Étonnant vivant : Découvertes et promesses du XXIᵉ siècle 9782271114822

Qu'est-ce que la vie ? Quelles sont ses origines ? Quelle est la frontière entre le "soi" et le "non

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Étonnant vivant : Découvertes et promesses du XXIᵉ siècle
 9782271114822

Table of contents :
Sommaire
Préface
Introduction
Chap 1 - Qu’est-ce que le « vivant »
1 La vie : des briques mais aussi de l’énergie
2 La soupe prébiotique* n’est pas (entièrement) faite maison
3 La vie ailleurs ?
4 4 La vie aux extrêmes
5 La vie intraterrestre : les microbes de la cité perdue
6 Des formes de vie disparues inscrites dans la pierre
7 Les virus sont-ils vivants ?
Chap 2 - L’histoire du vivant
1 Qu’est-ce que l’arbre de la vie ?
2 L’évolution : le grand laboratoire de l’innovation biologique
3 De l’évolution au sein des espèces à l’évolution à l’intérieur d’un organisme
4 L’évolution en action
Chap 3 - La complexité du vivant
1 Le vivant est encore plus complexe qu’il en a l’air : voyage au bout de l’ARN non codant
2 Le cerveau, à la frontière du vivant et de l’esprit
3 Comment fabriquer un organisme à partir d’une seule minuscule cellule ?
4 Comment s’organisent les sociétés animales
Chap 4 - L’etre vivant dans son environnement
1 Influence de l’environnement physique et chimique (abiotique) sur les êtres vivants
2 La notion du soi et ses limites
3 Dynamique et complexité des interactions entre les etres vivants
4 Manipulation de l’environnement par les etres vivants
Chap 5 - De la curiosité à l’application
1 Voir
2 Comprendre
3 Agir
4 Les enjeux du futur
Compléments
Glossaire
Bibliographies
Les auteurs
Remerciements
Légendes et crédits photographiques des pages d’ouverture de chapitre

Citation preview

, lnserm

CNRS EDITIONS

Présentation de l’éditeur

parenté entre organismes qui définissent l’arbre de la vie et permettent ainsi de reconstitue histoire, les incroyables interactions entre les composants de tout être vivant, l’impact form de l’environnement sur l’évolution et le fonctionnement des organismes, la dépendance de vivants envers d’autres êtres qu’ils hébergent ou au sein desquels ils sont hébergés, et les promesses d’innovations contenues dans ces révolutions scientifiques et technologiques.

C’est au prix d’une recherche qui requiert du temps, des prises de risque, de l’imagination créativité et de la liberté que les grands tournants des sciences de la vie ont pris corps en c de siècle. Et c’est à ce prix que ces sciences continueront à être porteuses d’avenir et de pr

Ce livre est le témoignage passionné d’une centaine de scientifiques qui ont contribué à sa rédaction pour partager leur émerveillement face aux découvertes et aux promesses portée les sciences du vivant de ce début de siècle.

Un ouvrage sous la direction de Catherine Jessus, Institut des Sciences Biologiques (INSB CNRS, avec le concours de Thierry Gaude, directeur de recherches au CNRS.

Avant-propos d’Alain Fuchs, président du CNRS,
et d’Yves Lévy, président-directeur gén l’INSERM.

Sous la direction de

CATHERINE JESSUS

Étonnant vivant Découvertes et promesses du XXIe siècle

CNRS ÉDITIONS 15, rue Malebranche – 75005 Paris

5 ............ Préface

9 Introduction PR E M I ER CH A PI T R E

31 Qu’est-ce que le « vivant » ? 39 ........

1 La vie : des briques mais aussi de l’énergie

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2 La soupe prébiotique n’est pas (entièrement) faite « maison »

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3 La vie ailleurs ?

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4 La vie aux extrêmes

57 .........

5 La vie intraterrestre : les microbes de la cité perdue

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6 Des formes de vie disparues inscrites dans la pierre

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7 Les virus sont-ils vivants ?

DEU X I È M E CH A PI T R E

83 L’histoire du vivant 86 ........

1 Qu’est-ce que l’arbre de la vie ?

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2 L’évolution : le grand laboratoire de l’innovation biologique

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De l’évolution au sein des espèces à l’évolution à l’intérieur d’un organisme

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4 L’évolution en action

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Conclusion et perspectives

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T ROISI È M E CH A PI T R E

133 La complexité du vivant Le vivant est encore plus complexe qu’il en a l’air : voyage au bout de l’ARN non codant

138 .....

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153 .....

2 Le cerveau, à la frontière du vivant et de l’esprit

163 .....

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172 .....

4 Comment s’organisent les sociétés animales

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Comment fabriquer un organisme à partir d’une seule minuscule cellule ? Conclusion

Q UAT R I È M E C H A P I T R E

183 L’être vivant dans son environnement 185 .....

1 Influence de l’environnement physique et chimique (abiotique) sur les êtres vivants

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2 La notion du soi et ses limites

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...

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3 Dynamique et complexité des interactions entre les êtres vivants 4 Manipulation de l’environnement par les êtres vivants Conclusion

CI NQU I È M E CH A PI T R E

243 De la curiosité à l’application 248 ...

1 Voir

254

2 Comprendre

...

260 ..

3 Agir

266 ...

4 Les enjeux du futur

283

...

Conclusion

289 Compléments 290 ..

Glossaire

299

Bibliographies

313

...

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Les auteurs

319 .....

Remerciements

325 ...

Légendes et crédits photographiques des pages d’ouverture de chapitre

CNRS Éditions, Paris, 2017 978-2-271-11482-2

Préface

L

es microbes extrêmophiles détiennent-ils la clé de l’origine de la vie terrestre ? Pourquoi nos organismes abritent-ils davantage de gènes bactériens que de gènes humains ? Le grand arbre de la vie comporte-t-il des branches dont nous ignorons encore l’existence ? La frontière entre le vivant et le non-vivant est-elle aussi claire que nous l’imaginons ? Qu’allons-nous faire de la technologie CRISPR-Cas9 permettant de modifier les génomes avec une facilité déconcertante ? Que nous dit l’observation des neurones en activité sur les origines de l’esprit et de la conscience ? Comment l’homme sera-t-il demain soigné, réparé voire augmenté ? Petites ou grandes, spécialisées ou générales, ces questions et tant d’autres mobilisent la vaste communauté multidisciplinaire des chercheurs étudiant le vivant. Ils ont souhaité partager avec vous leurs passions et leurs interrogations, mais aussi leur émerveillement devant la complexité et la créativité sans pareille dont ont fait preuve les formes du vivant depuis les près de 4 milliards d’années de leur apparition sur la Terre. Nous les avons soutenus dans cette initiative et nous avons voulu la parution de ce livre à ce moment décisif que traversent les sciences de la vie : depuis une vingtaine d’années, une formidable accélération des connaissances s’est en effet faite jour. Cette explosion des connaissances provient d’un essor sans précédent des technologies. Voir aide à comprendre. Le développement spectaculaire des méthodes d’imagerie donne à observer le vivant à des échelles inaccessibles autrefois et permet d’explorer des réalités inconnues, de mettre à jour des mécanismes insoupçonnés. Mais le biologiste d’aujourd’hui est aussi en possession d’un autre outil puissant lui donnant accès à la découverte de nouvelles formes de vie et à la compréhension du fonctionnement du vivant : la révolution technologique du séquençage 5

Étonnant vivant

des génomes, voire des métagénomes, c’est-à-dire l’ensemble des génomes des êtres microbiens formant des écosystèmes donnés, qu’ils vivent dans les océans à toutes profondeurs, dans les eaux douces ou dans notre intestin. L’interprétation de ces formidables données donne accès à des mondes inconnus que nous ne pouvons pas encore voir. Toutes ces données, enregistrées sous forme numérique, peuvent désormais être stockées, partagées, analysées et modélisées avec des capacités de calcul inédites. C’est une autre dimension-clé du tournant dans les sciences du vivant : leur mariage avec les technologies de l’information, de plus en plus miniaturisées pour les capteurs, de plus en plus puissantes pour les processeurs. En confrontant de gigantesques quantités de données issues souvent des travaux de disciplines différentes, nous assistons à l’émergence de liens, de schémas, d’associations que nous ne pouvions imaginer. L’analyse du vivant se pratique ainsi in vitro, in vivo et désormais in silico. Ces nouvelles capacités s’accompagnent, autre révolution récente, d’aptitudes inédites à manipuler le vivant. Ces avancées occupent une place notable dans le débat citoyen : les organismes génétiquement modifiés, la guérison de maladies jadis incurables par des thérapies géniques et cellulaires, la capacité à produire des tissus à partir de cellules souches, la création de prothèses et biomatériaux secondant nos organes, la possibilité même dans le futur de créer par biologie de synthèse des formes de vie nouvelles font partie de ces avancées. Elles suscitent l’enthousiasme chez beaucoup, mais aussi des doutes et des craintes chez certains. Les sciences du vivant ne peuvent se développer sans une éthique de notre rapport au vivant. Les applications, bien que développées dans un objectif de progrès, peuvent susciter bien des interrogations. Cette dimension-là, les chercheurs doivent en débattre avec les citoyens.

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Préface

Le CNRS, l’Inserm et les établissements publics de recherche français ont la chance de former un écosystème scientifique pluridisciplinaire, très intégré depuis la recherche fondamentale jusqu’à ses applications sociales, économiques et médicales. Ce modèle a porté la France au rang des premières nations scientifiques au cours du demi-siècle écoulé. Il permet de garder l’esprit ouvert tant en direction de l’exploration de l’histoire du vivant et des mécanismes élémentaires et des lois d’organisation qui le gouvernent qu’en direction des applications de ces découvertes à la résolution de nos problèmes, au premier desquels l’amélioration de la santé et la préservation de l’environnement. Car le vivant, c’est aussi et enfin un défi démocratique. Les sciences et les technologies sont au cœur de l’évolution des sociétés modernes et de leurs économies, éclairant nos décisions collectives et nourrissant nos innovations. Elles permettent des progrès, elles suscitent des débats. La production des connaissances et le partage des bénéfices qui en résultent sont un enjeu majeur de ce siècle. Ces innovations, nul ne sait à l’avance d’où elles proviendront : « Le hasard ne favorise l’invention que pour des esprits préparés aux découvertes par de patientes études et de persévérants efforts », disait Pasteur. Les connaissances de l’histoire du vivant et de son fonctionnement sont un bien précieux nécessaire aux sociétés humaines pour comprendre leur passé, se situer dans le présent et l’améliorer, et construire leur avenir. Mieux connaître le vivant, c’est enrichir nos vies et celles des générations futures. Si les lecteurs en sont persuadés en refermant ce livre, alors notre pari aura été gagné. Alain Fuchs, président du CNRS Yves Lévy, président-directeur général de l’INSERM

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Introduction

Étonnant vivant

L

’ouvrage que vous tenez entre vos mains est le fruit d’une démarche peu habituelle. C’est en effet la communauté des chercheurs français travaillant à déchiffrer le monde vivant qui l’a conçu, vous conviant à un voyage à travers les grandes découvertes et les promesses portées par les sciences biologiques de ce début du xxie  siècle. Cette invitation s’exprime ici par la voix d’une centaine de chercheurs qui ont mis toute leur passion dans la rédaction de cet ouvrage, impatients de partager avec vous leurs terrains d’exploration. Pourquoi une telle mobilisation pour venir vous faire découvrir les mondes que nous défrichons ? Parce que la biologie vit en ce moment une véritable révolution, et parce que ce grand tournant qui bouleverse nos connaissances et notre vision du monde vivant est peu mis en valeur auprès de notre société.

Cette révolution ne vient pas des questions nouvelles soulevées par les sciences de la vie, mais parce qu’à de vieilles interrogations, la biologie d’aujourd’hui apporte de nouvelles réponses. Ce bouleversement dans la compréhension du vivant trouve essentiellement sa source dans des progrès technologiques phénoménaux. En effet, « l’avancée de la science découle de nouvelles techniques, de découvertes et de nouvelles idées, probablement dans cet ordre » a dit un lauréat du prix Nobel, Sydney Brenner. Les sciences de la vie ont déjà connu des avancées majeures dues au développement de nouveaux outils technologiques, comme l’invention du microscope au xviie  siècle. Mais rien d’une ampleur comparable à la puissance des nouvelles techniques qui permettent d’observer les organismes vivants jusqu’aux molécules à l’intérieur de leurs cellules, d’analyser et manipuler leur ADN au point de pouvoir synthétiser un génome complet, de croiser les milliards d’informations du «Big Data», de voir fonctionner le cerveau de l’homme conscient, etc. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre, au cours de laquelle les scientifiques espèrent explorer les ramifications insoupçonnées de l’arbre du vivant et reconstituer son histoire, décrypter la logique complexe du fonctionnement 10

Introduction

de nos cellules, percer les mystères du cerveau… et  participer ainsi au débat sur les sujets les plus chargés de signification, mais aussi de mystère, pour l’humanité que sont l’origine de la vie, la mort et le propre de l’homme : pensée et conscience de soi ou d’autrui. Le développement scientifique est alimenté par deux courants – schématiquement la curiosité et l’utilité – qui se combinent en proportions variables depuis les origines des sciences du vivant. Au commencement, l’homme préhistorique s’est attaché à étudier le monde vivant pour résister à ses contraintes et en tirer le meilleur bénéfice. Cultiver les plantes, élever les animaux, les sélectionner pour améliorer leurs qualités nutritives, les domestiquer, relève bien d’approches scientifiques faisant appel à l’observation et à l’expérimentation. Dans ces temps anciens, c’est dans l’objectif d’améliorer sa survie et d’exploiter la nature que l’homme a accumulé et transmis des connaissances sur le monde vivant dans lequel il évoluait. L’humanité a donc inauguré une science biologique utilitaire. Avec l’Antiquité se développent deux approches motivées par la soif des hommes de comprendre le monde. La première est celle de l’histoire naturelle, qui vise à inventorier et décrire les êtres vivants, qui aboutit à la théorie de l’évolution formulée par Darwin en 1859 et qui est portée par la curiosité. La seconde est celle de la physiologie animale et humaine, qui s’appuie sur une démarche expérimentale hypothético-déductive visant à comprendre les fonctions des êtres vivants, et qui sert de socle au développement de la médecine et de la chirurgie. Une nouvelle ère débute à la fin du xixe siècle quand la branche naturaliste incorpore les méthodes de la branche expérimentale, donnant lieu à la biologie moderne. Les deux moteurs, curiosité et utilité, l’animent de concert : la lutte contre les maladies infectieuses menée par Pasteur donne naissance à la microbiologie, une nouvelle branche de la science qui défriche l’immensité du monde des êtres unicellulaires et des virus, et qui permettra dans le même temps de découvrir les antibiotiques. Une autre révolution suit à 11

Étonnant vivant

partir des années 1950 à 1960 avec l’avènement de la biologie moléculaire, dont le point de départ est l’identification de la molécule d’ADN comme support de l’hérédité et la description de sa structure. La biologie moléculaire est marquée par la volonté d’expliquer les propriétés des êtres vivants par la structure et les interactions des molécules qui les composent. En quelques années, la connaissance des principales macromolécules biologiques bouleverse notre compréhension du fonctionnement des êtres vivants. La biologie moléculaire est porteuse d’un autre type de révolution : elle ouvre pour la première fois la possibilité de manipuler le patrimoine génétique des êtres vivants. Ce formidable pouvoir technologique, source d’applications spectaculaires en termes de génie génétique, fascine l’homme. À partir de ce moment, c’est une représentation de la biologie comme source d’outils technologiques et d’applications qui prédomine. Nos sociétés contemporaines attendent aujourd’hui des sciences de la vie des remèdes et des bénéfices aux maux et menaces dont elles souffrent. De fait, ces sciences irriguent toujours davantage la santé, l’agriculture, l’écologie et l’environnement, mais sont aussi porteuses de promesses en matière de ressources énergétiques, et participent à diverses activités industrielles. Le tournant du xxie siècle salue l’utilité des sciences du vivant. Il le salue à tel point que les projecteurs médiatiques éclairent surtout celles de leurs avancées qui sont porteuses de remèdes pour l’homme, ou de retombées économiques, laissant dans l’ombre de grandes découvertes, non planifiées, non programmées, imprévues, issues de la seule curiosité des chercheurs motivés par la soif de compréhension du monde. Ces découvertes, dont les applications ne sont pas perceptibles au moment où elles jaillissent, sont telles qu’elles impriment aujourd’hui un véritable tournant à la connaissance du vivant. C’est pour vous faire découvrir cette face des sciences du vivant qui échappe aux radars médiatiques que nous avons rédigé cet ouvrage, en espérant vous surprendre, vous émerveiller, et vous faire prendre de passion pour les questions palpitantes et porteuses d’avenir qu’elles soulèvent. 12

Introduction

Fig. 0.1 Charles Darwin, le premier scientifique à représenter l’histoire des espèces sous la forme d’un arbre. Photomontage représentant Charles Darwin (1809-1882) à gauche, et sur la droite un extrait de son cahier de notes First Notebook on Transmutation of Species (1837) utilisé pour rédiger son livre « L’origine des espèces » paru en 1859. Cet extrait représente la première esquisse d’un arbre phylogénétique. Il illustre les relations de parentés entre des groupes d’êtres vivants. Chacun des nœuds de l’arbre représente l’ancêtre commun de ses descendants.

Notre invitation au voyage commence par la découverte de l’immensité insoupçonnée de la biodiversité des formes vivantes, notamment microscopiques, et de la formidable ingéniosité dont elles font preuve pour coloniser les milieux les plus variés de notre planète, dont certains que l’on pensait impropres à la vie. C’est ainsi que des eaux glacées ou bouillonnantes, sur-salées ou hyper-acides, des terres de très hautes altitudes ou les fonds obscurs des abysses sont peuplés d’organismes vivants. À bord du navire Beagle, Darwin avait étudié nombre d’espèces marines et terrestres de grandes tailles et cette étude contribua à faire émerger la théorie de l’évolution par sélection naturelle (figure  0.1). À  bord du navire Tara, les chercheurs du début de ce xxie  siècle se sont penchés sur les micro-organismes planctoniques marins et leur étude bouleverse 13

Étonnant vivant

Fig. 0.2 Êtres unicellulaires et larves du plancton. Cet échantillon de plancton a été récolté au cours de l’expédition Tara. Le 5 septembre 2009 le bateau Tara est parti de Lorient pour une expédition de 3 ans sur tous les océans du monde, afin d’étudier la vie microscopique des océans (photo Christian Sardet/Tara Océans/CNRS Photothèque).

l’état de nos connaissances sur cette population d’organismes dérivants (figure 0.2). Plus de 60 % des bactéries de la planète vivent dans les océans, mais nous en connaissons… moins de 5 % ! Si chaque litre d’eau de mer contient de 10  à 100  milliards de micro-organismes, notre intestin est plus riche encore : plus de 10 000  milliards de bactéries tapissent nos 400  m 2 de surface intestinale, soit un nombre de cellules équivalent à celui de notre propre organisme. C’est le microbiote intestinal, une ressource énorme de formes de vie et de composés bioactifs inexplorés, aux fonctions essentielles pour notre organisme. Les surprises jaillissent aussi de la découverte d’organismes qui ne trouvent pas aisément leur place dans la classification actuelle du vivant, comme les virus géants aux caractéristiques totalement inédites (figure 0.3). Comment fonctionnent-ils ? Sont-ils les rejetons de cellules primitives ? Forment-ils une nouvelle 14

Introduction

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b Fig. 0.3 Virus géants. a. Le virus géant Pandoravirus dulcis. Rendu esthétique d’une image de microscopie électronique en transmission du virus géant, Pandoravirus dulcis, découvert dans les sédiments d’une mare d’eau douce à Melbourne (Australie). Le nombre de ses gènes rivalise avec celui de certains micro-organismes cellulaires eucaryotes. Le terme Pandoravirus évoque à la fois sa forme en amphore et son contenu génétique mystérieux. Les Pandoravirus n’ont aucun gène qui leur permettrait de fabriquer une protéine ressemblant à la protéine de capside, la brique de base des virus traditionnels. La découverte de ce virus comble définitivement une discontinuité entre le monde viral et le monde cellulaire (photo AMU/IGS/CNRS Photothèque). b. Le virus géant Mimivirus et son virus Spoutnik. Le virus géant Mimivirus infecte des amibes et est lui-même susceptible d’être infecté par un petit virus, Spoutnik, le premier virophage (un virus de virus) connu. La multiplication de Mimivirus et de Spoutnik dans des amibes est ici suivie au microscope à fluorescence. Mimivirus apparaît en rouge, et Spoutnik en vert. Les disques bleus désignent l’usine virale d’où émergent les nouveaux virus produits. La production de nouveaux Spoutnik commence avant celle de nouveaux Mimivirus (photo Didier Raoult/Marie Suzan-Monti/IRD 198/ URMITE/CNRS Photothèque).

branche du vivant ? Grâce à toutes ces découvertes, notamment dans des milieux qui pourraient être similaires à ceux qui ont précédé la vie il y a plus de trois milliards d’années sur notre planète, les questions de l’origine de la vie et de la vie sur d’autres planètes de l’univers vont sortir de l’ère des récits improbables pour aborder une phase d’expérimentation capable de livrer des scénarios réalistes. 15

Étonnant vivant

« Rien en biologie n’a de sens, si ce n’est à la lumière de l’évolution ». Cette assertion de Theodosius Dobzhansky vient nous rappeler que la biologie est intrinsèquement une science historique. Cette part d’histoire, très réduite ou absente dans les objets de la physique, de la chimie, des mathématiques, est considérable dans les objets vivants, puisque tous les êtres vivants, disparus ou actuels, dérivent d’un seul, ou de quelques rares organismes primitifs formés spontanément. Leur histoire, leurs filiations généalogiques, sont décrites par ce qu’on appelle l’arbre du vivant (qui n’est même pas un arbre comme vous le découvrirez). Alimentées par des avancées considérables dans le domaine du séquençage des génomes, les sciences de l’évolution livrent un cadre théorique puissant qui permet non seulement d’accéder au « pourquoi » des phénomènes biologiques actuels à la lumière de leur histoire, mais aussi de prédire l’existence d’un gène bien avant que le génome qui le contient soit séquencé, ou même la destinée d’une espèce ou d’un groupe d’espèces dans le temps. Nous vous ferons découvrir l’arbre de la vie tel qu’on le conçoit aujourd’hui, les bricolages qui génèrent les moteurs de l’innovation biologique et qui remettent en cause l’idée que la sélection naturelle produit des organismes parfaitement adaptés à leur milieu. Et nous vous montrerons comment les chercheurs d’aujourd’hui surmontent le handicap du temps long de l’évolution en arrivant à l’observer en pleine action en milieu naturel et à la manipuler expérimentalement en laboratoire ! Depuis des siècles, nous savons que les organismes vivants sont constitués d’un nombre prodigieux de composants plus petits, et de nature variée (fluides, cellules, molécules, atomes…). L’être humain totalise plus de mille fois plus de cellules qu’il n’y a d’étoiles dans toute notre galaxie. Mais la complexité ne se niche pas que dans des chiffres affolants. Elle réside dans le fait que la multiplicité des fonctions propres aux êtres vivants (croissance, genèse de formes, prolifération, mort, reproduction, adaptation, mouvements, nutrition, métamorphoses, échanges, réparation, etc.) vient des interactions de leurs milliards de 16

Introduction

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Fig. 0.4 Structures complexes issues de règles simples. a. Détail de l’abdomen d’un collembole (petit animal proche des insectes et des crustacés vivant dans le sol) observé en microscopie électronique à balayage (micrographie colorisée). b. Œil de chrysope, un petit insecte aux ailes translucides surnommé « demoiselle aux yeux d’or », vu de profil, observé en microscopie électronique à balayage (micrographie colorisée) (photos Stephan Borensztajn/CNRS Photothèque).

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constituants, et que ces interactions se font à travers l’espace et le temps, obéissant à une chorégraphie topographique et des horloges internes à la fois précises et plastiques (figure  0.4) ! C’est seulement depuis une 17

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petite vingtaine d’années que cette complexité des constituants et de leurs interactions est réellement abordée. Auparavant, nous avions étudié chaque partie, chaque composant, d’un organisme vivant, en espérant que leur somme révélerait son fonctionnement. Mais c’était illusoire. Cela donne au mieux une photo, sans qu’on ait accès au film. C’est l’étude de leurs interactions qui nous révélera les règles qui les régissent. Nous ne sommes qu’au début de cette quête dont le succès dépend d’une rupture avec les approches du passé : elle requiert des modèles mathématiques prédictifs alimentés par les outils de la physique et les données de la cartographie du vivant. Nous vous invitons donc à une promenade au sein de la complexité du vivant : plongeon dans l’intimité de certaines cellules (Figure  0.5), découverte de molécules dont l’existence et les fonctions n’étaient même pas soupçonnées il y a Fig. 0.5 Au cœur de la cellule. a. Structure moléculaire du ribosome de la levure à l’échelle atomique. Il s’agit d’une usine cellulaire pour la synthèse des protéines. Cette structure a été obtenue par cristallographie par diffraction de rayons X, à une résolution de 3 Angström (unité de mesure correspondant à un dix-milliardième de mètre). Elle présente de manière détaillée l’agencement complexe des molécules entre elles. En tout, 79 protéines et 5 600 nucléotides constituant le ribosome eucaryote ont pu être positionnés très précisément (photo Sergey Melnikov/Marat Yusupov/CNRS Photothèque). b. Cellule du système nerveux, dite « gliale », en culture, vue en microscopie confocale observée par immunofluorescence. Cette cellule fournit des protéines indispensables au bon fonctionnement des neurones. En fluorescence rouge apparaissent les microtubules, constituants majeurs du cytosquelette. Des vésicules de sécrétion marquées en vert par la GFP (green fluorescent protein) sont visibles sous forme de petits points verts. Elles transportent des protéines jusqu’à la surface de la cellule. Le but est d’observer, au moyen de la vidéomicroscopie en temps réel, le cheminement des vésicules, pour analyser leur déplacement sur les microtubules et élucider les mécanismes du trafic intracellulaire. La cellule mesure 65 microns (photo Vincent Homburger/Nicole Lautredou /IGF/CNRS Photothèque). c. Ovocyte de souris en cours de division. On visualise l’organisation des microtubules (colorés en vert par un anticorps) et de la chromatine (colorée en rouge par l’iodure de propidium). La cellule a un diamètre de 80 microns. La division est ici anormale en raison de la mutation d’un gène régulant la division de ces cellules (photo Gérard Geraud/Marie-Hélène Verlhac/Bernard Maro/ CNRS Photothèque). d. Cryomicroscopie électronique à transmission appliquée à l’étude des conformations de l’ADN. Ce type de microscopie permet de visualiser des objets biologiques en préservant leur conformation, leur environnement ionique et leurs interactions. L’étude porte sur la structure de l’ADN condensé in vitro ou in vivo (au sein de virus, de bactéries, ou de chromosomes eucaryotes) (photo Benoît Rajau/LPS/CNRS Photothèque).

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20 ans, découverte de la genèse d’intelligence collective grâce aux interactions entre individus, et bien sûr, entrée dans l’organe sûrement le plus fascinant et le plus complexe, celui lié à la question ancestrale du propre de l’homme, le cerveau (figure 0.6). Le biologiste a longtemps opposé l’individu à l’environnement, a longtemps considéré que c’est au niveau de l’individu que s’opèrent les mécanismes de l’évolution, que son fonctionnement obéit plus

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Fig. 0.6 Comprendre le fonctionnement du cerveau humain. a. Reconstruction en 3 dimensions des régions de la mémoire chez l’homme : hippocampe (en rouge), parahippocampe (en jaune) et amygdale (en bleu). Cette image a été réalisée en IRM (Imagerie par résonance magnétique) tridimensionnelle (photo Fabrice Crivello/Bernard Mazoyer/CI-NAPS/CNRS Photothèque). b. Sous-régions fonctionnelles du lobe frontal du cerveau humain. Le lobe frontal construit et contrôle nos comportements les plus complexes tels que la prise de décision, la créativité et le raisonnement par analogie, la génération des comportements volontaires et l’organisation du langage. Les chercheurs ont identifié dans cette partie du cerveau, 12 aires cérébrales dédiées à des fonctions différentes, des plus simples, comme la motricité, aux plus complexes, comme le comportement social. La fonction de chacune de ces aires dépend de la nature de ses connexions cérébrales. Pour explorer l’organisation des lobes frontaux en fonction de leur architecture et de leur connectivité, les chercheurs ont utilisé la tractographie des IRM de diffusion, une méthode qui permet de suivre les fibres blanches (axones de neurones qui assurent la transmission de l’information nerveuse) et donc la connectivité cérébrale, et mis à profit le Big Data en analysant plusieurs banques de données d’imagerie cérébrale de cerveaux humains (photo Michel Thiebaut de Schotten/ICM/CNRS Photothèque).

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Introduction

ou moins à des règles autarciques. L’environnement a longtemps été réduit à des ressources et à une source de contraintes, de pression (la sélection naturelle). Notre vision anthropocentrique a défini des catégories d’environnement, avec milieux favorables et milieux extrêmes, hostiles à la vie… telle que spécifiée par les dogmes où nous l’avions enfermée. Cette vision est bouleversée par les découvertes de ces dernières années. Nous l’avons évoqué, la vie semble avoir colonisé tous les milieux, des formes de métabolisme inimaginables permettent à des organismes de s’adapter et prospérer dans des milieux que l’on pensait toxiques pour les êtres vivants. Plus encore, les paramètres physico-chimiques participent au moteur de l’évolution en influençant l’hérédité de certains caractères : une dose de lamarckisme dans la théorie de Darwin. Notre conception des frontières entre soi et non-soi vole en éclat : les êtres vivants vivent presque toujours dans des êtres plus grands, ou contiennent des êtres plus petits, et ces associations sont essentielles à la vie de l’ensemble (figure  0.7). D’autres changements de paradigme concernent l’environnement biotique et les écosystèmes, porteurs d’interactions entre les êtres vivants. Les recherches de ces dernières années nous révèlent combien ces interactions sont plastiques. Elles peuvent passer par exemple, d’échanges à bénéfices réciproques à des stades de parasitisme caractérisé, et vice-versa. Elles pointent le rôle évolutif des symbioses et l’importance de la co-évolution de leurs partenaires pendant des millions d’années. Enfin, en ces temps où nous sommes témoins, victimes et acteurs d’une évolution environnementale d’une rapidité sans précédent dans l’histoire de la planète, il est pertinent de déchiffrer les raisons pour lesquelles le changement climatique menace le monde vivant, de comprendre que, si l’environnement a été modifié par les êtres vivants depuis leurs origines, c’est aujourd’hui l’homme qui est devenu l’acteur biogéochimique majeur de la planète : acteur de sa modification, mais acteur possible de sa sauvegarde. 21

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Fig. 0.7 Symbioses a. Filaments de branchie d’une moule des sources hydrothermales des Açores (appelée encore modiole profonde), Bathymodiolus azoricus. Les modioles profondes sont toujours associées en symbiose à des bactéries qui se développent dans leurs cellules branchiales. On peut distinguer les cellules de la branchie contenant les bactéries qui sont marquées grâce à des sondes fluorescentes. Ces bactéries sont capables de synthétiser de la matière organique qui est récupérée par la modiole. b Elles utilisent le gaz carbonique dissous et l’énergie chimique issue de l’oxydation de l’hydrogène sulfuré (bactéries sulfoxydantes fluoresçant en mauve) ou du méthane (bactéries méthanotrophes fluoresçant en jaune). En vert, on peut voir l’autofluorescence naturelle du tissu branchial (photo Sébastien Halary/@mex/CNRS Photothèque). b. Ce micro-organisme unicellulaire du plancton, Lithoptera mulleri, un acanthaire, possède un squelette en forme d’étoile fait de sulfate de strontium. Il accueille à l’intérieur de son cytoplasme des algues photosynthétiques symbiotiques apparaissant en couleur jaune-vert. Il se nourrit de petites proies (bactéries et unicellulaires eucaryotes) mais il bénéficie aussi des nutriments carbonés produits grâce à la photosynthèse des algues qu’il héberge (photo Christian Sardet/Plankton Chronicles/CNRS Photothèque).

On ne saurait aborder les tournants actuels des sciences du vivant sans les illustrer par quelques exemples d’innovations scientifiques qui sont issues de connaissances ou technologies, débouchant sur des applications inattendues. Dans ce domaine, nous avons à nouveau privilégié les neurosciences, dont les avancées colossales sont liées non seulement aux fantastiques évolutions des techniques d’imagerie, qui nous donnent à voir en action le cerveau de l’homme vivant (figure  0.8), mais aussi à 22

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Fig. 0.8 Imager le cerveau. a. Cortex de souris marqué par la technique du Brainbow. Cette méthode permet de visualiser le développement des circuits neuronaux en créant un marquage multicolore du cerveau. La stratégie Brainbow dirige l’expression de combinaisons aléatoires de protéines fluorescentes de différentes couleurs (cyan, jaune, rouge…) dans les neurones (photo Inserm / Stéphane Fouquet). b. Architecture de neurones de souris, révélée grâce à une protéine fluorescente de méduse exprimée artificiellement et observée en microscopie confocale (par spinning-disk) (photo Sébastien Marais/Daniel Choquet/Elena Avignone/Bordeaux Imaging Center/CNRS Photothèque). c. Les régions cérébrales dédiées à la vision chez l’homme, à l’arrière de la tête, répondent (en rouge) à des images très faibles, à peine visibles, présentées aux sujets. Par la magnétoencéphalographie, technique qui capte le champ magnétique généré par les neurones, les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale des sujets testés, représentée ici sous forme de pics en 3D. Ils ont découvert que l’attention et la conscience reposent sur deux activités cérébrales indépendantes : les mécanismes permettant à une information visuelle d’accéder à la conscience peuvent opérer indépendamment de ceux de l’attention (photo Valentin Wyart/CNRS Photothèque).

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l’opportunité d’étudier le cerveau de patients aux troubles caractérisés en regard de celui d’hommes sains. Dans l’histoire des sciences, c’est la première fois que l’on peut décrypter biologiquement les fonctions cognitives du cerveau humain en activité : l’homme neuronal devient accessible. Ainsi, l’interface entre neurobiologistes et chercheurs en sciences humaines et sociales permet aujourd’hui d’accéder à la compréhension des fonctions cognitives du cerveau humain. Il est fascinant de prendre conscience que les progrès des neurosciences cognitives qui nous permettent de comprendre la biologie qui sous-tend les opérations mentales et cérébrales de l’être humain, sont utilisables quasi immédiatement par le monde médical, permettant d’améliorer les diagnostics et la prise en charge des malades. Mais vous découvrirez également les apports des connaissances de la biologie dans de multiples autres domaines : bio-inspiration quand l’homme s’inspire de systèmes naturels pour le bénéfice de la société (en chimie, médecine, pharmacologie, robotique, informatique, aéronautique, etc.), voire biomimétisme quand les systèmes artificiels créés par l’homme sont copiés sur des systèmes naturels. Nous vous emmènerons plus loin, vers des applications rêvées qui, si elles ne prennent pas exactement la forme que nous leur avons supposée, sont nécessaires pour répondre aux enjeux du futur. Cette promenade à travers les révélations du vivant de ce début de siècle vous est offerte par une centaine de chercheurs, qui ont mis toute leur conviction au service de la rédaction de cet ouvrage. Parce que l’étude du vivant est désormais traversée par les mathématiques, la physique, la chimie, la robotique, l’informatique, les sciences de l’environnement, les sciences cognitives et les sciences sociales, le collectif de chercheurs qui a réalisé cet ouvrage ne s’est pas cantonné à un cénacle de biologistes : des chercheurs de toutes les disciplines ont activement participé à l’écriture des cinq chapitres, incarnant ainsi ces sciences contemporaines. Les grands tournants des sciences de la vie sont à chaque fois illustrés par des exemples de découvertes auxquelles ces auteurs ont été 24

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associés. Les exemples choisis sont issus de leur domaine d’expertise et de leurs passions. Et puisqu’il s’agit de choix, et de choix personnels, ils ne prétendent ni à l’exhaustivité, ni à l’universalité. Nous n’avons hélas pu aborder tous les mouvements en cours dans les sciences du vivant, ni les illustrer par toutes les découvertes époustouflantes qui les soustendent. Nous n’avons pas non plus dédié un chapitre aux nouvelles technologies qui permettent ces tournants : vous les trouverez égrainées au long des exemples qui émaillent le livre. Cette promenade n’est pas linéaire : vous pouvez la commencer par n’importe lequel des chapitres et décider de poursuivre la lecture par celui que vous souhaitez. Comme c’est un ouvrage choral, chacun y a mis non seulement ses coups de cœur, mais les a aussi exprimés avec son propre style. À  l’image de la biodiversité, marquée par la variété individuelle mais une logique d’ensemble, nous vous proposons un chœur polyphonique que nous espérons harmonieux. Enfin, nous avons choisi de ne pas aborder un domaine majeur lié aux sciences de la vie : celui des rapports entre science et société et de l’éthique. Depuis la fin du siècle dernier, de multiples technologies biologiques apparaissent et suscitent l’intérêt de nombre de citoyens. Si beaucoup y voient, avec souvent trop d’optimisme, des solutions à tous les maux, d’autres y distinguent des dangers. À tel point qu’on assiste à une vigoureuse remise en question des sciences de la vie et de leurs applications de la part d’une fraction de la société. Or il importe de faire la différence entre les apports de la science et leur utilisation. Toute connaissance peut être utilisée au service de n’importe quelle cause, toute technologie trop rapidement mise à disposition de la société peut entraîner des conséquences néfastes qui n’avaient pas été prévues. Les problèmes éthiques se posent à la fois en ce qui concerne les pratiques des chercheurs (par exemple en termes de recherches sur l’homme, d’expérimentation animale, d’utilisation de cellules souches embryonnaires humaines ou d’embryons humains précoces), et en ce qui concerne les usages que la société peut faire des connaissances et technologies nouvellement disponibles 25

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(modifications génétiques, procréation médicalement assistée, relations homme-machine, robotique, utilisation des données génomiques, etc.). Les corps social et politique doivent fixer le cadre éthique, et le chercheur doit s’y tenir. Dans le vaste débat sur l’éthique qui anime cette période foisonnante en progrès technologiques, il importe que se développe le dialogue entre scientifiques et corps politique et social de manière à mettre clairement en lumière ce que la recherche rend possible. Par là même, notre ouvrage participe à ce mouvement même si nous n’abordons pas directement les enjeux d’un débat qui nous a paru trop vaste et trop important pour être mêlé à ce voyage au cœur des révolutions de la biologie actuelle. À l’issue de ce voyage se profile une question de fond : que peut-on attendre des sciences de la vie dans ce siècle qui démarre ? Comment un pays comme le nôtre, riche de tels acquis, doit-il prendre en compte ces formidables bouleversements à l’œuvre dans les sciences du vivant ? Les deux ingrédients déjà évoqués – la curiosité et l’utilité – vont naturellement concourir à leur développement. L’enjeu est qu’ils se combinent de manière équilibrée pour que, alors que chacun est essentiel, l’un ne soit pas étouffé par l’autre. Nous savons que la recherche guidée par la seule curiosité a le plus souvent des retombées tardives dans le monde socio-économique, retombées qui étaient insoupçonnées et imprévues au moment où cette recherche s’est réalisée ; et qu’inversement, la recherche dite finalisée délivre avec le même aspect d’imprévu des apports importants à notre connaissance du fonctionnement du vivant. Ces deux types de recherche doivent être convenablement identifiés pour pouvoir être interconnectés par des échanges permanents et fluides, motivés par l’opportunité scientifique de leurs découvertes réciproques. Là est la clé des applications de demain, celles qui répondront aux enjeux socio-économiques de notre monde. L’histoire nous montre qu’elles surgissent de deux façons. L’une consiste à se reposer sur une connaissance déjà acquise, dont on peut raisonnable26

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ment prévoir l’évolution, et de creuser ce sillon préexistant, d’améliorer, de développer. Il s’agit d’une approche nécessaire, qui s’inscrit aisément dans de grands programmes qui permettent de mobiliser les chercheurs sur des problèmes sociétaux ou environnementaux clairement identifiés par le monde politique, et que toute Nation soucieuse de la qualité de vie de sa société, actuelle et future, doit résoudre. Mais l’histoire nous enseigne que nous ne devons pas nous limiter à cette approche. Si l’homme s’était consacré exclusivement à l’amélioration de la hache de pierre, ou de la bougie, nous ne serions jamais passés à l’âge de bronze et nous ne disposerions pas de l‘électricité. Une seconde approche permet de produire les innovations peut-être les plus intéressantes, les innovations dites de rupture, celles qui sont généralement issues de découvertes qui n’avaient pas été prévues. Le génie génétique trouve sa source dans les travaux de Werner Arber qui découvre des enzymes essentielles à l’intégrité de la cellule bactérienne – les enzymes de restriction – en disséquant les mécanismes des réponses bactériennes à l’infection par leurs virus, et qui fournit par la même occasion, de manière totalement imprévue, l’outil puissant qui ouvre la porte de la modification des génomes et en reste la base. Le même scénario est à l’origine de la révolution technologique aujourd’hui en marche avec le système CRISPR-Cas9, qui promet au chercheur de pouvoir cibler n’importe quel gène de son choix pour éteindre ou allumer son expression, le modifier, le réparer, l’enlever, le remplacer par un autre gène, visualiser sa localisation et son expression… Cette révolution n’aurait pas eu lieu si, à la fin des années 1980 des chercheurs n’avaient pas remarqué de curieuses séquences d’ADN répétitives dans le génome de la bactérie Escherichia coli ; s’ils n’avaient pas voulu savoir si cela était ou non un phénomène de foire propre à E. coli et ainsi retrouvé la présence de ces séquences dans la plupart des génomes bactériens, mais aussi dans les virus des bactéries ; puis s’ils ne s’étaient pas acharnés à savoir si cela avait une fonction chez la bactérie et trouvé leur rôle de défense vis-à-vis des virus ; enfin s’ils ne 27

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s’étaient pas attachés à trouver le mécano moléculaire qui assure cette défense (et qui est loin d’être décrypté aujourd’hui). Bref, cette révolution technologique qui va influencer science et société n’aurait jamais vu le jour sans des travaux menés pendant une vingtaine d’années sur un sujet totalement porté par la curiosité des chercheurs et a priori sans aucune application visible, en tout cas, absolument pas celle qui en a surgi ! Cela est résumé par ce texte de Stuart Firestein : « L’un des aspects les plus prévisibles au sujet des prédictions est qu’elles sont fréquemment fausses [...]. Nous ne volons pas grâce à des systèmes individuels de propulsion, nous ne portons pas de vêtements jetables et nous ne mangeons pas des aliments concentrés dans des emballages aluminium, nous n’avons pas éradiqué le paludisme ou le cancer, autant d’annonces prédites avec confiance il y a des années. Mais nous avons un Internet qui connecte le monde entier, et nous avons une pilule qui permet l’érection à la demande – aucun de ces deux phénomènes ne se retrouvant dans les prédictions publiées il y a 50 ou même seulement 25 ans. Comme l’a souligné Enrico Fermi, les prédictions sont une entreprise risquée, surtout quand elles concernent l’avenir. » (Ignorance, How it Drives Science, Oxford University Press, 2012). Gardons-nous donc de nous enfermer exclusivement dans les voies d’une recherche entièrement programmée ciblant des résultats à des échéances trop courtes par rapport au temps de la recherche. C’est très souvent de résultats imprévisibles que jaillit l’innovation, et très souvent longtemps après le moment de la découverte elle-même. Gardonsnous de la conduite de l’homme qui cherche ses clés sous le réverbère parce que c’est la seule zone éclairée. Allons explorer l’ombre, guidés par la curiosité de découvrir les richesses qu’elle contient. C’est non seulement un gisement pour l’innovation de demain, mais aussi la source de connaissances nécessaires à des sociétés éclairées, intelligentes, conscientes et responsables du monde dans lequel elles évoluent et qu’elles transforment, parce qu’elles le connaîtront mieux, parce que nous nous connaîtrons mieux nous-mêmes. 28

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Vous qui allez nous lire, si les découvertes qui bouleversent actuellement les connaissances du vivant vous émerveillent, si vous êtes convaincus qu’elles sont porteuses d’avenir, de progrès, entendez notre appel : pour explorer les terrains inconnus qui s’offrent à nous, la recherche a besoin de temps, de prise de risque, d’imagination, de créativité, de liberté. Ce  sont les conditions d’une science qui ne veut pas se restreindre à être utilitaire, mais qui est par essence inéluctablement utile (« the usefulness of useless knowledge » disait Abraham Flexner en 1939). Ce rôle des sciences de la vie n’est pas que dans les mains des chercheurs qui les servent, il ne sera rempli qu’en fonction d’une volonté politique et d’un consensus social. C’est une question qui nous concerne tous. En vous livrant un aperçu de nos avancées scientifiques, des réflexions qu’elles nous inspirent, des perspectives qu’elles ouvrent, la communauté des chercheurs en sciences de la vie espèrent vous donner le goût et l’intérêt de la nature, et par là même les instruments d’une implication active de votre part. Les sciences de la vie ont besoin de votre concours, de votre soutien. Catherine Jessus Directrice de l’Institut des Sciences Biologiques du CNRS

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P r e m i e r

c h a p i t r e

Qu’est-ce que le «vivant»?

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es mots mêmes de « vie » ou « vivant », a priori évidents dans leur sens usuel, restent pour les chercheurs difficiles à définir en toute généralité, et impossible à confiner à l’intérieur d’une boîte délimitée par plusieurs critères rigoureux, sans qu’au moins quelques exemples extrêmes ne fassent exception. Tout en étant subtilement différentes et empruntant parfois leur terminologie à des disciplines distinctes (biologie, physico-chimie, théorie de l’information, etc.), la plupart des définitions d’un processus (ou d’un système) « vivant » évoquent à titre divers trois propriétés : l’auto-organisation d’édifices macromoléculaires complexes, la mobilisation de l’énergie nécessaire à la maintenance de cette organisation à partir de l’environnement (un « métabolisme* »), la capacité à se reproduire ou se multiplier plus ou moins à l’identique. Ainsi, auto-organisation, métabolisme et reproduction seraient les « piliers » caractéristiques de tout être vivant. Cette définition est le résultat d’un long processus historique, qui a forcé les biologistes de chaque époque à redéfinir le vivant et ce qui le caractérise au fur et à mesure du progrès de leur connaissance. Le « vivant » à travers les âges De l’Antiquité au xviie siècle, la conception dominante était que les organismes animaux et végétaux devaient leurs caractéristiques à la possession de principes, d’« âmes », étroitement associés à la respiration. De nombreux désaccords demeuraient cependant sur le nombre de ces « âmes » et la possibilité pour elles d’exister indépendamment  du corps. Aristote en distinguait trois : une âme végétative qui assurait les fonctions vitales, une âme motrice responsable des mouvements et propre aux animaux, et une âme intellective présente chez les seuls êtres humains. Ses seuls contradicteurs furent les atomistes, Démocrite, Épicure et Lucrèce, qui proposaient une origine naturelle des  organismes par la combinaison des éléments ultimes de la matière, les atomes. 32

Qu’est-ce que le « vivant » ?

Tout changea avec Galilée et Descartes. La conception mécaniste de l’Univers (qui interprète les phénomènes naturels comme une succession de liens de causes à effets, sans finalité) fut étendue aux organismes, étudiés comme de simples machines – les êtres humains restant particuliers en ce qu’ils conservaient une âme rationnelle. Ce réductionnisme mécaniste fut cependant brutal et naïf. Le vivant semblait bien différent d’une machine et ne pas posséder les leviers et les poulies que certains imaginaient. Une réaction se produisit avec l’émergence, au début du xviiie siècle, du vitalisme (selon lequel les systèmes vivants ne sont pas uniquement réductibles aux lois de la matière, mais « animés » d’un principe « vital » supplémentaire) sous l’impulsion du chimiste Georg-Ernst Stahl. Le rejet total du vitalisme au xxe siècle ne doit pas faire oublier que cette approche fut acceptée par un grand nombre de naturalistes et de biologistes aux xviiie et xixe siècles. Il ne s’agissait pas, bien souvent, d’un vitalisme spiritualiste comme celui que prônait Stahl, mais d’un vitalisme « modéré » insistant sur les caractéristiques du vivant irréductibles, en l’état des connaissances alors disponibles, à des explications physiques et chimiques. Aussi bien Claude Bernard que Louis Pasteur étaient convaincus que la chimie du vivant était différente de celle à portée du chimiste organicien, et que cette chimie particulière était le résultat de  l’organisation du vivant transmise de génération en génération. Il revint à la théorie darwinienne de l’évolution dans la seconde moitié du xixe siècle, puis à la biologie moléculaire au milieu du xxe siècle, de chasser définitivement le vitalisme de la biologie, avec le finalisme et ses relents de métaphysique. L’évolution du monde vivant est le fruit de l’action combinée du hasard des mutations et de la sélection naturelle.

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Les structures et les fonctions des organismes résultent des  caractéristiques des macromolécules* présentes au sein des cellules, et de l’existence d’une information génétique permettant leur reproduction fidèle de génération en génération. Paradoxalement, définir de la manière la plus générale et consensuelle possible le « vivant » est une préoccupation qui concerne davantage les physiciens, chimistes ou exobiologistes (voir encadré) qui cherchent à en recréer les comportements, ou à en détecter la signature, que les biologistes eux-mêmes. En effet, ceux-ci ne sont – pour l’instant – confrontés qu’à des organismes vivants terrestres constitués d’un socle étonnamment commun de composants moléculaires (acides nucléiques, protéines, lipides), chacun dédié à une fonction principale spécifique : la préservation et la manipulation de l’information pour les acides nucléiques, l’organisation structurale et la catalyse biochimique pour les protéines, la délimitation spatiale de compartiments pour les lipides. Sur notre planète, la simple présence simultanée de plusieurs de ces constituants de base dans un objet indique son appartenance au monde « vivant ». Au-delà de cette unité de base, c’est la diversité, le foisonnement, presque l’anarchie, qui caractérise le monde vivant et fait de son étude, la biologie, une discipline par essence dispersée, aux résultats imprévisibles, et aux applications les plus difficilement programmables. Et même si, en suivant l’intuition prémonitoire de Pline l’Ancien que « la Nature n’est jamais aussi grande que dans ses créatures les plus petites1 », nous ne limitions notre étude qu’aux organismes microscopiques, nous ferions encore face à un champ d’exploration virtuellement infini. Des archées* extrêmophiles* à l’aise dans un bain d’acide bouillonnant aux virus* géants capables de survivre à 30 000  années passées dans le pergélisol*, des 1. « Natura nus quam magis est tota quam in minimis », rappelé par Stephen Jay Gould en préface de son livre The Panda’s Thumb: More Reflections in Natural History (1980). 34

Qu’est-ce que le « vivant » ?

L’exobiologie* L’exobiologie (appelée hors de nos frontières « astrobiologie ») est un domaine de recherche relativement récent. Son objectif est de comprendre comment et quand la vie est apparue sur la Terre, afin de savoir s’il est légitime d’imaginer qu’elle ait pu aussi apparaître ailleurs. Mieux connaître l’origine de la vie sur notre planète ainsi que ses limites permet d’étayer un raisonnement scientifique pour savoir où et comment la chercher dans le Système solaire et au-delà. On ne peut pas vraiment parler de chercheurs « exobiologistes », mais plutôt de chimistes, de biologistes, de géologues, d’astrophysiciens, ou de chercheurs en sciences humaines qui mettent en commun leurs expertises et leurs techniques pour « faire » de l’exobiologie. En France, cette communauté scientifique comprend environ 200 chercheurs. Elle est aujourd’hui structurée autour de la Société française d’Exobiologie (SFE, www.exobiologie.fr) qui a été fondée en 2009. Le Centre national d’Études spatiales (CNES) dispose d’un groupe de travail interdisciplinaire dédié. bactéries* respirant du fer ou du gaz carbonique aux microbes encore mystérieux enfouis dans les sédiments profonds, la vie a su peupler les recoins les plus inhospitaliers de notre planète. Il faut donc explorer partout et ne rien négliger, car même si nous avons maintenant la certitude que toutes les formes de la vie ne peuvent exister que dans le respect scrupuleux des lois de la thermodynamique et de la chimie, leur évolution manifeste une créativité telle que nous ne pouvons encore les prédire, et qu’il nous faut nous contenter de les connaître en les découvrant. Pour le plus grand bonheur des biologistes, leur discipline reste la science des surprises, même si les progrès fulgurants accomplis ces dernières années ont amorcé sa profonde mutation par l’intégration de questionnements multidisciplinaires et multi-échelles, du métabolite aux écosystèmes. 35

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La question de l’origine de la vie (la plus fondamentale qui soit, mais qui ne mobilise qu’une infime fraction de chaque génération de chercheurs) est traditionnellement abordée sous deux angles différents : la recherche des conditions dans lesquelles les briques de base et les macromolécules caractéristiques du vivant ont pu apparaître sur la Terre primitive, et la question de l’émergence des sous-systèmes fonctionnels (métabolisme*, réplication*) et de l’organisation structurale de base (la cellule) de ce que nous reconnaissons comme « vivant » aujourd’hui. Ces travaux, commencés dès les années 1930, ont abouti à de multiples scénarios possibles de l’origine de la vie sur Terre, souvent contradictoires et irréconciliables, des « récits » presque mythologiques de processus physiquement et/ou chimiquement possibles, mais dont une infime partie avait une assise empirique, et quelquefois même fondés sur des données inexactes ou incomplètes (atmosphère primitive de la Terre, genèse et dynamique du Système solaire, ignorance des exoplanètes*, etc.). Ces premiers récits ignoraient également l’incroyable ingéniosité métabolique dont la vie microbienne a su faire preuve pour soutirer de son environnement l’énergie nécessaire, dans les conditions les plus (apparemment) inhospitalières (voir § 4 p. 52). Grâce aux progrès récents et spectaculaires de notre connaissance de la diversité microbienne, des processus biophysiques fondamentaux de captation d’énergie, mais aussi grâce aux apports interdisciplinaires des géosciences et de la planétologie, les recherches sur l’origine et la spécificité du « vivant » sortent maintenant de l’ère des récits pour entrer dans une ère d’expérimentations qui a déjà commencé à réfuter les scénarios les plus improbables. C’est le récit de quelques-unes de ces fascinantes découvertes et des remises en questions qu’elles entraînent que nous livrons dans ce chapitre.

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Qu’est-ce que le « vivant » ?

L’autonomie, une caractéristique essentielle de la vie ? À la suite de l’ouvrage de Jacques Monod, Le Hasard et la nécessité, en 1970, on considère souvent qu’une caractéristique importante de tout être vivant est son « autonomie ». Ce critère s’ancre notamment dans les trois propriétés du vivant énoncées au début de ce chapitre : auto-organisation, reproduction et métabolisme propre. En affirmant ainsi que les êtres vivants sont « autonomes », on entend généralement souligner qu’ils possèdent une homéostasie* – c’està-dire la capacité à maintenir un équilibre dans l’organisme en dépit de perturbations extérieures, ainsi que des barrières bien délimitées qui les isolent de leur environnement– et qu’ils sont principalement le produit de leur propre activité, se fabriquant et se réparant euxmêmes. Le critère d’autonomie a d’ailleurs été l’un des critères les plus souvent utilisés pour exclure les virus du domaine du vivant : dénués en particulier de métabolisme propre, ils ne sauraient être considérés comme « vivants ». Or, la biologie des vingt dernières années a montré que cette vision était non pas erronée mais sans doute partielle, et que les êtres vivants étaient plutôt construits de façon à la fois « autonome » et « hétéronome ». Les travaux récents sur les symbioses* ont en effet démontré que la plupart des organismes étaient fortement dépendants – pour leur physiologie mais aussi, bien souvent, pour leur développement c’est-à-dire pour leur construction même – d’autres êtres vivants (voir chapitre 4 et figure 1.1). Des plantes, des invertébrés ou même des mammifères qui ne sont pas en interaction avec certains symbiontes ont un développement et une physiologie sous-optimaux, voire dysfonctionnels. Il apparaît donc de plus en plus clairement que « l’autonomie » des êtres vivants ne peut se faire que sur fond d’une « hétéronomie », comprise ici comme une interaction très utile, voire parfois absolument obligatoire, avec un ou plusieurs autres êtres vivants. 37

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Fig. 1.1 Polype de Pocillopora damicornis, un corail constructeur de récifs, vu au microscope confocal et grossi 10 fois. Il a été prélevé à Orpheus island, sur la côte est de l’Australie, au niveau de la Grande barrière de corail. En vert, les algues vivant en symbiose dans les cellules de ce cnidaire. En rouge, on observe des accumulations de mitochondries* au niveau des zones de calcification ou de croissance du squelette. Le halo jaune provient de la fluorescence de la protéine GFP (green fluorescent protein) produite naturellement par le corail (photo Aurélie Moya/LOV/UPMC/CNRS Photothèque).

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Qu’est-ce que le « vivant » ?

En ce sens, nos frontières biologiques et les systèmes biologiques qui les surveillent (comme le système immunitaire) sont le produit d’un perpétuel dialogue et d’une perpétuelle co-construction entre hôte et symbiontes. L’une des conséquences de ces travaux récents est donc que tous les êtres vivants expriment un certain degré d’hétéronomie et que les virus, par exemple, ne peuvent plus être exclus du monde du vivant aussi facilement que par le passé.

1 La vie : des briques mais aussi de l’énergie

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es êtres vivants constituent des formes d’organisation de la matière qui contrastent avec le monde inanimé. Ils sont majoritairement constitués d’eau (environ 65 % chez l’homme à plus de 98 % chez certains organismes aquatiques) mais contiennent d’autres constituants qui n’existent pas à des concentrations aussi élevées dans les eaux rencontrées sur Terre. Ils sont par ailleurs doués d’un ensemble de propriétés qui les distinguent des milieux solides, liquides et gazeux qui les environnent. Ils se nourrissent et excrètent pour vivre. Ainsi, ils extraient leur matière et leur énergie de sources aussi diverses que le dioxyde de carbone et le Soleil (pour les plantes), des roches (pour les bactéries dites « lithotrophes »), et de la matière produite par d’autres êtres vivants (pour les « hétérotrophes » comme l’homme) et rejettent des déchets constitués de matière (dont du dioxygène pour les plantes) et de chaleur. Ils possèdent des propriétés dynamiques singulières. De façon spécifique, ils se reproduisent et évoluent. Ces phénomènes ne se manifestent pas dans un caillou, un verre d’eau, ou dans l’air, et ce contraste a de tout temps amené les humains à interroger la transition du non-vivant au vivant. Les travaux modernes visant à la reconstitution des processus d’évolution intègrent désormais l’exploration de biotopes terrestres jusqu’alors 39

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inaccessibles comme les fonds marins ou les roches profondes avec l’étude de la composition d’objets célestes comme les comètes et l’analyse de roches anciennes afin de reconstruire l’environnement de la Terre primordiale. Ces informations viennent compléter la recherche de traces de plus en plus anciennes de vie fossilisée et l’extrapolation vers le passé de l’information génétique des êtres vivants contemporains. Elles laissent encore sans réponse de nombreuses questions mais ont néanmoins déjà permis de cerner les étapes clés de l’évolution ayant amené à l’émergence de la vie. La vie est un phénomène naturel apparu il y a environ 4  milliards d’années : les premiers microbes dateraient de 3,7 milliards d’années, si l’on en croit l’étude la plus récente (Nutman et al., 2016). Les modèles actuels décrivant la formation et l’évolution du Système solaire fournissent des cadres plausibles d’émergence de processus chimiques apparentés à ceux rencontrés aujourd’hui chez les êtres vivants. La Terre est une jeune planète riche en énergie et géologiquement active, et qui a été soumise à des bombardements de comètes et d’astéroïdes ayant pu l’alimenter abondamment en précurseurs de molécules rencontrées aujourd’hui chez les êtres vivants. Outre une hypothétique alimentation extra-terrestre en briques élémentaires, des molécules « complexes » ont pu être synthétisées à partir de molécules simples disponibles sur Terre. Les expériences célèbres de Stanley Miller en 1953 ont conclu à la possibilité de la formation des briques constituant les protéines (les acides « aminés ») à partir de molécules aussi simples que de l’eau, de l’ammoniac, du méthane et de l’hydrogène. Prolongeant cette expérience, des travaux récents ont montré que les constituants des autres biomolécules (nucléotides* pour les acides nucléiques, sucres pour les glucides) pouvaient être eux aussi facilement obtenus en impliquant, outre des molécules simples, des espèces en quantité plus faible mais ayant un fort potentiel catalytique comme des métaux (voir §  2, p.  44). Si l’on estime dorénavant que la 40

Qu’est-ce que le « vivant » ?

synthèse des briques élémentaires ayant mené à l’émergence des processus primordiaux de la vie ne constitue plus une énigme fondamentalement irrésolue, la nature et la provenance exactes de ces briques sont sans doute condamnées à demeurer inconnues. L’organisation des briques élémentaires pour mener à la formation d’une cellule – l’unité fondamentale de la vie renfermant tous ces processus qui au bout du compte rendent l’édifice vivant – fait en revanche l’objet de nombreuses questions. Comment s’assemblent-elles pour donner des molécules plus compliquées telles que des polymères ? Comment ces polymères atteignent-ils les concentrations observées chez les êtres vivants ? Comment le métabolisme est-il activé ? Ces trois questions soulèvent celle du rôle crucial de l’énergie dans l’émergence et la survie des êtres vivants. Comment enfin ces ensembles de molécules sont-ils capables de se reproduire en introduisant une faible fraction d’erreur à chaque génération de façon à permettre que le système évolue ? Cette dernière question interroge les propriétés dynamiques propres aux êtres vivants. Des cadres théoriques fondés sur l’existence d’inhomogénéités locales sous-tendent des expériences relatives à certaines des questions précédemment mentionnées. Pour ce qui est de l’énergie, on considère actuellement que la vie a émergé dans des endroits énergétiquement riches et/ou chimiquement très réactifs. Ainsi, à la place du « warm little pond », la petite mare d’eau tiède chère à Darwin, des surfaces d’argile ou de pyrite, des étendues d’eau dans des zones de fort volcanisme ou encore des sources hydrothermales sous-marines sont privilégiées. Pour ce qui est de la matière, différents scénarios ont été élaborés. L’un d’eux considère que certains constituants spécifiques des cellules contemporaines (c’est-à-dire les protéines, les acides nucléiques ou encore les lipides) sont apparus en premier et ont ensuite déterminé l’apparition des autres. Considérant l’intrication des relations existant entre les constituants cellulaires actuels, ces modèles 41

Étonnant vivant

se heurtent au dilemme de l’apparition primordiale de l’œuf ou de la poule. Pour tenter d’y échapper, d’autres chercheurs ont invoqué des modèles co-évolutifs. Il n’existe en revanche encore actuellement aucun cadre théorique qui intègre de façon satisfaisante la totalité des étapes menant des briques élémentaires à l’organisation d’une cellule vivante. Cela pourrait cependant changer rapidement, avec le développement de la chimie des systèmes*, l’implication croissante de physiciens qui viennent renforcer les chercheurs déjà engagés dans l’étude de la transition du non-vivant

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TRANSCRIPTION

ARN messager

TRADUCTION Polypepde Grande sous-unité du ribosome

ARN de transfert

ARN messager

Pete sous-unité du ribosome

Fig 1.2 Le ribosome*, une machine moléculaire qui assure la synthèse des protéines.

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Qu’est-ce que le « vivant » ?

au vivant, l’existence d’outils de criblage à haut-débit* reposant sur la microfluidique*, ainsi que la recherche de signatures de vie dans les exoplanètes. Cette conjonction favorable s’est récemment traduite par la mise en place de programmes de recherche dans les plus grands centres internationaux et par la conception et l’implémentation de programmes expérimentaux ambitieux qui visent à synthétiser des vies dans des contextes physico-chimiques variés compatibles tout autant avec ceux de la Terre primordiale que ceux d’autres planètes. Si l’on ne sait toujours pas comment nous sommes passés des briques élémentaires à des macromolécules portant l’information dans le vivant, ARN* (acide ribonucléique), ADN* et protéines, l’analyse moléculaire des cellules modernes a permis de reconstituer l’ordre d’apparition de ces trois principales macromolécules. Un pas décisif a été franchi en 2000 avec la détermination de la structure du ribosome*, la machine moléculaire qui fabrique les protéines (figure 1.2). Ces travaux ont montré que c’est l’ARN du ribosome qui assemble les acides-aminés pour fabriquer les protéines. L’ARN, ancêtre de l’ADN, serait donc apparu avant les protéines modernes (une assertion qui reste néanmoins du domaine de l’hypothèse pour certains chercheurs en évolution), puis certaines de ces protéines ont modifié l’ARN pour en faire de l’ADN. Pourquoi ? Cette question est actuellement en débat. L’ADN, forme chimiquement modifiée de l’ARN, est une molécule plus stable que ce dernier, ce qui a permis l’évolution de génomes* de grande taille tels que le nôtre. Cet avantage sélectif a-t-il été suffisant à l’époque des premières cellules à ARN avec de petits génomes ? L’ADN a-t-il pu apparaître dans le contexte de la compétition entre cellules et virus ? On s’est aperçu en effet que de nombreux virus modifient chimiquement leurs génomes pour le rendre résistant aux défenses de leurs hôtes et vice versa. Toutes ces questions restent en suspens, et donneront certainement lieu à des découvertes surprenantes dans les années à venir. 43

Étonnant vivant

La soupe prébiotique* n’est pas (entièrement)

2 faite « maison »

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ous ne connaissons pas (encore ?) les voies qui ont permis à la chimie d’évoluer naturellement vers la biologie. On s’accorde cependant sur l’axiome suivant : l’eau à l’état liquide et de la matière organique (molécules à base de carbone) associées à une source d’énergie (le rayonnement ultraviolet du Soleil par exemple) ont conduit dans l’environnement de la Terre primitive à l’apparition de structures autoréplicatives et évolutives : les premiers organismes vivants. Tout ce processus se serait déroulé en suivant simplement les lois de la chimie. Les molécules que nous savons indispensables à la vie actuelle, les protéines d’une part et le couple ADN/ARN d’autre part, ainsi que tous les précurseurs chimiques à la vie, sont le résultat d’une évolution antérieure à son apparition, à partir d’ingrédients que l’on imagine relativement simples et abondants.

L’origine de ces ingrédients est débattue. Cette chimie aurait pu être initiée dans l’atmosphère de notre planète, comme l’a suggéré Stanley Miller dès les années 1950 (Miller, 1953), en montrant que des acides aminés se formaient sous la simple action d’une décharge électrique simulant des éclairs d’orage dans un mélange de vapeur d’eau, ammoniac, méthane et dihydrogène (figure 1.3). Toutefois, l’efficacité de ce type de scénario varie considérablement en fonction de la composition du mélange initial choisi. Comme l’atmosphère primitive de la Terre a été transformée progressivement depuis sa formation, notamment du fait de la présence de la vie sur notre planète, un doute demeure quant à sa composition avant son apparition. Il a aussi été démontré qu’une chimie très particulière aurait pu se produire au fond des océans, au niveau de sources hydrothermales (Bassez et al., 2009). Mais là encore, l’abondance et la nature exacte de ces sources primitives nous échappent. 44

Qu’est-ce que le « vivant » ?

Fig. 1.3 Le chimiste Stanley Miller photographié avec le dispositif expérimental qu’il a utilisé pour montrer comment les conditions de la Terre primordiale ont pu être propices à l’éclosion de la vie (photo université de Californie, San Diego).

On sait en revanche avec certitude que certaines météorites (les chondrites carbonées) et micrométéorites contiennent de la matière organique (Martins, 2011). Celles que nous analysons aujourd’hui ont la même composition que celles qui tombaient sur Terre au moment de l’apparition de la vie. Grâce à ces échantillons, nous connaissons une partie des ingrédients de la soupe prébiotique dans laquelle la vie a émergé. Les comètes comptent parmi les objets les plus riches en matière organique du Système solaire. La mission spatiale Rosetta, de l’Agence spatiale européenne (ESA), a scruté pendant deux ans la 45

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comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko (figure  1.4). Les données de ses instruments scientifiques sont loin d’avoir été entièrement dépouillées, mais il a déjà été confirmé qu’entre autres molécules, un acide aminé, la glycine, était présent parmi les constituants de la comète (Altwegg et al., 2016).

Fig. 1.4 La vie ailleurs ? Le noyau de la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko observé depuis la sonde de l’Agence spatiale européenne Rosetta. Ce selfie a été pris depuis l’instrument CIVA qui se trouvait à bord de l’atterrisseur Philae, quelques jours avant que ce dernier ne se pose sur le noyau de la comète. On aperçoit au premier plan les panneaux solaires de la sonde. Les comètes sont parmi les objets les plus riches en matière organique dans le Système solaire. Elles auraient pu contribuer à l’origine de la vie sur la Terre en y apportant des ingrédients chimiques indispensables à son apparition (photo ESA/Rosetta/Philae/CIVA).

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Qu’est-ce que le « vivant » ?

En reproduisant l’action des rayons ultraviolets sur des glaces cométaires simulées au laboratoire (mélanges d’eau, de méthanol, d’ammoniac, de dioxyde de carbone ), une équipe française a récemment montré que les noyaux cométaires pourraient renfermer d’autres molécules considérées comme essentielles à l’apparition de la vie, tel que le ribose, colonne vertébrale de l’ARN (Meinert et al., 2016). Des dizaines de milliers de molécules différentes sont formées dans ce type de simulation (Danger et al., 2016). Ces expériences ont aussi révélé que la configuration des acides aminés* dans les protéines (présents sous la forme asymétrique L plutôt que leur image dans un miroir, la forme D), pourrait avoir été acquise dans l’espace sous l’action de rayonnement ultraviolet polarisé généré par certains types d’étoiles (Modica et al., 2014). La composition de la Terre primitive et de son environnement, complétée des apports extraterrestres, a donc pu favoriser l’apparition de la vie. Mais il ne suffit pas de détecter des acides aminés ou certains éléments constitutifs de l’ARN/ADN dans les comètes et les météorites carbonées pour répondre à la question de l’origine. Les enjeux de la chimie prébiotique moderne ne sont plus de déterminer en quelle mesure les réactions atmosphériques, hydrothermales, ou les apports extraterrestres de matière organique, ont joué un rôle clé. Il est d’ailleurs tout à fait possible que les trois sources aient contribué à des degrés divers. Il s’agit maintenant de comprendre comment les premières macromolécules se sont assemblées à partir de leurs éléments de base (acides aminés pour les protéines, nucléotides pour l’ARN). Après des dizaines d’années de tâtonnement, de grands pas ont été faits au cours de ces dernières années (Patel et al., 2015 ; Powner et al., 2009). Des nouvelles voies de synthèse contournent, par une approche appelée chimie des systèmes, les obstacles sur lesquels la chimie prébiotique « classique » a buté en cherchant à procéder à des synthèses brique par brique – par exemple en cherchant un nucléotide en formant séparément le sucre (ribose), la base azotée (adénine par exemple), le 47

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phosphate, avant de tenter de les associer. Les approches modernes couronnées de succès permettent la synthèse directe du nucléotide sans passer par les précurseurs. Nous sommes cependant encore loin de recréer le vivant en laboratoire à partir des découvertes en chimie prébiotique, et ce n’est d’ailleurs pas véritablement le but de ces recherches. Il s’agit avant tout de déterminer si la chimie qui a conduit à l’apparition de la vie sur Terre est générique, et pourrait donc se reproduire ailleurs dans des conditions voisines de celles de notre planète primitive.

3 La vie ailleurs ?

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a recherche d’une vie extraterrestre n’a que très récemment été considérée avec sérieux par la majorité de la communauté scientifique. Ce changement de point de vue provient essentiellement des progrès de notre connaissance de la vie sur Terre et de son origine. À ces études terrestres viennent s’ajouter nos capacités nouvelles à explorer des environnements au-delà de notre planète, grâce à des sondes spatiales et des robots explorant le Système solaire. Au-delà de ce premier horizon, les télescopes modernes nous ouvrent un nouveau champ d’investigation immense, celui des exoplanètes dont la caractérisation ne fait que commencer.

Partant de l’axiome que l’eau à l’état liquide est indispensable (mais pas forcément suffisante) à l’apparition de la vie, Mars est une cible privilégiée. Il est en effet désormais établi que de l’eau liquide a coulé à sa surface, et de la matière organique aurait pu y être apportée par des météorites et des comètes (Bibring et al., 2006 ; Freissinet et al., 2015). C’est le seul objet proche où il est possible de tester notre compréhension des mécanismes conduisant à l’apparition du vivant selon le principe « eau liquide + matière organique = vie ». L’environnement martien, s’il a pu être un jour propice à l’éclosion de la vie, a été pro48

Qu’est-ce que le « vivant » ?

fondément modifié au cours des premières centaines de millions d’années après la formation de Mars : la planète a progressivement perdu son atmosphère qui a été « soufflée » par le vent solaire, et il n’a plus été possible à l’eau de demeurer à l’état liquide à la surface de la planète en raison d’une pression atmosphérique trop faible. Il est donc peu probable que l’on y trouve autre chose que des traces de vies disparues Cependant, connaissant les facultés d’adaptation extraordinaires du vivant terrestre à des conditions extrêmes, on ne peut pas rejeter complètement l’éventualité que la vie martienne ait pu évoluer et s’adapter au fur et à mesure que la planète perdait son atmosphère et s’asséchait. Mais il aurait d’abord fallu qu’elle ait pu y apparaître, ce qui n’est pas, pour l’instant, établi. La mission Esa-Roskosmos ExoMars, en particulier ExoMars 2020, qui emportera un robot capable de forer jusqu’à 2 m de profondeur, devrait fournir des données précieuses à ce sujet au début de la prochaine décennie. Au-delà de Mars, d’autres objets du Système solaire sont également considérés comme d’intérêt exobiologique. Grâce aux missions spatiales Galileo (américaine) et Cassini-Huygens (américano-européenne), nous avons découvert depuis 15 ans que les épaisses couches de glace d’eau qui entourent certains satellites de Jupiter et Saturne pourraient recouvrir de vastes océans liquides. Dans ce contexte, la question de la source de matière organique qui pourrait évoluer vers une forme de vie se pose. Titan, le plus gros satellite de Saturne possède une atmosphère dense, riche en composés organiques, et de multiples analogies avec notre planète. Cela en fait un objet planétaire privilégié pour l’exobiologie (Raulin et al., 2012). Pour d’autres lunes dépourvues d’atmosphères suffisamment denses, resterait la possibilité de synthèses de molécules organiques au fond des océans au niveau de sources hydrothermales, mais pour la plus grande majorité d’entre elles, dont les satellites jupitériens Ganymède et Callisto, ou encore Titan, ces océans seraient pris en sandwich entre deux couches de glace de plusieurs centaines de kilomètres d’épaisseur. 49

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Fig. 1.5 Encelade, satellite de Saturne, photographié par la sonde Cassini. À quelques dizaines de kilomètres sous la surface, il y aurait un océan (photo Nasa/JPL/Institut de Science spatiale).

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Qu’est-ce que le « vivant » ?

Deux objets se singularisent : Europe autour de Jupiter, et un petit satellite de Saturne qui est probablement la plus grande surprise de la mission Cassini-Huygens : Encelade (McKay et al., 2008 ; voir figure  1.5). Sur ces deux lunes, l’océan se situerait sous quelques dizaines de kilomètres de glace seulement, et serait directement en contact avec le manteau rocheux sous-jacent. Cela laisse ouverte la possibilité de sources hydrothermales en profondeur, lieux de synthèses organiques qui pourraient aboutir à l’apparition de formes de vies. Tout ceci reste très spéculatif et il est impossible à ce jour d’estimer la moindre probabilité quant à la présence d’organismes vivants dans de tels environnements. Nous n’avons pas encore la capacité technique d’envoyer un robot pour forer ces glaces et explorer ces océans lointains, mais il serait tout à fait possible d’envisager de telles missions dans le futur. Au-delà du Système solaire, nous avons détecté à ce jour plus de 3 500  exoplanètes. Les statistiques qui peuvent être établies à partir de cet ensemble prévoient qu’entre 25 à 50 % des étoiles semblables au Soleil, ou plus petites, pourraient posséder une exoplanète comparable à la Terre dans leur zone habitable (Winn et Fabrycky, 2015). Leur éloignement les rend impossibles à explorer, mais il est certain que nous construirons un jour des télescopes capables d’analyser la composition de leurs atmosphères à partir de leur rayonnement (notamment dans les domaines du visible et de l’infrarouge). Certaines pourraient nous rappeler l’atmosphère de la Terre, d’autres pourraient être proches de celles de Mars ou Vénus, ou encore complètement inattendues. Les chimistes, biologistes, astronomes chercheront alors à savoir si une signature ne pourrait s’expliquer que par la présence d’une forme de vie. Si nous finissons par découvrir de la vie ailleurs que sur Terre, cela ne sera pas la conséquence d’une observation unique, une révélation qui effacerait du jour au lendemain l’incertitude dans laquelle nous nous trouvons. Il s’agira probablement d’un écheveau d’indices qu’il faudra démêler pour constituer une preuve. La route est peut-être encore 51

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longue, mais nous sommes probablement dans le siècle au cours duquel nous pourrons répondre à la question : sommes-nous seuls dans l’Univers ? Cette quête et les réponses que nous pourrons y apporter seront par essence interdisciplinaires. Notre territoire d’investigation s’étend, nos outils s’affinent, nos connaissances tendent à aboutir à l’idée que rien ne s’oppose, au plan conceptuel, à ce que la vie puisse exister ailleurs. Il ne nous est cependant pas possible de parler en termes de probabilités tant qu’une seule forme de vie nous est connue à ce jour : celle que nous connaissons sur Terre. Nous avons néanmoins désormais une démarche et des outils pour travailler.

4 La vie aux extrêmes

C

ertaines formes de vie particulières, parfois « extrêmes » interrogent ou repoussent l’idée de critères généraux, valables pour tous les êtres vivants.

Les recherches de ces trente dernières années ont fait reculer de façon spectaculaire ce que l’on pensait être les limites de la vie en terme de contraintes physiques. On a découvert des micro-organismes vivant de façon optimale à très haute ou très basse température, en milieu hyper acide ou alcalin, ou encore dans des milieux saturés en sels. D’autres sont capables de vivre ou de survivre dans des conditions de stress extrême – absence d’eau, présence de concentrations élevées de métaux lourds ou encore exposition à des doses massives de rayonnement radioactif ou à des pressions considérables. Collectivement appelés « extrêmophiles », ces micro-organismes ont été particulièrement étudiés pour leur capacité à produire des enzymes* robustes – les « extrêmozymes » (voir chapitre 4). L’étude des bactéries radio-résistantes, telles que Deinococcus radiodurans (figure 1.6), a permis à deux équipes françaises de mettre au jour de nouveaux mécanismes permettant aux cellules de contrecarrer les effets du 52

Qu’est-ce que le « vivant » ?

Fig. 1.6 Microcolonie de la bactérie radio-résistante Deinococcus radiodurans. Les membranes sont en rouge, et l’ADN en bleu (photo Inserm/Dea Slade).

vieillissement cellulaire (Zahradka et al., 2006). Notons, pour mémoire, que ces cas de résistance extrême ne se limitent pas au monde microscopique. Il existe un embranchement extrêmophile au sein du règne animal, représenté par toute une variété de petits invertébrés de taille millimétrique, les tardigrades, qu’il est essentiellement impossible de tuer si ce n’est en les écrasant physiquement (figure 1.7). Parmi les extrêmophiles*, les micro-organismes thermophiles (optimum de température supérieur à 60 °C) et hyperthermophiles (optimum de température supérieur à 80 °C) sont ceux qui ont reçu le plus d’attention. Ces « microbes de l’enfer » sont les seuls que l’on ne retrouve pas répartis dans les trois grands domaines du vivant : eucaryotes*, bactéries et archées (voir chapitre 2 et figure 2.2). En effet, nous ne connaissons pas encore aujourd’hui d’eucaryotes capables de vivre à plus de 60 °C. On ne comprend toujours pas pourquoi les eucaryotes ont été incapables de coloniser les biotopes chauds, et cela reste l’une des grandes énigmes de la biologie. 53

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Fig. 1.7 Les tardigrades, appelés encore oursons d’eau, sont des animaux invertébrés microscopiques d’environ 1 millimètre de longueur capables d’endurer des contraintes extrêmes qui tueraient presque n’importe quelle autre forme de vie. Ils ont été trouvés au sommet de l’Himalaya, survivent à l’eau bouillante, à des pressions 300 fois supérieures à celle de l’atmosphère et à des doses de rayons ultraviolets mortelles pour la plupart des organismes vivants. L’un de ces spécimens, récolté en Antarctique, a même battu un record de longévité pour un animal congelé, puisqu’il s’est réveillé après 30 ans de congélation et a pondu des œufs (Tsujimoto et al., 2016) (photo Meckes & Ottawa / Eye of science).

Si certaines bactéries peuvent vivre jusqu’à 95  °C, seules les archées (qui dominent au sein des hyperthermophiles) sont capables de vivre à des températures proches du point d’ébullition de l’eau (jusqu’à 113 °C sous pression). Dans ce cas, ce sont les lipides spécifiques des archées qui semblent en cause : ils ont la capacité unique de permettre aux membranes cellulaires de rester à la fois fluides et imperméables aux ions de 0 à 110 °C ! Des équipes françaises ont joué un rôle important dans l’étude moléculaire des hyperthermophiles, en particulier dans la découverte et la caractérisation d’une enzyme spécifique de ces organismes, la « reverse gyrase », qui permet à la molécule d’ADN de fonctionner 54

Qu’est-ce que le « vivant » ?

à haute température. La génomique* comparée a montré que le gène codant cette enzyme est systématiquement présent chez tous les organismes vivant à plus de 80  °C et systématiquement absent chez tous les organismes vivant à moins de 60  °C. Les travaux des chercheurs français et japonais ont montré que la reverse g yrase, véritable tournevis moléculaire, est capable de resserrer le pas de la double-hélice d’ADN dans un tube à essai. On ne sait toutefois toujours pas comment cette enzyme agit au sein de la cellule pour maintenir la stabilité de l’ADN : étonnamment, le pas de la double-hélice à l’intérieur de la cellule n’est pas fondamentalement différent chez les hyperthermophiles ! La découverte des hyperthermophiles dans les années 1970-1980 a coïncidé avec celle des archées, ensemble de microbes reconnus comme le « troisième domaine du vivant » à côté de celui de bactéries traditionnelles et des eucaryotes (voir chapitre 2 et figure 2.2). Cela a relancé l’idée d’une origine de la vie à haute température. Les hyperthermophiles modernes sont toutefois des organismes complexes dotés de systèmes moléculaires très sophistiqués. Une équipe lyonnaise a par ailleurs montré, en reconstituant par ordinateur des séquences* ancestrales du  dernier ancêtre commun aux trois domaines du vivant, LUCA* (acronyme pour « Last Universal Common Ancestor »), que ce dernier n’était sans doute pas un hyperthermophile. En revanche, la même équipe a prouvé que les ancêtres des bactéries et ceux des archées vivaient probablement à haute température. Comment est-on passé d’un LUCA « froid » à une origine chaude des archées et des bactéries ? Encore une question sans réponse. Un LUCA froid ne veut pas dire que la vie n’est pas apparue à haute température car, des origines à LUCA, il s’est écoulé beaucoup de temps. La vie est probablement passée par une étape sans ADN. Les génomes de cette époque étaient sans doute constitués d’ARN, très 55

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fragile à haute température. S’il est difficile d’imaginer un monde à ARN à très haute température, plusieurs scénarios actuels font apparaître les premières formes de vie dans des sources chaudes (ou tièdes) terrestres ou sous-marines (les fameux « fumeurs* » noirs ou blancs embrassant des températures allant de 200-300 °C à quelques dizaines de degrés Celsius, voir chapitre 4). La découverte des archées a ouvert une boîte de Pandore pour les évolutionnistes intéressés par les premières étapes de l’histoire du vivant. Encore aujourd’hui, plusieurs visions s’affrontent concernant les relations de parenté entre les trois domaines du vivant (voir chapitre 2). Tous s’accordent toutefois pour reconnaître la parenté évolutive inattendue entre les archées (des micro-organismes sans noyau cellulaire*) et « nous » – les eucaryotes. Cette parenté peut conduire à des retombées inattendues dans des domaines très divers. Ainsi, la découverte par une équipe française d’une nouvelle famille de protéines (dite SPO11) capables de couper la double-hélice d’ADN chez une archée vivant dans une source chaude du Japon a permis d’identifier pour la première fois la protéine qui coupe nos chromosomes au moment de la formation des ovules et des spermatozoïdes et permet ainsi le mélange des chromosomes parentaux. Deux autres équipes françaises viennent de montrer que cette protéine fait partie d’un complexe similaire à celui qui sépare les chromosomes à la fin de la division cellulaire chez les archées. Ces travaux ont également permis de découvrir qu’une protéine de la même famille est responsable de la taille des plantes. Il existe donc un lien caché entre les archées, notre reproduction sexuée et la taille de nos forêts ! Cet exemple montre comment l’étude de micro-organismes divers dans tous les recoins de la planète confirme l’unité du monde vivant, nous permet d’en mieux préciser les contours, tout en nous fournissant des outils moléculaires de plus en plus puissants pour le comprendre et le domestiquer. 56

Qu’est-ce que le « vivant » ?

5 La vie intraterrestre : les microbes de la cité perdue

L

es premières photos des sources hydrothermales océaniques ramenées par le sous-marin Alvin en 1979 ont mis à mal l’idée que la vie ne pouvait se développer qu’à la faveur de l’énergie lumineuse prodiguée par le Soleil. Ces oasis où prolifère la vie attestent de l’existence d’écosystèmes indépendants de la photosynthèse, qui existent et persistent uniquement grâce à des processus géologiques et aux réactions chimiques qui y sont associées. Ces extrêmophiles des sombres profondeurs puisent leur énergie des fluides chauds et acides et des métaux crachés par ces cheminées sous-marines capables de dégager autant de chaleur qu’une petite centrale nucléaire (200  à 1 000 mégawatts). Le secret de ces sources hydrothermales ? Elles font se rencontrer des fluides qui se sont chargés en composés donneurs d’électrons en circulant dans les roches profondes et de l’eau de mer riche en accepteurs d’électrons. Ainsi se créent des endroits énergétiquement riches et/ou chimiquement très réactifs, propices à la vie. Depuis la fin des années 1970, plus de 200 sites hydrothermaux ont été identifiés, qui ne représentent sans doute qu’une infime fraction des sites actifs de  notre planète. La découverte au début des années 2000 de Lost City, un système hydrothermal d’un nouveau genre situé à 900  mètres de profondeur le long de la ride médio-Atlantique est venue bouleverser nos conceptions sur la façon dont la vie avait pu se développer sur Terre, et par là même a ouvert d’autres perspectives quant à la recherche de la vie sur d’autres planètes. Au sein de gigantesques tours blanches, hautes de 60 mètres, Lost City décharge hydrogène et hydrocarbures produits naturellement par la roche, fournissant localement l’énergie nécessaire au développement de communautés microbiennes dont certaines seraient apparues très tôt dans l’histoire de l’évolution. Moins chauds que ceux répertoriés 57

Étonnant vivant

Les intraterrestres : un nouvel élan pour les biotechnologies Au-delà des nouveaux scénarios qu’elle propose pour l’émergence du vivant, la biosphère profonde pourrait également constituer une rupture dans la recherche de solutions innovantes dans le domaine de l’énergie (dont le stockage du dioxyde de carbone sous forme minérale, la production d’hydrogène naturel ou la synthèse de nouveaux matériaux pour le stockage de l’énergie et l’industrie photovoltaïque). En effet, la grande variabilité des métabolismes microbiens observés dans la nature et la capacité des micro-organismes à interagir avec une grande variété d’éléments et de minéraux constituent des ressources encore très peu explorées. Ces nouvelles gammes de réactions chimiques et de voies de synthèse, différentes de la chimie traditionnelle ou de la biochimie, pourraient fournir un nouvel élan à la biotechnologie. La catalyse enzymatique pouvant fonctionner à basse température et être activée ou désactivée de manière réversible ou irréversible présente un intérêt tout particulier dans l’optique d’une meilleure efficacité énergétique. Les capacités de synthèse des micro-organismes sont également notables pour la production de nouveaux nano- ou micro-(bio)matériaux. Que ce soit par la reproduction en conditions contrôlées de processus microbiologiques naturels ou l’utilisation de l’évolution dirigée pour les réorienter et les optimiser, il est intéressant d’explorer et de valoriser les réactions associées à la biosphère profonde tout en continuant d’approfondir notre connaissance des interactions micro-organismes/minéraux et des mécanismes fondamentaux associés à ces réactions. jusque-là (< 90  °C), les fluides émis sont également moins acides, offrant des conditions plus propices à la stabilisation des fameuses 58

Qu’est-ce que le « vivant » ?

« briques du vivant », pour autant qu’elles soient apparues dans ces contextes. Si Lost City a alimenté la chronique ces 15  dernières années par sa nouveauté et sa singularité, un autre site hydrothermal présentant les mêmes caractéristiques chimiques, biologiques et minéralogiques, mais situé seulement à 50 mètres de profondeur dans la baie de Prony en Nouvelle-Calédonie (figure 1.8) a été remis à l’honneur par des équipes françaises. Détecté dès 1985 par des géologues français, ce site n’avait guère attiré l’attention avant qu’un laboratoire de Nouméa n’en évalue l’ampleur en 2005. Depuis, il suscite l’intérêt de toute la communauté internationale. En effet, bien que situé à plus de 17 000 kilomètres de Lost City, le site de Prony héberge des communautés microbiennes archaïques très semblables. De quoi relancer des recherches pour plusieurs décennies. Dans cette perspective, les roches du manteau terrestre, appelées « péridotites », portées à l’affleurement au fond des océans ou dans les massifs montagneux dits « ophiolitiques » par le jeu de la tectonique, constituent des environnements d’un intérêt tout particulier pour la chimiosynthèse telle qu’elle est mise en œuvre dans ces systèmes hydrothermaux d’un genre si particulier. Ces roches, instables en présence d’eau, ont la capacité remarquable de générer d’importantes quantités d’hydrogène par l’hydratation des silicates qui les constituent. Cet hydrogène, en réduisant le dioxyde de carbone provenant de l’eau de mer ou du manteau, peut conduire à la formation dite « abiotique » d’hydrocarbures légers comme le méthane, fournissant ainsi l’énergie métabolique nécessaire au développement de communautés microbiennes. La première preuve directe de l’existence d’écosystèmes profonds nourris par les composés volatils dérivés de l’hydratation du manteau océanique a récemment été fournie par une équipe franco-italienne, repoussant ainsi les limites de la colonisation microbienne à quelques kilomètres de profondeur 59

Étonnant vivant

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Fig. 1.8 Cheminées hydrothermales et vie microbienne. a. Cheminées hydrothermales de la Baie de Prony (NouvelleCalédonie) b. Cliché de microscopie électronique montrant des cellules microbiennes nichées dans les minéraux magnésiens constituant ces cheminées (photo IPGP/IRD/MOI).

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Qu’est-ce que le « vivant » ?

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Fig. 1.9 Quand les intraterrestes se rebiffent. a. La centrale géothermique d’Hellisheidi (Islande) émet annuellement 40 000 tonnes de CO2 et 16 000 tonnes de sulfure d’hydrogène que le projet CARBFIX cherche à convertir en roche en enfouissant ces gaz dans la subsurface et en les faisant réagir avec les basaltes environnants. b. Ces roches extrêmement réactives en présence de CO2 hébergent des écosystèmes, initialement méconnus, qui ont influé sur le devenir des gaz stockés lors des premières phases d’injections menées en 2012, amenant notamment au colmatage du réservoir par d’épais biofilms qui ont également accéléré la dégradation de la roche encaissante (photos IPGP).

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dans la lithosphère*, bien au-delà des systèmes hydrothermaux des fonds océaniques. Si l’on considère que les deux tiers de la lithosphère créée le long des 60 000 kilomètres de rides océaniques sont majoritairement constitués de péridotites qui, aux dorsales lentes et ultralentes (taux d’expansion 200°C) le site n’a plus à souffrir de l’interférence non anticipée des intraterrestres.

Des formes de vie disparues

6 inscrites dans la pierre

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’histoire de la vie entre sa première apparition, il y a environ 3,7  milliards d’années (époque archéenne), et « l’explosion cambrienne », autour de 600  millions d’années, est très peu connue. Mais c’est au cours de cette période, appelée Protérozoïque, que la vie se diversifie : aux micro-organismes unicellulaires ayant une simple membrane mais privés de noyau – les procaryotes* – s’ajoutent les eucaryotes, organismes uni- ou pluricellulaires à organisation et métabolisme plus complexes et de plus grande taille, caractérisés par des cellules qui, comme les nôtres, possèdent un noyau contenant l’ADN. Cette phase extraordinaire de l’histoire de la vie de notre planète, qui passionne tant géologues, biologistes, paléontologues et géochimistes, est malheureusement mal documentée par le registre fossile et l’interprétation de ses rares traces, notamment des niveaux sédimentaires du Mésoprotérozoïque (1,6 à 1 milliard d’années) et fait 64

Qu’est-ce que le « vivant » ?

l’objet depuis longtemps de discussions animées entre spécialistes. Des travaux récents menés au Gabon par des équipes françaises viennent d’apporter une contribution majeure à l’histoire de la vie multicellulaire macroscopique, la vieillissant de plusieurs centaines de millions d’années (El Albani et al., 2010, 2014, voir figure  1.10). Parfaitement préservés dans des sédiments du Gabon vieux de 2,1 milliards d’années, les chercheurs ont découvert les restes fossiles d’une impressionnante variété d’organismes coloniaux complexes, les plus anciens documentés à ce jour, de formes et de dimensions diverses, atteignant parfois 10-12 centimètres et une densité de plus de 40 spécimens au mètre carré. Ce site fossilifère gabonais, près de Franceville (d’où le qualificatif de « Francevillien » donné à ces formations géologiques), a déjà livré plus de 600  spécimens. On estime que sa richesse et sa qualité de conservation sont sans précédent. Surpris par le niveau de complexité biologique atteint dans la phase initiale du Protérozoïque, appelée Paléoprotérozoïque (entre 2,5 et 1,6 milliards d’années), les chercheurs ont soumis les spécimens aux analyses les plus sophistiquées pour comprendre au mieux leur nature et reconstruire leur milieu de vie. Grâce à l’utilisation d’un type particulier de scanner tridimensionnel à haute résolution (microtomographe), il a été possible de mener une exploration virtuelle des échantillons et d’apprécier leur degré d’organisation interne dans les moindres détails, sans en compromettre l’intégrité. Une sonde ionique capable de mesurer le contenu des isotopes du soufre et de distinguer ce qui était la matière organique du sédiment argileux, a permis de cartographier précisément la distribution relative de la matière organique qui constituait le substrat flexible de l’organisme original et qui s’est transformée en pyrite au cours de la fossilisation, et de la différencier du sédiment environnant. Outre les résultats des analyses minéralogiques et géochimiques (isotopes du soufre et géochimie du fer), l’étude des figures et des 65

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Fig. 1.10 Des formes de vie disparues inscrites dans la pierre. a. Le site à macro-fossiles de 2,1 milliards d’années affleurant près de la ville de Franceville, au Gabon (photo El Albani). b. Les restes fossilisés des macro-organismes coloniaux du Gabon (photo El Albani). c. Reconstruction virtuelle (par microtomographie) de la morphologie externe (à gauche) et interne (à droite) de trois spécimens fossiles du site gabonais (photo El Albani – Mazurier).

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structures sédimentaires a révélé que les macro-organismes du Gabon, ayant subi une fossilisation rapide dans des conditions rarement aussi favorables, vivaient dans un environnement marin d’eaux oxygénées peu profondes, souvent calmes mais périodiquement soumises à l’influence conjuguée des marées, des vagues et des tempêtes. Pour se développer et se différencier à un niveau jamais atteint auparavant, ces formes ont profité d’une phase temporaire d’augmentation significative de la concentration en oxygène dans l’atmosphère, qui s’est produite entre –2,45 et –2,32 milliards d’années, pour atteindre un pic vers –2,1  milliards d’années. Bien que très inférieure à celle que nous connaissons aujourd’hui, la concentration d’oxygène a été suffisante pour diffuser dans l’hydrosphère, jusqu’à 30 à 40  mètres de profondeur. Puis cette concentration a brusquement chuté vers 1,9  milliard d’années, jusque vers 670  millions d’années. C’est une « période noire » en terme de registres fossiles pour les paléontologues pendant laquelle l’océan primitif devint moins favorable aux organismes à métabolisme complexe. Il faut donc attendre le début du Cambrien, plus d’un milliard d’années après, pour assister à une nouvelle phase significative de diversification et expansion de la vie (« l’explosion cambrienne »). Jusqu’alors, on retenait qu’avant 2 milliards d’années la Terre était peuplée uniquement de microbes. Mais les fossiles du Gabon montrent que quelque chose de radicalement nouveau est survenu à cette époque : des cellules ont commencé à coopérer pour former des unités plus complexes et plus grandes. À partir de ce moment, une voie s’est ouverte pour de nouvelles expériences évolutives qui ont transformé la biosphère en l’enrichissant des organismes multicellulaires que nous connaissons aujourd’hui, et dont les génomes portent probablement encore la trace des premières expériences avortées.

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Qu’est-ce que le « vivant » ?

La vie en communauté Tout être vivant a besoin d’une source d’énergie : chez les organismes dits « supérieurs », c’est le rayonnement solaire qui, soit directement via la photosynthèse, soit indirectement via l’utilisation des produits de cette dernière (molécules carbonées et oxygène), permet la mobilisation de cette énergie au niveau cellulaire. Le monde microbien est capable d’utiliser une vaste gamme de « carburants » pour produire l’énergie nécessaire à son existence. La découverte de nouveaux micro-organismes dans des habitats extrêmement divers et mettant en œuvre des stratégies très variées de production d’énergie a conduit à la conviction que celle-ci est un des facteurs déterminants de l’évolution (SchoeppCothenet et al., 2013). Mais ce n’est que récemment que l’on a pris conscience que c’est aussi un facteur central dans le fonctionnement communautaire des micro-organismes (Keller et Surette, 2006). Les avancées sur la connaissance du métabolisme microbien n’ont souvent été possibles que grâce à l’étude de systèmes modèles, se développant en culture pure, dans des milieux bien contrôlés, et optimaux en termes de nutriments, d’oligoéléments, de température, de pH, etc., quand il s’agissait de souches de bactéries de collection, ou de ce que l’on pouvait définir comme conditions de culture optimales compte tenu des caractéristiques environnementales des lieux de prélèvements. Or dans la nature, ces conditions idéales n’existent pas et pour survivre les micro-organismes s’organisent « en communauté », formant une « société avancée » dont le fonctionnement est essentiel aux grands cycles géochimiques (carbone, soufre, azote). Sans cesse, ces communautés doivent faire face à des stress dus à l’absence de 69

Étonnant vivant

nutriments, la sècheresse, la présence de compétiteurs ou encore des variations de température, de pH, de pression, etc. Leur structuration a d’abord été interprétée soit en terme de prédation* (« je te tue pour survivre »), soit en terme de mutualisme* (« unissons nos forces pour faire face à l’adversité »). Cependant, la découverte récente (Zengler et Palsson, 2012) que le phénotype d’un consortium microbien (c’est-à-dire l’ensemble de ses caractères observables) ne correspondait pas forcément à la carte génétique des éléments qui le constituent, a suggéré l’existence d’interactions métaboliques fortes (bien au-delà d’une simple signalisation de présence), de taille critique de colonies, de détection de substrats ou encore de comportements métaboliques synchronisés. On a également mis en évidence les capacités de résilience étonnante de ces systèmes. L’existence d’autres modes de communication a donc été proposée, ouvrant un nouveau champ d’étude afin de comprendre le développement, le fonctionnement et la régulation de ces sociétés microbiennes avancées. Des travaux récents d’équipes françaises (Benomar et al., 2015) démontrent que les micro-organismes peuvent développer un mode de vie de « société solidaire » qui leur permet de survivre même placés dans un environnement sans aucune source d’énergie utilisable, afin d’être présents et actifs dès qu’un changement de condition environnementale a lieu. Ce processus nécessite un contact physique entre des bactéries d’espèces différentes, et la mise en place de véritable canaux de communication permettant « l’énergétisation » en absence de substrat énergétique (figure 1.11). Cela implique d’une part un système de signalisation « générique » interespèces au sein du monde bactérien et d’autre part l’existence de molécules pouvant rapidement bloquer cette communication quand elle n’est plus nécessaire, pour éviter un simple parasitisme* énergétique. 70

Qu’est-ce que le « vivant » ?

Fig. 1.11 Contacts physiques et échanges métaboliques entre deux bactéries. La bactérie Clostridium acetobutylicum est marquée en vert par la calcéine (molécule à la fluorescence verte) et la bactérie Desulfovibrio vulgaris apparaît en rouge grâce à la protéine fluorescente mCherry. Au temps 0 h, les deux bactéries n’ont pas effectué d’échanges. D. vulgaris est soumise à un stress nutritionnel. 24 heures après (panneaux de droite), la couleur jaune indique la présence des deux fluorophores au même endroit, et donc l’échange de ces deux molécules entre deux bactéries d’espèces différentes. Grâce à cet échange de matériel cytoplasmique, le stress nutritionnel de D. vulgaris conduit à une production de dihydrogène (H2) plus importante par C. acetobutylicum. Échelle = 4 μm.

Le potentiel de ces consortiums microbiens (du microbiote* à la dégradation de la biomasse) prouve que ces interactions entre les micro-organismes (archées/archées, archées/bactéries, bactéries/bactéries, bactéries/virus, eucaryotes/bactéries/virus) font émerger de nouvelles capacités, ainsi pour la production de biohydrogène, où l’interaction physique et métabolique entre deux micro-organismes impliqués dans la dégradation de la biomasse conduit à une « canalisation » du flux de carbone vers leurs voies métaboliques productrices d’hydrogène. Le décryptage des éléments moléculaires qui contrôlent ces échanges constitue un tout nouvel aspect de la microbiologie moderne. Leur maîtrise nous permettrait d’orienter le fonctionnement des micro-organismes vers un processus précis sans modifier leur génome. Une autre découverte majeure de ces dernières années a été la mise en évidence du rôle des virus dans ces communautés microbiennes. Les particules virales sont dix à cent fois plus abondantes que les cellules dans tous les environnements étudiés. Ce sont donc les objets biologiques les plus abondants de la planète. Conséquence 71

Étonnant vivant

remarquable : ils véhiculent la majeure partie de l’information biologique. Par ailleurs, des analyses bioinformatiques à grande échelle des protéines virales semblent indiquer que les virus existaient déjà à l’époque de LUCA. Aujourd’hui, nous savons que tous les organismes sont infectés par des virus qui co-évoluent avec eux. À chacun des trois domaines du vivant correspond une « virosphère » bien spécifique. Les chercheurs français, en pointe sur ce sujet, sont à l’origine de la création en 2010 d’une nouvelle société savante internationale dédiée à l’étude des virus de « microbes » (par opposition aux virus des plantes et des animaux, et parmi eux ceux qui causent des maladies et ont monopolisé l’attention jusqu’ici). L’étude des virus infectant les bactéries se renouvelle dans la perspective de la phagothérapie (utilisation des virus pour la lutte contre les maladies infectieuses d’origine bactérienne). Des équipes françaises sont également à l’avant-garde pour l’étude des virus d’archées vivant dans les sources chaudes terrestres ou sous-marines. Les particules virales produites par ces virus présentent des morphologies inédites dans le monde microbien (forme de citrons, de bouteilles, ou de filaments terminés par des pinces). Ils résistent à des conditions extrêmes de température, ce qui pourrait donner jour à des applications inédites en biotechnologie. Des équipes marseillaises ont ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire de la biologie en découvrant des virus géants qui infectent des microbes eucaryotes. Ce regain d’intérêt pour les virus a bien sûr relancé la question, déjà ancienne, de savoir s’ils sont vivants ou non.

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Qu’est-ce que le « vivant » ?

7 Les virus sont-ils vivants ?

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orsque Dimitri Ivanovski, jeune botaniste de l’université de Saint-Pétersbourg, découvrit en 1892 le premier virus, l’agent infectieux de la « mosaïque du tabac », il ne se doutait pas qu’il venait d’inaugurer une branche divergente de la microbiologie (alors en plein essor après Pasteur) qui allait porter pendant plus d’un siècle les stigmates de sa découverte initiale, celle d’un micro-organisme pathogène assez petit pour passer à travers le filtre mis au point par Charles Chamberland pour retenir les bactéries. La caractérisation rapide d’autres « virus filtrants » (dont celui responsable de la fièvre aphteuse en 1898 et celui de la rage en 1903) par le même protocole expérimental a achevé de graver dans l’inconscient collectif des biologistes l’idée que les virus (plus précisément leurs particules ou « virions ») étaient nécessairement plus petits que les plus petits organismes cellulaires et donc invisibles sous le microscope optique. Cette idée, dont on saura plus tard qu’elle était hâtive, a ensuite été au cœur des protocoles expérimentaux : le passage à travers des filtres de porosité inférieure à 0,3 micron sert encore à définir la « fraction virale » d’une population naturelle de micro-organismes.

Le ralliement universel à ce critère fondé sur la taille est d’autant plus étonnant que dès 1898 Edmond Nocart et Émile Roux avaient montré que l’agent de la péripneumonie bovine était une bactérie « filtrante », c’est-à-dire non retenue par le filtre de Chamberland le plus fin. Cette découverte avait amené Roux, en 1903, à ironiser sur la théorie (effectivement fumeuse) proposée peu après par le microbiologiste hollandais Beijeirink sur la nature vivante mais non particulaire (« contagium vivum fluidum ») de l’agent infectieux découvert par Ivanovski. Étonnamment, la possibilité qu’une particule virale puisse ne pas être « filtrante » semble n’avoir été émise par personne avant la découverte du premier « virus géant » par une équipe marseillaise en 2003 73

Étonnant vivant

(La Scola et al., 2003). D’autres caractéristiques non représentatives des virus en général, ont contribué à marginaliser les virus géants en périphérie du monde vivant. Le virus de la mosaïque du tabac, premier virus à avoir été découvert, est en effet des plus simples : son génome d’ARN code 4 protéines et est propagé dans une « boîte » constituée de 2 300 exemplaires de la même protéine (les virologistes appellent cette boîte une « capside » ou une « particule »). Sa structure de symétrie parfaitement hélicoïdale (figure 1.12) lui confère une stabilité exceptionnelle lui permettant de rester infectieux après un chauffage de 10 minutes à 90 °C, donc bien au-delà de ce que pouvaient endurer les bactéries connues à l’époque. C’est cette structure rigide et régulière qui permit à Wendell Meredith Stanley de le cristalliser dès 1935, un exploit qui lui valut plus tard le prix Nobel de Chimie. On peut comprendre qu’aucun microbiologiste sérieux n’ait pu considérer qu’un objet aussi invisible que du sel dissous puisse être « vivant ». Soixante ans après la découverte de Dimitri Ivanovski, une première définition générale et rigoureuse des virus, allant au-delà de l’impossibilité de les propager sans la présence de cellules vivantes, fut enfin énoncée par André Lwoff. Cette définition consiste en quatre critères permettant de les distinguer sans ambiguïté des microbes « cellulaires » (Lwoff, 1957, Lwoff & Tournier, 1966). Progrès décisif, mais peut-être involontaire : son choix de ne bâtir cette discrimination qu’à partir de propriétés binaires (blanc/noir) l’a conduit à abandonner le critère fondé sur la taille qui lui aurait imposé de fixer un seuil arbitraire. Ces quatre critères discriminants (reformulés à la lumière de nos connaissances actuelles) sont les suivants : Z  1.  Un micro-organisme cellulaire contient des ribosomes (voir figure  1.2), pas des virus. Un virus est un micro-organisme parasite intracellulaire obligatoire (il reste inerte en dehors d’une cellule hôte) 74

Qu’est-ce que le « vivant » ?

qui se doit d’emprunter l’appareil de traduction* de la cellule pour synthétiser ses propres protéines. Z  2.  Les micro-organismes cellulaires se reproduisent par l’action concertée de tous leurs constituants, les virus se reproduisent à partir de leur seul génome. Z  3.  Durant leur croissance, les micro-organismes cellulaires maintiennent leur individualité jusqu’à la survenue d’une division binaire (une cellule  deux cellules filles) ; les virus, eux, ne se divisent pas.

Fig. 1.12 Le virus de la mosaïque du tabac est le premier virus a avoir été découvert. Sa forme parfaitement hélicoïdale lui confère une stabilité exceptionnelle. Ici en microscopie électronique à transmission (image colorisée d’une coupe transversale G. Stubbs, R. Pattanayek, K. Namba).

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Étonnant vivant

Z  4.  Les virus ne possèdent pas de système enzymatique capable de convertir l’énergie chimique potentielle contenue dans des nutriments en celle nécessaire à la synthèse biochimique de nouveaux constituants. Les micro-organismes cellulaires, eux, se doivent de posséder un tel système (c’est leur « métabolisme »). En se fondant sur la nature inerte (sans métabolisme) des particules virales, Lwoff conclut que les virus ne sont pas vivants. Après un demi-siècle de virologie pendant lequel la diversité colossale des virus a été révélée, au moins deux des critères de Lwoff sont encore valides : le premier et le troisième qui stipulent que les virus (sous-entendu : leurs particules) ne se multiplient pas par division et n’ont pas de ribosomes. Le deuxième critère a été invalidé par la découverte que la particule entière (un assemblage moléculaire complexe) est absolument nécessaire au déclenchement du cycle infectieux et que le seul génome ne suffit pas, pour la plupart des virus en tout cas. Le quatrième critère a lui été infirmé par la découverte de bactéries parasites intracellulaires obligatoires ne possédant pas le métabolisme minimal nécessaire à leur réplication* (McCutcheon et Moran, 2011). Dans ce contexte d’une atténuation progressive de la frontière entre le monde cellulaire « vivant » et le monde viral, la découverte par des équipes françaises de virus « géants » aussi bien par la taille de leur particule que par celle de leur génome ne pouvait pas mieux tomber pour relancer un débat figé depuis cinquante ans. Le premier d’entre eux, dit « Mimivirus » (pour « Microbe Mimicking Virus »), est le prototype de la famille des Mimiviridae dont les particules icosaédriques d’un diamètre de 0,75 micron renferment un génome ADN de plus d’un million de nucléotides codant près de 1 000 protéines (Raoult et al., 2004, voir figure 1.13 et 1.14). Une deuxième famille est représentée par Pandoravirus salinus (prototype de la famille des Pandoraviridae) dont 76

Qu’est-ce que le « vivant » ?

Fig. 1.13 Multiplication de Mimivirus dans une cellule infectée. Image au microscope électronique d’une amibe, eucaryote unicellulaire, à la fin du cycle infectieux de Mimivirus. Une seule particule virale a initialement infecté la cellule de l’amibe. Dans les six premières heures qui ont suivi cette infection, une usine virale s’est formée au sein du cytoplasme (espace circulaire gris de 3,5 microns de diamètre visible près du centre de la cellule, indiqué par la longue flèche). Tel un micro-organisme transitoire, l’usine virale synthétise tous les constituants nécessaires à la fabrication de nouvelles particules de Mimivirus. On voit ces nouvelles particules émerger à la périphérie de l’usine virale. Pratiquement tout le cytoplasme de la cellule de l’amibe est envahi par les particules virales de Mimivirus (petits cercles gris avec un cœur foncé, indiqué par la courte flèche) qui ont été ainsi formées.

la particule en forme d’amphore est encore plus grosse (1,2  micron sur 0,5 micron de diamètre) et renferme un génome plus grand que celui de 77

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100 nm Fig 1.14 Virions des quatre familles de virus géants connues observés par microscopie électronique à balayage. a. Mimivirus, b. Mollivirus, c. Pandoravirus, d. Pithovirus.

certains micro-organismes parasites eucaryotes, soit plus de 2,5 millions de nucléotides (Philippe et al., 2013). La taille et la complexité du génome de ces virus géants3 (qui respectent néanmoins les critères n°1 et n°3 de Lwoff) interpellent par leur inutilité apparente : pourquoi utiliser tant de gènes pour construire la simple boîte qui va propager le génome du virus, alors que d’autres n’en utilisent qu’un ou deux ? Cette bizarrerie est d’autant plus incompréhensible que l’évolution de tout micro-organisme parasite intracellulaire le conduit inévitablement à la perte irréversible des gènes dont la fonction peut être assurée par l’hôte. Le paradoxe de la boîte aux mille gènes disparaît si l’on se souvient que le génome humain est tout entier contenu dans un spermatozoïde ou 3. On connait maintenant 5 familles distinctes de virus géants (Abergel et al., 2015). 78

Qu’est-ce que le « vivant » ?

un ovule (deux petites cellules microscopiques). Un observateur ignorant de notre physiologie pourrait trouver surprenant qu’un génome de 3 milliards de nucléotides soit nécessaire à ce qui ressemble à un simple micro-organisme unicellulaire4. Mais ce génome complexe contient en fait l’information nécessaire au développement d’un être humain adulte, pour lequel il ne semble plus hors de proportion ! Le paradoxe n’était donc qu’apparent, la complexité du génome n’étant pas liée à la structure de son véhicule, mais à celle de l’organisme qu’il permet de fabriquer. De la même façon, il est crucial de distinguer le virion, simple véhicule propageant le génome, du virus en action, micro-organisme parasite transitoire dont le développement transforme la cellule infectée en un nouvel organisme, dont la fonction est de fabriquer de nouveaux virions (figure 1.14) (Claverie et Abergel, 2016 ; Forterre, 2010). Bien plus que le simple plan de la boîte qui le transporte, le génome d’un virus est donc aussi le plan d’une partie de l’usine qui le fabrique. On voit alors que le processus intracellulaire déclenché par l’ensemencement (l’infection) d’une cellule par un virion pour aboutir à leur multiplication a toutes les propriétés d’un micro-organisme vivant, telle une plante produisant de multiples copies de la graine qui lui a donné naissance. Grâce à la découverte inopinée des virus géants, et à la résolution du paradoxe qu’ils semblaient constituer, la définition historique des virus en tant que particules invisibles, inertes et fi ltrantes peut être remplacée par celle d’un micro-organisme qui a toutes les propriétés du vivant, tout en restant fondamentalement distinct du monde cellulaire. Pour de nombreux chercheurs, les virus petits ou géants, sont donc bien vivants ! D’autres situations de symbiose ou de parasitisme très anciennes reflètent également notre difficulté à définir clairement la notion 4. Si l’on veut bien oublier, le temps de cet argument, l’existence de bizarreries comme certaines amibes (amoeba dubia) dont le génome, gonflé de répétitions, peut atteindre 200 fois la taille de celui de l’espèce humaine ! 79

Étonnant vivant

d’organisme vivant. Par exemple, si tous les biologistes sont d’accord pour dire qu’une bactérie parasite intracellulaire est vivante (McCutcheon et Moran, 2011), les mêmes sont en général d’accord pour dire qu’une mitochondrie, organite* cellulaire qui dérive de la première, n’est pas vivante. Or, dans le processus évolutif qui a conduit de la bactérie intracellulaire à la mitochondrie, il n’est pas possible de dire à quel moment nous sommes passés du vivant au non vivant. On peut dire la même chose d’un virus, lorsqu’il s’intégre dans le chromosome d’une cellule ; s’agit-il toujours d’un être vivant ? Ces dernières années, cette question – définir le vivant – n’intéresse plus seulement quelques biologistes, mais aussi de nombreux philosophes, particulièrement en France, qui ont entrepris d’étroites collaborations avec les microbiologistes pour se pencher sur ces questions fondamentales (Pradeu et al., 2016).

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D e u x i è m e

c h a p i t r e

L’histoire du vivant

Étonnant vivant

L

’idée que le vivant puisse avoir une « histoire » ne va pas de soi. Jusqu’à la publication de De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle par Darwin en 1859, cette notion était même difficilement concevable. Il est donc remarquable de constater qu’à la fin du xxe  siècle, après seulement 150  ans d’avancées scientifiques, le domaine des sciences de l’évolution a réussi à faire la jonction entre les théories de Darwin et les mécanismes moléculaires de l’hérédité. Aujourd’hui, les révolutions technologiques récentes leur insufflent une nouvelle dynamique, en particulier en accélérant considérablement notre capacité à séquencer* l’ADN* des organismes vivants ou disparus, et à interpréter la signification de ces informations. Un changement d’échelle majeur est ainsi en train de s’opérer dans notre compréhension de l’histoire du vivant et des mécanismes évolutifs mis en œuvre. Les  grandes questions qui stimulent la curiosité des chercheurs prennent aujourd’hui des directions et des dimensions surprenantes et imprévisibles il y a peu de temps encore.

Avant de décrire ces avancées et ces questions, il est important de se demander quelle est la place des sciences de l’évolution dans la biologie du xxie siècle. Pourquoi étudier le passé quand on s’intéresse principalement au présent ? En fait, ce serait comme essayer de comprendre la physique des particules sans étudier l’origine de l’univers depuis le Big Bang, ou comme diriger un pays sans en connaître l’histoire. Comme l’a si bien dit Theodosius Dobzhansky, l’un des maîtres d’œuvre de la théorie synthétique de l’évolution, dans un essai datant de 1973 : « rien en biologie n’a de sens, si ce n’est à la lumière de l’évolution ». Pourquoi ? Eh bien simplement parce que la biologie est intrinsèquement une science « historique », ce que les biologistes eux-mêmes oublient parfois… Penchés sur des éprouvettes ou des boîtes de culture, ou l’œil rivé sur un microscope, il n’est pas toujours facile de garder à l’esprit que tous les phénomènes biologiques que l’on observe, sans exception, découlent d’un processus évolutif. Ainsi, si l’expérience en laboratoire 84

L’histoire du vivant

ou en milieu naturel permet d’expliquer comment les molécules, les cellules ou les organismes réagissent et interagissent, les sciences de l’évolution possèdent la capacité d’expliquer pourquoi ces phénomènes sont tels qu’on les observe. Comme l’a résumé Sydney Brenner, prix Nobel en 2002 pour ses travaux en génétique et biologie du développement*, « Il faut bien garder à l’esprit que si les mathématiques sont le domaine de la perfection et la physique celui de l’optimal, la biologie, à cause de l’évolution, est seulement le domaine du compromis ». Loin de porter un jugement de valeur sur sa propre discipline, sa phrase illustre l’idée que l’évolution, par la nature aléatoire des mutations, ne procède pas selon des mécanismes simplement déterministes. L’émergence de nouvelles formes ou de nouvelles fonctions biologiques dans le monde vivant sont plutôt des compromis résultant de la conjonction de mutations aléatoires et de pressions de sélection complexes induites par le climat, la prédation*, les pathogènes, face à la nécessité de survivre et de transmettre son matériel génétique à sa descendance. Aujourd’hui, après 150  ans d’allers-retours entre formalismes mathématiques et données expérimentales, nous comprenons qu’il existe des règles qui régissent l’évolution du vivant, et qu’elles peuvent être décrites par des modèles mathématiques. Si la discipline des sciences de l’évolution est encore jeune, elle constitue néanmoins un domaine incontournable pour comprendre le vivant, à travers son histoire. En physique, grâce à des équations, il est possible de prédire l’existence d’une particule bien longtemps avant sa découverte, ou la trajectoire passée et future d’un astéroïde. De manière analogue en biologie, l’évolution représente un cadre théorique puissant pour prédire l’existence d’un gène bien avant que le génome* qui le contient soit séquencé*, ou la « trajectoire » d’une espèce et de groupes d’espèces au cours du temps. Nous allons tenter de cerner quelques grandes transitions conceptuelles qui se sont produites entre la fin du xxe et le début du xxie siècle. 85

Étonnant vivant

Alimentées par des avancées spectaculaires dans le domaine du séquençage de l’ADN, ces transitions ouvrent la porte à des questions fascinantes. Ainsi venons-nous de découvrir que l’arbre du vivant, qui décrit les relations généalogiques entre les espèces, est beaucoup plus dense qu’on ne le pensait, et n’est même pas vraiment un arbre. Nous comprenons beaucoup mieux les mécanismes moléculaires qui entrent en jeu lorsque l’évolution « bricole » des innovations. Nous avons également considérablement modifié l’échelle des questions qui se posent, en allant du microscopique aux millions voire aux milliards d’individus. Contrairement aux idées reçues, il est maintenant possible de « voir » l’évolution en action et de reproduire en milieu naturel ou au laboratoire des phénomènes évolutifs. Enfin, on peut se demander dans quelle mesure l’homme est capable d’influencer, de manière volontaire ou non, l’évolution d’une espèce, y compris la sienne.

1 Qu’est-ce que l’arbre de la vie ?

L

’a rbre de la vie est une représentation conceptuelle de la diversité des espèces biologiques et de leurs relations de parenté. Tout comme une généalogie retrace l’histoire d’une famille, l’arbre de la vie nous éclaire sur l’histoire du vivant. Pour le reconstruire, il faut trouver des caractéristiques partagées par toutes les espèces, c’est-à-dire les « feuilles » de l’arbre. Ainsi, les premiers essais d’arbres étaient basés sur des critères morphologiques, dont l’évolution pouvait être suivie dans les fossiles. Mais dès que l’on a voulu intégrer dans le même arbre des bactéries* et des organismes de grande taille, comme les plantes et les animaux, il devint bien difficile de leur trouver des critères de forme communs ! Heureusement, depuis les années 1960, l’utilisation de séquences d’ADN partagées par l’ensemble des espèces a permis d’établir des relations de parenté entre tous les organismes vivants, et 86

L’histoire du vivant

donc la reconstruction d’un véritable arbre universel. Les virus et autres éléments moléculaires parasites du vivant, bien qu’étant extraordinairement divers et importants pour l’évolution des cellules qu’ils infectent, ne partagent aucune séquence d’ADN avec le reste du monde vivant. Leur origine et leurs potentielles relations de parenté avec ce monde vivant demeurent encore très mystérieuses. La reconstruction de l’arbre du vivant nécessite des méthodologies sophistiquées, qui reposent sur des approches statistiques robustes et sur un échantillonnage biologique le plus large possible, idéalement de toutes les lignées d’organismes. C’est pourquoi l’amélioration des méthodes et, surtout, l’exploration de la diversité biologique, sont essentielles. Au cours des dernières décennies, la recherche sur ces deux aspects a conduit à des changements majeurs dans notre perception de l’arbre du vivant et de sa diversité dont il indique les relations. Vers un nouvel arbre de la vie Jusqu’à la première moitié du xxe siècle, la vision de l’histoire de la vie était considérée comme graduelle et centrée sur l’humain (figure 2.1). Les bactéries étaient vues comme des organismes simples et primitifs, à partir desquels dérivaient des organismes toujours unicellulaires mais plus complexes, qui à leur tour étaient à l’origine des organismes multicellulaires dits « supérieurs », champignons, animaux et plantes. Comment en est-on arrivé à réviser de fond en comble cette représentation pour aboutir à une vision plus complète et objective ?

Un véritable changement de paradigme s’est opéré au cours des dernières décennies grâce à l’utilisation de données moléculaires pour reconstruire l’arbre du vivant. Les tout premiers arbres étaient basés sur la comparaison de gènes hérités par tous les organismes vivants à partir d’un ancêtre commun. Ceci permettait d’y inclure une large diversité d’organismes, en allant des bactéries aux animaux et aux plantes. 87

Étonnant vivant

Avant les années 1980

Plantes

Eucaryotes unicellulaires

Bactéries

Chimie prébiotique

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XXI

Ba

Animaux

Changement dans la conception de l’évolution du vivant au cours de la transition entre le XXe et le XXIe siècle. Certains événements importants dans l’histoire de la vie sur Terre sont indiqués sur l’échelle de temps. Les grands groupes d’organismes sont indiqués par des couleurs différentes : bactéries en bleu, archées en orange, eucaryotes en violet, qui comprennent les organismes photosynthétiques (dont les plantes en vert), les champignons (marron) et les animaux (violet foncé). Dans la conception récente (XXIe siècle), on retrouve les plantes, les champignons et les animaux à une place beaucoup plus modeste parmi les eucaryotes. Les eucaryotes sont nés de la fusion de cellules archées et bactéries, ces dernières ont produit la mitochondrie* de la cellule eucaryote. Chez les organismes photosynthétiques (plantes, algues), les cellules eucaryotes ont intégré une deuxième bactérie capable de réaliser la photosynthèse. Celle-ci génère le chloroplaste* caractéristique des cellules végétales. Des lignées hypothétiques complètement éteintes sont indiquées en gris. Le cercle LUCA (Last Universal Common Ancestor) représente la position du dernier ancêtre commun à l’ensemble des organismes actuels. Les flèches horizontales indiquent l’hypothèse de transfert d’ADN ou de cellules à partir de lignées éteintes issues de départs de vie indépendants de celui qui a finalement pris le dessus et dont nous sommes issus.

Champignons

Fig. 2.1

L’histoire du vivant

siècle

Eucaryotes

Archées 0

Apparition du genre Homo

0,5

Biominéralisation contrôlée de carbonates: coquilles, etc. Explosion Cambrienne (grande diversification animale)

(milliards d’années avant le présent)

1,0

Temps

ctéries

LUCA

1,5

Bangiomorpha (algues rouges)

Fossiles d'organismes multicellulaires ( macroalgues ?) Plus anciens fossiles d'eucaryotes microbiens

2,0

Fossiles du Gabon (interprétation débattue)

2,5 Oxygénation de l'atmosphère

Stromatolites fossiles massifs 3,0 (cyanobactéries probables)

3,5 Plus anciens stromatolites fossiles (tapis microbiens fossiles) Traces isotopiques de vie 4,0 (sujettes à controverse)

ChimiĞƉƌĠďŝŽƟƋƵĞ

Océans et continents 4,5

89

Formation de la Terre

Étonnant vivant

Ces  arbres dits « universels » ont révélé l’existence de trois grands groupes ou domaines d’organismes : les eucaryotes* (qui comprennent les animaux, les plantes et les champignons mais aussi des lignées d’organismes microscopiques), les bactéries, et un troisième groupe, également microbien, les archées*, qui ressemblent superficiellement aux bactéries mais dont le fonctionnement moléculaire ressemble davantage aux eucaryotes (figure 2.1 et 2.2). En reconstruisant ce « nouvel » arbre, on situe et on comprend mieux l’origine des eucaryotes, qui résultent d’une symbiose* intime entre deux organismes unicellulaires, l’un s’étant établi à l’intérieur de l’autre. On sait aujourd’hui que cet invité, qu’on appelle la mitochondrie et qui assure la source principale d’énergie à la cellule, est apparenté aux bactéries. Elle est aujourd’hui présente dans la quasi-totalité des cellules des organismes eucaryotes, des neurones et des globules blancs de l’homme aux cellules chlorophylliennes des plantes. L’hôte de cette mitochondrie, quant à lui, était plus vraisemblablement apparenté à une archée. Ainsi, cet événement apparaît dans l’arbre du vivant (figure 2.1) comme la fusion de deux lignées distantes. Les méthodes moléculaires ont également permis d’explorer la diversité des espèces microbiennes, dont la plupart ne sont pas cultivables en laboratoire, dans des écosystèmes très variés : de l’océan jusqu’aux sols, de l’intestin humain aux environnements les plus extrêmes sur Terre. On compte aujourd’hui des millions de séquences de gènes qui proviennent des génomes complètement séquencés de plus de 6 000  espèces de bactéries, 500  espèces d’archées et 500  espèces d’eucaryotes. Si elles confirment bien l’existence de ces trois domaines du vivant, les données de séquençage ont aussi dévoilé l’étendue de la diversité microbienne, incroyablement sous-estimée jusqu’à aujourd’hui (figure  2.3). Ainsi, plus de la moitié des nouvelles séquences de bactéries et d’archées déposées dans les banques de données publiques chaque année correspondent à de nouvelles « espèces », voire à de nouvelles lignées. 90

L’histoire du vivant

a

b

Fig. 2.2 Observation en microscopie électronique à balayage de cellules des trois groupes du vivant, archées, bactéries et eucaryotes. a. Micrographie colorisée d’une archée, Sulfolobus sp.. Les archées sont des micro-organismes unicellulaires procaryotes, c’est-à-dire dépourvus de noyau et de compartiments membranaires comme les bactéries. c Elles ont en général la même taille qu’une bactérie (de 1 à 5 microns). Mais elles possèdent des caractéristiques partagées avec les eucaryotes (comme l’organisation de leur génome) et d’autres qui leurs sont propres. Sulfolobus sp. est un organisme extrêmophile que l’on trouve dans les sources chaudes, acides et riches en sulfure. Sa température optimale de croissance est 80 °C (photo Eye of Science / Science photo library). b. Micrographie colorisée d’une bactérie, Escherichia coli. E. coli est une bactérie en forme de bâtonnet de 0,5 à 3 microns de long, qui est naturellement présente dans la flore intestinale de l’homme. La structure en forme de cheveu est un flagelle qui assure la mobilité de la bactérie. Comme toutes les bactéries, elle ne possède pas de noyau ni d’autres compartiments membranaires (photo Steve Gschmeisser / Science photo library). c. Micrographie colorisée d’une cellule eucaryote, ici une cellule dendritique humaine. Les cellules dendritiques sont des cellules du système immunitaire de grande taille présentes dans différents tissus de l’organisme (20 à 30 microns). Comme toute cellule eucaryote, les cellules dendritiques possèdent un noyau et d’autres compartiments membranaires (mitochondries, reticulum endoplasmique, appareil de Golgi, etc). Les longues extensions propres à la cellule dendritique lui permettent de se déplacer. Les cellules dendritiques reconnaissent et « dévorent » les cellules et les protéines (antigènes) reconnues comme étrangères pour ensuite exposer à leur surface les antigènes afin d’alerter les autres cellules immunitaires de l’infection (photo Dennis Kunkel Microscopy / Science photo library).

91

Étonnant vivant

Cette diversité nous force aussi à nous interroger sur le concept d’espèce. En effet, les définitions classiques basées sur la ressemblance morphologique entre individus ou sur leur interfécondité, qui ont conduit à un catalogue d’environ 1,5  millions d’espèces animales et environ 270 000 espèces de plantes, n’est pas applicable à la plupart des micro-organismes. Les espèces microbiennes sont définies en fonction du niveau de similarité de certains gènes. Or, si on appliquait aux animaux le critère communément utilisé pour délimiter des « espèces » microbiennes, la quasi-totalité des espèces classiques de mammifères ne formerait qu’une seule espèce ! Les bactéries et les archées sont des espèces microbiennes, relativement simples morphologiquement, mais qui possèdent une incroyable diversité métabolique, capables de tirer leur énergie de substrats multiples, organiques et inorganiques, et de transformer de façon variée la matière organique. Les eucaryotes, eux, sont plus homogènes quant à leurs sources d’énergie, mais beaucoup plus diversifiés morphologiquement. L’expédition TARA Océans (2009-2013) visant à recenser la biodiversité des micro-organismes marins a confirmé, à partir de l’analyse du seul plancton* que la plus grande diversité d’eucaryotes correspond à celle des lignées unicellulaires. Les animaux et les plantes, avec toute leur apparente diversité, ne représentent finalement qu’une petite fraction de la diversité biologique terrestre. Ceci n’est pas étonnant si l’on réalise que pendant la plus grande partie de l’histoire de la vie sur Terre, entre son origine il y a plus de 3,7 milliards d’années et l’explosion cambrienne qui a vu la première grande diversification des animaux il y a environ 600  millions d’années, la vie était essentiellement microbienne. Plus de trois milliards d’années donc, qui ont représenté un temps évolutif fabuleux pour la diversification des lignées microbiennes avant que les organismes pluricellulaires, ancêtres des animaux actuels, n’apparaissent. L’origine de la multicellularité est d’ailleurs multiple, comme en témoigne l’existence d’organismes 92

L’histoire du vivant

caryotes u E Excavata Amoebozoa

Opisthokonta

Alveolata

Stramenopiles

Rhizaria

Anim aux Plantes nons Champig

Archaeplastida

Archées

éries Bact

Proteoarchaeota (TACKL)

Euryarchaeota

Fig. 2.3 Représentation schématique de l’arbre du vivant. On reconnaît trois domaines d’organismes : les archées, les bactéries et les eucaryotes. La longueur des branches représente la distance évolutive approximative entre groupes d’organismes.

multicellulaires appartenant à des lignées très éloignées (animaux, plantes, champignons, laminaires, algues rouges, etc.). Rien n’interdit de penser qu’il y ait eu des essais de passage à la multicellularité dans le passé plus lointain, une question soulevée par les fameux fossiles du Gabon (El  Albani et al., 2010), vieux de 2,1  milliards d’années (voir chapitre 1).

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Étonnant vivant

Quand les gènes sautent de branche en branche Pendant longtemps, la vision conventionnelle de la transmission des gènes stipulait que celle-ci suivait les branches de l’arbre de la vie, sans coup férir. Mais les développements des technologies de séquençage d’ADN ont permis d’avoir accès à de nombreux génomes d’organismes et de communautés microbiennes naturelles (métagénomes*). Leur analyse a mené à revoir cette vision trop simpliste : en fait les gènes peuvent « sauter » d’une branche à l’autre, individuellement ou en groupe. Ce flux de gènes entre espèces, c’est-à-dire le fait que des gènes soient transférés d’un organisme à un autre, même d’espèces différentes, est important et s’observe à différents niveaux de résolution de l’arbre de la vie.

Dans le monde microbien, le transfert de gènes semble si important, y compris entre organismes aussi éloignés qu’archées et bactéries, que certaines visions extrêmes évoquent l’idée d’une évolution réticulée de gènes, issue d’hybridations entre espèces, illustrée par un schéma en réseau plutôt qu’un arbre généalogique, qui rendrait impossible la reconstruction d’un arbre de la vie. Il semble néanmoins possible d’établir un arbre des espèces en utilisant des gènes du métabolisme* cellulaire de base, moins sujets aux transferts. A contrario, quels seraient les gènes qui affectionnent ces « sauts » au-delà de la barrière des espèces ? Ce sont souvent les gènes qui peuvent présenter un avantage sélectif immédiat. Ainsi, le gène de la protéorhodopsine, une protéine de membrane cellulaire qui permet aux cellules d’obtenir davantage d’énergie à partir de la lumière, est l’un des gènes les plus fréquemment transféré entre différents groupes d’archées et de bactéries marines. Les eucaryotes subissent eux aussi le transfert de gènes. Comme dans l’exemple de la protéorhodopsine, cela peut être lié à l’acquisition d’une fonction avantageuse. Une équipe de biologistes de Toulon a ainsi montré que les pucerons du pois, qui ont intégré dans leur génome des gènes de champignons permettant la synthèse de caroténoïdes, pourraient être les seuls animaux connus capables de générer de l’énergie à partir de lumière 94

L’histoire du vivant

(Valmalette et al., 2012) ! Mais le transfert de gène peut également être à l’origine d’innovations biologiques majeures, comme l’invention du placenta chez les mammifères (voir paragraphe « Des nouveautés par transfert de gènes d’une espèce à une autre », p. 103). Mais qui est Homo sapiens ? L’étude de l’évolution humaine illustre bien la complexité de l’arbre du vivant. Quand Carl von Linné classa l’homme dans l’espèce Homo sapiens au xviiie siècle, il n’avait pas besoin de se poser la question de la définition d’une sous-espèce humaine. À cette époque on pouvait considérer que les hommes modernes étaient les seuls

Fig. 2.4 Partie de l’arbre du vivant représentant l’évolution des lignées humaines. Les flèches colorées indiquent les événements de métissage démontrés (traits pleins) et probables (trait pointillé) entre les trois lignées connues que sont les hommes actuels, les Néandertaliens et les Denisoviens (figure modifiée d’après Prüfer et al., 2014).

95

Étonnant vivant

représentants des Homo sapiens existant ou ayant existé sur la terre. Lorsque Néandertal fut reconnu scientifiquement en 1856, il fut rapidement classé comme une autre espèce : Homo neanderthalensis. Récemment encore, les résultats obtenus en génétique des populations à la fin du xxe siècle ainsi que les divers travaux sur les Néandertaliens portant sur les causes de leurs différences morphologiques avec les hommes anatomiquement modernes, ont soutenu l’idée que Homo sapiens était synonyme d’homme « moderne » au sens anatomique du terme. Les restes de Néandertaliens sont actuellement les fossiles humains, autres que ceux appartenant à l’homme moderne, les mieux connus et les plus nombreux : des centaines d’ossements, de dents, et plusieurs squelettes d’adultes ou de sujets immatures ont été trouvés. Or certains de ces vestiges contiennent encore de l’ADN, et le séquençage du génome d’Homo neanderthalensis a sérieusement remis en cause cette vision simple de deux lignées sapiens et neanderthalensis bien séparées. Lorsque l’ADN de Néandertal fut comparé à celui de différentes populations humaines modernes, il fallut se rendre à l’évidence : près de 2 % du génome des populations européenne, asiatique et mélanésienne a hérité d’anciens épisodes de métissage avec des néandertaliens (Prufer et al., 2014 ; Kuhlwilm et al., 2016) ! Cette proportion monte même à environ 10 % si l’on examine des ADN anciens de très vieux fossiles humains trouvés en Roumanie (-36 000 ans, Fu et al., 2015) et en Sibérie occidentale (-54 000 ans, Fu et al., 2014). Il est donc désormais établi que notre lignée ancestrale n’a pas été totalement isolée génétiquement de celle de Néandertal (figure 2.4). Comme ces derniers étaient capables de se reproduire avec nos ancêtres, il faudrait peut-être considérer qu’ils faisaient partie de la même espèce ! Autre découverte récente qui s’inscrit dans la droite ligne de ces métissages : celles d’un troisième homme, l’homme de Denisova, lui aussi impliqué dans les métissages avec les homininés de son époque, Néandertal et Homo sapiens (figure 2.4). 96

L’histoire du vivant

Les mathématiques comme machine à remonter le temps Reconstruire l’arbre de la vie s’apparente réellement à une expédition dans le passé. Au cours de ce voyage vers nos origines, la robustesse des reconstructions dépend de la quantité et de la qualité des données bien sûr, mais aussi de la rigueur méthodologique employée pour les analyser. Les données moléculaires (séquences d’ADN ou de protéines) les plus utilisées pour comparer les espèces et reconstruire l’arbre sont très complexes et volumineuses. L’informatique et les mathématiques sont indispensables pour analyser ces informations.

Par exemple, les reconstructions réalisées à partir des espèces actuelles donnent une vision partielle de l’histoire du vivant : il manque toutes les branches qui n’ont pas laissé de descendants. Les mathématiques entrent alors en jeu pour nous aider à combler les trous. On peut calculer les probabilités d’observer le monde vivant tel qu’il se présente autour de nous, à partir de plusieurs scénarios évolutifs représentés par différents modèles mathématiques. Et on peut donc trouver les scénarios les plus probables étant donné ce que l’on observe. Cette approche par la modélisation permet de comprendre les dynamiques d’apparition et d’extinction des espèces sur des millions d’années, ou encore, combinée aux mesures réalisées sur des espèces observées aujourd’hui (par exemple la taille de leur corps, la couleur de leur plumage, la forme de leurs dents, ou la disposition de leurs pièces florales ou de leurs feuilles), les dynamiques d’évolution de la diversité des formes (figure 2.5). Et maintenant, quels défis ? Comme on l’a vu, l’arbre de la vie est bien plus qu’une représentation figurative des relations entre espèces passées et présentes. Il est en réalité indispensable pour comprendre les processus, échelonnés sur des millions d’années, qui ont façonné la biodiversité telle qu’on la voit autour de nous aujourd’hui. De nombreuses questions fondamentales se posent à 97

Étonnant vivant

Fig. 2. 5 Évolution de la diversité des formes. En ajustant des modèles d’évolution à des parties de l’arbre du vivant, comme ici l’arbre des Vanga (a) – un groupe d’oiseaux de Madagascar s’étant diversifié très rapidement –, on peut estimer comment la vitesse de formation des espèces (spéciation) du groupe a varié au cours de son histoire (b) ; si on dispose de plus de données écologiques sur les espèces actuelles, telles que sur leur morphologie, leur comportement, ou encore leur régime alimentaire, on peut estimer comment la vitesse d’évolution de ces formes a varié au cours de l’histoire du groupe (c). Ceci permet d’étudier l’histoire évolutive du groupe, et en particulier de comprendre l’origine de la diversité d’espèces et de formes que l’on observe autour de nous aujourd’hui (Reddy S. et al. / Royal Society / H. Morlon et D. Moen).

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L’histoire du vivant

l’heure où les progrès des techniques de séquençage de l’ADN accélèrent le rythme auquel nous sommes capables de trouver des réponses. Quand est apparue la lignée humaine ? Jusqu’au début des années 2000, la majorité des spécialistes considéraient que la séparation entre la lignée humaine et celle des chimpanzés, nos plus proches cousins vivants, devait remonter à près de 5  millions d’années. Cette date était d’ailleurs assez souvent utilisée par les généticiens des populations pour caler leur horloge moléculaire. Mais deux équipes françaises ont fait des découvertes qui ont pratiquement doublé cette ancienneté. La première a lieu en 2000 au Kenya (site de Kapsomin), où ont été retrouvés des éléments crâniens et infra-crâniens. Le fossile est dénommé Orrorin tugenensis (Senut et al., 2001) et surnommé le Millenium ancestor. Il est âgé de près de 6  millions d’années. La morphologie de son fémur démontre sa bipédie et le rattache donc aux Homininés*. La seconde correspond à la découverte en 2001 du Sahelanthropus tchadensis –  surnommé Toumaï (Brunet et al., 2002) – découvert à l’ouest du rift africain au Tchad (site de Toros-Menalla). Il est âgé de près de 7  millions d’années (Lebatard et  al., 2008), et la reconstruction virtuelle de sa boîte crânienne a permis de discuter sa locomotion bipède. En raison de ces nouvelles découvertes, on considère maintenant que la séparation entre la lignée humaine et celle des chimpanzés daterait de près de 10  millions d’années. Mais restent à trouver les fossiles d’Homininés de cette période… Quelle est l’origine des plantes à fleurs ? Les plantes à fleurs ou angiospermes dominent aujourd’hui la flore terrestre en nombre d’espèces et elles nous fournissent la majorité de notre nourriture ou des molécules à la base de nombreux médicaments. Elles n’ont pourtant pas toujours existé et Darwin notait que leur origine, il y a environ 130-150  millions d’années et leur diversification très rapide est un « abominable mystère ». C’est encore le cas aujourd’hui, mais on commence à y voir plus clair. La phylogénie des angiospermes et de son groupe frère, les 99

Étonnant vivant

gymnospermes comprenant par exemple les conifères et le ginkgo, s’est affinée. On connaît les régulateurs clés du développement des fleurs et on peut étudier ce qui distingue les angiospermes des autres plantes. On a trouvé des gènes qui n’existent que chez les plantes à fleurs, qui sont essentiels pour la formation des pétales et qui sont nés d’une duplication de gènes impliqués dans la formation des cônes des gymnospermes. Cet événement constitue très vraisemblablement une partie de la réponse au mystère de Darwin. Y a-t-il de nouvelles lignées à découvrir ? Que ce soit à partir de cellules, d’organismes, de communautés d’espèces complexes ou même des cellules d’organismes multicellulaires, il est possible d’explorer la diversité du vivant à une échelle insoupçonnée. On s’attend à ce que de nouvelles lignées divergentes soient identifiées à l’intérieur des trois domaines du vivant déjà connus, surtout dans des environnements encore peu explorés comme le dessous de la surface terrestre ou l’intérieur des sédiments des systèmes marins et d’eau douce (voir chapitre  1). Ces découvertes pourront contribuer à affiner l’arbre de la vie et la reconstruction de l’histoire évolutive du vivant. Quelle est l’origine des eucaryotes ? Pendant très longtemps, cette transition, majeure pour l’évolution, est restée difficilement abordable et a été la source de controverses qui semblaient condamnées à rester dans le domaine de la spéculation. Si l’origine bactérienne de la mitochondrie semble bien établie, la nature exacte de son hôte est âprement débattue. La découverte de nouvelles lignées d’archées, notamment des Lokiarchaeota qui semblent plus proches des eucaryotes qu’aucun organisme connu jusqu’alors, jette une lumière nouvelle sur cette question fondamentale : l’hôte qui a hébergé la bactérie qui deviendra mitochondrie était probablement une archée. Quand, où et comment est apparue la vie ? Même si l’origine de la vie reste encore énigmatique, des progrès multidisciplinaires permettent de 100

L’histoire du vivant

proposer des explications sur la transition non-vivant/vivant (voir chapitre  1). D’une part, l’astrophysique, l’astrochimie, la chimie prébiotique et la géologie nous renseignent de mieux en mieux sur la chimie organique dans l’Univers, sur les interactions moléculaires et sur les conditions de la Terre primitive au moment où la vie est apparue. D’autre part, la biologie peut, par le biais de la reconstruction de l’arbre du vivant, reconstruire l’histoire biologique passée. Comment les trois éléments essentiels à la vie d’une cellule que sont le métabolisme, un système génétique et un compartiment membranaire se sont-ils associés ? Est-ce que la vie est née à haute température dans des systèmes hydrothermaux en eau salée ou plutôt dans des mares d’eau douce tièdes en surface comme le supposait Darwin ? Est-ce que la vie est un évènement rare, extrêmement aléatoire ou peut-on espérer la trouver dans des exoplanètes* ayant des conditions physico-chimiques compatibles avec les limites connues pour la vie terrestre ? Pourra-t-on recréer la vie dans un tube à essai ? Des avancées spectaculaires sont à prévoir dans ce domaine en pleine effervescence.

L’évolution : le grand laboratoire

2 de l’innovation biologique

L

e monde vivant est caractérisé par une multitude d’espèces ayant acquis la capacité de survivre dans différents milieux, des eaux brûlantes ou glaciales, en altitude ou dans les abysses. La diversité se manifeste également dans les formes et les couleurs des animaux et des plantes (figure 2.6), dans le ballet précis des groupes d’oiseaux ou d’insectes sociaux. Ce foisonnement infini de diversité est le résultat d’innovations apparues au cours de l’histoire du vivant. La théorie darwinienne de l’évolution a fourni un cadre expliquant pourquoi les organismes porteurs d’innovations bénéfiques étaient mieux adaptés 101

Étonnant vivant

Fig. 2.6 Diversité des formes et couleurs florales. a. Aconitum napellus (Ranunculaceae), b. Adonis vernalis (Ranunculaceae), c. Tropaeolum tuberosum (Tropaeolaceae), d. Kunzia ericoideae (Myrtaceae), e. Passiflora coerulea (Passifloraceae), f. Geranium robertianum (Geraniaceae) (photos Sophie Nadot).

à leur environnement et avaient plus de chance de survivre et de se reproduire que les autres. Cependant, les mécanismes à l’origine de ces innovations sont longtemps restés mystérieux. La compréhension au xxe  siècle des lois de l’hérédité et du fonctionnement des gènes, porteurs de l’information héréditaire, a permis d’explorer de quelle manière des innovations complexes sont continuellement apparues dans le monde vivant. Les génomes portent la mémoire de l’histoire du vivant. Aujourd’hui leur séquençage nous renseigne sur l’étendue des mondes biologiques qui restent à explorer. Le décryptage du contenu de ces génomes, qui n’a fait que soulever un coin du voile des secrets du vivant, a déjà révélé une diversité insoupçonnée de mécanismes générateurs d’innovations dans le vivant. 102

L’histoire du vivant

La duplication des gènes comme source d’innovations À présent que l’on peut lire la séquence complète des génomes, on mesure mieux la dynamique d’apparition de nouveaux gènes, et leurs contributions à l’évolution. Des gènes peuvent apparaître par duplication de gènes existants, comme des nouveaux mots apparaîtraient dans une phrase par duplication d’un mot. Et ces nouvelles copies peuvent subir d’autres mutations, des changements des lettres qui les composent, et ainsi donner naissance à de nouvelles fonctionnalités. Par exemple, la capacité à voir les rayons ultra-violets (UV) chez les animaux a évolué à plusieurs reprises, dans de très nombreux groupes, suite à des duplications de gènes. Les molécules sensibles aux différentes longueurs d’ondes de la lumière sont codées par les gènes d’opsines. Au cours de l’évolution, des duplications des gènes d’opsines sont survenues, par hasard, suivies de modifications de séquences des nouvelles copies. Suite à ces changements, certaines opsines se sont trouvées sensibles aux UV, élargissant ainsi le répertoire de sensibilité visuelle des espèces concernées. De  même la vision trichromatique des couleurs, telle que présente dans notre espèce, est apparue chez certains primates par duplication et modification ultérieure des gènes d’opsines. De manière plus générale, les duplications de gènes fournissent très souvent le substrat génétique « de base » pour l’apparition de nouvelles fonctionnalités. Des nouveautés par transfert de gènes d’une espèce à une autre Comme nous l’avons déjà dit à propos de l’arbre du vivant, de nouveaux gènes peuvent également apparaître dans le génome d’une espèce par transfert de gènes à partir d’une autre espèce, de la même façon que des mots peuvent passer d’une langue à une autre. Par exemple, des gènes de virus peuvent intégrer de façon stable le génome des hôtes qu’ils infectent, et si la plupart de ces insertions disparaissent avec la mort de l’hôte, il arrive que certains virus infectent les cellules reproductrices, 103

Étonnant vivant

et y insèrent leurs gènes. Ces nouveaux gènes font dès lors partie du génome de l’hôte, sont transmis aux nouvelles générations et peuvent donner naissance à des innovations. Une illustration frappante de ce phénomène a été découverte par des biologistes français. Très tôt au cours de l’évolution des mammifères, une innovation majeure est apparue, le placenta, qui permet les échanges entre la mère et son fœtus. La formation du placenta est rendue possible par des molécules, les syncytines, qui empêchent le système immunitaire de la mère de rejeter le fœtus, reconnu comme un corps étranger (voir chapitre  4). Ces syncytines sont en fait d’origine virale ; elles permettent aux virus de passer relativement inaperçu du système immunitaire de l’hôte qu’ils infectent. En exploitant cette fonction virale, le transfert des gènes de syncytines du génome de virus vers le génome de mammifères primitifs, a facilité la survie du fœtus dans le ventre de sa mère et contribué à l’apparition du placenta. Cette innovation évolutive majeure, qui a rendue inutile la coquille isolant l’embryon, a donc une origine virale ! Faire du neuf avec du vieux Jusqu’aux années 1970-1980, on pensait que les innovations évolutives résultaient le plus souvent de l’apparition de nouveaux gènes, ou de changements dans la fonction des protéines (les produits des gènes). Or s’il est certain que les nouveaux gènes et les changements de protéines sont des sources de nouveautés, comme on vient de le voir, on réalise depuis peu que d’autres types de changements sont également essentiels et parfois plus rapides. Ces changements ne concernent pas tant les gènes en eux-mêmes (et donc leurs produits) mais plutôt la régulation de leur activité. De la même manière que chaque musicien d’un orchestre suit les directives du chef d’orchestre pour jouer en harmonie, l’activation de chaque gène du génome est régulée pour éviter les cacophonies. Cette régulation dicte où, quand, dans quelles situations et dans quel organe chaque gène est actif. Ainsi, chez les animaux et les plantes, on observe que des changements de formes anatomiques 104

L’histoire du vivant

Fig. 2.7 Fleurs d’Orchidées. a. Ophrys apifera ou ophrys abeille, dont le labelle mime le corps d’une abeille femelle, b. Orchis militaris ou orchis guerrier : la partie supérieure de la fleur est en forme de casque militaire et le labelle orné de points rose vif est anthropomorphique, c. Cypripedium calceolus ou sabot de vénus, dont la forme de la fleur évoque celle d’un sabot jaune (photos Sophie Nadot).

ou de couleurs sont souvent dus à des changements dans la régulation de certains gènes. Des innovations majeures comme les membres puis les doigts des vertébrés sont apparues en modifiant la régulation de gènes impliqués dans la construction du corps de l’embryon. Les changements de régulation agissent également sur des échelles de temps plus courtes, pour modifier les formes entre espèces proches. Par exemple les pétales de certaines orchidées prennent des  formes d’une complexité remarquable qui confèrent à ces fleurs les apparences les plus extravagantes et attirent les insectes pollinisateurs spécialisés (figure  2.7). On comprend désormais que ces formes de fleurs d’orchidées se sont diversifiées suite à des changements dans la régulation des gènes activés pendant la formation des pétales. Ceci a été observé en particulier dans l’ébauche du pétale médian qui formera la lèvre de la fleur, et qui prendra une forme et une couleur très différentes des autres pétales grâce à l’activation spécifique de gènes. Des innovations évolutives peuvent donc apparaître non pas avec de nouveaux gènes ou en changeant les produits des gènes, mais simplement en modifiant la régulation de gènes existants. 105

Étonnant vivant

Cogito ergo sum : évolution de la cognition et de la « conscience » L’émergence de la conscience et de la cognition* (l’aptitude à percevoir, traiter, utiliser l’information) au cours de l’évolution est un grand débat. Un ensemble d’études françaises récentes révèle chez des organismes évolutivement très éloignés le développement de compétences complexes pour répondre aux contraintes de l’environnement, qu’il soit social ou pas. Par exemple, les abeilles, les poissons et les oiseaux appartiennent aux bilatériens, dont le plus ancien représentant connu est un petit ver de 0,2  millimètres de long, qui vivait il y a quelques 575  millions d’années et qui ne devait posséder que quelques neurones. Mais aujourd’hui, les abeilles, les poissons et les oiseaux sont tous capables d’évaluer des nombres (Giurfa, 2013), et cette capacité cognitive a évolué indépendamment dans leurs lignées respectives. Les insectes sont eux capables non seulement de reconnaître les « visages » des autres membres de leur groupe, mais aussi d’apprendre à reconnaître les caractéristiques d’un visage humain (position relative du Fig. 2.8 Les abeilles sont capables d’apprendre à reconnaître un visage humain « typique »

dans des expériences de conditionnement, capacité remarquable quand on considère qu’une abeille dispose d’un million de neurones là où les humains en ont cent milliards et que la reconnaissance de visages occupe une zone entière du cerveau humain !

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L’histoire du vivant

nez, des yeux ou de la bouche ; figure 2.8, Avargues-Weber, 2012). Des seiches semblent capables d’avoir des perceptions de temps et d’espace ( Jozet-Alves, Bertin et Clayton, 2013), et des singes, en modifiant la combinaison des éléments de sons qu’ils émettent, peuvent transmettre une diversité de messages, exemple clair de forme élémentaire de syntaxe (Ouattara, Lemasson et Zuberbuhler, 2009). Comment des fonctions cognitives aussi complexes ont-elles pu apparaître au cours de l’évolution, à plusieurs reprises et dans des cerveaux aussi différents que ceux d’une abeille ou d’un primate humain ou non humain ? Voilà une question qui n’a pas fini de nous occuper ! Il s’agit en tout cas d’un exemple limpide d’évolution par convergence, où des organismes éloignés développent des réponses similaires à des besoins similaires. Les transmissions non génétiques On a longtemps pensé que la transmission culturelle était le propre de l’homme. Pourtant, depuis des décennies, et plus encore ces dernières années, les exemples de transmission d’innovations entre générations ou entre pairs chez l’animal se multiplient. Ainsi des singes captifs ont développé des types de cris totalement nouveaux pour l’espèce, qui « désignent » chacun de leurs interlocuteurs humains et ces cris sont communs aux différents individus d’un même élevage. On observe également chez les mammifères, les oiseaux, et même chez certains céphalopodes (seiches, pieuvres ou calmars), une transmission de la mère à ses petits de traits comportementaux (émotivité, sociabilité et aptitude à s’alimenter) liés à sa propre expérience, récente ou ancienne, ceci ayant des conséquences sur plusieurs générations. Ce type de transmission où l’environnement pré- et/ou postnatal influence la formation des caractères et la personnalité des individus fascine et interroge. Les changements environnementaux et les transmissions culturelles peuvent-ils influencer les génomes et le cours de l’évolution ? Et si oui comment et à quel point ? Ces questions font aujourd’hui partie des grands défis à relever pour la biologie du xxie siècle. 107

Étonnant vivant

Un exemple d’évolution « bio-culturelle » chez l’homme Classiquement, les espèces évoluent en s’adaptant aux changements de l’environnement. Cependant dans certains cas, elles modifient leur environnement, par exemple par leurs pratiques culturelles, et en retour, ce nouvel environnement sélectionne les individus les plus aptes à y vivre. L’évolution de la tolérance au lactose, le sucre du lait, dans les populations humaines est une belle illustration de ce phénomène. Dans la prime enfance, le lait est notre nourriture de base. Mais, dès l’adolescence, comme chez tous les mammifères, la grande majorité des êtres humains le digèrent mal car la lactase, l’enzyme* intestinale qui transforme le lactose en sucres utilisables, devient inefficace ou trop peu abondante. Pourtant, dans différentes régions du monde (Afrique, péninsule Arabique, nord de l’Europe), de nombreux adultes continuent à boire et digérer du lait en grande quantité sans être incommodés. Pourquoi eux et pas les autres ? Parce que dans leurs populations ancestrales pratiquant l’élevage, des mutations aléatoires sont apparues qui maintiennent la production de lactase chez les adultes. Ainsi, ces ancêtres porteurs de mutations ont bénéficié d’un avantage sélectif, qu’ils ont transmis à leurs descendants. De façon remarquable, différentes mutations sont apparues en Europe et en Afrique, soulignant les origines génétiques multiples de ces adaptations alimentaires, sculptées par les pratiques culturelles similaires de ces populations pastorales.

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L’histoire du vivant

De l’évolution au sein des espèces

3 à l’évolution à l’intérieur d’un organisme

S

i nous appréhendons facilement les différences entre des êtres aussi distincts que des champignons, des animaux, des algues ou des plantes, celles présentes au sein d’une espèce sont tout aussi fascinantes : races de chiens ou de chats, variétés de choux… en fait, pour toutes les espèces, dès lors que l’on prend la peine d’y regarder de près, on détecte des différences. Un des objectifs majeurs depuis Darwin est de comprendre l’origine et les mécanismes qui modèlent cette variation visible, et d’évaluer comment elle réagit à la diversité des conditions environnementales rencontrées par l’espèce. En d’autres termes, il s’agit de comprendre comment le vivant s’adapte. Cela apparaît d’autant plus vital que l’homme, par des activités qui transforment massivement les écosystèmes, exerce une sélection forte sur le vivant.

Quelle variation au sein d’une espèce ? Dans une discipline où l’on raisonne traditionnellement sur des ensembles d’individus (populations, espèces), les variations observables entre les individus ont longtemps été négligées (figure 2.9). Cela venait en grande partie du manque de données et de la complexité des traitements informatiques nécessaires. Mais la révolution technologique de la génomique* et l’augmentation de la puissance de calcul disponible ont conduit à une avalanche de données générant un essor sans précédent de la caractérisation du support génétique des variations observées au sein des espèces.

De manière surprenante, certaines espèces montrent une très faible diversité à l’échelle moléculaire (variation des séquences d’ADN), alors que d’autres montrent une forte diversité. Notre espèce constitue un bon exemple de faible diversité moléculaire, comparée aux autres 109

Étonnant vivant

Fig. 2.9 Diversité des motifs de coloration des ailes au sein des espèces de papillons Heliconius et Melinaea. Les specimens de Melinaea appartiennent à des espèces différentes, mais les papillons de Heliconius appartiennent à la même espèce (photos Mathieu Joron). Tous montrent d’importantes différences de coloration des ailes, qu’ils appartiennent à la même espèce ou non. De haut en bas et de gauche à droite : Heliconius numata arcuella Melinaea marsaeus phasania Heliconius numata elegans Melinaea ludovica ludovica

Heliconius numata tarapotensis Melinaea mnene Melinaea menophilus hicetas Melinaea mothone mothone

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L’histoire du vivant

Fig. 2.10 Variations morphologiques chez les pinsons de Darwin. Les individus de l’espèce Geospiza magnirostris (b) ont un bec beaucoup plus puissant que ceux de l’espèce Geospiza fortis (a et c). On notera toutefois la différence forte entre les individus de cette dernière espèce. Seuls les individus à fort bec (a et b) sont capables de se nourrir des graines contenues dans les loges des fruits de la plante Tribulus cistoides (d).

primates. Mais dispose-t-on d’explications générales à cette « diversité de la diversité » ? Là encore, des analyses moléculaires à haut débit* menées récemment apportent des éléments à l’échelle de l’ensemble des animaux. Par un effort considérable d’échantillonnage, permettant de couvrir les groupes animaux depuis les éponges jusqu’aux vertébrés, et d’analyses moléculaires de génomes entiers, une équipe de Montpellier (Romiguier et al., 2014) a montré que le niveau de diversité moléculaire présente au sein des espèces peut varier de plusieurs ordres de grandeur. Cette étude a aussi montré que le facteur principal expliquant cette différence entre espèces est la durée de vie et la fécondité. Les espèces à 111

Étonnant vivant

grande longévité ou celles avec peu de jeunes (nous, par exemple) sont beaucoup moins variables que celles à vie courte ou produisant beaucoup de jeunes (certaines espèces de moules, par exemple). Chez les plantes à fleurs, la longévité et le mode de reproduction représentent les facteurs prépondérants pour prédire le niveau de diversité moléculaire au sein des espèces. Ainsi les plantes se reproduisant par autofécondation, c’est-à-dire sans partenaires, sont beaucoup moins diverses que celles pratiquant une reproduction avec un ou plusieurs partenaires.

Quid de la variabilité génétique humaine ? Le séquençage complet du génome humain dans plusieurs populations (185  individus) a permis d’estimer que deux humains sont en moyenne différents de un nucléotide* pour mille (Durbin et al., 2010). On compte donc en moyenne 3 millions de différences entre deux humains parmi les 3 milliards de nucléotides de notre génome (1  ‰). Cette valeur varie entre les continents, allant de 0,9  ‰ en Asie et 1 ‰ en Europe à 1,3 ‰ en Afrique, continent connu pour héberger une plus grande diversité génétique. Cette valeur est à mettre en regard de celle de 3 ‰ entre deux orangs outangs de l’île de Bornéo, soit trois fois plus de différences, démontrant la faible diversité de notre espèce comparée à celle des espèces de primates non-humains. Plus surprenant, ces séquençages complets ont révélé que chaque humain porterait en moyenne 20  gènes dont la fonction est totalement abolie. Cette valeur indique un faible effet de ces mutations sur la survie et sur le succès reproducteur (sinon, elles seraient éliminées), ainsi qu’une tolérance élevée à de telles pertes de fonction : certains gènes ne seraient pas essentiels bien qu’ils puissent avoir un léger effet. Les recherches actuelles chez l’humain s’orientent vers une implication de ces mutations « pertes de fonction » dans différentes maladies. 112

L’histoire du vivant

Au sein des espèces, cette incroyable variation de l’ADN va générer une variation des caractéristiques (morphologiques, métaboliques, comportementales,…) des individus, en fonction également des conditions environnementales dans lesquelles les gènes s’expriment. Des progrès majeurs ont été réalisés ces dernières années pour quantifier ce phénomène. L’étude à long terme des pinsons des Galapagos (dits « pinsons de Darwin ») par une équipe américaine, initiée en 1972, en fournit un bon exemple. Première observation : la diversité morphologique entre espèces est considérable, liée en particulier à l’habitat dans lequel l’espèce ou la population a évolué. La forme du bec s’avère être caractéristique du régime alimentaire : le bec puissant de certaines espèces leur permet de se nourrir de graines à enveloppe très solide. Mais cette diversité morphologique entre espèces était plus ou moins attendue. Ce qui est beaucoup plus étonnant en revanche, c’est qu’on retrouve cette variation au sein même des espèces – des variants à gros bec coexistent avec des individus à bec plus gracile (figure 2.10). L’approche de génomique des populations a permis en 2016 de mettre en évidence une région du génome impliquée dans cette variation de la forme du bec : elle contient le gène HMGA2, connu pour être lié à des variations morphologiques chez les vertébrés. Ces travaux sont importants parce qu’ils démontrent qu’il est possible de caractériser au niveau moléculaire les causes des variations entre les individus dans une même espèce (ici la taille des becs). De nouvelles méthodes permettent d’envisager d’aller encore plus loin et plus vite (par exemple, les techniques basées sur le système CRISPR-Cas9 ; voir chapitre 5) – ainsi les bases génétiques de la variation phénotypique pourront bientôt être abordées, voire manipulées, chez n’importe quel organisme. S’adapter aux changements en cours Les approches de génomique* des populations permettent non seulement de déterminer la nature des mutations ou leur position dans le génome, mais aussi de montrer que leurs effets peuvent être très 113

Étonnant vivant

négatifs aussi bien que très positifs sur la survie ou la fécondité des individus, même si la plupart n’ont qu’un effet limité. La fréquence de ces mutations va alors fluctuer dans les populations – si elles confèrent un avantage en termes de nombre de descendants, elles pourront se répandre – c’est le tri par la sélection naturelle, le cœur de la pensée de Darwin. Si l’effet positif ou négatif est faible, alors les fluctuations aléatoires (le  hasard donc) peuvent jouer un rôle important dans le maintien de ces mutations d’une génération à l’autre. Les études de ces dernières années nous en apprennent plus sur la dynamique de ces mutations dans le temps et dans l’espace, et sur leur complexité. Là encore, la combinaison d’approches mathématiques sophistiquées, 114

L’histoire du vivant

Fig. 2.11 Réaction des populations de moustiques aux insecticides. Les dessins de moustiques sur la carte indiquent les sites dans lesquels un gène de résistance à certains insecticides a été détecté chez le moustique Culex pipiens (commun dans les zones tropicales et tempérées). Des mutations conférant une résistance ont été détectées pour la première fois au Liberia et au Nigeria en 1977, et en France en 1986. Leur diffusion rapide résulte d’une migration très efficace des moustiques, en particulier par le transport aérien. Bien d’autres mutations permettent la résistance, chez Culex, mais aussi chez le vecteur de la malaria (Anopheles) ; elles sont maintenues sous la pression des traitements insecticides, incluant les traitements domestiques.

d’études génomiques et de travaux expérimentaux en laboratoire ou dans la nature a révolutionné notre compréhension de ces phénomènes. La réaction des populations de moustiques aux insecticides en est un exemple frappant (figure 2.11). Quantifier et traquer cette variation permet aussi de prédire l’évolution d’une population face à une nouvelle pression de sélection : l’épandage d’un insecticide (figure  2.11), un changement climatique, un changement d’usage des terres, l’arrivée de prédateurs ou de parasites d’origine exotique. Quelle réponse les espèces doiventelles apporter ? S’adapter sur place en utilisant la variation dispo115

Étonnant vivant

nible, migrer ailleurs (voir paragraphe  4 et chapitre  4) ou les deux ? Les espèces réagissent de façon très variées : plus on est gros, plus le temps d’une génération est long, moins on est nombreux (il suffit de comparer les éléphants et les moustiques par exemple), moins on dispose de variation pour s’adapter… et plus on est sensible à l’extinction. La migration reste cependant une possibilité, pour les espèces qui peuvent le faire et qui peuvent trouver des habitats appropriés en termes d’adaptation. On a vu dans l’exemple des moustiques (figure 2.11) que la migration était un moyen d’une grande efficacité pour exporter la bonne mutation permettant de réagir à l’activité humaine. Les études reconstituant les mouvements des espèces lors des grandes et rapides variations climatiques (glaciations et déglaciations) qui ont caractérisé les dernières centaines de milliers d’années fournissent également des indications précieuses pour appréhender le lien entre changement environnemental et réponse adaptative. Comprendre ces migrations et leur impact est donc une clé pour prédire la réponse aux changements contemporains. Cela a induit, depuis quelques années, des études à grande échelle géographique, mobilisant des équipes de chercheurs de différents pays. Le corps, un écosystème soumis aux lois de l’évolution Si les processus évolutifs, en particulier la sélection naturelle, ont surtout été étudiés pour comprendre la variation entre individus, un changement massif et récent de perception est qu’ils peuvent être utilisés comme trame d’analyse de la variation dans des individus. Nous savons maintenant que les cellules d’un même organe subissent des variations génétiques qui se transmettent lors des divisions cellulaires. On retrouve typiquement ici une situation où la théorie darwinienne doit s’appliquer. En effet, un organe est un ensemble de cellules, chacune avec son génome. Il peut donc être considéré comme une population dans laquelle coexistent des individus (cellules) dont les génomes diffèrent par mutation. Les outils des sciences de l’écologie et de l’évolution 116

L’histoire du vivant

peuvent donc aider à en comprendre la dynamique. Cette révolution de pensée affecte ainsi la médecine : les cancers, qu’on peut considérer comme des développements non contrôlés de cellules d’un organe, en constituent probablement l’exemple le plus parlant. Tout d’abord, on s’est rendu compte que les cancers sont un processus général chez les animaux, même si les espèces y semblent diversement sensibles. Par exemple, l’éléphant semble en développer peu. Or il possède 20 copies du gène TP53, connu pour être suppresseur de tumeurs, alors que les autres mammifères, incluant les humains, n’en ont qu’une. Dans les tumeurs cancéreuses, des travaux récents montrent que la diversité génétique des cellules est colossale et augmente au cours de la progression tumorale, permettant une adaptation aux nouvelles conditions environnementales rencontrées. Il en est ainsi pour les métastases qui peuvent être considérées comme la colonisation d’un nouveau milieu, une forme d’invasion biologique, ce qui donne un tour nouveau aux approches thérapeutiques. La lutte contre le cancer a longtemps été basée sur l’éradication des cellules tumorales prolifératives via des traitements anti-cancéreux agressifs. Or ceux-ci finissent par induire la sélection de quelques cellules prolifératives résistantes au traitement qui ont ensuite une dynamique explosive dans un organisme (assimilable à un écosystème) sans compétiteurs. En fait, les thérapies chimiques utilisant des raisonnements darwiniens sont plus efficaces que les thérapies dites « éliminatives ». Il ne s’agit plus d’éradiquer, mais d’engager la tumeur dans une cohabitation avec les autres cellules. Si ce bouleversement de perspective dérive de l’amélioration de nos capacités technologiques, il est aussi largement conceptuel : il s’agit d’un changement de perspective massif. La théorie darwinienne donne donc un cadre général à la compréhension du fonctionnement de l’ensemble du vivant, comme le  laisse entendre la citation de T. Dobzhansky mentionnée au début de ce chapitre.

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Étonnant vivant

4 L’évolution en action

L

’évolution des espèces est généralement, nous l’avons dit, un phénomène lent. Ses échelles de temps, de l’ordre du million, voire du milliard d’années, sont difficiles à appréhender par l’homme, qui est plutôt familier des échelles allant de la seconde à la centaine d’années. Au point que jusque vers la fin du xxe siècle, on pensait qu’il était impossible d’observer l’évolution en action. Pour reconstituer l’histoire passée du vivant, les biologistes doivent souvent jouer aux détectives et utiliser tous les indices qu’ils peuvent trouver (fossiles, données météorologiques du passé, comparaisons d’espèces vivantes existantes, etc.). Les scénarios évolutifs qu’ils établissent ne sont alors que des hypothèses, qui pourront être amenées à changer quand de nouveaux indices seront découverts. Aujourd’hui, nous constatons qu’il est en fait possible d’examiner l’évolution en action, et ce de multiples façons : on peut observer des populations naturelles changer en seulement quelques années, faire évoluer des populations au laboratoire ou séquencer de l’ADN ancien pour le comparer à celui de ses descendants, etc. Grâce à ces nouvelles approches expérimentales, les chercheurs ont maintenant les moyens d’obtenir des données solides concernant l’évolution passée du monde vivant. L’évolution naturelle en direct Pour observer et mesurer l’évolution en temps réel, les biologistes ont mis en place des programmes de recherche à long terme dans lesquels les individus sauvages sont identifiés grâce à des marquages uniques et suivis tout au long de leur vie. Ainsi, après 47 ans d’observation de populations de mésanges charbonnières, des chercheurs français et anglais ont pu montrer que ces oiseaux avaient avancé leur date de ponte de 14 jours 118

L’histoire du vivant

(0,3  jour par an en moyenne) en réponse au réchauffement climatique (figure  2.12). Cette ponte anticipée est à rapprocher du cycle saisonnier des chenilles de la Phalène brumeuse, qui constituent la nourriture

1970: avant réchauffement

Disponibilité des chenilles

14j de décalage

Eclosion

Ponte

Nourrissage

Cycle de reproduction des mésanges

2000: après réchauffement

Disponibilité des chenilles

Eclosion

Ponte

Nourrissage

Cycle de reproduction des mésanges

Fig. 2.12 Adaptation de la date de ponte des mésanges. Entre 1970 et 2000, le pic d’abondance des chenilles dont se nourrissent les poussins des mésanges s’est décalé de 14 jours. Petit à petit, la date de ponte des mésanges a été avancée, jusqu’à faire coïncider la date de nourrissage maximal des poussins avec ce pic d’abondance. Cette adaptation, en seulement 30 générations, est-elle due à une évolution génétique sous l’effet de la sélection naturelle (seules les mésanges qui pondent suffisamment tôt survivent) ou à un changement de comportement de l’animal suite à une modification de son environnement ?

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Étonnant vivant

principale des poussins et dont le pic d’abondance a lui aussi été avancé de 14  jours. Les mésanges femelles pondent plus tôt, ce qui fait coïncider étroitement la demande de leurs futurs poussins et l’abondance de nourriture qui sera disponible plusieurs semaines après ! Les recherches actuelles visent à comprendre si ce changement de comportement en réponse aux modifications de l’environnement est dû à une réponse individuelle (chaque oiseau ajustant sa date de reproduction en fonction des signaux environnementaux : photopériode, température, précipitations, variations saisonnières des arbres, etc.) ou bien à de l’évolution génétique (sélection de gènes qui hâtent la reproduction). Les plantes aussi savent répondre à de nouvelles conditions environnementales. Ainsi le crépis de Nîmes (Crepis sancta, figure 2.13), un parent du pissenlit que l’on trouve facilement dans la nature mais qui pousse

Fig. 2.13 Le « Crepis sancta », ou « crépis de Nîmes », est une espèce de plante sauvage parente du pissenlit qui pousse en abondance dans les villes. Elle a la particularité de produire deux types de graines : une majorité de graines plumeuses (à gauche de la photo), au sommet de la fleur, pouvant se disperser au vent, et une minorité de graines plus lourdes sur les côtés (à droite de la photo), multipliant ainsi ses chances de reproduction (photo Eric Imbert/ISEM/CNRS Photothèque).

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L’histoire du vivant

aussi en milieu urbain dans des endroits inhospitaliers comme les fractures de bitume ou les jointures des immeubles (Cheptou et al., 2008). Cette plante a la particularité de produire deux types de graines : des graines plumeuses au sommet de la fleur pouvant être dispersées par le vent et des graines plus lourdes non-plumeuses, qui tombent juste à côté de la plante. Des chercheurs de Montpellier ont observé qu’en serre, dans des conditions identiques, les crépis des villes produisent une plus grande proportion de graines lourdes que ceux des champs. Ce changement dans la proportion des graines semble avoir été sélectionné au cours de l’évolution : en ville, les grosses graines ont 1,5 fois plus de chance de donner une nouvelle plante, en tombant dans une zone où existent déjà des crépis, que les graines plumeuses, qui vont aller plus loin et rencontrer surtout du bitume. Les chercheurs ont pu calculer que cette adaptation était apparue en moins de 12 ans. Ainsi, en réponse à une urbanisation croissante, la plante s’est rapidement adaptée par l’acquisition d’un mode de dispersion par proximité plutôt que par dissémination. Un autre exemple frappant d’évolution rapide concerne l’évolution de la résistance aux antibiotiques*. Les infectiologues doivent prendre en compte ces évolutions car elles modifient les risques associés aux différents agents infectieux. Ainsi, l’émergence de souches multi-résistantes de la bactérie Escherichia coli depuis les années 2000 a complètement changé le statut associé à ce pathogène opportuniste, qui représente à présent un souci majeur dans les hôpitaux. L’évolution expérimentale au laboratoire Il est aussi possible de suivre l’évolution au laboratoire, en utilisant des organismes dont le temps de génération n’est pas trop long. L’Américain Richard Lenski est un pionnier de ce domaine, l’évolution expérimentale ; pour tester la capacité des micro-organismes à s’adapter à un environnement contrôlé, il fait évoluer au laboratoire 121

Étonnant vivant

12 populations de la bactérie E. coli depuis près de 30 ans. Le stockage régulier des populations au congélateur fournit une archive fossile de ces plus de 60 000  générations d’évolution, archive qui peut être décongelée et remise en vie pour étudier et comparer les différentes générations. Le séquençage de 268 génomes issus de cette expérience par un consortium franco-américain a montré qu’après 60 000  générations, la sélection naturelle est la force dominante qui façonne le génome (figure 2.14). Pour mieux comprendre les bases génétiques de

Fig. 2.14 Mettre l’« évolution en bouteille ». Une expérience célèbre de Richard Lenski a débuté en 1988 et consiste à remettre quotidiennement en culture 1 % d’une culture bactérienne de E. coli datant de la veille (en haut). En analysant le génome à intervalles réguliers, on s’aperçoit au bout de 50 000 générations (une bactérie E. coli se divise en 20 minutes) qu’après une augmentation rapide au début, les mutations s’accumulent linéairement en fonction du temps (courbe rouge) tandis que l’adaptation des bactéries à leur milieu a tendance à suivre un plateau (courbe bleue). Cette expérience sur des bactéries « en bouteilles » est équivalente, en temps de génération, à 1 250 000 ans d’évolution de la lignée humaine (en bas).

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L’histoire du vivant

l’adaptation à l’environnement, un autre consortium franco-américain a fait évoluer à haute température 115  populations d’E. coli pendant 2 000  générations. Le séquençage du génome des différentes populations a révélé une grande similarité dans les voies moléculaires modifiées qui confèrent une adaptation et une grande diversité des mutations elles-mêmes. Il semble donc y avoir un nombre limité de fonctions à altérer pour s’adapter, mais un grand nombre de voies mutationnelles pour y parvenir, ce qui suggère que l’évolution est une science en partie prédictive. Percer les secrets enfouis dans l’ADN ancien Depuis une vingtaine d’années, il est possible d’extraire et de séquencer l’ADN qui a été préservé dans des restes anciens d’organismes vivants (figure 2.15). Examiner ainsi les différentes strates du pergélisol, terre restée gelée sur des périodes allant de quelques milliers à plusieurs millions d’années, c’est comme lire un livre qui raconte l’histoire passée des êtres vivants à un endroit donné. Aujourd’hui, il est même possible de réveiller des virus, des organismes unicellulaires ou des plantes après plus de 30 000  ans de sommeil. Deux nouvelles familles de virus géants aux morphologies inédites et qui auraient pu côtoyer Néandertal ont ainsi pu être réveillées par des biologistes marseillais (voir chapitre 1 et Legendre et al., 2014).

Les collections de muséums offrent aussi de vastes collections d’ADN « endormi », en particulier pour les plantes. Ainsi, en séquençant des échantillons de patates douces d’Asie, d’Amérique et d’Océanie qui avaient été conservés pendant plusieurs centaines d’années et en les comparant aux légumes actuels, des biologistes français ont montré que les Européens n’auraient pas été les premiers étrangers à fouler le sol américain (Roullier et al., 2013). Plusieurs  siècles auparavant, des Polynésiens auraient fait le voyage jusqu’au Pérou et ramené avec eux les précieux tubercules dont dérivent les actuelles patates douces du 123

Étonnant vivant

Pacifique. De la même façon, il est possible de valoriser des échantillons de plantes sèches de jardins botaniques. C’est ce qu’ont fait des scientifiques pour étudier l’origine du mildiou de la pomme de terre, maladie qui causa un million de morts en Irlande et une émigration massive dans les années 1845-1852. On ne savait rien de la souche à l’origine de l’épidémie, et ces travaux, basés sur la séquence de micro-organismes vieux de 170 ans, ont montré qu’elle avait aujourd’hui disparu. L’agent actuel du mildiou n’est donc pas en cause, comme on avait pu le soupçonner. Domestiquer le vivant L’homme a domestiqué de nombreuses espèces, que ce soit des micro-organismes, des plantes ou des animaux. La domestication a consisté à sélectionner dans une population des caractéristiques qui sont avantageuses pour l’espèce humaine, mais qui ne le sont pas forcément pour l’espèce en question dans son milieu naturel. On connaît maintenant plusieurs centaines de gènes qui ont ainsi été modifiés par l’homme dans diverses espèces domestiques. Ces données montrent que pour obtenir la même caractéristique avantageuse, des mutations dans les mêmes gènes et dans les mêmes régions génomiques ont été sélectionnées de façon indépendante dans différentes espèces. Pour faire évoluer telle ou telle caractéristique, il semble donc qu’il n’y ait pas beaucoup de choix quant aux gènes à modifier.

La « révolution verte », qui a valu le prix Nobel de la Paix à Norman Borlaug, a consisté notamment à sélectionner des espèces de céréales à tige moins haute afin d’éviter que le poids de leurs gros épis ne les couche lors d’intempéries. Dans différentes céréales, c’est à chaque fois l’action d’une hormone (l’acide gibbérellique) qui a été affectée pour réduire la croissance. Un trait très prisé a été la capacité des graines à rester accrochées à l’épi. L’homme a sélectionné des mutations qui conduisent à un défaut de développement de la zone de rupture entre la graine et l’épi, permettant de ne pas perdre les graines avant la récolte. 124

L’histoire du vivant

Fig. 2.16

a

À la découverte des ADN anciens. a. Ce virus vieux de 30 000 ans (Pithovirus sibericum de la famille des virus géants) a été découvert dans le pergélisol sibérien et étudié en laboratoire (photo © Julia BARTOLI/Chantal Abergel/AMU/IGS/CNRS Photothèque). b. Échantillon d’os de cheval juste avant l’extraction de l’ADN. Il s’agit du plus ancien échantillon organique contenant de l’ADN jamais découvert. Le cheval vivait il y a environ 700 millions d’années (Orlando et al., 2013 ; photo Ludovic Orlando).

b

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Ces mutations se situent dans la même région génomique* chez le colza et chez le riz, alors que la zone de rupture qui attache les grains est de nature complètement différente entre ces deux espèces ! Aujourd’hui, nos connaissances sur le lien entre les gènes et leurs conséquences observables dans un organisme ont fortement progressé et permettent dans certains cas de savoir quel gène il faut modifier pour obtenir tel ou tel changement de caractéristique. Avec la technologie CRISPR-Cas9 (voir chapitre 3) nous avons même depuis 2010 la possibilité de conférer rapidement et précisément à des espèces domestiques certaines caractéristiques souhaitées, sans passer par une phase de création de mutations réparties aléatoirement dans le génome. En  20152016, pour fabriquer des champignons qui ne noircissent pas ou des vaches sans cornes, des biologistes ont ciblé le gène en question et ils y sont parvenus. Une nouvelle phase de domestication s’ouvre à nous : la domestication ciblée. CRISPR-Cas9 pose toutefois un certain nombre de questions concernant la dissémination de gènes dans la nature et les effets collatéraux non souhaités éventuels, ce qui a des résonnances évidentes en termes d’éthique. La biologie évolutive du futur Si ressusciter des dinosaures comme dans le film Jurassic Park semble impossible (car l’ADN préservé sur des fossiles vieux de 65 millions d’années est trop dégradé), il est maintenant envisageable de ressusciter certaines espèces récemment disparues. En janvier 2009 est né un bouquetin des Pyrénées par clonage, ce qui en fait le premier cas de résurrection d’une espèce animale éteinte, même si le nouveau-né mourut quelques minutes après sa naissance suite à des malformations pulmonaires. De tels projets de « désextinction » rencontrent cependant de nombreuses critiques : beaucoup pensent qu’il serait préférable d’allouer ces efforts à la conservation d’espèces en danger ou que les espèces ressuscitées ne retourneront pas à l’état sauvage, 126

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mais seront probablement maintenues dans des environnements artificiels. Une autre question critique à laquelle fait face la biologie évolutive est l’évolution répétée du même caractère dans des espèces différentes ne partageant pas d’ancêtre commun. En effet, l’examen minutieux de notre passé révèle qu’à des moments et à des endroits divers, des formes de vie semblables se sont parfois échafaudées de manière indépendante. On découvre aujourd’hui que cette évolution répétée est souvent causée par des mutations dans le même gène. Si le processus évolutif était totalement aléatoire et extrêmement sensible aux conditions initiales, on ne devrait pas observer tant de répétitions. Ces nombreuses répétitions suggèrent que l’évolution n’est pas aussi dépendante des conditions initiales que ce qu’on aurait pu croire. Mais comment un phénomène qui résulte de nombreux processus aléatoires (mutations, rencontres des ovules et des spermatozoïdes, accidents météorologiques, etc.) peut-il être prédictible ? C’est un peu comme un confiseur qui évalue le nombre de boîtes de chocolats qui seront achetées en fonction du mois de l’année, alors qu’il ne connaît pas le comportement individuel de chacun des habitants de son quartier. Le temps, en cumulant les effets des processus aléatoires brefs, peut faire émerger des tendances prédictibles. Même si les mutations surviennent de façon imprévisible, celles qui subsistent dans les populations pendant de longues échelles de temps et qui sont responsables de changements évolutifs entre espèces peuvent être pronostiquées. Mais alors, quelles formes de vie doit-on rechercher sur ces milliers d’exoplanètes qui pourraient abriter la vie ?  Des créatures à ADN, yeux et cerveaux ? À l’heure actuelle, nous ne savons pas à quel point la vie sur Terre aurait été différente avec d’autres conditions initiales. Néanmoins, les biologistes se penchent sur la question, en faisant des expériences et des observations. Les recherches en biologie pourraient donc nous apporter bientôt des éléments de réponse. 127

Étonnant vivant

L’homme évolue-t-il encore ? Les réponses à cette question surprendront peut-être. Oui, l’homme continue à évoluer biologiquement. Naturellement la taille de la population humaine et nos réponses culturelles aux contraintes naturelles diminuent fortement les effets du hasard et de la sélection naturelle par mortalité. Mais cette évolution continue à s’exprimer. Un premier exemple concerne les dents qui sont fortement soumises à des contraintes mécaniques. On a pu constater (Le Luyer, Rottier et Bayle, 2014) qu’entre une population du Néolithique et une population du Moyen-Âge, toutes deux situées en France, l’épaisseur de l’émail dentaire est répartie de manière plus homogène sur les dents de la population la plus récente. Cela serait une réponse à la force sélective que représente la plus grande diversité d’usures dentaires qui caractérise les médiévaux relativement aux Néolithiques. Si on se rapproche encore plus de nous, au début des années 1970, il a été démontré qu’à partir de populations rurales homogènes françaises, l’augmentation de la stature était positivement corrélée à la distance entre les lieux de naissance des parents. C’est tout simplement la conséquence naturelle de la diminution du taux de consanguinité et de l’accroissement de la mobilité des populations (Billy, 1979).

Conclusion et perspectives Il est de plus en plus évident que l’utilisation de concepts évolutifs est devenue centrale pour interpréter les découvertes récentes dans presque toutes les disciplines liées à la biologie : de la recherche fondamentale à l’agriculture en passant par la médecine et l’étude de la biodiversité. Les sciences de l’évolution, en s’appuyant en particulier sur 128

L’histoire du vivant

l’analyse des génomes, fournissent en effet une clé de lecture permettant d’appréhender des questions importantes pour l’homme, tant fondamentales qu’appliquées, concernant par exemple l’origine de la vie sur terre, la recherche des bases moléculaires de l’adaptation des espèces en réponse aux changements environnementaux, ou l’amélioration des variétés en agriculture. Ainsi, étudier l’histoire du vivant aide l’homme à mieux comprendre le monde dans lequel il vit, comment il en fait partie et par voie de conséquence à mieux le protéger et mieux se protéger, condition indispensable à son bien-être, voire à sa propre survie. Mais au-delà de ce constat, quels sont les grands défis du xxie siècle sur l’histoire du vivant ? La biologie nous apprend aujourd’hui que les systèmes vivants comprennent une multitude de niveaux d’organisation, de l’écosystème au moléculaire, qui peuvent fonctionner à court terme selon des logiques propres. On pense aux cellules cancéreuses qui peuvent se répliquer au point qu’elles épuisent l’organisme et amènent ainsi à sa mort. À ces symbiotes intracellulaires transmis exclusivement par les femelles et qui favorisent leur propre reproduction en transformant leurs hôtes mâles en femelles, mais ce faisant conduisent à terme à l’extinction des populations. Ou encore à ces pathogènes qui évoluent peu à peu vers des associations mutualistes avec leurs hôtes. Loin d’être des cas particuliers, ces interactions entre niveaux d’organisation sont omniprésentes. On commence ainsi à réaliser la nature composite de chaque individu comme un assemblage d’entités (gènes, chromosomes, cellules, consortium d’espèces…). L’espèce humaine n’échappe d’ailleurs pas à ce constat : notre microbiote*, l’ensemble de bactéries qui habitent notre corps, est essentiel au développement de notre système immunitaire et un garant de notre état de santé.

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Étonnant vivant

L’idée autrefois commune parmi les biologistes selon laquelle la sélection naturelle a pour résultat des organismes parfaitement adaptés à leur milieu est ainsi battue en brèche. Non seulement parce que, comme la Reine Rouge du pays des Merveilles l’explique à Alice, il faut courir en permanence pour se maintenir en place dans un environnement changeant, ou parce que l’histoire évolutive passée et le hasard influencent les possibilités d’adaptation présentes, mais également parce que différentes échelles de sélection, même au sein d’entités qui nous paraissaient bien délimitées, ont des intérêts parfois difficilement réconciliables. Les biologistes de demain devront comprendre le rôle de ces interactions multiples à grandes échelles : s’attacher à comprendre et à modéliser non plus des organismes qui s’adaptent à leur environnement, mais des compromis toujours instables résultant de conflits et coopérations entre constituants, participant eux-mêmes à des écosystèmes plus larges dont ils dépendent et dont ils influencent la dynamique. Cet objectif est probablement un des plus grands défis qui se présente à nous. Il nécessitera un volume phénoménal de données, collectées sur des écosystèmes entiers, sur les génomes* de populations, sur les cellules d’organismes. Il exigera d’importants développements en mathématique et en algorithmique, et une nouvelle génération de biologistes capables d’amplifier le phénomène naissant des grands réseaux collaboratifs que l’on connaît depuis longtemps en physique nucléaire ou en astronomie.

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T r o i s i è m e

c h a p i t r e

La complexité du vivant

Étonnant vivant

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ui n’est pas émerveillé lorsqu‘il prend le temps d’observer la vie ? Le phénomène qui s’offre à nos yeux est spectaculaire : qu’il s’agisse de groupes d’individus ou d’une seule cellule grossie au microscope, ça bouge, ça grandit ou rapetisse, ça change de forme, ça s’arrête et repart, ça se multiplie, ça meurt, ça attaque, ça fuit, ça émet des sons, parfois même de la lumière ! Mieux, ça s’adapte, ça envahit, ça s’entraide ou se bagarre, ça profite de son voisin, ça discute, mange, innove. De notre émerveillement jaillit cette inévitable question : comment ? Comment ces organismes font-ils tout cela ? D’où leur vient cette capacité de mener toutes ces actions, cette vitalité ? Tout d’abord grâce au fait que chaque organisme vivant est un ensemble de composants plus petits. Un animal ou une plante est constitué de cellules, elles-mêmes constituées de molécules, elles-mêmes étant souvent des ramifications d’un nombre prodigieux d’atomes. Mais cela ne suffit pas. Un caillou est lui aussi fait de matière plus petite mais il n’est pas « animé ». Alors que se passe-t-il ? Ces constituants minuscules du vivant ne sont pas seulement nombreux, ils interagissent entre eux. L’action que fait ou non l’un de ces éléments peut avoir des conséquences majeures sur l’action d’un autre. Tout est là, dans le lien et dans le temps. Depuis des milliards d’années, la vie évolue en réorganisant des collectifs d’éléments et leurs interactions. Ici une molécule en coupe une autre, là des lipides se mettent côte à côte pour assembler une membrane, barrière imperméable à l’eau et à des millions de composés. Et voilà que d’autres molécules plus grandes s’assemblent et s’insèrent dans cette même membrane pour y former un canal qui sera réservé au passage sélectif de certaines autres molécules… Il en est de même pour les cellules : partout elles communiquent, parfois de très loin, parfois en se touchant, et ces conversations changent constamment leurs destins. Rien n’est figé, les cellules comme les molécules se transforment, se multiplient, meurent. Et dans cet apparent 134

La complexité du vivant

chaos, ces composants, atomes, molécules, cellules, sont hautement organisés. Ils donnent naissance à des organes précis et très bien définis, ils savent l’« heure » grâce à leurs horloges internes, ils s’installent en des endroits qui semblent être leur « place » réservée. Ainsi, tout est enchevêtré, imbriqué, minuté. Tout événement dépend de la survenue d’autres événements. Sans cette multitude agitée et les liens qui s’y font, point de vie. Ainsi l’objet qui nous fascine n’est pas un objet, ni même des objets. C’est un ensemble d’objets en interaction dynamique. C’est un système complexe. Les biologistes n’ont pas le choix : la complexité est au cœur de leur objet d’étude. Et c’est seulement depuis une petite vingtaine d’années qu’elle est réellement abordée. Une révolution de notre vision du monde vivant est en marche. Pourquoi maintenant ? Le début du xxe siècle est marqué par l’enzymologie : des macromolécules*, les enzymes*, catalysent les réactions chimiques qui animent les cellules. Comprendre le fonctionnement de centaines de ces enzymes est bouleversant, leurs interactions (elles se touchent et se modifient les unes les autres) sont mises en évidence mais demeurent difficiles à décortiquer. Imaginez la découverte du transistor : on s’aperçoit que ce composant peut coder une information et qu’il peut être connecté à un autre transistor… Le principe des télécommunications est là. Mais pas encore la mise en œuvre. C’est dans les années 1980 que la biologie moléculaire offre la possibilité d’étudier plusieurs enzymes à la fois, de les modifier facilement, de forcer ou perturber leurs interactions. L’objet d’étude n’est plus le « transistor » luimême mais ressemble davantage au circuit imprimé d’un ordinateur. Car avec la génomique* et l’imagerie, le xxie siècle débute avec la possibilité d’enregistrer l’identité et l’activité de milliers de composants biologiques simultanément. Il devient possible de dresser des cartes de leurs interactions. Une profusion de néologismes en « -omique » 135

Étonnant vivant

apparaît pour désigner de nouvelles techniques expérimentales : la protéomique vise à cartographier toutes les protéines des cellules et leurs interactions, la métabolomique toutes les réactions métaboliques, la phénomique tous les phénotypes (taille, activité, forme, mouvement…) d’un organisme, etc. On découvre, en plus des « transistors », une multitude de nouveaux composants, comme les « ARN* non codants » dont le rôle est primordial. Les nombres sont sidérants : une molécule ou une cellule n’interagit pas avec telle ou telle autre, mais avec des centaines, pas toujours au même endroit, parfois durablement, d’autres fois seulement le temps d’une milliseconde. Les biologistes sont submergés, ils s’organisent en larges consortiums autour de telle ou telle thématique. De plus en plus de scientifiques d’autres disciplines observent ce bouleversement et les rejoignent. Et c’est le branle-bas. Car l’objet vivant dont nous parlons (animal ou plante) n’est pas seulement un ordinateur, mais un ensemble de milliards d’ordinateurs connectés les uns aux autres. Certaines des propriétés de cet ensemble ne peuvent pas être attribuées à un élément ou à un autre, mais seulement à la totalité. Le biologiste n’a plus affaire à un transistor ni même à un puissant calculateur, il a sous les yeux un système de complexité comparable à Internet tout entier. Ça va vite, ça évolue, ça se répare… et tout ça grâce à la multitude, à la diversité, aux connexions, et à leur dynamique dans le temps. Le défi des scientifiques n’est pas seulement d’analyser les données expérimentales, très nombreuses, il faut également développer des outils numériques et des concepts permettant de les interpréter. Car une fois les réseaux d’interactions mis au jour, le scientifique se pose la question de leur fonctionnement. Et pour comprendre les propriétés qui émergent des interactions entre les composants d’un système, il est indispensable de construire des modèles mathématiques prédictifs de ce système, dans le respect des lois naturelles que nous connaissons déjà, comme les lois physiques. C’est sur ce point que la biologie rompt avec son passé : 136

La complexité du vivant

elle passe du descriptif au prédictif. Les biologistes ne se contentent plus de dresser des catalogues de molécules ou d’espèces ; leur ambition est de comprendre le mouvement, de découvrir des formules qui régissent les propriétés de l’ensemble. Cette rupture survient car les modèles mathématiques nécessaires peuvent être construits en associant les outils de la physique avec les technologies de cartographie du vivant. C’est donc seulement aujourd’hui que nous le percevons et que nous avons la capacité méthodologique d’appréhender le vivant dans toute sa complexité.

Ce chapitre est une promenade au sein de la complexité du vivant et des questions qu’elle soulève aujourd’hui. Nous y découvrirons une multitude de molécules dont l’existence et les interactions n’étaient même pas soupçonnées il y a vingt ans. Nous nous plongerons ensuite dans l’intimité de certaines cellules pour voir comment elles distinguent les agents pathogènes et réagissent à leurs attaques. Puis nous verrons comment les cellules prolifèrent, s’assemblent, s’auto-organisent et construisent ensemble les formes si particulières des organes et organismes que nous connaissons. Nous entrerons à l’intérieur de l’un des organes les plus fascinants, le cerveau, dont la fonction repose justement sur les interactions entre un nombre époustouflant de cellules, à des vitesses prodigieuses. Et nous verrons enfin comment les interactions entre individus peuvent organiser la vie des sociétés animales et faire naître une forme d’intelligence collective. Votre œil (une merveille !) fait la mise au point, votre cerveau s’impatiente, bon voyage.

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Étonnant vivant

Le vivant est encore plus complexe qu’il en a l’air :

1 voyage au bout de l’ARN non codant

À chaque découverte, on réalise un peu plus à quel point le monde vivant est complexe. Tous les jours, on découvre de nouvelles espèces, de nouveaux modes d’organisation, de nouveaux types de cellules et de nouvelles molécules. Ainsi, très récemment, un tremblement de terre a fait vaciller les fondations de la génétique. Depuis la découverte du code génétique au milieu du xxe siècle, le « tout-génétique » régnait en maître et l’on pensait que les protéines codées par les gènes contrôlaient tout. Le gène est un morceau d’ADN*, lui-même une molécule toute en longueur – il y en a 2 mètres dans chacune de nos cellules –, une chaîne de « nucléotides* » de 4 types différents (symbolisés par les lettres A, T, G et C). L’enchaînement des nucléotides varie d’un segment d’ADN à un autre et définit ce qu’on appelle la « séquence* » du génome*. Si l’on considère que ces nucléotides correspondent chacun à une lettre d’un alphabet qui en compte 4 (A, T, G et C), ils forment, par endroit, des mots codés dans une langue, le code génétique*. Les régions de l’ADN où ces mots sont formés sont les régions dites « codantes ». Ces mots portent toutes les instructions de fabrication d’une protéine, sa « recette » en quelque sorte. Les protéines, elles, sont les ouvrières de « l’usine cellule », qui transforment l’énergie, construisent, maintiennent, protègent les éléments de la cellule, lui permettent de croître et de proliférer, et la mettent en interaction avec les autres. Les instructions de fabrication des protéines sont reportées de l’ADN vers une autre molécule, celle d’ARN messager (lui aussi une chaîne de nucléotides qui est une copie de l’ADN), et c’est cet ARN messager qui est ensuite « traduit » en protéine (voir chapitre  1, figure  1.2). Jusqu’à présent, seuls les fragments d’ADN portant l’information pour la fabrication d’une protéine étaient appelés « gènes », et on les 138

La complexité du vivant

considérait comme les « contrôleurs » qui régissent toute la vie. Dans cette vision du vivant, les régions « codantes » de l’ADN étaient les seules qui soient « lues » par la cellule, c’est-à-dire « transcrites » en « ARN messager » puis traduites en protéines. On savait qu’il y avait aussi autour de ces régions « codantes » des morceaux d’ADN qui ne semblaient porter aucune information. C’étaient les régions « non codantes » du génome (figure 3.1). Une équipe française de l’Institut Pasteur (Jacob et Monod, 1961), celle-là même à qui le prix Nobel sera décerné en 1965, a découvert, au siècle dernier, qu’autour de la région « codante » se trouvaient des régions « non codantes », importantes pour le contrôle de la lecture des régions codantes. Mais là s’arrêtaient, pensait-on, les fonctions de ces parties non codantes. Elles étaient, pour la plupart, considérées comme du « remplissage » sans réelle l

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ARN messager (codant pour une protéine)

Fig. 3.1 ARN codant et non codant. Chaque cellule humaine contient 2 mètres d’ADN (sous forme de 46 fragments de taille variable, les chromosomes, dont l’un est symbolisé ici par une pelote de fil), mais la partie qui a une signification selon le code génétique, la partie « codante » (c’est-à-dire les gènes qui codent des protéines) correspond à 6 centimètres seulement en tout sur ces 2 mètres. Le reste est apparemment sans signification, non codant. Pourtant, quasiment tout est lu et transcrit en ARN, soit en ARN messager pour les 6 centimètres de partie codante, soit en ARN non codant pour le 1,94 mètre restant. Il y a donc beaucoup plus de variétés d’ARN non codants (rouge) que d’ARN codants (vert). Les petits ARN non codants bloquent l’expression des protéines en se collant à l’ARN messager ; certains longs ARN non codants font de même, mais en se collant directement au gène ; reg : partie régulatrice de l’ADN qui contrôle aussi l’expression de la protéine.

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Étonnant vivant

fonction. On parlait même d’ADN « détritus », ou « poubelle ». Les gènes codants étaient censés régenter tout dans la cellule, et eux seuls valaient la peine d’être étudiés. Cette vision simpliste du monde cellulaire a récemment volé en éclats. Tout d’abord, on a « séquencé » (c’est-à-dire déchiffré) tout l’ADN de nombreuses espèces : en premier lieu l’ADN de bactéries*, qui ont des molécules d’ADN plutôt courtes, puis d’espèces plus complexes, y compris l’homme, et on a réalisé qu’en fait, la partie « codante » du génome est particulièrement minoritaire dans les espèces les plus complexes. Ainsi chez l’humain, il y a 2  mètres d’ADN par cellule, mais seulement… 6 centimètres de régions codant les protéines ! Cette constatation a été faite, avec des proportions variables, chez beaucoup d’espèces complexes, du riz à la mouche ou au lapin, et même chez le géranium qui orne nos balcons. Encore plus récemment, on s’est rendu compte que, contrairement à ce que l’on pensait, pratiquement tout (entre 80 et 90 %) cet ADN « poubelle » est lu ! Il est transcrit en ARN, qui n’est pas « messager » car il ne peut pas se lire dans la langue du code génétique pour la fabrication des protéines. On désigne donc ces ARN sous le terme d’« ARN non codants » (figure 3.1). Que font les ARN non codants ? Est-ce qu’eux aussi régentent la vie de la cellule ? Les petits ARN contrôlent les grands Certains ARN non codants sont de très petite taille, tellement petits qu’on les appelle les microARN. C’est d’ailleurs leur découverte qui a ouvert la première brèche dans la théorie du tout génétique. C’est à la fin du siècle dernier, chez un tout petit animal d’un millimètre de long, au nom imprononçable et qui ne présente aucun intérêt économique ou sanitaire, le ver Caenorhabditis elegans (ou C. elegans pour les intimes), 140

La complexité du vivant

que ces petits ARN non codants ont été découverts (Fire et al., 1998). Ils se lient aux longs ARN messagers (ceux qui proviennent de la lecture des gènes et portent l’information pour des protéines) par la « complémentarité » de séquence (c’est-à-dire un peu comme on ferme une fermeture éclair). Une fois collés aux ARN messagers, ils empêchent leur « traduction* » en protéine. Ils bloquent ainsi l’expression et l’activité des gènes. Les petits ARN contrôlent donc les grands ! Ce sont les « contrôleurs aériens » de la fabrication des protéines et ils régentent ainsi, eux aussi, la vie de la cellule. La « tour de contrôle » ne se situe pas qu’au niveau de l’ADN et des gènes. Ce système de régulation inattendu s’est rapidement avéré universel et on l’a retrouvé chez les plantes comme chez les animaux. Ces microARN interviennent à tous les niveaux dans le destin de la cellule, de l’individu et de l’espèce. C’est notamment pour leur rôle au cours du développement embryonnaire chez le ver qu’ils ont été découverts, et ils jouent un rôle essentiel dans la formation des tissus dans toutes les espèces, comme l’a montré par exemple une équipe de Villejuif pour le muscle (Naguibneva et al., 2006). Les plantes ont plus d’un tour de petit ARN dans leur sac La découverte des petits ARN a soulevé le voile sur un monde largement ignoré jusqu’alors. En effet, les cellules contiennent des myriades de petits ARN non codants jouant toutes sortes de rôles. Par exemple, certaines catégories sont des « sentinelles » permettant à certaines espèces unicellulaires (bactéries) ou multicellulaires (plantes et invertébrés) de se défendre contre l’invasion des virus*. Chez les bactéries, des petits ARN fabriqués en réponse à une infection virale, reconnaissent l’attaquant et permettent sa destruction via le système de défense CRISPR-Cas9 (voir encadré p.  145). La découverte de ces petits ARN chez les bactéries a d’ailleurs révolutionné les technologies de modifications des génomes, permettant aux scientifiques de répondre beaucoup plus rapidement à de multiples questions. Une équipe de 141

Étonnant vivant

Fig. 3.2 Sans petits ARN point de salut ! Dans le bac de gauche, la plante (l’arabette des dames ou Arabidopsis thaliana), infectée par le virus de la mosaïque jaune du navet a pu fabriquer des petits ARN non codants et éliminer le virus. Elle survit. Dans le bac de droite, la plante n’est pas capable de fabriquer des petits ARN non codants : le virus a pris le dessus et la plante meurt.

Versailles (Mourrain et al., 2000) a montré que chez les plantes (c’est vrai aussi chez certains invertébrés), des petits ARN sont aussi fabriqués en réponse à une infection virale, mais qu’ils proviennent cette fois… du virus lui-même ! La plante infectée utilise l’ARN du virus envahisseur pour produire des petits ARN qui, de ce fait, sont parfaitement calqués sur l’ARN viral et lui sont donc totalement « complémentaires » (la fermeture éclair est complètement fermée). Ces petits ARN se collent donc très fortement au virus et ne le lâchent plus. De plus, ils mobilisent des protéines de la cellule pour le détruire, sauvant ainsi la plante (figure 3.2). En détournant le matériel génétique du virus et en le retournant contre lui, la cellule de la plante infectée est donc capable de produire un outil ad hoc quel que soit le virus qui l’infecte. Ce processus est appelé « interférence à ARN » et les petits ARN fabriqués, petits ARN « interférants ». Il faut savoir toutefois, que de nombreux virus réussissent à contourner ces défenses de la plante en produisant des protéines contre l’interférence à ARN. 142

La complexité du vivant

Et les longs ARN non codants ne sont pas en reste ! Les petits ARN non codants partagent la vedette avec leurs cousins, les « longs ARN non codants ». Également très nombreux, ils sont encore bien mystérieux. On en est encore à scruter la partie émergée de cet iceberg, mais elle a déjà donné lieu à des découvertes fascinantes. Les longs ARN non codants interviennent dans quasiment tous les processus biologiques, de la reproduction à la formation d’un organisme adulte et à sa survie.

Comment ? En partie, en contrôlant, comme les petits ARN non codants, l’expression des gènes (c’est-à-dire la lecture du « livre de recettes » des protéines). Ils aident à différencier les pages qui seront lues de celles qui ne doivent pas l’être. En effet, toutes les cellules d’un même organisme ont le même génome (ou le même livre de cuisine génétique), mais toutes les pages n’en sont pas toujours ouvertes. Dans chaque cellule, certaines pages sont ouvertes et prêtes à être lues, et d’autres sont fermées, illisibles. Ce ne sont pas les mêmes pages qui sont ouvertes dans une cellule du foie, dans une cellule du muscle ou dans une cellule du cerveau. Les mécanismes qui ouvrent ou ferment les pages forment ce que l’on appelle les « processus épigénétiques ». Les ARN non codants en sont des acteurs clés. Ils sont notamment capables de fermer certaines pages et peuvent même aller jusqu’à l’élimination pure et simple des pages inutiles : c’est le cas chez un organisme formé d’une seule cellule, la paramécie, comme l’a montré une équipe de Paris (Singh DP et al., 2014). Mais le plus souvent, ils se contentent de masquer provisoirement les pages qui ne doivent pas être lues. Ils peuvent même agir à l’échelle d’un chromosome entier. En effet, les 2  mètres d’ADN d’une cellule humaine ne sont pas d’un seul tenant mais sont constitués de 23 paires de fragments, les chromosomes. Alors que les mâles ont un chromosome X et un chromosome Y, les femelles possèdent deux chromosomes X. Cependant, un seul des deux chromosomes X est utilisé. Des équipes parisiennes (Chaumeil et al., 2006 ; Vallot et al., 2013) ont participé à la découverte d’un long ARN non codant qui s’occupe de neutraliser un des chromosomes (pris au 143

Étonnant vivant

Fig. 3.3 Un long ARN non codant recouvre le chromosome X. L’ARN non codant qui répond au doux nom de « Xist » est coloré en vert clair, alors que l’ADN de la cellule est coloré en bleu foncé. Lorsque le Xist est associé à l’ADN, la superposition du vert clair et du bleu fonçé donne une coloration bleu clair au Xist. On voit que tout le Xist bleu clair est rassemblé dans la même zone qui correspond à l’un des chromosomes X de la cellule, qu’il recouvre entièrement, formant une sorte de cage. L’autre chromosome X reste libre.

hasard), en l’emprisonnant dans un « nuage » (figure 3.3) formant ainsi une sorte de cage hermétique qui rend le chromosome globalement inaccessible et empêche toute lecture des gènes qu’il contient. Tous ces ARN non codants, si longtemps ignorés par les scientifiques, apparaissent donc maintenant comme des acteurs clés de la totalité du vivant. Et tous sont en interaction avec les gènes, les ARN messagers et bien d’autres molécules encore, augmentant considérablement la complexité des réseaux d’interactions moléculaires dans une cellule. Ils représentent une proportion très importante du génome (97 % du génome est non codant chez l’homme). Ils représentent donc aussi un colossal « réservoir » de fonctions biologiques potentielles pour le moment encore inexpliquées. À l’inverse des gènes codants, qui peuvent être très similaires même pour des espèces très différentes, les ARN non codants sont extrêmement variables d’une espèce à l’autre. C’est pourquoi l’une des questions qui se posent est le rôle qu’ils jouent dans la diversification des espèces et, au sein d’une espèce, dans la diversité des individus et dans le fait que chaque individu est unique. Décidément, les ARN non codants représentent une nouvelle terra incognita à explorer en biologie. Nul doute que les scientifiques ont encore de beaux jours de travail devant eux. 144

La complexité du vivant

CRISPR-Cas9, un système bactérien qui va révolutionner la biologie Les bactéries aussi ont leur système de petits ARN, qui fonctionne de manière différente de ceux des plantes ou des animaux. Dans leur génome, une batterie de séquences d’ADN sont transcrites en petits ARN guides capables de reconnaître autant de séquences de « phages* » (virus qui s’attaquent aux bactéries) et qui sont réparties parmi des séquences qui se répètent, l’ensemble formant la région CRISPR (« clustered regularly interspaced short palindromic repeats », ou « séquences palindromiques répétées regroupées et espacées régulièrement »). En cas d’infection, ces petits ARN guident une enzyme capable de découper l’ADN du phage (une endonucléase, nommée « Cas9 » – « CRISPR associated sequence » ou « séquence associée à CRISPR » –, car le gène codant Cas9 est physiquement proche des séquences CRISPR). À chaque fois que la bactérie rencontre un nouveau phage, son système CRISPR s’enrichit d’un nouveau petit ARN guide, immunisant ainsi la bactérie et ses descendantes. Ce système est fascinant. Mais il est devenu une vraie vedette récemment quand il a été montré (Doudna et Charpentier, 2014) qu’il pouvait être « importé » dans les cellules de tout être vivant (on introduit en même temps dans les cellules un ARN guide contre une séquence d’ADN que l’on veut casser et l’enzyme Cas9). Il peut être utilisé pour modifier le génome de ces cellules à volonté et très facilement. Cette découverte facilite grandement les analyses de génétique fonctionnelle, c’est-à-dire l’étude des fonctions des gènes. Elle pourrait aussi prendre une place importante en médecine, notamment en thérapie génique. Une fois de plus, une découverte dans un organisme très éloigné, la bactérie, va bouleverser la connaissance de la biologie humaine et peut-être la médecine de demain. 145

Étonnant vivant

Comment les animaux se défendent contre les agressions microbiennes Alors que chez les plantes, l’immunité* peut passer par les ARN non codants, chez les animaux, ce sont des cellules spécialisées qui détruisent les agents infectieux. Il y a une grande variété de globules blancs, cellules immunitaires qui détectent toute attaque visant les cellules, éliminent les agents pathogènes, virus, bactéries, parasites, et permettent la réparation des tissus. Certains sont, par exemple, des tueurs des cellules infectées alors que d’autres sont des régulateurs (qui coordonnent l’action des autres). C’est donc toute une chorégraphie cellulaire qui assure le maintien en bon état des différents organes et la survie de l’organisme. Ces cellules immunitaires sont en constante interaction entre elles et avec beaucoup d’autres cellules de l’organisme, ce qui nécessite une coordination complexe, intégrée via des signaux moléculaires multiples et spécifiques. Dans chaque cellule immunitaire, des récepteurs (molécules spécialisées dans la réception de signaux) détectent la présence des anomalies créées par les attaques d’agents pathogènes ou infectieux. Ces anomalies sont considérées comme du « non-soi » et ces récepteurs sont à la base de la distinction entre les composants du « soi », molécules et cellules de l’individu lui-même, qui doivent être tolérés, et le « non-soi », molécules et cellules extérieures comme les agents infectieux. Certains de ces récepteurs sont donc spécialisés dans la reconnaissance des molécules extérieures, bactériennes ou virales. D’autres récepteurs réagissent aux dysfonctionnements intrinsèques, intervenant sans infection. À noter que la notion de frontière entre le « soi » et le « non-soi » a fortement évolué au cours des dernières années, en particulier suite à la découverte de notre symbiose* avec de très nombreuses bactéries. En effet, notre corps contient autant de bactéries que de cellules humaines, et nous vivons en bonne entente avec elles, qui nous aident à effectuer certaines fonctions, comme la digestion de nos aliments (voir chapitre 4). Même si elles ne sont pas vraiment du « soi », elles doivent être tolérées. 146

La complexité du vivant

Découverte des TLR : Comment se défendre des microbes, la leçon des insectes C’est à la fin du xixe siècle qu’Elie Metchnikoff découvre, en travaillant sur les larves d’étoiles de mer, le phénomène de « phagocytose » (ingestion de microbes par des cellules spécialisées, les « phagocytes »). De multiples travaux ultérieurs montrent que cette phagocytose permet de « tuer » ces microbes et ainsi de défendre les organismes contre de multiples infections. Mais la défense contre les infections n’est pas la seule fonction de ces cellules phagocytes. Elles en ont plusieurs autres. Elles interviennent aussi, par exemple, dans la réparation des tissus lésés ou encore, et c’est moins attendu, dans le contrôle de la réponse immunitaire qu’elles peuvent bloquer sans cependant phagocyter quoi que ce soit. Une des questions centrales dans ce domaine était alors : comment les phagocytes programment-ils leurs différentes fonctions, réparation des tissus ou destruction dans le cas d’infections microbiennes ? Comment savent-ils s’ils ont à faire à un microbe ? La réponse à cette question a fait l’objet des efforts conjugués de nombreuses équipes de recherche dans le monde, pendant des dizaines d’années, travaillant sur différents organismes modèles. Mais l’histoire commence avec une famille de protéines impliquées dans l’embryogenèse (formation de l’embryon) de la mouche du vinaigre Drosophila melanogaster, petite mouche très utilisée dans les laboratoires de biologie. Au cours du développement, les cellules des embryons « apprennent » les fonctions qu’elles doivent remplir, forment les tissus et les organes. Ces évènements sont coordonnés par des « conversations » entre cellules, signaux qui peuvent être échangés par l’intermédiaire de molécules que les cellules s’envoient ou par des contacts directs entre elles. Ces signaux sont 147

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reçus par des « récepteurs » spécifiques présents généralement à la surface des cellules. « Toll » est un de ces médiateurs que les cellules s’envoient pour se coordonner au cours de la formation de l’embryon de drosophile. Or, chez les plantes (comme le tabac) une molécule présentant des similitudes avec Toll est impliquée dans la résistance au virus de la mosaïque du tabac (Whitham S. et al., 1994). L’équipe de Jules Hoffmann à Strasbourg découvre que cette même molécule, Toll, est impliquée dans la défense des drosophiles contre les infections. Dans cette équipe, Bruno Lemaitre étudie au début des années 1990 les gènes impliqués dans la défense des drosophiles contre les infections par les champignons et les bactéries. L’équipe montre, en particulier, que le gène « Toll », connu pour son rôle au cours de la formation de l’embryon, joue également un rôle majeur dans la protection des mouches contre les infections, en induisant la sécrétion de molécules protectrices (Lemaitre et al., 1996). Ce résultat a donné corps au concept d’immunité innée (préexistante et transmise de manière héréditaire, contrairement à l’immunité acquise qui s’acquiert au contact du pathogène et est à la base de la vaccination), et il allait avoir des conséquences majeures. Il montrait pour la première fois l’existence de deux voies spécifiques, impliquant deux « récepteurs » de signaux indépendants, de défense immunitaire contre les pathogènes. En parallèle, l’équipe de Charles Janeway à Yale (États-Unis) essayait de comprendre comment le système immunitaire pouvait reconnaître et réagir contre les microbes (« non-soi ») et non contre les propres tissus de chaque individu (« soi »). Ses travaux l’ont amené à faire l’hypothèse de l’existence de molécules présentes uniquement sur les microbes et absentes des cellules de mammifères. 148

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Des récepteurs reconnaissant ces molécules microbiennes hypothétiques et exprimés sur les cellules du système immunitaire des mammifères pourraient expliquer la réaction sélective contre les microbes (Janeway, 1989). C’était une hypothèse très osée et très controversée à l’époque. C’est de la rencontre de ces deux biologistes d’exception, Jules Hoff mann et Charles Janeway, menant jusqu’alors des travaux indépendants, que va émerger l’idée à la base d’une des découvertes les plus importantes en biologie de la fin du siècle dernier. Est-ce qu’une famille de récepteurs, induisant la production de peptides* anti-bactériens chez la drosophile, avait évolué chez les mammifères pour reconnaître des composants bactériens, absents chez les cellules de mammifères, et permettant au système immunitaire de distinguer « le soi » du « non-soi » ? Une fois l’hypothèse formulée, les deux équipes conjuguent leurs efforts pour la tester. Charles Janeway et son étudiant de l’époque, Ruslan Medzhitov, identifient un homologue de Toll chez les mammifères et l’appellent Toll-like receptor 4 (récepteur d’une molécule ressemblant à Toll - ou TLR4) (Medzhitov, 1997). Ils montrent que contrairement à la drosophile, chez qui Toll reconnaît un signal interne (produit par les cellules de drosophile elles-mêmes), chez la souris, TLR4 reconnaît un composant conservé de la paroi de certaines bactéries, les bactéries gram-négatives (le lipopolysaccharide ou LPS, Poltorak et al., 1998). C’est l’équipe de Bruce Beutler qui déchiff re ensuite la cascade de signalisation intracellulaire déclenchée par l’occupation de TLR4 et aboutissant à la mise en route du système inflammatoire qui active les « phagocytes » et augmente leur pouvoir anti-bactérien (Poltorak et al., 1998). En 2011, le prix Nobel est attribué à Jules Hoffmann et Bruce Beutler pour leurs travaux sur l’immunité innée, prix qu’ils partagent 149

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avec Ralph Steinman pour la découverte des cellules dendritiques, cellules à la base de l’induction des réponses immunitaires adaptatives (Steinman et Cohn, 1973). Charles Janeway, emporté par un cancer quelques années plus tôt ne sera pas de la partie. Depuis 20  ans, les équipes travaillant sur cette famille de récepteurs et sur l’immunité innée en général se comptent par centaines partout dans le monde. Ce premier exemple a ouvert la voie pour la découverte de toute une famille de récepteurs TLR (numérotés de 1 à 11) reconnaissant spécifiquement différents composés du monde microbien, y compris des acides nucléiques comme l’ADN ou l’ARN. Le concept de récepteurs de l’immunité innée, récepteurs reconnaissant spécifiquement différents composants microbiens, s’étend ensuite à d’autres familles de récepteurs, dont certains sont présents à l’intérieur et non à la surface des cellules. Ces autres familles de récepteurs conduisent à d’autres types d’immunité (contre les virus, les parasites ou les champignons, par exemple). Les travaux précurseurs de l’équipe de Jules Hoffmann ont bouleversé des domaines entiers de la biologie et de la santé publique, avec des médicaments qui ciblent différents aspects de l’immunité innée. Ces médicaments sont utilisés tous les jours pour inhiber différentes maladies inflammatoires, ou encore pour vacciner les patients atteints d’infections ou de cancer. De la mouche à l’homme en passant par la souris, les mécanismes de l’immunité innée sont remarquablement conservés. Et même au-delà : un travail plus récent montre que les anémones de mer, présentes sur Terre depuis plusieurs centaines de millions d’années se protègent des infections par des molécules ressemblant étrangement à Toll…

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virus cellules dendriques

cellules infectées par le virus et tuées par les lymphocytes lymphocytes T CD8 an-virus

Fig. 3.4 En première ligne contre les agressions virales. Les virus activent une cellule dite « dendritique » qui a reconnu le virus avec ses récepteurs TLR, de l’immunité innée. Ensuite, cette cellule dendritique active elle-même les globules blancs dits « lymphocytes T CD8 » qui reconnaissent spécifiquement le virus. Ces lymphocytes CD8 activés tuent les cellules infectées par ce virus.

Fig. 3.5 Activation d’un lymphocyte par une cellule dendritique. La cellule dendritique (en bleu) interagit physiquement avec le lymphocyte (en jaune) pour lui présenter l’antigène* et l’activer (micrographie en microscopie électronique à balayage ; photo Olivier Schwartz / Institut Pasteur).

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Une découverte récente a mis en évidence l’existence d’une famille de récepteurs immunitaires spécialisés dans la détection des anomalies (notamment dues à l’infection) et largement conservée chez les animaux. D’abord découverts dans un organisme modèle, la mouche drosophile, les récepteurs « TLR » jouent un rôle primordial dans le déclenchement de la réponse immunitaire y compris chez les mammifères (voir figures 3.4 et 3.5, encadré p. 147-151). L’activation de ces molécules induit la production d’une multitude d’autres, y compris des anticorps* spécifiques (molécules spécialisées dans la reconnaissance des molécules « non-soi »), dont le répertoire est quasiment illimité. La capacité de réponse immunitaire est finement régulée au cours de la vie, pour permettre, notamment, la tolérance de la mère vis-à-vis du fœtus ou l’adaptation du nouveau-né à l’environnement extérieur et aux changements de nutrition. Plus généralement, un individu est constamment confronté à des modifications de son environnement et de ses propres composants, auxquels il doit s’adapter pour maintenir un équilibre dynamique. Cet équilibre nécessite un renouvellement permanent des acteurs, cellulaires et moléculaires, de son système immunitaire. Des développements technologiques récents ont révélé une très grande diversité de types cellulaires dotés de fonctions spécifiques, plus grande qu’on ne le pensait au départ, ainsi qu’une plasticité insoupçonnée. En effet, les cellules peuvent changer et se transformer d’un type en un autre, en réponse à des signaux multiples, modifiant ainsi profondément leurs caractéristiques et leurs fonctions. Il a même été montré qu’une cellule spécialisée peut être reprogrammée et se transformer en un autre type de cellule. Par exemple, un globule blanc tueur peut devenir une cellule régulatrice, voire une cellule « pluripotente », c’est-à-dire capable de donner naissance à toutes sortes de cellules dif152

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férentes. Cette capacité de renouvellement et cette plasticité sont fondamentales mais elles s’épuisent au cours du temps, ce qui constitue l’une des causes du vieillissement. Mieux comprendre les mécanismes sous-jacents et leur régulation est indispensable pour contrer ces dysfonctionnements.

2 Le cerveau, à la frontière du vivant et de l’esprit Si le système immunitaire est complexe, que dire du cerveau ! Avec une centaine de milliards de neurones, chacun connecté à des milliers d’autres, le cerveau humain est une « machine » biologique d’une complexité fascinante. Il traite les informations de notre environnement captées par nos sens. Il génère nos pensées, nos émotions, nos prises de décision et nos comportements. Il permet d’explorer, d’apprendre et de nous adapter à notre environnement, ainsi que d’interagir socialement avec les autres. Dans le même temps, il contribue à la régulation de nos fonctions vitales, comme le cœur, la respiration ou encore la digestion. C’est un organe multitâche et évolutif qui fonctionne sans interruption, en ne consommant pas plus d’une vingtaine de Watts, à peine la consommation d’une ampoule ! Comprendre le cerveau est un défi à la fois technique et intellectuel. Imaginons-le comme une série de boîtes gigognes. Chaque boîte correspond à un niveau d’organisation : les neurones tout d’abord, ces cellules qui en constituent les briques élémentaires, les populations de neurones proches ensuite, et enfin de plus grands ensembles répartis dans des régions cérébrales distantes, toute cette complexité interconnectée constituant le cerveau d’un individu. Il ne nous a pas  encore révélé tous ses mystères, mais nous en avons résolu une partie. 153

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Les neurones existent sous de multiples formes avec de multiples fonctions. Certains servent par exemple à activer les neurones voisins et d’autres à les bloquer. On peut visualiser les nombreux éléments composant ces neurones grâce à l’utilisation de microscopes permettant des grossissements allant jusqu’à 5 millions de fois et l’observation de structures à l’échelle du nanomètre. Les neurones ne sont pas seuls dans le cerveau ; ils ne fonctionnent pas en autonomie et ils ont besoin d’un environnement nutritif et protecteur apporté par d’autres composants, les cellules gliales, dont la fonction et les interactions avec les neurones sont de mieux en mieux connues. Nous savons maintenant photographier le cerveau et ses différents composants. Un nouveau défi consiste à en comprendre la dynamique : passer de la photo à la vidéo afin d’étudier les interactions entre neurones, interactions à l’échelle des molécules qui servent de messagers ou à l’échelle des neurones eux-mêmes. La microscopie dite « à deux photons » permet ainsi d’observer la dynamique des événements à l’échelle des molécules présentes à l’intérieur des neurones et de visualiser l’activité d’une population de neurones pendant un comportement donné de l’individu. Le cerveau est formé par un grand nombre de « régions », comme par exemple le « cortex cérébral » qui correspond à la surface du cerveau, ou les diverses régions sous-corticales dénommées « hippocampe », « striatum », « cervelet », « amygdale »… Chacune de ces régions est étudiée individuellement ou en interaction avec d’autres, chez l’homme ou chez l’animal. L’enjeu est de comprendre comment, au-delà de la spécialité de chacune de ces régions, leurs interactions permettent de faire émerger un comportement, simple ou plus complexe. L’assemblage de chacune de ces boîtes n’est-il qu’une simple addition ? L’assemblée n’est-elle que la somme de ses parties ? Travailler ensemble, que ce soit à l’échelle d’une molécule, d’un neurone, d’une région cérébrale ou d’un individu, permet-il de faire émerger de nouvelles possibilités ? Ces questions sont au cœur de la neuroscience du xxie siècle. 154

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Quand les neurones révèlent leurs secrets Ces dernières années, de nombreuses découvertes ont bouleversé le champ des neurosciences, faisant ainsi tomber des dogmes et repoussant les frontières de la connaissance. Bonne nouvelle, le cerveau adulte, longtemps considéré comme décadent et inexorablement vieillissant, conserve de la plasticité et la capacité de créer de nouveaux neurones grâce à un mécanisme appelé « neurogenèse ». Ces neurones tout neufs peuvent se connecter aux réseaux de neurones existants et participer aux processus d’apprentissage et de mémorisation. Favoriser cette neurogenèse permet de ralentir l’altération de la mémoire chez des souris âgées.

Une des régions dans laquelle ces nouveaux neurones sont fabriqués est l’hippocampe, le lieu de formation de la mémoire. La mémoire, qui justement commence également à révéler ses secrets. Les neurones, comme les individus d’une population, peuvent se regrouper pour l’apprentissage d’une tâche. Lorsqu’une population de neurones travaille à l’unisson, un souvenir se crée. En 2013, des scientifiques nord-américains ont visualisé cette activité et ont réussi à activer ces neurones à la demande, créant ainsi un nouveau souvenir chez la souris. Plus récemment, des scientifiques français ont également réussi à créer un nouveau souvenir pendant le sommeil de la souris. Profitant de l’existence de « cellules de lieu » dans l’hippocampe (neurones qui s’activent pour une position particulière dans un lieu donné, et dont la découverte a été récompensée par un prix Nobel en 2014), les scientifiques ont ainsi créé un lien artificiel entre un lieu donné et une récompense. Bien que n’ayant jamais visité ce lieu, les souris s’en « souviennent » et le visitent en espérant obtenir cette fameuse récompense (figure 3.6) ! De nombreuses questions restent cependant encore en suspens : comment par exemple améliorer sa mémoire ? Les neurosciences apportent 155

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Fig. 3.6 Les lieux de la mémoire. En activant les « celluless de lieux » dans l’hippocampe, on peut créer le souvenir d’un lieu chez une souris qui pourtant n’y est jamais allée.

à nouveau des pistes intéressantes telles que les échanges entre les régions de la mémoire et celles de la décision, ou encore le lien entre mouvement et stabilisation de cette mémoire. Enfin, des études sur le sommeil, que nous rêvons d’interpréter (Jouvet, 2013), ont révélé qu’apprentissage, récompense et sommeil forment un cocktail efficace pour mieux mémoriser. Saviez-vous enfin que des neurones existent ailleurs que dans le cerveau ? Ces cellules nerveuses, plastiques, capables de transmettre une information seule ou de s’assembler pour créer de nouvelles fonctionnalités existent également dans l’intestin. Notre ventre contient des neurones, ils sont même plusieurs centaines de millions ! De plus, l’ensemble des bactéries qui habitent notre intestin, le « microbiote* » (voir chapitre 4), pourrait également jouer un rôle dans nos comportements émotionnels ou alimentaires mais également dans notre mémoire. La relation entre microbiote et cerveau a rejoint le cœur des recherches actuelles sur le comportement humain. 156

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Des constellations de neurones organisés au sein du cerveau Les progrès de l’imagerie à l’échelle du cerveau entier chez l’homme, ont connu un essor formidable ces vingt dernières années (Le Bihan, 2012), donnant accès à des informations anatomiques, fonctionnelles, métaboliques, et électromagnétiques, sur l’activité cérébrale (voir des exemples dans le chapitre  5). Il est devenu possible d’identifier des régions spécifiques du cerveau impliquées dans toute une palette de processus mentaux, allant de la perception sensorielle la plus simple aux fonctions cognitives les plus complexes comme anticiper, communiquer par le langage, attribuer des intentions aux autres, ressentir des émotions…

Au-delà des régions cérébrales impliquées dans le traitement des sens (vision, audition, olfaction, sens du mouvement et de l’équilibre qu’on dit « vestibulaire »…), les neurosciences ont pu localiser des régions du cerveau traitant spécifiquement d’aspects plus complexes comme la reconnaissance des visages, des mots, ou encore la compréhension du langage. À la fin des années 1990, une découverte faite par une équipe italienne a ouvert la voie à une nouvelle hypothèse théorique, celle des « neurones miroirs » : observer, ou même seulement imaginer quelqu’un réalisant un geste, active des régions cérébrales semblables à celles mises en jeu lorsque l’on effectue soi-même le geste. De nombreuses études d’imagerie cérébrale ont alors montré que ce principe de neurones miroirs pouvait constituer la base de l’apprentissage par imitation, et plus généralement la base de la compréhension d’autrui au travers des représentations de soi. Peut-on réussir à ressentir les émotions d’autrui au travers de notre propre expérience émotionnelle et ainsi faire preuve d’empathie (Buser, 1998) ? Cette question fait encore actuellement l’objet d’intenses recherches. Face à cette accumulation d’études visant à localiser précisément les fonctions mentales les plus variées, des limites sont rapidement 157

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Fig. 3.7 Voir les cellules neurales et le cerveau en action. a. Neurones de rat en culture exprimant une protéine fluorescente (photo Sébastien MARAIS/Daniel CHOQUET/Bordeaux Imaging Center/ CNRS Photothèque). b. Principaux faisceaux de connexions cérébrales reconstitués à partir d’images d’IRM (imagerie par résonance magnétique). Cette technique permet d’étudier au sein du cerveau d’un individu actif des fibres de substance blanche et donc de réaliser des diagnostics pour diverses pathologies : sclérose en plaques, schizophrénie, troubles de la conscience (photo Antoine GRIGIS/ Université de Strasbourg/CNRS Photothèque).

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apparues. C’est en considérant la richesse du registre de nos actions et de nos pensées, ainsi que la complexité du cerveau, notamment en termes de connexions, que nous avons pu éviter les dangers d’une nouvelle « phrénologie » (Changeux, 1983) (méthode de diagnostic par l’observation des formes du crâne) issue de la neuroimagerie. En effet, au xixe siècle on recherchait la « bosse des maths » en observant la forme du crâne des gens : la phrénologie consistait à attribuer un trait de caractère particulier à chacune de ces bosses. Avec l’imagerie, on espérait pouvoir localiser la région cérébrale spécifiquement impliquée dans des fonctions comme les émotions, la mémoire ou le langage par exemple. En fait, on sait maintenant que ces fonctions complexes ne se limitent pas à une seule structure cérébrale mais résultent d’interactions dynamiques au sein de réseaux distribués dans tout le cerveau. Le cerveau en mouvement Pour comprendre le cerveau en action (Berthoz, 2013), en lien avec notre comportement, nos pensées, notre état mental, on ne peut donc pas se contenter de quelques « instantanés » mettant en évidence quelques régions cérébrales actives. Il s’agit de comprendre la dynamique complexe de réseaux enchevêtrés, avec des moments de couplage, de découplage, ou d’interactions croisées entre des sous-ensembles neuronaux. Alors que l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRM) fournit une résolution millimétrique d’activités cérébrales pouvant durer plusieurs secondes (figure  3.7), les techniques électrophysiologiques (électro- ou magnéto-encéphalographie) permettent d’accéder à l’échelle temporelle de la milliseconde. Cette résolution temporelle est indispensable pour décortiquer finement l’enchaînement des processus neuronaux. La combinaison, parfois simultanée, de ces techniques offre maintenant la possibilité d’étudier pleinement la dynamique cérébrale. 159

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Des grandes fonctions, comme l’attention ou la mémoire, sont ainsi étudiées à travers des réseaux de mieux en mieux identifiés. Les interactions entre structures cérébrales semblent s’appuyer sur la synchronisation d’activités oscillatoires distribuées : les oscillations de basse fréquence sont proposées pour synchroniser des régions devant communiquer, alors que les oscillations de plus haute fréquence pourraient coder l’information à transmettre. Ce champ de recherche en pleine expansion va permettre de décrypter la neurobiologie de nos comportements et de nos états mentaux. La conscience, par exemple, n’est pas uniquement un concept philosophique ou moral mais bel et bien un phénomène biologique complexe qui émerge de l’interaction entre plusieurs régions cérébrales. Ce fonctionnement en réseaux synchronisés donne également la possibilité au cerveau de se remodeler, en renforçant les connexions les plus utilisées. Ces mécanismes de plasticité cérébrale sont à la base de notre capacité à apprendre, et ceci tout au long de notre vie. Un cerveau stimulé pour comprendre les relations de causalité Quel que soit le niveau d’exploration du fonctionnement cérébral (de quelques neurones à de larges régions distribuées dans le cerveau), un enjeu important est d’identifier les relations de cause à effet entre les observations quantifiées de l’activité neuronale et les performances comportementales (figures  3.8 et 3.9). De nouvelles technologies permettent maintenant d’interroger des sous-ensembles neuronaux. L’optogénétique* permet par exemple de contrôler l’activité de plusieurs neurones très spécifiques grâce à la lumière. Ce même type de modulation est aussi possible sur des régions cérébrales plus larges chez l’homme grâce à des techniques non invasives (qui ne nécessitent pas de pénétrations à l’intérieur de l’organisme par effraction de la peau) de stimulation magnétique ou électrique transcranienne. L’observation des conséquences de ces modulations permet alors de comprendre les 160

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relations de cause à effet entre régions cérébrales et comportement (Dehaene, 2014), et, au-delà, ouvre la voie vers de nouveaux traitements de certains dysfonctionnements cérébraux (voir chapitre 5). Le cerveau est notre provocation et notre étonnement Dans les années 1970, le biologiste Lyall Watson écrivait, quelque peu sceptique : « si le cerveau était suffisamment simple pour que nous le comprenions, nous serions nous-mêmes si simples d’esprit que nous ne le comprendrions pas » (Watson, 1979).

Grâce aux avancées technologiques de ces 20 dernières années, des progrès fantastiques ont déjà été faits. Ceux qui émergent aujourd’hui à l’interface de nos disciplines (électrophysiologie, imagerie, comportement ou encore modélisation mathématique…) s’annoncent fascinants pour élucider plus encore cette complexité (Prochiantz, 2012).

Fig. 3.8 À quoi pense une souris quand elle trottine ? Comme le cerveau humain, le cerveau de la souris comporte les mêmes types de neurones et les mêmes régions cérébrales ainsi que la même capacité à les assembler. Son cerveau va lui permettre de gérer sa motricité en coordonnant ses quatre pattes et sa vitesse de déplacement, ses changements de direction, la mémoire de son chemin et des lieux et aussi de savourer la récompense qu’elle finira par trouver ! Sommes-nous si différents sur nos deux jambes ?

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Fig. 3.9

Que fait le cerveau quand on ne fait rien ? La neuro-imagerie a permis de mettre en évidence un réseau un peu particulier, le réseau du repos (ou réseau du « mode par défaut », en bleu sur la figure) : celui-ci est actif quand on demande à une personne de ne rien faire, et il se désactive dès lors qu’elle réalise une tâche cognitive, avec une activation concomitante du réseau impliqué dans l’attention (en rouge sur la figure). Ce réseau du repos sous-tend en fait des activités mentales spontanées et dirigées vers soi (introspection), de rappel de souvenirs passés ou de planification du futur (mémoire autobiographique), et aussi d’imagerie mentale ou de langage internalisé (la petite voix dans la tête), finalement tout ce qui constitue le « vagabondage » de l’esprit. Le cerveau, toujours actif, ferait ainsi alterner de façon adaptative un réseau par défaut et un réseau de l’attention, de l’introspection au traitement de l’environnement extérieur.

Vrai ou faux ? Quelques idées reçues sur le cerveau 1. Le cerveau ne contient que des neurones ? Faux. Il existe 10 fois plus de cellules gliales. Elles apportent l’énergie nécessaire aux neurones et « nettoient » le cerveau, mais leurs fonctions précises sont encore à élucider. 2. On n’utilise que 10-20  % des possibilités de notre cerveau ? Faux. C’est un mythe qui a nourri de nombreux films de science-fiction. Grâce à l’imagerie cérébrale, on a observé qu’il n’existe pas de région cérébrale endormie ou non-utilisée. En réalité le cerveau fonctionne tout le temps, même au repos ou pendant le sommeil (figure 3 .9). Il consomme 20 % de l’énergie du corps pour 2 % de la masse totale. Si 90 % du cerveau n’était pas utilisé, il serait très étonnant qu’il consomme autant d’énergie si précieuse au fonctionnement des autres organes. De plus, si tel était le cas, les lésions cérébrales des zones « inactives » ne devraient pas détériorer son fonctionnement. Au contraire, il n’existe presque aucune zone cérébrale dont la lésion n’est pas incapacitante. 162

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3. Le cerveau adulte ne fabrique plus de nouveaux neurones ? Faux, il existe des régions cérébrales où de nouveaux neurones se créent même chez l’adulte ; ce phénomène s’appelle la « neurogenèse ». Ce mécanisme joue un rôle majeur dans le maintien de la plasticité cérébrale du cerveau adulte. 4. On apprend en dormant ? Faux. L’activité des neurones, enregistrée pendant l’éveil lors d’un apprentissage, est présente pendant le sommeil. On n’apprend pas en dormant, on consolide notre vécu. 5. Peut-on parler d’un 2e cerveau chez l’homme ? Vrai. Une découverte étonnante a été faite ; il existe des neurones dans notre intestin. 500  millions de neurones tapissent la paroi intestinale (200  fois moins que le cerveau). Leur fonction principale est la digestion. Aurait-on développé des fonctions cognitives si notre 1er cerveau s’était occupé en permanence de digérer ?

Comment fabriquer un organisme

3 à partir d’une seule minuscule cellule ? Tous ces organes très complexes, comme le cerveau et tous les autres, sont fabriqués à partir d’une seule cellule ! Comment passe-t-on d’une cellule à un organisme ? On ne construit pas un organisme comme une maison ! Dimanche soir, 22 h 30, dans une rame de métro de grande ville. L’ambiance est morose en cette fin de week-end. Assis sur un strapontin, un jeune homme sourit. Dans sa main, une rose rouge attire les regards. Sur ses genoux, un tout jeune chaton s’étire, encore maladroit, la face 163

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dévorée par deux grands yeux. Il y a trois mois, le jeune homme n’était pas très différent d’aujourd’hui, mais la rose et le chaton n’étaient encore que quelques cellules insignifiantes et microscopiques. Comprendre la transformation de ces quelques cellules en un organisme aussi beau et sophistiqué qu’une rose ou un chaton, tel est le but de l’étude de la morphogenèse*, la genèse des formes vivantes. Les êtres vivants sont tous formés de cellules, souvent qualifiées de « briques de la vie ». Pourtant, la construction d’un organisme est bien différente de celle d’une maison. Les cellules sont des « briques » merveilleuses, qui se déplacent de leur propre chef, et communiquent entre elles pour s’organiser. Plus merveilleux encore, elles se multiplient, et adaptent leurs formes et leurs fonctions à volonté pour remplir leurs missions ! Sur le « chantier » de l’embryon, nul besoin d’architecte, d’ouvriers ou d’engins de chantier, ni même d’importer de nouvelles briques, portes ou fenêtres. Contrairement aux édifices dans lesquels nous vivons, les structures vivantes sont dynamiques et évoluent sans cesse. Près de 40 millions de cellules meurent dans notre corps chaque minute ; notre épiderme se renouvelle entièrement chaque mois, l’épithélium de notre intestin chaque semaine. Et que dire des arbres dont le feuillage se renouvelle chaque printemps ? À la dynamique de la formation de l’embryon, succède donc un statu quo tout aussi dynamique pendant la vie adulte. Le développement ne s’arrête jamais ! Les chercheurs découvrent petit à petit le fonctionnement de véritables « sociétés de cellules » : la morphogenèse animale ou végétale est un processus d’auto-organisation de cellules qui grandissent, se divisent, se déplacent, ou meurent en fonction des évènements auxquels elles ont été soumises dans le passé, de leur « histoire familiale », et des communications qu’elles établissent avec leurs voisines. Et cette chorégraphie de cellules qui échangent en continu finit par produire des organismes contenant des milliards de cellules de plusieurs centaines de types différents, assurant chacun une fonction précise ! 164

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Fig. 3.10 Utilisation d’un gène de méduse pour étudier la localisation des protéines dans les cellules. a. Méduse Aequorea victoria, vivant sur la côte ouest de l’Amérique du Nord. Cette méduse possède une protéine fluorescente, appelée « Green Fluorescent Protein » (GFP) qui rend l’animal bioluminescent. Le gène de la GFP est utilisé par les chercheurs qui l’associent à des gènes codant d’autres protéines. Cela produit des « transgènes » codant des protéines couplées à la GFP qui deviennent fluorescentes. On peut alors les visualiser, comme en b., qui représente la face interne d’une rétine de souris adulte, exprimant un transgène codant une protéine fixant le calcium (calciprotéine S100B) couplée à la GFP. La fluorescence verte révèle la calciprotéine S100B, ce qui correspond au réseau dit « macroglial » qui gaine les vaisseaux sanguins. On peut voir également quelques gros neurones ganglionnaires (toujours en vert) et la couche sous-jacente des neurones exprimant une autre calciprotéine, la calbindine (en rouge) (photo Catherine Legraverend/IGF/CNRS Photothèque).

Comment déchiffrer un système aussi complexe ? Le code génétique donne aux cellules une liste d’instructions, mais, pour espérer comprendre comment l’enchaînement de ces instructions contrôle le comportement de chaque cellule en particulier, il faut d’abord pouvoir observer ces dernières de manière dynamique. La découverte, dans un organisme « exotique », la méduse Aequorea victoria, d’une petite protéine fluorescente, la GFP (pour Green Fluorescent Protein) a révolutionné l’observation des cellules au cours des vingt dernières années (voir figure 3.10). En couplant la GFP à une protéine que l’on souhaite étudier, il devient possible de suivre sa localisation dans la cellule au cours du développement (découverte qui valut au Japonais Osamu Shimomura et 165

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aux Américains Martin Chalfie et Roger Y. Tsien le prix Nobel de Chimie en 2008). Pour la première fois, l’intimité des comportements cellulaires est révélée dans toute sa dynamique et son effervescence1. L’émerveillement que suscitent ces nouvelles découvertes stimule le développement de microscopes de plus en plus rapides, permettant de voir de plus en plus de détails (ainsi le développement de techniques de microscopie à fluoresence très puissante, qui valut à Eric Betzig, Stefan Hell et William Moerner le prix Nobel de Chimie en 2014). L’afflux de données quantitatives d’une précision encore impensable il y a quelques années bouleverse les certitudes et ouvre de nouveaux champs d’étude. D’autant que l’adaptation d’instruments aux noms mystérieux de « pinces optiques » ou de « microscopes à force atomique » rend possible la mesure de propriétés physiques des cellules inaccessibles auparavant. La physique, les mathématiques et l’informatique entrent dans la danse et amènent avec elles une autre manière de concevoir le vivant, comme l’illustrent les trois exemples suivants. Les plantes font-elles des maths ? Il suffit de regarder une pomme de pin, une fleur de tournesol, ou certains cactus pour être frappé par l’omniprésence de spirales dans l’architecture des plantes. Et pas n’importe quelles spirales ! Des spirales directement liées au nombre d’or, le standard architectural du Moyen Âge (figure 3.11). Depuis plus de deux siècles, ces arrangements géométriques ont fasciné les botanistes, mais aussi des physiciens, mathématiciens et informaticiens, la régularité des structures laissant présager l’existence de principes sous-jacents simples. Et c’est bien un mécanisme d’une élégante simplicité qui a été découvert.

Chez une plante, les organes (fleurs, branches, feuilles…) sont créés à intervalles réguliers à l’extrémité d’une tige en croissance, appelée « apex ». 1. De nombreuses vidéos peuvent être visionnées sur internet, par exemple, https ://www.youtube. com/watch?v=dnXwm6-BBCQ montre différents aspects de la vie d’une cellule dans toute sa dynamique : sa division, l’organisation de son squelette, etc. 166

La complexité du vivant

Fig. 3.11 Nombre d’or et architecture des plantes : des spirales et des propriétés mathématiques surprenantes. L’arrangement en spirales des organes est fréquent chez les plantes : en haut à gauche tournesol, en haut à droite chou romanesco, en bas pomme de pin. Si on compte le nombre de spirales apparentes des pommes de pin vers la gauche (au milieu) et vers la droite (à droite), on trouve deux nombres qui appartiennent en général à la célèbre suite de Fibonacci, où un nombre est défini par la somme des deux précédents : 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34… On peut montrer que cette propriété mathématique émerge spontanément des règles de formation des organes à l’apex des tiges.

Après la création de chaque organe, l’apex continue sa trajectoire vers le ciel, laissant dans son sillage les jeunes organes sur la tige. Le modèle mathématique imaginé puis testé expérimentalement par les scientifiques, suggère que la création d’un organe à l’apex empêche la production de nouveaux organes dans son voisinage immédiat. La nature de ce mécanisme d’inhibition est demeurée très longtemps mystérieuse. S’agit-il d’un encombrement physique, d’un signal chimique ou électrique ? Ce n’est que dans la dernière décennie que, grâce aux progrès de l’imagerie avec la protéine fluorescente de la méduse et à de nouveaux modèles 167

Étonnant vivant

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Fig. 3.12 Le langage mécanique des cellules. Des cellules animales se mettent en boule quand elles sont déposées sur un support mou (a) et elles s’étalent si le support est dur (b). En culture dans un milieu convenable, des cellules souches prolifèrent sur un substrat mou en se transformant en cellules de cerveau (c), mais elles ne se divisent pas si le substrat est dur (d). Les cellules de l’extrémité de la tige de l’arabette des dames (e) possèdent un gène (indiqué par la présence de la protéine fluorescente verte de la méduse), qui est activé en (f) suite à l’application de forces externes (flèches).

mathématiques, des équipes françaises, anglaises et suisses ont découvert la clé de cette vielle énigme en étudiant une « mauvaise herbe », l’arabette des dames (Arabidopsis thaliana) (Besnard et al., 2014). Les jeunes organes (feuilles, fleurs) qui se forment à l’extrémité des tiges ont besoin d’attirer à eux une grande quantité d’une hormone, l’auxine. Pour qu’il y ait à nouveau assez d’hormone disponible pour initier un nouvel organe, il faut que la croissance de la tige soit suffisante pour permettre à son apex d’échapper à l’influence des derniers organes produits. De proche en proche, des organes se forment, les plus éloignés possible les uns des autres, laissant apparaître les belles spirales de feuilles, de pétales ou d’écailles que nous pouvons observer sur les tiges des plantes (figure 3.11). Les modèles mathématiques et numé168

La complexité du vivant

riques construits à partir de ces expériences expliquent comment le respect de quelques règles simples permet l’émergence de structures complexes. Les différents « langages » des cellules Ainsi, loin d’être des acteurs isolés et autonomes, les cellules se parlent et c’est de leurs comportements collectifs qu’émergent les formes et les fonctions des végétaux et des animaux. Les signaux moléculaires reçus par une cellule lui indiquent sa position au sein de l’organisme et définissent son destin final, neurone, cellule de la peau ou muscle par exemple. De manière surprenante, le nombre de ces « signaux » est beaucoup plus limité que l’on pourrait penser étant donné la complexité des organismes, quelques centaines au plus. Suffisent-ils vraiment à organiser le vivant ?

Tout comme le coup ou la caresse peuvent transmettre des intentions entre êtres humains, les cellules lisent les forces mécaniques qu’elles reçoivent de leurs voisines et les interprètent pour changer leur comportement, ou pour influer sur l’activation de leurs gènes. Ainsi, certaines cellules animales cultivées sur des gels adoptent des destins différents selon la rigidité mécanique du gel (figure 3.12) : elles deviennent des cellules de cerveau sur un gel mou, d’os sur un gel dur ou de muscle sur un gel de rigidité intermédiaire. Et c’est à nouveau en étudiant l’apex des plantes et les embryons de la mouche et du ver que l’importance de la coopération entre les forces mécaniques et les signaux chimiques pour le développement d’un organisme entier a été démontrée, en partie par des équipes françaises. En réponse aux forces qui leur sont appliquées, les cellules réorganisent leur squelette interne, pour mieux résister à ces forces, pour changer de forme, ou pour orienter leur prochaine division  (figure  3.12). Nos connaissances de ces multiples langages des cellules se raffinent même suffisamment pour nous permettre, en combinant signaux chimiques et stimulations mécaniques, de reprogrammer des cellules pour qu’elles s’auto-organisent en mini-organes. Comme souvent, la précision accrue de nos mesures révèle des phénomènes imprévus. Ainsi, lorsque les cellules d’un tissu en développement 169

Étonnant vivant

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Fig. 3.13 Comment la mort des cellules sculpte les organes. Ces photos représentent la patte avant d’un embryon de souris à trois stades successifs de son développement. Les cellules qui ont enclenché un processus de mort programmée (ou apoptose) sont repérées par un colorant appelé acridine orange, et apparaissent comme les points jaunes-orangés. Après 12,5 jours de développement (photo de gauche), le pied d’une souris forme une plaque à la marge de laquelle certaines cellules ont activé un programme d’apoptose. Après 13,5 jours (photo centrale), la plaque s’est agrandie, et de nombreuses cellules des futurs espaces interdigitaux sont en apoptose. Après 14,5 jours (photo de droite), cette mort a « sculpté » les doigts en faisant disparaître la « palmure » qui les reliait. Il ne reste plus qu’à faire grandir le pied (Wood et al.).

changent de forme, leur vitesse de déformation n’est pas constante. Elles alternent des phases de contraction et de relaxation, des phases de croissance avec des phases d’arrêt. Et nous ne comprenons pas pourquoi pour le moment ! Est-ce un simple héritage évolutif ? Un moyen de coordonner les comportements de cellules voisines ? De réduire les efforts globaux sur le tissu pour ne pas le déchirer ? Des cellules suicidaires pour le bien de la communauté ? Lorsque nous pensons à la construction d’un organisme, nous avons souvent l’image de cellules qui se divisent et grandissent, faisant croître des organes. Mais les cellules de l’embryon peuvent aussi mourir, et cette mort est cruciale pour sculpter certains organes. Ainsi, nos mains se développent initialement en battoirs aplatis, puis les doigts sont créés dans un second temps par la dégénérescence des cellules situées entre eux (figure 3.13). Cette mort cellulaire est « programmée », le programme étant activé dans les cellules suicidaires en réponse à un signal émis par leurs voisines. Ce mécanisme de suicide cellulaire est un héritage de notre histoire évolutive. C’est le même qui permet aux canards d’avoir des pattes palmées ou aux chauves-souris d’avoir des ailes. Le signal induisant la mort cellulaire étant beaucoup plus faible chez les pal170

La complexité du vivant

mipèdes, il reste de la peau entre leurs doigts. Le rôle de la mort cellulaire programmée* dans la génération des formes n’est limité ni aux doigts, ni même aux vertébrés. Il peut de plus avoir un rôle actif. Un laboratoire de Toulouse (Monier et al., 2015) a ainsi récemment montré que la formation des articulations des pattes d’insecte résulte de la traction mécanique exercée par les cellules suicidaires sur leurs voisines. Les protéines qui contrôlent ce processus de mort cellulaire programmée se retrouvent dans la plupart des animaux, et leur action est maintenant bien comprise grâce à des travaux conduits sur le petit ver Caenorhabditis elegans et récompensés en 2002 par le prix Nobel. Qui eût cru que l’étude d’un ver microscopique puisse expliquer la formation de nos doigts et des pattes de mouche ? Du déchiffrage à la modélisation du développement embryonnaire La construction d’un organisme est le résultat d’une chorégraphie cellulaire que nous pouvons maintenant visualiser avec émerveillement. Les progrès spectaculaires de la microscopie, en révélant la dynamique temporelle et spatiale des processus de création de forme, nous donnent accès à un monde cellulaire encore peu exploré et au comportement souvent surprenant. Grâce à la physique, aux mathématiques appliquées et à l’informatique, nous entrevoyons comment des processus à l’échelle de la cellule, voire même des composants de la cellule, peuvent expliquer  la formation de tissus entiers.

Au final, derrière la complexité déroutante du vivant, nous découvrons souvent des mécanismes d’une simplicité inattendue et d’une fascinante beauté, qui sont réutilisés dans des organismes très différents à des fins différentes. Si nous sommes encore bien loin de comprendre comment le génome, cette liste d’instructions présentes dans chaque cellule, peut donner lieu à des comportements cellulaires variés, le déchiffrage des langues que parlent les cellules est bien en route et il est probable que les embryons de petits animaux en apparence anodins, ou les bourgeons d’une mauvaise herbe y joueront un rôle important. 171

Étonnant vivant

4 Comment s’organisent les sociétés animales Les cellules communiquent et s’organisent entre elles pour former un organisme sans utiliser réellement de plan. Mais comment font les individus d’une société animale pour, par exemple, construire des nids ? Ont-ils, eux, un plan ? Entre novembre et février, lorsque commence le crépuscule, le ciel des grandes villes du sud de l’Europe est le théâtre d’un spectacle fascinant. Des dizaines de milliers d’étourneaux se rassemblent et se livrent à d’étonnantes chorégraphies aériennes avant de choisir un abri pour la nuit. Personne ne semble pourtant guider ces groupes d’oiseaux. Leurs déplacements collectifs sont si étroitement coordonnés et synchronisés que certains scientifiques ont même cru pouvoir déceler dans ces phénomènes la présence d’une forme de télépathie entre les individus. D’autres organismes ont aussi développé des formes de vie collective très élaborées. Les colonies d’insectes « sociaux », fourmis, termites et certaines espèces d’abeilles et de guêpes semblent elles aussi se comporter comme un seul et même individu, une sorte de « super-organisme ». Tout se passe comme s’il existait au sein de ces sociétés une force capable d’orchestrer les activités de milliers d’individus. Le poète Maurice Maeterlinck a appelé cette force mystérieuse « l’esprit de la ruche ». Depuis une trentaine d’années, les scientifiques tentent de percer les mystères de ces phénomènes collectifs, qui permettent d’aborder une propriété fascinante des systèmes vivants : la capacité à s’auto-organiser à partir des interactions entre leurs éléments constitutifs2 . Le décryp2. De très nombreuses vidéos illustrant ces phénomènes collectifs peuvent être visionnées sur internet, par exemple https ://youtu.be/4LDtvU8kymg (nuées d’étourneaux) ; https ://youtube/ DAJNG6vLl6A (formation de vortex dans des bancs de poissons) ; https ://youtube/yswCJqjtH4s (construction collective d’un nid chez les fourmis ; https ://youtube/MqLmai4xahA (simulation d’un modèle de construction de nid chez les fourmis). 172

La complexité du vivant

tage de ces interactions est le fruit d’un travail collaboratif entre des éthologistes (qui étudient le comportement animal), des physiciens et des informaticiens. Il nécessite des techniques permettant le suivi automatisé de chaque individu au sein d’un groupe, mais également le développement de nouvelles méthodes d’analyse du comportement et de modélisation mathématique des interactions entre les membres du groupe. Grâce à ces études nous en savons un peu plus aujourd’hui sur les mécanismes qui permettent à des groupes d’animaux, dont les capacités cognitives sont parfois très rudimentaires, de coordonner leurs déplacements, de construire des nids d’une incroyable complexité et de résoudre collectivement de multiples problèmes. Comment construire un nid sans plan d’ensemble ?

Fig. 3.14 Nid ou termitière de Macrotermes bellicosus dite « termitière cathédrale ». Savane de Côte d’Ivoire (photo Alain R. DEVEZ/CNRS Photothèque).

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Étonnant vivant

Voilà bien un problème qui ressemble à un jeu de casse-tête ; pourtant c’est celui auquel sont confrontés quotidiennement les insectes sociaux. Lorsque l’on observe certains nids de termites, on est pourtant frappé par la taille et la complexité des architectures construites (figure 3.14). Les nids de Macrotermes (des termites champignonnistes) peuvent atteindre six à sept mètres de haut, soit plusieurs centaines de fois la taille des ouvriers termites qui les construisent. Et l’organisation interne de ces nids est elle-même incroyablement élaborée. L’intérieur est irrigué par un vaste réseau de conduits qui permettent de ventiler et de climatiser la structure. D’autres espèces ont poussé à l’extrême le raffinement architectural. C’est le cas des « Apicotermes », des termites dont le nid ressemble extérieurement à une petite poterie. Leur surface externe est couverte de petites gargouilles régulièrement espacées qui débouchent sur des corridors circulaires logés dans la coque du nid. Ces structures permettent la régulation des niveaux d’oxygène et de gaz carbonique dans le nid. Mais le plus surprenant demeure l’organisation interne des nids constituée de vastes chambres superposées et régulièrement espacées, qui sont reliées entre elles par des rampes hélicoïdales. De telles structures sont pourtant construites par des insectes de moins d’un millimètre de long et totalement aveugles. Construire collectivement de tels édifices nécessite une coordination très étroite de l’activité bâtisseuse des insectes qui s’opère au moyen d’interactions « stigmergiques » (du grec stigma qui signifie piqûre et ergon qui signifie travail). Découvert par Pierre-Paul Grassé3 à la fin des années 1950, ce mécanisme permet aux insectes de coordonner indirectement leurs activités en utilisant les structures déjà construites. Schématiquement, les traces laissées sur le sol par un insecte lorsqu’il se déplace, comme les pistes des phéromones* (substances chimiques) qu’il dépose le long des structures qu’il a construites, constituent des stimuli 3. Pierre-Paul Grassé (1895-1985) est un célèbre zoologiste français spécialisé dans l’étude des termites. 174

La complexité du vivant

Fig. 3.15 Construction d’un nid de fourmi vu par ordinateur. La modélisation des interactions entre les insectes permet de comprendre comment en groupe ils parviennent à coordonner leurs comportements collectifs et construire collectivement des structures complexes. a, b, c : ces simulations sur ordinateur d’un modèle de construction du nid chez la fourmi Lasius niger montrent qu’en suivant des règles simples de prise et de dépôt de boulettes de terre, les fourmis (cubes rouges) s’auto-organisent en interagissant avec les structures qu’elles construisent : des piliers et des murs régulièrement espacés. d, e : le modèle montre que les interactions « stigmergiques » utilisées par les fourmis pour coordonner leurs activités et caractérisées par les expériences reproduisent très fidèlement la dynamique de construction et les formes construites (image Guy Theraulaz/Anais Khuong/Jacques Gautrais/ CRCA, CBI, Toulouse).

qui vont ensuite déclencher d’autres comportements chez les autres insectes de la colonie. L’activité de ces autres insectes va alors modifier les stimuli qui ont déclenché leurs propres comportements, conduisant à la formation de nouveaux stimuli. Ces boucles de rétroaction sont à l’origine de la coordination des activités des insectes et donnent ainsi l’illusion que la colonie suit un plan pré-défini. Ces mécanismes de coordination ont récemment été décryptés par des équipes françaises chez la fourmi des jardins Lasius niger (Khuong et al., 2016) qui ont modélisé et simulé sur ordinateur le phénomène (figure 3.15). 175

Étonnant vivant

Chez cette espèce, le nid est constitué de deux parties : une partie souterraine constituée de chambres creusées dans le sol et reliées par un réseau de galeries, et un dôme en terre dont la structure interne est constituée d’un grand nombre de chambres en forme de bulles étroitement imbriquées les unes aux autres. Deux principales formes d’interactions avec les structures qu’elles construisent permettent aux fourmis de coordonner leurs activités. Les fourmis déposent préférentiellement du matériau de construction dans les zones où d’autres dépôts ont déjà été réalisés. Ce comportement qui produit une « rétroaction positive » (un effet « boule de neige ») est induit par une phéromone ajoutée par les fourmis dans le matériel de construction. L’accumulation de boulettes d’argile aux mêmes endroits conduit à la formation de piliers. Une seconde forme de rétroaction intervient ensuite lorsque les piliers atteignent une hauteur correspondant à la longueur moyenne du corps d’une fourmi. Les ouvrières construisent alors des extensions latérales qui constituent par la suite des « chapiteaux » de forme globulaire. Les fourmis utilisent ainsi leur corps comme un gabarit pour déterminer la hauteur à partir de laquelle elles cessent de construire verticalement et commencent à déposer des boulettes latéralement sur les piliers. La fusion des chapiteaux achève la construction des chambres et de nouveaux piliers sont ensuite érigés au-dessus, constituant un nouvel étage dans la structure. Mais ce qui est surtout frappant, c’est le remodelage permanent de la structure. Si la forme globale du nid reste la même au cours du temps, les ouvrières détruisent en permanence certaines parties du nid tout en reconstruisant de nouvelles structures. Ce travail de Sisyphe permet aux fourmis d’adapter continuellement la structure du nid à la taille de la population et aux conditions environnementales. Enfin la phéromone ajoutée par les fourmis au matériel de construction joue un rôle clé dans la croissance et la forme des nids. La durée de vie de la phéromone est en effet fortement influencée par les conditions de tempéra176

La complexité du vivant

ture et d’humidité. Ainsi lorsque la phéromone s’évapore rapidement, le nombre total de piliers construits par les fourmis diminue fortement ; quant aux chapiteaux, ils s’aplatissent et forment des auvents. Grâce à ce mécanisme, lorsque la température augmente, les fourmis construisent des abris adaptés, dont la forme va changer en fonction des conditions de l’environnement, tout en conservant pourtant les mêmes comportements individuels. Comment coordonner les déplacements d’un groupe sans conducteur ? Si les insectes sociaux parviennent à coordonner leurs actions au moyen des interactions « stigmergiques » (c’est-à-dire de coordination indirecte) décrites ci-dessus, de très nombreuses espèces de vertébrés vivant en groupes (bancs de poissons, nuées d’étourneaux, troupeaux de moutons) utilisent des formes d’interactions plus directes entre les individus. Ceux-ci détectent visuellement la présence de leurs voisins immédiats et adoptent des comportements qui, à l’échelle du groupe, donnent naissance à des formes dynamiques très complexes (figure 3.16). Pour caractériser ces interactions et comprendre les propriétés qu’elles confèrent aux groupes, il est nécessaire là aussi d’associer très étroitement l’expérience et la modélisation. Dans une première étape, on analyse très finement les comportements et les réactions d’un seul individu, isolé d’abord puis lorsqu’il est en présence d’obstacles ; dans une seconde étape, l’étude de groupes constitués uniquement de deux individus permet d’identifier les informations échangées pour coordonner leurs déplacements, et de décrire la relation existant entre ces informations et les réactions comportementales. Enfin, dans une dernière étape, l’étude de groupes d’effectifs croissants permet d’analyser l’influence des voisins sur le déplacement individuel.

Cette méthode a permis à un ensemble de plusieurs équipes françaises de mesurer la forme précise des « forces sociales » chez des Doules 177

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Fig. 3.16 Dans une nuée d’étourneaux (a) ou un banc de poissons (b) des milliers d’individus parviennent à harmoniser leurs mouvements et constituer des formations compactes pour se protéger des prédateurs tout en explorant l’environnement (photos Oronbb et Matthew Hoelscher).

à  queue rubanée (Kuhlia  mugil), des poissons pélagiques vivant en bancs dans l’Océan indien. Deux forces d’attraction à longue distance et d’alignement à courte portée règlent ainsi la coordination des nages chez cette espèce. Ces interactions déterminent aussi la forme des déplacements collectifs : lorsque la vitesse de nage augmente, elles entraînent un changement du mode de déplacement du banc. Lorsque les poissons se déplacent lentement, ils restent regroupés, mais le degré de polarisation des nages est très faible (les poissons ne nagent pas tous dans la même direction). Le comportement collectif du banc ressemble un peu à celui d’un essaim de moucherons. En revanche lorsqu’ils se déplacent rapidement, le banc adopte spontanément une direction commune de déplacement mais il peut aussi 178

La complexité du vivant

constituer une structure en vortex, les poissons tournoyant autour d’un espace vide. Cette capacité du banc à adopter spontanément l’un ou l’autre type de déplacement lui confère également une très forte réactivité et une grande variété de réponses collectives en cas d’attaque de prédateurs. L’auto-organisation au cœur des phénomènes d’intelligence collective Une part importante de la complexité des comportements collectifs de groupes et sociétés animales résulte des interactions entre les individus qui les composent. Ces interactions permettent à ces groupes de produire des réponses collectives qui dépassent les capacités propres à chaque individu. C’est grâce à ces interactions et aux processus d’auto-organisation qu’elles induisent qu’une forme d’intelligence collective peut ainsi émerger dans ces sociétés. De très nombreuses questions restent encore en suspens sur la variété des formes d’interactions qui permettent l’émergence de telles propriétés collectives et sur leur évolution. Mais les recherches ont d’ores et déjà montré que ces processus d’auto-organisation permettent de créer de la complexité tout en réalisant une formidable économie de codage des mécanismes qui au niveau individuel conditionnent l’émergence de ces propriétés.

Conclusion Ainsi donc la vie est construite sur une multitude d’éléments interagissant entre eux au cours du temps, et ce n’est qu’aujourd’hui que nous percevons et pouvons enfin étudier cet ensemble en mouvement. Grâce aux avancées expérimentales et à la modélisation mathématique, des millions de molécules peuvent être identifiées et suivies, les 179

Étonnant vivant

signaux qu’une cellule reçoit pour détruire une autre cellule sont de mieux en mieux déchiffrés, certaines règles simples donnant naissance à des formes géométriques spectaculaires sont découvertes, les régions cérébrales sollicitées par la mémoire ou le repos sont mises en évidence et les propriétés collectives dévoilent leurs bases enracinées dans le comportement que chaque individu adopte en fonction de celui de ses voisins. Ces avancées nous touchent d’autant plus que nous sommes nous-mêmes, en tant que systèmes vivants, étroitement liés à chaque nouvelle découverte. Ce qui se passe dans les laboratoires n’est pas une succession de faits divers éloignés de notre quotidien, c’est une compréhension de plus en plus fine de ce qui se passe en nous-mêmes, et tout autour de nous. Les exemples que nous avons décrits laissent entrevoir, dans le brouillard de la complexité, les contours de certaines propriétés qui se précisent. Ainsi, le xxie siècle sera celui de l’exploration des interactions complexes et des propriétés que leur dynamique engendre. Est-il possible que les clés de la connaissance soient justement là ? Que l’identification des éléments ne constituait qu’une infime partie à découvrir et qu’un univers entier, celui de leurs interactions, reste à explorer ? Mais alors comment, dans cette multitude en mouvement, discerner dans l’agitation générale les règles qui sont pertinentes ? Voilà un défi majeur que les scientifiques doivent aujourd’hui relever, et il sera probablement nécessaire d’avancer sur plusieurs fronts. Car, malgré tout, l’exploration des systèmes biologiques complexes n’en est qu’à ses balbutiements. Les exemples sont encore rares où le scientifique peut affirmer comment un phénomène biologique d’intérêt résulte de l’émergence de propriétés collectives, d’un changement ou d’une modulation d’interactions, ou d’un effet traversant plusieurs échelles spatiales ou temporelles. Il apparaît aujourd’hui vraisemblable 180

La complexité du vivant

que la biologie se meut en une science formelle, où toute description nécessitera une estimation quantitative appuyée sur un modèle mathématique. Mais nul ne sait combien de règles, simples ou complexes, sont enfouies dans les systèmes biologiques. Chaque nouvelle règle qui sera découverte accroîtra la maturité scientifique de l’humanité et lui apportera, pour aller encore plus loin, des atouts qui sont encore insoupçonnables aujourd’hui.

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Q u a t r i è m e

c h a p i t r e

L’être vivant dans son environnement

Étonnant vivant

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haque être vivant est défini par son potentiel génétique, mais l’expression de celui-ci dépend du milieu physique et chimique environnant. De multiples facteurs de cet environnement, dit « abiotique », influencent les caractères exprimés par les êtres vivants : par exemple la composition du sol influence la croissance des plantes, la durée du jour influence la date de leur floraison, la température ambiante contrôle la vitesse de croissance des micro- organismes, les saisons influencent l’activité des animaux, etc. Les organismes de chaque espèce sont adaptés à une gamme de conditions environnementales donnée, c’est-à-dire que leur physiologie et leur développement sont capables de s’ajuster à cette gamme de conditions. Il s’agit d’une propriété intrinsèque du vivant, la plasticité, qui permet d’exprimer plusieurs phénotypes en réponse à l’environnement à partir d’un seul potentiel génétique. Les plantes par exemple peuvent ainsi moduler leur forme et leur nombre d’organes en fonction du milieu. De plus, aucun être vivant ne vit en autarcie. Tous vivent, évoluent, s’adaptent ou périssent en engageant des interactions complexes avec d’autres êtres vivants ; on parle alors d’environnement dit « biotique ». Certains échanges sont obligatoires : un virus* n’est vivant que dans le contexte de sa cellule hôte, les lichens sont composés de deux organismes distincts, un champignon et une algue ou une bactérie*, associés si intimement qu’aucun ne peut vivre sans l’autre. Des organismes aussi simples que des bactéries vivent en communautés et communiquent entre eux pour contrôler leur multiplication, assurant les meilleures chances de survie pour la population dans son ensemble. La situation est encore plus contraignante chez les organismes multicellulaires, aussi bien simples, composés d’agrégats de cellules identiques, que complexes, où les cellules assurent des fonctions dif184

L’être vivant dans son environnement

férentes, se répartissant les tâches nécessaires pour le fonctionnement de l’organisme entier. Ce mode de vie requiert la subordination des intérêts individuels de la cellule (survie, croissance, multiplication…) aux intérêts communs, ceux de l’organisme entier. C’est le prix à payer pour profiter des avantages que procure la coopération entre les individus (ici les cellules), qui, ensemble génèrent des fonctions dépassant de loin la somme des capacités de chaque membre de la communauté, aboutissant à des merveilles comme la pensée abstraite, la conscience ou l’art.

Influence de l’environnement physique et chimique

1 (abiotique) sur les êtres vivants

Peut-on s’adapter à tout ? Quand on pense aux plantes, animaux et micro-organismes vivant sur notre planète, on les imagine évoluant nécessairement dans des conditions compatibles avec la vie comme c’est le cas dans la plupart des écosystèmes terrestres et marins : une température comprise entre 10 et 40 °C, un pH d’environ 7 (c’est-à-dire presque neutre), une pression d’1 atmosphère, de la disponibilité en eau, un niveau des rayonnements ionisants bas, etc.

Les environnements extrêmes se caractérisent par des paramètres aux limites des conditions permettant le maintien et le développement de la vie sous ses formes diverses. Ils sont terrestres, océaniques, polaires ou de subsurface profonde, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ils sont largement répandus sur notre planète. En termes de volume, ils représentent la partie la plus importante de la biosphère terrestre (notamment les fonds océaniques et les régions polaires). Dans ces environnements extrêmes, 185

Étonnant vivant

où vivent principalement des micro- organismes de nature procaryotique (des bactéries et des archées*), certains organismes vivent dans des conditions aux limites de leur potentiel physiologique et énergétique tandis que d’autres ont des caractéristiques génétiques très adaptées et un besoin vital de ces conditions. Quand on qualifie ces procaryotes* d’« extrêmophiles* », on utilise la notion d’environnement « normal » comme référence. En adoptant cette vision anthropocentrique, on ne doit pas oublier que ces environnements, qui semblent aujourd’hui si hostiles, prédominaient lorsque les premières formes de vie sont apparues sur Terre. Aujourd’hui ils sont encore colonisés par des communautés microbiennes très riches. Selon la nature du paramètre physico-chimique dominant du milieu, on peut subdiviser les extrêmophiles en différentes catégories : hyperthermophiles (Topt ≥ 80 °C, comme Pyrolobus fumarii, une archée qui détient le record de vie aux hautes températures, optimum 106  °C, maximum 113  °C, survit 1 h en autoclave à 121  °C), psychrophiles (Topt ≤ 15  °C, comme la bactérie Psychrobacter fulvigenes capable de croître à des températures aussi basses que -5 °C), acidophiles (pHopt ≤ 3, comme Picrophilus oshimae, une archée qui a montré une croissance optimale à pH=0,7), alkaliphiles (pHopt ≥ 9, comme Bacillus pseudofirmus capable de croître à pH 11), halophiles (certains micro-organismes comme l’archée Halobacterium salinarum peuvent même vivre en présence de 32 % de NaCl soit la limite de saturation), piezophiles (comme Pyrococcus yayanosii, une archée qui détient le record de vie sous pression hydrostatique à 150 millions de Pascal, soit 1 500 fois la pression atmosphérique). L’étude de la vie en condition extrême a été réalisée pendant des décennies dans les déserts chauds ou dans les écosystèmes montagneux. Aujourd’hui elle s’étend à des environnements encore plus extrêmes, où l’on n’imaginait pas trouver des organismes vivants. À  titre d’exemples, les sources hydrothermales des dorsales océa186

L’être vivant dans son environnement

Fig. 4.1 Les édifices du site « des Ruches » sont dominés par les diffuseurs, qui sont des structures globuleuses. Les morphologies cylindriques de type cheminées sont plutôt rares. Les parois des cheminées sont colonisées par des crevettes Rimicaris exoculata. D’importantes émissions de fluides de couleur noire s’échappent de multiples conduits. Le fluide hydrothermal sort des cheminées à une température pouvant atteindre 350 °C, pH 3,8. Sous l’effet de la pression (342-248 bars) l’eau reste sous forme liquide. Le fluide est chargé de gaz (sulfure d’hydrogène, gaz carbonique, méthane, dihydrogène, diazote) et de minéraux (fer, dioxyde de silicium, lithium, calcium, manganèse) et au contact de l’eau de mer qui est oxydée et froide (2°C), des constituants du fluide précipitent, forment les cheminées et donnent cette couleur noirâtre au fluide d’où le nom de fumeurs* noirs. Le site Snake Pit (23°22’N, 44°57’W) est situé à une profondeur de 3 420 m environ sur une croûte basaltique. Photo Ifremer.

niques ont été découvertes à la fin des années 1970 (figure  4.1), l’étendue et la biodiversité des écosystèmes des fonds océaniques ont commencé à être reconnues vers la fin des années 1980, et les premiers indices de la vie dans le lac géant sous-glaciaire Vostok (Antarctique) n’ont été signalés que pendant la dernière décennie. Le lac d’eau douce de Vostok est le plus grand des lacs subglaciaires de l’Antarctique ; sa surface est à approximativement 4 000  mètres en dessous de la surface de la glace (Température basse [−3 °C], pression élevée [environ 360 atm], absence de lumière, grande quantité de gaz dissous [milieu très oxygéné]). 187

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Et pourtant il y a de la vie ! L’intérêt d’étudier la biodiversité des milieux extrêmes est multiple. Dans plusieurs de ces environnements règnent des conditions physico-chimiques similaires à celles d’autres planètes, ce qui laisse penser qu’une vie extra-terrestre est envisageable. Ainsi la surface et les habitats souterrains de l’Antarctique et de l’Islande, Rio Tinto et le désert d’Atacama présentent des analogies avec la planète Mars et la lune de Jupiter Europa, où l’on trouve pareillement des glaciers et sous ces glaciers un océan et des lacs ainsi que des sources hydrothermales. L’étude des communautés vivantes des environnements terrestres extrêmes peut ainsi fournir des informations importantes, notamment des biosignatures (substances résultant d’une activité biologique), pour la recherche de vie extra-terrestre lors de missions d’exploration spatiale. L’exploration de cette biodiversité offre également des possibilités d’applications biotechnologiques, comme l’utilisation des enzymes* de l’extrême dites « extrêmozymes » et un large éventail d’autres molécules pour des utilisations industrielles. La découverte de l’enzyme Taq polymérase extraite de la bactérie hyperthermophile Thermus aquaticus, et son utilisation dans la technologie d’amplification de l’ADN* à partir d’échantillons infimes, a révolutionné la biologie moléculaire. Cette technique, aussi appelée réaction de polymérase en chaîne (« Polymerase Chain Reaction » ou PCR*) permet d’obtenir in vitro un très grand nombre de copies d’une séquence* d’ADN donnée. C’est un exemple souvent cité de l’utilisation industrielle d’une extrêmozyme. Mais ce n’est qu’un exemple et d’autres enzymes telles que des protéases, des amylases, des carboxyméthylcellulases, des cellulases et des xylanases issues de microbes extrêmophiles sont largement utilisées par l’industrie pour la fabrication de produits pharmaceutiques, d’aliments, de boissons et de confiseries, ainsi que dans le textile, le traitement du cuir, la fabrication du papier et le traitement des eaux usées. 188

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Combien sommes-nous ? Cela dépend de ce qu’on entend par « nous »… La population humaine est estimée à 7,4  milliards (7,4 x 10 9) en 2016 et on prédit qu’au rythme actuel de son accroissement, elle pourrait atteindre 11,2 milliards en 2100. Chaque être humain est constitué d’environ 3 x 1013 cellules humaines (dont 85 % sont des globules rouges) et d’environ 4 x 1013 cellules microbiennes (le microbiote*). Dans chaque cellule humaine (à l’exception des globules rouges) il y a 2 mètres d’ADN. Si l’on assemblait l’ADN de toutes les cellules d’un seul individu, cela formerait un fil d’une longueur de 60 milliards de km, suffisante pour l’enrouler plus d’un million de fois autour de la Terre. Des estimations récentes proposent qu’il existe environ 1030 bactéries et archées vivant dans le sol, l’eau (principalement les océans) et l’air. La population de virus, représentée en majorité par les bactériophages* (les virus qui infectent les bactéries), est estimée à 1031. Si on alignait tous les virus sur un fil, celui-ci atteindrait une longueur de 200 millions d’années lumières, soit 2 millions de milliards de km, 2 000 fois le diamètre de la Voie lactée, notre galaxie ! Pourtant, même ce chiffre vertigineux de 1031 fait pâle figure devant la capacité de division de la bactérie Escherichia coli. Elle se divise toutes les vingt minutes lorsqu’elle est cultivée dans un milieu riche. Vingt minutes plus tard, les deux bactéries filles

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se diviseront à leur tour pour en former quatre, et ainsi de suite. Combien de temps faudrait-il à une seule bactérie pour former une population d’une taille de 10 80, le plus grand nombre possible de notre réalité physique, la somme de toutes les particules élémentaires de l’univers ? Si les ressources étaient inépuisables, une seule bactérie atteindrait ce nombre en… moins de 4 jours et demi ! Les halophiles, qui s’accommodent de fortes concentrations en sel, ont été une source importante de molécules ayant une valeur commerciale. Par exemple, la bactériorhodopsine, une petite protéine provenant d’une archée, a trouvé des applications dans l’holographie, l’informatique et la mémoire optique. Ces micro-organismes halophiles ont également été une source de molécules naturelles utilisées comme stabilisants et comme agents de protection. Des biopolymères (polymères composés de molécules biologiques) sont employés dans la récupération du pétrole. Les protéines « antigel » ont été isolées à partir de psychrophiles et utilisées par exemple pour stabiliser les produits alimentaires et cosmétiques. L’extraction de métaux lourds (zinc, cuivre, nickel, cobalt) à partir de minerais, un processus économiquement très important, a été développée ces dernières années avec des microbes acidophiles et résistants au froid. D’autres extrêmophiles sont exploités dans la bio-restauration de certains environnements pollués et sont également utilisés dans la production d’énergie alternative comme le dihydrogène. Les extrêmophiles sont non seulement des ressources précieuses pour le développement de procédés biotechnologiques nouveaux, mais ils représentent également des modèles idéaux pour étudier la façon dont les biomolécules sont stabilisées lorsqu’elles sont soumises à des environnements extrêmes. Enfin, les études de la vie dans les environnements extrêmes nous fournissent des informations précieuses sur la manière dont les premières formes de vie et les premiers écosystèmes distincts ont évolué. 190

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L’adaptation, c’est Nickel, et ça peut valoir de l’or ! À de très rares exceptions près, les végétaux n’ont pas la faculté immédiate de fuir un environnement ou une situation qui ne leur convient pas (la plupart ne peuvent « se déplacer » qu’à l’issue d’une génération par l’intermédiaire de leurs graines, mais encore faut-il atteindre ce stade !). Le sol en particulier impose des contraintes fortes liées à sa composition ou à son humidité. La plante dite « de la résurrection » est originaire des déserts d’Amérique du Nord où elle est capable de supporter pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, un état complètement déshydraté, un métabolisme* à l’arrêt, et de reprendre sa croissance en quelques heures après une pluie.

Certains sols sont particulièrement hostiles à la vie végétale car très riches en métaux lourds généralement toxiques, d’origine naturelle ou venant d’une pollution humaine. Là aussi des espèces ont acquis des capacités bien spécifiques pour s’y développer. On peut citer Arabidopsis halleri et sa capacité à tolérer le zinc et le cadmium dans ses feuilles à des teneurs très élevées qui seraient toxiques chez l’immense majorité des autres espèces végétales. Il a été démontré que cette propriété était en partie due à la présence de multiples copies d’un gène codant une protéine transporteur de métaux (Hanikenne et al., 2008). Cette surabondance du transporteur permet à la plante de mieux gérer l’absorption du zinc par les racines puis de l’exporter et le stocker dans les feuilles et ainsi réduire sa toxicité. En Nouvelle-Calédonie, les sols très riches en nickel et en manganèse ont exercé une pression de sélection qui a conduit à l’apparition de toute une série d’espèces tolérantes à l’accumulation importante de ces métaux dans leurs tissus. C’est le cas par exemple d’un arbuste, Pycnandra acuminata, dont la sève est parfois bleue (figure 4.2) car elle peut contenir jusqu’à 20 % de nickel (en poids sec). Cette capacité qu’ont les plantes de vivre sur des milieux riches en métaux lourds a encore été illustrée récemment par des chercheurs 191

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Fig. 4.2 Certains végétaux ont développé des adaptations spectaculaires à des environnements très difficiles, y compris des sols toxiques à cause de concentrations importantes en métaux lourds. Souvent ces composés sont accumulés et stockés dans des compartiments empêchant ainsi leurs effets toxiques. Ici un arbuste de NouvelleCalédonie transporte de telles quantités de Nickel dans sa sève… qu’elle en devient bleue ! (photo B. Fogliani / IAC).

australiens qui ont découvert, grâce à une technique très sophistiquée d’imagerie par rayon X, des microparticules d’or dans des feuilles d’euca lyptus vivant en milieu naturel (Lintern et al., 2013 ; figure 4.3) ! Cet or révélé au grand jour a été puisé par les racines des arbres dans une zone aurifère cachée à plus de 35 mètres de profondeur. L’idée a depuis germé d’utiliser les eucalyptus comme sonde naturelle pour prospecter à moindre coût les sous-sols. Des eucalyptus prospecteurs d’or ? Oui, peut-être, mais véritables chercheurs d’or, malheureuse-

Fig. 4.3 Particules d’or observées à l’aide d’un synchrotron dans une feuille d’eucalyptus prélevée en site naturel sur une zone aurifère d’Australie. (a) Image montrant la distribution générale et relativement abondante des particules de cuivre (bleu) et de calcium (vert). (b) Vue détaillée de la zone encadrée dans (a) montrant des grains isolés d’or (rouge, flèches) au milieu des particules de cuivre et de calcium. Barres d’échelle = 500 μm (a) et 50 μm (b) (photo Melvyn Lintern, Ravi Anand, Chris Ryan, David Paterson, Nature Communications 4).

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ment non, les quantités accumulées dans les feuilles, aussi extraordinaires soient-elles, sont encore bien trop faibles pour intéresser les mineurs ! Peut-on courir plus vite que le changement climatique ? La plupart des espèces animales et végétales sont très fortement influencées par les facteurs climatiques (température, précipitation), au point que leurs aires géographiques de répartition sont limitées. Tout changement de ces facteurs dans une zone donnée affectera donc les espèces qui y vivent. Ainsi on assiste à un déplacement progressif des espèces au fil des générations vers des zones où les facteurs climatiques sont plus propices à leur développement, notamment vers le nord dans notre hémisphère. En réalité, ce ne sont pas les individus qui bougent, mais leurs descendants qui occupent des territoires plus ou moins éloignés. Le déplacement de populations d’arbres se fait par la dispersion et la germination à très courte distance de graines dans des sites appropriés. Lorsque le climat change, la germination baisse, la mortalité augmente dans les zones qui ne sont plus favorables et la population y diminue jusqu’à disparaître. Au contraire, les nouvelles zones favorables permettent de nouvelles germinations et un déplacement global de l’aire de répartition de la population, qui suit la trajectoire du climat.

Étant données la longueur des temps de génération et la petitesse des distances de dispersion, la dissémination des arbres est très lente, comme les changements climatiques naturels. Cependant, avec les fortes altérations du climat que nous connaissons actuellement, les modifications de répartition des espèces s’observent à l’échelle d’une vie humaine. Si le climat change plus rapidement que la vitesse de déplacement des populations, comme c’est le cas pour les arbres, ceux-ci peuvent finir par se faire distancer par leurs climats de prédilection et les populations se trouver entièrement dans des zones non 193

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favorables, ce qui a pour conséquence des diminutions sévères d’aires de distribution, voire des risques d’extinction de l’espèce. C’est ainsi que les modèles mathématiques prédisent la disparition du hêtre d’ici quelques décennies en Europe du Sud. On a mesuré des déplacements d’aire de répartition à la suite du réchauffement climatique global actuel chez de très nombreuses espèces, des plantes aux insectes, et des vertébrés terrestres aux invertébrés marins. De nombreuses espèces animales ont des vitesses de dissémination plus importantes que celles des plantes, néanmoins les changements actuels d’environnements sont encore trop rapides et ce, même pour les espèces les plus mobiles. Une étude récente a montré que les conditions climatiques en Europe, et donc les habitats des espèces y vivant, se sont décalées vers le nord de 249 kilomètres en moyenne ces deux dernières décennies. Cette étude a également suivi, pendant la même période, les limites des aires de répartition de 2 130 communautés (ensemble d’espèces vivant dans le même écosystème) de papillons et de 9 490 communautés d’oiseaux, qui se sont déplacées vers le nord de 114 km pour les premières et de 37 km pour les secondes. Les papillons, et plus encore les oiseaux « traînent » donc plus de 200  km derrière leur climat idéal. Cette étude a non seulement mis en évidence l’incapacité de ces deux groupes d’espèces à suivre leur climat favorable, mais également le décalage géographique qui les sépare graduellement l’un de l’autre. Or de nombreux oiseaux dépendent de certaines espèces d’insectes pour leur alimentation. Le décalage entre les aires de répartition des prédateurs et de leurs proies peut alors perturber la dynamique de leurs relations et augmenter la menace de leur extinction. Et de nombreux insectes dépendent également de certaines plantes, dont les populations se déplacent encore moins rapidement. En conséquence, le changement climatique constitue un changement d’environnement 194

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– et donc une menace – à la fois directement et par l’intermédiaire des perturbations des relations entre espèces. Un « éclair de génie » chez les bactéries Les procaryotes, c’est-à-dire les bactéries et les archées, se caractérisent par un extraordinaire potentiel d’adaptation. C’est ce qui a permis à ces micro-organismes de coloniser tous les écosystèmes de notre planète, y compris les plus inhospitaliers (voir plus haut les organismes extrêmophiles). Un des mécanismes d’adaptation les plus importants est le transfert d’ADN entre cellules. Ce transfert horizontal de gènes* offre la possibilité à deux bactéries même phylogénétiquement éloignées de se transmettre des gènes fonctionnels. Or, l’acquisition d’un nouveau gène peut totalement modifier le devenir

Fig. 4.4 Le laboratoire Ampère à Lyon est le seul laboratoire académique en France disposant d’un générateur haute tension permettant de simuler en conditions contrôlées la décharge de foudre dans le sol. Ce dispositif a été utilisé pour montrer que l’injection de courant électrique dans le sol lors des orages provoque l’acquisition d’ADN par les bactéries présentes dans le sol. La décharge de foudre contribue ainsi au transfert de gènes entre bactéries, principal mécanisme d’évolution et d’adaptation de ces micro-organismes.

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d’une bactérie en lui permettant par exemple de se développer en présence d’un antibiotique* quand le gène inséré confère une résistance à celui-ci. La question alors posée est : comment des gènes étrangers peuvent-ils être internalisés dans des bactéries ? On sait que des chocs thermiques, osmotiques ou électriques ouvrent des pores dans les parois bactériennes par où l’ADN peut pénétrer la cellule. Des chercheurs physiciens et microbiologistes de Lyon se sont demandé si, en milieu naturel, les paramètres électriques consécutifs à une décharge de foudre lors des orages pourraient permettre des transferts d’ADN chez les bactéries. Ils ont réalisé des essais à l’aide d’un générateur à haut voltage capable d’émettre des impulsions électriques de 1  million de volts pour 50  kilojoules d’énergie dans des échantillons de sol simulant ainsi une véritable décharge de foudre, et ils ont apporté la preuve irréfutable que des bactéries pouvaient être ainsi électrotransformées génétiquement (Demanèche et al., 2001 ; figure  4.4). Signalons que ce n’est pas moins de 1013 cellules bactériennes (dix mille milliards) vivant dans 4  mètres cubes de sol qui peuvent être affectées par les conditions « transformantes » d’une décharge de foudre de moyenne intensité et qu’à chaque seconde sur notre planète le ciel s’illumine quelque part de milliers d’éclairs. Comme un coup de pouce nécessaire à l’explosion de la vie, quand la Terre était constamment frappée par de très violents orages, l’électrotransformation a dû jouer un rôle fondamental pour générer l’indispensable diversité génétique nécessaire à l’adaptation des bactéries aux différentes conditions des milieux ! Quand les bactéries jouent aux LEGO L’insecticide gamma-hexachlorocyclohexane commercialisé sous le nom de « lindane » a été largement utilisé en agriculture avant d’être interdit du fait de sa toxicité et de sa rémanence importante dans l’environnement. Cette persistance, notamment dans les sols, 196

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tient au fait que ce composé synthétique, sans équivalent naturel de composition chimique proche, n’a pas pu être dégradé par les bactéries du sol. Jamais confrontées à cette molécule « étrangère », les bactéries, au cours des centaines de millions d’années de leur évolution, n’ont pas développé une ou des voies métaboliques permettant sa dégradation. Pourtant, aujourd’hui, des souches bactériennes capables de dégrader le lindane ont été isolées dans des sols fortement contaminés par ce polluant. Cette nouvelle propriété est due à la capacité qu’ont développée ces bactéries d’effectuer l’étape initiale de déchloration, c’est-à-dire de dégrader les composés organiques chlorés. Il ne semble pas que l’acquisition du gène impliqué (le gène linA, très semblable chez toutes les souches isolées à partir de différents milieux pollués) ait été réalisée par transfert horizontal à partir d’une autre bactérie environnementale car ce gène complet n’a jamais été détecté, ni dans d’autres bactéries ni dans l’ADN extrait du sol. En revanche, les analyses bioinformatiques démontrent que ce gène est un gène mosaïque nouvellement assemblé chez ces souches par recombinaison de plusieurs morceaux d’ADN provenant de gènes codant d’autres types d’enzymes trouvés chez différentes bactéries (Boubakri et al., 2006). La dégradation du lindane fournit un exemple extraordinaire du potentiel d’adaptation des bactéries. L’assemblage d’un nouveau gène avec une structure génétique clairement définie en motifs indépendants confirme la fluidité des génomes* et l’importance du transfert horizontal non seulement de gènes mais également de fragments plus courts. La fréquence des échanges génétiques en milieu naturel doit être particulièrement élevée pour avoir permis en quelques années d’assembler au hasard des fragments d’ADN d’origine diverse. La réponse adaptative a donc été extrêmement innovante, rapide et sans équivalent dans d’autres domaines connus du vivant. Les travaux montrent cependant que cet assemblage du gène linA n’est pas 197

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optimal. Si la réponse initiale des bactéries au changement brutal qu’a été la pollution a été extrêmement rapide, nos connaissances en microbiologie et plus particulièrement en génomique* nous enseignent qu’il faudra beaucoup plus de temps pour que la sélection naturelle aboutisse à une voie de dégradation du lindane véritablement optimisée. L’environnement, un formidable architecte du vivant La formation d’un nouvel organe est un mécanisme complexe et fascinant. Chez l’animal, c’est au moment de la formation de l’embryon que sont formés la plupart des organes : bras, jambes, nez, oreilles, ils sont tous formés de façon précoce. Chez d’autres animaux, tels les insectes, l’individu adulte est produit suite à une métamorphose qui transforme une larve grâce à des mécanismes de développement également très complexes. Les plantes, elles, ont un avantage indéniable : elles sont capables de produire des nouveaux organes tout au long de leur vie ! En effet, feuilles, racines, fleurs, tiges, fruits… sont encore invisibles dans l’embryon de plante qui dort au fond de la graine.

Comment et quand ces nouveaux organes sont-ils produits ? Tout dépend de l’environnement ! Incapable de se déplacer, la plante doit se satisfaire de ce qu’elle trouve là où elle a germé. Pour elle, produire les bons organes au bon endroit et au bon moment est une question de vie ou de mort : pas question de fleurir au début d’un hiver rigoureux ou de produire des nouvelles racines en pleine période de sécheresse ! Les racines justement, organes cachés sous terre, ont été longtemps négligées par les sélectionneurs pour l’amélioration des plantes. Et pourtant, elles assurent un rôle fondamental pour les besoins en eau mais aussi en minéraux qui sont les constituants fondamentaux de tous les êtres vivants : azote, phosphore, potassium et bien d’autres encore… La capacité unique des racines à reprogrammer leur développement post-embryonnaire en fonction des propriétés du sol com198

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Fig. 4.5 Influence de l’auxine. Montage de clichés de microscopie confocale montrant une pointe racinaire d’Arabidopsis thaliana dont les membranes cellulaires sont marquées par un colorant fluorescent rouge. Chaque lignée cellulaire, mise en place sous l’influence de l’auxine, est révélée par l’expression d’une protéine fluorescente de couleur différente dans chacun des tissus de la racine : coiffe latérale (magenta ; vert), columelle (cyan), épiderme (bleu), cortex (magenta ; vert), endoderme (jaune), centre quiescent (orange), protophloème (bleu), protoxylème (cyan). Ces marqueurs sont utilisés pour étudier le développement de la racine et sa réponse aux changements environnementaux (photo Yvon Jaillais, Laboratoire de Reproduction et Développement des Plantes (RDP), ENS Lyon).

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mence à être comprise. Elle repose sur des mécanismes moléculaires extrêmement sophistiqués de perception par les racines des différents facteurs physiques et chimiques du sol et sur les rôles multiples de plusieurs hormones végétales servant à intégrer au niveau intracellulaire les signaux extérieurs perçus. On a par exemple identifié dans les racines des oscillations d’une hormone végétale : l’auxine. Cette hormone, dont l’existence avait été prédite par Charles Darwin, agit comme un métronome en déterminant le rythme de production des nouvelles racines. Elle agit comme un véritable chef d’orchestre du développement racinaire en déterminant la position et la vitesse de croissance des nouvelles racines (figure 4.5). Certains physiologistes décrivent une zone particulière de l’apex racinaire comme un centre névralgique où la plante perçoit son environnement, traite les multiples informations perçues (disponibilité en eau, température, acidité, teneur en phosphore, contrainte mécanique, etc.) et les intègre pour déclencher une réponse physiologique et adaptative appropriée. Dans leurs cellules, les plantes possèdent la plupart des protéines connues chez les animaux pour intervenir dans la perception d’un signal extérieur, dans la conversion de ce signal en signalisation intracellulaire et dans l’activation spécifique de certains gènes. Elles en possèdent même d’autres, comme certaines calciprotéines (protéines qui fixent le calcium) qui n’existent pas chez les animaux. On pense que pour survivre en tant qu’organismes immobiles et soumis aux aléas de l’environnement, les plantes ont acquis des capacités extrêmement développées de reconnaissance, à tout instant et avec une grande précision, des évolutions de leur environnement. La découverte que des signaux électriques peuvent se propager dans les tissus d’une plante a encouragé certains à créer une société savante internationale de neurobiologie végétale. Cette société et les questions qui y sont débattues –  les plantes ont-elles une forme de sensibilité à la souffrance ? Peuvent-elles mémoriser et anticiper une 200

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situation ? Possèdent-elles une certaine forme d’intelligence ? – bien que très controversées, ont quelques fondements expérimentaux. Elles ont surtout le mérite, au-delà des pièges sémantiques, d’ouvrir de nouvelles portes fascinantes pour mieux comprendre le comportement des plantes. On ne choisit pas ses parents ! La plupart des caractéristiques d’un être vivant sont héritées génétiquement : les supports de la transmission sont les séquences d’ADN qui composent les gènes. Ces quinze dernières années ont cependant permis de mettre en évidence, dans un nombre croissant de situations, que des caractéristiques peuvent également être héritées sous la forme de modifications induites par des facteurs environnementaux. Ces modifications peuvent moduler l’activité de certains gènes sans pour autant modifier leur séquence d’ADN ; elles sont dites « épigénétiques » et ont été décrites au chapitre 3. Parmi les facteurs environnementaux capables de provoquer de telles modifications épigénétiques, mentionnons, à l’échelle de la cellule, les signaux libérés par les cellules voisines, et, à l’échelle de l’organisme, ceux provenant d’autres organes, comme par exemple les hormones et signaux biochimiques produits en réponse à une situation de stress ou à une émotion forte. Cependant l’environnement « intérieur » de l’organisme n’est pas le seul à provoquer de telles modifications. Des perturbations de l’environnement « extérieur » à l’organisme sont également capables d’induire de tels effets, suite, par exemple, à des modifications du mode d’alimentation ou au tabagisme, et, de manière plus générale, suite à toute exposition à des agents intimement liés à nos modes et lieux de vie. Ces mécanismes épigénétiques habilleraient donc certains de nos gènes de « marques », qui seraient, en quelque sorte, les témoins de nos modes de vie. Transitoires, ces marques laisseraient des traces éphémères de notre histoire qui ne seraient pas transmises aux générations 201

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suivantes. Mais des marques pérennes, persistant même quand le signal qui les a induites disparaît, pourraient être données en héritage. C’est par exemple le cas du tabagisme, qui laisse des marques épigénétiques en des endroits bien spécifiques du génome chez des bébés nés de mères fumeuses pendant la grossesse (Joubert et al., 2012). C’est aussi le cas de perturbateurs endocriniens, comme le bisphénol  A, composant entrant dans la fabrication industrielle de matières plastiques en polycarbonate, ou la Vinclozoline, fongicide couramment utilisé en agriculture, qui, tous deux, provoquent des changements de profils épigénétiques, suivis de conséquences désastreuses sur le système reproducteur durant plusieurs générations chez plusieurs espèces de vertébrés, dont le rat (Anway et al., 2006 ; Manikkam et al., 2013). Des études très récentes sont toutefois porteuses d’espoir, en ce sens où elles font état de la possibilité d’annuler les modifications épigénétiques entraînant un dysfonctionnement de l’activation de certains gènes. Deux exemples chez le rongeur illustrent ce point : une alimentation enrichie en compléments connus pour créer des modifications épigénétiques, tels que l’acide folique ou la vitamine B12, ou, non moins surprenant, un enrichissement de l’environnement en stimulations cognitives, sociales et sensorielles au sein de cages à environnement contrôlé (cages Marlau, qui permettent de contrôler l’environnement sensoriel de manière standardisée), ont montré qu’il est possible de corriger les modifications épigénétiques porteuses de dysfonctionnements et, de facto, de renverser les processus pathologiques associés (Dolinoy et al., 2007 ; Gapp et al., 2016). Chez les plantes on observe des phénomènes semblables. Un exemple fascinant d’adaptation en réponse à une contrainte de l’environnement est celle des clones de peuplier (Raj et al., 2011) : génétiquement identiques, ces individus se distinguent par le fait qu’ils ont été maintenus pendant plusieurs années dans des localisations soumises, ou non, à des épisodes de sécheresse plus ou moins sévères, et donc à des 202

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contraintes hydriques variées. De façon inattendue, une fois rapatriés dans le même environnement, ces clones, à l’histoire de vie contrastée, expriment des capacités différentes d’adaptation à la sécheresse. Les plantes qui s’adaptent le mieux à la sècheresse sont celles qui y étaient « habituées ». On pense que des modifications épigénétiques de certaines régions de l’ADN ont été induites par le stress hydrique et pourraient être à l’origine de ces différences de capacité d’adaptation. Une des grandes questions ouvertes par cette observation est de savoir à quel point ces modifications seront transmises à la génération suivante !

2 La notion du soi et ses limites Quand du soi devient du non-soi Le passage efficace de l’information génétique à la génération suivante est la grande force de l’évolution darwinienne. L’apparition de formes de vie multicellulaires a été un événement extraordinaire : les intérêts individuels de la cellule (survie, croissance, multiplication…) furent progressivement subordonnés à ceux de l’organisme entier, faisant émerger de nouvelles fonctions dépassant de loin la somme des capacités de chaque cellule individuelle. Du coup, la société des cellules dans un organisme multicellulaire complexe n’est pas tolérante : les cellules mal formées ou dysfonctionnelles sont reconnues et éliminées, souvent par autodestruction après la réception d’un signal qui leur commande d’engager un processus qu’on appelle la mort cellulaire programmée* (Ameisen, 2002 ; figure 4.6).

Toutefois, comme dans n’importe quelle société soumise à des règles strictes de vie en commun, des cellules s’affranchissent parfois de certaines contraintes imposées par l’organisme : tout en profitant 203

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Fig. 4.6 Mort cellulaire programmée. Parmi ce groupe de globules blancs humains (colorés en bleu), l’un d’entre eux (coloré en jaunâtre) a initié un processus de mort cellulaire programmée ou apoptose, reconnaissable aux bourgeonnements formés par la membrane plasmique (micrographie en microscopie électronique à balayage ; photo Gopal Murti / Science photo library).

des avantages de la vie commune (disponibilité des nutriments et de l’oxygène, protection contre des agressions du milieu externe), elles ne participent plus au fonctionnement harmonieux de l’organisme. Quelques-unes de ces cellules « tricheuses » se multiplient d’une façon désordonnée, refusent de déclencher le programme de la mort cellulaire, voire envahissent des sites normalement occupés par des cellules différentes (figure 4.7). Ce sont ces cellules insoumises, produites au hasard des erreurs s’accumulant dans leur ADN, certaines inévitables et d’autres induites par des agents mutagènes, qui forment des tumeurs. La tumeur fait-elle partie de l’organisme ? Par essence, elle en est dérivée. On connaît quelques cas très rares où les cellules cancéreuses deviennent des agents infectieux et donc se comportent comme du non-soi vis-à-vis de leurs nouveaux hôtes. Par exemple, le marsupial australien, le diable de Tasmanie, risque l’extinction à cause de l’épidémie de cancer facial que les animaux se transmettent par des blessures qu’ils s’infligent en se battant (Belov, 2012). Encore plus extraordinaire est la leucémie d’un coquillage (Mya arenaria), dont les cellules cancéreuses survivent dans l’eau de mer avant d’infecter un nouvel hôte (Metzger et al., 2015). Cependant, même en restant confinée dans l’organisme, la 204

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Fig. 4.7 Multiplication de cellules cancéreuses. Les cellules tumorales (colorées en vert) acquièrent de nouvelles caractéristiques (forme allongée, propriétés invasives) et se multiplient d’une façon désordonnée (photo Inserm / Alain Puisieux).

tumeur acquiert progressivement de nouvelles caractéristiques génétiques et devient ainsi un hybride de soi et de non-soi. Ainsi, on peut voir la tumeur comme un parasite de l’organisme dans lequel il se développe ; d’ailleurs le système immunitaire ne s’y trompe pas et lui livre une bataille sans merci (Kroemer et al., 2015). Des interventions qui visent à stimuler la réponse immune anti-tumorale sont à la base de nouvelles thérapies anti-cancéreuses très prometteuses. Les cellules cancéreuses sont difficiles à combattre car elles ressemblent par beaucoup d’aspects à des cellules saines. Il  apparaît aujourd’hui comme probable que leur survenue, relativement peu 205

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fréquente quand on considère le nombre de cellules qui composent un organisme humain, est indissociable de la forme de vie d’un organisme multicellulaire jouissant d’une longue durée de vie. La lutte contre le cancer est-elle donc sans espoir ? Non, car la connaissance de plus en plus détaillée des cellules et des interactions qui régissent leurs communautés nous éclaire sur le fonctionnement du vivant et sur la façon d’agir face à son dysfonctionnement. Quand l’organisme accepte l’altérité Le développement d’un cancer, ou d’une maladie infectieuse chronique, résulte de l’échec du système immunitaire à reconnaître et à combattre des éléments devant être considérés comme du non-soi. Il existe cependant des situations où il est important que le non-soi demeure « caché » et ne soit pas éliminé : c’est le cas du fœtus chez les mammifères placentaires. Nos lointains ancêtres pondaient des œufs et nous ne pouvons que spéculer sur ce saut évolutif vertigineux que représente le placenta, apparu il y a « seulement » 150 millions d’années et dont la formation a permis le développement embryonnaire à l’intérieur du corps de la mère.

Le placenta assure en effet les fonctions nutritive, respiratoire, excrétrice et endocrine à travers les circulations sanguines de la mère et du fœtus. Tout aussi importante est sa fonction immunosuppressive : elle sculpte un environnement immunotolérant, protégeant le non-soi qu’est le fœtus contre l’attaque immune de la mère. Les travaux de deux équipes françaises ont été pionniers dans la compréhension des mécanismes d’évolution de ce processus remarquable (Blond et al., 2000 ; Dupressoir et al., 2012). De façon étonnante, nous devons l’existence même du placenta et de ses fonctions multiples au transfert horizontal de gènes, qui représente la capacité de nos cellules à capturer et domestiquer des gènes étrangers – donc du non-soi. 206

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Le transfert horizontal de gènes a ainsi permis aux vertébrés d’acquérir un nombre important de gènes provenant de bactéries, champignons ou plantes, dont les fonctions ont été détournées (on parle alors d’« exaptation »), par exemple pour le développement des poissons ou pour le système immunitaire chez l’homme (Sun et al., 2015 ; Crisp et al., 2015 ; Chen et al., 2016). Les virus contribuent de façon majeure au transfert horizontal de gènes, profitant de leur capacité infectieuse pour transmettre leurs gènes (Koonin & Wolf, 2012). Les séquences rétrovirales constituent ainsi environ 10 % du génome des mammifères (Belshaw et al., 2004), accumulées par intégration au cours d’infections répétées. La grande majorité de ces gènes ne sont plus exprimés, indiquant que les protéines qu’ils codaient n’ont pas trouvé de fonction chez leurs nouveaux hôtes. Cependant, certains gènes dits « env », codant originellement la protéine de l’enveloppe virale, assurent maintenant une fonction différente chez leurs hôtes en produisant les syncytines, protéines essentielles des cellules du placenta, les trophoblastes. Les syncytines sont nécessaires à l’efficacité des échanges entre mère et fœtus ainsi qu’à l’immunotolérance de la mère vis-à-vis du non-soi qui grandit en elle (voir également chapitre 2). Une observation remarquable est que les syncytines, présentes chez tous les placentaires, proviennent de rétrovirus* différents chez l’homme, la souris, le lapin, le chien ou les marsupiaux. De multiples infections rétrovirales indépendantes ont ainsi donné lieu à des séries d’exaptations par transfert horizontal de gènes, toutes exploitées vers un même but : l’adaptation du développement embryonnaire intra-utérin. Il semble donc que sans les rétrovirus, nous serions toujours en train de pondre des œufs ! 207

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Nos microbiotes nous veulent du bien Les organismes vivants pluricellulaires tels que les animaux et les plantes vivent perpétuellement dans un océan de micro-organismes. Ces micro-organismes, dits « commensaux » (voir Tableau 1, p. 217) assemblés en communautés forment des « microbiotes ». En priorité, ces communautés sont constituées de bactéries et d’archées mais aussi de virus, et de champignons non pathogènes. Historiquement, l’homme a une vision plutôt négative des micro-organismes. L’école pasteurienne nous a enseigné qu’ils étaient responsables de nombreux maux. Depuis, ce sont surtout les agents infectieux qui ont été les plus étudiés. Heureusement pour nous, ils ne représentent qu’une partie infime des micro-organismes présents dans l’environnement. Une des avancées majeures de la recherche en sciences de la vie ces vingt dernières années est la découverte que les microbiotes associés aux humains, aux animaux et aux plantes sont dans leur grande majorité bien plus des alliés que des adversaires pour leurs hôtes.

Des ruptures technologiques opérées à la fin du xxe siècle avec les nouvelles technologies de séquençage haut-débit* ont permis à la communauté internationale, et à des équipes françaises en particulier, de mieux caractériser ces populations bactériennes jusque-là peu connues et inaccessibles à l’étude scientifique car peu ou pas cultivables en laboratoire (Blottiere, et al., 2013). Chez l’homme, elles ont permis de mettre en évidence que notre corps est le lieu de villégiature de plusieurs centaines d’espèces bactériennes représentant jusqu’à 1  à  2  kilogrammes de notre masse (figure  4.8). Selon une récente étude théorique (Sender et al., 2016) le nombre total de cellules humaines s’élève à 3,0 × 1013 pour un individu de « référence » de 70 kg dont à peu près 85 % sont des globules rouges. Les dernières estimations publiées dans cette étude évaluent à 3,9 × 1013 le nombre de bactéries dans le colon, qui est le site du corps humain le plus riche en micro-organismes, les autres sites présentant des comptes 208

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Fig 4.8 Microbiote (marquage rouge) et intestin (marquage vert). Mise en évidence du positionnement de la flore intestinale commensale pour l’essentiel à distance de la surface épithéliale du fait de la présence de mucus et des molécules antimicrobiennes à qui il sert de matrice. Illustration de l’environnement auquel la bactérie Lactobacillus est confrontée lors de son processus de colonisation et d’établissement (photo Inserm / T. Pédron).

Fig. 4.9 Microbiote digestif humain observé en microscopie électronique à balayage. (photo Inra).

au moins 10 à 100 fois moindre. Les auteurs arrivent donc à une estimation d’un rapport de 1/1 entre cellules humaines et bactéries et de 1/10 en faveur des bactéries si on ne compte que les cellules humaines nucléées (les globules rouges étant dépourvus de noyau). 209

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Ces communautés bactériennes colonisent la peau, le vagin, la bouche, mais se retrouvent en grande majorité dans les intestins (figures 4.8 et 4.9). Elles y jouent des fonctions-supports essentielles à la bonne marche de notre organisme et opèrent comme une sorte de tampon entre nos cellules/organes et notre environnement. Par exemple, elles peuvent réaliser des réactions enzymatiques dont nos cellules sont incapables, permettant ainsi la digestion, la conversion et la détoxification de nombreux nutriments et composés chimiques que nous ingérons continuellement. Enfin, ces bactéries produisent un grand nombre de substances nécessaires au bon fonctionnement de notre organisme, telles que certaines vitamines. Il a récemment été démontré qu’une grande proportion des métabolites circulant dans le sang est d’origine bactérienne et que certains d’entre eux influencent le fonctionnement de nos organes, y compris notre cerveau. Cette association entre l’homme et ses microbiotes est donc essentielle au bien-être et à la santé et impacterait même notre humeur, mais cette symbiose* est fragile et facilement altérée. Les microbiotes s’appauvrissent à cause de modes de vie moderne trop aseptisés, sont mal configurés lors de l’enfance en cas de malnutrition ou sont lésés par des traitements antibiotiques trop fréquents. Grâce à toutes les connaissances accumulées récemment, on commence à mieux comprendre le lien fonctionnel entre microbiotes et santé, mais beaucoup reste à faire. C’est un véritable chantier qui s’est ouvert, riche en futures découvertes sur ces alliés microbiens et sur leur influence sur la physiologie normale des hommes, des animaux et des plantes ainsi que sur leur rôle dans de nombreuses pathologies chroniques. On s’attend ainsi à ce qu’émergent des thérapies bactériennes en complément de la pharmacologie classique qui révolutionneront certainement la médecine et peut-être l’agriculture dans les années à venir. 210

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Existe-t-il des superorganismes ? Classiquement en biologie, l’environnement s’oppose à l’individu ; et classiquement en biologie, c’est au niveau de l’individu qu’opèrent les mécanismes de l’évolution. L’individu survit plus ou moins longtemps, se reproduit avec plus ou moins de succès, avec un partenaire de plus ou moins bonne qualité, etc. Pour certaines espèces pourtant, l’unité fonctionnelle n’est pas l’organisme, mais une collection d’individus de la même espèce qui forment un superorganisme. Un superorganisme est caractérisé par le fait que les nombreux membres qui le composent ont une intelligence et une autonomie décisionnelle toutes deux limitées, alors que collectivement ces mêmes individus peuvent accomplir des tâches et prendre des décisions au-delà des capacités individuelles. Le superorganisme présente donc une forme d’intelligence collective.

Les exemples classiques sont ceux des insectes sociaux, comme les abeilles ou les termites, dont les individus isolés hors de la colonie sont incapables de survivre longtemps, ou même de se reproduire. Dans ces colonies d’insectes sociaux, la division poussée du travail, avec des castes spécialisées, permet au superorganisme de fonctionner comme une entité autonome. On peut se demander qui doit être considéré comme l’organisme : le superorganisme ou les milliers voire les millions d’individus qui le composent ? Les individus d’une colonie coopèrent de façon poussée, et peuvent aller jusqu’au sacrifice, alors que les colonies de la même espèce sont en compétition les unes avec les autres, comme le sont habituellement les individus d’une même espèce. Par exemple, deux fourmilières proches vont être le théâtre de nombreux combats entre les ouvrières des deux colonies. Récemment, des chercheurs ont découvert des colonies de fourmis originaires d’Argentine qui, bien que sur le même territoire, ne montrent aucune agressivité entre elles (Giraud et al., 2002). Cette espèce de fourmis est très envahissante sur tout le pourtour 211

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méditerranéen, et cette absence de compétition pourrait être la clé de leur succès sur les espèces locales. Les ouvrières peuvent en effet aller dans n’importe quel nid comme si le réseau de colonies n’était qu’une gigantesque et unique fourmilière. Des expériences sur cette espèce ont démontré que les ouvrières de toutes les colonies de l’Espagne jusqu’au sud de l’Italie se reconnaissent comme appartenant à la même colonie, et donc coopèrent au lieu de se battre. Les écologues parlent alors de supercolonie. Celle de la fourmi d’Argentine autour de la Méditerranée est un cas vraiment remarquable, si on considère que cette supercolonie s’étend sur plus de 6 000  kilomètres et que dans un seul verger de 10 ha on dénombre deux milliards d’ouvrières et un million de reines… Don de soi ? le suicide altruiste des cellules Un comportement altruiste est défini en biologie évolutive comme un comportement qui a un coût pour l’altruiste et procure un bénéfice à d’autres individus de la population considérée. Les coûts et les bénéfices sont mesurés dans la « monnaie » de la biologie évolutive, c’est-à-dire en « fitness* » (mesure de la survie et de la reproduction des individus). Par définition, un altruiste tend donc à augmenter la survie et la reproduction des autres, et à diminuer sa propre survie et sa propre reproduction. Dans ce cadre, la persistance dans le temps d’un comportement altruiste est surprenante : parce que l’altruiste se reproduit moins que les autres, on s’attend à ce que les comportements altruistes disparaissent à long terme. Pourtant ces comportements abondent dans la nature, chez les bactéries comme chez les insectes sociaux, chez qui l’on observe une division du travail, qui peut aller jusqu’au niveau des tâches de reproduction comme c’est le cas chez les abeilles. Seules les reines d’une ruche se reproduisent. Les ouvrières, qui contribuent au fonctionnement de la ruche et nourrissent la reine, elles, ne se reproduisent pas, ce qui constitue un comportement 212

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altruiste ultime envers la reine. Pour expliquer le maintien de ces comportements, on peut s’intéresser à l’évolution des gènes : un gène déterminant un comportement altruiste peut se propager dans la population si le coût pour l’individu est contrebalancé par le bénéfice que retirent des individus apparentés à l’altruiste et donc génétiquement proches. La reine d’une ruche est génétiquement très proche des ouvrières de la ruche, si bien que les gènes des abeilles ouvrières sont propagés via la reproduction de la reine. On peut également faire appel à une sélection agissant au niveau du groupe, une explication qui était controversée dans les années 1970. Un comportement altruiste peut se maintenir s’il est dirigé vers certains individus seulement (le groupe auquel appartient l’individu). Dans ce cas, les groupes comprenant davantage d’altruistes seront sélectivement avantagés relativement aux groupes qui en comportent moins. Si l’on s’intéresse aux mécanismes expliquant la cohésion et l’intégration fonctionnelle d’un organisme pluricellulaire, comme l’homme ou les plantes, on observe également des comportements altruistes à l’intérieur de ces organismes. Les cellules d’un organisme pluricellulaire ne prolifèrent pas de manière anarchique mais leurs divisions sont contrôlées par des mécanismes physiologiques. Dans le cas contraire, des tumeurs se forment, constituées de cellules dont la multiplication n’est plus contrôlée. Certaines cellules extrêmement altruistes font plus que contrôler leur division, elles déclenchent leur propre mort pour garantir l’intégrité physiologique de l’individu auquel elles appartiennent. C’est une mort cellulaire programmée, bien différente d’une nécrose* qui est un processus passif. La mort cellulaire programmée est très importante, notamment au cours du développement des individus. Ainsi nos mains ne comportent initialement pas d’espace entre les doigts et ressemblent davantage à des pattes palmées ; c’est la destruction de plusieurs cellules pendant le développement du fœtus qui permet la délimitation des doigts (voir chapitre 3, figure 3.13). 213

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L’autophagie : se manger n’est pas de si mauvais goût. L’autophagie*, dont la racine grecque signifie « se manger », est un processus très conservé chez les eucaryotes*, de la levure aux mammifères. Elle est utilisée par chaque cellule dans le but d’éliminer ses propres composants accumulés sous la forme de « déchets », puis de les recycler. À cette fin, un cylindre en forme de banane se forme autour des déchets jusqu’à les isoler entièrement du reste de la cellule. Cette nouvelle structure, appelée autophagosome, séquestre ces déchets et fusionne ensuite avec des organites* déjà présents dans la cellule, la vacuole chez la levure et les plantes, les lysosomes chez les cellules animales, qui renferment les enzymes nécessaires à la dégradation des déchets. C’est Christian de Duve, découvreur des lysosomes (ce qui lui valut le prix Nobel en 1974) qui inventa le terme autophagie en 1963 pour désigner un processus d’autodigestion de la cellule, nouvellement observé par d’autres chercheurs. Il montra alors toute l’importance du lysosome dans ce processus, suite à sa fusion avec l’autophagosome. Ces chercheurs, aussi brillants soient-ils, n’imaginaient pas l’importance du processus qu’ils venaient de mettre en évidence et de conceptualiser. En effet, on sait aujourd’hui que l’autophagie joue un rôle essentiel dans de nombreuses activités biologiques au sein des cellules, contribuant au bon fonctionnement des organes et à la vie des organismes. Un bon fonctionnement de l’autophagie est ainsi requis par exemple pour le développement de l’embryon, l’immunité* ou encore le vieillissement. De plus, au delà de l’évacuation et du recyclage des déchets, l’autophagie est également une réponse de la cellule à des conditions de « stress ». Ainsi, elle permet à la cellule de compenser, un temps donné, un manque de nutriments dans l’environnement, ou encore de séquestrer 214

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et dégrader des micro-organismes, bactéries ou virus, ayant infecté la cellule pour proliférer en son sein. L’autophagie permet dès lors la survie des cellules dans des conditions nutritionnelles ou sanitaires défavorables. Les progrès phénoménaux faits sur la compréhension des rôles biologiques majeurs joués par l’autophagie l’ont notamment été grâce à l’identification, à l’échelle moléculaire, des mécanismes régulant l’autophagie. C’est Yoshinori Ohsumi, récompensé en 2016 par le prix Nobel pour ses travaux sur l’autophagie chez la levure, qui a caractérisé au milieu des années  1990 les premiers gènes impliqués dans l’autophagie ; les gènes ATG ( AuTophaGy-related). Comme il l’a lui-même déclaré, Yoshinori Ohsumi travaillait alors sur un domaine très peu exploré et sans concurrence réelle, lui permettant ainsi de faire de la recherche dans les conditions les plus sereines possibles. Ses travaux furent en fait les prémices d’une explosion des connaissances sur l’autophagie avec la mise en lumière de ce processus biologique vital dans de très nombreux contextes physiologiques, mais également pathologiques. Les avancées récentes dans le domaine ont révélé une grande complexité des mécanismes cellulaires et moléculaires régulant l’autophagie. Ainsi des processus autophagiques se dispensant de certaines protéines ATGs, ou ne passant pas par la formation d’autophagosomes « classiques », ou encore des processus biologiques distincts de l’autophagie mais faisant appel à des protéines ATGs ont été identifiés. Ces observations soulèvent de nouveaux défis pour les chercheurs et il est probable que les découvertes futures sur l’autophagie et les mécanismes associés ouvriront de nouvelles pistes pour des applications en santé et biotechnologies. 215

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Au cours des quinze dernières années, des processus ressemblant à la mort cellulaire programmée ont été découverts chez des organismes unicellulaires. Comment expliquer qu’un individu n’appartenant pas à un organisme pluricellulaire soit prêt à déclencher sa propre mort ? Des travaux récents ont montré que ces sacrifices individuels sont déclenchés en cas de stress et notamment lorsqu’un nutriment vient à manquer : chez l’algue unicellulaire Dunalliela salina, la mort de certains individus, et la libération dans le milieu des molécules organiques qu’ils contiennent, permettent la survie des autres individus de l’espèce en situation de carence nutritive (Orellana et al., 2013). Mais comment s’assurer que la libération de ces nutriments ne profite pas de manière égale à d’autres espèces d’algues présentes dans le milieu ? D’autres travaux, menés sur une algue bien connue, Chlamydomonas reinhardtii, ont montré que des mécanismes analogues de mort cellulaire contribuent, non seulement à augmenter la croissance des autres individus de la même espèce, mais également à inhiber la croissance des autres espèces présentes dans le même milieu (Durand et al., 2014). Les mécanismes métaboliques qui sous-tendent ces phénomènes et leurs conséquences écologiques sont encore mal connus mais font l’objet aujourd’hui de recherches actives en écologie microbienne !

Dynamique et complexité des interactions

3 entre les êtres vivants

U

n des fondements de l’écologie scientifique depuis le xixe  siècle est que la manière dont les êtres vivants interagissent peut se décomposer en fonction des bénéfices (+ ou 0) ou coûts (-) engendrés pour chacun des acteurs (Tableau 1). Les exemples abondent depuis la prédation* des gazelles par les lions, 216

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le commensalisme* des souris envers l’homme, ou encore l’oiseau (le pluvian fluviatile) qui « nettoie » les dents des crocodiles. Tableau 1 Nature des interactions entre les êtres vivants. +/+

+/0

Mutualisme* Commensalisme / Coopération (figure 4.10)

+/–

–/–

0/–

0/0

Prédation / Parasitisme* (figure 4.12)

Compétition Amensalisme* / Neutre (figure 4.11) agression

b Fig. 4.10 Mutualisme et coopération. a. Le cilié tintinnide Eutintinnus apertus (petit être unicellulaire du plancton qui possède une coquille en forme de vase) est représenté sur cette photo. Il héberge une diatomée, Chaetoceras (petite algue unicellulaire). Cette association a permet à la diatomée de devenir mobile, et au cilié d’être plus difficile à manger. Cette découverte a été faite en rade de Villefranche-sur-mer par Hermann Fol, l’un des pionniers de la recherche en biologie marine, et décrite par lui pour la première fois en 1883. Observation en microscopie à contraste interférentiel différentiel (photo John Dolan/LOV/CNRS Photothèque). b. Reine (fourmi de grande taille) et ouvrière (plus petite) de fourmi Tetraponera aethiops vivant dans les tiges creuses des arbres Barteria fistulosa et Barteria dewevrei, dans la forêt tropicale humide au Cameroun. La plante fournit abri et nourriture aux fourmis et ces dernières, prédatrices ou capables d’infliger des piqûres mortelles, protègent leur hôte contre les insectes herbivores (photo Rumsaïs Blatrix/CEFE/CNRS Photothèque).

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Fig. 4.11 Compétition entre organismes. Cette photo représente un corail du genre « Porites » (taches circulaires verdâtres) entouré d’algues (mauves) qui prolifèrent autour. Le corail et les algues sont en compétition incessante pour l’espace et la lumière dans les zones côtières (ici zone de Tiahura, Moorea, Polynésie française). En fonction des conditions du milieu, l’un ou l’autre va prendre le dessus. Un récif dominé par les algues résulte le plus souvent d’impacts anthropiques (photo Yannick Chancerelle/CNRS Photothèque). Fig. 4.12 Prédation et parasitisme. Guêpe braconide parasite sur une chenille. Les guêpes traversent la peau de la chenille par l’intermédiaire d’une sorte de stylet, appelé tarière, puis pondent leurs œufs dans le corps de l’insecte. Les larves se développent ensuite dans le sang de la chenille, en consommant celui-ci (photo Annie Bezier/IRBI/CNRS Photothèque).

Parasites ou protecteurs ? Un important changement de paradigme apparu au cours de ces dernières années a été de réaliser que ces catégories d’interactions ne sont pas figées. En fonction des conditions environnementales, une interaction entre deux acteurs pourra passer du parasitisme au mutualisme, ou l’inverse. Prenons le cas des bactéries du genre Wolbachia qui infectent de nombreux insectes. Classiquement ces bactéries sont des parasites car elles diminuent la survie et la reproduction de leur hôte. Il a pourtant été montré récemment que des bactéries Wolbachia peuvent protéger les moustiques Aedes aegypti de l’infection par de nombreux 218

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autres parasites tels que la dengue, le chikungunya ou même le paludisme (Moreira et al., 2009). Il existe bien d’autres exemples de bactéries parasites, mais que l’on considère d’emblée comme symbiotiques lorsqu’elles apportent d’autres bienfaits à leur hôte. Ainsi, la bactérie Buchnera aphidicola protège son hôte, le puceron Acyrthosiphon pisum, contre l’infection par des guêpes parasitoïdes. Elle fournit aussi à son puceron des acides aminés rares. Toutefois, l’environnement peut modifier cette interaction symbiotique, et il suffit d’une mutation dans un des gènes bactériens (codant une protéine de choc thermique) pour que les effets bénéfiques de la bactérie soient annulés. Celle-ci, pourtant symbiotique au départ, aura alors toutes les caractéristiques d’une bactérie parasite (Dunbar et al., 2007). Les nouvelles technologies de séquençage* nous permettent de détecter la présence de microbes, même rares, via la présence de leur ADN. Cela a permis la découverte de microbes dont on ignorait complètement l’existence parce qu’ils vivaient bien cachés chez d’autres organismes eux-mêmes nichés dans des organismes plus grands : un vrai système de « poupées russes » ! Ainsi, la bactérie Wolbachia qui infecte des insectes est elle-même porteuse de virus. Une équipe de Montpellier a montré que ces phages affectent la manière dont la bactérie modifie le comportement de son insecte hôte. De manière assez similaire, la shigellose est une infection particulièrement virulente provoquée chez les humains par la bactérie Shigella dysenteriae. Cette bactérie est une souche particulière d’Escherichia coli, la bactérie qui peuple tous les intestins humains. La seule différence entre E. coli et S. dysenteriae est que cette dernière a acquis dans son génome un virus modifiant un microbe banal en une souche provoquant la dysenterie (Alizon, 2016). Ces exemples illustrent le fait que selon l’environnement, une infection peut être coûteuse ou protectrice. Ils illustrent aussi le fait que plus on en sait sur les liens intimes qui caractérisent une interaction 219

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bilatérale entre deux êtres vivants, plus il apparaît que ces liens ne peuvent être réellement compris qu’en prenant en compte les relations que ces deux êtres établissent avec d’autres organismes. Les parasites s’invitent dans le jeu du chat et de la souris La présence d’un parasite dans un organisme peut parfois modifier radicalement le comportement de l’hôte. Cette modification de comportement induite de l’hôte n’a qu’un but pour le parasite : favoriser sa survie et/ou sa reproduction. Cela tourne parfois à de la véritable manipulation mentale digne des auteurs de science-fiction. C’est le cas chez les souris infectées par le parasite à l’origine de la toxoplasmose : Toxoplasma gondii.

Les femmes enceintes le savent bien : si elles n’ont pas déjà contracté la  toxoplasmose, elles doivent éviter les chats. Ce parasite extrêmement dangereux pour le développement du fœtus humain, mais en toute autre circonstance relativement anodin pour l’espèce humaine, a pour hôte définitif le chat et les félidés. Cela signifie qu’il peut vivre et infecter de nombreuses espèces, mais pour pouvoir se reproduire, Toxoplasma gondii doit forcement séjourner quelque temps dans l’intestin du chat. Les chats sont généralement infectés par l’ingestion de kystes de Toxoplasma gondii, contenus dans de petits mammifères tels que les rongeurs ou dans les oiseaux. C’est seulement lorsqu’il est niché dans l’intestin du chat que Toxoplasma gondii pourra réaliser sa reproduction sexuée et produire des œufs qui seront alors disséminés dans le milieu extérieur avec les fèces du chat. Les rats et les souris sont naturellement apeurés par l’odeur de l’urine de chat, un de leurs prédateurs majeurs. Cependant, des études ont montré que des rats ou des souris infectés par Toxoplasma gondii, non seulement perdent toute aversion pour l’odeur de l’urine de chat, mais sont au contraire attirés par cette odeur (figure 4.13). Cette perte de 220

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Fig. 4.13 Le parasite Toxoplasma gondii perturbe le comportement de la souris qu’il infecte. Celleci n’a plus peur du chat et se fait manger, le parasite pouvant ainsi changer d’hôte et se reproduire (photo Wendy Ingram/Adrienne Greene/Nature Publishing Group).

la peur du chat chez des rongeurs infectés par Toxoplasma gondii correspond à une perte de fonction remarquablement spécifique, puisque ces rats et souris ne perdent aucune autre fonction neurologique et conservent leurs pouvoirs olfactifs, leurs capacités d’apprentissage, et même leur aversion pour d’autres stimuli (Vyas et al., 2007a, b). Clairement, tout se passe comme si le parasite était capable de manipuler à son profit une fonction extrêmement spécifique du comportement de son hôte : la souris n’ayant plus peur du chat, elle se fait manger et le parasite peut ainsi rejoindre l’intestin du chat pour s’y reproduire ! Comment un être microscopique peut-il prendre le contrôle du cerveau si complexe d’un mammifère ? Jusqu’où peuvent s’étendre les influences de parasites et d’autres micro-organismes sur nos comportements et nos choix ? 221

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Des symbioses millionnaires D’autres histoires de poupées russes fascinent les biologistes, notamment chez les plantes. Des analyses de fossiles montrent que les premières plantes terrestres, il y a environ 450  millions d’années (avant la séparation des continents), abritaient des champignons microscopiques dans certaines de leurs cellules. La communauté scientifique pense que ces champignons ont permis aux plantes de s’adapter au problème qu’elles devaient surmonter alors, le déficit en eau. C’était le début d’une relation plante-champignon intime qui a eu tellement de succès écologique et évolutif qu’aujourd’hui encore, les racines de la plupart des plantes terrestres, dans tous les écosystèmes, sont colonisées par ces champignons invisibles à l’œil nu.

Cela s’appelle une symbiose mycorhizienne (figure  4.14). Dans cette interaction, les champignons sont des symbiotes obligatoires. Pour se nourrir ils doivent coloniser les racines d’une plante et y prélever des molécules organiques issues de la photosynthèse. En échange, ils fournissent à la plante de l’eau et des minéraux. Cet apport se fait grâce à un réseau extrêmement dense de microfilaments qui s’étendent dans le sol à partir des racines colonisées. Il s’agit donc d’un système de fertilisation naturelle qui permet aux plantes, qui ne peuvent pas se déplacer, de maximiser l’utilisation des ressources en eau et en minéraux des sols. Mais les poupées russes ne s’arrêtent pas là. Beaucoup de champignons mycorhiziens contiennent des bactéries endocellulaires qui ont absolument besoin de leur hôte fongique pour se diviser. Au cours de cette coévolution plante-champignon-bactérie, le génome des bactéries s’est réduit au point de ne plus leur permettre une vie autonome (Jargeat et al., 2004). Le rôle qu’elles jouent dans la vie de leur champignon hôte, et par ricochet dans celle de la plante mycorhizée*, est complètement inconnu, mais des études génomiques en cours apporteront certainement des éléments d’explication. 222

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Les champignons mycorhiziens ne se contentent pas d’une seule plante hôte. Le réseau de microfilaments qu’ils étendent dans le sol peut coloniser les racines de plusieurs plantes à la fois. Les racines de plantes voisines sont donc physiquement interconnectées. Et ce système de web fongique leur permet d’échanger des messages. Des travaux récents ont par exemple montré qu’une plante peut signaler à sa voisine qu’elle est en train de subir une attaque par un agent pathogène ou par des pucerons. En réponse au signal émis par la plante attaquée et transmis par le

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Fig. 4.14

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Présence d’un champignon symbiotique mycorhizien (ici Rhizophagus irregularis) dans les racines de la plupart des plantes terrestres. À l’œil nu ou même avec un microscope en champ clair (a) on ne peut pas le voir. Mais avec un colorant spécifique (une lectine couplée à un fluorochrome) et la microscopie confocale à fluorescence on peut le distinguer dans les tissus racinaires (b) et même l’extraire optiquement pour l’observer en 3 dimensions (c). On voit que le champignon pénètre à l’intérieur des cellules végétales où il forme des structures qu’on appelle des arbuscules. C’est à ce niveau que les deux partenaires échangent des éléments nutritifs (photos Aurélie Le Ru / LRSV université Toulouse 3 – CNRS).

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champignon à la plante voisine, celle-ci active son système de défense (Song et al., 2010 ; Babikova et al., 2013). Des percées scientifiques récentes réalisées par des équipes de Toulouse et de Nancy ont permis de comprendre une partie du dialogue moléculaire très subtil qui doit s’établir pour que les plantes acceptent qu’un champignon envahisse leurs racines (Gomez-Roldan et al., 2008 ; Maillet et al., 2011 ; Plett et al., 2014). Le séquençage en cours de plusieurs génomes de champignons va permettre d’aller plus loin encore (Tisserand et al., 2013, Martin et al., 2008, 2010). Une autre symbiose végétale fait l’objet de recherches très actives en France et à l’étranger. Elle implique les bactéries rhizobia et les légumineuses (pois, luzerne, trèfle, soja, acacias, etc.). Les bactéries rhizobia ont la propriété extraordinaire de pouvoir transformer l’azote atmosphérique (N2) en une forme d’azote exploitable pour les plantes, l’ammoniac (NH3). C’est une réaction chimique particulièrement difficile à réaliser et très coûteuse en énergie. Pour fabriquer des engrais azotés, il faut pareillement énormément d’énergie. Par exemple, l’énergie restituée par l’explosion de l’usine AZF à Toulouse (2001) correspond rigoureusement à l’énergie que l’usine avait consommée pour la fabrication des 100 tonnes d’engrais azotés entreposées. Pour arriver à leur fin – coloniser les légumineuses –, les bactéries rhizobia émettent des signaux moléculaires appelés facteurs Nod. Les plantes répondent à ces signaux en produisant des nodules racinaires à l’intérieur desquels les rhizobia se nichent et transforment l’azote de l’air en engrais azoté naturel pour la plante hôte (figure 4.15). Depuis la découverte des facteurs Nod par des équipes françaises il y a 26 ans (Lerouge et al., 1990), des efforts internationaux considérables ont été déployés, notamment en France, pour mettre en lumière les mécanismes de la nodulation déclenchée par les rhizobia et leurs facteurs Nod. La voie de signalisation qui permet la nodulation, la voie Sym, implique toute une cascade 224

L’être vivant dans son environnement

3 cm 10 μm

Fig. 4.15 Racines de légumineuse présentant de nombreux nodules et cellules végétales d’un nodule colorisées (encart), les bactéries fixatrices d’azote étant colorées en vert (photos Clara Gough et Olivier Cabrice / LIPM (INRA-CNRS)).

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de relais moléculaires intracellulaires. Des milliers de gènes sont activés, et une fois le nodule formé, avec ses millions de cellules bactériennes, la plante limite alors le développement des bactéries dont la seule fonction devient celle de fixer l’azote, comme si elles étaient devenues de simples organites des cellules végétales (Van de Velde et al., 2010). Tous ces travaux sur les symbioses mycorhizienne et rhizobienne ont conduit à une découverte complètement imprévue. La voie de signalisation Sym, qui déclenche la nodulation chez les légumineuses, dérive en fait d’une voie plus ancienne qui est celle qui déclenche la mycorhization. La symbiose entre les rhizobia et les légumineuses apparue il y a 65 millions d’années a évolué à partir de la symbiose mycorhizienne, elle, vieille de 450 millions d’années ! Ce que cette découverte nous dit, c’est que les plantes aptes à être mycorhizées (la plupart des plantes terrestres), comme par exemple le blé, le riz ou le maïs, possèdent presque au complet la boîte à outils moléculaires (les gènes) nécessaire à la nodulation. Elles sont donc naturellement prédisposées à être nodulées. Des travaux actuels menés par un consortium international comprenant plusieurs équipes françaises visent, grâce aux énormes progrès réalisés ces dernières années en biologie synthétique, à faire acquérir à des non légumineuses (des céréales) la capacité à noduler. À terme, ces travaux pourraient conduire à réduire ou même à supprimer les besoins en engrais azoté pour certaines grandes cultures. Pourquoi les relations c’est si compliqué ? Les liens trophiques (alimentaires) constituent l’une des relations centrales entre les espèces. Une forme particulière de réseau trophique est la cascade trophique (figure 4.16). Telle une cascade, cette chaîne de relations vient du haut. Elle commence avec des prédateurs qui se nourrissent de leurs proies, qui elles-mêmes peuvent être des prédateurs d’autres espèces, etc. Et telle une cascade, cette chaîne se divise régulièrement (un prédateur peut avoir plusieurs proies), comme si elle 226

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Fig. 4.16 Principaux effets directs et indirects de la présence du loup mis en évidence dans le réseau trophique du Parc national du Yellowstone aux États-Unis. Toutes les interactions avec le loup, mises à part les deux premières au sommet, représentent des interactions indirectes et positives.

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heurtait des rochers lors de sa descente vers les niveaux inférieurs. Il en résulte une multitude de ramifications complexes. Un changement au sommet se répercutera sur de nombreux paliers plus bas de manière imprévisible. Ces cascades trophiques sont généralement difficiles à étudier, faute de systèmes facilement manipulables à grande échelle. Dans le gigantesque et magnifique parc national de Yellowstone, au nord-ouest des États-Unis, les biologistes ont eu l’occasion rare d’étudier les effets en cascade de l’ajout d’une espèce dans son réseau trophique, celle du loup, réintroduit en 1995, 70 ans après son extermination (Ripple et Beshta, 2012 ; 2014 ; Painter et al., 2015). C’est cette cascade trophique qui a permis récemment aux scientifiques de réaliser l’importance jusqu’ici sous-estimée du rôle fondamental des grands prédateurs dans les écosystèmes. Les effets de la prédation des loups réintroduits se sont fait sentir bien avant que les loups soient en nombre suffisant pour avoir un impact sur la taille des populations de leurs proies principales, les élans (figure  4.16). Avec la présence des prédateurs, les élans ont rapidement changé de comportement. Ils sont devenus plus mobiles, ont évité certains endroits comme les vallées ou les gorges, et sont restés en plus petits troupeaux. Très vite, les plantes broutées par les élans ont bénéficié de ce relâchement de l’intensité d’herbivorie et se sont mises à croître (certains arbres ont quintuplé de volume en six ans), à prospérer et à se répandre. Des flancs de vallées dénudés se sont rapidement transformés en forêts de saules, de trembles et de peupliers. Il s’en est suivi un changement des sols, et un accroissement des populations d’invertébrés, puis de celle des passereaux et des oiseaux migrateurs. Avec la baisse progressive du nombre des élans dans certaines régions du parc, les castors ont eu plus d’arbres en bonne santé à se mettre sous la dent, et leur population a spectaculairement augmenté, en même temps que le nombre de barrages naturels qu’ils ont rapidement 228

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construits dans le parc. Les barrages de castor ont des effets multiples sur l’hydrologie des cours d’eau. Ils homogénéisent les écoulements saisonniers soudains, ils stockent l’eau, permettant de recharger les nappes phréatiques, et ils fournissent de nombreuses zones d’eau douce et ombragée pour les poissons, ainsi que des habitats arborés sains pour les oiseaux. Les loutres, rats musqués, balbuzards pêcheurs, canards, reptiles, amphibiens et poissons ont massivement colonisé toutes ces nouvelles retenues d’eau bâties par les castors, rappelant le rôle de ces derniers comme ingénieurs des écosystèmes – créateurs d’habitats pour les autres espèces. En parallèle, l’augmentation des carcasses d’élans tués par les loups a bénéficié aux charognards de toutes tailles, des pies et corbeaux aux aigles et ours, dont les populations ont augmenté de façon impressionnante, d’autant plus pour certains de ces charognards qu’ils ont également pu profiter des nombreuses espèces de baies nouvellement disponibles sur des buissons abondants et luxuriants. La compétition entre les loups et les coyotes a fait baisser le nombre de ces derniers, favorisant indirectement les lapins et divers rongeurs, et par contrecoup les chouettes, faucons, belettes, renards et blaireaux. Les forêts en régénération ont affermi les bancs de rivière en stabilisant les sols, limitant l’érosion et les effondrements. Les rivières sont devenues plus profondes, moins larges, ont modifié leur débit, ont présenté moins de méandres, et finalement la composition des communautés de plantes, d’invertébrés aquatiques et de poissons a évolué. Depuis le retour des loups, les élans sont moins nombreux, mais plus forts et plus sains. À terme, on estime que les populations de bisons bénéficieront de la diminution du nombre d’élans et que la forte baisse du nombre des coyotes favorisera l’abondance des antilopes d’Amérique. Cette expérience « grandeur nature » a eu des répercussions directes et indirectes aussi importantes qu’imprévues, et qui se 229

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révèlent de jour en jour. Elle a apporté la preuve que les écosystèmes peuvent être régulés par le haut de leurs réseaux trophiques, c’est-àdire par les grands prédateurs qui les dominent. Elle a aussi apporté l’idée contre-intuitive que les grands carnivores, comme les loups, peuvent être source de vie. Faire voyager des parasites dans le temps S’il est compliqué de comprendre les interactions entre deux (ou plusieurs) espèces, prédire leur évolution, ou plutôt leur coévolution, est encore plus difficile. Détecter des processus coévolutifs dans la nature est déjà un défi en soi. L’un des exemples les plus connus concerne la coévolution entre les puces d’eau et un de leurs parasites bactériens (Pasteuria ramosa) dans une mare près d’Oxford (Decaestecker et al., 2007). Dans une étude aussi simple qu’élégante, des chercheurs belges et suisses ont réussi à récupérer des stades dormants de l’hôte et du parasite dans différentes couches de sédiment en pratiquant des « carottes ». Plus les couches sont profondes, plus les individus qu’on y trouve sont anciens. Le point crucial est que comme les bactéries et les puces d’eau sont dans des stades dormants, il est possible de les « ressusciter ». En utilisant cette chronique de « fossiles » vivants pour des tests de résistance en laboratoire, les chercheurs ont retracé les changements réciproques de résistance chez l’hôte et d’infectivité chez le parasite au fil des années.

Ce même type d’approche peut être appliqué pour suivre les changements évolutifs au cours d’une infection d’un patient par une infection virale. Dans le cas du virus du SIDA (VIH), une étude a consisté à prélever du sérum auprès d’individus porteurs du VIH tous les 3 mois afin d’en isoler des cellules immunitaires et des virus. Au bout de 2 ans, les chercheurs ont ainsi pu mettre en contact des virus d’un instant donné avec des cellules immunitaires de leur passé ou de leur futur. Des chercheurs de Montpellier (Blanquart et Gandon, 2013) 230

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ont réanalysé cette expérience de « passage dans le temps » et montré que pour observer une réponse immunitaire, il faut mettre en contact les cellules immunitaires avec des virus ayant été prélevés au moins 6 mois avant dans le même hôte. Au final, le VIH gagne la course évolutive avec le système immunitaire de son hôte. Leurs collègues dans un autre laboratoire de Montpellier utilisent des expériences similaires pour étudier la coévolution au sein des systèmes microbiens au laboratoire. En effet, l’utilisation de populations expérimentales, en conditions contrôlées, permet de « répliquer » l’évolution indépendamment dans différents tubes à essai et ainsi de tester des hypothèses sur l’évolution de la résistance et de la virulence. Cela concerne la capacité des bactéries à s’adapter à un stress biotique (bactériophage) et/ou environnemental (antibiotique), dans une optique appliquée (thérapies phagiques et antibiotiques ; Torres-Barcelo et al., 2014), mais aussi fondamentale, pour étudier l’évolution du cycle de vie d’un parasite en voie vers le mutualisme (Dusi et al., 2014). Les chercheurs ont par exemple montré que la virulence d’un parasite bactérien de paramécies peut diminuer lorsqu’il est cultivé en conditions favorisant sa transmission verticale (de la cellule mère à la cellule fille de la paramécie). Dans ces conditions, le parasite devient bénin et sa transmission horizontale, la voie de transfert habituelle d’un individu à l’autre, n’est plus possible. Cette expérience d’évolution expérimentale suggère que l’abandon de la transmission horizontale est une étape majeure lors de transition du parasitisme vers le mutualisme. En conclusion, la coévolution est fascinante et compliquée mais des pistes existent pour mieux la comprendre. Ainsi, effectuer des passages dans le temps permet de détecter cette coévolution avec des scénarios éventuels de « courses aux armements » dans lesquels les arsenaux de gènes d’attaque et de défense des deux acteurs s’accroissent au cours du temps (Alizon, 2016). De plus, les expériences 231

Étonnant vivant

en laboratoire permettent de rejouer l’évolution de multiples fois en conditions contrôlées afin de distinguer ce qui relève du hasard de ce qui relève de la sélection naturelle.

Manipulation de l’environnement

4 par les êtres vivants

Les Shadoks pompaient, le plancton aussi ! La nature liquide des écosystèmes aquatiques favorise les interactions entre organismes et rend le lien entre environnement et organismes particulièrement fort dans ce milieu. Étudier ces interactions au niveau de l’individu et de la communauté est donc de première importance lorsque l’on cherche à comprendre comment l’environnement agit sur les organismes et comment ces derniers sont capables de modeler ce même environnement. L’analyse de l’incroyable base de données « omic » et environnementales issue de la campagne Tara Oceans (2009-2013) nous permet aujourd’hui de beaucoup mieux comprendre le rôle de certains organismes dans le cycle du carbone et la manière dont ils peuvent radicalement modifier l’environnement global de la planète. Cette campagne lancée en 2009, a eu pour objectif d’étudier le monde fascinant des écosystèmes planctoniques marins depuis les virus jusqu’aux larves de poissons (figures  4.17 et 4.18).

Le catalogue des organismes planctoniques et des virus collectés durant l’expédition Tara Oceans livre peu à peu ses secrets. On découvre une biodiversité sous-marine, une richesse et une complexité des interactions entre les êtres vivants marins qui étaient insoupçonnées (Brum et al., 2015 ; de Vargas et al., 2015 ; Sunagawa et al., 2015 ; Lima-Mendez et  al., 2015). L’analyse conjointe des 232

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caractéristiques physico-chimiques et de la diversité des fonctions biologiques des écosystèmes marins a permis de fournir une première vision globale du réseau d’espèces liées à la pompe biologique des océans (Guidi et al., 2016). L’océan est le principal lieu de stockage du carbone planétaire grâce notamment à la pompe biologique qui transporte le carbone atmosphérique (CO2) vers le fond des océans via les organismes marins. Cette pompe fixe le carbone, soit dans les tissus des organismes via la photosynthèse, soit dans les coquilles calcaires de certains micro- et macro-organismes. Ce carbone une fois fixé est transformé en particules marines au travers de la chaîne alimentaire et par la suite entraîné en profondeur (on parle d’« export » de carbone) avant d’atteindre les grands fonds où il est stocké (on parle alors de « séquestration »). La pompe biologique est donc l’un des processus biologiques majeurs permettant de séquestrer le carbone, en grande partie grâce au plancton*, sur des échelles de temps géologiques. Les ressources pétrolières sont le résultat de millions d’années d’accumulation et de transformation de cette matière organique issue du plancton qui a coulé vers le fond des océans. Le plancton est constitué d’êtres microscopiques d’une variété extraordinaire, à l’origine de la moitié de la production primaire de biomasse de notre planète. Il constitue la base alimentaire océanique qui nourrit les poissons et les mammifères marins. De nombreuses études avaient mis en évidence que l’intensité de la pompe biologique était directement corrélée à l’abondance de certaines espèces planctoniques, notamment les diatomées* (des algues photosynthétiques unicellulaires), acteurs principaux de la photosynthèse océanique, et les copépodes (figure 4.18), brouteurs zooplanctoniques* qui se nourrissent principalement des diatomées. Cependant, l’organisation des principales communautés impliquées dans le stockage du carbone restait encore très largement méconnue. 233

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Fig. 4.17 Illustration de la goelette TARA au dessus du réseau planctonique ou « facebook du plancton » associé à la pompe biologique. Certains groupes ou espèces clés dans ce réseau sont représentés comme les collodaires, les dinophycées ou encore Synechoccocus (modifiée de G. Bounaud, C. Sardet, Soixanteseize, Tara Expeditions).

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Fig. 4.18 Quelques micro-organismes planctoniques Ptéropode (petit mollusque) à la silhouette d’éléphant mesurant environ 5 mm, deux copépodes (petits crustacés) et un ostracode (autre petit crustacé, orangé) prélevés dans un filet à plancton de la goélette Tara dans les eaux de l’océan Indien au large des îles Maldives (photo Christian Sardet/Tara Océans/CNRS Photothèque).

En analysant des échantillons prélevés durant les expéditions de Tara Oceans, une équipe internationale de chercheurs interdisciplinaires, dirigée par des Français et réunissant des biologistes, des informaticiens et des océanographes, a levé le voile sur ces espèces planctoniques, sur leurs interactions et sur les principales fonctions associées à la pompe biologique dans les régions océaniques particulièrement « pauvres » en nutriments. Ces zones dominent dans les océans (plus de 70 %) et la pompe biologique y est mal caractérisée. L’analyse décrit le premier « réseau social planctonique » ou « Facebook du plancton » associé à l’export de carbone dans ces régions océaniques. De nombreux 235

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acteurs recensés, telles certaines algues photosynthétiques (en particulier des diatomées) ou des copépodes, étaient déjà connus. Mais, l’implication de certains micro-organismes planctoniques, parasites unicellulaires non photosynthétiques, cyanobactéries et virus, dans l’export du carbone était jusqu’alors largement sous-estimée. Cette analyse est l’illustration que l’effet d’une communauté n’est pas nécessairement égal à la somme des effets individuels des membres de cette même communauté (Schrodinger, 1944). Connaître la structure de ces réseaux et la fonction des gènes impliqués dans le cycle du carbone ouvre de nombreuses perspectives, notamment la possibilité de modéliser des processus biologiques impliqués dans le cycle du carbone au sein des océans. Il devrait ainsi être possible de tester la robustesse de ces réseaux dans différentes conditions climatiques et de mieux appréhender comment les différentes espèces planctoniques influencent le cycle du carbone et la régulation du climat. La pompe biologique est un exemple frappant des liens qui existent entre la vie (sous toutes ses formes) et son influence sur la géologie et la biogéochimie de notre planète, notamment au travers de la production du pétrole. Cet exemple illustre comment l’environnement a été manipulé par les êtres vivants au cours de l’histoire de la planète. Aujourd’hui, l’homme, en consommant chaque année le fruit d’un million d’années de production de pétrole par le plancton au travers de la pompe biologique, est devenu l’acteur biogéochimique le plus important. Les trois petits renardeaux et le grand méchant cochon Depuis la prise de conscience de l’impact très prononcé qu’ont les activités humaines sur l’environnement et en particulier sur l’une de ses composantes essentielles, la biodiversité, s’est développée une nouvelle discipline scientifique, la biologie de la conservation (Caughley, 1994). Cette discipline très récente, puisqu’elle date de la deuxième 236

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moitié du xxe siècle, vise à étudier la biodiversité sous l’angle de sa préservation. Il s’agit donc d’une discipline très particulière puisqu’elle a un objectif concret et appliqué : elle est à la fois une science et un champ d’action. C’est également une discipline singulière car dite de crise, parce que les décideurs politiques demandent aux scientifiques de les aider à prendre des décisions urgentes sur la base de données fragmentaires, très variables et très coûteuses à collecter. Il est parfois nécessaire d’agir avant d’avoir toutes les connaissances, il est rarement possible d’expérimenter, voire de changer un seul paramètre et les répétitions expérimentales sont rares. C’est finalement une discipline de dilemmes et d’incertitudes, et une discipline subjective, car elle est basée sur des valeurs (par exemple la diversité et la complexité seraient des éléments positifs et désirables tandis que ce qui pourrait contrarier le cours naturel de l’évolution et la destruction de la biodiversité serait négatif et à éviter). Malgré ces particularités et ces limites, cette science multidisciplinaire – mais largement fondée sur l’écologie, la science des interactions entre les êtres vivants et leur environnement – s’est rapidement et fortement développée, et a déjà obtenu des succès remarquables. Un exemple assez parlant en biologie de la conservation est celui du déclin du renard insulaire de Californie. Ce renard endémique – qu’on ne trouve qu’à un seul endroit dans le monde – était natif de six îles au large de Los Angeles aux États-Unis (figure 4.19). Pas plus gros qu’un chat, il avait vécu isolé du continent suffisamment longtemps pour devenir une espèce à part, dans des écosystèmes uniques dont il était le prédateur apical, au sommet de la chaîne alimentaire locale. À la fin des années 1990, une étude sur le comportement et l’occupation de l’espace de cette espèce révèle que ses populations déclinent aussi rapidement qu’inexplicablement, si bien que 90 à 95 % des effectifs sont décimés en moins de 10 ans. Ainsi, en moins de six ans, les renards passent d’environ 1 500 à 14 sur l’île de Santa Rosa, et de plus de 2000 237

Étonnant vivant

Fig. 4.19 Renardeau élevé en captivité sur Santa Cruz, avant d’être lâché dans un écosystème débarrassé des cochons qui attiraient des aigles royaux prédateurs.

à 135 sur Santa Cruz. À l’échelle de la durée de vie d’une espèce, ce laps de temps est à peine un clin d’œil et ce rythme n’est pas soutenable longtemps. À l’échelle d’une étude scientifique, c’est également extrêmement rapide, car peu de temps sépare alors l’espèce de son extinction, et très peu de choses étant connues, c’est une recherche assez particulière qui doit se mettre en place. Des études diverses cherchent alors à comprendre la raison du déclin : compétition avec une espèce locale, manque de ressources alimentaires, parasite ou maladie ? Des années passent avant qu’une piste basée sur des relations indirectes soit exploitée plus spécifiquement. Comme le renard insulaire est le principal prédateur de 238

L’être vivant dans son environnement

l’île, la prédation de cet animal n’a pas été immédiatement envisagée comme cause possible de son déclin. Or des recherches plus ciblées dans cette direction mettent en évidence l’arrivée sur l’île depuis quelques années d’aigles royaux, et des observations de prédation sur les canidés confirment cette possibilité. Le renard, n’ayant pas eu jusqu’alors de prédateur naturel, n’est absolument pas armé pour faire face à cette prédation par les aigles, que ce soit au niveau de son comportement (se cacher ou regarder en l’air ne lui vient tout simplement pas à l’idée) ou de sa reproduction (ayant une mortalité faible, cette espèce a également développé une reproduction faible et ne peut donc pas compenser des pertes rapides). Mais une étude plus approfondie, faisant appel à des modèles bioénergétiques et de dynamique des populations, montre qu’il n’y a pas assez de renards sur l’île pour nourrir plus que quelques aigles prédateurs, alors qu’une véritable population de rapaces est en train de s’y développer. Les chercheurs doivent alors comprendre comment les aigles royaux peuvent causer le déclin des renards insulaires si ces derniers ne sont pas assez nombreux pour leur permettre de survivre et se reproduire. Et c’est le recours à des modèles mathématiques de relations entre les espèces, développés par des chercheurs français, qui donne la solution : il existerait un élément inconnu, une proie alternative, qui fournirait l’essentiel de l’énergie aux aigles, et qui leur permettrait de se maintenir comme un simple prédateur occasionnel du renard (Roemer et al., 2002). Cet élément inconnu est rapidement identifié : il s’agit du cochon sauvage, introduit sur l’île quelques décennies plus tôt, et qui est, lui, très bien adapté à la prédation par l’aigle, et peut former des populations saines sans trop souffrir de la prédation forte sur ses jeunes. Si l’on ajoute la disparition au siècle dernier du pygargue à tête blanche (aigle pêcheur, emblème des États-Unis) qui a laissé vacants les sites de nidification pour les aigles royaux sur l’île, le 239

Étonnant vivant

problème est alors bien compris. Reste que la deuxième partie de la biologie de la conservation, la restauration de l’écosystème, n’est pas du tout évidente. Les modèles mathématiques utilisés (Courchamp et al., 2003) montrent en effet que la suppression des cochons précipiterait la perte des canidés (dont il ne reste plus que très peu d’individus maintenant) et que la suppression des aigles – espèce protégée qu’il n’est pas possible d’éliminer – serait également inutile car d’autres aigles arriveraient de la côte proche (Courchamp et al., 2003). La décision est alors prise de combiner subtilement l’élevage en captivité des renards insulaires (figure 4.19), la translocation des aigles vers des populations continentales (elles-mêmes en déclin), la réintroduction du pygargue, son compétiteur, et le plus ambitieux programme d’élimination d’espèce envahissante jamais entrepris : 15 000  cochons de l’immense île de Santa Cruz. Ce projet colossal prendra des années, mais devrait aboutir au sauvetage du renard insulaire de Californie, qui deviendra en 2016 la première espèce à être retirée de la liste  américaine des espèces en voie d’extinction. De nombreux autres programmes de par le monde ont de la même façon permis des rebonds spectaculaires de populations animales. On peut citer les bisons d’Amérique dont l’extermination a été évitée de justesse : de 541  rescapés seulement du massacre de plusieurs dizaines de millions d’individus au xixe siècle, on recense aujourd’hui plus d’un demi-million. Le furet à patte noire, le condor Californien, le perroquet géant kakapo ou le vautour en France sont quelques-uns des nombreux succès de cette jeune discipline qu’est la biologie de la conservation. Avec plus d’un tiers des espèces menacées d’extinction, il reste cependant énormément de choses à faire, et les quelques succès encourageants restent malheureusement marginaux au regard du déclin des espèces qu’on observe aujourd’hui. 240

L’être vivant dans son environnement

Conclusion Des bactéries qui se plaisent dans des environnements infernaux, des poupées russes toujours plus fécondes, des environnements au génie créateur, des loups sauveurs de vie, de nouveaux mondes microbiens, des descendants marqués par l’environnement de leurs parents : au travers d’une série d’exemples prélevés dans l’infiniment petit et dans les plus grands écosystèmes, ce chapitre a posé des questions fondamentales sur la vie et certains de ses mystères. Il a raconté que les êtres vivants sont façonnés par les facteurs de leur environnement. Il a fait découvrir comment les nouvelles techniques de séquençage des génomes nous ouvrent les yeux sur des mondes microbiens inconnus. Il nous a fait comprendre que les êtres vivants vivent presque toujours dans des êtres plus grands, ou contiennent des êtres plus petits. Il a illustré le foisonnement, la complexité et la fragilité des interactions entre les cellules d’un organisme mais aussi des liens qui s’établissent entre les espèces et construisent les écosystèmes. Enfin, il a rappelé comment les êtres vivants peuvent modifier leur environnement mais aussi le sauvegarder.

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C i n q u i è m e

c h a p i t r e

De la curiosité à l’application

Étonnant vivant

L

’a mbition du chercheur en biologie est avant tout de comprendre comment fonctionne le vivant par l’observation et les mesures, et d’acquérir ainsi des connaissances susceptibles d’avoir des retombées bénéfiques pour la société dans tous les domaines (la qualité de la vie, les énergies, l’alimentation, la santé, etc.). Le résultat de nos recherches est parfois attendu, quasi-programmé, dans une démarche faite d’hypothèses vérifiées expérimentalement. Mais il peut aussi être inattendu. Il peut être soudain, comme les fulgurances des mathématiciens et des physiciens, ou représenter l’aboutissement de longs efforts. Il peut même être dû au hasard (ce que l’on nomme « sérendipité ») : ainsi Alexander Fleming découvrit la pénicilline en rentrant de vacances – il retrouva les boîtes où il cultivait des staphylocoques, et qu’il avait oublié de ranger, contaminées par des champignons (Penicillium notatum) sur lesquels travaillait son voisin de laboratoire. Son génie fut d’observer qu’autour de ces champignons, les staphylocoques ne poussaient pas, et d’initier ainsi une démarche qui allait conduire à la mise au point du premier antibiotique*. La recherche fondamentale n’a pas pour but une application potentielle, mais de ses découvertes peuvent naître des applications. Dans tous les cas, le résultat d’une recherche est source d’une joie immense, une joie qui fait oublier les obstacles intellectuels, expérimentaux ou logistiques, qui font le quotidien des chercheurs. L’émerveillement est peut-être au fond ce que nous recherchons tous. Pour y arriver, un chercheur est animé par une forte curiosité et le besoin de voir de mieux en mieux le monde vivant. Souvent, ce que nous observons du vivant nous surprend et stimule encore davantage notre curiosité pour en comprendre les mécanismes, jusqu’aux molécules qui font tourner les engrenages de la vie. Cette compréhension amène à de nouvelles perspectives et applications (agir). Et agir nous pousse à vouloir en savoir plus et donc à mieux voir, et de proche en proche nous avançons dans la compréhension du vivant qui stimule de nouvelles idées et 244

De la curiosité à l’application

applications (voir figure 5.1). La nature est extraordinaire  et nous avons beaucoup à apprendre d’elle. S’inspirer de la nature pour résoudre des problèmes complexes n’est pas une idée récente. Cette pratique sera très probablement monnaie courante dans le futur. Fig. 5.1 Cette démarche invite l’homme à puiser Ce qui anime le chercheur. dans les multiples sources d’inspiration que nous offre la nature, qu’il s’agisse des molécules, des formes, des matériaux, de la gestion de l’énergie ou de l’information, ou bien encore des défenses, des synergies et des écosystèmes durables. Le paradigme d’aujourd’hui est basé non plus sur ce que nous pouvons prendre à la nature, mais sur ce qu’elle peut nous enseigner. La nature nous donne en effet la possibilité d’observer les solutions mises au point et améliorées tout au long de l’évolution, afin de les reproduire de manière à faciliter la résolution des problèmes complexes de nos sociétés tout en limitant leur empreinte écologique. En effet, la nature a mis en place des systèmes perfectionnés bien plus complexes et performants que ceux que nous sommes capables de développer : par exemple, la capacité de traitement de l’information par le corps humain est beaucoup plus puissante que celle de l’ordinateur le plus rapide au monde (voir encadré ci-dessous). Les chimistes s’inspirent souvent de molécules que les plantes, les micro-organismes, les champignons et les animaux produisent, et qui sont plus complexes et originales que celles qu’ils pourraient synthétiser ! Un exemple est celui de la Romidepsine ou FK228, un produit naturel isolé d’un microorganisme, le Chromobacterium violaceum. La molécule a des propriétés anti-cancéreuses, agit sur la régulation épigénétique de l’expression des gènes (voir chapitre 3) et a été approuvée en 2009 pour le traitement de certains lymphomes. Pour synthétiser cette molécule complexe, 245

Étonnant vivant

les  chimistes ont mis au point une voie de synthèse en 9  étapes, ne conduisant qu’à un faible rendement en produit fini (Greshock et al., 2008) ! Un autre exemple est celui du fingolimod, un médicament utilisé dans le traitement de la sclérose en plaques (Strader et al., 2011). En étudiant les métabolites secondaires produits par le champignon Isaria sinclairii, un groupe japonais a synthétisé des analogues qui se sont révélés avoir des propriétés biologiques intéressantes. Ensuite, après plusieurs étapes d’amélioration chimique, un nouveau dérivé a été obtenu et approuvé en 2010 comme médicament. Mais la nature a aussi mis en place des outils biologiques qui peuvent servir à la recherche : c’est ainsi qu’un système de défense « immunitaire » des bactéries* contre l’intégration des phages* a été détourné par des chercheurs pour en faire un outil permettant de modifier « à façon » le génome* (CRISPR-Cas9, voir chapitre 3, p. 145). Il est important de souligner que, pour voir, comprendre et agir, les biologistes sont amenés, en collaboration avec les chimistes, les physiciens, les mathématiciens, les ingénieurs et les sociologues, à développer de nouvelles technologies et modèles, pour pénétrer les mécanismes du vivant et mieux les étudier. L’interdisciplinarité est une force pour l’étude des sciences de la vie de demain. Nous allons ici illustrer quelques découvertes qui ont bouleversé les sciences du vivant au xxie siècle, les applications qui en découlent et les enjeux pour le futur. Nous ne serons nullement exhaustifs et avons fait le choix de nous limiter à ceux que nous connaissons le mieux. Dans chaque exemple, le lecteur pourra retrouver comment la curiosité du chercheur de mieux voir le vivant, l’amène à mieux le comprendre et de cela découle, souvent de façon non-programmée, une application.

246

De la curiosité à l’application

Quelle est la vitesse de traitement de l’information dans le corps humain par rapport à un superordinateur ? La vitesse de calcul se mesure en flops, « opération en virgule flottante par seconde », soit le nombre d’opérations impliquant des nombres réels qu’un ordinateur peut réaliser en 1 seconde. On estime que le cerveau humain fonctionne à 38  petaflops (soit 1015 flops, Modha, 2009), mais bien davantage d’informations sont traitées lors de l’activité d’un corps humain dans son environnement. La vitesse de traitement de l’information peut être estimée par le nombre de cellules présentes dans le corps (Bianconi et al., 2013), multiplié par le nombre de ribosomes* (voir chapitre 1) dans une cellule (Wolf et Schlessinger, 1977) fois le taux de transcription* de l’ARN* dans une cellule (Halpern et al., 2015), exprimée en paires de bases par seconde. Ce qui donne une vitesse de traitement de l’information dans le corps humain = 3,72×1013×6 ×10 6×34=7,6×1021 paires de bases par seconde. La vitesse du superordinateur le plus rapide au monde, en 2016 le chinois Sunway TaihuLight, est, elle, de : 93 petaflops ou 93×1015 opérations en virgule flottante par seconde. (1 pétaseconde = 1015 secondes (31,7 millions années)). Le traitement de l’information dans le corps humain est donc 100 000  fois plus rapide que le superordinateur le plus rapide au monde !

247

Étonnant vivant

1 Voir Les chercheurs utilisent, développent et améliorent les technologies pour observer le vivant jusqu’à détailler les mécanismes et les biomolécules (ADN*, ARN*, protéines) qui régissent la vie (voir figure 5.2). Voir l’invisible, telle est la quête de toutes les modalités d’imagerie.

être humain = 1,60 - 1,88 m d’hauteur moy.ns

organes

veines

ex. cœur 13 cm = longueur env. × 8 cm moy. 100 000 km

cellule

ADN

= diamètre de 10 à 100 microns

= 2 m de long

paires de bases = 2 nm diamètre pas de 3,4 nm

Fig. 5.2 Quelques dimensions du vivant prises dans le contexte de l’être humain.

L’imagerie à toutes les échelles La biologie moderne bénéficie de progrès considérables en imagerie, et ce à toutes les échelles, de l’organe à la molécule. En ce qui concerne l’imagerie moléculaire, il est maintenant possible de cristalliser des complexes macromoléculaires aussi imposants que le ribosome*, l’usine qui assemble les protéines dans la cellule (voir figure 5.3). Outre les techniques classiquement utilisées (résonance magnétique nucléaire et cristallographie), une nouvelle approche révolutionne la biologie structurale : la cryomicroscopie électronique (voir figure 5.4). Grâce à des progrès importants en instrumentation, et en particulier dans la détection des électrons, il est maintenant possible d’obtenir des structures avec une résolution atomique. La cryomicroscopie permet de produire rapidement des modèles à haute résolution de molécules dont la structure n’avait pu être 248

De la curiosité à l’application

déterminée par les approches classiques comme la cristallographie aux rayons  X par exemple (figure  5.4). Si la technique est encore coûteuse, elle est déjà disponible ou le sera bientôt sur différents sites français, à Paris, Strasbourg, Grenoble et Bordeaux. Elle a par exemple permis à une équipe française de résoudre la structure de complexes macromoléculaires assurant le transport de protéines et d’ADN à travers l’enveloppe bactérienne et de mieux comprendre les interactions entre les bactéries et leurs hôtes (Durand et al., 2015). À l’échelle de la cellule, une autre révolution technologique a conduit à des améliorations remarquables : la microscopie à super-résolution. Saluée par le prix Nobel de Chimie 2014, cette imagerie de fluorescence permet d’obtenir des images de cellules avec une résolution inégalée : il est ainsi possible de suivre dans une cellule vivante le déplacement d’une biomolécule marquée par un fluorophore* et d’en déterminer

Fig. 5.3

Fig 5.4

Cristaux du ribosome issus de la levure Saccharomyces cerevisiae (photo Marat Yusupov / Inserm).

La cryomicroscopie électronique, révolution de la résolution. La structure haute-résolution d’une enzyme, la bêtagalactosidase, obtenue par cryomicroscopie électronique, est devenue le symbole de la révolution en cours dans la capacité de résolution des molécules (photo Veronica Falconieri / Siriam Subramaniam / National Cancer Institute).

249

Étonnant vivant

la dynamique (évaluer la dynamique d’une molécule unique au milieu d’un environnement intracellulaire complexe et encombré comme la cellule revient à pouvoir suivre un individu au milieu d’une foule, et constitue donc un véritable défi). Cette information si difficile à obtenir est pourtant vitale, car elle nous renseigne sur des processus transitoires cellulaires qui ont lieu à l’échelle moléculaire, et que l’on ne peut qu’imparfaitement mimer dans le tube à essai. La révolution ultrasonore : voir, comprendre, réparer le cerveau grâce aux innovations technologiques Apparue à grande échelle dans le monde clinique dans les années 1970, l’échographie nous permettait de voir l’invisible en sondant l’intérieur des organes jusqu’à plusieurs centimètres de profondeur à l’aide d’ondes ultrasonores. Mais elle vit aujourd’hui une seconde révolution. L’évolution exponentielle de la puissance des calculateurs, qui gagnent un facteur 2 tous les 24  mois sans augmentation de coût, décrite par la célèbre loi de Moore1, vient de permettre de changer la façon d’émettre les ultrasons à l’intérieur de notre corps et ainsi d’accélérer les cadences d’imagerie ultrasonore de cinquante images à plusieurs dizaines de milliers d’images par seconde. C’est l’émergence de l’imagerie ultrarapide, qui elle aussi nous donne à voir un deuxième monde jusqu’alors invisible, celui de l’infiniment rapide (voir figure 5.5). À de telles cadences, il devient possible de voir des phénomènes transitoires dans le domaine de la milliseconde, que notre œil ne pourrait percevoir, telles que, par exemple, les vibrations mécaniques qui parcourent en permanence notre corps. On peut ainsi cartographier en quelques millisecondes la dureté des organes et remonter à de nombreuses informations nouvelles tant morphologiques que fonctionnelles. 1. Gordon Moore, fondateur d’Intel, proposa cette loi empirique au début des années 1970, qui s’est confirmée pendant plus de 40 ans.

250

De la curiosité à l’application

Fig. 5.5 L’échographie ultrarapide mesure l’élasticité des tissus. Il est possible d’acquérir en quelques secondes une cartographie 3D complète du volume d’une tumeur (ici dans le sein) et de quantifier plan par plan la zone de forte rigidité. Plus la zone devient rouge et plus sa rigidité augmente (photo Alexandra Athanasiou / Jean-Luc Gennisson / Inserm).

Ces cadences ultrarapides permettent aussi d’accroître de manière phénoménale la capacité des ondes ultrasonores à détecter les flux sanguins dans les petits vaisseaux de nos organes et à en déduire indirectement l’activité cérébrale, par leur augmentation dans les zones cérébrales en action. Les ultrasons viennent ainsi d’entrer dans le monde des neurosciences en permettant une imagerie fonctionnelle cérébrale portable, simple d’utilisation et de grande sensibilité. L’échographie ultrarapide vient aussi de nous ouvrir la porte d’un troisième monde, celui de l’infiniment petit. En injectant de microscopiques capsules de gaz, fortement réfléchissantes aux ultrasons, dans le système vasculaire, il devient possible de localiser ces agents de contraste ultrasonore à plusieurs centimètres de profondeur dans les organes avec une précision microscopique (voir figure  5.6). C’est le rêve d’une imagerie de résolution microscopique non invasive qui est en train de devenir réalité. Nous pourrons bientôt étudier à distance l’ensemble du réseau vasculaire de nos organes jusqu’à ces plus petits vaisseaux que sont les capillaires. 251

Étonnant vivant

Fig. 5.6

Imagerie microscopique du réseau vasculaire du cortex cérébral d’un rongeur par super-résolution ultrasonore (adapté de C. Errico et al., 2015).

Au-delà de cette capacité à nous ouvrir les portes de l’infiniment rapide et de l’infiniment petit, l’onde ultrasonore est un outil extraordinaire pour la médecine du futur. Elle offre en effet des possibilités d’interactions multiples avec nos tissus. Suivant la puissance utilisée, l’amplitude, la durée, la fréquence de répétition de ces émissions, les ultrasons peuvent tour à tour nous permettre de voir les organes, les vaisseaux sanguins, mais aussi de palper à distance les tissus, de créer des contraintes mécaniques, de stimuler les neurones. Dans le domaine thérapeutique, on peut grâce à eux perméabiliser de façon réversible les membranes des vaisseaux pour laisser pénétrer des médicaments dans les cellules, casser des calculs rénaux, ramollir, liquéfier des tissus ou les chauffer voire les nécroser* avec une précision millimétrique, de manière contrôlée et à distance. Nombre de ces nouvelles capacités 252

De la curiosité à l’application

d’interactions avec le corps humain sont à l’étude et devraient trouver rapidement des applications cliniques majeures, notamment dans les pathologies cérébrales. On sait en particulier que les maladies neurodégénératives et tumorales ont un impact majeur sur la santé qui s’accroît de façon exponentielle du fait du vieillissement de la population. Au contraire des cancers, elles ont peu bénéficié de la révolution des thérapies ciblées et restent le plus souvent incurables, responsables de handicap, d’une altération majeure de la qualité de vie et enfin d’une mortalité importante. Aucun traitement curatif n’est actuellement disponible pour ces patients et l’impact socio-économique des démences est considérable (voir encadré ci-dessous). Les pathologies cérébrales : un défi majeur pour la recherche biomédicale Avant le cancer et les pathologies vasculaires, les pathologies du cerveau sont responsables d’un coût considérable au niveau européen. Handicap, altération de la qualité de vie et mortalité accrue : au total un coût global de 798 milliards d’euros touchant 1/3 (179 millions) de citoyens européens (DiLuca et Olesen, 2014). Les pathologies psychiatriques comme la dépression et les démences sont les pathologies qui ont le plus d’impact du fait de leur fréquence. Les tumeurs cérébrales et la sclérose en plaques, bien moins fréquentes, ont un impact individuel majeur. À titre de comparaison, le coût du cancer est de 250 milliards d’euros et celui des pathologies cardiovasculaires de 192 milliards d’euros. La relative pauvreté des solutions thérapeutiques face aux pathologies cérébrales a plusieurs causes : difficultés d’accès à l’organe, par exemple pour localiser des cibles thérapeutiques pertinentes mais aussi pour y faire parvenir les médicaments ; organisation en réseaux complexes interconnectés qui peuvent dysfonctionner dans des zones très 253

Étonnant vivant

focalisées ; irréversibilité des lésions cérébrales empêchant les prélèvements dans les zones fonctionnellement importantes comme celles de la mémoire ou du mouvement. Face à ce besoin médical majeur et aux limites des traitements pharmacologiques classiques, la recherche biomédicale a apporté des solutions innovantes, diagnostiques et thérapeutiques, à travers de nouvelles approches technologiques.

2 Comprendre Quoi de plus emblématique comme exemple que deux études du fonctionnement du cerveau et leurs applications ? Quant à l’organisation et au fonctionnement du cerveau, le lecteur pourra en avoir un aperçu dans le chapitre 3. Les circuits neuronaux prêts à tout apprendre Le cerveau est un organe fascinant et complexe qui est capable de prévoir toutes les situations nouvelles que nous pourrions rencontrer et d’y apporter une réponse. Une équipe lyonnaise en neurosciences computationnelles de Lyon (Enel et al., 2016) a développé un « cerveau artificiel simplifié » grâce auquel le robot humanoïde iCub est capable d’apprendre, puis de comprendre, des phrases nouvelles et peut même prédire la fin d’une phrase avant qu’elle ne survienne. Ce « cerveau » se base sur un modèle mis au point par les chercheurs qui reproduit une « construction neuronale » similaire à celle du cerveau humain. Afin d’anticiper toutes les situations possibles, le cerveau doit disposer d’une méthode lui permettant d’intégrer toutes les combinaisons d’informations qui lui parviennent. Pour comprendre le mode de fonctionnement d’une telle faculté d’intégration, ces chercheurs ont étudié comment les neurones dans le cortex sont reliés entre eux. Ils ont ainsi observé que la grande majorité des connexions entre les neurones se font entre 254

De la curiosité à l’application

voisins (voir figure 5.7a et b). Dans ces « discussions » dans les quartiers de neurones, les voisins parlent à d’autres voisins, et cela ramène à l’initiateur de la « conversation », d’où la formation de boucles récurrentes. Les chercheurs ont alors construit le modèle computationnel de réseau neuronal basé sur ces connexions locales voisines (voir figure 5.7c). Le cerveau virtuel a donc été « pré-adapté » pour faire face à toute situation potentielle. Cette pré-adaptation étonnante provient de connexions entre les « neurones virtuels », qui forment des boucles récurrentes, où les entrées peuvent rebondir et se mélanger dans le réseau, comme des vagues dans un étang, appelé « reservoir computing ». Ce mélange permet une représentation potentiellement universelle des combinaisons d’entrées qui peuvent ensuite être utilisées pour apprendre la bonne conduite face à une situation nouvelle. Ce qui est surprenant dans ce réseau de neurones virtuels, c’est que l’activité dans les neurones du réservoir intègre toutes les situations possibles. Pour faire face spécifiquement à l’une d’entre elles, les connexions entre les neurones du réservoir et les neurones de sortie sont mises à jour par l’apprentissage, ce qui permet de produire, à la sortie, la réponse adaptée. Pour tester l’hypothèse que le cerveau pourrait fonctionner de cette façon, les chercheurs ont montré à un réseau du réservoir comment effectuer une nouvelle tâche qui, si elle est atteinte avec succès, donne lieu à une récompense. Une nouvelle cible est ensuite fixée et on répète l’opération ; ainsi se développe l’apprentissage. Ce dernier advient par essais et erreurs, et il change les connexions entre neurones du réservoir et neurones de sortie. Puis les chercheurs ont comparé l’activité des neurones dans le modèle avec l’activité des neurones dans le cortex préfrontal d’un singe qui a été formé pour effectuer la même tâche. De manière remarquable, il existe des similitudes frappantes dans l’activation des neurones entre le modèle du réservoir et celui du cortex des primates. Ainsi, de façon surprenante, mais simple, la connectivité récurrente locale dans le cerveau humain nous prépare à faire face à un 255

Étonnant vivant

a

b

c

Nombre de neurones

Connexion de rétroaction 150 Réservoir

Neurones de sortie

100 50 0 0

0.5

1.5 1 2 Distance (mm)

Figure 5.7 Connexions entre neurones et apprentissage. a. Dans le néocortex, les cellules voisines ont des connexions avec le cortex visuel et le cortex somatosensoriel (photo Alexandra Auffret/CNRS Photothèque). b. Les connexions entre les neurones du néocortex diminuent de façon exponentielle avec la distance. La grande majorité des connexions sont locales et récurrentes. c. « Reservoir » est une simulation informatique qui modélise un réseau récurrent inspiré par des interconnexions locales denses du cortex. Des neurones artificiels sont stimulés individuellement par une simple équation différentielle. Ces neurones sont interconnectés avec une probabilité de 10 %. Les entrées arrivent depuis la gauche dans le réservoir. Elles peuvent représenter des images visuelles, des sons, une stimulation tactile, etc. Ces entrées génèrent une activité dans le réservoir qui crée tous les mélanges possibles. Les combinaisons qui en résultent codent pour les 4 choix de cibles parmi lesquelles le système doit choisir. Le système est récompensé quand il fait le bon choix. L’apprentissage à partir des connexions présentes dans le réservoir permet au système de choisir, pour la tâche à accomplir, la bonne représentation qui est véhiculée par les neurones sortant du réservoir.

256

De la curiosité à l’application

nombre illimité de situations, en permettant des combinaisons tout aussi illimitées de représentations internes au réseau, dont l’une est toujours celle dont nous avons besoin pour la situation donnée. En raison de la simplicité du réseau « réservoir », il peut être mis en œuvre dans divers types de matériel physique de calcul (calcul optique, réseaux logiques programmables) pour permettre la création d’une nouvelle génération d’ordinateurs biologiquement inspirés (Paquot et al., 2012). L’activité des neurones de la conscience Au sein des neurosciences, les neurosciences cognitives cherchent à écrire de nouvelles pages de la psychologie en mettant au jour certains mécanismes intimes de la pensée à travers l’étude de leur inscription cérébrale. Par exemple, les méthodes de la psychologie expérimentale conjuguées à l’imagerie cérébrale fonctionnelle (depuis l’IRM fonctionnelle jusqu’à l’enregistrement intracérébral de l’activité de neurones unitaires, en passant par l’électroencéphalographie et la magnétoencéphalographie) ont permis de disséquer les opérations mentales et cérébrales qui sous-tendent la perception d’une scène visuelle. Notre perception débute systématiquement par une période non-consciente qui dure environ 2/10 es de seconde, et durant laquelle une première représentation de la scène est élaborée de manière riche et complexe : l’identité de visages, le sens de mots, etc., peuvent ainsi déjà être analysés inconsciemment. Cette première vague perceptive met en jeu l’activité de réseaux neuronaux spécialisés dont les calculs demeurent localisés au sein de régions cérébrales perceptives (comme les cortex occipital, temporal et pariétal). Dans un second temps, certaines de ces représentations perceptives gagnent notre conscience au moment où, précisément, nous devenons capables de nous rapporter subjectivement la scène visuelle en question : « Je vois X ». Cette étape-clé de la prise de conscience survient vers 3/10 es de seconde et correspond à un changement non-linéaire du fonctionnement cérébral : les réseaux 257

Étonnant vivant

neuronaux qui codent la représentation perceptive dont nous allons prendre conscience sont soudainement amplifiés par les réseaux cérébraux de l’attention, et ils sont ainsi mis en relation fonctionnelle avec un vaste réseau cérébral qui sous-tend notre contenu conscient. Les mécanismes précis de cette conversation à longue distance, cohérente, riche et complexe, font l’objet d’intenses travaux dans de nombreux laboratoires, notamment en France. Cet exemple illustre les progrès des neurosciences cognitives et les perspectives immédiates qu’elles ouvrent sur le plan fondamental

Fig. 5.8 Mesurer au lit du malade la conversation neuronale cohérente et complexe qui signe l’état de conscience. Chacun des fils colorés sur chaque schéma représente la valeur mathématique de la conversation entre deux électrodes posées sur la tête du malade. Plus le cerveau est rouge, plus la conversation est complexe. Dans l’état de conscience minimale, on identifie cette signature alors qu’elle est absente chez la plupart des malades cliniquement en état végétatif (King et al., 2013).

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De la curiosité à l’application

comme en médecine. Ces connaissances fondamentales sont déjà utilisées afin de sonder l’état de conscience (ou d’inconscience) de patients non-communicants dont on ne connaît pas précisément l’état de conscience : sont-ils éveillés mais inconscients (état végétatif) ou présentent-ils déjà des signes de conscience minimale, voire sont-ils conscients mais entravés dans leur capacité motrice à communiquer avec autrui (comme par exemple dans le « locked-in syndrome » illustré par un livre témoignage rédigé avec les yeux par Dominique Bauby et adapté au cinéma, Le scaphandre et le papillon) ? Il est aujourd’hui possible de stimuler de tels patients avec des sons, des mots ou des images, et d’enregistrer leur activité cérébrale (électro-encéphalographie et IRM fonctionnelle, voir figure 5.8). On peut alors détecter les signatures cérébrales de la perception de ces stimuli, et parfois identifier une signature spécifique de la prise de conscience. Cette approche complémentaire de l’examen neurologique approfondi a déjà permis de corriger des diagnostics et s’avère très utile dans la prise en charge de certains malades. Les recherches des neurosciences cognitives présentent également une particularité remarquable au sein de la biologie : en étudiant les perturbations cognitives provoquées par des maladies (amnésies, aphasies, troubles de la conscience, etc.), il devient possible non seulement de mieux les comprendre, mais également de découvrir comment fonctionne le cerveau normal. Ainsi, lorsque l’on a découvert que des malades amnésiques à la suite de lésions bilatérales des hippocampes étaient néanmoins capables de mémoriser à leur insu tout un ensemble d’informations ou de compétences (apprentissage d’un itinéraire, d’un langage informatique, capacité à écrire et lire en miroir, etc.), notre conception de la mémoire normale a été transformée. Le modèle d’une mémoire unique a volé en éclats, et a été remplacé par la théorie des systèmes de mémoires qui dénombre une douzaine de systèmes mnésiques distincts et donc dissociables. Ce va-et-vient continu entre l’homme sain et l’homme malade est porteur d’enjeux éthiques importants, et 259

Étonnant vivant

permet de souligner les liens très étroits qui unissent les neurosciences fondamentales et appliquées. Enfin, les années à venir devraient être marquées par des avancées majeures dans plusieurs pathologies neurologiques (comme les maladies neuro-dégénératives) et psychiatriques (comme les schizophrénies) au sujet desquelles une accumulation importante de découvertes récentes devrait conduire à des propositions thérapeutiques innovantes.

3 Agir Des résultats inattendus, surprenants, que le chercheur essaie de comprendre, peuvent découler des découvertes bouleversantes. C’est ainsi que l’étude d’organismes simples et lointains de l’homme, comme les ciliés ou les vers, peut conduire à des applications pour la santé. D’un ver de sable breton à la greffe de rein 1993. Morlaix. Le directeur du laboratoire de la Station biologique de Roscoff confie à un étudiant le sujet de thèse suivant : comprendre comment un petit ver marin (Arenicola marina), colonisant les milieux sableux du littoral, survit à la privation d’oxygène lorsqu’au rythme des marées il en est privé deux fois par jour pendant environ 6 heures. L’équipe étudie depuis les années 1970 le système vasculaire de cette annélide, et est convaincue que le secret de cette survie se trouve dans une protéine de très grosse masse qui s’apparente à l’hémoglobine humaine que l’on trouve dans les globules rouges du sang et dont la fonction principale est le transport de l’oxygène. L’étudiant se lance sur le sujet, entreprend de prélever du sang dans le vaisseau qui chemine sur la face dorsale du ver pour l’analyser ; il va s’attacher à mieux caractériser les propriétés de cette grosse hémoglobine. Cette protéine possède 260

De la curiosité à l’application

des caractéristiques étonnantes qui la distinguent de son homologue humain : elle est extracellulaire, c’est-à-dire qu’elle n’est pas incluse dans des globules rouges, elle présente une capacité d’oxygénation très supérieure (elle peut stocker jusqu’à 156  molécules d’oxygène lorsqu’elle est complètement saturée, quand la protéine humaine en stocke  4), possède des propriétés anti-oxydantes très élevées et est active sur une plus grande gamme de températures (de 4° à 37 °C). À marée basse, lorsque le ver est enfoui dans le sable, elle relargue l’oxygène qu’elle a stocké, lui permettant ainsi de respirer. Expérimentalement, cette protéine n’entraîne aucune réaction immunologique, allergique ou vasomotrice, chez l’homme, ce qui devrait garantir sa sécurité d’utilisation et pourrait en faire un donneur d’oxygène « universel » utilisable dans de nombreuses applications thérapeutiques liées à l’anémie (carence en globules rouges ou diminution du taux d’hémoglobine dans le sang) et à l’ischémie (défaut d’apport en oxygène). L’affaire aurait pu en rester là et ce travail aurait alors simplement enrichi la connaissance de la biologie marine. Toutefois, la curiosité intellectuelle du découvreur de l’hémoglobine extracellulaire de Arenicola, jointe à un concours de circonstances, transformeront une observation en apparence spécifique de la biologie marine en un futur outil thérapeutique. Le directeur de thèse appartient en effet à un petit cercle qui se passionne pour le globule rouge. Il y mentionne la découverte de cette hémoglobine ; elle retient l’attention des scientifiques et des médecins qui connaissent bien le problème des besoins transfusionnels, à l’origine, depuis des années, de la recherche restée infructueuse d’un substitut sanguin artificiel. Toutefois, l’exploitation première de cette hémoglobine extracellulaire à des fins thérapeutiques ne sera finalement pas orientée vers le remplacement sanguin mais vers la transplantation (voir figure 5.9). En effet, il y a une forte analogie entre la privation périodique d’oxygène à laquelle est soumise Arenicola, mais qu’elle tolère grâce à son hémo261

Étonnant vivant

Figure 5.9 De l’étude du comportement du ver de sable breton aux transplantations rénales.

globine, et la situation d’un organe temporairement déconnecté de son apport sanguin entre le prélèvement chez le donneur et la réimplantation chez le receveur. Certes, au cours de cette période critique de manque d’oxygène (dite « anoxie »), la préservation du greffon est assurée par les solutions ioniques froides dans lesquelles il est plongé. Toutefois, malgré leur efficacité, ces liquides aux formulations plus ou moins complexes ne permettent pas toujours d’éviter les défaillances précoces du greffon, ce qui, dans le cas de la transplantation rénale, se solde par une reprise de la dialyse et dans les cas les plus sévères par une perte définitive du greffon. De plus, même lorsque la préservation est efficace, elle doit être limitée dans le temps (4  heures dans le cas du cœur, un peu plus longtemps pour le foie et le rein avec néanmoins un 262

De la curiosité à l’application

risque de défaillance de l’organe qui est grossièrement proportionnel à la durée de sa conservation ex vivo*). Ainsi, dans une revue récente de 1 784  transplantations (Chaumont et al., 2015), la reprise tardive de fonction du greffon rénal affecte encore 21,4 % des receveurs et la durée de l’ischémie froide fait partie des facteurs prédictifs de cette complication. Dans le but d’optimiser les résultats de la transplantation, notamment rénale, une prolongation de la tolérance à l’anoxie est importante, pour fluidifier la logistique du circuit prélèvement-greffe et donner le temps nécessaire aux examens visant à optimiser l’appariement immunologique entre le donneur et le receveur. L’idée germe alors d’utiliser l’hémoglobine de Arenicola comme un additif à ces liquides de conservation/perfusion afin de donner à un organe ex vivo les mêmes armes de survie que celles du ver à marée basse (objectif de la société Hémarina, fondateur Franck Zal). À terme, on peut envisager l’utilisation de cette hémoglobine comme substitut sanguin, notamment pour permettre une oxygénation immédiate du cerveau après un traumatisme, et cette indication a séduit la marine américaine. Dans l’immédiat, toutefois, la première indication visée est la transplantation rénale (3 332  greffes rénales ont été pratiquées en France en 2014 et 11 711 patients étaient en attente en 2015 d’après le dernier rapport de l’Agence de la Biomédecine). L’essai clinique visant à évaluer les effets de cette hémoglobine comme additif aux techniques classiques de préservation est actuellement en cours dans plusieurs centres français. Cet essai devrait inclure 60 patients et, s’il est positif, ouvrir la porte à une commercialisation possible du produit en 2017. D’autres indications sont déjà envisagées, au-delà des applications purement médicales. De la compréhension des défenses immunitaires naturelles aux traitements du cancer Un autre exemple qui a bouleversé la médecine dans le domaine de la thérapie anticancéreuse vient de l’immunologie, cette science qui s’intéresse à décrire, comprendre et manipuler le système immunitaire, 263

Étonnant vivant

c’est-à-dire l’ensemble des molécules et cellules responsables des systèmes de protection de l’organisme contre les attaques microbiennes et les dérèglements internes, comme les cancers. Les mécanismes de l’immunité* ont été évoqués dans le chapitre 3, nous allons ici illustrer comment des découvertes d’immunologie purement fondamentales ont révolutionné le traitement des cancers. À l’instar de tous les systèmes biologiques, les cellules du système immunitaire communiquent avec l’extérieur grâce à des récepteurs exprimés à leur surface. Uniquement portés par la curiosité, de nombreux laboratoires d’immunologie à  travers le monde ont patiemment décrit toute une série de récepteurs de surface qui contrôlent l’activation des lymphocytes, ces cellules-clés du système immunitaire. Ces récepteurs se sont révélés appartenir à au moins deux catégories majeures, des récepteurs activateurs et des récepteurs inhibiteurs. Alors que l’engagement des premiers se traduit par l’activation de la réponse immunitaire à travers les lymphocytes, l’engagement des seconds bloque ces mêmes mécanismes. En parallèle de ces travaux, d’autres laboratoires ont mis en place des procédés de génération d’outils de ciblage incroyablement efficaces et précis, les anticorps* monoclonaux. Ces molécules biologiques, dont les procédés de production sont complètement maîtrisés à l’échelle industrielle, ont été utilisées pour bloquer les récepteurs inhibiteurs des lymphocytes, d’abord chez l’animal, puis chez l’homme dans des situations de cancers désespérés. C’est là que la surprise a eu lieu. Des tumeurs métastatiques résistantes à tous les traitements en place, régressaient, voire disparaissaient chez certains patients. Les premiers essais ont été conduits en 2003 sur des pathologies tumorales métastatiques de très mauvais pronostic comme les mélanomes (tumeur de la peau) et les tumeurs de l’ovaire qui ont été contrôlés chez certains patients par des anticorps bloquants dirigés contre le récepteur CTLA-4 (Hodi et al., 2003). Depuis, la révolution est en marche grâce à cette reprogram264

De la curiosité à l’application

mation du système immunitaire par des anticorps monoclonaux utilisés comme médicaments. Ces molécules ont permis des avancées remarquables, notamment chez des patients atteints de formes métastasées de mélanomes cutanés (réponse durable chez 38  % des patients traités) ou de cancers du poumon, mais également dans les lymphomes hodgkiniens réfractaires. On observe des effets thérapeutiques marqués et durables : un plus indéniable pour ces pathologies, connues pour mal répondre à la chimiothérapie. Aujourd’hui, un champ nouveau est né, celui de l’immuno-oncologie, dont l’ambition est de reprogrammer le système immunitaire des patients cancéreux afin qu’il attaque avec plus d’efficacité les tumeurs. Les anticorps monoclonaux qui bloquent les récepteurs inhibiteurs et restaurent ainsi des réponses immunitaires efficaces sont appelés « immune checkpoint inhibitors » (ICI), car ils inhibent des points de contrôle de l’immunité (voir figure  5.10). Depuis l’anti-CTLA4 utilisé en première ligne dès 2014 pour les mélanomes avancés résistant aux traitements standardisés, d’autres molécules ont été proposées. Il s’agit en particulier des anticorps monoclonaux dirigés contre la molécule inhibitrice des lymphocytes, PD-1, ou un de ses ligands, PD-L1, qui interagit avec PD-1. Des premiers résultats obtenus avec ces ICI sont aussi très encourageants dans certains cancers des voies aérodigestives supérieures, du côlon, de la vessie, du rein et de l’ovaire. Comme souvent en science, cette rupture de paradigme est suffisamment importante pour qu’un pan entier de la recherche se consacre à cette nouvelle voie, mais encore insuffisamment maîtrisée pour permettre une considérable marge de progression. Les améliorations concernent en particulier l’augmentation du nombre de patients qui répondent à ces traitements et l’atténuation des effets secondaires. Les pistes qui restent à explorer incluent la recherche de nouvelles molécules inhibitrices des « immune checkpoints », le développement de bio265

Étonnant vivant

Figure 5.10 Les inhibiteurs des points de contrôle de l’immunité sont de nouvelles armes contre le cancer. Les ICI, anticorps dirigés contre les récepteurs inhibiteurs des lymphocytes, bloquent ces derniers et restaurent les propriétés anti-tumorales des lymphocytes.

marqueurs pour proposer des traitements personnalisés aux patients, et la mise en place des conditions qui permettraient d’abaisser les coûts aujourd’hui très élevés de ces médicaments, ce qui menace d’en restreindre l’utilisation. Bien que la route soit encore longue, l’émerveillement est bel et bien là. Chercheurs, patients, cliniciens et industriels peuvent en témoigner.

4 Les enjeux du futur La biologie est la science qui, au xxie siècle, est traversée par de nombreux bouleversements, comme l’ont été précédemment la physique et la chimie. Cette meilleure compréhension du vivant ouvre la voie à nombreuses applications potentielles. 266

De la curiosité à l’application

Développer les bioressources de demain en respectant la santé humaine et les écosystèmes La biosphère, soit l’ensemble des écosystèmes de notre planète, est une merveille offerte à tous, notre patrimoine commun, et l’héritage que nous laisserons. Le xxe siècle a été marqué par le déséquilibre entre le développement industriel très polluant et l’échec de la préservation de l’espace naturel (GIEC, 2014). Les émissions de substances nocives et le changement climatique constituent une réalité brutale qui s’impose à nous, une aventure dont nous ne connaissons pas encore tous les risques, et un défi pour le xxie siècle. Le chantier est vaste : il nous faut observer, mesurer, comprendre comment fonctionnent les écosystèmes et comment ils sont modifiés, comment l’humain est lui-même atteint, puis agir. Parmi ces activités vitales pour nos sociétés, l’exploitation des énergies fossiles, comme le charbon, le pétrole ou le gaz, est une des sources les plus perturbatrices des équilibres biologiques et chimiques de la biosphère.

Comment gérons-nous et gérerons-nous l’exploitation des hydrocarbures fossiles ? Quelles sont les alternatives ? Les hydrocarbures du sous-sol sont les résidus enfouis d’une biomasse produite depuis plus de 350 millions d’années. Ils ont été élaborés grâce à la « photosynthèse » : les organismes photosynthétiques (bactéries, algues, plantes) capturent, grâce à l’énergie de la lumière, le gaz carbonique de l’air (CO2) pour synthétiser toutes les molécules organiques qui composent la biomasse. Le charbon, le pétrole, le gaz naturel, lorsqu’ils sont brûlés, libèrent ce CO2 piégé au cours des temps géologiques, contribuant au déséquilibre atmosphérique irréversible que nous connaissons aujourd’hui. Ces réserves d’hydrocarbures s’épuisent, alors que nous en sommes devenus dépendants. Un espoir vient de la culture de plantes et d’algues et de la production d’une biomasse qui, si elle est brûlée, émettra du CO2 avec cette fois-ci 267

Étonnant vivant

Microalgue Pheodactylum en culture

santé

biocarburants

Figure 5.11 Micro-algue observée au microscope optique à épifluorescence permettant à l’aide de fluorochromes de l’ADN et des lipides, de visualiser le noyau (en bleu) et les réserves lipidiques (en rouge).

un bilan neutre : le CO2 atmosphérique produit est repris par les plantes via la photosynthèse. Plantes et algues font partie des bioressources, une classe de matières premières qu’il nous faut exploiter au mieux en préservant leur durabilité. Pour les plantes cultivées, les bioressources comprennent les parties exploitées pour leurs usages traditionnels (la nourriture, le bois, les fibres pour la papeterie, les textiles, etc.), mais aussi les parties considérées autrefois comme des déchets. L’optimisation de la production agricole, durable, respectueuse de l’environnement et des préoccupations sociétales, s’accompagne ainsi d’un effort important pour ouvrir des champs applicatifs nouveaux aux agroressources, non seulement pour les biocarburants mais aussi pour la chimie verte (utili268

De la curiosité à l’application

sation de plantes qui accumulent les métaux pour dépolluer, molécules plateformes à partir desquelles il est possible d’en produire d’autres plus complexes pour l’industrie, alternatives à la pétrochimie, pigments, lubrifiants, conservateurs, additifs, etc.) et la biomédecine (vitamines, enzymes* pour certaines pathologies telles que la mucoviscidose, médicaments tels que des anti-paludéens, compléments alimentaires tels que les acides gras oméga-3). Les algues sont une ressource prometteuse, car elles n’entrent pas en compétition avec les cultures dédiées à l’alimentation humaine (Maréchal, 2015). Le processus photosynthétique n’exploite qu’un faible pourcentage de la lumière solaire que les organismes reçoivent : la recherche vise aujourd’hui à relever ce seuil, comprendre et optimiser les processus photosynthétiques, des niveaux moléculaires à l’organisme entier. Les micro-algues sont un exemple intéressant car elles ouvrent des opportunités nouvelles comme usines cellulaires pour la chimie verte et la médecine et comme source pour les biocarburants (voir figure 5.11). Toutefois, leur rendement en biomasse utile, et en particulier en huile, doit être augmenté de plusieurs ordres de grandeur. Pour cela, de nouvelles pratiques agricoles et biotechnologiques, des filières couplant agriculture, algoculture, bioénergie et chimie verte sont à construire (voir encadré ci-après).

269

Étonnant vivant

Les défis des bioressources Les enjeux – Comprendre, mesurer et agir sur les effets des émissions de substances nocives et du changement climatique sur les écosystèmes et la santé. – Proposer une alternative à l’exploitation des hydrocarbures fossiles, à la fois moteur principal du réchauffement global et source de nombreux contaminants. Les verrous – Maîtrise des émissions de substances nocives, comprendre les effets des mélanges auxquels nous sommes exposés. – Développement d’alternatives durables et économiquement viables aux hydrocarbures fossiles, à l’aide des ressources végétales et des algues. – Création d’une agriculture et d’une algoculture aux débouchés diversifiés (alimentation, biomédecine, bioénergie, chimie verte). L’usage des hydrocarbures fossiles ne pose pas seulement la question du développement des alternatives à leur épuisement. Leur exploitation massive pour l’industrie de la pétrochimie et de la chimie ont aussi conduit à la création d’un nombre croissant de molécules, dont la plupart ont été mises sur le marché sans une évaluation toxicologique suffisante. Plusieurs composés, tels que le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane), les dioxines ou les parabènes dérivés des plastiques s’avèrent persistants et nocifs pour la santé humaine et pour la biodiversité. Des déséquilibres hormonaux, touchant par exemple tous les organismes animaux dans le cas des hormones thyroïdiennes, progressent dramatiquement. Aujourd’hui, 85 000  produits sont sur l’inventaire 270

De la curiosité à l’application

du TSCA (Toxic Substance Control Act aux États-Unis, Trasande, 2016) et cette liste n’inclut pas les pesticides, de nombreux additifs alimentaires ni les cosmétiques. Le résultat ? Une pollution sans précédent de l’environnement et de nos corps avec, en parallèle, une augmentation en flèche des maladies non-transmissibles, comme le diabète, plusieurs cancers, l’infertilité et les maladies neuro-développementales, tel l’autisme. Ce sont les jeunes générations qui sont le plus touchées et c’est donc ce qui coûte le plus cher à la société (plus de 150 milliards d’euros/an pour l’Union européenne) (Bellanger et al., 2015). Une des initiatives majeures pour le xxie siècle est d’établir un inventaire de la totalité des expositions à des molécules chimiques dans l’environnement que subit un être humain de sa conception jusqu’à la fin de sa vie : « l’exposome ». En combinant études expérimentales et épidémiologiques, on peut espérer identifier dans cet exposome les molécules qui sont les plus néfastes pour notre santé et pour l’équilibre de la biodiversité. Plusieurs molécules de l’exposome sont dérivées de l’industrie de la pétrochimie (tels les plastifiants et les pesticides) et ont des effets documentés comme perturbateur endocrinien. Aujourd’hui, émerge une prise de conscience de l’effet perturbateur sur le système endocrinien de pesticides, conservateurs et autres molécules présentes dans les produits d’usage quotidien, et de leur coût sociétal énorme en termes de maladies neuro-développementales et de perte de quotient intellectuel qui donne une indication de l’intelligence. Il est donc essentiel de pouvoir détecter et mesurer ces perturbateurs. Une équipe parisienne a développé une technologie innovante basée sur l’utilisation de têtards et poissons fluorescents pour identifier et mesurer ces molécules (WatchFrog, fondée par Barbara Demeneix, www.watchfrog.fr). Cette application est née de la recherche sur les hormones thyroïdiennes qui jouent un rôle majeur au sein de ce système endocrinien. Elles orchestrent des étapes-clés du développement chez tous les vertébrés. Sans hormones thyroïdiennes au bon moment, un bébé devient un 271

Étonnant vivant

simple d’esprit. Leurs effets physiologiques impliquent un contrôle précis qui inclut l’activation ou l’inactivation fine des hormones au niveau cellulaire et, en amont, une régulation de la transcription* des gènes, directe ou indirecte (dans ce dernier cas ce sont des mécanismes épigénétiques qui sont mis en jeu, voir chapitres 3 et 4). Une des grandes questions qui se pose aujourd’hui est de comprendre pourquoi, lors de ces étapes-clés du développement qui dépendent des hormones thyroïdiennes, se perd la capacité de régénérer ses organes. Le poisson zèbre qui ne subit pas de métamorphose marquée peut régénérer son cœur toute sa vie. Le têtard de grenouille ne régénère ses organes qu’avant la métamorphose. Le souriceau nouveau-né peut régénérer son cœur, mais seulement dans les premiers jours post-nataux et ceci jusqu’au moment où se produit un pic d’hormones thyroïdiennes dans le sang. Comment les hormones thyroïdiennes modifient et verrouillent-elles l’expression de gènes pour empêcher la régénération ? Résoudre cette question est un enjeu important pour la société et pourrait ouvrir des nouvelles thérapies dans toutes les pathologies qui requièrent une réparation d’un tissu lésé. De la génomique à l’ère post-génomique C’est au début des années 1990 que l’avènement des outils de cartographie du génome a permis l’exploration et la compréhension des maladies héréditaires. Cette nouvelle ère de la génétique a ouvert la voie vers une médecine prédictive, préventive et personnalisée. L’étude des relations phénotype-génotype-fonction, c’est-à-dire l’intégration de multiples données cliniques, génétiques et physiologiques, a en effet conduit à la stratification des risques chez les patients et à définir les stratégies de prise en charge qui vont, selon les cas, de la simple prévention à des thérapeutiques sophistiquées.

Le syndrome du QT long (dont le nom fait allusion à un allongement de l’intervalle QT sur les électrocardiogrammes), une maladie héréditaire responsable de morts subites inattendues chez les sujets jeunes, est 272

De la curiosité à l’application

un modèle simplifié des perspectives qui s’ouvrent devant nous. Cette maladie héréditaire a été décrite dans les années 1960. Un premier morceau du génome associé à cette maladie a été identifié en 1991, au tout début du développement des outils de cartographie du génome. Les principaux gènes impliqués ont rapidement été identifiés, permettant ainsi de revisiter la classification de la maladie. Ils codaient des canaux ioniques (des protéines membranaires accélérant le passage de certains ions vers l’intérieur ou l’extérieur de la cellule, et qui sont importantes pour la physiologie des cellules). L’étude des canaux normaux et mutés a permis de comprendre le mécanisme de la maladie. La recherche a aussi montré qu’une protéine codée par un de ces gènes était la cible préférentielle d’un effet indésirable majeur commun à de nombreux médicaments, la mort subite par trouble du rythme cardiaque. Cette découverte a amené les agences du médicament à exiger que tout nouveau médicament soit testé sur ce canal ionique avant le développement clinique. La recherche de mutations chez les parents de sujets atteints a été l’une des premières indications de diagnostic génétique pré-symptomatique en raison du bénéfice majeur attendu en termes de prévention. La prise en charge, le diagnostic, la prévention et le traitement adapté à chaque cas ont transformé cette maladie. Ainsi, en moins de dix ans, la mortalité qui était évaluée à 12 % est devenue presque nulle chez les sujets diagnostiqués. Pendant cette période, le décryptage génomique* des maladies rares ainsi que celui des cancers nous ont montré que ce que nous appelions une maladie était en fait constitué de nombreux sous-ensembles de maladies de phénotypes proches. Les cibles et stratégies thérapeutiques, voire le pronostic, se révélant cependant très différents, il est devenu indispensable d’en affiner le diagnostic moléculaire. En intégrant les données cliniques et moléculaires, il a ainsi été possible de stratifier les risques et de mettre en place une prise en charge personnalisée. C’était la préhistoire de la médecine génomique, qui préfigure la médecine de demain. 273

Étonnant vivant

Il est difficile de se projeter à 20 ans, mais la possibilité de vivre longtemps en bonne santé grâce au diagnostic précoce et à la prévention se dessine. L’enjeu est de passer à une autre échelle de complexité et d’appliquer aux maladies communes les stratégies mises en place pour les maladies rares. Quinze ans après le décryptage du premier génome humain et le début du développement des technologies d’analyse biologique à hautdébit* (omiques*), nous assistons à une accélération extraordinaire de la connaissance et des possibilités d’analyses du vivant. La baisse des coûts et l’augmentation des performances des technologies omiques* sont exponentielles. À titre d’exemple, le coût du séquençage* du premier génome humain a été évalué à 3 milliards de dollars au début des années 2000 pour des années de travaux, alors qu’avec les technologies haut débit (dites NGS, pour « next-generation sequencing ») le coût est aujourd’hui de l’ordre de moins de 1 000  dollars pour un résultat en quelques heures. Les technologies NGS ne sont plus limitées à l’analyse de la séquence* de l’ADN, elles s’appliquent aujourd’hui à l’ensemble des mécanismes de régulation de l’expression du génome, et, en particulier, à l’épigénétique (voir chapitres 3 et 4). L’ensemble de ces avancées annonce une révolution dans le domaine de la recherche biomédicale, du soin et de la prévention en ouvrant la voie à une médecine dite 4P, « prédictive, préventive, personnalisée et participative ». Cela devrait modifier profondément non seulement notre système de soins mais aussi l’organisation de la recherche biomédicale (voir encadré ci-dessous). Il est en effet devenu raisonnable de penser que demain, il sera possible d’identifier les risques individuels, de comprendre les mécanismes complexes aboutissant au développement de maladies chroniques et de mettre en place des prises en charges préventives ou des traitement précoces ciblés.

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De la curiosité à l’application

Les enjeux et verrous de l’ère post-génomique Les enjeux – Exploitation des données massives pour identifier des marqueurs diagnostiques, pronostiques et des cibles thérapeutiques. – Associer à la recherche biomédicale les acteurs du numérique dans les nombreux domaines qui vont du stockage et l’interprétation des données en grand nombre au développement des objets connectés. Les verrous – Organisation de la recherche : elle impose de collecter, partager, intégrer et exploiter de multiples bases de données (cliniques, biologiques, d’imagerie, environnementales, etc.). – Formation : il faut développer de nouveaux métiers (bioinformatique et biostatistique, médecine génomique). – Système de soins : il sera nécessaire de mettre en place une réflexion profonde sur les modes de financement de cette nouvelle médecine dont les objectifs seront préventifs plus que curatifs afin de réduire les coûts en maintenant les individus en bonne santé. – L’impact sociétal : le développement d’une médecine prédictive et préventive mais aussi l’exploitation de multiples bases de données impliquent une réflexion collective, multidisciplinaire autour des aspects éthiques et règlementaires (Clayes et Vialatte, 2013).

La nature a déjà pensé aux solutions pour la robotique de demain L’exemple suivant illustre un formidable transfert de connaissance de la biologie vers la robotique. Les chercheurs d’un laboratoire de Marseille se sont inspirés d’un insecte volant bien connu, la mouche. Ils ont essayé 275

Étonnant vivant

de mieux comprendre comment elle s’échappe d’une tapette à mouche plutôt que d’améliorer cet outil. La mouche peut être considérée comme un micro-aéronef agile, équipé d’un cerveau parcimonieux d’un million de neurones et capable de naviguer à vue en environnements inconnus et imprévisibles. Son œil et son système visuel sont extrêmement ingénieux d’un point de vue optique et neuronal. Cette créature autonome illustre magistralement le constat que des réflexes sensorimoteurs insoupçonnés, mais de mieux en mieux compris, propres à tout être vivant doté de vision sont non seulement à l’œuvre chez l’animal mais peuvent aussi être reproduits chez des robots. Les travaux de recherche conduits ces 30 dernières années ont en effet démontré l’existence de neurones spécialisés contrôlant la locomotion et dont la fonction est de mesurer la vitesse de défilement de l’image rétinienne, appelée aussi « flux optique ». En

Figure 5.12 Beerotor Robot, un robot aérien capable d’éviter les obstacles et d’ajuster sa vitesse grâce à des capteurs visuels inspirés de l’œil des insectes (photo Expert F. Ruffier F. 2015, Institut des Sciences du Mouvement).

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De la curiosité à l’application

transcrivant le schéma de fonctionnement de tels neurones en microcircuits électroniques, les chercheurs ont donné naissance à des capteurs visuels innovants nous permettant de construire des robots terrestres et aériens, capables de s’orienter et d’éviter les obstacles et dont l’agilité est en constante amélioration. De tels robots bio-inspirés ont le mérite d’éclairer, en retour, les comportements animaux observés. En 2013, un consortium européen a réalisé une première mondiale en construisant le premier œil composé artificiel fonctionnel, inspiré de la vision panoramique de la mouche, dénommé CurvACE pour « Curved Artificial Compound Eye » et qui peut trouver des applications dans le secteur de la dronique, la sécurité aérienne, ou bien encore la surveillance des espaces souverains (voir figure 5.12). On peut s’attendre à ce que dans les années à venir, les études électrophysiologiques, mais aussi l’imagerie neuronale puissent donner naissance à de multiples réalisations électroniques dites neuromorphiques mimant sous forme de circuits micro-électroniques les circuits neuronaux des invertébrés ou des vertébrés (incluant l’homme). Robotique, développement technologique et biologie sont de plus en plus liés. Et si demain des organes défaillants étaient remplacés par des robots symbiotiques implantables ? Prenons l’exemple de l’incontinence urinaire secondaire à une ablation chirurgicale de la prostate (traitement de référence du cancer de la prostate, qui conduit dans environ 10 % des cas, soit plusieurs dizaines de milliers de patients par an dans le monde, à ce handicap social majeur). Son seul traitement aujourd’hui est un sphincter artificiel peu commode à utiliser (le patient doit activer une pompe pour pouvoir uriner) et qui perd sa fonctionnalité dans plus de 30 % des cas après 3 ans. Une alternative consiste à concevoir un robot capable de reproduire aussi fidèlement que possible la fonction du sphincter naturel. Un tel robot dispose de capteurs permettant d’estimer l’activité du patient ou de détecter 277

Étonnant vivant

des événements susceptibles d’augmenter brutalement la pression vésicale, comme la toux. Il décide alors du niveau de pression à exercer sur l’urètre, lequel est entouré par un dispositif qui permet de le comprimer au niveau voulu (assez pour permettre la continence, pas trop pour ne pas écraser inutilement des tissus fragiles). Un tel robot doit pouvoir fonctionner pendant de longues années. Or, l’adaptation permanente du niveau de pression nécessite un travail mécanique, significativement plus gourmand en énergie qu’un pacemaker (100 microwatts dans les versions les plus simples, voire plus de 500 microwatts pour des versions sophistiquées, contre 10 à 40 microwatts pour les pacemakers). Les piles scellées des pacemakers ne sont donc pas suffisantes pour les versions les plus performantes. L’idée est de se tourner vers les biopiles à glucose (figure 5.13). Ces dispositifs s’inspirent de la manière dont notre organisme utilise le glucose comme carburant : pendant la respiration mitochondriale, une chaîne de réactions enzymatiques arrache des électrons au glucose et les transfère à l’oxygène. D’une manière similaire, une biopile à glucose repose sur le couplage de deux réactions enzymatiques qui permettent un transfert d’électrons de l’anode vers la cathode ; une biopile de 1 ml pourrait alimenter un sphincter artificiel robotisé consommant 500 microwatts. L’enjeu majeur actuel est l’enrobage de la biopile par des polymères nanoporeux et biocompatibles. La porosité de l’enrobage est essentielle. En effet, d’une part le contenu de la biopile doit être confiné car les enzymes sont des protéines susceptibles de déclencher une réaction immunitaire si elles diffusent dans le liquide extracellulaire, mais d’autre part, glucose et oxygène doivent pouvoir pénétrer dans la biopile afin d’assurer la production d’électricité par voie enzymatique. La biocompatibilité porte à la fois sur l’absence de réaction négative pour l’hôte, et sur le contrôle de « l’encrassement » de la membrane par adsorption de diverses petites molécules. Des résultats très encourageants ont été obtenus in vivo* sur plus de 9 mois, et laissent espérer un fonctionnement à très long terme de la biopile après implantation. 278

De la curiosité à l’application

L’autonomie d’un robot implantable incorporant une biopile à glucose est intéressante à étudier. En ce qui concerne son action, ses capteurs, son intelligence embarquée et ses effecteurs lui permettent de remplir la mission pour laquelle il a été conçu, et même de l’assumer de mieux en mieux s’il dispose de capacités d’apprentissage automatique. Cependant, il est sous le double contrôle du patient lui-même (qui, par exemple, décide du moment de la miction), et du médecin, qui va pouvoir le « régler » lors des consultations, en paramétrant le logiciel grâce à une connexion à distance. De même, sur le plan énergétique, ce robot n’est autonome que dans la mesure où l’organisme lui assure son apport en carburant et l’élimination des déchets. Il dépend donc de l’organisme. Mais réciproquement, on peut considérer que l’organisme dépend du robot, puisque ce dernier remplit pour lui une fonction importante (la continence, par exemple), voire vitale (dans le cas des pacemakers). Le couple « organisme + robot » est donc dans une relation symbiotique, où chaque élément du couple apporte à l’autre des services utiles. On arrive ainsi au concept de « robot symbiotique implantable », qui ouvre des perspectives intéressantes dans de nombreuses pathologies. En particulier, on peut envisager la conception de robots symbiotiques intestinaux, conçus pour « vivre » à l’intérieur de l’intestin, en tirant du contenu intestinal l’énergie nécessaire à leur action, avec pour mission d’éliminer certaines molécules (excès de glucose dans le cas de l’obésité, par exemple), d’en fabriquer d’autres (peptides* de la satiété, par exemple) ou de moduler le microbiote* (en modifiant les conditions physico-chimiques locales, par exemple le pH, ce qui va exercer une pression de sélection sur les bactéries, pouvant favoriser celles qui jouent un rôle positif dans la prévention, voire le traitement de nombreuses pathologies). La biopile à glucose implantable représente donc peut-être le premier membre de la famille des robots symbiotiques implantables à venir. 279

Étonnant vivant

Dans un domaine différent, lié aux pathologies neuro-dégénératives, les progrès de l’électronique et des nanotechnologies permettent déjà de doter les patients de dispositifs médicaux miniaturisés, intelligents et multi-tâches. La voie a ici été ouverte par les travaux d’une équipe de neurologues et neurochirurgiens grenoblois qui ont les premiers montré l’efficacité d’électrodes de neurostimulation électrique à haute fréquence pour traiter les symptômes les plus handicapants de

Figure 5.13 Biopile à glucose implantable connectée à un dispositif capable de transmettre à distance les caractéristiques de sa performance in vivo. Cette biopile utilise des réactions enzymatiques pour générer un courant électrique, source d’énergie (photo TIMC-IMAG, UMR5525 UGA-CNRS).

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De la curiosité à l’application

Figure 5.14 De la neurostimulation aux interfaces innovantes avec le cerveau.

la maladie de Parkinson alors que les médicaments classiques étaient sans effet. Grâce aux nanotechnologies, des implants de dernière génération sont en préparation dans les laboratoires de recherche. Ils commencent déjà à apporter aux patients des possibilités, inégalées à ce jour, de réparation aux travers des premières interfaces cerveau-machine qui offrent de réels espoirs aux para- ou tétraplégiques (voir figure 5.14). D’autres voies thérapeutiques sont potentiellement ouvertes par la médecine « régénératrice » utilisant des cellules souches ou les facteurs qu’elles sécrètent et qui pourraient activer des voies de réparation endogènes, c’est-à-dire présentes dans l’organe malade mais qui nécessitent d’être stimulées pour devenir utiles sur un plan thérapeutique. 281

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L’impression 3D et les organes artificiels : forme extrême de la bio-inspiration L’impression 3D ou fabrication additive consiste à imprimer couche par couche de la matière grâce à un pilote informatique. Deux phases sont nécessaires : la première, pour la conception et la deuxième, pour la fabrication proprement dite, toutes deux assistées par ordinateur. Initialement, l’impression 3D a été utilisée pour fabriquer des prototypes de toutes sortes. Elle est aujourd’hui aussi employée dans l’industrie pour réaliser des pièces en série. Cette démocratisation a aussi gagné le monde de la médecine réparatrice où elle permet de réaliser des prothèses personnalisées. Le principe repose sur l’acquisition, grâce à l’imagerie médicale, d’un fichier numérique de la perte de substance à remplacer qui permet ensuite une fabrication sur mesure de la prothèse. Des médecins américains ont ainsi réalisé des implants trachéaux (attelles) sur mesure par impression 3D de polyester biorésorbable pour traiter des enfants souffrant d’une broncho-trachéomalacie sévère (dans cette maladie, la trachée est « molle », se collabe et empêche donc une respiration normale). Le premier enfant a été implanté à l’âge de 3 ans et son implant est en cours de résorption sans effet indésirable (Zopf et al., 2013).

Si la fabrication additive de matière inerte permet de remplacer les techniques de moulage et d’usinage pour la fabrication de prothèses individualisées, l’usage le plus sophistiqué de cette technologie est l’impression de matériel biologique ou bio-impression. Une différence notable entre l’impression 3D qui imprime de la matière « inerte » et la bio-impression qui imprime de la matière vivante est l’évolution du motif biologique qui va subir un processus de fusion et de maturation qui évolue en fonction du temps, de l’environnement et du motif imprimé (Gao et al., 2016). Ce point soulève un verrou non résolu qui pose la question du niveau d’organisation à atteindre lorsque que l’on veut régénérer un tissu. En d’autres termes, faut-il chercher à tout prix à imprimer un organe mature ou peut-on plus simplement se limiter à 282

De la curiosité à l’application

recréer une ébauche d’organe qui aura la capacité d’évoluer in situ vers sa version définitive ? Une équipe américaine a démontré qu’il était possible d’imprimer ex vivo des tissus humains bio-inspirés de taille compatible avec une utilisation clinique. Ils ont réalisé une portion de mandibule de morphologie adaptée à la perte de substance, un os du crâne, un muscle strié squelettique qui répond à des stimulations électriques après implantation in vivo chez le rat, et un cartilage d’oreille de forme complexe (Kang et al., 2016). Enfin, une autre approche utilisée en médecine régénératrice est la bio-impression in situ qui consiste à imprimer des cellules, de la matrice, des facteurs de croissance directement dans la perte de substance pour favoriser la régénération du tissu (Keriquel et al., 2010). L’avantage de cette approche est de se dispenser des étapes de maturation in vitro* qui sont longues, coûteuses et favorisent le risque de contamination. Aujourd’hui, la bio-inspiration est limitée à l’utilisation de quelques éléments cellulaires ou matriciels-clés qui vont favoriser le processus de régénération tissulaire. Les progrès technologiques permettront probablement de combiner les différentes approches et de recréer un jour, au moins en partie, des organes sur mesure tels qu’un foie ou un rein avec un niveau de bio-inspiration qui reste à définir.

Conclusion Les exemples que nous avons donnés illustrent comment la curiosité du chercheur amène à de nouvelles découvertes. De ces découvertes naissent des applications, mais l’histoire des sciences nous apprend qu’elles sont souvent surprenantes et non prédictibles. C’est pour cela qu’il est important de continuer à explorer tous les aspects du vivant et l’interdisciplinarité est ici une clé incontournable pour que puissent être relevés les défis qui nous attendent. 283

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L’interdisciplinarité : une force et une nécessité Les progrès émergent très souvent grâce à la convergence et à la collaboration d’expertises provenant de différents domaines. Les exemples de rapprochement disciplinaires fructueux sont très nombreux. La meilleure compréhension des modes de locomotion animale sous-marine (nage), terrestre (marche bipède ou quadrupède...), ou aérienne (vol battu) a donné lieu à de nombreuses réalisations robotiques comme des robots poissons ou des robots humanoïdes au cours de ces 10 dernières années. Mais l’organisation du mouvement ne peut se dissocier de sa perception, qui, elle aussi, a conduit à de nombreuses études extraites de la neuro-éthologie comme celles de la navigation chez l’abeille ou de la stabilisation de la tête chez la guêpe. En réalité, toutes les modalités sensorielles sont concernées : du toucher chez l’homme à l’audition des chauves-souris, en passant par l’olfaction des papillons et le sens électrique du poisson, autant d’exemples qui se situent à l’interface entre les neurosciences et les systèmes cyber-physiques. Le lien locomotion - perception est certainement l’exemple emblématique d’une transdisciplinarité permettant de répondre à des questions scientifiques fondamentales très souvent source d’innovations à long terme.

L’association des sciences de la vie à celles de l’information aide à concevoir de nouveaux dispositifs de calcul et de nouveaux outils pour la compréhension des données complexes. Les études sur la compréhension du cerveau citées plus haut en sont un exemple. La collaboration des sciences de la vie avec l’ingénierie de l’énergie et la chimie enrichit la recherche de nouvelles sources d’énergie bio-inspirées, comme l’illustre l’exemple des micro-algues et des biopiles à glucose. L’interaction entre les sciences de la vie et les sciences humaines et sociales fournit une meilleure compréhension des effets épigénétiques et ouvre la perspective d’un plus grand bien-être tout au long de la vie de l’individu. Un des grands défis du xxie siècle sera de donner les moyens à la biologie d’interagir en amont avec les sciences humaines 284

De la curiosité à l’application

et sociales afin que celles-ci lancent d’indispensables réflexions, armées des bons outils. En associant ainsi à la recherche biologique les apports de disciplines telles que le droit, la sociologie, la psychologie, la philosophie, l’histoire…, la société bénéficiera de moyens pour analyser au mieux les enjeux et les transformations en cours ou à venir. Elle sera dès lors mieux préparée pour réaliser des choix cruciaux, par exemple en termes de risques/bénéfices, et pour mener à bien une réflexion bioéthique pertinente. Pour faire les découvertes de demain, le scientifique en sciences de la vie aura besoin d’une formation large, aussi bien dans les sciences de la vie traditionnelles que dans de nouveaux domaines tels que les sciences de l’information et les mathématiques, les sciences humaines et sociales, la chimie et l’environnement. Les défis qui nous attendent Le développement de technologies pour voir le vivant est fondamental pour l’avancement de la connaissance. Nous avons vu qu’il est possible aujourd’hui d’analyser à l’échelle atomique des cellules ou de pénétrer les organes pour suivre des biomolécules. L’étape suivante est l’imagerie dynamique et quantitative (temps et espace) du vivant pour pouvoir suivre les biomolécules et leur dynamique dans leur environnement complexe à l’intérieur de la cellule des êtres vivants et, en temps réel, quantifier cette dynamique et éventuellement agir.

Concernant l’ère post-génomique, le séquençage des premiers génomes humains, a montré que la génétique et les gènes n’expliquent pas tout : notamment l’origine de la diversité ou comment intégrer l’impact de l’environnement. Toutes les cellules de notre corps ont le même ADN, la même information génétique portée par les gènes, et pourtant une cellule du foie est bien différente d’une cellule neuronale. Nous avons ainsi appris que les cellules n’utilisent pas, à un instant 285

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donné, toute l’information génétique qu’elles possèdent ; l’épigénétique a apporté une explication en montrant comment l’environnement peut participer à réguler l’expression des gènes et indiquer ainsi à la cellule quelle information elle doit lire. Il est aussi devenu rapidement évident que l’épigénétique n’explique pas tout non plus. Les études des métabolomes et des microbiotes intestinaux contribuent aujourd’hui à apporter de nouvelles pierres à l’édifice. Par ailleurs, ces nouvelles techniques génèrent tant de données qu’elles nous inondent littéralement, imposant le développement d’approches innovantes pour les intégrer. Cela signifie que nous devons tisser des liens avec de nouvelles disciplines. L’apprentissage par machine (machine learning) fournit par exemple des outils pour extraire l’essence des « Big Data » (grand nombre de données générées). Mais nous ne devons pas simplement effectuer l’extraction de données à l’aveuglette. Au contraire, nous devons mettre en place les outils permettant une analyse intelligente des données récoltées (de « Big Data » à « Smart Data ») et c’est là que se retrouve la nécessité absolue d’une interaction avec des disciplines comme les mathématiques ou l’informatique. Dans le cadre du « bio-émerveillement » qui nous intéresse ici, ces aventures sont surtout de magnifiques illustrations des enseignements que l’on peut tirer de l’observation de phénomènes naturels et de leur exploitation. Comme pour toute découverte, celle-ci comporte sa part de chance ; n’oublions toutefois pas que « Dans les champs de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés » (Louis Pasteur). L’avenir est rempli de merveilles, en avant pour le xxie siècle !

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Compléments

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Glossaire Acide aminé : composé organique comportant un groupe carboxyle (-COOH) et un groupe amine (-NH2). Ils jouent un rôle essentiel en biologie : les protéines sont formées d’un enchaînement d’acides aminés liés entre eux par des liaisons peptidiques. Acide nucléique : polymère formé de l’enchaînement de nucléotides reliés par des liaisons phosphodiesters. Ils sont de deux types : ADN ou ARN. ADN (acide désoxyribonucléique) : acide nucléique formé de deux brins antiparallèles enroulés l’un autour de l’autre pour former une double hélice. Le nucléotide de base comporte une base nucléique, ou base azotée : adénine (A), cytosine (C), guanine (G) ou thymine (T), liée à un pentose : le désoxyribose. L’ADN contient toute l’information génétique, appelée génome. Amensalisme : interaction entre plusieurs organismes, négative pour l’un ou plusieurs des partenaires, et neutre pour les autres. Angiosperme : plante à fleurs, c’est-àdire végétal qui porte des fruits et produit des graines. Anthropocentrisme : mode de pensée qui place l’homme au centre de l’Univers, qui considère que toute chose se rapporte à lui et qui appréhende la réalité à travers la seule perspective humaine. Antibiotique : substance qui tue ou bloque la croissance des bactéries.

Anticorps : protéine complexe fabriquée et sécrétée par certaines cellules du système immunitaire, les plasmocytes, et capable de détecter et neutraliser des agents pathogènes de manière spécifique. Antigène : substance étrangère à l’organisme déclenchant une réaction immunitaire (par exemple la production d’anticorps) visant à l’éliminer. Apoptose : encore appelée mort cellulaire programmée, l’apoptose est le processus par lequel la cellule enclenche et exécute sa propre destruction en réponse à un signal. Archée ou Archéobactérie : microorganisme unicellulaire procaryote, aussi différent d’une bactérie que d’un eucaryote. Les archées sont apparentés aux eucaryotes pour certaines caractéristiques (enzymes de la réplication, de la traduction, organisation du génome…) mais aux bactéries pour d’autres (absence de noyau, d’organites), et possèdent des voies métaboliques qui n’existent ni chez les bactéries ni chez les eucaryotes. Les extrêmophiles (voir ce terme) comptent beaucoup d’archées, mais de nombreuses archées occupent des biotopes non- extrêmes. ARN (acide ribonucléique) : acide nucléique formé d’un polymère linéaire. Le nucléotide de base comporte une base nucléique, ou base azotée : adénine (A), cytosine (C), guanine (G) ou uracile (U) liée à un pentose : le ribose. En général synthétisé dans les cellules à partir d’une matrice

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d’ADN dont il est une copie, il sert à la synthèse des protéines. C’est le cas de l’ARN dit messager (ARNm), qu’on appelle ARN codant puisque sa séquence est traduite en une protéine. Mais il existe de nombreux ARN dits non-codants qui ne seront pas à l’origine de protéines, et qui assurent diverses fonctions cellulaires.

interactions non-réactives entre molécules. Elle permet le développement de systèmes chimiques stimulables, adaptatifs et multifonctionnels. De tels systèmes artificiels (matériaux « intelligents ») devraient combiner plusieurs caractéristiques qui sont présentes et inspirées des systèmes vivants (métaboliser, muter, s’auto-répliquer).

Autophagie : processus par lequel une cellule élimine ses propres composants (cytoplasme, macromolécules, organites) collectés et apportés sous la forme de déchets par un compartiment appelé « autophagosome » puis digérés à l’intérieur de compartiments intracellulaires dits «lytiques».

Chloroplaste : organite présent dans les cellules eucaryotes végétales (plantes, algues), entouré d’une double membrane. Il contient un ensemble de saccules aplatis délimités par des membranes, les thylakoïdes, qui contiennent des pigments, chlorophylle ou caroténoïdes. Le chloroplaste est le siège de la photosynthèse : il utilise l’énergie lumineuse et le dioxyde de carbone atmosphérique pour produire des sucres et de l’ATP, la « monnaie » énergétique de la cellule. Les chloroplastes possèdent leur propre génome et appareil de synthèse de protéines. Ils ne sont pas assemblés de novo mais se divisent. Cet organite provient de l’endosymbiose d’une bactérie par une cellule eucaryote il y a 1,5 à 1,6 milliard d’années.

Bactérie : micro-organisme unicellulaire procaryote, se distinguant d’une part des eucaryotes par sa structure cellulaire (procaryote) dont l’une des caractéristiques est l’absence de noyau et de compartimentation intracellulaire membranaire, et d’autre part des archées par divers aspects chimiques (dont la structure de la membrane cellulaire) et génétiques. Bactériophage : appelé encore phage, ou virus bactérien, un bactériophage est un virus qui n’infecte que des bactéries. Biofilm : communauté de micro-organismes (bactéries, champignons, algues ou protozoaires), adhérant entre eux et à une surface, grâce à la sécrétion d’une matrice adhésive. Cheminée hydrothermale : source hydrothermale.

voir

Chimie des systèmes : chimie s’intéressant à l’échelle de description systémique qui intègre la réactivité et les

Clonage : Le clonage désigne deux processus. Le premier est la multiplication naturelle ou artificielle à l’identique d’un être vivant, c’est-à-dire avec conservation exacte du même génome pour tous les descendants (les clones). Il peut s’agir d’êtres unicellulaires, d’animaux ou de végétaux. Le second est la multiplication provoquée d’un fragment d’ADN par l’intermédiaire d’un micro-organisme. Il s’agit d’une technique de biologie moléculaire qui consiste à isoler un fragment d’ADN et à le multiplier à l’identique en l’insérant dans une molécule d’ADN porteuse appelée

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vecteur (un  virus ou un plasmide, c’est-àdire une petite molécule d’ADN cyclique) qui sera introduite dans une bactérie. La multiplication de la bactérie permet son amplification. Code génétique : Le ribosome interprète l’information contenue dans l’ARNm sous forme de nucléotides, qu’il traduit en acides aminés assemblés dans la protéine, selon l’ordre donné par les nucléotides portés par l’ARNm. La table de correspondance entre la séquence des nucléotides de l’ARN et les acides aminés, permettant cette traduction, s’appelle le code génétique. Cognition : aptitude à percevoir, traiter, utiliser l’information. Cette aptitude fait appel aux processus mentaux qui se rapportent à la fonction de connaissance tels que la mémoire, le langage, le raisonnement, l’apprentissage, la résolution de problèmes, la prise de décision, ou l’attention. Commensalisme : association de deux organismes appartenant à des espèces différentes par laquelle l’un des deux partenaires, le commensal, retire un intérêt spécifique (généralement sous forme de nourriture) de l’autre, sans affecter ce dernier. Criblage haut-débit : techniques permettant d’identifier des composés d’intérêt parmi des milliers de composants (exemple : certains gènes d’intérêt au sein d’un génome ou de plusieurs génomes de milliers de gènes ; certaines molécules d’intérêt au sein de chimiothèques de milliers de molécules). Cytoplasme : désigne l’ensemble du contenu de la cellule à l’exclusion du noyau

chez les eucaryotes ; et tout le contenu de la cellule chez les procaryotes puisqu’ils ne possèdent pas de noyau. Développement (Biologie du) : étude des processus génétiques et cellulaires par lesquels la cellule œuf donne un individu adulte : prolifération et croissance cellulaire, migrations cellulaires, différenciation cellulaire, morphogenèse. Diatomée : algue microscopique unicellulaire de la classe des algues brunes, entourée d’une enveloppe de silice, vivant dans l’eau douce ou dans les océans, en suspension ou sur le fond, libre ou fixée à un support. Enzyme : protéine dotée de propriétés catalytiques qui lui permettent de catalyser des réactions chimiques spécifiques au sein des organismes vivants. À noter que certains ARN, les ribozymes, sont aussi dotés de propriétés catalytiques. Epidémiologie : étude des facteurs influençant la répartition, la fréquence, le risque et la gravité des pathologies affectant les populations, humaines ou non. Cette étude débouche sur la recherche de méthodes d’intervention et de prévention de ces maladies. Eucaryote : organisme uni- ou pluricellulaire dont les cellules sont dotées d’un noyau et de différents compartiments délimités par une membrane, simple ou double, appelés organites. Ex vivo : observation ou manipulation en dehors d’un organisme vivant, de cellules, tissus ou organes qui ont été prélevés chez un organisme vivant. Voir aussi « in vitro ».

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Exobiologie : étude des facteurs et processus pouvant mener à l’apparition de la vie et à son évolution, aussi bien sur Terre qu’ailleurs dans le système solaire ou sur des exoplanètes. Exoplanète : planète située en dehors du système solaire. Extrêmophile : qualificatif d’un organisme dont les conditions de vie normales (température, pression, acidité, salinité, radioactivité, absence de lumière…) sont mortelles pour la plupart des autres organismes. Beaucoup d’extrêmophiles sont des archées et des bactéries, mais il existe néanmoins des eucaryotes, uni- ou multicellulaires, qui sont extrêmophiles. Fitness (ou valeur sélective) : mesure qui décrit la capacité d’un individu en termes de survie et de reproduction. Il s’agit d’une mesure de la sélection naturelle. Fluorochrome ou f luorophore : substance chimique capable d’émettre une lumière fluorescente après excitation par une source lumineuse. Leur utilisation a permis des progrès considérables dans les approches de séquençage, d’imagerie, de tri cellulaire. Fumeur : voir source hydrothermale. Génome : ensemble du matériel génétique d’un individu ou d’une espèce contenu dans l’ADN (ou dans l’ARN pour certains virus), comprenant à la fois les gènes et les séquences non-codantes permettant leur expression. Génomique : science qui étudie les génomes.

Gymnosperme : plante dont l’ovule est à nu (non enclos dans une fleur à la différence des angiospermes) et est porté par des pièces foliaires groupées sur un rameau fertile appelé cône. La plupart des Gymnospermes sont des conifères. Haut débit : voir criblage et séquençage. Homéostasie : capacité à maintenir un équilibre au sein d’un organisme en dépit de variations extérieures. Hominidé : famille de primates regroupant les bonobos, les chimpanzés, les gorilles, les orangs-outans et les humains. Homininé : sous-famille de la famille des Hominidés regroupant les hommes, les chimpanzés et les gorilles. Immunité : capacité de l’organisme à se défendre contre des agents extérieurs (virus, bactéries, parasites, molécules étrangères) grâce à un système immunitaire formé de différents types cellulaires, capable de reconnaître le « soi » du « non-soi » et d’éliminer ou de neutraliser le « non-soi ». Il existe une immunité non-spécifique, dite « innée », et des mécanismes de défense spécifiques, dits immunité « acquise ». L’immunologie étudie le système immunitaire. In vitro : observation ou manipulation de composants du vivant (molécules ou cellules) effectuées en dehors de l’être vivant. La distinction avec « ex vivo » est subtile. Les expériences ex vivo sont relatives à des composants simplement extraits de l’organisme, n’ayant pas subi de modification, et immédiatement utilisés. Les expériences in vitro font appel à des composants du vivant qui ne sont pas immédiatement extraits de

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l’organisme mais ont été cultivés, reproduits et/ou modifiés par le chercheur sur de longues périodes (par exemple : lignées cellulaires). In vivo : observation ou manipulation qui se fait au sein d’un organisme vivant. Lithosphère : enveloppe terrestre rigide de la surface de la Terre, comprenant la croûte terrestre et une partie du manteau supérieur. LUCA (Last Universal Common Ancestor) : le plus ancien organisme (et donc dernier ancêtre commun) dont sont issues les trois lignées cellulaires (archées, bactéries et eucaryotes) et donc l’ensemble des espèces vivant actuellement sur Terre. Attention : LUCA n’est pas la première forme de vie apparue sur la Terre. Des départs de vie ont probablement eu lieu auparavant, produisant diverses lignées. Elles ont dû s’éteindre à l’exception de l’une qui a pris le dessus : notre dernier ancêtre commun. Macromolécule : molécule de très grande taille. Une macromolécule formée d’unités chimiques similaires assemblées par des liaisons covalentes est un polymère. Les acides nucléiques, des polysaccharides comme l’amidon ou la cellulose, de nombreuses protéines sont des macromolécules. Métabolisme : ensemble des réactions chimiques se déroulant au sein d’un être vivant, mobilisant de l’énergie, et nécessaires à la maintenance de l’organisation de cet être vivant et à sa reproduction. Métagénome : description de l’ensemble des génomes des multiples individus de

différentes espèces contenus dans un échantillon issu d’un environnement complexe (océan, intestin, sols…) via le séquençage direct de l’ADN contenu dans l’échantillon. Microbiote : communauté de microorganismes (bactéries, archées, virus, eucaryotes microscopiques) vivant en commensaux dans un environnement spécifique au sein d’un organisme pluricellulaire, animal ou végétal. Le microbiote intestinal, localisé dans l’intestin grêle et le côlon, correspond à une symbiose entre l’organisme et cette communauté microbienne, appelée aussi flore intestinale. Microfluidique : étude du comportement des fluides à travers des microcanaux et conception et réalisation de dispositifs de dimensions micrométriques permettant de contrôler les flux de liquides à des fins analytiques ou préparatives. Véritables « microprocesseurs pour la biologie », les systèmes microfluidiques autorisent l’étude et l’analyse d’échantillons biologiques en remplaçant des instruments encombrants et très coûteux grâce à leurs composants miniaturisés. Mitochondrie : organite présent dans les cellules eucaryotes, entouré d’une double membrane, la membrane interne formant des invaginations appelées « crêtes ». Les mitochondries sont la « centrale énergétique » de la cellule, car elles produisent l’ATP, la « monnaie » énergétique de la cellule, grâce à un système enzymatique appelé « chaîne respiratoire ». Les mitochondries possèdent leur propre génome et appareil de synthèse de protéines.

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Elles ne sont pas formées de novo, mais elles croissent et se divisent. Cet organite provient de l’endosymbiose d’une bactérie par une cellule primitive (possiblement une archée) il y a environ 2 milliards d’années. Morphogenèse : ensemble des processus qui définissent la forme et la structure des cellules, des tissus, des organes et des organismes. Mort cellulaire programmée : voir apoptose. Mutualisme : association de deux organismes appartenant à des espèces différentes par laquelle les deux partenaires retirent un intérêt spécifique. Mycorhize : association de type symbiotique entre des champignons microscopiques et les racines des plantes. Les champignons bénéficient des sucres élaborés par la plante grâce à la photosynthèse. La plante bénéficie grâce aux champignons abrités dans ses racines d’un apport d’eau et de sels minéraux. Nécrose : mort prématurée et non-programmée d’une cellule, suite à un traumatisme, une infection, la présence de toxine, etc. Contrairement à l’apoptose (voir ce terme) qui est une forme de suicide organisé de la cellule correspondant à un processus physiologique bénéfique et contrôlé, la nécrose échappe au contrôle de l’organisme et peut s’avérer néfaste. Noyau cellulaire : organite caractéristique des cellules eucaryotes, entouré d’une enveloppe composée de deux membranes percée de pores, et contenant l’essentiel du matériel génétique de la cellule (ADN).

Il a pour fonction principale de stocker le génome nucléaire ainsi que la machinerie nécessaire à sa réplication et à l’expression des gènes sous forme d’ARN. Nucléotide : molécule composée d’une base nucléique (ou base azotée), d’un ose à cinq atomes de carbone et de un à trois groupes phosphate. C’est l’élément de base des acides nucléiques, ADN et ARN. Les bases azotées sont l’adénine (A), la cytosine (C), la guanine (G) et la thymine (T). La thymine est remplacée par l’uracile (U) dans l’ARN. Omiques ou omics : voir technologies -omiques. Optogénétique : méthode permettant de rendre des neurones sensibles à la lumière par l’insertion au niveau cérébral de gènes codant une protéine activable par certaines longueurs d’onde, l’opsine, grâce à une fibre optique. Elle permet de stimuler spécifiquement un type cellulaire à volonté, en laissant les cellules voisines intactes. Organite : structure différenciée contenue au sein des cellules et ayant une fonction bien spécifique. Exemples : noyau, mitochondries, chloroplastes, ribosomes… Parasitisme : association de deux organismes appartenant à des espèces différentes par laquelle l’un des deux partenaires, le parasite, retire un intérêt spécifique aux dépens de l’autre. Cette association revêt un caractère obligatoire pour l’espèce parasite. PCR (pour polymerase chain reaction, ou réaction en chaîne par polymérase) : méthode permettant, grâce à une

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enzyme appelée polymérase, de multiplier en très grand nombre une séquence d’ADN ou d’ARN connue, à partir d’une faible quantité de la séquence spécifique de départ. Cette méthode a révolutionné la biologie moléculaire et a valu en 1993 le Prix Nobel de Chimie à son inventeur, Kary B. Mullis. Peptide : Polymère d’un faible nombre d’acides aminés (de deux à quelques dizaines) reliés entre eux par des liaisons peptidiques. Les polymères comprenant un plus grand nombre d’acides aminés sont appelés polypeptides. Les protéines sont l’assemblage d’un ou de plusieurs polypeptides, dont certains acides aminés ont subi des modifications chimiques et qui sont repliés en une structure tridimensionnelle. Pergélisol (en anglais, permafrost) : partie d’un sous-sol gelée en permanence, existe dans les hautes latitudes (polaire et subpolaire) et dans les hautes altitudes. Phage : voir bactériophage. Phéromone : substance chimique ou ensemble de substances chimiques produites dans le milieu extérieur par des animaux et parfois des végétaux, et déclenchant une réaction physiologique ou comportementale (souvent liée à la reproduction sexuée) chez des individus de la même espèce, parfois à de très longues distances (plusieurs kilomètres). Phylogénie : étude des relations de parentés entre êtres vivants. Elle permet de reconstituer l’évolution des organismes vivants. Phytoplancton : ensemble des organismes végétaux (micro-algues) du plancton (voir ce terme).

Plancton : ensemble des êtres vivants de petite taille (inférieure à 1 cm) vivant dans l’eau, incapables de mouvements à contre-courant, et par conséquent dérivant au gré des courants. Le plancton comprend de nombreux êtres unicellulaires (bactéries, archées et eucaryotes), des virus, des larves, de petits animaux et végétaux, des gamètes… Polypeptide : voir peptide. Prébiotique : dans cet ouvrage, cet adjectif fait référence à la période ayant précédé l’apparition de la vie sur la Terre. Prédation : mode de nutrition d’un organisme, le prédateur, consistant à s’emparer d’un organisme vivant d’une autre espèce, la proie, pour s’en nourrir. Procaryote : organisme unicellulaire qui est, contrairement à la cellule eucaryote, dépourvu de noyau et de compartiments intracellulaires. Les bactéries et les archées sont des procaryotes. Réplication (de l’ADN) : processus au cours duquel une copie de l’ADN est synthétisée grâce à un complexe enzymatique, l’ADN polymérase. Ce mécanisme permet d’obtenir, à partir d’une molécule d’ADN, deux molécules identiques à la molécule initiale. La réplication précède la division de la cellule, au cours de laquelle chaque molécule d’ADN issue de la réplication va être héritée par l’une des deux cellules filles issues de la division. Rétrovirus : virus dont le génome est constitué d’ARN. Ils possèdent une enzyme spécifique, la transcriptase inverse, qui transcrit leur génome d’ARN en ADN

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avant qu’il soit ensuite intégré dans le génome de la cellule infectée. Ribosome : complexe macromoléculaire formé de protéines et d’ARN, présent en multiples exemplaires dans les cellules procaryotes et eucaryotes, et participant à la fabrication des protéines grâce au décodage de l’information contenue dans la séquence des ARN messagers. Les ARN de transfert apportent les acides aminés au ribosome pour permettre l’initiation et l’élongation de la chaine peptidique. Séquençage (de l’ADN) : techniques consistant à déterminer l’ordre d’enchaînement des nucléotides d’un fragment d’ADN donné (ordre représenté par la succession des bases nucléiques des nucléotides : A, T, G et C). Ces techniques ont considérablement progressé depuis leur démarrage dans les années 70. Les méthodes les plus récentes relèvent du séquençage à haut débit (HTS pour highthroughput sequencing, aussi appelé NGS pour next-generation sequencing) et sont apparues à partir de 2005, produisant des millions de séquences en une seule lecture et à faible coût. Séquence (d’ADN ou d’ARN) : succession des nucléotides qui les constituent. Cette succession contient l’information génétique. Elle peut être déterminée par des méthodes de séquençage de l’ADN. Les nucléotides sont représentés conventionnellement par des lettres symbolisant la base nucléique (A, T, G et C) qui les caractérise. Serpentinisation : altération hydrothermale se développant à la base de la croûte océanique lors du trajet des fluides

hydrothermaux chauds, impliquant des phénomènes d’oxydation et d’hydratation des minéraux de la lithosphère océanique. L’olivine et les pyroxènes de la péridotite de la lithosphère océanique sont transformés en serpentine. Par extension, altération hydrothermale de tous les constituants potentiels d’une croûte océanique. Les réactions de serpentinisation fournissent énergie, matière organique et confinement. Elles ont pu contribuer à l’émergence de la vie terrestre. Source hydrothermale : sortie de fluides dont la température est très supérieure à celle de l’eau de mer environnante, dans les grands fonds océaniques, le plus souvent à proximité des dorsales, ou en arrière des arcs volcaniques à proximité des zones de subduction. Une cheminée hydrothermale est une formation en structures concentriques qui résulte de la précipitation successive des minéraux lorsque le fluide chaud issu de la source hydrothermale rencontre l’eau de mer froide. Les fumeurs noirs se développent sur l’axe des dorsales, se présentent sous forme de cheminées et rejettent des fluides à plus de 300 degrés. Les fumeurs blancs rejettent du sulfate de calcium à des températures moins élevées (entre 200 et 300 degrés). Symbiose : association intime et durable entre deux organismes appartenant à des espèces différentes. L’association est à bénéfices réciproques pour les deux partenaires. Elle revêt également un caractère obligatoire. Technologies –omiques : techniques à haut débit permettant l’analyse simultanée

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d’un très grand nombre de variables ainsi dénommées parce qu’elles font référence à différentes technologies au suffixe en « omique ». Elles incluent la génomique (séquençage de l’ADN), la transcriptomique (expression des gènes et leur régulation), la protéomique (analyse des protéines), la métabolomique (étude des métabolites produits), etc. L’obtention d’un très grand nombre de données de l’objet étudié, couplée à des analyses statistiques et bio-informatiques, permet une caractérisation des systèmes biologiques à un niveau jamais atteint auparavant, et l’élaboration de modèles prédictifs. Traduction (de l’ARN) : étape de synthèse des protéines par les ribosomes à partir de l’information génétique contenue dans les ARN messagers (eux-mêmes synthétisés à partir de l’ADN dont ils sont une copie) et des acides aminés apportés par les ARN de transfert. Le ribosome interprète l’information contenue dans l’ARN messager et la traduit en acides aminés assemblés dans la protéine. La traduction des ARN messager en protéine s’effectue dans le cytoplasme des cellules. Transcription (de l’ADN en ARN) : processus consistant à copier des régions de l’ADN et à les transcrire en molécules

d’ARN. Chez les eucaryotes, la transcription se déroule dans le noyau de la cellule. Les ARN formés sont exportés dans le cytoplasme. Les ARN messagers (ARN codants) servent de matrice à la synthèse des protéines. Les ARN non-codants assurent d’autres fonctions cellulaires. Transfert horizontal de gènes : processus par lequel des gènes sont transmis d’un organisme à un autre organisme qui n’est pas forcément de la même espèce, sans que les deux organismes qui échangent ce matériel génétique soient unis par une relation parentale. Ce type de transfert est très utilisé dans le monde des unicellulaires. Mais il existe aussi de nombreux transferts horizontaux de matériel génétique acquis par des êtres pluricellulaires à partir de virus, de bactéries, d’archées, de champignons… Valeur sélective : voir Fitness. Virus : agent infectieux parasite obligatoire intracellulaire (ou parasite d’autres virus), dépourvu de ribosomes, incapable de se diviser, et dont l’organisation n’est pas basée sur un type cellulaire. Zooplancton : ensemble des organismes animaux du plancton (voir ce terme).

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Compléments

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Étonnant vivant

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Cinquième chapitre Bellanger M., Demeneix B., Grandjean P., Zoeller R.T., Trasande L., (2015), « Neurobehavioral deficits, diseases, and associated costs of exposure to endocrine-disrupting chemicals in the European Union », The Journal of Clinical Endocrinolog y & Metabolism, 100, p. 1256-1266. Bianconi E., Piovesan A., Facchin F., Beraudi A., Casadei R., Frabetti F., Vitale L., Pelleri M.C., Tassani S., Piva F. (2013), « An estimation of the number of cells in the human body », Annals of Human Biolog y, 40, p. 463-471. Chaumont M., Racape J., Broeders N., El Mountahi F., Massart A., Baudoux T., Hougardy J.M., Mikhalsky D., Hamade A., Le Moine A., Abramowicz D., 310

Compléments

Vereerstraeten P. (2015), « Delayed graft function in kidney transplants: time evolution, role of acute rejection, risk factors, and impact on patient and graft outcome », Journal of Transplantation, 2015, DOI 10.1155/2015/163757 Clayes A., Vialatte S. (2013-2014), « Les progrès de la génétique, vers une médecine de précision ? Les enjeux scientifiques, technologiques, sociétaux et éthiques de la médecine personnalisée », Rapport n°306 de l’OPECST. DiLuca M. , Olesen J. (2014), « The cost of brain diseases: a burden or a challenge? », Neuron, 82, p. 1205-1808. Durand E., Nguyen V.S., Zoued A., Logger L., Pehau-Arnaudet G., Aschtgen M.S., Spinelli S., Desmyter A., Bardiaux B., Dujeancourt A., Roussel A., Cambillau C., Cascales E., Fronzes R., (2015), « Biogenesis and structure of a type VI secretion membrane core complex », Nature, 523, p. 555-560. Enel P., Procyk E., Quilodran R., Dominey P.F. (2016), « Reservoir Computing Properties of Neural Dynamics in Prefrontal Cortex », PLoS Computational Biolog y, 12, e1004967. Gao B1., Yang Q2., Zhao X3., Jin G3., Ma Y3., Xu F. (2016), « 4D Bioprinting for Biomedical Applications », Trends in Biotechnolog y, S0167-7799, p. 66-74. GIEC-IPCC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat Intergovernmental Panel on Climate Change) 2014, 5 e rapport, Climate Change 2014: Synthesis Report. Contribution of Working Groups I, II and III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (Core Writing Team, R.K. Pachauri et L.A. Meyer eds.), IPCC, Geneva, Switzerland, p. 151. Greshock T., Johns D., Noguchi Y., Williams R. (2008), « Improved Total Synthesis of the Potent HDAC Inhibitor FK228 (FR-901228) », Organic Letters, 10, p. 613616. Halpern K.B., Tanami S., Landen S., Chapal M., Szlak L., Hutzler A., Nizhberg A., Itzkovitz S. (2015), « Bursty gene expression in the intact Mammalian liver », Molecular Cell, 58, p. 147-156. Hodi F.S., Mihm M.C., Soiffer R.J., Haluska F.G., Butler M., Seiden M.V., Davis T., Henry-Spires R., Macrae S., Willman A., Padera R., Jaklitsch M.T., Shankar S., Chen T.C., Korman A., Allison J.P., Dranoff G. (2003), « Biologic activity of cytotoxic T lymphocyte-associated antigen 4 antibody blockade in previously vaccinated metastatic melanoma and ovarian carcinoma patients », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 100, p. 4712-4717. 311

Étonnant vivant

Kang H.W., Lee S.J., Ko I.K., Kengla C., Yoo J.J., Atala A. (2016), « A 3D bioprinting system to produce human-scale tissue constructs with structural integrity », Nature Biotechnolog y, 34, p. 312-319. Keriquel V.1., Guillemot F., Arnault I., Guillotin B., Miraux S., Amédée J., Fricain J.C., Catros S. (2010), « In vivo bioprinting for computer- and robotic-assisted medical intervention: preliminary study in mice », Biofabrication, 2, p. 014101. Maréchal E. (2015), « Carburants à base d’algues oléagineuses - Principes, filières, verrous », Techniques de l’Ingénieur, 186, p. 1-19. Modha D.S., IBM Fellow D.S. Modha, Scientific American, http://blogs.scientificamerican.com/news-blog/computers-have-a-lot-to-learn-from-2009-03-10/ Paquot Y., Duport F. et al. (2012), « Optoelectronic reservoir computing », Sci. Rep., 2, p. 287. Phan G.Q., Yang, J.C., Sherry R.M., Hwu P., Topalian S.L., Schwartzentruber D.J., Restifo N.P., Haworth L.R., Seipp C.A., Freezer L.J., Morton K.E., Mavroukakis S.A., Duray P.H., Steinberg S.M., Allison J.P., Davis T.A., Rosenberg S.A., (2003), « Cancer regression and autoimmunity induced by cytotoxic T lymphocyte-associated antigen 4 blockade in patients with metastatic melanoma », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 100, p. 8372-8377. Strader C., Pearce C., Oberlies N. (2011), Fingolimod (FTY720): « A Recently Approved Multiple Sclerosis Drug Based on a Fungal Secondary Metabolite », Journal of Natural Products, 74, p. 900-907. Trasande L. (2016), « Updating the Toxic Substances Control Act to Protect Human Health », Journal of the American Medical Association, 315, p. 1565-1566. Wolf S.F, Schlessinger D. (1977), « Nuclear metabolism of ribosomal RNA in growing, methionine-limited, and ethionine-treated HeLa cells », Biochemistry, 16, p. 27832791. Zopf D.A., Hollister S.J., Nelson M.E., Ohye R.G., Green G.E. (2013), « Bioresorbable airway splint created with a three-dimensional printer », New England Journal of Medicine, 368, p. 2043-2045.

312

Compléments

Les auteurs Directrice de l’ouvrage

Avec le concours de

JESSUS Catherine Institut des sciences biologiques (INSB). Paris http://www.cnrs.fr/insb/

GAUDE Thierry Reproduction et développement des plantes (RDP). Lyon http://www.ens-lyon.fr/RDP

Chapitre 1 : Qu’est-ce que le vivant ? CLAVERIE Jean-Michel Information génomique et structurale (IGS). Marseille https://www.igs.cnrs-mrs.fr/ COTTIN Hervé Laboratoire inter-universitaire des systèmes atmosphériques (LISA). Créteil http://www.lisa.univ-paris12.fr/ EL ALBANI Abderrazak Institut de chimie des milieux et des matériaux de Poitiers (IC2MP). Poitiers http://ic2mp.labo.univ-poitiers.fr/ FORTERRE Patrick Biologie moléculaire du gène chez les extrêmophiles. Paris https://research.pasteur.fr/fr/team/mole cular-biology-of-gene-in-extremophiles/ GIUDICI-ORTICONI Marie-Thérèse Bioénergétique et ingénierie des protéines (BIP). Marseille http://www.bip.cnrs-mrs.fr/

JULLIEN Ludovic Processus d’activation sélectif par transfert d’énergie uni-électronique ou radiatif (P.A.S.T.E.U.R). Paris http://www.chimie.ens.fr/ MÉNEZ Bénédicte Institut de physique du globe de Paris (UMR-IPGP). Paris http://www.ipgp.fr/ MORANGE Michel Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST). Paris http://republique-des-savoirs.fr/?cat=119 http://www.ihpst.cnrs.fr/ NITSCHKE Wolfgang Bioénergétique et ingénierie des protéines (BIP). Marseille http://www.bip.cnrs-mrs.fr/ PRADEU Thomas Immunologie conceptuelle, expérimentale et translationnelle (Immuno ConcEpT). Bordeaux https://www.immuconcept.org/ 313

Étonnant vivant

Chapitre 2 : L’histoire du vivant ABERGEL Chantal Information génomique et structurale (IGS). Marseille https://www.igs.cnrs-mrs.fr/ CHARMANTIER Anne Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE). Montpellier http://www.cefe.cnrs.fr/fr/ COURTIER-ORGOGOZO Virginie Institut Jacques Monod (IJM). Paris http://www.ijm.fr/ DAUBIN Vincent Laboratoire de biométrie et biologie évolutive (LBBE). Villeurbanne https://lbbe.univ-lyon1.fr/

MAUREILLE Bruno De la préhistoire à l’actuel: culture, environnement et anthropologie (PACEA). Pessac http://www.pacea.u-bordeaux1.fr/ MORLON Hélène Institut de biologie de l’école normale supérieure (IBENS). Paris http://www.ibens.ens.fr/ NADOT Sophie Ecologie, systématique et évolution (ESE). Orsay http://www.ese.u-psud.fr/

HAUSBERGER Martine Ethologie animale et humaine (EthoS). Rennes https://ethos.univ-rennes1.fr/

PARCY Francois Laboratoire de physiologie cellulaire & végétale (LPCV). Grenoble http://big.cea.fr/drf/big/Pages/PCV/ Accueil.aspx

HEYER Evelyne Eco-anthropologie et ethnobiologie (EAE). Paris http://www.ecoanthropologie.cnrs.fr/

PRUD’HOMME Benjamin Institut de biologie du développement de Marseille (IBDM). Marseille http://www.ibdml.univ-mrs.fr/

JARNE Philippe Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE). Montpellier http://www.cefe.cnrs.fr/fr/

TENAILLON Olivier Infection, antimicrobiens, modélisation, évolution (IAME). Paris http://www.iame-research.center/

LECOINTRE Guillaume Institut de systématique, évolution, biodiversité (ISYEB). Paris http://isyeb.mnhn.fr/

ROEST CROLLIUS Hugues Institut de biologie de l’école normale supérieure (IBENS). Paris http://www.ibens.ens.fr/

LOPEZ GARCIA Purificacion Ecologie, systématique et évolution (ESE). Orsay http://www.ese.u-psud.fr/

VEKEMANS Xavier Evolution, écologie et paléontologie (EvoEco-Paleo). Villeneuve d’Ascq http://eep.univ-lille.fr/ 314

Compléments

Chapitre 3 : La complexité du vivant AMIGORENA Diego-Sebastian Immunité et cancer. Paris http://curie.fr/recherche/immunitecancer-institut-curie-inserm-u932

NOLLMANN MARTINEZ Marcelo Centre de biochimie structurale (CBS). Montpellier http://www.cbs.cnrs.fr/

BERTRAND Olivier Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL). Lyon https://crnl.univ-lyon1.fr/index.php/fr

PARMEGGIANI Andrea Dynamique des interactions membranaires normales et pathologiques (DIMNP). Montpellier http://www.dimnp.univ-montp2.fr/

BOUDAOUD Arezki Reproduction et développement des plantes (RDP). Lyon http://www.ens-lyon.fr/RDP

RONDI-REIG Laure Neurosciences Paris-Seine. Paris http://www.ibps.upmc.fr/

GODIN Christophe Virtual Plants. Montpellier https://team.inria.fr/virtualplants/fr/

ROUGEULLE Claire Epigénétique et destin cellulaire. Paris http://parisepigenetics.com/

HAREL-BELLAN Annick Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC). Gif-sur-Yvette http://www.i2bc.paris-saclay.fr/

THERAULAZ Guy Centre de recherche sur la cognition animale (CRCA). Toulouse http://cognition.ups-tlse.fr/

HOFFMANN Jules Réponse immunitaire et développement chez les insectes. Strasbourg http://ibmc-ridi.cnrs.fr/fr/accueil-ridi/

THIEFFRY Denis Institut de biologie de l’école normale supérieure (IBENS). Paris http://www.ibens.ens.fr/

LEHUEN Agnès Institut Cochin. Paris http://www.institutcochin.fr/

VAUCHERET Hervé Institut Jean-Pierre Bourgin (IJPB). Versailles http://www-ijpb.versailles.inra.fr/

LEMAIRE Patrick Centre de recherche en biologie cellulaire de Montpellier (CRBM). Montpellier http://www.crbm.cnrs.fr/

YVERTGaël Laboratoire de biologie et modélisation de la cellule (LBMC). Lyon http://www.ens-lyon.fr/LBMC/

315

Chapitre 4 : L’être vivant dans son environnement ALIZON Samuel Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (MIVEGEC). Montpellier http://mivegec.ird.fr/fr/ ANGELIER Frédéric Centre d’études biologiques de Chizé (CEBC). Villiers en Bois http://www.cebc.cnrs.fr/ BÉCARD Guillaume Laboratoire de recherche en sciences végétales (LRSV). Toulouse https://www.lrsv.ups-tlse.fr/ BEZIN Laurent Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL). Lyon https://crnl.univ-lyon1.fr/index.php/fr BOWLER Chris Institut de biologie de l’école normale supérieure (IBENS). Paris http://www.ibens.ens.fr/ COURCHAMP Franck Ecologie, systématique et évolution (ESE). Orsay http://www.ese.u-psud.fr/ DUTREUIL Sébastien Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST). Paris http://ihpst.cnrs.fr/ FAURE Mathias Centre international de recherche en infectiologie (CIRI). Lyon http://ciri.inserm.fr/

GUIDI Lionel Laboratoire d’océanographie de Villefranche (LOV). Villefranche-sur-Mer http://www.obs-vlfr.fr HIBNER Urszula Institut de génétique moléculaire de Montpellier (IGMM). Montpellier http://www.igmm.cnrs.fr/ JEBBAR Mohamed Laboratoire de microbiologie des environnements extrêmes (LM2E). Brest http://wwz.ifremer.fr/umr6197 KALTZOliver Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (ISEM). Montpellier http://www.isem.univ-montp2.fr/ LEULIER François Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (IGFL). Lyon http://igfl.ens-lyon.fr/ LOUDET Olivier Institut Jean-Pierre Bourgin (IJPB). Versailles http://www-ijpb.versailles.inra.fr/fr/ SIMONET Pascal Laboratoire Ampère (Ampère). Écully http://www.ampere-lyon.fr/ TOST Jörg Centre national de génotypage, laboratoire d’épigénétique et environnement (LEE). Evry http://ig.cea.fr/drf/ig/Pages/CNG/ LABORATOIRES/Epigenetique-etenvironnement.aspx

Compléments

VERGNOLLE Nathalie Institut de recherche en santé digestive. Toulouse http://www.irsd.fr/

Chapitre 5 : De la curiosité à l’application ARIMONDO Paola Barbara Pharmacochimie de la régulation épigénétique du cancer (ETaC). Toulouse http://www.etac.cnrs.fr/ BERGER François Clinatec. Grenoble http://www.clinatec.fr/ CINQUIN Philippe Techniques de l’ingénierie médicale et de la complexité - informatique, mathématiques et applications, Grenoble (TIMCIMAG). La Tronche http://www-timc.imag.fr/ DEMENEIX Barbara Evolution des régulations endocriniennes. Paris http://umr7221.mnhn.fr/ DOMINEY Peter Ford Institut cellule souche et cerveau (SBRI). Bron http://www.sbri.fr/ FRICAIN Jean-Christophe Bioingénierie tissulaire (BioTis). Bordeaux http://www.biotis-bordeaux.com/ LE MAREC Hervé L’unité de recherche de l’institut du thorax. Nantes http://www.umr1087.univ-nantes.fr/

MARÉCHAL Eric Laboratoire de physiologie cellulaire & végétale (LPCV). Grenoble http://big.cea.fr/drf/big/Pages/PCV/ Accueil.aspx MERGNY Jean-Louis Institut européen de chimie et biologie (IECB). Pessac http://www.iecb.u-bordeaux.fr/ MENASCHÉ Philippe Laboratoire de recherches biochirurgicales de l’hôpital européen GeorgesPompidou (HEGP). Paris http://hopital-georgespompidou.aphp.fr/ recherche/structures-de-recherche/parcc/ NACCACHE Lionel Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM). Paris http://icm-institute.org/fr/ RUFFIER Franck Institut des sciences du mouvement Etienne-Jules Marey (ISM). Marseille http://www.ism.univmed.fr/ SERRES Julien Institut des sciences du mouvement Etienne-Jules Marey (ISM). Marseille http://www.ism.univmed.fr/

317

Étonnant vivant

TANTER Mickaël Institut Langevin ondes et images (Institut Langevin). Paris https://www.institut-langevin.espci.fr/

VIOLLET Stéphane Institut des sciences du mouvement Etienne-Jules Marey (ISM). Marseille http://www.ism.univmed.fr/

TIRARD Stéphane Centre François Viète d’histoire des sciences et des techniques. Nantes http://www.cfv.univ-nantes.fr/

VIVIEREric Centre d’immunologie de MarseilleLuminy (CIML). Marseille http://www.ciml.univ-mrs.fr/

318

Compléments

Remerciements Cet ouvrage est le fruit d’une initiative lancée par Catherine Jessus, Directrice de l’Institut des sciences biologiques du CNRS. Notre volonté a été de proposer au grand public un livre faisant un point, non exhaustif, sur les révolutions que connaissent les sciences du vivant depuis le virage du xxie siècle et mettant en lumière certains des aspects les plus étonnants de ce vaste domaine scientifique. Cette démarche a immédiatement trouvé un soutien sans faille de la part des Présidents du CNRS, Alain Fuchs, et de l’Inserm, Yves Lévy. Encore fallait-il cerner les contours de ces grands bassins des sciences du vivant en pleine évolution, identifier les découvertes les plus inattendues, celles qui bouleversent notre perception et conception de la vie, celles qui nous inspirent étonnement et émerveillement, celles qui dessinent les futurs champs d’exploration du vivant, et pour certaines, qui sont sources de promesses pour des applications futures qui répondront aux enjeux socio-économiques de notre monde. Compte tenu de la diversité des thématiques et disciplines concernées, il fallait également identifier les chercheurs et enseignants-chercheurs susceptibles de contribuer à cette aventure. Une première étape dans la genèse de ce livre, une étape fondatrice, a consisté à apporter des réponses à ces questions lors d’un séminaire de réflexion de deux jours en décembre 2015. Nous tenons à remercier très chaleureusement tous les collègues qui se sont rendus disponibles pour participer avec enthousiasme à cette opération. Leur niveau d’expertise et leur sens du débat ont assuré une réflexion particulièrement fructueuse qui a permis d’établir l’architecture de ce livre autour de ses cinq chapitres. Sans leur soutien et leur concours, sans leur passion pour les sciences de la vie, ce livre n’aurait pu voir le jour : Paola B. Arimondo, Olivier Bertrand, Frédéric Boccard, Daniel Boujard, Philippe Cinquin, Jean-Michel Claverie, Hugues de Thé, Alain Eychène, Marie-Anne Félix, Thierry Gaude, Catherine Jessus, Eric Karsenti, Laurent Kodjabachian, Vincent Laudet, Jean-Antoine Lepesant, Bruno Lucas, Patrick Lemaire, Jean-Claude Michalski, Florence Noble, Bernard Poulain, Thomas Pradeu, Catherine Rechenmann, Eduardo Rocha, Francis-André Wollman La suite de cette aventure a été pilotée par Th ierry Gaude, depuis la coordination de la centaine d’auteurs jusqu’à la relecture des textes. Son rôle central a été déterminant dans la réalisation et l’aboutissement de cet ouvrage. Nous avons sollicité des chercheurs, enseignants-chercheurs et médecins pour rédiger les cinq chapitres, chacun des chapitres dépendant d’un groupe d’auteurs sous la responsabilité d’un ou de deux coordinateurs. L’originalité de notre démarche a été de combiner, pour chaque groupe de travail, des experts issus de différentes disciplines (biologistes, physiciens, chimistes, bio-informaticiens, philosophes, historiens, médecins, écologues…), afi n d’apporter une vision inédite de la question biologique abordée. Là encore, c’est avec un enthousiasme extraordinaire que nos collègues, malgré leurs nombreuses charges d’enseignement et de recherche, et compte tenu des strictes contraintes 319

Étonnant vivant

de temps inhérentes à la rédaction d’un ouvrage, ont accepté de jouer le rôle d’auteurs. Nos très sincères remerciements vont à chacun d’entre eux : Premier chapitre : Qu’est-ce que le vivant ? Coordinateur Jean-Michel Claverie ; Hervé Cottin, Abderrazak El Albani, Patrick Forterre, Marie-Thérèse Guidici-Orticoni, Ludovic Jullien, Bénédicte Ménez, Michel Morange, Wolfgang Nitschke, Thomas Pradeu. Deuxième chapitre : L’histoire du vivant : Coordinateur Hugues Roest Crollius ; Chantal Abergel, Anne Charmantier, Virginie Courtier-Orgogozo, Vincent Daubin, Martine Hausberger, Evelyne Heyer, Philippe Jarne, Guillaume Lecointre, Purification Lopez-Garcia, Bruno Maureille, Hélène Morlon, Sophie Nadot, François Parcy, Benjamin Prud’homme, Olivier Tenaillon, Xavier Vekemans. Troisième chapitre : La complexité du vivant : Coordinatrice Annick HarelBellan ; Sebastian Amigorena, Olivier Bertrand, Arezki Boudaoud, Christophe Godin, Jules Hoffmann, Agnès Lehuen, Patrick Lemaire, Marcelo Nollmann-Martinez, Andrea Parmeggiani, Laure Rondi-Reig, Claire Rougeulle, Guy Theraulaz, Denis Thieffry, Hervé Vaucheret, Gael Yvert. Quatrième chapitre : L’être vivant dans son environnement : Coordinateurs Guillaume Bécard et Lionel Guidi ; Samuel Alizon, Frédéric Angelier, Laurent Bezin, Chris Bowler, Franck Courchamp, Sébastien Dutreuil, Mathias Faure, Urszula Hibner, Mohamed Jebbar, Oliver Kaltz, François Leulier, Olivier Loudet, Pascal Simonet, Jörg Tost, Nathalie Vergnolle. Cinquième chapitre : De la curiosité à l’application : Coordinatrice Paola B. Arimondo et coordinateur Philippe Menasché ; François Berger, Philippe Cinquin, Barbara Demeneix, Peter Ford Dominey, Jean-Christophe Fricain, Hervé Le Marec, Eric Maréchal, Jean-Louis Mergny, Lionel Naccache, Franck Ruffier, Julien Serres, Mickaël Tanter, Stéphane Tirard, Stéphane Viollet, Eric Vivier. Cet ouvrage est illustré par de nombreuses images et schémas et a fait l’objet de plusieurs relectures et discussions. Nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont ainsi contribué à enrichir ce livre : Lorraine Bertal, Olivier Catrice, Claire Chauveau, Philippe Fort, Rémi Fronzes, Claire Gough, Thierry Heidmann, Yvon Jaillais, Aurélie Le Ru, Benjamin Peret, Michel Raymond. Nous tenons aussi à remercier très vivement tous les laboratoires de recherche qui ont répondu à notre appel à participer à cette entreprise : merci à leur personnel pour les nombreuses contributions qui ont alimenté la réflexion des groupes de travail et enrichi le contenu de cet ouvrage. Enfin, merci à toutes les personnes et équipes qui ont rendu possible toute la logistique de cette réalisation, en particulier Marie-Thérèse Dorin-Gérald et toute l’équipe de l’Institut des Sciences Biologiques du CNRS. 320

Compléments

Laboratoires ayant contribué à cet ouvrage par l’envoi de textes de réflexions scientifiques Architecture et réactivité de l’ARN (Strasbourg). Alain Lescure ; Roland Marquet ; Pascale Romby ; Marie-Anne Sissler ; Eric Westhof. Biochimie et physiologie moléculaire des plantes (BPMP, Montpellier). Christophe Maurel ; Benjamin Peret. Biologie mitochondriale et cardiovasculaire (MITOVASC, Angers). Jacques-Olivier Fortrat. Biométrie et biologie évolutive (LBBE, Villeurbanne). Vincent Daubin. Botanique et modélisation de l’architecture des plantes et des végétations (AMAP, Montpellier). Cédric Gaucherel. Cellules stromales, homéostasie, plasticité et réparation tissulaire (STROMALab, Toulouse). Louis Casteilla. Centre cancer et vieillissement (Nice). Eric Gilson. Centre de mathématiques et de leurs applications (CMLA, Cachan). Nicolas Vayatis. Centre de recherche des Cordeliers (Paris). Frédéric Jaisser. Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM, Marseille). Vincent Géli. Cognition and action group (COGNAC-G, Paris). Pierre-Paul Vidal. Epidémiologie et analyses en santé publique : risques, maladies chroniques et handicaps (Toulouse). Cyrille Delpierre ; Michelle Kelly-Irving. Évolution et diversité biologique (EDB, Toulouse). Etienne Danchin. Expression génétique microbienne (Paris). Carine Tisne-Vicrobeck. Information génomique et structurale (IGS, Marseille). Youri Timsit. Institut Cochin (Paris). Laurence Bénit ; Pierre-Olivier Couraud ; Hélène Gilgenkrantz ; Florence Niedergang ; Daniel Vaiman. Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC, Gif-sur-Yvette). François André ; Fabrice Leclerc ; Stéphane Orlowski. Institut de biologie moléculaire des plantes (IBMP, Strasbourg). Laurence Drouard ; Philippe Giegé ; Manfred Heinlein ; Danièle Werck. 321

Étonnant vivant

Institut de biologie Paris-Seine (Paris). Philippe Faure ; Jean-Michel Gibert ; Michel Labouesse ; Jean-Marie Mangin ; Lucrèce Matheron ; Pierre Netter ; François Robin ; Isabelle Tratner ; François Tronche. Institut de biologie structurale (IBS, Grenoble). Cécile Breyton ; Hugues Nury ; Malene Ringkjobing-Jensen ; Guy Schoehn. Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires (ICBMS, Villeurbanne). Pierre Strazewski. Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC, Illkirch). Abdel Ayadi ; Hinrich Gronemeyer ; Yann Hérault ; Guillaume Pavlovic ; Patrick Reilly ; Tania Sorg. Institut de génétique humaine (IGH, Montpellier). Isabelle Busseau ; Giacomo Cavalli ; Bernard De Massy ; Jean-Maurice Dura ; Marcel Mechali ; Philippe Pasero ; Hervé Seitz. Institut de pharmacologie et de biologie structurale (IPBS, Toulouse). Jean-Marie Zajac. Institut des biomolécules Max Mousseron (IBMM, Montpellier). Robert Pascal. Institut Mondor de recherche biomédicale (Créteil). Jorge Boczkowski ; Geneviève Derumeaux. Institute for regenerative medicine & biotherapy (IRMB, Montpellier). Jean-Marc Lemaitre. Laboratoire de biodiversité et biotechnologies microbiennes (LBBM, Banyuls-sur-Mer). Raphaël Lami. Laboratoire de biologie du développement de Villefranche-sur-Mer (Villefranchesur-Mer). Alexandre Alié ; Lucas Leclère ; Stefano Tiozzo. Laboratoire des interactions plantes-microorganismes (LIPM, Castanet Tolosan). Claude Bruand ; Pascal Gamas ; Dominique Roby ; Fabrice Roux. Molécules de communication et adaptation des microorganismes (MCAM, Paris). Soizic Prado. Physiologie de la reproduction et des comportements (PRC, Nouzilly). Cécile Arnould ; Aline Bertin ; Ludovic Calandreau ; Élodie Chaillou ; Léa Lansade ; Frédéric Levy. Recherche de molécules à visée thérapeutique par approches in silico (MTI, Paris). Bruno Villoutreix. Risque cardiovasculaire, rigidité - fibrose et hypercoagulabilité (Nancy). Patrick Lacolley ; Natalia Lopez-Andres ; Anne Pizard ; Véronique Regnault ; Patrick Rossignol ; Faiez Zannad. 322

Compléments

Unité de glycobiologie structurale et fonctionnelle (Villeneuve-d’Ascq). Jean-François Bodart. Unité de neuroscience, information et complexité (UNIC, Gif-sur-Yvette). Yves Frégnac. Section 20 du Comité National de la Recherche Scientifique (Biologie moléculaire et structurale, biochimie).

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Compléments

Légendes et crédits photographiques des pages d’ouverture de chapitre Introduction Modélisation du repliement de l’ADN. Modélisation en 3  dimensions de l’organisation des chromosomes dans le noyau d’une cellule, réalisée à partir des données d’activité de ses gènes. Les couleurs noir, bleu et vert correspondent à différents types de gènes inactifs alors que le jaune représente les gènes actifs. La simulation utilisée a nécessité environ une à deux journées de calcul. Cette modélisation permet aux chercheurs de mieux comprendre les mécanismes physico-chimiques et biologiques qui contrôlent le repliement de l’ADN dans le noyau cellulaire. Ils tentent ainsi d’établir un lien entre organisation tridimensionnelle, activité et régulation des gènes (photo Hubert Raguet/ TIMC-IMAG/CNRS Photothèque). Dépôt d’anticorps sur des coupes de tissu. L’équipe étudie la façon dont les vaisseaux sanguins colonisent les tumeurs, ce qui favorise leur croissance grâce à l’apport d’éléments nutritifs. Sur cette photo, on assiste au dépôt d’un mélange d’anticorps sur des lames de verre sur lesquelles des coupes de fibrosarcomes (une forme de cancer des tissus conjonctifs) de souris ont été placées. Ces modèles de fibrosarcomes présentent une génération spontanée de vaisseaux. Les chercheurs vont détecter sur ces lames de verre la présence d’A RN spécifiques de ces vaisseaux et les anticorps déposés vont permettre de repérer les vaisseaux exprimant à la fois l’ARN et les protéines d’intérêt reconnues par les anticorps (photo Cyril Fresillon/IPBS/CNRS Photothèque). Étude de l’embryon de poulet. L’équipe cherche à comprendre comment les cellules composant les circuits neuronaux de la rétine et du cerveau naissent, se différencient et s’interconnectent au cours du développement de l’embryon. Les travaux illustrés sur la photo sont menés chez l’embryon de poulet, correspondant à la zone blanchâtre qui repose sur le jaune de l’œuf (ce dernier sert de réserve nutritive à l’embryon pour sa croissance). Les chercheurs utilisent de nouvelles méthodologies comme l’électroporation, visible sur la photo. Cette technique consiste à appliquer un champ électrique qui déstabilise les membranes des cellules de manière à y faire pénétrer un nouveau gène. Ce dernier permet de suivre le devenir des cellules neurales où il a été introduit et la connectivité des cellules dans le tissu nerveux (photo Christophe Hargoues/Institut de la Vision/CNRS Photothèque). Acquisition d’images par résonance magnétique (IRM). Un animal, sous anesthésie, a été placé dans un berceau pour de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) 325

Étonnant vivant

dans l’appareil situé à l’arrière plan à gauche. Cet appareil permet l’acquisition d’images chez le petit animal. Dans le cas présent, les acquisitions d’images portent sur le cerveau. La personne devant l’écran est à la commande de l’enregistrement des fonctions physiologiques (activité cardiaque, respiration, température) pour la surveillance et la synchronisation avec les séquences d’IRM. L’objectif est de développer de nouveaux biomarqueurs, c’est-à-dire des indicateurs de la fonction, normale ou non, du cerveau, pour mieux comprendre son fonctionnement, mais aussi évaluer des thérapies innovantes et/ou mieux orienter la thérapeutique (photo Hubert Raguet/Cyceron/CNRS Photothèque). Manipulations de cellules infectées par un virus contenant le gène de la protéine Tau. La dégénérescence fibrillaire est un mécanisme de mort des neurones à l’œuvre dans la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées. Elle est caractérisée par l’accumulation et l’agrégation de la protéine Tau dans le cerveau. Pour comprendre les mécanismes par lesquels agit la protéine Tau, les chercheurs infectent des cultures de cellules par un virus contenant le gène de la protéine Tau ce qui conduit à son accumulation et recrée la dégénérescence neurofibrillaire. Les chercheurs doivent protéger leur environnement et leur propre personne des virus qu’ils manipulent et travaillent sous hotte, dans des espaces confinés, avec des vêtements protecteurs (photo Cyril Fresillon/CNRS Photothèque). Échantillonnage de vasques d’eau hyper-acide du dôme de Dallol (Ethiopie). La couleur verte de l’eau est due à la présence de fer réduit en solution. Une sonde multi-paramètres permet de mesurer la température, l’acidité, la concentration en oxygène, la conductivité et le potentiel redox. L’analyse des échantillons va permettre de rechercher des micro-organismes extrêmophiles et d’étudier leurs adaptations moléculaires aux paramètres physico-chimiques extrêmes de cet environnement. Cette région est située sur le rift qui traverse la région Afar, l’un des deux endroits au monde où la croûte océanique émerge en surface. Il s’agit d’un environnement qui combine très fortes températures (jusqu’à 115 °C), très forte acidité, saturation en sels divers et présence de gaz toxiques. C’est donc un site privilégié pour étudier les limites de la vie microbienne et il pourrait constituer un bon analogue des environnements de la Terre primitive (photo David Moreira/ESE/CNRS Photothèque).

Premier chapitre Êtres unicellulaires du plancton. Cette photo représente des êtres unicellulaires eucaryotes collectés dans des filets à plancton dans la baie de Villefranche-sur-Mer. Il s’agit d’acanthaires et de radiolaires mesurant de 50 à 1 500 microns. Sur cette photo, les acanthaires sont les êtres les plus petits. Leur cellule est abritée dans un squelette formé de spicules diamétraux symétriques. Les radiolaires de cette photo vivent en colonies qui renferment plusieurs individus, visibles sous la forme de capsules centrales (photo Noé Sardet/Christian Sardet/Tara Océans/CNRS Photothèque). 326

Compléments

Deuxième chapitre Tête de la limace de mer Chromodoris kunei. Les limaces de mer sont des mollusques marins au corps m fiche_ journaliere_pcmac.xls fiche_ journaliere_pcmac.xls ou et dépourvu de coquille, faisant partie des gastéropodes. Elles sont généralement très colorées, une stratégie défensive qui pallie l’absence de protection que confère une coquille. La photo représente la tête de Chromodoris kunei, une limace de mer de 5 à 10 cm, récoltée à Moorea, en Polynésie française. On distingue les deux tentacules buccaux, des organes sensitifs qui permettent à l’animal à « sentir » son chemin (photo Thomas Vignaud/ CNRS Photothèque).

Troisième chapitre Lobes optiques du cerveau de la mouche Drosophile. La photo illustre une coupe du cerveau de la mouche Drosophile observée en microscopie confocale et représentant les lobes optiques qui servent au traitement des informations visuelles. Les noyaux des cellules sont marqués en gris et le neuropile, partie du cerveau située entre les corps cellulaires, est marqué en rouge. À gauche, la larve de la mouche a été nourrie de façon optimale au cours de son développement. A droite, la larve a été élevée en milieu nutritionnel appauvri, ce qui a conduit à une diminution du lobe optique. Cependant, la diversité des neurones a été préservée (photo Cédric Maurange/Elodie Lanet/IBDM/CNRS Photothèque).

Quatrième chapitre Crevette abritée par une anémone de mer. La crevette Periclimenes sagittifer vit abritée dans l’anémone de mer Anemonia viridis. Il s’agit d’un exemple de commensalisme, la crevette trouvant nourriture et protection en vivant au sein des tentacules de l’anémone. Ces deux organismes ont été pris en photo au large de Roscoff (Finistère, France) (photo Yann Fontana/CNRS Photothèque).

Cinquième chapitre Une application inspirée par le biomimétisme. La couleur bleue de l’aile du papillon résulte d’un phénomène optique, l’iridescence, qui provient de la répétition de microstructures présentes à la surface de l’aile qui renvoient une partie de la lumière incidente ; cette couleur ne dépend pas de la présence de pigments. Ce principe peut être 327

Étonnant vivant

utilisé dans l’industrie, par exemple pour la production de textile ou de matériaux sans utilisation de colorants et dont la couleur ne s’altère pas au cours du temps (photo Hubert Raguet/CNRS Photothèque).

Compléments Cervelet de souris. Vue en microscopie confocale d’une section de cortex cérébelleux, un tissu nerveux situé dans le cervelet d’une souris. La barre d’échelle correspond à 100 μm. Différents types cellulaires de ce tissu (cellules de Purkinje, cellules de Golgi du type Glyt2, cellules de Golgi du type Neurogranine) sont marqués en rouge, vert et bleu. Le cervelet joue un rôle majeur dans le contrôle de la posture, l’équilibre, l’apprentissage des mouvements volontaires et certaines fonctions cognitives. Les chercheurs ont mis en évidence une organisation fonctionnelle des réseaux neuronaux du cervelet qui est conservée d’animaux en animaux, mais modifiable à tout moment en fonction de la demande. Ces réseaux permettent à des zones distantes du cortex cérébelleux de communiquer entre elles et de s’associer de façon dynamique (photo Jean-Luc Dupont/INCI/ CNRS Photothèque).

Impression & brochage SEPEC - France Numéro d’impression : 16832170302 - Dépôt légal : mars 2017

10-31-1470 / Certifié PEFC / Ce produit est issu de forêts gérées durablement et de sources contrôlées. / pefc-france.org

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