Illusions et salut dans la prédication prophétique de Jérémie [Reprint 2020 ed.] 3110162393, 9783110162394

In der Reihe Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft (BZAW) erscheinen Arbeiten zu sämtlichen Ge

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Illusions et salut dans la prédication prophétique de Jérémie [Reprint 2020 ed.]
 3110162393, 9783110162394

Table of contents :
Préface
Avant-Propos
Table des matières
Introduction
CHAPITRE I. Contexte historique et politique de la prédication de Jérémie
CHAPITRE II. Status quaestionis" sur quelques problèmes discutés
1ère partie. Les illusions dans la prédication prophétique de Jérémie
CHAPITRE III. Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion
CHAPITRE IV. La loi: de la vie à la garantie illusoire Etude de Jr 8,8-9
CHAPITRE V. L'illusion des idoles
2ème partie. L'annonce du salut dans le livre de la consolation
CHAPITRE VI. Le salut dans le livre de la consolation: Jr 30-31
Conclusion
Abréviations
Bibliographie
Index des auteurs
Index des textes bibliques

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Joëlle Ferry Illusions et salut dans la prédication prophétique de Jérémie

1749 ! u -S L_

I

1999

3 z

Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft Herausgegeben von Otto Kaiser

Band 269

W DE G Walter de Gruyter • Berlin • New York 1999

Joëlle Ferry

Illusions et salut dans la prédication prophétique de Jérémie

W DE G_ Walter de Gruyter • Berlin • New York

1999

© Gedruckt auf säurefreiem Papier, das die US-ANSI-Norm über Haltbarkeit erfüllt.

Die Deutsche Bibliothek —

CIP-Einheitsaufnahme

[Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft / Beihefte] Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft. — Berlin ; New York : de Gruyter Früher Schriftenreihe Reihe Beihefte zu: Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft Bd. 269. Ferry, Joëlle: Illusions et salut dans la prédication prophétique de Jérémie. — 1999 Ferry, Joëlle: Illusions et salut dans la prédication prophétique de Jérémie /Joëlle Ferry. - Berlin ; New York : de Gruyter, 1999 (Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft ; Bd. 269) Zugl.: Paris, Univ., Diss., 1992 ISBN 3-11-016239-3

ISSN 0934-2575 © Copyright 1999 by Walter de Gruyter GmbH & Co. KG, D-10785 Berlin. Dieses Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Ubersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Printed in Germany Druck: Werner Hildebrand, Berlin Buchbinderische Verarbeitung: Lüderitz & Bauer-GmbH, Berlin

Préface De tout temps le livre de Jérémie a trouvé des lecteurs, des plus simples aux plus savants. Les premiers ont été séduits par la prédication du prophète d'Anatot, sachant partir des réalités concrètes, une ceinture, des paniers de figues ou une branche d'amandier, mais aussi par un homme qui ne cache pas une sensibilité très vive face à l'appel de Dieu et aux événements dont il est le témoin, par un homme qui n'hésite pas à dire sa souffrance et à interroger Dieu avec une vigueur étonnante. A travers la lecture du livre qui porte son nom, les lecteurs découvrent un croyant qui a connu une situation historique difficile et qui a été contraint de tracer un chemin sans abandonner le Dieu qui l'a appelé au ministère prophétique. Pour toutes ces raisons, Jérémie apparaît à beaucoup un homme proche de leur propre situation par son humanité même. Pour les savants, le livre de Jérémie pose de multiples questions. Tout d'abord, on peut s'intéresser à la transmission du texte du livre prophétique qui nous arrive sous deux formes différentes, l'une plus courte, la version grecque, l'autre plus longue, le texte massorétique. Les manuscrits découverts à Q u m r â n ont obligé à revoir les étapes d'une transmission complexe où même l'ordre des chapitres varie d'une version à l'autre. On peut aussi, et de manière fort légitime, examiner l'histoire de la rédaction du livre, tenter de préciser ce que fut la rédaction „deutéronomiste", risquer un hypothèse sur le rôle de Baruch, le secrétaire de Jérémie, dans la constitution des premières étapes du livre. On a pu également établir des rapports entre Osée et Jérémie, entre le livre de Jérémie et celui d'Ezéchiel. Enfin, comme il est normal, certains thèmes ont fait l'objet d'études précises: Jérémie et la sagesse, Jérémie et la création du ciel et de la terre. Toutes ces recherches sont nécessaires et utiles, mais elles risquent de faire oublier le prophète qui est à l'origine du livre qui porte son nom, celui dont la prédication a retenti dans le royaume de J u d a avant la chute de Jérusalem et bien après ce moment historique crucial. La thèse de doctorat de M a d a m e Joëlle Ferry dont il faut saluer la publication s'inscrit dans cette volonté d'atteindre, pour autant que cela est possible, la prédication du prophète. Pour y parvenir, il fallait un point de départ, et c'est la thématique du mensonge et de l'illusion,

VI

Préface

souvent indiqués dans les textes, qui a permis de retenir un premier corpus dont il a fallu exclure les passages relatifs aux prophètes de mensonge pour ne pas alourdir l'enquête. Dénoncer les illusions du salut s'imposa comme une nécéssité au prophète Jérémie. Ni le culte, ni la loi ne peuvent protéger de manière magique et automatique, et le prophète appelle ses auditeurs à revenir vers Dieu de tout leur coeur. Le message était dur à entendre et Jérémie se heurtera à un refus d'écouter la parole de Dieu. Face à l'incapacité d'Israël de se convertir, n'y a-t-il aucune issue? Le péché de l'homme est-il si grand qu'il fasse obstacle à la volonté salvifique de Dieu? Dieu serait-il vaincu par le péché de son peuple? Non pas, et les oracles contenus dans les chapitres 30 et 31 du livre permettent de découvrir une autre face de la prédication du prophète qui est tout autant une autre image de Dieu, celle qui ouvre un avenir plein d'espérance. On saura gré à Joëlle Ferry de nous avoir proposé une lecture centrée sur quelques textes du livre de Jérémie, une lecture qui n'ignore rien des problèmes critiques, mais qui cherche à nous faire entrer dans la prédication vivante d'un prophète. Jacques Briend

Avant-Propos La présente étude a été présentée comme thèse de doctorat en théologie à la Faculté de Théologie de l'Institut Catholique de Paris et en histoire de religions-anthropologie religieuse à l'Université de Paris IV-Sorbonne en juin 1992. Diverses circonstances extérieures n'en ont pas permis la publication rapide. A la fin de la bibliographie, une notice complémentaire indique les ouvrages parus depuis lors sur le sujet. j e tiens à remercier particulièrement le Professeur Jacques Briend qui a dirigé ce travail de thèse et l'a accompagné de ses conseils pertinents et amicaux. Qu'il trouve ici l'expression de ma respectueuse gratitude. Mes remerciements sincères vont aussi aux Recteurs et Doyens de l'Institut Catholique de Paris qui m'ont appelée à enseigner l'Ancien Testament dans notre Faculté et m'ont permis de mener à bien ce travail, grâce notamment à un long séjour à l'Ecole Biblique française de Jérusalem. L'amitié et l'aide de mes collègues de la Faculté, et particulièrement du Professeur Jésus Asurmendi, m'ont été précieuses au cours de ces années de recherche. Qu'ils soient remerciés de leurs encouragements. Je voudrais enfin exprimer ma gratitude au Professeur Otto Kaiser qui a bien voulu accueillir cet ouvrage dans la collection BZAW, aux éditions de Gruyter. Paris, le 8 septembre 1998

Joëlle Ferry

Table des matières Préface

V

Avant-Propos

VII

Introduction Chapitre Contexte I:historique et politique de ia prédication de Jérémie I. Documentation II. L'Assyrie au Vile siècle: de l'apogée au déclin 1. Assarhaddon: 680-669 2. Assurbanipal: 668-631 a) La reconquête de l'Egypte: 668-663 b) L'Assyrie face à Psammétique 1er: 669-610 c) Répercussions sur le royaume de Juda III. La montée de Babylone 1. Nabopolassar: 626-605 2. Nabuchodonosor: 605-562 IV. Josias: une tentative d'indépendance 1. 640: l'accession au trône 2. Josias: un roi réformateur a) La réforme cultuelle b) La politique de Josias 3. La mort de Josias Critique littéraire Critique historique Lecture religieuse de la mort de Josias V. Les derniers rois de Juda 1. La succession de Josias 2. Le règne de Joiaqim: 609-598 3. Le règne de Joiakîn: 598 4. Le règne de Sédécias: 597-587

1 ...

5 5 7 9 10 10 11 13 14 14 16 17 17 19 19 24 26 26 27 29 29 29 30 31 32

Table des matières

X

Chapitre II: „Status quaestionis" sur quelques problèmes discutés

35

I. Chronologie 35 II. Jérémie et la réforme deutéronomique 39 III. Histoire de l'exégèse du livre de Jérémie 41 1. Le livre dans son état final 41 2. Aperçu sur l'histoire de l'exégèse contemporaine du livre de Jérémie 43 3. L'histoire du livre 46 4. Les commentaires de 1986 48 IV. TM et LXX 51 54 Quelques caractéristiques du TM Le rôle de Baruch 54 Autres thèmes 55 1ère partie: Les illusions dans la prédication prophétique de Jérémie Chapitre III: Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion . .

59

A. Etude de Jr 7,1-8,3

59

I. La séquence 7,1-8,3 1. Situation de 7,1-8,3 dans l'ensemble du livre 2. L'architecture de Jr 7,1-8,3 Tableau récapitulatif II. Etude de Jr 7,1-15 1. Traduction littérale et critique textuelle 2. Structure 3. Analyse littéraire 4. Forme littéraire 5. Histoire de la rédaction 6. Critique historique L'étranger Le sanctuaire de Silo La conception du temple III. Etude de Jr 7,16-8,3 1. 7,16-20 2. 7,21-28 3. 7,29-34 4. 8,1-3

59 59 60 64 65 65 69 71 87 89 93 93 93 94 97 97 105 113 119

Table des matières

XI

IV. Conclusion: Jérémie et le temple

121

B. Etude de Jr 26,1-24

123

I. Traduction littérale et notes II. Délimitation et contexte III. Analyse littéraire 1. Structure 2. Vocabulaire 3. Tensions dans le récit 4. Histoire de la rédaction 5. Formes littéraires IV. Critique historique V. Les conceptions du prophète

124 127 128 128 129 130 132 138 139 141

Chapitre IV: La loi: de la vie à la garantie illusoire. Etude de Jr 8,8-9

145

I. Traduction littérale et notes II. Contexte et structure III. Analyse littéraire 1. La loi de Yhwh 2. Qui sont les sages? 3. Authenticité et date IV. Conclusion

145 146 148 148 152 157 158

Chapitre V: L'illusion des idoles

160

A. Etude de Jr 2,1-37

160

I. Traduction littérale et notes II. Critique littéraire de Jr 2,1-37 1. Délimitation 2. Structure et première lecture a) vv. 26-28 b) vv. 29-32 c) vv. 33-37 (fém sing) 3. Analyse Jr 2,1-3 Jr 2,4-13 Jr 2,14-19 Jr 2,20-25 Jr 2,26-37 4. Forme littéraire

161 174 174 178 180 181 181 183 191 206 212 218 226

XII

Table des matières

III. Conclusion

230

B. Etude de Jr 10,1-16

232

I. Traduction littérale et critique textuelle II. Critique littéraire 1. Délimitation 2. Structure 3. Vocabulaire et thématique a) Description des idoles: passivité, stupidité, vanité b) Yhwh, incomparable, créateur, Dieu d'Israël et des nations III. Histoire de la rédaction 1. Le texte et ses difficultés Quelques incohérences apparentes Le verset 11 TMetLXX 2. Jr 10,1-16 et le Deutéro-Isaïe 3. Histoire de la rédaction

234 238 238 239 243 243 249 254 254 254 254 255 258 260

2ème partie: L'annonce du salut dans le livre de la consolation Chapitre VI: Le salut dans le livre de la consolation: Jr 30-31 . . . 267 Traduction littérale et critique textuelle Remarques sur les rapports TM (30-31) - LXX (37-38) II. Le livret de la consolation au coeur du livre de Jérémie La section 26-36 dans l'ensemble du livre III. Critique littéraire 1. Structure de Jr 30-31 et délimitation des unités 2. Analyse des unités 30,1-3 30,4-11 30,12-17 a) Thématique b) Vocabulaire c) Date 30,18-22 a) Thématique b) Vocabulaire c) Date d) lev. 22 30,23-31,1

I.

267 283 284 288 289 289 297 297 303 305 308 308 309 310 314 315 315

Table des matières 31,2-6

XIII

a) Première lecture b) Vocabulaire c) Date

316 317 319 31,7-14 319 31,15-22 a) Structure 323 b) La conversion et le retour 328 c) L'énigme de 31,22 329 d) Date de Jr 31,15-22 . . . 333 31,23-30 334 31,31-34: L'alliance nouvelle 336 a) Analyse littéraire 336 b) Authenticité et originalité 340 c) Date 343 31,35-37 344 31,38-40 345 3. Histoire de la rédaction 346 Structure du texte ancien 347 IV. Conclusion théologique Texte ancien Du nouveau Compléments au texte ancien Conclusion Critique littéraire Illusions et salut Prophétisme et traditions Le prophète envoyé Le prophète semblable à Moïse La continuité du prophétisme Prophétisme, traditions et écriture

Abréviations Bibliographie Index des auteurs Index des textes bibliques

350 350 351 352 353 353 359 363 363 364 365 365

369 371 397 403

Introduction Les quarante années du ministère de Jérémie ont coïncidé avec un tournant dans l'histoire du peuple d'Israël. Après l'espoir d'un renouveau sous le roi Josias, le royaume de Juda connaît, à la fin du Vie siècle, le déclin puis l'effondrement, sous les coups de Nabuchodonosor, roi de Babylone. Les remparts et le temple de Jérusalem sont détruits, les habitants exilés. De cette crise politique et religieuse, Jérémie est à la fois témoin, acteur, victime et interprète. Appellant les Israélites à la conversion, il doit affronter le pouvoir royal et les autorités religieuses. Dans cette période particulièrement difficile et mouvementée, quels points de repère, quels recours s'offrent au prophète? Dans le jugement porté par un prophète sur la situation de son temps, l'attitude du roi, des grands et du peuple, quelles sont les références et les traditions qui permettent de dire avec assurance: „Ainsi parle Yhwh"? Le discernement prophétique a-t-il recours à la loi? Les institutions jouent-elles encore leur rôle de médiation salvifique? Dans le livre de Jérémie, les termes juridiques et les références législatives sont rares et, en tout cas, fort dispersés. Un texte cependant émerge. Le „discours du temple", célèbre passage du livre de Jérémie, appelle à un comportement moral en référence à des normes législatives anciennes (7,5.6.9). Mais plus qu'un message sur le temple, le centre de ce discours est la dénonciation d'une illusion: croire que le temple apporte une totale sécurité, quel que soit le comportement concret et l'attitude de coeur de ceux qui y entrent. Bien plus, nous avons été amenée à constater que cette confiance magique dans le sanctuaire n'était pas la seule illusion dénoncée par le prophète, que le terme ~)pB>, qui qualifie à deux reprises les paroles des Judéens qui se rendent au temple, était une voie d'approche suggestive pour le livre de Jérémie, un axe fécond pour la connaissance de la mentalité religieuse en Juda dans les années qui ont précédé la chute de Jérusalem. Une étude du terme ~lp», „illusion, mensonge", indique que, sur les 113 occurrences de ~lp!5 dans l'Ancien Testament, le livre des Jérémie en comporte 37. IpB est également un mot usuel dans les livres des Psaumes (22 occurrences) et des Proverbes (20). Les 34 autres ocurrences se répartissent entre les livres d'Isaïe (7 occurrences), Zacharie (4), Exode et Lévitique (3), Deutéronome, 1 et 2 Samuel, 2 Rois, Michée, Job et

2

Introduction

2 Chroniques (2). Enfin ~\pV se rencontre une fois dans 1 et 2 Samuel, les livres d'Ezéchiel, Osée, Habaquq et Malachie 1 . En dehors du livre de Jérémie, le mot "IpD est donc très peu utilisé dans les livres prophétiques. Il relève du vocabulaire sapientiel. Dans le Pentateuque, 7 occurrences de ~lpt5 sur 8 se rencontrent dans un contexte législatif et désignent le mensonge, la non correspondance entre le dire et le faire, le faux témoignage. Dans les Psaumes, la valeur est la même: "IpB désigne souvent l'action des ennemis qui portent des faux témoignages. Dans le livre de Jérémie, le sens est plus large 2 . "Ipt£> désigne le mensonge mais aussi ce qui est illusoire, vain, sans effet ni pouvoir. Les objets qualifiés de ~lpE> dans le livre de Jérémie sont limités et déterminés. Le livre de Jérémie dénonce la fausse sécurité du culte dans le temple (7,4.8) comme la fausseté des Baals et des idoles (3,23; 5,31; 7,9; 10,14; 16,19; 51,17), la falsification de la loi (8,8), la tromperie des prêtres (20,6) et surtout des prophètes qui „prophétisent le mensonge" (5,31; 6,13; 8,10; 14,14.14; 23,14.25.26.32; 2 7 , 1 0 . 1 4 . 1 5 . 16; 29,9.21.23) et égarent le peuple qui „se confie au mensonge" (9,2.4; 2 8 , 1 5 ; 29,31) et „vit dans l'imposture" (3,10) 3 . Le terme "IpB qualifie donc essentiellement des institutions majeures dans la vie du peuple d'Israël: le temple (et en opposition au culte de Yhwh, les idoles), la loi et les prophètes. Il se prête également à l'étude des problèmes littéraires posés par le livre de Jérémie. Le nom "lpt2? se trouve en effet dans des chapitres du livre de Jérémie que l'exégèse classique a attribué à trois sources différentes. C'est l'un des points de départ de Overholt 4 et Holladay 5 pour remettre en cause cette théorie littéraire qui a dominé les études jérémiennes jusqu'à ces dernières années. La répartition de ~lpt2> dans le livre de Jérémie donne le plan de la première partie de notre thèse. Croire que le culte au temple tel qu'il est pratiqué à Jérusalem à la fin du Vile siècle permet de rencontrer Yhwh et procure le salut relève d'une illusion qui conduit à la mort (ch. III). Pas plus que le temple, la loi, si importante dans la vie sociale et

1

2 3

4

5

Pour un inventaire exhaustif, mentionnons encore les 6 occurrences du verbe np®: Gn 21,23; Lv 19,11; 1 S 15,29; Is 63,8; Ps 4 4 , 1 8 ; 89,34. cf T . W . OVERHOLT, The Threat of Falsehood, Londres, 1970. Les deux derniers emplois dans le livre de Jérémie sont des expressions courantes dans un dialogue: „c'est faux" (Jr 3 7 , 1 4 et 40,16). T.W. OVERHOLT, „Remarks on the Continuity of the Jeremiah Tradition", JBL 91, 1972, pp. 4 5 7 - 4 6 2 . W . L . HOLLADAY, Jeremiah

2 , p. 1 5 .

Introduction

3

religieuse d'Israël, n'apporte la vie si elle devient protection magique contre tous les dangers (ch. IV). Particulièrement illusoire est le salut cherché dans la pratique des cultes idolâtriques dont le livre de Jérémie nous révèle l'importance à la veille de la disparition du royaume de Juda (ch. V). Une étude exhaustive de "IptS dans le livre de Jérémie aurait demandé un chapitre sur le rôle des prophètes contemporains de Jérémie. Nous y avons renoncé pour deux raisons. Les péricopes sur les „prophètes de mensonge" ont déjà été abondamment étudiées ces dernières années 6 . Les introduire dans notre travail nous aurait par ailleurs conduite à regarder un corpus de textes trop important. Au terme de cette première partie, il apparaîtra que le nombre et la sévérité des paroles de jugement ne laissent plus guère de place à une hypothétique conversion. Dans cette période politiquement troublée, Jérémie proclame que seule une vie morale juste est source de protection véritable. Mais l'expérience du prophète est que l'homme n'est pas capable de vivre ainsi. Le péché est enraciné en lui et le „retour" impossible. 7 Le pessimisme de Jérémie sur la nature humaine semble si grand que le salut paraît inaccessible. Le désespoir est-il alors la seule issue? N o n , répond le prophète. Car Dieu va agir: Yhwh „fera du nouveau" (Jr 3 1 , 2 2 . 3 1 ) en concluant une alliance nouvelle. Au présent de la condamnation répond l'avenir de l'alliance nouvelle. C'est à l'étude du salut dans les ch. 3 0 - 3 1 du livre de Jérémie, traditionnellement appelés „livre de la consolation", que sera consacrée notre seconde partie. Auparavant, parce que des textes n'existent pas en dehors d'un contexte historique et idéologique déterminé, il convient de les situer. Un panorama rapide de l'histoire politique du Proche Orient ancien (ch. I) permettra de mieux saisir la portée des textes lus. Nous aurons également à prendre position sur un certain nombre de problèmes discutés à propos de la biographie de Jérémie et de l'exégèse du livre (ch. II). Sans prétendre à l'originalité, nous indiquerons sur

6

cf F.L.

HOSSFELD,

I. M E Y E R ,

jeremia

I. M E Y E R , Prophet gegen Prophet, BB 9, Fribourg, 1 9 7 3 . und die falschen Propheten, O B O 1 3 , Fribourg - Göttingen,

1977. 7

Pour une bibliographie après 1 9 7 7 , voir H O L L A D A Y , Jeremiah 2, p. 4 5 5 . „Un Ethiopien peut-il changer de peau? une panthère de pelage? Et vous, pouvez-vous bien agir vous, les habitués du mal?" Jr 13,23. Nous citons le texte biblique dans la traduction de la Bible de Jérusalem, Paris, 19732.

4

Introduction

quel arrière-fond historique et littéraire seront ensuite étudiés les oracles du prophète d'Anatot. Méthodologiquement, nous adopterons une démarche d'exégèse critique. L'analyse des textes se fera en plusieurs étapes: 1. Une traduction littérale des textes étudiés sera suivie de notes de critique textuelle. 2. Après avoir délimité le texte et regardé son contexte, un premier regard sur le texte lui-même sans références extérieures permettra d'en dégager la structure de surface. Quelques éléments simples de la critique rhétorique 8 nous y aideront: repérage des formules d'introduction et de conclusion, des figures de styles telles que les inclusions ou les structures concentriques, des éventuels changements d'interlocuteurs, parallélismes, oppositions, afin de mettre en évidence le mouvement du texte en ses différentes parties. 3. L'analyse littéraire sera ensuite détaillée: étude du vocabulaire grâce à l'usage de la concordance hébraïque, étude d'expressions significatives pour la langue ou la pensée, repérage de la forme littéraire du texte. La critique littéraire doit alors permettre d'éclairer l'histoire de la rédaction du texte étudié. Le plus souvent, nous serons amenée à voir que le texte a connu plusieurs rédactions révélatrices des problèmes qui se sont posés à la communauté des Israélites à des moments-clés de son histoire. 4. La critique littéraire permet alors de faire une critique historique. Le texte contient-il des allusions à des événements ou personnages passés ou présents? Ces éléments éclairent-ils la fonction du texte? 5. Une conclusion dégagera le message théologique du texte en luimême, en relation avec d'autres passages du livre de Jérémie ou de l'Ancien Testament et en fonction du thème retenu pour cette étude: „Illusions et Salut dans la prédication de Jérémie."

8

Communément appelée par les anglo-saxons: „rhetorical criticism"

CHAPITRE I

Contexte historique et politique de la prédication de Jérémie Le titre du livre de Jérémie 1 situe l'activité du prophète sous les règnes de Josias, Joiaqim, Sédécias. C'est dire que le ministère de Jérémie ( 6 2 6 - 5 8 6 ) s'est situé dans une période troublée de l'histoire du ProcheOrient ancien, et particulièrement dramatique pour le peuple de Juda. Pour comprendre la portée de sa prédication, il importe donc de connaître le contexte historique et politique du royaume de Juda dans la seconde moitié du Vile siècle et les conflits internationaux au milieu desquels va sombrer Jérusalem. La politique internationale est marquée par l'apogée puis le déclin de la puissance assyrienne. Le royaume de Juda, avec Josias, va en profiter pour essayer de retrouver son indépendance. Mais le sursaut égyptien et surtout la montée d'une nouvelle grande puissance, Babylone, mettront rapidement fin à de tels espoirs.

I. D o c u m e n t a t i o n La documentation dont peut disposer l'historien pour cette période est constituée de sources bibliques et extra-bibliques auxquelles il convient d'ajouter les résultats de fouilles archéologiques. Les informations majeures de l'histoire internationale du ProcheOrient ancien sont données par les Annales assyriennes et les Chroniques babyloniennes 2 . Les Annales assyriennes décrivent les campagnes

„Paroles de Jérémie (...) A lui fut adressée la parole de Yhwh, aux jours de Josias, fils d'Amon, roi de Juda, la treizième année de son règne; puis aux jours de Joiaqim, fils de Josias, roi de Juda, jusqu'à la fin de la onzième année de Sédécias, fils de Josias, roi de Juda, jusqu'à la déportation de Jérusalem, au cinquième mois." Jr 1,1-3. Les Chroniques sont publiées par: D. WISEMAN, Chronicles of Chaldean Kings (626-556 BC) in the British Muséum, Londres, 1 9 5 6 .

6

Contexte historique et politique de la prédication de Jérémie

militaires des rois d'Assyrie, sous la forme de discours tenus par le roi lui-même. Ces textes apparaissent à la fin du second millénaire mais sont particulièrement nombreux à partir de Sargon II (722-705). Ils s'arrêtent toutefois en 638. Ces Annales ont la forme d'inscriptions gravées sur les dalles du palais ou les stèles des temples, mais aussi de cylindres ou de prismes d'argile déposés dans les fondations de bâtiments. Les Chroniques babyloniennes présentent un exposé systématique des événements règne par règne. Elles sont l'oeuvre de scribes et permettent de connaître les révoltes anti-assyriennes, l'indépendance de Babylone en 626, la chute de Ninive en 612, les luttes entre Babylone et l'Egypte et même la date de la première prise de Jérusalem (16 mars 597). La documentation égyptienne donne les dates des pharaons Nechao II (619-595) qui tua Josias à Megiddo en 6 0 9 , Psammétique II (595589) et Hophra (589-569) contemporains de la chute de Juda. Les textes bibliques relatant les événements de cette période sont la fin des livres des Rois (2 R 21-25) et des Chroniques (2 C 33-36) qui sont des sources à lire en tenant compte de leur idéologie explicite ou sous-jacente. De nombreuses allusions se trouvent dans les livres prophétiques des VIIe-VIe siècles: Sophonie, Nahum, Habaquq et surtout Jérémie et Ezéchiel. Le matériel épigraphique éclaire les indications données par les textes bibliques: de nombreux sceaux et ostraca ont été retouvés à Lakish et Arad notamment. Les fouilles archéologiques sur les grands tells de Juda donnent des renseignements sur les villes et la vie de leurs habitants à l'époque du Fer II. Les études sur l'extension de la ville de Jérusalem au Vile siècle vers l'Ouest et le Nord-Ouest sont nombreuses 3 .

Texts front Cuneiform Sources, Vol S: Assyrian and Babylonian Chronicles, New York, 1975. Pour les problèmes de datation, on peut consulter: R . A . PARKER, W . H . DUBBERSTEIN, Babylonian Chronology 626 BC - AD 75, Chicago, 1956 2 . Traductions de ces textes: J. PRITCHARD (éd.), Ancient Near Eastern Texts Relating to the Old Testament (ANET), Princeton, 1950 1 , 1969 3 . J. BRIEND, M . J . SEUX, Textes du Proche-Orient ancien et Histoire d'Israël (TPOA), Paris, 1977. Depuis les campagnes de K. K E N Y O N à la fin des années 60 jusqu'aux travaux plus récents de N. AVIGAD, R. AMIRAM, B. M A Z A R , Y. SHILOH notamment, les rapports de fouilles sont nombreux. Y. SHILOH en a fait une présentation succincte dans: „La destruction de Jérusalem. Le témoignage archéologique", MdB 40, 1985, pp. 8-15. A . K . GRAYSON,

L'Assyrie au Vile siècle: de l'apogée au déclin

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L'ensemble des documents soulève quelques problèmes chronologiques que nous n'aborderons pas ici. Nous suivons les dates proposées par H. Cazelles 4 .

II. L'Assyrie au Vile siècle: de l'apogée au déclin Entre le Xe et le Vile siècles, l'Assyrie a progressivement étendu son empire qui atteignit avec Sennacherib (700-681), Assarhaddon (680669), puis Assurbanipal (668-631) son apogée. Mais le déclin était proche. La machine militaire assyrienne à l'efficacité incomparable pour l'époque, associée à une organisation administrative qui transformait les territoires conquis en provinces assyriennes, a permis à l'Assyrie de bâtir un véritable empire: politique de déportation et de mélanges des populations, constructions de nouvelles cités, établissement de postes fortifiés aux endroits stratégiques à travers l'empire pour écraser les tentatives de révolte à l'intérieur et protéger les frontières de toute agression extérieure. Les petits Etats qui n'étaient pas devenus provinces assyriennes furent peu à peu contraints de reconnaître l'autorité d'Assur et leurs rois devinrent vassaux du roi d'Assyrie, vassalité qui se concrétisait par le paiement annuel d'un tribut. C'est ainsi qu'en 722, Salmanasar V prit Samarie et que la région de Samarie devint province assyrienne avec Sargon II en 720 5 . Selon 2 R 17,6, les Israélites furent déportés en

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H. CAZELLES, „La vie de Jérémie dans son contexte national et international", Le livre de Jérémie, Louvain, 1981, pp. 21-39. Histoire politique d'Israël des origines à Alesxandre le Grand, PBSB AT/1, Paris, 1982. „587 ou 586?", The Word of the Lord Shall Go Forth. Essays in Honour of D.N. Freedman, Winona Lake, 1983, pp. 4 2 7 - 4 3 5 . Sur la date et la nature de la mainmise de l'Assyrie sur Samarie, les opinions divergent. La position classique est celle de H. TADMOR, „The Campaigns of Sargon II of Assur: A Chronological Historical Study", JCS 12, 1958, pp. 224 0 et 77-100. Il y aurait eu deux conquêtes de Samarie: l'une en 723/22 par Salmanasar V et l'autre en 7 2 0 par Sargon II. Cette position a été mise en question par N . NA'AMAN, „The Historical Background ot the Conquest of Samaria (720 BC)", Biblica 71, 1990, pp. 2 0 6 - 2 2 5 , qui soutient qu'il n'y a eu qu'une seule prise de la ville. Dans un article récent „The Final Years of Samaria (730-720 BC)", Biblica 7 2 , 1 9 9 1 , pp. 153-181, J.H. HAYES« J.K. KUAN estiment que les Israélites se sont

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Contexte historique et politique de la prédication de Jérémie

Assyrie6. En contrepartie, les populations de villes vaincues comme „Babylone, Kuta, Avva, Hamat et Sepharvayim" (2 R 17,24) furent déportées pour repeupler la Samarie. Quant aux rois de Juda, ils durent payer tribut au roi d'Assyrie en signe de vassalité. Telle était en effet la manière de faire habituelle des souverains, selon les textes assyriens eux-mêmes. La soumission de Juda est attestée dans une inscription de Nimrud7: „Palais de Sharrukîn (Sargon) (...) 'roi fort, roi de l'univers, roi d'Assyrie, roi des quatre contrées (du monde) (...) qui rencontra Humbanigash, roi d'Elam, sur le territoire de Dêr et lui infligea une défaite; qui soumit le pays de Ya'udu (Juda) sis en un lieu lointain". Une lettre du gouverneur de Nimrud précise8: „J'ai reçu 45 chevaux de (...). Les dignitaires de Muçur, de Hazatu (Gaza), de Ya'udu (Juda), de Ma'aba (Moab), de Ban-Ammana (Ammon) sont arrivés le 12 à Kalhu, leurs tributs en leurs mains, celui de Hazatu (avec) 24 chevaux à sa main." Durant la première partie du Vile siècle, le pouvoir assyrien est à son apogée. Le long règne de Manassé de Juda (687-642) se déroula sous cette hégémonie. Le roi paye tribut comme en témoignent les inscriptions d'Assurbanipal9: „Alors je requis les rois du pays de Hatti et de l'au-delà du fleuve: Ba'alu roi de la ville de Çurru (Tyr) et Menasî (Manassé) roi de la ville de Ya'udu (Juda) ...". Le syncrétisme religieux qui règne alors en Juda est un reflet de cette domination assyrienne (2 R 21,2-16).

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rendus à quatre reprises aux Assyriens autour de 720: 1) d'abord en 727/6 quand Osée se soumit à Salmanasar V; 2) en 725/4, quand Salmanasar dévasta Samarie, arrêta Osée; 3) en 722/1, quand Samarie fut conquise après un siège de trois ans à la suite d'une nouvelle révolte; 4) en 720/19, quand Sargon reprit la ville et fit définitivement de cette région une province de son empire. Nous retenons que Salmanasar prit la ville en 722, mais que c'est Sargon qui régla le sort de la ville en 720: déportation de la population et utilisation de la charrerie (selon S. D A L L E Y , „Foreign Chariotry and Cavalry in the Armies of Tiglath-Pileser I I I and Sargon I I " , Iraq 47, 1985, pp. 31-48.) cf F. G O N C A L V E S , L'expédition de Sennacherib ..., pp. 26-27; J . BRIEND, art. „Samarie", DBS X I , 1990, col. 744. Selon les Annales assyriennes, 2 7 2 9 0 prisonniers furent déportés, cf TPOA n° 35 B. = ANET pp. 2 8 4 - 2 8 5 . TPOA n° 37. = ANET p. 287a. TPOA n° 4 1 B. = K. GALLING, Textbuch zur Geschichte Israels, Tübingen, 1 9 6 8 2 , n° 3 6 A. TPOA n" 50. = ANET p. 291.

L'Assyrie au Vile siècle: de l'apogée au déclin

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1. Assarhaddon: 6 8 0 - 6 6 9 En Assyrie, chaque changement de règne était l'occasion de soulèvements plus ou moins importants. La première tâche du nouveau souverain était donc d'assurer son autorité. Aussi les premières années du règne d'Assarhaddon furent-elles consacrées à des combats aux frontières de l'empire, notamment contre les Cimmériens qui sont battus en 677 1 0 . Assarhaddon cherche alors à étendre sa domination plus à l'Ouest, en Syrie-Palestine. En 677, Assarhaddon réaffirme sa suzeraineté sur Chypre, mène campagne contre les cités phéniciennes de Tyr et Sidon, ainsi qu'il est écrit dans les Annales 11 : „(Quant à) Abdimilkutti, roi de Çidunnu, qui ne craignait pas mon autorité, qui n'écoutait pas l'ordre (issu) de mes lèvres, qui se fiait à la mer houleuse (?) et avait rejeté le joug d'Assur, je nivelai comme (aurait fait) un déluge la ville de Çidunnu, son point d'appui qui est situé en pleine mer; j'en démantelai et je jetai à la mer la muraille et les habitations et j'en ruinai l'emplacement. (...)Je réorganisai cette région; j'installai à leur tête un mien haut fonctionnaire comme gouverneur et je lui imposai une redevance et un tribut plus élevés qu'avant. Parmi ces siennes villes je remis les villes de Ma'rubbu (et) de Çariptu (Sarepta) aux mains de Ba'alu, roi de Çurru (Tyr); je lui imposai le tribut (dû à) ma souveraineté que j'ajoutai à la redevance antérieure qu'il livrait annuellement." La destruction de Sidon est suivie d'une campagne contre Tyr qui se conclut par un traité entre Baal, roi de Tyr, et Assarhaddon 12 . Après avoir parcouru les montagnes „comme un taureau sauvage", Assarhaddon érigea des fortifications „contre Ba'alu, roi du pays de Çurru (Tyr) qui avait mis sa confiance en Tarqû (Taharqa) roi du pays de Kusu (Nubie)." 1 3 Il est probable que, derrière l'agitation de la Phénicie, se trouve la main de l'Egypte et que, si Assarhaddon cherche à envahir l'Egypte en 6 7 3 , c'est moins pour s'y installer que pour répondre à l'hostilité du pharaon Taharqa (690-664) et détruire à sa source l'influence égyptienne en Phénicie. Assarhaddon va en fait jusqu'en Arabie, mais il est rappelé dans le Nord pour lutter contre les Scythes et les Mèdes.

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cf ANET pp. 289-290. TPOA n° 49. = ANET p. 302 Les traités d'Assarhaddon ont Assyrian Treaties and Loyalty T P O A n° 51 a). = R . B O R G E R , Leiden, 1961, pp. 111-112.

b. été édités par S . PARPOLA et K . W A T A N A B E , NeoOaths, SAA 2, Helsinki, 1988. Einleitung in die assyrischen Königsinschriften,

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Contexte historique et politique de la prédication de Jérémie

En 671, une nouvelle campagne d'Assarhaddon est couronnée de succès. Après la soumission des dynastes du delta, le roi d'Assyrie prend Memphis. Le pharaon Taharqa parvient à s'enfuir à Thèbes. Assarhaddon se proclame alors „roi d'Egypte et de Kush" 1 4 . Mais, de Thèbes, Taharqa ne s'avoue pas vaincu: il tente de soulever à nouveau les princes du delta contre l'Assyrie et reprend Memphis en 669 1 5 . Assarhaddon meurt en reconquérant l'Egypte, mais son dessein d'affirmer la mainmise assyrienne sur la côte méditerranéenne était réalisé. 2. Assurbanipal: 668-631 Le fils d'Assarhaddon, Assurbanipal, continua la politique de son père. Les Annales de 667 donnent une liste de 22 rois, dont Manassé de Juda, soumis par Assurbanipal: „Au cours de ma campagne, Ba'alu roi du pays de Çurru (Tyr), Minsê (Manassé) roi du pays de Ya'hudu (Juda) (...) au total 22 rois du bord de la mer, de la pleine mer et de la terre ferme, serviteurs qui ont les yeux fixés sur moi, apportèrent devant moi leurs lourds présents et baisèrent mes pieds." 16 C'est sous son règne, en 6 6 1 - 6 6 0 , que l'empire assyrien connaît son apogée. Peu après, le déclin va s'amorcer et s'accélérer jusqu'à la chute de Ninive en 612. Les rapports entre l'Egypte et l'Assyrie dominent alors la politique du Proche-Orient et connaissent deux phases.

a) La reconquête de l'Egypte par Assurbanipal:

668-663

Dès son accession au trône, Assurbanipal se trouve affronté au problème de l'Egypte puisque Taharqa avait repris Memphis. Il conduit avec succès sa campagne égyptienne avec l'aide forcée des rois vassaux de l'Ouest 17 . Taharqa fuit vers le Sud, les princes du Delta se soumettent. Parmi eux, Néchao 1er, roi de Memphis. En 6 6 6 - 6 6 5 , ces princes se rallient de nouveau à Taharqa. Les Assyriens découvrent la conspiration et les châtient pour leur infidélité. Seul Nechao reçoit un traitement de faveur 18 : renvoyé en Egypte, il est

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ANET p. 293. ANET p. 303. TPOA n° 52. = ANET, p. 2 9 4 § 57. ANET p. 2 9 4 . ANET p. 295: „From all of them, I had only mercy upon Necho and granted him life. I made a treaty with him protected by oaths which greatly surpassed those

L'Assyrie au Vile siècle: de l'apogée au déclin

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chargé de jouer les conciliateurs. L'Egypte et l'Assyrie trouvent un „modus vivendi" sur la Syrie-Palestine, accord qui eut une grande importance sur le cours de l'histoire de Juda au Vile siècle. Vers 6 6 4 , à la mort de Taharqa, son neveu Tanoutamon assiège les forces assyriennes à Memphis. Nechao 1er meurt en s'opposant à Tanoutamon et son fils Psammétique 1er trouve refuge en Syrie avant d'accompagner les troupes assyriennes dans la reconquête de l'Egypte: reprise de Memphis, pillage et destruction de Thèbes. Avec la chute de Thèbes, l'autorité de la dynastie éthiopienne est brisée. Assurbanipal et les Assyriens apparaissent comme libérateurs de la Basse Egypte. Psammétique 1er succède à son père Nechao 1er et refait alliance avec l'Assyrie. Le prophète Nahum (autour de 650) fait allusion à cette destruction de Thèbes. Dans un oracle contre Ninive, le prophète ne trouve pas de comparaison plus frappante pour avertir Ninive de ce qui l'attend que l'évocation de ce qui est arrivé à Thèbes en 6 6 3 : „Valais-tu m i e u x que N o - A m o n 1 9 assise entre les Fleuves? (...) Sa puissance, c'était l'Ethiopie et l'Egypte sans fin. Put et les Libyens étaient ses auxiliaires. Elle aussi est allée en exil, en captivité; ses petits-enfants aussi ont été écrasés à tous les carrefours; ses nobles, on les a tirés au sort, tous ses grands ont été liés avec des c h a î n e s . " N a 3 , 8 - 1 0 .

b) L'Assyrie face à Psammétique

1er:

669-610

Arrivé au pouvoir avec l'assentiment de l'Assyrie, Psammétique 1er va peu à peu s'affranchir de cette tutelle et refaire l'unité de l'Egypte sous son autorité. Il obtient d'abord l'allégeance des princes du Delta puis utilise des mercenaires pour consolider ses tentatives d'unification. Il fait alliance avec Gygès, roi de Lydie, qui meurt en 6 4 4 sous les coups des Cimmériens 2 0 . Son fils Ardis se soumet à Assurbanipal, puis rompt avec lui en 6 4 0 . On peut estimer que Psammétique 1er s'est affranchi

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of the former treaty. I clad him in a garment with multicolored trimmings, placed a golden chain on him as the insigne of his kingship, put golden rings on his hands." N o - A m o n = Thèbes, Amon étant le dieu de Thèbes. cf Jr 4 6 , 2 5 . H. CAZELLES, „La vie de Jérémie . . . " , note 18 p. 2 5 .

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alors du joug assyrien en Egypte sans qu'il y ait de témoignages de conflits armés dans la région 21 . Un pas de plus est fait lorsque l'Egypte commence à saper la domination assyrienne en Palestine. Selon le témoignage d'Hérodote 22 , le pharaon prend Ashdod en 6 4 0 après un siège de 2 9 ans. L'Assyrie commence dès lors à perdre du terrain aussi bien en Syrie-Palestine qu'en Babylonie où, en 653, l'un des frères d'Assurbanipal, Shamashshum-ukîn, gouverneur de Babylone, se révolte avec l'aide des Elamites et des Arabes. Assurbanipal est alors contraint à un siège de trois ans devant Babylone qui sera prise en 648. Il mate ensuite Elam, prend Suse 23 et domine les tribus arabes. Les grandes inscriptions assyriennes cessent d'être rédigées après 6 3 8 . La mort d'Assurbanipal, plus probablement son abdication, est datée de 6 3 1 ou 627 selon qu'est reconnue ou non l'identité d'Assurbanipal d'Assyrie et Kandalanu de Babylone. Le dernier contrat d'Assurbanipal date en effet de 631, mais certains, de Kandalanu, sont datés de 627 2 4 . Quoi qu'il en soit, l'écroulement de l'empire assyrien a suivi de près le triomphe de son plus grand souverain: Assurbanipal. Plusieurs causes simultanées sont nécessaires pour expliquer la rapidité de ce déclin: „L'Empire s'est effondré lors de la conjonction d'une triple poussée: une interminable guerre civile, une révolte babylonienne et l'intervention des Mèdes" 2 5 .

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Selon M I L L E R et H A Y E S , l'Assyrie cherchait simplement une domination sur la Méditerranée: „Assyrian actions all along suggest that they were never really interested in occupying Egypt or in turning it into an Assyrian province. Their primary concern was to establish Assyrian dominance over the commerce of the Eastern Mediterranean Seaboard. The Twenty-sixth Dynasty apparently acceded to Assyrian hegemony in this area, and Assurbanipal was willing to allow Psammetichus to govern his own country under terms similar to those established in his earlier treaty with Neco I." A History of Ancient Israel and Judah, p. 370. H É R O D O T E , Histoire I I , 5 7 . H . CAZELLES, Histoire politique d'Israël..., p. 1 8 0 . H . CAZELLES, „La vie de Jérémie ...", note 1 6 pp. 2 4 - 2 5 . P. GARELLI, Le Proche-Orient asiatique, note 1 p. 1 2 5 : „Etant donné que Kandalanu est mort la même année qu'Assurbanipal, on s'est demandé si ce nom n'était pas celui qu'avait porté le grand roi en Babylonie. On invoque naturellement les précédents de Téglat-Phalazar/Pulu et Salmanazar/Ululaia. Mais le problème n'est pas résolu." P . GARELLI, Le Proche-Orient ..., p. 2 3 9 .

L'Assyrie au Vile siècle: de l'apogée au déclin

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c) Répercussions sur le royaume de Juda Le roi Manassé ( 6 8 7 - 6 4 2 ) fut contemporain des rois Assarhaddon et Assurbanipal. Il est probable qu'à cette période d'apogée assyrienne il n'eut guère le choix de sa politique. Les textes bibliques (2 R 2 1 , 1 - 1 8 ) ne disent rien sur la politique de Manassé: sans doute Juda a-t-il subi sa vassalité sans réagir 26 . Par contre, les rédacteurs parlent abondamment de la conduite religieuse du roi. Dans la notice, les vv. 2 - 1 6 décrivent l'action religieuse de Manassé: instauration de hauts-lieux, d'autels et de poteaux sacrés, immolation de son fils par le feu, installation de l'idole Ashéra dans le temple. Le jugement du livre des Rois est sévère: „11 fit ce qui déplaît à Yhwh, imitant les abominations des nations que Yhwh avait chassées devant les Israélites." (2 R 21,2) 2 7 . La vassalité à l'égard de l'Assyrie s'est traduite sur le plan religieux par un syncrétisme religieux et l'introduction des cultes du pouvoir assyrien 28 . Le successeur de Manassé, Amon, suivit la même politique que son père. C'est la principale information donnée par le texte biblique: „11 fit ce qui déplaît à Yhwh, comme avait fait son père Manassé. Il suivit en tout la conduite de son père, rendit un culte aux idoles qu'il avait servies et se prosterna devant elles." (2 R 2 1 , 2 0 - 2 1 ) . C'est en cette période de déclin de la puissance assyrienne que le „peuple du pays" va installer sur le trône de Juda un jeune roi dont le règne sera caractérisé par une réforme religieuse et une politique d'émancipation par rapport à l'Assyrie.

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MILLER, HAYES, A History ...: „Submission to Assyria must have been judged by Manasseh to be the only policy in Judah's best interest." p. 3 7 2 . La notice du livre des Chroniques (2 C 3 3 , 1 1 - 1 7 ) qui mentionne une captivité de Manassé à Babylone et sa conversion n'a pas de valeur historique. Il s'agit d'une histoire édifiante où le rédacteur cherche à justifier le long règne de Manassé. Un règne long est signe de bénédiction divine. Pourquoi Manassé a-til été ainsi béni? Le rédacteur du livre des Chroniques répond à sa façon à cette question. Sur cette notice, on peut consulter: W . M . SCHNIEDEWIND, „The Source of Citations of Manasseh: King Manasseh in History and Homily", VT 4 1 , 1 9 9 1 , pp. 4 5 0 - 4 6 1 . id. „The imposition and encouragement of Assyrian religion was probably used as an important feature of imperial control and propaganda even within J u d a h . " J . BRIGHT ( A History ...,• note 2 2 p. 2 7 6 ) commente ainsi la politique religieuse de Manassé: „Though the Assyrians may not have required worship of their gods, the vassal's oath of loyalty involved his submission to them and acknowledgement of their overlordship. Moreover, the nations's humiliating position must have given rise to a general loss of confidence in Yahweh's power, which would have encouraged the proliferation of pagan cults, both native and foreign."

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Contexte historique et politique de la prédication de Jérémie

III. La montée de Babylone Jusqu'en 6 2 7 , Assurbanipal étendit son empire sur la Babylonie. Au moment de sa succession, les rivalités entre ses fils vont profiter à un tiers: le Chaldéen Nabopolassar. En 627, le général assyrien Sîn-shumlishir est proclamé roi de Babylone, mais il est rapidement remplacé par Sîn-shar-ishkun, frère de Assur-etel-ilani, qui est à son tour obligé de céder la place sur le trône de Babylone à un chaldéen: Nabopolassar, fondateur de la l l è m e dynastie en novembre 626. Assurbanipal laissait à son successeur un empire dans une situation troublée tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, mais encore puissant. 1. Nabopolassar: 626-605 Les Chroniques babyloniennes donnent les dates majeures des conflits qui vont agiter la région entre 626 et 605. En Assyrie, la guerre civile affaiblit l'empire: la province de Der à la frontière élamite se soulève, les attaques des Mèdes s'intensifient. Après avoir quitté Babylone, Sîn-shar-ishkun avait occupé Nippur. Attaqué par Assur-etel-ilani, il subit un siège terrible, parvint à se dégager en 623. C'est au cours de cette bataille que dut périr Assuretel-ilani. Sîn-shar-ishkun marcha alors sur Ninive pour devenir roi d'Assyrie. En 621, c'est la rupture entre Nabopolassar et Sîn-shariskhun pour des motifs qui nous sont inconnus. Mais en 616 Nabopolassar contrôlait toute la Babylonie. Entre temps, dès 6 2 5 , le roi mède Cyaxare avait unifié les tribus scythes et perses sous son autorité et faisait des incursions aux frontières de l'Assyrie affaiblie. Nabopolassar fera alliance avec lui pour lutter contre les Assyriens. L'année 6 1 6 voit un spectaculaire renversement des alliances: Psammétique 1er et une armée égyptienne montent sur l'Euphrate non plus pour lutter contre l'Assyrie mais pour contenir avec l'Assyrie la puissance babylonienne. Malgré ses efforts, l'Egypte ne pourra sauver l'Assyrie, même si en 6 1 5 l'assaut des Babyloniens contre Assur se révèle infructueux. En 614, Cyaxare lance une nouvelle campagne contre l'Assyrie. Il subit un échec devant Ninive mais s'empare de la ville voisine de Tarbisu, puis d'Assur. Une alliance entre Nabopolassar et Cyaxare est alors conclue et, en 612, Ninive tombe sous leurs coups après trois mois de siège. Sîn-shar-ishkum est tué lors du sac de Ninive. Le nouveau roi d'Assyrie, Assur-uballit se replie sur Harran pour une ultime résistance. La ville est prise par les Mèdes et les Babyloniens en 610.

L a montée de Babylone

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Une chronique babylonienne raconte cette campagne du point de vue de Nabopolassar: „La seizième année (de Nabopolassar), au mois d'ayyar (8 mai-6 juin 610), le roi d'Akkad (Babylonie) mobilisa ses troupes et marcha vers l'Assyrie. Du ... au mois d'arahsamnu (novembre 610) il parcourut victorieusement l'Assyrie. Au mois d'arahsamnu, les Umman-Manda (Mèdes) vinrent à l'aide du roi d'Akkad; ils joignirent ensemble leurs troupes et marchèrent vers Harran contre Assur-uballit qui s'était assis sur le trône d'Assyrie. Quant à Assur-uballit et aux troupes de Miçir (Egypte) qui étaient venues (à son aide?), la frayeur de l'ennemi tomba sur eux, ils abandonnèrent la ville et franchirent (...). Le roi d'Akkad arriva à Harran (...) et prit la ville; il fit un lourd butin dans la ville et dans le temple"29. C'est en vain que le pharaon Nechao II traversera la Palestine pour aller jusqu'à Harran au secours du roi d'Assyrie. La ville ne sera pas reconquise. L'empire assyrien disparaît à tout jamais. Babylone et l'Egypte restent alors face à face et le royaume de Juda se retrouve sous domination égyptienne. En 608, Nabopolassar poursuit des opérations aux frontières de l'Urartu. En 607, son fils Nabuchodonosor opère dans un district montagneux de la même région. Mèdes et Babyloniens se répartissent les zones d'influence. L'affrontement entre les deux grandes puissances a lieu en mai-juin 605 lorsque le prince héritier Nabuchodonosor marche sur Karkemish et prend la ville. Il occupe ensuite facilement Hamat, Ribla et la bande côtière. La Chronique babylonienne qui rapporte ces événements ne mentionne pas la présence du pharaon Nechao à Karkemish et les troupes égyptiennes étaient, semble-t-il, composées de mercenaires Ethiopiens, Lybiens et Lydiens30. Voici le récit de la chronique31: „La vingt et unième année, le roi d'Akkad (resta) dans son pays. Nabûkudurri-uçur (Nabuchodonosor), son fils aîné, le prince de la chancellerie, mobilisa (les troupes d'Akkad), prit la tête de ses troupes et marcha vers Galgamesh (Karkemish) qui est au bord de l'Euphrate. Il franchit le fleuve (contre les troupes de Miçir) qui étaient établies à Galgamesh et ils combattirent l'un contre l'autre; les troupes de Miçir

» TPOA n° 57. = ANET, p. 305 a. C'est ce qui ressort de l'oracle de Jérémie sur Karkemish: „Chevaux, chargez! Chars, foncez! Que s'avancent les guerriers, gens de Kush et de Put, porteurs de boucliers, Lydiens qui bandez l'arc!" Jr 46,9. 31 TPOA n° 58.

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Contexte historique et politique de la prédication de Jérémie

firent volte-face contre lui, il leur infligea (une défaite) et les réduisit à néant." L'armée babylonienne l'emporta sans doute sur une simple garnison égyptienne, mais les conséquences de la bataille de Karkemish furent importantes. Karkemish marque la fin de la brève domination égyptienne, toute la Syrie et une grande partie de la Palestine tombent alors au pouvoir de Babylone. La Bible fait allusion à cette victoire de Babylone et à ses conséquences: „Le roi d'Egypte ne sortit plus de son pays, car le roi de Babylone avait conquis, depuis le Torrent d'Egypte jusqu'au fleuve de l'Euphrate, tout ce qui appartenait au roi d'Egypte." 2 R 24,7. En septembre 606, Nabopolassar meurt. Nabuchodonosor rentre alors rapidement à Babylone monter sur le trône de son père, ainsi que l'indique la Chronique32: „Nabû-apla-uçur (Nabopolassar) exerça la royauté sur Babylone pendant 21 ans. (Il alla à) son destin (mourut) au mois d'abu, le 8e jour (15 août 60S). Nabû-kudurri-uçur retourna à Babylone au mois d'ululu et s'assit sur le trône royal à Babylone au mois d'ululu, le premier jour (7 septembre 605)." 2. Nabuchodonosor: 605-562 Malgré de nombreuses inscriptions, le règne du plus célèbre roi babylonien est assez mal connu. La Chronique donne quelques détails sur les expéditions militaires des dix premières années de règne. Le reste nous est révélé par des fragments épars et des sources étrangères dont des textes bibliques, notamment des oracles du livre de Jérémie. Nabuchodonosor a fait campagne en Syrie chaque année jusqu'en 594, date à laquelle la Chronique babylonienne est interrompue. La bataille de Karkemish n'avait pas pacifié toute la région et l'Egypte demeurait une menace. En 604, Damas, Tyr, Sidon et Juda sont soumis, mais Ascalon est mise à sac et son roi fait prisonnier par Nabuchodonosor. En 601, ce dernier s'en prend directement à l'Egypte mais essuie un échec: le pharaon Nechao II réussit à repousser l'armée babylonienne. C'est alors que le roi de Juda, Joiaqim, malgré les objurgations du prophète Jérémie tente de secouer le joug babylonien. Pendant trois ans, Joiaqim jouit d'une relative indépendance33 car Nabuchodonosor est occupé à l'intérieur de son royaume.

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TPOA n° 58. „De son temps, Nabuchodonosor, roi de Babylone, fit campagne et Joiaqim lui fut soumis pendant trois ans puis se révolta de nouveau contre lui." 2 R 24,1.

Josias: une tentative d'indépendance

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Mais en 598/7, Nabuchodonosor fait campagne vers Juda et met le siège devant Jérusalem. La ville tombe le 16 mars 597. Un nouveau roi, Sédécias, est imposé par Nabuchodonosor. Une rébellion de Juda 34 contre le pouvoir babylonien conduira à un nouveau siège et à la destruction de la ville en 587. Après la disparition du royaume de Juda, la puissance de l'Egypte et de Babylone s'équilibrèrent. Une nouvelle attaque de Nabuchodonosor en 568 se solda par un échec. Le statu quo fut alors respecté.

IV. Josias: une tentative d'indépendance 1. 640: l'accession au trône 2 R 21 rapporte brièvement l'assassinat d'Amon et l'avènement de son tout jeune fils Josias, sans faire aucun commentaire: „Les serviteurs d'Amon complotèrent contre lui et ils tuèrent le roi dans son palais. Mais le peuple du pays frappa tous ceux qui avaient conspiré contre Amon et 35 proclama roi à sa place son fils Josias." (2 R 21,23-24). Deux interprétations peuvent être données à cet assassinat. Une lecture religieuse estime qu'une faction de Judéens fidèles à la tradition et favorables à la réforme d'Ezéchias aurait fait assassiner le roi Amon aussi impie que son père Manassé. La motivation du meurtre serait d'ordre religieux36. Mais à la lumière des circonstances historiques: soulèvements locaux contre le pouvoir d'Assurbanipal et renaissance de l'Egypte, une lecture politique semble préférable37. Amon ayant adopté une politique de soumission à l'Assyrie, sa mort est une réaction anti-assyrienne, sans doute en connivence avec Psammétique I. Mais le complot n'alla pas jusqu'à son terme: l'assassinat d'Amon ne fut pas suivi par l'installation d'une nouvelle dynastie. L'intervention d'un groupe, „le peuple du pays", fut décisive pour le maintien de la dynastie davidique. Un jeune fils d'Amon, Josias, âgé de huit ans, fut mis sur le

34 35 36

37

Jérémie y fait allusion en 27,2-3. Le T M exprime une deuxième fois le sujet: le peuple du pays. C'est la position de E . N I E L S E N , „Political Conditions and Cultural Developments in Israel and Judah during the Reign of Manasseh", Fourth World Congress of Jewish Studies I, Jerusalem, 1967, pp. 103-106. cf H. C A Z E L L E S , Histoire politique d'Israël, p. 1 8 0 . A. M A L A M A T , „The Historical Background of the Assassination of Amon, King of Judah", IE] 3, 1953, pp. 26-29.

18

Contexte historique et politique de la prédication de Jérémie

trône. C'est dire que le pouvoir réel fut alors exercé en Juda par les hauts fonctionnaires royaux. Quel est le groupe désigné par „le peuple du pays"? L'expression p « n DU se trouve 52 fois dans l'A.T. dont 37 dans 2 R, 2 C, Jr et Ez. Les interprétations en sont diverses: un grand conseil national représentant la nation vis-à-vis du roi, un simple nom collectif pour désigner le peuple, la plèbe opposée à l'aristocratie, „l'ensemble des hommes libres jouissant des droits civiques dans un territoire donné" 3 8 , population libre qui était la gardienne d'une fidèle tradition yahviste. Selon Nicholson 39 , „the term has no fixed and rigid meaning but is used rather in purely general and fluid manner and varies meaning from context to context." En lisant l'ensemble des textes comprenant cette expression, on constate quelques points communs à son emploi 40 . Les occurrences sont dans des textes où il est question du royaume de Juda, et particulièrement de la cité de Jérusalem. Il n'y a aucun emploi dans un contexte spécifiquement éphraïmite. Le f~lî dépend aussi de la compréhension du mot „DlpO" qui suit. Si le mot „lieu" recouvre la terre, le pays, comme l'indique le v. 7 par une apposition, alors on lit naturellement „que je vous fasse habiter en ce lieu". Mais si le „lieu" désigne le temple, alors la lecture „j'habiterai avec vous en ce lieu" est possible. La critique textuelle touche ici la critique littéraire sur laquelle nous reviendrons. v. 4 (a) Le TM a comme dernier mot non, pronom personnel 3e personne masculin pluriel: „eux". Le Targum et la Peshitta ont nnK (2e masc.pl.), la LXX: „Naos xupiou, Naoç Kupiou ECTTIV" et la Vulgate: „templum domini est". Comment comprendre ce pronom nan? BHS propose de lire non comme une abréviation de nrn Dlpon. Suttcliffe, cité par McKane 8 pense que non mrp était originellement une note marginale de "IpBCT "'131. Rudolph, Bright et Barthélémy9 estiment que le TM a un pluriel parce que le temple évoque un ensemble de bâtiments. C'est également notre option qui peut s'appuyer sur un pluriel semblable en 2 C 8,11 10 . v. 6 (a) Selon BHS, le v. 6a|3 „vous ne répandrez pas le sang innoncent en ce lieu" est une glose d'après 22,3. En effet, les deux défenses lpBHJn K1? et ID'jn N1? ont la négation K1? en 6aa et 6b alors qu'en 6a|3 le TM porte IDawn-'jK, tournure qui est suivie et non précédée du complément nrn Dlpoa. Le parallélisme du verset est brisé. Par ailleurs, de nombreux manuscrits ont à la place de N1?, indice d'un essai d'harmonisation. Il est donc fort possible que le v. 6a|3 soit une glose ancienne inspirée de 22,3. v.10 (a) Rudolph suggère de corriger m»S? en ni3B: „pour changer" au lieu de „pour faire". Il s'agit d'une correction destinée à faciliter la compréhension du TM. En effet, comment le salut peut-il aller de pair 7

8

9

10

II y a 12 occurrences de p » au piel dans l'A.T.: Nb 14,30; Dt 12,11; 14,23; 16,2.6.11; 2 6 , 2 ; Jr 7,3.7.12; Ps 7 8 , 6 0 ; Ne 1,9. En dehors de Ps 78,60, le sens est toujours „faire habiter". MCKANE, pp. 160-161. McKane conclut son analyse sur un point d'interrogation: „The puzzle of non is insolved". D . BARTHÉLÉMY, Critique textuelle, pp. 515-516. Salomon justifie la construction d'une maison pour la fille de Pharaon en disant: „Une femme ne saurait demeurer à cause de moi dans le palais de David, roi d'Israël; ce sont des lieux sacrés (non Bip "O) où vint l'arche de Yhwh." 2 C 8,11. Le pronom pluriel signifie ici „ces bâtiments" alors que le prédicat est singulier.

Etude de Jr 7 , 1 - 8 , 3

69

avec des abominations? Mais la suggestion de Rudolph est une pure conjecture facilitante que nous ne retiendrons pas, faute d'appui textuel. Le problème est de critique littéraire plus que de critique textuelle. Les versions avaient déjà opéré quelques modifications. La L X X a changé le sens du v. 10b: AITECTXTIIIEOA T O U TTOIEIV i r a v T a T a |36EÂuynaTa Toarra, „nous nous abstenons de faire toutes ces abominations." Le peuple clame son innocence parce qu'il a rejeté ces abominations! La Vulgate a également interprété: „liberati sumus eo quod fecerimus omnes istas abominationes". 2. Structure Les vv. l-3acc se présentent comme une introduction constituée d'une formule d'ouverture caractéristique du livre de Jérémie: „la parole fut à Jérémie" et d'un ordre donné au prophète. L'introduction est reliée aux paroles du prophète par plusieurs verbes qui reviennent dans le corps du discours: - proclamer (N"lp): le prophète est invité à proclamer, à crier au nom du Seigneur. Yhwh lui-même a parlé et appelé (N")p au v. 13), son nom est proclamé sur cette maison (vv. 1 0 , 1 1 , 1 4 ) . Mais tous ces appels sont restés sans réponse. Alors que les judéens sont appelés à écouter (v. 2), le v. 13 constate: „je vous ai parlé sans me lasser et vous n'avez pas écouté je vous ai appelés et vous n'avez pas répondu."

- entrer (NO): au v. 2, le prophète s'adresse à tous ceux de Juda qui entrent par les portes du temple pour se prosterner devant Yhwh. A la fin du texte (v. 15), la sentence est brutale: „je vous rejetterai de devant ma face, comme j'ai rejeté vos frères, toute la race d'Ephraïm". Parce qu'il n'écoute pas, ne répond pas, le peuple passe de l'accès au temple au rejet de devant la face de Dieu. L'opposition est nette entre le début et la fin du texte. Que s'est-il passé entre ces deux moments, qui explique ce rejet? Q u ' a fait le peuple pour en arriver là? C'est le contenu du discours qui donne une réponse. - Le verbe faire est aussi un verbe-clé. A l'invitation pressante à agir: „améliorez vos agissements" (v. 3), „si vous faites justice" (v. 5), succède le constat: vous „faites toutes ces abominations" (v. 10), „puisque vous faites toutes ces actions" (v. 13). Au lieu de faire justice, le peuple vole, tue, commet l'adultère. A l'action du peuple va alors correspondre une action de Dieu: „je vais faire au temple de Jérusalem ce que j'ai fait à Silo". Et la destruction de Silo est là pour attester que Dieu fait ce qu'il dit, ce qui n'est pas le cas du peuple.

70

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

L'action de Dieu est exprimée dans l'expression „faire demeurer en ce lieu" qui se trouve deux fois: - en 3 b au cohortatif: que je vous fasse demeurer en ce lieu - en 7 b à l'accompli converti: je vous ferai demeurer en ce lieu. Pour passer de la promesse à sa réalisation effective, le peuple doit remplir les conditions posées aux vv. 4-6, ce que précisément il ne fait pas (vv. 8-10). L'opposition est nette entre le comportement moral du peuple et la démarche cultuelle qui le conduit au temple. Le prophète parle au peuple, Yhwh parle au peuple. Le peuple parle aussi, à deux reprises. Les judéens prononcent deux paroles: - v. 4b: „c'est le temple de Yhwh, temple de Yhwh, temple de Yhwh" - v. 10b: „nous sommes sauvés". Or ces deux paroles, les seules mises dans la bouche du peuple qui écoute, sont qualifiées de „paroles de mensonge: "lp®n "'"121": - v. 4a: „ne vous fiez pas à des paroles de mensonge en disant" - v. 8: „vous vous fiez à des paroles de mensonge qui ne servent à rien". Pour le prophète, voler, tuer, commettre l'adultère, prêter de faux serments (v. 9), et dire „nous sommes sauvés" (v. 10), c'est mentir, être dans l'illusion. Le mensonge et l'illusion sont du côté des hommes puisque leur dire et leur faire ne concordent pas; l'écart est grand entre ce qu'ils sont invités à faire (vv. 3-7) et ce qu'ils font réellement (vv. 8-11). Le réel et la vérité sont du côté de Yhwh dont les paroles et les actes coïncident: la destruction de Silo en est une attestation. Le mouvement du texte tel que nous venons de le dégager de ces remarques de vocabulaire permet de dégager la structure suivante: - l-3aa Introduction: formule d'ouverture et ordre de Yhwh à Jérémie - 3a(3b-7 une 1ère partie énonce le contenu du message à transmettre: a) 3-4: une invitation pressante, sous la forme de deux impératifs: améliorez vos voies ne vous fiez pas à des paroles de mensonge avec la conséquence: que je vous fasse demeurer en ce lieu b) 5-7: une proposition conditionnelle: si vous améliorez (qui reprend 3 a) si vraiment vous faites justice à chacun puis une énumération (v. 6) qui indique ce que veut dire concrètement „faire justice" (v. 5b):

Etude de J r 7 , 1 - 8 , 3

71

„vous n'opprimerez pas l'étranger, l'orphelin, la veuve, vous ne répandrez pas le sang innocent en ce lieu, vous n'irez pas à la suite d'autres dieux" La conséquence de l'attitude de fidélité est ensuite réaffirmée avec vigueur: „je vous ferai demeurer en ce lieu" (v. 7). - 8-11: „Mais voici..." Dans ce 2e temps du discours, le prophète décrit le comportement réel du peuple: „vous vous fiez à des paroles de mensonge" La phrase n'est plus à l'impératif, mais au participe qui définit l'attitude desjudéens. Le constat du comportement est de fait une accusation: „Quoi! Voler, tuer ..? encenser le Baal..." (vv. 9-11) - 12-15: l'accusation débouche sur un oracle de jugement: Puisque le peuple a commis toutes ces actions, alors, Dieu va détruire le Temple de Jérusalem comme il a détruit le sanctuaire de Silo. 3. Analyse littéraire 7,1-2

La plupart des exégètes font du discours du temple un texte de la rédaction deutéronomiste du livre de Jérémie. Il est attribué à la „source C" par Mowinckel, Duhm, Rudolph et Bright dans leurs commentaires, à la rédaction „D" par Thiel, Nicholson et Weinfeld11. H. Weippert12 et Holladay ont réagi contre cette position dominante en attribuant la plus grande partie du discours à Jérémie lui-même. La formule d'introduction du discours: m« 1 ? H1.T DKQ irrnT- 1 ?« rpn "lt»K ~Q~in est fréquente dans le livre de Jérémie où elle se trouve 13 fois avec de petites variantes13. C'est l'une des formules rédactionnelles du livre. Selon Thiel, „Sie muss als eine fur D typische Redaktionsformel 11

W. THIEL,

Die deuteronomistische Redaktion voti Jeremia 1-25, WMANT41, Neukirchen-Vluyn, 1 9 7 3 . M. WEINFELD, „Jeremiah and the Spiritual Metamorphosis of Israel", ZA W 88,

12

H. WEIPPERT, Die Prosareden des Jeremiabuches, York, 1 9 7 3 . Formule longue: 7,1; 11,1; 3 0 , 1 .

1 9 7 6 , pp.

13

17-56.

F o r m u l e s a n s "IOK1?: 1 8 , 1 ; 3 2 , 1 ; 3 4 , 1 . 8 ; 3 5 , 1 ;

BZAW 132, Berlin - New

40,1.

Formule avec bV au lieu de 25,1. Formule sans mrP nKO en 4 4 , 1 . En 4 5 , 1 , il s'agit d'une parole qu'adressa le prophète Jérémie au scribe Baruch.

72

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

beurteilt werden." 14 On trouve une autre formule en Jr 1,4.11.13; 2,1; 1 6 , 1 : -ION1?

mrp--NI TH.

En 7,1, l'emploi de la 3e personne est la marque d'une rédaction sur Jérémie et non pas de Jérémie. Cependant, dans les deux cas, la rédaction souligne avec force le rapport entre Dieu et le prophète qui parle en son nom. Le prophète est ainsi légitimé, il est porte-parole de Dieu. Ce thème important de la rédaction deutéronomiste est présent dès l'ouverture du chapitre. Ces versets d'introduction attachent une grande importance à la parole et à l'écoute. On trouve six emplois des racines signifiant „parler": vv. 1.2.2. "131 vv. 1.2 113« v. 2 mp et le premier impératif qui ouvre le discours est: „Ecoutez: 117130". „10$?: Tiens-toi": l'impératif du verbe se retrouve en 17,19: „Va te poster à la porte des Enfants du peuple" et 26,2: „Tiens-toi dans la cour du temple de Yhwh". Le verbe "1017 est bien attesté dans le livre de Jérémie (22 occurrences). Dans la première partie du livre, il s'agit souvent de se tenir devant la face de Yhwh (Jr 15,1.19; 18,20), à son conseil (23,8.22) ou au temple (19,14). L'ordre de parler (mOKI: et tu diras) est suivi d'une invitation à écouter (11700: écoutez) la parole de Yhwh et de l'énumération des destinataires comme en 17,20: „Tu leur diras: .Ecoutez la parole de Yhwh'", 19,3: „Ecoutez la parole de Yhwh, rois de Juda et habitants de Jérusalem. Ainsi parle Yhwh Sabaot, le Dieu d'Israël" et 22,2: „Ecoute la parole de Yhwh, roi de Juda (...) toi ainsi que tes serviteurs et tes gens (...). Ainsi parle Yhwh." En 7,2 les destinataires sont „¡miTtout Juda" comme en 20,4; 26,19; 36,6; 40,15; 44,11.24. La séquence „Tu leur diras: Ainsi parle Yhwh Sabaot" est plus fréquente. On la trouve en Jr 8,4; 11,3; 15,2; 19,11; 25,27.28; 26,4; 43,10 15 . Beaucoup16 pensent que la mention „n'jRn •"'"lBI&a qui entrez par ces portes" est une allusion aux „liturgies du portique" composées

14

15

16

W. THIEL, Die deuteronomistische Redaktion ..., p. 106. „D" est l'abréviation utilisée par Thiel pour désigner la rédaction deutéronomiste. Ces références sont données par J. BRIEND, „Le sabbat en Jr 17,19-27", Mélanges Delcor, AOAT 215, 1985, p. 26. G. VON RAD, Théologie de l'Ancien Testament I, p. 327.

Etude de Jr 7 , 1 - 8 , 3

73

pour une cérémonie qui se déroulait au moment de l'entrée du fidèle dans le temple et dont les Psaumes 15 et 24 donnent une idée. Ceux qui veulent entrer demandent le passage et s'enquièrent des conditions à remplir: „Yhwh, qui logera sous ta tente, habitera sur ta sainte montagne?"

De l'intérieur, les officiants répondent: „Celui qui marche en parfait, celui qui agit en juste et dit la vérité en son coeur ..." Ps 1 5 , 1 - 2 .

On présentait à ceux qui entraient un choix des commandements de Yhwh; on exigeait de ceux qui venaient rendre un culte une sorte de déclaration de loyauté envers la loi de Yhwh. Les paroles de Jérémie se conformeraient à ce modèle d'„Entry Torah" 1 7 . Nous estimons que l'indice donné en Jr 7,2 est bien faible. Les partisans d'une allusion à une liturgie du portique en Jr 7 sont en général ceux qui, à la suite de Mowinckel 18 , situent le Sitz im Leben du Décalogue dans le rituel d'entrée au temple, le rapprochement entre le Décalogue et le Discours du temple étant fait par Jr 7,9. Il est précisé que les Judéens viennent se prosterner devant Yhwh (mrr1? ninnen1?). Le verbe nnts est employé pour le vassal qui s'incline devant son suzerain, mais le plus souvent dans l'A.T., et c'est le cas dans le livre de Jérémie, le contexte est cultuel. On se prosterne devant Yhwh (Jr 7,2; 26,2) ou devant les autres dieux (Jr 1,16; 8,2; 13,10; 16,11; 22,9; 25,6). Le terme garde cependant la connotation de son origine: la reconnaissance de la totale suzeraineté de Yhwh et de la dépendance de l'homme à son égard 19 . Dans le Deutéronome, l'objet est en général „les autres dieux" et le verbe „se prosterner" est le plus souvent couplé avec „servir" (Jr 4,19; 5,9; 8,19; 11,16; 17,3; 29,25; 30,17. Une seule fois, il est question de se prosterner devant „Yhwh ton Dieu" (Dt 26,10). H. GRAF REVENTLOW, „Gattung und Überlieferung in der .Tempelrede Jeremias'", ZAW 8 1 , 1 9 6 9 , p. 3 3 5 . H.J. KRAUS, Gottesdienst in Israel. Grundriß einer Geschichte des alttestamentlichen Gottesdienstes, Munich, 1962. 17

MCKANE, p . 1 5 9 .

18

S. MOWINCKEL, Le Décalogue,

19

c f THOMPSON, p. 2 7 5 .

H . J . KRAUS, Psalms

1-59,

p. 2 2 6 .

Paris, 1927.

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Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

Ces deux versets présentent donc une ouverture et un vocabulaire que l'on retrouve plusieurs fois dans le livre de Jérémie. Ils forment une introduction classique au discours du prophète. Comme, par ailleurs, ils ne se trouvent pas ainsi développés dans la Vorlage hébraïque de la L X X , nous pouvons, avec Thiel 20 , les attribuer au rédacteur deutéronomiste du livre de Jérémie. 7,3-7 Le v. 3 s'ouvre par la „formule du messager21": ,,mrp "ION HD". Kôhler relève dans l'A.T. 435 occurrences des formules de messager: „Ainsi parle Yhwh" et dans le seul livre de Jérémie 157 occurrences. La formule mrp "ION HD n'est pas une invention de la prophétie classique. On la rencontre chez les prophètes antérieurs: Natan (2 S 7,5.8), Elisée (2 R 3,16), Hulda (2 R 23,13). Elle n'est d'ailleurs pas d'origine prophétique. On trouve cette formule dans des textes de l'Ancien Orient, au commencement de lettres assyriennes et babyloniennes, sur des inscriptions royales en Mésopotamie, dans les Documents de Mari. Dans la vie ordinaire, la formule du messager était utilisée par les messagers chargés par leur maître de transmettre des nouvelles: un expéditeur „A" envoie au destinataire „B" un message ,,C". Dans l'A.T., „"ION HD" caractérise d'abord un message quelconque, puis la formule est plus précisément affectée aux ordres du roi avant de devenir au Ville siècle une expression technique de la fonction prophétique. Par ces mots „Ainsi parle Yhwh", les prophètes se présentent comme des messagers revêtus de l'autorité de Yhwh, apportant une proclamation divine au peuple ou à ses chefs. La certitude d'être envoyé par Dieu est un élément essentiel de la conscience prophétique. En Jr 28, Jérémie et Hananya disent tous les deux: „Ainsi parle Yhwh" (Jr 28,2.11.13.14.16) et l'objection faite par Jérémie à Hananya tient en cette phrase: „Yhwh ne t'a pas envoyé" (Jr 28,15). La rédaction de Jr 7,3 présente donc Jérémie comme messager de Yhwh. Le verbe ata"1 se rencontre dans le livre de Jérémie 4 fois au qal (au 20 21

W. THIEL, Die deuteronomistische ..., pp. 107-108. Sur la „ B o t e n f o r m e l o n peut consulter: L. KÖHLER, „Der Botenspruch", Kleine Lichter. Fünfzig Bibelstellen Zürich, 1 9 4 5 , pp.

erklärt,

11-17.

C. WESTERMANN, Grundformen

prophetischer

Rede, Stuttgart, 1960, pp. 64-69.

R . RENDTORFF, „ B o t e n f o r m e l u n d B o t e n s p r u c h " , ZAW L . RAMLOT, a r t . „ P r o p h e t i s m e " , DBS

VII, 1 9 7 0 , col.

7 4 , 1 9 6 3 , pp. 949-955.

165-177.

Etude de Jr 7,1-8,3

75

sens de „être bon") et 13 fois au hifil („rendre bon") 22 . Les noms ~|~n et D ^ U U sont attestés respectivement 56 et 27 fois dans le livre de Jérémie (sur 706 et 41 emplois dans l'A.T.). Ces termes sont donc usuels dans le livre. Il est intéressant de constater que l'expression formée des trois mots DD^IJOl DD,_n U^tûM se retrouve 5 fois: Jr 7,3.5; 18,11; 26,13; 35,15. Thiel y voit une formule deutéronomiste 23 ce qui est discutable. En effet le binôme " ^ y o / f n ne se trouve jamais dans le Dt, une seule fois dans „l'histoire deutéronomiste" (Jg 2,19), tandis que cette association, en plus des références citées avec 3t3\ se trouve 5 autres fois dans le livre de Jérémie: 4,18; 23,22; 25,5; 26,3; 32,19. Quant au verbe SÛ"1 au hifil, il est employé 10 fois dans le Dt, une fois en Jos (24,20), 2 en Jg (17,13 et 19,22), 4 fois en 1 S (2,32; 16,17; 20,13; 25,31), 3 fois dans les Rois (1 R 1,47; 2 R 9,30; 11,18), mais jamais avec "["il ou "771713 comme complément. Au terme de ces observations sur le vocabulaire, il nous semble difficile d'attribuer l'expression au rédacteur deutéronomiste. Elle est authentiquement jérémienne 24 . Le terme DlpQ désigne-t-il le temple ou le pays? En lui-même, le mot signifie lieu, place au sens large 25 : poste militaire, place d'une chose, ville, terre, localité, place d'un sanctuaire, sanctuaire local, temple ... Mais, si pour éclairer, nous regardons les compléments des 12 emplois de p® au piel dans l'A.T., nous relevons seulement ^"INn (Nb 14,30) et Dipon (Dt 12,11; 14,23; 16,2.6.11; 26,2; Jr 7,3.7.12; Ne 1,9). Le verbe p® au piel avec DlpQ est donc utilisé dans un corpus littéraire restreint: essentiellement le Dt et le livre de Jérémie. Remarquons par ailleurs qu'en Jr 7,7, l'expression nrn Dlp03 est précisée par une apposition... }HtO qui ne laisse aucune ambiguïté: au v. 7, il s'agit de la possession de la terre. Lorsque le Deutéronome utilise OlpO pour désigner le sanctuaire, il écrit Dipo sans le démonstratif nrn (Dt 12,3.5.11.13.14.18.21.26; 14,23.25; 16,2.6.11.15.16; 17,8.10; 18,6; 26,2; 31,11) et le nom mpo est le plus souvent déterminé par l'expression „que Yhwh ton Dieu a choisi pour y faire demeurer son nom". Lorsque DIpO désigne le pays, il est toujours accompagné du démonstratif nrn (Dt 1,31; 9,7; 11,5; 26,9; 29,6) 26 . 22

23

24 25 26

Sens donnés par BDB pp. 405-406. Occurences: qal: Jr 7,23; 38,20; 40,9; 42,6. hifil: Jr 1,12; 2,33; 4,22; 7,3.5; 10,5; 13,23; 18,10.11; 26,13; 32,40.41; 35,15. W. T H I E L , Die deuteronomistische ..., p. 108. C'est la conclusion de H. WEIPPERT, Die Prosareden ..., pp. 144-147. cf BDB pp. 879-880. Pour que le relevé soit complet, signalons qu'il y a encore deux emplois de OlpO dans le Dt (21,13 et 23,17) qui désignent une localité.

76

L e culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

Dans le livre de Jérémie, DlpO avec le démonstratif nrn (et le plus souvent avec 3) désigne le pays: Jr 14,13; 16,2.3.9; 19,3; 22,3.11; 24,5; 27,22; 32,37; 33,10.12; 40,2; 42,22; 44,29; 51,62. Une fois, Dipo désigne „Tophet", au ch. 19 (vv. 6.7.12.13), mais sans le 3. Au ch. 28 (vv. 3.4.6), le sens est polyvalent: on peut penser que les ustensiles reviendront dans le temple et les captifs sur leur terre. En Samuel et Rois, nrn mpon désigne le pays (1 S 12,8; 2 R 18,25; 22,16.17.19.20), le ciel comme lieu de l'habitation de Dieu (1 R 8,30.35), une maison (1 R 13,8), un territoire (1 R 13,16) 27 . Si la lecture de Jr 7,1-15 sous le titre „Discours du temple" peut, dans un premier temps, conduire à comprendre „le lieu" dont il est question comme le temple, l'étude de l'expression nrn Dlpon montre qu'il s'agit en fait, dès le v. 3, du pays promis par Dieu. La possession de la terre est conditionnée à une conversion, à une vie accordée aux volontés de Yhwh, thème que l'on retrouve dans le Dt (6,18; 7; 8,1; 11,8-9; 16,20; 19,8-9). Tout à fait dans la ligne de la théologie du Deutéronome, l'expression „je vous ferai demeurer en ce lieu" peut être attribuée au rédacteur deutéronomiste du livre de Jérémie. L'insistance sur la terre et la recherche d'une explication de sa perte sont des thèmes majeurs de la théologie deutéronomiste exilique. L'expression du v. 4: „ne vous fiez pas à des paroles de mensonge" relève d'un vocabulaire usuel dans le livre de Jérémie. Le verbe ntû3 se rencontre 15 fois dans le livre de Jérémie28. Ce verbe comporte 118 occurrences dans l'A.T.: 45 dans les Psaumes comme expression de la confiance en Dieu, 19 dans le livre d'Isaïe, 1 dans le Deutéronome et 9 dans les livres des Rois. L'association "lp®-ntû3 se retrouve en Jr 7,3.4; 9,3-4 (avec "•"!); 13,25; 28,15; 29,31. Quant au terme ~lp», nous avons vu dans l'introduction son importance dans le livre de Jérémie. Le v. 5 ouvre une alternative en reprenant l'impératif du v. 3. Améliorer ses voies et ses agissements, c'est „faire justice à chacun", mot à mot: „faire justice entre un homme et son prochain". Dans le livre de Jérémie, les occurrences de t33t2?0 sont au nombre de 32. L'emploi du verbe nt&y avec t33B>0 se rencontre 7 fois dont 5 dans

27

28

En 1 R 1 3 , on trouve deux fois ntn Dlpûn. Dans les deux versets, l'homme de Dieu reçoit une invitation à venir dans une maison: celle du roi en 1 3 , 8 , celle du vieux prophète en 1 3 , 1 5 (rP3). Après avoir décliné l'invitation, l'homme de Dieu dit qu'il ne mangera ni ne boira „en ce lieu" qui désigne d'après le contexte Béthel et le pays qui l'entoure. qal: Jr 5 , 1 7 ; 7 , 4 . 8 . 1 4 ; 9 , 3 ; 1 2 , 5 ; 1 3 , 2 5 ; 1 7 , 5 . 7 ; 3 9 , 1 8 ; 4 6 , 2 5 ; 4 9 , 4 . 1 1 ; hifil: 28,11; 29,31.

Etude de Jr 7 , 1 - 8 , 3

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le binôme taatPû - np"IS. Si l'on regarde le contexte de ces occurrences, on note que, dans le livre de Jérémie, l'expression est appliquée: - une fois à Yhwh: „... car je suis Yhwh qui exerce la bonté le droit et la justice sur la terre."(Jr 9,3) - quatre fois au roi, que ce soit un roi présent („11 pratiquait le droit et la justice" est-il dit de Josias en Jr 22,15) ou le „germe juste" annoncé „qui exercera dans le pays droit et justice" (Jr 23,4 et 33,15). - Deux autres emplois, ainsi que Jr 7,5, concernent tout habitant de Juda: „Parcourez les rues de Jérusalem (...), cherchez sur ses places si vous découvrez un homme, un qui pratique le droit, qui recherche la vérité" (Jr 5,1)

Il n'est pas dans notre propos d'étudier l'origine de l'expression que l'on retrouve abondamment dans l'Ancien Orient 29 . Notons simplement que le binôme biblique „droit-justice", comme ses correspondants babyloniens et phéniciens se réfère à la fonction royale. En une sorte de sommaire, l'action de David, figure du roi en Israël, est ainsi résumée en 2 S 8,15: „David régna sur tout Israël. David faisait droit et justice à tout son peuple". On retrouve cette définition du roi chez les prophètes (Is 9,6; 11,4; 16,15; Mi 3,1), mais on constate aussi que le mouvement prophétique a transféré sur d'autres fidèles cet attribut royal. Ce n'est plus seulement au roi mais à tout le peuple d'observer le droit (Jr 4,2; 5,1). La séquence „étranger, orphelin, veuve" est ancienne et bien attestée dans l'A.T. On trouve ces trois termes en Ex 22,20-21 et dans le Deutéronome, surtout dans des textes législatifs: Dt 10,18; 14,29; 16,11.14; 2 4 , 1 9 . 2 0 . 2 1 ; 26,12.13 et en 27,19: „Maudit soit celui qui fait dévier le droit de l'étranger, de l'orphelin et de la veuve." Dans le livre d'Isaïe et les Psaumes, on trouve le binôme „orphelin-veuve". Notons que la séquence „étranger, orphelin, veuve" ne se rencontre jamais dans les livres de Josué, Juges, Samuel, Rois 30 . Le verbe p&tf ne se rencontre qu'une fois dans les textes législatifs du Deutéronome, en Dt 2 4 , 1 4 où il s'agit d'opprimer un salarié, et trois fois dans le livre de Jérémie: 7,6; 14,8 et 22,3. Le v. 6aa fait partie du noyau jérémien du texte. 29

30

On peut consulter à ce sujet: H. CAZELLES, „De l'idéologie royale", JANES, 1973, pp. 59-73. En dehors des livres de l'Exode et du Deutéronome, la séquence se trouve en Jr 7,6; 22,3; Ez 22,7; Za 7,10; Ma 3,5; Ps 94,6; 146,49.

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Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

L'expression „""pJ 01, sang innocent" se trouve 5 fois dans le Dt, 6 fois dans le livre de Jérémie et 12 autres fois dans l'A.T 3 1 . Avec le verbe ,,"|EJB, répandre", elle se rencontre en Dt 19,10; 2 R 2 1 , 1 6 ; 2 4 , 4 (où elle est jugement sur Manassé), J r 7 , 1 6 ; 2 2 , 3 . 1 7 ; Is 5 9 , 7 ; J 1 4 , 1 9 ; Ps 1 0 6 , 3 8 ; Pr 6 , 1 7 . Elle est donc plutôt récente, ce qui confirme l'option de critique textuelle de BHS et de la BJ qui voient en J r 7,6a p une reprise de J r 2 2 , 3 . Nous avons en outre déjà noté dans l'étude du v. 3 que „ce lieu" désignait la terre promise et relevait de la rédaction deutéronomiste. Toutes ces observations nous conduisent à attribuer J r 7,6a|3 au rédacteur deutéronomiste du livre de Jérémie. Ce rappel des exigences concrètes de la justice est un thème capital de la prédication prophétique. Parmi les textes les plus significatifs, on peut citer Am 5 , 7 . 1 0 - 1 5 . 2 4 ; 8,4-6; Os 2 , 1 9 ; Is 1,17; 11,4; Mi 2 , 1 - 3 ; 3,1-3; Ha 1,4. „Si vraiment vous faites justice ... vous n'opprimerez pas". Le prophète met son auditoire „au pied du mur" en détaillant ce que veut dire „faire justice" dans la réalité sociale de la fin du Vile siècle. L'expression „D"HnK DYI1?**, autres dieux" avec les verbes "[^"l, X2V ou nn® a 6 3 occurrences dans l'A.T. 3 2 , dont 18 dans le livre de Jérémie. La conclusion s'impose. H. Weippert, qui accorde peu à la rédaction deutéronomiste dans le discours du temple, reconnaît que l'expression „aller à la suite d'autres dieux" relève de la phraséologie deutéronomiste 33 . D. Noël, après une étude des formules critiques dans les livres de Rois, conclut que „l'interdiction de suivre les dieux étrangers est typiquement deutéronomiste." 3 4 Le v. 6 décrit un comportement concret. Il n'est pas demandé aux Israélites de pratiquer la justice en général, mais de faire des actes 31 32

33 34

Dt 19,10.13; 21,8.9; 27,25; Jr 2,34; 7,6; 19,4; 22,3.17; 26,15. Ex 20,3; 23,13. Dt 5,7; 6,14; 7,4; 8,19; 11,16.28; 13,3.7.14; 17,3; 18,20; 28,14.36.64; 29,35; 30,17; 31,18.20. Jos 23,16; 24,2.16. Jg 2,12.13.17 1 S 8,8; 26,19 1 R 9,6.9; 11,4.10; 14,9. 2 R 5,17; 17,7.35.37.38; 22,17 Jr 1,16; 7,6.9.18; 11,10; 13,10; 16,11.13; 22,9; 25,6; 32,29; 35,15; 44,3.5.8.15. Os 3,11 2 C 7,19.22; 28,25; 34,25. H . WEIPPERT, Die Prosaredett..., p. 215. D . N O Ë L , La critique du pouvoir dans les livres des Rois, Thèse dactylographiée, Institut Catholique de Paris, Paris, 1985, p. 42.

Etude de Jr 7 , 1 - 8 , 3

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précis qui en sont la manifestation. L'intérêt théologique est de voir que, pour la rédaction deutéronomiste qui a complété le texte ancien, „améliorer ses voies et ses agissements" se traduit aussi bien dans les expressions „pratiquer la justice" que „suivre le seul Yhwh". L'injustice et l'idolâtrie vont de pair. Le v. 7a, „et je vous ferai demeurer en ce lieu", reprend le v. 3b que nous avons attribué au rédacteur deutéronomiste. Le v. 7b, „dans le pays que j'ai donné à vos pères depuis toujours et pour toujours", est une apposition au terme DIpO qui relève de la même rédaction. Le don du pays par Yhwh aux Israélites est un thème privilégié du Deutéronome: il y est mentionné 55 fois. L'expression „le pays que j'ai donné à vos pères" est aussi fréquente dans la littérature deutéronomique et deutéronomiste. 35 7,8-11 A l'impératif du v. 4 succède la constatation du v. 8 qui se fait accusation: „Voici que vous vous fiez à des paroles de mensonge". La situation réelle est que les Israélites se fient au mensonge. Le terme ~lpt2> est cette fois-ci explicité par ^Uin Tl^a1?. Le verbe *?ir est employé 22 fois dans l'A.T. Ce qui est vain, ce sont surtout les idoles (1 S 12,21; Is 44,9.10; 4 7 , 1 2 ; Jr 2,8.11; 16,19; Ha 2,18) ou l'Egypte dans le livre d'Isaïe (30,5.6.6), c'est-à-dire ceux sur qui le peuple s'appuie au lieu de compter sur Yhwh. En Jr 7,8, la confiance mise dans le temple censé protéger Jérusalem et ses habitants est „mensonge". Le v. 9 est présenté par la plupart des commentateurs comme une allusion au Décalogue. En effet, il s'ouvre par la particule - n suivie d'une série d'infinitifs exprimant des prescriptions du Décalogue: „Quoi! Voler, tuer, commettre l'adultère, prêter de faux serments, encenser le Baal, aller à la suite d'autres dieux ...". Seulement, comme l'indique ce tableau, l'ordre des interdits n'est pas le même dans les deux versions du Décalogue et en Jr 7:

35

A titre d'exemples: Dt 1,8.35; 6,10.18.23; 7,13; 8,1; 9,5; 10,11; 11,9.21; 19,8; 2 6 , 3 ; 2 8 , 1 1 ; 30,20; 31,7; Jos 1,6; 5,6; 21,43; Jg 2,1; 1 R 8,40. cf TDOT, art. 3K, I, pp. 11-12. On peut consulter sur ce point: J.N.H. WIJNGAARDS, The Dramatization ofSalvific History in the Deuteronomic Schools, OTS XVI, Brill, Leiden, 1969, pp. 73-77, et T. R Ö M E R , „Israël et son histoire d'après l'historiographie deutéronomiste", ETR 61, 1986, pp. 1-19 et Israels Vater. Untersuchungen zur Väterthematik im Deuteronomium und der deuteronomistischen Tradition, OBO 99, Fribourg - Göttingen, 1990.

80

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

•os-'py o n n « crn 1 ?« i 1 ? rrrp i ù T u n'auras pas d'autres dieux devant moi i p » iv - p - o njyn-N1? T u ne témoigneras pas faussement contre ton prochain «|Rjn T u ne commettras pas d'adultère n a i n K1? T u ne commettras pas de meurtre 333n K1? T u ne commettras pas de rapt

Ex 20 v. 3

Dt S v. 7

Jr 7 v. 9

v. 16

v. 2 0

v. 9

v. 1 4

v. 18

v. 9

v. 13

v. 1 9

v. 9

v. 15

v. 1 9

v. 9

Trois de ces commandements se retrouvent également en Os 4 , 2 , dans l'acte d'accusation de Y h w h envers son peuple: „assassinat, vol, adultère". Les différences 36 entre ces trois passages indiquent que les listes de commandements n'ont pas été codifiées au point que l'ordre en ait été immuable avant les prophètes. Les auteurs qui indiquent que J r 7 , 9 est une „citation" du Décalogue 3 7 semblent avoir dans l'esprit que le prophète disposait des textes d ' E x 2 0 et de Dt 5 tels qu'ils sont dans l'A.T. Or certains pensent maintenant que le Décalogue, sous sa forme actuelle, ne peut être antérieur à l'exil, c a r il intègre précisément des éléments de la prédication prophétique. Ainsi Hossfeld 38 estime que Dt 5, plus ancien que E x 2 0 , a pris forme en plusieurs étapes sous l'influence de législations anciennes et 36

37

38

A. LEMAIRE, „Le Décalogue: essai d'histoire de la rédaction", Mélanges Cazelles, AOAT 212, Neukirchen-Vluyn, 1981, pp. 259-295, retrace l'histoire de la critique textuelle. Les manuscrits révèlent trois ordres dans les commandements a) adultère - vol - meurtre: Ex 20,13 B et quelques minuscules b) adultère - meurtre - vol: Dt 5,17 B et quelques minuscules quelques minuscules d'Ex 20,13 c) meurtre - adultère - vol: ordre majoritaire. L'hypothèse de Lemaire est la suivante: - l'ordre primitif serait a) jusqu'à la rédaction JE représentée par Ex 20,13 B - le rédacteur dt sous Josias aurait placé le meurtre avant le vol et cet ordre aurait „contaminé" Ex 20,13 dans quelques minuscules. - une révision ancienne du texte hébreu aurait placé l'interdit du meurtre en premier, d'où l'ordre c). Quelle que soit la valeur de cette hypothèse, nous en retiendrons qu'à l'époque de Jérémie l'ordre des comandements n'était pas figé. H Y A T T , BRICHT, OVERHOLT et THOMPSON écrivent que Jérémie cite les commandements 1, 2, 6, 7, 8 et 9. F.L. HOSSFELD, Der Dekalog, Fribourg-Göttingen, 1982.

Etude de J r 7 , 1 - 8 , 3

81

d'oracles prophétiques. Les textes prophétiques, considérés comme des échos du Décalogue, en seraient en fait des sources. Quoi qu'il en soit de la forme définitive des „dix paroles", les interdits sont anciens: ils se retrouvent dans des listes égyptiennes et babyloniennes 39 . Les trois verbes „voler, tuer, commettre l'adultère" ne se trouvent ensemble que dans Ex 20, Dt 5, Os 4 et Jr 7. Nous ne voyons pas de raison pour ne pas les attribuer à Jérémie lors de son discours au temple. La défense de „prêter de faux serments" (littéralement: „jurer pour le mensonge") se rapproche de l'interdit de Ex 20,6: „Tu ne témoigneras pas faussement" (1pt5). McKane 4 0 remarque que cette expression se retrouve en Ps 24,4, ce qui le conforte dans son hypothèse: le contexte du discours du temple serait une liturgie d'entrée au temple. La dernière faute dénoncée est l'encensement de Baal. Le verbe "itap au piel est employé 42 fois dans l'A.T., dont 19 dans le seul livre de Jérémie. On brûle de l'encens à d'autres dieux (Jr 1,16; 19,4; 44,3.5. 8.15), à des idoles taillées (Os 11,2), au néant (Jr 18,15), aux dieux (Jr 11,12), à Baal (Jr 7,9; 11,13.17; 32,29), à l'armée du ciel (Jr 19,13), à la reine du ciel (Jr 44,17.19). Le verbe est donc utilisé en contexte idolâtrique et exprime un rite liturgique illustrant le fait „d'aller à la suite d'autres dieux que vous n'avez pas connus". Le verbe est particulièrement utilisé dans les livres des Rois pour dénoncer le comportement religieux des souverains de Juda et d'Israël (12 occurrences) et dans le livre de Jérémie (17 occurrences) 41 . La détermination „que vous n'avez pas connus" se trouve en Dt 11,28; 13,3.7; 28,64; 2 9 , 2 5 et en Jr 19,4; 44,3. Ces expressions typiques du vocabulaire de l'idolâtrie dans les textes deutéronomistes peuvent être attribuées, comme le v. 6b, au rédacteur deutéronomiste du livre de Jérémie. 39

H. CAZELLES cite les incantations babyloniennes Shurpu, la stèle de Piankhi et le livre des Morts au ch. 125. Mais il importe de noter une différence importante avec le Décalogue. Le contexte n'est pas le même: il s'agit dans le livre des Morts de déclarations d'innocence à la 1ère personne du singulier, cf A la recherche de Moïse, Paris, 1979, pp. 77-99 et „Les origines du Décalogue", Eretz Israel 9, Jerusalem, 1969, pp. 14-19 repris dans Autour de l'Exode, Paris, 1987, pp. 113123.

40

MCKANE, p.

41

"Itap au piel: 1 S 2,16; 1 R 22,44; 2 R 12,4; 14,4; 15,4.35; 16,4; 17,11; 18,4; 2 2 , 1 7 ; 23,5.5.8; Is 65,3; 65,7; Jr 1,16; 7,9; 11,12.13.17; 18,5; 19,4.13; 32,29; 4 4 , 3 . 5 . 8 . 1 5 . 1 7 . 1 9 . 2 1 . 2 3 ; Os 4,13; 11,2; Am 4,5; Ha 1,16; 2 C 25,14; 2 8 , 4 . 2 5 ; 34,25.

162.

82

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

Le verbe "TOI? que nous trouvons au v.10 suivi de mrp "OD1? est employé pour décrire l'attitude de familiers de Yhwh (Elie en 1 R 17,1), particulièrement quand ils intercèdent: Abraham (Gn 18,22), Moïse (Ps 106,23), Jérémie (Jr 18,20), ou encore l'attitude de ceux qui exercent des fonctions liturgiques: Salomon (1 R 3,15), la tribu de Lévi (Dt 10,8; 18,7; Za 3,1.3.4). Il définit également l'attitude du peuple dans sa participation liturgique (Dt 4,10; Jr 7,10; 35,19; 2 C 20,13). Reventlow 42 voit à nouveau dans ce verset une allusion au rituel d'entrée au sanctuaire. Il considère les instructions du discours comme une „torah" proclamée par le prophète à l'entrée du sanctuaire. Le prophète, qui utiliserait une forme littéraire „mixte" associant caractéristiques prophétique et sacerdotale, aurait alors une fonction d'abord cultuelle. Nous ne sommes pas convaincue par cette hypothèse. Si le culte et les sacrifices qui plaisent à Yhwh sont bien liés dans la prédication prophétique à la pratique de la justice, rien n'est dit de très précis sur un déroulement liturgique en Jr 7,10 et les autres textes qui sont allégués: Is 1,11-17; 26,2; Mi 6,6-8, Ps 24 et 50. Par ailleurs, le sens du texte du livre de Jérémie n'est pas de clarifier les demandes de ceux qui viennent au temple, mais de dénoncer un comportement déjà connu, une confiance magique dans le sanctuaire. L'expression „cette maison sur laquelle a été proclamé mon nom" se rencontre quatre fois dans le ch. 7 du livre de Jérémie: vv. 2 0 . 2 2 . 2 4 . 3 0 , ainsi qu'en Jr 32,34 et 34,15 4 3 . La référence au nom est un trait caractéristique de la théologie deutéronomique 44 , mais les formules présentent quelques variantes. En 1 R 3,2; 5,17.19; 8,17.18. 19.20.44.48, il s'agit du projet que conçoit David et que réalise Salomon de „bâtir une maison pour le nom du Seigneur". On peut y voir une réaction contre une image trop anthropomorphique de Dieu. En 1 R 9,3.7, la maison est consacrée (Bip) par Yhwh pour qu'il y mette (•"•B) son nom à jamais. Le verbe se trouve aussi en Dt 12,5.21; 14,24, 1 R 11,36; 14,21; 2 R 21,4.7; mais en Dt 12,11; 14,23; 16,2.6.11; 2 6 , 2 , c'est le verbe pt& qui est employé: le sanctuaire unique est „le lieu choisi par Yhwh ton Dieu pour y faire habiter son nom". Le verbe KHp employé en Jr 7 pour le temple est celui utilisé en 2 S 6,2 pour „l'arche de Dieu, qui porte (N"lp) le nom de Yhwh Sabaot."

42

43

44

„Gattung ...", p. 335. L'expression est aussi appliquée à la cité (Jr 25,29), au peuple (14,9) et au prophète (15,16). cf M . WEINFELD, Deuteronomy ..., pp. 193-194. Dt 12,5.11.21; 14,23.24; 16,2.6.11; 26,2; 1 R 3,2; 5,17.19; 8 , 1 7 . 1 8 . 1 9 . 2 0 . 4 4 . 4 8 ; 9,3.7; 11,36; 14,21; 2 R 21,4.7. H . G R A F REVENTLOW,

Etude de Jr 7 , 1 - 8 , 3

83

Les trois termes rP3 - K"lp - DE) se retrouvent en 1 R 8 , 4 3 (= 2 C 6 . 3 3 ) lorsque Salomon, dans sa prière, demande à Dieu d'agir „afin que tous les peuples de la terre reconnaissent ton nom (...) et qu'ils sachent que ce temple (fTO) que j'ai bâti porte 4 5 (N"lp) ton n o m . ( • » ) " . Nicholson 4 6 note à propos de cette expression: „The presence of this 'name theology' in this passage is further evidence that it owes its present form to a Deuteronomic editor", mais ne l'assimile-t-il pas trop vite aux autres formules deutéronomistes qui ont les verbes D"1® ou ptB? Cazelles 47 et Weippert attribuent l'expression „sur laquelle a été proclamé mon n o m " à Jérémie et nous les suivons en raison de la particularité de l'expression. Le verbe est habituellement suivi d'un complément 4 8 tandis qu'en J r 7 , 1 0 il est employé intransitivement. Le plus souvent, c'est Dieu qui délivre: Moïse et les fils d'Israël de la main des Egyptiens (Ex 1 8 , 4 - 1 0 ) , les Israélites de la main de tous leurs ennemis d'alentour (Jg 8 . 3 4 ) , le peuple de la main des Assyriens (Is 3 6 ; 2 R 18; 2 C 32). On trouve cependant quatre occurrences de "PÎH au nifal, au sens absolu: Gn 3 2 , 3 1 ; Mi 4 , 1 0 ; J r 7 , 1 0 ; Ps 3 3 , 1 6 . Le mot ¡"QUin recouvre toutes sortes d'abominations: les cultes idolâtriques (Jr 4 4 , 4 . 2 2 ) comme les pratiques rituelles réprouvées (les sacrifices d'enfants en J r 3 2 , 3 5 ) et des attitudes contraires à la justice vis-à-vis du prochain (Jr 6 , 1 5 ; 8,12). Ici, il évoque à la fois l'injustice et l'oppression (vv. 6a et 9a) et, dans la relecture deutéronomiste, l'idolâtrie. Si, au v. 10, les auditeurs du prophète s'écrient „nous sommes sauvés", c'est qu'à leurs yeux le temple est un asile aussi sûr qu'une caverne où se cachent des brigands (v. 11) qui ont commis un vol par effraction et qui, d'après E x 2 2 , 1 - 2 , pourraient être tués sur le champ. M a i s Yhwh n'accepte pas que son temple soit un lieu d'asile incondionnel. J r 1 1 , 1 5 exprime la même distorsion entre la sécurité dans laquelle se croient les Israélites et leur conduite: „Que vient faire en ma Maison ma bien-aimée? Elle a accompli ses mauvais desseins. 45

La traduction de la TOB „sachent que ton nom est invoqué" respecte mieux ici le sens de K"lp.

46

NICHOLSON 1 , p .

47

H. C A Z E L L E S , „Jérémie. Conférence sur la religion des sémites occidentaux", AEPHE 86, 1978, p. 2 1 1 - 2 2 0 . H . W E I P P E R T , „Der Ort, den Jahwe erwählen wird, um dort seinen Namen wohnen zu lassen. Die Geschichte einer alttestamentlichen Formel", BZ 24, 1980, pp. 76-94. Jr 7 , 1 0 est étudié par H . A . BRONGERS, „Die Partikel 1 K 0 1 ? in der biblischhebräischen Sprache", OTS XVIII, 1973, pp. 84-95.

48

77.

84

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion Est-ce que les voeux et la viande sacrée te débarrasseront de ton mal, pour que tu puisses exulter?" Jr 1 1 , 1 5

Le vocabulaire du v. llaa est original. Les mots m y a et }HD sont des hapax dans le livre de Jérémie. Le v. H a ß est une reprise du v. 10 en fonction duquel il est à comprendre. En raison de l'attitude des Israélites, le temple, loin d'être une médiation salvifique, le lieu où est proclamé le nom de Yhwh, devient un repaire de brigands. Le temple a un rôle en fonction des motivations des gens qui s'y rassemblent. Le lien est à nouveau fait entre comportement concret et acte cultuel. Au lieu que ce soit le temple qui confère protection et salut au peuple, c'est le péché du peuple qui va mener le temple à sa destruction. Comme l'écrit Carroll: „v. 11 suggests that the temple acquires its status from the quality of worshippers who gather there. (...) The holy place does not save people, but how they live outside the temple gives the holy place its real quality." 49 L'appel à voir est habituel dans les oracles du livre de Jérémie, notamment en fin d'oracle: Jr 2,19.23.31; 3,2.13; 5,1. En J r 7,11, c'est Yhwh qui non seulement a vu le comportement des Israélites au temple, mais aussi, plus généralement, si l'on donne à l'accompli une valeur Stative50, qui voit en permanence la vie de ceux qui viennent rendre un culte au temple. Le v. 11, lié au v. 10, relève de la même rédaction jérémienne. 7,12-15 L'accusation portée aux w . 8-11 se conclut par un oracle de jugement. Le jugement est exprimé en toute logique. Si Yhwh a détruit le temple de Silo où il avait fait demeurer son nom, alors il peut en faire autant de celui de Jérusalem où a été proclamé son nom. Littérairement, il est à noter que Jr 7,12 attribue à Silo le qualificatif que le Deutéronome donne au temple de Jérusalem: le lieu où „j'avais fait demeurer mon nom." H. Weippert51 fait remarquer que ce verset peut difficilement être attribué à un théologien deutéronomiste qui prône l'unité de sanctuaire! Il vaut mieux y voir un emploi ironique de Jérémie lui-même qui transpose sur le sanctuaire de Silo le qualificatif donné au temple de Jérusalem. Si le peuple ne change pas, Jérusalem

49

CARROLL, p p . 2 0 9 - 2 1 0

50

c f JOOON 1 1 2 a .

51

H . WEIPPERT, Die

Prosaredert...,

pp. 4 0 - 4 3 .

Etude de Jr 7 , 1 - 8 , 3

85

ne sera pas plus préservée par les Babyloniens que ne l'a été Silo par les Philistins. L'expression „•"WOn-^D-nK DDmtöU, vous faites toutes ces actions" (v. 13) est unique dans le livre de Jérémie, assez rare dans le reste de PA.T. Elle désigne plutôt des „agissements réprouvés" (Gn 20,9), notamment dans le culte des dieux étrangers (Ex 23,24; Lv 18,3). •DEM, infinitif absolu hifil à sens adverbial de „D3Ü, se lever tôt, faire quelque chose à temps", se trouve 11 fois dans le livre de Jérémie 52 . Les 54 autres emplois de D3B dans PA.T., très souvent suivi de l p 3 3 , indiquent que telle ou telle personne „se leva de bon matin". Dans les 11 occurrences du livre de Jérémie, il s'agit de paroles: Dieu parle, avertit, instruit ou envoie ses serviteurs les prophètes pour parler. Autre constante: ces paroles de Dieu et des prophètes envoyés par lui ne sont pas écoutées. Dans les 11 occurrences, le verbe IJötö à la forme négative conclut la prise de parole; ainsi en Jr 7,13: „(puisque) je vous ai parlé sans me lasser et que vous n'avez pas écouté." On peut hésiter sur la traduction de D3ETI: „quand il faut, à temps" ou „inlassablement". Dans le livre de Jérémie, la tournure stylistique est très caractéristique; elle comprend: un accompli-un pronom complément-D3BM-un infinitif absolu. Cet infinitif de la même racine que le verbe principal exprime la répétition ou la continuité de l'action 53 . Il faut donc comprendre que Dieu parle à la fois „à temps" et „sans se lasser". Pour Thiel, „Eindeutig gehört v 13 D an (...). Die Formel ist charakteristisch für D-Dtn 5 4 ." Weippert 55 insiste au contraire sur l'originalité de la formule. Les verbes déterminés par DDttn sont "131 (7,13; 25,3; 35,14), 1117 (11,7), 1Q1? (32,33) et n^V (7,25; 25,4; 25,6; 29,19; 35,15; 44,4). Cette tournure stylistique ne se trouve pas dans la littérature deutéronomiste. Elle serait caractéristique de la prose jérémienne. Il nous semble cependant difficile de suivre ici Weippert et de ne pas voir dans le v. 13b une glose rédactionnelle. En effet, quand on lit les contextes où se trouve cette expression, on voit que cette tournure surcharge le texte, l'alourdit, parfois même arrive mal à propos. En Jr 7,13-14, l'enchaînement se fait parfaitement du v. 13a au v. 14: „Et maintenant, puisque vous faites toutes ces actions - oracle

52

Jr

33

occurrence dans l'A.T.: 2 C 36,15. JOOON cite cette tournure de Jérémie. Grammaire de l'hébreu biblique, note 2.

7,13.25;

11,7;

25,3.4;

54

W . THIEL, Die deuteronomistische

55

H . WEIPPERT, Die

Prosareden

26,5;

...,

29,19;

32,33;

..., p. 1 1 3 . pp.

124-128.

35,14.15;

44,4.

Seule

autre

123 r,

86

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

de Yhwh - (...), je vais faire à la maison sur laquelle a été proclamé mon nom (...) ce que j'ai fait à Silo." En Jr 26,4-6, le texte ancien semble être56: „Tu leur diras donc: Ainsi parle Yhwh: je traiterai ce temple comme Silo", et, dans l'état actuel du texte, l'insertion des vv. 4-5 fait que la cohérence dans l'emploi des personnes (2e ou 3e du pluriel) n'est pas parfaite. Dans le ch. 35, les vv. 14b et 15 alourdissent considérablement le texte et généralisent („et moi qui vous ai parlé sans me lasser et avec insistance, vous ne m'avez pas écouté ...") à partir de la parole précise de Yonadab, fils de Rékab, interdisant à ses fils de boire du vin. Nous considérons donc ces versets du livre de Jérémie, où Dieu parle „à temps" et „sans se lasser" comme l'oeuvre d'un rédacteur dont la préoccupation est de souligner fortement la faute de Juda. Alors que Dieu a parlé directement ou par l'intermédiaire de ses serviteurs les prophètes, le peuple n'a pas écouté: il a „durci l'oreille". Comme dans l'ensemble de la séquence 7,1-8,3, le rapport entre la parole et l'écoute est central dans ces versets. On retrouve dans le v. 13 un refrain: la parole divine adressée au peuple est continuellement rejetée par lui, ainsi qu'une représentation de l'histoire où la série de prophètes envoyés par Dieu est également rejetée par le peuple. Ces thèmes deutéronomistes sont des tentatives d'explication à la chute de Jérusalem. Mais le rédacteur du v. 13 ne se soucie ni de la terre donnée aux pères ni de Baal, mais de la parole à recevoir et à écouter. Nous ne l'identifions donc pas au rédacteur deutéronomiste des vv. 3b. 6b. 7a. 9b., mais pensons que nous avons là affaire à une deuxième rédaction deutéronomiste du livre de Jérémie. Il est plus difficile de dater cette dernière rédaction. Remarquons cependant que la même thématique se retrouve dans le 2e Isaïe: „Pourquoi suis-je venu sans qu'il y ait personne? Pourquoi ai-je appelé sans que nul ne réponde?" Is 50,2

et surtout dans le 3e Isaïe (Is 65,12.24; 66,4): „carparlé j'ai appelé vous n'avez pas répondu, j'ai et vousetn'avez pas écouté." Is 65,12.

2 C réutilise la tournure en parlant des prêtres et du peuple dont le comportement fut une „abomination": „Yhwh, le Dieu de leurs pères, leur envoya sans se lasser des messagers, car il voulait épargner son peuple et sa Demeure." 2 C 36,15. 56

cf F . L . H O S S F E L D , pp. 30-50.

I. M E Y E R ,

„Der Prophet vor dem Tribunal", ZAW 86,

1974,

Etude de Jr 7,1-8,3

87

Par ailleurs, dans des textes comme Jr 26,5, il apparaît que les prophètes sont considérés comme un „tout", un ensemble, une chaîne ininterrompue d'envoyés que Dieu a donnés à son peuple au cours de l'histoire. Toutes ces observations vont dans le sens d'une datation tardive, postexilique, peut-être contemporaine du Trito-Isaïe (vers 500-450). Le v. 14 indique le châtiment qui attend Juda: la destruction du temple, qualifié de la même façon qu'aux vv. 10 et 11: lieu „sur lequel a été proclamé mon nom". A la menace sur le temple, le rédacteur deutéronomiste a ajouté la perte de la terre: „le lieu que j'ai donné à vous et à vos pères." Cette addition du v. 14b est développée au v. 15. De même que Ephraïm-Samarie était tombée sous les coups assyriens, le royaume de Juda cédera devant Babylone. Cette mention de l'exil est reconnue comme rédactionnelle par Volz, Giesebrecht, Rudolph, Thiel et McKane notamment. La construction hifil + "|0 est attestée dans trois notices qui commentent l'exil: 2 R 13,23; 17,20 et 24,20 à propos du règne de Sédécias: „Cela arriva à Jérusalem et à Juda à cause de la colère de Yhwh, tant qu'enfin il les rejeta de devant sa face." Et 2 C 7,20, reprenant une formule deutéronomiste, menace le temple de ce qui menace le peuple en Jr 7,15: „ce temple que j'ai consacré à mon nom, je le rejetterai de ma présence." L'illusion apparaît clairement. Le peuple crie „C'est le temple de Yhwh (...), nous sommes sauvés". Le prophète répond en annonçant l'exil et la déportation. 4. Forme littéraire La forme littéraire de Jr 7,1-15, le discours avec alternative, se retrouve ailleurs dans le livre de Jérémie, notamment en 17,19-27 et 22,1-5. La structure de ces passages, mise en évidence dans le tableau p. 88, peut ainsi se dégager: A B C D E F G

Formule d'introduction. Ordre au prophète: 1) d'aller dans un lieu 2) de parler Ordre d'écouter la parole de Yhwh. Formule du messager. Impératifs qui sous forme positive puis négative expriment les commandements à observer. 1ère alternative: l'obéissance aux commandements en ce cas, c'est une parole de salut.

8 8

L e culte et ses déviations: de la m é d i a t i o n salvifique à

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Etude de J r 7 , 1 - 8 , 3

93

6. Critique historique

L'étranger Au v. 6, il est dit que la justice doit s'appliquer d'abord à l'égard des faibles, de ceux qui n'ont d'autre défenseur que le roi lui-même. Le terme traduit par „étranger 63 ", désigne l'étranger résidant, quelqu'un qui vient d'un autre territoire pour séjourner d'une manière plus ou moins stable au milieu d'une communauté où il est accepté et jouit de certains droits. Abraham à Hébron (Gn 23,4), Moïse à Madiân (Ex 2,22), l'ensemble des fils d'Israël en Egypte sont des étrangers: O'HS. Le Code de l'Alliance (Ex 20,22-23,33) défend aux Israélites d'exploiter ou d'opprimer l'étranger, motivant cette mise en demeure par le rappel qu'eux aussi ont connu cette situation d'émigrés en Egypte (Ex 22,20; 23,9). Le Deutéronome prescrit de juger avec le même critère de justice une affaire opposant un Israélite à un que celle l'opposant à un frère, c'est-à-dire à un autre Israélite (Dt 1,16). La loi protège le 13: puisqu'il séjourne dans le pays, il relève de la responsabilité d'Israël. La plupart des textes bibliques qui parlent des D'Ha ont été rédigés peu avant l'exil. Ces étrangers sont liés aux „faibles" que sont les orphelins et les veuves. Dans une société patriarcale comme celle du Proche Orient ancien, où les décisions concernant la vie publique et l'exercice de la justice étaient prises par le cercle des chefs de famille et des notables, la veuve, parce que femme, ne pouvait exercer directement une influence et faire valoir ses droits ainsi que ceux de ses enfants.

Le sanctuaire de Silo

Silo, au Nord de Béthel, est le site d'un ancien sanctuaire desservi par la famille d'Eli, où Samuel passa son enfance et où demeurait l'Arche d'Alliance. De grands rassemblements du peuple s'y tenaient: Jos 18,1.810; 19,51; 21,2; 22,9.12; Jg 18,31; 21,19-22. L'importance du sanctuaire apparaît surtout en 1 S 1-4. Le jugement que Dieu prononce sur la maison d'Eli (1 S 3,11-14), motivé par l'attitude de ses fils (1 S 2,1217), est rapporté en 1 S 4: l'Arche qui était au sanctuaire de Silo est capturée par les Philistins lors de la bataille d'Afek. Ensuite, il n'est plus fait mention de Silo dans l'histoire. Il est probable que le sanctuaire fut détruit au Xle siècle par les Philistins 64 . Cette date de la destruction de Silo a été remise en question par Pearce 65 à la suite de fouilles archéologiques danoises publiées en 1969 "

R . DE VAUX, IAT

I, p p . 6 7 - 6 9 et

64

R . DE VAUX, IAT

II, p p .

116-118.

"

R . A . PEARCE, „Shiloh and J e r V I I , 1 2 , 1 4 and 1 5 " , V T 2 3 , 1 9 7 3 , pp. 1 0 5 - 1 0 8 . L a

135-136.

94

L e culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

qui attestent une destruction de la ville de Silo au Ville siècle 66 . En un premier temps, en 1929, l'équipe danoise avait proposé comme date pour la destruction de Silo: 1150 av. J.C., puis avait révisé son opinion en 1963. Estimant qu'il n'y avait aucune certitude pour une destruction au Xle siècle et beaucoup d'indices en faveur d'une occupation jusqu'au Vile siècle. Aucune trace de temple n'a été retrouvée: le sommet du tell, où il pourrait avoir été situé, a été érodé puis articiciellement surélevé durant la période romaine. Il faudrait alors distinguer deux événements: la perte de l'Arche en 1050 et la destruction de Silo vers 732-722. En ce cas, Jérémie attirerait l'attention sur un sanctuaire détruit par les Assyriens lors de leurs campagnes contre le royaume du Nord, et non par les Philistins. L'impact et la menace n'en seraient que plus forts. Malgré ces rapports de fouilles, J. Day 67 maintient la date traditionnelle du Xle siècle, avec les arguments suivants. 1 S 7,2 précise que l'Arche n'est pas revenue à Silo mais à Qiryath-Yéarim. Si Jéroboam installe temples, prêtres et liturgie à Dan et Béthel (1 R 12,26-33) plutôt qu'à Silo, c'est que ce sanctuaire n'était pas utilisable. Par ailleurs, il est dit en 1 S 21,1 et 22,9 que les descendants d'Eli résident à Nob et non à Silo. Jérémie (1,1) est issu d'une famille sacerdotale d'Anatot, lieu où Salomon (1 R 2,26) exila le prêtre Ebyatar, descendant d'Eli. Il est possible que les prêtres d'Anatot aient préservé des traditions venant de Silo. On comprendrait alors que Jérémie ait pris l'exemple de Silo. Le livre de Jérémie est d'ailleurs le seul livre prophétique à mentionner Silo, ainsi que Samuel (Jr 15,1). La conception du temple Dans ce texte, le sanctuaire de Jérusalem est désigné par deux termes: mrp rro aux vv. 2, 10, 11, 14 et ' w n au v. 4 6 8 . Les langues sémitiques même position est défendue par D.G. SCHLEY, Shiloh. A Biblical City in Tradition and. History, J S O T Suppt 6 3 , Sheffield, 1 9 8 9 . A u x arguments archéologiques, Schley ajoute une remarque littéraire. Le psaume 7 8 , s'il parle du rejet d'Israël et de Silo, ne mentionne aucunement sa destruction: „Dieu entendit et s'emporta, il rejeta tout à fait Israël; il délaissa la demeure de Silo, 66

67

48

la tente où il demeurait chez les hommes." Ps 7 8 , 5 9 - 6 0 . M . L . BUHL, S. HOLM-NIELSEN: Shiloh. Danish Excavations at Tell Sailun, Palestine, in 1926, 1929, 1932 and 1963, Copenhague, 1 9 6 9 . J . DAY, „The Destruction of the Shiloh Sanctuary and Jer 7 , 1 2 . 1 4 " , SVT 3 0 , 1 9 7 9 , pp. 8 7 - 9 4 . Dans le livre de Jérémie, on trouve également mrp [T3 en 2 3 , 1 1 et ^DTI en 2 4 , 1 ; 50,28; 51,11.

Etude de Jr 7 , 1 - 8 , 3

95

anciennes n'avaient pas de mot spécial pour désigner le temple 69 . En akkadien, on disait simplement la maison (bîtu) ou le palais (ekallu) du dieu. A Râs Shamra, les termes de maison (bt) et de palais (hkl emprunté à l'akkadien ekallu) alternent également pour signifier le temple. De même en hébreu, le temple est une maison (rP3) ou un palais ( ^ M ) . Les mêmes mots désignent donc la maison ou le palais du dieu, la maison ou le palais du roi, car le temple est construit pour être la demeure de la divinité. La plan du temple de Jérusalem est décrit au livre des Rois (1 R 6), mais cette description est difficile à interpréter. A la lumière des plans connus aujourd'hui des sanctuaires de Haçor (XV-XIVe siècles av. J.C.), de Tell Tainat en Syrie (IXe siècle) et des textes bibliques, on peut dire que le temple de Jérusalem comportait trois pièces de „sainteté croissante". Du dehors vers le dedans: le D^IK, vestibule largement ouvert où tous les regards pouvaient pénétrer, le ^DTI, grande salle de culte qui fut plus tard nommée „le saint", enfin le T 3 1 qu'on appela ensuite „le saint des saints", domaine réservé de Yhwh où reposait l'arche d'alliance. La désignation mrP rP3 n'apparaît jamais dans le Pentateuque, ni dans les livres de Josué et des Juges, rarement dans celui de Samuel (3 occurrences) et chez les prophètes préexiliques. Elle est fréquente en 1 R 6-7, chapitres de chez la description du temple, dans les livres de Jérémie, d'Ezéchiel et chez les prophètes plus tardifs. On peut penser qu'elle fut utilisée „pars pro toto" à partir de 650. La triple répétition mrP mrP "7DM, mrP est généralement regardée comme la citation d'une formule à l'instar de Is 6,3: „saint, saint, saint", Jr 22,29: „terre, terre, terre" ou Ez 21,32: „ruine, ruine, ruine". McKane 7 0 relève des mots trois fois répétés dans une collection babylonienne d'incantations et en particulier un triple „terre": „irsitum, irsitum, irsitum". Dans le texte de Jérémie, l'emphase de la triple répétition marque bien l'idée de protection magique que beaucoup de gens et sans doute de dirigeants attachaient à la seule présence du temple. Par l'invocation, on souhaite conjurer un malheur. A. Aguilera 71 réfute cette hypothèse pour affirmer que la proclamation „Temple de Yhwh, temple de Yhwh, temple de Yhwh" est une profession de foi en l'action salvatrice de Yhwh. Il met en avant des considérations sur le

69

ci R . DE VAUX, ¡AT

II, p p . 1 0 5 - 1 0 7 e t

147-173.

H . CAZELLES, „ L e t e m p l e d e S a l o m o n " , MdB 70

71

1 3 , 1 9 8 0 , pp.

16-17.

MCKANE, p. 160. Collection éditée par G. MEIER, Die assyrische Beschwörungssammlung Maqlû, Berlin, 1937. A. AGUILERA, „La formula .Templo de Yahvé, Templo de Yahvé, Templo de Yahvé' en Jr 7,4", Estudios bíblicos 47, 1989, pp. 3 1 9 - 3 4 2 , citation p. 342.

96

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

temple. Le terme "wn synthétise une grande partie de l'expérience religieuse d'Israël. Le temple est demeure divine72 et ^DTl est en relation avec '»a (Ps 18,7.18 = 2 S 22,7.18; Ps 79,19), ainsi qu'avec des synonymes de Lorsque le croyant va au temple se prosterner devant Yhwh, il est sauvé73: „Creer en el templo significaba, por tanto, creer en Dios que residia alli, que habia eligedo a Israël como pueblo suyo, habitando coti el y acogiendo en su morada a cuantos acudian a ella." Le temple est perçu comme une médiation salvifique: „Las palabras hekal Yhwh, hekal Yhwh, hekal Yhwh son una profesion de esta fede". Dieu qui a toujours sauvé son peuple de l'esclavage en Egypte, de l'hostilité des peuples voisins, des menaces de Sennachérib, continuera, en cette période de guerre, à intervenir: Jérusalem ne tombera pas. Seulement, cette confession de foi a été vidée de son contenu: le peuple, confiant dans le temple et la splendeur du culte, est tombé dans l'incohérence dénoncée par Isaïe: „ce peuple est près de moi en paroles et me glorifie de ses lèvres, mais son coeur est loin de moi." (Is 29,13). Cette confiance mise dans le temple est qualifiée par le prophète d'illusoire. Répéter „temple de Yhwh, temple de Yhwh, temple de Yhwh", c'est se fier à des paroles de mensonge ("IpETI """ai) si l'on n'améliore pas „ses voies et ses oeuvres"74. Pour mesurer la portée de cette déclaration, il faut se rappeler que le temple était lié à la promesse faite à David d'une dynastie „stable à jamais" (2 S 7) et au choix de Jérusalem comme demeure de Dieu (Ps 68,17; 78,68; 87,1-2; 132,1316). La liturgie d'Israël, dans les Psaumes, affirme et souligne la présence de Dieu dans son temple: que ce soit dans des cantiques de Sion (Ps 48; 76; 87), des psaumes de pèlerinage (Ps 84; 122; Is 2,3), des psaumes d'exilés (Ps 42; 61; 63; 137), de procession (Ps 24; 47). Bien plus, l'histoire récente de Juda n'a pu que renforcer cette conviction. En 701, alors que Sennachérib met le siège devant Jérusalem (2 R 18-19) et qu'Ezéchias est bloqué comme „un oiseau en cage" 75 , Jérusalem est „miraculeusement" délivrée selon 2 R 19,35-36 76 . Cet 72 73 74

75

76

cf 2 S 2 2 , 7 ; 1 R 8 , 2 7 ; Is 6,1; Mi 1,2; Mal 3,1; Ps 18,7. 1 R 8 , 1 0 - 9 , 9 ; Ps 5,8; 19,7; 2 9 , 9 ; 138,2. „Jeremiah does not contest the presence of God in his Temple sermon. He does not replace it with a sort of Name Theology ... What Jeremiah does is to impose a condition on the presence of God: the obedience of the people to God's will". T.D.N. METTINGER, The Dethronement of Sabaoth, Lund, 1 9 8 2 , p. 6 5 . 3e campagne de Sennachérib. Texte cité par J. BRIEND - M.J. SEUX, TPOA, n° 4 4 A. Ces textes ont été minutieusement étudiés par F . GONCALVES, L'expédition de Sennachérib en Palestine, Paris, 1 9 8 6 .

E t u d e de J r 7 , 1 - 8 , 3

97

échec des Assyriens n'a pu que renforcer la conviction d'une inviolabilité de la ville sainte: Yhwh protège Jérusalem. On mesure mieux alors l'audace qu'il a fallu au prophète pour s'attaquer à cette idée de la protection automatique de Juda par son Dieu, quel que soit le comportement de ses habitants. Par ses paroles, Jérémie se place dans un autre courant de la Bible: Yhwh, Dieu de l'Exode, n'est pas localisable dans un lieu précis. Le prophète Natan, par les réticences qu'il exprime face au dessein de David de construire un temple, en était un représentant.

III. Etude de Jr 7,16-8,3 1. 7,16-20

Traduction

littérale

16. Et toi, n'intercède pas pour ce peuple, n'élève pour eux ni cri ni prière, et n'insiste pas auprès de moi, car je ne t'écoute pas. 17. Ne vois-tu pas ce qu'ils font dans les villes de Juda et dans les rues de Jérusalem? 18. Les fils ramassent du bois, les pères allument le feu, les femmes pétrissent de la pâte pour faire des gâteaux à la reine du ciel (a) et répandre des libations à des dieux étrangers afin de m'offenser. 19. Est-ce moi qu'ils offensent - oracle de Yhwh - n'est-ce pas euxmêmes pour leur propre honte? 20. C'est pourquoi ainsi parle le Seigneur Yhwh: Voici que ma colère et ma fureur vont se déverser sur ce lieu, sur les hommes et les bêtes, sur les arbres de la campagne et sur les fruits du sol; elle brûlera et ne s'éteindra pas.

Note de Critique textuelle

v. 18 (a): BHS propose de lire n?'?!?'?, état construit de n3*?t3, au lieu de ro^Q1?. La vocalisation actuelle HD^a1? est celle de l'état construit de nDK?0: travail, ouvrage 77 . Selon M. Delcor 78 , cette vocalisation des Massorètes témoigne de „leur mauvaise humeur à l'égard d'une déesse

77 78

De nombreux manuscrits ont d'ailleurs la leçon rDR^O1?. M . DELCOR, „Le culte de la ,reine du ciel' selon Jer 7 , 1 8 ; 4 4 , 1 7 - 1 9 , 2 5 et ses survivances", Festschrift fur J.P.M. van der Ploeg, A O A T 2 1 1 , Kevelaer 1 9 8 2 , pp. 1 0 3 .

98

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

qu'ils ont sans doute en abomination (...) La ponctuation massorétique est donc tendancieuse". 79 La leçon de la L X X est en 7,18 „Tr| oTpaTict TOU oupavou" sous l'influence de 8,2 qui énumère „le soleil, la lune et toute l'armée du ciel". Tandis qu'en 51,18, la L X X , tout comme Aquila, Symmaque et Théodotion ont ,,-rri BacnAioari TOU oupavou".

Structure - Au v. 16, Yhwh s'adresse à Jérémie et lui interdit d'intercéder pour le peuple. L'interdiction a la forme d'une triple défense: „n'intercède pas ... n'élève pas ... n'insiste pas" (trois inaccomplis précédés de - les vv. 17-19 donnent le motif de cette interdiction. Yhwh la justifie par la conduite déplorable du peuple. Cette justification de l'interdiction devient alors accusation: les Judéens pratiquent ouvertement des cultes idolâtriques, notamment celui de la „reine du ciel". Cette unité prend la forme de deux interrogations, introduites par - H aux vv. 17 et 19. Au centre (v. 18), prend place une description du culte familial de la reine du ciel. - Le v. 2 0 qui s'ouvre par p 1 ? suivi de la formule du messager est l'annonce du châtiment divin qui frappera le pays. Ce bref oracle soulève deux questions principales: la signification de l'interdition d'intercéder faite à Jérémie et l'identification de la „reine du ciel".

L'interdiction d'intercéder (v. 16)

Au v. 16, la vigueur de l'interdiction s'exprime par trois défenses: „n'intercède pas ..., n'élève pas ..., n'insiste pas auprès de moi" „man ... N»n ... y?ann L'intercession 80 n'est pas dans l'Ancien Testament l'apanage exclusif des prophètes: rois et prêtres la pratiquent également, mais elle n'occupe pas chez eux une place majeure; tandis que chez les prophètes préexiliques, elle est une fonction importante de leur ministère 81 . 79

80

On trouve la même opinion chez RUDOLPH p. 52 („tendenzióse Punktierung statt RA^O"), HOLLADAY 1 p. 251 („A wish to avoid reference to Astarte in this text"). Le même procédé se trouve dans d'autres passages de l'A.T., par exemple en 1 R 11,7 où l'on lit „"I^O, Molek" au lieu de „"1*713, Melek", les Massorètes ayant utilisé les voyelles de nB3, la honte, pour ridiculiser le dieu. Sur le prophète intercesseur, on peut voir un état de la question dans: L . RAMLOT, „ P r o p h é t i s m e " , DBS

VIII, col.

1162-1166.

E. JACOB, „Prophètes et Intercesseurs", De la Torah au Messie. Mélanges Cazelles, Paris, 1 9 8 1 , pp. 2 0 5 - 2 1 7 . 81

La place de l'intercession chez les prophètes a été étudiée en dernier lieu par S.E. BALENTINE, „The Prophet as Intercessor: A Reassessment", JBL 103, 1984, pp.

E t u d e de J r 7 , 1 - 8 , 3

99

Le verbe principal qui exprime l'intercession est 'p'pa. Sur 7 9 occurrences 82 dans l'A.T., 16 ont le sens précis d'intercéder 83 . Le verbe est alors au hitpaël suivi de la préposition ~lî?3. Les intercesseurs sont Abraham (Gn 20,7), „un homme de Dieu" (1 R 13,6), le peuple (Jr 29,7; Ps 72,15), Moïse (Nb 21,7; Dt 9,20), Samuel (1 S 7,5; 12,19.23), Jérémie (Jr 7,16; 11,14; 14,11; 37,3; 42,2.4.20). Jérémie, plus qu'aucun autre prophète, a été perçu comme un intercesseur: 6 des 16 occurrences de ^ B ont Jérémie pour sujet. Sur les 4 occurrences où 1723 signifie „intercéder" 84 , 3 attribuent cette fonction à Jérémie. On trouve encore dans le livre de Jérémie des expressions comme „élever une prière, n*7Dn NB3„8S et „se tenir devant Yhwh, m r p "OB'? "ICI?,, 86 qui indiquent l'intercession. Les deux autres grands intercesseurs, toujours d'après le vocabulaire, sont Moïse et Samuel. Les Israélites ont-ils péché? Moïse, solidaire de son peuple, intercède pour eux auprès du Seigneur (Ex 32,30-32; Nb 11,2; 21,7; Dt 9,20). Ont-ils adoré les Baals et les Astartés? Samuel intercède à son tour (1 S 7,5). Son discours d'adieu qui, comme tous les testaments, insiste sur l'essentiel, se conclut sur ces mots: „Pour ma part, que je me garde de pécher devant Yhwh en cessant de prier pour vous (DD1U3 y^ann1?) et de vous enseigner le bon et droit chemin." (1 S 12,23). Jérémie est situé dans la lignée de ces deux intercesseurs, ainsi que l'indique le livre de Jérémie dans une réponse de Yhwh au prophète: „Même si Moïse et Samuel se tenaient devant moi, je n'aurais pas pitié de ce peuple-là." (Jr 15,1). A plusieurs reprises, le roi, les prêtres (Jr 21,2; 37,3), des officiers et tout le peuple (42,1-4) viennent demander à Jérémie de prier (verbes ETH et y?a). Il se tient pour eux devant Dieu (18,20).

82 83

84 85 86

1 6 1 - 1 7 3 . Pour lui, la fonction de „porte-parole" est inhérente au ministère prophétique tandis que l'intercession n'est qu'occasionnelle: „specific references to intercession per se are too infrequent to support the view that this was a routine activity for all or even most of the prophets" (p. 1 6 6 ) . Si effectivement l'intercession n'a pas un rôle fondamental chez tous les prophètes, l'étude du vocabulaire montre que Jérémie se singularise sur ce point. On peut maintenir que le rôle de „porte-parole" (parler au nom de Dieu aux hommes) est essentiel et la fonction d'intercesseur (parler au nom des hommes à Dieu) importante. Sur V?a, voir T H A T II, col. 4 2 7 - 4 3 2 . Gn 2 0 , 7 ; N b 2 1 , 7 ; Dt 9 , 2 0 ; 1 S 7 , 5 ; 1 2 , 1 9 . 2 3 ; 1 R 1 3 , 6 ; Jr 7 , 1 6 . ; 1 1 , 1 4 ; 1 4 , 1 1 ; 2 9 , 7 ; 3 7 , 3 ; 4 4 , 2 . 2 0 ; Ps 7 2 , 1 5 ; Jb 4 2 , 1 0 . J r 7 , 1 6 ; 1 5 , 1 1 ; 2 7 , 1 8 ; Is 5 3 , 1 2 . J r 7 , 1 6 et 1 1 , 1 4 . J r 1 5 , 1 et 1 8 , 2 0 .

100

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

Il est remarquable que toutes les traditions qui soulignent l'intercession des prophètes s'enracinent dans le Nord 8 7 . Les positions de Thiel 88 et de Carroll nous semblent ici vraisemblables: la présentation de Jérémie comme intercesseur relèverait de la rédaction deutéronomiste 89 . L'interdiction d'intercéder n'en est que plus surprenante. A trois reprises (Jr 7,16; 11,14 et 14,11), Jérémie reçoit de Dieu cette injonction qui témoigne du même coup du caractère habituel de l'intercession chez Jérémie. Cette interdiction est le plus souvent 90 interprétée comme le début de la réalisation du jugement de Yhwh sur son peuple. Le paradoxe demeure néanmoins: selon la tradition deutéronomiste, le prophète est un intercesseur puissant. Comment se fait-il alors que des prophètes comme Jérémie n'aient pu prévenir par leur prière la désintégration de la communauté des Israélites et du royaume de Juda? L'interdiction d'intercéder faite au prophète Jérémie serait la réponse des rédacteurs deutéronomistes 91 . L'explication donnée à l'inefficacité du prophète le disculpe de toute responsabilité: c'est Dieu lui-même qui a interdit l'intercession. Le péché du peuple est tel que rien ne peut plus arrêter le jugement de Dieu sur son peuple.

Le culte de la reine du ciel

Le v. 18 indique que le culte de la reine du ciel est familial et qu'il se concrétise dans la fabrication de gâteaux qui sont offerts à la reine du ciel, tandis que l'on offre surtout des libations aux autres dieux.

87

Ce point est souligné par S.E. BALENTINE: „It is indeed significant that all three personnalities - Moses, Samuel and Jeremiah - reflect a northern Israelite perspective (...). Thus a tradition begins to emerge among persons operating out of a northern provenance which suggests that intercession may have been considered a normal part of prophet's characteristic behavior." „The Prophet..." p. 170. La même position est développée par R. WILSON, Prophecy and Society

in Ancient Israel, Philadelphie, 1 9 8 0 , pp. 1 5 6 - 1 6 6 , 1 7 8 - 1 8 4 et 2 3 8 - 2 4 1 . 88 w THIEL, Die deuteronomistische Redaktion ..., pp. 1 1 9 - 1 2 0 .

89

90

91

R.P. CARROLL, From Chaos ..., „It is the deuteronomists who operate with a paradigm of the prophet as intercessor (cf 1 Sam 12,23), so it is they who have constructed the images of the prophet Jeremiah as the nation's intercessor." p. 115. La figure de Jérémie intercesseur demeurera dans la tradition. C'est sous cet aspect qu'il est évoqué dans 2 M 15,13-16 où, dans une vision, le grand-prêtre Onias présente Jérémie à Judas: „Celui-ci est l'ami de ses frères qui prie beaucoup pour le peuple et pour la ville sainte tout entière, Jérémie, le prophète de Dieu." THOMPSON p. 2 8 4 ; HOLLADAY 1 p . 2 5 6 .

Nous suivons ici MCKANE pp. 171-172.

Etude de Jr 7,1-8,3

101

Des renseignements complémentaires sont donnés en J r 4 4 , 1 7 - 1 9 . 2 5 . Au ch. 4 4 , le prophète Jérémie s'adresse, après le meurtre de Godolias en 5 8 6 , a u x Judéens installés en Egypte 9 2 et critique vigoureusement leurs pratiques cultuelles idolâtriques. Dans son discours ( 4 4 , 1 - 1 4 ) , Jérémie affirme que la cause des malheurs de Jérusalem est le culte des dieux étrangers encensés et suivis malgré la parole des prophètes (vv. 1-6), puis il essaye de persuader ses compatriotes de renoncer au culte des dieux étrangers en Egypte (vv. 7 - 1 4 ) . Les Judéens, hommes et femmes, refusent d'écouter Jérémie et affirment qu'ils continueront à offrir de l'encens et des libations à la reine du ciel (vv. 1 5 - 1 9 ) c o m m e leurs pères, parce qu'alors ils avaient du pain à satiété. Un double discours de Jérémie avec condamnation et menaces clôt la scène (vv. 20-30). En J r 7 , 1 7 , il est clair que le culte de la reine du ciel est familial. Chacun est occupé à quelque chose de précis: les enfants ramassent du bois, les pères allument le feu et les femmes pétrissent la pâte pour faire des g â t e a u x (en hébreu: trois noms suivis de trois participes). Le mot •"'313 ne se trouve qu'ici et en J r 4 4 , 1 9 . Dans les deux passages, la L X X s'est contentée de transcrire l'hébreu et écrit: xaucovas. Le terme O'OID est un emprunt à l'akkadien kamanu93, „gâteau sucré préparé avec des figues ou du miel" 9 4 . Il sert de nourriture à Gilgamesh 9 5 , D u m u z i - T a m m u z , Ishtar. Selon un passage des traités d'Assarhaddon, il était percé de trous et sans doute rond. O n lit en effet dans les textes de malédictions: „ T o u t comme le k a m a n u est percé de trous, puissent-ils (les dieux) transpercer votre chair, la chair de vos femmes . . . " 9 6 . J r 4 4 , 1 9 apporte une précision complémentaire: les femmes font

92

91

94

95 96

II faut joindre aux Juifs réfugiés de 586 ceux qui résidaient en Haute-Egypte („au pays de Patros" selon Jr 44,1). Des papyri araméens découverts à Eléphantine et datés du Ve siècle indiquent qu'une colonie juive y était effectivement établie. Jérémie s'adresse donc globalement à tous les Juifs d'Egypte. Ces papyri araméens ont été édités par A. COWLEY, Aramaic Papyri of the Fifth Century B.C., Oxford, 1 9 2 3 , et traduits en français par P. GRELOT, Documents araméens d'Egypte, Paris, 1972. Ainsi que l'indiquent BDB, HALAT, RUDOLPH et l'ensemble des commentateurs après eux. M. DELCOR, „Le culte de la ,reine du ciel' selon Jer 7,17; 44,17-19,25 et ses survivances", Festschrift van der Ploeg, AOAT 211, 1982, p. 105. Nous suivons cette étude dans ce paragraphe. tablette XI, 216. Cf ANET 95. cf D . J . WISEMAN, The Vassal-Treaties of Esarhaddon, Londres, 1 9 5 8 , pp. 7 3 - 7 4 . Texte cité par M. DELCOR, „Le culte de la reine du ciel...", p. 105.

102

L e culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

des gâteaux qui „représentent"97 la reine du ciel: rQïïfn1? D"013. Le sens le plus plausible de (hifil) est „façonner", ici par extension de sens „figurer". De nombreux exégètes98 comprennent que les gâteaux portaient l'empreinte de l'image de la déesse ou avaient la forme de la déesse. L'identification généralement admise99 est celle de la déesse Ishtar. Il est sûr que l'emprunt du mot akkadien kamanu est un „indice très fort en faveur d'un culte babylonien introduit en Juda et dans les colonies juives d'Egypte. En effet, un mot voyageur est hautement révélateur d'un voyage d'idées et de pratiques cultuelles." 100 Par ailleurs le titre de „reine du ciel,, était porté en Mésopotamie par la déesse Ishtar et des hymnes101 montrent le rôle astral joué par cette déesse. D'autres identifications ont été proposées: Anat102 ou la déesse-soleil Shapash 103 , ce qui est beaucoup moins vraisemblable. Mais le titre de „reine du ciel" n'est pas réservé à Ishtar, y compris dans les rituels akkadiens. Ce titre a pénétré la religion sémitique de l'Ouest et a été donné à Astarté. Le culte d'Astarté, divinité sidonienne, était sans doute entré à Jérusalem à la faveur des relations avec la Phénicie inaugurées par Salomon (1 R 11,5.33). Son culte était populaire sous Manassé (2 R 21 souligne l'importance des cultes à „l'armée du ciel"). Le récit de la réforme de Josias (2 R 23,13) mentionne des „hauts lieux" en l'honneur d'Astarté en face de Jérusalem.

97

Traduction BJ.

98

V O L Z , RUDOLPH, THOMPSON.

99

V O L Z , RUDOLPH, BRIGHT, THIEL.

100

M . DELCOR, „Le culte . . . " , p. 1 0 9 . On trouve la même position chez HOLLADAY: „Since the ,queen of heaven' is doubtless the Palestinian manifestation of Ishtar, it is appropriate that an Akkadian word used for cakes in her cult should be used in the present passage." 1 p. 2 5 4 . Ainsi l'hymne intitulé „L'exaltation d'Ishtar": „ C o m m e des épis se dresse la masse des étoiles du ciel. C o m m e des boeufs, les dieux qui sont en avant ont appris les bornes. Là Ishtar, jusqu'à la royauté d'eux tous hausse-toi. O Innin, sois la plus brillante d'entre eux, qu'ils t'appellent .Ishtar des étoiles'. Que, à côté d'eux, triomphalement se change ta haute place. Sous la garde de Sin et de Shamash, que ton éclat soit surabondant. Que l'étincelant éclat de ta torche au centre du ciel s'allume. C o m m e parmi les dieux tu n'as personne qui approche de toi, Que les peuples qui t'admirent." Traduction de F. THUREAU-DANGIN, „L'exaltation d'Ishtar', RA 1 1 , 1 9 1 4 , p. 1 5 1 , lignes 2 9 et sq. Cité par M . DELCOR, op. cit. G. WIDENGREN, Sakrales Königtum im Alten Testament, Stuttgart, 1 9 5 5 , p. 12. M . DAHOOD, „La Regina del Cielo in Geremia", RivB 8, 1 9 6 0 , pp. 1 6 6 - 1 6 8 .

101

102 103

E t u d e de J r 7 , 1 - 8 , 3

103

Une inscription du temple d'Astarté à Kition de Chypre 104 appelle la déesse „reine sainte", tout comme Ishtar. Et ce texte fait mention de „gâteaux pour la reine sainte". Tout semble indiquer qu'il y a donc continuité dans la présence et la forme de ces gâteaux qui sont offerts soit à l'Ishtar mésopotamienne, soit à l'Astarté phénicienne. La situation religieuse de Juda est marquée par un fort syncrétisme. A la fin du Vie siècle, un culte est rendu à Yhwh, mais aussi à Astarté, dans des formes semblables au culte d'Ishtar, et à „d'autres dieux." Voilà qui justifie la sévérité du jugement du v. 20 qui conclut l'oracle de Jérémie.

Date et histoire de la rédaction

Des exégètes comme Bright, Thompson et Holladay affirment que ce passage est auihentiquenient jérémien 105 . Les arguments de Holladay sont essentiellement stylistiques: les tournures "pK + suffixe + participe (vv. 16-17), l'interrogatif n (vv. 17 et 19), les emplois contrastés de DVD (hifil), et le fait que la prose n'est pas stéréotypée comme dans la rédaction deutéronomiste 106 . Holladay n'hésite pas à donner une date précise à ce passage: décembre 6 0 1 , après que le roi Joiaqim a brûlé le second rouleau. C'est à ce moment-là que Jérémie aurait perçu que la décison de Yhwh de punir son peuple était irrévocable. L'interdiction d'intercéder 107 (v. 16) et le châtiment s'expliqueraient alors. L'analyse de Thiel 108 semble ici meilleure. En effet, les indices stylistiques relevés par Holladay sont mineurs et ce dernier suppose que toute rédaction deutéronomiste est stéréotypée. Nous avons déjà signalé que la thématique du prophète intercesseur relève des traditions du Nord. La similitude de 7,16 avec 11,14 et 14,11 pousse à l'attribuer à la même couche littéraire: D. Le parallélisme des trois séquences 109 est d'ailleurs frappant:

104

cf M . DELCOR, „Le personnel du Temple d'Astarté à Kition d'après une tablette phénicienne (CIS 8 6 A et B ) " , Environnement et Tradition de l'A.T., 1 9 9 0 , pp. 1-18.

105

BRIGHT, p . 5 9 ;

THOMPSON, p . 2 8 4 ;

HOLLADAY 1 , p p .

251-252.

„None of this is routine stereotyped prose; it commends itself as a deposit genuine material from J r m " . HOLLADAY 1, p. 2 5 1 . 1 0 7 J r 1 4 , 1 1 , très proche de 7 , 1 6 fait partie du poème sur la sécheresse que l'on peut dater de 6 0 1 . Il en serait de même de 7 , 1 6 . 108 yjj j H I E L ) £)ie deuteronomistische..., pp. 1 1 9 - 1 2 1 . RUDOLPH (p. 54) accordait déjà beaucoup au rédacteur , , C " dans ce passage. 1 0 ' Le rapprochement est fait par R.P. CARROLL, From Chaos ..., p. 1 1 5 . 106

104

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

dénonciation du péché du peuple

7,1-15

11,1-13

14,10

le prophète est interdit d'intercession

7,15

11,14

14,11

nouvelle dénonciation du péché: offenses cultuelles

7,16-20

11,15-17

14,12.13-16

Cette organisation qui peut reprendre tel ou tel matériau ancien relève de la rédaction deutéronomiste exilique. Des éléments de vocabulaire vont dans le même sens. Les mots n*7an et H31 se trouvent joints dans des Psaumes (17,1; 61,1; 88,3) mais aussi dans un texte deutéronomiste comme 1 R 8,28 1 1 0 . L'expression „dans les villes de Juda et dans les rues de Jérusalem" est un critère de l'expression deutéronomiste (Jr 7,34; 11,6; 44,6.9.17.21). Le v. 18 a une structure rythmée, avec trois éléments parallèles: D^y D^tsp^D cnnn ®«n nu cr-imo n u s m psa m»1? o m n Cet élément, selon Thiel, pourrait former un noyau ancien. C'est difficilement démontrable. La finale du v. 18 est à nouveau marquée par une expression deutéronomiste: D"HnN DTI^N. Sur les 42 occurrences de 0173, offenser (v. 19) dans l'A.T., une seule est prédeutéronomique (Os 12,15). Le jugement du v. 20 comprend également deux éléments caractéristiques du deutéronomiste: la double mention de „la colère et la fureur" (cf Jr 42,18; 44,6; 2 R 22,17) et „des hommes et des bêtes" (Jr 21,6; 27,5; 31,27; 32,43). Conclusion L'unité 7,16-20 relève de la rédaction deutéronomiste exilique comme la seconde rédaction de 7,1-15. Seul, le v. 18 pourrait être plus ancien. Le rédacteur deutéronomiste a repris l'exemple de la „reine du ciel" en l'élargissant à „d'autres dieux" pour dénoncer le comportement idolâtrique et le syncrétisme des Judéens, dans la même perspective que 7,9 et en s'inspirant de 4 4 , 1 5 - 1 9 i n . Jr 7,16-20 accentue la relecture

110

1,1

Prière de Salomon: „Sois attentif à la prière et à la supplication de ton serviteur Yhwh mon Dieu, écoute l'appel et la prière que ton serviteur fait aujourd'hui devant toi." 1 R 8,28. L'antériorité de 4 4 , 1 5 - 1 9 sur 7,16-20 est admise, depuis Duhm, par ceux qui ne tiennent pas l'authenticité jérémienne de 7,16-20.

Etude de Jr 7,1-8,3

105

anti-idolâtrique de la rédaction deutéronomiste de 7,1-15. Le désastre de 587 est attribué au comportement pécheur du peuple qui rend un culte à d'autres dieux. L'image du prophète comme „porte-parole", dominante en 7,1.2. 3a, est ici complétée. Le prophète est perçu également comme intercesseur en 7,16. Il est donc véritablement médiateur entre Dieu et les hommes: chargé de transmettre la parole de Dieu aux hommes, mais aussi de porter le cri des hommes vers Dieu. 2. Jr 7,21-28 Traduction littérale 21. Ainsi parle Yhwh des armées, Dieu d'Israël: Ajoutez vos holocaustes à vos sacrifices et mangez la viande. 22. Non, je n'ai pas parlé à vos pères et je ne leur ai rien prescrit le jour où je les fis sortir du pays d'Egypte au sujet de l'holocauste et du sacrifice. 23. Mais voici l'ordre que je leur ai prescrit, disant: Ecoutez ma voix: je serai votre Dieu et vous serez mon peuple, et vous marcherez sur toute voie que je vous prescrirai afin qu'il vous arrive du bien. 24. Mais ils n'ont pas écouté et ils n'ont pas tendu l'oreille; ils ont marché selon leurs desseins (a), l'entêtement de leur coeur mauvais, tournés (b) vers l'arrière et non vers l'avant. 25. Depuis le jour où vos pères (a) sont sortis du pays d'Egypte jusqu'à ce jour, j'ai envoyé vers vous (b) tous mes serviteurs les prophètes, chaque jour (c), inlassablement je les ai envoyés. 26. Mais ils (a) ne m'ont pas écouté et ils n'ont pas tendu l'oreille, ils ont raidi leur nuque, ils ont fait le mal plus que leurs pères. 27. Tu leur diras toutes ces paroles (a) et ils ne t'écouteront pas; tu les appelleras et ils ne te répondront pas. 28. Tu leur diras: Voici la nation qui n'écoute pas la voix de Yhwh son Dieu et qui n'accepte pas la leçon; l'honnêteté a péri, elle a été retranchée de leur bouche. Notes de critique textuelle v. 24 (a) „selon ses desseins, nisyaa" n'a pas d'équivalent dans la LXX. Duhm, Cornill, Rudolph, Bright et Janzen112, suivant la LXX, omettent ce terme en considérant qu'il est une glose inspirée de Ps 112

J.G. JANZEN, Studies in the Text of Jeremiah, note 7.

Cambridge, 1973, pp. 11 et 193

106

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

81,13 („Ils marchaient ne suivant que leurs conseils •rpniuyioa"). Le Grec traduit m"l"l03 par Tais £v0u^r|paai C'est également par evQuprma qu'est traduit m"l"IB> en Jr 3,17. Selon Barthélémy113, „il est fort possible que le G, considérant le texte comme surchargé a estimé suffisant de traduire seulement m~nt& qu'il avait déjà rencontré et traduit ainsi." Puisque les manuscrits hébreux ont les deux termes, nous les conservons. (b) Un petit nombre de manuscrits ont „1DI7,,1: ils sont allés" au lieu de „Vin ils furent". Le TM représente la lectio difficilior et doit être préféré. v. 25 (a) Le TM est „DDTIUK, vos pères". LXX, Syriaque et Vulgate ont le suffixe de la 3e personne du pluriel: „leurs pères". (b) Le T M est „DS^K vers vous", certains manuscrits grecs ont: „irpos vncrç" tandis qu'un manuscrit hébreu (ms 93 de Kennicott), quelques mss grecs et le Syriaque ont „vers eux", l'équivalent de DiT-. En mettant la 3e personne du pluriel, des versions ont ainsi harmonisé avec la 3e personne du pluriel du v. 26. Il vaut mieux respecter le TM, à la 2e personne du pluriel et concevoir le „vous" comme intégrant toutes les générations, celles des pères et la génération actuelle114. (c) Le mot DT tout seul est difficile à comprendre. Un manuscrit a DT1 Dr „chaque jour", de même que le Syriaque. On peut conjecturer soit que DT* est une dittographie de la pénultième et de la finale de D ^ a n , soit que o r est tombé par haplographie (Condamin, BJ 1). Nous optons pour la dittographie, avec Rudolph et Holladay, car le texte parallèle de 25,4 n'a pas le terme DT. v.26 (a) Rudolph propose d'insérer un sujet tel que mon peuple" pour le verbe „11702?, ils ont écouté", mais cette correction n'a aucun appui textuel et doit être rejetée. v. 27 (a) Le TM n'a pas ici d'équivalent dans la LXX qui mentionne simplement: „KOI tpeiç CXUTOIÇ TOV Àoyov T O U T O V " et enchaîne sur le v. 28: „TOUTO TO EÔVOS". Ce verset 28 est plus court dans la L X X que dans le TM (pas de „son Dieu" après Yhwh, un seul verbe sur les deux „a péri, a été retranché"). Le v. 27, très proche de 7,13, notamment par la séquence des verbes „dire-écouter, appeler-répondre" pourrait bien être une addition secondaire115. 113 1,4

115

D. BARTHÉLÉMY, Critique textuelle ..., p. 517. Bright est le seul exégète moderne à préférer dans son commentaire la 3e pers. du pl. cf p. 54. On peut s'étonner que la TOB ait ici traduit „vers eux" sans note justificative. cf JANZEN, Studies ..., pp. 3 7 - 3 8 et HOLLADAY 1 , p. 2 5 8 .

Etude de Jr 7,1-8,3

107

Structure vv. 2 1 - 2 3 : les sacrifices - Dans les vv. 2 1 - 2 2 , Yhwh s'adresse ironiquement au peuple pour lui dire que ses sacrifices sont sans valeur, qu'ils n'ont pas été prescrits. - Au v. 2 3 , Yhwh énonce la véritable prescription: écouter. vv. 2 4 - 2 8 : „ils n'écoutent pas" - Les vv. 2 4 - 2 6 forment un raccourci historique: depuis le temps des pères jusqu'à aujourd'hui, l'histoire du peuple est celle d'une désobéissance: „ils n'ont pas écouté". - Le v. 2 7 ajoute: et ils n'écoutent pas plus aujourd'hui qu'hier. Jérémie en fera l'expérience. - le v. 2 8 résume l'ensemble en donnant une définition du peuple: „voici la nation qui n'écoute pas la voix de Y h w h " . Le lien entre les deux parties est fait par les mots „écouter" et „marcher" qui se trouvent aux vv. 23 et 2 4 . Si l'on remarque que les sacrifices sont critiqués parce qu'ils n'ont pas été prescrits et que la prescription importante n'est pas écoutée, il apparaît que le thème principal de cette petite unité est la désobéissance, le comportement cultuel des Israélites étant une illustration type de cette „non-écoute" de Yhwh par son peuple. Le texte est également traversé par une tension vous/ils (vv. 2 5 et 26) et un parallèle passé/présent: la génération présente ne vaut pas mieux que celle des Pères. vv. 21-23:

La prescription

des sacrifices

Le v. 2 1 est ironique: „ajoutez vos holocaustes à vos sacrifices et mangez de la viande"! La traduction „ajoutez" fait de 130 l'impératif de «|0\ On pourrait aussi le faire venir d'une racine HDD II: „supprimer" et donner en ce cas au "O du v. 2 2 une valeur explicative: „supprimez vos holocaustes ... car je n'ai pas parlé à vos pères". La lecture des versions 116 et la logique interne du texte font opter pour la traduction „ajoutez", mais il n'est pas impossible que l'ambiguïté soit à conserver ainsi que l'estime Holladay: „Jrm evidently intends the hearers to be in doubt whether they are to pile up burnt offerings or get rid of them." 1 1 7 L'ordre est ironique et parodie une „torah sacerdotale". J r 7 , 2 1 comporte les deux éléments caractéristiques d'une torah sacerdotale:

116

La LXX a auvayayETt.

117

HOLLADAY 1 , p. 2 6 0 .

108

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

une forme impérative et une prescription cultuelle 118 . La même séquence: ironie suivie d'une accusation justificative se trouve en A m 4 , 4 - 1 1 . En A m 4 , 4 - 5 , l'ironie est mordante: „Allez à Béthel et péchez!" et naît de l'accumulation des actes cultuels: „A Gilgal, péchez de plus belle! Apportez le matin vos sacrifices, tous les trois jours vos dîmes." et l'accusation suit aux vv. 6 - 1 1 : „et vous n'êtes pas revenus à moi." La torah de Jr 7 , 2 1 est plus précisément une parodie de D t 1 2 , 6 . 7 . 20.27.»» Le b i n ô m e holocaustes-sacrifices 1 2 0 se trouve également en Jr 6 , 2 0 , texte ancien du livre de Jérémie: „Vos holocaustes ne me plaisent pas, vos sacrifices ne m'agréent pas." 1 2 1 Les holocaustes étaient distingués des autres sacrifices en ce que la viande était entièrement brûlée. Jérémie les met sur le même plan que les autres. Les sacrifices ne sont plus que prétexte à bon repas! Le v. 2 2 est une explication justificative de l'ordre ironique de

118

Sur la „torah sacerdotale", on peut consulter: J. BEGRICH, „Die priesterliche Tora", Werden und Wesen des Alten BZAW 66, Berlin, 1936, pp. 63-88. C. WESTERMANN, Grundformen

119

120

121

Testaments,

..., p. 146.

H.W. WOLFF: „the formal elements of the priestly torah were, first of all, cultic instructions addressed in the imperative plural and, secondly, an evaluative concluding statement which could be introduced par "0." Amos, p. 211 = traduction anglaise de l'original allemand: Amos, BK XIV/2, p. 250. „Lorsque Yhwh ton Dieu aura agrandi ton territoire, comme il te l'a dit, et que tu t'écrieras: J e voudrais manger de la viande', si tu désires manger de la viande, tu pourras le faire autant que tu voudras. (...) Tu feras l'holocauste de la chair et du sang sur l'autel de Yhwh ton Dieu; quant à tes sacrifices, le sang en sera répandu sur l'autel de Yhwh ton Dieu, et tu mangeras la chair." Dt 12,20.27. Le binôme holocaustes-sacrifices se trouve encore en 17,26 et 33,18, mais il fait alors partie d'une énumération plus vaste: holocaustes, sacrifices, ablutions, encens, actions de grâces. La motivation du rejet des sacrifices est également proche de celle du ch. 7: „car ils n'ont pas fait attention à mes paroles et ils ont méprisé ma loi."

Etude de Jr 7,1-8,3

109

Yhwh: Yhwh n'a rien prescrit concernant les sacrifices 122 . Les vv. 212 2 ont donné lieu à deux lignes d'interprétation. Pour la plus courante 123 , les sacrifices ne sont pas condamnés en eux-mêmes. Simplement l'accent est à mettre sur l'écoute de la voix de Yhwh. Le texte de Jérémie rejoindrait la pensée d'Osée ,,1'obéissance plutôt que les sacrifices" (Os 6,6). L'autre interprétation est plus radicale. Pour le fidèle de Yhwh, les sacrifices ne sont pas importants et j r 7,22 signifierait: „L'obéissance et pas de sacrifices" 124 . Selon M . Weinfeld 125 , Jérémie suit la pespective du Deutéronome: seul le Décalogue a été donné par Yhwh au Sinaï; les autres prescriptions, notamment celles sur les sacrifices, furent données plus tard par Moïse. Jérémie peut donc dire avec exactitude que Yhwh n'avait rien prescrit sur les sacrifices. Mais les positions sur l'ampleur de la condamnation des sacrifices soulèvent des problèmes de critique littéraire. Quelles dates donner aux textes du Pentateuque qui légifèrent sur les sacrifices? M . Weinfeld raisonne comme si le Décalogue avait été établi bien avant l'époque de Jérémie, ce qui, nous l'avons vu à propos de Jr 7,9, est discuté. Comme le reconnaît R. de Vaux, „si on se place dans la perspective de la critique littéraire moderne (...) il faut reconnaître qu'il ne reste guère d'informations sur le culte sacrificiel au désert." 126 Cependant, l'offrande de sacrifices sanglants était une coutume de pasteurs et de tel sacrifices sont attestés à époque ancienne en Arabie 127 . On peut donc maintenir que les Israélites ont pratiqué des sacrifices sanglants dès avant leur entrée en Canaan, ne serait-ce que l'immolation de l'agneau pascal 128 . Leur prescription par Yhwh est une autre question. Dans un contexte socio-religieux où la prière et les sacrifices font partie intégrante de la vie cultuelle, les prophètes, et Jérémie dans ce cas précis, peuvent-ils avoir radicalement condamné les sacrifices pour

122

Sur les sacrifices dans l'A.T., voir: R. DE V A U X , Les sacrifices de l'Ancien Testament, Paris, 1964. Les Institutions de l'A.T. II, pp. 291-347. L. SABOURIN, art. „Sacrifices", DBS X, Paris, 1985, col. 1483-1545.

123

BRIGHT, DE VAUX, NICHOLSON, THOMPSON.

124

Telle est l'opinion de V O L Z , RUDOLPH („Jer [...] kann seine Meinung nur die sein, daß Jahwe mit dieser Opfergesetzgebung nichts zu tun habe." p. 5 7 ) , H Y A T T . M. WEINFELD, „Jeremiah and the Spiritual Metamorphosis of Israel", pp. 5 2 - 5 5 .

125 126

R . DE V A U X , IAT

127

Sur ce point, on peut consulter les travaux de J . HENNINGER, notamment „Le sacrifice chez les Arabes", Arabica Sacra, Fribourg, 1981, pp. 189-203. J . HENNINGER, Les fêtes de printemps chez les Sémites et la Pâque israélite, Paris, 1975.

128

II p.

309.

110

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

eux-mêmes? Certes, l'obéissance à Yhwh est souvent opposée aux sacrifices dès lors inutiles, mais le jugement négatif sur les sacrifices est à évaluer dans un contexte déterminé. Jr 7,21-23 fait partie d'un ensemble dirigé moins contre le culte lui-même, nous l'avons déjà vu pour ce qui est du temple, que contre un culte formaliste, séparé d'un comportement éthique véritable qui consiste à „faire justice à chacun" (Jr 7,5-10), à „pratiquer le droit et la justice" (Am 5,24). Enfin, R. de Vaux fait valoir un argument littéraire. Dans des textes comme Am 5,21-27 et Jr 7,21-22, „la négation exprimée absolument doit être prise dans un sens relatif; c'est une .négation dialectique' (...): ,pas ceci mais cela' est une manière de dire: ,pas tant ceci que cela'" 1 2 9 . Les vv. 2 1 - 2 2 sont à interpréter dans la même perspective que 7,115. Ils relativisent le culte en lui-même. Le culte au temple est illusoire s'il n'est accompagné de la pratique de la justice, les offrandes et holocaustes n'ont aucune valeur sans obéissance à la parole de Yhwh. Le v. 23 précise le contenu de la „voix de Yhwh": „je serai votre Dieu et vous serez mon peuple", ce qu'il est convenu d'appeler „la formule d'alliance" 1 3 0 . Selon Thiel 131 , la formule ne se trouve dans le livre de Jérémie que dans les textes ,,D": 7,23; 11,4; 24,7; 30,22; 31,1.33; 32,28. 1 3 2 Les exégètes sont partagés sur la date de ces versets. Volz, Hyatt et Holladay 133 en soutiennent l'authenticité avec des arguments lexicographiques. Le binôme „obéir/marcher" (vv. 23-24) se trouve également en 6,16-17. Au v. 23, le verbe ata"1 semble un écho de 7,3.5 (D3\5~n l^DVl), partie du texte ancien de 7,1-15. A ces remarques de vocaR . DE VAUX, IAT II, p. 3 4 5 . Un autre texte, de rédaction deutéronomiste, est proche de celui de Jr 7: „Samuel dit: ,Yhwh se plaît-il aux holocaustes et aux sacrifices comme dans l'obéissance à la parole de Yhwh? Oui, l'obéissance vaut mieux que le sacrifice, la docilité, plus que la graisse des béliers." 1 S 15,22. 130 Sur la formule d'alliance, on peut consulter: R . SMEND, Die Bundesformel, Zurich, 1 9 6 3 . K. BALTZER, Das Bundesformular, Neukirchen, 1960. ni W THIEL, Die deuteronomistische ..., p. 1 2 2 . 132 Autres occurrences dans l'A.T.: Ex 6,7 (P); Lv 2 6 , 1 2 ; Dt 29,12; 2 S 7,24; Ez 11,20; 14,11; 3 6 , 2 8 ; 37,23; 37,27; 1 C 17,22. Ces textes sont exiliques ou même post-exiliques. Cette formule a son origine dans le royaume du Nord. La formule négative d'un texte comme Os 2,4: „car elle n'est pas ma femme, et moi, je ne suis pas son mari" suppose une formule positive. Cette formule matrimoniale est sans doute à l'origine de la formule d'alliance. 133 Pour HOLLADAY, „there is no doubt that these verses offer Jrm's word." 1, p. 260. Il donne par ailleurs une date précise au texte: sept.oct 594 lors de la fête des Tentes, à l'occasion de la lecture de la loi en conformité avec Dt 31,10-13.

129

Etude de Jr 7,1-8,3

111

bulaire, on peut ajouter que l'ironie du v. 21 et l'ambiguïté du verbe 130 sont bien dans le style de Jérémie. Et Hyatt 134 attribue ces versets au prophète parce que „they express Jeremiah's basic conception of religion: God requires of men moral obedience, not sacrifice." A l'opposé, Thiel et Carroll 135 attribuent ces versets au rédacteur deutéronomiste, en s'appuyant également sur une analyse lexicographique. Ainsi, Thiel montre-t-il que les expressions "WSin DV, T r i s 313'" "\oti7 ne se trouvent que dans la rédaction ,,D" du livre de Jérémie 136 . Jr 7,22a et 23b sont très proches de Jr 11,3-5 qui est de rédaction deutéronomiste. Ces observations nous semblent plus pertinentes et nombreuses que celles de Holladay. Et, si les remarques de vocabulaire doivent être complétées par une étude thématique, l'affirmation de Hyatt n'est guère un argument pour l'attribution de ces versets. L'insistance sur le comportement moral plutôt que sur l'acte cultuel du sacrifice est commune à Jérémie et aux rédacteurs deutéronomistes. vv. 24-28: „ils n'ont pas écouté" „Ils n'ont pas écouté" (vv. 24.26.27.28): tel est le leitmotiv de cette seconde partie. La désobéissance a été constante dans l'histoire d'Israël, depuis la génération des pères jusqu'à la génération actuelle qui n'a pas écouté (v. 26) et n'écoutera pas (v. 27), si bien qu'elle peut être ainsi définie: „voici la nation qui n'écoute pas la voix de Yhwh son Dieu" (v. 28). En plus du verbe „écouter", d'autres expressions relèvent de l'audition: „tendre l'oreille", „raidir la nuque" (c'est-à-dire „ne pas pencher l'oreille" 137 ), expressions particulièrement fréquentes dans le Dt et la littérature deutéronomiste. L'expression double „ne pas écouter et ne pas prêter l'oreille" est fréquente dans le livre de Jérémie. On la trouve trois fois de manière isolée (Jr 7,24; 17,23; 34,14.) et cinq fois en lien avec l'action inlassable de Yhwh exprimée avec l'infinitif absolu

134

135

136

HYATT, p. 8 7 4 .

„The unit is full of Deuteronomistic phrases and concepts and dominated by the idea of a history of uniform disobedience." CARROLL, p. 215. Les références sont données par THIEL, Die deuteronomistische ..., pp. 122-123: WÎTIN a v : J r 7 , 2 2 ; 1 1 , 4 ; 3 1 , 3 2 ; TP13 K1?: 3 4 , 1 3 ; 7 , 3 1 ; 1 9 , 5 ; 3 2 , 3 5 ; D t 1 7 , 3 ; PB1?: J r 7 , 2 3 ; Dt 5 , 1 6 ; 6 , 1 8 ; 1 2 , 2 5 . 2 8 ; 2 2 , 7 .

137

Le verbe mx est particulièrement employé dans le Dt. Sur 485 occurrences dans l'A.T., 86 sont dans le Dt et 39 dans le livre de Jérémie. cf THAT II, 531. selon l'étude de B. COUROYER, „Avoir la nuque raide: ne pas incliner l'oreille", RB 88, 1981, pp. 216-225.

112

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

du verbe D3» au hifil (Jr 7,16; 11,18; 25,4; 35,15; 44,5) 138 . Nous avions attribué Jr 7,13, en raison de DDEM, à une rédaction tardive. Nous faisons de même ici. D'autres expressions relèvent d'une rédaction deutéronomiste du livre de Jérémie: „3*7 ¡111103 "| *?!"!, marcher selon l'entêtement de son coeur" 139 , être „plus mauvais que ses pères" 140 , ou se trouvent dans des textes deutéronomistes: „mes serviteurs les prophètes"141. Mais la précision de la totalité „tous mes serviteurs" situe le texte après l'exil, à une période où l'on perçoit le prophétisme comme une continuité de prophètes, une totalité achevée. La plupart des commentateurs142 reconnaissent la présence de ces éléments deutéronomistes. Volz qui admettait l'authenticité des vv. 2123 estime que les vv. 24-28 sont secondaires. Thompson et Holladay sont prudents dans leur attribution au prophète143. En dehors de l'étude lexicographique, deux éléments nous font accorder ces versets à un rédacteur deutéronomiste postexilique. Le regard sur les origines, le temps du désert, n'est pas le même en Jr 7,2426 que dans d'autres textes jérémiens comme Jr 2,2-3. En Jr 2,2-3, il est affirmé qu'Israël a connu une période de fidélité, lors de ses „fiançailles" au désert, tandis qu'en Jr 7,24-26 Israël n'a pas écouté la voix de Yhwh, même lors de la sortie d'Egypte. Cette mention du péché dès la sortie d'Egypte, au temps des pères comme au temps des fils, (7,26) n'est pas sans faire écho au récit de l'histoire d'Israël comme une histoire de péché que l'on trouve en Ezéchiel (16; 20; 23). En 7,1-15, le culte au temple est relativisé: il n'est accepté que si le peuple pratique la justice. En 7,21-28, les sacrifices sont subordonnés à l'obéissance à la parole de Yhwh. L'écart entre les deux textes, subordination du culte dans un cas à la pratique de la justice et dans l'autre à l'écoute de la parole, permet de les attribuer à deux rédacteurs différents. L'écoute de la voix de Yhwh est caractéristique des rédacteurs deutéronomistes. Nous attribuons donc ces versets à une rédaction

138 13

Analyse faite par J. BRIEND, „Le Sabbat...", p. 29.

» Jr 7,24; 9,13; 11,8; 13,10; 16,12; 18,12; 23,17.

140 141 142

143

Jr 16,12 a titre d'exemples: 2 R 9,7; 17,13.23; 21,10; 24,2. VOLZ, RUDOLPH, HYATT, THIEL, CARROLL.

THOMPSON: „It is not impossible that Jeremiah himself may have done a certain amount of rearranging or coalescing of his messages. But it is just as likely that editors after his death undertook a lot of this work." p. 287. HOLLADAY: „VV. 24-26 do appear typical of the stereotyped prose associated with a redactor". 1, p. 260.

Etude de Jr 7,1-8,3

113

deutéronomiste postexilique sensible au péché du peuple qui n'écoute pas et à la continuité prophétique. Dans le Dt, la proclamation de la loi de Dieu et son rejet par le peuple sont des éléments thématiques essentiels. En reprenant l'histoire d'Israël, les rédacteurs deutéronomistes cherchent à expliquer l'exil en mettant en avant la désobéissance continue du peuple, depuis le temps des pères. Les Israélites n'écoutent pas Dieu. Leur refus d'écouter les prophètes en est un signe. Remarquons là encore une différence de perspective. Dans les textes anciens du livre, Jérémie reproche aux prophètes qui n'ont pas été envoyés par Dieu de tromper le peuple (23,9-40); ici, c'est le peuple qui est blâmé pour ne pas avoir écouté les prophètes véritablement envoyés par Dieu. Le texte de Jr 7,21-28 se présente comme un complément au discours du temple. A partir d'une précision sur les sacrifices, le rédacteur reprend des thèmes de la prédication deutéronomiste: l'obéissance à la parole de Yhwh est supérieure aux sacrifices, le péché du peuple est de ne pas écouter la voix de Dieu qui a envoyé sans se lasser ses serviteurs les prophètes, jérémie est présenté comme l'un de ces prophètes que l'on n'a pas écoutés (Jr 7,27). 3. Jr 7,29-34 Traduction

littérale

29. Tonds ta chevelure de nazir (a) et jette-la, élève une complainte sur les hauteurs dénudées (b), oui, Yhwh a rejeté et abandonné la génération qui provoque sa fureur. 30. Car les fils de Juda ont fait le mal à mes yeux - oracle de Yhwh ils ont mis leurs horreurs dans la maison qui est appelée de mon nom, pour la souiller. 31. Ils ont bâti (a) les hauts lieux (b) de Tophet (c) qui sont dans la vallée de Ben-Hinnom, pour brûler leurs fils et leurs filles par le feu, ce que je n'avais pas prescrit (d) et qui ne m'était jamais monté au coeur. 32. C'est pourquoi voici venir des jours - oracle de Yhwh - où l'on ne dira plus „Tophet" ni „vallée de Ben-Hinnom" mais „vallée du massacre" (a) et on enterrera à Tophet faute de place. 33. Et les cadavres de ce peuple deviendront nourriture pour les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre, sans que nul ne les effraie. 34. Je ferai disparaître des villes de Juda et des rues de Jérusalem la voix du plaisir et la voix de la joie, la voix du fiancé et la voix de la fiancée, car le pays deviendra une ruine.

114

L e culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

Notes de critique

textuelle

v. 29 (a) TVJ va: Les dictionnaires (BDB, HALAT) donnent à ira le sens de „couronne, consécration". Le terme désigne ici la longue chevelure du nazir comme en Nb 6,19: „... dans la main du nazir quand celuici aura rasé sa chevelure, oa-nti în'pann". C'est ainsi que l'a compris Symmaque: T Î ) V KOHT|V TT)V ayiav TT|Ç va£ipaioTT)Toç aou. (b) Au lieu de „sur les hauteurs dénudées, D',at&-'?y", la LXX a „sur les lèvres, ETTI X E I À E C O V " . La même variante se trouve en Jr 3,21: „sur les hauteurs dénudées, un cri s'est fait entendre". Le mot „lèvres" a été attiré par la mention d'une complainte ou d'un cri et la proximité des mots hébreux: D,a® hauteurs et QT1DB lèvres. v. 31 (a) L'accompli 1331, que l'on retrouve en 19,5, est curieux. On attendrait l'inaccompli converti 133"1! comme en 32,35 144 . Rudolph145 propose de corriger et de lire en 7,31 133"1! ou de voir dans 1331 un usage aramaïsant comme en 3,9. La chute du 1 par dittographie semble la meilleure interprétation de 1331. (b) „les hauts lieux: m03". Le TM, Vg et S ont le pluriel. La LXX et le Tg ont le singulier: „le haut lieu" sans doute en raison du nom propre qui suit: Tophet. Cette leçon est adoptée par Giesebrecht, Duhm, Cornill, Rudolph, Weiser et Bright, ainsi que par BJ 1: „ils ont construit le haut lieu de Tophet". On considère alors qu'il n'y avait qu'une seule n03 de Tophet dans la vallée de Ben-Hinnom. Mais rien n'empêche qu'il y ait eu plusieurs sanctuaires ou autels dans la vallée de Ben-Hinnom. Et le pluriel est attesté en Jr 26,18; 32,35; Mi 3,12. Avec BJ 2, Holladay et Barthélémy146, on peut donc garder le TM: „les hauts lieux de Tophet." (c) „Le Tophet, nann". Le nom a été vocalisé par les Massorètes na'n, Tophet, par analogie avec 303,1a honte, pour indiquer la réprobation d'une telle pratique. La LXX, Taq>E6, suggère une vocalisation originelle nsn. Rudolph suggère nan. (d) THS. Un petit nombre de manuscrits hébreux, la LXX et le Syriaque supposent DTI - avec suffixe pluriel. On peut penser que DTHS est analogique de 7,22 où l'on a le suffixe pluriel et garder le TM vm. v. 32 (a) „nainn iOa, vallée du massacre". La LXX a „TCOV avriprmevcov, vallée de ceux qui ont péri." 144

1 9 , 5 : „car ils ont construit (1331) des hauts lieux de Baal pour consumer au feu leurs fils . . . " . 3 2 , 3 5 : „Ils ont construit (133*1) les hauts lieux de Baal dans la vallée de BenHinnom ...".

145

RUDOLPH, p .

56.

Etude de J r 7 , 1 - 8 , 3

115

Structure - Le v. 2 9 est une lamentation (HD^p) qui apparaît comme une citation des paroles du prophète. De quoi se plaindre? De ce que Yhwh a rejeté son peuple - Les vv. 30-31 indiquent les causes du jugement de Yhwh et forment une accusation sur deux points: la présence des „horreurs" dans le temple (v. 30) et les sacrifices d'enfants dans la vallée de Ben-Hinnom (v. 31). - Les vv. 32-34 sont le jugement de Yhwh, introduit comme dans les oracles prophétiques par Ipb. Le châtiment prend trois formes: le nom de la vallée est changé (v. 32), les morts seront privés de sépulture (v. 33) et il n'y aura plus de mariage (v. 34). vv. 29-31:

l'accusation

L'impératif T2 qui ouvre ces versets est au féminin singulier. La coupe de la longue chevelure caractéristique du nazir signifie l'arrêt de cette consécration 147 . Dans la perspective de Jérémie, Israël, représenté par une femme nazir, a abandonné sa consécration à Yhwh et doit donc raser sa chevelure. Le sens de D^atS n'est pas sûr 148 . Dérivé de la racine na® „être dénudé", ce terme caractéristique du livre de Jérémie 149 reçoit deux sens principaux. L'un, traditionnel depuis Qimhi, indique une hauteur élevée, centre d'un culte idolâtrique. C'est celui choisi par BJ „monts chauves", Dhorme „crêtes", Osty „monts dénudés", Rudolph ,,Hôhen", Bright „heights", Carroll „bare heights". L'autre sens possible souligne la vaste étendue. Proposé par Joùon 1 5 0 , il est adopté par la T O B „pistes", McKane „open places" et Holladay „caravan-tracks". Nous avons gardé le sens habituel de „hauteurs dénudées" en raison du contexte idolâtrique du passage 29-31. Les idoles (v. 30) sont particulièrement honorées dans les „hauts lieux" (v. 31). Le terme yipt» „horreur, abomination" est une désignation méprisante et très péjorative des idoles. La racine fpt» signifie „déclarer 146 147 148

149

150

BARTHÉLÉMY, Critique textuelle ..., p. 5 1 9 . cf N b 6 , 1 - 2 1 . Pour un inventaire des traductions des versions et des commentaires voir: W . MCKANE, „SPY(Y)M with Special Reference to the Book of Jeremiah", Mélanges Cazelles, AOAT 2 1 2 , Neukirchen-Vluyn, 1 9 8 1 , pp. 3 1 9 - 3 3 5 et une longue notice dans HALAT IV pp. 1 5 0 2 - 1 5 0 3 . 6 occurrences sur les 9 de l'A.T.: Jr 3 , 2 . 2 1 ; 4 , 1 1 ; 7 , 2 9 ; 1 2 , 1 2 ; 14,6. Autres occurrences: Nb 2 3 , 3 ; Is 4 1 , 1 8 ; 4 9 , 9 . P . JOOON, „ L e sens d u m o t h é b r e u " ' 3 0 " , JA

7, 1 9 0 6 , pp.

137-142.

116

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

interdit, détester, réprouver". Les horreurs D ^ p ® est un substantif que l'on rencontre surtout dans les livres des Rois, Jérémie et Ezéchiel 151 . Une seule occurrence est prédeutéronomique: Os 9,10. En Dt 2 9 , 1 6 D^lp® (joint à D,l7l'?2) rappelle l'existence des idoles en Egypte et chez les nations traversées, mais implicitement le texte affirme qu'Israël n'y a pas succombé. Dans les livres des Rois, le terme est utilisé pour désigner les idoles des pays alentours d'Israël et particulièrement des Ammonites. En employant ce terme à propos des Israélites, le rédacteur du livre de Jérémie met Juda au rang des autres nations. La dégradation est profonde. Loin d'être le peuple consacré à la façon des nazirs, Juda honore maintenant les mêmes „horreurs" que les nations. Le v. 3 0 est une allusion aux pratiques syncrétistes qui, selon le second livre des Rois, ont particulièrement proliféré sous Achaz et Manassé. Il indique aussi que la tentative de réforme de Josias a tourné court et que les cultes idolâtriques étaient pratiqués sous Joiaqim. Le livre d'Ezéchiel confirme la présence de cultes idolâtriques chez les Israélites au Vie siècle. La condamnation des sacrifices d'enfants revient à trois reprises dans le livre de Jérémie: 7 , 3 1 ; 19, 5 et 3 2 , 3 5 , dans des termes proches. La différence principale entre ces textes est qu'aux ch. 19 et 3 2 , ces sacrifices sont faits en l'honneur de Baal-Moloch, tandis qu'au ch. 7, les sacrifices sont offerts à Yhwh lui-même. Le terme ni03 (pluriel de H03) est habituellement traduit par „hauts lieux" 1 5 2 et évoque des sanctuaires rudimentaires au sommet des collines. Avec ce sens, il se rencontre environ 80 fois dans I'A.T., et avec les mots nUSO „stèles" et mtON „poteau sacré", constitue une triade qui résume les pratiques idolâtriques. Les textes bibliques qui mentionnent les cherchent à communiquer réprobation et dégoût plutôt qu'à les décrire. En fait, plus largement, le terme mt33 désigne tous les sanctuaires, yahvistes ou non, à l'exception du temple de Jérusalem, indépendamment de leur situation topographique. En J r 7 , 3 1 , les „hauts lieux" sont précisés: il s'agit des hauts lieux de Tophet, dans la vallée de Ben-Hinnom. Le terme nan se rencontre 10 fois dans l'A.T., le plus souvent dans le livre de Jérémie: 2 R 2 3 , 1 0 ; Is 3 0 , 3 3 ; J r 7 , 3 1 . 3 2 . 3 2 ; 1 9 , 6 . 1 1 . 1 2 . 1 3 . 1 4 ; J b 17,6. Une racine araméenne donnerait le sens de „brûloir", mais l'étymologie est en fait

151

152

Dans l'A.T., pp» a 28 occurences: Dt 29,16; 1 R 11,5.7.7; 2 R 23,13.13.24; 2 C 15,8; Is 66,3; Jr 4,1; 7,30; 13,27; 16,18; 32,34; Ez 11,18.21; 20,7.8.30; 37,23; Os 9,10; Na 3,6; Za 9,7; Dn 9,27; 11,31; 12,11. cf art. „nt33", TDOT 2, pp. 139-145.

E t u d e de J r 7 , 1 - 8 , 3

117

discutée 153 . Selon 2 R 2 3 , 1 0 , le sacrifice de Tophet consiste à faire passer son fils ou sa fille par le feu en l'honneur de Molek 1 5 4 . Le sens original de Moloch (vocalisé en hébreu Molek, par reprise des voyelles de ntsn) est le nom d'un „dieu-roi" (Malik en Assyrie et Canaan, Milkom chez les Ammonites) ou le nom d'un sacrifice votif ( „ m o l k " en phénicien). La pratique de „faire passer ses enfants par le feu", attestée pour la première fois à l'époque d'Achaz (2 R 1 6 , 1 3 ) se serait alors introduite sous l'influence des Phéniciens. L'existence de ces sacrifices est attestée dans la colonie phénicienne de Carthage. Au témoignage de Diodore de Sicile, s'ajoutent des textes bilingues punico-latins, évoquant le sacrifice molk qualifié de „grand sacrifice nocturne". Au terme de la lecture des textes sur les sacrifices à Moloch, R . de Vaux conclut: „11 est certain que les sacrifices à Moloch sont identiques aux sacrifices molk de l'Afrique du Nord et qu'ils sont, en Israël, un emprunt aux Phéniciens. Il est vraisemblable qu'en Phénicie ces sacrifices s'appelaient aussi molk. Mais il apparaît que, dès l'emprunt, le mot n'a pas été compris et que les Israélites ont pensé que ces sacrifices étaient destinés à un dieu Roi, un Melek (...). De toute manière, il est évident que cette coutume introduite de l'étranger, restreinte à la région de Jérusalem, limitée dans le temps et condamnée par tous les représentants du Yahvisme ne peut pas prouver que les sacrifices humains aient jamais été légitimes en Israël." 1 5 5 Ces sacrifices sur les hauts lieux de Tophet sont condamnés par Yhwh, car il ne les a pas plus prescrits que les sacrifices (7,23). On peut conclure qu' Israël a connu une pratique réelle mais restreinte des sacrifices d'enfants, sans lien avec l'offrande des premiers-nés. Cette pratique a été vigoureusement condamnée par la loi (Lv 1 8 , 2 1 ) et les prophètes, notamment Jérémie.

153 154

155

cf HALAT IV, pp. 1 6 3 8 - 1 6 3 9 . II est question du „sacrifice-Moloch" en Lv 1 8 , 2 1 ; 2 0 , 2 - 5 ; Dt 1 2 , 3 1 ; 1 R 1 1 , 7 ; 2 R 1 6 , 3 ; 1 7 , 3 1 ; 2 1 , 6 ; 2 3 , 1 0 ; Jr 2 , 2 3 ; 3 , 2 4 (?); 7 , 3 1 ; 1 9 , 5 ; 3 2 , 3 5 ; Ez 2 3 , 3 7 . R. DE VAUX, Les sacrifices de l'Ancien Testament, Paris, 1 9 6 4 , p. 81. On trouvera des éléments complémentaires et différents dans: E. DHORME, „Le dieu Baal et le dieu Moloch dans la tradition biblique", Anatolian Studies VI, 1 9 5 6 , pp. 5 7 - 6 1 . H . CAZELLES, art. „ M o l o k " , DBS V, 1 9 5 7 , col. 1 3 3 7 - 1 3 4 6 . J.A. SOGGIN, „Child Sacrifice and Cult of the Dead in the Old Testament", Old Testament and Oriental Studies, BibOr 2 9 , Rome, 1 9 7 5 pp. 8 4 - 8 7 . M . WEINFELD, „The Worship of Molech and of the Queen of Heaven and Its Background", UF 4 , 1 9 7 2 , pp. 1 3 3 - 1 5 4 . G.C. HEIDER, The Cult of Molek. A Reassessment, J S O T Suppt 4 3 , Sheffield, 1985.

118

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion vv. 32-34:

la sentence

La formule rédactionnelle •"'tO •"'C-run „voici venir des jours" est caractéristique du livre de Jérémie où elle se trouve 15 fois, surtout dans les textes en prose: 7,32; 9,24; 16,14; 19,6; 2 3 , 5 . 7 ; 30,3; 3 1 , 2 7 . 3 1 . 3 8 ; 33,14; 48,12; 49,2; 51,47.52. Dans ces versets, le châtiment est développé en trois temps. La vallée de Ben-Hinnom changera de nom. Holladay 156 estime que le changement suppose un jeu de mots possible sur Ben-Hinnom, comme c'est le cas en 20,1-6 lorsque Jérémie change le nom de Pashehur en „terreur de tous côtés". Il propose de rapprocher „hinnom" d'un nom de la racine 01] „dormir" qui serait 013, ce qui donnerait avec l'article „hannom" le sommeil, euphémisme pour la mort: les fils du sommeil deviendront les fils de la mort. Pour Rudoph 157 , „hinnom" est simplement un nom propre. McKane 1 5 8 cherche un jeu de mots à partir de "|n, la faveur. „On enterrera à Tophet faute de place", c'est-à-dire, selon l'interprétation majoritaire 159 , parce qu'il n'y aura plus de place ailleurs. L'ironie est ici tragique: un „haut lieu" de l'idolâtrie sera le seul lieu où les Judéens massacrés par l'ennemi pourront être enterrés. Cependant Bright 160 comprend l'expression hébraïque OlpO "pNO: „till there is no room left" parce que le v. 33 enchaîne alors mieux sur le v. 32. Quand il n'y aura plus de place, alors les cadavres seront dévorés par les oiseaux 161 . On peut aussi maintenir la traduction des versions anciennes et comprendre le v. 33 comme une aggravation de la situation. Le nombre des cadavres sera tel qu'on ensevelira dans le Tophet et lorsque le Tophet sera rempli, il n'y aura pas d'autre solution que de ne pas enterrer. L'absence de sépulture est perçue comme une malédiction terrible 162 ; les oiseaux et les bêtes se nourriront des cadavres. Le jugement de Yhwh ne laisse donc le choix qu'entre deux solutions épouvantables: être enseveli dans un lieu d'horreurs ou ne pas être enseveli du tout.

156

HOLLADAY, 1 p .

157

RUDOLPH, p .

56.

158

MCKANE, p.

174.

1S

269.

' L X X , V g , C o R N I L L , CONDAMIN, RUDOLPH, THOMPSON.

160

BRIGHT, p . 5 7 . C e t t e i n t e r p r é t a t i o n e s t s u i v i e p a r M C K A N E , p .

161

„... à l'emplacement du tophet détruit on fera des enterrements, même s'il n'y a plus de place et, en conséquence, les cadavres entassés seront livrés en pâturage aux oiseaux et aux bêtes." M. DELCOR, „Réflexions sur la Pâque du temps de Josias", p. 96. cf par exemple 1 S 17,44-46.

162

179.

E t u d e de J r 7 , 1 - 8 , 3

119

Le v. 34 donne un troisième aspect du châtiment: il n'y aura plus de mariage et donc la vie disparaîtra. Quatre mots qualifient *7]p: le plaisir, la joie, le fiancé, la fiancée. La joie et le plaisir sont des mots souvent utilisés dans un contexte de mariage (par exemple: Ps 45,8; Is 62,5). Les quatre compléments renvoient donc sans doute aux festivités du mariage. Plus aucun mariage, plus aucune joie, plus aucune vie: le pays deviendra effectivement une ruine.

Histoire de la rédaction

La présentation que donne Hyatt de Jr 7,29-8,3 résume bien l'opinion générale: „The entire passage is a prediction of the evils that are to come, mainly because of the abominable practices, including child sacrifice, in the valley of Hinnom. It contains more eschatologieal details than are usually found in Jeremiah; it has several parallels in other passages from the Deuteronomic editor (19,6-7; 32, 34-35; 25,10; 16,9); and 8,3 presupposes the Exile. There are thus many traces of the Deuteronomic editing, but the general spirit is not untrue to Jeremiah." 1 6 3 Néanmoins, Rudolph met à part le v. 29: „Die Worte sind rhythmisch und kraftvoll und sind wohl wieder (wie 28b) ein Jer-Zitat, das der Bearbeiter in seine Predigt eingefiigt hat" 1 6 4 . Le v. 29, en vers, avec une interpellation au féminin et une expression jérémienne, les „hauteurs dénudées", est effectivement bien dans le style du prophète et peut avoir été repris par le rédacteur deutéronomiste exilique dans une unité condamnant les hauts lieux et les sacrifices d'enfants de la vallée de Ben-Hinnom.

4. Jr 8,1-3

Traduction

littérale

8,1. En ce temps-là - oracle de Yhwh - on sortira (a) de leurs tombeaux les ossements des rois de Juda et les ossements de ses princes, les ossements des prêtres et les ossements des prophètes, les ossements des habitants de Jérusalem. 2. On les étalera devant le soleil et la lune et toute l'armée des cieux qu'ils ont aimés et qu'ils ont servis, à la suite desquels ils sont allés, 163

HYATT, p. 8 7 7 . Sur cette unité, HOLLADAY se singularise: J r 7 , 2 9 - 3 4 serait à relier directement à 7 , 1 6 - 2 0 et l'ensemble serait authentique, daté de 6 0 0 . Ces affirmations ne sont guère prouvées.

164

RUDOLPH, p .

59.

120

Le culte et ses déviations: de la médiation salvifique à l'illusion

qu'ils ont consultés et devant lesquels ils se sont prosternés. Ils ne seront pas recueillis ni enterrés, ils deviendront du fumier à la surface du sol. 3. La mort sera préférable à la vie pour tout le reste des restants de cette engeance mauvaise, en tous les lieux qui resteront (a) et où je les aurai chassés, oracle de Yhwh des armées. Notes de critique textuelle v. 1 (a) Lire IH'V avec le Qere et nombreux manuscrits, de préférence au Ketib W ^• lt.

v. 3 (a) D,-lit3 en 8,23 et 9,1), 9,9-10.11-15.16-21.22-23.24-25.

Etude de Jr 1 0 , 1 - 1 6

239

les dangers de l'idolâtrie, tandis que dans les chapitres précédents le peuple apparaît déjà adonné à l'idolâtrie 230 . Jr 10,1-16 apparaît comme un fragment ajouté à un ensemble où alternent menaces, accusations et lamentations. Les accusations sont nombreuses: refus de se convertir, mensonge, manque de sagesse, mépris de la loi. La lamentation inaugurée en 9,9-21 se poursuit tout naturellement en 10,17-24. Jr 9,21 s'achève avec le terme 0X0 et 10,17 s'ouvre par ''BOX. Les pleureuses sont appelées à se lamenter sur Sion (9,17) à qui s'adressent les premiers mots de 10,17: „Ramasse à terre ton bagage, toi, l'assiégée!" Entre 9,21 et 10,16 se trouvent deux brefs oracles, l'un en vers sur la sagesse (vv. 21-23), l'autre en prose sur la circoncision dont la place est difficile à justifier 231 . Peut-être le thème de la sagesse, fréquent dans les ch. 8-9 a-t-il appelé les deux versets 22-23 sur la „vraie sagesse". En tout cas, la délimitation de 10,1-16 est nette. 10,1 ouvre un nouvel oracle: „Ecoutez ... maison d'Israël" et entre 10,16 et 17 le changement est manifeste. On parle de Jacob à la 3e personne du singulier, puis brusquement le v. 17 est une interpellation à la 2e personne. 10,1-16 se présente donc comme une unité littéraire distincte. Les verbes "10*7 (9,19) et "U73 (10,4) ont pu jouer le rôle de motscrochets et inciter à l'insertion de ce passage sur les idoles à cet endroit du livre de Jérémie, puisqu'ils se retrouvent également en 10,2 et 2 1 2 3 2 . Le v. 2: „Ainsi parle Yhwh" indique un commencement, de même que le v. 18. 2. Structure Le T M est caractérisé par des alternances: certains versets décrivent les idoles, d'autres célèbrent la gloire de Yhwh créateur et roi des nations 2 3 3 . Le texte est formé de quatre antithèses 234 : 230

231 232

233

CONDAMIN affirme nettement: „sûrement ce passage n'entre pas, par le sujet, dans la série des prophéties où il se trouve actuellement." p. 96. „There is no way to be sure why this unit is placed here" HOLLADAY, p. 316. „One suspects that the passage was added secondarily to a préexistent stratum of material (specifically between 9,16-21 et 10,17-25) on the basis of either or both of the following catch-words OL1? (...) and "IUD." HOLLADAY, p. 326. Le premier à souligner la cohérence de cette sructure contrastée fut P. ACKROYD, „Jeremiah X , 1 - 1 6 " , JTS 14, 1963, pp. 385-390. Il établit le plan suivant: formule d'introduction 1 2-5 mise en garde contre les autres religions et leurs idoles 6-7 reconnaissance de la suprématie de Yhwh 8-9 futilité du culte des idoles

L'illusion des idoles

240 1. 2. 3. 4.

a) a) a) a)

3-5 8-9 11 14-15

b) b) b) b)

6-7 10 12-13 16

Le v. 1 situe les deux interlocuteurs: Y h w h s'adresse à la maison d'Israël. Au v. 1 6 , Israël est appelé „héritage" de Yhwh. Il s'agit dans ce texte du rapport entre Y h w h et Israël. Viennent ensuite les quatre antithèses. 1. Faiblesse des idoles et pouvoir de Y h w h a) vv. 2 - 5 . Le v. 2 constitue une introduction étroitement liée a u x versets qui suivent. Il introduit un tiers dans la relation Yhwh-Israël: les nations. Au v. 2 , deux impératifs ouvrent le passage: HO^n *?}< et innn et font inclusion avec 5b: IKTn *7K. L a „voie des nations" est mise en parallèle avec les „signes du ciel". Le verbe nnn est répété. Un des thèmes principaux est ainsi mis en valeur: ne craignez pas les idoles des nations. La triple mention de "O (2b, 3 a et 3ba) relie les vv. 2 et 3 et met en parallèle les „lois des peuples" avec la „voie des n a t i o n s " 2 3 S .

234

235

10,12-13 réalité et pouvoir créateur de Yhwh 14-15 le ridicule des idoles 16 reconnaissance de la suprématie de Yhwh. T. OVERHOLT („The Falsehood of Idolatry: An Interprétation of Jr 10,1-16",/TS 16, 1965, pp. 1-12) prête davantage attention aux pronoms personnels et divise le texte en 6 parties: 2-5 2e pers. pl. avertissement contre les religions des nations entrecoupé d'une description des idoles (3-5a) à la 3e pers. 6-7 2e sg prière à Yhwh 8-9 3e pl. discours sur les idoles 10,12-13 3e sg discours sur Yhwh 14-15 3e sg et pl discours sur les idoles et ceux qui les fabriquent 16 3e sg discours sur Yhwh Cette répartition est développée par M. MARGALIOT, „Jeremiah X 1-16: A Re-Examination",VT 30, 1980, pp. 295308. J. KRASOVEC, Antithetic Structure in Biblical Hebrew Poetry, VTS 35, Leiden, 1984. En 2b-3a, trois "O introduisent trois propositions successives. On peut hésiter sur la traduction. DHORME ne les traduit pas tous; RUDOLPH, BRIGHT, BJ comprennent: „ne vous effrayez pas, même si les nations s'en effraient, car les prescriptions des peuples, elles, sont vanité, car c'est du bois ..." Nous avons préféré traduire: „oui les nations s'en effraient, mais les prescriptions des peuples, elles, sont vanité, car c'est du bois ..." qui met mieux en valeur le raisonnement qui suit l'impératif: ne vous effrayez pas; oui, c'est un fait que les nations sont effrayées mais c'est à tort car c'est du bois.

Etude de Jr 10,1-16

241

Cette première strophe donne la tonalité de l'ensemble du passage car elle contient des mots-clés qui seront repris dans les deux autres strophes sur les idoles: P nfoya ann ^DD

3a, 3a, 3b, 4a,

8, 15 8 9ab,bb, 15 9a

4a et 4 b a sont parallèles: deux noms plus un verbe, et la chute du verset est sur 4bp: „et cela ne bouge pas". Les vv. 4b-5 soulignent ce que les idoles ne font pas par une multiplication de propositions négatives, b) vv. 6-7 La grandeur de Yhwh, en contraste avec l'impuissance des idoles est soulignée par une inclusion: "|103 "pNC sont les premiers et derniers mots de cette strophe. Tandis que les idoles sont comparées à quelque chose de bien commun: un épouvantail, Yhwh, lui, est incomparable. Une troisième question rhétorique est au centre de la strophe: nN~P N1? et fait contraste avec l'avertissement du v. 5. Yhwh est grand (^na deux fois), roi des nations: il est donc à craindre, tandis que les idoles, elles, n'ont aucun pouvoir: ce serait stupide de les craindre. 2. Les idoles: vanités face au Dieu vivant a) vv. 8-9. Le v 8 est abrupt et comprend des expressions antithétiques à celles du v. 7b: Yhwh est au-dessus de tous les sages (v. 7); toutes les idoles sont stupides et folles (v. 8), et elles sont pourtant oeuvre de „sages", souligne ironiquement le texte (v. 9). Ce dernier élément: D^D •"'ODIl nÊ>170 est particulièrement mis en valeur: le v. 8 s'ouvre par les mots „stupides et folles" et se termine par „sages". Les idoles, couvertes d'or et d'argent, de vêtement colorés, peuvent avoir quelque attrait, mais elles ne sont qu'oeuvres humaines. Les termes qui les décrivent sont groupés deux par deux: or et argent, oeuvre du sculpteur et des mains du fondeur, violet et rouge. Un seul élément reste et conclut la strophe: „oeuvre de sages, tout cela". b) v. 10 Un 1 adversatif ouvre le second volet de l'antithèse. Si les idoles sont des dieux qui n'en sont pas ( ^ n ) , Yhwh est Dieu en vérité (nON), vivant (D^n), non seulement „roi des nations" mais roi „éternel". Son action a des retentissements sur la terre (quand il s'irrite, la terre tremble); cet aspect sera davantage développé en 12-13.

242

L'illusion des idoles

3. Les idoles ne créent pas et Yhwh est Dieu créateur a) v. 11 Les idoles qui n'ont rien créé deviendront „rien". Ce verset écrit en a r a m é e n 2 3 6 est organisé en chiasme 2 3 7 : A ton 1 ?« les dieux B iOOtf "H qui les cieux C Kp-lN1 et la terre D m u K*7 n ' o n t pas fait D' TGIO disparaîtront C' KST1KQ de la terre B' îOOtf mnn "'O et de dessous les cieux A' rf?K eux b) vv. 1 2 - 1 3 Les cieux et c o m m e au v. vil v 12-13

la terre, objet de création, sont mentionnés deux fois 11: les idoles n'ont pas fait: 1~QI? f ô trois verbes développent l'action de Yhwh: faire, former, étendre (nny, p , nnj). Les trois cola du v. 1 2 sont formés de trois mots: un verbe, un élément du cosmos et une faculté divine: faire terre puissance former monde sagesse étendre cieux intelligence Ce parallèle est souligné par des allitérations en ,,r" et en , , t " au v. 12. L'action de Y h w h est en contraste avec la passivité des idoles, sa sagesse avec leur folie.

236

Ce verset est-il une addition postérieure? Nous ne posons pas la question ici. Remarquons seulement que, même sans le verset 11, la structure du texte n'est pas fondamentalement modifiée. Le passage présente alors seulement trois antithèses et non quatre: 1 a) 2-5 b) 6-7 2 a) 8-9 b) 10, 12-13 3 a) 14-15 b) 16 Nous ne pouvons donc souscrire à l'affirmation de Margaliot qui justifie par la cohérence structurelle l'originalité du v. 11: „the exclusion ot the Aramaic v. 11 would destroy the antithetical structure of the whole paragraph, which is logically built exactly as the other three. This verse is therefore an integral part of the whole passage and must originally have belonged to it." p. 301.

237

Cela a été mis en valeur par VOLZ (p. 1 2 2 ) , LUNDBOM (p. 6 5 ) et E . R . CLENDENEN,

„Discourse Strategies in Jeremiah 10,1-16", JBL 106, 1987, pp. 401-408.

Etude de Jr 10,1-16

243

4. les fidèles des idoles et les fidèles de Yhwh a) vv. 14-15 Cette srophe commence par une condamnation: „tout homme est stupide, tout fondeur a honte", en donne ensuite les raisons qui reprennent celles du v. 5 et conclut sur une annonce du châtiment. Les deux premiers cola du v. 14 sont en parallèle: verbe nom motif introduit par une préposition "imj D"ÎK nino «pin ^oaa En tête du v. 15, le terme écho de • ,l 73n (v. 8) est particulièrement mis en relief. Ce verset récapitule la description des idoles: nöUO reprend les vv. 3 et 9. 11310 reprend le v. 11. Le dernier mot sur les idoles est un jugement sans appel: elles disparaîtront. b) v. 16 Ici encore, l'opposition est nette: „la part de Jacob n'est pas comme elles". Cette conviction est basée sur l'affirmation que Yhwh est créateur (v. 16aß) et qu'il est le Dieu d'Israël (v. 16ba). Le poème s'achève donc sur une confession de foi: le Dieu créateur s'est choisi Jacob/Israël comme héritage, „Yhwh sabaot est son nom". Cette analyse montre que ce passage du livre de Jérémie n'est pas „ein fürchterliches Durcheinander" 23 , mais une unité organisée et structurée. Sous forme antithétique reviennent les mêmes thèmes qui soulignent l'opposition entre le néant des idoles et la gloire du seul Dieu. Ces répétitions donnent de la force au message de l'auteur et les variations amplifient les contrastes. 3. Vocabulaire et thématique En raison de la structure du texte, nous n'étudierons pas les versets dans l'ordre actuel, mais regarderons successivement ce qui est dit des idoles puis de Yhwh. a) Description des idoles: passivité, stupidité, vanité Au v. 2., Jérémie met en garde contre la „voie des nations" et les „signes des d e u x " . „La voie des nations" désigne les moeurs et la manière de vivre des peuples non israélites, c'est-à-dire aussi leur comportement religieux. La L X X a ici TOCS O 8 O U Ç . Dans les Actes des Apôtres, le mot oSos désigne à plusieurs reprises le christianisme comme „la voie" sans autre complément 239 . De la même façon, par le mot "[11 238

239

DUHM, p.

98.

Ac 9,2; 18,25.26; 19,9.23; 22,4; 24,14.22.

244

L'illusion des idoles

Jérémie met en garde contre les croyances religieuses des nations. La traduction de P. Ackroyd souligne ce point de vue: „Do not be disciple of the religion of the nations Le parallélisme voie des nations / signes du ciel ne se rencontre pas ailleurs dans l'Ancien Testament. nN qualifie le plus souvent les signes adressés par Yhwh à son peuple. Son emploi pour les phénomènes célestes est assez rare: le soleil et la lune sont des signes pour les fêtes, les jours et les années (Gn 1,14), l'arc en ciel est signe de l'alliance entre Dieu et Noé (Gn 9,12.13.17). En Jr 10,2, HK désigne simplement les phénomènes célestes, soit inattendus comme les comètes ou les éclipses, soit prévisibles par l'étude des astronomes. Le prophète conjure ses auditeurs de ne pas se laisser terrifier par les éclipses de soleil, de lune, la position des étoiles, phénomènes qui jouaient un rôle important dans la religion babylonienne 241 . La même condamnation se trouve en Is 47,12-13: „Reste donc avec tes incantations et tous tes sortilèges (...) Tu t'es épuisée à force de consultations, qu'ils se présentent donc et te sauvent ceux qui détaillent le ciel, qui observent les étoiles, qui annoncent chaque mois ce qui va fondre sur toi."

On observait attentivement les signes du ciel pour connaître l'avenir, les nations avaient peur (nnn deux fois) des présages néfastes. Israël ne doit pas agir de cette façon. La condamnation des devins et astrologues de toutes sortes est fréquente dans la Bible: Lv 19,26; Dt 18,10-14; 2 R 21,6; Mi 5,11; Is 2,6; 57,3; Jr 27,9. D'après 2 R 17,24-33 2 4 2 , après la chute de Samarie et les mouvements de population qui ont suivi, les cultes étaient fort divers chez les Israélites restés dans le pays et, en dehors de la religion cananéenne, les cultes astraux mésopotamiens exerçaient leurs attraits sur les fidèles de Yhwh. Dans les vv. 3-5 et 8-9, chaque description indique les matériaux utilisés pour la fabrication des idoles et la qualification de ces idoles:

240 241

242

P. ACKROYD, „Jeremiah X , L - 1 6 " , p. 3 8 6 . cf G. CONTENAU, La divination chez les Assyriens et les Babyloniens, Paris 1 9 4 0 , pp. 2 9 9 - 3 4 9 . J. NOUGAYROL, La divination babylonienne, Paris, 1 9 6 8 , pp. 2 5 - 8 1 . M. DELCOR, „Les cultes étrangers en Israël ...", pp. 9 1 - 1 2 3 . Sur 2 R 17, on peut consulter: J.D. MACCHI, „Les controverses théologiques dans Transle judaïsme de l'époque postexilique. L'exemple de 2 R 1 7 , 2 4 - 4 1 " , euphratène

5, 1 9 9 2 , pp.

85-93.

Etude de J r 1 0 , 1 - 1 6

245

bois 3b 8b argent et or 4a 9a oeuvre de sculpteur 3b 9a oeuvres des mains 3b 9a vanité 3a 8b Au-delà de certains clichés, comme la mention de l'argent et de l'or fréquente dans la description des statues, les vv. 3-5 insistent sur la passivité des idoles et les vv. 8 - 9 sur leur stupidité. La passivité des idoles est inhérente à leur origine: elles sont „oeuvres des mains du sculpteur". Trois temps sont marqués dans leur fabrication: l'homme a coupé un arbre, sculpté avec le ciseau, embelli avec des métaux précieux. L'idole est un objet que l'on a travaillé, toujours objet et jamais sujet des actions. La passivité est également mise en évidence dans le présent, une fois l'oeuvre finie, par la multiplicité des négations: vv. 4 - 5 : elles ne bougent pas K1? elles ne parlent pas N1? elles ne marchent pas K1? elles ne font pas le mal K1? elles ne peuvent pas faire le bien "ptf Les peuples ne sont pas naïfs. Ils savent bien que les statues ne sont pas les dieux mais les représentent. L'auteur semble oublier la distance. Non seulement les idoles ne sont pas des divinités, mais elles sont incapables de faire la moindre action humaine, ni physique (marcher, bouger), ni morale (faire le bien et le mal). Le premier colon du v. 3 est comme un titre donné à cette description: „Les prescriptions des peuples, elles, sont vanité." mpn est un terme du vocabulaire nomistique qui indique toutes sortes de prescriptions, ici plus particulièrement les coutumes religieuses. La connotation est la même en Lv 18,3 où Moïse donne l'ordre de ne pas agir comme on fait au pays d'Egypte et au pays de Canaan mais selon les coutumes et les prescriptions de Yhwh. Kimhi a glosé mpn avec •"'O'PS, images, et lisait donc dans les prescriptions des peuples une allusion aux cultes idolâtriques. Le substantif mpn/pn est un terme peu employé par les prophètes en dehors d'Ezéchiel. Il se rencontre cependant six fois 2 4 3 (plus deux sous la forme féminine Hpn) dans le livre de Jérémie. Le terme que nous avons déjà vu en J r 2 , 5 occupe une place remarquable en 1 0 , 1 - 1 6 , puisqu'il est utilisé trois fois aux vv. 3, 8, 1 5 2 4 4 . Dans la plupart des autres passages bibliques, notamment dans 243 244

Jr 5 , 2 2 . 2 4 ; 10,3; 31,35; 32,11; 33,25; 4 4 , 1 0 . 2 3 . Autres occurrences dans le livre de Jérémie: 2,5; 8,9; 14,22; 16,19; 51,18.

246

L'illusion des idoles

Qohélet, *?3n signifie „vanité" en général. Dans le livre de Jérémie, il s'applique presque toujours aux idoles 245 et souligne qu'elles sont néant. L'idole n'est qu'un arbre coupé, une oeuvre dérisoire. fV est mis en relief au début du v. 3b par le mot "O et l'assonnance en „s": TIUO ... H&yo ... La passivité s'exprime aussi dans l'insistance sur l'immobilité: il importe que l'idole ne bouge pas (pis). Les statues étaient sans doute fixées (ptn) sur un socle ou sur le sol 2 4 6 . Is 4 0 , 2 0 et 4 1 , 7 témoignent du même souci: on cherche un habile artisan „pour ériger une idole qui ne vacille pas." L'artisan renforce la soudure „avec des clous pour qu'elle ne vacille pas." nfcyo (3b), trois fois employé, ne peut pas ne pas évoquer la proscription de l'idolâtrie d'Ex 20,3. nfcli est le verbe utilisé pour les condamnations de l'idolâtrie d'Israël dans le livre de Jérémie (1,16; 2,28; 16,20.) L'expression „oeuvre de mains d'homme" se trouve en bien des livres bibliques pour désigner des idoles 247 . Au v. 5, le pouvoir des idoles est ironique. Leur impuissance est manifeste. Craindre ce que l'on a soi-même fabriqué est absurde. La stupidité est un thème particulièrement dévéloppé dans les vv. 8-9: v. 8a „toutes sans exception sont stupides et folles" v. 9b „oeuvre de sages, tout cela" Les deux racines "1132 et sont caractéristiques du vocabulaire sapientiel 248 . Le parallélisme des deux termes se trouve dans trois psaumes: 4 9 , 1 1 ; 92,7; 94,8: „Prenez garde, stupides entre tous! insensés, quand aurez-vous l'intelligence?"

A la suite des vv. 3-5, le sujet non exprimé des verbes à la 3e personne du pluriel est „les idoles" 2 9 . Holladay propose une interprétation très personnelle du verset 8. Comprenant TIB3"1 au sens de "1173 I „brûler", il traduit: „Let them burn as well as be foolish; the instruction of 245

246 247

248

249

Autres passages de l'A.T. où *73n désigne une idole: Dt 32,21; 1 R 16,13-26; 2 R 17,15; Jon 2,9; Ps 31,7. C'est ce que laissent supposer les déboires de Dagôn en 1 S 5,1-4. Dt 4,28; 2 7 , 1 5 ; 2 R 19,18; 2 C 32,19; Is 2,8; 37,19; 4 1 , 2 9 ; 57,12; Ez 6,6; Os 13,2; 14,4; Mi 5,12; Ps 115,4; 135,15. En dehors du ch. 10 de Jr: 1,16; 25,6.7.14; 3 2 , 3 0 ; 4 4 , 8 ; 4 8 , 7 ; 51,18. Le verbe 15J3, „être stupide" a 7 occurrences dans l'A.T. et le nom 5. Sur ces 12 emplois: 4 dans Ps, 2 dans Pr, 1 en Is, 2 en Ez et 4 en Jr. Le verbe *7D3 est un hapax. Par contre l'adjectif est massivement utilisé dans les écrits de sagesse: 4 9 occurrences dans Pr, 18 dans Qo et 3 dans Ps. En Is 19,11, "1113 est opposé à nODQ: „les plus sages conseillers du pharaon forment un conseil stupide." Certains comprennent „les hommes" mais sans justifier (TOB).

Etude de J r 10,1-16

247

nothings is w o o d " . Il lit le verset de façon ironique: l'arbre coupé pour faire une idole est en fait bon pour faire du feu. La suggestion de „brûler les idoles" annoncerait les vv. 1 1 et 1 4 : „elles disparaîtront". Cette interprétation est difficile à accepter car "1173. se trouve dans ce même passage au v. 14 avec le sens de „stupide". Le v. 9 reprend la description de l'idole en la développant: „l'argent laminé est amené de Tarsis et l'or d ' U p h a z . " D e u x lectures sont possibles pour Tarsis et Uphaz. Soit on considère, et c'est ce que font la quasi-totalité des traducteurs, que ce sont deux noms géographiques. Uphaz est un h a p a x et la localisation est inconnue. M ê m e si les mentions de Tarsis sont plus nombreuses ( 2 5 ) , le site ne peut être localisé avec exactitude. Plusieurs hypothèses sont proposées: en Espagne, Sardaigne ou Tunisie. Il semble, en tout état de cause, que pour les hébreux ce lieu désignait le bout du m o n d e 2 5 0 . L'autre solution est de renoncer à chercher une identification topographique et de lire Tarsis et Uphaz c o m m e deux noms communs. Albright 2 traduit fiPÈnn par „refinery". L'argent qui „vient de T a r s i s " signifie que c'est un argent raffiné. rEHKQ peut alors être lu rSINO, participe hofal de ira (verbe attesté en 1 R 1 0 , 1 8 ) : raffiner. Il s'agit alors de préciser que l'or est fin. O n peut aussi penser que le sens a évolué. Tarsis, lieu géographique à l'origine réel mais mal identifié, a fini par évoquer le bout du monde qu'on ne peut atteindre qu'avec des navires conçus pour la navigation au long cours, d'où l'expression proverbiale „les vaisseaux de T a r s i s " 2 5 2 . L'élement nouveau du v. 9 dans la description des idoles est la mention des vêtements de couleur pourpre, mais l'accumulation de raffinements ne donne aucune valeur a u x statues. Le dernier colon résume ironiquement la situation: „oeuvre de sages, tout c e l a " . Le mot •Dn a ici le sens d'habile qu'il a en J r 9 , 1 6 et qui se réfère ailleurs aussi 253

a u x artisans . La vanité, dont il a été question dans tout le passage, est également la note finale du texte. Le v. 1 4 reprend nombre de termes déjà rencontrés qui aboutissent au v. 15 à une conclusion récapitulative sur les idoles. Le v. 1 4 a est formé de deux cola symétriques:

250 251

cf la note de la T O B à J o n 1 , 3 . W . F . ALBRIGHT, „ N e w Light on the Early Phoenician Colonization", BASOR

1941, pp. 14-22.

252

253

83,

©apcriç est rendu dans la L X X de façon variée: avÔpaÇ, ©apaiç, 0apaeiç, KapKT|Sovioi, PaaiiECTcrai, ôaAaaaa, xpvcroÀiÔoç. E x 2 8 , 3 : à propos des vêtements des prêtres: „Tu t'adresseras à tous les hommes habiles que j'ai comblés d'habileté et ils se feront les vêtements d'Aaron pour qu'il soit consacré à l'exercice de mon sacerdoce."

248

L'illusion des idoles

nino D1N *7D -\V21 •?030 »'•'an qui sont une sentence générale. Il s'agit non d'une description précise, mais de tout homme, de tout fondeur. Le parallélisme de 14a n'est pas parfait car "|0 n'a pas la même valeur dans les deux cola. En 14aa, il est privatif: tout homme est stupide faute de savoir; en 14a|3, il est causatif: tout fondeur est honteux de son idole. Les versions ont senti cette difficulté puisque la L X X et la Vg ont deux prépositions différentes: octto yvcoaecoç et etti toiç yÀu-rrTOiç, a scientia et in sculptili. Le Tg modifie un peu 2 5 4 : •n» d ^ s - o y o ^ o T p b j n\-D NQDn » t o ^ û waav vtfsaa^ La connaissance de Dieu est un grand thème de la prédication de Jérémie (2,8; 9,23; 2 2 , 1 5 - 1 6 ; 24,7; 31,34). Ceux qui n'ont pas cette connaissance sont stupides et ont recours à toutes sortes de subterfuges: les idoles en sont une illustration. Le hifil de tfn se rencontre 11 fois dans le livre de Jérémie (2,26; 6,15; 8,9-12; 10,14; 4 6 , 2 4 ; 4 8 , 1 . 2 0 ; 50,2.2; 5 1 , 1 7 ) et relativement peu ailleurs dans l'A.T.: 2 S 19,6; Is 30,5; Os 2,7; Jl 1 , 1 0 . 1 1 . 1 2 . 1 2 . 1 7 ; Za 9,5; 10,5. Le terme "Iptf, si caractéristique du livre, qualifie l'idole qui n'a pas de souffle ( m i ) : elle est sans vie tandis que Yhwh est Dieu vivant (v. 10) et maître de la m i . Le v. 15 résume l'ensemble de la description de l'idole: elle est „vanité". est précisé par un terme péjoratif: „oeuvre dérisoire". nÊWO qui a souvent une connotation positive est cette fois ci qualifié par •MJnyn, hapax de la racine Utfn „se moquer. Dmpa n!?3 est encore une expression que l'on trouve assez fréquemment dans le livre de Jérémie: 8,12; 11,23; 2 3 , 1 2 ; 4 6 , 2 1 ; 4 8 , 4 4 ; 5 0 , 2 7 ; 5 1 , 1 8 = 10,15 et dans une forme voisine seulement en Is 10,3 et Os 9,7. En dehors de 10,15, tous les passages se réfèrent à la punition d'infidèles. Yhwh va traiter les divinités et leurs images comme le peuple qui lui désobéit. 11310: le dernier mot consacré aux idoles est l'aboutissement de ce qui précède. Illusoire, sans souffle, vanité, dérisoire, l'idole ne peut que périr. Tout au long de cette péricope sur les idoles, leur inexistence a été soulignée de bien des façons: le vocabulaire, les verbes à la forme négative et aussi le fait qu'elles ne sont même pas nommées: les verbes sont à la 3e personne du pluriel, sans sujet exprimé. Mais il nous faut noter avec intérêt que bien des termes que nous avons étudiés dans ces versets sont très courants dans le livre de Jérémie. Cette constatation a son importance pour l'histoire de la rédaction. 254

Hayward traduit: „All the nations have become dull so as not to know wisdom: all the metal-workers are ashamed to make an image."

Etude de Jr 10,1-16

b) Yhwh, incomparable,

249

créateur, Dieu d'Israël et des nations

Les vv. 6-7 sont un passage hymnique qui apostrophe Yhwh à la 2e personne. La question rhétorique qui constitue l'inclusion de ces versets est l'une des expressions caractéristiques pour dire l'incomparabilité de Dieu. Le caractère incomparable de Yhwh est affirmé dans l'Ancien Testament de trois manières 255 . Les négations comparatives (il n'est personne comme lui) 256 sont appliquées à des hommes ou à Dieu: „Point de Saint comme Yhwh "pR car il n'y a personne excepté toi "pN "O point de Rocher comme notre Dieu." TIN 1 S 2,2 Des questions rhétoriques (Qui est comme lui?) 5 7 impliquent une réponse négative: „Qui est comme toi parmi les dieux, Yhwh? Qui est comme toi illustre en sainteté, redoutable en exploits, artisan de merveilles?" Ex 15,11

La réponse implicite est „personne". La question traduit la reconnaissance de la grandeur de Dieu et l'humble situation de l'homme face à Dieu. Le choix de certains verbes est aussi significatif: m®', ¡"101, "py. Ces verbes se rencontrent surtout dans le 2e Isaïe (40,18.25; 46,5) 258 : „A qui comparer (HOI) Dieu, et quelle image ( m a i ) pourriez-vous en fournir?" Is 40,18 „A qui me comparerez-vous (HOI), dont je sois l'égal?" 40,25 „A qui voulez-vous m'assimiler (¡101) et m'identifier (HIE), „A qui me comparer (^BO), à qui suis-je semblable (HOI)?" 46,5

Comment interpréter Jr 10,6-7 dans cette perspective? Jr 10,1-16 compare les idoles avec Yhwh pour prouver qu'elles ne sont rien.

255

256

257

258

cf C.J. LABUSCHAGNE, The Incomparability of Yahweh in the Old Testament, Leiden, 1966, pp. 8-30. J. B R I E N D , Dieu dans l'Ecriture, Paris, 1992, stt pp. 111126. La négation est appliquée aux hommes en 1 S 10,24; 1 S 21,10; 1 R 3,12-13; 2 R 18,5; 23,25; Jb 1,8; 2,3. Elle est appliquée à Dieu en Ex 8,6; 9,14; et surtout dans des hymnes et prières: Dt 33,26; 1 S 2,2; 2 S 7,22; 1 R 8,23; Ps 86,8. LABUSCHAGNE donne de nombreuses références dans les psaumes. B O N N A R D (Le second Isaïe, p. 47) note que le 2e Isaïe met parfois ces interrogations dans la bouche de Yhwh, ce qui est très rare ailleurs. cf B O N N A R D , Le second Isaïe ..., note 3 p. 57, et B . C O U R O Y E R , „ I S XL,12", RB 73, 1966, pp. 186-196.

250

L'illusion des idoles

Yhwh est incomparable. La double question rhétorique le souligne. Les questions rhétoriques sont nombreuses dans le livre de Jérémie, mais en Jr 10, ce sont les seuls versets où elles portent sur l'incomparabilité de Yhwh qui n'est pas un thème majeur du livre. La majesté de Dieu est mise en relief également par la répétition de „grand" en 6b et la mention de „tous les sages des nations et tous leurs royaumes" en 7b. Qui sont les sages des nations? Les orfèvres habiles fabricants d'idoles mentionnés aux vv. 3 et 9? Les devins qui interprètent les signes des cieux? Les conseillers des rois? Si nous restons à l'intérieur du texte, la fin du v. 9 („oeuvres de sages, tout cela") suggère plutôt la première hypothèse. Dans un passage hymnique célébrant la grandeur de Yhwh, il semble qu'un groupe influent et important convienne bien à la situation 259 . Mais le texte d'Is 4 4 , 2 5 2 6 0 où les sages sont mis en parallèle avec les devins à propos des augures, peut faire pencher pour la deuxième hypothèse. La crainte a changé de camp. Israël n'a pas à craindre les signes des cieux mais les nations doivent craindre Yhwh, roi des nations. La thématique de Dieu créateur est développée dans les vv. 10-13. Le v. 10a est constitué d'une triple affirmation. Noms et adjectifs martèlent l'opposition entre Yhwh: Dieu véritable, Dieu vivant et roi éternel, et les idoles: divinités fausses, sans vie et passagères 2 6 1 . L'expression D ,, n DYI^K qui ne se trouve telle quelle que dans quatre autres passages de l'A.T.: Dt 5,26; 1 S 17,26.36 et Jr 2 3 , 3 6 est liturgique. Elle renforce ici nON. Le v. 10b dit le pouvoir de Yhwh sur les nations avec des verbes d'action: donner de la voix, faire monter, faire, faire sortir. Les noms 'jiip et DI?r sont également ensemble en Ps 102,11: „je mêle à ma boisson mes larmes, devant ta colère et ta fureur." Ces deux termes sont essentiellement utilisés pour la colère de Dieu: 26 cas sur les 28 occurrences de ^Sp, 20 sur 22 pour DDt. L'action de Dieu a des conséquences sur la création, son agir montre sa domination sur les nations, ainsi que l'indiquait déjà le titre de „roi des nations" donné au v. 7. Les vv. 12-13 célèbrent Yhwh créateur. La force de Yhwh (rrvna) agit par trois auxiliaires: sa puissance (ri3), sa sagesse (nODn) et son

259

260

261

cf Jr 50,35 et 5 1 , 5 7 qui énumèrent les Chaldéens, habitants de Babylone, ses princes et ses sages. „C'est moi ... qui réduis à néant les signes des augures et fais délirer les devins, qui fais reculer les sages et tourne en science leur folie." Is 4 4 , 2 5 . cf S. KREUZER, Der lebendige Gott, Stuttgart 1983, pp. 2 8 7 - 2 9 2 .

Etude de Jr 10,1-16

251

intelligence(n3nn). Par eux, Dieu crée la terre, le monde et les cieux. Dans quelques textes 2 6 2 , désigne le monde souterrain. Dahood 2 6 3 suggère qu'il y a ici la division tripartite: enfers - terre - cieux comme en Ps 89,12: „A toi le ciel, à toi aussi la terre le monde et son contenu, c'est toi qui les fondas."

La parenté du langage jérémien avec certains psaumes est ici patente : „toi qui maintiens les montagnes par ta force qui te ceins de puissance ..." Ps 6 5 , 7

Le v. 13 souligne la puissance de Yhwh dans l'orage avec quatre manifestations: grondement d'eaux, nuages, éclairs et vent. L'assonance D"'I3®'3 œo lion la renforce. Les verbes sont n1?!;, ns» et "13% caractéristiques du langage de création. Avec rtÊW au participe qal, le v. 12 ouvrait une célébration de genre hymnique; le v. 13 reprend le verbe nfDV (il fait les éclairs). Le verset est quasi identique à Ps 135,7 (seul diffère au 3e colon KS"1 une fois au participe et l'autre à l'inaccompli converti): „Faisant monter les nuages du bout de la terre, il produit avec les éclairs la pluie, il tire le vent de ses trésors."

La conception de „réservoirs" (1S1K) de Yhwh pour la pluie, la grêle ou la neige n'est pas particulière à ce passage. On trouve cette représentation en Dt 28,12; Ps 33,7; J b 38,22. La description du pouvoir de Yhwh sur les phénomènes météorologiques vise à amener l'homme à prendre conscience de sa faiblesse et donc de celle des idoles qu'il fabrique lui-même et qui ne lui sont supérieures en rien. Elle affirme aussi que les „signes des cieux" ne sont pas soumis aux divinités cananéennes ou mésopotamiennes. L'autorité de Yhwh créateur s'étend sur eux comme sur tout l'univers. Le rapport entre Yhwh et les nations apparaît aux vv. 7 et 10. Yhwh est appelé „roi des nations" (inin I^O). L'expression est unique. La souveraineté de Yhwh sur les nations n'est guère directement explicitée dans la première partie du livre de Jérémie si ce n'est par l'intermédiaire 262

HALAT donne comme exemples: Ex 15,12; 2 S 23,4; Jr 17,13; Jon 2,7; Ps 12,7; 2 2 , 3 0 ; 71,20; Si 51,9; Jb 34,13; 37,12.13.

263

M . DAHOOD, Psalms II, p. 2 3 2 .

252

L'illusion des idoles

du prophète lui-même appelé à être „prophète des nations" (1,5). Ce thème est par contre bien présent dans les Psaumes. En Ps 22,28-29, il est écrit: „toutes les familles des nations se prosterneront devant lui A Yhwh la royauté, au maître des nations." •••lin 'JB'oi roi^an mrr1? -o

En Ps 47,9: „Dieu, il règne sur les païens.", D,13 ^SJ OTP1?« "[^a

et en 96,10: „Dites chez les païens: „Yhwh règne", "I^O m m c r a i HDK

et les références pourraient être multipliées 265 . Jr 10,7 reprend donc une affirmation psalmique. Les vv. 6,7,10 relèvent du genre littéraire de l'hymne. De ce point de vue aussi, la différence est nette par rapport aux vv. 2-5.8-9.14-15 qui décrivent les idoles. Le v. 16, en contrepoint à l'universalité de la royauté de Yhwh, réaffirme l'élection de Jacob-Israël. En opposition aux idoles créées par l'homme, l'affirmation de Dieu créateur est une dernière fois reprise. Le verset s'ouvre par une négation comparative: le Dieu d'Israël est sans commune mesure avec les dieux des nations. Le mot "f?!"!, „la part" est souvent mis en parallèle avec n^ri] „l'héritage" . Les deux termes sont notamment utilisés pour souligner la particularité de la tribu de Lévi qui n'a ni part ni héritage sur la terre de Canaan parce que Yhwh est son héritage: „Yhwh dit à Aaron: „Tu n'auras point d'héritage dans leur pays, il n'y aura pas de part pour toi au milieu d'eux. C'est moi qui serai ta part et ton héritage au milieu des Israélites." Nb 18,20. La métaphore s'est généralisée en contexte liturgique 267 et se trouve dans les Psaumes où Yhwh est „la part" du croyant:

264

265

16i

267

C . W E S T E R M A N N a bien montré que la réalité créée par Dieu intervient dans ce qui se passe entre Dieu et l'homme, cf „La création dans les Psaumes", La création dans ¡'Orien ancien, Paris, 1 9 8 7 , pp. 3 0 1 - 3 2 1 . P.E. B O N N A R D , Le Psautier selon Jérémie, Paris, 1960. cf E . LIPINSKI, La royauté de Yahvé dans la poésie et le culte de l'ancien Israël, Bruxelles, 1965. Une étude précise est faite par F. D R E Y F U S , „Le thème de l'héritage dans l'Ancien Testament", RSPT 42, 1958, pp. 1-49. C'est l'opinion de V O N R A D , Théologie de l'A.T. I , pp. 3 4 9 - 3 5 0 .

Etude de J r 1 0 , 1 - 1 6

253

„ Y h w h , ma part d'héritage (""p1?!! n]0) et m a coupe, c'est toi qui garantis mon lot ; le cordeau me marque un enclos de délices, et l'héritage (¡"l1?!"!]) est pour moi magnifique." Ps 1 6 , 5 2 6 8

En Jr 1 0 , 1 6 , la formulation est réciproque: la part de Jacob est Yhwh et Israël est la tribu de son héritage. Après la réaffirmation de l'élection d'Israël, l'auteur reprend la principale différence entre Yhwh et les idoles: Yhwh est créateur de tout . "lîT est l'un des verbes de création que l'on trouve avec i"IÈ>l? en Gn 2 , 7 et 2,4. Il est employé ici au participe 2 7 0 . La nuance est „façonner". C'est l'un des verbes de prédilection du 2e Isaïe (18 occurrences sur 4 3 emplois dans l'A.T.). On le rencontre quatre fois dans le livre de Jérémie; 10,16 = 51,19; 18,11; 33,2: „Ainsi a parlé Yhwh, lui qui a fait (HÈMJ) la terre, lui qui l'a formée (HîP) pour la fixer, lui dont le nom est Y h w h . " (traduction Dhorme) Le poème s'achève sur une acclamation: „Yhwh sabaot est son nom."571 Le texte s'ouvrait avec la mention de Yhwh aux vv. 1-2. Il s'achève par cette acclamation, comme si le rédacteur final avait voulu dire dans sa composition que les idoles ne faisaient pas le poids. Yhwh a le premier et le dernier mot. L'étude thématique confirme ce que nous avons noté dans la structure. Le poème de Jr 1 0 , 1 - 1 6 est traversé par une antithèse fondamentale: celle de Yhwh et des idoles. Yhwh est incomparable, créateur, à la fois roi des nations et Dieu d'Israël. En face, les idoles ne sont que vanité et néant. Remarquons aussi les différences littéraires. Les passages sur les idoles sont des descriptions qui comportent un vocabulaire usuel dans le livre de Jérémie, utilisé également en partie par le 2e Isaïe dans ses polémiques contre les idoles. Les sections consacrées à Yhwh sont des fragments hymniques dont le vocabulaire est beaucoup plus proche de celui des Psaumes et du 2e Isaïe que de celui du reste du livre de Jérémie.

268 269 270

271

On trouve des expressions voisines en Ps 7 3 , 2 6 ; 1 1 9 , 5 7 , 1 4 2 , 6 ; Lm 3 , 2 4 . TAN insiste sur la totalité de l'univers: cf Ps 1 0 3 , 1 9 ; 1 1 9 , 9 1 . La tournure participiale est fréquente dans les phrases relatives à la création, surtout dans Is 4 0 - 5 5 . cf J. VERMEYLEN, „Le motif de la création dans le DeutéroIsaïe", La création dans l'Orient ancien, Paris, 1 9 8 7 . „Yhwh sabaot" se trouve 7 7 fois dans le livre de Jérémie.

254

L'illusion des idoles IV. Histoire de la rédaction 1. Le texte et ses difficultés

Quelques incohérences

apparentes

Nous avons signalé dans les notes de traduction deux difficultés qui reviennent plusieurs fois dans ce passage. Le mélange du singulier et du pluriel dans les verbes et les suffixes aux vv. 3.4.8.9, c'est-à-dire uniquement dans des versets consacrés à la description des idoles. Comment interpréter cette incohérence? Holladay fait remarquer que ce phénomène n'est pas unique. Il se retrouve en Is 44,9-20, aux vv. 15 et 18, dans un passage précisément consacré aux idoles. On pourrait conclure que c'est un exemple de légèreté dans la transmission des textes. Mais cette explication n'est guère satisfaisante. L'impression de confusion et d'inachevé peut faire partie du genre littéraire. Le manque de soin dont témoigne le passage du singulier au pluriel peut indiquer la moquerie: ces dieux sont-ils un ou plusieurs? L'insouciance de l'écrivain dit le peu de sérieux que méritent les idoles. Quelles qu'aient été les intentions du rédacteur, il est certain qu'il y a là un effet littéraire qui dit quelque chose sur le peu de crédit qu'on doit accorder aux idoles. Tandis que le 2e Isaïe mentionne les idoles par un nom, en général 'JOH (10 occurrences), que les livres des Rois utilisent divers termes (ppEf, rQyin), l'auteur de Jr 10,1-16 aligne les verbes à la 3e personne du pluriel sans leur donner de sujet. Incohérence révélatrice du caractère composite du passage? Nous pensons plutôt que l'écrivain traduit ainsi le mépris qu'il éprouve pour les idoles et leur insignifiance. Elles existent tellement peu qu'elles n'ont pas de nom alors que le Dieu d'Israël, „Yhwh sabaot est son nqm."

Le verset 11 Le v. 11 présente la particularité d'être en araméen. C'est la raison pour laquelle il est généralement considéré comme tardif 2 7 3 . Quelques auteurs le considèrent néanmoins comme authentique. Overholt 2 7 4 fait remarquer que la présence d'un verset en araméen ne présuppose pas nécessairement une date plus tardive que celle de Jérémie. En 2 R 18,26, les discussions entre les envoyés du roi d'Assyrie et ceux d'Ezéchias montrent que Paraméen était compris au moins par les

272

HOLLADAY 1 , p .

273

D U H M , CONDAMIN, R U D O L P H , BRIGHT, A C K R O Y D , THOMPSON,

325.

274

OVERHOLT,

„The Falsehood ...", p.

5.

MCKANE.

Etude de Jr 1 0 , 1 - 1 6

255

hauts fonctionnaires de Juda. Clendenen 275 va jusqu'à considérer ce verset organisé en chiasme comme le „climax" du passage. Margaliot 2 7 6 insiste sur le fait que le v. 11 est tout à fait à sa place dans le poème. Le vocabulaire de création est bien en situation et l'élimination du v. 11 détruirait la structure antithétique de l'ensemble. Linguistiquement, les deux formes du mot terre: UpIN / nuiK ont pu coexister entre 8 0 0 et 6 0 0 . Holladay 2 7 7 „sauve" également ce verset pour les mêmes raisons en soulignant l'ironie que comporte le jeu de mot "Q17 / "QK. Ceux qui n'ont pas fait... périront: N A T O 1 ~ Q I 7 . Mais ces arguments ne nous semblent pas décisifs: si le v. 11 est effectivement bien en place, ce peut être l'oeuvre du rédacteur final, cela ne veut pas dire qu'il était présent dans le premier état du texte. Il est exact que l'araméen était compris, au moins par une partie de la population, à l'époque de Jérémie, mais ce n'est pas la langue dans laquelle s'exprime le prophète. Si Jérémie était bilingue et passait d'une langue à l'autre, pourquoi ce seul exemple dans les 52 chapitres du livre? Le changement de langue n'a pas de raison d'être en Jr 10,1-16. Il vaut donc mieux considérer que le v. 11 est une glose insérée par un scribe, glose ancienne puisque ce verset est présent dans la L X X . Wambacq 2 8 estime que le v. 11 „est une addition liturgique provenant probablement de la liturgie synagogale." Elle est en tout cas en harmonie avec la pensée et le vocabulaire de l'ensemble du passage. TM et LXX Jr 10, 1-16 est l'un des chapitres du livre de Jérémie où les différences entre le T M et la L X X sont fort importantes et posent un problème de critique littéraire. Comme nous l'avons déjà mentionné, le Texte Massorétique est plus long que celui de la L X X : les vv. 6 - 8 . 1 0 . 1 3 a a ne

275

276

E.R. C L E N D E N E N , „Discourse Strategies in Jeremiah 10,1-16", JBL 106, 1987, pp. 4 0 1 - 4 0 8 . II propose le chiasme suivant: (a) Emptiness of pagan worship (vv 3-5) (b) None like Yahweh (vv 6-7) (c) Brutish and empty idols (vv 8-9) (d) Yahweh shakes the earth (vv 10) (e) Idols shall perish from earth and heavens ( v l l ) (d') Yahweh causes rumbling in heaven (vv 12-13) (c') Brutish and empty idol worship (vv 14-15) (b') Yahweh not like these (v 16) M . M A R G A L I O T , „Jeremiah X , L - 1 6 ...", p. 3 0 1 .

277

HOLLADAY, p .

278

B.N.WAMBACQ,

324.

„Jeremie X , l - 1 6 " , p.

59.

256

L'illusion des idoles

sont pas dans la L X X ; le v. 9 du T M est situé entre les vv. 5a et 5b de la L X X . Les autres différences sont mineures. Dans leurs commentaires, les auteurs prennent des options diverses. Duhm et McKane estiment que le texte conservé par la L X X est plus ancien et „meilleur" que le T M 2 7 9 . D'autres (Ackroyd, Overholt, Margaliot, Holladay) s'en tiennent au T M sans tenir compte de la L X X 2 8 0 . Refusant l'alternative: la L X X abrège le T M ou le T M glose la L X X , d'autres encore 2 8 1 essayent d'établir un texte hypothétique en partant des deux recensions, mais ces tentatives demeurent fort subjectives, et aléatoires. Les découvertes des manuscrits de la Mer Morte ont quelque peu modifié le regard sur le rapport T M - L X X . On a en effet retrouvé à Qumrân des fragments de deux textes hébreux 2 8 2 : le T M (4 Q Jer a) et un texte hébreu (4 Q Jer b) qui ne laisse pas place aux vv. 6 - 8 . 1 0 et que l'on peut considérer comme la Vorlage hébraïque de la L X X . Les deux textes coexistaient donc au 1er siècle. La publication de 4 Q Jer b montre que la L X X tient ses particularités de son modèle hébraïque et non de son traducteur. Dans une étude minutieuse, P.M. Bogaert 2 8 3 indique comment, par un mécanisme de dédoublements, le T M développe la Vorlage de la L X X . Ainsi dans la L X X , la description des idoles se lit-elle d'une traite, vv. 3.4.5a.9.5b., tandis que le T M , en intercalant un supplément doxologique, a dédoublé la description: les vv 8b-9 reprennent des éléments de 3-4 et le v. 8a est un élément rédactionnel. La description des idoles dans la L X X est organisée autour de l'exhortation à ne pas craindre: 279

280

„There can be no doubt that in Sept. we encounter the Hebrew text at an earlier point in its history than we do in M T , that M T has been reached by a process of piecemeal aggregation." MCKANE, p. 2 1 7 . Pour ACKROYD, „the shortened L X X text may be due to the abbreviating of a passage which is somewhat repetitive" („Jeremiah X . 1 - 1 6 " p. 3 8 6 note 3). HOLLADAY est a priori, et sans développer d'arguments, en faveur du T M : „Given no indication for the superiority of either recension, one is moved to stay with M . " (p. 3 2 6 ) , ainsi que MARGALIOT: „The very logical structure of the Massoretic text is to be preferred to the text of the L X X ... In this passage the M T dit not develop out of the L X X . " p. 3 0 7

281

GIESEBRECHT, V O L Z , RUDOLPH, BRIGHT.

282

Les fragments retrouvés du livre de Jérémie ont été publiés par: F . M . CROSS JR, The Ancient Library of Qumrân and Modem Biblical Studies, Grand Rapids, 1 9 6 1 , p. 1 8 7 . J.G. JANZEN, Studies ..., Appendix D: Hebrew Texts of Jeremiah from Qumrân, pp. 1 7 3 - 1 8 4 - pour Jr 10, fragments pp. 1 7 5 - 1 7 6 . P.M. BOGAERT, „Les mécanismes rédactionnels en Jér 1 0 , 1 - 1 6 et la signification des suppléments . . . " , Le livre de Jérémie, pp. 2 2 2 - 2 3 8 .

283

Etude de Jr 10,1-16 a b

257

invitation à ne pas craindre description des idoles rythmée par trois verbes: ellles ne bougeront pas elles ne marcheront pas elles n'avanceront pas a' 5b(3 invitation à ne pas craindre. Le rédacteur du T M , devant un tel schéma, dédouble cette description et organise sa composition en antithèses, comme nous l'avons étudié dans la structure. Ce shéma d'antithèses est en fait déjà présent dans le texte de la LXX: I a 2-5 les idoles b 12-13 Yhwh créateur Ha 14-15 les idoles b 16 Yhwh, Dieu de Jacob. L'auteur du T M lui donne plus d'ampleur et accentue les oppositions dans l'ensemble des vv. 1-16. Qu'a-t-il ainsi voulu mettre en valeur? L'idée de crainte est présente dans les deux rédactions mais le T M ajoute que les peuples doivent craindre Yhwh car il est „le roi des nations". Les éléments doxologiques insistent sur le caractère cosmique et universel de la royauté de Yhwh 2 8 4 . Les expressions (v. 7) D^ian "I^O et 0*711? "fJO ne se retrouvent pas ailleurs dans le T M . Il ne suffit pas de dire que les nations ont des dieux impuissants, il faut ajouter qu'elles ont un Dieu, le roi des nations. La perspective du T M est universaliste: il y a un lien entre les nations et le Dieu d'Israël. Même dans le royaume des sages de Babylone, Yhwh seul est roi. Personne en Israël ne doit craindre „leurs" dieux, mais tous les peuples doivent craindre Yhwh. Face à cette royauté de Yhwh, les „sages des nations" ne sont que des „ouvriers habiles". Chaque texte a sa cohérence et il est ici de mauvaise méthode de vouloir corriger l'un par l'autre. Les particularités de la LXX et du T M s'expliquent mieux si l'on suppose que le texte hébreu traduit par la LXX a été étoffé par le TM. Rien ne laisse penser que la LXX aurait abrégé le T M . Du point de vue de l'histoire de la rédaction, nous pouvons conclure de cette comparaison que le T M relève de plusieurs

284

2b 3.5a9

D'autres textes portent le même accent: Nabuchodonosor est appelé „mon serviteur" comme Cyrus en 25,9; 17,6; 43,10. Les annonces de 25,14: „elles (les nations) aussi seront asservies à des nations puissantes et à de grands rois et je leur rendrai selon leurs actes et selon l'oeuvre de leurs mains" et de 27,7: „Toutes les nations lui (Nabuchodonosor) seront soumises (...) jusqu'à ce que vienne enfin le temps de son pays; alors de puissantes nations et de grands rois le serviront" supposent que Yhwh est le maître suprême de l'histoire.

258

L'illusion des idoles

couches rédactionnelles: les éléments doxologiques ont été insérés par un rédacteur à un texte plus ancien critiquant les idoles et ceux qui leur rendent un culte. La structure antithétique du T M est l'oeuvre du rédacteur final.

2. Jr 10,1-16 et le Deutéro-Isaïe Nous avons été amenée dans l'analyse littéraire de Jr 10, 1-16 à rapprocher ce texte de passages du Deutéro-Isaïe. Certains en ont conclu que Jr 10 était secondaire par rapport au 2e Isaïe. Une telle affirmation mérite un examen attentif des points de contact, car le raisonnement inverse pourrait être aussi tenu: le passage original de Jérémie serait imité par le 2e Isaïe. L'étude du vocabulaire des idoles en Jr 10, 1-16 et Is 4 0 - 5 5 2 8 5 montre que les mots suivants appartiennent aux deux livres: Deutéro-Isaïe Jr 10 14 10 fois en Is 40-48 statue 103 14 statue coulée 41,29; 48,5 tsnn 3.9 40,19; 41,7; 4 4 , 1 1 . 1 2 . 1 3 ; 4 5 , 1 6 artisan yv 44,13.14.19 bois (idole) 3.8 9.14 41,7; 4 6 , 6 fondeur »pis nnr ^dd 4. 9 40,19; 46,6 or-argent -rayo 3 44,12 cognée marteaux 4 nnpo 44,12 nnooo 4 41,7 clous prn (piel) 4 affermir 41,7 porter les idoles 5 45,20; 46,7 -iptf 14 mensonge 44,20 Parmi tous ces termes, certains sont très courants (or, argent, statue ...), d'autres beaucoup plus rares. Ainsi ^"llï n'a que 10 occurrences dans tout l'Ancien Testament, "TÏUO est employé seulement dans les deux textes cités, nupO a quatre occurrences et nnODO cinq. Remarquons que "IptÎ 37 fois utilisé dans le livre de Jérémie ne se réfère qu'une fois aux idoles dans le Deutéro-Isaïe 286 et que "703 n'est qu'une

285

286

Principaux passages du Deutéro-Isaïe sur les idoles: 4 0 , 1 9 - 2 0 ; 4 1 , 6 . 7 . 2 9 ; 4 2 , 1 0 ; 4 4 , 9 - 2 0 ; 4 5 , 2 0 ; 46,6-7. Dans les autres cas (57,4; 5 9 , 3 . 1 3 ) , le terme s'applique aux pécheurs et à leurs péchés.

Etude de Jr 1 0 , 1 - 1 6

259

fois utilisé dans le livre de Jérémie en 10,14, à la fin de notre passage alors que son usage est habituel dans le 2e Isaïe. Ce vocabulaire commun à Jr 10 et aux textes deutéro-isaïens sur les idoles pourrait conduire à penser que Jr 10 dépend du Deutéro-Isaïe et beaucoup l'affirment. Avant d'arriver à une telle conclusion, il importe de faire la contre épreuve c'est-à-dire de voir si des termes importants de Jr 10 sont absents de Is 40-55. En 10, 2, l'expression „n'apprenez pas la voie des nations" offre un bon parallèle en 12,16 („s'ils apprennent avec soin les voies de mon peuple") mais n'a pas d'équivalent dans le 2e Isaïe. Nous avons déjà relevé dans l'analyse du vocabulaire que des mots et expressions comme au hifil, "IptS", ompa n m et sont caractéristiques des textes jérémiens. Ces termes ne se rencontrent pas dans le 2e Isaïe. Pour désigner l'idole, on trouve "?0H ou jamais *?3n. Ajoutons que mpn se trouve 9 fois dans le livre de Jérémie 2 8 7 et pas du tout dans le 2e Isaïe. Mentionnons enfin deux différences mineures. La fabrication des idoles est décrite en termes différents en Jr 10,4 (on a p^ET N1?) et en Is 4 0 , 2 0 et 4 1 , 7 (tOItT L'affirmation que les idoles ne parlent pas et ne marchent pas est exprimée en d'autres termes en Is 46,7: „Ils le (le dieu) mettent sur l'épaule et l'emportent, ils le déposent à sa place pour qu'il s'y tienne pour qu'il n'en bouge pas. On a beau l'invoquer, il ne répond pas, dans la détresse il ne sauve p a s . "

Les différences sont suffisamment significatives, notamment l'emploi de termes comme *?3n, "Iptf, tO'U pour mettre en doute l'identité d'auteur. Les passages de Jr 10 sur les idoles ont des mots identiques à ceux du 2e Isaïe parce qu'ils traitent du même sujet. Holladay justifie ainsi l'authenticité du passage et conclut son étude du vocabulaire de Jr 10 en écrivant: „Ail this suggests at the least a poet whose mentality is shaped by Jrm's diction, and it renders anthenticity to Jrm plausible." Le problème posé par les passages hymniques est différent. L'incomparabilité de Dieu n'est pas exprimée en des termes que l'on peut qualifier de particulièrement jérémiens. Ce thème est bien développé dans le 2e Isaïe (40,18-25; 44,6-8; 45,21; 46,5-9). Il en est de même pour le thème de la création: le verbe "IS"» se rencontre en Is 40,26-28; 4 4 , 2 4 ainsi que dans des psaumes, l'expression „Dieu éternel" en Is 40,

287 288

5,24.24; 10,3; 31,34.35; 32,11; 33,25; 44,10.23. HOLLADAY 1, p. 3 2 9 .

260

L'illusion des idoles

28. L'étude du vocabulaire nous a précédemment orientée vers les psaumes et non vers d'autres textes jérémiens. 3. Histoire de la rédaction Nous l'avons déjà dit: les points de vue des commentateurs sont fort divers. Beaucoup qualifient le passage de tardif parce que très proche du 2e Isaïe. D'autres sensibles à la cohérence structurelle du poème l'attribuent au prophète. Notre position sera nuancée. Nous pensons en effet que les premiers sous-estiment les particularités jérémiennes des versets sur les idoles et les rapprochent excessivement des textes exiliques ou post-exiliques. Les seconds ne prennent pas en compte le problème de critique littéraire dont témoigne la L X X : si on affirme l'authenticité jérémienne de Jr 10, il faut expliquer pourquoi la L X X a un texte notablement plus court. La structure du texte actuel est apparente et claire, mais cela ne veut pas dire que Jérémie en soit l'auteur. Le rédacteur final a bien organisé les matériaux dont il disposait, faisant alterner descriptions des idoles et éléments hymniques. Les thèmes qui y sont présents: Dieu créateur et incomparable sont effectivement ceux qui connaissent un développement important pendant l'Exil, notamment dans le livre du 2e Isaïe. Après le cataclysme de la chute de Jérusalem, les exilés vont en effet s'interroger: pourquoi un tel malheur est-il arrivé? Israël aurait-il oublié que Yhwh est le Dieu créateur, le Dieu vivant, éternel, roi des nations, bref: le seul Dieu? Des refrains liturgiques reprennent cette confession de foi. La polémique sur les idoles est un thème également fort mis en valeur par le Deutéro-Isaïe. Les exilés en Babylonie pouvaient être séduits par les dieux des vainqueurs et les fastes liturgiques déployés en l'honneur du dieu Mardouk. C'est dans ce contexte qu'il faut placer la prédication du 2e Isaïe et ses attaques contre les idoles représentant les divinités étrangères. Est-ce à dire que les versets sur les idoles de Jr 10 soient à placer à l'époque exilique? Dans son étude sur Jr 10, B.N.Wambacq 2 8 9 fait une 289

B.N. WAMBACQ, „Jérémie X , l - 1 6 , RB 81, 1974, pp. 57-62. Sa reconstitution de l'histoire de la rédaction est la suivante: „La genèse de Jér X , 1-16, pourrait donc être décrite comme suit. L'auteur exhortait ses lecteurs, la maison d'Israël, influencés probablement par les coutumes des nations au milieu desquelles ils vivaient, à ne pas se laisser effrayer par les signes des cieux (Jér, X , 2). Un premier rédacteur a ajouté: les observances des peuples n'ont pas de valeur: hebel = vanité (X, 3 a). Un second rédacteur, prenant comme point de départ le mot

E t u d e de J r 1 0 , 1 - 1 6

261

nette distinction entre le culte des „statues" et celui des „massebot", des „asherim" et Baals de toutes sortes. Or, la polémique contre les statues est post-jérémienne. Donc, pour W a m b a c q , J r 10 ne peut être du prophète d ' A n a t o t . Le verset 2 fait exception: l'auteur y conjure ses auditeurs de ne pas se laisser terrifier par les phénomènes atmosphériques qui jouaient un rôle important dans la religion assyrobabylonienne. Tout le reste qui concerne les statues est ajouté. Le seul verset authentique est le v. 2 , parce que, seul, il veut prémunir contre une forme spéciale d'idolâtrie. On peut, toujours selon W a m b a c q , trouver un „Sitz im Leben" dans la vie du prophète pour cet énoncé. A l'époque de Jérémie, le pays, et particulièrement l'ancien royaume du Nord, était habité par un mélange de peuples transférés par les Assyriens (cf 2 R 18, 2 4 - 3 3 ) . Parmi eux se trouvaient des Babyloniens qui avaient dû conserver leurs coutumes de tirer des présages des phénomènes célestes, puisque chaque peuple honorait ses propres divinités. La distinction entre religions de Canaan, avec les dieux Baal et les rites de fécondité, et religion assyro-babylonienne est souvent faite. Mais s'il pouvait y avoir prédominance selon les lieux et les moments, il importe de garder à l'esprit que, malgré les réformes religieuses d'Ezéchias et de Josias, le syncrétisme religieux n'a pas cessé en Israël 2 9 0 . Les allusions aux pratiques idolâtriques sont nombreuses dans l'Ancien Testament. A titre d'exemples, nous pouvons citer: 1 S 7 , 3 - 4 ; 1 R 1 6 , 3 2 - 3 4 ; 2 R 1 3 , 6 ; 16,3; 18,1-8; 2 1 , 6 ; 2 3 , 4 - 2 0 ; Os 2 , 1 0 - 1 5 ; 4 , 1 1 - 1 4 ; 8 , 4 - 6 ; 1 3 , 4 . L'idolâtrie est un thème courant de la prédication prophétique et le Deutéro-Isaïe n'est pas le premier à avoir polémiqué contre les idoles. Les prophètes Elie, Osée l'ont fait avant lui. Nous avons déjà vu dans l'étude du ch. 2 que Jérémie, au début de son ministère, prononce des oracles contre les idoles. Il est vrai que la tonalité en est différente: Jérémie appelait les Israélites à la conversion, à suivreYhwh et non les „vanités". Au ch. 10, la parole est plus calme et ironique. Les passages descriptifs sont inexistants au ch. 2. Dans un cas, les Baals sont visés et le comportement d'Israël fustigé; dans l'autre, l'auteur ridiculise les statues abondamment décorées qui hebel avec le sens qu'il a d'ordinaire dans les écrits de Jérémie, c'est-à-dire hebel = idole, a ajouté une satire contre les statues ( X , 3 b-4), que d'autres rédacteurs ont développée par la suite ( X , 5, 8?, 9). D'autres encore ont cru devoir introduire des doxologies (Jér, X , 6, 7, 10). puis vint l'acclamation liturgique ( X , 11) et l'hymne en l'honneur de Jahvé créateur ( X , 1 2 - 1 6 ) . Comme texte primitif il ne resterait donc que Jér X , 2 . " pp. 6 0 - 6 1 . Wambacq arrive donc à distinguer dans ces 16 versets au moins 7 rédacteurs différents. C'est beaucoup! 290

„The problem of idolatry was a live one within the israelite cultus itself and (...) the idol polemic had its roots in the older traditions of Israel." OVERHOLT, p. 6.

262

L'illusion des idoles

représentent des divinités. Mais il est non moins vrai que Jérémie a exercé le ministère prophétique pendant une quarantaine d'années et en 4 0 ans le langage du prophète comme la situation de ceux auxquels il s'adresse ont évolué. La continuité du vocabulaire de la vanité et du mensonge n'en est que plus frappante. Il nous semble donc qu'il n'y a pas de raison majeure pour affirmer que les versets de Jr 10 consacrés aux idoles ne remontent pas à Jérémie. Etant donné le caractère composite du texte, il ne s'agit pas de chercher à atteindre les „ipsissima verba" du prophète, mais il est tout à fait légitime de penser que nous avons dans le ch. 10 une amplification d'un message original de Jérémie. Nous rejoignons la conclusion de L. Wisser au terme d'une étude sur la création dans le livre de Jérémie 2 9 1 : „n'aurions-nous pas affaire là aussi (Jr 10) aux premiers développements jérémiens d'un thème qui sera repris et amplifié ensuite par le prophète de l'exil?" Quel „Sitz im Leben" donner au noyau jérémien de ce passage? L'absence de référence historique permet diverses hypothèses. Parmi ceux qui refusent toute authenticité jérémienne, Carroll 2 9 2 propose la période babylonienne ou perse, et parmi ceux qui accordent tout à Jérémie, Holladay fait une proposition sans grand fondement. 11 suppose que ce passage est le fruit de la réflexion du prophète sur le siège de Jérusalem par les Assyriens rapporté en 2 R 18-19 2 9 3 : „My proposal, conclut Holladay, is that Jrm picked up themes from that earlier incident and sent mockery of Mesopotamian pretentions back from Jerusalem to the east, making sure to include in the mockery a few words of Aramaic." Une telle hypothèse est indémontrable. Margaliot se risque à proposer une date: entre 627 et 605. Mais là non plus, la démonstration n'est pas très convaincante: la date limite de 605 (avant Karkémish) vient seulement de l'absence d'allusion historique en Jr 10 2 9 4 .

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294

L. WISSER, „Le motif de la création dans le livre de Jérémie", La création dans l'Orient ancien, Paris, 1987, pp. 2 5 7 - 2 5 8 . CARROLL insiste sur le caractère tardif du passage: „The polemic may have had its setting in the post-exilic Jerusalem cult, but that cult was constructed by those who had learned much from the Babylonians." p. 257. HOLLADAY 1, pp. 3 2 9 - 3 3 0 . 2 R 19,18 fait allusion au comportement des rois d'Assyrie par rapport aux dieux. „As no historical event is even alluded to, it seems improbable that it was written after the battle of Carchemish in 6 0 5 (...) Jeremiah would certainly not have sent a message to the remnants of the northern tribes and Judean exiles without including in it his reaction to the new situation." p. 307.

Etude de Jr 10,1-16

263

En raison des différences de langue et de style entre Jr 2 et 10, des proximités avec le 2e Isaïe, de l'évocation des dieux de Babylone plus que de ceux de Canaan, nous pensons que cette mise en garde contre les idoles pourrait s'adresser aux exilés de 597. Ce contexte aurait pu par ailleurs assez naturellement favoriser une expansion du texte: la dénonciation du culte des faux dieux n'implique-t-elle pas l'affirmation de la souveraineté de Yhwh sur le monde entier? N'est-ce pas le même arrière-fond que Jr 27? Affirmer que Yhwh agit derrière Nabuchodonosor „son serviteur", n'est-ce pas dénier tout pouvoir et toute réalité aux dieux de Babylone? Dans l'état final de Jr 10, le genre littéraire est „mixte": la moquerie sur les idoles intègre des éléments théophaniques et une confession de foi. Le processus de composition qui consiste à ajouter des éléments hymniques à des menaces ou à des exhortations se retrouve dans le livre d'Amos (4,13; 5,8-9; 9,5-6). Beaucoup pensent que ces additions, dans le livre d'Amos comme dans celui de Jérémie, servaient un but liturgique. Au terme de cette première partie où nous avons étudié les textes comprenant le terme "IpBf, il apparaît que lp& qualifie l'attitude de ceux qui cherchent leur sécurité dans le culte en oubliant la pratique de la justice (ch. III), se croient invulnérables parce qu'ils ont la loi à leur disposition (ch. IV), s'égarent dans des pratiques idolâtriques séductrices et trompeuses (ch. V). Cette attitude est illusoire: ils croient être sauvés alors qu'ils vivent dans „la perversité de leur coeur mauvais" sans chercher à „améliorer leurs voies et leurs agissements". Dans ces conditions, un salut est-il encore possible? Et quel salut? Le livre de la consolation (Jr 30-31) répond en affirmant une intervention salvatrice de Yhwh qui va „restaurer" et „faire du neuf".

2ème partie

L'annonce du salut dans le livre de la consolation

CHAPITRE

VI

L e salut dans le livre de la consolation: J r 3 0 - 3 1

I. Traduction littérale et critique textuelle Ch. 30, l.La parole qui fut adressée à Jérémie de la part de Yhwh en disant: 2 . AINSI PARLE Y H W H , Dieu d'Israël, en disant: Ecris pour toi sur un livre toutes les paroles que je t'ai dites, 3. car VOICI VENIR DES JOURS - oracle de Yhwh - où je restaurerai (a) mon peuple, Israël et Juda, dit Yhwh, et je les ramènerai au pays que j'ai donné à leurs pères et ils le posséderont. 4.

Telles donc les paroles qu'a dites Yhwh à Israël et à Juda:

5.

O u i , AINSI PARLE Y H W H :

Nous avons entendu une voix effrayante, c'est la terreur, non la paix! 6. Demandez donc et voyez: est-ce qu'un mâle enfante? Pourquoi ai-je vu tout homme les mains sur ses reins, comme celle qui enfante? Pourquoi tous les visages sont-ils devenus livides? 7. Malheur (a)! Oui, grand est ce jour-là, il n'y en a pas comme lui (b) ! C'est un temps de détresse pour Jacob, mais il en sortira sauvé\ 8. Il arrivera, EN CE JOUR-LÀ - oracle de Yhwh Sabaot - que je briserai son joug de dessus ton cou et que je romprai tes liens (a): alors des étrangers ne l'asserviront plus. 9. Ils serviront Yhwh, leur Dieu, et David leur roi, que je susciterai pour eux. 10. Quant à toi, ne crains pas, ô mon serviteur Jacob, - oracle de Yhwh et ne sois pas effrayé, Israël, car voici je te sauve des pays lointains, toi ainsi que ta race du pays où elle est captive: Jacob reviendra et sera calme, tranquille, sans personne qui l'inquiète!

268 11.

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Le salut dans le livre de la consolation: Jr 30-31 Car je suis avec toi pour te sauver - oracle de Yhwh quand je ferai l'extermination de toutes les nations où je t'ai dispersé ; de toi seul je ne ferai pas d'extermination, mais je te corrigerai selon le jugement et, en aucun cas, je ne te laisserai impuni. C a r AINSI PARLE Y H W H :

Incurable est ta brisure (a) douloureuse est ta blessure. Personne pour s'occuper de ta plaie. des remèdes, mais pas de cicatrisation pour toi (a)! Tous tes amants t'ont oubliée, ils ne te recherchent plus, oui, d'une blessure d'ennemi je t'ai blessée: correction de quelqu'un de cruel, à cause de la grandeur de ta faute; tes péchés ont été graves (a). Pourquoi cries-tu (a) à cause de ta brisure, de ta douleur incurable? A cause de la grandeur de ta faute, tes péchés ont été graves, je t'ai fait cela! Mais (a) tous ceux qui te dévorent seront dévorés et tous tes adversaires, tous, iront en captivité (b), ceux qui te dépouillent seront dépouillés, et tous ceux qui te pillent je les livrerai au pillage. Je cicatriserai ta plaie (a) et de tes blessures je te guérirai - oracle de Yhwh Car on t'a appelée «Expulsée» - c'est Sion (b) «celle que nul ne recherche!» AINSI PARLE Y H W H :

Voici que moi je vais restaurer les tentes (a) de Jacob et j'aurai pitié de ses demeures: la ville sera bâtie sur son tell, et le palais installé à sa vraie place. Il en sortira la louange (a) et la voix de ceux qui font rire; je les multiplierai et ils ne diminueront pas, je les glorifierai et ils ne seront pas abaissés.

Traduction littérale et critique textuelle

20. 21.

22.

269

Ses fils seront comme autrefois et sa communauté se maintiendra devant moi; je sévirai contre tous ses oppresseurs. Son chef sera issu de lui et son souverain sortira de ses rangs; je le ferai approcher, il s'avancera vers moi; car qui engagerait sa vie pour s'avancer vers moi - oracle de Yhwh - ? Vous serez mon peuple (a) et moi, je serai votre Dieu.

23.

Voici la tempête de Yhwh (a): la fureur est sortie, c'est la tempête qui fait rage, qui tournoie sur la tête des méchants. 24. L'ardeur de la colère de Yhwh ne se détournera pas qu'il n'ait agi et réalisé les desseins de son coeur: à la fin des jours vous le comprendrez! Ch 31, 1. En ce temps-là - oracle de Yhwh - je serai le Dieu de toutes les familles d'Israël et elles seront mon peuple. 2.

3. 4.

5.

6.

7.

AINSI PARLE

YHWH:

Il a trouvé grâce dans le désert (a) le peuple échappé à l'épée. Je vais donner du repos à Israël (b). De loin, Yhwh m'est apparu (a): D'un amour éternel, je t'ai aimée, aussi t'ai-je maintenu ma faveur. De nouveau je te bâtirai et tu seras rebâtie, Vierge Israël, De nouveau tu te pareras de tes tambourins et tu sortiras danser joyeusement (a). De nouveau tu seras plantée de vignes sur les montagnes de Samarie: les planteurs planteront et cueilleront les premiers fruits, car vient le jour où les veilleurs (a) crieront dans la montagne d'Ephraïm: „Levez-vous! Montons à Sion vers Yhwh, notre Dieu!" Car

AINSI PARLE

YHWH:

Criez de ioie pour Jacob et acclamez la première des nations (a), faites-vous entendre, louez et dites:

270

8.

9.

10.

11. 12.

13.

14.

Le salut dans le livre de la consolation: Jr 30-31 „Sauve ton peuple, Yhwh (b), le reste d'Israël!" Voici que, moi, je les fais venir du pays du Nord et je les rassemble des confins de la terre. Parmi eux, l'aveugle et le boîteux (a), celle qui a conçu et celle qui enfante, tous ensemble, c'est une grande assemblée qui reviendra ici (b)! En pleurs ils viennent, dans les supplications je les ramène (a); je les ferai aller aux torrents d'eaux, par le droit chemin où ils ne trébucheront pas, car je suis un père pour Israël et Ephraïm est mon premier-né. Entendez la parole de Yhwh, ô nations, et annoncez-la dans les îles lointaines; dites: Celui qui dispersa Israël le rassemblera, et il le gardera comme un berger son troupeau. Car Yhwh a racheté Jacob et l'a délivré de la main d'un plus fort que lui. Ils viendront et crieront de joie sur la hauteur de Sion (a), ils afflueront vers les biens de Yhwh, vers le blé, le vin nouveau et l'huile fraîche, vers les petits du menu et du gros bétail: leur âme sera comme un jardin arrosé (b) et ils ne languiront plus. Alors la vierge prendra plaisir à la danse (a), ainsi que les jeunes gens et les vieillards, tous ensemble! Je changerai leur deuil en allégresse, je les consolerai et les réjouirai au sortir de leur affliction. Je gorgerai de graisse le gosier des prêtres et mon peuple sera rassasié de mes biens - oracle de Yhwh -

15.

AINSI PARLE Y H W H :

16.

AINSI PARLE Y H W H :

A Ramah, un cri a été entendu, une lamentation, des pleurs amers: c'est Rachel qui pleure pour ses fils, qui refuse d'être consolée pour ses fils car ils ne sont plus (a)! Empêche ton cri de pleurer et tes yeux de verser des larmes, car il y a un salaire pour ta peine

T r a d u c t i o n littérale et critique textuelle

17. 18.

19.

20.

21.

22.

271

- oracle de Yhwh - : ils reviendront du pays de l'ennemi. Il y a espoir pour ton avenir - oracle de Yhwh - , les fils reviendront sur leur territoire. J'ai bien entendu Ephraïm qui se désole: „Tu m'as corrigé et j'ai été corrigé, comme un jeune taureau non dressé! Fais-moi revenir et je reviendrai, car tu es Yhwh, mon Dieu. Oui, après m'être détourné, je me suis repenti (a) et après avoir compris, je me suis tapé sur la cuisse (b), j'ai été honteux et même j'ai rougi, car je portais l'opprobre de ma jeunesse!" Ephraïm est-il pour moi un fils précieux, est-il un enfant de délices, pour que chaque fois que je parle contre lui (a), je veuille encore me souvenir de lui? Voilà pourquoi mes entrailles frémissent pour lui et j'ai vraiment de la tendresse pour lui, - oracle de Yhwh - . Erige des signaux (a) pour toi, place pour toi des jalons (b), fais attention à la chaussée (c), au chemin par où tu es allée! Reviens, Vierge Israël, reviens vers tes villes (d) que voilà! Jusques à quand tourneras-tu çà et là, ô fille rebelle! Car Yhwh crée du NOUVEAU dans le pays: une femme entoure un homme (a).

23. Ainsi parle Yhwh Sabaot, Dieu d'Israël: On dira encore cette parole au pays de Juda et dans ses villes quand je les aurai restaurés: „Que Yhwh te bénisse (a), demeure de justice, montagne de sainteté." 24. Là s'établiront Juda et toutes ses villes ensemble, les laboureurs et ceux qui mènent le troupeau (a)! 25. Car j'ai abreuvé l'âme altérée et toute âme épuisée je l'ai rassasiée. 26. Là-dessus, je me suis éveillé et j'ai vu: mon sommeil m'avait été agréable.

272

Le salut dans le livre de la consolation: Jr 30-31

27. VOICI VENIR DES JOURS - oracle de Yhwh - où j'ensemencerai la maison d'Israël et la maison de Juda d'une semence d'hommes et d'une semence de bêtes. 28. Il arrivera que, comme j'ai veillé sur eux pour déraciner et pour renverser, pour démolir, pour perdre et faire du mal, ainsi je veillerai sur eux, pour bâtir et pour planter, - oracle de Yhwh. 29. E N CES JOURS-LÀ, on ne dira plus: les pères ont mangé du raisin vert et les dents des fils ont été agacées! 30. Mais chacun mourra pour sa faute: tout homme qui mangera du raisin vert, ses propres dents seront agacées! 31. V O I C I VENIR DES JOURS,-oracle de Yhwh - où je conclurai avec la maison d'Israël et avec la maison de Juda une alliance NOUVELLE, 32. non pas comme l'alliance que j'ai conclue avec leurs pères, au jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d'Egypte, mon alliance qu'ils ont rompue bien que je fusse leur maître (a), - oracle de Yhwh. 33. Car voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël: après ces jours-là - oracle de Yhwh - , je mettrai (a) ma loi en eux et je l'écrirai sur leur coeur; je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. 34. Ils n'auront plus à instruire chacun son prochain, ni chacun son frère en disant: „Connaissez Yhwh"; car, eux tous, ils me connaîtront, du plus petit jusqu'au plus grand - oracle de Yhwh - puisque je pardonnerai leur faute et que je ne me souviendrai plus de leur péché. 35.

36.

37.

AINSI PARLE Y H W H

(a),

lui qui établit le soleil pour éclairer durant le jour, les lois (a) de la lune et des étoiles pour éclairer la nuit, lui qui agite la mer et ses flots mugissent, Yhwh Sabaot est son nom! Si ces lois s'éloignaient de devant moi - oracle de Yhwh - , alors la race d'Israël cesserait aussi d'être une nation devant moi pour toujours! AINSI PARLE Y H W H :

Si l'on peut mesurer les cieux là-haut et scruter les fondements de la terre ici-bas, alors, moi, je rejetterai toute la race d'Israël à cause de tout ce qu'ils ont fait, - oracle de Yhwh. 38. V O I C I VENIR DES JOURS (a)- oracle de Yhwh - où la ville sera rebâtie pour Yhwh, depuis la tour de Hananéel jusqu'à la Porte de

Traduction littérale et critique textuelle

273

l'Angle (b). 39. On sortira encore le cordeau de mesure tout droit sur la colline de Gareb et l'on tournera vers Goah. 40. Puis toute la vallée des cadavres et des cendres, tous les terrains jusqu'au torrent du Cédron, jusqu'à l'angle de la Porte des Chevaux à l'Est, seront chose sainte pour Yhwh: on ne déracinera pas, on ne démolira plus jamais. Notes de critique textuelle Ch. 30 v. 3 (a) L'expression ni3tt>° DISC" admet deux traductions selon que l'on rattache nntf' à ¡"Qt5 (faire prisonnier) ou à 31®' (revenir, restaurer): ramener les captifs ou restaurer, changer le sort. Sur 27 emplois de l'expression nu®' 31®' dans l'A.T., Jr 29-33 en contient 8. Cette expression, en début de texte, est donc un élément important du message du livret de la consolation et nous y reviendrons dans la critique littéraire. v. 5 (a) „Nous avons entendu": 1317055 La LXX a la 2e personne du pluriel, CXKOUCTECTÔE, en harmonie avec le v. 6: „écoutez, interrogez et voyez". Le TM, Aquila, Vg et les autres versions ont la 1ère personne du pluriel. BHS propose de lire la 1ère personne du singulier ,nyQE>' en s'appuyant sur la 1ère personne du v. 6: T P I N . C'est ce que font Volz, Weiser, BJ1 et Bôhmer^Nous conservons la 1ère personne du pluriel. „Ainsi parie Yhwh" est une large introduction à l'ensemble de l'oracle qui n'implique pas que le Seigneur prenne la parole immédiatement après cette formule qui vise essentiellement à diviser le texte biblique en péricopes distinctes2. v. 7 (a) „Malheur" S'appuyant sur la LXX (eyEvriôri), BHS suggère de lire, au lieu de "'in qui ouvre le v. 7, 1M qui, mot final du v. 6, pourrait se rendre par le signe de ponctuation „deux points". Cette correction est adoptée par Volz, Weiser, BJ 1: „Pourquoi tout visage s'est-il altéré, est-il devenu (1TI) livide?" Le TM peut très bien être conservé, ""IN est suivi de la motivation introduite par "O comme en Jr 48,1 et 50,27. (b) „il n'y en a absolument pas comme lui" in03 "pno Comme en 10,6.8, le 0 devant "pR fait difficulté si on lit la négation. Traduire „d'où" (BDB 35 a traduit par „whence") ne donne pas un sens très satisfaisant. Joiïon (154 k) indique que "pu, originairement „où", exprime d'abord la non-existence dans le lieu puis par extension la non-existence tout court. Le sens local ne s'impose pas ici. Il reste 1

2

S. B Ö H M E R , Heimkehr und neuer Bund. Studien zu Jeremia 30-31, Göttingen 1976, p. 57. C'est la position de D . BARTHÉLÉMY, Critique textuelle ..., p. 6 8 0 .

274

Le salut dans le livre de la consolation: Jr 30-31

alors à expliquer le "0. Plusieurs explications ont été proposées: - la préposition ]0 peut avoir le sens de „moins que rien" 3 - Duhm, KB 3 (p. 40) lisent "pK0 (]t3 privatif suivi de la négation) - Dahood4 lit "pXO: 0 a un sens négatif. Le v. 7 est donc une double négation emphatique. La valeur négative et non interrogative de n 0 est attestée5. Nous retiendrons plutôt la proposition que fait Dahood à plusieurs reprises dans son commentaire sur les Psaumes d'analyser le 13 comme un 0 enclitique6. Ce 0 permet ici d'éviter un hiatus entre Kinn et -pK.7 v. 8 (a) „Je briserai son joug de dessus ton cou je romprai tes liens: alors des étrangers ne ^asserviront plus" La difficulté réside dans la variation des suffixes: 3e pers. sg., 2e pers. sg. et pl. BHS propose de lire 11K1S „son cou" et lTinoiD „ses liens" ainsi que Duhm, Cornill et Weiser. Volz, Condamin, Bright, Carroll et BJ 1 suivent la L X X qui n'attribue pas de possessif au joug: „Je briserai le joug qui pèse sur leur nuque, et je romprai leurs chaînes. Ils ne seront plus au service d'étrangers." (auvTpifko TOV Çuyov ccrro TOU Tpax^Aou auTcov Kai T O U S Seapouç auTcov 8iappt)Çco, Kai OUK EpycovTon auTOt ETI aÂÀoTpoiç). La recension antiochienne: T O V Çuyov CTUTOU ccrro T O U TpaxT]Àou CTOU Kai T O U S SECTMOUS Q U T Q U est en accord avec la Vulgate:

„jugum ejus de collo tuo et vincula illius". Le TM peut se comprendre si l'on voit qu'il est une reprise d'Is 10,27: „Ce jour-là, son fardeau glissera de ton épaule et son joug de ta nuque et le joug sera détruit." Le contexte du passage d'Isaïe est clair. Le joug dont il s'agit est celui d'Assur. „Son" désigne celui qui impose le joug et non celui qui le subit: l'Assyrie en Isaïe, Nabuchodonosor en Jérémie. Tandis que les vv. 7 et 8b parlent de Jacob à la 3e personne, 8a utilise la 2e personne. On peut penser que c'est là la lectio difficilior et que la L X X (ou sa Vorlage hébraïque) a harmonisé avec le contexte. vv. 10-11 Ces versets ne sont pas dans la L X X et se retrouvent en Jr 46, 27-28 (TM et LXX) en conclusion d'un oracle sur l'Egypte. v. 12 (a) „incurable est ta brisure". A la place de "I13591? 13K, la L X X a avECJTriCTa auvTpimaa: „j'ai apporté l'affliction". Rudolph (commentaire p. 190 et BHS) propose de lire "l*? 130' pour 1 3 t f c a r le 3

4

5

6

7

BARTHÉLÉMY, p .

681.

M. DAHOOD, „The Emphatic Double Negative m'yn in Jer 10: 6-7", CBQ 37, 1975, pp. 458-459. 1 R 12,16; Jb 31,1; Ct 8,4; selon B D B . DAHOOD ajoute Ex 15,24; Jb 16,16; Pr 20,24; Si 13,2-17. M . DAHOOD, Psalms I , New York, 1965, pp. X X X I X - L X . cf C. LABUSCHAGNE, The Incomparability of God, p. 11, note 1.

Traduction littérale et critique textuelle

275

devant IDE?" s'explique mal. Bright et Carroll donnent à ce une valeur emphatique 8 . v. 13 Le verset n'offre pas de variantes textuelles mais la difficulté du sens a suscité diverses conjectures. Les premiers mots du verset: IT sont considérés comme une glose en raison du brusque changement de métaphore (Duhm, Cornill, Bright, Thompson) ou corrigés en D ' O S " ! (Rudolph), terme qui se trouve en Is 6,1: soigner avec de l'huile'. Le terme " I V O est rare: seulement deux occurrences en Os 5 , 1 3 et Jr 3 0 , 1 3 . HALAT donne le sens de „Eiterwunde, Geschwür", miO"! (remède) ne se rencontre que trois fois: Jr 3 0 , 1 3 ; 4 6 , 1 1 ; Ez 3 0 , 2 1 , etn^yn deux fois: Jr 30,13 et 46,11 avec le sens de „cicatrisation" 10 . Beaucoup lisent le vers comme un tristique: „II n'y a personne qui juge ta cause! Pour une blessure il y a des remèdes, mais pour toi, pas de cicatrisation.",

mais si l'on tient compte de la place de l'atnah, le vers se comprend comme un distique: „Personne pour s'occuper de ta blessure, des remèdes, mais pas de cicatrisation pour toi."

v. 14 (a) De nombreux commentateurs (Rudolph, Bright, Carroll, BJ) estiment que le dernier stique est une répétition de 15b. Selon Condamin 11 , c'est le v. 15 qui est une glose car il explique le v. 12 en répétant 14b; 15a n'est pas dans la L X X et 15b est au milieu de 16. Nous gardons le T M : une répétition peut tout aussi bien être un leitmotiv originel qu'une addition. v. 15 (a) La forme verbale purn est une 2e pers. masc. Avec BHK, nous lisons ^pum 2e pers.fém.sing. v. 16(a) „Mais". Le T M ^ 1 ? , fait difficulté: lev. 16 marque davantage une opposition qu'une conséquence par rapport au v. 15. Aussi BHS propose-t-elle de lire au lieu de considérant que est une 8

9

10

cf F. N O T S C H E R , „Zum emphatischen Lamed", VT 3, 1953, pp. 372-380. On trouve un autre cas de emphatique en Jr 9, 2: n]10K*7 K^l: ce n'est pas pour la vérité elle-même. H O L L A D A Y traduit: „You have no softener for a sore", 2 p. 151. Le sens de 4 6 , 1 1 b est proche:

nisai Tvann NIB'1? •p y« n^un

En vain tu multiplies les remèdes point de guérison pour toi! 11

CONDAMIN, p .

218.

276

Le salut dans le livre de la consolation: Jr 30-31

dittographie de "J*? et le 1 une lecture du final. Le sens avec est effectivement meilleur et offre un bon parallèle avec le second stique. (b) „tous iront en captivité". Le texte de la LXX „ K P E A Ç CCUTGOV T r a v 1 E S O V T O C I " suppose un texte hébreu: l^DN" D"l&3 n'PD qui a continué sur l'image de la nourriture du début du verset. (c) -pOKEJ' est une forme araméenne pour "poottf (cf BDB et GKC 67 s). v. 17 (a) littéralement: „je ferai monter la chair nouvelle" 12 . La même expression se trouve en 8,22. (b) „c'est Sion". La mention de Sion ton TPS interrompt brusquement le v. 17b et plusieurs la considèrent comme une glose. La LXX, Oripeutia rincov (notre proie), a sans doute lu in"^. On peut voir en Sion une relecture judéenne d'un texte adressé à Israël. v. 18 La LXX n'a pas l'équivalent du mot ^nK (tentes) et, lisant et non 71130", a traduit: AITOCJTPECPCO TT^V orrrotKiav IOCKCO|3 KOU aixnaAcoCTiav auTou

EAET|CTGO.

Autre différence: La LXX a vaos, temple, et non palais. v. 19 Le TM est plus long que la LXX qui n'a pas les derniers mots: „je les glorifierai et ils ne seront pas abaissés." v. 22 La formule „vous serez mon peuple et, moi, je serai votre Dieu" n'est pas dans la LXX. vv. 23-24 (a) Ces versets reprennent, avec quelques divergences, 23,19-20. - 3 0 , 2 3 a n i a n a là où 23,19 a V?inno. -mania est une forme incertaine analysée comme un participe hitpolel de "lia (entraîner). Cette forme est un hapax que BDB traduit par „roaring whirlwind". VpinnO est le participe hitpolel de *?in (tournoyer, tourner autour). Le verbe "Tin est beaucoup plus fréquent que "lia. C'est pourquoi la majorité des auteurs corrigent avec Rudolph en ^ î n n û . - "|nn (30,24) n'est pas en 23,20 et donne un aspect redondant au verset: „la fureur de la colère". Ch. 31 v. 2 (a) La LXX a un texte assez différent du TM: Eupov ÔEPIAOV EV EPTIPCO N E T A OÀGÛÀVTCOV EV P A X A I P A . La LXX a lu la 1ère personne du singulier (Eupov) là où le TM a la 3e du sing. (KSt3), on (0Epnov, la chaleur) pour "|n (grâce), Dy (METCC) pour DU (le peuple). Diverses corrections ont été proposées par les exégètes pour rendre les vv. 2-3 plus clairs. Volz suit la LXX en lisant le verbe TlS^Q à la 1ère personne, nan („campant") pour ]n („grâce"). Rudolph corrige "QIOQ en "QIOD. 12

c f . BRIGHT, p .

279.

Traduction littérale et critique textuelle

277

Lohfink renonce à traduite le v. 2b 1 3 . Holladay propose des corrections suggestives 14 . Il lit H3n pour ]n, 3~in (Horeb) pour 3"in (l'épée) et "p^in (il a apporté, participe hifil) pour 1*71.1 (infinitif absolu qal). Puis il formule l'hypothèse que dans un état ancien du texte, le v. 3a serait tombé pour être ensuite réinséré à une mauvaise place. Le texte serait donc le suivant 15 : 2aa Thus Yahweh has said: Long ago Yahweh appeared to him, 3a 2a(3b he found him encamped in the wilderness, a people remnant from Horeb bringing to its rest Israel. 3b And with an everlasting love I have loved you, that is how I have prolonged kindness to you. Holladay donne effectivement un texte dont le sens est plus clair, mais nous ne le suivrons pas. En effet, déplacer le v. 3a est arbitraire. Les corrections proposées n'ont aucun appui textuel. (b) „Je vais donner du repos à Israël". BHS, s'appuyant sur Aquila et Symmaque, corrige l'infinitif absolu "Jl^n en participe "J^in. Cette lecture est également celle de Duhm, Condamin, Rudolph, Weiser et Bright. lVJin 1 ? est l'infinitif hifil de ya~l: s'arrêter, se reposer. BHS, avec Tg et V, propose de lire le substantif 1171310: le repos. Le mot est un hapax qui se trouve en J r 6 , 1 6 : „vous trouverez le repos pour vos âmes" (DStO'E)]1? U1310 1KSQ1). C'est l'interprétation la plus commune: „Israël marche vers son repos". B D B comprend: „1 will go to give him rest." Barthélémy 1 6 , à la lumière de E x 3 3 , 1 4 ; Is 4 2 , 1 6 ; 5 2 , 1 2 , donne à l'infinitif absolu en début de stique la valeur d'un futur. Yhwh en est le sujet et la valeur du hifil est alors conservée: „Je vais faire reposer Israël". Cette expression du dessein de Yhwh prépare la constatation du v. 3a. v. 3 (a) „De loin, Yhwh m'est apparu". Avec l'appui textuel de la L X X (auTco), de nombreux auteurs corrigent ",t7 en 1*7. Le T M (",l7), Symmaque (noi), S et Vg (mihi) ont la 1ère personne qui est conservée par BJ 2, Dhorme et T O B . rnnwP 1 ? peut assez facilement être devenu n a n « 1*7. Nous retenons le T M qui se présente comme une lectio difficilior. Stylistiquement, le texte est rendu plus vivant par la brève intervention d'Israël qui vient d'être nommé.

13

N. LOHFINK, „Der junge Jeremia als Propagandist und Poet. Zum Grundstock von Jer 3 0 - 3 1 " , Le livre de Jérémie, p. 356.

14

HOLLADAY 2 , pp. 1 8 0 - 1 8 1 .

15

Traduction donnée p. 152. Critique textuelle, p. 684.

16

278

Le salut dans le livre de la consolation: Jr 30-31

v. 4 (a) A la place de "711103 „dans la danse", la L X X a HETOC auvaycoyriç (S et T ont l'équivalent) et au v. 13 EV cruvaycoyr|. BHS suggère que la L X X a lu *7np3. v. 6 (a) „car c'est le jour où les veilleurs crieront." La L X X a un sens différent: KXTICTEGÛÇ aTToÀoyoupEvcov. Ce ne sont pas les veilleurs qui crient, mais ceux qui plaident quand ils sont convoqués. v. 7(a) „la première des nations". BHS corrige •"'Un en D,~n. Il faut alors comprendre: „criez de joie au sommet des montagnes." Cette correction avait déjà été suggérée par Duhm17 qui trouve incohérent qu'un peuple qui revient de l'exil avec des aveugles et des boîteux soit appelé „la première des nations". C'est un a priori qui ne repose sur aucune leçon. Nous avons donc gardé le TM. (b) „Sauve, Yhwh, ton peuple". La LXX a lu non IJBhn mais I?t51.1: ECTCOCTEV Kupioç TOV À a o v a u - r o u , TO KctTctXolTrov TOU lapar|À (Le Seigneur a sauvé son peuple). V (Salva Domine populum tuum) et S appuient le TM. Faut-il comprendre: „Yhwh a sauvé son peuple" ou „Sauve, Yhwh, ton peuple" ? La L X X est massivement suivie par les commentateurs: Duhm, Cornill, Volz, Giesebrecht, Condamin, Rudolph, Weiser, Bright, Thompson, Carroll, BJ, Osty, TOB. Cependant Dhorme suit le TM ainsi que Barthélémy qui commente: la certitude que la supplication sera exaucée explique la tonalité d'acclamation triomphale du v. 7. v. 8 (a) „parmi eux l'aveugle et le boiteux". La LXX pour traduire ,,EV EopTT) OaaEK" a sans doute lu: nos 117103, à la fête de Pâque. (b) BHS, ainsi que Bright et Thompson, lisent n|H au lieu de nan et le placent en introduction au v. 9. Un tel déplacement ne s'impose pas et nous avons conservé le TM. v. 9 (a) „En pleurs ils viennent, dans les supplications je les ramène" BHS corrige „supplications" D^linn) en „consolations" train]!"!) en s'appuyant sur la LXX: „EV KÀauQpoj EÇr|Â0ov Kcti EV TTapat«3 ••«e m n •m HON 1 crtra D , K3 Q,t3"1 run • m HÖ1?-' SÍ21 ni? - o m si?

Les jours à venir sont caractérisés par ce que l'on n'y fera plus. L'un des mots clés de cette partie est "TO, trois fois avec la négation X1? qui met en valeur le thème central: la discontinuité entre le passé et le présent. Le futur sera un nouvel âge où les vieux proverbes n ' a u r o n t plus cours et où une nouvelle alliance sera scellée entre Dieu et son peuple. Deux brèves péricopes terminent la section: vv. 35-37 et 38-40. La première est introduite par „Ainsi parle Y h w h " . La seconde a le même schéma que les vv. 23-34: 38: 39:

Voici venir des jours on sortira encore le cordeau

•""O"' H3n ni? NiTl

Un jeu de mots souligne l'unité des vv. 38-40: la porte de l'angle (v. 38), ,13an "lïtf, jusqu'à l'angle de la porte (v. 40), II?®' 133 1». L'encadrement des vv. 23-40 est identique à celui de l'ensemble des ch. 30-31: 30,3: Voici venir des jours 31,40: on ne démolira plus jamais

43

EPiO O^tr ri3H "O • t 7iy t 7 l i a D i r r N1?!

Nous optons pour la seconde position. En effet, en regardant le contexte, nous constatons qu'en 31,7-14 et 31,23-25, Yhwh parle de son peuple à la 3e personne du pluriel, tandis qu'en 31,15-22 Yhwh s'adresse à son peuple comme à une femme avec la 2e personne du féminin singulier. Sur cette question, on peut consulter B.N. ANDERSON, „The Lord Has Created Something New - A Stylistic Study of Jeremiah 31:15-22", CBQ 40, 1978, pp. 463-478. cf LUNDBOM, Jeremiah: A Study ... p. 35.

296

L e s a l u t d a n s le livre de la c o n s o l a t i o n : J r 3 0 - 3 1

Dans cette section l'adverbe "PS? tient une place importante sur laquelle il nous faudra revenir. Les unités de la seconde partie, introduites soit par „ainsi parle Yhwh", soit par „voici venir des jours", sont des promesses: - 31,23-26: rétablissement promis non plus à Ephraïm mais à „Juda et ses villes" - 31,27-28: promesse de fécondité à Israël et Juda qui reprend les verbes „fondateurs" de 1,10: arracher, renverser, démolir, exterminer, affliger, bâtir et planter. - 31,29-30: oracle de la responsabilité personnelle, promesse que la faute des pères ne retombera plus sur les fils. - 3 1 , 3 1 - 3 4 : promesse d'une nouvelle alliance - 3 1 , 35-37: promesses mesurées à l'ordre du monde - 31, 38-40: annonce de la reconstruction de Jérusalem.

2. Analyse des unités Les positions des auteurs sur l'histoire de la rédaction des ch. 30-31 sont fort diverses. Le tableau ci-dessous indique les passages reconnus comme jérémiens par les principaux commentateurs de ces chapitres.

DUHM VOLZ44 RUDOLPH HYATT BRIGHT BÖHMER THOMPSON LOHFINK CARROLL 8 1 4 5 HOLLADA Y 8 9 4 6

44

45

30 12-15 1-7 10-15 18-21a 1-7 10-15 18-21a 5-7 12-15 2-6 (9?) 12-17 18-22 23--24 5-7 12-15 23-24 12-17 18-22 5-11 5-7 12-15 18-21 5-7 12-15 5-7 12--15 18-2 1 + 3 1 , 1 1-4 10-11 16-17

31

15-22 15-22 2 7 b 31-37 15-22 2 7 b 31-37 15-22 2-6 15-22 2-6 15-20 27-30 15-22 2-6 2-6 15-22 2-6 15-20 2 - 6 + 9 b 15-22 27-28 ,31-34 7-9a

2-6 2-13 2-13

Les positions de VOLZ et de RUDOLPH sont identiques pour l'attribution des versets au prophète. Leur datation cependant diffère: entre 5 9 4 et 5 8 8 pour Volz, entre 6 2 1 et 6 0 9 pour Rudolph. Dans son commentaire de 1 9 8 6 , CARROLL renonce à attribuer quoi que ce soit

Critique littéraire

297

L'accord est donc presque unanime sur 3 0 , 5 - 7 . 1 2 - 1 5 et 3 1 , 2 - 6 . 1 5 - 2 2 . Les autres passages sont objets de divergences d'interprétation. 30,1-3 L'introduction, outre les deux formules „Ainsi parle Y h w h " et „Voici venir des jours", comprend deux expressions qui reviendront plusieurs fois dans les oracles suivants: 1) n u t f 3itf 3 0 , 3 . 1 8 . 2 3 4 7 310" 3 0 , 3 . 1 0 . 1 8 . 2 4 ; 3 1 , 8 . 1 6 . 1 7 . 1 8 . 1 9 . 2 1 . 2 3 (qal) et 3 0 , 2 ; 31,18(hifil). 2) Les formules Dnn et D,i) d'Israël est incurable (BMW), la situation est sans espoir. Le v. 13 avec les termes „plaies", „remèdes" et „cicatrisation" (n^i;, {D au dernier stique du v. 2 1 . La thématique est celle de la restauration. La réalisation de la promesse divine opérera un renversement de la situation présente. Dans le livre de Jérémie, le jugement de Yhwh entraînait souvent la destruction des cités de Juda et de Jérusalem (2,15; 4,7.26.29; 5,17; 7,34; 9 , 1 0 - 1 1 ; 15,5-6; 19,8; 2 0 , 5 ; 3 4 , 2 2 ; 44,2). Jr 3 0 , 1 8 promet la reconstruction des cités, thème que l'on retrouve en 31,21.24.38-40. Dans le livre de Jérémie, le jugement s'accompagne de cris de détresse et de lamentations (Jr 3,21; 4,8.19; 9,18-21; 14,2; 30,5). L'allégresse a disparu (7,34; 16,9). Jr 30,19 promet l'action de grâce et les cris de joie. La perte d'enfants et de jeunes gens est un thème commun du jugement de Yhwh (Jr 2,30; 3,24; 5,17; 10,20; 11,22; 14,16). Jr 30,19 promet une multiplication de la population et Jr 30,20 précise: „ses fils seront comme autrefois". Le livre de Jérémie affirme souvent que les nations seront l'instrument du jugement de Yhwh contre le peuple rebelle (Jr 1,4; 4,67; 5,15-17; 6,22-26; 21,4 ...). Jr 30,20 annonce que Yhwh châtiera les oppresseurs d'Israël, promesse qui se trouvait déjà en 30,11. Dans le livre de Jérémie, les rois sont tenus pour particulièrement responsables du jugement qui s'abattra sur Juda (Jr 2,8; 10,21; 21,11-23,8). Jr 30,21 annonce un chef (le mot roi est évité) qui s'approchera de Yhwh. A la suite des promesses de 30,18-21 vient une petite unité (30,2231,1) délimitée par l'inclusion de la „formule d'alliance": „Vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu" 9 7 . Elle se trouve sept fois dans le livre (7,23; 11,4; 24,7; 30,22; 31,1.34; 32,38). Elle affirme l'intention de Yhwh d'être le Dieu de son peuple au sortir d'Egypte et décrit la désobéissance d'Israël-Juda qui ne répond pas à l'attente de Yhwh. Ainsi 3 0 , 2 2 se présente-t-il également comme un renversement du jugement. Quand Yhwh aura „restauré" Jacob, alors s'accomplira la promesse: „vous serez mon peuple et moi je serai votre Dieu". 97

sur la formule d'alliance, on peut consulter: „Dt 26,17-19 und die Bundesformel", ZKTh 91, 1969, pp. 517553. - „Beobachtungen zur Geschichte des Ausdrucks mrp DU, Probleme biblischer Theologie, Festschrift Von Rad, Münich, 1971, pp. 273-305. S . BÖHMER, „ch VI Anhang: zur Bundesformel", Heimkehr und neuer Bund, Studien zu jeremia 30-31, Göttingen, 1976, pp. 89-109. N . LOHFINK,

310

Le salut dans le livre de la consolation: J r 3 0 - 3 1

b) Vocabulaire Les termes utilisés dans ces versets suggèrent une rédaction exilique, peut-être même postexilique. L'expression ni3® 31© ouvre l'oracle (v. 18). Elle est importante dans le livret de la consolation. En effet, sur les 27 emplois de cette expression dans l'A.T., 8 sont en Jr 29-33, dont 3 en 30-31: 30,3.18; 31,23. L'étymologie en est discutée. Preuschen98 et Baumann" rattachent ni3® 31® à H3® „faire prisonnier". L'expression signifierait alors „ramener les captifs" (traduction BJ). Dietrich 100 rattache ni3® à la racine 31®. L'expression exprimerait l'espoir d'un retour aux temps anciens, à une époque plus prospère. A la suite d'une assimilation entre ni3® et rP3®, nom qui signifie prisonnier, ni3® 31®, dont le sens premier était „restaurer, changer le sort" a été aussi compris „ramener les captifs". En témoigne le grand nombre de Qere-Ketiv sur ri13®/ S'a®. Bright 101 écrit à ce sujet: „No doubt in and after the Exile „to turn the captivity" and „to reverse the fortunes" came to mean much the same thing." Sur les 27 textes de l'A.T., quatre ont un sens clair: en Jr 2 9 , 1 4 et Ez 29,14, il s'agit de ramener des captifs; en Ez 16,53 et Jb 42,10 1 0 2 , il n'est pas question de captifs. Le sens est „rétablir une situation". Les autres occurrences sont susceptibles des deux traductions. J . Barr met à juste titre en garde contre une recherche à tout prix du sens dans l'étymologie: „It is quite wrong to suppose that the etymology of a word is necessarily a guide either to its proper meaning in a later period or to its actual meaning in that period." 103 Regarder le contexte de ni3® 31® est alors la voie la plus sûre pour en cerner le sens. Cette expression apparaît dans des oracles où le salut est décrit comme l'inversion d'un jugement 104 . En 30,3, ni3® 31® est lié à l'assurance du retour et à la réappropriation de la terre. Ce verset suppose le jugement de Dieu que sont l'exil et la perte de la terre. Le jugement est souvent décrit dans le livre de Jérémie comme une perte du pays: 8,10; 9,18; 12,7-13; 15,5-9; 16,13; 22,6; 24,10. Dans les ch.

98

"

100

E. „Die Bedeutung von m 3 » 310 im Alten Testament", ZAW 15, 1895, pp. 1-74. BAUMANN E. „ ¡ T O B 3 1 » . Eine Exegetische Untersuchung", ZAW 47, 1929, pp. 17-44. DIETRICH E . L . „ni3B 31B" Die Endzeitliche Wiederherstellung bei den Propheten, BZAW 4 0 , Giessen, 1925.

PREUSCHEN

101

BRIGHT, p .

102

„Yhwh restaura la situation de Job" traduit la BJ. J. B A R R , The Semantics of Biblical Language, Oxford, 1961, p. 109. J.M. BRACKE, „Sub sebut - A Reappraisal", ZAW 97, 1985, pp. 2 3 3 - 2 4 4 .

103 104

278.

Critique littéraire

311

30-33 où l'expression ni3® 31® est dominante, le retour au pays est un thème central: 30,10.18; 31,5.6. 8-14. Les autres contextes de ni3® 31» dans le livre de Jérémie (29,14; 3 2 , 4 4 ; 33,7.11; 4 8 , 4 7 ; 4 9 , 6 . 3 9 ) indiquent aussi un renversement du jugement. Les autres emplois dans l'A.T. 1 0 5 renforcent cette conclusion: ni3® est utilisé pour identifier un modèle de restauration qui se présente comme le renversement d'un jugement antérieur. Le retour de captivité est un élément parmi d'autres de cette restauration. Selon Bracke, Jérémie 30-33 est le plus ancien exemple de cet emploi dans l'A.T. En dehors du livre de Jérémie, les textes de l'A.T. où l'on trouve ni3® 31® sont tardifs 106 . C'est manifeste pour des livres exiliques ou postexiliques (Ez 16,53; 39,25; J1 4,1; J b 42,10), mais dans les livres plus anciens, les emplois de ni3® 31® (Dt 30,3; Os 6,11; Am 9,14; So 2,7 et 3,20) sont dans des additions 107 . En effet, la perspective développée en Dt 30,1-10 présuppose l'exil 108 . En Os 6,11, le v. 11 est considéré comme une addition ultérieure à l'unité 6,7-7,2 actualisant pour le royaume du Sud le message de salut adressé au royaume de Samarie 109 . La finale du livre d'Amos (9,11-15) est un oracle de restauration du royaume davidique postérieur aux oracles du prophète du Ville siècle 110 . Le texte actuel de So 2,7 est difficile ainsi qu'en témoignent les problèmes de critique textuelle 111 . La mention de la „maison de Juda" apparaît au milieu d'un oracle contre la Philistie. Le noyau ancien est le centre du verset: „le soir, ils se reposent au milieu des maisons d'Ashqelôn". Il a ensuite été encadré par le „reste de la maison de Juda" (7a) et la finale „Yhwh leur Dieu les visitera et il accomplira leur restauration.". So 3,18-20 date probablement de l'exil 112 . L'expression ni3® 31® est donc tardive. Les textes où elle se trouve ne sont pas à attribuer au prophète Jérémie. 105

106

107

108

109

110

Dt 30,3; Ez 16,53; 39,25; Os 6,11; J1 4,1; Am 9,14; So 2,7; 3,20; Jb 42,10; Ps 14,7; 5 3 , 7 ; 126,1-4. La première attestation remonte au Ville siècle sur une stèle de Sifré publiée par A. DUPONT-SOMMER: „Les inscriptions araméennes de Sifré" stèle III, ligne 25, p. 328. Pour être tout à fait complète, signalons qu'il y 4 emplois dans les Psaumes: 14,7; 5 3 , 7 ; 126,1.4. cf P. Buis-J. LECLERCQ, Le Deutéronome, Paris, 1963, p. 185. F. GARCIA-LOPEZ, „Le Deutéronome", CE 63, Paris, 1988, p. 57. E. JACOB, Osée, CAT Xla, Genève, 1982, p. 56. H.W. WOLFF, Hosea, Hermeneia, Philadelphie, 1974, p. 123. H.W. WOLFF, Amos, Hermeneia, Philadelphie, 1974, p. 353. R . MARTIN-ACHARD, Amos,

111 112

Genève, 1 9 8 4 , pp. 6 3 - 7 0 .

cf B. RENAUD, Sophottie, Gabalda, Paris, 1987, pp. 225-26. id. p. 259.

312

Le salut dans le livre de la consolation: Jr 30-31

Au v. 18, le mot „tentes" C?nN) est mis en parallèle avec „demeures" (•pBO). Peut-on dire que les tentes désignent les sanctuaires qui seront restaurés? C'est l'opinion de Holladay113 qui donne le même sens en Jr 4,20 et 10,20, mais cette interprétation cultuelle de 4,20 et 10,20 ne s'impose pas. Le terme désigne ici le lieu où habitent les clans de Jacob 114 . Y voir un terme cultuel est extrapoler sur les vv. 20-21. Au v. 18, il est question des habitations. Dans l'ensemble de l'A.T., en dehors de Jr 30,18, on rencontre trois fois Dm associé à ma» 310: en Dt 30,3; Jr 33,26 et Ez 39,25. Or ces trois textes sont exiliques115. Au v. 19, le terme min appartient au registre cultuel. Il ne se trouve que deux autres fois dans le livre de Jérémie, en 17,26 et 33,11 qui sont des textes tardifs 116 . Par ailleurs, en 33,11, min est associé au verbe HT; le mot „louange" est mis en parallèle avec „les cris de joie et d'allégresse", expression que l'on retrouve en Jr 7,34; 16,9; 25,10. L'ensemble de ces textes cultuels est postérieur au prophète Jérémie117. Au v. 20, le mot m u qui ne se trouve qu'ici dans le livre de Jérémie118 est un terme des écrivains sacerdotaux (81 occurrences sur 149 sont dans le livre des Nombres) pour désigner la communauté d'Israël (Ex 12,3; Nb 1,2 ...). Comme l'écrit Hyatt, „the word ,edhah' is used 115 times by the priestly writers, and occurs very rarely in preexilic literature - I Kings 8: 5; 12: 20; and Hos 7: 12, where the text is obscure and should be emended" et il conclut à juste titre: „The emphasis on political restoration and priestly rule is not characteristic of the thought of Jeremiah." 119 113

114

115 116

117

118

HOLLADAY 2, „Tents and curtains in 4: 20 and 10: 20 are a reference to the temple in Jerusalem" p. 176. Cette opinion est défendue par F.K. KUMAKI, „A new look at Jer 4,19-22 and 10,19-21", Annual of the Japonese Biblical Institute 8, 1982, pp. 113-122. „The dwelling places of a whole people are summed up as their 'ohalim, .tents'. This is the case not only with the nomadic peoples like Kedar, but also of Jacob and Juda." K. KOCH, T D O T I, p. 121. cf S. BÖHMER, Heimkehr und neuer Bund, p. 64. Selon THIEL, Jr 17,19-26 est D (Die deuteronomistische Redaktion von Jr 1-25, pp. 203-209) et 33,1-26 est postdeutéronomiste (Die deuteronomistische Redaktion von Jr 26-45, p. 37. cf U. SCHRÖTER: „Die kultische Fürbung liegt auf Grund von XXXIII,11 und auf Grund des Kontextes (v 20-21).... So ergibt sich: XXX 18-21 dürften insgesamt eine späte Komposition sein, deren kultische Terminologie ab v. 19 durchgängig ist." „Jeremias Botschaft für das Nordreich", VT 35, 1985, p. 315. Le terme se trouve peut-être aussi en Jr 6,18, mais il y a un problème textuel et la leçon n'est pas sûre.

»» HYATT, p. 1 0 2 7 .

Critique littéraire

313

Le verbe lp£J est fréquent dans le livre de Jérémie (44 occurrences) 120 . Il désigne le plus souvent la visite de Yhwh venant châtier son peuple 121 . + IpS avec pour objet „les nations" est rare. Carroll commente: „The move away from Jeremiah's application of the term to the nation's destruction to the more conventional one of the punishment of the nations confirms the view that the section belongs to the post-Jeremianic development of the tradition." 122 Au v. 2 1 , le terme "f^O n'est pas utilisé pour désigner le chef de la communauté mais l'auteur a préféré T I N et termes que l'on trouve dans des textes exiliques ou postexiliques. Jr 30,21a(3 („Son souverain sortira du milieu de lui") peut être rapproché de Mi 5,1 („C'est de toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël") et de Dt 17,15, textes qui sont tardifs 123 : m p û 1*7001 Jr bgno nrn1? -joa Mi Deux traits caractérisent ce souverain à venir: il sera israélite, ce qui laisse supposer l'expérience d'un gouvernement étranger, et il sera prêtre, ainsi que le suggère le verbe du v. 21a|3: 3~lp (hifil). Holladay analyse les emplois de ce verbe et conclut 124 : „The connotation of ,bring near' is cultic: other than the present passage the only context in which the verb appears in the hip'il item with Yaweh as subject is Num 16: 5 and 10 , 2 S , where Yahweh brings the priests near (to himself at the altar), and the only passage where the king draws near to the altar in Jerusalem which was made on the pattern of the one in Damascus." Le rédacteur semble en tout cas avoir délibérément évité le terme 1*70. L'absence de la mention d'un roi renvoie à une époque 120

121 122

123

Sur les sens de lp3, on peut consulter: G. A N D R E , Determining the destiny - PQD in the Old Testament, Coniectanea Biblica, Uppsala, 1 9 8 0 . Jr 5 , 9 . 2 9 ; 6 , 1 5 ; 8 , 1 2 ; 9 , 8 . 2 5 ; 1 1 , 2 2 ; 1 4 , 1 0 ; 1 5 , 3 ; 2 1 , 1 4 ; 2 3 , 3 4 ; 4 4 , 1 3 . 2 9 . C A R R O L L , From Chaos to Covenant, New York, 1 9 8 1 , p. 2 0 8 . B. R E N A U D (Michée, p. 1 0 7 ) fait dépendre Mi 5 , 1 de Jr 3 0 , 2 1 et estime que „cette dépendance suggère une rédaction exilique ou postexilique. On peut penser au contexte de l'histoire de Zorobabel, ce descendant de David qui canalisa un moment l'espérance d'un renouveau de la dynastie davidique à l'époque du retour d'exil." Cela n'empêche pas le texte-source d'être lui-même exilique.

124

HOLLADAY 2 , p .

125

Nb 16,5: „(Moïse) dit à Coré (...): Demain matin, Yhwh fera connaître qui est à lui, qui est l'homme consacré qu'il laissera s'approcher de lui. Celui qu'il fera s'approcher de lui, c'est celui-là qu'il choisit." BDB (p. 898a) indique que 21p au hifil est 1 5 8 fois sur 1 7 7 employé comme un terme technique en Ez, loi de sainteté et P. Sur le sens de cf THAT II, col. 6 7 4 - 6 8 1 : „qrb hi. ist vor allem terminus technicus der Kultsprache und bezeichnet das .Darbringen' des Opfers."

179.

314

Le salut dans le livre de la consolation: Jr 30-31

où la reconstruction de la communauté n'implique pas le statut royal du responsable principal 126 . Il en est de même en Ez 40-48 où le prophète qualifie le prince de lOBD plutôt que de "1*70 (Ez 45,9-46,18,) dans l'exercice de ses activités cultuelles 127 . c) Date L'étude du vocabulaire nous a conduite à voir dans les vv. 18-21 une unité postérieure à celle des versets précédents que l'on peut dater au plus tôt de l'époque exilique 128 . La thématique de la restauration est de la même période: l'annonce de la reconstruction d'une ville et de son palais présuppose leur destruction et donc la réalisation effective de la parole de jugement des prophètes préexiliques, notamment de Jérémie. Par ailleurs, les caractéristiques d'une telle restauration se retrouvent dans d'autres textes que l'on peut dater d'une période postérieure à Jérémie. Ainsi la reconstruction des cités de Juda est-elle annoncée en Is 44,26-28; 49,17; Ez 36,10.33-36 ainsi qu'en Am 9,11-15 1 2 9 . En ces jours-là, le pays sera repeuplé (Jr 3,16 1 3 0 ; Is 49,20-21; 54,1-3; Ez 36,815.37-38) et le sanctuaire de Yhwh sera au milieu de son peuple (Ez 37,26-28). L'analyse nous a donc conduite à rapprocher J r 30,18-21 de textes de la période exilique et postexilique. L'abondance du vocabulaire cultuel porte à considérer que les milieux sacerdotaux ont été les inspirateurs de la rédaction de cet oracle de salut en développant leur vision de la restauration à partir de l'image jérémienne de „bâtir" 1 3 1 .

126

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130

131

C A R R O L L parle de la reconstruction de la communauté comme d'une assemblée théocratique. p. 584. Sur l'histoire complexe de la rédaction de Ez 4 0 - 4 8 , nous renvoyons à W . ZIMMERLI qui situe les textes traitant du rôle du I O B J dans le nouveau temple et la communauté entre 571 et 538. (Ezekiel 2, p. 552). Certains exégètes les situent à la période perse (CARROLL) ou même à celle des Maccabées ( D U H M ) . L'oracle d'Am 9,11-15 est considéré comme inauthentique par la majorité des exégètes: M . D E L C O R , Les petits Prophètes, Bible Pirot Clamer, p. 2 3 7 - 2 3 8 . H . W . W O L F F , Amos, Philadelphie, 1 9 7 7 , pp. 3 5 2 - 3 5 3 . R . M A R T I N - A C H A R D , Amos, Genève, 1 9 8 4 , pp. 6 3 - 7 0 . W. H O L L A D A Y (1 p. 120) commente ainsi Jr 3,16: „One cannot avoid the impression that theses verses reflect the hunger of the exiles that God bless the inevitable." L'authenticité de ce verset est discutée, cf H. CAZELLES, „Israël du Nord et Arche d'Alliance" (Jr III 16), VT 18, 1968, pp. 147-158. N . LOHFINK et W . HOLLADAY se singularisent en défendant l'authenticité de ces versets. LOHFINK („Der Junge Jeremia ...") considère en effet que 30,18-21 ne

Critique littéraire

315

d) le v. 22 Le passage de la 3e personne à la 2e du pluriel entre les vv. 21 et 2 2 jette le doute sur l'appartenance primitive du v. 2 2 à l'unité 18-21. Ce verset n'est d'ailleurs pas dans la L X X . La position de Carroll reflète l'opinion commune: ,,it (v. 22) may be a pious addition here summing the force of vv. 18-21 or reflecting 3 1 , 1 . The shift in person indicates its secondary nature." 1 3 2 Le refrain 1 3 3 que constitue ici la formule d'alliance est une parole d'espérance. La rédaction en fait l'aboutissement de la restauration promise. 30,23-31,1 Cette petite unité est constituée d'un doublet de 2 3 , 1 9 - 2 0 , parole de jugement à laquelle un rédacteur a ajouté un bref commentaire („à la fin des jours, vous comprendrez"), le tout étant appuyé par la reprise de la formule d'alliance (31,1). En 2 3 , 1 9 - 2 0 la parole est un oracle de jugement contre Israël. En 3 0 , 1 8 - 2 2 , la promesse est formulée en faveur d'Israël. En 3 0 , 2 3 - 3 1 , 1 , l'oracle de jugement annonce le châtiment pour les „méchants" c'est-à-dire les oppresseurs. La parole de jugement devient parole de salut. „Le retournement de cette parole primitivement adressée en oracle de jugement à Israël est tout à fait dans la ligne du reste du chapitre où le futur est présenté comme une succession de retournements" 1 3 4 ainsi que nous l'avons déjà constaté en étudiant la thématique de 3 0 , 1 8 - 2 2 . Hyatt estime 135 que l'intention du peut se comprendre qu'en fonction de 30,5-7: à la destruction et à la désolation correspondrait la reconstruction décrite en 30,18-21. Avec SCHRÖTER, nous objecterons que l'argument n'est pas suffisant: 31,2-6 convient aussi bien comme 2e élément du diptyque à la place de 30,18-21: „Auch von X X X I 4-6 her kann ohne X X X 18-21 ein ebenso wirkungsvolles Gegenbild zu X X X 5-7 und 12-15 entwickelt werden", „Jeremias Botschaft ...", note 9 p. 314. W. HOLLADAY ajoute 31,laßyb. à la strophe 30,18-21, estimant que les „familles d'Israël" forment inclusion avec les „clans de Jacob". Ce découpage est arbitraire. En intégrant 30,18-21 à la première prédication de Jérémie sous Josias, Holladay suit Lohfink mais sans justifier sa position par une analyse littéraire. Jérémie donnerait de Josias l'image d'un „cultic leader of a reunited people" (p. 179). L'image aurait ensuite été transférée sur le futur roi lors de la prédication au Sud. Cette lecture des vv. 20-21 notamment est difficile. Ces versets sont beaucoup plus clairs si on accepte de les dater de l'exil. U 2

CARROLL, p .

133

Cette formule apparaît 7 fois dans le livre de Jérémie: 7,23; 11,4; 2 9 , 7 ; 30,22; 3 1 , 1 . 3 3 ; 32,25. Nous renvoyons au ch. III: Jérémie et le Temple p. 110. A. M A R X „A propos des doublets du livre de Jérémie, Prophecy. Essays Presented to Georg Fohrer, BZAW 150, Berlin - New York, 1980.

134

,35

HYATT, p .

583.

1027.

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Le salut dans le livre de la consolation: Jr 3 0 - 3 1

rédacteur est de donner une tonalité eschatologique à la restauration annoncée. Nous pensons plutôt avec A. Marx, que le rédacteur a voulu, par ce doublet, illustrer la continuité de l'action de Yhwh et montrer que le Dieu qui a châtié Israël est celui-là même qui maintenant châtie les nations et restaure Israël. 31,2-6 a) Première

lecture

La difficulté de traduction de ces versets vient de l'identification des sujets de N20 (v. 2a), "fl^n (v. 2b) et de la variation des genres: Israël est masculin et les suffixes à partir du v. 3 sont au féminin singulier. Faut-il voir alors deux unités dans ces versets: vv. 2-3a et 3b-6? C'est la position de Holladay 136 . Nous pensons que le texte se comprend en faisant de Yhwh le sujet de l'ensemble des verbes et du v. 3a une réflexion d'Israël: - Yhwh 1 3 7 : Il a trouvé grâce dans le désert le peuple échappé à l'épée. Je vais donner du repos à Israël. - Israël 138 : Il y a longtemps Yhwh m'est apparu. - Yhwh: D'un amour éternel je t'ai aimée... Le passage du masculin (DSJ et *7i