Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle [numérique ed.]

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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle [numérique ed.]

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Dr Madeleine Sylvain BOUCHEREAU [1903-1970]

(1957)

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle Un document produit en version numérique par Wood-Mark PIERRE, bénévole, Étudiant en sociologie, Université d’État d’Haïti Page web. Courriel: [email protected] Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales" Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, sociologue, bénévole, professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi, à partir de :

Dr Madeleine SYLVAIN BOUCHEREAU Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Port-au-Prince , Haïti : Les Éditions Fardin, 1957, 253 pp.

Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times New Roman, 14 points. Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’. Édition numérique réalisée le 22 août 2017 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, Québec.

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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

Dr Madeleine Sylvain BOUCHEREAU [1903-1970] Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle.

Port-au-Prince , Haïti : Les Éditions Fardin, 1957, 253 pp.

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Table des matières AVANT-PROPOS [v] PREMIÈRE PARTIE. La femme haïtienne dans l’histoire [1] INTRODUCTION [3] Chapitre I. Chapitre II.

Période indienne et espagnole [5] Tradition africaine [19]

I. Mariage dans lequel la direction des enfants revient au père [27] II. Mariage où la mère conserve la direction de ses enfants [28] Chapitre III. Chapitre IV.

Période française [45] Période haïtienne [65]

DEUXIÈME PARTIE. La femme dans la famille, la société et l'économie haïtienne [101] Chapitre I.

Statut légal [103]

1. Droits Civils [103 a) Mariage [103] b) Régime des biens [106] c) Rapport de la mère avec ses enfants légitimes [116] d) Unions illégitimes [120] 2. Droits politiques [123] 3. Coutumes traditionnelle [125] a) Unions matrimoniales [125] b) Relations familiales [132] 4. Modifications du code civil proposées par la Ligue Féminine d'Action Sociale [140]

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Chapitre II. Rôle de la femme dans les différentes classes de la société. [144] 1. Rôle civique et social [144] 2. Rôle économique [156] 3. Contribution culturelle féminine [169] a) Littérature art et sciences [169] b) Religion [182] Chapitre III. Cycle de vie. [184] 1. Enfance [184] a) Bourgeoisie [185] b) Classe moyenne et prolétariat des villes [188] c) Classe paysanne [194] 2. Adolescence et mariage [205] a) Bourgeoisie [205] b) Classe moyenne et prolétariat des villes [215] c) Classe paysanne [221] CONCLUSIONS GÉNÉRALES [231] Appendice I Le Procès de la Ligue Féminine d'Action Sociale pour l'exercice intégral des droits politiques en 1957 et la participation féminine au renversement du gouvernement du président Magloire [241] Appendice II Présentation schématique des conditions de vie de 597 femmes et jeunes filles des bourgs et des communautés, rurales [247] Appendice III Bibliographie [249]

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AVANT-PROPOS Retour à la table des matières

Cet ouvrage a pour but d'examiner la condition de la femme dans la société haïtienne. La première partie est consacrée à une discussion de ses origines historiques, la seconde étudie l’évolution de l’éducation en Haïti, et la troisième examine le statut actuel, économique, social et politique de l'haïtienne. La seconde partie a été publiée en 1944 dans une brochure intitulée « Education des Femmes en Haïti. » 1 Cette étude est forcément incomplète à cause du petit nombre de sources authentiques. On trouve peu de renseignements sur la femme dans les livres d'histoire et dans les récits de voyage. Un grand nombre de documents ont été consultés en vain et d'autres ne consacrent qu'une ou deux lignes à notre sujet. La partie traitant de la condition de la femme est basée sur les observations de l'auteur qui pendant plus de quinze ans fut inspectrice, puis chef de service à l’Enseignement Rural, et en même temps présidente de la plus importante association nationale de femme : haïtiennes « La Ligue Féminine d'Action Sociale. » Ces doubles fonctions lui ont permis d'entrer en contact avec les femmes de toutes les classes et de toutes les régions du pays. Les observations générales ont été approfondies par des monographies individuelles. Les résultats d'autres recherches individuelles et collectives ont [vi] fourni des renseignements complémentaires sur la situation du peuple et de la petite bourgeoisie 2. 1

Sylvain Bouchereau, Madeleine G., Éducation des Femmes en Haïti. Imprimerie de l'Etat, Port-au-Prince, Haïti 1944.

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De plus, une enquête a été faite par l’auteur sur les conditions de vie de 597 femmes et fillettes des bourgs et communautés rurales. Cette enquête est basée sur des questionnaires remis à un certain nombre d'institutrices du pays. Celles-ci devaient répondre à quelques questions concernant les femmes qu'elles connaissaient de très près. Ces réponses ont pu être contrôlées par des visites personnelles. Les questionnaires incomplets et de véracité douteuse ont été éliminés et l’auteur a procédé elle-même à des enquêtes supplémentaires. Le nombre restreint de cas étudiés ne permet pas de tirer des conclusions statistiques, mais donne une idée exacte des conditions de vie d'un certain nombre de femmes habitant les bourgs et les communautés rurales. Il nous a été souvent difficile d'obtenir des renseignements importants à cause de l'insuffisance des statistiques sociales. Les recherches ayant été faites en Haïti et aux Etats-Unis, il a été impossible de consulter les archives des bibliothèques de Paris et de Séville qui contiennent les meilleures collections d'ouvrages et de manuscrits traitant de la période coloniale. L'auteur espère néanmoins que cette étude, bien que brève et incomplète, servira de point de départ à d'autres discussions plus approfondies sur /a situation de [vii] la femme haïtienne, sujet entièrement négligé jusque présent. Ceux qui s'intéressent au problème de révolution culturelle trouveront aussi dans cet ouvrage une illustration intéressante de l'histoire d'un peuple transplanté dans un nouveau milieu et soumis à des influences variées. Ce sujet a été plus spécialement traité par Hersko-

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Bulletin Trimestriel de Statistiques, No. 1 à 7. Institut Haïtien de Statistiques, Port-au-Prince 1951-52 : Comhaire-Sylvain, Suzanne et Jean. Loisirs et divertissement dans la région de Kenscoff, Haiti. Bruxelles 1938. Comhaire-Sylvain, Suzanne. « Loisirs des Fillettes de Port-au-Prince. » « Voix des Femmes » No. 46 Port-au-Prince, Fév. 1940. Comhaire-Sylvain, Suzanne « Ce que font nos fillettes en dehors des heures de classes « Voix des femmes, Nos. 51 à 54, Port-au-Prince, 1940. Département de Travail. Revue du Travail, Vol. II No. II. Port-au-Prince, Mai 1952. Herskovits, M. J., Life in a Haitian Valley, New-York 1937. Métraux, Alfred. L'Homme et la terre dans la vallée de Marbial, Haïti, UNESCO, Paris 1951.

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vits 3 et l’auteur de cette étude ne prétend pas arriver à des conclusions originales et définitives, mais a jugé intéressant de présenter les origines de la femme haïtienne et d'analyser les facteurs qui ont contribué à la formation de sa personnalité. Cet ouvrage est basé en partie sur des recherches faites pour soutenir une thèse de doctorat à l’Université de Bryn Mawr (Etats-Unis d'Amérique) en 1941, il a été terminé à l'occasion de la Célébration du Cent Cinquantième Anniversaire de notre Indépendance afin de faire apprécier la contribution de la femme à la formation de la nation haïtienne. Pour terminer, l'auteur désire exprimer ses sentiments de reconnaissance envers tous ceux qui ont rendu possible l'achèvement de cette œuvre, particulièrement son mari, Max Bouchereau et ses sœurs Suzanne, Jeanne et Yvonne G. Sylvain, qui l'ont aidé de leurs conseils ; aux instituteurs et institutrices qui ont rempli les questionnaires et participé aux enquêtes, aux docteurs Herbert Miller, Mildred Fairchild et lise Forest de Bryn Mawr Collège et enfin à tous ceux qui Vont assisté d'une façon ou d'une autre. Août 1953 [viii]

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Herskovits, op. cit.

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Première partie LA FEMME HAÏTIENNE DANS L’HISTOIRE

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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

Introduction

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L'Histoire d'Haïti a été entièrement écrite par des hommes et pour les hommes, aussi n'y trouve-t-on guère de trace de la femme, de son influence morale, sociale et économique. L'Histoire de l'haïtienne est encore à écrire ; celui qui entreprendra cette tâche difficile aura fort à faire et ce n'est que par bribes, raccrochées çà et là, qu'il pourra arriver à définir la condition de la femme à une période donnée. Nous allons essayer de donner un bref aperçu du rôle joué par la femme dans l'évolution de la nation haïtienne, de la place qui lui a été assignée et de ses possibilités pour l'avenir. [4]

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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

Chapitre I PÉRIODE INDIENNE ET ESPAGNOLE

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Lorsque l’île d'Haïti a été découverte en 1492, elle était habitée principalement par les tainos, nom donné aux indiens de langue arawak qui vivaient dans les Grandes Antilles et les Bahamas. Des groupes isolés, d'une population de chasseurs et de pêcheurs ressemblant aux ciboney qui occupaient certaines sections du centre et de l’ouest de Cuba ont été signalés dans la presqu'ile de Guaicayarima au sud-ouest d'Haïti. Leur, position périphérale, tant en Haïti qu’à Cuba, aussi bien que la distribution archéologique plus, .étendue de leur culture indique son ancienneté. Les ciboney étaient probablement les premiers habitants des Antilles qui durent reculer devant les vagues successives des arawaks et des caraïbes. Ces derniers, qui s'étaient récemment établis dans les Petites Antilles, inquiétaient par leurs fréquentes attaques les indiens des grandes des 4. L'île d'Haïti semblait un paradis pour les tainos qui y avaient trouve un sol convenant à la culture du manioc, base de leur nourriture 4

Steward, Julian H., [ed.], Handbook of South American Indians, vol. 4 : The Circum-Caribbean Tribes. Washington, 1948, pp. 495-565.

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et des poissons en abondance dans les rivières et sur la côte quelques rongeurs et des oiseaux facilement capturés leur fournissaient la viande qui, d'ailleurs ne constituait pas un élément important de leur alimentation. C'est en Haïti que les espagnols ont rencontré l'organisation politique la mieux définie dans les Antilles. L'île était divisée en cinq caciquats délimités par des frontières naturelles. Il y avait plusieurs villes. Colomb fait mention d'une [6] agglomération située dans le Marien qui avait mille maisons. En général, les villages étaient bâtis au hasard, sans rue, une petite place devant la maison du cacique en constituait le centre. Ce n'est qu'au Higuey que Las Casas trouva un plan défini de ville avec rues. Le cacique, sa femme et ses concubines habitaient une résidence spacieuse, située sur la place servant de lieu de réunion pour les communications importantes, les festivals, les danses et les jeux de balle. Les autres personnes habitaient des maisons logeant plusieurs familles. Parfois dix ou quinze hommes avec leurs femmes et leurs enfants vivaient dans une grande maison (caney), haute de 7 à 13 mètres, n'ayant pas de cloison particulière 5. À l'origine, la maison indienne était circulaire. Ce n’est probablement qu'après l'arrivée des espagnols que des maisons rectangulaires ont été construites. Oviédo décrit une maison ronde avec un toit en paille soutenu par un pieu central et des poteaux latéraux formant la charpente des parois faites en bambous très rapprochés les uns des autres et rattachés par des lianes ; il n'y avait pas de plancher. Il affirme que c'était une construction solide capable de résister aux vents 6. Les Tainos avaient fondé un état aristocratique. La société était divisée en quatre classes : 1) les naborias, 2) la masse du peuple, 3) les tainos, 4) les caciques et leurs familles. 1) Les naborias étaient les serviteurs et domestiques qui travaillaient dans les villes et ne possédaient pas de cocotiers : ils étaient entretenus en récompense de leur travail. 5 6

Loven, Sven. Origins of the Taino Culture West Indies, Goteborg, 1935, pp. 73-79, 336, 339. Oviédo. Historia general y natural de las Indias, Vol. I, p. 163, Madrid, 1851.

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2) Le peuple : comprenait la masse des cultivateurs qui semblaient n'avoir aucune voix dans le gouvernement. Ils plantaient, récoltaient, péchaient et allaient à la guerre. 3) Les tainos ; hommes libres avaient le droit de vote dans les communautés et prenaient part aux conseils municipaux [7] et aux réunions extraordinaires du gouvernement. Le peuple obéissait. Ils formaient la garde du corps du cacique, dirigeaient le travail des champs et fixaient les limites des terrains appartenant aux villages. Si la communauté était petite, le cacique remplissait lui-même ces fonctions. Les tainos formaient une espèce de noblesse qui était probablement héréditaire car les témoins oculaires prétendent qu'ils ne se mariaient que dans leur classe 7. 4) Les caciques représentaient le peuple dans les relations avec le monde extérieur. Ils avaient une place importante dans la religion et étaient en relation directe avec les dieux. Ils avaient la garde des statues, idoles ou zémis qui contenaient les os de leurs ancêtres. Ils connaissaient mieux que personne les mythes et traditions religieuses et les enseignaient à leurs enfants. Les fêtes religieuses avaient lieu devant ou à l'extérieur de leurs huttes. Ils haranguaient souvent la foule en cette occasion. Ils portaient des couronnes et des marques distinctives de leur rang. À part les grands caciques, il y avait des caciques inférieurs chargés de la juridiction de villages ou districts. À chaque guerre, ceux-ci formaient un conseil et nommaient un commandant en chef parmi les grands caciques 8. « Les principautés étaient héréditaires ; mais si un cacique mourrait sans enfant, ses états passaient à ses sœurs, de préférence à ses frères. La raison de cette coutume était la même qui l’a fait établir en tant d'autres pays... à savoir que les enfants des sœurs sont bien plus certainement du sang de leur oncle que ceux de leur frères. La même raison aurait dû les faire encore passer par-dessus les enfants même du prince défunt, mais l'usage était contraire. Dans certaines provinces, les femmes des caciques

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Loven. Op. cit., p. 502. Oviédo. Op. cit., Vol. I, p. 299.

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devaient assister leurs maris quand ils mouraient, sous peine de passer pour infidèles et leurs enfants illégitimes 9. »

Ceci était en harmonie avec les lois habituelles de succession du pays, dans certains cas, un étranger pouvait être [8] nommé cacique ou bien la sœur ou la femme du cacique pouvait lui succéder. C'est ainsi que plusieurs femmes se trouvaient à la tête de villages, et même de cacicats, témoin cette Catalina qui, par amour pour Diaz, accueillit les espagnols dans son village situé à l'embouchure de l'Ozama, leur révéla la présence de mines d'or dans les environs et les porta ainsi à fonder la ville de Santo-Domingo 10, Anacaona, épouse et sueur de caciques et reine elle-même, après leur mort, d'une grande beauté et d'une intelligence supérieure, poétesse et femme d'état, joua un rôle important dans les premiers temps de notre histoire. Malgré les services rendus aux envahisseurs, elle n'échappa pas au triste sort réservé aux caciques indiens et fut exterminée, sans pitié, ainsi qu'une grande partie de ses sujets 11. Les caciques inférieurs avaient peu de différence de rang avec le peuple et dirigeaient eux-mêmes les travaux des champs, la pêche et la chasse. Las Casas prétend les avoir souvent vus mangeant aux mêmes plats que leurs sujets 12. En général, malgré les différences sociales, chacun avait sa part de tout et spécialement des provisions 13, D'après Charlevoix, « les indiens étaient accoutumés à se borner aux purs besoins pour la vie, on n'y songeait point à thésauriser, et ce que la terre produisait presque sans culture, était : en quelque sorte à tout le monde. Du moins les plus accommodés ne manquaient jamais de secourir ceux qu'ils

9 10 11 12 13

Charlevoix, Père P. de. Histoire de l'Isle Espagnole ou de Saint-Domingue, V. I., pp. 65, Amsterdam 1733. Ibid., pp., 188 ; 18S. Voir aussi : Nau, Emile. Histoire des Caciques d’Haïti, pp. 134, 136. Port-au-Prince, 1885. Ibid., pp. 81, 191, 133, 698. II, 6-10. Nau, op. cit., pp. 225-26. Voir aussi : Madiou, Thomas, Histoire d’Haïti, T. I, pp. 8-9, Port-au-Prince, 1848. Loven. Op. cit., p. 515 Irving, Washington, The Life and Voyages of Christopher Columbus, Vol. I, pp. 210, 211, New-York. 1868.

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voyaient dans l'indigence. L'hospitalité était aussi très religieusement observée à l'égard de tout le monde 14. » Avant la conquête, il semble qu'il n'y ait pas eu de véritables guerres, mais seulement d'insignifiantes querelles de frontières. Les causes habituelles de ces querelles étaient : [9] a) la rupture des fiançailles de la fille du cacique, b) la violation des droits de pêche, et enfin c) le meurtre d'un (nombre du groupé par une personne étrangère 15. Les tainos étaient de mœurs paisibles. S'il y avait une controverse entre eux, les parties en référaient au cacique « qui n'avait plus de trouble en gouvernant sa communauté qu'un père de famille ». Las Casas ajoute : « qu'il n’avait jamais vu une bataille entre les indiens. » Le vol seul était considéré comme un crime, non pas en tant que violation des droits de propriété individuelle, mais parce que constituant un procédé brutal et illégal contre le propriétaire lui-même. Les biens personnels qui se trouvaient dans la maison, le verger, et les champs qui avaient été assignés par le cacique pour la production des aliments nécessaires à la famille constituaient la propriété individuelle 16. La monogamie était la règle, seuls les caciques avaient plusieurs femmes qui formaient parfois un véritable harem 17. Colomb s'exprimait ainsi dans une lettre à Louis de St. Angel : « ... Il me parait que dans toutes ces iles les hommes se contentent d'une seule femme, mais en donnent une vingtaine à leur chef ou leur roi 18. »

Le Père de Charlevoix corrobore cette impression de Colomb : « Il n'y avait rien de réglé parmi nos insulaires pour le nombre de femmes ; plusieurs en avaient deux ou trois ; les autres un peu plus. Un des souverains, qui régnaient dans l’île quand elle fut découverte en avait jusqu'à trente, niais ces exemples étaient rares. Il parait néan14 15 16 17 18

Charlevoix. Op. cit .,p. 64. Irving. Op, cit., p. 211. Loven. Op. cit., p. 515. Ibid., p. 534-535. Oviédo. Op. cit. VI, p. 133. 500. Irving, op. cit., V. L, pp. 210, 211.

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moins que chacun avait sur cela une liberté entière et comme la plupart n'avaient guère que le nécessaire, le commun se contentaient d'une femme. Quant au degré prohibé il n'y avait que le premier sur lequel on ne se relâchait jamais. Parmi les femmes d'un même mari, il y en avait généralement une plus distinguée que les autres, mais elle n'avait aucune supériolité [10] sur ses compagnes. Toutes couchaient autour du mari, nulle jalousie ne troublait la paix du ménage. À la mort du mari, les femmes avaient le choix de se faire enterrer avec lui, toutefois la chose était peu pratiquée 19. » Parmi les femmes des grands caciques l’une avait la préséance sur les autres et était considérée comme reine 20. Nous ne savons pas si c'est le mari ou la femme qui changeait de logement, nous savons seulement que les mariages se faisaient entre les gens de la même classe sociale et en ce qui concerne les caciques ce n'était vrai que pour la femme principale. Le cacique achetait une femme de la famille d'un autre cacique. Il y avait échange de cadeaux entre le fiancé et son futur beau-père comme nous l’avons dit. Si le cacique méprisait les cadeaux déjà échangés et mariait sa fille à un autre candidat, son acte était considéré comme une cause de guerre. Un homme ne pouvait épouser sa sœur ou la fille de sa sœur. Le mariage était célébré par une fête à laquelle les gens de la même classe sociale étaient invités. D'après M. Loven, tous les convives avaient le droit d'essayer la femme 21. La chasteté avant le mariage n'était pas considérée comme obligatoire ; au contraire, Martyr prétend « qu'une femme à marier qui avait accordé ses faveurs au plus grand nombre de personnes était réputée être la plus honorable et la plus généreuse de toutes 22. » Il ne semble pas que ce soit un cas de prostitution payée. De plus, en vertu des lois coutumières de l'hospitalité, les caciques plaçaient leurs femmes à la disposition de leurs égaux, quand ceux-ci les visitaient. À l'occasion d'une visite de Colomb au cacique Guacanagaric, à son second voyage, celui-ci lui donna pour la nuit sa femme et douze jeunes filles 19 20 21 22

Charlevoix, op. cit., V, I, p. 59. Oviédo, op. cit., V. I., p. 500. Loven, op. cit., p. 527. Mac Nutt, Francis Augustus ; Trans. De orbe novo ; The Eight Decades of Peter Martyr, Vol. II, p. 325. New-York and London, 1922,

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nues, comme preuve d'hospitalité. Anacaona se livra aussi plusieurs fois à des espagnols 23. Les auteurs et les témoins oculaires ne s'accordent guère en ce qui a trait à l'homosexualité et à la présence dans l'Ile [11] de « berdaches » hommes habillés en femmes et assumant dans une certaine mesure la position d'une femme dans la communauté. D'après Charlevoix, les différences d'opinions sont dues aux préjugés des historiens qui, les uns, par patriotisme, tâchaient de justifier les cruautés exercées sur les Indiens, les autres, par zèle religieux, exagéraient leurs qualités afin d'apitoyer les chrétiens sur leur sort 24. Mais il est bien difficile aussi de contredire en tout un historien tel qu'Ovidéo, lequel après avoir dit que, en général « dans les Antilles comme dans la terre ferme, les hommes et les femmes étaient également sujets au péché que la nature abhorre », ajoute, qu'il faut en excepter les femmes de l’île Espagnole, qui l'avaient en horreur, non par honte ou par scrupule étant les plus libertines de tout le Nouveau Monde, mais à cause du tort que ce détestable commerce leur causait 25 Las Casas et ses confrères essayèrent en vain de découvrir si le divorce existait ou non. Pour Las Casas, il n'existait probablement pas car « il avait souvent observé des cas ou le mari et la femme étaient tous les deux âgés 26 ». Au point de vue économique, il semble que les occupations des femmes étaient aussi importantes que celles des hommes. D'après Colomb, elles travaillaient plus que ces derniers. Las Casas nous apprend qu'elles préparaient la cassave qui était la nourriture principale, s'occupaient de l'élevage de la volaille et des autres oiseaux, du transport de l’eau de la rivière et du tissage des étoffes et des hamacs. Elles aidaient aussi aux travaux agricoles, les hommes se contentaient de préparer le terrain, La récolte du manioc se faisait par les hommes et les femmes. Les jeunes garçons protégeaient contre les perroquets les champs de maïs plantés par les femmes 27. 23 24 25 26 27

Loven, op. cit., p. 529 ; Oviédo, op. cit., V. I., p. 135. Charlevoix, op. cit., pp. 56-57. Charlevoix, op. cit., p. 57. Irving, op. cit., p. 210. Charlevoix, op. cit., p. 57.

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Les tainos employaient à peu près la même technique que les tribus de l’est du Venezuela et de la Guyane pour la préparation du manioc. Dès que la racine était retirée de terre [12] elle était grattée d'abord avec des coquillages, puis avec un grattoir. Pour en extraire le jus empoisonné, les morceaux de manioc étaient alors pressés dans un long tube de coton ou de vannerie dont une extrémité était accrochée à une branche et l'autre alourdie par un poids ou une barre transversale sur laquelle une femme s'asseyait. Le manioc était cuit sur une plaque d'argile placée sur trois pierres au-dessus du feu, puis les cassaves étaient séchées au soleil 28 : Le jus de manioc transformé en vinaigre par la cuisson permettait de conserver les aliments. Une soupe à laquelle on ajoutait continuellement de nouveaux ingrédients était laissée à bouillir en permanence sur le feu. Elle contenait outre de l'eau et du jus de manioc, des pommes de terre, du mais vert, des haricots et d'autres produits des champs. Les femmes confectionnaient aussi des gâteaux de manioc plus fins pour les caciques. Les tainos consommaient encore des fruits, des poissons et la chair de quelques oiseaux et rongeurs. Ils faisaient ordinairement provision d'aliments pour cinq à huit jours. Ils prenaient quatre repas par jour : petit déjeuner, déjeuner, diner et souper, ce dernier peut-être réservé aux jours de fête. Entre le dîner et le souper, ils prenaient un vomitif avant de consacrer la nuit au souper et à la « collation », nom dont on désignait les danses pendant lesquelles ils buvaient et s'intoxiquaient avec la chicha et le tabac. Les hommes et les femmes se peignaient le corps en certaines occasions, ils se tatouaient aussi et les femmes déformaient la tête de leurs enfants à la naissance. Les hommes circulaient entièrement nus, les caciques portaient des couronnes incrustées de pierres précieuses et d'or par devant, et parfois des ceintures brodées de perles. On a retrouvé des idoles avec des bandelettes aux genoux et des disques d'or aux oreilles (les hommes les portaient probablement aussi, au moins dans certaines occasions) 29. 28

29

Steward, op. cit., p. 523. On a conservé dans nos campagnes ce mode de cuisson sur disque pour le manioc doux presque exclusivement cultivé de nos jours. À l'époque coloniale, les deux variétés étaient en usage. Loven, op. cit., pp. 359, 364, 440, 486, 487.

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Les femmes se frottaient le corps avec un onguent contenant [13] un jus lacté qui leur donnait une couleur blanche, après neuf jours elle se lavaient et restaient blanches. Elles étaient vêtues de « naguas » consistant pour les femmes non-mariées en un pagne monté sur une bande de fibre, parfois elles se contentaient d'une jupe de feuillage. Les « naguas » des femmes mariées étaient de véritables jupes s'étendant de la ceinture jusqu'au milieu de la jambe. Pour les fêtes et les danses, les tainos avaient des vêtements de cérémonie. Les personnes des deux sexes enroulaient des bandelettes autour de leurs bras et les coquilles d'escargot, enfilées autour de leurs poignets, de leurs hanches et de leurs genoux tintaient tandis qu'ils dansaient. Ils portaient aussi des guirlandes de fleurs ou d'herbes sur la tête ; les danseuses avaient parfois des branches à la main. Les ornements d'or étaient accrochés par une bande à leur nez et à leurs oreilles et des colliers et bracelets à leurs bras et à leurs chevilles 30. Les auteurs ne décrivent pas le métier dont se servaient les femmes pour tisser leurs vêtements et leurs hamacs, ceux-ci étaient en coton mélangé de fibres et d'une longueur de deux mètres à deux mètres quarante. Elles se servaient probablement du métier arawaks employé par les femmes caraïbes. De la Borde décrit ainsi le tissage des hamacs dans ces métiers « elles travaillaient leurs lits sur une manière de châssis appuyé contre les fourches de la case de haut en bas ; la chaîne aboutit à un rouleau qui fait le bas du châssis et qu'elles tournent à mesure que la trame s'ourdit 31. » Elles se servaient de vases d'argile et de calebasses pour la préparation et la consommation des aliments. On a retrouvé dans le dépôt d'Anacaona des vases de bois noir épais qui avaient été confectionnés par une femme. Elles mettaient leurs vêtements et tout ce qu'elles désiraient garder dans des paniers imperméables qu'elles transportaient sur le dos. Elles se servaient de paniers décorés pour transporter les offrandes de cassave au festival d'automne 32. Las Casas constate que les femmes avaient une plus grande [14] part dans l'éducation de leurs enfants qu'habituellement en Espagne à cette époque. Les parents instruisaient leurs enfants des cou30 31 32

Loven, op. cit., pp, 408, 466, 481, 483, 484. Ibid., p. 458. Ibid., p. 459.

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tumes de la tribu. Le père leur enseignait la religion des ancêtres, tout ce qui concernait les rites, le culte et le gouvernement. Il leur enseignait aussi les « areitos » ou chansons de geste qui leur tenaient lieu d'annales. Les enfants apprenaient à travailler car il n'y avait pas d'esclave 33. Las Casas ne donne pas de renseignement précis sur les occupations des hommes. Nous supposons cependant qu'en plus de leur travail agricole, ils chassaient, péchaient, naviguaient d'une île à l'autre, construisaient les maisons, les canots, les chaises sculptées en bois appelés « duho » servant aux caciques et aux invités d'honneur. Ils étaient aussi seuls admis à rechercher l'or, jeûnaient et vivaient séparé : de leurs femmes pendant vingt jours, prétendant que s'ils allaient à la recherche de l'or accompagnés de leurs femmes, ils n'en trouveraient pas 34. Cette peur de voir les femmes s'approcher de l'or devait avoir des motifs religieux. Ce métal faisait partie des choses sacrées. M. Loven pense que probablement on ne permettait pas aux femmes de laver l’or parce qu'elles étaient considérées comme plus faibles et plus susceptibles aux influences des esprits malins et pourraient être conduites au mal en cherchant l'or 35, Nous ne savons pas si les objets, de poterie, les paniers, les idoles et les bijoux étaient fabriqués par les hommes ou les femmes. La danse était l'une des distractions favorites des Taino. Il y en avait de différents caractères selon l'importance du festival. Habituellement, elles étaient accompagnées de chants. Elles avaient lieu à l'occasion des fêtes variées que donnait le cacique, et auxquelles il invitait le peuple au moyen de messagers 36. Le cacique ne participait jamais aux danses durant ces réceptions. Il devait battre le tambour [15] pendant les danses rituelles et les arietos. Les femmes des caciques conduisaient les danses. Les festivités duraient souvent toute la nuit. Les danses étaient exécutées en rangées ou en cercle. Les hommes et les femmes dansaient séparément. Chacun passait son bras autour de la taille de son voisin. Le conducteur des groupes de danseurs dirigeait aussi le chant accompagné de tambour relatant les événements 33 34 35 36

Oviédo, op. cit., I. p. 136. Ibid. p. 533. Ibid. p. 533. Martyr Mac Nutt, op. cit., V, 3, p. 316.

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passés. Chaque arieto durait trois ou quatre heures ou jusqu'à ce que le conducteur ait fini son histoire. Ils dansaient jusqu'à l'épuisement ou jusqu'à ce qu'ils tombent inanimés sur le sol. Parfois les danses constituaient un passe-temps sans la présence du cacique et sans tambour 37. Le jeu de balle était aussi l'une des distractions favorites des Indiens. Il avait lieu sur la place en présence du cacique et des notables. Les joueurs étaient divisés en deux groupes de vingt ou trente chacun, jouant alternativement. Les femmes jouaient entre elles. Parfois, il y avait des concours entre les gens de communautés différentes et les caciques offraient des prix à cette occasion 38. L'idée centrale de la religion était que les idoles ou zémès qui étaient toujours animés par l'esprit d'un ancien caque — d'existence légendaire ou réelle — règnent sur les esprits bienveillants et actifs qui résident dans le ciel et sont capables de révéler les choses occultes, de prédire les événements ou si on les questionne, de donner des conseils sur ce que l'on doit faire en temps de calamité, ou quand on a négligé leur culte ou si l'on doit faire ou non certaines choses. Ils croyaient en l'existence d'un dieu suprême, invisible et demeurant dans les deux, mais ne lui adressaient jamais de supplication car il ne s'occupait pas des hommes. Il pouvait pourtant se manifester en songe dans les occasions importantes. Il apparut ainsi à Guarionex, l'un des caciques, pour lui annoncer l'extermination des aborigènes 39. [16] Les caciques seuls pouvaient entrer directement en communication avec les zémès sans l'intermédiaire des prêtres, appelés butios au piaies. Ces prêtres avaient deux fonctions, celle de médecin et celle de prêtre. En tant que médecins, ils avaient leurs idoles privées qu'ils consultaient chez eux afin de pouvoir éclairer leurs patients sur leurs maladies. Ils prescrivaient à leurs malades une certaine diète qu'ils devaient observer eux-mêmes. Quand un malade mourrait, la famille essayait de découvrir par des épreuves si la responsabilité retombait sur 37 38 39

Loven, op. cit., pp. 519, 522, 525. Ibid., pp. 524-525. Ibid, pp. 563, 682.

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le médecin, et dans ce cas on le tuait 40. D'autre part en tant que prêtres, les butios servaient d'intermédiaires entre le peuple et les idoles placées dans des huttes spéciales, leur apportant les offrandes et les supplications du peuple, transmettant leurs oracles, officiant comme prêtres du culte et veillant à ce que le peuple ne négligeât pas ses devoirs religieux. Le cacique occupait une place centrale dans la religion et entrait en communication directe avec les esprits. Dans les cas importants, il faisait connaître ses visions aux nobles dans une réunion spéciale appelée « cahoba. » Nous ne savons pas si les femmes pouvaient être prêtres, mais en tous cas, elles exerçaient les fonctions de grand-prêtre quand elles étaient choisies comme caciques. Les indiens avaient toutes sortes de légendes sur lesquelles nous ne nous étendrons pas, par exemple, celle de l’île fabuleuse habitée seulement par des femmes. Comme il est d'usage chez plusieurs peuples primitifs, la religion était associée à tous les actes de leur vie. Ils croyaient qu’après la mort les esprits continuaient à mener une existence à peu près semblable à celle qu'ils avaient menée durant leur vie, et chaque cacicat possédait son royaume des morts 41. Les indiennes menaient une existence paisible partagée entre les occupations ménagères, le travail agricole et manuel, l'éducation de leurs enfants, les chansons et les danses. L'arrivée [17] des Espagnols vint détruire ce bonheur tranquille. Désirant s'enrichir le plus vite possible, ils se tournèrent vers les mines d'or et obligèrent les indigènes à délaisser leurs occupations habituelles pour leur payer un lourd tribu. Les indiennes, réduites en esclavage, ne résistèrent pas plus que les hommes aux rudes travaux, auxquels leur existence antérieure ne les avait pas préparées. L'extinction rapide des indigènes devint bientôt une source d'alarmes. La fatigue, la maladie et la famine contribuèrent à décimer la population. Hommes et femmes obligés de se consacrer au travail pénible d'extraction de l’or exigé par les espagnols, n'avaient pas le temps de s'occuper de leur agriculture qui réclamait une attention constante, ils moururent de faim en grand nombre, certains furent la proie d'une épidémie de petite vérole ; plusieurs se lais40 41

Ibid., pp. 575-578. Ibid., p. 574.

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sèrent mourir de désespoir, espérant retrouver dans l'autre monde leur vie ancienne, tandis que d'autres levant l'étendard de la révolte furent exterminés sans pitié par les espagnols. «En 1507, il ne restait déjà plus dans l'île espagnole que soixante mille indiens, c'est-à-dire la vingtième partie de ceux qu'on y avait trouvés quinze ans auparavant selon ceux qui en mettent le moins 42 ». Cette diminution rapide empêchait la colonie de se développer. Pour remédier à l'insuffisance de la main d'œuvre, Ovando, le gouverneur de la colonie, importa quarante mille indigènes des îles Lucayes qui avaient été découvertes auparavant 43. Il fit aussi appel à des colons d'Espagne. Les nouveaux colons, venus sans leurs femmes, ne tardèrent pas à s'établir avec les indiennes, ces liens furent légalisés quand en 1508 Ovando obligea tous les espagnols mariés à faire venir leurs femmes d'Espagne et les autres à épouser leurs concubines ou à quitter la colonie. La plupart se marièrent. C'est ainsi que Charlevoix constate en 1738 que « les trois quarts des espagnols qui composent aujourd'hui cette colonie descendent par les femmes des premiers habitants de l'île 44 » Toutefois, à cause de l’animosité [18] qui exista par la suite entre les deux races, ces unions ne se multiplièrent pas autant qu'on l'espérait. Les colons introduisirent dans la colonie les mœurs, la religion et les institutions espagnoles. En 1528, d'après Ovando Santo-Domingo n'était pas inférieure aux villes d'Espagne, il y avait de nombreuses maisons de pierres comme à Barcelone, de grandes rues, une citadelle, une cathédrale, le palais du vice-roi et trois monastères. Pourtant la colonie ne tarda pas à décliner. Avec l'extinction des mines, les espagnols attirés par les richesses du continent, abandonnèrent Hispaniola 45. Les femmes commencèrent bientôt à manquer dans la colonie car les hommes émigraient en plus grand nombre. La traite, des noirs permit de suppléer à l'insuffisance des travailleurs. Dès 1509, nègres et 42 43 44 45

Charlevoix, op. cit., V, II, p. 54. Rainsford, Marcus, An Historica1 Account of the Black empire of Haiti, 1805, pp. 22, 23. Charlevoix, op. cit., p. 138. Ibid., pp. 64, 65 ; Labat, op. cit., v. p. 59 ; Rainsford, op. cit., p. 37.

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négresses furent amenés en Haïti, les négresses en nombre inférieur parce qu'elles constituaient un mauvais placement 46. Les, colons s'unirent aux africaines comme ils l'avaient fait avec les indiennes et donnèrent naissance à un peuple de couleur. La colonie devint sang-mêlé, gardant un petit nombre d'espagnols 47. Les aventuriers français et anglais, connus sous le nom de flibustiers et de boucaniers établis d'abord à l’île de la Tortue, s'emparèrent de la partie ouest de la grande île qui fut cédée officiellement à la France par le traité de Ryswick en 1697 48.

46 47 48

Charlevoix, op. cit., p. 79. Rainsford, op. cit. p. 37. Dalencour, François, Histoire d'Haïti, pp. 40, 41. Port-au-Prince, 1933.

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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

Chapitre II TRADITION AFRICAINE

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Avant d'étudier la période de la colonisation française en Haïti, nous avons jugé nécessaire de présenter succinctement le rôle de la femme en Afrique, parce que les noirs importés constituent depuis cette époque la majorité de la population de l’île. Les esclaves menés en Haïti avaient été achetés dans une série de comptoirs de l'Afrique Occidentale s'étendant du Sénégal au Cap de Bonne-Espérance et jusqu'à la Côte de Mozambique. La région du Sénégal avait été d'abord le centre de traite mais au fur et à mesure celuici se déplaça vers le Sud. En 1789 il était centralisé dans la région de la Côte du Congo et d'Angola, le trafic avec le Mozambique s'étant développé plus tard 49. Comme on peut le supposer, les esclaves habitant ces régions appartenaient à des tribus différentes et avaient des coutumes variées, pourtant certains traits fondamentaux étaient répandus dans toute l'Afrique Occidentale produisant une unité de langage et de culture 50. Les linguistes reconnaissent en général que si les langues d'Afrique 49 50

Peytraud, L., L’esclavage aux Antilles françaises avant 1789, pp. 97-105. Paris 1789. Herskovits. M. J., Life in a Haitian Valley, p. 22. New-York 1937.

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Occidentale ont un vocabulaire différent, elles ont une syntaxe et une morphologie à peu près identiques 51. De plus, la vie sociale et l'organisation politique offraient une certaine unité fondamentale dans toutes ces régions, en dépit de grandes différences locales. Il y avait bien à côté de grands empires d'une population de plus d'un million avec [20] un gouvernement bien organisé de petits villages indépendants d'une centaine d'habitants, mais certaines coutumes telle que la polygamie étaient universellement répandues et la descendance se comptait dans une seule branche de la famille paternelle ou maternelle. On trouvait aussi des similitudes dans la religion et la magie ; un panthéon de dieux, le culte des ancêtres, l'importance rituelle de la danse, des chants et du tambour, enfin quelques mythes et traditions étaient communs 52. Il est difficile de déterminer l'apport de chaque groupe à la formation de la civilisation haïtienne. D'après Herskovits, c'est la culture dahoméenne qui a laissé les traces les plus profondes en Haïti. Non pas à cause de la quantité des esclaves importés de cette région, mais plutôt à cause de leur qualité. Nous verrons tout à l'heure qu'il était interdit de vendre les esclaves nés au Dahomey, donc ce n'est pas parmi cette classe que se recrutaient les esclaves vendus aux négriers, mais plutôt parmi les prisonniers de guerre et ceux qui essayaient de se révolter contre le pouvoir établi : les prêtres et les nobles qui fomentaient parfois des révolutions contre le roi. Ces prêtres et ces nobles étaient les héritiers de la science du groupe, c'est pourquoi ils ont pu transmettre à Haïti une grande partie de leurs coutumes et de leurs rites. Ne pouvant étudier le rôle de la femme dans toutes les tribus de l'Afrique Occidentale, nous nous contenterons de l'étudier dans la société dahoméenne ce qui nous donnera une idée générale des traditions que les esclaves avaient apportées d'Afrique Occidentale, tout en nous souvenant qu'un grand nombre de traits ont été aussi empruntés à d'autres sources.

51 52

Ibid., p. 23. Herskovits, op. cit., pp. 23 24.

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Vie matérielle et économique. D'après Mason 53, dans les sociétés primitives c'est la femme qui nourrit la famille, l'habille, sert de bête de charge, [21] exécute toutes sortes de besognes, s'adonne à la poterie, crée l'art développe la langue et patronne la religion. En était-il ainsi au Dahomey ? La femme y occupait une place importante et était plus favorisée que dans la plupart ces autres sociétés patriarcales, en raison de la survivance des traditions de la famille utérine. Le Dahomey est l'une des rares régions de l'Afrique Occidentale où la constitution du clan est basée sur la filiation consanguine. D'après Baumann 54, il existe un rapport entre la prépondérance de la filiation utérine et le rôle de la femme dans la culture à la houe. Il semble que le travail des femmes aux champs soit souvent associé au clan utérin parce qu'il est lié au droit de possession du sol et que ce droit en retour se soit développé en faveur de la femme parce que seule elle s'occupait d'agriculture. En général, dans la zone forestière de l'Afrique Équatoriale et du bassin du Congo, le travail des champs, à l'exception du défrichement, est fait par les femmes et on ne pratique pas la culture intensive. Au nord de cette zone la culture du millet dans les savanes herbeuses est l'objet d'une collaboration plus grande des deux sexes. L'homme retourne la terre à la houe et la culture est plus intensive Dans la région s'étendant du Soudan au centre de l'Afrique Occidentale et dans les hauteurs d'Angola, même là ou l'igname et le manioc croissent vigoureusement, dans le sol meuble, les hommes sont aussi cultivateurs. Il est rare de trouver en Afrique des régions ou l'homme travaille seul. Au Dahomey comme dans les autres sociétés patriarcales africaines, les deux sexes travaillaient aux champs et l’agriculture était pratiquée intensivement. Les hommes préparaient le terrain pour la plantation, ils ne se contentaient pas de défricher, de couper les arbres 53 54

Mason, O. T., Woman's Share in Primitive Culture, New York, 1891. Baumann, H. « The Division of Work According to Sex in African Hoe Culture », Africa, Vol. I, 1928, pp. 290-307.

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et les broussailles, de brûler, mais ils sarclaient aussi le terrain. L'ensemencement était fait soit par l'homme seul, soit par les hommes et les femmes. Les femmes sarclaient et surveillaient la [22] croissance des plantes. Avec leurs enfants elles chassaient les oiseaux de la plantation. Elles étaient aussi chargées de la récolte. Quand celle-ci était trop abondante pour être faite par une seule famille, le chef de famille invitait les parentes de sa ou de ses femmes à venir les aider. C'était une occasion de fête ; les invités arrivaient en chantant et rapportaient chez elles les présents qu'elles avaient reçus en retour de leur travail 55. Les femmes avaient aussi le monopole de certains métiers comme par exemple la poterie. Certains autres étaient exercés par les deux sexes ; tel que la filature qui était l'apanage des vieillards. La poterie était considérée par certains comme étant le plus important des métiers féminins, car « elles font les ustensiles de cuisine et les vases dont on se sert dans les cérémonies pour le culte divin. » Mais d'autres personnes pensaient que le coton était encore plus important parce que « l’on fait des linceuls avec le coton qu'elles filent ». La poterie était cuite et souvent vendue comparativement. Une femme qui ne s'entendait pas avec les autres personnes de son groupe, particulièrement si elle baissait les prix, étant punie par une perte d'argent car son stock de poterie était brisé par ses associées, et elle était aussi obligée de travailler sans rémunération avant d'être de nouveau admise à jouir des privilèges de la corporation 56. Le rôle commercial de la femme était très important dans toute l'Afrique noire en tant que marchande et consommatrice. « En effet, d'après Letourneau, quoique chez les primitifs le goût de la parure soit commun aux deux sexes, il est souvent plus développé chez les femmes, et, en Afrique, ce sont elles surtout qui se laissaient tenter par les pacotilles européennes ou par les étoffes indigènes de luxe, comme celles qui se fabriquent à Kano et ailleurs. Le plus souvent, dit un voyageur, le noir n'achète pas pour lui mais pour sa ou ses femmes. Quand celles-ci sont parées, il est impossible à un européen de lui rien

55 56

Herskovits, op. cit., pp. 30-36. Ibid., pp. 45-49 et 76-77.

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vendre. Mais les simples échanges entre [23] indigènes se font aussi par l'intermédiaire des femmes 57. Dans certaines régions les femmes rendaient aussi de précieux services au commerce en servant d'intermédiaire entre des populations ennemies : « Les Massais de l'Afrique Orientale fournissent un exemple de l'immunité commerciale reconnue aux femmes par les mœurs de ces contrées ; les Massais ont même entièrement abandonné à leurs femmes le soin des opérations commerciales et celles-ci s'y livrent tranquillement, fut-ce en temps de guerre, confiantes dans l'immunité dont elles jouissent ordinairement. Rencontrent-elles une caravane étrangère, elles l'abordent, sans hésiter ; mais, suivant un rite convenu à petits pas, en sautillant, en imprimant à leur corps des mouvements ondulés et en entonnant une cantilène. En outre, elles s'avancent en tenant à la main une touffe d'herbes, et ce langage mimique signifie : « Paix ! Amitié ! » Même aux époques les plus troublées, quand deux tribus se font une guerre à mort, les femmes circulent entre les belligérants, paisiblement, isolément, parfois en chassant un âne devant elles et s'en vont sans danger ni crainte acheter des grains et des légumes pour les leurs. En général les hommes Massais ne se mêlent que des marchés relativement importants, quand il s'agit d'un bœuf, par exemple, et alois la vente ne se conclut qu'après une heure de discussion animée 58. » Ordinairement, dans les marchés dahoméens, les échanges se faisaient directement ; les producteurs ou artisans vendaient eux-mêmes leurs marchandises. Les seuls marchés servant d'intermédiaires étaient les marchés de gros ou les grands cultivateurs écoulaient leurs produits. Les acheteurs à ces marchés de gros étaient principalement des femmes, car il y avait peu d'hommes faisant le commerce. La [24] vie de ces marchandes était très pénible, se levant avant l'aube, elles se dirigeaient vers le marché portant sur la tête plusieurs calebasses conte57 58

Letourneau, Charles, La Condition de la Femme dans les diverses races et civilisations, p. 69, Paris 1903. Thompson, Au pays des Massais, pp. 58, 102, 103, 107, cité par Letourneau, op. cit., p. 70. Les Massais, non plus que les autres peuplades de l'Afrique Orientale n'ont pas fourni un contingent appréciable d'esclaves parmi ceux importés en Haïti. Cependant, il nous a paru intéressant de citer ce caractère d'immunité commerciale remarquable en Haïti plusieurs siècles plus tard durant les guerres de l'Indépendance et les révolutions.

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nant des articles faits en ville qu'elles remplaçaient le soir par des produits de la région. Souvent elles taisaient des affaires dans plusieurs marchés et elles devaient voyager à pied en transportant leurs fardeaux sur la tête. Si elles avaient un petit enfant, elles le portaient sur le dos attaché avec une ceinture. Actuellement, presque la moitié des dahoméennes vendent dans les marchés et s'occupent de la préparation des commodités qui y sont vendues. La marché commence à 8 heures et dure toute la journée. On y remplit aussi certains devoirs religieux si l’on veut s'assurer une bonne vente. On a estimé que 10.000 Personnes passent par le marché d'Abomey dans une journée. 59 À côté de ces occupations en quelques sorte professionnelles, la femme avait la responsabilité des soins domestiques. « Parfois on les rencontre s'en allant en bandes par douzaines ou vingtaines allant chercher de l’eau, ce qui n’est pas toujours le moins pénible de leurs devoirs ; néanmoins elles cheminent en jasant, leur cruche sur la tête et leur enfant sur le dos, parfois la pipe à la bouche 60. » Livingston fait remarquer que « chez les nègres africains en général la préparation des aliments, partout laissée aux femmes, comportait avant tout un travail très long et très pénible, le broyage du grain pour le réduire en farine. Nulle part dans le continent noir la meule circulaire n'avait été inventée et l'on devait écraser le grain à la mode préhistorique entre deux pierres, l'une inférieure, concave et immobile, l'autre convexe et à laquelle la meunière imprimait des mouvements de va et vient 61. » La femme aussi bien que l'homme pouvait posséder des biens. Tous deux disposaient d'une série de vêtements pour les grandes circonstances et, s'ils étaient membres d'un culte, ils devaient avoir les insignes et les habits de cérémonie de [25] ce culte, les charmes, etc.. La femme avait le droit de disposer de tout ce qu'elle avait gagné au marché, même pendant le mariage, généralement le profit de ce qu'elle avait produit par ses efforts personnels et de tout ce dont elle avait hérité de sa propre famille lui appartenait. Nous verrons que certaines femmes mariées étaient très riches et que d'autres pouvaient fonder 59 60 61

Herskovits, op. cit., pp. 58, 57. Lafitte, I., Le Dahomé, p. 150. Tours, 1873. Livingstone, Exploration en Afrique Centrale, p. 323, cité par Letourneau, op. cit., p. 64,

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des familles, et même des dynastie qui, dans ce cas, passaient le plus souvent aux mains de leurs filles. Comme nous l'avons déjà dit, la succession se faisait en ligne masculine avec droit de primo géniture, l'un des fils du défunt était choisi comme héritier, pourtant les autres enfants n'étaient pas entièrement déshérités, car le père leur laissait ordinairement quelque chose par une espèce de testament rendu public après sa mort par l'intermédiaire de son meilleur ami. Toutefois, s'il y avait des contestations, le patriarche ou chef du clan, après avoir mis de côté les biens du clan, partageait ordinairement l'héritage en deux parties qui n'étaient pas nécessairement égales, l'une pour l'héritier et l'autre à partager entre les deux autres enfants. Cette partie était divisée de la façon suivante : les vêtements du père étaient partagés entre les fils et les filles, ceux-ci prenant les plus grands et celles-là, les plus petits. Son argent était divisé en trois parties égales, une pour les filles et deux pour les fils. Parmi les filles, l'ainée prenait un peu plus que les autres et le reste était divisé également ; les fils divisaient leur part également 62. Les biens de la femme étaient partagés de même entre ses enfants d'après un testament rendu public après sa mort. Mais ce partage ne suscitait jamais de disputes, car les frères et sœurs utérins étaient étroitement unis. Rôle Social Au point de vue social, la société dahoméenne comprenait trois groupes principaux : 1) la famille hwo ou ho comprenant un homme, sa femme ou ses femmes et leurs enfants ; 2) la ghé ou la grande famille se composant des familles [26] d'un certain nombre de frères et de leurs fils. Ce groupe était essentiellement basé sur une continuité de résidence, car les membres de la famille qui avaient émigré n'étaient pas considérés comme faisant partie du gbé; 3) le clan patrilinéal ou xénu, composé de plusieurs familles issues d'un ancêtre commun et comprenant une grande quantité d'individu, pouvant résider dans toutes les parties du pays.

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Herskovits, op. cit. pp. 86-92.

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Ces groupes vivaient dans trois catégories de demeures : la maison, l'habitation ou compound et la collectivité. La maison était la demeure d'une femme et de ces enfants, et à part de rares exceptions, le cas d'une maison de culte, par exemple, une maison faisait toujours partie d'une habitation. L'habitation était constituée par une réunion de maisons entourées par une mur. Dans l'enceinte se trouvaient des maisons individuelles réservées aux mari et père de la famille, a ses femmes, à ses frères et à ses fils adultes qui vivaient avec lui, aux jeunes gens, au culte des ancêtres, et aux oracles. Si la famille était riche, il y avait aussi une maison servant de dépôt. La maison dahoméenne était rectangulaire avec des murs composés de pieux et un toit de chaume. Ordinairement la façade de la maison était placée un peu en arrière de façon à ce que la femme puisse jouir d'un endroit ombragé pour vaquer aux besognes domestiques ou converser avec ses filles. La collectivité était la réunion de deux à cinq habitations et logeait le « gbé », elle n'était pas entourée de murs et pouvait occuper tout un quartier. Une des habitations était considérée comme la principale et c'est là que se trouvaient situés les autels ancestraux. Les dahoméens comme la plupart des africains sont polygames. Il y avait trois catégories de mariages mais on pouvait les ramener à deux grandes divisions. La différence résidant dans le paiement ou non d'une somme d'argent par le mari, paiement lui donnant plein pouvoir sur ses enfants. Dans les mariages de la deuxième catégorie, ces paiements n'étaient pas effectués, les enfants étaient sous la direction des parents de la mère bien qu'appartenant spirituellement an clan paternel. [27] Voici en raccourci, les différentes formes de mariages qui sont usitées actuellement au Dahomey.

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I. MARIAGE DANS LEQUEL LA DIRECTION DES ENFANTS REVIENT AU PÈRE Retour à la table des matières

1 ) Akevonusi. Le père propose le mariage à un jeune homme qui lui convient. Celui-ci, après avoir consulté le devin accepte si sa destinée le lui permet. Après avoir fait les cadeaux nécessaires à ses beauxparents il est fiancé à la jeune fille. À partir de ce moment, il travaille au champ de son futur beau-père répare la maison de sa belle-mère et leur prête assistance en cas de mort, accident ou de maladie mortelle. Avant d'avoir la permission d'emmener la jeune fille, il doit donner au chef du clan 720 cauris (coquillages servant de monnaie), deux étoffes, une pour le père et une pour la mère, un sac de sel et une chèvre. Et il fait aussi des cadeaux d'usage à sa fiancée avant de l'emmener chez lui. 2) Asidjosi. Tout avait été réglé comme dans le cas précédent, mais la jeune fille ayant été vivre avec un autre homme, le future mari rembourse le premier fiancé et prend sa place. 3 ) Vibiobio. Cette fois c'est l'homme qui ayant vu une jeune fille qui lui plait la demande en mariage. S'il est accepté il doit employer la même procédure que dans le premier type de mariage. 4) Manumanawa. Prévalant parmi les gens pauvres. Deux hommes font l'échange de filles ou de sœurs et sont ainsi dispensés des paiements. 5) Tochési. Le père donne à son fils l'argent nécessaire au mariage, mais celui-ci doit travailler pour le rembourser. 6) Admewedida. Le meilleur ami paie toutes les dépenses du mariage et la première fille de la femme lui est donné en mariage.

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II. MARIAGE OU LA MÈRE CONSERVE LA DIRECTION DE SES ENFANTS Retour à la table des matières

1 ) Xadule. C'est une union libre, pure et simple, un homme rencontre une jeune fille qui lui plait et ils ont des rendez-vous secrets ; quand on découvre que la jeune fille est enceinte, ils vont vivre ensemble. 2) Gbsudenoglosi. Fréquent parmi la royauté et l'aristocratie. Une femme économiquement indépendante, qui désire avoir son habitation et sa famille propre, se marie à une autre jeune fille et fait les paiements nécessaires, établit sa « femme » dans une maison et choisit un homme qui doit s'unir à la jeune fille à qui elle est mariée. De cette façon, la femme a une maison à elle, des enfants, et si elle a suffisamment d'argent elle peut épouser ainsi plusieurs jeunes filles et avoir une habitation très populeuse. 3) Vidotchwe. Quand une habitation est dépeuplée le chef du clan désigne une jeune fille de la famille et lui demande de choisir ellemême un mari qui lui bâtira une maison sur l'habitation de son père. Le mari est regardé comme un fils de la famille bien qu'il ne réside pas sur l'habitation de ses beaux-parents. Les enfants sont séparés entre les deux familles, lot famille maternelle en gardant le plus grand nombre. 4) Videkpokata. Semblable au précédent. Une seule fille est choisie pour rester à la maison et les arrangements pour le mariage sont faits par la mère de la jeune fille. 5) Chiosi. Un homme hérite d'une femme à la mort de son père, de son oncle ou de son fils aîné. 6 ) Avonisi. Pratiqué par la famille royale. Une des princesses ordonne à un homme de se marier à une jeune fille qui lui a été confiée par le roi. Dans ce cas la princesse fait tous les frais, l'homme devant seulement donner une étoffe [29] à sa femme et travailler pour la princesse. Les enfants obéissent à la princesse.

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7 ) Axevivi. Mariage des princesses. Ils sont célébrés avec de grandes cérémonie présidées par le roi. Les enfants sont considérés comme des princes et des princesses, mais ils en peuvent jamais devenir chef de la famille royale. Ordinairement les princesses ne demeurent pas longtemps dans l'habitation de leur mari. Après deux ou trois ans elles vont vivre dans une habitation érigée pour elles dans les quartiers royaux 63. Comme on le voit, la plupart du temps c'est le père qui arrange le mariage de ses filles mais si le consentement de ces dernières n'est pas exigé il lui faut au moins obtenir une acceptation passive car si la jeune fille ne désire pas ce mariage, elle peut prendre un amant et devenir enceinte. Si l'amoureux refusait de rembourser les paiements et que le premier était toujours disposé à se marier, elle pourrait se sauver avec un second, ce qui briserait définitivement le mariage, la jeune fille ayant donné une preuve manifeste de con manque de sérieux. Le père serait alors obligé de rembourser les frais au premier fiancé ou de lui donner une autre fille 64. Rôle politique. Seul le chef du clan était plus important que les « akovis. » Toutefois, à l'exception des trois plus âgées, ces femmes continuaient à résider dans leur collectivité. Là leur fonction principale consistait à donner des aliments aux âmes des ancêtres, à bénir les nouveaux mariés et elles continuaient à participer à la vie journalière du clan. Toutes les femmes sur le retour d'âge pouvaient faire partie de ce groupe. Il y avait pourtant deux catégories d'akovis, le groupe dont nous venons de parler et les akovis proprement dites qui servaient aux funérailles. Ce dernier groupe était composé des deux [30] ou trois plus vieilles femmes du clan résidant dans la collectivité principale. Quand un membre du clan mourait, l’une d'elles se rendait au lieu des funérailles et y restait jusqu'à la fin des cérémonies où elle devait officier. 63 64

Herskovits, op. cit., p. 302. Herskovits, op. cit., p. 340.

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Elles avaient une place très élevée dans les conseils du clan. Si la plus âgée d'entre elles était plus vieille que le chef, son opinion était souvent plus importante que la sienne et il ne désirait pas la contrarier. De plus, c'était elle qui, suivant les cérémonies d'usage, devait sacrer le nouveau chef de clan dès qu'il avait été accepté par le roi. Son pouvoir était très grand et tout membre du sib craignait de lui déplaire, car elle pouvait faire un mauvais rapport sur l'offenseur « et les morts écoutent ces femmes 65. » Les femmes libres, chefs d'habitation, étaient connues pour leur pouvoir politique. D'une part, elles avaient un grand nombre d'individus sous leurs ordres, d'autre part, menant une vie très libre, elles recevaient beaucoup de notabilités et pouvaient influencer leurs décisions. Ces femmes pouvaient ainsi faire ou ruiner la carrière d'un chef 66. À la cour du roi, la femme agissait aussi dans l'ombre, mais son rôle était néanmoins très important. Les rois dahoméens avaient une grande quantité d'épouses, certains auteurs prétendent qu'ils en avaient plusieurs milliers. Toute femme mariée ou non était à la disposition du monarque qui pouvait la choisir comme épouse. Naturellement, il ne lui était pas possible de les prendre toutes comme maitresse. Certaines vivaient plus ou moins constamment avec lui, tandis que d'autres ne servaient les plaisirs royaux que très rarement ou même jamais. Ces dernières n'avaient le choix qu'entre le célibat et l'adultère qui était puni de mort. Il régnait à la cour une atmosphère de jalousies et d'intrigues. En général, c'étaient les plus jeunes et les plus jolies qui jouissaient de la faveur royale quelle que fût leur condition précédente. Le roi pouvait choisir comme héritier un fils [31] d'esclave. S'il était frappé par l'intelligence et le sérieux d'une femme, il s'en servait comme conseillère et surveillante des hauts fonctionnaires.

65 66

Herskovits, op. cit., p. 158. Ibid., p. 254.

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Les femmes du roi étaient divisées en quatre catégories : a) b) c) d)

les épouses proprement dites qui avaient vécu avec lui à une époque quelconque ; les amazones ou femmes guerrières ; les femmes âgées ; les esclaves.

Dans le premier groupe, celles qui avaient été choisies comme conseillères ou surveillantes étaient chacune affectée à un dignitaire. Le roi avait ainsi dans son palais une femme représentant en quelque sorte chacun des fonctionnaires du royaume. Cela lui permettait de contrôler leur conduite. Cette femme était toujours présente quand le fonctionnaire faisait un rapport et avait pour devoir de se souvenir fidèlement de tout ce qui avait été dit auparavant à ce sujet. Si les rapports ne coïncidaient point, elle devait s'en apercevoir et y remédier. Les amazones étaient un régiment de femmes soldats, légalement considérées comme épouses du roi, mais elles faisaient réellement partie de l'armée et devaient demeurer vierges durant leur service. Elles étaient choisies parmi les victimes des raids ou par conscription tous les trois ans. Elles n'avaient point de solde, mais le monopole de la poterie et des calebasses leur était accordé. Elles pouvaient aussi cultiver le maïs, etc. et constituaient par conséquent une milice à la fois guerrière et industrielle 67. Les femmes âgées de la maison royale comprenaient la mère et la grand'mère du roi, si cette dernière était vivante, et les femmes chargées de l’entretien des tombes des monarques. La mère officielle du roi n'était pas nécessairement sa véritable mère, c'était une femme choisie pour remplir ce rôle et ses devoirs étaient principalement rituels. Les esclaves comprenaient celles qui travaillaient dans le [32] plantations sous la direction d'un chef d'équipe et dont la condition se rapprochait de celle des esclaves du Nouveau Monde, et les esclaves domestiques attachés aux membres de la maison royale. 67

Laffite, Le Dahomé, pp. 106-109.

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D'après Laffite « à la mort du roi on sacrifiait souvent ses épouses. Par exemple, à la mort du roi Guizé, ses nombreuses femmes se rangèrent autour du royal cadavre, dans un ordre hiérarchique et s'empoisonnèrent toutes 68. »

RELIGION La religion occupait une grande place dans la vie des femmes. Toutes (à l'exception de deux Sibs) pratiquaient le culte des ancêtres, à part cela, Burton estimait que, à peu près le quart des femmes dahoméennes, pratiquait le culte des grands dieux. D'après les auteurs, il semble qu'il y eut plus de femmes initiées que d'hommes, car il était plus facile à la femme de cesser ses devoirs journaliers pendant la période d'initiation qui durait à peu près un an 69. D'autre part, l'initiation donnait aussi à la femme certains avantages sur les autres membres de la famille et une position favorable vis-à-vis de son mari. Pendant l'initiation, on apprenait un langage nouveau, les danses rituelles, les chants sacrés et les tabous du culte. L'initiée ou vodusi, de retour chez elle, priait son dieu seulement au jour qui lui était consacré. Elle ne pouvait pas travailler au champs ce jour-là, mais allait pourtant vendre au marché. Elle devait travailler de temps en temps pour le prêtre et une fois par an apporter des sacrifices à son vodu. Elle ne dansait, les danses rituelles et n'était possédée qu'à des époques déterminées, quand le prêtre l'ordonnait. Les vodusis portaient aussi des vêtements spéciaux pendant les cérémonies. La femme avait le plaisir de paraitre avec de beaux habits devant, ses amis, et de jouer un rôle dans les cérémonies. Elle acquériat ainsi un prestige dans la famille et la communauté, était respectée par son mari et libérée de la routine journalière à certaines époques. [33] Elle participait aussi à une certaine exaltation mystique quand elle était appelée à danser devant son dieu. Elle devait néanmoins satisfaire de nouvelles obligations, contribuer à l'entretien de l'autel et du prêtre, s'abstenir de rapports sexuels et de certains travaux aux jours déterminés. D'après Bosman « les hommes et les femmes pouvaient officier et les prêtres étaient l'objet d'une grande vénération. Les femmes qui étaient promues à la dignité des prêtresses 68 69

Laffite, op. cit., p. 137. Herskovits, op. cit., II, pp. 177-178.

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étaient aussi respectées que les prêtres ou même davantage quoique certaines d'entre elles aient été auparavant esclaves. Elles se faisaient appeler enfant de dieu. Leurs maris étaient obligés de se soumettre à leur volonté, de les respecter et de les servir. Pour cette raison, un homme n'épousait pas facilement une prêtresse ou ne laissait pas aisément une de ses femmes le devenir bien qu'il ne puisse pas ouvertement s'y opposer, car il n'avait pas le droit d'arrêter la célébration du culte divin 70.

CYCLE DE VIE Nous allons en ce moment suivre le cycle de vie d'une jeune fille dahoméenne de sa naissance à sa mort, tel qu'il a été observé de nos jours par Herskovits. Depuis le jour de sa naissance jusqu'à ce que sa mère recommence à cohabiter avec son père (ce qui n'arrive pas avant six mois ou un an au moins), l'enfant dort sur une natte avec sa mère. Pendant le jour, elle est déposée dans un coin ombragé de l'habitation tandis que sa mère vaque à ses occupations, mais cette dernière ne la perd pas de vue. Si elle pleure, la mère la prend et l'attache sur son dos par un mouchoir noué devant et continue à s'occuper de ses affaires. À trois mois on considère que le bébé peut s'asseoir, c'est l'occasion d'une cérémonie spéciale. Tous les progrès de la vie de l'enfant sont marqués par des cérémonies ; la première a lieu 5 jours après la naissance. L'enfant est placée devant la maison de sa mère et on lui rase la tête. Pourtant ce n'est qu'après un ou trois mois que l'enfant sort ; pour la première [34] fois. À cinq mois, un devin est appelé pour indiquer le nom de l'esprit ancestral qui revit en elle. Pendant les premiers mois, l'enfant est exclusivement nourri du lait maternel, à quatre mois on lui donne un bouillon de maïs ou de feuilles d'akukoma, quand elle a un an elle peut manger une bouteille de farine de maïs et des légumes cuits à l'étuvée tels que calalou ou autres légumes verts. Il n'y a naturellement pas d'heures fixes pour l'alimentation, mais habituellement, la mère offre le sein à l'enfant toutes les 3 ou 4 heures. On lui fait ingurgiter de force les autres ali70

Cité par Herskovits, op. cit., II pp. 177, 178.

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ments jusqu'à ce qu'elle apprenne à manger ce qu'on lui présente, car la mère n'a pas le temps de la gâter. L'allaitement dure deux ou trois ans. Quand le moment est venu de sevrer le bébé, la mère applique sur ses seins le jus d'une feuille appelée « amavive. » Normalement la période de sevrage dure trois mois ; si l'enfant est malade elle peut être prolongée. On surveille attentivement les enfants à l'époque où ils commencent à parler. S'ils n'arrivent pas assez vite à le faire, ils sont considérés comme idiots et abandonnés. S'ils survivent malgré cela, ils ne sont marqués d'aucun stigmate et ne sont pas non plus considérés comme faisant partie du monde surnaturel. Les jumeaux et certains anormaux ont une place à part, on les croit très puissants et sous la protection spéciale de certains agents surnaturels. Toutes sortes de cérémonies sont faites à l'occasion de leur naissance et après. Ils sont traités avec plus de soin que les autres, car on croit qu'ils peuvent apporter la richesse ou la ruine à leurs parents s'ils sont bien ou mal traités. À un an, on apprend à la petite fille à marcher, Pour cela on a recours à une jeune parente qui sert de professeur et soutient l'enfant au pied duquel on a attaché de petites clochettes. Le son l'encourage à marcher ; grâce à se stratagème elle est enchantée de cette nouvelle expérience. On commence de bonne heure à lui enseigner à régler ses besoins urinaires. La mère la portant le plus .souvent sur son dos, s'aperçoit du moment où elle a besoin d'accomplir ces fonctions et la dépose à terre pour cela. Ordinairement à deux ans, cette éducation est terminée, Si à 4 ou 5 ans une [35] enfant mouillé sa natte pendant son sommeil elle est d'abord battue. Si cette habitude n'est pas corrigée elle est exposée aux moqueries des autres enfants, la tête couverte de cendres. À cinq ans, on commence à faire une distinction entre les sexes, la petite fille accompagne sa mère au marché et l'aide aux travaux domestiques et même à sarcler les halliers dans le jardin. Plusieurs enfants doivent prendre soin de la maison et de leurs petits frères et sœurs dès l'âge de 8 ans quand la mère s'absente pour aller dans les marchés éloignés. Ordinairement vers 10 ou 12 ans, la petite fille peut faire cuire le repas quotidien, laver le linge et assumer toutes les simples tâches de son sexe.

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Jusqu'à 7 ans, quand l'enfant est encore plus ou moins libre, elle peut jouer pendant le jour et ses soirées sont consacrées à la récitation ou à l'audition de contes avec ses camarades de jeux. Les enfants se réunissent dans la maison d'une personne âgée et l'un d'eux sert le chef. On ouvre la soirée par des devinettes et ceux qui n'ont pas réussi à trouver les réponses sont condamnés à raconter des contes. Ces contes étant toujours accompagnés de morale, les enfants apprennent ainsi, les prescriptions du groupe. Jusqu'à l'âge de la puberté, les enfants continuent à jouer et à redire des contes ensemble. Toutefois on ne les laisse pas aller dans des endroits éloignés où ils échapperaient à la surveillance des adultes. Dans certaines habitations, les garçons et les filles jouent séparément à partir de 7 ans, dans d'autres, la séparation ne se produit que vers 11 ans. La tendance commerciale est encouragée de bonne heure chez l'enfant. Le père ou la mère donne à la petite fille de 8 ou 10 ans quelques provisions ou marchandises à vendre. Le bénéfice gagné lui appartient 71. Vers 9 ou 11 ans, cette éducation est donnée dans une véritable école. Les fillettes sont réunies en groupe de 5 à 12 après le coucher du soleil derrière la maison de celle qui a été choisie comme institutrice et qui est chargée de développer les aptitudes commerciales de ses élèves. Avec des ingrédients fournis par les parents des fillettes, elle confectionne des gâteaux qu'elle envoie [36] ses élèves vendre au marché ou en ville. Si l’une d'elles ne réussit pas à vendre sa marchandise on lui donne un autre article sans se moquer d'elle ou la réprimander, mais au contraire en l'encourageant par des conseils. Pourtant celle qui réussit bien est généralement complimentée et présentée en exemple. Les bénéfices appartiennent aux élèves. L'institutrice n'est pas payée, le plaisir de diriger ses élèves et le prestige qui en résulte dans la communauté sont considérés comme suffisants 72. L'institutrice est particulièrement chargée de faire l'éducation sexuelle des élèves, pour cela on choisit ordinairement une jeune femme de 25 à 35 ans afin que la différence d'âge ne soit pas trop grande pour qu'elle puisse se souvenir de ses expériences personnelles. Elle doit pourtant avoir un enfant et avoir une vie sexuelle et sociale satisfaisante. On commence alors à élargir les lèvres du vagin. Ceci se fait par de : massages répétés et à l'aide d'instruments méca71 72

Herskovits, op. cit., pp. 269-276. Herskovits op. cit., pp, 278-285.

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niques et l'application d'irritants chimiques dérivés de plantes, ou en se servant de fourmis, ou par une combinaison de ces procédés variés. Cette opération est faite en vue d'augmenter les charmes sexuels de la jeune fille et d'arrêter les fluides vaginaux des menstrues. Toutefois, la raison principale est l'augmentation du plaisir sexuel ; un homme n'aime pas une femme qui n'a pas souffert cette opération. L'institutrice surveille le procédé et quand ses élèves sont nubiles elle leur donne des renseignements sur la vie sexuelle. Dès le début de leur éducation sexuelle, les fillettes ne continuent plus à circuler nues ; elles portent alors un morceau d'étoffe qui les couvre de la taille aux genoux. Ces nouveaux habits et les avis de l'institutrice et des parents les rendent timides et elles évitent de rencontrer leurs camarades de jeux masculins à la sortie de l'école ; ils continuent pourtant à se rencontrer en cachette et à se livrer à des jeux sexuels. Toutefois quand les menstrues arrivent l'institutrice renseigne ses élèves sur les effets que peuvent avoir les rapports sexuels avant le mariage. Elles sont aussi jalousement gardées et ne rencontrent plus leurs camarades [37] masculins car un père ne voudrait pas voir compromettre un projet d'union par une liaison avec un adolescent de l'âge de la jeune fille, qui n'est pas son fiancé. La puberté marque une époque nouvelle dans la vie de la jeune fille. La plupart du temps, elle est soigneusement gardée et vite fiancée, bien que la célébration du mariage ne se fasse pas avant trois ans au moins, car l'on croit que si la jeune fille va rejoindre son mari avant cette époque elle aura des accouchements difficiles et que ses enfants seront faibles. L'apparition des menstrues donne lieu à une cérémonie spéciale, la jeune fille est placée sur une natte et un jeu est placé devant elle. Ses amies viennent la voir, jouent avec elle et lui apportent des cadeaux. En cette circonstance elle reste chez sa mère les trois premiers mois. Pendant cette période elle va dans la chambre réservée aux femmes ayant leurs menstrues. Les jeunes enfants peuvent pénétrer dans cette chambre, mais l'entrée est interdite aux hommes. Et les femmes ne peuvent pas faire la cuisine pour leur mari (ou leurs fils approchant de la puberté) durant cette période. Toute de suite après, la fillette doit être « cicatrisée », opération consistant en une série d'incisions représentant des dessins variés. Comme elle est déjà ordinairement promise, c'est son fiancé qui paie les frais de cette opération à laquelle il assiste avec ses amis et ceux de

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la jeune fille, et il donne de l'argent à sa fiancée pour guérir ses plaies. C'est une occasion de fête et les fillettes de tout un quartier se réussissent pour la circonstance ; les incisions sont faites par un spécialiste. Quand les jeunes filles ont été cicatrisées et les jeunes gens circoncis, ils sont prêts pour le mariage 73. Si c'est un mariage du type « Akevenusi. » Quand le fiancé a fini de faire les paiements et de remplir ses obligations envers ses beaux-parents, la date du mariage est fixée après avoir consulté le devin. Le père de la jeune fille fait alors les offrandes et les cérémonies prescrites en l'honneur des ancêtres et de « Legba. » Deux jours avant le mariage, les futurs conjoints font un sacrifice en l'honneur de leur destin. [38] Le fiancé vient alors chercher sa promise après avoir envoyé les cadeaux d'usage qui sont exposés ainsi que ceux du père. La jeune fille accompagne son mari chez lui après avoir reçu la bénédiction d'une des vieilles femmes du « sib. » En arrivant dans le « compound » elle va d'abord dans la maison de la première femme, si son mari est déjà marié, ou elle va chez sa belle-mère, si c'est elle la première femme. En tout cas la belle-mère l'accompagne toujours. La mariée mange et dort la première nuit avec les femmes de sa nouvelle famille. Elle reste toute la journée dans cette maison et ses amies viennent la voir. La seconde nuit, elle se couche, pour la première fois, avec son mari en présence de sa mère et de la belle-mère. Le lendemain matin le mari envoie à son beau-père la natte sur laquelle le mariage a été consommé. Si la jeune fille n'était pas vierge, le père est prévenu et il oblige sa fille à révéler le nom de celui ou de ceux avec qui elle a eu des relations. Si elle refuse d'avouer, elle est battue jusqu'à ce qu'elle confesse le nom de son séducteur qui est battu et mis à l'amende. Dans ce cas, elle recevra moins de cadeaux. Son mari pourra la renvoyer s'il le désire, s'il la garde il ne sera pas tenu de remplir aussi fidèlement ses obligations envers ses beaux-parents. La plus grande punition pour la perte de la virginité avant le mariage consiste dans l'attitude du mari et de ses co-épouses. Dans les querelles on y fera allusion pour l'humilier et la rendre docile. Si c'est avec son mari qu'elle a eu des relations avant le mariage, elle aura eu soin de serrer la première natte afin de l'envoyer à son père en temps voulu.

73

Ibid., pp. 285-293.

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Pendant les huit premiers mois suivant le mariage, la femme co-habite avec son mari. Après cela, elle doit le partager, selon le régime dahoméen, semaine par semaine avec les autres femmes. Quand son tour arrive, elle doit préparer les repas du mari, prendre soin de sa maison et dormir avec lui, mais elle ne mange jamais avec lui, car l'homme mange toujours seul s'il n'a pas d'amis pour partager son repas. Elle mange seule ou, plus tard, quand elle aura des enfants, en leur compagnie. Elle travaille à ses champs personnels et aide son mari à cultiver les siens, fait de la poterie ou bien [39] va vendre au marché tâchant d'augmenter ses ressources le plus possible 74. Si une femme n'est pas enceinte après un laps de temps raisonnable, on consulte un devin pour voir si quelque force maligne ne s'oppose pas à la conception. Dans ce cas on tâche d'apaiser ce pouvoir surnaturel ou d'intercéder auprès de quelque autre afin d'avoir un enfant. L'accouchement peut avoir lieu dans l'habitation du père ou dans la maison de la grand'mère paternelle. Le mari n'assiste pas à l'accouchement ; on fait appel à une sage-femrne et l'accouchée est assistée par deux ou trois femmes de la famille, tandis que d'autres prient. Il y a toutes sortes de cérémonies à cette occasion. Si la femme est une favorite de son mari et si les moyens de celui-ci le lui permettent elle aura la permission de ne pas travailler au-dehors de l'habitation pendant un an ou même plus longtemps si elle a donné naissance à des jumeaux. Certains époux permettent à leurs épouses de rester à la maison pendant six ou sept mois. En tous cas l'usage et la volonté des ancêtres obligent le mari à entretenir la femme, c'est-àdire à lui procurer des aliments, de l'eau et du bois, pendant trois mois après avoir mis un enfant au monde. Pendant cette période, la femme reste à la maison et elle s'occupe de son enfant et de son ménage, elle fait aussi sa cuisine et sa lessive, mais elle ne travaille plus au jardin et cesse de vendre au marché. Si elle a son champ personnel, une amie s'occupera de le cultiver pour elle ou son mari paiera une aide. Les traditions ancestrales défendent de co-habiter top tôt après la naissance, car on pense que le prochain enfant, né trop peu de temps après, sera malade et mourra bientôt. Les conjoints cessent donc de co-habiter pendant au moins six mois, dans bien des cas pendant un an et, si l'homme a plusieurs femmes, pendant toute la durée de l'allaitement. C'est pourquoi certains maris sont obligés de recourir à des 74

Ibid., p. 350.

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femmes libres pendant cette période. Bien que les enfants soient fort désirer, il y a des cas où l'on a recours à l'avortement 75. La paix du ménage ne dépend pas seulement des relations [40] entre époux, car l’on vit en communauté. La maison est entourée de celles des membres de la famille, des autres femmes du mari, de ses jeunes frères et de leurs femmes, de ses fils mariés et de leurs femmes ainsi que des enfants de celles-ci. De plus, la femme doit encore partager son mari avec d'autres épouses qui vivent chez elles. Elle doit s'adapter et vivre en bonne harmonie avec tout ce monde. Parfois c'est facile, certaines épouses accueillant bien une nouvelle femme, elles aident même leur mari à en acheter une, et elles sont bonnes envers les enfants des autres lits. La plupart des mariages dahoméens sont permanents ; c'est une preuve de la bonne entente. Pourtant il y a parfois une atmosphère très tendue bien que cela ne paraisse pas à la surface. La tension augmente avec le nombre de femmes, car il y a nécessairement des favorites. Tout dahoméen considère comme naturel que ses femmes se jalousent. Le plus ou moins de tact du mari en la circonstance joue un grand rôle pour maintenir 1a paix. Dans les grandes maisons, il y a des jalousies de groupes, et quand deux femmes se querellent chacune est appuyée par les autres épouses mariées sous le même régime 76. Les enfants sont parfois les causes de ces disputes. Une femme garde ses filles auprès d'elle jusqu'à leur majorité, les fils quand ils sont assez âgés, vont vivre dans une maison à part, mais vont manger avec leur mère ou leur grand’mère. Chaque épouse désirant que ses enfants soient les favoris de leur père, se charge de les corriger avec le concours de ses parents à elle. Si on amenait trop souvent un enfant à son père pour être corrigé, cela ferait mauvais effet. Sauf les cas graves, la mère ne révélera pas à son mari les incartades de ses enfants. Ils sont pourtant battus et fouettés par la famille maternelle et c'est encore une occasion de commérage si le mari favorise les enfants d'une des mères aux dépens des autres. Bien que ce soit la famille maternelle qui punisse, l'enfant éprouve pour elle beaucoup plus d'affection que pour sa famille paternelle. Le lien qui l'unit à cette dernière est légal tandis que celui qui l'unit à la première est sentimental. Un père appartient aux enfants de plusieurs [41] femmes et ils seront 75 76

Herskovits, op. cit., pp. 259-269. Ibid., pp. 336, 341.

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considérés comme des rivaux, tandis que la mère n'est partagée qu'avec un petit nombre de frères et sœurs utérins. Une profonde affection unit les enfants à leur mère et s'étend aux membres de sa famille. Une grande camaraderie existe entre une mère et ses filles qui peuvent discuter avec elle, de la façon la plus libre, tous les problèmes sexuels. Toutefois, elles n'ont pas le droit de plaisanter avec leurs tantes maternelles, car on a l'habitude de dire que « ce n'est pas la mère qui corrige ses enfants, mais ses sœurs 77. » La femme a aussi des amies, particulièrement une amie de coeur qui lui sert de confidente, ce qui lui permet de supporter plus facilement l'atmosphère de jalousie et de méfiance qui règne autour d'elle. Elle appartient à des associations d'aide mutuelle et d'assurance, qui l'aident à remplir ses obligations et lui fournissent des distractions. Elle peut appartenir à autant d'associations que ses moyens le lui permettent. Si elle est à la tête d'une habitation, elle peut même appartenir à des associations d'hommes. La position de la femme est plus ou moins assurée suivant le type de mariage qu'elle a contracté. Dans les mariages où la direction des enfants revient au père, son avenir économique ainsi que celui de ses enfants est garanti. Son mari doit la loger et la nourrir, ce qu'elle gagne lui appartient et elle peut en disposer comme bon lui semble. Elle peut non seulement garder ce qu'elle gagne par la vente des produits du champ qu'elle a elle même cultivé, mais souvent son mari peut lui donner la permission de garder une partie du bénéfice provenant de la vente de sa récolte. Elle peut donc faire des économies et aider son mari en cas de besoin. Elle reçoit des cadeaux de sa famille. Elle est respectée et ses enfants sont les héritiers de son mari. Si elle n'a pas d'enfant, son mari n'a pas le droit de la renvoyer. Toutefois, le mari ayant payé ses parents pour l'avoir, considère qu'elle est un peu sa chose et qu'il a le droit de la battre si elle désobéit. Pourtant, si elle est docile et fidèle, elle est aussi bien traitée que celles qui ont été mariées selon un autre type de mariage. Toutefois, d'après Laffite « Au Dahomey, les hommes sous [42] un prétexte ou un autre, nouent les femmes de coups de bambous; souvent même elles en ont le dos mâchuré 78. » 77 78

Ibid., pp. 138, 142, 154. Laffite, Le Dahomé, p. 152.

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Parmi les mariages du premier type, le meilleur est celui où la femme elle-même choisit son mari et conserve le droit de le renvoyer. Dans ceux du deuxième groupe où le mari n'a pas à payer, tels le Xadude, la femme n'a aucune protection contre les mauvais traitements de celui-ci, en cas de querelle, elle ne peut compter ni sur sa propre famille ni sur celle du mari. S'il ne veut pas entretenir ses enfants, elle doit le faire seule ; et ils n'héritent pas de leur père. Elle ne conserve la faveur de son mari que tant qu'elle est attrayante et désirable; sa position devient plus tard difficile à moins qu'elle ait été suffisamment prudente et n'ait su se faire donner des cadeaux de valeur. Toutefois, les maris ont une prédilection pour ces épouses et une confiance particulière en elles, car elles leur ont donné, disent-ils, une preuve éclatante d'amour et de désintéressement. La femme qui n'a pas d'enfant n'est ni méprisée, ni renvoyée dans sa famille, car ceci est contraire aux commandements des ancêtres et souvent dans les maisons où il y a plusieurs épouses, une femme stérile peut être la favorite. La femme mariée à une autre femme ne perd pas sa position et jouit du respect de tous. Un père n'hésite pas à donner sa fille pour ce genre de mariage. Les princes ont seuls le privilège de faire des mariages incestueux, c'est-à-dire entre cousins ou demi-frères, toutefois ce n'est pas considéré comme un avantage, car l'enfant n'a qu'une seule famille à laquelle faire appel en cas de besoin. Comme nous l'avons vu, les mariages des princesses sont généralement éphémères. Les seuls mariages durables dans la famille royale sont ceux d'un prince avec une personne du commun. Le roi et les princes peuvent avoir la femme qu'ils désirent, même si elle est déjà mariée. Un chef n'a aucune difficulté à obtenir des femmes à cause du prestige que cela procure aux parents, toutefois, les femmes considèrent ces mariages comme tout-àfait indésirables, car les femmes des chefs ne peuvent pas faire de commerce et le [43] marché est une des plus grandes distractions de la femme dahoméenne et sa principale ressource. Les femmes de chefs sortent rarement de l'habitation et toujours accompagnées. De plus, la facilité avec laquelle les chefs obtiennent de jeunes et jolies femmes

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obligent leurs épouses à entrer en compétition avec trop de personnes pour les faveurs et l'affection de leur mari 79. Quand la vie commune devient impossible, on peut rompre le mariage par le divorce. En principe, un homme n'a pas le droit de demander le divorce ; toutefois, quand il veut se débarrasser de sa femme, il emploie un moyen simple, celui de se rendre insupportable. Il ne lui donne aucun cadeau, et lui fournit à peine le nécessaire, il s'absente quand il doit habiter avec elle et ne mange pas les aliments qu'elle a préparés, ce qui est considéré comme une grave insulte. Il la bat à la moindre infraction. Si elle persiste à rester, il ne remplit pas ses devoirs envers ses beaux-parents et les insulte même. Le conseil de famille est réuni et le divorce est prononcé entre les époux. La dot est remboursée au mari par les parents ou par la femme. Dans le cas d'union libre, c'est encore plus facile. Si une femme désire divorcer, elle n'a qu'à s'en aller. Le mari de son côté se rend insupportable jusqu'à ce que celle-ci l'abandonne. Mais pourtant, dans ce cas, la femme n'ayant pas de ressource et ne voulant pas retourner dans sa famille supportera le plus souvent toutes sortes d'avanies plutôt que de quitter sa maison. Il y a plusieurs autres causes de divorce, par exemple — les querelles entre deux clans : le divorce est alors ordonné, pour toutes les femmes de la famille par le conseil du clan 80. À la mort du mari, la veuve hérite par l'intermédiaire de l'un de ses fils ou frères de celui-ci ou va vivre avec l'un de ses fils à elle. Si elle est âgée, elle peut retourner dans sa propre famille où elle peut devenir « akovi » officiante aux rites des ancêtres, jouissant d'une grande autorité auprès des membres du clan. On respecte beaucoup les gens âgés, car ils sont plus rapprochés des ancêtres et l’on craint qu'ils n'emportent [44] des causes de mécontentement dans l'autre monde. À moins qu'une famille ait subi de grands malheurs, une femme ayant des enfants n'est pas abandonnée pendant ses vieux jours. Elle a une vieillesse heureuse entourée de ses petits-enfants, si elle en a, elle leur raconte des histoires et elle est assurée d'avoir des funérailles qui lui permettent de tenir sa place dans le monde des défunts 81.

79 80 81

Ibid., p. 345. Ibid., p. 351. Ibid., p. 351.

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Les funérailles fournissent une grande occasion de déployer la richesse et la puissance de la famille et obtenir un statut important dans le monde des défunts. L'âme de la morte ne sera pas perdue, et si ses descendants observent les cérémonies funéraires prescrites, elle rejoindra ses ancêtres et la déification lui permettra de veiller au bienêtre et à la prospérité du clan, qu'elle viendra visiter de temps en temps à l'époque des cérémonies en l'honneur des ancêtres.

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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

Chapitre III PÉRIODE FRANÇAISE

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Dès l'origine de la colonisation française, Bertrand d'Ogeron, premier Gouverneur, comprit la nécessité d'encourager l'immigration en Haïti des femmes de France ; elles devaient contribuer à former des familles et à retenir les habitants dans la colonie 82. Mais après un envoi de cent jeunes filles de bonne santé, aimables et laborieuses, on lui expédia le rebut des villes 83. Malheureusement, ces filles choisies parmi les plus laides, tirées des prisons et des mauvais lieux de Paris, n'étaient pas faites pour tenter les colonisateurs, ni surtout pour devenir des mères de famille exemplaire ; Un grand nombre d'entre elles se livrèrent uniquement à la débauche 84. Ces femmes intrépides contribuèrent à défendre les droits de la Colonie contre les mesures arbitraires de la Compagnie des Indes qui avait le monopole du commerce de la Colonie. Le 16 Octobre 1722 une émeute ayant à sa tête des femmes éclata au Cap réclamant l'abro82

83 84

Vaissière, Pierre de, Saint-Domingue, « La Société et la Vie créole sous l'Ancien Régime », p. 21. Paris, 1909. Wimossen, « Voyage à Sainte Domingue », 1797. I. p. 108. Rainsford, M., op. cit., p. 52. Charlevoix, op. cit., II p. 83.

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gation des privilèges de la Compagnie des Indes. La révolte s'étendit rapidement et dura jusqu'au triomphe de leurs réclamations. D'après Julien Raymond, « les premiers colons connus sous la dénomination de boucaniers, de flibustiers, d'engagés, gens de basse extraction sociale, parce que dépourvus de femmes européennes ou agréant peu quelques-unes qu'on leur avait envoyées de la métropole dont les vertus paraissaient plus [46] que suspectes, ces hommes grossiers s'attachaient à des filles de couleur ou à des africaines qu'ils prirent pour compagnes de leurs plaisirs. Ces femmes prenaient soin d'eux et partageaient leur travaux et leur condition, de là l'attachement que les premiers colons eurent pour les enfants mulâtres nés de cette cohabitation 85. » Pierre de Vaissière fait aussi mention de cette rareté de femmes dans la colonie naissante. « On nous dépeint d'ordinaire les boucaniers comme se passant habituellement de femmes et le P. le Pers, les félicite bonnement de ne pas s'embarrasser ainsi d'un meuble inutile, devant être encore plus soldats qu'habitants. De même pour les Gouverneurs, ce sera un sujet d'étonnement que cette rareté de l'élément féminin dans l'Ile. Adressant à la Cour, en 1861, le dénombrement de la Colonie, Cussay constate que, contre un nombre de 2.950 Français capables de porter les armes, 1.000 à 2.000 flibustiers, il n'y a que 435 femmes. « Nous avons trouvé dans ce quartier du Cap », écrivent d'autre part, en 1684. MM. de Saint-Laurent et Bégon », que les habitants n'ont presque pas de femmes.» Plus de 50 ans après, en 1742, Larnage note encore qu'au fond de l'Ile à Vache, sur 120 habitants qu'il a vu placés là, on ne compte que quatre femmes et trois filles à marier. Mais sans parler des mœurs spéciales que peut laisser soupçonner cette disette, ne nous faisons pas illusion sur elle. C'est une disette de femmes blanches dont il s'agit et l'Ile semble assez bien pourvue d'espèces d'autres couleurs : d'Indiennes d'abord que l'on prend dans les courses et qui deviennent les plus grandes louves du monde infectant tous les jeunes gens, flibustiers ou autres, en sorte qu'ils sont tous perdus quand ils demeurent un mois avec elles. Nos colons sont même gens à se contenter de moins. « Nous ne voyons dans ce pays-ci. », écrit M. d'Arquyau en 1713, « que négresses et mules à qui leurs maitres ont troqué la liberté en échange de leur pucelage » et l'Inten85

Ardouin, Beaubrun. « Études sur l'Histoire d'Haïti, I., p. 67, Port-auPrince, 1924.

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dant Montholon déclare, en 1742, que si l'on n'y prend garde, les français deviendront rapidement comme les espagnols dont [47] les trois quarts sont de sang-mêlé. M. de la Rochelar observe qu'au quartier de Jacmel à la revue qu'il a passée, il a remarqué que « presque tous les habitants sont mulâtres ou qu'ils en descendent. Cela nous prouve que les pénalités édictées dans les premières années contre les unions entre les deux : races ne furent pas très rigoureusement appliquées. L'amour noir, au surplus, n'inspire pas que des passions illégitimes ». La cupidité aidant, il trouve parfois sa consécration dans le mariage. Dans quatre mois, écrit M. de Cussy, en 1688, il s'est fait vingt mariages d'habitants avec des mulâtresses ou des négresses 86. » En général, toutefois, les choses ne vont pas si loin car la « commodité du libertinage éloigna nombre d'habitants du mariage même avec les femmes blanches 87. » « L'Ile de Saint-Domingue est favorable à la population », ait Hilliard d'Auberteuil, « mais les mariages y sont rares. Les Français laborieux qui viennent y chercher fortune ne se marient presque jamais, le concubinage ne les attachant aux femmes blanches ou noires que par des liens très légers, convient mieux à leurs projets ; ils sont moins gênés dans leurs entreprises, ils ont moins de soins à remplir 88. » Pour diminuer le libertinage, M. de Charitte conclut ce qui vaudrait le mieux peut-être serait de créer des institutions de jeunes filles où celles-ci seraient « sévèrement élevées et contenues » par des religieuses et où s'adresseraient tous ceux qui voudraient épouser d'honnêtes femmes 89.

Par l'Edit de 1685 ou Code Noir, Louis XIV autorisa le mariage légitime entre les deux races (Cet acte affranchissait la femme et les enfants), condamna le concubinage des maitres avec leurs esclaves (les maitres étaient condamnés à l'amende et à la perte de l'esclave et de ses enfants confisqués au profit de l'hôpital) et réglementa le mariage entre esclaves qui ne pouvait avoir lieu qu'avec le consentement du maître. Cet Edit réglait aussi le sort des enfants nés de ces mariages. 86 87 88 89

Vaissière, op. cit., pp. 74-75. Ibid., p. 77. Ardouin, op. cit., I. p. 35. Vaissière, Ibid., p. 79.

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[48] CODE NOIR. — Art. 12. — « Les enfants qui naitront de mariage entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maitres des femmes et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des maitres différents 90. » Nous voyons ici la prédominance de la filiation maternelle. Cette prédominance se maintient dans les autres dispositions du Code, ainsi à l'article 13 : « Voulons que, si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants tant mâles que filles suivent la condition de leur mère, et soient libres comme elle, nonobstant la servitude de leur père ; et que si le père est libre et la mère esclave, les enfants seront esclaves pareillement. 91 » « Que voulait donc le Code Noir », dit Moreau de St. Méry « dans cette partie si favorable à l'affranchissement des esclaves ? Évidemment, la fusion des deux races d'hommes qui habitaient les colonies françaises, par les avantages accordés à ceux qui parvenaient à la liberté. Plusieurs de ces articles témoignent de cette louable préoccupation du Législateur, notamment celui qui prescrivait le mariage entre l'homme libre et la femme esclave dont il aurait eu des enfants. Mais si les premiers administrateurs des colonies se montrèrent disposés à seconder les vues du Gouvernement royal à cet égard, leurs successeurs ne furent que trop empressés à adopter les préjugés nés dans ces pays lointains, par l'effet de cette corruption morale que l'esclave engendre 92. »

Les mariages mixtes ne sont pas interdits entre eux, toutefois, ils se font de plus en plus rares, et de plus en plus grandit le mépris ou tombent pareilles unions. Une concubine noire, des enfants mulâtres n'entachent en aucune manière l'honorabilité d'un blanc, en revanche il n’est pas de pire honte pour un colon que d'être soupçonné d'avoir dans les veines ne serait-ce que quelques gouttes de sang noir 93. 90 91 92 93

Madiou, op. cit., III, pp. 443, 444. Ibid. Ardouin, op. cit., I. p. 21. Vaissière, op. cit., p. 217.

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[49] Hilliard d'Auberteuil nous raconte « Qu'en exécution de l’Edit de 1865, les missionnaires Jésuites (établis dans la partie du Nord) avaient entrepris de marier légitimement tous les nègres esclaves ; mais cette méthode qui ôtait au maitre la faculté de diviser ses esclaves, nuisait au droit de propriété et à la soumission nécessaire. » Un mauvais nègre corrompait une famille, cette famille tout l'atelier, et la conspiration de deux ou trois familles pouvait détruire les plus grandes habitations, y porter l'incendie, le poison, la révolte 94. » Comme on le voit, les colons français, par intérêt d'une part, et pour satisfaire leurs passions de l'autre, favorisaient le concubinage dont ils donnaient eux-mêmes l'exemple. Ceci joint aux habitudes ancestrales de polygamie apportées par les esclaves de l'Afrique, empêcha la formation de familles monogames et retarda l'évolution sociale de la Colonie 95. Le Père de Charlevoix remarqua à ce propos : « il faut convenir que dans ce qui se passe au sujet de leur mariage, il y a des inconvénients qu'il faudrait tâcher d'éviter. La loi du Prince ne veut pas qu'un esclave se marie sans la permission de son maitre, cela est dans l'ordre d'ailleurs, les mariages clandestins sont défendus et nuls... Les habitants, pour l'ordinaire, se figurent qu'il est contre leur intérêt que leurs esclaves soient engagés dans le mariage, parce que la loi du Prince aussi bien que celle de l'Eglise leur défend de vendre le mari sans la femme et les enfants au-dessous d'un certain âge. Les nègres de leur côté, ne sont jamais pressés de se marier, parce qu'ils envisagent ce second engagement comme une espèce de servitude plus onéreuse que celle où ils sont nés 96. » La famille et le clan africain étaient entièrement détruits et n'étaient remplacés par aucune institution stable. La période trouble de la révolution ne devait guère favoriser les mariages, aussi malgré la proclamation des Commissaires Polvérel et Sonthonax qui étendait l'acte d'affranchissement [50] aux familles des soldats, les mariages n'augmentèrent pas. 94 95 96

Ardouin, op. cit., I. p. 51. Dorsainvil, op. cit., p. 51, Vaissière Ibid., pp. 214-215. Charlevoix, op. cit., IV. pp. 369, 371.

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À la fin du dix-huitième siècle, à la veille de la Révolution Française, Saint-Domingue était à l'apogée d'une prospérité « qui n'a pas été surpassée dans l'histoire des colonies européennes. La plus grande partie de son sol était couverte par des plantations qui approvisionnaient la moitié de l'Europe en sucre, café, coton 97. » Il y avait à peu près huit cent plantations, de sucre, trois mile plantations de café, et le nombre des .plantations de coton augmentait chaque année, tandis qu'on faisait de l'élevage dans les districts moins favorisés 98. La colonie était gouvernée par le Ministre de la Marine représentant le Roi de France, par l'intermédiaire d'un Gouverneur, à la tête des forces militaires et chargé des relations extérieures et d'un intendant dirigeant l'administration civile et judiciaire 99. Les colons n'avaient aucune part dans l'administration du Gouvernement. La population était divisée en trois castes : les blancs, les affranchis, comprenant les noirs et les mulâtres libres, et les esclaves. D'après Moreau de St. Méry, il y avait 39.000 blancs, 27.000 affranchis et 452.000 esclaves 100. La classe des blancs était subdivisée en 4 groupes : les grands fonctionnaires, les grands planteurs, les commerçants et les petits blancs qui se jalousaient et se détestaient mutuellement. La débauche était dans toutes les classes. Il y avait peu de mariages et peu d'enfants, la cause de cette stérilité venant du manque de femmes blanches dont nous avons déjà parlé qui, malgré une immigration récente, laissait encore une grande disproportion entre les sexes. En 1789, il y avait parmi les blancs 24,7000 hommes pour 10,800 femmes 101. Beaucoup [51] d'enfants mouraient aussi en bas

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Mills, H. E., The Early Years of the French Revolution in San Domingo, p. 9 Cornell University, 1889. Moreau de St. Rémy M. I. E., Description de la partie française de l'Ile de St-Domingue, 2 vols. Vol. I. p, 100, Philadelphia 1797. Boissonade, P., St-Domingue à la veille de la Révolution, pp. 6 et 7. Paris, 1903. Op. cit., I, p. 106 ; II, 13, II, 533. Garran-Coulou J., « Rapport sur les Troubles de St-Domingue fait au nom de la Commission des Colonies des Comités, etc., 4 vols. Vol. 0. p. 16, Paris, An Vi. 1798.

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âge, victimes du climat ; pour y échapper certains d'entre eux étaient envoyés en France pour y faire leur éducation 102. Le clergé était aussi débauché que le reste des habitants 103. Aussi la religion n'était-elle pas pratiquée sérieusement, les parents laissaient souvent les enfants grandir sans baptême et sans s'approcher des sacrements. Le père Labat, de passage au Cap, nous décrit l'état lamentable des églises et la mauvaise tenue des habitants pendant l'office divin. 104 Les ports et les villes de Saint-Domingue regorgeaient de monde, on y coudoyait de riches marchands, des dames couvertes de bijoux, des marins, des négresses avec leurs turbans éclatants et des courtisanes enveloppées d'écharpes flamboyantes 105. On pouvait y satisfaire toutes les passions, l’amour, le jeu et la boisson. On y vivait dans un luxe apparent dénué de tout confort. Les maisons ressemblaient à des campements ou à des hôtels garnis 106. La vie des plantations n'était pas plus agréable. Les maisons des planteurs étaient larges et spacieuses mais dénuées de confort et de goût 107. On y faisait étalage du grand nombre de ses serviteurs de luxe de ses effets personnels ; les diners étaient servis avec une profusion qui étonnait l'européen 108. Depuis sa naissance, les influences diverses tendaient à développer la vanité et le caractère volontaire de la jeune créole. D'abord, elle était constamment en compagnie de sa nourrice noire qui la gâtait et n'avait pas le droit de la réprimander, puis elle n'avait guère pour camarades de jeux que des esclaves qui devaient obéir à ses moindres désirs et enfin l'indulgence proverbiale de ses parents contribuaient à faire d'elle un véritable tyran 109. Dès le début de la colonisation française, il y avait au Cap un pensionnat établi par [52] les religieuses mais Moreau de St. Méry nous apprend qu'en 1774, il n'y avait plus qu'une cinquantaine de pensionnaires car on y recevait aussi des 102 103 104 105 106 107 108 109

Hilliard d’Auberteuil, op. cit., V. II, p. 42. Ibid., 81-82. Vaissière, op. cit., p. 82 Ibid., 327-50. Moreau de St-Méry, op. cit., I-II. Vaissière, op. cit., pp. 287-295. Moreau de St. Méry, op. cit., I. p. 11. Stoddard, I. T., The French Revolution in San Domingo, p. 27, New York, 1914.

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jeunes filles de couleur. Les religieuses avaient trois classes ou cent petites filles de la ville apprenaient gratuitement à lire, à écrire et l'arithmétique 110. « L'éducation qu'on donne aux enfants maintenant en les envoyant en Europe », écrit Moreau de St. Méry, « les rend bien moins propres aux soins d'une habitation qu'autrefois ; elles reviennent avec des goûts de frivolité et par leurs liaisons avec les filles de qualité avec la tête la plus romanesque et mal préparées à supporter l'existence monotone des plantations 111. Les femmes créoles étaient réputées pour leur beauté et leur grâce langoureuse, leur amour était passionné à l'extrême et leurs haines jalouses avaient souvent de terribles conséquences 112. On conçoit donc aisément quelle devait être l'influence de 1a femme dans la colonie. Dans une population livrée à la débauche, dont les deux tiers environ étaient du sexe masculin 113, la femme, jouet des passions, presque toujours illettrée, menait ; dans la société une vie de paresse et de plaisir. « L'oisiveté et une paresse native restent bien en somme le fait, et le péché favori de la plupart des femmes créoles. Je dis la plupart, ne voulant pas plus qu'ailleurs par trop généraliser. A St. Domingue, comme en beaucoup d'autres colonies, il y a, en effet, d'admirables exemples de l'activité féconde et bienfaisante de certaines femmes. « Combien de ces femmes de la campagne dans la colonie » écrit Moreau de St. Méry, « qui sont vraiment l'honneur de leur sexe par les soins généreux qu'elles prodiguent à tous ceux qui vivent sur leur habitation, leurs esclaves, leurs domestiques, les malades, les enfants... L'a vouerai-je ? Je crains bien qu'il n'y ait là qu'une exception. La plupart des documents nous représentent, en effet, les femmes créoles sous un autre jour, passant leur vie en un doux et éternel farniente, étendues dans les hamacs, [53] sur des chaises-longues, ou « chinta », c'est-à-dire assises à la manière orientale sur des nattes, où leur jouissance de prédilection est de se faire chatouiller la plante des pieds par une esclave, que trop souvent elles éclaboussent de leurs crachats... À l'exception, du reste, d'un peu de cuisine, de la confection de petits 110 111 112 113

Moreau de St. Méry, op. cit., pp. 545-546. Moreau de St Méry, op. cit., pp. 13-15. Ibid., pp. 17-21. En 1789, il y avait 24,700 hommes blancs pour 10.800 femmes. Cf. E. Mills, op. cit.

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plats, de l'organisation de dinettes composées de chocolat, de sucreries, de café au lait, elles ne se livrent guère à aucune préoccupation de leur sexe : les travaux d'aiguille, la lecture sont choses complètement ignorées d'elles. Dès lors, plus que tous autres, elles sont fatalement livrées à cette influence noire dont j'ai dit les pernicieux effets 114. » Tel était le modèle que les femmes esclaves avaient l'occasion d'admirer et d'imiter, car les plantations étaient isolées l'une de l'autre et les voisins ne se visitaient pas, les femmes créoles vivaient dans une grande intimité avec leurs esclaves. « Presque chaque jeune créole blanche a une jeune mulâtresse ou quateronne, et quelquefois même une jeune négresse dont elle fait sa cocotte. La cocotte est la confidente de toutes les pensées de sa maitresse (et cette confiance est réciproque), confidente surtout de ses amours. On ne quitte pas la cocotte, on couche dans la même chambre, on mange et boit avec elle, non à table et aux repas, mais au moment où l'on savoure ces ragoûts créoles, où la familiarité semble mêler un sel de plus, dans les endroits privés et loin de la vue des hommes... Les esclaves : distrayaient leurs maitresses en chantant et dansant pour elles 115. La classe des affranchis, qui constituait l'intermédiaire entre les blancs et les esclaves, comprenait les gens de couleur et les noirs libres. Les mulâtres constituaient la majorité de cette classe, car très souvent, les pères blancs affranchissaient leurs enfants et leurs concubines. Les noirs affranchis avaient acheté leur liberté ou l'avaient obtenue de la générosité de leurs maitres. D'après le Code Noir, les affranchis avaient les mêmes droits que les blancs. Mais le [54] préjuge de couleur leur assignait un statut inférieur afin de maintenir la suprématie de la race blanche dans la colonie. Ils ne pouvaient exercer des fonctions publiques ou s'en, gager dans les professions libérales, ni acquérir des lettres de noblesse ou recevoir des décorations élevées telles que la croix de Saint-Louis. Ils ne pouvaient, de plus, adopter les costumes et les mœurs européens et de-

114 115

Vaissière, op. cit., pp. 313-314. Ibid., pp. 314-315.

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vaient occuper des places spéciales dans les théâtres, les auberges, les églises et les véhicules publics 116. Ils jouissaient du droit de propriété et pouvaient hériter et acquérir des terres. Ils faisaient le commerce et exerçaient la plupart des métiers et avaient même des esclaves. C'est ainsi que, Gouy d'Arcy un des députés de Saint-Domingue aux Etats Généraux, écrit à la même époque : que les mulâtres possédaient un dixième des terres et cinquante mille esclaves 117. Quoiqu'il en soit, leurs richesses étaient considérables, et, comme il y avait peu d'écoles publiques, plusieurs d'entre eux avaient été élevés en France où ils n'avaient guère eu à souffrir du préjugé de couleur, étant reçus avec sympathie par une large section de la population. Le mulâtre se considérait comme supérieur au noir et un noir libre n'osait pas acheter un esclave mulâtre car celui-ci aurait préféré la mort à un tel déshonneur. Les mulâtres étaient réputés pour leur générosité et leur hospitalité, et particulièrement les femmes faisaient habituellement preuve de bonté et de compassion envers la pauvreté et les souffrances. Mais leur moralité était douteuse 118. À part les quelques filles élevées dans le couvent des religieuses, elles étaient entièrement illettrées. Le recensement de 1774 révéla que sur un total de 7.000 femmes de couleur libres, 5.000 vivaient en concubinage avec les blancs 119. Les mulâtresses constituaient la classe des courtisanes des ports. Ces femmes, pour la plupart, n'avaient aucune moralité, aucune religion (elles [55] étaient vaines, terriblement extravagantes et extrêmement licencieuses 120, Les planteurs et les marchands les considéraient comme une nécessité non seulement pour administrer leurs maisons mais aussi pour les avertir des complots parmi leurs esclaves 121. Vaissière décrit minutieusement leur luxe, leurs toilettes tapageuses et les grands bals qu'elles offraient fréquemment à leurs amis 122. Bien que les mariages entre les deux races fussent rares, certaines mulâ116 117 118 119 120 121 122

Vaissière, op. cit., pp. 224-227. Stoddard, op. cit., p. 46. Cité par. Ibid., pp. 47, 49. De Lacroix, Général P. A., Mémoires pour servir à l'Histoire de la Révolution de Saint-Domingue, I. p. 278, Paris 1819. Moreau de Saint-Méry, op. cit., I. pp. 92-97. Vaissière, op. cit., pp. 28 et 282. Ibid., pp. 334-337.

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tresses riches réussissaient à épouser des blancs. Hillard d'Auberteuil prétend qu'il y avait en 1776 trois cents mariages mixtes dans la colonie. Le blanc qui épousait une femme de couleur perdait son rang et devenait l'égal d'un homme de couleur ; ses enfants suivaient la condition de leur père 123. En dépit de tout, les affranchis constituaient une petite élite qui avait assimilé certaines coutumes et traditions françaises. Catherine Jasmin, affranchie de couleur fonda avec son mari en 1739 une maison de santé « La Providence des hommes de couleur » qu'ils entretinrent pendant plus de 40 ans à leur frais, faisant ainsi preuve d'un dévouement et d'une charité incomparable... Comme nous l'avons vu, en 1789, il y avait à peu près un demi-million d'esclaves à Saint-Domingue, mais d'Auberteuil nous apprend qu'il y avait eu près d'un million de noirs introduits dans la Colonie 124. Si ces chiffres sont exacts, nous constatons le gaspillage effrayant de vies humaines qui était la base de la prospérité de Saint-Domingue. À ce nombre, il faudrait encore ajouter les africains qui avaient été tué au cours des raids menés en Afrique pour la capture des enclaves, et ceux qui avaient péri au cours du voyage, entassé pêle-mêle dans la cale des négriers, qu'on évalue à près de huit pour cent. Les esclaves ne se reproduisaient pas et l'on constatait chaque aînée un excès de morts sur les naissances d'au moins deux et demi pour cent 125. Ceci est en contraste frappant avec la rapidité avec laquelle la population haïtienne s'est apigmentée depuis l’indépendance [56] passant de moins d'un demi million de 1805 à plus de 3 millions en 1953 sans l'immigration importante de nouveaux éléments. Les auteurs essaient d'expliquer de différentes façons cette mortalité effrayante. Elle serait due, d'après les uns, au travail exagéré, à une nourriture insuffisante et au labeur forcé de la femme enceinte ; d'après les autres, à la tension nerveuse imposée par le passage soudain de la liberté à l'esclavage, qui avait causé la disparition de la race indienne, ou bien encore à l’esclavage lui-même 126. « Quelles que soient les raisons, la diminution progressive des esclaves et les besoins ordinaires de la colonie obligeaient à l'importation constante de nouvelles recrues d'Afrique, et, à l’époque de la Ré123 124 125 126

Op. cit., II. p. 79. Ibid., II, pp. 63. Stoddard, op. cit., p. 51, 58. Ibid.

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volution, le nombre d'africains dépassait celui des nègres créoles de 10.111 127. Moreau de St. Méry prétend que la proportion avait augmenté de deux tiers en 1789 128. Ceci est très important, car cela prouve que la majorité de ceux qui devaient se rendre maitres de l’ile étaient nés en Afrique et étaient plus imbus de leurs traditions africaines que des coutumes coloniales. Les noirs transplantés d'Afrique devaient se plier au joug de l’esclavage, mais il y avait toujours une petite minorité d'individus indépendants qui se sauvaient dans les montagnes environnantes pour y retrouver leur liberté perdue, « les marrons », qui bientôt organisés en bandes ne purent pas être exterminés malgré les efforts de la gendarmerie et dont le nombre allait au contraire croissant. Ils vivaient en bêtes traquées, mais jouissaient de leur liberté et faisaient parfois des raids dans les villes. Bientôt plusieurs femmes joignirent ces bandes et c'est ainsi que se constitua une population indigène de noirs qui n'avaient jamais connu l'esclavage ou y avaient échappé. Leur autonomie fut reconnue par le Gouvernement français en 1784 129. Mais il ne formaient qu'une infime minorité, la majorité des noirs devait se courber à la dure loi de l'esclavage qui obligeait hommes, femmes et enfants à travailler depuis le lever jusqu'au coucher du soleil [57] sous la conduite d'un intendant. Leur vie se rapprochait sous beaucoup de rapports, de celle des esclaves dahoméens travaillant dans les plantations du Roi ou des grands dignitaires, mais, en général, les conditions étaient plus dures. Toutefois, le sort des esclaves dépendait en grande partie de leurs maitres, certains étaient relativement heureux tandis que d'autres étaient cruellement maltraités par les commandeurs qui les fouettaient à la moindre défaillance. Certains maîtres cruels et dépravés se rendaient coupables d'horribles excès. En théorie, le Code Noir protégeait les esclaves contré les mauvais traitements de leurs maitres, niais dans la pratique un noir n'avait jamais raison contre un blanc 130. En général, « le labeur des esclaves commence avec le jour. À 8 h. ils déjeunent, ils se rendent ensuite à l'ouvrage jusqu'à midi. À 2 h. ils reprennent jusqu'à la nuit et quelquefois même jusqu'à 10 h. ou 11 h. 127 128 129 130

Hilliard d’Auberteuil, op. cit., II. p. 68. Op. cit., p. 23. Garran-Coulon, op. cit., I. p. 4. Stoddard, op. cit., pp. 60, 61.

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du soir, en sorte qu'au moment de la récolte, ils ne se reposent guère que près de quatre ou cinq heures de leurs travaux 131. » « Dans toutes les habitations, il y avait trois ateliers : le grand atelier, composé des nègres (hommes et femmes) les plus vigoureux, le deuxième atelier, composé des nègres faibles, des jeunes nègres et des femmes qui allaitent, le troisième atelier de fourrage où sont mis les enfants qu'on occupe sous l'inspection d'une vieille femme, à ramasser le fourrage. Dans ces deux derniers ateliers le travail est naturellement modéré mais dans l'autre il est excessif 132. » « En somme, il n'est que les noirs employés comme ouvriers à diverses petites industries et surtout comme domestiques, ainsi que les négresses occupées aux travaux du ménage ou servant de nourrices qui aient une existence moins dure. Mais ceux-là sont relativement en petit nombre 133. » « Une habitation coloniale ressemblait à un petit village. [58] La maison du colon était presque toujours bâtie sur un plateau d'où l’on pouvait dominer toute l'étendue de l'habitation. Un double perron donnait accès au corps de logis principal, grande construction carrée, divisée à l'intérieur par des cloisons, et garnie sur le pourtour extérieur, de vérandas ouvertes. Une allée y conduisait, fermée sur la grand’ route par une porte monumentale et bordée d'une double rangée d'arbres. A droite et à gauche étaient disposé ; d'autres bâtiments, magasins, dépôts, ou simples pavillons servant de logements aux hôtes de passage. Plus loin, au milieu d'une savane, se dressaient à distance égale les cases des esclaves, blanchies à la chaux et recouvertes de feuilles de canne à sucre, de bananier ou de palmier. Chacune d'elles avait trois portes et logeait trois ménages. Près de la case était aménagé un enclos où l'esclave parquait les deux ou trois pourceaux qu'il avait la permission d'élever. Devant la case et à l’entour, les négrillons tout nus jouaient et se vautraient dans la boue, pèle mêle avec les animaux. À bonne distance, la vue s'arrêtait sur une suite de constructions couvertes en tuiles et surmontées de hautes cheminées en briques rouges : c'étaient les usines, comprenant moulins, sucrerie, distillerie, indigoterie, etc.. Entre la cour et les jardins, un long arqueduc supporté 131 132 133

Vaissière, op. cit., p. 167. Ibid., pp. 165-166. Peytraud. L., L'esclavage aux Antilles Françaises avant 1789, pp. 215216. Paris, 1898.

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par des piliers en pierre de taille, amenait au moulin l'eau qui descendait des montagnes voisines. À l'horizon se déployait à perte de vue la mer immense des champs de cannes, de caféiers, de cacaoyers, de cotonniers ou de bananiers. » « Sur chaque domaine, un terrain était réservé que le propriétaire divisait en autant de lots égaux qu'il avait d'esclaves. Chaque esclave établissait sur sa portion de terre un petit jardin où il cultivait la patate, l'igname, le maïs et quelques légumes. Il ne lui était permis d'y travailler que pendant ses heures de repos. Ils se levaient parfois la nuit pendant la période de clair de lune pour cultiver leur champ 134. » À part les heures de travail, le dimanche et les jours de [59] fêtes ils étaient laissés plus ou moins à eux-mêmes et continuaient n mener l'existence interrompue par la traite. Ils vouaient une grande dévotion à leurs femmes et à leurs enfants, « Ils (les nègres) travaillent encore davantage et s'épargnent tout ce qu'ils peuvent afin que leurs femmes et leurs enfants soient mieux habillés que les autres. Cependant il est rare que le mari fasse manger sa femme avec lui, quelque amitié qu'il ait pour elle. Ils savent fort bien les faire souvenir du respect qu'elles leur doivent. Il n'y a que la jeunesse qui, dans le commencement de leur mariage, donne un peu plus de liberté aux femmes et mange quelquefois ensemble 135. »

Ils pouvaient disposer des produits de leur jardin et de leur poulailler, ce qui constituait parfois un gain appréciable à en juger par la qualité de leur vêtement du dimanche. Comme nous l'avons vu, les négresses n'avaient aucun temps libre pour s'occuper des travaux du ménage, pourtant, elles devaient préparer la nourriture de la famille, car la nourriture des esclaves leur était distribuée par une ration hebdomadaire. « Le système le plus simple eut été de faire préparer dans chaque plantation la nourriture pour tous les esclaves, ou du moins de distribuer quotidiennement sa ration à chacun. Au lieu de cela, on délivre aux noirs leurs provisions pour une semaine leur laissant le soin de les préparer eux-mêmes. De là, deux inconvénients : le premier qu' étant la plupart du temps incapables de calculer ce qu'ils peuvent manger chaque jour pour atteindre la fin de 134 135

Bellegarde, Dantès, La Nation Haïtienne, J. de Gigord, éd. Paris 1633, pp. 57, 58. Labat, op. cit., IV. pp. 160-161.

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la semaine, les nègres, lorsqu'arrivent les derniers jours n'ont plus rien à se mettre sous la dent ; le second, qu'occupés tout le temps, ils sont à peu près dans l'impossibilité de faire une cuisine quelconque et réduits le plus généralement à absorber leurs aliments sans préparation 136. » « Le plus grand nombre occupent leurs loisirs à boire et à danser, seules distractions qu'ils connaissent à leurs travaux. La danse chez eux est surtout une véritable passion 137. » « Ils voyaient venir avec joie la fin de la semaine car le [60] samedi, à partir de 8h. du soir jusqu'à minuit, tous les ateliers étaient en liesse. Au rythme du tambour et du banza, une sorte de guitare à trois cordes, et aux refrains inspirés de l'Afrique, la danse entrainait dans une ronde gesticulante grands et petits, jeunes et vieux. Ils organisaient aussi des réunions à la mémoire de leurs morts et pour célébrer le culte du vaudou 138. »

Nous avons déjà donné une idée des mœurs des esclaves, nous n'y reviendrons pas. Nous avons constaté que la femme, astreinte, comme l'homme, aux plus durs travaux, ne voyait son sort s'améliorer que si elle savait se concilier les faveurs de son maitre. Les colonisateurs, hypnotisés par l'appât du gain, négligèrent de s'occuper de la formation morale de la colonie et surtout de l'éducation de la femme. Les religieux dans leurs rapports se plaignent sans cesse du manque de religion des colons. La population n'était retenue ni par la foi religieuse, ni par la crainte de la justice 139. Le Code Noir faisait l'obligation aux .maîtres de faire instruire leurs esclaves dans la religion catholique, mais les prêtres se heurtaient à l'indifférence ou à l'hostilité des autorités et des colons. Les planteurs pensaient qu'il était dangereux d'instruire les nègres. « La sûreté des blancs exige qu'on les tienne dans la plus profonde ignorance et qu'on les traite comme des bêtes 140. »

136 137 138 139 140

Vaissière, op. cit., p. 171. Ibid., pp. 177, 180. Bellegarde, Dantès, op. cit., p. 59. Ibid., pp. 80-82. Vaissière, op. cit., pp. 212-213.

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Le culte du vaudou continuait à fleurir, malgré tous les efforts faits pour l'annihiler, les esclaves se laissaient baptiser et adoptaient apparemment la religion catholique, mais restaient attachés à leurs croyances ancestrales et le fait que les nègres possédaient une religion et des prêtres devait être de la plus grande importance dans la révolte contre la suprématie blanche. Le vaudou était le lien qui unissait les esclaves. Les réunions religieuses étaient les seules occasions de se voir clandestinement et de discuter les intérêts communs. Les sorciers ou « houngans » étaient les dépositaires de la science de la tribu. Ils furent les instigateurs de la révolution. Il est inutile de retracer ici, les circonstances et les détails [61] de la révolte victorieuse des esclaves et les luttes sociales et raciales de la glorieuse et sanglante guerre de l'Indépendance qui ont déjà fait l'objet de maints ouvrages. L'écho des idées de la révolution française déclencha à Saint-Domingue une série de conflits : la révolte des colons contre les privilèges de la métropole, des petits blancs pour l’égalité sociale, des affranchis pour l'émancipation raciale et sociale et enfin des esclaves pour l'abolition de l'esclavage et qui aboutirent après dix ans au renversement du régime colonial. Nous nous contenterons d'indiquer brièvement la participation de la femme à l'épopée haïtienne. Pendant la guerre d'Indépendance, elle a pris une part active à la révolte et la tradition des amazones dahoméennes a refleuri à Saint-Domingue. Nous trouvons la femme sur les champs de bataille aux côtés de l'homme, payant de son sang la liberté du sol. Dans les villes, elle conspire comme ses frères, sa beauté lui permet d'obtenir des renseignements précieux qu'elle transmet aux insurgés, elle n'hésite pas au péril de sa vie à cacher des armes et des fugitifs traqués. Circulant plus librement, elle sert de messager et de cantinière. Au moment de l'insurrection générale des esclaves, femmes et enfants participèrent aussi bien que l'homme à la lutte sans merci. Tout Saint-Domingue était à feu et à sang. La femme ne se contenta pas de rivaliser de bravoure avec le soldat. A l'arrière, elle se dépensa sans compter, soignant les malades, les blessés, empêchant bien souvent les représailles de la guerre. « Ce fut au milieu de ces grandes calamités, dit Madiou qu'éclatèrent avec plus

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d'énergie la charité et le courage des femmes noires et de couleur, Elles prodiguaient, avec le plus noble désintéressement toutes sortes de soins aux malades, se vouaient au service des hôpitaux et bravaient la mort sous des toits pestilentiels 141. » Gilbert note aussi : « Voyant l'insuffisance des remèdes ordinaires elles en administraient d'autres dont elles avaient apporté le secret des déserts de l'Afrique, Combien de soldats [62] de capitaines et de généraux moururent dans les bras de ces femmes compatissantes 142. » Les anciennes esclaves et les mulâtresses libres, pour sauver d’innocentes vies et même la vie des hommes qui avaient été un jour leurs bourreaux eurent recours à tous les artifices de la tendresse et de la bonté 143. Malgré le dévouement dont avait fait preuve les femmes indigènes en soignant les militaires français atteints de la fièvre jaune, il y eut au commencement de l’année 1803 non seulement contre leurs hommes mais aussi contre elles une recrudescence de persécution. Les prisons ne suffisant plus à les contenir, on les envoyait, elles et leurs maris, à bord des navires de guerre où, après avoir subi les pires violences, elles étaient pendues aux verges et ensuite jetées dans les flots. Madiou nous rapporte un trait sublime de deux d'entre elles : « L'un des condamnés nommé Chevalier, conduit sur le pont du vaisseau « Le Duquesne », fut ébranlé par la perspective de la mort. Sa femme qui était à ses côtés lui démode s'il n'était pas glorieux de mourir pour la liberté ? Pour relever son moral elle se passa elle-même la corde au cou, et se livra la première au bourreau. Une mère fut ensuite amenée sur le pont avec ses deux filles d'une rare beauté. C'était une femme noire d'un quarantaine d'années. Elle dit à ses enfants qui chancelaient : « Soyez heureuses de la mort, vos flancs ne porteront point d'esclaves 144. » Nous ne pouvons mentionner toutes les héroïnes de la guerre de l'Indépendance ; elles furent nombreuses et restent bien souvent ano141 142 143 144

Madiou, op. cit., II, p. 414. Histoire Médicale de l'Expédition des Français à St-Domingue, Cité par Pressoir, D. C. La Médecine en Haïti, Port-au-Prince, 1927. Dorsainvil, op. cit., p. 171. Madiou, op. cit., II, p. 414.

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nymes, toutefois, l'histoire nous transmet le nom de quelques unes d'entre elles. Dessalines, le libérateur, échappa à la prison, sans doute, à la mort, grâce au courage et à la présence d'esprit de Mme Pageot, femme de couleur, intendante du curé de la Petite-Rivière de l’Artibonite. Le général français Andrieux ayant reçu l'ordre d'arrêter le général noir, pria le curé de [63] l'inviter à diner. Au cours du repas, l'intendante, qui était au courant du complot, prévint Dessalines soupçonneux par un geste expressif indiquant qu'on s'apprêtait à le mettre sous corde. Marie-Jeanne, jeune et jolie mulâtresse, originaire de Port-auPrince, est pour nous le symbole de la femme soldat. Compagne de Lamartinière, elle était avec lui au fort de la Crête à Pierrot assiégé par une armée française de plus de douze mille hommes. « L'histoire nous la dépeint pleine d'entrain martial, vêtue en costume genre mameluck, armée d'un fusil et d'un sabre, remontant le courage des soldats, pansant leurs blessures et n'hésitant pas, à parcourir les remparts distribuant les cartouches, aidant à charger les canons, se plaçant au premier rang au moment de l'attaque 145. » Au premier rang des martyres pour la liberté se place Sanite Belair, à l'âme d'airain, d'un caractère allier, violent et autoritaire, d'après certains auteurs. Suzanne, surnommée Sanite, jeune affranchie, originaire de Verrettes, grandit dans l'atmosphère des luttes politiques, elle épousa le brillant général Charles Bélair, aide de camp de Toussaint qui avait combattu à Savannah pour l'indépendance des Etats-Unis et s'était couvert de gloire pendant la guerre civile du Sud. Nommé commandant de l’Arcahaie, c'est là qu'il apprit la déportation de son chef. Immédiatement Sanite devint l'inspiratrice de son mari. Patriote convaincue, elle le décida à se soulever pour continuer la lutte pour l'émancipation. Intrépide et persuasive, elle forme une armée employant tous les arguments pour convaincre les soldats. Elle était partout aux côtés de son mari, en tenue de campagne elle assiste à toutes les réunions mais son caractère altier provoqua l'abandon de Larose, le collaborateur de Bélair. Elle tomba dans une embuscade française et fut faite prisonnière. Son mari, désespéré en apprenant cette triste nouvelle, se livra au Général Leclerc afin d'obtenir la libération de son 145

Dorsainvil, op. cit., p. 136, et Bellegarde, Dantès, Écrivains Haïtiens, p. 223, Ed. Deschamps, Port-au-Prince, 1950.

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épouse ou pour subir le même sort qu'elle. La Commission Militaire au Cap ne tint pas compte [64] de la soumission volontaire de Bélair et condamna Charles à la fusillade et Sanite à la décapitation. Jusqu'au moment de l'exécution Sanite resta l'inspiratrice de son mari, elle l'exalta par son courage et impassible elle le vit tomber criblé de balles. Elle marcha à la mort, le front haut, refusant de se laisser bander les yeux et de courber la tête sous le billot. » Et Sanite Bélair, face aux soldats, les yeux grands ouverts et la tête haute, reçut en pleine poitrine la décharge meurtrière 146. » Henriette St. Marc, mulâtresse de Port-au-Prince, accusée d'avoir fourni de la poudre aux nègres insurgés dans les montagnes de l’Arcahaie, durant la terreur déchainée par Rochambeau, fut condamnée à mort. « Un samedi, vers dix heures du matin, on la conduisit, précédée de son cercueil, entre deux haies de soldats, sur la place du marché, en face de la Cathédrale. Là, en présence d'une foule consternée, elle subit avec la sérénité des martyrs de la religion le supplice de la pendaison 147. » Mme Paul Louverture, enlevée de nuit avec son fils, le Colonel Jean-Pierre Louverture, fut noyée dans la rade du Cap 148. À l'Arcahaie le 18 Mai 1803 lors de la création du drapeau national, par Dessalines qui arracha le blanc du drapeau français, une, femme Catherine Flon cousut les bandes bleu et rouge qui symbolisaient l'union des noirs et des mulâtres. Le premier Janvier 1804, l'indépendance de la colonie française de Saint-Domingue fut proclamée et Dessalines fut nommé gouverneur général à vie du nouvel état qui reprit son nom indien d'Haïti. En Septembre de la même année, suivant l'exemple de Napoléon, Dessalines se fit proclamer Empereur.

146 147 148

Bellegarde, Ibid., pp. 226 et 227. Bellegarde, Dantès, op. cit., p. 223. Madiou, op. cit., II. p. 412.

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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

Chapitre IV PÉRIODE HAÏTIENNE

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Les luttes sanglantes de la Révolution n'avaient laissé que des ruines de la civilisation matérielle qui avait fait la gloire de la colonie française de Saint-Domingue. Les villes et les plantations avaient été brûlées et les Français chassés ou exterminés. Les nouveaux possesseurs de l'Ile n'avaient pu acquérir, pour la plupart, qu'un vernis de culture française. Seuls, les affranchis et les esclaves domestiques, les uns par l'éducation, les autres par un contact avec les colons, avaient réellement acquis quelques-uns des éléments fondamentaux de cette culture. La grande masse des esclaves travaillant dans les plantations n'avait, pour se guider dans sa nouvelle vie, que les traditions africaines plus ou moins désagrégées par le changement de milieu et la dispersion des familles et des tribus. L'esclavage avait détruit l'organisation politique et sociale ; il avait seulement ajouté quelques nouveaux éléments aux croyances religieuses. Il avait anéanti l'influence du clan en désorganisant et en dispersant les familles. Il avait amoindri la condition de la femme en la faisant considérer comme un instrument de plaisir passager. D'autre part, il avait laissé des survivantes vivaces de la civilisation française ; des coutumes et des institutions nouvelles, une langue commune : le

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créole, les éléments de la religion catholique et un idéal de liberté et de démocratie. Le pays n’avait pas d'administrateur compétent car les Français n'avaient jamais permis aux affranchis de prendre part à la conduite des affaires. La production ruinée par les guerres de l'indépendance, devait être reconstruite sur des fondations différentes de l'économie coloniale basée sur l'esclavage. [66] Dessalines, tout en maintenant une armée considérable pour protéger le pays contre de nouvelles conquêtes, dut établir les bases des institutions juridiques et économiques. Il réglementa dans une grande mesure l’ordre social en commençant par la propriété immobilière, le commerce, le fisc, l’état civil, la justice, les droits des enfants naturels, l’armée et la culture. Pourtant sur bien des points, les anciennes lois de la métropole durent servir de règle, en attendant celles qu'édicterait le législateur haïtien. Au point de vue social, dans ses discours, Dessalines proclamait la volonté de la nouvelle nation d'adopter les coutumes et institutions européennes. Au moment du massacre général des blancs, tous ceux qui étaient susceptibles d'aider le gouvernement furent épargnés : prêtres, médecins, pharmaciens, artisans. Les prêtres furent chargés d'établir la religion catholique, mais redoutant qu'ils ne servent d'agents à la France, l'empereur se réserva l'autorité de nommer et de révoquer les curés ; et sa constitution de 1805 énonça « que la loi n'admet pas de religion dominante et que l’état ne pourvoit à l'entretien d'aucun culte et d'aucun ministre. » L'église catholique, dirigée par un clergé composé en grande partie de moines défroqués et de prêtres chassés de France, n'était pas respectée et ne pouvait assurer convenablement la tâche de la formation morale du pays. Ce n'est qu'en 1860 que le gouvernement haïtien signa un concordat avec le Saint-Siège qui assura l'établissement de la religion catholique en Haïti. Le peuple des villes et des campagnes continua sous la direction des « houngans » à pratiquer les rites africains légèrement teintés - de catholicisme.

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Les plantations coloniales ayant été confisquées, la plupart des terres devinrent propriété de l'état qui les afferma et Dessalines édicta des règlements très sévères pour obliger les anciens esclaves à retourner à la culture de la terre. D'après la constitution, tout citoyen devait posséder un art ou métier ; ceux qui n'en savaient pas étaient obligés de travailler la terre. Plus tard, en 1814, Pétion, d'accord avec le Sénat, distrisbua [67] aux vétérans de l'année et aux civils qui avaient rendu des services une partie des terres de l'Etat. Ces mesures contribuèrent à instituer le régime de la petite propriété avec une classe paysanne attachée à la terre, mais qui, grâce à l'isolement dans laquelle elle se trouvait, à cause de l'absence de moyens de transport et de communication et la pénurie d'écoles, adopta un mode de vie basé en grande partie sur les traditions africaines. Nous allons voir le rôle qui était assigné à la femme dans la nouvelle nation. Quand l'haïtien victorieux proclama l'indépendance du pays, se souvint-il des services de sa compagne pendant l'époque héroïque et songea-t-il à lui donner une place dans le gouvernement du pays ? On adopta avec exubérance les principes de la révolution française : liberté, égalité, fraternité, mais chez nous, comme dans la France métropolitaine, les femmes furent oubliées. L'égalité ne s'étendit pas jusqu'à elles. Et Dessalines récompensant les héros de l'indépendance ne distingua même pas une seule femme. Elles n'étaient pas soldats, ne portaient pas d'épaulettes. C'étaient seulement de délicieuses compagnes de plaisir. La condition de la femme fut forcément le résultat de sa situation pendant l'époque coloniale. Au lendemain de l'indépendance, le mariage était l'exception, le concubinage la règle. Les guerres avaient séparé beaucoup de familles et la vie des camps avait favorisé les unions passagères comme elle se pratiquaient généralement pendant la colonie, il n'y avait pas d'ailleurs comme nous l'avons vu, de tradition établie de mariage. La femme, plus encore que pendant l'esclavage, était devenue le centre de la famille. Pour l'enfant, c'est elle qui incarnait le foyer car le père, quand il existait, était presque toujours éloigné par la guerre. Il y avait très peu d'enfants légitimes. Sanctionnant pour ainsi

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dire cet état de choses, le 28 mai 1805, Dessalines fit une loi qui donnait aux enfants naturels, reconnus, les mêmes droits civils qu'aux enfants légitimes. D'après cette loi, le statut de l'enfant dépendait de la reconnaissance de ses parents, il héritait de celui ou de ceux qui l’avaient reconnu et l'enfant dont les parents mouraient avant la reconnaissance et qui pouvait prouver sa filiation, recevait [68] sa part d'héritage ; les enfants nés hors mariage, étaient légitimés par le mariage subséquent de leurs père et mère et un père engagé même dans les liens du mariage pouvait reconnaître un enfant naturel né pendant, le cours du dit pariage ; les droits de succession des enfants naturels, étaient reconnus les mêmes que ceux des enfants légitimes, l'époux avait le droit de désavouer l'enfant adultérin qui, dans ce cas n'héritait que de sa mère 149. Il disait « qu'il serait injuste d'établir des droits inégaux dans les successions entre des hommes qui sortaient tous de la même servitude ou de la dégradation ; que nulle disposition de loi ne pouvait empêcher un haïtien d'hériter de celui qui lui avait donné le jour quand celui-ci l'avait reconnu ; que les indigènes avaient tous été, pour ainsi dire, légitimés par la révolution 150. » Cette loi, comme le dit Madiou, était en harmonie avec les mœurs des haïtiens qui, presque tous, étaient des enfants naturels ; toutefois, elle consacrait une injustice envers la femme en permettant au père de ne pas reconnaître son enfant et, sur simple soupçon, de recourir au désaveu de la paternité. La même loi admettait le divorce pour des causes multiples : adultère, incompatibilité de caractère et consentement mutuel après simple tentative de conciliation devant le conseil de famille. Cette loi encouragea les familles telles qu'elles étaient constituées mais affaiblit le mariage qui ne devenait plus nécessaire pour transmettre la propriété aux enfants. Les mœurs continuaient à être aussi relâchés que durant la période coloniale et les dirigeants eux-mêmes donnaient l'exemple de la débauche. « Il (Dessalines) entretenait dans chaque ville des maîtresses auxquelles il fournissait des soins considérables... Le mariage loin d'être honoré était presque un objet de mépris. Beaucoup de grands dignitaires de l'empire étaient ; comme nous disons chez nous « placés » ou 149 150

Madiou, op. cit., pp. 215-216. Madiou, op. cit., III, p. 216.

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vivaient en concubinage. Plusieurs d'entre eux pratiquaient la polygamie 151. » Nous croyons que le fait d'avoir des concubines dans les différentes [69] villes n'était pas forcément une preuve de débauche de la part de Dessalines, mais plutôt une survivance des habitudes coloniales et ancestrales qui autorisaient les hommes riches et influents à avoir de nombreuses concubines et, d'autre part, ces femmes lui permettaient de surveiller la conduite des fonctionnaires habitant ces communautés et jouaient dans le nouvel état, le même rôle que les « femmes » du roi de Dahomey et les concubines des administrateurs coloniaux. Dessalines était pourtant marié depuis de nombreuses années à une femme remarquable dont la bonté et la douceur était proverbiale. Marie Claire Heureuse Bonheur, originaire de Léogâne, avait épousé Dessalines lors du passage de celui-ci sans dette ville pour aller combattre Rigaud révolté contre Toussaint. Leur union fut célébrée avec éclat et de nombreux officiers et généraux y assistèrent. Madame Dessalines légitima par son mariage deux enfants de son mari. Elle conserva au faite des honneurs son humilité, son humeur égale, sa charité active ; elle était aimée et honorée par tous ceux qui rapprochaient. File avait un grand ascendant sur son mari et ne craignait pas d'encourir ses foudres pour sauver des malheureux de sa colère. Quand Dessalines avait ordonné le massacre des Français à l'exception des prêtres, pharmaciens et artisans demeurés dans l'ile après le départ de Rochambeau, elle sauva la vie de plusieurs de ces infortunés en les cachant dans sa propre demeure. Le grand naturaliste Descourtilz échappa ainsi à une mort certaine, Après l'assassinat de son mari, elle se retira aux Gonaives et, n'ayant point eu d'enfant, elle recueillit quelques jeunes filles pauvres qu'elle éleva. Devenue infirme, elle vécut très âgée entourée de la vénération publique. L'histoire a aussi retenu le nom, de la folle « Défilée », qui le 17 Octobre 1806, après l'assassinat du Pont Rouge, recueillit précieusement les restes du fondateur de notre indépendance. À la mort de Dessalines une assemblée constituante, fut, convoquée qui proclama la république et donna toutes les attributions du pouvoir exécutif à une Assemblée unique, qui [70] élut le général Christophe, président d'Haïti, Celui-ci n'accepta pas la constitution qui 151

Ibid., III ; p. 183.

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lui donnait un rôle secondaire et, après avoir essayé vainement d'imposer de force ses idées, il constitua dans le nord une république indépendante qu'il transforma bientôt en royaume, tandis que son rival, le général Pétion, était élu président dans le sud. La scission dura treize ans. Nous laissons à d'autres le soin de relater les tâtonnements inévitables de la jeune nation noire qui, péniblement, cherchait sa voie sans aucune aide des états possesseurs d'esclaves. Ils décriront les efforts des leaders, brillants soldats, mais illettrés pour la plupart, sans aucune expérience administrative et qui, fidèles à leur idéal de justice et de liberté, essayaient d'organiser un état souverain. Nous nous contenterons d'indiquer ici les faits qui ont influé sur la situation de la femme et sa participation à l'évolution de la nation. Christophe, qui succéda à Dessalines, réprouvait les mœurs coloniales préconisant les unions libres. « Ces états précaires, disait-il, ne convenaient guère à une constitution stable de la famille, » Il s'était marié à l'âge de 26 ans en 1793 à Marie-Louise Codavid qui avait alors 15 ans. Ils eurent quatre enfants 152. Madame Christophe comme Madame Dessalines, exerça le plus heureux ascendant sur son mari. Elle était, dit-on, « née dans des conditions relativement avantageuses. Ayant reçu une éducation de famille, elle était particulièrement douée par la nature et digne du titre de reine que la nation lui décernait avec enthousiasme 153. » Elle partagea les périls et les péripéties de la longue carrière de son mari avec le courage et l'héroïsme qui ont distingué nombre de femmes de cette époque. L'histoire rapporte que Christophe cédait avec tendresse à ce qui pouvait faire plaisir à sa femme. Elle obtint ainsi la grâce de nombreux militaires et civils coupables d'avoir enfreint les ordres du roi. Leurs deux filles, Améthyste et Athénaïs, qui avaient reçu une brillante éducation sous la direction [71] de deux préceptrices américaines, sont aussi célèbres pour leur intelligence et leurs talents. Aucun homme ne pouvait prétendre à une fonctions dans le royaume s'il n'était marié. D'après Leconte « c'est pour avoir exigé de ses sujets cette formalité essentielle que certains d'entre eux s'unirent 152 153

Leconte, Vergniaud, « Henri Christophe dans l'Histoire » d'Haïti, p. 4. Ibid., op. cit., pp. 269-270.

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en mariage avec leurs concubines ou y furent contraints moralement par le roi, ce qui fit s'accréditer la version des mariages à l'amazone, c'est-à-dire qui étaient conclus sous la pression de l'autorité royale et malgré la répugnance des époux. Christophe n'allait jamais choisir des épouses à ses sujets ; il obligeait ses dignitaires et fonctionnaires à se marier ; et, comme le plus souvent, ceux-ci vivaient maritalement avec leurs concubines, il n'entendait pas qu'elles fussent délaissées quand elles étaient dignes de s'élever à la hauteur du mariage ; il demandait simplement que la situation des concubines fut régularisée, et que leur enfants, s'il y en avait, devinssent légitimes. Si parmi eux certains rompirent leur union à la mort du Roi, il y en a aussi qui n'eurent qu'à s'en féliciter. D'autre part, Christophe facilitait le mariage de ses préférés dès qu'il était instruit de leurs bonnes, dispositions 154. Voulant, faire cesser le concubinage et contraindre les citoyens au mariage, il promulgua le 23 mars 1807 une nouvelle loi par laquelle les enfants naturels n'héritaient pas s'il y avait des enfants légitimes et héritaient seulement du tiers en l'absence de descendants légitimes ; les enfants adultérins ou incestueux ne pouvaient être reconnus ; la recherche de la parenté était interdite ; la recherche de la maternité admise 155. Cette loi concernant' les enfants naturels était excessivement sévère dans un pays où les neuf cent quatre-vingt-dix-neuf millièmes de la population étaient nés en dehors du mariage. La loi de Dessalines convenait mieux aux mœurs de l'époque 156. Christophe, dans son code, se montra plus libéral envers la femme que Napoléon. Témoin l'article 979 ainsi conçu : Le mari ne peut vendre, aliéner, ni donner entre vifs les [72] immeubles dépendant de la communauté sans le consentement de la femme, encore moins ceux qui lui sont propres. » L'épouse pouvait donner entre vifs sans l'autorisation de son époux. Le divorce était défendu par la constitution, mais le mariage pouvait être dissolu pour diverses causes telles que la mort civile, la démence, la fureur, l'imbécilité, les maux contagieux et incurables tels que la ladrerie, la punaisie et l'épilepsie 157.

154 155 156 157

Leconte, op. cit., pp. 275-276. Madiou, Op. cit., III, p. 410. Madiou, op. cit., III, p. 411. Leconte, Vergniaud, op. cit., p. 289.

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Pétion et Boyer donnèrent au peuple l'exemple de l'union libre. Le premier, dans sa lettre au sénat servant d'exposé de motifs à la loi de 1813 sur les enfants naturels, fait ainsi allusion aux mœurs de l'époque : « S'il a été de tous temps et de tous pays un système dangereux à la prospérité des nouveaux états, c'est celui de vouloir faire tout d'un coup disparaitre de vieilles habitudes pour en substituer de nouvelles 158. » L'absence de clergé régulier, la survivance des coutumes coloniales et ancestrales, retardèrent la formation des familles régulières. Le placage, union d'un homme et d’une femme sans obligation légale, devint général. Un homme pouvait avoir autant de femmes placées que ses moyens le lui permettaient. Les parents, bien qu'ambitionnant le mariage pour leurs filles, ne voyaient pas d'inconvénients à ce qu'elles se placent. St. Rémy écrit en 1857 : « Le placage ou mariage primitif est encore une coutume haïtienne. Il ne demande aucune formalité mais je dois confesser qu'il est plus respectable que beaucoup d'unions sanctifiées par la loi civile et religieuse. » D'après Etzer VILAIRE « la pratique presque générale de l'union libre n'est pas en ce temps l'effet d'une dépravation de mœurs. Sans contrat, ni cérémonie religieuse, les conjoints ne restaient pas moins fidèles aux liens qu'ils contractaient, d'ailleurs du consentement de leurs pères et mères. Ces liaisons qui n'étaient point mal vues gardaient dans le monde tous les effets des unions légitimes. A Jérémie, on ne connut qu'un exemple de rupture d'un de ces couples ainsi unis sans cérémonie ; et le fait parut si insolite [73] que longtemps on en parla comme d'un curieux événement 159. » Peu à peu, on commença à se marier dans les villes. Comme dans toutes les sociétés primitives, l'autorité du chef de famille — pater familias — était prépondérante. La femme et les enfants devaient se plier au bon plaisir du chef. Il ne faut pas croire pourtant que la femme était complètement annihilée. Elle joua un grand rôle social au début de notre histoire nationale. Voici comment Vilaire décrit la vie familiale à une époque qui n'était pas sans charme : « L'on vivait de peu et de rien. Le coeur s'épanouissait à l'aise dans les villes médiocrement peuplées au milieu d'une société sans prétention, ignorant tout 158 159

Mathon, François, « Dessalines Législateur », Voix des Femmes, p. 45 p. 6. Vilaire, Etzer, La famille d'autrefois », Voix de Femmes No. 35, p. 3.

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du luxé (nous doutons de l'exactitude de cette assertion car les anciens esclaves étaient avides de luxe)... Les familles se contentaient des divertissements naturels, la promenade, le canotage, le barbaco ou piquenique. À des plaisirs de cette sorte se joignait la culture de certains arts. Les jeunes filles chantaient beaucoup, les messieurs pratiquaient la musique, et très galants, se plaisaient à donner des sérénades aux dames... Ces grandes familles avaient chacune un prolongement dans le peuple... quantité de chefs de familles étaient de grands propriétaires, ils exploitaient leurs domaines avec un cortège de paysans, leurs protégés. En travaillant sous leur direction, ceux-ci observaient encore, à cette époque, la discipline exemplaire que Toussaint Louverture avait su imposer, dans les champs et aux ateliers. Quelques-uns étaient de vrais patriarches ; d'autres des sortes de chefs de tribus ; d'autres encore exerçaient au sein des villes un ascendant jamais discuté, une sorte de magistrature morale. Dans toutes les circonstances difficiles, pour tous les grands événements de la vie familiale, ils étaient consultés et l’on suivait religieusement leurs avis 160. » Si nous en croyons ce récit, le chef de famille jouissait d'une autorité semblable à celle du clan africain. Les traditions avaient contribué à reformer la grande famille détruite [74] par l'esclavage. De même, la femme acceptait de nouveau des responsabilités économiques. Aux époques troublées des révolutions, c'est elle qui, par son patient labeur, assura, très souvent seule, le bien-être et l’éducation de la famille. Au point de vue politique elle agissait dans l'ombre mais peut-être plus sûrement. Elle était l’âme des conspirations, des tripotages politiques. Témoin cette Joute Lachenais, aussi belle qu'intelligente, qui fut la maitresse de deux présidents et eut une influence très grande dans le gouvernement. Gétinette Gétin, courrier durant les luttes de l'indépendance et qui devint la conseillère écoutée du président Boyer. En 1826, avec l'adoption du Code Napoléon, la loi sur le divorce et les enfants illégitimes fut abrogée. La femme mariée devint une mineure incapable d'exercer aucun droit civil, Pourtant le président Boyer, par la loi de 1840 modifiant 109 articles du code civil et en abrogeant 70, s'est montré un précur160

Vilaire, op. cit., p. 3.

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seur du féminisme. Cette loi établissait la capacité civile de la femme mariée qui pouvait, sans l'autorisation de son mari, recevoir un capital immobilier, s'obliger, hypothéquer, acquérir et aliéner à titre gratuit ou onéreux, même ester en justice, généralement faire toute espèce d'actes et de contrats. Nous déplorons avec M. Dalencour qu'un esprit d'opposition ait fait abroger cette excellente loi, trois ans après, par un décret du gouvernement provisoire du 22 mai 1843 161. Cette loi représentait une innovation législative, car, partout dans le monde les idées d'émancipation civile de la femme mariée ne s’imposèrent qu'à partir de la seconde moitié du 19ème siècle ; elle était pourtant d'accord avec les traditions africaines, l'importance économique de la femme haïtienne et son rôle dans la famille. La femme apparemment tenue en tutelle légale par son mari, souvent presque illettrée, était pourtant une force avec laquelle il fallait compter, elle élevait les enfants et le commerce haïtien était entre ses mains, l'homme n’avait pas le temps de s'en occuper, il faisait de la politique. La politique [75] est une loterie, et pour y gagner gros, on doit risquer longtemps. Mais il faut vivre pendant ce temps et on vivait grâce au travail de la femme. « En Haïti, dit le Pasteur Bird, en 1869, une partie du commerce est faite par les femmes, Ceci a commencé sans doute, parce que le service militaire a enlevé les hommes de leurs foyers. Dans les districts agricoles ce sont surtout les femmes et les enfants qui s'occupent de la culture du café, la principale denrée d'exportation. Il arrive souvent qu'en l'absence des hommes tout le travail soit fait par les femmes. Dans les villes, elles s'occupent du commerce de détail, et l'on doit admettre que, certaines d'entre elles montrent beaucoup de tact dans cette branche d'industrie. Les grands marchands leur accordent parfois d'importants crédits et elles accumulent ainsi de grandes richesses. On peut vraiment dire que la femme haïtienne a des aptitudes commerciales, un fait qui a peut-être plus à voir avec les particularités de la civilisation haïtienne que nous le pensons ordinairement 162. » Le pasteur Bird croit que les activités commerciales empêchaient la femme de s'occuper de ses enfants, tandis que, si le fait 161 162

Dalencour, Dr. François. « De l'émancipation de la Femme mariée en Haïti », Voix de Femmes, No. 40, p. 3. « The Black Man or Haytien Independance », from Historical Notes, London 1869.

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est exact, il conviendrait plutôt d'en attribuer la cause à un défaut de préparation. De plus, les origines de la femme haïtienne nous permettent d'expliquer sans peine ses aptitudes commerciales qu'elle avait hérité de ses ancêtres africains. Après l'indépendance, les nouveaux gouvernants essayèrent d'organiser un système d'éducation publique, mais les progrès furent lents à cause du manque d'argent et d'instituteurs. L'influence française continua à dominer et l'éducation des filles fut négligée et considérée comme d'importance secondaire. Toutefois, Pétion créa un pensionnat de demoiselles en 1816 dont la direction fut confiée à une anglaise, Mme Dury. De son côté, Christophe fit aussi venir six anglaises pour diriger son système d'instruction publique. Ces entreprises furent sans doute éphémères car il n'en [76] est pas fait mention dans la suite. L'éducation des filles fut laissée presqu'entièrement à l'initiative privée. En 1817, Mme Courtois, Juliette Bussière Laforest, fille d'affranchis, qui avait été élevée en France, revint en Haïti et y ouvrit avec son mari un externat et un pensionnat pour les deux sexes qui fonctionna jusqu'en 1828. Elle collabora avec son mari à la publication de la Feuille du Commerce, journal fondé en 1824 qu'elle dirigea seule après l'exil de ce dernier. Vers 1850, le pensionnat national de demoiselles fut réorganisé et en même temps deux bonnes écoles de filles, celles de Mmes Isidore Boisrond et Belmour Lépine, contribuèrent à donner une meilleure formation à l'élite féminine. En 1860, d'autres pensionnats de jeunes filles furent fondés ainsi qu'une cinquantaine d'écoles publiques de filles. D'autre part, grâce à la signature du Concordat avec le Saint-Siège, la même année, les ordres catholiques commencèrent à occuper une place importante dans l'éducation de la jeunesse. En 1864 et 1865, les Congrégations des sœurs de St-Joseph de Cluny et des Filles de la Sagesse arrivèrent en Haïti et y établirent des pensionnats pour la formation de l'élite, et des écoles primaires pour les petites filles du peuple. Ces écoles entièrement dirigées par des françaises ont contribué à maintenir les coutumes et les traditions françaises.

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Elles développèrent aussi l'esprit d'assistance sociale. En 1880 Mme Argentine Bellegarde Foureau fut nommée directrice du pensionnat national de demoiselles à qui elle donna une impulsion nouvelle. Les écoles de Célie Lilavois, d'Érima Guignard, de Mme Auguste Paret et de Clio Rameau contribuèrent aussi à diffuser l'enseignement parmi la jeunesse féminine. Depuis la période coloniale l'haïtienne se dévouait volontiers pour soulager les misères, mais la charité semblait être devenue l'apanage des vielles dames et s'exerçait surtout par l'aumône. Certaines femmes telles que Noguessine Pressoir, exercèrent un véritable apostolat. [77] Plusieurs associations charitables furent organisées à cette époque sous les auspices de l'église. L'Association des Dames de Saint-François de Sales fondée en 1869 par Melle Pénélope Faine, l'Association des Zélatrices de Saint-Vincent de Paul fondée en 1897 présidée durant de nombreuses années par Mme Julien Dussek et enfin, en 1907, l'Association Mixte de l'Œuvre Chrétienne. L'haïtienne continua à s'intéresser à la politique et à prendre une part active aux révolutions. Certaines telles que Pauline Brice et Mme Nord Alexis participèrent aux campagnes, allèrent en prison et en exil. Avec la signature du Concordat et la diffusion de l'instruction publique, les mariages se multiplièrent de plus en plus surtout dans la société et dans les villes 163. Toutefois, d'après Sténio Vincent, en 1907, les naissances à Port-au-Prince étaient illégitimes pour les quatre-cinquièmes au moins 164. Dans les campagnes les progrès furent plus lents. Les paysans conservant les habitudes ancestrales « se constituaient rarement une famille unique et légitime. La multiplicité des femmes était l'apanage de la richesse et de la puissance 165. » La femme de la société continua à évoluer, l'ouverture de bonnes écoles, de fréquents voyages en Europe, où les jeunes filles étaient 163 164 165

Dorsainvil op. cit., p. 277. Vincent, Sténio, « La République d'Haïti telle qu'elle est ». Bruxelles, 1910. Aubin E., En Haïti, Planteurs d'autrefois, nègres d'aujourd’hui, p. XXIV. Paris 1910.

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quelquefois élevées dans les couvents rapprochaient sa mentalité de celle des françaises contemporaines 166. En 1910, un voyageur note : « Les femmes sont gentilles et raffinées, d'une excellente éducation 167. » Vers la même époque, un autre est frappé par leur réserve : « Les Haïtiens, particulièrement la population féminine, de l'élite et de la bourgeoisie, sont très réservés. Elles m'ont paru « timides. » J'entends par là qu'elles observent une distance respectueuse et une ligne de démarcation dans leurs [78] Relations. Elles sont toujours polies, aimables et leur attitude commande le respect... Une « mademoiselle » n'accepterait pas d’être chaperonnée par un homme de sa connaissance ou de circuler avec lui dans les rues, à moins qu'elle ne soit accompagnée par un parent ou une domestique, et elle doit l'avoir en haute estime, particulièrement si c'est un étranger, pour accepter ses services à cette occasion 168. » Il remarque aussi que les maris sont très jaloux et que leurs femmes doivent prendre des précautions pour ne pas les mécontenter. Un visiteur masculin ne sera pas reçu par la maîtresse de maison en l'absence de son mari, pourtant « les haïtiennes sont fidèles et reconnaissent la sainteté de leurs vœux et obligations nuptiales, remplissent leurs devoirs à l'extrême et supportent sans se plaindre beaucoup de souffrances et de privations 169. » D'après Carlet Auguste, « dans la bourgeoisie haïtienne le rigorisme des mœurs, des coutumes et certains préjugés désuets et ridicules faisaient peser sur elles des lois, que seul pouvait imaginer l'esprit dominateur du sexe fort. L'égoïsme masculin, s'étayant sur une conception tout au moins erronée de l'honneur féminin, servi de plus par les rigueurs d'un protocole auquel seuls se reconnaissaient les « gens comme il faut », condamnait, la plupart du temps, les femmes mariées d'alors à partager l'existence entière entre les enfants, les domestiques et les soins du ménage. L'univers entier s'arrêtait au seuil du foyer. De distraction aucune, et alors même que le Cap en offrit que ce 166 167 168 169

Hills, Robert T. Cuba, Puerto-Rico with other island of the W.I., NewYork, 1898, p. 280. Ibid. Simpson, Montague, Six Months in Port-au-Prince, p. 85, p, 92, p. 93. Philadelphie 1905. Simpson, Montague, Op. cit., p. 93.

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fut certainement chose impossible, car il suffisait de peu pour qu'une personne fut mal vue à cette époque. La jeune épouse qui avait le malheur d'aimer le monde, de ne pas se plier à cette vie casanière, faisait quelquefois jaser, tant il était obligatoire qu'une femme mariée ne dût appartenir de corps et d'âme qu'à son mari et à son foyer. La lecture elle-même n'échappait pas à la critique de ces princes de la morale ; et, en vérité, s'il [79] nous en faut croire la légende, une femme qui lisait beaucoup ne laissait pas d'inquiéter 170. » Ce tableau est sans doute un peu exagéré, toutefois il donne une idée de la transformation du rôle de la femme dans cette classe, celle de l'élite. Avec un vernis d'instruction, elle en vient à mépriser le commerce et concentre alors toutes ses affections, tous ses intérêts sur son foyer. C'est une épouse d'un dévouement aveugle, niais ayant tout c'est une mère caressante, vigilante, farouche. Il y a une certaine grandeur dans son attitude. Elle ne connait que son nid. Bonne, pieuse et douce de tempérament, dans les jours troubles des révolutions, elle est inconsciente ou cruelle, suivant que les siens sont épargnés ou atteints. Les barrières trop hautes entre le peuple et l'élite haïtienne l'isolent de ceux qui auraient pu élargir son sens social canalisé dans sa maison. De plus en plus s'impose dans le monde l'aristocratie de l'argent, haïtienne devient ambitieuse pour sa famille et pour elle, elle pousse son mari aux complots politiques, à la poursuite des emplois publics. Elle a été ainsi, sans le savoir, une des causes du désarroi de notre pays qui ont amené l'intervention étrangère 171. Le 28 janvier 1915, après une série de gouvernements éphémères, Haïti a été occupée par les forces militaires des Etats-Unis d'Amérique qui y sont restées jusqu'en 1934 ; le contrôle financier n'a pris fin qu'en 1947 avec le remboursement du solde de, l'emprunt. L'occupation américaine, les répercussions de la première guerre mondiale et la crise économique, ne devaient pas tarder à changer entièrement le genre de vie de l'haïtienne. Ce changement ne se produisit pas tout d'un coup. Nous assistons ici à une lente évolution qui d'abord, passa inaperçue puis bientôt bouleversant trop de barrières s'imposa à l'observation de tout spectateur consciencieux. 170 171

Auguste Carlet « Visages féminins » Voix de Femmes, No. 35, p. 4. Dantès Bellegarde, « Pour ou contre le Féminisme » Voix de Femmes, No. 1935, p. 10.

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Pressées par le besoin, la femme, la jeune fille, qui avaient été toujours confinées aux travaux d'intérieur, dépendant financièrement et socialement des hommes de la famille, se virent obligées d'aller chercher leur subsistance au dehors. [80] Leur préparation insuffisante limitant leur champ d'action, elles songèrent à s'instruire afin de mieux gagner leur vie. Ceci coïncida avec l'ouverture de deux écoles : l'Ecole Elle Dubois pouf la formation professionnelle des filles et l'Ecole Normale de Filles pour la préparation des institutrices. Ces deux écoles dirigées par des institutrices compétentes ouvrirent des horizons nouveaux à la jeunesse féminine qui avait dû se contenter jusqu'à présent d'une instruction primaire supérieure. Nous assistons alors à une véritable ruée vers les écoles de commerce, quelques jeunes filles entrèrent à l'école de pharmacie 172. Les écoles d'infirmières et de sagefemmes virent affluer de nombreuses élèves. Enfin en 1929, la Faculté de Droit inscrivit ses premiers étudiants. En 1930, une nouvelle étape est franchie, l'Ecole d'Art Dentaire et en 1934, la Faculté de Médecine ouvrirent leurs portes aux jeunes filles. Avec l'indépendance économique, les femmes gagnèrent une plus grande liberté d'allure et de pensée, elles s'intéressèrent davantage aux œuvres sociales et aux sports. Les jeunes filles commencèrent à fonder des groupements mondains, sportifs et littéraires, tels que Primavera en 1921, Fémina en 1923 à Port-au-Prince ; Printania, en 1926, au Cap-Haitien ; l’Excelsior à Jérémie, etc.. L'assistance sociale reçut une impulsion nouvelle. La jeunesse sentit le besoin de se grouper dans un commun désir de justice sociale en fondant des œuvres collectives. En 1925, deux associations de jeunes filles, les pupilles de St. Antoine et le Noël virent le jour. Il y eut quelques années plus tard toute une floraison d'autres œuvres sociales féminines : la Crèche, les Pupilles de Ste. Thérèse, l'Œuvre des Colonies de Vacances (1930), la Sainte Famille (1933), la Croix Rouge. À partir de cette époque l'haïtienne s'émancipa de la tutelle de l'église. Elle ne se contenta plus de participer aux œuvres paroissiales comme « le Noël » et différentes confréries dirigées par les prêtres, mais toutes les autres associations, [81] ci-dessus énumérées, furent d'initiative laïque bien que parfois placées sous le patronage du clergé. Même les jeunes filles dirigeaient elles-mêmes leurs associations ; 172

Par le règlement du 5 février 1920 de l'École de Médecine, les femmes eurent accès à la section de Pharmacie.

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elles y puisèrent des habitudes d'ordre, de discipline et de décision. Le rôle des femmes dans ce domaine fut très important, car toute l'initiative de l'assistance sociale leur fut entièrement laissée jusqu'à l'organisation de l'assistance publique en 1939. Dès l'ouverture de l'Union Patriotique, organisée par Georges Sylvain pour lutter contre l'Occupation d'Haïti, (le 28 juillet 1915) par les Forces Militaires des États-Unis d'Amérique, les femmes haïtiennes participèrent à la lutte nationale en quêtant dans les maisons, les marchés et les lieux publiques pour réunir des fonds pour le soutien de la campagne et l’envoi des délégués aux Etats-Unis d'Amérique pour plaider la cause haïtienne. En 1926, la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté décida de faire une enquête sur l'occupation militaire en Haïti. Paul Douglas, Emily Green Balch et Grâce Watson furent reçus et guidés par Mesdames Georges Sylvain et Pierre Hudicourt représentantes de la Ligue Internationale des femmes pour la Paix et la Liberté en Haïti. Le 1er mars 1930, Mesdames Perceval Thoby, Thérèse Vieux-Clesca et Justinien Ricot organisèrent avec le concours des prêtres catholiques une grande procession qui, partant de l'église du Sacré-Coeur, défila à travers les rues de la ville et s'arrêta devant l'hôtel où résidaient les membres de la Commission Forbes 173 en chantant des cantiques demandant la libération d'Haïti. Cette manifestation pacifique, venant à la suite de nombreuses dépositions, prouva aux membres de la Commission Sénatoriale que le peuple haïtien tout entier désirait le départ des forces de l'occupation américaine. À la suite de cette enquête des accords successifs entre le gouvernement Haïtien et celui des Etats-Unis d'Amérique [82] aboutirent à la fin de l’occupation américaine en Haïti en aout 1934. En analysant ces faits, nous voyons que l’haïtienne s'était littéralement transformée. Évoluée, plus instruite, souvent économiquement indépendante, acceptant ses responsabilités sociales, elle ne pouvait manquer de se rendre compte de la situation inférieure qui lui était faite dans la nation, d'aspirer à la liberté accordée à ses sœurs d'outremer. 173

Commission d'Enquête envoyée par le Sénat Américain pour enquêter sur l'Occupation Américaine en Haïti.

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Le féminisme était inconnu en Haïti. Les femmes bien qu'y jouant un rôle considérable n'avaient jamais pensé à se grouper en vue d'une action commune pour la revendication de leurs droits. Pourtant, petit à petit, elles prenaient conscience du nouveau rôle de la femme dans le monde. Le 22 février 1934, Madeleine Sylvain, jeune avocate, réunit quelques intellectuelles et leaders sociaux en vue de la fondation d'une association pour l'émancipation politique et sociale de la femme. Cette idée souleva un grand enthousiasme car elle répondait à un désir profond chez beaucoup de femmes de prendre leur part d'action et de responsabilité dans les manifestations de la vie nationale. Après quelques semaines, le groupement comptait déjà des centaines d'adhérentes recrutées, en majeure partie, parmi les institutrices et les militantes des œuvres d'assistance. La nouvelle association tint à déterminer nettement son objectif en assignant comme but dans ses statuts : l) de contribuer à l'amélioration physique, intellectuelle et morale de la femme haïtienne pour la rendre consciente de ses devoirs sociaux ; 2) de résoudre les problèmes concernant la protection de l'enfant, de la femme, des vieillards et l'amélioration du foyer familial ; 3) de faire reconnaître l'égalité civile et politique de l'haïtienne. Les statuts furent votés et un comité exécutif fut élu, le 3 mars 1934, composé d'un bureau de huit membres et des directrices des six commissions entre lesquelles devait se répartir le travail de l'association : éducation, publicité, législation, œuvres sociales, coopération internationale, comités régionaux. Mme Pierre Hudicourt qui jouissait d'une grande considération [83] à cause de sa participation aux œuvres sociales fut élue présidente. Deux mois après, l'association fut dissoute pour deux raisons. D'une part, le gouvernement ayant pris ombrage de son programme ambitieux, avait refusé de lui accorder l'autorisation de fonctionner. Elle réclamait notamment : l'augmentation du nombre des écoles de filles, la création de lycées féminins, l'égalité dans la famille, la libération économique de la femme mariée, un salaire égal pour un travail

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égal, le suffrage féminin, la création d'un département du travail avec un bureau de la femme et de l'enfant, la liberté syndicale, la fermeture des maisons de prostitution, etc.. D'autre part, l'Hétérogénéité des membres et leur manque d'expérience avaient créé une division au sein de la nouvelle organisation. D'un côté, une majorité timide et conservatrice, préférant abandonner le mouvement, effrayée par l'opposition du pouvoir établi et par les répercussions inattendues des idées nouvelles sur les traditions séculaires, de l'autre, une minorité enthousiaste et décidée à poursuivre la lutte pour la libération de la femme, mais incapable de formuler un programme ralliant l'adhésion de tous. Le jour même de la dissolution, le 10 mai 1934, la minorité progressiste décida de réorganiser l'association sur de nouvelles bases. Un but unique, résumant tous les autres fut inscrit aux statuts : l'amélioration physique, économique et sociale de la femme haïtienne. L'effectif fut provisoirement limité au petit nombre des membres fondateurs qui décidèrent de consacrer les deux premières années à l'étude des problèmes féminins et sociaux sur le plan national et international. Un nouveau comité de direction fut élu composé de : Mesdames Madeleine Sylvain, présidente, Alice Garoute, vice-présidente, Fernande Bellegarde, secrétaire-générale, Olga Gordon, secrétaire-adjointe, Thérèse Hudicourt trésorière, Marie Corvington, trésorière-adjointe, Alice Téligny Mathon, Esther Dartigue, Maud Turian et Georgette Justin, conseillères. Le gouvernement satisfait par le modeste programme de la « Ligue Féminine d'Action Sociale » lui accorda sans difficulté [84] l'autorisation de fonctionner et la séance inaugurale eut lieu le 3 juin 1934. Après un an de travail intensif, une équipe féministe homogène était constituée avec un programme qui devait être exécuté méthodiquement 174. Les fondatrices pensèrent que le féminisme, plus encore qu'un mouvement d'émancipation politique, est avant tout un mouvement d'amélioration sociale et c'est par ce féminisme là qu'elles débutèrent. Elles voulurent grouper les bonnes volontés afin d'arriver à résoudre 174

Bellegarde, Fernande. Ligue Féminine d'Action Sociale. — Rapport de la Secrétaire Générale, La Voix des Femmes, Vol. I, No. 1, Oct. 1955.

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les problèmes de l'assistance privée, de l'hygiène, de la protection de la femme, de l'enfance, et, pour y parvenir, élever le niveau moral, physique et intellectuel de la femme dans toutes les classes sociales. L'action commença par la propagande pour le recrutement de nouveaux membres et la publication, en octobre 1935, d'une revue, « La Voix des Femmes », avec Mme Jeanne Perez, rédacteur en chef ; Mme Cléante Desgraves Valcin, gérante et Mme Amélie Laroche, secrétaire. Ce bulletin mensuel devait servir de trait d'union entre toutes les haïtiennes et d'organe de diffusion des idées de la Ligue. Cette modeste revue, fondée et dirigée par les femmes, ne disposant d'aucun capital, d'aucune subvention, sans un seul employé salarié, a pu se maintenir de 1935 à 1942, époque à laquelle sa publication a été provisoirement suspendue à cause de la guerre. Elle a beaucoup contribué non seulement à l'amélioration de la condition de la femme, mais aussi a l'évolution sociale en Haïti. En 1937, ce journal obtint une médaille d'argent à l'Exposition de Paris à cause de la haute portée sociale de son action. En 1938, Mme Jeanne Perez quittait la rédaction de la « Voix des Femmes » pour fonder une revue mensuelle à caractère littéraire qui participa aussi à la campagne pour l'émancipation des femmes jusqu'à sa fermeture en 1946. La Ligue ne tarda pas à ouvrir des filiales dans différentes villes de province. La première à Port-de-Paix, le 19 [85] février 1935, sous la présidence de Mine Colbert St. Syr. Le 15 Septembre 1935, une seconde filiale fut fondée à St. Marc sous la direction de Madame Jérôme Adée, une autre fut inaugurée en octobre 1936 aux Cayes par Mme Albert Stacco. Mme Emmeline Carriès-Lemaire fonda, le 2 mai 1937 la filiale de Jacmel. Peu de temps après, Mme Albert Stacco, laissant la direction de la filiale des Cayes à Mme Im Fougère, alla répandre les idées féministes au Cap-Haïtien avec le concours de Mme Marie-Louise Barou. Ces filiales, tout en collaborant à la diffusion des idées féministes dans leur région, fondèrent aussi des œuvres d'assistance locale. A Miragoâne, l'Œuvre de la « Bouchée de Pain » adhéra au programme de la Ligue en 1939. Voulant étendre son œuvre éducative, la Ligue créa des cours du soir pour les ouvrières dans les centres populeux de la Capitale et dans chacune des villes où elle avait des filiales. Ces cours, qui répondaient

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à un besoin, eurent tant de succès que d'autres associations, telles que la Mission Patriotique des jeunes, en ouvrirent aussi. Ces efforts privés décidèrent bientôt le Gouvernement à fonder d'abord quelques écoles du soir puis, à organiser l'éducation des adultes. La Ligue donna, de plus, des conférences sur les sujets d'éducation, de travail social, d'histoire, etc.. Deux bibliothèques furent créés pour les membres à Port-au-Prince et à Port-de-Faix. Une campagne systématique fut aussi menée pour la modernisation de l'enseignement féminin par la transformation des écoles primaires supérieures en lycées, l'introduction des cours ménagers dans les écoles de filles et un programme bien compris d'éducation physique. Cette campagne eut pour résultat immédiat l'ouverture de cours secondaires pour les jeunes filles dans plusieurs établissements privés, ce qui leur facilita l'accès aux universités. La réforme de l'enseignement, en 1938, donna satisfaction aux féministes sur bien des points : des femmes furent placées à des postes de direction, le nombre des écoles rurales de filles fut augmenté, on y introduisit des cours d'économie [86] ménagère et la pratique des sports lut rendue obligatoire dans toutes les écoles. Comme nous l'avons vu, l'haïtienne s’était toujours intéressée aux œuvres, mais elle n'avait pas encore une vue d'ensemble lui permettant d'étudier et de résoudre les problèmes sociaux. Elle s'occupait des œuvres d'assistance et ne pensait pas à celles de prévoyance. Elle ne s'attaquait pas à la base du mal, à la lutte contre les grands facteurs de dégénérescence, l'alcoolisme, la prostitution, etc. La Ligue Féminine d'Action Sociale essaya de s'élever au-dessus des efforts isolés pour considérer l’ensemble du problème social, signalant ici ou là des lacunes à combler, une œuvre de coordination à accomplir. Elle vit, plusieurs fois, ses efforts couronnés de succès, soit par l'initiative privée ou publique, soit en collaborant elle-même à fonder de nouvelles œuvres. C'est ainsi qu'elle encouragea ou collabora à la fondation de la Société de Puériculture, de l'Obole du Pauvre, de la Bouchée de Pain et de nombreuses œuvres d'assistance ou de prévoyance sociale. En 1940, elle consacra son congrès à l'étude des problèmes sociaux. En décembre 1943, elle ouvrit un Foyer Ouvrier.

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Melle Résia Vincent, sœur du Président de la République, Sténio Vincent, ne se contenta pas de fonder l'Œuvre des Enfants Assistés pour la protection de l'enfance, mais porta le gouvernement à organiser l'assistance publique en créant la caisse d'assistance publique en 1939, qui permit d'ouvrir des asiles et des internats dans les principales villes. De nouvelles œuvres furent créées : l'Association des Femmes Haïtiennes pour l'Organisation du Travail en 1935, Les Amis de la Maison en 1937, la ligue pour la Protection de l'Enfance en 1939. Cette dernière, dirigée par Mme Jacqueline Wiener a fait une propagande ; intensive pour une législation pour la protection de l'enfance et a publié, un journal « L'Aube » pour la défense de ses idées, L'Association des Guides Scoutes introduites en Haïti par Mme René Durocher a contribué à la formation de la jeunesse. Aux Cayes Mme Lionel Bermingham fonda l'œuvre de la « Charité S'il vous plait. » La loi sur le travail du 10 août 1934 améliora la situation [87] économique des travailleurs des deux sexes en fixant le salaire minimum à une gourde cinquante par jour et en établissant le congé payé de maternité de trois semaines avant et trois semaines après l'accouchement. Malheureusement cette loi ne fut pas strictement appliquée. Depuis sa fondation, la Ligue Féminine d'Action Sociale mena une campagne active pour la modification du statut légal de la femme. Elle fonda, le 7 Janvier 1933, un comité législatif mixte en vue d'étudier et de concourir à l'adoption de lois sur l’hygiène, la prévoyance sociale, le statut de la femme, la protection de l'enfance. Les personnalités suivantes y ont collaboré : Mesdames Madeleine Sylvain Bouchereau, Georgette Justin Daniel, Denise Guillaume. Olga Gordon, Alice Garoute, Léonie Madiou, Messieurs Dantès Bellegarde, Lélio Joseph, Georges O'Callagham, Etienne Charlier et Juvigny Vaugues. En 1936, le sénateur Denis St. Aude présentait, avec sept de ses collègues 175, une proposition de loi sur la libre disposition du salaire de la femme mariée. Cette loi, ayant bénéficié d'un rapport favorable de la Commission chargée de l'examiner, n'a malheureusement même pas été présentée au vote de l'Assemblée malgré les nombreuses dé175

Le nombre total des Sénateurs était de 21.

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marches de la Ligue Féminine d'Action Sociale. Elle a fait néanmoins l'objet de nombreuses polémiques dans les journaux. Voici la conclusion du rapport de la Commission Sénatoriale : « Telle qu'elle est, nous pensons que cette loi donnera, pleine satisfaction à tous, qu'elle témoignera de notre esprit de justice envers la femme haïtienne, qu'elle, facilitera, au plus haut point les affaires commerciales ou autres entreprises des femmes mariées ; qu'elle réparera, une injustice, séculaire envers les femmes séparées de leur mari de corps et non de biens, et tenues quand même sous une tutelle injuste ; bienfaits dont la femme haïtienne sera redevable à la louable initiative du sénateur St. Aude 176. »

[88] La même année, deux autres propositions de lois concernant la femme furent présentées au Sénat : la proposition de loi Fanfan sur la recherche de la paternité et la proposition de loi Albert sur la réglementation de la prostitution. Ces deux propositions furent rejetées. Répondant à une demande expresse du Président de la République, le comité législatif de la Ligue Féminine d’action Sociale présentait, en Juillet 1939, un projet général de modification du Code Civil en ce qui a trait au statut de la femme. Aucune suite ne fut donnée au projet malgré les promesses réitérées du Département de la Justice. Quelques mois après sa fondation, la Ligue recevait la visite de deux déléguées de la Commission Interaméricaine de Femmes de l'Union Panaméricaine, Madame Helena Hill Weed et Mademoiselle Mary Winsor. Ces déléguées venaient demander la ratification du traité de la nationalité de la femme signé par le gouvernement haïtien à la conférence panaméricaine de Montevideo en 1923 et l'adhésion au traité sur l'égalité des droits civils et politiques des hommes et des femmes présenté à cette même conférence par l'Uruguay le Paraguay, Cuba et l'Équateur. La ligue aida ces messagères du bon vouloir dans leur mission délicate, adhéra aux principes formulés dans le traité des quatre états et, depuis lors, réclama continuellement la ratification du 176

Rapport de la Commission de Justice du Sénat concernant la proposition de loi St. Aude « Voix des Femmes », No. 19, Avril 1936 p. 7.

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traité sur la nationalité. Inscrite d'ailleurs au nombre des associations affiliées à la Commission Interaméricaine des femmes, elle continua à lui prêter son concours le plus étroit. À la demande de la Ligue Internationale des Femmes, pour la Paix et la Liberté, une section de paix fut fondée au sein de la Ligue Féminine d'Action Sociale. Elle coopéra étroitement avec cette association et essaya de diffuser les idées de paix et de collaboration internationale. Cette section reçut en 1940, la visite de Mademoiselle Héloïse Brainerd, présidente du comité des Amériques de la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté. « La Voix des Femmes », par des articles d'information essaya de faire connaître à la femme haïtienne ses sœurs d'outre-mer. [89] Pendant la deuxième guerre mondiale, grâce à l'initiative des réfugiés européens, des ateliers furent ouverts pour la confection d'articles de produits indigènes : acajou, fibre de cocotier, pite, latanier, etc.. Ces articles trouvèrent des débouchés aux États-Unis à cause de la fermeture des marchés européens fournisseurs de produits similaires. Ceci contribua dans les villes à augmenter l'effectif de la maind’œuvre féminine et à élever les salaires de cette classe. Dans les campagnes, ceci procura un revenu additionnel aux familles car hommes, femmes et enfants pouvaient faire des tresses en cocotier, en latanier ou d'autres objets pendant leurs heures de loisir. Le gouvernement du président Lescot, faisant droit aux revendications de la Ligue Féminine d'Action Sociale, apporta des améliorations successives à la situation de la femme. En octobre 1943, un lycée de jeunes filles fut ouvert à Port-auPrince et, en octobre 1944, elles furent admises à suivre les cours des lycées de garçons dans les autres villes. Dans le domaine légal, une véritable révolution juridique fut opérée. Le décret-loi du 23 octobre 1942 modifiant la loi du 22 août 1907 par laquelle la femme mariée à un étranger adoptait la nationalité de

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ce dernier, permit à l'haïtienne de conserver sa nationalité dans le mariage 177. Le décret-loi du 11 janvier 1944 autorisa la femme mariée qui travaille à disposer librement de son salaire et des gains provenant de son travail personnel. D'après l'exposé des motifs de cette loi, le but de cette législation était de combler une lacune du Code Civil, en enlevant au mari tout pouvoir sur les gains et salaires personnels de sa femme, ainsi que sur les économies réalisées par celle-ci et sur les biens et valeurs leur servant de placement 178. L'amendement, apporté le 19 avril 1944, à la constitution [90] de 1935 permit à la femme d'être nommée ou élue aux emplois civils et politiques. Nous reproduisons, ci-après, la partie du message présidentiel qui introduisit dans la Constitution cette importante réforme : « Avec l'évolution de mœurs, la femme s'est créé une place remarquable dans tous les domaines de l'activité humaine. Les exigences de la vie contemporaine lui imposent une participation directe à toutes les manifestations de la vie sociale et politique. Aussi, la règle de la capacité générale et absolue de la femme est-elle généralement consacrée dans le droit moderne. « Évidemment, tenant compte de nos mœurs politiques, il ne serait pas sage de conférer actuellement à la femme haïtienne le droit prééminent de suffrage ; mais il n'y aurait aucun inconvénient à admettre qu'elle soit éligible aux fonctions à caractère représentatif de sénateur, de député et de membre des administrations communales. « Dans le domaine purement administratif, la femme haïtienne a donné la mesure de son intelligence et de son savoir-faire. Le moment est venu de l'admettre à l'exercice de certains droits politiques. « C'est une œuvre de progrès politique à réaliser.

177

Le Moniteur, 97ème Année, No. 86, 26 Octobre 1942, Port-au-Prince 1942. 178 Le Moniteur, 99ème Année, No. 4, 13 Janvier 1944, Port-au-Prince 1944.

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« En conséquence, il convient de modifier l'article 4 de la constitution dans le sens suivant : « Article 4. Tout haïtien âgé de 21 ans accomplis, exerce les droits politiques, s'il n'est dans aucun des cas d'incapacité prévu par la Loi. « La, femme haïtienne, âgée de 30 ans accomplis, est éligible aux fonctions de sénateur, de député et de membre des administrations communales, dans les circonstances déterminées par la loi, « Agée de 21 ans accomplis, la femme haïtienne peut être nommée à tous autres emplois civils de l'ordre administratif, dans les conditions établies par la loi 179 »

[91] Par cet amendement, l'haïtienne pouvait être élue ou nommée à toutes les fonctions à l'exception de celle de président, mais le droit de suffrage lui était toujours refusé. Le 25 décembre 1944 un décret-loi fut promulgué autorisant la recherche de la paternité dans certains cas déterminés et accordant aux enfants naturels reconnus les mêmes droits que les enfants légitimes. Ce décret-loi avait pour but d'accorder une plus grande protection aux mères non mariées et aux enfants naturels, car l'exposé des motifs soulignait : « la justice exige d'abord que les auteurs de l'enfant naturels n'aient pas le .moyen de se dérober à l'obligation de le reconnaître, entraînant celle de lui donner leur nom et de pourvoir à son entretien et à son éducation 180. » D'autre part, en vue de faciliter le mariage des paysans, le gouvernement, par le décret-loi du 15 janvier 1945, les exonérait du paiement des taxes des actes de mariage 181. Malheureusement, l'amendement constitutionnel accordant l'éligibilité à la femme n'était qu'une manœuvre politique destinée à atténuer l'impopularité d'un autre amendement voté en même temps, prolongeant le mandat présidentiel. 179 180 181

Le Moniteur, 99ème Année, No. 34, 20 Avril 1944, Port-au-Prince, 1944. Le Moniteur, 99ème Année, No. 105, 25 Déc. 1944, Port-au-Prince, 1944. Le Moniteur, l00ème Année, No. 5, 15 Janvier 1945, Port-au-Prince, 1945.

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Il ne fut pas suivi, comme les féministes l'espéraient, par la nomination immédiate de femmes à des fonctions publiques importantes ; et une révolution renversa le Gouvernement avant de nouvelles élections où la femme aurait pu poser sa candidature à des fonctions électives. La révolution de janvier 1946 fut une révolte de la jeunesse et des classes moyennes contre l'injustice, la misère et l'exploitation. La participation de notre pays, à la lutte contre le fascisme, la diffusion des idées démocratiques, l'écho de la proclamation des quatre libertés par Roosevelt avaient contribué à former une conscience de classe en vue de la revendication des droits humains pour tous. [92] Plusieurs femmes participèrent activement à la révolution, certaines comme Lydia et Pauline Jeanty cachèrent les conspirateurs dans leur maison, d'autres telles que Melle Lilli Fortuné, Mmes Jacqueline Wiener et Jacques Roumain se trouvaient sur les barricades. Léonie Madiou, blessée et arrêtée au cours des bagarres, fut considérée comme l'héroïne du mouvement. La Ligue Féminine d'Action Sociale mena une active campagne en vue de faire reconnaitre le principe de l'égalité entre les sexes dans la constitution que l'on allait élaborer. La victoire semblait assurée car les trois quarts des membres de l'Assemblée Constituante avaient signé une pétition demandant de reconnaître l'égalité des droits des deux sexes dans la nouvelle constitution. Pourtant au moment du vote, quelques constituants, signataires de la pétition, demandèrent à l'Assemblée de ne pas accorder le droit de vote aux femmes. Les députés Castel Démesmin et Émile St. Lot s'acharnèrent particulièrement contre la femme, l'accusant d'être responsable de tous les maux d'Haïti. Le nouvel article de la constitution, non seulement n'accordait pas à la femme l'égalité qu'elle sollicitait, mais lui enlevait le droit d'éligibilité octroyé par l'amendement constitutionnel de 1944. La délégation de la Ligue Féminine d'Action Sociale, après avoir manifesté à haute voix son indignation, quitta la salle poursuivie par les huées d'une foule mercenaire à la solde de députés malhonnêtes.

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Cet échec ne fit que redoubler l'activité de la Ligue Féminine d'Action Sociale. Un pamphlet fut publié : « La Femme Ha tienne répond aux attaques formulées contre elle à l'Assemblée Çonstituante » où, après un compte-rendu sténographiée de la séance de la Constituante, Mmes Madeleine Sylvain-Bouchereau, Alice Garoute, Cléante D. Valcin, Yvonne Hakime Rimpel, Marien Thérèse Poitevien réfutèrent les arguments présentés par les constituants pour ne pas accorder à la femme les droits politiques 182. « La Voix des Femmes [93] Recommença à paraître bi-mensuellement avec une équipe plus nombreuse. Toutefois la constitution de 1946 tint compte des revendications des travailleurs et une nouvelle législation sociale vint consacrer leurs droits. La liberté syndicale fut reconnue. Le président Lescot, voulant apaiser les revendications populaires, avait porté le salaire minimum à 2 gourdes 50 par le décret-loi du 25 décembre 1945. Une nouvelle loi du 19 décembre 1947 le porta à 3 gourdes 50. Un Bureau du Travail avec une section de la femme et de l'enfant ouvert avec comme directrice Mademoiselle Denyse Guillaume, jeune avocate, ayant milité dans le féminisme, et Mme Léonie Madiou, ancienne directrice du Foyer ouvrier comme inspectrice du travail. Bien que la tâche fut écrasante, elles organisèrent l'inspection des ateliers employant une main-d’œuvre féminine, occupèrent du contrôle du travail des enfants, de la création de syndicats féminins et de l'élaboration de lois protégeant la femme et l’enfant en collaboration avec les autres dirigeants du Bureau du Travail. Malheureusement le décès prématuré de Denyse Guillaume interrompit une carrière qui avait été très brillante. Lauréate de sa promotion au baccalauréat et à la Faculté de droit elle avait obtenu le diplôme de licenciée en 1939. Elle fut secrétaire-générale de la Ligue Féminine d'Action Sociale et membre de nombreux autres groupements civiques ou sociaux. Elle se fit remarquer par son éloquence discrète et ses travaux juridiques en faveur de la femme et de l'enfant. À partir de cette époque la participation directe de la femme aux partis politiques et aux syndicats fut acceptée. Plusieurs femmes de182

La Femme Haïtienne répond aux attaques formulées contre elle à l'Assemblée Constituante, Société d'Éditions et de Librairie, Port-au-Prince, Haïti 1946.

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vinrent membres actifs des partis populaires chrétiens de droite et de gauche : (PFC) et parti socialiste populaire (PSP). Le parti de gauche « Mouvement Ouvrier Paysan » (MOP) ouvrit un Bureau d'Action Féminine qui, le 14 novembre 1948, fonda un hebdomadaire d'action sociale « La Famille » sous la direction de Mme Carmen Jean-François Fignolé qui était aussi présidente du Bureau L'influence féminine s'exerça dans les syndicats mixtes ou féminins et au premier congrès du travail en 1949 une jeune [94] ouvrière intelligente, Octavie Stéphen, secrétaire générale du Syndicat des Ouvriers du Tabac, étonna l'assistance par un plaidoyer énergique présentant les revendications des femmes de sa classe. Mme Lucienne Heurtelou Estimé, femme du président de la république Dumarsais Estimé ; s'intéressa activement aux œuvres sociales ; elle ouvrit un bureau d'assistance privée et fonda une œuvre « La Discrète Aumône. » Ses subventions permirent aussi à quelques œuvres de se développer : l'Orphelinat de l'Enfant Jésus fondée en 1944 par Mme Cyril Walker, la Goutte de Lait fondée en 1949 par Mmes Bessières Oriol et Raymond Laroche. L'Ouvroir National pour la confection et la vente des ouvrages de broderie fut créé par le Gouvernement sous ses auspices. Mme Estimé fut la présidente d'honneur du Premier Congrès National des Femmes Haïtiennes organisé en avril 1950 par la Ligue Féminine d'Action Sociale. Ce congrès réunissait des délégués de 43 associations féminines dont 5 syndicats ouvriers, les directrices de l'Ouvroir National et du Bureau de la Femme et de l'Enfant. 28 déléguées étrangères avaient aussi été envoyées par les Organisations Internationales : Nations-Unies, Organisation Internationale du Travail, l'Organisation des Nations-Unies pour la Science et la Culture et les Ligues Internationales et Nationales de femme. Ce congrès suscita un grand enthousiasme. Sur la proposition de Mme Lashmi Menon présidente de la section politique du Congrès et chef de la Section du Statut des femmes des Nations-Unies, un vœu fut voté à l'unanimité demandant aux membres du Corps Législatif de faire les changements nécessaires aux lois haïtiennes afin de donner aux femmes l’égalité civile et politique.

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Ce vœu fut présenté immédiatement par une délégation aux présidents du Sénat et de la Chambre des Députés ; et le Gouvernement promit de lui donner son appui 183. Le mouvement féministe qui avait maintenant obtenu l'adhésion [95] de tous les groupements féminins organisés, élargit son cadre pour l'étendre à tous les secteurs. La chute du gouvernement du Président Estimé, le mois suivant, ne ralentit pas son action. La Junte Militaire qui avait pris le pouvoir annonça que de nouvelles élections auraient lieu pour le choix du président, des membres du Corps Législatif et de l'Assemblée Constituante. Une campagne intensive fut organisée en vue d'obtenir l'égalité des droits civils et politiques, sans distinction du sexe, dans la constitution qui devait être rédigée par l'Assemblée Constituante en novembre de la même année aux Gonaïves. La Ligue Féminine d'Action Sociale décida d'élargir ses cadres en fondant des « Comités des Droits de la Femme » dans les différents quartiers de Port-au-Prince, des villes et des bourgs de la république. La campagne se poursuivit par la presse, la radio, les réunions populaires ; les hommes inquiets se défendirent en organisant une contrepropagande, mais le mouvement s'étendit rapidement, il y eut bientôt 17 comités à Port-au-Prince et aux environs, tous les partis politiques et la presse donnèrent leur appui au mouvement. Les comités locaux de province s'occupaient de diffuser les idées dans leur milieu et faisaient signer des pétitions adressées aux membres de l'Assemblée Constituante leur demandant de reconnaître dans la nouvelle constitution l'égalité des sexe en donnant à la femme les droits civils et politiques. Des milliers de signatures d'hommes et de femmes de toutes les classes sociales et de toutes les villes et sections rurales du pays furent recueillies 184. Le Bureau Féminin du MOP mena aussi une active campagne pour l'élection de son candidat et pour la reconnaissance de l'égalité des 183 184

Le Féminisme en Marche, Premier Congrès National des Femmes Haïtiennes, Port-au-Prince, Septembre 1951, pp. 1-27. Le Féminisme en Marche, op. cit., pp. 37, 38.

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droits entre les sexes. Plusieurs réunions populaires furent organisées par ce Bureau. « Les Comités des Droits de la Femme » participèrent aussi à la campagne électorale en prononçant des discours pour les droits de la femme aux réunions électorales organisées par les candidats féministes. [96] Le décès de Mme Alice Garoute, présidente de la Ligue Féminine d'Action Sociale, survenu le 2 octobre 1950, en pleine campagne, fut l'occasion d'une véritable manifestation féministe ou les femmes de toutes les classes défilèrent dans un imposant cortège pour prouver leur attachement à leur leader et à la cause féministe. Mme Alice Garoute fut l'un des plus grands défenseurs de la femme en Haïti. VicePrésidente de 1934 à 1945, puis présidente de la Ligue Féminine d'Action Sociale de 1945 à 1950, elle lutta constamment jusqu'à son dernier souffle pour l'émancipation de la femme. Son activité débordante embrassait tout ce qui pouvait concourir au bien du pays et par delà les frontières au progrès de l'humanité. Les féministes jurèrent sur sa tombe de continuer la lutte jusqu'à la complète libération de la femme. Le 10 Octobre 1950, les femmes exposèrent leurs revendications devant plusieurs milliers de personnes au Théâtre de Verdure à Portau-Prince. Monsieur Edouard Tardieu, directeur du Journal « L’Action Sociale », organe du Parti Populaire Chrétien, Monsieur Étienne Charlier, directeur du Journal « La Nation », organe du Parti Socialiste Populaire » et Monsieur Jacques C. Antoine, ancien Ambassadeur d'Haïti aux États-Unis d'Amérique prirent aussi la parole à cette réunion pour appuyer le mouvement. Le 4 novembre, jour de l'ouverture de l'Assemblée Constituante, plus de mille femmes de toutes les classes sociales, venant de différentes régions du pays, défilèrent aux Gonaïves avec calme et discipline. Étendards déployés, portant des pancartes réclamant leurs droits, elles parcoururent les rues de la ville en chantant l'hymne ; féministe et debout, sous un soleil ardent, elles attendirent pendant deux heures, l'ouverture de la séance, à la suite de laquelle les déléguées des différentes comités déposèrent au bureau de l'Assemblée Constituante

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les pétitions couvertes de milliers de signatures d'individus des deux sexes réclamant que la nouvelle constitution [97] donne aux femmes des droits civils et politiques égaux à ceux des hommes 185. Répondant à la demande de la Ligue Féminine d’Action Sociale, de nombreuses lettres et télégrammes avaient été aussi envoyés à l'Assemblée Constituante par les associations féminines internationales demandant la mise en application en Haïti du principe de l'égalité des sexes reconnu par la déclaration Universelle de Droits de l'homme et par le Pacte des Nations-Unies. Des représentantes des Comités des Droits de la Femme séjournèrent aux Gonaïves durant le mois de novembre afin de monter la garde pendant toute la durée des travaux de la Constituante. Ce fut une précaution utile, car bien que les discours d'inauguration du Président de la Constituante, Monsieur, Dantès Bellegarde et du ministre de l'intérieur, Monsieur Luc Fouché, demandaient de reconnaître l'égalité des sexes dans la nouvelle Constitution, la Commission chargée de l'élaboration du projet n'était pas en faveur des droits de la femme. Grâce aux démarches des féministes et des Constituants partageant leurs idées particulièrement du Président M. Dantès Bellegarde, le principe de l'égalité des sexes fut reconnu dans la Constitution de 1950 après de vives discussions 186. En effet, l'article 9 de cette Constitution établit formellement que les haïtiens sont égaux devant la loi, qu'ils ont le droit de prendre une part effective au gouvernement de leur pays et d'être nommés ou élus à toutes les fonctions de l'Etat sans aucune distinction de sexe. D’après l'article 4 « tout Haïtien, sans distinction de sexe, âgé de 21 ans accomplis, exerce les droits politiques... » toutefois, le deuxième alinéa de cet article stipule que les femmes, ne pourront voter aux élections nationales que trois ans au maximum après leur participation aux élections municipales. Après cette période, aucune entrave ne pourra être apportée à l'exercice de leurs droits politiques. Le même article prévoit que transitoirement on devra continuer [98] à appliquer les lois existantes régissant le statut de la femme ma-

185 186

Le Féminisme en Marche, op, cit., pp. 31, 32, 33. Le Féminisme .... op. cit., pp. 33- 35.

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riée dans la famille jusqu'à ce que des réformes législatives permettent de réaliser un régime d'égalité absolue entre les sexes 187. Se basant sur cette prescription constitutionnelle, la Ligue Féminine d'Action Sociale réclame la modification immédiate des articles du Code Civil qui établissent l'incapacité de la femme mariée et lui donnent une position inférieure dans la famille. Cette association continue aussi son action par ses cours du soir, sa permanence et son journal, afin de préparer les femmes à remplir convenablement leurs devoirs de citoyennes. Mme Yolette Magloire, depuis l'accession de son mari, à la présidence de la république, en décembre 1950, a fondé une œuvre d'assistance : « La Fondation Mme Paul E. Magloire » qui a déjà exercé une action sociale et humanitaire de grande envergure. Disposant d'un budget d'une valeur d'environ ($100.000.00) cent mille dollars, pour l'année 1952-53, provenant pour un peu plus de la moitié de contributions d'État et pour le reste de dons et de produits de fêtes, la fondation, en plus des distributions de vêtements et des dons en argent à ses protégés, a fondé une garderie, un foyer d'école, des cantines et un restaurant populaire. S'élevant au-delà des œuvres d'assistance, elle a aussi organisé quatre ouvroirs dans les villes de province pour l'amélioration de la situation économique de la femme du peuple en lui procurant du travail ainsi qu'une formation professionnelle 188, Jusqu'à présent, malgré la réforme constitutionnelle, le gouvernement n'a nommé aucune femme à des postes de premier plan. Quoique, comme nous le verrons dans la seconde partie, quelques fonctionnaires occupent des emplois secondaires dans 1'admnistration, ceci ne constitue pas un progrès véritable. Il y a pourtant, en ce moment, une élite féminine consciente de ses droits et devoirs civiques et qui ne manquera pas d'apporter une coopération effective au progrès du pays. [99]

187 188

Constitution de la République d'Haïti 1950, Art. 4, 35, 9. Rapport des activités de la Fondation Mme. Paul E. Magloire. Imp. Deschamps, Port-au-Prince, Mars 1953.

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La Ligue Féminine d'Action Sociale a organisé en Septembre 1954 un séminaire pour la préparation des dirigeantes qui devaient conduire une campagne intensive d'éducation civique pour la préparation de l'haïtienne à l'exercice des droits politiques en janvier 1955. Mme Mitchell, déléguée de la « League of Women Voters » Association des Femmes votantes des États-Unis participa à ce cours qui furent suivis par un grand nombre de femmes de la capitale. Une tournée de conférences dans les principales villes étendit l'action à la province. Le séminaire et les conférences régionales comprenaient deux séries de discussions, l'une s'adressant aux institutrices et dirigeantes de la bourgeoisie et l’autre aux leaders de la classe populaire en grande partie illettrées. Dès le début d'octobre, une campagne intensive d'éducation civique fut déclenchée par la Ligue à l'échelle nationale Rien ne fut négligé, cours miméografiés distribués ; dans tout le pays, conférences quotidiennes à la radio en français et en créole, affiches éducatives invitant les femmes à s'inscrire et réunions dans les quartiers populaires et dans les écoles pour les futures électrices et même les élèves des classes secondaires des lycées. La Ligue décida de patronner plusieurs candidatures féminines à Port-au-Prince, Pétionville et au Cap-Haïtien en vue de susciter l'intérêt et de porter les femmes à s'inscrire en grand nombre. Elle proposa aussi aux candidates un programme minimum pour l’administration municipale. Suivant cette recommandation la plupart d'entre elles publièrent leur programme basé sur celui de la Ligue et comportant un plan d'action sociale et administrative qu'elles s'engageaient à promouvoir en cas de réussite. Ces déclarations de principe introduisirent un élément objectif dans la lutte électorale qui jusqu'à présent était principalement subjective. Vingt huit femmes présentèrent leur candidature comme membre des conseils communaux de différents villes et bourgs et les femmes de toutes les classes s'inscrivirent en grand nombre sur les listes électorales. Au total, il y eut environ une inscription féminine pour deux masculines.

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Le 9 janvier 1955 pour la première fois en Haïti les femmes [100] votèrent aux élections municipales et huit furent élues membres des conseils communaux. Deux d'entre elles dirigeront pendant quatre ans l'administration locale de leur municipalité et les cinq autres y collaboreront comme assesseurs. Toutes sont de : femmes remarquables qui se sont toujours occupées de politique et jouissent d'un grand prestige dans leur communauté. Madame Ulysse Pierre Raymond, âgée de 72 ans, mairesse de Cabaret, dirige seule depuis plus de quarante ans un important établissement agricole et industriel qu'elle a développé petit à petit grâce à son énergie et à son labeur. Elle a toujours contribué à l'amélioration sociale et économique de sa localité. Madame Constance Arnaud Zamor, mairesse de Mont-Organisé, infirmière et commerçante est aussi une dirigeante d'une activité débordante. Mesdames Denyse Ethéart ; Massa, Clément Coicou, Lise Pare, Cavé Adolphe, Melles Marcelle Wiss et Bertha Gilot Anse-à-Foleur, Gonaïves et Grand-Gosier ont aussi par leurs activités professionnelles ou privées prouvé leur intérêt au bien commun et contribueront certainement au développement de leurs communautés respectives.

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Deuxième partie LA FEMME DANS LA FAMILLE, LA SOCIÉTÉ ET L’ÉCONOMIE HAÏTIENNE

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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Deuxième partie : La femme dans la famille, la société et l’économie haïtienne

Chapitre I STATUT LÉGAL 1 — DROITS CIVILS a) Mariage.

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Le Code Civil réglemente en détail les relations familiales. Nous étudierons d'abord les dispositions légales concernant les conditions et les formalités du mariage. La femme peut se marier à quinze ans et l'homme à dix-huit ans. Pour des motifs graves par exemple si la fille est enceinte, le Président de la République peut accorder la permission de célébrer le mariage avant cet âge 189. Le consentement des deux parties est nécessaire à la validité du mariage 190. Le consentement des parents est nécessaire quand la fille n'a point atteint l'âge de vingt et un ans et le fils l'âge de vingt-cinq ans ; en cas 189 190

Léger, Abel. Code Civil d'Haïti, art, 133, Port-au-Prince Haïti, 1934. C. C. art. 134.

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de dissentiment, le consentement du père suffit. Quand l'un des deux est mort, ou s'il est dans impossibilité de manifester sa volonté, le consentement de l’autre suffit 191. Si le père et la mère sont morts, ou s'ils sont dans l'impossibilité de manifester leur volonté, les aïeuls et aïeules ou à défaut le conseil de famille les remplacent. En cas de dissentiment entre l'aïeul et l’aïeule de la même ligne, il suffit [104] du consentement de l’aïeul ; en cas de dissentiment entre les deux lignes, le mariage peut se faire 192. Les enfants naturels reconnus doivent aussi obtenir le consentement de leur père et mère ou de leurs ascendants dans les mêmes conditions. Ceux qui n'ont point été reconnus doivent, jusqu'à l'âge de vingt-et-un ans, obtenir le consentement du conseil de famille avant de se marier 193. La polygamie est défendue et constitue un crime puni de la peine de travaux forcés 194. Le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et leurs conjoints légitimes ou naturels. Il est aussi prohibé entre le frère et la sœur légitimes ou naturels, les beaux-frères et belles-sœurs, l'oncle et la nièce, la tante et le neveu. Néanmoins le Président de la République peut permettre le mariage de ces derniers pour des causes exceptionnelles 195. Les futurs conjoints sont libres de faire procéder à leur mariage ou bien par l'Officier de l'État Civil conformément aux lois en vigueur ou bien uniquement par le Ministre de leur religion conformément aux prescriptions et rites de celle-ci. Dans ce dernier cas, le mariage religieux ainsi célébré produira tous les effets légaux du mariage célébré devant l'Officier de l'État Civil pourvu que les conjoints réunissent les conditions de capacité requises par le Code Civil, que le mariage soit célébré publiquement c'est-à-dire en présence de deux témoins, par le ministre du culte au domicile de l'une des parties et que le projet ait été publié au domicile de chacun des conjoints. Le consentement des 191 192 193 194 195

C. C, art. 136-137. C.C. art 138 et 146. C. C, art. 147 et 148. Code Pénal, art. 288. Léger, Abel, op. cit., Art. 150, Code Civil.

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parents dans le cas où il s'impose devra être donné par écrit ou verbalement. Les conjoints doivent payer une taxe de dix gourdes pour avoir une copie de leur acte de mariage néanmoins le paiement de cette taxe est supprimé pour les indigents 196. Une action en nullité peut être intentée contre tout mariage qui a été contracté en contravention des dispositions [105] légales soit par les époux, soit par tous ceux qui ont intérêt, soit par le ministère public 197. Le mariage qui a été déclaré nul, produit néanmoins des effets civils à l'égard de l'époux qui l'avait contracté de bonne foi et des enfants issus de cette union 198. Le Code se charge de fixer la situation réciproque des deux époux. Le mari est le chef de la famille. Il doit protéger sa femme et elle doit lui obéir 199. La situation est ainsi nettement établie : d'un côté, autorité absolue et de l'autre dépendance complète. « Là est consignée, dit Price Mars, la règle qui fixe les devoirs des époux avec une inflexibilité tellement unilatérale que, des deux parties en cause, une seule a probablement dressé le contrat 200. » En se mariant la femme prend habituellement le nom de son mari bien qu'il n'y ait aucune disposition légale qui l'y oblige. Elle continue à porter ce nom même après la mort de son mari, mais en cas de divorce elle reprend habituellement son nom de famille. L'haïtienne mariée à un étranger conserve sa nationalité mais ne peut la transmettre à son enfant que s'il n'a pas été reconnu par son père. L'étrangère mariée à un haïtien suit la condition de son mari 201. Le Code impose au mari comme à la femme le devoir de fidélité 202 mais ici l'inégalité entre les époux éclate de façon flagrante. La Légis196 197 198 199 200 201 202

Léger, op. cit., Lois-du 16 Décembre 1929 et Arrêté du 10 Janvier 1930. Ibid., op. cit., Art, 165 et suivant C. C. C.C. art. 187 et 188. C. C. art. 197. Mars. Price, op. cit., pp. 101 — 102. Loi du 22 Août 1907 sur la nationalité modifiée par le décret-loi du 25 Octobre 1942. Léger. Abel, op. cit., Art. 196.

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lation établit une distinction : l'adultère de la femme est un délit punissable en quelque lieu qu'il ait été commis, celui du mari n'est puni que lorsqu'il a été perpétré dans la maison conjugale. D'autre part, la faute de la femme est passible d'emprisonnement pour une durée d'au moins trois mois et de deux ans au plus. Le mari infidèle ne peut être condamné qu'à payer une amende de cent à quatre cent gourdes 203. [106] Les époux se doivent mutuellement secours et assistance 204. Chacun des époux contribue aux charges du mariage suivant les conventions contenues, dans leur contrat et, s'il n'en existe point à cet égard, la femme contribue à ces charges jusqu'à concurrence du tiers de ses revenus 205. La responsabilité du mari est plus grande car l'article 198 du Code déclare que le mari est obligé de fournir à la femme tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état. La femme est obligée d'habiter avec son mari et de le suivre partout où il juge à propos de résider 206. La jurisprudence permet même à ce dernier de la prendre par la famine en séquestrant ses revenus personnels ou d'user de la force publique pour la ramener au domicile conjugal : manu militari entre deux gendarmes. En revanche le mari est obligé de recevoir sa femme et s'il refuse de le faire elle peut être autorisée par les tribunaux à se faire ouvrir de force le domicile conjugal.

203 204 205 206

Code Pénal, art. 285 et 287. Léger, Abel, op. cit., Art. 196. Léger, Abel, Art. 1322. CC. Art., 198.

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b) Régime des biens À partir de vingt-et-un ans l'homme et la femme sont majeurs, c'est-à-dire libérés de l'autorité paternelle et capables de tous les actes de la vie civile, sauf les restrictions découlant du mariage 207. La femme majeure, célibataire, veuve, divorcée ou séparée de corps a le plein exercice de sa capacité civile, elle est souveraine maîtresse de ses biens, elle peut ester en justice, donner, aliéner, hypothéquer et acquérir meubles et immeubles. Toutefois, le législateur conserve encore quelque méfiance à son égard car il refuse de lui confier la tutelle d'un enfant qui n'est le sien et même de l'accepter comme témoin à un testament 208. Si elle se marie elle redevient immédiatement incapable, elle perd la libre disposition de sa personne et de ses biens, [107] elle est mise sous la tutelle de son mari et ne peut agir sans son autorisation 209. Quelles que soient les clauses des conventions matrimoniales, l'incapacité de la femme mariée subsiste. Même non commune ou séparée de biens, elle ne peut sans autorisation de son mari ester, c'est-à-dire intenter une action en justice 210. Le principe de l'autorisation est général et s'applique dans tous les cas où la femme comparait en justice soit en demandant soit en défendant, quel que soit la matière de Faction qu'elle intente ou quel que soit l'objet de la demande dirigée contre elle et quel que soit son adversaire. Elle ne peut de plus sous aucun régime aliéner ses biens meubles et immeubles, acquérir à titre gratuit ou onéreux, payer une dette, recevoir le paiement d'une créance, accepter ou répudier une succession sans le concours du mari dans l’acte ou son consentement par écrit. Si le mari refuse elle peut demander cette autorisation au Tribunal qui la donnera ou la refusera après avoir entendu le mari 211. 207 208 209 210 211

C. C. art. 398. Léger, Abel, op. cit., Art. 354 et 789. Code Civil, Art. 197. C. C., art 208. C. C., art. 201 – 202 – 2003.

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Cette autorisation est spéciale et ne valide qu'un acte déterminé. Toute autorisation générale, même stipulée par contrat de mariage, n'est valable que quant à l'administration des biens de la femme. 212 Le législateur a prévu quelques cas où la volonté de la femme peut s'exercer librement : quand il s'agit de faire son testament, reconnaître un enfant naturel qu'elle a eu avant son mariage, ou refuser son consentement au mariage de ses enfants issus d'un précédent mariage ; les émanciper et accepter les donations qui leur sont offertes. Elle peut aussi faire les actes conservatoires susceptibles d'être accomplis par les incapables, tels que transcrire une donation, inscrire son hypothèque légale, adresser une sommation à ses débiteurs. Elle peut aussi introduire sa demande en divorce et se défendre en matière pénale 213. Mariée ou non elle est condamnée [108] aux mêmes peines que l'homme à l'exception du délit d'adultère, La femme condamnée aux travaux forcés n'y est généralement assujettie qu'à l'intérieur des prisons et lorsqu'elle est condamnée à mort et est enceinte, elle n'est exécutée que quarante jours après sa délivrance 214. Il est d'ailleurs très rare qu'elle soit exécutée. L'incapacité de la femme mariée ne concerne pas seulement les actes juridiques particuliers, mais aussi et surtout le choix d'une profession. L'épouse soumise à l'autorité du mari et obligée d'habiter avec lui ne peut exercer une profession indépendante et faire le commerce sans l'assentiment de celui qui est son seigneur et maitre. Cette autorisation maritale peut-être expresse, c'est-à-dire résulter d'un acte écrit, ou tacite, c'est-à-dire provenir du fait qu'elle exerce le commerce ou la profession au vu et au su de son mari, elle est générale : la femme commerçante peut tout faire, vendre, hypothéquer, pour les besoins de son commerce et elle engage aussi le mari si elle est mariée sous le régime de la communauté mais le mari peut lui enlever son permis si elle contracte au-delà de ses possibilités financières 215. Si le mari refuse ou retire cette autorisation, elle peut la demander au tribunal. Toutefois, quel que soit le régime matrimonial, la femme mariée qui occupe un emploi ou exerce une profession distincte de celle de 212 213 214 215

C. C. art 199. C. C. art 200, 776 et 201. Code Pénal, Art. 14 et 16. C.C. art. 204.

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son mari, peut disposer de son salaire ou des revenus provenant de son travail personnel, à l'exception de la portion qui doit être affectée à sa contribution aux charges du ménage. Elle peut en faire le dépôt dans une banque ou dans une maison de commerce à son crédit personnel ou l'employer pour l'acquisition de biens mobiliers ou immobiliers. Elle peut, sans l'autorisation de son mari, aliéner à titre onéreux, les biens ainsi acquis 216. Ces dispositions ne sont pas applicables aux gains résultant [109] d'un travail commun des époux. Dans ce cas, c'est toujours le mari qui en a seul l'administration. L'incapacité de la femme subsiste quel que soit le régime matrimonial adopté, cependant les stipulations du contrat de mariage peuvent l'augmenter ou la diminuer. En principe les époux sont entièrement libres de fixer eux-mêmes, par contrat, avant le mariage les dispositions régissant leurs biens pourvu qu'elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs et ne dérogent pas aux droits résultant de la puissance maritale sur la personne de la femme et des enfants, ou qui appartiennent au mari comme chef, c'est-à-dire seigneur et maitre de la communauté, ni aux droits conférés par le Code au survivant des époux 217. En tenant compte de ces restrictions, les époux peuvent adopter avec ou sans modification l'un des régimes suivants : communauté restreinte ou universelle, sans communauté, séparation de biens et dotal 218. À défaut de contrat les époux sont censés mariés sous le régime de la communauté légale qui forme le droit commun en Haïti 219. Le régime de communauté est caractérisé par le fait que tout ou partie des biens des époux sont mis en commun et ne sont partagés qu'à la dissolution du mariage. Toutes espèces de modifications peuvent être apportées conventionnellement à ce régime. Consistant principalement dans la quantité des biens faisant partie de la communauté et les droits respectifs d'ad216 217 218 219

Le Moniteur, 99e année, Mo. 4 — 13 Janvier 1944, Port-au-Prince, 1944. Léger, op. cit., art., 1173 et 1174. Ibid., art. 1282 à 1366. Ibid., art. 1179.

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ministration et de disposition des époux 220. Quand tous les biens présents et à venir forment une masse commune ; nous avons le régime de la communauté universelle 221. Quand les biens meubles seuls deviennent la propriété des deux époux ainsi que les revenus des immeubles personnels des époux et leurs biens à venir, nous nous trouvons en présence de la communauté légale, ou de meubles et d'acquêts, notre régime de droit commun 222. [110] Quand tous les biens personnels que les époux possédaient avant le mariage : meubles et immeubles continuent à leur appartenir en propre, nous avons la communauté réduite aux acquêts, c'est-à-dire aux acquisitions faites par les époux provenant de leur travail ou de leur industrie commune et des économies qu'ils ont réalisé 223. Dans le régime sans communauté, chaque époux conserve la propriété de tous ses biens mais tant que dure le mariage la femme n'a pas le droit d'administrer ses biens ni d'en percevoir les revenus qui sont censés apportés au mari pour soutenir les charges du mariage 224. Dans le régime sans communauté, chaque époux conserve l'entière administration de ses biens meubles et immeubles et la libre jouissance de ses revenus. Pourtant l'autorisation expresse du mari ou à son refus de la justice est nécessaire pour l'aliénation de ses immeubles. Chacun des époux contribue aux charges du mariage suivant les conventions contenues en leur contrat ; et s'il n'en existe point à cet égard, la femme contribue à ces charges jusqu'à concurrence du tiers de ses revenus. À la dissolution du mariage, la femme recouvre la pleine propriété de ses biens. Si le mari a eu la jouissance des biens de sa femme durant le mariage, il n'est tenu à sa dissolution qu'à la représentation des fruits existants et ne doit point rendre compte de ceux qui ont été consommés jusqu'alors. Dans le régime dotal, la dot est le bien que la femme apporte au mari pour supporter les charges du ménage, il en a l'administration et 220 221 222 223 224

Ibid., art. 1282. Ibid., art. 1311. Léger, Art. C. C. 1186 et suivants. Ibid., Art. 1238 et ss. Ibid., Art. 1315.

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la jouissance 225. Les immeubles constitués en dot ne peuvent être aliénés ou hypothéqués pendant le mariage par les conjoints excepté dans des conditions nettement déterminées par la loi ou le contrat de mariage. Les droits et obligations du mari concernant la dot sont ceux de l'usufruitier. Il est responsable de toutes les prescriptions acquises et de toutes les détériorations survenues par sa négligence. Si la dot est mise en péril par sa négligence, la femme peut demander la séparation de biens. [111] Le reste des biens de la femme qui n'ont pas été constitués en dot sont paraphernaux et la femme en a l'administration et la jouissance, mais si elle veut les aliéner, elle doit obtenir l'autorisation de la justice. À la dissolution du mariage, la dot doit être restituée à la femme ou à ses héritiers qui devront prouver que le mari l'a reçu au moment du mariage si celui-ci a duré moins de dix ans. Nous allons en ce moment étudier la situation de la femme mariée sous le régime de la communauté légale, car c'est celui qui régit la presque totalité des mariages en Haïti. Il est excessivement rare que l'on fasse un contrat de mariage dans les villes et cela n'arrive jamais dans les bourgs et les communautés rurales. Ceci est dû sans doute à divers facteurs, tels que l'absence de grandes fortunes, l'ignorance légale des familles, les dépense supplémentaires occasionnées par l'intervention du notaire ou la crainte de froisser la susceptibilité du nouvel époux par des précautions inusitées. Sous le régime de la communauté légale on distingue trois patrimoines : les biens communs, les propres de la femme et ceux du mari. Le patrimoine commun comprend : a) les meubles ou biens facilement transportables tels que mobilier, effets de commerce, titres, etc., présents et à venir des époux b) les immeubles, biens fixes ou immobiles tels que maisons, terrains, etc. qu'ils acquièrent à titre onéreux pendant le mariage ; c) les revenus, fruits, intérêts et arrérages échus ou perçus pendant le mariage et provenant des biens propres qui leur apparte-

225

Ibid., Art. 1321, suivants.

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naient lors de la célébration du mariage ou de ceux qui leur sont échus pendant le mariage à quelque titre que ce soit 226. Le patrimoine propre de la femme et du mari comprend les immeubles qu'ils possédaient avant le mariage et ceux qui leur ont été donnés ou légués après 227. Durant le mariage, le mari administre seul les biens communs, il peut les vendre, aliéner et hypothéquer sans le concours de sa femme. Il n'est même pas tenu de lui rendre compte de son administration. Seule exception, il ne peut [112] disposer à titre gratuit des immeubles de la communauté, ni de l'universalité ou d'une quotité du mobilier que pour l'établissement des enfants communs 228. Il peut néanmoins disposer des effets mobiliers à titre gratuit et particulier au profit de toutes personnes pourvu qu'il ne s'en réserve pas l’usufruit. La communauté est responsable de toutes les dettes mobilières des époux avant le mariage, pourtant en ce qui concerne les dettes mobilières contractées avant le mariage par la femme, il est nécessaire qu'elle puisse les prouver par un acte authentique antérieur au mariage, une telle formalité n'est pas nécessaire pour les dettes du mari, La communauté est aussi responsable de toutes les dettes contractées par le mari pendant la communauté ou par la femme avec le consentement du mari 229. Si la femme a agi sans ce consentement même avec l'autorisation de la justice, elle n'engage point les biens de la communauté à moins qu'elle ne soit marchande et qu'il s'agisse des biens de son commerce 230. Les arrérages et intérêts des dettes personnelles des époux, les réparations usufruitières de leurs immeubles propres sont aussi à la charge de la communauté qui doit pourvoir aux frais occasionnés par l'entretien et l'éducation des enfants et de toute autre charge du ménage, en y ajoutant toutefois la part que la femme qui travaille doit contribuer à cette fin 231. 226 227 228 229 230 231

Léger, op. cit., art. 1187. Ibid. art 1189, et suivants. Ibid., art, 1206 et suivants. Léger, C. C. art., 1194 et suivants. Ibid., art. 1211. Ibid., art, 1194.

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En vertu du mandat tacite, la femme peut néanmoins faire sans autorisation tous les achats nécessaires à l'entretien de la maison et engager ainsi le mari et la communauté. Elle peut aussi, si elle est autorisée par la justice, engager les biens de la communauté pour tirer son mari de prison ou pour rétablissement des enfants communs en cas d'absence du mari. 232 Le mari a l'administration de tous les biens personnels de [113] la femme, il est seul maitre de ses actions mobilières mais il ne peut aliéner ses immeubles personnels sans son consentement, il n'est responsable du dépérissement de la fortune de son épouse que lorsque la perte est survenue par sa faute 233. Certaines garanties sont néanmoins accordées à la femme pour la protéger contre la mauvaise gestion de son mari. C'est d'abord l'hypothèque légale qui grève tous les immeubles présents et à venir de son mari pendant et même après le mariage tant qu'il est débiteur de la femme garantissant le paiement de toutes ses créances. La femme ou ses héritiers a aussi le privilège au moment de la dissolution de la communauté d'y renoncer lorsque le passif excède l'actif. Si elle renonce, elle sera affranchie de toute contribution aux dettes à moins qu'elle ne se soit obligée conjointement avec son mari ou lorsque la dette provenait originairement de son chef. Elle pourra reprendre les immeubles qui lui appartiennent ou leur prix s'ils ont été aliénés ainsi que toutes les indemnités qui peuvent lui être dues par la communauté 234. À la dissolution de la communauté, la femme ou ses héritiers ne sont pas tenus de respecter les baux des biens personnels de la femme faits par le mari pour une période excédant neuf ans 235. La communauté prend fin par la mort de l'un des époux, par la séparation des biens, par la séparation de corps et pat le divorce. Après l'acceptation de la communauté par la femme ou ses héritiers, les biens et dettes sont partagés de la manière suivante : 232 233 234 235

Ibid., art. 1212. Léger, C. C. art. 1213. Ibid., art. 1238 et suivants. Ibid., art 1214 et 1215.

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Les dettes de la communauté sont pour moitié à charge de chacun des époux ou de leurs héritiers. Dans tous les cas, le bénéfice d'émolument permettra à la femme de n'être tenue des dettes de la communauté que jusqu'à concurrence des biens qu'elle recueillera. [114] Lorsqu'une dette de la communauté aura été payée avec ses biens propres, elle a droit à une indemnité sur les biens communs et en cas d'insuffisance, sur les biens du mari 236. La femme a aussi droit, au décès du mari, aux vêtements de deuil, à la nourriture et au logement pendant trois mois et quarante jours 237. Chaque époux ou ses héritiers prélèvent sur la masse des biens l) ses biens personnels qui ne sont point entrés en communauté, s'ils existent en nature ou ceux qui ont été acquis en remploi ; 2) Le prix de ses immeubles qui ont été aliénés pendant la communauté et dont il n'a point été fait remploi ; 3) Les indemnités qui lui sont dues par la communauté. Les prélèvements de la femme s'exercent avant ceux du mari, si les biens n'existent plus, elle peut en réclamer le remboursement en argent ou en nature sur les biens de la communauté, et en cas d'insuffisance, sur les biens personnels du mari. Celui-ci ne peut exercer ses reprises que sur les biens de la communauté, Après tous les prélèvements des deux époux, le surplus est divisé également entre eux et leurs héritiers 238. La femme peut demander au Tribunal la séparation des biens si sa dot est mise en péril et lorsque le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre que les biens de celui-ci ne soient point suffisants pour remplir les droits et reprises. La femme séparée de biens en reprend la libre administration et alors son statut deviendra semblable à celui de la femme séparée de biens conventionnellement. Elle pourra disposer de son mobilier, mais il lui faudra l'autorisation de son mari

236 237 238

Ibid., art. 1221 et 1222. Ibid., art. 1260. Ibid., art. 1253 à 1265.

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ou de la justice pour tous les actes importants 239. Elle devra contribuer proportionnellement à ses facultés et à celles de son mari, tant aux frais du ménage qu'à ceux d'éducation des enfants communs. Elle doit supporter entièrement ces frais, s'il ne reste rien au mari, Les [115] époux peuvent décider par acte notarié de mettre fin à la séparation des biens et de rétablir la communauté qui reprendra alors effet du jour du mariage. Si la vie commune lui est insupportable, la femme peut recourir à la séparation de corps ou au divorce. Plusieurs femmes préfèrent la séparation de corps, car elle est permise par l'église. Elle peut être demandée par chacun des époux pour les causes qui donnent lieu au divorce, mais ne peut avoir lieu par le consentement mutuel des époux. Quand elle est prononcée, elle suspend la puissance maritale sur la personne et les biens de la femme, elle entraîne toujours la séparation détiens et redonne à la femme sa pleine capacité civile, sans qu'elle ait besoin de recourir à l'autorisation du mari ou de la justice, tout en laissant subsister les liens du mariage. Après trois ans, le jugement de séparation de corps peut être converti en divorce sur la demande d'un des époux 240. La femme peut aussi demander le divorce pour l’une des causes suivantes : adultère, excès, sévices, injures graves et ; publiques, condamnation définitive de l'un des époux à une peine afflictive et infamante et par consentement mutuel 241. La femme pourra être autorisée, dès le début de la poursuite à quitter le domicile du mari. Dans ce cas, le tribunal lui fixera une demeure provisoire ; elle pourra aussi demander une pension alimentaire et la garde des enfants pendant cette période. Après le divorce, c'est l'époux qui a obtenu gain, de cause qui exerce la puissance paternelle ; à moins que le tribunal ne décide pour le plus grand bien des enfants de les confier à l'autre époux, à leurs grands parents ou à une maison d'éducation, mais quelque soit le lieu où résident les enfants, les pères et mères conservent toujours leurs droits de surveillance et surtout d'entretien.

239 240 241

Ibid., art. 1228 à 1237. Léger, op. cit. Loi du 10 Mai sur la séparation de corps pp. 162 et 163. Ibid., pp. 215 à 220.

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Dans le divorce par consentement mutuel, ce sont les époux qui fixent eux-mêmes par écrit le sort des enfants 242. La femme ne peut contracter un second mariage qu’un [116] an après la dissolution du mariage précédent 243. Elle ne peut hériter, de son mari, que s'il ne laisse pas de parent au degré successible, c'est-àdire au 6e degré 244. La loi sur les pensions des employés publics garantit à la veuve une rente viagère équivalente à la moitié de celle que son mari aurait perçue ; toutefois cette rente sera partagée en deux, si la mère du défunt est toujours vivante 245. La loi sur les assurances sociales accorde aussi à la veuve non divorcée d'un assuré, victime d'un accident de travail, une rente équivalente à la moitié de celle à laquelle il aurait droit en cas d'incapacité permanente et totale. Cette rente sera suspendue si la Veuve se remarie ou vit publiquement en concubinage. Si l’assuré n'était pas marié et avait néanmoins vécu maritalement avec une femme pendant l'année qui a précédé immédiatement sa mort, cette femme bénéficiera d'une rente équivalente à 40% de celle à laquelle il aurait eu droit en cas d'incapacité permanente. Toutefois, cette rente ne sera accordée qu’à la condition que l'assuré et sa concubine aient été, durant leur vie en commun, libre de tout lien de mariage. Elle ne sera suspendue que si la concubine contracte mariage ou vit à nouveau publiquement en concubinage. Chacun des enfants légitimes ou naturels mineurs de moins de 16 ans de l'assuré décédé aura droit à une rente équivalente à 30% de celle à laquelle l'assuré aurait droit en cas d'incapacité permanente. Les rentes aux orphelins seuls ou avec celles de la veuve ou de la concubine n'excèdent pas 80% de la rente à laquelle l'assuré aurait droit en cas d'incapacité permanente totale 246.

242 243 244 245 246

Léger, op. cit., art. 255, 256, 289. Léger, op. cit, art. 213. Ibid., art. 627. Le Moniteur, Loi du 30 Septembre 1950 sur la pension. Le Moniteur, Loi du 12 Décembre 1951 sur les assurances sociales.

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c) Rapports de la mère avec ses enfants légitimes. Nous avons envisagé jusqu'à présent la situation de la femme [117] dans ses rapports avec son mari ; nous allons l'étudier en ce moment dans ses rapports avec ses enfants. La mère comme l'épouse est reléguée au second plan. Les enfants sont soumis à l'autorité de leurs parents jusqu'à leur majorité ou leur émancipation, mais pendant le mariage, le père seul exerce cette autorité 247. Le père seul peut les autoriser à quitter la maison paternelle. S'il a des causes de mécontentement grave au sujet de la conduite d'un enfant, il peut demander au juge de le faire arrêter et détenir dans une prison ou une maison de correction, sans même que la mère soit consultée 248. Ce pouvoir exorbitant n'est jamais donné à la mère, car même lorsque veuve, non remariée, elle a l'exercice de la puissance paternelle, elle ne peut faire détenir son enfant qu'avec le concours des deux plus proches parents paternels ou à leur défaut de deux amis 249. Le père peut élever ses enfants comme bon lui semble, sans tenir compte de l'avis maternel. Le mineur de l'un ou l'autre sexe est émancipé de plein droit par le mariage ; il peut aussi être émancipé dès l'âge de quinze ans par son père ou à son défaut par sa mère ou s'il est orphelin, à l'âge de dix-huit ans par le conseil de famille. Le mineur émancipé ne peut faire que certains actes d'administration 250. Les parents contractent tous deux par le fait seul du mariage l'obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants 251. La jurisprudence décide que cette obligation n'est pas solidaire et pèse pour le tout sur chacun des époux. Quand les parents sont divorcés, quelle que soit la personne à laquelle les enfants seront confiés, les père et mère conservent respecti247 248 249 250 251

Léger, art. 314 cc. Léger, art. 315 et suivants. Léger, art. 322. Ibid. art. 386 et suivants. Ibid., art. 189.

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vement le devoir de contribuer à l'entretien et à l'éducation de leurs enfants, à proportion de leurs facultés 252. Dans le divorce par consentement mutuel, les enfants deviennent [118] immédiatement propriétaires de la moitié des biens de chacun des époux. Les père et mère conservent néanmoins la jouissance de cette moitié jusqu'à la majorité de leurs enfants, à la charge de pourvoir à leur nourriture, entretien et éducation. Cette obligation cesse si les biens personnels des enfants 253 peuvent suffire à les entretenir 254. Elle est réciproque, les enfants doivent aussi des aliments à leurs père et mère et autres ascendants qui sont dans le besoin. 255 Pendant le mariage, le père seul a l'administration et la jouissance des biens personnels de ses enfants mineurs jusqu'à leur majorité ou leur émancipation. Cette jouissance comporte des obligations analogues à celles de l'usufruitier et les frais d'entretien de l'enfant. À la mort du mari, la mère a la jouissance des biens de ses enfants, et en cas de divorce, elle appartient à celui des parents en faveur duquel il a été prononcé 256. Toutefois, les parents n'ont pas la jouissance des biens provenant d'un travail ou d'une industrie séparée des enfants 257. D'autre part, la loi n'oblige pas le père à rémunérer son enfant qui travaille pour lui. Les mineurs doivent obtenir un permis de travail avant d'être employés dans les entreprises commerciales et industrielles. Tenant compte de la coutume des paysans ou des citadins pauvres de « mettre leurs enfants en service », c'est-à-dire de les confier à des particuliers pour qui ils exécutent des travaux domestiques ou autres, en échange de leur entretien et de leur éducation, une législation spéciale et un service d'inspection ont été créés au Bureau de la Femme et de l'Enfant, qui comportent le dépistage et l'inscription de ces enfants, l'inspection de leur condition de vie, la surveillance de leur fréquentation scolaire (les écoles demi-temps leur sont [119] spécialement des252 253 254 255 256 257

Ibid., art. 290. Léger, art. 331-332-333. Léger, art. 326. Léger, art. 191. Léger, art. 325, 326, 327. Léger, art. 328.

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tinées) 258 et la prévention et la répression des abus d'autorité et des mauvais traitements. Les enfants légitimes ou leurs descendants héritent de leurs père et mère concurremment à égale partie avec les enfants naturels. Mais seuls, les enfants légitimes héritent de leurs ascendants légitimes 259. Le père et la mère, héritent conjointement de leurs enfants décédés sans postérité et sans frères ni sœurs, ni descendants de ces derniers. S'il y a des frères et sœurs, la moitié seulement de leur succession sera partagée entre les ascendants 260. Les libéralités par ace entre vifs ou par testament ne peuvent excéder la moitié des biens du déposant s'il ne laisse à son décès qu'un enfant ; le tiers, s'il laisse deux enfants et le quart, s'il en laisse trois ou un plus grand nombre. Elles ne pourront excéder la moitié, si à défaut d'enfant, le défunt laisse un ou plusieurs ascendants dans chacune des lignes paternelle ou maternelle, et les trois quarts s'il n’en laisse que dans une ligne. À défaut d'ascendant s et de descendants, les libéralités testamentaires pourront épuiser la totalité des biens du disposant 261. En cas de déchéance du père et à la dissolution du mariage par la mort du mari ou par divorce obtenu en sa faveur, la mère est de droit tutrice de ses enfants mineurs avec tous les attributs de la puissance paternelle, sauf la différence que nous avons déjà signalée, en ce qui concerne le droit de correction. Elle n'est pas obligée d'accepter cette tutelle, mais doit en remplir les obligations jusqu'à la nomination d'un autre tuteur. Si la mère tutrice désire se remarier, elle devra, si elle ne veut pas être déchue de la tutelle, avant l'acte de mariage, consulter le conseil de famille qui décidera si la tutelle doit lui être conservée ; dans ce cas, le nouvel époux deviendra co-tuteur 262.

258 259 260 261 262

Les enfants fréquentant ces écoles ne passent que la demi-journée à l’école. Léger, art. 1605 et suivants. Ibid., art. 612 et Ibid, art. 612 et 614. Ibid., art. 741 à 746. Léger art. 331, 332, 333.

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[120] À son lit de mort, la mère veuve a le droit de désigner un tuteur à ses enfants mineurs. Sinon cette tutelle sera conférée à l’aïeul paternel de préférence à l’aïeule maternelle et ainsi de suite, en montant de génération en génération. d) Unions illégitimes. En Haïti, traditionnellement la majorité des unions ne sont pas sanctionnées par le mariage. Le placage est encore pour diverses raisons la forme d'union la plus répandue dans les villes et dans les campagnes ; toutefois, le législateur ne réglemente pas les rapports des concubins pendant ces unions souvent passagères. La loi sur les assurances sociales vient pour la première fois de reconnaître les droits de la concubine en accordant, comme nous l'avons mentionné précédemment, une rente à la femme qui a vécu maritalement, pendant l'année qui a précédé immédiatement sa mort, avec un assuré non marié victime d'un accident de travail. Durant le placage, les parties conservent leur pleine liberté sans droit et devoir réciproques. La mère d'un enfant illégitime ne peut pas obliger le père à l'épouser ; elle n'a droit à aucun dommage. Ce n'est seulement qu'en cas de séduction déshonnête qu'elle peut réclamer une indemnité de son séducteur en s'appuyant sur le principe du dommage causé à autrui pour fait illicite 263. La filiation maternelle ou paternelle d'un enfant né hors mariage est établie par la reconnaissance volontaire ou judiciaire. Le père et la mère peuvent reconnaître leur enfant dans son acte de naissance ou à n'importe quel moment par un acte spécial devant l'Officier de l'Etat Civil 264. Les enfants adultérins ou incestueux ne peuvent être reconnus. L'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari, mais il ne peut le désavouer que s'il prouve qu'à l'époque de la conception il était 263 264

Léger, art. 1166. Léger Art. 305 cc. Ibid Art. 306.

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dans l'impossibilité physique de co-habiter avec sa femme. Il ne pourra le désavouer même pour [121] cause d'adultère, à moins que la naissance ne lui ait été cachée 265. La légitimité de l'enfant né avant le cent-quatre-vingtième jour du mariage ou trois cents jours, après sa dissolution pourra être contestée 266. Les enfants nés hors mariage, à l'exception des enfants adultérins pourront être légitimés par le mariage de leurs père et mère 267. La recherche de la maternité est admise. L'enfant naturel que sa mère n'a pas reconnu peut intenter une action en recherche de la maternité, mais il sera tenu de prouver qu'il est identiquement le même que l'enfant dont elle est accouchée 268. La recherche de la paternité n'est admise que dans les cas : d'enlèvement ou de viol, lorsque l'époque de l'enlèvement ou du viol se rapportera à celle de la conception et de concubinage notoire pendant la période légale de la conception. Une femme placée avec un homme veuf, célibataire ou divorcé, peut intenter une action en recherche de la paternité, afin d'obliger le père à reconnaître son enfant naturel et ainsi lui donner son nom et pourvoir à son éducation. Elle a les mêmes droits en cas d'enlèvement ou de viol. Si la mère n'intente pas cette action, l'enfant peut, dans les mêmes cas, l'intenter lui-même dans l'année qui suivra sa majorité. Cette action n'appartient qu'à l'enfant ou à la mère. Les héritiers de l'enfant toutefois pourront continuer cette action si elle avait déjà été intentée avant son décès. Le jugement établissant la paternité ou la maternité a le même effet que la reconnaissance. Les relations légales entre les parents et les enfants ne sont établies que par la reconnaissance volontaire ou judiciaire.

265 266 267 268

Léger, art. 293 et 294. Ibid., art. 295 et 296. Ibid., art. 302. Le Moniteur, 99ème année No. 105, 25 Déc. 1944 Port-au-Prince, 1944.

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L'enfant naturel reconnu a les mêmes droits que l'enfant [122] légitime. Il porte le nom du parent qui l’a reconnu ou s'il a été reconnu par les deux, celui de son père. Celui ou ceux qui ont reconnu l'enfant sont tenus de pourvoir à son entretien et à son éducation. La puissance paternelle est exercée ordinairement par le parent avec qui l'enfant habite ; si les parents habitent ensemble, le père a la prépondérance comme dans le mariage. La reconnaissance faite pendant le mariage par l’un des époux au profit d'un enfant naturel qu'il aurait eu avant son mariage d'un autre que son époux, ne pourra nuire ni à celui-ci ni aux enfants nés du mariage ; néanmoins elle produira son effet après la dissolution de ce mariage, s'il n'en reste point d'enfant 269. Dans ce cas, l'enfant naturel perd son droit à une pension alimentaire parce que les sommes qui lui seraient attribuées devraient être prises sur les revenus dont jouissent les époux. Les enfants naturels légalement reconnus héritent de leur père ou mère ou de leurs ascendants naturels. Ils n'héritent jamais des ascendants légitimes de leurs père ou mère. La part de l’enfant naturel sera égale à celle de l'enfant légitime. En cas de prédécès d'un enfant naturel, ses descendants héritent de ses droits 270. Les enfants adultérins ou incestueux n'ont droit qu'aux aliments, c'est-à-dire à l'entretien et à l'éducation. Ceci constitue seulement une obligation morale bien qu'elle soit consignée dans le code, il leur est impossible de faire valoir ce droit, car ils ne peuvent être reconnus 271. La succession de l'enfant naturel décède sans postérité légitime ou naturelle et sans frère ni sœur naturel, ni descendants d'eux est dévolue au père ou à la mère qui l'a reconnu ou par moitié à tous les deux, s'il a été reconnu par l’un et par l'autre.

269 270 271

Léger, art 308 cc. Léger, art. 606 à 610 cc. Ibid., Art. 611.

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Les ascendants légitimes de l'enfant naturel même reconnu n'ont aucun droit à sa succession ; les ascendants naturels héritent [123] de moitié, s'ils sont seuls ou du quart, s'il y a des frères et sœurs naturels 272.

2. DROITS POLITIQUES. Retour à la table des matières

La constitution de 1950 accorde les droits politiques à la femme, mais limite provisoirement jusqu'en 1957 au plus tard l’exercice du droit de vote, à l’électorat et à l’éligibilité aux fonctions municipales 273. Article 4. — Tout haïtien, sans distinction de sexe, âgé de 21 ans accomplis, exerce les droits politiques, s'il réunit les autres conditions déterminées par la Constitution et par la loi. Néanmoins, le droit de vote pour la femme ne s'exercera à titre transitoire, que pour l’électorat et l'éligibilité aux fonctions municipales. La loi devra assurer le plein et entier exercice de tous les droits politiques à la femme dans un délai qui ne pourra excéder trois ans après les prochaines élections municipales générales. Cette période accomplie, aucune entrave ne pourra empêcher l'exercice de ces droits. Le même article reconnaît « l'aptitude de la femme à toutes les fonctions civiles de l’Administration Publique » et l'article 9 précise : « Tout haïtien a le droit de prendre une part effective au gouvernement de son pays, d'occuper des fonctions publiques ou d'être nommé à des emplois de l'État, sans aucune distinction de couleur, de sexe ou de religion. » « L'administration des Services Publics de l'État, en ce qui concerne les nominations, termes et conditions de service, doit être exemple de tout privilège, de toute faveur et de toute discrimination 274. » 272 273 274

Léger, art. 616 et 617 cc. Constitution de la République d'Haïti 1950. Imprimerie de l'Etat Port-auPrince, Haïti. Constitution d'Haïti, Ibid.

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Les femmes peuvent donc être nommées ou élues à toutes les fonctions ; légalement il n'existe aucune discrimination à leur égard, elles sont soumises aux mêmes règlements administratifs que les hommes et ont droit à une pension de retraite, [124] après au plus vingt-cinq ans de service, équivalente à la totalité ou à une partie de leurs appointements, suivant qu'elles ont occupé des postes dans l'enseignement ou dans d'autres services de l'État 275. La loi sur le travail accorde aux femmes travaillant dans les services publics de l'Etat et les entreprises privées, un congé annuel de 15 jours et un congé de maternité de six semaines, trois semaines avant l'accouchement et trois semaines après, pendant lequel elles devront toucher l'intégralité de leur salaire 276. Enfin les femmes fonctionnaires de l'Etat et des Administrations contrôlées par l'Etat, les employées des entreprises agricoles, commerciales et industrielles, les institutrices des établissements d'enseignement privé et le personnel domestique rémunéré en nature ou en espèces bénéficient des assurances sociales sur les accidents de travail. Les femmes chefs d'entreprises, celles qui travaillent avec leur mari et les enfants de 18 ans ou au-dessous qui travaillent pour le compte de leur père et mère et à leur domicile sans recevoir un salaire en espèces déterminé à l'avance, ne participent pas pour le moment aux assurances sociales 277. Les assurés, victimes d'accident de travail, ont droit à l'assistance médicale et à une rente mensuelle proportionnelle au degré de l'incapacité ou des deux tiers de leur salaire, suivant que l'incapacité est partielle ou totale. Le montant de cette indemnité ne peut pas être inférieur à soixante-dix gourdes, ni supérieur à cinq-cents gourdes. En cas de décès, les héritiers recevront de plus une indemnité funéraire, équivalente à un mois du salaire de base de l'assuré, victime d'un 275 276 277

Le Moniteur, lois sur les pensions du 5 Févr. 1923, du 12 Janv. 1943, du 25 Déc. 1945, Du 21 Août 1950 et du 20 Sept 1952. Le Moniteur, Loi sur le travail 10 Août 1934. Le Moniteur, Loi sur les assurances, sociales 12 Septembre 1951 Jusqu'à présent pendant une période d'essai l’assurance accident de travail a été seule mise en application ; plus tard les assurances couvriront les risques de maladie et de maternité.

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accident au travail. Nous avons déjà parlé de la rente accordée à l'épouse ou à la concubine et aux enfants. [125]

3. COUTUMES TRADITIONNELLES Retour à la table des matières

Comme nous l'avons vu, le code civil donne à l'haïtienne une situation inférieure dans la famille vis-à-vis de son mari et de ses enfants, toutefois ces lois ne correspondent pas à un état de fait et ne tiennent pas compte des conditions sociales. a) Unions Matrimoniales. Nous avons signalé que le « placage » union plus ou moins permanente d'un homme et d'une femme, sans sanction légale ou religieuse est le mode d'union le plus fréquent parmi le peuple des villes et des campagnes. Le mariage civil et religieux est pratiqué .presqu'exclusivement par la bourgeoisie et la classe moyenne. Les statistiques ont révélé qu'il y a plus de femmes que d'hommes. D'après le dernier recensement sur une population totale de 3.100.000 habitants, il y avait environ 1.500.000 hommes et 1.600.000 femmes. Parmi ce nombre, il y avait 252.491 individus mariés, soit 124.557 hommes pour 127.934 femmes et 2.022.790 célibataires : 1.016.321 hommes et 1.006.469 femmes 278. En attendant que la publication des résultats du dernier recensement ne nous permettent d'avoir des renseignements plus détaillés pour l'ensemble du pays, nous nous baserons sur ceux du Département du Nord-Ouest, qui ont été publiés récemment 279. Ce département avait en 1950 une population totale de 168.279 habitants : 82.609 278 279

Chiffres fournis par l'Institut de Statistiques, 27 Mars 1953. Bulletin Trimestriel .... No. 6 Sept. 1952 pp, 275.

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hommes et 85.670 femmes dont 8% seulement habitaient les zones urbaines : 13.568 habitants dont 5.654 hommes et 7.910 femmes. La population rurale s'élevait à peu près à 92% soit 154.715 dont 76.955 hommes et 77.760 femmes. Nous constatons que la différence entre le nombre d'individus des deux sexes n'est pas très importante mais qu'elle se rencontre aussi bien dans la population urbaine que rurale. En examinant la condition matrimoniale des deux sexes, il [126] ressort que sur un total de 168.279 individus des deux sexes, il y avait 113.900 célibataires, 11.758 mariés, 40.163 placés, 1.844 veufs, 20 divorcés, 361 séparés et 233 dont la condition matrimoniale était inconnue. Un examen de la condition matrimoniale de la population du sexe féminin nous révèle que sur un total de 85.670 femmes, 49.311 étaient âgées de plus de 15 ans, ce nombre comprenait 20.123 célibataires, 5.931 mariées, 21.467 placées, 14.10 veuves, 12 divorcées, 269 séparées et 106 dont la condition matrimoniale était inconnue. De plus, parmi les fillettes âgées de moins de 16 ans, 4 étaient mariées et 16 placées. Plus de 43.5% de l'effectif de la population âgée de 15 ans et plus vivait dans le concubinage alors que 12% seulement à contracté mariage. En outre, 40% vivait dans le célibat. Même à Port-au-Prince la question est importante. La paroisse du Sacré-Cœur, qui est celle où il y a le plus de mariages étant la paroisse de l'aristocratie de la capitale, a eu à enregistrer en 1939, 55% d'enfants légitimes sur 510 enfants baptisés, il faut noter toutefois que certaines campagnes environnantes dépendent de la paroisse. La proportion est naturellement encore plus grande dans les classes pauvres. Dans une enquête de l'Institut Haïtien de Statistiques sur les conditions de vie de la population d'un quartier pauvre de la Capitale (La Saline, Trou Cochon) sur 1987 individus des deux sexes : 976 hommes et 1011 femmes, il y avait 354 hommes célibataires et 360 femmes, 46 hommes mariés et 41 femmes 1 veuf et 14 veuves, 564 hommes placés et 587 femmes. On n'a rencontré aucune personne divorcée ou séparée. Plus de la moitié de l'effectif de la population de ce quartier âgé de 15 ans et plus, vit dans le concubinage alors que moins de 5% a contracté mariage. En outre, plus du quart se trouve dans le célibat et on compte plus d'hommes mariés que placés par rapport aux femmes. Cette dernière, constatation peut être justifiée, disent les enquêteurs, par la coutume qu'un homme cohabite

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parfois avec plus d'une femme 280. La proportion de placage n’est pas plus élevée dans certaines communautés rurales : sur les 884 familles étudiées par M. Dartigue un [127] peu plus de 25% prétendaient vivre dans les liens du mariage. Dr. Simpson estime le pourcentage des unions légitimes à 17% ; dans la région de Plaisance 281. D'autre part, d'après les statistiques de l'Enseignement Rural 21.61% des parents de 1.453 élèves des fermes-écoles situées dans les centres ruraux et 30% des parents de 333 élèves des écoles de bourgs sont mariés 282. Il y a de grandes variations locales. À Poteau, communauté rurale, sur 275 familles, 17 seulement étaient mariées, sur 300 enfants 25 seulement étaient légitimes, ce qui donne un peu moins de 8%. De même dans la Colonie Agricole du Grand Bassin sur 299 colons adultes inscrits il n'y en avait que 22 engagés par les liens du mariage, ce qui fait à peu près 7% 283. D'après une enquête faite par le Département de l’Agriculture sur les conditions de vie de 372 familles de la région de la Vallée de l’Artibonite 62,6% ou presque les deux tiers des chefs de ménage visités vivent dans la « placage » approximativement et 18% sont mariés. On observe une très faible proportion de célibataires et de veufs 284. À Hinche, par contre nous avons constaté au cours d'une enquête que sur 1.150 baptêmes, il y avait 690 enfants naturels pour 460 légitimes. Le pourcentage est même plus élevé pour la population du bourg proprement dit, car un grand nombre d'enfants naturels des campagnes environnantes sont baptisés en ville. Dans mon enquête parmi 230 femmes des bourgs et communautés rurales il y a 123 personnes mariées, ce chiffre est particulièrement élevé et ne représente pas les conditions habituelles existant dans les campagnes 285. Les femmes interrogées constituent l'élite des communautés rurales, car les institutrices se sont adressées à leurs amies qui sont ordinairement plus évoluées que la majorité. Dans les bourgs au 280 281 282 283 284 285

Ibid., p. 19. Dartigue, op. cit. p. 1. Rapport de la Section des Statistiques 1939-1940. Archives Services National de la Production Agricole et de l'Enseignement rural. Sylvain, Pierre G. (Le Problème Matrimonial dans les campagnes) Voix des Femmes » No. 39 Mai 1939 p. 5. Bulletin Trimestriel, op.cit. No. 7 Décembre 1952 p. 15. Appendice I. Table 12.

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contraire, les femmes interrogées appartiennent en général, [128] à la classe populaire, car c'est parmi ce groupe que se recrute la clientèle des écoles rurales, des villages. D'après les statistiques de vitalité, il y a eu en moyenne de 1933 à 1938, quatre-vingt pour cent d'enfants naturels 286. Nous croyons qu’actuellement ces chiffres sont toujours valides. Les raisons du concubinage sont d'ordre économique et social. Les raisons les plus importantes sont : 1) La tradition. La polygamie était généralement acceptée en Afrique, cette coutume s'est maintenue durant la période coloniale car les Français n'encourageaient pas leurs esclaves à se marier et elle subsiste jusqu'à présent à cause du manque de prêtres et de l'insuffisance des voies de communication. 2) Les obligations qui découlent du mariage. Tant qu'un homme n'est pas marié il peut reconnaitre tous ses enfants et partager ses faveurs comme il veut entre ses concubines. S'il se marie sa femme légitime acquiert de plus grands droits qui excitent la jalousie des autres rivales, la situation des enfants adultérins est difficile à régler. 3) le morcellement des terres, les paysans héritent parfois de parcelles très éloignées l'une de l'autre qu'il est beaucoup plus facile de surveiller si on y installe une femme qui cultive le jardin avec ses enfants. 4) les frais pour la célébration du mariage : achat d'alliance, de vêtements spéciaux, paiement des cérémonies religieuses et civiles, frais de réception, 5) le rang social des gens mariés ; dans les communautés rurales si on se marie on doit avoir un mobilier convenable et des conditions de vie beaucoup plus élevées. Le mariage est ordinairement célébré à l'église et il est enregistré et légalisé par le prêtre. Il n'y a pas de mariage purement civil parmi les gens du peuple. Le « placage » se transforme souvent au bout d'un certain temps en mariage, sauf quand l'union est stérile. Les jeunes filles qui ne sont ni mariées, ni placées, sont candidates au mariage jusqu'à quarante ou cinquante ans ; elles vivent ordinairement avec d'autres membres de leur famille et aident à l'éducation de leurs petits parents ou filleuls.

286

Fontus, C. Indices de Vitalité et de Santé, p. 6.

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[129] « À Marbial, dit Mme Comhaire Sylvain, jeunes gens et jeunes filles ne se marient généralement pas avant vingt ans ils ne se « placent » pas non plus avant cet âge. D'après les registres paroissiaux catholiques, il y a eu en 1948 soixante six mariages, la moitié à peu près régularisant probablement d'anciens « placages. » Dans le cas de quarante-huit d'entre eux, la mariée avait moins de quarante ans, et dans dix-huit, elle avait entre quarante et soixante-dix ans. L'âge moyen des épousées a été de trente-six ans et celui des épouseurs, de trente-neuf ans. L'homme est, la plupart du temps, plus âgé que la femme, dans quarante-six cas, la différence variait de un à vingt ans, mais il y a de nombreuses exceptions. On trouvait cinq couples du même âge et quinze dans lesquels la femme était plus âgée que son mari de un à vingt-cinq ans 287.

Nous n'avons aucune statistique nous permettant d'évaluer l'étendue de la polygamie. Herskovits prétend que les unions sont monogamiques en majorité dans la région de Mirebalais, mes observations personnelles me portent à croire, qu'en général, les unions polygamiques sont en majorité dans les campagnes. Ces questions sont délicates à traiter, car les femmes ne consentent pas toujours à avouer le fait à une étrangère. J'ai fait une enquête partielle sur la question parmi quarante-trois femmes rurales, seulement douze prétendaient être la seule épouse, quinze avaient une co-épouse, douze en avaient deux et une plusieurs. Cette étude est trop restreinte pour servir de base à des conclusions définitives sur la question qui mérite une étude approfondie. Il faut tenir compte des différences régionales. Dans certaines communautés l'Eglise a eu plus de succès dans sa campagne pour le mariage et les unions monogamiques. Les sectes protestantes ont obtenu de très bons résultats à cet égard. Récemment quelques prêtres catholiques ont célébré des mariages en masse dans certains endroits. Le gouvernement essaie aussi d'encourager les unions légitimes et les écoles rurales mènent une campagne dans ce sens. Toutefois, [130] en général, le paysan aisé se contente rarement 287

Métraux A., L’Homme... op. cit. p. 138.

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d’une seule femme. Certains potentats de village en ont parfois jusqu'à une douzaine. En dépit des lois les mœurs sont réglées ici par la coutume qui accepte volontiers les unions polygamiques. La situation est un peu différente dans les bourgs et dans les villes, là l'idéal monogamique prévaut au moins parmi la bourgeoisie : les mariages sont beaucoup plus nombreux et la religion catholique a imposée ses règles de conduite. Toutefois la monogamie n'est souvent qu'apparente. La coutume accorde à l'homme une plus grande liberté qu'à la femme au point de vue sexuel. Même marié, il a souvent une ou deux maitresses et au moins des aventures passagères. Beaucoup de femmes ignorent ou feignent d'ignorer ces relations extra-maritales pour ne pas troubler la paix du ménage. Plusieurs néanmoins font éclater leur jalousie dans de violentes scènes de ménage, refusent de nourrir leur mari ou insultent publiquement leur rivale et finalement ont recours à la séparation et au divorce. Le plus souvent toutefois les choses ne vont pas aussi loin et la femme ne prend pas au sérieux les aventures de son époux tant qu'il lui donne suffisamment d'argent pour sa famille. Là encore, il serait dangereux de généraliser, car il n'y a pas de règle fixe en la matière. Mais en général, il est admis qu'une femme ne peut compter sur la fidélité absolue de son mari. À la campagne, une grande jalousie existe souvent entre les femmes du même mari. Chacune habite avec ses enfants, dans une chaumière séparée, ces maisons sont ordinairement situées dans des cours différentes pour éviter les querelles continuelles. Toutefois, les épouses ont plusieurs occasions de se rencontrer : au marché, dans les danses, dans les veillées, ou chez des amis. Certaines ont recours à la magie et aux maléfices pour se débarrasser de leurs rivales. Dans d'autres cas, elles vivent en bonne harmonie avec les autres femmes et acceptent que leur mari ait une ou plusieurs concubines. À Port-au-Prince, il y a en général une vingtaine de divorces par trimestre 288. Il est à remarquer que le divorce [131] est beaucoup plus répandu à la capitale qu'en province, nous avons vu qu'il n'y avait que vingt divorcés dans tout le département du Nord-Ouest par contre trois cent soixante et une personnes étaient réparées de leur conjoint 289. 288

289

En 1952 on a enregistré vingt-six divorces durant le premier trimestre et vingt-trois durant le deuxième. Bulletin Trimestriel de statistiques, No. 6. Op. cit., p. 117. Ibid. p. 179.

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Seuls les membres de la bourgeoisie des villes ont recours au divorce, qui coûte au moins mille gourdes. Ces frais étant trop élevés pour la majorité de la population et nécessitent trop de complications légales, quand la vie commune est impossible, on se sépare sans aucune procédure légale. L'homme abandonne le toit conjugal ou la femme va vivre avec sa famille. Si elle ne se remarie pas, le mari retourne généralement la trouver après quelque temps même s'il a une autre concubine. Le plus souvent la femme ne quitte son mari que si elle a trouvé un autre époux. Les unions conjugales sont instables, en particulier le placage que la diffusion du mariage tend à affaiblir. Il n'est pas rare qu'une femme contracte deux ou trois unions. Dans mon enquête il y avait seulement 118 femmes sur 230 qui prétendaient n'avoir eu qu'une seule union. Pourtant, la fidélité de la femme est sanctionnée par les mœurs pendant le placage aussi bien qu'au cours du mariage. Pour les hommes « la polygamie et la capacité économique des femmes facilitent la mobilité de leur établissement. 290 » Parmi les parents de 1510 élèves de fermes écoles étudiés, 739 vivaient ensemble et 714 vivaient séparément et dans les bourgs sur 353 parents 140 vivaient ensemble et 133 vivaient séparément… Il semble que le mariage n'empêche pas la séparation, mais la rende moins fréquente. Ainsi dans les centres ruraux, 29% des parents mariés et 4% des parents non mariés et dans les bourgs trente-sept pour cent des parents vivaient séparément et soixante-six pour cent des parents non mariés. La famille est souvent divisée. Il y a parfois dans une même maison des enfants du père et de la mère avec des conjoints différents et bien qu'en général tout le monde vive en bonne harmonie, il peut arriver, que le concubin ou la concubine qui accueille les enfants de l'autre ne leur prodigue [132] par la même affection qu'à ses enfants véritables. La même enquête révèle que quarante pour cent des petits paysans vivaient avec leur père et mère, vingt-trois pour cent avec leur mère, dix-huit pour cent avec leur père et quinze pour cent avec d'autres parents. Dans les bourgs trente-six pour cent pétaient avec leur père et mère, vingt-deux ; pour cent avec leur mère, douze pour cent avec leur père et vingt-neuf pour cent avec d'autres parents.

290

Sylvain, Jeanne, « L'Enfance... » op. cit. p. 104.

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Il en est de même dans les classes pauvres des villes. D'après l'enquête de Mme Comhaire sur mille deux cent six enfants interrogés dans mille trente-huit cas, la charge morale de l'enfant revenait à une personne de la famille spirituelle ou naturelle, sur ce nombre il y avait deux cent quarante-sept cas ou vingt-quatre pour cent où il ne s'agissait ni du père ni de la mère, les enfants étant adoptés par des personnes de la famille ayant plus d'argent ou plus de loisirs, quatrevingt-huit enfants vivaient avec des étrangers, parfois il s'agissait d'enfants habitant d'autres régions du pays, venant pour leur éducation à la capitale. Dans sept cent quatre-vingt-trois cas ou soixante-quatre pour cent, c'étaient des femmes qui étaient responsables des filles, dans cent cinquante-trois cas des hommes et dans cent cas des parents des deux sexes 291. b) relations familiales. Quel que soit le mode d'union, la famille est l'unité sociale par excellence de la nation haïtienne. Dans les villes comme dans les communautés rurales, la vie de famille est universellement répandue. On ne rencontre point ou presque point d'individus vivant seuls, même les célibataires vivent avec leurs parents. Autrefois à la campagne, comme en Afrique, le groupement type était la famille étendue, comprenant tous les individus vivants, issus d'un ancêtre commun et placés sous l'autorité matérielle et morale du chef de famille ; il s'est désagrégé en raison du morcellement des terres et de la fragilité des [133] liens du mariage, pourtant il subsiste en partie dans beaucoup d'endroits. Les parents habitent ordinairement à proximité l'un – de l'autre leur maison étant construite sur des terrains provenant d'un héritage commun. Certaines femmes interrogées au cours de notre enquête évaluent à plus de cent le nombre des membres de leur famille, d'autres prétendent qu'elles ne peuvent pas le calculer. Le plus âgé du groupe, homme ou femme, a hérité des pouvoirs du chef de clan et exerce avec les autres vieillards une autorité prépondérante sur la vie sociale 291

Comhaire Sylvain, Suzanne. « Ce que…», op. cit., pp. 6-9.

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et économique de la famille. On les respecte beaucoup et on les consulte pour toutes les affaires, par exemple en cas de mariage, de vente de terre, pour l'observance des rites ancestraux. Une femme peut être chef de famille, mais cela n'arrive pas souvent, toutefois nous avons personnellement rencontré le cas à la Nouvelle Tourraine ; une vieille femme était le chef incontesté de tout un village qui comprenait plusieurs centaines de personnes, presque toutes ses descendants. Elle était âgée de plus de 80 ans, mais elle dirigeait le groupe et cultivait elle-même son jardin. En ce moment, les liens familiaux tendent à se relâcher, particulièrement dans les villes où la famille n'exerce presqu'aucune influence sur ses membres. Dans les communautés rurales jusqu'à présent, la famille façonne l'individu, lui impose une grande partie de ses idées, de ses habitudes et son idéal. Elle exerce aussi sur lui une contrainte sociale très forte ; il est très difficile de désobéir aux traditions et aux coutumes du groupe, sous ce rapport la famille étendue est parfois plus importante que la famille biologique, Quand un groupe consanguin nombreux est étroitement uni sous l'autorité d'un chef, l'observance des traditions est plus stricte. La famille restreinte comprenant les individus réunis ; dans la même habitation se compose ordinairement de huit personnes, le père, la mère, les enfants, d'autres parents (aïeuls, oncle, tante, etc.) et des serviteurs. Dans mon enquête, parmi 230 femmes des bourgs et districts ruraux, j'ai trouvé une moyenne de 4.75 enfants par [134] famille 292. Près de la moitié des familles étudiées par Dartigue avaient de trois à six enfants, il n'y avait que onze familles sans enfant et trente avaient plus de dix enfants 293. Dans les villes, les familles sont aussi nombreuses, d'après une enquête de Madame Comhaire-Sylvain, parmi 1.206 élèves des écoles nationales de Port-au-Prince, la maisonnée moyenne était de 8,8 membres, soit environ 5 enfants, 3 adultes et un serviteur. Les enfants, d'après elle, ne sont pas tous forcément frères et sœurs et de plus, les serviteurs sont souvent des enfants. En général, les enfants sont accueillis avec plaisir par les parents et bien traités. Même si l'homme a plusieurs concubines, il est légale292 293

Appendice I. Tableau 13. Dartigue, op. cit., p. 2 et 3.

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ment considéré comme célibataire et a le droit de reconnaître tous ses enfants. Dans le peuple, dit Mlle Sylvain, la venue d'un enfant est accueillie avec joie et une nombreuse progéniture est un sujet d'orgueil qui augmente le prestige de la famille. Un père est fier d'avoir beaucoup d'enfants, quelque soit le nombre de femmes qui leur ont donné naissance. Une femme stérile est souvent abandonnée par son mari. Avoir des enfants, c'est se procurer des bras pour le travail des champs, et dans une économie où règne l'insécurité, c'est assurer le calme de ses vieux jours et un enterrement convenable. Pour la femme, c'est en plus, trouver de l'aide dans la maison, acquérir des droits à un soutien permanent et parfois à un héritage ou à un mariage. Aussi n'y a-t-il guère d'enfants sans père dans la région. L'homme que la future mère désigne, reçoit la paternité sans protestation. Quand il le peut, il paie les frais de l'accouchement, même s'il n'est ni marié, ni placé. Il est rare que les patents d'une fille qui se trouve enceinte en dehors d'une union régulière, fassent un esclandre. On essaie parfois d'arranger les choses, mais si l'homme déplait, la venue de l'enfant n'est pas considérée comme une raison suffisante en elle-même pour aboutir à un mariage. La fille ne sera pas chassée non plus, bien qu'on puisse lui faire grise mine pendant quelque temps, et elle accouchera [135] chez ses parents 294. Les enfants reconnus ont un droit égal à l'héritage de leurs parents et même dans les unions polygamiques, il y a un partage plus ou moins équitable entre les enfants des différentes femmes. La chose se complique si le père est marié et que la mère soie l'une de ses concubines, l'enfant est considéré comme adultérin et ne peut être reconnu. Son sort est précaire. Mais les mœurs sanctionnant la polygamie, poussent un père à prendre soin de ses enfants adultérins, alors même que la loi ne l'y contraint pas. Il a le choix entre différentes manières de pourvoir à son existence. Il peut donner une terre à leur mère, dont ils hériteront tôt ou tard. Il a aussi la possibilité de leur céder un bien par le moyen d'une vente fictive faite en leur nom. Enfin, il peut demander à sa femme légitime de reconnaitre comme sien l'enfant de sa concubine. Les officiers de l'État civil, habitués aux irrégularités et aux négligences des paysans, ne se montrent pas surpris 294

Sylvain, Jeanne G., « L'Enfance paysanne en Haïti » Haïti, Poètes Noires, Présence Africaine, Ed. du Seuil 12, Paris 1951 p. 93.

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qu'un couple vienne déclarer un enfant plusieurs années après sa naissance. Quant aux témoins bénévoles, ils ne manquent pas 295. Jusqu'à ces dernières années, les membres de la bourgeoisie désiraient aussi avoir une nombreuse progéniture et les familles de sept à dix enfants étaient fréquentes dans cette classe, car de meilleures conditions hygiéniques permettaient de diminuer la mortalité infantile. Toutefois, depuis l'occupation américaine, un changement commença à se produire et plusieurs jeunes ménages souhaitent maintenant limiter le nombre de leurs enfants, d'après leur situation économique. Néanmoins, les mesures de contrôle de naissance sont encore à peu près inconnues et constituent l'exception, les traditions religieuses et sociales étant fortement contre de tels procédés. Ordinairement, la mère citadine comme la paysanne exerce la puissance paternelle conjointement avec son époux ; c'est elle qui est entièrement chargée de l'éducation de ses filles, qu'elle initie au fur et à mesure aux coutumes du groupe. [136] Les parents ont une autorité absolue toutes les fois qu'il y a à trancher une question d'importance capitale, qui engagera l'avenir de l'enfant. Il faut noter pourtant que cette tradition autoritaire tend à s'affaiblir et ne subsiste dans son intégrité que dans quelques familles. On cède aux influences modernes qui laissent plus d'indépendance aux jeunes gens. Toutefois, l'homme reste incontestablement le chef de la famille et son autorité est très grande dans le ménage, surtout quand il est seul à subvenir aux dépenses. Dans le peuple des villes et des campagnes, le prestige masculin se manifeste de différentes façons. A l'heure des repas, alors que la mère s'affaire à la cuisine et que la tribu des enfants se disperse dans les coins, le père, confortablement assis à la table, reste seul à manger lentement les bons morceaux qui lui reviennent de droit 296. Il est considéré tout naturel que l'homme batte sa femme ou sa concubine, toutefois, la chose n'est pas toujours acceptée passivement et cela donne parfois lieu à de violentes disputes de ménage. J'ai eu l'occasion de défendre une jeune paysanne qui, voulant se défendre contre la brutalité de son conjoint, lui avait lancé un tison à 295 296

Métraux, Alfred, « L'Homme », op. cit. p. 17. Métraux, Alfred « L'Homme », op. cit., p. 103.

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la tête, qui le tua par accident. Elle fut acquittée par le tribunal, mais n'osa retourner au village affronter la réprobation de la famille du défunt. En général toutefois, la jurisprudence ne considère pas comme un délit le fait par un mari de battre sa femme. Celle-ci, soumise en apparence, désire pourtant un meilleur sort. Au cours de la campagne féministe, l'argument décisif qui gagna l'adhésion des femmes du peuple à la cause fût « que le règne du bâton était terminé », que si la femme obtenait les droits qu'elle réclamait, elle serait légalement protégée contre les violences de l'homme et qu'elle pourrait l'obliger à reconnaître et à entretenir ses enfants. Ce dernier argument a plus d'importance en ville qu'à la campagne, car les paysans reconnaissent ordinairement leurs enfants naturels et c'est seulement par négligence que certains tardent à le faire. [137] En ce qui concerne la question des biens, habituellement durant le mariage, le mari n'exerce pas les pouvoirs que lui confère le législateur. La femme de la bourgeoisie ou de la classe moyenne dirige le foyer sans contrôle excessif du mari, elle fait tes dépenses du ménage et à part quelques exceptions son conjoint la consulte avant de faire des transactions importantes. A la dissolution du mariage, l'application du régime de communauté n'est pas tellement désavantageuse pour elle, car dans les classes aisées, les seules d'ailleurs dans lesquelles il y ait une fortune à partager, le mari, par son travail, est souvent le seul ou le principal artisan de la fortune commune, qui doit être partagée également entre les deux époux. Nous reviendrons ultérieurement sur cette question avec plus de détail en étudiant le cycle de vie de la femme de la bourgeoisie. La femme, quand elle travaille, contribue ordinairement aux dépenses de la famille et se charge souvent des frais du ménage si c'est nécessaire. La loi l'oblige à participer aux dépenses pour le tiers, de ses revenus, mais le mari ne consent à jouir des rentes de son épouse que, forcé par la nécessité, car il considère qu'il doit seul subvenir aux frais du ménage. Cette coutume toutefois se transforme rapidement avec l'augmentation du nombre des femmes de la bourgeoisie qui exercent un métier ou une profession. La citadine du peuple ou de la classe moyenne travaille ordinairement autant que l'homme. Dans les familles régulières, le père et la

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mère contribuent chacun aux besoins du ménage selon leurs revenus, qui suffisent à peine à couvrir les besoins de chaque jour. En cas de placage, les deux conjoints gardent leur indépendance économique, mais bien souvent, une fois le caprice de l'homme passé, la femme » a seule la charge une nombreuse famille, car le père ne se soucie pas de l'entretien de ses enfants. D'autre fois, il, appartient à la bourgeoisie et n'habite pas avec sa concubine ; il donne de temps en temps quelque chose pour l'enfant, mais la plus lourde charge revient à la mère et aux parents de la famille maternelle. Celle-ci, qui ne touche le plus souvent qu'un infime salaire, comme domestique, couturière ouvrière [138] ou marchande, ne peut subvenir seule aux frais d'une famille, elle est donc obligée en quelque sorte de chercher un nouveau compagnon qui l’aidera à payer un modique loyer. Cette femme, mère avant tout, malgré sa vie de labeur, de privations, n'abandonne jamais ses enfants ; au contraire, elle se sacrifie pour eux et fait tout son possible pour leur procurer les bienfaits de l'instruction. Après une rude journée de travail, c'est elle qui s'occupe encore de préparer la nourriture de sa famille et de veiller au bien-être de tous. Dans une enquête, parmi les élèves des écoles nationales de Portau-Prince, Mme Comhaire-Sylvain, en recherchant le sexe des soutiens de famille, a constaté que dans 33.33% des 900 cas, c'étaient des hommes, dans 33% des femmes et dans 33.75% des personnes des deux sexes qui entretenaient la famille. D'après elle, « les premiers chiffres correspondent souvent à deux, trois ou même quelquefois quatre femmes par famille, peut-être à cause de l'infériorité des salaires féminins. 297 » Dans l'enquête du quartier de la Saline, Trou Cochon, dans 796 ménages, plus du quart des chefs étaient des femmes 298. À la campagne, la famille est la cellule économique de la communauté rurale. Tous les membres sont partenaires dans une entreprise commune, chacun a sa tâche à remplir. La femme a l'entière responsabilité des besognes ménagères et elle participe aussi aux activités agricoles, entretien du jardin, élevage. Le mari fait le gros travail du jardin. Les enfants font l'apprentissage social et professionnel, ils aident 297 298

Comhaire-Sylvain, Suzanne, « Ce que font…» Voix des Femmes, Vol. 5, No. 51, p. 6. Bulletin Trimestriel, No. 6 p. 28.

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très tôt leurs parents et s'initient à leurs travaux. La femme travaille autant que l'homme et durant l'union elle a la libre disposition du produit de son labeur. Après la récolte des produits du jardin, elle met de côté ce qui est nécessaire pour la famille et va vendre le surplus au marché. Plus économe que le mari, c'est elle qui décide ordinairement de l'emploi fait de l'argent ainsi gagné. Dans [139] notre enquête, parmi les femmes se livrant au commerce, une seule a répondu explicitement qu'elle ne disposait pas du produit des ventes et neuf autres n'ont pas répondu à la question ; à part cela, toutes prétendaient disposer du bénéfice 299. Le mari s'occupe de la vente du bétail et des produits d'exportation, mais il n'effectuera aucune transaction importante sans consulter sa femme. Celle-ci règle les dépenses journalières, quand elle fait le commerce ou si elle possède quelques sources de revenus, elle utilise une partie de son argent pour acheter la nourriture de la famille, l'homme contribue aussi aux dépenses du ménage. Le surplus est mis de côté pour l'achat d'animaux et de terrain. La paysanne occupe ainsi une place importante dans le foyer rural. Toutefois quand la vie conjugale est interrompue par la mort ou la séparation, la loi ne donne à la concubine aucun droit sur les biens acquis pendant l’union ou la terre qu'elle a fécondée de son labeur. Plusieurs paysans aisés, sentant l'injustice d'une telle situation, achètent une terre au nom de leur maitresse ou lui font une donation sous forme de vente fictive et la femme hérite du lopin de terre sur lequel sa maison est bâtie et qu'elle et ses enfants ont aidé à cultiver. Souvent l'homme, pour montrer son autorité et garder sa concubine sous sa dépendance, ne fait connaitre sa volonté que dans un testament. L'autorité du chef de famille est telle qu'à sa mort, les parents respectent sa volonté et n'osent pas dépouiller la femme ou les enfants du legs qui leur a été fait. La concubine qui n'a pas reçu de terre, si elle a des enfants, jouit de leur part d'héritage, si elle n'en a pas, elle ne possède rien et est à la merci des héritiers. La coutume lui accorde la jouissance de la maison construite pour elle et du jardin y attenant, mais à cause de la misère générale, ce privilège lui est de plus en plus contesté 300. 299 300

Appendice I, Tableau 21. Métraux, A., op. cit.

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Le père et la mère assurent les funérailles de leurs enfants et les enfants adultes celles de leurs parents. La responsabilité des funérailles incombe au conjoint survivant si le défunt est [140] marié ou placé. Quand les parents ne sont plus et en l'absence de conjoint survivant cette responsabilité retombe sur les enfants adultes et les frères et sœurs. À la mort de l'un des conjoints, le survivant entre en possession de droit de la moitié qui lui revient dans la communauté, l'autre moitié devient la propriété des enfants et s'ils sont mineurs, le conjoint survivant gère l'héritage. Le partage effectif de tous les biens ne se fait habituellement qu'à la mort des deux parents.

4. — Modifications du Code Civil proposées par la Ligue Féminine d'Action Sociale. Retour à la table des matières

Nous avons constaté que la coutume particulièrement pour la bourgeoisie ne correspond pas à la situation inférieure faite à la femme par le code civil dans la famille. Dans toutes les classes, même quand l'autorité du chef de famille est absolue, l'exercice de la puissance paternelle appartient de fait aux deux conjoints, il est donc étonnant que jusqu'à présent aucun changement n'ait été apporté aux lois régissant le statut civil de la femme mariée qui entravant la liberté de celles qui travaillent au dehors et ne correspondent pas au principe d'égalité des sexes, reconnu dans la Constitution. Celle-ci d'ailleurs ouvre la voie à une réforme du statut civil de la femme, car le dernier alinéa de l'article 4 stipule que « la loi règle les conditions auxquelles la femme sera transitoirement soumise sous le rapport familial et matrimonial ; l'accès restant ouvert à toute réforme jugée utile pour réaliser un régime d'égalité absolue entre les sexes 301. Une commission composée uniquement d'hommes avait été chargée de la préparation d'un projet de révision du Code Civil en vue de le rendre conforme aux exigences du monde moderne. Se basant sur 301

Constitution d'Haïti, op. cit. art. 4.

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l'article 4 de la Constitution, la Ligue féminine d'action sociale a présenté à cette commission le projet de révision qu'elle a déjà soumis plusieurs fois aux différents gouvernements qui se sont succédés depuis 1939. Jusqu'à présent, le gouvernement n’a pas encore présenté [141] de projet de révision des codes, bien que le travail de la commission soit terminé depuis longtemps. Le projet essaie d'organiser le droit féminin dans le milieu familial, c'est pourquoi il ne s'est pas contenté de penser aux biens et aux régimes matrimoniaux, mais avant tout aux rapports des époux entre eux et à leurs rapports avec leurs enfants. Il a concentré son attention sur la situation de la femme mariée qui a été envisagée sous trois aspects : 1) dans ses rapports avec son mari, 2) dans ses rapports avec ses enfants, 3) et en ce qui concerne son patrimoine ou son régime matrimonial. Voici les grandes lignes de la réforme proposée : Rapports des époux entre eux : a) Le devoir d'obéissance pour la femme a été supprimé, toutefois le mari a été conservé comme « chef de famille » tant qu'il remplit ses obligations envers les siens. Il conserve le droit de fixer la résidence de la famille, mais la femme a un droit de recours au tribunal contre la fixation abusive de ce domicile. b) L'égalité de traitement entre les deux époux au point de vue de la fidélité conjugale a été établie dans le domaine pénal comme en droit civil. c) L'incapacité civile de la femme mariée a été supprimée, elle conserve sa pleine et entière liberté d'agir sans l'autorisation de son mari. d) Les époux doivent participer tous deux aux dépenses du ménage et une sanction légale a été attachée à l'accomplissement de ce devoir. e) Le conjoint, survivant hérite de la totalité de la succession, s'il n'y a pas de descendants ou d'ascendants directs. S'il y en a, il a un droit d'usufruit variant suivant la qualité des héritiers,

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[142] Rapport des parents avec leurs enfants. La solidarité nécessaire du père et de la mère dans la famille a été reconnue en mettant l'enfant sous l'autorité conjointe de ses parents durant le mariage et en substituant la correction familiale à la correction paternelle. La déchéance de la puissance paternelle peut être déclarée contre les parents indignes. À la mort du père, la mère devient tutrice de plein droit de ses enfants mineurs et elle conserve cette tutelle en cas de remariage. Les femmes en général, mariées ou non, peuvent être nommées tutrices. La recherche de la paternité est permise dans des conditions très précises ne pouvant autoriser aucune action préalable en dehors d'une grande probabilité, d'abord établie sur des faits vérifiables et la décision finale devant être due à une certitude aussi complète que possible. Le texte laisse au mariage sa supériorité morale et sociale mais protège la femme contre la séduction et l'abandon notoire.

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Patrimoine de la femme et régimes matrimoniaux a) Adoption de la communauté réduite aux acquêts, comme régime légal et de droit commun, ce régime représentant le principe d'association qui doit exister entre époux durant le mariage 302. Les époux conservent la propriété des biens, meubles et immeubles leur appartenant avant le mariage, la communauté se composant des acquêts, meubles et immeubles et des revenus des biens propres ou acquis. Le principe de la liberté des conventions matrimoniales est maintenu, les époux [143] conservent le droit de fixer par contrat leurs conventions matrimoniales. b) Le mari administre la communauté, mais la participation de la femme devient nécessaire pour tous les actes importants. La femme administre seule ses biens propres. c) Dans tous les cas et quel que soit son régime matrimonial la femme a la libre disposition de son salaire, de ses autres gains et des économies qu'elle a réalisées durant le mariage, toutefois elle doit contribuer aux charges du ménage.

302

Personnellement je suis pour l'adoption du régime de la séparation de biens avec participation aux acquêts qui répond mieux au principe d'égalité des sexes.

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Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Deuxième partie : La femme dans la famille, la société et l’économie haïtienne

Chapitre II RÔLE DE LA FEMME DANS LES DIFFÉRENTES CLASSES DE LA SOCIÉTÉ 1) RÔLE CIVIQUE ET SOCIAL

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Comme nous l'avons vu, la Constitution de 1950 confère la femme les droits politiques qu'elle a exercé pour la première fois pour les élections municipales en Janvier 1955. Elle lui donne aussi le droit d'être nommée à toutes les fonctions publiques, mais jusqu'à présent, il n'y a qu'un petit nombre de femmes qui occupent des postes de responsabilité dans l'administration publique. Deux femmes ont été élues Magistrat Communal des villages de Cabaret et Mont-Organisé ; six autres ont été élues assesseurs des Communes de Pétion-Ville, Jérémie, Gonaïves, St. Marc, Grand-Gosier et Anse-à-Foleur. Au Département des Relations Extérieures, le Chef de la Division Administrative est une femme Melle Louise Villard qui dirige ce service avec compétence. Depuis un an, le gouvernement a aussi nommé plusieurs femmes à des postes diplomatiques comme attaché ou secré-

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taire d'ambassade. Mme Fortunat Guéry, ancienne inspectrice des écoles, a représenté Haïti durant plusieurs années comme Déléguées à la Commission du Statut de la Femme des Nations-Unies et à la Commission Interaméricaine de Femmes de l'Union Panaméricaine. Au Département du Travail, deux femmes sont Chefs de Section et le Service de la Femme et de l’Enfant est entièrement administré par des femmes. Ce service contrôle les conditions de travail de la femme et de l'enfant d'une manière [145] générale. Il veille à ce que les enfants en service fréquentant l'école, ne soient pas astreints à des travaux qui excèdent leur capacité physique et reçoivent un traitement juste et humain. Il protège les gens en service contre les injustices dont ils pourraient être victimes et assure l'exécution de toutes les dispositions de lois protectrices de la femme qui travaille, les inspectrices attachées à ce service visitent régulièrement les ateliers et entreprises employant la main-d’œuvre féminine » Elles collaborent avec les syndicats féminins mixtes. Les lois suivantes ont été préparées par ce service en collaboration avec le Service Juridique : loi du 1er Septembre 1947 sur l'apprentissage, loi du 5 Septembre 1947 sur le permis d'emploi aux mineurs et loi du 12 Septembre 1947 sur les enfants en service. Une femme dirige aussi le Service Social attaché à l'Office de l'administration des Cités Ouvrières, créé en Septembre 1951. Ce service a pour but d'éduquer les ouvriers qui bénéficient de logements sains et confortables, construits par le Gouvernement, afin de leur permettre de les entretenir convenablement. Les employés du Service Social visitent les familles, leur donnent des conseils sur la tenue des maisons, les aident à résoudre les petits problèmes de ménage, les détournent de la superstition et des plaisirs malsains et les orientent vers l'école, les centres hospitaliers et les loisirs organisés. Ils essaient en un mot, d'améliorer par tous les moyens possibles les conditions de vie des habitants des Cités Ouvrières 303. L'Ouvroir National dépend du Département de l'Économie Nationale, créé en 1948, il a toujours été dirigé par des femmes. Il a une grande salle de vente, où sont exposée pour être vendus les articles confectionnés par les femmes dans les ateliers de l'Etat ou à domicile, 303

Voici le Département du Travail, (Bulletin de propagande, Port-au-Prince, Imp. H. Deschamps, 1953).

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Au Département de l'Education Nationale, il y a plusieurs Inspectrices, mais bien que la carrière de l'enseignement soit [146] exercée en majorité par les femmes, dont plusieurs sont très compétentes, elles n'y occupent aucun poste de commande. Une femme est sous-directrice de la Banque Nationale d'Haïti, au Cap-Haitien. Quatre femmes viennent d'être promues adjudantes dans l'Armée d'Haïti, elles travaillent depuis dix ans comme infirmières à l'Hôpital Militaire, au titre de sergents. Elles portent l'uniforme bleu ainsi que les insignes correspondant à leur .grade, elles ont droit au salut militaire. Trois femmes ont occupé des postes techniques importants à l'ONU et une quinzaine sont employées dans les Services administratifs, la plupart comme secrétaire bilingues. Seule, une petite minorité de femmes s'intéresse de façon constante aux problèmes de politique nationale et internationale. Celles-là même avant de pouvoir exercer le droit de vote, ont souvent participé effectivement aux événements politiques. La .tradition qui portait les dirigeants du passé à avoir des concubines dans les principales villes, afin d'avoir des renseignements sur la vie politique, n'est pas tout-à-fait morte et en ce moment, il y a un certain nombre d'espionnes attachées au Département de l'Intérieur. Les paysannes des deux sexes ne s'intéressent à la politique qu'aux périodes d'élection, qui ne sont trop souvent synonymes que de bamboche et de ripaille pour l'homme. Quelques femmes du peuple et de la classe moyenne jouent un rôle très actif en période électorale. Les grosses marchandes et les revendeuses qui ont de marché en marché sont utilisées par les candidats comme « chef de bouquement » agent de propagande. Les sociétés de travail, étant des groupements organisés, sont aussi utilisés et naturellement leurs dignitaires féminins jouent un rôle de premier plan. Alfred Metraux décrit le rôle des dignitaires, féminins des sociétés, tel qu'il l'a observé à Marbial.

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« Quelques grades de société sont attribués à des femmes qui toutes sont affublées du titre de « reine » suivi d'une épithète : « bayonnette », « drapeaux », corbeille », dirigeuse », etc. Leurs fonctions échappent encore plus que celles des hommes à une définition précise, Les « reines, » sont le plus [147] souvent en évidence à l'occasion des fêtes ou des danses, mais elles sont aussi fort actives lors des grandes corvées organisées pour la cueillette du café. La « reine principale » ou « reine bayonnette » est le pendant féminin du président, Elle doit, comme lui, offrir une ou plusieurs danses en échange desquelles la société lui accorde des journées de travail. La « reine drapeau » porte une bannière chaque fois que la société défile en formation militaire à la fin d'une journée de travail ou avant une dance. On la voit encore flanquée du « guide drapeau » armé d'un bâton, escorter cérémonieusement tout hôte de marque ou grand dignitaire de la société, lorsqu'on le conduit saluer les tambours qui battent « aux champs. » Cette reine, tout comme sa compagne, la « reine-dirigeuse » aide le gouverneur et ses associés à partager la nourriture et à la distribuer à l'issue d'une grande corvée ou pendant une fête. » « La reine-drapeau » est moralement tenue de faire l e s frais d'une danse ou si elle n’en a pas les moyens, de fournir à titre de contribution, quelques litres de clairin ou des victuailles. La société la récompense de sa générosité en lui accordant une journée de travail. »

La « reine-corbeille » est appelée ainsi, parce que c'est elle qui passe le panier dans lequel les membres de la société déposent leurs contributions pour organiser une danse ou pour acheter de nouvelles membranes pour les tambours. Cette « reine » est en outre responsable de la somme recueillie et partant, la trésorière de l'association. » La société La Flè Komas a une « reine-consul qui tout comme son collègue masculin, a le droit d'accorder asile à un membre coupable d'une infraction à la discipline et aussi d'intercéder pour obtenir un adoucissement de sa peine304. En plus de son rôle économique, la société a un rôle social important, non seulement dans les communautés rurales, mais aussi dans les faubourgs des villes. 304

Métaux, Alfred, « L'Homme....... op. cit., pp. 55 et 56.

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Les sociétés ont toujours un orchestre et elles ont ordinairement un lieu de réunion : local ou tonnelle avec piste de [148] danse, où l'on organise régulièrement des bais ou autres réunions mondaines ou politiques. Aux périodes électorales, les candidats viennent y exposer leur programme et parler au peuple. Ces réunions ont un cérémonial pompeux : les dignitaires sont escortés à leur entrée et à leur sortie et ils sont salués par la musique. Après la réunion, l'hôte d'honneur ouvre le bal avec la reine. Au cours de la campagne féministe, ce sont les sociétés qui, réunies par la Garde d'Haïti, ont permis à la Ligne Féminine d'Action Sociale d’entrer en contact avec les femmes du peuple des villes de Cap-Haitien, de Gonaïves et de St-Marc. Les dirigeantes de la Ligue Féminine d'Action Sociale ont exposé leur programme et leurs revendications devant les membres des deux sexes des différentes sociétés, après des discussions parfois très vives, l'adhésion des sociétés a été obtenue et les reines ont été les présidentes choisies par leurs compagnes pour diriger les Comités de Quartier pour les Droits des femmes. Elles ont une grande autorité et sont traitées avec respect par les hommes comme par les femmes. Elles ont assuré la participation des femmes du peuple de la ville des Gonaïves en défilant avec leurs drapeaux lors de la manifestation féministe du 4 Novembre 1950 pour réclamer l'égalité des droits pour les deux sexes dans la nouvelle Constitution. Traditionnellement la politique est l'apanage d'un petit groupe d'hommes et en général, l'activité civique de la femme se limite à la participation aux œuvres sociales. Depuis la fermeture des partis politiques, qui avaient des sections féminines, la Ligue Féminine d'Action Sociale est le seul groupement féminin à s'intéresser à l'évolution générale du pays et à la participation des femmes à la politique. Cette association, fondée en 1934, est dirigée par un comité composé de treize membres élus pour deux ans, présidé depuis le mois de Mars 1956 par Mlle Lydia Jeanty. La Ligue travaille à l'amélioration de la condition de la femme en Haïti sous tous ses différents aspects, [149] Son action s'étend à tout le pays et à toutes les classes sociales, elle s'est affiliée en 1952 à l’al-

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liance Internationale des Femmes pour unir ses efforts à ceux des femmes du monde entier qui luttent pour la même cause. Elle a son siège à Port-au-Prince où elle maintient à l'Avenue Marie-Jeanne une permanence qui est ouverte tous les jours. Nous avons déjà parlé de l'action de la Ligue en faveur de l'amélioration des conditions de la femme et du suffrage. Pour le moment, elle concentre ses efforts sur la préparation civique de la femme. À cette fin, elle a recommencé à publier son organe « Voix des Femmes » et organise chaque semaine des séances d'études et de discussions. Elle vient aussi de fonder une caisse coopérative populaire. Elle a sept filiales : à Port-de-Paix, à St. Marc, aux Cayes, à Pétionville, à Léogâne, aux Gonaives et au Cap-Haitien, fonctionnant avec les mêmes statuts que le Comité Central avec lequel elles collaborent étroitement. Ces filiales gardent néanmoins toute leur indépendance en ce qui a trait à leur programme d'action immédiate, s'appliquant à satisfaire d'abord les besoins locaux. L'Association a de plus des représentantes dans les autres villes importantes. L'action éducative de la Ligue s'exerce par les cours du soir pour les ouvrières dans quelques centres populeux. Tout en combattant l'analphabétisme, on y inculque les premières notions d'hygiène, de puériculture, de civisme et de morale ; des cours pratiques ménagers sont ajoutés aux programmes des écoles dès que les disponibilités budgétaires le permettent ; des séances de cinéma éducatif y sont faites de temps en temps. L'action de ces cours est élargie par des associations d'ouvrières ayant un but récréatif et social et la création de coopératives. Tous les deux ans, un Congrès réunit les membres de l'Association ainsi que les représentantes des filiales, on y fait le bilan de l'œuvre accomplie, on y discute le programme futur et les questions sociales importantes pour le progrès du pays. Comme on a pu le constater dans la première partie de notre ouvrage, la Ligue a joué un rôle important pour l’évolution de la femme haïtienne. Si elle ne peut pas se vanter [150] de conquêtes éclatantes, elle creuse son sillon petit à petit, son influence se fait sentir dans bien des domaines, et bien qu'elle ne soit pas l’unique cause de certaines améliorations sociales, elle en est certainement l'un des facteurs. Depuis 1948, les organisations syndicales ont été créé en Haïti et la femme participe à leurs activités. Certains syndicats, où la main-

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d’œuvre féminine domine, sont exclusivement ou en majorité composés de femmes, tels que par exemple : le syndicat des ouvrières de tabac, le syndicat des ouvrières des chaussures Bâta, le syndical des ouvrières de la petite industrie, le syndicat des blanchisseuses et le syndicat des Ouvrières des Usines Brandt. Ces organisations s'occupent surtout de défendre les intérêts économiques de leurs membres, elles n'ont jusqu'à présent aucune influence politique et leur action sociale est restreinte. Il en est de même de l'Association des Infirmières Haïtiennes et de l'Union des Instituteurs, qui sont des groupements uniquement professionnels. Il existe aussi quelques coopératives de production et de consommation, dont les membres appartiennent le plus souvent aux deux sexes. La Ligue de Protection de l'Enfance, fondée en Août 1939 est dirigée par un comité mixte présidée par Mme Jacqueline Wiener. L'Association s'occupe de la protection de l'enfance et particulièrement du dépistage des enfants maltraités et abandonnés. Elle lutte pour la construction d'un Foyer pour les enfants sans abri. Elle a réussi à faire adopter quelques lois pour la protection de l'enfance. Plusieurs groupements s'occupent particulièrement de la formation de la jeunesse. Parmi eux, il convient de citer : L'Association Nationale des Guides d'Haïti, dirigée par Madame René Durocher, chef-guide. Ce groupement poursuit les mêmes buts qu'ailleurs, il a été introduit en Haïti en 1935 par Madame Madeleine Sylvain Bouchereau, a été développé et organisé effectivement par Mmes René Durocher et Paul Cassagonl, Melles Valentine Charlier et Jeanne Durocher. De nombreuses sections « ménies » ont été ouvertes dans [151] les principales villes du pays. Des camps et congrès nationaux sont organisés chaque année. Les guides envoient aussi régulièrement des représentantes aux Congrès internationaux. L'association est affiliée au groupement international des Guides. L'église catholique dirige d'importantes associations nationales de jeunes : la Jeunesse étudiante Catholique (JIC) la Jeunesse Ouvrière Catholique (JOC), qui ont des groupements féminins dans les principales villes du pays

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L'Association des Noelistes et des Amies de la Maison (Noelistes mariées) ont été fondées en 1926 et ont pour but la formation chrétienne de la jeunesse féminine. Elles s'occupent aussi d'œuvres d'assistance et d'éducation du peu » pie dans leurs patronages et leurs écoles. Melle Madeleine Gardiner est en ce moment présidente des Noelistes et Mme Madeleine Paillère préside les Amies de la Maison. Comme nous l’avons déjà mentionné, c'est surtout dans le domaine de l'Assistance Sociale que la femme exerce une influence considérable. Il y a toute une floraison d'œuvres sociales dirigées par les femmes. La plus importante par ses activités multiples et son budget est la FONDATION MADAME PAUL E. MAGLOIRE, fondée en Décembre 1950 par Madame Yolette Magloire, épouse du Président de la République. De sa création à ce jour, la Fondation a ouvert les institutions suivantes : a) six cantines dans différentes villes du pays, qui distribuent chaque jour 1.500 repas à des enfants et à des adultes indigènes; b) une garderie enfantine à la Saline recevant chaque jour 75 enfants pauvres de 2 à 5 ans, dont les mères travaillent hors du foyer; c) un foyer école au Canapé Vert pour 275 élèves qui bénéficient aussi d'une cantine et de cours professionnels; [152] d) un restaurant populaire donnant des repas aux ouvriers à très bon marché. De plus, avec le concours du Département de l'Économie Nationale, des ouvroirs ont été installés dans les villes suivantes : Cap-Haitien, Jacmel, Port-de-Paix et Môle St. Nicolas. Ces ouvroirs procurent du travail aux jeunes chômeuses de ces localités. La Fondation a de plus fait des distributions de vêtements et

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de jouets et des dons en argent à des œuvres d'assistance privée et à des particuliers. 305 L'Association des Dames de St. François de Sales, fondée à Portau-Prince en 1869, est la plus ancienne des œuvres d'assistance féminine. En 1881, elle réussit, malgré de grandes difficultés, à doter le pays d'un hospice qui, détruit par les révolutions, fût reconstruit grâce au concours de généreux donateurs, c'est l'Hospice actuel où journellement affluent des centaines de malades. En 1932, l'Association fonda un ouvroir et quatre cantines qui ont dû être fermés, faute de fonds. Actuellement, elle continue à s'occuper de l'hospice et de ses nombreux protégés, ses distributions mensuelles de linge peuvent être évaluées à 600 gourdes. L'Association fonctionne sous le haut patronage de l'Archevêque de Port-au-Prince et est dirigée par un Comité de Dames, présidé par Mme Pierre Hudicourt. L'Association mixte de l'Œuvre Chrétienne fondée en 1905 comprend une section féminine qui s'est toujours occupée d'action sociale, elle a pour Présidente Mme Corine Audain Jardines. Son influence s'exerce par des cours du soir et un groupement de guides. Les Pupilles de Saint Antoine, œuvre de jeunes filles, fondée en Juillet 1926, entretient une école pourvue d'une cantine, d'un atelier et d’un dispensaire. Ce groupement s'occupe surtout de la protection de l'enfance ; ses membres se recrutent parmi les jeunes filles de la bourgeoisie, pour la plupart entre 18 et 25 ans, avec un certain nombre de [153] membres plus âgées, servant de Conseillères. Elle est administré par un Comité de 10 membres, présidé |par Mlle Jeanne Morel. Mme Phocion Sanon dirige depuis la fondation l'école et le foyer. Les membres réunissent les fonds en vue de l'entretien de leur œuvre en donnant des bals, des conférences et des fêtes ; elles s'occupent aussi personnellement de surveiller le fonctionnement de l'école et de la cantine et dirigent elles-mêmes un dispensaire et un patronage. Elles ont pu réunir les fonds leur permettant de construire un foyer-école et un dispensaire pour leurs protégés. L'Œuvre a été reconnue d'utilité publique et bénéficie d'une subvention du Gouvernement. 305

Rapport des activités de la Fondation Mme. Paul E. Magloire, Janvier 1952 — Janvier 1953.

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Les Pupilles de Sainte Thérèse et les Abeilles sont des groupements aux buts analogues composés de jeunes filles de la classe moyenne. Ces deux associations ont été fondées et sont dirigées par des jeunes filles, mais sont placées sous le haut patronage du clergé catholique. Elles diffèrent des œuvres paroissiales, parce que ce sont les laïques qui ont toute l'initiative et la responsabilité, tandis que les œuvres paroissiales sont dirigées par les prêtres. Ces dernières sont de différentes sortes : les unes ont des buts nettement religieux, telles les nombreuses Confréries d'Enfants de Marie et autres, attachées à chaque paroisse et ayant une nombreuse clientèle, se recrutant dans toutes les classes. D'autres ont des buts d'assistance et d'entraide sociale. Parmi les plus importantes, il convient de citer : les Associations des « Dames de Saint François de Sales » et des Noelistes, dont nous avons déjà parlé et les groupements suivants : L'œuvre du « Patronage de la Sainte Famille », fondée en 1930 par un groupe de dames de la classe moyenne, dirigé un patronage et une école pour laquelle elles ont construit un local dans un quartier pauvre. Cette œuvre est présidée par Mme Phocion Sanon. L'Association des « Thérésiennes » de Pétionville, fondée par Sœur Etienne, religieuse paralysée des deux jambes, est dirigée par un Comité de jeunes filles. L'œuvre dont le but est avant tout le progrès spirituel de ses membres, a ouvert deux écoles et un ouvroir et prête [154] aussi son assistance à l’École Apostolique réunissant des fonds pour la formation de futurs prêtres. Un certain nombre d'associations sont aussi dirigées par des Comités de Dames relevant des églises protestantes, telles que ; l'Action Chrétienne Westléyenne, fondée par l'Eglise protestante du même nom et la Société Dorcas, établie par l'Eglise Adventiste. L'École St. Vincent, fondée en 1947 pour la rééducation des Enfants handicapés (aveugles, sourds, muets) par Sœur Joan Margaret, était à l'origine subventionnée uniquement par l'Eglise Épiscopale. Les résultats obtenus par cette école, qui comblait une lacune, ont été tellement satisfaisants qu'elle est en ce moment soutenue par une Association Mixte, non confessionnelle pour la réhabilitation des infirmes.

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Plusieurs associations laïques s'occupent aussi d'assistance sociale. Parmi elles, il convient de mentionner : l'œuvre des Enfants Assistés, fondée par Melle Résia Vincent, sœur de l'ancien Président, en 1935. Elle est gérée par un Conseil d'Administration et entretient un orphelinat de deux cents petites filles, dirigé par des religieuses Salésiennes. Cette œuvre de bienfaisance donne une formation professionnelle à ses protégées, elle a de plus un patronage fréquenté par plusieurs centaines de jeunes filles du quartier, une école du soir pour les femmes du peuple et une autre pendant la journée pour les enfants pauvres du quartier. L'œuvre de la « Goutte de Lait » fondée en 1949, dans le but de donner du lait aux enfants sous-alimentés de la région de la Saline est dirigé par un Comité présidé par Madame Attié. Le Comité de Bienfaisance de l'Hôpital, fondé en 1942 par un groupe de dames haïtiennes et étrangères, s'occupe de venir en aide aux malades des établissements hospitaliers. L'Association des Roses, fondée en 1942 par Madame Fénelon Boivert, dirige une école pour les adultes. L'Association des Disciples de Claire Heureuse, fondée en Juin 1952, s'occupe principalement d'assistance sociale et de la protection de l'enfance. Elle a un bureau de placement, une cantine, un dispensaire et des distributions de vêtements [155] et de lait. Elle est dirigée par un Comité, présidé par Madame Célie Diaquoi-Deslandes. L'Aide à l'Enfance Sous-Alimentée, fondée en Janvier 1953, a pour but d'améliorer la diète des enfants pauvres en ouvrant des cantines dans les quartiers ouvriers où des repas balancés sont distribués. Elle est dirigée par un Comité, présidé par Madame Maria Franckel. Quelques œuvres sont dues à l'initiative personnelle de femmes d'élite, telles que par exemple : l'Orphelinat de l'Enfant-Jésus. En 1947, Mme Cyrille Walker, émue de la détresse d'une crèche fondée par une mission étrangère, transporta l'œuvre dans sa maison privée. Grâce à son dévouement, l'œuvre agrandie est en ce moment un foyer où une cinquantaine de petits orphelins sont élevés jusqu'à ce qu'ils puissent subvenir à leurs besoins. Mme Walker, qui consacre sa vie et sa fortune à cette œuvre, s'occupe elle-même de réunir les fonds sup-

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plémentaires par des fêtes et des souscriptions. L'Orphelinat reçoit aussi une subvention du gouvernement. Melle Solange Bordes, Mme Peralta et Melle Doris Burk dirigent aussi plusieurs années des œuvres privées de secours à l'enfance, où elles logent et entretiennent un nombre limité d'enfants abandonnés ou sans ressource. Il convient aussi de citer quelques associations mixtes. La Croix Rouge, qui poursuit les mêmes buts qu'ailleurs, vient d'être réorganisée en Juin 1953 et elle est actuellement dirigée par un Comité Central de trente membres, dont neuf femmes. Madame Cyrille Walker est Vice-Présidente. L'œuvre des Colonies de Vacances, fondée en 1930 par le Dr. Rodolphe Charmant avec le concours d'un groupe de dames, envoie chaque année les enfants débiles des villes respirer l'air pur des montagnes. Depuis 1930, l'œuvre a sa « Maison Claire » dans les hauteurs de Pétionville. Il existe de plus de nombreux groupements littéraires ou confessionnels, des « amicales de collège », s'occupant aussi d'entraide sociale. En général, ces associations recrutent aussi membres parmi la classe bourgeoise. Les plus importantes sont : L'Association des Anciennes Élèves de Sainte Rose de Lima, qui subventionne l'Orphelinat de la Madeleine, fondé [156] en 1893, dirigé par des religieuses et l'Association des Anciennes Élèves d'Elie Dubois, qui subventionne un ouvroir. Nous n'avons mentionné que les associations féminines ou mixtes les plus importantes et les plus connues, existant à Port-au-Prince. Pourtant l'action sociale des femmes habitant les villes de province a obtenu parfois des résultats plus notoires qu'à la capitale. En ce moment, il existe de nombreuses associations, dont nous ne pouvons pas parler, faute de renseignements précis. Il convient de signaler toutefois que le Cercle Printania du Cap. fondé en Ï926, est une des associations féminines les plus importantes du pays qui, en plus de ses autres activités, exerce une action sociale importante. Aux Cayes, l'œuvre de « La charité s'il vous plait » fondée en 1935 par Mme Lionel Birmingham, entretient un Asile pour les indigents. La Ligue Féminine d'Action Sociale, l'Association Nationale des Guides, les groupements de Jeunesse Catholique, ont des sections dans les villes importantes.

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En général, il n'existe pas d'association féminine dans les bourgs et les communautés rurales, quand il y a une organisation, elle est le plus souvent mixte, avec parfois une section féminine, et les activités sont le plus souvent communes.

2) RÔLE ÉCONOMIQUE. Retour à la table des matières

La femme de la bourgeoisie à Port-au-Prince ne travaille pas au dehors et ordinairement se consacre aux soins du ménage et à l'éducation de ses enfants. Toutefois, les professionnelles, les commerçantes et les employées de bureau continuent à travailler quand les revenus du mari ne suffisent pas à entretenir la famille. La femme contribue aux dépenses du ménage par des travaux à domicile : couture, pâtisserie, commerce ou en cherchant sa subsistance au dehors. La femme a replis la place importante qu'elle occupait autrefois dans le commerce, La loi du 16 Octobre 1936 réservant le commerce de détail aux haïtiens d'origine, plusieurs maris étrangers se sont vus obligés de passer leur maison de commerce sous le nom de leur femme. Cette loi a été abrogée, mais la femme a continué à s'occuper de commerce. Il y a plusieurs magasins très florissants dirigés entièrement [157] par les femmes. Elles commencent même à se lancer dans le commerce avec l'extérieur. Mesdames Arnil St. Rome et Léon St. Rémy dirigent de grandes maisons d'exportation. Un grand nombre de femmes du peuple ont un commerce qu'elles dirigent seules dans une petite boutique, au marché ou qu'elles promènent dans les rues. Dans une enquête de l'Institut Haïtien de Statistique sur les conditions de vie des habitants du quartier de la Saline, plus de 50% de femmes qui travaillaient se livraient à des activités commerciales. 306 L'industrie proprement dite n'a guère tentée l'haïtienne, toutefois il convient de noter l'œuvre accomplie par Madame Gauthier Ménos qui, après la mort de son mari, dirigea seule pendant plusieurs années sa briqueterie. Eh ce moment, un certain nombre de femmes sont propriétaires et directrices d'atelier fabriquant des articles de la petite in306

Bulletin Trimestriel, No 6, Septembre 1952 p,30.

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dustrie artisanale. Quelques-unes dirigent aussi des hôtels et des pensions de famille florissants et bien aménagés. Madame Jean Desquiron dirige le plus important établissement d'élevage de volaille de la République. En général, en province, la femme de la bourgeoisie a un magasin qu'elle dirige seule ou en collaboration avec son mari. Elle fait le commerce de détail et achète les denrées d'exportation produites par les paysans. Bon nombre de jeunes filles, après avoir achevé leurs études secondaires ou primaires supérieures, suivent les cours des écoles de commerce, des écoles normales et des facultés et après avoir obtenu leur diplôme, exercent leur profession ou travaillent dans les bureaux et dans les magasins comme employées. La femme en général, est cantonnée aux emplois subalternes, il n'y a pas ou peu d'avancement pour elle, tandis que son camarade masculin, doué d'un peu d'intelligence, peut gravir sans peine les échelons de l'administration, son activité est en général limitée aux tâches de second ordre. Certaines jeunes filles, appartenant en général à la petite bourgeoisie, sont infirmières, Celles qui sont dévouées et bien entraînées, gagnent largement leur vie : leur salaire est [158] de deux cents à quatre cents gourdes par mois, mais le métier est dur. Les professions libérales sont rarement exercées par les femmes. Il y a 50 pharmaciennes diplômées, mais il n'y a que trois pharmacies dirigées par des femmes ; plusieurs pharmaciennes sont employées comme chef ou aide de laboratoire, elles touchent un salaire de 225 à 500 gourdes. Il y a une opticienne qui a étudié à l'étranger, cinq dentistes, une trentaine d'avocates qui n'exercent pas leur profession et seize médecins qui toutes pratiquent la médecine, l'une dirige actuellement l'une des cliniques privées les plus achalandées, quatre sont employées dans les hôpitaux publics. En Haïti, le professorat et la couture sont les deux professions qui comptent le plus grand nombre d'adeptes parmi les femmes de la classe moyenne et de la bourgeoisie. Nous avons en ce moment 1.030 institutrices employées dans les écoles urbaines et 357 dans les écoles rurales.

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Le nombre des instituteurs est respectivement de 896 et 559. 307 Les institutrices employées dans les écoles publiques urbaines ou rurales touchent un salaire de 200 à 400 gourdes. De plus, il y a un grand nombre d'institutrices employées dans les écoles privées. Quelques-unes diplômées de l'École Normale Supérieure enseignent dans les lycées. Il est très difficile de chercher à évaluer le nombre de femmes qui tirent leur subsistance de l'aiguille. Les couturières se trouvent dans toutes les classes, presque toutes les femmes, ayant reçu une éducation même rudimentaire, savent coudre plus ou moins 308, aussi l'entreprise n'est-elle pas florissante. D'après l'enquête de Mme Comhaire-Sylvain, faite, comme nous l'avons déjà dit, parmi les 1.206 fillettes des écoles nationales de Portau-Prince », dans presque toutes les familles, 84%, il y a au moins une autre personne que l'enfant à savoir coudre. Notons que dans le quart des familles il y a non pas une, mais trois ou quatre personnes à coudre ; mauvaise affaire pour les couturières, pensez-vous ? Il faut [159] croire que non, car nous trouvons qu'on donne à coudre au dehors dans 62% des familles et qu'on achète du linge confectionné dans 17%. Quête sont donc les travaux de couture auxquels on se livre à la maison ? D'abord le raccommodage, puis souvent la lingerie, (linge de corps, de table, dé maison), les robes ; de tous les jours des enfants et des femmes, quelquefois le linge et les costumes des garçons, et plus rarement le linge des hommes. Bien entendu, on fait de temps en temps une petite broderie de couleur et quelquefois une dentelle au crochet. » « Quelles confections achète-t-on ? Souvent des draps brodés, des napperons, du linge de corps de luxe, surtout de petites culottes, « pantalettes » qu'on trouve parfois à très bon marché, vu le peu de tissu qu'elles nécessitent, des robes, faites soi-disant sur un modèle étranger, des chapeaux, du linge d'homme. « Que donne-t-on à faire ? Des robes et encore des robes. S'il y a quelques fillettes à n'avoir que deux ou trois robes, il y en a beaucoup plus, même dans le milieu populaire, à en posséder une douzaine, deux douzaines ou davantage. Même chez les couturières de profession, on 307 308

Bulletin Trimestriel de Statistiques, No. 5, Juin 1952, p. 198. L'Enseignement de la couture est obligatoire dans les écoles de filles.

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donne quelquefois à coudre des robes au dehors, soit parce que le temps manque, soit parce que l'enfant désire certains modèles plus chics pour les jours de fête, soit au contraire, parce que la maman trouve plus économique de faire exécuter ses robes de tous les jours et celles de la fillette par une autre couturière, dont les tarifs sont moins élevés. » 309

Les revenus des couturières sont variables. Les directrices des grandes maisons de couture peuvent gagner de cinq à mille gourdes par mois. Elles emploient de petites ouvrières à la journée, recrutées dans un milieu modeste qui travaillent pour le salaire minimum de cinq gourdes par jour, souvent moins. Certaines de ces ouvrières travaillent aussi chez elles, elles brodent merveilleusement pour un salaire de misère. Les conditions de vie des ouvrières se sont beaucoup améliorées depuis les dernières années, à cause de la [160] nouvelle législation sur le travail dans les ateliers, elles ont un salaire moyen de 27 gourdes par semaine. 310 Pour donner Une idée des conditions antérieures nous reproduisons ci-après le témoignage d'un ouvrière employée dans une chemiserie en 1940 : « Les petites mains qui montent les boutons et font les boutonnières touchent vingt centimes de gourde par jour, plus la nourriture à midi (vingt centimes environ comme valeur). Celles qui préfèrent aller manger chez elles sont libres de midi à une heure. Il n'y a pas de compensation pour remplacer la nourriture. La journée de travail est d'environ sept heures et demie ; de sept heures du matin à quatre heures du soir, avec un intervalle de midi à une heure. En été, on arrive à sept heures au lieu de sept heures et demie. Les ouvrières à la machine « pédaleuses », gagnent trois gourdes par semaine plus la nourriture à midi. Dans les périodes de presse, on peut avoir des heures supplémentaires jusqu'à huit heures ou dix heures, avec paiement sur les mêmes bases. Il y a une majoration de prix pour celles qui travaillent vite, une petite main, spécialiste en boutonnières, peut arriver à toucher autant qu'une pédaleuse qui fait des boutonnières à la machine, si elle va aussi vite. Il parait que le fait s'est déjà produit. Une pédaleuse peut arriver à toucher cinq gourdes par semaine. Les ouvrières sont de 309 310

Comhaire-Sylvain, Suzanne. Ce que font… notes manuscrites reproduites avec la permission de l’auteur Les statistiques sur les salaires proviennent de la Publication du departement du Travail, revue du Travail, Mai 1952, p.79 et suivantes.

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plus obligées d'acheter chez le patron des étoffés et de la lingerie, qu'elles payent au fur et à mesure sur leur salaire. Elles n'ont pas le droit d'emporter les retailles trop petites pour être utilisées. Celles-ci sont vendues au marché cinquante centimes le gros panier pour bourrer les oreillers. Les ouvrières à domicile sont payées à la tâche, Le prix courant est de deux gourdes la douzaine de chemises, mais certaines maisons trouvent des ouvrières à une gourde la douzaine. » En ce moment, le salaire minimum journalier est passé de 1 gourde 50 en 1942, à cinq gourdes en 1951. Toutefois, certains patrons s'arrangent à payer moins à leurs ouvrières en les employant à la tâche. Le Conseil Supérieur des Salaires [161] créé en 1951 a fixé les salaires minima pour certaines catégories d'entreprises. Il convient de noter que le coût de la vie a aussi beaucoup augmenté. Comme nous l'avons dit plus haut depuis la dernière guerre, il y a de nombreux ateliers de vannerie et de tissage dont sept ou huit emploient plusieurs centaines d'ouvrières ayant un salaire moyen d'environ vingt-deux gourdes par semaine si elles sont employées au mois. 311 Certains commerçants achètent tout simplement les articles fabriqués par les ouvrières qui travaillent à domicile seules ou avec des aides. Les ouvrières sont payées à la tâche pour tresser la pite. Beaucoup d'ateliers permettent aux ouvrières habiles d'emporter la pite chez elles pour la fabrication des tresses. Le salaire mensuel moyen de 1.249 employés de la petite industrie locale, couverts par l'Institut d'Assurances Sociales était de G. 67.55 pour la période du 1er Septembre 1952 au 1er Mars 1953, tandis que le salaire moyen des employés des autres entreprises variait de Gourdes 117.70 à 393.75. 312 La tresse de cocotier en raison de son bas prix est confectionnée surtout à la campagne. Cependant, on l'emploie en ville pour la fabrication des chapeaux et des sacs, quoique sur une bien moindre échelle que pour la pite. Les femmes sont aussi employées dans les usines de préparation du café, du tabac et à la filature. D'après l'enquête du Département du Travail à Port-au-Prince en 1951, 683 ouvrières étaient employées 311 312

Département du Travail, Revue du Travail, 12 Mai 1952, p. 69. Renseignements fourni par l'Institut Haïtien de Statistiques, Mars 1953.

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dans l'industrie du café et touchaient un salaire moyen de 20 G. par semaine. 144 ouvrières touchaient seulement 9 à 10 gourdes. Les ouvrières de la filature touchaient un salaire moyen de G. 37.40. Les débutantes touchaient 21 gourdes par semaine. Les ouvrières des manufactures de tabac ont aussi un salaire moyen de 35 à 40 gourdes par semaine. La législation du travail ne réglemente pas le salaire des domestiques, à l'exception de celles qui travaillent dans les hôtels ou les restaurants » Les blanchisseuses employées dans [162] les blanchisseries gagnent de 15 à 17 gourdes par semaine. Les domestiques : femmes de chambre, cuisinières, blanchisseuses, travaillant chez des particuliers, gagnent un salaire de vingt à quatre-vingts gourdes par mois, elles sont de plus logées et nourries, si elles le désirent... Généralement, le logement fourni est inadéquat et consiste en une chambre mal meublée. La majorité des domestiques sont du sexe féminin. D'après le recensement dans le Département du Nord-Ouest, il y avait en 1950 238 femmes domestiques pour 52 hommes. 313 Le salaire minimum des employées de magasin, qui a été fixé par le Département du Travail, varie suivant le genre de commerce et le type d'établissement entre 115 et 225 gourde. Elles travaillent ordinairement de huit heures à midi et de deux à cinq et elles ont parfois des heures supplémentaires le samedi et pendant la période des fêtes de fin d'année. D'après une enquête menée en 1951 par le Département du Travail auprès de 10.000 ouvriers de 1.165 entreprises de la capitale, 63,37% étaient du sexe masculin et 36,12% du sexe féminin. Le pourcentage de travailleurs masculins est plus élevé, car cette enquête ne comprenait pas les travailleurs de la HASCO et du WHARF qui sont tous du sexe masculin. Le pourcentage réel est probablement le même que celui de l'enquête de 1950 - 68,32% du sexe masculin et 31,68 % du sexe féminin. La main d'œuvre féminine prédomine seulement dans l'industrie du café 78%, et dans les manufactures de tabac et de toile 73%. Par contre, elle est très raréfiée dans les autres branches d'activités et même pratiquement nulle dans certaines industries comme celle du 313

Bulletin Trimestriel, No. 6 p. 188. Les résultats détaillés du recensement n'ont pas encore été publiés pour les autres départements.

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meuble (0,9%), celle du transport (5%) et dans les ateliers divers (3%). 314 Comme tous les paysans un peu partout dans le monde, la paysanne haïtienne a peu de loisirs, pourtant sa vie semble être plus rude et plus laborieuse que dans la plupart des pays. Robuste, levée dès l'aube, elle vaque à sa besogne [163] journalière. Herskovits nous la dépeint pilant le maïs dans son mortier, travaillant au jardin et entre temps s'occupant des bébés. 315 Dans notre enquête, nous avons constaté que la presque totalité des femmes de bourgs et des districts ruraux ont l'entière responsabilité des besognes ménagères ; elles se font toutefois aider par leurs filles qui, au fur et à mesure, assument plus de responsabilités. Les femmes font la cuisine, le ménage, la lessive, elles raccommodent les vêtements usagés, elles cousent en partie le linge de la famille, à l'exception des vêtements d'hommes que seulement 13% d'entre elles confectionnent, elles transportent aussi l'eau et le bois, la plupart du temps sur leur tête. Leurs occupations ne se limitent pas aux travaux domestiques, elles participent aussi aux activités lucratives. La majorité des femmes interrogées, 183 sur 230, se livraient à l'agriculture et à l'élevage des animaux domestiques, même les fillettes à l'école participaient à ces travaux, 197 sur 367. 316 Ceci est en contradiction avec ce qu'Herskovits a constaté dans la région de Mirebalais, où il prétend que la femme ne travaille guère au jardin. 317 C'est peut-être une coutume locale, mais mes observations personnelles confirment les résultats de l'enquête, et j'ai pu constater que les femmes travaillent au jardin dans presque toutes les régions du pays. Le fait a été aussi constaté à Marbial. En général, c'est l'homme qui prépare le terrain et parfois établit la plantation, mais le sarclage et l'entretien journalier des champs revient à la femme. La récolte est ordinairement faite par toute la famille, eu, si le champ est étendu, le travail est fait en commun par une « coumbite », ou une société comme autrefois en Afrique. 318 314 315 316 317 318

Département du Travail. Revue du travail. Port-au-Prince, Mai 1982, p. 51 Herskovits, op. cit. pp. 68-69. Voir Appendice 1, table No. 24, p. 18 a. Herskovits, op. cit. pp. 67 et 85. Voir Appendice I, table No. 24.

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Dans certaines régions, particulièrement dans le Sud, les femmes participent aux « coumbites » et travaillent autant que les hommes ; dans d'autres, elles sont uniquement chargées de la préparation de la nourriture pour ces occasions. [164] La paysanne est ordinairement chargée de la vente des produits au marché et dans les villages, la femme fait-le petit commerce de détail. 319 Dans notre enquête sur 597 femmes et fillettes, 439 se livraient au commerce. 320 Un nombre considérable de paysans des deux sexes se livrent à des occupations secondaires qui leur permettent d'accroitre leurs revenus. Dans l'enquête de Marbial, sur 147 familles 37 seulement travaillaient la terre sans autre occupation. 321 Un petit nombre de femmes augmentent aussi les revenus de la famille par la couture. Il y avait seulement 51 femmes sur 230 dans notre enquête qui cousaient pour de l’argent. 322 Dans l'enquête de Marbial, près de la moitié des femmes de la région se disaient couturières, de façon à pouvoir gagner à l'occasion quelqu'argent durant la récolte. Plusieurs d'entre elles étaient très habiles et confectionnaient des vêtements d'hommes et de femmes. Elles avaient fait leur apprentissage chez des couturières de la région ou en ville à Jacmel ou à Port-au-Prince. 323 Le nombre relativement élevé de machines à coudre qui se trouvent même dans les districts les plus reculés, prouve que la femme désire augmenter son habileté dans cet art. Dans notre enquête, parmi les femmes et fillettes des bourgs et districts ruraux, toutes les familles, à l'exception de deux, possédaient des fers à repasser et 190 ou 31% possédaient des machines à coudre. Il est même étonnant de constater que la machine à deux fils rencontre plus d'adeptes dans les bourgs et les campagnes que la machine à un fil, malgré la différence de prix. Cent une femmes possédaient une machine à deux fils, soixante-dix-huit, une machine à un fil et onze, 319 320 321 322 323

Herskovits, op cit., pp. 82, 89. Appendice I, table No. 24. Ibid. p. 127. Appendice I, Table No. 24, p.18 a. Métraux, A. « L'Homme… » op. cit. p.76.

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une machine à pied. 324 À Port-au-Prince, les deux tiers des 1.200 familles de l'enquête de Mme Comhaire possédaient une machine à coudre. Il est à remarquer que le plus souvent, ces machines servent à plusieurs [165] familles et sont prêtées à des amies qui n'en possèdent pas. Les marchés jouent un rôle de premier plan dans l'économie des campagnes. Il y a les grands marchés qui se trouvent dans les villes ou à la croisée des routes importantes et où se rendent les habitants de toute une région. Certains sont spécialisés pour la vente du bétail ou de produits déterminés. Les marchés ruraux ne comportent ordinairement pas de construction. Ce sont de grands espaces libres avec parfois des abris rudimentaires où les marchandes peuvent s'installer. À proximité, se trouve un enclos pour les bêtes de charge. À l'intérieur des marchés, il y a différentes sections pour la vente des produits agricoles et artisanaux : viande, volaille, légumes, fruits, céréales et chapeaux, sandales, tissus, cordes, nattes, etc… vêtements confectionnés, articles de la ville, savon, fil, cigarettes, etc. On y trouve aussi des boissons, des aliments cuits, des friandises etc. Tout autour des marchés des villes ou villages, il y a une série de boutiques où s'approvisionnent les marchandes. Dans les marchés haïtiens comme dans les marchés dahoméens, les échanges se font directement, les cultivateurs y écoulent leurs produits. Ce sont ordinairement les femmes qui y font le commerce. Comme autrefois en Afrique, les paysannes se lèvent avant l'aube, parfois à deux heures du matin ou la distance est très grande, elles se mettent en route la veille et dorment au bord du chemin ou sous des galeries en attendant l'ouverture du marché. Elles voyagent à pied en groupe, transportant leurs fardeaux sur la tête, les plus fortunées ont un âne. Le marché commence au lever du jour et dure jusqu'à deux ou trois heures. Dès que les marchandes ont fini d'écouler leurs produits, elles achètent les marchandises dont elles ont besoin et prennent le chemin du retour. 324

Appendice I, table No. 21.

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De même qu'en Afrique, on remplit aussi certains devoirs religieux en vue de s'assurer une bonne vente et le sexe du premier acheteur a une grande importance pour déterminer [166] le succès des transactions du jour. Certaines marchandes qui croient que les garçons leur donnent de la « chance » refusent de vendre à une femme en premier. Les grands marchés ruraux ont une vie intense, on y trouve quantité de marchandes avec leurs produits étalés tout autour d'elles. Les commerçants des villes ont aussi des éventaires improvisés où ils étalent les étoffes et les marchandises importées. C'est une grande distraction dans la vie monotone de la campagne, une occasion de rencontrer des amis habitant d'autres communautés. Les paysannes voyagent parfois toute la nuit pour arriver à l'aube au marché avec très peu de provisions. Ces jours-là, il est très difficile d'avoir des élèves à l'école. Les transactions sont aussi très animées et sont toujours accompagnées de longs marchandages et discussions. Les hommes ne fréquentent le marché que pour vendre leur bétail ou quelques articles qu'ils ont confectionnés. Certains viennent s'y promener pour apprendre les nouvelles et les jeunes gens pour y rencontrer les jeunes filles. Les vendeuses payent une taxe de 10 à 20 centimes, suivant l'espace occupé. Elles doivent aussi payer 10 centimes pour chacune de leurs bêtes de somme. L'État perçoit aussi un droit sur la vente du gros et petit bétail et sur l'abattage des bêtes de boucherie. De plus, certaines marchandes doivent avoir des patentes pour la vente de certains produits, tels que l'alcool. Les marchés sont une source de revenus importants pour les communes. Pendant l'année fiscale 1951-1952 par exemple, plus de la moitié des recettes communales ont été tirées des taxes prélevées dans les marchés. En effet, les revenus des communes se sont élevés pour cette période à près de cinq millions de gourdes. (4.979.687,39), dont deux millions huit cent mille environ (2.799.829,05) provenaient des marchés. Ce total comprend : 1.222.976,10 gourdes de taxes perçues dans les marchés urbains, 383.127,55 dans les marchés ruraux, 29.275,45 gourdes pour les échoppes et tonnelles, 351. 129.00 gourdes pour la vente des bestiaux, 299.605.85 gourdes pour l'attache des animaux

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dans les parcs, 513.715,10 gourdes [167] pour l'abattage des bêtes de boucherie. Il ne comprend pas les taxes perçues pour patentes. 325 Un grand nombre de femmes (155 sur 230 dans notre enquête) s'occupent de la préparation et de la vente des commodités qui sont vendues au marché. Il y a un certain nombre de femmes qui ne s'occupent pas d'agriculture, mais se livrent uniquement au commerce et passent d'un marché à un autre, revendant ce qu'elles ont acheté. Elles sont appelées revendeuses ; elles disposent d'un petit capital et achètent les produits et les revendant sur place ou en ville. Elles servent d'intermédiaires entre la ville et la campagne. Ce sont le plus souvent des marchandes urbaines qui se rendent dans les marchés ruraux pour s'approvisionner et revendre leurs marchandises en ville. Certaines font des transactions considérables et voyagent constamment dans tout le pays d'un marché à l'autre, échangeant les produits des différentes régions contre les articles importés. Parfois, elles conservent les denrées dont il y a pénurie pour faire monter les prix et provoquant une disette temporaire. « La plus grande difficulté, dit Mme Comhaire-Sylvain, pour une femme qui veut s'adonner au commerce est de trouver la somme qui lui permettra d'acheter son premier lot de marchandises. Il lui faut très souvent emprunter de 20 à 30 gourdes à un taux d'intérêt qui varie de 5 à 10 gourdes pour une ou deux semaines. Certaines revendeuses font fructifier l'argent que leur remet l'homme avec lequel elles vivent, ou celui que leur confie leur fille ou leur gendre.

325

Bulletin Mensuel du Département Fiscal, Port-au-Prince, Haïti Sept. 1952, p. 31.

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« Les revendeuses sont généralement initiées au commerce par une parente ou une amie plus âgées qu'elles accompagnent clans ses voyages et qui leur explique la loi de l'offre et de la demande, les présente à leurs clientes et leur fait connaître des familles chez qui elles peuvent loger au cours de leurs déplacements. Le secret du succès pour une revendeuse est d'être informée [168] très exactement de l'endroit où elle pourra trouver à bon compte un produit dont elle obtiendra u n prix plus élevé à Port-au-Prince ou ailleurs. Pour cela, elle est obligée de voyager constamment, soit en autobus, soit à cheval ou à pied. Elle vend les produits qu'elle est allée chercher, aux marchandes de la ville ou des bourgs. Celles-ci sont souvent d'anciennes revendeuses qui, à force d'économie ou de sens commercial, sont parvenues à acquérir un fonds de roulement important. Elles achètent au prix de gros et approvisionnent d'autres revendeuses qui font le commerce de détail. Elles sont appelées « spéculatrices » et sont pour la plupart des épouses ou des concubines d'ouvriers ou d'artisans. » « Les détaillantes qui constituent la seconde catégorie de revendeuses sont des paysannes entreprenantes qui se livrent au commerce pour accroitre les revenus de leur ménage : Leurs transactions sont de la plus grande simplicité et ne leur apportent que de modestes bénéfices. » 326

L'ambition de toute revendeuse est d'accroitre son commerce pour pouvoir tenir boutique. Il est très difficile d'évaluer les bénéfices réalisés par les boutiquières, à cause de la concurrence, elles sont obligées de se contenter de très peu. Elles vendent parfois certains articles à perte ou au même prix, en se servant de mesures un peu plus petites. Elles n'ont presque pas de stocks personnels et prennent la plupart de leurs articles de magasins de gros ou de producteurs, moyennant une commission d'environ 20%. « En général, dit Mme Comhaire-Sylvain, même lorsque les fonds de boutique ont été fournis par le mari, les bénéfices reviennent entièrement à la femme qui les utilise pour son entretien et celui de ses enfants. Quand 326

Métraux, Alfred « L’Homme… » op. cit., pp,85,86.

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les dettes ne rentrent pas assez vite, ou lorsqu'il s'agit d'effectuer une dépense exceptionnelle, le mari peut être appelé à prêter de l'argent, mais contrairement à ce qui a eu lieu pour le capital d'établissement, la femme est tenue de le lui restituer en temps voulu. » 327

De plus, il y a à côté de ces boutiquières relativement [169] prospères, un grand nombre de femmes qui ont de petits éventaires le long des routes ou des sentiers, certaines colportent leurs produits de maison en maison et de marché en marché.

3) CONTRIBUTION CULTURELLE FÉMININE 328

a) Littérature, art et sciences. Retour à la table des matières

Bien que la tradition ait toujours parlé du talent légendaire d'Anacaona « la reine samba » poétesse et musicienne, qui dirigeait un des royaumes indiens à la découverte de l’ile ; malgré ce passé glorieux, la femme n'a pas joué un rôle important dans les débuts de l’art et de la littérature haïtienne. Au siècle dernier, l'instruction des filles était négligée, la coutume et les préjugés réservaient au maitre du foyer l'ambition littéraire, préface de la politique et la plupart du temps, quand elles écrivaient, les haïtiennes timides ne publiaient leurs essais en vers ou en prose que sous le couvert des pseudonymes. La littérature de cette époque n'a retenu que le nom de Virginie Sampeur, dont les poèmes figurent dans toutes les anthologies. Durant cette période, toutes les jeunes filles ayant reçu une éducation faisaient de la musique, de la peinture et des arts décoratifs, toute327 328

Ibid. Le chapitre traitant de l'Education des femmes a déjà été publié en 1944 sous le titre : « Education des Femmes en Haïti ».

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fois ceci ne constituait qu'une distraction et seules les musiciennes tiraient parfois leur subsistance de l'enseignement de leur art. Au début du vingtième siècle de nouvelles écoles de filles formèrent une pléiade d'élèves brillantes et l'artiste comme les autres, affirma sa personnalité. Ne se contentant plus du rôle d'amateur, elle essaya d'acquérir une expérience professionnelle. Les revues littéraires de l'époque, la Ronde (1901) et Haïti Littéraire et Sociale (1905) se vantent d'avoir plusieurs [170] Collaborations féminines, malheureusement presque toutes anonymes, signées d'un nom de fleur ou d'un prénom. Pourtant quelques novatrices plus hardies se décident bientôt à faire des conférences et à abandonner l'anonymat Parmi elles on distingue : Luce Archin Lay, Mmes Théodora Holly ; Rosemond-Manigat et Alice Garoute. En 1912, Haïti Littéraire et Scientifique donne à ses lecteurs la primeur d'un nouveau talent poétique en publiant l'un des plus émouvants poèmes de Mme Ida Flaubert « Pour Jacqueline » écrit à la suite d'un deuil cruel En 1932, le Cercle Fémina publia la revue du même nom Malheureusement, quatre numéros seulement parurent. En 1935, la Voix des Femmes fut fondée à Port-au-Prince. Cette revue exclusivement écrite par des femmes, organe de la Ligue Féminine d'Action Sociale, mena une active campagne pour le progrès de la femme et l'amélioration des conditions économiques et sociales. Malgré quelques interruptions causées par des difficultés économiques, elle continue à paraitre. Elle est en ce moment dirigée par Melle Marie Thérèse Colimon. Depuis lors, il y a eu plusieurs journaux littéraires ou sociaux dirigés par des femmes : La Semeuse, revue mensuelle, littéraire, 19361946, l'Aube, organe de la Ligue de la Protection de l'Enfance, le Trèfle, revue mensuelle de la Fédération des Éclaireuses d'Haïti (1947) : la Famille, hebdomadaire d'action sociale, organe du Bureau d'Action Féminine du Parti Politique (Mouvement Ouvrier Paysan) (MOP) 1948-50. En ce moment, à part la Voix des Femmes, il y a deux périodiques d'information dirigés par des femmes : El Alba, hebdomadaire bi-

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lingue, français et espagnol, pour le rapprochement interaméricain fondé par Mme Emmeline Carriès Lemaire en 1950 ; Escale, bi-hebdomadaire d'information, fondé et dirigé par Mme Yvonne Hackime Rimpel, en 1951, La consécration du livre a toujours été chose peu commune pour ceux qui écrivent en Haïti ; faute de maison d'édition, c'est une entreprise très coûteuse et nos poètes et prosateurs souvent n'ont d'autre publicité que celle des revues ou des quotidiens. Quelques livres et de nombreux manuscrits [171] ont été présentés à l'Exposition des Œuvres Artistiques féminines organisée par le Premier Congrès National des femmes Haïtiennes en 1950. Nous avons pourtant quelques écrivains féminins qui ont publié leurs œuvres : Mme Jean BRIERRE et Melle CASSAQNOL ont publié un Guide Touristique HAÏTI BLUE SOUVENIR GUIDE (1955). Mme Étienne ROURAND (Annie Desroys) auteur de trois ouvrages : deux drames « ET L'AMOUR VINT », « LA CENDRE SUR LES PAS », et un roman « LE JOUG », (1934). Mme Suzanne COMHAIRE-SYLVAIN, docteur es-lettres de l'Université de Paris. Ethnologue, employée actuellement à l’ONU est l'écrivain féminin haïtien le plus important. Elle est l'auteur de nombreuses publications scientifiques et littéraires, dont nous donnons ciaprès la liste imposante ; Ouvrages publiés : Le Créole Haïtien, Morphologie et Syntaxe,

Port-au-Prince

1936

Les Contes Haïtiens, Origines et Diffusion, 2 vol. Port-au-Prince

1937

Contes du Pays d'Haïti,

Port-au-Prince

1938

Le Roman de Bouki,

Port-au-Prince

1940

Food end Leisure among the African Youth,

Cape Town.

1950

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173

Contributions Introduction to Haiti, Pan American Union,

Washington.

1951

L'Homme et la Terre dans la Vallée de Marbial,

UNESCO, Paris,

1951

UNESCO, Paris

1951

Chicago

1952

[172] Marking a living in the Marbial Valley, th

Procedings, 29 Congress of Americanist,

Haitian Creole, American Anthropological Association

1953

Articles : Veillées d'Haïti (Revue de Folklore)

Paris, France

1933

La chanson haïtienne (Présence Africaine)

Paris, France

1951

Contes haïtiens (Revue de l’AUCAM)

Belgique

1936

Silhouettes indigènes (Grands Lacs)

1949-50

Le lingala des enfants noirs de Léopoldville

(Kongo-Overzee)

1949

Les jeux des enfants noirs de Léopoldville

(Zaïre) Belgique

1949

Proverbes recueillis à Léopoldville

(Zaïre id.)

1949

Le travail des femmes à Lagos, Nigeria

(Zaïre id.)

1951

Jeux congolais

(Zaïre) id.

1952

Devinettes des enfants noirs de Léopoldville

(Africa) Londres

1949

Les danses Nkundu du territoire d'Oshwe

(African Studies) Afrique du Sud

1948

L'habitation chez les Nkundu

(African Studies) Afrique du Sud

1949

[173] Creole Tales from Haiti (Journal of American Folklore) E.U.

1937-38

Thezin, Haitian Tale (Bulletin Pan American Union) E.U.

1937

The Status of Women in Lagos, Nigeria (Pi Lamda Theta) E. U.

1949

Associations in Lagos, N. (Am. Catholic Sociological Rev. E. U.

1950

Silhouettes indigènes (Service de l'Information)

Congo-Belge

1943-45

Noms de Lieux et de Familles (Le Temps)

Haïti

1938-39

Vocabulaire des croyances paysannes (Voix des Femmes) Haïti

1938

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Nos fillettes en dehors des heures de classe (Voix des Femmes) Haïti

174

1942

Co-auteur : Loisirs, et divertissements à Kenscoff (Revue Iris. Sociologie) Bel- 1938 gique La Alimentacion en Kenscoff (America Indigena) Mexico

1952

Melle Marie-Thérèse COLIMON, institutrice, actuellement directrice de la revue « LA VOIX DES FEMMES », a publié un drame « LA FILLE DE L'ESCLAVE » (1949) et plusieurs textes scolaires, Mme GAILLARD, institutrice, a publié un livre RECETTE DE CUISINE, (1953) [174] Melle Germaine DENNERY, a collaboré à différents journaux et revues et a publié un volume « CHANTS DU SOUVENIR » (1939) Melle Edith DARTIGUENAVE a publié un volume HEROÏSME D'UNE HAÏTIENNE (1955). Mme Fortunat GUERY, ancienne inspectrice des écoles et représentante d'Haïti à la Commission du Statut de la Femme de l'ONU et à la Commission Interaméricain de Femmes, collabore à différents journaux et revues et a publié un volume d'essais : TEMOIGNAGE. Mme Simone W. HIPOLYTE, assistante sociale et journaliste a publié un ouvrage de vulgarisation scientifique. « TRAVAIL SOCIAL PANORAMA ET DETAILS » (1951). Melle Germaine JOUBERT, a publié un roman PAQUITO (1954) Melle Lélia LHERISSON, Institutrice, inspectrice honoraire à l'Éducation Nationale, est l’auteur de plusieurs textes scolaires : PREMIERES NOTIONS DE LECTURE (1929) NOTIONS DE LECTURE, cours préparatoire (1935) MANUEL DE LITTERATURE HAÏTIENNE et TEXTES EXPLIQUES DE LA LITTERATURE DES AMERIQUES (1945). LA DESSALINIENNE, HYMNE NATIONAL

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HAÏTIEN, HISTORIQUE (1947) LEÇONS DE CHOSES (1949) PREMIERES NOTIONS DE NOMBRES (1951), POESIES ET CHANTS cours préparatoire (1952) LES HEROS DE LTNDEPENDANCE DANS L'HISTOIRE D'HAÏTI (1953) Mme Emmeline Carriès-LEMAIRE, est actuellement en tournée de conférences aux Etats-Unis d'Amérique, à Cuba, et au Mexique. Elle a fondé en 1950 l'hebdomadaire EL ALBA bilingue, français et espagnol, et a publié plusieurs ouvrages HISPANIOLA, étude historique et géographique en français et espagnol (1944) et quatre recueils de poésies : MON AME VOUS PARLE (1941), CHANTS POUR TOI [175] (1944), POEMES A BOLIVAR (1948), COEURS DE HEROS, COEURS D'AMANTS (1959). Mme Constantin MAYARD, fut co-directrice de la Voix des Femmes. Elle publia les ouvrages suivants : CHANTS pour les écoles (1930) et CUISINE DES PAYS CHAUDS (1940) et de nombreux articles d'information sociale et littéraire. Mme Rose Lhérisson MICHEL, directrice de l'Ecole Normale d’Institutrices, fondatrice et directrice du journal pédagogique L'ECOLE, a publié de nombreux manuels scolaires actuellement en usage dans les écoles HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D'HAÏTI pour les classes préparatoires (1949), HISTOIRE D'HAÏTI ET GEOGRAPHIE, cours élémentaire (1950), LEÇONS DE CHOSES (1951), INSTRUCTION CIVIQUE ET MORALE (1954), GRAMMAIRE (1952). Melle Hélène MORPEAU, instructrice et rédactrice de la page féminine du quotidien catholique LA PHALANGE, a publié une plaquette ROLE DE LA JEUNE FILLE DANS LA FAMILLE (1947) et un volume d'essais PAGES DE MARIE ET D'HELENE (1954). Melle Marguerite MICIUS, a publié un volume AU DELA DE L'ETHER Mme Herzulie Malgoire-PROPHÈTE, inspectrice de l'Enseignement Ménager a publié un livre « CUISINE SELECTIONNEE ». (1955) Mme Jeanne PEREZ, avocate, est l'un des écrivains féminins les plus féconds. Elle fut rédactrice en chef de LA VOIX DES FEMMES

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de 1935-37, puis elle fonda une revue littéraire et sociale LA SEMEUSE qu'elle dirigea de 1936 à 1948. Elle collabora aussi à d'autres journaux et revues. Elle a publié les ouvrages suivants : TAINA ET MES AMIS, miettes de souvenirs (1938), SANITE BELAIR, drame historique en trois tableaux (1942), LA FEMME, ce qu’elle est, [176] son action à travers les âges, son avenir, conférences prononcées sous les auspices du Comité haïtien de l'Alliance Française (1948) LA MANSARDE (1949). Elle a écrit l’article sur Haïti dans le volume LA CONDITION DE LA FEMME DANS LA SOCIETE CONTEMPORAINE publié sous la direction de Marc Ancel (Collection des travaux et recherches de l’institut de droit comparé (1937). Mme Odette Roy-FOMBRUN, institutrice a publié un manuel scolaire actuellement en usage dans les écoles INSTRUCTION CIVIQUE (1954). Mme Ida SALOMON, femme de lettre qui vit depuis plusieurs années à Paris, a collaboré à différentes revues littéraires françaises et haïtiennes et a publié un recueil de poèmes COEURS DES ILES (1924) qui reçut le Prix Normand de la Société des Gens de lettres. Mme Colbert ST-CYR, institutrice, collabora à plusieurs journaux et revues et a publié deux volumes de poèmes : GERBES DE FLEURS (1949). Melle Jeanne G. SYLVAIN, assistante sociale et ethnologue, fut rédactrice de LA VOIX DES FEMMES et de l’instituteur Rural, est l’auteur de plusieurs manuels scolaires actuellement en usage dans les écoles et de nombreux articles dont quelques-uns publiés dans les revues scientifiques étrangères. Son étude sur L'ENFANCE PAYSANNE A MARBIAL a été publié dans le livre HAÏTI, POETES NOIRS (Présences Africaines 1950). Melles Yvonne G. SYLVAIN, docteur en médecine, spécialiste en gynécologie et en obstétrique, a publié de nombreux articles et quelques communications scientifiques dans des revues médicales. Elle a dirigé pendant quelques temps, la revue de l’Association Médicale Haïtienne, dont elle était secrétaire. Mme Virgile YALCIN, rédactrice à la Voix (tes Femme, [177] est l’auteur de trois ouvrages : un recueil de vers, Fleurs et Pleurs (1924) et deux romans : Cruelle Destinée (1929) et Blanche Négresse (1934).

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Mme Marie Vieux-CHAUVET a publié de nombreuses nouvelles dans différentes revues et son roman FILLE D'HAÏTI a obtenu le prix de l’Alliance Française de 1935, il a été publié par une des plus grandes maisons d'éditions françaises. Mme Jacqueline WIENER, avocate et journaliste, est en ce moment inspectrice du travail. Elle fonda et dirigea la revue l’AUBE et publia un recueil de poèmes (1951). Elle est et peut être considérée comme l’une des fondatrices de la Société d'Art Dramatique, l’une des meilleures actrices haïtiennes, professeur de diction au Conservatoire. Enfin, l’auteur de cet ouvrage, Mme Madeleine Sylvain-BOUCHEREAU, avocate et docteur en sociologie, a dirigé longtemps la Voix des Femmes et l’Instituteur Rural et a collaboré à différentes revues et journaux haïtiens et étrangers, elle a publié deux volumes : L'EDUCATION DES FEMMES EN HAÏTI (1944) Tome 1. Elle a également publié deux manuels scolaires de lecture : LA FAMILLE RENAUD et un BULLETIN pour les Instituteurs ruraux : L'ASSOCIATION NATIONALE des 4 C. Elle est aussi l’auteur du chapitre : « LA CLASSE MOYENNE EN HAÏTI » publié dans « Materiales para el estudio de la Clase Media en la America Latina V », publié par la Section des Sciences Sociales de l'Union Panaméricaine et HAÏTI, portrait d'un pays libre, édité en allemand. (1954) Plusieurs autres femmes qui n'ont pas publié de livres ont pourtant acquis une place importante dans les lettres haïtiennes par leurs écrits imprimés dans la presse locale ou étrangère. Parmi elles, il convient de mentionner particulièrement : Mette Gilberte VIEUX, institutrice, membre de la Commission Haïtienne de l’UNESCO, rédactrice à la Voix des [178] Femmes ou elle a publié de nombreux articles et un roman feuilleton CBS PAUVRES FILLES (1948). Melle Denise ROY, avocate, Attachée Culturelle à l'Ambassade de la Havane, dont les nouvelles et articles publiés dans la presse locale et étrangère sont d'une facture impeccable. Melle Jacqueline SCOTT, auteur de nombreux articles littéraires et de deux romans inédits. Comme nous l'avons dit ci-dessus, les musiciennes furent les premières artistes professionnelles haïtiennes. Jusqu'à présent, la majorité

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des professeurs de musique sont des femmes et trois d'entre elles sont aussi compositeurs. Mme Lina Mathon-BLANCHET, fut l'initiatrice du mouvement de renaissance du Folklore Haïtien. Elle fonda et dirigea une Troupe de Danse Folklorique pour laquelle elle harmonisa de nombreux airs populaires. Cette troupe a obtenu beaucoup de succès au cours de ses tournées aux Etats-Unis d'Amérique. Mme Carmen BROUARD, ancienne élève du Conservatoire de Paris, dirige une École de Musique et a donné plusieurs récitals où elle a fait entendre ses œuvres. Melle Micheline LAUDUN, pianiste de talent, ancienne élève du Conservatoire de Paris, a obtenu plusieurs prix à des concours internationaux et est en ce moment professeur de piano au Conservatoire National. Haïti compte aussi plusieurs cantatrices de talent dont quelquesunes, telles que Mme Valério CANEZ, Melle Andrée LESCOT et Carmen MALEBRANCHE ont donné des concerts au Canada, aux ÉtatsUnis et en Europe. La danse et le chant sont par excellence le mode d'expression artistique de notre peuple. Notre folklore est d'une richesse incomparable et les paysannes exécutent à la perfection les danses populaires les plus compliquées, Depuis [179] une quinzaine d'années, des troupes de danseurs et de chanteurs ont été organisés qui jouent régulièrement à la radio et dans les théâtres. Ces troupes sont mixtes, mais presque toujours les artistes doivent avoir aussi d'autres moyens de vivre, car le produit des représentations ne suffit pas à les entretenir. En 1949, le Gouvernement a fondé la Troupe Folklorique Nationale dont les artistes reçoivent un salaire mensuel et doivent jouer régulièrement. Une subvention a été aussi accordée à la SOCIETE NATIONALE D'ART DRAMATIQUE qui représente des pièces de théâtre. Ces deux sociétés sont mixtes ainsi que les autres groupes de théâtre ou de danse d'amateur. L'artiste Emérane de PRADÏNES dirigeait une de ces troupes. Mme. Wanda WÏENER, avocate, est aussi une de nos artistes les plus remarquables en même temps auteur, metteur en scène, actrice

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et danseuse, elle a créé et exécuté des spectacles de haute valeur artistique. Ce n'est que depuis 1944 avec l'ouverture du CENTRE D'ART que la peinture haïtienne a acquis une renommée mondiale et est devenue une véritable profession en Haïti. Avant cette époque, plusieurs femmes peignaient pour leur plaisir, certaines enseignaient le dessin, la peinture et les arts décoratifs et quelques-unes avaient même exposé leurs œuvres : Mjnes Fombrun et Chenet, Melles Clémence Chéraquit, Marcelle Appolon et Yvonne Sylvain. En ce moment, il y a deux principales organisations de peintres haïtiens « Le Centre d'Art et le Foyer des Arts Plastiques » qui sont composés d'artistes des deux sexes. Les femmes exposent seules ou en groupe et jouissent d'une complète égalité. Parmi elles, il convient de mentionner : Melles Andrée MALLEBRANCHE, Jacqueline BOUCARD, Mmes Elmire MALLEBRANCHE, Jacqueline DORCELY et Luce TURNIER. Cette dernière est la plus célèbre des artistes haïtiennes. Après avoir exposé plusieurs fois en Haïti ses œuvres, seule ou en groupe, elle obtint une Bourse de la Fondation Rockefeller pour aller continuer ses études aux États-Unis. De retour au pays, le Gouvernement français lui accorda une nouvelle bourse pour aller étudier à Paris pendant [180] un an. Cette bourse a été prolongée par le Gouvernement Haïtien pour une nouvelle période d'un an. Melle TURNIER a exposé ses œuvres en juillet 1953 à Hambourg, Allemagne, où elle a obtenu un succès éclatant. Les critiques d'art à l'unanimité l'ont reconnue comme une artiste de première classe. En 1955 elle a fait trois expositions à Paris, à Washington et à Port-au-Prince. Je ne saurais terminer sans dire un mot de l'œuvre artistique des ouvrières de la petite industrie artisanale. La finesse du travail des brodeuses haïtiennes est réputée dans toute l'Amérique et l'originalité des articles confectionnés avec les produits indigènes a permis d'établir un commerce lucratif, alimenté par des ateliers où travaillent des milliers d'artistes anonymes des deux sexes. Quelques-uns de ces ateliers sont dirigés par des femmes. La carrière scientifique n'a guère tenté jusqu'à présent l'haïtienne. Quelques-unes se sont pourtant dirigées vers les sciences médicales ou paramédicales. Comme nous l'avons dit en parlant du rôle économique de la femme, nous avons, neuf femmes médecins, qui pra-

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tiquent leur profession et dont, le savon et la compétence ne le cèdent en rien à leurs confrères masculins. Dr. Yvonne G. SYLVAIN est la première femme qui fût diplômée de la Faculté de Médecine de Port-au-Prince. En 1940, après avoir achevé ses études, elle obtint une bourse du Bureau Sanitaire Interaméricain et elle l'utilisa pour aller aux ÉtatsUnis où elle se spécialisa en obstétrique et en gynécologie pendant trois ans dans les Universités Américaines. A son retour au pays, elle fût nommée médecin des hôpitaux et plus tard professeur à la Faculté de Médecine. En ce moment, elle dirige l’une des plus importantes cliniques privées. Les autres femmes médecins, toutes diplômées de la Faculté de Médecine de Port-au-Prince, sont : Dr. Yolande Thomas LEROY (1941) qui s'est aussi spécialisée en gynécologie aux États-Unis et en France. Elle poursuit en ce moment des études supérieures à l'Université de Chicago. [181] Dr. Lucie Paultre-SAJOUS (1945) est chirurgien des hôpitaux. Dr. Irmgart GOLDENBERG ZAGUERY (1948) s'est spécialisée en pédiatrie pendant dix ans au Canada. Elle est ce moment la collaboratrice du Dr. SYLVAIN. Dr. Edith Dreyfuss-HUDICOURT (1951) médecin des hôpitaux a obtenu récemment une bourse de perfectionnement aux États-Unis. Dr. Ghislaine André-RIGAUD (1951), Dr. Rolande Scott-JOLIBOIS (1951), Dr. Jacqueline TROUILLOT (1952) et Dr. Odette LAFONTANT (1952) ont commencé immédiatement à pratiquer la médecine dès qu'elles ont obtenu leur diplôme. 329 Il y a cinq femmes dentistes, dont la plus célèbre est Dr. Germaine Monfleury-NERE, professeur à la Faculté de Médecine et d'Art Dentaire qui dirige aussi une clinique privée. Parmi les quarante pharmaciennes, trois d'entre elles, Mme Alberta Vieux-MONTAS, Melle Anette DUNCAN et Mme Daniella Poux329

Le nombre des femmes médecins augmente chaque année avec les nouvelles, promotions. Durant ces trois dernières années sept femmes ont reçu leur diplôme. Drs. Numa, Sylvain, Léonie Tribié, Avaline Jocelyn, Jacqueline Riche, Marie Thérèse Rousseau, Cora jean

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PAILLERE dirigent leur propre pharmacie. Mme Lina Pierre-Antoine-MOISE est depuis onze ans Professeur à la Faculté de Médecine. Il y a aussi plusieurs laborantines qui travaillent dans les laboratoires publics et privés, des sages-femmes et des infirmières. Mme Aliette Ackmed-VIEUX, chimiste assistant-professeur à l'Ecole Nationale d'Agriculture, a obtenu récemment un diplôme d'Ingénieur chimiste de l'Université de Paris et poursuit ses études pour le doctorat. Nous avons déjà mentionné la contribution de Mmes Suzanne Comhaire-SYLVAIN, Jeanne SYLVAIN et Madeleine [182] SylvainBOUCHEREAU dans le domaine des sciences sociales. b) Religion. La femme est le pilier de l'église catholique qui n'a pas de membres plus dévouées que les haïtiennes de la grande et petite bourgeoisie. Les catholiques de cette classe pratiquent leur religion à part de très rares exceptions. Elles vont régulièrement à la messe et fréquentent les sacrements, tandis que les hommes, après leur sortie de l’école, sont très souvent libres penseurs. 330 C'est ainsi que dans l'enquête de Mme Comhaire-Sylvain, « la majorité des fillettes (59%) va à la messe du dimanche ; une forte proportion y assiste également en semaine (près de 22%), le reste y va les jours de fête ou appartient à une autre religion. 331 Un certain nombre de jeunes filles entrent dans les ordres religieux établis en Haïti. Les familles n'accueillent pas ordinairement avec plaisir la nouvelle de la vocation religieuse de leurs enfants. Pourtant ces dernières années, le nombre des religieuses a augmenté, mais il ne constitue qu'une infime minorité. Il y a deux ordres indigènes ; les haïtiennes entrent aussi dans les ordres dirigés par des françaises et des belges. 330 331

Bien que la plupart du temps ils tiennent à la religion même s'ils ne la pratiquent pas et y reviennent au moment de la mort. Comhaire-Sylvain, Suzanne. « Ce que… » renseignements inédits.

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Dans les bourgs et les communautés rurales presque toutes les femmes sont aussi catholiques. Parmi celles qui ont participé à notre enquête, 212 sur 230 femmes et 307 sur 367 fillettes. La majorité : 122 sur 230 femmes et 225 sur 367 fille tes prétendent aller régulièrement à la messe quand il y en a dans la communauté. Presque toutes les femmes ont baptisé tous les enfants, pourtant seulement 150 sur 230 ont fait leur première communion. Ceci est très souvent dû au manque d'instruction religieuse, c'est pourquoi nous constatons une plus forte proportion de femmes ayant fait leur [183] première communion dans les bourgs ou il y a ordinairement une église et un prêtre. 332 Le prêtre catholique jouit d'une grande autorité dans les villes et les bourgs. Son pouvoir s'exerce parfois arbitrairement particulièrement sur les femmes, qui n'osent pas lui désobéir. À cause du manque d'instruction religieuse, les paysannes et les femmes du peuple mélangent très souvent la religion catholique et les pratiques vaudouesques et sont très attachées aux deux. La femme aussi bien que l'homme peut être prête du vaudou ou initiée et elle est aussi souvent possédée par les « loas », esprits ancestraux durant les cérémonies. Les prêtres et prêtresses du vaudou « houngan » et « mambo » ont un rôle très important dans la communauté paysanne et jouissent d'un grand pouvoir. Les « houmsis » prêtresses-servantes les assistent dans les cérémonies. Les « houmfort » temples du vaudou constituent un patrimoine familial et les pouvoirs du grand-prêtre sont transmis d'une génération à l'autre. Un houngan qui se sent mourir ou devenir vieux désigne comme successeur, un fils, une fille ou un membre de la famille. Il semble qu'obligation est faite à celui qui a été désigné de prendre charge de la succession. Si celui-là n'était pas houngan, il convoque un conseil de famille qui choisit un houngan à qui la maison est confiée. Celui qui a été désigné devient président de société jusqu'à ce qu'il soit houngan lui-même, s'il le désire. 333 Le houmfort est administré par une Société composée de dignitaires des deux sexes. 332 333

Appendice I, Tableaux No. 6 et 7. Maximilien Louis, « Le voudou… » op. cit, p.26

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Ordinairement, la femme du houngan collabore avec lui et est élevé la plupart du temps au grade de mambo. Elle préside les cérémonies et invoque aussi les dieux. 334 Nous ne nous étendrons pas sur ce sujet qui a été l'objet de nombreuses discussions. 335

334 335

Ibid. Ibid et Herskovits « Life » op. cit., chap 8 -14

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[184]

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Deuxième partie : La femme dans la famille, la société et l’économie haïtienne

Chapitre III CYCLE DE VIE 1. ENFANCE Retour à la table des matières

Dans la bourgeoisie comme dans le peuple, les enfants constituent le but principal du mariage. Une femme qui, un an après son mariage n'a pas encore d'enfant, commencera à s'inquiéter et aura recours aux bons offices du médecin ou du « bocor » suivant sa classe sociale. Des neuvaines seront faites aux saints pour implorer leur aide en vue d'obtenir un enfant. Les paysannes et les femmes du peuple auront recours aux prêtres du vaudou afin de savoir si ce retard ne provient pas d'un mauvais sort ou d'un mal caché. Dès le début de la grossesse, la femme, particulièrement celle de la bourgeoisie, prend les plus grandes précautions et consacre la majeure partie de son temps aux préparatifs de la naissance, confection de layette et autres : Elle se fait examiner et soigner par un médecin ou une sage-femme diplômée. La paysanne et la femme du peuple continuent à vaquer à leurs occupations, parfois jusqu'à la dernière minute. En ce moment, les femmes de la petite bourgeoisie et du peuple commencent à fréquenter les cliniques, des maternités des différents hôpitaux, dès qu'elles s'aperçoivent; qu'elles sont enceintes. Elles y sont soignées gratuitement et le traitement des maladies vénériennes per-

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met de diminuer en grande partie la mortalité infantile. Le pourcentage de mortalité infantile parmi 2,487 femmes ayant accouché à l'Hôpital Général pendant l'année 1939-40 s'élevait à 26% y corn pris la morti-natalité. Seule une infime minorité de paysannes bénéficie de; services de l'hôpital, généralement l'accouchement [185] se fait à domicile et la mortalité infantile et maternelle est beaucoup plus élevée et comparable à celle que nous avons constatée dans les résultats de notre enquête, parmi 230 femmes des bourgs et districts ruraux, soit environ un total de 418 enfants morts sur 1.478 enfants nés vivants ou 29% non compris la morti-natalité. a) Bourgeoisie Les femmes de la bourgeoisie sont généralement soignées par un médecin ou une sage-femme diplômée, qui présida à l'accouchement. En ce moment de plus en plus, les femmes aisées ont recours aux soins d'un spécialiste en obstétrique dès les premiers mois de la gestation, surtout pour le premier bébé. Un spécialiste demande un salaire de trois cent à sept cent cinquante gourdes pour un accouchement, y compris le traitement pendant la grossesse et après la naissance. La sage-femme se contente d'un salaire de cent cinquante gourdes. Les frais d'hôpital varient de cent cinquante à trois cent gourdes. Les sages-femmes font les accouchements à domicile ; les médecins préfèrent en général faire accoucher leurs clientes en milieu hospitalier. Quand l'accouchement doit avoir lieu à domicile, le médecin ou la sage-femme remet une liste à la famille, contenant tout ce dont on aura besoin pour l'accouchement. Le jour de la naissance, dès les premières douleurs, en même temps que le praticien, on fait chercher les personnes âgées de la famille : mère, belle-mère, tante ou voisine, qui assistent généralement à l'accouchement. Les jeunes filles et les enfants ne pénètrent dans la chambre qu'après la naissance. L'accouchée est l'objet de la sollicitude, générale. Elle reçoit beaucoup de fleurs et de cadeaux et tous ses parents et ses amis viennent la voir. Pour recevoir ces visites, elle a

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préparé un trousseau de beaux draps et des chemises de nuit brodées. Le bébé est aussi vêtu de jolies robes brodées. À la maison ou à l'hôpital, il y a toujours constamment quelqu'un au chevet de la nouvelle maman. Le bébé est l'objet d'une attention continuelle, une infirmière [186] ou une parente s'occupe d'exécuter les prescriptions du médecin ou de la sage-femme et préside au bain et à la toilette du nouveau-né jusqu'à ce que la mère se lève. Depuis quelques années on pratique le « lever précoce » ; dès le deuxième ou le troisième jour, la mère commence à faire des exercices et après six ou sept jours, elle est déjà debout et retourne chez elle après huit ou neuf jours. On baptise l'enfant ordinairement le premier mois. Les parrains et marraines sont choisis à l'avance parmi les parents ou amis de la famille. C'est une marque de confiance et un honneur que d'être choisi pour baptiser un enfant. La marraine doit offrir la robe et tout ce que le bébé porte le jour du baptême ; elle doit aussi donner un cadeau à la mère, le parrain offre un cadeau à la mère et à sa commère et les rafraichissements pour la réception. Les parrains et marraines devront désormais faire régulièrement des cadeaux à l'enfant et s'intéresser à lui quand ils sont riches, ils lui feront parfois un legs. Le père et la mère, le parrain et la marraine se donnent mutuellement les titres de « compère » et de « commère », La mère allaite ordinairement son enfant jusqu'à 9 mois ou un an et s'en occupe elle-même, elle le baigne et la cajole. Si la famille est aisée, une bonne est attachée au service exclusif du bébé ou bien, si les moyens économiques ne le permettent pas, une petite domestique est spécialement chargée de le promener, et de l'amuser sous le contrôle vigilant de la mère. Dès l'âge de trois mois, on commence à ajouter des bouillies à l'allaitement maternel et on introduit progressivement d'autres aliments solides. La mère haïtienne a tendance à trop alimenter ses poupons. L'idéal est d'avoir, un très gros bébé et l'alimentation est, le plus souvent, défectueuse. La mère est aussi en général très coquette pour lui, spécialement, quand c'est une petite fille. Elle lui confectionne de jolies robes, lui fait percer les oreilles et la pare de rubans, c'est le centre d'attention de la famille et tous les adultes et les autres enfants doivent se plier à ses caprices. Le bébé est sevré entre 7

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et 9 mois. Il parle ordinairement très tôt, car chacun s'ingénie à lui apprendre des mots nouveaux. On encourage aussi [187] l'enfant à marcher en le mettant à terre clans un petit parc ou étroitement surveillé dans une chambre. Dès qu'il commence à marcher, il est toujours suivi par sa bonne ou par la petite domestique qui veille sur lui ou l'amuse. L'éducation commence de très bonne heure, parfois, dès la première semaine, on lui apprend à ne pas réveiller ses parents pendant la nuit et aussitôt que possible à ne pas mouiller son berceau. Dès qu'il peut s'asseoir, il est astreint à des stations régulières sur un vase. À deux ans, il est puni s'il se salit. Il doit obéir à ses parents et à sa bonne. Il apprend en même temps à parler français avec ses parents et créole avec les domestiques. À trois ou quatre ans, l'enfant peut ordinairement s'exprimer dans les deux langues. Dès deux ans, il joue avec les voisins, s'il n'a pas de frères et sœurs. La petite fille a des poupées et d'autres jouets. A trois ou quatre ans, quelques enfants sont envoyés à l'école maternelle, mais la plupart restent à la maison, où leur mère leur apprend à chanter, à dessiner, leur raconte des histoires. La bonne les amuse par le récit des contes du pays. Jusqu'à ce qu'ils aillent à l'école, il n'y a pas beaucoup de différence entre l'éducation des garçons et des filles. Toutefois, comme nous l'avons vu, on a commencé à développer le goût de la parure chez la petite fille, elle est déjà sensible aux rubans et aux jolies robes et elle consent à demeurer tranquille pendant une coiffure compliquées qui doit la rendre jolie ; elle imite sa maman en jouant avec ses poupées. Vers cinq ou six ans, les garçons et les filles sont envoyés à l'école où ils demeurent ensemble jusqu'à l'âge de sept ou huit ans, toutefois certains parents envoient leurs fils dès le début dans une école de garçons. Les petites filles commencent parfois très tôt à vouloir attirer l'attention de leurs petits camarades ; j'ai vu des gamines de quatre et cinq ans qui se disputaient les faveurs d'un camarade du même âge. En général, les petites haïtiennes sont passives, dociles et tranquilles, elles apprennent très tôt à demeurer des heures assises sans bouger à l'école. Un jour, l'institutrice de la classe maternelle d'une grande école étant absente, au signal de la cloche, ses élèves, une trentaine de garçons et de filles de quatre à cinq ans, se rendirent dans la salle de classe et a [188] tendirent tranquillement sa venue. Quand après un quart d'heure une autre institutrice arriva, elle les trouva assis en silence à attendre.

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La petite bourgeoise joue, pendant ses heures de loisir avec ses frères et sœurs et avec les petits domestiques, elle étudie ses leçons, son piano ou d'autres arts d'agrément, elle prend des leçons de danse, de diction, de peinture, etc.; elle aide sa mère si la famille est nombreuse. Le samedi et le dimanche sont deux jours entiers de vacances. Le samedi est généralement consacré aux visites pour la journée entière chez des parents, aux excusions et aux jeux avec les amis. Le dimanche on va, le matin, à la messe et à des réunions de famille où l'on rencontre des cousins et des amis, et l'après-midi au cinéma ou à la promenade. La séparation se fait plus profonde entre les sexes, qui fréquent en ce moment des écoles différentes, ont des jeux et des préoccupations distincts ; une fille de dix ou douze ans est généralement timide en présence de garçons du même âge et n'aime pas partager leurs jeux. Ils se rencontrent, pourtant, dans les réunions mondaines, les bals d'enfants, et la fillette s'intéresse de plus en plus à son apparence extérieure. b) Classe moyenne et prolétariat des villes La petite citadine pauvre est bien moins choyée que celle de la bourgeoisie. La mère, tout en la chérissant autant, n'a pas le temps de la gaver, car elle doit recommencer à travailler peu après la naissance, dès que son congé de maternité est achevé ou même dès qu'elle peut se lever, quand elle travaille à la maison. La plupart de ses femmes accouchent en ce moment dans les salles semi-privées ou publiques des hôpitaux et maternités ; elles bénéficient de meilleurs soins avec un minimum de dépenses, huit gourdes tous frais compris. Au début, il a été nécessaire de vaincre les préjugés et les craintes de la femme du peuple, mais en ce moment, les lits des différences maternités sont insuffisants pour satisfaire aux nombreuses demandes et on est obligé de renvoyer les accouchées [189] chez elles avant les neufs jours préalablement fixé pour leur hospitalisation. Le baptême a parfois lieu sans cérémonie au moment où la mère quitte l’hôpital, mais le plus souvent, si les moyens le permettent on attend un peu afin de pouvoir faire une réception. Les liens qui

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unissent parrains et marraines aux filleuls sont les mêmes que pour la bourgeoisie. La petite citadine porte parfois des charmes, comme la petite paysanne et est présentée rituellement aux esprits ancestraux si ses parents sont des adeptes du vaudou. L'alimentation est la plupart du temps défectueuse. Très souvent, la mère est obligée de sevrer son bébé immédiatement, car elle doit recommencer à travailler au dehors. Même quand elle allaite l'enfant, à partir de deux ou trois mois, elle ajoute toutes sortes d'autres aliments au régime. D'après l'enquête du Dr. Yvonne Sylvain, les affections gastro-intestinales représentaient 19% du chiffre total des mortalités survenues à la salle des enfants à l'Hôpital Général, d'Août 1937 à Août 1938. 336 Grâce à la propagande menée par les maternités, une amélioration dans la diète alimentaire des nourrissons commence à se faire sentir. D'autre part, les conditions d'hygiène dans lesquelles vivent les familles pauvres des villes favorisent la généralisation de parasitisme intestinal. « Des examens des matières fécales d'enfants de l'école des Pupilles de St Antoine, pratiqués il y a trois ans au Laboratoire de parasitologie de la Faculté de Médecine, avaient permis de trouver par les méthodes ordinaires plus de 50% de cas positifs. Les procédés d'enrichissement firent monter ce pourcentage à plus de 80. À peu près 15% des décès de la salle des enfants pour 1937 38 étaient dus à l'helminthiase. »337 Quand la mère travaille, le bébé est laissé aux soins d'une parente ou voisine, parfois celle-ci le néglige, car elle doit s’occuper de son ménage ou d'autres travaux lucratifs. La [190] petite fille qui a pu, malgré ces conditions adverses, traverser les dangers de la première enfance, est placée sous l'égide d'une autre enfant, sa sœur ainée, ou d'une petite domestique qui prend soin d'elle et l'amuse tout aussi bien que la petite fille de l'élite. Pourtant les adultes s'occupent moins d'elle et sa mère consent volontiers à la confier à un autre membre de la famille qui a un peu plus d'argent et de loisirs. Un grand nombre d'enfants de province ou de la campagne sont envoyés à la capitale pour y faire leur éducation ou y apprendre un métier. Dans ce cas, les enfants 336 337

Sylvain, Dr. Yvonne, « La mortalité infantile » Voix des Femmes, No. 53, Déc. 1940, pp 8 et 88, Port-au-Prince. Ibid.

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sont confiés soit à des parents ou à des parrains ou marraines, ou bien à des amis ou protecteurs, moyennant une petite redevance en argent ou en nature, ou bien ils doivent aider aux travaux de la maison, en vue de couvrir les frais de leur entretien. Lorsque l'enfant appartient à la même classe sociale que la famille chez laquelle il habite, il est considéré comme faisant partie de la maison et il est traité en égal par les autres enfants même s'il doit aider aux soins du ménage. Si une petite fille est placée dans une famille d'une autre classe sociale, elle est assimilée à une servante ; elle est traitée en inférieure par les enfants de la famille, et elle se trouve dépourvue de réelle affection, bien que parfois elle soit traitée avec bonté et bien entretenue. Dans certains cas, les petits domestiques sont chargés de besognes trop pénibles pour leur âge, ils sont maltraités, considérés comme des bêtes de somme. Parfois nous retrouvons ces petits déracinés à l'hôpital, victimes de mauvais traitements. Certains se sauvent pour échapper à la tyrannie des maitres brutaux et deviennent la proie du vice et du vagabondage. Ces cas sont heureusement rares, car la loi oblige en ce moment à inscrire ces enfants au Département du Travail, et à leur assurer une existence confortable. La « Ligue de Justice Sociale » s'occupe aussi du dépistage des enfants maltraités. Généralement, même si l'enfant est considéré comme un petit domestique, il n'est pas surchargé de travail et trouve le temps d'aller à l'école et de s'amuser avec les autres enfants de la famille ou du voisinage. La petite fille pauvre aide très tôt sa mère aux soins du ménage, fait les commissions et ne va pas ordinairement en [191] classe avant sept ans et souvent dix ou douze ans, à cause des frais que cela représente. Certains parents pourtant sont heureux de pouvoir envoyer l'enfant à l'école depuis quatre ou cinq ans car elle échappe ainsi aux dangers de la rue. D'après l'enquête de Mme Comhaire-Sylvain, l'âge moyen des élèves du cours préparatoire et enfantin était d'un peu moins de douze ans. 338 Pourtant, elle constate qu'on ne trouve pas la différence de deux ans entre chaque cours comme le prétendent les programmes. Ainsi, elle a trouvé 13 ans comme âge moyen pour le cours élémentaire, 15 ans pour le cours moyen et 16 ans pour le cours supérieur. Cela provient d'après elle, d'un changement de milieu intellectuel « les parents de beaucoup d'enfants du cours préparatoire, et ceci dans presque toutes nos écoles nationales, sont moins évolués que 338

Comhahe-Sylvaln, Suzane, Ce que…., Voix des Femmes, No. 52 op. cit. p. 7.

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ceux des enfants du cours élémentaire et ainsi de suite, ils mettent souvent plus tard leurs enfants à l'école et les y laissent moins longtemps. 339 D'après Mme Comhaire-Sylvain, « la proportion d'analphabètes dans la maison croit en descendant l'échelle des cours. Elle est de 15.29% pour les cours moyen et supérieur, et 23.63% pour les élèves du cours élémentaire et de 30.14% pour les élèves des cours préparatoire, enfantin, spécial et mi-temps. 340 Cela tient à ce que les parents désirent généralement donner à leurs enfants une instruction au moins égale à la leur, mais une fois cette égalité acquise, ils perdent patience devant la durée des études. Lorsque le père et la mère sont analphabètes et la famille nombreuse, il y a des chances pour que les fillettes ne dépassent pas le cours préparatoire. Lorsqu'un seul des parents est analphabète ou que la famille est restreinte, la fillette arrivera jusqu'au cours élémentaire et si elle est intelligente, au cours moyen et au certificat Lorsque le père et mère savent au moins lire et écrire, l'enfant ne quittera pas l'école avant le cours moyen, et si la [192] maman a suivi le cours moyen, la fillette suivra le cours supérieurs. Il y a naturellement des exceptions, des candidates au brevet dont les parents son analphabètes, mais ces cas sont rares fort heureusement, car ils produisent des déclassés et brisent l'équilibre de la famille. » 341 L'école urbaine est encore en grande partie traditionnelle et la fillette doit étudier passivement les leçons qu'elle récite par cœur. L'éducation manuelle est limitée à l'enseignement de la couture. Malgré cela, la petite haïtienne aime l'école ou elle rencontre des camarades et où le travail est interrompu par des nombreuses récréations. Les cours durent habituellement de neuf à onze heures et de deux à quatre heures dans les écoles publiques. Parfois de huit à onze et de une à quatre dans les écoles privées. La fillette a donc de nombreuses heures libres. Les enfants en service fréquentent les écoles « mitemps » où ils ne doivent se présenter qu'une fois par jour : le matin ou l'après-midi. 339 340 341

Ibid. École « mi-temps » où Ton reçoit les enfants pendant leurs périodes de liberté, le matin ou l’après-midi. Comhaire-Sylvain, Suzanne, Ce que…, op. cit., pp. 9, 11,

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La petite fille de la classe moyenne et du peuple ne consacre pas ses loisirs uniquement aux jeux et aux distractions : « Les enfants les plus pauvres aident généralement à la confection du repas de famille le soir et les jours de congé, surtout lorsqu'il s'agit des ainées. Presque toutes, même celles de familles plus aisées, mettent le couvert, servent et desservent quand il n'y a pas de serviteurs et une bonne majorité s'intéresse à la confection de petits plats et de desserts. Presque toutes les petites filles cousent un peu : raccommodage facile, robes de poupée, ourlets pour aider la maman ou la grande sœur, boutons à placer, ceinture à poser etc. Une grande majorité s'occupe aussi le samedi de petits travaux de lessive et de repassage. On donne aussi un petit coup de balai dans la maison, pas dans la cour ; le samedi on fait la chasse aux insectes... et à toutes les bêtes nuisibles. Tous les jours, on s'occupe des petits frères et sœurs en bas âge lorsqu'on revient de l'école, on les baigne, on les habille, on les porte, on les promène, on les amuse. Dans certaines familles, on prépare le lait ou la bouillie du bébé. Tout cela, ce sont des distractions qui s'apparentent de [193] très près au travail, qui ne s'en différencient en somme que par le fait qu'elles sont volontaires et non imposées. H en est d'autres qui s'en éloignent beaucoup plus, ce sont les jeux ; saut à la corde, ronde, cache-cache, course, marelle, points cardinaux, foot-ball, ballon ont aussi des partisans et même le saut de mouton chez les plus petites. Jeux tranquilles, osselets, jeux avec les ficelles, on joue à la marchande à la poupée ou à la maman avec un bébé en "chair et en os. Certaines petites fillettes aiment beaucoup les jeux dits de garçon, comme les billes et le cerf-volant. Puis vient une série de jeux où l'on admet parfois les grandes personnes : les cartes, les dames, le ludo, pinoche, raconter des contes, l'école, la première communion, le bord de l'eau la maison etc. Les petites fillettes adorent chanter et certaines se vantent de connaître des centaines de chansons... elles danse aussi. La fréquence avec laquelle elles se rendent à des réunions dépend de leur âge et de leur quartier... Certaines se, déguisent pour le mardi-gras, mais, en général, il y a répugnance à l'avouer, c'est considéré de mauvais ton, surtout chez les plus pauvres. Beaucoup d'enfants renient également les veillées, cela ressemble trop aux « moun'morn' » (paysan) ; presque toutes se rappellent avoir assisté à des premières communions, des baptêmes, à un mariage au moins. La grande majorité

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des enfants dont nous nous occupons vont au cinéma une fois par an, cinéma gratis le 1er ou le 2 janvier ; quelques-unes y vont tous les mois et un tout petit nombre, tous les dimanches. Il y a encore cependant beaucoup d'enfants qui ne se rappellent avoir été au cinéma qu'une ou deux fois, et trop d'enfant qui ne savent pas ce que c'est. » « Les petites Port-au-Princiennes sont éminemment ; sociables, les riches comme les pauvres et aiment la compagnie des amies. Elles lisent peu. Il y a d'abord la fameuse question du créole. Le problème est cependant" résolu à partir du cours moyen ; les enfants ont un vocabulaire français suffisant pour s'intéresser à de petits journaux ou à des livres, écrits pour enfants de leur âge mais ils ont déjà pris d'autres habitudes. Il y a aussi la question argent. Les petites filles qui nous intéressent pour le moment, appartiennent à [194] l’élément besogneux de la nation, certaines ne mangent pas à leur faim. » 342

c) Classe paysanne. Bien que la paysanne continue à vaquer à ses occupations jusqu'au dernier moment et parfois accouche de son enfant au bord de la route, surprise par les douleurs durant le trajet pour se rendre au marché, dès le moment de la conception, elle a commencé à se préparer à la venue de son bébé et à le protéger dans la mesure du possible. Les différents rites religieux ont été accomplis, le prêtre du vaudou et les vieilles femmes de la famille ont été consultés. Elle porte souvent un charme pour se protéger ainsi que son enfant contre le mauvais œil. Quand l'époque de la délivrance approche, elle fait des offrandes aux esprits ancestraux. Les paysannes résidant à proximité des villes peuvent se faire admettre dans les maternités des hôpitaux, mais comme nous l'avons vu, le nombre des lits étant insuffisant, elles ne peuvent pas toutes bénéficier d'un pareil traitement. Les cliniques et les dispensaires ruraux n'ont pas de maternités ni de service spécial d'accouchement à domicile. Il n'y a pas de sages-femmes diplômées à la disposi342

Comhaire-Sylvain, Suzanne. « Les loisirs des fillettes de Port-au-Prince » Voix des Femmes, Vol. V, No. 46, pp. 3, 4 et 10

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tion des populations rurales. Dans les bourgs et les districts ruraux, on doit, le plus souvent, se contenter des services des matrones, guidées seulement par l'expérience et qui opèrent presque toujours dans des conditions d'hygiène déplorables. Heureusement, la construction de dispensaires-hôpitaux dans les bourgs améliorera bientôt la situation, car les paysannes pourront y accoucher dans de meilleures conditions. Les pauvres bébés se ressentent de l'ignorance des mères et de l'absence d'assistance médicale adéquate. 74.97% des femmes faisant partie de notre enquête, avaient perdu une moyenne de 2,62 enfants par famille, sur 6,62 soit 39% et à peu près la moitié des enfants (44%) avaient succombé pendant la première année.343 [195] Dans l'enquête de Melle Jeanne Sylvain sur la région de Marbial, des renseignements reçus de 27 familles de Cochon Gras, il résulte que des 163 enfants nés de ces familles, 61 sont morts en bas âge, soit une mortalité de 38.42 % laissant une moyenne de 3 enfants vivants par famille. 344 Comme nous l'avons vu, les paysannes peuvent se faire soigner dans les cliniques rurales, s'il y en a dans le voisinage. Notre enquête montre que seulement 71 femmes sur 597 ont déclaré être entièrement dépourvues d'assistance médicale. Il est vrai que 109 se contentent des services du « bocor » et que 68 s'adressent tantôt au « bocor, tantôt au médecin et tantôt à l'hôpital. Enfin, 306 prétendent n'avoir recours qu'aux services du médecin ou de l'hôpital. 345 Toutefois, il convient de remarquer que ces enquêtes, ayant été faites avec l'aide des institutrices qui mènent une campagne active contre le bocor et les superstitions, fait socialement réprouvé par l'école, il est naturel de supposer qu'un grand nombre de femmes et de jeunes filles n'ont pas voulu avouer qu'elles avaient parfois recours aux services du bocor. Il est évident que dans un grand nombre de communautés rurales, le bocor est la seule source médicale à laquelle tous sont obligés de faire appel. Et que même là où le médecin, les 343 344 345

Voir Appendice I, table 13 et 14 p. 8a et 94. Sylvain, Jeanne G. L'enfance » op. cit., p. 88. Appendice II. Table No. 14 p. 9 a.

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dispensaires et les hôpitaux lui font concurrence, la grande majorité des paysans et des citadins du peuple y ont recours toutes les fois qu'ils pensent avoir affaire à une maladie « « surnaturelle », c'est-àdire causée pair la magie, et il convient de noter que le paysan est toujours porté à donner une cause surnaturelle à n'importe quel symptômes. Cependant, les maladies, survenant brusquement, les crises nerveuses, les maladies mentales, sont fréquemment indiquées comme appartenant à la classe surnaturelle, qui doivent être traitées par des moyens-magiques. Toutefois, petit à petit, surtout dans les villes, l'influence des hôpitaux se fait sentir. Melle Sylvain décrit un accouchement à Marbial, tel qu'elle [196] l’a observé au cours de son enquête ethnographique : « Tout se passe très simplement. Les enfants restent à la maison, les ainés aident la grand'mère à la préparation de tout ce qui peut être nécessaire en la circonstance, activant le feu, faisant chauffer Peau, lessivant, préparant le repas, prenant soin des petits, etc. Le mari ou un frère maintient la femme et assiste l'accoucheuse. On a arrangé une petite chaise sur laquelle la femme pourra s'asseoir pour donner naissance à l’enfant, autrement elle restera debout. La paire de ciseaux ou la lame de rasoir, avec laquelle on coupera le cordon est flambé (tout au moins dans la vallée où l’influence de la ville est plus sensible). Après avoir coupé, l’accoucheuse cicatrise avec un fer chaud. Le ventre du bébé est enveloppé d'une bande de toile. Ce n'est qu'après la naissance que la grand'mère et les enfants sont appelés dans la chambre pour admirer le nouveau-né. « Après la délivrance, le placenta est enterré dans la case (afin que personne ne puisse s'emparer dans un but magique) et du feu est maintenu audessus de l'emplacement. Les ciseaux sont placés sous la tête de la mère. Ces deux mesures, selon la croyance populaire, assurent la chute rapide et sans complication du cordon. Quand celui-ci tombe, on l'enterre et on plante une arbre dessus, souvent un bananier, qu'on fera voir plus tard à l’enfant, en lui disant que c'est son arbre. » « Le bébé, après avoir été baigné par l’accoucheuse, est vêtu d'une petite robe courte de cotonnade, sa tête est étroitement emprisonnée dans un bonnet, le bas de son corps est enveloppé dans une serviette ou un linge. Puis il est disposé près de sa mère sur le lit ou la natte. Pendant une pé-

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riode, qui varie selon les familles, il couchera seul avec elle. Dans certaines maisons on place près de lui une bouteille emmitouflée, afin de tromper la sorcière qui lui voudrait du mal. » « La mère se bouche les oreilles avec du coton, elle ne doit rien manger de « froid » (par exemple coco, avocat, corrosol), ni rien de blanc (excepté le lait), durant cinq mois. Elle boit des tisanes pendant trois jours et, ensuite de l’eau tiède au soleil. Même dans les familles les plus pauvres, on se [197] procure un poulet, qui lui sera offert sitôt après l'accouchement. « Pendant les premiers jours, la mère et l'enfant gardent la maison. En attendant la montée du lait, et pour débarrasser le bébé des mucosités qui l'empêcheraient de bien digérer (car le dedans du corps de la mère est sale, et par conséquent celui de l’enfant aussi), on lui administre une purge. « L'accoucheuse vient, chaque matin, pendant une semaine, baigner l’enfant et prendre soin de la mère. Il faut toujours qu'un membre de la famille soit présent quand elle arrive, prêt à l'assister. Sa tâche n'est pas terminée tant qu'elle n'a pas présidé à la sortie de l’enfant le septième jour, en faisant des cérémonies pour le protéger des loups-garous. » 346

Parfois, pourtant, pour économiser le salaire de la sage-femme, et surtout si ce n'est pas le premier enfant, les paysannes accouchent seules ou avec l'aide de leur mari, pour couper le cordon. À Marbial et dans la plupart des régions du pays, les matrones se rangent en deux catégories : « les unes appelées fanm chaj ou akouchez (sages-femmes, accoucheuses) sont des matrones spécialisées, elles sont réputées moins habiles que les autres, les dokté féy (docteurs feuilles) qui soignent toutes sortes de maladies à l'aide de feuilles et d'un petit nombre de produits pharmaceutiques à bon marché. Les hommes peuvent être dokté féy aussi bien que les femmes, mais ils sont rarement appelés quand il s'agit d'un accouchement normal, tandis que leurs collègues féminines sont parfois très normal, tandis vvé , prpiéé,' ouueee ('Uirejsen) une, qui se flattait d'avoir à son actif sept-cent-quatre vingt quinze accouchements 347. 346 347

Sylvan, Jeanne. “L’enfance….” Op. cit., pp. 88, 90. Ibid, p. 90.

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En cas de complications, une fam-chay aura recours à un dokté féy. Leur tarif varie d'après la région et est ordinairement proportionné à la capacité des clients. Par exemple, il est à Kenscoff de dix à deux gourdes et à Marbial de quatre [198] gourdes pour un paysan aisé à une gourde et même trente centimes pour les pauvres. » Comme au Dahomey, la naissance des jumeaux, a une signification, particulière, les jumeaux ou « marassas » et l’enfant qui les suit possèdent un pouvoir occulte, inné aux yeux des paysans, et ils ont une place spéciale dans le rituel du vodou. Immédiatement, après la naissance, on prend les plus grandes précautions pour protéger l'enfant contre les mauvais sorts ; d'abord un cordon, retenant un petit sac de toile, qui renferme des produits magiques, est passé à son cou afin de le préserver contre la magie, puis il est ordinairement présenté rituellement aux « loas ». Dans certaines régions on lui façonne la tête, comme le font quelques peuplades africaines, entre autres les Ibos de l'Afrique Occidentale. 348 L'enfant est toujours allaité au sein, le plus souvent, la mère recommence à vaquer à ses occupations trois ou quatre jours après l’accouchement ou même plus tôt si elle n'a personne pour l’aider. Parfois une semaine après elle doit transporter l’eau de la rivière à sa maison. Dans ce cas, elle prend la précaution de ne pas se baisser ou se mouiller les pieds, habituellement toutefois, elle attend quinze ou vingt jours avant de faire ce travail, et de reprendre sa place au marché. À Marbial, ni elle, ni le bébé ne vont à la rivière avant un ou deux mois. 349 Dans quelques communautés, comme Kenscoff, après huit ou quinze jours, elle recommence à travailler au jardin, à Mirebalais, elle ne le fait que deux mois plus tard. Dès l’âge de trois mois, parfois même avant, le bébé commence à partager les repas de sa mère, celle-ci lui fait ingurgiter des aliments qu'il est absolument incapable de digérer. Parfois, elle mâche la nourriture avant de la lui donner, ce qui facilite la digestion. Cette alimentation défectueuse est l'une des causes de la mortalité infantile, si élevée dans les campagnes. L'enfant apprend à s'asseoir à trois ou quatre mois. À dix [199] mois il commence à marcher, ordinairement sous l'égide d'une sœur 348 349

Talbot, P.A., The Peoples on Southern Nigeria, Vol. II, p. 356. Sylvain Jeanne, « L’Enfance….», op. cit., p 89.

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ou d'un frère ainé, qui est désormais le gardien officiel « gardô ». Le bébé n'est jamais abandonné à lui-même la mère l'emporte le plus souvent avec elle ou, si elle doit s'absenter, la jeune « gardô » le surveille et l'amuse. De plus, la plupart du temps, une voisine ou une vieille parente est chargée de jeter un coup d'œil sur les enfants. Ordinairement, la « gardô » s'occupe complètement du bébé pendant la journée, lui prépare son lait, son maïs, le lave, le baigne, fait sa petite lessive, l'amuse. La responsabilité de l’ainée est souvent très pénible dans nos mornes et elle n'ira à l’école que si la mère s'arrête assez tôt d'avoir des enfants. S'il n'y a pas de filles parmi les ainés, un petit garçon sert de « gardô. » Pour faire cesser cet état de choses, on a annexé des crèches à une vingtaine d'écoles rurales, où les mères peuvent déposer leurs bébés pendant la journée, permettant ainsi au « gardô » d'aller à l’école. L'éducation du bébé commence de bonne heure, dès la deuxième année, il apprend à ne pas s'approcher du feu, à ne pas se mettre des choses dans la bouche et à contrôler ses fonctions urinaires ; à deux ans, un enfant qui mouille sa natte est battu. 350 La petite fille est ordinairement baptisée un ou deux mois après la naissance, à moins que la communauté ne soit éloignée d'un village où il y a un prêtre résidant. Dans ce cas, l'on attend la venue du prêtre qui pendant sa tournée annuelle, baptisera tous les enfants nés depuis sa dernière visite. Le baptême, événement important dans les campagnes comme à la ville, est très souvent l'occasion d'une fête. Les parrains et marraines joueront aussi un rôle dans la vie de l'enfant. Ils sont désormais considérés comme des parents, ils prennent souvent leur filleul chez eux, l'élèvent et remplacent au besoin les père et mère. En tous cas, ils doivent être toujours prêts à l'aider en cas de besoin. Celui-ci a aussi des devoirs envers eux ; il doit être soumis et obéissant, et en cas de décès, il doit porter leur deuil et faire chanter des messes pour le repos de leur âme. La parenté [200] s'étend à toute la famille spirituelle : À la campagne bien souvent, une paysanne ne fait pas de distinction entre ses frères et sœurs spirituels et naturels. Les divers filleuls d'un même parrain et d'une marraine sont aussi frères et sœurs des enfants de leur parrain et marraine. « Cette parenté spirituelle est fortement sentie. Elle comporte un tabou sexuel. L'union d'un parrain 350

Herkovits, op. cit., pp. 96, 97

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et de sa filleule est nettement considérée comme incestueuse, de même celle d'un frère et d'une sœur de baptême est inconcevable. » « La croyance populaire veut que les âmes des enfants morts sans baptême errent éternellement sur terre, sans jamais, pouvoir accéder au ciel. Elles sont bossales (sauvages) et sans espoir. Dans l'autre monde, les baptisés sont attachés à leurs parrains et marraines, ainsi que dans la vie, ils l'ont été à leurs père et mère. 351 Au moment du baptême, l'enfant est aussi inscrit sur les registres de l'état civil en qualité d'enfant légitime, si ses parents sont mariés, ou d’enfant naturel, si ses parents vivent en union libre. C'est ordinairement le père qui paie l'acte de naissance et le parrain supporte les frais d'église et de réception ; il envoie des bonbons, des rafraîchissements et un cadeau à la mère et à sa commère. La marraine donne une layette au bébé comprenant une belle robe longue de baptême. Au moment de lui passer la robe de baptême, on enlève le sac et le cordon pour les remettre en place après la cérémonie. On reçoit la famille pendant la journée et le soir, on organise une petite danse, la première à laquelle assistera l'enfant. Après le baptême, l'enfant est ordinairement présenté aussi aux esprits ancestraux dans une cérémonie. Il sera allaité par sa mère jusqu'à dix-huit mois ou deux ans, mais il sera parfois sevré plus tôt, si sa mère attend un autre bébé, ce qui arrive assez souvent, particulièrement dans les villes, car la mère recommence à avoir des rapports avec son mari après deux ou trois mois, parfois même avant. « Le sevrage se fait [201] en un jour ou deux. Le jour choisi, une plante appelée la loi est étendue sur le sein de la mère et quand l'enfant demande le sein et le refuse à cause du goût amer, on lui offre sa nourriture préférée en remplacement. Cette méthode est si efficace, qu'ordinairement un jour suffit. Comme précaution supplémentaire, le bébé ne dort pas avec sa mère pendant trois ou quatre nuits après été sevré, afin qu'il ne puisse pas prendre le sein pendant la nuit. 352 Bien que la mère paysanne soit aussi attachée à ses enfants que celle de la bourgeoisie, sa tendresse est beaucoup plus calme, ses occupations d'ailleurs ne lui permettent pas de passer des heures à cajo351 352

Sylvain Jeanne, op. cit., 95, 96. Herskovits, op. cit., p. 99.

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ler ses bébés. Par contre, le père, même polygame, est beaucoup plus proche de ses bébés, car il en assume souvent la charge, quand la mère s'absente. Les femmes sont patientes et bienveillantes envers les petits enfants. La tendresse des mères est calme et sans effusion. Jusqu'à l'âge de quatre ans, l'enfant est ordinairement laissé libre de faire ce qui lui plait, sous la vigilance de son « gardô » qui ne le quitte pas pendant les premières années. Dès l'âge de cinq ans, l'enfant accompagne sa mère ou ses ainés, quand ils vont chercher l'eau, fait des petites commissions, aide au ménage, commence à balayer la cour et à s'occuper de rassembler les bûches et à activer le feu. Bientôt, il commence à y avoir une différenciation entre les sexes : les jeux et les occupations ne sont plus tout à fait les mêmes et les garçons coucheront bientôt d'un côté et les filles de l'autre. Les petites filles font des pâtés de terre, jouent à la poupée avec des poupées de chiffon confectionnées par leurs sœurs ainées ou achetées au marché ; elles s’amusent à écouter les contes, à chanter les refrains des chansons populaires et accompagnent bien souvent leur mère au marché ou au jardin, dès l'âge de six ou sept ans. Très tôt, la mère leur donne quelques articles à vendre dont le bénéfice leur reviendra bien souvent en propre. À sept ou huit ans, une petite marchande sait déjà très bien calculer le prix de ses produits et reconnaitre la valeur de la monnaie. Elle fait [202] aussi les commissions pour sa mère et sait très bien acheter, même si elle n'est pas marchande ; dans les bourgs, toutes les petites filles servent de commissionnaire. Dans notre enquête, 63% des fillettes des bourgs et 82% des fillettes des communautés rurales se livraient à des activités commerciales. Parmi elles, 44% des fillettes des bourgs et 34% des fillettes rurales disposaient du produit des ventes.353 Elles ont aussi souvent la garde des animaux ; pour les y intéresser on leur donne en toute propriété une partie des portées issues de leur élevage ; elles doivent aussi allumer le feu, transporter le bois et faire la corvée d'eau.354 Dans notre enquête, dans les bourgs 46% des fillettes interrogées s'occupaient des animaux domestiques, 74% transportaient l'eau et 353 354

Appendice I, Table No. 24 p. 18 a. Comhaire-Sylvain, Suzanne et Jean. « Loisirs et Divertissements dans la région de Kenskoff, Haïti p. 3 Bruxelles 1938.

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32% le bois. Dans les campagnes, 66% s'occupaient des animaux domestiques, 74% transportaient l'eau et le bois.355 Les petites filles accompagnent aussi leur mère aux champs, cependant, ce genre de travail est plus répandu parmi les petits garçons. Pourtant, nous ayons, constaté au cours de notre enquête que 43% des fillettes des bourgs et 64,8% de celles des communautés rurales aidaient leur mère aux travaux agricoles. En général à partir de six ou sept ans, elles participent à toutes les occupations de leur mère en prenant de plus en plus de responsabilité au fur et à mesure qu'elles grandissent. Dans notre enquête, nous avons constaté que les occupations des femmes et' des fillettes sont les mêmes. La fillette apprend ainsi son métier de femme, elle s'exerce à coudre, à cuisiner, à laver, à repasser et à prendre soin de ses petits frères et sœurs. C'est elle qui les baigne et prépare leurs repas. Dans les bourgs, parmi les fillettes interrogées, 90% aidaient à la lessive, 95% au ménage, 79% à la cuisine, 79% prenaient soin des bébés, près de 49% cousaient les vêtements de la famille. Dans les campagnes, 93% aidaient à la lessive, 93% au ménage et 82% à la cuisine, [203] 79% prenaient soin des bébés et 44% cousaient les vêtements de la famille. 356 La petite fille participe aussi aux veillées et aux danses et l'une de ses distractions préférées est l'audition des contes populaires, dans lesquelles les traditions et la morale du groupe se trouvent condensées. Dans notre enquête, parmi 367 fillettes des bourgs et des districts ruraux, 313 connaissaient des contes et en racontaient, 215 dansaient et 109 allaient dans les veillées. Leurs distractions favorites étaient les jeux pour 226, les contes pour 55, la promenade pour 55, les danses pour 30. Toutefois, il se peut que les enfants aient eu honte d'avouer cette dernière distraction à leur institutrice, à cause de la mauvaise réputation des danses de vaudou à l'école. La couture et le chant furent aussi considérés comme des distractions par beaucoup de fillettes des districts ruraux, respectivement 25 et 30. La lecture était la distraction favorite seulement de 22 fillettes, 355 356

Appendice I, Table No. 24 p. 18 a. Appendice I, Table No, 24. En enseignant la puériculture dans une école rurale, j'ai été étonné de constater que les petites paysannes étaient aussi habiles que leurs mères : elles étaient déjà au courant de toutes les traditions et pratiques de leur groupe et il suffisait de suppléer à l'insuffisance de l'éducation coutumière.

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bien que 237 prétendent lire. Il n'y a rien d'étonnant à cela, car on ne peut trouver aucun livre intéressant dans les communautés rurales, en dehors des livres classiques. 357 La séparation des sexes dans les jeux commence d'assez bonne heure, vers sept ou huit ans, quelquefois plus tôt. Suivant la région, les enfants jouent en groupes d'une même famille ou d'une même habitation, ou en réunions plus nombreuses, comprenant tous les enfants de la communauté. Comme nous l'avons vu, les jeux occupent une place privilégiée, dans les distractions de la petite paysanne, jeux tranquilles pour la plupart : poupée, fabrication de robes, maison de poupée, confection de petits objets en roseau, jonc, liane et de paniers, sifflets ou de petites nattes, rondes, jeux de courses, [204]jeux enseignés à l'école et importés de la ville, se rapprochant de ceux des petites citadines. 358 S'il y a une école de filles dans la communauté et que les parents puissent faire la dépense d'une robe convenable et de sandales, l'enfant y est envoyée parfois depuis l'âge de cinq ou six ans dans les bourgs, généralement plus tard à la campagne, car l'école est souvent trop éloignée et la fillette ne peut s'y rendre sans fatigue avant dix ou douze ans, et du reste, ses services sont parfois indispensables à la maison. Elle ne passe souvent que deux ou trois ans à l'école quoique certaines y restent huit à dix ans, surtout dans les bourgs. Un très faible pourcentage des élèves, inscrites dans les écoles rurales de filles atteint la classe intermédiaire II (4ème année) et la classe avancée (5ème et 6ème année) la grande majorité est inscrite dans les trois premières années. 359 Dans notre enquête, 73 % des élèves des communautés rurales étaient inscrites dans les classes commençantes. À l'école rurale l'enfant reçoit une instruction classique, agricole et ménagère La discipline familiale est stricte ; une enfant qui désobéit ou manque de respect aux personnes âgées de la famille est sévèrement fouettée. 360 357 358 359 360

Appendice I, Tables nos 25, 26, 27. Comhaire-Sylvain, « loisirs etc… op. cit. pp. 10, 11, 12. Voir Appendice I Tables 10 et 11, p. 6. a. Environ 75% des élèves des écoles rurales sont inseres dans la classe commercante. Herskovits op. cit., p.100.

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« Il est rare, dit Jeanne Sylvain, que des pères soient cruels dans les châtiments infligés à leurs enfants. Les coups, taloches et le refus de parler au coupable, sont les seules punitions que nous ayons notées dans les familles. »

Les enfants sont punis pour désobéissance aux ordres qui leur sont intimés en particulier au sujet des travaux qui leur incombent, pour impertinence et manquement aux bonnes manières... On les bat quand ils font du « désordre », qu'ils se battent, crient, brisent quelque objet, etc. Il n'est pas porté de jugement moral sur le mensonge, et il n'est puni que s'il se complique de circonstances qui entraînent des résultats graves et désagréables. 361 [205] Vers dix ou douze ans, si la famille peut faire la dépense, les enfants sont préparés à leur première communion, d'autres fois leur cérémonie doit être retardée jusqu'à quatorze Ou seize ans. Si l'enfant ne fréquente pas l'école, elle doit apprendre le catéchisme par cœur sous la direction d'un sacristain ou instituteur payé par le prêtre. Comme le baptême, la première communion est célébrée par une fête familiale, particulièrement dans les bourgs. Vers cette même époque, si la famille est un adepte du Vaudou, on donne aussi à la fillette quelques renseignements concernant le culte des esprits ancestraux et les sacrifices qui doivent être faits en leur honneur. 362 La petite fille ne reçoit aucune éducation sexuelle. Les logements étroits où toute la famille dort dans une ou deux chambres, lui permettent le plus souvent d'observer le comportement de ses parents. Les jeunes enfants dorment habituellement dans le même lit que ceuxci et plus tard, dans la même pièce. Garçons et filles jouent librement pendant la première enfance, toutefois, à partir de l'âge de sept ans une division s'opère, les fillettes ne désirent pas participer aux jeux des garçons, de peur d'être bagues. On leur défend aussi d'avoir des rapports sexuels, et si elles sont surprises elles seront sévèrement fouettées. 361 362

Sylvain, Jeanne, « l’enfance etc… », op. cit. p. 105. Herskovits, op. cit., pp. 101, 102.

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2. ADOLESCENCE ET MARIAGE a) Bourgeoisie Retour à la table des matières

Les fillettes de la bourgeoisie fréquentent ordinairement des Institutions privées de jeunes filles, dirigées par des religieuses françaises pour la plupart. Les petites provinciales aisées y sont aussi envoyées comme pensionnaires. Ces institutions ont été modernisées depuis l'ouverture du Lycée de Jeunes Filles. Elles sont bien installées et suivent les programmes de l'Enseignement secondaire ; on y enseigne aussi les arts d'agrément. Les fillettes de revenus modestes suivent les cours du Lycée [206] de jeunes filles ou des écoles primaires supérieures publiques ou privées ; en province, quelques-unes ne pouvant obtenir de bourse au Lycée de jeunes filles, s'inscrivent dans les lycées de garçons. Certaines jeunes filles de la bourgeoisie suivent les cours d'institutions privées qui n'offrent que le programme de renseignement primaire supérieur. En général, les fillettes s'intéressent beaucoup à leurs études et obtiennent souvent de meilleures notes aux examens que leurs camarades masculins. Elles se rendent à l'école dans l'auto familiale ou en groupe à pied. Elles aiment beaucoup les amies et pendant les récréations, elles préfèrent la conversation aux jeux. Elles s'inscrivent volontiers dans les associations des guides scouts et autres groupements catholiques, tels que les cadettes de la maison. Elles aiment le bal, le cinéma, les promenades où l'on peut rencontrer les garçons du même âge. La jeune fille de la bourgeoisie est élevée en vue du mariage. La fillette de treize à quatorze ans, et parfois même de huit à dix ans, a souvent un amoureux ; ils se rencontrent au cinéma, dans les concerts

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publics et dans les bals. Elle attache beaucoup d'importance à sa toilette, encouragée en cela par sa mère, qui est très coquette pour ses filles. Plus elle approche de l'âge du mariage, plus ses efforts sont dirigés en vue de plaire à un jeune homme, avec qui elle échangera des promesses de mariage. Très souvent, les fillettes sont ainsi « engagées » à quatorze ou quinze ans, mais ce n’est que vers dix-sept ou dix-huit ans que l'affaire devient sérieuse et que les parents sont officiellement prévenus ; s'ils ne voient pas d'inconvénients au mariage, l'engagement devient officiel et l'on célèbre les fiançailles, parfois le jeune homme fait connaître lui-même ses intentions mais tant que son père n'a pas présenté sa demande à la famille de la jeune fille, il n'y a pas de promesses entre les deux familles, et c'est une affaire personnelle entre les jeunes gens, qui peut être rompue beaucoup plus facilement que lorsque l'engagement est officiel Une jeune fille engagée est étroitement surveillée par sa famille et ne sortira jamais seule avec son fiancé. Sa mère [207] assistera aux visites du jeune homme, qui sera admis à faire sa cour à des jours et heures déterminés. Il sera aussi régulièrement invité à déjeuner. Des certaines familles, ces traditions commencent à se relâcher et une beaucoup plus grande liberté est laissée aux fiancés, surtout s'ils ne sont pas très jeunes. Les fiancés sont ordinairement jaloux et exigeants et ne permettent à leur promise de s'approcher d'aucun autre homme. Toutes les jeunes filles ne se fiancent pas immédiatement après leur sortie d'école. Si elle ne désire pas faire des études secondaires, vers quinze ou seize ans, elles passent leur brevet ; maintenant la plupart des jeunes filles riches continuent leurs études jusqu'à dix-huit ans et passent leur baccalauréat. Après avoir obtenu leur diplôme, quelques-unes sont envoyées à l'étranger pour se perfectionner dans l'étude des langues, du commerce et des arts d'agrément; d'autres suivent les mêmes cours en Haïti. Les moins riches entrent à l'École Normale d'Institutrices, à l'école Professionnelle Elie Dubois ou dans les Écoles de Commerce. Un petit nombre, qui augmente chaque année avec la diffusion de l'enseignement secondaire parmi les filles, entre à l'Université. À dix-huit ans, la fillette est considérée comme une jeune fille et fait son entrée dans le monde, en assistant à un bal de grandes per-

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sonnes. Son éducation est ordinairement considérée comme achevée, pourtant, si elle le désire, elle peut continuer à suivre des cours. Si elle ne travaille pas, elle aide sa mère à prendre soin de la maison, ce qui ne représente grand-chose, car il y a ordinairement beaucoup de domestiques. Elle consacre ses loisirs à la couture, à la musique, à la peinture, à la lecture de romans, à l'audition de cours, à des visites aux amis, aux sports, aux promenades ou aux réunions sociales, mondaines et religieuses le bal, le cinéma, constituent souvent des distractions hebdomadaires, mais tous les efforts sont orientés en vue du mariage. Elle attache beaucoup d'attention à sa toilette afin de plaire aux jeunes gens. D'après les mœurs, ce sont ceux-ci qui ont l'initiative de la demande en mariage. Pourtant, le contraire se produit bien souvent, car les jeunes filles ont mille façons [208] détournées de faire savoir leur préférence au jeune homme de leur choix. En tous cas, ce sont les Jeunes gens qui décident cette circonstance et d’habitude, le jeune homme ne fait demandé aux parents qu'après s'être entendu avec la jeune fille. L'autorisation des parents, nécessaire pour le mariage des enfants mineurs, est rarement refusée. Les jeunes filles qui travaillent sont la grande majorité même dans cette classe, car les fortunes véritables sont rares et les familles sont nombreuses ; c'est pourquoi une jeune fille de dix-huit ou vingt ans doit généralement subvenir, au moins en partie, à son entretien. Plusieurs jeunes filles riches travaillent pour se distraire, La plupart du temps, la jeune fille de la bourgeoisie travaille pour se procurer des revenus, en a tendant le mariage et ne s'intéresse pas réellement à sa profession. Ce n'est que vers vingt-cinq ou trente ans que la jeune fille, encore célibataire, commence à s'intéresser à son avancement professionnel. Elle dispose librement de son salaire et contribue ordinairement aux dépenses de la maison ; toutefois, elle conserve de quoi se vêtir avec élégance, afin de trouver un mari. En général, la jeune fille qui travaille s'intéresse davantage aux œuvres ; elle est souvent membre de plusieurs associations ; pendant ses heures de loisirs, elle mène à peu près la même vie que celle qui ne travaille pas. Ordinairement, une jeune fille ne peut sortir seule le soir pour aller en promenade ou au cinéma, ni non plus en compagnie de camarades masculins ; si elle n’a pas de frères ou de parents pour l'accompagner, elle sortira avec un groupe de voisines. Quelques familles, toutefois,

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accordent en ce moment plus d'indépendance aux jeunes filles et leur permettent de sortir seules avec un jeune homme. La durée des fiançailles varie suivant la situation économique. Dès que le jeune homme est prêt à subvenir aux besoins de la famille, que les meubles sont achetés et que la jeune fille a achevé son trousseau, la date du mariage est fixée. Le fiancé fournit le mobilier, l'argenterie, la vaisselle, la verrerie et le linge de maison; la jeune fille n'apporte que son trousseau personnel, mais est responsable des frais, parfois très élevés de la réception. La célébration du mariage [209] lieu en grande pompe. Il y a deux cérémonies, une civile et l'autre religieuse. Presque toujours, le mariage civil a lieu chez la jeune fille. La maison est décorée de corbeilles de fleurs envoyées par les parents et les amis. La cérémonie est : suivie d'une réception intime et le cortège se rend à l'église. Le père ou son remplaçant accompagne la mariée, en robe blanche. Le marié suit dans une autre voiture avec la marraine des noces, puis viennent les garçons et les demoiselles d'honneur et les parents et amis. L'église est déjà pleine des autres invités qui attendent le cortège. Une haie de curieux est ordinairement massée à l'entrée. La cérémonie religieuse se poursuit avec la pompe majestueuse de la religion catholique : musique, fleurs, encens, sermon, etc. Toute l'assistance va ensuite à une grande réception chez le père de la mariée. La magnificence de la cérémonie est proportionnée à la richesse de la famille. En province, la fête se prolonge par un bal qui dure toute la nuit. Quelquefois, les choses se passent beaucoup plus simplement. Le mariage civil est célébré par le prêtre à la sacristie, où la plupart des invités saluent les mariés et seulement un groupe d'amis et de parents les accompagnent chez eux pour une petite fête intime. Dans tous les cas, le mariage est un acte solennel dans la vie de la jeune fille et est considéré comme une fête mon daine par tous ses amis, qui mettent pour l'occasion leurs plus beaux habits et en confectionnent parfois de nouveaux pour la circonstance. Les demoiselles d'honneur ont ordinairement des robes de soirée de même nuance. Les amis et parents doivent donner des cadeaux au couple. Les nouveaux mariés font habituellement un séjour de huit ou quinze jours à la campagne. Tout a été préparé à l'avance par la famille qui les accompagne jusqu'à la maison où ils vont passer leur lune de miel.

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Peu de temps avant la célébration du mariage, la mère ou une parente apprend sommairement à la fiancée les secrets de la vie conjugale. Un grand nombre de jeunes filles étroitement gardées depuis leur enfance sont entièrement ignorantes en matière de sexe jusqu'à ce moment. D'autres familles sont plus libérales et ne se gênent pas pour discuter librement [210] de ces matières, devant les fillettes. Très souvent, celles-ci s'instruisent mutuellement, la fillette est mise au courant à l'école, pendant la récréation par ses petites amies, mais elle se gardera de discuter ces choses à la maison de peur d'être grondée. En général, la jeune fille de la bourgeoisie, et même la jeune femme ignorent toute mesure anticonceptionnelle. Une jeune fille qui se trouve enceinte essaiera quelques remèdes de bonne femme, conseillées par une amie intime, qui peuvent mettre sa vie en danger, plutôt que d'avouer le fait à ses parents. Si elle n'a pas réussi à se débarrasser de son enfant, quand il est impossible de cacher sa grossesse, les parents informés mettront tout en œuvre pour décider le jeune homme à l'épouser ; en général, celui-ci consentira et le mariage sera célébré à la hâte, afin que l'enfant naisse légitime. La jeune femme conservera ainsi son rang dans la société, mais certains parents ne lui pardonneront pas facilement sa faute. Si le jeune homme ne consent pas à se marier ou s'il est déjà marié, certaines familles provoqueront l'avortement, tandis que d'autres essayeront de trouver un autre mari pour la jeune fille, ou se résigneront à faire face au scandale. En tous cas, après la naissance, l'enfant sera bien soigné par la famille maternelle, La fille perdra toute considération parmi les membres de sa classe et devra se retirer de la société. Toutefois, si elle trouve un homme à vouloir l'épouser, elle conservera son rang social. L'enfant élevé par la famille maternelle, continuera à faire partie de la société. Il arrive parfois que les jeunes gens aient des relations sexuelles durant leurs fiançailles. Si la naissance de l'enfant arrive seulement quelques mois après le mariage le fait donnera lieu à des commentaires mondains, mais ne diminuera pas le statut social du couple. Comme nous l'avons dit plus haut, après son mariage, la nouvelle épouse désire le plus souvent avoir des enfants, auxquels elle consacrera la plus grande partie de son temps. La jeune femme de la bourgeoisie s'occupe ordinairement de la direction de sa maison, son mari lui remettant la plus grande part de son salaire pour subvenir aux frais

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du ménage. Certains maris remettent à leur femme l'intégralité de leur salaire, celle-ci administre la fortune commune, règle les dépenses [211] du ménage, décide même parfois de ce qui doit revenir au mari comme argent de poche, économise si possible. Certains jeunes gens prennent l'habitude de remettre leur salaire à leur fiancée afin que celle-ci économise pour l'achat des meubles et autres dépenses nécessaires au mariage. Quelquefois le mari calcule approximativement le coût des dépenses du ménage et remet cet argent à sa femme, ainsi qu'une petite allocation pour sa toilette ; il garde le reste pour ses dépenses personnelles et décide de l'emploi des économies. Il est rare que le mari fasse lui-même les achats pour la maison et règle les dépenses ; pourtant ceci arrive quelquefois, particulièrement si la femme est prodigue et ne peut administrer convenablement la fortune commune. Le standard de vie : nourriture, logement, vêtement, est assez élevé et comparable à celui des femmes de cette classe dans les autres pays. Il est difficile, cependant, de parler en général de la femme de la bourgeoisie. Nous avons étudié quelques cas concrets qui nous ont permis de nous faire une idée des conditions de la vie dans cette classe. La famille bourgeoise se fait servir par plusieurs domestiques ; ils font la cuisine, le ménage, s'occupent du jardin. Même dans la classe moyenne et le peuple, si la situation économique ne permet pas d'avoir des domestiques payés, on a recours à des enfants qui servent sans gage, mais reçoivent logement et nourriture. Toutefois, la maitresse de maison n'hésite pas à mettre la main à la pâte dans certaines occasions. Ainsi presque toutes les femmes mettent la dernière main au ménage, décorent la maison, confectionnent parfois des desserts et des petits plats, s'occupent elles-mêmes de leurs bébés et cousent les vêtements de la famille, à l'exception des costumes d'hommes. Plusieurs s'intéressent au jardinage, au piano et à la peinture. Elles contribuent souvent à augmenter les revenus familiaux par le travail à la maison : couture, pâtisserie et confiserie. Quelques-unes continuent à travailler au dehors, forcées par la nécessité en vue de contribuer aux dépenses du [212] ménage ou parce qu'elles ont pris goût à leur existence professionnelle.

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La vie quotidienne comporte quelques distractions : la radio, la lecture de romans et de revues, les visites aux parents, aux voisins et aux amis, le cinéma, les parties de cartes, les expositions, les promenades, les concerts publics et les réunions mondaines. Quelques-unes mènent une vie sociale intense, conduisent ellesmêmes leur auto, vont régulièrement au bal, au casino, etc. mais la plupart ont une existence plutôt monotone, ne vont au dancing que deux ou trois fois par an, pendant le carnaval et à la fin de Tannée et n'ont guère de distractions en dehors de la famille et du cinéma. L'ambition de toute jeune fille est d'être propriétaire d'une maison d'habitation et si elle n'en possède pas, elle fera de grands sacrifices en vue d'en acheter une. Par exemple, Alice, récemment mariée, désirait avoir une maison, le salaire de son mari bien qu'il fût de cinq cents gourdes et le sien de deux cents gourdes, ne lui permettaient pas de faire facilement des économies, d'autant plus que son mari devait aussi entretenir en pairie sa mère et sa sœur, en leur versant une rente de cent cinquante gourdes par mois. Leur budget de Cinq cent cinquante gourdes représentait ce qu'un jeune couple bourgeois dépense pour vivre largement, car les loyers sont assez élevés : on doit généralement payer au moins deux cent gourdes une maison de quatre à six pièces dans les quartiers habités par cette classe. Pourtant, en se privant, la jeune femme réussit en trois ans à économiser de quoi acheter un terrain, à raison de deux mille gourdes. Entre temps la famille avait dû faire face aux dépenses de deux accouchements et s'était augmentée de deux enfants. Au bout d'un an, la construction était suffisamment avancée pour que la famille puisse y prendre logement. Naturellement, il y avait encore de nombreuses années de privation en perspective, car la jeune femme avait décidé son mari à s'engager à payer trois cent cinquante gourdes par mois pour amortir le plus vite possible leur dette sur les matériaux de construction, achetés à crédit, La famille de quatre membres, père, mère et deux enfants, avec un troisième [213] en perspective, vivait avec un budget de deux cent cinquante gourdes par mois, la rente à la belle-mère ayant été diminuée à cent gourdes. Il est rare, toutefois, que la femme soit aussi ambitieuse et veuille réaliser le rêve de bâtir sa maison, au prix de si grands sacrifices. La plupart préfèrent attendre plus longtemps afin de pouvoir exécuter

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plus facilement le projet, mais en général la femme n'hésitera pas à sacrifier son confort et ses distractions en vue de faire l'acquisition d'une propriété. Le type de la maison, habitée par la famille, diffère suivant les moyens économiques et la composition de la maisonnée, mais c'est généralement une maison en bois, en briques ou en ciment d'au moins quatre pièces, entourée d'un jardin. La famille habite ordinairement seule, mais elle a des relations suivies avec les parents des deux côtés. Toutefois, on a coutume de dire que la famille maternelle acquiert un nouveau membre par le mariage de la femme, tandis que celle du mari en perd un. La mère, si elle n'habite pas avec sa fille vient faire des séjours prolongés chez elle en cas de maladies ou de couches, à moins que la fille ne se rende chez ses parents pour avoir un enfant. Parfois, quand les revenus sont modiques, le jeune couple habite chez les parents du mari ou de la femme, jusqu'à ce qu'il soit possible de louer une maison personnelle. Dans d'autres cas, c'est un arrangement plus ou moins définitif et l’on vit « en famille », suivant l'expression locale, c'est-à-dire, plusieurs familles habitent la même maison. En tous cas, même si la famille est dispersée, il y a fréquemment de grandes réunions familiales, parfois tous les dimanches ou à l'occasion de fêtes. Les membres d'une même famille s'entr'aident, en cas de nécessité, les plus fortunés portent secours aux autres… Durant l’été, plusieurs couples se réunissent généralement pour aller passer leurs vacances ensemble à la mer ou à la montagne, et les cousins vivent comme frères et sœurs. Les relations entre amis et voisins sont aussi très intimes, ils sont parfois considérés comme de vrais parents, ces liens étant d'ailleurs, le plus souvent, renforcés par une parenté spirituelle. [214] C'est la mère qui s'occupe généralement de l'éducation de ses enfants, particulièrement de celle des filles, elle choisit l'école et les leçons particulières qu'il convient de leur donner. Elle les aide à faire leurs devoirs et à étudier leurs leçons, jusqu'à ce qu'elle devienne incapable de le faire, si elle n'a pas achevé elle-même ses études secondaires. Pendant les premières années, elle ne sort le soir qu'accompagnée de son mari, et celui-ci s'il est jaloux, la surveille parfois étroitement. Plus tard, elle sort avec ses enfants et sert de chaperon à ses

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filles. Si elle ne s'entend pas avec son mari, elle peut demander le divorce, toutefois l'église catholique n'admet que la séparation ou le divorce avec promesse de ne pas se remarier. Malgré cela, le nombre de divorces a considérablement augmenté durant ces dernières années. On croit généralement que cette augmentation est due à un relâchement des mœurs, pourtant, nous croyons plutôt que cela vient surtout d'un changement dans la compréhension du mariage. Autrefois, la femme acceptait passivement le concept de la double moralité. Elle savait qu'elle ne pouvait pas s'attendre à ce que le mari soit fidèle et elle se consacrait à ses enfants, sans chercher à connaître les aventures de son époux. Celui-ci la respectait et il était très attaché à son foyer légitime, malgré les liaisons qu'il pouvait avoir au dehors. La prospérité de la famille et l'avenir des enfants semblaient plus importants que des liaisons passagères. En ce moment, la famille commence à se désagréger, car la femme ne reconnaît plus à son mari le droit de la tromper et préfère rompre le mariage, quand elle s'aperçoit qu'elle a une rivale préférée, en d'autres cas, elle veut, par représailles, jouir de la même liberté accordée par les mœurs à son mari ou si sa moralité ne le lui permet pas, elle lui reproche bruyamment son infidélité, celui-ci ne peut supporter cette nouvelle attitude de son épouse. Cette révolte est la cause de la plupart des divorces bien qu'elle soit souvent masquée par d'autres raisons, qui sont mises en avant pour cacher la vérité. En cas de divorce, la femme retourne ordinairement dans sa famille avec ses enfants jusqu'à ce que le tribunal attribue la garde des enfants à l'un ou l'autre des deux conjoints. Le mari est obligé légalement d'entretenir sa femme [215] et ses enfants pendant le poursuite en divorce, mais très souvent, il ne le fait pas. Après le divorce, si la mère a la garde des enfants, le père doit lui verser une pension pour leur entretien, mais la plupart du temps, il ne continue pas à payer pendant longtemps. La femme divorcée se remarie fréquemment bien que la religion catholique ne le permette pas. Malgré cette défense, bon nombre de femmes, réputées bonnes catholiques, n'hésitent pas à le faire. Quelques-unes acceptent le verdict de l'église et se mettent bravement au travail pour gagner leur vie et celle de leurs enfants.

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Les familles haïtiennes ont rarement des économies, c'est pourquoi la veuve doit ordinairement travailler pour entretenir ses enfants, si elle en a. Toutefois, la plupart du temps, la famille de son mari et la sienne l'aident à entretenir et à élever les orphelins. Si le mari était fonctionnaire du gouvernement et avait atteint l'âge du soixante ans et qu'il avait travaillé pendant vingt-cinq ans au service du gouvernement, elle a droit à une pension de retraite, qui est la moitié de celle que son mari aurait touché. Si la mère du mari est vivante cette pension est partagée en deux. La femme de la bourgeoisie, qui demeure célibataire, réside ordinairement avec d'autres personnes de sa famille. Elle aide parfois à prendre soin des enfants de sa famille, soit en adoptant quelques-uns d'entre eux, soit en contribuant à leur entretien. Maintenant, de plus en plus, elle tient à avoir son indépendance économique par le travail. Sa vie journalière ne diffère pas de beaucoup de celle des femmes mariées, b) Classe moyenne et prolétariat des villes. La fillette de la petite bourgeoise et de la classe populaire des villes, fréquente en général les écoles publiques de filles, ou les cours sont gratuit. Quelques parents néanmoins envoient leurs filles dans les institutions privées, au prix des plus grands sacrifices, La fillette, en général, ne poursuivra pas ses études au-delà de l'école primaire, pourtant, certaines s'inscrivent aux cours complémentaires des écoles primaires supérieures, au [216] lycée, dans les écoles normales et professionnelles et même à l'université. Le travail scolaire est beaucoup plus pénible pour les enfants de cette classe, car elles sont en général sous alimentés et n'ont pas les moyens d'acheter les livre nécessaires. De retour à la maison elles doivent aider leur mère aux soins du ménage et ne trouvent pas le plus souvent une pièce tranquille et éclairée pour étudier leurs leçons. En dépit de cela, quelques fillettes de la classe populaire obtiennent des succès scolaires, et si la famille peut réussir à économiser pour les maintenir en classe jusqu'à obtenir leur brevet ou leur bachot, elles peuvent continuer leurs études pour apprendre un métier ou une profession. La majorité néanmoins,

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n'ayant pas assez d'instruction, soit entre en apprentissage pour apprendre la couture ou commerce immédiatement à travailler à la maison ou au dehors comme ouvrière, vendeuse, marchande ou domestique. Nous avons déjà parlé précédemment des loisirs des fillettes. En grandissant, l'adolescente continue à aider au logis, ses sorties sont plus fréquentes, elle va plus souvent à la promenade, au cinéma et au bal, elle aime écouter la radio. Si elle en a l'occasion, elle fait volontiers partie de groupements de jeunes gens: jeunesses ouvrières catholiques, amicales de collège, confréries qui lui permettent de s'échapper un peu de son milieu. Elle souffre de la promiscuité des logements étroits, elle est attachée à sa famille, mais espère s'en évader par un mariage ou un placage, qui améliorera sa condition ; c'est pourquoi elle consacre la plus grande partie de l'argent dont elle peut disposer à sa toilette. Elle jouit naturellement d'une bien plus grande indépendance que la jeune fille de la bourgeoisie. Pourtant, quelques familles de la classe moyenne exercent aussi une surveillance stricte, ne désirant pas que la jeune fille ait des contacts sexuels, ce qui pourrait l'empêcher de se marier. Elle désire se marier tout autant que la jeune fille plus fortunée. Pourtant, les conditions sont souvent beaucoup plus difficiles pour elle et les tentations plus nombreuses, de sorte qu'elle n'arrive pas toujours à réaliser son ambition. Si elle est jolie et instruite, elle est souvent la proie des hommes de la bourgeoisie, [217] qui, célibataires ou mariés, désirent s'amuser avec elle et la prendre pour maitresse, tout en épousant une jeune fille de leur classe. D'autres fois, ce sont des jeunes gens de sa classe qui la courtisent, mais ne veulent pas accepter la responsabilité découlant d'un mariage. Dans ce cas, la fillemère doit entretenir son ou ses enfants en tout ou en partie. Fréquemment, ces derniers ne sont même pas reconnus par leur père dont ils n'ont pas le droit légalement de porter le nom ; pourtant le plus souvent, reconnus ou non, ils portent le nom de leur père, qui n'ose pas les désavouer publiquement, de crainte du scandale. Toutefois, la jeune fille trompée n'a aucun recours légal contre son séducteur, qui peut continuer impunément à avoir des enfants dont il n'acceptera pas la responsabilité. La plupart du temps, le père verse une petite rente, pour faciliter l'entretien des enfants, au moins pendant les premières années.

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Si la citadine du peuple se marie, les choses se passent à peu près comme dans la bourgeoisie, avec moins de frais et d'apparat, mais le mariage est aussi une cérémonie solennelle. Après le mariage, elle continue à travailler, car le salaire du mari est presque toujours insuffisant. Le pourcentage des personnes mariées varie avec la situation économique ; il est très faible parmi les plus pauvres car l'on doit attendre pour se marier de pouvoir acheter le mobilier et les ustensiles de ménage. La jeune fille doit coudre son trousseau, broder la lingerie de la maison. Il y aura aussi une fête ou tous les parents et amis seront invités. La jeune fille de cette classe est ordinairement instruite depuis longtemps des faits de la vie et très souvent, durant les fiançailles elle a déjà cédé aux séductions de son fiancé. Le niveau de vie varie suivant les salaires et l'instruction. Certains ouvriers ou petits commerçants aisés sont propriétaires d’une gentille maison de quatre à cinq pièces, avec une petite cour, et ils ont de beaux meubles en acajou, une radio et même un frigidaire. Leur alimentation et leur habillement diffèrent peu de celui des familles peu fortunées de la bourgeoisie. Les femmes, en général, travaillent plus durement et ont moins de distractions qui consistent seulement à écouter la [218] radio, rendre visite aux amies et aller au cinéma. Presque toujours catholiques, elles vont régulièrement à l'église et ne pratiquent pas ouvertement la superstition. La femme du peuple illettrée, même catholique, est ordinairement une adepte du vaudou ; elle vit la plupart du temps dans des taudis dépourvus de tout confort, fréquemment pires que les foyers paysans. Le budget est minime et la famille est le plus souvent obligée d'habiter les faubourgs, ou elle est entassée dans une seule chambre, donnant sur une cour sordide. Les enfants ne mangent pas toujours à leur faim, mais on essaye de les habiller convenablement et de les envoyer à l'école On économise plutôt sur la nourriture que sur l'habillement. Une domestique qui touche seulement une vingtaine de gourdes, envoie parfois son enfant dans une école privée, ou elle est obligée de payer pour l'écolage. D'après Mme Comhaire-Sylvain « Dans les milieux très pauvres, le nombre de personnes couchant dans une même pièce est quelquefois ahurissant : deux familles du Bel-Air détiennent le record de notre enquête avec vingt et une personnes le chiffre douze se trouve dans tous les quartiers. Ces chambres ont presque toujours moins de douze

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mètres carrés... À peu près la moitié des enfants couchent sur des lits... Dans les familles très pauvres, il n'y a, le plus souvent, qu'un lit sur lequel couchent le père, la mère et un ou deux bébés, les autres personnes ont des matelas, des nattes ou rien du tout. Quand l'homme n'habite pas la maison, le lit a beaucoup plus d'occupants, jusqu'à six, lorsqu'il s'agit de ce que nous appelons couramment : lits à deux places. Les petits divans canapés si étroits, les lits à cadres, hébergent souvent trois personnes. Les grands matelas servent dans certains cas, à neuf personnes ; vous comprenez aisément que la plupart de ces enfants couchent à moitié par terre. Dans certaines familles, on étend des nattes jusque sous le lit des parents... À cause de l'exiguïté des maisons, il est quelquefois impossible d'avoir des tables de dimensions suffisantes pour accueillir tous les membres de la famille... Quelquefois, on fait deux services, d'autres fois, les enfants mangent sur leurs genoux. Beaucoup de nos enfants sont sous-alimentés. L'habitude des trois repas s'est à peu près généralisée en [219] ville, mais ces repas sont quelquefois excessivement légers et mal composés. Prenons par exemple, le menu des treize enfants de l'école Théophile Martin, qui font trois repas par jour : le matin, sept enfants absorbent une tasse de café et un biscuit ou un morceau de pain, quatre de l’acassan avec ou sans pain, un enfant du lait ou du pain, un autre du chocolat et du pain. À midi, huit de ces enfants mangent des pois et riz ou petit-mil avec des pois (ni viande, ni légume, même le dimanche, dans d'autres quartiers, ce serait du mais moulu), trois autres, de la viande avec ou sans bananes et deux du hareng-saur ou de la morue avec des bananes. Le soir, trois enfants se nourrissent de lait et pain ou chocolat et pain, deux enfants de pois et riz, ou riz et morue, un enfant de bouillon, trois de vivres, un enfant qui prend des pois et riz à midi, un de la morue et de la banane le soir. L'alimentation des enfants a été notée durant trois jours consécutifs (dimanche, lundi, mardi) afin de déterminer la nourriture habituelle. 363 Il est très difficile d'évaluer le prix de la vie pour une famille de cette classe, nous avons constaté que les revenus sont tout à fait variables.

363

Comhaire Sylvain Suzanne. – Ce que font les fillettes en dehors de leurs heures de classe (manuscrit).

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Les résultats d'une enquête des Département du Travail et de l'Agriculture sur le budget des familles à bas salaire, permettent de se faire une idée du coût de la vie pour les familles à faible revenu. L'enquête englobe 55 familles réparties en trois zones. La zone I comprend 33 familles de paysans propriétaires de régions rurales des environs de St. Marc. La zone II comprend 17 familles d'ouvriers travaillant également dans des exploitations agricoles des régions de Gonaïves, Fort-Liberté et Port-de-Paix et la zone III comprend 5 familles d'ouvriers urbains du Cap-Haitien. Les dépenses hebdomadaires sont respectivement pour la zone I de 45 gourdes 50 par famille et de .G. 6.82 par personne, pour la zone II de 46 gourdes 94 par famille et de G. 9.04 par personne, pour la zone III de 27 gourdes 71 par famille et de 9,21 par personne. [220] « Les revenus familiaux sont inconnus pour la première zone, puisqu'il s'agit de propriétaires et sont respectivement de 33 gourdes 79 et de 39 gourdes 60 pour les deux autres zones. Le revenu comprend les sommes gagnées par le père et la mère. Les dépenses pour la zone II dépassent les salaires sans doute parce que les sommes gagnées par la mère ne sont pas toujours mentionnées.» « La moyenne des salaires pour 17 chefs de famille dans la zone II est de 26 gourdes 44 par semaine ; la moyenne des salaires pour 11 mères de famille dans la même zone est de 11 gourdes 36 par semaine. » « Pour la zone III (Cap-Haitien) la moyenne des salaires hebdomadaires pour 4 pères de famille est de 25 gourdes 50 et la moyenne des salaires pour 4 mères de famille est de 24 gourdes. 364 Le budget est réparti de la façon suivante : zone I, alimentation 66,4%, cuisine (charbon, bois, savon) 5 ;6% ; habillement 1,17%, soins médicaux 2,7%, loisirs 8;2%. Zone II, alimentation 61%, cuisine 7,23% ; habillement 21,81%, loyer 6,01%, soins médicaux 0,15% ; loisirs 4%. 364

Bulletin Trimestriel, No. 2 octobre 1951, pages 46, 47, 48, 49.

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Zone III, alimentation 52,1%, cuisine 11%, habillement 15,8 % ; loyer 16,8%, soins médicaux 0,3% ; loisirs 4%. Le nombre de pièces par logement est de 2,7 pour la zone I, de 1,7 pièce par logement pour la zone II et de 1 pièce pour la zone III. En outre, la valeur actuelle du mobilier est respectivement de 297,280 et 141 gourdes. 365

En général, les conditions de logement des familles pauvres des villes sont bien pires que celles de la campagne, c'est pourquoi le gouvernement a entrepris un vaste programme de construction de logements ouvriers dans les principales villes du pays. La nouvelle cité ouvrière Paul E. Magloire comprend 181 habitations de 3 et 4 pièces éclairées à l'électricité, tandis que 75% des 796 habitations du quartier de la Saline (Trou Cochon) n'ont qu'une seule pièce sans eau ni électricité. [221] Le nombre moyen de personnes par familles est de 6 pour la zone de St. Marc, 2 adultes et 4 enfants, dont l'âge moyen est de 10 ans, et de 5 pour les autres zones et l'âge moyen des enfants est de 8 ans. Les familles plus nombreuses consacrent un plus fort pourcentage de leurs revenus à l'alimentation. 366 Les conditions de vie pour la femme de cette classe sont souvent très dures, sans beaucoup de compensation. Parfois, la femme vieillissante se voit abandonnée après de nombreuses années de vie commune pour une concurrente plus jeune et plus désirable. Heureusement, les enfants sont en général très attachés à leur vieille mère et ils en prennent soin jusqu'à sa mort ; pourtant les conditions de logement sont si difficiles dans les villes, que parfois ils sont obligés de l'envoyer à l'asile des vieillards. c) Classe paysanne

365 366

Bulletin Trimestriel, No 2, octobre 1951, ibid. Bulletin Trimestriel, No 2. Oct 1951, p. 51

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Plusieurs adolescentes, après avoir ou non fréquenté l'école, sont placées comme apprentie chez une couturière ou une personne qui possède une machine à coudre, pour se perfectionner dans cet art. Elles sont heureuses de ces occasions de se réunir avec des fillettes de leur âge et d'échapper aux travaux des champs. Les jeunes paysannes de quinze à dix-huit ans ont en général achevé leur apprentissage familial. Elles dirigent et prennent soin des jeunes enfants, aident leur mère aux travaux ménagers, travaillent au jardin ou font le commerce. Elles vendent pour leur propre compté et disposent de leurs bénéfices. En ce moment, plusieurs écoles rurales de filles ont des cours complémentaires ménagers pour leurs anciennes élèves et les jeunes filles illettrées de la communauté. Celles qui y sont admises s'occupent des bébés à la crèche annexée à l'école, elles cuisent les repas pour la cantine, confectionnent leurs robes, apprennent les petites industries de transformation des matériaux indigènes et travaillent au jardin « et à la basse-cour. [222] Les jeunes gens des deux sexes sont soumis entièrement à l'autorité de leurs parents jusqu'à leur mariage ou leur placage. A partir de la puberté, les adolescentes sont étroitement surveillées et ne sont pas ordinairement envoyées seules faire les commissions, À Marbial, dit Melle Jeanne Sylvain, « les fillettes et les jeunes filles ne sortent jamais après le coucher du soleil sans être accompagnées et sans une destination bien définie. On leur apprend à ne jamais consentir à s'arrêter au bord du chemin pour une conversation avec un admirateur. Les rencontres ont lieu en groupe, au marché, devant la chapelle ou l'église, dans les veillées ou « dernières prières » ou encore au cours des visites chez les parents ou chez des amis communs. Entre voisins pourtant, les occasions de se voir ne manquent pas, car on s'entr'aide pour les travaux des champs, auxquels les filles participent aussi bien que les hommes, Quand le moment de songer à l'avenir sera arrivé, lorsqu'un homme, s'approchant de la fille qui lui plait, voudra lui faire part de ses sentiments, se conformant à la leçon de modestie qui lui a été apprise elle le repoussera et le renverra à ses parents. Le jeune homme,

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après avoir choisi un ou plusieurs émissaires parmi les parents de la jeune fille et s'être plus ou moins assuré des sentiments qu'elle n'a pas voulu avouer au premier abord, doit s'adresser à ses parents pour demander leur intervention. » 367 En général, les préliminaires du mariage sont les mêmes que pour la jeune fille des autres classes sociales. C'est le jeune homme qui prend l'initiative de courtiser une jeune fille de son choix. S'ils sont d'accord, la jeune fille l'autorise à faire la demande à ses parents. Celle-ci doit être le plus souvent écrite et remise solennellement. L'opinion des parents a une importance essentielle dans les unions. De même que pour la jeune fille de la bourgeoisie, si le jeune homme est étranger à la communauté, la famille prend des renseignements avant de donner son consentement. C'est aussi une grande offense de refuser un jeune homme qui a été autorisé [223] à présenter officiellement sa demande. Les fiançailles durent pendant au moins six mois et habituellement deux ou trois ans pendant lesquels le jeune homme fait sa cour à la jeune fille et à sa famille et fait les préparatifs nécessaires. A l'occasion du mariage, le père donne habituellement à son fils un lopin de terre sur lequel il bâtit sa maison et dont il pourra tirer sa subsistance. Il est considéré indispensable que le nouveau couple ait une maison indépendante et quelques meubles. La jeune fille, de son côté, prépare son trousseau et sa famille économise pour lui acheter sa vaisselle et sons linge de maison, si la situation pécuniaire le permet. On lui donne aussi des animaux en cadeau au moment du mariage. La chasteté n'est pas obligatoire, c'est une affaire personnelle entre les deux fiancés. La jeune fille avoue ordinairement à son fiancé ses aventures précédentes et il passe outre, pourtant la virginité est appréciée et récompensée par un respect et des attentions spéciales. Au contraire, les garçons sont censés avoir des aventures sexuelles avant leur première union. Les fiancés sont présentés rituellement aux esprits ancestraux de leur famille réciproques, avant le placage ou le mariage. On fait une visite au cimetière pour annoncer aux morts l'union projetée et s'attirer leur bénédiction. Si le mariage est célébré à l'église, il est habituellement suivi d'une réception accompagnée de discours, de boissons et de danses. Dans les bourgs et les communautés rurales, le mariage jouit d'un grand prestige comme dans les villes, mais rares sont ceux qui 367

Sylvain, Jeanne G., « L’Enfance ….. op. cit,, p. 107 et 108.

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peuvent se payer ce luxe immédiatement. Le placage est accompagné de certains rites et il est socialement accepté par la communauté paysanne. Toutefois, il y a certaines distinctions entre la femme mariée et la femme placée, cette dernière n'ayant droit au titre envié de « Madame », qu'après la célébration du mariage, autrement, elle demeurera toujours « Mamzelle. » Si elle se marie, elle aura la suprématie sur les autres concubines et un plus grand prestige dans la communauté... C'est aussi ordinairement le signe d'une meilleure condition économique, car seuls ceux qui ont des moyens peuvent se payer un tel luxe, C'est pourquoi l'ambition cachée de toute [224] paysanne est de transformer un jour son union en mariage. D'après mon enquête sur les conditions de vie de 297 femmes et jeunes filles des bourgs et districts ruraux, les femmes de ce groupe, qui constitue celui de la majorité des haïtiennes, ont un standard de vie très primitif, mais parfois supérieur à celui de la femme pauvre des villes. La majorité des femmes étudiées vivait dans des maisons de deux ou trois pièces, 229 sur 597 vivaient dans des maisons de deux pièces, 224 dans des maisons de trois pièces, 110 dans des maisons de quatre pièces et 28 dans des maisons d'une seule pièce. La dimension des maisons est à peu près la même dans les bourgs et les campagnes, toutefois dans les bourgs, il y a souvent un petit nombre de maisons de cinq, six ou sept pièces et même des maisons à plusieurs étages. 368 Toutefois, les différences entre les bourgs et les communautés rurales sont plus grandes si nous considérons la construction, la toiture et la structure de la maison ; 263 femmes rurales sur 316 vivaient dans des maisons couvertes de chaume, tandis que 123 seulement sur 281 des femmes des bourgs vivaient dans des maisons couvertes de tôles pour seulement, 51 dans les districts ruraux. Il en est de même de la structure ; tandis que la presque majorité des parois des maisons rurales, soit 271 sur 315 étaient « clissées », c'est-à-dire faites en gaules entrelacées recouvertes de boue et blanchies à la chaux, Seulement 135 sur 281 des parois des maisons des bourgs étaient « clissées », les autres

368

Appendice I Table No 20.

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étant en bois ou en pierre, De même encore pour le plancher, 287 sur 316 maisons rurales n'avaient pas de plancher, et 126 sur 281 des maisons des bourgs. Toutefois la différence entre le nombre de latrines est beaucoup soins sensible ; 255 maisons rurales sur 316 en étaient dépourvues, et 197 sur 261 dans les bourgs. En ce qui a trait à l'ameublement, il est en général plus nombreux dans les bourgs, comme nous avons pu le constater dans le détail de cas étudiés. Nous avons porté dans nos tables le nombre de lits, qui est une marque de prestige dans les districts ruraux. [225] M. Dartigue, dans son enquête sur 884 familles rurales, n'a trouvé que 50% des familles possédant un lit 369 ; nos chiffres sont beaucoup plus élevés, seulement 32 femmes sur 316 ne possédaient pas de lit 370, Cette différence peut s'expliquer de la façon suivante : comme nous l'avons indiqué précédemment, notre groupe de femmes constituent l'élite des communautés rurales, nous avons aussi considéré comme lit tout meuble si rudimentaire soit-il, qui permet au paysan de ne pas coucher par terre. Ceci comprend ce que l'on appelle communément « wharf » à la campagne, c'est-à-dire quatre pieux fichés en terre avec des gaules placées au travers. D'autre part, certaines écoles ont mené récemment une campagne pour la construction des lits, qui, confectionnés à l'école, ont été distribués dans les familles paysannes. Dans notre enquête, la majorité des familles possédait un lit, soit 172 sur 316 rurales et 132 sur 281 des bourgs, respectivement, 85 rurales et 90 des bourgs avaient deux lits. Naturellement, le nombre de familles possédant plus de deux lits était plus élevé dans les bourgs que dans les districts ruraux. Toutefois, si l'on compare le nombre de lits au nombre moyen de personnes vivant dans la maison, soit environ sept, on constatera que presque dans toutes les familles il n'y a qu'un petit nombre de personnes couchant sur des lits. Ordinairement, dans les districts ruraux, le lit est un signe de prestige et certains paysans ne s'en servent pas, le réservant pour les hôtes de passage, généralement les parents et les bébés couchent sur le lit, le reste de la famille dort sur des nattes ou des chiffons. S'il y a plusieurs lits, le deuxième lit peut servir aux personnes âgées de la famille s'il y en a ou aux filles ainées. Dans les bourgs, il y a un petit nombre de familles tout le 369 370

Dartigue, op. cit., p. 4. Appendice I, Table No 20.

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monde couche sur un lit, à l'exception des petits domestiques qui dorment sur une natte. D'après notre enquête, la diète paysanne est mieux balancée qu'on ne le croit généralement ; elle comprend des aliments de toutes catégories. Il y a pourtant des variations régionales. En général, l'alimentation se compose en majeure partie d'aliments farineux, les aliments protéiques sont en nombre [226] restreint ou ils sont surtout consommés en très petite quantité, même quand le paysan prétend boire du lait et manger de la viande, c'est ordinairement en quantité insuffisante. Seulement 158 familles rurales sur 316 et 165 familles des bourgs sur 281 prenant régulièrement du lait et généralement la quantité consommée n'est pas de plus d'un demi litre pour sept personnes. D'après notre enquête, dans les bourgs il y a un plus grand nombre de familles dont la diète comporte de la viande et du poisson frais ou sec, tandis que dans les communautés rurales on consomme davantage les fruits et les légumes. Sur 316 familles rurales 193 prenaient deux repas par jour et 101 trois repas, tandis que 120 familles des bourgs prenaient deux repas et 155 prenaient trois repas. Un grand nombre de familles rurales qui prétendaient prendre trois repas, se contentaient d'une légère collation à midi ; des fruits, du pain ou de la cassave et des « douces » ou de la confiserie. Les deux véritables repas paysans se prennent le matin vers dix heures et le soir vers six ou sept heures. Très souvent, le matin, on se contente de café et de pain et on ne prend qu'un seul repas substantiel le soir.371 À la campagne, l'homme mange seul ou avec des hôtes ; selon la tradition africaine, la femme le sert et mange après lui avec ses enfants. Dans les bourgs, généralement toute la famille mange ensemble à la mode européenne. L'habillement des paysannes est très simple et consiste ordinairement en une chemise ou un jupon recouvert d'une robe d'une seule pièce, retenue à la taille par un mouchoir ou par une ceinture et d'un foulard de couleur unie ou à dessin, noué autour de la tête, surmonté d'un grand chapeau de paille pour se protéger de l'ardeur du soleil. Quand elles visitent le bourg, elles portent des sandales. Toutefois la plupart d'entre elles ont aussi une paire de souliers pour les grandes fêtes. À la campagne, elles circulent ordinairement pieds nus, ce qui, 371

Appendice I, Table 22.

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joint à la saleté du sol due à l'absence de latrines, cause la prolifération des parasites intestinaux. Dans notre enquête, sur 597 femmes et fillettes, 310 avaient une seule paire de souliers et 124 en avaient deux paires, 47 environ en avaient trois ou un plus grand nombre. [227] Deux cent quatre-vingt-quatorze avaient une paire de sandales, 46 en avaient deux et 19 en avaient trois La paysanne est coquette et aime à se parer de bijoux à bon marché ; presque toutes portent constamment des anneaux en or ou plaqué, comme boucles d'oreilles. Dès la naissance, on perce les oreilles de toutes les petites filles et si les parents n'ont pas de quoi acheter tout de suite les boucles d'oreilles, on passe un fil ou une brindille dans le trou, afin qu’il se ne ferme pas. Les paysannes ont souvent aussi un ou plusieurs colliers, qu'elles confectionnent elles-mêmes avec des perles importées, en faïence ou en verre ou avec des grains du pays. Dans notre enquête, 450 sur 597 femmes et fillettes avaient une ou plusieurs boucles d'oreilles et 286 avaient des celliers. 372 Elles ne filent, ni ne tissent l'étoffe de leurs robes qui sont ordinairement en zéphyr importé de couleur, à barres ou à ramages ou en gros bleu fabriqué dans le pays. Les robes sont achetées toutes faites au marché où elles ont été confectionnées par des couturières de la ville ou de la communauté, ou bien elles sont cousues à la main par les paysannes elles-mêmes. Nous avons vu dans notre enquête que des femmes cousent 373, mais très souvent, elles ne font pas toutes les coutures de la famille et ne confectionnent! Jamais les vêtements d'hommes, qui sont faits par des couturières ou des tailleurs professionnels. Les chapeaux de paille sont ordinairement confectionnés dans les communautés, très souvent par des hommes qui sont dans certaines régions, plus habiles que les femmes en vannerie. Les sandales sont ordinairement confectionnées dans les communautés rurales, mais les souliers sont fabriqués dans les bourgs et dans les villes. Les foulards sont importés et achetés au marché. Dans nos tableaux, nous n'avons indiqué que les pièces les plus importantes d'habillement, laissant de côté les vêtements de dessous. La majorité des femmes et des jeunes filles faisant l'objet de l'enquête, soit 320 sur 597 possédaient [228] de 372 373

Appendice I, Table No. 21. Appendice I, Table No. 24.

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trois à huit robes, quelques-unes en avaient davantage et même plus d'une vingtaine ; 197 avaient un seul chapeau, 213 en avaient deux et 103 en avaient trois ou un plus grand nombre. 228 possédaient de un à deux foulards. 374 En général, la petite paysanne fréquentant l'école, tend à abandonner le costume traditionnel pour adopter les modes de la ville ; dans l'enquête, plusieurs fillettes déclarèrent qu'elles ne se servaient plus de foulards. De même, les femmes des bourgs ont tendance à abandonner le foulard ou « tignon », qui les assimile aux paysannes et à adopter les modes de la ville. La famille paysanne dépense peu, pour la vie journalière, car une partie des aliments sont tirés du jardin. En général, les revenus sont bien inférieurs à ceux des paysans de la région de St. Marc, étudiées dans l'enquête du Département de l'Agriculture. À Marbial, Mme Comhaire-Sylvain a étudié en détail les budgets familiaux de huit familles, s'élevant de 200 à 1400 gourdes par an. 375 La maison et l'ameublement primitif sont confectionnés sur place presqu'exclusivement avec des matériaux du pays. Les paysans produisent eux-mêmes presque tout ce qui est nécessaire à leur alimentation, à l'exception de la farine, de l'huile et du poisson salé. Ils doivent aussi acheter les étoffes de leurs vêtements, les outils, les machines agricoles et les ustensiles ménagers. Nous avons déjà parlé des conditions familiales et des occupations habituelles des femmes de cette classe, nous n’y reviendrons plus. Leurs distractions sont à peu près les mêmes que celles des fillettes. 177 sur 230 femmes de notre enquête connaissaient des contes et en racontaient, 190 chantaient des cantiques et 112 des romances. 136 dansaient, 141 allaient dans les veillées et 42 faisaient partie d'une association. Leurs distractions favorites étaient : pour 59 la danse, pour 30 les jeux, pour 23 le chant et pour 26 l'audition des contes chantés, La lecture n'avait que deux ferventes, pourtant [229] 48 prétendaient lire parfois ; dans la plupart des cas, il s'agissait de leurs prières 376, toutefois 74 savaient lire plus ou moins et 95avaient fréquenté l'école, mais 18 seulement pouvaient s'exprimer couramment en français. 377 374 375 376 377

Appendice I, Table 21. Méraux, op. cit., p. 120 et suiv. Appendice I, Table Nos 25, 26, 27 Appendice I, Tables 8 et 9.

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C'est l'une des raisons pour lesquelles elles ne pouvaient vraiment pas s'intéresser à la lecture, d'autre part, il est très difficile de se procurer des livres dans les communautés rurales, et la fillette, quelques années après avoir quitté l'école, oublie bien vite le vocabulaire acquis. La paysanne a beaucoup d'amies, elle aime bavarder avec ses voisines, faire la route du marché en compagnie, aller dans les réunions, au marché, etc. Comme nous l'avons dit plus haut, les vieillards sont respectés et les enfants prennent soin de leur vieille mère, qui d'ailleurs leur, est toujours utile. Elle soigne les malades, veille au maintien des traditions ancestrales et s'occupe des petits enfants. Les funérailles sont l'un des événements les plus importants de la vie paysanne, elles sont ordinairement précédées, par une grande veillée à laquelle assistent tous les membres de la famille et de la communauté. On passe la nuit à raconter des contes appropriés à l'âge et au caractère du mort, car la fête est en son honneur. La cérémonie funéraire est accompagnée de rites. 378 Pendant neuf jours on se réunit tous les soirs à la maison mortuaire et on passe la soirée à prier, chanter, à dire des contes, à boire et à jouer. Les enfants doivent porter le deuil de leurs parents et faire chanter des services pour le repos de leur âme, sinon le mort viendra les rappeler à leurs devoirs. Pourtant, si la situation économique ne permet pas de faire immédiatement les dépenses du deuil, on peut remettre cette obligation à plus tard, sans toutefois jamais l'oublier. Une paysanne peut porter le deuil de sa mère ou de sa marraine dix ans après la mort de celle-ci. Dans notre enquête, nous avons cherché à savoir quelles étaient les ambitions des femmes pour leurs enfants et pour [230] elles-mêmes et si elles étaient satisfaites de leur situation. Soixante-cinq femmes sur deux cent trente étaient satisfaites de leur situation et 118 ne l’étaient pas. 379 114 désiraient avoir une meilleure situation économique et de plus, 33 avaient exprimé des vœux spécifiques, dépendant aussi d'une amélioration économique. 380

378 379 380

Herskovits, op. cit., pp. 205-218 Appendice I, Table No. 31. Appendice I, Tables No. 28

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La majorité, 148, désiraient instruire leurs enfants, de plus, 40 désiraient leur faire apprendre un métier ou une profession spécifiée. 381 La majorité des fillettes (228 sur 367) désiraient être couturières, 107 voulaient être commerçantes et seulement 30 souhaitaient être infirmières ; 25 désiraient voyager et 17 se marier. 382 Comme on le voit, en général les femmes de cette classe veulent améliorer leur standard de vie ; l'instruction leur parait le moyen le plus sûr d'atteindre leur idéal, c'est pourquoi elles désirent que leurs enfants possèdent ce sésame bienfaisant. La fillette est conservatrice et pratique. Elle désire augmenter ses revenus ; pour cela les métiers qu'elle connait lui semblent tout indiqués : couture et commerce. L'agriculture n'a pas été désignée par un plus grand nombre, parce que pour certaines cela fait partie de la vie journalière et il est inutile de le mentionner ; les autres, au contraire, désirent avoir une existence moins pénible et s'élever d'un échelon dans la société, pour cela elles méprisent les occupations agricoles, qui sont indignes d'une jeune fille instruite.

381 382

Appendice I, Table No 29. Appendice I, Table 30.

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[231]

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CONCLUSIONS GÉNÉRALES

Retour à la table des matières

L'Ile d'Haïti a été successivement habitée par des peuples de race et de civilisations différentes. Certains ont disparu ou ont émigré ailleurs ; pourtant tous ont laissé leur empreinte et ont contribué à la formation de la culture haïtienne. La situation de la femme peut être expliquée largement par ses origines historiques et sociales. Elle est principalement le résultat d'un mélange des traditions africaines et françaises et d'autres forces sociales qui ont agi sur elle. La contribution indienne à la culture haïtienne n'a pas été étudiée en détail. Nous croyons qu'elle consiste surtout en techniques matérielles. La femme a été le principal agent de transmission de ces techniques et grâce à elle, certaines coutumes domestiques, telles que la préparation des aliments indigènes, se sont conservées intactes. La contribution espagnole a été très importante car c'est durant cette période que les éléments fondamentaux de la culture européenne furent importés dans l’ile par l'établissement des cadres économiques et sociaux et de la religion catholique. Pendant la période de colonisation française, les civilisations françaises et africaines furent importées dans le pays. Elles subsistèrent côte à côte et exercèrent une influence réciproque l'une sur l'autre tout en se modifiant mutuellement tandis que la grande institution de l'esclavage laissait son empreinte sur la vie coloniale, contribuant à désa-

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grège) les deux cultures et à établir un système de caste. La femme me devint le jouet des passions. Libre, elle était considérée comme une courtisane ou une enfant gâtée ; esclave, elle sentait peser sur elle le joug de l'esclavage et du sexe, véritable bête de somme, elle devait aussi satisfaire les caprices de son maitre. Elle prit part aux luttes pour l'indépendance ; pourtant, sa condition ne fut guère améliorée. Coutume, tradition, loi, contribuèrent à déterminer sa situation inférieure dans la société haïtienne. Elle reprit pourtant son importance économique. Après l'indépendance, la nouvelle nation adopta les coutûmes [232] et institutions françaises, toutefois, les traditions africaines continuèrent à prédominer dans les campagnes Actuellement la femme, à l'exception des membres de la bourgeoisie et de la classe moyenne, est encore en grande partie superstitieuse, illettrée, ignorance des principes les plus élémentaires de l'hygiène, de l'économie ménagère et des forces qui bouleversent le siècle. Souvent seule, chef d'une famille nombreuse, elle vit dans des logis étroits et malsains à la merci des convoitises de l'homme. Toutefois, bien que considérée comme inférieure par la loi et souvent par la coutume, elle joue un rôle important dans la famille et la communauté haïtienne. L e vent du siècle a pénétré en Haïti. L'automobile, la radio, la presse, les cinémas, les conditions économiques modernes et l'influence de l'occupation américaine, ont contribué à changer le genre de vie de l'haïtienne, qui, en ce moment, prend conscience d'ellemême et de son nouveau rôle social et économique et vient d'obtenir les droits politiques. La situation des femmes en Haïti n'a pas été délibérément fixée pour leur donner un statut inférieur à celui des hommes, elle est seulement le résultat des circonstances historiques. Toutefois, les coutumes traditionnelles doivent être changées si la nation haïtienne veut progresser, car, comme le dit Letourneau « Aucun progrès social sérieux et durable n'est possible si la femme n'y participe pas pour y aider et en bénéficier. » « Qui oserait contester la néfaste influence d'une mère inférieure sur sa descendance, à laquelle elle imprime un cachet de déchéance, à la fois par l'hérédité et par l'éducation. Mais il s'en faut que le mari luimême, s'il n'a pas une rare solidité de caractère, échappe à la dégradation. Avec raison Stuart Mill dit que, si la femme ne pousse son mari

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en avant, elle le retient ; or, la femme telle que l'ont faite jusqu'ici l'évolution historique et l'éducation, a été le plus souvent aveuglément conservatrice. » 383 Pourtant, il ne suffit pas d'améliorer le sort de la femme dans le cadre de l'organisation sociale actuelle, le problème [233] féminin n'est qu'une des phases du problème haïtien en général, et tant que certains changements fondamentaux n'auront pas été apportés aux institutions sociales et économiques, nous ne pouvons pas espérer arriver à améliorer la situation de la femme. Les problèmes de l'hygiène, de l'éducation, des récréations, de l'assistance sociale, du développement économique, du régime de propriété, du travail, du mariage, de la famille et de l'organisation politique doivent être envisagés dans leur ensemble. Ces problèmes dépassent le cadre de noire étude et ont déjà fait l'objet de nombreuses discussions. Nous nous contenterons de rappeler brièvement certains aspects de la question strictement féminine, en nous souvenant qu'elle ne saurait être résolue sans un examen et une amélioration des conditions sociales en général. Examinons rapidement la position de la femme sous ses différents aspects : situation matérielle, économique, sociale et pédagogique et cherchons les améliorations qu'on pourrait y apporter. Au point de vue matériel, nous avons vu que le standard de vie était très bas et que la femme était surchargée d'une quantité de besognes ménagères qui pourraient être supprimées ou facilitées par l'emploi d'outils et de matériel modernes. Mais, d'une part, le plus souvent, sa condition économique ne lui permet pas de se les procurer et, d'autre part, elle ne sait pas tirer le meilleur parti possible des ressources naturelles. Il serait nécessaire de donner aux femmes du peuple une éducation ménagère appropriée, qui leur permettrait d'affronter les difficultés de la vie dans des conditions moins défectueuses. Le gouvernement a établi des cours ménagers dans plusieurs écoles des villes et des campagnes ; nous espérons qu'ils pourront être généralisés afin que toutes celles qui en ont besoin puissent en bénéficier.

383

Letourneau, op. cit., p. 506

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Au point de vue économique, nous avons vu que la femme, à l'exception d'une petite minorité appartenant à l'élite, contribue comme l'homme à l'entretien de la famille et à la prospérité de la nation. Le travail de la femme est nécessaire, d'une part, à cause de la modicité des salaires masculins et parce que plusieurs d'entre elles sont chefs de famille et [234] doivent entretenir et élever leurs enfants. La responsabilité de la famille pèse plus lourdement sur la mère et c'est souvent grâce à ses efforts que les enfants sont nourris, vêtus et instruits. Elle doit alors jouer le double rôle de soutien de famille et de maitresse de maison, et sa tâche est ainsi plus lourde que, celle de l'homme. Pourtant, son salaire est presque toujours inférieur, bien que l'égalité de salaire pour un travail égal soit reconnue par la loi. Mais avant de crier à l’injustice, nous allons étudier d'abord les raisons de ces différences. À la campagne, il ne saurait être question de salaires. La famille paysanne, le plus souvent, cultive son jardin individuel et dispose ellemême du produit de ses récoltés. Si veut améliorer la situation de la paysanne aussi bien que celle du paysan, il est nécessaire d'augmenter leurs revenus d'une part, par l'emploi de méthodes agricoles modernes et par une meilleure répartition des terres ; de l'autre, par l'introduction d'industries agricoles et par rétablissement de coopératives de vente et de consommation. Dans les classes populaires des villes, les femmes gagnent moins que les hommes. Quelles sont les raisons de cette différence ? En examinant les occupations habituelles des femmes qui travaillent, nous constatons qu'il y a des métiers dits féminins, qui sont presqu'exclusivement réservés aux femmes, tels que la couture, la pâtisserie, certains emplois domestiques, et que seulement quelques métiers sont exercés par les deux sexes : commerce et certains emplois administratifs et professionnels. Les métiers les plus communément exercés par les femmes sont la couture, le commerce, les emplois domestiques cuisine, lessive, ménage, soin des enfants et un petit nombre d'industries ; vannerie, pite, triage de café, cigarettes, etc. Le professorat et les emplois administratifs et professionnels sont, en général, exercés par les membres de la bourgeoisie et de la classe moyenne. Les métiers féminins sont, pour diverses raisons, moins bien rétribués que les métiers masculins : 1) parce qu'on pense ordinairement

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que la femme a moins de responsabilités que l'homme ; 2) parce que la femme, pressée par le besoin, [235] accepte des salaires de famine ; 3) parce que, prétend-on, la femme peut consacrer moins de temps à son travail à cause de ses occupations ménagères ; 4) à cause du petit nombre de métiers féminins ; 5) à cause de l'insuffisance de la préparation professionnelle. Nous avons constaté que la femme, mariée ou non, ne travaille pas pour son plaisir ou dans le but d'augmenter ses revenus, mais le plus souvent pour subvenir à son entretien et à celui d'une ou de plusieurs personnes dépendant d'elle. Elle accepte parfois un salaire insuffisant pour ne pas faillir à ses responsabilités. La pratique ne prouve pas que la femme consacre moins de temps que l'homme à son travail, au contraire, les occupations domestiques par exemple, sont celles qui ont les heures de travail les plus longues, souvent de six heures du matin à huit heures du soir, parfois avec l'obligation de coucher chez le patron et de continuer à travailler pendant la nuit. De même pour le travail à domicile, la couturière, si elle veut gagner un salaire minimum, doit travailler huit ou dix heures par jour. Il est vrai que le petit nombre de métiers féminins empêche la hausse des salaires dans ces professions. Eh général, on ne considère pas qu'il soit nécessaire d'avoir reçu une préparation professionnelle pour les exercer. Nous avons vu que toutes les écoles de filles enseignent la couture, aussi un grand nombre de femmes qui désirent gagner leur vie, cherchent à le faire par le travail à l'aiguille. La multiplicité des couturières et la concurrence entre elles maintiennent des salaires de famine. Il en est de même des emplois domestiques. L'abondance des candidates, leur manque de préparation abaissent le prix de la main-d’œuvre au-dessous d'un minimum de subsistance. Nous voyons que, si l'on améliorer les conditions économiques dans lesquelles vit la femme, il importe avant tout de supprimer les causes réelles de rétribution insuffisante du travail féminin en augmentant le nombre des écoles professionnelles pour l'enseignement des métiers plus ou moins manuels et en réglementant un apprentissage qui complète ces études. L'introduction de nouvelles industries et l'ouverture [236] d'ateliers coopératifs assureraient un minimum de subsistance à la femme qui travaille, lui permettant de subvenir à son

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entretien et à celui de ceux qui dépendent d'elle. Ces mesures contribueraient, non seulement à élever le standard de vie, mais aussi la moralité, car c'est bien souvent la misère qui oblige les femmes à se prostituer. Les ouvroirs de la Fondation Magloire pourraient servir de centre de formation pour l'organisation d'un vaste réseau de coopératives de production agricoles et artisanales. Les femmes de la bourgeoisie et de la classe moyenne qui fréquemment travaillent aussi pour gagner leur vie, sont parfois appelées à entrer en concurrence avec leurs camarades masculins ; dans ce cas, les salaires sont plus ou moins égaux, mais, le plus souvent, elles n'ont pas accès aux postes de direction. Est-ce la preuve d'une discrimination injuste ? Pas tout-à-fait, car nous constatons que les préjugés contre l'avancement, des femmes qui travaillent sont quelquefois justifiés par le défaut de préparation de certaines d'entre elles et la négligence dans l'exercice de leur profession, qu'elles considèrent comme provisoire. En effet, une bonne culture générale est aussi nécessaire qu'une préparation professionnelle dans les emplois de secrétaire, de sténodactylographe, et dans les postes de l'administration. Là encore, les lacunes de l'instruction féminine desservent la femme qui travaille. Il est nécessaire non seulement de lui faciliter l'accès des études supérieures, mais encore d'organiser sérieusement et de généraliser l'enseignement secondaire qui y conduit. La femme, ayant reçu une éducation professionnelle adéquate, sera alors capable de' rendre de biens meilleurs services dans le commerce, l'industrie et le gouvernement, et petit à petit, elle verra s'abaisser les barrières qui empêchent en ce moment, même les plus capables, de briguer des postes importants. Au point de vue, social, nous avons constaté que la femme, mariée ou non, occupe une place de première importance dans la famille dont elle porte très souvent seule, l'entière responsabilité ; pourtant, dans le mariage, sa personnalité se trouve assujettie à la puissance maritale, elle redevient une mineure, incapable de gérer ses affaires, et [237] de disposer de son salaire. Les droits de la mère sont sacrifié à ceux du père. Hors du mariage, la jeune fille est insuffisamment protégée par la loi contre les convoitises masculines. Les conséquences des rapports sexuels pèsent uniquement sur la femme, l'homme est le plus

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souvent sans responsabilité légale effective. Le concubinage et la polygamie sont deux grandes plaies sociales et économiques. Il est difficile de les combattre et vain de croire qu'elles peuvent être facilement supprimées, car ce sont des traditions anciennes et profondément enracinées. Toutefois, l'émancipation sociale de la femme, l'avenir économique de la nation dépendent en partie de la solution de ce problème. Tant que l'homme pourra impunément avoir des enfants, ici ou là, sans en prendre l'entière responsabilité, tant qu'il pourra partager ses faveurs entre plusieurs concubines, la femme sera toujours une esclave obligée de peiner durement pour l'entretien de ses enfants et exposée par la misère aux chutes les plus lamentables. « Malgré tout son dévouement, la paysanne n'est assurée d'aucune situation stable vis-à-vis de l'homme qui peut, du jour au lendemain, la répudier selon les caprices de l'heure. Au point de vue légal, elle ne peut rien réclamer, aucun contrat n'obligeant le pseudo-mari. » 384 Cette situation entraine la division de la famille, car la, mère est souvent obligée de se séparer de ses enfants, qu'elle ne peut pas élever. Ses responsabilités économiques l'empêchent de s'occuper convenablement de ses bébés et elle est obligée de les laisser à la garde des ainés, qui ne sont pas en mesure de s'acquitter de cette tâche et sont eux-mêmes privés d'instruction. D'autre part, le grand nombre des concubines entraine le trop grand morcellement des propriétés et la misère, provoquée par l'excédent de population. Ce problème est très délicat et ne peut être résolu par des prohibitions législatives et des sanctions légales. Il faudrait, par l'éducation, exercer une réforme profonde des mœurs et de l'opinion publique. Pourtant, les efforts de l'église et de l'état peuvent bâter [238] cette réforme. L'église peut exercer une action en intensif fiant la propagande menée en faveur du mariage et de la monogamie. L'état peut agir en promulguant une législation propre à protéger la famille contre l'injustice et les abus de pouvoir et en obligeant l'homme à accepter ses responsabilités de père, car les lois ne doivent pas toujours se contenter de refléter les mœurs ; elles peuvent aussi exercer une action bienfaisante en contribuant à introduire de nouvelles règles de conduite. 384

Sylvain, Pierre G., op. cit., p. 5

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235

Comme nous avons pu le constater, le code civil maintient la femme dans une situation nettement subordonnée tout en la protégeant comme on protège un être faible et en cherchant à garantir ses intérêts. Elle est considérée comme une mineure en tutelle et déclarée incapable. Célibataire ou concubine elle gère sa fortune comme elle l'entend, mais une fois mariée, elle perd sa liberté et son pouvoir de contracter et d'agir. Les réformes légales essentielles à envisager sont : la suppression de l'incapacité dans le mariage, l'égalité entre époux et les droits égaux sur les enfants. La femme aura bientôt la pleine jouissance des droits politiques. Comme nous l'avons vu, elle a fait ses preuves dans le domaine de l'assistance sociale et nous sommes certaines qu'une participation des femmes aux affaires publiques exercera une heureuse influence sur l'avenir du pays. Au point de vue pédagogique, nous avons constaté les nombreuses lacunes de l'éducation féminine : nombre insuffisant d'écoles, spécialement dans les districts ruraux, absence de formation professionnelle, enseignement secondaire et supérieur insuffisants. L'amélioration économique et sociale de la femme dépend en grande partie de l'éducation qu'elle reçoit. En définitive, l'orientation de cette éducation dépendra avant tout du rôle que l'on décidera d'assigner à la femme dans la société. Elle sera différente si l'on pense qu'il est uniquement nécessaire de la préparer à mieux remplir un rôle secondaire dans la famille et la société, ou si l'on veut arriver à développer sa personnalité afin de lui permettre de mieux participer au progrès du pays. L'haïtienne évolue lentement. Une éducation adéquate doit lui permettre, de remplir son [239] rôle dans la reconstruction de la famille et de la société. Le Gouvernement haïtien a compris qu'aucun progrès social et économique ne peut être réalisé tant que l'idéal démocratique était restreint à une moitié de la population et il vient d'accorder les droits politiques aux femmes afin d'arriver à une collaboration des deux sexes pour le bien du pays.

[240]

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236

[241]

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

APPENDICE I Le Procès de la Ligue féminine pour l'exercice intégral des droits politiques en 1957 et la participation féminine au renversement du Gouvernement du Président Magloire

Retour à la table des matières

Depuis Décembre 1950, date de la promulgation de la Constitution, aucun changement n'ayant été apporté au statut civil de la Femme, la Ligue Féminine d'Action Sociale attendait avec impatience le moment où les femmes pourraient participer à la vie publique afin de pouvoir elles-mêmes défendre leurs droits et exercer une influence sur la politique générale en mettant l'accent surtout sur le point de vue social L'article 4 de la Constitution prévoyant que « la loi devra assurer le plein exercice de tous les droits politiques à la femme dans un délai qui ne pourra excéder trois ans après les prochaines élections municipales générales « les femmes devaient participer aux élections sénatoriales et présidentielles de Janvier et d'Avril 1957 car la loi électorale du 21 Juillet 1954, modifiée le 8 Octobre 1954 et en Octobre 1956 stipule dans son article premier que « tous les haïtiens sans distinction de sexe. » sont électeurs. En Octobre 1956, 22 mois après les élections municipales l'Assemblée Nationale consultée par l'Exécutif avait ap-

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

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prouvée la loi électorale sans apporter, de changement à l'article premier qui d'accord avec la Constitution assurait à la femme « le plein et entier exercice de tous les droits politiques » dans les délais prescrits. Toutefois la Commune de Port-au-Prince, outrepassant ses pouvoirs, a dans un arrêté du 15 novembre 1956 voulu ravir à la femme des droits acquis en invitant seulement « les citoyens mâles de la Commune jouissant de la capacité électorale à se faire inscrire sur les registres afin fie participer aux prochaines élections sénatoriales. [242] Seize membres du comité directeur de la Ligue Féminine d'Action Sociale, agissant au nom de leur association et de l'ensemble des femmes haïtiennes, intentèrent un procès à l'Administration Communale de Port-au-Prince, réclamant immédiatement l'exercice intégral des droits politiques reconnus par la constitution et par la loi et leur permettant de s'inscrire dans toutes les communes d'Haïti en vue d'exercer leurs droits civiques. Bien que, vu l'urgence (les inscriptions devant commencer le 18 Novembre l'affaire ait été portée à l'extraordinaire devant le tribunal civil pour être entendue le 15 novembre ; durant trois semaines consécutives des délais de procédure invoqués par le ministère public et l'avocat de la commune ne permirent même pas de plaider. Pour décourager les femmes des mesures d'intimidation furent employées en faisant garder militairement le palais de justice et même la salle d'audience. Une demande d'inscription provisoire des femmes sur les registres électoraux en attendant le règlement de l'affaire, introduite devant le juge des référés qui doit rendre un jugement immédiat, fut, après l'avoir entendu, renvoyée par devant le tribunal civil pour incompétence. Il est clair que le gouvernement sachant que le jugement ne pouvait qu'être favorable à la cause des femmes, avait l'intention de prolonger la procédure jusqu'à la fin des inscriptions. Le coup d'état du 6 décembre, par lequel le président Paul E. Magloire, après avoir démissionné se saisit inconstitutionnellement du pouvoir exécutif et fit de nombreuses arrestations, provoqua la grève générale qui fut dirigée par les groupements d'opposition parmi, lesquels les femmes.

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238

Les femmes haïtiennes, dès le dimanche décembre ont formé un groupement qui devait selon les prévisions réunir dix mille adhésions : au premier chef, dix leaders, ayant chacune dix seconds ignorés des autres. Chacune de ces seconds (100) ayant à son tour dix amies sûres (1000) qui réunissent au dernier échelon chacune dix soldats. Les questions posées qui presque toujours reçoivent une adhésion enthousiaste : « Voulez-vous faire partie d'un mouvement de résistance? Êtes-vous prête à répondre à un mot d'ordre, quel qu'il soit ? » Il est probable qu'en fin de compte le tiers seulement de cet effectif [243] ait pu être groupé, à cause de la difficulté pour, chacun; de trouver dix amies sûres et discrètes, d'autant plus que les contacts devaient tous être faits dans les 24 heures, néanmoins dès l'après-midi du dimanche, on travaillait fiévreusement, reproduisant : à la main, à la machine, au duplicateur un premier tract demandant aux ambassades étrangères de ne pas reconnaître le gouvernement illégal du général Magloire. Il est le même jour non seulement remis dans les ambassades mais distribué par toute la ville. Le lundi, sans plus attendre de mot d'ordre 90% des magasins sont fermés. La ville se couvre de gendarmes, la police cherche activement les meneurs qui n'existent pas, chaque haïtien de son propre chef étant résolu à ne pas céder. La fureur du Gouvernement se heurte à du vent, les commerçants que l'on tente de chercher chez eux pour les obliger à ouvrir sont introuvables. Ce premier succès encourage les forces de la résistance qui commencent à s'organiser. Tous les groupes préparent fiévreusement des tracts et les répandent dans la ville. Le lundi il apparait clairement que le mouvement spontané de grève est dénué de toute cohésion, des groupes isolés prennent des initiatives, distribuent des tracts, mais ignorent ce que font leurs voisins. Si dans les 24 heures, la grève ne s'étend pas aux bureaux publics et aux administrations les timides du commerce rouvriront certainement leurs, portes. Le travail de l'Union des Femmes durant ces 24 heures consistera non seulement à intensifier la grève, mais à établir le contact et la cohésion entre les différents groupements. Un nom eau tract demandant à toutes les femmes haïtiennes de cesser le travail est partout distribué avec une impudence et une audace ; sans pareilles : À Damiens par exemple Mme X., qui depuis deux jours avait quitté son travail, se présente le mardi matin au bu-

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239

reau du directeur général : « Mr. le directeur je ne suis pas venue ce matin au travail, mais chargée d'une mission spéciale, elle lui tend avec simplicité un tract et fait ensuite le tour du bureau pour distribuer ses petits papiers. Au même moment une autre se promène ouvertement aux Contributions, entraînant les employés féminins qui toutes la suivent après la lecture du tract. Cependant, entre temps, les dix leaders choisies dès l'origine parmi le membres des différente secteurs de l'opposition sont entrées [244] en contact avec les chefs de partis pour obtenir un accord commun sur l'attitude à prendre après l'effacement du général Magloire. Après divers pourparlers et échanges de vues tous acceptent de soutenir le Tribunal de Cassation pour rester dans les normes constitutionnelles. Le mardi 11 décembre plus de la moitié des bureaux publics sont en grève et presque toutes les pompes de gazoline à défaut des chauffeurs publics. Il est bruit que le corps diplomatique essaye d'obtenir l'effacement du Gouvernement qui échafaude sans succès combinaison après combinaison. Il se plaint, par l'intermédiaire de son ambassadeur à Washington, de l'attitude des commerçants américains qui ont pris part à la grève. On prétend que le département d'état aurait répondu à Zéphirin présentant les doléances de son gouvernement : « Quel gouvernement ? Il n'y a pas actuellement de gouvernement en Haïti, Le mardi après-midi ruse qui semble devoir réussir : réunion au palais de la chambre de commerce. Trente-deux commerçants sont convaincus d'ouvrir leurs portes. Leurs noms sont immédiatement publiés à la radio pour inspirer l'exemple. Mais la vigilance des agents de grève n'est pas prise en défaut : Les propriétaires des grands magasins sont censés aller chercher chez eux leurs employés avec l'appui de la police. Le mot d'ordre est passé : tract et téléguiole et pas un employé n'est chez lui le mercredi matin. Ce jour-là, non seulement tous les magasins sont fermés mais aussi tous les bureaux publics. Les écoles des gardes malades, les internes des hôpitaux sont en grève. À 9 h. a.m. les quartiers généraux de l'opposition sont avertis qu'une dernière combinaison se trame : le général Magloire remet le pouvoir au président du tribunal de cassation, mais reste généralissime des armées avec plein pouvoir de tirer les ficelles et la couverture d'un pouvoir constitutionnel. On prépare fiévreusement les tracts, à la ma-

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

240

chine, à la main, au mimographe : « Attention, peuple haïtien : Et malgré l'ambiguïté du communiqué, annoncé pour une heure p. m. et attendu fiévreusement d'heure en heure jusqu'à 4 h. personne n'est dupe. Mais les nerfs sont à bout. A peine les derniers mots entendus À quatre heure et demie, une foule furieuse se porte en face du palais [245] hurlant : « A bas Magloire » des groupes de jeunes gens exaspérés parcourent les rues aux mêmes cris. Ou entend partout des corps de feu la plupart tirés eu l'air pour disperser la foule. Néanmoins dans certains secteurs les échauffourées de la police et des civils sont plus sérieuses ; Les militaires casernes depuis dix jours sont aussi énervés. Dès cinq heures une foule dense est massée devant la prison attendant la sortie des prisonniers politiques. Un militaire de la garde bouscule, parait-il un groupe plus entreprenant parmi lequel se trouve l’ex-colonel Clermont, deux fois lauréat des jeux Olympiques pour le tir, le colonel proteste, le gendarme menace de le coucher en joue, il l'abat. Quelques minutes après deux officiers de la police se présentent à la maison privée du colonel avec l'intention de l'arrêter sans mandat. Les récits les plus contradictoires tentent d'expliquer l’altercation qui suivit. Ce qui est vrai c'est que les deux officiers trouvèrent la mort et que la famille Clermont (le père, ses quatre fils, sa femme et ses filles) tous excellents tireurs, soutinrent pendant près de trois heures le siège de la police qui, en désespoir de cause mit le feu à la maison. Les Clermont n'y étaient plus, s'étant enfuis au nez de la Garde, grâce à l'uniforme du père et à la voiture des officiers tués, demeurée dans la cour. Le jeudi matin, 13 décembre, le mot d'ordre ayant été passé que seul le départ de Magloire doit mettre fin à la grève, la totalité des magasins reste close. En dépit des coups de feu qui retentissent encore sporadiquement dans divers points de la ville et des conseils de prudence venus de toute part et signalant l’énervement de la garde, un groupe de femmes, environ cent cinquante, se réunissent dès dix heures à la cathédrale pour des prières publiques : chants de circonstance : Pitié, mon Dieu, « Pace Domine » et un fameux psaume 35 qui semble avoir été composé sur l'heure tant il est approprié, font les frais de la réunion. Au retour, les communiqués espérés, mais non attendus, tant la méfiance est devenue la règle résonnent à la radio. Les prières des

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

241

femmes ont été exaucées. Le général Magloire est démissionnaire et s'embarque à l'étranger. Le général Levelt est démissionnaire et le Président de la République demeure le seul chef des armées de terre et de mer. [246] Le mouvement de résistance passive a été couronnée de succès par le rétablissement des normes constitutionnelles et l'instauration du Gouvernement provisoire présidée par Monsieur Joseph Nemours PIERRE-LOUIS. Ce gouvernement a présenté un projet de loi au corps législatif afin de permettre à la femme d'exercer immédiatement les droits politiques reconnus par la constitution et de participer aux élections sénatoriales et présidentielles de 1957. Par ce bref aperçu on peut constater que la femme a joué un rôle important dans la révolution pacifique en vue du renversement de la dictature, de la reconquête des libertés publiques et des droits de la personne humaine sans distinction de sexe, de classe ou de race.

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

242

[247]

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

APPENDICE II Présentation schématique des conditions de vie de 597 femmes et jeunes filles des bourgs et districts ruraux

Retour à la table des matières

Une enquête a été faite auprès de 230 femmes et 367 fillettes des bourgs et districts ruraux pour se rendre compte par des cas concrets du genre de vie et des occupations des femmes de nos bourgs et districts ruraux. Le nombre restreint des femmes interrogés ne nous permettra pas de tirer des conclusions absolues pour la vie de la femme haïtienne en général ; toutefois il donnera une idée de la vie d'un grand nombre d'entre elles. Il convient de noter que les cas présentés constituent l'élite des Communautés rurales, car ce sont les femmes intelligentes et éclairées qui ont bien voulu se prêter à notre enquête. D'autre part pour les bourgs, au contraire, notre enquête comprend généralement la fiasse moyenne et la classe pauvre et quelques membres de la bourgeoisie. Dans les différents tableaux le terme : bourgs (a) désigne les femmes habitant les bourgs ; bourgs (b) désigne les fillettes ; bourgs désigne femmes et les fillettes : rurales (a) les femmes habitant les communautés rurales : rurale (b) les fillettes : rurales désigne les femmes et les fillettes rurales.

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

243

Dans certains tableaux où les détails personnels sont étudiés femmes et fillettes ont été considérées séparément, dans d'autres traitant des conditions matérielles nous n'avons pas jugé nécessaire de faire cette distinction.

[248]

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

244

IDENTIFICATION

No. pers

No. pers

No. pers

Sud

No. pers

No. pers

Ouest

No. Pers

Artibonite No. Pers

No. pers

Nord-Ouest No. Pers

No. pers

provenance

No. pers

Nord

Total

Tableau No. 1 Distribution Géographique des Femmes et Fillettes par Département et Communautés. 385

Bourgs (a)

16

5

8

2

21

3

22

5

16

4

93

Bourgs (b)

110

6









39

2

39

2

199

Rurales (a)

22

7

4

1

45

6

49

5

17

5

137

Rurales (b)

58

3

20

1

34

2

20

1

47

3

179

Total

236

21

32

4

100

11

140

13

119

14

597

N’a pas répondu

A été à l’étranger

Les autres départements

Les autres communautés du département

Provenance

A visite seulement environs

Tableau No 2 Voyages ou déplacements

Total

Bourgs (a)

10

55

25

3



93

Rurales (a)

35

34

22

19

27

137

Total

45

89

47

22

27

230

385

Pers signifie personnes. Com. signifie communautés.

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

245

Pas spécifié

Plus de 60

51-60

41-50

31-40

Provenance

22-30

Tableau No 2 Âge des Femmes

Total

Bourgs (a)

9

50

22

9



3

93

Rurales (a)

16

52

46

13

6

4

137

Total

25

102

68

22

6

7

230

Pas spécifié

Plus de 16

14-16

11-13

Provenance

5-10

Tableau No 4 Âge des fillettes

Total

Bourgs (a)

30

58

22

10

6

188

Rurales (a)

27

54

46

18

12

179

Total

63

146

68

28

18

367

Tableau No 5 Religion des femmes Provenance

Catholiques

Protestantes

Pas répondu

Total

Bourgs (a)

89

2

2

93

Rurales (a)

123

11

3

137

Total

212

13

5

230

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

246

Fait régulièrement des services

A baptisé ses enfants

Va régulièrement à la messe

Provenance

A fait sa première communion

Tableau No 6 Pratiques religieuses des femmes

Total

Bourgs (a)

60

76

90 386

21

93

Rurales (a)

62

74

122

39

137

Total

122

150

121

60

230

Tableau No 7 Religion des fillettes Dénomination et pratiques religieuses

Pas spécifié

OUI

Provenance

Protestantes

NON

parfois

Non spécifié

Total

Assistance régulière à la messe

Catholiques

Dénomination

Bourgs (a)

186



2

142

32

12

2

188

Rurales (a)

171

2

6

83

65

23

8

479

Total

357

2

8

325

97

35

10

367

386

Une femme sans enfant.

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

247

Indéterminé

Plus de 8 ans

4 à 6 ans

2 à 4 ans

deux ans1 mois à

Provenance

N’a pas fréquenté l’école

Tableau No 8 Nombres d’années d’école

Total

Bourgs (a)

38

3

8

21

8

5

93

Rurales (a)

104

6

8

9

4

2

137

Total

142

16

16

30

12

7

230

bien

bien

Passablement

Sait parler

Passablement

Sait écrire

Passablement

Provenance

bien

Sait lire

Total

Tableau No 9 Aptitude après éducation

Bourgs (a)

42

5

38

3

15

0

93

Rurales (a)

25

2

23

10

3

3

137

Total

67

7

61

3

18

3

230

Total

Indéterminé

7 et au-dessus

5-6 ans

3-4 ans

Provenance

1-2 ans

Tableau No 10 Éducation des fillettes Nombre d’années d’école

Bourgs (a)

45

66

37

38

2

188

Rurales (a)

102

36

26

7

8

179

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

Total

147

102

63

47

10

248

367

Nombre total de fillettes

Indéterminé

Avancée I et II

Intermédiaire I et II

Provenance

Commençante I et II

Tableau No 11 Classe des Fillettes

Bourgs (a)

88

64

30

6

188

Rurales (a)

132

32

11

4

179

Total

220

96

41

10

367

Tableau No 12 Conditions Matrimoniales

NON

Pas spécifié

Mariée

Mariée après union libre

Union libre et mariage

Union libre

Type d’union

OUI

Mari Vivant

Bourgs (a)

81

10

2

50

7

5

31

Rurales (a)

120

12

5

48

18

4

67

Total

201

22

7

98

25

9

98

Provenance

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

249

Tableau No 12 (suite)

Pas spécialise

4 ou plus

3

2

1

Provenance

Nombre total de femmes interrogées

Nombre de mariage ou d’unions

Bourgs (a)

48

9

1

1

34

93

Rurales (a)

70

18

10

1

38

137

118

27

11

2

72

230

Total

Tableau No 13 Moyenne enfant vivant par famille

No d’enfants vivants

No de femme ayant perdu des enfants

Provenance

No de femmes ayants des enfants

Nombre d’enfants vivants et morts par famille

Bourgs (a)

92 (1)

75

404

4.34

Rurales (a)

131(2)

84

656

4.82

Total

223

159

1060

4.75

(1) (2)

Une femme n’avait pas d’enfant Quatre n’avaient pas eu d’enfant, une avait eu un enfant mort et une n’a pas répondu

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

250

Moyenne

No total d’enfants par famille

Moyenne d’enfants morts par famille

Provenance

No d’enfants morts

Tableau No 13 (suite) Nombre d’enfants vivants et morts par famille

Bourgs (a)

195

2.6

599

6.51

Rurales (a)

223

2.65

879

6.70

Total

418

2.62

1478

6.62

No total d’enfants morts

Non spécifié

Plus de 10 ans

No 2.1-5 ans

1.1-2 ans

Provenance

0-1 an

Tableau No 14 Nombre d’enfants vivants et morts par famille

Bourgs (a)

92

30

26

17

15

195

Rurales (a)

92

27

28

22

34

223

184

57

54

39

49

418

Total

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

251

No total de famille

No famille ayant eu malades

Pas assez

Non spécifié

BM

HBM

HB

B

HM

M

Tableau. No 15 Assistance Médicale (1)

Bourgs (a)

10

32

15

8

4

2

6

8

63

93

Bourgs (b)

22

62

9

26

10

2

17

38

32(2)

188

Rurales (a)

4

32

53

13

11

1

4

7

95

137

Rurales (b)

5

42

20

62

14

1

10

18

50(3)

179

Total

41

168

97

97

34

6

37

71

240

597

(1) (2) (3)

H signifie hôpital, M signifie médecin, B signifie Bocor, Spe. Signifie spécifié, Ass. Signifie assistance, Fam. Signifie famille. 35 n’ont pas répondu 40 n’ont pas répondu

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

252

CONDITIONS ÉCONOMIQUES

Total

Plus de 50 carreaux

20.1-50 carreaux

10.1-20 carreaux

2.1-3 carreaux

1-2 carreaux

Moins de 1 carreau

Provenance

Pas de terre

Tableau No. 16 Propriété Foncière

Bourgs (a)

3(1)

4

20

14

13

7

2 (2)

93

Rurales (a)

18 (3)

7

30

20

4

3

19 (4)

137

Total

21

11

50

34

17

10

3

230

(1) (2) (3) (4)

2 ont affermé des terres 75 et 11o carreaux de terres 10 ont affermé des terres 80 carreaux

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

253

Tableau No 17 Nombres de volailles par famille de femmesNombre total

peu

beaucoup

au-dessus41 et

21-40

11-22

6-10

1-5

Provenance

volaillesPas de

Nombre de volailles

Bourgs (a)

14

23

18

27

7

2

2



93

Rurales (a)

15

38

33

23

13

5

9

1

137

Total

29

61

51

50

20

7

11

1

230

beaucoup

au-dessus41 et

21-40

11-22

6-10

1-5

Provenance

volaillesPas de

Nombre de volailles

de femmesNombre total

Tableau No 18 Nombres d’animaux par famille

Bourgs (a)

14

26

12

30

16

6

4

93

Rurales (a)

13

39

36

36

12

1

13

137

Total

27

64

48

66

28

7

17

230

1

2

3

4

5

8

Nombre total

Nombre de maisons Pas Spé

Provenance

Pas de maisons

Tableau No 19 Nombres de maisons par famille

254

de femmes

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

Bourgs (a)

2

41

21

11

4

3

1

10

93

Rurales (a)



64

34

10

5



1

23

137

Total

29

61

55

21

9

3

2

33

230

CONDITIONS MATÉRIELLES Tableau No. 20 Logement

chaume

Tôle

mélange

Pas spécifié

Toiture 4 et au-dessus

Nombre de pièces

Bourgs (a)

14

10

2

50

7

5

31

Rurales (a)

120

12

5

48

18

4

67

Total

201

22

7

98

25

9

98

Provenance

1

2

3

Tableau No. 20 (suite) Structure Provenance

Clisse

bois

pierre

Pas spé

Terre

Carrelé

ciment

Plancher

Bourgs (a)

135

18

18

110

125

38

57

Rurales (a)

271

11

11

29

227

38

40

Total

406

29

29

139

139

76

97

Plancher (suite)

Logement (suite) Cuisine

W.C

cuisine

Sans cuisine

Pas spé

W.C

Sans W.C

Pas spécifié

25

18

18

247

32

2

50

7

1

3

6

2

269

44

3

48

18

1

28

24

20

516

76

5

98

25

2

Planche

Pas spécifié

255

mélange

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

Logement (suite) Nombre de lits Pas de lit

Moyenne de personnes vivant dans la maison

256

Total de familles

1

2

3

Plus

4

132

90

34

21

7.4

281

32

172

23

23

4

7.06

316

36

20

175

57

25

7.23

597

Tableau No 21 Vêtements

6-8

3-5

1-2

Pas spécifié

provenance

Pas spécifié

No de foulards beaucoup

Plus de 11

9-11

6-8

3-5

1-2

Nombres de robes

Bourgs (a)

7

30

31

5

16



4

44

15

1

33

Bourgs (b)

8

74

71

21

13



1

55

11

2



Rurales (a)

13

49

39

12

10

5

7

81

26

2

28

Rurales (b)

28

111

30

9



1



48

3



128

Total

56

264

171

47

39

6

12

228

55

5

189

Tableau No 21 Vêtements Nombres de chapeaux

No de souliers

1

2

3 et au-dessus Pas spé 1

2

3 et au-dessus Pas spécifié

21

37

24

11

41

22

16

14

40

88

52

8

95

53

16

24

51

44

21

21

75

25

10

27

85

54

6

34

99

24

5



74

320 124 47

197 213 102

65

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

257

Tableau No 21 Vêtements

Pas spécifié

2

75

11



7

44

26

9

14

111

14

12

51

108

29

7

44

105

16

1

15

73

22

6

36

103

5

6



95

10

1

73

394

46

19

73

320

87

23

167

No de Machines à coudre

No. Total de femmes interrogées

1

3 et au-dessus

2

No de boucles d’oreilles Pas spécifié

1

3 et au-dessus

Nombres de sandales

Tableau No 21 Vêtements

12

2

48

13

17

3

93

71

15

5

97

27

45

5

188

50

14

2

71

24

20

2

137

77

7



95

14

19

1

179

229

48

9

311

78

101

11

597

À pied

31

2 fils

2

1 fil

Pas spé

1

3 et au-dessus

Nombres de colliers

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

258

Tableau No 22 Alimentation

viande

Poisons secs

œufs

Poisons frais

Composition des repas

Lait

provenance

Pas spécifié

No de repas par jour

Bourgs (a)

4

120

155

2

165

105

210

69

101

Rurales (a)

15

193

101

7

158

80

204

35

91

Total

19

313

256

9

323

185

414

104

192

1

2

3

Tableau No 22 (suite) Alimentation Composition des repas cont.

Légume

mais

riz

millet

vivre

Pain

cassave

haricots

Bouillon

fruits

Total

Farineux

153

158

80

263

144

144

109

246

89

120

281

180

191

150

283

56

56

89

268

116

251

316

333

349

230

546

200

200

198

514

205

371

597

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

259

EMPLOI DU TEMPS Tableau No 23 Heure lever et coucher

2

3

4

5

6

7

8

7

8

9

10

Nombre total de femmes interrogées

provenance

Pas spécifié

P.M Heures coucher Pas spécifié

A.M. Heures Lever

Bourgs (a)

1

1

18

54

16

2



3

11

45

29

6

2

93

Bourgs (b)



1

16

98

13

8



2

15

112

52

7

2

188

Rurales (a)



3

24

89

10

2

1

3

2

53

61

19

2

137

Rurales (b)





19

106



7



1

39

93

40

7



179

303

182 39

6

597

XX

Total

1

5 X XX

77

347

39

19

2 se couchent à 5 heures 3 se couchent à 6 heures

1

9

67

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

260

Tableau No 24 Travail Provenance

Agriculture

élevage

commerce

disposer

couture

Bourgs (a)

67

67

72

71

60

Bourgs (b)

81

89

119

53

92

Rurales (a)

111

109

100

91

79

Rurales (b)

116

119

148

81

80

Total

375

384

439

296

308

Tableau No 24 (suite) Travail Lessive

Ménage

Eau

Bois

cuisine

Soins des bébés

89

86

59

58

89



171

180

140

61

150

150

125

118

88

83

131



116

168

134

134

147

142

551

552

134

336

517

292

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

261

Tableau No 25 Occupations habituelles du soir Provenance Bourgs (a)

Bourgs (b) Rurales (a)

Rurales (b)

Total

couture

5

10

18

9

42

contes

27

36

15

45

123

chants

6

4

5

28

43

28



16

2

46

danses

1



8

2

11

Distractions diverses

3



6

1

10

Etude



104



1

105

Jeux

4

13



7

24

Lecture

4

13



7

24



2

6

2

8

5

2

9

2

18

Phono





3



3

Prière

9

38

20

30

97

Repas

4



5



9

Travail

5

14

16

42

77

Toilette

2

2



9

13

Visite

2



2



4

93

137

137

179

597

causerie

Occuper des enfants Promenade

No Total de femmes interrogées

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

Tableau No 26 Distractions Habituelles Provenance

Raconter des contes

Chanter des romances

cantiques

Danser

Lire

Bourgs (a)

74

56

76

59

27

Bourgs (b)

167

(x)

(x)

102

131

Rurales (a)

103

56

114

87

21

Rurales (b)

146

(x)

(x)

113

106

Total

490

112

190

361

285

(x) cette question n’a pas été posée dans le questionnaire des fillettes

Tableau No. 26 (suite) Faire partie d’une association

Aller aux veillées

No total de femmes interrogées

16

48

93

43

46

188

26

93

137

25

61

179

110

248

597

262

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

263

Tableau No 27 Distractions favorites Bourgs (a)

Bourgs (b)

Rurales (a)

Rurales (b)

Total

Provenance

1

1

2

4

8

Bain



8





8

Bal

4

1

4

8

17

Chants

10



18

30

58

Contes

10

36

16

19

81

commerce

3

2

1

2

8

Couture

1

9

1

25

36

Danse

16

17

43

22

98

Ecole



5



3

8

Équitation

2



1



3

Gaguerre





2



2

Jeux divers

13

134

17

92

256

Lecture



6

2

16

24

Phono

1



1



2

S’occuper des enfants

2







2

S’occuper du ménage







8

8

Poésies



4



22

6

Promenade

8

33

4



67

Prière

6



4



10

Travail





3

2

3

Travaux manuels







2

2

Veillées

1



7



8

Visites

3

3

5

2

13

Vodou





1

1

No Total de femmes interrogées

93

188

179

597

Distractions

agriculture

137

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

264

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle.

Table des matières AVANT-PROPOS [V] PREMIÈRE PARTIE. La femme haïtienne dans l’histoire INTRODUCTION [3] Chapitre I. Chapitre II. Chapitre III. Chapitre IV.

Période indienne et espagnole [5] Tradition africaine [19] Période française [45] Période haïtienne [65]

DEUXIÈME PARTIE. La femme dans la famille, la société et l'économie haïtienne [103] Chapitre I.

Statut légal [106]

1. Droits Civils [103 a) Mariage [103] b) Régime des biens [106] c) Rapport de la mère avec ses enfants légitimes [116] d) Unions illégitimes [120] 2. Droits politiques [123] 3. Coutumes traditionnelle [125] a) Unions matrimoniales [125] b) Relations familiales [132] 4. Modifications du code civil proposées par la Ligue Féminine d'Action Sociale [140] Chapitre II. Rôle de la femme dans les différentes classes de la société. [144] 1. Rôle civique et social [144] 2. Rôle économique [156] 3. Contribution culturelle féminine [169]

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

265

a) Littérature art et sciences [169] b) Religion [182] Chapitre III. Cycle de vie. [184] 1. Enfance [184] a) Bourgeoisie [185] b) Classe moyenne et prolétariat des villes [188] c) Classe paysanne [194] 2. Adolescence et mariage [205] a) Bourgeoisie [205] b) Classe moyenne et prolétariat des villes [215] c) Classe paysanne [221] CONCLUSIONS GÉNÉRALES [231] Appendice I Le Procès de la Ligue Féminine d'Action Sociale pour l'exercice intégral des droits politiques en 1957 et la participation féminine au renversement du gouvernement du président Magloire [241] Appendice II Présentation schématique des conditions de vie de 597 femmes et jeunes filles des bourgs et des communautés, rurales [247] Appendice III Bibliographie [249]

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

266

[249]

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. Première partie : La femme haïtienne dans l’histoire

APPENDICE III BIBLIOGRAPHIE

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Ardouin, Beaubrun. Études sur l'Histoire d'Haïti, suivies de la vie du Général Borgella. Paris 1855-00. 11 vols. 2ème Edit. Port-au-Prince, 1924. Aubin, Eugène, (pseud. de Descos, Léon Eugène Aubin Coullard) En Haïti. Planteurs d'autrefois, nègres d'aujourd'hui, Paris 1910. Auguste, Carlet. Visages Féminins. Voix des Femmes, Vol. IV, No. 55. Décembre 1958. p. 4. Port-au-Prince, 1938. Banque Nationale de la République d'Haïti. Bulletins Mensuels et Rapports Annuels. Publications périodiques du Département Fiscal. Port-au-Prince, Haïti. Bauman, H. The division of work according to sex in African hoe culture. Africa, Vol. I, 1928. pp. 289-319. Bellegarde, Dantès, Haiti and her problems. Rio, Piedras, 1936. _____, La Nation Haïtienne, J. de Gigord Edit. Paris, 1938. _____, La Voix des Femmes et la Question Sociale Haïtienne. Voix des Femmes. Vol. II. No. 13 Port-au-Prince 1936. _____, Pour ou Contre le Féminisme. Voix des Femmes. Vol. I, No 2 Port-auPrince, Novembre 1935. _____, Pour une Haïti heureuse. 2 vols. Port-au-Prince, 1928 et 1929. Bellegarde, Fernande. Ligue Féminine d'Action Sociale. Rapport de la Secrétaire Générale. Voix des Femmes. Vol. 1, No. 2 Port-au-Prince, Novembre 1935. Bird, Pasteur M. B., The Black Man or Haitian Independence from historical notes. London, 1869.

Haïti et ses femmes. Une étude d’évolution culturelle. (1957)

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