Feu et Lumière, n° 56 (octobre1988), pp. 13-18. Le Christ-Roi

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Feu et Lumière, n° 56 (octobre1988), pp. 13-18. 
Le Christ-Roi

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Paru in : Feu et Lumière, n° 56 (octobre1988), pp. 13-18.

le Christ-Roi Père Mode-Dominique Philippe, o.p.

La fête du Christ-Roi est sans doute aujourd’hui une fête qui n’est pas toujours facile à bien saisir. Pourtant c’est une fête qui

devrait nous aider à vivre de plus en plus d’une espérance toute divine. N’est-elle pas la fête qui proclame la grande victoire de la

Croix ? Cette fête ne doit-elle pas être très spécialement fêtée dans la Communauté du Lion de Juda et de l’Agneau Immolé puisque, dans l’Apocalypse, la victoire est figurée par le symbo­ lisme du «lion de la tribu de juda» (Ap.5,5) ? Jésus crucifié et res­ suscité est victorieux de toutes les conséquences du péché, de tout le mal qui est dans le mon­ de. Par sa mort et sa résurrec­ tion, Il nous sauve, Il nous libère de tout esclavage du péché. Il fait de nous des hommes libres.

Pour mieux contempler le mys­ tère de Jésus-Roi et en pénétrer toute la richesse dans un regard de sagesse divine, il est néces­ saire de dépasser tous nos a priori politiques, sociologiques, économiques, psychologiques, qui si souvent nous encombrent, nous empêchant de dépasser notre conditionnement humain ce qui se fait sentir très spéciale­ ment au niveau du conditionne­ ment politique et économique. On sait combien celui-ci a empêché les Juifs de regarder le Christ dans une lumière de sagesse divine. On s’imaginait alors le Christ-Messie comme un libérateur politique, économi­ que ; on n’attendait plus du Christ qu’un messianisme tem­ porel, on attendait le Messie comme un nouveau Moïse qui viendrait libérer le peuple juif du joug romain - oubliant en cela la mission propre de Moïse : conduire au désert le peuple consacré à Dieu. Pour qu’il puisse adorer au désert, il fallait certes le libérer du joug du Pharaon - mais 14

c’était la condition, non la finalité. Ne retrouverait-on pas aujoud’hui des déviations très semblables (confusion de la condition et de la finalité) à pro­ pos de la mission de l’Eglise, qui n’est autre que la mission du Christ Lui-même ? Pour éviter de telles déviations, n’est-il pas plus que jamais nécessaire de revenir à la source même de notre foi, la Révélation ? Cela seul nous per­ met de ne pas demeurer dans notre conditionnement psycho­ logique politico-économique, et d’avoir un regard de vrais croyants.

le Tout-Puissant. Et il a sur son manteau et sur sa cuisse un nom écrit : Roi des rois et Seigneur des seigneurs» (Ap 19,11-17)

Cette vision du ciel sur le mys­ tère de la royauté du Christ est sûrement une des plus impres­ sionnantes de la Révélation.

Que signifie pour nous ce mys­ tère du Christ-Roi ? et comment se réalise-t-il dans notre vie chrétienne, dans nos familles chrétiennes, dans nos commu­ nautés ? Deux grands textes peuvent nous aider à pénétrer plus avant dans ce mystère du Christ-Roi. C’est en premier lieu ce texte de l’Apocalypse : «Et je vis le ciel ouvert ; et voici un cheval blanc, et celui qui le mon­ tait s’appelle Fidèle et Véridique, et c’est avec justice qu’il juge et fait la guerre. Ses yeux sont une flamme de feu, et sur sa tête de nombreux diadèmes, il a un nom écrit que personne ne sait, sinon lui ; il est revêtu d’un manteau trempé dans le sang, et le nom dont il s’appelle est : le Verbe de Dieu. Et les armées qui sont au ciel le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues d’un lin fin, blanc, pur. Et de sa bouche sort une épée acérée, pour en frapper les nations. C’est lui qui les fera paî­ tre avec une houlette de fer, et c’est lui qui foule la cuve de vin de la fureur de la colère de Dieu, 15

de, mes gens à moi auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs ; mais non, mon royaume à moi n’est pas d’ici” Pilate lui dit donc : “Tu es donc roi, toi ?” Jésus répondit : “c’est toi qui le dis : je suis roi. Moi, c’est pour cela que je suis né, et c’est pour cela que je suis venu dans le monde : pour ren­ dre témoignage à la vérité ; qui­ conque est de la vérité écoute ma voix”» (Jn 18, 33-37).

Pour en saisir toute la force, il faut la lire dans la lumière du chapitre 18 de l’Evangile de saint Jean, lorsque Jésus devant Pila­ te, affirme qu’il est Roi : «Pilate entra donc de nouveau dans le prétoire, appela Jésus et lui dit : “C’est toi le roi des Juifs ?” Jésus répondit : “Est-ce de toimême que tu dis cela, ou d’au­ tres te l’ont-ils dit de moi ?” Pilate répondit : “Est-ce que je suis Juif, moi ? C’est ta nation et les grands prêtres qui t’ont livré à moi, qu’as-tu fait ?” Jésus répondit : “Mon royaume à moi n’est pas de ce monde. Si mon royaume à moi était de ce mon­ 16

Comme il est éclairant de mettre en parallèle ces deux grandes révélations de la royauté de Jésus ! L’une montrant la royauté de Jésus dans la gloire : c’est la grande victoire de Jésus «Roi des rois» ; l’autre nous mettant en présence de Jésus humilié, rejeté des grands prêtres comme un blasphémateur qui affirme nettement qu’il est Roi. C’est bien à travers ces deux situa­ tions, extrêmes pour son huma­ nité, que la royauté de Jésus nous est révélée. Il est Roi mal­ gré l’humiliation qu’il subit face à son peuple, face à l’autorité poli­ tique suprême de son temps, celle de César. Il est «Roi des rois» dans la gloire du ciel, sor­ tant victorieux du combat suprême de la Croix.

Voilà précisément ce qui nous permet de contempler le mystère de la royauté de Jésus. Il est Roi de tous les hommes, de tout l’univers, car la nature humaine de Jésus subsistant dans le Ver­ be, le Fils unique du Père, connaît une telle noblesse, une telle dignité, qu’elle est non seu­ lement plus parfaite que celle de tous les autres hommes, mais

qu’elle est la nature humaine dans sa totale perfection tout en demeurant semblable à celle de tous les hommes.

Jésus est né de Marie, et il res­ semble à sa Mère plus qu’aucun autre fils ne ressemble à sa mère. Il est vraiment le «frère» de tous les hommes (cf. Rm 8,29), par sa nature humaine engendrée de la Femme. Mais il est aussi, en rai­ son de la perfection unique de sa nature, le Roi de tous les hommes. Il a une autorité souve­ raine, royale, sur tous les hom­ mes, en raison de la perfection unique de ses connaissances et de l’intensité de son amour pour son Père et pour les hommes, en raison de toutes ses vertus infu­ ses. Il est l’homme parfait qui est pleinement bienheureux, demeu­ rant en celui qui est la fin ultime, source de tout ce qu’il est. En lui l’homme est souverainement accompli, parfaitement en acte. La royauté de Jésus est donc en prémier lieu une conséquence immédiate du mystère de l’Incar­ nation. Le Verbe de Dieu, deve­ nant chair, assumant une nature humaine, individuelle, formé par l’Esprit Saint en Marie, la Vierge Immaculée, donne à cette nature humaine une dignité souveraine royale à l’égard de tous ceux qui possèdent une nature semblable mais existant d’une manière tout autre, existant selon les exigen­ ces propres de leur nature indivi­ duelle limitée et même péche­ resse. Cette royauté existe en elle-même, qu’elle soit reconnue ou qu’elle ne le soit pas. Quant au texte cité de l’Apoca­ lypse, il jette une lumière éton-

nante sur la grande victoire cachée de la Croix, victoire qui éclate dans la glorification de Jésus ressuscité. Par sa victoire d’amour cachée et glorieuse, Jésus devient le «Roi des rois», le «Seigneur des seigneurs». Par cette victoire, en effet, il sauve tous les hommes, en réparant pour eux, en satisfaisant luimême pour leurs fautes, en por­ tant leurs iniquités au plus intime de son Cœur et en se présentant lui-même en face de la justice de Dieu comme le seul responsable de tous les hommes pécheurs. Il est «l’Agneau de Dieu portant l’iniquité du monde», il est «vic­ time de propitiation pour tous nos péchés» (1 Jn 2,2 et 4,10; cf. Rm 3,25). Toute l’injure du péché des hommes est par lui effacée, pardonnée. Il sauve les hommes en leur communiquant sa grâce en plénitude, sa vie divine, son amour, sa lumière, faisant d’eux des enfants de lumière et d’amour, des enfants du Père, c’est vraiment en les sauvant, en leur donnant une vie nouvelle, sa vie, qu’il les enfante. Il devient par là leur père, dans une médiation sacerdotale qui est elle-même royale.

L’Epître aux Hébreux l’affirme avec beaucoup de force : «c’est ainsi que le Christ non plus ne s’est pas donné lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; non, c’est Celui qui lui a dit : «Tu es mon fils ; c’est moi qui t’ai engendré aujourd’hui» (Ps 2,7), selon qu’il dit encore ailleurs : «Tu es prêtre à jamais selon l’or­ dre de Melchisedech» (Ps 110,4)-(He 5,5-6). «Ce Melchise­ dech en effet, roi de Salem, prê­

tre du Dieu très haut qui vient à la rencontre d’Abraham à son retour de la défaite des rois et qui le bénit, et à qui Abraham remet la dîme de tout, dont le

nom d’abord signifie roi de justi­ ce, et qui plus est roi de Salem, c’est à dire roi de paix..., (ce Melchisedech) assimilé au Fils de Dieu demeure prêtre pour

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toujours» (He 7,1-3; cf. Gn 14, 17-20). Ce grand prêtre a bien une auto­ rité souveraine et royale, car il a tout donné en vivant Lui-même ce qu’Il a proclamé : «Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il ne porte pas de fruit» (Jn 12,24). Sa royauté paternelle et sacerdotale s’enracine dans sa mort offerte dans un amour infini, pour glorifier le Père et nous sau­ ver.

Croix, à ce mystère victimal de l’Agneau, à cette victoire cachée de l’amour, à cette pauvreté extrême de Jésus agonisant et crucifié. Il est Roi pour être le serviteur de tous, le plus pauvre de tous, le plus petit de tous, pour que l’amour seul soit victorieux de tout et brûle tout. Il est à la Croix le Roi d’amour et de miséricorde, Roi qui sauve tous les hommes, mais tout spécialement Roi des

C’est pourquoi cette royauté s’exerce dans l’extrême pauvreté et dans la petitesse. Pensons à la manière dont Jésus réalise son entrée triomphale à Jérusalem, le jour des Rameaux : assis sur le petit d’une ânesse - et le peu­ ple juif le proclame Roi. C’est la prophétie du prophète Zacharie que Jésus réalise : «Trouvant un petit âne, Jésus s’assis dessus, selon qu’il est écrit : sois sans crainte, fille de Sion ; voici que ton Roi vient, assis sur un petit d’ânesse» (Jn 12,15 ; cf. Is 40,9 ; Zach 9,9).

Devant ces deux révélations extrêmes sur le mystère de la royauté de Jésus, comprenons bien l’ordre de sagesse voulu par Dieu lui-même. Le mystère de l’Incarnation n’est-il pas tout entier ordonné au mystère de la Rédemption ? C’est pour nous sauver que le Fils de Dieu a assumé notre nature humaine. On peut donc dire que toute la noblesse et la grandeur de la royauté de la nature humaine de Jésus, provenant du mystère de l’Incarnation, est vraiment ordon­ née, de fait, à ce mystère de la 18

pauvres, des petits, Roi qui a voulu connaître l’extrême pau­ vreté et dénuement, pour attirer à lui les plus pauvres, les plus misérables, pour régner sur tous les cœurs dans ce qu’ils ont de plus eux-mêmes - leur capacité d’aimer et de se donner - et pour régner sur les intelligences sur ce qu’elles ont de plus ellesmêmes - leur capacité d’être tout ordonnées à un amour contemplatif.

Ce Roi d’amour, comme législa­ teur, met sa toute-puissance divine au service de l’amour. Cela nous est bien révélé dans le sacrement royal de l’Eucharistie, où Jésus se donne dans une magnanimité ultime, dans l’ex­ trême pauvreté des apparences du pain et du vin, pour être le Serviteur des serviteurs. N’estce pas le «Dieu des armées» Yahvé Sabaoth - qui se désarme Lui-même pour être le plus pro­ che possible des petits, le plus donné possible aux affamés ? C’est dans le jugement dernier de chacun des hommes, de tous les hommes et de tout l’univers, que la royauté de Jésus s’exerce d’une manière ultime. N’est-ce pas l’ultime exercice de l’autorité royale de juger, de discerner ce qui est bien et mal, et de pouvoir gracier le condamné à mort ? C’est dans cet ultime exercice que nous sera parfaitement révélé le mystère d’amour et de miséricorde de ce Roi Grand Prêtre qui a voulu descendre plus bas que le plus grand des pécheurs. Alors nous compren­ drons l’abîme infini de miséri­ corde et d’amour du Cœur blessé de ce Roi, victime d’amour.

Enfin c’est en Marie, Mère joyeuse de la noblesse unique de ce Roi, épouse compatis­ sante de ce Roi bafoué, cou­ ronné d’épines, crucifié, que nous pouvons le mieux découvrir le fruit le plus lumineux et le plus pur de l’économie royale de ce Roi des pauvres et des petits. Marie n’est-elle pas celle qui a vécu de la manière la plus divine du don royal de l’Eucharistie ? ■