiastiques en augmentant le nombre des audiences des tribunaux byzantins79. Le raisonnement du législateur s’attaque au piétisme qui tend à faire des fonctions de l’État des actes d’une importance secondaire : Le but des fêtes ecclésiastiques est de servir les commandements de Dieu80 par l’exercice de la justice. Les chrétiens, tout comme les Pharisiens bibliques, simulent l’adoration de Dieu, en se désintéressant de la justice81, et transforment de cette façon les

Eustathii Thessalonicensis, Ejusdem de obedientia magistratui Christiana debita, PG 136, 316A. B II.1.1 = D. I.1.1. B II.1.2 = D. I.1.2. Voir B II.1.48 = D. I.3.40. Voir Suidae, III, n. 481, p. 477. Eustathii, De obedientia, PG 136, 316D. Ιbid., 317A. Ibid., 321B. Ibid., 320AC. Voir Suidae, III, n. 471, p. 476. Ibid., 345D. Manuelis Comneni, Nov. LXIII. Contra jus elicita, p. 385-386. « Δίκαιος Κύριος, καὶ δικαιοσύνας ἠγάπησεν, εὐθύτητας εἶδε τὸ πρόσωπον αὐτοῦ » : Psaume 10.7. « Pratiquer l’économie et diriger selon la droiture du droit » : MANUELIS, Nov. LXIII. Contra jus elicita, p. 386. 79 Manuelis Comneni, Nov. LXVII. De diebus feriatis (1166), in JGR, I, p. 397-402. Regesten, II, n. 1466 (1166), p. 79. Macrides, « Justice under Manuel I Komnenos… », art. cit., p. 140-155, 182-190. 80 Voir Matthieu 9.13 ; 12.7. 81 Manuelis, Nov. LXVII. De diebus feriatis, p. 398.

66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78

45

46

PREMIER CHAPITRE

fêtes ecclésiastiques en un péan paradoxal en faveur de l’injustice sociale82. Par conséquent, c’était le report du jugement des diverses affaires qui constituait la raison du prolongement de l’injustice et du renforcement des traumatismes sociaux83. Tout comme le Christ, l’Empereur opte pour l’exercice de la justice au lieu de l’exercice de la miséricorde84, en affirmant que si quelqu’un désire adorer Dieu, il doit se tourner vers l’administration de la justice, justement parce que Dieu est servi au moyen de la justice85. Ce changement d’orientation vers l’horizon de l’Eisagogè ne transgresse pas la définition de la Basileia comme une supervision légitime (ἔννομος ἐπιστασία). L’illustration de l’origine divine de la loi est préférée à sa reconnaissance comme « pacte commun de la cité »86. L’acte juridique du Basileus est encouragé par la justice de Dieu87, et c’est pourquoi mépriser les lois signifie en premier mépriser Dieu et en second lieu mépriser l’État88. La nature du Mal est abordée de façon similaire : Le Mal ne constitue qu’un signe de l’intervention incessante du Diable, de ses atteintes continues contre les biens de Dieu et contre l’homme89. Il n’est pas fortuit qu’Eustathe de Thessalonique décrive le Diable comme le dissident par excellence et qu’il qualifie les nations où le culte de Dieu fait défaut d’anarchiques (ἄναρχα)90. De la même manière sont considérées comme nations barbares celles qui ne disposent pas de lois écrites91, de la loi divine et qui n’alignent pas la puissance des lois sur la peur qu’inspire à la conscience des chrétiens le jugement dernier des âmes et l’enseignement ecclésiastique sur la vie après la mort92, qui de toute façon renvoyait aux mécanismes bureaucratiques rigoureux des tribunaux byzantins et au système pénitentiaire de l’époque93.

82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93

Ibid., p. 398-399. Manuelis, Nov. LXVII. De diebus feriatis, p. 397. Ibid., p. 402. Ibid., p. 397. Epanagoge, Ι.I, in JGR, II, p. 240. Voir B II.1.13 = D. I.3.1. Manuelis, Nov. LXVI. De diversis causis, op. cit., p. 394. Manuelis Comneni, Nov. LXV. Ne morientium episcoporum bona ab exactoribus diripiantur, in JGR, I, p. 387-388. Regesten, II, n. 1380 (1150-1165), p. 68-69. Voir Balsamon, « Commentaire au Canon 35 de Trullo », RP, II, p. 384. Manuelis Comneni, Nov. LXVIII. De homicidis (1166), in JGR, I, p. 403. Regesten, II, n. 1467 (1166), p. 79. Eustathii, De obedientia, PG 136, 349C. Voir van der Wal, N., « Les termes techniques grecs dans la langue des juristes byzantins », SG 6 (1999), p. 133-135. Manuelis, Nov. LXVII. De diebus feriatis, p. 399. Manuelis, Nov. LXVIII. De homicidis, p. 405. Voir Lucas Chrysovérges, « Περὶ διαίτης κοσμικῆς », ΝΕ 16/1 (1922), p. 203-204. Nicètas Stéthatos, De l’âme, 81-82, SC 81, p. 146-148. Nau, F., « Le texte grec des récits du moine Anastase sur les saints pères de Sinaï », Oriens Christianus 2 (1902), p. 85.

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

L’Eisagogè II.I au préambule de l’Ecloga Basilicorum

L’identification de la justice à Dieu doit la limpidité de sa formulation au scepticisme que la crise iconoclaste fit naître94, conception exprimée dans le Prooi‐ mion de l’Eisagogè95. Ce changement signifiait en quelque sorte la transformation structurelle de l’ordo rerum justinien, comme l’Empereur cessait de constituer le législateur absolu, en concédant ce privilège à Dieu96. Désormais, c’était Dieu qui était considéré comme le législateur absolu97. Ces concessions, tant au niveau de formulations qu’au niveau de conceptions plus profondes sur l’État, semblent avoir été accentuées par la coexistence de la définition de la Basileia comme une supervision légitime (ἔννομος ἐπιστασία), avec l’attribution explicite de la puissance législative à Dieu. La question qui en résulte est double, mais décrit une problé‐ matique cohérente : i. L’obéissance du Basileus aux lois de l’État signifiait-elle une restriction de son pouvoir ? ii. Cette transformation résultait-elle d’un nouveau pacte de l’État ou était-elle due à l’obéissance du monarque aux commandements de Dieu législateur ? Le déplacement des propositions de l’État de l’image du Basileus à l’image de Dieu montrait que les conceptions justiniennes étaient conduites à une déva‐ luation : Puisque Dieu était le législateur absolu, la mise en avant du Basileus comme lex animata98 ou encore de l’acceptation que le princeps legibus solutus est99, étaient inutiles. Mais déjà la tradition justinienne elle-même n’avait pas hésité à accepter la subordination de l’Empereur aux lois de l’État : Digna vox maiestate

94 Voir Kazhdan, Al., « Some Observations on the Byzantine Concept of Law : Three Authors of the Ninth through the Twelfth Centuries », in Laiou, A. – Simon, D. (éd.), Law and Society in Byzantium, Ninth-Twelfth Centuries, Dumbarton Oaks Research Library and Collection, (Washington D.C. : HUP, 1994), p. 199-206. 95 « Accueillez alors la loi avec juste sagesse et respect de Dieu, comme si elle avait été faite par Dieu lui-même, comme si elle avait été dictée par les cieux, comme si elle avait été écrite par le doigt de Dieu, non sur des plaques de pierre, mais comme si elle avait été imprimée dans nos cœurs par des langues de feu (à savoir la descente de l’Esprit » : Epanagoge, Prooemion, in JGR, II, p. 238. Voir Aerts – van Bochove – Harder – Hilhorst – Lokin – Meijering – Radt – Roldanus – Stolte – van der Val, « The Prooimion of the Eisagoge », art. cit., p. 130-131. 96 Voir Lokin, J. H. A., « The Significance of Law and Legislation in the Law Books of the Ninth to Eleven Centuries », in Law and Society in Byzantium, op. cit., p. 72. 97 Voir Aerts – van Bochove – Harder – Hilhorst – Lokin – Meijering – Radt – Roldanus – Stolte – van der VAL, « The Prooimion of the Eisagoge », art. cit., p. 105. Dans le fond, ce pacte réintroduit sur l’avant-scène la position principale des Lois que Dieu constitue la mesure de toute chose et qu’il est le gouverneur temporel suprême : Platon, Lois, 716c. 98 « Omnibus enim a nobis dictis imperatoris excipiatur fortuna, cui et ipsas deus leges subiecit, legem animatam eum mittens hominibus » : Just. Nov. CV. De Consulibus, Caput II.IV, (537), in C.I.C., III, p. 507. Voir Steinwenter, A., Nomos Empsychos. Zur Gechichte einer politischen Theorie, (coll. Phil.-Hist. Klasse 83), (Wien : Anzeiger der Academie der Wissenschaften in Wien, 1946), p. 250-268. 99 Voir Beck, Res Publica Romana…, op. cit., p. 28-33. Simon, D., « Princeps legibus solutus est : Die Stellung des byzantinischen Kaisers zum Gesetz », in Nörr, W. – Simon, D. (éd.), Gedächtnisschrift für Wolfgang Kunkel, (Frankfurt : Vittorio Klostermann, 1984), p. 449-492.

47

48

PREMIER CHAPITRE

regnantis legibus alligatum se principem confiteri. Adeo de autoritate iuris nostra pendet auctoritas. Et revera maius imperio est submittere legibus principatum ?100 Cette subordination ne constituait pas tant une émanation d’une quelconque limitation étatique du pouvoir impérial que la manifestation de la supériorité naturelle inhérente au Monarque : le Monarque était subordonné aux lois juste‐ ment parce qu’il était supérieur aux lois. D’autre part, son obéissance aux lois fonctionnait comme un exemple pour ses sujets, illustrant que la supériorité de son pouvoir lui permettait de légiférer, mais aussi d’obéir à ce que lui-même établissait101. Sur un plan phénoménologique, l’obéissance de l’autorité impériale aux lois de l’État n’impliquait pas une diminution de l’autorité de quelque sorte que ce soit, mais plutôt le contraire. L’Empereur, lié par les principes du Droit, pouvait appliquer avec rigueur la loi en invoquant justement sa discipline personnelle102. C’est ce qui se produisit, par exemple lors du Chrysobulle de 1159 : Manuel Ier annula toutes ses lois antérieures favorables à l’Église, après avoir constaté que celles-ci s’opposaient aux lois en vigueur103. Il n’y eut pas respect axiomatique de l’ancienneté des lois104 – l’Empereur n’hésitait pas à annuler lui-même par des Novelles des dispositions législatives antérieures105 – mais plutôt constatation que ces lois s’opposaient aux intérêts de l’État106. De surcroît, il recommandait aux autorités judiciaires de procéder immédiatement à l’annulation de certaines de ses lois à l’avenir107, si ces autorités constataient que cette nouvelle législation s’opposait aux lois en vigueur108. La conséquence logique de cela est que l’application des lois de l’État109 implique aussi le renforcement des mesures de prévention et de répression : si le droit n’est pas respecté, l’injustice prédominera110. Mais la mise en œuvre du droit ne constituait plus en une simple convention civique ; elle signifiait l’observance des commandements de Dieu. De fait, ce que l’Eisagogè tentait d’outrepasser, était prolongé, et ceci parce que bien que les délimitations institu‐ tionnelles puissent impliquer une certaine rationalisation et une moralisation de

100 « C’est un aveu ligne de la majesté d’un prince de se confesser obligé par la lois, car notre autorité résulte de celle du droit. Un prince, qui soumet sa dignité aux lois, est plus respectable par – là que par son pouvoir » : Codex I.14.4, in C.I.C., II, p. 68. 101 Kékavménos, p. 262. 102 Voir Gaudemet, L’Eglise dans l’Empire Romain…, op. cit., p. 494-495. 103 Manuelis, Nov. LXIII. Contra jus elicita, p. 386. Voir Kaldellis, The Byzantine Republic…, op. cit., p. 76. 104 Voir Lokin, « The Significance of Law… », art. cit., in Law and Society in Byzantium, op. cit., p. 82. 105 Manuelis, Nov. LXVIII. De homicidis, p. 404. Voir Idem., Nov. LXVI. De diversis causis, op. cit., p. 396. 106 Voir B II.1.39 = D. I.3.29. 107 « Il est ordonné par le présent chrysobulle que si quelque chose est ordonné pendant ma gouvernance personnelle, oralement ou par écrit, qui s’oppose au droit et à la clarté des lois, cela doit rester à jamais nul et non exécutoire » : Manuelis, Nov. LXIII. Contra jus elicita, p. 386. 108 B II.1.26 = D. I.3.16. Voir B. Scholia, B II.1.26§ 1. 109 Manuelis, Nov. LXVI. De diversis causis, op. cit., p. 391-392. 110 Ibid., p. 396.

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

la puissance impériale111, l’attribution originelle de la loi et du droit à Dieu rendait automatiquement l’Empereur gérant d’une puissance explicitement divine. Tout cela encourageait l’idolâtrie de la loi112, en fournissant les préalables pour la créa‐ tion d’un juridisme idéologique impérial qui répétait en substance de façon très autoritaire les principes du programme justinien. En résumé, la sacralité absolue de la loi, comme émanation du droit naturel de Dieu, conférait à la loi civile un caractère incontestable dans son exercice. Puisque la justice procède de Dieu, elle est plus ou moins éternelle et par conséquent absolument contraignante. L’affranchissement de la justice de l’Empereur et l’illustration de son origine strictement divine renforçait l’image du Basileus comme lieutenant de Dieu sur terre et porteur d’un pouvoir donné par Dieu. Justement parce que le Basileus était considéré comme l’imitateur de Dieu et son mandataire pour l’exercice de sa justice, le terme de la supervision légale tendait à décrire une des expressions les plus absolutistes du pouvoir impérial. Dans le cadre du classicisme du xiie siècle, le Basileus, comme superviseur de l’ordre juridique de l’État, doit être considéré comme un savant113 plutôt que comme un intendant114. Cette qualité soulignait sa place dans l’État en tant que vir optimus, en même temps qu’elle renforçait sa volonté d’être considéré comme rector rei publicae. De la même manière, son privilège comme interprétateur et exécuteur absolu des lois115, coïncidait avec l’impératif juridique positif de démonstration de la philanthropie royale116. Cette vision tendait à montrer qu’au xiie siècle, le terme du Basileus comme épistèmonarchès, rassemblait le personna‐ ge de régisseur et de pédagogue selon Dieu pour les choses ecclésiastiques117. Par conséquent, l’exercice de la basileia comme une supervision légitime (ἔννομος ἐπιστασία) ne signifiait pas une restriction institutionnelle, mais une émanation de la supériorité de l’institution impériale, encadrée par une multitude de caractéris‐ tiques divines. Toutes proportions gardées, Manuel Ier pouvait raisonnablement attribuer à son œuvre législative la valeur des Évangiles118.

111 Dagron, G., « Lawful Society and Legitimate Power : Ἔννομος πολιτεία, ἔννομος ἀρχή », in Law and Society in Byzantium, op. cit., p. 30. 112 « Le commencement de la loi est Dieu (…) c’est pourquoi il est le roi des rois de toute éternité ». (= Ὁ νόμος παρὰ θεοῦ κατάρχειν (…) διὸ βασιλεὺς καὶ βασιλέων ἐστὶν ἀνέκαθεν) : Epanagoge, Prooemion, in JGR, II, p. 237. Voir Stier, H. E., « Νόμος Βασιλεύς », Philologus 83 (1928), p. 247 et passim. Aerts – van Bochove – Harder – Hilhorst – Lokin – Meijering – Radt – Roldanus – Stolte – van der Val, « The Prooimion of the Eisagoge », art. cit., p. 120. 113 Voir Suidae, I, n. 2628, p. 383. 114 Ibid., I, n. 2611, p. 380-381. 115 B II.1.22 = D. I.3.11. Epanagoge, II.VIII, in JGR, II, p. 241. 116 B II.1.28 = D. I.3.18. Voir Hunger, Prooimion…, op. cit., p. 143-154. 117 Manuelis, Nov. LXIII. Contra jus elicita, op. cit., p. 386. 118 Manuelis, Nov. LXV. Μorientium episcoporum, op. cit., p. 389.

49

50

PREMIER CHAPITRE

La nature et les formes de l’État des Romains : Lois positives de l’État et idéologie impériale Basilica 2.2.15 pr.

Le commentateur de l’Ecloga Basilicorum formule sur la disposition B. 2.2.15 pr. une série de remarques, dont on relève par rapport à notre propos, le point suivant : « Les choses publiques n’incluent ni les sanctuaires ni les monuments ni les choses destinées à l’usage public, mais si certaines appartiennent aux villes, comme les propriétés (…). »119 Cette disposition est insérée dans les Digesta et reproduit un ancien commen‐ taire d’Ulpien, dont seul le bref préambule120 est mis en valeur dans les Basiliques tandis que dans l’Ecloga Basilicorum, le scoliaste semble avoir aussi connaissance du premier paragraphe, qu’il exploite pour son interprétation121. Cette disposition évolue sur la définition de ce qui est précisément décrit com‐ me publicum par rapport aux sanctuaires, aux monuments et plus généralement à l’espace public et les utilisations dont il est l’objet dans l’environnement urbain. L’idée remonte aux anciennes traditions romaines d’État et son insertion dans les Basiliques souligne la continuité ininterrompue des composants structurels du droit romain122. La formulation en question n’est pas conjoncturelle, mais elle se trouve aussi, avec la même clarté, dans d’autres textes juridiques, comme par exemple dans le Synopsis legum de Michel Psellos123.

119 « Ἐν τοῖς δημοσίοις οὐ περιέχονται οὔτε τὰ ἱερὰ οὔτε τὰ μνημεῖα οὔτε τὰ ταῖς δημοσίαις χρήσεσιν ἀφωρισμένα, ἀλλ’ εἴ τινά ἐστι τῶν πόλεων, οἷον τὰς οὐσίας (…) » : B. II.2.15 pr. = D. 50.16.17 pr. B. XLVI.3.1 = D. I.8.1 [Gaius]. Β. XLVI.3.5 = D. I.8.6 §§ 1-5 [Marc.]. 120 « Inter ‘pubica’ habemus non sacra nec religiosa nec quae publicis usibus destinata sunt : sed si qua sunt civitatium velut bona (…) » : Ulpianus, Libro decimo ad edictum (= D. 50.16.17 pr.), in C.I.C., I, p. 857. 121 « Procul dubio publica habentur. ‘Publica’ vectigalia intellegere debemus, ex quibus vectigal fiscus capit : quale est vectigal portus vel venalium rerum, item salinarum et metallorum et picariarum » : Ibid., (= D. 50.16.17.1). 122 Voir Kaldellis, The Byzantine Republic…, op. cit., p. 43-61. 123 « Il appelait sacra les temples publics | et dénommait sacta les murailles des villes | il appelait les sépulcres vénérables religiosa | et publics ceux d’utilité publique par tous | la mer, les fleuves, les baies et les ports | quant aux populaires, ils sont au peuple, les théâtres, les stades et le bouleutirion | » : Michaelis Pselli, « 8. Synopsis Legum », in Michaelis Pselli, Poemata, Westerink, L. G. (éd.), (Stutgardiae et Lipsiae : Teubner, MCMXCII), p. 164.1031-1038. Scholia B. XLVI.3.4§ 4+§ 11 ; 3.6§ 1 ; 3.7§ 1+§ 3. Theophili Antecessoris, Institutiones II.1-10, in JGR, III, p. 55-57. Dans la Synopsis minor le terme est exprimé par le mot ἱερὰ et non plus comme sacra : Synopsis Minor, I.1, in JGR, VI, p. 416. Appendix Eclogae, XI.1-2, p. 119. Michaelis Attaliotae, Opus de iure, 2.1-4, p. 420. Voir Simon, D. / Siphoniu-Karapa, A., « Eine Fragmentesammlung aus dem Baroccianus 173 », FM 3 (1979), p. 1-2, 16. Gaudemet, J., « Res Sacræ », L’année canonique 15 (1971), p. 299-316. Seston, M., « Les murs, les portes et les rues des enceintes urbaines et le problème des ‘res sanctae’ en droit romain », in Chevalier, R. (éd.), Mélanges d’archéologie et d’ histoire offerts à A. Piganiol, III, (Paris : Centre de Recherches historiques - S.E.V.P.E.N.), 1966, p. 1489-1498. Voir Basdevant – Gaudemet,

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

Le raisonnement du scoliaste de l’Ecloga Basilicorum semble clair. En principe, le commentaire juridique est précédé d’une remarque historique, qui est d’impor‐ tance à ce propos : « Avant, dans l’ancienne Rome (ἐν τῇ παλαιᾷ Ῥώμῃ) quelqu’un fut proclamé roi grâce à sa vaillance et, après avoir dominé sur toute la terre, il distribua les provinces, en gardant les unes pour lui et en offrant les autres au peuple (τῷ δήμῳ) des Romains (…). Ce qui fut alors offert au peuple de Rome, fut nommé, principalement, fiscalia (sic), à savoir public, et le peuple avait le pouvoir sur cela (δεσποτικῶς) et était mis en valeur [par le peuple] par tous les modes de liquidation. »124 Quelques lignes plus loin, il est précisé avec emphase que le patrimoine d’une ville – en argent et en choses – n’est appelé public qu’abusivement : « Les seuls biens publics, à savoir des fiscalia, sont principalement ceux du peuple romain. »125 Dans la partie principale des commentaires, l’auteur remarque la clarté de la disposition. Il note alors que les sanctuaires, les monuments, les murailles126 et plus généralement les espaces affectés à des usages publics, comme par exemple le forum et le cirque (circus maximus) ne sont classés ni dans les biens publics ni dans les fiscalia, à savoir les biens publics par excellence. Parce qu’ils ne sont pas justement des fiscalia, ils ne peuvent non plus appartenir à la cité (biens politiques). Le terme abusif de public désigne l’usage et non le régime de la propriété. C’est précisément ce point qui différencie ces biens « publics » du reste, et ceci car ils sont des biens sans maître, à savoir que personne ne détient des titres de propriété sur eux ni ne peut prétendre à leur gestion. Il faudrait tout d’abord signaler que le commentateur de l’Ecloga Basilicorum renvoie aux anciennes fonctions publiques romaines, en utilisant un vocabulaire tout aussi mouvant que celui du législateur des Basiliques. À savoir : i. il n’y a pas de distinctions claires autour du terme « public », même si l’auteur s’appuie sur un ensemble d’idées juridiques consolidées : Fiscalia, publica, publics, politiques. Ces termes, bien qu’ils soient nettement distincts dans la logique de l’exégète, ne sont pas explicités avec la même clarté dans leur exposition juridique ; ii. La catégorisation de ce qui constitue l’espace public et son organisation sont

Br., « Images religieuses, objets précieux en droit canonique – des origines au code de 1917 », Rev. hist. droit 88 (2010/1), p. 277-293. 124 Ecl. B. 2.2.15 pr., p. 20. Voir Cicéron, Les Devoirs, (coll. Classiques en Poche 113), (Paris : Les Belles Lettres, 2014), p. 257. 125 Ecl. B. 2.2.15 pr., p. 20. Voir B. 2.2.14 = D. L. 16.15.16. 126 Synopsis Minor, p. 423[α’]. B. XLVI.3.6 = D. I.8.8 § 2 [Ulpianu]. B. XLVI.3.7+9 = D. I.8.9+11. B. LV.13.3 = C. XI.70.3. B. LVIII.15.2 = D. XLIII.6.2. Scholia B. XLVI.3.9 § 1. Prochiron auctum, p. 286-287. Voir Schilling, R., « Romulus, l’élu et Rémus, le réprouvé », REL XXXVIII (1960), p. 189-190.

51

52

PREMIER CHAPITRE

traitées de façon absolument inconséquente127. D’où l’absence caractéristique des distinctions juridiques classiques qui décrivent l’espace public : res sacrae, res sancti, res religiosae, res bublicus, res populis128. Comme nous le verrons plus loin, ce manque de clarté n’est pas conjoncturel. Kantorowicz a fort bien souligné la signification du dipôle Christus / Fiscus, comme les deux composants fondamentaux de l’axiome étatique romain des res nullius : Ni l’Église, ni le domaine public – sous toutes ses formes d’expression – n’appartiennent à qui que ce soit129. Il a aussi montré que le domaine public portait une sacralité qui n’émanait pas seulement de l’idée romaine de la sacralité du pouvoir, mais aussi de la sacralité du peuple romain en lui-même130 : aut sacrom aut publicom131. Dans ce cas de figure aussi, la puissance du peuple était déterminante : était sacré ce que le peuple appelait ainsi132. Or il apparaît que le commentateur de l’Ecloga Basilicorum, n’était pas seule‐ ment un juriste compétent, mais aussi un bon historien, c’est pourquoi il semble n’être pas du tout d’accord avec ce qui vient d’être exposé plus haut, du moins en ce qui concerne la période comnénienne. Il notait en effet en conclusion : « Mais tout cela était en vigueur par le passé ; aujourd’hui ni les villes n’ont les mêmes choses, ni le peuple des Romains, mais tout appartient au basileus. »133 Cette historicité est aussi repérée à d’autres endroits de l’œuvre : « Maintenant la ville n’a pas de choses comme autrefois »134, ou encore « l’ancien était aussi en vigueur »135. 127 Scholia B. XLVI.3.4 § 4. Voir i. Ῥελιγίοσα (= Religiosa) : Scholia B. XLVI.3.4 § 11. Lexikon ἄδετ, p. 57.8. Lexicon αὐσηθ., p. 322[§ 21] ; ii. Σάγκτον (= Sancta) : Scholia B. XLVI.3.6 § 1. Scholia B. XLVI.3.7 § 3. Lexikon ἄδετ, p. 59.15-16. Das Lexicon zur Hexabiblos, p. 206[§ 53]. ; iii. Σάκρα (= Sacra) : Scholia B. XLVI.3.7 § 1. Lexikon ἄδετ, p. 60.30. Das Lexicon zur Hexabiblos, p. 206[§ 52]. Lexicon αὐσηθ., p. 323[§ 13], 325[§ 56], 337[§ 2]. 128 Marcianus, Libro tertio institutionum (= De divisione rerum et qualitate, D. 1.6.2-5), in C.I.C., I, p. 11. Marcianus, Libro quatro regularam (D. 1.8.1-2), in Ibid., p. 11. Ulpianus, Libro sexagensimo octavo ad edictum (= D. 1.9.1-5), in Ibid., I, p. 11-12. 129 Kantorowicz, H. E., The King’s Two Bodies : A study in Medieval Political Theory, (Princeton : PUP, 1997), p. 164-192. 130 « Les murs de la ville, les légats, les tribuns et les lois ne sont pas également dits sancti ou sanctae que parce que leur statut présente des caractéristiques communes qui les a fait rapprocher » : Jacob, R., « La question romaine du sacer. Ambivalence du sacré ou construction symbolique de la sortie du droit », Revue historique 2006/3 (no 639), p. 530. 131 Crawford, M., « Aut sacrom aut boublicom », in Birks, P. (éd.), New Perspectives in the Roman Law of Property, (Oxford : OUP, 1989), p. 93-98. 132 « Le sacré n’est pas à proprement parler une qualité divine que l’on constate dans un être ou une chose, mais une qualité que les hommes y mettent » : Scheid, J., La religion des Romains, (Paris : Armand Colin, 1998), p. 24. 133 « Ἀλλὰ ταῦτα μὲν ἐκράτουν κατὰ τὸ παλαιόν˙ σήμερον δὲ οὔτε αἱ πόλεις ἔχουσιν ἴδια πράγματα, οὔτε ὁ δῆμος τῶν Ῥωμαίων, ἀλλὰ πάντα τοῦ βασιλέως τυγχάνουσιν » : Ecl. B. 2.2.15 pr., p. 21. Il faut souligner que le scoliaste de l’Ecloga Basilicorum se réfère strictement à la sphère du droit Public et non du droit Privé. Sur ce point, la distinction est fortement nécessaire : Maniatis, G. C., « On the Validity of the Theory of Supreme State Ownership of all Land in Byzantium », Byzantion 77 (2007), p. 566-634. 134 « Nῦν ἡ πόλις, οὐκ ἔχει ὡς πάλαι » : Ecl. B. 2.2.211, p. 70. 135 « Eἶχεν ὡσαύτως τὸ παλαιὸν » : Ecl. B. 2.2.15 pr., p. 20.

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

Cette concomitance du public et du royal et l’éloignement conséquent des anciennes traditions romaines, sont clairement soulignés par le rédacteur de la Souda, en l’occurrence au lemme Δημόσιος (public) : « La basileia est un bien des communs, mais les biens publics ne sont pas des biens de la basileia. »136 Cette phrase ne concerne pas seulement l’exercice de l’institution impériale, comme on la rencontre sous une forme systématisée également chez Zonaras et Choniatès, mais elle décrit cette problématique comme découlant de l’identification de l’idéologie impériale aux lois positives de l’État, non seulement dans le domaine du droit public, mais fondamentalement dans l’identité même de l’État. Il en ré‐ sulte alors que la mouvance de l’environnement juridique d’interprétation relatif du xiie siècle n’était pas due à une quelconque insuffisance du commentateur, mais à un revirement manifeste du modèle de l’État, qui influençait l’environ‐ nement législatif. Dès lors, il apparait que toutes les fonctions politiques sont ramenées et intégrées à l’institution impériale, une institution qui s’exerce comme étant la source de toutes ces fonctions. En l’occurrence, le fiscus est subordonné au Basileus et est contrôlé par lui. Basilica 7.3.3-4

L’attention du commentateur de l’Ecloga Basilicorum se porte sur B. 7.3.3-4, disposition extrêmement intéressante, tant au niveau du vocabulaire et des formu‐ lations que du contenu : « La puissance peut aussi être non mixte, c’est-à-dire pure, comme d’avoir la puissance de l’épée, qui s’appelle alors pouvoir, ou mixte, où elle s’unit avec la compétence (jurisdictio), comme celle de conférer la possession. Et la compétence est aussi d’avoir le droit de nommer un juge. Quant à ordonner l’attribution de la garantie prétorienne et conférer la distribution du pouvoir punitif, c’est plutôt comme une compétence. »137 En premier lieu, le terme κράτος renvoie à la puissance138 et traduit le ter‐ me latin imperium de la disposition D. 2.1.3 ou la version hellénisée imperion (ἰμπέριον)139. Il en découle ainsi qu’il existe deux sortes de puissance (κράτος) dans ce cadre étatique donné :

136 « Ἡ βασιλεία κτῆμα τῶν κοινῶν, ἀλλ’ οὐ τὰ δημόσια τῆς βασιλείας κτήματα » : Suidae, II, n. 460, p. 47. Voir Kaldellis, The Byzantine Republic…, op. cit., p. 44. 137 « Τὸ κράτος ἢ ἄκρατον ἤτοι καθαρόν ἐστιν, ὡς τὸ ἔχειν ξίφους ἐξουσίαν ὅπερ καὶ ἐξουσία λέγεται, ἣ μικτόν, ᾧτινι ἥνωται ἡ δικαιοδοσία, ὡς τὸ δοῦναι διακατοχήν. Δικαιοδοσία δέ ἐστι καὶ τὸ ἔχειν ἄδειαν δοῦναι δικαστήν. Τὸ δὲ κελεύειν δοθῆναι πραιτωρίαν ἀσφάλειαν καὶ τὸ εἰς νομὴν πέμψαι τιμωρητικῆς ἐξουσίας ἐστὶ μᾶλλον ἤπερ δικαιοδοσίας » : B. VII.3.3-4 = D. II.1.3-4. 138 « Κράτος˙ power ; esp. of political power, rule, sovereignty » : Lidell – Scott, Lexicon, I, p. 992. Voir Benveniste, É., Le vocabulaire des institutions indo-européennes, II, (Paris : Les éditions de minuit, 1969), p. 71-83. 139 Ecl. B. 7.3.3-4, p. 252.

53

54

PREMIER CHAPITRE

la puissance pure (ἄκρατος ἱσχύς), adjectif qui dans sa forme adverbiale, signifie, selon la Souda la disposition en bataille rangée140. Le législateur souligne que la puissance (κράτος) de cette espèce est pure (merum). La Souda précise à nouveau que la forme adverbiale du terme, καθαρῶς signifie l’exactitude et la clarté141. La même chose est également mentionnée dans le Lexicon de Photius142. En substance, cette « pureté » réside dans le droit que détient le Basileus d’exécuter avec exactitude les règles du droit, sans le moindre écart dans leur application. Cette idée s’accorde avec l’obligation législative d’alignement sur les cadres du droit en vigueur et il n’est guère conjoncturel si elle est liée sur le point précis aux expressions du droit pénal byzantin143. La puissance pure alors (ἄκρατος ἐξουσία) et le pouvoir de l’épée (gladii potestatem), qui consiste au droit immanent de l’Empereur à faire trancher des têtes, couper des mains et punir en général les malfaiteurs en appliquant le mode d’exécution de la peine capitale de son choix, dans une liberté qui malgré les restrictions inhérentes, lui était conférée par la loi ellemême144. Le commentateur de l’Ecloga Basilicorum décrit cette possibilité de la libre interprétation du mode d’exécution de la peine capitale par la phrase disant que le basileus non seulement peut faire trancher la tête des gens et leur couper les mains, mais qu’il peut aussi faire bien pire145. En récapitulant, selon le scoliaste, ce droit se traduit comme potestatem (sic), à savoir « pouvoir, tel est la puissance et le pouvoir du Basileus »146. Par conséquent la puissance impériale (imperium) pure (merum), constitue un pouvoir absolu (potestas), qui consiste en la puissance inhérente de l’épée (gladii potestatem). Dès lors, l’unique pouvoir absolu est le pouvoir impérial, qui constitue aussi la source de la légitimité de toutes les autorités étatiques qui en émanent. Le scoliaste de l’Ecloga Basilicorum observe à juste titre que la gladii protestas est conférée par l’Empereur aux archontes des provinces et au proconsul, qui à leur tour ont le droit d’appliquer la peine capitale, d’exiler et d’infliger des travaux forcés aux coupables (μεταλλίζειν147)148. La puissance institutionnelle (κράτος) des archontes des provinces romaines suivait, selon la B.6.1.38 la puissance impériale. Sur le plan pénal, le pouvoir des archontes des provinces était équivalent à celui du Basileus, conformément à la B. 6.1.40.8 qui réitérait avec exactitude le vocabulaire de la B. 7.3.3-4 : i

140 141 142 143 144 145 146 147 148

Suidae, I, n. 969, p. 89. Ibid., III, n. 37, p. 5. Photii Lexicon, Ι, n. 344, p. 17 ; II, n. 843, p. 91. Voir Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV.IX.25 », in RP, I, p. 191. Idem., « Commentaire du Canon 43 du Basile de Césarée », in RP, IV, p. 190. Voir Β. II.2.155.2 = D. 50.17.155.2. Ecl. B. 7.3.3-4, p. 252. Ibid. « Métallizein, envoyer aux mines d’extraction de fer ou de cuivre » : Ecl. B. 6.1.40.8, p. 216. Ecl. B. 7.3.3-4, p. 252.

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

« Ceux qui administrent toutes les provinces ont le droit de l’épée et d’exiler »149. L’observation du scoliaste de l’Ecloga Basilicorum selon laquelle les archontes des provinces ont « la puissance pure après le Basileus »150 est justifiée. Or, bien que les scoliastes des dispositions en question passent sous silence le fait que, conformément à la B. 7.6.5, c’est aussi un juge, directement chargé par le Basileus d’une affaire, qui a aussi la puissance pure151. Selon le commentaire relatif à l’Ecloga Basilicorum, les attributions judiciaires extraordinaires et les pouvoirs du juge nommé par l’Empereur surpassent les attributions correspondantes de tout autre archonte ou haut dignitaire, pour que ce juge puisse même nommer un autre juge à sa place, s’il l’estime compétent pour l’affaire (jurisdictio). Cette relation juridictionnelle immédiate avec l’Empereur, renforce le juge avec la dénomination de « juge divin » (θεῖος δικαστὴς)152. ii puissance mixte (mixtum), terme qui renvoie au droit d’un dignitaire de nommer des juges pour juger une affaire. Ici aussi, le commentateur de l’Ecloga Basilicorum décrit la puissance comme kratos, comme imperion (sic) ; dès lors l’imperium est quelque chose qui n’est pas en fin de compte strictement attribué à l’Empereur, mais aussi aux dignitaires, dans la mesure certes où la puissance procède toujours de l’institution de la Basileia. La différence réside au fait que le pouvoir des archontes peut constituer sous certaines conditions une puissance pure, mais il se trouve toujours sous la puissance absolue du Basileus. Au contraire, la puissance de la Basileia est une puissance pure, sans restriction et sans médiation. Cette puissance des archontes (kratos) est directement liée au pouvoir judiciaire, comme il est très clairement signalé dans le commentaire de l’Ecloga Basilicorum153 relatif à la B.7.3.11154. Ce qui précède correspond dans son ensemble au commentaire de l’Ecloga Basilicorum à la B. 2.2.207. Conformément à cette disposition, il y a trois formes principales de description du pouvoir : a. la puissance des archontes ; b. l’autorité du père sur ses enfants ; c. la supériorité des maîtres (τῶν δεσποτῶν) à l’égard de leurs esclaves155. i La puissance des archontes : « Les archontes ont du pouvoir sur ceux qui se trouvent sous leur pouvoir. Archon est appelé le duc ou le pretor ou autre dénomination selon chaque province ; chacun d’eux a du pouvoir sur ceux qui se trouvent dans la province qu’il administre. Et chaque juge, s’il se trouve à Constantinople, s’appelle archon et a du pouvoir sur ceux qui se trouvent dans sa juridiction

149 150 151 152 153 154 155

B. VI.1.40.8 = D. I.18.6.8. Ecl. B. 6.1.40.8, p. 215-216. « Kράτος ἄκρατον μετὰ τὸν βασιλέα » : Ecl. B. 6.1.40.8, p. 216. Β. VII.6.5 = C. III.1.5. Ecl. B. 7.6.5, p. 279-280. Ecl. B. 7.6.5, p. 280. Ecl. B. 7.3.1, p. 250. Β. VII.3.1 = D. II.1.1. Ecl. B. 7.3.1, p. 250-252. Β. II.2.207 = D. 50.16.215.

55

56

PREMIER CHAPITRE

et sont soumis à son jugement. Et l’éparque a du pouvoir sur tous les artisans organisés des corporations (τοῖς συστηματικοῖς) et sur les particuliers et tous ceux qui exercent quel’ qu’art que ce soit, et le juge a simplement du pouvoir sur ceux qui sont soumis à sa juridiction et sur ceux qui sont jugés par lui. Le pouvoir des archontes s’appelle spécifiquement puissance (κράτος) – et il en est effectivement ainsi, car elle tient (κρατά) ceux qui se trouvent sous sa main (à savoir sous son pouvoir) et elle les conduit (ἄγει) où elle veut et comme elle veut. »156 Il est possible de discerner dans le commentaire précité l’embarras du juriste byzantin du xiie siècle lorsqu’il tente de décrire ce que recouvre précisément le terme de pouvoir : il répète à deux reprises la phrase « les archontes ont du pouvoir sur ceux qui se trouvent sous leur pouvoir », une phrase qui manque nettement de clarté. Il n’est pas pour autant aussi prudent lorsqu’il décrit les limites de ce pouvoir : Il l’appelle spécifiquement, c’est-à-dire en place de terminus technicus (ἰδικῷ ὀνόματι), comme puissance (κράτος), à savoir ce qui auparavant, à l’occasion de la B. 7.3.3.-4, avait été appelé ἰμπέριον (sic). Ce qui signifie qu’en l’occurrence, les personnes en cours de jugement pour n’importe quelle affaire, se trouvent sous le pouvoir absolu des autorités judiciaires. ii La puissance du père sur ses enfants : Le père a un pouvoir sur ses enfants, qui se limite bien sûr à la date de leur majorité. Ainsi les enfants sont « sous la dépendance (…) en tant qu’ils sont sous le pouvoir paternel », (ὑπεξούσιοι (…) ὡς ὑπὸ ἐξουσίαν πατρικὴν ὄντες). Le commentateur note que ce pouvoir est décrit par le terminus technicus (ἰδικῷ ὀνόματι), dépendance (ὑπεξουσιότης). iii La puissance du despote sur les esclaves. Sans autres précisions, l’auteur décrit cette relation d’assujettissement, sim‐ plement par le terminus technicus pouvoir, (ἐξουσία). Conformément à la constatation explicite du législateur, ces trois expressions décrivaient les trois formes juridiques principales du pouvoir. Techniquement, elles sont formulées de la façon suivante : i. puissance (κράτος) ; ii. dépendance (ὑπεξουσιότης) ; iii. pouvoir (ἐξουσία). Dans leur ensemble, elles décrivaient trois états juridiques nettement distincts, qui étaient exprimés par une série de disposi‐ tions législatives complexes. Mais sur un plan politologique157, ces trois termes étaient complètement synonymes et coexistaient structurellement dans l’identité

156 Ecl. B. 2.2.207. p. 68. 157 Voir Magdelain, A., « De l’‘auctoritas partum’ à l’‘auctoritas senatus’ », Iura 33 (1982), p. 25-45.

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

de l’image impériale158 : i. Imperator159 ; ii. Pater familias et Pater patriae160 ; iii. Dominus noster161. Extraordinaria : La règle comme exception et l’exception comme règle162

Magdalino a signalé que la dialectique de la puissance impériale ne concernait pas la charge du Basileus comme source du droit, mais comme source des excep‐ tions au droit et des déviations extraordinaires des règles acquises de l’État163, en renvoyant en conséquence à une série de dispositions sur ce point164. Cette possi‐ bilité concernait certes une caractéristique intrinsèque de l’approche économique des règles de droit, mais elle pouvait constituer dans le même temps un terrain d’actes arbitraires du pouvoir du législateur165. Dans la première partie, l’accent a été mis sur le deuxième point des res nullius, qui concernait l’autonomie du fiscus. On montrera par la suite que la même chose pourrait être aussi formulée à propos de l’autonomie de l’Église (Christus). Selon les sources la dynamique du terme de la supervision légitime (ἔννομος ἐπιστασία) tendait à envelopper aussi le droit canonique. Le Basileus prétendait non seulement à ne pas être lié par les Lois, ce qui bien sûr constituait aussi son droit légal conformément à la B. 2.6.1166, mais pas davantage par les saints canons167. Théodore Balsamon notait à cet égard : « si quelqu’un met en avant une servitude du Basileus selon l’économie, par les lois susmentionnées il n’est ni lié ni contraint ; et elles ajoutent, puisque le Basileus n’est soumis ni à des lois ni

158 Tant au niveau du vocabulaire que des institutions, cette concomitance structurelle a déjà été signalée : « À ceci s’oppose la définition d’Aristote, Politique I, p. 1259 : ‘Le roi avec ses sujets est dans le même rapport qu’un chef de famille avec ses enfants’. C’est en somme un despótēs, au sens étymologique, le maître de la maison, maître absolu, sans doute, mais non dieu » : Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes…, II, op. cit., p. 28. 159 Rösch, Όνομα Βασιλείας…, op. cit., p. 35-36. 160 Ibid., p. 47-48. 161 Ibid., p. 39-40. 162 « EXTRAORDINARIA : ἐξστραορδινάρια˙ ἔξω τῆς τάξεως » : Das Lexikon ἄδετ, p. 46. « ORDINEM HABET : ὀρδινὲμ ἄδετ˙ τάξιν ἔχει » : Idem., p. 53. « EXTRAPRDINOS : ἐξτραὀρδίνων˙ ἔξω τῶν τεταγμένων ἤτοι νομίμων » : Das Lexikon αὐσηθ, p. 305. « EXTRA ORDINEM : ἐξτραὀρδίνεμ˙ παρὰ τύπον » : Idem., p. 306. « ἐξτραορδιναρίας˙ ἀτάκτου » : Idem., p. 335. 163 Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 428. Aussi Voir Kaldellis, The Byzantine Republic…, op. cit., p. 70-82. 164 Ecl. B. 2.3.141 (Β. II.3.141 pr. = D. 50.17.141pr.) ; 7.3.41 (B. VII.3.41 = C. III.13.5), p. 264 ; 9.1.1.1-2 (B. IX.1.1.1-2 = D. 49.1.1.1-2), p. 353. Voir Peira, LXVI, in JGR, IV, p. 244. 165 Voir Karampoula, D., « Sed iuxta legis severitatem congruenti poena ulciscetur », Byzantina Symmeikta 22 (2012), p. 173-219. 166 B. II.6.1 = D. I.3.31. 167 La question posée par Kaldellis est cruciale : « How could a polity be lawful when it was governed by an emperor who could ignore or cancel a law and was not subject to legal or political oversight ? This was the threat of tyranny that lurked in every monarchy, and it preoccupied Cicero in his king, ‘for the property of the public (…) was managed by one man’s nod and wish’. A thin line separates good kings and despots. In fact, imperial history seems to oscillate between the two » : Kaldellis, The Byzantine Republic…, op. cit., p. 71.

57

58

PREMIER CHAPITRE

à des canons (…) », pour signaler explicitement quelques lignes plus loin que le Basileus n’est lié ni par les Lois ni par les Canons168. Il est en conséquence possible de noter une série d’interventions impériales anticanoniques similaires, qui interprètent de façon sans doute abusive les cadres de légitimité donnés : i Selon le 14e canon apostolique, « il n’est pas permis à l’évêque d’abandon‐ ner son diocèse pour s’emparer d’un autre, même s’il y est contraint par un grand nombre de personnes »169. Balsamon était d’un avis différent : « la nomination à un diocèse est concédée sur commandement du Basileus »170. ii Selon le 15e canon apostolique, les déplacements injustifiés de clercs dans d’autres provinces sont sévèrement punis. De même, le 16e canon aposto‐ lique surenchérit : « Si l’évêque chez lequel des clercs de cette sorte se trouvent, ne tenant aucun compte de la suspense prononcée contre eux, les reçoit en qualité de clercs, qu’il soit excommunié, en tant qu’auteur de désordre. »171 Balsamon note au contraire que « le Basileus a aussi la compétence de déplacer des clercs »172. iii Conformément au 4e canon de l’ive Concile œcuménique (Chalcédoine, 451), il est ordonné concernant les moines « qu’ils ne se mêlent pas inopportunément des affaires de l’église et du monde, ni ne s’en occupent en quittant leurs monastères, à moins qu’ils n’aient obtenu l’autorisation de l’évêque pour une affaire urgente »173. Balsamon attire l’attention de son lecteur : « Remarque (…) qu’avec l’autorisation de l’évêque, les moines peuvent s’occuper non seulement de choses ecclésiastiques, mais aussi de choses du monde vie, à savoir de choses politiques ; si le pouvoir épiscopal peut faire cela (il veut dire confier à des moines une œuvre politique), le pouvoir du Basileus peut le faire à plus forte raison. »174 iv Selon le canon 69 du Concile œcuménique Quinisexte (Trullo, Constanti‐ nople, 691) : « Que personne parmi les laïcs ne s’autorise à pénétrer à l’intérieur du sanctuaire. Cependant, l’autorité et la puissance impériale n’en sera point empêchée, lorsqu’elle voudra offrir les dons au créateur selon une très ancienne tradition. »175 Balsamon avait une conception plus large :

168 « Eἰ γὰρ κατ’ οἰκονομίαν βασιλικὴν τοιαύτην τινὰ δουλείαν ἀναδέξηταί τις, ὑπὸ τῶν ῥηθέντων κανόνων οὐ κωλυθήσεται, οὐδὲ βλαβήσεται˙ καὶ προστιθέασιν, ὡς ὁ βασιλεὺς οὔτε νόμοις οὔτε κανόσιν ὑπόκειται (…) » : Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 350. Voir Kaldellis, The Byzantine Republic…, op. cit., p. 74. 169 « Canon 14 des Saints Apôtres », in Joannou, P.-P., Fonti ; Discipline générale antique (iie-ixe s.), II, (Grottaferrata - Roma : Pontificia Commissione per la Redazione del Codice di Diritto Canonico Orientale, 1962), IX, t. 1,2, p. 14. 170 Balsamon, « Commentaire au Canon 14 des Saints Apôtres », in RP, II, p. 19. 171 « Canon 16 des Saints Apôtres », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 15. 172 « Kαὶ τῷ βασιλεῖ ἐνεδόθη μεταθέσεις ποεῖν κληρικῶν » : Balsamon, « Commentaire au Canon 16 des Saints Apôtres », in RP, II, p. 23. 173 « Canon 4 du 4e Concile de Chalcédoine », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 73. 174 Balsamon, « Commentaire au Canon 4 du 4e Concile de Chalcédoine », in RP, II, 228-229. 175 « Canon 69 du 6e Concile in Trullo », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 207.

TRADITION CONSTITUTIONNELLE ET VISION POLITIQUE

« les Basileis peuvent librement pénétrer dans le saint autel quand ils le désirent »176. v Selon la conclusion du 7e canon du Concile œcuménique Quinisexte : « Les dignités spirituelles l’emportent sur les dignités séculières. »177 Évi‐ demment, même dans ce cas de figure Balsamon a une opinion contraire : « Ne crois pas comme d’aucuns dirent (il se réfère à Jean Zonaras) que les dignités ecclésiastiques doivent l’emporter sur les dignités du Basileus, mais elles doivent être dévaluées (par rapport aux dignités temporelles. »178 Tout cela est résumé dans le commentaire classique de Théodore Balsamon sur le 16e canon du Concile de Carthage (419) : « Le basileus n’est soumis ni à des lois ni à des canons, c’est pourquoi il peut élever un évêché au rang de métropole, en le séparant de son métropolite, diviser des provinces épiscopales et nommer de nouveaux évêques et métropolites, ordonner à des évêques d’officier sans aucune entrave dans d’autres provinces sans demander l’avis des évêques locaux, exercer aussi d’autres droits (le basileus) de caractère sacerdotal. »179 Il convient de compléter ces dispositions par une affaire tirée du quotidien des tribunaux byzantins de la moitié du xiie siècle, pour illustrer que des concep‐ tions similaires n’étaient guère des produits de la pensée abstraite d’un canoniste compétent comme Théodore Balsamon. Il s’agit d’un « contentieux judiciaire » entre Manuel Ier et le Patriarche de Constantinople Luc Chrysobergès : Selon Balsamon, sous le patriarcat de Chrysobergès, un certain Mélèce, higoumène du monastère de Pantepoptis fut traduit devant un tribunal ecclésiastique. Toutefois, constatant l’attitude négative des juges, celui-ci fit déférer l’affaire à un tribunal civil, à la suite bien sûr d’un décret impérial. Le Patriarche semble avoir réagi à l’encontre de l’interventionnisme impérial ; il demanda à ce que l’affaire fût jugée par un tribunal ecclésiastique et dans aucun cas par un tribunal civil180. Il ne serait pas difficile de reconstituer les arguments juridiques éventuels de Chrysobergès. Il dut sans doute faire appel à la B. 3.1.37181, qui dans l’Ecloga Basilicorum est compilée parmi une série de dispositions du Theodori Breviarium Novellarum, qui soulignaient l’autorité judiciaire des évêques dans le jugement de questions ecclésiastiques182. De la même manière il dut aussi renvoyer à certains canons sur ce sujet, comme le canon 6 du iie Concile œcuménique. Balsamon

176 « Oἱ βασιλεῖς ἀκωλύτως, ὅτε καὶ βούλονται, εἰς τὸ ἅγιον θυσιαστήριον εἰσέρχονται » : Balsamon, « Commentaire au Canon 69 du 6e Concile in Trullo », in RP, II, p. 466-467. 177 « Canon 7 du 6e Concile in Trullo », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 135. 178 Balsamon, « Commentaire au Canon 7 du 6e Concile in Trullo », in RP, II, p. 323. 179 Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 349-350. Voir Imp. Constantinos Doucas, « Nov. Ὅτι ὁ βασιλεὺς οὐκ ἔχει ἐξουσίαν ἀμείβειν τοὺς θρόνους », in RP, V, p. 274-276. 180 Balsamon, « Commentaire au Canon 15 de Carthage », in RP, III, p. 336. 181 B. III.1.37 = Nov. 123 c. 21. 182 Ecl. B. 3.1.37, p. 165-166.

59

60

PREMIER CHAPITRE

cite – et ce n’est pas fortuit –, la B. 3.1.17, qui dut être utilisée comme réfutation juridique des motivations de Chrysobergès. Selon cette disposition, les archontes civils pouvaient siéger aux côtés des évêques, sur ordre impérial, et juger en commun avec eux une affaire ecclésiastique183. Cette formulation était certes absolument en accord avec la puissance impériale de type justinien, bien présente dans le programme politique de Manuel Ier. Cette confrontation judiciaire entre le Basileus et le Patriarche se termina avec la formulation très claire du juge civil, une formulation dont il ne faudrait pas perdre de vue, qu’elle s’adressait au Patriar‐ che de Constantinople : « Le pouvoir du Basileus peut tout faire. »184 Ce qui signifie qu’en substance, la question aurait pu être formulée de la façon suivante : Qu’est-ce qui peut enrayer la puissance d’un juge nommé par le Basileus, un juge divin qui portait la puissance pure (ἄκρατον κράτος) de la puissance impériale sous la forme de la gladii potestas ? Mais, en insistant sur le dipôle de Kantorowicz, il n’était pas possible de traiter le Christus de la même façon que le fiscus, étant donné que les autorités ecclésiastiques étaient plus contraignantes pour l’Empereur que ne l’étaient les Lois de l’État et les anciennes traditions romaines de l’État, écrites ou non écrites. Et ceci parce que le divin constituait la source de la légitimité du Basileus au niveau de la forme et de l’essence, tandis que l’ambivalence du divin constituait un facteur potentiel de déstabilisation des droits du Basileus romain sur le sceptre et la couronne. D’ailleurs, la distance de la louange à la calomnie n’était pas bien grande, rien que trois lettres les distinguant en langue grecque : εὐφημία – δυσφημία.

183 Β. III.1.17 = Nov. 137 c.4. 184 « Ἡ βασιλικὴ ἐξουσία πάντα δύναται ποιεῖν » : Balsamon, « Commentaire au Canon 15 de Carthage », in RP, III, p. 336.

CHAPITRE II

Lois sacrées et Saints Canons

Canons et Lois : Critères interprétatifs subjectifs et conditions objectives Les positions des canonistes byzantins du xiie siècle sur la dialectique des lois et des canons

Des trois canonistes éminents du xiie siècle, seul Jean Zonaras ne reçut pas de nomination impériale pour la rédaction de son vaste traité canonique. Comme ce fut le cas pour son Épitomè Historion1, Zonaras admet, dans ses scolies des saints canons, avoir entrepris ce travail en réponse aux incitations de son milieu amical immédiat2. Même si des formulations similaires résonnent peut-être comme des topoi littéraires établis3, il ne faut pas négliger le fait que Zonaras exprimait très probablement les opinions d’un milieu défini qui, s’il n’avait pas nécessairement de conceptions hostiles au régime, était très certainement empreint de scepticis‐ me. L’attention des études byzantines juridiques contemporaines s’est inévitable‐ ment portée sur une comparaison des travaux de Zonaras et de Balsamon sur le plan de l’utilisation des sources historiques et de leur intégration dans leur œuvre canonique. Stolte, en premier lieu, a remarqué la supériorité de Balsamon par rapport à Zonaras en ce qui concerne l’exploitation des données historiques4. De la même manière, Macridès, bien qu’elle ait tenté de souligner la compétence herméneutique de Zonaras par rapport au Balsamon « idéalisé » de Stolte, abouti, elle aussi à la constatation que Zonaras est resté attaché au passé, tandis que Balsamon a fait parler le passé au temps présent5. En effet, ce point de vue est confirmé par l’œuvre philologique de Lampsidès. Non seulement Balsamon exploitait le matériau historique, mais il constituait une source d’informations sur son époque : Zonaras ne renvoie que 43 fois à des questions qui concernaient le

1 2 3 4

Zonaras, I, p. 3, 7.-8. Zonaras, « Proiomion », in RP, II, p. 2. Troïanos, Sp., Les sources du droit byzantin, (Athènes : Sakkoulas, 2011), p. 354. Stolte, B., « The Past in Legal Argument in the Byzantine Canonists of the Twelfth Century », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 199-201. 5 « Τhe one remained in the past, the other made the past work for the present » : Macrides, R., « Perception of the Past in the Twelfth-Century Canonists », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 599.

62

CHAPITRE II

xiie siècle ou des traditions ecclésiastiques et canoniques qui survivaient intactes jusqu’à cette date, alors que, chez Balsamon, on recense 175 références de ce genre6. Toutefois, bien que Zonaras n’entreprenne pas des approches historico-criti‐ ques d’une étendue analogue à celles de Balsamon, cela ne signifie pas qu’une perspective historique soit totalement absente de son œuvre. Il convient plutôt de souligner ici que le travail historique de Balsamon reste sur un plan phénomé‐ nologique par rapport à la composition de Zonaras, où l’Histoire devient un outil méthodologique et un critère herméneutique. Leur différence n’est pas tellement une question de perspective qu’une question de cohérence de valeurs et d’opi‐ nions personnelles profondément ancrées, qui se sont certes traduites dans leur œuvre scoliastique. Zonaras fut surtout un historien et, dans la perspective de sa théorie macro-historique, même la moindre allusion prenait les dimensions d’une contestation fondamentale des conceptions établies. En l’occurrence, cette double qualité de Zonaras, comme canoniste et historien, confère de la profondeur à ses positionnements, en tant qu’il répond au principe de la lecture des canons comme outils historiques. En revanche, l’insistance de Balsamon et l’archéologie singulière des sources auxquelles il recourt pour étayer de manière souvent excentrique ses positions, té‐ moigne de son incapacité à consolider des propositions de l’idéologie dominante. Toutes proportions gardées, il apparaît en effet que Balsamon rédige ses scolies plutôt pour plaire à ses commanditaires que pour décrire un environnement canonique positif7. Il conviendrait de s’arrêter ici à un exemple qui a trait au droit civil : D’après un de ses commentaires au Nomocanon, Balsamon soutenait que si le maître d’un esclave avait été ordonné, il ne pouvait revendiquer sa propriété que pour une période de trois ans à partir de son ordination8. Il convient de signaler que dans ce cas, Balsamon se montrait totalement indifférent au sujet d’une disposition civile alors en vigueur, qui prévoyait une règlementation différente. En restant attaché à cette même problématique et en commentant le canon 85 du concile œcuménique Quinisexte9, Balsamon entreprend encore une fois une interprétation sui generis d’une Novelle d’Alexis Ier10, pour appuyer sa position : si les esclaves se mariaient, ils ne devaient pas être affranchis parce que l’hiérologie ecclésiastique du mariage ne constituait pas un rachat de leur esclavage11. Dans

6 Lampsidès, Od., « Comment les exégètes des canons introduisent les informations sur le monde contemporain », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 211-227. 7 Voir Pitsakis, « Le grand siècle de la science du droit canonique… », art. cit., p. 233. 8 Balsamon, « Commentaire au Nomocanon I.36 », in RP, I, p. 77-78. 9 « Canon 85 du vie Concile in Trullo », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 221-222. 10 Alexii Comneni, Nov. XXXV. Ut si servi in libertatem proclamentes testes produxerint, contraria testium production dominis non concedatur sed exceptio tantum, et ut servorum quoque conjugiis sacrae benedictions impertiantur (1095), in JGR, I, p. 341-346. Regesten, II, n. 1179 (1095), p. 42. 11 Balsamon, « Commentaire au Canon 85 de Troullo », in RP, II, p. 499-503.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

le premier cas, Balsamon protège les intérêts de l’Église, dans le second ceux des maîtres12. Sur le plan de l’idéologie, Balsamon fait preuve de la même virtuosité de distorsion. Stolte note que Balsamon ne fut pas critique à l’égard de ses sources. Mais il faudrait signaler qu’il utilisait ses sources à son gré, en mettant en valeur leur dynamique en conséquence. L’exemple de la Donation constantinienne, qui constituait un texte inauthentique et dont Stolte considère l’admission comme un indice de manque d’esprit critique de la part de Balsamon13, est assez significatif à ce propos. Balsamon savait que la Donation constantinienne constituait un texte falsifié. Pour autant, cela ne l’empêcha pas d’en faire avec ardeur une interpréta‐ tion « orientale », en voyant en elle un puissant renforcement des privilèges patriarcaux de Constantinople14. Mais quand la Donation venait à saper plutôt son argumentation, il n’hésitait pas à la démonter entièrement, en soulignant qu’elle ne constituait rien de plus qu’une loi présumée de Constantin15. En substance, la divergence entre les deux canonistes, entre Zonaras et Balsa‐ mon16, est décrite sans ambages par Balsamon en personne dans son commentaire à la lettre canonique à Ammoun d’Athanase le Grand17 : Balsamon se décrit lui-même comme un juriste, tandis qu’il décrit Zonaras comme un théologien, indépendamment du fait que d’ordinaire, Balsamon lui-même reproduit verbatim les commentaires de Zonaras18. Ce n’est guère un hasard, si dans le fond cette formulation laisse transparaître le dilemme : l’Église doit-elle utiliser la loi civile pour appréhender ou renforcer le droit canonique ? Ou, à plus forte raison, l’outil herméneutique du droit canonique est-il la théologie ou les traditions exégétiques l’outil des juristes ? Dans le fond cette problématique, du fait justement qu’elle

12 Papagianni, El., « Le problème des esclaves dans l’œuvre des canonistes du xiie siècle », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 444-445. 13 « We may find him uncritical in the use of his sources, as in the acceptance of the Donation of Constantine » : Stolte, « Past in Legal Argument… », art. cit., p. 209. 14 Balsamon, « Commentaire au Nomocanon I.36 », in RP, I, 79-81 ; Idem., « Commentaire au Nomocanon VIII.1 », p. 144-148 ; Idem., « Étude pour les deux offikia de Chartophylax et de Protékdikos », in RP, IV, p. 539-540. 15 Balsamon, « Étude sur les privilèges patriarcaux », in RP, IV, p. 552-553. 16 « L’interprétation de Zonaras (dans cette lettre canonique) ne fut pas consignée ici parce qu’elle visait à expliquer les paroles des Saintes Écritures et ne constituait pas une étude de droit canonique. Nous, dans la présente exégèse, ce n’est pas la règle de la rhétorique, la beauté du vocabulaire ou l’interprétation des paroles des Saintes Écritures qui nous ont préoccupés, mais nous sommes passé outre tout cela, parce qu’il était sans rapport avec la circonstance, comme (nous nous sommes préoccupés de) l’enseignement canonique et juridique, l’interprétation de ces lois et canons qui sont considérés comme opposés entre eux en apparence. Celui qui désire trouver l’explication et l’interprétation claires des paroles apostoliques ou encore des autres paroles des Saintes Écritures, il pourra les rechercher chez Zonaras ou leurs autres exégètes » : Balsamon, « Commentaire à la lettre canonique de saint Athanase au moine Ammoun », in RP, IV, p. 77. 17 Saint Athanase, « Lettre au moine Ammoun », in Joannou, Fonti, IX, t. II, p. 63-71. 18 Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 355-356, 361.

63

64

CHAPITRE II

est corroborée par une multitude de motivations institutionnelles19, ne constitue qu’une confrontation entre l’Église et l’État au niveau de l’herméneutique et de la méthode. Balsamon insiste sur la partie juridique, justement parce qu’il s’attache à promouvoir les intérêts impériaux et patriarcaux, même si son double langage est excentrique. Dans un sens, Balsamon est un positiviste qui se désintéresse des présuppositions herméneutiques du droit canonique, alors que Zonaras perçoit la relation entre l’Église et l’État en termes distincts. Au niveau de la composi‐ tion, cela est observable à l’exemple du commentaire au 59e canon du Concile œcuménique Quinisexte : Les difficultés herméneutiques amènent Zonaras à insister sur une série de critères ecclésiastiques pour apporter une solution de caractère canonique à la question. En revanche, Balsamon, de façon catégorique, recommande à son lecteur : « Ne prête pas attention à ce canon, mais attache-toi plutôt aux novelles du Philosophe (à savoir de Léon VI). »20 Dans l’optique de Théodore Balsamon, il est clair que la force des canons prévaut sur celle des lois de l’État. En premier lieu, il suffit de rappeler ici son commentaire au I.II du Nomocanon XIV : Les canons prévalent, parce qu’ils sont rédigés par les saints Pères et l’Empereur, tandis que les lois de l’État ne sont rédigées que par l’Empereur21. Cette conception régit les approches hermé‐ neutiques de Balsamon, comme par exemple son interprétation du canon 8 du iiie Concile œcuménique (Éphèse, 431). Ce point est d’importance, parce il y est formulé, certes sur une question canonique spécifique22, ce qu’il prendra par le ive Concile œcuménique et la disposition de Marcien en 451, des dimensions axiomatiques : « Si quelqu’un produisait une ordonnance opposée à la définition présente, le saint et œcuménique concile tout entier décide que cette ordonnance sera nulle et non-avenue. »23 Par conséquent, Balsamon n’hésite pas à interpréter cette formulation sous l’angle de la disposition postérieure du titre CJ. II.9, qui avait aussi été répétée au titre I.II du Nomocanon XIV : « Aucun autre décision impériale écrite (typos) ne doit être en vigueur, à savoir une ordonnance du Basileus, s’opposant à ce canon. »24 L’interprétation toutefois de Zonaras est plus pragmatique et décrit les bloca‐ ges autour de la problématique d’une application sans entrave des canons établis. La validité des décisions synodales était réduite en raison de la connivence des évêques avec des dignitaires politiques : « Pour que les canons ne soient pas transgressés et qu’ils (à savoir les évêques) n’utilisent pas comme prétexte la célébration des offices en la mettant en avant comme une sorte de rempart, en laissant la voie libre à la vanité du

19 Voir Magdalino, P., « Enlightenment and Repression in Twelfth-Century Byzantium. The Evidence of the Canonists », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 368-369. 20 Zonaras et Balsamon, « Commentaire au Canon 59 de Troullo », in RP, II, p. 439. 21 Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV, I.II », in RP, I, p. 38. 22 Voir Phidas, Histoire Ecclésiastique…, I, op. cit., p. 581-619. 23 « Canon 8 du 3e Concile d’Ephèse », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 65. 24 Balsamon, « Commentaire au Canon 8 du 3e Concile d’Éphèse », in RP, II, p. 205-206.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

pouvoir temporel de les pénétrer, et en s’asservissant à ceux-là (aux archontes politiques), qui n’ont pas de droits (sur le clergé), ils permettent que nous soyons privés de la liberté dont le Seigneur nous a gratifié, en se vidant de son sang pour la liberté des hommes. » Zonaras conclut en répétant la formulation du canon sur ce sujet25. Sur un plan méthodologique et sémiologique, la prévalence des canons sur les lois est décrite dans l’œuvre scoliastique de Zonaras par le fait que ses références aux lois de l’État s’effectuent pour illustrer que celles-ci sont en accord avec l’autorité des canons. Par exemple, son commentaire au 3e Canon du Ier Concile œcuménique (Nicée, 325) : « Et la Novelle qui se trouve dans le troisième livre des Basiliques, édictent les mêmes dispositions que les saint canons. »26 Mais l’approche de Zonaras est plus fondamentale : Les canons sont porteurs de caractéristiques qui existent en elles-mêmes, d’une sainteté, d’où émane leur caractère contraignant. Ils existent comme expressions divines, qui non seulement sauvegardent l’enseignement évangélique, mais aussi l’historicité de la tradition apostolique. Il n’est guère dû aux circonstances que dans les commentaires hermé‐ neutiques de Zonaras, comme celui au 3e Canon du ive Concile œcuménique, les canons sont présentés comme une grille de sens métaphysique et social absolu, qui n’a besoin ni d’autorités ni d’exégètes pour être appliquée ou interprétée27. Toutefois Balsamon, comme Zonaras, remarque qu’il convient d’attacher une attention particulière aux canons et accessoirement aux lois de l’État28. Mais son double langage est caractéristique, puisqu’avec la même facilité qu’il donne la prévalence aux canons, il renforce l’autorité des lois de l’État29. De la même manière, il soutient qu’il ne faudrait pas remédier aux lacunes juridiques des canons par des interprétations sui generis, mais rechercher la solution en recourant à la loi de l’État : « Où (à savoir pour toute question où), les canons ne stipulent rien, nous devons obéir aux lois. »30

25 Zonaras, « Commentaire au Canon 8 du iiie Concile d’Éphèse », in RP, II, p. 205. 26 Zonaras, « Commentaire au Canon 3 du Ier Concile de Nicée », in RP, II, p. 121. Voir Idem., « Commentaire au Canon 3 du IV Concile de Chalcédoine », p. 221 ; Idem., « Commentaire au Canon 24 du IV Concile de Chalcédoine », p. 271-272 ; Idem., « Commentaire au Canon 102 du vie Concile in Trullo », p. 552. 27 Zonaras, « Commentaire au Canon 3 du IV Concile de Chalcédoine », in RP, II, p. 221-222. 28 « Il faut préférer les canons aux lois » (= Προτιμᾶσθαι τῶν νόμων τοὺς κανόνας) : Balsamon, « Commentaire au Nomocanon XIV.I.23 », in RP, I, p. 60. Voir « Si la faute est ecclésiastique, l’évêque doit juger selon les canons, qui sont dans certains cas suivis de lois, sans que les archontes interviennent dans l’affaire » : « Nomocanon XIV.IX.1 », in RP, I, p. 170. 29 Balsamon, « Commentaire au Canon 59 du vie Concile in Trullo », in RP, II, p. 439. 30 Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV.I.30 », in RP, I, p. 68.

65

66

CHAPITRE II

Application de dispositions pénales du droit de l’État au droit canonique

Cette ambiguïté institutionnelle de Balsamon ne signifiait pas que le dialogue était absent de sa réflexion. Au contraire, il en résultait un nombre d’observations importantes. Ceci est notamment illustré par l’exemple de la philanthropie du législateur qui est, par ailleurs, étroitement liée au droit pénal31 : Conformément à son interprétation du titre IX.25 du Nomocanon XIV, Balsamon notait « que les lois anciennes furent modifiées dans le sens d’une plus grande philanthropie et ne furent pas établies avec une force identique à celle qu’elles possédaient avant leur expurgation »32. Cette remarque de Balsamon était liée à la suppression des formes les plus spécifiques d’exécution, comme le feu, l’ablation les fourches33, peines qui étaient prévues pour une série de cas par les anciennes lois de l’État. Or il en découle que l’interprétation philanthropique des lois faisait clairement référence à la relation entre les lois et les canons ou à plus forte raison entre l’État et l’Église. Balsamon discernait leur distinction explicite sur le champ du droit pénal34, c’est pourquoi il notait : « moi, je ne connais aucun canon qui permette le châtiment (à caractère pénal), comme la loi ecclésiastique ne comporte pas de punitions corporelles, mais seule celle (la loi) de l’État »35. De même, il rajoutait dans son commentaire au Canon 43 de Saint Basile36 : « Les pénitences ecclésiastiques ne punissent pas, mais sont sanctifiantes et thérapeutiques ; c’est pour cette raison que le canon dispose, par concession de Dieu, qu’une thérapie psychique doit être procurée à celui qui a commis un meurtre et à ceux qui tuent à la guerre (…) En revanche la loi civile ne soigne pas, elle punit. »37 Le caractère spirituel des canons, contrairement à la disposition punitive de la loi civile, se discerne, selon Balsamon, dans la manière dont les pénitences ecclésiastiques sont infligées et pratiquées. Cela (la différence) s’observe aussi dans le fait que les juges civils infligent des châtiments corporels, tandis que les évêques prononcent des pénitences ecclésiastiques qui s’adressent à la thérapie des péchés. Dans le premier cas, il est impossible d’atténuer ou à aggraver les peines prévues par la loi sans ordre impérial préalable, une formulation conforme au B.9.3.45.138. En revanche, les évêques, en assumant le poids de la confession et des péchés

31 Voir Troïanos, « La notion de la ‘philanthropie’ dans les lois justiniennes et post-justiniennes », Byzantina 29 (2009), p. 13-43. 32 Balsamon, « Commentaire au Nomocanon XIV.IX.25 », in RP, I, p. 189. 33 Ibid., p, 190. Voir Troïanos, SP., « Les peines dans le Droit byzantin », in Troïanos, Sp., (éd.), Crime et Punition à Byzance, (Athènes : Fondation Goulandris-Chorn, 2001), p. 36-38. 34 Voir B. 2.2.126.1 = D. 50.16.131.1. Ecl. B. 2.2.126.1, p. 50-52. 35 Balsamon, « Commentaire au Nomocanon XIV.IX.25 », in RP, I, p. 191. 36 Voir Basile de Césarée, « Canon XLIII. De celui qui a donné à son prochain un coup mortel », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,3, p. 135. 37 Balsamon, « Commentaire au Canon 43 de Basile de Césarée », in RP, IV, p. 190. 38 B. IX.3.45.1 = D. 42.1.45.1. Voir Ecl. B. 9.3.45.1, p. 402.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

des hommes, en étant toujours orientés vers le fait qu’ils vont rendre à Dieu des confessions qui leur ont été confiées, augmentent ou diminuent les pénitences en fonction de ces considérations. Toutefois, rien ne permet de penser que les affirmations de Balsamon relati‐ vement à la position de l’Église à l’égard du droit pénal ne dissimulent une réalité différente. Il apparaît, au contraire, qu’il n’était pas rare que le législateur recommandât la collaboration entre autorités étatiques et ecclésiastiques sur le plan des poursuites pénales39. C’est ce qui est attesté, entre autres, par un incident narré par Jean Tzetzès dans une de ses lettres adressées à la porphyrogénète Anna40 : Conformément à son témoignage personnel, un prêtre avait été arrêté pour exercice de magie (ἀρρητουργίας)41, chef d’accusation qui était de fait passible de peines très sévères. En premier lieu, le prêtre en question fut éloigné de sa communauté liturgique et dans finalement exilé, étant donné que Tzetzès se réfère clairement à une déportation canonique et non à un déplacement. Or, même dans sa nouvelle « patrie », il ne cessa pas de s’adonner à ses pratiques divinatoires (…), en utilisant comme siège un monastère local, d’où il ne tarda pas à être chassé. Toutefois, il apparaît que les pénitences canoniques ne furent pas suffisantes pour le corriger, et il est signalé que tant l’évêque local que le Patriarche de Constantinople, ordonnèrent à plus d’une reprise que le prêtre fût roué de coups. Plus précisément, il subit par ordre 40 coups de bâton, 36 coups de bâton et 36 de coups de fouet. Lorsqu’à un « assaut » de la garde, le prêtre réussit à s’évader, ce fut son plus jeune fils qui subit 13 coups de bâton à la place de son père42. En l’espèce, le vocabulaire restructure le cadre de la loi et de son exécution dis‐ ciplinaire : Le prêtre subit des plaies de bâtons et des plaies de lanières de cuir43, à savoir il reçut des coups de bâton (fustis)44 et des coups de fouet (flagellum)45. Certes, il convient de signaler les points suivants : i. le zèle de l’Église dépasse ses limites canoniques et mobilise les mécanismes des sanctions civiles ; ii. le caractè‐

39 Un exemple caractéristique est celui des poursuites à l’encontre des violeurs de religieuses, femmes ascètes, etc. Les dispositions de la loi étaient très sévères et prévoyaient des peines très variées : B. IV.1.15 = Nov. 123 c. 43. Ecl. B. 4.1.15, p. 181-182. Voir Epanagoge 40.59, p. 365. Epitome 8.48, p. 329 ; 45.116, p. 581. Prochiron 39.100, p. 290 ; 39.172, p. 298. Opus de jure 3.16, p. 422. 40 Tzetzès, Correspondance, n. 55, p. 142-147. 41 « ἀρρητουργία˙ ἡ αἰσχρουγρία » : Zonarae Lexicon, I, p. 297. Suidae, I, n. 3861, p. 394. Voir Les Constitutions Apostoliques, VIII.32.11, Metzger, M. (éd.-tr.), Cerf, Paris, 1992, p. 326. 42 « Crimen vel poena paterna nullam maculam filio infligere potest » : Dig. XXXXVIII.XIV.XXVI [Calistratus], in C.I.C., I, p. 816. Voir Peira, XLII, c. 20, 28, p. 553. 43 « Σκύτος˙ τὸ δέρμα, ἡ βύρσα » (= « skytos ; la peau, la byrsa ») : Zonaræ Lexicon, II, p. 1655. Voir Suidae, IV, n. 726, p. 392. « Βύρσα˙ παρὰ τὸ δέρω˙ τὸ ἐκδέρω (…) ἡ βύρσα ἡ ἐκδορομένη τοῦ σώματος », (= « byrsa ; de dero ; ekdero, écorcher (…) la byrsa, la peau écorchée du corps ») : Zonaræ Lexicon I, p. 411. Voir Etymologicum Magnum, I, p. 481. 44 « Fustis : 1. a. Stick, rod. b. a stick of firewood (…), 2. A stick as a weapon or instrument of punishment (…), b. as a military weapon » : OLD, p. 751. 45 « Flagellum : 1. whip, lash : a. as an instrument of punishment, b. for the horses » : OLD, p. 708. Voir Etymologicum Magnum, IV, p. 441.

67

68

CHAPITRE II

re punitif de type paléo-testamentaire de la peine est manifeste, tant sur le plan de la violence exercée qu’à la manière d’égalisation de son exécution46. Ces deux points conduisent à une constatation cruciale : Le prêtre du cas susmentionné – qui en l’occurrence eût pu être tout clerc de l’Empire – avait été puni par l’Église – et certes par l’État – comme un esclave, puisque les peines de ce genre étaient infligées aux esclaves. Conformément à la disposition B. 60.51.26, « seuls les hommes libres vils sont roués de coups »47, et en conséquence le dit clerc devrait être automatiquement classé dans l’état des humiliores. Mais de qui était-il alors l’esclave ? Certes de l’Église et de l’État. Deux formes de disciplines simultanées agissent dans la punition de ce clerc de la Thrace orientale : i. La flagellation désigne la relation maître-esclave ; ii. les coups de bâton désignent la relation père-fils ou maître-élève48. Toutes les deux formes cherchaient à accentuer le sen‐ timent de l’obéissance de la personne punie à l’égard de la puissance du pouvoir. Cette proposition tirait manifestement son origine de la tradition canonique et patristique49, tandis qu’elle apparaissait clairement dans le vocabulaire par le fait que Zonaras interprétait le terme bâton (ῥάβδος), comme le pouvoir romain50, indiquant que le spirituel devait se conformer à la voie pénale51. En récapitulant, le clergé est battu et son état clérical est humilié, dans le cadre d’un mécanisme qui visait à instiller dans la conscience des sujets le principe d’obéissance par des mesures disciplinaires brutales, qui étaient interprétées comme étant pédago‐ giques et non correctionnelles ou plutôt des pratiques punitives, contraires à la tradition canonique52. L’exercice de ce genre de pratiques visait à la dévalorisation de la position morale de la personne punie, selon la formule du scoliaste des Basiliques « plutôt en sa réputation » (εἰς ὑπόληψιν μᾶλλον)53 et au rappel adressé à la société que la personne battue était un homme inférieur. Compte tenu des circonstances, l’esprit de la philanthropie reculait en cédant la place à l’autorité de

46 Nomos Mosaikos 50.1-3, p. 164-165. Deutéronome 25.2-3. 47 B. LX.51.26 = D. XLVIII.19.28 pr. §§ 1-15. 48 « Si magister in disciplina vulneraverit servum vel occiderit, an Aquilia teneatur, quasi damnum iniuria dederit ? et Iulianus scribit Aquilia teneri eum, qui eluscaverat discipulum in disciplina : multo magis igitur in occiso idem erit dicendum. proponitur autem apud eum species talis : sutor, inquit, puero discenti iugenuo filio familias, parum bene facienti quod demonstraverit, forma calcei cervicem percussit, ut oculus puero perfunderetur. dicit igitur Iulianus iniuriarum quidem actionem non competere. quia non faciendae iniuriae causa percusserit, sed monendi et docendi causa : an ex locato, dubitat, quia dumtaxat castigatio concessa est docenti » : D. IX.II.V § 3, in C.I.C., I, p. 125. Peira, XLII, c. 16, p. 552. 49 Voir Constitutiones Apostolicæ, IV, 11.2-4, SC 329, p. 188.6-191.24. Cf. Basilii Magni, Homilia in Principium Proverbiorum, PG 31, 396BC. Proverbes, 13,24 ; 19,18 ; 23,13 ; 29,17. Sirah, 20,12 ; 30,11-12. II Timothée, 3,15. 50 « Ῥάβδος σιδηρᾶ : ἡ τῶν Ῥωμαίων ἐξουσία » (= « le sceptre de fer : le pouvoir des Romains ») : Zonaræ Lexicon II, p. 1604. 51 « Ῥάβδος Κυρίου : παιδεία ἡ πρὸς διόρθωσιν τοῦ παιδευομένου » (= « Le sceptre du Seigneur : éducation pour la correction de celui qui est éduqué » : Ibid. Voir Etymologicum Magnum, IV, p. 222. 52 Voir « Canon 10 du Synode Prime-Second », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 462-464. 53 Scholia B. LX.51.26§ 1. Voir Scholia B. XXI.2.22§ 1-3.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

la puissance ; en prenant en considération la naïveté avec laquelle Tzetzès narre les faits, des pratiques disciplinaires de ce genre à l’encontre de clercs, ne devaient pas constituer l’exception, mais plutôt la règle. En tout état de cause, il est évident que la supériorité spirituelle des canons résulte de ce qu’ils peuvent exprimer la philanthropie de Dieu au travers de l’exer‐ cice de l’économie ecclésiastique, alors que l’État est contraint de par sa nature d’appliquer les lois, sans aucune transgression des limites prévues54. Toutefois, il faut noter que Balsamon se réfère aussi à l’institution impériale elle-même comme à un facteur supra-juridique de la pratique juridique byzantine55, une exception importante dans l’ensemble de l’ordonnancement des lois et des règles de l’État. L’Empereur peut exercer en conséquence l’économie politique en créant des conditions d’exception, dans le cadre de l’exercice du droit sur-subjectivé, acte qui comme il est constaté par l’environnement jurisprudentiel, était décrit comme philanthropie56. Un commentaire à ce sujet est cité à l’Ecloga Basilicorum57. Ce commentaire accompagne la disposition B. 2.2.155.2 – « Concernant les motiva‐ tions des peines, il faut interpréter avec bienveillance »58, qui certes n’indique pas une introduction de l’esprit chrétien dans l’espace du droit romain, mais réitère un ancien commentaire de Paul, inséré au Digesta59. Il en est exactement de même avec la disposition B. 2.3.168 : « À défaut de clarté, il faut interpréter par ce qui est ami du bien. »60 Dans ce cadre nous pourrions mentionner la décision synodale sur la condam‐ nation au feu des Bogomiles et la réfutation canonique de Théodore Balsamon. L’exécution par le feu du médecin et moine Basile se situe en 1110 sous le règne d’Alexis Ier : Basile admit d’être accusé comme le dirigeant des Bogomiles de

54 Voir Wagschal, D., Law and Legality in the Greek East. The Byzantine Canonical Tradition, 381-883, (Oxford : OUP, 2015), p. 192-203. 55 Selon l’expression d’ Al. Kazhdan : « An extrajudicial factor in Byzantine judicial practice » : Kazhdan, The Byzantine Concept of Law…, art. cit., p. 210. 56 B. II.3.56 = D. 50.17.56. Ecl. B. 2.2.56, p. 108-109. 57 « La loi veut toujours prendre soin, de ceux qui vont être condamnés en tant que pécheurs, et subir des sanctions pénales. Voici ce que j’entends par là : souvent la loi condamne à la peine capitale (τιμωρεῖσθαι κεφαλικῶς) celui qui a péché (ἁματήσαντα) ; la peine capitale, consiste à décapiter quelqu’un, le jeter comme pâture aux fauves, l’exiler dans une île, lui faire subir l’ablation d’un membre, ou le couvrir d’infamie. Nous rencontrons alors ici la loi infliger des peines capitales, sans pour autant mentionner explicitement la nature de cette peine capitale ; nous devons interpréter (la loi) orientés vers le bon vouloir et ce qui est le plus ami du bien et infliger la peine la plus légère, c’est-à-dire de frapper d’infamie celui qui a péché et de ne pas le jeter aux fauves ou de lui trancher la tête » : Ecl. B. 2.2.155.2, p. 145. 58 Β. II.2.155.2 = D, 50.17.155.2. B. LX.51.11 = D. XLVIII.19.11 [Márc.]. B. LX.51.39 = D. XLVIII.19.42 [Ermogén.]. Voir Opus de jure 48.196, p. 482. 59 D. 50.17.155.2 [= Paulus, De Diversis Regulis Iuris Antiqui], in C.I.C., I, p. 872. 60 B. II.3.168 = D. 50.17.168. Ecl. B. 2.3.168, p. 150. Ecl. B. 2.3.56 (B II.3.56 = D. 50.17.56) p. 108. Voir D. 50.17.155.2, in C.I.C., I, p. 872. Synopsis Minor, p. 478[μστ´].

69

70

CHAPITRE II

Constantinople et fut conduit au bûcher dressé au Circus Maximus à la suite d’une sentence impériale61 et synodale62 à l’unanimité. Non seulement la responsabilité de l’application de telles pratiques revenait à l’Église, mais celle-ci rechercha sans manifester aucune culpabilité leur mise en œuvre à grande échelle. Peut-être la sentence la plus sombre jamais prononcée par un corps synodal au cours du millénaire byzantin fût-elle celle signée sans hé‐ sitation par le Patriarche de Constantinople Michel II Courcouas entre novembre 1145 et mars 1146 : Cette sentence synodale ordonnait de conduire les Bogomiles au bûcher63. Par ailleurs, même dans le cas de Basile, ce fut l’Église qui la première le condamna au feu, l’État ne faisant que la suivre en contresignant la sentence64. Or, dans le cas d’espèce, cet excès de zèle doit être attribué spécialement à l’Église, qui semble avoir outrepasser les domaines spirituels et canoniques. Ce fut ce que Théodore Balsamon distingua de façon significative, en renversant la logique de la sentence synodale en question : En effet, les anciennes lois (Digestes, Codes) prévoyaient pour certains cas la condamnation au feu. Toutefois, les Basiliques, en expurgeant les anciennes dispositions et en mettant en avant le terme de la philanthropie, supprimèrent entre autres la peine de mort par le feu65. Par conséquent, la révocation de dispositions des anciens textes législatifs s’opposait au fonctionnement juridique de l’État (μὴ τρακταϊσθῆναι τοὺς νόμους)66, puisque le législateur avait explicitement décidé lui-même leur suppression67, en indiquant clairement le respect du texte des Basiliques68. Balsamon se tourna par la suite vers le Synode patriarcal en mentionnant : « N’admire pas, alors, le fait que le Synode de Constantinople (il parle de l’institution du Synode patriarcal en général) sous le patriarcat du très saint patriarche kyros Michel Courcouas ait prononcé une sentence, et ait permis de brûler les Bogomiles. (…) Moi, je ne connais aucun canon infligeant une telle punition, étant donné que la loi ecclésiastique (à savoir le Droit canonique) n’inflige pas de peines corporelles, contrairement à la loi civile ; c’est pourquoi je suis encore étonné que le synode ait prononcé une telle diagnôsis (sentence judiciaire) ; nous, nous avions appris à retrancher les hérétiques du corps du Christ, nous n’avons pas appris de à les punir, mais s’ils campent sur leurs

61 Euthymii Zigabeni, Panoplia Dogmatica, XXVII, PG 130, 1332C. Zonaras, t. III, XVIII.23, p. 744. 62 Voir Obolensky, The Bogomils, op. cit., p. 275-277. Rigo, A., « Il processo del bogomilo Basilio (1099 ca.) : una riconsiderazione », OCP 58 (1992), p. 185-211. 63 Regestes, III, n. 1020 [s. d.], p. 95. 64 Alexiade, t. III, XV.X, p. 226. 65 Balsamon, « Commentaire du Nomocanon XIV, IX.25 », in RP, I, p. 190. 66 Τρακταϊσθήναι : discuter, examiner, considérer (tractor). 67 « Celui qui accomplit l’expurgation des lois basiliques et rédigea les Basiliques n’accepta pas ces peines » : Balsamon, « Commentaire du Nomocanon XIV, IX.25 », in RP, I, p. 190. 68 « Les digestes qui s’opposent à l’enseignement légal présent des Basiliques ne doivent pas être appliqués (n’ont pas force de loi) » : Balsamon, « Commentaire du Nomocanon XIV, IX.25 », in RP, I, p. 190-191.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

positions, il convient de les livrer (les hérétiques) à la loi civile, pour que les officiers civils prennent alors leurs propres décisions (civiles). »69 Balsamon ajoutait que ce rétablissement insensé de l’ancienne loi, au mépris de l’esprit de philanthropie du Droit canonique, au lieu d’enrayer l’action des Bo‐ gomiles, la favorisait, parce que ceux-ci recevaient leur condamnation au bûcher comme un vrai martyre, comme un baptême par le feu70. Les sources attestent que ce genre de conceptions effrayait les orthodoxes qui, de leur côté, considéraient que les démons pourraient porter secours à la victime et la sauver par la puissance du feu71.

Νόμος – Κανών : Le vocabulaire juridique et la dialectique institutionnelle Le vocabulaire nomocanonique et juridique

La disposition I du titre III du Livre II des Basiliques reproduit en langue grecque l’ancienne définition romaine de Paul, telle qu’elle fut incorporée au titre XVII du Livre L des Digestes72 : « Le canon est un bref récit de la chose et une liaison, qui en ce qui concerne la faute ne désigne pas le sujet. Et le canon découle des lois, tandis que la loi ne doit pas émaner du canon. »73 En l’absence de développements sur ce point dans les Basiliques, le scoliaste de l’Ecloga Basilicorum rédige un bref commentaire où, en utilisant la périphrase, il rend, verbatim, la disposition en question74. Cette disposition rend l’aspect le plus important de la dialectique concernant la subordination des canons aux lois, dans la mesure où – que le terme de canon soit précédé ou non de l’adjectif saint – ceux-ci constituent ex rebus des formes d’expression juridique75. Le canon constitue un bref récit de l’affaire qu’une loi décrit, en liant, en synthétisant et en soulignant le noyau de l’interprétation de la loi de façon concise, compacte et très claire76. Avant d’examiner ce que Balsamon eût appelé « une interprétation théologi‐ que et non juridique » du terme des canons, il convient de signaler que le travail

69 70 71 72

73 74 75 76

Balsamon, « Commentaire du Nomocanon XIV, IX.25 », in RP, I, p. 191. Ibid. Voir Euthymii Zigabeni, Panoplia Dogmatica, XXVII, PG 130, 1317C. Alexiade, t. III, XV.X, p. 227-228. « Regula est, quae rem quae est breviter enarrat. non est regula ius sumatur, sed ex iure quod est regula fiat. per regulam igitur brevis rerum narratio traditur, et ut ait Sabinus, quasi causae coniectio est, quae simul cum in aliquo vitiata est, perdit officium suum » : D. L.XVII.1, De diversis regulis iuris antiqui, in C.I.C., I, p. 868. B. II.3.1 = D. L.17.1. Voir Synopsis Minor, p. 436-437[πα’+πβ’]. Ecl. B. 2.3.1, p. 80-81. Sur la sacralité des Canons Voir Wagschal, Law and Legality…, op. cit., p. 214-217. Ecl. B. 2.3.1, p. 80-81.

71

72

CHAPITRE II

synthétique de l’Église dans la rédaction des canons, suit exactement le même processus positiviste qui est décrit dans la disposition relative des Basiliques. En d’autres termes, le canon, sur le plan de la foi, constitue le récit concis et condensé d’un enseignement étendu et exhaustif qui doit être formulé de façon claire et contraignante, de sorte que dans son institutionnalisation il ne soit pas sujet à des interprétations erronées. En conséquence, les canons ecclésiastiques ayant trait à des questions administratives rendent compte soit de longues traditions, soit d’une problématique dont l’étendue doit être exprimée de façon claire et consolidée77. Il serait vain de rechercher, dans le vocabulaire des canonistes « éminents » du xiie siècle une définition du substantif Canon78. Leurs références sont plutôt descriptives que substantielles et, lorsqu’ils procèdent à des formulations, cela ne concerne que les rapports de force institutionnelle entre l’Église et l’État. Toutefois, une approche interprétative apparait de façon inattendue dans l’Exégèse de Jean Zonaras des canons chantés de la Résurrection de Jean Damascè‐ ne. Zonaras décrit en premier lieu les termes épistémologiques de l’approche en la matière79, en signalant que le terme canon, comme terme technique, est utilisé dans la grammaire, la philosophie, la médecine et les lois civiles80. « Mais sont aussi appelés canons », observe-t-il, « les commandements pieux des saints Pères. » Et de continuer : « Leur nom est tiré du morceau de bois que les menuisiers et travailleurs de la pierre (apparemment par ces deux termes il entend les maçons et les ingénieurs81) utilisent ou d’autres encore qui ont à tracer des lignes droites et est appelé dans leur métier règle d’alignement, qui trace des lignes droites et égalise les morceaux. De même, alors que la règle (canon) leur permet de tracer des lignes droites, elle le fait exactement dans chaque science et chaque art raisonnable, les canons confirmant ce qui peut être réglé (à savoir ce qui

77 Sur la dialectique classique autour de la question, Voir Gaudemet, L’Église dans l’Empire Romain…, op. cit., p. 467-483. 78 Sur la notion du Canon : Assmann, J., Das kulturelle Gedächtnis. Schrift, Erinnerung und politische Identität in frühen Hochkulturen, (München : Beck, 1999), p. 136-174. Voir Wagschal, Law and Legality…, op. cit., p. 138-153. 79 « Et ces noms sont reçus quasi techniquement dans l’affaire » : Zonaræ, Expositio Canonum Damasceni, PG 135, 421C-424A. 80 La définition contenue dans le Lexicon de Zonaras est tout aussi importante et condensée : « Canon. Parole technique déclarative adressant une ressemblance à l’absence totale de distorsion des mots ; ou est canon une loi inviolable et une mesure irréfragable n’admettant aucun ajout ou retranchement ; de canon, qui est un morceau de bois que les artisans utilisent sur des bois ou des pierres pour les égaliser ; en apposant alors le canon sur ce qu’ils travaillent, par lui, s’ils y trouvent des obliquités, niches et saillies, ils le ramènent à la droite et redressent l’objet qu’ils travaillent » : Zonaræ Lexicon, II, p. 1143. Voir Etymologicum magnum, III, p. 195-196. 81 « Nous appelons constructeurs du bois non seulement ceux qui travaillent le bois, mais tous les maçons » : B. II.2.226.1 = D. 50.16.235.1. Voir Ecl. B. 2.2.226.1, p. 77. B. 54.6.8.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

est droit et symétrique) et qui peut être défini ». Zonaras ajoute : « Le canon est aussi appelé oros (borne, définition, terme). En séparant de tout le reste et en définissant, pour que rien d’autre n’interfère et ne crée de confusion dans le discours, les commandements qui ont été composés par les saints Pères sont en raison appelés canons ; ils s’adressent eux aussi à ceux qui y obéissent (en conduisant) à la foi juste et immuable et à la vie vertueuse et agréable à Dieu. »82 La correspondance des termes Canon et Oros, malgré la très claire observation explicative de Zonaras, comporte un aspect d’importance83. Selon la définition de la Souda : « oros est un discours énoncé par analyse des parties ; ou il en est l’expression ; ypographi (esquisse) est le discours introduisant formellement aux choses, ou un oros dont la force d’énonciation est plus simple »84. La Souda souligne avec emphase : « et l’oros diffère de la preuve »85. Il apparaît que le raisonnement syllogistique de Zonaras, associé à ses ré‐ férences lexicographiques contemporaines, renvoie aux formulations des Basili‐ ques II.3.1. Ce que la Souda décrit comme Oros, et qui selon Zonaras est synony‐ me du mot Canon, n’est rien de plus que ce que la disposition des Basiliques conçoit comme Canon. Un examen attentif de la partie épistémologique, permet de constater que le rédacteur de la Souda procède à une distinction des termes oros et apodeixis, justement parce qu’il décrit comme oros le résultat et l’expression consolidée et cohérente d’un raisonnement syllogistique long et complexe sur une question, un processus qui est appelé apodeixis (démonstration)86. En conséquen‐ ce, le travail de synthèse décrit tant le processus législatif que son articulation expressive. Il en est exactement de même avec la distinction des mots oros et ypographi, justement parce que la Souda y discerne la confusion qui peut se produire au niveau diplomatique. Ainsi, est décrit comme ypographi la subscriptio impériale87, par laquelle sont signifiés tant le travail des notaires impériaux88, que la partie du document impérial qui décrit concisément sa thématique. Dans la seconde partie de ses observations, Zonaras introduit une série de correspondances significatives, entre le terme de Canon, comme principe scienti‐ fique et épistémologique, comme commandement patristique et comme genre hymnographique : 82 Zonaræ, Expositio Canonum Damasceni, PG 135, 424CD. Voir Etymologicum magnum, IV, p. 65-66. 83 Pour la distinction entre definitiones et regulae Voir Schulz, F., History of Roman Legal Science, (Oxford : OUP, 1953), p. 66-67. Stein, P., Regulae juris : From Juristic Rules to Legal Maxims, (Edinburgh : the University Press, 1966), p. 65 et passim. Wagschal, Law and Legality…, op. cit., p. 151. 84 « Oros (Ὅρος). Discours bref » (= Ὅρος. Λόγος σύντομος) : Zonaræ Lexicon, II, p. 1462. 85 Suidae, III, n. 627, p. 562. 86 Ibid., I, n. 3289, p. 294-295. 87 Karayannopoulos, Byzantinische Urkundenlehre…, op. cit., p. 93. « Subscripiō : 1. Something written below or after : a. an inscription on the base of a statue, etc., b. a formula of greeting at the end of a letter, c. an imperial rescript appended to a petition in answer to it » : OLD, p. 1848. 88 Suidae, IV, n. 467, p. 668. Voir Etymologicum magnum, IV, p. 400.

73

74

CHAPITRE II

« C’est aussi pour cette raison que les hymnes prirent le nom de canon ; parce que leur mètre est fixe et formulé dans les cadres de neuf odes, sans que celui-ci dépasse la limite de la neuvième (ode) ; et il est justement appelé canon parce que le mètre (du poème) obéit aux mètres de ces odes. »89 Sur ce point, il insère une référence à l’apôtre Paul, selon laquelle le mode de vie chrétien est lié tant aux limites de l’enseignement ecclésiastique qu’à la vie ver‐ tueuse de chaque chrétien90. Cette explication scripturaire concise de Zonaras est suivie de sa remarque explicite : « c’est ainsi que l’apôtre utilise également le nom de canon ; c’est pourquoi cet hymne (à savoir le canon chanté de Damascène) est appelé ici canon »91. Mutatis mutandis, la formulation de Zonaras renferme quatre perspectives différentes, mais non contradictoires : i. La signification du canon est liée à l’obéissance et la discipline à l’égard de l’enseignement ecclésiastique et en con‐ séquence à l’alignement de la vie personnelle sur les principes de la foi. Elle montre la concomitance des critères canoniques et des critères substantiels des canons et du dogme ecclésiastique, elle est formulée de façon caractéristique, par exemple, par Michel de Nicomède en 1170 : « le canon droit et très juste de la dévotion »92. Il s’agit là du point de vue théologique. ii. La signification du canon (comme règle, instrument à tracer) est liée aux saints canons et en conséquence à l’alignement sur les principes de l’ordre juridique qui régissent le corps ecclésial93. C’est le point de vue canonique. iii. La signification du canon comme loi de la prosodie est liée au genre de la poésie chantée, qui doit s’aligner sur une série de principes poétiques, mais aussi musicaux, pour se créer et fonctionner. Cette formulation réintroduit la définition ancienne de la loi, comme trope musical, comme un système de tons et demi-tons mathématiquement structuré qui for‐ ment un univers harmonieux rigoureusement construit94, qui envahit de façon mystique les structures des sociétés civiles95. En conséquence, la loi, comme Zonaræ, Expositio Canonum Damasceni, PG 135, 424D. II Corinthiens, 10.13-16. Zonaræ, Expositio Canonum Damasceni, PG 135, 424D-425Α. Actes III, p. 191. De la même manière dans les Saintes Écritures c’est l’enseignement chrétien qui est mentionné comme voie (ὁδός) et nullement l’ordre cultuel : « Et eux de raconter ce qui s’était passé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain » : Luc, 24.35. « ‘(…) Et du lieu où je vais, vous savez le chemin’. Thomas lui dit : ‘Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment saurions-nous le chemin ?’. Jésus lui dit : ‘Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi’ » : Jean, 14.4-6. Voir Matthieu, 3.3 ; 7.13-14 ; 21.32 ; 22.16. Marc, 1.3 ; 12.14. Luc, 1.76 ; 1.79 ; 3.4 ; 20.21. Jean, 1.23 ; 14.4-6. Actes des Apôtres, 13.10 ; 14.16 ; 16.17 ; 18.25-26 ; 19.9 ; 22.4 ; 24.22. Romains, 3.16-17 ; 11.33. I Corinthiens, 4.17. Hébreux, 3.10 ; 9.8 ; 10.20. II Pierre, 2.2 ; 2.21. Apocalypse, 15.3 ; 16.12. 94 Voir Fögen, Droit Romain…, op. cit., p. 96-100. 95 « Loi : le trope de guitare de la mélodie, ayant de l’harmonie et un rythme défini. (…) Et les Doriens utilisent le mot sur la monnaie, tandis que les Romains parlent de distorsion de la loi. Les Attiques appellent ainsi les parties distribuées de la terre, comme en Égypte aussi le droit écrit ; que Darius avait une loi, la loi phrygienne et lydienne et ionienne » : Suidae, III, n. 478, p. 477. Voir

89 90 91 92 93

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

un des principes les plus fondamentaux de la science politique, ne renvoie pas seulement à la Justice comme « la distribution égale selon la valeur de chacun » – τὴν τοῦ ἴσου καὶ τοῦ κατ’ ἀξίαν ἑκάστῳ διανέμησιν – selon le commentaire de l’antecessor anonyme des Basiliques96, mais aussi à la disposition harmonique et versifiée de l’État, sous forme de loi97. C’est le point de vue musical98. iv. Le sens épistémologique du canon comme principe fondamental de la science du Droit et comme alignement sur les principes de l’ordre juridique étatique, qui constitue en substance la proposition essentielle de l’institution impériale99. Sur le plan du vocabulaire, la synthèse découle de la corrélation lexicale du terme canon, qui traduit le terme regula de la disposition D. L.17.1100. Ainsi, tant le terme regula que sa traduction grecque comme canon (κανὼν), renvoient à ce que Zonaras décrit comme l’instrument d’alignement de toute science et tout arts rationnels, y compris des lois de l’État101. Dès lors, les définitions des canons se trouvent en parfait accord avec ce qui dans le langage du droit byzantin est appelé droiture de la loi : « Gérer et administrer tout acte selon la droiture du droit, car il vit la droiture du visage de Dieu, comme il nous a été enseigné. »102 De fait, alors, le canon est considéré comme la mesure de la délimitation de l’espace de l’ordre juridique, tout aussi bien que de la défense des biens juridiques protégés103.

96 97 98

99 100 101 102 103

Etymologicum magnum, III, p. 468. « Νόμος, ὁ : (…) 3. t. de mus. Mode musical, en parl. des cinq modes phrygien, lydien, ionien, éolien et dorien : νόμοι ᾠδῆς » : Bailly, p. 1332. « Νόμος, ὁ : melody, strain » : Liddell – Scott, II, p. 1180. Voir West, M. L., Ancient Greek Music, OUP, 1992, p. 298-302, 334, 441-443, 446. Scholia B. II.1.1§ 2. Β. ΙΙ.1.10 = D. I.1.10. Hunger, Prooimion…, op. cit., p. 109-112. « Muse : le savoir (…) car c’est elle la raison de toute l’éducation (…) et un grand nombre de Muses fut livré par les théologiens, car le multiple a beaucoup de connaissances et est propre à tout usage » : Suidae, III, n. 1291, p. 414. « Μουσική : any art over which the Muses presided » : Liddell – Scott, II, p. 1148. Patzès se réfère explicitement au Droit comme à un des arts, comme la maçonnnerie, la logique, etc. : Scholia B. II.1.1§ 5. Voir B. II.1.1 = D. I.1.1. Hunger, Prooimion…, op. cit., p. 112-113. « Rēgula : 1. A rod used for drawing straight lines or measuring, ruler, 2. A basic principle, rule, standard, or sim, 3. A long straight piece of wood or metal, a rod, bar, or sim » : OLD, p. 1602. Zonaræ, Expositio Canonum Damasceni, PG 135, 424Β. Manuelis, Nov. LXIII. Contra jus elicita, op. cit., p. 386. « On interprétera pareillement l’adjectif rectus comme ‘droit à la manière de cette ligne qu’on trace’. Notion matérielle et aussi morale : la ‘droite’ représente la norme ; regula, c’est ‘l’instrument à tracer la droite’ qui fixe la règle. Ce qui est droit est opposé dans l’ordre moral à ce qui est tordu, courbé ; (…) À lat. rectus correspond l’adjectif gotique raihts traduisant gr. euthús, ‘droit’, aussi le vieux-perse rāsta, qualifiant la ‘voie’ dans cette prescription : ‘N’abandonne pas la voie droite’ » : Benveniste, La vocabulaire des institutions indo-européennes…, II, op. cit., p. 14.

75

76

CHAPITRE II

« Les pragmatiques sanctions s’opposant aux canons sont nulles » : La question de l’interprétation de la disposition CJ.II.9104

La corrélation de la force de la loi et du canon résulte de l’œuvre des cano‐ nistes du xiie siècle, et décrit un environnement hautement antinomique, dans lequel s’enchevêtrent des caractéristiques d’ordre subjectif, comme par exemple l’ambiguïté institutionnelle de Balsamon, et des caractéristiques d’ordre objectif, comme les contradictions fonctionnelles entre les canons et les lois, ou encore la contradiction interne de la loi en raison de ses caractéristiques hétérogènes et d’origine diverse. La question en soi de la relation entre la loi et le canon conduit à la description de la relation entre l’État et l’Église. Or, il apparaît de fait qu’une telle approche serait particulièrement superficielle, étant donné qu’elle est précé‐ dée par d’autres problèmes d’ordre structurel, comme par exemple la question de savoir qui a institutionnellement la charge de la sauvegarde et de l’exécution des canons, ou encore, qui ratifie les canons pour les rendre équivalents aux lois civiles. La question a une longue tradition herméneutique qui remonte à la Novelle de l’an 451 des Empereurs Valentinien III (425-455) et Marcien (450-457)105, qui avait suscité tant de discussions. Cette Novelle fut insérée au Code de Justinien Ier (527-565)106 et se trouvait en parfait accord avec la proclamation explicite du ive Concile œcuménique (Chalcédoine, 451) : « Aucune sanction pragmatique contraire aux canons ne peut être en vigueur. »107 Cette disposition fut réitérée au Chapitre II du titre I du Nomocanon XIV : « les pragmatiques sanctions s’opposant aux canons sont nulles »108. Le terme pragmatique (πραγματικὸν) signifie les pragmaticae sanctiones impé‐ riales109 qui, dans la disposition en question, étaient considérées nulles si elles s’opposaient aux saints canons. Par conséquent, sur le plan législatif, la force des canons l’emportait sur celle de la loi. Toutefois, le problème est que cette disposition n’a pas été incluse dans les Basiliques, ce qui signifie, selon les principes

104 « Οἱ τοῖς κανόσιν ἐναντιούμενοι πραγματικοὶ τύποι ἄκυροί εἰσιν ». 105 CJ. II.9., Impp. Valentinianus et Marcianus (a. 451), in C.I.C., II, p. 13. 106 « Omnes sane pragmaticas sanctiones, quae contra canones ecclesiasticos interventu gratiae et ambitionis elicitae sunt, robore suo et firmitate vacuatas cessare praecipimus » : Ibid. 107 « Κατὰ τῶν κανόνων πραγματικὸν μηδὲν ἰσχύει » : Concilii Chalcedonensis, A. Actio de Photio Episcopo Tyri et Eustathio episcopo Beryti, in Mansi, VII, q. 89AB. 108 Nomokanon XIV, I.II, in PR, I, p. 36. 109 « Les ordonnances du basileus sont appelées types pragmatiques » : Balsamon, « Commentaire au Canon 12 de IV Concile Oecumenique », in RP, II, p. 247. Voir Karayannopoulos, Byzantinische Urkundenlehre…, op. cit., p. 176-177.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

de l’expurgation et les présupposés herméneutiques de Balsamon, que cette loi avait perdu sa force110, fait que Balsamon s’était bien sûr empressé de signaler111. L’exclusion de cette disposition justinienne des Basiliques semble amenuiser l’autorité des canons par rapport à la loi civile. On peut considérer que la formula‐ tion en soi de la disposition CJ.II.9 a donné lieu à des interprétations erronées de la part des chercheurs contemporains, fait qui est sous-tendu par l’absence quasi absolue d’une problématique sur ce point dans les textes des scoliastes byzantins. À l’appui de cette considération notons que : Est appelée Pragmatica sanctio une sorte de disposition qui n’est pas considérée lex generalis, mais présente pourtant un intérêt plus général. Une disposition de ce genre, le pragmaticon (πραγματικὸν), était émise en faveur d’une personne ou tout au moins pour servir un intérêt très spécifique. La pragmatica sanctio apparut pour la première fois au ve siècle et il devint très vite perceptible qu’elle constituait le levier de légitimation d’une série d’actes arbitraires pris à l’encontre de l’ordre juridique et des intérêts de l’État. Vingt-cinq ans approximativement après les restrictions dans l’exécution de la force des canons par rapport aux lois que l’État et l’Église avaient imposées, Zénon (474-475, 476-491) édicta une disposition qui imposait des cadres très rigoureux au contenu et à l’objectif de l’émission d’une pragmatica sanctio. La même chose se produisit dans le cas de textes législatifs analogues des Empereurs Anastase Ier (491-518) et Justinien Ier (527-565). En général, l’émission d’une pragmatica sanctio impliquait sa conformité à une série de principes législatifs très rigoureux : i. elle ne devait pas servir des intérêts très étroits112 ; ii. elle devait correspondre entièrement à la réalité113 ; iii. elle ne devait pas s’opposer au ius generale ; iv. elle serait annulée, si elle contrevenait aux intérêts de l’État114. On peut observer que c’était le Monarque lui-même qui fixait des restrictions à la puissance législative, en plaçant les intérêts de l’État et le respect des lois au-dessus de lui-même. C’est dans ce cadre de restrictions de la puissance législative du Basileus, lorsqu’une pragmatica sanctio transgressait les intérêts juridiques de l’État, que s’inscrivait aussi la Novelle Ut rescripta contra jus elicita irrita sint de Manuel Ier en 1159115. Il conviendrait d’accorder une attention particulière au texte législatif en question, non seulement parce qu’il récapitule toute la tradition législative créée sur les termes de la légitimité d’une pragmatica sanctio, mais surtout parce que les bénéficiaires en avaient été les monastères et les différents établissements

110 Balsamon, « Prooimion du Nomokanon XIV », in RP, I, p. 31-32. Voir Stolte, B. H., « Balsamon and the Basilica », SG 3 (1989), 115-125. Idem., « Civil Law in Canon Law : a Note on the Method of Interpreting the Canons in the Twelfth Century », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 544-545. 111 Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV, I.II », in RP, I, p. 37. 112 Imp. Zeno, Universa rescripta (a. 477) (= CJ. 1.23.7), in C.I.C., II, p. 76. 113 Ibid. Voir B. II.6.3 = D. I.4.2. 114 Imp. Anastasios, Omnes maioris (a. 491 ?) (= CJ. 1.22.6), p. 75-76. Voir B. II.5.3 = C. I.19.3. 115 Manuelis, Nov. LXIII. Contra jus elicita, op. cit., p. 385-387.

77

78

CHAPITRE II

philanthropiques auxquels Manuel Ier avait concédé par le passé des privilèges, de son propre aveu, illégaux116. Essentiellement, la disposition CJ.II.9 enrayait les actes arbitraires potentiels du Monarque à l’encontre de l’Église et par conséquent à l’encontre du dogme et des saints Canons. Elle signalait le caractère distinct des fonctions institution‐ nelles et limitait la possibilité pour l’Empereur de statuer sur des questions ecclésiastiques par des dispositions législatives qui s’opposaient tant aux limites substantielles que canoniques de l’Église. En l’occurrence, les canons annulaient sous conditions les lois civiles, dans la mesure où ces dernières méconnaissaient les critères herméneutiques ecclésiologiques établis. Comme nous le montrerons, c’est ce point qui fut au départ de la réflexion de Balsamon analysant la relation entre les canons et les lois. Il convient toutefois de signaler ceci : Les restrictions qui étaient imposées à la force de la pragmatica sanctio ou à toute autre ordonnance impériale ne concernaient pas les relations strictes entre l’Église et l’État. Une telle hypothèse impliquerait de placer automatiquement l’Église au même niveau institutionnel que l’État. Au contraire, les restrictions de la puissance législative impériale, ce qui est le cas par exemple de la Novelle Ut rescripta contra jus elicita irrita sint de Manuel Ier examinée plus haut, fut une règle stable et générale de la philosophie du législateur, à savoir de protéger constamment les biens juridiques et les intérêts de l’État face aux intentions personnelles de l’Empereur de procéder à des actes arbitraires. Parmi les différents exemples117, il est possible de citer celui de la dis‐ position B. 7.6.11, qui reproduisait une disposition antérieure de la C.III.1.11118 : « Le juge doit prendre soin de l’acribie des lois en faisant attention à des ajouts illégalement effectués éventuellement par le Basileus. »119 Le commentateur de l’Ecloga Basilicorum expliquait : « La présente disposition ordonne au juge de ne jamais juger contrairement au droit, quand bien même il y est une ordonnance du Basileus qui lui

116 « Ma majesté, depuis qu’elle fut élevée à la basileia par Dieu, ne voulut jamais entreprendre quoi que ce soit qui outrepassât la mesure du droit (παρὰ τὴν τοῦ δικαίου ἰσότητα ἐνεργῆσαι). (…) Et soit en raison d’oubli (il entend la méconnaissance des lois anciennes), soit en raison d’autre forme d’économie, ma majesté ordonna quelque chose qui ne fût pas conforme à l’exactitude (acribie) de la loi : i. Il est ordonné par le présent chrysobulle que si quelque chose tout au long de notre empire, est décrété par écrit ou oralement par ma majesté qui s’oppose à la justice et à la droiture des lois, celui-ci (ce décret) reste pour toujours nul et non avenu (…). ii. Toute ordonnance qui fut ou sera édictée à tout moment et de quelque manière que ce soit et qui s’oppose au présent décret de ma majesté, quand bien même il s’agit d’un chrysobulle, doit rester absolument dépourvue d’effets et être considérée comme non avenue » : Manuelis, Nov. LXIII. Contra jus elicita, op. cit., p. 386. 117 Voir B. VII.1.42 = C. II.9.3 ; B. IX.1.38 = D. 49.5.4 ; B. IX.1.79 = C. VII.45.13. 118 CJ. III.1.11. De Iudiciis (a.527), in C.I.C., II, p. 120. 119 « Τῆς ἀκριβείας τῶν νόμων ὁ δικαστὴς φροντιζέτω μὴ τοῖς παρανόμως ποροσθεῖσι παρὰ βασιλέως προσέχων » : B. VII.6.11 = C. III.1.11.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

ordonne de juger contrairement au droit, mais de ne pas tenir compte de cette ordonnance et de rendre une décision équitable et légale. »120 Une même clarté caractérise également la disposition B. 2.3.162 : « Ce qui transgresse les règles de la loi en raison d’une nécessité n’est pas considéré comme puisé dans l’exemple d’une loi (antérieure), (à savoir, que sa force ne l’emporte pas sur celle de la loi). »121 Il apparaît alors très clairement que ces restrictions étaient plus générales et que même dans le cas d’une tentative délibérée de discerner dans des expressions isolées une suprématie institutionnelle apparente de l’Église, cela n’eût pu avoir lieu que parce qu’axiomatiquement celle-ci eut placé ses intérêts au-dessus des intérêts de l’État. Ce qui eût présupposé une forme d’absolutisme. « Observez les canons au même titre que les lois et les saintes écritures » : La question de la 131e Novelle justinienne122

Selon le témoignage fort important de Balsamon, l’omission du passage relatif de la disposition CJ.II.9 dans les Basiliques et son inclusion contradictoire dans le Nomocanon XIV, entraina chez les juristes de Constantinople des avis divergents. Sur son commentaire supplémentaire à la disposition I.II du Nomocanon XIV, les juristes se divisèrent en deux « écoles », qui furent conviées par l’Empereur, apparemment Manuel Ier, à confronter devant lui leurs arguments123. De l’avis du premier groupe, la disposition « les pragmatiques sanctions qui s’opposent aux canons sont frappées de nullité » – οἱ τοῖς κανόσιν ἐναντιούμενοι πραγματικοὶ τύποι ἄκυροί εἰσιν – était explicitement dépourvue d’effets, puisqu’elle ne fut pas incluse dans les Basiliques. Le second groupe soutint une autre thèse, en invoquant la 131e Novelle de Justinien Ier124, qui avait été insérée au Titre III du Livre V des Basili‐ ques avec les ajouts nécessaires, comme aussi certes dans l’Ecloga Basilicorum125, et que son esprit régissait plus généralement le droit byzantin126. La Novelle 131 stipulait : « Nous instituons l’ordre de lois qui s’applique aux saints canons ecclésiastiques exposés ou validés par les sept saints conciles (…). Et nous acceptons aussi les dogmes des saints conciles précités au même titre que Ecl. B. 7.6.11, p. 281. B. II.3.162 = D. 50.17.162. Ecl. B. 2.3.162, p. 147. « Τοὺς κανόνας ὡς νόμους φυλάττεσθαι καὶ ὡς θείας γραφάς. » « D’aucuns exposèrent aussi cela devant notre saint Basileus » : Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV, I.II », in RP, I, p. 37-38. 124 « Sancimus igitur vicem legum obtinere sanctas ecclesiasticas regulas, quae a sanctis quattuor conciliis expositae sunt aut firmatae (…). Praedictarum enim quattuor synodorum dogmata sicut sanctas scripturas accipimus et regulas sicut leges servamus » : Nov. J. CXXXI.I. De Ecclesiasticis Titulis (a. 545), in C.I.C., III, p. 654-655. 125 Ecl. B. 5.3.2-3 = N. 131.1-2, p. 203-204. 126 Synopsis Minor, p. 436[οη´].

120 121 122 123

79

80

CHAPITRE II

les saintes écritures et nous observons leurs canons au même titre que les lois. »127 Le commentateur de l’Ecloga Basilicorum note que « le texte (…) ne nécessite pas d’interprétation parce qu’il est clair et intelligible »128, « ce qui », selon Balsamon, « fut aussi accepté par notre saint basileus »129. L’acceptation explicite de la disposition en question permit à Balsamon d’estimer que les canons préva‐ laient sur les lois, étant donné que les premiers étaient rédigés et validés par les basileis et les saints Pères, étant égaux en autorité et validité juridiques aux saintes Écritures, tandis que les secondes constituaient des actes législatifs isolés des basileis, raison pour laquelle on considérait comme impossible que la validité des lois de l’État l’emportât sur les saintes Écritures et les canons130. Toutefois, bien que Balsamon semblât amenuiser l’autorité législative impériale, il soulignait dans le fond la différence fondamentale entre les lois et les canons : Chez les premières, les critères de leur constitution étaient clairement civils, tandis que chez les seconds ils étaient purement ecclésiologiques. Or, en tout état de cause, tant la force des canons que celle des lois présupposaient l’approbation impériale. Paradoxalement, il apparaît que les conceptions des deux groupes opposés restaient, les unes comme les autres, peu pertinentes. En premier lieu, parce que l’absence de la disposition CJ.II.9 dans les Basiliques ne saurait pas être l’unique condition de son abrogation. Il faudrait plutôt considérer que ce fut la 131e Novel‐ le justinienne qui abrogea la disposition CJ.II.9, dans le sens que : i. elle contenait la disposition et décrivait avec clarté son esprit ; ii. elle obéissait au principe du lex posterior derogat legi priori131, parce que la Novelle 131 était postérieure (545) non seulement à la disposition de Marcien et de Valentin (451) qui avait été incluse dans le Code, mais aussi à une autre disposition de Justinien Ier lui-même remontant à 530, qui avait été à son tour incluse préalablement dans le Code132. La Novelle 131 interprétait de façon amplement suffisante la dialectique canon-loi, et ouvrait parallèlement la voie à l’interventionnisme impérial133. C’est ce qui est souligné par l’appui total dont Manuel Ier fit preuve à l’égard de ceux qui affirmaient son autorité incontestable. Cela ne signifiait pas que l’Empereur sous-estimait les critères ecclésiologiques proposés, mais qu’il discernait incontes‐

127 « Θεσπίζομεν τοίνυν τάξιν νόμων ἐπέχειν τοὺς ἁγίους ἐκκλησιαστικοὺς κανόνας τοὺς ὑπὸ τῶν ἁγίων ἑπτὰ συνόδων ἐκτεθέντας ἣ βεβαιωθέντας (…). Τῶν γὰρ προειρημένων ἁγίων συνόδων καὶ τὰ δόγματα καθάπερ τὰς ἁγίας γραφὰς δεχόμεθα καὶ τοὺς κανόνας ὡς νόμους φυλάττομεν » : B. V.3.1 = Nov. 131 c. 1. 128 Ecl. B. 5.3.2-3, p. 204. 129 Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV, I.II », in RP, I, p. 38. 130 Ibid. 131 B. II.1.36 = D. I.3.26 ; B. II.6.5 = D. I.4.4. 132 « Nostrae vero leges sacros canones non minorem vim quam leges habere volunt, sancimus quod ad illos attinet valere quae sacris canonibus visa sunt, perinde ac si et civilibus legibus scripta essent » : CJ. III.43 (44), Μηνᾷ ἐπάρχῳ πραιτορὶων, in C.I.C., II, p. 30. 133 Troïanos, Sp., « Nous instaurons le rang de lois que les saints canons ecclésiastiques doivent occuper », Byzantina 13 (1985), p. 1199-1200.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

tablement la dynamique que la politique ecclésiastique justinienne lui infusait. La question ne concernait pas dans le fond ce qui était prévu par la loi de l’État, mais la façon dont l’Empereur l’interprétait, en tant qu’interprète absolu de la loi134. C’est ce qui est souligné au préambule de la Novelle 137 de Justinien, en 565135. Hormis l’esprit absolutiste qui rappelle directement l’Édit alexien de 1107136, la conception justinienne de la relation canons-lois décrit les raisons pour lesquel‐ les Manuel Ier accueillit avec tant d’ardeur la validité de la Novelle 131 de 545 : La responsabilité primordiale du Basileus était de surveiller l’exécution rigoureuse des saints Canons137. Même lorsque le Synode patriarcal procédait à la prise d’une décision, c’était Manuel Ier qui contrôlait si la décision synodale était en accord avec les canons de l’Église et il ne se prononçait sur l’orthodoxie des décisions et de leur validité qu’après avoir préalablement ordonné l’examen de la question138. Pour la promulgation des lois de l’État à caractère ecclésiastique, il déclarait tenir compte de la concordance entre les lois de l’Église et du droit canonique, même si cela portait atteinte à l’autorité des évêques par exemple139, tandis qu’il s’empressait de souligner que sa priorité absolue n’était autre que leur application rigoureuse140. L’image qui en résulta de Manuel Ier comme protecteur absolu des lois et des canons était structurellement puisée dans la puissance fonctionnelle du facteur de la supervision légitime (ἔννομος ἐπιστασία) et renvoyait incontestablement à une série de principes strictement absolutistes qui se récapitulaient dans le titre d’épistèmonarchès. Or dans le fond, aussi bien la disposition CJ. II.9 que la Novelle 131 de Justinien Ier, s’inscrivaient dans l’horizon interprétatif du Titre II de l’Eisa‐ gogè, là où sont décrites toutes les obligations « constitutionnelles » du Basileus vis-à-vis de l’Église. La 4e disposition est la suivante : « Il incombe au basileus de défendre et sauvegarder en premier lieu ce qui est écrit dans la sainte écriture et ensuite ce qui a été statué par les sept saints synodes, et aussi les lois romaines en vigueur. »141 La formulation de cette disposition est énoncée insidieusement, justement parce que même dans ce cas, la force des canons semble l’emporter sur celle des lois. Or cela n’est que secondaire. Ce qui importe, c’est que l’Empereur est défini comme l’intendant et l’exécuteur absolu tant des lois que des canons. Dans la perspective d’une évaluation strictement juridique, la disposition en question devrait être bannie de l’horizon interprétatif, en ce qu’elle n’avait pas

134 B. II.1.22 = D. I.3.11. Ecl. B. II.1.22, p. 9. 135 Νov. J. CXXXVII. De Creatione Episcoporum et Clericorum, Preafatio (a. 565), in C.I.C., III, p. 569. 136 « Maiori vero condemnationi subiecti sunt sactissimi episcopi, quibus commisum est ut et in canones inquirant et caveant, si qua eorum violation recinquatur impunita » : Ibid., p. 695. 137 Manuelis Comneni, Nov. LXIX. Edictum quod rescindit matrimonium septimo cognationis gradu contractum (a. 1166), in JGR, I, p. 408. Regesten, II, n. 1468 (1166), p. 80. 138 Ibid., p. 409. 139 Ibid., Nov. LXXV. De episcopis Constantinopoli versantibus (a. 1174), in JGR, I, p. 423-424. 140 Ibid., Nov. LXXVI. De tomo Sisinnii (a. 1145 vel 1160 vel 1175), in JGR, I, p. 424-425. 141 Epanagoge, II.4, in JGR, II, p. 241. Avec une clarté similaire sont complétées les obligations à caractère ecclésiastique de l’Empereur par la disposition de l’Epanagoge, II.5 : Ibid.

81

82

CHAPITRE II

d’effets juridiques, puisqu’elle n’était pas incluse dans les Basiliques, et par consé‐ quent le législateur ne pouvait pas s’appuyer sur elle pour fonder la motivation de n’importe laquelle de ses actions. Mais en était-il effectivement ainsi ? Sur le plan des formulations, on a vu que Manuel Ier utilisait dans son œuvre législative des dispositions de l’Eisagogè, comme par exemple la disposition si caractéristique II.1. Or la question devient extrêmement complexe, parce qu’il faudrait examiner au préalable si effectivement l’Eisagogè avait jamais été une loi de l’État byzan‐ tin142. Toutefois, les Basiliques fournissent une série de mesures législatives qui auraient pu conférer ne serait-ce qu’une force de loi tacite143 à des dispositions de cette espèce144, qui semblaient indiscutablement en accord avec l’absolutisme comnénien145. En outre, il ne semble pas que Manuel Ier ait utilisé les dispositions de ce genre, ou leur environnement herméneutique en guise d’hyperbole rhétori‐ que, mais il les insérait organiquement dans la philosophie de l’œuvre législative, c’est-à-dire qu’il s’en servait pour y puiser une force législative et politique. Mais autre chose mérité attention : L’édition de l’Ecloga Basilicorum comportait avant le Livre Ier une série de dispositions méticuleusement choisies de l’Eisagogè. Cette insertion inédite de l’Eisagogè – même si l’Ecloga Basilicorum servait des objectifs éducatifs, ou si les extraits en question semblaient simplement intercalés – dans le corps des Basiliques suggérait un certain nombre de transformations étatiques fondamentales : a. L’esprit des dispositions incluses de l’Eisagogè faisait défaut dans le texte des Basiliques. Aucun commentaire et aucune loi de l’État en vigueur ne décrivaient les extraits de l’Eisagogè qui avaient été intercalés dans l’Ecloga Basilicorum. Ces dispositions fragmentaires ne concernaient dans leur ensemble que la puissance de l’institution impériale et les pouvoirs incontestables qui en découlaient, que ce soit sur un plan législatif, judiciaire ou exécutif, mais principalement sur un plan constitutionnel. Parce qu’il se peut, par exemple que la disposition B. V.III.2 (NJ. 131) soit énoncée par la bouche du Basileus, en tant que législateur suprême, sans que cela ne signifie pour autant qu’elle définit explicitement le Basileus comme gardien absolu des canons et de la loi, comme c’est le cas pour l’Eisagogè II. 4-5. À tous les niveaux, Manuel Ier, comme Théodore Balsamon le signalait, avait de bonnes raisons d’apprécier les commandements de la Novelle 131, puisqu’ils tendaient indubitablement vers les énoncés rigoureux de l’Eisagogè ; en second lieu, il ne fut guère fortuit que toutes les dispositions importantes de l’Eisagogè III. 1-11 qui se référaient à l’institution du Patriarche de Constantinople et à sa puissance administrative et spirituelle, étaient absentes des dispositions intercalées de l’Eisagogè qui furent incluses dans l’Ecloga Basili‐ 142 Voir Troïanos, Les sources du droit byzantin…, op. cit., p. 240-246. 143 « L’us (…) non écrit doit être observé au même titre que la loi écrite, en tant que qu’il doit être actif et tacitement accepté par les gens » : Ecl. B. [scholion] II.1.44-45 = D.1.3.35-36, p. 13.25-27. Voir Scholia B. II.1.44§ 1. 144 Voir B. II.1.41-45 = D. I.3.32-36. 145 Les formulations de ce genre étaient déjà connues dès l’époque d’Alexis Ier : « Ma majesté prenant soin de la police ecclésiastique et cherchant en toute chose le bon ordre au régime (…) » : Alexii Comneni, Nov. XLII. De chartophylace et de electionibus, in JGR, I, p. 359.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

corum146. Ce choix du rédacteur, non seulement ne fut pas contingent, mais il procédait plutôt de la supériorité de l’Empereur et de l’acceptation de son image sacerdotale. D’une certaine manière, c’est ainsi que le dualisme institutionnel de l’Eisagogè fut abrogé147, mais conduisant à un profond absolutisme impérial. Il conviendrait d’ajouter à tout cela un extrait de l’arenga de l’Édit christolo‐ gique de 1166 qui confirme que Manuel Ier adhérait profondément, sur le plan des formulations et de l’exécution, aux obligations d’État que l’Édit fixait et notamment en l’occurrence à la disposition II.5. Cette caractéristique est par ailleurs soulignée par le législateur, par l’illustration de la concomitance du dogme juste et de l’idée d’État sur le Droit : « Nous sûmes alors exactement que, bien que Dieu nous permît de régner sur les choses terrestres, nous sommes gouvernés par lui ; et comme de ceux qui nous sont subordonnés, il est nécessaire de recevoir une foi immaculée, ainsi il est exigé de nous d’offrir cette foi immaculée par avance à Dieu qui nous destina à régner notre foi irréfragable au droit. »148 Dans ce cadre, le dialogue loi-canon ne relève pas tant des relations entre l’État et l’Église, que d’un dialogue à caractère interne, dans la matrice même de l’institution de la Basileia. Dans le fond, cette question concernait les limites des pouvoirs du Monarque et en l’espèce, il y a de bonnes raisons de considérer satisfaisante la remarque de Troïanos, en la plaçant dans le contexte du xiie siècle : « au-delà de la finalité de la production législative de l’État et de l’Église dans les mêmes règles d’application et d’interprétation, l’habillement des saints canons du manteau formel de la loi, permettait d’atteindre une finalité supplémentaire : la confirmation de l’Empereur comme ‘législateur universel’, une des principales composantes de l’idée impériale à Byzance, dont la signification particulière dérivait de la fréquence de sa mise en avant dans les préambules des lois. L’empereur apparaît ‘valider’ en quelque sorte, au moyen de cette méthode, le texte des saints canons et conférer à ces derniers une force législative générale, chose qui se répercuta sur la théorie ultérieure du droit canonique. »149

146 Eisagoge, III.1-11, in JGR, II, p. 242-243. 147 Voir Troïanos, Sp., « Empereur et Patriarche. Que cachait-elle la théorie des deux pouvoirs du Grand Photius ? », in Troïanos, Sp., Fragments d’Histoire ancienne et moderne du Droit, (Athènes : Hérodote, 2013), p. 297-305. 148 Actes, I, p. 167. 149 Troïanos, « Nous instaurons… », art. cit., p. 1199.

83

84

CHAPITRE II

Les Images de la Loi : Sainteté et Justice. L’exemple de l’Édit christologique de 1166 La sainteté de la Loi

La compréhension de la question de la sacralité de la loi présuppose l’examen des figures rhétoriques qui constituent l’enveloppe verbale d’un ensemble de conceptions très profondes sur la loi. Ces figures semblent être directement influencées par le vocabulaire ecclésiastique. La fréquence de leur usage rappelle des exhortations de type de prédication150 et peut aussi renvoyer à une tendance partielle de « christianisation » du droit151. Les références nombreuses à l’An‐ cien Testament semblent renforcer les prétentions d’une domination byzantine universelle152. En tout état de cause, la rhétorique ressemble à un instrument de médiation entre l’Empereur, l’Église et les sujets et surtout à un instrument de propagande de la piété impériale. Par exemple, l’intitulatio impériale étendue de 1166 cherchait à illustrer la correspondance des limites du discours théologique, du droit canonique, du système civil de sanctions et des anciennes traditions état‐ iques romaines. Respectivement, il mettait l’auditeur ou le lecteur face aux textes théologiques de la période justinienne153. C’est ce multilatéralisme qui définissait le style et la structure des textes de l’époque, qui semblaient vouloir accentuer deux images : i. le style sacerdotal rigoureux ainsi établi s’accordait avec l’image d’une autorité spirituelle dominante qui convenait tant à la dévotion impériale qu’à la dévotion patriarcale ; ii. le visage du Basileus devait être lumineux, statique, comme une source inaccessible de puissance politique et spirituelle. Sur un plan morphologique, ce qui était ainsi atteint, c’était la lecture d’un texte législatif comme une œuvre de haute esthétique154. Sur le plan de la propagande, la parure

150 Hunger, Literatur…, III, op. cit., p. 209. 151 Voir Gaudemet, L’Eglise dans l’Empire Romain…, op. cit., p. 507-513. Idem., « L’institution du christianisme : les Églises et le droit », in Mayeur, J.-M., Pietri, Ch. et L., Vauchez, A., Venard, M. (dir.), Histoire du Christianisme, Des origines à nos jours, XIV, (Paris : Desclée, 2000), p. 229-239. 152 Troïanos, Sp., « Droit et Idéologie à l’époque des Macédoniens », Byzantina 22 (2001), p. 260. Voir Pieler, P. E., Das Alte Testament im Rechtsdenken der Byzantiner, in Troianos, Sp. (éd.), Analecta Atheniensia ad ius byzantinum spectantia, (Athénes – Komotini : Forschungen zur byzantinischen Rechtsgeschichte, 1997) p. 81-113. 153 Voir van der Wal, N. – Stolte, B. H. (éd.), Collectio Tripartita. Justinian on Religious and Ecclesiastical Affairs, (Groningen : Brill, 1994), I.1.8 e-f. 154 Voir Mantovani, D., Les juristes écrivains de la Rome antique ; Les œuvres des juristes comme littérature, (Paris : College de France – Les Belles Lettres, 2018). Hinterberger, M., « Littérature démotique et savante : Lignes de démarcation et chaînons manquants », in Odorico, P. – Agapitos, P. A. (dir.), Pour une « Nouvelle » Histoire de la Littérature Byzantine. Actes du colloque international philologique de Nicosie ; 25-28 mai 2000, Centre d’études byzantines, néo-helléniques et sud-est européennes (coll. Dossiers Byzantins 1), (Paris : EHESS, 2002), p. 155. Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 57-68. Macrides, R., « The law outside the law books : law and literature », FM 11 (2005), p. 133-145.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

théologique ou morale appropriée renforçait les lois impériales155. L’attention à la loi s’imprimait ainsi plus profondément dans la conscience collective romaine. Une composition très dense de références hagiographiques est identifiée à l’arenga156 de l’Édit christologique de 1166 : 26 parallèles hagiographiques sont cités en 37 vers157. De la même manière, aux conclusions des Procès-Verbaux de la 11e séance du Synode de 1166, le rédacteur renvoie, en seulement 7 vers, à 11 versets hagiographiques pour décrire la divinité de la loi impériale relative158. Ces schémas évoquent dans leur ensemble trois images archétypiques : i. de la pierre, c’est-à-dire du Christ, sur laquelle l’Église est fondée ; ii. de la source, de laquelle jaillit l’eau de la vie et de la piété ; iii. du jardin, c’est-à-dire du Paradis, où le bois de la vie, la Croix, prédomine. Ce sont ces trois points qui décrivent selon le rédacteur, le caractère profond de l’Édit. Les Procès-Verbaux de 1166 en offrent une idée claire : l’Édit est très pieux (εὐσεβέστατον)159, royal, saint, vénérable (προσκυνητὸν)160, inspiré par Dieu (θεόπνευστον)161, les syllabes écrites par Dieu de la main divine et royale (αἱ θεόγραφοι συλλαβαί τῆς θείας καὶ βασιλικῆς χειρὸς)162. Manuel Ier lui-même appelle l’Édit pieux et écriture pieuse (εὐσεβὲς, εὐσεβῆ γραφὴ)163. Respectivement, le terme dogme (δόγμα)164 qui définit le texte de l’Édit, puisqu’il a la signification du commandement impérial, est décrit comme orthodoxe, saint, pieux et très pieux (ὀρθόδοξο, θείο, εὐσεβὲς καὶ πανευσεβὲς)165. L’utilisation de l’adjectif pieux (εὐσεβὴς) et de ses dérivés comme déterminants de la Loi ne se limitait pas seulement à des lois à contenu théologique, comme l’Édit de 1166. Les ordonnances du Basileus étaient en général vénérables et

155 Voir Hunger, Litterature…, I, op. cit., p. 133. Honig, R., Humantitas und Rhetorik in spätrömischen Kaisergesetzen, (Göttingen : Schwartz, 1960), p. 20. Wieacker, F., « Vulgarismus und Klassizismus im Recht der Spätantike », Sb. Heidelb. Ak. Wiss., phil.- hist. Kl., 1955, p. 45. 156 Pour la signification constitutionnelle de l’arenga par rapport la rédaction des lois de l’État : Platon, Les Lois, IV.723ab, in Platon, Œuvres complètes, XI, des Places, É. (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1951, p. 76. Cicéron, Les Lois, II.6.14. Voir Hunger, Prooimion…, op. cit., p. 19-35. Wagschal, Law and Legality…, op. cit., p. 88-90. 157 Actes I, p. 167-168. 158 Alinéa 28 : Matthieu, 7. 24-25. Lc. 6.48. Alinéa 29 : 1 Co 10.4. Ex 17.6. Nb 20.11. Ps 77.15. Is 43.20. Alinéa 31 : Gn 2.9, 3.22, 3.24 : Actes I, 8.8, p. 166. 159 Actes Ι, p. 173. 160 Actes ΙΙΙ, p. 188-130. 161 Actes ΙΙΙ, p. 191. 162 Actes ΙΙΙ, p. 197. Voir JGR I, Nov. XXXII, p. 325. Voir Vassey, M., « Sacred Letters of the Law : The Emperor’s Hand in Late Roman (Literary) History », Antiquité Τardive 11 (2003), p. 345-358. 163 Actes Ι, p. 173. 164 « Δόγμα, τό, decision, judgement ; public decree, ordinance ; esp. of Roman Senatus-consulta » : Liddell – Scott, Lexicon, I, p. 441. 165 Actes ΙΙΙ, p. 191-194.

85

86

CHAPITRE II

pieuses166, œuvres de la main sainte167 et divine168 du Basileus. Même la bulle impériale, qui légalisait les documents, était digne de vénération169. Les références relatives à la piété n’étaient qu’extérieurement influencées par le vocabulaire ecclésiastique et ne décrivaient sans doute que très sommairement la conception étatique romaine traditionnelle de la sacralité des lois170. Les caractéristiques de la piété et de la sainteté se substituaient en quelque sort au terme sacer, puisque les lois du Basileus étaient sacrées (sacrae, sacratissime)171, dans la mesure où c’était lui-même qui gouvernait l’empire sur ordre de Dieu172. Il était par conséquent logique que Manuel Ier considérât que la légalité d’une loi dérivait directement de l’institution impériale intrinsèquement pieuse, à savoir sacrée. La formulation d’une loi pieuse constituait en outre une offrande à Dieu lui-même173, puisqu’elle était rédigée pour lui faire plaisir174. Les limites interprétatives très restreintes de telles conceptions se créaient à partir d’une série de propositions rigoureusement contraignantes : il était impos‐ sible de pouvoir contester la sacralité des lois impériales, quand il était affirmé que les caractères rouges de l’Édit de 1166, qui semblaient être teints de sang, étaient les produits d’une main mue par Dieu lui-même175. Il n’était pas alors étonnant qu’après une série de propositions « logiques » analogues, la sacralité de la fonction législative coïncidât absolument avec le jugement impérial équitable, en créant des figures d’analogie, où la consonance décrivait des significations similaires : de la même manière que l’Édit était appelé édit vénérable du Basileus (προσκυνητόν βασιλικόν ἔδικτον), le tribunal impérial était appelé tribune vénérable du Basileus (προσκυνητὸν βασιλικὸν βῆμα)176.

166 Manuelis Comneni, Nov. LVIII. Aurea bulla de possessionibus magnae ecclesiae (1153), in JGR, I, p. 379-380. Regesten, II, n. 1390 (1153), p. 69-70. Voir Idem., Nov. LXVI. De diversis causis, op. cit., p. 396. 167 Manuelis, Nov. LXVIII. De homicidis, op. cit., p. 408. 168 Manuelis Comneni, Nov. LV. De juramento Judeorum (1148), in JGR, I, p. 375. Idem., Nov. LXVI. De diversis causis, op. cit., p. 396. 169 Manuelis, Nov. LXVI. De diversis causis, op. cit., p. 396. 170 Synopsis Minor, p. 418[ιθ’]. « Καὶ οἱ νόμοι ἱεροί εἰσιν » : B. XLVI.3.7 = D. I.8.9 [Ulpianu] = Ut leges sanctae sunt, sanctione enim quadam sunt subnixae) : D. I.8.9 [Ulpianus], De Divisione Rerum et Qualitate, in C.I.C., I, p. 11. 171 Imp Valentianus – Marcianus, Ad Palladium (a. 454) (= CJ. 1.14.9), in C.I.C., II, p. 68. Voir Synopsis Minor, p. 414[ε´]. 172 Deo auctore nostrum gubernates imperium, quod nobis a caelesti maiestate traditum est : Just. Cod., 1.17.1 De veteri enucleando et autoritate iuris prudentium qui in Digestis referentur, in C.I.C., II, p. 69. 173 « Sanctitas itaque tua praesentem nostrae manνsuetudinis legem piissimam sive sacrosanctam oblationem quam deo dedicamus accipiens inter sacratissima vasa reponat » : Just. Nov. IX. Ut Ecclesia Romana Centum Annorum habeat praescriptionem, in C.I.C., III, p. 92. 174 « Je suis convaincu que Dieu aussi aime la présente loi ». : Manuelis, Nov. LXVII. De diebus feriatis, op. cit., p. 402 et 399. 175 Eustathii Thessalonicensis, « III. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 49.9-11. 176 Actes III, p. 190-194.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

De son côté, le Basileus législateur indiquait clairement que l’exercice du droit émanait de Dieu, qui lui avait confié la puissance du pouvoir impérial177 : Le législateur était le Basileus fidèle en Christ le Dieu (ὁ πιστὸς ἐν Χριστῷ τῷ Θεῷ βασιλεύς)178. De plus, les caractéristiques normatives des lois civiles semblaient cesser de procéder d’une lecture positiviste de la loi comme « pacte commun de la cité »179. En revanche, Manuel Ier considérait que l’obéissance aux lois ne provenait pas tant d’un respect intérieur envers l’État, que de la peur des citoyens devant leur jugement à venir lors du Jugement dernier : les intentions délinquantes et les instincts les plus bestiaux des citoyens étaient atténués grâce à la menace que la loi divine et son horrible enfer futur exerçaient sur eux180. L’accentuation de la justice comme émanation du divin avait comme conséquence la transformation du mécanisme de sanctions. Le législateur se tournait vers une « spiritualisation » du répertoire pénal, qui le poussait à renforcer le prestige des lois de l’État, même au moyen de malédictions181. Ainsi apparait l’introduction de l’esprit juridique paléo-testamentaire dans la logique du législateur, du moins au niveau des formulations. L’exemple de la No‐ velle De homicidis de 1166 montre que l’Empereur déformait en toute conscience le sens même des Évangiles. Après une brève référence à la tradition paléo-testa‐ mentaire sur l’homicide, il eut recours à l’autorité du Nouveau Testament de la façon suivante : « (En discernant la question) à travers la lumière de la nouvelle grâce (à savoir du Nouveau Testament), lorsque les Hébreux, ingrats et durs de cœur, se ruèrent pour tuer leur bienfaiteur, on entendit le sauveur dire à celui qui avait tenté de le tuer avec un couteau qu’il mourra par le couteau. »182 Cette formulation traduit certes l’incident de l’apôtre Pierre avec Malchus au Jardin des Oliviers la nuit de l’arrestation de Jésus183. De même, la punition du criminel de la même manière que celui-ci a tué sa victime, s’accorde avec

177 Manuelis, Nov. LXX. Edictum pater major Christo sit, op. cit., p. 411, 413. Idem., Nov. LXVI. De diversis causis, op. cit., p. 389. Idem., Nov. LXIII. Contra jus elicita, p. 386. Idem., Nov. LXVII. De diebus feriatis, p. 402. 178 Manuelis, Nov. LXX. Edictum pater major Christo sit, op. cit., p. 411. Actes I, p. 167. « Manuel in Cristo deo fideliter Imperator Rorfirogenitus et aftocrator Romeon o Cominos (sic) » : Manuelis Comneni, Nov. LXXII. Aurea bulla confirmans convetionem cum Genuensibus (1170), in JGR, I, p. 421. Voir Rösch, Ονομα Βασιλείας…, op. cit., p. 62-63. Gagé, J., Basiléia : Les Césars, les rois d’Orient et les mages, (Paris : Les Belles Lettres, 2011). Chrysos, E., « The Title βασιλεύς in Early Byzantine International Relations », DOP 32 (1978), p. 29-75. Shahid, I., « Heraclius πιστός εν Χριστώ βασιλεύς », DOP 34-35 (1980-1981), p. 225-237. Idem., « The Iranian Factor in Byzantium during the Reign of Heraclius », DOP 26 (1972), p. 293-320. 179 Epanagoge, Ι.I, in JGR, II, p. 240. Voir B. II.1.13 = D. I.3.1. Ecl. B. 2.1.13-14, p. 9. 180 Manuelis, Nov. LXVIII. De homicidis, op. cit, p. 405. 181 Manuelis, Nov. LVI. De instumentis ecclesiarum, op. cit., p. 378. Voir Koukoulès, Ph., Vie et Civilisation Byzantines, III, (Athènes : Institut Français d’Athènes, 1949), p. 326-346. 182 Manuelis, Nov. LXVIII. De homicidis, op. cit, p. 404. 183 Voir Jean, 18.10-11.

87

88

CHAPITRE II

la punition de l’exécution du même sort184. Mais la formulation en elle-même semble étrangère à l’environnement herméneutique du Nouveau Testament. La lumière de la « nouvelle grâce » qu’annonçait le Basileus, se couvre de l’obscurité de l’ancienne haine rétributive, en se montrant plutôt attirée par celle-ci que par l’amour évangélique : talio : « œil pour œil, dent pour dent, pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour plaie »185. Le Basileus comme la lex animata portait en lui la loi et les commandements de Dieu. Parce qu’il était justement un Dieu sur terre, l’obéissance aux lois allait de soi, comme obéissance aux commandements du Dieu eux-mêmes. L’Empereur constituait ainsi non seulement la lex animata, mais il incarnait de plus la divinité de la loi elle-même et ses émanations absolument contraignantes. Ce schéma fut souligné dans le Prooimion de l’Eisagogè, que suivait une longue tradition hagiographique186 et patristique sur ce point187 : la loi de Dieu est dictée depuis les hauteurs des cieux et se grave dans le cœur du Basileus comme sur un tableau de pierre par le doigt même de Dieu188. C’était cette figure que le rédacteur des pro‐ cès-verbaux synodaux de 1166 imita, tant au niveau du sens que de l’expression189. L’aspect principal de cette formulation concerne la réception de l’Empereur comme un nouveau Moïse190, c’est-à-dire comme législateur et théopte. Il faudrait examiner ici comment Euthyme Malakès mettait en valeur cette figure : Les ordres divins des lois impériales, ces dispositions utiles191, permettent aux archontes de tâter idéalement l’indulgence, enseignent l’obéissance aux sujets, aux juges ce qui est légal et juste192. L’édiction des édits impériaux se réalise dans l’obscurité et dans l’orage, comme autrefois Moïse avait reçu sur le Mont Sinaï les Tables de la Loi193. Dans le même temps, l’idée de la piété et du juste jugement était soulignée au travers du contrôle intérieur incessant, dans lequel il semble que Manuel Ier

184 Pitsakis, C., « Quelques réflexions sur les Peines – Un miroir de l’espace grec médiéval », in Nikolaou, K. (éd.), Toleration and Repression in the Middle Ages, (coll. International Symposium 10), (Athens : National Hellenic Research Foundation / Institute for Byzantine Research, 2002), p. 285-312. Troïanos, « Peines… », art. cit., p. 50-51. 185 Exode, 21.24-25. Voir, « Si membrum rupsit, ni cum eo pacit, talio esto » : Leges XII tabularum, VII.II., in Bruns, G. – Mommsen, Th. – Gradenwitz, Ot. (éd.), Fontes iuris Romani antiqui, I, (Tübingen : Mohr, 1909). Inst., IV.IV.VII. De iniuriis, in C.I.C., I, p. 46. 186 Exode, 31.18. Deutéronome, 32.46. II Corinthiens, 3.3. 187 Voir Clemen d’Alexandrie, Stromatum. XVI, PG 9, 357C. Gregoire de Nazianze, Sectio II : Carmina Moralia, PG 37, 646A. Gregoire de Nysse, In canticum canticorum. XIV, PG 44, 1073A. 188 Epanagoge, Prooemion, in JGR, II, p. 238. Voir Liber Praefecti, Prooimion, in JGR, II, p. 371. 189 « Notre empereur couronné par Dieu, cette âme effectivement à la sagesse divine, à laquelle, comme sur une plaque intelligible du doigt de Dieu la loi divine et les sentences de Dieu et les enseignements salvateurs furent gravées » : Simon, D., « Ein Synodalakt aus dem Jahre 1166 », FM 1 (1976), p. 125. 190 Euthymios Malakès, Τὰ σῳζόμενα, II, Bonis, C. G. (éd.), (coll. Bibliothèque théologique 2), (Athènes, 1949), p. 548. 191 Ibid., p. 556. 192 Ibid., p. 557. 193 Ibid., p. 556.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

faisait son examen de conscience, pour discerner si ses actes et ses lois étaient sincèrement au service des commandements de Dieu194. Les aspects de la loi : sainte et abominable

Malgré le déplacement fondamental des caractéristiques et des sources de la justice et de la loi, la sémiologie qui accompagnait l’Édit christologique de 1166 conservait intact le contenu ambigu du terme sacer : sacré, mais aussi abominable, terrifiant, horrible195. La peur suscitée par la loi en question provenait très probablement de l’aspect imposant des plaques de marbre ou encore du fait que beaucoup considéraient les positions christologiques de Manuel Ier comme répréhensibles et pour cette raison comme cause de maux pour l’Empire. Ces pla‐ ques gravées, comme tout monument de la capitale, étaient destinées à constituer des symboles des propriétés quasi magiques, qui persécuteraient l’imaginaire des Ottomans après la prise de Constantinople en 1453196. L’attitude même de Manuel Ier refléta cette ambiguïté, lui qui qui pendant les travaux synodaux de 1166 aurait eu peur que le renvoi de l’Augusta ne constituât un signe du détournement de Dieu à l’égard de ses lois197. De la même manière, Nicètas Choniatès vit, dans l’affichage de l’Édit, l’absolutisme impérial, exercé par une violence sacralisée : l’Édit (dogme) était écrit en lettres rouges, rappelant un glaive ardent et menaçant de mort et d’exclusion de la foi, non seulement à l’égard de celui qui oserait proclamer un avis contraire, mais aussi envers celui qui, au plus profond de sa conscience, tenterait de penser quelque chose de différent des commandements donnés198. Quelques années après la mort de Manuel Ier, Jean Argyropouplos notait que les plaques de marbre étaient une source de malé‐ diction pour Constantinople et devaient être immédiatement enlevées pour que l’Empire fût libéré de ses malheurs199. L’opposition entre politique et théologique,

194 Manuelis, Nov. LXIII. Contra jus elicita, p. 386. Voir Photii Patriarhæ, Epistola ad Michaelem Bulgariæ principem ; de officio principis, PG 102, 678B. 195 « Sacer désigne celui ou ce qui ne peut être touché sans être souillé ou sans souiller ; de là le double sens de ‘sacré’ ou maudit » : Ernout, A. – Meillet, A., Dictionnaire étymologique de la langue latine, (Paris : Klincksieck, 1931), v. sacer. « Le terme latin sacer enferme la représentation qui est pour nous la plus précise et spécifique du ‘sacré’. C’est en latin que se manifeste le mieux la division entre le profane et le sacré ; c’est aussi en latin qu’on découvre le caractère ambigu du ‘sacré’ : consacré aux dieux et chargé d’une souillure ineffaçable, auguste et maudit, digne de vénération et suscitant l’horreur. Cette double valeur est propre à sacer ; elle contribue à distinguer sacer et sanctus, car elle n’affecte à aucun degré l’adjectif apparenté sanctus » : Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes…, II, op. cit., p. 189-170. Voir Fugier, H., Recherches sur l’expression du sacré dans la langue latine, (Paris : Les Belles Lettres, 1963). 196 Sur l’histoire séduisante de ces plaques de marbre, depuis leur affichage jusqu’à leur découverte en 1959 durant les travaux de rénovation du mausolée de Soliman le Magnifique dont elles faisaient partie, Voir Mango, « The Conciliar Edict of 1166 », art. cit, p. 317-330. 197 Kinnamos, p. 256-257. 198 Choniatès, p. 212. 199 Anonyme, Synopsés Chroniké, in BM, VII, p. 303.

89

90

CHAPITRE II

ainsi que les superstitions, furent d’ailleurs la cause du retrait de l’Édit, sous Isaac II Ange (1185-1195 ; 1203-1204)200. L’impression exercée par cette loi ressort des témoignages d’Eustathe de Thes‐ salonique et de Théodore Balsamon. Les deux descriptions puisaient dans la peur que la sacralité du texte exerçait, en décrivant sa puissance au moyen de l’image de la très profonde sacralité que la violence impliquait. Dans le cas de Balsamon, le caractère ambigu du terme sacer apparait dans de très fortes tonalités, de sorte que la sacralité et la violence se rejoignent comme deux émanations mystiques de la puissance impériale divine, puissance qui émane de la profondeur surnaturelle de l’Ordre divin. Cette lecture ressort chez Balsamon du très fréquent usage de la figure de l’antithèse : i La pierre est du marbre blanc, brille comme la lumière d’un rayon de soleil enseignant la juste doctrine et brulant les cœurs de ceux qui tombent dans l’erreur201. ii Elle (la loi) est aussi l’épée tranchante de pierre qui coupe les natures dégénérées et les formulations superflues, comme si elle était un couteau à double tranchant. Elle pourrait aussi être appelée, les plaques écrites par Dieu202. iii Si tu vois la pierre clairement, tu distingueras l’autre grosse pierre, celle qui fut placée au sommet de l’angle (il veut dire le Christ) et unit les membres de l’église que les flèches de l’hérésie avaient sectionnés203. iv C’est la révolte des fils d’Abraham (à savoir du peuple romain élu) contre les phantasiastes et les défenseurs de Dioscore, qui avaient des cœurs de pierre204. v Évite l’amertume du désert et la division que les doctrines salées apportent et bois abondamment des cratères de l’orthodoxie qui se déversent des plaques comme le miel205. vi Les plaques de l’Édit furent rédigées de la main de Dieu et le jugement du Basileus Manuel. Satan désira leur destruction, le Basileus les fit à nouveau afficher, comme une autre lance qui transperça le caquet hérétique206. vii Les plaques se dressent comme deux colonnes, dont l’une est l’apôtre Pierre, pierre indéfectible, et l’autre l’apôtre Paul, fondation sûre207.

200 Michel Glykas, Εἰς τὰς ἀπορίας τῆς θείας Γραφῆς Κεφάλαια, I, Evstratiadès, S. (éd.), (Athènes : Sakkelariou, 1906), p. xxii. 201 Thedore Valsamon, « ΧΧΧΙΙ. Στίχοι γραφέντες εἰς τὸ διὰ τοῦ λίθου ἴδικτον τοῦ κυρωθέντος δόγματος παρὰ τοῦ βασιλέως κυροῦ Μανουὴλ καὶ ἀναστηλωθέντος ἐντὸς τῆς ἁγιωτάτης τοῦ θεοῦ ἐκκλησίας », in Horna, K., Die Epigramme des Theodoros Balsamon, (Wien : Seperatabdruck aus den Wiener Studien XXV, Gérold 1903), p. 30. 202 Valsamon, « ΧΧΧΙΙ. Στίχοι γραφέντες εἰς τὸ διὰ τοῦ λίθου ἴδικτον… », op. cit., p. 30. 203 Ibid., p. 30-31. 204 Ibid., p. 31.17-19. 205 Ibid, p. 31.21-24. 206 Ibid., p. 31.25-35. 207 Ibid., p. 31.37-40.

LOIS SACRÉES ET SAINTS CANONS

viii La pierre est le charbon qui remplit d’une lumière abondante ceux qui la regardent avec désir et respect et qui met en fuite, aveugle et pétrifie ceux qui ne la respectent pas, comme s’ils étaient des damnés208. La lecture d’Eustathe de Thessalonique est plus chargée que celle de Balsa‐ mon. Les pierres, ces plaques saintes, se trouvent affichées au grand palais de la sagesse suprême (à savoir l’église de sainte Sophie), en sauvegardant intact le génie théologique de Manuel Ier209. Les plaques de l’Édit furent gravées par Dieu lui-même et placées au plus profond de l’arche intime de l’âme de l’Empereur210. De même que dans le cas de figure de l’Eisagogè, ici aussi c’est Dieu lui-même qui écrit de son propre doigt la loi dans l’âme du Basileus211. Selon Eustathe de Thessalonique, les lettres du monument étaient teintes en rouge, donnant ainsi au texte un aspect dominant et imposant, sur la surface blanche du marbre. Ce dialogue entre la surface et les couleurs permettait à Eustathe de constituer une grille de métaphores très étendue, qui soulignait le caractère complexe de cette loi imagée : La blancheur du marbre exprimait la pureté et la clarté de la vérité des dogmes, tandis que les lettres rouges symbolisaient la blessure mortelle que l’œu‐ vre de l’Empereur portait à l’ennemi, source du mal, le Diable212. Sur un second plan, Eustathe de Thessalonique s’évertuait à des formulations plus audacieuses : sur les pierres de marbre se reflétait par des nuances phosphorescentes la clarté de la théologie et se formulait d’une façon pleinement orthodoxe le dogme sur l’Incarnation du Verbe. La lumière de la surface blanche de pierre renvoyait à la pureté virginale de la chair de la Mère de Dieu, qui donna la vie à Emmanuel. Les lettres rouges ressemblaient aux doigts du Christ qui baignèrent dans le sang pour inscrire sur une surface spirituelle invisible le mystère du salut du genre humain213. Ce texte législatif constituait une image symbolique aux caractéristiques pro‐ téiformes, qui rappelait le but de sa présence et excitait l’imaginaire collectif. Son affichage à côté du portail central de sainte Sophie soulignait que la porte – portail – constituait un point de passage qui séparait l’espace extérieur de l’église de l’espace intérieur, en soumettant le fidèle à un ordre politique et religieux normatif défini, fonctionnant essentiellement sur la base de la collectivité. Les témoignages soulignent le caractère ambivalent du monument-loi : l’inscription indiquait la profonde piété de l’Empereur et suscitait en même temps le sentiment de la crainte que le sujet nourrissait à l’égard du superviseur animé de la loi divine. L’objectivation de la loi aboutissait ainsi à une crainte objectivée, en rappelant en quelque sorte les traditions des tabous. Mais dans le fond, l’Édit monumental

208 209 210 211 212 213

Ibid., p. 31.41-46. Eustathii Thessalonicensis, « III. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 48. Ibid., p. 47.8-11. Ibid. Ibid., p. 49. Ibid.

91

92

CHAPITRE II

de 1166 reflétait l’interprétation moderne de l’« horreur sacrée », qui exprimait bien sûr une série d’interdictions ancestrales concernant la nature même du sacré qui, en l’occurrence, peut idéalement être explorée au travers de l’institution de la Basileia.

CHAPITRE III

Les présuppositions d’une expurgation canonique au xIIe siècle

Changements aux critères herméneutiques de la tradition canonique Anthologies patristiques : Renforcement de l’apologétique ecclésiastique

La littérature théologique du xiie siècle s’inscrit dans la continuité du caractère indolent des siècles précédents et adopte parallèlement une série de principes interprétatifs conservateurs. L’esprit de ce conservatisme évolue vers l’acceptation de quatre principes : i. la fidélité aux limites ecclésiologiques canoniques ; ii. la consécration et l’acceptation de l’œuvre des Pères du premier millénaire ; iii. l’acceptation du fait que l’ancien ordre des choses et le recours constant à celui-ci, constituent une expression authentique tant de l’État que de l’Église, conception liée à la réception et la consécration de la continuité étatique romaine de la suprématie des mores maiorum ; iv. l’esprit anti-urbain de l’Église. L’époque des Comnènes, malgré la pénurie de traités dogmatiques1, peut se targuer entre autres2 de deux œuvres importantes : i. de la Panoplie dogmatique d’Euthyme Zigabène 3 et ii. de l’Arsenal sacré du pansébaste et grand drongaire de la

1 Beck, Byzantinistik Heute…, op. cit, p. 238. 2 Autres anthologies théologiques : I. Nicetae Choniatae, Thesaurus Orthodoxae Fidei, PG 139, 1088A-1444B et PG 140, 9A-284A. Voir Cavallera, F., « Le Trésor de la foi Orthodoxe de Nicétas Acominatos Choniate », Bulletin de littérature ecclésiastique 5 (1913), p. 124-137. Van Dieten, J. L., Zur Uberlieferung und Veroffentlichung der Panoplia Dogmatike des Niketas Choniates, (Amsterdam : Hakkert, 1970). Ermilov, P., « Current problems in studying Nicetas Choniates’ Panoplia Dogmatica : The case of Chapter 24 », in Byzantine Theologians…, op. cit., p. 91-99. Bossina, L., « Qualche nota su Niceta Coniata storico del dogma », in Byzantine Theologians…, op. cit., p. 71-90. II. Nil Doxapatrès, De Oeconomia Dei : Neirynck, S., « Nilus Doxapetres’s de Oeconomia Dei. In search of the author behind the compilation », in Byzantine Theologians…, op. cit., p. 51-70. Darrouzès, J., « Sur le De Oeconomia Dei de Doxapatris », REB 25 (1967), p. 292-293. Caruso, S., « Per l’edizione del ‘De Oeconomia Dei’ di Nilo Doxapatres », Diptyha 4 (1986-1987), p. 250-283. de Vos, I., « East or West, home is best. Where to situate the cradle of the De Oeconomia Dei ? », in Encyclopedic Trends…, op. cit., p. 245-256. Neirynck, S., « The De Oeconomia Dei by Nilus Doxapatres – a tentative definition », in Ibid., p. 257-268. 3 Euthymii Zigabeni, Panoplia Dogmatica, PG 130, 20D-1360D. Rigo, A., « La Panoplie Dogmatique d’Euthyme Zigabène : Les Pères de l’Église, l’Empereur et les hérésies du présent », in Byzantine Theologians…, op. cit., p. 19-32, contenant aussi une bibliographie étendue relativement à la Panoplie.

94

CHAPITRE III

vigla Andronic Kamatèros4. Ces deux œuvres furent rédigées sur commande des Empereurs : la Panoplie sur ordre d’Alexis Ier Comnène5, et l’Arsenal sur suggestion de Manuel Ier6. Les titres de ces écrits témoignent de leur caractère polémique. Les deux œuvres ne sont ni l’une ni l’autre le fruit d’un travail théologique spontané, mais ont été rédigées sur ordre impérial, pour devenir une sorte de catéchèse théologique impériale expressément approuvée. L’image centrale des œuvres d’Euthyme Zigabène et d’Andronic Kamatèros concerne la présentation de l’Empereur comme adversaire des hérésies et défen‐ seur de la foi de l’Église : De la même manière que le Basileus combat les ennemis de l’Empire par les armes, il se bat contre les ennemis de l’Église par les paroles7. Bien que l’image de l’Empereur–combattant tendît à conduire à une expression désacralisée de l’institution impériale, ce qui avait déjà été signalé par Jean Mauropous (fin du xie siècle)8, il semble qu’elle exprimait plutôt la piété immanente du monarque. Ce fut justement cette dévotion qui, en quelque sorte, obligea le Basileus à faire rédiger la Panoplie dogmatique9.

4 Cod. Monacensis gr.229, ff. 3r-7v, 92. L’Arsenal dans son intégralité reste inédit. Sa première partie fut éditée par Bucossi, Al. : Andronicus Camaterus, Sacra Armamentarium. Pars Prima, CCSG 75, tandis que des fragments nous parviennent par Joannem Vecci, Refutationes Adversus D. Andronici Camateri Viglae Drungarii, PG 141, 395A-614D. Andronic Kamatèros était le cousin au deuxième degré de Manuel Ier, issu de la famille de sa mère, Irène Doucaina. Kinnamos, p. 210. Voir Polemis, D., The Doukai. A contribution to Byzantine Prosopography, (London - Glasgow : OUP, 1968), n. 98, p. 126-127. Branousis, L. E., « Ordonnance de l’empereur Manuel Ier en faveur du monastère de Jean le Théologien à Patmos », in Charistirion à Anastasios K. Orlandos II, Bibliothèque de la Société archéologique d’Athènes, 54, Athènes, 1966, p. 86-89. Andronic Kamatèros fut epi ton déèseon, éparque de la ville, grand drongaire de la vigla. Il portait le titre de sébaste pansébaste. : Polemis, The Doukai, op. cit., p. 126. Stadtmullar, G., « Zur geschichte der familie Kamateros », BZ 34 (1934), p. 353-358. Darrouzès, J., « Décret inédit de Manuel Comnène », REB 31 (1973), p. 316. Bucossi, AL., « Andronico Camatero e la zizzania : sulla politica ecclesiastica Bizantina », Rivista di Studi Bizantini e Neoellenici 47 (2010), p. (357)-371. Bucossi, Al., « New historical evidence for the dating of the Sacred Arsenal by Andronikos Kamateros », REB 67 (2009), p. 111-130. Cataldi – Palau, An., « L’Arsenale Sacro di Andronico Camatero. Il proemio ed il dialogo dell’ imperatore con i cardinali latini : originale, imitazioni, arrangiamenti », REB 51 (1993), p. 5-62. Bucossi, Al., « The Sacred Arsenal by Andronikos Kamateros, a forgotten treasure », in Byzantine Theologians…, op. cit., p. 35. Bucossi, A., « George Skylitzes’ dedicatory verse for the Sacred Arsenal by Andronikos Kamateros and the Codex Marcianus Greacus 524 », JÖB 59 (2009), p. 45-47. 5 Euthymii Zigabeni, Panoplia Dogmatica, PG 130, 20D-24D. Gautier, « L’édit d’Alexis Ier Comnène… », art. cit., p. 178-183. Voir Magdalino, P., « The Reform Edict of 1107 », in Magdalino, P. (éd.), New Constantines. The rhythm of imperial renewal in Byzantium, 4th-13th Centuries. Papers from Twenty-sixth Spring Symposium of Byzantine Studies, St. Andrews, March 1992, (coll. Society for the Promotion of Byzantine Studies Publications 2), (Aldershot : Variorum, 1992), p. 199-218. Malamut, Él., Alexis Ier Comnène, (Paris : Ellipses, 2007), p. 234-245. 6 Vecci, Refutationes Adversus Camateri, PG 141, 396A-400D. 7 Euthumii Zigabeni, Panoplia Dogmatica, PG 130, 21BD. 8 Voir Lefort, J., « Rhétorique et politique : trois discours de Jean Mauropous en 1047 », TM 6 (1976), p. 285-293. 9 Euthymii Zigabeni, Panoplia Dogmatica, PG 130, 13A-20C, 1362A.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

Les œuvres de cette catégorie prétendent à devenir des manuels antihérétiques et accessoirement de brèves histoires des dogmes. Le conservatisme qui émane de ces textes, dérive des limites strictes de l’orthodoxie politique. De l’autre côté, mê‐ me si l’absolutisme impérial se manifestait au travers de la rédaction de manuels dogmatiques commandités, il décrivait les efforts constants des Byzantins pour dépasser le danger de l’historicisme, comme le refus d’archiver la tradition patris‐ tique établie progressivement signifiait la volonté de l’intégrer dynamiquement dans la conjoncture historique contemporaine10. Toutefois, l’enlisement interprétatif observé chez les Byzantins ne procédait pas de leur amour pour la répétition du « traditionnel », mais d’une incapacité à commenter ou critiquer cette tradition, attitude qui fut consciemment attisée par l’Idéologie impériale tout aussi bien que par l’Église. Cette impuissance d’une mise en valeur dynamique de cette tradition et sa répétition obsessionnelle sur le plan de la production théologique témoignent de leur distanciation systématique de tout ce que leur civilisation conservait de vital. Ces recueils auraient pu créer les conditions d’un dialogue avec la tradition, si la consolidation de l’autorité doctrinale et patristique avait été accompagnée d’une tentative herméneutique dynamique. L’entrave fondamentale du monde byzantin tardif naît précisément à partir de cette impuissance : l’ordre traditionnel cherchait à sauvegarder des valeurs, non en les transposant dans la conjoncture historique contemporaine, mais en exigeant de l’époque qu’elle s’adapte à des conditions pourtant révolues, uniquement parce que celles-ci sauvegardaient idéalement les structures impéria‐ les. La proposition de la renovatio, qui fut manifeste à l’époque de Manuel Ier, avait comme contrepartie un conservatisme montant et un moralisme stérile qui profi‐ tait surtout à la classe supérieure, dont d’ailleurs il provenait. Or parallèlement, les importants recueils patristiques byzantins tendaient vers une coexistence organique avec le droit canonique. Mais cette coexistence exprimait à Byzance l’intention du pouvoir central d’établir une base de principes de la foi entièrement contrôlée, qui visait à devenir le régulateur absolu de la cohésion sociale11. Les présuppositions canoniques d’un enseignement ecclésiastique homogène

La concordance entre les intentions du législateur civil et celles de l’auteur d’anthologies ecclésiastiques s’accord avec le canon 2 du viie Concile œcuméni‐ 10 Beck, Byzantinistik Heute…, op. cit., p. 17-19. 11 « Ils auront aussi l’œil sur les quartiers, ne se bornant pas à enseigner le peuple et à proposer à tous le bien, mais encore en réprimant ceux qui mènent une vie peut être scandaleuse, tantôt par des conseils, du fait qu’ils sont capables de persuader, tantôt par des rapports au très saint patriarche, qui en référera lui-même à ma majesté ou encore à ceux qui exercent l’autorité dans la capitale quand naturellement l’affaire requiert le bras et l’autorité de l’État. Quand ils visiteront le peuple, ils devront faire en sorte que tous reconnaissent leurs pères spirituels, afin que des loups ne se substituent pas aux pasteurs pour recevoir les aveux des hommes. Les didascales en question, du fait de leur crédit, seront utiles non seulement aux laïcs, mais encore aux moines, car certaines choses qui les concernent ont besoin d’être corrigées » : Gautier, « L’édit d’Alexis Ier Comnène… », art. cit., p. 192.

95

96

CHAPITRE III

que12 et le canon 19 du Concile Quinisexte13. Il en résulte que la création de ces trois échelons d’enseignement – Psautier, Apôtre, Évangile – ne constitua pas une innovation de l’époque d’Alexis Ier14, mais l’institutionnalisation d’un canon antérieur et son intégration dans les dispositions législatives en vigueur en renforçant son autorité. La connaissance approfondie des Saintes Écritures et la compétence exégéti‐ que du candidat étaient soulignées par les canonistes de l’époque. Balsamon et Zonaras affirmaient que ces qualités élargissaient la préparation apologétique du clergé, lorsque cela devenait nécessaire15. Or, dans le même temps, il convient de remarquer que le triptyque des capacités herméneutiques requises pour l’entrée dans l’ordre du haut clergé, s’articulait en accord avec le triptyque de l’œuvre exégétique de Zigabène16. Il ne faudrait pas alors considérer comme fortuit le fait que selon le rédacteur de la vie de Léonce – higoumène du Monastère de Patmos et ensuite patriarche d’Antioche et favori d’Andronic Kamatèros – Léonce était censé connaître par cœur la Panoplie dogmatique de Zigabène17. Cette connaissance approfondie de la Panoplie constituait d’une certaine façon une sorte de vertu, mais elle soulignait notamment qu’à l’époque de Manuel Ier, la Panoplie était considérée comme un manuel dogmatique complet et officiel qui décrivait avec clarté les limites de l’orthodoxie politique. Un examen plus approfondi de l’esprit du canon 19 du concile œcuménique Quinisexte permet de constater que son point central se réfère à l’interdiction des critères herméneutiques subjectifs dans l’exercice des charges ecclésiastiques d’enseignement. La transgression du cadre des critères ecclésiologiques canoni‐ ques vient de l’impossibilité de s’en tenir fidèlement aux cadres canoniques et à l’environnement herméneutique établi qui s’étaient formés à travers la tradition 12 « Canon 2 du viie Concile de Nicée », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 248-250. 13 « Canon 19 de vie Concile in Trullo », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 150-152. 14 La mission de Didascales – prédicateurs est à transmettre excellemment au peuple la doctrine orthodoxe et la conduite vertueuse : Gautier, « L’édit d’Alexis Ier Comnène… », art. cit., p. 190. Sur la question des trois didascales et l’esprit de réforme plus étendu de l’Édit de 1107, Voir Katsaros, B., Jean Kastamonitès. Contribution à l’étude de sa vie, son œuvre, et son époque, (Thessalonique : Centre d’Études byzantines, 1988), p. 176-209, où figure aussi une bibliographie relative au sujet. Voir Criscuolo, U., « Chiesa ed insegnamento a Bizanzio nel XII secolo : Sul problema della cosiddetta ‘Academia Patriarcale’ », Siculorum Gymnasium 28 (1973), p. 373-390. Darrouzès, J., Recherches sur les offikia de l’Église byzantine, (coll. Archives de l’Orient chrétien 11), (Paris : Faculté de Lettres et Sciences humaines, 1970), p. 66-86. 15 Zonaras et Balsamon, « Commentaire au Canon 2 du 7e Concile de Nicée », in RP, II, p. 561-563. 16 Le travail herméneutique de Zigabène correspondît aux trois échelons des Didascales scripturaires de la même façon exactement qu’Alexis Ier les concevait dans son Édit de 1107 : Apôtres : Cod. Vat. gr. n. 636 ; n. 1501 ; n. 646. Cod. Metam. Meteor. n. 65. Cod. Reg. Babaric. n. 259. Cod. Biblioth. Casanat. n. 1395. Voir Papavasiliou, A. N., Euthyme Zigabène. Vie – Œuvres, (Nicosie, 1979), p. 231-278 ; Évangiles : Eythymii Zigabeni, Commentarius in Quator Evangelia, PG 129, 111B-1502D. Voir Papavasiliou, Euthyme Zigabène…, op. cit., p. 212-230 ; Psautier : Eythymii Zigabeni, Commentarius in Psalterium, PG 128, 41A-1326D. Voir Papavasiliou, Euthyme Zigabène…, op. cit., p. 173-211. 17 Astruc, Ch., « L’inventaire dressé en septembre 1200 du trésor et de la bibliothèque de Patmos : édition diplomatique », TM 8 (1981), p. 25. Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 584.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

patristique. Sous cet angle, il n’est pas fortuit que Théodore Balsamon ait fait explicitement le lien entre le canon en question et l’Édit de 1107 d’Alexis Ier, en soulignant la volonté manifeste de l’Empereur d’harmoniser la politique ecclésias‐ tique avec les critères canoniques de l’Église18. Nicon de la Montagne noire : La construction des principes herméneutiques

La tradition des Panoplies, bien qu’elle cherchât à refléter de façon homogène les orientations doctrinales dominantes de l’Église et de l’État de façon en grande partie normative, évitait de décrire le rapport de ces principes avec le droit canoni‐ que. Or cette attitude ne constituait pas toujours la règle. Avant déjà la rédaction de la Panoplie dogmatique de Zigabène, le moine Nicon de la Montagne noire19, se consacra pendant la deuxième moitié du xie siècle à la rédaction d’un large traité sous le titre Les Interprétations des Commandements du Seigneur20, œuvre qui connut une rapide diffusion, si l’on tient compte de l’existence de neuf codes conservés, datant dès le xiie siècle21. L’originalité de l’œuvre est en premier lieu due aux principes personnels de l’auteur, qui constituent dans le même temps une série de critères méthodologiques. L’importance des remarques de Nicon de la Montagne noire se focalise sur la relation interne des lois et des canons. En premier lieu, le traitement de ce thème touche de façon originale une question de l’histoire du droit : dans quelle mesure la composition de recueils comme le Nomocanon22, pouvait-elle être réussie, lorsque les termes du droit canonique et du droit de l’État étaient incompatibles entre eux, puisqu’ils décrivaient deux « systèmes » spirituels différents, deux ordres juridiques distincts ? Sur un deuxième plan, l’approche de Nicon concernait un problème méthodologique : « l’approche herméneutique des textes juridiques s’effectue sur la base du princi‐ pe que les saints canons ont un contenu théologique et, par conséquent, leur interprétation doit être théologique »23. Dès lors, d’une certaine manière, seule l’Église pouvait interpréter les saints canons et certainement pas avec les outils du système de droit byzantin24.

18 L’influence réciproque entre Zigabène et Alexis Ier ne se limite pas à ces points, mais elle est discernable même dans le texte du Synodikon de l’Orthodoxie : Euthymii Zigabeni, Panoplia Dogmatica, PG 130, 1036C-1060A. 19 Giagkou, Th. X., Nicon de la Montagne noire. Sa Vie – Son œuvre. Son enseignement canonique, (Thessalonique : Université Aristote de Thessalonique, 1991). Doens, I., « Nicon de la Montagne Noire », Byzantion 24 (1954), p. 131-140. Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 330-333. 20 Cette œuvre reste inédite. Giagkou dénombre 60 codes conservés du xiie au xviiie siècle. : Giagkou, Nicon de la Montagne noire…, op. cit., p. 56-62. 21 Ibid., p. 57. 22 Voir Gaudemet, J., « Nomokanon », in Paulys Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, Suppl. X (1965), p. 417-419. Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 197-202. 23 Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 331. 24 Ce principe épistémologique de Nicon ne doit pas être sous-estimé. La nécessité de la corrélation absolue des outils herméneutiques avec l’objet d’investigation du chercheur avait été opportunément

97

98

CHAPITRE III

Nicon de la Montagne noire refuse l’autorité de la loi mosaïque et propose à la place la rédaction d’un nouveau Décalogue25 qui se compose d’une lecture analogiquement graduée du Sermon sur la Montagne26. Ce choix ne traduit dans aucun cas un cloisonnement de l’environnement monacal. Il décrit au contraire la conception paulienne de la dialectique entre la loi comme malédiction (Ancien Testament) et la loi comme grâce (Nouveau Testament)27. Trois exemples : i. Théodore Balsamon notait que la législation mosaïque constituait une erreur28 et que, s’il avait dû choisir entre deux images pour rendre le sens de son œuvre, il aurait préféré, au lieu de celle de Moïse comme législateur et théopte, celle de Jacob habillant Joseph de la tunique précieuse, justement parce que cet habit était teint du safran que produisaient les canons de l’Église29 ; ii. Manuel Ier ne manquait pas de noter dans son œuvre législative que les lois de l’État exprimaient l’esprit des Évangiles, en ayant surpassé l’étroitesse de la législa‐ tion de l’Ancien Testament30, comme l’institution impériale elle-même légiférait à la manière de l’Évangile (εὑαγγελικῶς)31 ; iii. un Décalogue évangélique analogue avait été rédigé à la même époque par le Patriarche de Constantinople Nicolas III Grammaticos (1084-1111)32, en ajoutant à la longue tradition patristique sur ce point33, une série de dispositions normatives qui concernaient la vie chrétienne en général, mais aussi la vie monacale, avec des thèmes comme par exemple les jours de jeûne, les modes de comportement des chrétiens, l’abstinence, etc.34. Sur un second plan, la méthodologie de Nicon de la Montagne noire suit la classification suivante : i. Il enregistre un certain nombre de versets importants et difficilement interprétables des Saintes Écritures ; ii. il intercale de longs extraits d’œuvres patristiques qui contribuent à l’interprétation des versets hagiographi‐ ques ; iii. enfin, il renvoie à des canons et à des lois de l’État pour renforcer le caractère contraignant de ce qu’il avait soutenu aux deux premiers plans. En ce qui concerne les lois de l’État en particulier, Nicon avait puisé avec assurance

25 26 27 28 29 30 31 32 33 34

signalée par Psellos : Michel Psellos, Scripta Minora, I, p. 437 et passim. Voir Tatakis, La Philosophie Byzantine, op. cit., p. 173-174. Voir Nomos Mosaïkos, 2, p. 141-142. Voir Gaudemet, J., Les institutions de l’Antiquité, (Paris :Lextenso, 20148), p. 469-470. Matthieu, 5.1-48. Galates, 3.1-25. Voir Euthymii Zigabeni, Commentarius in Matthæum, PG 129, 112C-113B. Balsamon, « Ἐπίλογος εἰς τὸ νομοκάνονον διὰ στίχων ἰαμβικῶν », in Horna, Die Epigramme…, op. cit., p. 37.1. Ibid., p. 37-38. Manuelis, Nov. LXVIII. De homicidis, op. cit., p. 403-404. Idem., Nov. LXVII. De diebus feriatis, op. cit., p. 397-398. Manuelis, Nov. LXV. Ne morientium episcoporum, op. cit., p. 389. Laurent, V., « La chronologie des patriarches de Constantinople de 996 à 1111 », ÉO 181 (1936), p. 80-82. Voir Siotou, M., L’interprétation du Sermon sur la Montagne à travers les siècles. Recherche historicocritique, (Athènes, 1986). Nicolai Cp. Patriarchæ, Ad Præpositum sacri montis, ut typum in ordine vitæ, PG 111, 392C-406C. Regestes, III, n. 975 (1096 ?), p. 59-61.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

son matériau dans le Nomocanon XIV. On a toutefois signalé que bon nombre des dispositions de l’État citées avaient été tirées d’un autre recueil, ce qui atteste qu’au niveau des sources du droit, l’auteur avait une conception assez large du matériau qu’il intégrait dans son recueil35. Ce schéma tripartite qui se compose dans son ensemble d’environ 2000 textes, défend l’idée que la tradition patristique et la règle biblique constituent les cadres interprétatifs des canons ecclésiastiques. En ce qui concerne la question de la législation en soi, Nicon soutenait que tant les canons ecclésiastiques que le droit de l’État contribuaient fondamentalement au rétablissement de la relation du genre humain avec Dieu36. Toutefois, les conceptions de Nicon concernant le rapport des lois et des canons penchaient naturellement en faveur de l’Église. De plus, en observant que les lois de l’État étaient incompatibles avec les canons ecclésiastiques, il n’hésitait pas à rejeter catégoriquement le genre littéraire même du Nomocanon : « De ce Saint Esprit unique furent édictés les saints canons et (du Saint Esprit) ses saints commandements furent dits. Pourtant, par les anciens, les saints canons furent mélangés aux lois et aux dispositions civiles, constituant ainsi le nomocanon. De plus, par la providence de Dieu, les saints canons avec les commandements du Seigneur et les paroles des saints pères se mêlèrent, composant le livre précité (à savoir le Nomocanon). Et regarde combien les commandements du Seigneur et les paroles des saints pères qui constituèrent les saints canons diffèrent des lois civiles. D’un côté les lois civiles, bien qu’elles suivent dans leur exécution les saints canons, furent établies par des décrets du Basileus et elles furent ratifiées parce qu’elles étaient en accord avec les saints canons. De l’autre, les commandements du Seigneur furent formulés, de même que les paroles des saints et théosophes pères par le Saint Esprit, comme aussi certes (par le Saint Esprit) les canons furent formulés aux saints synodes par les pères. »37 Mais en pratique, la clarté de la formulation précitée reste relative ; Nicon notait que la place des lois de l’État dans son œuvre ne montrait pas seulement leur relation avec le droit divin, mais renforçait aussi l’esprit de discipline dont le chrétien obéissant devait faire preuve. Il devenait clair que si les lois ecclésiasti‐ ques n’avaient pas réussi à corriger quelqu’un, c’était à la sévérité des lois civiles que revenait la charge de rendre la justice. Cette distinction, bien qu’elle privilégie l’exercice de l’économie canonique, ne cesse pour autant de renvoyer à une grille de principes à caractère extrêmement punitif :

35 de Clercq, C., Les textes Juridiques dans les Pandectes de Nicon de la Montagne Noire, (coll. Codificazione canonica orientale, Fonti, Serie II, Fascicolo XXX), (Venezia : S. Congregazione per la Chiesa Orientale, 1942), p. 19. 36 Ibid., p. 201. 37 Cod. Sinaiticus gr. 436 (441), f. 176r. Voir Giagkou, Nicon de la Montagne noire…, op. cit., p. 91-92.

99

100

CHAPITRE III

« (Les Saintes Écritures) discutent avec nous sous forme de sollicitation et de conseil en tant que fils du vrai Père, à savoir du Seigneur lui-même et des saints Pères. Et si des corrections sont proposées, cela est bien ; mais sinon, les canons et les lois civiles nous éduquent comme si nous étions des esclaves, les premiers par les pénitences et les excommunications, les autres par le fouet et les divers supplices ; et si nous n’y obéissons pas et nous nous livrons à la perdition, nous sommes séparés, à la discrétion et conformément aux paroles divines, et rejetés hors des jardins divins, psychiquement par les canons divins, corporellement par les lois civiles. »38 À un troisième niveau, il convient de s’arrêter à l’autorité qui accompagnait l’œuvre de Nicon. Son traité fut approuvé par le Synode patriarcal d’Antioche comme manuel d’enseignement officiel, tandis que lui-même obtint du Patriarche d’Antioche le titre de didascale39. Par conséquent, cet appui institutionnel tant de l’œuvre de Nicon que de sa personne, semble être antérieur aux réformes qu’Alexis Ier promu par l’Édit de 1107 : C’était l’Église qui nommait les didascales avant l’Empereur et qui veillait surtout à la rédaction et la production des manuels didactiques appropriés, qui récapitulaient la partie essentielle de l’enseignement ecclésiastique et les canons régissant l’ordre ecclésiastique. Cette cohérence d’ensemble faisait défaut aux textes que la tradition de la Panoplie dogmatique représentait, justement parce qu’elle s’opposait au caractère moniste du modèle impérial. Le caractère complet des compositions comme celle de Nicon de la Montagne noire contribua à la réception de l’organisme ecclésiastique comme un ordre juridique parfait. Par ailleurs, Nicon était institutionnellement chargé par le Patriarcat d’Antioche d’enseigner à tous les chrétiens indifféremment40, fait que l’on constate dans son œuvre, par exemple dans son souci de se référer aux métiers convenant à un bon chrétien41, et sur le plan institutionnel, dans son insistance à répéter à ses contradicteurs, qu’il exerçait ses fonctions au nom de l’autorité institutionnelle du Synode patriarcal antiochien42. Vers une « expurgation » des saints Canons

De ces questions centrales découlait un nombre de problèmes, qui dans leur ensemble sont décrits dans les traités canoniques du xiie siècle ; on les trouve

38 de Clercq, Les textes Juridiques…, op. cit., p. 201-203. Giagkou, Nicon de la Montagne noire…, op. cit., p. 90-91. 39 Cod. Sinaiticus gr. 436 (441), f. 122r, 246r.Voir Giagkou, Nicon de la Montagne noire…, op. cit., p. 50-51. Beneševič, V., « Taktikon Nikona Černogorca. Grečeskij tekst po rukopisi No 441 Sinajskago monastyrja sv. Jekateriny », Zapiski Ist-Filol. Fakulteta Petrogradskago Universiteta 139 (1917), p. 120. Idem., Catalogus codicum manuscriptorum graecorum qui monasterio sanctae Catherinae in monte Sina asservantur, I, (Olms : Hildesheim, 1965), p. 595. 40 Giagkou, Nicon de la Montagne noire…, op. cit., p. 65-66. 41 Ibid., p. 69. 42 Cod. Sinaiticus gr. 436 (441), f. 256r. Giagkou, Nicon de la Montagne noire, op. cit., p. 89-90.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

dans l’œuvre scoliastique des trois grands canonistes du xiie siècle : Alexis Aristè‐ nos43, Jean Zonaras44, Théodore Balsamon45. À leurs côtés, devrait aussi figurer le scoliaste Anonyme du Code sinaïtique gr. 1117, qui était probablement Jean Castamonitès46. La corrélation de trois pôles – loi, canons, tradition patristique – tendait au xiie siècle vers une systématisation, constituée de la tradition déjà existante qui pourrait être appelée, ne serait-ce qu’abusivement, une « expurgation » comné‐ nienne des sources fondamentales de la puissance spirituelle et institutionnelle de l’Église. L’utilisation en l’espèce du terme d’expurgation, se réfère directement

43 Texte : Aristeni, Comentaria in Canones, PG 137, 35A-1498B ; 138, 9A-456B. RP. II-IV. Menevisoglou, P., « L’‘annexe’ de l’interprétation d’Alexis Aristènos » Cléronomia 34 (2002 [2004]), p. 175-187. Bibliographie : Wal, N. van der – Lokin, J. H. A., Historiae iuris graeco-romani delineatio. Les sources du droit byzantin de 300 à 1453, (Groningen : Forsten, 1985), p. 108. Montreuil, J.A.B., Histoire du droit byzantin ou du droit romain dans l’empire d’orient, III, (Paris : Guilbert MDCCCXLVI), p. 412-416. Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 356-357. 44 Texte : Zonaræ, Comentaria in Canones, PG 137, 35A-1498B ; 138, 9A-848D. RP. II-IV. Essais : « Περὶ τοῦ μὴ δεῖν δύο δισεξαδέλφους τὴν αὐτὴν ἀγαγέσθαι πρὸς γάμον », in RP, IV, p. 592-597. « Λόγος πρὸς τοὺς τὴν φυσικὴν τῆς γονῆς ἐκροὴν μίασμα ἡγουμένους », in RP, IV, p. 598-611. Bibliographie : Pieler, P. E., « Johannes Zonaras als Kanonist », in Byzantine in the 12th Century…, op. cit., p. 601-620. Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 353-356. Hunger, Literatur…, II, op. cit., p. 246-250. 45 Texte : Nomocanon XIV : RP, I, p. 5-335 (= PG 104, 976-1217) ; Canons : RP II-IV. Balsamonis, Comentaria in Canones, PG 137, 35A-1498B ; 138, 9A-888C. Essais : « Περὶ τῶν ῥασοφόρων » in RP, IV, p. 497-510 ; « Περὶ τοῦ μὴ ἀναγινώσκειν μαθηματικὸν βιβλίον », in Ibid., p. 511-519 ; « Μελέτη περὶ τῆς εἰς τοὺς θείους ναοὺς τῶν μοναστηριών γινομένης μετακλήσεως διὰ σημαντηρίων τριῶν », in Ibid., p. 520-522 ; « Χάριν τῶν διδομένων θυμιαμάτων ἐτησίως παρὰ τοῦ πατριάρχου κατὰ τὴν ἡμέραν τῆς κατηχήσεως », in Ibid., p. 523-529 ; « Μελέτη χάριν τῶν δύο ὀφφικίων, τοῦ τε χαρτοφύλακος καὶ τοῦ πρωτεκδίκου », in Ibid., p. 530-541 ; « Μελέτη χάριν τῶν πατριαρχικῶν προνομίων », in Ibid., p. 542-555 ; « Περὶ τοῦ εἰ χρὴ τὸν αὐτὸν καὶ ἕνα δυσὶ δισεξαδέλφαις συνάπτεσθαι », in Ibid., p. 556-564 ; « Ἐπιστολὴ πρὸς τοὺς Ἀντιοχεῖς, χάριν τῶν ὀφειλουσῶν τελεῖσθαι νηστειῶν ἑκάστου ἔτους », in Ibid., p. 565-579. Bibliographie : Stevens, G. P., De Theodoro Balsamone. Analysis operum ac mentis iuridicae, (coll. Corona Lateranensis 16), (Roma : Libreria editrice della Pontificia Università lateranense, 1969). Van Der Wal / Lokin, Historiae iuris graeco-romani delineatio…, op. cit., p. 109-111. Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 358-363. Montreuil, Histoire du droit byzantin, III, op. cit., p. 432-446. Hunger, H., « Kanonistenrhetorik im Bereich des Patriarchats am Beispiel des Theodoros Balsamon », in Byzantine in the 12th Century…, op. cit., p. 37-59. Pitsakis, C. G., « L’étendue du pouvoir d’un Patriarche hors des frontières : Le Patriarche d’Antioche à Constantinople au xiie siècle », in Ibid., p. 91-139. Magdalino, P., « Constantinople and the ‘exô chôrai’ in the time of Balsamon », in Ibid., p. 179-197. Meyendorff, J., « Balsamon, the Empire and the Barbarians », in Ibid., p. 533-542. Gallagher, CL., « Gratian and Theodore Balsamon : two twelfth-century canonistic methods compared », in Ibid., p. 61-89. Stolte, B. H., « Balsamon and the Basilica », SG 3 (1988), p. 115-125. Browning, R., « Theodore Balsamon’s Commentary as a Source on Every-day life in Twelfth-Century Byzantium », in Aggelidè, Ch. (éd.), La vie quotidienne à Byzance. Ruptures et Continuités dans la Tradition hellénistique et romaine. Actes du Ier Colloque international. 15-17 septembre 1988, (Athènes : K.B.E./E.I.E., 1989), p. 421-428. 46 Texte : Cod. Sinaiticus gr. 1117 (482), ff. 2r-210v (= codex unicus). Bibliographie : Tiftixoglu, V., « Zur Genese der Kommentare des Theodoros Balsamon. Mit einem Exkurs über die unbekannten Kommentare des Sinaiticus gr. 1117 », in Byzantine in the 12th Century…, op. cit., p. 483-532. Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 363-364. Katsaros, B., Jean Castamonitès. Contribution à l’étude de sa vie, son œuvre et son époque, (Thessalonique : Centre d’Études byzantines, 1988).

101

102

CHAPITRE III

aux antécédents historiques, tant de la codification et de la production juridique justinienne et macédonienne qu’à la finalité idéologique claire qui régissait cette « politique législative »47. Ce dernier aspect, qui en l’espèce est important parce qu’il souligne la connivence étroite du système juridique byzantin avec l’idéologie dominante, a été traité par Pieler48 et Troïanos49. Cette question sera examinée sur le plan de la méthode et de la nécessité de synthèse et sur le plan du dialogue entre les lois de l’État et les saints canons. Ce travail systématique, à l’exception du cas de Théodore Balsamon, n’est jamais clairement décrit. Son esprit régit pourtant l’ensemble de l’œuvre des « pionniers » de cette expurgation spirituelle ecclésiastique comnénienne. Un examen attentif du Préambule de la Panoplie de Zigabène permet de constater une collection éclectique des textes des Pères, qui servait les besoins apologétiques de l’orthodoxie politique, en négligeant les œuvres qui semblaient inopportu‐ nes50. Cela est aussi décrit au niveau du vocabulaire : Alexis Ier choisit et réunit (ἐκλεξάμενος καὶ συναγαγὼν), avec le concours d’hommes sages et expérimentés, les textes patristiques les plus importants. Par la suite, il confie à Zigabène leur classification et leur harmonisation : La constitution de la Panoplie fut le fruit de ce travail51. Au niveau du droit, il est tout d’abord clair que le corps des Basiliques, prit sa forme définitive, ainsi que son nom, lors de la révision faite par Constantin VIII (1025-1028)52. En tout état de cause, Manuel Ier, par la Novelle De diversis Causis (1166) ordonna explicitement la mise en application des Basiliques comme droit en vigueur de l’État53, formulation qui a conduit Scheltema à émettre l’hypothèse selon laquelle les Basiliques n’ont constitué le corps législatif officiel de l’État byzantin que sous le règne de Manuel Ier54. Cette décision impériale fut prise

47 Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 213-218. van Bochove, Th. E., To Date and Not To Date. On the Date and Status of Byzantine Law Books, (Groningen : Egbert Forsten, 1996), p. 173-186. 48 Pieler, P. E., « Ἀνακάθαρσις τῶν παλαιῶν νόμων und makedonische Renaissance », SG 3 (1988), p. 61-77. 49 Troïanos, Sp. N., « Droit et idéologie au temps des Macédoniens », Byzantina 22 (2001), p. 239-261. 50 Selon l’aveu de Zigabène lui-même dans le préambule de la Panoplie, la composition de son œuvre nécessita l’expurgation des textes mêmes des grands Pères de l’Église : PG 130, 24ΑΒ. 51 Euthymii Zigabeni, Panoplia Dogmatica, PG 130, 24AB. Le terme σύνταγμα, collection, rédaction, constitution, signifie ici tant l’unité militaire que l’ouvrage : Voir Suidae, III, n. 1619, p. 475 ; n. 1624, p. 476. 52 Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 252-261. 53 Manuelis, Nov. LXVI. De diversis causis, op. cit., p. 391-392. Voir Macrides, « Justice under Manuel I… », art. cit., p. 174-176. Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 262. 54 Scheltema, H. J., « Byzantine Law », in Hussey (éd.), The Cambridge Medieval History, IV, 2, p. 65-66. Idem., « Das oströmische Reich », in Immink – Scheltema (éd.), At the Roots of Medieval Society, II, p. 126-131. Idem., « Probleme der Basiliken », TRG 16 (1939), p. 341-342. Idem., « Über die Natur der Basiliken », TRG 23 (1955), p. 287-288, 297-310. Voir Schminck, A., Studien zu mittelbyzantinischen Rechtbüchern, (coll. Forschungen zur byzantinischen Rechtsgeschichte Band 13), (Frankfurt am Main : Löwenklau, 1986), p. 53 et passim.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

en réaction à une contraditio créée entre une décision du Synode patriarcal et une autre émanant du tribunal impérial. Ceci conduisit à son tour Manuel Ier et le Patriarche de Constantinople Michel III (1169-1177)55 à confier à Théodore Balsamon la mission de commenter le Nomocanon XIV en rapport avec les lois de l’État en vigueur, à savoir avec le corps en vigueur des Basiliques56. Balsamon notait que le tribunal impérial avait annulé la décision du Synode patriarcal et donné raison à Léon d’Amasse à propos du pourvoi de l’évêché d’Amissos57. La motivation de l’infirmation de cette décision se fonda sur le principe de lex posterior derogat legi priori, étant donné que selon le critère impérial, la décision en question du Synode s’était fondée sur la Novelle justinienne 123 de 546, qui n’avait pourtant pas été incluse dans le corps des Basiliques, c’est-à-dire qu’elle ne faisait pas partie des lois de l’État en vigueur58. Mais quel a été le travail confié à Balsamon ? Comme il le notait lui-même, celui-ci visait à éclaircir les points obscurs des saints canons et notamment à interpréter les points par lesquels les saints canons se différenciaient des lois de l’État. Or ce travail avait comme axe d’interprétation la dernière expurgation des lois, qui s’était effectuée, comme il a été mentionné plus haut, sous le règne de Constantin VIII. Plus concrètement, Balsamon soulignait dans une remarque, que son travail se concentrerait sur la mise en évidence de ces points où les dispositions canoniques s’opposaient nettement aux lois de l’État en vigueur. Il poursuivait en décrivant ses motivations idéologiques, et en fixant de façon axiomatique au centre de son travail la proposition de l’expurgation des lois : les lois et les dispositions qui étaient tombées en désuétude ou qui semblaient s’opposer aux saints canons devaient être exclues, pour ne plus être considérées légales et que l’on ne tente plus d’administrer la justice en vertu d’elles, ce qui aurait pu aboutir à des cas malheureux, comme celui du Patriarche Michel III, qui ignorant la voie droite et royale faillit tomber dans une faute canonique majeure59. De façon analogue, le Nomocanon XIV photien serait interprété dans le champ des Basiliques et en vertu de ce « nouvel » environnement juridique60. De tels écarts entre la loi de l’État et le droit canonique, dont il ne faudrait pas perdre de vue qu’il constituait le système de sanctions et le régime discipli‐ naire de l’Église, n’étaient pas si abstraits qu’on pourrait le supposer au premier abord. Il serait opportun d’examiner ici de plus près l’exemple de l’homicide.

55 Voir Grumel, V., « La chronologie des patriarches de Constantinople de 1111 à 1206 », Études byzantines 1 (1943), p. 258. 56 Balsamon, « Exégesis », in PR, I, p. 31-32. Regestes, ΙΙΙ, n. 1135 [s. d.], p. 163. Voir Macrides, R., « Nomos and Kanon on Paper and in Court », in Morris, R. (éd.), Church and People in Byzantium, (Birmingham : Centre for Byzantine, Ottoman and Modern Greek Studies, 1990), p. 73-74. 57 Balsamon, « Commentaire au Nomokanon I.IX », in RP, I, p. 49-50. 58 Nov. CXXIII.II, in C.I.C., III, p. 595-596. Voir Stolte, B., « The Past in Legal Argument in the Byzantine Canonists of the Twelfth Century », in Byzantine in the 12th Century…, op. cit., p. 202. 59 Balsamon, « Exégesis », in PR, I, p. 32. 60 Ibid.

103

104

CHAPITRE III

En 1166, Manuel Ier édicta la Novelle De homicidis61 qui, à juste titre dans une certaine mesure, semblait tenter d’entraver l’influence sans cesse grandissante de l’Ekdikeion patriarcal, à savoir de l’organe judiciaire officiel de la Grande Église, qui avait aussi la charge de juger des affaires civiles. Dans les coulisses toutefois de ce choix politique, se trouvait le fait que, notamment pour l’homicide, l’Église et l’État avaient des conceptions opposées en ce qui concernait le système des peines. Pour se rendre compte de l’importance de la question, il conviendrait de se pencher sur un exemple précis. Macridès signale certains cas de jugement d’homicides par l’Ekdikeion de la Grande Église vers le milieu du xie siècle62. Les documents patriarcaux concluaient que celui qui ignorerait l’autorité des décisions, serait exclu de la communion ecclésiastique63. On voit dans cette formulation la confrontation des deux systèmes de sanctions ou plutôt de deux ordres juridiques. L’Église fixait ses conditions en faisant peser la menace que leur non-exécution entraînerait le retranchement total des fautifs de son corps, ce qui pour la société byzantine signifiait le retranchement à vie du tissu social lui-même. Il conviendrait d’associer ce point à une formulation de Balsamon, selon laquelle nul ne saurait augmenter ou modérer ce qui n’était stipulé que par la loi civile. On constate que des oppositions de ce genre créaient des ruptures au sein du corps social, en neutralisant quasiment l’autorité et la force exécutoire de l’œuvre du législateur. Au Préambule de ses commentaires au Nomocanon XIV, Théodore Balsamon décrit en premier lieu son travail comme historique et puis comme scoliastique. La connaissance historique des sources du droit et leur insertion dans un envi‐ ronnement interprétatif approprié constituent un champ de compréhension qui précède le travail scoliastique juridique. Son travail concerne en quelque sorte une expurgation canonique, puisqu’il suit les axes interprétatifs que le terme de l’expurgation, comme œuvre systématique, suit. Par ailleurs, Balsamon lui-même, dans son Préambule très concis, évoque cinq fois la proposition de l’expurgation des lois, comme point stable de son horizon d’interprétation. Il faudrait pourtant utiliser ici les mêmes outils que Balsamon, à savoir les critères historiques, pour pouvoir déceler s’il envisageait le travail que lui avait confié Manuel Ier comme une expurgation passée sous silence. Alexis Ier se référait dans l’Édit de 1107 à l’expurgation à laquelle le droit canonique devait être soumis et à la révision du texte du Nomocanon64. Le travail scoliastique de Théodore Balsamon s’appuya sur les deux éditions élaborées du Nomocanon XIV de la fin du xie siècle. Ces deux éditions furent réalisées, la première vers 1089-1090, et la seconde vers 1092-109365. À la fin du xie siècle, la forme élaborée du Nomocanon XIV comprenait des dispositions

61 62 63 64 65

Manuelis, Nov. LXVIII. De homicidis, op. cit., p. 403-408. Macrides, R., « Killing and the Law in Byzantium », Speculum 63 (1988), p. 516-520. Constantinos Lihoudes, « Sentence synodale », in RP, V, p. 48-50. Gautier, « L’Édit d’Alexis Ier… », art. cit., p. 197. Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 328-329.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

civiles des Basiliques qui n’étaient pas prises en compte jusqu’alors. On peut dès lors supposer que les griefs de Manuel Ier concernant la nullité de la décision du Synode patriarcal n’étaient pas recevables car n’obéissaient pas à la loi de l’État en vigueur. Toutefois, selon un témoignage de Balsamon, les choses étaient approximativement ainsi, étant donné qu’à la fin du xiie siècle et malgré la volonté politique des Comnènes, le Nomocanon XIV n’était pas complètement imposé au Nomocanon L66. Revenant à présent à l’Édit de 1107, on constate que l’« expurgation » des canons et du Nomocanon XIV, au moins sur le plan de la convergence des saints canons et de la loi de l’État, ne s’effectua que sous le règne de Manuel Ier, sans que cela signifie que toutes les divergences existantes soient résolues. Toutefois, entre ces deux points, se réalisa un autre travail canonique. Jean II Comnène confia aux alentours de 1130 au fameux Alexis Aristènos la rédaction d’une série de commentaires herméneutiques aux canons67, qui au niveau de la forme présentait beaucoup de ressemblances avec l’Ecloga Basilicorum68. Aristènos, non seulement choisit d’étudier les canons dans la version abrégée d’une Synopsis de Canons de la fin du xie siècle et non dans le texte original, mais il prit soin d’exercer une critique conséquente à l’auteur de l’œuvre, qui le plus souvent semblait, selon Aristènos, ne pas avoir clairement compris les canons69. Aristènos, bien qu’il intitulât son œuvre Nomocanon, évita de mettre en relation les saints canons avec les lois de l’État correspondants, tandis que ses commentaires, dans une large mesure, n’ajoutaient que très peu de choses à la clarté des canons eux-mêmes70. C’est toutefois avec une légèreté similaire que Zonaras puisa des dispositions dans les Basiliques, puisque très probablement, selon l’estimation de Pieler, il n’avait pas en sa disposition l’édition intégrale du texte des Basiliques et, lorsqu’il y faisait référence, il le faisait de mémoire71. D’une manière générale, on constate que la production canonique du xiie siè‐ cle converge vers une consolidation du travail systématique qui s’était déjà effec‐ tué au cours du xie siècle. Mais il est tout aussi clair que la volonté de l’État d’une systématisation de l’environnement nomocanonique était en accord avec les prin‐ cipes de la politique d’Alexis Ier, dont le contour prédisposait à la constitution d’une Église contrôlée institutionnellement. De l’autre côté, l’institution impéria‐ le était renforcée par le fait qu’au niveau du droit public, l’orthodoxie constituait le composant fondamental de l’unité de l’État, ce qui faisait apparaitre l’Empereur, comme épistèmonarchès des choses ecclésiastiques, vers un modèle de plus en plus 66 Balsamon, « Commentaire au Canon II de Troullo », in PR, II, p. 311. 67 Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 356. 68 Van Der Wal / Lokin, Historiae iuris graeco-romani delineatio…, op. cit., p. 107. Voir Macrides, « Nomos and Kanon… », art. cit, p. 78. 69 Aristènos, « Commentaire au Canon 75 des Apôtres », in RP, II, p. 97. Idem., « Commentaire au Canon 19 d’Ancyre », in RP, III, p. 62. 70 Troïanos note une seule référence d’Aristènos à une loi de l’État. : Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 356. Voir Aristènos, « Commentaire au Canon 103 de Troullo », in PR, II, p. 527. 71 Pieler, P. E., « Johanes Zonaras als Kanonist », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 618.

105

106

CHAPITRE III

introverti. Le caractère monolithique de textes du genre de la Panoplie, devait s’accorder avec une série de principes nomocanoniques clairement formulés, où les canons viendraient entériner l’autorité de la loi de l’État. Or, on constate que : i. les changements et le caractère casuistique du droit byzantin72 créaient un envi‐ ronnement législatif auquel, ii. l’Église semblait refuser de s’adapter, non en raison d’une conception figée, mais principalement parce qu’elle préférait rester fidèle aux critères ecclésiologiques et canoniques établis du premier millénaire, malgré les tentatives de l’Empereur de les déconstruire73. De l’autre côté, iii. la remarque de Troïanos selon laquelle pendant deux siècles les dispositions des Basiliques n’avaient pas été intégrées au Nomocanon, ainsi que l’imprécision avec laquelle ce Nomocanon était utilisé, du moins sous le règne de Manuel Ier, témoigne du fait que l’État n’était pas en mesure de protéger et de formuler clairement ses intérêts74.

L’Empereur comme protecteur et exégète de la tradition ecclésiastique et des saints canons Changements dans le vocabulaire : le terme épistèmonarchès

L’étymologie du terme épistèmonarchès se réfère à une personne qui représente l’autorité d’une science, d’un art, d’un objet cognitif au sens large, en prétendant indiquer aux autres les principes de sa science, en leur enseignant ce qui est juste, si cela est jugé nécessaire. Cette dernière caractéristique est liée à la conception des Byzantins disant que le mot épistèmè (science), signifiait l’ordre et la discipli‐ ne75. Le terme est ainsi lié à la vie monastique et au ixe siècle, selon le Typikon de Stoudion, les charges de l’épistèmonarchès étaient disciplinaires : il jugeait les frères du monastère et leur imposait – de jure – les pénitences canoniques. Sa sévérité présupposait la probité de son caractère, sa profonde connaissance de la vie monastique, de la tradition ecclésiastique et des saints canons76. La première

72 Hunger, Literatur…, III, op. cit., p. 194. 73 Voir Pitsakis, « Le grand siècle de la science du droit canonique… », art. cit., p. 242. Darrouzès, Offikia…, op. cit., p. 56. 74 Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 328. 75 Suidæ, I, p. 322. Zonaræ Lexicon, I, p. 795. Hesychii Alexandreni Lexicon, p. 602. Etymologicum Gudianum, p. 202. « ἐπιστήμων : knowing (…) II. Make scientific (…) knowing, wise, prudent (…), 2. Acquainted with athing, skilled or versed in (…), 3. Knowning how (…), II. Possessed of perfect knowledge (…) scientifically versed in a thing » : Liddell – Scott, p. 660. « 1. Qui sait, qui est instruit ou qui a l’expérience de (…) ; savant ou habile en qqe ch. (…) ; qui sait comment (…) sage, prudent (…) ; qui a des connaissances raisonnées » : Bailly, p. 775. 76 Voir Leondaritou, V., Offices et services ecclésiastiques pendant les périodes proto-byzantine et mésobyzantine, (coll. Forschungen Byzantinischen Rechtsgeschichte 8), (Athènes : Sakkoulas, 1996), p. 237-241. Stephanidès, V., « Les termes épistémè et épistèmonarchès chez les Byzantins », SHEB 7 (1930), p. 153-158.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

utilisation politique du terme se trouve dans l’Alexiade : selon Anne Comnène, son père, Alexis Ier Comnène, était l’épistèmonarchès de la basileia77. Mais ce qui est certain, c’est que l’Empereur y est décrit comme épistèmonarchès, justement parce qu’il est le rassembleur et le régulateur des choses politiques. À la même époque, le terme se rencontre de plus en plus fréquemment dans les Typika monastiques, en conservant son ancien caractère disciplinaire78. Le terme est introduit dans la vie politique, en conservant intact son contenu ecclésiastique. Il faudrait pourtant remarquer que le vocabulaire impérial n’a jamais intégré le terme, en laissant à l’Église sa répétition79. C’est chez Eustathe de Thessalonique que se rencontre l’origine du caractère de légitimation du terme épistèmonarchès. Cette dense composition décrit les parcours de la légitimité impériale. Au centre de la réflexion eustathienne réside l’idée de Dieu comme grand hôte et épistèmonarchès (τῷ μεγάλῳ οἰκοδεσπότῃ καὶ ἐπιστημονάρχῃ θεῷ). Par conséquent ce qui concerne le Basileus concerne avant tout la source de sa légitimité, à savoir Dieu lui-même80. Ceci étant, Eustathe de Thessalonique ne tarda pas à distinguer le Basileus épistèmonarchès comme projection animée de Dieu épistémonarchès ; comme épistémonarchès de la grande philosophie, le Basileus connaissait l’impénétrable et les secrets de la sagesse de Dieu81. Dans son Épitaphe pour Manuel Ier, Eustathe décrira en termes techniques sa conception : le Basileus fut le savant omniscient absolu (παντεχνής – σοφός ἐπιστήμων)82. Le terme épistèmonarchès comme qualifiant l’Empereur se rencontre pour la première fois dans un document ecclésiastique officiel, les Procès-Verbaux du Synode de 1156. Dans ce cas, Manuel Ier, comme grande intelligence et instruit par Dieu (μεγαλοφυής καὶ θεοδίδακτος), s’attache à l’exégèse des dogmes83. Dans les Procès-Verbaux du Synode dé 1166, la même expression se retrouve dans une grille de déterminants sur ce sujet : le Basileus est l’épistèmonarchès des choses ecclésiastiques (ὁ τῶν ἐκκλησιαστικών ἐπιστημονάρχης)84. Dans les deux cas le terme concerne simplement les responsabilités impériales institutionnelles qui

77 « Ἐπιστημονάρχης τῆς βασιλείας » : Alexiade, t. I, ΙΙΙ.IV, p. 114. Certes ici on faisait allusion aux réformes d’Alexis Ier et en particulier au nouveau régime de l’ordre du palais et des offices de l’État : Voir Magdalino, P., « Innovations in government », in Alexios I…, op. cit., p. 146-166. Dagron, Empereur et Prêtre…, op. cit., p. 261-262. 78 Voir Petit, L., « Typikon du monastere de la Kosmosotira pres d’Aenos (1152) », IRAIK 13 (1908), p. 40. Evegrétis, p. 71.991-73.1006. Le diaconat de l’épistèmonarchès se rencontre aussi dans les monastères féminins (Ἐπιστημονάρχισσα) : Kécharitôménè, p. 73-75. 79 Macrides, « Nomos und kanon… », art. cit., p. 63-64. Voir Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 492. Angold, Church and Society…, op. cit., p. 99-101. Nous n’avons localisé qu’une occurrence où Manuel Ier se qualifie lui-même d’épistèmonarchès : Manuelis, Nov. LXIX. Quod rescindit matrimonium septimo, op. cit., p. 409. 80 Eustathii Thessalonicensis, « III. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 45-47. 81 Eustathii Thessalonicensis, « II. Oratio ad Ioannem Ducam », p. 18. 82 Eustathii Thessalonicensis, « Manuelis Laudatio funebris… », op. cit., p. 205. 83 Nicetae Choniatae, Thesauri Orthodoxæ Fidei, Lib. XXIV, PG 140, 188C. 84 Actes, I, p. 122.

107

108

CHAPITRE III

se limitent à l’effort de pacifier les querelles ecclésiastiques. En revanche, il se réfère et exprime un ensemble de revendications qu’il attribue de façon excessive à la proposition eusébienne de l’Empereur, comme Évêque commun et assistant : le Basileus enseigne, prêche, affirme le dogme, légifère et interprète les canons, convoque les Synodes, les préside et exprime surtout l’opinion de Dieu lui-mê‐ me85. Par conséquent, le terme épistèmonarchès des choses ecclésiastiques exprime, à notre avis, les conceptions sur les relations entre l’Église et l’État à l’époque de Manuel Ier Comnène, en récapitulant toute la tradition étatique antérieure86. Un examen plus attentif des sources permet de constater que le terme – utilisé en l’occurrence par Théodore Balsamon – concerne la fonction du pouvoir impérial sur les questions ecclésiastiques. Balsamon, en commentant le canon 12 du Synode d’Antioche (341)87, considère comme logique – sous des conditions très strictes – l’exercice du droit d’appel (ἔκκλητο) auprès de l’Empereur d’une décision ecclésiastique pourtant définitive, acte qui se justifie justement par l’ac‐ ceptation du Basileus comme épistèmonarchès de l’Église. L’appelant peut donc être jugé par l’Empereur, justement parce que l’autorité impériale est supérieure à l’autorité patriarcale (ἔσται διὰ τὴν τοῦ θρόνου ὑπεροχήν)88. Manuel Ier exerça des charges de juge ecclésiastique pendant la période de la déposition du Patriarche de Constantinople Cosmas II Atticus en 1147 : l’Empereur sacré par Dieu – à la demande du Synode lui-même – jugea et déposa le Patriarche, après avoir mis en lumière ses croyances fausses (κακοδοξία) grâce à la subtilité de sa sagesse épistémonarchique (τῇ ἐντέχνῳ τούτου καὶ ἐπιστημοναρχικῇ σοφίᾳ)89. Le caractère explicitement sacré de la qualité épistèmonarchique de l’Empereur est sous-tendue par sa légitimité divine. Dans ce schéma, décrit de façon caractéristique par le Sémeioma synodal de 1166, le Patriarche et le Synode ne constituent que les messagers et les intercesseurs entre l’Empereur et le peuple, l’Église du Seigneur90.

85 Voir Eusebius, Vita Constantini, IV. 24. Straub, J. A., « Constantine as ΚΟΙΝΟΣ ΕΠΙΣΚΟΠΟΣ. Tradition and Innovation in the Representation of the First Christian Emperor’s Majesty », DOP 21 (1967), p. 37-55. Schwartz, E., Kaiser Constantin und die christliche Kirche, Darmstadt 1969, p. 128 et passim. Seston, W., « Constantine as a ‘bishop’ », Journal of Roman Studies 37 (1947), p. 127 et passim. 86 Voir Sansterre, J.-M., « Eusèbe de Césarée et la naissance de la théorie ‘césaropapiste’ », Byz (1972), p. 131-195. 87 « Canon XII du Synode d’Antioche », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 114. 88 Balsamon, « Commentaire au Canon XII de Synode d’Antioche » in RP, III, p. 149. Voir Angold, Church and Society…, op. cit., p. 101-108. 89 Manuelis Comneni, « Σημείωμα τῆς καθαιρέσεως τοῦ γεγονότος πατριάρχου Κωνσταντινουπόλεως Κοσμᾶ τοῦ Ἀττικοῦ » in PR, V, p. 309. Voir Regesten, II, n. 1351 (1147), p. 65. 90 Simon, « Ein Synodalakt aus dem Jahre 1166 », art. cit., p. 125.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

Le Basileus comme guide de la vertu, professeur du juste et gouverneur du rythme régulier

Grâce aux Procès-Verbaux des Synodes de 1166 et 1170, il est possible de dis‐ tinguer le chaînon manquant entre le fait de la légitimité impériale divine verticale et des devoirs et droits ecclésiastiques du Basileus qui en émanent. Ce principe est bien décrit par Eustathe de Thessalonique par le schéma suivant : les sujets de l’Empire sont des hommes ordinaires ; mais lui – le Basileus – est ressemblant à Dieu, c’est pourquoi il est « pédagogue, guide de la vertu, professeur du juste, archétype d’une vie remarquable, gouverneur du rythme régulier »91. Dès lors, toute forme d’intrusion de l’Empereur dans les affaires ecclésiastiques est justifiée, puisqu’elle reflète cette ressemblance avec Dieu et permet de se prononcer de la manière la plus authentique, et dès lors valable : « en lui vit et cohabite le grand esprit divin »92. D’ailleurs, le Basileus avait été formé au royaume céleste, en héritant du commandement de semer dans les sillons des cœurs de ses sujets « la bonne semence du verbe, lui le bon cultivateur des vertus, l’homme évangélique parfait »93. Les caractéristiques divines de la légitimité impériale traversent toutes les formes des positionnements ecclésiastiques de l’Empereur, en rendant aussi le ca‐ ractère de sa politique ecclésiastique non négociable : ses concepts et ses interpréta‐ tions sont gouvernés par Dieu (θεοκυβέρνητα)94, comme il est l’Empereur dogmatiste instruit par Dieu (θεοδίδακτος δογματιστής αὐτοκράτωρ)95, le Basileus théosophe (ὁ θεόσοφος Βασιλεύς)96. Dès lors l’Édit de 1166 n’est pas une loi quelconque, mais une œuvre inspirée de Dieu (θεόπνευστο) et produite par un empereur également à la ressemblance de Dieu (θεοειδούς αὐτοκράτορος)97. Il s’ensuit que le Basileus est le meilleur exégète des questions dogmatiques, l’herméneute le plus expérimenté de la tradition ecclésiastique. Les Procès-Ver‐ baux de 1166 le mentionnent comme « celui qui donne l’interprétation pieuse juste »98, tandis qu’en 1170 il est décrit comme « le sage chasseur des problèmes dogmatiques »99, qui « examine subtilement et minutieusement » les textes patristiques produisant constamment des propositions ingénieuses, approfondis‐ sant sans ménager sa fatigue la tradition scripturaire100, simplifiant la complexité qui rend l’enseignement divin inaccessible101. La remarque du Synode de 1156

91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101

Eustathii Thessalonicensis, « I. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 6. Prodromos, « XVI. An den siegreichen purpurgeborenen Autokrator… », op. cit., p. 280. Malakès, Ta sozomena…, op. cit., p. 554. Actes I, p. 174. Ibid. Actes I, p. 139 ; Ibid., ΙΙΙ, p. 196. Actes III, p. 191. Actes I, p. 138. Actes III, p. 188. Actes I, p. 139. Actes I, p. 174.

109

110

CHAPITRE III

est également explicite : le Basileus était savant sur les choses sacrées102. Des réfé‐ rences aux performances extraordinaires de l’Empereur dans l’interprétation des Écritures figurent aussi chez Eustathe de Thessalonique : les mains qui tenaient avec adresse les armes, feuilletaient avec plus d’adresse encore les Écritures en y recherchant les dogmes justes plaisants à Dieu103. Une corrélation militariste se trouve aussi chez Euthyme Malakès : les mains de Manuel Ier égorgent (sic) les barbares ; ses lèvres disent la sagesse divine et profèrent des exhortations salvatri‐ ces104. Dans un autre rapprochement, le Basileus est décrit comme une autorité de la dialectique spirituelle, s’adonnant continuellement à des investigations, exercices et raisonnements ayant comme seul but d’éclairer les dogmes divins105, sans être bien sûr inférieur en rien comme théologien et rhéteur ecclésiastique même à l’apôtre Paul lui-même106. Selon les Procès-Verbaux du Synode de 1156, l’implication de Manuel Ier dans la querelle christologique, le conduisit à négliger ses responsabilités temporelles, pour pouvoir apporter des solutions aux litiges ecclésiastiques107. Cette image, bien qu’elle apparaisse comme une hyperbole rhétorique, n’est guère loin de la réalité. Pour se rendre compte de son fondement historique, il suffit d’évoquer un épisode : en 1147, Manuel Ier est mobilisé par les mêmes très saints évêques qui se présentent scandalisés devant le puissant et saint empereur en réclamant la convocation du Synode pour qu’il décide la destitution du Patriarche de Constantinople Cosmas II Atticus. L’Empereur donne volontiers droit à leurs requêtes, mu par son zèle pour l’administration de la justice, ne pouvant certes pas accepter que des scandales de ce genre perdurent108. De la même manière le Basileus délaisse en 1166 ses préoccupations temporelles, pour se pencher avec ardeur sur le traitement du corps de l’Église comme un médecin compétent et expérimenté109. Son objectif était de guérir ce qui était malade, de fortifier avec le traitement adapté ce qui était brisé et enfin de conduire l’Église à l’unité parfaite110. Son sincère engagement de proclamer la pieuse exégèse du dogme, le tint éveillé pour plusieurs jours111, de sorte que le motif de l’éveil impérial pour les soucis politiques s’« ecclésialisât » structurellement sous la lumière de 102 103 104 105 106 107 108

109 110 111

Nicetae Choniatae, Thesauri Orthodoxæ Fidei, Lib. XXIV, PG 140, 189D. Eustathii Thessalonicensis, « I. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 6. Malakès, Ta sozomena…, II, op. cit., p. 553. Eustathii Thessalonicensis, « Manuelis Laudatio funebris… », op. cit., p. 205. Ιbid., p. 204. Nicetae Choniatae, Thesauri Orthodoxæ Fidei, Lib. XXIV, PG 140, 181AB. Voir Ibid., 197A. Eustathii Thessalonicensis, « I. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 6.1-7. Actes I, p. 122. Voir RP, V, p. 307-311. Darrouzès, J., « Une lettre du patriarche Cosmas (1147) », in Duffy, J. – Peradotto, J. (éd.), Gonimos. Neoplatonic and Byzantine Studies, (Buffalo - New York : Arethousa 1988), p. 217-222. Grumel, V., « La chronologie des patriarches de Constantinople de 1111 à 1206 », art. cit., p. 253-255. Actes I, p. 122. Voir Eustathii Thessalonicensis, « Manuelis Laudatio funebris… », op. cit., p. 205. Nicolaos Methones, Orationes duae…, op. cit. p. 26. Actes I, p. 122. Ibid., p. 141.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

l’injonction du psaume : « Qu’il ne laisse broncher ton pied ! Qu’il ne dorme, ton gardien ! Vois, il ne dort ni ne sommeille, le gardien d’Israël. »112 Il devient ainsi clair, tant au niveau morphologique que substantiel, que l’Église elle-même plaçait l’Empereur au centre de ses fonctions, que celles-ci concernent des thèmes de foi ou qu’elles soient relatives à sa propre organisation institutionnelle. Ceci étant, le droit de l’Empereur de convoquer extraordinaire‐ ment le Synode s’accorde avec une grande conséquence avec la conception établie des relations « de synallélie » entre la Basileia et le Sacerdoce113. Mais dans aucun cas il n’est possible de méconnaître le fait que cette conception fut exprimée de la part de l’Empereur de la manière la plus autoritaire : (les évêques) « se réunirent sur ordre de ma basileia »114. De fait, c’est le Basileus qui formule et proclame le dogme115, parce que la décision est une œuvre de la bénédiction de Dieu et de son zèle personnel116. De plus, le dogme est sanctionné par l’Empereur, non parce qu’il constitue le fruit spirituel de la procédure synodale, mais parce qu’il a été interprété par le Basileus lui-même : la sanction est synonyme de sa fervente implication personnelle dans la question117, de sorte que même une personnalité comme Eustathe de Thessalonique affirme que le grand Palais apparaissait comme une école d’instruction religieuse singulière du Basileus118. Il n’est pas ainsi étonnant que les Procès-Verbaux du Synode de 1170 men‐ tionnent désormais sans ambages l’Empereur comme « gardien de la religion orthodoxe et du régime chrétien »119. Dans cette formulation synodale, l’Église est décrite comme organiquement liée à l’État, non simplement dans un cadre de rapports institutionnel, mais comme un constituant statutaire de l’essence politique et supra – politique de l’Œkoumène romain. Mais cette expression serait-elle vraiment l’indication d’une acceptation inconditionnelle du désir du Basileus d’être l’épistèmonarchès des questions ecclésiastiques ? Ou, à plus forte raison, cette attitude illustrerait-elle un recul de l’autonomie ecclésiastique face à la légitimité impériale divine ? À notre avis, la réponse se trouve quelque part au milieu. Mais cette attitude de Manuel Ier semble être en accord avec les formu‐ lations de bénédiction de l’Église au cours de la cérémonie du couronnement : « Seigneur notre Dieu, roi de ceux qui règnent et seigneur de ceux qui exercent la seigneurie (…) montre-le (l’Empereur) gardien précis des enseignements de ta sainte Église catholique, afin qu’il juge ton peuple avec justice et tes pauvres

112 Ibid., p. 122. Voir Psaume, 120, 3-4. Malakès, Ta sozomena…, II, op. cit., p. 554.29-30. Hunger, Prooimion…, op. cit., p. 94-100. 113 Actes I, p. 141. Voir Ibid., III, p. 188. Nicetae Choniatae, Thesauri Orthodoxæ Fidei, Lib. XXIV, PG 140, 181A. 114 Actes I, p. 143. 115 Ibid., p. 140. 116 Ibid. I, p. 141. 117 Ibid. III, p. 188, 194-195. 118 Eustathii Thessalonicensis, « III. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 52. 119 Actes III, p. 196.

111

112

CHAPITRE III

avec discernement. »120 Puisque l’Empereur est fidèle à cette conception, il est effectivement perçu comme don de Dieu au nouvel Israël121. C’est pour cette raison qu’Eustathe de Thessalonique mentionne l’Édit de 1166 comme un don de Dieu et du Basileus à la Nouvelle Rome122. Ce climat est décrit dans une apostrophe poétique prodromique, selon laquel‐ le le Basileus était le vengeur du clèros christonyme123. Cette fonction ne devrait pas conduire à l’erreur : clèros christonyme ne désigne pas ici la liste des hiérarques, mais la totalité de l’Héritage romain124 ; le terme clèros signifiant le clergé tout aussi bien que l’héritage. L’association absolue du Christ à la Nouvelle Rome souligne la sacralité de la légitimité impériale, sacralité distinguée par Eustathe de Thessalonique dans le discours et l’œuvre de Manuel Ier : « Ton État, Basileus inspiré de Dieu, est un véritable royaume de sacerdoce ; un royaume parce que telle est justement la nature de la basileia ; un sacerdoce en raison de ton empressement pour les choses sacrées (à savoir tes accomplissements théologiques) et le clergé. Et il est indispensable pour le gouverneur (διὰ τὸν κρατούντα) d’être noble et bon avec ce qui est bien. C’est pourquoi il doit s’occuper de tout sans abandonner un seul moment ni ses préoccupations temporelles (…) ni l’Église de Dieu non plus. »125 L’observation que la légitimation du pouvoir impérial précède sa sacralisation présente un intérêt particulier126. Ce que la version comnénienne de l’idéologie impériale décrit est la dense corrélation non du modèle étatique constantinien, mais de la Pax Augusta, avec toutefois une modification importante : le devoir moral de l’Empereur ne s’identifie pas à sa théophilie, mais il en constitue au con‐ traire l’émanation absolue. L’Empereur ne doit pas être l’archétype d’une vie illustre – selon l’expression d’Eustathe de Thessalonique – mais un archétype de vertu et de bonté, justement parce qu’il constitue l’image de Dieu dans le monde. C’est exactement de cette proposition qu’émane la profondeur institutionnelle du titre l’épistémonarchès des choses ecclésiastiques (ὁ τῶν ἐκκλησιαστικών ἐπιστημονάρχης) et l’exigence correspondante de l’infaillibilité impériale concernant les questions

120 Arranz, M., « Couronnement royal et autres promotions de cour. Les sacrements de Vinstitution de l’ancien euchologe constantinopolitain (III-I) », OCP LVI (1990), p. 92-93. 121 Actes I, p. 122. 122 Eustathii Thessalonicensis, « III. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 52. 123 Prodromos, « XIX. An den siegreich von den Persen… », op. cit., p. 314. 124 Voir Eusebius, Vita Constantini, IV. 1. Hunger, Prooimion…, op. cit., p. 100-102. 125 Eustathii Thessalonicensis, « I. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 6. 126 Voir Bloch, M., Les Rois thaumaturges. Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale, particulièrement en France et en Angleterre, (Paris : Gallimard 1983). Kantorowicz, E., The King’s two Bodies. A study in Medieval Political Theology, (Princeton : PUP, 1957). Idem., « Mysteries of State. An Absolutist Concept and its Late Medieval Origins », The Harvard Theological Review 48 (1955), p. 65-91.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

de foi. Puisque l’Empereur est divus et sa basileia inspirée de Dieu (ἔνθεος)127, sa politique ecclésiastique exprime, de ce fait, l’Ordre divin. Cela signifie que son implication dans les questions ecclésiastiques ne constitue pas une priorité de devoirs, mais un constituant absolu de la nature de la Basileia ou, à plus forte rai‐ son, l’exécution légitime des impératifs des cadres contemporains du droit. C’est selon ces cadres interprétatifs que la formulation explicite des Procès-Verbaux du Synode de 1170 doit être appréhendée : le Basileus était le juge absolu de l’Orthodoxie128, le vicarius Christi du populus Christianus129. Sur un plan iconologique, tout ceci a été parfaitement exprimé dans les Procès-Verbaux du Synode de 1170 : « Si un jour quelqu’un entreprend de tuer un gros serpent, il se contente de lui lancer une pierre et de le voir immobile, croyant ainsi que la bête est morte. Mais il en va ainsi du genre des reptiles. Il semble avoir été coupé en deux, mais pourtant il s’agite ou bien il semble mort et pourtant il est vivant. Et dès qu’on s’éloigne de lui, celui-ci soudain retrouve ses forces et est prêt à éjecter son terrible venin dans un corps. Or si quelqu’un parvient à lui porter un deuxième coup, c’est seulement alors qu’il peut s’assurer que le serpent est vraiment mort et son poison désormais inoffensif. » C’est ainsi que le Basileus a écrasé des pierres du dogme juste la tête du dragon (il se réfère aux décisions de 1166) qui n’est autre que la tête du dogme dégénéré (il fait principalement allusion aux opinions théologiques de Démètre de Lampi, en créant un enchevêtrement extrêmement violent d’analogies, puisque Démètre fut effectivement empoisonné), en laissant ses convictions extravagantes paraître mortes. Mais la queue du serpent (à savoir les dérives dogmatiques qui préoccu‐ pèrent le Synode en 1170) continuait de s’agiter. C’est pourquoi le Basileus prit la décision d’en finir avec ce qui restait vivant du serpent. Dans cette bataille de Dieu, le Synode pouvait espérer le rôle de soutien, en laissant l’Empereur, protecteur de la foi, chevaucher farouchement le cheval de l’idéologie130.

127 « Ἡ ἁγία αὐτοῦ βασιλεία » : Actes I, p. 142, 153 -154 ; III, p. 186, 187, 195-196 (trois fois) ; « Ἡ ἔνθεος αὐτοῦ βασιλεία » : Ibid., I, p. 153 ; III, p. 189, 197. « Τὸ θεῖον κράτος αὐτοῦ » : Ibid., III, p. 189. « Tὸ εὐσεβέστατον κράτος αὐτοῦ » : Ibid., III, p. 189. 128 Actes III, p. 188. 129 Voir Straub, « Constantine as ΚΟΙΝΟΣ ΕΠΙΣΚΟΠΟΣ… », art. cit., p. 54-55. 130 Actes III, p. 188.

113

114

CHAPITRE III

La légitimité impériale et le droit canonique : Les positions des canonistes du xii e siècle Le commentaire herméneutique de Théodore Balsamon sur le 69e Canon du Concile œcuménique Quinisexte

Gilbert Dagron a pertinemment signalé que l’intention de Balsamon de mettre en rapport les limites et le contenu de l’Imperium et du Sacerdotium, procédait de l’examen des questions cruciales de la place de l’Empereur dans l’espace de l’Église et de l’onction de l’Empereur131. Ces deux caractéristiques concernent l’image et le contenu de l’institution impériale et, de ce fait, également la légitimité du pouvoir du Basileus romain. Les formulations de Balsamon ne proviennent pas d’un traitement systématique de la question, mais de commen‐ taires canoniques de circonstance, par lesquels il trouve l’occasion de présenter certains points de ses conceptions. Ces points se retrouvent dans son exégèse des canons suivants : i. 12e du ive Concile œcuménique (451)132 ; ii. 69e du Concile œcuménique Quinisexte (691-692)133 ; iii. 12e du Concile d’Antioche (341)134 ; iv. 12e du Concile d’Ancyre (314)135 ; v. 16e du Concile de Carthage (419)136 ; vi. son propre avis relativement aux privilèges patriarcaux137. La formulation du 69e canon du Concile Quinisexte introduit au cœur de la problématique : « Que personne parmi ceux qui sont dans les rangs des laïcs ne s’autorise à pénétrer à l’intérieur du sanctuaire. Cependant l’autorité et la puissance impériale ne seront point empêchées de le faire, lorsqu’elles voudront offrir des dons au Créateur selon une très ancienne tradition. »138 En partant de là, Balsamon saisit l’occasion pour exposer son avis en réaction aux objections émises par quelques-uns relativement à la question de savoir si l’Empereur pouvait pénétrer librement dans le sanctuaire. Voici son raisonne‐ ment : « En ce qui concerne les empereurs, certains ont prétendu, en prenant le canon à la lettre, qu’il ne leur est permis d’accéder au sanctuaire que lorsqu’ils

131 132 133 134 135 136 137 138

Dagron, « Le caractère sacerdotal de la Royauté… », art. cit., p. 167. « Canon XII du 4e Concile de Chalchedoine », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 79-80. « Canon LXIX du vie Concile in Trullo », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 207. « Canon XII du Concile d’Antioche », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 114. « Canon XII du Concile d’Ancyre », in Ibid., p. 65. « Canon XVI du Concile de Carthage », in Ibid., p. 230-231. Balsamon, « Μελέτη χάριν τῶν πατριαρχικῶν προνομίων », in RP, IV, p. 542-555. « Que personne parmi ceux qui sont dans les rangs des laïcs ne s’autorise à pénétrer à l’intérieur du sanctuaire. Cependant l’autorité et la puissance impériale ne sera point empêchée de le faire, lorsqu’elle voudra offrir les dons au créateur selon une très ancienne tradition » : « Canon LXIX du vie Concile in Trullo », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 207.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

vont offrir un don à Dieu, et non lorsqu’ils veulent y entrer pour faire de simples dévotions. Tel n’est pas mon avis. Car les empereurs orthodoxes, du fait qu’ils promeuvent les patriarches en invoquant la Sainte Trinité et qu’ils sont oints du Seigneur, peuvent entrer quand ils le veulent sans en être empêchés dans le saint sanctuaire. Et ils encensent, bénissent avec le triple cierge, tout comme les évêques ; ils font même un enseignement de type catéchétique, ce qui n’est concédé qu’aux seuls évêques de lieu. Et l’on trouve aussi dans le dix-neuvième Livre des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe une titulature impériale ainsi rédigée : Tiberius Claudius, Caesar Augustus, Germanicus, pontifex maximus, tribunicia potestate, cos II. Puisque les empereurs successifs sont déclarés oints du Seigneur par l’onction de la royauté et que le Christ (l’Oint), notre Dieu, reçoit entre autres titres celui d’évêque, c’est à bon droit que l’on peut attribuer à l’empereur les charismes épiscopaux. »139 L’argumentation de Balsamon est axée sur quatre points : i. l’investiture du Patriarche par l’Empereur ; ii. le titre d’Oint du Seigneur (Χριστός Κυρίου) comme source absolue des privilèges liturgiques impériaux ; iii. la supériorité didascalique et catéchétique du Basileus ; iv. le titre de Grand Archiprêtre (Μέγας Ἀρχιερεύς) comme équivalent du titre Oint du Seigneur. Balsamon expose ces quatre points par association d’idées, c’est pourquoi ils seront examinés ici en suivant son principe méthodologique personnel. Premièrement, selon Théodore Balsamon, la supériorité du Basileus apparait dans la liturgie de l’investiture (πρόβλησις) du Patriarche, qui signifie son établis‐ sement canonique sur le trône patriarcal. L’investiture n’est pas dépourvue de contenu spirituel, mais se fonde sur le fait de l’invocation de la Sainte Trinité par le Basileus. Cette proposition signifie que l’Empereur est le porteur d’une sorte de légitimité rigoureusement intransmissible, aux caractéristiques divines. La transmission de son charisme présuppose le fondement de l’invocation et de la description de la source de légitimité : Divina gratia et nostra, quae illi debetur, imperialis maiestras creat hunc [quel videtis et monstro] virum pilssimum Constan‐ tinopoleos patriarcham140. De l’autre côté, cet acte souligne que l’Imperium est supérieur au Sacerdotium, parce que l’Empereur est la source absolue de légitimité et peut établir même des Patriarches, du moment que son choix personnel et son sacre constituent une œuvre divine141. Deuxièmement, la faiblesse de la proposition susmentionnée conduit Balsa‐ mon à un argument supplémentaire : la qualité du Basileus comme oint du Seigneur est automatiquement interprétée comme une source de privilèges liturgi‐ ques. Le Basileus peut pénétrer dans l’espace du saint sanctuaire chaque fois qu’il

139 Balsamon, « Commentaire du Canon 69 de Troullo », in RP, II, p. 466-467. Voir Dagron, Empereur et Prêtre…, op. cit., p. 270. 140 De Cerimoniis, II, 14, p. 564-565. 141 Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 350. Idem., « Commentaire au Canon 4 du 4e Concile œcuménique », in RP, II, p. 229.

115

116

CHAPITRE III

le désire, il peut encenser142 et donner sa bénédiction avec le trikirion, comme les hiérarques. En l’espèce, on observe que dans le schéma de Balsamon, deux points coexistent : l’Empereur jouit de ces privilèges liturgiques justement parce qu’il est l’oint du Seigneur. D’une certaine manière alors, la sauvegarde des cérémonials constitués implique l’acceptation explicite du mécanisme de leur consécration : le Basileus est la source de ces symboles, mais les symboles se transforment à leur tour en une source de légitimité du Basileus. Le fait que Balsamon pensait exactement ainsi est confirmé par une apostrophe de sa brève étude sur les privilèges patriarcaux. Troisièmement, la participation du Basileus aux privilèges sacerdotaux est confirmée par sa responsabilité didascalique et ses devoirs catéchétiques extraor‐ dinaires. Cette proposition est directement liée au témoignage de Balsamon selon lequel l’Empereur peut, comme les hiérarques, bénir le peuple avec le trikirion. Cette coïncidence interprétative de ces deux signes nous est exposée dans une autre corrélation mentionnée par Balsamon lui-même : le cierge était caractéristi‐ que de la charge du didascale et le Basileus était doté de cette charge, justement parce qu’il était l’oint du Seigneur. En tant que porteur du charisme didascalique, il devait aussi illustrer ce charisme par des symboles, et c’est pour cette raison qu’il bénissait avec des cierges en argent et en or, arborant constamment les emblèmes impériaux143. Ce fut justement le moment opportun que choisit Balsamon pour intercaler l’image du Basileus-soleil : « et cela », écrit-il, « a lieu (la bénédiction avec le trikirion) car justement comme le géant céleste, le soleil, ceux qui se tiennent (les Basileis) au milieu inondent de leurs rayons l’orthodoxie ; et leurs éclats brillent jusqu’aux confins du ciel et leur œuvre arrive jusqu’aux confins du ciel, et il n’y a personne à ne bénéficier de leur chaleur. »144 Les Basileis bénissent avec le trikirion, parce qu’ils sont porteurs de la charge didascalique, en tant qu’oints du Seigneur. En s’appuyant sur les sources, Manuel Ier s’adonnait avec zèle à l’élaboration de discours catéchétiques (harangues – selentia) en gagnant l’« estime » des encomiastes ecclésiastiques de son époque145. Or Balsamon tente de démontrer que le Basileus était supérieur en enseignant à tout hiérarque. Pour renforcer son argumentation, il recourt au canon 20 du Concile œcuménique Quinisexte, selon lequel il n’est pas permis aux évêques d’enseigner publiquement hors des limites de leur territoire ecclésiastique146. Contrairement alors à la responsabilité d’enseignement clairement limitée des évêques, l’Empereur se distingue comme

142 Voir De Cerimoniis, I, 1, p. 15-16, 28, 34 et passim. 143 Sur l’image de l’Empereur bénissant, Voir De Cerimoniis, I, p. 222-223, 280, 291, 299, 307, 316-317, 325, 344, 347, 365 ; II, 21, p. 614. 144 Balsamon, « Essai sur les privilèges patriarcaux », in RP, IV, p. 544-545. 145 Choniatès, p. 210. 146 « Canon ΧΧ du vie Concile in Trullo », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 152.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

le didascale par excellence de l’Héritage romain, puisqu’il peut sans entraves enseigner au peuple quand il le désire. Quatrièmement, le renvoi au titre Pontifex Maximus, comme caractéristique fondatrice de l’image impériale, vise à illustrer l’incorporation explicite de carac‐ téristiques des hiérarques dans l’essence et le fonctionnement de l’Imperium. Mais Balsamon tente de surcroît de distinguer la nette supériorité du Basileus concernant le Sacerdoce. Le renvoi singulier de Balsamon aux Antiquités judaïques de Flavius Josèphe147 – qui évoque la titulature de l’Édit de 1166 – souligne la coexistence de caractéristiques politiques et sacerdotales dans le noyau de l’institution impériale, en décrivant non seulement son contenu mais aussi les responsabilités qui en émanent : comme Grand Archiprêtre – titre que l’Église interdit formellement aux évêques de porter148 – l’Empereur était le seul à être décrit comme oint du Seigneur, tout comme le chef de la religion romaine officielle. En l’occurrence, certes, Balsamon ne cherchait pas à présenter le Basileus romain revêtu de la toga praetexta, mais plutôt à souligner le caractère unificateur par excellence de l’institution impériale et son rôle central dans l’œuvre salvatrice de l’Économie divine. Sous cet angle, une qualité impériale idolâtrique acquiert un contenu chrétien, justement parce que la signification complète des choses se dévoile sur l’horizon interprétatif de l’Œkoumène romain chrétien149. Mais c’est aussi pour cette raison que Balsamon renvoie aussitôt au paradigme du Christ, lorsqu’il sent qu’il doit justifier l’attribution du titre Pontifex Maximus à l’Empereur : le Basileus comme Oint du Seigneur participe des dons du Christ et, puisque le Christ, entre autres, est désigné par les Écritures comme Archiprêtre, en conséquence, le Basileus est aussi gratifié des charismes sacerdotaux correspon‐ dants150. La corrélation de Balsamon entre Christus pontifex et Pontifex Maximus est puisée dans les chapitres 5 et 7 de l’Épître aux Hébreux et particulièrement du Roi-Prêtre archétypique Melchisédech, qui constituait le symbole de l’unité eucharistique151. Le recours à cette source est compréhensible, puisqu’il s’efforce de souligner le caractère a-généalogique tant de l’Imperium que du Sacerdotium, mais surtout le caractère unificateur du titre Oint du Seigneur. Malgré la tendance claire de Balsamon de renforcer les caractéristiques métapolitiques de l’idéolo‐ gie impériale, il est extrêmement difficile d’affirmer qu’il décrit une relation institutionnelle fermement établie. En conséquence, ses positions concernent la conjoncture politique contemporaine et la nécessité de retrouver les caractéristi‐ ques sacerdotales de l’institution impériale. Le revirement de Balsamon faisait partie des tentatives coordonnées d’entraver les caractéristiques sécularisées de

147 148 149 150 151

Flavius Josèphe, Antiquités juives, XIX, (éd. Warmington), p. 287. « Canon XXXIX du Concile de Carthage », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 258-259. Voir Dagron, Empereur et prêtre…, op. cit., p. 274-275. Balsamon, « Commentaire canonique au Canon 69 de Troullo », in RP, II, p. 467. Voir Michaelis Pselli, « In liturgiam », in Pselli, Poemata, op. cit., p. 399.

117

118

CHAPITRE III

la Basileia et de la transgression du dualisme institutionnel photéen. Les priori‐ tés n’étaient attribuées au pouvoir royal qu’en ce qu’il pourrait être appelé com‐ me phénoménologie des institutions c’est-à-dire, les devoirs qui en émanaient, comme l’enseignement et le droit du Basileus de s’introduire sans entraves au sanctuaire pour offrir des dons selon l’ancien ordre constitutionnel romain152. Le positionnement par conséquent de Balsamon n’est guère moderne. Au niveau substantiel, l’Empereur est sur un pied d’égalité absolu avec l’archiprêtre : « les Basileis sont dénommés et sont Oints du Seigneur, de même que les archiprêtres qui sont dénommés et sont des Oints du Seigneur »153. L’Empereur n’est supéri‐ eur qu’en ce qu’il porte sur ses épaules le commandement vertical de conduire l’Héritage romain dans l’accomplissement de son destin eschatologique. Le commentaire herméneutique de Théodore Balsamon au 12e canon du Concile d’Ancyre

L’esprit et la lettre du canon 12 du Concile d’Ancyre est clair154. Sa complica‐ tion vient du commentaire herméneutique supplémentaire de Balsamon155. Théodore Balsamon repéra au Chartophylakion patriarcal un acte synodal datant de l’époque du Patriarche de Constantinople Polyeucte (956-970). Ce document concernait le traitement canonique d’un incident historique : Après l’exécution de l’Empereur Nicéphore II Phokas (963-969) par le co-prétendant au trône Jean Ier Tzimiskès (969-976), Polyeucte refusa de procéder au couron‐ nement de ce dernier, en l’expulsant de l’enceinte de la Grande Église156. Mais finalement, le Patriarche céda et reconnut Tzimiskès comme le successeur légi‐ time, en raison de sa réponse favorable à une série de demandes intéressant l’Église157. Ce qui importait au Patriarche était la révocation d’une Novelle « antiecclésiastique » de Phokas158. Balsamon, méconnaissant complètement la réalité des circonstances historiques159, invoque la formulation, de façon diplomatique du document patriarcal, en soutenant que Polyeucte pardonna à Tzimiskès et le couronna Empereur, en raison de l’interprétation suivante – sui generis – du canon : l’onction conférée au baptême fait disparaître tous les péchés antérieurs et,

152 Voir De Cerimoniis, I, 1, p. 17-19, 31 et passim. 153 Balsamon, « Autre commentaire au Canon XII d’ Ancyre », in RP, III, p. 44-45. 154 « Ceux qui ont sacrifié aux dieux avant leur baptême et ont été baptisés ensuite, il a été décidé qu’ils pourront être promus aux ordres, puisqu’ils ont été lavés de tous leurs péchés » : « Canon XII du Concile d’Ancyre », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 65. 155 Balsamon, « Autre commentaire au Canon XII d’Ancyre », in RP, III, p. 44-46. 156 Regestes, ΙΙ, n. 793 (969), p. 226. 157 Regestes, II, n. 794 (970), p. 227. Regesten, Ι, n. 726 (969), p. 93. Voir Basilii Porphyrogeniti, Nov. XXVI. Quae legen Nicephori de monasteriis tollit, in JGR, I, p. 259. Regesten, Ι, n. 772 (988), p. 99. 158 Nicephori Phocae, Nov. XIX. De monasteriis, in JGR, I, p. 249-252. Regesten, Ι, n. 699 (964), p. 90. Ibid., n. 703 (964), p. 90. 159 Voir Léon Diacre, VI, 4, (éd. Bonn), p. 98-99.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

en conséquence, l’onction de la basileia avait effacé le meurtre de Tzimiskès, parce que le meurtre était antérieur au couronnement160. Le commentaire de Balsamon, malgré sa faiblesse herméneutique intrinsèque, présente un paradoxe particulier. On y détecte une intention d’intégration de ten‐ tatives violentes similaires de prise du pouvoir au noyau du dogme métapolitique du Basileus comme aimé par Dieu et couronné par Dieu (θεοφιλοῦς καὶ θεοστεφοῦς). C’est-à-dire, tout semble comme si l’exécution faisait partie de ce choix divin, puisque l’onction impériale faisait disparaître tout crime. Cette formulation ren‐ force les dispositions absolutistes des Empereurs : qu’est-ce que cette légitimité qui est conférée par l’onction, lorsqu’elle permet miraculeusement l’effacement de tout acte illicite du Basileus ? Et en faisant preuve de sévérité envers Balsamon, il faudrait signaler que de fait, tant avant l’onction qu’après celle-ci, l’Empereur est proclamé investi d’une toute puissance institutionnelle. De cette manière la Basileia devient un bassin de Siloé où tout incomberait à la toute puissance politique et spirituelle du monarque et qui plus est à sa volonté vitale de s’imposer par tout moyen. Mais avant de conclure sur la façon dont Balsamon promeut constamment l’absolutisme impérial, il serait peut-être sage de discerner dans les échos de son commentaire un sous-entendu politique : sa position justifiait d’un côté la rigueur des Basileis, mais elle se montrait surtout compréhensive à l’égard des actes des compétiteurs du pouvoir. Dans le fond, Théodore Balsamon n’offrait pas un alibi à l’Empereur, mais à celui qui renversait l’Empereur. La légitimation d’une action subversive ne passait pas par le pouvoir du Basileus, mais plutôt par l’intention de l’Église de discerner la juste cause de son acte. En l’espèce, l’exemple est puisé d’un épisode du Patriarche Polyeucte : l’Église couronne unanimement Tzimiskès, lorsque celui-ci retire la loi intolérable pour elle de Nicéphore Phokas : « il ne lui (au patriarche) est pas permis de l’introduire (Tzimiskès) à Sainte-So‐ phie avant qu’il (Tzimiskès) ait (…) remis au synode le tomos de cet empereur (Nicéphore Phocas) avait fait contre la liberté de l’Église »161. Force est alors de constater que cette interprétation du canon 12 d’Ancyre qui, comme le montre les sources, n’était connue que par Balsamon, permettait à l’Église de conférer de la légitimité aux actes d’un putschiste, mais après de généreuses concessions de la part de ce dernier et un traitement privilégié en sa faveur162. Il ne faudrait pas méconnaître le fait que l’avènement de Manuel Ier avait été assez comparable puisque celui-ci réussit à obtenir le consentement de l’Église, mais seulement après concession de donations et de privilèges significatifs. Il est étonnant que cette connivence entre les intérêts impériaux et les intérêts ecclé‐ siastiques s’exprime iconologiquement au travers des caractéristiques du Basileus comme Pontifex Maximum : en 1143, Manuel Ier dépose comme contre-don à

160 Balsamon, « Autre commentaire au Canon XII d’Ancyre », in RP, III, p. 44. Voir Regestes, ΙΙ, n. 794 (969), p. 227. 161 Regestes, ΙΙ, n. 793 (969), p. 226. 162 Regestes, II, n. 794 (970), p. 227.

119

120

CHAPITRE III

l’autel de Sainte Sophie une grande quantité d’or comme Basileus souverain du Basileus de Tous163. En quelque sorte, la « rémission des péchés » allait de pair avec la satisfaction des intérêts ecclésiastiques plus étroits. De toute façon, il semble que la légitimité d’un concurrent passait par les « bonnes » intentions de la Grande Église, car c’était celle-ci qui s’assurait du consensus omnium. En ce qui concerne la partie canonique du commentaire du canon 12 du Concile d’Ancyre, Balsamon affirme d’emblée que le Basileus participe des charis‐ mes sacerdotaux. L’onction supprime les péchés antérieurs de tout genre, tant des Hiérarques que des Basileis, comme les Basileis sont dénommés, mais sont aussi des Oints du Seigneur164. C’est justement parce que les péchés de la vie antérieure des Hiérarques sont remis après leur ordination qu’ils sont les porteurs de pouvoirs spirituels émanant directement du Christ165. Cela n’est certes pas valable pour les prêtres, auxquels ne sont remis par leur ordination que des péchés qui n’entrainent pas, selon les canons, la peine de la destitution166. Les limites des Canonistes et des Historiens : le cas de Jean Zonaras et de Nicètas Choniatès

L’interprétation que fait Zonaras du 69e canon du Concile œcuménique Quinisexte est diamétralement opposée à celle de Balsamon. Le sanctuaire, affir‐ me-t-il, était destiné aux prêtres, c’est pourquoi le canon interdisait formellement aux laïcs de s’introduire dans son espace. L’unique exception était le Basileus et cela lorsqu’il allait offrir une donation à Dieu. Zonaras n’omet pas de s’attaquer ouvertement à ceux qui attribuaient à l’institution impériale des caractéristiques sacerdotales : « Ceux qui accordent ce privilège à l’empereur invoquent, en manière d’excuse, son pouvoir et sa souveraineté, disant à peu près que l’empereur, en tant que laïc, ne devrait pas avoir le droit de pénétrer dans le sanctuaire, mais qu’en raison de son pouvoir et de sa souveraineté, ce privilège lui a été concédé à l’origine par une tradition remontant aux anciens Pères. »167 L’avis de Zonaras exprime son scepticisme plus général à l’égard de la fonction contemporaine de l’institution impériale, sans en exclure l’Église. Il est opportun d’examiner ici le cas du 7e canon du Synode de Néocésarée : le canon interdit aux clercs de prendre leurs repas en compagnie de bigames, parce que la bigamie

Kinnamos, p. 33. Michaelis Rhetoris, « X. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 167-168. Balsamon, « Autre commentaire au Canon XII d’Ancyre », in RP, III, p. 44-45. Ibid. Voir Matthieu, 18.18. Balsamon, « Autre commentaire au Canon XII d’Ancyre », in RP, III, p. 45-46. Voir « Canon IX du Synode de Néocésarée », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 79 ; « Canon XVII des Αpôtres », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 16. 167 Zonaras, « Commentaire du Canon 69 de Troullo », in RP, II, p. 466. Voir Dagron, Empereur et Prêtre…, op. cit., p. 269.

163 164 165 166

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

est soumise au régime de pénitence canonique168. Mais Zonaras admet de façon désarmante que tout cela reste théorique, car il a vu de ses propres yeux bon nombre de métropolites, jusqu’au Patriarche lui-même, manger à la table du Basileus, qui avait fait un second mariage169. L’Empereur, dont Zonaras évite de citer le nom, n’était autre que Manuel Ier. À notre avis, la question de la bigamie nous permet deux hypothèses interprétati‐ ves : i. Zonaras se référait simplement aux deux épouses légitimes du Basileus, Berthe-Irène de Sulzbach et Marie d’Antioche, fille de Raymond de Poitiers170 ; ii. Le commentaire concernait les amantes de Manuel Ier171 et plus spécifiquement sa nièce Théodora, fille de sa sœur Eudoxie172. La liaison de l’Empereur avec Théodora était concomitante à son mariage avec Berthe et d’une façon paradoxale elle était officialisée173, puisque non seulement il lui avait concédé une suite et une garde personnelle174, mais il avait eu un enfant avec elle, qu’il avait reconnu175. Par conséquent, même si le commentaire de Zonaras concerne le premier cas, l’allusion aux scandales amoureux flagrants de Manuel Ier qui ébranlaient l’autorité morale de l’Église au mépris du droit matrimonial176, ne peut pas être exclue. Le reproche du canoniste décrit l’absence ne serait-ce que d’une voix critique de la part de l’Église. Trois Patriarches étaient au courant de la relation illégitime de l’Empereur pendant dix ans avec sa nièce et pourtant personne parmi eux n’osât le blâmer177. En d’autres circonstances, des aventures amoureuses similaires auraient rendu incertain l’avenir de l’Empereur sur le trône. Mais tel ne fut pas le cas concernant Manuel Ier, devant qui même le Patriarche de Constantinople n’osait pas s’exprimer librement178. En dehors de tout cela, la signification de la Kaiserkritik de Zonaras réside dans le fait que celle-ci fut affranchie de fondements théologiques ou moraux179. C’est pour cette raison d’ailleurs que sa critique tend vers une forme d’objectivité politique pure. L’important pour Zonaras était de savoir si les vertus politiques du Monarque contribuaient à la promotion du bien de l’État. Cela ne pouvait être attribué qu’accessoirement aux critères de l’orthodoxie politique. L’Empereur devait être vertueux, indépendamment de sa chrétienté. Zonaras met en avant cette caractéristique dans sa critique de Michel Ier Rhangavé (811-813). 168 169 170 171 172 173 174 175 176 177 178 179

« Canon VII de Néocésarée », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 78. Zonaras, « Commentaire du Canon 7 de Néocésarée », in RP, III, p. 80. Voir Barzos, I, p. 454-460. Choniatès, p. 54.67-74. Voir Chalandon, F., Les Comnènes : études sur l’empire byzantin au xie et au xiie siècles. II. Jean II Comnène (1118-1143) et Manuel I Comnène (1143-1180), (Paris : A. Picard et fils, 1912), p. 205. Voir Barzos, II, p. 417-434. « Manuel l’installa comme maîtresse en titre » : Chalandon, Les Comnènes…, op. cit., p. 205. Choniatès, p. 204. Choniatès, p. 260, 309, 425. Voir Angold, Church and Society…, op. cit., p. 412-418. Voir Barzos, II, p. 423. Kinnamos, p. 253.19-22. Voir Magdalino, « Twelfth-Century Byzantine Kaiserkritik… », art. cit., p. 326-346.

121

122

CHAPITRE III

« Effectivement cet empereur, tandis qu’il avait de bonnes mœurs et une foi orthodoxe, faisait preuve de nonchalance à l’égard des affaires publiques et se laissait facilement entraîner par les grands archontes. »180 En général, Zonaras met en avant un mécanisme de privatisation de la foi de l’Empereur, sans dévaloriser pour autant la valeur de la dévotion. Le désengage‐ ment de l’Empereur des critères de l’orthodoxie politique est ainsi rendu possible, en lui permettant d’être impartial dans des questions d’exercice et d’administra‐ tion de la justice. L’esquisse d’une conception est ainsi observée, suivant laquelle la foi en Dieu constitue un chapitre individualisé, donnant une priorité à ce qui concerne la sphère publique, qui est axée ici sur ce qui est inopérant et sur l’intérêt de l’État et du citoyen. La foi obéit à cette convention pour permettre un exercice de la justice, comme une vertu par excellence du Basileus et comme un élément fondamental de l’organisme de l’État lui-même. L’affranchissement de la politique des moralismes de toute sorte est observa‐ ble dans la critique persistante de Zonaras de l’économie politique durement antipopulaire des Comnènes181. Sa critique, malgré son caractère personnel, se formule comme une pointe contre un système politique népotiste et injuste, qui traite le citoyen comme un serviteur182. En substance, toute problématique de type métapolitique en est absente, puisque la politique elle-même n’est que rhéto‐ riquement censée recourir à l’impératif de la dévotion et aux vertus chrétiennes qui en émanent. Cette demande se trouvant éliminée, l’historien se voit obligé de développer une critique objective, en privilégiant avant tout l’intérêt de l’État et du citoyen. C’est une telle compréhension qui résultait de la nette distinction entre l’intérêt impérial et l’intérêt public183 : Alexis Ier « ne traitait pas les affaires de l’État comme si elles avaient été publiques et il ne se considérait pas comme leur économe, mais comme leur maître absolu ; il croyait même et considérait le palais comme sa propre maison (…). Il n’appliquait pas une justice parfaite, car la caractéristique de cette dernière n’était autre que la méritocratie (…) il offrait l’argent de l’État à ses parents et à certains de ses courtisans. »184 Ailleurs, en s’appuyant sur une tradition constantinienne relative à l’horosco‐ pe de Constantinople, Zonaras lance une attaque véhémente contre l’environne‐ ment politique des Comnènes et contre la rigueur de leurs mesures économiques. Très probablement cet extrait a dû être rédigé du temps de Manuel Ier : « Lorsque la construction de la ville s’était achevée, on célébra son anniversaire (…). Alors (…), Constantin (350 ap. J.-C.) convoqua 180 Zonaras, t. III, XV.17, p. 316. 181 Voir Gautier, P., « Diatribes de Jean l’Oxite contre Alexis Ier Comnène », REB 28 (1970), p. 26-35, 41. Svoronos, N., « L’épibolè à l’époque des Comnènes », TM 3 (1968) p. 375-395. 182 Voir Choniatès, p. 60. 183 Voir Magdalino, « Twelfth-Century Byzantine Kaiserkritik… », art. cit., p. 330. 184 Zonaras, t. III, XVIII.29, p. 766-767.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

l’astronome Oualed (…) pour apprendre combien d’années elle allait durer (Constantinople). Celui-ci prédit que la ville résisterait pour six cents quatrevingt-six ans, qui se sont bien sûr écoulés depuis longtemps. Alors, soit on doit supposer que la prévision d’Oualed s’est avérée fausse, soit que celui-ci s’est trompé dans son art. Ou encore on doit considérer qu’il parlait de ces années au cours desquelles le droit non écrit et l’honneur du régime étaient appliqués, où le Sénat était estimé, les citoyens étaient prospères et le pouvoir du basileus était un État de droit et non une véritable tyrannie, où les archontes croyaient que ce qui appartenait au peuple était leur propre propriété et l’utilisaient pour leurs propres jouissances, non toujours honnêtes et qu’ils offraient les biens du dème selon leur bon plaisir. Où, de plus, les archontes ne traitaient pas les sujets comme des bergers, en leur tondant la toison de trop et trayant le lait avec parcimonie, mais ils égorgeaient, comme des bandits, les moutons eux-mêmes et se rassasiaient de leurs chairs et ils en suçaient même la moelle. »185 L’esprit critique de Zonaras coexistait avec un scepticisme historique aigu qui n’entrait pas en conflit avec les conceptions traditionnelles de l’État, mais recher‐ chait au contraire leur rétablissement. C’est la raison pour laquelle, contrairement à Anne Comnène186, il considérait que la renovatio comnénienne avait totalement échoué. « Le basileus (…) se distingue par le bon exercice de la justice, le souci de ses sujets et la sauvegarde des principes ancestraux du régime. Par contre lui (Alexis Ier) c’est l’altération des institutions de l’Etat qui l’intéresse, qu’il s’efforça par ailleurs de réformer. »187 L’hagiologie propagandiste découlant de l’image impériale semble s’inscrire de façon négative dans le jugement de Zonaras. Ainsi, même la construction d’églises peut être considérée comme le résultat du zèle dévot démesuré du Basi‐ leus. La première priorité est l’intérêt de l’État, c’est pourquoi l’instruction des citoyens est placée par l’humaniste Zonaras plus haut que toute œuvre pieuse : « Le Basileus ( Justinien Ier) ne fit pas seulement construire cette église (Sainte Sophie), mais aussi beaucoup d’autres dont le coût fut immense et, pour ce faire, sur le conseil de l’éparque, il supprima dans chaque ville les frais d’entretien alloués à ceux qui enseignaient les sciences. De cette façon les travaux des écoles urbaines furent interrompus et l’analphabétisme domina. »188

185 186 187 188

Zonaras, t. III, p. 14-15. Voir Dagron, Naissance d’une capitale…, op. cit., p. 32. Alexiade, t. I, III.IV, p. 114-115. Zonaras, t. III, XVIII.29, p. 766. Ibid., t. III, XIV.30, p. 157.

123

124

CHAPITRE III

Il paraît que, de fait, Zonaras était d’accord avec le système politique, mais il était en désaccord avec son mode de fonctionnement. Comme nous l’avons dit plus haut, il reconnaissait des obligations étatiques à l’Empereur, mais non des droits. Toutefois, le pouvoir impérial était conféré directement par Dieu et restait toujours inaccessible à l’ordre des valeurs humaines189. Ainsi, à l’opposé de Balsa‐ mon190, il ne reconnaissait pas à l’Empereur le pouvoir de remettre les péchés et le caractère parfait conféré par l’onction du Basileus, mais il le considérait comme un homme ordinaire et pécheur : « Si l’on recherche chez les basileis la perfection, je ne pense pas qu’il existe parmi ceux qui ont reçu les sceptres des Romains depuis les origines, quelqu’un qui puisse être considéré bon en tout, mais le règne de chacun d’eux se caractérise par le surplus de son caractère et de ses actes. Il n’exista jamais personne qui fût impeccable ou sans défaut, parce qu’une telle chose convient à un Dieu et non à un homme. »191 Ce même axe interprétatif de Zonaras fut suivi par le scholiaste canonique Anonyme du Sinaïtique qui, répondant à l’interprétation donnée au 12e canon du Concile d’Ancyre par Balsamon, place au-dessus de tous les critères de l’orthodo‐ xie politique, les critères ecclésiastiques : « Ce que tu as écrit ici me semble audacieux sur le plan canonique, pour ne pas dire que je le considère opposé et incohérent par rapport à la tradition des chrétiens. C’est pourquoi le Basileus ne bénéficiera pas non plus de la rémission de ses péchés après son couronnement, si celui-ci n’est pas accompagné de son repentir et de tout ce que Dieu ordonne. De surcroît, l’Archiprêtre ne recevra pas non plus la rémission, parce qu’il a été ordonné ; mais plutôt en raison de cela, il doit répondre de ses fautes, justement parce qu’il a osé être ordonné bien que sa conscience en fût indigne. »192 La conception de la supériorité ex rebus des principes ecclésiastiques norma‐ tifs par rapport au pouvoir impérial avait été soulignée dès le xie siècle dans les Conseils de Kékauménos, en mettant ainsi à la Basileia une condition institution‐ nelle restrictive claire : « D’aucuns disent que l’empereur n’est pas soumis à la loi, mais qu’il est lui-même loi, et moi je suis d’accord et certes ce qu’il fait et ce qu’il légifère il a raison de le faire et nous devons obéir. » Mais en même temps son pouvoir est drastiquement limité, parce que le Basileus « comme il est un homme, il est soumis aux lois pieuses »193. Kékauménos en se référant à des « lois pieuses », se réfère tant à des restrictions purement canoniques qu’à des

Ibid., t. III, XVIII.3, p. 665-666. Balsamon, « Autre commentaire au Canon XΙΙ d’Ancyre », in RP, III, p. 44-46. Zonaras, t. III, XVIII.29, p. 767. Cod. Sinaiticus gr. 1117, f. 209v. Voir Tiftixoglu, « Zur Genese der Kommentare des Balsamon… », art. cit., p. 509-510. 193 Kékavménos, p. 244-245.

189 190 191 192

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

impératifs d’ordre moral, issus de l’enseignement apostolique194. Dans les lignes suivantes des Conseils, il développe en détail son point de vue relatif au caractère et aux limites du pouvoir impérial, en rehaussant les termes de la justice et de l’égalité au niveau suprême des caractéristiques de la bonne gouvernance. Or cela n’était pas suffisant, parce que les « lois pieuses » constituaient aussi une source de légitimité. Pour que l’État fonctionne avec justice et égalité, la légitimité devait être impersonnelle, ce qu’elle ne fut jamais en l’occurrence. Mais le dilemme était bien plus important. Est-ce que l’Empereur tentait de contourner la limitation des « lois pieuses », en les intégrant dans son arsenal idéologique ? La réponse se trouve dans la critique que Nicètas Choniatès fait de la politique ecclésiastique de Manuel Ier. Cette critique ne reflète pas seulement son point de vue personnel sur les limites du pouvoir impérial, mais surtout la situation politique de l’époque195. Il ne faudrait pas donc s’étonner que le responsable de tous les maux et toutes les difficultés que l’Empire affrontait, fût, selon Choniatès, l’ennemi par excellence du dessein de l’Économie et de la Providence divines, à savoir l’Empereur196. Dans son commentaire herméneutique du 93e canon du Concile de Carthage, Zonaras, à propos de la question des Donatistes197, signale le besoin que les Em‐ pereurs protègent l’Église lorsqu’elle se trouve en proie à des attaques des héréti‐ ques198. Cette préoccupation du Basileus, comme émanation de la philanthropie de l’Empereur, provient du fait que le Basileus naît au sein de l’Orthodoxie et est élevé dans la vraie foi et la vraie tradition, de façon à ce que jamais des hommes insolents ne parviennent à soumettre les peuples. En réalité, Zonaras reconnaît le droit de recours de l’Église devant l’Empereur, lorsque cela est jugé nécessaire, droit qui est aussi décrit dans le droit en vigueur. Or, il est significatif que ce qui est décrit comme droit pour l’Église, est décrit, pour l’Empereur, comme respon‐ sabilité, selon un schéma qui limite l’intention des interventions impériales dans des questions ecclésiastiques. C’est cette responsabilité impériale extraordinaire qui fut la raison pour laquelle, selon Zonaras, le Basileus était appelé très religieux, très fidèle et très chrétien (θρησκευτικώτατος, πιστότατος, χριστιανικώτατος)199. C’est dans le même cadre qu’Aristènos surenchérissait : les Basileis, étant nés dans la dévotion et élevés dans la foi doivent aider l’Église. À son tour, l’Église invoque à juste titre l’alliance et l’aide des Basileis, justement parce qu’elle reconnaît en leur personne les gardiens et les défenseurs de la foi200. Par conséquent tous doivent respecter et obéir au Basileus201.

194 Voir Spadaro, M. D., « Λόγος Βασιλικός di Cecaumeno », in Σύνδεσμος : Studi in onore di Rosario Anastasi, Facoltà di Lettere et Filosofia Università di Catania 1994, p. 349-381. 195 Choniatès, p. 209-210. 196 Choniatès, p. 143.57-59. Voir Zonarae, t. III, XV.1, p. 252. 197 Voir Phidas, Histoire Ecclésiastique…, I, op. cit., p. 306-310. 198 Zonaras, « Commentaire au Canon 93 de Carthage », in RP, III, p. 531-532. 199 Ibid., p. 533. 200 Aristènos, « Commentaire au Canon 93 de Carthage », in RP, III, p. 533-534. 201 Zonaras, « Commentaire au Canon 94 des Apôtres », in RP, II, p. 108-109. Voir Balsamon, « Commentaire du Nomocanon titre XI Chapitre 36 », in RP, I, p. 227-229.

125

126

CHAPITRE III

Zonaras semble ajouter une restriction supplémentaire, qui concerne cette fois-ci l’Église202. Examinant le canon 11 du concile d’Antioche203, il soutient que son interprétation doit s’orienter vers l’esprit et la lettre des canons 7 et 8 du Con‐ cile de Sardique204. Il résulte que, même lorsqu’un prêtre parvient à s’approcher de l’Empereur, il ne doit lui soumettre que de questions philanthropiques : « quelqu’un ne doit s’approcher du Basileus que pour s’entretenir avec lui de questions concernant l’assistance aux veuves, aux orphelins et indigents, les laïcs victimes d’injustice, qui recourent à l’Église, les dépossédés de leurs biens ou pour demander la réduction des peines de condamnés. »205 Ce droit d’appel singulier pourrait être alors appelé droit d’appel de philanthropie, compatible avec les responsabilités spirituelles impériales. Balsamon qui ne partageait guère les inquiétudes de Zonaras, mettait libre‐ ment en avant son estimation en exprimant plutôt l’esprit de la cour patriarcale de l’époque. Il soutenait que ce qui était prévu par le canon 11 du Concile d’Antioche concernait ces évêques qui se présentaient spontanément et inopinément devant l’Empereur. Et il ajoutait : « si quelqu’un (un hiérarque) se trouve à Constantino‐ ple soit sur ordre royal soit en raison d’obligations synodales, il peut se prosterner librement devant le Basileus et lui transmettre tout ce qu’il désire »206. Agapètos ne voyait dans cette disposition qu’une intention explicite de favoriser l’esprit de parti et de troubler l’unité ecclésiastique207. L’ardente disposition de Balsamon en faveur du régime et son appui aux pré‐ tentions de l’Empereur d’intervenir directement dans les affaires ecclésiastiques devient plus perceptible dans son positionnement à la question de l’élévation des évêques au rang de métropolites. Malgré l’argumentation contraire qui défendait l’indépendance de l’Église des interventions de l’État208, Balsamon comprenait ces élévations209, comme expressions justes du pouvoir spirituel que le Basileus avait reçu de Dieu210. Balsamon fait preuve du même esprit absolutiste dans son

202 Zonaras, « Commentaire au Canon 11 d’Antioche », in RP, III, p. 144-145. 203 Canon XII du Concile d’Antioche », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 114. 204 Voir « Canon XXI du Synode de Sardique », in Ibid., p. 188-189 ; « Canon CVI du Concile de Carthage », in Ibid., p. 370-373. 205 Zonaras, « Commentaire au Canon 11 d’Antioche », in RP, III, p. 145. Voir Idem., « Commentaire au Canon 7 de Sardique », in RP, III, p. 250. Aristènos, « Commentaire au Canon 7 de Sardique », in RP, III, p. 251. 206 Balsamon, « Commentaire au Canon 11 d’Antioche », in RP, III, p. 145. 207 Zonaras, « Commentaire au Canon 7 de Sardique », in RP, III, p. 248. 208 Nicètas d’Ancyre, « Sur les Élections », in Darrouzès, Documents inédits…, op. cit., p. 238-249. 209 Balsamon, « Commentaire au Canon 38 de Troullo », in RP, II, p. 392-394. Voir Idem., « Commentaire au Canon 17 de 4 du 4e Concile œcuménique », in RP, II, p. 261-262. Idem., « Commentaire au Canon 56 de Carthage », in RP, III, p. 455. Idem., « Commentaire du Nomocanon titre I Chapitre 20 », in RP, I, p. 57-58. 210 « Les Basileis procèdent à ces nominations selon le pouvoir qui leur a été conféré par le Très Haut » : Balsamon, « Commentaire au Canon 12 du 4e Concile œcuménique », in RP, II, p. 247-248.

LES PRÉSUPPOSITIONS D’UNE ExPURGATION CANONIQUE

approche du canon 16 du Concile de Carthage211. L’Empereur peut agir comme il le désire : « il peut élever un évêché au rang de métropole, en le détachant de son métropolite ; il peut librement diviser un diocèse et y installer selon sa volonté des évêques et métropolites nouveaux ; s’il le désire encore, il peut donner l’ordre aux évêques d’officier dans d’autres provinces sans qu’ils demandent l’avis des nouveaux évêques ; il peut, en un mot, exercer librement des droits sacerdotaux. »212 S’il avait été possible de demander à Balsamon comment expliquer cette force propre à l’institution impériale pour imposer ses termes à la hiérarchie ecclésiasti‐ que, la réponse aurait été d’un cynisme désarmant : « le Basileus n’est soumis ni à des lois ni à des règles »213. Et de continuer que l’Empereur pouvait même confier des charges temporelles à des clercs et des moines ; puisqu’une telle chose était permise aux évêques214, il serait impossible qu’elle ne fût pas permise au Basileus, qui n’était pas soumis à l’autorité des saints canons et qui désignait les patriarches et les évêques215. C’est justement ce pouvoir conféré par Dieu qui donne à l’avis de l’Empereur la prévalence par rapport au Patriarche, en rendant l’exercice de l’appel devant le Basileus plus important que celui devant le Patriarche216, malgré les réactions217. Mais dans le fond, ce qui conduit l’insistance de Balsamon est son intention de souligner la relation organique de la politique ecclésiastique avec la vision politique plus étendue et avec le momentum géostratégique.

211 212 213 214 215 216 217

« Canon XVI du Concile de Carthage », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 230-231. Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 349-350. « Ὁ βασιλεὺς oὔτε κανόσι οὑτε νόμοις ὑπόκειται » : Ibid., p. 349. Voir « Canon IV du 4e de Chalcedoine », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 72-74. Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 350. Balsamon, « Commentaire au Canon 12 de Synode d’Antioche », in RP, III, p. 449. Anonyme, « Le Droit d’Appel. Si le jugement du patriarche est ou non sans appel », in Darrouzès, Documents inédits…, op. cit., p. 332-339.

127

DEUxIÈME PARTIE

De la Res Publica à l’Imperium christianorum

CHAPITRE IV

Ubi Imperator ibi Ecclesia : Œcuménicité ecclésiastique – Œcuménicité politique

Extra Imperium nulla salus : Le Patriarcat de la Nouvelle Rome Lois civiles et compétence ecclésiastique administrative

La question relative aux privilèges administratifs et spirituels du Patriarcat de Constantinople – Nouvelle Rome – concerne la consolidation d’une série de dispositions canoniques, mais notamment un ensemble de lois de l’État qui sanctionnaient ces privilèges. Les juristes byzantins du xiie siècle soulignaient que ces privilèges étaient strictement restreints aux privilèges inclus dans les Livres des Basiliques, à savoir dans le droit de l’État en vigueur. Les privilèges du Patriarcat œcuménique n’émanaient pas d’un ordre spirituel, mais de stricts principes civils. Le Sacerdotium était soumis à la suprématie institutionnelle de l’Imperium, tandis que le trône de Constantinople se voyait promu, du fait que la Basileia et le Sénat se transféraient depuis l’Ancienne à la Nouvelle Rome et non parce que Constantinople en soi, comme siège ecclésiastique, détenait une quelconque suprématie spirituelle. Les droits du trône patriarcal de Constantinople sont formulés à travers la longue tradition nomocanonique, mais aussi dans une série de traités ecclésio‐ logiques – canoniques, comme les Taktika de Doxapatrès1, qui s’appuyaient, semble-t-il, sur des principes politologiques et ecclésiologiques consolidés. Mais même s’il en est ainsi, la question des droits du trône patriarcal de Constantinople se trouve dépendant de l’environnement civil et de l’institution impériale, sans que cela renvoie certes à un phénomène de subordination institutionnelle, mais en soulignant en revanche la conception constante qu’Imperium et Sacerdotium constituent les deux images de la Providence de Dieu dans l’Œkoumène romain, les dons suprêmes de la philanthropie de Dieu aux hommes, conformément aussi à la formulation de la Novelle 6 de Justinien2. Examinons à ce propos un exemple

1 Hieroclis Synecdemus, Notitiae Graecae Episcopatuum. Accedunt Nili Doxapatrii Notitia Patriarchatuum et Locorum Nomina Immutata, Parthey, G. (rec.), Berolini, 1866, p. 263-308. 2 « Maxima quidem in hominibus sunt dona dei a superna collata clementia sacerdotium et imperium, illud quidem divinis ministrans, hoc autem humanis praesidens ac diligentiam exhibens » : Imp. Iustinianus, Novela VI, Preafatio, in C.I.C., III, p. 35.

132

CHAPITRE IV

de cette coexistence, tiré de la correspondance de Balsamon avec le patriarche d’Alexandrie Marc : Marc d’Alexandrie rapporte à Balsamon que dans certaines provinces d’Ale‐ xandrie et de Jérusalem, bon nombre de communautés chrétiennes continuaient d’utiliser les saintes liturgies de Jacob et de Marc. Est-ce que cela pourrait être appelé canonique ? Balsamon cite une série de remarques relatives à ces liturgies, mais en faisant une observation à caractère plus juridique que canonique, qui rappelle clairement le terme de l’expurgation législative : « Nous estimons que celles-ci ne sont pas acceptables ; et même si elles avaient eu lieu, elles furent condamnées à ne pas se reproduire, comme beaucoup d’autres choses. »3 La recommandation catégorique de Balsamon est que « toutes les églises de Dieu (à savoir les églises locales) doivent suivre l’usage de la Nouvelle Rome, c’est-à-dire de Constantinople, et officier selon les traditions (…) de Saint Jean Chrysostome et de Saint Basile »4. Toutefois, son exégèse de l’obéissance à la coutume de Cons‐ tantinople n’a pas de fondements canoniques, comme on s’attendrait, mais en revanche des fondements juridiques. Il renvoie alors à un ancien texte d’Ulpien, conservée dans le Digeste, et à la disposition B.2.1.415 : « En ce qui concerne toutes les choses pour lesquelles il n’existe pas de loi écrite, tu dois observer et sauvegarder la coutume qui est observée par Rome. »6 Voici alors un exemple de la façon dont la loi civile entraîne l’ordre canonique, mais aussi de la manière dont la capitale est le champ visible de la légitimité, tant du Basileus que du Patriarche7. Le commentaire du canoniste pose la question fondamentale des droits du trône patriarcal de Constantinople, parce que « Rome » est l’ensemble des fonctions de l’État et principalement l’Empereur et le Patriarche8. Cette question s’est orientée vers l’interprétation de trois canons : i. Du canon 3 du iie Concile œcuménique9 ; ii. du canon 28 du ive Concile œcuménique10 ; iii. du canon 36 du Concile œcuménique Quinisexte11. Ces canons reflètent dans leur ensemble un environnement ecclésiologique acquis, dont la personnalité juridique et étatique n’a été que très sommairement signalée. Ainsi existe-t-il aussi, hormis les canons précités, une série de dispositions civiles qui ont préoccupé la jurisprudence du xiie siècle, en ravivant de façon opportune la question, non tant de la suprématie

3 4 5 6 7

8 9 10 11

Balsamon, « Réponses aux questions canoniques de Marc d’Alexandrie », in RP, IV, p. 448. Ibid., p. 449. Voir Balsamon « Commentaire au Canon 32 du vie Concile in Trullo », in RP, II, p. 378. B. II.1.41 = D. I.3.32. Ecl. B. 2.2.41, p. 11. Balsamon, « Réponses aux questions canoniques de Marc d’Alexandrie », in RP, IV, p. 449. Voir Pitsakis, C. G., « Empire et Église (le modèle de la Nouvelle Rome) : la question des ordres juridiques », in Baccari, M. P. (éd.), Diritto e Religione da Roma a Constantinopoli a Mosca. Rendiconti dell’ XI seminario, Campidoglio 12 Aprile 1991 (coll. Da Roma alla Terza Roma), (Roma : Herder, 1991), p. 113-114. Voir Troïanos, Sp., « Rome et Constantinople dans les commentaires des canonistes orientaux du xiie siècle », in Baccari, Diritto e Religione da Roma a Constantinopoli…, op. cit., p. 125-141. « Canon 3 du iie Concile de Constantinople », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 47-48. « Canon 28 du ive Concile de Chalcedoine », in Ibid., p. 90-93. « Canon 36 du vie Concile in Trullo », in Ibid., p. 170.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

institutionnelle du Patriarcat de Constantinople à l’égard des autres trônes anciens que de sa coexistence structurale avec le Basileus romain. Nous exposerons les dispositions en vigueur relativement aux privilèges et à la puissance institutionnelle du Patriarcat de Constantinople. Pour autant, à l’instar de la pratique suivie par les penseurs byzantins du xiie siècle, une lecture purement politique en est proposée, qui ne considère les dimensions ecclésiologi‐ ques que pour des questions spécifiques. Ce qui signifie que : i. Les dispositions décrivaient les cadres des relations institutionnelles du Patriarche de la Nouvelle Rome et du Basileus. ii. Elles soulignaient l’unité visible permanente de l’État entre les deux institutions. iii. Elles renvoyaient à un régime de légitimité qui pré‐ supposait un ordre de principes et de traditions consolidé. iv. Elles définissaient les cadres d’un espace réel qui était tourné vers la dynamique de l’espace majeur de l’Œcoumène romain. Ces dispositions sont les suivantes : i Ordonnance de Théodose II le Petit et d’Honorius en 421 : Il est recommandé aux évêques de l’Illyrie orientale qui se trouvaient sous la juridiction de Rome de recourir à l’évêque de Constantinople pour régler des questions de justice et de droit d’appel, en concédant à l’évêque de Constantinople les privilèges de l’Ancienne Rome12. Cette ordonnance figure au C. Th. 16.2.46, et fut insérée au CJ. 1.2.613 ; et bien sûr aux points suivants du Nomocanon XIV : i. Titre I/Chapitre V14 ; ii. Titre VIII/ Chapitre I15 ; iii. Titre IX/Chapitre I16. Ces trois cas renvoient tous à la disposition CJ. 1.2.6. La disposition constituait au xiie siècle une loi en vigueur de l’État byzantin, puisqu’elle était intégrée au corps des Basiliques 5.1.5 : « Les évêques de l’Illyrie formant une requête canonique doivent en référer à l’archevêque de Constantinople et par son intermédiaire au synode hiératique pour y être jugés par le jugement saint et la loi divine. »17 C’est à cette disposition que renvoie Balsamon, en soulignant sa validité juridique, pour illustrer la validité incontestable de la loi insérée au Code justinien18. ii Ordonnance brève de Théodose II le Petit et d’Honorius en 421 : « Urbs Constantinopolitana non solum iuris Italici, sed etiam ipsius Romae veteris praerogativa laetetur » : Cette disposition fut intégrée au Code Justinien, 11.21.119 et au Titre VIII/Chapitre I du Nomocanon XIV20. Au xiie siècle, elle constituait une loi en vigueur de l’État, comme la disposition

12 Voir Gaudemet, L’Église dans l’Empire Romain…, op. cit., p. 427-445. Phidas, Histoire Ecclésiastique…, I, op. cit., p. 194-208. 13 Impp. Honorius – Theodosius, Philippo p. Illyrici [a.421] (= CJ. 1.2.6), in C.I.C., II, p. 12. 14 Nomocanon XIV, I.V, in RP, I, p. 42. 15 Nomocanon XIV, VIII.I, in RP, I, p. 143. 16 Nomocanon XIV, IX.I, in RP, I, p. 164. 17 B. V.1.5 = C. I.2.6. 18 Balsamon, « Commentaire au Nomocanon XIV, I.V », in RP, I, p. 43. 19 Impee. Honorius – Theodosius, Philippo p. Illyrici [a.421] (= CJ. 11.21.1), in C.I.C., II, p. 434. 20 Nomocanon XIV, VIII.I, in RP, I, p. 144.

133

134

CHAPITRE IV

iii

54.23.20 des Basiliques : « Constantinople ne jouit pas seulement des privilèges de l’Italie, mais aussi de Rome. »21 Balsamon renvoie à cette disposition comme loi en vigueur de l’État byzantin22. Ordonnance de Zénon (474-475, 476-491) en 477 : Cette ordonnance est promulguée immédiatement après la prise de Rome (476) et confère au trône de Constantinople les privilèges de l’Ancienne Rome pour le droit d’ordination et de jugement des évêques. La formulation de l’ordonnance souligne que la promotion de Constantinople répond à des données historiques et politiques très claires, sans bouleverser le status quo ecclésiologique en vigueur au niveau des anciens trônes patriarcaux. L’ordonnance fut intégrée au Code Justinien. 1.2.16 : Aut constitutiones impias sive formas subsecuta sunt, quae a divae recordationis retro principibus ante nostrum imperiumet deinceps a nostra mansuetudine indulta vel constituta sunt super sanctis ecclesiis et martyriis et religiosis episcopis clericis aut monachis, inviolata serventur. Sacrosanctam quoque huius religiosissimae civitatis ecclesiam matrem nostrae pietatis et Christianorum orthodoxae religionis omnium et eiusdem regiae Urbis sanctissimam sedem privilegia et honores omnes super episcoporum creationibus et iure ante alios residendi et cetera omnia, quae ante nostrum imperium vel nobis imperantibus habuisse dignoscitur, habere in perpetuum firmiter regiae Urbis intuit iudicamus et sancimus.23

L’ordonnance est citée deux fois au Nomocanon XIV : i. Titre I / Chapi‐ tre V24 ; ii. Titre VIII /Chapitre I25. Toutefois, elle ne fut pas insérée dans les Basiliques, fait souligné par Balsamon26. iv Lettre de Justinien Ier au Patriarche Épiphane de Constantinople en 553 : La lettre présupposait l’existence d’un Édit qui défendait les droits du trône patriarcal de Constantinople et qui fut intégré au CJ, 1.1.727. Sa validité est invoquée par le Titre I / Chapitre V du Nomocanon XIV28. Cette mesure ne fut pas reprise dans les Basiliques, c’est pourquoi Balsamon ne la commente pas. v La Novelle justinienne 131 / Chapitre II : Le texte législatif en question nécessite un double examen. Il faut d’une part examiner ce qui y est décrit en soi, et d’autre part ce qui est y décrit, intégré dans l’environnement juridique de son époque.

B. LIV.23.20 = C. XI.21.1. Balsamon, « Commentaire au Nomocanon XIV, VIII.I », in RP, I, p. 144. Imp. Zenon, A. Sebastiano [a. 477] (= CJ. 1.2.16), in C.I.C., II, p. 14. Nomocanon XIV, I.V, in RP, I, p. 42. Nomocanon XIV, VIII.I, in RP, I, p. 143. Balsamon, « Commentaire au Nomocanon XIV, I.V », in RP, I, p. 42 ; Idem., « Commentaire au Nomocanon XIV, VIII.I », in RP, I, p. 143. 27 Imp. Iustinianus, A. Epiphanio [a. 553] (= CJ. 1.1.7§ 1), in C.I.C., II, p. 8. 28 Nomocanon XIV, I.V, in RP, I, p. 42.

21 22 23 24 25 26

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

Il est très clair que le Chapitre II de la Novelle 131 se réfère à la conservation immuable de la primauté d’honneur de Rome à l’égard de Constantinople29. La disposition est insérée dans le Titre I / Chapitre V du Nomocanon XIV30 et constitue une loi de l’État en vigueur au xiie siècle, comme elle est insérée dans la disposition B. 5.3.331, à laquelle renvoie naturellement Théodore Balsamon32. Toutefois le texte en question coexiste de façon antinomique avec CJ. 11.21.1 et surtout avec la disposition CJ. 1.17.10 de Sylvain Julien, loi selon laquelle c’est la Nouvelle Rome qui devrait être considérée comme « Rome » conformément à des termes rigoureusement étatiques33. Cette mesure fut insérée dans le Nomo‐ canon XIV34, qui constituait au xiie siècle une loi en vigueur de l’État byzantin, conservée dans les Basiliques (2.6.20) comme il suit : « La présente disposition confirme les Digestes ; elle ordonne par ailleurs que toute ville doit suivre la coutume de l’ancienne Rome. Il doit être entendu comme Rome non seulement celle ancienne, mais aussi notre capitale, qui fut édifiée grâce à la providence divine avec les meilleurs espoirs. »35 Il apparaît clairement que dans ce cas aussi ce n’est pas seulement le mur de droits et de puissance qui entourait le trône de Constantinople qui est mise en avant, mais surtout la continuité étatique ininterrompue de l’Imperium Romanum, qui se légitimait à travers la présence étatique indéfectible de l’institution impéria‐ le. Cela ressort tant des dispositions relatives du droit civil positif, comme par exemple la disposition B. 2.1.4136 que de leur horizon herméneutique37. Le Patriarcat de Constantinople : Continuité institutionnelle et orientations idéologiques

Le cadre de toutes les dispositions susmentionnées fait ressortir que le ren‐ forcement institutionnel du Patriarcat de Constantinople et sa mise sur pied d’égalité par rapport à l’ancienne Rome – ou même sa supériorité, obéissait à

29 Imp. Iustinianus, Novela CXXXI.II. De ecclesiasticis Titulis, in C.I.C., III, p. 655. 30 Nomocanon XIV, I.V, in RP, I, p. 42. 31 B. V.3.3 = Nov. 131 c. 2. [De veteri iure enucleando rt auctoritate iuris prudentium qui in Digestis referuntur]. 32 Balsamon, « Commentaire au Nomocanon XIV, I.V », in RP, I, p. 44. 33 Imp. Iustinianus, De veteri iure enucleando et auctoritate iuris prudentium qui in Digestis referuntur (= CJ. 1.17.10), in C.I.C., II, p. 70. 34 Nomocanon XIV, VIII.I, in RP, I, p. 144. 35 B. II.6.20 = C. I.17.1§ 10 + 2§ 22. 36 B. II.1.41 = D. I.3.32. 37 Ecl. B. ad B. II.1.41, p. 11.1-12.24. Balsamon, « Réponses aux questions canoniques de Marc d’Alexandrie », in RP, IV, p. 449.

135

136

CHAPITRE IV

une série de facteurs politiques38. Les critères ecclésiologiques étaient liés à une série de critères étatiques, illustrant les termes de la continuité et de l’unité39. Le cheminement analytique de Nil Doxapatrès va en ce sens. L’ouvrage de Doxapatrès, Notitia Thronorum Patriarchalium, est très important. Rédigé en 1155 sur demande du seigneur normand Rodrigue40, il constitue le fer de lance de la légitimité étatique byzantine sur l’espace de l’Œkoumène et en recomposant parallèlement des conceptions diachroniques autour de l’espace idéel de l’Empire, qui atteignait des dimensions de prophétie41, avec des données historiques renforçant la doctrine de la suprématie romaine universelle42. Tout d’abord, Doxapatrès observait que l’élévation du Patriarcat œcuménique sur un pied d’égalité à celui de Rome, par le Canon 3 du iie Concile œcuménique, fut l’œuvre du Saint Esprit43. De façon analogue, il renvoyait à l’autorité du Canon 28 du Concile œcuménique Quinisexte, qu’il citait verbatim44. Il garantissait ainsi, par cet argument canonique classique, l’intégrité et la puissance diachronique des canons en question. Toutefois, les arguments ecclésiologiques s’arrêtaient là, cédant la place à un environnement formé par une série de principes étatiques rigoureux et historiquement fondés. Ainsi, les préséances octroyées au trône de la Nouvelle Rome, de la même manière que les préséances de l’Ancienne Rome, ne se rattachent pas à l’ordre spirituel, mais certainement à l’ordre politique : « Et en ce qui concerne le trône de l’Ancienne Rome, du fait que cette ville régnait, les Pères lui conférèrent avec raison les préséances. Motivés par ce même but, les cent cinquante révérents évêques conférèrent des préséances égales au très saint trône de la Nouvelle Rome en estimant à juste titre que la ville jouissant de l’honneur de la basileia et du sénat devrait jouir de préséances égales à celles l’Ancienne Rome, et être aussi rehaussée comme cette dernière pour les choses ecclésiastiques. »45 De cet extrait, découle le principe fondamental selon lequel le trône ecclésias‐ tique de Rome jouit d’honneurs parce que la ville est la capitale de l’Empire. De même, les privilèges de toute sorte sont transférés à la capitale de la Nouvelle Rome, parce que c’est justement le trône du Basileus des Romains qui y est

38 Voir McLynn, N., « ‘Two Romes, Beacons of the Whole World’ : Canonizing Constantinople », in Two Romes…, op. cit., p. 345-363. Blaudeau, Ph., « Between Petrine Ideologie and Realpolitik : The See of Constantinople in Roman Geo-Ecclesiology (449-536) », in Ibid., p. 364-384. 39 Voir Ullmann, W., « Public Law as an Instrument of Government in Historical Perspective : New Rome and Old Rome in the Light of Historical Jurisprudence », in Diritto e potere nella storia europea. Atti del quarto Congresso internazionale della Società Italiana di Storia del Diritto, in onore di Bruno Paradisi, (Firenze : Olschki, 1982), p. 37-52. 40 Doxapatrii, Notitia Patriarchatuum, PG 132, 1084AB. 41 Ibid., 1084C. 42 Ibid., 1110B ; 1105A-C ; 1112A-1113B. 43 Ibid., 1097D. 44 Ibid., 1100AB. 45 Doxapatrii, Notitia Patriarchatuum, PG 132, 1100B.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

légalement transféré. Par conséquent, la transformation de l’État conduit à une transformation ecclésiastique. Plus spécifiquement, il y a deux facteurs étatiques qui confèrent de la légitimité à la promotion du Patriarcat de Constantinople : i. La ville fut honorée en ce qu’elle constituait le siège du trône du Basileus. ii. Elle reçut l’honneur d’un sénat. Ces deux points ne constituent pas seulement des expressions visibles de la res publica romana, mais des garants légaux de l’unité étatique romaine indéfectible et ininterrompue. La même observation fut par ailleurs faite par Aristènos : « L’évêque de Constantinople est égal à celui de Rome et jouit des mêmes préséances, parce que celle-ci (Constantinople) reçut l’honneur de la basileia et du sénat. »46 Comme nous avons vu que Dagron le notait47, de telles expressions n’étaient pas de simples formules protocolaires, mais constituaient la quintessence d’une tradition étatique consolidée qui connaissait à un niveau substantiel la puissance que le terme de légitimité renfermait. Ces formules établies ne présentaient pas un caractère statique, mais débouchaient sur un ordre complexe de significations et de faits historiques, en provoquant des réactions en chaîne au cœur des principes étatiques et de la conscience politique collective romaine. Il serait intéressant de voir brièvement, par exemple, de quelle manière cette première partie de la position de Doxapatrès était perçue par les historiens byzantins du xiie siècle : Zonaras mentionnait que Constantin Ier décida de transférer le siège de l’Empire à Constantinople en raison d’un oracle divin48, ce qui renvoie clairement non seulement aux sources historiographiques établies, mais aussi aux conceptions romaines primitives sur l’autorité impériale. La fondation de Constantinople par Constantin le Grand était liée à deux actes statutaires : i. sa délimitation (limita‐ tio). ii. la divination (inauguratio)49. Par conséquent, l’Empereur portait de jure le titre du Fondateur et du Devin. Il est aussi intéressant de voir comment cette idée avait, par exemple, survécu dans la Chronique universelle de Constantin Manassès, œuvre contemporaine de Manuel Ier : Manassès mentionne, en vers, l’historique de la fondation de Rome par Romulus. Succinctement, les caractéristiques de cette fondation sont à nouveau : i. la délimitation : ii. la divination, comme deux actes fondateurs qui se conjuguent et qui établissent et conservent les limites de la légitimité50. Si cet acte impérial sacerdotal garde sa profondeur liturgique même au milieu du xiie siècle, cela résulte de l’initiative sanctifiante des historiens ecclé‐ siastiques qui exprimèrent la concomitance des devoirs politiques et sacerdotaux de l’Empereur en la personne de Constantin le Grand, et notamment réitérèrent

46 Aristènos, « Commentaire au Canon 28 du ive Concile de Chalcédoine », in RP, II, p. 286. Voir Idem., « Commentaire au Canon 36 du vie Concile in Trullo », in RP, II, p. 387-388. 47 Dagron, Naissance d’une Capitale…, op. cit., p. 135-136, 137-242. 48 « Il voulut fonder une ville, selon l’oracle divin, et la nommer de son propre nom » : Zonaras, t. III, XIII, p. 13. Voir Glykae, Annalium, IV, p. 462. 49 Kienast, D., Augustus, (Darmstadt : EdF, 1982), p. 79 et passim. Dagron, Naissance d’une Capitale…, op. cit., p. 37-38. 50 Manassis, Breviarium Chronicum, p. 88.

137

138

CHAPITRE IV

l’observance pieuse du cérémonial fondateur dans le cas de Constantinople51. C’est justement cette idée qui est imprimée dans l’apostrophe de Nicéphore Basi‐ lakès lorsqu’il appelle l’Empereur archigéomètre, comme celui qui trace de son épée les limites de l’Œkoumène52. De la même manière, des conceptions de l’État de cette nature correspondent exactement au droit de l’État en vigueur. Selon la disposition B. 2.2.23, « Urbis signifie ville, de urbare, c’est-à-dire délimiter au moyen d’une charrue le lieu destiné à la construction d’une ville »53. Il est révélateur de voir qu’immédiatement après cette explication, Zonaras pose la question de la promotion du trône patriarcal de Constantinople en termes nettement politiques : « Il (Constantin le Grand) l’éleva (Constantinople) au rang d’honneur patriarcal, en observant les préséances de l’Ancienne Rome en rai‐ son de l’ancienneté et parce que la basileia fut transférée ici depuis là-bas. »54 Ceci est aussi formulé avec la même clarté à l’Eisagogè 2.9 : « Le trône de Constantino‐ ple gratifié de la basileia fut élevé par les voix du synode au premier rang. »55 Cette convention est décrite par le terme technique de transfert des sceptres de Rome à la Nouvelle Rome. Selon Aristènos, « l’évêque de la Nouvelle Rome est égal à l’évêque de l’Ancienne, en raison du transfert des sceptres »56. De même, Théodore Balsamon mentionne : « Et puisque Constantin le Grand y transféra les sceptres de la basileia des Romains, elle fut aussi appelée Nouvelle Rome, et reine de toutes les villes. C’est pourquoi les saints Pères du deuxième synode décidèrent que son évêque devait recevoir les préséances d’honneur après l’évêque de l’Ancienne Rome, parce qu’elle est la Nouvelle Rome. »57

51 Dagron, Naissance d’une Capitale…, op. cit., p. 34-42. 52 Basilacae, « In dominum Imperatorem Ioannem Comnenum Oratio », in Niceforo Basilace, Gli Encomî per l’Imperatore e per il Patriarca. Testo Critico, Introduzione e Commentario, Maisano, R. (éd.), (Napoli : Università, Cattedra di filologia Bizantina, MCMLXXVII), p. 96. Voir Magdelain, A., « L’inauguration de l’urbs et l’imperium », MEFRA 89 (1977), p. 11-29. 53 « Οὔρβις ἡ πόλις λέγεται ἀπὸ τοῦ οὐρβάρε, τουτέστιν ἀρότρῳ περιχαράξαι τὸν μέλλοντα πολίζεσθαι τόπον » : B. II.2.230 = D L.16.239. Voir « Ourvis ; la ville. Appelée à partir de l’ouvaréto, à savoir marquer avec une charrue l’enceinte du lieu où sera construite une ville » (= Οὖρβις˙ ἡ πόλις. Λέγεται δὲ ἀπὸ τοῦ οὐβαρέτου, τουτέστιν ἀρότρῳ περιχαράξαι τὸν μέλλοντα πολίζεσθαι τόπον) : Das Lexicon zur Hexabiblos aucta, p. 198[§ 14]. Pour la délimitation sacerdotale et constitutionnelle de l’urbs : B. II.2.2 = D. L.16.2. [Παῦλος] (= ‘Urbis’ appellation muris, ‘Romae’ autem continentibus aedificiis finitur, quod latius patet), in C.I.C., I, p. 857). B. II.2.84 = D L.16.87. Voir Ellul, Histoire des institutions. L’Antiquité…, op. cit., p. 234-240. Gaudemet, « Res Sacræ », art. cit., p. 312-316. 54 Zonaras, t. III, XIII, p. 19. 55 Eisagoge, 3.9, in JGR, II, p. 242. 56 « Ὁ τῆς νέας ἐπίσκοπος Ῥῷμης τῷ τῆς παλαιᾶς ὁμότιμος, διὰ τὴν τῶν σκήπτρων μετάθεσιν » : Aristènos, « Commentaire au Canon 28 du ive Concile de Chalcédoine », in RP, II, p. 286. 57 « Τοῦ δὲ μεγάλου Κωνσταντίνου μεταγαγόντος ἐν αὐτῇ τὰ σκῆπτρα τῆς βασιλείας τῶν Ῥωμαίων, μετωνομάσθη Κωνσταντινούπολις, καὶ Νέα Ῥώμη, καὶ πασῶν τῶν πόλεων βασιλίς. Κἀντεῦθεν καὶ οἱ τῆς δευτέρας συνόδου ἅγιοι Πατέρες διωρίσαντο ἔχειν τὸν ἐπίσκοπον αὐτῆς τὰ πρεσβεῖα τῆς τιμῆς μετὰ τὸν ἐπίσκοπον τῆς πρεσβυτέρας Ῥώμης, διὰ τὸ εἶναι αὐτὴν Νέαν Ῥώμην » : Balsamon, « Commentaire au Canon 3 du iie Concile de Constantinople », in RP, II, p. 175.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

Le transfert des sceptres ne fut certes pas un simple acte politique58, mais claire‐ ment une action de la Providence divine59, divine en soi et secrète60. Toutefois, comme il ressort du raisonnement syllogistique de Doxapatrès, le transfert des sceptres et du sénat de Rome à Constantinople n’était pas suffisant à lui seul pour procurer cette sorte de légitimité à l’élévation ecclésiastique. Le facteur décisif de cette transformation fut la chute de Rome en 476 ; constatons que les motifs de cette élévation étaient pleinement pragmatiques : « Parce qu’elle cessa d’être la reine en raison de sa captivité par les nations gothiques allochtones et barbares et de son occupation aujourd’hui par celles-ci, il apparaît que comme elle fut déchue de ce règne, elle fut aussi déchue des primautés. »61 La concomitance du facteur géopolitique contribue à construire de façon réaliste le paysage de la légitimité, en liant le passé lointain avec la réalité du xiie siècle : « Parce que Rome fut déchue de son propre règne en raison duquel elle avait été privilégiée et qu’elle se trouve aujourd’hui dominée par des barbares, elle fut déchue également des primautés. Et comme elle jouissait de ces dernières en tant que reine des villes et que le trône de Constantinople, vraie reine des villes, resta le premier puisque comme le premier trône cessa de gouverner et se trouva plutôt en rupture avec les autres trônes. »62 Par conséquent, le transfert du droit élargi de juger et d’ordonner les évêques et notamment le droit d’appel et de juger les trois autres patriarches anciens procède aussi de cette conception63. De la même manière, le titre du Patriarche de Cons‐ tantinople comme œcuménique reflète tout d’abord le transfert des privilèges de Rome à Constantinople et décrit certes l’ampleur politique de la doctrine de l’Œkoumène romain : « C’est pourquoi le patriarche de Constantinople signe comme archevêque de la Nouvelle Rome et comme patriarche œcuménique ; parce qu’il reçut les primautés et les privilèges de Rome, puisque Rome était auparavant la reine de l’œkoumène, et ensuite ce fut Constantinople ; et comme le pape était œcuménique, l’évêque de Constantinople fut aussi pour cette raison œcuménique. »64 Les points susmentionnés montrent la dépendance du trône de Constantino‐ ple de l’institution impériale, mais une dépendance qui s’inscrit au niveau de relations étatiques concrètes et non dans un environnement purement ecclésio‐ 58 Le symbole des sceptres est perçu comme un signe de la légitimité du Monarque directement lié à sa qualité de fondateur de la ville : Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes…, II, op. cit., p. 29-33. 59 Balsamon, « Μελέτη χάριν τῶν δύο ὀφφικίων… », op. cit., in RP, IV, p. 539. 60 Ibid., « Μελέτη χάριν τῶν πατριαρχικῶν προνομίων », in RP, IV, p. 542. 61 Doxapatrii, Notitia Patriarchatuum, PG 132, 1100D. 62 Ibid., 1100D-1101A. 63 Ibid., 1101D. 64 Ibid., 1101C.

139

140

CHAPITRE IV

logique. Toutefois, cette dépendance renvoie à l’existence d’un préalable – en quelque sorte – constitutionnel : le trône de Constantinople est promu, justement parce que le modèle de l’administration ecclésiastique s’oriente vers le modèle de l’administration étatique et à plus forte raison parce qu’il est en accord avec les initiatives personnelles du monarque, avec son programme politique ou même avec les conjonctures historiques. Mais ce qui apparaît clairement, c’est que le trône et notamment le trône ancien de Rome ne pouvait pas exister sans la présence de l’Empereur. En somme, pour que le système administratif ecclésiasti‐ que puisse fonctionner, il était nécessaire que le système étatique correspondant, auquel le premier était organiquement intégré, fonctionnât aussi. La présence de l’Empereur était ainsi tout aussi nécessaire que forcée. Telle est l’opinion exprimée l’apostrophe suivante de Doxapatrès : « Toutes les terres que possédait le basileus de Constantinople ou qu’il avait par la suite conquises de différentes nations, c’est à juste titre que le patriarche de Constantinople y gouvernait, puisque Rome s’était complètement éloignée de Constantinople et était dominée par d’autres. »65 Sur un plan institutionnel, il est clair que la puissance du Sacerdotium était indissociablement liée à celle de l’Imperium. Ainsi, par exemple, hormis les déri‐ ves ecclésiologiques éventuelles, le trône de Rome était a priori déchu de ses privilèges et même de sa sainteté, à partir du moment où le successeur de Pierre collaborait avec les Francs et ignorait consciemment les droits et la légitimité du Basileus de la Nouvelle Rome66. La nervosité dont Doxapatrès fait preuve en mentionnant cette « déchéance » est caractéristique : « En ce moment Rome n’était pas encore complètement séparée de Constantinople. Constantinople possédait depuis longtemps une partie de la Sicile et de la Calabre. Tandis que le Pape n’y possédait que peu de territoires, ainsi qu’en Lombardie jusqu’au retrait du Pape. Le Pape se retira alors de ces territoires aussi jusqu’à l’arrivée des Francs. »67 Sur un ton similaire, Constantin Manassès affirmait que la rupture essentielle des liens étatiques entre l’Ancienne et la Nouvelle Rome s’effectua avec l’inad‐ missible sacre de Charlemagne. En louant les origines chrétiennes de Charles68, Manassès reproche au Pape de Rome son initiative incompréhensible tant d’un point de vue canonique qu’étatique : « l’ancien lien des villes fut ainsi rompu | l’épée coupa l’attache entre la mère et la fille | séparant et tranchant avec l’ire

65 66 67 68

Ibid., 11005A. Ibid., 1112A-1113B. Ibid., 1105AB. « Charles était de père en fils | appelé par le Christ et respectant les lois du Christ » : Manassis, Breviarium Chronicum, p. 242.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

du glaive | l’aimable jeune, la nouvelle Rome | de la Rome ridée, ancienne et sénile »69. Les préséances d’honneur du Patriarcat de Constantinople et le « conflit » des canonistes du xiie siècle : Les interprétations « selon l’honneur » (κατὰ τὴν τιμὴν) et « selon la postériorité » (κατὰ τὸ μετάχρονον)

La trajectoire organique parallèle de l’Imperium et du Sacerdotium impliquait une fermeture paradoxale de l’espace fonctionnel de l’Église. La régression de la puissance de l’Empire était suivie de la régression de la puissance de l’Église au niveau des institutions et des compétences. Les limites ecclésiastiques s’identi‐ fiaient aux limites politiques, tant au niveau réel que théorique. Sous l’angle du thriumphalismus byzantin effréné du xiie siècle, ce fut un enjeu important pour l’Église. Zonaras avait opportunément identifié la question en décrivant avec clarté les diverses tendances sur ce sujet. Dans ses commentaires herméneutiques aux canons 3 du iie Concile œcuménique et 28 du ive Concile œcuménique, Zonaras distinguait deux « camps » : i. Ceux qui interprétaient les privilèges de la Nouvelle Rome « chronologiquement »70. Les commentaires laissent supposer que ce groupe était représenté par Alexis Aristènos et certes par Nil Doxapatrès˙ ii. Ceux qui les interprétaient à partir des critères d’« honneur » et qui avaient à leur tête Jean Zonaras. Selon son raisonnement, il est, en premier lieu, clair que le terme préséances d’honneur signifie primauté. Zonaras notait que « d’aucuns, par la préposition meta n’entendent pas une dévalorisation de l’honneur, mais la postériorité (meta‐ chronon) de cette constitution »71. Il faudrait donc comprendre que les adeptes de l’interprétation chronologique de la préposition « meta », appréhendaient la question du transfert de la primauté comme une question politique. C’est-à-dire que, de l’existence du moment historique du transfert des sceptres impériaux, découlait l’existence du moment historique de la promotion du trône patriarcal de Constantinople. Suivant cette interprétation, la Nouvelle Rome s’appropriait naturellement tous les privilèges de l’Ancienne, du fait qu’elle incarnait un orga‐ nisme doté d’une indépendance et d’une suprématie institutionnelle absolue.

69 Ibid. 70 Il est caractéristique que l’interprétation « chronologique » se rencontre même dans la production poétique byzantine de l’époque : « Rome seconde reine, très glorieuse Rome nouvelle | Rome supérieure en puissance à l’ancienne Rome | même si tu es en retard dans le temps et tu arrives seconde » : Prodromos, « XVIII. An den Kaiser, als er nach seinem Auszug in Lopadion weilte », in Theodoros Prodromos, Historische Gedichte, p. 306. 71 « Tινὲς μὲν οὖν τὴν, μετὰ, πρόθεσιν, οὐχ ὑποβιβασμὸν τῆς τιμῆς δηλοῦν νενοήκασιν, ἀλλὰ τὸ μετάχρονον τῆς ταύτης συστάσεως » : Zonaras, « Commentaire au Canon 3 du iie Concile de Constantinople », in RP, II, p. 173.

141

142

CHAPITRE IV

Et certes cette composition avait des caractéristiques politiques, comme le dit Aristènos, fervent défenseur de l’interprétation « chronologique » : « De sorte qu’il ne soit pas classé au second rang d’honneur après l’évêque de Rome, mais le second selon le temps ; il faut donc ici aussi entendre que la préposition meta désigne le temps, mais non l’honneur. Après donc de longues années le trône de Constantinople reçut des préséances égales à celui de l’église des Romains, parce que cette ville eut l’honneur d’être dotée de la basileia et du sénat et devait jouir des mêmes préséances que l’Ancienne Rome. »72 Le raisonnement de Zonaras présente un intérêt particulier parce qu’il ne nie pas l’autorité politique de la basileia, et ne remet pas en question la légitimité du transfert de la puissance des sceptres de Rome à la Nouvelle Rome73. Mais il nie la suprématie du Patriarcat de Constantinople, en avançant les droits canoniques du siège romain et les lois de l’État en vigueur. Hormis cela, il discernait certains points, importants, par rapport à la stricte hiérarchie byzantine et la discipline quasi religieuse des Byzantins à l’égard des principes du protocole. Il soulignait que, lors de l’indication des noms dans un document officiel, leur ordre et leur agencement étaient d’une importance déterminante, car établissaient une grille d’ordre entre supérieur et subalterne. Lorsqu’un nom précède un autre, en l’espè‐ ce Rome précède Constantinople, cela signifie que celui qui précède est mis en valeur. La préposition « meta », dégagée de ses connotations politiques, signifie nettement une dévalorisation de Constantinople au niveau de l’honneur et par conséquent de la primauté74. Zonaras décrivait un paysage différent. Il notait : « Quant à l’explication de meta, qui dit que cette préposition désigne le temps, et non la dévalorisation, elle est précipitée et procède d’une pensée qui n’est ni franche ni bonne. »75 Zonaras maintient ce même ton agressif dans son interprétation du canon 28 du ive Concile œcuménique où il traite ceux qui introduisent l’interprétation « chronologique » de falsificateurs de la tradition canonique et d’ennemis des lois civiles. Il notait : « D’aucuns s’empressent d’inventer que l’honneur du trône de Constantinople ne doit pas être diminué eu égard au trône de l’ancienne Rome,

72 « Ὥστε μὴ κατὰ τὴν τιμὴν δεύτερον τοῦ Ῥώμης τάττεσθαι, ἀλλὰ κατὰ τοὺς χρόνους˙ οὕτω γοῦν καὶ ἐνταῦθα δεῖ νοεῖν τὴν, μετὰ, πρόθεσιν τοῦ χρόνου εἶναι δηλωτικὴν, ἀλλ’ οὐ τῆς τιμῆς. Μετὰ γὰρ χρόνους πολλοὺς τῶν ἴσων πρεσβείων τῇ Ῥωμαίων ἐκκλησίᾳ καὶ ὁ θρόνος οὗτος τῆς Κωνσταντινουπόλεως ἔτυχε, διὰ τὸ βασιλείᾳ τε καὶ συγκλήτῳ τιμηθῆναι τὴν πόλιν ταύτην, καὶ τῶν ἴσων ἀπολαύειν πρεσβείων τῇ πρεσβυτέρᾳ Ῥώμῃ » : Aristènos, « Commentaire au Canon 36 du vie Concile in Trullo », in RP, II, p. 287-388. Voir Idem., « Commentaire au Canon 3 du iie Concile de Constantinople », in RP, II, p. 176. 73 Zonaras, « Commentaire au Canon 3 du iie Concile de Constantinople », in RP, II, p. 173-174. 74 Zonaras, « Commentaire au Canon 3 du iie Concile de Constantinople », in RP, II, p. 174. 75 « Ἡ γοῦν τοῦ μετὰ, ἐξήγησις, ἡ λέγουσα τοῦ χρόνου δηλωτικὴν εἶναι τὴν πρόθεσιν, καὶ οὐχ ὑποβιβασμοῦ, βεβιασμένη ἐστὶ, καὶ διανοίας οὐκ εὐθείας, οὐδ’ ἀγαθῆς » : Ibid.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

mais qu’il doit jouir de préséances égales à celle-ci. »76 C’est sur ce point que se manifeste la quintessence de la critique de Zonaras face à la dégénérescence extrême, à son avis, des institutions de l’État. Il accepte le schéma traditionnel de l’honneur de Constantinople, mais il objecte : « Il est dit qu’en raison de la basileia et du sénat, il y a jouissance des mêmes primautés ; même si la première est aujourd’hui devenue une tyrannie ; et que le second est fermé et n’existe plus. »77 Non seulement la formulation de Zonaras ne permet aucune sorte de méprise, mais elle met en doute la légitimité même des institutions de l’État, com‐ me il les considère comme étant complètement dégénérées. Son positionnement s’accorde avec sa critique plus générale à l’égard de l’institution impériale, en renvoyant parallèlement à un problème interne existant dans les fonctions mêmes et la puissance du Patriarcat de Constantinople. Ainsi, à propos des prérogatives juridictionnelles et des ordinations, il souligne que le canon 28 du Concile de Chalcédoine ne se réfère pas à un cadre incontrôlé des compétences et du pouvoir du Patriarche de la Nouvelle Rome, mais à des actes qui se décident et s’exécutent à travers des procédures synodales rigoureuses, qui garantissent justement le contrôle d’un éventuel absolutisme patriarcal : « Les saints Pères, estimant que l’ensemble de l’ordination ne devait pas être confié à l’autorité de l’évêque de Constantinople, de sorte qu’il pût faire à sa convenance eu égard aux ordinations ce que bon lui semblait, ils ajoutèrent qu’il devait ordonner les métropolites, après que ceux-ci aient été approuvés par vote, auquel il se soumettrait, en disant à peu près ceci ; que l’évêque de Constantinople ne pourrait pas ordonner métropolites ceux qu’il voudrait, mais que ce serait le synode présidé par lui qui voterait ; et qu’il devrait ordonner parmi ceux que les suffragants auraient désignés, après que les résultats du scrutin lui aient été soumis. »78 De l’autre côté, les positionnements de Théodore Balsamon ne peuvent que prêter à confusion. Dans son interprétation du canon 3 du iie Concile œcuméni‐ que, il répétait verbatim le commentaire de Zonaras, mais en prenant position, avec autant de conviction, contre les partisans de l’interprétation « chronologi‐ que ». Il notait à cet égard : « Parmi ceux qui s’étaient exprimé ainsi, d’aucuns n’entendirent pas la préposition meta comme une dévaluation de l’honneur, mais ils ne la considérèrent que par rapport à la postériorité (metachronon), pour construire leur argument. »79 Il faisait, par ailleurs, la même remarque dans 76 « Βιάζονταί τινες κατασκευάζειν, μὴ ἐλαττοῦσθαι τῇ τιμῇ τὸν τῆς Κωνσταντινουπόλεως θρόνον τοῦ θρόνου τῆς πρεσβυτέρας Ῥώμης, ἀλλὰ τῶν ἴσων πρεσβείων ἐκείνῃ καταπολαύειν » : Zonaras, « Canon 28 du ive Concile de Chalcédoine », in RP, II, p. 282. 77 « Τὸ γὰρ τῶν ἴσων ἀπολαύειν πρεσβείων, διὰ τὴν βασίλειαν καὶ τὴν σύγκλητον εἴρηται˙ εἰ καὶ νῦν ἡ μὲν εἰς τυραννίδα μετήμειπται˙ ἡ δὲ συγκέκλειστε, καὶ ἐκλέλοιπε » : Ibid. 78 Ibid., p. 283. 79 « Τούτων δὲ οὕτω διορισθέντων, τινὲς τὴν, μετὰ, πρόθεσιν, οὐχ ὑποβισβασμὸν τῆς τιμῆς νενοήκασιν, ἀλλ’ ἐξελάβοντο αὐτὴν εἰς τὸ, μετάχρονον μὸνον, χρώμενοι, πρὸς συγκρότησιν τοῦ λόγου αὐτῶν » : Balsamon, « Commentaire au Canon 3 du iie Concile de Constantinople », in RP, II, p. 175.

143

144

CHAPITRE IV

son premier commentaire au canon 28 du ive Concile œcuménique80. Toutefois, l’autre interprétation de Balsamon de ce même canon soulève une problématique justifiée. En premier lieu, sans l’affirmer expressément, l’auteur admet l’interpréta‐ tion « chronologique » : Il considère que, comme le canon 3 du iie Concile œcuménique, celui-ci aussi se rapporte au transfert des privilèges de l’Ancienne à la Nouvelle Rome, des privilèges qui renvoient clairement à un ordre de symboles politiques donnés. Selon Balsamon, ceux qui n’acceptaient pas la suprématie des primautés du Patriarche de Constantinople et sa mise sur pied d’égalité avec le Pape de Rome soulignaient que le premier ne portait pas les symboles de sa qualité pontificale suprême : « sa tête n’est pas couverte du lôros royal, il ne marche pas avec sceptre royal, signes et vantas, ne prétend pas à des dignités royales, ne s’habille et ne monte pas à cheval véritablement »81. En l’espèce, Balsamon perçoit organiquement la propagande latine de la Do‐ nation de Constantin, mais pas pour autant en faveur de l’Église romaine. Ainsi, en rappelant son mémoire au Titre IX / Chapitre I du Nomocanon XIV82, il actualise la validité des dispositions B. 5.1.5, sur l’interprétation de la B. 2.6.60, conformément auquel le terme Rome doit être lu comme Nouvelle Rome. Par con‐ séquent, l’évêque de Constantinople détient tous les droits de l’évêque de Rome à deux conditions : i. Que la Donation de Constantin fut un texte authentique et que Constantin Ier transféra effectivement un ensemble de privilèges politiques de l’Imperium au Sacerdotium. ii. Que ces privilèges hyper-pontificaux furent transfé‐ rés de l’Ancienne à la Nouvelle Rome, du Pontife au Patriarche, acte canonique et politiquement légal en vertu des canons 3 du iiie Concile, 28 du ive et 36 du Concile œcuménique Quinisexte. En conséquence, Balsamon non seulement reconnaît la suprématie spirituelle et institutionnelle du Patriarcat de Constanti‐ nople mais, malgré ses faibles hésitations83, il intègre à la tradition ecclésiologique le dogme de la Donation de Constantin, en lui attribuant des caractéristiques politiques explicites. En concluant son commentaire, Balsamon lance une flèche, très probablement adressée à Zonaras et à son cercle « idéologique » : Lui, il était un véritable Constantinopolitain, il aimait chaleureusement son Église et désirait la voir toujours enrichie d’une totale légitimité, contrairement à d’autres qui refusaient d’admettre les privilèges du trône de la Nouvelle Rome, en interprétant systématiquement les canons de façon erronée84.

80 81 82 83 84

Balsamon, « Commentaire au Canon 28 du ive Concile de Chalcédoine », in RP, II, p. 284-285. Balsamon, « Autre Commentaire au Canon 28 du ive Concile de Chalcédoine », in RP, II, p. 285. Balsamon, « Commentaire au Nomocanon XIV, VIII.I », in RP, I, p. 144. Voir Balsamon, « Commentaire au Canon 3 du iie Concile de Constantinople », in RP, II, p. 175-176. Balsamon, « Autre Commentaire au Canon 28 du ive Concile de Chalcédoine », in RP, II, p. 285-286.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

Constitutum Constantini : La réception idéologique d’une tradition politologique occidentale et sa délimitation juridique byzantine durant le xii e siècle La relation de l’environnement législatif byzantin avec la Donatio Constantini

Le sujet du Constitutum Constantini n’est pas posé par les canonistes byzan‐ tins du xiie siècle comme une question concernant les rapports entre l’Église occidentale et l’Église orientale, mais comme une question de caractère civil qui devait être associée en premier lieu au droit civil byzantin. Par conséquent, cette problématique concerne l’examen tant du vocabulaire juridique sur ce sujet que l’environnement juridique qui en résultait. Le texte de la Donatio Constan‐ tini fut « officiellement » introduit dans la vie juridique byzantine grâce aux performances scoliastiques de Théodore Balsamon85 ; il impliquait l’examen d’un certain nombre d’idées fondamentales concernant la teneur de fond du texte, étant donné que sa version byzantine, pour des raisons de principes d’État et de propagande ne suivait pas fidèlement le document latin officiel. Toutefois, la Donatio Constantini ne fut pas directement rejetée comme un texte falsifié, mais elle constitua pour les Byzantins une tradition qui pouvait être invoquée pour délimiter les droits et les privilèges du Patriarche de la Nouvelle Rome à l’égard des lois en vigueur, en créant une série d’interprétations juridiques « modernes ». Sous certaines conditions, il est possible d’accepter que la version byzantine de la Donatio Constantini fût effectivement un des atouts de négociation forts des Byzantins, tant dans le dialogue politico-théologique avec Rome, que dans les approches diplomatiques avec les forces occidentales contemporaines86, dans les circonstances mouvementés – ce qu’il convient de ne pas, négliger – des deux premières Croisades87. La version byzantine de la Donatio Constantini devint sans 85 Voir Lœnertz, R. J., « Constitutum Constantini : destination, destinataire, auteur, date », Aevum 45 (1974), p. 199-245. Halkin, F., Novum Auctarium Bibliothecae Hagiographicae Graecae, (coll. Subsidia Hagiographica 65), (Bruxelles : Société des Bollandistes, 1984), p. 191-192, nos. 1634ea-1634ec. Dagron, Empereur et Prêtre…, op. cit., p. 247-254, 265-266 et passim. Idem., « Représentations de l’ancienne et de la nouvelle Rome dans les sources byzantines des vie-xiie siècles », in Catalano, P. – Siniscalo, P. (éd.), Roma – Constantinopoli – Mosca, (coll. Da Roma alla Terza Roma I), (Napoli : Edizioni Scientifiche Italiane, 1983), p. 300-304. Vian, G. M., La donazione di Costantino, (Bologna : il Mulino 2004). Troïanos, « Rome et Constantinople dans les commentaires des canonistes… », art. cit., p. 136. Pitsakis, « Le grand siècle de la science du Droit Canonique… », art. cit., p. 234-235. 86 La question est exhaustivement traitée par Tounta, H., Le sacrum imperium occidental et l’Empire byzantin. Tensions idéologiques et interactions dans la scène politique européenne du xiie siècle (1135-1177), Fondation de l’École ecclésiastique Rizareios, [s. l. n. d.], p. 372-375. 87 Voir Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 95-119. Harris, J., Byzantium and the Crusades, (Athens : Okeanída, 2003), p. 163-237. Jeffreys, M. & El., « The ‘Wild Beast from West’ : Immediate Literary Reactions in Byzantium to the Second Crusade », in Laïou, A. E. – Mottahedeh, R. P. (éd.), The Crusades from the perspective of Byzantium and the Muslim World, (Washington D.C. : Dumbarton Oaks Research Library and Collection, 2001), p. 101-116. Constable, G., « The Second Crusade

145

146

CHAPITRE IV

doute ainsi un texte s’opposant au régime ; c’est pourquoi Balsamon s’empressa finalement de le déconstruire, du moins au niveau des symboles. Or de la même manière, l’Église semblait précipiter le processus de sa sécularisation, puisqu’elle ne recherchait pas à s’affranchir du Basileus, mais à affirmer la suprématie à l’égard de son pouvoir. Balsamon se réfère au moins huit fois dans le texte de la Donatio Constantini : i. Dans le commentaire au Nomocanon XIV.I.XXXVI88 ; ii. En commentant le Nomocanon XIV.VIII.I89. Le texte inséré, une traduction in extenso du docu‐ ment, constitue la version dite version Balsamon, qui est en essence une version byzantine de la Donatio Constantini ; iii. Dans sοn commentaire au Canon 3 du iie Concile œcuménique (381)90 ; iv. Dans son commentaire au Canon 28 du ive Concile œcuménique (451)91 ; v. En commentant le Canon 12 du Concile local d’Antioche (341)92 ; vi. Dans l’opuscule « Étude sur les deux offices, du chartophylax et du protékdikos »93 ; vii. Dans son bref traité « Étude sur les privilèges patriarcaux »94 ; viii. Une référence indirecte est faite enfin dans sa scolie au Canon 3 du Concile local de Sardique (344)95.

88 89 90 91 92 93 94 95

as seen by Contemporaries », Traditio 9 (1953), p. 213-279. Reuter, T., « The ‘Non-Crusade’ of 1149-1150 », in Philips, J. – Hoch, M., The Second Crusade : Scope and Consequences, (Manchester : MUP, 2001, p. 150-163. Riley-Smith, J., The Crusades : A Short History, (New Haven : Y.U.P., 1987). Sir Runciman, St., A History of the Crusades, I, (Cambridge : C.U.P., 1951). Setton, M. K., A History of the Crusades, I, (Philadelphia : U.P.P., 1955. Balard, M., Les Croisades, (Paris : Plon 1988). Dupront, A., Le Mythe de croisade, I, (Paris : Gallimard, 1997). Mayer, H. E., The Crusades, (Oxford, OUP, 1988). Morrisson, C., Les Croisades, (Paris : P.U.F., 1984). RICHARD, J., Histoire des croisades, (Paris : Fayard, 1996). Charanis, P., « Byzantium, the West and the origin of the First Crusade », Byz 19 (1949), p. 17-36. Cowdrey, H. E. J., « The Gregorian Papacy, Byzantium, and the First Crusade », BF 13 (1988), p. 145-169. France, J., « Anna Comnena, the Alexiad and the First Crusade », Reading Medieval Studies 9 (1984), p. 20-32. Hussey, J. M., « Byzantium and the Crusades, 1081-1204 », in Setton, K. M. (éd.), A history of the Crusades, II, (Philadelphia : UWP, 1962), p. 123-151. Pryor, J., « The Oaths of the Leaders of the First Crusade to Emperor Alexius I. Comnenus – pistis, douleia », Parergon 2 (1984), p. 111-141. Thomas, R. D., « Anna Comnena’s account of the first crusade : history and politics in the reigns of Alexius I and Manuel I Comnenus », Byzantine and Modern Greek Studies 15 (1991), p. 269-312. Somerville, R., « The Council of Clermont and the First Crusade », Studia Gratiana 20 (1976), p. 325-337. Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV.I.XXXVI », in PR, I, p. 76-81. Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV.VIII.I », in RP, I, p. 144-149. Balsamon, « Commentaire au Canon 3 du iie Concile de Constantinople », in RP, II, p. 173-176. Voir « Canon 3 du iie Concile de Constantinople », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 47-48. Balsamon, « Autre Commentaire au Canon 28 du ive Concile de Chalcédoine », in RP, II, p. 285-286. Voir « Canon 28 du ive Concile de Chalcédoine », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 90-93. Balsamon, « Commentaire au Canon 12 du Synode d’ Antioche », in RP, III, p. 146-150. Voir « Canon 12 du Synode d’ Antioche », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 114. Balsamon, « Μελέτη χάριν τῶν δύο ὀφφικίων, τοῦ τε χαρτοφύλακος, καὶ τοῦ πρωτεκδίκου », in RP, IV, p. 539-540. Balsamon, « Μελέτη χάριν τῶν πατριαρχικῶν προνομίων », in RP, IV, p. 552-553. Balsamon, « Commentaire au Canon 3 du Synode de Sardique », in RP, III, p. 235-237. Voir Idem., « Canon 3 du Synode de Sardique », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 162-163.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

Il conviendrait en premier lieu d’identifier la logique de l’intégration de ce document dans l’œuvre scoliastique de Balsamon, comme il apparait au Nomoca‐ non XIV.VIII.I. Ce que Balsamon désire renforcer, c’est la dernière proposition de la disposition photienne : « Que Constantinople ait les privilèges de l’ancienne Rome » (Ὅτι ἡ Κωνσταντινούπολις ἔχει τὰ προνόμια τῆς ἀρχαίας Ῥώμης). Il en est de même de la disposition CJ. I.17.1 : Que Constantinople « soit appelée Rome » (Τὴν Κωνσταντινούπολιν Ῥώμην αὐτὴν ὀνομάζεσθαι). Il recourt tout d’abord à la disposition B. 5.1.5, pour confirmer législativement le transfert de privilèges de l’Ancienne à la Nouvelle Rome. Il observe que cette affirmation est comprise dans la disposition CJ. XI.XXI.1 ; or la disposition Β. 5.1.5 ne reproduit pas le point litigieux : Urbs Constantinopolitana non solum iuris Italici, sed etiam ipsius Romae veteris praerogativa laetetur96. De même, il renvoie au CJ. I.II.697 et CJ. I.II.1698, lois qui, elles aussi, n’avaient pas été insérées dans les Basiliques et donc ne constituaient pas une loi en vigueur de l’État. De fait, en reconnaissant la faiblesse législative et herméneutique, il a recours à l’autorité de jure du Canon 28 du ive Concile œcuménique pour renforcer son raisonnement syllogistique99. Enfin, il est également conduit à la même impasse avec le fragment du Code, CJ. I.III.35 qui, dit-il, est reproduite à la disposition B. 5.1.6, sans que la dernière partie, pourtant essentielle, de la concession de privilèges soit insérée. C’est pourquoi il souligne que la loi est résumée dans les Basiliques « sans que l’évêque de Constantinople ait les privilèges de l’ancienne Rome »100. Or, dans les faits, la disposition B. 5.1.6 de Balsamon n’est autre que la B. 5.1.5 et elle ne reproduit certes pas, comme il l’affirme, la disposition CJ. I.III.35, mais la CJ. I.II.6. La principale préoccupation de Balsamon se réfère à l’illustration du transfert des privilèges – institutionnels, administratifs, spirituels – de l’Ancienne à la Nou‐ velle Rome. Ce point ne peut être traité au moyen de l’environnement juridique byzantin en vigueur, ce qui l’oblige à recourir à un document de validité douteuse pour décrire la présence privilégiée du Patriarcat de Constantinople. Par consé‐ quent, le fait que Balsamon envisage la Donatio Constantini comme valide, ne signifie pas, en l’espèce, qu’il reconnaît la suprématie du siège romain. Il suggère au contraire d’admettre la suprématie du trône de Constantinople, dans la mesure où ces privilèges, tant législatifs que canoniques, avaient été définitivement trans‐ férés de l’Ancienne à la Nouvelle Rome. Dans le fond, le canoniste Balsamon ne s’intéresse guère à la fonction de ce texte dans la formation de l’idéologie du papisme renforcé. Mais il s’intéresse à savoir comment celui-ci fonctionne dans le cadre de l’idéologie byzantine et comment il peut lui conférer de l’autorité et 96 Impp. Honorius – Theodosius, De privilegiis Urbis Constantinopolitanae, Philippo p. Illyrici [a.421] (= CJ. 11.21.1), in C.I.C., II, p. 434. « Que Constantinople reçut les privilèges de l’Ancienne Rome ne fut pas ajouté aux basiliques » : Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV.VIII.I », in RP, I, p. 144. 97 Impp. Honorius – Theodosius, Philippo p. Illyrici [a.421] (= CJ. 1.2.6), in C.I.C., II, p. 12. 98 Imp. Zenon, A. Sebastiano [a. 477] (= CJ. 1.2.16), in C.I.C., II, p. 14. 99 « Canon 28 du ive Concile de Chalcédoine », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 90-93. 100 Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV.VIII.I », in RP, I, p. 144.

147

148

CHAPITRE IV

de la puissance institutionnelle. Alors, comme en vertu de la disposition B. 2.6.20 Constantinople s’appelle désormais Rome, Balsamon pourra aisément tenter son saut d’interprétation : « Toute la ville doit suivre la coutume de Rome. De quelle nature sont les privilèges de la sainte église dans l’ancienne Rome, cela nous est présenté par l’édit écrit de saint Constantin le Grand, égal aux apôtres, adressé à saint Sylvestre, pape alors de Rome. »101 Remarques sur les axes idéologiques de la Donatio Constantini / Versio Balsamonis

Balsamon introduit intentionnellement le texte de la Donatio Constantini en soulignant le titre d’isapostolos de Constantin le Grand. En l’espèce, la notion d’Empereur – isapostolos n’est pas uniquement liée à des idées purement théologi‐ ques, mais principalement politiques : le Basileus est chargé de la diffusion et de la sauvegarde de la foi chrétienne dans l’Œkoumène et par conséquent cette qualité dépasse le cloisonnement des espaces géographiques donnés et des restrictions juridictionnelles. La décision de la concession d’une série de privilèges au siège de Pierre ne constitue pas une action impériale unilatérale. Le document en question fait appel aux fonctions constitutionnelles de la période républicaine de Rome : « Nous avons jugé juste en accord avec tous les dignitaires de l’armée et l’ensemble du sénat et les archontes et tout le peuple qui se trouve sous le pouvoir de l’autorité romaine » que l’évêque de Rome doit recevoir l’honneur de privilèges. Cette décision ne concerne certes que la concession au Pape et à ses successeurs d’un pouvoir plus grand que celui détenu par l’Empereur. Par analogie, de même que la puissance du Basileus est respectée et honorée, le siège papal doit à plus forte raison constituer un objet d’honneur et de respect. En conséquence l’évêque de Rome est défini comme pater et defensor, ce qui le rend automatiquement defensor civitatis et defensor plebis à la place de l’Empereur lui-même. La transformation de l’État qui en découle sera radicale : les dignitaires de l’État sont privés de leurs services à la patrie et le législateur nomme à leur place les clercs, en faisant d’eux un corps analogue à la puissance du sénat – « ils auront la grandeur et la magnificence qui orne notre sénat, à savoir les patrices et les consoulis, à savoir les consuls et les autres dignités » (ἔχειν ἐκείνην τὴν ὑψηλότητα καὶ μεγαλοσύνην, ἣν κεκόσμηται ἡ μεγάλη σύγκλητος ἡμῶν, ἤτοι οἱ πατρίκιοι, καὶ οἱ κόνσουλοι, ἤτοι οἱ ὕπατοι καιὶ τὰ λοιπὰ ἀξιώματα) – des hauts dignitaires militaires – « de la même manière que l’armée du basileus en est parée, nous décidons que le clergé de la sainte église de Rome doit en être paré » (ὡς ἡ βασιλικὴ στρατιὰ κεκόσμηται, οὕτω θεσπίζομεν κοσμεῖσαι καὶ τὸν κλῆρον τῆς ἁγίας Ῥώμης ἐκκλησίας), – des dignitaires de – « nous voulons que la sainte église des Romains soit ornée de plusieurs 101 Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV.VIII.I », in RP, I, p. 144-145.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

offices, à savoir des cubiculaires, portarioi, excubites, de la même manière que la force du basileus en est ornée »102. En substance, ce geste décrit d’une part une fonction sociale et institutionnelle constante qui concernait le rôle central que jouait l’évêque comme defensor – protecteur tant de la foi que des intérêts de ses fidèles. Par ailleurs, la description des classes des dignitaires de l’État et de leurs fonctions institutionnelles, aussi bien que le transfert de leurs pouvoirs à la classe du clergé, décrivait la structure bureaucratique de la cour patriarcale, le corps très puissant des archontes exôkatakoiloi, et la présence prédominante du Patriarcat de Constantinople lui-même. En résumé, l’extrait susmentionné ne peut appuyer que fallacieusement celui qui chercherait à discerner derrière la version byzantine de la Donatio Constantini la Curia Romana du milieu du xiie siècle. Balsamon l’indique à la fin de son commentaire : « Que les clercs de Constantinople reçoivent l’honneur d’offices n’est pas interdit ; mais l’attribution de ces privilèges est limitée. Le chartophylax, grâce au présent édit (il se réfère certes à la Donatio Constantini) a le droit de chevaucher, lors de la fête des saints notaires, le cheval patriarcal qui porte une housse blanche. Il peut aussi porter sur la tête une tiare en or appartenant au trésor du chartophylakion, comme s’il était un cardinal patriarcal. »103 Cette insistance de Balsamon résulte du fait que selon la Donatio Constantini, « les clercs de la sainte église des Romains peuvent monter des chevaux ornés de housses blanches ». Cette mise en relief concerne le statut institutionnel privilégié du Patriarcat de la Nouvelle Rome. La structure du document peut paraitre presque naïve de la part d’un scholas‐ tique de la grandeur de Balsamon, même s’il ne l’admet pas explicitement. Le transfert de pouvoirs de l’Empereur au Pontife romain ressemble plutôt à une parodie parapolitique : « il est juste que la sainte loi ait comme tête et autorité le lieu du martyre des premiers et plus éminents des Apôtres » ou « Nous avons jugé bon de transférer la puissance de notre basileia (…) à Constantinople (…) car c’est là où le pouvoir du clergé est installé que se trouve la tête de la religion chrétienne (à savoir à Rome), dont le pouvoir (le sacerdotium) lui fut offert par le basileus céleste, et qu’il est injuste que le basileus terrestre y installe aussi son pouvoir. »104 Toutefois, Balsamon semble se rallier, même si ce fut par utilitarisme, aux opi‐ nions de la Donatio. Ce n’est que dans un extrait qu’il déconstruit complètement ce document au préjudice de Constantinople et en conséquence de l’Église en général et lorsqu’il en est ainsi, cela ne se fait que de façon frappante.

102 Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV.VIII.I », in RP, I, p. 144. 103 Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV.VIII.I », in RP, I, p. 149. Voir Idem., « Μελέτη χάριν τῶν δύο ὀφφικίων… », in RP, IV, p. 540. Voir Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 483. 104 Ibid.

149

150

CHAPITRE IV

Mais il faudrait ici s’arrêter sur un autre aspect important, également typique‐ ment byzantin : Constantin ratifie le transfert de puissance au pape Sylvestre, notamment par le biais du transfert de symboles, comme si le pouvoir ne suffisait pas à lui seul et nécessitait le concours des symboles qui l’indiquaient. Est alors concédée en premier lieu au pape la résidence impériale du Latran qui, comme il est souligné, surpassait en beauté tout autre palais au monde. Par conséquent, la demeure du Basileus devient le siège du Prêtre. En deuxième lieu, on énumère les regalia et les symboles impériaux transférés : i. Le diadème ; ii. le lôros (λώρος, superhumerale, pallium)105 ; iii. l’omophorion ; iv. la chlamyde pourpre ; v. la tunique rouge ; vi. tous les habits royaux ; vii. les insignes des chevaux royaux ; viii. les sceptres royaux ; ix. les signes106 ; x. les vandas, c’est-à-dire les drapeaux107 ; xi. tous les bijoux impériaux qui symbolisent la gloire du Basileus. Si certains considèrent que le transfert des symboles susmentionnés certifiait le transfert de la puissance, Balsamon semble être d’un avis opposé. Il n’est guère fortuit que la déconstruction de la primauté papale ait été en premier lieu tentée sur le plan de ces symboles. Lorsque cela survient, Balsamon n’hésitera pas à consigner sans crainte son avis en désignant la Donatio Constantini comme un document explicitement faux108. L’extrait suivant se rapporte à la suprématie spirituelle et administrative du trône romain vis-à-vis des autres quatre trônes anciens : « Et comme le démon par lui-même sépara le pape de la réunion des autres très saints patriarches, en le confinant à l’Occident, et comme je vois que le patriarche de Constantinople n’a reçu aucun des privilèges du pape (parce qu’il ne porte pas le lôros royal selon l’édit supposé appartenir à saint Constantin, ni ne se ridiculise en portant des sandales rouges selon ce même document, ni n’utilise aucun autre privilège de l’ancienne Rome, et que pour cette raison ses jambes se tiennent droites et sa tête est enrichie, comme dit aussi David, de toute la sagesse ; et en apposant sa signature, il n’exagère pas lorsqu’il est qualifié père œcuménique, même si par nous non seulement

105 Voir Dagron, Empereur et Prêtre…, op. cit., p. 396. De cerimoniis, II.40, p. 637-639. 106 « Signographie, signature – subscriptio, signatio, signature. Signon (signe, signature) » : Roussos, E., Vocabulaire de Droit ecclésiastique, (Athènes, 1948), p. 393. 107 Vandon (βάνδον, bandum) : Drapeau ou détachement militaire. Voir Cyrilli Lexicon (Cod. Barocc. gr. 95), in Cramer, J. A. (éd.), Anecdota Græca e codd. manuscriptis bibliothecae regiae parisiensis, IV, (Oxonii : Typographeo academico, MDCCCXLI). Les vanda ne constituaient pas seulement des symboles impériaux, mais ils portaient une sacralité ex rebus. Par exemple, selon le Strategikon de Maurice, les drapeaux impériaux devaient être bénis avant la guerre : « Les mérarques doivent veiller aux préparations et faire bénir les banda un ou deux jours avant la bataille et les remettre ainsi aux bandophores des divisions » : Mauricii, Das Strategikon, (coll. Corpus Fontium Historiae Byzantinae XVII), (Wien : Österreichischen Akademie der Wissenschaften), 1981, p. 232. 108 « L’édit présumé de saint Constantin » (= Τὸ τοῦ ἁγίου Κωνσταντίνου νομιζόμενον θέσπισμα) : Balsamon, « Étude sur les privilèges patriarcaux », in RP, IV, p. 553.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

il est appelé ainsi mais il est comme tel), estimant vaine cette discussion, relativement à tout cela, je ne vais pas m’y attarder. »109 La forme verbale dominante dans cet extrait est celle de θεατρίζεται, qui ne si‐ gnifie pas simuler, mais se ridiculiser. Par conséquent, l’utilisation des regalia, ainsi que des symboles du pouvoir impérial ne constituait rien de plus pour Balsamon que l’avilissement de la qualité pontificale. Or Balsamon est juste et ne s’obstine pas à juger ainsi seulement le pontife romain, mais aussi le patriarche de Cons‐ tantinople lui-même. En concluant son commentaire au Nomocanon XIV.VIII.I, il note que lorsque Michel Cérulaire (…) tenta de s’accaparer les privilèges de l’ancienne Rome, l’aboutissement ne fut que malheureux110. Il ne faudrait pas pour autant ne voir dans ce commentaire que l’autoritarisme patriarcal de Michel Cérulaire, qui n’hésitait pas à intervenir ouvertement dans les affaires politiques, allant même jusqu’à affirmer que son pouvoir intronisait et déposait des empereurs, mais certainement aussi au niveau des symboles. On sait que Cérulaire se permit même de s’approprier les sandales rouges impériales, ce qui lui valut la critique sévère de ses contemporains111. L’extrait suivant de Skylitzès montre les priorités idéologiques du Patriarche : « le patriarche encouragé par la faveur démesurée du basileus, devint présomptueux à son égard ; n’ayant recours ni à des requêtes ni à des exhortations, lorsqu’il voulait faire ou demander quelque chose, mais échouant souvent en raison de ses requêtes continues et insistantes, il usait de menaces et de pénitences inappropriées, et s’il n’arrivait pas à convaincre, il menaçait même de déposer la basileia, en invoquant l’expression populaire et commune ‘c’est moi qui a permis ta construction, le four, moi je te détruirai’ ; il se permettait aussi de chausser des sandales rouges, en disant que c’était une coutume de l’ancien clergé et que l’archevêque du nouveau clergé devait aussi en bénéficier ; car il n’y avait aucune différence entre le clergé et la basileia et s’il y avait une petite différence, disait-il, c’était aux plus justes que revenait l’excédent et le plus précieux. »112 Or ce zèle de Cérulaire était-il le résultat de sa « concurrence » avec l’institu‐ tion impériale ou signalait-il le besoin de montrer aux délégations papales que

109 110 111 112

Balsamon, « Étude sur les privilèges patriarcaux », in RP, IV, p. 553. Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV.VIII.I », in RP, I, p. 148-149. Voir Dagron, Empereur et Prêtre…, op. cit., p. 252-255. Ioannis Skylitzae, Historia, II, (Bonnae : Impensis Ed. Weberi, MDCCCXXXIX), p. 643. « Le patriarche (…) arriva même au point de menacer l’empereur que de la même manière qu’il l’avait aidé à monter sur le trône, il pouvait le faire tomber » : Zonaras, t. III, XVIII, p. 668. « Il décide par ailleurs de chausser des sandales rouges, en disant que celles-ci sont une coutume de l’ancien clergé et que l’archevêque du nouveau clergé doit aussi en faire usage ; car il n’y a aucune différence entre le clergé et la basileia » : Michaelis, Glykae, Annales, II, p. 601. Michaelis Attaliotae, Historia, (Bonnae : Impensis Ed. Weberi, MDCCCLIII), p. 62-66.

151

152

CHAPITRE IV

c’était lui effectivement le vrai destinataire de la Donatio Constantini et non le primat de l’Église romaine ? Les prolongements idéologiques de la Donatio Constantini « byzantinisée »

La version byzantine de la Donatio Constantini souligne l’attitude du Basileus à l’égard de la suprématie du Pontife romain. Le rédacteur note – en utilisant la pre‐ mière personne du pluriel jugée si inélégante par les Byzantins – que le Basileus « tombé sur le dos et gisant par terre » (ὕπτιοι καὶ εἰς τὴν γῆν ἡπλωμένοι), sert servilement le pouvoir de l’Église romaine. Pour autant dans cette humiliation impériale extrême, il existe une contradiction inhérente qui fragilise ce modèle. Et cela parce que la question centrale consiste à définir qui est-ce qui transfère la puissance – spirituelle et temporelle – au Pape. Celui-ci n’était certainement autre que l’Empereur, tandis que le pouvoir concédé est qualifié par le rédacteur du texte ἐξουσία ἀρχικὴ, de puissance de gouverner (ἄρχειν). Par conséquent, celui qui transfère est celui qui possède, le transfert implique la possession et dès lors la suprématie de l’institution impériale et sa ressemblance à Dieu précède la sacralité du Sacerdotium, comme la Basileia s’empresse de suppléer ce qui manque au Cler‐ gé. Hormis cela, le pseudo-Constantin renforce aussi Rome administrativement, ce qui laisse supposer qu’il ne s’agit pas d’une simple suprématie spirituelle. Or le pseudo-Constantin exige que Rome jouisse d’honneurs plus grands que ceux dont jouit l’Empereur, en lui concédant même le privilège suivant : « Et comme notre pouvoir de basileus sur terre jouit de respect et d’honneurs, nous établissons que la sainte Église des Romains doit jouir du même respect et des mêmes honneurs et que désormais à côté de notre basileia et du trône terrestre, le saint siège de saint Pierre doit être glorifié et élevé. »113 Cette concession est effectivement excessive, comme le Basileus ne peut pas transférer une chose qu’il ne possède pas. Mais bien plus, cette concession présup‐ posait un acte législatif qui ne peut être exécuté qu’au niveau de la « pure » volonté impériale. Cela est par ailleurs énoncé clairement : « en lui donnant la puissance et la dignité de gloire, (…) nous établissons qu’il doit avoir un pouvoir de gouvernement ». Cet acte législatif présuppose aussi pour son exécution une diachronie, et son observance incombe alors aux futurs Empereurs : « Nous devons sauvegarder tout cela de façon intangible, tant nous que les basileis qui nous succéderont, et nous avons noté par des mémoires qu’ils devront les sauve‐ garder. »

113 « Καὶ ὥσπερ ἡ βασιλικὴ ἐξουσία ἡμῶν εἰς τὴν γῆν σέβεται καὶ τιμᾶται, οὕτω θεσπίζομεν σέβεσθαι καὶ τιμᾶσθαι τὴν ἁγίαν τῶν Ῥωμαίων ἐκκλησίαν, καὶ πλέον παρὰ τὴν βασιλείαν ἡμῶν, καὶ τὸν γήϊνον θρόνον, τὴν ἁγίαν καθέδραν τοῦ ἁγίου Πέτρου δοξάζεσθαι καὶ ὑψοῦσθαι ».

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

Le dilemme relatif à la question de savoir si le pouvoir concédé procède auf dem göttlichen Primat ou auf menschlichen Rechte, est dans le fond fallacieux114. Pour les théologiens, par exemple, ce qui prévaut est la concession de puissance spirituelle, canonique et administrative au Pape de Rome. Ce point suscitera une série de débats entre Orientaux et Occidentaux, qui se perpétuent avec la même véhémence jusqu’à nos jours. Or, c’est sur ce point que la question est délicate : Les Orientaux ont considéré que l’idéologisation des différences dogmatiques décrivait un Occident « hérétique » ou pour le moins schismatique. Or dans le fond, c’étaient des textes comme la Donatio Constantini qui ont permis à la chrétienté occidentale de survivre dans un environnement géopolitique sujet à des transformations continues et soudaines. Le problème de l’Orient fut qu’il vit au cœur de la primauté papale et de ses nets prolongements idéologiques un problème de type dogmatique, en ignorant que dans le fond la question avait des caractéristiques clairement politiques. C’est exactement ainsi, et au profit de l’environnement du Patriarcat de Constantinople, que Balsamon considère la Donation de Constantin : Il ne se réfère nulle part aux privilèges essentiels du Pape, mais il laisse s’esquisser la dépendance institutionnelle du Basileus. Par exemple, le passage décrivant le Pontife romain mettant à l’Empereur le pallium fait défaut. En définitive, comme il a été exposé plus haut, il ne voit dans le fait que l’archiprêtre porte les insignes impériaux qu’une pure manifestation théâtrale. La logique de la mobilisation d’une série de textes législatifs et de dispositions canoniques devait renforcer la théorie de Balsamon « selon la postériorité » qui, comme on l’a dit, avait des fondements purement politiques. Balsamon admet ainsi la validité de la Donatio Constantini, dans la mesure où les privilèges de l’Ancienne Rome ont été transférés à la Nouvelle, dans l’esprit de la Β. 2.6.20, c’est-à-dire dans la mesure où quelqu’un admet en effet la suprématie du Patriar‐ cat de Constantinople à l’égard du siège romain. Sur le plan politique, qu’il s’agisse de Rome ou de la Nouvelle Rome, nous nous trouvons en substance au même point : l’Église s’efforce de souligner sa puissance incontestable, en déva‐ luant ouvertement le statut du Basileus, intention qui constitue essentiellement un idéologème occidental importé, émanant d’un pouvoir papal qui s’identifie au pouvoir impérial et s’approprie son vocabulaire115. Force est de constater, par exemple, la bassesse caractérisant la façon dont les fonctions étatiques et ecclésiastiques s’enchevêtrent, si contrastée, par ailleurs, à l’austérité des données byzantines. Ainsi : « Hormis tout cela, nous autorisons et concédons à notre très saint père Sylvestre, évêque et pape de Rome et à tous ses successeurs les évêques bénis, à l’honneur et la gloire de notre Sauveur Jésus-Christ, (nous permettons)

114 Herman, E., « Chalkedon und die Ausgestaltung des constantinopolitanischen Primats », in Grillnmeier, A. – Bacht, H. (éd.), Das Konzil von Chalkedon, II, (Würzburg : Echter, 1953), p. 468. 115 Pennington, K., Pope and Bishops : The Papal Monarchy in the Twelfth and Thirteenth Centuries, (Philadelphia : UPP, 1984), p. 3.

153

154

CHAPITRE IV

à cette église grande et apostolique, que si quelqu’un du sénat veut de son bon propre gré devenir clerc, désirant rejoindre les ordres des saints clercs, personne n’ose l’en empêcher. »

La Donatio Constantini comme instrument de l’Idéologie impériale et du programme politique comnénien L’œcuménisme théologico-politique byzantin du xiie siècle : L’isapostolos – Basileus

En ce qui concerne les icônes, l’Idéologie impériale byzantine a produit une série de schémas montrant avant tout la continuité ininterrompue du corps étatique romain et les prétentions œcuméniques de l’Empereur byzantin, qui découlaient intrinsèquement de son propre titre. Des formulations de ce genre figurent abondamment dans les œuvres des encomiastes favorables au régime de l’époque. Pour Grégoire Antiochos, par exemple, l’État de Manuel Ier était universel, tandis qu’il constituait lui-même le despote commun de l’œkoumène116. De la même manière, Eustathe de Thessalonique appelait l’Empereur monarque de la terre entière117, roi des rois et roi de tous (παμβασιλέα)118, titres qui plaçaient automatiquement Manuel Ier au deuxième rang après Dieu lui-même. C’est dans ces cadres que l’idée de l’égalité de l’Empereur aux apôtres, qui doit tant sa formu‐ lation que son contenu à la tradition politique constantinienne, est maintenue et reconstruite119. Manuel Ier est ainsi considéré comme l’Apôtre qui, après avoir dompté les hordes des nations déraisonnables120, les conduit au salut121. Cette apostolicité fonctionne comme condition de l’œcuménicité et inverse‐ ment. Et ceci principalement parce que l’apostolicité renvoie : i. à l’autorité spirituelle ; ii. à un espace élargi qui coïncide avec celui de l’Œkoumène romain. Dans le fond, chaque fois que le terme d’apostolicité est utilisé, se pose en même temps le programme politique byzantin. Cela est évident, par exemple, dans le dialogue de Manuel Ier avec les légats du Pape, tel qu’il est conservé dans le Sacrum Armamentarium de Kamatèros. Le Basileus y est appelé isapostolos, en premier lieu parce qu’il est le porteur de la légitimité impériale constantinienne122. Son titre était « théosophe isapostolos, grand basileus porphyrogénète et empereur Rhetoris Anonymi, « XI. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 184. Eustathii Thessalonicensis, « III. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 39. Ibid., p. 40. Voir Dagron, Empereur et Prêtre…, op. cit., p. 148-154. Prodromos, « ΧVIII. An den Kaiser, als er nach seinem Auszug in Lopadion weilte », in Theodoros Prodromos, Historische Gedichte…, p. 305. 121 Eustathii Thessalonicensis, « IV. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 60. 122 Sacrum Armamentarium, I, p. 13. Eustathii Thessalonicensis, « Λόγος Ι. Ἐπὶ τοῖς θεωρικοῖς δημοτελέσι τραπεζώμασι, ὅτε οἱ τῶν βασιλικῶν παίδων ἐτελοῦντο γάμοι », in Eustathii Thessalonicensis, Opera Minora, Wirth, P. (rec.), CFHB 32, (Berolini et Novi Eboraci : de Gruyter, 2000), p. 179.

116 117 118 119 120

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

des Romains »123. Sur un second plan, l’apostolicité était propre à ses devoirs spirituels extraordinaires, raison pour laquelle Kamatèros n’hésitait pas à louer l’Empereur en invoquant une multitude de topoi hagiographiques, comme le vers psalmodique suivant : « Vers toute la terre sortit sa voix, et ses paroles vers les confins de l’œkoumène. »124 Les formulations de cette sorte expliquaient la vivacité de la mission byzantine125, tout comme la sincère intention de Manuel Ier de défendre avec zèle l’orthodoxie en annihilant les hérésies dans l’œkoumène126, des manifestations qui étaient dans le fond encouragées par le fait qu’il était lui-même inspiré par l’Esprit saint127, comme intrinsèquement l’âme du Basileus était aussi apostolique128. D’ailleurs, comme Théodore Prodrome surenchérissait, le pouvoir était conféré à l’Empereur par Dieu, de façon analogue à celle selon laquelle Jésus-Christ conféra la grâce de l’Esprit Saint aux Apôtres129. De fait, le souci du Basileus pour les affaires ecclésiastiques ne constituait pas seulement une émanation de son pouvoir, mais aussi son devoir statutaire, de sorte que sans hésitation son image et son action ressemblaient à celles de l’apôtre Paul : « du basileus, qui étant le vase de l’élection du Seigneur, le souci et la préoccupation furent de les unir (les églises) »130. Or comme cela ne suffit pas à Kamatèros, il se vit obligé d’élargir l’horizon de l’imagerie impériale. Il remarquait ainsi : « ici les Latins et là les Arméniens, les Ismaélites et les Perses ailleurs et d’autres plus loin, comme par miracle, tous s’empressent de chanter et de louer le dessein grandiose de la sagesse de mon grand Basileus »131. La signification du point susmentionné est déterminante, notamment parce que Kamatèros ne décrivait pas une échelle de faits théorique, mais un program‐ me politique dynamique et mis en œuvre132 : i. Manuel Ier avait inauguré un dialo‐ gue avec Rome133, en approchant son environnement culturel et théologique134, 123 Sacrum Armamentarium, I, p. 13. 124 Ibid., p. 17. Voir Psaume. 18.4-5. 125 Sacrum Armamentarium, I, p. 13. Voir Stone, A., « The Missionaries of Manuel I », REB 66 (2008), p. 253-257. 126 Sacrum Armamentarium, I, p. 13. 127 Ibid., p. 14. 128 Ibid., p. 18. 129 Ibid. 130 Ibid., p. 16-17. 131 Ibid., p. 17-18. 132 Voir Angold, Church and Society…, op. cit., p. 108-113. 133 Voir Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 152-170. Darrouzès, J., « Les documents byzantins du xiie siècle sur la primauté romaine », REB 23 (1965), p. 42-88. Grumel, V., « Au seuil de la deuxième croisade : Deux lettres de Manuel Comnène au pape », Études byzantines 3 (1945), p. 143-167. Möhring, H., « Baronius und ein in Kreuzzugsfragen an den Papst gerichteter Brief Manuels I. im Liber Privilegiorum », BZ 80 (1987), p. 336-343. Nicol, D.M, « The papal scandal », Studies in Church History 13 (1979), p. 141-168. Rowe, J. G., « The Papacy and the Greeks (1122-1153) », Church History 28 (1959), p. 115-130, 310-327. Spiteris, J. La critica byzantina del primate Romano nel secolo XII, (Roma : OCA, 1979). Hofmann, G., « Papst und Patriarch unter Kaiser Manuel I. Komnenos. Ein Briefwechsel », EEBS 25 (1953), p. 74-82. 134 Angold, A political history…, op. cit., p. 373-385.

155

156

CHAPITRE IV

et en fixant par ailleurs les critères ecclésiologiques du premier millénaire. ii. À l’époque du patriarcat du Catholikos des Arméniens Narsès, l’union avec Cons‐ tantinople semblait plus probable que jamais135. iii. Son rapprochement du monde arabe était tellement dynamique que l’Édit impérial (1180) qui redéfinissait les conditions de conversion des Musulmans à la foi chrétienne136, semblait être un défi inconcevable pour le Synode patriarcal137. De l’autre côté, il convient aussi de prendre en considération la consolidation de la forte présence géostratégique byzantine et la promotion tout aussi active des intérêts byzantins par des gestes politiques ingénieux, comme celui des alliances dynastiques138 ou de la conces‐

135 Regesten, II, n. 1489 (XI/1169), p. 82. Voir Mercier, CH.-B., Discours Synodal de Saint Nersès de Lampron, (Venise - Saint Lazare, 1948). Augé, Is., « Convaincre ou contraindre : la politique religieuse des Comnènes à l’égard des Arméniens et des Syriaques Jacobites », REB 60 (2002), p. 133-150. Bozoyan, A., Documents on the Armenian-Byzantine ecclesiastical negotiations (1165-1178), (Erevan, 1995). Frazee, C. E., « The Christian Church in Cilician Armenia : its relations with Rome and Constantinople to 1148 », Church History 45 (1976), p. 166-184. Hamilton, B., « The Armenian Church and the Papacy at the time of the crusades », Eastern Churches Review 10 (1978), p. 61-87. Suttner, E., « Eine ‘ökumenische’ Bewegung im 12. Jahrhundert und ihr bedeutendster Theologe, der Armenische Katholikos Nerses Schnorhali », Klèronomia 7 (1975), p. 87-98. Zekiyan, B., « Un dialogue œcuménique au xiie siècle. Les pourparlers entre le Catholicos St Nerses Snorhali et le légat impérial Théorianos en vue de l’union des Églises arménienne et byzantine », in Actes du xve Congrès International d’Études Byzantines, IV, (Athènes : Association Internationale des Études Byzantines, 1980), p. 420-441. Idem., « St Nerses Snorhali en dialogue avec les Grecs », in memoriam Haig Berberian, Lisboa, 1986, p. 861-883. Stone, A. F., « Nerses IV ‘the Gracious’, Manuel I Komnenos, the Patriarch Michael III Anchialos and Negotiations for Church Union between Byzantium and the Armenian Church, 1165-1173 », JÖB 55 (2005), p. 191-208. 136 Regesten, II, n. 1529 (ca. 1178), p. 87 ; n. 1530 (ca. 1178), p. 87. Regestes, III, n. 1153 (V/1180), p. 171. Texte : Darrouzès, J., « Tomos inédit de 1180 contre Mahomet », REB 30 (1972), p. 187-197. Voir Khoyry, Th., Les Théologiens byzantins et l’Islam, (Louvain - Paris : Nauwelaerts, 1969), p. 187-199. 137 Choniatès, p. 213-219. 138 Voir Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 342-354.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

sion de privilèges à des forces occidentales montantes comme Venise139, Pise140 et Gênes141. Par conséquent, indépendamment de la réussite de ces initiatives, il est possible de reprocher à Kamatèros qu’il exagérait en prenant la défense du zèle ardent de Manuel Ier qui, « par-dessus et par-delà de tout, se consacre à la lutte de la défense de l’orthodoxie, de la concorde et de l’union des églises, et du rassemblement, de l’obéissance commune, et de l’union naturelle de tous les membres du corps de l’Église qui a comme chef le Sauveur Jésus et qui, à un certain moment, se désintégra. (Ce combat il le livre) grâce à son zèle apostolique et inspiré par Dieu. »142 Maintenant le haut niveau des louanges adressées à l’Empereur, Kamatèros n’hésita pas à transformer les légats du Pape en fervents défenseurs de Manuel Ier, en faisant d’eux dans le fond des interprètes d’un monde qui admirait la magnifi‐ cence de l’Empire de la Nouvelle Rome. L’accentuation de la sacralité par exagéra‐ tions rendait nécessaire en premier lieu une généreuse référence hagiographique : « Comme il est impossible pour une ville située sur une montagne de se cacher, il serait difficile que passent inaperçus les effets innombrables et immenses de tes extraordinaires décisions et actions, basileus nommé selon

139 i. Alexii Comneni, Nov. XXXII. Aurea Bulla Venetis concessa (a. 1092), in JGR, I, p. 325. ii. Joannis Comneni, Nov. XLVIII. Aurea bulla pro Venetis (a. 1126), p. 362. Voir Regesten, II, n. 1304 (VIII.1126), p. 59-60 ; n. 1306 (VIII/1126), p. 60. iii. Manuelis Comneni, Nov. LIV. Aurea bulla Venetis concessa (a. 1148), in JGR, I, p. 367-373. Voir Regesten, II, n. 1373 (III.1148), p. 67-68. Ead., Nov. LVII. Aurea bulla de locis a Venetis Constantinopoli possidendis (a. 1148), p. 378. Voir Angold, A political history…, op. cit., p. 363-373. Borsari, S., « Il commercio veneziano nell’ Impero bizantino nel XII secolo », Rivista Storica Italiana 76 (1964), p. 982-1011. Brown, H., « The Venetians and the Venetian Quarter in Constantinople to the close of the twelfth century », Journal of Hellenic Studies 40 (1920), p. 68-88. Frances, E., « Alexis Comnène et les privilèges octroyés à Venise », BS 29 (1968), p. 17-23. Lamma, P., « Venezia nel giudizio delle fonti bizantine dal X al XII secolo », Rivista Storica Italiana 74 (1962), p. 457-479. Martin, M. E., « The chrysobull of Alexius I. Comnenus to the Venetians and the early Venetian Quarter in Constantinople », BS 39 (1978), p. 19-23. Idem., « The Venetians in the Byzantine Empire before 1204 », BF 13 (1988), p. 201-214. Nicol, D. M., Byzantium and Venice. A study in diplomatic and cultural relations, (Cambridge : C.U.P., 1988). Pertusi, A., « Venezio e Bisanzio : 1000-1204 », DOP 33 (1979), p. 1-22. Tüma, O., « The dating of Alexius’s chrysobull to the Venetians : 1082, 1084 or 1092 ? », BS 42 (1981), p. 171-185. Day, G. W., Genoa’s Response to Byzantium, 1155-1204. Commercial Expansion and Factionalism in a Medieval City, (Urbana-Chicago : U.I.P.), 1988. 140 i. Alexii Comneni, Nov. XXXVI. Aurea bulla Pisanis concessa (a. 1112), in JGR, I, p. 346. Voir Regesten, II, n. 1255 (VIII/1111), p. 53-54. ii. Regesten, II, n. 1310 (1136), p. 60. iii. Manuelis Comneni, Nov. LIX. Aurea bulla Pisanis concessa (a. 1155), p. 381. Voir Regesten, II, n. 1400 (VII.1155), p. 71. 141 Manuelis Comneni, Nov. LX. Aurea bulla pro firmanda conventione cum Genuensibus facta, in JGR, I, p. 381. Voir Regesten, II, n. 1401 (X/1155), p. 71 ; n. 1402 (X/1155), p. 71. Idem., Nov. LXXII. Aurea bulla confirmans conventionem cum Genuensibus (a. 1170), p. 417-421. Voir Regesten, II, n. 1488 (X/1169), p. 82. Manuelis Comneni, Nov. LXXIII. Ut immobilia ab imperatore donate dumtaxat ad hos, qui in dignitate constitute sunt, transmittantur (a. 1155 vel. 1170), p. 421. 142 Sacrum Armamentarium, I, p. 18.

157

158

CHAPITRE IV

la volonté divine, qui dans tout l’œkoumène sont clamés et magnifiés non seulement par ceux qui sont assujettis à ta puissance ou sont ses amis, mais dont témoignent aussi tes ennemis en chantant à haute voix, ainsi que pour les autres exploits prodigieux de la basileia. »143 Il n’est dès lors nullement fortuit en définitive que l’auteur, en l’occurrence, présente les légats du Pape comme des hommes-liges de Manuel Ier144. Donatio Constantini : Une question des principes étatiques ou un traité de sauvegarde de privilèges acquis ?

La question sera étudiée en la divisant sur la base des exemples suivants : i. La question des alliances dynastiques avec les cours occidentales, comme celles-ci se reflètent dans les mariages impériaux, selon la tradition populaire en vers. ii. La ré‐ ception byzantine du sacre de Charlemagne et l’incompatibilité idéologique de la Donatio Constantini avec les traditions étatiques en vigueur, selon la Notitia Thro‐ norum Patriarchalium de Nil Doxapatrès. iii. La façon dont la Donatio Constantini influença la vie diplomatique byzantine, selon le témoignage historique de Jean Kinnamos. iv. La manière dont la Primauté de Rome était perçue, selon l’Arsenal sacré de Kamatèros, œuvre qui exprimait l’argumentation de l’Empereur sur le sujet. v. Selon l’Empereur, la dévalorisation des primautés ecclésiologiques, non seulement de l’Ancienne, mais aussi de la Nouvelle Rome et le déplacement de la question du dialogue expressément politique vers l’environnement théologique. i Concernant la question des alliances dynastiques avec les maisons royales occidentales, le cas de Manuel Ier lui-même est digne d’attention : En janvier 1146, l’Empereur épousa à Constantinople la sœur de la femme de Conrad II de Hohenstaufen (1138-1152), Berthe de Sulzbach145, qui au cours de son voyage à Constantinople fut baptisée et prit le nom d’Irè‐ ne146. L’Augusta était accompagnée à Byzance par l’évêque de Wurzbourg Embrico, qui était aussi son frère et le chef de la mission allemande147. Une composition nuptiale prodromique permet de constater que ce mariage illustrait les relations entre l’Ancienne et la Nouvelle Rome. Ces vers furent écrits en 1142, à l’occasion des fiançailles du couple, avant que Manuel Ier

143 Ibid., p. 25. 144 « Ayant donné à ta basileia leur (…) soumission et entière servitude ainsi que leurs âmes et corps » : Ibid., I, p. 23. « À la même époque, un cardinal écrivait à Manuel Comnène de la façon la plus chaleureuse, en assurant l’empereur qu’il jouissait à Rome de la plus haute estime. Il disait clairement que le pape voulait le protéger du ‘tyran’ germanique et se rappelait la catastrophe que ‘causa à notre Église la tyrannie des barbares du moment où ils usurpèrent le titre impérial’ » : Angold, A political History…, op. cit., p. 340. Voir Recueil des Historiens des Gaules et de la France, XVI, Paris 1878, p. 15. 145 Barzos, I, p. 454-459. 146 Voir Palmieri, A., « La rebaptisation des Latins chez les Grecs », ÉO 7 (1904), p. 624-633. 147 Choniatès, p. 53-54. Kinnamos, p. 36.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

n’eût reçu les sceptres148 : L’arrivée de la mariée représenta pour les Byzan‐ tins le fait de la soumission de l’Ancienne Rome à la Nouvelle, alors qu’en 1142 l’alliance de Conrad III avec le siège romain était dans l’une de ses meilleures périodes149. L’Ancienne Rome offrait l’épouse et la Nouvelle l’époux, et dès lors la supériorité de la seconde à l’égard de la première était tenue pour acquise150, étant donné que selon les paroles pauliennes151, comme soulignait le vers prodromique, l’homme constituait la tête de la femme152. La composition mentionnait aussi que par ce mariage Berthe vrai‐ semblablement « adorerait pour toujours la puissance comnénienne »153. Le versificateur arrivait au cœur de la question, lorsqu’il était appelé à se référer à Conrad III. Il s’adressait à lui en l’apostrophant, en le louant, non pas tant dans le souci d’exalter ses vertus, mais pour montrer à la conscience des sujets la signification de ce mariage : « Ô grand roi de l’ancienne et de la nouvelle Rome,| à la pensée profonde, habile stratège,| de lignée noble, très glorieux Conrad. »154 Toutefois, la noblesse du roi germanique ne devait pas être considérée comme acquise. Ce n’était que par son alliance aux Comnènes qu’il eût pu prétendre à un peu de la gloire des Empereurs romains. Étant donné que Conrad III était appelé « grand roi de la vieille de l’ancienne Rome » – μέγας ῥήγας τῆς παλαιᾶς καὶ πρεσβυτέρας Ῥώμης – l’extrait suivant visait à accentuer l’infériorité acquise de l’Ancienne Rome par rapport à la Nouvelle : « maintenant tu t’élevas en honneur, à présent tu devins noble | parce que tu t’unis à la famille comnénienne | et tu fus considéré parent d’un si grand basileus »155. Pour autant, un poème populaire, composé à l’occasion du même événement, relativisait la charge idéologique du vers prodromique. Irène n’y était pas présen‐ tée comme une simple descendante de la famille royale germanique, mais il était affirmé que la lignée des monarques germaniques était généalogiquement appa‐ rentée à Jules César. Certes, il ne s’agissait pas en l’espèce d’un vide idéologique byzantin, mais au contraire, ce que le poète cherchait à transmettre à la conscience de l’opinion publique byzantine, c’était la signification exceptionnelle des noces 148 Regesten, II, n. 1322 (1142), p. 61. 149 Voir Angold, A political History…, op. cit., p. 336-346. Vollrath, H., « Konrad III. und Byzanz », Archiv für Kulturgeschichte 59 (1929-1930), p. 321-365. Heilig, K. J., « Ostrom und das Deutsche Reich um die Mitte des 12. Jahrhurderts. Die Erhebung Osterreichs zum Herzogtum 1156 und das Bündnis zwischen Byzanz und dem Westreich », in Kaisertum und Herzogwald im Zeitalter Friedrichs I., Monumenta Germaniae Historica, (coll. Studien 9), (Stuttgart, 1944), p. 162 et passim. Somerville, R., « Pope Honorius II, Conrad of Hohenstaufen and Lothar III », Archivum Historiae Pontificiae 10 (1972), p. 341-346. 150 Prodromos, « ΧX. Begrüßungsverse an Manuels, des Porphyrogennetos und Sebastokrators, Braut aus Deutschland », in Prodromos, Historische Gedichte…, p. 320. 151 I Corinthiens, 11.3 ; Éphésiens, 5.23. 152 Prodromos, « ΧX. Begrüßungsverse an Manuels… », op. cit., p. 320. 153 « Tῷ Κομνηνικῷ πάντα λατρεύει κράτει » : Ibid. 154 Prodromos, « ΧX. Begrüßungsverse an Manuels… », op. cit., p. 321. 155 Ibid.

159

160

CHAPITRE IV

de Manuel Ier, non avec une femme noble ordinaire d’une Cour occidentale, mais avec une véritable descendante de l’ancienne classe politique romaine. Tel fut le motif du rapprochement de l’Ancienne et de la Nouvelle Rome au niveau étatique. La primauté était bien sûr attribuée à Manuel Ier et non à la Cour germanique, puisque la légitimité politique s’exprimait par l’idée de la suprématie de la pourpre : « Si les nobles rois de la nation des Alamans | sont les descendants de Jules César | le maître Manuel les unit | l’empereur Comnène né dans la pourpre | dans l’union de l’ancienne Rome à la nouvelle. »156 ii Il faut aussi se pencher sur un extrait tiré de la fin de la Notitia Thronorum Patriarchalium de Doxapatrès, dont l’importance a déjà été signalée plus haut. En l’occurrence, et malgré ses réserves justifiées, Doxapatrès se mon‐ trait extrêmement modéré lorsqu’il devait expliquer les choix historiques papaux : Si Didier de Lombardie (Désidérius) s’était lancé dans une cam‐ pagne décisive contre les parties occidentales de l’Empire romain, ce fut justement parce que l’Empereur romain se désintéressait complètement de ces contrées (« parce que le roi de l’époque ne se préoccupait pas d’elles » – διὰ τὸ μὴ πρὸς τούτους ἀσχολεῖσθαι τὸν τότε βασιλέα). En arrivant aux alentours de Rome, son armée contraignit le pape à se tourner vers Pépin le Bref pour demander son aide, parce que l’Empereur romain ne se montrait pas disposé à aider et à protéger ses territoires. La couronne du Basileus, notait Doxapatrès, constituait la contrepartie du Pape à l’empressement de Pépin157. Malgré la retraite de Désidérius, l’entrée de Pépin à Rome ne fut pas accompagnée de son sacre comme basileus, vu que la puissance du Basileus romain fonctionnait de façon déterminante : « Lorsque Pépin arriva à Rome, ayant l’espoir d’y être sacré basileus, cela ne lui fut pas permis par le pape et les Romains, qui lui dirent qu’ils craignaient que le puissant basileus des Romains ne se tournât pas contre eux. »158 À défaut de le sacrer roi des Romains, le Pape conféra à Pépin le titre de Patrice. La seconde partie de l’épisode se réfère à l’immixtion de Charlemagne et bien sûr à son sacre par Léon III. Le monarque franc se tourna ouvertement « contre les Romains », même si cela ne se fit que sur suggestion du Pape. En retour de sa protection du siège romain, Charlemagne serait cette fois sacré basileus des Romains. C’est justement à ce point que Doxapatrès intercale la concession expressément formulée de la Donatio Constantini : « Et après que tu sois sacré par moi, tu me fais descendre de mon cheval et tu me conduis sauf à mon palais, et tu m’auras, moi et mes successeurs, maîtres Papes, et tu leur attribueras l’honneur requis et ainsi moi, après le sacre je te nommerai basileus. »159 Il apparaît alors, ingénieusement, dans la pensée de

156 Anonymi, 233. « Εἰς χρυσῆν ἀπαλαρέαν γενομένην παρὰ τῇ αὐτοκρατορίσσης κυρᾶς Εἰρήνης » (= Cod. Marc. Gr. f. 109v), ΝΕ 8/2 (1911), p. 152. 157 Doxapatrii, Notitia Patriarchatuum, PG 132, 1112B. 158 Ibid., 1112C. 159 Ibid., 1113AB.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

iii

Doxapatrès, comme si l’acte statutaire de la Donatio Constantini n’était autre que le sacre de Charlemagne à Rome (XII /800) ou mieux la « Donation de Pépin »160, pour compléter avec emphase que cette habitude « se maintint et est maintenue jusqu’à présent »161. Kinnamos ne fut pas aussi discret que Doxapatrès. Dans son Histoire, il inséra un extrait de la vie diplomatique byzantine qui attaquait le texte de la Donatio Constantini et les complications institutionnelles qu’elle entraînait. En l’espèce, les relations des Byzantins avec la Cour germanique n’étaient plus celles de 1142, lors des fiançailles de Manuel Ier avec Berthe – Irène de Sulzbach : L’alliance avait pris fin. Kinnamos entreprit à son tour un rappel historique, similaire à celui de Doxapatrès, mais son développement présentait des caractéristiques radicalement différentes, étant donné que ses priorités obéissaient à des constatations historiques rigoureuses. Il faut rap‐ peler ici que l’extrait en question se réfère à 1162-1164162, un peu avant que le siège romain ne procédât à la béatification de Charlemagne163. Notons que Kinnamos y soulignait l’habitude si dévalorisante pour l’institution impériale, qui voulait que le Basileus fît l’écuyer du Pape, et qui était décrite statutairement dans la Donation. Il est utile de rappeler, en marge de cette critique, les objections de Balsamon : lorsque le Pontife romain, selon Balsamon, s’affublait des regalia impériaux, il se ridiculisait (θεατρίζεται)164, et lorsque le pseudo-basileus constantinien faisait l’écuyer, selon Kinnamos, il mystifiait (διακιβδυλεύεται)165. On constate dès lors que ces deux cas renvoient à une humiliation institutionnelle évidente de deux pouvoirs qui sont intrinsèquement sacrés et distincts166.

160 Voir Nicholas, D., The Evolution of the Medieval World. Society, Government and Thought in Europe, 312-1500, (London & New York : Longman, 1992), p. 186. 161 Doxapatrii, Notitia Patriarchatuum, PG 132, 1113B. 162 « Le passage concerne les années 1162-1164 ; le Constitutum Constantini y est utilisé contre le pape et contre l’idéologie des Hohenstaufen » : Dagron, Empereur et Prêtre…, op. cit., p. 396. 163 Tounta, Le sacrum imperium occidental et l’Empire byzantin…, op. cit., p. 372-375. 164 Balsamon, « Μελέτη χάριν τῶν πατριαρχικῶν προνομίων », in RP, IV, p. 553. 165 Kinnamos, p. 219. 166 « Beaucoup de temps s’est écoulé depuis le temps où le nom de la basileia disparut de Rome, depuis le temps où après Auguste (…) la souveraineté passa à Odoacre et Théodoric, les tyrans et souverains des Goths. Et selon le récit que fait Procope, Théodoric se faisait appeler roi et non basileus. Rome, depuis l’époque de Théodoric et un peu avant jusqu’à nos jours se trouve en état d’occupation. Certes, grâce à Bélisaire et Narsès qui furent des généraux sous Justinien, le basileus des Romains, elle fut reconquise, mais elle s’assujettit à nouveau aux tyrans barbares qui s’appellent rois, après Théodoric, qui fut le premier roi. Et puisque (ceux-ci) sont détachés de la grandeur de la basileia, comment serait-il possible qu’ils mettent en avant des principes qui sont, comme j’ai déjà dit, complètement étrangers à la puissance de celle-ci ? Et comme cela ne leur suffit pas, qu’ils ne participent guère de la grandeur de la basileia, mais ils appellent leur pouvoir empire (ἰμπέριον), en traduisant ainsi ce que nous appelons état (ἄκρατον). Or, même la basileia de Byzance, eux ils osent dire qu’elle est différente de celle de Rome, ce qui, quand j’y pense, j’ai souvent encore les larmes aux yeux. C’est de cette manière alors que l’autorité des Romains fut humiliée par les barbares et des esclaves. Et ainsi elle (Rome) n’a ni évêque et est de surcroît privée d’archonte. Et l’un (il se

161

162

CHAPITRE IV

iv

167 168 169 170

Les derniers extraits proviennent du dialogue de Manuel Ier avec les cardi‐ naux latins, conservé dans le Sacrum Armamentarium d’Andronic Kamatè‐ ros. Le rapprochement diplomatique fut une initiative de Rome qui, selon la déclaration de l’Empereur, demandait par l’intermédiaire de ses légats aux Byzantins d’intervenir militairement et de la défendre (ἐκδίκησιν καὶ δεφένδευσιν)167. Mais d’emblée, la façon dont Manuel Ier traita la question fut particulièrement téméraire. Cette témérité se manifesta tout d’abord en un exposé clair de l’ordo rerum byzantin. L’Empereur commença son discours de façon impressionnante, en évoquant les paroles du Christ : « Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »168 Mais qu’est-ce qui était à César et que les légats latins devraient lui rendre ? Sans doute l’espace occidental, l’espace vital des intérêts du siège romain, qui était servi par des forces distinctes de l’idée de l’Œkoumène romain et de surcroît étrangères aux sources de légitimité que conférait l’institution impériale. Manuel Ier notait à cet égard : « Trouvant (…) que votre dévotion concernant l’auto‐ rité et le pouvoir royal dans l’Ancienne Rome et toute l’Italie fut toujours différente de la nôtre. »169 Cette formulation n’était pas seulement conforme à l’idéal de l’Œkoumène romain, comme ce fut triomphalement formulé dans le texte de l’intitulatio impérial de 1166, mais aussi à l’espace grec élargi, qui comprenait la péninsule italienne et que des hommes des cercles du Palais, par exemple Eustathe de Thessalonique, appelaient avec une grande fierté « grande Grèce »170. Mais de l’autre côté, qu’est-ce qui était à Dieu, que le Pontife romain était appelé à lui rendre ? Sans doute l’union de l’Église, dont Manuel Ier attribuait formellement la séparation à l’Ancienne Rome. Or, même dans ce cas, la responsabilité fondamentale incombait explicitement à lui, l’Empereur romain, en soulignant la concomitance de l’œcuménicité et de l’apostolicité qui distinguait le cœur de son pouvoir :

réfère aux rois occidentaux) intervient dans la grandeur de la basileia et comme il est indigne, il accompagne à pied l’évêque (à savoir le Pape) qui est à cheval en lui procurant ce que fait un écuyer et l’autre (à savoir le Pape) pour ces services nomme le roi empereur (ἰμπεράτορα). Comment est-ce possible braves gens, et sur quoi repose que les basileis des Romains doivent faire les écuyers ? Mais tu l’ignores toi aussi qui fais faussement l’évêque, tandis que l’autre humilie le basileus. Et puisque tu as le courage d’avouer que le trône de Rome n’est pas le trône de Byzance, sur quoi repose le fait que le Pape s’investit de cette dignité ? Un seul instaura tout cela, Constantin, le premier Chrétien parmi les basileis. Et comment se fait-il que d’un côté tu acceptes avec plaisir son don, c’est-à-dire le trône et la supériorité de la dignité, tandis que de l’autre côté tu feins l’ignorant ? Mais à moi il me semble que tu soutiens aussi que tu mets en avant des basileis. Oui, dans la mesure où tu imposes tes mains, dans la mesure où tu consacres, en ce qui concerne, c’est-à-dire les choses spirituelles. Mais non que c’est toi qui confères la basileia en innovant dans la matière (il veut dire dans les traditions de l’État) » : Ibid., p. 218-220. Sacrum Armamentarium, Ι, p. 22-23. Ibid., Ι, p. 22. Voir Matthieu, 22.21. Luc, 20.25. Ibid., p. 22. « Et comme la terre des Italiens avait reçu par le passé beaucoup de Grecs, elle fut appelée Grande Grèce » : Eustathii Thessalonicensis, « IV. Oratio ad Manuelem Imperatorem », in FRB, p. 79.

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

v

« L’union de l’église (…) et la concorde, la sérénité de notre puissance les considérant d’une importance majeure et précieuses, elle désire et a l’intention de les exposer, d’en parler et d’en traiter. » 171 Ces deux volets des initiatives de l’Empereur n’étaient considérés que comme des fonctions fon‐ damentales de sa puissance institutionnelle. Tant au niveau de l’institution que des fonctions, c’était Dieu qui lui concédait cette puissance172. L’extrait suivant, provenant aussi du même dialogue, présente la probléma‐ tique tant du point de vue des Byzantins que des Latins. L’articulation du dialogue confirme l’hypothèse initialement avancée, que les points de départ des deux côtés furent complètement différents, c’est pourquoi les opinions se développaient dans un environnement de présupposés hermé‐ neutiques qui ne sauraient se rencontrer. Dans le fond, l’argumentation de Manuel Ier était plus puissante et assurément plus conséquente que celle des légats du Pape : le thème de la primauté pontificale se posait en termes strictement politiques. Or, l’Empereur se trompait en insistant sur la question de l’interprétation du filioque. Mais pourquoi sa position pourrait être qualifiée d’erreur ? Manuel Ier reconnaissait les caractéristiques explicitement politiques de la problématique, parce que c’était, tout d’abord, ainsi, qu’elles se posaient en raison de la mission diplomatique papale. Par conséquent, lorsque les légats défendaient la primauté de Rome, le Basileus leur opposait énergiquement l’interprétation selon la postériorité (κατὰ τὸ μετάχρονον). Il semblait douter du fait que Rome pût effectivement avoir la primauté, tout en doutant aussi de Constantinople, suivant le raisonnement selon lequel la primauté du siège ecclésiastique accompagnait la ville où était installée l’autorité impériale173. Les légats estimaient qu’il n’y avait aucune possibilité de dialogue, puisque l’Empereur affirmait d’emblée caté‐ goriquement et sans ambages son opposition à la primauté de Rome174. Mais Manuel Ier transposait la question de l’environnement politique à l’en‐ vironnement théologique, ce qui aurait pu être effectivement ingénieux, s’il avait réussi à discerner dans la problématique du filioque la problématique politique, comme par exemple la discernait Zonaras dans le cas de l’arianis‐ me eusébien modéré. Or l’Empereur se livrait à un dialogue théologique sincèrement fervent, rappelant la mémoire des dialogues de la querelle christologique de 1166, en actualisant les réserves de Nicètas Choniatès relativement à la question de savoir si l’Empereur devait s’immiscer dans les affaires de l’Église et traiter des sujets dogmatiques. Ainsi, en s’empressant

171 Sacrum Armamentarium, Ι, p. 23. 172 « Et comme la gouvernance temporelle qui lui fit à juste titre confiée par Dieu exigeait beaucoup de sagesse et d’effort, ce qui l’empêchait d’achever son œuvre épuisante, il en confia la charge à nous, qui sommes censés nous occuper des lettres » : Ibid., p. 19. 173 Voir Basdevant-Gaudemet, Br., « Évêques de la chrétienté et évêque de Rome du milieu du iiie au milieu du ve siècle », in Bontems, Cl. (éd.), Nonagesimo anno. Mélanges à Jean Gaudemet, (Paris : PUF, 1999), p. 23-54. 174 Sacrum Armamentarium, Ι, p. 29.

163

164

CHAPITRE IV

de s’introduire dans l’environnement du dogme, il cédait du terrain au dynamisme herméneutique des légats papaux, en négligeant le plus impor‐ tant des paramètres : Justement parce qu’il était impossible que la papauté étayât la supériorité de ses préséances sur des fondements politiques, elle cherchait à recourir aux fondements théologiques175. À ce stade, le réservoir idéologique de la papauté s’appropriait des charges d’une telle intensité, aux dimensions de la plenitudo potestatis176, que Byzance se trouvait de fait dans l’impossibilité d’appréhender, surtout parce qu’elles étaient au-delà de ses capacités herméneutiques historiques. Manuel Ier souligna à juste titre sa fidélité immuable aux termes de la tradition, mais de l’autre côté il n’arriva pas à s’adapter aux conditions existantes, qui évoquaient des critères que l’Occident avait déjà surpassés177. En tout état de cause, le long extrait qui figure en note de bas de page, ne souligne pas seulement la dynamique de la tradition politique romaine, mais aussi le romantisme pudique de Byzance à l’égard d’un monde qui, fût-ce au niveau de son existence étatique, péricli‐ tait quelques années seulement avant les événements de la ive Croisade, peu de temps avant les impasses du Synode Ferrare – Florence178.

175 Voir Robinson, I. S., « Pericolosus homo : Pope Gregory VII and episcopal authority », Viator 9 (1978), p. 118-119. 176 Voir Pennington, Pope and Bishops…, op. cit., p. 43-74. Benson, R. L., « Plenitudo Potestatis : Evolution of a formula from Gregory IV to Gratian », Studia Gratiana 14 (1967), p. 196-217. Basdevant – Gaudemet, Br., Église et Autorités. Études d’histoire de droit canonique médiéval (coll. Cahiers de l’Institut d’Anthropologie Juridique 14), (Limoges, Faculté de Droit et des Sciences économiques : Pulim, 2006), p. 75-81. 177 Voir Nicol, D. M., « Byzantium and the papacy in the eleventh century », JEH 13 (1962), p. 1-20. Tuilier, A., « Michel VII et le pape Grégoire VII : Byzance et la réforme grégorienne », in XV Congrès international…, op. cit., p. 350-364. Hoffman, G., « Papst Gregor VII. Und die christliche Osten », Studi Gregoriani 1 (1947), p. 169-181. 178 – Cardinaux : Puisque la sainte église des Romains détient la primauté et est et est appelée mère de toutes les églises, comme son premier pasteur a été le grand et premier apôtre Pierre, et puisque l’église des Constantinopolitains est certes la deuxième en rang et sa fille, comment cela a-t-il été possible que la fille se soit arbitrairement séparée de sa mère ? – Basileus : Si vous désirez m’écouter avec une disposition de gratitude, ce que vous avancez, que la primauté reviendrait au premier des apôtres Pierre, vous le rencontrerez être couronné (comme argument) dans le sens inverse. Premièrement parce que (Pierre) comme le didascale de l’œkoumène qu’il fut, commença sa prédication depuis la Judée et finit le chemin de sa mission à Rome, et malgré tout cela, par ce que vous dites, vous soutenez qu’il (Pierre) fut didascale seulement à Rome ; et à côté de cela, même la promesse que le Sauveur lui fit et qui concernait globalement tous ceux qui ont cru et croient, comme cette promesse est interprétée par les saints pères, vous vous la déformez et la violez en l’interprétant mal, affirmant qu’elle ne se réfère qu’à Rome ; et comme il en est ainsi, la phrase « seulement à Rome » (fut donnée la promesse) y est de toute façon absente, sans que chaque église de fidèles puisse s’approprier le Sauveur et son édification (de l’Eglise), il est affirmé avec ferveur qu’elle signifie l’enseignement de Pierre. Parce que telle est l’honneur que ceux qui croient à tout cela et le répètent, attribuent au premier des apôtres, que nous devons réfléchir à votre prudence et sagesse. Puis, si selon vous l’église des Romains est et est appelée la première et mère de toutes les églises à cause du premier des apôtres Paul, à savoir parce que celui fut son pasteur, cela est à plus forte raison valable pour Antioche, car parmi les autres villes de la Coelé Syrie il se fait qu’elle est

ŒCUMÉNICITÉ ECCLÉSIASTIQUE – ŒCUMÉNICITÉ POLITIQUE

L’acte suivant les entretiens bilatéraux plaça l’Empereur face à la réalité du filioque. Kamatèros présente les légats pontificaux humiliés par l’excellence théo‐ logique de Manuel Ier, parsemant les apostrophes de leurs discours de topoi encomiastiques hagiographiques179. Son enthousiasme byzantin débridé l’incita à construire entre le Basileus et les cardinaux une relation spirituelle analogue à celle du Christ et des apôtres. L’Empereur exigeait ainsi leur obéissance, tout en encourageant en même temps leur zèle missionnaire : « Tendez votre oreille aux paroles qui sortent de ma bouche ; et étant pleins de sagesse, cheminez en guidant. »180 L’image de l’évangéliste Jean est rappelée de l’arsenal de l’antipropa‐ gande byzantine, en signalant son utilisation ultérieure élargie pour illustrer la primauté de l’apostolicité du trône de Constantinople venant de Jean181. Or en l’espèce, Kamatèros s’empressait de rencontrer l’image du Basileus dans l’image de Jean : « À l’instar du fils du tonnerre, souvent il tonna lui aussi des dogmes de théologie et d’orthodoxie. »182 Il apparaît que tout ce qui vient d’être exposé plus haut décrit de façon satisfai‐ sante les limites syllogistiques, mais surtout les limites politiques et religieuses de Kamatèros et des hommes de son époque et de son environnement. Or dans le fond et de façon concluante pour les Latins, l’Empire de la Nouvelle Rome exprimera les points de vue « selon les Grecs » (κατὰ τοὺς Γραικοὺς)183, tandis que les Byzantins verront chez les Latins ceux qui « plus que les autres nations, se targuent de leur prétendues éloquence et sagesse »184.

179 180 181 182 183 184

supérieure et première, comme elle suivit docilement l’enseignement et accueillit la prédication du premier des apôtres (Pierre) avec gratitude, puisqu’elle a chaleureusement accepté que ses habitants soient appelés les premier Chrétiens, c’est pourquoi qu’elle s’est exceptionnellement enrichie de la dénomination de ville de dieu ; et de l’autre côté, la sainte église de Jérusalem qui a eu le bonheur d’avoir eu comme grand et premier archiprêtre le grand et premier archiprêtre le chef de notre salut le seigneur Jésus-Christ, comme il y a prêché et enseigné la parole de la vérité et s’offrit de son gré comme victime à sacrifier ; de cette manière elle a pris le nom de mère de toutes les église. Si alors vous ne pensez et ne dites pas cela, nous concluons que vous considérez comme supérieur le serviteur au seigneur et à celui qui envoie l’apôtre, en étant contraires à l’enseignement remis par le Christ. Mais nous apprenons à présent que ce n’était pas pour cette raison, mais pour l’honneur qu’elle reçut par la basileia et la monarchie, qui agrémentait bien sûr l’ancienne Rome même avant la prédication des apôtres, qui avait la souveraineté de tout l’œkoumène, que Rome a la primauté par rapport aux autres églises grâce à toutes ces choses si claires ; après la prédication certes la basileia (le pouvoir impérial) a rendu hommage à son clergé (il se réfère à l’Eglise de Rome), en la gratifiant de la présidence de toutes les autres églises ; nous connaissons de plus qu’elle a reçu un plus grand et généreux don par Constantin le Grand, laquelle nous connaissons par son édit promulgué, lorsqu’il a transféré par celui-ci les insignes de sa basileia à cette mégalopole (grande cité), en lui conférant l’honneur de porter son nom et l’a récompensée d’être appelée reine des villes » : Sacrum Armamentarium, Ι, p. 26-29. Ibid., p. 41, 45-49, 51-52, 57-63, 68, 77. Ibid., p. 63. Voir Phidas, Histoire Ecclésiastique…, I, op. cit, p. 840-848. Sacrum Armamentarium, Ι, p. 17.35-37. Voir Ibid., p. 37, 44, 79. Ibid., p. 42. Ibid., p. 218.

165

CHAPITRE V

L’idéal de la « synallélie réelle » entre l’État et l’Église

L’Empereur comme Réformateur de l’Église La Novelle de 1158 ut rescripta contra jus elicita irrita sint1

La Novelle de 1158 constitue une étape significative entre les deux différentes périodes de la politique ecclésiastique de Manuel Ier. La première est caractérisée par des prestations généreuses envers l’Église, tandis que la seconde reflète une attitude plutôt négative, une tendance à limiter son rôle économique qui s’était rapidement renforcé2. À notre avis, la Novelle en question ne visait pas à une dévalorisation préméditée du prestige ecclésiastique, mais plutôt à la mise en évi‐ dence d’un certain nombre de priorités étatiques fondamentales. C’est d’elles que résultaient aussi les limitations, qui nourrissaient, semble-t-il, un environnement antinomique alimenté par des conflits de coulisses. Paradoxalement, la Novelle de 1158 constitue une acceptation impériale expli‐ cite du fait que, dans un passé récent, l’Empereur avait agi à l’encontre des intérêts de l’État et de la force des lois. À plus forte raison, cette Novelle est appelée à limiter l’arbitraire impérial : « Par ce chrysobulle il est ordonné que si au cours de mon règne, j’ordonne, moi personnellement, quelque chose, soit oralement, soit par écrit, qui s’oppose au droit et à la clarté des lois, cet ordre devra être considéré invalide et ne jamais être appliqué. »3 Cette limitation place le pouvoir législatif au-dessus de l’infaillibilité impériale politique sacrée4, chose qui ne se produit pas arbitrairement mais justement parce que, dans le préambule de cette Novelle, le Basileus classait la Justice comme la première qualité de la divinité. Il est difficile de se rallier à l’opinion selon laquelle la Novelle de 1158 indique une dévalorisation de la dévotion en faveur de la justice5. C’est plutôt du contraire dont il s’agit : c’est parce que le Basileus est dévot, c’est-à-dire parce qu’il se soumet à la Loi sacrée et qu’il la respecte, qu’il est juste. La dévotion et la justice sont des parties indissociables du pouvoir du Basileus.

1 Manuelis, Nov. LXIII. Contra jus elicita, op. cit., p. 385-387. Voir Macrides, « Justice under Manuel I Komnenos… », art. cit., p. 118-121, 168-172. 2 Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 468. 3 Ibid. 4 Voir B. II.6.9-10 = C. I.14.4-5. 5 Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 459.

168

CHAPITRE V

Les prolongements objectifs de cette conception conduisent à la suppression d’une partie considérable des privilèges qui avaient été concédés à des monastè‐ res, fondations de bienfaisance et à des églises par des Novelles de toutes les an‐ nées précédentes6. Mais en substance, l’exécution de cet ordre semble concerner la fin de ces mesures favorables, c’est-à-dire la fin, pour une durée indéterminée, d’un traitement favorable des entités en question. L’argument du conflit entre des décisions impériales et les lois civiles est bien réaliste, puisque Manuel Ier, dans une Novelle antérieure à 1158 reconnaissait la suprématie juridique des intérêts ecclésiastiques et monastiques, même lorsque ceux-ci s’opposaient aux intérêts de l’État : les juges étaient tenus de toujours satisfaire les réclamations de l’Église7. Or une autre Novelle, de 1159, montre que les choses n’étaient pas si claires. Selon le législateur, il était formellement interdit à ceux qui détenaient des biens immobiliers grâce à des dons du basileus de les céder à d’autres personnes, en dehors de membres du Sénat et de militaires en exercice. Cette exception est justifiée par le fait que cette cession était considérée comme une restitution indirecte des dits biens à l’État8. Il est probable que la générosité des concessions impériales ait pu conduire à un régime d’excès, de litiges et d’actions arbitraires qui sapaient la légalité et la justice. On y discernait certainement un recul des intérêts de l’État au profit de la puissance des particuliers. La volonté du Basileus d’endiguer cette évolution est perceptible dans le caractère très descriptif de la dénommée « contre-ordonnance de 1158 ». L’obscurité des formulations favorisaient l’application d’une série de contre-mesures qui pouvaient être exécutées de façon horizontale. Des positions similaires seraient-elles simplement dues à la confiance en soi de Michel Ier et à sa stabilité politique ? Des considérations psychologiques de ce genre éclipsent le fait que l’Empereur atténua en 1158 par la loi son éventuelle intention de nuire par ses choix aux intérêts de l’État. Au contraire, son intention plaide sans réserve en faveur du fait qu’il désirait consolider les termes d’un État de droit. De fait, on peut se demander si ces mesures exprimaient son attitude à l’égard de l’Église, puisque ce n’était pas l’Église qui jugerait ses vertus. L’enjeu est de savoir quelles étaient les modalités et les conditions que ces mesures créaient pour une reconstitution et un 6 i. Manuelis Comneni, Νοv. LIII. Aurea bulla de instrumentis monasteriorum (a. 1146), in JGR, I, p. 367. Regesten, II, n. 1347 (1146), p. 64-65. Balsamon, « Commentaire au Canon 12 du 7e Concile de Nicée », in RP, II, p. 598 ; ii. Manuelis Comneni, Nov. LVI. Aurea bulla de instrumentis ecclesiarum, in JGR, I, p. 376-378. Regesten, II, n. 1372 (1148), p. 67 ; Balsamon, « Commentaire au Canon 12 du 7e Concile de Nicée », in RP, II, p. 608-611 ; iii. Manuelis Comneni, Nov. LVIII. Aurea bulla de possessionibus magnae ecclesiae (a. 1153), in JGR, I, p. 378-381 ; Regesten, II, n. 1390 (1153), p. 69-70. Balsamon, « Commentaire au Canon 12 du 7e Concile de Nicée », in RP, II, p. 605-608 ; iv. Manuelis Comneni, Nov. LXI. Aurea bulla de possessionibus monasterium (a. 1158), p. 381-385 ; Regesten, II, n. 1419 (1158), p. 73 ; Balsamon, « Commentaire au Canon 12 du 7e Concile de Nicée », in RP, II, p. 598-603. 7 Manuelis, Nov. LXI. De possessionibus monasterium, op. cit., p. 381-385. 8 Manuelis Comneni, Nov. LXIV. Ut immobilia ab imperatore donata dumtaxat ad hos, qui in dignitate constituti sunt, transmittantur (a. 1144 vel. 1159), in JGR, I, p. 387. Voir Svoronos, « Les Privilèges de l’Église à l’Époque des Comnènes… », art. cit., p. 325-327.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

fonctionnement dynamique de l’appareil étatique. Par conséquent, les limitations posées par la Novelle de 1158 ne signifiaient pas une dévalorisation de l’Église, mais plutôt une réparation des inégalités économiques et sociales, qui devenaient énormes à cause des règlementations législatives arbitraires antérieures. La Novelle de 1166 de diebus feriatis9

La Novelle en question contribue de façon décisive à la philologie relative au changement de politique ecclésiastique de Manuel Ier. En effet, même si elle concerne à première vue la réforme de la Justice, cette question procède d’une problématique profondément ecclésiastique, qui tient constamment compte de la tradition législative antérieure10. Plus précisément, elle concerne la coexistence même de l’Église et de l’État dans des structures relativement indépendantes qui permettent le bon fonctionnement de l’État. L’élaboration de cette Novelle a été suscitée par la division des jours en jours ouvrés (ἔμπρακτοι) et jours chômés (ἄπρακτοι)11. Cette division est soumise aux priorités religieuses de la société : c’est l’importance de la fête religieuse qui règle l’ordre de l’espace public, et dès lors les jours se distinguent en ouvrés et fériés. Sur un deuxième niveau, cela règle aussi les jours de travail du secteur public. En l’espèce, le législateur limite ses mesures aux jours ouvrables ou non des tribunaux12. La formulation des arguments impériaux est analogue aux points de vue sur la justice et la dévotion, en visant la description des priorités de l’État. Conformément à la Novelle en question, la dévotion constitue un prétexte pour ne pas rendre la justice, comme les jours chômés des fêtes religieuses favorisent les atermoiements de l’injustice. Mais si Dieu se réjouit de l’adoration des hommes, il aime à plus forte raison la justice, puisque c’est uniquement lui qui est le véritablement juste. En dénommant alors fériés certains jours, sur la base de motifs pharisiens, les hommes ne font rien d’autre que couvrir le péché, en évitant l’administration de la justice. La pression que Manuel Ier exerce sur le déroulement du cérémonial ecclésiastique devient insoutenable : même le Christ soignait les malades le samedi – à savoir, travaillait-, malgré le réquisitoire dévot que les Pharisiens ont proféré contre lui. À plus forte raison, il peut être unanimement admis que Dieu accomplit des miracles tous les jours. Cela ne signifie pas pour autant que l’État cessera de fonctionner ou qu’il plongera dans l’inaction pour que les miracles divins soient incessamment loués. Plus loin, l’inversion des arguments du Basileus devient inspirée. En utilisant comme argument les psychologismes de

9 Manuelis, Nov. LXVII. De diebus feriatis, op. cit., p. 397-402. Regesten, ΙΙ, n. 1466 (ΙΙΙ/1166), p. 79. Voir Macrides, « Justice under Manuel I Komnenos… », art. cit., p. 140-155, 182-190. 10 Voir Léon VI, Nov. LIV, Ut dominicis diebus omnes ab operibus vacant, in JGR, I, p. 123-124. B. VII.17.19 = C. III.12.2. B. VII.17.23 = C. III.12.6. 11 Voir Ellul, Histoire des institutions. L’Antiquité…, op. cit., p. 239. 12 Voir Troïanos, Sp., « Les jours chômés dans les tribunaux byzantins », Diki 33/2 (2002), p. 202-229.

169

170

CHAPITRE V

la dévotion, elle les remodèle en des propositions dévotionnelles objectives, en ébranlant les contre-arguments éventuels : pendant que les tribunaux chôment et que des affaires restent pendantes, il y a des hommes qui bien qu’innocents, évitent de recevoir les Saints Sacrements en raison de leur sincère dévotion et se privent ainsi injustement de leur participation au salut. Il en existe en revanche d’autres qui bien que coupables, continuent de communier librement, en se moquant de Dieu. En l’occurrence, toute l’argumentation de Manuel Ier se tourne contre le piétisme qui conduit à une inaction sociale. Il note que les nations barbares « qui n’ont pas de lois écrites », rien que par respect du droit naturel, veillent à juger rapidement leurs affaires. Il considère inconvenant que la justice ne soit pas administrée, tandis que l’Église célèbre les vertueux saints, et que les citoyens se confinent à un orgueil nombriliste pour accomplir leurs devoirs religieux. L’argumentation se résume en la dynamique du verset paulien : il ne faudrait pas que sous prétexte des fêtes de Dieu, nous restions indifférents à l’égard de ceux qui ont été victimes d’injustice, afin que le bien ne devienne pas le motif de créer la mort13. Tout ce qui vient d’être évoqué conduit l’Empereur à réduire le nombre des jours chômés, pour que les tribunaux jugent plus rapidement les affaires pendan‐ tes. Discernant une réaction sous-jacente, il recommande aux juges avec une discrète ironie que si leur dévotion le leur impose, ils peuvent juger après avoir assisté à la messe. D’ailleurs assister à la messe n’annule pas leurs responsabilités envers l’État. Or, même lorsqu’il définit les jours chômés, il n’hésite pas à affirmer que si cela est jugé nécessaire, le jugement extraordinaire d’affaires est permis même pendant ceux-ci14. En objectivant la rhétorique impériale, une cible pragmatiste apparaît, qui pré‐ dispose à une reconstitution fonctionnelle de l’État et en souligne les pathogénies intrinsèques. En mesurant les jours ouvrés et les jours chômés, l’aspect le plus évasif de la singularité byzantine se met en relief : la société et en particulier les institutions étaient ancrées dans les principes d’un calendrier religieux immuable. Il se peut que la société tourbillonnât autour du temps sotériologique, mais politiquement elle s’engouffrait dans l’inertie. Pour comprendre l’inquiétude de Manuel Ier, il suffit de recourir à la puissance des chiffres : avant la Novelle de 1166, il y a 100 jours officiellement chômés15 qui, ajoutés aux 52 dimanches, atteignent le nombre de 152 jours « totalement chômés »16. Par la réforme de 1166, 29 de ces 143 jours sont qualifiés ouvrés et ainsi le juge byzantin exerçait 13 14 15 16

Voir Romains, 7.13. Manuelis, Nov. LXVII. De diebus feriatis, op. cit., p. 400. Voir B. VII.17.1 = D. II.12.1 et passim. Restaient chômés les jours suivants : Septembre : 8, 14, 26 ; Octobre : 6, 9, 10 ; Novembre : 13, 14, 16, 21, 30 ; Décembre : 9 et du 20 jusqu’au 6/1 ; Janvier : 14, 25 ; Février : 2, 3 ; Mars : 25 et du samedi de Lazare jusqu’au dimanche de Thomas ; Avril : 25, 30 ; Mai : 8, 10, 21, 26 ; Juin : 11, 19, 24, 29, 30 ; Juillet : 25 ; Août : 6, 9, 15, 20, 24, 29. Étaient aussi chômées les fêtes mobiles de l’Ascension et les mi-carêmes et la mi-Pentecôte, ainsi que Lundi de Pentecôte.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

ses fonctions approximativement un mois de plus qu’auparavant, c’est-à-dire 241 jours par an17. Mais, même ainsi, il pouvait pendant 124 jours s’acquitter correcte‐ ment de ses obligations cultuelles. Aussi important fut aussi le geste de Manuel Ier de ne plus considérer comme jours chômés l’anniversaire de son couronnement et de sa naissance18, en soulignant, fût-ce symboliquement, que l’intérêt de l’État était au-dessus des schémas établis19. Selon ses propres propos, l’Empereur espérait qu’il trouverait pour ces déci‐ sions un allié tant en la personne du Patriarche qu’au Synode. Mais dans tous les cas, il était certain qu’il satisfaisait ainsi Dieu : « je suis convaincu que ma loi trouve un ami en Dieu, car en mettant en épreuve les Pharisiens, Jésus plaça la justice au-dessus de la miséricorde »20. Invoquer le consentement synodal dissimule probablement une crise sous-ja‐ cente. De fait, la Novelle de 1166 constituait une loi particulière. Mais la prise en considération des données historiques permet de constater que le texte est composé à la période où le Synode patriarcal encense le Basileus dans les Pro‐ cès-Verbaux de 1166. D’une certaine manière, il est question d’un renforcement bilatéral de l’image impériale du monarque juste et dévot. Or paradoxalement, Manuel Ier semble « saper » ses obligations idéologiques : de fait, parmi les jours chômés déqualifiés et considérés dorénavant comme des jours ouvrés, figurent toutes les fêtes des saints militaires et notamment des pénates et protecteurs de la dynastie comnéniennes. Toutefois, cette concession n’implique pas un abandon des symboles, mais plutôt la priorité donnée aux intérêts publics. Par conséquent, l’attitude du Basileus ne se caractérise pas par une intention d’intervenir dans des affaires à caractère strictement ecclésiastique, mais plutôt par son désir de renforcer l’État. La Novelle de 1166 de Homicidis21

Cette loi concerne l’environnement juridique sur l’homicide et l’asile, l’éva‐ luation et la redéfinition de ses cadres22. La problématique du texte résulte de l’habitude qu’ont les meurtriers de recourir à l’autorité judiciaire du Protekdikos de la Grande Église pour bénéficier d’un jugement favorable, ce qui bien sûr aurait

17 Jours entièrement chômés, qui ont été qualifiés d’ouvrés en 1166 : Septembre : 6 ; Octobre : 23, 26 ; Novembre : 1, 8, 28 ; Décembre : 4, 6 ; Janvier : 10, 16, 19, 27 ; Février : 7, 17 ; Mars : 9 ; Avril : 23 ; Mai : 2 ; Juin : 8, 9, 27 ; Juillet : 1, 2, 8, 11, 20, 27 ; Août : 31. 18 Voir Synopsis Minor, p. 357[με´]-358[μζ´]. 19 Voir Angold, M., « The Date of the Synopsis Minor of the Basilics », BMGS 4 (1978), p. 1-7. Koukoulès, Vie et Civilisation byzantines…, II/1, op. cit., p. 35-36, 39-49. 20 Manuelis, Nov. LXVII. De diebus feriatis, op. cit., p. 402. 21 Manuelis Comneni, Nov. LXVIII. De homicidis (a. 1166), in JGR, I, p. 403-408. Regesten, II, n. 1467 (1166), p. 79. Voir Macrides, « Justice under Manuel I Komnenos… », art. cit., p. 156-167, 190-204. Idem., « Killing and the Law in Byzantium… », art. cit., p. 512-514. 22 Voir Troïanos, Sp., « Der Teufel im orthodoxen Kirchenrecht », BZ 90 (1997), p. 97-111.

171

172

CHAPITRE V

été impossible si l’affaire avait été jugée par les tribunaux civils ordinaires23. Selon Balsamon, ce fut le cas d’un soldat qui avait avoué être coupable d’homicide qui souleva la question24. Cette affaire non seulement ne fut pas déférée aux tribunaux civils, mais l’évêque qui la jugea acquitta le soldat, après lui avoir infligé une légère pénitence ecclésiastique. L’Empereur, en prenant connaissance des faits, ordonna l’examen synodal immédiat de la question. Le Synode infligea finalement la pénitence d’une suspense annuelle à l’hiérarque en question25. Le législateur, en suivant la tradition chrétienne, attribue l’origine du mal commis au diable. Le schéma archétypique de l’apostasie luciférienne devient la matrice de tous les maux que la volonté humaine élabore26. L’idée du mal n’est pas inhérente à la nature humaine, mais elle l’envahit par le biais des menaces du diable. Le fratricide Caïn commet un meurtre fondateur, par lequel se trans‐ mettent l’acte et la figure sacrilège du bourreau. Mais puisque le mal ne réside pas intrinsèquement en la nature humaine, mais est semé par le diable, le crime doit être envisagé sous l’angle pénal autant que spirituel. Mais il semble qu’une suspicion est sous-jacente dans l’argumentation impériale : serait-il finalement impossible d’affronter la cruauté du mal, à savoir la cruauté de l’homme envers son semblable, uniquement par des moyens spirituels ? Bien que la question ne soit pas explicitement posée, l’articulation du texte permet sa formulation claire. C’est du moins ce que sous-entend le renvoi de Manuel Ier à la législation justinienne, selon laquelle le meurtrier comme impur ne doit pas s’approcher de l’enceinte des églises ni y chercher refuge en suppliant et en invoquant l’asile sacré27. Cette argumentation est corroborée par le renvoi à une série de dispositions analogues de l’Ancien Testament28. Mais la problémati‐ que autour de la nature du mal qui incite les hommes à commettre des crimes atroces est condensée dans une phrase : « je prends connaissance de mauvaises nouvelles (…) quand j’apprends que tous les jours sur toute l’étendue du territoire romain des meurtres son commis sans aucune crainte. Et quand ma seigneurie songe que dans des nations qui ne sont pas soumises à la loi divine et où il n’existe pas non plus la menace de l’horrible enfer futur pour empêcher que le mal ne soit pas commis parmi les hommes, de tels crimes sont rarement osés et seulement sporadiquement, alors combien de tristesse n’envahit pas ma seigneurie (…) Mais ce qui m’attriste particulièrement, c’est la lenteur des hommes à administrer la justice et leur totale indifférence pour le bien et la vertu. »29

23 24 25 26 27 28 29

Voir Darrouzès, Offikia…, op. cit., p. 327-329. Balsamon, « Commentaire du Canon 74 de Saint Basile », in PR, IV, p. 236-238. Regestes, III, n. 1071 (1166), p. 124-125. Manuelis, Nov. LXVIII. De homicidis, op. cit., p. 403. Imp. Iustinianus, Nov. XVII.VII.23-32, in C.I.C., III, p. 121. Exode, 21.12,14. Deutéronome, 19.12-13. Manuelis, Nov. LXVIII. De homicidis, op. cit., p. 405-406.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

En l’occurrence, le législateur recourt à une Novelle de Constantin VII le Porphyrogénète30, en vertu de laquelle pour les cas d’homicide volontaire, c’est la peine de l’ἀειφυγία qui était appliquée, à la condition que les meurtriers ne retournent pas dans la région où le crime a été commis, tandis que les meurtres avec préméditation étaient punis de l’exil permanent, la tonsure monacale et l’enfermement dans un monastère31. Selon Manuel Ier, la disposition relative aux meurtres avec préméditation fut très mal interprétée, entrainant la complète dévalorisation des lois civiles en faveur d’une pénitence ecclésiastique spirituelle légère. Le prétexte du pardon spirituel des antécédents et de l’assignation dans un monastère avait permis l’acquittement de personnes qui avaient perpétré des dizaines de meurtres. Mais l’idée qu’une telle Église tendait à évoluer vers une Église de criminels reste-t-elle pertinente ? La réponse de la Novelle de 1166 est catégoriquement négative. L’Empereur attribue la principale responsabilité des interprétations erronées de la loi et de l’immixtion problématique de l’Église aux dignitaires impériaux eux-mêmes : « Autrefois, ceux qui étaient envoyés dans les thèmes, qu’ils fussent des agents civils ou militaires, si quelqu’un osait y commettre un meurtre, ils collaboraient tous ensemble pour que celui-ci fût arrêté et que ce qui était prévu par les dispositions de la loi fût respecté et qu’au travers de la punition les intentions de ceux qui envisageaient des crimes similaires fussent enrayées. Or actuellement les dignitaires des thèmes, comme ma seigneurie le sait, en ignorant complètement le bien qui prédispose au salut des hommes, ne privilégient qu’un seul but par leurs actes, l’argent, l’escroquerie, la recherche même de la petite monnaie et lorsqu’un homicide est commis dans leur province, non seulement ils ne cherchent pas à trouver ceux qui ont perpétré un tel mal, mais pire que cela, certains (archontes) cachent et protègent ceux qu’eux-mêmes ont arrêtés et les envoient de façon frauduleuse à la grande église. »32 Ce mécanisme est clair : beaucoup de criminels donnaient de l’argent aux dignitaires locaux, afin qu’ils ne soient pas déférés après leur arrestation aux tribunaux civils de la Capitale, mais à l’Ekdikeio de la Grande Église, où ils allaient bénéficier de l’indulgence des pénitences canoniques. Manuel Ier avoue ignorer dans ce cas le mécanisme et les critères du jugement de l’Ekdikeio patriarcal, comme il ne connaît pas non plus quelle est l’issue d’affaires de ce genre. Il reconnait toutefois que dans bon nombre de cas les tribunaux ecclésiastiques infligeaient des pénitences très indulgentes au coupable et après lui avoir concédé

30 Ibid., p. 404. 31 Constantini Porphyrogeniti, Nov. XI. De homicidis et jure asyli secunda, in JGR, I, p. 232-235. Regesten, I, n. 87 [s. d.], p. 87. Synopsis Minor, p. 540-541[κη´+κθ´]. Prochiron Auctum, p. 309-311[§§ 241-249]. Voir Macrides, « Killing and the Law in Byzantium… », art. cit., p. 510-512. 32 Manuelis, Nov. LXVIII. De homicidis, op. cit., p. 405.

173

174

CHAPITRE V

la « lettre de sympathie », ils lui permettaient de rentrer sans problème chez lui33. De fait, la souplesse du caractère de la tradition législative antérieure devait se voir remplacer par un cadre législatif plus objectif qui ne dévaloriserait pas la loi civile et l’Église et qui créerait les conditions pour la constitution d’un mécanisme d’État plus juste et d’une société certainement plus sécurisée. Schématiquement, la réglementation législative de 1166 contient les disposi‐ tions suivantes : i Les officiers locaux sont tenus de transférer les prévenus immédiatement à la Capitale pour qu’ils y soient régulièrement jugés. Au cas où ils auraient cherché recours auprès de la Grande Église avant le jugement civil de leur cause, alors le Protékdikos devait infliger les pénitences canoniques corres‐ pondantes et les livrer ensuite aux tribunaux civils. Les organes judiciaires du Patriarcat étaient tenus de faire preuve de sévérité à l’égard du prévenu, en relativisant le terme de philanthropie face à des crimes comme l’homici‐ de. ii En s’opposant à la Novelle de Constantin VII, Manuel Ier abolit la disposi‐ tion en vertu de laquelle les auteurs de meurtres avec préméditation étaient condamnés à l’ἀειφυγία, la tonsure monacale et l’enfermement monasti‐ que34. Il considère cette disposition comme étant clairement incompatible avec les lois spirituelles, étant donné que l’état monacal ne saurait pas être infligé comme peine à quelqu’un qui avait taché ses mains du sang de son semblable. Une telle tonsure conduisait à la dérision du saint état monacal, que l’Église ne devait conférer qu’à des hommes vertueux, consacrés au sincère repentir. En revanche, le Basileus, en épuisant la sévérité de l’État, proposait la peine de la réclusion à vie pour les meurtriers. Une fois cette peine prononcée, elle ne pouvait être ni annulée ni commuée, même si c’était l’Empereur lui-même qui édictait une décision d’acquittement. Mais de l’autre côté, une formulation similaire n’impliquait pas que le législateur soit indifférent à la disposition spirituelle des prévenus ou des condamnés. Il était ainsi prévu que si quelqu’un avait été condamné pour meurtre avec préméditation et souhaitait sincèrement prendre l’habit de moine, il pouvait se faire tonsurer après un examen sévère, mais en demeurant reclus à vie dans le monastère de son repentir, qui ne devait pas certes se trouver au lieu où le crime avait été commis. Cette réglementation permettait l’application

33 Regestes, III, n. 894 (1064-1067), p. 20-21. Macrides, « Killing and the Law in Byzantium… », art. cit., p. 516-536. 34 Voir B. III.1.4 = C. I.4.23. Ecl. B. 3.1.4, p. 156. Sur les monastères comme lieux d’enfermement Voir Hilner, J., « Monastic Imprisonment in Justinian’s Novels », Journal of Early Christian Studies 15 (2007), p. 205-237. Idem., « Gregory the Great’s ‘Prisons’ Monastic Confinement in Early Byzantine Italy », Journal of Early Christian Studies 19 (2011), p. 433-471. Troianos, Sp., La procédure ecclésiastique jusqu’à la mort de Justinien, Athènes 1964, p. 68. Pour les prisons Voir Bourdara, C., « Les prisons byzantines », in Troïanos, Sp. (éd.), Crime et Châtiment à Byzance, (Athènes : Fondation Goulandris Horn, 2001), p. 317-336.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

de la réclusion à vie aussi bien que de l’exil permanent (deportatio), en ne gardant comme option personnelle que le choix de la tonsure monacale. iii D’ordinaire ceux qui avaient recours à l’Ekdikeio faisaient le récit de leurs crimes comme ils le voulaient, afin de bénéficier d’une pénitence moins sévère. C’est pour cette raison que Manuel Ier « priait » le Patriarche d’envoyer à l’Évêque et au clergé local de la province où le crime avait été commis, avant de statuer définitivement sur une affaire, une lettre deman‐ dant un rapport sur les circonstances objectives dans lesquelles le crime avait été perpétré. Ce rapport permettait la confrontation des dépositions du meurtrier et des témoins et éclairerait la vérité des faits. L’Ekdikeio devait enfin se prononcer et infliger les pénitences canoniques, après réception des réponses relatives et après en avoir sérieusement tenu compte. iv Après la pénitence canonique, l’accusé devait se présenter devant les tribu‐ naux civils pour subir les sanctions pénales. S’il ne le faisait pas et s’il se faisait arrêter, il devait être livré directement à l’Empereur. Tout ce qu’il portait lors de son arrestation n’était pas restitué à l’État, mais distribué entre l’agent impérial local et la personne qui avait dénoncé le fugitif35. v Le Chartophylakeio patriarcal devait éditer des copies de la Novelle et ses synopsis et envoyer ces documents à toutes les provinces impériales. Nous estimons qu’il était impossible dans les faits d’attribuer cette initiative lé‐ gislative à une intention de l’Empereur d’enrayer la puissance constamment gran‐ dissante de l’Ekdikeio patriarcal36. En premier lieu, le témoignage de Balsamon pousse notre attention au-delà du tissu urbain constantinopolitain : un homicide était jugé par un évêque de province. La condamnation prononcée par le Synode permet de constater que la Grande Église partageait l’inquiétude du Basileus. Cette inquiétude était constamment orientée vers les provinces où il semble que le prédominait et la corruption étatique régnait37. Cette initiative législative ne li‐ mitait pas les pouvoirs de l’Ekdikeion, et ne dévalorisait non plus ses compétences judiciaires. Elle revalorisait au contraire la confiance de l’Empereur en la justice ecclésiastique, puisqu’elle reconnaissait les pénitences spirituelles comme partie essentielle de la correction des coupables, étant donné que l’origine du péché et du mal avait des caractéristiques spirituelles. De toute façon, l’acceptation de Sainte Sophie comme espace d’asile obéissait à une tradition plus ancienne38 qui était soulignée par la délégation aux Ekdikoi du jugement des affaires d’homicide dès le viie siècle39. Or une évaluation des objections de Manuel Ier permet de constater qu’un meurtrier ne pouvait que très faiblement se corriger par les pénitences spirituelles

35 36 37 38 39

Voir B. LX.52.6 = D. XLVIII.20.6[Ulpi.]. Voir Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 481-482. Voir B. VI.3.34 = Nov. 17 c. 13. Macrides, « Killing and the Law in Byzantium… », art. cit., p. 511, 514-516. Prinzing, G., « Das Bild Justinians I. in der Überlieferung der Byzantiner vom 7.-15. Jahrhundert », FM 7 (1986), p. 14-17.

175

176

CHAPITRE V

canoniques. Mais d’un autre côté, sa vive opposition à la tradition législative antérieure et celle en vigueur qui ordonnaient la tonsure monacale pour les auteurs de meurtres par préméditation, montre qu’il ne recherchait en aucun cas à dévaloriser l’autorité spirituelle de l’Église40. Au contraire il paraît qu’il était un interprète plus fidèle du droit canonique que la hiérarchie ecclésiastique elle-même, puisqu’il plaçait la sacralité de l’habit monacal au-dessus de toute autre chose. De surcroit, il semble que l’Empereur lui-même voulait protéger l’Église de l’arbitraire impérial incontrôlé, qui fonctionnait à l’encontre du sacré. L’authenticité de son respect à l’égard du monachisme, tel qu’il s’exprime aussi dans d’autres œuvres législatives41, montre l’évidence : il était inadmissible que la vie monacale fût liée aux cadres civils et pénaux. L’état monacal, comme un choix de grâce et de repentir, est étranger à la peine correctionnelle civile. La Novelle de 1166 met un terme de cette manière à une longue tradition de parallélisme de l’état monacal avec une castration politique paradoxale, en enseignant d’une part à l’Église le respect de soi et à l’État les limites de ses choix correctionnels. La Novelle de 1173 de episcopis Constantinopoli versantibus

En 1173, avec la promulgation d’une Novelle, Manuel Ier tenta d’enrayer le phénomène grandissant du séjour injustifié à Constantinople d’un nombre d’hiérarques, ce qui affaiblissait les liens unissant les évêques avec la population locale des provinces42. Le législateur s’efforça d’accentuer le souci d’obéissance des hiérarques tant aux saints canons de l’Église qu’aux lois pieuses de l’État, arrivant même à menacer de déposition les hiérarques qui refuseraient de suivre l’ordre impérial : « au cas où ils ne regagneront pas leur propre église dans le délai fixé par les prêtres, ils seront eux-mêmes chassés de l’évêché et d’autres, meilleurs, seront ordonnés à leur place en vertu de la présente loi »43. Cette décision de Manuel Ier pourrait être attribuée à sa sincère intention de rétablir l’institution synodale et l’Église locale dans les cadres canoniques. Cela allait être fait au moyen d’une décentralisation ecclésiastique spécifique qui conduirait à la création d’une administration ecclésiastique centrale flexible et d’un clergé régional renforcé. Toutefois, il conviendrait de considérer que cet aspect ne constituait qu’un écran de fumée dissimulant un dessein politique large, qui valorisait et interprétait plus activement l’Édit alexien de 1107. Quand bien même, tant la volonté politique d’Alexis Ier que de Manuel Ier de faire des évêques

40 Voir Scholia B. LX.39.3. Ecl. B. 6.3.28+31+33, p. 226-227. 41 Manuelis Comneni, Nov. LXXIX. Subnotatio confirmans consuetudinem, secundum quam mulier a marito in monasterium divertens post tres demum menses tondetur, in JGR, I, p. 426. Voir B. 28.7.1 = Nov. 117 c. 8.9. 42 Darrouzès, « Décret inédit… », art. cit., p. 307-317. Manuelis Comneni, Nov. LXXV. De episcopis Constantinopoli versantibus (a. 1174), in JGR, I, p. 423-424. Balsamon, « Commentaire au Nomocanon XIV. 8.2 », in RP, I, p. 153. 43 Darrouzès, « Décret inédit… », art. cit., p. 314.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

de proches collaborateurs du programme impérial, ne peut dans aucun cas être considérée comme une expression de l’absolutisme impérial du xiie siècle, mais comme un renouvellement d’une tradition étatique préexistante, inaugurée avec la Novelle justinienne de 535. En vertu de l’Édit en question, les évêques locaux devinrent les superviseurs directs des officiers de l’État, ayant la responsabilité de les contrôler dans l’exécution de leurs fonctions44. L’Édit impérial de 1173 innova peu dans l’histoire législative byzantine, et n’impliquait pas une attitude absolutiste plus marquée vis-à-vis de l’Église. Déjà, la disposition B. 6.1.81 interdisait aux dignitaires des provinces d’abandonner leurs sièges pour se rendre à Constantinople, sans autorisation impériale45. La raison avancée par le scoliaste de l’Ecloga Basilicorum est très claire : « La présente loi (…) empêche les archontes des provinces d’abandonner sans ordre du Basileus les contrées dont la police et l’administration leur furent confiées. »46 Mais le législateur, en renouvelant la validité de la Novelle justinienne 12347, prévoyait aussi exactement le même régime pour les évêques. Ainsi, en vertu de la disposition B. 3.1.15 il était interdit aux évêques de s’absenter de leurs évêchés, sans la stricte autorisation soit du patriarche de Constantinople, soit de l’Empereur lui-même48. Les complications administratives incessantes suscitées par les conflits cons‐ tants en Asie Mineure, rendirent impératif de renforcer l’élément byzantin local, pour qu’il constitue un rempart militaire contre les envahisseurs, tout aussi bien qu’une enclave des valeurs impériales. L’évêque fut au xiie siècle le centre naturel de l’unité de l’Œkoumène romain au niveau local. Manuel Ier estimait indispensa‐ ble de renforcer et réformer les structures de l’institution des thèmes pour la sta‐ bilité des frontières et le fonctionnement de l’appareil de l’État. L’administration des Provinces était dans les mains d’un dignitaire militaire, le Duc ou Katepano, qui avait aussi des fonctions civiles49. Toutefois, l’évêque continuait d’y être la figure centrale, constituant avec la population locale une unité de postes-frontiè‐ res impériaux avancés. Assez souvent les sources font référence à des voyages de plusieurs kilomètres de l’évêque dans le but de rencontrer l’administrateur du Thème et de lui transmettre les revendications de sa Province50. L’absence 44 Imp. Justiniani, Nov. VIII. Edictum scriptum in omni terra deo amabilibus archiepiscopis et sanctissimis patriarchis, in C.I.C., III, p. 78-80. 45 Β. VI.1.81 = C. I.40.9. Voir Epanagoge, VI.10, p. 247. 46 Ecl. B. 6.1.81, p. 219. 47 Imp. Justiniani, Nov. CXXIII.IX De sanctissimis et Deo amabilibus et reverentissimis episcopis et clericis et monachis, in C.I.C., III, p. 601-602. 48 B. III.1.15 = Nov. 123 c.9. Voir Epanagoge, IX.4, p. 253-254. 49 Grigoriou – Ioannidou, M., Déclin et Chute de l’Institution des Thèmes : Contribution à l’évolution de l’organisation administrative et militaire de Byzance depuis le xe siècle, (Thessalonique : U.A.Th., 1985), p. 122-125. 50 Par exemple, Georges Tornikès quitte Éphèse et se rend à Chalcédoine pour y rencontrer l’administrateur du thème : Georges Tornikès, « À Jean Pantechnès grand Skévophylax de la grande Église », in Tornikès, Lettres et Discours, op. cit., p. 170-171. Ibid., « Lettre à Alexis Kontostéphanos Duc de Thrakèsion », in Ibid., p. 173.12-16. De même Nicètas de Chonès, à un âge très avancé, fait

177

178

CHAPITRE V

de l’évêque de son siège rendait cette unité fragile. Il est caractéristique qu’à l’endroit et au moment où l’Église reculait, l’État reculait aussi51. Parallèlement, étant donné les circonstances, l’Empire n’était pas seulement appelé à repousser les agressions militaires sur plusieurs fronts, mais aussi l’idéologie agressive des armées des croisés, et dans beaucoup de cas l’intérêt des Croisés ne se limitait pas à l’installation du clergé latin et des prélats à la place des Byzantins, mais acceptait les génocides52. Les témoignages de l’époque montrent que les légats du pape tiraient profit de vacances administratives, notamment de l’absence des évêques orthodoxes de leurs sièges pour y installer des prélats latins. À titre d’exemple, durant la présence du patriarche d’Antioche Jean IV l’Oxite sur le trône, le nouveau légat de Rome Daimbert le Pisan procéda à des ordinations anticanoniques de prélats latins sur des territoires de jure de l’Empire, comme Édesse et Tarse, sans jamais tenir compte de l’avis du patriarche canonique53. Il faut noter que la remarque de Papadakis se heurte au fait que, selon le témoignage de Théodore Balsamon, des sièges comme celui de Tarse restaient depuis longtemps vacants, parce que les évêques élus ne réussissaient jamais à s’y installer en raison de l’existence de groupes hérétiques actifs qui s’opposaient avec ténacité à la politique de Constan‐ tinople54. C’étaient justement ces conditions, renforcées par les obstructions des évêques orthodoxes, qui rendaient la politique impériale extrêmement fragile. La seule solution possible n’aurait pu être que l’installation de ces évêques à leurs sièges, fait qui aurait renforcé l’unité de l’élément local, tout en dissuadant toute atteinte canonique55. Toutefois cette mesure ne se limitait aux seuls évêques, mais selon une Novelle de 1166 elle concernait tout habitant de la Province – thématique – de toute dignité, qui recourrait à la Capitale pour une affaire judiciaire : le législateur re‐ commandait aux juges de juger ces affaires en priorité, afin d’éviter un long séjour

51 52 53 54 55

un voyage pénible par la route de Lydie pour rencontrer le Duc à Philadelphie : Akominatos, Ta sozomena…, Ι, op. cit., p. 50. Sur la place de l’Église dans la péninsule de l’Asie Mineure aux xie et xiie siècles, Voir Vryonis, Sp. Jr., The Decline of Medieval Hellenism in Asia Minor and the Process of Islamization from the Eleventh through the Fifteenth Century, (Berkeley : UCP, 2001), p. 34-42. Voir Hagenmeyer, H., Die Kreuzzugsbriefe aus den Jahren 1088-1100, (Innsbruck : Wagner, 1901), p. 164. Papadakis, Ar. – Meyendorff, J., L’orient chrétien et l’essor de la papauté. L’église de 1071 à 1453, (Paris : Cerf, 2001), p. 119. « Tarse (est détenue) par les Arméniens » : Balsamon, « Commentaire au Canon 16 d’Antioche », in RP, III, p. 156. Voir Vryonis, The Decline of Medieval Hellenism…, op. cit., p. 48. Bien que Balsamon en justifiant les évêques oisifs à Constantinople, se justifie aussi lui-même ( : Balsamon, « Commentaire au Canon 36 de vie Concile in Trullo », in RP, II, p. 389. Idem., « Étude sur les privilèges patriarcaux », in RP, IV, p. 553), ne parvient pas à éviter d’avouer que le clergé byzantin local continua à accomplir son œuvre difficile, souvent avec la complicité des conquérants et malgré l’absence de l’évêque du lieu : Balsamon, « Commentaire au Canon 16 d’Antioche », in RP, III, p. 156-157.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

des provinciaux à Constantinople56. Quelle que fût la raison de la rédaction des textes législatifs, leur but essentiel ne concernait que la présence ininterrompue de la population byzantine en Province, dans le but d’enrayer la question majeure du recul constant de la ligne des frontières romaines et de la mise en péril des intérêts impériaux. La défaite sur ce plan signifiait principalement la diminution de revenus fiscaux et de puissance. Sous cet angle, même la pratique des Comnènes, si violemment dénoncée par la majorité de la hiérarchie ecclésiastique, consistant à créer de nouveaux sièges épiscopaux ou à élever d’autres évêchés au rang de métropoles57, visait à répondre à la nécessité d’attirer des évêques aux contrées frontalières de l’Empire pour assurer plus étroitement l’unité institutionnelle nécessaire58. Cela est renforcé par le fait que cette élévation d’évêchés avait d’ordinaire un caractère provisoire59. Il est certain qu’une telle pratique illégale, anticanonique et assurément souvent aux dépens des mérites personnels, ne contribuait pas à la valorisation de ces évêchés, puisque ceux-ci continuaient à ne pas disposer d’évêques dépendant d’eux et n’augmentaient pas leur patrimoine. Leur relation était réglée suivant les règles canoniques en vigueur, bien qu’il semble que l’Empereur ait eu la volonté de les soumettre directement à la juridiction du Patriarche œcuménique60. La prise en compte, à titre d’exemple, de deux cas d’évêchés promus en métropole, Madytos et Basileion, permet de constater que le cas de Basileion appartenait effectivement à la catégorie des régions éloignées de l’Anatolie qui se trouvaient aux limites des frontières romaines, tandis que Madytos était un point central d’importance stratégique et commerciale pour les navires qui entraient et sortaient du Bosphore61. Il est significatif que conformément aux canons 17

56 Manuelis, Nov. LXVI. De diversis causis, op. cit., p. 390-391. Voir Regesten, II, n. 1465 (3/1166), p. 78-79. 57 Voir Darrouzès, Documents inédits…, op. cit., p. 48-51, 238-249. « Canon 38 de vie Concile in Trullo », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 172-173. Balsamon, « Commentaire au Canon 38 de vie Concile in Trullo », in RP II, p. 392-395. 58 Saradi, H., « Imperial Jurisdiction over Ecclesiastical Provinces : the Ranking of new Cities as Seats of Bishops or Metropolitans », Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 149-163. 59 Nicolas IV Patriarche de Constantinople, « Lettre synodale du très saint et œcuménique patriarche kyrios Nicolas au très pieux basileus, kyros Alexis Comnène, démontrant qu’en vertu des saints canons et des lois, les évêchés ne doivent pas être soustraits des métropoles », in RP, V, p. 70-71. Voir Regesten, II, n. 964 [s. d.], p. 16 ; n. 1014 [s. d.], p. 20 ; n. 1056 [s. d.], p. 24. 60 « Canon 12 du ive Concile de Chalcédoine », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 79-80. Le canon prévoit expressément la peine de déposition pour l’évêque qui parvient à élever son évêché au rang de métropole, après s’être assuré du ralliement de l’Empereur ou d’un autre dignitaire de l’État. Zonaras note pour autant que cette règle ne fut jamais appliquée à son époque : Zonaras, « Commentaire au Canon 12 du ive Concile de Chalcédoine », in RP, II, p. 247. 61 Dans les Taktika, Madytos se trouve constamment entre le 70e et le 80e rang, tandis que Basilaion (Héliopolis) entre le 72e et le 87e : Hieroclis Synecdemus, Notitiae Graecae Episcopatuum…, op. cit., p. 361, 340.

179

180

CHAPITRE V

du ive Concile œcuménique (451)62 et 38 du Concile Quinisexte (691-692)63, le règlement du régime ecclésiastique revenait au discernement de l’Empereur pour des villes qui sont soit fondées, soit rénovées par lui. Zonaras appelle ces villes rurales, colonies intérieures ou monoikia, c’est-à-dire des régions à faible densité de population ou des bourgs un peu plus peuplés, aux frontières de l’Empire64. Raisonnablement alors les affrontements continus et le recul, la retraite ou la reprise de frontières rendaient nécessaire au moins la « rénovation » administra‐ tive de ces villes. Cette attitude des Comnènes d’élever un évêché au rang de métropole constitua en quelque sorte une lecture particulière de cette même coutume consistant à élever des villes qui avaient constitué par le passé des centres administratifs importants65. Dans les conditions du xiie siècle, ces villes frontalières, outre leur signification symbolique particulière pour l’Empire, étaient effectivement des bastions, des centres culturels et militaires dont l’avenir dépen‐ dait. Par ailleurs, ces centres avaient une signification émotionnelle considérable pour les Byzantins, puisqu’ils étaient le lieu d’origine de certaines des plus grandes familles aristocratiques et militaires66, mais aussi des lieux de pèlerinage de saints étroitement liés à l’idéologie impériale et la tradition cultuelle67. Dans la pensée des Comnènes, dans les cadres de la reconquête et conso‐ lidation des acquis territoriaux et des traditions politiques romaines, l’évêque constituait le centre visible de l’unité institutionnelle, en incarnant entièrement l’idéal de l’Œkoumène romain et en suppléant même les vacances administratives éventuelles de l’État68. La présence de l’évêque à son siège épiscopal constituait le rappel vivant de la présence de l’Empereur et du Patriarche. Même lorsqu’il s’agissait de territoires qui avaient déjà été conquis, sa présence rappelait toujours que ces territoires appartenaient de jure à l’Empereur romain. Ce schéma n’était guère rhétorique, mais finissait par constituer le fer de lance de la politique extérieure impériale, de sorte qu’il fut formulé de la façon la plus limpide même dans la législation impériale : « ma majesté (Manuel Ier), dans son effort pour faire tomber, comme la muraille de Jéricho, les remparts de l’ennemi commun des chrétiens – je veux dire le dragon occidental qui usurpe le pouvoir sur la terre de Sicile (il se réfère aux Normands), et qui avança à partir de là sournoisement comme un reptile vers le territoire romain – invoque les prières des évêques qui concilient tous

62 « Canon 17 du ive Concile de Chalcédoine », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 82-83. 63 « Canon 38 du vie Concile in Trullo », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 172-173. Voir Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP III, p. 349-350. 64 Zonaras, « Commentaire au Canon 17 du ive Concile de Chalcédoine », in RP, II, p. 259. Voir Saradi, « Imperial Jurisdiction over Ecclesiastical Provinces », art. cit., p. 152-155. 65 Gaudemet, L’église dans l’empire romain…, op. cit., p. 378. 66 Voir Vryonis, The Decline of Medieval Hellenism in Asia Minor…, op. cit., p. 24-25. 67 Ibid., p. 35-42. 68 Brehier, L., L’Église et l’Orient au Moyen Âge : Les croisades, (Paris : Gabalda, 1901), p. 526-527.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

les jours Dieu à notre nom, comme des clairons spirituels qui contribueront à l’anéantissement de notre ennemi. »69

Vers une auto-réforme ecclésiastique Sur les préoccupations temporelles : l’Horismos patriarcal de 1157

Le 8 décembre 1157, le Patriarche de Constantinople Luc Chrysobergès édic‐ ta un Horismos (commandement) patriarcal écrit qui se référait au traitement de la tendance constamment accrue du clergé à embrasser des professions libérales et à accepter des charges politiques. Le texte de l’Horismos est le suivant : « Notre modestie, considérant qu’il est inadmissible que cette mauvaise habitude, mêlant les affaires sacrées et humaines, persiste (…) décida de l’éradiquer (…). Nous avons observé que certains membres du clergé s’occupent, en transgressant les saints canons, d’affaires séculaires (…). Certains ont des places comme intendants et surveillants de maisons aristocratiques et de domaines ; d’autres ont la charge de collecter les impôts publics et autres prélèvements ou de rassembler les recrues de la marine ; d’autres encore exécutent des estimations fiscales et des calculs ou pratiquent des activités similaires concernant des affaires temporelles et non ecclésiastiques. D’autres ont accepté des grades et des dignités judiciaires du ressort des autorités civiles. Puisqu’il en est ainsi, nous invitons ces hommes à s’abstenir d’ores et déjà des occupations susmentionnées et à se consacrer aux besoins ecclésiastiques, à moins qu’ils ne désirent être soumis à la destitution de leur office ecclésiastique, qui est définie par les saints canons. Car, bien que d’aucuns s’imaginent être appuyés par des habitudes anciennes, en ce qu’un petit nombre de personnes avant eux n’ont pas été punis pour cela et bien qu’ils disent de surcroît que des ordonnances impériales ont été édictées qui confèrent exceptionnellement des titres et des offices laïcs ou des charges et des compétences judiciaires similaires, de tel cas ne peuvent pas être considérés comme des exemples. Puisque ni les saints canons sur ce point n’ont pas été contestés ni un examen minutieux ou une révision n’ont jamais été publiés par celui qui porte le sceptre (…) ou par les très saints patriarches et les synodes pour atténuer la force des canons écrits, ceux-ci ne peuvent d’aucune manière être annulés par de telles dérogations et des habitudes inappropriées, mais au contraire ces dernières doivent être anéanties par les premiers. »70

69 Manuelis, Nov. LVI. De instrumentis ecclesiarum…, op. cit., p. 376. 70 Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 345-348. Regestes, ΙΙΙ, n. 1048 (8.12.1157), p. 112.

181

182

CHAPITRE V

L’Horismos, en dehors du fait qu’il exprime la défense de l’autorité des Ca‐ nons, esquisse les limites entre l’espace politique et l’espace ecclésiastique, en réitérant avec zèle que « personne ne peut être le serviteur de deux maîtres »71, comme l’occupation simultanée d’une charge publique et d’un office clérical s’oppose à l’injonction évangélique « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu. »72 Mais cette distinction claire entre les institutions et leurs espaces fonctionnels, bien qu’elle ait été souvent reprise par les canonistes73, ne semble pas procéder d’une quelconque disposition inhérente de l’Église de rompre avec l’Autorité romaine. Elle décrit plutôt une pathogénie dominante qui devait être traitée tant pour des raisons spirituelles que pour des raisons pratiques. Effectivement, un certain nombre de clercs choisissait de s’orienter vers les professions libérales. Il est caractéristique qu’après l’Horismos de 1157, Chryso‐ bergès édicta encore une Sémeioma (sentence) patriarcale74, par laquelle il interdi‐ sait aux clercs indépendamment de leur degré, d’avoir des parfumeries et des bains75. Le renouvellement et la spécification d’une ordonnance préexistante définit tout d’abord le degré d’indiscipline du clergé byzantin. De l’autre côté, le nombre important d’Horismoi similaires montre la dimension réelle du problème. Malgré le fait que Balsamon énumère trois décisions patriarcales de cette sorte76, nous en repérons au moins cinq77. Hormis les cas déjà connus, les clercs étaient aussi découragés d’exercer les métiers de médecin78 et d’avocat79. C’est dans le même cadre que s’inscrit aussi une loi impériale, selon laquel‐ le il était formellement interdit aux clercs d’exercer les métiers de changeur80. Toutefois, le législateur permet au clerc qui détient une telle licence de la céder

71 Matthieu, 6.24. Voir « Canon LXXXI des Saints Apôtres », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 49. 72 Matthieu, 22.21. Mc 12.17. Lc 20.25. Voir « Canon LXXXIII des Saints Apôtres », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 50. 73 Zonaras, « Commentaire au Canon 93 des saints Apôtres », in PR, II, p. 107. Aristènos, p. 108. 74 Regestes, III, n. 1092 [s. d.], p. 135. 75 Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 344. Manifestement le sémeioma se réfère à des clercs qui exerçaient la profession du parfumeur et du gérant de douches publiques. Dans ce cas, c’est les parfumeurs qui pratiquaient des échanges commerciaux directs, dont « les étals portant les récipients étaient disposés en ligne depuis l’icône vénérable du Christ, notre Dieu, à la Chalkè (Porte de Bronze) jusqu’à Million, pour répandre leur parfum, comme il convient à l’icône et offrir du plaisir aux cours royales » : Livre de l’Éparque, 10.1-10.6, p. 164-169. Sur les bains : Voir Magdalino, P., « Church, bath and diakonia in medieval Constantinople », in Church and People…, op. cit., p. 165-188. 76 Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV.VIII.XIII », in RP, I, p. 158-160. Voir Idem., « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 345-350. 77 Regestes, III, n. 999 (12.2.1115), p. 79-80 ; n. 1048 (8.12.1157), p. 112 ; n. 1092 [s.d], p. 135 ; n. 1100 [s.d], p. 137 ; n. 1119 (13.1.1171), p. 149-150. 78 Regestes, III, n. 1092 [s.d], p. 135. Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 344. Idem., « Réponse Canonique n. 27 », in RP, IV, p. 469-470. 79 Regestes, III, n. 1100 [s.d], p. 137. 80 Manuelis Comneni, Nov. LXXI. De argentariorum mensis ad clericos ex emtione pertinentibus (a. 1152 vel.1167), in JGR, I, p. 416-417. Balsamon, « Réponse Canonique n. 27 », in RP, IV, p. 468-470. Zonaras, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 343. « Canon 44 des Saints

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

à un citoyen romain, après autorisation de l’Éparque, afin que les dommages économiques personnels soient minimisés. La raison pour laquelle Manuel Ier procéda à une telle règlementation, concernait le caractère de l’administration de la justice : Au cas où un clerc serait pris à transgresser les lois de l’État, sa correction pareille à celle appliquée à tout autre citoyen ne convenait pas à une personne portant l’habit clérical. Cela n’était pas certes dû directement à l’offense, mais à la déstructuration de l’autorité cléricale, ce qui avait des effets clairs sur l’espace public. Grâce à Balsamon, on sait que bon nombre de clercs exerçaient aussi les métiers de marchand de vin ou d’aubergiste81. Il faudrait attacher une attention particulière au fait qu’en dehors des réalisations remarquables du clergé byzantin dans le domaine des professions libérales et du commerce, des transactions de ce genre étaient soumises à un contrôle public très strict. Leurs performances professionnelles étaient liées à des restrictions juridiques explicites qui dans le cas des clercs pouvaient avoir des prolongements pénaux incontrôlables. Il conviendrait de s’arrêter ici à un exemple caractéristique : Il est connu par une Novelle de 1148, qu’à l’époque de Manuel Ier, le Livre de l’Éparque était le même que celui de Léon VI, avec certes les ajouts et règlementations contemporains adéquats82. Ainsi, si quelqu’un exerçait le métier de changeur et était arrêté pour trafic d’objets sacrés, la peine prévue serait la confiscation de ses biens83. Mais s’il était clerc, cela impliquerait sa destitution84. Donc, ce n’était pas seulement le mécanisme disciplinaire de l’État qui était activé, mais aussi l’ecclésiastique, qui de cette manière acquérait de jure une compétence judiciaire et correctionnelle, dans une affaire de nature essentiellement civile. C’est le double caractère de la ques‐ tion, politique et spirituel, qui permettait à Balsamon d’envisager la coexistence organique des saints canons avec les dispositions des Basiliques85.

81

82 83

84 85

Apotres », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 30. « Canon 10 du vie Concile in Trullo », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 137. « Canon 9 du vie Concile in Trullo », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,1, p. 137. Voir Balsamon, « Réponse Canonique n. 27 », in RP, IV, p. 469. Sur le Prandioprate (vendeur de tissus syriaques), voir Livre de l’Éparque, n. 5.1-5.5, p. 106-109. Il est’ à noter que la vente de vin figure, selon le Livre de l’Éparque, aux dispositions sur les Cabaretiers. Par conséquent, ici, le terme οἰνοπράτης signifie le clerc qui tient un cabaret, c’est-à-dire une taverne – restaurant : Livre de l’Éparque, n. 19.1-19.4, p. 254-257. Voir Kislinger, E., « Taverne, alberghi e filantropia ecclesiastica a Bizancio », in Atti della Academia de Scienze di Torino 120 (1986), p. 83-96. Manuelis Comneni, Nov. LV. De juramento Judaeorum (a. 1148), p. 375. Voir Hendy, M.F., Studies in the Byzantine Monetary Economy, c.300-1450, (Cambridge : CUP, 1985), p. 585. « L’argentier qui se fera prendre à acheter un objet sacré, en entier ou en fragments, sans qu’il présente celui-ci et son vendeur, à l’Éparque, se verra confisqué de ses biens » : Livre de l’Éparque, n. 2.7, p. 75. Voir Τroïanos, Peines…, op. cit., p. 45-47. Encore plus sévères étaient les peines prévues pour les parfumeurs qui se feraient prendre commettre quelque chose s’opposant aux dispositions : ils seraient battus, tonsurés et exilés : Livre de l’Éparque, n. 10.1, p. 165. Sur le caractère des peines, Voir Τroïanos, Peines…, op. cit., p. 36-41. Voir Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV, VIII.XIII », in RP, I, p. 158-159. B. 3.1.13 = Nov. 123. c.6.7. Ecl. B. 3.1.13, p. 160-161.

183

184

CHAPITRE V

L’implication de clercs dans des affaires de ce genre était tellement répandue, que finalement, le 13 janvier 1171, l’exercice de métiers temporels fut interdit par Sémeioma patriarcal même aux lecteurs86. Toutefois les dispositions sur les lecteurs cachent un aspect inconnu : le canon 16 de Carthage (419) énonce que les lecteurs, à la fin de leur diaconat liturgique, ne doivent pas se tourner vers le dème et se prosterner devant lui87. L’accord des canonistes est explicite : Zonaras note que les lecteurs doivent se prosterner devant les hiérarques et les prêtres et certainement pas devant le peuple, « devant la multitude de ceux qui se rassemblent dans les églises », qui sont très loin de la grâce de la cléricature88. C’est plutôt le dème qui doit se prosterner devant eux, en raison de la sacralité de leur ministère89. Bien que très probablement il fût impossible que dans la Constantinople du xiie siècle cette tradition de l’ancien rituel nord-africain eût survécu, les scholiastes soulignent tous que l’autorité spirituelle de la cléricature était incompatible non seulement avec les préoccupations temporelles, mais aussi avec toute référence de dépendance du milieu politique. Le fervent zèle de Balsamon semble pour autant vouloir en exclure sa person‐ ne et ses confrères, puisqu’il accepte avec contrariété la décision sur l’abstinence des clercs de tout degré de l’exercice de la profession d’avocat. Pour rédiger son argumentation, il raconte l’incident suivant : Sous le patriarcat de Luc Chrysober‐ gès, un diacre se présenta devant l’Empereur pour défendre son droit d’exercer comme avocat devant les tribunaux civils. Il soutenait que tout clerc et évêque pouvait plaider comme avocat pour défendre une personne de ses amis ou une affaire ecclésiastique. Le point de vue du diacre qui, à notre avis, devait être Balsamon lui-même, était étayé par l’argument que les avocats civils ne consti‐ tuaient plus un système à part, doté d’une autorité supérieure (ὑπό πριμικήριον) et bénéficiant d’émoluments impériaux stables (δημοσιακά σιτηρέσια)90. Au contraire, à son époque, les avocats exerçaient la profession librement91. Mais, il s’opposait catégoriquement à la présence d’un clerc comme avocat au tribunal comme s’il s’agissait d’un officier impérial92.

86 Regestes, n. 1119 (13.1.1171), p. 149-150. Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV, VIII.XIII », in RP, I, p. 158. Idem., « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 349. 87 Regestes, n. 1119 (13.1.1171), p. 149-150. Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV, VIII.XIII », in RP, I, p. 158. Idem., « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 349. 88 Zonaras, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 343. Aristènos, p. 351. 89 Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 345. 90 Voir B. VIII.1.33+34 = C. II.7.23+26. 91 Voir Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 568. 92 Balsamon, « Commentaire au Nomokanon XIV, VIII.XIII », in RP, I, p. 159-160.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

Le cas du Dikaiodotès et grand Économe Alexis Aristènos

Balsamon s’opposait à l’attribution de titres temporels et de responsabilités politiques aux clercs93. C’est pourquoi il parle, avec une subtile ironie, d’Aristènos, en évoquant son nom comme l’exemple le plus négatif de ce genre d’ambiguïtés institutionnelles94. En effet, Aristènos incarnait l’imbrication du mécanisme impé‐ rial avec la cour patriarcale. Aristènos fut Hiéromnémon, Nomophylax, Orphanotro‐ phe, Prôtekdikos, Dikaiodotès, grand Économe et Prétor d’Hellas et du Péloponnèse. Il avait des amis fervents95 et des détracteurs conséquents96. De toute façon, son attachement à ses intérêts stricts était tel que Balsamon n’hésite pas à nous informer que le « saint synode » avait vainement convoqué par trois fois en un mois Aristènos en lui demandant de renoncer à ses charges de Dikaiodotès97. Les motivations claires d’Alexis Aristènos et ses capacités juridiques avaient comme résultat qu’il incarnait un modèle de concentration de superpouvoirs judiciaires : comme Prôtekdikos il s’engageait à intervenir dans les affaires pénales, comme par exemple, les homicides ; comme grand Économe, il pouvait défendre le droit de propriété de l’Église et ses intérêts économiques ; comme Nomophylax il était considéré comme l’autorité de l’enseignement des Lois ; comme Orpha‐ notrophe il protégeait la propriété et les droits des fondations philanthropiques publiques ; comme Dikaiodotès il présidait un des tribunaux les plus puissants de Constantinople et était classé, concernant ses pouvoirs judiciaires, juste après le drongaire de la vigla ; comme Prétor d’Hellas et du Péloponnèse il exerçait des char‐ ges judiciaires tant en matière d’affaires civiles que militaires. En conséquence, Prodrome le désignait comme l’interprète absolu et le protecteur des lois98, et aussi le digne serviteur de la Sainte Sophie et du Palais99 ou, comme dirait Luc Chrysobergès, le digne serviteur et de Dieu et de César. L’ironie dans l’affaire d’Aristènos est que lui-même, dans ses commentaires canoniques, défend les dispositions ecclésiastiques qui interdisaient aux clercs de tous les degrés d’avoir des charges impériales100. Mais il excluait évidemment

93 Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 350. Idem., « Commentaire au Canon 7 du ive Concile œcuménique », in RP, II, p. 233. 94 Balsamon, « Commentaire au Canon apostolique 6 », in PR, II, p. 9. 95 Nicephori Basilacæ, « 1. In Alexium Aristenum », in Nicephori Basilacæ, or. et ep., p. 10-25. Voir Garzya, A., « Encomio di Niceforo Basilace per Alessio Aristeno », BFO 1 (1966), p. 92-114. Prodromos, « LVI. An den Protekdikos und Nomophylax Alexios Aristenos, als er zum zweitenmal Orphanotrophos wurde », in Theodoros Prodromos, Historische Gedichte, p. 460-468. Idem., Expositio Canonum in Festa Dominicalia, PG 133, 1230B-1232B. 96 Georges Tornikès, « 28. Lettre à Aristènos », in Tornikès, Lettres et Discours…, p. 175-177. 97 Balsamon, « Commentaire au Canon apostolique 6 », in PR, II, p. 9. 98 Prodromos, « An Alexios Aristenos… », in Prodromos, Historische Gedichte, p. 461, 465. 99 Ibid., p. 463. Voir Theodoros Prodromos, « Discours oratoire à l’orphanotrophe-protecdicenomophylax Alexis Aristène », PG 133, 1034B-1035B. 100 Aristènos, « Commentaire au Canon apostolique 6 », in PR, II, p. 9. Idem., « Commentaire au Canon apostolique 93 », in RP, II, p. 108. Idem., « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 350-351.

185

186

CHAPITRE V

de ces restrictions sa personne et les hommes de son milieu, comme l’était par exemple Balsamon qui, avec tant de conviction, affirmait qu’un clerc pouvait assurément servir les intérêts du Basileus, s’il recevait l’ordre du Basileus lui-mê‐ me, justement parce que l’Empereur était, comme autorité législative suprême, au-dessus des lois et des canons101. Cette imbrication structurelle d’institutions et d’intérêts était aussi la raison pour laquelle Zonaras critiquait avec véhémence aussi bien l’Église que l’Empereur : « Et puisque ces pénitences furent définies par les saints Apôtres (à savoir le Concile apostolique), ce concile (il se réfère au ive Concile œcuménique et plus spécifiquement à son canon 3) les passa sous silence ; ce que fit aussi le Concile de Carthage. Celui-ci aussi, après avoir légiféré relativement au canon 16, ne formula pas de pénitence spécifique, parlant toujours de la même question, mais aussi malgré l’existence des dispositions canoniques susmentionnées, le mal resta sans remède ; c’est pourquoi le vie Concile (le Concile œcuménique Quinisexte) par son canon 11 renouvela les mêmes choses encore une fois, mais dans ce cas, la maladie ne fut pas traitée. Et le mal persiste alors jusqu’à aujourd’hui et il n’y a personne pour l’entraver, ni le patriarche, ni le Basileus ni les évêques. Tant de canons ne sont pas ainsi appliqués, de sorte que les patriarches et les évêques continuent de co-officier avec ceux qui du point de vue des canons sont déjà déposés. »102 Selon les Registres synodaux de 1166, Aristènos assistait aux travaux du syno‐ de portant l’office du grand Économe103. Il apparaît alors que très probablement Aristènos était un des premiers destinataires de l’Horismos de Luc Chrysobergès. Sous l’angle des circonstances objectives, Aristènos fut déchu des privilèges et des émoluments que le titre de Dikaiodotès lui conférait, en conservant pour autant son office ecclésiastique. Mais cela impliquait-il aussi son affranchissement des dépendances politiques données ? Notre réponse est négative, étant donné que le grand Économe dépendait très clairement de l’Empereur, dans la mesure où son pouvoir ressemblait à un prolongement des fonctions du fiscus, comme un œil du Basileus dans les caisses de la grande Église. Un conflit institutionnel ?

C’est sur ce point précisément que les intentions de Chrysobergès doivent être identifiées : le désengagement que l’Horismos de 1157 proposait, n’esquissait pas une orientation vers une séparation entre l’État et l’Église. Mais il discernait et reconnaissait la pathogénie des ambivalences des serviteurs. Cela signifie en substance que bon gré mal gré, la question de savoir si quelqu’un peut servir

101 Balsamon, « Commentaire au Canon 16 de Carthage », in RP, III, p. 349-350. 102 Zonaras, « Commentaire au Canon 3 du ive Concile œcuménique », in RP, II, p. 222. 103 Actes I, p. 149, 155.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

deux maîtres, César ou Dieu, ne peut pas être contournée. Du moment où la question est posée, est déjà posée aussi sa problématique, dont l’essence prédispo‐ se à affirmer que des hommes comme Chrysobergès ne pouvaient pas tolérer l’interventionnisme impérial et l’arrivisme des hauts dignitaires de l’État. Face à cette réaction, ils n’avaient pas à affronter une idéologie précise, mais ils se heurtaient au contraire à une série d’intérêts que le sectarisme et les connivences de l’administration centrale comnénienne rendaient impénétrable. Il s’agit sans doute ici d’une appréciation pragmatiste des faits. Mais en substance, cette problématique procédait de la mouvance conceptuelle du voca‐ bulaire impérial, c’est-à-dire du caractère bilatéral même de la relation entre l’Église et l’État. L’exemple d’Aristènos peut expliquer la logique de certaines lois de Manuel Ier. La Novelle de 1166 sur les homicides volontaires s’orientait vers le Tribunal patriarcal (Ekdikeio), en recommandant qu’il procède à l’examen exhaustif des affaires. Les dispositions législatives permettent de constater que l’institution du Protékdikos était liée au système judiciaire civil, et même à l’autorité impériale : i. c’était le Protékdikos qui garantissait l’application du droit d’asile dans les églises104 ; ii. il informait les autorités des affaires de ceux qui recouraient à l’Église105 ; iii. il intercédait auprès de l’Empereur en faveur de ceux qui s’étaient trouvés dans l’impossibilité d’être entendus en audience106 ; iv. il jugeait les affaires d’homicides107 ; v. il devait traiter les affaires en faveur de l’État et en faveur de ceux qui avaient été d’une manière quelconque lésés, en appliquant tant la loi civile que le droit canonique108. Le fameux Alexis Aristènos était alors porteur de tous ces pouvoirs, ayant déjà servi comme Nomophylax109. En l’espèce, le titre de Nomophylax était un office civil, mais qui s’était transformé à l’époque comnénienne en office ecclé‐ siastique110. C’est la raison pour laquelle Aristènos souligne que le Nomophylax ecclésiastique avait les mêmes fonctions que les Ekdikoi111. C’est la Novelle de 1044 de Constantin IX Doukas qui confiait une série de pouvoirs élargis au Nomophylax, comme par exemple celui du Didascale des Lois, à savoir de celui qui

104 105 106 107 108 109 110 111

B. V.1.13 = C. I.12.6. Ecl. B. 5.1.13 pr. + 9, p. 190-191. Voir Darrouzès, Offikia…, op. cit., p. 329. Ibid. B. V.1.15 = C.I.12.8. Balsamon, « Commentaire au Canon 75 de Carthage », in RP, III, p. 494-496. Darrouzès, Offikia…, op. cit., p. 328-329. B. 5.1.13 = C. 1.12.6. Voir Leondaritou, Offices et services ecclésiastiques…, op. cit., p. 200-202. Darrouzès, Offikia…, op. cit., p. 329. Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 262. Gkoutzioukostas, A. E., Administration of Justice in Byzantium (9th-12th Centuries). Judicial Officers and Secular Tribunals of Constantinople, (coll. Byzantine Texts and Studies 37), (Thessaloniki : Byzantine Research Center, 2004), p. 208-216. Aristènos, « Commentaire au Canon Apostolique 27 », in RP, II, p. 35-36.

187

188

CHAPITRE V

était à la tête du Didaskaleion des Lois de Constantinople112. Par conséquent le Protékdikos avait aussi le pouvoir du Nomophylax. Cette transformation dénote une délégation essentielle de fonctions et de légitimité de l’État à l’Église. Ce mouvement fut un choix conscient de la gouver‐ nance comnénienne qui mettait en avant l’obéissance fondamentale aux « lois pieuses ». Sous cet angle, il n’est pas étonnant qu’Aristènos eût été aussi Orphano‐ trophe. Les pouvoirs de l’Orphanotrophe, qui jusqu’au xie siècle était un officier de l’État113, avaient été délégués à l’époque de Manuel Ier à l’Ekdikos, pour des raisons évidentes114. C’est à bon droit que Guilland a soutenu que cette mouvance rendait chacune des dignités concernées « mi-civile et mi-ecclésiastique »115. Toutefois cette mouvance impliquait une imprécision institutionnelle, en faisant paraître les interventions de l’Empereur plus autoritaires, mais aussi l’Église capable de profondes ruptures lorsqu’elle voyait ses droits acquis violés. Il faudrait alors peutêtre voir chez des personnes comme Aristènos et Balsamon qui condamnaient ouvertement ce qu’eux-mêmes pratiquaient de façon scandaleuse, leur faiblesse de faire la distinction entre les limites institutionnelles civiles et ecclésiastiques de leurs dignités. C’est la raison pour laquelle Balsamon certifie sans scrupules des documents patriarcaux, en tant que porteur des titres du Chartophylax et du Nomophylax116. À son époque, le Nomophylax était explicitement une dignité ecclésiastique qui n’avait qu’un rapport infime avec sa fonction étatique antérieu‐ re. Corrélativement le titre de l’Orphanotrophe, tandis qu’il semble qu’il tendait prendre un caractère ecclésiastique, est mentionné aux Procès-Verbaux du Synode de 1166 comme étant porté par le protonovelissime grand logothète du drome Michel Agiothéodoritès117. La problématique de l’Horismos de 1157 résulte du fait qu’il devient subrepti‐ cement perceptible que la délégation des pouvoirs impliquait la délégation du pouvoir institutionnel. C’est de ce geste que des « secréta » ecclésiastiques dotés de superpouvoirs se créent, qui se dérobent en pratique au contrôle de l’Autorité impériale. La seule solution apparente alors pour cette dernière était d’arriver à les manipuler. Cette tâche devait très probablement être confiée à des personnes comme Aristènos, qui servaient les intérêts impériaux et concentraient constamment par conséquent des pouvoirs, délégués par l’Empereur. Il existe ici

112 Constantinos VI Doucas, Nov. V,| Νεαρὰ ἐκφωνηθεῖσα παρὰ τοῦ φιλοχρίστου δεσπότου κυροῦ Κωνσταντίνου τοῦ Μονομάχου ἐπὶ τῇ ἀναδείξει καὶ προβολῇ τοῦ διδασκάλου τῶν νόμων, in JGR, I, p. 618-627. Voir Troïanos, Sp., « La Novelle de Constantin le Monomaque à l’occasion de la Désignation et l’Investiture du Didascale des Lois », Symmeikta 22 (2002), p. 243-263. 113 Guilland, R., « Études sur l’histoire administrative de l’Empire byzantin : L’orphanotrophe », REB 23 (1965), p. 209. 114 Voir Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 481-482, 633. 115 Guilland, R., Recherches sur les Institutions byzantines, I, (coll. Berliner Byzantinistische Arbeiten 35), (Berlin - Amsterdam : Hakkert, 1967), p. 363. 116 Troïanos, S., « Ein Synodalakt Michaels III. Zum Begnadigungsrecht », FM 6 (1984), p. 206. Voir Regestes, III, n. 1134 (2.9.1177), p. 162. 117 Actes I, p. 254.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

toutefois un point sensible : lorsque le Basileus concédait à l’Église une partie de son espace institutionnel, il lui était impossible de le révoquer et de le lui soustraire par la suite. C’est-à-dire, dans le fond, le scandale esquissé par le double rôle institutionnel d’Aristènos, comme grand Économe et comme Dikaiodotès, résultait du fait que Chrysobergès ne pouvait pas accepter l’implication flagrante de l’Empereur dans les affaires ecclésiastiques internes. Il semble certain que l’Horismos de 1157 fut immédiatement appliqué, en limitant l’interventionnisme impérial. À notre avis, le changement de la politique ecclésiastique de Manuel Ier, dès 1158, ainsi qu’il s’est exprimé par la révocation des privilèges économiques et des propriétés concédées, montre l’embarras de l’Empereur face à la détermination de Luc Chrysobergès. Cette difficulté transpa‐ raît dans son œuvre législative. Au-delà des figures rhétoriques qui rappellent constamment les modèles justiniens et se plongent dans le noyau métapolitique de l’idéologie impériale, il y avait une intention très claire de contrôler institu‐ tionnellement l’Église. Par exemple, lorsqu’Aristènos démissionne de la charge de Dikaiodotès, le Dikaiodotès était, conformément à la Novelle de 1166 sur la réforme des tribunaux, à la tête d’un des principaux tribunaux de la capitale118 et mentionné immédiatement après le grand drongaire de la vigla, qui se trouvait en l’occurrence au sommet de la hiérarchie judiciaire119. Quand Manuel Ier, édicte en 1171 la Novelle sur les restrictions temporelles concernant le séjour des hiérar‐ ques à Constantinople, il confie son exécution au drongaire de la vigla Andronic Kamatèros120. Cette formulation montre que l’Empereur n’avait pas confiance en la capacité de l’Église de régler ses affaires internes. Les recommandations de la Novelle relative à l’Ekdikeio patriarcal semblent également contradictoires. Il est possible en premier lieu que l’intention de Manuel Ier ait eu comme objectif incontestable de remédier à une pathogénie existante. Mais dans le même temps l’Ekdikeio gagnait constamment en autorité, non parce qu’il protégeait des fugitifs et des meurtries, mais parce qu’il défendait et protégeait les citoyens faibles face à la sévérité de la loi civile121. Une évaluation de l’étendue des pouvoirs du Protékdikos, conduit à constater que le jugement d’un nombre très considérable d’affaires civiles avait été délégué des autorités civiles aux autorités ecclésiastiques. Cet aspect d’un conflit sous-jacent ressort aussi d’une Novelle des dernières années du règne de Manuel Ier, par laquelle il ordonnait le jugement des affaires des Juifs non seulement par le stratégos tou sténou, mais aussi par chaque tribunal civil122. Mais le législateur évite de mentionner qu’hormis le stratégos tou sténou, selon la loi civile, les affaires des Juifs pouvaient aussi être jugées par l’Ekdikeio123.

118 119 120 121 122 123

Manuelis, Nov. LXVI. De diversis causis, op. cit., p. 396. Ecl. B. 7.2.1-2, p. 237-238. Darrouzès, « Décret inédit de Manuel Comnène », art. cit., p. 316. Macrides, « Killing and the Law in Byzantium… », art. cit., p. 358. Manuelis Comneni, Nov. LXXX. De foro Judeorum, in JGR, I, p. 426-427. Imp. Marcianus, A. Ioahanni [s. d.] (= CJ. 1.3.54), in C.I.C., II, p. 37-38.

189

190

CHAPITRE V

En tout état de cause, ce n’est que superficiellement que la Novelle de 1158 peut être considérée comme une « contre-ordonnance » qui annulait la politique antérieure de Manuel Ier, favorable à l’égard de l’Église. Car elle s’opposait à l’esprit et au pouvoir de l’Horismos patriarcal de décembre 1157. D’ailleurs, Luc Chrysobergès avait été investi entre août et octobre de la même année124 et, en conséquence, l’Horismos fut un des actes statutaires de son patriarcat. Le changement presque inexplicable de la disposition de l’Empereur était dû aux limites que posait Chrysobergès. La Novelle qui fut alors édictée en mars 1158, constituait une réponse à l’esprit libéral qui se dessinait au début du patriarcat de Chrysobergès. Très probablement, le document fut édicté en l’absence de l’Empe‐ reur, puisque les Procès-Verbaux synodaux de mai 1157 se réfèrent à l’accélération d’une campagne militaire125. Mais le fait est que la décision patriarcale trouve Manuel Ier au milieu d’une crise extérieure grave, qui avait eu des répercussions directes sur sa politique intérieure126. En insistant sur l’exemple d’Aristènos et des autres clercs de carrière dans l’environnement comnénien, force est de constater que l’opposition patriarcale à des cas de cette sorte signifie une opposition aux intérêts de l’Empereur et de son environnement étroit. Par ailleurs, suivant les informations fournies par Balsamon, le Synode patriarcal appuyait vivement les décisions de Chrysobergès127. Mais qu’est-ce qui avait conduit Chrysobergès à la rédaction de l’Horismos ? Manifestement une condition objective : les activités professionnelles des clercs étaient incompatibles avec la sacralité de leur état. Or de l’autre côté, il paraît que l’Horismos sapait davantage les intérêts des dignitaires ecclésiastiques de haut rang que ceux des simples clercs. À notre avis, la cause essentielle fut pour Chry‐ sobergès la querelle de 1156-1157. Il dut réaliser que la querelle christologique, au-delà de ses dimensions réelles, recelait un grand nombre d’intérêts, de vanités et de conflits parmi les doctes dignitaires ecclésiastiques de haut rang qui étaient beaucoup plus préoccupés de leur élévation personnelle que de l’unité ecclésiasti‐ que. Cette hypothèse est corroborée par une apostrophe de la lettre qui en 1157 fut envoyée par Georges Tornikès à Aristènos. Tornikès y liait bizarrement la question de Pantevgenos à Aristènos. Sans détours, il recommandait à ce dernier de renoncer à ses titres politiques, parce que la « force » ecclésiastique est incom‐ patible avec la politique, avec l’« apparence extérieure (sic) ». Tornikès invoquait à ce propos la profonde dévotion et l’habileté dogmatique d’Alexis, en rappelant aussi au canoniste Aristènos ce qui allait de soi : le mépris des canons pouvait constituer une cause de scandales et Aristènos était le premier à sous-estimer les canons128. Il est bizarre que Tornikès ait rappelé à Aristènos que ses ancêtres ne s’étaient pas distingués par leurs dignités temporelles, mais en raison de leur

124 125 126 127 128

Grumel, « La chronologie des patriarches de Constantinople de 1111 à 1206 », art. cit., p. 257. Nicetae Choniatae, Thesauri Lib. XXIV, PG 140, 197A ; Ibid., 181B. Voir Ostrogorsky, Histoire…, III, op. cit., p. 52-54. Balsamon, « Commentaire au Canon Apostolique 6 », in PR, II, p. 9. Tornikès, « Lettre à Aristènos », op. cit., p. 176.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

sincère dévotion129. La suite de la lettre, bien qu’elle soit obscure, permet de constater qu’en ce qui concerne le cas de Pantevgenos, Aristènos avait abusé de son pouvoir comme grand Économe et Dikaiodotès, en tentant d’influencer la décision synodale en faveur des accusés. La recommandation de Tornikès est très claire : il devait cesser de chercher les faveurs de l’un ou de l’autre, cédant à leurs prières de faire preuve de miséricorde. Ce qu’Aristènos devait mettre en avant, c’était l’unité ecclésiastique et non l’intérêt individuel130. Luc Chrysobergès, en identifiant les causes de la crise à l’ambivalence insti‐ tutionnelle, chercha à couper le cordon ombilical entre l’Église et l’État, dans la mesure où celui-ci intensifiait la déstructuration. Pour autant cette rupture n’impliquait pas nécessairement une séparation institutionnelle, c’est pourquoi le vocabulaire de Chrysobergès était constamment orienté vers l’application des canons. La proposition patriarcale concernait l’application des canons qui décri‐ vaient et incarnaient ex rebus les acquis et l’espace organique de l’Église. Mais il faudrait distinguer que dans le même temps, la pathogénie n’était identifiée qu’à l’opacité de la relation des deux espaces institutionnels, mais surtout à l’Église, au sein de laquelle se créaient différents groupements d’intérêts. Cette gangrène conduisait à une division évidente qui suggérait à l’Empereur l’idée de l’interventionnisme arbitraire et favorisait l’élévation de personnes comme Aristènos. En tout état de cause, l’intervention de Tornikès conduit à la déduction que l’Horismos de 1157 n’était pas un choix patriarcal unilatéral, mais il exprimait une conception préexistante, même si celle-ci servait des intérêts très étroits. Renforcement institutionnel du Synode patriarcal

Malgré l’immixtion continue de l’Empereur dans les affaires synodales, le renforcement institutionnel du Synode patriarcal s’intensifiait constamment. Cela était dû à un ensemble de facteurs qui coexistaient dans un appareil paradoxale‐ ment interactif. La participation active du Basileus à la vie synodale déplaçait nécessairement les champs de canonicité de l’axe des principes expressément ecclésiologiques sur celui des principes juridiques civils. Mutatis mutandis, les décisions synodales devaient s’identifier à la tradition canonique, mais aussi aux lois en vigueur. Cette coexistence est aisément observable dans les documents de l’époque. À titre indicatif : i. Dans l’acte synodal du 10/11/1167 : « Il devait alors se décider, si un tel pacte puissant et sûr devait être fourni par les lois et les saints et sacrés canons. Et tous les évêques participant au synode, y compris notre modestie, se prononcèrent pour une intégration des lois civiles et des saints et sacrés canons »131, ii. Dans un acte de l’an 1166, les décisions sont décrites comme « conformes aux lois sacrées et civiles » (τοῖς θείοις καὶ τοῖς πολιτικοῖς 129 Ibid., p. 176-177. 130 Ibid., p. 177. Certes, le zèle dont fait preuve Tornikès n’est pas sans rapport avec le fait qu’il était un ennemi juré de Pandevgenos, dont il avait recherché en 1157 la condamnation par tous les moyens. 131 Schminck, A., « Ein Synodalakt vom 10. November 1167 », FM 3 (1979), p. 317.

191

192

CHAPITRE V

συνᾴδοντα νόμοις), tandis que les membres du Synode acceptent la décision com‐ me « un support aux canons ecclésiastiques et un fondement de la législation civile »132, iii. Dans l’Édit christologique de 1166 sont réitérés essentiellement les principes de l’Eisagogè 2.4 : « Comme il est nécessaire de voter pour assurer la fidélité infaillible des subordonnés, nous sommes instamment disposés à offrir d’avance notre fidélité irréfragable au droit de celui que Dieu destina pour nous gouverner. »133 Tout cela aurait dû certes constituer un mode idéal de manipulation de l’institution synodale pour la politique impériale, si la réalité historique n’y avait pas fait obstruction. Ainsi, ce ne fut pas seulement le fait du renforcement continu de l’Ekdikeion patriarcal de libertés juridictionnelles civiles, mais tout aussi bien l’acceptation explicite que jusqu’à la fin du xiie siècle, les juristes de Constantino‐ ple provenaient dans leur grande majorité des rangs du clergé patriarcal134. Par conséquent, le sort même de la politique impériale dépendait dans une large mesure des intentions de l’Église. De fait alors, l’exigence du Basileus que le Synode jugeât non seulement selon les saints canons mais aussi selon les lois de l’État en vigueur, renforçait les limites de l’espace institutionnel de l’Église. Le transfert au Synode et au Patriarche de la tutelle du jeune successeur au trône Alexis II en 1171, souligna la consolidation du statut étatique fondamental de l’Église. En l’espèce, Manuel Ier manifesta clairement son intention d’établir le Synode patriarcal comme : i. garant de la sécurité et de la vie du successeur au trône ; ii. protecteur des intérêts dynastiques ; iii. garant notamment de la stabilité intérieure. Ce très net positionnement à l’égard de la suprématie institutionnelle de l’autorité ecclésiastique était renforcé par le fait que la présence du Patriarche de Constantinople au conseil de la régence était constante et irréfragable, et remplaçant même la reine-mère135. Toutefois cette transformation loin d’être conjoncturelle, avait suivi le long et systématique déclin de l’institution du Sénat, qui bien que dans un cas au xiie siècle fût censé exiger la convocation du Synode136. Mais dans la seconde moitié du xiie siècle n’eût dû être que quelques ensembles de bâtiments abandon‐ nés, rappelant le lien étatique ininterrompu et la continuité historique entre la Nouvelle et l’Ancienne Rome137. Zonaras, malgré ses exagérations, dit au moins clairement qu’à son époque l’institution était en déliquescence, si elle n’avait pas

132 « Ἐκκλησιαστικῶν τε κανόνων ὑπέρεισμα καὶ πολιτικῆς νομοθεσίας ἑδραίωμα » : Simon, D., « Ein Synodalakt aus dem Jahre 1166 », FM 1 (1976), p. 125. 133 Actes I, p. 167. 134 Hunger, Literatur…, III, op. cit., p. 330. Troïanos, Les sources du droit byzantin, op. cit., p. 373-377. 135 Nikolaou, K. – Chrestou, Eir., « Les conceptions des Byzantins sur l’exercice du pouvoir par des femmes (780-1056) », Symmeikta 13 (1999), p. 49-67. 136 Jus Canonicum Græco – romanum, Συνοδικὸν γράμμα τοῦ ἁγιωτάτου καὶ οἰκουμενικοῦ πατριάρχου κυρίου Νικολάου…, PG 119, 864D-865A. 137 Cf. De Cerimoniis Aulae, I, p. 164-165, 609.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

totalement disparu138. Tout cela ne signifiait pas pour autant que le dialogue relatif à la réactivation de l’institution était complètement absent : Ce fut la politi‐ que de Constantin IX Monomaque (1042-1055)139 et de Constantin X Doukas (1059-1067)140 qui, selon l’aveu des contemporains, imposa l’entrée des « rotu‐ riers » (ἀγενείς) et des artisans, (βάναυσοι) dans les rangs du Sénat. Ces choix ne visaient certes pas à renforcer institutionnellement le Sénat, mais cherchaient à équilibrer le conflit entre les militaires des provinces et les bureaucrates de la capitale, par le biais du facteur des Dèmes, parce que les Dèmes alimentaient la division, tout en fournissant du consensus à l’Empereur141. La Novelle d’Alexis Ier prévoyait la sortie des artisans des rangs du Sénat142, en s’alignant pleinement sur les dispositions B. 6.1.19143, Β. 6.1.23144, Β. 22.5.15145, et constituait certes la loi en vigueur de l’État et prévoyait la composition du Sénat exclusivement de personae egragiae. Or dans le fond, Alexis Ier, tout comme Constantin IX et Constantin X, par ces modifications législatives n’appliquaient rien de moins que les anciens droits constitutionnels que leur conférait la cura morum, la qualité de l’Empereur comme censeur absolu du Sénat, comme Princeps Senatus. Par conséquent, tant la lectio senatus que la procédure de l’adlectio procédaient de cette fonction fondamentale. Mais dans le cas des deux dernières, leur droit constitutionnel dût être plutôt interprété de la façon la plus arbitraire, puisque Attaleiate notait que sous Nicéphore Botaniatès, le Sénat comptait plus de mille membres146. Il apparaît alors que le Synode patriarcal tendait systématiquement à occuper la place institutionnelle du Sénat, au moins sur le plan des fonctions147, et son influence sur les corporations et sur l’évolution institutionnelle et sociopolitique des Dèmes renforçait assurément les champs de sa dynamique. Or les choses n’étaient pas exactement ainsi et Zonaras avait raison lorsqu’il se référait à la 138 Jus Canonicum Græco – romanum, « Συνοδικὸν γράμμα τοῦ ἁγιωτάτου καὶ οἰκουμενικοῦ πατριάρχου κυρίου Νικολάου… », PG 119, 864D-865A. 139 Michel Psellos, Chronographie ou histoire d’un siècle de Byzance (976-1077), II, Renauld, É. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 1928), XXIX, I, p. 132.11-28. Cf. Lemerle, P., Cinq Études sur le xie siècle byzantin, (coll. Le Monde byzantin), (Paris : Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1977), p. 289-290. 140 Psellos, Chronographie, XIV-XV, II, p. 145.1-9. Zonaras, t. III, XVIII.7, p. 674. 141 Vryonis, Sp. Jr., « Δημοκρατία and Eleventh-Century Guilds », DOP 17 (1963), p. 309-314. 142 Imp. Alexii Comneni, Nov. XXIII. « Περὶ τοῦ τοὺς συστηματικοὺς καὶ πραγματευτὰς μὴ οἴκοι ὀμνύειν », in JGR, I, p. 645-646. Regesten, II, n. 1091 (1083 ?, 1098 ?, 1113 ?), p. 30. Voir Rhallis, K., Zwei unedierte Novellen des Kaisers Alexios Komnenos, Athen 1898, p. 9-10. Hendy, Byzantine Monetary Economy…, op. cit., p. 584. 143 B. VI.1.19 = C XII.1.2. Le scoliaste de l’Ecloga Basilicorum décrit avec clarté les destinataires de cette disposition : « Les corrompus et les infâmes ne peuvent pas devenir sénateurs. À savoir des marchands ou des orfèvres ou des publicains et les appariteurs, eux tous, quand bien même des dignités leur sont attribuées exceptionnellement, ne jouissent pas des honneurs qui en dérivent, mais ils en sont déchus » : Ecl. B. 6.1.19, p. 214. 144 B. VI.1.23 = C. XII.1.6. 145 B. XXII.5.15 = D. XII.2.15. 146 Attaliotae, Historia, p. 275. 147 Christophilopoulou, Aik., Histoire byzantine III.1 1081-1204, Athènes, 2001, p. 357.

193

194

CHAPITRE V

déstructuration systématique des anciens organes constitutionnels. En premier lieu, l’Église ne se mêla jamais essentiellement dans les rerum publicum, mais elle fut constamment anti-urbaine. Deuxièmement, et en vertu des restrictions canoniques strictes, aucun dignitaire ecclésiastique ne pouvait porter le titre de senatus urbis constantinopolitanae, et par conséquent les fonctions institutionnel‐ les qui en dérivaient. Mais ce que l’Église réussit, sur le niveau des fonctions institutionnelles, ce fut de limiter considérablement l’immixtion du Sénat dans les affaires judiciaires ecclésiastiques148, tout aussi bien que de lui soustraire la possibilité de ratifier des dispositions et des décisions synodales canoniques149. Sur un plan anthropologique, le Synode patriarcal adopta pleinement la qualité de pars melior humani generis, que représentait le corps du Sénat romain, en préservant pour autant des traits moraux mais non politiques. Enfin, sur le plan institutionnel, les fonctions qui étaient déléguées du Sénat au Synode patriarcal étaient absolument hypothétiques et superficielles. Au milieu du xiie siècle, le Synode patriarcal, ressemblait à un comitatus ecclésiastique qui conseillait l’Empe‐ reur et surtout l’enveloppait de son consentement. Avec une grande conséquence, le Synode patriarcal constituait plutôt une variante du Sacrum Consistorium, sans les stratifications institutionnelles. Ses fonctions consultatives, sa relation organique avec la société, ses cadres juristes et notamment le déplacement du centre de l’image de l’État au principe de la dévotion chrétienne, y contribuèrent de façon déterminante. Sur un plan sémiologique, cette constatation concordait même parfaitement avec le mode de convocation des Synodes patriarcaux sous Manuel Ier. L’Empereur en était le président et les évêques les membres, ceux qui y siégeaient (consistere) : « Sous la présidence de notre très puissant et saint basileus et empereur couronné par Dieu kyros Manuel Comnène (…) furent réunis le despote et promis tant désiré de sa sainte basileia kyros Alexis ; le très saint et œcuménique patriarche kyros Luc ; du très saint patriarche de Théopolis de la grande Antioche kyros Athanase ; et le très saint patriarche de Jérusalem kyros Nicéphore. (…) En présence aussi de très sacrés évêques (…). Et en la présence aussi des archontes despotiques très aimés de Dieu. »150 Sur le plan du vocabulaire, une très intéressante formulation figure chez Tze‐ tzès, qui préférait utiliser à la place du terme sénat (σύγκλητος) celui d’assemblée des anciens (γερούσιον). Or, dans ce cas, ce fut le Synode patriarcal qui était décrit comme sainte assemblée des anciens (ἱερά γερουσία) ou comme assemblée des anciens de Dieu. Dans la Souda, de même que dans les Lexiques de Photius151

148 Cf. Sozomène, Histoire Ecclésiastique, SC 418, p. 314-315. 149 Cf. Évagre le Scholastique, Histoire Ecclésiastique, SC 542, p. 232-257. Theophanis, Chronographia, de Boor, C. (rec.), (Lipsiae : Teubner, MDCCCLXXXIII), p. 105. 150 Actes I, p. 153-155. 151 Photii Lexicon, I, n. 89, p. 358.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

et de Zonaras152, le terme γερούσιον est interprété comme ἔντιμον153, exprimant certes le terme latin d’humeliores, le pars melior humani generis. Or le terme en question décrivait en conséquence le principe de valeurs fondamental pour la dynastie comnénienne, à savoir le respect des anciens et leur intégration dans les organes consultatifs du Basileus154, caractéristiques qui chez Choniatès, par exemple, sont exprimées au travers de l’identification absolue de l’Assemblée des Anciens (Γερουσία) et du Sénat (Συγκλήτος)155. Respectivement, la Souda inter‐ prétait le Sénat en tant qu’ἐκκλησία (église), en parfait accord avec les expressions ecclésiastiques analogues, où le terme ἐκκλησία signifiait le Synode156, mais aussi les consultations civiles publiques157, reflétant au moins sur le plan de la forme, les anciennes fonctions démocratiques d’Athènes. La recomposition de ces carac‐ téristiques ne dictait dans aucun cas la substitution de l’Église au Sénat, mais son renforcement, dans la mesure où le Synode patriarcal constituait effectivement un comitatus consultatif. D’ailleurs, ce que Tzetzès décrivait comme sainte assemblée des anciens exprimait parfaitement les fonctions du Sacrum Consistorium de la période hégémonique romaine constantinienne. Tout ce qui vient d’être exposé souligne qu’effectivement, l’institution synoda‐ le et sa fonction constituaient clairement un moyen d’encouragement de l’unité de l’État. Or le Synode, comme toute fonction de l’Empire, exprimait un ordre plus profond de significations, qui décrivait en définitive plutôt l’essence du destin impérial que la grandeur intrinsèque de fait de l’institution de la Basileia. Ainsi, les vénérables évêques du Synode patriarcal pouvaient proclamer : « De Sion sortira la loi, et de Jérusalem la parole du Seigneur ; et elle nous éclairera sur ses voies ». C’est le prophète qui l’a dit autrefois. Or quelle autre ville, à l’heure actuelle, en dehors de celle-ci, pourrait être la Sion, ou de toute les villes et nations, tant à cause de la pression des ennemis du dehors que de multiples raisons, entre autres le pouvoir, accourent ceux qui ont échappé à la captivité et ceux qui ont subi l’injustice ? Ici seulement nous avons la trompette qui ranime notre foi et la porte au loin ; et ce n’est pas une fois par an, mais souvent, qu’il faudrait réunir le synode pour parer aux difficultés, enseigner ceux qui viennent, exhorter la masse du peuple et toute la communauté, puisque l’assemblée des métropolites et archevêques n’est pas négligeable, tandis que la foule mêlée exige une houlette pastorale, une parole énergique qui réfrène cupidité et injustice et retienne la masse sur la pente contraire. »158

Zonarae Lexicon, I, p. 425. Suidae, I, n. 204, p. 520. Maas, P., « Die Musen des Kaisers Alexios I »., BZ 22 (1913), p. 351. Choniatès, p. 62, 81, 116, 214, 327, 337. Jus Canonicum Græco-romanum, Συνοδικὸν γράμμα τοῦ ἁγιωτάτου καὶ οἰκουμενικοῦ πατριάρχου κυρίου Νικολάου…, PG 119, 865AD. 157 Choniatès, p. 41. 158 Darrouzès, Documents inédits…, op. cit., p. 227. 152 153 154 155 156

195

196

CHAPITRE V

L’Église comme facteur de stabilité politique La question de la succession au trône : Les coordonnées historiques

En mars 1171, le Synode patriarcal sous la présidence de Michel d’Anchialos publia un Tome dans lequel était consigné le serment de fidélité que tout évêque byzantin était tenu de prêter au Basileus Manuel I er et au jeune héritier Alexis II159. Au-delà de la fonction constitutionnelle moderne du texte, notons que sa rédac‐ tion n’était pas seulement dictée par le besoin de créer un cadre de légitimité, mais surtout par la volonté de l’Empereur de protéger les intérêts dynastiques de son héritier160, une volonté attisée par ses désordres obsessionnels personnels161. L’héritier du trône fut proclamé Basileus le 4/III/1171. Alexis n’avait alors que deux ans162. L’acte de cette proclamation se trouvait, par conséquent, dans un rapport temporel très étroit avec le Tome synodal. Cet acte, bien qu’il se distin‐ guât par ses caractéristiques spéciales, ne fut pas le seul de ce genre durant le règne de Manuel Ier. Déjà en 1143, peu après que Manuel Ier ait été proclamé Empereur, le grand domestikos Jean Axouch ne se contenta pas du simple consensus des organes byzantins constitutionnels, mais exigea un serment de fidélité explicite au nouvel Empereur163. Or, c’est la demande de prêter serment de fidélité au fiancé hongrois de la fille du Basileus Marie, en 1165, en l’absence d’héritier mâle, qui conduit au cœur de cette problématique. Cette question qui peut être considérée comme interprétant en général l’anxiété de Manuel Ier d’assurer la domination de sa dynastie, décrit la quantité d’intérêts opposés et les diverses tendances au sein de la société byzantine et explique en partie les raisons pour lesquelles l’Empereur recourut de façon si décisive au consensus de l’Église. Il est important de rappeler ici le Livre VI de l’Épitomé des Histoires de Jean Kinnamos. Peu avant d’entreprendre le récit des événements relatifs à la querelle christologique de 1166, Kinnamos jugea prudent de fournir quelques informations concernant les aventures du cousin de l’Empereur, Andronic Com‐ nène. Ceci s’explique par la concomitance chronologique – les événements se produisirent durant la même époque – mais très probablement aussi en raison

159 Regestes, III, n. 1120 (24.4.1171), p. 150-151. Text : Pavlov, A., « Sinodal’nij akt Konstantinopolskago patriarha Mihaila Anhiala 1171 g. », V.V. 2 (1895), p. 388-393. 160 « Seul le basileus, et non les consuls ou les archontes, peut exceptionnellement permettre aux mineurs d’administrer leurs affaires » : B.10.4.3 pr. = D.4.4.3 pr. Ecl. B. 10.4.3 pr., p. 503-504. 161 « Manuel Ier donna le nom d’Alexis à son fils, obéissant aux prévisions des astrologues, qui à sa question concernant de savoir jusque quand la dynastie d’Alexis serait prolongée, il reçut en réponse la prophétie ΑΙΜΑ, mot dont les lettres prises isolément une par une, suggèrent par le A le nom d’Alexis, par le I d’Ioannis, par M de Manuel et par A celui qui recevrait le pouvoir de la basileia par ce dernier » : Choniatès, p. 169.89-87. Voir Leonis Imperatoris, Oracula, PG 107, 1124D-1125A. Barzos, II, p. 455. KOUKOULÈS, Vie des Byzantins…, IV, op. cit., p. 60-61. Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 329. 162 Barzos, II, p. 456. 163 Choniatès, p. 46.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

de corrélations tacites qui suggéraient aux lecteurs contemporains un rapport de cette querelle avec la personne d’Andronic et notamment avec son évasion en 1164164. Kinnamos nous informe entre autres que l’Église prononça un anathème contre Andronic – apparemment sur suggestion de l’Empereur – eu égard à son comportement constamment illicite165. Il faudrait, toutefois, n’en rechercher la cause qu’un an auparavant, en 1165 : En rentrant victorieux à Constantinople après de longs conflits sur les territoires hongrois, Manuel Ier décida de fiancer sa fille Marie au prince hongrois Béla, à qui il s’empressa de donner le nom d’Ale‐ xis166. Étant donné que l’Empereur n’avait pas encore eu d’héritier, il proclama le couple ses successeurs au trône167, en obligeant tous les dignitaires impériaux à prêter serment de fidélité à Alexis-Béla et à Marie168. Andronic refusa d’obéir à l’ordre de son cousin ; il adressa une accusation dure : Alexis-Béla était considéré par tout citoyen de l’Empire comme un fiancé inférieur à Marie. Ce choix d’un allogène pour la succession au trône, n’aurait pu conduire qu’à une humiliation absolue de l’Empire169. Choniatès ajoutait, sur le même ton critique, qu’« Alexis était un nouveau jet de souche étrangère, qui fut greffé sur Marie, l’olivier culti‐ vé ». « Il y avait beaucoup de gens », écrit Choniatès, « qui bien qu’ils eussent prêté serment de fidélité au jeune couple, estimèrent les objections d’Andronic très censées ». Manuel Ier passa vite à la contre-attaque, en désignant ouvertement son cousin comme opposant au régime170. Il allait pour autant de soi que l’opinion publique byzantine partageait l’avis d’Andronic et comprenait que la politique de Manuel Ier conduisait à la décomposition de l’identité impériale romaine. Hormis Andronic, Alexis Kontostéphanos, un des « adversaires » de Ma‐ nuel Ier dans la querelle christologique de 1166, était également mécontent. Non seulement Kontostéphanos avait eu un rôle déterminant dans les opérations militaires sur les territoires hongrois171, mais les choix politiques de l’Empereur avaient totalement ignoré sa contribution personnelle, tout en l’exposant. La dési‐ gnation de Béla comme successeur au trône, signifiait aussi pour Kontostéphanos que Manuel Ier méprisait clairement l’ancien régime. Ce mépris apparaît aussi, par exemple, dans le cas de l’élimination politique du Protostrator Alexis Axouch en

164 Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 329. 165 Kinnamos, p. 251. 166 Apparemment, Manuel Ier donna le nom d’Alexis à Béla pour que son sort coïncidât avec la prédiction Α.Ι.Μ.Α. Ce qui signifie qu’il était décidé de transmettre le trône impérial à un Hongrois. 167 Choniatès, p. 112, 128. Kinnamos, p. 214-215. 168 Choniatès, p. 137. 169 Selon Andronic, « l’Empereur, qui a déjà contracté un deuxième mariage avec la belle Marie d’Antioche, aura probablement d’elle un fils, et alors nous, comme nous serons obligés de prêter serment de fidélité à ce rejeton tardif, nous deviendrons des parjures à l’égard de sa fille Marie. Et puis, comment juger cet acte de l’Empereur, qui choisit cet allogène (à savoir Béla), que tout citoyen de l’Empire a considéré comme un gendre inapproprié, en humiliant ainsi les citoyens eux-mêmes, lorsque celui-ci deviendra demain leur maître et basileus » : Ibid., p. 137. 170 Ibid., p. 137. 171 Voir Barzos, II, p. 224-227.

197

198

CHAPITRE V

1167172. Varzos avait toutes les raisons d’estimer que la promotion de Béla était le dernier acte dans les relations d’Axouch avec Manuel Ier, avant l’anéantissement total de sa famille. Axouch, d’origine turque, subit non seulement sa dégradation continue, malgré ses droits acquis sur la succession173, mais aussi la dévalorisation de l’élément oriental dans les armées au profit des Occidentaux. Le fait que tous ces épisodes se situent entre 1165 et 1167, montre que l’Empereur faisait effectivement face au mécontentement accru de la société byzantine en raison de ses choix personnels, qui étaient perçus comme une preuve de pro-occidentalisme patent. Il convient de tenir compte d’un élément supplémentaire. L’extrait du vie Livre de l’Épitomé des Histoires de Kinnamos, relatif à la querelle christologique de 1166, s’achève d’une façon particulièrement inattendue, ce qui conduisit Magdali‐ no à considérer que Kinnamos sous-estimait la question du conflit dogmatique174. Or, à notre avis, il s’agissait tout à fait du contraire. Cet extrait se référait à l’épisode suivant : Manuel Ier, apprit durant les travaux synodaux de 1166 que sa femme Marie venait de perdre l’enfant mâle qu’elle portait. L’Empereur éclata alors en sanglots et pria le Synode de l’informer si sa tragédie personnelle n’était pas en rapport avec ses opinions théologiques autour de l’interprétation du verset évangélique Mon père est supérieur à moi et si Dieu, à travers l’impuissance de l’Empereur d’avoir un enfant mâle – à savoir un héritier – n’exprimait pas sa désapprobation à l’égard de ses points de vue. Le Synode chaleureusement et en larmes embrassa le Basileus. L’orthodoxie des opinions de l’Empereur fut prouvée quelques années plus tard par la naissance d’un héritier175. L’enchâssement de cette histoire dans le récit de la querelle christologique de 1166, indique une liaison directe de la question avec le sujet de la succession. L’Empereur y était présenté mortifié par l’éventualité de ne pas avoir d’héritier. Or, il est connu que durant les travaux du Synode de 1166, Alexis-Béla y partici‐ pait avec le titre de Despote, et était commémoré selon les Procès-Verbaux immé‐ diatement après Manuel Ier et avant les Patriarches de Constantinople, Antioche et Jérusalem : « Participant sous sa puissance en Dieu (de Manuel Ier) du despote et gendre bien aimé de sa sainte basileia kyr Alexis ».176 Il est alors très probable que la digression de Kinnamos ne constituait qu’un rempart contre tous ceux qui entraient en conflit avec l’Empereur à cause de la question de la succession. Le fait que ce récit n’ait pas été contemporain des faits tend, en quelque sorte, à justifier les choix impériaux. Toutefois, l’allusion y était très claire : la querelle dogmatique était liée aux réactions suscitées par la question de la succession.

172 Sur Alexis Axouch, Voir Barzos, II, p. 117-135. 173 Barzos, II, p. 117-118. Stiernon, L., « Notes de titulatures et de prosopographie byzantines. À propos de trois membres de la famille Rogerios », REB 22 (1964), p. 197. 174 Magdalino, Manuel I…, op. cit., p. 355. 175 Kinnamos, p. 256-257. 176 Actes I, p. 153.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

Le Tome synodal du 24 mars 1171 comme Loi sur la Succession

Il est évident que le Synode publia ce Tome sur suggestion de l’empereur. Il est également évident que cette décision ne concernait pas seulement le souci d’assurer le droit de succession, mais protégeait aussi le jeune héritier de dangers objectifs explicites. Or ce Tome fut-il effectivement une loi spécifique sur la Succession177 ? Balsamon, en interprétant le canon 3 de Gangra (340)178, semblait ignorer le Tome synodal de 1171179. Or, il recourait en revanche à un autre texte législatif, datant du règne de Constantin VIII (1025-1028), en vertu duquel le Synode était contraint de prêter serment de fidélité à l’Empereur et de déclarer qu’il anathématiserait quiconque tenterait de le renverser du pouvoir180. Le canoniste observait que la Novelle en question, qui avait valeur de Tome synodal, se trouvait privée à son époque de sa force législative (en désuétude)181. En tout état de cause, frapper d’anathème les opposants du régime était une peine excessive, car l’anathème, en tant que pénitence ecclésiastique et non en tant que peine civi‐ le, retranchait complètement les hommes de l’Église182. La problématique était claire : l’Empereur transformait les pénitences canoniques en des dispositions pénales civiles, en désacralisant le droit canonique et le Sacrement de l’Église. Les deux Tomes synodaux ne peuvent, à notre avis, être corrélés que sur le plan de la problématique et non du contenu. Le serment de fidélité à Manuel Ier et au jeune Alexis II ne ressemblait pas aux anathématismes terroristes de la Novelle de 1026. Abstraction faite de l’intention de servir les intérêts dynastiques étroits, l’Église était appelée à assurer par le Tome de 1171 une série de questions, en se portant essentiellement garante de la stabilité de l’État. Ce qui apparaît clairement dans la façon dont le Tome plaçait le Synode et le Patriarche à l’égard de l’Augusta Marie. Le serment de fidélité stipulait qu’après la mort du Basileus, l’Augusta était contrainte de revêtir l’habit monacal pour pouvoir assumer les charges de la régence. Si elle ne s’y pliait pas, elle était automatiquement déchue de ses droits. Car l’état monacal, comme empêchement matrimonial, découragerait l’éventuali‐

177 Pertusi, A., « Il pensiero politico e sociale bizantino dalla fine del secolo VI al secolo XIII », in Firpo, L. (dir.), Storia delle idee politiche, economiche e sociali, (Torino : UTET, 1983), p. 768, 786-787. 178 « Canon III du Synode de Gangres », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 90. 179 Balsamon, « Commentaire au 3e Canon de Gangres », in PR, III, p. 97-103. Voir Svoronos, N., « Le serment de fidélité à l’empereur byzantin et sa signification constitutionnelle », REB 9 (1951) p. 114-115. 180 Constantini Porphyrogeniti, Nov. XXXI. De seditiosis, in JGR, I, p. 273-274. Regesten, II, n. 823 (VI/ 1026), p. 1. Regestes, II, n. 830 (VII/1026), p. 247. 181 Balsamon, « Commentaire au 3e Canon de Gangres », in PR, III, p. 103. 182 Voir Beck, H.-G., Kirche und theologische Literatur im byzantinischen Reich, (München : Beck, 1959), p. 78.

199

200

CHAPITRE V

té d’un nouveau mariage, qui pourrait aboutir à écarter Alexis II du trône183. L’Église était désignée garante de l’exécution du commandement impérial. De plus, Marie, en tant que religieuse, s’engageait institutionnellement devant les organes ecclésiastiques de contrôle, qui évaluaient la vertu de sa vie et en consé‐ quence son orthodoxie politique. L’espace politique étroit qui se dessinait pour Marie peut aisément être reconstitué, en recourant à un serment correspondant de la deuxième moitié du xie siècle : Marie avait presque le même sort qu’Eudocie Makrembolitissa, qui en 1067 fut appelée à prêter serment devant le Synode et le Sénat qu’elle ne contracterait pas un second mariage après la mort de Constan‐ tin X Doukas (1059-1067), assurant ainsi les droits du jeune héritier et les intérêts dynastiques de la famille des Doukas184. Marie pour autant ne s’engageait pas comme Eudocie par de terribles serments devant Dieu et les saints et le Patriarche n’était certes pas contraint d’anathématiser l’Augusta au cas où elle aurait manqué à ses serments185. À un premier niveau, il semble que Manuel Ier se montra réservé, estimant que l’implication des pénitences canoniques à propos des crimes politiques en‐ traînerait une certaine désacralisation de l’autorité spirituelle de l’Église. Mais à y regarder plus attentivement, il apparaît que le serment de fidélité du Tome synodal de 1171 revêtait des caractéristiques politiques explicites, en reléguant les connotations religieuses au second plan. Une question est pourtant soulevée : Pourquoi l’Empereur comme législateur absolu ne se chargea pas lui-même de rédiger une loi à ce propos, mais il confia cette tâche à l’Église ? Et finalement, quelle était la pertinence intérieure du texte avec la conjoncture historique et les modèles idéologiques ? En premier lieu, le Tome de 1171 ne saurait pas être considéré comme une loi, mais plutôt comme un acte de teneur constitutionnelle juridiquement lâche, malgré son caractère contraignant, entre le Synode et l’Empereur. Deuxièmement, si effectivement la promulgation d’une telle loi avait été nécessaire, Manuel Ier aurait créé un vide de légitimité, vu que la place du droit de succession au trône dans la tradition constitutionnelle romaine était particuliè‐ rement mouvante. Compte tenu des circonstances, Manuel Ier aurait augmenté les dangers pour Alexis II, puisque les autres prétendants au pouvoir auraient pu invoquer l’incohérence de la législation moderne à l’égard de la tradition constitutionnelle ancienne, pour déclarer leur apostasie à l’héritier. Troisièmement, il était en effet impossible que la volonté populaire, comme facteur de la désignation du Basileus, eût pu puiser la légitimité requise dans le seul droit byzantin coutumier non écrit. En tout état de cause, la volonté populaire était un des facteurs les plus déterminants de légitimité, à savoir de

183 Medvedev, I. P., « La décision synodale du 24 mars 1171 comme loi de succession au trône de Byzance », in Byzantium in Twelfth Century…, op. cit., p. 234-235. 184 Regestes, III, n. 898 (± 21/V/1067), p. 23. Texte : Oikonomidès, N., « Le serment de l’impératrice Eudocie (1067). Un épisode de l’histoire dynastique de Byzance », REB 21 (1963), p. 101-128. 185 Voir Oikonomidès, « Le serment de l’impératrice Eudocie… », art. cit., p. 105-108.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

maintien du pouvoir. À notre avis, la décision de Manuel Ier révèle qu’il était conscient du très profond enracinement de l’Église dans la société et notamment de son rôle comme agent de rééquilibrage de la puissance sociale. On peut en déduire que l’Empereur cherchait à revendiquer par l’intermédiaire de l’Église le consensus omnium, parce qu’il le reconnaissait comme facteur fondamental de son développement. Quatrièmement, la confiance constante dans le consensus populaire ne consti‐ tuait qu’une illusion politique. C’est pourquoi l’Église se chargea de jouer un rôle de médiation, garantissant ainsi la légitimité, comme un médiateur paradoxal entre le sentiment social et la puissance impériale. Curieusement, de cette maniè‐ re, les anciennes traditions constitutionnelles romaines ne furent pas supprimées, mais continuèrent de survivre intactes186, pour que le « Peuple christophore » pût désigner le Basileus et garantir sa légitimité, toujours avec l’aide de Dieu187. Il serait impossible de ne pas tenir compte de ce paramètre, parce que la multitude des mouvements séditieux vers la fin du xie siècle ainsi qu’immédiatement après la mort de Manuel Ier, souligne la très grande importance du consensus social. Ce qui signifie, dans le fond, que c’était le positionnement du Synode à l’égard de la question de la succession qui allait aussi former de façon déterminante la tendance de l’opinion publique. Cinquièmement, même en considérant que le rôle fondamental de l’Église au sein de l’État faisait d’elle la quatrième institution et le Patriarche lui-même un représentant en quelque sorte singulier des autres groupes institutionnels – Armée, Sénat, Peuple – il conviendrait de tenir compte d’une nette distinction entre le consensus omnium et les limites de chaque espace institutionnel188. Et ceci parce que malgré les intérêts partiels de chaque groupe particulier, le consensus omnium avait des caractéristiques supra-institutionnelles et donc unificatrices. Ce qui signifie que l’Église, de même que l’Empereur, n’était pas un facteur institutionnel au sens strict, mais plutôt une composante supra-institutionnelle de l’Œkoumène romain, car elle renforçait incessamment les réservoirs idéologiques impériaux et qu’elle sauvegardait surtout le sens de l’Histoire, à savoir le sens du sujet historique. Par conséquent, la qualité unificatrice de l’Église se renforçait au moyen du consensus l’Idéologie impériale. Sixièmement, le Tome synodal de 1171 ne saurait pas être considéré comme un serment de fidélité à l’Empereur, étant donné que les Canons interdisaient expressément aux Évêques de prêter serment189. Par conséquent, les Évêques ne s’engageaient que par leurs signatures. Il est difficile de distinguer dans cette initiative impériale une tendance à mettre les Évêques sur un niveau d’égalité avec

186 Voir Inst., De Iure Naturali et Gentium et Civili, 1.2.6., in C.I.C., I, p. 1-2. 187 « Imperium nobis a coelesti majestate traditum est (…) lege antiqua omne ius omnisque potestas populi Romani in imperatoriam translata sunt potestatem » : Imp. Iustinianus, De veteri iure encucleando et auctoritate iuris prudentium qui in Digestis referunur (= C. 1.17.1), in C.I.C., II, p. 69. 188 Voir Svoronos, « Le serment de fidélité… », art. cit., p. 125. 189 Voir Matthieu, 5.34 ; « Canon XXV des Saints Apôtres », in Joannou, Fonti, IX, t. 1,2, p. 19.

201

202

CHAPITRE V

tout autre fonctionnaire impérial ou encore à les dévaloriser en les plaçant dans la catégorie de simples objets des finalités du palais190. Il est impossible, par ailleurs, d’évaluer la décision de Manuel Ier en tant que telle, puisqu’il ne s’agissait pas d’un acte quelconque, mais d’un acte qui livrait le sort de son fils unique et héritier légitime aux mains du Synode patriarcal. L’obscurité de la question, à savoir à qui la tutelle d’Alexis II serait-elle confiée dans le cas de la mort éventuelle du Basileus ou de l’Augusta, est dissipée grâce à une apostrophe de Choniatès : Nous informe que lorsque l’épée d’Andronic Ier commença à présager la fin du jeune héritier, Alexis se trouvait sous la tutelle du Patriarche Théodose Boradiote, qui protégeait les droits de l’héritier du trône et la bonne exécution du Tome de 1171, résistant solide comme un roc aux attaques des vagues impétueuses191. Septièmement, l’absence d’anathèmes confère au texte une sacralité sui generis, parce que l’indubitable autorité spirituelle de l’Église est ainsi reconnue. Il en résulte que l’Église est devenue l’organe de contrôle de la légitimité impériale et, en conséquence, le garant des équilibres institutionnels, puisque tout ce qui est mentionné plus haut lui était reconnu. Le Tome synodal de 1171 était sacré, car il constituait le fruit d’une procédure synodale. Par conséquent, en tant que sacré, il était aussi contraignant. Son caractère contraignant était bilatéral et les obligations étaient réciproques : tant les tuteurs de l’héritier du trône que l’Église s’engageaient à exécuter fidèlement le commandement du Basileus. Les droits s’accompagnaient donc de responsabilités. La répercussion historique de la Décision synodale de 1171

Les événements dramatiques qui suivirent la mort de l’Empereur en 1180 et l’exécution systématique de tous ses parents proches – de son épouse, de l’héritier, de sa fille, de son gendre, de sa belle-fille – prouvent que le Tome synodal de 1171 ne prétendait pas à constituer un simple brise-lames contre les réclamations des autres prétendants au trône192. La gravité de la crise politique intérieure, la déstabilisation de la place de Byzance dans le théâtre géopolitique et la tragédie qui s’ensuivit, évoluaient dans leur ensemble autour du caractère contraignant du Tome synodal de 1171, qui introduisait l’Empire dans une spirale sans précédent, présage de tout ce qui allait suivre jusqu’en 1204. Et ceci parce que si personne n’avait été en mesure de renverser les stipulations de la décision de 1171, il aurait pour autant pu exterminer tous ceux que le Tome protégeait,

190 Voir Svoronos, « Le serment de fidélité… », art. cit., p. 135. 191 Choniatès, p. 252-254. 192 Voir Cognasso, F., « Partiti politici e lotte dinastiche in Bizanzio alla morte di Manuele Comneno », Memorie della Reale Accademia delle scienze di Torino 62/2 (1912), p. 213-317.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

affranchi dès lors du Tome lui-même193. Il est donc possible de suivre comment ce programme fut mis en œuvre point par point : i Le § 3 de la Décision synodale : (« Je conviens) que si (…) le fils bien aimé de ta majesté kyr Alexis est encore impubère (je conviens) de me soumettre à la volonté et au commandement de l’augusta bien aimée de ta sainte majesté kyra Maria, si toutefois elle prend l’habit monacal et est tonsurée désormais canoniquement et sauvegarde l’honneur de ta majesté et de son fils, jusqu’à ce que celui-ci accomplisse ses seize ans. »194 En effet, après la mort de Manuel Ier, l’Augusta prit l’habit monacal sous le nom de Xena195. Toutefois, elle ne put pas éviter les aventures amoureu‐ ses196. Andronic Ier incitait systématiquement le peuple de Constantinople contre l’Augusta Marie, en utilisant comme argument principal sa liaison amoureuse avec le protosébaste Alexis Comnène197, ce qui annulait de fait sa légitimité à l’égard de la Décision synodale de 1171. C’est ce qui suscita les recommandations instantes adressées par les Constantinopolitains au Patriarche Théodose Ier d’éloigner immédiatement l’Augusta du trône198. Devant le refus du Patriarche de s’y conformer, Andronic Ier se tourna vers le tribunal du Velum199, en exigeant de celui-ci de fonctionner comme une sorte de tribunal constitutionnel pour procéder à la destitution immédiate de l’Augusta200. Lorsque les trois juges eurent refusé et déféré ce genre de décisions constitutionnelles au jugement impérial201, la foule se dirigea me‐ naçante contre eux, et ils ne réussirent que difficilement à s’en échapper202. Un peu plus tard, Andronic Ier réitéra ses accusations, en faisant cette fois-ci cas de haute trahison. En effet, le Sénat, agissant contrairement aux lois civiles, condamna l’Augusta sans procès, en ordonnant sa réclusion dans la prison monastique de Diomède203. La tragédie portait la signature du jeune Alexis II : le jeune prince avait 15 ans quand il signa à l’encre rouge la condamnation à mort de sa mère « de sorte que l’écriture ressemblait à une goutte de sang maternel »204.

193 « Andronic s’animait contre eux (…) et son cœur sanguinaire se répandait, anéantissant la race de Manuel et taillant le jardin du royaume, comme s’il était le seul habitant de l’Empire des Romains et s’emparant de ses sceptres sans peur » : Choniatès, p. 349. 194 Medvedev, « Loi sur la succession au trône… », art. cit., p. 234-235. 195 Choniatès, p. 255. 196 Ibid., p. 223-224. 197 Barzos, II, p. 189-218. 198 Choniatès, p. 265. 199 Sur le tribunal du Velum et ses compétences, Voir Gkoutzioukostas, Administration of Justice in Byzantium…, op. cit., p. 119-181. 200 Choniatès, p. 267-268. 201 Voir Gkoutzioukostas, Administration of Justice in Byzantium…, op. cit., p. 259-266. 202 Choniatès, p. 265-266. 203 Ibid., p. 267-268. 204 Ibid., 268.

203

204

CHAPITRE V

ii

iii

205 206 207 208 209 210 211 212 213 214 215 216 217

Le § 7 de la Décision synodale : « Et s’il arrive après ta mort que ni ton fils kyr Alexis soit en vie (…) (je conviens) de me soumettre aux ordres (…) de ta fille bien aimée, de la très illustre kyra Marie, alors vivante et de son futur mari en noces légitimes, s’il demeure toutefois ici avec elle et s’il observe une conduite romaine et un état ecclésiastiques. »205 Marie Comnène206, fille de Manuel Ier, mourut soudainement en juillet 1182207. Selon Choniatès et Guillaume de Tyr, son serviteur, l’énuque Pté‐ rigionitès, sur suggestion des hommes d’Andronic Ier, lui administra du poison qui entraina sa mort208. Peu de temps après, son mari Rénier-Jean de Montferrat fut aussi assassiné de la même manière209. Il convient de signa‐ ler que Marie s’opposait vigoureusement à l’Augusta Marie, allant jusqu’à organiser avec son mari l’assassinat du protosébaste Alexis Comnène, amant de l’Augusta. Le complot échoua pour autant et Marie chercha refuge à la Sainte Sophie210, où elle tenta par des dons d’argent de gagner les faveurs du peuple et du clergé211, ce à quoi elle parvint dans une certaine mesure, mal‐ gré les efforts constants du Patriarche Théodose Ier de maintenir l’équilibre et de prévenir la tragédie212. Le conflit violent entre les gardes du corps de Marie et les opposants au régime qui se déroula dans la capitale213, ne prit fin qu’à la suite de l’intervention déterminante du Patriarche214. Varzos décèle derrière cet incident un conflit interdynastique, centré sur l’appropriation de la légitimité conférée par la Décision synodale de 1171215. Il n’est guère fortuit que ce conflit semble avoir été orchestré par Andronic Ier, dont Marie Comnène fut une fervente sympathisante216. Le § 2 de la Décisions synodale : « Je conviens) d’avoir désormais, sans aucune réserve ou nécessité d’un autre serment, le fils bienaimé de ta sainte majesté, le très illustre porphyrogénète et basileus kyr Alexis comme empereur basileus à ta place et de maintenir aussi à son égard la même pure fidélité et bienveillance. »217

Medvedev, « Loi sur la succession au trône… », art. cit., p. 235-236. Barzos, II, p. 439-452. Ibid., I, p. 555. Choniatès, p. 259-260, 269. Ibid., 260. Ibid., p. 232-233. Ibid., p. 232. Anonyme, Synopses Chroniké, in B.M., VII, p. 312. Choniatès, p. 233-238. Voir Barzos, II, p. 203-211. Ibid., p. 238-239. Anonyme, Synopses Chroniké, in B.M., VII, p. 314-315. Barzos, II, p. 451. Choniatès, p. 230-231. Medvedev, « Loi sur la succession au trône… », art. cit., p. 234.

L’IDÉAL DE LA « SYNALLÉLIE RÉELLE »

En octobre 1183218, le logothète du dromos pansébaste sébaste Stéphane Agiochristophoritès219, le grand étairiarche Constantin Tripsychos et le pri‐ micerius des Bardariotes Théodore Dadibrènos étranglèrent Alexis II dans la chambre impériale avec la corde d’un arc220 : « Une fois le corps levé et présenté à Andronic, celui-ci lui assène des coups de pied sur le flanc et des parents du défunt l’un est traité de parjure et la mère est injuriée comme une fameuse courtisane. »221 Ensuite, après lui avoir coupé la tête et lui avoir passé par l’oreille une corde scellée de la bague de sceau d’Andronic Ier, on la jeta dans le puits du Palais. Le reste du corps fut jeté dans le Bosphore aux sons de musique et de chansons222. Andronic Ier, juste après l’exécution d’Alexis II, se maria avec la fiancée de son neveu, fille de Louis VII de France, Agnès-Anna. Lui avait 65 ans et la jeune fille n’en avait que 13223. Il apparaît ainsi que le rôle du Patriarche dans l’enchaînement des faits sus‐ mentionnés était pleinement en accord avec son engagement au respect de la Décision synodale de 1171. Sa présence, en dehors de sa puissance institutionnel‐ le, fut d’emblée déterminante, c’est pourquoi tous se tournèrent contre lui dans un effort pour affaiblir les soupapes de sécurité de la convention entre l’Empereur et l’Église. Les épisodes s’articulèrent de la façon suivante : i Juste après le coup d’État de Marie Comnène, Théodose Ier intercéda pour éviter que la crise politique ne s’aggravât. Hormis le fait qu’il offrit la Sainte Sophie comme lieu d’asile à Marie, ce qui permit à cette dernière de recruter sa coalition dissidente224, il exigea du grand dikaiodote, après l’échec du coup d’État, de juger l’affaire avec modération225. Cette immixtion du Pa‐ triarche suscita la colère du protosébaste Alexis Comnène, puisque celui-ci l’interpréta comme un appui manifeste aux séditieux. En effet, sur son ordre, Théodose Ier fut contraint à l’assignation au monastère du Pantépopte, tandis que le processus de sa destitution fut mis en route226. Toutefois, à l’encontre des intentions du Palais, il fut réinvesti sur le trône patriarcal dans un climat de liesse populaire : partout dans les rues de Constantinople on brûlait de l’encens et de précieux parfums d’Orient, tandis que le peuple acclamait et chantait227. 218 Barzos, II, p. 469. 219 Voir Savvidès, A. G. K., « Thermourgos Antichristophoritès, homme sanguinaire : Le sort de Stéphanos Hagiochristophoritès, bras droit d’Andronic Ier Comnène », in Crime et châtiment…, op. cit., p. 67-95. 220 Choniatès, p. 273-274. Anonyme, Synopses Chroniké, in B.M., VII, p. 333-334. 221 Choniatès, p. 274. 222 Ibid., 274.19-29. Eustathii Thessalonicensis, De Thessalonica Urbe a Latinis capta, PG 136, 49CD. 223 Ibid., p. 275-276. Eustathe de Thessalonique note qu’Agnès se réveillait agitée et demandait dans son sommeil Alexis II : Eustathii Thessalonicensis, De Thessalonica Urbe a Latinis capta, PG 136, 52A. 224 Choniatès, p. 233. 225 Eustathii Thessalonicensis De Thessalonica Urbe a Latinis capta, PG 136, 25BC. 226 Choniatès, p. 241-242. Eustathii Thessalonicensis, De Thessalonica Urbe a Latinis capta, PG 136, 28AB. 227 Ibid., 243.

205

206

CHAPITRE V

ii

iii

iv

Au cours d’un dialogue caractéristique entre Théodose Ier et Andronic Ier, le second se plaignit au Patriarche que tandis que sa signature à la Décision synodale de 1171 l’engageait à assumer l’éducation d’Alexis II, le Patriarche lui en avait confié toutes les charges, en l’accablant ainsi de responsabilités et de peines supplémentaires, tandis que dans le même temps il devait s’oc‐ cuper des affaires de l’État. Théodose Ier lui répondit que depuis qu’Andro‐ nic Ier avait fait son entrée dans la capitale, il négligeait en effet ses devoirs concernant l’éducation d’Alexis II, parce qu’il considérait le jeune héritier comme déjà mort. Malgré l’explication diplomatique qu’il donna par la suite pour justifier ces propos, Andronic Ier y discerna furieux l’allusion du Patriarche228. Théodose Ier se trouvait dans l’impossibilité de maintenir intacte sa position face à l’absolutisme d’Andronic Ier. Selon Choniatès, le Patriarche se dressait comme un roc solide devant les offenses des lames impériales, au milieu d’injures, de menaces et de pressions229. Mais finalement, le Patriarche démissionna (VIII/1183), préférant la quiétude du monastère, acte qu’An‐ dronic Ier accueillit comme un grand cadeau de la fortune230. Depuis lors, l’élimination de la maison de Manuel Ier fut systématique et inévitable. Ce fait souligne que la présence de Théodose Ier et son sincère respect de la Décision synodale de 1171 fonctionnaient comme une entrave face à la boulimie des prétendants au pouvoir. Varzos avait de fait toutes les raisons de considérer que Théodose Ier fut le dernier et peut-être aussi l’unique obstacle avant la domination totale et cruelle d’Andronic Ier231. Après avoir en premier lieu reçu l’appui ouvertement hypocrite du nouveau Patriarche de Constantinople Basile II, Andronic Ier demanda par la suite, après l’exécution de son neveu et l’élimination de toute la maison de Manuel Ier, au Patriarche et au Synode de le désengager des serments de fidélité qu’il avait prêtés tant à Manuel Ier qu’à Alexis II232. Dans le fond, Andronic Ier ne demanda rien de plus que l’annulation formelle de la validité de la Décision synodale de 1171. Étant donné que cette décision avait été prise par les organes ecclésiastiques, son annulation devait nécessairement revêtir une validité institutionnelle analogue. D’ailleurs, il n’y avait plus personne que cette décision pût protéger.

228 Choniatès, p. 253.4-254.20. Eustathii Thessalonicensis, De Thessalonica Urbe a Latinis capta, PG 136, 48CD. 229 Ibid., p. 260-262. 230 Ibid., p. 262. 231 Barzos, I, p. 559. 232 Choniatès, p. 276-277.

CHAPITRE VI

L’institution de Basileia en crise

La critique du xii e siècle contre l’institution de Basileia Michel Glykas : L’impérativité de la puissance – Œkoumène ou Babel ?

Dans une brève notice dans les Questiones, Michel Glykas1, traite la Basileia ou plutôt les formes du pouvoir et de la puissance comme une partie du problème historique et anthropologique plus étendu. L’importance de la critique de Glykas repose sur le fait que celui-ci concevait l’institution impériale comme le résultat de l’introduction du péché dans le monde. Glykas considérait que le péché ne fut pas introduit lors de l’expulsion du couple des premiers hommes du Paradis, mais avec la chute du genre humain du monothéisme au polythéisme. Glykas recon‐ naissait que l’hénothéisme avait précédé le polythéisme et prédominé jusqu’à la construction de Babel2. En conséquence, l’institution de la Basileia s’identifiait à la division que la construction de la tour provoqua dans l’humanité. La déchéance de l’institution résidait au fait que celle-ci ne constituait rien de plus qu’une forme insensée d’exercice de la puissance de l’homme sur son semblable, générée fonda‐ mentalement par une série de discriminations raciales. Mais Glykas ne pouvait pas surpasser le schéma de sacralité de la puissance monarchique et proposa ainsi de façon indirecte la culpabilité même de Dieu. L’extrait suivant permet de suivre son raisonnement : « Depuis la création du monde jusqu’au déluge de Noé, ces ancêtres et chefs du genre humain avaient vécu en n’admettant pas qu’il y ait des différences

1 Sur la « dissidence » de Glykas : Michel Glykas, « Στίχοι Γραμματικοῦ Μιχαὴλ τοῦ Γλυκᾶ οὓς ἔγραψε καθ’ὃν κατεσχέθη καιρὸν ἐκ προσαγγελίας χαιρεκάκου τινός », in Glykas, Questiones, I, p. [ρλστ´]-ρνστ ´. Idem., « Ἕτεροι στίχοι πρὸς τὸν βασιλέα κυρὸν Μανουὴλ τὸν Κομνηνόν, ὅτε λαμπρὸς ἀπὸ Οὐγγρίας στεφανίτης ὑπέστρεψεν », in Ibid., p. ρνζ´-ρξα´. Tsolakès, Ev., De Michel Glykas. Vers qu’il écrivit pendant sa réclusion, (coll. Annales scientifiques de la Faculté de Philosophie, Annexe 3), (Thessalonique : U.Th.A., 1959). Kurtz, Ed., « Abteilung. Μιχαὴλ τοῦ Γλυκᾶ εἰς τᾶς ἀπορίας τῆς θείας γραφῆς κεφάλαια, ἐκδιδόμενα ὑπὸ Σ. Εὐστρατιάδου. Τόμος πρῶτος », BZ 17 (1908), p. 166-172. Beck, Kirche und theologische Literatur…, op. cit., p. 343-344. Karposelos, Ap., Historiens et Chroniqueurs byzantins, IΙΙ, (Athènes : Kanakis, 2009), p. 585-586. Kresten, O., « Zum Sturz des Theodoros Styppeiotes », JÖB 27 (1988), p. 49-103. Bourbouhakis, E. C., « ‘Political’ personae : the poem from prison of Michael Glykas : Byzantine literature between fact and fiction », BMGS 31/1 (2007), p. 53-75. 2 En suivant l’axe de la concomitance de la division des états et de la création de la multiplicité des langues, Glykas introduit une théorie linguistique particulièrement intéressante : Michaelis Glykae, Annales, II, p. 240-242, 244-245.

208

CHAPITRE VI

entre les hommes (…) Il n’y avait pas parmi eux d’esclaves3, puisque la loi naturelle excluait une telle distinction (à savoir entre l’esclave et l’homme libre)4. Il n’y avait parmi eux ni dominants ni dominés, tous étaient libres, tous étaient égaux, tous partageaient la même vie, peinaient en faisant le même travail (…) Mais après le déluge, la construction de la tour (de Babel) et la confusion des langues, l’inégalité entre les hommes fut grande. Et ainsi le dominant s’établissait et le dominé se soumettait ; mais non en raison d’une quelconque nécessité ou encore du hasard ou du destin, mais en raison de motivations et d’une opinion qui assurément n’était pas bonne. Auparavant alors, les hommes anciens vivaient en égalité et en l’absence de combats (…) sans que l’un se différenciât en quoi que ce soit de l’autre ; il n’y avait qu’une langue sur toute la terre, un mode de vie sur toute la terre, un seul Dieu était vénéré sur toute la terre ; c’est pourquoi les hommes n’avaient pas besoin de se rebeller l’un contre l’autre (…) Mais après la construction de la tour (…) des séditions et des batailles eurent partout lieu et le plus puissant domina sur les plus faibles. De surcroît, celui-ci s’emparait de la dignité de la gouvernance et obligeait les autres à l’appeler roi. C’est de cette manière que la nature humaine se trouva sous le poids de l’esclavage. (…) Le péché introduisit donc dans notre vie toutes les anormalités : l’esclavage, le pouvoir, la soumission, les autorités, même les royautés. Et comme Dieu vit alors que l’anarchie créait l’illégalité, il divisa le genre humain en dominants et dominés, en riches et pauvres, de manière à ce que les indisciplinés fussent corrigés par la crainte des dominants et que les formes les plus sacrilèges du mal fussent endiguées. C’est pourquoi les dominants portent le couteau, selon le très grand Paul, en tant qui vengeurs en tout de Dieu5. Cela fut montré avec la plus grande clarté par ce bienheureux Paul, qui dit textuellement : il n’y a de pouvoir que venant Dieu. (…) Et c’est ce que les paroles divines de Paul déclarent : car il ne dit pas qu’il n’existe de seigneur que venant de Dieu, mais qu’il n’existe pas de pouvoir autre que celui qui est concédé par Dieu6. (…) C’est pourquoi tu ne dois pas blêmir de supporter le joug de la servitude (il veut dire en général la soumission aux autorités) ni accuser le créateur (Dieu) pour cette inégalité7 ;

3 Voir Merisanos, G., Economic Ideas in the 12th Century Byzantium. The views of Eustatios of Thessaloniki on Economy, (coll. Monographs 13), (Athens : National Hellenic Research Foundation / Institute for Byzantine Research, 2008), p. 211-227. 4 « La loi ethnique introduisit la liberté ; car dès le début la nature les proclama tous libres » : B. II.1.4 = D. I.1.4 [Ulpien] (= Ius gentium est, quo gentes humanae utuntur. Quod a naturali recedere facile intellegere licet, quia illud omnibus animalibus, hoc solis homminibus inter se commune sit) : I. De iustititia et jure, in C.I.C., I, p. 57). Voir Ecl. B. 2.1.1-8, p. 8. Mais, selon le scholiaste de Basilica : « Trois genres humains furent formés par la loi ethnique ; les hommes libres, les esclaves et les affranchise » : Scholia B. II.1.4[§ 1], p. 3. 5 Voir Romains, 13. 4. 6 Ibid., 13. 2. 7 Voir I Corinthiens, 7. 20-21. Éphésiens, 6. 5-7. I Timothée, 6. 1. Tite, 2.9.

L’INSTITUTION DE BASILEIA EN CRISE

car moi c’est le péché que je considère responsable de la servitude et de toute autre difficulté qui fut introduite (au monde). »8 Glykas, bien qu’il tentât de sacraliser les pouvoirs institutionnels, n’aboutit qu’à la sacralisation de la puissance, qui n’était liée qu’à une vision de déchéance de la condition historique. Son schéma se caractérisait ainsi par une impérativité qui, comme dans le cas de la définition du Royaume en tant qu’intendance juridique, mentionnée plus haut, alimentait l’autorité étatique d’une puissance encore plus grande. Tant la puissance que son interprétation dans le mode de son exercice illustrait l’interdépendance de la violence et de la sacralité. De la même manière, sa perspective semble proposer un dualisme politique modéré aux limites incertaines. Ce dualisme semble régi par le dogme suivant lequel l’ordre temporel se construit à partir de l’inégalité sociale9 et des discriminations raciales. L’imbrication de ces caractéristiques est clairement discernable dans les carac‐ téristiques mythologiques des origines que Glykas attribuait à l’institution de la Basileia, en l’orientant vers les niveaux d’un ordre rituel cannibalesque, aux profondeurs des mythes anthropologiques fondateurs : « Un autre géant apparut alors de la tribu de Sem qui avait pour nom Cronos. Celui-ci, après être devenu très puissant et avoir soumis un grand nombre d’hommes, devint le premier, le modèle de la basileia et de la domination (κρατεῖν) sur les autres. »10 Constantin Manassès : Le pouvoir comme violence compulsive et l’amour de la puissance

Constantin Manassès11 exposa ses idées sur la nature du pouvoir au travers d’images et de figures lexicales complexes. Ses conceptions sont exprimées dans

8 Glykas, Questiones, I.36, p. 399-403. 9 Voir Michel Glykas, « Il est possible qu’il soit voleur et puissant en même temps », in Glykas, Questiones, I, p. ρξβ´. Idem., « Nous allâmes là où on nous devait et où on était redevables », in Ibid., p. ρξδ´-ρξε´. Voir Christophori Mitylenaii, « 13. Εἰς τὴν τοῦ βίου ἀνισότητα », in Mitylenaii, Carmi, p. 13-15. 10 Michaelis Glykae, Annales, II, p. 243. 11 Sur la « dissidence » de Constantin Manassès : « Constantin Manassès fut membre d’un cercle d’intellectuels protégé par Irène, l’épouse du sébastocrator Andronic (Comnène), fils cadet de l’empereur Jean II Comnène. Après la mort du sébastorcator (en 1142), Constantin Manassès rompt les liens avec l’environnement d’Irène. Irène fut accusée par le jeune empereur Manuel Ier Comnène d’avoir participé à un mouvement subversif et était temporairement tombée en disgrâce en 1145. En 1148, elle fut à nouveau accusée, mais cette fois-ci elle fut pardonnée et traitée avec bienveillance. Elle mourut en 1153 » : Manassis, Breviarium Chronicum, p. XV. Comme Constantin Manassès appartenait au cercle de la sébastocratorissa Irène, il était raisonnable qu’il ne bénéficiât pas de la faveur du jeune empereur Manuel. Il est aussi très probable que certaines personnes, agissant par « envie », avaient contribué à cette attitude défavorable. C’est ce qui peut être déduit de certains vers sur l’envie que Constantin Manassès intercale dans son Abrégé de l’Histoire à propos de lui-même (vers 3199-3212, et surtout les vers 3209-3212) : Ibid., p. XIX. Voir Lampsides, Od., « Zur Biographie

209

210

CHAPITRE VI

l’Abrégé de l’Histoire, sous forme d’exemples historiques précis. Un des plus caractéristiques concerne le récit de l’assassinat de Constantin VI (780-797) par sa mère Irène d’Athènes (797-802)12. Les motivations d’Irène sont celles d’une personne poussée au pouvoir par son désir de puissance. Dès lors, la puissance impériale elle-même apparaît comme une inclination compulsive et un amour effréné du pouvoir. En l’occurrence, le plan du renversement et de l’assassinat de Constantin VI par sa propre mère constitue une œuvre diabolique, semé par le diable dans l’esprit d’Irène, exactement de la même manière qu’il inspira la désobéissance à Ève13. Malgré ce motif classique, Manassès considérait que la motivation fonda‐ mentale d’Irène fut son amour du pouvoir, qui l’entraîna à commettre l’atrocité suprême14. Irène est qualifiée de femme aimant le pouvoir, folle furieuse15 et assoiffée de pouvoir (διψῶσα τοῦ κρατεῖν)16. Sa décision d’exterminer Constantin surpassait jusqu’aux lois les plus cruelles du royaume des animaux : « Ni tigre, ni lion rugissant | ni ours féroce, ni dragon carnivore | (…) ni léopard ne se jette sur ses petits avec une telle fureur | ne s’attaque avec une telle sauvagerie aux petits chiens,| ni tigre, ni requin, ni chien enragé. »17 Manassès la comparera à juste titre à la figure tragique de Médée, tandis qu’il insistera sur ses références au royaume animal : « On dit que seule Médée s’en prit à ses propres enfants,| et celle-là en raison de sa sauvagerie skythe.| et ne connaît qu’un poisson, le thon de mer | qui affamé avale sa propre progéniture,| mais nul autre être, ni aquatique, ni même du sol. »18

12 13

14 15

16 17 18

von K. Manasses und zu seiner Chronike Synopses (CS) », Byz 58 (1988), p. 104 et passim. Idem., « Zur Sebastokratorissa Eirene », JÖB 34 (1984), p. 91-105. Barzos, I, p. 362-379. Voir Ostrogorsky, G., Histoire de l’État byzantine, (Paris : Payot & Rivages, 1996), p. 204-212. Barbe, D., Irène de Byzance. La femme empereur, (Paris : Perrin, 1990). Manassis, Breviarium Chronicum, p. 238. Voir « Envieux de la piété des basileis, le diable inspira à quelques hommes méchants l’idée de dresser la mère contre son fils (…). C’est-à-dire ils arrivèrent à la convaincre par des prophéties : ‘il n’est pas prédestiné par Dieu que ton fils conserve la basileia, car celle-ci est à toi, donnée par toi à Dieu’. Et elle, en tant que femme qu’elle était et aussi ambitieuse, elle fut trompée » : Theophanis, Chronographia, p. 464. « Par amour de la monarchie et de la monocratie » : Manassis, Breviarium Chronicum, p. 238. « Qui a déjà entendu parler d’une fureur si accablante,| fureur d’une mère contre son fils ; oh la passion du pouvoir » : Ibid., p. 240. Voir Zonarae Lexicon, II, p. 1332. « La Manie est une déraison très violente quand ils en sont saisis ; et il arrive aussi que lorsqu’ils s’emparent d’une épée, ou un bâton de bois ou une pierre, ils tuent ceux qui se trouvent autour d’eux » (= Μανία ἐστὶ σφοδροτάτη παραφροσύνη ὅταν καὶ ἐπέρχωνται· ἔστι δὲ ὅτε καὶ ξίφος λαβόντες ἢ ξύλον ἢ λίθον φονεύουσι τοὺς παρατυγχάνοντας) : Chrone, M., « Traitements de maladies par des matériaux d’origine animale dans les textes médicaux byzantins. Contribution à l’étude des conceptions sur les maladies et leurs traitements à Byzance », Symmeikta 20 (2010), p. 170. Manassis, Breviarium Chronicum, p. 238. Ibid., p. 238, 240. Manassis, Breviarium Chronicum, p. 240.

L’INSTITUTION DE BASILEIA EN CRISE

Dans sa critique de l’institution impériale et de la puissance qui en découle Manassès présente une comparaison avec les instincts animaux de conservation. Ces pulsions de domination semblent développer une forme de but en soi, faisant paradoxalement du dominant la proie en puissance de la boulimie des prétendants à sa puissance. Par conséquent, les charges de ces pulsions peuvent s’amenuiser de deux manières : soit à travers la conservation des cycles de la force rituelle, soit à travers la radiation et l’abandon de la puissance du pouvoir. Ce second aspect est décrit comme une castration, vu que la puissance du pouvoir semble étroitement liée à la pulsion sexuelle. Dans l’Abrégé de l’Histoire de Manassès, l’idée du droit du plus fort, déjà rencontrée dans la pensée de Glykas, est reformulée sous une forme différente. Manassès cite l’image suivante, tirée des Mythes d’Ésope : « Les chasseurs se lancent à une poursuite impitoyable du castor pour lui couper les testicules, qui sont considérés bénéfiques pour le traitement de certaines pathologies. Lorsque le castor se rend compte du but des chasseurs, il préfère s’arracher lui-même les testicules et les déposer à un endroit où ses persécuteurs vont les trouver, plutôt que de périr dans sa persécution. »19 Se rendant compte de la dynamique mythologique symbolique, Manassès intègre l’exemple d’Ésope dans un cadre historique précis, en décrivant la profon‐ deur du caractère de la puissance impériale : « Il se rebelle contre le pouvoir l’haïssable Léon | (…) alors le basileus Michel lorsqu’il apprit | l’impertinence et l’impétuosité du tyran et sa défection | Il abandonna de son propre gré le trône tant convoité | (…). Et après s’être comporté contre le persécuteur comme un autre castor.| Les livres anciens des zoologues disent en effet | qu’il y a un animal amphibien appelé castor | dont les testicules sont utilisés pour traiter certaines maladies incurables.| Connaissant cela, beaucoup des chasseurs du castor | chassent l’animal avec des filets en lin | et en utilisant comme collaborateurs des chiens rapides.| Le castor, par ailleurs, connaissant la cause de sa persécution | et sachant les filets des chasseurs indéfectibles | après avoir mordu dans les testicules remplis de sperme et procréateurs,| les offre à ceux qui les désirent | et s’échappe en courant.| Après cela tout devient vain, les courses et les persécutions | et les imbrications des fils et la rapidité des chiens.|

19 « Le castor est un quadrupède qui vit dans les étangs. Ses parties honteuses servent, dit-on à guérir certaines maladies. Aussi quand on le découvre et qu’on le poursuit pour les lui couper, comme il sait pourquoi on le poursuit, il fuit jusqu’à une certaine distance, et il use de la vitesse de ses pieds pour se conserver intact ; mais quand il se voit en prise, il se coupe les parties, les jette, et sauve ainsi sa vie. Parmi les hommes aussi, ceux-là sont sages qui, attaqués à cause de leurs richesses, les sacrifient pour ne pas risquer leur vie » : Aesopi Fabulae, Κάστωρ, in Ésope, Fables, Chambry, É. (éd.), Paris, Les Belles Lettres, 1996, p. 68[n. 153]. Voir Prodromos, « XI. Δεητήριος εἰς τὸν αὐτοκράτορα περὶ ζώσης ἀλώπεκος », in De Manganis, p. 72-74.

211

212

CHAPITRE VI

Aussi volontairement Michel cède-t-il | la basileia à l’atroce Léon au nom odieux. »20 Dans la composition historique versifiée de Manassès, le rôle du chasseur est tenu par Léon V (813-820), tandis que le castor est représenté par Michel Ragavès (811-813)21. Les testicules du castor n’étaient que la couronne impériale. En introduisant la problématique de Michel Glykas dans la pensée de Manas‐ sès, on voit que tous les deux considéraient que l’institution de l’État était par institution. Toutefois, ce par institution n’était pas autonome, mais contre nature. C’est-à-dire, il ne constituait pas le contraire de par nature, mais quelque chose qui s’opposait à la nature, et n’était pas simplement son contraire. Cette remarque est pertinente pour Glykas. Manassès de son côté admettait que la curée du pouvoir ressemblait aux termes de la nature. Sur ce point sa pensée rejoignait celle du Glykas, puisque c’était exactement le même processus rituel violent qui était suivi : le seigneur soumettait par l’épée le dominé, à l’instar de Cronos qui massacra tous les autres géants pour s’élever à la hauteur du royaume. Si cette optique peut apparaitre comme un des aspects de la vision byzantine du droit naturel, il serait préférable de la décrire comme réaliste plutôt que comme négative22. Eustathe de Thessalonique : L’imitation de l’idéal comme déconstruction du réel – Byzance et Venise à l’ombre de la politologie de Polybe

Eustathe de Thessalonique distingue, dans son œuvre herméneutique des hymnes de la fête de la Pentecôte de Jean Damascène23, le schéma analogique suivant entre l’ordre divin trinitaire et les systèmes politiques temporels : i. la monarchie, ii. l’aristocratie ; iii. la démocratie. La sainte Trinité, comme source de ces trois formes de régime, les fait évoluer de telle manière que leur coexistence dans un seul régime constitue l’expression la plus caractéristique de la vertu24. Mais en réalité, Eustathe de Thessalonique admettait que le système politique byzantin était loin d’exprimer cette perfection divine, et ne pouvait en conséquen‐ ce être considéré comme idéal. Si quelqu’un devait se tourner vers un exemple historique tangible, il pouvait, à son avis, le rencontrer à la Venise du xiie siècle, régime idéale, représentant l’ordre étatique divin tripartite25. En l’occurrence :

20 Manassis, Breviarium Chronicum, p. 249-250. 21 Voir Ostrogorsky, Histoire de l’État Byzantin…, op. cit., p. 225-230. 22 Les limites ne sont ni claires ni ne se prêtent à construire des interprétations erronées dualistiques : « Pour l’animal doté de raison, l’acte lui-même est selon la nature et selon la raison » : Marcus Aurelius, Τὰ εἰς ἐαυτὸν, 7.11. 23 Eustathii Thessalonicensis, Interpretatio Hymni Pentecostalis Damasceni, PG 136, 503Α-754D. 24 Ibid., 717C. 25 « Il est alors uniquement ébauché par eux, comme il ne peut être attribué en Europe qu’aux anciens Enètes, actuellement Ouénètes, à savoir les Vénitiens, dont le pays est l’Unétie, communément Venise » : Eustathii Thessalonicensis, Interpretatio Hymni Pentecostalis Damasceni, PG 136, 717D. Voir

L’INSTITUTION DE BASILEIA EN CRISE

La Monarchie est représentée par le Duc (ὑπερκαθήμενος Δούξ)26 ; L’Aristocratie est représentée par un corps de conseillers d’élite (κόνσουλοι)27 ; iii La Démocratie est représentée par le peuple (τὸ δημοτικὸν φῦλον)28 . Il est évident que la constitution de l’organisation étatique vénitienne rappelait à Eustathe de Thessalonique l’articulation des organes constitutionnels romains, une position qui dans tous les cas indiquait l’existence d’une problématique claire eu égard au caractère fondamental du régime byzantin29. Compte tenu de la conviction de Manuel Ier que le système juridique byzantin et la constitution de l’ordre impérial devaient constituer un paradigme contraignant à suivre pour les autres peuples30, la formulation d’Eustathe de Thessalonique apparaît plutôt comme une tentative radicale de déconstruction d’un ensemble de conceptions acquises. Mais dans le fond, la comparaison directe du régime byzantin avec celui de Venise ne constituait qu’une version grossièrement christianisée du système étatique mixte, auquel Polybe se référait dans le livre VI de ses Histoires comme étant la base et la source de toute forme de prospérité pour Rome31. De premier abord, le commentaire d’Eustathe de Thessalonique semble souli‐ gner la divergence entre Byzance et l’ensemble des traditions romaines anciennes, qui plus est lorsqu’il considérait que ces traditions s’incarnaient à son époque par Venise. Or, même dans sa critique, Eustathe ne pouvait pas s’affranchir du noyau dur des priorités de l’orthodoxie politique. Le fait qu’il s’efforçait de transposer l’ordre de symboles divin aux affaires de l’État, augmentait encore les impasses politiques byzantines. Et cela car il déléguait l’administration des affaires tempo‐ relles au discernement de la Providence divine, en transformant complètement les cadres philosophiques politiques qui régissaient le système constitutionnel mixte de Polybe. Le providentialisme divin qui régit l’organisme étatique d’Eustathe de Thessalonique est radicalement anhistorique, vu que l’hiérarque lettré semble i ii

26

27 28 29 30 31

Dagron, G., « Le mythe de Venise vu de Byzance », in Schreiner, P. (éd.) Il mito di Venezia. Una citte tra realta e rapprezentazione, (Roma : Edizioni di Storia e Letteratura, Centro Tedesco di Studi Veneziani, 2006), p. 61-80. Eustathe de Thessalonique se réfère apparemment à la fonction constitutionnelle du Consul : Polybe, Histoires, VI.12, Pédech, P. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 1977), p. 87-88. « Quand un consul part avec son armée, investi des pouvoirs qu’on a dits (c’est-à-dire de l’imperium), il semble détenir une autorité absolue (αὐτοκράτωρ) pour l’accomplissement de sa mission » : Idem., p. 90[15.2]. Voir Rösch, ΟΝΟΜΑ ΒΑΣΙΛΕΙΑΣ…, op. cit., p. 32. Eustathe utilise de façon erronée le terme de κόνσουλοι, qui renvoie au terme romain de consuls. En substance il entend l’ordre sénatorial et non les Consuls : Voir Polybe, Histoires, op. cit., p. 88-89. Ibid., p. 89-90. Voir Magdalino, « Byzantine Kaiserkritik… », art. cit., p. 334-335. Kazhdan, A. – Franklin, S., Studies on Byzantine Literature of the Eleventh and Twelfth Century, (Cambridge - Paris : CUP - Éditions de la Maison des Science de l’Homme, 1984), p. 161. Manuelis, Nov. LXVII. De diebus feriatis…, p. 399. Polybe, Histoires, op. cit., p. 86-94. Voir von Fritz, K., The Theory of the Mixed Constitution in Antiquity : A Critical Analysis of Polybius Political Ideas, (New York : Columbia University Press, 1975).

213

214

CHAPITRE VI

se désintéresser complètement de la manière dont le système politique vénitien réalisait dans la praxis sa puissance. Mais surtout, son anhistorisme est fondé sur la conception abstraite de l’essence de cet organisme, qui n’était pas régi par l’ordre d’un système politique, mais par les principes du droit divin : « Et si nous parlons de dèmes juridiques qui composent le monde, nous entendons ceux où Dieu, souverain absolu, règne. Et si nous parlons du dème, nous entendons le peuple chrétien sur lequel Dieu règne (…). Et nous n’introduisons pas ici l’idée de la démocratie par une quelconque nécessité, puisque le monarque absolu (Dieu) l’abolit. »32 Il est évident qu’Eustathe de Thessalonique n’avait aucune intention de rela‐ tiviser le caractère rigoureusement divin de la Basileia, puisqu’il plaçait originel‐ lement Dieu au-dessus du Basileus, comme source de sa puissance et origine mystique de diffusion de l’unité trinitaire dans le système constitutionnel romain mixte. Quoi qu’il en soit, même un sympathisant du régime comme Eustathe n’aurait pas pu éviter de formuler sa pensée : Les Athéniens anciens n’appelait roi que Zeus, vu que quand bien même leur régime n’était que démocratique, ils admettaient que seul Dieu pût porter comme titre le nom de Roi. Et ceci car personne parmi les hommes n’était digne devant Dieu du nom de Roi33. Timarion : Recomposant l’image du Basileus-Législateur-Juge

Les hyperboles des encomiastes du palais et la majestueuse rhétorique du point de vue de la propagande des leges edictales ne présentent qu’une des faces des images impériales. Une lecture plus pragmatique des engagements imposés au Monarque par la tradition politique romaine et particulièrement l’articulation de son image idéale comme Législateur et Juge peut être recherchée dans le texte de Timarion, œuvre datant des débuts du xiie siècle34.

32 Eustathii Thessalonicensis, Interpretatio Hymni Pentecostalis Damasceni, PG 136, 717C. 33 « Dans le salut, il faut voir que le Saveur, dont le salut est un mot semblable, notre sacralité vient du dehors, de même que le basileus. Les Athéniens qui choisirent d’être gouvernés par la démocratie, n’ignoraient pas que la meilleure autorité parmi toutes était l’autorité royale, Zeus était appelé basileus, comme s’ils pensaient qu’il n’y avait pas d’homme parmi eux digne être appelé basileus ; et ils le considéraient comme leur sauveur » : Eustathii Thessalonicensis, Interpretatio Hymni Pentecostalis Damasceni, PG 136, 660Α. « Wánaks (voir ἄναξ) est en outre une qualification divine réservée aux plus hauts dieux. Apollon, dieu des Troyens, est le wánaks par excellence ; Zeus aussi, moins souvent » : Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes…, II, op. cit., p. 25. Voir Hunger, Prooimion…, op. cit., p. 154. 34 Voir Tusculum Lexikon, p. 506. Pseudo-Luciano, Timarione. Testo critico, Introduzione, Traduzione, Commentario e Lessico, Romano, R. (éd.), (coll. Byzantina et Neo-Hellenica Neapolitana Studi et Testi 2), (Napoli : Università, Cattedra di Filologia Bizantina, MCMLXXIV). Voir Lucien, Αληθῶν Διηγημάτων Β, in Luciani Opera, Macleod, M. D. (rec.), t. I, (Oxford, 1972), p. 8-9. Lucien, Charon ou Les observateurs, in Lucien, Œuvres, IV, Opuscules 26-29, Bompaire, J. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 2008), p. 16-51.

L’INSTITUTION DE BASILEIA EN CRISE

Cette recherche se confinera à l’épisode suivant de l’intrigue : le protagoniste, descendant après sa mort « rêvée » au royaume d’Hadès, attend être jugé pour ses actes au cours de sa vie par un tribunal régulier35. Il apprend que ce Tribunal est composé de trois personnes historiques : le roi de Crète Minos, le roi de Thessalie Éaque et l’Empereur byzantin Théophile Ier (829-842). Deux points paradoxaux sont relevés dans cette formulation : i. l’inclusion dans ce tribunal – il ne faudrait pas perdre de vue que Timarion est une œuvre de l’environnement « chrétien » – de deux rois idolâtres36 ; ii. la présence de l’Empereur Théophile Ier à ce tribunal, connu pour la dureté de sa politique iconoclaste37. Timarion dépasse ces deux points en soulignant que la croyance religieuse des trois rois ne devrait pas faire peur à un chrétien, puisque ce qui était primordial, c’était l’administration de la justice et non la foi personnelle : « Tu ne dois pas craindre les juges idolâtres, parce qu’ils n’aiment que trop la justice : c’est pourquoi ils furent promus à la dignité de juge et que la différence des idées théologiques de ceux qui sont jugés n’est pas si importante pour eux. Car il est permis à tous de suivre son propre dogme. »38 L’auteur semble concevoir la croyance en Dieu comme un chapitre anthro‐ pologique extrêmement spécifique, en privilégiant ce qui touche à la sphère publique, qui se centre ici sur l’intérêt de la Cité et du citoyen, pour que la justice soit exercée, comme une vertu royale par excellence et en conséquence comme un composant fondamental de l’organisme de la cité39. C’est sur cet axe que repose l’impartialité des trois juges, de manière à ce que même dans ce « régime posthume » paradoxal, l’idée de l’identité religieuse et plus particulièrement le dogme juste se trouvent dévalorisés.

35 Voir Cupane, C., « The Heavenly City : Religious and Secular Visions of the Other World in Byzantine Literature », in Angelidi, C. – Calofonos, G.T. (éd.), Dreaming in Byzantium and Beyond, (Burlington : Ashgate, 2014), p. 53-68. 36 Sur les images des trois Rois-Législateurs mythiques, Minos, Eace, Radamantys, et sur la conception diachronique de leur présence comme juges de l’Hadès : Platon, Gorgias, 523e-526d, in Platon, Œuvres Complètes, III/2, Bodin, L. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 199216), p. 219-223. Idem., Minos ou sur la loi [politique], in Platon, Dialogues suspects, Souilhé, J. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 19813), p. 87-102. Homère, Iliade, XIV.322, in Homère, Iliade, III, Mazon, P. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 19928), p. 53. Idem., L’Odyssée, XI.568-571, in Homère, L’Odyssée, Bérard, V. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 199210), p. 107 Voir Schinas, G. M., Histoire de philosophie du droit grecque, II, Socrate et Platon, (Athènes : Sakkoulas, 2008), p. 439-443. Szegedy – Maszak, A., « Legends of the Greek Law Givers », GRBS 19 (1978), p. 199-209. Dans le fond, Timarion remplace le Rhadamanthe mythique par l’Empereur Théophile Ier. 37 Voir Ostrogorsky, Histoire de l’État byzantin…, op. cit., 236-239. 38 Timarion, p. 75. 39 Voir « Considère comme le meilleur des magistrats celui pour qui la seule parenté, amitié et gloire n’est autre que l’administration de la justice et qui ne reconnaît comme seule aliénation, hostilité et diffamation que l’injustice » : Photii, Ad Michaelem Bulgariae principem, PG 102, 676BC. Manassis, Breviarium Chronicum, p. 257.

215

216

CHAPITRE VI

Cette formulation de Timarion n’est pas rare dans la grammatologie byzanti‐ ne40. Il faudrait réexaminer l’hypothèse selon laquelle les formulations de ce genre ne constituent pas de simple topoi rhétoriques, mais des conceptions plus sérieu‐ ses qui concernaient au moins une grande partie de la classe lettrée byzantine41. En insistant sur Timarion et plus spécialement sur l’image de Théophile Ier42, force est de constater que ce dernier y est représenté non pas vêtu des somptueux regalia impériaux, mais d’un simple habit noir (rien de majestueux ou impression‐ nant – οὐδέν τι λαμπρὸν ἢ ἀνθηρὸν). L’auteur note que l’Empereur, qui avait été très tôt érigé par les historiens et les chronographes en un symbole de la justice43, était paré non seulement de vêtements somptueux, mais aussi des vertus et de la justice de sa personne44. Un ange richement vêtu se tenait à ses côtés – semblable aux eunuques qui accompagnaient les Augustas – qui, au cours des procédures judiciaires, se penchait à l’oreille du Basileus et le conseillait45. D’après l’auteur, tous les Empereurs byzantins étaient accompagnés d’un ange tutélaire similaire,

40 La pensée d’Attaliate est en l’occurrence d’une portée déterminante, étant donné qu’il est un contemporain de Timarion : Kaldellis, A., « A Byzantine Argument for the Equivalence of All Religions : Michael Attaleiates on Ancient and Modern Romans », International Journal of the Classical Tradition 14 1/2 (2007), p. 1-22. Voir Hinterberger, M., « Φόβῳ κατασεισθείς : les passions de l’homme et de l’empire chez Michel Attaliate. Le système causal d’un historien du xie siècle », in The Empire in Crisis…, op. cit., p. 155-167. Krallis, D., Michael Attaleiates : History as Politics in Eleventh-Century Byzantium, (University of Michigan : Ann Arbor, 2006). 41 Voir Kaldellis, A., The Argument of Psellos’ Chronographia, (coll. Studien und Texte zur Geistesgeschichte des Mittelalters 68), (Leiden – Boston : Brill, 1999). Idem., « The Historical and Religious Views of Agathias : A Reinterpretation », Byzantion 69 (1999), p. 206-252. Idem., « The Religion of Ioannes Lydos », Phoenix 57 (2003), p. 300-316. 42 En dehors des formulations examinées, l’image de Théophile Ier fonctionnait dans le cadre de l’idéologie comnénienne comme une contre-image de l’Empereur juste, malgré les vertus mythiques de Théophile. Le sentiment comnénien de la grandeur impériale posait au premier plan la figure de Justinien Ier : Une tentative de réhabilitation de Justinien Ier fut entreprise sous le règne d’Alexis Ier, qui semble être honoré comme un saint. Le témoignage de Nicéphore-Calliste Xanthopoulos, bien que postérieur, en est caractéristique : « Mais aussi les procès-verbaux de ce même synode (il se réfère au concile Quinisexte) quand ils ont à le mentionner, disent toujours Justinien parmi les saints ; et j’y ai trouvé un commentaire disant que même Jean de Chalcédoine, en invoquant le détenteur du trône de la reine des villes (Il s’agit du Patriarche de Constantinople Jean IX Agapètos, 1111-1134), sous le règne d’Alexis Comnène, dans le temple même de la Grande Sagesse de du Verbe de Dieu, il faisait chaque année sa commémoration, et une grande fête était célébrée à sa mémoire ; sa commémoration était aussi célébrée au temple d’Ephese, qu’il avait été fondé par son ami intime et disciple » : Nicephori Callisti Xanthopuli, Ecclesiasticæ Historiæ, PG 147, 301AB. Voir Regestes, III, n. 1006 [s.d], p. 84. De son côté, Manuel Ier semble avoir été fidèlement orienté vers le modèle de Léon VI le Sage : Monnier, H., Les Novelles de Léon le Sage. Introduction – Droit Public – Droit Pénal – Les Personnes – Les Biens, (coll. Bibliothèque des Universités du Midi XVII), (Paris : Boccard, 1923), p. 211-214. 43 Voir Laiou, A. E., « Law, Justice, and the Byzantine Historians : Ninth to Twelfth Centuries », in Law and Society in Byzantium, op. cit., p. 151-157. Jenkins, R., « The Classical Background of the Scriptores post Theophanem », DOP 8 (1954), p. 7. 44 Timarion, p. 78-79. Voir Maas, « Die Musen… », art. cit., p. 352-353. Psellos, Chronographie, I, p. 19-20. 45 Ibid., p. 79.

L’INSTITUTION DE BASILEIA EN CRISE

qui les conseillait sur les affaires de l’État46. Cet ange n’était pas autre que le genius impérial romain christianisé47, qui représentait une conception platonicienne fondamentale : la Providence divine, conseillère et protectrice, se tient toujours aux côtés du bon gouverneur48. Ce qui ramène à l’idée principale : L’exercice de la Justice exprime la providen‐ ce de Dieu pour la puissance de la Basileia confiée à l’Empereur. Par conséquent, la Justice aussi ne représente pas une qualité a priori de l’institution impériale, mais un devoir, qui est en même temps un signe de la vertu du Monarque. De la même manière, le plus près à la hauteur de la Justice et de ses devoirs juridiques consécutifs se tient le Basileus, le plus intensément se manifeste la faveur de Dieu – la légitimité politique envers sa personne49. Ces formulations semblent procéder du répertoire classique des Miroirs des Princes byzantins. Or, il conviendrait de réfléchir à nouveau attentivement, en tenant compte du fait que l’image du juste, bien qu’iconoclaste Théophile Ier, n’a pas dû uniquement influencer les historiens ou les rhéteurs, mais aussi l’ordre cérémoniel byzantin lui-même, c’est-à-dire l’image de l’Empereur dans l’espace du Droit public50.

46 Ibid. Konstantelos et Baldwin estiment que ce détail précis constitue plutôt une expression qui ridiculise la dignité impériale, vu qu’elle sous-entend la relation irréconciliable de la volonté divine et des choix politiques impériaux. Or, leur position peut être considérée comme arbitraire, car elle ignore la tradition romaine acquise de la présence du Genuis : Konstantelos, D., Byzantine Philanthropy and Social Welfare, Rutgers, 1968, p. 91. Baldwin, B., Timarion. Translated with Introduction and Commentary, (Detroit : Wayne State University Press, 1984), p. 123. 47 « Génie (Genuis ; de gano, engendrer), principe de vie assurant la perpétuité de la descendance. (…) On parle également du génie d’un dieu, lorsqu’on envisage plus spécialement sa puissance créatrice. Le génie des grands hommes se rapproche de la divinité : aussi rend-on un culte de génie de l’empereur (Genius Augusti), culte qui est confondu avec celui des Lares Compitales » : Fredouille, J.-C., Dictionnaire de la civilisation romaine, (Paris : Larousse, 1996), p. 91. 48 « Je fus alors irrésistiblement amené à louer la vraie philosophie et à proclamer que, à sa lumière seule, on peut reconnaitre où est la justice dans la vie publique et dans la vie privée. Donc, les maux ne cesseront pas pour les humains avant que la race des purs et authentiques philosophes n’arrive au pouvoir ou que les chefs des cités, par une grâce divine (περι μοίρας), ne se mettent à philosopher véritablement » : Platon, Lettre VII. Aux Parents et amis de Dion : Bon succès, 326ab, in Platon, Lettres, Souilhé, J. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 19975), p. 29-30. Voir Schinas, Histoire de philosophie du droit grecque…, II, op. cit., p. 636-647. 49 « Plus quelqu’un acquiert du pouvoir, plus il doit se distinguer de vertu. Celui qui fait le contraire (…), conduit les sujets à blasphémer Dieu d’avoir confié un si grand pouvoir entre les mains d’un tel homme » : Photii, Ad Michaelem Bulgariae principem, PG 102, 672C. Voir Isocrate, Discours à Démonicos, in Isocrate, Discours, I, (Paris : Les Belles Lettres, 2007), p. 123-124. 50 Un des épisodes historiques les plus caractéristiques du règne de Théophile Ier, un exemple de son amour de la justice, fut incorporé, comme nous apprend le Pseudo-Codinos, dans l’ordre cérémoniel impérial. Il convient de signaler ici que le texte du Pseudo-Codinos fut rédigé au milieu environ du xive siècle, c’est-à-dire plus de six siècles après le règne de Théophile Ier : « Il faut savoir qu’il est d’usage de tenir prêts chaque jour sept chevaux, appelés chevaux de selle (στρώσια), à la disposition de l’empereur pour qu’il monte celui qu’il désire. Les autres chevaux suivent, on les appelée chevaux d’accompagnement (συρτά). (…) La suite des chevaux impériaux, dits chevaux d’accompagnement, quand l’empereur monte à cheval, a pour origine, dit-on, les motifs suivants : l’empereur Théophile

217

218

CHAPITRE VI

Le scepticisme historique byzantin du xii e siècle comme forme de critique politique : L’exemple de Jean Zonaras La double qualité de Zonaras d’être juriste51 et historien, son opposition au régime et sa profonde foi religieuse, déterminent le noyau de sa pensée52. Il conviendrait d’examiner ici deux points essentiels de sa critique historique : Le premier concerne l’image monétaire du Basileus et est donc lié au droit public byzantin. Le second point décrit le caractère du système politique romain à l’égard de l’identité du chrétien-sujet fidèle. Son positionnement oscille entre la déchéan‐ ce temporelle et l’éternité de la vie chrétienne. Ses points de vue et sa très sérieuse critique annulent de façon déterminante la conception dominante dans la com‐ avait la réputation d’être épris de justice. Se déplaçant donc un jour à cheval, il rencontra, dit-on, une femme qui dit en poussant les hauts cris que le cheval monté par l’empereur lui appartenait. Après enquête, il fut reconnu que la femme avait dit la vérité ; le cheval était à elle, et l’éparque, après le lui avoir enlevé, on avait fait don à l’empereur comme s’il était le sien. Devant l’évidence, l’empereur aussitôt, comme il était, descendit du cheval et le remit à sa propriétaire. Comme il n’y avait pas à ce moment de chevaux impériaux d’accompagnement, l’empereur eut besoin d’un cheval et monta le premier cheval venu ; la suite des chevaux d’accompagnement fut instituée de façon que, le cas échéant, des chevaux impériaux fussent prêts pour que l’empereur puisse s’éloigner à cheval » : Pseudo-Kodinos, Traité des offices, Verpeaux, J. (éd.), (Paris : Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1966), III, p. 168-170. Sur l’épisode lui-même : Voir Theophanes Continuatus, III.7, Bekker, I. (éd.), CSHB, (Bonn : Weber, 1838), p. 92-94. 51 Avant son confinement, Jean Zonaras avait été protoasekrètis et drongaire de la vigla, dignités qui sous Manuel Ier correspondaient à la puissance, les pouvoirs et les responsabilités du ministère de la Justice byzantin : « Epitomè d’histoires recueilli et rédigé par le moine Jean Zonaras devenu grand drongaire de la vigla et protoasekrètis » : Zonaras, t. I, Praefatio, 1, p. 3. [Notae*]. Voir Guilland, Institutions…, I, op. cit., p. 576-577. Selon Kinnamos, le protoasekrètis (πρωτοασηκρήτις) continuait de dicter sous Manuel Ier les documents impériaux aux secrétaires du palais : Kinnamos, p. 290.14-16. Voir Gkoutziokostas, Administration and Justice in Byzantium…, op. cit., p. 225. Également, selon la Novelle impériale De diversis causis en 1166, tant le protoasekrètis que le drongaire de la vigla sont cités comme présidents des deux des quatre grands tribunaux civils de Constantinople : Manuelis, Nov. LXVI. De diversis causis, p. 396. Le drongaire de la vigla constituait selon les textes juridiques et la jurisprudence de l’époque le plus puissant dignitaire de la magistrature impériale : Ecl. B. 2.2.3 pr., p. 16 ; 2.3.41, p. 98 ; 2.3.70, p. 112 ; 7.2.1-2, p. 237-238 ; 7.2.17+18, p. 243 ; 7.2.30, p. 244 ; 7.2.32.6, p. 244 ; 7.3.1, p. 250 ; 7.3.3-4, p. 252 ; 7.3.6, p. 253 ; 7.3.13, p. 255 ; 7.3.29, p. 260 ; 7.5.2.2, p. 267 ; 7.5.12.1, p. 270 ; 7.5.29, p. 276 ; 7.6.5, p. 279 ; 7.6.14, p. 282 ; 7.8.17, p. 290 ; 9.1.1.4, p. 354 ; 9.1.64, p. 372 ; 9.1.100, p. 378 ; 9.3.15 pr., p. 393. Le commentateur anonyme [A] de Parisinus gr. 1715 souligne l’éducation classique, grecque et latine de Zonaras, ainsi que ses responsabilités et attributions administratives extrêmement importantes à la cour impériale : Büttner – Wobst, Lectori – Notae, in Zonaras, t. I, p. 567-570. 52 Sur la « dissidence » de Jean Zonaras et son assignation au Monastère de Sainte Glycérie dans l’île homonyme de la Propontide (actuelle Incir Adasi) : Zonaras, t. I, Praefatio, 1, p. 3 ; t. II, IX.31, p. 297. Heinemann, Questiones Zonareae…, op. cit., p. 16-17, 25. Ziegler, K., « Zonaras », RE 10/A (1972), p. 720-721. Zonaras tomba très probablement en disgrâce en raison de ses relations avec le cercle d’Anne Comnène : Voir Karpozélos, Les Historiens et Chroniqueurs byzantins…, ΙΙΙ, op. cit., p. 466-467. Il semble que d’autres membres de la famille Zonaras qui occupaient eux aussi de hautes dignités politiques, étaient aussi tombés en disgrâce par le passé et avait été assignés au monastère de Sainte Glycérie : Voir Mango, C., « Twelfth-Century Notices from Cod. Christ Church gr. 53 », JÖB 42 (1992), p. 221-228.

L’INSTITUTION DE BASILEIA EN CRISE

munauté académique relativement à son amour ardent pour le « républicanisme romain » et les traditions antiques de la cité. Apparemment, les positions en ce sens se sont appuyées sur une lecture sélective et fragmentaire de son œuvre. Mais même s’il en est ainsi, la critique de Zonaras semble exprimer la dystopie vécue de son époque et son confinement personnel dans l’île de Sainte Glycérie. C’est pourquoi, et par opposition aux lectures apocalyptiques de l’époque, Zonaras n’intègre guère de caractéristiques « séculières » dans sa critique. Il ne fait que transposer les termes du monde et de l’existence dans une sphère aux dimensions rigoureusement spirituelles. Toutefois, Zonaras n’appartient pas à l’espèce des déserteurs de la vie. Il exprime au contraire sa méfiance à l’égard des formes séculières de la puissance, en mettant en avant parallèlement sa circonspection à l’égard du système politique contemporain, qu’il vilipende, comme on l’a dit, à l’appui d’arguments purement politiques. Jean Zonaras : Le pouvoir de l’épée de la B. VII.3.3-4 et l’image monétaire d’Isaac Ier Comnène

Dans le livre XVIII de l’Epitomae Historiarum, Jean Zonaras se réfère à un des aspects de la période de la gouvernance d’Isaac Ier Comnène (1057-1059)53. La consignation de Zonaras concerne la représentation monétaire connue d’Isaac Ier, l’épée à la main54, qui se rencontre aussi dans les livres historiques de Michel Attaliate55, Jean Skylitzès56 et Michel Glykas57. Voici comment Zonaras la reproduit et la décrit : « Comnène, lorsqu’il fut investi sur le trône, n’attribua pas ce fait à Dieu mais à lui-même » ; et cela apparaît dans sa monnaie qui le représente l’épée à la main, et c’est comme s’il voulait par là clamer haut et fort : « Ce n’est qu’à elle que je dois ma basileia, à rien d’autre. »58 La critique à l’égard d’Isaac Ier revient à l’occasion du programme de réformes de ce dernier : « Les empereurs qui précédèrent (…) ne firent pas bon usage des affaires publiques et communes, mais ils dilapidèrent l’argent (…), ce qui épuisa 53 Voir Ostrogorsky, Histoire de l’État byzantin…, op. cit., p. 360-363. 54 Voir Wroth, W., Catalogue of the Imperial Byzantine Coins in the British Museum, II, (London : OUP, 1908), p. 511-512. 55 « Il est aussi représenté sur la pièce de monnaie avec l’acinace brisé, inaugurant ainsi la Basileia et les actes qui en émanent » : Attaliotae, Historia, op. cit., p. 60. 56 « Aussitôt que Comnène fut investi de la Basileia (…) il fut représenté sur la monnaie impériale l’épée à la main, n’attribuant pas tout à Dieu, mais à sa propre puissance et son expérience militaire, inaugurant comme autocrator les actes de la Basileia » : Scylitzae, Historia, op. cit., p. 641. 57 « Une fois investi de la Basileia et attribuant tout à sa vaillance, il fut aussitôt gravé sur la monnaie impériale l’épée à la main, en n’attribuant pas tout à Dieu » : Michaelis Glykae, Annales, II, p. 601. 58 « En s’installant à la Basileia, Comnène attribua sa réussite à lui-même et non à dieu, ce qui est illustré par le fait qu’il se fit représenter sur la monnaie l’épée à la main, presque en clamant ‘c’est à elle que je dois ma basileia, rien d’autre n’en fut la cause’ » : Zonaras, t. III, XVIII.4, p. 667.

219

220

CHAPITRE VI

les trésors impériaux et vida les caisses. Comnène voulait remédier à cette situation, mais il ne s’y mit pas sereinement et progressivement, mais de la façon dont il se fit représenter sur le statère, ayant le bras étendu et tenant à la main l’épée dégainée ; c’est ainsi aussi qu’il apparaissait en politique, en portant un coup mortel aux abcès au lieu d’adoucir et apaiser les plaies. »59 La consignation de Jean Zonaras décrit deux points : Premièrement, l’image du Basileus l’épée à la main en elle-même. Or il est significatif que Zonaras soit le seul, parmi les autres auteurs de témoignages historiques sur ce sujet, à appeler l’acinace impérial60 une épée dégai‐ née61. Sa critique est très claire : Isaac Ier était présenté comme si son pouvoir ne procédait pas de Dieu ou comme si son avènement sur le trône – avènement dû à un coup de force – n’était pas un don de la Providence divine. Les griefs de Zonaras proviennent de sa conviction ferme, qui constitue par ailleurs le principe fondamental de son œuvre canonique, que l’Empereur était tenu de se conformer aux propositions normatives du pouvoir dont il était le porteur, étant toujours tourné vers Dieu, à qui attribuait ses droits sur le trône62. Pour autant, le terme épée dégainée semble renvoyer à l’environnement inter‐ prétatif de la B. VII.3.3-463. En premier lieu, sur le plan de la formulation, la remarque de Zonaras décrit cette disposition précise. De même, il ne faudrait pas négliger le fait que Zonaras connaissait très probablement une grande partie des Basiliques par cœur, ce qui faisait de ses écrits une référence incontournable64. Ces remarques sont corroborées par le fait que quelques lignes plus loin, Zonaras juxtapose deux termes classiques de la politologie romaine pour décrire les limites de la légitimité constitutionnelle d’Isaac Ier et celles de sa puissance65 : « Par suite de quoi il prit les rênes de l’État et transforma la tyrannie antérieure en autorité

59 « Comnène, ayant l’intention de remédier à tout cela, il ne resta tranquille un seul instant et passa à l’acte ; mais de la même façon qu’il se fit représenter sur le statère, le bras tendu portant une épée dégainée, il entreprit son œuvre et porta aussitôt un coup aux abcès, sans chercher à adoucir ou à panser les plaies » : Zonaras, t. III, XVIII.4, p. 667. Michel Psellos se positionna de façon analogue par rapport au programme de réforme politique et ecclésiastique d’Isaac Ier. Son évaluation de la résolution politique de l’Empereur fut positive, mais il suggéra pour autant que celle-ci eut suscité une crise de confiance dans les cercles puissants et spécialement à l’Église : Psellos, Chronographie, II, p. 120-121. Stanescu, E., « Les réformes d’Isaac Comnène », Revue des études sud-est européennes 4 (1966), p. 49-50. Voir Photii, Ad Michaelem Bulgariae principem, PG 102, 692B-693A. 60 « Acinace. Sabre, lance ou javelot perse ainsi appelé en raison de son extrémité tranchante ou de sa pointe » : Zonarae Lexicon, I, p. 99. « 882. Μικρὸν δόρυ περσικόν » : Suidae, I, p. 82. Photii Lexicon, I, p. 754[n. 82]. Voir « Persian word, short straight sword » : Liddell – Scott, I, p. 50. 61 Zonaras, t. III, XVIII.4, p. 667. 62 Zonaras, « Commentaire au Canon 93 de Carthage », RP, III, p. 531-532. 63 Β. VII.3.3-4 = D. II.1.3-4. 64 « Da auch die Aussage meines Freundes Troianos richtig ist, daß die Zonaraszitate den Basilikentext nur ungerfähr treffen, würde ich aus dieser Erscheinung schließen, daß Zonaras den Basilikentext aus seiner Erinnerung zitiert » : Pieler, « Zonaras als Kanonist », art. cit., p. 618 et spécialement la citation n. 69. Voir Troïanos, Les sources du Droit byzantin…, op. cit., p. 355. 65 Zonaras, t. III, XVIII.4, p. 667.

L’INSTITUTION DE BASILEIA EN CRISE

légale » (ὅθεν τοῦ κράτους ἐπέβη καὶ εἰς ἔννομον ἀρχὴν τὴν πρὶν αὐτοῦ τυραννίδα μετήνεγκεν). Le même schéma est invoqué textuellement dans un cas analogue : « l’état, donc le royaume, était une autorité conformée à la loi, mais non complè‐ tement une tyrannie »66 (ἔννομος ἦν ἐπιστασία τὸ κράτος δὴ τὸ βασίλειον, ἀλλ’ οὐκ ἄντικρυς τυραννίς67). Zonaras suggère que dans la politique personnelle d’Isaac Ier, le terme de la supervision légitime (ἔννομος ἐπιστασία) coïncidait avec l’exercice de la puissance de l’épée, c’est-à-dire avec ce que la Β. VII.3.3-4 définissait explicitement de la façon suivante : « la force (κράτος) ou le sans mélange (ἄκρατον) est donc pure, comme d’avoir le pouvoir de l’épée, c’est pourquoi elle s’appelle aussi pouvoir » (κράτος ἢ ἄκρατον ἤτοι καθαρόν ἐστιν, ὡς τὸ ἔχειν ξίφους ἐξουσίαν ὅπερ καὶ ἐξουσία λέγεται). Or, Zonaras lui-même adhérait clairement à l’image du Basileus comme projection de la providence divine et comme intendant des affaires politiques ; il la considérait par ailleurs plus précise tant par rapport à la tradition de l’État que par rapport aux principes du droit en vigueur68. Deuxièmement, il ressort de tout cela que l’image monétaire d’Isaac Ier se reflétait dans la pensée de Zonaras comme l’image d’un basileus sécularisé, privé statutairement de la sacralité de sa puissance, fermement préoccupé de la sauve‐ garde de la paix. La remarque sévère sur ce point de Procope, que Zonaras et ses confrères devaient incontestablement connaître69, selon laquelle le Basileus romain n’était jamais représenté dans son image monétaire portant des armes ou des symboles guerriers. Procope notait à ce propos : « À la main gauche il porte un globe, signifiant que le créateur soumit à lui la terre et la mer entières, et il ne porte ni épée ni lance ni une autre arme, mais le globe est surmonté d’une croix, par laquelle uniquement il acquit la basileia et la force de la guerre »70. Le Basileus comme Gloria orbis terrarium portait entre ses mains le globe, signifiant l’universalité de Rome, la perfection et le caractère divin de l’ordo rerum et reflétant la puissance de son pouvoir à l’intérieur et au-delà des frontières

66 Zonaras, XIII.3, p. 15. 67 Ἄντικρυς τυραννίς : Le terme est utilisé pour décrire la politique des Comnènes. Selon la formulation de Zonaras, il désigne le contraire de l’État de droit. L’adverbe ἄντικρυς a été traduit comme pure tyrannie : Etymologicum Gudianum, p. 60. Hesychii Alexandrini Lexicon, p. 170. À notre avis, il tend à signifier une tyrannie absolue et autoritaire, une interprétation qui enchâsse la définition d’Imperium, comme κράτος άκρατον, force pure. « Ἄντικρυς. De façon non dissimulée, sans peur, de façon non soupçonnée » (= Ἄντικρυς. ἀνυποστόλως, ἀφόβως, ἀνυπόπτως) : Zonaræ Lexicon, I, p. 226. « Ἄντικρυς : en face, à l’opposé, de l’extérieur ; les glossographes (…) disent qu’il désigne aussi d’autres choses, comme de part en part, immédiatement, directement, franchement, fortement, clairement, exactement » : Suidae, I, p. 343. 68 Zonaras, XVIII.29, p. 766. 69 Sur la dépendance de l’œuvre historiographique de Zonaras de Procope, Voir Karpozélos, Ap., Chroniqueurs et Historiens byzantins…, III, op. cit., p. 475-477. 70 Procopii, De Aedificiis, 1.2, in CSHB, (Bonnae : Weber, MDCCCXXXVIII), p. 182.

221

222

CHAPITRE VI

impériales, une puissance qui entourait l’Œkoumène71. Par conséquent, l’autorité de l’institution impériale n’était pas analogue à la puissance de la gladii potestatem, mais à la propriété du Basileus comme médecin et intendant, image consolidée au centre du système politique et juridique romain. Dans l’environnement législatif en vigueur et conformément aux traditions constitutionnelles72, la critique de Zonaras est condensée en ce que l’échec d’Isaac Ier résultait de son impuissance à exercer son pouvoir avec circonspection, à savoir comme gardien et médecin non seulement des affaires séculières mais aussi de celles divines de l’Œkoumène romain. La critique sévère de Zonaras à l’égard de l’image monétaire d’Isaac Ier con‐ stituait-elle alors une simple mise en relief d’un historien fidèle aux traditions constitutionnelles romaines, ou bien conspuait-elle directement le programme monétaire iconographique de Manuel Ier ? La réponse serait affirmative aux deux questions : Malgré le silence des sources, Manuel Ier est à plusieurs reprises représenté dans son image monétaire portant l’acinace impérial, soit seul, soit encadré par des saints militaires. Toutefois, l’épée n’était pas dégainée. Les principes « républicains » de Zonaras : Société civile ou Société eschatologique ?

Une partie du Livre III de l’Histoire abrégée de Jean Zonaras est consacrée au récit de l’intrigue du livre paléotestamentaire de Daniel et plus spécialement à l’extrait qui concerne l’interprétation des visions de Nabuchodonosor73. Cela ne constitue certes pas quelque chose de nouveau : le Livre de Daniel influençait

71 Voir Morrisson, C., « Byzance ciment de la ‘civilisation monétaire’ médiévale. Universalisme et universalité de la monnaie byzantine (ive s et ss.) », in Chrysos, E. (éd.), Byzantium as Oecumene, (coll. International Symposia 16), (Athens : National Hellenic Research Foundation, Institute for Byzantine Research, 2005), p. 125-140. 72 Voir De Cerimoniis, II.74, p. 102. 73 Daniel, 2.29-49 ; 7.1-8.27.

L’INSTITUTION DE BASILEIA EN CRISE

diachroniquement et de façon décisive les visions apocalyptiques byzantines74 et la pensée politique75. Les préalables herméneutiques de Zonaras dépendent d’une perspective de caractère messianique. Or, il existe deux caractéristiques qui forment sa critique : i. les images messianiques ne renvoient pas à des visions apocalyptiques abstraites, mais elles expriment des conditions historiques et politiques complexes ; ii. l’espace réel et idéel de l’Œkoumène romain est introduit dans la perspective eschatologique de la Création. Selon la catégorisation scripturaire classique des quatre époques des Royau‐ mes temporels, Zonaras discerne les quatre symboles matériels – catégories de qualités qui correspondent à quatre formes de puissance historique76 : i Babylone = Or77, ii Perse = Argent78, iii Macédoniens = Cuivre79, iv Romains = Fer80.

74 Voir Flusser, D., « The Four Empires in the Fourth Sibyl and in the Book of Daniel », Israel Oriental Studies 2 (1972), p. 148-175. Momigliano, Α., « Daniele e la Teoria della successione degli imperi », Atti dell’Academia Nazionale dei Linvei 35 (1980), p. 157-162. van Bekkum, J.-W., « Four Kingdoms Will Rule : Echoes of Apocalypticism and Political Reality in Late Antiquity and Medieval Judaism », in von Brandes, W. – Schmieder, F. (éd.), Endezeiten. Eschatologie in den monotheistischen Weltreligionen (coll. Millennium – Studien 16), (Berlin - New York : de Gruyter, 2008), p. 101-118. Wdaley, B., The Hope of the Early Church. A Handbook of Patristic Eschatology, (Cambridge : CUP, 1995), p. 5-19. Delcor, M., « La Prophétie de Daniel (chap. 2 et 7) dans la littérature apocalyptique juive et chrétienne en référence spéciale à l’Empire romain », in Catalano, P. – Signiscalo, A. (dir.), Popoli et Spazio Romano tra Diritto et Profezia, (Napoli : Edizioni Scientifiche Italiane, 1986), p. 11-24. Lucrezi, D., « Daniele, la Sibila, l’Impero », in Ibid., p. 25-35. Simonetti, M., « L’esegesi patristica di Daniele 2 e 7 nel II e III secolo », in Ibid., p. 37-47. Pavan M., « Le profezie di Daniele e il destino di Roma negli scrittori latini cristiani dopo Constantino », in Ibid., p. 291-307. Podskalsky, G., « La profezia di Daniele (cc. 2 e 7) negli scrittori dell’Impero romano d’Oriente », in Ibid., p. 309-319. 75 Par exemple Nil Doxapatrès dans son œuvre Notitia Thronorum Patriarchalium discerna une conjonction des termes géographiques et prophétiques, qui conduisait de fait à une série de formulations politiques : les trois Continents – les trois parties de l’Œkoumène dont avaient parlé les sages anciens – historiens et géographes – n’étaient que l’espace de naissance des quatre Royaumes de Daniel, le plus grand de tous et le dernier étant le Royaume des Romains : Doxapatrii, Notitia Thronorum Patriarchalium, PG 132, 1084C-1085A. Le commencement et la fin de l’Histoire sont signifiés par la gloire de l’Empire romain, c’est pourquoi, contrairement à la plupart des œuvres similaires, l’Apocalypse du pseudo-Méthode ne dissémine aucune idée s’opposant au régime ni ne crée des ruptures aux cloisonnements de l’orthodoxie politique : Voir Ubierna, P. Recherches sur l’apocalyptique syriaque et byzantine au viie siècle : la place de l’Empire romain dans une histoire du salut, Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre 2 (2008), p. 2-26. 76 Zonaras, t. I, III.2, p. 211-212. Voir Glykas, Annales, II, p. 373-378. 77 Daniel, 2.37-39. Voir Hésiode, Les travaux et les jours, Mazon, P. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 199314), 90. 78 Daniel, 2. 39-40. Voir Hésiode, Les travaux et les jours, op. cit., p. 90-91. 79 Daniel, 2.40. Voir Hésiode, Les travaux et les jours, op. cit., p. 91. 80 Daniel, 2.40-45. Voir Hésiode, Les travaux et les jours, op. cit., p. 91-93.

223

224

CHAPITRE VI

Attardons-nous sur le point (iv) : Selon son estimation, le fer symbolise la puissance. Toutefois, la créature apocalyptique onirique, bien qu’en fer, a des pieds d’argile. L’explication de Zonaras est que cet être représente l’institution de la Basileia qui se compose intrinsèquement, malgré sa puissance, d’éléments fragiles81. Ce qui permet de supposer que l’usure étatique et institutionnelle que Zonaras discerne, est peut-être attribuée d’un passé romain largement romancé. Il est toutefois en désaccord et soutient que même ce que l’historicisme romanophi‐ le insistait à considérer comme une convention étatique idéale, était loin d’avoir été un idéal : « Si quelqu’un veut comparer cette vision à l’état antérieur de la souveraineté des Romains, lorsque le sénat, les dictateurs, les consuls, les édiles et le dème s’impliquaient activement dans l’administration des affaires civiles, il se trouvera tantôt face au dême qui s’oppose au sénat et à des séditions, et tantôt face aux assemblées qui donnent des ordres et une foule qui soutient tout à fait autre chose, ce qui fait qu’ils se trouvent (les ‘institutions’) en conflit civil et les affaires politiques tendent vers une situation mauvaise et malsaine. »82 Cela oblige Zonaras à définir quelles sont les parties de l’État symbolisées par les signes de fer et d’argile : « Par le fer on doit représenter le sénat, pour la fermeté du caractère de son avis, tandis que la foule qui est mélangée aux assemblées doit être représentée comme une coquille, en raison de son caractère trivial et vulgaire et de ses convictions versatiles et débiles. La foule a toujours été instable, allant là où on la mène et désirant ce qu’on lui demande de désirer. »83 Zonaras note que ses constatations constituent des conclusions déduites de l’étude des œuvres historiques84. Le fruit de ses lectures le conduisait à la conclu‐ sion que même durant les périodes de prospérité les plus brillantes, l’Empire romain pâtissait de conflits civils et de guerres qui le conduisaient inévitablement à l’affaiblissement de ses forces vitales85. Cet affaiblissement se marquait par l’amenuisement de sa puissance et la réduction de son espace territorial. Par conséquent, le symbole apocalyptique de l’argile constituait la représentation idéale de cette condition historique86. La problématique de Zonaras se centre par la suite sur une question hermé‐ neutique : pour quelle raison le prophète Daniel nomma les trois bêtes apocalyp‐ tiques, mais non la quatrième87 ? Zonaras, t. I, III.2, p. 212. Ibid. Ibid., p. 212-213. « On trouvera que cela survint à plusieurs reprises à l’État des Romains, si l’on consulte les œuvres anciennes traitant de lui » : Ibid., p. 213. 85 Ibid. 86 Ibid., p. 213-214. 87 Ibid., p. 226-227.

81 82 83 84

L’INSTITUTION DE BASILEIA EN CRISE

En premier lieu, Zonaras affirme que la quatrième bête de la vision apocalypti‐ que n’était autre que l’Empire romain. Et d’ajouter que Daniel ne la nomme pas, parce que son système politique est multiforme et complexe : Tantôt c’était la tyrannie qui prédominait et tantôt l’aristocratie ; tantôt encore l’administration des affaires publiques se trouvait entre les mains du Sénat et tantôt entre les mains des Consuls. Ce régime se dégradait parfois en monarchie, permettant par la suite l’essor de la basileia88. Pour conclure Zonaras considère que cette polymorphie, qui ne reprend pas le système constitutionnel mixte de Polybe, ne peut pas décrire un régime doté de forme et contenu fixes, comme elle ne peut pas définir non plus une période historique donnée, à savoir un ordre civique cohérent et inébranlable. L’ordre symbolique des matériaux du fer et de l’argile permettent à Zonaras d’exposer quelques constatations personnelles sérieuses relatives à deux aspects de la légitimité et de la puissance du régime : Tout d’abord, le fer correspondait au système fiscal byzantin, comme les dents de la bête-Empire romain étaient en fer. Zonaras persiste sur sa critique caractéristique du système fiscal de son époque89, en ajoutant que les Basileis sont nourris des impôts, tandis que les contribuables en pâtissent et se trouvent relégués à la classe des indigents. Ceux qui se trouvent dans l’impossibilité de s’acquitter de leurs obligations fiscales perdent leur liberté, laissant la bête – État les écraser90. Deuxièmement : les pieds d’argile de la créature apocalyptique symbolisaient l’institution militaire, comme les membres conduisant l’institution impériale là où ils le souhaitaient, en conférant la dignité aux hommes que les militaires jugeaient compétents, en la sauvegardant ainsi par la force et en consolidant la légitimité politique91. Zonaras prend soin à ce point justement de rappeler à son lecteur que la puis‐ sance romaine était synonyme de la quatrième bête apocalyptique et renvoyait en conséquence à l’époque temporelle de l’Antéchrist92. Les dix cornes sur la tête de la bête symbolisaient les dix parties auxquelles l’Empire se diviserait à la Fin des

88 Ibid., p. 227. 89 « Les archontes ne traitent pas leurs sujets comme des bergers, en leur tondant la toison en trop et trayant le lait avec parcimonie, mais ils égorgent comme des bandits leurs propres moutons, se rassasient de leurs chairs et en sucent même la moelle » : Zonaras, t. III, XIII.3, p. 15-16. Le scoliaste (A) de l’Épitomé des Histoires de Parisinus gr. 1715 souligne l’insistance de Zonaras sur cette question et justifie sa critique par des principes de la morale : Büttner - Wobst, Lectori – Notae, in Zonaras, t. I, p. 571. 90 Le motif du payement d’impôts comme signe de privation des libertés était acquis dans le répertoire impérial de propagande des Comnènes, spécialement en matière de politique extérieure : Prodromos, « XVII. Dekasticha an den Kaiser Ioannes Komnenos », op. cit., p. 299. Idem., « XXI. Auf ein Bild des überaus guten Erlösers Christos ; aus dem Munde des Kaisers Ioannes », in Theodoros Prodromos, Historische Gedichte, p. 322.1-4. Idem., « XXX. An Kaiser Manuel… », op. cit., p. 360. Le réalisme politique de Kékauménos s’oppose au triomphalismus comnénien : Kékavménos, p. 258. 91 Zonaras, t. I, III.7, p. 227-228. Voir Kékavménos, p. 248, 258. 92 Zonaras, t. I, III.7, p. 228.

225

226

CHAPITRE VI

Temps, époque où l’Empire déclarerait la guerre aux saints et aux élus de Dieu93. L’époque eschatologique atteindrait son comble avec le jugement dernier du genre humain et la défaite des forces lucifériennes, qui avaient auparavant trouvé leur allié le plus fervent en la figure de l’Empire romain. Cette défaite signifierait que la bête-Empire romain serait livrée au bûcher apocalyptique. Zonaras explique : Tandis que la bête serait consumée par le feu, sa tête resterait intacte et serait épargnée, comme la tête de Rome symbolisait dans leur ensemble les basileis-gou‐ verneurs fidèles, les vertueux et les pieux qui avaient servi Dieu en s’étant mis au-delà Cité. En revanche, le corps de la bête apocalyptique était constitué des Basileis qui, mus par les méchancetés et les passions, étaient asservis aux désirs de la puissance et de la chair, aux dépens des commandements des lois spirituelles94. L’époque messianique coïncidait avec la fondation de la basileia messianique et non avec la reconstitution séculière et eschatologique de l’Empire romain95, mais au contraire avec son anéantissement absolu : « l’épiphanie future de notre Seigneur Jésus-Christ aura lieu quand la basileia de fer deviendra plus faible à cause de son métissage avec la matière de coquille »96. De la même manière, le royaume éternel constituerait l’époque de la pierre, à l’image du Christ perçu comme une pierre, en accomplissant les prédictions prophétiques97 et en diffusant à l’Œkoumène la divine Gloire98. Le Messie s’ache‐ minerait vers la nouvelle création dans les nuages99 et il établirait son royaume eschatologique : « C’est à lui que seront donnés (…) l’autorité, l’honneur et le règne, et tous les peuples, toutes les langues et toutes les tribus lui seront asservies, tandis que son pouvoir sera éternel et ne périra ni son règne ne se corrompra. »100 Le caractère eschatologique des études historiques de Zonaras constitue le noyau dur de sa position « dissidente », conduisant sa critique vers des axes idéologiques et politiques inédits. Le Royaume de Dieu exclut toute caractéristi‐ que d’ordre temporel-politique, en laissant exposé le dogme de la réception de l’Empire de la Nouvelle Rome, comme image vivante du Royaume céleste. En revanche, les retombées institutionnelles diachroniques, ainsi que le caractère dysfonctionnel du fait historique sous n’importe quelle forme, attestent de l’épui‐ 93 Ibid. 94 Ibid., p. 229-230. 95 « Il n’y aura pas de nation ou de royaume sur terre qui pourra les combattre (…) Et ensuite (les nations) seront vaincues par le Basileus des Romains et seront assujetties par lui. Et celui-ci sera glorifié plus que tout autre royaume des nations et ne sera vaincu par aucun autre éternellement » : Lolos, A., Die Apokalypse des Pseudo-Methodios, (coll. Beiträge zur klassischen Philologie Heft 83), (Meisenheim am Glan, 1975), p. 71. « Toute autorité et tout pouvoir de ce monde seront supprimés à l’exception de la Basileia des Romains. Car celle-là sera combattue mais ne sera pas vaincue et toutes les nations qui seront en conflit avec elle, seront anéanties. Et elle, elle dominera absolument jusqu’à ce que la dernière heure arrive » : Ibid., p. 90-92. 96 Zonaras, t. I, III.3, p. 214. 97 Voir Psaume, 118.22. Ésaïe, 28.16. Éphésiens, 2.20. I Corinthiens, 3.11 ; 10.4. 98 Zonaras, t. I, III.3, p. 215. 99 Voir Matthieu, 24.30. 100 Zonaras, t. I, III.7, p. 230.

L’INSTITUTION DE BASILEIA EN CRISE

sement des idées politiques acquises, qui conduisaient les sociétés humaines à leur désagrégation. La proposition de Zonaras semble tendre vers une déconstruction de fond en comble du fait historique. Toutefois, en dépit de tout cela, et dans aucun cas, il ne nie ni ne rejette la politique. Ce qu’il souligne, c’est que les termes du monde séculier sont incapables d’exprimer la grandeur de l’Absolu. C’est pourquoi la fin de l’Histoire ne coïncide pas avec la répétition rituelle du roman politique romain originel, ni n’est régi par un historisme messianique. Elle découle au contraire d’une transgression de la dystopie séculière, comme un effet de la suppression des mythes fondateurs et des utopies politiques. Cette attitude est radicalement « dissidente », parce qu’elle déconnecte la mémoire collective romaine de toute forme des restaurations messianiques de l’ordre séculier. Ce qui signifie que les faits historiques sont davantage du ressort du jugement du sujet, parce qu’ils constituent des signes d’une conception de temporalité extrême des choses, statutairement dépourvue de la possibilité de rationalisations de type théologique de l’Histoire. Il existe une caractéristique pri‐ mordiale d’une responsabilité subjective, qui dicte de façon fondatrice à Zonaras l’étude et la rédaction de son Histoire101. Or, il ne faudrait pas se leurrer, cette idée cache la distinction absolue entre l’Imperium et le Sacerdotium, une distinction qui permet dans le fond à Zonaras de distinguer avec lucidité la pathogénie institutionnelle et les impasses politiques et sociales qui se dessinaient, qui sont, en l’espèce, entendues comme partie structurale du problème anthropologique. Mais cette distinction, qui exprime la distinction analogue entre pouvoir porté et porteur du pouvoir, est due au fait que Zonaras se rendait compte que sans la puissance des symboles et des images, l’institution de la Basileia n’était que comme un Empereur sans ses habits102. Et que pouvait finalement être un Basileus sans ses habits ?

101 Le commentateur (A) de l’Abrégé de l’Histoire exprime au moyen de termes humanistes rigoureux le but et la manière de l’œuvre historique de Jean Zonaras. Ses formulations, qui représentent certes le noyau de la philosophie de l’Histoire de Thucydide, décrivent de la façon la plus pertinente le caractère essentiel de l’écriture de Zonaras, qui se récapitule, à notre avis, à son ironie typiquement byzantine. 102 Voir « Nous disons que, de même que les insignes extérieurs, je veux dire le diadème, la pourpre, le sceptre, le byssus rendent l’empereur reconnaissable pour ceux qui le voient et non pas son titre seul » : Nicétas Stéthatos, De la hiérarchie, SC 81, 334.1-4. Voir Neophyti Inclusi, De Mandatis Christi, p. 2.

227

Conclusion

En 1166, Manuel Ier publia une Novelle relative à des questions d’organisation des tribunaux. Ce document attira l’attention des chercheurs, notamment parce que le législateur y ordonnait la « rénovation » des Basiliques, comme code unique du droit de l’État en vigueur au xiie siècle : « Pour que désormais les tribunaux peuvent restaurer la justice, nous réactivons la loi établie dans les divers livres des basiliques, et nous rénovons cette loi pratiquement oubliée et condamnée à une totale désuétude. »1 En plus de son intérêt pour les historiens du droit et de la théorie politique, ce passage montre clairement l’intention du législateur de définir et de décrire l’État en tant qu’État de droit. Quelques lignes plus loin, Manuel Ier ajoutait : « Ma majesté a toujours voulu mettre en œuvre des réformes pour le mieux ; mais comme cela est laborieux, ou même à vrai dire impossible, elle cherche, dans la mesure du possible, à corriger par des décrets tout ce qui est mal appliqué et mal fait. »2 Dans l’esprit du législateur, le terme de la basileia entendu comme une supervi‐ sion légitime (ἔννομος ἐπιστασία) est identique à l’idée de l’État comme une Civitas legitima (ἔννομος Πολιτεία). Ceci désigne : i. la nette volonté politique que l’État soit gouverné par des lois ; ii. que la loi soit le facteur déterminant du droit ; iii. que la civilisation soit régulée par la loi. Les jurisconsultes s’accordent sur ces trois points et estiment que la loi et la justice constituent une même chose3. Par conséquent, est défini comme une Civitas legitima, l’État qui est structuré et administré par des principes de droit rigoureusement contraignants et par des traditions institutionnelles de caractère statutaire et non écrit. Ce cadre permet alors de se référer à une civilisation byzantine « constitutionnelle », à un ensem‐ ble de principes politiques fondamentaux qui sont soit établis juridiquement, soit identifiés dans les traditions politiques. Byzance du xiie siècle a été une civilisation juridique nette, qui reflétait l’environnement juridique romain classique. L’institution impériale, bien qu’elle existe comme state of exception, comme le point où les règles de la Cité peuvent se renverser, ne peut transgresser un certain nombre de restrictions structurelles qui, si elles ne sont pas d’un caractère stricte‐ ment juridique, sont assurément politiques. L’assurance du Consensus omnium a été un facteur déterminant pour la survie politique – et souvent même pour la 1 Manuelis, Nov. LXVI, De diversis causis, op. cit., p. 391-392. 2 Ibid., p. 396. 3 Scholia B. II. 1.10 = D. I.1.10, § 2, p. 3.

230

CONCLUSION

survie physique du Basileus – qui dans le fond rappelait le principe : Salus populi suprema lex esto4. Le consensus supposait la présence d’agents de transmission, dont le plus important au xiie siècle a été l’Église. Outre ses intérêts institutionnels et corpora‐ tistes étroits, Église existait au niveau politique comme un porteur d’expression de l’idéologie sociale, comme un formateur des équilibres entre l’État et la Société. C’était ce qui motivait l’attitude favorable de l’Empereur à l’égard des intérêts ecclésiastiques. De la même manière, le renforcement institutionnel de l’Église par des responsabilités juridiques de caractère civil était dû à la relation étroite de l’Église avec le fidèle, qui peut-être surpassait, mais assurément n’annulait pas, la relation entre l’État et le citoyen. D’ailleurs, les questions de l’administration ecclésiastique étaient intégrées à l’environnement du droit public, comme le dit le commentateur de la Β. II.1.1 (= D. I.1.1[+2]) : « Le droit public, ce sont aussi ces lois des Romains qui visent au bon ordre commun, comme (ces lois qui concernent) l’ordination des évêques et des diacres, comme (celles) dans le Libri I, Titulus I des Instituts et la novelle (justinienne) 137. »5 En conséquence, les questions de foi, la sauvegarde de la science doctrinale et canonique, étaient des obligations impériales juridiquement prévues, dotées de caractéristiques con‐ traignantes, faisant partie de la puissance institutionnelle du Basilleus comme lex animata : superviseur des choses politiques et épistèmonarchès des choses ecclésias‐ tiques. Le droit canonique byzantin faisait partie du droit public. Or ceci ne signifie pas que les caractéristiques d’une idéologie sociale en étaient absentes. Et ce fut justement la raison de la rédaction de manuels herméneutiques et de commentai‐ res analogues. Toutefois, malgré l’implication continue de l’Empereur dans des questions de droit canonique, cela exprimait constamment un ordre de mores maiorum, qui émanaient fondamentalement des cadres spirituels et institutionnels de l’Église. Par conséquent, ces manuels et commentaires fonctionnaient aussi de façon totalement contraignante pour l’Empereur, même s’ils ne présupposaient sa légitimité. Cette convention ne permettait pas l’autonomie de l’Église comme un ordre juridique distinct, vu que ses fonctions juridiques étaient juridiquement prévues. Il est pour autant possible de discerner l’ampleur de l’influence que le droit canonique exerçait sur l’interprétation et l’application du droit de l’État ou encore sur l’image politique même de l’Empereur. Cette influence se trouvait condensée dans la promotion et l’observance des principes de la piété impériale, qui ne constituait pas seulement une figure rhétorique, mais renvoyait à des responsabilités et à la puissance institutionnelle. Il en découle que les images impériales sacerdotales renvoyaient à des fonc‐ tions institutionnelles solides et très anciennes. C’était pour cette raison que les

4 Cicéron, Les Lois, III, 3,8. 5 Scholia B. II.1.1 = D. I.1.1§ 2, p. 1. Cette disposition reproduit un commentaire antérieur d’Ulpien : « Publicum ius in sacris, in sacerdotibusm in magistratibus consistit » : B. II.1.1 = D. I.1.1[Οὐλπι.] = De iustitia et iure, C.I.C., I, p. 1.

CONCLUSION

« conflits » entre l’Empereur et le Patriarche concernaient les personnes et ne se transposaient pas à l’échelle des rapports institutionnels. Le caractère sacerdotal de l’Institution impériale était incontestable pour les Byzantins, dans la mesure où même l’Œkoumène romain renvoyait à un Ordre (Τάξις) politique supérieur et divin. En conséquence, la critique des Byzantins ne visait pas le pouvoir, mais son détenteur. Or tout cela ne signifie nullement que ce régime politique pouvait être qualifié de théocratie, au moins de la façon dont celui-ci est défini par les manuels de philosophie politique modernes. La théocratie byzantine était une théocratie relative ou plutôt l’État byzantin était gouverné par un régime politique de principes métaphysiques et moraux profondément consolidés : Du point de vue structurel, le régime était constitué au nom de la Divinité trinitaire, et du point de vue exécutif au nom du Populus Romanus. Cette coexistence apparaît dans un extrait du Ier Discours contre Aristogiton de Démosthène, qui a été recopié verbatim par Ulpien et Marcien et qui a été, bien sûr, intégré aux Digesta et au Libri II / Titulus I des Basiliques : « Les lois veulent le juste, le beau, l’utile ; c’est ce qu’elles recherchent ; quand elles l’ont trouvé, c’est là un ordre général, proclamé pour tous, égal et identique pour tous ; c’est la loi, à laquelle tout le monde doit obéir, pour bien des raisons et principalement parce que toute loi est une invention et un don des dieux, une décision des homes sages, un correctif apporté aux erreurs volontaires ou involontaires, un contrat commun de la cite selon lequel doivent vivre tous les citoyens. »6 Cette étude, qui porte sur la relation entre l’Imperium et le Sacerdotium au cours du xiie siècle, se veut un récit in media res. La recherche « fait chanter » l’examen de la variable suivante : L’attention doit-elle être limitée à la distinction institutionnelle entre Imperium et Sacerdotium, à l’abandon de la toga augustinien‐ ne, au renoncement au lituus et au titre du pontifex maximus, aux dépens de la validité des dispositions législatives précoces des Libri XVI du Codex Theodosia‐ nus ? Ou faudrait-il plutôt rechercher le rythme et la profondeur avec lesquels l’Institution impériale transforma l’aspect païen de ses caractéristiques sacerdota‐ les en caractéristiques chrétiennes, fût-ce en dévaluant la puissance détenue du statut du Dieu-Basileus à celui du Saint-Basileus ? Cette question revient sur l’interrogation initiale : De quel type était le régime politique byzantin ? Or, une fois la question posée, il est nécessaire de prendre en considération un paramètre interprétatif fondamental : De quel type était le régime politique byzantin par rapport à la tradition gréco-romaine génératrice, aux dispositifs de sûreté stricts prévus par la loi, les traditions institutionnelles et le respect inhérent à l’égard du Sacré ?

6 Démosthenè, Contre Aristogiton, I.16, in Démosthenè, Plaidoyers politiques, IV, Mathieu, G. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 1958), p. 146.

231

232

CONCLUSION

Dans ce cadre, l’Histoire du droit byzantin et des Institutions pourra peut-être se délester de la répétition de certaines propositions toutes faites, pour être présentée comme une théorie du droit où les caractéristiques suprématistes de la justice seront sans hésitation choisies suivant le but objectif de la loi.

Annexe

Donatio Constantini / Versio Balsamonis, Nomokanon VIII.I (= RP., I, p. 145-148). Nous avons jugé opportun, avec l’accord de tous nos dignitaires et de l’ensem‐ ble du Sénat et des archontes et de tout le peuple qui est soumis au pouvoir de l’Autorité romaine, que, comme saint Pierre en tant que représentant du Fils de Dieu sur terre, et en conséquence les évêques, les successeurs de l’Apôtre majeur [à savoir les Papes de Rome], aient sur terre le pouvoir de gouverner, supérieur à celui dont dispose notre pouvoir impérial. Cette décision fut prise par nous et par notre basileia. Et nous, nous désirons que l’Apôtre majeur et ses successeurs qui procèdent de lui [à savoir les Papes de Rome] soient les premiers devant Dieu, pères et protecteurs. Et de même que notre pouvoir impérial est respectable et honoré sur terre, nous établissons que la sainte Église des Romains soit respectable et honorée, et que le saint siège de saint Pierre soit glorifié et magnifié davantage que notre basileia et notre trône terrestre. En lui conférant la puissance et la dignité du pouvoir, nous établissons, en décidant, que celui-ci ait le pouvoir de gouverner et qu’il soit la tête des quatre trônes [ecclésiastiques], c’est-à-dire des trônes d’Alexandrie, Antioche, Jérusalem et Constantinople. Pour le dire simplement, [qu’il ait le pouvoir] sur toutes les églises de l’ensemble de l’œkoumène. Et l’évêque qui va gouverner la sainte église des Romains doit être glorieux et prévaloir sur tous les prêtres du monde. En conséquence, que tout ce qui est associé à la diaconie de Dieu et à la correction et au raffermissement de la foi des Chrétiens, soit jugé par lui [l’évêque de l’église de Rome]. Il est alors juste que là où la sainte loi a sa tête et son commencement, [là où] le législateur, notre Sauveur Jésus-Christ ordonna au bienheureux apôtre Pierre d’occuper le siège et, là où il [Pierre] subit la passion de la Croix et but le calice de la mort bienheureuse, devenant ainsi l’imitateur de son maître et seigneur. Que les nations inclinent là [à Rome] la tête, en hommage à la confession du nom du Christ, [là] où leur maître [des nations], le bienheureux apôtre Paul, en offrant le cou au Christ, reçut la couronne du martyre. Et que [là les nations] jusqu’à la fin du monde recherchent le maître [l’apôtre Paul], là où sa sainte relique repose. Et là, où nous servîmes ce grand Basileus [Dieu], nous servons à présent sur le ventre et couchés sur le sol les ministères [à savoir le sacerdoce] du Basileus céleste et Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ. Nous remettons alors à eux, aux saints Apôtres et mes bienheureux maîtres Pierre et Paul, et, avec eux, au bienheureux et père Sylvestre, le grand évêque et catholique pape de la ville de Rome et à tous ces

234

ANNExE

successeurs qui à partir d’aujourd’hui et jusqu’à la fin du monde vont siéger sur le trône du bienheureux Pierre [nous remettons] notre propre palais royal de Latran qui prévaut et l’emporte sur tous les palais du monde. Hormis cela [je remets] aussi le diadème, à savoir la couronne de notre tête, avec le lôros et l’étole qui enveloppe le cou du basileus. Aussi [je remets] la chlamyde pourpre et la tunique rouge et tous les habits royaux et les insignes des chevaux royaux. De même [je remets] les sceptres royaux et tous les signes et les vandas et le reste des bijoux de la majesté royale et la puissance de notre pouvoir. Nous établissons que la sainte Église romaine soit parée d’hommes clercs fort pieux de différents ordres et que ceux-ci aient la grandeur et l’éminence qui embellit notre grand sénat, à savoir les patrices et les consuls, à savoirs les consuls et les autres dignitaires. Et à l’instar de l’ornement de l’armée royale, nous établissons que le clergé de la sainte église de Rome soit pareillement orné et exactement de la façon dont est paré [à savoir encadré] le pouvoir impérial de plusieurs dignités, à savoir des koubikoularioi, portarioi, excubites, nous voulons aussi parer en conséquence la sainte église des Romains. Et pour que la lumière épiscopale brille et illumine partout, nous établissons aussi cela : que les clercs de la sainte église des Romains montent sur des chevaux ornés de housses blanches et qu’ils portent comme les sénateurs des chaussures, à savoir des chaussons de tissu blanc. De cette manière les cieux [à savoir les clercs] porteront des insignes similaires à ceux des terrestres [à savoir les dignitaires civils] à la gloire de Dieu. Hormis tout cela, nous autorisons et conférons à lui, notre saint père, l’évêque et pape de la ville de Rome Sylvestre et à tous ses successeurs les bienheureux évêques, à l’honneur et à la gloire de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, [nous autorisons] cette grande et apostolique église à ce que si quelqu’un du sénat de son propre gré et désir, décide de devenir clerc et faire partie des rangs des saints clercs, que personne n’ose l’en empêcher. Nous avons aussi établi que notre très pieux père le grand évêque Sylvestre et tous ses successeurs évêques, porte le diadème, à savoir la couronne que nous lui avons remise de notre tête, [ornée] d’or et de perles de valeur inestimable, pour qu’ils le portent à la tête à la glorification de Dieu et en l’honneur du saint et majeur des Apôtres [à savoir Pierre]. Mais je ne voulais pas que le bienheureux pape Sylvestre, en dehors de sa mitre épiscopale qui s’appelle papalèthra, qu’il portait à la gloire de Dieu et de saint Pierre, porte une couronne en or ou en perles et nous, précisément parce que le saint Sylvestre ne souhaitait pas porter la couronne d’or, nous avons posé sur sa sainte tête le lôros majestueux qui symbolise la sainte résurrection. Et je tins la bride de son cheval, par vénération et respect à saint Pierre, j’assumai l’office de général [en renonçant au titre impérial], en établissant à ce que tous ses successeurs [évêques de Rome] utilisent le lôros pendant les processions en imitation de la basileia. Pour cette raison, et pour que la dignité épiscopale ne soit pas méprisée, mais qu’elle soit agrémentée d’une pleine puissance et plus que notre basileia terrestre, notre palais stipula, comme il a déjà été dit, que la ville des Romains et toutes les villes d’Italie et les provinces des territoires occidentaux, les lieux et les châteaux, soient remis au précité bienheureux évêque et notre père Sylvestre, pape catholique. Et nous

ANNExE

lui laissâmes, à lui et à ses successeurs, le pouvoir et la puissance fermes qui émanent de l’ordonnance impériale et nous publiâmes pour ce commandement une pragmatique sanction en établissant sa force diachronique, en les concédant [le pouvoir et la puissance] éternellement aux hommes de la sainte Église des Romains. Pour cette raison, notre basileia jugea utile de transférer son état aux territoires orientaux et [spécialement] au beau lieu du pays de Byzance, à la ville qui sera fondée et qui portera notre nom [Constantinople] et là nous installerons notre basileia. Car, il n’est pas juste que là où le pouvoir de la sacralité est installé et où se trouve la tête de la religion chrétienne, qui fut offerte par le roi céleste, le basileus terrestre installe son pouvoir. Cette décision de notre basileia nous l’avons rédigée de nos propres mains et nous l’avons déposée aux saintes reliques du saint et majeur Apôtre Pierre et nous avons prêté le serment d’observer tout cela rigoureusement, en stipulant dans nos memoranda que nos successeurs basileis doivent sauvegarder scrupuleusement [ce que nous avons établi]. Nous avons remis à notre père, l’évêque et pape saint et catholique et à travers lui à tous ses successeurs évêques, avec l’accord de notre Seigneur et Sauveur Jésus, tout [tous les privilèges] ce qui est susmentionné, pour que ceci soit éternellement sauvegardé sans être transgressé.

235

Bibliographie

Sources Éditions, traductions et commentaires du corpus historique Anne Comnène, Alexiade. Règne de l’Empereur Alexis I Comnène (1081-1118), Leib, B. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 1937-1976), I, 1937, 187 p.; II, 1943, 246 p.; III, 1945, 306 p.; IV, 1976, 141 p. [cité Alexiade]. Anonyme, Σύνοψις Xρονική, in BM, VII, 680 p. [cité Synopsis Chroniké]. Constantini Manassis, Breviarium Chronicum, Lampidis, Od. (rec.), (Athenis : Academiae Atheniensis, MCMXCVI), I, 358 p. ; II, 172 p. [cité Breviarium Chronicum]. Ephraem Aenii, Historia Chronica, Lampidis, Od. (rec.), CFHB 27, (Athenis : Apud Institutum Graecoromanae Antiquitatis, Auctoribus edendis destinatum Academiae Atheniensis, 1990), 456 p. Eustathii Thessalonicensis, De Thessalonica Urbe a Latinis capta, PG 136, 9 A-140C. Ioannis Cinnami, Epitome, Rerum ab Ioanne et Alexio Comnenis gestarum, Meineke, A. (rec.), CSHB, (Bonnae : Weber, MDCCCXXXVI), 409 p. [cité Kinnamos]. Ioannis Scylitzae, Synopsis Historiarum, Editio Princeps, CFHB 5, (Berlin : de Gruyter, 1973), 579 p. [cité Scylitzae, Synopsis Historiarum…]. Ioannis Zonarae, Annales, v. I-III, Pinderi, M. (rec.), CSHB, (Bonnae : Weber), I : MDCCCXLI, 581 p.; II : MDCCCXLIV, 647 p.; III : MDCCCXCVII, 932 p. [cité Zonaras]. Kékavménos, Strategèkón, (coll. Textes d’Historiographie byzantine 2), (Athènes : Kanakis, 1996), 295 p. Michaelis Attaliotae, Historia, Bekker, Im. (rec.), CSHB, (Bonnae : Weber, MDCCCLIII), 336 p. [cité Attaliotae, Historia…]. Michaelis Glykae, Annales, Bekker, Im. (rec.), CSHB, (Bonnae : Weber, MDCCCXXXVI), 649 p. [cité Glykae, Annales…]. Michel Psellos, Chronographie ou histoire d’un siècle de Byzance (976-1077), Renauld, É. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 1926-1928), I : 1926, 154 p.; II : 1928, 199 p. [cité Psellos, Chronographie…]. Nicéphore Bryennios, Histoire, Gautier, P. (éd.), CFHB 9, (Brussels : Byzantion, 1975), 408 p. Nicetae Choniate, Historia, van Dieten, I. A. (rec.), CFHB 11 (Berlin : de Gruyter, 1975), 655 p. [cité Choniatès].

238

BIBLIOGRAPHIE

Corpus juridique byzantin issu de la tradition manuscrite : Aerts, W. J. – van Bochove, Th. E. – Harder, M. A. – Hilhorst, A. – Lokin, J. H. A. – Meijering, R. – Radt, S. L. – Roldanus, J. – Stolte, B. H. – van der Wal, N. (éd.), « The Prooimion of the Eisagoge », SG 7 (2001), p. 91-155. Bruns, G. – Mommsen, Th. - Gradenwitz, Ot. (éd.), Fontes iuris Romani antiqui, I, (Tübingen : Mohr, 1909), 449 p. Scholia Basilicorum Libri LX, Scheltema, H. J. / Holwerda, D. / van der Wal, N. (éd.), v. IIX, (Groningen : Wolters, 1953-1985), 3954 p. [cité Scholia B.]. Basilicorum Libri LX, Scheltema, H. J. / van der Wal, N. (éd.), v. I-VIII, (Groningen : Wolters, 1955-1988), 3131 p. [cité B.]. Branousi, E., « Ordonnance de l’empereur Manuel Ier en faveur du monastère de Jean le Théologien à Patmos », in Charistirion à Anastasios K. Orlandos, II, (Athènes : Bibliothèque de la Société Archéologique d’Athènes, 1966), p. 78-97. Burgmann, L. (éd.) Ecloga Basilicorum, (coll. Forschungen zur Byzantinischen Rechtsgeschichte 15), (Frankfurt am Main : Löwenklau, 1988), 622 p. [cité Ecl. B.] Burgmann, L. – Troianos, Sp., Nomos Mosaïkos, FM 3 (1979), p. 126-167 [cité Nomos Mosaïkos]. Codex Theodosianus, Mommsen – Meyer (éd.), Theodosiani libri XVI cum constitutionibus Sirmondianis et leges Novellae ad Theodosianum pertinentes, (Berlin : Weidemann, 1905), 939 p. Constantin VII Porphyrogénète, Le livre de cérémonies, vol. I-II, Vogt, A. (éd.), (Paris : Les Belles Lettres, 1935-1939), I : 1935, 183 p.; II : 1939, 193 p. Corpus Iuris Civilis, I-III ; I : Institutiones, Krueger, P. (rec.) ; Digesta, Mommsen, Th. (rec.), (Berolini : Weidmann, MDCCCXCIII), 882 p. ; II : Codex Iustinianus, Krueger, P. (rec.), (Berolini : Weidmann, MCMXV), 516 p. ; III : Novellae, Schoell, R. (rec.) / Kroll, G. (abs.), (Berolini : Weidmann, MCMXXVIII), 813 p. [cité C.I.C.]. Darrouzès, J., « Décret inédit de Manuel Comnène », REB 31 (1973), p. 307-317. Darrouzès, J., « Tomos inédit de 1180 contre Mahomet », REB 30 (1972), p. 187-197. Dölger, F., Regesten der Kaiserurkunden des Oströmischen Reiches von 565-1453, v. I-V, (München - Berlin, Oldenbourg), I : 1924, 105 p.; II : 1925, 108 p.; III : 1932, 77 p.; IV : H. Beck, 1960, 165 p.; V : 1965, 138 p. [cité Regesten]. Ecloga ad Prochiron Mutata, ex editione Zachariae, C.E. - Lingenthal, A., in JGR, VI, p. 222-318 [cité Prochiron Mutata]. Ecloga Legum in Epitome Expositarum, ex editione Zachariae, C.E. - Lingenthal, A., in JGR, IV, p. 276-585 [cité Epitome]. Ecloga Legum Leonis et Constantini, ex editione Zachariae, C.E. - Lingenthal, A., in JGR, II, p. 11-62 [cité Ecloga]. Ecloga Privata Aucta, ex editione Zachariae, C.E. - Lingenthal, A., in JGR, VI, p. 12-47 [cité Ecloga Privata Aucta]. Epanagoge Aucta, ex editione Zachariae, C.E. - Lingenthal, A., in JGR, VI, p. 57-216 [cité Epanagoge Aucta]. Epanagoge Legis Basilii et Leonis et Alexandri, ex editione Zachariae, C.E. - Lingenthal, A., in JGR, II, p. 236-368 [cité Epanagoge].

BIBLIOGRAPHIE

Gautier, P., « L’édit d’Alexis Ier Comnène sur la réforme du clergé », REB 31 (1973), p. 165-201. Lampros, Sp., « L’ἱατὴρ de Manuel Comnène corrigé et complété », NE 3 (1916), p. 321-328. Leonis Sapientis, Liber Praefecti, ex editione Nicole, J., in JGR, II, p. 371-392 [cité Liber Praefecti]. Liber Juridicus Alphabeticus sive Synopsis Minor, ex editione Zachariae, C.E. - Lingenthal, A., in JGR, VI, p. 327-547 [cité Synopsis Minor]. Mango, C., « The Conciliar Edict of 1166 », DOP 17 (1963), p. 317-330. Michaelis Attaliotae, Opus de jure, ex editione Sgoutas, L., in JGR, VII, p. 411-497 [cité Opus de jure]. Michaelis Pselli, Synopsis Legum, ex editione Migne, J., in JGR, VII, p. 379-407 [cité Pselli, Synopsis Legum]. Novellae et Aureae Bullae Imperatorum post Justinianum, in JGR, I [cité Nov.]. Oikonomidès, N., « Le serment de l’impératrice Eudocie (1067). Un épisode de l’histoire dynastique de Byzance », REB 21 (1963), p. 101-128. Papagianne, E. – Troianos, Sp., « Die Besetzung der Ämter im Grossskeuophylakion der Grossen Kirche im 12. Jahrhundert », FM 6 (1984), p. 87-97. Practica ex Actis Eustathii Romani, ex editione Zachariae, C.E. - Lingenthal, A., in JGR, IV, p. 7-269 [cité Peira]. Prochiron ; Basilii, Constantini et Leonis AAA., ex editione Zachariae, C.E. - Lingenthal, A., in JGR, II, p. 114-228 [cité Prochiron]. Prochiron Auctum, in JGR, VII, p. 9-361 [cité Prochiron Auctum]. Pseudo-Kodinos, Traité des offices, Verpeaux, J. (éd.), (Paris : Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1966), 420 p. Simon, D. – Troianos, Sp., « Eclogadion und Ecloga Privata Aucta », FM 2 (1977), p. 45-86. Simon, D. – Siphoniu – Karapa, A., « Eine Fragmentesammlung aus dem Baroccianus 173 », FM 3 (1979). Synopsis Basilicorum, ex editione Zachariae, C.E. - Lingenthal, A., in JGR, V, 598 p. [cité Synopsis Basilicorum]. Tiftixoglu, V. / Troianos, Sp., « Unbekannte Kaiserurkunden und Basilikentestimonia aus dem Sinaiticus 1117 », FM 9 (1993), p. 137-179. van der Wal, N. / Stolte, B. H. (éd.), Collectio Tripartita. Justinian on Religious and Ecclesiastical Affairs, (Groningen : Brill, 1994), 176 p. [cité Tripartita]. Weiß, G., « Die Synopsis legum des Michael Psellos », FM 2 (1977), p. 147-214. Zepos, J. – Zepos, P. (éd.), Jus Graecoromanum, v. I-VIII, (Athenis, 1931); I : 742 p.; II : 427 p.; III : 395 p.; IV : 619 p.; V : 598 p.; VI : 564 p. VII : 558 p.; VIII : 583 p. [cité JGR]. Corpus canonique et ecclésiologique byzantin : Darrouzès, J., Documents inédits d’ecclésiologie byzantine, (coll. Archives de l’Orient Chrétien 10), (Paris : Institut Français d’Études Byzantines, 1966), 442 p.

239

240

BIBLIOGRAPHIE

Darrouzès, J., Notitiae Episcopatuum Ecclesiae Constantinopolitanae. Texte critique, introductions et notes, (coll. Géographie ecclésiastique de l’empire byzantin 1), (Paris : Institut Français d’Études byzantines, 1981), 521 p. Gouillard, J., « Le Synodikon de l’orthodoxie », TM 2/Extrait (1967), 316 p. [cité Synodikon]. Grumel, V., Les Regestes des actes du Patriarcat de Constantinople, vol. I. Les actes des Patriarches (coll. Le Patriarcat byzantin 1), (Paris : Socii Assumptionistae Chalcedonenses, 1932-1947), I : 1932, 130 p.; II : 1936, 265 p.; III : 1947, 245 p. [cité Regestes]. Hieroclis Synecdemus, Notitiae Graecae Episcopatuum. Accedunt Nili Doxapatrii Notitia Patriarchatuum et Locorum Nomina Immutata, Parthey, G. (rec.), (Amsterdam : Hakkert, 1967), 385 p. Joannou, P.-P., Fonti; Discipline générale antique (iie-ixe s.), v. I-III, (Roma - Grottaferrata : Pontificia Commissione per la Redazione del Codice di Diritto Canonico Orientale, 1962), I,1 : 342 p.; I,2 : 549 p.; II : 332 p.; t. III : Index analytique aux CCO, CSP, CPG, 364 p. [cité Joannou, Fonti…]. Jus Canonicum Græco-Romanum, Sententiæ Synodales et Sanctiones Pontificiæ Archiepiscoporum et Patriarcharum Constantinopolis, PG 119, 725C-1297B. Nili Doxapatrii, Notitia Thronorum Patriarchalium, PG 132, 1083A-1114C [cité Doxapatrii, Notitia Thronorum Patriarchalium]. Papagianne, El. – Troianos, Sp., « Die Besetzung der Ämter im Gros-skeuophylakion der Grossen Kirche im 12. Jahrhundert », FM 6 (1984), p. 87-97. Papagianne, El. – Troianos, Sp., « Die kanonischen Antworten des Nikolaos III. Grammatikos an den Bischof von Zetunion », BZ 82 (1989), p. 234-250. Pavlov, A., « Sinodal’nij akt Konstantinopolskago patriarha Mihaila Anhiala 1171 g. », VV 2 (1895), p. 388-393. Rhallis, G. A. – Potlis, M. (éd.), Syntagma des saints et sacrés Canons des saints et admirables Apôtres, et des saints Conciles œcuméniques et des conciles locaux et des saints Pères de chaque lieu, v. I-VI, (Athènes : Chartophylax, 1852-1855), I : 403 p.; II : 732 p.; III : 655 p.; IV : 640 p.; V : 638 p.; VI : 620 p. [cité R.-P.]. Sakkos, St. N., « Mon Père est supérieur à moi », B. Querelles et Synodes durant le xiie siècle (coll. Atelier d’études de Grammatologie ecclésiastique 8), (Thessalonique : Université Aristote de Thessalonique, 1968), 229 p. [cité Actes]. Schminck, A., « Ein Synodalakt vom 10. November 1167 », FM 3 (1979), p. 316-322. Simon, D., « Ein Synodalakt aus dem Jahre 1166 », FM 1 (1976), p. 123-125. Theoriani Orthodoxi, Disputatio cum Armeniorum Catholico, PG 133, 119A-298C. Troianos, Sp., « Ein Synodalakt Michaels III. zum Begnadigungsrecht », FM VI (1984), p. 205-218. Corpus encyclopédique et lexicographique : Burgmann, L., « Byzantinische Rechtlexika », FM 2 (1977), p. 87-146. Burgmann, L., « Das Lexikon ἄδετ – ein Theophilosglossar », FM 6 (1984), p. 19-61. Burgmann, L., « Das Lexikon αὐσηθ », FM 8 (1990), p. 249-337.

BIBLIOGRAPHIE

Etymologicum Graecae Linguae Gudianum et alia Grammaticorum scripta e codicibus manuscriptis nunc primum edita, Sturzius, Fr. Gul. (éd.), (Lipsiae : Weigel, MDCCCXVIII), 682c. [cité Gudianum] Fögen, M.-Th., « Das Lexikon zur Hexabiblos aucta », FM 8 (1990), p. 153-214. Gastgeber, C. – Diethart, J., « Λέξεις ῥωμαϊκῆς διαλέκτου », FM 10 (1998), p. 445-476. Hesychii Alexandrini, Lexicon, v. I-V, Schmidt, M. (éd.), ( Jenae : Libraria Maukiana, 1858-1868), 1612c. [cité Hesychii, Lexicon…] Iohannis Zonarae, Lexicon, Ex tribus codibus manuscriptis, Tittmann, I. A. H. (éd.), v. I-II, (Lipsiae : S. Siegfr. Lebr. Crusii), I : MXCCCVIII, 1070c.; II : MDCCCVIII, 2160c. [cité Zonarae Lexicon]. Lexicon Sabbaiticum, Papadopoulos – Keramevs, A. (éd.), (Petropoli : 1892), 21 p. [cité Lexicon Sabbaïticum]. Photii Patriarchae Lexicon, v. I-II, Theodoridis, Chr. (éd.), (Berlin - New York : de Gruyter, 1982-1998), I : 1982, 461 p.; II : 1998, 599 p. [cité Photii Lexicon]. Stolte, B. H., « The Lexicon Mαγκίπιουν », FM 8 (1990), p. 339-380. Suidae Lexicon, Adler, A. (éd.), v. I-V, (coll. Lexicographi graeci I), (Lipsiae : Teubner) I : MCMXXVIII, 549 p. ; II : MCMXXXI, 740 p. ; III : MCMXXXIII, 632 p. ; IV : MCMXXXV, 864 p. ; V : MCMXXXVIII, 280 p. [cité Suidae]. Corpus rhétorique, poétique, épigraphique et littéraire : Anonyme, « Ἔκφρασις τῶν ξυλοκονταριῶν τοῦ κραταιοῦ καὶ ἁγίου ἡμῶν αὐθέντου καὶ βασιλέως », Lampros, Sp. (éd.), NE 5 (1908), p. 3-18. Browning, R., « A New Source on Byzantine - Hungarian Relations in the Twelfth Century. The Inaugural Lecture of Michael ὁ τοῦ Ἀγχιάλου as ὕπατος τῶν φιλοσόφων », Balkan Studies 2 (1961), p. 173-204. Browning, R., « Unpublished correspondence between Michael Italicus, archbishop of Philippopolis, and Theodore Prodromos », BB 1 (1962), p. 279-297. Christophori Mitylenaii, Versum Variorum Collectio Cryptensis, de Groote, M. (éd.), CCSG 74, (Turnhout : Brepols, 2012), 233 p. Constantinus Stilbes, Poemata, Diethart, J. – Hörandner, W. (rec.), BSGR, (Monacii Lipsiae : Saur, 2005), 73 p. Doanidou, S. I., « La démission de Nicolas Mouzalon de l’archevêché de Chypre », Hellinika l. 7 (1934), p. 109-150. Eustathii Thessalonicensis, Opera Minora, Wirth, P. (rec.), CFHB 32, (Berolini et Novi Eboraci : de Gruyter, 2000), 409 p. Euthymios Malakès, Tὰ σῳζόμενα, vol. I-II, Bonis, C. G., (coll. Bibliothèque théologique 2), (Athènes : 1937-1949), I, 1937, 116 p.; II, 1949, 103 p. [cité Malakès, Ta sozomena…]. Fontes Rerum Byzantinarium, I-II, Regel, W. (acc.), I : (Petropolis - Lipsiae : Eggers Haessel), MDCCCXCII ; II : MCMXVII, 399 p. [cité FRB]. Garzya, A., « Encomio di Niceforo Basilace per Alessio Aristeno », BF1 (1966), p. 92-114. Gautier, P., « Basilikoi logoi inédits de Michel Psellos », Siculorum gymnasium 33 (1980), p. 717-771.

241

242

BIBLIOGRAPHIE

Georges et Dèmètrios Tornikès, Lettres et Discours, Darrouzès, J. (éd.), (Paris : Éditions du centre national de la recherche scientifique, 1970), 380 p. [cité Tornikès, Lettres et Discours…]. Georgiadès, B., Discours de Michel Akominatos et Georges Bourtzos, métropolites d’Athènes, (Athènes, 1882), 59 p. Hesseling, D. C. – Pernot, H. (éd.), Poèmes prodromiques en grec vulgaire, (Amsterdam : Johannes Müller, 1910), 274 p. Hörandner, W., Theodoros Prodromos. Historische Gedichte, (coll. Wiener Byzantinistische Studien XI), (Wien : Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1974), 604 p. [cité Prodromos, Historische Gedichte…]. Horna, K., « Das Hodoiporikon des Konstantin Manasses », BZ 13 (1904), 313-355. Horna, K., « Eine unedierte Rede des Konstantin Manasses », Wiener Studien 28 (1906), p. 171-204. Horna, K., Analekten zur byzantinischen Literatur, (Wien : Selbstverlage des Verfassers 1905), 35 p. Horna, K., Die Epigramme des Theodoros Balsamon, (Wien : Seperatabdruck aus den Wiener Studien XXV, Gérold 1903), 53 p. [cité Balsamon, Die Epigramme…]. Horna, K., Einege unedierte Stücke des Manasses und Italikos, (Wien : Sophiengymnasium, 1902), 26 p. Jones, L. – Maguire, H., « A description of the jousts of Manuel I Komnenos », BMGS 26 (2002), p. 104-148. Ioannes Tzetzès, Correspondance, Gregoriadès, J. (éd.), (coll. Textes de Littérature byzantine 3), (Athènes : Kanakis, 2001), 311 p. [cité Tzetzès, Correspondance…]. Kormpeti, H., « Éloge au Patriarche Nicolas IV Mouzalon », Hellenika 7 (1934), p. 301-322. Kurtz, E., « Dva proizvedeniya Konstantina Manassi », VV 7 (1900), p. 630-645. Kurtz, E., « Unedierte Texte aus der Zeit des Kaisers Johannes Komnenos », BZ 16 (1907), p. 69-119. Kurtz, E., « Eshche dva neizdannykh proizvedenyia Konstantina Manassi », VV XII (1905), p. 69-98. Lampros, Sp., « Vers à Manuel Comnène », NE 5 (1908), p. 328-332. Lefort, J., « Prooimion de Michel, neveu de l’archevêque de Thessalonique, didascale de l’Évangile », TM 4 (1979), p. 375-393. Michaelis Choniate, Epistulae, Kolovou, F. (rec.), CFHB 41, (Berolini et Novi Eboraci : de Gruyter, 2001), 398 p. Michaelis Pselli, Poemata, Westerink, L. G. (éd.), BSGR, (Stutgardiae et Lipsiae : Teubner, MCMXCII), 550 p. Michel Italikos, Lettres et Discours, Gautier, P. (éd.), (coll. Archives de l’Orient Chrétien 14), (Paris : Institut Français d’Études Byzantines, 1972), 334 p. [cité Italikos, Lettres et Discours…]. Miller, E., « Poèmes historiques de Théodore Prodrome », Revue archéologique 25/2 (1873), p. 251-255, 344-348, 415-419 ; 26 (1873), 23-24, 153-157. Miller, E., « Poésies inédites de Théodore Prodrome », Annuaire de l’Association pour l’encouragement des études grecques 17 (1883), p. 18-64.

BIBLIOGRAPHIE

Neumann, C., Griechische Geschichtschreiber und Geschichtsquellen im zwölften Jahrhundert. Studien zu Anna Comnena, Theod. Prodromus, Joh. Cinnamus, (Leipzig : Duncker & Humblot, 1888), 105 p. [cité Neumann, Studien zu Theod. Prodromus…]. Niceforo Basilace, Gli Encomî per l’Imperatore e per il Patriarca. Testo Critico, Introduzione e Commentario, Maisano, R. (éd.), (Napoli : Università di Napoli - Cattedra di filologia Bizantina, MCMLXXVII), 295 p. [cité Basilakes, Gli Encomî per l’Imperatore e per il Patriarca…]. Nicephori Basilacae, Oratione et Epistolae, Garzya, A. (rec.), BSGR, (Leipzig, Teubner, 1984), 138 p. [cité Basilakes, or. et ep.] Nicetae Choniate, Orationes et Epistulae, van Dieten, I. A. (rec.), CFHB 3 (Berlin : de Guyeter, 1973), 279 p. Nicola Callicle, Carmi. Testo critico, introduzione, traduzione, commentario e lessico, Romano, R. (éd.), (coll. Università di Napoli Byzantina et Neo-hellenica Neapolitana 8), (Napoli : Bibliopolis, 1980), 231 p. [cité Callicle, Carmi…]. Papadopoulos – Keramevs, A., Noctes Petropolitanae, (coll. Subsidia Byzantina 21), (Petropoli : 1913; réimpr. Leipzig : 1976), 302 p. Ptohoprodromos, Einführung, kritische Ausgabe, deutsche Übersetzung, Glossar, Eideneir, H. (éd.), (coll. Neograeca Medii Aevi V), (Köln : Romiosini, 1991), 270 p. [cité Ptohoprodromos]. Sternbach, L., « Analecta Manassea », Iôs 7 (1902), p. 180-194. Theodori Prodromi, De Manganis, Bernardinello, S. (éd.), (coll. Università di Padova Studi Bizantini e Neogreci 4), (Padova : Liviana, 1972), 138 p. [cité De Manganis]. Corpus textuel ecclésiastique et théologique : Andronici Camateri, Sacrum Armamentarium. Pars Prima, Bucossi, Al. (éd.), CCSG 75 (Turnhout : Brepols, 2014), 298 p. [cité Sacrum Armamentarium]. Darrouzès, J., « Le mémoire de Constanin Stilbès contre les Latins », REB 21 (1963), p. 50-100. Darrouzès, J., « Un recueil épistolaire du xiie siècle. Académie roumaine Cod. Gr. 508 », REB 30 (1972), p. 199-229. Darrouzès, J., « L’éloge de Nicolas III par Nicolas Mouzalon », REB 46 (1988), p. 5-53. Darrouzès, J., « Une lettre du patriarche Cosmas (1147) », in Duffy, J. – Peradotto, J. (éd.), Gonimos. Neoplatonic and Byzantine Studies, (Buffalo - New York : Arethusa, 1988), p. 217-222. Dondaine, A., « Hugues Ethérien et le Concile de Constantinople de 1166 », Historisches Jahrbuch 77 (1958), p. 473-483. Dondaine, A., « Hugues Ethérien et Léon Toscan », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge 19 (1952), p. 67-134. Eustathii Thessalonicensis, Ejusdem de obedientia magistratui Christiana debita, PG 136, 301D-358C. Eustathii Thessalonicensis, Interpretatio Hymni Pentecostalis Damasceni, PG 136, 503A-754D. Euthymii Zigabeni, Panoplia Dogmatica, PG 130, 20D-1360D.

243

244

BIBLIOGRAPHIE

Gautier, P., « Diatribes de Jean l’Oxite contre Alexis Ier Comnène », REB 28 (1970), p. 5-55. Gautier, P., « Réquisitoire du patriarche Jean d’Antioche contre le charisticariat », REB 33 (1975), p. 77-132. Georges Skylitzès, « Sermon pour la translation de la Sainte Pierre à la mégalopole » (= Ἀκολουθία ἐπὶ τῇ εἰς τὴν μεγαλούπολιν ἀνακομιδῇ τοῦ Ἁγίου Λίθου), in PapadopoulosKeramevs, Analecta, V, p. 180-189. Georges Skylitzès, « Canon à saint Demètre » (= Kανὼν εἰς τὸν ἅγιον Δημήτριον), in Pétridès, S., Deux canons inédits de Georges Skylitzès, [s. l. n. d.], p. 12-23. Georges Skylitzès, « Canon au mégalomartyr parmi les saints et tropéophore Georges » (= Kανὼν εἰς τὸν ἐν ἁγίοις μεγαλομάρτυρα τοῦ Xριστοῦ καὶ τροπαιοφόρον Γεώργιον), in Pétridès, S., Deux canons inédits de Georges Skylitzès, [s. l.s. d.], p. 23-35. Ioannis Zonaras, Interprétation des Canons de la Résurrection de saint Jean Damascène. Publiée pour la première fois dans la périodique trimestrielle athonite « Athos », no A’ 1920, p. 1-254, (Kaisariani : Sainte Métropole de Kaisariani, Byron et Hymmète, 2009), 284 p. Joannis Zonaræ, In sanctissimam deiparam canon, PG 135, 413[D]-422B. Michel Glykas, Chapitres sur les questions des saintes Écritures (= Eἰς τὰς ἀπορίας τῆς θείας Γραφῆς Kεφάλαια), Evstratiadès, S. (éd.), v. I-II, I : (Athènes : Sakkelariou, P. D., 1906-1912), 1906, 537 p.; II : Alexandrie, 1912, 496 p. [cité Glykas, Questiones…]. Nicetae Choniatae, Thesauri Orthodoxæ fidei, PG 140, 9A-284A. Nicolaos Kataskepenos, La vie de Saint Cyrille de Philéote. Moine byzantin († 1110), (coll. Subsidia Hagiographica 39), Sarologos, E. (éd.), (Bruxelles : 1964), 506 p.

Liste générale des ouvrages et articles Anastos, M., « Byzantine Political Theory : Its Classical Precedents and Legal Embodiment », in Vryonis, Sp. (éd.), The « Past » in Medieval and Modern Greek Culture, (New York : Undena, 1978), p. 13-53. Anastos, M., « Vox populi voluntas Dei and the Election of the Byzantine Emperor », in Neusner, J. (éd.), Christian, Judaism and Other Greco-Roman Cults : Studies for Morton Smith at Sixty, II, Leiden, 1975, p. 181-207. Ando, C., Law, Language, and Empire in the Roman Tradition, (coll. Empire and After) (Philadelphia : UPP, 2011), 168 p. Angold, M., « Imperial renewal and orthodox reaction : Byzantium in the eleventh century », in New Constantines…, op. cit., p. 231-246. Angold, M., « The Byzantine State on the eve of the battle of Mantzikert », BF 16 (1990), p. 9-39. Angold, M., « The Imperial Administration and the Patriarchal Clergy in the Twelfth Century », BF 19 (1993), p. 17-24. Angold, M., « The Date of the Synopsis Minor of the Basilics », BMGS 4 (1978), p. 1-7. Angold, M., Church and society in Byzantium under the Comneni, 1081-1261, (Cambridge / New-York : CUP, 20002), 604 p.

BIBLIOGRAPHIE

Angold, M., The Byzantine empire, 1025-1204 : a political history, (London / New York : Longman, 19972), 374 p. Armstrong, P., « Alexios I Komnenos, holy men and monasteries », in Alexios I Komnenos…, op. cit., p. 219-231. Augé, Is., « Convaincre ou contraindre : la politique religieuse des Comnènes à l’égard des Arméniens et des Syriaques Jacobites », REB 60 (2002), p. 133-150. Barker, E., Social and Political Thought in Byzantium from Justinian I to the last Palaeologus, (Oxford : OUP, 1957), 256 p. Bartusis, M. C., Land and privilege in Byzantium : the institution of pronoia, (South Dakota, CUP, 2012), 742 p. Barzos, C., La généalogie des Comnènes, v. I-II, (coll. Byzantine texts and studies 20a-b), I, (Thessalonique : Centre d’Études byzantines / Centre for Byzantine Studies, 1984), 756 p.; II, 1984, 896 p., [cité Barzos], (en grec). Barzos, K., « La politique dynastique des Comnènes et des Anges, la prédiction AIMA (Sang) et l’héritage des Grands Comnènes de Trébizonde et des Anges-ComnènesDoukas d’Epire face aux Lascarides de Nicée », JÖB 32/2 (1988), p. 355-360. Basdevant - Gaudemet, Br., Église et Autorités. Études d’histoire de droit canonique médiéval (coll. Cahiers de l’Institut d’Anthropologie Juridique 14), (Limoges : Pulim, 2006), 498 p. Beck, H.-G., Das Byzantinische Jahrtausend, (München : Beck, 1978), 382 p. [cité Beck, Das Byzantinische Jahrtausend…]. Beck, H.-G., Nomos : Kanon und Staatsraison in Byzanz, (Vienna : Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1981), 60 p. Beck, H.-G, Res Publica Romana : Vom Staatsdenken der Byzantiner : Das byzantinische Herrscherbild, (München : Bayerischen Akademie der Wissenschaften, 1970), 41 p. Benveniste, É., Le vocabulaire des institutions indo-européennes, vol. I-II, (Paris : Les éditions de minuit, 1969), I : Économie, parenté, société, 380 p.; II : Pouvoir, droit, religion, 339 p. [cité Benveniste, Le vocabulaire des institutions…]. Berkhof, H., Kirche und Kaiser. Eine Untersuchung der Entstehung der byzantinischen und der theokratischen Staatsauffassung im vierten Jahrhundert, (Zürich : Evangelischer Verlag, 1947), 224 p. Berthelet, Y., Gouverner avec les Dieux. Autorité, auspices et pouvoir, sous la République romaine et sous Auguste, (Paris : Les Belles Lettres, 2015), 435 p. Browning, R., « The Patriarchal School at Constantinople in the Twelfth Century », Byz 32 (1962), p. 167-201 ; 33 (1963), p. 11-40. Browning, R., « Church, State and Learning in Twelfth-Century Byzantium », in Friends of Dr. Williams’s Library, Thirty-fourth Lecture (1980), (London : Dr. Williams’s Trust, 1981), p. 5-24. Browning, R., « Enlightenment end Repression in Byzantium in the Eleventh and Twelfth Centuries », Past and Present 69 (1975), p. 3-23. Browning, R., « Theodore Balsamon’s commentary on the canons of the council in Troullo as a source on everyday life in twelfth-century Byzantium », in Maltezou, Chr. (éd.), La Vie quotidienne à Byzance, (Athènes : National Hellenic Research Foundation, Institute for Byzantine Research, 1989), p. 421-428.

245

246

BIBLIOGRAPHIE

Buckley, P., « Alexios Komnenos as the last Constantine », in Nathan, G. – Garland, L. (éd.), Basileia : Essays on the Imperium and Culture in Honour of E.M. and M.J. Jeffreys, p. 189-204. Bury, J. B., « The Constitution of the Later Roman Empire », in Temperley, H. (éd.), Selected Essays of J. B. Bury, (Cambridge : CUP, 1930), p. 99-125. Cavallo, G. – Mango, C., « Epigraphie et Constitutions Impériales : Aspects de la Publication du Droit à Byzance », in Feissel, D. (éd.), Documents, droit, diplomatique de l’Empire romain tardif, (Paris : ACHCByz, 2010), p. 17-42. Chalandon, F., Les Comnènes : études sur l’empire byzantin au xie et au xiie siècles. II. Jean II Comnène (1118-1143) et Manuel I Comnène (1143-1180), (Paris : A. Picard et fils, 1912), 709 p. Charanis, P., « The Byzantine Empire in the eleventh century », in Setton, M. K. – Baldwin, M. W. (éd.), A History of the Crusades, I, (Philadelphia : UPP, 1955), p. 177-219. Charanis, P., « The Role of the People in the Political Life of the Byzantine Empire : The Period of the Comneni and the Palaeologi », Byzantine Studies 5 (1978), p. 69-79. Chrysos, E. (éd.), Byzantium as Oecumene, (coll. International Symposia 16), (Athens : National Hellenic Research Foundation, Institute for Byzantine Research, 2005), 339 p. [cité Byzantium as Oecumene…]. Chrysos, E., « The Title βασιλεύς in Early Byzantine International Relations », DOP 32 (1978), p. 29-75. Classen, P., « Das Konzil von Konstantinopel 1166 und die Lateiner », BZ 48 (1955), p. 339-368. Classen, P., « Die Komnenen und die Kaiserkrone des Westens », Journal of Medieval History 3 (1977), p. 207-220. Cole, S., Cicero and the Rise of the Deification at Rome, (Cambridge : CUP, 2013), 208 p. [cité Cole, The Rise of the Deification…] Criscuolo, U., « Chiesa ed insegnamento a Bizanzio nel XII secolo : Sul problema della cosiddetta ‘Academia Patriarcale’ », Siculorum Gymnasium 28 (1973), p. 373-390. Dagron, G., « Le caractère sacerdotal de la royauté d’après les commentaires canoniques du xiie siècle », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 165-178. Dagron, G., « Représentations de l’ancienne et de la nouvelle Rome dans les sources byzantines des vie-xiie siècles », in Catalano, P. – Siniscalo, P. (éd.), Roma – Constantinopoli – Mosca, (coll. Da Roma alla Terza Roma I), (Napoli : Edizioni Scientifiche Italiane, 1983), p. 300-304. Dagron, G., « L’œcuménicité politique : droit sur l’espace, droit sur le temps », in Byzantium as Oecumene…, op. cit., p. 47-57. Dagron, G., « Lawful Society and Legitimate Power : Ἔννομος πολιτεία, ἔννομος ἀρχή », in Law and Society in Byzantium, op. cit., p. [cité Dagron, Lawful Society…]. Dagron, G., « Le mythe de Venise vu de Byzance », in Schreiner, P. (éd.) Il mito di Venezia. Una citte tra realta e rapprezentazione, (Roma : Edizioni di Storia e Letteratura, Centro Tedesco di Studi Veneziani, 2006), p. 61-80. Dagron, G., Empereur et Prêtre. Étude sur le « césaropapisme » byzantin, (Paris : Gallimard, 1996), 435 p. [cité Empereur et Prêtre…].

BIBLIOGRAPHIE

Darrouzès, J., « Les documents byzantins du xiie siècle sur la primauté romaine », REB 23 (1965), p. 42-88. Darrouzès, J., Recherches sur les OΦΦIKIA de l’Église Byzantine, (coll. Archives de l’Orient Chrétien 11), (Paris : Institut Français d’Études Byzantines, 1970), 619 p. [cité Darrouzès, Offikia…] de Clercq, C., Les textes Juridiques dans les Pandectes de Nicon de la Montagne Noire, S. Congregazione per la Chiesa Orientale (coll. Codificazione canonica orientale, Fonti, Serie II, Fascicolo XXX), (Venezia : Tip. dei Padri mechitaristi, 1942), 93 p. Dimaio, M., « Zonaras Ecclesiasticus : Three Source Notes on the Epitome Historiarum », The Greek Orthodox Theological Review 25 (1980), p. 72-82. Doens, I., « Nicon de la Montagne Noire », Byz. 24 (1954), p. 131-140. Drexler, H., « Res publica », Maia 9 (1957), p. 247-281 ; 10 (1958), p. 3-37. Eder, W., « Augustus and the Power of Tradition : The Augustan Principate as Binding Link between the Republic and Empire », in Raaflaub, K. – Toher, M. (éd.), Between Republic and Empire : Interpretations of Augustus and his Principate, (Berkeley, CA : UCP, 1990), p. 71-122. Efthymiadis, St. (éd.), The Ashgate Research Companion to Byzantine Hagiography. Volume I : Periods and Places, (Farnham : Ashgate, 2011), 440 p. Ellul, J., Histoire des institutions I-II : L’Antiquité, (Paris : Quadrige - PUF, 20112), 629 p. [cité Ellul, Histoire des institutions…]. Fears, J. R., Princeps a diis electus : The Divine Election of the Emperor as a Political Concept at Rome, (Rome : American Academy in Rome, 1977), 351 p. Fögen, M.-Th., Histoire du Droit romain. De l’origine et de l’évolution d’un système social, (Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2007), 231 p. [cité Fögen, Histoire du Droit romain…]. Gallagher, Cl., « Gratian and Theodore Balsamon : two twelfth-century canonistic methods compared », in Byzantium in the Twelfth Century…, op. cit., p. 61-89. Gaudemet, J., L’Église dans l’empire romain : ive-ve siècles, (Paris : Sirey, 19892), 770 p. [cité Gaudemet, L’Église dans l’empire romain…]. Gaudemet, J., « La place de la tradition dans les sources canoniques (iie-ve siècle) », in La tradizione forme e modi. XVIII Incontro di studiosi dell’antichità Cristiana. Roma, 7-9 maggio 1989, (coll. Studia ephemeridis « Augustinianum » 31), (Roma : Institutum Patristicum « Augustinianum », 1990), p. 235-250. Gaudemet, J., « La codification justinienne », Revue française d’administration publique 82 (1997), p. 233-238. Gaudemet, J., « La primauté pontificale dans le décret de Gratien », in Studia in Honorem eminentissimi Cardinalis Alphonsi M. Stickler, (coll. Studia et Textus Historiae Iuris Cononici 7), (Roma : Pontificia Studiorum Universitas Salesiana – Facultas Iuris Canonici, 1992), p. 137-156. Gaudemet, J., « Un règlement ecclésiastique de 545 : la Novelle de Justinien CXXXI », Revue historique de droit français et étranger 79/1 (2001), p. 1-12. Gaudemet, J., Les institutions de l’Antiquité, (Paris : Lextenso, 20148), 532 p. [cité Gaudemet, Les institutions…].

247

248

BIBLIOGRAPHIE

Giagkou, Th. X., Nicon de la Montagne noire. Sa Vie – Son œuvre – Enseignement canonique, (Thessalonique : Université Aristote de Thessalonique, 1991), 318 p. [cité Giagkou, Nicon de la Montagne noire…]. Gkoutzioukostas, A. E., Administration of Justice in Byzantium (9th-12th Centuries). Judicial Officers and Secular Tribunals of Constantinople, (coll. Byzantine Texts and Studies 37), (Thessaloniki : Byzantine Research Center, 2004), 368 p. [cité Gkoutzioukostas, Administration of Justice in Byzantium…]. Glavinas, A. A., La querelle des objets sacrés, des reliques et des saintes icônes (1081-1095) sous Alexis Comnène (1081-1118), (Thessalonique, 1972), 217 p. Goria, F., « La teoria della consuetudine nell’ Ecloga Basilicorum (sec. XII) », in Nozione, formazione e inter-pretazione del diritto dall’età romana alle esperienze moderne, Ricerche dedicate al Professor Filippo Gallo, (Napoli : Jovene 1997), p. 159-193. Gowing, A. M., Empire and Memory : The Representation of the Roman Republic in Imperial Culture, (Cambridge : CUP, 2005), 194 p. Greenfield, R. P. H., « Sorcery and politics at the Byzantine court in the twelfth century : interpretations of history », in Beaton, R. – Roueché, C. (éd.), The Making of Byzantine History, (Aldershot : Variorum, 1993), p. 73-85. Grigoriadis, I., « A Study of the Prooimion of Zonaras’ Chronicle in Relation to other 12th Century Historical Prooimia », BZ 91 (1998), p. 328-344. Guilland, R., Études de topographie de Constantinople byzantine, I, (coll. Berliner Byzantinistische Arbeiten 37), (Berlin : Akademie Verlag, 1969), 595 p. Guilland, R., Recherches sur les Institutions byzantines, v. I-II, (coll. Berliner Byzantinistische Arbeiten 35), (Berlin – Amsterdam : Akademie Verlag / A. Hakkert, 1967) I : 607 p.; II : 397 p. [cité Guilland, Institutions byzantines…]. Hofmann, G., « Papst und Patriarch unter Kaiser Manuel I. Komnenos. Ein Briefwechsel », EEBS 25 (1953), p. 74-82. Hunger, H., « Kanonistenrhetorik im Bereich des Patriarchats am Beispiel des Theodoros Balsamon », in Byzantine in the 12th Century…, op. cit., p. 37-59. Hunger, H., Proimion. Elemente der Byzantinischen Kaiseridee in den Arengen der Urkunden, (coll. Wiener Byzantinistische Studien I), (Wien : Österreichische Akademie der Wissenschaften Kommission für Byzantinistik Institut für Byzantinistik der Universität Wien, 1964), 260 p. [cité Hunger, Prooimion…]. Hunger, H., Die hochsprachliche profane Literatur der Byzantiner, v. I-III, (coll. Byzantinisches Handbuch im Rahmen des Handbuchs der Altertumswissenschaft 5), (München : Beck, 1978), I : 442 p.; II : 653 p.; III : 470 p. [cité Hunger, Literatur…]. Jacob, R., « La question romaine du sacer. Ambivalence du sacré ou construction symbolique de la sortie du droit », Revue historique 2006/3 (no 639), p. 523-588. Janin, R., Constantinople byzantine. Développement Urbain et Répertoire Topographique, (coll. Archives de l’Orient Chrétien 4a), (Paris : Institut Français d’Études Byzantines 19642), 542 p. Janin, R., La géographie ecclésiastique de l’empire byzantin, (Paris : Institut français d’Études byzantines, 1953), 609 p. Jeffreys, M., « The Comnenian Prokypsis », Parergon 5 (1987), p. 38-53.

BIBLIOGRAPHIE

Jeffreys, E., « Purple Prose ? The Emperor and Literature », in Nathan, G. – Garland, L. (éd.), Basileia : Essays on Imperium and Culture in Honor of E.M. and M.J. Jeffreys, (Virginia : Brill, 2011), p. 15-26. Jerphagnon, L., Les divins Césars. Idéologie et pouvoir dans la Rome impériale, (Paris : Pluriel, 2011), 587 p. Kalavrezou, I., « Imperial Relations with the Church and the Art of the Comnenian », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 25-36. Kaldellis, A., « A Byzantine Argument for the Equivalence of All Religions : Michael Attaleiates on Ancient and Modern Romans », International Journal of the Classical Tradition 14 (2007), p. 1-22. Kaldellis, A., The Byzantine Republic. People and Power in New Rome, (Cambridge London : HUP, 2015), 290 p. [cité Kaldellis, The Byzantine Republic…]. Kantorowicz, E. H., « Oriens Augusti – Lever du Roi », DOP 17 (1963), p. 117-177. [cité Kantorowicz, Oriens Augusti…]. Kantorowicz, E. H., The King’s Two Bodies : A study in Medieval Political Theory, (Princeton : PUP, 1997), 616 p. Karayannopoulos, J. E., Byzantinische Urkundenlehre. I. Die Kaiserurkunden, (coll. Textes et Études byzantins 4), (Thessaloniki : Centre d’Études byzantines, 1972), 379 p. [cité Karayannopoulos, Byzantinische Urkundenlehre…]. Katsaros, V., Jean Kastamonitès. Contribution à l’étude de sa vie, son œuvre et son époque, (Thessalonique : Centre d’Études byzantines, 1988), 450 p. (en grec). Kazhdan, Al. / Epstein – Warton, An., Change in Byzantine Culture in the Eleventh and Twelfth Centuries, (Berkeley / Los Angeles / London : UCP, 1984), 287 p. [cité Kazhdan / Epstein, Change…]. Kazhdan, Al., « Some Observations on the Byzantine Concept of Law : Three Authors of the Ninth through the Twelfth Centuries », in Law and Society in Byzantium, NinthTwelfth Centuries, p. 199-206. Konidaris, I. M., « The Ubiquity of Canon Law », in Law and Society in Byzantium…, op. cit., p. 131-150. Krallis, D., « ‘Democratic’ Action in Eleventh-Century Byzantium : Michael Attaleiates’s ‘Republicanism’ in Context », Viator 40 (2009), p. 35-53. Krallis, D., Michael Attaleiates and the Politics of Imperial Decline in Eleventh-Century Byzantium, (Tempe : AZ, 2012), 293 p. Laiou, A. – Simon, D. (éd.), Law and Society in Byzantium, Ninth-Twelfth Centuries, Dumbarton Oaks Research Library and Collection, (Washington D.C. : HUP, 1994), 267 p. [cité Law and Society in Byzantium…]. Laiou, A. E., « Law, Justice, and the Byzantine Historians : Ninth to Twelfth Centuries », in Law and Society in Byzantium…, op. cit., p. 151-157. Laiou, A. E., « The Emperor’s Word : Chrysobulls, Oaths and Synallagmatic Relations in Byzantium (11th-12th C.) », TM 14 (2002), p. 347-362. Lampsidès, Od., « Comment les exégètes des canons introduisent dans leurs textes les nouvelles concernant leur monde contemporain », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 211-227.

249

250

BIBLIOGRAPHIE

le Glay, M., La religion romaine, (Paris : Armand Colin, 19973), 297 p. [cité le Glay, La religion romaine…]. Lemerle, P., Cinq Études sur le xie siècle byzantin, (coll. Le Monde byzantin), (Paris : Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1977), 331 p. Leontaritou, V. A., Offices et services ecclésiastiques pendant les périodes proto-byzantine et méso-byzantine, (coll. Forschungen zur Byzantinischen Rechtsgeschichte 8), (AthènesKomotini : Sakkoulas, 1996), 833 p. [cité Leontaritou, Offices et services ecclésiastiques…]. Lintott, A., The Constitution of the Roman Republic, (Oxford : OUP, 2004), 297 p. Lœnertz, R. J., « Constitutum Constantini : destination, destinataire, auteur, date », Aevum 45 (1974), p. 199-245. Lokin, J. H. A., « The Significance of Law and Legislation in the Law Books of the Ninth to Eleventh Centuries », in Law and Society in Byzantium…, op. cit., p. 71-91. Loukaki, M., « Le Patriarche idéal à travers les textes du xiie siècle », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 301-319. Macrides, R. J., « Killing, asylum and law in Byzantium », Speculum 63 (1988), p. 509-538. Macrides, R., « Justice under Manuel I Komnenos : Four Novels on Court Business and Murder », FM 6 (1984), p. 99-204. [cité Macrides, Justice under Manuel I…]. Macrides, R., « Nomos and Kanon on Paper and in Court », in Morris, R. (éd.), Church and People in Byzantium, (Manchester : Centre for Byzantine, Ottoman and Modern Greek Studies, 1990), p. 61-85. Macrides, R., « Perception of the Past in the Twelfth-Century Canonists », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 589-599. Macrides, R., « The law outside the law books : law and literature », FM 11 (2005), p. 133-145. Magdalino, P., The empire of Manuel I Komnenos, 1143-1180, (Cambridge : CUP, 2002), 557 p. [cité Magdalino, Manuel I…]. Magdalino, P. (éd.), New Constantines. The rhythm of imperial renewal in Byzantium, 4th-13th Centuries. Papers from Twenty-Sixth Spring Symposium of Byzantine Studies, St. Andrews, March 1992, (coll. Society for the Promotion of Byzantine Studies Publications 2), (Aldershot : Variorum, 1992), 312 p. [cité New Constantines…]. Magdalino, P. (éd.), The Perception of the Past in the Twelfth-century Europe, (London - Rio Grande : Hambledon Press, 1992), 240 p. Magdalino, P. – Nelson, R., « The Emperor in Byzantine Art of the Twelfth Century », BF 8 (1982), p. 123-183. [cité Magdalino – Nelson, The Emperor in Byzantine Art…]. Magdalino, P., « Aspects of Twelfth-Century Byzantine Kaiserkritik », Speculum 58 (1983), p. 326-346. [cité Magdalino, Kaiserkritik…]. Magdalino, P., « Constantinople and the ‘exô chôrai’ in the time of Balsamon », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 179-197. Magdalino, P., « Die Jurisprudenz als Komponente der byzantinischen Gelehrtenkultur des 12. Jahrhunderts », in Burgmann, L. – Fögen, M. Th. – Schminck, A. (éd.), Cupido Legum, (Frankfurt am Main : Löwenklau Gesselschaft, 1985), p. 169-177. Magdalino, P., « Enlightenment and Repression in Twelfth-Century Byzantium. The Evidence of the Canonists », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 357-374.

BIBLIOGRAPHIE

Magdalino, P., « Manuel Komnenos and the Great Palace », BMGS 4 (1987), p. 101-114. Magdalino, P., « The Byzantine Holy Man in the Twelfth Century », in Hackel, S. (éd.), The Byzantine Saint. 14th Spring Symposium of Byzantine Studies, University of Birmingham (coll. Studies supplementary to Sobornost 5), (London : The Fellowship of St Alban and St Sergius, 1981), p. 51-66. Magdalino, P., « The Reform Edict of 1107 », in New Constantines…, op. cit., p. 199-218. [cité Magdalino, The Reform Edict of 1107…]. Magdelain, A., La Loi à Rome, Histoire d’un concept, (coll. Études anciennes 67), (Paris : Les Belles Lettres, 20092), 94 p. Malamut, Él., Alexis Ier Comnène, (Paris : Ellipses, 2007), 526 p. [cité Malamut, Alexis I…]. Mango, C., « Constantinopolitana : a. ‘The Porphyry Column’, Studies on Constantinople », Jahrbuch des Deutschen Archäologischen Institus LXXX (1965) p. 306-313. Mango, C., « Notes in Byzantine Monuments », DOP 23-24 (1969-1970), p. 372-375. Mango, C., « Three Imperial Byzantine Sarcophagi discovered in 1750 », DOP 16 (1962), p. 397-404. Mango, C., « Constantine’s Porphyry Column and the Chapel of St Constantine », Bulletin de la Société archéologique chrétienne 4/X (1981), p. 103-110. Mango, C., « Constantine’s Column », in Mango, C., Studies on Constantinople, (Aldershot : Variorum, 1993), p. 1-6. Mango, C., The Art of the Byzantine Empire : sources and documents (312-1453), (Toronto / Buffalo / London : University of Toronto Press, 1986), 272 p. [cité Mango, The Art of the Byzantine Empire…]. Maniatis, G. C., « On the Validity of the Theory of Supreme State Ownership of all Land in Byzantium », Byzantion 77 (2007), p. 566-634. Mason, H. J., Greek Terms for Roman Institutions : A Lexicon and Analysis, (Toronto : Hakkert, 1974), 207 p. McCormick, M., Eternal Victory : Triumphal Rulership in Late Antiquity, Byzantium and the Early Medieval West, (Cambridge : CUP, 1986), 472 p. McGuckin, J. A., The Ascent of Christian Law : Patristic and Byzantine Formulations of a New Civilization, (New York : Yonkers, 2012), 272 p. McLynn, N., « ‘Two Romes, Beacons of the Whole World’ : Canonizing Constantinople », in Two Romes…, op. cit., p. 345-363. Medvedev, I. P., « La décision synodale du 24 mars 1171 comme loi de succession au trône de Byzance », in Byzantium in Twelfth Century…, op. cit., p. 229-238. [cité Medvedev, La décision synodale du 24 mars 1171…]. Medvedev, I., « Y avait-il une constitution à Byzance ? Quelques considérations », in Avramea, A. – Laiou, A. – Chryssos, E. (éd.) Byzantium, State and Society. In Memory of Nicos Oikonomides, (Athens : Institute for Byzantine Studies, The National Research Foundation, 2003), p. 383-391. [cité Medvedev, Constitution…]. Menevisoglou, P., « L’‘annexe’ de l’interprétation d’Alexis Aristènos », Klèronomia 34 (2002 [2004]), p. 175-187. Menevissoglou, P., Lexique des Saints Canons, (coll. Bibliothèque Nomocanonique 28) (Katérini : Epektasis, 2013), 379 p.

251

252

BIBLIOGRAPHIE

Meyendorff, J., « Balsamon, the Empire and the Barbarians », in Byzantium in the Twelfth Century…, op. cit., p. 533-542. Millar, F., The Roman Republic in Political Thought, (Hanover : NH, 2002), 240 p. Molnár, P., « De la morale à la science politique. La transformation du miroir des princes au milieu du xiie siècle », in L’Éducation au Gouvernement et à la vie…, op. cit., p. 181-204. Morrisson, C., Catalogue des monnaies byzantines de la Bibliothèque Nationale, II, (Paris : BNF, 1970), 840 p. Mullett, M. – Smythe, D. (éd.), Alexios I Komnenos. Papers of the second Belfast Byzantine International Colloquium 14-16 April 1989, (coll. Belfast Byzantine Texts and Translations 4.1), (Belfast : Belfast Byzantine Enterprises / School of Greek and Latin / The Quenn’s University of Belfast, 1996), 437 p. [cité Alexios I Komnenos…]. Mullett, M., « Alexios I Komnenos and imperial renewal », in Alexios I Komnenos…, op. cit., p. 259-268. Mullett, M., « The Poetics of Paraitisis : The Resignation Poems of Nicholas of Kerkyra and Nicholas Mouzalon », in Odorico, P. – Agapitos, P. – Hinterberger, M. (éd.), Poésie et Poétique à Byzance, (coll. Dossiers Byzantins 9), EHESS, (Paris : De Boccard, 2009), p. 157-178. Neville, L., Heroes and Romans in Twelfth-Century Byzantium : The « Material for History » of Nikephoros Bryennios, (Cambridge : CUP, 2012), 258 p. Nicol, D. M., « Byzantium and the papacy in the eleventh century », JEH 13 (1962), p. 1-20. Nicol. D., « Kaisersalbung : The Unction of Emperors in Late Byzantine Coronation Ritual », BMGS 2 (1976), p. 37-52. Oikonomides, N. (éd.), Byzantium in the 12 Century. Canon Law, State and Society, (coll. Diptycha – Paraphylla 3), (Athens : Society of Byzantine and Post-Byzantine Studies, 1991), 620 p. [cité Byzantium in the 12 Century…]. Ostrogorsky, G., « Autokrator Johannes II. und Basileus Alexios », Annales de l’Institut Kondakov 10 (1938), p. 179-183. Papagianni, El., « Le problème des esclaves dans l’œuvre des canonistes du xiie siècle », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 405-445. Papagianni, El., « Legal Institutions and Practice in Matters of Ecclesiastical Property », in Laiou, A. (éd.), The Economic History of Byzantium : from the Seventh through the Fifteenth Century, (Washington, D.C. : Dumbarton Oaks Research Library and Collection 2002), p. 1059-1069. Patlagean, Ev., « La double terre sainte de Byzance. Autour du xiie siècle », Annales HSS 2 (1994), p. 459-468. Patlagean, Ev., « Théologie politique de Byzance. L’empereur, le Christ, le patriarche », in Filoramo, G., (éd.), Teologie Politiche. Modelli a confronto, (Brescia : Morcelliana, 2005), p. 149-161. Pazdernik, C., « Justinianic Ideology and the Power of the Past », in Maas, M. (éd.), Cambridge Companion to the Age of Justinian, Cambridge, 2005, p. 185-212. Penna, D., « Hagiotheodorites : the last antecessor ? Some remarks on one of the ‘new’ Basilica scholiasts », SG IX (2014), p. 399-427.

BIBLIOGRAPHIE

Pennington, K., Pope and Bishops : The Papal Monarchy in the Twelfth and Thirteenth Centuries, (Philadelphia : University of Pennsylvania Press, 1984), 225 p. Pertusi, A., Il pensiero politico bizantino, (Bologna : Pàtron editore, 1990), 305 p. Phidas, Vl., Histoire Ecclésiastique, v. I-II, Athènes, 2002, I : 990 p.; II : 766 p. [cité Phidas, Histoire Ecclésiastique…]. Pieler, P. E., « Das Alte Testament im Rechtsdenken der Byzantiner », Analecta Atheniensia, p. 81-113. Pieler, P. E., « Johannes Zonaras als Kanonist », in Byzantine in the 12th Century…, op. cit., p. 601-620. [cité Pieler, Johannes Zonaras als Kanonist…]. Pieler, P. E., « Zum Problem der byzantinischen Verfassung », JÖB 19 (1970), p. 51-58. Pieler, P. E., « Ἀνακάθαρσις τῶν παλαιῶν νόμων und makedonische Renaissance », SG 3 (1988), p. 61-77. Pitsakis, C. G., « Empire et Église (le modèle de la Nouvelle Rome) : la question des ordres juridiques », in Baccari, M. P. (éd.), Diritto e Religione da Roma a Constantinopoli a Mosca. Rendiconti dell’ XI seminario, Campidoglio 12 Aprile 1991 (coll. Da Roma alla Terza Roma), (Roma : Herder Editrice, 1991), p. 107-123. Pitsakis, C. G., « L’étendue du pouvoir d’un Patriarche en dehors de sa province : Le Patriarche d’Antioche à Constantinople au xiie siècle », in Byzantium in the Twelfth Century…, op. cit., p. 91-139. Pitsakis, C. G., « Le xie siècle serait-il en réalité ‘le grand siècle de la science du droit canonique’ à Byzance ? », in The Empire in Crisis (?)…, op. cit., p. 231-266. [cité Pitsakis, Le grand siècle du droit canonique…]. Pitsakis, K. G., « Sainteté et empire. À propos de la sainteté impériale : formes de sainteté ‘d’office’ et de sainteté collective dans l’Empire d’Orient ? », Bizantinistica III (2001), p. 179-227. Pitsakis, K. G., « Résistance au pouvoir et révolution à Byzance : La place du droit de l’Église », in Contestation du pouvoir…, op. cit., p. 49-65. Polemis, D., The Doukai. A contribution to Byzantine Prosopography, (London - Glasgow : OUP, 1968), 228 p. [cité Polemis, The Doukai…]. Prinzing, G., « Das Bild Justinians I. in der Überlieferung der Byzantiner vom 7.-15. Jahrhundert », FM 7 (1986), p. 1-99. Rösch, G., ONOMA BAΣIΛEIAΣ. Studien zum offiziellen gebrauch der Kaisetitel in spätantiker und frühbyzantinischer Zeit, (coll. Byzantina Vindobonensia X), (Wien : Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1978), 179 p. [cité Rösch, ONOMA BAΣIΛEIAΣ…]. Sakkos, St. N., « Le Synode de 1170 à Constantinople », in Colloque théologique. Charistirion au Professeur Panaghiotis K. Christou, (coll. Atelier d’Étude de Grammatologie ecclésiastique 6), (Thessalonique : Université Aristote de Thessalonique, 1967), p. 311-352. Sansterre, J.-M., « Eusèbe de Césarée et la Naissance de la théorie ‘Césaropapiste’ », Byzantion 42 (1972), p. 131-195, 532-594. Saradi, H., « Imperial Jurisdiction over Ecclesiastical Provinces : the Ranking of new Cities as Seats of Bishops or Metropolitans », Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 149-163.

253

254

BIBLIOGRAPHIE

Saradi, H., « The Twelfth Century Canon Law Commentaries on the ἀρχοντικὴ δυναστεία : Ecclesiastical Theory vs. Juridical Practice », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 375-404. Scheid, J., La religion des Romains, (Paris : Armand Colin, 1998), 176 p. Scheltema, H. J., « Probleme der Basiliken », TRG 16 (1939), p. 341-342. Scheltema, H. J., « Über die Natur der Basiliken », TRG 23 (1955), p. 287-288, 297-310. Schminck, A., Studien zu mittelbyzantinischen Rechtbüchern, (coll. Forschungen zur byzantinischen Rechtsgeschichte Band 13), (Frankfurt am Main : Löwenklau, 1986), 152 p. Seng, H., « Ein Brief des Theodoros Prodromos an den νομοφύλαξ Alexios Aristenos, Codex Baroccianus 131, f. 173r », Medioevo Greco 7 (2007), p. 261-262. Seston, W., « Constantine as a ‘bishop’ », Journal of Roman Studies 37 (1947), p. 127-131. Shukurov, R., « AIMA : The blood of the Grand Komnenoi », BMGS 19 (1995), p. 161-181. Simon, D., « Princeps legibus solutus est : Die Stellung des byzantinischen Kaisers zum Gesetz », in Nörr, W. – Simon, D. (éd.), Gedächtnisschrift für Wolfgang Kunkel, (Frankfurt : Vittorio Klostermann, 1984), p. 449-492. Skoulatos, B., Les Personnages byzantins de l’Alexiade : analyse prosopographique et synthèse, (Louvain : Nauwelaerts, 1980), 371 p. [cité Skoulatos, Les Personnages…]. Spatharakis, I., The Portrait in Byzantine Illuminated Manuscripts, (Leyden : Brill, 1976), 287 p. Spiteris, J., La critica byzantina del primate Romano nel secolo XII, OCA 208, (Roma, 1979), 336 p. Steinwenter, A., « Nomos Empsychos. Zur Geschichte einer politischen Theorie », (coll. Phil.-Hist. Klasse 83), (Wien : Anzeiger der Akademie der Wissenschaften in Wien, 1946), p. 250-268. Stephanidès, V., « Les termes science et épistèmonarchès chez les Byzantins », EEBΣ 7 (1930), p. 153-158. Stevens, G. P., De Theodoro Balsamone. Analysis operum ac mentis iuridicae, (coll. Corona Lateranensis 16), (Roma : Lateran University Press, 1969), 362 p. Stier, H. E., « Nόμος Bασιλεύς », Philologus 83 (1928), p. 228-258. Stolte, B., « (No) pictures for lawyers : some considerations on image and word in Byzantine legal literature », BMGS 12 (1988), p. 297-304. Stolte, B., « Civil Law in Canon Law : a Note on the Method of Interpreting the Canons in the Twelfth Century », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 543-554. [cité Stolte, Civil Law in Canon Law…]. Stolte, B., « The Past in Legal Argument in the Byzantine Canonists of the Twelfth Century », in Byzantium in the 12th Century…, op. cit., p. 199-210. Stolte, B. H., « Balancing the Byzantine Law », FM 11 (2005), p. 57-75. Stolte, B. H., « Balsamon and the Basilica », SG 3 (1989), p. 115-125. Straub, J. A., « Constantine as KOINOΣ EΠIΣKOΠOΣ. Tradition and Innovation in the Representation of the First Christian Emperor’s Majesty », DOP 21 (1967), p. 37-55.

BIBLIOGRAPHIE

Svoronos, N., « Le serment de fidélité à l’empereur byzantin et sa signification constitutionnelle », REB 9 (1951), p. 117-125. [cité Svoronos, Le serment de fidélité…]. Svoronos, N., « Les privilèges de l’Église à l’époque des Comnènes : un rescrit inédit de Manuel Ier Comnène », TM 1 (1965) p. 325-391. [cité Svoronos, Les privilèges…]. Tiftixoglu, V., « Gruppenbildungen innerhalb des konstantinopolitanischen Klerus während der Komnenenzeit », BZ 62 (1969), p. 25-72. Tiftixoglu, V., « Zur Genese der Kommentare des Theodoros Balsamon. Mit einem Exkurs über die unbekannten Kommentare des Sinaiticus gr. 1117 », in Byzantine in the 12th Century…, op. cit., p. 483-532. [cité Tiftixoglu, Zur Genese…]. Tounta, H., « Conceptions sur la translatio imperii dans l’Empire occidental au xiie siècle : Idéologie – action politique – propagande », Byzantiaka (2008), p. 197-222. Tounta, H., Le sacrum imperium occidental et l’Empire byzantin. Tensions idéologiques et interactions sur la scène politique européenne du xiie siècle (1135-1177), Fondation de l’École ecclésiastique Rizareios, [s. l. n. d.]. Troïanos, Sp. N., « Droit et idéologie à l’époque des Macédoniens », Byzantina 22 (2001), p. 239-261. Troïanos, Sp., « Der Teufel im orthodoxen Kirchenrecht », BZ 90 (1997), p. 97-111. Troïanos, Sp., « Rome et Constantinople dans les commentaires des canonistes orientaux du xiie siècle », in Baccari, M. P. (éd.), Diritto e Religione da Roma a Constantinopoli…, op. cit., p. 125-141. Troïanos, Sp., « Empereur et Patriarche. Que cachait-elle la théorie des deux pouvoirs du Grand Photius ? », in Troïanos, Ψηφίδες Éléments d’Histoire du Droit…, op. cit., p. 297-305. Troïanos, Sp., « La notion de ‘philanthropie’ dans les lois justiniennes et postjustiniennes », Byzantina 29 (2009), p. 13-43. Troianos, Sp., « Les jours fériés dans les tribunaux byzantins », Diki 33/2 (2002), p. 202-229. Troïanos, Sp., « Les crimes autour de la religion dans les textes législatifs de l’époque méso-byzantine », Diptyha 1 (1979), p. 168-193. Troïanos, Sp., « Nous instaurons le rang de lois que les saints canons ecclésiastiques doivent occuper », Byzantina 13 (1985), p. 1193-1200. [citè Troïanos, Nous instaurons…]. Troïanos, Sp., « La Novelle de Constantin le Monomaque sur la Désignation et l’Investiture du Didascale des Lois », Symmeikta 22 (2002), p. 243-263. Troïanos, Sp., Les sources du droit byzantin, (Athènes : Sakkoulas, 2011), 492 p. [cité Troïanos, Les sources du droit byzantin…]. Troïanos, Sp., Le Droit pénal de l’Eklogadion. Contribution à l’histoire de l’évolution du droit pénal depuis le Corpus Iuris Civilis jusqu’aux Basiliques, (coll. Forschungen zur Byzantinischen Rechtsgeschichte 6), (Frankfurt am Main : Klostermann, 1980), 135 p. [cité Droit pénal de l’Eklogadion…]. Tsirpanlis, C. N., « Byzantine Parliaments and Representative Assemblies from 1081 to 1351 », Byzantion 43 (1973), p. 432-481.

255

256

BIBLIOGRAPHIE

Ullmann, W., « Public Law as an Instrument of Government in Historical Perspective : New Rome and Old Rome in the Light of Historical Jurisprudence », in Diritto e potere nella storia europea. Atti del quarto Congresso internazionale della Società Italiana di Storia del Diritto, in onore di Bruno Paradisi, (Firenze : Olschki, 1982), p. 37-52. Van Bochove, Th. E., To Date and Not To Date. On the Date and Status of Byzantine Law Books, (Groningen : Egbert Forsten, 1996), 251 p. Van Der Wal, N., « Les termes techniques grecs dans la langue des juristes byzantins », SG 6 (1999), p. 127-141. Vian, G. M., La donazione di Costantino, (Bologna : il Mulino, 2004), 249 p. Voss, W. E., Recht und Rhetorik in den Kaisergesetzen der Spätantike. Eine Untersuchung zum nachklassischen Kauf- und Übereignungsrecht, (coll. Forschungen zur Byzantinischen Rechtsgeschichte 9), (Frankfurt am Main : Löwenklau, 1982), 272 p. Vryonis, Sp. Jr. « Δημοκρατία and Eleventh-Century Guilds », DOP 17 (1963), p. 278-314. [cité Vryonis, Δημοκρατία…]. Vryonis, Sp. Jr., The Decline of Medieval Hellenism in Asia Minor and the Process of Islamization from the Eleventh through the Fifteenth Century, (Berkeley : UCP, 2001), 532 p. [cité Vryonis, The Decline…]. Wagschal, D., Law and Legality in the Greek East. The Byzantine Canonical Tradition, 381-883, (Oxford : OUP, 2015), 331 p. [cité Wagschal, Law and Legality…]. Wal, N. van der – Lokin, J. H. A., Historiae iuris graeco-romani delineatio. Les sources du droit byzantin de 300 à 1453, (Groningen : Forsten, 1985), 133 p. [cité Historiae iuris graecoromani…]. Wiseman, T. P., Remembering the Roman People : Essays on Late – Republican Politics and Literature, (Oxford : OUP, 2009), 282 p. Zanker, P., Augustus und die Macht der Bilder, (München : Beck, 19973), 368 p.

Indices

i. Toponymes et ethnonymes Amissos, 101 Asie Mineure, 16, 175-176 Attaleia, 22 Babel, 205-206 Babylone, 221 Basileion, 177 Bosphore, 177, 203 Brindisi, 15-16 Bulgarie, 21 Chalcédoine, 56, 63, 74, 125, 130, 136, 141-142, 144-145, 175, 177-178, 214 Constantinople, 15, 33 -34, 53, 87, 121, 130-148, 156, 161, 174-177, 186, 195, 203, 231, Dorylée, 18 Dyrrachium, 16 Éphèse, 40, 62-63, 175, 214 Gênes, 155 Grande Grèce, 15-16, 160 Grecs, 23, 26, 44, 154, 156, 160, 163, 254 Jannina, 16 Juifs, 22, 187 Kastamonu, 15 Larissa, 15-16 Latran, 148, 232

Lombardie, 138, 158 Macédoniens, 17, 82, 100, 221, 253 Madytos, 177 Manzikert, 16 Marmaras, 36 Mer Égée, 15 Mont Sinaï, 86 Myriokephalon, 16 Nicée, 20, 63, 94, 166, 243 Normands, 16, 178 Perse, 73, 153, 218, 221 Petchenègues, 15 Philippopolis, 239 Pise, 155 Pont, 15 Romains, 16, 19, 26, 28, 34, 38, 48-50, 66, 72, 122, 134, 136, 140, 146-147, 150, 153, 157-160, 162, 168, 201, 206, 211, 211, 221-223, 228, 231-233, 252 Seldjoukides, 15-16 Sicile, 15-16, 28, 138, 178 Thrace, 66 Trébizonde, 15, 243 Turcs, 15-16 Venise, 13, 16, 154-155, 210-211, 244

ii. Anthroponymes Agiochristophoritès Stephane, 203 Agiothéodoritès Michel, 186 Agnès-Anna de France, 203

Alp Arslan, 16 Anastase I, empereur, 75 Antiochos Grégoire, 152

258

INDICES

Argyropouplos Jean, 87 Aristote, 40, 55 Aristènos Alexis, 9, 28, 99, 103, 123-124, 135-136, 139-140, 180, 182-189, 249, 252 Arius, 39 Attaliate Michel, 213-214, 217 Auguste Octavien, 37-38 Axouch Jean, grand domestique, 19, 194-196 Balsamon Théodore, 24-25, 28, 59-69, 74-78, 80, 88, 94-96, 99-106, 112-118, 122-125, 130-133, 141-151, 159, 166, 170, 173, 176-188, 197, 231 Basilakès Nicéphore, 136, 241 Basile, dirigeant des Bogomiles, 67-68 Basile II, Patriarche de Cp., 22, 204 Berthe de Sulzbach, 119, 159 Botaniate III Nicéphore, empereur, 15 Bryenne Nicéphore, 16 Cérulaire Michel, Patriarche de Cp., 149 Césars, dynastie, 85, 247 Charlemagne, 156, 158-159 Chrysobergès Luc, Patriarche de Cp., 24, 57-58, 179-189 Comnènes, dynastie, 15-17, 20, 27, 91, 103, 119-120, 154, 157, 166, 177-178, 219, 223, 243-244, 253 Alexis I, empereur (1081-1118), 15-17, 21, 37, 40, 60, 67, 80, 92-95, 98, 100, 102-103, 105, 120-121, 174, 191, 214, 242, 249 Alexis II, empereur (1180-1183), 15, 190, 194, 197-198, 200-201, 203-204 Alexis, protosébaste, 201-203 Andronic I, empereur (1183-1185), 15, 200-204 Isaac I, empereur, 35, 217-220 Isaac, sébastocrator, 35 Jean II Comnène, empereur, 15, 103, 119, 207, 244 Marie, fille de Manuel I, 194-202 Marie, Marguerite – Constance, Xénè, 119, 196-198, 201-202

Cicéron, 28, 38, 49, 83, 228 Conrad II Hohenstaufen, 156-157, 159 Castamonitès Jean, 99 Constantin I, empereur, 33-34, 37-38, 135, 142 Constantin VI, empereur, 208 Constantin VII, empereur, 171 Constantin VIII, empereur, 101 Constantin IX, empereur, 191 Constantin X Doucas, 36, 191, 198 Dadibrènos Théodore, 203 Daimbert le Pisan, 176 Damascène Jean, 70, 72, 210, 242 Daniel, prophète, 38, 220-222 Démètre de Lampi, 111 Démosthenè, 229 Didier de Lombardie, 158 Diogène Jean, 18 Doxapatrès Nil, 91, 129, 134-135, 137-139, 156, 158-159, 220 Éaque, roi de Thessalie, 213 Embrico de Wurzbourg, 156 Épiphane, Patriarche de Cp., 132 Eudocie Makrembolitissa, 198 Eusèbe de Césarée, 38-40, 106, 251 Eustathe de Thessalonique, 210-212 Flavius Josèphe, 113, 115 Glykas Michel, 38, 88, 205, 207, 209-210, 217, 221, 242 Guillaume de Tyr, 202 Guiscard Robert, 16 Hésiode, 221 Honorius, empereur, 131, 145 Irène d’Athènes, impératrice, 208 Isaac II Ange, empereur, 88 Italikos Jean, 19 Jean IV l’Oxite, 120, 176 Jules César, 38, 157-158. Justinian I, empereur, 82, 172, 237, 243, 250 Kamatèros Andronic, 92, 94, 152-153, 155-156, 160, 163, 187 Kinnamos Jean, 20, 87, 92, 118-119, 156, 159, 194-196, 216, 235

INDICES

Kontostephanos Alexis, 175, 195 Léon d’Amasse, 101 Léon le Diacre, 116 Léon V, empereur, 210 Léon VI le Sage, empereur, 62, 167, 181, 214 Léonce, higoumène du Monastère de Patmos, 94 Lothaire III, 157. Louis VII de France, 203 Malakès Euthyme, 86, 107-109, 239 Manassès Constantin, 37, 135, 138, 207-210, 240 Marc, Patriarche d’Alexandrie, 130, 133 Marcien, empereur, 62, 74, 78, 229 Mauropous Jean, Patriarche de Cp., 92 Mélèce, higoumène du monastère de Pantepoptis, 57 Michel d’Anchialos, 24, 194 Michel d’Éphèse, 40 Michel de Nicomède, 72 Michel II Courcouas, Patriarche de Cp., 68 Michel III, Patriarche de Cp., 101 Minos, roi de Crète, 213 Nabuchodonosor, 220 Narsès, Catholique des Arméniens, 157 Nicolas III Grammaticos, Patriarche de Cp., 96 Nicolas IV Mouzalon, Patriarche de Cp., 240 Nicon de Montagne noire, 95-98, 245 Pantevgénos Sotérikos, 188-189 Paul, apôtre, 67, 69, 72, 88, 108, 153, 162, 206, 231 Paulus (jurisconsultes), 68-69 Pépin, 158-159 Phokas Nicéphore II, empereur, 22, 116-117

Photius, Patriarche de Cp., 52, 81, 192, 253 Platon, 42, 45, 83, 213, 215 Pierre, apôtre, 72 85, 88, 138, 146, 150, 162-163, 231-233, 242 Polybe, 210-211, 222 Prodrome Théodore, 18, 153, 183, 240 Psellos Michel, 18, 48, 96, 191, 214, 218, 235, 237, 239 Ptérigionitès, 202 Ragavès Michel II, empereur, 210 Raymond de Poitiers, de Châtillon, 119 Rénier – Jean de Montferrat, 202 Roger II, 196 Romain IV Diogène, empereur, 16 Romulus, 49, 135 Skylitzès Georges, 92, 242 Soliman II le Magnifique, 87 Stèthatos Nicètas, 42, 44, 225 Styppiotès Théodore, 205 Sylvestre, Pape de Rome, 146, 148, 151, 231-232 Théodose I Bordariotès, Patriarche de Cp., 200-204 Théodose II le Petit, empereur, 131 Théophile I, empereur, 213-215 Tripsychos Constantin, 203 Tzetzès Jean, 65, 67, 192-193, 240 Tzimiskès Jean I, empereur, 116-117 Ulpien, 42, 48, 130, 206, 228, 229 Valentinien III (425-455), 74 Xanthopoulos Calliste, 214 Zénon, empereur, 75, 132, 145 Zigabène Euthyme, 91-92, 94-95, 100 Zonaras Jean, 9, 28, 34, 39-40, 51, 57, 5973, 94, 99, 103, 118-124, 135-136, 139-142, 161, 177-184, 190-193, 216-225

iii. Titres et dignités Cubiculaire, 147

Despote, 54, 152, 192, 196

259

260

INDICES

Didascale, 98, 114-115, 162, 253 Didascale des Lois, 185-186, 253 Didascale du Psautier, des Apôtres, des Évangiles, 240 Dikaiodotès, 97, 183-184, 187, 189 Domestique des Scholes, 15 Drongaire de la vigla (grand), 92, 183, 187, 216 Duc, 53, 175-176, 211 Dux hyperkathèmenos, 211 Économe (grand), 183-184, 187, 189 Ekdikos, 186 Éparque, 54, 92, 121, 180-181, 215 Étairiarche (grand), 203 Excubite, 147, 232 Exôkatakoilos, 147 Hiéromnémon, 183

Katepano, 175 Logothète du drome, 186, 203 Nomophylax, 183, 185-186 Orphanotrophe, 183, 186 Patrice, 146, 158, 232 Portarios, 147, 232 Prétor d’Hellas et du Peloponnèse, 183 Primekèrios, 182 Prôtekdikos, 61, 144, 169, 172, 183,185-187 Protoasekrètis, 18, 216 Protonovelissime, 186 Protostrator, 195 Sébaste, 92, 203 Sébastocrator, 207 Stratégos tou sténou, 187

iv. Expression et mots grecs commentés Ἀγενείς, 191 Αεἱφυγία, 171-172 Ἀκινάκης, 218 Ἄκρατος, 52 Ἄκρατος ἱσχύς, 52 Ἀκρίβεια τῶν νόμων, 76 Ἄναξ, 212 ΑΙΜΑ (prédiction), 194 Ἄναρχος, 44 Ἀποκόμβιον, 20 Ἀρρητουργία, 65 Βάναυσοι, 191 Βασίλειον, 219 Βασιλικὴ ἐξουσία, 58, 150 Βασιλική στρατία, 146 Βήμα, 84 Βύρσα, 65 Γερούσιον, 192-193 Δέρω, 65 Δεφένδευσις, 160 Δημοσιακά σιτηρέσια, 182 Δημόσιος, 51 Δημοτικὸν φῦλον, 211

Δικαιοδοσία, 51 Δίκαιος, 43 Δικαιοσύνη, 42 Δόγμα, 78, 83, 88 Ἔδικτο, 84 Ἐκδίκησις, 160 Ἐκκλησία, 88, 140, 146, 150, 193 Ἔκκλητον, 106 Ἔννομος ἐπιστασία, 37, 41, 44-45, 47, 55, 79, 219, 227 Ἔννομος Πολιτεία, 47, 227, 244 Ἐξουσία ἀρχική – ἄρχειν, 150 Ἐξστραορδινάρια (voir extra ordinem), 55 Ἐπιστημονάρχης, 105, 110 Ἐπιστημονάρχισσα, 105 Ἐπιστήμων, 104-105 Εὐαγγελικώς, 96 Εὐσεβής, 34, 83 Θεατρίζεσθαι, 149, 159 Θεῖον ἔργον, 34 Θείος δικαστής, 53 Θεοδίδακτος 105, 107 Θεοκυβέρνητος, 107

INDICES

Θρόνος, 140 Ἰδικόν ὄνομα, 54 Ἱερά γερουσία, 192 Ἰμπέριον, 51, 54, 159 Καινουργός, 34 Κανών, 69, 73 Κεφαλικῶς τιμωρεῖσθαι, 67 Κράτος, 51-52, 54, 58, 111, 219 Κράτος ἄκρατον, 219 Λῶρος, 148 Μανία, 208 Μέγας Ἀρχιερεύς, 113 Μεταλλίζειν, 52 Μνημεῖα, 48 Μουσική, 73 Νομοδότης, 43 Νομοθέτης, 43 Νόμος, 47, 69, 73 Ξίφους ἐξουσία, 51, 219 Ὁδός, 72 Οἰκοδεσπότης, 105 Ὅρος, 71 Οὔρβις, 136 Παιδεία, 66 Παλαιά Ῥώμη, 49, 136, 140-141,145, 157 Πατρίκιος, 146

Πραιτωρία ἀσφάλεια, 51 Πρόβλησις, 113 Προνόμια, 145 Προσκυνητὸν, 83 Ῥάβδος, 66 Ῥάβδος Κυρίου, 66 Ῥάβδος σιδηρᾶ, 66 Ῥωμαίων ἐξουσία, 66 Σκύτος, 65 Στρώσια, 215 Σύγκλητος, 146, 192-193 Συρτά, 215 Τάξις, 229 Τάξις νόμων, 78 Τιμωρητικῆ ἐξουσία, 51 Τρακταϊσθήναι τοὺς νόμους, 68 Τρικήριον, 114 Τυρρανίς, 141, 218 Τυρρανίς ἄντικρυς, 219 ῞Υπατος, 146, Ὑπεξουσιότης (ὑπὸ ἐξουσίαν πατρικὴν ὄντες), 54 Ὑπόληψις, 66 Ὑπόμνησις, 22 Χριστός Κυρίου, 113

v. Expression et mots latins commentés Arenga, 81, 83 Auctoritas, 46, 54 Augusta, 38, 87, 156, 197-198, 200-201 Aurea bulla, 20, 34, 84-85, 155, 166, 259 Christus pontifex, 115 Circus maximus, 49 Civitas, 33 Civitas legitima (ἔννομος Πολιτεία), 227 Clementia, sacerdotium et imperium, 129 Comitatus, 10, 192-193 Consensus, 10, 28, 41, 118, 191, 194, 199, 227-228 Constitutio, 129

Constitutum Constantini, 143, 159, 248 Consul, 211 Cura morum, 191 Curia Romana, 147 Defensor civitatis, 146 Defensor plebis, 146 Deportatio, 173 Divina gratia, 113 Dominus, 55 Donatio Constantini, 143-148, 150-152, 156, 158-159, 231 Extra ordinem, extraordinaria, 55 Fas, 42 Filioque, 161-163

261

262

INDICES

Fiscalia, 49 Flagellum, 65 Forum, 33-34 Forum Constantini, 33 Fustis, 65 Genius, 214-215 Gladii potestatem, 52, 219 Homo credens, 28 Homo politicus, 28 Humiliores, 66 Imperator, 55, 85, 129 Inauguratio, 135 Intitulatio, 82, 160 Ius generale, 75 Jurisconsultes, 9, 28, 227 Jurisdictio, 51, 53 Lectio senatus, 191 Leges edictales, 212 Leges speciales, 36 Lex animate, 86, 228 Lex generalis, 75 Lex posterior derogate legi priori, 101 Limitatio, 135 Lituus, 229 Melior humani generis, 192-193 Merum, 52 Mixtum, 53 Mores maiorum, 91, 228 Orbis romanus, 33 Orbis terrarium, 33, 219 Ordo rerum, 19, 45, 160, 219 Pallium, 148, 151 Pater familias, 55 Pater maior me sit, 35 Pater patriae, 55 Pax Augusta, 110 Pax Romana, 38 Pietas, 10, 23 Pius princeps, 34 Plenitudo potestatis, 162 Pontifex maximus, 23, 113, 115, 229 Populus Romanus, 229

Potestas, 52, 58, 199 Pragmaticae sanctiones, 74 Princeps legibus solutus est, 45, 74, 252 Princeps senatus, 191 Publica magnificentia, 33 Rector rei publicae, 47 Rectus, 73 Regalia, 148-149, 159, 214 Regula, 69, 73 Religiosa, 48, 50 Renovatio, 9, 18, 34, 93, 121 Res bublicus, 50 Res nullius, 50 Res populis, 50 Res publica, 19, 35, 38, 127, 245 Res publica romana, 9, 29, 45, 135, 243 Restauratio imperii Romanorum, 9, 18 Sacer, 50, 84, 87-88, 246 Sacra, 48, 50, 92 Sacra, sacrae, sacratissime, 48, 50, 60, 84, 136 Sacrum Consistorium, 10, 192-193 Salus populi, 228 Sancta, 50 Secreta, 186 Selentia, 114 Senatus urbis constantinopolitanae, 10, 192 Sol invictus, 34 Subscriptio, 71, 148 Talio, 86 Terminus technicus, 29, 54 Toga, 229 Toga praetexta, 115 Tractor, 68 Tribunicia potestate, 113. Urbs Constantinopolitana, 131, 145 Usurpator, 19 Vanda, 148 Vicarius Christi, 111 Vir optimus, 19, 47 Virtutes, 35

INDICES

vi. Res notabiles Abominable, 87 Administration de la justice, 44, 108, 167, 181, 213 Alliés géostratégiques, 16 Antipropagande byzantine, 163 Apparence extérieure, 188 Archigéomètre, 136 Aristocratie, 18, 210-211, 222 Aristocratie provinciale, 18 Autoritarisme, 22, 149 Avocat, 182 Bas clergé, 20, 21 Basileia messianique, 223 Bénédiction, 109, 114 Bête – État, 223 Bogomilisme, 21 Castor, animal, 209-210 Césaropapisme, 23-27, 244 Chartophylakion patriarcal, 116 Chlamyde pourpre, 148, 232 Chrysobulle, 19-20, 46, 76, 165 Cité, 27, 42, 44, 49, 58, 67, 85, 163, 213, 216, 223, 227, 229. Civilisation constitutionnelle byzantine, 29 Clèros christonyme, 110 Conservatisme, 18, 91, 93 Coup d’État, 15, 203 Couronnement, 20, 109-110, 116, 122, 169 Crise iconoclaste, 45 Critères herméneutiques, 76, 91, 94, 178 Croisades, 16, 144 Décalogue, 96 Déification, 35 Démocratie, 210-212 Désacralisation, 23, 28, 198 Diadème, 148, 225, 232 Didaskaleion des Lois, 186 Donation de Pépin, 159 Droit en vigueur, 22, 52, 100, 123, 219 Droit naturel, 19, 47, 168, 210

Droit pénal, 10, 52, 64-65, 214, 253 Droit public, 10, 27, 29, 35, 50-51, 103, 214, 216, 228 Dystopie, 216, 224 Édit christologique de 1166, 36, 81, 83, 87, 190 Emblèmes impériaux, 114 Encomiastes, 114, 152, 212 Enseignement ecclésiastique, 19, 44, 72, 93, 98 Esclaves, 53, 60-61, 66, 98, 159, 206, 250 Étoile, 38 Fondations de bienfaisance, 166 Göttlichen Primat, 151 Grande Église, 19, 24, 35-37, 102, 118, 169, 171-173, 175, 184 Guerres napoléoniennes, 17 Habits royaux, 148, 232 Hérétiques, 10, 68-69, 123, 176 Horoscope de Constantinople, 120 Image, 10, 17-19, 21, 25, 29, 33, 35-39, 45, 47, 55, 79, 81-82, 88, 92, 108, 110, 112, 114-115, 121, 153, 163, 169, 192, 209, 212, 214-215, 218-220, 224, 228, 252 Image monétaire, 216, 219-220 Image symbolique, 89 Images impériales sacerdotales, 23, 228 Impôts, 20, 179, 223 Inscription (épigraphique), 36, 71, 89 Insignes des chevaux royaux, 148, 232 Isapostolos – Basileus, 146, 152 Jours chômés, 43, 167-169 Jours ouvrés, 167-169 Kaiserkritik, 40, 119-120, 211, 248 Lecteurs, 182, 195 Légitimité, 10, 19-20, 33-35, 52, 56, 58, 75, 105-107, 109-110, 112-114, 117-118, 123, 130-131, 134-135, 137-138, 140-142, 152, 158, 160, 186, 194, 198-202, 215, 218, 222-223, 228

263

264

INDICES

Littérature théologique, 91 Loi ethnique, 43, 206 Lôros, 142, 148, 232 Maçonnnerie, 73 Messianisme, 16-17, 33, 221-224 Métaphore, 36, 89 Miroirs des Princes, 215 Monarchie, 38, 40, 163, 208, 210-211, 222 Monastères, 21-22, 56, 75, 105, 166, 172 Mythes d’Ésope, 209 Narthex, 36 Nouvel Israël, 39, 121 Obéissance, 43, 45-46, 66, 72, 85-86, 130, 155, 163, 174, 186 Œkoumène, 33, 37-38, 109, 115, 129, 134, 137, 146, 152-153, 156, 160, 162-163, 175, 178, 199, 205, 220-221, 224, 229, 231 Oint du Seigneur,113-115 Omophorion, 148 Orthodoxie politique, 93-94, 100, 119-120, 198, 211, 221 Pape – Pontife romain, 137-138, 142, 146-153, 155-156, 158-162, 176, 231-233, Paratheologischen, 41 Paroikoi, 20 Philanthropie, 47, 64, 66-69, 123-124, 129, 172, 253 Pouvoir de l’épée, 217 Pragmatiques sanctions, 74, 77 Primauté, 133, 137, 139-142, 148, 151, 153, 156, 158, 161-163, 245 Privilèges patriarcaux, 61, 112, 114, 144, 148-149, 176, Professions libérales, 179-181 Propagande impériale, 36 Providence divine, 41, 123, 133, 137, 211, 215, 218-219

Puissance des archontes, 53 Puissance du despote sur les esclaves, 54 Puissance mixte (mixtum), 53 Puissance pure, 52-53, 58 Rénovation, 87, 178, 227 Républicanisme romain, 216 Requête, 21-22, 108, 131, 149 Révolution française, 17 Roi, 47, 49, 55, 85, 109-110, 115, 152, 157-160, 206, 212-213, 233, 247 Saint, Sainteté, 37, 63, 82, 84, 138 Sainte-Sophie, 117 Saintes Écritures, 61, 72, 77-78, 94, 96, 98, 242 Sceptres royaux, 148, 232 Serment de fidélité, 194-195, 197-200, 253 Sermon sur la Montagne, 96 Signes, 16, 114, 142, 148, 222, 224, 232 State of exception, 227 Supervision légitime, 37, 41, 44-45, 47, 55, 79, 219, 227 Système constitutionnel romain mixte, 212 Temps Modernes, 27 Théocratie, 27, 229 Théologie politique, 37, 39, 41 theologische Komponente, 41 Théophilie, 110 Topoi (littéraires), 59, 217; (hagiographics), 153, 163 Traditions constitutionnelles, 40, 199, 220 Tribunal civil, 57, 187 Tribunal du Velum, 201 Tribunal ecclésiastique, 57 Tunique rouge, 148, 232 Typikon de Stoudion, 104